Depuis l’été 2007 et l’éclatement de la bulle des prêts hypothécaires nommés subprimes, la crise économique ne cesse de s’aggraver. Pourtant, la bourgeoisie tente de réagir. Elle a multiplié des réunions au sommet (les fameux G7, G8, G20) et a mobilisé tous ses docteurs et autres prix Nobel en économie pour tenter de trouver une solution, relancer la machine et renouer avec la croissance. La preuve en est les étalages des librairies, qui regorgent de livres expliquant tous les causes de cette crise brutale et proposant autant de remèdes.
Nous avons choisi de répondre à l’un d’entre eux : la Crise – Pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ?, de Michel Aglietta. Ce livre est le fruit d’un travail sérieux, reconnu, et a reçu le prix de l’Excellence économique. Il illustre parfaitement les solutions proposées par la fraction la plus intelligente de la bourgeoisie, mais aussi ses espérances et, surtout, ses… illusions !
Dans son ouvrage, Michel Aglietta analyse en premier lieu, et très longuement, les mécanismes financiers et monétaires qui ont conduit selon lui au crash financier et aux défaillances bancaires de l’été 2007. Cette partie de son analyse est sans aucun doute la plus pertinente.
D’après lui, après l’éclatement de la bulle Internet en 2001, “l’Amérique s’est lancée dans une politique expansive pour soutenir la conjoncture (…). On a assisté à la dette des entreprises et à la dette des ménages.” Effectivement, pour soutenir à tout prix la demande, et donc la croissance, pour éviter une grave récession, les autorités américaines ont laissé le marché du crédit se déréguler, enfler sans aucun contrôle. Elles l’y ont même encouragé !
Et cette folie a gagné tous les rouages : “tout le monde profitait du système. Et chacun, banquiers, régulateurs, investisseurs, acteurs politiques, habité par l’idéologie de l’efficience du marché (...), ne voyait qu’avantage dans cette fuite en avant des coûts du crédit, dissémination des risques, diversifications des patrimoines, rentabilités accrues des actifs.”
Cette “fuite en avant” dans l’endettement généralisé, qui ne reposait pas sur un développement réel de la production, devait nécessairement mal finir. L’insolvabilité croissante de tous les “acteurs” (en particulier des ménages américains) ne pouvait avoir pour seule issue que la faillite !
Après cette description juste et détaillée, Michel Aglietta énumère avec lucidité comment cette crise financière s’est transmise à “l’économie réelle” et a entraîné des faillites à la chaîne, les fermetures d’usines, le chômage massif… bref, tout ce que la classe ouvrière ne connaît que trop bien.
Jusqu’ici nous pouvons donc suivre avec sérénité l’analyse de ce brillant économiste bourgeois, jusqu’ici… mais pas plus loin ! Car pas un seul instant, il ne se demande :
– quelles sont les causes réelles de cette crise généralisée de l’endettement ?
– pourquoi le système financier et toutes les institutions politiques (les États, les Banques centrales, le FMI…) ont-elles été touchées par cette folle “fuite en avant” ?
– et, surtout, la crise financière est-elle la cause ou le symptôme d’une crise plus profonde encore ?
Du coup, en ne se posant pas les bonnes questions, la compréhension de cet éminent spécialiste s’arrête à la surface des choses. Son analyse demeure superficielle. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que la folle “fuite en avant” de tout le système économique mondial, que le crédit facile, fou et dérégulé, que tout ça est non la cause mais l’effet. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que le capitalisme est atteint d’une maladie mortelle, que son économie est touchée par le poison de la surproduction. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que la seule “solution” temporaire pour le capital d’éviter la paralysie, c’est justement de soutenir artificiellement la demande, de permettre aux marchandises d’être achetées… à crédit. Enfin, Michel Aglietta ne voit pas (ou ne veut pas voir) que cette crise de surproduction touche le capitalisme non pas depuis 2007, ni même depuis 2001, mais depuis des décennies. C’est pour cela que depuis tant de temps, l’endettement mondial ne fait que croître et que les récessions et les crashs financiers se succèdent les un aux autres, en étant de plus en plus graves.
Cette vision à courte vue qui empêche un économiste bourgeois de voir la vérité en face quand il se demande “Pourquoi en est-on arrivé là ?” se transforme tout bonnement en cécité totale quand arrive la question fatidique “Comment en sortir ?”.
Dans un premier temps, cet analyste chevronné répète les mêmes “solutions” ridicules que nous avons tous déjà entendu mille fois. Face à la crise, “Il est important (…) de mettre en place les régulations qui permettront d’amortir ces convulsions cycliques Pour ce faire, il faut d’abord mieux maîtriser le levier de l’endettement au sein du système bancaire lui-même. Il s’agit d’exercer un contrôle plus vigilant sur l’accroissement du volume du crédit”. La liste des propositions de régulation contraignantes continue à s’égrener à longueur de pages. Et comme certains des chefs d’État (en particulier N. Sarkozy) l’ont déjà dit de façon théâtrale à la tribune du G20, Michel Aglietta va jusqu’à affirmer : “Le plus important est néanmoins d’obtenir une normalisation des places offshore.” Il faut réformer la finance, l’empêcher de devenir folle ! Tout cela n’est évidemment que du vent.
Après ces propositions flamboyantes et moralisatrices (et surtout creuses), Michel Aglietta lance SA solution centrale et originale : “Il faut donc que les pouvoirs publics agissent de manière coordonnée pour que la récession ne se transforme pas en dépression mais cela ne suffira pas, parce que le canal des banques qui transmettent normalement les impulsions de la banque centrale est paralysé. En outre, les entreprises et les ménages ne vont pas relancer leur endettement pour dépenser plus. C’est pourquoi une augmentation coordonnée des dépenses budgétaires est indispensable. Il s’agit que la dette publique remplace la dette privée pour que le désendettement privé n’aspire toute l’économie vers le fond. Dans tous les cas de figures, on échappera donc pas à une contraction de la dette privée et, en contrepartie, à une augmentation très importante mais légitime et nécessaire de la dette publique.”
Alors là, Michel Aglietta peut-être fier, bravo ! Les gouvernements de tous les grands pays ont déjà suivi, sans le savoir, les recommandations “originales” du professeur Aglietta. Bon, c’est vrai, il y a quelques petites différences : il y a de moins en moins de coordination et de plus en plus de guerre économique. Plus la situation est grave et moins les pays capitalistes sont enclins à se donner la main car, voilà, ils sont tous en concurrence. Mais en dehors de ce “détail”, dans des circonstances d’une extrême gravité, d’une crise d’insolvabilité généralisée, seuls les États ont pu effectivement éviter l’effondrement général de l’économie. Comment ? En creusant les déficits publics d’un coté et en faisant marcher la planche à billet (autrement dit, en créant de la monnaie) de l’autre et, ce, au-delà de tout ce qui a existé dans l’histoire !
A elle seule, en novembre 2009, la dette publique américaine a atteint 12 000 milliards de dollars (Romandie news, 19.11.2009). Pour cette même année, la zone Euro, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont injecté à eux seuls 14 000 milliards de dollars, soit 25 % du PIB mondial (Contre-info, 21 novembre 2009). Pour Michel Aglietta : “Quand les ménages cessent de dépenser et qu’il n’est plus possible de compter sur l’extérieur, parce que les pays émergents sont à leurs tours frappés par la crise, il n’y a plus que l’État qui puisse dépenser.” Et quand l’État dépense voici ce que cela donne ! La dette prévue pour 2011 sera, dans le meilleur des cas, de 105 % du PIB en Grande-Bretagne, 125 % aux États-Unis, 125 % dans l’UE et 270 % au Japon (Ambrose Evans Pritchard, “Le Télégraphe”, 18 novembre 2009 sur Contre-info). Michel Aglietta a raison sur ce point : les États soutiennent l’économie en la plaçant sous perfusion permanente. Voilà pourquoi l’économie mondiale, la croissance et le système financier ne se sont pas littéralement effondrés depuis 2007. Monsieur le Professeur pourra se vanter auprès de ses étudiants de Nanterre du fait que ses prescriptions ont été suivies par tous les gouvernements ! Enfin, il devrait se dépêcher de le faire car son “remède” va bientôt s’avérer pire que le mal. Car il y a maintenant, au point où nous en sommes, une nouvelle question à se poser : qui va bien pouvoir se porter dans les mois et les années qui viennent au chevet de ces États surendettés et en situation de banqueroute ?
Michel Aglietta lui-même ne peut pas esquiver cette question tant il est évident que les États vont aujourd’hui droit dans le mur. Ils ne pourront pas bien longtemps encore soutenir l’économie en creusant les déficits.
Conscient du “petit” problème, notre économiste tente de rassurer son monde en proposant là encore ses “solutions”. Il défend ainsi l’idée que l’État va soutenir la croissance suffisamment longtemps pour que le privé et, notamment, les banques et les particuliers, puissent se désendetter en grande partie. Toujours d’après lui, le crédit privé devrait alors redémarrer et prendre le relais des États pour soutenir la croissance (1). Mais surtout, il prévoit que le centre de gravité économique et financier mondial va se déplacer de l’Occident vers les pays émergents de l’Orient. “Pour financer ces opérations de soutien massif au système financier, garantie des prêts interbancaires et recapitalisations des banques, les États vont recourir à la dette publique. Ils émettront des titres qui seront achetés par les investisseurs du monde : pays asiatiques, producteurs de pétrole.” Voici de retour la fable, la chimère du Quand la Chine s’éveillera… Comment, sérieusement, la Chine ou l’Inde pourraient empêcher la cessation de paiement des États de l’Occident et en premier lieu celui du plus puissant du monde, les États-Unis ? Où ces États pourraient-ils trouver de telles capacités financières alors que, par exemple, les exportations chinoises ont diminué de 25 % en un an ? En réalité, la crise actuelle est une crise mondiale et aucun pays n’y échappe. En Chine, bulles spéculatives et surproduction généralisée sont bel et bien elles aussi à l’œuvre.
Arrivé enfin dans son livre au moment de répondre à la question vitale écrite sur sa couverture, “Comment en sortir ?”, Aglietta ne peut donc répondre que par une vue de l’esprit qui n’a aucun fondement dans la réalité actuelle, comme le fait n’importe quel économiste bourgeois.
Nous pouvons alors, bien entendu, nous poser une question toute simple. Comment se fait-il que Michel Aglietta soit aussi performant pour nous expliquer les arcanes du monde financier et aussi irréaliste lorsqu’il s’agit de proposer des moyens permettant au capitalisme d’échapper à la dépression ? En fait, pas plus lui que l’ensemble de la bourgeoisie ne savent “Comment sortir de la crise ?”. Pour empêcher l’économie capitaliste de s’enfoncer trop rapidement dans la dépression, la bourgeoisie n’a pas d’autre choix que de continuer à créer et à injecter de la monnaie et à creuser les déficits publics et budgétaires, comme si elle jetait de l’argent dans un puits sans fond. Les conséquences inévitables et déjà visibles de cette politique sont la marche en avant des États vers des situations de cessation de paiement. Certes, un État capitaliste ne se déclare pas en faillite en mettant la clef sous la porte, comme le font les entreprises. Une situation de “faillite” d’un État signifie concrètement de nouveaux “sacrifices”, de nouvelles attaques et une brutale dégradation des conditions de vie pour la classe ouvrière. Tous les États, face à leur déficit abyssal, vont devoir :
– développer une très forte pression fiscale (augmenter les impôts) ;
– diminuer encore plus drastiquement leurs dépenses en supprimant par dizaines ou centaines de milliers les postes de fonctionnaires, en réduisant de façon draconienne les allocations retraites, les indemnités chômages, les aides familiales et sociales, les remboursements de soins, etc. ;
– laisser filer la valeur de la monnaie par une hausse de l’inflation qu’ils ne sont pas du tout sûrs de contrôler ! Tel est d’ailleurs le sens de la politique économique actuelle menée aux États-Unis et en Angleterre. Celle-ci s’est soldée pour le moment par une perte de 20 % de la valeur du dollar par rapport à l’euro et à une baisse continuelle de la livre sterling. Concrètement, pour les ouvriers, le retour à terme de l’inflation va signifier une hausse considérable des prix sans évidemment que leurs salaires ne suivent ! (2)
Il ne s’agit pas là d’une fiction mais d’une réalité qui commence à naître dès aujourd’hui sous nos yeux. Fin 2008, début 2009, l’Islande, la Bulgarie, la Lituanie et l’Estonie étaient estampillées “État en faillite”. Fin novembre-début décembre, la liste s’est encore allongée. “Dubaï, la faillite en ligne d’émir” et “La Grèce est au bord de la faillite” titrait ainsi Libération, respectivement les 27 novembre et 9 décembre. Pour l’instant, chacun de ces pays a été secouru (par d’autres États ou le FMI…). Mais que se passera-t-il quand des pays plus importants, pesant “plus lourd” dans la balance économique, vont à leur tour sombrer. Qui pourra les renflouer ? Personne ! Dans ces pays, l’économie ne sera évidemment pas paralysée mais les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière subiront une terrible détérioration encore plus dramatique. Déjà, l’Espagne et le Portugal donne des signes importants de faiblesse.
En mars 2009, le Crédit suisse avait établi la liste des dix pays les plus menacés par la faillite, en comparant l’importance des déficits et la richesse de la nation (le PIB). Pour l’instant, cette sorte de “Top 10” a “tapé dans le mille” puisqu’il était constitué, dans l’ordre, de l’Islande, la Bulgarie, la Lituanie, l’Estonie, la Grèce… l’Espagne, la Lettonie, la Roumanie… la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Irlande et la Hongrie.
La Grande-Bretagne et les États-Unis sont effectivement eux aussi mal en point, mais l’éventuelle forte dégradation de leur économie va signifier aussi une énorme accélération de la crise à l’échelle planétaire.
Lorsque Monsieur Aglietta en appelle à l’État pour sauver l’économie, il fait comme toute la bourgeoisie. C’est une traversée à bord du Titanic qui nous est proposée ! Aucun État au monde ne peut empêcher à terme l’économie mondiale de continuer de s’enfoncer dans la plus profonde dépression de l’histoire du capitalisme.
Tino (18 décembre)
1) Eh oui… après nous avoir expliqué que la cause de la récession actuelle était la folle “fuite en avant” vers le tout-crédit, Michel Aglietta propose comme “remède” de nouveaux crédits… étatiques dans un premier temps, privés dans un second temps ! Et comment cela ne mènerait pas cette fois encore l’économie mondiale dans la même impasse, cela Monsieur Aglietta ne nous l’explique pas !
2) Il n’est pas non plus à exclure que, malgré tous les efforts de États pour éviter cette éventualité catastrophique, si le crédit privé et la demande ne repartaient pas un minimum, la déflation puisse s’installer durablement.
Le 23 novembre, Luc Chatel a annoncé la suppression pure et simple des cours d’Histoire et de Géographie en Terminale scientifique.
Il s’agit là d’une attaque de plus qui vise à la réduction drastique du nombre de fonctionnaires. La suppression de cette discipline n’est que le fruit d’une logique visant à réduire les horaires d’enseignement de ces matières sur l’ensemble du cursus Seconde, Première et Terminale au lycée. Il y aura donc automatiquement besoin de moins d’enseignants.
L’État avait déjà porté la même attaque lors de la réforme précédente contre les Mathématiques, l’Informatique, les ‘Sciences de la Vie et de la Terre’ et la Physique-Chimie. Toutes ces matières ont été supprimées du programme des Terminales “Littéraire” et ‘Economique et Sociale’.
En démantelant ainsi peu à peu l’enseignement, matière par matière, l’État parvient à atteindre son objectif : diminuer considérablement le nombre de fonctionnaires. Année après année, c’est de plus en plus de postes qui sont supprimés à l’Education Nationale : 3500 en 2005, 1607 en 2006, 8700 en 2007, 11 200 en 2008, 13 500 en 2009 et… 16 000 en 2010 ! Soit 54 507 en 6 ans !
Ces chiffres éclairent les vrais motifs de ces réformes successives de “modernisation” de l’enseignement.
Résultat : les conditions de travail et d’apprentissage dans les écoles sont en train de se dégrader à toute vitesse. Enseignants, surveillants, conseillers d’éducation, mais aussi les élèves, tous sont confrontés à des classes et des salles de permanence surchargées, à des programmes dénués d’intérêt, à un climat tendu et parfois violent.
L’école n’a jamais été un lieu où la “jeunesse” (en fait, majoritairement les enfants d’ouvriers) pouvait s’épanouir et développer un esprit critique, libre. Elle a toujours été essentiellement une école de formation des futurs travailleurs, formatés idéologiquement autant que possible. Mais, ces dernières années, cette réalité s’est accentuée, elle a été mise à vif. En supprimant toutes ces matières, l’État appauvrit encore l’enseignement, il enferme encore un peu plus dans la spécialisation, il montre que son seul intérêt est de faire de ces élèves des travailleurs qualifiés dans leur branche, point barre.
Le Parti socialiste a une nouvelle fois brillé dans cette affaire par… son absence. Seul, le MoDem a jugé cette réforme “inacceptable”. Au Parti socialiste, une seule voix a porté, celle de Bruno Julliard, l’ex-président de l’UNEF et actuel secrétaire national du PS à l’éducation. En voici un échantillon. A la question du journaliste : “La réforme du lycée est-elle une bonne réforme ?”, il répond : “Je dirais non, moins parce qu’elle porte en elle des dangers que parce qu’elle manque d’ambition. […] On avait besoin d’une réforme en profondeur qui réponde à la question essentielle des missions du lycée. Le gouvernement n’a pas engagé ce débat. Il y a des éléments positifs (re-sic !), mais ils restent nettement insuffisants” .
Si c’est pour proférer de telles platitudes, on comprend que les autres ténors préfèrent se taire. Il faut dire que le PS n’est pas des mieux placés pour protester de façon crédible contre toutes ces attaques, lui qui a participé “allègrement” à la réduction des effectifs des surveillants sous Jospin entre 1997 et 2007 et qui s’était donné comme objectif de “dégraisser le mammouth Education Nationale”. Tel est le sens réel de la critique sur le “manque d’ambition” de cette réforme formulée par Bruno Julliard.
Si le PS s’est fait tout petit, le “monde de gauche”, lui, s’est naturellement scandalisé de cette suppression de l’Histoire-Géographie. Mais en y regardant de plus près, ces protestations masquent un piège, le poison du corporatisme, et une idéologie putréfiée, la citoyenneté.
Dans les déclarations suivantes, les mots n’ont en effet pas été choisis par hasard : “Ce nouvel épisode […] laisse anéanti et scandalisé. […] Dans la formation du citoyen, ces disciplines ont un rôle absolument fondamental. La compréhension du monde contemporain, de ses crises économiques ou géostratégiques, des rapports de force qui se nouent et se dénouent en permanence entre les nations, implique la maîtrise de l’Histoire et de la Géographie.” (2)
“Ces matières ont une fonction citoyenne, développent l’esprit critique par rapport à l’émotionnel.” (3)
D’abord, le “monde de gauche” se focalise ici sur l’Histoire-Géographie et passe sous silence l’ensemble des attaques. Il fait de la suppression de cette matière un problème particulier. Ce faisant, il isole les enseignants de cette matière des autres enseignants, des surveillants… eux aussi touchés par la réduction des effectifs. C’est répandre insidieusement le poison du particularisme… au sein même du corporatisme.
Ensuite, il fait croire que le rôle de l’école serait de former des personnes lucides, capables de réflexion éclairée sur le monde, capables d’analyser le présent par la connaissance des faits historiques et les expériences du passé. L’histoire enseignée tiendrait donc une place prépondérante pour comprendre la société capitaliste. Rien n’est plus faux !
Les enseignants et les jeunes générations ont à défendre leurs conditions de travail et d’étude, et à se sentir indignés quand le minimum éducatif est remis en cause, mais certainement pas à défendre la “citoyenneté” !
Les programmes d’Histoire ont toujours été construits pour et par la propagande d’Etat. Et ces dernières années, la bourgeoisie a même accentué cette réalité. Les multiples réformes des programmes permettent de moins en moins une analyse claire des faits historiques et la construction d’une réflexion critique chez les nouvelles générations. Tout est mis en place pour que la nouvelle génération ne puisse pas comprendre la faillite criante du capitalisme, pour qu’elle ne voit pas un éléphant dans un couloir ! Par exemple, l’étude de la crise de 1929 a purement et simplement “disparu” des programmes du lycée. L’année n’appartient même pas aux dates importantes à connaître à la sortie du collège ! (4) La bourgeoisie gomme ainsi tout parallèle possible dans la tête de la nouvelle génération ouvrière avec la crise économique qui sévit actuellement. La période de l’entre-deux guerres a elle aussi “disparu” des programmes des séries scientifiques, pas un mot sur les insurrections écrasées dans le sang par le Parti socialiste en Allemagne en 1919, 1921 et 1923, évidemment. Comment prétendre alors à une analyse non tronquée des causes de la Seconde Guerre mondiale ? Sans compter une remontée de l’obscurantisme au travers de l’apparition de l’étude des religions au collège. Tandis qu’il est demandé aux enseignants de passer au moins 20 % du temps d’enseignement de l’histoire (5) dessus, Régis Debray (6), lors d’une réunion proposée par le centre pédagogique de Paris7, a précisé qu’il fallait “mettre dans la tête des élèves de l’école maternelle ce patrimoine religieux et mettre en évidence le croisement du croire et du savoir, et ne pas éliminer la vérité religieuse” ! (8)
L’école laïque est un outil de la bourgeoisie pour la bourgeoisie. Historiquement, elle a été créée suite à l’expérience de la Commune de Paris dans le but d’encadrer idéologiquement la classe ouvrière. Jules Ferry, dans ses diverses interventions pour défendre l’école “gratuite” et “laïque” l’exprime d’ailleurs fort bien : “Non, certes, l’État n’est point docteur en mathématiques, docteur en lettres ni en chimie. […] S’il lui convient de rétribuer des professeurs, ce n’est pas pour créer ni répandre des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe de l’éducation : il s’en occupe pour y maintenir une certaine morale d’État, une certaine doctrine d’État, indispensable à sa conservation.” (9) “[…] Alors ne craignez pas d’exercer cet apostolat de la science, de la droiture et de la vérité, qu’il faut opposer résolument, de toutes parts, à cet autre apostolat, à cette rhétorique violente et mensongère, […] cette utopie criminelle et rétrograde qu’ils appellent la guerre de classe !” (10)
Le rôle réel de l’école est peu à peu de plus en plus visible : former techniquement les futurs travailleurs afin qu’ils soient efficaces et productifs et les formater idéologiquement pour en faire de bons (c’est-à-dire dociles) citoyens.
La suppression de l’Histoire-Géographie est une attaque réelle, mais pour lutter contre elle, il faut lutter contre toutes les attaques, ne pas se laisser isoler par le corporatisme et dévoyer par l’idéologie citoyenne, autrement dit nationaliste et contre la lutte des classes.
Frida (19 décembre)
2) Jacques Sapir – Professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales – in du 29 novembre.
3) Entretien avec Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie. www.humanite.fr/Entretien-avec-Hubert-Tison-secretaire-general-de-l-Asso... [5]
4) Bulletin officiel spécial n° 6 du 28 août 2008.
5) Idem.
6) Actuel président de l’IESR (institut européen en sciences et religions) et ancien doyen de l’inspection générale d’histoire et géographie.
7) Réunion tenue le 2 avril 2008.
8) Cité dans les Cahiers du mouvement ouvrier, no 43.
9) Jules Ferry à la Chambre, 26 juin 1879.
10) Jules Ferry à la Sorbonne, lors de la séance d’ouverture des cours de formation des professeurs, le 20 novembre 1892.
En ce début d’hiver, toutes les associations caritatives tirent la sonnette d’alarme. La crise économique est en train de frapper brutalement toute la classe ouvrière et une partie croissante de celle-ci se retrouve d’ores et déjà plongée dans la misère.
Ainsi, selon Didier Piard, directeur de l’action sociale de la Croix-Rouge française : “L’intensité de la pauvreté augmente. Les pauvres sont plus pauvres qu’hier (…). Le nombre de personnes accueillies a augmenté de plus de 20 %. (…). Les associations caritatives voient 2010 en noir sur fond de chômage massif et de basculement d’une partie des chômeurs en fin de droits (…). Des populations que nous ne voyions pas autrefois viennent dans nos centres demander des aides alimentaires, des vêtements ou des aides financières directe : ce sont des retraités, des travailleurs pauvres, des smicards en contrat à durée indéterminée, qui ne parviennent plus à joindre les deux bouts, des jeunes. Ils s’ajoutent aux familles monoparentales et aux précaires qui n’ont jamais cessé de venir (…). Une étude sur une quarantaine de sites a montré que plus de 40 % des personnes accueillies venaient demander de l’aide pour payer leurs factures d’énergie ou leur loyer.” [1]
Même constat pour les Restos du cœur. L’année dernière, cette association avait déjà battu un triste record, celui de l’affluence. Et pourtant, cet hiver s’annonce encore bien pire. Pour le Président des Restos, Olivier Berthe, “Au cours du printemps et de l’été derniers, la fréquentation de nos centres de distribution a augmenté de 20 % sur un an, on s’attend à une forte hausse de la demande, qui avait déjà progressé de 14 % l’année dernière” .
Ceux qui ont encore un travail ont donc eux aussi de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Les associations caritatives leur ont même donné un nom : “Les nouvelles têtes”. Il s’agit de tous ces gens sous-payés (mais sur-exploités, évidemment) qui viennent chercher à manger pour eux et leur famille.
Pour la classe ouvrière, crise économique rime avec licenciements, chômage, précarité… En 2009, 451 000 emplois environ ont été détruits et l’année 2010 s’annonce tout aussi terrible. “Le chômage va continuer d’augmenter” titrait ainsi le journal économique la Tribune du 18 décembre.
Que fait l’Etat, face à cette situation dramatique ? Il fait de son mieux pour limiter cette hausse des courbes du chômage en… trafiquant les chiffres, en rayant des listes par centaines des milliers les chômeurs en “fin de droits”. Pour être précis, 850 000 personnes classées en “fin de droits” ont été sorties des chiffres officiels du chômage en 2009 et le Pôle emploi estime qu’elles seront plus d’un million en 2010 ! Concrètement, cela signifie pour toutes ces familles ouvrières le retrait de ressources déjà réduites au minimum vital, la soupe populaire version moderne (les Restos du Cœur) et… souvent la rue !
Cette augmentation considérable de la pauvreté, la bourgeoisie ne peut pas la cacher. La dure réalité est trop criante pour que les médias nous jouent l’air du “tout va bien”. Alors, du coup, ils en parlent à leur façon, jusqu’à la nausée (3). Le but est de faire peur, de dire aux ouvriers qui ont encore un emploi stable : “Voyez comment des gens souffrent de la misère, alors considérez-vous comme chanceux et ne vous plaignez pas trop car d’autres rêvent de prendre votre place.”
L’exemple le plus crapuleux de cette propagande est sans aucun doute les sondages sur la peur de devenir chômeur ou SDF dont les résultats sont toujours annoncés en grande pompe aux journaux télévisés du 20h. Le dernier en date, celui de la TNS Sofres, a ainsi “révélé” ses résultats comme s’il s’agissait là d’un véritable scoop : l’inquiétude vis-à-vis du chômage est redevenue en décembre 2009 le principal souci de 73 % des français ; les plus préoccupés sont les ouvriers (84 %) et les jeunes (83 %). Quelle révélation !
Ce type de discours est effectivement effrayant, il paralyse, rend résigné et annihile la volonté de lutte. C’est justement ce sentiment d’insécurité face à la crise économique qui a contraint la classe ouvrière à faire le dos rond depuis début 2009 et, avec la complicité des syndicats, a contribué à ses difficultés à entrer en lutte.
Cela dit, l’effet paralysant de la brutalité avec laquelle a frappé la crise ces derniers mois et les discours terrorisants qui l’ont accompagné ne peuvent être que temporaire. Pour paraphraser Karl Marx dans Misère de la philosophie (1847), il ne faut pas voir dans la misère que la misère mais aussi et surtout son côté révolutionnaire, subversif. Peu à peu, la peur et la résignation vont céder la place à la colère. Faudra-t-il encore que la classe ouvrière croit en ses capacités à lutter contre toutes ces attaques, de façon unie et solidaire, pour que cette colère se transforme en une volonté de combat contre ce système !
DP (18 décembre)
1) Le Monde du 4 déc. 09.
3) Notamment en cette période hivernale où les grands froids et la neige se sont abattus sur le pays, avec les campagnes médiatiques sur les “moyens mis en place par l’État ou les municipalités pour venir en aide aux plus démunis” tels les bus de ramassage du SAMU social ou la réouverture des foyers d’hébergement de nuit surpeuplés que certains sans-abris refusent par crainte de la promiscuité.
“Pour vous, qu’est-ce qu’être Français ?”, voilà la question que l’ex-“conseiller socialiste” Besson, actuel ministre de l’immigration et de l’identité nationale (ça ne s’invente pas) a lancé à travers tout le pays. Le “grand débat” qu’il veut animer procède de la mode des “Grenelle”, ces boîtes à idées qu’on agite un peu partout ces derniers temps pour donner l’impression que l’initiative politique appartient au “peuple”.
Mais ici, le débat a une saveur toute particulière. Car derrière le concept “d’identité nationale”, il y a tous ces relents du nationalisme et du populisme que la bourgeoisie traîne derrière elle, comme un cuisinier ses casseroles, depuis toujours et qu’elle tente de ranimer en particulier depuis les années 1980 en France. Face au développement de l’électorat du Front national de Jean-Marie Le Pen, toutes les fractions de la bourgeoisie “démocratique” ont cherché à coller, avec plus ou moins de succès, aux “préoccupations de la population”, tout en les alimentant, liées à la sécurité, à l’immigration, à la peur “de l’étranger”, etc.
Aujourd’hui, l’idéologie nationaliste revient en force derrière le vernis bien-pensant des valeurs de la démocratie et de “l’ouverture”. D’ailleurs, Sarkozy n’a pas mis cette mission entre les mains d’un social-démocrate par hasard. On se rappelle encore des tirades de Ségolène Royal sur le drapeau français et son intention, si elle était élue Présidente, de rendre obligatoire l’enseignement des paroles et le chant de la Marseillaise dans les écoles. Mais au final, tout ce débat remue le lisier puant de la “fierté d’être Français” et autres “être Français, ça se mérite”. Besson peut bien jouer l’effarouché devant les propos répugnants des racistes de tous poils qui profitent de la tribune qu’il leur offre objectivement (1), à quoi pouvait-il s’attendre ?
Certes, le ministre insiste beaucoup sur les vertus universalistes de son débat. Il obéit évidemment aux mêmes règles dictées par les impératifs du capital national et poursuit cyniquement les mêmes objectifs que son prédécesseur Hortefeux : augmenter la cargaison de charters et le nombre d’expulsions d’immigrés “en situation irrégulière”. Derrière ces lois s’exhale la véritable nature méprisante, cynique et xénophobe de leur classe qui transpire de leurs propos en privé. On se souvient d’Hortefeux piégé sur Internet lorsque, sollicité par les photographes le 10 septembre dernier pour poser aux côtés d’un jeune d’origine maghrébine, il lançait à la cantonade : “Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.” Dans la droite ligne de ce même Jacques Chirac qui en 1991 se prenait de compassion pour les braves Français qui doivent “supporter les bruits et les odeurs” de leurs voisins de palier “musulmans” ou “noirs”, “une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler” (2).
Dans le même discours, l’ancien président de la République souhaitait déjà de tout son cœur “le grand débat qui s’impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s’il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d’une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu’ils ne paient pas d’impôt !” (3)
Le nationalisme, ce n’est pas seulement le moteur idéologique de la guerre, c’est cette subtile et insidieuse assimilation de la division nationale qui est l’essence même de la concurrence capitaliste organisée entre États sur le marché mondial et de l’activité économique de la bourgeoisie alors qu’elle fait subir au prolétariat de tous les pays la même exploitation, les mêmes attaques et les mêmes sacrifices.
Être Français, c’est avoir obtenu, d’une façon ou d’une autre, la nationalité française, un bout de papier qui confère avant tout le “droit” à un hypothétique emploi sur le territoire pour des prolétaires cherchant à vendre la seule chose qui leur permette de ne pas crever de faim : leur force de travail. Cela revient au nom de la “citoyenneté” à enchaîner ces prolétaires à l’illusion de ce faux et dangereux sentiment d’appartenir à la même communauté que celle de leurs exploiteurs qui nie les divisions de la société capitaliste en classes sociales aux intérêts totalement antagoniques. La bourgeoisie utilise abondamment le nationalisme comme un poison qu’elle distille dans les rangs de la classe ouvrière : c’est un instrument de domination et de division afin de démolir la conscience d’appartenir à une même classe sociale, une classe internationaliste dont le cri de ralliement dans le combat révolutionnaire contre leur exploitation est “les prolétaires n’ont pas de patrie !”
GD (9 décembre)
1) Soyons... sport : la question n’inspire pas que ceux-là. Elle a notamment permis à l’ex-footballeur Eric Cantona d’affirmer qu’être Français, ce n’est pas “chanter la Marseillaise” ni “lire la lettre de Guy Môquet”, mais d’abord être “révolutionnaire” face à un “système” qui contraint notamment des gens à vivre “dans la rue” (lemonde.fr)
2) Source Wikipedia
3) Idem.
“Amateurisme”, “dangerosité”, “incurie” : ce sont les termes les plus couramment utilisés de la part de l’ensemble du corps médical au sujet de la campagne de vaccination menée par le gouvernement contre la grippe A. “La campagne de vaccination commence, et à quoi assiste-t-on ? A une improvisation. On cherche à trouver à la hâte des solutions de fortune. Huit mois d’informations sans cesse répétées pour en arriver là, tandis que s’exprime une préoccupation croissante (…) la crainte de la vaccination accentuée par le défaut évident d’organisation du dispositif.” (1) L’État français s’est conduit en véritable apprenti-sorcier de la santé publique. Et son égérie, Roselyne Bachelot, ministre de tutelle dont l’incompétence en matière de santé n’a d’égale que son aplomb, n’a cessé d’enfiler les contradictions comme des “perles”… attestant de sa propre confusion.
Selon ses déclarations alarmistes au début pour convaincre d’aller se faire vacciner, il risquait d’y avoir 50 000 décès dans le pays, il y en a 150. Alors que la vaccination exigeait au début deux injections, aux temps où le discours du gouvernement peinait à se faire prendre au sérieux, ce n’est plus tout à coup qu’une seule qui est nécessaire alors que la psychose alimentée par les médias aux ordres voit affluer nombre de personnes dans les centres de vaccination. Et puis il y a la question des adjuvants. Rien à craindre, nous a-t-on répété. Ils sont au point, tellement au point qu’on ne les administre en aucun cas aux femmes enceintes, aux enfants et autres sujets “à risque”. Il est d‘ailleurs notoire que les médecins qui se font vacciner exigent un vaccin sans adjuvant, car ce dernier, qui permet d’augmenter la réponse immunitaire de l’organisme au virus a aussi pour “avantage” d’augmenter le risque de développement de réponses allergiques et de maladies auto-immunes graves. “Faîtes-nous donc confiance !” dit-Madame Bachelot (2). Les études réalisées sur ces adjuvants et sur le vaccin ont été faites sur mille cas, ce qui est notoirement insuffisant du point de vue scientifique. Qu’importe ! Le “principe de précaution” prévaut, veut-on nous faire croire. Ainsi l’État français a acheté à lui-seul 10 % (94 millions de doses) du stock de vaccins dans le monde alors que la population française ne représente que 1 % de la population mondiale ! Ce n’est certes pas par “principe de précaution” pas plus que par souci de la santé des populations que le gouvernement s’est livré à cet alarmisme : la pandémie a été une aubaine pour ce secteur de l’industrie française particulièrement plongé dans le marasme de la crise. Il y a moins d’un an, les plans de suppression d’emplois pleuvaient dans l’industrie pharmaceutique en France. Aujourd’hui, Sanofi-Aventis, dans l’euphorie de la vaccination à tout va, a annoncé viser un chiffre d’affaires net de quatre milliards d’euros dans les vaccins en 2010, en y intégrant bien sûr la manne des ventes de son vaccin contre la grippe H1N1, et vise même d’ici 2013 un marché mondial du vaccin de 23 milliards d’euros. Le gouvernement a donc joué les mécènes en escomptant bien des bénéfices dans la défense du capital national. Les études des “experts” nommés par le ministère de la santé, ceux qui lui disent ce qu’il faut faire ou ne pas faire sont payés à 100% non pas par le gouvernement mais par les laboratoires pharmaceutiques. C’est dire tout le crédit à accorder à ces “chercheurs”.
Cet événement est aussi un révélateur de l’incurie du gouvernement. Les centres de vaccination fonctionnent sans moyens matériels adéquats, dans des gymnases, des écoles, etc. Les médecins généralistes et les dispensaires habituellement habilités à pratiquer les vaccins ont été écartés par le ministère. Il est vrai que la politique forcenée de fermetures des dispensaires et de lits d’hôpitaux menée par les différents gouvernements depuis dix ans ont rendu ces structures incapables de répondre aux exigences gouvernementales (3).
La réquisition forcée du personnel médical comme administratif vient rajouter à la gabegie généralisée : les élèves-infirmières de 3e année par exemple doivent vacciner à tour de bras en laissant tomber leur stage ou leurs études. 1200 d’entre eux ont d’ailleurs manifesté la semaine dernière pour exprimer leur révolte sur cette réquisition qui gâche leur année scolaire. Pour le personnel administratif, il en est de même, l’appel au volontariat dans les administrations ayant eu peu de succès, des listes nominatives proportionnelles à la taille des administrations sont soumises à la préfecture qui lance des ordres de réquisition auxquels on n’accorde pas de dérogation (comme en temps de guerre !). Ces équipes couplées avec des chômeurs envoyés par le Pôle Emploi ont été ainsi mises en place pour une durée indéterminée (au moins jusqu’à fin mars…) entre 7 h 30 et 22 heures, y compris les samedis et dimanches, avec de maigres primes “compensatrices” pour des astreintes le week-end ou entre 16 et 22 heures… Ce qui aboutit dans la durée à un épuisement des “réquisitionnés” qui doivent également assumer leurs tâches habituelles.
Et pour bien montrer qu’on ne badine pas avec la santé, le gouvernement a même mis au point des mesures drastiques contre les prévenus. Ainsi, le “plan grippe A” prévoit que ces derniers pourront voir leurs droits diminuer, une rallonge des détentions provisoires, la mise en place des huis clos des procès en correctionnelle, l’interdiction de contacter un avocat dès le début d’une garde à vue mais seulement après 24 heures.
La France n’est certes pas un cas isolé. Ainsi, les Etats-Unis ont fait voter une loi d’impunité en faveur des laboratoires pharmaceutiques dans la perspective de procès intentés par des personnes en vue d’éventuels effets indésirables graves dus au vaccin. En France, une telle mesure n’a pas été prise, mais les laboratoires y bénéficient d’une immunité de fait, comme les ministres responsables des plus graves méfaits en matière de santé.
Rappelons-nous le scandale du sang contaminé dans les années 1980 où, en toute connaissance, les laboratoires, avec la bénédiction du gouvernement, faisaient inoculer du sang non chauffé et donc empoisonné dans les veines de centaines de personnes, par souci d’économie. De ce scandale, de Fabius aux laboratoires incriminés, tout le monde était sorti “innocenté”. Ce sont les mêmes gangsters, pour les mêmes raisons, qui ont sciemment laissé s’écouler les stocks d’amiante dans les bâtiments, provoquant de nombreux cancers. Si la bourgeoisie se montre incapable de répondre aux besoins des populations, c’est simplement parce que ce n’est pas du tout sa priorité. Le seul besoin qu’elle connaît, sa seule urgence, c’est celle du profit !
L’État français et son gouvernement de “m’as-tu-vu” singeant leur président-modèle s’est empressé avec zèle de monter au front face à la grippe A pour montrer qu’il était à la pointe mondiale de la protection sanitaire et surtout qu’il contrôlait et maîtrisait la pandémie. Beaucoup dès le début ont exprimé leurs doutes, leurs réticences, leur méfiance. Cette méfiance s’avère pleinement justifiée. Il y aura toujours plus de raisons de manifester sa colère et son indignation à l’égard de l’État capitaliste.
WH (10 décembre)
1 https://www.liberation.fr/societe/0101607434-pour-en-finir-avec-un-management-panique [8]
2 En Grande-Bretagne, le laboratoire géant Glaxos-Smithkline a même introduit du mercure dans ses préparations pour pouvoir augmenter la quantité la dose de vaccin inoculé.
3) On assiste parallèlement à une fronde inédite de 900 médecins des hôpitaux publics de Paris qui menacent de démissionner de toutes leurs fonctions administratives pour protester contre l’annonce de la fermeture de 1000 nouveaux lits d’hôpitaux en 2010.
Lors de la réception de son prix Nobel de la paix le 10 décembre, Barack Obama a fait entendre un discours plus belliqueux que jamais. Celui qui se présente avantageusement lui-même comme “commandant en chef de l’armée d’une nation plongée dans deux guerres” n’a pas lésiné, avec l’annonce de 30 000 Gi’s supplémentaires et de 500 soldats britanniques. Si vis pacem, para bellum (1) est son credo. Au milieu de belles phrases sur la “loi de l’amour” et l’impérissable “étincelle divine” qui guide sa main de justicier international pour la paix dans le monde, Obama a encore bien précisé que “la croyance que la paix est désirable est rarement suffisante pour parvenir à la réaliser. La paix requiert de la responsabilité. La paix implique le sacrifice”... de nombre de vies humaines, évidemment ! Car “l’usage de la force est non seulement nécessaire mais aussi moralement justifiée”. Et pour bien marteler son propos, le chef de guerre de la première puissance militaire mondiale a même pris des accents dignes de Bush et de sa clique intégriste : “La guerre (…) est arrivée avec le premier être humain (…) le Mal existe dans le monde.” Brrr ! ! ! Et pour bien préciser ses véritables intentions, il n’a pas hésité à expliquer que son objectif principal depuis ses onze mois de présidence n’a pas été la paix, pas plus le bien-être des populations de la planète, mais que ce “but a été de faire avancer les intérêts de l’Amérique”. Voilà qui a au moins le mérite de la clarté.
Depuis l’éviction militaire du pouvoir des talibans en 2001, quel est le bilan ? Un pays en totale déliquescence qui égrène ses victimes et ses morts, sans aucune amélioration en vue. Obama peut bien répéter que les forces armées occidentales devront se retirer en 2011, après la “stabilisation” du pays, rien n’indique qu’une telle perspective soit réalisable. D’après les chiffres de l’ONU, le nombre de victimes civiles a augmenté de 24 % au premier semestre de 2009 par rapport au même semestre de 2008. Depuis le mois de janvier 2009, il y a eu plus de mille morts, essentiellement des personnes victimes des armées étrangères, notamment lors des bombardements aériens.
Au mois de mai, des dizaines de civils, dont au moins 65 femmes et enfants, ont perdu la vie lorsque les forces américaines ont bombardé le village de Bala Bulok, dans une région de la province de Farah. En plus des morts et des blessés, toutes les destructions dues à la guerre accentuent la misère et les souffrances d’une population qui subit les menaces et l’intimidation de toutes les parties en présence, talibans comme forces de l’OTAN.
La guerre a aussi provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes, qui n’ont aucun accès aux soins les plus élémentaires
Si l’Afghanistan est officiellement le centre de l’activité militaire américaine, le Pakistan devient de plus en plus clairement un enjeu d’une importance cruciale dans le dispositif de la stratégie américaine. Ainsi, Obama opère depuis le printemps une véritable offensive, non pas de charme, mais de pression à l’égard de l’État pakistanais, cherchant à faire de l’appareil militaire son interlocuteur principal en évinçant purement et simplement le gouvernement du veuf de Benazir Bhutto, considéré comme “non fiable”. D’ailleurs, la population pakistanaise “bénéficie” nettement de cette attention particulière de l’Amérique et de ses alliés à son égard, et donc de l’élargissement de ses prérogatives guerrières dans sa prétendue lutte contre le terrorisme : au moins 10 000 victimes dont 3300 morts ne serait-ce que pour l’année 2009, dans leur grande majorité des civils, sans compter deux millions de réfugiés qui errent aujourd’hui sans espoir. De plus, l’utilisation systématique des drones censés repérer puis abattre les rebelles talibans ou d’Al Qaïda a multiplié les victimes dans la population, tout autant que les attentats à la bombe, au nombre de 500 en 2009, provoquant par exemple la mort de 300 personnes juste entre le 1er et le 13 décembre !
Et si le Pakistan devient de plus en plus l’épicentre même des événements militaires de cette région de l’Asie, l’Inde est venue s’inviter à coups de bruits de bottes toujours plus menaçants au festin impérialiste. Cet État, rival traditionnel et congénital du Pakistan, ne pouvait que chercher à profiter des tensions et des difficultés actuelles qui grandissent dans la région pour venir alimenter le désordre dans la région du Cachemire, pomme de discorde majeure entre les deux États, et faire les yeux doux à Karzaï (considéré par Islamabad comme pro-indien), au nom du “soutien à sa lutte contre les talibans”.
En guise de perspective de paix, tous les ingrédients d’une foire d‘empoigne aggravée sont donc une nouvelle fois rassemblés, d’autant que les États-Unis effectuent maintes tractations pour offrir aux talibans un certain nombre de régions de l’Afghanistan en échange de leur “pacification” et de leur intégration dans le gouvernement afghan. Toute cette agitation ne fait en définitive qu’ouvrir la porte toute grande à un chaos indescriptible, loin des grands effets d’annonce sur la stabilisation de la région et bien loin encore d’une soi-disant lutte contre le terrorisme.
Wilma (18 décembre)
1) Si tu veux la paix, prépare-toi à la guerre.
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article réalisé par Communist Internationalist, section du CCI en Inde (cet article intégralement traduit sur ce site [11]).
Dans la soirée du dimanche 18 octobre 2009, les ouvriers de RICO Auto, à Gurgaon (en lutte depuis le 3 octobre), ont essayé d’arrêter les briseurs de grève. Les gardiens de la compagnie de sécurité et les briseurs de grève, le plus souvent des éléments criminels amenés pour intimider les ouvriers, ont répondu en les attaquant violemment. La police a même ouvert le feu. Un ouvrier a été tué et quarante autres blessés.
Cette répression violente a créé une vague de colère dans la ceinture industrielle de Gurgaon-Manesar, 30 000 ouvriers se sont engagés dans la lutte. L’activité de ces villes jumelles a été totalement paralysée le 20 octobre, première journée ouvrable après le meurtre d’un ouvrier à RICO Auto. Bien que les syndicats aient appelé à la grève, les ouvriers des entreprises qui luttaient contre leur direction ont fait le tour des usines pour inviter les ouvriers à arrêter le travail. Très tôt le mardi matin, les ouvriers de RICO Auto et ceux de Sunbeam Casting ont commencé leur mouvement et ont bloqué la route nationale 8. Ils ont été rejoints par des vagues d’ouvriers d’autres sociétés comme Sona Koyo Steering System, TI Metals, Lumax Industries, Bajaj et Hero Honda MotorsLdt. Selon les déclarations officielles de l’administration locale, près de 100 000 ouvriers de 70 usines de pièces détachées dans Gurgaon-Manesar les ont rejoints le jour de la grève.
Bien que les ouvriers de la plupart des entreprises soient retournés au travail le 21 octobre 2009 et que la lutte ne se soit pas étendue, ces événements constituent une avancée significative de la lutte ouvrière en Inde. C’est le résultat de l’extension de la lutte de classe dans différentes régions incluant Gurgaon-Manesar, qui avait vu les ouvriers se confronter à l’État en juillet 2005 pendant la grève des ouvriers de Honda Motorcycles. Depuis lors, à travers de nombreuses luttes, les ouvriers ont renforcé leur résolution de combattre les patrons et ils le font de plus en plus de façon simultanée.
Pendant toutes les “années du boom indien”, les condition de vie de la classe ouvrière n’ont en réalité fait qu’empirer. L’expression la plus grave en a été la perte de la sécurité de l’emploi. En dépit de l’expansion de l’économie, les patrons ont effectué la destruction massive des emplois permanents et leur remplacement par une main-d’œuvre contractuelle aux salaires très inférieurs et sans aucun salaire social. C’est le cas d’entreprises comme Hero Honda, Maruti et Hyundai, dont la production est montée en flèche de nombreuses fois pendant ces années. A Hero Honda, par exemple, la production est passée de 2 lakhs (1) à plus de 36 lakhs, et les emplois permanents ont diminué puis disparu, remplacés par l’embauche de travailleurs temporaires. C’est la même chose dans la plupart des entreprises. Les usines d’automobiles et de pièces détachées, étant donné la concurrence à couteau tiré dans cette industrie, ont été à l’avant-garde de ces attaques sur les ouvriers. En dépit de ces attaques, pendant la plus grande partie de cette période, les ouvriers ont rencontré des difficultés pour développer leurs luttes. Les attaques impitoyables des patrons et l’incapacité de se battre, telle a été l’amère réalité.
Avec l’arrivée de l’effondrement économique en 2007, la situation n’a fait qu’empirer. Tous les secteurs ont vu des suppressions massives d’emplois et des coupes franches dans les salaires et prestations. En outre, il y a eu une croissance massive des prix de tous les biens de première nécessité. Le prix des marchandises essentielles comme les légumes, les légumineuses et autres articles d’épicerie ont plus que doublé. Cette tendance n’a pas été une pointe saisonnière mais elle persiste maintenant depuis plus de deux ans. Avec la montée des prix et le gel des salaires, les conditions de vie des ouvriers sont devenues plus précaires et désespérées.
Face aux crises et aux attaques des patrons, la classe ouvrière tente de se battre. Il y a eu des grèves importantes dans le secteur public, la grève des employés de banque, toute l’Inde a été touchée par la grève des ouvriers du secteur pétrolier en janvier 2009, par la grève des pilotes d’Air India, la grève des employés d’État au Bengale Occidental, la grève du personnel gouvernemental en janvier 2009 dans l’État de Bihar. Certaines d’entre elles ont été d’âpres conflits où l’État a essayé de frapper durement les ouvriers et de les écraser. Ça a été le cas avec la grève des ouvriers du pétrole en janvier 2009 quand l’État a utilisé ESMA (2) et d’autres lois pour écraser les employés et a pris des mesures répressives. Ça a également été le cas avec la grève du personnel gouvernemental au Bihar où le gouvernement a voulu donner une leçon aux employés. Pour ce qui est des ouvriers du pétrole, le gouvernement s’est montré encore plus répressif car il y avait une menace d’extension de la grève à d’autres entreprises de secteur public.
Dans le privé aussi, les ouvriers ont combattu. Une des luttes massives et radicales a été celle des ouvriers diamantaires au Gujarat en 2008. La majorité de plusieurs centaines de milliers d’ouvriers diamantaires est employée dans des petites entreprises où les syndicats n’ont aucun contrôle. La grève y a débuté et s’est étendue comme une révolte massive qui a submergé plusieurs villes : Surat, Ahmedabad, Rajkot, Amerli, etc. Systématiquement, l’État a recouru à la répression pour maintenir l’ordre dans toutes ces villes.
En outre, toutes les principales unités automobiles en Inde – Tamilnadu, Maharashtra, et Gurgaon-Manesar – ont été témoins des efforts répétés et tenaces des ouvriers pour lutter pour leur travail et leurs conditions de vie. Les ouvriers de la deuxième plus grande fabrique de voitures en Inde, Hyundai Motor à Chennai, ont fait grève à plusieurs reprises en avril, mai et juillet 2009, pour de meilleurs salaires.
Les patrons tentent depuis longtemps de réprimer les luttes des ouvriers et menacent souvent de fermer leurs usines. Près de Coïmbatore, les ouvriers du fabricant de pièces auto Pricol India ont combattu les patrons depuis plus de deux ans contre les licenciements planifiés et répétés des ouvriers permanents et leur remplacement par des contractuels ou des travailleurs temporaires. La lutte ouvrière a pris récemment un tour violent quand la direction a licencié 52 ouvriers permanents supplémentaires et a décidé de les remplacer par des travailleurs précaires en septembre 2009. Au cours d’une violente confrontation, un cadre supérieur de Pricol a été tué le 22 septembre. Les ouvriers des usines de pneus de MRF et des usines Nokia à Tamilnadu se sont aussi engagés dans des luttes contre leurs patrons à peu près au même moment. Dans l’État de Maharashtra, les ouvriers de Mahindra à Nasik ont fait grève pour de meilleurs salaires en mai 2009. Les ouvriers de l’usine Cummins India et ceux de la fabrique de pièces auto Bosch, à Pune, ont été en grève à partir des 15 et 25 septembre pour de meilleurs salaires et contre la précarisation.
Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est que de plus en plus d’ouvriers sont disposés à entrer en lutte contre les attaques des patrons. Les luttes, tout en étant plus nombreuses, ont aussi tendance à aller vers la simultanéité dans un même secteur géographique. On a pu le voir avec la grève massive des ouvriers diamantaires au Goudjerate où se sont simultanément développées des grèves sauvages dans plusieurs villes et dans les grèves des ouvriers de l’automobile à Tamilnadu, Pune et Nasik. Cette simultanéité est le résultat d’attaques identiques auxquelles tous les secteurs ouvriers se confrontent aujourd’hui.
Avant les derniers événements, les ouvriers d’un certain nombre d’usines de Gurgaon-Manesar avaient mené la lutte contre leurs patrons. A Honda Motorcycles, les ouvriers se sont agités depuis plusieurs mois pour de meilleurs salaires et contre le travail contractuel. 2500 ouvriers de RICO Auto se sont mis en lutte depuis la fin septembre contre le renvoi de seize ouvriers et pour de meilleurs salaires. Ils ont commencé la grève à partir du 3 octobre. Mille ouvriers de Sunbeam Casting se sont aussi mis en grève pour de meilleurs salaires à partir du 3 octobre. Bien que tous ne se soient pas mis en grève, plus de 25 000 ouvriers des métaux de TI Metals, Microtech, FCC Rico, Satyam Auto et de plusieurs autres entreprises ont fait de l’agitation depuis septembre pour de meilleurs salaires.
Le fait que les ouvriers de plusieurs usines se soient mis en grève et que plusieurs milliers d’ouvriers d’autres usines se soient activement agités a ouvert la possibilité de l’extension et de l’unification des luttes, la seule façon pour les ouvriers de pouvoir combattre et repousser les attaques des patrons. C’est la possibilité que la bourgeoisie craint et que les syndicats veulent éviter. Dans les luttes de Gurgaon, face à la violence faite à la classe ouvrière avec le meurtre d’un ouvrier de RICO, le rôle des syndicats a été de prévenir et de bloquer cette tendance à l’extension et à l’unification. En appelant à une journée d’action, les syndicats ont essayé de stériliser l’impulsion des ouvriers de se rassembler et d’exprimer leur solidarité de classe. Malgré cela, la grève du 20 octobre de 100 000 ouvriers a été une manifestation de solidarité. Elle a également exprimé leur détermination et leur volonté de combattre et de se confronter à la bourgeoisie. D’un autre côté, dans les luttes actuelles de Gurgaon, pendant les luttes chez Hyundai, Pricol, M & M et d’autres luttes pour de meilleurs salaires et contre les pertes d’emploi, les syndicats ont clairement essayé de les faire dérailler et de les convertir en luttes pour la défense des droits syndicaux.
Sans aucun doute, il existe une puissante dynamique pour le développement de la lutte de classe, pour son extension et pour le développement de la solidarité. Mais pour la réalisation de cette dynamique, il est important que les ouvriers comprennent les machinations des syndicats et prennent les luttes en leurs propres mains.
AM, 27 octobre 2009
1) Unité de mesure indienne (1 lakh est égal à 100 000 roupies, soit 1700 euros).
2) Loi sur le maintien des services essentiels.
Il y a peu de temps, la colistière du candidat John Mc Cain à la présidence des Etats-Unis, Sarah Palin, soutenait sans hésitation la thèse que les hommes et les dinosaures cohabitaient sur terre il y a 6000 ans alors que la science a démontré que les derniers dinosaures ont disparu de la surface de la planète il y a plus de 65 000 000 d’années, bien avant l’apparition du premier homo sapiens. Cette ignorance de l’évolution historique des espèces vient en droite ligne de la doctrine religieuse créationniste encore largement diffusée aujourd’hui. La vogue de ce dogme s’est illustrée notamment par une réinvention de l’histoire de l’univers à travers une floraison de musées chrétiens créationnistes aux Etats-Unis depuis 2005 (notamment dans le Kentucky ou à Cincinnati, dans l’Ohio, et dans un parc d’attractions édifié depuis 2007 en Grande-Bretagne, dans le Lancashire, à l’initiative d’un groupe d’hommes d’affaires américains “expliquant” la naissance de l’Univers en 7 jours en accord avec la lecture littérale de la Bible). Il est difficile de prendre au sérieux, avec leur dimension hollywoodienne, ces Disneylands ou ces Jurassic Parks d’opérette avec leurs préceptes exploitant l’ignorance, la crédulité et les préjugés religieux. Et pourtant le succès de cette idéologie obscurantiste est inquiétant : plus de 20 % de la population flamande et près d’un Américain sur deux, par exemple, d’après les sondages, pencheraient pour une vision créationniste du monde et seraient hostiles à la théorie de l’évolution démontrée par Charles Darwin.
Il y a 150 ans, en novembre 1859, Darwin publiait l’Origine des espèces. Cet ouvrage, qui était basé sur l’accumulation d’observations et d’expérimentation dans la nature, a bouleversé la vision des origines de l’homme et de sa place dans l’univers du vivant. Il démontrait pour la première fois qu’il existait une base commune au développement des espèces et des êtres vivants en s’appuyant et en dépassant les travaux antérieurs de naturalistes comme Buffon et Linné jusqu’au transformisme de Lamarck (1). La théorie de Darwin visait à démontrer de façon dialectique, rigoureuse et scientifique, la faculté d’adaptation des êtres vivants au sein de leur environnement et d’intégrer cette théorie dans une nouvelle conception de l’évolution des espèces. Apparaissait ainsi l’existence d’une généalogie commune aux êtres vivants s’inscrivant dans une filiation au sein de laquelle l’être humain n’était plus une espèce supérieure choisie et créée de toutes pièces par Dieu, mais le produit aléatoire d’une différenciation entre les espèces. Il s’agissait là d’une remise en cause radicale des “enseignements” de la Bible et de sa Genèse qui réfutait l’idée d’une création divine, et infirmait toutes les traditions religieuses monothéistes (christianisme, judaïsme, islam). Cette démarche matérialiste et scientifique de Darwin fut d’emblée violemment attaquée de toutes parts, notamment par les mêmes dogmes religieux qui avaient cloué au pilori de la pensée humaine Galilée ou encore Copernic (théoriciens qui, les premiers, avaient rejeté par leurs découvertes scientifiques le géocentrisme religieux qui prétendaient que la Terre était le centre de l’univers, et surtout, le centre de la Création divine).
Le scandale de cette découverte de Darwin ne résidait pas tant dans la mise en évidence de l’évolution des espèces mais dans le fait que les interactions à l’œuvre dans cette évolution n’obéissent à aucune finalité dans la nature (2). “L’arbre de la vie” ne ressemble pas à un grand arbre généalogique hiérarchisé avec une base et un sommet dont l’aboutissement serait l’homme, homo sapiens, mais à un arbre buissonnant dont le pied fonderait toutes les formes de vie les plus anciennes, et dont l’homme ne serait qu’une espèce particulière, parmi les millions d’innombrables ramifications encore présentes sur terre. Cette vision induit une parenté et une filiation communes entre l’homme et les formes de vie les plus élémentaires comme l’amibe. Ce qui semble insupportable à de nombreux esprits subissant le plus souvent inconsciemment la contrainte de l’arriération religieuse. Aujourd’hui encore, l’approche et la démarche de Darwin sont remises en cause avec virulence, alors que tous les apports scientifiques en paléontologie, en biologie, en génétique et dans bien d’autres domaines de la connaissance, n’ont fait que confirmer la validité de la théorie de Darwin (3). Les religions ont cependant été contraintes de masquer la poursuite de leur croisade anti-darwinienne en propageant une idéologie visant à maintenir la croyance religieuse derrière une pseudo-“construction scientifique” alternative : le “dessein intelligent” (intelligent design). En effet, le créationnisme n’est plus défendu par l’Eglise comme au temps de Darwin. On se souvient du débat qui opposa l’évêque d’Oxford, Samuel Wilberforce à Thomas Huxley, ardent défenseur de l’évolutionnisme en 1860. On prétend que le premier raillait le second en lui demandant : “Est-ce par votre grand-père ou par votre grand-mère que vous descendez d’un singe, Monsieur Huxley ?”. Ce dernier lui aurait rétorqué : “Je n’aurai pas honte d’avoir un singe pour aïeul, mais d’être apparenté à un homme qui utilise son talent pour obscurcir la vérité !”. L’Église catholique n’a jamais osé mettre l’Origine des espèces à l’index des livres interdits mais elle l’a officieusement condamnée et a longtemps refusé de parler de l’évolution dans les programmes scolaires qu’elle prodiguait. La religion s’est aujourd’hui adaptée en mettant en avant une doctrine plus sournoise et plus pernicieuse : le “dessein intelligent”. Selon cette “théorie”, il y aurait bien eu évolution mais celle-ci aurait été souhaitée et “pilotée” par une puissance “divine”. Ainsi, l’homme ne serait pas un “hasard de la nature” mais réellement le fruit de la volonté d’un créateur tout puissant qui l’aurait désiré et “programmé”.
Cette variante du créationnisme profite du regain actuel de popularité d’idéologies spiritualistes, obscurantistes et sectaires. Ces idéologies réactionnaires sont souvent inoculées directement par certaines fractions de la bourgeoisie qui y trouvent matière à manipuler des masses de populations désorientées et désespérées par la misère, la barbarie et le manque de perspectives du monde capitaliste. C’est ce qui les pousse à s’évader de la réalité objective, en se réfugiant dans la foi, la croyance aveugle dans un au-delà, dans un “ordre supérieur”, invisible et tout-puissant, qui échappe à toute pensée rationnelle. La croyance en un Dieu créateur tout puissant, comme la résurgence de toutes sortes de sectes (qui en tirent d’ailleurs un profit mercantile bien capitaliste), est utilisée par les idéologies du New Age pour cristalliser les peurs, les souffrances, les angoisses de bien des malheureux désemparés face à l’impasse de la société capitaliste. Ce constat démontre la pertinence de l’analyse qu’en donnait Marx dès 1843 dans sa Critique de la philosophie politique de Hegel (traduction de Maximilien Rubel, pour la Pléiade-Gallimard) : “La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple.”
La religion est toujours le premier rempart des forces conservatrices et réactionnaires pour anesthésier les consciences contre les avancées scientifiques. Elle tente de s’adapter pour tenter de préserver le statu quo en prétendant toujours être un refuge pour “consoler les hommes des malheurs de la société” en les soumettant à une croyance et surtout à une soumission envers l’ordre social existant.
Le “dessein intelligent” postule au rang de théorie scientifique, sous couvert de chercher à concilier l’évolutionnisme et le créationnisme. Il présente l’un et l’autre comme des choix “philosophiques” concurrents en cherchant frauduleusement à se donner une base scientifique. Le précurseur du “dessein intelligent”, le jésuite Teilhard de Chardin (1881-1955), a cherché par exemple dans les années 1920 à démontrer qu’il existe une téléologie, une finalité dans l’évolution, appelée “point Omega”, défini comme le pôle divin de convergence et d’harmonisation culminant dans la “noosphère”, sorte de béatitude céleste animée par l’esprit divin… Bien plus encore que le catholicisme, c’est dans le protestantisme et ses diverses variétés “d’Églises évangéliques”, s’appuyant sur la lecture plus littérale de la Bible, que se trouveront les adversaires les plus acharnés de Darwin (c’est d’ailleurs la raison du succès de l’Intelligent Design aux Etats-Unèis, en particulier tout au long des “années Bush”, où le gouvernement le soutenait quasi-ouvertement !). Les objectifs des propagandistes actuels du “plan intelligent” ont été clairement définis par le think tank à l’origine du mouvement, le Discovery Institute, dans un document à usage interne The Wedge. Des fuites permettront sa diffusion en 1999. Dans ce document, les objectifs principaux du Discovery Institute sont définis sans la moindre ambigüité (4) : en premier lieu il s’agit pour lui de “vaincre le matérialisme scientifique et ses héritages moraux, culturels et scientifiques ; puis de remplacer les explications matérialistes par la compréhension que la nature et l’être humain sont créés par Dieu”. Il se donne comme projet à court ou moyen terme de “voir la théorie du dessein intelligent devenir une alternative acceptée dans les sciences, et des recherches scientifiques menées depuis la perspective de la théorie du dessein ; assister au commencement de l’influence de la théorie du dessein dans des sphères autres que la science naturelle ; voir de nouveaux débats majeurs dans l’éducation, les sujets relatifs à la vie, la responsabilité pénale et personnelle poussées au front de l’agenda national.” C’est en effet dans le domaine prioritaire de l’éducation scolaire et de l’enseignement, et parallèlement sur le plan juridique, que ce dogme pousse son offensive tandis qu’il tente de semer la confusion dans les cercles scientifiques, afin de se disséminer dans toutes les sphères de la société, grâce en particulier à une campagne de publicité et de façonnage d’opinion (publicity and opinion making). Internet lui a également ouvert un immense réservoir pour déverser sa propagande, comme les missionnaires partis à la conquête de la “conversion” du monde à l’époque de la colonisation des nouvelles terres. Le principe est de faire passer le “dessein intelligent” comme une hypothèse “scientifique” concurrente du darwinisme. Il affiche aussi son ambition de “voir la théorie du dessein intelligent comme la perspective dominante dans la science ; voir des applications de la théorie du dessein dans des champs spécifiques incluant la biologie moléculaire, la biochimie, la paléontologie, la physique et la cosmologie dans les sciences naturelles ; la psychologie, l’éthique, la politique, la théologie, la philosophie et les matières littéraires ; voir son influence dans les arts.” Mais cette exposition au grand public des visées fondamentalistes du “dessein intelligent” a eu son revers de médaille : elle a porté un coup majeur à ses promoteurs qui, faute de pouvoir nier l’existence du document, en proposent aujourd’hui une version plus édulcorée.
Cependant, cette entreprise a été puissamment relayée et s’est en particulier élargie dans le monde musulman. Depuis la Turquie, Harun Yahia, de son vrai nom Adnan Oktar, à la tête d’un lobby maffieux, a entrepris de diffuser gratuitement et massivement sa propagande auprès des enseignants et des chefs d’établissement des collèges et lycées. Il a inondé les écoles dans le monde entier avec son Atlas de la Création mais aussi via Internet. Il a ainsi essaimé plus de 200 films documentaires et 300 ouvrages déjà traduits dans une soixantaine de langues. Les tentatives de rendre méconnaissables l’histoire du développement des espèces et du vivant comme tous les mensonges inventés par les classes dominantes dans l’histoire de l’humanité font partie du même bourrage de crânes pour freiner le développement de la conscience du plus grand nombre (et des prolétaires en particulier), pour les abrutir et les empêcher de se libérer de leurs chaînes. C’est aussi par l’obscurantisme qu’elles diffusent le reflet de la putréfaction de la société capitaliste et le masque idéologique qu’elles jettent sur la réalité du monde, lequel ne sert qu’à préserver les rapports d’exploitation. L’approche religieuse n’est qu’un de ces masques.
Tout oppose la croyance religieuse à la science et à la démarche scientifique. Pour la religion et la tradition théologique, le savoir, la connaissance ne sauraient être, en fin de compte, que d’essence divine, et rester inaccessible au commun des mortels. La démarche matérialiste en science (les faits et l’étude des réactions, différentes ou similaires, dans tel ou tel milieu, sont la base de toute expérience scientifique) n’est ni une “philosophie” ni une “idéologie” mais la condition nécessaire d’une approche consciente et historique des rapports entre l’homme et son milieu naturel, y compris en prenant son propre comportement comme objet d’étude ; c’est une approche des limites d’une connaissance à laquelle on ne saurait fixer aucune limite. Le développement de la science est totalement associé au développement de la conscience pour l’humanité. La science a une histoire, mais une histoire ni linéaire, ni liée mécaniquement aux progrès techniques ou aux avancées technologiques (ce qui exclut tout “positivisme”, toute idée de “progressisme” continu). Elle est étroitement imbriquée aux rapports sociaux de production par lesquels elle est conditionnée. La croyance s’appuie sur des peurs face à l’inconnu. A l’inverse des préjugés religieux (qui sont avant tout une idéologie au service de l’ordre existant, du pouvoir établi, qui puisent leur sauvegarde dans le conservatisme et le statu quo), le développement de la conscience est l’élément moteur qui accompagne le développement de la science. Ainsi, la méthode scientifique ne craint pas la remise en cause de ses hypothèses, le bouleversement de ses acquis et c’est pour cela qu’elle évolue, qu’elle est dynamique. Comme le dit Patrick Tort (l’Effet Darwin, page 170) : “La science invente, progresse et se transforme. L’idéologie récupère, s’ajuste et se remanie”.
Et comme il le cite dans un article du Monde de l’Education daté de juin 2005 : “le ‘dialogue’ entre science et religion est une fiction inventée par la politique. Rien en effet ne peut se négocier de commun ni d’échangeable entre la recherche immanente de la connaissance objective et l’appel au surnaturel qui caractérise la posture du croyant. Si l’on admettait une seule fois qu’un élément de surnature put contribuer à construire l’explication scientifique d’un phénomène, on renoncerait du même coup à la cohérence méthodologique de toute la science. La méthode scientifique ne se négocie pas. Il faut toute la rouerie du libéralisme individualiste (…) pour convaincre qu’un choix est praticable entre l’explication scientifique et l’interprétation théologique, ou qu’elles peuvent être combinées, comme si l’admission de la loi de la chute des corps était l’affaire de conviction personnelle, de démocratie élective ou de ‘liberté’.”
En fait, “politique” n’a de sens dans cette citation que comme politique de la classe dominante. Voilà pourquoi la démarche scientifique d’un Copernic, d’un Marx, d’un Engels ou d’un Darwin a été et est encore pour la plupart d’entre eux, combattue ou déformée avec un tel acharnement par les défenseurs d’un ordre social immuable.
W (24/11/09)
Buffon, Linné et Lamarck ont été, après la publication de la théorie de l’évolution de Darwin, largement décriés et même jetés en partie aux poubelles de l’histoire. Toutes les parties dépassées de leurs thèses ont été montrées du doigt comme des erreurs grossières et honteuses. Pourtant, en réalité, chacun a contribué à faire avancer la connaissance, les travaux des uns et leurs limites permettant le dépassement des autres. C’est pourquoi nous pouvons dire qu’ils furent tous trois des précurseurs, des sortes de maîtres à penser pour Darwin.
Ainsi, ce n’est pas par hasard s’ils relèvent les ressemblances entre l’homme et le singe et la possibilité d’une généalogie commune.
L’attention que Buffon (1707-1788) accorda à l’anatomie interne le place parmi les précurseurs de l’anatomie comparative. “L’intérieur, dans les êtres vivants, est le fond du dessin de la nature”, écrit-il dans les Quadrupèdes. Buffon va contre la religion : il place délibérément l’homme au cœur du règne animal. Même s’il convient qu’il ne faut pas s’arrêter à l’aspect extérieur, l’homme ayant une “âme” douée de raison qui le place au sommet de la création, il affirme que l’homme est semblable aux animaux par sa physiologie. Il montre qu’il existe autant de variétés d’hommes noirs que d’hommes blancs ; après plusieurs générations, un groupe d’hommes blancs dans un environnement particulier deviendrait noir ; il n’existe qu’une seule espèce humaine, et non plusieurs. Il en conclut que les variétés humaines sont issues d’une souche initiale qui s’est adaptée, selon les milieux qu’elles habitent.
Linné (1707-1778) est quant à lui un naturaliste “fixiste”. Pour lui, les espèces vivantes ont été créées par Dieu lors de la Genèse et n’ont pas varié depuis. Le but premier de son système est de démontrer la grandeur de la création divine. Cependant, du fait de l’importance qu’il accorde aux organes de reproduction des plantes, il est important de noter que la pertinence de son système de classification appelait inévitablement des hypothèses évolutionnistes. Ainsi, si telle espèce ressemble étonnamment à telle espèce voisine, pourquoi ne pas présumer que l’une a précédé l’autre dans le temps ? Le choix des organes de reproduction comme critère allait aussi dans le sens d’une interprétation dynamique et évolutionniste de l’histoire des plantes.
Lamarck (1744-1829) est un naturaliste connu pour avoir proposé le premier une théorie matérialiste et mécaniste de la vie et de l’évolution des êtres vivants. Il est également un des rares évolutionnistes à avoir compris la nécessité théorique de l’évolution des êtres vivants. Sa théorie transformiste est fondée sur deux principes : sa thèse sur l’évolution stipule que les individus s’adaptent pendant leur vie notamment en utilisant plus ou moins certaines fonctions organiques, qui se développent ou s’atténuent en rapport avec l’usage ou le non-usage des organes. Voici par exemple ce qu’écrivait Lamarck à propos de la girafe : “Relativement aux habitudes, il est curieux d’en observer le produit dans la forme particulière et la taille de la girafe (camelo-pardalis) : on sait que cet animal, le plus grand des mammifères, habite l’intérieur de l’Afrique, et qu’il vit dans des lieux où la terre, presque toujours aride et sans herbage, l’oblige de brouter le feuillage des arbres, et de s’efforcer continuellement d’y atteindre. Il est résulté de cette habitude, soutenue, depuis longtemps, dans tous les individus de sa race, que ses jambes de devant sont devenues plus longues que celles de derrière, et que son col s’est tellement allongé, que la girafe, sans se dresser sur les jambes de derrière, élève sa tête et atteint à six mètres de hauteur (près de vingt pieds)” (Lamarck, Philosophie zoologique, p. 256).
W.
1) Lire l’encadré page 6 pour un bref résumé des apports de ces trois scientifiques.
2) On pourrait entre autres ajouter à ces “scandales” causés par la science les résistances aux avancées de la paléontologie (confirmant d’ailleurs les déductions de Darwin) qui font des hauts plateaux africains le berceau de l’humanité qui porte un coup fatal à la prétendue “supériorité de la race blanche porteuse de civilisation” (lire notamment Richard E. Leakey, les Origines de l’homme).
3) Nous avons vu dans de précédents articles que la vision darwinienne a été également abondamment dénaturée et déformée, avec des interprétations réactionnaires allant du “darwinisme social” de Spencer à l’eugénisme raciste de Galton, pourtant explicitement rejetées par Darwin lui-même (lire “Le ‘darwinisme social’ : une idéologie réactionnaire du capitalisme [14]”, RI no 404, septembre 2009).
4) Voir les articles “Créationnisme [15]” et “Dessein intelligent [16]” sur le site Wikipedia d’Internet.
Assassins ! Le capitalisme, ses Etats, sa bourgeoisie, ne sont rien d’autres que des assassins. Des dizaines de milliers de personnes viennent de mourir de par la faute de ce système inhumain.
Mardi, à 16h53, heure locale, un séisme de magnitude 7 sur l'échelle de Richter a ravagé Haïti. La capitale Port-au-Prince, bidonville tentaculaire comptant près de deux millions d’habitants, a été purement et simplement rasée. Le bilan est terrible. Et il s’alourdit encore d’heure en heure. Quatre jours après la catastrophe, en ce vendredi 15 janvier, la Croix-Rouge dénombre déjà de 40 000 à 50 000 morts et « une quantité énorme de blessés graves ». D’après cette association caritative française, au moins trois millions de personnes ont été touchées directement par le tremblement de terre1. En quelques secondes, 200 000 familles ont perdu leur « maison », souvent faites de bric et de broc. Les grands bâtiments se sont aussi effondrés comme des châteaux de cartes. Les routes, déjà délabrées, l’aéroport, les vieilles lignes de chemin de fer,… rien n’a résisté.
La raison de ce carnage est révoltante. Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde, 75 % des habitants y survivent avec moins de 2 dollars par jour et 56 % avec moins de 1 dollar ! Sur ce bout d’île frappé du sceau de la misère, rien, évidemment, n’a été construit pour faire face aux tremblements de terre. Pourtant, Haïti est une zone sismique connue. Tous ceux qui prétendent aujourd’hui que cette secousse a été d’une violence exceptionnelle et imprévisible mentent. Le professeur Eric Calais, lors d'un cours de géologie donné dans ce pays en 2002, affirmait ainsi que l'île est traversée par « des failles capables de magnitudes 7.5 à 8 »2. Les autorités politiques d'Haïti étaient elles aussi officiellement informées de ce risque comme le prouve cet extrait tiré du site du Bureau des Mines et de l’Energie (qui dépend du ministère des travaux publics) : « chacun des siècles passés a été marqué par au moins un séisme majeur en Hispaniola (Nom espagnol de cette île séparée aujourd’hui en deux pays, Haïti et la République Dominicaine, NDLR) : destruction de Port au Prince en 1751 et 1771, destruction de Cap Haïtien en 1842, séismes de 1887 et 1904 dans le nord du pays avec dégâts majeurs à Port de Paix et Cap Haïtien, séisme de 1946 dans le nord-est de la République Dominicaine accompagné d’un tsunami dans la région de Nagua. Il y a eu des séismes majeurs en Haïti, il y aura donc des séismes majeurs dans le futur à l’échelle de quelques dizaines ou de la centaine d’années : c’est une évidence scientifique. »3 (souligné par nous). Et alors, face à cette « évidence scientifique », quelles ont été les mesures prises ? Aucune ! En mars 2008 encore, un groupe de géologues avait alerté sur un risque majeur de séisme de grande amplitude dans les deux ans à venir et certains scientifiques avaient même tenu une série de réunions en mai de la même année à ce sujet avec le gouvernement haïtien4. Ni l’Etat haïtien, ni tous les Etats qui aujourd’hui versent des larmes de crocodiles et lancent des appels à la « solidarité internationale », Etats-Unis et France en tête, n’ont pris la moindre mesure préventive pour éviter ce drame prévisible. Les bâtiments construits dans ce pays sont si fragiles qu’ils n’ont d’ailleurs même pas besoin d’un séisme pour s’effondrer : « en 2008, déjà, une école de Pétionville avait enseveli, sans aucune raison géologique, près de 90 enfants »5.
Maintenant qu’il est trop tard, Obama et Sarkozy peuvent bien annoncer une « grande conférence internationale » pour « la reconstruction et le développement », les Etats chinois, anglais, allemand ou espagnol peuvent bien envoyer tous leurs colis et leurs ONG, ils n’en resteront pas moins des criminels aux mains couvertes de sang.
Si Haïti est aujourd’hui si pauvre, si sa population est dénuée de tout, si les infrastructures sont inexistantes, c’est que depuis plus de 200 ans, la bourgeoisie locale et les grandes bourgeoisies espagnole, française et américaine se disputent les ressources et le contrôle de ce petit bout de terre. A travers son quotidien The Guardian, la bourgeoisie britannique ne manque d’ailleurs pas d’épingler la responsabilité criante de ses rivaux impérialistes : « Cette noble "communauté internationale" que l’on voit aujourd’hui se bousculer pour apporter son “aide humanitaire” à Haïti est en grande partie responsable des maux terribles qu’elle s’efforce aujourd’hui d’atténuer. Depuis le jour où, en 1915, les Etats-Unis ont envahi et occupé le pays, tous les efforts […] ont été violemment et délibérément sabotés par le gouvernement américain et ses alliés. Le propre gouvernement d’Aristide […] en a été la dernière victime, renversé en 2004 par un coup d’Etat bénéficiant d’un soutien international, au cours duquel plusieurs milliers de personne ont perdu la vie […] A vrai dire, depuis le putsch de 2004, c’est la communauté internationale qui gouverne Haïti. Ces pays qui se précipitent maintenant à son chevet ont pourtant systématiquement voté, ces cinq dernières années, contre toute extension du mandat de la mission de l’ONU au-delà de sa vocation principalement militaire. Les projets qui prévoyaient d’utiliser une fraction de cet “investissement” afin de réduire la misère ou favoriser le développement de l’agriculture se sont trouvés bloqués, conformément aux tendances à long terme qui continuent de présider à la distribution de “l’aide” internationale. »6
Et il ne s’agit là que d’une toute petite partie de la vérité. Les Etats-Unis et la France se battent pour le contrôle de cette île à coup de putsch, de manœuvres et de corruption de la bourgeoisie locale depuis des décennies, favorisant ainsi le développement de la misère, de la violence et de milices armées terrorisant en permanence hommes, femmes et enfants !
Le cirque médiatique actuel autour de la « solidarité internationale » est donc insupportable et répugnant. C’est à l’Etat qui fera la plus grande publicité autour de « ses » ONG, autour de « ses » colis. C’est à celui qui fera la plus belle image des vies que « ses » sauveteurs auront extirpé des gravats. Pire encore, sur les décombres et les cadavres, la France et les Etats-Unis continuent de se livrer une guerre d’influence sans merci. Au nom de l’humanitaire, ils envoient sur zone leur flotte militaire et essayent de prendre le contrôle des opérations prétextant la « nécessité d’une coordination des secours par un chef d’orchestre ».
Comme à chaque catastrophe, toutes les déclarations d’aide sur le long terme, toutes les promesses de reconstruction et de développement, resteront sans lendemain. Depuis dix ans, suite à des tremblements de terre, il y a eu :
- 15 000 morts en Turquie, en 1999.
- 14 000 morts en Inde, en 2001.
- 26 200 morts en Iran, en 2003.
- 210 000 morts en Indonésie en 2004 (le séisme sous-marin avait engendré un gigantesque Tsunami qui avait fait des victimes jusque sur les côtes africaines).
- 88 000 morts au Pakistan, en 2005.
- 70 000 morts en Chine, en 2008.
Chaque fois, la « communauté internationale » s’est émue et a envoyé de misérable secours ; mais jamais de véritables investissements n’ont été réalisés pour améliorer durablement la situation, en construisant des bâtiments antisismiques par exemple. L’aide humanitaire, le soutien réel aux victimes, la prévention ne sont pas des activités rentables pour le capitalisme. L’aide humanitaire, quand elle existe, ne sert qu’à dresser un rideau de fumée idéologique pour faire croire que ce système d’exploitation peut être humain, quand elle ne constitue pas directement un alibi pour justifier l’envoi de forces militaires et gagner de l’influence dans une région du monde.
Un seul fait révèle toute l’hypocrisie bourgeoise de l’humanitaire et de la solidarité internationale des Etats : le ministre français de l’immigration, Eric Besson, vient de décréter qu’il suspendait « momentanément » les reconduites de personnes en situation irrégulière vers Haïti ! Tout est dit.
L’horreur qui frappe la population vivant en Haïti ne peut que soulever un immense sentiment de tristesse. La classe ouvrière va, comme lors de chaque hécatombe, réagir en répondant présent aux différents appels aux dons. Elle montrera une nouvelle fois par-là que son cœur bat pour l’humanité, que sa solidarité ne connaît pas les frontières. Mais surtout, une telle horreur doit nourrir sa colère et sa combativité. Les véritables responsables des 50 000 morts ou davantage en Haïti ne sont pas la nature ou la fatalité mais le capitalisme et ses Etats, qui sont autant de charognards impérialistes.
Pawel (15 janvier 2010)
1) Sur le site de Libération (quotidien français)
2) Sur le blog « sciences » de Libération.
3) www.bme.gouv.ht/alea%20sismique/Al%E9a%20et%20risque%20sismique%20en%20H... [19].
4) Voir article en espagnol Científicos alertaron en 2008 sobre peligro de terremoto en Haití sur le site Yahoomexico (Assiociated Press du 15/01/2010)
5) Sur le site de Courrier International [20].
6) Sur le site de PressEurop.
Toutes les générations et tous les secteurs de la classe ouvrière sont touchés aujourd’hui de plein fouet par les attaques mises en place par les différentes bourgeoisies nationales et leur gouvernement. La France n’est ici qu’un exemple de ce qui se joue au niveau mondial.
La plupart des jeunes, même surdiplômés, éprouvent les pires difficultés à être recrutés sur le marché du travail (le taux de chômage atteint déjà 20% parmi eux). Le débouché, encore possible il y a quelques années, d’accéder aux emplois publics par concours administratifs leur est désormais fermé ou du moins mesuré au compte-gouttes. L’immense majorité des 16-25 ans doivent courir les Pôles Emploi pour dénicher au mieux quelques mois de petits boulots sous- payés. Avec la réforme des universités, la sélection de « l’élite » et des étudiants en général s’opère avant tout par des coûts d’inscription qui deviennent exorbitants. Beaucoup de jeunes sont condamnés à trouver gîte et couvert dans le cadre familial à cause des loyers prohibitifs. Quant à la génération des « adultes », ils sont tout aussi exposés au chômage et à la misère. Le Monde du 19 janvier a annoncé qu’un million de chômeurs se retrouveraient ainsi en fin de droits dans les prochains mois dont 600 000 ne recevront aucune indemnisation de l'État (sans accès au RSA ou à l'APL, etc..). De façon significative, les Restos du Cœur sont l’une des rares entreprises à accroître son activité. Le nombre de demandeurs de repas gratuits a ainsi augmenté de 20% en un an. En même temps, de nouvelles centaines de licenciements tombent chaque jour dans le pays comme la fermeture annoncée de l’usine Total près de Dunkerque qui va se traduire par la suppression d’un millier d’emplois (400 dans la maison-mère et le reste chez les sous-traitants).
Et le gouvernement intensifie son programme de suppressions d’emplois dans le secteur public dans le cadre de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) opérationnelle depuis l’été 2007 faisant l’objet d’audits « afin de repérer les gains de productivité qui détermineront les suppressions de postes ministère par ministère » (Libération du 21 janvier). Cette réforme en cours des différents secteurs de la fonction publique exigée par des restrictions budgétaires entraîne des pelletées de suppression de postes par le biais des « réformes structurelles » (fusions/regroupement des services et des métiers, loi sur la mobilité des fonctionnaires, etc…). Ainsi 100 000 emplois (22 800 en 2008, 30 600 en 2009, 33 749 en 2010) ont été supprimés en 3 ans dont 40 000 dans l’Education nationale.
Dans le secteur de la santé, les mesures sont encore plus abruptes. Pour la seule région parisienne, entre 3000 et 4000 suppressions de postes sont officiellement prévues sur 5 ans avec le « regroupement » de 37 hôpitaux en 12 unités de soins (le quotidien gratuit Métro du 25 évoque même une menace sur 20 000 postes sur les 92 000 de l’AP-HP - Assistance publique-Hôpitaux de Paris). Quant aux infirmiers, le « choix » qui leur est soumis est soit conserver leur statut actuel sans augmentation de salaire, soit être mieux payés en acceptant de travailler 5 ans de plus (60 ans au lieu de 55 actuellement).
Sans compter les 500 000 contractuels précaires et sous-payés utilisés dans la fonction publique dont seule une infime minorité peut espérer être titularisée après des années de surexploitation malgré les vagues promesses de Sarkozy en ce domaine.
L’attaque que concocte le gouvernement dans les prochains mois sur les retraites est un concentré de la plongée dans la misère qui attend la classe ouvrière toutes générations et tous secteurs confondus.
Sarkozy s’y est engagé dès juin 2009 et a récemment réaffirmé le 25 janvier devant des caméras de TF1 « Mon ambition serait que l’on règle le problème des retraites de façon pérenne dans le courant de l’été » en ajoutant plus prudemment après un temps d’arrêt « En tous cas avant la fin de l’année. » En fait, le projet sera très probablement rendu public sitôt après les élections régionales (alors que gouvernement et dirigeants syndicaux planchent en toute complicité dessus depuis des mois) et Sarkozy escompte le faire adopter l’été prochain, en pleine période de vacances.
Le coup d’envoi du débat a d’ailleurs déjà été lancé par… la secrétaire nationale du PS, Martine Aubry, déclarant à l’émission du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI le 17 janvier “On devra aller très certainement vers un départ à la retraite à 61-62 ans ”. Malgré la rétractation tardive de ces propos (inévitable après les remous suscités à gauche par cette déclarations), plusieurs « ténors » du PS ont repris la balle au bond comme Manuel Valls disant sans détour qu’il « était temps aujourd’hui [pour le PS] de briser certains tabous ». Depuis, à coups de sondages (« seriez-vous prêts à cotiser et donc à travailler plus longtemps pour sauver votre retraite, celle de vos enfants et petits-enfants ? »), le conditionnement de « l’opinion publique » à cette « réforme » présentée comme impérative et inévitable va bon train.
Toute la bourgeoisie est consciente de l’ampleur de l’attaque qu’elle se prépare à porter. Cette question constitue un test majeur pour elle, son gouvernement et ses syndicats dans les conflits sociaux à venir. En 1993, Balladur a pris des mesures pour repousser l’âge de la retraite dans le secteur privé, ensuite sous le gouvernement Raffarin, les « lois Fillon » en 2003 sont parvenues à aligner le secteur public sur le privé, puis, début 2008, le même Fillon est parvenu à imposer l’abolition de la plupart des régimes spéciaux. Chaque fois, les syndicats se sont partagés le travail pour faire avaler au bout du compte la même pilule amère après quelques manifestations plus ou moins massives. C’est ce qui se prépare encore aujourd’hui face à un enjeu qui met cette fois tous les prolétaires et à tout âge dans le collimateur. D’ailleurs, les syndicats ont recommencé après des mois de silence à chercher à émousser préventivement la combativité ouvrière secteur par secteur et autant que possible en faisant diversion autour de revendications sectorielles1 Pour faire passer cette attaque, la bourgeoisie dispose d’un argument en béton. Dans la logique du capitalisme, la « réforme » est inévitable car elle s’appuie sur un vrai problème : il n’y a pas assez de recettes pour financer les retraites (en 2006, il y avait 1,8 actif pour un retraité. A l’horizon 2050, il n’y en aura plus qu’1,2, soit presque autant de retraités que d’actifs). Compte tenu de l’allongement de la durée de vie, de la pyramide des âges où la génération des ex-« baby-boomers » d’après-guerre atteint l’âge de la retraite, et surtout le poids du chômage qui réduit le nombre des salariés en activité, la gestion des retraites est devenue insupportable pour le système (à l’heure actuelle, l’équivalent de 10% des retraites ne sont pas financées). Mais en réalité, le but du gouvernement n’est nullement de prolonger la durée du travail2. De plus en plus de salariés sont et seront incapables d’aligner les trimestres de cotisations nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein, en cumulant une entrée de plus en plus difficile et tardive sur le marché du travail, les longues périodes de chômage et l’usure liée à leur emploi. Le vrai motif est donc de faire partir un maximum de prolétaires à la retraite avec une pension dérisoire. C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement n’a pas besoin de s’attaquer directement aux pensions mais qu’il va jouer sur l’allongement de la durée de cotisation et sur le relèvement considérable du taux de cotisation prélevée sur le salaire des actifs (le salaire et le pouvoir d’achat des salariés sera donc lui aussi de plus en plus amputé et rogné).
Cela fait 30 ans que le chômage plombe les économies. Le problème des retraites n’en est qu’une des conséquences. Et cela va aller de pire en pire. Derrière la question des retraites, se profile l’appauvrissement de toutes les générations et de tous les secteurs de la classe ouvrière.
Traditionnellement, dans les familles ouvrières, les aînés étaient à la charge des plus jeunes. Avec la remontée du chômage dans les années 1980, la situation s’était renversée, les retraités venaient en aide à leurs enfants et petits-enfants. Mais à l’avenir, les vieux travailleurs ne pourront plus aider leurs enfants, ils vont devenir au contraire de plus en plus dépendants d’eux. On voit déjà de plus en plus de retraités qui viennent à la fin des marchés pour ramasser des produits jetés des étals ou à la sortie des supermarchés récupérer des produits périmés. Demain, ce seront toujours les plus âgés qui sombreront les premiers dans la misère mais aucune autre génération ne sera plus capable de subvenir à leurs besoins. On entre dans une période de grande misère au niveau de toutes les générations ouvrières.
Il n’y a, dans le cadre de ce système d’exploitation, aucune solution réelle. Seul le renversement du capitalisme et l’avènement du communisme peut offrir un avenir à l’humanité.
W (29 janvier)
1) Ainsi, la grève des fonctionnaires (agents de l’Etat et collectivités territoriales, personnel hospitalier public) le 21 janvier qui a rassemblé moins de 100 000 participants au niveau national (dont 15 000 à Paris) a été présentée comme un échec démoralisant. En fait, tout à été fait par les syndicats pour qu’il y ait une très faible mobilisation avec très peu de publicité et de tracts d’appel dans la Fonction publique. Mais depuis, les manifestations se succèdent quasi-quotidiennement pour défouler la colère dans telle ou telle branche : le 26/1, les infirmières étaient appelées à défiler dans les rues, le lendemain, c’était au tour des salariés du "pôle emploi", le 28, les agents des caisses de Sécurité sociale, le 30, une manifestation des enseignants, le 2 février une grève de 24 h est prévue à la SNCF…
2) Dans la réalité actuelle, en France alors que l’âge légal de la retraite est de 60 ans, l’âge moyen de ce départ à la retraite ne dépasse pas 57 ans et pour la bourgeoisie il y a encore trop de secteurs qui bénéficient d’un départ à la retraite anticipé à taux plein, à commencer par les secteurs du bâtiment ou de la santé.
Nous reproduisons ci-dessous, presque intégralement, un court article publié par Les Echos sur son site Internet le 26 décembre[1]. Il démontre parfaitement dans quel camp sont réellement les syndicats.
A quelques jours de la fin de l’année, l’heure des bilans a déjà sonné pour Alain Minc. Ce proche conseiller officieux de Nicolas Sarkozy distribue bons et mauvais points dans une interview publiée hier dans Le Parisien dimanche. Il décerne notamment un satisfecit remarqué aux syndicats : « Je constate que, au printemps, leur sens de l’intérêt général a été impressionnant pour canaliser le mécontentement. L’automne a été d’un calme absolu. Je dis chapeau bas aux syndicats ! » lance Alain Minc. Pour lui, « ils ont cogéré cette crise avec l’Etat. Le patronat, en tant qu’acteur social, a été aux abonnés absents ». Et d’asséner : « S’il y avait un dixième du talent de l’état-major de la CGT au Medef, les choses iraient mieux. »
Effectivement, les syndicats, CGT en tête, ont joué un rôle central dans le « calme absolu », du point de vue de la lutte de classe, qui a caractérisé l’année 2009. En fait, pour être plus précis, la cause première de l’absence de luttes importantes ces douze derniers mois est sans aucun doute la brutalité inédite de la crise. Face aux vagues de licenciements, à la hausse spectaculaire du chômage et de la pauvreté, les ouvriers ont été comme paralysés, effrayés. Si la colère est indéniablement très forte dans les rangs de notre classe, elle a été contenue, comme étouffée par un sentiment d’impuissance. Elle ne s’est donc pas concrétisée par le combat. Mais les syndicats ont parfaitement exploité cette désorientation momentanée au profit de leur maître : l’Etat. Ils ont su « enfoncer le clou » de la démoralisation et du déboussolement en égrenant les journées d’action stériles tout au long des mois de 2009. Ces remerciements d’un grand bourgeois comme Alain Minc pour « service rendu » à la bourgeoisie ne sont donc que justice.
Quant à la classe ouvrière, elle doit comprendre qu’elle aura toujours face à elle les syndicats, prêts à saboter la lutte, à la diviser par secteur et par entreprises. Si elle veut rompre ce « calme absolu » si cher à Alain Minc, à la CGT et consorts, la classe ouvrière doit reprendre confiance en elle et en sa capacité à mener et organiser ses propres luttes.
Phaco (28 janvier)
1. www.lesechos.fr/info/france/020287218950-alain-minc-salue-le-role-des-sy... [21]
Notre article “Les Etats capitalistes sont tous des charognards [23]” a été écrit “à chaud”, seulement trois jours après le séisme. Si chaque ligne s’est entièrement vérifiée, l’horreur a dépassé l’imaginable. D’ores et déjà, 170 000 corps ont été retrouvés. La radio haïtienne Scoop FM affirme que près de 220 000 personnes sont encore portées disparues et potentiellement sous les décombres1. Parmi les 200 000 blessés, plus d’un millier ont été amputés. 1,5 millions de personnes se retrouvent aujourd’hui sans abri. 1 million d’enfants sont orphelins. Sur ces ruines et ces corps fumants, une trentaine de pays se sont livrés à une concurrence ignoble et honteuse. A chaque catastrophe, l’humanitaire est un alibi qui permet aux Etats de se livrer une guerre d’influence sans merci. Nous avions annoncé qu’il en serait une fois encore de même. Mais cette fois-ci, la curée a été si frénétique que le voile de l’humanitaire en a été violemment déchiré. Voici quelques faits édifiants. Un membre d’une ONG française faisait part de sa révolte à la radio France Info, à la mi-janvier, quand, dans l’urgence, à l’aéroport de Port au Prince, il a vu atterrir prioritairement une vingtaine d’avions gouvernementaux, devançant les secours. Il témoignait, choqué, de la course de diplomates chinois pour planter, en “vainqueur”, le drapeau national ! La presse chinoise s’est même vantée de cette première place. “Secours à Haïti : La Chine la plus rapide” peut on ainsi lire en titre d’un site sino-français2. La France, justement, n’est pas en reste ; elle a tenu, elle aussi, à figurer parmi les premiers rôles dans cette danse macabre. Le “pays des droits de l’Homme” a lutté et joué des coudes pour être celui qui reconstruira… le palais présidentiel ! Les 1,5 millions de sans-abri peuvent crever la bouche ouverte, la priorité est à la conquête du pouvoir. Evidemment, à ce petit jeu, ceux qui parviennent le mieux à s’imposer sont les Etats-Unis, la première puissance mondiale, l’ogre voisin d’Haïti. Ils ont pris officiellement le contrôle de l’aéroport et du principal port du pays. Leur armée a débarqué et s’est installée pour assurer le maintien de l’ordre. Cette présence de 3500 “boys” sur terre et 9000 en mer n’aide en rien à sauver des vies, les fusils, les grenades, les gilets-pare-balle étant de très peu d’utilité pour sortir une personne des décombres ou pour nourrir ceux qui meurent de faim. Sauver des vies humaines ne constitue nullement l’essentiel de la mission d’intervention massive américaine (et il en est de même pour toutes les autres nations). Il faut juste sortir des décombres et soigner devant les caméras quelques femmes et enfants pour justifier la présence des associations humanitaires et, surtout, de l’armée qui l’accompagne. Pour preuve de cette écœurante hypocrisie, les Etats-Unis ont déployé cinq navires de la Garde côtière pour refouler tous les Haïtiens qui tenteraient de fuir l’horreur et de survivre en Floride. La domination outrancière de l’Amérique fait grincer des dents plus d’une bourgeoisie nationale qui dénonce toutes cette “main mise”. “Les Etats-Unis en Haïti, une question de leadership”, pouvait-on ainsi lire dans le quotidien Le Monde du 19 janvier. Mais derrière ces protestations et jérémiades, il n’y a pas une once d’humanité, juste de la rivalité impérialiste. Il faut dire que pour parvenir à ses fins, l’Etat américain n’a reculé devant rien. A ce jour, cinq avions d’ONG françaises et un avion-hôpital n’ont pu atterrir sur le tarmac de Port-au-Prince !3 Des aides humanitaires venant de pays d’Amérique Centrale ou Latine ont connu, elles aussi, les pires difficultés à arriver. Les Etats-Unis savent très bien que cette “aide humanitaire” n’est rien d’autre que le cheval de Troie de leurs adversaires impérialistes.Le capitalisme est une société d’exploitation inhumaine où les mots paix, aide et solidarité ne sont là que pour justifier la guerre et la concurrence.
Pawell (28 janvier)
1) www.scoopfmhaiti.com/actualites/760-haitiseisme--le-bilan-pourrait-setab... [24]
2) french.peopledaily.com.cn/Horizon/6876299.html
3) www.metrofrance.com/info/haiti-un-nouvel-avion-empeche-d-aterrir/mjas!6d... [25] et www.20min.ch/ro/news/monde/story/11818276 [26]
Le film Avatar de James Cameron (metteur en scène du film Titanic entre autres) est en train de devenir un véritable phénomène de société. Projeté en 3D, des images de synthèse d’une qualité sans précédent (les données de la plateforme de production atteindraient le peta-octet), un investissement financier démesuré, tout dans ce film est extravagant. Et comme toute oeuvre d’art, Avatar nous renvoie une certaine image de la société dans laquelle nous vivons.
La trame du film est d’une simplicité biblique. Une puissante corporation terrienne a découvert sur la planète Pandora des gisements d’un minerai rare et convoité ; elle envoie donc sur place tout ce qu’il faut d’engins et d’ouvriers (qu’on ne voit jamais d’ailleurs) pour ouvrir une mine. Le seul hic : la planète, couverte d’une splendide forêt vierge, est habitée par des peuplades indigènes humanoïdes, bleues de peau et de trois mètres de haut, qui n’ont aucune intention de se laisser déplacer sans résistance. L’entreprise industrielle est donc accompagnée d’une force armée ressemblant à s’y méprendre à l’armée américaine, avec bombardiers, hélicoptères, et équipements inspirés des "mekka", les mangas japonais. Toute ressemblance avec la conquête américaine de l’Amérique, le viol du Vietnam ou le pillage de l’environnement pratiqué aujourd’hui en Amazonie, n’a évidemment rien de fortuit. Dans l’espoir de convaincre les indigènes – les "Na’avi" – de se laisser déplacer sans effusion de sang (et surtout sans publicité défavorable), la compagnie envoie également une équipe de chercheurs dotée d’une technologie qui leur permet de fabriquer des corps d’indigènes – des "avatars" – qui seront habités par l’esprit de "pilotes" humains restés à l’abri dans leur camp retranché. Ces derniers pourront donc circuler librement sur la surface de Pandora (dont l’atmosphère est toxique pour les humains) et "gagner la confiance" des indigènes. Un de ces "pilotes", l'ex-marine Jake Scully dont le corps humain est cloué à un fauteuil roulant, va s'éprendre (dans sa forme "avatar") d'une belle de la tribu locale, une sorte de Pocahontas bleue, et rejoindre son peuple dont il mènera le combat contre les envahisseurs.
Voilà pour la trame de l’histoire – qu'en est-il du film dans son ensemble ? Sur le plan visuel, il n'y a pas à dire, c'est éblouissant. Non seulement les images de synthèse sont parfaitement convaincantes (les Na'avi sont tout aussi "vrais" que les personnages humains), mais les concepteurs ont déployé des trésors d'imagination pour dépeindre l'exo-biologie pandorienne, dans une vaste fresque vivante de plantes, d'animaux, et même d'insectes imaginaires, le tout avec une cohérence et une attention au détail qui rappelle certains films d'animation de Miyazaki. Impossible de ne pas être séduit quand, par exemple, les Na'avi chevauchent de grands reptiles volants et que, grâce à la projection en 3D, on peut réaliser un des plus vieux rêves de l'humanité et chevaucher dans le ciel avec eux.
Heureusement que le côté visuel impressionne d'ailleurs car l'histoire n'est qu'un collage fadasse de plagiats. Les "nobles sauvages" qui vivent en harmonie avec la nature (le film Green), les blancs décents qui essaient d'arrêter le massacre (dans la lignée de certains westerns modernes), l'étranger qui tombe amoureux et cherche à se faire accepter dans la tribu (Danse avec les loups), la brute épaisse de militaire mégalo américain (Apocalypse Now, mais sans la folie et la culture), la scientifique dans un monde macho (Sigourney Weaver reprenant son rôle dans Alien) – tout y passe. Même le dénouement où l'écosystème tout entier se met en branle pour repousser l'envahisseur, est plagié des romans Deathworld de Harry Harrison. Quel intérêt ce film peut donc il avoir ?
En fait, l'intérêt se trouve ni dans l'histoire – plate et banale – ni dans les personnages en carton, mais dans les thèmes dont le film est composé. A qui sont-ils destinés ? Quelle est l'idéologie qu'ils véhiculent ?
Avant d'être une oeuvre d'art, Avatar représente un énorme investissement financier (entre 250 et 300 millions de dollars) qui doit être rentabilisé. En plus, il ne suffit plus de se contenter d'un succès sur le seul marché américain : selon un article de The Economist du 28 novembre, les deux tiers des profits d'un "blockbuster" se réalisent en dehors des Etats-Unis. Pour réussir, le film doit donc faire appel à des sentiments très largement répandus dans la population mondiale, du moins celle des pays industrialisés. En ce sens, les situationnistes des années 1960 avaient raison de dire que la "société du spectacle" (le capitalisme) met en scène nos propres rêves pour nous les revendre.
Sur le plan des ventes justement, Avatar est un succès incontestable, ayant déjà dépassé le milliard de dollars d'entrées en salle. Il est frappant de constater qu'il a eu un gros succès en France et en Allemagne, les deux pays européens qui se sont particulièrement distingués par leur opposition à la guerre en Irak. L'image peu flatteuse (c'est le moins qu'on puisse dire !) des "marines" et, surtout, le fait qu'ils prennent une raclée à la fin et se trouvent obligés de partir la queue entre les jambes, n'y est sans doute pas pour rien.
Cela dit, James Cameron réussit, par une grosse ficelle, à "sauver l'honneur" pour l'audience américaine. On apprend dès le début du film que les soldats en question étaient "autrefois des marines, combattants pour la liberté", qui sont devenus mercenaires, et le principal héros est lui-même un ex-marine. On peut donc se permettre d'attribuer le militarisme brutal non pas à l’Etat et à ses serviteurs loyaux mais aux armées privées actuellement déployées en Irak et en Afghanistan par les firmes de "sécurité" qui assurent logistique et "protection" pour les grosses boîtes comme Halliburton mais aussi, et de plus en plus, directement pour l'armée américaine. Du côté des "bons", les Na'avi représentent, bien sûr, le rêve d'une humanité de nouveau en harmonie avec la nature. Ils chassent, mais tuent leur proie avec respect, ils vivent paisiblement dans une forêt qui n'est pourtant pas sans danger. Cameron ne s'embarrasse pas de considérations métaphysiques – le lien entre les Na'avi et le monde naturel est assuré par le fait que la planète elle-même est une créature vivante (une idée piquée au roman Solaris de Stanislas Lem, mis en scène dernièrement par George Clooney) et que les autochtones sont naturellement équipés de sortes de clefs USB biologiques leur permettant de se « brancher » aux animaux et aux plantes. Les invraisemblances sont légions. Les Na'avi mâles (des Apaches bleus) sont de "grands guerriers" alors qu'ils n'avaient personne à qui faire la guerre avant l'arrivée des humains. Les femelles sont les égales des mâles, y compris à la chasse, ce qui ne les empêche pas d'être cantonnées dans des tâches spécifiquement féminines (il n'y a pas de "guerrières" par exemple).
Et pourtant ça marche ! Le film se termine avec un grand coup d'adrénaline et l'audience ravie de voir la compagnie minière chassée de la planète par les indigènes (peut-être la plus grande de toutes les invraisemblances !) applaudit.
C'est du pur fantasme, évidemment. Mais il est intéressant de comparer ce fantasme, qui sort en plein marasme économique, avec ceux créés lors du dernier grand krach. Une grande partie de la production hollywoodienne des années 1930 consistait en films mettant en scène des rêves de richesse dans un monde peuplé de playboys, d'aventuriers et de milliardaires – le monde par excellence de Fred Astaire et Ginger Rogers. Ce rêve-là n'est plus de mise. Dans Avatar, les grandes entreprises sont définitivement rangées du côté des "méchants". Aujourd'hui, le meilleur rêve – celui qui fait rentrer les plus grosses recettes – que la machine à fantasmes capitalistes puisse nous vendre, c'est un monde où le capitalisme lui-même serait définitivement banni.
Jens (21 janvier)
Un an après la plus grande mobilisation ouvrière de son histoire, la Guadeloupe va-t-elle revivre une grève générale ? Tout semble en effet réuni pour que la lutte reprenne. La situation de la classe ouvrière dans ce département d’outre-mer n'a guère évoluée depuis les accords qui ont mis fin, le 4 mars 2009, à 44 jours de grève, de manifestations et de rassemblements ouvriers.
Sur les 133 revendications qui fondent cet accord, quelques unes resteront emblématiques du mouvement : la modération de l'augmentation du prix du carburant et des principaux produits de consommation et, surtout, la prime de 200 euros versée aux plus défavorisées.
En réalité, le prix du carburant reste suffisamment élevé pour que toute une frange de la population ne puisse y avoir accès en quantité suffisante pour répondre à ses besoins, et il a subi deux augmentations de 10 centimes chacune en moins d'un an, sur arrêté de l'État. Mais au-delà de ça, la situation des ouvriers guadeloupéens reste fondamentalement marquée par le chômage et la surexploitation. Comment pourrait-il en être autrement quand la crise majeure que vit le capitalisme enfonce toujours plus le prolétariat mondial dans la misère ? Nombre d'entre eux sont contraints de quitter l'île, dont la situation sociale reste marquée par une forte instabilité. Le tourisme, source essentiel de revenus pour l'économie locale, est en berne. La peur est en chacun et il suffit parfois de quelques déclarations ou rumeurs pour recréer des files d'attentes aux stations-services ou aux caisses de supermarchés.
Quant à la fameuse prime de 200 euros, son mode de calcul, savamment élaboré par d'ingénieux polytechniciens ou énarques, ainsi que la complexité du montage des dossiers, écarte bon nombre de travailleurs logiquement éligibles. Bref, comme nous le prévoyions sans grande difficulté à l'époque, en empruntant les mots célèbres de Charles Pasqua, « les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent ». 1
On peut donc facilement déduire de cette situation que la colère des ouvriers de Guadeloupe reste intacte, et même, qu’elle s’est renforcée par une profonde désillusion après une si grande lutte, de si belles promesses et finalement... rien.
Et le LKP dans tout ça, que fait-il ? On pourrait attendre de ce grand collectif de syndicats et d'associations, dirigé par un leader syndicaliste radical et charismatique, Elie Domota, qu'il soit à la pointe du combat pour le respect des engagements de l'Etat. Après tout, ne se présente-t-il pas comme l'initiateur du mouvement de 2009, comme l'architecte de la victoire et de l'accord final ?
On pourrait attendre en effet de lui qu'il marque un grand coup, un an après la lutte. On a même cru un moment qu'il appelait à la grève générale. Mais non, on a dû mal comprendre : « C'est très curieux, nous n'avons jamais lancé d'appel à la mobilisation générale le 20 janvier. Nous avons déposé un préavis de grève à partir du 9 janvier et nous allons définir dans les jours qui viennent les modalités d'action » 2
En fait, le LKP semble balader son monde. Fin novembre, il lance un appel à une grève générale de 48h, passé largement inaperçu, dont la manifestation finale rassemblera 10 000 personnes. Il n'y en aura guère plus le 9 janvier dernier, dans le cadre d'un appel à la grève illimitée qui ne sera rendue publique que localement. 3
Le 20 janvier, date anniversaire, ce sera un meeting, juste un meeting. Mais en parallèle, il continue de brandir la menace d'une nouvelle grève générale. Attention, vous n'avez encore rien vu ! D'ailleurs, vous ne verrez peut-être jamais rien : « Une chose est sûre, nous appellerons à la grève mais on ne sait pas encore à quelle date. Le problème sera réglé dans la rue s'il le faut » 4
Il est clair que le LKP mesure parfaitement la colère des ouvriers et qu'il fait tout pour à la fois garder le leadership du mouvement et canaliser cette colère dans des actions ponctuelles et des menaces en l'air. En cela, il est aidé par la difficulté, au niveau mondial, pour le prolétariat de se battre face à l'aggravation de la crise qui ne lui permet pas encore de concrétiser sa combativité véritable par de véritables luttes.
Mais il est aidé aussi par toute la bourgeoisie, qui use d'une arme classique, son terrain fétiche, celui de l'électoralisme et de la démocratie. En organisant des référendums sur l'autonomie relative et la réforme des institutions en Martinique et Guyane, le gouvernement, soutenu par une partie de la gauche, a cherché à déplacer l'enjeu sur le terrain pourri de la division. Il a en partie réussi, comme le montre la mobilisation dans ces scrutins. Mais le « non » massif montre aussi toutes les limites de cette manuvre. D'ailleurs, la bourgeoisie s'est bien gardée de faire le même coup en Guadeloupe, où il aurait été sans aucun doute perçu comme une provocation.
Les ouvriers doivent donc rester vigilants face au radicalisme affiché du LKP. Il voudrait désamorcer leur colère, les promener et les mener dans des impasses qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Ce n'est pas derrière ce type d'organisations que la classe ouvrière pourra construire un vrai rapport de force face à la classe dominante. C'est au contraire en s'en détachant et en ne confiant sa lutte et son destin à personne d'autre qu'à elle-même.
GD (29 janvier)
1) « Guadeloupe, Martinique, La Réunion : pourquoi la bourgeoisie a-t-elle reculé ? [30] », RI n° 400, avril 2009.
2) Lemonde.fr, 9 janvier.
3) AFP, 19 janvier
4) Lexpress.fr, 19 janvier.
A Rosarno, petite ville de 15 000 âmes située en Calabre dans le sud de l’Italie, de violents affrontements ont éclaté, début janvier, entre travailleurs immigrés et locaux.
Le 7 janvier, en pleine rue, des jeunes tirent à la carabine à air comprimé sur des immigrés africains. Deux d’entre eux sont gravement touchés. Derrière ces “jeunes”, se cache en fait la main de la “ndrangheta”, la mafia calabraise. C’est elle qui constitue le patronat local et embauche les ouvriers agricoles. Depuis des années, elle fait appel à une main d’œuvre venue d’Afrique, nombreuse et corvéable à merci. Ces travailleurs immigrés triment toute la journée pour une paye de misère1 et sont parqués le soir dans une ex-fabrique de fromage désaffectée et insalubre. Or, cette année, cette main d’œuvre bon marché est devenue brusquement encombrante. D’abord, la crise économique frappe autant Rosarno que le reste du monde. Les oranges et les mandarines ne s’écoulent pas ; il est aujourd’hui plus rentable de laisser pourrir les fruits sur les arbres que de les ramasser. Ces travailleurs africains sont donc devenus pour la plupart privés d’embauche, inutiles. Ensuite, une nouvelle législation anti-immigrée a été récemment adoptée en Italie ; elle renforce la chasse aux sans-papiers et condamne les patrons qui embauchent des travailleurs illégaux. La mafia s’est donc tournée, pour le peu de travail qu’il y a, vers les immigrés “légaux” des pays de l’Est (en particulier d’Ukraine et de Roumanie). 1500 Africains et leurs familles, venus toucher ici juste de quoi survivre, se sont donc retrouvés pris dans l’étau de la surexploitation et du chômage. La tension et la colère sont peu à peu montées dans leurs rangs ; ces semi-esclaves d’habitude si dociles ont même commencé à manifester. La “ndrangheta” a alors décidé de les effrayer pour les faire fuir, en leur tirant dessus. De bêtes de sommes, ces immigrés sont devenus gibiers. Seulement, au lieu de déguerpir, ces travailleurs sont massivement sortis dans la rue incendier des poubelles et des voitures, casser des vitrines et abîmer quelques habitations. En réaction, des centaines d’habitants de Rosarno, armés de barres et de bâtons, se sont livrés à une véritable chasse à “l’homme noir” aux cris de “en Afrique, en Afrique !”, “nous voulons leur mort”. Ces affrontements ont fait 67 blessés (31 immigrés, 19 policiers et 17 autochtones). A priori, là encore, la mafia a joué un rôle central en excitant la population locale et en se hissant à la tête de ces milices improvisées2. Cette haine n’a pas été difficile à distiller au sein d’une population touchée elle aussi par la pauvreté et un chômage qui frappe officiellement près de 18% de la classe ouvrière dans cette région. Mais la misère est très loin d’expliquer à elle seule pourquoi une partie de la population s’est laissée ainsi entraîner dans une vendetta raciste et nauséabonde, ni pourquoi d’ailleurs ces immigrés attaqués s’en sont pris aux biens des habitants des alentours. En réalité, la cause première de ces affrontements “entre pauvres”, comme l’a titré la presse internationale (autrement dit, entre ouvriers), est le désespoir, l’absence totale de perspective. “C’était un enfer, on n’y comprenait rien, c’est vrai que nous avons cassé tout ce que nous avons pu casser, mais nous étions seulement en rage. Nous sommes désespérés, et si au désespoir, on ajoute la rage, c’est facile de déraper. Quand nous sommes revenus à la fromagerie, nous nous sommes regardés dans les yeux et nous avons eu honte de ce que nous avions fait. J’ai pleuré pendant toute la nuit en pensant à ces gens épouvantés…” (Godwin, journalier ghanéen, 28 ans, cité par La Repubblica du 9 janvier).
Seules les luttes ouvrières peuvent redonner confiance en l’avenir, peuvent permettre d’entrevoir qu’un autre monde est possible, un monde fait non pas de haine mais de solidarité. Une grève l’a parfaitement illustré récemment, une grève qui n’a pas eu les honneurs des Unes de la presse, contrairement à ces émeutes racistes d’Italie. En Angleterre, au mois de juin 2009, des ouvriers ont résisté aux sirènes du nationalisme et de la xénophobie, alors que toute la presse mettait en exergue des slogans tel que “Des jobs anglais pour les ouvriers anglais !”. Comprenant qu’il s’agissait là d’un piège, qu’ils n’avaient rien à gagner à se laisser ainsi diviser entre ouvriers “locaux” ou “immigrés”, ils ont opposé à la bourgeoisie une grève animée par la solidarité internationale. Lors des manifestations, des banderoles appelant les ouvriers portugais et italiens à rejoindre la lutte ont été brandies ; on pouvait y lire notamment le cri de ralliement du prolétariat mondial depuis 1848 : “Ouvriers du monde entier, unissez-vous !”3
Les événements de Rosarno et de Lindsey sont comme la thèse et l’anti-thèse. Les premiers portent les stigmates de cette société en décomposition, elle n’a aucun avenir et ne peut qu’engendrer toujours plus de misères, de peurs, de haines… Les seconds révèlent au contraire qu’il existe un autre avenir pour l’humanité. La solidarité qu’est capable d’exprimer la classe ouvrière lorsqu’elle lutte est, pour nous tous, comme une lueur d’espoir.
Albert (28 janvier)
1) La paye est d’un euro la cagette de mandarines et 6 centimes le kilo d’oranges avec un gain maximum d’environ 15 euros par jour pour 12 à 14 heures de travail.
2) Au-delà de la simple mafia, la cruauté et le cynisme de toute la bourgeoisie italienne lors de cet événement est à souligner. Le gouvernement de Berlusconi a profité de l’occasion pour mener une campagne xénophobe et justifier toutes ses mesures anti-immigrés. Le ministre de l’intérieur, Maroni, a ainsi affirmé : “La situation de Rosarno est difficile, résultat d’une immigration clandestine tolérée pendant toutes ces années sans rien faire d’efficace”. En fait, l’Etat, d’un côté, chasse les sans-papiers et les expulsent pour en limiter le nombre et, de l’autre, laisse les patrons les exploiter massivement et honteusement (quand il ne le fait pas lui-même directement), cette main d’œuvre à bas coût améliorant la “compétitivité nationale”. C’est ainsi plus de 50 000 travailleurs immigrés qui vivent en Italie dans des logements insalubres similaires à ceux de Rosarno. Pour revenir aux événements récents et à la “protection” offerte par l’Etat à ces immigrés victimes de pogroms : en intervenant, la police a fait de nombreux blessés du côté des immigrés et, ensuite, pour les protéger, elle n’a rien trouvé de mieux que de les parquer dans des “centres de rétention” pour “contrôler leur situation” et expulser tous ceux qui ne sont pas en règle ! Voilà de quelle inhumanité est capable la bourgeoisie, qu’elle se présente sous le masque de la mafia ou sous les traits respectables des hauts-dirigeants de l’Etat !
3) Lire notre article “Les ouvriers du bâtiment au centre de la lutte en Angleterre [33]” dans notre journal Révolution Internationale de juillet-août 2009.
Durant le mois de janvier, de multiples grèves et manifestations de rue se sont développées en Algérie1. Consciente du « mauvais exemple » et de la réflexion que cela pouvait engendrer dans une partie du prolétariat, les ouvriers immigrés ne pouvant que se sentir liés à ces expériences, la bourgeoisie s’est bien gardée de médiatiser l’affaire !
Les manifestations de chômeurs à Annaba (Est algérien), de mal-logés un peu partout, les grèves ouvrières à Oran, Mostaganem, Constantine, et surtout dans la banlieue industrielle d’Alger, qui a été en proie à une agitation très importante, voilà l’objet du black-out. Suite à l’accélération brutale de la crise économique, avec l’inflation et la chute du pouvoir d’achat, les attaques diverses, la classe ouvrière qui avait été affaiblie ces dernières années a de nouveau relevé la tête ! Une montée de colère dans bon nombre de régions et de quartiers urbains, une grogne s’est généralisée, en particulier au cœur du secteur industriel. C’est principalement la zone de Rouiba (banlieue industrielle à l’est d’Alger) avec plus de 50 000 travailleurs, qui a été localement sous les feux de la rampe. Personne n’a oublié là-bas que c’est dans ce chaudron en ébullition qu’avait démarré en 1988 la « révolte de la semoule »2. Mais contrairement à cette dernière, qui avait été la rébellion d’une population affamée, celle de couches non-exploiteuses, nous avons assisté cette fois-ci à une mobilisation plus spécifique du prolétariat, avec ses propres revendications, celles qui appartiennent depuis toujours au mouvement ouvrier : la lutte pour les salaires, pour la défense des retraites, contre les licenciements…
Les travailleurs de la SNVI (société nationale des véhicules industriels, ex-SONACOM) ont été les premiers à se lancer dans la bataille. Le gouvernement avait décidé fin 2009 de supprimer la possibilité pour ces salariés de partir en retraite anticipée (mesure en vigueur depuis 1998). En réponse, la grève a rapidement fait tâche d’huile, touchant les entreprises du secteur public comme celles du privé, comptabilisant plus de 10 000 grévistes. Des salariés de Mobsco, Cameg, Hydroaménagement, ENAD, Baticim et d’autres entreprises se sont donc joints à la lutte, par solidarité avec leurs frères de classe. Les ouvriers se sont par la suite affrontés avec d’importantes forces de police anti-émeutes dans le centre-ville, où les syndicats les avaient entraînés3.
Parallèlement à ces luttes dans la capitale, sur fond de révoltes incessantes et tumultueuses de jeunes privés d’emploi, ce sont également les 7 200 ouvriers du complexe sidérurgique d’Arcelor Mittal d’El Hadjar, situé à Annaba (600 km à l’Est d’Alger), qui se sont mis en grève contre la fermeture programmée de la cokerie et la suppression de 320 postes. Face au durcissement de cette grève « générale illimitée » et à la détermination des ouvriers, la direction déposait une plainte pour suspendre cette grève qu’elle jugeait « illégale ». Là encore, le syndicat UGTA a été un précieux auxiliaire pour le sabotage du mouvement, appelant les ouvriers à reprendre le travail et à accepter pour argent comptant la promesse de la direction d’investir pour « réhabiliter la cokerie ». La réalité, c’est que la restructuration est inévitable et l’idée de réhabilitation de la poudre aux yeux. Cela, le syndicat ne pouvait pas le dire !
Toute cette effervescence sociale en Algérie ces derniers temps montre à la fois la combativité grandissante dans certaines régions du globe et le potentiel du prolétariat mondial.
WH (23 janvier)
1) 1Nos sources proviennent de différents sites Internet : https://www.rencontre12.eu/?article11934 [36], www.mico.over-blog.org [37], https://www.afrik.com/?pagename=redirection&type=article&numero=18531 [38] et d’informations provenant du journal El Watan.
2) Révolte qui avait éclaté en réaction à une brutale augmentation du prix des denrées de base. Cette révolte, réprimée par l'armée, fit plus de 500 morts (voir RI n° 314 [39]).
3) Suite à ces évènements, qui survenaient après le nouvel accord tripartite (gouvernement-patronat-syndicat) qui avait entériné cette nouvelle série d’attaques, le patron de l’UGTA était traité de « vendu » !
La guerre de Barack Obama contre le supposé ennemi mortel que représente Al-Qaïda pour l’Amérique et les pays occidentaux prend de l’ampleur. L’Afghanistan, le Pakistan et l’Irak étaient déjà touchés par cette politique pour la « civilisation », il faut aujourd’hui ajouter le Yémen et la Somalie et, dans une moindre mesure, l’Afrique subsaharienne, touchée elle aussi récemment par des « incursions » et des « frappes ciblées ». Les Etats-Unis, déjà totalement embourbés en Irak et en Afghanistan, poursuivent ainsi inlassablement leur fuite en avant guerrière en accentuant fortement leur présence militaire dans cette large région du monde.
Une première question toute simple se pose : en quoi ces deux pays peuvent-ils représenter un intérêt quelconque pour l’impérialisme américain ? Le Yémen, aux très pauvres ressources en pétrole, est devenu un véritable désert, ravagé par des années de guerres. La République arabe du Yémen du Nord et la République démocratique populaire du Yémen du Sud se sont rassemblées pour former la République du Yémen. Depuis lors, la guerre n’a pas cessé un seul instant. La population yéménite qui compte 21 millions d’habitants est une des plus pauvres du monde. Le pays est tout simplement plongé en plein chaos et au bord de l’éclatement. Quant à la Somalie, la situation y est pire encore. Ce pays de 9 millions d’habitants est un véritable mouroir. La guerre y fait rage depuis plus de 20 ans. La population erre en permanence, fuyant les exactions de bandes armées sans contrôle, cherchant chaque jour de quoi manger. Le dernier gouvernement en date ne contrôle même pas l’ensemble de la capitale, Mogadiscio. Le gouvernement dit de transition se bat en permanence contre une guérilla constituée de groupes islamistes : Hizbul Islam dirigé par l’ancien mentor de l’actuel président, Cheikh Aweys et les milices armées Al-Chabab qui se revendiquent d’Al-Qaïda. Quant aux régions du Somaliland et du Putland, la recherche de tout semblant d’ordre et de stabilité est depuis longtemps totalement abandonnée. La piraterie somalienne est pour l’essentiel le seul moyen de survie qu’ont trouvé les pêcheurs de ces côtes, dont la mer est infestée de déchets nucléaires immergés par de « mystérieux » navires européens. Depuis l’effondrement du gouvernement en 1990, les Etats-Unis occupent une partie du terrain militairement. Cela s’était fait en 1992 à travers l’opération baptisée Restore Hope (« Restaurer l’espoir », sic !). A la même époque, tout le monde se souvient des images diffusées partout de Bernard Kouchner arrivant en Somalie avec des sacs de riz sur les épaules, suivit de près, discrètement, par quelques contingents de l’armée française !
Mais qu’est-ce qui peut tant intéresser des prédateurs impérialistes comme les Etats-Unis et bien d’autres encore, dans une région totalement déshéritée, dont les pauvres ressources en pétrole ne peuvent en aucun cas justifier une telle attention ?
Pour répondre à cette question, il suffit de regarder une carte. Entre la Somalie et le Yémen se trouve juste un bras de mer, le Golfe d’Aden, qui est la voie maritime vers la mer Rouge et les champs pétroliers du Golfe persique. Le détroit d’Ormuz est ainsi l’un des endroits les plus surveillés et les plus convoités du monde ! C’est plus de 20 % du pétrole mondial qui passe par ce détroit. Mais plus encore, la moitié de la flotte mondiale des porte-conteneurs et 70% du trafic total des produits pétroliers passe par la mer d’Arabie et l’océan Indien. C’est également par cette voie que l’impérialisme chinois, toujours plus agressif, s’infiltre en direction du Mozambique, du Kenya, de la Tanzanie et de Zanzibar. Par ces temps de crise économique profonde et de montée accélérée des tensions guerrières, contrôler l’écoulement de l’or noir et les principales routes maritimes est indispensable à tout impérialisme qui veut jouer un rôle sur la scène mondiale. C’est une arme de guerre de toute première importance. C’est pour cela que l’attentat manqué sur un avion américain, perpétré le jour de Noël par le Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab au nom d’Al-Qaïda se rendant d’Amsterdam à Détroit, a permis d’ouvrir à nouveau la boîte de Pandore de la lutte anti-terroriste. Le fait que ce jeune Nigérian ait séjourné au Yémen où il aurait reçu un entraînement d’Al-Qaïda a été le prétexte tout trouvé. Les réponses ne se sont ainsi pas faites attendre : « Washington et Londres ont ainsi fait part de leur volonté de coopérer davantage dans la lutte antiterroriste au Yémen, ainsi qu’en Somalie. Londres et Washington prévoient de financer une unité spéciale de police antiterroriste au Yémen et de fournir un soutien plus important aux gardes côtes yéménites, selon Downing Street. » (Jeune Afrique du 26 janvier 2010). L’impérialisme français ne voulant pas bien entendu rester en dehors de cette course, elle s’est empressée immédiatement de faire le même type de déclaration. Le président du Yémen, Ali Abdullah, qui est au pouvoir depuis 30 ans est un allié des Etats-Unis. L’armée américaine y avait déjà envoyé des missiles et des troupes spéciales. Mais la guérilla des Houtis au Nord du pays est elle-même soutenue par l’Iran. La guerre y fait rage comme dans la ville de Saada. Dans ce pays d’une totale instabilité et plongé dans le plus grand des chaos, seule la présence militaire directe peut représenter un point d’appui pour une grande puissance et depuis un an, au nom de l’anti-terrorisme, une nouvelle base américaine y entraîne des forces spéciales. L’arrivée de troupes supplémentaires américaines qui vont de fait être confrontées aux rebellions du Nord et du Sud du pays n’est qu’un pas supplémentaire de l’impérialisme américain dans un nouveau et énième bourbier guerrier dont il ne pourra plus se dégager, à l’image de l’Irak, de l’Afghanistan et du Pakistan.
L’envoi récent de plusieurs dizaines de milliers de soldats américains supplémentaires en Afghanistan démontre très clairement que les Etats-Unis sont de plus en plus incapables de gagner cette guerre. Le fait que le Pakistan soit un des principaux enjeux de celle-ci se traduit par une déstabilisation accélérée du gouvernement d’Islamabad, de son armée et de son unité nationale, dans cette région du monde où les impérialismes indien et chinois sont eux même de plus en plus actifs. Les Etats-Unis, très contestés notamment par la Chine, en sont pourtant réduits à leur quémander de l’aide ainsi qu’à la Russie. « Deux hauts fonctionnaires américains se sont rendus en Chine avant la visite présidentielle, et ont averti les Chinois que s’ils ne soutenaient pas Washington sur le dossier iranien, Israël passerait à l’attaque, ce qui provoquerait le chaos dans l’approvisionnement pétrolier indispensable à la Chine. L’Iran est le deuxième fournisseur de pétrole du pays, et les entreprises chinoises y ont massivement investi. Pour desserrer cette contrainte, les USA ont également proposé aux Chinois de les aider à réduire leur dépendance aux approvisionnements iraniens. Les demandes américaines semblent avoir été entendues. Pour la première fois depuis plusieurs années, la Chine a voté une résolution de l’AIEA condamnant l’Iran. » (J Pomfert et J Warrick du Washington Post, Contre Info du 27 novembre 2009). La Russie est donc elle aussi courtisée par les Etats-Unis qui ont besoin de leur aide, c’est pourquoi ils ont suspendu leur programme d’installation de missiles américains en Pologne et en République tchèque.
Ces appels à l’aide sont en eux-mêmes un véritable aveu de faiblesse. Après les attentats contre les tours jumelles, le 11 septembre 2001, le président d’alors, Georges Bush fils, lançait les Etats-Unis dans une immense campagne guerrière, presque seuls afin de démontrer la suprématie militaire absolue de la première puissance mondiale. Cette politique a été un véritable échec. Mais la « nouvelle » politique d’Obama, tout aussi va-t-en-guerre, ne peut rien produire de mieux, ni pour l’impérialisme américain ni, évidemment, pour l’humanité.
Afghanistan, Pakistan, Irak, et maintenant Somalie et Yémen, la guerre menée au nom de la lutte contre les djihadistes par les Etats-Unis ne cessent de s’étendre. Chaque nouveau pas en avant sanglant de l’impérialisme américain expose un peu plus à la face du monde son impuissance croissante. En Afghanistan, la coalition militaire derrière les Etats-Unis est au bord du démantèlement. En Irak, les attentats se succèdent à un rythme infernal. Pour les Etats-Unis, le Yémen ne peut être qu’un nouvel Irak ou un nouvel Afghanistan ! Pour la population de ces pays, le pire est encore à venir. L’impérialisme pourrissant sème la mort. Pour la classe ouvrière de tous les pays, touchée directement ou non par ces conflits sanglants, cette réalité doit être tout simplement intolérable et révoltante.
Rossi (27 janvier)
En Iran, l’écrasante majorité de la population vit dans la misère la plus totale. Mais, plus encore, chaque jour la peur est là qui rôde dans les rues, dans les lieux publics ! Il n’est pas étonnant alors que depuis les dernières élections de 2009, des révoltes et des manifestations ne cessent d’éclater. Ce pays s’enfonce dans le chaos. Les divisions au sein de l’appareil politique et du clergé se multiplient, le pouvoir religieux lui-même affaibli par son exercice du pouvoir politique se craquèle et ces fissures apparaissent de plus en plus ouvertement. Pour la classe ouvrière, pour la population pauvre et sans travail, exaspérées par tant d’injustice et de misère, le danger est alors très grand de se retrouver embrigadées et réprimées dans des luttes qui ne sont pas les siennes.
Au mois de décembre dernier, à l’occasion de la fête de l’Achoura (pour les Chiites, il s’agit entre autres de la commémoration du massacre de l’imam Hossein et de 72 de ses proches par le califat omeyyade à Kerbala en l’an 680), les rues des principales villes du pays ont été à nouveau envahies par d’immenses manifestations. Celles-ci ont touché la plupart des grandes villes iraniennes : Téhéran, Chiraz, Ispahan, Qazvin, Tabriz et même Qom, la ville sainte. Ce sont des dizaines de milliers de personnes qui se sont retrouvées dans la rue. La réponse du pouvoir ne s’est pas fait attendre. Les miliciens baasistes assistés des forces de l’ordre ont alors réprimé férocement. La police officielle parle de cinq morts parmi les manifestants, la réalité est évidemment bien plus dramatique ! Il faut se rappeler que lors des manifestations du 12 juin dernier au moment de l’élection du président Ahmadinejad, le bilan avait été de soixante morts et de 4000 arrestations. Aujourd’hui, dans une population ulcérée, gagnée par la colère, les slogans se radicalisent. Ceux-ci ne visent plus seulement le gouvernement et Ahmadinejad mais aussi, ce qui est nouveau, le guide suprême lui-même : Ali Khamenei.
Au mois de juin dernier, au moment des élections, l’état de déliquescence de la bourgeoisie iranienne était déjà apparu au grand jour. La montée en puissance d’Hossein Moussavi en était l’expression la plus visible. Derrière la fraction Ahmanidejad qui allait garder le pouvoir, appuyée par les gardiens de la révolution islamique (les bassidji) commandés par le général Mohammad Ali Jafari, véritable réseau gangstérisé qui a la haute main sur tous les trafics illégaux dans le pays, on retrouve toute une partie du clergé dont le guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei, qui à ce titre est le chef des armées. A l’inverse, une autre partie du clergé cherche de plus en plus à prendre ses distances envers ceux qu’elle considère comme une bande de voyous qui a pris les rênes du pouvoir. En ce début de janvier, un influent dignitaire religieux conservateur, Ahmad Janati, a tout simplement appelé les services secrets à punir les « corrompus sur terre », une accusation passible de la peine de mort. Peine de mort qui semble déjà appliquée puisque Ali Moussavi membre de la famille de Mir Hossein Moussavi, principal opposant au régime en place a été assassiné par les milices bassidji.
Pour connaître la véritable nature de l’opposition, il suffit d’écouter son chef de file : « Je crois qu’il est nécessaire de souligner que nous avons au sein du mouvement vert, une identité islamique et nationale et sommes opposés à toute domination étrangère. » (Jeune Afrique du 2 janvier). En quelques mots, tout est dit ! Face au camp corrompu et sanguinaire Ahmadinedjad, nous trouvons des gens qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau ! Eux aussi sont clairement pour une république islamiste et pour la poursuite de la fabrication de l’arme atomique iranienne. Tous ces gens se ressemblent car ils défendent tous leurs propres intérêts nationalistes et personnels ! C’est pour cela et seulement pour cela « qu’une bonne partie du clergé condamne la répression. Même si les mollahs se sont effacés devant les gardiens de la révolution, le régime ne peut sans danger les ignorer. Un régime théocratique peut-il se passer de la légitimité religieuse ? Moussavi qui l’a compris se rend souvent dans la ville sainte de Qom. Une occasion de s’afficher aux côtés du représentant du plus célèbre ayatollah d’Irak, Ali Sistani, très populaire en Iran. » (Contre info, juin 2009).
La bourgeoisie iranienne et son clergé se déchirent. Une guerre sans merci se développe entre eux pour le pouvoir. Les raisons en sont simples, la crise économique ravage le pays. La misère et la colère se répandent comme une traînée de poudre. L’instabilité et la corruption s’installent à tous les étages des classes dominantes iraniennes religieuses et civiles. Le gâteau à se partager se rétrécit à vue d’œil et la rue gronde ! Mir Hossein Moussavi tente de canaliser la colère de la classe ouvrière et de la population derrière ses propres intérêts personnels et de clique. Ahmadinejdad et la partie du clergé qui le soutient sont poussés pour leur part dans une fuite en avant faite de toujours plus de répression sanglante et de provocations verbales. Dans ce pays ravagé par la crise économique et la sénilité de sa bourgeoisie, la classe ouvrière ne peut que développer encore plus sa combativité et sa colère. Mais elle ne doit en aucun cas le faire en soutenant une clique bourgeoise plutôt qu’une autre, ou une fraction de religieux en lutte contre une autre. Sur ce chemin, seuls la défaite et le sang sont promis aux ouvriers.
Tino (27 janvier)
Le Groupe Révolution Prolétarienne (GPR) d’Autriche nous demande de publier la nécrologie de leur camarade Robert, décédé le 7 décembre dernier. Le CCI a appris avec la plus grande consternation le décès soudain de Robert. Nous voulons ici exprimer à ses proches, et en particulier à sa compagne, notre plus profonde solidarité.
Avec le décès de Robert, le CCI perd également un ami proche de longue date.
Grâce à son ouverture, sa volonté de clarification politique et sa grande patience, il a joué un rôle important dans l’apparition d’un pôle de camarades qui, à la fin des années 1980 dans la zone de langue allemande, se sont rapprochés des positions de la Gauche Communiste. Particulièrement en Suisse, où une section du CCI naquit ultérieurement de ce processus.
Robert n’a pas emprunté la même voie. Cependant Robert, et les autres camarades du GPR, sont restés vis-à-vis du CCI de tout proches compagnons et amis politiques dans lesquels nous avons la plus pleine confiance.
L’une des plus grandes qualités de Robert était sa conduite solidaire et son attitude conséquente contre tout esprit de concurrence entre les différentes organisations de la Gauche Communiste.
Le CCI regrette Robert.
Notre camarade Ro a tragiquement quitté la vie dans la nuit du 6 au 7 décembre 2009. Il était l‘un des membres fondateurs du groupe, qui s’appelait alors en 1983 Groupe des Communistes Internationalistes (Gruppe Internationalistische Kommunisten / GIK) et qui poursuivait la tradition politique et théorique du Groupe Autonome Politique Communiste (Autonome Gruppe Kommunistische Politik / AGKP) qui a pris fin par son autodissolution. Ses membres fondateurs convergeaient sur le fait que l’acquis politique et théorique de l’AGKP avait été de s’extraire du chaos de l’extrême gauche capitaliste du mouvement de 68 finissant et de s’être doté de positions politiques communistes de gauche. Le matériel théorique-politique de la Gauche Communiste apparaissait aux membres fondateurs comme la seule orientation politique possible pour qui veut se placer sur le terrain de classe politique du prolétariat, concourir à en faire progresser la cause et le développement de son autonomie politique et organisationnelle comme condition de ses futurs triomphes. Seul le courant de la gauche communiste a réussi à résister politiquement à l’horrible contre-révolution qui s’est exprimée par le contrôle politique presque complet sur la classe ouvrière par la social-démocratie, le stalinisme, le maoïsme et le courant principal du trotskisme, pour nous transmettre les enseignements politiques tirés de cette contre-révolution gigantesque. Ro et ses camarades de combat se sentaient investis de la responsabilité de veiller à défendre face à la classe ouvrière en Autriche la théorie révolutionnaire défendue en première place contre la contre-révolution stalinienne par les Communistes de Gauche et à offrir, à la mesure de leurs moyens, aux travailleuses et aux travailleurs la possibilité de renouer avec leur tradition révolutionnaire.
Comme nous provenions tous du cercle de sympathisants de l’AGKP, il nous incombait la tâche de nous approprier de façon critique et sur la base d’un examen approfondi l’ensemble du matériel théorique de l’AGKP et, pour autant qu’il nous ait semblé insuffisant, de le développer par l’étude des leçons tirées par la Gauche Communiste, afin de mettre le groupe sur des bases politiques aussi solides que possible. Comme dans les années quatre-vingts des attaques massives contre la classe ouvrière eurent lieu avec la restructuration de l’industrie (mot d’ordre VÖST), le groupe s’est trouvé confronté à la tâche de soutenir par une intervention politique au moyen de tracts, etc. les luttes des travailleuses et des travailleurs bourgeonnant çà et là. Le difficile travail théorique, les discussions avec le milieu révolutionnaire, les positions politiques graduellement mûries pour leur formulation dans une plate-forme propulsèrent le camarade Ro au premier rang. Le GIK, qui suite à un changement de nom ultérieur s’appelle aujourd’hui Groupe Prolétarien Révolution, est redevable à la méticulosité de Ro pour s’interroger, s’informer, analyser et à sa recherche rigoureuse de la clarté, du fait qu’il possède une plate-forme cohérente (que nous nommons lignes directrices) reposant clairement sur les acquis du marxisme et des expériences historiques de la lutte des classes et de son analyse. Ro laisse derrière lui dans un état de solidité théorique le GPR qu’il a marqué de façon prépondérante par son infatigable engagement et dont il a élaboré de manière décisive les outils politiques. La perte que représente la mort de Ro est immense. Le groupe perd l’un de ses camarades les plus passionnés, qui, par son jugement politique éprouvé, sa perspicacité politique, son expérience politique, ses analyses et l’examen infatigables des événements politiques ont enrichi le groupe et son travail politique. Nous espérions tous son retour une fois surmontée la maladie et nous nous réjouissions du recouvrement de sa présence intellectuelle. Nous regrettons la perte du camarade Ro lourde de conséquences pour notre pratique politique.
Nous sollicitons les groupes du milieu révolutionnaire de la classe ouvrière pour partager avec nous le deuil du départ du camarade Ro et pour nous soutenir solidairement dans la poursuite de notre travail politique en vue de l’émancipation, sans doute encore lointaine, de la classe ouvrière de l’exploitation économique et du joug politique de la bourgeoisie. Nous les en remercions.
GPR
Nous avons appris récemment et tardivement le décès de José Ferran, militant anarchiste, réfugié politique espagnol suite à la Guerre d’Espagne de 1936-1939. Nous tenons à rendre hommage à ce combattant de la classe ouvrière, car, bien qu’ayant de profondes divergences avec certaines de nos positions politiques, il avait cependant gardé le contact avec le CCI pendant 30 ans en participant à nos réunions publiques et en discutant avec nous au marché de Wazemmes, à Lille1. C’est d’ailleurs là que nous l’avons vu en public la dernière fois ; à 95 ans il était venu acheter le journal Révolution Internationale, ce qu’il faisait presque tous les mois, en profitant pour discuter de longs moments avec nous, en revenant sans cesse sur nos positions qui le fâchaient le plus – la question de l’État, notamment. Les militants du CCI qui l’ont connu garderont le souvenir de ces intenses joutes verbales et de discussions animées mais toujours fraternelles, avec un camarade profondément sincère et attaché à sa classe.
1) Par la suite José a dû entrer dans une maison de retraite, où quand nous lui rendions visite, il se plaignait beaucoup du manque de discussions et de préoccupations politiques des résidants !
Ces derniers mois, les médias ont rapporté abondamment les suicides d'employés de France Telecom (33 en 18 mois, presque 2 par mois). Ce n'est pas la première fois que les journaux titrent sur des cas de suicide au travail ou à cause du travail. On peut se souvenir de ce qui s'est passé il y a 2 ans à Peugeot et à Renault.
Il appartient aux révolutionnaires de se pencher, pour leur part aussi, sur la question de la souffrance et du suicide au travail.
En premier lieu, parce que tout ce qui concerne les conditions de vie de la classe exploitée fait partie de leur préoccupations permanentes.
Mais aussi, et surtout, parce que l'émergence et le développement de ce phénomène est un symptôme très parlant de l'état dans lequel se trouve aujourd'hui le système capitaliste, un état qui appelle, avec une force et une urgence sans précédent, la nécessité de renverser ce système et de le remplacer par une société capable de satisfaire les besoins humains.
Le suicide sur le lieu de travail n'est pas un phénomène entièrement nouveau car il a été constaté depuis longtemps parmi les agriculteurs. A cela, il existait une cause fondamentale : dans cette profession, l'espace de la vie privée et l'espace professionnel sont en général confondus. La maison du paysan et la ferme qu'il exploite se trouvent, la plupart du temps, au même endroit.
Ce qui est nouveau et constaté depuis le début des années 1990, c'est l'apparition et l'augmentation des suicides sur le lieu de travail dans d'autres secteurs professionnels, l'industrie et surtout le tertiaire. Lorsqu'une personne se suicide chez elle ou en dehors de son travail, il n'est pas facile de prouver que la cause principale de son geste réside dans une souffrance liée au travail. C'est là-dessus que jouent les patrons pour essayer de se dédouaner lorsque la famille essaie de faire reconnaître le geste de la victime comme accident du travail. En revanche, lorsque le suicide a lieu sur le lieu de travail lui-même, l'esquive de la part du patron est plus difficile. Il faut donc interpréter le suicide sur le lieu de travail comme un message très clair que veut faire passer son auteur : "ce n'est pas à cause d'une rupture sentimentale, d'un divorce ou de ma 'nature dépressive' que je meurs, c'est le patron ou le système qu'il incarne, qui est responsable de ma mort."
L'augmentation du nombre des suicides au travail, ou à cause du travail, traduit donc le développement d'un phénomène beaucoup plus massif dont ils ne sont que la pointe de l'iceberg : l'augmentation de la souffrance au travail.
La souffrance au travail n'est évidemment pas un phénomène nouveau : les maladies professionnelles existent depuis longtemps, en fait depuis la révolution industrielle qui a transformé le travail humain en un véritable enfer pour la plupart des salariés. Dès le début du 19e siècle, les auteurs socialistes avaient dénoncé les conditions de travail auxquelles le capital soumettait les êtres humains qu'il exploitait. Cela-dit, depuis cette époque et jusqu'à la fin du vingtième siècle, le suicide ne faisait pas partie des réponses apportées par les exploités à la souffrance qu'ils subissaient.
En fait, le suicide résulte d'une souffrance psychique bien plus que physique. Mais la souffrance psychique n'est pas nouvelle non plus : le harcèlement et les humiliations de la part des petits chefs existent depuis longtemps aussi. Mais, dans le passé, cette souffrance subie par les exploités ne débouchait pas sur le suicide, sinon de façon exceptionnelle.
Le suicide a été étudié depuis longtemps, notamment par le sociologue Durkheim à la fin du 19e siècle. Déjà, Durkheim, avait identifié les racines sociales et non simplement individuelles du suicide : "Si l'individu cède au moindre choc des circonstances, c'est que l'état où se trouve la société en a fait une proie toute prête pour le suicide."
De même, l'étude de la souffrance au travail, y compris sous ses aspects psychiques, remonte à assez loin. Cela-dit, les études sur le suicide comme conséquence de la souffrance au travail sont beaucoup plus récentes du fait de l'apparition récente de ce phénomène. Plusieurs hypothèses ont été avancées, un certain nombre de constats ont été faits, pour expliquer l'émergence de ce phénomène. On peut, en particulier, évoquer les réflexions de Christophe Dejours, qui est un psychiatre, ancien médecin du travail, aujourd'hui également universitaire et auteur de plusieurs livres célèbres sur la question (comme "Souffrance en France : la banalisation de l'injustice sociale" ou "Travail, usure mentale").
1) La "centralité du travail" : le travail (entendu non pas seulement comme moyen de gagner sa vie mais comme activité productive et créatrice bénéficiant à autrui) joue un rôle central dans la santé mentale de chaque individu. De ce fait, une souffrance dans cette sphère de la vie a des conséquences finalement plus dramatiques qu'une souffrance issue de la sphère privée ou familiale. Concrètement, si quelqu'un souffre dans sa vie familiale, cela se répercute moins dans sa vie au travail que le contraire.
2) La reconnaissance du travail et de sa qualité de la part d'autrui : dans une société hiérarchisée comme la nôtre, cette reconnaissance se manifeste évidemment dans la considération que l'on reçoit de la part de ses chefs et dans le salaire qu'on reçoit du patron (on parle, dans ce cas-là, de la "reconnaissance verticale"). Mais il existe une autre forme de reconnaissance finalement plus importante pour le travailleur au quotidien : c'est la reconnaissance de son travail par ses collègues (appelée "reconnaissance horizontale"), c'est le signe qu'il s'intègre dans la communauté des "gens du métier" avec qui il partage son expérience et son savoir-faire ainsi que le goût du travail bien fait. Même s'il est mal considéré par ses chefs ou son patron parce qu'il se refuse de se plier à leurs exigences, il pourra néanmoins maintenir son équilibre si ses camarades de travail n'entrent pas dans le jeu de la hiérarchie et lui maintiennent leur confiance. Par contre, tout bascule s'il perd aussi la confiance de ces derniers.
1) La croissance de la surcharge de travail : c'est quelque chose qui semble paradoxal car, avec le développement des nouvelles technologies qui permettent l'automatisation de toute une série de tâches, certains avaient annoncé "la fin du travail" ou au moins la possibilité de diminuer de façon significative la charge de travail. C'est le contraire qui est vrai depuis deux décennies. La charge de travail ne cesse d'augmenter à tel point que, dans un pays comme le Japon, on a inventé un mot nouveau, le Karôshi, qui désigne une mort subite (par crise cardiaque ou accident vasculaire cérébral) de sujets qui n'avaient aucune pathologie particulière mais qui se sont "tués au travail" au sens propre. C'est un phénomène qui ne touche pas que le Japon, même s'il a pris dans ce pays son extension la plus grande. Il est observé également aux États-Unis et en Europe occidentale.
Une autre manifestation de cette surcharge de travail et qui a nécessité la création d'un mot nouveau, c'est le "burn out" qui est une forme particulière de dépression liée à l'épuisement. C'est un terme parlant : le travailleur se retrouve à l'état de cendres pour avoir trop brûlé son énergie.
2) Le développement de pathologies résultant du harcèlement
Ces pathologies sont aujourd'hui bien étudiées : syndromes dépressifs, troubles de la mémoire, désorientation dans l'espace et dans le temps, sentiment de persécution, troubles psychosomatiques (touchant notamment les sphères utérine, mammaire, thyroïdienne).
Christophe Dejours analyse ainsi ce phénomène :
"Le harcèlement au travail n’est pas nouveau. Il est vieux comme le travail. Ce qui est nouveau, ce sont les pathologies. C’est nouveau parce qu’il y en a beaucoup maintenant, alors qu’il y en avait beaucoup moins autrefois. Entre le harcèlement, d’un côté, et les pathologies, de l’autre, il faut bien invoquer une fragilisation des gens vis-à-vis des manœuvres de harcèlement. Cette fragilisation peut être analysée. Les résultats sont assez précis. Elle est liée à la déstructuration de ce que l’on appelle les ressources défensives, en particulier les défenses collectives et la solidarité. C’est l’élément déterminant de l’augmentation des pathologies. En d’autres termes, les pathologies du harcèlement sont, avant tout, des pathologies de la solitude." (Christophe Dejours, Aliénation et clinique du travail, Actuel Marx, n° 39)
"Il y a trente ou quarante ans, le harcèlement, les injustices existaient, mais il n’y avait pas de suicides au travail. Leur apparition est liée à la déstructuration des solidarités entre les salariés." (Christophe Dejours, Entretien publié par Le Monde du 14.08.09)
On touche ici à un élément très important de la souffrance psychique liée au travail et qui permet en grande partie d'expliquer l'augmentation des suicides : l'isolement du travailleur.
Comment les spécialistes comprennent-ils ce phénomène d'isolement des travailleurs ?
Pour expliquer ce phénomène, Christophe Dejours accorde une importance toute particulière à la mise en place, aux cours des deux dernières décennies, de l'évaluation individualisée des performances :
"L’évaluation individualisée, lorsqu’elle est couplée à des contrats d’objectifs ou à une gestion par objectifs, lorsqu’elle est rassemblée en centre de résultats ou encore en centre de profits, conduit à la mise en concurrence généralisée entre agents, voire entre services dans une même entreprise, entre filiales, entre succursales, entre ateliers, etc.
Cette concurrence, lorsqu’elle est associée à la menace de licenciement conduit à une transformation en profondeur des rapports du travail. Elle peut déjà dégrader les relations de travail lorsqu’elle est associée à des systèmes plus ou moins pervers de primes. Mais lorsque l’évaluation n’est pas couplée à des gratifications, mais à des sanctions ou des menaces de licenciement, ses effets délétères deviennent patents. L’individualisation dérive alors vers le chacun pour soi, la concurrence va jusqu’aux conduites déloyales entre collègues, la méfiance s’installe entre les agents."
"Le résultat final de l’évaluation et des dispositifs connexes est principalement la déstructuration en profondeur de la confiance, du vivre-ensemble et de la solidarité. Et, au-delà, c’est l’abrasion des ressources défensives contre les effets pathogènes de la souffrance et des contraintes de travail." (Aliénation et clinique du travail)
Il souligne aussi qu'un des facteurs de réussite de ces nouvelles méthodes d'asservissement réside dans leur acceptation passive par la majorité des travailleurs, notamment du climat de peur qui s'accroit parmi eux, surtout la peur de perdre leur emploi face à la montée du chômage.
Il considère que la mise en place de ces nouvelles méthodes correspond au triomphe de l'idéologie libérale au cours des 20 dernières années.
Il s'intéresse aussi à ce qu'il appelle la "souffrance éthique" : le fait que les travailleurs, pris dans un étau de charges de travail toujours plus insupportables et de la nécessité d'afficher la réalisation des objectifs intenables qui leur ont été fixés, sont conduits à tricher et à faire du "sale boulot", voire accomplir un travail qu'ils réprouvent moralement, comme dans le télémarketing, par exemple. Une souffrance éthique qui affecte aussi beaucoup de cadres qui sont chargés de mettre en place ces nouvelles méthodes et à qui on demande de se transformer en tortionnaires.
Enfin, il constate que la question de l'augmentation de la souffrance au travail a été laissée de côté dans les revendications mises en avant par les syndicats.
Quel lien peut-il y avoir entre ces analyses des spécialistes (notamment celles de Christophe Dejours) et la vision de notre propre organisation ?
En fait, le CCI peut se reconnaître tout-à-fait dans ces analyses, même si, évidemment, le point de départ n'est pas identique. Christophe Dejours est d'abord un médecin qui a pour vocation de soigner des personnes malades, ici des personnes qui sont malades de leur travail. Mais sa rigueur intellectuelle l'a obligé d'aller aux racines des pathologies qu'il se proposait de soigner. Pour sa part, le CCI est une organisation révolutionnaire qui combat le capitalisme dans la perspective de son renversement par la classe des travailleurs salariés.
Mais si on reprend chacun des points qui ont été présentés, on peut constater qu'ils s'intègrent très bien dans notre propre vision.
La "centralité du travail" :
C'est une des bases de l'analyse marxiste de la société :
- le rôle du travail, c'est-à-dire de la transformation de la nature, dans le surgissement de l'espèce humaine a été mis en avant par Engels, notamment, dans son ouvrage "Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme" ;
- les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des liens que les hommes nouent entre eux dans la production sociale de leur existence, constituent, pour le marxisme, l'infrastructure de la société ; les autres sphères de celle-ci, rapports juridiques, modes de pensée, etc. dépendent, en dernière instance, de ces rapports de production ;
- Marx considère que dans la société communiste, lorsque le travail se sera émancipé des contraintes de la société capitaliste qui le transforment bien souvent en une véritable calamité, il deviendra le premier besoin de l'homme.
La reconnaissance par les autres :
C'est une des bases essentielles de la solidarité et du travail associé.
La solidarité est un des fondements de la société humaine, une caractéristique qui prend avec la lutte du prolétariat sa forme la plus complète, l'internationalisme : la solidarité ne se manifeste plus à l'égard des membres de la famille, de la tribu ou de la nation, mais à l'égard de toute l'espèce humaine.
Le travail associé suppose qu'on puisse compter les uns sur les autres dans le processus productif, qu'on se reconnaisse mutuellement. Il existe depuis le début de l'humanité, mais il a pris dans la société capitaliste sa plus grande extension. C'est justement cette socialisation du travail qui rend le communisme nécessaire et possible.
La surcharge de travail :
Le CCI, avec l'ensemble de la vision marxiste, a toujours considéré que les progrès de la technique ne permettaient nullement, par eux-mêmes, une diminution de la charge de travail dans le système capitaliste. La tendance "naturelle" de ce système, c'est d'extirper toujours plus de plus-value du travail des salariés. Et même lorsqu'il y a réduction de la durée de travail (comme ce fut le cas en France avec les 35 heures) il y a intensification des cadences, suppression des temps de pause, etc. C'est une réalité qui prend évidemment des formes bien plus violentes encore avec l'aggravation de la crise du capitalisme qui exacerbe la concurrence entre les entreprises capitalistes et entre les États.
La perte de la solidarité qui rend les travailleurs beaucoup plus vulnérables face au harcèlement :
C'est un phénomène que le CCI a analysé au cours des deux dernières décennies sous deux angles :
- le recul de la conscience et de la combativité au sein de la classe ouvrière résultant de l'effondrement des régimes soi-disant "socialistes" en 1989 et des campagnes sur la prétendue "victoire définitive" du "capitalisme libéral", sur la "fin de la lutte de classe" ;
- les effets délétères de la décomposition du capitalisme qui engendrent notamment le "chacun pour soi", "l'atomisation", la "débrouille individuelle", la "destruction des rapports qui fondent toute vie en société" ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", Revue Internationale n° 62, 2e trimestre 1990)
Ce sont ces deux facteurs qui expliquent en grande partie le fait que le capitalisme ait pu introduire depuis une vingtaine d'années des nouvelles méthodes de servitude sans provoquer de réponse de la part de la classe ouvrière, de luttes de résistance face à cette aggravation considérable de ses conditions de travail.
Celui qui se suicide à cause de son travail fait partie, en général, de ceux qui tentent de résister à cette montée de la barbarie sur le lieu de travail. Contrairement à beaucoup de ses collègues, il ne se résigne pas à subir la surcharge de travail, le harcèlement, le mépris qui s'applique aux efforts qu'il mobilise pour "faire un bon travail". Mais comme il n'existe pas encore de résistance collective, pas suffisamment de solidarité entre les travailleurs, sa résistance et sa révolte contre l'injustice qu'il subit ou qu'il constate autour de lui restent individuelles et isolées. L'une et l'autre sont condamnées à l'échec. Et la conséquence ultime de cet échec, c'est le suicide qui n'est pas seulement un acte de désespoir mais aussi un dernier cri de révolte contre ce système qui l'a écrasé. Le fait que cette révolte prenne la forme d'une autodestruction n'est, en fin de compte, qu'une autre manifestation du nihilisme qui envahit l'ensemble de la société capitaliste, elle-même entraînée dans son autodestruction.
Lorsque le prolétariat reprendra le chemin des luttes massives, lorsque la solidarité de classe reviendra dans ses rangs, alors, il n'y aura plus de suicides au travail.
Fabienne et Mg
L’accumulation d’un profond ras-le-bol s’est récemment traduite en France par une série de conflits sociaux quasi-simultanés dans beaucoup de secteurs, qui ont été les révélateurs d’une montée de la combativité dans le public comme dans le privé.
Ainsi, la colère des enseignants a éclaté à travers des arrêts de travail et des manifestations touchant 46 établissements de l’académie de Créteil en région parisienne, suite à des agressions répétées vis-à-vis d’élèves ou de profs, face à la dégradation de leurs conditions de travail (voir article en page 3). La mobilisation a également gagné les ouvriers des raffineries, les salariés des magasins Ikea, le milieu hospitalier (en particulier les hôpitaux parisiens où des milliers de postes vont disparaître), la SNCF à travers plusieurs journées d’action, l’usine Philips à Dreux, les transports aériens avec la grève des aiguilleurs du ciel et une multitude de plus petites entreprises ou de sous-traitants (une centaine de salariés de l’ascensoriste Renolift ont par exemple brièvement séquestré leurs dirigeants ainsi que des salariés de la maison de vente par correspondance “la Maison de Valérie”). Mais en France comme en Espagne, en Grèce, en Allemagne, au Portugal, en Grande-Bretagne, etc., la classe dominante sait qu’elle doit désamorcer cette poudrière sociale. C’est ainsi que pour mieux l’isoler et la discréditer, elle a présenté la grève de quatre jours des contrôleurs aériens comme une grève de “nantis” (alors que le gouvernement allemand et les syndicats sont parvenus main dans la main à stopper rapidement une grève historique à la Lufthansa, votée à 94 % par les pilotes, en recourant à une “négociation inconditionnelle” acceptée par les syndicats).
En France, la manœuvre conjointe du gouvernement, de la direction et des syndicats, lors de la grève dans les raffineries, a été particulièrement significative. Cette grève avait été lancée à l’initiative des ouvriers de l’usine des Flandres près de Dunkerque suite à l’arrêt de la production du site depuis septembre pour “écouler les stocks” et à la décision de la direction de fermer le site employant 370 salariés et 450 issus d’entreprises en sous-traitance. La grève à Dunkerque commencée le 12 janvier a entraîné un élan de solidarité spontané des autres ouvriers des autres raffineries, conscients qu’après la fermeture de Dunkerque, ils seraient à leur tour les prochaines victimes. Le 17 février, c’est non seulement les cinq autres sites des raffineries Total qui se sont mis en grève mais celle-ci a touché dès le 15 février deux sites d’ExxonMobil, à Gonfreville en Normandie et à Fos-sur-Mer près de Marseille concernés par des projets similaires. Les syndicats ont alors pris les devants en prenant en charge cette extension et en bloquant les ouvriers sur les dépôts au nom de la solidarité avec ceux de Dunkerque, empêchant ainsi tout lien autre que syndical entre les sites. Par exemple, dans la région du Havre, les usines Total et ExxonMobil sont restées isolées l’une de l’autre alors qu’elles se situent dans le même périmètre ainsi d’ailleurs que l’usine Renault de Sandouville où les hausses de cadence alternées avec des jours de chômage technique ont spontanément provoqué des arrêts de travail dans la même période.
Pendant ce temps, la CGT claquait spectaculairement la porte lors d’une rencontre avec la direction de Total, en clamant bruyamment qu’elle était venue pour négocier alors qu’il n’y avait pas de négociation à l’ordre du jour et en agitant la menace d’un blocage illimité en promettant une inquiétante pénurie de carburant sur le territoire. Le directeur adjoint de Total jouait alors le rôle du “méchant” en mettant en avant les contraintes de restructuration du groupe dès le 1er février (un mois avant les élections régionales) alors que ce plan était censé être dévoilé le 29 mars. Le gouvernement déclare aussitôt “mettre la pression” sur la direction pour ouvrir des négociations. Au bout de 9 heures de pourparlers (et seulement quelques heures après le début de la grève de solidarité annoncée et ainsi court-circuitée à ExxonMobil), un accord est “trouvé” le 24 avec la promesse de ne pas fermer d’autres sites en France d’ici 5 ans dans les raffineries. La mise en avant d’une “table ronde” du comité central d’entreprise réunissant syndicats et patronat “sur l’avenir du raffinage en France”, revendication derrière laquelle la CGT avait réussi à mobiliser les ouvriers, a été aussi avancée du 29 au 8 mars pour sceller le sort de l’usine de Flandres et organiser le reclassement des salariés de Dunkerque. Immédiatement après ce petit “recul” orchestré de la direction, la CGT annonce que cet accord est satisfaisant, comporte des avancées significatives et préconise “la suspension de la grève” dans le vote en AG du lendemain. Effectivement, tous les salariés votent la reprise du travail… sauf à Dunkerque où SUD, syndicat majoritaire, pousse les salariés à continuer à se battre “jusqu’au bout”. Ainsi, dans ce partage du travail, les syndicats ont pu redorer leur blason en mettant en avant une image combative et radicale, tout en prétendant avoir favorisé l’extension et la solidarité, le gouvernement a pu quant à lui se donner le beau rôle en jouant au “médiateur social”, en épargnant au pays la “menace” d’une pénurie d’essence et surtout de concert avec tous les syndicats en coupant l’herbe sous le pied à un mouvement de solidarité qui s’est retourné en son contraire : l’isolement complet des salariés de Dunkerque et le “chacun pour soi”. Quel jeu de dupes dont les ouvriers se retrouvent une fois de plus les dindons de la farce ! Ceux de Dunkerque se retrouvent maintenant isolés, seuls à vouloir continuer la grève derrière SUD mais avec le sentiment de se sentir lâchés par leurs camarades des autres raffineries. On comprend alors pourquoi les médias ont focalisé autant sur la grève à Total. La bourgeoisie a réussi à diviser les ouvriers de Total et à saboter la solidarité pour montrer que c’est le “chacun pour soi” qui domine aujourd’hui dans la classe ouvrière. Il s’agissait avant tout d’éviter une situation semblable à celle où s’est récemment confrontée la bourgeoisie en Espagne où des chômeurs et des ouvriers de la construction navale ont fait cause commune dans la lutte à Vigo (voir article page 4). En plus de provoquer l’amertume des ouvriers de Dunkerque, la bourgeoisie cherche ainsi à discréditer les travailleurs et le besoin d’extension de leur lutte. Mais comme le montre un article publié sur notre site Internet rédigé par nos camarades en Belgique (1), que la bourgeoisie recule ou pas dans ses attaques, le terrain de l’isolement et du corporatisme ne peut sauver aucun emploi et ne peut déboucher que sur la démoralisation des travailleurs. Tôt ou tard de nouveaux plans de licenciements seront remis en selle de connivence avec les syndicats. Le conflit qu’ont vécu les ouvriers des raffineries Total est à bien des égards révélateur des problèmes auxquels est confronté l’ensemble des prolétaires dans la situation actuelle. Restructurations, suppressions de postes, licenciements, fermetures de site, délocalisations, liquidations judiciaires, horaires ou heures sup’ imposés, blocage des salaires, hausse de cadences… : toute la classe exploitée est aujourd’hui embarquée dans la même galère face à l’accélération de la crise mondiale du capitalisme et aux attaques qu’elle subit.
Ce que la bourgeoisie veut dès à présent empêcher, c’est de voir germer chez les ouvriers l’idée de la nécessité d’étendre la lutte de proche en proche, au-delà des revendications spécifiques liées à la défense de leur usine, de leur entreprise, de leur secteur. C’est cette solidarité active de toute la classe ouvrière confrontée partout aux mêmes attaques contre leurs conditions de vie, que l’État et le patronat veulent à tout prix empêcher. C’est pour cela que les syndicats (qui ne sont rien d’autre que des organes d’encadrement au service du capital) enferment la colère des ouvriers dans des revendications purement corporatistes, derrière des revendications spécifiques à “leur” boîte et dans lesquelles les travailleurs des autres entreprises ne peuvent se rallier. Cette vieille stratégie de sabotage syndical où chaque secteur est appelé à lutter seul dans son coin a toujours conduit les grévistes à la démoralisation et à la défaite, paquet par paquet, usine par usine, entreprise par entreprise, secteur par secteur.
C’est pourquoi au-delà des luttes actuelles, la bourgeoisie a commencé des manœuvres de bien plus grande envergure alors qu’elle s’apprête dans les mois prochains à porter une attaque concernant d’emblée tous les prolétaires, toutes générations et tous secteurs confondus, celle sur les retraites, précisément susceptible d’unifier le combat autour des mêmes intérêts et des mêmes revendications. La bourgeoisie est bien consciente qu’il s’agit là d’un enjeu majeur pour elle comme pour l’avenir de la mobilisation ouvrière.
Ainsi, la bourgeoisie a laissé entendre que le gouvernement allait porter son attaque sur les retraites à la veille des vacances ou en plein milieu de celles-ci. Cette provocation aurait inévitablement déclenché la colère générale des travailleurs et renforcé leur détermination, d’autant que la droite risque d’être confrontée au handicap de se retrouver en situation minoritaire après les élections régionales, ce qui n’est pas une position de force pour porter des attaques. Frapper fort d’emblée puis reculer un peu ou accorder des miettes pour faire passer l’essentiel, est une vieille tactique que la bourgeoisie avait déjà utilisée notamment dans les luttes de 1995 et de 2003. Et il est possible qu’elle soit de nouveau remise à l’ordre du jour C’est pour cela que Sarkozy s’est empressé de déclarer qu’on allait négocier et qu’il n’y aurait pas de “passage en force”. Toute la bourgeoisie s’attend en effet à une très large mobilisation autour des retraites. C’est là que les syndicats seront appelés à jouer un rôle de premier plan, de concert avec le gouvernement, en réutilisant des méthodes de sabotage éprouvées dans le passé afin de faire passer l’attaque sur les retraites.
La classe ouvrière doit se souvenir que c’est grâce au travail de sape des syndicats que l’ex-Premier ministre Raffarin avait pu faire passer le premier volet de cette attaque en affirmant que “ce n’est pas la rue qui gouverne.” Ce n’est qu’en développant un front massif et uni, en refusant de se laisser diviser, qu’elle pourra faire obstacle aux plans d’austérité de ses exploiteurs.
W (27 février)
1) “En Belgique, chez Opel et chez AB InBev, le même combat, le même sabotage syndical [46]”.
Grèce, Portugal, Espagne Irlande, France, Allemagne, Angleterre… partout la même crise, partout les mêmes attaques. La bourgeoisie affiche ouvertement la couleur. Son discours froid et inhumain tient en quelques mots : “Si vous voulez éviter le pire, la catastrophe économique et la faillite, il va falloir vous serrer la ceinture comme vous ne l’avez encore jamais fait !” Certes, tous les Etats capitalistes ne sont pas immédiatement dans la même situation de déficit incontrôlable ou de cessation de paiement, mais tous savent qu’ils sont entraînés irrémédiablement dans cette direction. Et tous utilisent cette réalité pour défendre leurs sordides intérêts. Où trouver l’argent nécessaire pour tenter de réduire un peu ces monstrueux déficits ? Il n’y a pas à chercher bien loin. Si déjà certains d’entre eux sont passés à l’offensive contre la classe ouvrière, tous préparent idéologiquement le terrain.
Le plan d’austérité grec destiné à réduire les déficits publics est d’une extrême brutalité et d’un cynisme inouï. Le premier ministre des finances de ce pays vient de déclarer sans broncher que “les fonctionnaires devaient faire preuve de patriotisme… et donner l’exemple” (1). Ils devraient ainsi accepter sans rien dire, sans se battre, que leurs salaires soient revus à la baisse, que leurs primes soient supprimées, que l’on ne remplace plus les départs à la retraite qu’au compte- goutte, que ceux-ci soient repoussés au-delà de 65 ans et, enfin, qu’ils puissent être licenciés et jetés comme des kleenex. Tout ça pour défendre l’économie nationale, celle de leur Etat exploiteur, de leurs patrons et autres suceurs de sang d’ouvriers. Toutes les bourgeoisies nationales européennes participent activement à la mise en œuvre de ce plan d’austérité drastique. L’Allemagne, la France et même l’Espagne prêtent en effet une attention toute particulière à la politique et aux attaques menées par cet Etat. Ils veulent lancer au prolétariat à l’échelle internationale ce message : “Regardez la Grèce, ses habitants sont obligés d’accepter des sacrifices pour sauver l’économie. Vous allez tous devoir faire de même.”
Après les ménages américains, les banques, après les entreprises, voici le temps venu où ce sont les Etats eux-mêmes qui subissent de plein fouet la crise économique et qui sont menacés par la faillite. Résultat : ils doivent à leur tour orchestrer d’impitoyables attaques. Ils vont organiser dans les mois à venir une réduction draconienne du nombre de fonctionnaires, du “coût du travail” en général et, donc, de notre niveau de vie à tous. La bourgeoisie prend les ouvriers pour du bétail que l’on pourrait mener à l’abattoir quand ses intérêts mesquins le commandent. La situation est identique au Portugal, en Irlande et en Espagne, mêmes plans brutaux, même catalogue de mesures anti-ouvrières. En France, toute la bourgeoisie prépare le terrain pour suivre ce chemin. Mais cela n’est pas une spécificité de la zone euro. Aux Etats-Unis, le pays le plus puissant de la planète, après deux petites années de crise, on dénombre plus de 17 % de chômeurs, 20 millions de nouveaux pauvres et 35 millions de personnes survivant grâce aux bons d’alimentation. Et chaque jour qui passe apporte son nouveau lot de misère.
Comment en est-on arrivé là ? Pour toute la bourgeoisie, en particulier sa fraction d’extrême-gauche, la réponse est très simple. Ce serait la seule faute des banquiers et des mastodontes comme Goldman Sachs et autre J.P. Morgan. Il est vrai que le système financier est devenu fou. Plus rien ne compte que son intérêt immédiat, selon le vieil adage “après moi, le déluge”. Il est maintenant connu de tous que ce sont ces grandes banques qui, pour gagner toujours plus d’argent, ont accéléré la cessation de paiement de la Grèce en pariant sur sa faillite. Elles feront sans aucun doute de même demain avec le Portugal ou l’Espagne. Les grandes banques mondiales et les institutions financières ne sont que des charognards. Mais cette politique du monde financier, finalement suicidaire, n’est pas la cause de la crise du capitalisme. Elle en est au contraire l’effet (qui, à un certain stade de son développement, devient lui-même un facteur aggravant).
Comme d’habitude, la bourgeoisie de tous bords nous ment. Elle dresse devant les yeux de la classe ouvrière un véritable rideau de fumée. Pour elle, l’enjeu est de taille. Il consiste à tout faire pour que les ouvriers ne fassent pas le lien entre l’insolvabilité croissante des Etats et la faillite du système capitaliste tout entier. Car la vérité est bien là : le capitalisme est moribond et la folie de sa sphère financière en est l’une des conséquences visibles.
Lorsque la crise a éclaté avec force au milieu de l’année 2007, partout, et notamment aux Etats-Unis, est apparue la faillite du système bancaire. Cette situation n’était que le produit de dizaines d’années de politique d’endettement généralisé et encouragé par les Etats eux-mêmes afin de créer de toutes pièces le marché indispensable à la vente des marchandises. Mais quand, in fine, les particuliers et les entreprises, étranglés par ces prêts, se sont révélés incapables de rembourser, les banques se sont retrouvées au bord de l’écroulement et toute l’économie capitaliste avec. C’est à ce moment-là que les Etats ont dû reprendre à leur compte toute une partie des dettes du secteur privé et mener des plans de relance pharaoniques et coûteux pour essayer de limiter la récession.
Maintenant ce sont donc les Etats eux-mêmes qui se retrouvent endettés jusqu’au cou, incapables de faire face à leurs propres dettes (sans d’ailleurs que le secteur privé ne soit sauvé pour autant) et en situation potentielle de faillite. Certes, un Etat n’est pas une entreprise, lorsqu’il est en cessation de paiement, il ne met pas la clef sous la porte. Il peut encore espérer s’endetter en payant toujours plus d’intérêts, ponctionner toutes nos économies, imprimer encore plus de papier monnaie. Mais vient un temps où les dettes (ou du moins les intérêts) doivent être remboursées, même par un Etat. Pour comprendre cela, il suffit de regarder ce qui se passe actuellement pour les Etats grec, portugais et même espagnol. En Grèce, l’Etat a tenté de se financer par l’emprunt sur les marchés internationaux. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Tout le monde, sachant que celui-ci est maintenant insolvable, lui a proposé des emprunts à très court terme et à des taux de plus de 8 %. Inutile de dire qu’une telle situation financière est impossible à supporter. Que reste-t-il alors comme solution ? Des prêts eux aussi à très court terme de la part d’autres Etats, tels l’Allemagne ou la France. Mais attention, ces puissances peuvent peut-être réussir à renflouer ponctuellement les caisses grecques, elles seront incapables de venir en aide après au Portugal, à l’Espagne et encore moins l’Angleterre... Elles n’auront jamais assez de liquidités. Et dans tous les cas, cette politique ne peut conduire très rapidement qu’à leur propre affaiblissement financier. Même un pays comme les Etats-Unis, qui peut pourtant s’appuyer sur la domination internationale de son dollar, voit son déficit public se creuser sans cesse. La moitié des Etats américains sont en faillite. En Californie, le gouvernement paye ses fonctionnaires non plus en dollars mais avec une sorte de “monnaie locale”, des bons valables uniquement sur le territoire californien !
Bref, aucune politique économique ne peut sortir à terme les Etats de leur insolvabilité. Pour reculer les échéances, ils n’ont donc d’autres choix que de réduire très fortement leurs “dépenses”. Voilà exactement le sens des plans adoptés en Grèce, au Portugal, en Espagne et demain inévitablement dans tous les autres pays. Il ne s’agit plus ici de simples plans d’austérité tels que la classe ouvrière en a connus régulièrement depuis la fin des années 1960. Ce dont il est question maintenant, c’est de faire payer très cher la survie du capitalisme à la classe ouvrière. L’image que nous devons avoir en tête, ce sont ces files d’attente interminables de familles ouvrières faisant la queue devant les boulangeries dans les années 30 pour un morceau de pain. Voilà le seul avenir que promet la crise sans issue du capitalisme. Face à la misère croissante, seules les luttes massives de la classe ouvrière mondiale peuvent ouvrir la perspective d’une nouvelle société en renversant ce système basé sur l’exploitation, la production de marchandises et le profit.
Tino (26 février)
1) La Tribune du 10 février.
Le 10 février dernier à 6 heures du matin, dans un froid glacial, plusieurs familles étaient évacuées d’un immeuble de Bagnolet par la police. Chassés en même temps par les bulldozers qui se sont mis à pied d’œuvre pour raser l’édifice, les locataires précaires, principalement d’origine africaine, avec femmes et enfants, n’ayant pu disposer du temps nécessaire pour récupérer leurs affaires détruites (papiers, fiches de paie, etc.), se sont retrouvés à la rue, jetés comme de vulgaires nuisibles. Ceci, sans solution d’hébergement alternative, totalement démunis (1) ! La plupart étaient installés depuis une dizaine d’années dans l’immeuble, avec un travail, mais ne pouvaient habiter ailleurs du fait de la pénurie chronique et du coût des logements. Aujourd’hui, en plein hiver, ils se retrouvent face à des hommes casqués et un tas de gravats !
Quel était le commanditaire d’une telle sauvagerie, d’un acte aussi ignoble qu’inhumain ? L’immeuble appartenait à la mairie de Bagnolet qui cherchait depuis longtemps à virer les locataires. Le maire apparenté PCF, Marc Everbecq, est donc un des maillons essentiel de la chaîne répressive. Il avait pour cela revendu récemment cet immeuble à une filiale du groupe Auchan (2), ce qui constituait une aubaine pour virer enfin les locataires indésirables. La mairie n’a pas trouvé mieux pour justifier son acte barbare que de déclarer dans un tract, avec une hypocrisie qui a provoqué un haut le cœur chez les habitants du quartier : “il est avéré que ce squat était devenu un lieu de trafic de drogue, de voitures, de prostitution, de tapage nocturne incessant qui durait depuis des années…”. Pour le maire adjoint, dont le cynisme atteint des sommets, “la trêve hivernale ne concerne pas les occupants sans droits ni titres”. Autrement dit, les expulsés sans quittance de loyer peuvent crever de froid ! La loi, c’est la loi… capitaliste !
Gêné aux entournures, le PCF, qui s’est vu obligé de “condamner” la décision de son poulain, n’en souligne pas moins de façon tout aussi hypocrite qu’il s’agissait de toutes façons d’un “immeuble dangereux où les risques d’incendie sont grands et où les conditions de vie pour ses occupants sont particulièrement difficiles”. La réalité, c’est qu’il ne s’agit là que de prétextes honteux, fabriqués par des menteurs professionnels, des politiciens de “proximité” qui se soucient comme d’une guigne du sort des habitants ! Les élus du PCF sont d’ailleurs coutumiers du fait et n’en sont pas à leur coup d’essai. Souvenons-nous de la brutale intervention policière dans la nuit du 7 au 8 septembre 2007 à Aubervilliers où près d’une centaine de travailleurs ivoiriens et leur famille avaient été délogés du campement qu’ils avaient établi depuis le mois de juillet à la suite d’une première expulsion de leur logement squatté. Cette opération policière était le résultat d’une décision de justice obtenue par la municipalité dirigée par le PCF quelques jours auparavant. Souvenons-nous de la politique ignoble menée par la mairie PCF de Montreuil expulsant aussi manu militari en septembre 1992 une vingtaine de familles ouvrières immigrées dans un quartier racheté par une société immobilière placée sous son contrôle, mais aussi de l’évacuation spectaculaire en décembre 1980, à coups de bulldozers encore, de 300 ouvriers maliens d’un foyer Sonacotra de Vitry-sur-Seine dont l’édile était le stalinien Paul Mercieca tandis que, vers la même période (février 1981), l’ancien secrétaire général du PC Robert Hue, à l’époque simple maire et conseiller général du Val-d’Oise, organisait une manifestation dans sa commune de Montigny-lès-Cormeilles pour faire expulser une famille marocaine sur laquelle il avait fait courir la fausse rumeur qu’elle se livrait à du trafic de drogue !
Face à la détresse des familles, le premier réflexe prolétarien est celui du refus, de l’indignation et de la solidarité. C’est ce qui se vérifie sur le terrain avec les soutiens matériels apportés par les habitants eux-mêmes de ce quartier ouvrier. Les révolutionnaires ne peuvent qu’appuyer et apporter à leur tour leur plein soutien à ces prolétaires, comme nous le faisons, non seulement en dénonçant cette situation de répression barbare, mais en oeuvrant de toutes nos forces à combattre pour détruire ce qui est à la racine d’une telle inhumanité : le système capitaliste !
C’est ce soutien et cette solidarité identiques que nous devons apporter à un drame parallèle, aux jeunes réprimés de l’association “No Border” (3), indépendamment du fait que nous ne partageons pas les mêmes visions politiques ni les méthodes de luttes. Ces jeunes militants sont à l’initiative de la création d’un squat associatif à Calais, installé dans un hangar, dont l’objectif est de soutenir les sans-papiers et les migrants. Bien que de notre point de vue ce projet généreux ne puisse ouvrir de réelles perspectives politiques, l’engagement de ces jeunes part d’un rejet des frontières nationales et d’un profond sentiment de solidarité humaine que nous saluons, un sentiment que la bourgeoisie ne peut ni comprendre ni admettre, mais qu’au contraire elle réprime brutalement. C’est ce qui explique que constamment harcelés par la police, deux jeunes d’entre les “no border” ont été arrêtés et matraqués par les CRS. Comme pour les manifestations étudiantes et lycéennes (4), la bourgeoisie vise à intimider, à faire peur aux jeunes générations de prolétaires, à les empêcher de s’organiser, à pétrifier tout ceux qui n’acceptent pas la réalité barbare du capitalisme et qui dénoncent les injustices les plus criantes et inacceptables. C’est ce qu’exprime lucidement un jeune militant de “no border” lors d’une interview : “nous sommes sujet à des contrôles d’identités permanents. Ils peuvent aller jusqu’à dix par jour (…). C’est juste de l’intimidation et du harcèlement, pour nous décourager” (5).
Ces deux événements parallèles, à Bagnolet et à Calais, parmi tant d’autres au quotidien, ne font que révéler la nature totalitaire et policière de l’Etat démocratique. L’arsenal sécuritaire qui n’a cessé de se développer ne pourra indéfiniment masquer la réalité : celle de la domination exercée par la terreur sur les populations et la préparation à la répression ouverte des militants et des ouvriers combatifs. Partout, les Etats démocratiques répriment et méprisent avec le même zèle ceux qu’ils jettent à la rue. On peut le voir en Europe, aux Etats-Unis, où les expulsés de force sont regroupés dans de véritables camps à soupe populaire. Qu’ont donc à envier ces Etats démocratiques qui utilisent les mêmes méthodes que celle de l’Etat chinois, où les pelleteuses et bulldozers défoncent presque sans sommation les maisons des ouvriers ? Qu’ont-ils donc à envier à l’Etat russe, qui vide de force des quartiers entiers, si ce n’est le recours aux assassinats pour des opérations immobilières expéditives ? Partout, les prolétaires doivent savoir qu’ils ont à faire à la même logique du capital, au même patron : l’Etat et ses méthodes de gangsters.
WH (18 février)
1) Les sans-logis se sont réfugiés où ils le pouvaient, notamment dans un gymnase municipal. Les gardes mobiles sont venus aussitôt les déloger, éteignant le brasero qui permettait de les réchauffer, allant même jusqu’à détruire leur maigre stock de nourriture !
2) C’est ce que révèle un communiqué paru sur le site : www.monde-solidaire.org/spip.php ?article5223 [50].
3) Selon le site http ://www.millebabords.org/spip.php ?article13409 [51] “Le réseau No Border est un mouvement mondial d’individus et de groupes luttant pour le droit à la liberté de circulation des personnes, et non uniquement pour les marchandises de l’Europe ultra consommatrice. Depuis le camp No Border à Calais en juin, les militants “no border” ont eu une présence constante à Calais sous la bannière de Calais migrants Solidarité. Nous avons été témoins d’actes de violences policières et avons collectivement résisté à des expulsions. Nous avons organisé la distribution d’aide humanitaire, et agi concrètement en faveur des droits des migrants.”
4) Voir notre article “Manifestation des lycéens à Lyon : des provocations policières pour tenter de pourrir le mouvement [52]” dans RI n°397 (janvier 2009).
5) Voir le site
Le 2 février dernier, un élève de 14 ans est passé à tabac par une bande d’adolescents dans la cour du lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine. Blessé à coups de couteau, il sera hospitalisé d’urgence. Immédiatement, les 180 enseignants de cet établissement scolaire de la région parisienne, à la fois choqués et ulcérés, arrêtent les cours et exercent leur “droit de retrait” (1).
Depuis lors, ces enseignants continuent de manifester leur colère. Ils refusent de reprendre le travail malgré les pressions qui s’exercent sur eux de toutes parts. Le recteur et l’inspecteur d’académie ne cessent de répéter en chœur aux médias qu’ils ont à faire à des “irresponsables”, qu’il est parfaitement “inacceptable” que des enseignants laissent leurs élèves désœuvrés. Les plus hautes sphères de l’Etat menacent elles aussi d’abattre leur foudre sur cette poignée de travailleurs. Le gouvernement considère ainsi que ces enseignants n’exercent pas un “droit de retrait” face à un danger mais un “droit de grève”. Les journées de fermeture de l’établissement ne seront donc pas payées. Les salaires, déjà maigres, vont être probablement largement amputés ! Pour autant, jusqu’à maintenant, ces 180 enseignants ne se sont pas laissés impressionner. Ils semblent déterminés à “se faire entendre”. Leurs conditions de travail sont devenues totalement insupportables. Il faut dire que sur cet immense complexe scolaire de 36 hectares et 1500 élèves, il n’y a que 11 surveillants ! Ces 11 salariés doivent gérer les entrées et les sorties des élèves, s’occuper de la cour, des permanences (de plus en plus surchargées puisqu’il n’y a presque plus d’enseignants remplaçants), calmer les élèves dissipés exclus des cours, surveiller la cantine, gérer les absences et les retards, prévenir les familles, accompagner les malades à l’infirmerie et souvent les réconforter… Sans tout ce travail éducatif, absolument nécessaire, l’ambiance générale d’un établissement se dégrade très vite, les incidents se multiplient et les enseignants sont confrontés à des classes de plus en plus ingérables. C’est pourquoi les enseignants de Vitry réclament 11 surveillants supplémentaires, soit le minimum pour que l’établissement fonctionne correctement.
Pour que leur revendication soit satisfaite, ils ont multiplié les “actions”. Ils ont ainsi d’abord envoyé une délégation au rectorat de l’Académie de Créteil puis, devant le mutisme de la hiérarchie, ils ont réalisé une série de manifestations devant ces bâtiments. Le recteur ne voulant toujours rien entendre, ils ont ensuite décidé d’en appeler directement au ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, en se mobilisant devant le ministère… sans plus de résultat. Plus exactement, ce monsieur a consenti à “faire un geste” en proposant 3 postes supplémentaires de surveillants et 6 postes de médiateurs de la vie scolaire. Les professeurs ont légitimement rejeté cette “offre” car, comme ils l’expliquent eux-mêmes, “Les médiateurs ne sont pas formés, ils disposent d’un statut précaire (CDD de six mois renouvelable, ndlr) et ne font que vingt heures par semaine au lieu de trente-cinq comme les surveillants” (2). Ils réclament aujourd’hui un débat public et télévisé avec le ministre.
Où mènent toutes ces actions ? Elles révèlent sans aucun doute la détermination de ces enseignants. Leur colère est légitime et fondée. Mais en cherchant ainsi à “se faire entendre” de l’inspecteur, du recteur, du ministre, en cherchant l’appui des parlementaires et des élus, que peuvent bien gagner ces travailleurs ? Est-ce là réellement la meilleure façon de mener la lutte, d’endiguer la dégradation continuelle de nos conditions de vie et de travail ? Ne s’agit-il pas là, au contraire, d’une impasse ?
L’isolement, la lutte chacun “dans son coin” est toujours un piège pour les travailleurs. Aussi courageux et nombreux soient-ils, des salariés d’une seule boîte (ou d’un seul établissement scolaire) ne font pas le poids face à un patron (ou à un recteur) car celui-ci a toujours l’État caché derrière lui ou ouvertement à ses côtés !
Même quand c’est un secteur tout entier qui entre en grève, cela ne suffit généralement pas. Une lutte circonscrite à une branche d’industrie ou d’activité, par exemple, est elle-aussi condamnée à la défaite. Rappelons-nous du printemps 2003 ! Il y a 7 ans, contre la réforme des retraites de Fillon (déjà), tous les enseignants de France, du primaire et du secondaire se dressaient comme un seul homme et descendaient dans la rue. Cette lutte a pourtant échoué car elle est restée circonscrite au seul secteur de l’éducation nationale. Elle n’est pas parvenue à entraîner derrière elle les autres parties de la classe ouvrière et n’a donc pas fait trembler la bourgeoisie et son Etat. A l’époque, la colère était pourtant très grande. En particulier dans l’Académie de Créteil, la mobilisation avait été extrêmement forte ; des collèges et des lycées avaient été fermés pendant des mois !
Seule l’extension de la lutte à l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière peut inquiéter la bourgeoisie. La preuve en positif cette fois-ci. En 2006, les étudiants sont parvenus à faire reculer le gouvernement qui a été contraint de retirer son Contrat première embauche, ce “Contrat poubelle embauche” comme le rebaptisèrent à l’époque les jeunes générations. Pourquoi ce recul ? Parce que peu à peu, au fil des semaines, une partie de plus en plus grande de la classe ouvrière se reconnaissait dans le combat des étudiants. De manifestation en manifestation, il y a avait de plus en plus de salariés de tous les secteurs, de chômeurs, de retraités… qui comprenaient que la précarité des jeunes c’était la précarité de tous !
Les enseignants de Vitry doivent tirer les leçons de cet échec de 2003 et de cette victoire de 2006. Il manque des surveillants dans ce lycée ? C’est la même chose dans tous les établissements scolaires ! Le gouvernement embauche de moins en moins, multiplie les contrats précaires (des surveillants comme des enseignants contractuels d’ailleurs) à l’éducation nationale (3) ? C’est la même chose dans tous les ministères et dans toutes les entreprises du privé ! Tous les travailleurs vivent la même réalité, dans les hôpitaux, les administrations, les usines. Ils subissent eux-aussi de plein fouet les réductions d’effectifs et les plans de licenciements. Alors, oui, il faut se battre, non pas pour “ses” postes ou “son” établissement, mais pour des embauches et contre la précarité, partout, à Vitry comme ailleurs.
Des enseignants en lutte sur le terrain pourraient nous répondre qu’en rendant ainsi public et médiatique leur lutte, ils mettent la pression sur le ministre et ont ainsi des chances d’avoir au bout du compte leurs 11 postes de surveillants. Il est vrai que nous ne savons pas encore quel est le plan de l’Etat. En fait, il doit y avoir une bonne raison pour que les médias aux ordres de la bourgeoise parlent effectivement autant de cette mobilisation des enseignants. Quand une lutte l’embarrasse, la bourgeoisie n’hésite pas à la cacher, à exercer un total black-out. Qui a ainsi entendu parler des grandes luttes qui ont lieu en Turquie en ce moment ? Personne ou presque. Si la bourgeoisie braque ses projecteurs médiatiques sur ce lycée de Vitry, c’est qu’elle a certainement une idée en tête. Il y a deux raisons. Soit elle ne va pas donner les 11 postes pour montrer aux yeux de tous les ouvriers que “la lutte ne paie pas”, soit elle va satisfaire un peu leurs revendications localement pour mieux supprimer en catimini des milliers de postes dans les autres écoles.
Pour rompre leur isolement, pour lutter contre la dégradation des conditions de vie et de travail qui frappe toute la classe ouvrière et tous les secteurs, ces 180 enseignants doivent utiliser leur colère et leur combativité pour essayer d’entraîner à leurs côtés les autres exploités. Il faut aller, tous ensemble, dans les établissements scolaires voisins et expliquer aux collègues que cette lutte est aussi “leur” lutte. Les écoles toutes proches ne manquent pas. Il y a les collèges Gustave-Monod, Jean-Perrin, Lakanal, Danielle-Casanova, François-Rabelais ; les lycées privés Jean-Macé et Jean-Jacques-Rousseau. Mais pour ne pas rester enfermés dans le seul secteur de l’éducation nationale, comme en 2003, il faut aussi aller à la rencontre des travailleurs des autres branches, les hôpitaux ou les grandes administrations voisines, les entreprises… Dans le même département, il y a deux magasins Ikéa dont les salariés sont aussi en lutte. Aller les rencontrer, discuter, mettre en avant des revendications communes (et nous ne parlons pas là de simple rencontre entre délégués syndicaux, mais bien de délégations massives), voilà ce qui peut faire “tâche d’huile”. Il y a aussi, sur la même commune, l’usine Sanofi qui est touchée par un vaste plan de restructuration et dont le personnel manifestait il y a deux mois encore.
Essayer d’étendre ainsi la lutte, géographiquement, de proche en proche, signifie tenter de briser le corporatisme imposé par les syndicats. Toutes leurs actions, ou presque, enferment les travailleurs dans “leur” boîte, “leur” corporation. Par exemple, les syndicats d’enseignants ont appelé le 11 février une quarantaine d’établissements de la seule académie de Créteil à une journée de grève et ont organisé un rassemblement devant l’Assemblée nationale afin “d’interpeller et de faire pression sur les parlementaires”. Cette manifestation a rassemblé entre 1500 et 2000 personnes (enseignants, parents et élèves). Pour éviter ce type d’actions totalement stériles et démoralisantes, il faut pouvoir discuter collectivement de comment lutter au sein d’assemblées générales souveraines, organisées réellement par les travailleurs eux-même (contrairement à toutes ces AG bidons où les syndicats ont déjà tout organisé et planifié à l’avance et où il ne reste plus qu’à choisir qui va faire les banderoles). C’est en de tels lieux, lors de tels débats ouverts entre travailleurs en colère que la décision d’aller tous ensemble au lycée, à l’hôpital, à l’usine la plus proche prend tout son sens et toute sa valeur. C’est en de tels moments de lutte qu’une véritable dynamique de classe peut être enclenchée.
Il ne s’agit pas là d’une recette miracle. Nous en avons bien conscience. Oser contredire les délégués syndicaux, même se confronter à leurs manœuvres et essayer d’entraîner derrière soi les autres exploités à lutter, tout ça n’est pas chose facile. Pour mille tentatives, peut-être une seule sera efficace. Mais il s’agit là de la seule voie à emprunter, la seule qui permet de construire collectivement un rapport de force favorable à la classe ouvrière.
Plus encore, même si mener une telle lutte ne paye pas toujours comme elle l’a été en 2006, même si elle n’apporte rien sur le plan matériel, elle remonte le moral. Rien n’est plus vivifiant que d’essayer d’étendre la lutte de proche en proche, en allant massivement à la boîte, à l’usine, à l’administration d’à-côté. Il faut faire vivre la solidarité ouvrière, l’entraide, la lutte collective.
Ce n’est qu’en se battant tous ensemble et tous unis qu’on parviendra à résister efficacement aux attaques incessantes et de plus en plus brutales du capital !
PW (14 février)
1) Une loi de décembre 1982 a reconnu un droit d’alerte et de retrait au bénéfice du salarié “qui a un motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle il se trouve présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé”. Ce droit de suspendre son activité professionnelle a été étendu depuis 1995 aux agents de la fonction publique.
2) Site de Libération du 9 février (https://www.liberation.fr/societe/0101618167-vitry-les-profs-avancent-leurs-pions [53]).
3) Cette année, le nombre d’enseignants non titulaires employés par l’Education nationale a augmenté de 28 % par rapport à l’année précédente dans le seul rectorat de Créteil.
Nous voici, de nouveau, à l’approche d’élections. Les affiches fleurissent un peu partout, la télévision nous assomme de messages, la presse en remplit des pages entières : n’oubliez pas d’aller voter ! Il faudrait vraiment le faire exprès pour oublier. Tout au plus peut-on se demander si c’est vraiment utile. Mais la bourgeoisie multiplie aussi les enjeux pour donner un peu de substance à ces élections régionales : et si la gauche remportait toutes les régions ? Et si le Front national amorçait un retour ? Et si la gauche radicale continuait son déclin ? Comme s’il fallait justifier de l’intérêt d’élections pour une institution, la région, dont peu de monde connaît les réelles attributions et compétences. Même le NPA nourrit l’agitation médiatique avec sa candidate voilée. Tout est fait pour dramatiser la situation : “faites attention, votre vie peut changer si vous ne votez pas !”.
Mais la question n’est pas là. L’alternance du pouvoir implique tout au plus un changement dans la forme (et encore) mais le fond reste absolument le même. Les régions qui ont basculé de droite à gauche aux dernières élections n’ont pas changé la vie de la classe exploitée.
L’enjeu n’est d’ailleurs pas plus grand aux présidentielles ou aux législatives. La question n’est pas de savoir si ce vote précis est utile, mais si le vote en général, le cirque électoral bourgeois, peut permettre d’une façon ou d’une autre, de satisfaire les intérêts de la classe ouvrière.
Le mouvement ouvrier, en se fondant sur la réalité historique, a depuis longtemps tranché la question : les élections sont non seulement inutiles à la défense des intérêts du prolétariat, mais elles sont plus encore un piège pour détourner la classe ouvrière du seul terrain où sa voix peut se faire entendre, celui de sa lutte contre les attaques du capital (1). Les élections atomisent les ouvriers dans les isoloirs en créant l’illusion d’un choix collectif et d’une unité d’action. Que se soit la gauche ou la droite qui sorte vainqueur des urnes, c’est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections. La gauche n’a aucun programme alternatif à offrir aux ouvriers. En France, comme en Espagne ou en Grèce comme dans tous les pays, la gauche n’a pas d’autre fonction que de gérer les affaires de l’État ou de la région et de faire payer la crise du capitalisme aux travailleurs.
La classe ouvrière n’a aucune illusion à avoir. Que ce soit la gauche ou la droite, qui résident à l’Elysée, à l’Assemblée nationale, dans les régions, départements ou communes, c’est toujours la classe de ses exploiteurs qui est aux commandes d’un capitalisme dont l’état délabré ne lui laisse d’autre choix que d’étrangler la classe ouvrière. Au-delà des intérêts de chapelles et de clans en son sein, qui sont réels, la bourgeoisie ne s’intéresse pas tant à qui vont aller les suffrages qu’au nombre d’ouvriers qui vont placer encore leurs espoirs dans leur bulletin de vote. Les élections sont un moyen très efficace d’étouffer l’expression de la colère ouvrière. Le prolétariat ne peut devenir une force politique que lorsqu’il se bat sur son propre terrain de classe pour défendre ses propres intérêts contre l’exploitation, le chômage, les licenciements, la dégradation de ses conditions d’existence. Il ne peut offrir une autre alternative au capitalisme en crise qu’en développant ses luttes de façon solidaire et unie et en prenant son destin en mains.
Certains se disent peut-être que ces élections sont l’occasion de laisser un message à Nicolas Sarkozy en réaction à sa politique ? Mais ce vote “utile” destiné à sanctionner la politique du chef de l’État ne changera pas la condition de la classe ouvrière. Cette mascarade électorale ne peut qu’entraîner les exploités derrière les illusions démocratiques de telle ou telle clique bourgeoise. Il ne peut que les pousser à déserter le seul chemin capable de construire un vrai rapport de force face aux attaques incessantes qu’ils subissent quotidiennement : celui de la lutte, des grèves et des manifestations massives.
GD (19 février)
1) A ce sujet, le CCI a récemment édité une brochure sur la question électorale : “Les élections, un piège pour la classe ouvrière [54]” .
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru sur notre site Internet en langue espagnole et traitant d’une nouvelle lutte à Vigo, en Galice (province d’Espagne) (1).
Nous avons appris la nouvelle d’une lutte conjointe entre des ouvriers au chômage et des ouvriers actifs du secteur de la construction navale de la ville de Vigo.
Nous remercions un de nos lecteurs qui nous a envoyé son commentaire. Nous affirmons de suite que nous sommes d’accord avec la conclusion qu’il tire de cette lutte : “Seules l’unité et la solidarité de tous les chômeurs et des travailleurs, dans des assemblées et des manifestations conjointes pourront nous amener à la victoire. Nous saluons les travailleurs et les chômeurs des chantiers navals de Vigo. Les chômeurs et les ouvriers du monde entier devraient prendre l’exemple sur les [prolétaires des] chantiers navals de Vigo, leur unité, de leur solidarité, parce que c’est tous unis que nous réussirons à vaincre le capitalisme mondial”. Dans ce même sens, nous avons reçu sur notre forum un autre message : “L’article sur les luttes menées par les chômeurs et les actifs des chantiers navals de Vigo a été publié sans la moindre réaction et pourtant on peut en tirer une de ces leçons que nous devons toujours avoir en tête : celle de l’unité de la classe ; quelque chose de très important est en train de se passer à Vigo, parce que ce sont les travailleurs actifs et les chômeurs qui manifestent ensemble, en rassemblant d’autres travailleurs jusqu’à l’arrêt de tout le secteur naval. Prenez le temps de lire et vous apprendrez beaucoup de choses. Salutations”.
À Vigo, il y a plus de 60 000 chômeurs. Rien qu’en 2009 et dans le seul secteur de la métallurgie, 8000 emplois ont disparu. L’indignation jointe à la préoccupation face à un avenir de plus en plus difficile, se répand chez les ouvriers. Dans les chantiers navals, particulièrement, les chômeurs avaient été inscrits lors d’un accord entre les syndicats et le patronat dans une “Bourse du travail” où ils seraient convoqués chaque fois que du travail pourrait être distribué.
Les chômeurs inscrits à cette Bourse du travail – autour de 700 – ont pu se rendre compte avec rage qu’au lieu d’y être convoqués, on engageait pour des chantiers ponctuels des ouvriers étrangers avec des salaires bien plus bas et dans des conditions terribles. Ainsi, par exemple, d’après le porte-parole des chômeurs, “il y a des travailleurs qui dorment dans des parkings et qui mangent tout juste un sandwich par jour”.
Ce fut l’élément détonateur de la lutte. Les ouvriers ont tenu à affirmer qu’ils ne sont nullement contre les travailleurs étrangers embauchés. C’est ainsi qu’un de leurs porte-parole a insisté : “Nous n’avons pas la moindre objection à ce que des personnes venant d’ailleurs soient embauchées, mais à condition que le patronat ne passe pas par-dessus la convention collective de la province, parce que avec le salaire d’un seul d’entre nous ils payent deux ou trois étrangers”. Malgré cela, les medias, spécialistes de la “communication”, ont ressorti leur “explication”, en accusant les travailleurs de xénophobie. El Faro de Vigo, par exemple, titrait ainsi l’article où ce journal rendait compte de la lutte : “Les chômeurs de la métallurgie s’opposent à l’embauche d’étrangers”, ce qui est un mensonge éhonté, ce sont les ouvriers au chômage eux-mêmes qui ont dénoncé la manœuvre du patronat qui “fait venir de la main d’œuvre bon marché dans des conditions proches de l’esclavage”.
La bourgeoisie est une classe cynique, machiavélique. Elle engage des travailleurs étrangers en les soumettant à des conditions salariales bien inférieures à celles des ouvriers du pays. Si ceux-ci se mettent en lutte en s’opposant à de telles conditions d’embauche, elles les accuse tout de suite de racisme, de xénophobie, de “défense des idées de l’extrême droite”, de nationalisme, etc., alors que la riposte immédiate des ouvriers ne s’est pas du tout faite contre leurs frères de classe, mais contre le fait d’établir un précédent en les embauchant à des conditions salariales inférieures, ce qui ne fait que tirer vers le bas les conditions salariales de tous. C’est ce qu’on a pu voir en Grande-Bretagne lors de la lutte des ouvriers du bâtiment (2) et de même lors de la lutte des ouvriers des chantiers navals de Sestao (3).
Le 3 février, les chômeurs se sont rendus aux portes d’Astilleros Barreras (l’entreprise la plus importante de ce secteur des chantiers navals) avec l’intention d’organiser une assemblée générale commune avec les travailleurs de cette entreprise. Les portes étant fermées, ils se sont mis à crier des slogans au mégaphone et à expliquer leurs revendications jusqu’à ce que finalement la grande majorité des employés abandonnent les installations et se joignent aux chômeurs. D’après la chronique d’Europa-Press, “cinq fourgons de police anti-émeutes se sont présentés sur les lieux. Les policiers se sont déployés sur toute la zone armés de fusils à balles en caoutchouc et avec des boucliers, mais finalement les forces de sécurité se sont repliées vers le rond-point de Beiramar”. L’information d’Europa-Press se poursuit ainsi : “Finalement, le groupe composé de chômeurs et de travailleurs est parti en manifestation en direction de Bouzas, et sur ce trajet des ouvriers des autres chantiers navals de la zone (tels que Cardama, Armon et Freire-Así) se sont joints à eux, de sorte que l’activité s’est arrêtée dans toutes les industries navales”.
Nous venons de voir dans cette expérience comment se concrétise la solidarité et l’unité entre les camarades au chômage et ceux qui ont encore un travail ; les assemblées générales conjointes, la manifestation de rue pour faire connaître la lutte aux autres travailleurs, la communication et le lien direct avec des travailleurs des autres entreprises pour les gagner à la lutte commune. Autrement dit, la même chose que ce qui est arrivé à Vigo en 2006 (4) : les ouvriers reprennent les méthodes prolétariennes de lutte qui n’ont rien à voir avec la division, le corporatisme, la passivité, typiques des méthodes syndicales (5).
Le 4 février, ces actions se sont renouvelées. Vers 10 heures du matin, les chômeurs se sont à nouveau rendus aux portes de Barreras. Et encore une fois, leurs camarades de l’entreprise sont sortis pour se joindre à la lutte. Malgré le dispositif policier, tous sont encore partis en manifestation. D’après El Faro de Vigo, “La protestation d’hier était surveillée par un fort dispositif policier. Il y a eu des moments de tension, mais finalement il n’y a pas eu d’échauffourées. Les chômeurs ont manifesté dans les zones de Beiramar et Bouzas de Vigo, accompagnés par les travailleurs du secteur, et ils ont affirmé qu’ils continueront les mobilisations tant que les patrons n’accepteront pas de régler avec eux les problèmes qui, d’après la dénonciation qu’ils en font, existent dans l’embauche du personnel”.
Nous n’avons pas d’autres informations. Mais nous pensons que ces faits sont significatifs de la combativité et de la prise de conscience des travailleurs, de la recherche de l’unité et de la solidarité face aux coups bas que le capital nous assène.
Nous exprimons notre solidarité avec nos camarades en lutte. Nous encourageons à ce qu’on tire des leçons et à ce qu’une solidarité active se fasse jour. Ce n’est pas les motifs qui manquent : on vient de passer le seuil des 4 millions de chômeurs, le gouvernement annonce le recul de l’âge de la retraite à 67 ans, l’augmentation du temps de cotisations, etc.
CCI (5 février)
1) Ceci a pu être écrit à la suite d’un message du 3 février 2010 qu’un lecteur a envoyé à notre section “Commentaires” de notre site : https://es.internationalism.org/node/2765#comment-636 [56].
Par ailleurs, pour mieux comprendre ce mouvement, nos lecteurs peuvent lire, sur les luttes dans cette ville en 2009 : “”.
Et sur le mouvement de 2006 : “”
2) Voir : “”.
“Grèves en Grande Bretagne : les ouvriers commencent à remettre en cause le nationalisme” , http ://fr.internationalism.org/node/3690 [57]
3) “”.
4) “”
5) Sur le sabotage syndical, lire notre article publié en septembre 2009 : “”
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru sur le site Internet du CCI en anglais le 5 février. Il révèle que la colère et la combativité continuent d’animer le prolétariat en Grèce depuis un an.
Cet article a aussi parfaitement anticipé ce qui se déroulerait les 10 et 24 février : des journées de grève suivies massivement par une classe ouvrière qui ne veut plus subir les violentes attaques de l’Etat avec des syndicats qui manœuvrent pour diviser les ouvriers et stériliser le mécontentement grandissant.
La situation grecque est importante car elle est une sorte de test pour la bourgeoisie européenne et même mondiale. De nombreux Etats vont devoir dans les mois qui viennent mener les mêmes attaques frontales que l’Etat grec contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Si les mesures d’austérité drastiques passent dans ce pays, cela servira de test positif pour sonner le coup d’envoi à toute une série d’attaques à travers le monde. C’est pourquoi les bourgeoisies française et allemande, en particulier, apportent leur savoir-faire en terme d’encadrement de la classe ouvrière. Ils aident le gouvernement de Papandréou à quadriller le terrain en faisant monter au créneau les syndicats. Ceux-ci, en prenant les devants et en organisant des journées d’action, espèrent parvenir à canaliser le mécontentement grandissant.
Il y a un an, il y a eu trois semaines de luttes massives dans les rues de Grèce après l’assassinat par la police d’un jeune anarchiste, Alexandros Grigoropoulos. Mais le mouvement dans la rue, dans les écoles et les universités a eu de grandes difficultés à se coordonner avec les luttes sur les lieux de travail. Il n’y a eu qu’une seule grève, celle des enseignants du primaire qui, pendant une matinée, avait soutenu le mouvement. Même si ce fut une période de troubles sociaux massifs, incluant une grève générale, les liaisons n’ont finalement pas pu se faire.
Toutefois, en Grèce, les actions de travailleurs se sont poursuivies au-delà de la fin du mouvement de protestation jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, le ministre du Travail, Andreas Lomberdos, a été contraint d’adresser une mise en garde à la bourgeoisie internationale. Il a affirmé que les mesures nécessaires dans les trois prochains mois, pour sortir de l’eau la dette nationale dans la crise qui menace de jeter la Grèce hors de la zone euro, pourraient entraîner une effusion de sang. “Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour empêcher cela” a-t-il ajouté. Plus récemment, le mois dernier, le Premier ministre grec, dans un discours devant le Parlement, a déclaré que la crise de la dette nationale est “la première crise de souveraineté nationale depuis 1974”. Le nouveau gouvernement socialiste parle de réunir tous les partis bourgeois et tente de constituer un gouvernement d’unité nationale d’urgence qui serait en mesure de suspendre des articles de la Constitution garantissant le droit de réunion publique, de manifestation et de grève !
Même avant que le gouvernement ait tenté de mettre en œuvre ses “réformes” (autrement dit, les attaques contre la classe ouvrière) pour réduire le déficit budgétaire de 12,7 % à 2,8 %, il y a eu une grande vague de luttes ouvrières. Lors de ces deux derniers mois, les dockers ont été en grève ainsi que les travailleurs de Telecom, les éboueurs, les médecins, les infirmières, les enseignants des écoles maternelles et primaires, les chauffeurs de taxi, les ouvriers de la sidérurgie et les employés municipaux ! A priori, toutes ces luttes semblent éclater chaque fois pour des raisons distinctes mais en réalité elles sont toutes des réponses aux attaques que l’Etat et le capital sont contraints de porter pour essayer de faire payer la crise aux travailleurs.
Avant que le programme d’austérité ait été mis en avant (et approuvé par l’Union Européenne), le Premier Ministre Papandreou avait averti qu’il serait “douloureux”. Et le 29 janvier, avant que le moindre détail en ait été annoncé, il y a eu, en réponse à l’actuel “programme de stabilité”, une manifestation de colère de la part des pompiers et d’autres travailleurs du secteur public à Athènes.
Le plan gouvernemental sur trois ans prévoyait un gel total des salaires pour les travailleurs du secteur public et une réduction de 10 % des quotas. On estime que cela équivaut à une diminution de salaire allant de 5 à 15 %. Les fonctionnaires partant à la retraite ne seront pas remplacés, mais il y a aussi la perspective de l’augmentation de l’âge du départ à la retraite qui est présentée comme un moyen pour l’Etat d’économiser sur les charges de retraite.
Le fait que l’Etat est maintenant contraint de porter des attaques encore plus sévères contre une classe ouvrière déjà combative révèle la profondeur de la crise qui affecte la Grèce. Le ministre Lomberdos l’a précisé très clairement quand il a dit que ces mesures “ne peuvent être appliquées que de façon violente”. Cependant, ces attaques portées contre tous les secteurs ouvriers au même moment donnent à ces derniers une réelle possibilité de mener une lutte commune pour des revendications communes.
Si on examine attentivement ce que font les syndicats en Grèce, on peut voir que leurs actions ont pour objectif de maintenir les luttes divisées. Les 4 et 5 février, il y a eu une grève officielle de 48 heures des douaniers et des agents des impôts qui ont fermé les ports et les points de passage frontaliers, pendant que certains agriculteurs maintenaient leur blocus. L’Indépendant (5/2/10) a titré “Les grèves mettent la Grèce sur les genoux” et décrit l’action comme la “première manifestation d’une éruption attendue de grèves tapageuses”.
Cette “éruption attendue” de la grève comprend un projet de grève du secteur public et une marche sur le parlement pour protester contre les attaques contre les retraites par le syndicat ADEDY, le 10 février, une grève appelée par le PAME, le syndicat stalinien, le 11 février, et une grève du secteur privé appelée par le GSEE, le syndicat le plus important, ce qui représente 2 millions de travailleurs, le 24 février.
Divisée de cette manière, la classe ouvrière ne va pas mettre l’Etat grec “à genoux”. Le Financial Times du 5 février estimait que jusqu’à présent “les syndicats ont réagi modérément aux plans d’austérité du gouvernement, ce qui reflète un état d’esprit de disposition à faire des sacrifices pour surmonter la crise économique”, mais identifie tout de même “une réaction violente des syndicats contre les programme d’austérité du gouvernement”. En réalité, les syndicats n’ont pas soudainement négligé leur soutien au gouvernement socialiste mais, avec la montée de la colère exprimée par la classe ouvrière, ils savent que s’ils ne mettent pas en scène quelques actions il y a la possibilité que les travailleurs commencent à démasquer la comédie syndicale. Pour le moment les syndicats ont affiché leur visage radical, rompu le dialogue sur les plans d’avenir pour les retraites et prévu des grèves d’une à deux journées à des dates différentes. Les syndicats se sont montrés vraiment désireux que les travailleurs fassent des sacrifices mais maintenant ils doivent tenir compte de la réaction de la classe ouvrière.
Pour les travailleurs, concernant le développement futur de leurs luttes, il est nécessaire qu’ils se méfient non seulement des syndicats mais aussi d’autres “faux amis”. Le KKE (parti communiste grec), par exemple, qui possède une certaine influence dans la classe ouvrière, qualifiait il y a un an les manifestants d’agents secrets de “mystérieuses forces étrangères” et de “provocateurs”. Maintenant, ils disent que “les travailleurs et les agriculteurs ont le droit de recourir à tous les moyens de lutte pour défendre leurs droits”. Les autres forces de gauche, comme les trotskistes, sont aussi là pour dévoyer la colère des travailleurs, en focalisant l’attention contre les fascistes ou d’autres forces de droite, ou contre l’influence de l’impérialisme américain - tout et n’importe quoi pour que les travailleurs ne prennent pas leurs luttes dans leurs propres mains et ne les dirigent contre le plus haut représentant du capital, l’Etat. Avec des grèves dans le pays voisin, la Turquie, qui se passent en même temps que les grèves en Grèce[1], les syndicats et leurs alliés seront particulièrement attentifs à ce que tous les problèmes que rencontrent les ouvriers soient dépeints comme étant spécifiquement grecs et non comme l’expression de la crise internationale et irrémédiable du capitalisme.
Ce qui est caractéristique de la situation en Grèce, c’est la prolifération de divers groupes armés qui bombardent des bâtiments publics, mais qui ne font qu’ajouter un peu plus de violence au spectacle habituel, tout en favorisant davantage de répression de la part de l’Etat. Ces groupes, aux noms exotiques comme la Conjuration des cellules du Feu, le Groupe de guérilla des terroristes ou de la Fraction nihiliste, n’offrent strictement rien comme perspective à la classe ouvrière. Les ouvriers ne peuvent construire leur solidarité de classe, prendre conscience de leur force et développer leur confiance en eux qu’à partir de leurs propres luttes, en développant leurs propres formes d’organisation, non en restant assis à la maison à regarder à la télévision des bombes placées par des gauchistes radicaux. Le bruit qui court à propos d’un meeting de masse de travailleurs discutant de la façon d’organiser leur propre lutte effraie plus la classe dirigeante que des milliers de bombes.
DD (5 février)
1. Lire notre article [58] sur la lutte des ouvriers de Tekel
Les grands de ce monde, en costumes et tailleurs chics, se sont échangé des politesses lors du dernier forum de Davos qui s’est déroulé du 27 au 30 janvier en Suisse. Armés de leur bonne éducation et de leur grande culture, ils ont ainsi su trouver les mots justes pour parler du terrible séisme qui a ravagé Haïti le 12 janvier. Ecoutons par exemple les paroles du très respecté Bill Clinton, l’ancien président des Etats-Unis : “C’est une opportunité pour réinventer le futur du peuple haïtien et je vous invite à faire partie de l’aventure.” Voilà comment parlent ces messieurs. Plus de 210 000 morts, des centaines de milliers d’orphelins et de sans-abri, et ils osent nous parler “d’opportunité” et “d’aventure” !
Ces paroles cyniques et abjectes diffusent, qui plus est, un message propagandiste et mensonger. Les médias, les personnalités politiques, les gouvernements, tous prétendent qu’Haïti va se relever grâce à l’aide de la “communauté internationale” (1). En réalité, il n’y aura pas de “reconstruction”, de “renaissance de l’île martyre” ou de “formidable aventure”. L’avenir pour la population qui vit en Haïti est d’une insoutenable noirceur et cela aussi longtemps que survivra ce système d’exploitation inhumain qu’est le capitalisme !
Il n’y a là aucun doute à avoir. Des catastrophes, toutes plus horribles les unes que les autres, ont déjà endeuillé l’humanité à de multiples reprises ces dernières années et jamais n’a surgi une “société nouvelle” sur ces cadavres, ces décombres et ces cendres. La population vivant en Haïti en sait d’ailleurs quelque chose :
“… avant le tremblement de terre du 12 janvier, Haïti était encore le théâtre de plusieurs chantiers de reconstruction “post-désastre” inachevés, voire oubliés. Pour mémoire, la ville des Gonaïves, qui a subi les graves conséquences des cyclones Fay, Gustav, Hanna et Ike (2008) est encore proche d’une situation apocalyptique. Les dix mille maisons détruites ou endommagées sont encore bien visibles dans cette ville pratiquement en ruine et ses habitants se sont appauvris. Il en est de même pour les habitants de la localité de Fonds-Verettes, détruite par des pluies torrentielles en mai 2004. Ils continuent d’errer dans un village fantôme car peu a été fait depuis pour les reloger” (2).
Cette fois-ci, le contraste entre les promesses et la réalité est peut-être encore plus fort et révoltant. Tous les Etats, Chine, Canada, France et Etats-Unis en tête, n’ont cessé de se vanter de leur réactivité et de leur mobilisation “pour le peuple haïtien”. Chaque don et chaque action humanitaire ont été médiatisés à grands renforts de publicités. Mais sur le terrain, ce même “peuple haïtien” continue de souffrir et de mourir. Aujourd’hui, la saison des pluies torrentielles commence et, avec elle, arrive son lot d’inondations, de coulées de boues et de glissements de terrain. Or, depuis le séisme, il y a près de 1,5 millions de sans-abri et au moins autant de personnes qui vivent dans des baraques faites de planches, de tôles et de toiles. Alors, qu’offrent tous ces Etats sauveurs ? “Paris mettra notamment 1000 tentes et 16 000 bâches à disposition des Haïtiens” (3). Oui, vous avez bien lu, pour toute aide, la grande et si généreuse “communauté internationale” offre aux habitants d’Haïti des tentes et des bâches pour se protéger des cyclones. Pourquoi pas des parapluies ?
En réalité, tous ces Etats qui ont pourtant su mobiliser sur place des milliers de soldats de l’ONU au nom du “maintien de l’ordre public”, sont même incapables de fournir suffisamment de ces abris de misère. “Environ 50 000 tentes ont jusqu’ici été livrées aux sinistrés. Il en aurait fallu plus de 200 000 pour les 1,2 millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent dans des camps de fortune” (4). Pourquoi n’y a-t-il pas assez de tentes ? “La livraison massive aux sinistrés de tentes, un temps envisagée, a été écartée, ces dernières ayant été jugées trop grosses, coûteuses et inefficaces” (5). Eh oui, même ces bouts de toile ont été jugés trop “coûteux”. La vie humaine des laissés-pour-compte ne vaut décidément pas grand chose aux yeux du capitalisme !
Il ne faut donc pas se raconter d’histoires. Avec ce séisme, les habitants d’Haïti se sont enfoncés un peu plus profondément encore dans la misère. Et cette descente aux enfers va se poursuivre inexorablement. Il n’y aura jamais de vraie reconstruction, mise à part peut-être quelques bâtiments symboliques comme le palais présidentiel, la base de l’ONU, les hôtels et quelques “maisons-témoins”. Les grands bourgeois le savent parfaitement et l’avouent même parfois à demi-mot dans un langage très diplomatique. Le Premier ministre canadien, Stephen Harper, a ainsi “lâché” qu’effectivement, la reconstruction du pays prendrait “au moins dix années”, autrement dit jamais.
Ces souffrances sont insupportables et intolérables. Tous ceux dont le cœur saigne devant de telles horreurs pensent souvent : “il faut faire quelque chose”. Ce “quelque chose”, c’est mettre à bas cette société d’exploitation. Seule la fin du capitalisme et la naissance d’une autre société, le communisme, mettra véritablement un terme à toutes les plaies qui s’abattent sur l’humanité !
Pawel (20 février)
1) En fait, cette “communauté internationale” n’est autre qu’un banc de requins impérialistes qui, tous, utilisent la notion “d’aide humanitaire” pour défendre leurs sordides intérêts nationaux. Lire nos deux articles à ce sujet : “Séïsme en Haïti : Les Etats capitalistes sont tous des charognards [23]” et “En Haïti, l’humanitaire comme alibi [59]”.
2) Le site du Monde du 17 février.
3) Le site du Figaro du 17 février.
4) Radio Canada, le 14 février.
5) Idem.
Depuis le début de l’année, un forum de discussion en langue française est ouvert sur notre site. Chacun peut y poser ses questions, faire ses remarques, contribuer à l’analyse collective, affirmer ses désaccords… enfin bref, débattre.
De fait, un camarade, se disant à la fois marxiste et proche des anarchistes, intervient depuis le début relativement régulièrement sous le pseudonyme Cincinnatus. Son style bien à lui est toujours très direct et fleuri. Le message que nous publions ci-dessous en est une preuve vivante ! Cincinnatus y dénonce avec virulence et fort justement l’attitude du NPA qui présente aux prochaines élections régionales une candidate musulmane voilée. Ce court message de Cincinnatus commence d’ailleurs très fort avec ce titre percutant :
Sont comme ça au NPA, à l’image du capitalisme eux pourtant si “anticapitaliste”, bourrés de contradictions. Eh oui, à force de défendre toutes les causes fourre-tout des “minorités opprimées” : gazaouis, rappeurs ouèch ouèch, bébés phoques, etc. ben on en devient inévitablement antinomique puisque toutes ces revendications minoritaires, communautaires s’opposent les unes aux autres. Dur métier que celui de trotskiste. Comment soutenir les féministes mi-putes mi-soumises et dans le même temps présenter aux régionales une candidate foularisée ? ça coince... mais pas tant que ça. A y regarder de plus près, c’est très logique. Depuis une paire d’années on a pu remarquer le petit manège de la LCR en banlieue. Depuis une paire d’années c’est opération séduction pour conduire les jeunes de cités sur le chemin des urnes et des isoloirs. Après les collectifs citoyens de rappeurs et comiques made in 9-3, voilà le NPA qui caresse le musulman dans le sens du voile (faut bien suivre la mode). Aussi, et plus terre à terre, il ne faut pas oublier que la LCR-NPA est un parti électoraliste qui comme les autres cherche moins le “forum public pour donner de l’écho aux idées anticapitalistes “ que les strapontins. Et pour ça, faut se constituer un électorat avec tout l’opportunisme qui convient.
Bref, mettre un voile pour le NPA n’est pas chose choquante si l’on considère que cela fait des décennies qu’elle le pose sur la réalité de ce monde en entretenant les illusions démocratiques.
Cincinnatus, le 5 février
Nous partageons cette analyse mais pour tous ceux qui veulent répondre à ce message ou à qui cet épisode inspire d’autres commentaires, rendez-vous sur notre forum, sous le fil “NPA… en voile et à vapeur”.
Nous évoquons Anton comme un combattant intransigeant de la classe, qui s’est opposé à l’exploitation dans la société qu’il a lui-même subie en usine et qui a contribué à la transmission de ses expériences à une nouvelle génération de révolutionnaires après 1968.
Il ne l’a pas fait tout seul : à côté de lui et avec lui, il y en avait beaucoup d’autres qui ont vécu des expériences similaires, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Autour de cette communauté s’est développé un cercle de discussion vivant dans les années qui ont suivi la guerre. Il y a eu de nombreuses discussions politiques et philosophiques immédiatement après la guerre au sein de l’Institut Emile Vandervelde avec le professeur Flam, issu de la Résistance au sein des camps de l’holocauste. Les heurts, également, avec la bureaucratie social-démocrate de Hoboken (une banlieue “rouge” d’Anvers) et l’intégration des groupes de la résistance du PCB (Parti communiste de Belgique) au gouvernement, ont constitué l’arrière-plan de la rupture politique définitive avec le stalinisme. Au début des années 1950, celle-ci a mené à des contacts avec le groupe de la Gauche communiste Spartacusbond aux Pays-Bas. Celui-ci a alors organisé d’intenses débats communs à Anvers. Il s’en est suivi une collaboration avec le Spartacusbond. Anton devint un fidèle collaborateur de leur journal, au travers des traductions qu’il faisait d’articles de la presse internationale de la Gauche communiste et d’anarchistes (parmi lesquels Révolution internationale après 1973).
Dans le conflit entre le Spartacusbond et le groupe conseilliste déchiré Daad & Gedachte, autour de 1964, il prit très consciemment le parti de Spartacusbond. Il trouvait en effet que les positions de D&G ne mèneraient qu’à la négation de toute activité politique en tant que groupe prolétarien, ce que la réalité a confirmé. Les tendances conseillistes de D&G ont en effet souvent eu une influence négative sur la survie des groupes prolétariens aux Pays-Bas et en Belgique. Y compris au sein de nos prédécesseurs directs : les Revolutionaire Raden Socialisten (Anvers), les Vrije Raden Socialisten (Gand) en Belgique, et Radencommunisme aux Pays-Bas se sont développés au travers d’une critique de l’attitude conseilliste de Daad & Gedachte au profit de la défense d’une intervention active de l’organisation révolutionnaire dans la lutte de classe.
Dans ce sens, c’est Anton qui a mis en contact notre groupe de jeunes Revolutionaire Raden Socialisten, issu du bilan politique de mai 68, avec Révolution internationale en 1972-73. Il a alors apporté une contribution essentielle à notre orientation politique de 1972 à 1975, en attirant notre attention sur l’importance des analyses politiques de Révolution internationale (un des groupes fondateurs du CCI), ce qui a conduit en 1975 à notre adhésion au CCI en cours de formation. Très tôt, il attirait notre attention sur l’importance d’approfondir la question de l’écologie d’un point de vue marxiste. Depuis lors, il est toujours resté un véritable sympathisant de notre organisation.
Chez lui, on rencontrait régulièrement des visiteurs qui discutaient des sujets les plus divers. Ces dernières années, il vivait plus retiré en compagnie des dessins et des peintures rudes de Rik Schevernels (†1972), son meilleur ami, artiste qui fustigeait l’église, le stalinisme et les syndicats, et de ses livres et publications philosophiques et politiques. Nous lui sommes toujours reconnaissants de sa contribution à notre évolution politique.
CCI
La situation est de plus en plus insoutenable. La crise économique frappe de plein fouet. Les tentes pullulent le long du périphérique parisien, la pauvreté explose, les associations caritatives sont débordées. Aujourd’hui, ce sont des familles entières, des travailleurs, des retraités qui se nourrissent à la soupe populaire. Et demain risque d’être encore plus noir. De nouvelles attaques orchestrées par l’Etat nous attendent. Aux licenciements et aux fermetures d’usines dans le privé font écho des dizaines de milliers de suppressions de postes dans le public. Partout les conditions de travail se dégradent. Une attaque symbolise à elle seule ces ravages qui touchent tous les secteurs de la classe ouvrière : la «réforme » des retraites. Nous ne savons pas encore exactement ce que la sainte trinité Etat-Patrons-Syndicats va nous concocter pour la rentrée de septembre mais une chose est d’ores et déjà certaine, tout va être fait pour diminuer considérablement les pensions. Jamais depuis les années 1930, la classe ouvrière n’avait été frappée aussi durement.
Face à cette situation dramatique, la colère est grande au sein du prolétariat. Il n’y a plus guère d’illusions sur l’avenir que réserve le capitalisme : une misère croissante, dans tous les pays, quelle que soit la couleur politique des gouvernements. L’abstention importante aux dernières élections régionales en est l’une des manifestations1. Les ouvriers ont bien conscience qu’en l’absence d’une lutte de grande ampleur, le capital va continuer d’asséner ses coups sans répit. Et pourtant, en France2, s’il y a de très nombreuses petites grèves, aucun mouvement d’ampleur ne se dégage. Pourquoi ? Parce que les syndicats font bien leur boulot ! Depuis le mouvement des étudiants contre le CPE, en 2006, qui avait fait trembler la bourgeoisie, les syndicats n’ont de cesse d’organiser des journées d’actions toutes plus stériles les unes que les autres. Officiellement, les syndicats clament œuvrer à l’unité de la lutte ouvrière. Mais sur le terrain, ils réalisent en réalité un véritable travail de sape. Prenons un seul exemple : la dernière journée d’action du 23 mars. Ce jour-là, cinq des principales confédérations (CFDT, CGT, SUD, FSU et UNSA) ont lancé un appel commun, public-privé, “pour la défense de l’emploi, du pouvoir d’achat et des retraites.” Mais en coulisse s’est jouée une toute autre partition. Les jours précédents, les syndicats ont en effet multiplié les manifestations sectorielles : la Justice (le 9 mars) puis la Protection Judiciaire de la Jeunesse (le 11 mars), les hôpitaux de Paris (où les salariés ont occupé le siège de leur direction le 11 et le 12), l’Education Nationale3 (le 12 et le 18 mars), les sans-papiers (le 18 mars aussi mais pas au même endroit), la Poste (le 19 mars)… Et pour enfoncer le clou, le jour de la «grande journée d’action unitaire » du 23, les syndicats ont organisé de multiples rassemblement à Paris : outre le cortège principal qui avait rendez-vous à 14h à République, Force Ouvrière a défilé séparément à 10h place Vauban, à la même heure une AG interprofessionnelle s’est tenue à la Bourse du Travail, les IUFM4 ont eu quant à eux “leur” propre AG à 12h aux Batignolles, les infirmières de l’EN ont défilé séparément à 13h, une AG spécifique aux enseignants s’est tenue à 18h, elle aussi à la Bourse du travail… Sous la bannière “Unité”, la journée du 23 mars fut donc une véritable caricature de la division syndicale !5
Dans les entreprises, les syndicats oeuvrent là-aussi jour après jour pour que jamais les luttes ne convergent. Lorsqu’une grève éclate, ils se gardent bien de proposer aux ouvriers en lutte d’aller massivement se rendre aux usines ou aux administrations voisines. Et si jamais cette idée vient spontanément à l’esprit des grévistes, ils s’empressent de la remplacer par une rencontre entre quelques chefs syndicaux et rédiger une belle mais platonique déclaration de soutien.
Ce sale boulot est d’ailleurs de plus en plus visible. La bourgeoisie la plus éclairée sent bien le danger d’une prise de conscience progressive du rôle profondément anti-ouvrier des syndicats. Des journaux commencent à tirer la sonnette d’alarme et à prévenir des risques de “débordement”. Le Monde diplomatique de mars finit ainsi l’un de ses articles : “Gageons que, pour calmer un peu le populo mécontent, les syndicats les plus institutionnels, faisant désormais partie, aux côtés de la droite et de la ‘gauche’ social-démocrate, d’un bloc de pouvoir unifié de fait […], organiseront quelques innocentes marches […] entre République et Nation […]. Il est cependant possible que l’option ‘promenade urbaine’ ne soit plus suffisante et que le populo […] finisse par trouver qu’il en a également assez de se sentir promené.” Avec la crise économique qui va encore s’aggraver et jeter à la rue des dizaines de milliers d’ouvriers et la ‘réforme’ des retraites qui est ostensiblement une attaque de TOUTE la classe ouvrière, les syndicats ne vont pas pouvoir continuer longtemps à éviter des manifestations relativement massives. Ils vont donc devoir changer de tactique. Probablement, ils vont nous faire le coup du “Tous dans la rue derrière les syndicats” pour soi-disant construire un rapport de force qui leur permettrait de mieux “négocier” les réformes. Il ne faudra pas ici se laisser berner. Quels que soient les masques qu’ils portent, ceux de la conciliation ou de la radicalité, du corporatisme ou de “l’unité interprofessionnelle”, les syndicats mènent toujours volontairement les ouvriers à la défaite. En décembre 1995, visiblement tous ‘unis et combatifs’ contre le plan Juppé, ils avaient crié victoire pour mieux laisser passer dans les mois qui ont suivi toutes les attaques que contenait ce même plan (en particulier celle qui lançait la casse de la Sécurité sociale). Au printemps 2003, sous ce même drapeau de l’union et de la combativité, ils ont en fait orchestré l’isolement et l’épuisement des ouvriers du secteur le plus décidé alors à lutter : les travailleurs de l’EN. En effet, en 2003, la bourgeoisie a mené simultanément deux attaques de front : une attaque générale contre les fonctionnaires (réforme des retraites) et une plus spécifique à l’EN (réforme des statuts des personnels administratifs ATOS). Les syndicats ont mobilisé les personnels de l’EN sur la question de cette attaque spécifique, les laissant ainsi se battre seuls pendant des mois. Lorsque, au printemps, la réforme des retraites a jeté dans la rue des centaines de milliers de fonctionnaires, l’attaque sur les ATOS a été retirée, entraînant de fait une démobilisation des enseignants, épuisés et à bout financièrement. La précedente réforme des retraites est alors passée et la bourgeoisie, grâce aux syndicats, a fait passer son message : “ce n’est pas la rue qui gouverne”6. Il est d’ailleurs tout à fait possible que ce piège soit à nouveau tendu dans les mois à venir. Pour faire passer la nouvelle réforme de retraites, le gouvernement va peut-être reculer un peu, au moment propice de l’éventuelle mobilisation, sur les suppressions de postes d’enseignants ou de surveillants à l’EN ou d’infirmières dans les hôpitaux.
Les syndicats sont les chiens de garde du capital. Ils sabotent les luttes, divisent, distillent le poison du corporatisme de l’intérieur. Pour faire face aux attaques, il faut que les ouvriers prennent en main leurs luttes, de façon autonome, qu’ils s’organisent en tant que classe, qu’ils tissent des liens au-delà des secteurs et des corporations, public-privé, chômeurs-travailleurs-retraités… Pour cela, lors des manifestations, il ne faut pas rester sous des banderoles à défiler entre collègues de la même boîte mais débattre, organiser des AG spontanées et ouvertes à tous, en fin de manifestation. Quand, sur un lieu de travail, une grève éclate, l’AG ne doit pas être aux mains des représentants syndicaux mais des travailleurs ; les mots d’ordre et d’action doivent s’y décider collectivement ; les représentants chargés de telle ou telle tâche doivent être mandatés et révocables à tout moment. Pour ne pas rester isolés, il faut aller chercher la solidarité en actes des autres travailleurs des usines ou des administrations voisines en allant à leur rencontre par délégations massives.
La lutte aux mains des syndicats mène toujours à la défaite !
Seule la lutte organisée par les ouvriers eux-mêmes permettra de développer la solidarité prolétarienne et de créer un rapport de force en faveur de notre classe !
Pawel (27 mars)
1) Lire notre article sur les élections régionales dans ce numéro.
2) Des luttes un peu plus importantes se déroulent en ce moment même en Grèce, Etats-Unis, Russie… Lire nos brèves sur “Les luttes dans le monde” dans ce numéro.
3) ‘EN’ dans la suite de l’article.
4) Institut universitaire de formation de maîtres.
5) Et le cirque va se poursuivre, car une nouvelle journée d’action est prévue le 30 mars pour… les infirmières !
6) Phrase lancée par l’ex-Premier ministre J.P. Raffarin à la fin du mouvement.
Un an et demi après la crise des subprimes, la classe ouvrière à l’échelle internationale reste encore sonnée et désemparée sous l’avalanche des coups que lui portent chaque bourgeoisie nationale et tous les gouvernements de gauche comme de droite. Elle n’est pourtant pas résignée ni restée sans réaction au cours de ces derniers mois comme en témoignent plusieurs luttes dont nous nous sommes fait l’écho dans de précédents articles : à la raffinerie de Lindsey en Grande-Bretagne, sur les chantiers navals de Vigo en Espagne ou à travers le combat des ouvriers de Tekel en Turquie[1]. Dans ces luttes, elle a démontré non seulement sa combativité mais aussi sa solidarité et sa capacité à contrer les campagnes idéologiques (en particulier xénophobes) de la classe dominante pour la diviser en unissant dans un même combat des ouvriers de différentes corporations, secteurs, ethnies ou nationalités. De même, il faut se souvenir que le soulèvement des jeunes prolétaires organisés en assemblées générales en décembre 2008 en Grèce a beaucoup effrayé la bourgeoisie, en lui faisant craindre la « contagion » de l’exemple grec aux autres pays européens parmi les jeunes générations scolarisées ; ce n’est pas un hasard si aujourd’hui encore les yeux de la bourgeoisie sont tournés vers les réactions des prolétaires en Grèce aux féroces plans d’austérité imposés par le gouvernement et les autres Etats de l’Union Européenne. Ces réactions ont encore valeur de test pour les autres Etats menacés par la faillite de leur économie nationale. D’ailleurs, l’annonce quasiment simultanée de plans similaires ont également précipité dans la rue pour manifester des dizaines de milliers de prolétaires en Espagne ou au Portugal. Cependant, même si les difficultés continuent à peser lourdement - notamment les plans de licenciements massifs qui ont contribué à accentuer le sentiment d’impuissance des travailleurs et à freiner les grèves et leur mobilisation - il se confirme aussi qu’un changement d’état d’esprit est en train de s’opérer. Partout dans le monde, l’exaspération et la colère s’approfondissent et se généralisent dans les rangs ouvriers. La bourgeoisie ne s’y trompe pas : elle organise un vaste black-out sur ces luttes qui se déroulent d’un bout à l’autre de la planète démontrant que nulle part, la classe ouvrière ne se résigne à son sort face à la misère et aux attaques grandissantes.
En Algérie[2], en Russie, au sein de la main-d’œuvre immigrée des Emirats surexploitée et privée de toute protection sociale, chez les prolétaires anglais comme pour les étudiants réduits à la misère dans l’ex-plus riche Etat de l’Amérique, la Californie, la situation actuelle témoigne d’un frémissement encourageant indiquant une tendance de fond vers la reprise de la lutte de classe à l’échelle internationale qui fournit les ingrédients pour l’explosion de luttes plus massives. C’est pour contribuer à rompre ce black-out - y compris sur les luttes en Grèce - que nous rapportons quelques exemples significatifs récents du développement de ce combat international de notre classe (lire page 3) et que nous encourageons nos lecteurs à nous envoyer sur notre site Web des informations que la bourgeoisie cherche à masquer sur les combats que mènent nos frères de classe.
En novembre-décembre 2008, la Grèce avait été secouée pendant plus d’un mois par un soulèvement social, mené principalement par la jeunesse prolétarienne, à la suite de l’assassinat par la police d’un jeune anarchiste. Cette année, les mesures d’austérité annoncées par le gouvernement socialiste menaçaient de déclencher une explosion non seulement parmi les étudiants et les chômeurs mais aussi parmi les bataillons principaux de la classe ouvrière.
Le gouvernement grec conduit par le PASOK (parti social-démocrate) élu l’an dernier avait annoncé le 3 mars un nouveau plan d’austérité, le troisième en trois mois.
Le précédent mouvement de grève générale le 24 février avait été largement suivi et une grève des fonctionnaires du gouvernement avait rassemblé autour de 40 000 manifestants, principalement dans le secteur public. Un grand nombre de retraités et de fonctionnaires avaient également manifesté le 3 mars dans le centre-ville d’Athènes.
Les événements qui ont suivi l’annonce des nouvelles attaques début mars ont montré encore plus clairement que le prolétariat était mobilisé : “Quelques heures seulement après l’annonce des nouvelles mesures, des travailleurs licenciés de l’Olympic Airways ont attaqué les brigades de la police anti-émeute gardant le siège de la compagnie et ont occupé le bâtiment, dans ce qu’ils appellent une occupation à durée indéterminée. L’action a conduit à la fermeture de la principale rue commerciale d’Athènes, pour de longues heures.” (blog sur libcom.org)
Dans les jours précédant la nouvelle grève générale du 11 mars, se produisirent une série de grèves et d’occupations : les travailleurs licenciés d’Olympic Airways ont occupé pendant 8 jours le siège de la Cour des Comptes tandis que les salariés de la compagnie d’électricité occupaient les agences pour l’emploi au nom du « droit des futurs chômeurs que nous sommes » selon l’un d’eux. Les ouvriers de l’Imprimerie nationale ont occupé leur lieu de travail et ont refusé d’imprimer les textes légaux des mesures d’économie au motif qu’avant que la loi ne soit imprimée, elle n’est pas valide... Les agents du fisc ont arrêté le travail pendant 48h, les salariés des auto-écoles dans le Nord de la Grèce ont effectué 3 jours de grève, alors que les juges et autres officiers de justice stoppaient toute activité pendant 4 h chaque jour. Aucune ordure n’a été ramassée pendant plusieurs jours à Athènes, à Patras et à Thessalonique car les éboueurs ont bloqué le les grands dépôts des trois grandes villes. Dans la ville de Komitini, les ouvriers du l’entreprise textile ENKLO ont mené un conflit social de plus en plus intense, avec des marches de protestation et des grèves : deux banques ont été occupés par les travailleurs.
Le climat de peur et de passivité qui tend à régner lorsque la crise économique a pris une tournure dramatique en 2008 commence à être remplacé par de l’indignation, et les travailleurs se demandent ouvertement : pourquoi devrions-nous payer pour la crise du capitalisme ? Le danger pour la bourgeoisie était que si cette combativité actuelle se poursuivait, les travailleurs risquaient de commencer à voir au-delà de ces “actions radicales” et de prendre leurs luttes en mains au-delà contrôles imposés par l’appareil syndical, en adoptant le modèle des “assemblées générales “ ouvertes et souveraines qui avait commencé à prendre forme en décembre 2008.
La bourgeoisie a pris les devants pour obscurcir cet enjeu et gommer cette expérience en détournant la colère et la combativité vers des impasses politiques et idéologiques en ne reprenant que les aspects les plus négatifs et superficiels des luttes de fin 2008 pour entraîner les ouvriers dans des actions faussement radicales qui ont évacué toutes les potentialités de prise en mains de la lutte et de solidarité ouvrières
Si la classe ouvrière se trouve beaucoup plus largement mobilisée que dans les luttes de novembre-décembre 2008, elle a reculé au profit de la bourgeoisie et de ses appareils d’encadrement idéologiques.
Le contrôle des partis et des syndicats a permis de détourner la colère dans des impasses et surtout de priver les ouvriers des assemblées générales ouvertes et le l’auto-organisation de la lutte qui faisaient la force du mouvement prolétarien de fin 2008. Ainsi les salariés d’Olympic Airways ne laissèrent entrer personne d’autre dans le bâtiment public qu’ils occupaient et les dirigeants syndicaux la firent évacuer sans la moindre décision d’une AG Quand d’autres ouvriers voulurent se rendre dans les locaux du Trésor public occupés par ceux de l’Imprimerie Nationale, ils furent sèchement refoulés sous prétexte “qu’ils n’appartenaient pas au ministère” !
La profonde colère des ouvriers en Grèce s’est exprimée contre le PASOK et les dirigeants syndicaux qui lui étaient inféodés. Le 5 mars, le leader de la GSEE, centrale syndicale du secteur privé, a été frappé à coups de poing après avoir été aspergé d’eau, de café et de yaourt alors qu’il tentait de prendre la parole devant la foule et a dû être secouru par la police anti-émeute et se réfugier dans le bâtiment du Parlement, sous les huées de la foule l’invitant ironiquement à aller où il est à sa place : dans le nid des voleurs, des assassins et des menteurs. C’’était la première fois qu’un leader syndical était attaqué lors d’une manif, à laquelle ce même syndicat avait appelé, et ce fait marque assurément le début d’une nouvelle ère dans l’histoire des syndicats en Grèce.
Mais la mise en avant du PC grec (KKE) et de son officine syndicale, le PAME est présentée comme une alternative “radicale” au PASOK tout en surfant sur une campagne pour focaliser la responsabilité de la crise sur les banquiers ou sur méfaits de l’économie “néo-libérale”.
En novembre-décembre 2008, le mouvement avait été largement spontané et souvent auto-organisé autour d’assemblées générales dans les écoles occupées et les universités. Le siège du Parti communiste (KKE), comme le siège de sa confédération syndicale du PAME avait été lui-même occupé, exprimant une claire méfiance envers les appareils syndicaux et les staliniens qui avaient dénoncé les jeunes manifestants à la fois comme des lumpen-prolétaires et des enfants gâtés de la bourgeoisie.
Mais aujourd’hui, le PC grec a montré qu’il est encore un instrument essentiel de la domination bourgeoise en se plaçant à l’avant-garde des grèves, manifestations et occupations les plus radicales aux côtés des gauchistes et des anarchistes. “Le matin du 5 mars, les travailleurs du PAME syndicat affilié au Parti communiste occupait le ministère des finances sur la place Syntagma ainsi que la mairie du district de Trikala. Plus tard, PAME a fait également occuper 4 émetteurs de TV dans la ville de Patra, et la station de télévision de l’Etat de Thessalonique, obligeant les radiodiffuseurs nouvelles à lire une déclaration contre les mesures gouvernementales.” d’après libcom.org: https://libcom.org/news/mass-strikes-greece-response-new-measures-04032010 [64]).
Beaucoup de grèves furent également prises à l’initiative du PC qui avait appelé dès le 3 mars à une « grève générale » et à une manifestation pour le 5, et dès le 4 dans d’autres villes. Le PAME intensifia ses actions spectaculaires, occupant tantôt le ministère des finances, tantôt investissant les locaux de la Bourse. Le PC grec et ses syndicats ont pu se présenter comme les grands instigateurs du mouvement.
Les plus récentes manifestations, notamment les 5 et 11 mars, ont été marquées par le fait que la bourgeoisie a favorisé le défoulement de la colère dans des affrontements stériles et sans perspective avec la police.
Mais ce brouillard idéologique est amené à se dissiper face à la réalité. Le 11 mars, toute la Grèce a été paralysée à 90% par le mouvement de colère de la population pour 24 h suite au second appel à la grève générale en moins d’un mois à l’appel des deux principaux syndicats. Au total, plus de 3 millions de personnes (sur une population totale de 11 millions) ont pris part à la grève générale En dépit de la campagne anti-grèves menée par les médias bourgeois, la manifestation du 11 mars a été la plus massivement suivie à Athènes depuis 15 ans et a montré la détermination de la classe ouvrière à riposter à l’offensive capitaliste
La crise est évidemment mondiale et partout les dirigeants appellent aux mêmes sacrifices pour sauver leur système moribond. En développant leur résistance à ces appels, les travailleurs dans tous les pays sont appelés à reconnaître leurs intérêts communs dans le conflit qui a commencé à s’exprimer massivement en Grèce.
W (27mars)
Des milliers de manifestants (3000 selon la police, 5000 selon les organisateurs) se sont rassemblés samedi 20 mars dans une cinquantaine de villes de Russie à l’appel de l’opposition, pour protester contre la politique économique du gouvernement de Vladimir Poutine et réclamer sa démission. Organisé par une kyrielle de partis politiques, de mouvements d’opposants et d’organisations de défense des droits de l’homme, encadré par le Parti communiste, le parti libéral « réformateur » Iabloko et le mouvement d’opposition Solidarnost, ce “jour de colère”, comme l’a baptisé l’opposition, a rassemblé notamment 1000 personnes à Saint-Pétersbourg, 1500 à Vladivostok, plusieurs milliers dans l’enclave de Kaliningrad. De nombreux participants demandaient la démission du gouvernement de Vladimir Poutine et voulaient que ce dernier soit reconnu coupable d’avoir fait considérablement baisser le niveau de vie. Le coup d’envoi de cette journée de protestation avait été donné en Extrême Orient, à Vladivostok, où plus de mille manifestants se sont réunis dans le centre-ville. Moscou, la manifestation, interdite, a quand même rassemblé 200 personnes dont 70 ont été interpelées par la police. Des manifestants ont aussi été interpellés dans les villes d’Arkhangelsk (Nord) et de Novossibirsk (Sibérie), selon le site du mouvement d’opposition Solidarité. Il y a eu également entre 500 et 700 personnes rassemblées pour une manifestation silencieuse à Kaliningrad, des masques chirurgicaux sur le visage, bien que les leaders de l’opposition aient un peu plus tôt décidé d’annuler le rassemblement et que la manifestation avait également été interdite. C’est d’ailleurs dans cette enclave au bord de la mer Baltique que les autorités russes s’étaient laissées surprendre en janvier par un mouvement similaire qui avait vu 10 000 personnes manifester, alors qu’une telle mobilisation est exceptionnelle en Russie.
La plupart des manifestants protestaient contre les difficultés de la vie quotidienne. La montée en flèche des prix et des factures depuis le Nouvel An a conduit les gens à sortir dans la rue et à braver la répression policière.
Les protestataires ont dressé une liste de revendications variées :
- la baisse des prix de l’électricité et du gaz qui ont grimpé en flèche alors que des milliards d’euros ont été débloqués pour soutenir l’industrie russe et ses patrons, touchés de plein fouet par la crise ;
- “Je suis venu car je suis inquiet. J’ai une petite retraite et je dois vivre avec”, a expliqué Ivan, 72 ans, un retraité qui faisait partie des mille personnes à manifester à Saint-Pétersbourg ;
- A Irkoutsk, ils étaient aussi un demi-millier à protester contre la décision approuvée par Vladimir Poutine de rouvrir une usine de fabrication de papier qui déversera ses déchets dans le lac Baïkal, plus grande réserve d’eau douce du monde ;
- A Vladivostock, outre des impôts trop élevés, c’est sur les taxes sur les voitures d’occasion étrangères que portaient les protestations. Ces taxes ont été augmentées en 2008 pour favoriser les constructeurs russes. Cette mesure inquiète les quelques 200 000 personnes de la région qui travaillent dans l’importation, la vente et la maintenance des modèles étrangers.
Les protestataires y brandissaient des pancartes proclamant “Non aux impôts !” ou “Assez de la protection accordée aux oligarques aux dépens du peuple !”.
Une banderole clamant “Poutine, tire-toi une balle dans la tête !” a dû être retirée à la demande d’un responsable local.
Les manifestants ont aussi demandé que le parti “Russie unie”, présidée par le Premier ministre, soit reconnu coupable d’avoir fait baisser le niveau de vie et d’avoir écarté le peuple des décisions sur l’avenir du pays.
“On ne peut pas respirer sous Poutine, rien ne marche, ni les médias, ni l’économie, ni la police.
Le pays se décompose”, a résumé une retraitée qui manifestait à Moscou.
La classe ouvrière en Russie, en se focalisant sur la personne réellement détestable de Poutine et en espérant trouver une alternative à travers l’autre fraction bourgeoise russe nommée “opposition”, témoigne de ses illusions démocratiques. Mais, en osant manifester, sous la menace de la répression, qui peut être sanglante, ces ouvriers révèle aussi et surtout l’ampleur de leur colère et de leur courage. Il s’agit d’un premier pas pour briser le carcan de fer qui les oppresse.
Le début du nouveau trimestre scolaire (4 mars) a été marqué, dans les universités en Californie et ailleurs aux Etats Unis, par une vague de protestations de la part des étudiants, des enseignants et des employés du secteur de l’éducation. En réalité, le mouvement avait déjà commencé l’année dernière à partir de septembre avec une série d’occupations des locaux sur les campus pour protester contre les plans d’austérité du gouvernement californien : ceux-ci prévoient des coupes de 1 milliard de dollars dans le financement du système universitaire (une réduction de 20% des subventions accordées par l’Etat californien par rapport à l’année dernière), ce à quoi les universités ont répondu par des augmentations des frais de scolarité de 32% et des réductions de salaire parmi le corps enseignant. Pour beaucoup d’étudiants, qui doivent cumuler plusieurs emplois pour financer leurs études et qui les terminent avec un fardeau écrasant de dettes pour pouvoir les rembourser, ces augmentations ont été la goutte d’eau qui a fait déborder la vase. De septembre à décembre des occupations, généralement très minoritaires, ont eu lieu à UCLA (Los Angeles), Berkeley (où plus de 2000 étudiants ont occupé le bâtiment principal, Wheeler Hall, pour exiger la suppression de la hausse de 32%, la réintégration de 38 gardiens congédiés, la démission du président de l’Université et qu’il n’y ait aucune sanction judiciaire, lorsque l’occupation aurait pris fin), Santa Cruz, Fresno et San Francisco State. Parti de la Californie, le mouvement a fait tâche d’huile en mars. Des manifestations ont eu lieu à travers une grande partie des Etats Unis : à Milwaukee, à Denver, à New York, dans le Maryland. A Chicago, des lycéens sont allés manifester devant le parlement de l’Etat d’Illinois. La Californie a également vu des manifestations d’enseignants des écoles publiques contre les licenciements imposés par le plan d’austérité.
Des milliers d’entreprises réalisent des profits annuels astronomiques, sur le dos de quatorze millions d’ouvriers qui travaillent nuit et jour, sans durée légale du travail, sans la moindre protection sociale, sans salaire minimum, dans des conditions aussi terribles qu’à l’aube du capitalisme. La police a attaqué le 27 février dernier un groupe de 150 travailleurs émigrés chinois de l’entreprise d’État China State Construction Engineering Corporation, en grève sauvage depuis la veille, qui avaient séquestré neuf de leurs cadres et contremaîtres pendant plusieurs heures près d’un site de construction à Zallaq, à 25 km au sud de la capitale Manama. Les grévistes protestaient contre les conditions de travail inhumaines, réclamaient des hausses de salaires dérisoires et le rapatriement en Chine des cadres séquestrés. Après six heures de négociations avec un diplomate chinois et le ministre de l’Intérieur de Bahreïn et un siège qui a duré plusieurs heures, ArabNews.com a annoncé que la police a fini par lancer l’assaut et a dévasté le baraquement leur servant de logement, libérant les cadres séquestrés tout en arrêtant 26 ouvriers, notamment ceux considérés comme les “meneurs”.
Malgré tous les efforts des syndicats comme de l’ensemble de la bourgeoisie pour les empêcher depuis la fin de l’année dernière, des grèves perlées ont commencé chez les hôtesses de l’air et les stewards de la compagnie British Airways contre les réductions d’effectifs (BA veut réduire le nombre de personnel à bord de tous les vols à long courrier). Plusieurs milliers d’entre eux étaient en grève le week-end du 20 mars. Quant au syndicat des cheminots RMT, il a été contraint sous la pression de la colère grandissante d’annoncer une grève nationale de quatre jours pour le week-end de Pâques – la première depuis 16 ans – contre un plan qui prévoit la suppression de 1500 postes chez Network Rail (le gestionnaire des voies ferrées).
1.) Lire notamment les articles suivants sur notre site Web : fr.internationalism.org :
-sur la lutte des ouvriers du bâtiment dans les raffineries de Lindsey : “Grèves en Angleterre : Les ouvriers du bâtiment au centre de la lutte [65]“ (publié également dans RI n°403, juillet-août 2009) ;
-sur la Turquie : “Solidarité avec la résistance des ouvriers de Tekel contre le gouvernement et les syndicats ! [58]“ ;
- sur l’Espagne : “A Vigo, l’action conjointe des chômeurs et des ouvriers des chantiers navals [66]” (publié dans RI n° 410, mars 2010).
2.) Lire l’article “En Algérie, le prolétariat exprime sa colère [67]”, RI n°409, février 2010.
Les dernières élections qui viennent de se dérouler en France ont été marquées, une fois de plus, par une abstention massive (53% des inscrits1 au premier tour, 49% au second tour). Ce record relève sans aucun doute de l’intérêt limité que les élections régionales représentent chez les électeurs potentiels2. Mais il n’y a pas que cela. Il existe de façon évidente une tendance grandissante à l’indifférence de la population pour le processus électoral. L’alternance gauche-droite a l’avantage pour la bourgeoisie de simuler un enjeu pour les échéances électorales, mais elle a aussi l’inconvénient de montrer, sur le terrain, que droite et gauche gèrent peu ou prou les affaires de la même façon. De fait, depuis trente ans que la gauche et la droite se succèdent au pouvoir ou y cohabitent dans un sens et dans l’autre, la condition ouvrière n’a fait que se dégrader toujours plus.
Il n’y a pas que la France qui subit cette érosion de la participation aux élections. Toutes les grandes démocraties du monde sont touchées. Il s’agit d’une réelle tendance historique. Quand les partis de gouvernement se décrédibilisent, il lui faut trouver le moyen de cultiver un certain attrait envers les élections. C’est donc afin d’essayer d’envoyer un maximum de gens dans les isoloirs que la gauche et les gauchistes, de concert avec le FN, ont entretenu l’idée centrale que l’enjeu de ces dernières élections régionales étaient d’adresser un “message fort” à Sarkozy. On a vu le résultat. Même la cible privilégiée des officines de gauche et d’extrême-gauche, les “classes populaires” et les “jeunes “se détournent le plus des urnes. Ces deux dimanches de mars, l’abstention moyenne dans les quartiers ouvriers a atteint les 70%, tandis que les trois-quarts des moins de 35 ans étaient “partis à la pêche”, selon l’expression consacrée, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas allés voter3. Le fait est que cette chute constante de la participation tient d’un phénomène de fond et est liée au sentiment, manifestement de plus en plus répandu, que les élections ne changent rien. Et il n’a pu être qu’avivé par la situation d’attaques et de tension sociale ouverte au sein de la classe ouvrière qui a prévalu toute la période d’avant et pendant ces élections.
Cet abstentionnisme est le produit d’un écoeurement généralisé envers les “politiques”, de droite comme de gauche, qui exhibent leurs magouilles, leur volonté d’aller à la soupe sans respect pour qui que ce soit et quoi que ce soit, etc., mais il est en même temps l’occasion de la part de ces mêmes politiques, quelle que soit leur couleur, pour culpabiliser la population et surtout la classe ouvrière. Cette pression récurrente et ce discours sont toujours aussi forts sur ceux qui font le choix de ne pas participer au cirque électoral. Combien s’entendent dire qu’ils n’ont pas le droit de critiquer, puisqu’ils ne sont pas allés voter ? Combien se voient montrer du doigt parce que si le Front national fait de si bons résultats, si le « danger fasciste » nous guette, c’est à cause d’eux ? Combien encore, lorsqu’ils se plaignent des attaques du gouvernement, s’entendent répondre : « La prochaine fois, va voter contre eux ! »
L’idéologie démocratique reste encore aujourd’hui extrêmement forte, et ne subit pas la même érosion que la participation électorale. Son message est simple, mais encore efficace : “On a le droit de ne plus croire en la politique, mais on n’a pas le droit de bafouer un droit fondamental, le droit de vote, qui symbolise le mieux le fait qu’on vit dans un pays où on peut encore s’exprimer librement ; il faut continuer malgré tout à aller voter pour défendre cette fragile liberté d’expression”. C’est ainsi que bon nombre d’abstentionnistes n’en sont pas encore à remettre en cause l’élection en tant que telle, mais simplement ceux qui s’y présentent. C’est d’ailleurs pour cela que la bourgeoisie modifie régulièrement les formules de ses élections, en ajoutant un peu de proportionnelle par exemple, ce qui permet l’apparition de nouvelles formations, moins marquées par une participation à des gouvernements passés. Si pour le moment, ces tentatives n’ont pas permis d’inverser la tendance à une chute de la participation, elles permettent de maintenir vivante l’idée que le principe électoral n’est pas mort et qu’il est même, malgré toutes ses faiblesses, le meilleur reflet des positions politiques de la population.
En étant promue emblème officiel de la démocratie, l’élection reste une arme centrale de l’emprise idéologique de la bourgeoisie, même sur les abstentionnistes. Au-delà de sa compréhension croissante de la futilité et de la stérilité du processus électoral, la classe ouvrière doit prendre conscience que c’est avant tout la question de la démocratie bourgeoise qui constitue un obstacle de premier ordre contre la pleine expression de sa force politique révolutionnaire.
GD (24 mars)
1) L’INSEE évalue à 90% les personnes en capacité de voter qui se sont inscrites sur les listes électorales.
2) Il relève aussi du retour de la droite française à son statut, qu’on nous annonçait un temps perdu avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, de “droite la plus bête du monde”. Il est clair que la stratégie de la droite pour ces élections, celle des listes uniques (et donc sans réserve de voix) a été désastreuse et n’a pas permis une forte mobilisation de ce camp. Ce qui a été évidemment renforcé par l’abstention maintenue d’un tour à l’autre. La défaite de la droite est une vraie claque, qui va affaiblir l’autorité de l’Elysée et de Matignon. La bourgeoisie va devoir, face à la colère croissante de la classe ouvrière, compenser en mettant plus en avant ses syndicats et la gauche. Une gauche du coup bien embarrassée face à de telles responsabilités, engluée qu’elle est dans ses divisions et ses guerres de clans.
3) Source streetpress.com et lefigaro.fr
Fin février, la tempête qui a déferlé sur la Vendée et la Charente Maritime a fait 51 morts. La brutalité des inondations a été telle que de nombreuses personnes sont mortes noyées dans leur maison. Deux mois après le séisme en Haïti, au moment même où des centaines de gens mouraient au Chili, ce sont une fois de plus les « éléments naturels » qui étaient désignés comme les grands fautifs. Certains médias comme Libération dans son éditorial du 1er mars regrettait amèrement que, sur les côtes de l’Atlantique, “on” n’avait “manifestement pas assez mesuré la dureté de la mer”, mais que, heureusement, la population bénéficie “d’un Etat stable et compétent, qui prévient les aberrations architecturales”. C’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Les territoires comme celui de la commune de La Faute-sur-Mer, qui a payé le plus lourd tribut en victimes, étaient interdits de construction depuis Napoléon, et pourtant de déréglementation en déréglementation, accordées par les pouvoirs publics régionaux et nationaux, les habitations ont poussé, comme des champignons, sachant que les digues, certaines vieilles de 200 ans (!), étaient insuffisantes et mal entretenues.
Dans une note datée d’octobre 2008, l’ancien chef du Service maritime et des risques de la Direction départementale de l’équipement (DDE), Stéphane Raison, rappelait que “sur le secteur littoral, la zone de l’estuaire du Lay (où se trouvent précisément les communes de La Faute-sur-Mer et de L’Aiguillon-sur-Mer, les plus frappées par la tempête) est la zone la plus dangereuse du département, le Lay étant un cours d’eau majeur drainant une surface représentant la moitié du département de la Vendée, exposée à des phénomènes marins extrêmes, amplifiés par l’effet de baie dans la baie de l’Aiguillon”. Il précise que “la commune de La Faute-sur-Mer (…) a été construite sur de vastes espaces gagnés sur la mer, ne tenant pas compte de la mémoire du risque (…). Plus de trois mille maisons sont construites derrière des digues en terre”.
Depuis 1986 existe la loi littoral, suite à la première inondation dans la région de Vaison-la-Romaine, les premiers « plans de prévention des risques » n’apparaissant qu’en 1995 après la deuxième catastrophe de Vaison-la-Romaine de septembre 1992. Et ce n’est pas le complément à cette loi littoral amené par la loi Bachelot en 2003, pour répondre à la tempête de 1999, qui aura fait changer quoi que ce soit. Au contraire, car la seule loi que connaissent l’Etat et la bourgeoisie, de droite comme de gauche, c’est celle du profit, avec tous les risques que cela comporte, et dont ils se contrefichent.
Exemple édifiant, Sarkozy s’est violemment insurgé contre ces inondations de 2010 et a demandé de nouveaux rapports, alors que, depuis 2005, plus de 16 digues en Vendée ont déjà été inspectées par les spécialistes, rapports dont aussi bien les politiques locaux que l’Etat n’ont tenu aucun compte. Rappelons que le même, le 20 avril 2009, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, dans un discours sur le Grand Paris, expliquait qu’en matière d’urbanisme, “le problème c’est la réglementation”. Le chef de l’Etat, fin connaisseur car ancien avocat spécialisé en droit immobilier, expliquait ainsi : “Pour libérer l’offre il faut déréglementer, élever les coefficients d’occupation des sols et rétablir la continuité du bâti dans les zones denses, […] rendre constructible les zones inondables pour des bâtiments adaptés à l’environnement et au risque...”.
C’est de la prévention des risques… de ne pas faire assez de profit qu’il s’agit !
Wilma (26 mars)
Courant février, un “collectif de citoyens”, nommé “24h sans nous” et créé il y a six mois, appelait à “une journée sans les immigrés” le 1er mars, exhortant ces derniers à “agir” “en cessant de consommer et/ou de travailler”. Le but de cette “journée historique” était “la mise en valeur de l’apport de chacun d’entre nous [immigrés] à la prospérité générale”. Sur le forum de notre site en français, deux camarades ont publié une prise de position dénonçant cette mascarade de lutte qui provoque division et confusion dans la classe ouvrière, “française” ou “immigrée”. Au final, cette «journée sans nous» n’aura rassemblé que 7000 personnes dans tout l’hexagone, signe que la mystification aura eu globalement peu de prise, à l’heure où de plus en plus d’ouvriers, immigrés ou pas, se voient imposer des “journées sans travail” et des mois, des années au chômage.
Cependant, il était juste et nécessaire de faire cette mise au point que nous partageons entièrement et qui se place d’un véritable point de vue de classe.
Un groupe de personnes autoproclamées a décidé de faire de la journée du premier mars, un jour durant lequel les immigrés et leurs descendants cesseront toute activité (consommation, vente, travail, aller à l’école…) afin de montrer l’importance du travail des immigrants pour l’économie de l’Hexagone.
En lisant bien leur manifeste, on peut en tirer 4 idées essentielles :
1 – C’est un appel à tous les immigrés quel que soit leur statut : patrons ou travailleurs.
2- C’est un appel qui glorifie l’exploitation, et qui ne fait, à aucun moment, allusion aux dures conditions de travail et aux salaires de misères perçus par les immigrés.
3- C’est un appel qui emprisonne les immigrés dans la seule lutte anti-raciste, les rejetant ainsi de tout apport aux vrais débat d’avenir.
4- Aucune allusion aux sans-papier.
Pourquoi les immigrés ne doivent-ils pas participer à cette journée de mascarade ?
Les raisons sont multiples et aucun rapport ne peut les contenir étant donné les contradictions et les amalgames que comporte une telle action.
D’abord, les intérêts des immigrés sont différents selon le statut social qu’ils occupent, c’est pour dire que nous refusons l’alliance entre classe dominante et classe dominée. C’est affirmer que nous refusons la collaboration de classes, c’est pour dire aussi que nous refusons d’être assimiler à ces comiques d’Etat tels Djamal Debouz ou à ces pseudo-représentants de l’immigration telle Fadela Amara. Participer à cette journée, c’est accepter la surexploitation des travailleurs immigrées, avec ou sans papiers, par les patrons immigrés. Nous vous informons qu’un travailleur immigré, qui travaille chez un restaurateur, un vendeur de kebab ou un vendeur de pizza immigré, touche 20 euros pour 16 heures de travail (de 9 heures du matin jusqu’à 1 heure du matin). Un travailleur immigré qui travaille, de 9 heures du matin jusqu’à 22 heures le soir et sept jours sur sept, chez un patron immigré dans un taxiphone touche 450 euros par mois. Un travailleur immigré qui travaille, de 6 heures du matin jusqu’à 20 heures le soir, chez un patron immigré dans le bâtiment touche 60 euros tous les trois jours, de plus ils ne sont même pas déclarés et donc ne bénéficient même pas des avantages reconnus aux salariés par le code du travail (couverture maladie, cotisation retraite, congés payés…). La liste est longue.
Nous devons boycotter ce mouvement afin d’affirmer que nos intérêts sont liés à ceux des travailleurs ‘français’ et non à ceux des patrons immigrés. Que les travailleurs français sont nos frères mais les patrons étrangers sont nos ennemis au même titre que les patrons français. Pour réaffirmer enfin que les prolétaires n’ont pas de patrie.
On peut lire aussi dans le manifeste ceci : “montrer l’importance du travail des immigrants pour l’économie de l’Hexagone.” Voici un groupe de personne stupides (ou escrocs politiques) qui glorifie l’exploitation au lieu de la condamner. Le but recherché est obscur au même titre que l’interlocuteur à qui s’adresse cette action (patronat, Etat, français de base ?). En effet, aucune allusion n’est faite sur les véritables problèmes des immigrés, à savoir ; les salaires minables perçus, les retraites de misère (pour exemple un retraité algérien ayant travaillé 15 ans en France dans le bâtiment touche 100 euros de retraite, de quoi s’acheter une corde pour se pendre).
Boycotter ce mouvement, c’est dire également que nous refusons d’être enfermés dans des débats stériles tels que le racisme et la religion, que les travailleurs immigrés peuvent mener d’autres combats comme participer aux débats sur les questions fondamentales que l’humanité se pose, qu’ils sont parfaitement conscients de la faillite de ce système capitaliste et qu’ils peuvent mener un combat anti-capitaliste sur le terrain de la lutte de classe.
Comme vous pouvez le constater dans le manifeste, aucune allusion aux travailleurs sans-papier, ils n’ont manifesté aucune solidarité avec ces derniers. Mais on les comprend parfaitement, ces personnes autoproclamées cherchent une place au soleil dans le paysage politique français (à l’instar de Fadela Amara, de Rachida Dati, Karim Zeribi…), laissons le temps au temps pour nous apporter la preuve irréfutable.
Selon la mécanique quantique, si on se place au niveau nucléaire c’est-à-dire à l’échelle des particules élémentaires, un caillou et un papillon sont rigoureusement identiques. Cependant, au niveau des macromolécules, le papillon semble infiniment plus structuré et plus ordonné que le caillou. Cet exemple nous permet de saisir la seule différence entre l’inerte et le vivant : l’un est tout simplement plus riche en information que l’autre. Dés lors, nous laissons vos neurones chercher lequel du manifeste de la journée des immigrés ou de la critique présentée ici est le papillon et lequel représente le caillou.
L M / H H
Fin mars, la bourgeoisie américaine a finalement adopté la réforme du système de santé qui était au cœur des promesses du candidat Obama. Celui-ci n’a pas hésité à qualifier l’adoption de ce plan de réforme sociale d’équivalent au New Deal de Roosevelt dans les années 1930. Derrière cette “victoire personnelle”, il jouait en effet son crédit politique, déjà fort entamé par ses menées guerrières en Afghanistan, résolument à l’opposé de l’image qu’il voulait donner d’être un “homme de paix”. Pour la classe ouvrière, derrière ces beaux discours “d’accès à la santé pour tous” se cache en réalité une attaque brutale des conditions de vie et de soin comme le montrent les extraits publiés ci-dessous de l’article réalisé par Internationalism, section du CCI aux Etats-Unis.
Il y a, en réalité, deux versions de la crise du système de santé aux Etats-Unis : une pour la classe ouvrière et une autre pour la classe dominante. Pour la classe ouvrière, les attaques contre l’assurance maladie ont constitué un élément central dans pratiquement toutes les luttes sur le renouvellement des conventions collectives au cours de la dernière décennie. Par le passé, les grandes compagnies privées couvraient habituellement 100 % des cotisations d’assurance santé, mais le patronat a de plus en plus contraint les travailleurs à payer un pourcentage de ces coûts et, après avoir réussi à les faire payer, il a cherché, à l’occasion de chaque nouvelle convention, à augmenter cette part. En même temps, les ouvriers et leurs familles doivent faire face à la montée en flèche des frais médicaux ainsi qu’à une qualité de soins déclinante. De récentes décisions de justice permettent aux syndicats et aux compagnies d’écarter les retraités des systèmes d’assurance existants, les forçant ainsi à ne dépendre que de Medicare (système d’assurance maladie minimum pour les personnes âgées aux Etats-Unis) et à financer eux-mêmes la couverture des frais supplémentaires. Sans parler des quelque 50 millions de personnes qui n’ont aucune assurance pour les soins médicaux.
Pour la classe dominante, la crise du système de santé vient du fait que la classe dominante se trouve avec un système incroyablement inefficace et très coûteux qui affaiblit la compétitivité économique du capitalisme américain sur le marché mondial. Les coûts des assurances, les honoraires des médecins, les coûts dans les hôpitaux, les frais généraux et les dépenses administratives sont incontrôlables. Les Etats-Unis ont le système de santé le plus coûteux du monde ; les dépenses par tête se montent à plus du double de celles de la plupart des grandes nations industrialisées. Les dépenses de santé en pourcentage du PIB sont de 9,9% au Canada, 10,1 % en France et 8 % au Royaume Uni mais atteignent un 15,2% astronomique aux Etats-Unis. Et tout ce surplus de dépenses fournit une qualité de soins médicaux inférieure, qui fait que les Etats-Unis sont ridicules sur la scène internationale. Les résultats en termes de santé publique sont parmi les plus mauvais du monde industrialisé. En Australie, au Canada, en France, en Allemagne, au Japon, en Suède, et au Royaume Uni, l’espérance de vie est comprise entre 79,5 ans et 82,5 ans. Aux Etats-Unis, elle n’est que de 77 ans. Une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé portant sur la qualité globale des systèmes de santé place les Etats-Unis au 37ème rang mondial, derrière la République dominicaine et le Costa Rica. “Les enfants nés aux Etats-Unis ont trois fois plus de chance de mourir dans leur premier mois que ceux nés au Japon et la mortalité des nouveaux nés est deux fois plus élevée aux Etats-Unis qu’en Finlande, en Islande ou en Norvège.”1
Avoir autant de gens sans assurance de santé nuit en plus à l’économie américaine, car les dépenses pour les soins d’urgence de ces patients sont couvertes par des fonds généraux provenant des impôts. Le besoin de «réformer» le système de santé et d’en contrôler les coûts croissants, en particulier avec la génération du «baby boom» qui arrive à la retraite, est considéré comme une nécessité politique urgente par les économistes et les politiciens de tout bord politique.
Pour la classe capitaliste, la réforme de la santé n’a pas pour but d’améliorer la santé des travailleurs mais de réduire les dépenses et d’améliorer sa compétitivité dans l’économie mondiale.
La loi ne va qu’aggraver la situation pour les travailleurs américains. Quel que soit le nombre de fois où l’administration Obama emploie le mot «réforme» dans sa propagande, cela ne peut masquer le fait que ce paquet de dispositions sur la santé est une attaque qui fait partie des mesures d’austérité prises contre la classe ouvrière. Certes, la propagande sur “l’assurance santé pour tous” a, pour la classe dominante, un pouvoir de mystification énorme. Pour ceux qui n’ont actuellement aucune assurance maladie, toute extension de la couverture santé peut sembler être mieux que rien, mais c’est une illusion. Pour la classe ouvrière dans son ensemble, ce qui se profile est une attaque contre l’assurance santé.
Bien sûr, plus de gens devraient être couverts par l’assurance santé, mais il y en aura toujours entre 26 et 32 millions sans assurance, selon la façon dont les dispositions prévues, par le Sénat ou par la Chambre, vont être intégrées dans la version finale de la loi. Dans tous les cas, ceux qui seront nouvellement couverts par l’assurance, seront forcés de la payer eux-mêmes. S’ils ne la paient pas, ils auront des amendes pouvant aller jusqu’à 2,5 % de leur revenu imposable. Certains ouvriers très mal payés pourront peut-être recevoir des subventions du gouvernement qui alimentera un fonds d’assurance, mais le financement de ce dernier sortira de la poche du reste de la classe ouvrière.
Les deux projets de financement, celui du Sénat et celui de la Chambre, proposent de réduire les aides Medicare et Medicaide, respectivement pour les retraités et les pauvres. Ce qui est prévu de plus onéreux, c’est une taxe spéciale (excise tax, sorte d’impôts indirects) sur les assurances santé appelées “Cadillac” - définies comme coûtant au moins 8500 $ par an et par personne ou 23 000 $ pour les familles- qui touchera environ 19 % des assurances santé existantes payées par les employeurs, y compris beaucoup de celles actuellement en vigueur pour les ouvriers des industries où les syndicats ont signé les conventions collectives. Cette proposition de taxe spéciale, indirecte, est soutenue par la Maison Blanche et les économistes. Elle sera prélevée auprès des compagnies d’assurance mais, par définition, sont coût sera répercuté sur les consommateurs, ce qui permettra aux compagnies d’assurance de récupérer leur argent. Les taxes indirectes sont généralement utilisées par l’Etat pour lutter contre certains comportements sociaux «indésirables» - comme les taxes sur l’alcool ou le tabac. Dans le cas qui nous intéresse, le «mal social» indésirable est ce que la bourgeoisie appelle les assurances santé «abusivement généreuses», que les économistes jugent trop coûteuses pour l’économie nationale. Cela va conduire soit à une brutale augmentation de la contribution des employés à l’assurance santé et des franchises, soit à une couverture santé sérieusement réduite. Comme l’a dit Beth Umland, directeur de la recherche sur la santé et les avantages de la compagnie consultante Mercer, “la majorité des employeurs réagira comme les politiciens l’espèrent, en réduisant les avantages”. Selon une récente étude des 465 plus grandes corporations, réalisée par les consultants de Mercer, 66 % des employeurs projettent de diminuer les remboursements ou d’augmenter les contributions des employés pour répondre à la législation, en supprimant les comptes flexibles de dépenses utilisés pour couvrir les frais médicaux non remboursés ou en supprimant la couverture pour les frais dentaires ou ophtalmologiques. Cela “tendrait à reporter plus de frais sur les travailleurs – mais pourrait aider à atteindre un des buts promus par les économistes et les politiciens qui soutiennent la taxe indirecte : diminuer les dépenses médicales”.
Si la réforme de la santé est de façon si évidente essentielle pour la bourgeoisie, comme le montre le fait que chaque candidat, démocrate ou républicain, aux primaires présidentielles de 2008 a fait des propositions pour réformer la politique de la santé, pourquoi les Républicains s’opposent-ils de façon si virulente à cette législation ? Pourquoi toutes ces déclarations ridicules sur le soi-disant «socialisme» d’Obama et ses «comités de la mort» ? Il y a plusieurs explications plausibles. La première, bien sûr, c’est la division politique du travail que la classe dominante utilise souvent pour renforcer les mystifications démocratiques, pour créer l’illusion d’un véritable débat politique. Avant l’élection du 19 janvier, avec 60 voix sous le contrôle des Démocrates, le passage de la réforme du système de santé, sous une forme ou une autre, était garanti et l’opposition républicaine ne menaçait en aucune manière de saper la mise en oeuvre de la rationalisation du système de santé nécessaire pour la bourgeoisie. Cependant, nous devons aussi reconnaître à cette opposition un aspect qui reflète l’impact de la décomposition sociale de la société capitaliste, affectant même les processus politiques au sein de la classe dominante. Ces dix dernières années, nous avons noté d’autres exemples des difficultés politiques de la bourgeoisie à agir de façon efficace et conforme à ses intérêts, comme dans le cas des élections ratées de 2000 et 2004, dans lesquelles la tendance au “chacun pour soi” a conduit les principaux partis politiques à rechercher leur avantage et la victoire électorale sans aucun souci de ce qu’étaient vraiment les meilleurs intérêts du capitalisme d’Etat américain. Dans ce contexte, sans aucun doute, le racisme qui imprègne l’extrême droite à l’égard du président afro-américain à la Maison Blanche, joue aussi un rôle. Ce racisme, profondément enraciné, anime les birthers (ceux pour qui on doit être né dans le pays) qui dénient la «légitimité» d’Obama parce qu’il n’est pas né aux Etats-Unis, ou ceux qui l’accusent d’être un «socialiste» ou un musulman caché. Même si Obama proposait que l’anniversaire de Ronald Reagan devienne une fête nationale, on peut imaginer que ces éléments dénonceraient la proposition comme étant un infâme complot socialo-islamique. Un autre aspect de cette décomposition peut se voir dans la résistance acharnée de l’industrie de l’assurance qui finance l’opposition de beaucoup de conservateurs de la Chambre et du Sénat. Nous y trouvons même les petites manœuvres ridicules des démocrates les plus conservateurs qui défendent des concessions spécifiques pour leur propre projet favori, ou pour leurs bailleurs de fonds. De telles difficultés à mettre en place une politique qui sert les intérêts vitaux du capitalisme américain ne sont pas des signes de bonne santé de la classe dominante.
Mais malgrè ces difficultés, la bourgeoisie est tout de même sur le point de “résoudre” sa crise du système de santé, d’imposer un changement qui ne sera pas une réforme, ni une extension de l’assurance maladie, ni une tentative d’améliorer la santé de la classe ouvrière, mais en fin de compte une mesure d’austérité supplémentaire prise contre la classe ouvrière dans son ensemble.
Jerry Grevin (23 janvier)
1) Selon l’ONG Save the Children, propos rapportés par CNN.
Nous avons reçu sur notre site en espagnol le 3 mars 2010, un comentaire relatif à la situation des habitants des quartiers ouvriers et populaires de l’agglomération de Concepción, à la suite du séisme de fin février. Contrairement à la propagande des médias à l’échelle internationale qui ont dénigré le comportement des populations locales en les désignant comme les auteurs de «scandaleux pillages», ce texte restitue la réalité des faits en mettant en avant l’esprit authentiquement prolétarien de solidarité et d’entraide qui a animé les ouvriers dans la redistribution des biens, tout en l’opposant à l’action prédatrice des gangs armés contre lesquels la population ouvrière a tenté de prendre en charge et d’organiser sa propre défense.
Il serait souhaitable que dans la mesure où vous [le CCI] avez ce moyen de diffusion [le site Internet], vous rendiez compte de ce qui est en train de se passer à Concepción et ses environs1, ainsi que dans d’autres régions du Chili qui viennent d’être lourdement touchées par le séisme. On sait que dès les premiers instants, les gens ont mis en pratique le bon sens le plus évident en se rendant aux magasins de denrées alimentaires pour y prendre tout ce dont ils avaient besoin. Ceci est si logique, si rationnel, si nécessaire et inévitable qu’il apparaît comme quelque peu absurde d’en faire la critique. Les gens ont créé une organisation spontanée (surtout à Concepción) pour distribuer le lait, les couches pour bébé et l’eau, en fonction des besoins de chacun, en tenant compte, entre autres, du nombre d’enfants par famille. Le besoin de prendre les produits disponibles apparaissait si évidente, et si puissante la détermination du peuple à mettre en pratique son droit à survivre, que même les policiers finirent par aider les gens à sortir les vivres du supermarché Leader à Concepción, par exemple. Et quand on a essayé d’empêcher que les gens fassent la seule chose raisonnable, les installations en question furent simplement incendiées, pour la simple et logique raison qui fait que si des tonnes de denrées alimentaires vont finir par pourrir au lieu d’être logiquement consommées, il vaut mieux que ces aliments soient brûlés, évitant ainsi le danger des foyers supplémentaires d’infection. Ces «pillage» ont permis à des milliers de personnes de subsister pendant quelque temps, dans le noir, sans eau potable et sans le moindre espoir qu’un quelconque secours arrive.
Or, au bout de quelques heures, la situation a changé du tout au tout. Sur toute l’agglomération du Grand Concepción des bandes bien armées et roulant dans des véhicules de bonne qualité, ont commencé à mettre à sac non seulement les petits commerces, mais aussi les logements particulières et des pâtées de maison entiers. Leur objectif est de s’accaparer le peu de biens que les gens auraient pu récupérer dans les supermarchés, ainsi que les outils domestiques, l’argent ou tout ce que ces bandes peuvent trouver. Dans certaines zones de Concepción, ces bandes ont saccagé les maisons, elles y ont mis le feu, prenant la fuite aussitôt après. Les habitants, qui se sont trouvés au début sans la moindre défense, ont commencé à s’organiser pour pourvoir se défendre, en faisant des rondes de surveillance, en levant des barricades pour protéger les accès aux quartiers, et dans quelques quartiers en mettant en commun les vivres pour assurer l’alimentation de tous les habitants. Avec ce bref rappel des faits survenus ces jours derniers, je ne prétends pas «compléter» les informations fournies par d’autres moyens. Je ne voudrais qu’attirer l’attention sur tout ce que cette situation critique contient d’un point de vue anticapitaliste. L’élan spontané des gens pour s’approprier de tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, leur tendance au dialogue, au partage, à chercher des accords et à agir ensemble, a été présent depuis le début de cette catastrophe. Nous avons tous pu voir dans notre entourage cette tendance communautaire naturelle sous différentes formes. Au milieu de l’horreur vécu par des milliers de travailleurs et leurs familles, cet élan pour la vie en commun a surgi comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres, nous rappelant qu’il n’est jamais trop tard pour redevenir nous mêmes.
Face à cette tendance organique, naturelle, communiste, qui a animé le peuple pendant ces heures d’épouvante, l’État a blêmi et s’est montré pour ce qu’il est : un monstre froid et impuissant. De même, l’interruption brutale du cycle démentiel de production et de consommation, a laissé le patronat à la merci des événements, à attendre, tapi, que l’ordre soit rétabli. C’est ainsi que la situation a ouvert une vraie brèche dans la société, par laquelle pourraient sourdre les sources d’un monde nouveau qui est déjà dans les cœurs des gens du commun. Il devenait donc urgent et nécessaire de rétablir à tout prix le vieil ordre de la rapine, de l’abus et de l’accaparement. Mais ça a été fait non pas à partir des hautes sphères, mais à partir du sol même de la société de classe : ceux qui se sont chargés de remettre les choses à leur place, autrement dit, d’imposer par la force les rapports de terreur qui permettent l’existence de l’appropriation privée capitaliste, ont été les mafias des narcotrafiquants enkystées dans les quartiers populaires, des arrivistes entre les plus arrivistes, des enfants de la classe ouvrière alliés avec des bourgeois au prix de l’empoisonnement de leurs frères, du commerce sexuel de leurs sœurs, de l’avidité consommatrice de leurs propres enfants. Des maffieux, autrement dit des capitalistes à l’état pur, des prédateurs du peuple, bien calés dans leurs 4x4 et armés de fusils, disposés à intimider et à dépouiller leurs propres voisins ou les habitants d’autres quartiers pour essayer de monopoliser le marché noir et obtenir de l’argent facile, autrement dit : du pouvoir. Le fait que ces individus sont des alliés naturels de l’État et de la classe patronale, est démontré par le fait que leurs méfaits indignes sont utilisées par les media pour faire pénétrer la panique dans les têtes d’une population déjà démoralisée, justifiant ainsi la militarisation du pays. Quel autre scénario pourrait être plus propice à nos maîtres politiques et patronaux, qui ne voient dans cette crise catastrophique rien d’autre qu’une bonne occasion de faire de juteuses affaires et des profits redoublés en pressant une force de travail dominée par la peur et le désespoir ?
De la part des adversaires de cet ordre social, c’est un non-sens que de chanter de louanges aux pillages sans préciser le contenu social de telles actions. Ce n’est pas du tout la même chose une masse de gens plus ou moins organisée, mais du moins avec un objectif commun, qui prend et distribue des produits de première nécessité pour survivre... et des bandes armées qui dévalisent la population pour s’enrichir. Le séisme de samedi 27 n’a pas seulement frappé très durement la classe ouvrière et a détruit les infrastructures existantes. Mais il a aussi sérieusement bouleversé les rapports sociaux dans ce pays. En quelques heures, la lutte de classe a surgi avec toute sa force devant nos yeux, trop habitués peut-être aux images de la télévision pour pouvoir bien saisir l’essentiel des événements. La lutte de classe est ici, dans nos quartiers devenus des ruines dans la pénombre, crépitant et crissant sous nos pas, sur le sol même de la société, où s’affrontent dans un choc mortel deux types d’êtres humains qui se retrouvent enfin face à face : d’un coté, les femmes et les hommes à l’esprit collectif qui se cherchent pour s’entraider et partager ; de l’autre les antisociaux qui les pillent et leur tirent dessus pour ainsi commencer leur propre accumulation primitive de capital. Ici, c’est nous, les êtres invisibles et anonymes de toujours, pris dans nos vies d’exploités, de nos voisins et de nos parents, mais disposés à établir des liens avec tous ceux qui partagent la même dépossession. Là bas, c’est eux, peu nombreux mais disposés à nous dépouiller par la force le peu ou le presque rien que nous pouvons nous partager. D’un coté le prolétariat, de l’autre, le capital. C’est aussi simple. Dans beaucoup de quartiers de ce territoire dévasté, à ces heures-ci du petit matin, les gens commencent à organiser leur défense face à ces hordes armées. À cette heure a commencé à prendre une forme matérielle la conscience de classe de ceux qui se sont vus obligés, brutalement et en un clin d’œil, à comprendre que leurs vies leur appartiennent et que personne ne leur viendra en aide.
Message reçu le 3 mars 2010.
1) Le séisme a eu lieu le 27 février 2010 en pleine nuit, avec une magnitude de 8,8. Il provoqua la mort de près de 500 personnes, mais le tsunami qui l’a suivi en rajouta encore plus de morts. Il a touché beaucoup de villes chiliennes, dont la capitale, Santiago. Mais c’est dans la deuxième agglomération du pays, celle de Concepción (900 000 hab. pour l’agglomération), que les morts et les dégâts ont été les plus graves [NdT].
Un immense trou dans une terre rouge et desséchée, des dizaines de corps d’enfants, de femmes et d’hommes y sont ensevelis. Tout autour une foule pleure. Au Nigeria, l’horreur a encore frappé. Dans la nuit du 6 au 7 mars plusieurs centaines de personnes, toutes chrétiennes, ont été massacrées. Ces nouvelles atrocités ont eu lieu dans trois villages de l’Etat du Plateau, région du centre du Nigeria qui sépare le Sud à majorité chrétienne du Nord de celui-ci à majorité musulmane. Sur les cadavres encore chauds, les différentes fractions bourgeoises se disputent comme de véritables charognards, en fonction de leurs intérêts, le nombre de morts à afficher.
Ce nouveau massacre perpétré par un groupe extrémiste pro-musulman se dénommant Boro Haram ne fait en réalité que suivre un chemin de tueries qui dure depuis plusieurs dizaines d’années. En janvier dernier, plus de 300 personnes, essentiellement des musulmans, avaient été tuées par des chrétiens à Jos et dans sa région. En dix ans, dans ce pays martyrisé, il y a eu officiellement 10 000 personnes assassinées. Et c’est en millions qu’il faut les compter depuis son indépendance en 1960 ! Au-delà de la haine qui s’est développée entre une partie de la population musulmane et chrétienne, des questions se posent cruellement. Qui sont les véritables responsables de tous ces massacres ? Qui attise le feu en permanence entre les différentes communautés ? Qui arme et protège les bourreaux des deux camps ?
Le Nigeria est de très loin le pays le plus peuplé d’Afrique, 130 millions de personnes y survivent et y connaissent une situation de guerre permanente. De 1967 à 1970, il a connu une guerre qui fit à elle seule deux millions de morts. A cette époque, comme encore aujourd’hui, on a présenté cette guerre comme un simple conflit armé inter-ethnique et religieux, entre les Houassas musulmans du Nord et les Ibos chrétiens du Sud-Est. Ces derniers voulaient constituer un Etat indépendant dans le sud du pays en tentant de séparer la région du Biafra du reste du Nigeria. A cette époque, c’était encore l’impérialisme britannique qui gardait une influence majeure sur le pays et ceci malgré l’indépendance acquise quelques années plutôt. En encourageant la sécession biafraise, la France cherchait à affaiblir l’influence britannique en Afrique subsaharienne. La Côte d’Ivoire contrôlée par la France servit d’intermédiaire pour livrer des armes aux rebelles. Quand au Gabon et sa capitale Libreville, ils devinrent tout simplement la base arrière de l’aide politique et militaire de la France. Cette politique meurtrière et inhumaine n’a pas cessé depuis. A ce moment-là, l’impérialisme français n’est pas parvenu à contrôler le Nigeria, qui est resté un pays d’où partait la politique tentant de contrecarrer l’influence de la France dans toute région de l’Afrique de l’Ouest. Cette politique de la France a un nom tristement célèbre, on la nomme “Françafrique”. Elle concerne des pays comme : la Côte d’Ivoire, le Sénégal,, le Bénin, le Burkina-faso, le Mali ou encore le Niger. Elle n’est faite que de magouilles, turpitudes et massacres. C’est sous le règne de Sani Abacha de 1993 à 1998 que la France va effectuer un retour spectaculaire au Nigeria, venant ainsi contrarier l’influence de l’Angleterre et des Etats-Unis. Mais ces puissances ne vont pas non plus rester à leur tour inactives. Le retour au pouvoir d’Oluseguen Obansanjo en 1999 va permettre à l’impérialisme américain de reprendre pied dans ce pays.
Le nouveau président du Nigeria se présentait alors comme l’interlocuteur numéro un des Etats-Unis en Afrique de l’Ouest. Cette allégeance ne durera pas, car il se tournera vers le plus offrant, qui se révélera être à nouveau la France. Lors de sa visite à Paris en 2005 pour rencontrer Jacques Chirac, et chercher l’appui de l’Etat français pour l’annulation de sa dette, voilà ce qu’il déclarait : “La France peut faire preuve de leadership et de courage en la matière afin de récompenser un gouvernement qui réforme, un gouvernement qui dans une large mesure sécurise l’Afrique de l’Ouest et un gouvernement qui a montré du courage dans sa lutte contre la corruption.” Demande qui sera entendu cinq sur cinq. Le Club de Paris décidera alors, sous la pression du gouvernement français, l’annulation de la dette.
Le Nigeria ne sera pas ingrat et appuiera la France dans son soutien actif aux massacres au Togo pour y favoriser le coup d’Etat de Gnassingbe, ancien sergent de la coloniale. Au Nigeria, comme dans aucun autre pays d’Afrique, pas un de ces grands charognards impérialistes ne veut laisser la place à un de ses concurrents directs. De ce fait, après les derniers massacres du 6 et 7 mars, chacun des deux plus importants prédateurs impérialistes sur la scène nigériane ont tout naturellement réagi immédiatement en faisant réciproquement assaut de la plus belle hypocrisie. Le chef de la diplomatie guerrière française, Bernard Kouchner, ne pouvait être en reste :“La France condamne fermement les graves violences qui ont frappé les communautés villageoises au sud de la ville de Jos dans l’Etat du Plateau. J’adresse aux familles et aux proches mes plus sincères condoléances. J’exprime le soutien de la France aux autorités nigérianes dans leurs efforts pour ramener le calme et pour traduire les auteurs de ces violences devant la justice.” Son homologue et concurrente américaine Hillary Clinton lui faisait alors écho en ces termes : “J’appelle les Nigérians à la retenue et demande aux autorités de déférer les coupables à la justice.” Derrière ces paroles mielleuses se cachent la concurrence acharnée que se livrent la France et les Etats-Unis. La région du Nord, sous le poids de la montée de la décomposition, de la misère et de chaos, semble aller dans le sens d’une radicalisation de type talibans, faite d’un fanatisme religieux inhumain ; quant au Sud, par ailleurs zone possédant des ressources pétrolières non négligeables (estimées à 3% de celles de la planète), apparaît devoir continuer à être le théâtre des rivalités impérialistes et économiques les plus féroces. La population nigériane, comme celle de tant de pays d’Afrique et du tiers-monde, n’en a donc pas fini d’être la proie de la barbarie capitaliste.
P et T (22 mars)
Notre camarade Jerry Grevin, militant de longue date de la section américaine du CCI, est mort subitement d’une crise cardiaque le 11 février 2010. Sa mort prématurée est une perte énorme pour notre organisation et tous ceux qui le connaissaient: sa famille a perdu un mari, un père et un grand-père tendre et affectueux; ses compagnons de travail à l’université où il enseignait, ont perdu un collègue estimé; les militants du CCI, dans sa section et dans le monde entier, ont perdu un camarade très aimé et totalement dévoué.
Jerry Grevin est né en 1946 à Brooklyn, dans une famille ouvrière de la deuxième génération d’immigrants juifs. Ses parents avaient un esprit critique qui les mena à entrer au Parti communiste des Etats-Unis, puis à le quitter. Le père de Jerry avait été profondément choqué par la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki à laquelle il avait assisté en tant que membre des forces américaines d’occupation à la fin de la Deuxième Guerre mondiale; bien qu’il n’ait jamais parlé de cette expérience et que son fils ne l’ait sue que bien plus tard, Jerry était convaincu qu’elle avait exacerbé l’état d’esprit anti-patriotique et anti-guerre qu’il avait hérité de ses parents.
L’une des grandes qualités de Jerry qui ne s’est jamais démentie, était son indignation brûlante et inébranlable contre toute forme d’injustice, d’oppression et d’exploitation. Dès sa jeunesse, il a énergiquement pris part aux grandes causes sociales de l’époque. Il participa aux grandes manifestations contre la ségrégation et l’inégalité raciale organisées par le Congress of Racial Equality (CORE) dans le Sud de l’Amérique. Cela nécessitait un courage certain puisque des militants et des manifestants subissaient quotidiennement de mauvais traitements, des bastonnades et étaient même assassinés; et Jerry étant juif, non seulement il combattait les préjugés racistes, il en était lui-même l’objet.1
Pour sa génération, aux Etats-Unis en particulier, l’autre question cruciale de l’époque était l’opposition à la guerre du Vietnam. Exilé à Montréal au Canada, il fut l’animateur d’un des comités qui faisait partie du “Second Underground Railroad”2 pour aider les déserteurs de l’armée américaine à fuir les Etats-Unis et à commencer une nouvelle vie à l’étranger. Il s’engagea dans cette activité non comme pacifiste mais avec la conviction que la résistance à l’ordre militaire pouvait et devait faire partie d’une lutte de classe plus large, contre le capitalisme, et il participa à la publication militante, de courte durée, Worker and Soldier. Plusieurs années après, Jerry eut la possibilité de consulter une partie –largement censurée- de son dossier au FBI: son épaisseur et les détails qu’il comportait –le dossier était régulièrement mis à jour dans la période où il militait dans le CCI- lui donnèrent pas mal de satisfaction et induisirent de sa part quelques commentaires caustiques envers ceux qui pensent que la police et les services de renseignements “ne s’occupent pas” des petits groupes insignifiants de militants aujourd’hui.
A son retour aux Etats-Unis dans les années 1970, Jerry travailla comme technicien des téléphones dans une des principales compagnies téléphoniques. C’était une période de bouillonnement de la lutte de classe avec la crise qui commençait à frapper et Jerry participa aux luttes à son travail, aux petites comme aux grandes, en même temps qu’il participait à un journal appelé Wildcat, prônant l’action directe et publié par un petit groupe du même nom. Bien qu’il ait été déçu par l’immédiatisme et l’absence d’une perspective plus large – c’est la recherche d’une telle perspective qui l’amena à rejoindre le CCI –cette expérience directe, à la base, couplée à ses grandes capacités d’observation et à une attitude humaine envers les travers et les préjugés de ses collègues de travail, lui apporta une vision profonde de la façon dont se développe concrètement la conscience dans la classe ouvrière. Comme militant du CCI, il illustrait souvent ses arguments politiques d’images vivantes tirées de son expérience.
Une de celles-ci décrivait un incident dans le Sud de l’Amérique où son groupe de techniciens du téléphone de New York avait été envoyé travailler. Un ouvrier du groupe, un Noir, était persécuté par la direction pour une prétendue faute mineure; les New-Yorkais prirent sa défense, à la grande surprise de leurs collègues du Sud: “Pourquoi s’en faire?”, demandèrent-ils “ce n’est qu’un nègre”. Ce à quoi un des New-Yorkais répondit vigoureusement que la couleur de la peau n’avait aucune importance, que les ouvriers étaient tous ouvriers ensemble et devaient se défendre mutuellement contre les patrons. “Mais le plus remarquable” concluait Jerry, “c’est que le type qui avait pris le plus fort la défense de l’ouvrier noir, était connu du groupe pour être lui-même raciste et avoir déménagé à Long Island pour ne pas habiter dans un quartier noir. Et cela montre comment la lutte et la solidarité de classe constituent le seul véritable antidote au racisme”.
Une autre histoire qu’il aimait raconter, concernait sa première rencontre avec le CCI. Pour citer l’hommage personnel d’un camarade : “Comme je l’ai entendu raconter un million de fois, c’est quand il rencontra pour la première fois un militant du CCI à une époque où il était, comme il le décrivait lui-même, “un jeune individualiste immédiatiste”, écrivant et diffusant ses articles seul, qu’il se rendit compte que la passion révolutionnaire sans organisation ne pouvait qu’être une flamme passagère de jeunesse. C’est quand le militant du CCI lui dit: “OK, tu écris et tu es marxiste, mais que fais-tu pour la révolution?”. Jerry racontait souvent cette histoire à la suite de quoi il ne dormit pas de toute la nuit. Mais ce fut une nuit blanche qui porta prodigieusement ses fruits”. Beaucoup auraient pu se décourager face au commentaire abrupt du CCI, mais pas Jerry. Au contraire, cette histoire (qu’il racontait en s’amusant de son état d’esprit de l’époque) révèle une autre facette de Jerry : sa capacité à accepter la force d’un argument et à changer de point de vue s’il était convaincu par d’autres idées – une qualité précieuse dans le débat politique qui est l’âme d’une véritable organisation prolétarienne.
La contribution de Jerry au CCI est inestimable. Sa connaissance du mouvement ouvrier aux Etats-Unis était encyclopédique ; sa plume alerte et son écriture colorée ont fait vivre cette histoire pour nos lecteurs dans les nombreux articles qu’il a écrits pour notre presse aux Etats-Unis (Internationalism) et pour la Revue internationale. Il avait aussi une maîtrise remarquable de la vie politique et de la lutte de classe aux Etats-Unis aujourd’hui et ses articles sur l’actualité, tant pour notre presse que pour nos bulletins internes, ont été des apports importants pour notre compréhension de la politique de la première puissance impérialiste mondiale.
Sa contribution à la vie interne et à l’intégrité organisationnelle du CCI a également été importante. Pendant des années, il a été un pilier de notre section américaine, un camarade sur qui on pouvait toujours compter pour être aux avant-postes quand des difficultés se présentaient. Pendant les difficiles années 1990, quand le monde entier –mais particulièrement peut-être les Etats-Unis- était inondé par la propagande sur “la victoire du capitalisme”, Jerry ne perdit jamais la conviction de la nécessité et de la possibilité d’une révolution communiste, il ne cessa jamais de communiquer avec ceux qui l’entouraient et avec les rares nouveaux contacts de la section. Sa loyauté à l’organisation et à ses camarades était inébranlable, d’autant plus que, comme il le disait lui-même, c’était sa participation à la vie internationale du CCI qui lui donnait du courage et lui permettait de “recharger ses batteries”.
Sur un plan plus personnel, Jerry était aussi extraordinairement drôle et doué pour raconter des histoires. Il pouvait –et cela arrivait souvent – faire rire pendant des heures une audience d’amis ou de camarades avec des histoires le plus souvent tirées de ses observations de la vie. Alors que ses histoires déployaient parfois des piques aux dépens des patrons ou de la classe dominante, elles n’étaient jamais cruelles ou méchantes. Au contraire, elles révélaient son affection et sa sympathie pour ses semblables, de même qu’une capacité bien trop rare à se moquer de ses propres faiblesses. Cette ouverture aux autres est sans doute ce qui a fait de Jerry un professeur efficace (et apprécié) – profession qu’il a embrassée tard, quand il était déjà dans la quarantaine.
Notre hommage à Jerry serait incomplet si nous ne mentionnions pas sa passion pour la musique Zydeco (un style de musique ayant pour origine les créoles de Louisiane et qui y est toujours jouée). Le danseur de Brooklyn était connu dans les festivals de Zydeco de l’arrière-pays de Louisiane, et Jerry était fier de pouvoir aider de jeunes groupes de Zydeco inconnus à trouver des lieux et une audience pour jouer à New York. C’était tout Jerry : enthousiaste et énergique dans tout ce qu’il entreprenait, ouvert et chaleureux avec les autres.
Nous ressentons d’autant plus vivement la perte de Jerry que ses dernières années ont été parmi les plus heureuses. Il était ravi de devenir le grand-père d’un petit-fils adoré. Politiquement, il y avait le développement d’une nouvelle génération de contacts autour de la section américaine du CCI et il s’était lancé dans le travail de correspondance et de discussion avec toute son énergie coutumière. Son dévouement avait porté ses fruits dans les Journées de Discussion tenues à New York quelques semaines seulement avant sa mort, qui avaient rassemblé de jeunes camarades de différentes parties des Etats-Unis, dont beaucoup se rencontraient pour la première fois. A la fin, Jerry était ravi et voyait cette réunion, et tout l’avenir qu’elle incarnait, comme l’un des couronnements de son activité militante. Il nous paraît donc juste de donner, pour finir, la parole à deux jeunes camarades qui ont participé aux Journées de Discussion : pour JK, “Jerry était un camarade de confiance et un ami chaleureux...Sa connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier aux Etats-Unis; la profondeur de son expérience personnelle dans les luttes des années 1970 et 1980 et son engagement à maintenir la flamme de la Gauche communiste aux Etats-Unis pendant la difficile période qui a suivi la prétendue “mort du communisme” étaient incomparables”. Pour J, “Jerry a été une sorte de guide politique pour moi au cours des 18 derniers mois. Il était aussi un ami très cher (...)Il voulait toujours discuter et aider les camarades plus jeunes à apprendre comment intervenir et à comprendre les leçons historiques du mouvement ouvrier. Sa mémoire vivra dans chacun de nous, dans le CCI et à travers toute la lutte de classe.”
CCI
Nota Bene
Deux articles de ce journal ont été écrits et réalisés par notre camarade Jerry :
"L’immigration et le mouvement ouvrier” (2è partie) qui est constitué d’extraits de l’article théorique de la Revue Internationale n°140, 1er trimestre 2010.
"Etats-Unis : La «réforme» du système de santé est une attaque contre la classe ouvrière” qui est un article écrit au feu de l’actualité.
Nous conseillons aussi à nos lecteurs de parcourir sur notre site web l’un de ses derniers articles : “‘Capitalism : a love story’, un aperçu” qui est une critique du dernier film de Michael Moore.
Ces trois textes, par leur diversité, révèle que, tout comme Marx, Jerry avait fait sienne la maxime du poéte latin d’origine berbère Térence : “Rien de ce qui est humain ne m’est étranger”.
1) En 1964, il y eut une affaire tristement célèbre où trois jeunes militants des droits civiques (James Chaney, Andrew Goodma n et Michael Schwerner) furent assassinés par des officiers de police et des membres du Ku Klux Klan. Deux d’entre eux étaient des Juifs de New York.
2) Le nom “Underground Railroad” était une référence à un réseau, créé au 19e siècle avant la Guerre civile, de cachettes et de militants anti-esclavagistes qui aidaient les esclaves en fuite à gagner le Nord de l’Amérique et le Canada.
L’État grec est au bord du gouffre. Sa “faillite” (1) fait la une de tous les médias, dans tous les pays. Une véritable “tragédie grecque” se plaisent même à répéter les journalistes, fiers de leurs traits d’esprit dramaturgiques. Mais derrière ces envolées lyriques se cache une réalité terrible, celle ressentie dans leur chair par les travailleurs, les chômeurs, les retraités, les jeunes précaires… bref, la classe ouvrière.
Loin d’être renvoyée aux calendes grecques, la brutale dégradation des conditions de vie est en effet pour elle une réalité d’ores et déjà bien tangible. Les plans d’austérité se succèdent à un rythme infernal. Les usines ferment. Les taxes s’envolent. Les fonctionnaires voient leur maigre salaire se réduire drastiquement, quand ils ne sont pas tout simplement licenciés. Au moment de mettre sous presse ce journal, le gouvernement hellénique s’apprête à annoncer encore de nouvelles attaques. D’après des “fuites” savamment orchestrées pour préparer “l’opinion publique”, il s’agirait “entre autres” (sic!) d’un “relèvement [supplémentaire] de la TVA de 1 à 2 points”, de “la suppression des 13e et 14e mois dans le secteur public”, d’une “hausse à 4 % par an, contre 2 % actuellement, de la proportion d’employés pouvant être licenciés”, d’un “gel pluriannuel des rémunérations dans le secteur public” (2) et d’une hausse de l’âge légal de départ à la retraite pour les fonctionnaires de 53 à 67 ans! D’après la presse bourgeoise même, il s’agit là d’une “cure d’austérité inédite” (Libération) (3), d’une “austérité sans précédent” (les Echos) (4), d’un “traitement de choc” (le Monde et le Figaro) (5).
Et la peur de “l’effet domino”, de “la contagion”, de “la panique”… commence à poindre dans les déclarations des responsables politiques et économiques européens. Le Portugal et l’Espagne sont à leur tour pointés du doigt. Leur capacité à maîtriser la dette publique est jugée trop “incertaine”. Ces États doivent donc réduire eux aussi de façon drastique leurs dépenses pour limiter la hausse de l’endettement public. Le gouvernement portugais vient ainsi d’annoncer lui aussi un nouveau plan d’austérité. La cure grecque est administrée aux habitants de la péninsule ibérique. Aux mêmes maux les mêmes “remèdes” : réduction des pensions, des allocations, des salaires et des effectifs, dans le privé comme dans le public, hausse des impôts…
Pourtant, ces derniers mois, les docteurs en économie ont voulu nous faire croire que la Grèce était un cas particulier, qu’elle était la victime du manque d’honnêteté de ses responsables politiques (qui ont effectivement truqué, a priori plus que les autres encore, les statistiques de l’économie nationale) et de l’appétit des prédateurs de la spéculation boursière. Ils ont voulu nous cacher la sombre réalité : tous les États de la planète sont surendettés. L’économie mondiale survit depuis des décennies à crédit et l’heure des comptes a sonné. La crise qui a débuté en 1967 a brutalement accéléré depuis juillet 2007. Aujourd’hui, le capitalisme mondial convulse. L’avenir va dorénavant être fait d’une succession de récessions de plus en plus violentes, brutales et dévastatrices. Rien à voir, donc, avec une quelconque “spécificité grecque” !
Le Portugal et l’Espagne (6) commencent eux aussi à craquer, l’Italie et l’Irlande sont dans une situation économique dramatique… et il n’y a pas que les “PIIGS” (7) de concernés ! La France est l’un des pays européen les plus endettés. La Grande-Bretagne fait partie des nations les plus touchées, voire ravagées, par la crise et la bourgeoisie anglaise attend sûrement l’après-élection pour annoncer la réelle gravité de la situation et les mesures drastiques à venir. Quant à la première puissance mondiale, les États-Unis, elle joue toujours son rôle de locomotive de l’économie mondiale, mais elle entraîne maintenant les autres pays vers l’abîme !
L’état désastreux de l’économie mondiale peut effrayer. Comment lutter, et contre qui, quand les États sont au bord de la faillite ? Quoi faire quand les responsables politiques effectuent ce chantage immonde : “vous devez accepter les plans d’austérité pour sauver l’économie nationale, l’État, les retraites…” ? De tels coups de massue ont un effet paralysant. Mais ils rendent aussi évident aux yeux de tous que le capitalisme n’a pas d’avenir, que ce système d’exploitation est inhumain, qu’il ne peut engendrer que toujours plus de larmes, de sueur et de sang. Surtout, cette crise économique dévastatrice révèle que l’État (quelle que soit sa couleur, le bleu de la droite, le rose de la gauche ou le rouge de l’extrême-gauche) est le pire ennemi de la classe ouvrière. C’est lui qui assène les attaques économiques les plus violentes. C’est lui qui réprime sans vergogne.
Face au monstre étatique, à ce représentant de la force et de l’unité politique de la bourgeoisie, un ouvrier isolé ne peut que se sentir écrasé et impuissant.
Que peuvent faire une poignée d’individus, quand leur école, leur hôpital, leur administration, leur usine ferme ? Rien, s’ils restent isolés ! Mais aujourd’hui, toute la classe ouvrière est simultanément touchée. Dans tous les pays, les travailleurs du public comme du privé, les retraités comme les chômeurs et les jeunes précaires, subissent une insoutenable paupérisation. Cette situation, jugée socialement “explosive” par la bourgeoisie elle-même, est propice à faire comprendre que tous les ouvriers ont les mêmes intérêts, le même ennemi (la bourgeoisie et son État) et que ce n’est qu’en luttant de façon organisée, consciente, en tant que classe, qu’ils peuvent résister aux attaques. Seules des luttes massives, mettant en acte ce qu’est l’unité et la solidarité ouvrière, peuvent faire trembler la bourgeoisie ! Le capitalisme est en faillite, l’avenir appartient à la lutte de classe !
Pawel (29 avril)
1) Tout au long de cet article, ce terme sera utilisé par nous sous un sens bien particulier. Un État ne peut faire faillite comme une entreprise. La bourgeoisie ne va pas mettre la clef sous la porte et laisser sa place à qui voudra bien la prendre. Derrière le mot “faillite”, nous entendons un État qui ne peut plus rembourser l’intérêt de sa dette et dont l’économie nationale est alors ravagée. Mais même plongée dans une profonde dépression, la classe dominante fera toujours face politiquement et militairement à la classe ouvrière. Les ouvriers et les jeunes grecs en lutte victimes de la répression peuvent en témoigner.
2) lesechos.fr du 29 avril.
3) libération.fr du 29 avril.
4) lesechos.fr du 29 avril.
5) lemonde.fr et lefigaro.fr du 29 avril.
6) Le taux de chômage vient d’ailleurs de dépasser les 20 % dans ce pays !
7) Jeu de mot anglais assimilant ironiquement le Portugal, l’Irlande, l’Italie, la Grèce et l’Espagne (Spain), à des cochons !
Le 7 avril 2010 a vu la chute du président kirghize Kourmanbek Bakiev, après deux jours d’émeutes. Provoquée par l’annonce d’augmentation du tarif des services publics, la colère a éclaté : de nombreux bâtiments symboles du pouvoir ont été attaqués, comme le Parlement, et même brûlés, comme la Maison Blanche présidentielle. Suite à cette explosion de violence, l’opposition dirigée par Rosa Otounbaïeva prenait les rênes du pays. Bakiev, en fuite avec son trésor de guerre de 200 millions de dollars, continue malgré tout aujourd’hui encore à revendiquer sa “légitimité” comme chef d’État, depuis le sud du pays qu’il contrôle, ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir.
Avec près de 20 % de chômage, 40 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté et une corruption généralisée, le régime de Bakïev n’a pas réussi longtemps à illusionner la population après l’ère Akaïev. Près d’un million de gens sont contraints de travailler dans d’autres pays (essentiellement en Russie), et la vie de la plupart des Kirghizes dépend des ressources envoyées de l’étranger. Nul doute que cette misère croissante et cette corruption de l’Etat sont les causes essentielles du soulèvement.
Par-dessus le marché, le gouvernement, afin d’enrayer les expressions de révolte populaire, a développé des méthodes répressives de plus en plus violentes. Ces méthodes n’ont fait évidemment qu’alimenter encore davantage le mécontentement populaire, qui a débouché sur ces émeutes des 6 et 7 avril. Tous les commentaires (1) ont montré que cette révolte était bien plus furieuse qu’il y a cinq ans, ce qui démontre l’exaspération de la population. Ainsi, des dizaines de gens ont été tués par des snipers cachés sur les toits, mais cela n’a arrêté personne. Les chefs de l’opposition ont essayé de les arrêter, mais se sont eux-mêmes trouvés en danger de subir des actions radicales. La Maison du Parlement et d’autres bâtiments officiels ont ainsi été pris d’assaut. Ceux qui y arrivèrent saisirent les armes, frappèrent les flics, prirent et étrillèrent par exemple le chef du MVD ou un ancien ministre de l’Intérieur.
Les médias ont essayé de focaliser sur les pillages de magasins qui ont eu lieu. Mais ces “pillages” se sont concentrés sur les supermarchés et les biens essentiellement volés consistaient en vêtements, tapis, appareils électroménagers, couvertures, etc., c’est-à-dire en produits de première nécessité. En revanche, la presse a été une fois encore beaucoup moins prolixe sur les pillages effectués par la mafia kirghize et ses agissements dans les supermarchés (2), où c’est de façon bien plus vaste et organisée que ces derniers ont été vidés puis brûlés.
Il y a cinq ans, lorsque le premier président kirghize Askar Akaïev avait été déchu à la suite d’élections truquées et d‘émeutes, les médias occidentaux nous avaient abreuvés de la “révolution des tulipes”, “révolution” qui venait en droite ligne de celle des “roses” de Géorgie et de la “révolution orange” ukrainienne, “signes” prétendus de la poussée en avant des forces démocratiques dans les pays de l’ex-URSS. Cette fois-ci, rien de tel, et c’est plutôt l’inquiétude qui a prévalu dans les commentaires des chefs d’État. Pour les États-Unis, Barack Obama, en déplacement à Prague pour la signature du nouveau traité américano-russe de non-prolifération START, a réprouvé l’usage de la force et a appelé au calme, du fait de la présence d’une base militaire américaine sur le territoire kirghize, maillon important de leurs opérations en Afghanistan. La Chine, pays voisin du Kirghizistan, s’est déclarée très préoccupée par les événements du pays et appelait au calme le plus rapidement possible, “pour la sécurité régionale”. L’Europe se fendait d’une aide humanitaire au gouvernement provisoire de 3 milliards d’euros et l’Inde espérait que la paix et la stabilité reviendraient au plus vite dans la république kirghize. La Russie, suspectée par la presse d’être à l’origine du soulèvement ou de vouloir en tirer partie, a immédiatement proposé une aide au gouvernement provisoire et a déployé 150 parachutistes en renfort, avec 150 millions de dollars. Cette inquiétude des puissances limitrophes ou qui interviennent dans ce pays n’est pas feinte. Selon le président russe Medvedev : “Le risque de voir le Kirghizistan se scinder en deux parties, le Nord et le Sud, existe réellement (...). Le Kirghizistan se trouve actuellement au seuil d’une guerre civile. Ainsi, toutes les forces existantes dans ce pays doivent prendre conscience de leur responsabilité devant la nation, le peuple et les destinées de l’État kirghizes.”
Le problème majeur que représente un pays comme le Kirghizistan est justement qu’il doit y régner une certaine stabilité. Car autant les Russes que les Américains ou les Chinois ont intérêt à ce que les troubles que connaît le pays soient enrayés pour qu’un État fort et pérenne puisse se maintenir. L’ex-république soviétique abrite une base russe mais également, pour les États-Unis, la base de ravitaillement des troupes de Manas, base créée en 2001 dans l’aéroport international de la capitale kirghize dans le cadre de l’opération antiterroriste “Liberté immuable” en Afghanistan, où sont présentes des troupes françaises et espagnoles, et qui risque d’être affectée. Quant à la Chine, qui connaît des difficultés avec ses minorités musulmanes, il ne serait pas bon que la population kirghize montre un mauvais exemple sur ses frontières. Madame Otounbaïeva a bien sûr rassuré tout ce beau monde qui l’exhortait comme le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, à “assurer l’ordre constitutionnel”.
Cependant, la nature de l’impérialisme est telle que, même si ces hypocrites appellent à calmer le jeu, c’est parce qu’ils ont face à eux des populations misérables qui demandent une vie décente. D’ailleurs, c’est avec le soutien plein et entier de la “communauté internationale” que Rosa Otounbaïeva, ex-dirigeante du PC russe, n’a pas hésité à menacer la population de répression si les troubles perduraient, et pas seulement face aux troubles alimentés par Bakïev, mais contre “ceux qui en veulent plus”, c’est-à-dire les pauvres.
En même temps, les divergences d’intérêts de ces charognards ne pourront pas faire qu’un semblant d’ordre puisse s’instaurer. Leur présence ne pourra qu’alimenter un désordre social sans perspective.
Mulan (28 avril)
1) Beaucoup d’éléments rapportés ici sont empruntés à des articles publiés récemment par des camarades de Russie, soit par l’ARS (Alliance of the Revolutionary Socialists), groupe influencé par la Gauche communiste) soit par le KRAS, de tendance anarcho-syndicaliste. Voici les liens sur leur site en anglais :
– revsoc.org pour l’ARS :
– https://aitrus.info [71] pour le KRAS.
2) Voir sur le sujet notre article [72] dans RI no 411 sur le rôle de la mafia dans les pillages au Chili.
Les attaques continuent de tomber à la pelle en France aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Partout, grandit un même sentiment de ras-le-bol et d‘exaspération chez les travailleurs. Mais les réactions ouvrières, nombreuses, comme en témoigne la multiplicité des grèves un peu partout, se retrouvent complètement isolées les unes des autres. On voit depuis plusieurs mois une totale dispersion des luttes, ponctuée par quelques journées d’action syndicales stéréotypées de moins en moins mobilisatrices qui renvoient les ouvriers à un sentiment d’impuissance. Malgré quelques tentatives d’étendre la lutte à l’échelle régionale dans les Pôles emploi, la plupart des luttes restent enfermées sur un site, comme Fralib à Gemenos près de Marseille où la grève dure depuis près de deux mois. Dans le public comme dans le privé, chaque bureau, chaque centre, chaque usine reste isolé : à La Poste, dans les crèches, les hôpitaux, les écoles ou les centres d’éducation spécialisée, à la RATP comme dans les dépôts de bus en province.
A quoi cela est-il dû ? Au fait que partout les syndicats sont à la manœuvre pour que les ouvriers continuent à lutter chacun dans leur coin, pour défendre “leur” entreprise, “leur” emploi, “leur” secteur derrière telle ou telle revendication spécifique, en empêchant la moindre expression de solidarité et de lutte unitaire. La caricature de cet émiettement et ce cet enfermement est donnée par la récente grève à la SNCF. En effet, lors de la troisième grève déclenchée depuis le début de l’année, la CGT et Sud-Rail, qui se sont âprement disputés le contrôle de la lutte, ont canalisé la combativité en “organisant” les ouvriers dans de prétendues assemblées générales soigneusement cloisonnées corporation par corporation, dépôt par dépôt, atelier par atelier, transformées en simples bureaux de vote pour la poursuite ou non de la grève. De même à Airbus-Toulouse, l’intersyndicale organise actuellement une série de grèves “tournantes” de quelques heures impliquant à tour de rôle les équipes travaillant sur tel ou tel type d’avion pour isoler les ouvriers et les empêcher de se mobiliser ensemble. Et alors que tous les syndicats concoctent actuellement main dans la main avec le gouvernement le scénario pour faire passer cet été l’attaque générale sur les retraites qui va toucher de plein fouet toutes les générations ouvrières, ces mêmes syndicats s’arrangent non seulement pour éviter une mobilisation massive dans la rue mais pour renvoyer aux ouvriers une image démoralisante de division lors des défilés du Premier mai organisés en ordre dispersé. La division et la démoralisation sont un objectif des syndicats pour dissuader à tout prix les ouvriers d’entrer massivement en lutte. D’ailleurs, les syndicats ne cessent de pousser les ouvriers vers des gestes désespérés comme à Sodimatex, avec la menace de faire sauter leur usine, ou vers des actions stériles en séquestrant des patrons ou des cadres quelques heures. Cela suscite de plus en plus de réactions chez certains syndiqués eux-mêmes sincèrement écœurés et ulcérés en réaction aux agissements de leur centrale, comme en témoignent les deux courriers que nous publions ci-dessous. Mais surtout, au delà de cette simple indignation face au sabotage des luttes par les syndicats, beaucoup de prolétaires se posent les mêmes questions plus fondamentales auxquelles nous nous proposons de répondre pour tenter de dissiper un certain nombre d’illusions sur la nature des syndicats.
Une enseignante en colère face à son syndicat [74]
Alors que le secteur de l’Education nationale (EN) est particulièrement visé avec des suppressions massives de postes d’enseignants, de surveillants, d’enseignants spécialisés, de personnel travaillant au ménage, à la restauration et qu’une énième réforme est en cours, que proposent les syndicats ? Nous avons pris connaissance d’un échange de courriers entre le SNES (1) et une de ses adhérentes. La déception, la colère et la rage animent l’enseignante ébranlée par le doute sur le rôle réel de son syndicat.
Suite à la manifestation du 23 mars, le SNES a fait parvenir un courrier aux syndiqués pour leur donner le nombre de participants à la journée du 23 mars et leur rappeler le but de cette journée : “Les enseignants du second degré ont bien entendu investi cette journée avec les revendications qu’ils portent depuis des mois dans leur secteur : abandon des réformes Chatel, arrêt des suppressions de postes”, puis il a invité les syndiqués à un nouveau rassemblement le 1er avril. Au cours de cette manifestation, les collègues devaient porter un t-shirt où était inscrit : “Tout va bien dans l’éducation… poisson d’avril”.
La lettre qui suit montre l’indignation de l’enseignante face à ces propositions et nous pensons que le poisson d’avril n’est pas prêt d’être digéré.
“Je suis syndiquée au SNES depuis de nombreuses années et je tiens à vous faire part de ma plus grande indignation suite au message que vous nous envoyez. Est-ce là tout ce que propose le premier syndicat enseignant ?
J’en ai assez de faire grève un jour par mois et de distribuer des tracts type “poisson d’avril”. Pourquoi pas des actions plus fortes : au lieu de faire grève un jour par mois, pourquoi ne pas arrêter de travailler carrément une semaine (cinq jours) à la rentrée scolaire ou mieux pendant le bac ? Je me permets de vous écrire car je me fais aussi le porte-parole de nombre de mes collègues qui ont l’impression de faire grève par acquis de conscience. Je suis prête à perdre mon salaire mais pour de vraies actions. La direction du SNES croit-elle vraiment à ce qu’elle affiche ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu une intersyndicale après la manifestation pour proposer des suites d’actions crédibles ?
Nos droits sont absolument bafoués, notre métier est remis en cause, cette réforme est l’apogée du leurre aux parents, signe la fin de l’Education nationale et tout ce que vous proposez, ce sont des tracts “poisson d’avril” ! à part la grève mais une vraie, pas une kyrielle de journées d’action saupoudrées sur une année, je ne connais pas de moyen d’action efficace. A moins que vous ne considériez que la réforme des lycées est passée et qu’il ne reste plus qu’a l’accompagner ?
Merci de me répondre, je suis vraiment dans l’attente d’éléments d’explication.”
Nous ne savons pas encore ce qu’il lui sera répondu par son syndicat mais nous pouvons déjà un peu le deviner : noyer le poisson !
La démarche entreprise par cette enseignante montre à quel point une partie de la classe ouvrière tend aujourd’hui à se poser les vraies questions. En multipliant la division au sein de la classe ouvrière, en éparpillant les luttes, en faisant faire n’importe quoi comme par exemple les manifestations balades où le bruit des sonos et des tambours empêchent toutes possibilités de discuter, quel est le rôle des syndicats ? Ne défendent-ils pas les intérêts de ce système capitaliste qui nous emmène pourtant tous dans un gouffre ?
L’enseignante veut des explications, et voilà le résultat d’un échange téléphonique musclé qu’elle a eu avec un représentant du SNES dont elle fait part : “... au final, suite à mon insistance sur l’avenir et le retrait de la réforme, il m’a dit qu’il était encore possible de se battre pour que la répartition des 10 h 30 dédoublées soit décidée de façon nationale et contre la mastérisation… Donc pendant que je fais grève contre la réforme, mon syndicat sait que c’est fini ? Avez-vous eu les mêmes échos ?
Alors que devons-nous faire ? La grève de la faim ? Brûler la préfecture ? Séquestrer notre chef ? Barrer les routes avec les vélibs ? Déverser du crottin d’élèves au parc de la Tête d’or ? (2) Je suis absolument scandalisée. Je pense que je vais rendre ma carte.
PS : Heu…, finalement tout mais pas la grève de la faim…”
Derrière le ton quelque peu ironique de cette enseignante, c’est surtout de la colère et l’indignation qui se dégagent. Le sentiment de se faire avoir et le début d’un questionnement sur ce qu’il faudrait faire pour réellement se faire entendre. A travers le “alors, que devons nous faire ?”, elle rejoint les préoccupations de nombreux travailleurs qui, s’ils commencent à douter des syndicats, ne savent pas comment lutter autrement. Elle montre que sa confiance envers le SNES est largement ébranlée car elle découvre que celui-ci a un double discours, celui qu’il a avec l’Etat et celui qu’il a avec les syndiqués.
C’est ce que commence à comprendre cette enseignante quand elle dit : “Donc pendant que je fais grève contre la réforme, mon syndicat sait que c’est fini ?”
Comme nous l’avons vu dans son courrier, elle est aussi scandalisée car il n’y a pas eu d’intersyndicale après la manifestation. Dans la manifestation, un petit groupe distribuait des tracts signés MICOSOL (3) pour appeler à une AG interprofessionnelle après la manifestation. Peu de monde est venu. Pourquoi ? Parce que comme l’exprime, entre les mots, cette enseignante il faut d’abord perdre ses illusions sur le syndicalisme. Il y a encore un monde entre la critique des directions syndicales et la compréhension que ce moyen de lutte qu’est le syndicalisme est perdu pour nos luttes depuis longtemps. Pourtant, le fait qu’il n’y ait pas eu d’AG organisée par les syndicats à la fin de la manifestation montre que ceux-ci ont peur des réactions de la classe ouvrière et surtout que, sous l’impulsion de tel ou tel secteur de la classe, à travers des discussions, d’échanges d’idées d’expériences et d’analyses politiques, nous prenions conscience que nous sommes une classe unie avec des problèmes communs à résoudre. Ce que ne veulent surtout pas les syndicats c’est que nous découvrions notre force et notre capacité à lutter par nous-mêmes.
Ce n’est pas pour rien que les manifestants sont tous parqués derrière des banderoles représentant les revendications spécifiques, pour “leur” usine, “leur” école, “leur” hôpital. Pour les syndicats, les ouvriers peuvent défiler ensemble mais surtout pas discuter ensemble. C’est pourtant cela que les syndicats appellent “manifestation unitaire”.
C’est pourquoi cet échange de courrier entre le SNES et une syndiquée qui parle de rendre sa carte est si intéressant. La situation de la crise économique avec son cortège de mesures d’austérité touche l’ensemble de la classe ouvrière et nous devrons lutter avec des moyens qui seront véritablement les nôtres : AG ouvertes à tous, avec des décisions et des mots d’ordre qui doivent être décidés collectivement, avec des délégués élus et révocables. En fait, dans la lignée des AG organisées par les étudiants en 2006 dans les luttes anti-CPE., et au contraire des AG bidons aux mains des syndicats.
C’est pourquoi l’appel d’une AG après la manifestation par un petit groupe naissant, AG ouverte à tous, avec liberté de parole, est un signe des temps (“Regroupement à tous ceux qui veulent réfléchir et agir pour recréer l’unité là où il n’y en a plus”). Un besoin qui va de plus en plus s’imposer à nous et qu’il faudra faire vivre nous-mêmes.
Map (22 avril)
1) Syndicat national de l’enseignement de second degré : principal syndicat dans le secteur de l’Education nationale en France.
2) Parc urbain très connu à Lyon, situé sur les bords de Rhône.
3) MICOSOL : Mouvement des insoumis(es) conscient(e)s et solidaires lyonnais.
A travers les débats qui existent dans divers forums sur Internet et qui touchent aux questions portant sur la lutte de classe, nous voulons souligner la réaction indignée d’un internaute face aux pratiques syndicales, en l’occurrence de l’UNEF, consignées dans un document intitulé : “Consignes de l’UNEF aux militants au sujet des autres formations”. Il s’agit là d’un document à usage syndical “interne” et qui dévoile non seulement l’état d’esprit mais aussi les sales méthodes utilisées par toutes les centrales dans leurs “cours de formation” des cadres syndicaux qui, outre leur professionnalisation du sabotage des luttes, vont à la pêche aux adhérents en appâtant ceux qu’ils cherchent à convertir en électeurs. Pour présenter l’essence de ce document, nous pensons que le mieux est de donner la parole à celui qui l’a porté de façon critique à notre connaissance par son intervention : “(…) je suis tellement énervé par le mail qu’un ami à moi proche de l’UNEF vient de me transmettre, qu’il est indispensable que je vous le communique. Ce mail va bien au-delà du désormais célèbre “Vade-mecum” repris par tout Internet sur “comment prendre en mains une AG ([1]). Le contenu est édifiant... à un point qu’il fait vraiment peur: Le rédacteur y revendique le droit de mentir aux étudiants !” ([2]).
En effet, mais le contenu du document en question nous permet d’affirmer, pour notre part, que l’objectif va bien au-delà de la simple “revendication du droit au mensonge”. Il ne fait ni plus ni moins que préconiser ce qui est déjà en usage dans toutes les officines bourgeoises, notamment les syndicats !
Outre le mépris porté à l’égard des étudiants, le document syndical cherche à conditionner et à coincer ses victimes pour les enfermer dans le piège électoral. C’est ce qu’on peut nettement déduire de ce premier extrait qui fait penser à une recette de cuisine : “L’étudiant “jour du vote” risque de vous demander pourquoi il n’a pas entendu parler des élections. Il faut dire que c’est la faute de l’université, qui n’a pas intérêt à ce que les étudiants puissent trop se plaindre. L’étudiant lambda a toujours des problèmes administratifs divers et ne pourra que vous donner raison. Dites que vous voulez changer les choses là-dessus” ([3]).
Notre conseiller en communication syndicale ordonne ensuite de passer à l’offensive avec une opération de séduction, vieille méthode employée par tous les boutiquiers et autres requins du marketing, pour ponctuer à l’aide d’un grossier mensonge : “Restez toujours aimables et avec le sourire, et sachez toujours où se trouve les bureaux de vote les plus proches pour renseigner les étudiants ! Si vous êtes en dispo de solidarité, renseignez-vous sur les formations présentes là où vous faites campagne pour dire que vous êtes étudiants du coin, ça passe mieux en général”. Faire croire qu’on est “du coin”, est une vieille ficelle digne des démarcheurs à domicile et des charlatans ! Après, car ce n’est pas tout, il faut encore “ratisser large”. Comment ? En faisant croire que l’UNEF n’est pas un sous-marin du Parti socialiste ! Voici la technique : “Sur les liens politiques PS/UNEF, répliquer que l’UNEF étant la première organisation de jeunesse, plusieurs de ses membres sont engagés, du MODEM au PG, donc dans les partis progressistes, vu que l’UNEF est de gauche (je ne considère pas le modem de gauche, mais ça fait moins peur aux étudiants comme ça)…”. Ensuite, il ne faut surtout pas que l’électeur potentiel se pose trop de questions, en particulier sur l’histoire du syndicat, au risque de découvrir des perles ou de ternir son image : “répondez que quand l’UNEF à fêté ses cent ans en 2007, personne ne l’a contesté et tous les candidats aux présidentielles ont répondu à l’appel de l’orga. Même chose sur l’appartenance de Le Pen à l’UNEF apolitique : bien évidemment niée (on ne va pas expliquer aux étudiants l’histoire du syndicat)…”. Face aux questions gênantes de concurrents éventuels, comme ceux de la FAGE, le mensonge reste de mise pour ces faiseurs d’opinions : “Combien de permanents à la FAGE sont rémunérés grâce aux subventions publiques ? Aucun à l’UNEF, comme le prouve le rapport du commissariat au compte fait sur l’orga majoritaire et disponible sur Internet (c’est faux, mais l’étudiant ne mettra pas votre parole en doute)”. Bien entendu, dans l’univers concurrent des forces bourgeoises, où le racolage côtoie le mensonge, le poker menteur reste une règle d’or : “De façon générale, il faut répondre à leur mauvaise foi par de la mauvaise foi mieux placée, et surtout se concentrer sur nos idées et notre programme pour accrocher les étudiants.” Tout est dit ! Encore une fois, ces “préceptes” ne sont pas spécifiques à l’UNEF et ne peuvent être que le produit de l’idéologie dominante, celle d’une classe qui doit mentir pour assurer un ordre social garantissant sa domination.
WH (23 avril)
1.) Déjà commenté par nous : voir RI n° 381 [78], juillet/août 2007.
2.) L’intervention peut être consultée à l’adresse suivante : forum.luttes-etudiantes.com/viewtopic.php?f=2&t=5381#p15365.
3.) Cette citation et les suivantes proviennent du texte : “Consignes de l’UNEF aux militants au sujet des autres formations”.
Les travailleurs ressentent aujourd’hui plus que jamais la nécessité de se battre contre les attaques du gouvernement et du patronat. Bon nombre d’entre eux se posent de plus en plus de questions sur les syndicats et leur “efficacité” à défendre les intérêts des salariés.
Nous publions ci-dessous quelques brèves réponses aux questions les plus répandues parmi les travailleurs salariés. Nous renvoyons nos lecteurs intéressés à mieux comprendre le rôle des syndicats et leur nature de classe à notre brochure les Syndicats contre la classe ouvrière, consultable sur notre site Internet.
NON ! Tous les syndicats, y compris les plus “radicaux” et “combatifs”, ne défendent pas les intérêts des travailleurs mais ceux de la bourgeoisie. Leur fonction consiste à saboter les luttes en faisant semblant d’être du côté des exploités. Lorsqu’ils organisent des journées d’action pour protester contre les mesures d’austérité, lorsqu’ils appellent à des débrayages, des grèves ou des manifestations, c’est uniquement pour pouvoir encadrer la colère des travailleurs, défouler leur combativité et les conduire dans des impasses. Toutes les mobilisations derrière les syndicats ne mènent qu’à la défaite et à la démoralisation. L’apparente division entre les syndicats “mous” et les syndicats plus “à gauche”, plus “radicaux”, ne sert qu’à diviser la classe ouvrière, à mieux couvrir tout le terrain de la lutte.
S’il n’y a pas de “bons” et de “mauvais” syndicats, c’est parce que le syndicalisme n’est plus adapté aux besoins de la lutte de classe aujourd’hui. Le syndicalisme est devenu une arme de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Les syndicats sont devenus (depuis la Première Guerre mondiale) des organes de l’État capitaliste dans les rangs ouvriers. Depuis près d’un siècle, leur fonction consiste à diriger les luttes pour empêcher la classe ouvrière de prendre elle-même la direction de ses combats, pour l’empêcher de développer sa solidarité et son unité lui permettant de se battre efficacement contre le capitalisme. Croire qu’il existe de “bons” syndicats est une pure illusion. La preuve : l’agitation des syndicats les plus “radicaux” (comme Sud par exemple) n’a pas empêché la bourgeoisie de renforcer ses attaques et de faire passer tous ses plans d’austérité. Au contraire ! La division entre les syndicats ne leur sert qu’à œuvrer pour diviser la classe ouvrière et la conduire à la défaite.
Tous les syndicats sont complices du gouvernement et du patronat. Lorsqu’ils “négocient” (toujours dans le dos des travailleurs), c’est pour discuter avec les représentants du gouvernement et du patronat de la façon de faire passer les attaques. Tous les syndicats ont pour fonction d’encadrer les luttes pour maintenir l’ordre social du capital ! Pour cela, ils se partagent le travail entre eux et en étroite collaboration avec les représentants de la classe dominante.
NON ! Dans la mesure où les syndicats sont devenus des organes d’encadrement de la classe ouvrière et ont été définitivement intégrés à l’appareil de l’État bourgeois, on ne peut pas les “réformer”. Beaucoup de prolétaires pensent que ce sont les bureaucraties syndicales qui sont pourries et qu’il suffirait de changer la direction des syndicats pour que ces derniers deviennent de vrais organes de défense des travailleurs. C’est une illusion ! Si les syndicats ne sont pas “efficaces”, ce n’est pas à cause de leurs “mauvais” leaders qui trahissent la “base”. C’est la forme syndicale elle-même qui est devenue inefficace et totalement inadaptée aux besoins de la lutte.
Le syndicalisme est une idéologie réformiste basée sur la division de la classe ouvrière en corporations, en corps de métiers.
Le syndicalisme est une idéologie qui sème l’illusion que l’on peut se battre aujourd’hui pour obtenir des réformes durables afin d’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière au sein-même du capitalisme (comme c’était le cas au xixe siècle). Aujourd’hui, avec l’enfoncement du capitalisme dans une crise économique sans issue et qui ne peut que continuer à s’aggraver, les seules “réformes” durables sont celles qui nous sont imposées par la bourgeoisie, telle la “réforme” du système de retraite. Ces “réformes”, au lieu d’améliorer les conditions d’existence des salariés, ne peuvent que les plonger dans une pauvreté et une misère croissantes.
Le syndicalisme sème l’illusion qu’en se battant chacun dans son coin, derrière des revendications spécifiques à sa boîte, son secteur, sa corporation, on peut obtenir gain de cause. C’est FAUX !
Lutter chacun dans son coin, de façon isolée a toujours mené à la défaite et à la démoralisation. Seule une lutte massive englobant tous les secteurs de la classe ouvrière, derrière des mots d’ordre unitaires peut faire reculer le gouvernement et le patronat. Pour cela, il faut briser toutes les divisions corporatistes, sectorielles que les syndicats nous imposent.
Il ne sert à rien de chercher à “réformer” les syndicats ou créer de nouveaux syndicats. La preuve : lors des luttes des ouvriers de Pologne en 1980, par exemple, ces derniers avaient l’illusion qu’en créant un nouveau syndicat “libre” et “démocratique” (le syndicat Solidarnosc dirigé par Lech Walesa), ils allaient pouvoir renforcer leurs luttes et obtenir des réformes durables. On a vu ce que cela a donné : c’est grâce à la création du syndicat “indépendant” Solidarnosc (mis en place avec le soutien des syndicats occidentaux et de toute la bourgeoisie des États “démocratiques”) que le général Jaruzelski a pu décréter l’état de guerre et réprimer férocement la classe ouvrière en Pologne (voir notre brochure sur les luttes en Pologne de 1980). Par la suite, on a vu le parcours du leader du syndicat Solidarnosc : Lech Walesa est devenu chef de l’État polonais et c’est lui qui a eu la responsabilité de gérer le capital national polonais et de porter des attaques directes contre la classe ouvrière !
OUI ! Officiellement, les travailleurs n’ont pas le “droit” de lutter sans passer par les syndicats car ce sont eux qui déposent les préavis de grève. Le droit de grève est une “tolérance” que la bourgeoisie peut maintenir à condition que la lutte des exploités ne remette pas en cause l’ordre établi, qu’elle ne porte pas atteinte au système d’exploitation capitaliste. La classe dominante des pays “démocratique” ne peut tolérer les grèves que lorsque celles-ci ne constituent pas un danger pour sa domination. C’est bien pour cela qu’elle tient tant à ses syndicats et qu’elle les finance.
La vraie lutte de classe est toujours illégale. Lorsque les prolétaires se battent pour défendre leurs intérêts contre les attaques de la bourgeoisie, ils n’ont pas à demander “poliment” une autorisation à leurs exploiteurs. Lorsque les exploités prennent conscience que les syndicats ne défendent pas leurs intérêts, ils n’attendent pas leurs consignes et partent spontanément en grève “sauvage”. Et à chaque fois que cela s’est produit (comme on a pu le voir de façon magistrale en Pologne en 1980, mais aussi dans de nombreuses petites luttes qui ont explosé dans les pays “démocratiques”), les travailleurs qui ont osé débrayer sans les syndicats ont immédiatement tenté de faire vivre la solidarité dans la lutte. Ils ont recherché l’unité et l’extension de leur mouvement aux autres secteurs. Ils ont éprouvé le besoin de prendre eux-mêmes la direction de leur combat et de discuter collectivement dans des assemblées générales souveraines.
Aujourd’hui, si la classe ouvrière a beaucoup de difficulté à engager la lutte sans attendre les directives des syndicats, c’est parce qu’elle manque encore de confiance en elle-même et dans ses propres forces. C’est aussi parce que l’idéologie “démocratique” inoculée dans ses rangs par les syndicats (et le syndicalisme) pèse encore sur sa conscience.
L’idée qu’on a besoin des syndicats pour se battre est véhiculée par la bourgeoisie. La classe dominante veut nous faire croire que seuls les syndicats peuvent nous “représenter” parce que ce sont des professionnels de la “négociation”, alors que ce sont des professionnels du sabotage, de la magouille et de la collaboration avec l’ennemi de classe.
La grève massive des ouvriers de Pologne en août 1980 (avant que Solidarnosc n’en récupère le contrôle) a montré au monde entier que lorsque les exploités prennent leurs luttes en main, sans les syndicats, ils sont capables de développer un vrai rapport de force en leur faveur. En Pologne, ils ont été capables d’étendre leur mouvement à l’échelle de tout un pays, ils ont été capables de faire reculer l’État et de faire trembler toute la bourgeoisie. Ils ont été capables de négocier avec le gouvernement non pas dans le secret des cabinets ministériels, mais publiquement : ils ont élus des délégués pour négocier avec les autorités gouvernementales et ont installé des hauts parleurs dans les lieux publics (notamment dans les chantiers navals de Gdansk) afin que toute la classe ouvrière en lutte puisse écouter ce qui se discutait dans les négociations.
OUI ! Pour cela, il faut que la classe ouvrière en France comme dans tous les pays, prenne confiance en elle-même et en ses propres forces. Il faut qu’elle puisse surmonter les hésitations et surtout la peur de la répression des grèves “sauvages” et “illégales”. Cette peur de la répression (sous forme de sanctions disciplinaires) ne pourra être dépassée que si les travailleurs sont capables de développer la solidarité entre eux, s’ils refusent de se laisser diviser et intimider. Cette peur ne pourra être dépassée que lorsque les exploités prendront conscience qu’ils n’ont plus rien à perdre que leurs chaînes.
Les travailleurs, salariés ou au chômage, ne pourront prendre en mains leur propre destinée que lorsqu’ils auront compris que toutes les actions “radicales”, les actions commandos préconisées par les syndicats (séquestration des patrons, sabotage de la production, blocage des voies ferrées, etc.) ou les actes de désespoir (telles les menaces de faire sauter l’usine, comme on l’a vu à Sodimatex) sont totalement stériles et ne peuvent conduire qu’à la démoralisation et à la défaite. Toutes ces actions pseudo-radicales derrière lesquelles les syndicats cherchent à entraîner les travailleurs les plus combatifs ne servent qu’à défouler leur colère et ne sont que des feux de paille.
Dans les pays “démocratiques”, les syndicats sont les représentants de la “démocratie” bourgeoise au sein de la classe ouvrière, c’est-à-dire de la forme la plus sournoise et hypocrite de la dictature du capital.
Pour pouvoir se battre efficacement en se dégageant de l’emprise totalitaire des syndicats, il faut faire vivre la vraie “démocratie” de la classe ouvrière. Cela veut dire développer la discussion collective au sein des assemblées générales massives et souveraines. Ces AG doivent être des lieux de débats où chacun peut intervenir librement, faire des propositions d’actions soumises au vote. Ces AG doivent élire des délégués révocables à tout moment, qu’ils soient syndiqués ou non. Si les délégués élus ne remplissent pas correctement le mandat confié par l’AG, l’AG suivante doit les remplacer. Contrairement aux méthodes de sabotage syndicales, il faut que ces AG soient ouvertes à TOUS les travailleurs (et pas seulement à ceux de la boîte, de l’entreprise ou de la corporation). Les chômeurs doivent également être invités à y participer activement car ce sont des prolétaires exclus du monde du travail. Les AG souveraines doivent être des lieux de discussions publics, (comme l’ont montré les travailleurs de Vigo en Espagne en 2006). Ce n’est qu’à travers la discussion et la réflexion collective dans ces AG ouvertes à tous que peut se construire l’unité et la solidarité de la classe exploitée. Ce n’est que dans ces Assemblées que peuvent se décider des actions unitaires, être mises en avant des revendications communes à tous et que pourront être démasquées les magouilles des syndicats.
Pour se battre efficacement en se débarrassant des entraves et du carcan des syndicats, les travailleurs doivent immédiatement poser la question de l’extension de leur lutte et de la solidarité avec tous leurs camarades des autres secteurs et entreprises frappés par les mêmes attaques de la bourgeoisie. Lorsque les travailleurs d’une entreprise engagent la lutte, ils doivent envoyer des délégations massives vers les autres entreprises voisines pour entraîner dans la lutte tous les travailleurs de la même zone géographique et élargir leur mouvement de proche en proche.
Aujourd’hui, c’est toute la classe ouvrière qui est attaquée (notamment par la réforme du système de retraites). Il n’y a donc aucune raison de se battre de façon isolée, chacun dans son coin. Il n’y a aucune raison de continuer à se laisser balader par les journées d’action syndicales sans lendemain.
Face aux plans d’austérité dont nous sommes tous victimes, il est possible de lutter efficacement. Mais pour construire un véritable rapport de force capable de faire reculer la bourgeoisie, les travailleurs doivent déjouer les manœuvres de sabotage des syndicats et comprendre qu’ils ne peuvent plus compter sur ces faux amis.
Les organisations syndicales n’ont pas d’autre fonction que de préserver l’ordre social capitaliste et faire passer les attaques du gouvernement et du patronat. Malgré leurs discours “radicaux”, elles ne peuvent que continuer à nous diviser, à nous affaiblir pour empêcher tout “débordement” et nous faire voter la reprise du travail sans n’avoir rien obtenu.
C’est bien grâce aux syndicats que la classe dominante peut continuer à cogner toujours plus fort et à faire payer aux travailleurs les frais de la crise insurmontable du capitalisme.
Sofiane (29 avril)
Isaac Joshua est membre du “Conseil scientifique d’ATTAC”. Les livres qu’il écrit ne présentent donc pas seulement l’opinion d’un universitaire parmi d’autres, ils sont aussi et surtout représentatifs d’une organisation qui a obtenu une audience internationale à partir de la fin des années 1990. ATTAC prétend expliquer l’évolution du capitalisme contemporain et affirme, face à la misère et à la barbarie dans laquelle est en train de nous entraîner cette société, “qu’un autre monde est possible”.
Ainsi, le livre d’I. Joshua la Grande crise du xxie siècle porte comme sous-titre “Une analyse marxiste”. Contrairement à tous ces livres sur “la crise” qui pullulent aujourd’hui sur les étalages des librairies et qui ne font que décrire le terrible approfondissement de la crise que connaît le capitalisme depuis 2007, ce livre se propose, conformément à ce que Marx a fait en analysant les fondements de la vie du capitalisme, de comprendre les causes profondes tant de la crise dont les manifestations sont réapparues il y a quarante ans que de son aggravation actuelle.
Et, effectivement, contrairement aux multiples analyses qui nous disent que tout le mal vient de la politique dite néo-libérale lancée au début des années 1980 par M. Thatcher et R. Reagan, ce livre commence par l’examen de la dégradation de la situation économique du monde qui est en fait apparue dès la fin des années 1960.
Mieux encore. Pour comprendre la crise du capitalisme, le livre commence même par proposer une explication de la période de forte croissance économique qui s’est étendue de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1960, les fameuses “Trente Glorieuses” : “Mon hypothèse est que les taux de profit élevés constatés à partir de 1946 en Europe et aux États-Unis s’expliquent comme étant, au premier chef, ceux d’une phase de rattrapage” ([1]). Que veut-il dire par “phase de rattrapage” ? Pour lui, l’expansion connue par le capitalisme jusqu’à la Première Guerre mondiale a subi une rupture du fait de cette dernière, cette rupture se poursuivant à cause de la crise de 1929 et de la Seconde Guerre mondiale. En conséquence, la croissance économique extraordinaire que va connaître le monde dans les années 1950 et 1960 représente, selon lui, la période pendant laquelle le capitalisme va “rattraper” le développement qu’il aurait eu si les événements des années 1914-1945 n’avaient pas eu lieu. Il faut le dire tout de suite, cela ne correspond en rien à l’analyse que Marx a fait du capitalisme : pour lui, l’essor du capital provient du fait que le profit que les capitalistes extraient de l’exploitation des ouvriers est investi, c’est-à-dire accumulé, que cette accumulation permet une plus grande production et que cette production est vendue ou comme le dit Marx, que sa valeur est “réalisée”. Cette idée de “rattrapage” ne nous dit pas pourquoi ces conditions étaient réunies à la fin de la Seconde Guerre mondiale alors qu’elles ne l’étaient ni en 1914, ni en 1929 ou à un quelconque moment de la période qui va de 1914 à 1945.
Poursuivant son analyse, I. Joshua explique que la dégradation de la situation économique à la fin des années 1960 serait due à la fin de ce rattrapage : “l’effet de rattrapage doit, par définition, s’épuiser. En Europe et aux États-Unis, la productivité du capital se dégrade au cours de la seconde moitié des années 1960” ([2]). Si “le rattrapage” ne nous expliquait rien, “la fin du rattrapage” ne nous éclaire pas plus.
Pour Marx et les marxistes, l’apparition de la crise économique n’est jamais vue comme la fin d’un quelconque rattrapage par rapport à une période de forte croissance. Dans le Manifeste communiste, Marx définit la crise de la manière suivante : “Une épidémie sociale éclate, qui à toute autre époque, eut semblé absurde : l’épidémie de la surproduction (...) la société a trop de civilisation, trop de vivres, trop d’industrie, trop de commerce” ([3]). L’idée de “l’épuisement”, de “l’effet de rattrapage”, ne nous dit pas du tout pourquoi il y aurait “trop de vivres, trop d’industrie, trop de commerce”. Pourquoi, comme lors des crises précédentes, la fin des années 1960 est marquée par une surproduction croissante qui se manifeste par une baisse du taux de profit de l’ensemble des capitaux, par une concurrence de plus en plus acharnée entre les entreprises des grands pays et par des crises monétaires qui touchent les États qui n’arrivent plus à écouler les marchandises sur le marché mondial ? I. Joshua est totalement incapable de l’expliquer.
Les premiers chapitres du livre ne peuvent que nous convaincre que le qualificatif “d’analyse marxiste” qu’attribue I. Joshua à son livre est totalement usurpé car on n’y trouve pas, pour toute la période qui va des années 1950 à la fin des années 1970, les bases premières de l’analyse que Marx a fait de l’évolution du capitalisme et de ses crises. Pas plus que les alchimistes ne sont parvenus à transformer le plomb en or, I. Joshua ne peut transformer ses affirmations (qui ne sont même pas démontrées) en une réelle analyse des fondements du capitalisme et de ses crises.
Le début de l’analyse des années 1980-2009 paraît plus intéressant. Joshua explique que le démantèlement du l’État-providence et la baisse des salaires (qu’il appelle la “destruction de la régulation fordiste” ([4])), rendus nécessaires par la fin du “rattrapage”, ont provoqué de nouveaux problèmes pour le capitalisme. La chute des revenus salariaux qu’a entraînée cette politique a obligé les États à “pousser à toute force les dépenses des ménages vers le haut par la réduction de l’épargne et l’accroissement de leur endettement” ([5]), ce dernier étant délibérément provoqué par les États au moyen d’une baisse des taux d’intérêts et toute une série de mesures incitatives. Par exemple, les ménages américains ont pu bénéficier de l’augmentation de la valeur de leur logement (du fait du développement du crédit qui permettait un nombre toujours plus important d’acheteurs) pour emprunter davantage pour leur consommation.
Mais après avoir fait tout ce développement sur l’accroissement de l’endettement des ménages américains (qui devrait aboutir au diagnostic du rôle central qu’a l’endettement pour le maintien d’un niveau de demande qui permette une croissance minimale de la production), Joshua change radicalement de démonstration. Ainsi, lorsqu’il pose le problème de la cause de cette crise, il nous dit que ce qui a maintenu la demande n’est pas la croissance de l’endettement mais, “surtout, (...) l’excès de consommation des plus riches, qui ne souffraient certainement pas d’une insuffisance de revenus” ([6]). Il faut tout d’abord noter le caractère trompeur et nauséabond de cette thèse. Joshua nous ressert ici la vieille recette des “200 familles” du PCF des années 1930 (qui accusait déjà à l’époque les plus riches de France, et leur luxe affiché, d’être la cause de tous les maux du “peuple français”) à la sauce anti-américaine ! Cet altermondialiste pointe en effet du doigt comme bouc émissaire les “20 % de la population [américaine qui] disposent des revenus les plus élevés”. Pour lui, ces “20 %”, en “surconsommant” pendant des décennies, ont engendré la profonde dépression actuelle. Oubliés les millions de tonnes de marchandises que le capitalisme ne parvient pas à vendre et qui l’étouffent ! Oubliés les milliers de milliards de dettes des ménages, des entreprises, des États du monde entier ! Quel rôle ces “20 %” peuvent t-ils donc bien avoir dans cette crise économique effroyable ? Aucun. Il ne s’agit là que d’un leurre, un piège idéologique pour détourner la colère du prolétariat mondial sur les “riches américains” cause de tous les maux et, in fine, épargner le système capitaliste comme un tout.
Mais surtout, par ses démonstrations sur le fait que l’accroissement de la construction immobilière ou l’augmentation de la consommation permis par l’endettement n’a pas été un élément important de l’accroissement de la demande entre 1982 et 2009, Joshua “oublie” ce qu’il nous affirmait quelques pages plus haut. I. Joshua avait dit que les États poussaient à l’accroissement de l’endettement et c’est vrai ! Entre les deux années que nous venons de mentionner, l’accroissement annuel moyen de l’endettement des ménages, des entreprises et de l’État exprimé en pourcentage du PIB est de 4,2 % tandis que l’accroissement du PIB lui-même sur la même période est d’environ 3 % par an ([7]). Autrement dit, pendant toute cette période, l’accroissement de l’endettement a représenté en moyenne annuelle une part de la production nationale plus élevée que l’augmentation elle-même de cette production ; et ce qui est vrai pour les États-Unis l’est aussi pour la plupart des pays développés. Alors, nous dire que, pendant cette période, l’endettement n’a pas constitué un élément essentiel de la demande aux États-Unis signifie que l’on est en train de nous faire prendre des vessies pour des lanternes !
Mais les démonstrations falsificatrices ne s’arrêtent pas là. Si, pour Joshua, la demande n’est pas, contrairement à ce qu’a dit Marx, un des éléments essentiels qui font partie des causes des crises du capitalisme, on est obligé de poser la question : pour lui, dans “son analyse marxiste”, quelle est la cause de la crise dont nous sommes en train de subir les conséquences ? I. Joshua énonce plusieurs fois sa réponse : “(...) La crise actuelle est clairement le prolongement de la crise de la nouvelle économie qui, elle-même, est indéniablement une crise de suraccumulation” ([8]). Que peut vouloir dire le terme de “suraccumulation” du capital dans le cadre des analyses que nous ont laissés depuis deux siècles Marx et les théoriciens qui ont poursuivi son œuvre, alors qu’eux-mêmes n’ont pas ou peu employé ce terme ? Fondamentalement, il n’y a que deux directions qui ont été montrées par les révolutionnaires marxistes pour expliquer l’inévitabilité des crises du capitalisme.
L’une des interprétations est celle que Rosa Luxemburg a développée à partir des travaux de Marx. Selon elle, la nécessité pour le capital d’obtenir un profit qui sera accumulé implique nécessairement que les salaires versés par les capitalistes aux ouvriers ne permettront pas à ces derniers l’achat de l’ensemble de la production qu’ils ont réalisé. En conséquence, en l’absence de débouchés extérieurs à la sphère capitaliste, cette dernière se retrouvera immanquablement dans une situation de surproduction. L’autre interprétation mise en avant par Marx et par de nombreux révolutionnaires à sa suite consiste dans la “loi de la baisse tendancielle du taux de profit”. Cette loi démontre que le taux de profit baisse au fur et à mesure que grandit la part du capital total représenté par la valeur des machines. Il faut noter que cette loi se traduit elle-même par la surproduction parce qu’elle implique que les capitalistes ne parviennent pas à vendre leurs marchandises avec un taux de profit suffisant.
Or Joshua récuse explicitement ces manières d’expliquer la crise actuelle. Il nous dit sans explication que la crise actuelle (pas plus que les précédentes) n’est “une crise des débouchés” ([9]), même s’il nous dit comme nous l’avons vu plus haut que l’endettement a été développé “pour pousser à toutes forces les dépenses des ménages vers le haut” ; comprenne qui pourra ! Il nous dit ensuite à propos de la loi de la baisse tendancielle du taux de profit : “Cependant, pour Marx, cette loi est de long terme et il accorde beaucoup d’attention à cet aspect” ([10]), cela veut dire en clair que cette loi n’est pas une explication pour des phénomènes violents comme l’approfondissement actuel de la crise économique. Et c’est tout : on ne trouve aucune autre réfutation des causes des crises qui avaient été mises en avant par les révolutionnaires du passé.
Mais alors, comment I. Joshua explique-t-il, en général, ce qui est pour lui la cause de la crise, à savoir la “suraccumulation” du capital ? La réponse est martelé sans ambiguïté : “(...) Résumons ce qui nous paraît essentiel pour comprendre l’origine de la crise actuelle. Elle est une manifestation de la foncière instabilité du capitalisme (...)” ([11]). Pour lui, c’est de cette manière qu’il faut comprendre que, dès la fin des années 1980, le capital américain a recouru, pour faire face à ses problèmes, à l’endettement massif, à la “surconsommation” des riches, ce qui a provoqué la dégradation de son commerce extérieur, la chute de la valeur du dollar, etc.
Marx et ceux qui ont continué son travail ont bien diagnostiqué que le capitalisme est “instable” ; Marx l’a démontré dès les premiers chapitres du Capital en indiquant que rien n’assure que n’importe quelle marchandise produite (et c’est donc vrai pour toutes les marchandises) sera vendue. Il est possible que Joshua se réfère à cette analyse de Marx. Mais, cette “instabilité” est une donnée permanente du capitalisme ; elle existe autant pendant les périodes de prospérité que pendant les crises. C’est pour cela qu’une grande partie des travaux des révolutionnaires marxistes sur les questions économiques a été consacrée à la recherche des raisons pour lesquelles cette instabilité débouchait sur des crises. C’est aussi pour cela qu’ils ont cherché à déterminer le plus clairement possible si cette crise du capitalisme n’était pas seulement possible du fait de son instabilité, mais si elle était inévitable.
Une telle démonstration fait partie intégrante de la méthode marxiste : la base du matérialisme historique est constituée par le fait que l’histoire de l’humanité a été une succession inévitable, jusqu’à présent, de modes de production. Chaque mode de production entre en crise, c’est-à-dire en déclin, après une période de développement. Tel a été le cas pour l’esclavagisme et le féodalisme. Il en sera de même pour le capitalisme qui va inévitablement périr et être remplacé soit par une barbarie sans nom, soit par le seul “autre monde possible”, le socialisme. En résumé, dire que la cause des crises du capitalisme est son “instabilité”, alors que cette instabilité existe depuis sa naissance, gomme cette alternative pour le moins essentielle.
C’est d’ailleurs pour cela que bien des économistes – en particulier Keynes – dont le but avoué était de sauver le capitalisme, ont constaté cette instabilité : il était nécessaire pour eux de trouver une ou des manières de “réguler” ce système et de le rendre plus “stable”.
Après nous avoir donné des mots (rattrapage, fin du rattrapage, suraccumulation, etc.) en guise d’explication, I. Joshua nous fait la description du déroulement de l’accélération de la crise actuelle qui est passée de l’impossibilité de remboursement par les ménages de la dette qu’ils ont contractée pour l’achat de leur logement (les fameux prêts subprimes) à la dépression économique. La description de ces mécanismes n’est ni mieux ni moins bien faite que celle que font tous les autres livres qui sont sur les étalages des librairies, mais cela fait sérieux et savant. En fait, I. Joshua prend ses lecteurs pour des pies : il les attire par des mots et des descriptions brillantes pour qu’ils pensent qu’il vient de leur livrer des pierres précieuses alors que ce n’est que de la vulgaire verroterie.
Alors, à quelles propositions concrètes aboutit cette marchandise frelatée. Quel “autre monde possible” nous promet-il ?
On voit assez vite vers quel “autre monde” Joshua veut nous entraîner. Il donne d’abord les conditions que les Etats doivent respecter pour sauver le système bancaire. Or, dans une société qui produirait pour les besoins humains, c’est-à-dire le communisme qui est le seul qui puisse en finir avec les crises économiques, les banques seraient, comme les autres institutions du capitalisme, remisées au musée de l’histoire. La perspective que nous propose Joshua devient encore plus claire quand il fait des propositions plus précises :
– “la constitution d’un grand pôle bancaire public” qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la Gosbank de l’URSS,
– “une taxation renforcée des plus-values” et “la non-cessibilité des titres” ; en d’autres termes, la plus-value serait concentrée entre les mains de l’État et la propriété des entreprises serait entre les mains d’une minorité dirigeante inamovible,
– “le bilan désastreux de l’URSS semble avoir condamné à tout jamais la notion de planification. Il serait temps d’affronter nos peurs et de mettre en œuvre une planification (...) concrétisée par des politiques de branches ([12]) ; en d’autres termes “le bilan désastreux” de l’URSS n’empêche pas Joshua de nous dire qu’il faut recommencer la même expérience d’une planification étatique avec des objectifs à réaliser par branche d’activités !
Il n’y a pas de doute sur le fait que ce que l’on nous présente là est le capitalisme d’État tel qu’il était pratiqué en URSS.
Bien sûr, à côté de cela, on trouve la démagogie habituelle sur “la stabilisation du marché du travail en rétablissant la prépondérance des CDI”, “un nouveau partage de la valeur ajoutée [pour] garantir le pouvoir d’achat des salariés” ([13]), etc. On sait ce que valent toutes ces promesses dans le capitalisme en crise ! Ce capitalisme, Joshua ne nous propose pas du tout de le détruire mais au contraire de l’aménager en semant l’illusion d’un retour possible à l’Etat-providence (dans lequel on remplacerait les directeurs d’entreprises par des commis de l’État).
De telles revendications sont lancées régulièrement par les partis d’extrême-gauche pour nous faire croire qu’ils peuvent réformer le système pour le rendre plus social. Joshua est membre du Conseil scientifique d’ATTAC et son livre nous permet de constater une fois de plus que, dès qu’on déchire le voile de la propagande sur “un autre monde est possible”, on voit poindre à nouveau le miroir aux alouettes du modèle étatique de la réorganisation stalinienne de la production pour régir la société capitaliste, tendu vers les ouvriers pour les empêcher de prendre conscience de la nécessité du renversement du capitalisme et de son appareil d’État.
Vitaz (20 avril)
1.) Isaac Joshua, La Grande crise du xxie siècle, une analyse marxiste, Ed. La Découverte, mars 2009, p.17.
2.) Idem, p. 18
3.) K. Marx et F. Engels, le Manifeste communiste, in “Œuvres”, T. 1, collection La Pléiade, Gallimard, p.167.
4.) Nous n’examinerons pas la pertinence de ce qualificatif dans l’espace limité de cet article, mais certaines explications pourront être trouvées dans nos Revues internationales nos 133 [79], 135 [80], 136 [81], 138 [82],141 [83].
5.) La Grande crise..., op.cit., p. 23.
6.) Idem, p. 51.
7.) Pour ce qui est de l’accroissement de l’endettement, les chiffres proviennent de la Réserve fédérale, tandis que pour la production, on a utilisé des chiffres fournis par les conseillers du Président (Council of Economic Advisers).
8.) La Grande crise..., op.cit., p. 54.
9.) Idem, p. 48.
10.) Idem, p. 59.
11.) Idem, p. 40.
12.) Idem, p. 127.
13.) Ibidem.
Le 29 mars, entre 6 heures et 7 heures du matin, deux attentats-suicides ont eu lieu coup sur coup dans le métro de Moscou, faisant plus de 30 morts et près d’une trentaine de blessés dont on ne sait combien resteront estropiés ou avec de graves séquelles de tous ordres pour le restant de leur vie. Tous ces gens se rendaient au travail et, une fois de plus, c’est la classe ouvrière qui a payé le prix fort du terrorisme aussi aveugle que stupide, comme la plupart des attentats que Moscou a connu depuis 1999 et qui ont fait 500 morts.
Les dernières attaques ont été revendiquées par “l’émir du Caucase”, Dokou Oumarov, qui a déclaré qu’elles étaient une “action de vengeance au carnage” effectué sur des habitants tchétchènes et ingouches par les forces russes près du village d’Archty en Ingouchie le 11 février dernier. Cette petite république connaît en effet une forte répression de l’armée russe, moindre que celle vécue en Tchétchénie mais en progression, car elle a fait 260 morts en 2009.
Bien sûr, les “grands” de ce monde se sont élevés pour stigmatiser ces attaques et exprimer leur “solidarité” avec la Russie. Obama se déclarait prêt “à coopérer avec la Russie pour aider à traduire en justice” les responsables, tandis que Sarkozy condamnait ces attentats “odieux” et “lâches”. Quant à l’État russe, sa réaction a été plus vive : “La politique de la répression de la terreur et de la lutte contre le terrorisme va se poursuivre. Nous allons poursuivre les opérations contre les terroristes sans compromis et jusqu’au bout.”, disait Medvedev, tandis que Poutine assurait une fois de plus : “Les terroristes seront anéantis”.
Tous ces hypocrites peuvent multiplier les déclarations les plus indignées, le terrorisme n’en reste pas moins un instrument entre leurs mains, dont ils se servent au moins de deux façons : pour justifier leurs exactions guerrières et renforcer les armes de répression contre la population.
Ainsi, en Russie, dans ce pays pourtant doté historiquement d’un arsenal répressif impressionnant, la bourgeoisie a répondu à chaque acte de terreur par la création de lois pour accentuer le contrôle de la population et de la classe ouvrière. Après les attentats de 1999, le maire de Moscou renforçait les mesures d’enregistrement des Russes présents temporairement dans la ville, exigeant un nouvel enregistrement après trois jours de présence. En octobre 2002, une loi interdisait aux médias de donner des informations sur les opérations antiterroristes (comme en Tchétchénie). Après l’attentat de 2003, une loi était promulguée, instituant des sortes de comités publics de délation habilités à rapporter à la police trois fois par mois toutes sortes de “troubles”.
Depuis les attentats de février 2004, une nouvelle loi permet d’arrêter et de retenir sans preuve jusqu’à 30 jours toute personne soupçonnée d’accointances avec des terroristes ou des extrémistes. Puis la même année, c’est l’introduction d’un “état d’urgence” pouvant être justifié par des opérations antiterroristes où la population voit ses droits restreints.
Avec les attentats de cette année, le gouvernement russe prévoit le relevé d’empreintes de toute la population de la Fédération de Russie, les contrôles renforcés sur l’Internet, la mise en place de caméras dans tous les transports et des mesures pour faciliter l’arrestation des “complices de terroristes”.
La bourgeoisie sait bien que cet arsenal répressif, à l’instar des plans Vigipirate en France ou d’autres ailleurs, n’est pas destiné à empêcher les terroristes d’agir. Que faire par exemple contre des kamikazes fanatisés, hommes ou femmes ? Leur prendre les empreintes digitales ou les filmer dans les transports ? Quant à leurs complices, quand ils en ont, c’est bien plus du côté des instances étatiques qu’il faut chercher que dans la population. Tous les services secrets des Etats dans le monde le savent.
Ceux qui sont visés, ce sont les ouvriers, qui manifestent et manifesteront toujours plus fort dans l’avenir leur mécontentement devant les conditions de misère capitalistes.
Cependant, si la bourgeoisie russe utilise “son” terrorisme pour ses besoins répressifs, comme ses consœurs européennes et américaine, elle le fait aussi pour les besoins de sa politique guerrière dans le Caucase. Cette région est le théâtre d’une offensive de la Russie depuis le début des années 1990 et la dislocation de l’URSS (voir nos différents articles sur les guerres en Tchétchénie, etc.). Les deux guerres menées en Tchétchénie depuis 1992 par Moscou avaient eu pour objectif de mater la rébellion tchétchène, mais aussi de tenter de s’assurer le contrôle de cette zone truffée de minorités ethniques, pas moins d’une quinzaine, cherchant toutes peu ou prou à exiger leur indépendance, et, ce qui n’arrange rien, subdivisées en six catégories religieuses distinctes. La naissance des États sécessionnistes d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie dès 1991 aura été une des premières pierres lancées dans le jardin de l’ex-URSS. Mais l’enjeu principal que représente le Caucase, cette ligne de division entre l’Europe et l’Asie, ne consiste pas seulement pour la Russie à affirmer sa présence dans cette région comme son contrôle sur la mer Noire, mais en plus et surtout de contrer la mainmise américaine. Ainsi, depuis 1991, la Géorgie se trouve au centre du conflit américano-russe pour le contrôle de la région caucasienne. Les différents conflits avec l’Ossétie du Sud et avec l’Abkhazie, qui faisaient initialement partie du territoire géorgien, marquent cette lutte et ces tensions permanentes entre les États-Unis et la Russie. Sa position stratégique au cœur du Caucase en a fait une clef du contrôle militaire russe sur la région ainsi qu’un lieu de transit obligé des relations transcaucasiennes. L’Ossétie du Sud et aussi la Géorgie sont situées au cœur de la région stratégique du Caucase, point de passage d’importants oléoducs et lieu de tensions entre les influences russe et occidentale. Lors de l’offensive catastrophique d’août 2008 menée par le président géorgien Saakhachvili, l’État russe avait montré sa détermination à ne rien lâcher et même à mettre le feu aux poudres si nécessaire. Poutine n’avait-il pas dit qu’une “nouvelle guerre froide” ne lui faisait pas peur ?
Ces derniers attentats de Moscou, après 5 ans “d’accalmie”, ne surviennent pas par hasard, et quels qu’en soient les commanditaires, il est clair qu’ils sont l’émanation et la manifestation, directe ou indirecte, d’une aggravation des tensions guerrières dans le Caucase, avec une Russie qui y défendra coûte que coûte ses prérogatives.
Une fois encore, ce sont les populations qui vont en payer le tribut.
Wilma (28 avril)
Ces dernières semaines, des vies ont encore été laissées dans des catastrophes dites “naturelles”. Au Pérou, début avril, les fortes pluies habituelles de la saison ont entraîné une coulée de boue et de pierres qui a fait 20 morts, 25 disparus et une cinquantaine de blessés. Les 120 habitations endommagées (une soixantaine a carrément été détruite) appartenaient à un village andin et principalement à un bidonville situé à flanc de colline (1). Les rescapés ont fini dans des tentes.
Au Brésil, quelques jours après, d’autres coulées de boue ont fait 205 morts dans la région de Rio, et laissé dehors des milliers de sans-abri. Là aussi, ce sont des bidonvilles, les fameuses favelas, qui ont été emportés. Là aussi, ces baraques étaient “construites” à flanc de colline, que la colline soit naturelle ou non (l’une des favelas était sur une ancienne décharge) (2).
Les maigres secours mobilisés ont été vite dépassés et n’ont pas permis de dégager tous les corps. Le chaos s’est installé dans ces régions et les pouvoirs publics, dans la panique, n’ont eu comme réflexe que d’évacuer de force les habitations situées dans des zones estimées dangereuses.
Tout cela a un air de déjà-vu, et pas seulement en rapport avec les inondations récentes sur le littoral français. Le fait est que ce ne sont pas les premiers éboulements que la région doit affronter, notamment au Pérou. Bien au contraire, “les glissements de terrain dus aux précipitations sont fréquents pendant la saison des pluies dans les régions andines du Pérou” (3). Pourtant, à chaque fois, la bourgeoisie reste inerte et impuissante face au danger. Elle fait preuve de la plus totale incurie quand la catastrophe survient.
Les populations les plus pauvres de ces pays n’ont pas d’autre choix que de s’amasser dans des abris de fortune là où le capital laisse la terre inexploitée. C’est-à-dire là où le risque est trop grand de voir disparaître ses investissements dans une coulée de boue ou un éboulement de pierres.
Pourquoi la bourgeoisie irait-elle sacrifier des zones constructibles ou cultivables pour loger en sécurité la population désœuvrée qui se tasse dans les favelas ? Quel intérêt en tirerait-elle ?
Les larmes de crocodile versées sur les cadavres, les mesures d’expulsion d’urgence (mais pour aller où ?) et les grands projets de relogement annoncés sur les corps encore chauds des victimes ne font pas longtemps illusion : il n’y a pas un sole, pas un real, encore moins un dollar à mettre dans le moindre de ces projets. L’aide internationale est, comme à chaque catastrophe, l’expression profondément cynique de positions et d’appétits impérialistes, et rien d’autre (4). D’ailleurs, sitôt les bulldozers passés, la population n’en voit plus la couleur.
A la prochaine saison des pluies, le sol glissera de nouveau, emportant d’autres victimes. Et encore une fois, la bourgeoisie nous promettra la main sur le cœur que tout sera fait pour se prémunir de ces “coups du sort”.
Mais le sort n’a pas grand chose à faire là-dedans. Eviter un glissement de terrain est difficile, certes, mais il est beaucoup plus facile d’éviter qu’il ne fasse des victimes, simplement en évitant que des populations s’installent sur les zones connues comme instables. Le souci est que le coût d’un tel dispositif est contraire aux lois du capitalisme qui veulent que ce qui n’est pas source directe ou indirecte de profit n’a pas à être pris en charge.
Les phénomènes naturels ne devraient jamais être que des phénomènes, aussi spectaculaires soient-ils. Mais ils resteront des catastrophes tant que les lois capitalistes régiront le monde.
GD (23 avril)
1) Lemonde.fr, 3 avril.
2) Lepoint.fr, 10 avril.
3) Lemonde.fr, 3 avril.
4) Voir à ce sujet nos articles sur le récent séisme en Haïti.
Dans RI no 409 (février 2010), nous avons écrit un article sur “le suicide et la souffrance au travail [88]”. Nous avons également organisé une série de réunions publiques autour de ce thème fortement marqué par une actualité récente. En reprenant ici les éléments essentiels d’un article déjà publié dans notre Revue internationale (no 86, 3e trimestre 1996) (1), nous entendons montrer que la souffrance au travail n’est pas une fatalité et que le travail peut aussi être une source de plaisir dans une société future débarrassée des rapports d’exploitation, où l’homme ne sera plus considéré comme une marchandise contraint de vendre sa force de travail. Il est clair que nous rejetons également avec force et indignation toute idéologie productiviste ou stakhanoviste développée et glorifiée par les diverses formes de l’exploitation capitaliste.
Le marxisme commence par la compréhension que le travail est “l’acte d’autogenèse de l’homme”, comme l’écrit Marx dans les Manuscrits économiques et philosophiques où il porte cette découverte au crédit de Hegel, même si ce dernier l’a faite de façon formelle et abstraite. En 1876, Engels utilisait les découvertes les plus récentes en anthropologie et confirmait que “le travail a créé l’homme lui-même” (2). La puissance du cerveau humain, la dextérité de la main humaine, le langage et la conscience, spécifiquement humaine, de soi et du monde, sont nés du processus de fabrication des outils et de transformation de l’environnement extérieur ; bref, du travail qui constitue l’acte d’un être social travaillant collectivement.
Mais dans des conditions de pénurie matérielle, et en particulier dans la société divisée en classes, le travail qui crée et reproduit l’homme a aussi eu pour résultat que les pouvoirs propres de l’homme échappent à son contrôle et le dominent.
L’aliénation de l’homme envers lui-même se situe d’abord et avant tout dans la sphère où il se crée lui-même, la sphère du travail. Le dépassement de l’aliénation du travail constitue donc la clé du dépassement de toutes les aliénations qui tourmentent l’humanité, et il ne peut y avoir de transformation réelle des rapports sociaux (que ce soit la création de nouveaux rapports entre les sexes, ou une nouvelle dynamique entre 1’homme et la nature) sans transformation du travail aliéné en une activité créative agréable.
Certaines sectes “modernistes” ont utilisé la critique du travail aliéné pour en déduire que le communisme signifie non seulement l’abolition du travail salarié – dernière forme du travail aliéné dans l’histoire – mais aussi celle du travail tout court. De telles conceptions envers le travail sont typiques de la petite-bourgeoise qui se désintègre et des éléments déclassés qui considèrent les ouvriers comme de simples esclaves et qui pensent que le “refus” individuel “du travail” constitue un acte révolutionnaire. De tels points de vue ont en fait toujours été utilisés pour discréditer le communisme. Auguste Bebel a répondu à cette accusation dans la Femme et le socialisme, quand il souligne que le véritable point de départ de la transformation socialiste n’est pas l’abolition immédiate du travail, mais l’obligation universelle de travailler :
“La société une fois en possession de tous les moyens de production, mais la satisfaction des besoins n’étant possible qu’avec l’apport d’un travail correspondant, et nul être valide et capable de travailler n’ayant le droit de demander qu’un autre travaille pour lui, la première loi, la loi fondamentale de la société socialisée, est que l’égalité dans le travail doit s’imposer à tous, sans distinction de sexe. L’allégation de certains de nos adversaires malveillants qui prétendent que les socialistes ne veulent pas travailler et cherchent même autant que possible à supprimer le travail – ce qui est un non-sens –, se retourne contre eux-mêmes. Il ne peut y avoir de paresseux que là où d’autres travaillent pour eux. Ce bel état de choses existe à l’ heure actuelle, et même presque exclusivement, au profit des adversaires les plus acharnés des socialistes. Ces derniers posent en principe : “Qui ne travaille pas ne doit pas manger”. Mais le travail ne doit pas être du travail seul, c’est-à-dire de la simple dépense d’activité : il doit être aussi du travail utile et productif. La société nouvelle demande donc que chacun prenne une fonction donnée, industrielle, professionnelle ou agricole, qui lui permette d’aider à créer la quantité de produits nécessaires à la satisfaction des besoins courants. Pas de jouissance sans travail, pas de travail sans jouissance” (3).
De ce que dit Bebel, il découle que, dans les premières étapes de la révolution communiste, l’obligation universelle du travail contient un élément de contrainte. Le prolétariat au pouvoir comptera certainement d’abord et avant tout sur l’enthousiasme et la participation active de la masse de la classe ouvrière qui sera la première à voir qu’elle ne peut se débarrasser de l’esclavage salarié que si elle est prête à travailler en commun pour produire et distribuer les biens de première nécessité. Dans cette phase du processus révolutionnaire, le travail trouve déjà sa contrepartie en ce qu’il est immédiatement vu comme socialement utile – du travail pour un bienfait commun réel et observable et non pour les besoins inhumains du marché et du profit. Dans ces circonstances, même le travail le plus dur prend un caractère libérateur et humain puisque “dans l’utilisation et la jouissance que tu as de mon produit, j’aurais la satisfaction immédiate et la connaissance que par mon travail, j’ai gratifié un besoin humain... Dans 1’expression individuelle de ma propre vie, j’aurai provoqué l’expression immédiate de ta vie, et ainsi, dans mon activité individuelle, j’aurai directement confirmé et réalisé ma nature authentique, ma nature humaine, communautaire” (4). Néanmoins, ce soulèvement politique et social gigantesque requerra d’abord inévitablement de très grands sacrifices, et les seuls sentiments ne suffiront pas à convaincre ceux qui sont habitués à l’oisiveté et à vivre du labeur des autres de se soumettre volontairement à la rigueur et à la discipline du travail associé. L’utilisation de la contrainte économique – celui qui ne travaille pas, ne mange pas – constitue donc une arme nécessaire de la “dictature” du prolétariat, de l’abolition de l’exploitation. Il faut immédiatement préciser que cette règle ne peut s’appliquer que dans le respect des principes communistes de solidarité de classe exprimés de façon limpide par Marx dans l’Idéologie allemande : “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins”, ce qui signifie entre autres qu’il revient bien évidemment à la collectivité de prendre en charge les invalides, les handicapés, les malades... Ce n’est que dans une société socialiste plus développée qu’il deviendra clair et évident pour tout le monde que c’est dans l’intérêt de chaque individu de prendre pleinement sa part à la production sociale.
En même temps, ce n’est pas du tout le but du mouvement communiste d’en rester à un stade où la seule contrepartie du travail est qu’il bénéficie à quelqu’un d’autre. S’il ne devient pas un plaisir en lui-même, la contre-révolution s’établira, et les sacrifices volontaires du prolétariat à la cause commune deviendront des sacrifices pour une cause étrangère – comme en témoigne la tragédie de la défaite de la Révolution russe qui a donné naissance au stalinisme. C’est pourquoi Bebel ajoute, immédiatement après le passage cité ci-dessus :
“Mais, dès lors que tous sont astreints au travail, tous ont aussi le même intérêt à réaliser dans celui-ci trois conditions : 1) qu’il soit modéré, ne surmène personne et ne s’étende pas trop en durée ; 2) qu’il soit aussi agréable et aussi varié que possible ; 3) qu’il soit rémunérateur autant qu’il se pourra, car de là dépend la mesure du bien être” (5).
Dans les trois conditions mises en avant par Bebel pour que le travail soit agréable, l’élément de repos, de loisir et de détente est élaboré très concrètement : il insiste sur la possibilité de réduire la journée de travail à une fraction de ce qu’elle était alors (et est toujours). C’est parce que, face à une société capitaliste qui vole les meilleures heures, les meilleurs jours et les meilleures années de la vie de l’ouvrier, les révolutionnaires ont le devoir élémentaire de démontrer que le développement même de la machine capitaliste a rendu ce vol historiquement injustifiable. C’est aussi le thème de la brochure sardonique de Paul Lafargue le Droit à la paresse, publiée en 1883. A l’époque, il était déjà plus qu’évident qu’une des contradictions les plus frappantes dans le développement de la technologie du capitalisme, c’était que tout en créant la possibilité de libérer l’ouvrier des travaux pénibles, il ne semblait être utilisé que pour l’exploiter plus intensivement que jamais. La raison en était simple : sous le capitalisme, la technologie n’est pas développée au bénéfice de l’humanité, mais pour les besoins du capital.
Dans le même ordre d’idées, Bebel cite les calculs des scientifiques bourgeois de la fin du xixe siècle qui montrent qu’avec la technologie existant déjà à son époque, la journée de travail pouvait être réduite à une heure et demie par jour ! Bebel était particulièrement optimiste sur les possibilités qu’ouvrait le développement de la technologie dans cette période d’expansion capitaliste sensationnelle. Mais cet optimisme n’était pas une apologie béate du progrès capitaliste. Ecrivant sur l’énorme potentiel contenu dans l’utilisation de l’électricité, il défendait aussi que “cette force naturelle n’atteindra son maximum d’utilisation et d’application que dans la société socialisée” (6). Même si aujourd’hui le capitalisme a “électrifié” la plus grande partie (et non pas la totalité) de la planète, on saisit la pleine signification de la vision de Bebel quand, un peu plus loin, il remarque que “tous nos cours d’eau, le flux et le reflux de la mer, le vent, la lumière du soleil, convenablement utilisés fournissent d’innombrables chevaux-vapeurs” (7). Les méthodes que le capitalisme a adoptées pour fournir l’électricité – brûler du pétrole et l’énergie nucléaire – ont amené de nombreux effets secondaires nuisibles, notamment sous forme de pollution, tandis que les besoins du profit ont conduit à négliger le “nettoyage” ainsi que des sources d’énergie plus abondantes telles que le vent, les marées et le soleil.
Mais pour les socialistes de la fin du xixe siècle, la réduction du temps de travail ne serait pas seulement le résultat de l’utilisation rationnelle des machines. Elle serait également rendue possible par l’élimination du gigantesque gaspillage de force de travail, inhérent au mode de production capitaliste. Dès 1845, dans l’un des ses “Discours d’Eberfeld”, Engels a attiré l’attention là-dessus, montrant la façon dont le capitalisme ne pouvait éviter de gaspiller les ressources humaines puisqu’il emploie des hommes d’affaires et des intermédiaires financiers, des policiers, des gardiens de prison, des soldats et des marins pour mener ses guerres, et par dessus tout par le chômage forcé de millions de travailleurs à qui l’accès à tout travail productif est fermé à cause des mécanismes de la crise économique. Les socialistes de la fin du xixe siècle n’étaient pas moins frappés par ce gaspillage et montraient le lien entre le dépassement de celui-ci et la fin de l’exploitation du prolétariat.
De tels sentiments sont plus vrais que jamais aujourd’hui, dans un capitalisme décadent où la production improductive (armement, bureaucratie, publicité, spéculation, drogue, etc.) a atteint des proportions sans précédent et où le chômage massif est devenu un fait permanent de la vie, tandis que la journée de travail est, pour la majorité des ouvriers actifs, plus longue qu’elle ne l’était pour leurs aînés du xixe siècle. De telles contradictions offrent la preuve la plus frappante de l’absurdité qu’est devenu le capitalisme et donc de la nécessité de la révolution communiste.
Le but de la révolution communiste n’est pas seulement de libérer les êtres humains du travail désagréable : “le travail doit aussi être rendu agréable” comme le dit Bebel. Il élabore alors certaines conditions pour que ce soit le cas.
La première condition est que le travail se déroule dans un environnement agréable :
“Pour cela, il faut construire de beaux ateliers, installés d’une façon pratique, mettre le plus possible d’ouvriers à l’abri de tout danger, supprimer les odeurs désagréables, les vapeurs, la fumée, en un mot tout ce qui peut causer du malaise ou de la fatigue.
“Au début, la société nouvelle produira avec ses anciennes ressources et le vieil outillage dont elle aura pris possession. Mais, si perfectionnés qu’ils paraissent, ceux-ci seront insuffisants pour le nouvel ordre de choses. Un grand nombre d’ateliers, de machines, d’outils disséminés et à tous égards insuffisants, depuis les plus primitifs jusqu’aux plus perfectionnés, ne seront plus en rapport ni avec le nombre des individus qui demanderont du travail, ni avec ce qu’ils exigeront d’agrément et de commodité.
“Ce qui s’impose donc de la manière la plus urgente, c’est la création d’un grand nombre d’ateliers vastes, bien éclairés, bien aérés, installés de la façon la plus parfaite, et bien décorés. L’art, la science, l’imagination, l’habileté manuelle trouveront ainsi un vaste champ ouvert à leur activité. Tous les métiers qui ont trait à la construction des machines, à la fabrication des outils, à l’architecture, tous ceux qui touchent à l’aménagement intérieur pourront se donner largement carrière” (8).
L’usine est souvent décrite dans la tradition marxiste comme un véritable enfer sur terre. Et ceci n’est pas seulement vrai de celles qu’il est respectable d’abhorrer – celles des jours sombres et lointains de la “révolution industrielle” dont les excès sont admis – mais également de l’usine moderne à l’époque de la “démocratie” et de l’Etat-providence. Mais pour le marxisme, l’usine est plus que cela : c’est le lieu où les travailleurs associés se retrouvent, travaillent ensemble, luttent ensemble, et elle constitue donc une indication sur les possibilités de l’association communiste du futur. En conséquence, les marxistes de la fin du xixe siècle avaient tout à fait raison d’envisager une usine du futur, transformée en centre d’apprentissage, d’expérimentation et de création.
Pour que ce soit possible, il est évident que l’ancienne division capitaliste du travail, sa manière de réduire quasiment tous les travaux à une routine répétitive qui engourdit l’esprit, doivent être supprimées aussi vite que possible. Aussi les écrivains socialistes de la fin du xixe siècle (comme William Morris en Angleterre), suivant une fois encore Marx, insistent sur la nécessité que le travail soit varié, qu’il change et ne soit plus paralysé par la séparation rigide entre l’activité mentale et l’activité physique. Mais la variété qu’ils proposaient – basée sur l’acquisition de différentes qualifications, sur un équilibre approprié entre l’activité intellectuelle et l’exercice physique – constituait bien plus qu’une simple négation de la sur-spécialisation capitaliste, plus qu’une simple distraction vis-à-vis de l’ennui de cette dernière. Elle voulait dire le développement d’une nouvelle sorte d’activité humaine dans le sens plein, qui soit en fin de compte conforme aux besoins les plus profonds du genre humain :
“Le besoin de liberté dans le choix et le changement d’occupation est profondément enraciné dans la nature humaine. Il en est d’un travail donné, tournant chaque jour dans le même cercle, comme d’un mets dont le retour constant, régulier, sans changement, finit par le faire paraître répugnant ; l’activité s’émousse et s’endort. L’homme accomplit machinalement sa tâche, sans entrain et sans goût. Et pourtant il existe chez tout homme une foule d’aptitudes et d’instincts qu’il suffit d’éveiller et de développer pour produire les plus beaux résultats et pour faire de lui un homme vraiment complet. La socialisation de la société fournit largement l’occasion de satisfaire ce besoin de variété dans le travail” (9).
Cette variété n’a rien de commun avec la recherche frénétique de l’innovation pour elle-même qui est de plus en plus devenue le sceau de la culture capitaliste décadente. Elle est fondée sur le rythme humain de la vie où le temps disponible est devenu la mesure de la richesse. Travailler avec entrain et dans la joie ; le réveil des aptitudes et des désirs réprimés. Bref, le travail comme activité consciemment sensuelle.
Marx avait soutenu l’insistance de Fourier selon laquelle le travail, pour être digne des êtres humains, devait se baser sur une “attirance passionnelle”, ce qui est certainement une autre façon de parler de “l’Eros” que Freud a ultérieurement approfondi.
Freud a remarqué que l’homme primitif “rendait son travail agréable en le traitant, pour ainsi dire, comme un équivalent et un substitut des activités sexuelles” (10). En d’autres termes, dans les premières formes de communisme primitif, le travail n’était pas encore devenu ce que Hegel a défini dans la Phénoménologie de l’esprit comme “le désir réprimé et contenu”. En termes marxistes, l’aliénation du travail ne commence pas vraiment avant l’avènement de la société divisée en classes. Le communisme du futur réalise donc une réintégration généralisée de la charge sensuelle du travail et de l’activité humaine qui, dans les sociétés de classe, ont généralement constitué le privilège de l’élite des artistes.
En même temps, dans les Grundrisse, Marx critique l’idée de Fourier selon laquelle le travail puisse devenir un jeu, dans le sens d’un “simple plaisir et d’un simple amusement”. C’est parce que le communisme scientifique a compris que l’utopisme est toujours dominé par une fixation sur le passé. Un homme ne peut pas redevenir un enfant, comme le note Marx dans le même écrit. Mais il poursuit en soulignant que l’homme peut et doit retrouver la spontanéité de l’enfance ; l’adulte qui travaille et prévoit le futur, doit apprendre à réintégrer le lien érotique de l’enfant au monde. L’éveil des sens, décrit dans les Manuscrits économiques et politiques, nécessite un retour au royaume perdu du jeu, mais celui qui y retourne ne s’y perd plus comme le font les enfants, car il a maintenant acquis la maîtrise consciente de l’être humain social pleinement développé.
(D’après la Revue internationale no 86)
1) “La transformation de travail selon les révolutionnaires de la fin du [89]xix [89]e [89] siècle [89]” (issu de la série “Le communisme n’est pas un idéal mais une nécessité matérielle [90]”).
2) “Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme” (in la Dialectique de la nature).
3) La femme dans le passé, le présent et l’avenir, collection Ressources, page 254.
4) Extraits de Elements of political economy de James Mill, par Marx. Traduit de l’anglais par nous.
5) La femme dans le passé..., op. cit.
6) Idem, page 267.
7) Ibidem.
8) Idem, page 262.
9) Idem, page 268.
10) Freud, Introduction à la psychanalyse.
En Grèce, la colère est immense et la situation sociale explosive. En ce moment même, l’Etat grec porte des coups terribles au prolétariat. Toutes les générations ouvrières, tous les secteurs sont frappés de plein fouet. Les travailleurs du privé, les fonctionnaires, les chômeurs, les retraités, les étudiants-précaires… personne n’est épargné. La classe ouvrière est menacée de plonger toute entière dans la misère.
Face à ces attaques, le prolétariat ne reste pas sans réagir. Il descend dans la rue et se bat, montrant ainsi qu’il n’est pas prêt à accepter sans broncher les sacrifices exigés par le capital.
Mais pour l’instant, cette lutte ne parvient pas à se développer, à devenir massive. Les ouvriers de Grèce vivent des heures difficiles. Que faire quand tous les médias et tous les responsables politiques affirment qu’il n’y a pas d’autre solution que de se serrer la ceinture pour sauver le pays de la faillite ? Comment résister au moloch étatique ? Quelles méthodes de lutte mettre en œuvre pour construire un rapport de forces favorable aux exploités ?
Toutes ces questions n’appartiennent pas seulement aux ouvriers vivant en Grèce, mais à ceux du monde entier. Il n’y a d’ailleurs aucune illusion à avoir, la “tragédie grecque” n’est qu’un avant-goût de ce qui attend tous les ouvriers, aux quatre coins du globe. Ainsi, des “cures d’austérité à la grecque” sont déjà officiellement annoncées au Portugal, en Roumanie, au Japon et en Espagne (où le gouvernement vient de baisser de 5 % le salaire des fonctionnaires ! ). Toutes ces attaques portées simultanément révèlent une nouvelle fois que les ouvriers, quelle que soit leur nationalité, forment une seule et même classe qui a partout les mêmes intérêts et les mêmes ennemis. La bourgeoisie fait porter au prolétariat les lourdes chaînes du travail salarié, mais ses maillons relient tous les ouvriers de pays en pays, par delà les frontières.
En Grèce, ce sont donc aujourd’hui nos frères de classe qui sont attaqués et qui ont commencé, douloureusement, à essayer de se battre. Leur lutte est aussi la nôtre.
Refusons toutes les divisions que tente de nous imposer la bourgeoisie. Au vieux principe des classes dominantes “diviser pour mieux régner”, opposons-lui le cri de ralliement des exploités “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”.
En Europe, les différentes bourgeoisies nationales essayent de faire croire aux ouvriers qu’ils vont devoir se serrer la ceinture à cause de la Grèce. La malhonnêteté des responsables grecs, qui ont laissé le pays vivre à crédit pendant des décennies et ont truqué les comptes publics, serait la cause principale d’une “crise de confiance internationale” envers l’euro. Les gouvernements utilisent tous ce prétexte fallacieux pour justifier, les uns après les autres, la nécessité de réduire les déficits et l’adoption de plans de rigueur draconiens.
En Grèce, tous les partis officiels, Parti Communiste en tête, attisent les sentiments nationalistes, les “forces étrangères” d’être responsables des attaques. “A bas le FMI et l’Union européenne”, “A bas l’Allemagne”, tels sont les slogans brandis dans les manifestations par la gauche et l’extrême-gauche qui, par-là même, épargnent volontairement le capital national grec.
Aux Etats-Unis, si les Bourses plongent, ce serait à cause de l’instabilité de l’Union Européenne ; si les entreprises ferment, ce serait à cause de la faiblesse de l’euro qui handicape le dollar et les exportations…
Bref, chaque bourgeoisie nationale accuse le voisin et exerce sur le prolétariat qu’elle exploite ce chantage infâme : “acceptez les sacrifices sinon le pays sera affaibli et les concurrents en profiteront”. Le nationalisme, véritable poison pour les luttes, la classe dominante essaie de l’inoculer dans les veines ouvrières.
Ce monde divisé en nations concurrentes n’est pas le nôtre. Les prolétaires n’ont rien à gagner à s’enchaîner au capital du pays où ils vivent. Accepter des sacrifices aujourd’hui au nom de la “défense de l’économie nationale”, ce n’est que préparer d’autres sacrifices, plus durs encore, demain.
Si la Grèce est “au bord du gouffre”, si l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal sont prêts à la suivre, si le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis sont dans la tourmente, c’est que le capitalisme est un système moribond. Tous les pays sont condamnés à s’enfoncer irrémédiablement dans ce marasme. Depuis 40 ans, l’économie mondiale est en crise. Les récessions se succèdent les unes aux autres. Seule une fuite en avant désespérée dans l’endettement a permis au capitalisme d’obtenir, jusqu’à présent, un peu de croissance. Résultat, aujourd’hui, les ménages, les entreprises, les banques, les Etats sont tous surendettés. La faillite de la Grèce n’est que la caricature de la faillite générale et historique de ce système d’exploitation.
Les plans d’austérités annoncés constituent une attaque frontale et généralisée des conditions de vie. La seule réponse possible est donc un mouvement massif des travailleurs. Il est impossible de faire face en se battant dans sa boîte, son école ou son administration, seuls, isolés, à une poignée. Lutter massivement est une nécessité, sous peine d’être tous écrasés et réduits à la misère.
Or, que font les syndicats, ces officines estampillées “spécialistes officiels de la lutte” ? Ils organisent des grèves dans de multiples usines… sans jamais chercher à les unifier. Ils entretiennent activement le corporatisme, en opposant notamment les travailleurs du public et du privé. Ils baladent les ouvriers de journées d’action stériles en journées d’action stériles. Ce sont en fait les “spécialistes de la division ouvrière” ! Même le nationalisme, les syndicats s’y emploient à le distiller. Un seul exemple : le slogan le plus scandé dans les manifestations par la GSEE (la CGT grecque) depuis la mi-mars est… “acheter grec” !
Suivre les syndicats, c’est toujours aller à la division et à la défaite. Les ouvriers doivent donc prendre en mains leurs luttes, en organisant eux-mêmes les assemblées générales, en décidant collectivement des mots d’ordre et des revendications, en élisant des délégués révocables à tout instant et en allant discuter par délégations massives avec les travailleurs les plus proches, dans les usines, les administrations, les écoles, les hôpitaux voisins… pour les encourager à rejoindre le mouvement.
Se passer des syndicats, oser prendre ainsi les luttes en mains, faire le pas d’aller à la rencontre de ses frères de classe… tout cela peut sembler bien difficile. Voilà l’un des freins actuels au développement de la lutte : le prolétariat manque singulièrement de confiance en lui, il n’a pas encore conscience de la force que représentent ses formidables capacités. Pour l’instant, la violence des attaques menées par le capital, la brutalité de la crise économique, le manque de confiance du prolétariat en lui-même, agissent comme des facteurs paralysants. Les ripostes ouvrières, même en Grèce, sont bien loin de ce que la gravité de la situation exige. Pour autant, l’avenir appartient à la lutte de classe. Face aux attaques, la perspective est au développement de mouvements de plus en plus massifs.
Certains nous demanderont : “Pourquoi mener de telles luttes ? Vers quoi cela mène-t-il ? Puisque le capitalisme est en faillite, aucune réforme n’est réellement possible. Il n’y a donc pas d’issue.” Et, effectivement, au sein de ce système d’exploitation, il n’y a aucune issue. Mais refuser d’être traités comme des chiens et lutter collectivement, c’est nous battre pour notre dignité, c’est prendre conscience que la solidarité existe dans ce monde d’exploitation et que la classe ouvrière est capable de faire vivre ce sentiment humain inestimable. Alors, la possibilité d’un autre monde commence à apparaître, un monde sans frontière ni patrie, sans exploitation ni misère, un monde fait pour les hommes et non-plus le profit. La classe ouvrière peut et doit avoir confiance en elle. Elle seule est capable d’édifier cette société nouvelle et de réconcilier l’humanité avec elle-même en passant “du règne de la nécessité à celui de la liberté” (Marx) !
Le capitalisme est un système en faillite.
Mais un autre monde est possible : le communisme !
Courant communiste international.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de Welt Revolution, organe du CCI en Allemagne.
La récente marée noire dans le Golfe du Mexique jette une lumière crue sur l’absence d’égards et le caractère incroyablement hasardeux de l’utilisation des ressources naturelles par le capitalisme.
Depuis le naufrage de la plate-forme pétrolière de BP “Deepwater Horizon”, le 22 avril, où onze ouvriers ont trouvé la mort, ce sont au moins 800 000 litres de pétrole brut qui se déversent chaque jour dans le Golfe du Mexique et qui contaminent les côtes sur des centaines de kilomètres et forment une énorme nappe de pétrole dans le Golfe lui-même. Personne ne peut établir précisément quelle quantité de pétrole s’est déjà écoulée (1). “Un mois après le naufrage de la plate-forme de forage Deepwater Horizon, la plus grande partie du pétrole qui s’est échappé jusqu’ici est restée sous l’eau (2). Ces énormes nuages de pétrole qui flottent sous la surface du Golfe du Mexique peuvent avoir une étendue allant jusqu’à seize kilomètres de long, six kilomètres de large et une centaine de mètres d’épaisseur.” A l’aide de produits dispersants, on a évité jusqu’à présent “qu’une partie du pétrole atteigne la terre. C’est là où attend la plus grande concentration de journalistes” (c’est-à-dire le plus grand public) (3).
Les premières investigations ont montré que “le Minerals Management Service (MMS), le service administratif américain de la gestion des minéraux, responsable de la surveillance de la production pétrolière, a délivré ses autorisations sans avoir effectué de contrôles au plan de la sécurité et de la compatibilité avec l’environnement (…) Dans ce cas concret, le MMS a omis de vérifier la capacité du Blowout Preventer [valve centrale de sécurité destinée à prévenir les fuites, NDLR] avant sa mise en service. (…) Dans le système hydraulique-clé de cet élément de plusieurs tonnes, il y a manifestement eu une fuite. En outre, un test de sécurité mené peu d’heures avant l’explosion aurait échoué” (4).
D’autres enquêtes ont montré que BP ne disposait même pas d’équipements adéquats pour aspirer dans les fonds marins le pétrole susceptible de fuir et de s’y déposer. De même, il n’existe pas de moyens pour réaliser des forages de soulagement dans de tels cas d’urgence. Que révèle cette attitude consistant à exploiter à grande profondeur marine des gisements pétrolifères sans disposer d’aucune possibilité de captage de secours du pétrole et de dispositifs d’interruption du pompage en état de fonctionnement ?
“La plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, d’un coût de 560 millions de dollars, était l’une des plates-formes de forage les plus modernes du monde. Elle était capable de résister à des vagues de douze mètres et aux ouragans” (5). D’une part, des coûts de production astronomiques pour la construction d’une telle plate-forme (plus d’un demi milliard de dollars !), des frais d’exploitation de 100 millions d’euros pour le forage et, en même temps, aucun système de sécurité existant ou en état de fonctionnement pour les situations d’urgence. Comment expliquer cette contradiction ?
Lorsque le forage systématique du pétrole a commencé il y a une centaine d’années, on avait besoin uniquement de faibles investissements financiers et techniques pour exploiter les sources pétrolières. Cependant, un siècle plus tard, les compagnies pétrolières sont confrontées à une nouvelle situation. “Une grande partie du pétrole global du monde est exploitée dans des champs qui ont en partie déjà été trouvés il y a plus de 60 ans sans grand investissement technologique. Par contre, aujourd’hui, les prospecteurs doivent utiliser des méthodes onéreuses pour rechercher des champs pétrolifères qui, de plus, se situent à des endroits relativement difficilement accessibles de la terre – et ne livrent que des quantités de pétrole considérées jusqu’ici comme marginales. (…) Surtout, les entreprises occidentales ne disposent plus d’un large accès aux sources faciles, bon marché et prometteuses d’importants rendements d’Asie et d’Amérique latine. Ces sources se trouvent en effet aux mains de compagnies pétrolières nationales, comme Saudi Aramco (Arabie Saoudite), Gazprom (Russie), NIOC (Iran) ou PDVSA (Venezuela) et sont sous contrôle d’un État national. Celles-ci sont les véritables géants dans ce business et contrôlent plus des trois quarts des réserves globales.”
“Les ‘Big Oil’, comme on appelle encore les vieilles multinationales privées, contrôlent encore à peine environ dix pour cent des réserves de gaz et de pétrole globales. Il ne reste plus à BP & Co. que les projets coûteux, onéreux et dangereux. C’est donc par nécessité que ces sociétés sont poussées aux dernières limites pour atteindre ces gisements qu’aucun autre ne voudrait explorer. (…).»
“Cela fait longtemps que les compagnies pétrolières ont abandonné les plates-formes solidement ancrées aux fonds marins. Des monstres flottants, qu’on appelle des semi-submersibles, nagent sur les océans avec des kilomètres d’eau sous eux. Des canalisations verticales d’acier spécial ou de matériaux composites extrêmement fermes plongent dans l’obscurité des profondeurs. Des conduites normales se rompraient sous leur propre poids. A 1500 mètres de profondeur, la température de l’eau est à cinq degrés – cependant que le pétrole jaillit presque à ébullition. Des contraintes extrêmes exercées sur le matériel en résultent. Les risques sont considérables. Avec la profondeur, les exigences techniques en matière de forage sont énormément plus grandes. La technique est dangereuse : en durcissant, des fissures dans le ciment apparaissent, par lesquelles le pétrole et le gaz peuvent s’échapper avec une violence inouïe. Il suffit alors d’une étincelle, pour provoquer l’explosion” (6) … comme cela s’est produit !
Fiévreusement, des dizaines de milliers de personnes ont combattu, vainement jusqu’à aujourd’hui, pour tenir le pétrole à l’écart des plages. Des avions du type Lockheed C-130 ont pulvérisé des tonnes de Corexit, produit censé dissoudre la nappe de pétrole – bien que l’on soupçonne ce mélange chimique d’endommager sérieusement aussi le milieu aquatique. Dans l’avenir, on doit peut-être craindre que ces mesures de sauvetage chimique produisent des dommages sans doute encore plus grands et plus imprévisibles à long terme pour la nature (7). Pour le moment, les conséquences économiques pour la population sur place sont déjà catastrophiques, parce que beaucoup de pêcheurs sont poussés à la ruine.
Tandis que la course à l’exploitation de nouvelles sources pétrolières exige des investissements toujours plus élevés, on prend des risques techniques toujours plus grands. Les conditions de la concurrence capitaliste entraînent les rivaux à prendre des risques toujours plus élevés et à respecter toujours moins les besoins de protection de la nature. La fonte des calottes glaciaires des pôles qui ouvre le passage maritime du Nord-Ouest, le dégel du permafrost, ont déjà depuis longtemps aiguisé l’appétit des compagnies pétrolières et provoquent des tensions entre pays qui revendiquent des territoires dans ces régions.
Tandis que l’utilisation sans frein des sources d’énergie non renouvelables et fossiles, comme le pétrole, constitue en réalité un pur gaspillage, et la recherche de sources pétrolières toujours nouvelles une pure absurdité, la crise économique, et la concurrence qui lui est liée, entraînent les entreprises à investir toujours moins d’argent dans les systèmes de sécurité possibles et nécessaires. Le système pille de façon de plus en plus prédatrice les ressources de la planète. Dans le passé, la politique de la “terre brûlée”, mise en pratique et utilisée par exemple par les États-Unis au cours de la première guerre du Golfe en 1991, où les installations pétrolières dans le Golfe Persique ont été attaquées, provoquant d’énormes incendies et la fuite de monstrueuses quantités de pétrole, avait été une méthode courante de la guerre. Maintenant, c’est la pression quotidienne de la crise qui entraine la pratique de la “terre brûlée” et la contamination des mers, pour pouvoir imposer ses intérêts économiques.
La marée noire actuelle était prévisible – tout comme la catastrophe de 2005, lorsque l’ouragan Katrina a submergé la ville de la Nouvelle-Orléans, entrainant la mort de 1800 personnes, l’évacuation de la ville entière et le déplacement de centaines de milliers d’habitants. L’actuelle marée noire est, exactement comme la catastrophe de La Nouvelle-Orléans, le résultat de l’incapacité du capitalisme à offrir une protection suffisante contre les dangers de la nature. Elle est le produit de la recherche maximale du profit par le capitalisme.
Dv
1) Sur les lieux de l’accident, selon les premières estimations, environ 1000 tonneaux (160 000 litres) de pétrole brut par jour se déversaient dans la mer. Quelques jours plus tard, suite à la découverte d’une troisième fuite, elles ont été réévaluées à environ 5000 tonneaux (environ 800 000 litres) par jour. De récents calculs de différents chercheurs, basés sur des prises vidéos immergées des fuites, estiment la quantité à au moins 50 000 tonneaux (environ 8 millions de litres) par jour.
2) A de grandes profondeurs se trouvent de grands volumes d’eau polluée par des particules de pétrole. La concentration en pétrole est de moins d’un litre par mètre cube d’eau, mais l’étendue de ces nuages est importante (Wikipédia).
3) Produits chimiques contre catastrophe pétrolière. Opération camouflage et retardement”, Spiegelonline, 18 mai 2010.
4) www.spiegel.de/wissenschaft/natur/us-oelpest-schwere-sicherheitsmaengel-vor-explosion-der-oelplattform-a-694602.html [93] et www.spiegel.de/spiegel/a-694271.html [94]
5) Idem.
6) Idem.
7) 1,8 millions de litres de liquide spécial Corexit ont été utilisés jusqu’ici dans le golfe du Mexique… Il existe le danger qu’une partie de ces nuages de pétrole sous la surface dérive en direction de l’Océan Atlantique.
La réforme des retraites était annoncée depuis des mois comme LE dossier explosif du mandat présidentiel de Sarkozy. Cette réforme est en effet révoltante : il s’agit pour l’Etat de faire des économies en diminuant encore les pensions versées, pensions qui sont pourtant déjà souvent misérables (1). Comment ?
En repoussant l’âge légal du départ à la retraite à 63 ans ou en augmentant le nombre d’annuités nécessaire pour “ouvrir droit” à une pension à taux plein ou les deux. Le résultat sera de toute façon le même : de plus en plus d’ouvriers vont partir à la retraite en n’ayant pas assez de “trimestres travaillés” et subiront donc une “décote”. L’âge moyen de départ à la retraite est en effet de 58 ans, les ouvriers étant pour la majorité épuisés, malades ou licenciés bien avant d’atteindre la soixantaine.
Les belles déclarations sur “le droit des seniors à demeurer actifs, insérés professionnellement et à se sentir utiles” sont donc aussi cyniques que mensongères.
D’ailleurs, ce “droit”, les ouvriers s’en passeraient bien, eux qui triment toute leur vie sur un travail la plupart du temps ingrat, inintéressant et usant. Ce “droit”, nous le laissons aux membres de la bourgeoisie, à tous ces sénateurs, députés, représentants du patronat et chefs de grandes entreprises, confortablement installés dans leurs bureaux climatisés et accrochés à leurs “hautes responsabilités”. Les infirmiers, les enseignants, les travailleurs d’usines et du bâtiment, les secrétaires surchargées, etc., bref, tous les autres, aspirent le plus souvent à 60 ans de pouvoir fuir le bagne salarial et profiter un peu de la vie, enfin.
Bref, tout portait à croire qu’effectivement “le dossier des retraites” allait être un épisode tumultueux pour Sarkozy, qu’il allait devoir affronter pour la première fois de son quinquennat “la colère de la rue”. Pourtant, malgré la violence de l’attaque, la réaction de la classe ouvrière est très timide. Pourquoi ?
Depuis le début, la réforme des retraites nous est présentée comme une fatalité, une nécessité incontournable pour “sauver le régime par répartition”.
Le gouvernement, les partis de droite comme de gauche, les médias, les experts économiques…, tous répètent en chœur que le déficit est insoutenable, que le déséquilibre actifs/retraités est un vrai problème, que “l’espérance de vie s’allongeant, il est bien normal de travailler plus longtemps”, etc. (2).
Les désaccords, feints, ne tournent que sur la forme : à quelle date va être prise la décision finale ? Comment les “négociations” avec les syndicats sont-elles menées ? Le patronat va-t-il être aussi mis un peu à contribution… ? Mais le résultat est toujours le même : les ouvriers vont devoir travailler plus longtemps et, surtout, se contenter de pensions plus faibles.
La bourgeoisie cherche ici à distiller un sentiment de résignation. En effet, pourquoi lutter s’il n’y a aucune alternative ?
Cette tactique est pour l’instant une réussite. Les quelques manifestations d’avril et mai n’ont été ni massives ni combatives.
Il faut dire que les syndicats n’ont pas hésité à relayer de toute leur force, à leur façon, la campagne idéologique. Ils ont appuyé sans cesse, eux aussi, sur l’aspect inéluctable de la réforme des retraites, détournant la colère ouvrière sur des aménagements de la réforme prétendument plus humains. Tel est le message à peine caché des gesticulations des Thibault, Chérèque et consorts, quand ils se plaignent : “Le gouvernement n’est pas suffisamment dans la négociation”, “il a déjà pris ses décisions”, “le projet est en fait déjà arrêté”… Autrement dit, pas besoin de lutter, les jeux sont faits ! Contentons-nous des miettes que l’Etat voudra bien concéder !
D’ailleurs, quels “aménagements” souhaitent les centrales syndicales ? La prise en compte de la pénibilité de certains travails ou la longévité des carrières pour ceux qui sont rentrés dans la vie active très jeunes ! Quand tous les ouvriers sont brutalement attaqués, les syndicats ne proposent pas une réponse massive et unie mais “la prise en compte des spécificités sectorielles”. Quel meilleur moyen pour diviser ? Quel meilleur moyen pour emmener les ouvriers à la défaite, paquet par paquet, entreprise par entreprise, secteur par secteur ? En 1995, le privé était attaqué. En 2003, c’était autour des fonctionnaires et en 2007, des régimes spéciaux. Aujourd’hui, les syndicats osent nous refaire le coup des “spécificités sectorielles” et de la négociation branche par branche (3) !
Ce n’est pas un hasard si le gouvernement a, à la veille de la manifestation du 27 mai, annoncé que certains régimes spéciaux subsistants seraient épargnés par cette nouvelle réforme. Il a ainsi enfoncé le clou de la division tenu par les syndicats. C’est à un véritable exercice de duettiste auquel nous assistons une fois de plus !
La réforme des retraites va certainement passer cet été sans que notre classe soit capable d’y opposer une lutte unie et massive pourtant si nécessaire. Et la Nième manifestation-ballade promise le 24 juin prochain n’y changera rien si nous n’en changeons pas la nature. Cela dit, le travail de sape des syndicats, leur collaboration claire et nette avec le gouvernement contre les travailleurs doivent au moins servir à la prise de conscience de leur rôle véritable. Dans les luttes futures, qui viendront inévitablement, les ouvriers ne devront accorder aucune confiance à ces “ennemis de l’intérieur”. Ils devront prendre entre leurs propres mains l’organisation de leurs grèves et de leurs manifestations.
Pawel
1) La moyenne de versement des pensions de retraite en France est actuellement de 1122 euros par mois, soit à peine plus que le SMIC.
2) Notons d’ailleurs qu’effectivement, compte tenu de la faiblesse des pensions, de plus en plus de retraités sont contraints de retourner au boulot et d’accepter des petits jobs pour tenter de joindre les deux bouts !
3) Rappel de la loi Aubry sur les 35 heures où elle préconisait les négociations branche par branche, secteur par secteur, entreprise par entreprise, hôpital par hôpital, etc., afin de mieux dédouaner la responsabilité du gouvernement et de l’Etat dans cette attaque masquée.
Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits d’un article de notre section en Turquie. Les camarades y rappellent quelques événements footballistiques de ces dernières décennies qui montrent à quel point ce sport est toujours utilisé pour exacerber le nationalisme.
En juin, la Coupe du monde de football aura lieu en Afrique du Sud. Or, le football sert souvent à la classe dominante pour encourager les sentiments nationalistes et diviser la classe ouvrière.
En Turquie, lors de la victoire de la coupe de l’UEFA du Galatasary (club d’Istanbul), en 2000, il y a eu deux morts en demi-finale et trois en finale.
Les matchs qualificatifs pour cette coupe du Monde, entre l’Égypte et l’Algérie, l’an dernier, ont eux aussi engendré une explosion de haine nationaliste. Au Caire, six supporters algériens ont été tués et 21 Algériens blessés. A Khartoum, au Soudan, 23 Égyptiens furent blessés et 14 Algériens tués. Il y a même eu des centaines de blessés en Algérie lors des célébrations de liesse d’après-match ! Un grand nombre des 15 000 ouvriers égyptiens vivant en Algérie ont été attaqués et forcés de prendre l’avion. Des milliers de supporters égyptiens se sont battus dans de véritables batailles rangées contre la police au centre du Caire, faisant 11 blessés chez les policiers et 24 chez les supporters. Certains fans, ne pouvant atteindre les supporters algériens, caillassèrent l’ambassade indienne toute proche.
En mai 1990, le match Dynamo de Zagreb/Red Star de Belgrade a joué un rôle majeur dans la marche à la guerre de l’ex-Yougoslavie. Bien sûr, les guerres ne sont pas engendrées par des matches de football. Cependant, de telles démonstrations publiques de haine nationaliste servent à la mobilisation de la clas se ouvrière vers la guerre. Ce match s’est en effet terminé par une bataille rangée entre les bandes nationalistes croates et serbes (les Serbes étaient d’ailleurs conduits par Arkan, un nationaliste recherché plus tard par l’ONU pour crimes contre l’humanité !). La police fut rapidement submergée par le plus grand nombre, mais revint ensuite avec des renforts, des camions blindés et des canons à eau pour rajouter au climat de violence générale. Une heure après, avec des centaines de blessés et plusieurs morts par balles ou à l’arme blanche ou empoisonnés par les gaz lacrymogènes, la bataille continuait encore. La guerre des années 1990-2001, dans laquelle plus de 60 000 personnes allaient trouver la mort, était prête à partir. Les Tigres d’Arkan, milice dans laquelle ont été enrôlés beaucoup de supporters du Red Star ont joué un rôle dans certains des pires cas de purification ethnique. Zvonimir Boban, qui a eu plus tard une grande notoriété dans le Milan AC, se vanta d’avoir attaqué un policier pendant l’émeute. Il affirme toujours qu’il aime la Croatie plus que tout et qu’il mourrait pour son pays. Lui, il n’a pas réellement sacrifié sa vie sur l’autel de la nation mais des dizaines de milliers de malheureux ouvriers, eux, l’ont fait !
En 1969, la course à la qualification, pour la Coupe du Monde de 1970, entre le Salvador et le Honduras, fut l’étincelle qui enflamma ce qui était déjà une situation de tension guerrière. Après le match retour, les médias des deux pays firent des reportages exacerbant la haine nationaliste de l’autre et incitèrent les ouvriers de chacun des deux pays à s’entretuer. La guerre, qui se déchaîna effectivement, fit 4000 morts en quatre jours.
Sabri
Depuis cet hiver, la classe ouvrière d’Algérie a repris le chemin de la lutte. Qu’il s’agisse des cheminots, des enseignants, des agents hospitaliers, des ouvriers de la métallurgie et de l’automobile, grèves et manifestations sont de plus en plus sur le devant de la scène sociale, avec pour toile de fond commune des revendications sur les salaires et les retraites, une méfiance grandissante, sinon un rejet, des centrales syndicales et une forte combativité. Avec une inflation de 5,7 % pour 2009, l’économie algérienne n’est pas mieux lotie que celles de l’Europe et les prix grimpent tandis que la valeur du dinar plonge.
Cinq mille salariés de la Société nationale algérienne des véhicules industriels (SNVI) se sont mis en grève début janvier, pendant presque une semaine, dénonçant les accords passés entre l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le patronat et le gouvernement, visant à baisser les salaires et à supprimer la retraite anticipée (passant de trente à quarante ans de cotisation pour les professions officiellement reconnues comme les plus pénibles !). “Comment ose-t-on demander à un homme qui ne mange chaque jour qu’un plat d’épinards de travailler pendant quarante ans devant un haut-fourneau ? » disait un ouvrier. Cette grève a été émaillée d’affrontements violents avec la police anti-émeute, en particulier lorsque cette dernière a empêché les ouvriers de marcher aux cris de “Non aux salaires de misère !” vers le centre de la ville de Rouiba, en banlieue d’Alger, et alors que la grève avait gagné sept autres entreprises de cette même zone industrielle. Qui plus est, les ouvriers pointaient clairement du doigt le patron de la centrale syndicale, Sidi Saïd, qualifié de “vendu” et de “syndicaliste bien grassouillet” par les grévistes.
Chez les enseignants, trois mois après le mouvement de grève de fin 2009, ceux du primaire et du secondaire repartaient en grève à nouveau pour des revendications salariales, malgré les tentatives de l’UGTA de briser le mouvement.
Dans les hôpitaux, 30 000 médecins ont arrêté le travail pendant plusieurs semaines, assurant seulement un service minimum et exigeant des revalorisations salariales.
Les employés communaux, pour les salaires et pour la retraite sans condition d‘âge, se sont mis en grève au mois de mars.
Durant le mois de mai, ce sont les cheminots qui sont entrés en grève totale plus d’une semaine, contre l’avis de la direction de la SNTF et de l’UGTA, qui déclaraient cette grève “illicite” et tentaient vainement d’imposer un service minimum, et de surcroît en-dehors du contrôle de la Fédération nationale des cheminots, accusée par les ouvriers de “trahison et de complicité avec l’administration”. Cette grève, dont la revendication principale portait sur les salaires1, a paralysé le trafic ferroviaire des gares principales du pays (Alger, Annaba, Oran, Constantine, etc.).
Sous la pression des grévistes, mais aussi devant le risque de discrédit de plus en plus ouvert de la Fédération nationale des cheminots, qui a progressivement essayé de reprendre les choses en mains, la direction et le gouvernement ont fini par reculer, acceptant une revalorisation des salaires des cheminots en les alignant sur le SNMG (SMIC algérien), à partir du 31 mai et avec effet rétroactif au 1er janvier 2010.
Anne
1) Un cadre cheminot, après 30 ans de carrière, touche 19 000 dinars algériens, c’est-à-dire 190 euros environ.
Nous publions ci-après un témoignage de lutte daté du 18 mai 2010 et recueilli sur le blog d’un camarade de la CNT/AIT de la région de Goias au Brésil (1). Ce type de témoignage est particulièrement important pour que notre classe prenne connaissance du fait que c’est partout qu’elle se bat contre les mêmes attaques et pour les mêmes intérêts.
Les chauffeurs de bus de la ville de Gôiania et de sa région ont paralysé les services mardi matin 18 mai sans préavis, laissant des milliers de passagers sans transports. La grève, illimitée, a touché la population de la capitale [de région] et 11 municipalités voisines qui sont desservies par le même système de transports.1
Les chauffeurs protestent contre le manque de dialogue avec le syndicat qui représente les patrons des transports collectifs. En plus de dénoncer des salaires trop bas, les chauffeurs évoquent ce qu’ils appellent des conditions de travail humiliantes, avec des journées très lourdes parfois de 12 heures et cinq voyages de plus de deux heures sans pauses de repos.
De plus, selon les chauffeurs, le blocage a été initié par les chauffeurs eux-mêmes et non par les deux syndicats existant dans la capitale. C’est d’ailleurs pourquoi d’après ce qui a été entendu dans les médias de la bouche même des chauffeurs, les conditions légales pour la grève avec un service minimum de 30 % de fonctionnement n’ont pas été respectées !
Ces bourgeois paraissent stupéfaits par le fait que les travailleurs sont entrés en grève sans l’aval des syndicats légaux. C’est ça l’action directe ! Tant que nous n’agirons pas par nous-mêmes, nous n’aurons jamais ce que nous exigeons, et pour les autres travailleurs, très calmes en ces moments, ils doivent comprendre que nous sommes dans le même camp, que nous devons aussi être solidaires avec la lutte de nos compagnons ! Donc, pour autant que soit difficile cette situation précaire sans autobus, ne considérez pas ces chauffeurs comme des ennemis. A leurs apparitions dans le terminal “Jardin Veiga”, des bus ont été caillassés par la population, je crois que ce n’est pas la meilleure réaction ! Nous proposerons une grève en solidarité avec la lutte de nos compagnons.
Contre le patronat, action directe syndicale (2) !
Vive la solidarité entre les travailleurs !
CNT AIT de Goias, Brésil
1) fogocob.blogspot.com
2) A cette formule, nous préférons “Prise en main des lutes par les ouvriers eux-mêmes” car, à notre avis, “action directe syndicale” renvoie inévitablement à l’idéologie syndicale basée au contraire sur la représentation des travailleurs par des permanents “spécialistes de la lutte” (et qui, en fait, comme il est dénoncé dans ce témoignage, sont des spécialistes du sabotage des luttes ouvrières).
Voici un court récapitulatif, non exhaustif, des plans d’austérité annoncés récemment, notamment en Europe :
Espagne
• Baisse de 5 % en 2010 et gel en 2011 du salaire des fonctionnaires.
• Gel des pensions de retraite en 2011.
• Suppression, au 1er janvier 2011, du chèque-bébé, “coup de pouce” de 2500 euros accordé jusque-là pour toute naissance ou adoption d’enfant.
Italie
• Recul de trois à six mois de l’âge du départ à la retraite.
• Réduction ou gel des salaires des fonctionnaires.
• Économie de 13 milliards d’euros, en 2011-2012, sur le dos des écoles et des hôpitaux.
• Instauration de péages sur les artères très fréquentées, telles que le périphérique de Rome.
Portugal
• Hausse générale des impôts (de 1 à 2,5 % de la TVA et de l’impôt sur le revenu).
• Réduction du nombre de fonctionnaires de 73 000 postes sur quatre ans.
• Diminution drastique des prestations sociales.
France
• Probable gel des salaires et des pensions de retraites.
• Réforme des retraites (quel que soit “l’accord final” signé avec les syndicats cet été, les ouvriers vont devoir travailler plus longtemps pour des pensions de plus en plus misérables).
• Suppression de 34 000 postes de fonctionnaires par an en 2011, 2012 et 2013.
Grèce
• Gel du salaire des fonctionnaires jusqu’en 2014.
• Réduction et parfois même suppression pure et simple des 13e et 14e mois de salaire pour les fonctionnaires.
• Réduction des allocations de 8 %. Ces allocations avaient déjà été réduites de 12 % en mars.
• Augmentation de la TVA de deux points (à 23 %). En mars, elle était déjà passée de 19 à 21 %.
• Augmentation des taxes sur les carburants, les cigarettes et l’alcool de 10 %.
• Gel des retraites en 2010, 2011 et 2012.
• Hausse de l’âge moyen du départ en retraite de 53 à 67 ans !
Irlande
• Hausse générale des impôts.
• Réduction des dépenses de quatre milliards d’euros frappant, en particulier, toutes les prestations sociales.
• Baisse de 25 % des salaires du secteur public.
• Baisse de 15 % des pensions de retraite.
Roumanie
• Réduction des salaires du secteur public de 25 % à partir de juin.
• Suppression de 250 000 emplois dans le secteur public au cours des prochaines années.
• Hausse de l’âge de départ à la retraite (non encore défini).
• Baisse des pensions de retraite de 15 % en moyenne tandis que les allocations familiales seront également fortement amputées.
Au Japon, en Malaisie, en République tchèque, en Pologne et au Royaume Uni, des plans d’austérité ont aussi été annoncés mais leur contenu ne devrait être connu qu’au cours de l’été…
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un témoignage du TPTG (Ta Paida Tis Galarias), groupe communiste libertaire de Grèce (1), sur la manifestation du 5 mai contre le plan d’austérité.
Nous avons déjà publié quelques articles de ce groupe sur notre site web (internationalism.org) en différentes langues, notamment en anglais et en français. Si nous ne partageons pas chaque point de leurs positions, nous sommes en accord avec l’essentiel, en particulier :
– le rejet du réformisme et de toute alliance avec de quelconques forces bourgeoises, même soit-disant “progressistes” ou de “gauche” ;
– la défense de la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes et non par de prétendus “spécialistes” tels que les organisations syndicales ;
– et surtout l’internationalisme !
Nous voulons ici tout particulièrement saluer et soutenir la réflexion de ces camarades sur le rôle et la place de la violence dans les luttes.
Le 5 mai, en Grèce, trois travailleurs sont morts, asphyxiés dans une banque en flamme. Face à ces événements tragiques, le TPTG affirme dans son texte : “La question de la violence est devenue centrale. De la même manière que nous prenons la mesure de la gestion de la violence de l’État, nous sommes contraints d’analyser également la violence prolétarienne”.
Se livrer à une violence aveugle serait en effet tomber dans le piège tendu par la bourgeoisie ; ce serait un signe de désespoir, d’impuissance, de “nihilisme” comme l’écrit le TPTG.
Comme l’affirment ces camarades, l’État exerce sur nous une véritable terreur. Les ouvriers en se dressant face à ce moloch doivent eux-aussi utiliser une certaine violence. Lutter, faire grève, manifester est déjà en soi une expression de violence contre l’ordre du capital.
Mais la classe ouvrière ne peut pas utiliser n’importe quel type de violence : le meurtre, les lynchages, la vengeance sanglante, par exemple, n’appartiennent pas à la lutte prolétarienne. Elles sont aux contraires les stigmates de cette société barbare qu’est le capitalisme, elles appartiennent à la bourgeoisie, cette classe dominante prête à tout pour défendre ses privilèges.
La violence prolétarienne est toute autre, elle est pensée collectivement, organisée ; elle a pour but de renverser ce système d’exploitation pour le remplacer par une société sans classe ni misère. Elle est comparable cet acte apparemment “violent” de la sage-femme qui libère l’enfant lors d’un accouchement. La violence prolétarienne doit elle-aussi accoucher d’un nouveau monde (2).
Ce qui suit est un compte-rendu de la manifestation du 5 mai et du lendemain, ainsi que quelques réflexions générales sur la situation critique du mouvement en Grèce à l’heure actuelle. En dépit d’avoir été placé dans une période de terrorisme financier aigu et prenant de l’ampleur jour après jour, avec les menaces constantes de la faillite de l’État et les appels à “faire des sacrifices”, la réponse du prolétariat à la veille du vote des nouvelles mesures d’austérité au Parlement grec a été impressionnante. Cela a probablement été la plus grande manifestation de travailleurs depuis la chute de la dictature, y compris celle de 2001 qui a conduit au retrait du projet de réforme des retraites. Nous estimons qu’il y avait plus de 200 000 manifestants dans le centre d’Athènes et environ 50 000 de plus dans le reste du pays.
Il y a eu des grèves dans presque tous les secteurs […]. Une foule de prolétaires similaire à celle qui étaient descendues dans les rues en décembre 2008 (également appelée péjorativement “jeunes à capuche” par les médias de propagande officielle), qui se retrouvait également équipée de haches, maillets, marteaux, cocktails Molotov, pierres, bâtons, masques à gaz et lunettes. Bien que parfois les manifestants masqués aient été hués quand ils essayaient ou réussissait à attaquer des bâtiments, en général ils étaient en phase avec ce flot bariolé, coloré, et en colère des manifestants. Les slogans allaient du rejet du système politique dans son ensemble, comme “brûlons le bordel parlementaire !”, à des slogans patriotiques tels que “Dehors le FMI”, ou populistes comme “Voleurs ! Les gens exigent que les escrocs aillent en prison !». […]
Dans la manifestation de la GSEE-ADEDY [confédérations syndicales du privé et du public], les gens ont commencé à occuper la place par milliers et le président de la GSEE a été accueilli par des sifflets et des huées quand il a commencé à parler. […]
La manifestation convoquée par le PAME (le “Front ouvrier” du KKE) a également été importante (plus de 20 000) et arriva en premier à la place Syntagma. Son plan était de rester là pendant un moment et de s’en aller juste avant qu’arrive la manifestation principale. Toutefois, ses membres ne sont pas partis mais sont restés, en colère et en chantant des slogans contre les politiciens. […]
Bientôt, une foule de travailleurs (électriciens, postiers, employés municipaux, etc.) a essayé d’entrer dans le bâtiment du Parlement par tout accès possible, mais des milliers de policiers anti-émeute étaient disposés sur l’esplanade et devant l’entrée. Un autre groupe de travailleurs de différents âges et des deux sexes se sont mis à insulter et menacer les policiers se trouvant devant la tombe du soldat inconnu. Bien que la police anti-émeute ait réussi, grâce à une contre-attaque massive avec gaz lacrymogènes, à disperser les gens, de nouveaux groupes de manifestants arrivaient sans cesse au Parlement tandis que les premiers groupes qui avaient été forcés de battre en retraite se réorganisaient dans la rue Panepistimiou et l’avenue Syngrou. Là, ils ont commencé à détruire tout ce qu’ils pouvaient et ont attaqué les anti-émeutes qui se trouvaient dans les rues avoisinantes.
Bien que la plupart des grands édifices du centre-ville aient été fermés par des volets métalliques, ils ont réussi à attaquer quelques banques et bâtiments publics. Une destruction massive de propriétés s’est produite, en particulier dans l’avenue Syngrou, car la police n’avait pas assez d’effectifs pour réagir immédiatement à cette partie des manifestants, du fait qu’ils avaient reçu l’ordre de donner la priorité à la protection du Parlement et à l’évacuation des rues Panepistimiou et Stadiou, les deux principales avenues par lesquelles les gens revenaient constamment vers le Parlement. Des voitures de luxe, un bureau du ministère des finances et un autre de la préfecture d’Athènes ont été incendiés ; même quelques heures plus tard, cette partie de la ville ressemblait toujours à une zone de guerre. Les combats ont duré près de trois heures. […]
Les manifestants qui avaient été repoussés vers la rue Panepestimiou retournaient en groupes vers le Parlement et se sont longuement affrontés à la police. Les gens se sont de nouveau mélangés et ne partaient pas. […] Bientôt, de terribles informations arrivent sur les téléphones portables en provenance d’agences étrangères : 3 ou 4 personnes sont mortes dans l’incendie d’une banque.
Il y avait eu quelques tentatives de brûler certaines banques dans quelques endroits, mais dans la plupart des cas, les gens n’allaient pas au-delà parce qu’il y avait des jaunes enfermés à l’intérieur. Seul le bâtiment de la Banque Marfin de la rue Stadiou a effectivement été brûlé. Cependant, seulement quelques minutes encore avant que ne commence la tragédie, ce n’étaient pas des “hooligans masqués” qui criaient “jaunes !” aux employés de la banque, mais des groupes organisés de grévistes, qui criaient et les insultaient pour qu’ils abandonnent le bâtiment. […] Ce qui semble le plus proche de la vérité (en rassemblant les morceaux d’information de témoins), c’est que dans cette banque en particulier, en plein cœur d’Athènes, lors d’une journée de grève générale, environ 20 employés ont été forcés de travailler par leur patron, enfermés à clé “pour assurer leur protection”, et qu’au final trois d’entre eux sont morts d’asphyxie. Initialement, un cocktail Molotov a été lancé à travers un trou fait à un des carreaux d’une fenêtre du rez-de-chaussée de la banque. Cependant, lorsque certains employés ont été vus sur les balcons, des manifestants leur ont dit de sortir et ont essayé d’éteindre le feu. Ce qui s’est réellement passé alors et comment en un instant le bâtiment s’est retrouvé en feu, demeure inconnu.
La série macabre des événements qui ont suivi a déjà probablement été bien relatée : les manifestants qui tentent d’aider ceux qui se trouvent pris au piège, les pompiers qui tardent trop à sortir certains d’entre eux, le souriant banquier milliardaire poursuivi par une foule en colère. Au bout d’un certain temps, le Premier ministre a annoncé l’information au Parlement, condamnant l’ “irresponsabilité politique” de ceux qui résistent aux mesures prises et qui “entraînent les gens à la mort”, tandis que les “mesures de salut” du gouvernement, au contraire, “défendent la vie.” Le renversement de situation a été couronné de succès. Rapidement s’en est suivie une importante opération des forces anti-émeute : la foule a été dispersée et pourchassée, l’ensemble du centre de la ville a été bouclé jusque tard dans la nuit, l’enclave libertaire d’Exarchia a été placée en état de siège, un squat anarchiste a été expulsé et beaucoup de ses occupants arrêtés, un local pour immigrants a été dévasté et un nuage de fumée persistante s’est maintenu sur la ville laissant un sentiment d’amertume et d’hébétude…
Les conséquences furent visibles dès le jour suivant : les vautours des médias ont exploité les morts tragiques […] et certains allèrent même jusqu’à demander la criminalisation de la résistance et de la protestation. Le gouvernement a gagné du temps en changeant le sujet de la discussion et du conflit et les syndicats se sont vus libérés de toute obligation d’appeler à une grève pour ce jour même où les nouvelles mesures étaient approuvées.
Dans un tel climat général de peur, de déception et de douche froide, quelques milliers de personnes se sont tout de même rassemblées devant le Parlement dans l’après-midi lors d’une manifestation organisée par les syndicats et les organisations de gauche. La colère était toujours là, des poings ont été dressés, quelques bouteilles d’eau et des pétards ont été jetés sur les policiers anti-émeute et des slogans contre le parlement et la police ont été lancés. Une femme âgée a demandé aux gens de chanter “Qu’ils s’en aillent !” (les politiciens), un jeune a uriné dans une bouteille et l’a jeté sur la police, quelques anti-autoritaires étaient là aussi et quand la nuit est tombée et que les syndicats et la plupart des organisations de gauche s’en étaient allées, des gens tout à fait ordinaires, des gens normaux, aux mains nues, ne sont pas partis. Après avoir été violemment attaqués par la police anti-émeute, pourchassés et piétinés par les escadrons de la place Syntagma, les jeunes et les vieux, apeurés, mais furieux, se sont dispersés dans les rues avoisinantes. Tout était rentré dans l’ordre. Cependant, on ne voyait pas seulement la peur dans leurs yeux, on voyait aussi de la haine. C’est certain, ils reviendront.
1. Les mesures sévères contre les anarchistes et les anti-autoritaires ont déjà commencé et vont devenir plus intenses encore à l’avenir. La criminalisation de tout un mouvement socio-politique, allant même jusqu’aux organisations d’extrême gauche, a toujours été une stratégie de diversion utilisée par l’État et sera utilisée plus encore maintenant que l’attaque meurtrière a créé des conditions aussi favorables. […] (3).
2. et 3. […]
4. […] Si la lutte des classes s’intensifie, les conditions peuvent ressembler de plus en plus à celles d’une véritable guerre civile. La question de la violence est devenue centrale.
De la même manière que nous prenons la mesure de la gestion de la violence de l’État, nous sommes contraints d’analyser également la violence prolétarienne : le mouvement doit aborder la question de la légitimation de la violence rebelle et de son contenu en termes pratiques.
En ce qui concerne le mouvement anarchiste et anti-autoritaire lui-même et sa tendance insurrectionnelle dominante, la tradition d’une glorification machiste et fétichisée de la violence a duré trop longtemps et a été trop importante pour demeurer dans l’indifférence aujourd’hui. La violence comme une fin en soi, sous toutes ses formes variées (y compris la propre lutte armée) n’a cessé de se propager depuis des années, et surtout après la révolte de décembre 2008 où un degré de décomposition nihiliste est apparu clairement […], en s’étendant au mouvement lui-même.
A la périphérie de ce mouvement, dans ses marges, un nombre croissant de personnes très jeunes est apparu faisant la promotion d’une violence nihiliste sans limites (se réclamant du “nihilisme de décembre”) et de la “destruction”, même si cela implique aussi le “capital variable” (comme les jaunes, les “éléments petits-bourgeois”, les “citoyens respectueux de la loi.”). Qu’une telle dégénérescence surgisse de la rébellion et de ses limites, ainsi que de la crise elle-même est d’une claire évidence.
Jusqu’à un certain point, certaines condamnations de ces attitudes avait déjà commencé à se faire entendre ainsi qu’une certaine auto-critique (certains groupes anarchistes ont même désigné leurs auteurs de “voyous paraétatiques”) et il est fort possible que les anarchistes et les anti-autoritaires organisés (groupes ou squats) essaieront d’isoler politiquement et opérationnellement de telles tendances. […] A posteriori, on peut dire que ces incidents tragiques, avec toutes leurs conséquences, auraient pu se produire lors de la rébellion de décembre 2008 : ce qui l’a empêché alors n’a pas été seulement la chance (la station service qui n’a pas explosé à côté d’un immeuble en flammes, le samedi 7 décembre lorsque les émeutes les plus importantes ont eu lieu dans la nuit avec une majorité des bâtiments vides), mais aussi la création d’une sphère publique prolétarienne (bien que limitée) et de communautés de lutte qui trouvèrent leur voie, non seulement par la violence, mais à travers leur propre contenu, discours et autres moyens de communication.
Ce furent ces communautés pré-existantes (d’étudiants, de supporters de football, d’immigrés, d’anarchistes) qui se sont transformées en communautés de lutte, autour des thématiques mêmes de la rébellion qui ont pu donner à la violence une place significative. De telles communautés émergeront-elles encore maintenant qu’il n’y a pas seulement une minorité prolétarienne impliquée ? Émergera-il des formes pratiques d’auto-organisation dans les lieux de travail, dans les quartiers et les rues en mesure de déterminer la forme et le contenu de la lutte et par conséquent de situer la violence dans une perspective libératrice ?
Ce sont là des questions difficiles et urgentes mais dont nous devrons trouver les réponses par la lutte.
TPTG (9 mai 2010)
1) L’article que nous publions ici est disponible dans sa version intégrale sur le forum de la CNT AIT Caen [97] et sur le site de l’OCL [98].
Voici aussi un lien vers de nombreux articles en anglais de ce groupe révolutionnaire : libcom.org/tags/tptg [99].
2) Pour mieux connaître la position du CCI sur la question de la violence, lire notre article “Terreur, terrorisme et violence de classe [100]”.
3) Cette tendance à pointer du doigt certains groupes anarchistes, comme certains groupes marxistes qualifiés “d’ultra-gauche”, se vérifie aussi à l’échelle internationale (NDLR).
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne.
A l’heure où nous écrivons, les rues de Bangkok ont tout l’aspect d’une guerre civile. Des milliers de manifestants, organisés dans le mouvement des “chemises rouges”, sont dans un camp retranché et sont maintenant assiégés par l’armée, qui a déclaré le couvre-feu dans certaines parties de la ville, dans le but d’intimider les manifestants et d’empêcher l’arrivée de tous renforts. Dans la seule journée du 14 mai, les troupes gouvernementales ont tué au moins 16 personnes. Elles ont prétendu agir en situation de légitime défense, mais les chemises rouges sont essentiellement armées de bâtons et de pierres. Qui plus est, les troupes ont clairement utilisé des tireurs isolés contre des cibles spécifiques : un général dissident qui avait rejoint les chemises rouges et leur donnait des conseils de sécurité a été atteint à la tête par une balle tirée d’une longue distance et il y a peu de chances qu’il survive.
La majeure partie des chemises rouges est constituée de Thaïlandais pauvres et dépossédés. Beaucoup d’entre eux viennent des secteurs ruraux du nord et du nord-ouest du pays, mais ils semblent également recevoir l’appui des pauvres des villes. Selon un article du Time, cité sur le site Web Socialiste du Monde (“Dix mort au cours du siège des manifestants par les militaires thaï”, 15 mai 2010), pendant le conflit, “les soldats ont aussi été attaqués à revers par des centaines d’habitants des taudis qui se trouvent dans le voisinage du côté gauche du port de Klong Toey qui se sont déversés dans les rues pour mettre le feu à des fusées et lancer des projectiles sur la troupe… Lorsque la foule de Klong Toey a continué à avancer, les soldats ont ouvert le feu avec des balles en caoutchouc. Des centaines de personnes, prises de panique ont fait demi-tour pour se précipiter dans les rues adjacentes. Au moins trois personnes ont été blessées”.
Il n’y a aucun doute à avoir par rapport au courage des manifestants, ni sur le fait que ce qui les a conduits dans les rues est l’appauvrissement qui s’est abattu sur eux non seulement à cause de la crise mondiale actuelle, mais également à cause de l’impact de la chute des “Tigres” et des “Dragons” d’Extrême-Orient en 1997 et des décennies de sous-développement qui les ont précédés. Mais le mouvement des Chemises rouges n’est pas un mouvement de combat d’exploités et d’opprimés. C’est plutôt un exemple de mécontentement populaire profond qui est canalisé dans une fausse direction : la lutte pour remplacer la clique actuelle des militaristes et des millionnaires de Thaïlande par une autre faction bourgeoise. La principale revendication des Chemises rouges est de nouvelles élections plus justes et le rétablissement de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, qui a acquis une grande popularité parmi les pauvres des campagnes après son accession au pouvoir en 2001 en offrant aux cultivateurs fermiers un crédit et des subventions faciles et en maintenant élevé le prix des récoltes ; il y a eu aussi des “réformes” destinées aux masses urbaines pour faciliter l’accès aux soins de santé.
Ces changements ont provoqué une réaction violente de la part de certaines des fractions les mieux établies de la classe dirigeante et de la bourgeoisie (qui parfois défilent sous la bannière du “Mouvement des Chemises jaunes”) et notamment les militaires, qui ont évincé Thaksin en 2006. Mais la principale objection à Thaksin était moins son “soutien” aux paysans ou aux prolétaires que le fait qu’il commençait à diriger la Thaïlande comme si elle était sa propriété personnelle. Thaksin était un “nouveau riche”, le milliardaire des médias et son modèle de gouvernement tranchait par rapport à la ligne traditionnelle de l’influence et des privilèges qui unissent la bureaucratie d’État et de l’armée.
Il y a eu des déclarations de la part d’éléments du mouvement des Chemises rouges appelant à “se débarrasser de l’élite”, des tentatives pour appeler les soldats à les rejoindre. Tout ceci indique qu’un mouvement soulevant de véritables revendications de classe pourrait un jour émerger en Thaïlande. Mais la campagne des Chemises rouges – dont le titre officiel est le “Front national unifié pour la démocratie contre la dictature” – est un obstacle au développement d’un tel mouvement parce qu’il est orienté vers l’installation d’une démocratie bourgeoise “propre” en Thaïlande. Un tel but a cessé depuis longtemps d’avoir la moindre utilité pour la classe ouvrière dans tous les pays du monde. Comme nous l’avons écrit dans la conclusion d’un article récent, “Kirghizistan et Thaïlande : Les révolutions se poursuivent-elles ?”, le mouvement des “Chemises rouges” est fondamentalement un mouvement de pauvres urbains et ruraux, mobilisés derrière la nouvelle bourgeoisie, qui s’oppose aux “vieilles” factions militaires et monarchistes. Ce n’est pas un mouvement de la classe ouvrière, ni contrôlé par elle. La seule action ouvrière au cours de cette période, une grève de 8000 ouvriers à la fabrique d’appareils-photos Nikon, est apparue de façon complètement indépendante du mouvement des “Chemises rouges”. Et ici se trouve le point central de notre argumentation. Ces soi-disant “révolutions”, comme le récent “Mouvement vert” en Iran, ne sont pas des mouvements de la classe ouvrière. Oui, il y a de nombreux ouvriers qui y sont impliqués, et dans le cas du Kirghizistan, une majorité des participants étaient probablement des ouvriers, mais ils participaient à ces actions en tant qu’individus et non pas comme ouvriers. Le mouvement de la classe ouvrière est un mouvement qui peut seulement être basé sur la lutte de classe des ouvriers pour leurs intérêts propres, ce n’est ni un mouvement “interclassiste”, ni un mouvement populiste. Ce n’est qu’au sein d’un mouvement massif de grèves que la classe ouvrière peut développer ses propres organes, des réunions massives, des comités de grève et enfin les conseils ouvriers, qui peuvent assurer le contrôle de la classe ouvrière sur le mouvement, et permettre le développent d’une lutte pour les intérêts de classe des ouvriers. En dehors de cette perspective, les ouvriers ne peuvent être qu’utilisés comme chair à canon par les différentes factions politiques. En Grèce, peut-être, nous pouvons voir le tout début d’un long développement vers ce processus. Au Kirghizistan, et en Thaïlande, nous ne voyons que des ouvriers abattus dans les rues pour le compte de ceux qui veulent être les nouveaux patrons.
Amos
Fin mai, la Corée du Sud effectuait des manœuvres navales de grande envergure aux frontières maritimes de la Corée du Nord. En réaction à ces dernières, le gouvernement coréen du Nord répondait qu’il s’agissait de la part de Séoul “d’une provocation délibérée visant à provoquer un autre conflit militaire en mer Jaune et ainsi pousser vers une phase de guerre” et a menacé de “mettre en œuvre des mesures militaires pour défendre ses eaux territoriales, et le Sud sera tenu pour responsable des conséquences”.
Les tensions militaires entre les deux sœurs ennemies de la péninsule coréenne ne datent pas d’aujourd’hui. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale et dans la foulée des accords de Yalta délimitant leurs zones d’influence dans le monde, URSS et Etats-Unis avaient décidé en 1948 la partition de la Corée sur la ligne du 38e parallèle. Mais, sous le même prétexte de “libérer” la Corée du joug japonais, les deux têtes de bloc russes et américaines se sont ruées sur ce petit pays pour y défendre leurs intérêts impérialistes déterminants pour le contrôle de cette région du monde, l’Asie du Sud-Est. Cela allait très vite ouvrir un conflit direct et meurtrier et alimenter les relations conflictuelles entre l’Etat du Nord, pro-soviétique et celui du Sud, pro-américain.
La Guerre de Corée, triste préfiguration de celle du Vietnam, fut un épisode aussi clair que sanglant de ce que signifiait la “libération” de la Corée pour les deux têtes de bloc qui pensaient avoir droit de vie et de mort sur les populations assujetties à leur “protection”. De 1950 à 1953, les Etats-Unis larguèrent chaque mois presque 13 000 tonnes de bombes sur le Nord (1), quatre fois plus que sur le Japon. De leur côté, les armées russe et chinoise s’engagèrent massivement dans cette guerre où le seul résultat probant, les frontières entre le nord et le sud n’ayant pas changé d’un pouce, fut l’affirmation de la supériorité militaire de l’Amérique et sa volonté affichée de contrôler le Japon.
Le tout au prix de 2 millions de morts, dont les trois quarts en Corée du Nord. Cette entrée dans l’histoire de l’après-guerre est particulièrement significative de la place qu’occupe la Corée sur l’échiquier mondial et des enjeux stratégiques auxquels elle est soumise depuis plus de 50 ans. Déjà avant l’effondrement de l’URSS, la Chine, après avoir été le jouet de l’URSS, elle-même puissance grandissante dans l’interminable et sadique jeu international entre super-puissances, avait pris le relais inévitable de Moscou, même après l’intégration de Pékin au bloc américain, intégration entérinée par la fin de la Guerre du Vietnam. Mais ce ne fut pas à l’avantage des Etats-Unis, parce que la Chine s’est réservée de tous temps la Corée du Nord comme chasse gardée et moyen de pression contre son nouveau mentor de la Maison Blanche.
D’ailleurs, c’est en grande partie pour maintenir une pression indirecte sur la Chine que Washington a déclaré dès les années 1990 la Corée du Nord comme faisant partie des Etats-voyous que la “démocratie” devait avoir à l’œil. Elle est passée depuis 2001 au statut de puissance forcément terroriste par essence.
Aussi, les derniers événements du printemps, dans ce “Pays du Matin frais” toujours coupé en deux, ne sont qu’un épisode de plus de l’affrontement larvé entre les Etats-Unis et la Chine, dont on sait que cette dernière contrôle aujourd’hui le régime de Pyongyang. Après les menaces de recours à l’armement nucléaire du Nord envers le Sud, un bras-de-fer “diplomatique” a été orchestré entre les Etats-Unis et la Corée du Nord afin de calmer le jeu. Mais ces manœuvres étaient une réponse aux 46 morts d’un vaisseau coréen du Sud, tué par une torpille le 26 mars dernier, très certainement tirée par un sous-marin de la Corée du Nord.
Cet épisode “anodin” (selon la formule d’Hillary Clinton), qui est loin d’être le premier dans les “relations” tendues entre les deux Corées montre une aggravation des tensions militaires et impérialistes entre ces deux pays, et, derrière eux, des pays qui les soutiennent. Mais ni la Chine ni les Etats-Unis n’ont intérêt à ce que la situation en Corée s’envenime au-delà d’un certain seuil. La Chine n’a pas les moyens de mener une offensive militaire face à un ennemi qui ne serait autre que réellement les Etats-Unis. Et malgré les menaces répétées contre son allié de Séoul, les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à venir provoquer un pays allié de la Chine, et du coup provoquer une déstabilisation certaine et irréparable de cette région. Cependant, si les grands parrains cherchent à contrôler la situation, les pressions grandissantes qu’ils exercent sur chaque gouvernement local risquent au contraire de faire basculer ces derniers dans l’engrenage irrationnel du “chacun pour soi” et dans une fuite en avant guerrière, en particulier à travers l’isolement de la Corée du Nord, illustré par la menace de l’usage de son arsenal nucléaire. La situation actuelle renforce d’ailleurs et illustre d’ores et déjà le climat de terreur qui s’exerce comme une épée de Damoclès suspendue en permanence sur le sort des populations locales comme sur l’ensemble de l’humanité.
Aussi, l’équilibre des forces stratégiques dans cette péninsule reste toujours très précaire et fragile, sous la pression permanente de leurs puissances tutélaires respectives. Ceci implique que la présence permanente de forces armées et la quasi-militarisation de la société font subir, depuis 60 ans, au Nord comme au Sud de la Corée, une pression constante et insupportable sur le prolétariat de ces deux pays, prolétariat dont les luttes sont dans un tel contexte toujours exemplaires de courage.
Mulan
1) Durant toute la guerre du Vietnam, ce sont trois fois plus qui seront largués mensuellement .
Nous avons reçu l’ “Appel” publié ci-dessous et rédigé par un groupe de camarades en Australie. Le CCI soutient chaleureusement cet appel, et nous engageons vivement nos lecteurs en Australasie ou dans la région à contacter les camarades sur leur adresse mail : [email protected] [102]
Camarades !
L’humanité fait face aujourd’hui à la même alternative posée depuis la veille de la Première Guerre mondiale, selon les mots de Rosa Luxembourg et de Friedrich Engels avant elle : socialisme ou barbarie !
Le système capitaliste mondial connaît sa pire crise économique depuis la Grande dépression des années 1930, la classe ouvrière prenant le choc de plein fouet, chacun est confronté au gel des salaires, aux licenciements et à des conditions de travail aggravées. La menace d’une catastrophe environnementale globale semble plus possible que jamais. Des conflits sanglants et brutaux font rage sur la planète – de l’Irak à l’Afghanistan, de la Somalie au Soudan, de la Colombie au Mexique.
En opposition à ces émanations d’une société moribonde, nous voyons aussi les germes d’un nouveau monde - sans exploitation ni oppression, sans pauvreté ni misère, sans guerres et sans frontières nationales – dans la lutte de la classe ouvrière internationale.
La Gauche communiste est issue des courants de gauche de l’Internationale Communiste qui ont surgi en réponse aux glissements opportunistes de celle-ci lors du reflux de la vague révolutionnaire internationale des années 1920. Alors que la Gauche communiste connaissait des expressions dans de nombreux pays, ses plus éminents représentants se trouvèrent en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie et en Russie. Dans la période de contre-révolution qui s’est ouverte à la fin des années 1920, ce fut la Gauche communiste qui prouva qu’elle était le défenseur le plus intransigeant de l’internationalisme prolétarien et le plus rigoureux dans le bilan tiré de la vague révolutionnaire.
Même si des sympathisants de la Gauche communiste existent bel et bien en Australie, jusqu’ici ils ne le sont qu’en tant qu’individus souffrant grandement de l’isolement politique. Afin de pouvoir effectivement intervenir dans la lutte de classe, il est nécessaire que les révolutionnaires s’organisent dans une organisation politique, fondée sur la base de positions et de principes partagés.
Cependant, à l’heure actuelle, la formation immédiate d’un tel groupe n’est pas à l’ordre du jour en Australie. Ce qui est nécessaire dans l’immédiat, c’est le regroupement des internationalistes pour la discussion, menée dans le but d’initier et de maintenir le contact entre camarades (particulièrement ceux qui sont géographiquement isolés) et la clarification politique collective des positions qui définissent le programme communiste aujourd’hui.
Aussi, nous appelons à l’ouverture de discussions organisées entre tous les sympathisants de la Gauche communiste en Australie. Il est proposé que les discussions soient conduites sous le nom de “Réseau communiste internationaliste associé”.
Nous proposons que le critère pour y participer soit un accord avec les positions les plus élémentaires de la Gauche communiste aujourd’hui, à savoir :
La guerre impérialiste et les mouvements nationaux de toutes sortes n’ont rien à offrir à la classe ouvrière que la mort et la destruction. La classe ouvrière doit s’opposer à tous les camps bourgeois. En les appelant à prendre parti pour une fraction ou une autre, la bourgeoisie divise les ouvriers et les conduit au massacre de leurs sœurs et de leurs frères de classe.
Le parlement et les élections bourgeoises sont une mascarade. La “démocratie” capitaliste ne diffère pas fondamentalement de toute autre forme de dictature capitaliste. Tout appel à participer au cirque parlementaire ne peut que renforcer le mensonge selon lequel les élections offrent un vrai choix aux exploités.
Tous les syndicats sont des organes du système capitaliste et agissent à son service. Le rôle fondamental des syndicats est de faire la police dans la classe ouvrière et de saboter ses luttes. Pour défendre ses intérêts immédiats, et en dernière instance pour parvenir à faire la révolution, la classe ouvrière doit se battre en dehors et contre les syndicats.
Tous ceux qui peuvent être intéressés à y prendre part sont encouragés à écrire à [email protected] [102]
Sont bienvenus également tous les commentaires, questions et critiques.
Avec nos salutations communistes fraternelles,
F., J., M., N., Th.
Récemment, s’est tenu le XIXe congrès de Révolution internationale (RI), section du Courant communiste international (CCI) en France.
Les travaux de ce congrès ont notamment abouti à l’adoption de la résolution sur la situation en France que nous publions ci-dessous.
Un article tirant le bilan des travaux de ce congrès sera publié dans un prochain numéro de RI.
1. Comme l’ont diagnostiqué le Congrès de RI de 2008 et le Congrès du CCI en 2009, la violence de l’approfondissement de la crise dans lequel nous sommes entrés en 2007 a provoqué une véritable accélération de l’histoire qui aboutit à un changement rapide de toutes les données de la situation économique, sociale et politique dans la plupart des pays du monde. Cette accélération de l’histoire ne se dément pas car les manifestations actuelles de la crise en Europe autour de la faillite de la Grèce et du risque pour un certain nombre d’autres États de subir le même sort, démontrent que la bourgeoisie n’a plus de marge de manœuvre pour gérer la crise économique car elle se trouve devant les choix suivants :
– soit les États continuent à s’endetter, ce qui les mène à la faillite,
– soit ils mènent une politique d’austérité forcenée, ce qui aggravera la dépression économique.
Pour le moment, mais rien ne dit qu’il n’y aura pas de changement dans les trois mois ou l’année qui vient, les pays européens, et la France comme les autres, ont choisi de mettre en œuvre une politique d’austérité comme on n’en avait jamais vu depuis les années 1930.
2. Si l’économie française a été fortement touchée par l’approfondissement de la crise depuis la fin 2007, la baisse de la production a été plus faible que celle des autres pays. Paradoxalement, cet avantage partiel est dû aux faiblesses et archaïsmes historiques du capital français :
– le retard qu’a pris l’État français par rapport à l’attaque des conditions de vie de la classe ouvrière a permis que la consommation intérieure soutienne l’activité économique ;
– le fait que le capital français produise principalement des biens de consommation et de transport (automobile, avions) a permis le relatif maintien de la demande qui lui est adressée contrairement aux économies qui produisent beaucoup plus de biens de production.
Mais cette moins mauvaise santé de l’économie française par rapport aux autres économies européennes n’a pu exister que par un déficit budgétaire très élevé (7,5 % du PIB en 2009) et un endettement public en croissance rapide et qui est un des plus élevés (77,6 % du PIB) des grands pays européens. Cela signifie que le capital français a, pendant les deux dernières années, hypothéqué son avenir plus que beaucoup d’autres. Les faiblesses et archaïsmes du capital français ont toutes les chances de pénaliser à nouveau l’économie française dans les deux années qui viennent dans un contexte de descente dans la dépression économique, et ce d’autant plus que le capital français continue à perdre des parts du marché mondial.
3. La position du capital français se dégrade aussi au niveau impérialiste, en particulier en Afrique qui est la zone géographique où son influence a été la plus importante dans le passé.
Ainsi, dans ce qui était son pré-carré africain, la bourgeoisie française est confrontée à l’avancée des autres grands pays impérialistes, en particulier la Chine et les Etats-Unis, qui, le plus souvent, ont déjà pris pied dans ses anciennes chasses gardées :
– dans la région des Grands Lacs, la puissance américaine a déjà pris le dessus ;
– au Tchad, la domination française ne peut se maintenir qu’à travers des affrontements militaires périodiques ;
– dans les anciens fleurons de la présence française que constituaient le Sénégal et la Côte d’Ivoire, les adversaires de la France ont largement gagné en influence.
Le fait que la France se soit fait fermer la porte au nez lors du dernier sommet de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) à Addis-Abeba en février 2010 est significatif du fait que les gouvernements africains ont signifié à cette ancienne puissance tutélaire que la plupart d’entre eux ne dépendaient plus d’elle.
La bourgeoisie française n’est pas disposée à renoncer de plein gré à ses anciennes places fortes et elle ne va pas ménager ses efforts diplomatiques ou militaires pour s’y accrocher même si la réalité montre de plus en plus qu’elle n’a plus les moyens de ses ambitions. Pour tenter de garder son statut de puissance qui compte sur l’arène mondiale, l’impérialisme français a décidé de se maintenir à coté des États-Unis en Afghanistan. Mais en réalité, elle ne fait, comme ces derniers, que s’y embourber.
4. Pour en revenir à ses difficultés économiques, c’est bien parce que l’État français a bien conscience des risques que comportent ses faiblesses (cela pourrait aboutir à ce que la valeur de sa signature soit remise en cause) qu’il est en train d’aggraver fortement ses attaques contre la classe ouvrière. Non seulement il va continuer à mettre en œuvre celles qu’il avait décidées précédemment comme le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et l’allongement de la durée des années de travail pour pouvoir obtenir une retraite complète, mais il en rajoute de nouvelles particulièrement violentes. Ces mesures consistent en la diminution de revenus sociaux comme les allocations-logement, les aides à l’emploi, aux handicapés et une plus grande imposition des retraites. En fin de compte, le gouvernement français vient de décider d’attaquer les catégories sociales qui sont les plus en difficulté et les plus vulnérables. Il est évident que dans les mois et les années qui viennent, bien d’autres attaques vont tomber contre les ouvriers de multiples usines. Mais il faut noter que les attaques que prévoient l’État contre le secteur public, compte tenu du nombre d’ouvriers et d’employés touchés, ainsi que de l’extension géographique de ce secteur, vont être un facteur d’extension de la lutte que n’ont pas celles qui auront lieu dans telle ou telle usine.
5. Les attaques qu’a subies la classe ouvrière depuis la fin 2007, avec l’approfondissement de la crise ont provoqué un changement réel d’état d’esprit dans la classe ouvrière à cause des menaces qui pèsent sur elle. Si, jusque là, la conscience de la précarisation de ses conditions d’existence avaient été le réel moteur de la reprise des luttes au niveau international depuis 2003, les ouvriers ont compris, avec raison, que la nouvelle menace est celle de la chute dans un état dans lequel ils n’auraient même plus le strict nécessaire pour que leur famille puisse se loger, manger et s’habiller. La peur de cette chute dans la misère absolue a d’abord provoqué un état de prostration de l’ensemble de la classe ouvrière, ce qui a abouti à ce que les ouvriers qui étaient licenciés se défendent de façon isolée. C’est pendant toute cette époque qu’ont éclaté des grèves, particulièrement en France, que les syndicats n’ont eu aucun mal à maintenir dans l’isolement, pour la revendication de meilleures indemnités de licenciements. Les séquestrations de cadres ou le saccage de locaux qui ont eu lieu parfois n’étaient pas des signes de force de la classe ouvrière, mais de son impuissance.
6. Mais la violence avec laquelle la crise entraîne dans un dénuement croissant des secteurs de plus en plus massifs de la classe ouvrière est en train de provoquer un nouveau changement d’état d’esprit dans la classe ouvrière au niveau international. Les luttes des ouvriers de Teckel en Turquie, de Vigo en Espagne, de Lindsay en Grande-Bretagne, de même que les mobilisations massives qui ont eu lieu en Grèce contre un plan d’austérité qui ampute le revenu des ouvriers de plus de 20 % montrent que l’impact sur ces derniers des coups portés par la bourgeoisie tend à changer depuis un an ou deux. De manière générale, lors de ces luttes, les ouvriers ne se sont pas laissés enfermer dans l’usine et la corporation mais sont allés rechercher la solidarité d’autres secteurs de la classe ouvrière. De plus, dans un certain nombre de cas, les ouvriers n’ont pas accepté le matraquage des campagnes nationalistes de la bourgeoisie. En effet, que ce soit en Turquie ou en Espagne, les ouvriers de plusieurs nationalités ou ethnies ont lutté de manière solidaire. En Grande-Bretagne, dans la lutte à Lindsay, en pleine campagne syndicale contre les ouvriers portugais, des expressions sont apparues sur le fait que les ouvriers de tous les pays devaient être unis. Toutes ces tendances qui ont existé dans certaines luttes depuis un an sont le signe que les ouvriers sont tellement indignés et en colère à cause des mesures que l’on prend contre eux ou contre leurs camarades qu’il leur apparaît “que l’on ne peut pas laisser faire çà” et qu’il faut agir ensemble. Cette tendance a abouti à un début de remise en cause des syndicats et de leurs mots d’ordre visant à durcir la lutte chacun dans son coin. Aussi limité que cela soit, une telle tendance implique déjà un certain niveau d’initiative des ouvriers, les premiers pas qui les mènent à prendre leurs luttes en main.
7. Même si cela a été moins spectaculaire qu’en Turquie, en Espagne et en Grèce, cette tendance a aussi existé en France ces derniers mois. La grève dans les raffineries de pétrole qui a commencé fin janvier 2010 à la raffinerie Total de Dunkerque a gagné toutes les raffineries du groupe en France parce que les ouvriers des autres établissements, se sachant aussi menacés, se sentaient solidaires de ceux qui allaient être licenciés à Dunkerque. Et la lutte a eu tendance à gagner les autres groupes de raffinage du pétrole en France parce que des bruits insistants existent partout sur de futures fermetures de site de raffinage de tel ou tel groupe. De même, on a vu se développer fin 2009 ou début 2010 des grèves touchant simultanément plusieurs établissements, voire tous les établissements d’une entreprise (Ikea, Barry’s, Crown). Il est certain que les grèves qui ont eu lieu en France ne se sont étendues qu’au sein d’une même entreprise et non à un niveau géographique comme cela a été le cas en Turquie et en Espagne, mais la presse locale a laissé filtré qu’il s’agissait bien de grèves de solidarité. Cette tendance s’est suffisamment répétée pour que nous puissions dire qu’elle fait partie du changement d’état d’esprit qui a lieu au sein de la classe au niveau international.
8. Si cette tendance qui a lieu au niveau international et qui s’est aussi exprimée en France est un élément important qui montre que la classe ouvrière tend à sortir de la prostration qu’avaient provoquée les angoisses de l’approfondissement de la crise, il faut être conscient qu’elle n’en est qu’au début d’une évolution de ses luttes et de sa conscience qui lui permettront de retrouver son identité de classe. Seules des grèves massives permettront au prolétariat de retrouver son identité de classe, condition pour qu’il puisse réellement prendre en charge ses luttes et comprendre que les perspectives de son combat se situent “au-delà” du système capitaliste. Le nouvel état d’esprit qui est en train de se développer au sein de la classe mène à des confrontations avec les syndicats, mais, tant que les ouvriers n’auront pas pris confiance en leur force, les organisations syndicales apparaîtront aux yeux de ces derniers comme le seul moyen d’être protégés contre les attaques. De ce fait, même si dans les moments les plus intenses des luttes il peut exister une tendance à les remettre en cause, elles pourront reprendre une position de force une fois les luttes terminées.
9. La bourgeoisie a été surprise par la violence de l’approfondissement de la crise. En conséquence, elle n’avait pas réorganisé ses partis de gauche et leur idéologie (en fonction des questions que posent cet approfondissement) afin de donner de fausses perspectives et de dévoyer l’éventuelle réflexion qui peut exister au sein de la classe ouvrière et de ses minorités. En conséquence, face aux réactions limitées qui ont existé au sein de la classe ouvrière contre les attaques dont elle a fait l’objet, elle a mis en avant les syndicats en vue de faire en sorte que les luttes qui éclatent restent isolés et que le mécontentement qui existe au sein du secteur public s’épuise en journées d’action organisées tous les deux ou trois mois. Les syndicats semblent réorganiser leur attitude face au nouvel état d’esprit qui se développe au sein de la classe ouvrière. Ainsi les dernières luttes qu’ils ont organisées à la SNCF et à Airbus avaient pour objectif d’épuiser les travailleurs les plus combatifs dans des grèves longues et isolées. Il s’agit pour les syndicats de renforcer dans la tête des ouvriers le sentiment de leur propre impuissance.
10. L’incapacité de la bourgeoisie à prévoir la violence de l’approfondissement de la crise a provoqué beaucoup d’indécision, en France comme dans les autres pays, quant à l’organisation qu’elle doit se donner. De façon évidente, beaucoup de questions se posent qu’elle n’a pas résolues, en particulier celle d’offrir aux ouvriers une idéologie qui apparaisse comme une rupture radicale avec le capitalisme. En dehors de la préoccupation réelle de trouver une équipe compétente pour gérer le capital français et garder une certaine influence de l’impérialisme français (et de surmonter le “n’importe quoi” qui caractérise l’équipe actuellement au pouvoir), la préoccupation majeure est de mettre en place des formules politiques susceptibles de faire passer les attaques contre la classe ouvrière et de faire face à des luttes massives qui pourraient déborder les syndicats. Les commentaires des médias à l’égard de la situation en Grèce montrent que la peur de telles luttes est une préoccupation majeure de la bourgeoisie des pays développés. De manière immédiate, compte-tenu du résultat des élections présidentielles de 2007, la direction du PS a choisi de prendre une posture oppositionnelle classique critiquant les attaques et prônant une politique de relance. Pour les prochaines échéances électorales, comme on l’a vu aussi récemment en Grande-Bretagne malgré toute l’habilité de l’appareil politique de ce pays, la bourgeoisie française est en grande difficulté. C’est notamment pour cette raison que cette bourgeoisie n’a pu affirmer une perspective claire du point de vue des moyens politiques à mettre en place pour faire passer les attaques futures :
soit maintenir la droite au pouvoir et une gauche “combative” dans l’opposition susceptible de canaliser et dévoyer la colère ouvrière ;
soit faire venir un centre-gauche au pouvoir qui fasse passer les attaques sous couvert d’égalité devant l’effort à consentir ; ce centre gauche serait secondé par les Verts pour noyer un peu plus les préoccupations et les questionnements qui existent au sein de la classe ouvrière et de la société,
En tout état de cause, que ce soit dans les deux années qui viennent ou plus tard, les attaques que va devoir faire passer la bourgeoisie vont être particulièrement graves et il n’est pas exclu que les équipes chargées de gérer le capital national puissent changer suivant l’évolution de la lutte de classe.
11. Comme l’ont montré les dernières élections régionales, et particulièrement le taux record d’abstentions à celles-ci, le discrédit des deux grands partis de la bourgeoisie française est très profond au sein de la classe ouvrière. En conséquence, la bourgeoisie ne peut pas se passer de partis d’extrême-gauche, capables d’orienter vers des impasses ou de fausses perspectives les ouvriers qui se posent des questions sur l’avenir du système capitaliste.
Pourtant, à ce niveau aussi, la bourgeoisie a été surprise par le questionnement qui ne pouvait que découler de la misère qui se répand.
Ainsi, la transformation de la LCR en un NPA qui aurait eu la capacité de récupérer l’ensemble des questionnements de la jeune génération apparaît comme une grosse bévue car la question essentielle qui se pose est celle des attaques économiques par rapport auxquelles ce “nouveau” parti s’est montré très mal armé. Les succès qu’il avait obtenus au sein de la jeune génération autour de la lutte contre le CPE se sont déjà dissipés.
Cela dit, nous assistons à une réorientation en cours au sein des forces d’extrême gauche de la bourgeoisie. C’est le cas avec la mise en avant du Parti de Gauche utilisant les réseaux de “l’astre mort” qu’est le PCF et campant sur le mot d’ordre “les riches doivent payer”. C’est le cas aussi au sein du NPA lui-même où on constate l’apparition de deux tendances ; l’une favorable à une alliance avec toute la gauche (PS, PC, PG, verts, différents syndicats) face aux attaques contre les retraites, l’autre refusant une telle alliance et se refaisant des habits aux couleurs du “communisme”, de l’auto-organisation des luttes, de l’internationalisme et de la “révolution”. Cela montre que la bourgeoisie veut relancer une extrême gauche à la tonalité plus classique susceptible de mettre en avant des réponses mystificatrices à la crise du capitalisme et à la misère à côté de celles des partis de gauche traditionnels.
Enfin, tant le passé récent des luttes en France, que les luttes en Grèce ainsi que les campagnes que la bourgeoisie fait autour d’elles, doivent accroître notre vigilance sur le fait que la bourgeoisie va probablement essayer de polariser l’attention sur les groupes défendant la violence comme seul réel moyen de lutte.
12. La violente inflexion dans le rythme de la crise que nous sommes en train de vivre pose et va poser beaucoup de questions à la classe ouvrière. L’intervention des révolutionnaires sera déterminante pour que la classe puisse s’orienter face à ces questions et puisse réfléchir sur la signification de la vague d’attaques qu’elle est en train de subir. Cette intervention doit s’assigner plusieurs objectifs.
Tout d’abord, même si ce n’est qu’à travers des luttes massives que la classe ouvrière prendra conscience de sa force et de son identité, nous devons être particulièrement en éveil et donc écouter et intervenir par rapport au questionnement qui existe dans des minorités tant sur le sens de l’évolution catastrophique du capitalisme que sur la force sociale qui peut le renverser. Face à ces minorités, nous devons promouvoir la discussion la plus large possible afin d’être un facteur actif dans leur développement politique.
Face au désarroi qui est largement majoritaire dans la classe ouvrière, il est nécessaire, dans les luttes et en dehors des luttes, de montrer d’une part, le chemin et les moyens du combat prolétarien et, d’autre part, de mettre en évidence comment les syndicats et les partis de gauche n’ont pour autre objectif que d’empêcher et de casser tout effort des ouvriers de développer ce combat.
CCI (mai 2010)
La manifestation nationale du 24 juin, troisième de l’année contre la réforme des retraites, a révélé une colère grandissante dans la classe ouvrière : 800 000 à 2 millions de manifestants pour une mobilisation de la seule fonction publique et à la veille des vacances ! Pourtant, Eric Woerth est resté droit dans ses bottes, comme Juppé en 1995, et a persisté à dire qu’il s’agissait de “sauver notre système de retraite” (1).
La réforme des retraites n’explique pas à elle seule ce mécontentement général, elle s’ajoute à tout un contexte marqué par des attaques tous azimuts contre tous les secteurs et toutes les générations : budgets sociaux de plus en plus rabougris, conditions draconiennes imposées aux 4 millions de chômeurs pour mieux les rayer des listes du Pôle emploi, mesures répressives d’une brutalité inouïes sur les sans-papiers et les immigrés, contrôles et gardes à vue renforcés de la population, vagues de licenciements récurrentes, conditions de travail de plus en plus ahurissantes qui se concrétisent notamment par des vagues de suicides dus au travail, etc.
Dans ce contexte, les discours gouvernementaux et présidentiels cumulent les mensonges les plus énormes et le mépris le plus total envers les salariés. Ces discours, de même que les attaques anti-ouvrières répétées dont la gauche fut en son temps le fer de lance, ne sont pas bien sûr l’apanage spécifique de ce gouvernement de droite. Mais le “style” Sarkozy (promesses jamais tenues et déclarations sans cesse contradictoires, effets de manche dérisoires, comme lors du dernier sommet des G8-G20 à Toronto (2), politique économique ouvertement aux basques de la haute finance voire de la jet-set), s’il fait les choux gras des comiques et de certains médias, ne peut de toute façon qu’accroître chaque jour un peu plus le sentiment général que les hauts dirigeants, non seulement en mettent plein la figure à la classe ouvrière, mais se moquent d’elle.
Face à cela, la bourgeoisie et ses médias cherchent à mettre un écran de fumée en focalisant l’attention sur de grandes affaires. Le barouf autour de la déculottée de l’équipe de France de football avait pour objectif, faute d’avoir une équipe “qui gagne”, de faire diversion avant les vacances. Mais cela n’a fait qu’exaspérer encore plus les esprits dans les rangs de la classe ouvrière et cette impression d’être profondément méprisée et gouvernée par des crapules. Le jour même de la manifestation, l’Elysée était en cellule de crise… à la rescousse du soldat Henry (ex-capitaine déchu de l’équipe de foot française), celui-là même qui a “sauvé” la France contre l’Irlande en faisant une main, donc une tricherie ! Tout un symbole. Encore mieux, le même ministre qui nous appelle sans sourciller à nous serrer la ceinture et devait assainir le système financier, et en particulier pourchasser ceux qui cachent leur argent en Suisse, est impliqué dans une des affaires financières des plus énormes.
Et la “grande” mesure tape à l’œil et populiste sarkozienne consistant à réduire le train de vie des ministres et autres secrétaires d’Etat (qui est une goutte d’eau dans l’océan du déficit budgétaire), sera loin de réussir à redorer le blason du gouvernement et à faire baisser la colère des travailleurs.
Cette politique de rigueur que mène la bourgeoisie française n’est pas une particularité de l’Hexagone. C’est partout, dans tous les pays, que la classe ouvrière est massivement attaquée par des Etats aux abois face à la gravité de la crise capitaliste.
En Allemagne, après le passage de la retraite à 67 ans, le gouvernement a mis en route un “plan d’économie” de 80 milliards d’euros, qui va frapper essentiellement les chômeurs de longue durée, les “bénéficiaires” des aides sociales comme les familles les plus démunies, etc.
En Grande-Bretagne, afin de réduire son déficit budgétaire, le nouveau gouvernement conservateur ne s’est pas attardé pour commencer à appliquer le “budget d’urgence” concocté par la gauche avec la réduction de 7 milliards d’euros en direction des “dépenses sociales” et des cinq millions de salariés de la fonction publique.
Au Portugal, le gouvernement de Socrates a annoncé des hausses d’impôts et des coupes budgétaires venant s’ajouter au gel des salaires pour quatre ans dans la fonction publique. En Espagne aussi, hausses d’impôts et réductions des budgets sociaux sont en marche, avec l’adjonction d’une réforme du marché du travail consistant à “assouplir” les droits des licenciements.
En Italie, c’est le gel des salaires des fonctionnaires pour trois ans, assorti d’une réduction de 10 % des budgets ministériels et de coupes claires dans les fonds dont bénéficient les collectivités locales.
En Grèce, non content d’avoir opéré une attaque massive sur les salaires dans la fonction publique et sur les retraites (âge légal de départ reporté à 65 ans et baisse des pensions de 3 à 10 %), “au titre de la solidarité” ( !), le gouvernement a sorti de son chapeau de nouvelles mesures. De “nouvelles” “relations du travail” prévoient ainsi une réduction de 50 % de l’indemnité de licenciement agrémentée d’une augmentation de 5 % du seuil des licenciements et de la suppression du droit unilatéral pour recourir à un arbitrage en cas de conflit : autrement dit, il faudrait attaquer son patron avec son accord !
Et le gouvernement grec s’attaque aussi aux jeunes pour lesquels des salaires minima spécifiques vont être mis en place : 80 % du salaire minimum (592 euros) pour les moins de 21 ans et 85 % (629 euros) pour les moins de 25 ans.
Tout cela seulement en Europe car il serait trop long d’édifier la liste des projets de cures d’austérité qu’envisagent les différents Etats-patrons partout dans le monde.
Ces “projets” de la bourgeoisie ne restent cependant pas sans réponse de la part de la classe ouvrière. Ainsi, le mois de juin a vu un véritable déferlement de manifestations en Europe montrant que la combativité ouvrière va crescendo.
Les dirigeants capitalistes aimeraient se rassurer et ne voir là que l’expression d’une grogne, “compréhensible” certes, mais au fond passagère. Un “analyste” politique grec étalait par exemple cette sacro-sainte vérité bourgeoise révélée par le bon docteur Coué et consistant à se dire qu’il suffit d’y croire pour que ce soit vrai : “Plutôt que de couler, les Grecs ont accepté de s’entasser dans des canots de sauvetage, ils ne sont évidemment pas contents mais ils rament.”
“Evidemment”, les mesures passent car la classe ouvrière n’a pas construit un rapport de force suffisant pour pouvoir s’opposer efficacement aux attaques qui la laminent actuellement. Les manifestations auxquelles elle participe de plus en plus massivement et simultanément dans de nombreux pays lui permettent d’exprimer dans la rue sa colère. Mais cela ne suffit et ne suffira pas pour faire reculer les mesures gouvernementales et/ou patronales. Il lui faut en effet développer des luttes encore plus massives, intégrant tous les secteurs, chômeurs comme actifs, élargir au maximum son combat et ne pas en rester à des manifestations sporadiques à l’issue desquelles tout le monde rentre chez soi, tandis que d’autres sont ou se mettent en grève, chacun dans leur coin (3). Les journées d’action isolées, sans lendemain et sans véritables échanges ni discussions, sont le pain béni de la bourgeoisie pour mieux faire passer les attaques anti-ouvrières ; car elles défoulent une certaine combativité et donnent le sentiment illusoire “d’avoir fait quelque chose”.
Et c’est aux syndicats qu’appartient ce rôle d’entretenir ces illusions et donc d’apparaître comme ceux qui mèneraient véritablement le combat, que leur auraient “délégué” les ouvriers. En réalité, ce sont eux qui s’efforcent de contenir la riposte ouvrière, de la diviser et la saucissonner, par catégories, secteurs, etc., et de la stériliser par tous les moyens. Il ne faut pas voir d’autre objectif dans le fait que Force Ouvrière ait fait cavalier seul sur les retraites, se payant le luxe d’avoir l’air plus radicale par l’organisation d’une grève “interprofessionnelle” contrairement aux manifestations plus “corporatistes” de la fonction publique organisées par les autres syndicats. Cependant, leur marge de manœuvre, leur crédibilité et leur capacité à permettre que les mesures passent sans se dévoiler sont d‘autant moins grandes que la conscience de la nécessité de se battre prend corps chaque jour plus puissamment dans les rangs ouvriers. Autrement dit, jusqu’où pourront-ils faire leur travail de sape et continuer à prétendre faire en sorte de défendre les ouvriers tout en sabotant les grèves et les potentialités de la lutte ? D’ailleurs, leurs discours révèlent cette inquiétude comme l’indique cette citation rapportée par les Echos du 25 juin : “Réorganisation de l’Etat, retraites, salaires... Tout se cumule. On atteint un niveau de colère comme nous n’en avons jamais connu dans la fonction publique”, prévient la CGT. Les syndicats ne se font pas d’illusion sur l’issue des discussions, mais tous évoquent des actions à la rentrée. “La messe ne sera pas dite avec la trêve estivale”, prévient la CGT.”
La journée d’action prévue pour le 7 septembre, alors que, depuis des années, c’est en octobre que les syndicats commençaient leur timide et fragile “rentrée sociale”, s’annonce donc comme un pare-feu syndical, face à une classe ouvrière qui supporte de moins en moins qu’on lui marche dessus.
Il n’y a pas d’illusions à avoir. La “reprise économique” qui prétendument pointe à l’horizon est une vue de l’esprit bourgeois. Il n’y aura même pas de “redémarrages” ici ou là, mais un approfondissement inéluctable de pans entiers de l’économie mondiale dans le marasme, avec les conséquences les plus désastreuses. Aussi, la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, au niveau international, s’annonce comme une implacable nécessité. Il faut se donner les moyens de gagner ce combat crucial pour toute l’humanité.
Mulan (2 juillet)
1) La toute dernière publicité propagandiste, diffusée en boucle à la télévision, intitulée “Réussissons une réforme juste” et qui met en scène des “citoyens types” vantant la réforme des retraites, est d’ailleurs aussi cynique que ridicule.
2) Content de lui comme toujours, Sarkozy, Rolex au poignet, s’est félicité d’avoir fait progresser l’idée d’une taxe sur les banques, qui rapporterait un milliard d’euros, c’est-à-dire juste le montant de la dépense occasionnée par cette seule rencontre du G8 et du G20.
3) Lire notre article dans ce numéro qui rappelle le mouvement de grève massive des ouvriers de Pologne en 1980, il y a 40 ans. Cette lutte est riche de leçons pour les luttes à venir ! Elle montre en particulier comment la classe ouvrière peut prendre elle-même ses luttes en main, sans les syndicats, et établir un rapport de force favorable en développant son unité et sa solidarité.
Le 31 mai dernier, l’attaque israélienne contre la “flottille de la liberté” affrétée par la Turquie pour apporter une aide soi-disant humanitaire aux habitants de la bande de Gaza a défrayé la chronique. L’événement en lui-même a été en effet particulièrement choquant : une des armées les plus modernes et les mieux entraînées du monde tuant sans vergogne des militants pro-palestiniens désarmés. Et pour en rajouter dans le cynisme, les responsables israéliens prétexteront le recours à “l’auto-défense” contre des barres de fer ou... des couteaux suisses !
Toute une polémique a eu lieu, et a encore lieu, autour du nombre réel des victimes, tous les témoins de l’attaque affirmant qu’il y a eu bien plus que neuf morts (la plupart tués par plusieurs balles à bout portant) et soixante blessés (dont quelques-uns croupissent encore en prison en Israël), certains blessés étant même jetés par-dessus bord. Quel que soit le nombre réel de morts et de blessés, ce qui a marqué les esprits, c’est la violence de l’armée israélienne, totalement disproportionnée par rapport à la “menace” réelle que représentait ce convoi.
Pour justifier ce raid, Benyamin Netanyahou a déclaré juste après les événements : “Nos soldats devaient se défendre pour défendre leur vie.” “Ils ont été assaillis, matraqués, ils ont été battus, poignardés, on rapporte même qu’il y a eu des coups de feu et nos soldats devaient se défendre, défendre leur vie, sinon ils auraient été tués”, tout en affirmant sans honte “Nous voulons aller le plus rapidement possible vers des discussions directes puisque le genre de problème que nous avons avec les Palestiniens peut être résolu pacifiquement si nous nous asseyons ensemble à la même table.” De telles déclarations sont pitoyables et, de fait, Tsahal et l’Etat d’Israël se sont trouvés ridiculisés et montrés du doigt par la “communauté internationale”.
De son côté, pour en rajouter dans le style provocateur, le chef de la mission de liaison et de coordination pour l’enclave palestinienne, le colonel Moshe Levi, a convoqué une conférence de presse et affirmé qu’il n’y avait pas de pénurie de nourriture ni de marchandises dans la bande de Gaza : “La flottille devant se rendre à Gaza est un acte provocateur et inutile dans les conditions actuelles de la bande de Gaza, où la situation humanitaire est bonne et stable”, ajoutant qu’Israël permet que bien des produits soient introduits à Gaza et “restreint seulement l’accès de ceux qui pourraient servir à faire avancer les activités terroristes du Hamas”.
1,5 million d’habitants vivant dans 378 km2, préparant leur cuisine ou faisant leur toilette avec des eaux usées et souillées, parfois contraints d’en boire, soumis à des bombardements réguliers de l’armée israélienne qui teste ses drones et autres armes dernier cri sur eux (1) : voilà quelques aspects du quotidien des Gazaouis. Les poubelles s’entassent au point où l’on enseigne aux enfants dans les semblants d’école comment les recycler en bijoux ou autres babioles, à la fois pour tenter de diminuer les masses d’ordures qui dévorent tous les quartiers, pour occuper les “petits” et espérer grappiller quelques sous dans l’économie locale.
Que ce soit dans la bande de Gaza ou en Cisjordanie, le sol et le sous-sol, donc la nappe phréatique, sont abondamment pollués. D’abord par le confinement des décharges, par le non-traitement des eaux usées, et par les émanations et les résidus des milliers de tonnes de bombes au phosphore, à l’uranium appauvri, et à une trentaine d’autres métaux toxiques lourds qu’Israël a déversés depuis des années. Ainsi, les corps des victimes directes de l’offensive “Plomb durci” de janvier 2009 ont montré des taux élevés d’uranium, de zinc, de mercure, de cobalt et d’autres produits cancérigènes. Depuis de nombreuses années, la production agricole en est irrémédiablement contaminée, ainsi que les quelques arbres que l’armée n’a pas brûlés au phosphore blanc, tout cela et le reste entraînant un nombre de plus en plus important de cancers, d’insuffisances rénales et de malformations à la naissance. Telle est la situation humanitaire dramatique de ceux qui vivent en Palestine, otages de toutes les cliques impérialistes qui répandent depuis 40 ans un souffle de mort ! En attendant chaque matin pire que la veille, la colère gronde de plus en plus dans cette génération de jeunes qui n’ont vécu que l’occupation israélienne et la vie misérable des camps, et dont un des “passe-temps” favoris, pour cause de manque totale de perspective, est le caillassage des troupes israéliennes, comme à Jérusalem, ou encore l’enrôlement dans un groupe terroriste pour servir de kamikaze.
Ce qui s’est passé le 31 mai est un nouvel épisode de cette guerre qui dure depuis des décennies, non pas seulement entre Israéliens et Palestiniens, mais aussi et surtout entre les différentes puissances, petites ou grandes, qui ont un intérêt quelconque à défendre telle ou telle fraction.
Ainsi, l’IHH (“Fondation pour les Droits de l’homme et les Libertés” et très bien implantée en Turquie dans les municipalités proches de l’AKP, parti islamiste au pouvoir depuis 2002), à laquelle le gouvernement turc a prêté ses services pour l’affrètement des navires, est une organisation proche du Hamas. Elle possède même un bureau de représentation à Gaza et a déjà organisé d’autres convois vers les territoires palestiniens.
Devant ce convoi “humanitaire” dont l’arrivée provocatrice avait été à dessein particulièrement médiatisée, l’Etat israélien n’avait donc que de “mauvais choix” : soit laisser passer les bateaux et offrir une victoire aux islamistes du Hamas, soit intervenir par la force en affirmant sa volonté d’être le seul détenteur du contrôle de la bande de Gaza. Cette intervention musclée se voulait exemplaire pour le gouvernement israélien. Cette attitude n’a provoqué qu’une levée de boucliers et n’a contribué qu’à isoler davantage l’Etat hébreu sur la scène internationale. Cet épisode lamentable n’a pas affecté que l’image de l’Etat d’Israël mais aussi celle de son tuteur, les Etats-Unis. Et cela tombait mal.
La grande puissance américaine, dont le crédit international, tant commercial que politique, est en perte de vitesse, en particulier aux yeux de l’ensemble des pays arabes comme dans ceux à composante musulmane importante, a pris une nouvelle claque avec cette attaque israélienne sur la “flotille de la liberté”. Les Etats-Unis n’ont pu émettre qu’un faible murmure de protestation face à cette erreur de son allié principal dans la région. Le Grand Moyen-Orient qui devait aller du Maghreb jusqu’au Pakistan et dont rêvait en 2003 George W. Bush, se prenant pour un Lawrence d’Arabie moderne, s’est révélé être un piteux fiasco, et l’Empire américain n’est plus que celui de toons impuissants, creusant chaque jour un peu plus leurs propres tombes.
Dans l’affaire, ressort le rôle prépondérant pris par l’Etat turc qui a organisé le convoi maritime présenté comme une “initiative humanitaire”. Cela s’est illustré par les propos offensifs du Premier ministre Erdogan et de son ministre des Affaires étrangères : “Les agissements d’Israël ne resteront pas impunis. La communauté internationale doit agir...” La Turquie, qui prétend porter secours aux populations palestinienne, ne se livre là qu’à un racolage sans vergogne au service de sa propre propagande et de ses propres intérêts impérialistes.
Jusqu’à une époque récente, la Turquie était un des rares alliés d’Israël, via les Etats-Unis, dans le monde musulman ; aujourd’hui, elle se fait le chantre de la guerre contre le sionisme et se fait fort de jouer un rôle important au Moyen et au Proche-Orient.
La décrédibilisation et l’affaiblissement grandissants à l’échelle mondiale des Etats-Unis sont la toile de fond d’une nouvelle donne qui s’organise dans cette région de la planète.
L’axe Iran-Syrie qui prévalait encore il y a quelques mois et se concrétisait par une aide de ces pays au Hezbollah et au Hamas s’est agrandi de la Turquie. Une Turquie qui voit d’un œil de plus en plus mauvais l’indépendance du Kurdistan irakien (2) et le soutien économique que lui apporte Washington, comme le soutien de cette dernière aux Kurdes iraniens. L’Etat américain cherche à brider de ce fait les velléités impérialistes d’Ankara sur son propre Kurdistan, tout en laissant une plus grande latitude aux indépendantistes kurdes, en particulier ceux qui sont le plus proche des zones de l’Est de l’Anatolie qu’elle a de tous temps essayé de mettre au pas. Cette orientation impérialiste des Etats-Unis rapproche la Turquie, la Syrie et l’Iran, d’autant que ces trois pays ont été tenus à l’écart des décisions politiques américaines concernant l’Irak, son invasion et la gestion de la crise présente et à venir. De plus, pour la Turquie, son agrégation à cet axe lui donne une bouffée d’oxygène face aux atermoiements de l’Union européenne devant ses demandes d’intégration (3).
Mais à ce nouvel axe, il faut de surcroît ajouter la Russie, qui n’attendait que cela pour proposer ses bons offices contre le grand parrain américain. Ainsi, si trois Etats leaders au Proche-Orient sont entrés dans une phase d’intense coopération, et en quelques mois ont ouvert leurs frontières et libéralisé leurs échanges à marche forcée, la Russie en est partie prenante. En quelques mois, Ankara et Moscou ont abrogé la nécessité de visas pour leurs ressortissants. Ainsi un Turc peut entrer sans formalité en Russie alors qu’il n’y est toujours pas autorisé ni aux Etats-Unis, ni dans l’Union européenne, bien que la Turquie soit membre de l’OTAN et candidate à l’UE. Moscou se fait encore le chantre du rapprochement entre le Hamas et le Fatah, et mieux vendre ses missiles RPG et S-300 qui transpercent les chars israéliens (et dont elle va fournir l’Iran contre d’éventuels bombardements américains). C’est tout bénéfice pour Medvedev et Poutine. Les sociétés russes Rosatom et Atomstroyexport, qui terminent la construction d’une centrale nucléaire civile en Iran (à Bushehr) et sont en discussion pour de nouvelles, vont en construire une autre en Turquie pour 20 milliards de dollars. Un projet similaire est à l’étude en Syrie. En outre, Stroitransgaz et Gazprom vont assurer le transit du gaz syrien vers le Liban, Beyrouth étant empêché par son voisin israélien d’exploiter ses importantes réserves off shore (4). Mais la Russie a surtout consolidé une position militaire en prenant livraison de sa nouvelle base navale en Syrie. Celle-ci lui permettra de rétablir l’équilibre en Méditerranée dont elle est douloureusement absente depuis la dissolution de l’URSS.
Le retrait américain d’Irak n’en finit pas, la guerre en Afghanistan s’enlise et se répand au Pakistan. L’Iran est aujourd’hui en ligne de mire et, semble-t-il, de plus en plus sérieusement. Avec les échecs répétés et l’isolement tant d’Israël au Moyen-Orient que des Etats-Unis dans le monde, l’histoire s’accélère. Et ce qui pouvait apparaître comme peu probable il y a encore un an, ou moins, devient tangible. Deux semaines après l’attaque de la flottille de l’IHH, on n’a pas vu un apaisement des tensions guerrières, malgré les discours de Tel-Aviv sur l’élargissement du passage aux convois humanitaires vers Gaza. Au contraire. Douze navires de guerre américains faisaient route via le canal de Suez vers le Golfe persique, tandis que plusieurs sous-marins nucléaires israéliens capables d’atteindre n’importe quelle cible en Iran prenaient le même chemin. Pour l’instant, il s’agit de menaces cherchant à donner une valeur concrète aux discours d’Obama contre Téhéran. Mais le contexte international et les tensions impérialistes sont tels qu’on ne peut exclure un dérapage ou un nouvel épisode plus “planifié” de la fuite en avant délirante vers la guerre que connaît ce monde capitaliste décomposé.
Wilma (28 juin)
1) Les armes, particulièrement les drones tels le Heron, vendues par Israël à l’Union européenne ou aux États-Unis pour la guerre en Afghanistan, ou encore comme ceux qui ont servi dans la guerre entre la Géorgie et l’Abkhazie en 2008, ont comme argument majeur de vente qu’il sont “déjà testés pour la guerre”, c’est-à-dire dans les territoires occupés.
2) De plus, il faut savoir qu’au niveau économique, et en même temps militaire, c’est Israël qui se taille la part du lion au Kurdistan irakien, et devient de ce fait un concurrent direct de la Turquie.
3) L’attaque de la flottille humanitaire du 31 mai a encore eu pour répercussion que le IIe sommet de l’Union pour la Méditerranée chère au nain de jardin de l’Elysée a été repoussé en novembre, cette union préconisant entre autres délires l’intégration d’Israël au maintien de la paix en Méditerranée. Après que le Ier sommet a été complètement plombé par l’attaque israélienne sur Gaza... La droite française mérite une fois de plus son titre de plus bête du monde.
4) On voit que la “guerre à l’énergie” prend une tournure de plus en plus prégnante et dramatique autour de l’Iran, mettant réellement en difficulté la politique et poussant Washington à faire de nouvelles erreurs. Ainsi, Téhéran a signé avec le Pakistan un accord d’une valeur de 7 milliards de dollars, qui lance la construction d’un gazoduc allant de l’Iran au Pakistan. Un projet qui remonte à 17 ans, jusqu’ici bloqué par les États-Unis. Malgré cela, l’Iran a déjà réalisé 900 des 1500 km de gazoduc, du gisement de South Pars jusqu’à la frontière avec le Pakistan, qui en construira 700 autres. C’est un couloir énergétique qui, à partir de 2014, fera arriver chaque jour au Pakistan depuis l’Iran, 22 millions de mètres cube de gaz. La Chine est aussi disponible pour l’importation du gaz iranien : la China Petroleum Corporation a signé avec l’Iran un accord de 5 milliards de dollars pour le développement de ce gisement de South Pars. Pour l’Iran c’est donc un projet d’importance stratégique : le pays possède les plus grandes réserves de gaz naturel après celles de la Russie, et elles sont en grande partie encore à exploiter ; à travers le couloir énergétique vers l’Est, l’Iran peut défier les sanctions voulues par les États-Unis. Il a cependant un point faible : son plus gros gisement, celui de South Pars, est offshore, situé dans le Golfe Persique. Il est donc exposé à un blocus naval, comme celui que les États-Unis peuvent exercer en s’appuyant sur les sanctions décidées au Conseil de sécurité de l’ONU.
Dans son dernier livre, Le Quai de Ouistreham, la journaliste Florence Aubenas nous dévoile la vérité crue et effroyable de la vie des travailleurs précaires.
En 2009, elle s’est fait passer pour une chômeuse à la recherche d’un emploi en Basse-Normandie. Sa motivation ? “La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu’en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l’impression d’un monde en train de s’écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place.” Son but ? Décrocher un CDI. Elle l’obtiendra au bout de 6 mois de galères : “les conditions sont miraculeuses […] : un contrat de 5 h 30 à 8 h le matin, payées au tarif de la convention collective, 8,94 euros de l’heure” (sic !). Cela donne le ton quant aux conditions de vie des millions de chômeurs ou travailleurs précaires : on en vient à nommer “miraculeux” un pauvre contrat qui ne permet de travailler que 2h30 par jour, à peine plus que le SMIC !
Son parcours commence “naïvement” (selon ses propres mots) par les boîtes d’intérim. Florence Aubenas y arrive en précisant fièrement “J’accepterai tout”. “Ici, tout le monde accepte tout” lui répond-on ! Rapidement, elle en a fait le tour. Rapidement elle les connaît toutes. Rapidement, elle comprend qu’elle n’a aucune chance d’obtenir un emploi en ces temps de crise : elle n’a pas travaillé depuis 20 ans… elle n’a aucune expérience professionnelle… elle n’est pas un profil “fiable” pour l’intérim…
S’ensuit le Pôle emploi, une expérience des plus traumatisantes. Tout y est organisé afin de s’y sentir mal. Les locaux sont tristes, on est mal installé pour les recherches d’emploi, il y a peu d’ordinateurs et un seul est relié à une imprimante qui fonctionne. Un écran télé diffuse en boucle le même slogan ignobles : “Vous avez des droits, mais aussi des devoirs. Vous pouvez être radiés.” Radié… L’Etat veut graver cette menace dans les esprits, véritable épée de Damoclès… Plus d’allocations, plus de droits, plus rien… le vide… le néant… Tout est fait pour culpabiliser les ouvriers, pour leur faire croire que s’ils sont radiés, c’est entièrement de leur faute. “Vous avez des devoirs”. Entendez : “il est normal de faire quelques efforts pour rechercher un emploi, vous qui vivez au crochet des honnêtes travailleurs et êtes payés à ne rien faire.” Non ! Toutes ces contraintes imposées par le gouvernement n’ont qu’un seul et même but : radier un maximum de chômeurs, pour faire mentir les chiffres du chômage et faire des économies.
Au fil des pages, la recherche d’emploi devient un parcours du combattant usant et écœurant.
Tout commence avec le premier rendez-vous. Le conseiller annonce à Florence Aubenas qu’elle doit avoir le second rendez-vous dans les 24 h, sinon…
Le second rendez-vous ne durera pas plus de vingt minutes, nouvelles directives “d’en haut”. Les conseillers parlent entre eux “d’abattage”.
Et puis, il y a le rendez-vous mensuel, “une obligation fixée par l’administration”, quitte à débourser de gros frais de transports. “Devant l’accueil, une chômeuse attend, fâchée ça va de soi, mais de manière muette, avec des yeux de reproche. On la sent gonflée de griefs qu’elle n’ose pas exprimer, et qui cheminent en elle depuis longtemps. Elle doit penser sans cesse à ses convocations à l’agence, surtout la nuit. Elle sont obligatoires une fois par mois, toute la journée y passe, elle le sait, il faut venir en bus depuis Dives pour être reçue vingt minutes à Pôle emploi – et parfois même dix, comme la dernière fois. Dans un bureau ouvert à tout vent, un conseiller qui soupire d’autant plus qu’il ne lui proposera rien. Et pendant ce temps, sur toutes les chaînes, elle entend les politiques expliquer que les chiffres du chômage ne sont pas si mauvais. C’est à devenir fou.”
Et il y a encore les stages aux thèmes “bidons” (1) qui finissent par “être pire qu’un travail”. Là, on se présente chacun à son tour, on raconte son douloureux parcours, et puis plus grand chose… Quand le stage “apprendre à rédiger un CV” se termine, aucun matériel n’est prévu pour taper ni imprimer les nouveaux CV rédigés ! Quand il faut se déplacer à “une réunion spéciale d’information”, il apparaît assez vite “que Pôle emploi n’a en réalité, rien à annoncer à cette réunion” ! Un des conseillers finit d’ailleurs par expliquer qu’ils ont des consignes, qu’il faut faire baisser les chiffres du chômage et que cette réunion en est un des moyens : “on convoque une catégorie de chômeurs, cadres, RMistes, peu importe. Une partie ne viendra pas, et sans justificatif, c’est statistique. Ils seront radiés.”
Le personnel de Pôle emploi n’a d’ailleurs plus aucune illusion sur son propre rôle : il “a longtemps été constitué […] de travailleurs sociaux. Désormais, le recrutement cible d’abord des commerciaux”. Il ne faut plus dire “demandeurs d’emploi” mais “clients”. Il ne faut plus “faire du social” mais “faire du chiffre”. “Gagner en productivité est la priorité” du gouvernement… sous peine de suppression des primes collectives par agence ! Alors, la durée des entretiens ne doit pas excéder 20 minutes. “Dans certaines agences, chaque conseiller a parfois plus de 180 demandeurs dans son portefeuille, quand il devrait en compter 60. La région a plus de 4000 dossiers en retard. Personne n’arrive plus à tenir le rythme.”
Et les personnels craquent : des tentatives de suicide apparaissent, certaines avec un triste succès : “Il paraît qu’il s’est pendu dans les escaliers du Pôle emploi.” Et les usagers sont de plus en plus agressifs. Les conseillers Pôle emploi en sont sûrs, “[…] un jour, un drame va finir par arriver, quelqu’un va entrer dans l’agence, leur casser la gueule ou leur tirer dessus.” Non, Pôle emploi ne leurre plus personne, surtout pas ceux qui y travaillent.
Au final, donc, Florence Aubenas se verra juger, jauger et proposer un travail en moins de vingt minutes : “est-ce que vous voulez commencer une nouvelle vie ? Agent d’entretien, qu’est-ce que vous en pensez ?” En réalité, à son profil ne correspond pas grand chose d’autre. Elle accepte. Quant au CDI qu’elle s’est fixée comme objectif, il s’avère être une mission impossible : “ce type d’emploi n’existe tout simplement plus dans votre circuit à vous. Bientôt, il n’existera plus nulle part. On ne sait pas.”
Après 15 longs jours de recherches, Florence Aubenas trouve son premier emploi, enfin, un “emploi” dont personne ne veut, même les plus démunis : agent d’entretien sur un ferry à Ouistreham.
Pourtant, tous l’avaient prévenue : si tu vois une annonce sur le ferry, “n’y va pas. Ne répond pas. N’y pense même pas. Oublie-là. […] Cette place-là est pire que tout”. Ouistreham, c’est pire que “le bagne et la galère réunis”. “On fait le ménage pendant l’escale” entre 21 h 30 et 22 h 30, tous les soirs, ce qui fera “un peu plus de 250 euros par mois, avec des primes les jours fériés ou les dimanches”, et c’est un contrat de 6 mois. Il faut avoir un moyen de locomotion. Florence Aubenas en trouve un par hasard : une amie connaît quelqu’un qui peut lui prêter une voiture pour quelques temps… Le trajet durera 1 heure aller : “comme seul le temps passé à bord est payé, on perd deux heures pour en gagner une”. Florence Aubenas interroge une collègue : “Tu penses que c’est trop de temps gâché pour le salaire qu’on touche ?” La collègue ne comprend pas. D’où sort-elle “pour ne pas savoir que c’est normal ? Pour le boulot du matin, elle a trois heures de trajet.”
Sur place, il s’agit de nettoyer en des temps record les toilettes et cabines du ferry : par exemple, 3 minutes maximum pour les salles de douche ! Le travail est dur, pénible et sans interruption. Tout doit être parfait. Si ça ne l’est pas, tout doit être refait. “En un quart d’heure, mes genoux ont doublé de volume, mes bras sont dévorés de fourmis et j’écume de chaleur […]”. “L’heure de travail dure une seconde et une éternité”.
En plus de ce travail, Florence Aubenas trouve un CDD tous les samedis matin pour nettoyer des bungalows dans un camping. C’est une agence de propreté qui l’emploie, l’Immaculée.
Pour réussir à survivre, il faut en effet cumuler plusieurs employeurs, plusieurs contrats, plusieurs lieux, plusieurs horaires et des heures de déplacement. Florence Aubenas a “l’impression de passer (son) temps à rouler, en pensant sans penser, la tête traversée par des combinaisons compliquées d’horaires, de trajets, de consignes”. L’Immaculée lui “propose” aussi des remplacements. Les appels s’effectuent au jour le jour, à la dernière minute. Il faut accepter. C’est le seul moyen d’espérer obtenir un peu plus que des petits contrats. Elle vit dans l’attente, et elle dort peu. Les conditions de travail seront toujours les mêmes : laver, épousseter, aspirer dans un temps record une superficie outrageante, sans fausse note. Et quand elle dépasse les horaires, pas d’heures supplémentaires.
Pour l’employeur, donner un travail épuisant et sous-payé est quasiment présenté comme une faveur… “si tu n’es pas contente, il y en a des milliers dehors prêts à prendre ta place”. Alors c’est simple : les ouvriers n’ont pas le choix. Ils doivent tout accepter : être corvéables à merci, faire des heures non rémunérées, être présents dès qu’il y a besoin… Le chantage est insidieux, mais Florence Aubenas sent bien que si elle refuse ou se plaint, elle n’aura “pas de deuxième chance”.
Les contrats de nettoyage sont disputés âprement par plusieurs entreprises, qui négocient des horaires toujours plus restreints : “l’entreprise de nettoyage précédente assurait la prestation en deux heures, l’Immaculée lui a arraché le marché en rabiotant quinze minutes”. Florence Aubenas repartira avec trois quarts d’heure de retard… Pour le camping, c’est pire. Le patron annonce fièrement : “vous verrez, c’est vraiment tranquille. Là-bas, vous en aurez pour 3 heures maximum et votre contrat prévoit 3 h 15.” Au final, l’équipe de 5 personnes mettra 5 heures. “On termine vers 15 h 30 péniblement. On n’a rien mangé depuis le matin, on n’arrive plus à porter nos seaux, on n’a pas eu le temps d’aller aux toilettes, on sent monter une rage éperdue et désordonnée.” Toutes les semaines suivantes ressembleront à celle là : avec des dépassements d’horaires entre 2 et 3 heures. Et jamais aucune heure supplémentaire ne sera payée !
Avec une autre entreprise, Florence Aubenas fera l’expérience du travail gratuit : “les périodes de tests ne sont pas rémunérées chez nous” !
Durant son périple, Florence Aubenas va faire la connaissance de Victoria, septuagénaire qui aura fait toute sa carrière en tant que femme de ménage et combattante syndicaliste de la première heure. La rencontre se produit à l’issue de la manifestation contre la crise du 19 mars 2009. Victoria expliquera plus tard qu’elle avait 22 ans quand elle s’est syndiquée : “Cela allait de soi.” Mais “le syndicalisme n’était pas une affaire facile dans ce monde d’hommes, organisé autour des grosses sections, les métallos, les chantiers navals, les PTT. […] Dans les manifestations, certains avaient honte d’être vus à côté des caissières de Continent ou des femmes avec un balai. C’était leur grève à eux, leur marche à eux, leur banderole à eux, leur syndicat à eux.” Victoria était dans la section des précaires. Lors des réunions, elle ne comprenait pas tous les termes employés. Mais si quelqu’un demandait des explications, les responsables syndicaux s’énervaient : “Tu ne vois pas que tu emmerdes tout le monde avec tes questions ?” Certains se moquaient même ouvertement si un précaire prenait la parole. La rédaction des tracts se déroulait toujours de la même façon. Les filles commençaient mais comme cela prenait trop de temps, un responsable écrivait le tract à leur place. Personne “n’avait la patience d’écouter ce qu’elles avaient à dire”. Au final, les filles ne distribuaient pas le tract car il ne correspondait pas à leurs idées. “Elles se faisaient traiter de “chieuses”.” “Elles manquaient définitivement de “conscience de lutte”.” Dans les années 1980, Victoria se fait couper la parole par un copain syndicaliste en pleine réunion alors qu’elle donne le point de vue des femmes de ménage : “je me rends compte que les militants ne passent plus jamais le balai dans les locaux. On cherche quelqu’un pour le faire. Pourquoi pas toi, Victoria, quelques heures par semaine ? Tu serais salariée.” On nomme alors un responsable pour diriger la section des “précaires”, “un vrai lettré, bardé de diplômes”, car “il faut un intellectuel pour représenter dignement le syndicat […]. On ne peut quand même pas envoyer une caissière ou une femme de ménage aux réunions” ! A la fin des années 1980, le syndicat n’a plus d’argent pour Victoria : elle est virée. “Ce jour-là, elle les voit sortir de la salle en riant. […] Elle n’y tient pas. Elle crie : “bande d’ordures””.
Pour son amie Fanfan, elle aussi syndiquée dans la même période, c’est la même histoire. Elle se fait virer injustement par l’hypermarché où elle travaille car elle est à la tête d’une petite section syndicale. “Le syndicat ne bouge pas pour l’aider. Fanfan quitte le militantisme.”
Le syndicalisme, organe permanent de lutte, est dépeint tel qu’il est vraiment : un organe détaché des intérêts de la classe ouvrière, un organe élitiste où on défend un seul point de vue : celui de la centrale syndicale, celui de ceux qui sont payés pour prétendument “représenter les travailleurs”. C’est un organe qui décide pour la classe ouvrière contre les intérêts de la classe ouvrière.
Florence Aubenas a choisi de raconter la vie des travailleurs et des chômeurs de Caen mais la même histoire aurait pu se dérouler n’importe où ailleurs. Le bilan aurait été le même, les expériences racontées et la douleur de l’absence d’avenir identiques.
Cela dit, même si l’état des lieux de l’exploitation capitaliste et la description du travail des syndicats sont implacables (“A quoi ça sert ? Les syndicats ont fait le bazar à Caen pendant des années et les usines ont fermé quand même”), ce livre ne laisse finalement la place à rien d’autre que du désespoir. Quand le lecteur termine ces presque 300 pages, il est facile de l’imaginer silencieux, découragé, triste et effrayé par la situation dramatique dépeinte par la journaliste. Car, au bout du compte, aucune perspective d’avenir, aucune lueur ne se dégagent. Dans la région de Caen, comme dans beaucoup d’endroits, “en moins d’un siècle, une industrie s’est construite, puis a été entièrement rayée” et n’a laissé que désolation et sentiment de “no future”. “La France deviendra comme le Brésil, […] on va se retrouver sur des tas de déchets, en essayant de survivre avec ce qu’on trouve.”
Florence Aubenas ne va pas au bout de son raisonnement, elle ne tire pas les conclusions qu’imposent ses propres descriptions.
Oui, le capitalisme sème la misère ! Oui, le sort de la classe ouvrière est indigne ! Mais tout cela est aussi et surtout révoltant. Face à l’horreur de l’esclavage salarié, ce n’est pas la peur ni le désespoir qui doivent animer la classe ouvrière mais la combativité et la conviction qu’elle peut bâtir un autre monde ! C’est justement cette confiance en elle qui lui manque aujourd’hui le plus et qui l’a tant inhibé… jusqu’à présent.
Cunégonde (29 juin)
1) “Lettre de candidature spontanée”, “comment rédiger une lettre de réponse à une petite annonce ?”, “mettre en valeur ses savoir-faire”, “utiliser le téléphone dans la recherche d’emploi”…
Des pluies torrentielles se sont abattues sur le département du Var dans la nuit du 15 au 16 juin, causant d’importants dégâts matériels et le décès de 25 personnes, victimes d’inondations spectaculaires et de coulées de boue, en particulier autour de la rivière de la Nartuby. Aussitôt, la meute politicienne et médiatique s’est fendue de communiqués hypocrites et de déclarations larmoyantes. Mais quelques semaines après les inondations sur le littoral atlantique, les coulées de boues en Amérique latine et le séisme en Haïti, la bourgeoisie étale une nouvelle fois tout son cynisme en désignant sottement les “événements naturels très éprouvants” (1), évacuant bien opportunément son impuissance et son incurie. Il est certes impossible d’empêcher la nature de se déchaîner, mais l’installation de populations dans des zones à risque n’est pas une “fatalité.”
Les caprices de la Nartuby, cours d’eau prenant sa source au sommet du plateau dominant Draguignan, commune où son débordement a occasionné le plus de victimes, étaient, non seulement prévisibles, mais récurrents. Cet événement s’ajoute en effet à une liste de cinq crues torrentielles très importantes depuis 1974. De nombreux arrêtés de catastrophe naturelle ont également été décrétés à la suite des inondations. Le Plan de Prévention des Risques d’Inondation (2) (PPRI) de la ville de Draguignan, adopté en 2005, souligne d’ailleurs le risque “de graves problèmes en cas de crue majeure.”
Dans ce contexte, et depuis la tempête de 1999, le Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévention des inondations (SCHAPI) est chargé de surveiller, en lien avec le système de vigilance de Météo France, les risques de crues des rivières. Sauf que le SCHAPI n’est pas suffisamment performant, à tel point qu’il n’est pas encore mis en place dans la région de la Nartuby, secteur manifestement très sensible. Ainsi, alors que des moyens techniques existent, aucun plan d’évacuation n’a été mis en place, faute d’information : le lundi soir, le service de vigilance de Météo France passait seulement au niveau “orange.”
Dans une région à risque, où les eaux menacent à chaque instant d’enlever des vies humaines, que fait la bourgeoisie ? Elle réalise des profits en multipliant, par exemple, les permis de construire sur ce que le PPRI de Draguignan qualifie désormais de “secteur le plus vulnérable de par les activités et les habitations implantées en zone rouge.” D’après l’association France Nature Environnement, près de 243 000 Varois habitent dans une zone à risque. Autrement dit, la bourgeoisie délivre des permis de construire, bâtit et vend des habitations au cœur de zones dont elle sait l’extrême dangerosité. Plutôt que freiner l’urbanisation, creuser des bassins de rétention des eaux pluviales, ou même équiper les communes d’alarmes pour avertir la population, les élus locaux préfèrent laisser la population se noyer dans la boue, pour le plus grand bonheur des promoteurs immobilier.
Mais la loi cynique du profit ne s’impose pas uniquement à la bourgeoisie locale. Nicolas Sarkozy, en visite dans la région, quelques jours après le drame, déclarait : “Tant que je serai président de la République, personne ne construira dans une zone reconnue comme dangereuse.” Nous voilà rassuré ! Simplement, un an plus tôt ce même Sarkozy déclarait qu’en matière d’urbanisme : “le problème, c’est la réglementation. Pour libérer l’offre il faut déréglementer, élever les coefficients d’occupation des sols et rétablir la continuité du bâti dans les zones denses, (...) rendre constructible les zones inondables pour des bâtiments adaptés à l’environnement et au risque.” Il n’y a d’ailleurs aucune illusion à se faire sur cette fameuse réglementation dont Sarkozy voulait “changer la philosophie.” Chaque catastrophe est l’occasion d’une série de promesses que l'État s’emploie méthodiquement à ne pas tenir. Il suffit, pour s’en convaincre, de se remémorer le spectacle pathétique que le gouvernement nous avait servi autour des “zones noires” après la tempête Xynthia. De gauche ou de droite, les gouvernements et leurs réglementations ne protègent que les profits de la classe dont ils sont l’expression. On estime ainsi à 2,7 millions le nombre de personnes résidant dans une zone inondable en France, chiffres notablement minimisés puisque, à titre d’exemple stupéfiant, les habitants de communes victimes de la tempête Xynthia ne font pas partie de ce triste décompte.
La seule loi que connaît le capitalisme, c’est décidément celle du profit. Si la nature produit des phénomènes spectaculaires, c’est le capitalisme qui fait les catastrophes.
Dupont (24 juin)
1) www.elysee.fr [109]
2) www.cdig-var.org/virtual/1/lots/draguignan_doc1_presentation.pdf [110].
Les Romains avaient la recette idéale pour s’assurer de la tranquillité du peuple : du pain et des jeux. En ces temps de crise, le pain venant à manquer, la bourgeoisie française comptait bien sur “les bleus”, son équipe nationale de football, pour offrir un peu de rêve à l’occasion du championnat de monde, aux ouvriers terrassés par les attaques déjà menées et celles encore plus dures à venir. Sarkozy l’avait d’ailleurs déclaré sans ambages le 28 mai dernier : “Nous pensons en France que le sport est une réponse à la crise. (L’organisation en France de l’Euro de football 2016) est une décision stratégique qui engage tout le pays face à la crise.”
Les grands événements sportifs sont en effet toujours l’occasion d’occuper les esprits, de les faire s’évader. L’avantage est qu’on ne le fait pas avec n’importe quoi : le sport est un moyen très efficace d’exiger et d’obtenir le soutien inconditionnel que tout bon citoyen doit à son équipe, qui porte fièrement les couleurs de la nation et entonne, avant chaque rencontre, l’hymne national la main sur le cœur. La bourgeoisie attend de son “peuple” que chaque victoire soit fêtée le drapeau tricolore à la main. Tout est fait pour que le déchaînement nationaliste soit à son comble : les vitrine se parent de drapeaux, les menus des restaurants s’ancrent dans la tradition “franchouillarde”, le mot “France” est écrit sur tous les supports possibles, même les enfants sont rendus le soir à leurs parents le visage maquillé en bleu-blanc-rouge ! Malheur à celui qui n’apprécie pas la chose : c’est un traître ! Malheur à celui qui n’exprime pas pleinement son soutien à son équipe : il aura sa part de responsabilité dans la défaite !
Moins il y a de pain, plus il faut de jeux. C’est le principe des vases communicants. Pas de chance pour la bourgeoisie cette fois-ci, le miracle de 1998 ne s’est pas reproduit. Le parcours calamiteux de l’équipe de France a bien dû rendre la classe dominante à l’évidence : des jeux hérités de Rome, il ne reste bien guère que le cirque. Et quel cirque ! Un sélectionneur couvert de tous les défauts, des joueurs critiqués pour leur train de vie par un membre du gouvernement, une prestation sportive médiocre, des insultes d’un joueur à son patron, son exclusion et pour finir : la grève !
Le gouvernement n’a même pas pu faire autrement que de se mêler du désastre : Rama Yade a attisé le feu avant la compétition, sa supérieure Roselyne Bachelot a pris le relais pendant le championnat et a tancé l’équipe au nom de leur “devoir national”, jusqu’à faire pleurer en direct à la télévision ces pauvres footballeurs désespérés d’avoir à ce point terni l’image internationale de la France. En faisant cela, elles ont tenté, avec bien évidemment toute la maladresse et l’incompétence qui les caractérisent, de faire la séparation entre une équipe irresponsable et un gouvernement détenteur et défenseur des valeurs de droiture, de respect de la hiérarchie et du sens des responsabilités.
Mais finalement ce grand-guignol n’est pas si éloigné de celui qui agite la classe politique ; il en est même l’exact reflet ! Pendant que les représentants de la France en short désespéraient jusqu’à leurs plus fidèles supporters, leurs homologues en costume et tailleur se débattaient, et se débattent toujours, dans les affaires les plus glauques. Entre la débandade des “bleus” et les affaires du gouvernement (par exemple, pour ne citer que les dernières en date, Christian Blanc, secrétaire d’Etat au “grand Paris” qui aurait acheté et fumé pour 12 000 euros de cigares sur les fonds publics, ou encore Eric Woerth, ministre du travail, qui aurait dissimulé l’évasion fiscale de Liliane Bettencourt, plus grande fortune de France, pour les intérêts de qui travaille sa femme, et même Nicolas Sarkozy lui-même, intervenant dans une affaire purement privée en traitant un candidat à la reprise du quotidien le Monde d’“homme du peep-show”), il est légitime de se demander ce qui est le plus grave et le plus emblématique de l’état de décomposition dans lequel le capitalisme entraîne la société.
Les frasques de l’équipe de France prêtent plutôt à sourire car au-delà des intérêts financiers en jeu, leur élimination du Mondial ne changera rien au vrai quotidien des ouvriers. En revanche, les tristes pitreries du gouvernement ne font rire personne : elles sont la marque d’un système totalement délabré qui confie ses commandes à une clique irresponsable, tout juste bonne à cogner à bras raccourcis sur les prolétaires.
Finalement que ce soit dans l’univers footballistique ou dans l’univers politique, on retrouve la même déliquescence, la même absence d’orientation, la même irresponsabilité. Même l’insulte est identiquement de mise, à ceci près que dans la sphère politique, elle est réservée au “sélectionneur” !
GD (28 juin)
Depuis la chute du président kirghize Kourmanbek Bakiev, évincé à la suite des émeutes du mois d’avril (voir RI no 412 [111]), la déstabilisation du pays s’est fortement accélérée, conduisant à de véritables scènes d’horreurs et de pogroms.
Quelle a été la dynamique de cette effroyable opération sanglante ?
Si la masse des exécutants a pu se recruter au hasard parmi les éléments lumpenisés d’une population très pauvre contre un bouc émissaire désigné, la population d’origine ouzbek, le noyau de l’opération était mené par le corps discipliné de l’armée. Les ordres sont venus du sommet de l’appareil d’Etat, là où grenouillent les chefs de cliques mafieuses en guerre. Le terrain était balisé et préparé de longue date par ces sinistres personnages officiels, par une classe dominante gangstérisée aux discours nationalistes haineux, opposant artificiellement la majorité kirghize et la minorité ouzbèke entre elles, les poussant à se détester au point de s’affronter. Les masses ignorantes ayant subit une longue et infâme propagande afin de pouvoir se lancer dans un assaut sanglant allaient forcément être prêtes à l’emploi ! Dans une telle atmosphère viciée, “on aurait commencé, comme à Och, à marquer les habitations ‘sart’ (terme péjoratif signifiant non-kirghize)”1. Ensuite, sur fond de tensions politiques croissantes entre l’ancienne opposition au pouvoir et le clan Bakiev, “les horreurs commises par les groupes de provocateurs” auraient “transformé ces tensions en conflit interethnique”2. Le “feu vert” pour cette offensive sanglante serait venu d’hommes cagoulés, portant dans un premier temps des attaques ciblées et coordonnées, décidées bien évidemment en haut lieu ! Les maisons ouzbèkes préalablement marquées par des patrouilleurs zélés pouvaient alors être incendiées par une foule excitée, prête à tout. C’est bien grâce à cette haine savamment entretenue par les cliques bourgeoises que cette foule exaltée, devenue incontrôlable, a semblé croire que tout lui était permis, du simple pillage en passant par le viol, le meurtre pur et simple et les crimes les plus horribles. Un témoignage, parmi de nombreux autres, rappelle les terribles heures sombres du conflit des Balkans dans les années 1990 : “une amie Ouzbek m’a raconté qu’une fillette de 5 ans a été violée devant son père et sa sœur de 13 ans par un groupe de 15 hommes. Le père a supplié qu’on le tue. On l’a tué. La sœur a perdu la raison”3.
Malgré leurs barricades de fortune, les Ouzbeks ont été livrés à cette foule en furie et à une soldatesque revancharde ivre de haine. Comme le montre le témoignage ci-dessus, viols, meurtres d’enfants, de femmes enceintes, vieillards pris pour cibles, les Ouzbeks étaient massacrés ou brûlés dans leurs maisons incendiées. De nombreux corps ont été retrouvés calcinés dans les ruines.
Aujourd’hui, de nombreux Ouzbeks qui avaient fuit ces monstruosités sont de retour au pays du fait que l’Ouzbékistan les refuse et ferme ses frontières. Seules des femmes et des enfants avaient pu franchir en nombre limité la frontière, les hommes étant suspectés d’être des terroristes islamistes potentiels. Les plus “chanceux”, ne se sentant pas en sécurité pour revenir, croupissent toujours dans des camps où manquent la nourriture, l’eau potable, où les cas de diarrhées se multiplient. A n’en pas douter, cette situation chaotique ne fait que préparer de nouveaux affrontements sanglants et meurtriers, les traumatismes générés par la brutalité des opérations ne pouvant permettre d’évacuer les haines qui se sont accumulées brutalement. Après cette tragédie, il paraît en effet très difficile de pouvoir faire revivre ensemble Kirghizes et Ouzbeks !
Quelle est l’origine véritable de ce déchaînement barbare ?
Au Kirghizistan, comme dans la plupart des pays de cette région d’Asie centrale, la bourgeoisie reste traversée par des affrontements entre clans mafieux. Animées de sordides intérêts, les cliques bourgeoises locales se sont en effet torpillées, n’hésitant pas un seul instant pour cela à déchaîner un pogrom anti-Ouzbeks. Le nouveau gouvernement provisoire issu de l’opposition, celui de madame Otounbaïeva, soucieux de maintenir l’ordre face à l’ancien président exilé et déchu4, ne pouvait que conduire son rival à agir au prix du sang des populations, d’une nouvelle épuration ethnique.
Et ces tensions déjà extrêmes, sont elles-mêmes attisées ou instrumentalisées en permanence par les grandes puissances qui s’affrontent avec une implacable logique de rapine impérialiste.
Loin de s’émouvoir d’une barbarie dont elles sont responsables, passant sous silence les événements, ces grandes puissances impérialistes laissent crever les victimes d’un véritable nettoyage ethnique : déjà plus de 2000 morts recensés officiellement. Un million de réfugiés sont actuellement répartis dans des camps à la frontière de l’Ouzbékistan ! Transformés parfois en chantres hypocrites de prétendus “droits de l’Homme”, non seulement les Etats les plus puissants ne peuvent venir en aide aux populations martyrisées, mais ils préparent en plus froidement les conditions de nouveaux massacres : “les troubles au Kirghizistan donnent lieu à une nouvelle partie d’échecs entre la Russie et les Etats-Unis. Cependant les deux camps ne sont pas passés à l’action immédiatement et attendent le moment opportun et les conditions adéquates pour s’immiscer dans cette affaire et marquer des points. (…) Pour la Chine, il est hors de question d’assister aux événements les bras croisés” (5).
Tout cela nous amène à mettre en évidence que les massacres et la barbarie sanglante qui se sont déchaînés au mois de juin, en particulier dans le sud du pays, sont bel et bien le produit de la guerre d’influence menée par tous ces impérialistes assassins.
Cette région chaotique du Kirghizistan, petit pays à la position géostratégique enclavée, montre que la situation politique reste explosive du fait des tensions qui s’exacerbent. De nouveaux massacres se profilent donc. La bourgeoisie, cette classe de gangsters qui ne connaît que la loi du capital et du profit, est prête à tout pour défendre le moindre de ses intérêts politiques et impérialistes. Elle a montré tout au cours de l’histoire que même sous les traits apparemment les plus civilisés, elle savait se vautrer dans le sang, en abaissant les hommes pour en faire des bêtes et de la chair à canon.
Tant que le capitalisme marquera son emprise sur le monde, nous sentirons en permanence le souffle barbare de sa décomposition. L’odeur pestilentielle des cadavres et des pogroms continuera à accompagner les nouveaux charniers.
WH (26 juin)
1) Courrier international no 1025.
2) Libération des 26 et 27 juin 2010.
3) Idem : propos d’Alain Deletroz.
4) Bakiev a trouvé refuge en Biélorussie.
5) A noter que la Russie et les États-Unis possèdent chacun une base militaire au Kirghizistan. Voir le dossier de Courrier international no 1025
Voici un extrait de l’ouvrage de Trotski, 1905 (1), qui montre qu’il y a toujours eu le même caractère manipulateur et intentionnel dans la préparation et la réalisation des pogroms. La bourgeoisie utilise chaque fois ses forces de l’ordre et le lumpen pour créer une atmosphère de lynchage et de pillage au sein de toute la population.
Ces mots de Trotski sur les événements de la Russie du début du xxe siècle pourraient avoir été écrits tout autant sur l’Allemagne des années 1930-1940, le Rwanda ou la Yougoslavie des années 1990 et le Kirghizistan d’aujourd’hui.
“Si la masse des fauteurs de pogroms – pour autant que l’on peut ici parler de “masse” – se recrute à peu près au hasard, le noyau de cette armée est toujours discipliné et organisé sur le pied militaire. Il reçoit d’en haut et transmet en bas le mot d’ordre, il fixe l’heure de la manifestation et la mesure des atrocités à commettre. “On peut organiser un pogrom à vos souhaits, déclarait un certain Kommissarov, fonctionnaire du département de la police, nous aurons dix hommes si vous voulez et dix mille si cela vous arrange” (…) Lorsque le terrain a été préparé, on voit venir les spécialistes de ce genre d’affaires, comme des acteurs en tournée. Ils répandent des rumeurs sinistres parmi les masses ignorantes (…). Ces étranges nouvelles sont transmises d’un bout à l’autre du pays par le télégraphe, et contresignées parfois par des personnages officiels. Parallèlement on poursuit les préparatifs : on rédige des listes de proscription dans lesquelles sont mentionnés les appartements et les personnes que les bandits doivent attaquer en premier lieu ; on élabore un plan général ; on fait venir des faubourgs, pour une date déterminée, des miséreux, des affamés. (…) Dans la foule sont disséminés des instructeurs spéciaux, venus d’ailleurs, et des gens de la police locale, en civil, mais qui parfois, faute de temps, ont gardé leur pantalon d’uniforme. Ils suivent attentivement tout ce qui se passe, émoustillent, exaltent la foule, lui font comprendre que tout est permis et cherchent l’occasion d’ouvrir le feu. Au début, on casse des carreaux, on maltraite des passants, on s’engouffre dans les cabarets et l’on boit à la régalade. (…) Si l’occasion se fait trop attendre, on y supplée : quelqu’un grimpe dans un grenier et, de là-haut, tire sur la foule, le plus souvent à blanc. Les bandes armées de revolvers par la police veillent à ce que la fureur de la foule ne soit pas paralysée par l’épouvante. Au coup de feu du provocateur, elles répondent par une salve dirigée sur les fenêtres d’un logement désigné d’avance. On brise tout dans les boutiques et on étend devant le cortège des pièces de drap et de soie qui proviennent d’un pillage. Si l’on se heurte à des mesures de défense, les troupes régulières viennent à l’aide des bandits. Il suffit de deux ou trois salves pour réduire à l’impuissance ou massacrer ceux qui résistent”.
1) Chapitre “Les sicaires de Sa Majesté”, p120-122, Ed. de Minuit.
Depuis trois ans environ, certains individus ou groupes anarchistes et le CCI ont fait tomber quelques barrières en osant commencer à discuter de façon ouverte et fraternelle. L’indifférence ou le rejet réciproque, a priori et systématique, de l’anarchisme et du marxisme a fait place à une volonté de discuter, de comprendre les positions de l’autre, de cerner honnêtement les points de convergence et de divergence.
Au Mexique, ce nouvel état d’esprit a permis la rédaction commune d’un tract signé par deux groupes anarchistes (le GSL et le PAM (1)) et une organisation de la Gauche communiste (le CCI). En France, tout récemment, la CNT-AIT de Toulouse a invité le CCI à réaliser un exposé introductif à l’une de ses réunions publiques (2). En Allemagne aussi, des liens commencent à être tissés.
Sur la base de cette dynamique, le CCI a entamé un véritable travail de fond sur la question de l’histoire de l’internationalisme au sein de la mouvance anarchiste. Nous avons ainsi publié au cours de l’année 2009 toute une série d’articles intitulée “Les anarchistes et la guerre” (3). Notre but était de montrer qu’à chaque conflit impérialiste, une partie des anarchistes avait su éviter le piège du nationalisme et défendre l’internationalisme prolétarien. Nous y montrions que ces camarades étaient parvenus à continuer d’œuvrer pour la révolution et le prolétariat international alors qu’autour d’eux se déchaînaient le chauvinisme et la barbarie guerrière.
Quand on connaît l’importance que le CCI attache à l’internationalisme, véritable frontière délimitant les révolutionnaires qui luttent réellement pour l’émancipation de l’humanité de ceux qui trahissent le combat du prolétariat, ces articles étaient à l’évidence non seulement une critique sans concession des anarchistes va-t-en-guerre mais aussi et surtout un salut aux anarchistes internationalistes !
Pourtant, notre intention n’a pas été bien perçue. Cette série a même jeté momentanément un certain froid. D’un côté, des anarchistes y ont vu une attaque en règle contre leur mouvance. De l’autre, des sympathisants de la Gauche communiste et du CCI n’ont pas compris notre volonté de nous “rapprocher des anarchistes” (4).
Au-delà des maladresses contenues dans nos articles et qui ont pu en “braquer” certains (5), ces critiques pourtant apparemment contradictoires ont en fait la même racine. Elles révèlent la difficulté de voir, au-delà des divergences, les éléments essentiels qui rapprochent les révolutionnaires.
Ceux qui se réclament de la lutte pour la révolution sont traditionnellement classés en deux catégories: les marxistes et les anarchistes. Il y a en effet des divergences très importantes qui les séparent:
– centralisation/fédéralisme :
– matérialisme/idéalisme :
– “période de transition” ou “abolition immédiate de l’Etat” :
– reconnaissance ou dénonciation de la révolution d’Octobre 1917 et du Parti bolchevique :
– …
Toutes ces questions sont effectivement extrêmement importantes. Il est de notre responsabilité de ne pas les esquiver, d’en débattre ouvertement. Mais pour autant, elles ne délimitent pas pour le CCI “deux camps”. Concrètement, notre organisation, qui est marxiste, considère qu’elle lutte pour le prolétariat aux côtés des militants anarchistes internationalistes et face aux Partis “communistes” et maoïstes (se proclamant pourtant eux aussi marxistes). Pourquoi ?
Au sein de la société capitaliste, il existe deux camps fondamentaux: celui de la bourgeoisie et celui de la classe ouvrière. Nous dénonçons et combattons toutes les organisations politiques appartenant au premier. Nous discutons, parfois vivement mais toujours fraternellement, et nous essayons de collaborer avec tous les membres du second. Or, sous la même étiquette “marxiste”, se cachent des organisations authentiquement bourgeoises et réactionnaires. Il en est de même sous l’étiquette “anarchiste” !
Il ne s’agit pas là de pure rhétorique. L’histoire fourmille d’exemples d’organisations “marxistes” ou “anarchistes” jurant la main sur le cœur défendre la cause du prolétariat pour mieux le poignarder dans le dos. La social-démocratie allemande se disait “marxiste” en 1919 en même temps qu’elle assassinait Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et des milliers d’ouvriers. Les partis staliniens ont écrasé dans le sang les insurrections ouvrières de Berlin en 1953 et de Hongrie en 1956 au nom, eux aussi, du “communisme” et du “marxisme” (en fait dans l’intérêt du bloc impérialiste dirigé par l’URSS). En Espagne, en 1937, des dirigeants de la CNT en participant au gouvernement, ont servi de caution aux bourreaux staliniens qui ont massacré et réprimé dans le sang des milliers de révolutionnaires… anarchistes ! Aujourd’hui, en France par exemple, la même dénomination “CNT” recouvre deux organisations anarchistes, une aux positions authentiquement révolutionnaires (CNT-AIT) et une autre purement “réformiste” et réactionnaire (CNT Vignoles (6)).
Repérer les faux amis qui se cachent derrière les “étiquettes” est donc vital.
Mais il ne faut pas tomber dans le piège inverse et se croire seuls au monde, les détenteurs exclusifs de la “vérité révolutionnaire”. Les militants communistes sont aujourd’hui encore peu nombreux et il n’y a rien de plus néfaste que l’isolement. Il faut donc aussi lutter contre la tendance encore trop grande à la défense de “sa chapelle”, de sa “famille” (anarchiste ou marxiste) et contre l’esprit de boutiquier qui n’a rien à faire dans le camp de la classe ouvrière. Les révolutionnaires ne sont pas des concurrents les uns par rapport aux autres. Les divergences, les désaccords, aussi profonds soient-ils, sont une source d’enrichissement pour la conscience de toute la classe ouvrière quand ils sont discutés ouvertement et sincèrement. Créer des liens et débattre à l’échelle internationale est une absolue nécessité.
Mais pour cela, faut il encore savoir distinguer les révolutionnaires (ceux qui défendent la perspective du renversement du capitalisme par le prolétariat) des réactionnaires (ceux qui, d’une façon ou d’une autre, contribuent à la perpétuation de ce système), sans se focaliser sur la seule étiquette “marxisme” ou “anarchisme”.
Pour le CCI, il existe des critères fondamentaux qui distinguent les organisations bourgeoises et prolétariennes.
Soutenir le combat de la classe ouvrière contre le capitalisme signifie à la fois lutter de façon immédiate contre l’exploitation (lors des grèves, par exemple) et ne jamais perdre de vue l’enjeu historique de ce combat: le renversement de ce système d’exploitation par la révolution. Pour ce faire, une telle organisation ne doit jamais apporter son soutien, de quelque manière que ce soit (même de façon “critique”, par “tactique”, au nom du “moindre mal”…), à un secteur de la bourgeoisie: ni à la bourgeoisie “démocratique” contre la bourgeoisie “fasciste” : ni à la gauche contre la droite : ni à la bourgeoisie palestinienne contre la bourgeoisie israélienne : etc. Une telle politique a deux implications concrètes:
1) Il s’agit de refuser tout soutien électoral, toute collaboration, avec des partis gérants du système capitaliste ou défenseurs de telle ou telle forme de celui-ci (social-démocratie, stalinisme, “chavisme”, etc.) :
2) Surtout, lors de chaque guerre, il s’agit de maintenir un internationalisme intransigeant, en refusant de choisir entre tel ou tel camp impérialiste. Au cours de la Première Guerre mondiale comme au cours de toutes les guerres impérialistes du xxe siècle, toutes les organisations qui, pour être à la recherche d’un camp à soutenir, ont abandonné le terrain de l’internationalisme, ont en fait trahi la classe ouvrière et ont été définitivement emportés dans le camp de la bourgeoisie (7).
Ces critères, exposés ici très brièvement, expliquent pourquoi le CCI considère certains anarchistes comme des camarades de combat, pourquoi il souhaite discuter et collaborer avec eux alors qu’il dénonce parallèlement avec virulence d’autres organisations anarchistes.
Par exemple, nous collaborons avec le KRAS (section de l’AIT anarcho-syndicaliste en Russie), en publiant et en saluant ses prises de positions internationalistes face à la guerre, notamment celle en Tchétchénie. Le CCI considère ces anarchistes, malgré les divergences, comme faisant authentiquement partie du camp du prolétariat. Ils se démarquent en effet clairement de tous ces anarchistes et de tous ces “communistes” (comme ceux des Partis “communistes” ou maoïstes ou trotskistes) qui défendent en théorie l’internationalisme mais qui s’y opposent en pratique, en défendant lors de chaque guerre un camp belligérant contre un autre. Il ne faut pas oublier qu’en 1914, lors de l’éclatement de la Première Guerre mondiale, et en 1917, lors de la Révolution russe, la plupart des “marxistes” de la social-démocratie étaient du côté de la bourgeoisie contre le prolétariat alors que la CNT espagnole dénonçait la guerre impérialiste et soutenait la révolution ! Lors des mouvements révolutionnaires de la fin des années 1910, les anarchistes et les marxistes œuvrant sincèrement à la cause prolétarienne se sont retrouvés côte à côte dans le combat, malgré leurs désaccords. Dans cette période, il y a même eu un essai de collaboration de grande ampleur entre les révolutionnaires marxistes (les bolcheviks, les spartakistes allemands, les tribunistes hollandais, les abstentionnistes italiens, etc.) qui s’étaient séparés d’une IIe Internationale dégénérescente, et de nombreux groupes qui se réclamaient de l’anarchisme internationaliste. Un exemple de ce processus est le fait qu’une organisation comme la CNT ait envisagé la possibilité, finalement rejetée, de s’intégrer dans la Troisième Internationale (8).
Pour revenir à un exemple plus récent, un peu partout dans le monde face aux événements actuels, il existe des groupes anarchistes et des sections de l’AIT qui non seulement maintiennent une position internationaliste mais aussi luttent pour l’autonomie du prolétariat face à toutes les idéologies et à tous les courants de la bourgeoisie:
– ces anarchistes défendent la lutte directe et massive ainsi que l’auto-organisation en assemblées générales et en Conseils ouvriers.
– ils rejettent toute participation à la mascarade électorale et tout soutien à un quelconque parti politique même prétendument “progressiste” qui participe à cette mascarade.
Autrement dit, ils font leur l’un des principes formulés par la Première Internationale: “L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.” Ceux-là œuvrent ainsi au combat pour la révolution et une communauté humaine mondiales.
Le CCI appartient au même camp que ces anarchistes internationalistes qui défendent réellement l’autonomie ouvrière ! Oui, nous les considérons comme des camarades avec qui nous souhaitons débattre et collaborer ! Oui, nous pensons également que ces militants anarchistes ont bien plus en commun avec la Gauche communiste qu’avec ceux qui, sous la même étiquette anarchiste, défendent en réalité des positions nationalistes ou “réformistes” et qui sont donc en fait, des défenseurs du capitalisme, des réactionnaires !
Dans le débat qui est peu à peu en train de se développer entre tous les éléments ou groupes révolutionnaires et internationalistes de la planète, il y aura inévitablement des erreurs, des débats vifs et animés, des maladresses, des malentendus et de vrais désaccords Mais les besoins de la lutte du prolétariat contre un capitalisme de plus en plus invivable et barbare, la perspective indispensable de la révolution prolétarienne mondiale, condition pour garantir la survie de l’humanité et de la planète, exigent cet effort. Il s’agit là d’un devoir. Et aujourd’hui qu’émergent à nouveau des minorités prolétariennes révolutionnaires dans de nombreux pays, se réclamant soit du marxisme soit de l’anarchisme (ou qui sont ouverts aux deux), ce devoir de débattre et collaborer doit rencontrer une adhésion déterminée et enthousiaste !
CCI (juin 2010)
Les prochains articles de cette série traiteront des questions suivantes:
Sur nos difficultés à débattre et les moyens de les dépasser.
Comment cultiver le débat.
1) GSL : Grupo Socialista Libertario
(https://webgsl.wordpress.com/ [113]).
PAM : Proyecto Anarquista Metropolitano (proyectoanarquistametropolitano.blogspot.com).
2) Un climat chaleureux a d’ailleurs régné tout au long de cette réunion. Lire le compte-rendu intitulé “Réunion CNT-AIT de Toulouse du 15 avril 2010 : vers la constitution d’un creuset de réflexion dans le milieu internationaliste [114]”.
3) “Les anarchistes et la guerre (I) [115]” (RI no 402), [116] “La participation des anarchistes à la Seconde Guerre mondiale (II) [117]” (RI no 403), [118]“De la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui [119] (III)” (RI no 404 [120]), “L’internationalisme, une question cruciale [121] (IV)” (RI no 405 [122]).
4) En particulier, des camarades ont été dans un premier temps gênés par la réalisation du tract commun GSL-PAM-CCI. Nous avons d’ailleurs essayé d’expliquer notre démarche dans un article en espagnol intitulé “Quelle est notre attitude face à des camarades qui se réclament de l’anarchisme ?”
(https://es.internationalism.org/node/2715 [123].
5) Quelques camarades anarchistes ont en effet souligné à juste titre des maladresses, des formulations imprécises et même des erreurs historiques. Nous y reviendrons prochainement. Nous tenons néanmoins à en rectifier dès à présent deux des plus grossières:
– à de multiples reprises, la série “Les anarchistes et la guerre” affirme que la majorité de la mouvance anarchiste a sombré dans le nationalisme lors de la Première Guerre mondiale alors que seule une poignée d’individus parvenait à défendre, au péril de leur vie, la position internationaliste. Les éléments historiques apportés dans le débat par des membres de l’AIT, confirmés par nos recherches, révèlent qu’en réalité une très grande partie des anarchistes se sont dressés contre la guerre dès 1914 (parfois au nom de l’internationalisme ou de l’anationalisme, plus souvent au nom du pacifisme).
– L’erreur la plus gênante (et que personne jusqu’à présent n’a soulevée) commise dans cet article concerne l’insurrection de Barcelone en mai 1937. Nous écrivons en effet: “les anarchistes se font complices de la répression par le Front populaire et le gouvernement de Catalogne”. En réalité, ce sont au contraire les militants de la CNT ou de la FAI qui ont constitué la majeure partie des ouvriers insurgés de Barcelone et qui ont été les principales victimes de la répression organisée par les hordes staliniennes ! Il eut été bien plus juste de dénoncer la collaboration à ce massacre de la direction de la CNT plutôt que “des anarchistes”. C’est d’ailleurs le sens de nos positions sur la Guerre d’Espagne, telles qu’elles sont défendues notamment dans l’article “Leçons des évènements d’Espagne” du no 36 de la revue Bilan (novembre 1936).
6) “Vignoles” est le nom de la rue où se situe leur local principal.
7) Des éléments ou groupes ont toutefois pu se dégager d’organisations qui étaient passées dans le camp bourgeois, par exemple la tendance de Munis ou celle qui allait donner “Socialisme ou Barbarie” au sein de la “IVe internationale” trotskiste.
8) Voir “Histoire du mouvement ouvrier: la CNT face à la guerre et à la révolution (1914-1919) [124]”, deuxième article d’une série sur l’histoire de la CNT, dans la Revue internationale no 129
En premier lieu, nous tenons à saluer et à remercier les militants de la CNT-AIT de Toulouse pour nous avoir invités à la réunion publique qu’ils avaient organisée et pour nous avoir permis de présenter l’exposé introductif sur le thème : "La faillite du capitalisme et le développement de la lutte de classe".
L’enregistrement audio de cet exposé « quelque peu atypique » (pour reprendre l’expression de l’AIT) ainsi que celui de ¾ de la discussion est disponible sur anarsonore.
L’accueil qui a été fait à notre exposé tout comme l’ambiance fraternelle et constructive de la réunion en général étaient tout à fait propices pour que se développe une véritable dynamique de débat collectif. Chaque participant a pu exprimer son questionnement, ses interrogations et sa vision de la situation actuelle au niveau le plus large : c'est-à-dire au niveau international. Un débat très vivant s’est développé entre les participants eux-mêmes. La discussion a duré trois heures et toute une série de problèmes essentiels pour l'avenir de le lutte contre le capitalisme ont été abordés. Des points d'accord mais aussi des divergences sont apparues sur les divers points abordés, mais justement un tel débat, par la clarification qu'il permet est une arme véritable aux mains des exploités pour dénoncer et lutter contre l'idéologie dominante et se donner des armes pour mener les luttes qui ont et qui vont avoir lieu. C'est pour cela que nous souscrivons totalement à l'idée avancée par un participant selon laquelle de telles réunions sont « un creuset de discussion » qu'il est extrêmement important de développer.
Dans leur ensemble, les participants à la réunion ont mis en avant l'importance de la conscience pour pouvoir lutter et pour que cette lutte se situe dans la perspective du renversement du capitalisme ; de même tous étaient aussi d'accord sur l'idée que la conscience de la grande majorité des exploités est, en ce moment, d'un niveau faible. Par contre, toute une discussion s'est engagée sur les caractéristiques de cette faiblesse et surtout sur la manière dont cette faiblesse pourra être dépassée.
Pour certains camarades, la grande majorité des exploités n'aurait pas d'autre envie et donc d'autre conscience que le modèle de toujours plus de consommation que nous présente la publicité et plus largement les médias ; et pour eux ce ne sera que lorsqu'une part importante des exploités aura fait la critique de ce mode de consommation (qui est l'essence du système) qu'ils pourront réellement se mettre en lutte.
Pour d'autres camarades, beaucoup d'exploités et, en particulier, des ouvriers se rendent compte que le capitalisme rend leur vie toujours plus difficile et qu'ils courent, eux-mêmes, le risque de tomber dans une misère absolue ; mais, dans la mesure où les ouvriers ne comprennent pas, pour le moment, qu'ils sont tous placés dans les mêmes conditions, que les mesures qui sont prises contre eux sont celles qui sont prises contre tous les ouvriers, ils n'arrivent pas à déterminer comment empêcher le capitalisme de licencier, de baisser les salaires et d'aggraver les conditions de travail ; en bref, ils n'arrivent pas à répondre à la question : Comment lutter ? Mais on voit actuellement que la dégradation brutale des conditions de vie commence à pousser les ouvriers à lutter. Même si ces mouvements ne sont pas encore massifs, ils contiennent tous des expressions claires de solidarité. De telles luttes ont eu lieu dernièrement en Turquie, en Algérie, en Espagne... En particulier, chaque fois, les campagnes xénophobes menées par la bourgeoisie et ses médias aux ordres ont été explicitement rejetés par ces ouvriers en lutte. C'est par cette dynamique que les ouvriers se rendront compte qu'ils sont une même collectivité, c'est-à-dire une classe sociale et que leur lutte n'est possible que dans la solidarité et l'unité.
Si la question qui vient d'être mentionnée est celle à laquelle le plus de temps a été consacré, il faut noter qu'une des premières interventions qui suivirent l’exposé s’étonnait que ce dernier ne parlait que des ouvriers en lutte au sein de leur entreprise ou de leur lieu de travail, et donc ne disait rien des autres lieux de vie ouvrière - par exemple l'obtention de moyens de s'alimenter ou de se chauffer – qui ont fait récemment l'objet de luttes collectives. Si toutes les personnes présentes ont été en accord avec cette remarque, cette dernière a permis de rebondir sur une autre question non moins importante, à savoir celle de la nécessité de la solidarité et de la fraternité entre exploités.
Tous les présents ont déclaré leur accord avec le fait que la construction de relations de solidarité et de fraternité entre exploités est une condition pour que ces derniers parviennent à renverser le capitalisme. Mais sur ce sujet aussi s'est posée la question : comment y parvenir ? Plusieurs réponses ont été formulées. Pour certains, il faudrait établir, construire des lieux, des regroupements au sein desquels existent de telles relations est un but en soi, tandis que pour d'autres de telles relations ne peuvent exister que parce qu'on lutte ensemble, donc que dans et par la lutte.
Nous étions tous d'accord sur le fait que les organisations révolutionnaires ne devaient pas avoir une fonction « contemplative » et devaient donc être des facteurs actifs du développement de la lutte des ouvriers et de leur prise de conscience. Mais sur cette base, et bien plus encore que pour les autres thèmes, les réponses apportées à cette question sont restées embryonnaires. Voilà quelques orientations qui ont été apportées par la discussion. L'aspect essentiel de l'intervention des révolutionnaires est-il de diffuser une dénonciation du capitalisme, la nécessité de sa destruction comme certains l'ont soutenu ? Où l'initiative, la participation à la lutte, la création de groupes fraternels ne sont-elles pas des aspects essentiels de nos tâches ? Où encore les deux ne sont-ils pas les deux faces nécessaires d'une même réalité qui doivent permettre de préparer des luttes massives dont les conditions sont en train de se réunir du fait de la violence des mesures prises contre l'ensemble des exploités ? Se clarifier sur ces questions est essentiel si les révolutionnaires que nous sommes veulent être à la hauteur de leur tâche. C'est d'ailleurs pour cela que comme un participant de la réunion l'a rappelé : « tenir des réunions et discuter comme nous le faisons, c’est déjà militer ».
Lorenzo
Quel que soit le nom donné à la violence des coups qui nous sont portés en avalanche par le gouvernement : réformes, politique de rigueur ou programmes d’austérité, la coupe est pleine !
Quelle que soit la situation de tous ceux qui subissent la pression de l’exploitation capitaliste, que l’on soit ouvrier en usine, dans une petite entreprise, en CDI, dans un emploi partiel ou précaire, travailleur social, fonctionnaire, ingénieur, cadre, étudiant, chômeur, retraité..., nous sommes tous pris à la gorge.
Si les effets de l’attaque sur les retraites ne se font pas encore sentir à l’heure actuelle, elles pèseront lourdement dans les années qui viennent sur toutes les générations de prolétaires. Mais dès aujourd’hui, l’ampleur et la profondeur de toutes les autres attaques menées simultanément sont durement ressenties.
Les budgets sociaux sont passés à la moulinette et les services du même nom sont en plein délabrement. Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite comme les regroupements de services publics débouchent sur une situation qui vire de plus en plus ouvertement au cauchemar ou à la catastrophe, en particulier dans le secteur de la santé et de l’éducation. Les fermetures de structures hospitalières comme de classes entières dans les écoles au nom des économies budgétaires à réaliser prennent une tournure de plus en plus dramatique.
Dans de plus en plus d’entreprises s’exerce un chantage au licenciement pour faire baisser les salaires, comme actuellement de 10% chez General Motors à Strasbourg. Et les multiples expériences de ces dernières années montrent que de tels “sacrifices” ne servent à rien : les charrettes de licenciements reprendront de plus belle quelques mois plus tard.
Les conditions draconiennes imposées aux chômeurs qui les placent sous la menace constante d’être rayés du Pôle Emploi sont de plus en plus insupportables. Ceux qui se retrouvent au chômage sont brutalement isolés de toute vie sociale, plongés dans la misère et le désœuvrement. Dans le secteur public comme dans le privé, la surcharge pour ceux qui restent au travail est telle qu’ils n’en peuvent plus. La souffrance et les suicides au travail sont devenus un phénomène de société de plus en plus répandu. De plus en plus de salariés comme de familles se trouvent en situation de détresse non seulement financière (chaque année, la commission de surendettement enregistre 150 000 nouveaux dossiers) mais aussi physiologique comme psychologique. La détérioration des conditions de vie est accentuée par les hausses à répétition des prix du gaz, de l’électricité, du fuel, du loyer, par les nouvelles hausses de tarifs des transports publics tandis que, dans les magasins, chacun peut constater la valse à l’augmentation des produits alimentaires de première nécessité. Les soins sont de moins en moins remboursés alors que les cotisations de santé grimpent en flèche, de même que les assurances. Pour un nombre croissant d’entre nous, c’est au quotidien que se pose le problème de se nourrir, de se loger, de se soigner, de se vêtir de manière décente.
La chasse aux “niches” fiscales décrétée prioritaire par le gouvernement va une fois encore frapper les foyers les plus modestes : il s’agit avant tout de taxer davantage l’épargne dite populaire, les assurances-vie, l’amélioration de l’habitat. Les retraités, même aux revenus les plus bas, se verront imposés plus lourdement à la CSG. Même si le gouvernement vient de faire provisoirement marche arrière après avoir déclaré que les étudiants devront désormais choisir entre l’aide personnalisée au logement ou la demi-part de réduction d’impôts pour leurs parents, les jeunes générations sont confrontées à une misère et à une précarité croissantes face à l’augmentation des droits d’inscription à l’université et des tarifs des restaurants universitaires, à la hausse des loyers de leur chambre. Pour prendre un exemple parmi cent autres : la refonte des programmes en classe de Seconde va contraindre les parents de lycéens à acheter les livres solaires au prix du neuf et pas d’occasion. Et les mêmes familles savent déjà que l’extension promise de cette “réforme” aux autres classes continuera à grever leur budget les années suivantes...
La montée de la colère et de l’indignation est attisée par un profond sentiment d’injustice. La bourgeoisie ne cesse d’étaler une arrogance incroyable. L’été a été rempli par les “affaires”, du feuilleton Woerth-Bettencourt jusqu’au train de vie dispendieux et aux privilèges exorbitants de plusieurs ministres.
Le gouvernement Sarkozy n’a rien d’autre à avancer pour répondre à nos revendications que de rouler les mécaniques en montrant les muscles et les dents avec ses campagnes sécuritaires et populistes qui, dans la droite ligne de son débat foireux sur “la nationalité,” flattant les fractions les plus réactionnaires et conservatrices de son électorat, amalgame allègrement délinquance, insécurité et immigration. Le point d’orgue en est la répugnante et scandaleuse chasse et expulsion des Roms désignés comme boucs-émissaires. Alors que les rafles et les contrôles continuent de s’abattre sur les travailleurs sans-papiers immigrés, sont montés en épingle des faits divers (attaques contre des flics, affrontements entre bandes rivales, ...) pour faire adopter de nouvelles lois répressives. Une partie d’entre elles sont d’ailleurs du flan : on focalise l’attention sur quelques cas particuliers, on fait voter une nouvelle loi qui proclame une déchéance de la nationalité à l’encontre d’une poignée de criminels “d’origine étrangère qui auraient porté atteinte à la vie d’un policier ou d’un gendarme” ou qui se seraient rendus coupables de polygamie ou d’incitation à l’excision”. Cette politique à courte vue qui nous prend ouvertement pour des gogos manipulables à souhait ne rehausse nullement le prestige de l’État et devient même un obstacle embarrassant pour les intérêts de la bourgeoisie nationale. Le discrédit du chef de l’État est tel qu’un hebdomadaire comme Marianne a pu le traiter de voyou sans être même traîné en justice...
Il n’y a pourtant pas d’illusions à se faire sur un changement d’équipe. Voter autrement n’empêchera pas les attaques... La preuve, c’est que la politique de rigueur est partout menée aussi bien par des gouvernements de gauche que par des gouvernements de droite. Partout, les mesures qui dégringolent vont dans le même sens. Dans tous les pays, les prolétaires sont confrontés à des attaques similaires et partout, ils sont face aux mêmes perspectives de conditions de vie encore plus misérables. Ainsi en Grèce ou en Espagne, en plus de l’attaque sur les retraites, ce sont des gouvernements de gauche et sociaux-démocrates qui viennent d’imposer brutalement des baisses des salaires de 20 ou 10 % à tous les prolétaires. C’est ce qui nous attend et cela montre l’avenir qui nous est réservé partout. Et il n’est pas besoin de lire dans le marc de café pour savoir que ce sera de pire en pire.
Ce n’est pas parce nous avons affaire à des méchants ou à des pourris mais parce que le système capitaliste est en faillite ouverte à l’échelle mondiale et que la bourgeoisie nous fait payer sa crise au prix fort.
Le capitalisme ne nous donnera jamais un gouvernement plus social ou plus équitable. En Espagne, c’est le gouvernement “socialiste” de Zapatero qui, de concert avec la droite, a lancé fin juin et début juillet une grande campagne idéologique diffamatoire pour discréditer et isoler la courageuse grève des travailleurs du métro de Madrid en lutte contre une baisse de 5% de leur salaire.
Tôt ou tard, la classe ouvrière devra se défendre et ne peut pas faire l’économie d’un affrontement inévitable avec un système qui ne peut que faire plonger chacun d’entre nous dans une profonde misère. Nous ne pouvons plus attendre ni hésiter !
Cela signifie aussi que la classe ouvrière en France doit prendre conscience qu’elle n’est pas seule à affronter cette terrible réalité, que dans tous les pays, elle est poussée à mener le même combat contre les mêmes attaques que mènent ses exploiteurs. De la Chine au Panama, en passant par le Bangladesh et le Cachemire, la classe ouvrière démontre qu’elle est capable de développer massivement et avec détermination son combat classe contre classe à l’échelle mondiale.
Il n’y a pas d’autre perspective que d’entrer massivement en lutte pour se défendre sinon, c’est l’enfoncement assuré dans des conditions de vie toujours plus misérables. Entrer en lutte massivement signifie lutter ensemble et de manière déterminée en vue de réaliser l’extension et l’unité la plus large possible dans le combat. Seule la mobilisation du plus grand nombre face aux mêmes attaques est capable de faire reculer la bourgeoisie même si elle reviendra inévitablement à la charge ; mais c’est aussi le seul moyen d’empêcher le déclenchement d’attaques supplémentaires. Rappelons-nous comment, en 2006, les jeunes générations ont ainsi réussi à imposer au gouvernement Villepin le retrait du CPE. Ce n’est pas à travers les successions de journées d’action épisodiques et stérilisantes qui nous sont proposées que nous y parviendrons. Ce n’est pas en nous en remettant à ces spécialistes du sabotage des luttes et de la division des ouvriers entre eux que sont les syndicats, c’est en prenant nous-mêmes collectivement l’initiative des luttes, en appelant PARTOUT nous-mêmes à former des assemblées générales ouvertes à TOUS les ouvriers sans exclusive de corporations ou de secteurs, aux chômeurs, aux retraités, aux étudiants, que nous établirons un rapport de force face à la classe dominante. C’est aussi en gardant le contrôle de ces luttes entre nos mains sous le contrôle permanent de ces assemblées générales à travers l’élection de délégués révocables à tout moment. Il n’y a pas d’autre chemin possible pour faire entendre notre refus d’un futur entraînant l’humanité à sa perte et construire un autre avenir.
W (28 août)
Cet été, de violentes catastrophes se sont abattues sur les populations partout dans le monde : les flammes ont embrasé la Russie et le Portugal, des moussons dévastatrices ont noyé le Pakistan, l’Inde, le Népal et la Chine () sous la boue, des inondations ont également frappé l’Europe de l’Est et une partie de l’Allemagne. La liste des catastrophes de l’été 2010 est encore longue.
La multiplication des ces phénomènes et leur gravité croissante n’est pas le fruit du hasard, ni une triste fatalité contre laquelle on ne peut rien et dont personne n’est blâmable. De l’origine à la gestion des catastrophes, le capitalisme et ses lois fondamentales portent une très lourde responsabilité.
Selon l’avis de nombreux scientifiques, le réchauffement de la planète joue un rôle important dans la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, comme les canicules, les pluies diluviennes, les cyclones, etc. : “Ce sont des événements qui sont appelés à se reproduire et à s’intensifier dans un climat perturbé par la pollution des gaz à effet de serre” (). Et pour cause, de 1997 à 2006, alors que la température de la planète ne cessait d’augmenter, le nombre de catastrophes, de plus en plus intenses, a augmenté de 60 % par rapport à la décennie précédente. Comme un symbole de ce réchauffement global de la planète, au début du mois d’août, un gigantesque iceberg de 250 km² s’est détaché de l’Océan arctique, réduisant, pour la quatrième année consécutive, la taille du glacier à moins de 4 millions de km². Cet été, des records de chaleur ont d’ailleurs été enregistrés, comme le stupéfiant 53,5 °C du 26 mai au Pakistan : “La température moyenne de la planète montre, selon les relevés et analyses de l’équipe de James Hansen au Goddard Institute for Space Studies (Nasa), que les six premiers mois de l’année 2010 détiennent le record de chaleur depuis cent trente ans” ().
Les scientifiques des compagnies pétrolières, les politiciens et les chroniqueurs de télévision peuvent s’agiter en déclarant que le réchauffement planétaire n’est pas le résultat d’une pollution massive de l’atmosphère, l’ensemble des recherches scientifiques sérieuses démontrent une corrélation évidente entre le rejet des gaz à effet de serre, le réchauffement climatique et la multiplication des catastrophes naturelles. Cependant, les scientifiques se trompent lorsqu’ils affirment qu’un peu de volonté politique des gouvernements est en mesure de changer les choses. Le capitalisme est incapable de limiter les rejets de gaz à effet de serre car il faudrait alors s’opposer à ses propres fondements, ceux du profit, de la production à moindre frais et de la concurrence. C’est pour répondre à ces lois que la bourgeoisie pollue avec, entre autres exemples, son industrie lourde, ou qu’elle fait parcourir à ses marchandises des milliers de kilomètres.
La responsabilité du capitalisme dans l’ampleur de ces catastrophes ne se limite d’ailleurs pas à la pollution atmosphérique et au dérèglement climatique. La destruction méthodique des écosystèmes, à travers, par exemple, la déforestation massive, le stockage des déchets dans les zones naturelles de drainage, ou l’urbanisation anarchique, parfois jusque dans le lit des rivières asséchées et au cœur de secteurs notablement inflammables, a fortement aggravé l’intensité des catastrophes.
Alors que nous écrivons ces lignes, plusieurs centaines de feux font encore rage dans une large région autour de Moscou, brûlant des centaines de milliers d’hectares de forêt, de tourbière, de zone agricole, urbaine, etc. Le feu aurait déjà tué plus de 50 personnes et laissé des milliers d’autres sans abri (). Plusieurs jours, une épaisse fumée, dont les conséquences sur la santé ont été catastrophiques au point de doubler le taux quotidien de mortalité, a envahi la capitale. Et pour faire bonne mesure, des risques nucléaires et chimiques importants menacent les populations bien au-delà des frontières russes, en particulier à cause des incendies sur des terres contaminées par l’explosion de la centrale de Tchernobyl, des sites nucléaires eux-mêmes menacés par les flammes et des entrepôts d’armes et de produits chimiques plus ou moins oubliés dans la nature, qui n‘ont d’ailleurs curieusement pas bénéficié du même engouement médiatique.
Ces incendies ont été l’occasion d’étaler toute l’incurie de la bourgeoisie et l’étiolement de la société capitaliste. En effet, l’un des aspects les plus frappants de ces événements est l’incapacité de l’Etat russe à maîtriser les incendies. Le Premier ministre Vladimir Poutine peut jouer les super héros devant les caméras de télévision en pilotant un bombardier d’eau, ce désastre est le résultat de plusieurs décennies de politiques typiquement bourgeoises, à la fois cynique et aveuglées par le profit.
Un élément essentiel pour comprendre le rôle de la bourgeoisie dans l’envergure des incendies est l’état stupéfiant d’abandon des forêts. La Russie est un pays immense doté d’un parc forestier très important et dense, nécessitant un soin particulier pour circonscrire rapidement les débuts d’incendies afin d’éviter qu’ils ne se répandent jusqu’à devenir incontrôlables. Or, beaucoup de massifs forestiers russes ne sont même pas dotées de voies d’accès, si bien que les camions de pompiers sont incapables d’atteindre le cœur de la plupart des incendies. La Russie compte d’ailleurs sur seulement 22 000 pompiers, soit moins qu’un petit pays comme la France, pour lutter contre les flammes, et sur les gouverneurs régionaux, notablement corrompus, qui préfèrent employer les maigres moyens dont ils disposent pour la gestion des forêts à l‘achat de voitures de luxe, comme l‘ont révélé plusieurs scandales.
Le même cynisme vaut pour les fameux feux de tourbière, zones dont le sol est constitué de matière organique en décomposition particulièrement inflammable () : en plus de laisser les tourbières à l’abandon, la bourgeoisie russe a favorisé la construction d’habitations sur ces zones alors que des incendies avaient déjà fortement sévi en 1972. Le calcul est bien simple : sur ces secteurs dangereux, les promoteurs immobiliers ont pu acheter des terrains, déclarés constructibles par la loi, à un prix dérisoire. C’est de cette manière que le capitalisme transforme des phénomènes naturels humainement maîtrisables en véritables catastrophes.
Depuis le mois de juillet, des pluies torrentielles s’abattent sur le Pakistan (), occasionnant des inondations majeures, des glissements de terrain, des milliers de victimes, plus de 20 millions de sinistrés et des dégâts matériels considérables. La famine et la propagation de maladies, notamment le choléra, sont venues empirer une situation déjà désespérée. Pendant plus d’un mois, au milieu de cet horrible tableau, la bourgeoisie pakistanaise et son armée n’ont fait qu’étaler une incompétence et un cynisme hallucinants, accusant l’implacabilité de la nature, alors que, comme en Russie, entre urbanisation anarchique et services de secours impuissants, les lois du capitalisme apparaissent comme l’élément essentiel pour comprendre l’ampleur de la catastrophe.
Mais un aspect particulièrement écoeurant de cette tragédie est la manière dont les grandes puissances impérialistes essayent de tirer profit de la situation, au détriment des victimes, en utilisant les opérations humanitaires comme alibi. Les Etats-Unis soutiennent en effet le gouvernement très contesté de Youssouf Raza Gilani et ont très rapidement profité des événements pour déployer un important contingent militaire constitué de porte-hélicoptères, de navires d’assaut amphibie, etc. Au nom de la lutte contre le terrorisme (), les Etats-Unis ont quadrillé le Pakistan et freinent toujours l’arrivée de “l’aide internationale” venant d’autres pays, “aide humanitaire” elle aussi constituée de militaires, de diplomates et d’investisseurs sans scrupules.
Comme pour chaque catastrophe d’ampleur, tous les moyens sont mis en œuvre par tous les Etats pour faire valoir leurs intérêts impérialistes. Parmi ces moyens, la promesse de dons est devenue une opération systématique : tous les gouvernements annoncent officiellement une manne financière substantielle qui n’est officieusement accordée qu’en échange de la satisfaction des ambitions des donateurs. Par exemple, à ce jour, 10 % seulement de l’aide internationale promise en janvier 2010 après le tremblement de terre à Haïti a été effectivement versée à la bourgeoisie haïtienne. Et le Pakistan ne fera bien sûr pas exception à la règle ; les millions promis ne seront versés qu’à titre de commission d’Etat contre services rendus.
Le capitalisme et la bourgeoisie sont bien directement responsables de la multiplication et de l’ampleur meurtrière des catastrophes climatiques. La classe ouvrière ne doit se faire aucune illusion sur la capacité de la classe dominante à protéger l’humanité contre les phénomènes naturels violents : ce n’est pas en substituant aux cliques gouvernementales en place des dirigeants plus “verts”, en espérant des réformes écologiques, que nous sauveront la planète et l’humanité du chaos environnemental. Les fondements du capitalisme, la recherche du profit, la concurrence, etc., sont, à tous les niveaux, au cœur de la problématique. Il nous faut les détruire.
V (25 août)
) En plus des inondations et des coulées de boues dans plusieurs provinces, la Chine a subi, en prime, une gigantesque marée noire liée à l’explosion d’un oléoduc.
) Jean-Pascal Van Ypersele, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), AFP.
) Sylvestre Huet (journaliste scientifique), Libération, 12 août 2010.
) Ces chiffres sont à lire avec beaucoup de précautions car le gouvernement russe est passé maître dans l’art de la désinformation. Le mensonge sur les chiffres n’est d’ailleurs pas une spécialité slave puisque, d’après plusieurs témoignages, l’inondation dans le Var, que nous avons traité dans notre précédent numéro, aurait fait bien plus de victimes et de dégâts que ceux communiqués par le gouvernement français.
) Les autorités russes en sont réduites à attendre le gel de l’hiver pour éteindre les incendies de tourbière en profondeur.
) L’Afghanistan, la Chine, l’Inde et le Népal ont également été touchés de manière importante.
) Le gouvernement pakistanais, dans une situation particulièrement instable, a rapidement averti de l’imminence d’une insurrection des talibans réfugiés à la frontière de l’Afghanistan, pour justifier de nombreuses mesures répressives. A la fin du mois d’août, en guise d’insurrection, une bande de pieds nickelés islamistes, se réclamant d’Al Qaïda, a (enfin !) attaqué une obscure milice à la solde du gouvernement, causant deux morts.
l est courant de penser que l’économie chinoise échappe à la crise globale du capitalisme. Mais il faudrait le dire aux milliers de travailleurs chinois qui, au cours des dernières semaines, ont pris part à une vague de grèves qui a touché beaucoup de régions du pays !
Les luttes dont il a été le plus rendu compte sont celles qui ont eu lieu dans plusieurs usines Honda qui ont connu jusqu’ici trois vagues de grèves ; les ouvriers ont même réussi, lors de la première, à obtenir des augmentations de salaires jusqu’à 24%. A Foxconn, producteur d’Ipods où il y a eu beaucoup de suicides récemment, les grévistes ont obtenu une augmentation de salaire de 70%. A l’usine KOK (fabricant de pièces détachées), des affrontements se sont produits entre les travailleurs et les forces de l’ordre lorsque ces dernières ont tenté d’empêcher les ouvriers de sortir dans les rues faire connaître leur lutte.
Les médias chinois n’ont pas fait de black-out sur ces luttes parce que les compagnies étaient toutes étrangères et qu’ils ont utilisé ces conflits pour développer la propagande gouvernementale contre les rivaux régionaux japonais et sud-coréens. En réalité, des ouvriers de beaucoup d’entreprises chinoises ont également participé à des mouvements de grèves dans plusieurs villes. La police et d’autres forces de sécurité ont été régulièrement utilisées contre eux.
Avec des titres tels que “La montée d’un mouvement ouvrier chinois” (Businessweek.com), “La nouvelle génération secoue le monde du travail en Chine” (Reuters) et “Des grèves mettent la Chine en difficulté par des troubles sociaux” (Associated Press), la bourgeoisie et ses médias reconnaissent que le mouvement actuel va au-delà du mécontentement croissant de la classe ouvrière chinoise qu’on avait connu dans la période précédente.
L’article d’Associated Press (11 juin 2010) dit que “les autorités ont depuis longtemps toléré des mouvements de protestation, locaux et limités, de la part des ouvriers mécontents de leurs salaires ou sur d’autres questions, reconnaissant ainsi peut-être la nécessité d’une issue face à ces frustrations”, mais le Financial Times (11 juin 2010) ajoute que : “Il y a des signes que les mouvements sociaux de protestation sont bien plus étendus et coordonnés qu’on ne le pensait, suscitant des peurs face à la possibilité de revendications similaires qui augmenteraient les coûts des multinationales”. Un économiste résidant à Hong-Kong et cité par le Daily Telegraph (10 juin 2010) y fait écho en écrivant : “Tout ce qu’il faut maintenant, c’est une seule étincelle et les nouvelles se répandront dans toute la Chine, ce qui pourrait amener à des actions de grève similaires dans d’autres usines”.
Les “experts” tentent de minimiser les raisons de ces luttes et leur tendance à inspirer d’autres travailleurs et à s’étendre : “Les ouvriers se tiennent au courant des grèves grâce aux téléphones portables et aux QQ – messageries instantanées. Ils comparent leurs salaires et leurs conditions de travail, souvent avec ceux des ouvriers de leur province d’origine, et utilisent ces informations pour négocier avec leurs employeurs, a expliqué Joseph Cheng, professeur à l’Université de la ville de Hong Kong. “[Des mouvement sociaux] ont eu lieu dans les Deltas de la Pearl River et du Yangtsé depuis le début de l’année” du fait du manque de main d’oeuvre.” (Financial Times, ibid.) Et comme le résume un autre “expert” : “L’une des grèves a eu lieu parce que les ouvriers se sont retrouvés rien qu’en s’envoyant des messages” a dit Dong Baohua, professeur de droit à l’Université de Politique et de Droit de Chine occidentale. La technologie moderne favorise l’éclatement de grèves” (ibid.)
Les innovations technologiques sont bel et bien utilisées par les ouvriers mais ce n’est pas ce qui explique pourquoi ils font grève, pourquoi ils veulent se regrouper pour lutter. Ce qui l’explique, ce sont les conditions dans lesquelles ils travaillent et vivent. Selon les statistiques officielles, les salaires constituaient, en 1983, 56% du PIB chinois ; ils sont tombés à 36% en 2005. Au cours des cinq dernières années, presque un ouvrier sur quatre en Chine n’a eu aucune augmentation de salaire. Si quelqu’un s’est enrichi grâce au miracle économique chinois, ça n’a pas été la classe ouvrière. Les récentes augmentations du salaire minimum dans les grandes provinces industrialisées comme le Guangdong, le Shandong, le Ningxia et le Hubei ont été expliquées comme des tentatives de répondre aux effets de l’inflation, mais même les médias d’Etat ont parfois admis qu’elles avaient aussi pour but de prévenir le mécontentement social.
Dans le journal officiel en ligne Le Quotidien du Peuple (9 juin 2010), on peut lire, dans un article à la une sous le titre : “Les experts prévoient l’augmentation des conflits du travail”, que “les conflits sociaux croissants initiés en Chine méridionale vont amener une tendance à l’augmentation des salaires dans un futur proche”. Ceci est présenté comme une “opportunité” mais aucune explication n’est apportée pour les “conflits”. Pourtant, comme les capitalistes partout, on peut faire le calcul, comme un fonctionnaire l’expliquait à propos des projets d’investissement des entreprises à Hong-Kong : “Si le coût du travail s’accroît, les profits baisseront et il se peut qu’elles déplacent les usines dans des pays où la main d’oeuvre serait moins chère”.
En Chine, cela fait longtemps que l’impatience et la frustration vis-à-vis des syndicats se développent. Ces organes explicitement étatiques non seulement découragent les grèves et cherchent à les empêcher, mais encore ont, comme à Honda, utilisé la violence physique contre les ouvriers qui, en retour, ont combattu les représentants syndicaux. Ce n’est pas par hasard si les ouvriers ont cherché d’autres voies. Un article du New York Times (10 juin 2010) par exemple, tout en rapportant que “des grèves éparses ont commencé à gagner des provinces chinoises épargnées jusqu’ici par les conflits sociaux”, présentait également ce qu’il s’était passé à Honda au cours d’une des grèves : “Ici les ouvriers ont développé une organisation démocratique élaborée, élisant des délégués de base pour les représenter dans les négociations collectives avec le patronat. Ils demandent aussi le droit de former un syndicat distinct de la fédération nationale des syndicats contrôlée par le gouvernement qui, depuis longtemps, s’est préoccupée de maintenir la paix sociale pour les investisseurs étrangers.”
Il est ici nécessaire de rappeler l’expérience des ouvriers en Pologne de 1980-81 dont la grève a touché tout le pays, et au cours de laquelle des assemblées ouvrières ont créé leurs propres comités et d’autres formes d’organisation. Toute la force du mouvement a été affaiblie par l’idée de créer “des syndicats libres” en opposition aux syndicats dirigés par l’Etat. Cette idée s’est matérialisée dans la création de Solidarnosc, syndicat qui commença par saper le mouvement au début des années 1980 et finit par diriger un gouvernement d’austérité avec Lech Walesa pour président au début des années 1990.
L’effort des ouvriers pour prendre en main leurs luttes peut prendre beaucoup de formes, que ce soient des délégués de base, des comités élus, des délégations à d’autres ouvriers ou des réunions massives dans lesquelles les ouvriers eux-mêmes décident de l’organisation de la lutte. Ce qui est important, c’est de comprendre la dynamique d’un mouvement.
Au cours de la première grève à Honda, une délégation a fait une déclaration qui montrait clairement les illusions existant sur les possibilités des syndicats, mais qui contenait, aussi, de très bonnes idées. Par exemple : “Nous ne luttons pas seulement pour les droits de 1800 ouvriers, mais pour les droits des ouvriers de tout le pays”, montrant clairement que la préoccupation des ouvriers allait bien plus loin que leur seule usine.
Il y a aussi un passage qui, tout en faisant partie d’un document, affirme que : “C’est le devoir du syndicat de défendre les intérêts collectifs des travailleurs et de diriger les grèves ouvrières”, et montre que d’autres idées se développent aussi : “Nous tous, ouvriers de Honda Auto Parts Manifacturing Co, Ltd, devons rester unis et ne pas nous laisser diviser par la direction (…). Nous appelons tous nos camarades ouvriers à exprimer leur point de vue auprès de leurs représentants ouvriers. Bien que ces représentants ne couvrent pas les ouvriers de tous les départements, ils recueillent les opinions de tous les ouvriers de l’usine avec sérieux et égalité. Les ouvriers des chaînes de fabrication qui sont motivés et voudraient participer aux négociations avec la direction peuvent se joindre à la délégation à travers l’élection... Sans l’approbation de l’assemblée ouvrière, les représentants ne donneront unilatéralement leur accord à aucune proposition d’un niveau inférieur aux revendications établies plus haut.” (libcom.org) Et on pouvait encore lire sur businessweek.com : “Nous appelons tous les ouvriers à maintenir un haut degré d’unité et à ne pas laisser les capitalistes nous diviser.”
En Chine, la situation matérielle qui impulse les luttes et la question de comment s’organiser est la même que celle que rencontrent les ouvriers partout dans le monde.
Car (11 juin 2010)
Décidément, Sarkozy n’en a pas fini de régler ses comptes avec l’immigration. Après le “nettoyage de la France au Kärcher”, France qu’il faut “débarrasser de la racaille”, le président français s’est lancé, effets de menton habituels à l’appui, dans la mise en œuvre d’une politique répressive aggravée vis-à-vis de la communauté “rom”.
Une centaine de camps de “gens du voyage” ont ainsi été évacués manu militari, et leurs occupants dépouillés de leurs caravanes ou roulottes puis jetés à la rue, traités pire que du bétail, le fusil dans le dos. Avec plus d’un millier de “roms” expulsés de France depuis fin juillet, le ministre de l’Intérieur Hortefeux espère bien dépasser le chiffre des 9875 expulsions réalisées en 2009 vers la Bulgarie et la Roumanie de ces indésirables roms dont plus de 8000 ont déjà été virés du territoire depuis janvier 2010. Pourtant, même au sein de l’establishment politique français, de nombreuses “pointures” de tous bords ont souligné leur opposition à cette politique tellement énorme aux relents de xénophobie la plus crapuleuse, une politique de pogroms. Il n’y a guère eu que Marine Le Pen pour saluer ces positions de Sarkozy comme celles que son parti défend depuis trente ans, et outre les sarkozystes du premier cercle, tel Estrosi,… Kouchner. En effet, le chef de la diplomatie française, avec pour une fois un sac de rires sur le dos, a déclaré, en réponse à une seconde mise en garde de l’ONU dont il stigmatise les “caricatures” et les “amalgames” (1) : “Jamais le Président de la République n’a stigmatisé une minorité en fonction de son origine” (!).
Ainsi Villepin, qui en tant que ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre de la présidence Chirac, avait mis en œuvre de nombreuses mesures anti-immigrés, s’est-il élevé avec vigueur contre cette politique trop grossière parlant de “tâche sur le drapeau français”. Bernard Debré, député UMP de Paris, se dit “choqué” et souligne de son côté “le risque de dérapage vers la xénophobie et le racisme”. Sortez vos mouchoirs !
Le PS, tout en dénonçant cette opération, comme Rocard déclarant qu’on n’avait “pas vu cela depuis les nazis”, a critiqué Sarkozy, mais pour l’engager à poursuivre son effort. En effet, dans un communiqué daté du 18 août, il critique le projet du gouvernement de supprimer 3 500 postes de policiers dans les trois prochaines années, et déclare : “Jamais il n’y a eu autant de distance entre les paroles et les actes d’un gouvernement. Si le PS critique le gouvernement, ce n’est pas parce qu’il en ferait trop sur la sécurité, c’est, au contraire, parce qu’il n’agit pas réellement.” Il est vrai que le PS, depuis Joxe, Cresson et le même Rocard, en connaît un rayon, puisque c’est lui qui a mis en œuvre les premiers charters musclés dans les années 1980.
Cependant, malgré ces critiques qui fusent de partout, qu’il s‘agisse du pape ou de l’ONU, en passant par l’Union européenne, et malgré l’opposition grandissante dans la population française devant cette écœurante politique discriminatoire, Sarkozy et son ministre de l’Immigration, l’ “ex”-socialiste Éric Besson, ont annoncé mercredi 24 août une “accélération des reconduites de ressortissants bulgares et roumains” dont les départs bien hypocritement présentés comme “volontaires” signifie un “retour” dans des pays où cette frange de la population est souvent persécutée. Et pour dissuader ces “profiteurs” et “délinquants” de revenir pour toucher à nouveau leurs 300 euros de “prime à l’expulsion”, ce dernier va instituer des fichiers biométriques en direction des possibles contrevenants pour leur interdire l’accès aux frontières de l’Hexagone.
En fait, ce discours gouvernemental et cette politique particulièrement répressive à l’égard des roms servent plusieurs objectifs aux yeux de Sarkozy. Le plus important est de se focaliser sur une population très marginalisée, souvent arriérée et analphabète, formant une communauté fermée et peu communicative, et que de ce fait il est facile de criminaliser, afin d’en faire à bon compte le bouc émissaire de la crise économique et d’une justification de la politique générale de répression que mène l’État français. Le plus répugnant, c’est que cette “ethnie” déjà reléguée à une survie dans de véritables cloaques et des dépotoirs de la société, se retrouve facilement exposée à l’instrumentalisation. L’attaque de Sarkozy contre les roms ne pouvait provoquer au mieux, dans la période actuelle, que de la compassion mais pas de mouvement actif de solidarité en leur défense au sein de la classe ouvrière ; d’autant que la plupart des évacuations ont eu lieu pendant les vacances d’été. En-dehors des déclarations emphatiques et hypocrites des politicards et de certains groupes politiques, rien ne s’y est opposé.
Un autre volet de ce battage médiatique intensif est de faire du bruit pour faire diversion aux tensions sociales qui se précisent dès cette “rentrée”. Cette propagande sert aussi par son vernis sécuritaire à donner des moyens juridiques de perpétrer des arrestations massives, ou d’autres visant à imposer de fortes amendes aux familles immigrées dont les jeunes ont des démêlés avec la police. Les parents seront tenus pour légalement responsables des actes de leur enfant mineur, lorsque celui-ci a été poursuivi ou condamné pour une infraction et qu’il viole les interdictions et les obligations auxquels il est soumis. Ces parents pourraient se voir infliger jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende alors que c’est le chômage, la précarité, la misère qui les a brisés et rendus incapables d’assumer leur rôle éducatif.
Un des pompons des nouvelles mesures sécuritaires proposées par Sarkozy est la “déchéance de la nationalité française”. Un des arguments avancés par certains laudateurs de cette mesure est que “Être français se mérite”, c’est-à-dire les mêmes mots employés par Raphaël Alibert, Garde des Sceaux de Pétain, en juillet 1940, afin de justifier une loi portant création d’une “Commission de révision des naturalisations” laquelle procéda à la “dénaturalisation” de centaines de milliers de français, principalement des juifs (2).
Du point de vue de l’efficacité et de l’impact que cette mesure pourrait avoir dans la pratique aujourd’hui, elle n’a rien à voir avec celle de 1940. C’est un simple gadget. Mais elle présente l’avantage de tenter d’accroitre la division de la classe ouvrière entre travailleurs français et travailleurs immigrés, de plus ou moins fraîche date. Elle permet une focalisation médiatique sur un faux problème, totalement étranger aux intérêts des exploités, celui de leur “nationalité”.
Non, aucune nationalité ne se mérite et les ouvriers n’en ont que faire. Comme disait le Manifeste communiste de 1848 : “Les prolétaires n’ont pas de patrie”. Et c’est tous ensemble, quelle que soit leur couleur de peau ou leur origine ethnique ou nationale qu’ils devront se battre contre cette société qui leur impose à tous des conditions de vie et un avenir catastrophiques.
Wilma (27 août)
1) Et son copain Sarkozy, lui, n’a pas fait d’amalgame en mettant dans le même sac roms, “gens du voyage” de nationalité française depuis des générations, immigrés et délinquants !
2) Sarkozy, pour sa part, et contrairement à Le Pen dont il essaie de récupérer les électeurs, ne s’en prend pas aux juifs. D’ailleurs, selon la tradition juive, il est juif lui-même puisque sa mère est juive. Mais fondamentalement, après ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, cela ferait “désordre” aujourd’hui de la part d’un Président de la République.
Différents camarades et groupes nous ont envoyé des informations et des commentaires sur cette lutte qui vient de se dérouler. Nous les remercions profondément pour cette collaboration et les encourageons à la poursuivre. Nous savons tous que les médias ne sont pas neutres et servent effrontément leurs maîtres : l’État et le capital, tantôt en exerçant un black-out total sur les luttes ouvrières – en particulier celles qui montrent des tendances intéressantes de solidarité, d’auto-organisation, de combativité…, et tantôt en organisant de scandaleuses campagnes de calomnie comme on l’a vu récemment lors de la grève du métro à Madrid. Il est donc de la plus grande importance que les minorités avancées de la classe effectuent une tâche d’information rapide sur les luttes ouvrières.
Il ne s’agit pas de “s’encourager” en ne mettant en avant que ce qui est positif. La classe ouvrière n’a pas besoin de petites tapes dans le dos. Nous avons besoin d’informations véridiques sans craindre d’exprimer les faiblesses, les obstacles et les difficultés.
Pour en revenir aux luttes au Panama, nous voudrions souligner que malgré les faiblesses et limites encore très grandes qu’ont aujourd’hui les luttes ouvrières, nous voyons toutefois un élément très positif : les luttes se développent avec une certaine coïncidence dans les pays dits “riches” (Grande-Bretagne, Grèce, France, Chine, Espagne…) comme dans les pays “pauvres” (Roumanie, Panama, Bangladesh, Inde…), montrant que, bien qu’il faille encore vaincre d’énormes obstacles pour réaliser pleinement l’unité internationale du prolétariat en brisant notamment les divisions entre travailleurs des pays “riches” et des pays “pauvres” qui ont tant été utilisées par les classes dominantes (1), celle-ci se cherche.
La grève a éclaté à partir du 1er juillet dans la province bananière de Bocas de Toro, limitrophe avec le Costa Rica. Elle exigeait d’une part le paiement des salaires en suspens et, d’autre part, s’opposait au problème politique posé par la nouvelle loi promue par le gouvernement Martinelli, dite Loi 30, qui “restreint le droit de grève et les négociations collectives, habilite l’embauche de “briseurs de grève” et accorde l’immunité à la police en lui accordant des droits par-dessus la Constitution panaméenne” (2). Cette Loi 30 inclut également des articles qui annulent le versement automatique des quote-parts syndicales de la part des patrons. Elle s’accompagne en outre de mesures répressives comme l’officialisation du mouchardage, un décret du ministère de la Sécurité publique légalisant la figure de l’“agent caché” qui a les mains libres pour épier et accuser quiconque “effectue des activités contre la Sécurité nationale, les biens de l’État, la coexistence sociale, c’est-à-dire que quiconque est susceptible d’être dénoncé”.
L’agitation provoquée par ces mesures a poussé plus de 10 000 personnes à manifester le 29 juin dans la ville de Panama. Mais la combativité des travailleurs bananiers a rapidement occupé le premier plan de la situation sociale. La grève s’est rapidement étendue à toute la province. “Plus de quarante piquets ont bloqué dès le 1er juillet les vingt points d’accès à Bocas de Toro, rassemblant une énorme adhésion populaire, des groupes d’indigènes de toutes les propriétés de la région se sont rapidement joints à la lutte entamée par le syndicat de bananiers, s’ajoutant aux blocages organisés par les travailleurs et à l’occupation de l’aéroport, qui a été complètement bloqué”. Les travailleurs se réunirent à entrée des principales villes de la province, puis partirent en manifestation en appelant tout le monde à s’unir à la lutte. Ces actions ont rapidement trouvé un écho, la solidarité de la population s’est exprimée clairement avec des manifestations et des assemblées quotidiennes d’appui. Face aux brutales attaques policières, des barricades ont été levées tant dans les avenues urbaines que sur les routes rurales. Malgré les pressions des autorités, les parents ont décidé de ne pas envoyer leurs enfants à l’école et, dans la foulée, les étudiants du secondaire se sont solidarisés avec la lutte en paralysant totalement les centres éducatifs.
“Outre les groupes d’indigènes et de voisins, à la grève des bananiers s’unirent rapidement celle des enseignants et celle des travailleurs de la construction qui œuvrent à l’extension du Canal de Panama, mobilisés contre des coupes sur les salaires et le licenciement des principaux dirigeants ouvriers. Les étudiants de l’Université de Panama se sont aussi manifestés, bloquant la voie Transísmica en soutien à la lutte des bananiers et contre la Loi 30, devant faire face là aussi à une répression brutale qui s’est achevée par la détention de 157 étudiants du Collège des arts et métiers qui participaient au blocage de la voie Transísmica aux côtés des étudiants de l’Université de Panama”.
Le gouvernement a déchaîné une répression sauvage. Elle fut particulièrement barbare dans la ville de Changuinola, centre de la grève dans les bananeraies. Selon différentes sources, il y a eu six morts et des centaines de blessés, victimes des tirs du corps anti-mutineries directement envoyé par le Président de la République. Ils ont utilisé des pastilles qui ont provoqué de graves dommages aux yeux de nombreux manifestants. Selon un témoignage, “Des enfants sont morts asphyxiés par les gaz lacrymogènes lancés dans des zones résidentielles. Ils ont été victimes de problèmes respiratoires, disent les autorités qui ne les comptabilisent donc pas comme victimes de la brutalité policière”, ce qui augmenterait le nombre de morts. Un autre témoignage indique que “la police est allée chercher des blessés dans les maisons et les hôpitaux pour les emprisonner. Sans le moindre mandat judiciaire, ils ont effectué des perquisitions dans les résidences et jusqu’à la Maison Cural, se livrant à des arrestations. Ils ont torturé, frappé, humilié, insulté…”
Face à cette brutale répression, les chefs syndicaux ont immédiatement offert leur rameau d’olivier au gouvernement. Des négociations entre délégués gouvernementaux et le syndicat, Sitraibana (3) se sont ouvertes le 11. Le syndicat a appelé à la reprise du travail au terme d’un accord dont l’unique revendication satisfaite était le retrait de la Loi 30 qui annulait le versement des quotes-parts patronales aux syndicats ! Sans la moindre pudeur, le syndicat n’a vu que ses intérêts particuliers et a méprisé les revendications ouvrières et la violente attaque représentée par la Loi 30 !
Certains secteurs ouvriers ont rejeté le retour au travail et se sont maintenus en grève jusqu’au 14 juillet, les manifestations quotidiennes de toute la population n’ont pas été annulées et, le 18 juillet, il y a eu des manifestations dans tout le pays en signe de deuil pour les travailleurs assassinés.
Pour calmer les esprits, “Martinelli et compagnie sont intervenus à Bocas de Toro comme s’ils étaient encore en campagne électorale, faisant des cadeaux, de fausses promesses et de feintes excuses, sans reconnaître l’ampleur de la responsabilité du Gouvernement dans ce massacre contre le peuple. Les médias n’ont pas diffusé non plus les multiples démonstrations de protestation de la population à ce qui a été, sans le moindre doute, une offense à la dignité du peuple”.
Aussi, le président a organisé une Commission d’enquête, composée de délégués gouvernementaux, patronaux, religieux et syndicaux, pour “faire la lumière sur ce qui s’est passé dans la province de Bocas de Toro entre les 5 et 13 juillet 2010” et une Table de concertation pour “analyser les conditions de travail des travailleurs dans les bananeraies” qui, comme le dit un des messages que nous avons reçus “est une commission entre moi et moi”.
En combinant la carotte et le bâton, la répression féroce et des shows de dialogue et d’action parlementaire, la bourgeoisie panaméenne semble être sortie victorieuse de ce conflit, en durcissant et en dégradant les conditions de vie ouvrière et en renforçant la répression et l’arbitraire patronal. Des syndicats dissidents ont promis une “grève générale” sans en fixer de date.
Le contrôle syndical de la lutte s’achève en livrant les travailleurs pieds et poings liés. Au début, le Sitraibana s’est montré très combatif et toutes les organisations de gauche et syndicales le citaient comme un “exemple”. Cette réputation “radicale” a permis à ses chefs d’effectuer un virage à 180º et pactiser avec le gouvernement un “accord” qui a démobilisé les travailleurs malgré quelques résistances qui se sont manifestées. Ceci nous montre que les travailleurs, syndiqués ou non-syndiqués, ont besoin de contrôler collectivement leur lutte en l’arrachant des mains trompeuses des syndicats, ont besoin d’assemblées massives ouvertes aux autres travailleurs qui suivent au jour le jour l’évolution de la lutte, les négociations, les actions à mener, etc. Ces mesures sont vitales pour que la solidarité, la camaraderie, la force collective, l’héroïsme et la conscience qui se développe dans la lutte ne soient pas gaspillés et perdus, provoquant désillusions et démoralisation.
Dans cette lutte a aussi beaucoup pesé le fait que la province de Bocas de Toro est un des territoires les plus misérables du pays, peuplé de nombreuses tribus indigènes opprimées et appauvries, ce qui a contribué à la dévoyer d’une lutte authentiquement prolétarienne et autonome. La grève a été le signal d’un important mouvement de mécontentement populaire. Ceci est positif quand le prolétariat parvient à canaliser ce mécontentement vers son propre terrain de classe contre le capital et l’État. C’est toutefois négatif et affaiblit le prolétariat ainsi que la libération même de ces couches sociales si – comme c’est arrivé lors de cette lutte – c’est la mobilisation interclassiste qui prend le dessus, pour “le rétablissement des libertés démocratiques attaquées par la Loi 30”, pour “la mise en oeuvre par le gouvernement central d’investissements dans la province abandonnée”, pour “la reconnaissance des droits ancestraux des peuples indigènes”.
Quand la lutte tombe dans ce bourbier populaire, seul le capital sort gagnant. Celui-ci ne présente jamais ses intérêts pour ce qu’ils sont – des intérêts égoïstes au détriment de la grande majorité – mais les revêt toujours des déguisements trompeurs du “peuple”, de “la citoyenneté”, des “droits sociaux” et autres sornettes vides de sens. Ces tromperies font perdre au prolétariat son identité et son autonomie de classe, et ainsi parviennent à le mettre en échec, lui et l’ensemble de la population opprimée.
CCI (27 juillet 2010)
1) Nous saluons chaleureusement le Forum ESPAREVOL (en espagnol), qui réalise un effort important pour rassembler nouvelles et communiqués sur les luttes ouvrières. Voir http ://esparevol.forumotion.net/noticias-informaciones-y-comunicados-obreros-f9/
2) Les citations viennent d’informations reçues de différents camarades.
3) Sitraibana : Syndicat de travailleurs de l’industrie bananière.
Excédés par des conditions de vie et de travail déplorables, par la hausse des prix des denrées de base (riz, etc.) et des salaires misérables, des milliers de travailleurs du textile ont été contraints de se lancer spontanément dans des luttes très dures au Bangladesh. Des affrontements sanglants avec les forces de l’ordre se sont produits, notamment au mois de juin dernier et au cours de cet été. Exprimant leur combativité, les ouvriers ont même refusé, dans un mouvement général, une hausse de 80 % d’un salaire restant toujours insupportablement bas, proposée par les patrons, le gouvernement et les syndicats. Le refus et la solidarité se sont manifestés spontanément. Les grèves se sont étendues aux usines avoisinant la périphérie de la capitale, et même au-delà, dans tout le pays, notamment pour faire face à la répression. La colère et l’indignation des travailleurs, faisant rapidement tache d’huile, se sont souvent traduites par des destructions de machines, véritables symboles de leur condition de forçats. Les dégradations occasionnées dans les usines témoignent d’ailleurs d’une rage cherchant à s’affranchir de la condition imposée par les bagnes du capital. Les ouvriers ont construit des barricades, bloqué les autoroutes, investi le centre de la capitale à plusieurs reprises pour se faire entendre et se défendre collectivement. En riposte à ces initiatives, des lock-out et fermetures d’usines ont été organisés par les patrons qui ont systématiquement appelé les forces de l’ordre à la rescousse. Face à la répression brutale, des ouvriers ont même perdu la vie au cours des multiples affrontements ! Plus de 300 ouvriers considérés comme des “meneurs” ont été arrêtés. Beaucoup sont actuellement encore en prison. Des milliers de prolétaires ont aussi été blessés. Exposés aux coups, aux bombes lacrymogènes, aux balles en caoutchouc et aux canons à eau, les ouvriers ont à chaque fois tenté de se défendre, jetant des pierres sur les forces de l’ordre et faute de mieux, leurs propres sandales à la figure des policiers.
Le Bangladesh connaît de plus en plus de grèves sauvages, souvent réprimées avec violence par l’Etat et ses sbires, notamment depuis l’explosion de colère des travailleurs du textile en 2006 (voir RI no 370). Ce pays, qui emploie 3,5 millions d’ouvriers dans le principal secteur du textile et de la confection, exporte 80 % de sa production en direction des grandes firmes et des marques occidentales. Ces dernières, malgré leurs grands discours moralisateurs sur le “salaire décent” et le “refus du travail des enfants”, sous-traitent les commandes de marchandises en exerçant des pressions énormes pour faire baisser les prix d’une force de travail pourtant la moins chère au monde. Dans un contexte de crise et de surproduction aiguë, même des salaires mensuels moyens de 19 euros deviennent trop chers aux yeux du capital et des patrons !
Les prolétaires du textile, souvent fraîchement issus des campagnes, ne peuvent survivre avec de tels salaires de misère, croupissant dans les bidonvilles régulièrement inondés de la capitale, Dacca. Leurs conditions de vie et de travail sont inhumaines, pire que celle des bagnes industriels des débuts de l’industrialisation en Europe. L’essentiel de cette main d’œuvre corvéable à merci est en plus constitué de femmes qui travaillent plus de dix heures par jour, d’autres la nuit, avec des rythmes effrénés, sous une chaleur souvent harassante. Victimes de brutalités de toutes sortes, elles endurent sous la contrainte quotidienne les menaces physiques et les abus sexuels des chefs. Un travailleur sur cinq a moins de 15 ans ! L’insécurité permanente, liée aux infrastructures archaïques du fait d’une volonté de rentabilisation maximale, multiplie les risques d’accidents. Ainsi, par exemple, suite à deux incendies d’usines, des centaines d’ouvriers ont été tués au cours de l’année 2009 !
Face à des explosions de colère de plus en plus visibles et violentes dans les pays pauvres, la bourgeoisie s’inquiète de l’inefficacité croissante de la répression comme réponse pour tenter d’enrayer le phénomène. C’est pour cela qu’émerge une préoccupation afin d’adapter les forces de répression jouant davantage sur le recours aux organes d’encadrement que sont les syndicats. Au Bangladesh, les principaux syndicats n’ont que très peu d’emprise directe sur les ouvriers. Ils sont perçus comme totalement inféodés aux partis politiques. C’est pour cela que les syndicats non officiels, reprennent à leur compte un discours critique dénonçant le “non respect du droit syndical”, en s’affirmant plus comme de réels opposants. Comme s’en émeut un syndicaliste au Bangladesh, “les recours légaux étant quasiment impossibles, la manifestation spontanée est souvent la seule solution” (http ://www.lemonde.fr [133]). Avec le même souci, le syndicat local BGWUC, conscient de sa mission d’encadrement, souligne que “la moindre répression devrait donner aux leaders syndicaux la possibilité d’intervenir rapidement sur les lieux de travail pour que les conflits naissants ne dégénèrent pas dans les violences habituelles”. (http ://dndf.org/ ?p=2801 [134]) Autrement dit, les syndicats demandent qu’avant le recours à la matraque on fasse appel à leurs services pour étouffer la lutte de classe. C’est aussi pour cela que des syndicalistes occidentaux ont fait récemment le déplacement au Bangladesh, afin d’aider à mieux canaliser et encadrer la colère : des syndicalistes issus du syndicat britannique Unite et du syndicat américain United Steel Workers ont ainsi fait le voyage pour aider les syndicats locaux. En 1980 en Pologne, des syndicalistes français étaient venus pareillement prêter main forte au syndicat Solidarnosc pour l’aider à désamorcer et à saboter la grève.
Face à ces dispositifs de l’ennemi de classe, le prolétariat doit déjà et devra donc redoubler de vigilance au cours des nouvelles expériences de solidarité qui ne manqueront pas de venir. Les grèves et manifestations de rues, de plus en plus combatives, massives et incontrôlables, s’inscrivent en effet dans un vaste mouvement international qui a été initié en 2003 par les luttes du secteur public en France. Depuis, cette dynamique de lutte s’est confirmée partout, notamment dans les pays pauvre du sud, comme en témoignent les autres combats qui se sont déroulées en Algérie, en Turquie, ou plus récemment en Chine.
Alors qu’il y a quelques années les travailleurs de la périphérie étaient présentés par la propagande d’état comme des “concurrents et des ennemis avec lesquels on ne peut pas rivaliser”, ils apparaissent davantage aujourd’hui, par toutes ces luttes courageuses, comme des frères de classe victimes du capital et de sa crise. C’est pour cela, entre autres, que la bourgeoisie continue d’exercer un véritable black-out sur ces mêmes luttes, qu’elle cherche à masquer les ripostes, tout en essayant de continuer à pourrir la conscience ouvrière. Il lui faut surtout masquer la principale leçon de ces luttes : celle de la réalité d’un développement croissant de la solidarité dans les rangs ouvriers.
Dans ce processus de lutte international, il revient aux prolétaires des pays développés de prolonger ce même combat engagé, en montrant le chemin pour dégager à terme une perspective révolutionnaire. Il est en effet de son devoir de favoriser l’unité et la conscience du but, de faire de son expérience historique accumulée et irremplaçable, une véritable arme pour la révolution.
WH (24 août)
Nous publions ci-dessous la prise de position du CCI en Espagne sur la grève du Métro de Madrid à laquelle nous ajoutons une déclaration de solidarité d’un groupe de postiers de la capitale espagnole.
Ces quelques lignes pour exprimer notre plus chaleureuse et fraternelle solidarité avec les travailleurs du métro de Madrid.
En premier lieu parce qu’ils donnent l’exemple du fait que la lutte massive et déterminée est la seule riposte qu’ont en main les exploités contre les attaques brutales que les exploiteurs veulent nous imposer. Dans le cas présent, contre une réduction salariale de 5 %. Un coup de hache anti-ouvrier, qui est même complètement illégal du point de vue de la propre légalité bourgeoise, puisqu’il est ni plus ni moins qu’une violation unilatérale d’une convention collective signée préalablement. Et ils osent encore traiter de “délinquants” les ouvriers du métro !
Solidarité aussi contre la campagne de diffamation et de tentative de “lynchage moral” de ces camarades. Une campagne lancée comme il se doit par les politiciens et les médias de la droite la plus rance, qui a présenté les grévistes comme des pions d’une campagne du PSOE contre la “cheftaine” du Parti populaire à Madrid, Esperanza Aguirre, et qui a exigé, avec la rage et le fiel que cette droite est capable de secréter, “des sanctions !”, “des licenciements !” (1). Mais il ne faut surtout pas oublier la vigoureuse collaboration de la gauche dans cette campagne d’isolement et de dénigrement des travailleurs. Aguirre ou Rajoy réclamaient de la fermeté et du fouet contre ces “vandales”, mais le ministre de l’Industrie mettait à la disposition de la région une mobilisation massive d’autres moyens de transports pour briser la grève, et le ministre socialiste de l’Intérieur a mis à la disposition d’Aguirre jusqu’à 4500 policiers supplémentaires ! Quant aux médias “de gauche”, avec moins de haine mais plus d’hypocrisie, ils n’ont fait que renforcer l’idée “d’une grève avec prise d’otages” comme titrait El País le 30 juin. Entre Esperanza Aguirre et la lutte ouvrière contre les exigences des exploiteurs, ces laquais du système capitaliste, dits “rouges” (et qui osent encore porter dans leurs sigles le “O” d’ouvrier), savent très bien qui ils doivent choisir,...
Ce qui les a le plus indigné tous autant qu’ils sont, ce ne sont pas les “dérangements” causés aux usagers. Il suffit de voir dans quelles conditions doivent se déplacer les “usagers” les jours “normaux” et le chaos croissant dans les transports que les “citoyens” doivent de plus en plus supporter à cause de la négligence de plus en plus grande concernant les infrastructures et, plus particulièrement, les transports publics. Malgré ce qu’ils disent, ils ne sont pas particulièrement irrités non plus par les pertes causées aux entreprises dues aux retards et l’absence des employés. En fait, il faut avoir un culot monstre pour accuser les grévistes du métro de porter atteinte au “droit du travail”, alors que le capital espagnol a “privé de ce droit” rien moins que presque cinq millions de prolétaires !
Non. Ce qui en vérité les embête et les préoccupe dans cette lutte des travailleurs du métro de Madrid, c’est justement cela : le fait que la lutte ait éclaté ; le fait que les travailleurs n’aient pas accepté avec résignation les sacrifices et les attaques qui pleuvent de partout et sur tous ; et le fait que pour faire reculer les injonctions de l’entreprise, les ouvriers ne se soient pas contentés d’un pleurnichement stérile comme celui de la grève des fonctionnaires du 8 juin (2), mais aient donné l’exemple de l’unité et de la détermination. C’est El País qui le reconnaissait ainsi dans l’édito ci-dessus mentionné : “Le comité d’entreprise allègue qu’il existait une convention en vigueur jusqu’en 2012 que la décision de la Communauté de Madrid casse unilatéralement. Mais les fonctionnaires aussi avaient cette convention [“et ceux-ci se sont contentés de la pantomime du 8 juin”, parait ajouter de façon subliminale le jésuitique El País]. Il est possible qu’il ait manqué une explication plus pédagogique sur la gravité de la situation qui oblige à faire ces sacrifices en échange de la sécurité de l’emploi [… et après, ils accusent les grévistes de chantage !], et une plus grande clarté pour expliquer comment faire cadrer la réduction de salaire avec la garantie ultérieure de maintien du pouvoir d’achat...”
En tant qu’expression de cette réponse de classe des travailleurs, la lutte des camarades du métro de Madrid est pleine d’enseignements pour tous les ouvriers. Aujourd’hui, cette lutte est entrée dans une sorte de parenthèse et il est difficile de savoir comment elle va évoluer, et il est donc trop tôt pour en faire un bilan exhaustif. Mais voici déjà quelques leçons frappantes que nous pouvons en tirer.
Une des caractéristiques de la lutte des ouvriers du métro madrilène a été de s’appuyer sur des assemblées vraiment massives. Le 29 juin, déjà, au moment où il a été décidé de ne pas accepter de faire le service minimum, il y a eu beaucoup de monde qui n’a pas pu rentrer dans la salle, mais le 30, alors que la campagne de dénigrement battait son plein, le nombre des présents a été encore plus élevé que le jour précédent. Pourquoi ? Ce sont les travailleurs du métro eux-mêmes qui y répondent : “Il fallait démontrer que nous sommes unis comme les doigts d’une main.”
Grâce à ces assemblées, on a essayé d’éviter beaucoup des ruses habituelles des syndicats. Par exemple, la dispersion et la confusion en ce qui concerne les appels à la grève. C’est ainsi que l’assemblée du 30 juin a décidé d’appliquer le service minimum le 1er et le 2 juillet afin d’éviter de rester coincés entre le syndicat favorable à la convocation de la grève totale et les autres. L’assemblée a décidé aussi de mettre de coté le radicalisme verbal de l’ancien porte-parole du Comité, dont les déclarations du genre “on va faire exploser Madrid” servaient plutôt les ennemis de la lutte dans leur campagne de diffamation et d’isolement des travailleurs du métro.
Mais les assemblées n’ont pas servi seulement à tempérer les exaltations inutiles ou à essayer de ne pas tomber dans les provocations. Elles ont surtout servi à donner du courage et de la détermination pour tous les camarades et à permettre de mesurer ainsi l’état réel de la combativité de tout le personnel. Et c’est ainsi qu’au lieu des votes secrets et individuels des référendums syndicaux, la grève du métro s’est décidée et organisée en votant à main levée, un vote où la détermination des autres camarades a encouragé les plus indécis. La presse a eu beau agiter le spectre de la “pression” sur certains ouvriers par les piquets de grève, on sait très bien que ce qui a encouragé les ouvriers à se joindre aux arrêts de travail a été une décision consciente et volontaire, fruits d’une discussion ouverte et franche où l’on a pu exposer ses craintes mais aussi les raisons pour lutter. Sur un site ouvert pour exprimer sa solidarité avec cette grève (www.usuariossolidarios.wordpress.com [135]) une jeune travailleuse du métro dit franchement qu’elle allait à l’assemblée du 29 juin “pour ne plus avoir peur de lutter”.
Dans le cas de cette grève du métro, ce qui a été utilisé comme plate-forme de tir pour bombarder les grévistes, en essayant ainsi de les intimider pour qu’ils abandonnent la lutte, a été le décret sur le service minimum.
Dame Esperanza Aguirre, dans son palais présidentiel, a eu beau se présenter comme une donzelle sans défense entre les mains des ces énergumènes de grévistes, la vérité est que la loi permet aux autorités (autrement dit, le patron pour les employés publics), de fixer le service minimum. En sachant par expérience qu’elle possédait cette marge de manœuvre légale et, surtout, se sentant soutenue par tout le chœur médiatique des chaînes de TV, la présidente de la Région de Madrid a concocté une véritable provocation : imposer un service minimum sur la base de 50 % du personnel.
Avec ce piège, on essaye de mettre les employés du métro dos au mur. S’ils acceptent le service minimum, c’est leur volonté de ne pas plier face aux dictats du patron qui est entamée. S’ils ne les acceptent pas, ils prendront sur leurs épaules la responsabilité de toutes les adversités que vont endurer leurs frères de classe, qui constituent le gros des usagers du métro... De plus, cette loi du service minimum qui, à en croire les défenseurs de l’ordre bourgeois, “n’existe pas” bien qu’“il faille la renforcer”, offre la possibilité au gouvernement, qui est, encore une fois, le patron en dernière instance, d’imposer des sanctions si ce service minimum n’est pas réalisé, ce qui lui offre une carte supplémentaire pour la négociation. Deux jours après que les travailleurs du métro aient retiré leur refus du service minimum, la direction de la compagnie a augmenté la quantité des sanctionnés de 900 à 2800 travailleurs.
La seule voie pour sortir d’une telle souricière est de briser le piège grâce à la solidarité de classe.
La force des luttes ouvrières ne se mesure pas à leur capacité de provoquer des pertes dans les entreprises capitalistes. Pour cela, et c’est ce qu’on peut vérifier dans le cas même du métro de Madrid, les dirigeants eux-mêmes de ces entreprises savent y faire et n’ont besoin de personne. Cette force-là ne se mesure pas non plus dans la capacité à paralyser une ville ou un secteur. Là aussi, il est difficile de rivaliser avec l’État bourgeois lui-même.
La force des luttes ouvrières prend surtout ses sources dans le fait qu’elles énoncent, plus ou moins explicitement, un principe universel valable pour tous les exploités : les besoins humains ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel des lois du profit et de la concurrence propres au capitalisme.
Un affrontement de tel ou tel secteur des travailleurs avec son patron aura beau être radical, si la bourgeoisie arrive à le présenter comme quelque chose de spécifique ou particulier, elle réussira à défaire cette lutte en donnant au passage un coup au moral de toute la classe ouvrière. Si, au contraire, les travailleurs arrivent à conquérir la solidarité des autres ouvriers, s’ils arrivent à les convaincre du fait que leurs revendications ne sont pas une menace pour les autres exploités, mais l’expression des mêmes intérêts de classe, s’ils font de leurs assemblées et leurs rassemblements des instruments utiles que d’autres travailleurs peuvent rejoindre, alors là, oui, ils se renforcent eux-mêmes et avec eux l’ensemble de la classe ouvrière.
Le plus important pour la lutte des ouvriers du métro madrilène, ce n’est pas d’envoyer les piquets empêcher la sortie de telle ou telle quantité de rames (même s’il faut évidemment que l’assemblée sache si ses décisions sont réalisées) mais, au-delà, expliquer à leurs camarades, en commençant par ceux de l’EMT (Entreprise municipale de transports) ou de Télémadrid (TV régionale) et aux fonctionnaires, les raisons de leur lutte. Pour l’avenir de la lutte, il n’est pas essentiel de réaliser tel ou tel pourcentage de “service minimum” (même si la majorité des travailleurs doit être dégagée des contraintes du travail pour que les assemblées, les piquets et les rassemblements puissent se tenir), le plus important est de gagner la confiance et la solidarité des autres secteurs ouvriers, d’aller dans les quartiers pour expliquer pourquoi les revendications des ouvriers du métro ne sont ni un privilège ni une menace pour les autres ouvriers, mais une riposte aux attaques dues à la crise.
Ces attaques vont toucher tous les travailleurs, de tous les pays, de toutes les conditions, de toutes les catégories... Si le capital réussissait à faire s’affronter les travailleurs entre eux, ou ne serait-ce qu’à les faire lutter isolés, avec tout le radicalisme qu’on voudra mais chacun dans son coin, elle finirait par imposer les exigences de son système d’exploitation. Mais si, au contraire, les luttes ouvrières commencent à faire fermenter l’unité et la massivité des combats contre ces exigences criminelles, nous serons en mesure d’empêcher l’application de nouveaux sacrifices encore plus sanglants sur les conditions de vie de travailleurs. Ce serait là un pas très important pour le développement de l’alternative prolétarienne face à la misère et la barbarie capitalistes.
AP (12 juillet 2010)
1) Le gouvernement espagnol est aux mains du Parti socialiste (PSOE), tandis que la région de Madrid (dont la Présidente est la susnommée Aguirre) et la ville de Madrid, dont dépend la gestion du métro, sont entre celles de la droite (Parti populaire, dont le dirigeant national est Rajoy). Et c’est ainsi que ces deux partis ont joué une surenchère politicarde, se traitant de tous les noms, mais se mettant bien d’accord sur le dos des employés du métro [NdT].
2) Lire, en espagnol, notre bilan du 8 juin sur http ://es.internationalism.org/node/2891 [136]
Au printemps dernier s’est tenu le 19e Congrès de RI. Cette assemblée plénière de la section du CCI en France fut un moment très riche de débats fraternels et chaleureux auxquels des délégations d’autres sections du CCI et les sympathisants invités ont pu assister.
Les travaux de ce Congrès ont été centrés autour de quatre axes principaux :
- l’évolution de la crise économique mondiale ;
- ses perspectives pour le développement de la lutte de classe ;
- la dynamique actuelle des contacts du CCI ;
- le lien entre le marxisme et les sciences.
Concernant la crise économique, le rapport présenté par l’organe central de RI et les débats qui ont suivi ont souligné l’impasse dans laquelle est acculée la classe dominante et son incapacité à juguler le fléau de l’endettement. Malgré tous ses discours mystificateurs sur la prétendue “reprise” économique, la bourgeoisie mondiale n’a pas d’autre solution à l’endettement que de poursuivre sa politique d’endettement des États. Un débat s’est développé, et doit se poursuivre dans le CCI, autour des limites objectives de cet endettement.
Le Congrès a pu s’homogénéiser sur les perspectives de la crise économique : aucun retour vers une quelconque période de prospérité n’est désormais possible. La marge de manœuvre de la bourgeoise est extrêmement étroite et ne peut que la conduire à imposer partout des plans d’austérité draconiens.
Face à l’incapacité de la bourgeoisie de trouver le moindre remède à la faillite de son système, qui frappe maintenant de plein fouet les États européens (Grèce, Portugal, Espagne, etc.), la bourgeoisie ne peut apporter qu’une seule réponse : attaquer toujours plus violemment les conditions de vie de la classe exploitée, comme cela vient de se passer en Grèce.
Ces attaques massives vont se solder par une aggravation sans précédent du chômage avec des licenciements dans tous les secteurs, une baisse drastique des salaires, une précarité croissante de l’emploi pour les jeunes générations, la poursuite des attaques contre les pensions de retraites, un démantèlement de l’État Providence, etc.
C’est donc dans le contexte de la plongée de l’économie mondiale dans une crise de plus en plus profonde et insurmontable que va s’aiguiser la confrontation entre la bourgeoisie et le prolétariat.
Les débats sur la dynamique actuelle de la lutte de classe et ses perspectives pour les deux années à venir ont mis en évidence les difficultés auxquelles est confrontée la classe ouvrière des pays d’Europe occidentale, notamment la France.
Le fait qu’aujourd’hui les luttes ouvrières ne puissent se hisser à la hauteur de la violence des attaques a donné lieu à un débat très riche qui a permis au Congrès de mieux cerner et analyser les causes d’un tel décalage.
Comme nous l’avions mis en évidence au dernier Congrès du CCI, la classe ouvrière, malgré son énorme mécontentement, éprouve une hésitation à s’engager dans des luttes massives. Ce relatif déboussolement est dû au coup de massue qu’elle subit et qui, dans un premier temps, ne peut que renforcer ses hésitations à engager le combat pour la défense de ses conditions de vie.
Le chômage, et la peur des licenciements, constituent un facteur de paralysie qui ne peut être surmonté immédiatement et nécessite que le prolétariat retrouve progressivement son identité de classe et sa confiance en lui-même.
Un processus de maturation est donc indispensable pour que puissent surgir des luttes massives. Cette maturation s’exprime déjà par les luttes ouvrières qui se sont développées récemment, notamment celles des travailleurs de Tekel en Turquie, particulièrement significatives de la dynamique de la lutte de classe à l’échelle internationale (à propos de la grève de Tekel, voir les articles publiés sur notre site en février et juin 2010).
Les débats du Congrès ont également mis en évidence que la bourgeoisie des pays industrialisés et, notamment la bourgeoisie française, redoute le surgissement de ces luttes massives. En France, la classe dominante ne peut se permettre de prendre le risque d’une situation sociale identique à celle qui a explosé en Grèce, suite au plan d’austérité destiné à juguler la faillite de l’État.
Le Congrès a également développé une discussion sur la différence entre grève de masse et luttes massives. Il a mis en évidence que même si la perspective du surgissement de luttes massives est devant nous, cela ne signifie nullement que nous soyons entrés dans une période historique de grève de masse, laquelle nécessite un certain niveau de politisation des luttes.
C’est dans le cadre de l’analyse du CCI sur la dynamique de la lutte de classe à l’échelle mondiale, mis en évidence à notre dernier Congrès international, que s’est déroulé le débat sur la situation sociale en France.
La discussion a souligné que le prolétariat en France détient une longue expérience de lutte ancrée dans sa mémoire collective : la Commune de Paris, Mai 68 et, plus récemment, la lutte des jeunes générations contre le CPE qui a obligé le gouvernement Villepin à reculer.
Le spectre des luttes massives hante la bourgeoisie. Une bourgeoisie affaiblie par les bourdes successives et de plus en plus impopulaires de Sarkozy. C’est la raison pour laquelle la classe dominante marche sur des œufs : elle tente de masquer autant que possible la profondeur de ses attaques (notamment celle sur les retraites) et compte sur les syndicats pour saboter les explosions de mécontentement de la classe ouvrière.
Les débats du Congrès ont ainsi mis en évidence que la poursuite de l’attaque sur les retraites en France va constituer un test très important permettant de mesurer le rapport de forces entre les classes.
La discussion a permis également de mieux cerner l’impact actuel de l’encadrement syndical sur la classe ouvrière. Bien que cette dernière ne soit pas encore en mesure de se dégager de l’emprise des syndicats et de l’idéologie syndicaliste pour prendre elle-même ses luttes en main, le débat à fait ressortir qu’il existe, dans les rangs ouvriers, peu d’illusions sur le rôle et l’efficacité des méthodes de luttes préconisées par les syndicats.
Si, malgré cette désillusion, la classe ouvrière n’est pas encore à même aujourd’hui de se mobiliser en dehors et contre les syndicats, c’est essentiellement du fait de sa difficulté à retrouver confiance en ses propres forces.
La classe ouvrière ressent de plus en plus le besoin de se battre contre les attaques du gouvernement et du patronat, mais ne sait pas comment lutter sans passer par les syndicats. Cette difficulté est liée au poids de l’idéologie démocratique qui pèse encore très fortement sur la conscience de la classe exploitée. Celle-ci ne peut concevoir de se mobiliser massivement en dehors du cadre de la “légalité” de l’État démocratique. La question syndicale constitue donc un enjeu majeur dans la dynamique future vers les affrontements de classe massifs.
Les travaux du Congrès se sont penchés également sur la dynamique actuelle de notre milieu de contacts en France.
Sur le plan de l’affluence de nouveaux contacts, nous avons pu constater un certain décalage entre les pays d’Europe occidentale et les zones de la périphérie (notamment l’Amérique latine).
Le Congrès n’a pas dégagé une totale homogénéité dans l’analyse des causes de ce décalage et s’est donné comme objectif la poursuite du débat dans toutes les sections du CCI.
En particulier, une analyse a été avancée et mérite une réflexion plus approfondie : l’Europe occidentale a été le théâtre de deux guerres mondiales et de la contre révolution la plus profonde de l’histoire avec l’écrasement sanglant de la révolution en Allemagne au début des années 1920. Ces événements tragiques ont provoqué un profond traumatisme dont les séquelles marquent encore aujourd’hui le prolétariat des pays d’Europe occidentale. C’est ce qui pourrait expliquer le poids très fort des illusions démocratiques dans cette région du monde, de même que la méfiance à l’égard des groupes se réclamant de la révolution d’Octobre 1917 en Russie. C’est également dans cette partie de la planète que les campagnes anti communistes, consécutives à l’effondrement de l’URSS et des régimes staliniens, ont eu le plus grand impact. Les organisations révolutionnaires appartenant au courant de la Gauche communiste inspirent donc encore une certaine méfiance.
Néanmoins, avec la faillite de plus en plus évidente du capitalisme, un nombre croissant d’éléments à la recherche d’une perspective historique, tend à se tourner vers des groupes tels que le CCI. Ainsi, en France, comme dans tous les pays d’Europe, nous avons pu constater un accroissement du nombre de nos contacts et sympathisants. Et surtout une volonté de débattre, de confronter et clarifier les divergences dans un climat de fraternité et de confiance mutuelle, y compris dans nos relations avec des groupes et éléments internationalistes appartenant au courant anarchiste (tel la CNT-AIT).
Les travaux du Congrès ont également développé une discussion sur un texte d’orientation élaboré par l’organe central du CCI : “Marxisme et sciences”. Suite aux discussions que nous avons menées au cours de l’année Darwin, le CCI a en effet ressenti le besoin de se réapproprier la démarche du mouvement ouvrier relative au lien entre le marxisme et les sciences.
Dans la mesure où le marxisme est avant tout une méthode scientifique d’analyse de la réalité sociale, le CCI se devait de se pencher sur les fondements de toute méthode scientifique.
Les marxistes se sont toujours intéressés aux sciences, à leurs découvertes qui sont partie intégrante du développement des forces productives de la société.
Le prolétariat ne pourra construire la société communiste du futur qu’avec le développement de la recherche scientifique.
Bien évidemment les marxistes ne sont pas des spécialistes des sciences, et le débat que nous avons mené au Congrès portait essentiellement sur la méthode. Un certain nombre de divergences sont apparues, notamment autour de la question “qu’est-ce qu’une science ?”. De même, il n’existe pas de position officielle, pas d’homogénéité en notre sein à propos des apports de Freud à la science. La discussion a également mis en lumière l’intérêt particulier que les marxistes doivent porter aux sciences de l’homme, afin de mieux comprendre ce qu’est la “nature humaine”.
Les débats sur ces questions doivent encore se poursuivre en notre sein mais également à l’extérieur du CCI.
Pour conclure, toutes les délégations du CCI et les camarades invités à ce Congrès ont salué ses travaux, la richesse des discussions et le climat très fraternel dans lequel elles se sont déroulées.
Cette fraternité s’est manifestée non seulement dans la tenue des débats, mais également par l’organisation d’une soirée conviviale au cours de laquelle tous les participants ont pu partager un moment de détente festive où la solidarité et la chaleur humaine étaient au rendez-vous.
Cette confiance mutuelle et cette solidarité doit continuer à nous servir de phare pour la poursuite de notre activité et de notre combat pour l’unification de l’humanité et la construction d’une nouvelle société sans pénurie, sans guerre et sans exploitation.
Nous savons que le chemin est encore long et parsemé d’embûches, mais notre conviction de l’impasse du capitalisme et notre confiance dans la classe porteuse du communisme est infaillible. C’est cette confiance dans l’avenir que portent les futurs combats de la classe ouvrière qui constitue la principale force du CCI.
Sofiane (20 août 2010)
Dans la première partie de cette nouvelle série d'articles, nous avons essayé de montrer que des points d'accord fondamentaux rapprochaient les anarchistes internationalistes et la Gauche communiste. Pour le CCI, sans nier que des divergences importantes existent, l'aspect crucial est que nous défendions tous de façon déterminée l'autonomie ouvrière en refusant "d'apporter [un] soutien, de quelque manière que ce soit (même de façon “critique”, par “tactique”, au nom du “moindre mal”…), à un secteur de la bourgeoisie : ni à la bourgeoisie “démocratique” contre la bourgeoisie “fasciste” ; ni à la gauche contre la droite ; ni à la bourgeoisie palestinienne contre la bourgeoisie israélienne ; etc." Plus concrètement, il s'agit :
1) de refuser tout soutien électoral, toute collaboration, avec des partis gérants du système capitaliste ou défenseurs de telle ou telle forme de celui-ci (social-démocratie, stalinisme, “chavisme”, etc.) ;
2) de maintenir un internationalisme intransigeant, en refusant de choisir entre tel ou tel camp impérialiste lors de chaque guerre.
Tous ceux qui défendent théoriquement et pratiquement ces positions essentielles doivent avoir conscience d'appartenir à un même camp : celui de la classe ouvrière, celui de la révolution.
Au sein de ce camp, il existe nécessairement des différences d'opinion et de position entre les individus, les groupes, les tendances. C'est en débattant à l'échelle internationale, ouvertement, fraternellement, mais aussi fermement, sans fausse concession, que les révolutionnaires parviendront à participer au mieux au développement général de la conscience prolétarienne. Mais pour ce faire, il leur appartient de comprendre l'origine des difficultés qui, aujourd'hui encore, entravent un tel débat
Ces difficultés sont le fruit de l'histoire. La vague révolutionnaire qui, à partir de 1917 en Russie et 1918 en Allemagne, a mis fin à la Première Guerre mondiale a été vaincue par la bourgeoisie. C'est alors une terrible contre-révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière de tous les pays et dont les manifestations les plus monstrueuses furent le stalinisme et le nazisme, justement dans les deux pays où le prolétariat avait été à l'avant-garde de la révolution.
Pour les anarchistes, l'établissement, par un parti qui se réclamait du "marxisme", d'une terrifiante dictature policière sur le pays de la révolution d'octobre 1917 a été considéré comme une confirmation des critiques qu'ils avaient depuis longtemps portées contre les conceptions marxistes. A ces conceptions, il était reproché leur "autoritarisme", leur "centralisme", le fait qu'elles n'appellent pas à une abolition immédiate de l'État dès le lendemain de la révolution, le fait qu'elles ne se donnent pas comme valeur cardinale le principe de Liberté. A la fin du 19e siècle, le triomphe du réformisme et du "crétinisme parlementaire" au sein des partis socialistes avait déjà été considéré par les anarchistes comme la confirmation de la validité de leur rejet de toute participation aux élections. C'est un peu la même chose qui s'est produite suite au triomphe du stalinisme. Pour eux, ce régime n'était que la conséquence logique de "l'autoritarisme congénital" du marxisme. En particulier, il y aurait une "continuité" entre la politique de Lénine et celle de Staline, puisque, après tout, la police et la terreur politiques se sont développées alors que le premier était encore vivant et même peu après la révolution.
Évidemment, un des arguments donnés pour illustrer cette "continuité" est le fait que, dès le printemps 1918, certains groupes anarchistes de Russie ont été réprimés, que leur presse a été bâillonnée. Mais l'argument "décisif" est l'écrasement dans le sang de l'insurrection de Kronstadt en mars 1921 par le pouvoir bolchevique, avec Lénine et Trotski à sa tête. L'épisode de Kronstadt est évidemment très significatif puisque les marins et les ouvriers de cette base navale avaient constitué, en octobre 1917, une des avant-gardes de l'insurrection qui avait renversé le gouvernement bourgeois et permis la prise du pouvoir par les soviets (les conseils d'ouvriers et de soldats). Et c'est justement ce secteur parmi les plus avancés de la révolution qui s'est révolté en 1921 avec pour mot d'ordre "le pouvoir aux soviets, sans les partis".
Au sein de la Gauche communiste, il existe un plein accord entre ses différentes tendances sur des points évidemment essentiels :
la reconnaissance de la nature contre-révolutionnaire et bourgeoise du stalinisme ;
le refus de toute "défense du bastion ouvrier" qu'aurait constitué l'URSS, et en particulier le rejet de toute participation à la Seconde Guerre mondiale au nom de cette défense (ou de tout autre prétexte) ;
la caractérisation du système économique et social de l'URSS comme une forme particulière de capitalisme, un capitalisme d'État sous sa forme la plus extrême.
Sur ces trois points décisifs, la Gauche communiste se trouve donc en accord avec les anarchistes internationalistes mais s'oppose totalement au trotskisme qui considère l'État stalinien comme un "État ouvrier dégénéré", les partis "communistes" comme des "partis ouvriers" et qui, dans sa grande majorité, s'est enrôlé dans la Seconde Guerre mondiale (notamment dans les rangs de la Résistance).
En revanche, au sein même de la Gauche communiste, il existe des différences notables dans la compréhension du processus qui a fait déboucher la révolution d'octobre 1917 sur le stalinisme.
Ainsi, le courant de la Gauche hollandaise (les "communistes de conseils" ou "conseillistes") considère que la révolution d'octobre était une révolution bourgeoise ayant pour fonction de remplacer le régime tsariste féodal par un État bourgeois plus adapté au développement d'une économie capitaliste moderne. Le parti bolchevique, qui s'est trouvé à la tête de cette révolution, est lui-même considéré comme un parti bourgeois d'un genre particulier chargé de diriger l'établissement d'un capitalisme d'État, même si ses militants et dirigeants n'en étaient pas vraiment conscients. Ainsi, pour les "conseillistes", il existe bien une continuité entre Lénine et Staline, ce dernier étant, en quelque sorte, "l'exécuteur testamentaire" du premier. En ce sens, il existe une certaine convergence entre les anarchistes et les conseillistes mais ces derniers n'en ont pas pour autant rejeté la référence au marxisme.
L'autre grande tendance de la Gauche communiste, celle qui se rattache à la Gauche communiste d'Italie, considère que la révolution d'octobre et le parti bolchevique avaient une nature prolétarienne. Le cadre dans lequel cette tendance insère la compréhension du triomphe du stalinisme est celui de l'isolement de la révolution en Russie du fait de la défaite des luttes révolutionnaires dans les autres pays, au premier lieu en Allemagne. Avant même la révolution d'octobre, l'ensemble du mouvement ouvrier, et les anarchistes ne faisaient pas exception, considérait que si la révolution ne s'étendait pas à l'échelle mondiale, elle serait vaincue. Le fait historique fondamental qu'a illustré le sort tragique de la révolution russe, c'est que cette défaite n'est pas venue de "l'extérieur" (les armées blanches soutenues par la bourgeoisie mondiale ont été battues) mais de "l'intérieur", par une perte du pouvoir de la classe ouvrière, et notamment de tout contrôle sur l'État qui avait surgi au lendemain de la révolution, ainsi que par la dégénérescence et la trahison du parti qui avait conduit la révolution du fait de son intégration dans cet État.
Dans ce cadre-là, les différents groupes se réclamant de la Gauche italienne ne partagent pas les mêmes analyses sur la politique des bolcheviks au cours des premières années de la révolution. Pour les "bordiguistes", le monopole du pouvoir par un parti politique, l'instauration d'une forme de monolithisme dans ce parti, l'emploi de la terreur et même la répression sanglante du soulèvement de Kronstadt ne sont pas critiquables. Au contraire, aujourd'hui encore ils s'en revendiquent pleinement et pendant très longtemps, dans la mesure où le courant de la Gauche italienne était connu à l'échelle internationale essentiellement à travers le "bordiguisme", celui-ci a servi de repoussoir envers les idées de la Gauche communiste de la part des anarchistes.
Mais le courant de la Gauche italienne ne se réduit pas au bordiguisme. La Fraction de Gauche du parti communiste d'Italie (devenue par la suite Fraction italienne de la Gauche communiste) a entrepris dans les années 30 tout un travail de bilan de l'expérience russe (Bilan était d'ailleurs le nom de sa revue en français). Entre 1945 et 1952, la Gauche communiste de France (qui publiait Internationalisme) a poursuivi ce travail et le courant qui allait constituer en 1975 le CCI a repris ce flambeau dès 1964 au Venezuela et 1968 en France.
Ce courant (et en partie également celui qui se rattache au Partito comunista internazionalista en Italie) considère nécessaire la critique de certains aspects de la politique des bolcheviks dès le lendemain de la révolution. En particulier, beaucoup d'aspects que dénoncent les anarchistes, la prise du pouvoir par un parti, la terreur, et notamment la répression de Kronstadt, sont considérés par notre organisation (à la suite de Bilan et de la GCF) comme des erreurs, voire des fautes, commises par les bolcheviks qui peuvent parfaitement être critiquées dans le cadre du marxisme et même des conceptions de Lénine, notamment celles qui s'expriment dans son ouvrage L'État et la révolution rédigé en 1917. Ces erreurs peuvent s'expliquer par de nombreuses raisons que nous ne pouvons développer ici mais qui font partie du débat général entre la Gauche communiste et les anarchistes internationalistes. Disons simplement que la raison essentielle est le fait que la révolution russe a constitué la première (et unique à ce jour) expérience historique d'une révolution prolétarienne momentanément victorieuse. Mais il appartient aux révolutionnaires de tirer les enseignements de cette expérience comme l'a fait dès les années 1930 Bilan pour qui "la connaissance profonde des cause de la défaite" était une exigence primordiale. "Et cette connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme. Tirer le bilan des événements d'après guerre, c'est donc établir les conditions pour la victoire du prolétariat dans tous les pays." (Bilan n°1, novembre 1933)
Les périodes de contre-révolution ne sont guère favorables à l'unité, ou même à la coopération des forces révolutionnaires. Le désarroi et la dispersion qui affecte l'ensemble de la classe ouvrière se répercute aussi dans les rangs de ses éléments les plus conscients. De la même façon qu'au sein des groupes qui ont rompu avec le stalinisme tout en se réclamant de la révolution d'octobre, le débat n'a pas été facile dès les années 1920 et tout au cours des années 1930, le débat entre anarchistes et Gauche communiste a été particulièrement difficile tout au long de la période de contre-révolution.
Comme on l'a vu plus haut, le fait que le sort de la révolution russe semblait apporter de l'eau au moulin de ses critiques au marxisme, l'attitude dominante au sein du mouvement anarchiste était de rejeter toute discussion avec les marxistes "forcément autoritaires" de la Gauche communiste. Et cela d'autant plus que, dans les années 1930, ce mouvement avait une notoriété bien supérieure à celle des petits groupes de la Gauche communiste, du fait notamment de la place de premier plan occupée par les anarchistes dans le prolétariat d'un pays, l'Espagne, où s'est joué un des événements historiques les plus décisifs de cette période.
Réciproquement, le fait que, d'une façon presque unanime, le mouvement anarchiste ait considéré que les événements d'Espagne constituaient une sorte de confirmation de la validité de ses conceptions, alors que la Gauche communiste y voyait surtout la preuve de leur faillite, a pendant très longtemps constitué un obstacle à une collaboration avec les anarchistes. Il faut cependant relever que Bilan s'est refusé à placer tous les anarchistes dans le même sac et cette revue a publié, lors de son assassinat par le stalinisme en mai 1937, un hommage à l'anarchiste italien Camillo Berneri, qui avait entrepris une critique sans concession de la politique menée par la direction de la CNT espagnole.
Plus significatif encore est le fait que se soit tenue en 1947 une conférence regroupant la Gauche communiste italienne (le groupe de Turin), la Gauche communiste de France, la Gauche hollandaise et… un certain nombre d'anarchistes internationalistes ! L'un d'eux a même présidé cette conférence. Cela montre que, même pendant la contre-révolution, certains militants de la Gauche communiste et de l'anarchisme internationaliste étaient animés d'un véritable esprit d'ouverture, d'une volonté de débattre et d'une capacité à reconnaître les critères fondamentaux qui unissent les révolutionnaires au-delà de leurs divergences !
Ces camarades de 1947 nous donnent là une leçon et un espoir pour l'avenir.
Évidemment, les atrocités commises par le stalinisme au nom, usurpé, du marxisme et du communisme, pèsent encore aujourd'hui. Elles agissent comme un mur émotionnel qui entrave toujours puissamment le débat sincère et la collaboration loyale. “La tradition de toutes les générations mortes [assassinées, NDLR] pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants.” (Marx dans le 18-Brumaire de Louis Bonaparte). Ce mur qui nous inhibe ne peut pas être démoli du jour au lendemain. Néanmoins, il commence à se fissurer. Nous devons entretenir le débat qui naît peu à peu sous nos yeux, nous efforcer d'être animés d'un élan fraternel, en gardant toujours en tête que nous essayons tous, sincèrement, d'œuvrer à l'avènement du communisme, d'une société sans classe.
CCI (août 2010)
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Pour Lénine : "En Europe occidentale, le syndicalisme révolutionnaire est apparu dans de nombreux pays comme le résultat direct et inévitable de l'opportunisme, du réformisme, du crétinisme parlementaire." (Préface à la brochure de Voïnov (Lunatcharski) sur l'attitude du parti envers les syndicats" (1907). Œuvres T.13, p. 175). L'anarchisme qui existait bien avant le syndicalisme révolutionnaire mais qui en est proche, a également bénéficié de cette évolution des partis socialistes.
Il faut noter qu'il a existé en Russie même plusieurs groupes issus du parti bolchevique partageant ces mêmes analyses. Voir à ce sujet notre brochure sur La Gauche communiste en Russie.
En fait, le débat, la coopération et le respect réciproque entre anarchistes internationalistes et communistes n'était pas une chose nouvelle à ce moment-là.
Parmi d'autres exemples, on peut citer ce qu'écrivait l'anarchiste américaine Emma Goldman dans son autobiographie (publiée en 1931, dix ans après Kronstadt) :
"… le bolchevisme était une conception sociale portée par l'esprit brillant d'hommes animés par l'ardeur et le courage des martyrs. (…) Il était de la plus grande urgence que les anarchistes et les autres véritables révolutionnaires s'engagent résolument en défense de ces hommes diffamés et de leur cause dans les événements qui se précipitaient en Russie." (Living my life)
Un autre anarchiste très connu, Victor Serge, dans un article rédigé en août 1920, "Les anarchistes et l'expérience de la révolution russe", donne un son de cloche très voisin et, tout en continuant à se réclamer de l'anarchisme et à critiquer certains aspects de la politique du parti bolchevique, continue d'apporter son soutien à ce parti.
D'un autre côté, les bolcheviks ont invité une délégation de la CNT espagnole anarcho-syndicaliste au 2e congrès de l'Internationale communiste. Ils ont pu mener avec elle des débats réellement fraternels et ont invité la CNT à rejoindre l'Internationale.
Quel que soit le nombre réel (probablement près de 3 millions de personnes), les manifestations du 7 et du 23 septembre ont rassemblé chacune beaucoup de monde dans le pays. Toutes les générations de prolétaires étaient présentes dans la rue. Cela témoigne d’une vraie colère et d’une forte combativité.
Cette mobilisation face à la remise en cause du régime des retraites, mais aussi face à la violence et à l’ampleur de l’ensemble des attaques qui nous sont portées, est d’autant plus importante et remarquable que la bourgeoisie a mis un maximum de bâtons dans les roues pour dissuader les prolétaires de participer massivement au rassemblement du 23.
D’une part, les médias n’ont cessé de relayer le discours officiel :
– en martelant que rien de fondamental ne serait changé à la nouvelle loi sur les retraites : “le gouvernement ne reculera pas” , “les jeux sont faits”… ;
– en cherchant à persuader que ce serait une nouvelle “journée noire” et “de galère” dans les transports publics, de la SNCF à la RATP ;
– en lançant opportunément une grande campagne d’alerte aux attentats terroristes deux ou trois jours auparavant.
D’autre part, et surtout, nous sommes soumis presque tous les mois depuis deux ans à des “journées d’action” routinières qui ressemblent à des balades répétitives et stériles, rassemblant plus ou moins de monde mais où chacun reste finalement isolé derrière la banderole de “son” syndicat, de “sa” boîte ou de “sa” corporation, tout cela au milieu d’un vacarme de pétards ou de sonos assourdissantes poussées à fond. Ce bruit nous prive de toute réelle possibilité de discussion et de communication entre nous. Tout est fait pour que cela provoque à la longue un sentiment de résignation et d’impuissance. Dans le meilleur des cas, ce que nous ressentons, c’est une énorme frustration.
Ainsi, le soir du 7 septembre, alors que les salariés, les retraités, les chômeurs et les jeunes précaires étaient descendus massivement dans les rues, les syndicats ont repoussé la perspective d’une nouvelle mobilisation à… quinze jours plus tard ! Ce délai a permis au projet de loi sur les retraites de passer toutes les étapes de la négociation parlementaire, y compris le vote d’adoption alors que, pour beaucoup, il était clair qu’un appel à une manifestation le samedi ou le dimanche suivant (non pénalisant pour les salaires) aurait incontestablement permis une mobilisation massive d’une tout autre envergure. Il faut d’ailleurs se souvenir qu’au moment de la mobilisation victorieuse contre le CPE, les étudiants appelaient à de grandes manifestations tous les samedis pour permettre aux salariés, du privé comme du public, de les rejoindre dans la lutte sans que cela n’entraîne pour eux de perte de salaire. Et c’est cette solidarité intergénérationnelle qui fut l’une des clefs de la victoire et du retrait du CPE.
Les syndicats sentent bien aujourd’hui grandir cette insatisfaction et ce sentiment de frustration. C’est pour cela que certains comme SUD, Solidaires et une partie de la CGT ou même de FO préconisent des “actions” plus radicales, telles que des grèves reconductibles ou lancent des appels pour préparer une grève générale. C’est aussi pour cela qu’un syndicat particulièrement “modéré” et toujours prêt à négocier avec le gouvernement à la première occasion comme la CFDT est contraint de durcir son ton. Son secrétaire général Chérèque a évoqué ainsi le matin même du 23 septembre la possibilité d’organiser les manifestations futures au cours des week-ends. C’est la raison pour laquelle tous les syndicats sont tombés si rapidement d’accord dès le lendemain sur le samedi 2 octobre pour une nouvelle mobilisation (1). Mais il doit être clair qu’on ne peut pas compter sur eux et que comme en 2003 et 2007, ils continueront tôt ou tard à tout faire pour saboter cette mobilisation massive et pour diviser les prolétaires entre eux.
Pendant les manifestations, il faut refuser de se laisser parquer sous les banderoles syndicales, se laisser saucissonner par corporations et secteurs, il faut engager la discussion avec le plus grand nombre de participants venus d’horizons ou de secteurs divers, public ou privé, d’entreprises différentes, profiter de ce moment de rencontre pour échanger nos expériences, nos points de vue, nos revendications et discuter de la situation ici ou là, confronter les visions des perspectives de la lutte... Il faut aussi s’adresser à tous ceux, plus ou moins désabusés, qui “assistent” par sympathie ou par méfiance aux manifestations tout en restant “sur les côtés”, sur les trottoirs.
Après la manifestation, au lieu de rentrer chacun chez soi de son côté, il faut rester pour discuter les uns avec les autres, dresser un bilan, échanger des impressions, se donner des rendez-vous, improviser des assemblées générales. Cela a commencé à se réaliser de façon minoritaire et embryonnaire à la fin de la manifestation du 23 septembre. C’est aussi dans cette voie que se sont engagés un petit nombre d’éléments proches du communisme-libertaire qui ont appelé dans un tract diffusé le 23 septembre sur Paris à un rendez-vous “pour se rencontrer et discuter” de la suite à donner au mouvement actuel où ils déclarent : “On n’a pas à adhérer à des raisonnements qui visent à nous solidariser avec les logiques de cette exploitation. (...) Mais évidemment le dire ne suffit pas : il faudra l’imposer. C’est un rapport de forces. (...) Etre isolé contribue beaucoup à la résignation. Peut-être sommes nous quelques uns ici à attendre d’un mouvement social davantage qu’un recul du gouvernement sur la question des retraites... Peut-être sommes-nous même plus que quelques-uns à voir aussi la chose comme une “occasion” (...), c’est la possibilité de se rappeler qu’une force collective, venant briser le train-train de l’exploitation, de l’isolement et de la déprime généralisée, permet d’entrevoir des horizons où la réappropriation du monde n’est plus hors de portée (...)”.
Ceux-là montrent la voie vers laquelle nous devons tous aller parce que la déferlante d’attaques auxquelles nous sommes tous soumis rendent nos conditions d’exploitation de plus en plus insupportables. Nous n’avons pas d’autre choix pour résister aux attaques de la bourgeoisie et de son gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, que de développer nos luttes.
Oui, c’est non seulement par l’ampleur de nos rassemblements, mais c’est aussi à travers la multiplication de réseaux de discussions, de débats, d’échanges sur nos préoccupations, nos réflexions, que nous représentons une force collective menaçante que craint par dessus tout la bourgeoisie !
Etendre et développer massivement la lutte suppose que nous la prenions en mains, que nous décidions nous-mêmes de sa conduite en mettant en avant, à l’encontre des pratiques syndicales, partout où se développe une lutte, la tenue d’assemblées générales ouvertes à toutes les catégories socio-professionnelles de travailleurs au-delà de l’entreprise ou du lieu de travail, comme aux étudiants, aux retraités, aux chômeurs. Elle suppose que nous élisions des délégués révocables à tout moment pour faire appliquer les décisions de ces assemblées générales souveraines.
Cela peut nous paraître effrayant, irréalisable, au-dessus de nos forces, tellement éloigné de nos habitudes où nous nous reposons sur les modes et les actions de luttes que nous dictent les syndicats. Mais c’est justement en commençant à se rassembler, à discuter, à débattre entre nous que nous pourrons peu à peu prendre confiance en nous et prendre conscience de l’efficacité des moyens dont nous disposons pour exercer notre solidarité de classe et du pouvoir collectif que nous avons pour construire un réel rapport de forces.
Face au capital, quand nous restons isolés, divisés, nous nous sentons forcément faibles et vulnérables. Mais regroupés, unis et solidaires, en tant que classe exploitée, nous sommes alors beaucoup plus forts qu’on ne le croit.
Wim (24 septembre)
1) Contrebalancé par l’appel simultané à un second jour de grève et de mobilisation en semaine le 12 octobre plus “classique” (et donc plus démobilisateur) qui vient couper l’herbe sous le pied des partisans d’une grève reconductible immédiate.
Tous les gouvernements, d’extrême droite, de droite, de gauche ou d’extrême gauche, mènent partout les mêmes attaques ignobles contre les conditions de vie et de travail, les mêmes vagues de licenciements, les mêmes coupes budgétaires… Résultat, dans tous les pays, les populations sont en train de plonger dans la misère.
Selon le dernier “document de référence” daté du 13 septembre du Fonds monétaire international et de l’Organisation internationale du travail, la crise financière mondiale a provoqué une flambée du chômage à travers le monde. Le nombre officiel de chômeurs est passé de 30 millions en 2007 à plus de 210 millions aujourd’hui. En Espagne, l’augmentation avoisine les 10 %. En Irlande, l’ex-”Tigre celtique”, la hausse sur un an est de 7 %. Aux Etats-Unis, la pauvreté là-aussi vient d’atteindre un nouveau record historique. Le dernier rapport annuel du Bureau américain du recensement a annoncé mi-septembre que 43,6 millions de personnes se situaient désormais sous le seuil de pauvreté. Concrètement, un Américain sur sept vit avec moins de 902 dollars par mois. Pour les seules années 2008 et 2009, 6,3 millions d’Américains ont rejoint les rangs des “nouveaux pauvres” ! Evidemment, face à cette “épidémie économique”, la bourgeoisie de la première puissance mondiale ne reste pas les bras ballants, sans réagir. A Las Vegas, par exemple, un mur a été construit… pour cacher aux yeux des touristes le quartier le plus “défavorisé ! Ceux qui vivent, où plutôt survivent, dans ce nouveau bidonville doivent maintenant faire plusieurs kilomètres de détour pour aller travailler, étudier ou se soigner. Les urgentistes, les ambulanciers et les pompiers perdent eux aussi des minutes précieuses qui parfois condamnent les victimes d’arrêts cardiaques ou d’accidents… Mais peu importe pour la classe dominante, si elle est impuissante à endiguer la vague de paupérisation, il lui reste son cynisme : “Cachez ce dénuement que je ne saurais voir.”
Comme un symbole de la dimension planétaire de la crise, à quelques kilomètres des côtes américaines, sur l’île de Cuba, le régime castriste vient d’annoncer la suppression d’un demi-million d’emplois publics en seulement six mois ! Les fonctionnaires en Russie vont d’ailleurs subir peu ou prou le même régime : 100 000 suppressions en trois ans.
Tous ces chiffres ne sont pas des abstractions, ils s’incarnent de façon dramatique dans la vie quotidienne de millions de familles ouvrières. Entre mille exemples, d’après le nouveau baromètre Cercle Santé-Europ Assistance, “un quart des Polonais, des Français et des Américains renoncent à se faire soigner à cause de la crise économique” (la Tribune du 21 septembre). La France est réputée pour avoir l’un des systèmes de soin les plus performants et égalitaires au monde. Et pourtant, sur “la terre des Droits de l’Homme”, la part des personnes “préférant différer leurs soins” a bondi de 11 % à 23 % en un an seulement ! (Idem)
La crise économique n’est pas un “mauvais moment à passer”. Tous ces dirigeants, ces politiques, ces docteurs es-sciences qui viennent sur les plateaux télé expliquer comment les sacrifices d’aujourd’hui vont nous permettre de “sortir du tunnel” demain sont de fieffés menteurs.
Depuis 1967, les récessions se succèdent les unes aux autres, entraînant toujours plus bas l’humanité. Et le rythme s’accélère. Aujourd’hui, deux ans seulement après le séisme financier de 2008, des nuages noirs et menaçants s’accumulent déjà à nouveau sur l’économie mondiale. Toutes les banques sont surendettées. Près de 120 établissements ont fait faillite aux Etats-Unis depuis le début de l’année 2010. En Irlande, la banque nationalisée Anglo Irish Bank vient d’annoncer une perte semestrielle de 8,2 milliards d’euros, ce qui est un record historique national. Les collectivités publiques locales sont dans la même situation. Harrisburg, la capitale de la Pennsylvanie, est au bord de la banqueroute. Cette ville de 47 000 habitants croule sous le poids de ses dettes ; elle n’a même pas pu rembourser ses créanciers en septembre. Les autorités locales ont donc annoncé un “plan de la dernière chance” : baisse drastique du salaire des fonctionnaires, hausse de toutes les taxes et ventes de biens communaux comme les parkings ou les bibliothèques. Et il ne s’agit pas là d’un cas isolé. La très grande majorité des capitales américaines ont des déficits comparables. Les Etats de l’Union eux-mêmes sont menacés par la banqueroute ; cela fait plusieurs mois déjà que la Californie paye ses fonctionnaires (ceux qu’elle n’a pas encore licenciés) non plus en dollars mais en IOU (1), sorte de nouvelle monnaie locale. Et les Etats nationaux suivent le même chemin. Selon l’avis même des experts économiques les plus sérieux (Roubini, Stiglitz, Jorion…), le sauvetage in extremis de la Grèce va faire long feu. L’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie pourraient bien être à leur tour dans l’œil du cyclone très prochainement. Et les “fondamentaux économiques” (l’emploi et le chômage, l’endettement bancaire et étatique, l’immobilier…) aux Etats-Unis sont en train de se dégrader très rapidement.
Il est impossible d’annoncer avec certitude quel secteur de l’économie mondiale sera frappé le premier et à quel moment. Mais une chose est certaine, la crise va inexorablement s’aggraver et les tempêtes vont être de plus en plus violentes. Les exploités n’ont aucune illusion à se faire : le capital va se dresser de manière de plus en plus brutale face à eux.
Pawel (25 septembre)
1) I Owe Unto – Je dois sur une période indéterminée – contracté en langage courant en I Owe You – Je vous dois.
L’hebdomadaire Marianne est un habitué des “Unes” consacrées à Nicolas Sarkozy. En général, pas pour en parler gentiment. Dans son numéro du 7 août, il atteint même le point culminant en le présentant comme “le voyou de la République”.
Mais un mois après, le 4 septembre, le président revient en première page avec cette fois-ci un titre tout autre : “M. le Président, vous êtes formidable !”. Suit tout un dossier à la “gloire” du chef de l’Etat avec des articles comme “Hymne à un immense chef d’Etat”, “Un puits de culture”, “Il est si bien élevé”, “Un grand séducteur”, “Le sauveur de la presse”, “Les yeux de Carla” ou encore “Eloge du courtisan”.
Evidemment, la ligne éditoriale du journal de Jean-François Kahn n’a pas changé, et ce numéro spécial consacré au “sarkozysme primaire” est un savant mélange d’ironie et de satire, plutôt réussi. C’est vrai que la matière première est un pur cadeau pour cet exercice : entre ses sorties agressives en public, ses familiarités avec ses homologues étrangers, son sens de la formule plutôt déroutant et ses méthodes pour le moins étonnantes à ce niveau de responsabilités, il y avait de quoi faire et Marianne ne s’en est pas privé.
Alors qu’avec Mitterrand et ses écoutes sordides ou Chirac et ses emplois fictifs comme ses discours infâmes, on avait fini par se faire à l’idée que les chefs d’Etat pouvaient à peu près tout se permettre. Avec Sarkozy. On peut dire que le style est totalement renouvelé, et la barre placée beaucoup plus haut encore. Quand Chirac flattait la croupe d’une vache limousine au salon de l’agriculture, Sarkozy, lui, insulte son propriétaire. Quand Mitterrand cachait tant bien que mal sa fille illégitime, Sarkozy, lui, piquait ouvertement la femme de son copain dont il avait lui-même célébré le mariage en tant que maire. Quand Chirac évoquait le bruit et l’odeur subis par les voisins d’immigrés, Sarkozy, lui, les qualifie ouvertement de Français de deuxième catégorie et s’engage à les nettoyer au Kärcher. Et il y a tant d’autres exemples !
Mais c’est aussi là que réside le piège dans cette approche. Car on pourrait aisément en tirer la conclusion que c’est le style “Sarko” (car il n’appartient qu’à lui !) qui est la cause centrale de tout ce que nous subissons ces dernières années. Et finalement, on ne serait pas loin de penser qu’il serait plus que temps de fermer la parenthèse Sarkozy et retrouver une gestion plus sérieuse et saine du pays.
Hélas ! Non. Si bien sûr, en 2012, se présenteront face à lui beaucoup de candidats à la stature et au comportement plus en accord avec la fonction de chef d’Etat (tous, en fait), le fond ne changera pas. Ce ne sont pas les “casse-toi pauv’ con” et autres stigmatisations populistes des Roms qui sont au coeur du problème, mais ce sont bien les attaques portées sur les conditions de vie et de travail des exploités, comme les coupes claires dans les dépenses de santé, la réforme des retraites, les baisses de salaire, l’insuffisance de logements décents, le chômage galopant, etc. Et ces attaques sont portées en France depuis bien avant Sarkozy, et ailleurs dans le monde par des chefs d’Etat et de gouvernement bien plus “présentables” que le président français !
Derrière la critique centrée sur Sarkozy, aussi juste et drôle soit-elle, on essaie de faire passer l’espoir qu’avec un autre que lui les choses ne pourront qu’aller mieux. Non seulement cet espoir ne pourra qu’être déçu mais plus important encore, la combativité et l’envie d’en découdre du prolétariat risquent de se déporter sur cette illusion et l’enfermer dans un des pires pièges qui puissent lui être tendu : celui de l’alternance démocratique.
GD (24 septembre)
Le mécontentement et la colère se sont fortement accumulés dans les rangs ouvriers. Face à l’austérité, l’inquiétude est devenue palpable. Quelle est la réponse du gouvernement et des médias ?
La classe dominante sait très bien que polariser excessivement l’attention sur le dossier des retraites et sur les nombreuses attaques en général peut mettre de l’huile sur le feu. Ne pouvant pas passer le sujet sous silence, elle tente de faire diversion. Ainsi, encore une fois, “le problème de la sécurité” fait la Une des médias et des discours gouvernementaux.
Après les assauts xénophobes contre les Roms et la ligne politique nauséabonde du bouc émissaire, l’hystérie du gouvernement se poursuit donc impitoyablement. Brice Hortefeux continue sa croisade.
Peu après le moment où un attentat aurait été déjoué sous la Tour Eiffel, le ministre du clan présidentiel s’est ainsi jeté sur l’occasion pour immédiatement alerter tout le monde : “un faisceau d’indices datant de ces derniers jours et de ces dernières heures démontre que la menace terroriste est à un niveau élevé” (1). Il est intéressant de noter en passant l’avis d’un spécialiste qui s’interroge sur le sens de cette intervention en ces termes : “Les autorités déjouent en moyenne deux attentats par an. Quand le gouvernement évoque le risque d’une attaque terroriste, il a raison. Mais est-il plus élevé aujourd’hui qu’hier ? A ma connaissance, non” (2).
Si la menace terroriste existe, les déclarations subites du ministre Hortefeux ne peuvent rien y changer. Généralement, lorsqu’une menace est sensible, les services spécialisés œuvrent plutôt avec discrétion pour plus d’efficacité. En instrumentalisant grossièrement les questions de sécurité, les objectifs du gouvernement et du ministre sont donc ailleurs :
– occuper les esprits, tenter de détourner momentanément l’attention de la question sociale et du dossier des retraites en cours ;
– terroriser la population en essayant de briser momentanément la réflexion ouvrière, en cherchant à paralyser la combativité ;
– rendre plus méfiant à l’égard des transports en commun pour dissuader par exemple de se rendre aux manifestations ;
– créer un climat de suspicion favorisant la criminalisation de ceux qui protestent ou contestent l’ordre public.
Ce n’est pas la première fois que l’écran de fumée qu’est la menace terroriste est utilisé. Au même titre d’ailleurs que les réponses de l’opposition qui ne sont qu’autant de nuisances destinées à occuper la scène médiatique. A vrai dire, depuis 2003, avec le développement des luttes, l’alibi sécuritaire a été constamment mis à contribution pour essayer de paralyser les mouvements sociaux. Avec le maintien du plan Vigipirate renforcé, c’est au quotidien que l’Etat est parvenu à habituer les ouvriers au quadrillage policier et à la présence forte de militaires armés sur les lieux publics (comme dans les grandes gares). On a même droit maintenant aux flics à l’école !
En cela, il a commencé à préparer les esprits à la répression pour de futures grèves et les conflits sociaux d’ampleur qui seront inévitables. Mais les questions qui taraudent les prolétaires ne pourront s’effacer facilement. La bourgeoisie continuera bien à faire flèche de tout bois et utilisera encore tout l’arsenal classique de sa propagande : du mensonge à la calomnie, de l’hyper-médiatisation au black-out sournois ou total. Face à cela, le prolétariat ne doit pas se laisser intimider. Il doit comprendre que tous les politiciens gangstérisés et les charlatans qui paradent dans les médias ne cherchent qu’une chose essentielle à travers la propagande sécuritaire continuelle : soumettre, museler, apeurer. Un bon travailleur étant un exploité docile et obéissant aux yeux du capital.
WH (23 septembre)
1) http ://www.europe1.fr/France [140]
2) François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et auteur d’Après al-Qaida (2009)
Le 13 septembre, la direction française de Continental a appelé les 2500 ouvriers des usines de Boussens, Foix et Toulouse, ainsi que d’une petite unité commerciale de Rambouillet, à participer à un référendum sur son “plan de maintien de l’emploi”, dont l’objectif affiché est la réduction des coûts pour “le maintien de la compétitivité” des sites concernés à l’horizon 2012-2013.
L’organisation de ce scrutin faisait suite à plusieurs mois de propagande en vue de mettre en concurrence, au niveau international, les ouvriers des différents sites du groupe entre eux ; et elle fut accompagnée de fortes pressions : “J’ai bien été obligé de voter, […] il y avait le chef qui me regardait, qui m’a obligé à le faire…” (1) Parmi les 83 % d’ouvriers ayant participé au scrutin, 52 % acceptèrent le plan de la direction. Malgré cela, les pressions exercées ne cessèrent pas, et dès le lendemain : “A six heures du matin, un “manager” est arrivé. Il nous a dit : “Vous avez compris ? Ceux qui ont voté non, s’ils veulent, ils peuvent aller à la comptabilité ! Maintenant, il y a ceux qui veulent travailler et les autres !” (2).
Mais au fait, en quoi consiste ce si prometteur “plan de maintien de l’emploi” pour nécessiter le recours au chantage et à la menace ? Pour les ouvriers, il signifie la perte de 1,4 % du salaire, la suppression de deux jours de RTT par an jusqu’en 2015, ainsi qu’une baisse de la prime d’intéressement. Pour la direction, la totalité de ces mesures signifie une économie d’environ 5000 euros par salarié ; ceci représente une réduction de 8 % des coûts salariaux de l’entreprise (soit environ 13 millions d’euros), qui viennent s’ajouter aux 150 “départs volontaires” et aux 200 suppressions d’emplois d’intérimaires récemment survenus. En échange, Continental promet le maintien des effectifs pendant cinq ans sur les sites concernés.
Ce n’est pas la première fois que la bourgeoisie utilise la menace du licenciement massif pour pouvoir renforcer l’exploitation du prolétariat ; ces dernières années fourmillent d’exemples similaires, avec à la clé une issue souvent funeste.
Ainsi, en juillet dernier, la General Motors Company, détenue à 60 % par l’Etat fédéral américain, proposait de reprendre l’activité sur le site de Strasbourg si les ouvriers acceptaient de “réduire de 10 % le coût de la main d’œuvre, sans réduction d’effectifs mais avec un gel des salaires sur deux ans et en renonçant à plus d’un tiers des 17 jours de RTT.” (3)
“Au total, 1150 emplois étaient menacés à Strasbourg. S’ils regardent du côté de leurs homologues de Peugeot Motocycles, ils pourront garder espoir. En effet, menacés d’une délocalisation de deux usines à Taïwan, les 1050 employés avaient consenti, en avril 2008, notamment à travailler plus (35h contre 30 à 32 auparavant), à prendre des pauses non payées et à voir diminuer leurs jours de RTT. Cependant, les autres plans similaires recensés ces dernières années ont tenu un certain temps avant d’échouer. Le pire exemple est celui du groupe volailler Doux qui, en 2004, a appliqué la même équation. Quatre ans plus tard, en juillet 2008, l’entreprise a fermé trois sites en Bretagne et dans le Cher, entraînant la suppression de plus de 600 emplois. […] Toujours en 2004, Bosch menaçait de fermer son site de Vénissieux (Rhône) où 300 emplois étaient en jeu. Les salariés ont alors accepté de passer de 35 à 36 h et de renoncer à six jours de RTT sur vingt. Sauf que six ans plus tard, l’activité s’est considérablement réduite à Vénissieux et l’avenir du site est à nouveau compromis. “Si fin 2011 nous n’avons pas de nouveaux contrats, nous n’avons plus de travail”, avait indiqué à 20minutes.fr un employé de l’usine en mai dernier. En 2005, Hewlett-Packard est bénéficiaire, mais annonce des licenciements partout dans le monde, dont plus d’un millier pour la filiale française. Il a fallu un an pour que le plan social s’opère avec au bout du compte 250 emplois sauvés contre une renonciation à douze jours de RTT. Trois ans plus tard, des centaines de suppressions de postes sont annoncées. […] Enfin, chez Continental, seule la durée de travail avait augmenté fin 2007 pour pérenniser le site de Clairoix (Oise) mais, peine perdue, le groupe allemand a annoncé la fermeture du site deux ans plus tard et le licenciement de ses 1120 salariés. Pas vraiment de bonne augure pour leurs homologues de General Motors !» (4)
Face à ce chantage au chômage et à la misère, ce n’est pas en déposant l’un après l’autre leur bulletin dans l’urne, qu’elle soit patronale ou étatique, que les prolétaires pourront faire face à l’intensification de leur exploitation, mais par la lutte massive, solidaire et internationale de la classe ouvrière. Et la bourgeoisie, comme l’illustrent la propagande et les pressions exercées par Continental sur ses ouvriers, en a pleinement conscience.
DM (21 septembre)
1) www.ladepeche.fr/article/2010/09/15/907195-baisser-son-salaire-pour-garder-son-emploi.html [141]
2) Idem.
3) www.20minutes.fr/article/585649/Economie-Les-salaries-de-General-Motors-... [142]
4) www.20minutes.fr/article/585711/Economie-Travailler-plus-et-renoncer-a-s... [143]
Une fois de plus, la classe dirigeante use de toutes les ruses pour tenter de masquer la faillite de son système. Depuis le début de cet été, sur un fond de discours optimiste et rassurant quant à l’état de la finance mondiale, l’Etat français, avec Christine Lagarde sur le devant de la scène, met tout en œuvre pour nous faire croire que la crise est derrière nous. En diverses occasions ces dernières semaines, nous l’avons vue se féliciter des chiffres “enthousiasmants” de la baisse du chômage. Et quelle baisse ! – 0.2 % au deuxième trimestre 2010, établissant ainsi un taux de chômage (9,7 %) juste sous la barre du seuil psychologique des 10 %. Ce chiffre, largement commenté par les médias, économistes et politiques de tous bords, est riche de sens. Non pas sur la réalité du marché de l’emploi, qui est autrement plus délabré en réalité, mais sur les manœuvres dont la bourgeoisie dispose pour nous faire avaler une fable merveilleuse : “il était une fois la relance du capitalisme” ! Dans un contexte où les inquiétudes sur l’avenir et la déception suscitée par l’attitude des politiques attisent un sentiment de colère qui grandit, il s’agit de calmer le mécontentement par tous les moyens.
La France comptabilise actuellement 4 574 000 inscrits sur les listes des “demandeurs d’emploi” – sans compter les 300 000 de plus de 58 ans dispensés de recherche d’emploi et les 217 000 chômeurs des départements d’outremer. Le nombre total de chômeurs a augmenté de 1 150 000 sur les deux dernières années. Dans le seul mois de juillet 2010, 505 000 hommes et femmes se sont retrouvés au chômage. Du jamais vu. Une question se pose alors : comment dans de telles conditions, la bourgeoisie française peut-elle parler de “stabilisation du marché de l’emploi” ? Eh bien, tout simplement parce que simultanément à cette augmentation, 495 000 personnes ont quitté… le Pôle emploi. Cela ne signifie aucunement que toutes ces personnes ont enfin trouvé un job. Seulement 104 000 d’entre elles ont eu le “privilège” de se faire activement exploiter, la plupart à coups d’emplois précaire ou à temps partiel par le capitalisme. La situation est donc “opaque” pour 100 000 d’entre eux. Le ministère est d’ailleurs bien forcé de reconnaître lui-même que “moins de 40 % de ceux qui quittent Pôle emploi retrouvent un emploi”. Cette manœuvre de la bourgeoisie pour arranger les chiffres à sa sauce n’a rien d’exceptionnel puisque le décalage entre les données réelles du chômage et les chiffres moins catastrophiques de l’été (liés notamment aux emplois saisonniers), est régulièrement utilisé pour masquer la réalité. C’est toujours la même farce ! En général, la majorité de ceux qui quittent le Pôle emploi sont en fin de droits. Concrètement, cela signifie que cette majorité se retrouve dans la précarité la plus totale, n’ayant plus que le RMI-RSA pour survivre. Une maigre allocation qui peut être refusée si le conjoint a un revenu jugé “correct”. En deux ans, le revenu de certains couples a été divisé par deux et l’INSEE estime que cette année 400 000 ménages vont être confrontés à cette situation. C’est cette politique de “radiation” généralisée qui attend les ouvriers mis sur le carreau, jetés comme des Kleenex par leur boîte.
Une étude publiée en juillet par l’ACOSS (organisme qui reçoit toutes les déclarations d’embauche), montre que celles et ceux qui parviennent à retrouver un emploi doivent de plus en plus se contenter d’un travail très précaire. Pour 60 % des embauches, il s’agit d’un CDD de moins d’un mois. Autant dire que le problème n’est que temporairement repoussé et qu’il se reposera quelques semaines plus tard seulement.
La jeune génération est particulièrement touchée par cette précarité grandissante. Pour bon nombre de jeunes prolétaires qui arrivent sur le marché du travail, il est extrêmement rare de trouver une situation stable. Il s’agit la plupart du temps d’enchaîner les contrats de courte durée, souvent en intérim, en étant sans cesse préoccupé par la recherche d’un nouvel emploi ou d’une nouvelle mission, parce que la fin du contrat se rapproche. C’est bien à cela qu’une bonne partie des jeunes travailleurs emploient le peu d’énergie que leur laisse le capitalisme après une dure journée d’exploitation. “Quel boulot vais-je retrouver ?”, “Dans quelles conditions et où ?”, “Combien d’heures par semaines ?”, telles sont les questions que la plupart des jeunes se posent de manière presque quotidienne. Une situation très angoissante et très pesante, qui donne même l’illusion que c’est une chance d’avoir décroché un contrat payé “normalement”, ne serait-ce que pour quelques semaines.
Voilà la triste réalité qui se cache derrière les chiffres et les statistiques officiels.
Legrand (24 septembre)
“Plus que toute autre classe dans l’histoire, le prolétariat est riche en belles figures révolutionnaires, en militants dévoués, en lutteurs infatigables, en martyrs, en penseurs et en hommes d’action. Cela est dû au fait que, contrairement aux autres classes révolutionnaires, qui ne luttaient contre les classes réactionnaires que pour substituer leur propre domination et l’asservissement de la société à leurs intérêts égoïstes de classe privilégiée, le prolétariat, lui, n’a pas de privilèges à conquérir” (“Les trois L : Lénine, Luxembourg, Liebknecht”, l’Etincelle, journal de la Gauche communiste de France, 1946) Le mouvement ouvrier compte tant de ces militants exemplaires qu’il est impossible de leur rendre hommage à tous. Certains incarnent cependant particulièrement la passion de la révolution et nous voulons saluer ici la mémoire de trois d’entre ceux qui ont traversé la difficile épreuve de la période de contre-révolution des années 1920 et 1930, puis de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de Léon Trotski, mort il y a 70 ans, d’Anton Pannekoek, disparu il y a 50 ans, et de Jan Appel, décédé il y a 25 ans. Au-delà de leurs parcours très différents et des divergences parfois très profondes qui les animaient, malgré leurs erreurs politiques, ces farouches combattants du prolétariat n’ont jamais cessé de vivre sincèrement que pour la défense des intérêts de leur classe.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Trotski, après une vie ardente de militant entièrement consacrée à la cause de la classe ouvrière, est mort en révolutionnaire et en combattant, d’un coup de piolet asséné par un agent de la Guépéou. Malgré de graves erreurs politiques, les apports de Trotski au mouvement ouvrier sont immenses. Arrêté de nombreuses fois durant toute sa vie, expulsé et exilé, il ne cessa jamais d’œuvrer pour la perspective révolutionnaire. Très jeune propagandiste actif dans le journal social-démocrate l’Iskra, orateur hors pair, il fut président du Soviet de Petrograd lors de la révolution de 1905. Bien que connaissant des divergences importantes avec Lénine, et bien qu’exilé de force aux Etats-Unis, il rejoint la Russie et le parti bolchevik en mai 1917. Son rôle dans la révolution d’Octobre sera déterminant, comme le sera également celui qu’il jouera dans la formation et l’organisation de l’Armée rouge, qui sera le rempart de la Russie révolutionnaire contre les attaques des armées blanches contre-révolutionnaires et des Alliés coalisés pour écraser “la peste communiste”(1).
Il joua encore le rôle particulièrement ingrat, car ultérieurement très critiqué, de négociateur principal de la paix de Brest-Litovsk avec l’Allemagne en mars 1918, qui permit à la population en Russie de souffler quelque temps. Trotski sera aussi aux côtés de Lénine un des maîtres d’œuvre de l’Internationale communiste dans laquelle il sera le rédacteur de nombreux textes fondamentaux. Son Histoire de la Révolution russe est une référence fondamentale pour comprendre et saisir toute l’importance de cet événement historique. Et l’héritage littéraire de Trotski, que ce soit sur le plan politique, historique, culturel ou théorique, est immense, faisant sien la devise de Marx : “Rien de ce qui est humain ne m’est étranger.”
Sa théorisation de la “révolution permanente”, et les erreurs d’analyse qui l’accompagnent (comme celle de la nécessité pour le prolétariat d’effectuer la révolution bourgeoise dans les pays où la bourgeoisie est elle-même trop faible pour vaincre le féodalisme), sera un des leviers de la haine précoce de Staline à son égard. En effet, cette théorie contient l’idée fondamentale que les révolutions du xxe siècle ne peuvent pas s’arrêter à des objectifs bourgeois et nationaux et s’oppose à la théorie du “socialisme dans un seul pays” puis de la “révolution par étapes” qui seront les bases du stalinisme dans les années 1920 et 1930.
Trotski, qui disait que “La réalité ne pardonne pas une seule erreur à la théorie”, a défendu dans ses dernières années de nombreuses positions opportunistes telles que la politique d’entrisme dans la social-démocratie, le front unique ouvrier, la question de la nature de l’URSS, etc., positions que la Gauche communiste avait critiquées, à juste titre, dans les années 1930 (2) ; mais il n’a jamais rejoint le camp ennemi, celui de la bourgeoisie, comme les trotskistes l’ont fait après sa mort. En particulier sur la question de la guerre impérialiste, il a défendu jusqu’au bout la position traditionnelle du mouvement révolutionnaire : la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Dans le Manifeste, dit d’Alarme, de la IVe Internationale qu’il a rédigé pour prendre position, sans ambiguïtés et du seul point de vue du prolétariat révolutionnaire, face à la guerre impérialiste généralisée, on peut lire ainsi :
“La IVe Internationale construit sa politique non sur les fortunes militaires des Etats capitalistes, mais sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre d’ouvriers contre les capitalistes, pour le renversement des classes dirigeantes de tous les pays, sur la révolution socialiste mondiale” (Manifeste de la IVe Internationale du 29 mai 1940, p. 75, tome 24 des Oeuvres de Trotski). Voilà ce que les trotskistes ont oublié et trahi.
Plus la guerre impérialiste mondiale s’intensifiait et plus l’élimination de Trotski devenait un objectif crucial pour la bourgeoisie mondiale (3) comme pour Staline.
Pour asseoir son pouvoir et développer la politique qui a fait de lui le principal artisan de la contre-révolution, Staline a d’abord éliminé, en les envoyant dans les camps, de très nombreux révolutionnaires, d’anciens bolcheviks, notamment ceux qui avaient été les compagnons de Lénine, ceux qui avaient été les artisans de la révolution d’Octobre. Mais cela ne suffisait pas. Le plus dangereux des bolcheviks, bien qu’à l’extérieur, restait Trotski. Staline l’avait déjà atteint en faisant assassiner, en 1938, son fils Léon Sédov à Paris. Maintenant c’était Trotski lui-même qu’il fallait supprimer.
Son élimination avait une plus grande signification que celle des autres vieux bolcheviks et des membres de la Gauche communiste russe.
Le 28 avril 1960 disparaissait A. Pannekoek, après plus de 50 ans de combat pour la classe ouvrière. Il y apparut au début du 20e siècle comme défenseur des intérêts de la lutte ouvrière en s’engageant dans le combat contre les tendances révisionnistes, à l’intérieur du mouvement ouvrier néerlandais représenté par Troelstra. Avec Gorter, il a dénoncé toute collaboration avec des fractions libérales progressistes de la bourgeoisie au parlement. “Ni une attitude conciliante, ni la réflexion ou l’approche envers les partis bourgeois ou l’abandon de nos revendications ne sont les bons moyens d’obtenir quelque chose, mais le renforcement de nos organisations, en nombre et en connaissance et en conscience de classe, de façon à ce qu’elles apparaissent à la bourgeoisie comme des forces toujours plus menaçantes et terrifiantes.” Anton Pannekoek et Herman Gorter, Marxisme et révisionnisme, NieuwTijd, 1909)
Lorsqu’il se rendit en Allemagne en 1906, pour donner des cours à l’école du SPD, il entra rapidement en conflit avec la direction, entre autres avec Kautsky, sur l’importance d’une action de masse autonome des ouvriers. En 1911, il fut le premier parmi les socialistes à affirmer, à la suite de Marx après la défaite de la Commune de Paris, que la lutte des ouvriers contre la domination capitalise n’avait pas d’autre choix que la destruction de l’Etat bourgeois. “La lutte du prolétariat écrivait-il, n’est pas simplement une lutte contre la bourgeoisie pour le pouvoir d’Etat ; c’est aussi une lutte contre le pouvoir d’Etat.” (5) (Cité dans L’Etat et la révolution de Lénine)
A l’éclatement de la guerre mondiale en 1914, il prit fermement position contre la trahison des leaders sociaux-démocrates dans la Deuxième Internationale. Pendant la guerre, il devient sympathisant de l’ISD de Brême et du SPD aux Pays-Bas, en écrivant des articles contre la politique de guerre. Dans une lettre à Van Ravensteyn datée du 22 octobre 1915, il explique ce qui l’a poussé à se lier à l’initiative de la Gauche de Zimmerwald. Par la suite, il a exprimé sa solidarité inconditionnelle avec les ouvriers russes lorsque ceux-ci, organisés en Soviets, ont pris le pouvoir en 1917, et n’a cessé de propager la nécessité d’une révolution mondiale. “Ce que nous espérions est entretemps arrivé. Les 7 et 8 novembre, les ouvriers et les soldats de Petrograd ont renversé le gouvernement Kerenski. Et il est probable (…) que cette révolution va s’étendre à toute la Russie. Une nouvelle période commence, non seulement pour la révolution russe, mais pour la révolution prolétarienne en Europe.” (8) (Anton Pannekoek, La Révolution russe III, de Nieuwe Tijd, 1917, p. 560 ; La Révolution russe VIII, De Nieuwe Tijd, 1918, p. 125)
Lorsque la majorité exclue du KPD fonda en avril 1920 un nouveau parti, le KAPD, Pannekoek fut le grand inspirateur du programme de cette organisation politique. Dans ce programme étaient rassemblées les positions les plus importantes de la nouvelle période. Pannekoek était (exactement comme Rosa Luxembourg jusqu’à son assassinat en 1919) au début des années 1920, un défenseur critique, il est vrai, mais un défenseur acharné de la Révolution d’octobre.
Mais cela ne l’a pas empêché de tirer finalement des leçons erronées de la défaite de la Révolution d’octobre 1917 en Russie. Il arriva en effet à la conclusion que les bolcheviks avaient en fait dirigé une révolution bourgeoise. Pourquoi ? Non seulement parce que, selon lui, dans la Russie de 1917 subsistaient encore des restes de féodalisme, de formes dispersées de production petite-bourgeoise, mais aussi parce que Lénine n’aurait pas bien compris la distinction entre matérialisme prolétarien et matérialisme bourgeois. (voir John Harper - alias Anton Pannekoek , Lénine philosophe, 1938)
Pour tout révolutionnaire actuel, l’œuvre de Pannekoek reste, malgré ses erreurs ultérieures, une référence essentielle, ne serait-ce que parce qu’il a, avec d’autres communistes de gauche, jeté un pont entre la fin de la Deuxième Internationale social-démocrate et les débuts de la Troisième Internationale communiste, période qui s’étend de 1914 à 1919, et qu’il n’a par la suite jamais cessé le travail théorique. Comme il l’a répété par la suite : “…notre tâche est principalement une tâche théorique : trouver et indiquer, par l’étude et la discussion, le meilleur chemin d’action pour la classe ouvrière.” (Lettre de Pannekoek à Castoriadis - Socialisme ou Barbarie, 8 novembre 1953)
Le 4 mai 1985, la dernière grande figure de l’Internationale communiste, Jan Appel, s’est éteinte à l’âge de 95 ans. Le prolétariat n’oubliera jamais cette vie, une vie de lutte pour la libération de l’humanité.
La vague révolutionnaire du début de ce siècle a échoué. Des milliers de révolutionnaires marxistes furent tués en Russie et en Allemagne, certains même se suicidèrent. Mais, malgré cette longue nuit de contre-révolution, Jan Appel resta fidèle au marxisme, il resta fidèle à la classe ouvrière, convaincu que la révolution prolétarienne devait venir.
Jan Appel fut formé et trempé dans le mouvement révolutionnaire d’Allemagne et de Hollande au début de ce siècle. Il combattit côte à côte avec Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Lénine, Trotski, Gorter, Pannekoek. Il combattit dans la révolution en Allemagne, en 1919. Il fut de ceux qui ne trahirent jamais la cause du prolétariat. Il fut un représentant digne de cette masse anonyme des générations mortes du prolétariat. Leur lutte historique a toujours renoncé à la glorification des personnes ou à la recherche de titres de gloire. Tout comme Marx, Engels, Jan Appel n’avait pas de comptes à rendre à la presse à sensation capitaliste.
Mais il était aussi plus que cette masse anonyme de militants révolutionnaires courageux qui fut produite par la vague révolutionnaire du mouvement ouvrier du début de notre siècle. Il a laissé des traces qui permettent aux révolutionnaires d’aujourd’hui de reprendre le flambeau. Jan Appel était capable de reconnaître ceux qui, tout aussi anonymes et pour le moment encore réduits à une petite minorité, continueront le combat communiste. Avec fierté, nous avions ainsi accueilli Jan Appel au Congrès de fondation du Courant Communiste International en 1976 à Paris.
Né en 1890, Jan Appel a commencé très jeune à travailler dans les chantiers navals de Hambourg. Dès 1908, il est un membre actif du SPD. Dans les années tourmentées de la guerre, il participe aux discussions sur les questions nouvelles qui se posent à la classe ouvrière : l’attitude face à la guerre impérialiste et face à la révolution russe. C’est ce qui le conduisit, fin 1917, début 1918, à se joindre aux radicaux de gauche de Hambourg qui prirent une position claire contre la guerre pour la révolution. Il donna ainsi suite à l’appel de juillet 1917 des IKD de Hambourg demandant à tous les ouvriers révolutionnaires d’oeuvrer pour la constitution d’un USPD en opposition à la politique réformiste et opportuniste de la majorité du SPD. Poussé par les combats ouvriers de fin 1918, il adhérera aussi au Spartakusbund de Rosa Luxemburg et prendra, après l’unification dans le KPD(S), une position responsable dans le groupe du district de Hambourg.
Sur la base de sa participation active dans les combats depuis 1918 et de ses talents organisationnels, les participants au Congrès de fondation du KAPD désignèrent Appel et Franz Jung pour les représenter à Moscou auprès de l’Internationale Communiste. Ils devaient discuter et négocier sur l’adhésion à la Troisième Internationale et sur l’attitude traîtresse de la centrale du KPD pendant l’insurrection de la Ruhr. Pour parvenir à Moscou, ils durent détourner un navire. Une fois sur place, ils eurent des discussions avec Zinoviev, président de l’Internationale Communiste, et avec Lénine. Sur la base du manuscrit de Lénine Le gauchisme, maladie infantile du communisme, ils discutèrent longuement, réfutant entre autres les fausses accusations de syndicalisme (c’est-à-dire le rejet du rôle du parti) et de nationalisme.
Il fallut encore plusieurs voyages à Moscou pour que le KAPD fût admis comme organisation sympathisante de la Troisième Internationale et pût ainsi participer au 3e Congrès en 1921.
Appel fut actif là où le KAPD ou l’AAUD l’envoyèrent. Ainsi, il devint responsable de l’hebdomadaire Der Klassenkampf de l’AAU dans la Ruhr où il resta jusqu’en novembre 1923.
Au 3e Congrès de l’Internationale Communiste, en 1921, Appel, Meyer, Schwab et Reichenbach, furent délégués pour mener les négociations ultimes au nom du KAPD, contre l’opportunisme grandissant au sein de l’IC. Ils tentèrent vainement, avec des délégués de Bulgarie, de Hongrie, du Luxembourg, du Mexique, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne, de Belgique et des Etats-Unis, de former une opposition de gauche. Fermement, en ignorant les sarcasmes des délégués bolcheviks ou du KPD, Jan Appel, sous le pseudonyme de Hempel, souligna à la fin du 3e Congrès quelques questions fondamentales pour la révolution mondiale d’aujourd’hui. Souvenons-nous de ses paroles : “Les camarades russes ne sont pas non plus des surhommes, et ils ont besoin d’un contrepoids, et ce contrepoids ce doit être une troisième internationale liquidant toute tactique de compromis, parlementarisme et vieux syndicats. “
Jusqu’à la fin, Jan Appel fut convaincu que “seule la lutte de classe est importante”. Nous poursuivons son combat.
MW
Nous publions ci-dessous l’exposé introductif qui a lancé les discussions de nos réunions publiques du mois de septembre.
Ce qui est frappant dans la situation actuelle, c’est le décalage énorme entre, d’une part, l’exaspération que provoque dans les rangs ouvriers un déluge d’attaques et, d’autre part, l’intérêt encore très minoritaire qui s’exprime pour les questions de la révolution. Les exploités voient de plus en plus clairement que le capitalisme est un système moribond qui mène toute l’humanité à sa perte, mais ils ne croient en la révolution. En 1968, la révolution semblait possible mais non nécessaire, c’est l’exact opposé aujourd’hui.
Ce sera une société sans pénurie, sans misère, sans frontière, sans guerre, où les besoins humains seront satisfaits. Ce sera la libre association des producteurs, c’est-à-dire de ceux qui, par leur travail associé, produisent les richesses. Ce sera le communisme où l’épanouissement de chacun est la condition de l’épanouissement de tous. Le travail cessera de constituer une souffrance et une source d’ennui intarissable, pour devenir un facteur d’épanouissement des êtres humains. Fini le sacrifice d’une vie prisonnière de la spécialisation à outrance dans une même activité, puisque comme le disait Marx : “Dans la société communiste, personne n’est enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former dans n’importe quelle branche de son choix ; c’est la société qui règle la production générale et qui me permet ainsi de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique” (L’Idéologie allemande ; partie sur Feuerbach ; chapitre division du travail et aliénation). Evidemment, c’est l’idée de fond qu’il faut retenir de cette citation, et non pas le fait qu’il y aura des chasseurs dans la société communiste. S’il y a en a, ils seront dans les musées.
L’abondance, alors que le règne de la pénurie avait jusqu’alors constitué le fondement des sociétés de classe et d’exploitation.
Depuis que l’homme ne produit plus selon les méthodes des communautés communistes primitives, la productivité du travail s’est considérablement accrue avec les sociétés de classes. Sous le capitalisme en particulier. Celui-ci a développé, bien plus que toutes les sociétés de classe qui l’ont précédé, tout ce qui concourt à la production des moyens de production et de consommation : les machines, la technologie, les sciences, etc. En fait, le niveau actuel de productivité du travail peut se mesurer à travers le fait que le travail d’un très petit pourcentage de la population mondiale peut suffire à nourrir l’ensemble de cette population.
Il est aujourd’hui patent que, si les capacités productives étaient orientées différemment, la faim dans le monde serait éradiquée et on aurait besoin de travailler beaucoup moins pour satisfaire nos besoins, etc. Une illustration de cela. En 2008, 100 000 personnes mouraient de faim par jour, dans une situation où, la planète comportant 6 milliards d’êtres humains, l’agriculture mondiale était en mesure d’en nourrir 12 milliards (selon un rapport de l’ONU – par Jean Ziegler, rapporteur spécial). Mais vouloir réaliser cela sous le capitalisme est utopique.
Certainement pas la bourgeoisie. Il n’y aura pas de transition harmonieuse du capitalisme vers le communisme. La classe dominante au sein de la société capitaliste, celle qui tire ses richesses de l’exploitation de la classe ouvrière, ne se résoudra jamais à abandonner le système d’exploitation qui lui permet sa position privilégiée dans la société. Individuellement, des bourgeois pourront soutenir ou embrasser le combat pour une autre société. Mais cela ne sera jamais le fait de la classe bourgeoise comme un tout.
Le moteur de la transformation sociale est le prolétariat : il est la classe de la société qui est exploitée selon les méthodes de production capitaliste ;
– il n’a aucun intérêt propre à défendre dans ce système ;
– il est porteur d’un projet de société, celui de la libre association des producteurs, permettant de dépasser les contradictions de l’actuel système ;
– pour renverser le capitalisme et mener à bien son projet de classe révolutionnaire, il dispose de la force nécessaire que lui donnent son nombre, sa concentration et le fait qu’il produit l’essentiel des richesses de la société.
Ainsi, non seulement le capitalisme a développé les forces productives permettant l’abondance, mais il a aussi créé la classe révolutionnaire qui sera son fossoyeur, la classe ouvrière.
Une telle transformation ne sera pas le fait de l’humanité comme un tout, même si celle-ci est victime de l’actuel système et qu’elle a tout intérêt à son renversement. C’est la classe révolutionnaire qui est le moteur de la révolution.
C’est en fait la nécessité qui constitue la base du changement révolutionnaire. Comme toutes les sociétés d’exploitation qui l’ont précédé, le capitalisme sera amené à périr de ses contradictions insurmontables s’il n’est pas remplacé par un autre système issu du dépassement des contradictions en question. Pour faire synthétique, ce système produit, non pas pour la satisfaction des besoins humains, mais pour le profit. Si bien que les richesses matérielles qu’il accumule à un pôle de la société fondent la possibilité de l’abondance pour tous. Le problème est que, dans le même temps, un tel phénomène s’accompagne d’un dénuement croissant imposé à une majorité toujours plus large. La classe ouvrière est ainsi poussée à se rebeller contre la condition qui lui est faite, avec en perspective la transformation de la société.
Ainsi donc, la révolution prolétarienne n’est pas le produit d’un impératif moral, mais de la nécessité, même s’il ne manque pas de bonnes raisons morales et humaines pour en finir avec ce système.
L’étape actuelle de la crise (qui sévit en fait depuis la fin de années 1960) constitue une illustration criante du caractère insurmontable des contradictions capitalistes.
Contrairement au capitalisme, le socialisme ne peut se développer progressivement d’un pays à l’autre. Il ne peut exister qu’à l’échelle du monde entier en mettant en œuvre l’ensemble des forces productives et des réseaux de circulation des biens crées par le capitalisme. C’est donc à cette échelle que la révolution prolétarienne doit intervenir pour permettre la transformation socialiste. Le pouvoir du prolétariat isolé dans un pays, ou même un ensemble de pays, continue à subir pleinement les lois du capitalisme, quelles que soient les mesures qu’il prenne.
Les autres classes révolutionnaires du passé ne sont pas devenues exploiteuses après avoir pris le pouvoir. Elles l’étaient déjà avant.
C’est à la classe révolutionnaire qu’il revient de renverser l’ancienne société, c’est à elle aussi qu’il échoit de diriger la transformation révolutionnaire en vue de construire la nouvelle. Cette classe révolutionnaire, à la différence de toutes les autres classes révolutionnaires du passé, est également, pour la première fois dans l’histoire, la classe exploitée. En abolissant son exploitation, elle abolit toute exploitation. Ainsi, elle n’a pas pour vocation de s’émanciper seulement elle même mais d’émanciper l’humanité tout entière.
Il n’existe aucune fatalité garantissant que la révolution puisse avoir lieu, qu’elle soit victorieuse, et ensuite que la transformation des rapports sociaux vers le communisme soit menée à son terme.
Si la révolution en Russie a dégénéré, ce n’est pas tant à cause de ses erreurs que de l’isolement international dans lequel elle s’est trouvée, avec le reflux et l’échec de la vague révolutionnaire mondiale dont elle avait été le produit. Non seulement la construction du socialisme est impossible dans un seul pays, mais même le pouvoir du prolétariat ne peut se maintenir longtemps en restant isolé dans un seul pays. Dans de telles conditions, il ne peut que tendre à dégénérer. En effet, s’il existe c’est pour assumer une fonction bien précise : étendre la révolution à l’échelle mondiale et entreprendre la transformation des rapports sociaux de production. Si ces objectifs ne sont pas réalisables, à cause d’un rapport de force défavorable à l’échelle internationale, alors ce pouvoir est soumis de façon croissante à la pression du capitalisme mondial : offensives militaires et diplomatiques pour l’asphyxier ; concurrence économique mondiale ; etc. C’est ce qui s’est passé dans la Russie des soviets.
Le pouvoir politique du prolétariat à l’échelle mondiale est exercé à travers son organisation mondiale en conseils ouvriers. Cette forme d’organisation, qui a vu le jour spontanément pour la première fois en Russie en 1905, est la seule forme d’organisation permettant à la classe ouvrière de penser et d’agir comme un tout uni, et cela malgré la très grande hétérogénéité pouvant exister en son sein. Sa force repose sur deux caractéristiques essentielles :
– les assemblées de base sont un lieu permanent de discussions où participe l’ensemble de la classe ouvrière ;
– elles élisent des délégués révocables, donnant ainsi naissance à des assemblées de délégués fonctionnant sur les mêmes principes que les assemblées de base et qui, à leur tour, élisent d’autres délégués. C’est ainsi que le mouvement se centralise permettant que les décisions, qui sont prises aux différents nivaux de centralisation, soient réellement l’expression de la classe ouvrière en mouvement.
C’est la seule forme d’organisation capable de prendre en compte l’évolution rapide de la conscience au sein de la classe ouvrière qui caractérise les phases révolutionnaires ou pré-révolutionnaires.
C’est cela la forme d’organisation de la dictature du prolétariat, après la prise du pouvoir.
De plus, le but du pouvoir prolétarien étant de diriger la transformation révolutionnaire en vue de construire une société sans classes sociales, sans Etat, sans pouvoir politique sur la société, il crée les bases de sa propre disparition. Il est d’ailleurs le seul pouvoir politique ayant jamais existé dans l’histoire qui ne vise pas à sa propre perpétuation.
Néanmoins, rien de ce qui précède ne constitue une garantie contre la dégénérescence, celle-ci survenant comme résultat obligé d’un recul durable de la révolution à l’échelle mondiale.
Si la révolution n’a pas lieu ou ne triomphe pas, ce n’est pas un simple bain de sang qui est devant nous, mais des milliers de bains de sang. En fait, l’incapacité du prolétariat à renverser ce système fera que la situation actuelle de crise historique du capitalisme, s’exprime par des guerres encore plus meurtrières, par une détérioration aggravée de l’environnement, et par une explosion et une généralisation de la misère sous toutes ses formes, tout cela rendant la vie sur terre un véritable enfer, voire même une impossibilité.
La révolution étant destinée à briser la dictature de classe de la bourgeoisie, elle sera nécessairement violente, mais ce sera une violence libératrice, en vue de permettre l’avènement d’un monde débarrassé de la barbarie. Lors de la révolution russe, le nombre de victimes qui a résulté de l’insurrection d’octobre 1917 a été dérisoire comparé au nombre de morts quotidiens de la Première Guerre mondiale, de la réaction blanche organisée par le capitalisme mondial contre la révolution russe ou encore de la répression de la contre-révolution stalinienne. De plus, c’est la première vague révolutionnaire mondiale, et en particulier la révolution en Allemagne, qui a contraint la bourgeoisie à mettre un terme à la première boucherie mondiale, dans la mesure où sa continuation constituait un terreau fertile à la radicalisation des masses et donc à la révolution.
Par ailleurs, pour diaboliser la révolution, la bourgeoisie utilise souvent comme épouvantail des évènements qui n’ont rien à voir avec celle-ci mais qui, au contraire, sont directement des expressions de l’action de fractions de la bourgeoisie : la contre-révolution stalinienne, la prétendue révolution maoïste, l’action de Pol Pot de Cambodge, etc.
Oui. Et ce n’est pas la défaite de la première tentative révolutionnaire mondiale qui est de nature à prouver le contraire.
En effet, le bastion prolétarien russe était l’expression le plus avancée d’une vague révolutionnaire mondiale. Etait également impliquée dans cette vague mondiale, rien de moins que le prolétariat allemand, la fraction la plus avancée du prolétariat mondial, et qui pendant trois années a mené une lutte sans merci contre la bourgeoisie.
Malheureusement il a été défait, sa défaite signifiant celle de la vague révolutionnaire mondiale et la dégénérescence de la révolution russe. Inversement, une victoire de la révolution en Allemagne ouvrait la possibilité de l’extension de la révolution en Europe centrale et, ensuite, en Europe occidentale et dans le monde.
En fait, pour conclure avec la question posée, ce dont il s’agit n’est pas de savoir si la révolution est possible mais de se rendre compte que continuer ainsi sans la révolution est une impossibilité réelle. La seule alternative est bien Socialisme ou barbarie.
CCI, septembre 2010
L’article qui suit a été écrit par James Connolly. Il a été adressé sur le forum de la Gauche Communiste www.revleft.com [145] par un camarade des Etats-Unis qui a commencé à la poster sous le nom de Stagger Lee. Nous avons suggéré qu’il soit publié sur notre site web et lui avons demandé d’écrire une courte introduction.
Cet article du socialiste irlandais James Connolly (1868-1916) a été publié pour la première fois dans le journal La République des ouvriers en 1899. Il s’appuie sur la défense marxiste, donc internationaliste, de la libération du prolétariat. Dans ce texte, Connolly présente les slogans de “libération” nationale, puis les juxtapose avec une courte remarque mettant en lumière les impasses du nationalisme comme voie pour la libération de la classe ouvrière. Il montre combien les appels romantiques à la “liberté” dans le contexte du nationalisme n’ont pas de caractère de classe et n’en auront jamais. Connolly finit par un appel à l’unité, pas en tant que nation, mais en tant que classe. Il n’appelle pas à la libération de la bourgeoisie irlandaise, mais à celle de la classe ouvrière. Les ouvriers n’ont pas de patrie, mais une lutte. Les mots de Connolly sonnent aussi vrai aujourd’hui qu’ils l’ont été à l’époque.
Libérons l’Irlande !
Peu importe une telle base, le matérialiste pense au travail et aux salaires, à des maisons propres, ou à des vies sans l’ombre de la pauvreté.
Libérons l’Irlande !
Le propriétaire foncier ; n’est-il pas aussi un Irlandais, et pourquoi devrions-nous le haïr ? Ah non, ne parlons pas durement de notre frère - ouais, même quand il augmente notre loyer.
Libérons l’Irlande !
Le capitaliste profiteur, qui nous vole les trois-quarts de notre labeur, qui suce la moelle même de nos os quand nous sommes jeunes, et nous jette ensuite à la rue, comme un outil usagé, quand nous avons vieilli prématurément à son service, n’est-il pas Irlandais, et peut-être patriote, alors pourquoi devrions-nous être sévères à son égard ?
Libérons l’Irlande !
“Le pays qui nous nourrit et nous porte.” Et le propriétaire foncier qui nous fait payer la permission d’y vivre.
Vive la liberté !
”Libérons l’Irlande”, dit le patriote qui ne touche pas au socialisme.
Rejoignons-nous tous ensemble et écrasons le brutal Saxon. Rejoignons-nous tous ensemble, dit-il, toutes classes et croyances confondues.
Et, dit l’ouvrier de la ville, après avoir écrasé le Saxon et libéré l’Irlande, que ferons-nous ?
Oh, vous retournerez ensuite dans vos taudis, comme avant.
Et vive la liberté !
Et, disent les ouvriers agricoles, après avoir libéré l’Irlande, quoi ensuite ?
Oh, alors vous pourrez aller grapiller les restes de la rente du propriétaire foncier ou tâter de l’intérêt des usuriers comme avant.
Vive la liberté !
Après que l’Irlande soit libre, dit le patriote qui ne touche pas au socialisme, nous protégerons toutes les classes et, si vous ne payez pas le loyer, vous serez éjecté tout comme avant. Mais ceux qui vous expulsent, sous la houlette du shérif, porteront les uniformes verts et la Harpe sous la Couronne, et l’officier qui vous jettera à la rue sera estampillé des armes de la République irlandaise. Alors, ne vaut-il pas le coup de se battre pour cela ?
Et quand vous ne trouverez pas de travail et, renonçant à la lutte pour une vie de désespoir, vous entrerez à l’asile des pauvres, la fanfare du régiment le plus proche vous escortera jusqu’à la porte au son du “St. Patrick’s Day” (1).
Oh, qu’il fera bon vivre dans ces jours-là !
“Avec le Drapeau Vert flottant au-dessus de nous” et une armée toujours grandissante de chômeurs marchant sous le Drapeau Vert, espérant qu’il y ait quelque chose à manger. Tout comme maintenant !
Oh, qu’il fera bon vivre dans ces jours-là !
Et vive la liberté !
Maintenant, mes amis, je suis aussi Irlandais, mais je suis un peu plus logique. Le capitaliste, dis-je, est un parasite de l’industrie, aussi inutile au stade présent de notre développement industriel qu’un autre parasite dans le monde végétal ou animal l’est pour la vie d’un animal ou d’un végétal sur lequel il se nourrit. La classe ouvrière est la victime de ce parasite – de cette sangsue humaine, et c’est le devoir et l’intérêt de la classe ouvrière d’utiliser tous les moyens en son pouvoir pour évincer ce parasite de classe de la position qui lui permet de faire sa proie des forces vitales du Travail.
Aussi, dis-je, organisons-nous en tant que classe pour rencontrer nos maîtres et détruire leur pouvoir ; organisons-nous pour les chasser de la position qu’ils détiennent sur la vie publique grâce à leur pouvoir politique ; organisons-nous pour arracher à leurs griffes de voleurs la terre et les usines où ils nous réduisent en esclavage ; organisons-nous pour laver notre vie sociale des tâches du cannibalisme social, de la prédation de l’homme sur son camarade humain.
Organisons-nous pour une vie pleine, libre et heureuse POUR TOUS OU POUR PERSONNE.
James Connolly
Cette série s’est donnée pour but de démontrer que les membres de la Gauche communiste et les anarchistes internationalistes ont le devoir de discuter et même de collaborer. La raison en est simple. Nous partageons au-delà de nos divergences, parfois importantes, les positions révolutionnaires essentielles : l’internationalisme, le rejet de toute collaboration et de tout compromis avec des forces politiques bourgeoises, la défense de “la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes”…(1)
Malgré cette évidence, depuis longtemps, les relations entre ces deux courants révolutionnaires ont été presque inexistantes. Nous commençons juste à voir depuis quelques années l’ébauche d’un débat et d’une collaboration. C’est le fruit de la douloureuse histoire du mouvement ouvrier. L’attitude de la majorité du Parti bolchevik dans les années 1918-1924 (l’interdiction de toute presse anarchiste sans distinction, l’affrontement à l’armée de Makhno, l’écrasement dans le sang des marins insurgés de Cronstadt…) a creusé un fossé entre les révolutionnaires marxistes et anarchistes. Mais surtout, le stalinisme, qui a massacré des milliers d’anarchistes (2) au nom du “communisme ”, a causé un véritable traumatisme pour des décennies (3).
Aujourd’hui encore, il existe de part et d’autre certaines craintes à débattre et à collaborer. Pour dépasser ces difficultés, il faut être persuadé d’appartenir bel et bien au même camp, celui de la révolution et du prolétariat, malgré les divergences. Mais cela ne peut suffire. Nous devons aussi faire un effort conscient pour cultiver la qualité de nos débats. “S’élever de l’abstrait au concret” est toujours l’étape la plus périlleuse. C’est pourquoi, par cet article, le CCI tient à préciser avec quel état d’esprit il aborde cette possible, et nécessaire, relation de la Gauche communiste et de l’anarchisme internationaliste.
Notre presse a maintes fois répété, sous différentes formes, l’affirmation suivant laquelle l’anarchisme portait la marque originelle de l’idéologie petite-bourgeoise. Cette critique, effectivement radicale, est souvent jugée comme inacceptable par les militants anarchistes, y compris les plus ouverts habituellement à la discussion. Et aujourd’hui encore, une nouvelle fois, ce qualificatif de “petit-bourgeois” accolé au mot “anarchisme” suffit à certains pour ne plus vouloir entendre parler du CCI. Récemment, sur notre forum Internet, un participant qui se réclame de l’anarchisme a même qualifié cette critique de véritable “injure”. Tel n’est pas notre point de vue.
Aussi profonds que soient nos désaccords réciproques, ils ne doivent pas nous faire perdre de vue que les militants de la Gauche communiste et ceux de l’anarchisme internationaliste débattent entre révolutionnaires. D’ailleurs, les anarchistes internationalistes adressent eux-aussi de nombreuses critiques au marxisme, à commencer par ses prétendus penchants naturels pour l’autoritarisme et le réformisme. Le site de la CNT-AIT en France, par exemple, contient de multiples passages de ce genre :
“Les marxistes devenaient progressivement [à partir de 1871] les endormeurs des exploités et signaient l’acte de naissance du réformisme ouvrier” (4).
“Le marxisme est responsable de l’orientation de la classe ouvrière vers l’action parlementaire […]. C’est seulement quand on aura compris cela que l’on verra que la voie de la libération sociale nous conduit vers la terre heureuse de l’anarchisme, en passant bien au-dessus du marxisme” (5).
Il ne s’agit pas là “d’injures” mais de critiques radicales… avec lesquelles nous sommes évidemment en total désaccord ! C’est aussi dans le sens de la critique ouverte que doit être considérée notre analyse de la nature de l’anarchisme. Cette analyse mérite d’ailleurs d’être rappelée ici en quelques mots. Dans un chapitre intitulé “Le noyau petit-bourgeois de l’anarchisme”, nous écrivions en 1994 : “Le développement de l’anarchisme dans la seconde moitié du xixe siècle était le produit de la résistance des couches petites-bourgeoises (artisans, commerçants, petits paysans) à la marche triomphante du capital, résistance au processus de prolétarisation qui les privait de leur “indépendance” sociale passée. Plus fort dans les pays où le capital industriel s’est développé tardivement, à la périphérie orientale et méridionale de l’Europe, il exprimait à la fois la rébellion de ces couches contre le capitalisme, et leur incapacité à voir plus loin que celui-ci, vers le futur communiste ; au contraire, il énonçait leur désir de retour à un passé semi-mythique de communautés locales libres et de producteurs strictement indépendants, débarrassés de l’oppression du capital industriel et de l’Etat bourgeois centralisé. Le “père” de l’anarchisme, Pierre-Joseph Proudhon, était l’incarnation classique de cette attitude, avec sa haine féroce non seulement envers l’Etat et les grands capitalistes, mais envers le collectivisme sous toutes ses formes, y compris envers les syndicats, les grèves et les expressions similaires de la collectivité de la classe ouvrière. A l’encontre de toutes les tendances profondes qui se développaient au sein de la société capitaliste, l’idéal de Proudhon était une société “mutualiste”, fondée sur la production artisanale individuelle, liée par le libre-échange et le libre-crédit” (6).
Ou encore, dans “Anarchisme et communisme”, daté de 2001 : “Dans la genèse de l’anarchisme, c’est le point de vue de l’ouvrier fraîchement prolétarisé et qui refuse de toutes ses fibres cette prolétarisation qui s’exprime. Issus récemment de la paysannerie ou de l’artisanat, souvent mi-ouvrier et mi-artisan (comme les horlogers du Jura suisse, par exemple), ces ouvriers exprimaient le regret du passé face au drame que constituait pour eux la chute dans la condition ouvrière. Leurs aspirations sociales consistaient à vouloir faire tourner la roue de l’histoire en arrière. Au centre de cette conception il y a la nostalgie de la petite propriété. C’est pourquoi, à la suite de Marx, nous analysons l’anarchisme comme l’expression de la pénétration de l’idéologie petite-bourgeoise au sein du prolétariat” (7).
Autrement dit, nous reconnaissons que, dès sa naissance, l’anarchisme est marqué par un profond sentiment de révolte contre la barbarie de l’exploitation capitaliste mais qu’il hérite aussi de la vision des “artisans, commerçants, petits paysans” qui l’ont constitué à sa naissance. Cela ne signifie absolument pas qu’aujourd’hui, tous les groupes anarchistes sont “petits-bourgeois”. Il est évident que la CNT-AIT, le KRAS (8) et d’autres sont animés du souffle révolutionnaire de la classe ouvrière. Plus largement, tout au long du xixe siècle et du xxe, de nombreux ouvriers ont épousé la cause anarchiste et ont lutté réellement pour l’abolition du capitalisme et l’avènement du communisme, de Louise Michel à Durruti en passant, entre autres, par Voline ou Malatesta. Lors de la vague révolutionnaire de 1917, une partie des anarchistes a même formé, dans les rangs ouvriers, des bataillons parmi les plus combatifs.
Il y a depuis toujours, au sein de la mouvance anarchiste, une bataille contre cette tendance originelle à être influencée par l’idéologie de la petite-bourgeoisie radicalisée. C’est en partie ce que recouvrent les profondes divergences entre les anarchistes individualistes, mutualistes, réformistes, communistes-nationalistes et communistes-internationalistes (seuls ces derniers appartenant réellement au camp révolutionnaire). Mais, même les anarchistes internationalistes subissent l’influence des racines historiques de leur mouvance. Telle est la cause de leur tendance à remplacer la “lutte de la classe ouvrière” par la “résistance populaire autonome”, par exemple.
Pour le CCI, il est donc de sa responsabilité d’exposer honnêtement, à la lumière du jour, tous ces désaccords, afin de contribuer de son mieux au renforcement général du camp révolutionnaire. Tout comme il est de la responsabilité des anarchistes internationalistes de continuer d’exprimer leurs critiques envers le marxisme. Cela ne doit en rien constituer un obstacle à la tenue fraternelle de nos débats ou être un frein à d’éventuelles collaborations, au contraire (9).
Toutes ces critiques, le CCI ne les adresse pas aux anarchistes tel un maître corrigeant son élève. Des interventions sur notre forum ont pourtant reproché à notre organisation son ton “professoral”. Au-delà du goût pour tel ou tel style littéraire, il se cache derrière ces remarques une véritable question théorique. Le CCI envers la CNT-AIT, et, plus généralement, la Gauche communiste envers l’anarchisme internationaliste ont-ils un rôle de “guide” ou de “modèle” ? Pensons-nous être une minorité éclairée devant insuffler la vérité, la bonne conscience ?
Une telle conception serait en totale contradiction avec la tradition même de la Gauche communiste. Et elle renvoie plus profondément encore au lien qui unit les révolutionnaires communistes à leur classe.
Marx affirme, dans les Annales franco-allemandes : “Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires armés d’un nouveau principe : voici la vérité, agenouille-toi! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes mêmes du monde. Nous ne lui disons pas : “renonce à tes luttes, ce sont des enfantillages ; c’est à nous de te faire entendre la vraie devise du combat”. Tout ce que nous faisons, c’est montrer au monde pourquoi il lutte en réalité ” (10).
Les révolutionnaires, marxistes ou anarchistes internationalistes, ne sont pas au-dessus de la classe ouvrière, ils en font intégralement partie, ils sont unis à elle par mille liens. Leur organisation est la sécrétion collective du prolétariat.
Jamais donc le CCI ne s’est considéré comme une organisation ayant la vocation d’imposer son point de vue à la classe ouvrière ou aux autres groupes révolutionnaires. Nous faisons pleinement nôtres ces lignes du Manifeste communiste de 1848 : “Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.” C’est ce même principe que Bilan, organe de la Gauche communiste italienne, fait vivre lors de la parution de son premier numéro en 1933 : “Certes, notre fraction se réclame d’un long passé politique, d’une tradition profonde dans le mouvement italien et international, d’un ensemble de positions politiques fondamentales. Mais elle n’entend pas se prévaloir de ses précédents politiques pour demander des adhésions aux solutions qu’elle préconise pour la situation actuelle. Bien au contraire, elle convie les révolutionnaires à soumettre à la vérification des événements les positions qu’elle défend actuellement aussi bien que les positions politiques contenues dans ses documents de base.”
Depuis sa naissance, notre organisation essaye de cultiver ce même état d’esprit d’ouverture et cette même volonté de débattre. Ainsi, dès 1977, nous écrivions :
“Dans nos rapports avec [les autres groupes révolutionnaires], proches du CCI mais extérieurs, notre but est clair. Nous essayons d’établir une discussion fraternelle et approfondie des différentes questions affrontées par la classe ouvrière.
“Nous ne pourrons réellement assumer notre fonction (…) à leur égard que si nous sommes en même temps capables :
– de nous garder de considérer que nous sommes le seul et unique groupement révolutionnaire existant aujourd’hui ;
– de défendre face à eux nos positions avec fermeté ;
– de conserver à leur égard une attitude ouverte à la discussion, laquelle doit se mener publiquement et non à travers des échanges confidentiels” (11).
Il s’agit là pour nous d’une règle de conduite. Nous sommes convaincus de la validité de nos positions (tout en étant ouverts à une critique raisonnée), mais nous ne les prenons pas comme “la solution aux problèmes du monde”. Il s’agit pour nous d’un apport au combat collectif de la classe ouvrière. C’est pourquoi nous attachons une importance toute particulière à la culture du débat. En 2007, le CCI a même consacré tout un texte d’orientation à cette seule question : “La culture du débat : une arme de la lutte de classe”. Nous y affirmions : “Si les organisations révolutionnaires veulent remplir leur rôle fondamental de développement et d’extension de la conscience de classe, la culture d’une discussion collective, internationale, fraternelle et publique est absolument essentielle” (12).
Pour autant, le lecteur attentif aura remarqué que toutes ces citations contiennent, en plus de l’idée de la nécessité de débattre, l’affirmation que le CCI doit aussi défendre fermement ses positions politiques. Il ne s’agit pas là d’une contradiction. Vouloir discuter ouvertement ne signifie pas croire que toutes les idées sont égales, que toutes les positions se valent. Comme nous le soulignions dans notre texte de 1977 : “Loin de s’exclure, fermeté sur les principes et ouverture dans l’attitude vont de pair : nous n’avons pas peur de discuter précisément parce que nous sommes convaincus de la validité de nos positions.”
Dans le passé comme à l’avenir, le mouvement ouvrier a eu et aura besoin de débats francs, ouverts et fraternels entre ses différentes tendances révolutionnaires. Cette multiplicité des points de vue et des approches sera une richesse et un apport indispensables à la lutte du prolétariat et au développement de sa conscience. Nous nous répétons, mais à l’intérieur du territoire commun des révolutionnaires, il peut y avoir de profondes divergences. Celles-ci doivent absolument s’exprimer et être débattues. Nous ne demandons pas aux anarchistes internationalistes qu’ils renoncent à leurs propres critères ni à ce qu’ils considèrent être leur patrimoine théorique. Au contraire, nous souhaitons vivement qu’ils les exposent avec clarté, en réponse aux questions qui se posent à tous, qu’ils acceptent la critique et la polémique de la même façon que nous ne considérons pas nos positions comme “le dernier mot”, mais comme une contribution ouverte à des arguments contradictoires. Nous ne disons pas à ces camarades : “rendez vos armes face à la supériorité proclamée du marxisme”.
Nous respectons profondément la nature révolutionnaire des anarchistes internationalistes, nous savons que nous combattrons côte à côte quand les mouvements de luttes massifs se feront jour. Mais nous défendrons aussi fermement, de façon convaincue (et, nous l’espérons, convaincante), nos positions sur la Révolution russe et le Parti bolchevique, la centralisation, la période de transition, la décadence du capitalisme, le rôle anti-ouvrier du syndicalisme… Ce n’est pas là nous poser dans un rapport de maître à élève ou espérer convertir quelques anarchistes pour les happer dans nos rangs mais participer pleinement au débat nécessaire entre les révolutionnaires.
Comme vous le voyez, camarades, ce débat risque fort d’être animé… et passionnant !
*
Pour conclure cette série de trois articles sur “La Gauche communiste et l’anarchisme internationaliste”, nous finirons par ces quelques mots de Malatesta :
“Si nous, anarchistes, pouvions faire la révolution tout seuls, ou bien si les socialistes (13) pouvaient la faire tout seuls, on pourrait se payer le luxe d’agir chacun de son côté, et peut-être d’en venir aux mains. Mais la révolution, c’est le prolétariat tout entier qui la fera, le peuple tout entier, dont les socialistes et les anarchistes ne sont numériquement qu’une minorité, même si le peuple semble avoir beaucoup de sympathie pour les uns et pour les autres. Nous diviser, même là où nous pouvons être unis, ce serait diviser le prolétariat, ou plus exactement, refroidir ses sympathies et le rendre moins enclin à suivre cette noble orientation socialiste commune, qu’ensemble les socialistes et les anarchistes pourraient faire triompher au sein de la révolution. C’est aux révolutionnaires d’y veiller, et particulièrement aux socialistes et aux anarchistes, en n’accentuant pas leurs motifs de dissensions et surtout en s’occupant des faits et des buts qui peuvent les unir et leur faire atteindre le plus grand résultat révolutionnaire possible” (Volontà, 1er mai 1920).
CCI, septembre 2010
1) Voir la première partie de cette série : “Ce que nous avons en commun [147] ”.
2) Comme des milliers de marxistes et des millions de prolétaires en général, d’ailleurs.
3) Lire la deuxième partie de cette série “Sur nos difficultés à débattre et comment les dépasser [148]”.
4) cnt-ait.info.
5) Il s’agit là plus précisément d’une citation de Rudolf Rocker que la CNT-AIT reprend à son compte.
6) In “Le communisme n’est pas un bel idéal, mais une nécessite matérielle [10 [149]e [149] partie] [149]”.
7) https://fr.internationalism.org/rinte102/anar.htm [150]
8) Il s’agit de la section en Russie de l’AIT avec qui nous entretenons de très bonnes relations de camaraderie et dont nous avons publié plusieurs prises de position dans notre presse.
9) Cela dit, au cours du débat qui a eu lieu ces derniers mois, des camarades (compagnons) anarchistes ont à juste titre protesté contre des formules outrancières prononçant une sentence définitive et injustifiée à l’égard de l’anarchisme. En nous replongeant à nouveau dans certains de nos anciens textes, nous avons trouvé à notre tour des passages que nous n’écririons plus aujourd’hui. Par exemple :
– “Des éléments ouvriers peuvent penser adhérer à la révolution à partir de l’anarchisme, mais pour adhérer à un programme révolutionnaire il faut rompre avec l’anarchisme” (https://fr.internationalism.org/rinte102/anar.htm [150]).
– “C’est pour cela que le prolétariat doit se détourner résolument de ces marchands d’illusions que sont les anarchistes” (https://fr.internationalism.org/ri321/anarchisme.htm [151]).
– Notre article “Anarchisme et communisme”, qui pourtant décortique méticuleusement la lutte des “Amis de Durruti” au sein de la CNT dans l’Espagne des années 1930, caricature au détour d’une phrase la vision de l’anarchisme qu’a le CCI en affirmant qu’il n’y avait plus “une flamme révolutionnaire” en 1936 au sein de la CNT. Notre série d’articles plus récents sur l’anarcho-syndicalisme, tout en dénonçant à nouveau l’intégration de la direction de la CNT aux rouages de l’État et sa contribution au désarmement politique des ouvriers anarchistes (ce qui a facilité le travail d’assassins du stalinisme), a montré à quel point la situation était complexe. Il y a eu au sein de la CNT, au niveau international, de vrais combats pour défendre des positions authentiquement prolétariennes et contre la trahison que constituait l’intégration de cette organisation à l’État espagnol (lire notre série [152] sur le syndicalisme révolutionnaire:).
10) Cité par Franz Mehring dans sa biographie de K. Marx.
11) In “Les groupes politiques prolétariens”, Revue internationale no 11, 4e trimestre 1977.
12) Cet article est disponible sur notre site Internet à l’adresse suivante : https://fr.internationalism.org/rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html [153]
13) Au moment où Malatesta écrit cet article, le Parti socialiste italien regroupe encore, à côté des réformistes, les éléments révolutionnaires qui vont fonder le PCI en janvier 1921 au Congrès de Livourne.
Cela fait huit mois à présent que dure le mouvement de lutte contre la réforme des retraites. C’est par millions que les ouvriers et employés de tous les secteurs sont descendus régulièrement dans la rue. Parallèlement, depuis la rentrée de septembre, des mouvements de grève plus ou moins radicaux sont apparus ici et là, exprimant un mécontentement profond et grandissant. Cette mobilisation constitue le premier combat d’envergure en France depuis la crise qui a secoué le système financier mondial en 2007-2008. Elle n’est pas seulement une réponse à la réforme des retraites elle-même mais, par son ampleur et sa profondeur, elle est une réponse claire à la violence des attaques subies ces dernières années. Derrière cette réforme et les autres attaques simultanées ou en préparation, nous avons un enfoncement aggravé de tous les prolétaires et des autres couches de la population dans la pauvreté, la précarité et la misère la plus sombre. Et ces attaques ne sont pas près de s’arrêter avec l’approfondissement inexorable de la crise économique. Il est clair que cette lutte en annonce d’autres et qu’elle s’inscrit en droite ligne de celles qui se sont développées en Grèce et en Espagne face aux mesures drastiques d’austérité.
Cependant, malgré la massivité impressionnante de la riposte, le gouvernement n’a pas cédé. Au contraire, il est resté inébranlable, affirmant sans relâche et malgré la pression de la rue sa ferme volonté de faire passer cette attaque, se permettant de surcroît de répéter avec cynisme qu’elle était “nécessaire”, au nom de la “solidarité” entre les générations. Ce que tout le monde sait être un mensonge grossier, quasiment de l’ordre de la provocation.
A l’heure où cet article est écrit, la mobilisation reflue et il est certain que la réforme sera acquise pour la bourgeoisie. Pourquoi cela ? Pourquoi cette mesure qui frappe au cœur toutes nos conditions de vie et de travail, et alors que l’ensemble de la population a exprimé amplement et puissamment son indignation et son opposition, passe-t-elle malgré tout ?
Parce que le gouvernement avait la certitude du contrôle de la situation par les syndicats, lesquels ont toujours accepté le principe d’une “réforme nécessaire” des retraites ! (1)
On peut faire la comparaison avec le mouvement de 2006 contre le CPE. Ce mouvement, que les médias ont traité au début avec le plus grand mépris comme une “révolte étudiante” sans lendemain, a fini par faire reculer le gouvernement qui n’a eu d’autre recours que de retirer le CPE.
Pourquoi ce succès ?
D’abord parce que les étudiants s’étaient organisés en assemblées générales ouvertes à tous, sans distinction de catégories ou de secteurs, du public ou du privé, au travail ou au chômage, etc. Cet élan de confiance dans les capacités de la classe ouvrière et dans sa force, de profonde solidarité dans la lutte, avait créé une dynamique d’extension du mouvement imprimant à celui-ci une massivité impliquant toutes les générations. Car, tandis que, d’un côté, les assemblées générales voyaient se dérouler des débats et des discussions les plus larges, ne restant pas cantonnées au seul problème des étudiants, de l’autre côté, on voyait au fil des manifestations les travailleurs eux-mêmes se mobiliser de plus en plus avec les étudiants et de nombreux lycéens.
Mais c’est aussi parce que la détermination et l’esprit d’ouverture des étudiants, tout en entraînant des fractions de la classe ouvrière vers la lutte ouverte, n’arrivaient pas à être battu en brèche par les manœuvres des syndicats. Au contraire, alors que ces derniers, notamment la CGT, s’efforçaient de se placer en tête des manifestations pour en prendre le contrôle, c’est à plusieurs reprises que les étudiants et les lycéens ont débordé les banderoles syndicales pour affirmer clairement qu’ils ne voulaient pas se voir ravaler en arrière-plan d’un mouvement dont ils étaient à l’initiative. Mais surtout ils affirmaient leur volonté de garder le contrôle eux-mêmes de la lutte, avec la classe ouvrière, et de ne pas se laisser avoir par les centrales syndicales.
En fait, un des aspects qui inquiétait le plus la bourgeoisie c’est que les formes d’organisation que s’étaient données les étudiants en lutte, ces assemblées générales souveraines, élisant leurs comités de coordination et ouvertes à tous, dans lesquelles les syndicats étudiants faisaient souvent profil bas, ne fassent tâche d’huile parmi les salariés si ces derniers entraient en grève. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, au cours de ce mouvement, Thibault a affirmé à plusieurs reprises que les salariés n’avaient pas de leçons à recevoir des étudiants sur comment s’organiser. Si ces derniers avaient leurs assemblées générales et leurs coordinations, les salariés avaient leurs syndicats en qui ils avaient confiance.
Dans un tel contexte de détermination chaque fois réaffirmée et de danger d’un débordement des syndicats, il fallait que Villepin lâche du lest car c’est le dernier rempart de protection de la bourgeoisie contre l’explosion de luttes massives qui risquait d’être battu en brèche.
Avec le mouvement contre la réforme des retraites, les syndicats, soutenus activement par la police et les médias, ont fait les efforts nécessaires pour tenir le haut du pavé, en sentant venir le vent et s’organiser en conséquence.
On les a vus jouer dès le début la division, avec FO qui faisait ses manifestations dans son coin, tandis que l’intersyndicale qui organisait la journée d’action du 23 mars préparait le “ficelage” de la réforme, après tractations avec le gouvernement, avec deux autres journées d’action le 26 mai, et surtout le 24 juin, à la veille des vacances d’été. On sait qu’habituellement une journée d’action, à cette époque de l’année, signe le coup de grâce pour la classe ouvrière lorsqu’il s’agit de faire passer une attaque majeure. Hélas pour la bourgeoisie et les syndicats, cette dernière journée d’action a montré une mobilisation inattendue, avec plus du double d’ouvriers, de chômeurs, de précaires, etc., dans les rues. Et, alors qu’une morosité, largement soulignée par la presse, avait marqué les deux premières journées d’action, la colère et le ras-le-bol étaient au rendez-vous du 24 juin.
C’est donc sous la pression de ce mécontentement ouvert et face à la prise de conscience grandissante des implications de cette réforme sur nos conditions de vie que les syndicats se sont vus contraints d’organiser une autre journée d’action dès le 7 septembre, faisant cette fois leur credo de l’unité syndicale. Depuis, pas un n’a manqué à l’appel des journées d’action qui ont regroupé dans les manifestations environ trois millions de travailleurs à plusieurs reprises.
Mais cette unité de “l’Intersyndicale” a constitué un leurre pour la classe ouvrière, destiné à lui faire croire que les syndicats étaient bien déterminés à organiser une offensive d’ampleur contre la réforme et qu’ils s’en donnaient les moyens avec des journées d’action à répétition dans lesquelles on pouvait voir et entendre à satiété leurs leaders, bras dessus, bras dessous, égrener leurs discours sur la “poursuite” du mouvement et autres mensonges. Ce qu’ils redoutaient par-dessus tout, c’est que les travailleurs sortent du carcan syndical et qu’ils s’organisent par eux-mêmes. C’est ce que disait Thibault, le secrétaire général de la CGT, qui faisait “passer un message” au gouvernement dans une interview au journal le Monde du 10 septembre : “On peut aller vers un blocage, vers une crise sociale d’ampleur. C’est possible. Mais ce n’est pas nous qui avons pris ce risque”, donnant l’exemple suivant pour mieux affirmer où se trouvait l’enjeu vécu par les syndicats : “On a même trouvé une PME sans syndicat où 40 salariés sur 44 ont fait grève. C’est un signe. Plus l’intransigeance dominera, plus l’idée de grèves reconductibles gagnera les esprits.”
En clair, si les syndicats ne sont pas là, les ouvriers s’organisent eux-mêmes et non seulement décident réellement de ce qu’ils veulent faire mais risquent de le faire massivement. Et c’est contre quoi les centrales syndicales, et particulièrement la CGT, se sont attelées avec un zèle exemplaire : occuper le terrain sur la scène sociale et dans les médias, tout en empêchant avec la même résolution sur le terrain toute réelle expression de solidarité ouvrière. En bref, un battage à tout crin d’une part, et de l’autre une activité visant à stériliser et entraîner le mouvement dans de fausses alternatives, afin de créer la division, la confusion, et mieux le mener à la défaite.
Le blocage des raffineries de pétrole en est un exemple des plus évidents. Alors que les ouvriers de ce secteur, dont la combativité était déjà très vive et pour lesquels grandissait la volonté de manifester leur solidarité envers l’ensemble de la classe ouvrière contre la réforme des retraites, ouvriers par ailleurs particulièrement confrontés à des mesures drastiques de réductions de personnels, la CGT a fait en sorte de transformer cet élan de solidarité en grève repoussoir. Ainsi, le blocage des raffineries n’a jamais été décidé dans de véritables assemblées générales, où les travailleurs pouvaient exprimer réellement leur point de vue, mais il a été décidé suite à des manœuvres dont les leaders syndicaux sont spécialistes et qui ont fait adopter, en pourrissant la discussion, des actions stérilisantes. Cependant, malgré cet enfermement verrouillé par les syndicats, certains ouvriers de ce secteur ont cherché à créer des contacts et des liens avec des ouvriers d’autres secteurs. Mais, globalement pris dans l’engrenage du “blocage jusqu’au bout”, la plupart des ouvriers des raffineries se sont vus piégés dans une logique syndicale d’enfermement dans l’usine, véritable poison utilisé contre l’élargissement du combat. En effet, bien que les ouvriers des raffineries avaient pour objectif de renforcer le mouvement, d’en être un des bras armés, afin de faire reculer le gouvernement, le blocage des dépôts, tel qu’il s’est déroulé sous la houlette syndicale, s’est surtout révélé être une arme de la bourgeoisie et de ses syndicats contre les ouvriers. Non seulement pour isoler ceux des raffineries, mais pour rendre leur grève impopulaire, en créant un vent de panique et en agitant la menace d’une pénurie d’essence plus généralisée, la presse a abondamment déversé son fiel contre ces “preneurs d’otage empêchant les gens de se rendre à leur travail ou de partir en congé”. Mais c’est aussi physiquement que les travailleurs de ce secteur se sont trouvés isolés ; alors même qu’ils voulaient contribuer par la lutte solidaire à la construction d’un rapport de forces favorable au retrait de la réforme, ce blocage particulier s’est en fait retourné contre eux et contre l’objectif qu’ils s’étaient donné initialement.
Il y a eu de nombreuses actions syndicales similaires, dans certains secteurs comme les transports, et de préférence dans des régions peu ouvrières, car il fallait à tout prix pour les syndicats prendre le moins de risques possibles d’extension et de mise en œuvre active de la solidarité. Il leur fallait faire semblant pour la galerie d’orchestrer les luttes les plus radicales et de jouer la partition de l’unité syndicale dans les manifestations, tout en pourrissant en réalité la situation.
Comme le dit un tract de “l’AG interpro” de la Gare de l’Est daté du 6 novembre : “La force des travailleurs n’est pas seulement de bloquer, ici ou là, un dépôt pétrolier ou même une usine. La force des travailleurs, c’est de se réunir sur leurs lieux de travail, par-delà les professions, les sites, les entreprises, les catégories et de décider ensemble…”
Partout, on a donc vu les syndicats, réunis dans une “Intersyndicale”, pour mieux promouvoir le simulacre de l’unité, mettre en œuvre des semblants d’assemblées générales, sans véritable débat, enfermées dans les préoccupations les plus corporatistes, tout en affichant publiquement la prétendue volonté de se battre “pour tous” et “tous ensemble”… mais organisée chacun dans son coin, derrière son petit chef syndicaliste, en faisant tout pour empêcher la mise en œuvre de délégations massives en recherche de solidarité vers les entreprises les plus proches géographiquement.
En revanche, il n’a pas du tout été question dans les médias des nombreux Comités ou Assemblées générales interprofessionnels (AG inter-pros) (2) qui se sont formés durant cette période, comités et AG dont le but affiché était et reste de s’organiser en-dehors des syndicats et de développer des discussions réellement ouvertes à tous les prolétaires, ainsi que des actions autonomes dans lesquelles c’est toute la classe ouvrière qui pourrait, non seulement se reconnaître, mais aussi et surtout s’impliquer massivement.
Les syndicats n’ont d’ailleurs pas été les seuls à entraver la possibilité d’une telle mobilisation, car la police de Sarkozy, réputée pour sa prétendue débilité et son esprit anti-gauche, a su se faire l’auxiliaire indispensable des syndicats à plusieurs reprises par ses provocations. Exemple ? Les incidents de la place Bellecour à Lyon, où la présence d’une poignée de “casseurs” (possiblement manipulés par les flics) a servi de prétexte à une violente répression policière contre des centaines de jeunes lycéens dont la plupart ne cherchaient qu’à venir discuter à la fin d’une manifestation avec les travailleurs.
On voit ici ce que la bourgeoisie craint particulièrement : que des contacts se nouent et se multiplient le plus largement possible dans les rangs de la classe ouvrière, jeunes, vieux, au travail ou au chômage.
Aujourd’hui, le mouvement est en passe de s’éteindre et il faut tirer les leçons de cet échec.
Le premier constat à en tirer est que ce sont les appareils syndicaux qui ont permis de faire passer l’attaque auprès des prolétaires et qu’il ne s’agit nullement de quelque chose de conjoncturel. C’est qu’ils ont fait leur sale boulot, pour lequel tous les spécialistes et autres sociologues, ainsi que le gouvernement et Sarkozy en personne, les saluent pour leur “sens des responsabilités”. Oui, sans hésitation, la bourgeoisie peut se féliciter d’avoir des “responsables” syndicaux capables de briser un mouvement d’une telle ampleur en faisant en même temps croire qu’ils ont pourtant fait tout leur possible pour lui permettre de se développer. Ce sont encore ces mêmes appareils syndicaux qui sont parvenus à étouffer et marginaliser les véritables expressions de lutte autonome de la classe ouvrière et de tous les travailleurs.
Cependant, cet échec est porteur de nombreux fruits ; car malgré tous les efforts déployés par l’ensemble des forces de la bourgeoisie pour colmater les brèches d’où s’échappe la colère ouvrière, ils n’ont pas réussi à l’entraîner dans la défaite générale d’un secteur, comme ce fut le cas en 2003 (3) avec la lutte contre les retraites du secteur public qui avaient donné lieu à un cinglant recul parmi les travailleurs de l’Éducation nationale après plusieurs semaines de grève.
Ce mouvement est en train de s’achever. Mais “l’attaque ne fait que commencer. Nous avons perdu une bataille, nous n’avons pas perdu la guerre. C’est la guerre de classe que la bourgeoisie nous déclare et nous avons encore les moyens de la mener” (tract intitulé “Personne ne peut lutter, décider et gagner à notre place” signé par des travailleurs et précaires de l’AG interpro de la Gare-de-l’Est et d’Ile-de-France, déjà cité plus haut). Nous n’avons pas d’autre choix pour nous défendre que d’étendre et de développer massivement nos luttes et pour cela de les prendre dans nos propres mains.
“Prendre confiance en nos propres forces” devra être le mot d’ordre de demain.
WW (6 novembre)
2 Nous considérons ces derniers comme de véritables expressions des besoins de la lutte ouvrière. Ils n’ont rien à voir avec les Coordinations, montées de toutes pièces, orchestrées par les syndicats et les organisations gauchistes en sous-main, et que nous avions dénoncées à de nombreuses reprises lors du mouvement des cheminots en 1986 ou encore lors du mouvement dans le secteur de la santé en 1988.
3) Voir les numéros de RI 335 [155], 336 [156] et 337 [157].
Nos camarades du Grupo de Lucha Proletaria (Pérou) ont envoyé sur notre site en espagnol cet article, clair, simple et vibrant de dénonciation, du numéro monté par le sieur Piñera à la tête de la bourgeoisie chilienne pour le “sauvetage et la solidarité” des “citoyens” mineurs du Chili.
Cela arrive dans toutes les mines du Chili, toutes les mines du Pérou, de Bolivie, d’Équateur, du Mexique... Enfin, dans toutes les mines du monde. Les prolétaires des mines subissent toujours les conditions de travail les plus terribles, auxquelles s’ajoutent les maladies professionnelles et les accidents du travail. C’est le prix à payer pour que se réalisent les bénéfices des entreprises minières. Les mineurs sont condamnés à avaler la poussière et sur eux pèse toujours la menace d’être avalés par la terre.
C’est ce qui est arrivé dans la mine San José, à Copiapó, à 850 km au nord de Santiago, au Chili. Trente-trois ouvriers ont été prisonniers pendant plus de deux mois dans une cavité profonde.
Les informations sont arrivées à travers les médias (presse, radio, TV, internet...) dans tous les coins de la planète. En un rien de temps, la nouvelle avait fait le tour de la terre et, par la suite, les informations était permanentes 24 heures sur 24. Ces trente-trois prolétaires, ces mineurs, ensevelis vivants dans l’une de ces centaines de mines, ont été utilisés dans une mise en scène occultant toutes les autres morts, la plupart du temps silencieuses. Et quels “héros” est venu les sauver ? Eh bien, leurs propres fossoyeurs : l’Etat chilien avec Piñera (1) à sa tête et l’entreprise minière San Esteban Primera.
La première intention de tout ce ramdam était claire : montrer au monde entier que l’État et l’Entreprise sont aux cotés des travailleurs dans les moments les plus difficiles et qu’ils se préoccupent de leur sort.
Mais montrer la “solidarité” avec les mineurs n’était pas suffisant, l’État et l’Entreprise se sont mis en quête de l’aide internationale (NASA et autres spécialistes...) avec l’intention première de dissimuler les lamentables conditions de travail et de sécurité dans lesquelles travaillaient les mineurs de cette mine San José.
“Les déplorables mesures de sécurité de cette entreprise avaient été déjà signalées par les travailleurs du gisement San José. En juillet, ils ont demandé au ministre des mines Laurence Golborne la fermeture du puits San José. L’entreprise affrontait des dénonciations à répétition pour cause d’accidents du travail. Le ministre des Mines répondit que son travail à lui, c’est de créer des emplois” (2).
L’État a tout fait pour cacher la responsabilité de l’entreprise. Et, finalement, l’État et l’Entreprise se sont présentés comme des héros devant la classe ouvrière, dans la situation tragique que vivent tous les jours de l’année tant d’ouvriers au Chili et dans le monde entier.
Piñera lui aussi sait très bien que ces tragédies sont quotidiennes. Face à cela, il lui faut montrer sa grande préoccupation face à la souffrance des mineurs et de leurs familles. Il fallait faire vite, l’indignation des parents des mineurs et des travailleurs des mines proches commençait à s’exprimer. La possibilité d’une solidarité entre travailleurs s’est faite jour, avec les risques de soulèvements. L’État connaît bien la combativité des prolétaires des mines et il la craint.
Nous avons assisté à une propagande nationaliste frénétique dégageant un fumet paternaliste et triomphaliste écoeurant, une campagne montée autour du sauvetage des mineurs du nord du Chili. L’Etat, avec Piñera à sa tête, a créé un climat de fête nationaliste où on nous a fait voir que l’État et la bourgeoisie auraient les mêmes intérêts que les travailleurs, que tout le Chili est avec eux, que l’État veille sur l’intégrité de ses citoyens chiliens.
Le nationalisme dissimule la tromperie et l’exploitation des travailleurs. Et c’est ainsi qu’on a pu voir chanter l’hymne national chilien dans toutes les places et dans les rues, embrasser le drapeau tous ensemble comme des frères, exploiteurs et exploités. Les travailleurs sont tombés dans le piège de la bourgeoisie, noyés par la bile nationaliste crachée par cette classe d’exploiteurs. “Vive le Chili !”, “Fiers d’être Chiliens !”, “La grande famille chilienne”, “Merci à tout le Chili !”, toutes ces expressions font partie du poison nationaliste, un poison qui attaque directement la conscience de classe du prolétariat, en le sortant du terrain de classe de ses revendications et de ses luttes.
Le prolétariat du Chili et du monde entier doit prendre conscience que le nationalisme les mène à une impasse ; il divise les travailleurs pays par pays et finit par les affronter dans des massacres mondiaux ou locaux. Le capitalisme n’a qu’un intérêt : maintenir les travailleurs divisés et concurrents. Quelle différence y a-t-il entre les mineurs du Chili, du Pérou, d’Équateur, de Bolivie ou du Mexique ? (3) Aucune. Par contre, ils ont beaucoup de choses en commun. Tous sont soumis aux mêmes conditions inhumaines de travail, dans chaque puits, dans chaque mine. Mais ils ont aussi le même dénominateur commun : ils appartiennent à la même classe sociale et ils ont donc les mêmes intérêts à défendre. Quand les ouvriers revendiquent la patrie et l’État, ils ne font que renforcer leurs chaînes d’exploitation et d’esclavage. Le prolétariat ne doit pas perdre sa perspective de classe face à tous ces hymnes, tous ces torchons de couleur, tous ces prétendus cadeaux qu’on leur ferait. Ils ne doivent pas oublier que ces prétendus efforts que fait pour eux la bourgeoisie ne sont que des tours de passe-passe et des attrape-nigauds. La seule chose qui les intéresse, c’est de tirer leurs profits de nos efforts. Après ce sauvetage, les conditions de travail perdureront et seront encore pires à cause de la crise mondiale du capitalisme. Seule l’union de tous les ouvriers contre les intérêts de leurs exploiteurs pourra ouvrir une autre possibilité de vie. La classe ouvrière mondiale, en élargissant ses luttes économiques, en récupérant et en approfondissant sa vision politique, pourra montrer à l’humanité qu’elle est capable de mettre en avant une véritable communauté humaine dans laquelle le rôle de bêtes de sommes qui a été imposé aux ouvriers disparaîtra pour toujours.
Travailleurs de tous les pays, unissez-vous !
Grupo de Lucha Proletaria, Pérou
1 L’État et le nouveau président chilien, Piñera, se sont précipités pour “sauver” les mineurs d’autant plus rapidement que dans toutes les mémoires est encore présente l’ignominieuse “gestion” de l’État chilien lors du tremblement de terre de mars 2010. Lire “Sur les prétendus pillages après le séisme au Chili », Révolution internationale no 411, avril 2010. [NdT].
2 Pour plus d’information, voir www.surysur.net [158]
3 Ce texte a été rédigé par un groupe internationaliste péruvien. L’importance de cette prise de position est mise en relief par le fait que la haine du pays voisin est une constante dans les discours nationalistes des bourgeoisies chilienne et péruvienne, en lien avec une guerre qui opposa les deux pays pendant 5 ans à la fin du xixe siècle [NdT].
Alors que la loi sur la réforme des retraites occupe encore une large place dans l’actualité et dans les esprits, l’Etat prépare déjà une nouvelle attaque sur nos conditions de vie ou, dirait-on, de survie. Comme chaque année en cette période, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) vient d’être présenté. “Budget de la Sécu : du sang et des larmes”, titrait la Dépêche du 26 octobre, pour reprendre une célèbre citation de Churchill employée par Yves Bur, le rapporteur du PLFSS qui annonce tout de suite la couleur. Si pour bon nombre de travailleurs, d’étudiants, de retraités et même de chômeurs, l’accès aux soins en France parait être “un des meilleur au monde”, cette réputation n’a cessé d’être entachée par diverse réformes depuis près de 50 ans. Rappelons seulement quelques grandes lignes :
– dans les années 1960 les remboursements dentaires et optiques ont été fortement réduits ;
– le remboursement des soins courants est passé progressivement de 80 % à 65 % (augmentation du ticket modérateur) ;
– un forfait hospitalier a été mis en place et régulièrement augmenté ;
– des médicaments de confort ont vu leur taux de remboursement réduit ou supprimé ;
– une participation forfaitaire (laissée à la charge de certains assurés) a été mise en place pour chaque visite chez le médecin et pour chaque acte médical de radiologie ou biologie ;
– une franchise a été instituée sur le remboursement de chaque boîte de médicaments, d’un acte paramédical ou d’un transport sanitaire.
Toutes ces attaques ont été menées alternativement, et sans le moindre état d’âme, par le droite ET la gauche !
Aujourd’hui, dans un contexte où le capitalisme connaît une crise économique mondiale d’une rare brutalité, l’heure est partout à la politique de rigueur et d’austérité. Le PLFSS pour l’année 2011, s’y inscrit pleinement. Dès les premières pages du dossier de presse on peut lire : “Les régimes sociaux ont été affectés par la crise économique avec une ampleur jusqu’ici inconnue : (…) pour la première fois depuis la création de la sécurité sociale, le déficit du régime général a doublé en un an, de 10 milliards d’euros en 2008 à plus de 20 milliards d’euros en 2009”. Face à cette situation catastrophique, le projet de loi annonce “le début du redressement” ! Concrètement, il s’agit pour la classe dirigeante de diminuer le déficit de plus de 25 % et donc d’économiser 7,2 milliards d’euros en 2011. Pour atteindre cet objectif, les projets de la classe dirigeante sont clairs : établir un contrôle drastique et une “rationalisation” des dépenses de l’Etat. Ainsi, derrière une volonté affichée de “diminution des niches sociales et fiscales”, c’est toute la classe ouvrière, qui voit ses conditions d’accès aux soins se dégrader lamentablement :
– fin de la prise en charge systématique des dépenses de transports pour les patients en ALD (1) ;
– baisse de 35 à 30 % des médicaments remboursés ;
– baisse également de 5 points du niveau de prise en charge des dispositifs médicaux ;
– augmentation de 4 % à 6 % du forfait social sur l’épargne salariale ;
– passage de 91 euros à 120 euros du plancher au-delà duquel les patients de paient plus 20 % de la facture à l’hôpital.
Fondamentalement, ce projet de loi se donne comme orientation une politique de contrôles plus systématiques des dépenses de la sécurité sociale en faisant le plus souvent des études du besoin au “cas par cas”. En clair, le système de santé s’oriente vers des prises en charge de soins uniquement en cas d’extrême nécessité, laissant les cas “moins graves” à la charge du patient qu’il en ait ou non les moyens. Dans une situation où déjà “26 % des Français renoncent à des soins pour des raisons économiques” (2), c’est un pas en avant vers la misère pour de plus en plus d’ouvriers.
Si aujourd’hui le capitalisme peine à prendre en charge ceux qu’il exploitait férocement hier, les retraités, demain, il ne pourra même plus maintenir en “état de travailler” sa main-d’œuvre !
Rodrigue, le 2 novembre
1 Affection de longue durée.
2 Déclaration de Catherine Lemorton, député socialiste, le 28/10/2010.
Nous publions ci-dessous deux tracts représentant l’effort d’une partie de la classe ouvrière, encore très minoritaire, à prendre ses luttes en main (1). Le premier a été rédigé et adopté par l’AG de Saint-Sernin (Toulouse). Le second a été réalisé par quelques participants de l’AG Interpro de la Gare de l’Est (Paris).
Il y aurait bien d’autres exemples. A Tours ou à Rennes, des travailleurs se sont aussi regroupés en AG Interpro. Un peu partout en France, la CNT-AIT a organisé des Assemblées populaires autonomes.
“L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes” (Karl Marx).
Face à la détermination de Sarkozy, ses médias et l’État policier à casser la lutte actuelle et à la discréditer par les plus infâmes provocations : Chômeurs, Retraités, Précaires, Travailleurs, Lycéens, Étudiants,
Affirmons notre unité et prenons nos luttes en main !
La mobilisation et l’enthousiasme lors de la manifestation de ce dernier mardi furent gigantesques. Nous avons le nombre, il nous faut maintenant développer la conscience que ce n’est qu’en se saisissant nous-mêmes des luttes, par la discussion la plus large, la fusion de tous les secteurs, l’appui des lycéens, des précaires, des chômeurs et des étudiants, que nous pouvons réellement gagner et imposer la volonté des plus larges masses.
Tenons sans délai des ag ouvertes à tous, décidons d’actions communes qui étendent massivement la lutte et la solidarité ! Partageons l’expérience des derniers piquets et blocages : envoyons des délégations de soutien, coordonnons nos efforts. N’est-il pas enfin temps de porter la lutte dans les secteurs les plus massifs : Thales, Airbus ? Notre seule “violence”, c’est de vouloir généraliser la grève. La véritable violence, c’est l’État qui la génère ou la provoque.
Solidarité avec les victimes de la répression ! Cette lutte que nous menons, d’autres la partagent en Espagne ou en Grèce par exemple : dans tous les pays, la classe ouvrière subit les exigences du Capital et sa soif irrépressible d’accumulation.
Les prolétaires de tous les pays comptent sur notre victoire pour leurs luttes futures !
Retrouvons-nous pour partager informations et perspectives de lutte dans l’AG en fin de manifestation, mais aussi tous les soirs de cette semaine : Bourse du Travail, place Saint-Sernin – 18 h 00.
Tract rédigé par des retraités, chômeurs, travailleurs et étudiants réunis devant la Bourse du Travail,
Le 20/10/2010.
saint-sernin.internationalisme.fr
A l’initiative de cheminots de la Gare de l’Est et d’enseignants du 18e, nous avons été une centaine de salariés (du rail, de l’éducation, de la poste, de pme de l’agro-alimentaire, de l’informatique…), de retraités, chômeurs, étudiants, travailleurs avec ou sans papiers, syndiqués ou non, à nous réunir le 28 septembre et le 05 octobre pour discuter des retraites et plus largement des attaques que nous subissons et des perspectives pour faire reculer ce gouvernement.
Nous avons été des millions à manifester et faire grève lors des dernières journées d’action. Le gouvernement ne recule toujours pas. Seul un mouvement de masse sera en mesure de le faire. Cette idée fait son chemin au travers des discussions autour de la grève illimitée, générale, reconductible et du blocage de l’économie…
La forme que le mouvement prendra est notre affaire. C’est à nous tous de le construire sur nos lieux de travail avec des comités de grève, dans nos quartiers au travers d’Assemblées Générales souveraines. Ils doivent réunir le plus largement possible la population travailleuse, coordonnés à l’échelon nationale avec des délégués élus et révocable. C’est à nous de décider des moyens d’actions, des revendications… Et à personne d’autre.
Laisser les Chérèque (CFDT), Thibault (CGT) et Cie décider à notre place, c’est se préparer à de nouvelles défaites. Chérèque est pour les 42 annuités. On ne peut pas non plus avoir confiance en Thibault qui ne revendique pas le retrait de la loi, comme nous n’oublions pas qu’en 2009 il buvait le Champagne avec Sarkozy alors que des milliers d’entre nous étaient licenciés, nous laissant nous faire battre séparément. Nous n’avons pas plus confiance dans les prétendus “radicaux». La radicalité de Mailly (FO) c’est de serrer la main d’Aubry en manif alors que le PS vote les 42 annuités. Quant à Sud-Solidaires, à la CNT ou l’extrême-gauche (LO, NPA), ils ne nous offrent d’autres perspectives que l’unité syndicale. C’est à dire l’unité derrière ceux qui veulent négocier des reculs.
Si aujourd’hui, ils enfourchent le cheval de la grève reconductible, c’est surtout pour éviter de se faire déborder. Le contrôle de nos luttes sert de monnaie d’échange pour être admis à la table des négociations… pourquoi ? Pour, comme il est écrit dans la lettre signée par sept organisations syndicales de la CFTC à Solidaire, “faire entendre le point de vue des organisations syndicales dans la perspective de définir un ensemble de mesures justes et efficaces pour assurer la pérennité du système de retraites par répartition.” Peut-on croire un instant qu’il peut y avoir une entente possible avec les casseurs de nos retraites depuis 1993, avec ceux qui ont entrepris la démolition méthodique de nos conditions de vie et de travail ?
La seule unité capable de faire reculer ce gouvernement et les classes dirigeantes, c’est de s’unir public et privé, salariés et chômeurs, retraités et jeunes, travailleurs avec ou sans papiers, syndiqués ou non, à la base dans des AG communes et en contrôlant nous même nos luttes.
Nous pensons que le retrait de la loi sur les retraites est l’exigence minimale. Cela ne saurait suffire. Des centaines de milliers de vieux travailleurs survivent déjà avec moins de 700 euros par mois, pendant que des centaines de milliers de jeunes vivotent avec le RSA, quand ils l’ont, faute de travail. Pour des millions d’entre nous, le problème cruciale c’est déjà de pouvoir manger, se loger et se soigner. De cela nous ne voulons pas.
Oui, les attaques contre les retraites sont l’arbre qui cache la forêt. Depuis le début de la crise, les classes dirigeantes avec l’aide de l’Etat jettent à la rue des centaines de milliers de travailleurs, suppriment des milliers de postes dans les services publics. Et nous n’en sommes qu’au début. La crise continue et les attaques contre nous vont devenir de plus en plus violentes.
Pour faire face, nous ne devons surtout pas avoir confiance dans les partis de la gauche (PS, PCF, PG …). Ils ont toujours gérés loyalement les affaires de la bourgeoisie en ne remettant jamais en cause la propriété privée industrielle et financière ainsi que la grande propriété foncière. D’ailleurs en Espagne comme en Grèce, c’est la gauche au pouvoir qui organise l’offensive du capital contre les travailleurs. Pour nos retraites, la santé, l’éducation, les transports et pour ne pas crever de faim, les travailleurs devront accaparer les richesses produites pour subvenir à leur besoin.
Dans cette lutte, nous ne devons pas apparaître comme défendant des intérêts catégoriels mais ceux de toute la population travailleuse, y compris les petits paysans, marins-pêcheurs, petits artisans, petits boutiquiers, qui est jetée dans la misère avec la crise du capitalisme. Nous devons les entraîner et nous mettre à la tête de toutes les luttes pour mieux nous en prendre au Capital.
Que nous soyons salariés, chômeurs, précaires, travailleurs sans papiers, et cela quelque soit notre nationalité, c’est toute la population travailleuse qui est dans le même bateau.
Rendez-vous pour en discuter
en AG interpro mardi 12 octobre à 18 h et le mercredi 13 octobre à 17 h
Bourse du travail, métro République
Des travailleurs et précaires de l’AG interpro de la Gare de l’Est
([email protected] [159])
Le 8 octobre 2010
1 Nous avons commencé à collecter sur notre forum de discussion [160] toutes les informations allant en ce sens. Naturellement, nous encourageons tous nos lecteurs non seulement à diffuser ces infos autour d’eux mais aussi à nous communiquer toutes initiatives dont nous n’avons pas eu connaissance, en les postant, par exemple, sur notre forum.
Nous publions ici une prise de position de l’Opposition ouvrière (Oposição Operária, plus connue sous le nom de OPOP, une organisation révolutionnaire au Brésil) sur les luttes en France et dont le grand mérite est d’avoir perçu la signification de ces luttes (le refus du prolétariat de se soumettre à la logique du capital), leur importance donnée par leur massivité mais aussi la recherche, encore minoritaire mais indubitable, de la prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes, en particulier contre toutes les formes de sabotage syndical. Enfin, c’est avec raison que la prise de position met en relief l’importance de cette expérience pour le futur et le prolétariat mondial. Signalons enfin que cette position a été réalisée à un moment où il n’était guère évident de percevoir, “de loin”, que la dynamique du mouvement s’était inversée.
Nous appartenons à l’Opposition ouvrière, une organisation de travailleurs au Brésil, et voulons, à travers cette prise de position, nous solidariser avec la lutte de la population travailleuse en France. La lutte actuelle est un combat des salariés français, des étudiants, des chômeurs, du jeune qui arrive sur le marché du travail, des retraités, etc. Bien plus qu’une lutte contre la réforme des retraites, il s’agit d’une démonstration de la résistance des travailleurs du monde entier contre la suppression de nos droits, c’est une démonstration de force et de courage pour montrer aux gouvernements et aux patrons que nous ne pouvons pas accepter que se dégradent nos conditions de vie.
Nous produisons aujourd’hui bien plus que ce n’était le cas dans le passé, nous sommes à l’origine de la création d’une richesse bien plus importante qu’avant et nous ne pouvons pas nous laisser avoir par le discours selon lequel nous devrions travailler plus longtemps parce qu’ils n’y aurait pas de quoi nous payer. Davantage d’années travaillées signifie moins d’emplois disponibles pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, donc plus de chômeurs aujourd’hui et demain. L’importance de cette lutte vient du fait essentiel que nous nous ne pouvons tolérer cela.
Malgré toute la violence avec laquelle l’Etat français a réprimé le mouvement jusqu’à présent, malgré toutes les manœuvres de l’Intersyndicale et de ses syndicats collaborationistes, c’est avec beaucoup de joie que nous, au Brésil, percevons que le mouvement se poursuit avec force de même que l’agitation continue à se développer. C’est avec beaucoup de joie que nous percevons également que, malgré les manipulations des médias en France et dans le monde, ce nouveau mouvement de la lutte des travailleurs en France continue de recevoir le soutien de la population de ce pays.
Oui, il est important de politiser ce mouvement. De même que sont importantes les réunions et discussions des Assemblées générales qui peuvent se tenir après les manifestations massives. Il est important de s’adresser au mouvement, de favoriser la solidarité entre les différents secteurs, entre les différentes générations, de lutter contre la misère dont sont accablés tous les travailleurs du monde, contre la précarité qui nous poursuit dans tous les coins de la planète, contre l’exploitation à laquelle nous sommes soumis de façon croissante.
Il est surtout important d’être conscients que les attaques massives que subissent les travailleurs du monde entier font partie d’une politique du capital pour sauver son Etat, ses entreprises et son système capitaliste. C’est la crise du capitalisme et l’endettement croissant des Etats qui réclament des mesures draconiennes dont nous sommes la cible. L’aggravation du chômage, la diminution des salaires, la précarisation croissante des emplois des jeunes en sont l’expression. Augmenter le nombre des annuités nécessaires pour partir en retraite ne fait qu’aggraver toutes ces conditions.
L’aiguisement des contradictions entre bourgeoisie et prolétariat (à la fois les parents et les enfants de cette population exploitée) souligne que de telles confrontations ne pourront que s’intensifier dans le futur. Nous, travailleurs du monde entier, devons prendre exemple sur les camarades français qui se préparent à “prendre en lutte en mains”. Réagir aux attaques nous rend notre dignité. Chercher à donner une direction au mouvement, c’est aussi refuser de se laisser transformer en une masse de manœuvre dans les mains des syndicats et des politiciens professionnels.
Ne nous trompons pas, d’autres attaques viendront. La force de notre résistance peut maintenant s’inspirer de celle du prolétariat français. Il faut et nous devons absolument réagir. Nous devons savoir développer et conduire la lutte. Nous devons répondre aux attaques contre nos vies, pas seulement pour faire échec à une offensive, celle du moment, mais pour montrer clairement que nous n’allons pas tolérer que soient supprimées nos conquêtes historiques, nos emplois, nos salaires, nos retraites.
Il est évident que beaucoup de nos problèmes ne seront pas résolus dans le cadre d´une société capitaliste et notre perspective doit toujours être celle de son dépassement. Tant que cela n´est pas réalisé, nous ferons en sorte de défendre nos vies, nos enfants, notre avenir et celui des nouvelles générations. Ainsi, nous saluons une fois de plus la lutte dela classe ouvrière française qui est la lutte du prolétariat mondial.
Opposition ouvrière (Brésil)
26 octobre 2010
La boue rouge toxique provenant de l’usine de bauxite-aluminium à proximité de la ville d’Ajka (1), souillant le Danube, inondant les cours d’eau voisins et les villages de Devecser et Kolontar (les plus touchés), ne pouvait que générer un sentiment d’effroi. Il s’agit là de la plus grave pollution qu’ait connu la Hongrie dans son histoire ! Ce sont des milliers de mètres cubes de boue empoisonnée qui ont été libérés dans la nature. Cependant, au-delà des images spectaculaires du paysage désolé des premiers reportages télévisés, une autre réalité tout aussi choquante, mais beaucoup moins médiatisée, apparaissait au détour des commentaires officiels : celle de la mort immédiate puis à terme ! L’horreur générée par la dizaine de victimes (dont une fillette de 14 mois), les disparus, le fait que plus d’une centaine de blessés, atteints de graves lésions, se retrouve aujourd’hui en proie à de véritables souffrances. Cette boue rouge corrosive, composée de métaux lourds et légèrement radioactive, provoque en effet des brûlures profondes et irrite très fortement les yeux. Les composants chimiques de cette infâme mixture s’avèrent cancérigènes. Des milliers de villageois ont d’ailleurs décidé de fuir leur domicile pour éviter de mettre leur santé en péril.
Tous les drames humains de cette catastrophe ont été bien évidemment noyés de façon intentionnelle dans les quelques commentaires que les journalistes ont bien voulu nous présenter. Comme de coutume, la classe dominante a minimisé la catastrophe : “Le risque de la pollution du Danube par la boue rouge toxique est liquidé.” Voilà ce qu’annonçait lamentablement le Premier ministre hongrois, Victor Orban, lors d’une conférence de presse à Sofia, quelques jours seulement après l’accident, ajoutant sans sourciller que “les autorités hongroises contrôlaient la situation” (2). En même temps, les journalistes détournaient l’attention et la réflexion sur les conséquences tragiques de l’accident, se contentant d’images spectaculaires, destinées à terroriser les populations, évacuant ainsi toute véritable explication (3). De toutes les façons, selon la propagande d’Etat, les accidents industriels liés aux “risques technologiques” (4) ne sont que “le prix à payer”, la “rançon inévitable du progrès”. Autrement dit, le fait qu’il y ait des victimes doit être accepté comme une fatalité, pour ne pas dire comme quelque chose de “normal” !
Nous ne pouvons que dénoncer avec colère et indignation cette idéologie nauséabonde et surtout la volonté de cacher des meurtres programmés par une classe capitaliste sans scrupules. Nous ne pouvons que dénoncer fermement la barbarie consistant à obliger les populations à vivre dans un environnement dangereux, puis à déplacer froidement ensuite des villageois, après coup, comme on déplace des poulets en batterie, alors qu’on les a délibérément surexposés, au mépris total de leur vie.
Cela fait longtemps que les fuites de boue rouge provenant du réservoir défectueux étaient détectées, que les risques de contamination directe des villages avoisinants et des cours d’eau étaient connus. L’exposition des populations n’était un secret pour personne chez les patrons et politiciens locaux ! Mais parce que la prévention n’est pas une activité rentable, la bourgeoisie a préféré faire des économies, quitte à jouer à la roulette russe avec une partie de la population. A ce jeu, ce sont toujours les mêmes qui trinquent !
Les “experts”, les politiciens, les patrons et les journalistes, savent pertinemment que la bordure industrielle du Danube est une gigantesque poubelle à ciel ouvert, que les installations vétustes, non sécurisées faute de moyens, ne peuvent que provoquer de nouvelles catastrophes similaires. Dès les premières coulées de boue, ils ont tout fait pour minimiser l’ampleur des dégâts, pour minorer l’impact de la catastrophe. Ils ont fait mine ensuite, face à l’évidence, de découvrir avec surprise les conditions de cette nouvelle catastrophe, pointant du doigt au passage les “vestiges” hérités de la période du prétendu “communisme”, pour mieux dédouaner leur système et leur propre responsabilité (5).
Si aujourd’hui les médias sont passés à autre chose, si l’événement ne fait plus la une des journaux, la catastrophe et les souffrances sont loin d’être terminées !
Cette catastrophe n’est ni naturelle, ni le produit de la fatalité. Elle est l’expression même de la folie destructrice générée par la recherche effrénée du profit. La concurrence exacerbée, dans un monde où les marchés se réduisent comme peau de chagrin, oblige tous les industriels et les Etats à prendre de plus en plus de risques, à rogner toujours plus sur les marges de sécurité pour faire des économies. En même temps, les ressources naturelles sont livrées partout à un véritable pillage et sont soumises à des destructions accélérées. La catastrophe en Hongrie est déjà là. Non seulement le Danube, deuxième plus grand fleuve d’Europe, est pollué, mais certains cours d’eau appartenant à son réseau hydrographique ont un écosystème complètement détruit. C’est le cas de la rivière Marcal (qui se jette dans le Raab, affluent direct du Danube) où les poissons inertes flottent dans une eau couleur rouille. Il faudra de longues années, sinon des décennies, avant de voir la vie y renaître ; sans compter les dégâts produits dans toutes les terres environnantes et les eaux d’infiltration, de ruissellement et celles filtrées pour finir dans la nappe phréatique. Plus d’un millier d’hectares contaminés affecte désormais l’activité agricole et la chaîne alimentaire de cet espace pollué. Que vont provoquer sur le long terme les poussières une fois les boues séchées ? Car il est avéré que tant que les boues restent liquides leur dangerosité est moindre.
Une fois de plus, la bourgeoisie étale son incurie et son mépris total de la vie humaine. Et non seulement son instinct de classe n’est guidé que par la quête assoiffée d’un profit immédiat, mais son aveuglement est tel qu’elle scie tous les jours un peu plus la branche sur laquelle elle est vautrée. Bien sûr, certains bourgeois interpellent le reste de leur classe à freiner l’enfoncement dans la catastrophe. C’est peine perdue, car la logique générale du capitalisme au profit rapide, alliée à l’involution actuelle dans la crise et donc dans l’effondrement de pans entiers de l’économie, ne peut que pousser encore plus les rapaces de l’industrie et de la finance à sucer jusqu’à la moelle les moindres industries encore rentables, les régions de la planète où un profit rapide est faisable en exploitant pire que des bêtes les prolétaires, et en faisant fi de toute mesure de sécurité, trop “coûteuse”. Quitte à entraîner avec eux, et sans même y réfléchir une seconde, le reste de l’humanité.
WH (14 octobre)
1 A 160 kilomètres à l’ouest de la capitale, Budapest.
2 fr.sputniknews.com [161]
3 Rappelons nous, entre autres, du silence orchestré il n’y a pas si longtemps concernant 11 ouvriers morts suite à l’explosion de la plateforme pétrolière dans le Golfe du Mexique. Les images en boucle de cette explosion spectaculaire ont produit des commentaires omettant systématiquement de parler des victimes (voir RI no 413 [162], juin 2010).
4 Dans les programmes de géographie des lycées, il existe un objet d’étude intitulé : “risques technologiques”. Une façon d’habituer les jeunes à intégrer avec fatalisme le fait que les populations urbaines sont de plus en plus exposées aux catastrophes.
5) En France, à Gardanne (Bouches-du-Rhône), le problème posé par une partie de ces boues, sous forme liquide, est “réglé” d’avance : elles sont rejetées au large, dans la mer Méditerranée !
Neuf mois après le séisme qui a ravagé Haïti, l’incurie de la bourgeoisie ne pouvait manifestement pas se limiter aux appétits impérialistes que la catastrophe n’a pas manqué d’aiguiser, aux belles promesses mensongères d’aide financière, aux centaines de milliers de morts, à l’effroyable entassement de millions de victimes dans des camps surpeuplés (1). Après le véritable déferlement de quasiment 10 000 ONG (2) suite au séisme, et aussi de ces innombrables chercheurs de scoop de la presse et du monde politique, après tout l’hypocrite et infect battage larmoyant des dirigeants du monde entier (3), rien de sérieux n’a été fait. Faute de moyens donnés car faute d’intérêt minimum pour cette population livrée à la misère et au banditisme les plus crasses. Alors que tous les spécialistes mondiaux annonçaient dès le mois d’avril que le pire était à venir avec l’arrivée de la saison des pluies dans une situation sanitaire catastrophique, et donc la survenue brutale d’épidémies, la bourgeoisie internationale a… attendu la pluie !
Cette épidémie annoncée de choléra va avoir des conséquences dramatiques. Depuis plusieurs semaines, la maladie se propage en effet avec une rapidité et un taux de létalité extrêmement élevés. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le gouvernement local dénombre déjà plus de 330 victimes et des milliers de contaminés ; mais dans ce pays exsangue les estimations sont impossibles à établir, et de nombreux indices font suspecter une contagion en réalité bien plus massive encore.
Les éternelles et hypocrites lamentations de la “communauté internationale” sont, jusqu’ici, plutôt discrètes et tranchent avec l’écœurant show médiatique organisé après le séisme. Et pour cause ! Il lui faudrait désormais expliquer ses méthodes inavouables. A tous les niveaux, et sans aucune ambiguïté, la bourgeoisie est directement responsable de cette nouvelle catastrophe.
Le choléra est une maladie liée aux conditions d’existence insalubres dont sont victimes les Haïtiens. Il se transmet par l’intermédiaire d’une bactérie surtout présente dans l’eau souillée par des matières fécales contaminées. Dans un pays où moins de 3 % des décombres causés par un séisme vieux de neuf mois ont été évacués, on imagine facilement l’état du réseau d’assainissement des eaux que la population est contrainte de consommer. C’est que la reconstruction d’un pays implique des moyens matériels et financiers, certes promis par des bourgeoisies en quête d’influence et de marchés mais jamais dispensés : plus de 70 % des subventions annoncées n’ont pas été versées.
Pis, la diffusion de la bactérie est favorisée par des flux migratoires chaotiques dus aux milliers d’expulsions par des propriétaires impatients de récupérer leurs terrains occupés par les camps.
La loi du profit fera toujours de la bourgeoisie une classe d’assassins sans scrupules.
V. (30 octobre)
1 Voir l’article “En Haïti, l’humanitaire comme alibi [59]” dans Révolution internationale no 409.
2 Comme le disait un fonctionnaire de l’ONU, “Haïti est devenue comme un Paris-Dakar de l’humanitaire”.
3 Dirigeants qui, de Sarkozy (dont le ministre Besson avait promis d’interrompre les expulsions, promesse qui n’a tenu que dix jours !) à Obama, n’ont jamais eu d’états d’âme pour renvoyer chez eux, et à coups de matraque, ces Haïtiens cherchant à échapper aux horreurs qui dévastent ce pays.
De récents articles de journaux de Simon Jenkins, dans The Guardian du 10 septembre par exemple, ont montré certains liens au sein de la bourgeoisie sur la question des drogues ; la faillite évidente de la “guerre contre les drogues”, de légaliser telle ou telle drogue, ou de les criminaliser ou non, etc. Tout cela n’est que du vent. Les drogues et leur business font partie intégrante des aspects de la vie du capitalisme et, pire encore, sont des aspects intrinsèques du militarisme, de l’impérialisme et de la décomposition capitaliste. Jenkins souligne que les 28 000 assassinats au Mexique ces dernières quatre années sont un effet direct du commerce de la drogue. Il fournit également une estimation d’un demi-million de gens directement employés dans ce commerce – alors que d’autres estimations les montent à un million (1). Au Mexique, l’industrie de la drogue est un des rares secteurs en pleine expansion dans un pays où la pauvreté frappe de plus en plus lourdement. Le président Felipe Calderon a d’ailleurs reconnu une défaite dans sa guerre de quatre ans contre le trafic de drogue. Un expert de cette “guerre contre la drogue”, Edgardo Buscialga a considéré, dans The Guardian du 13 septembre 2010, que la prédominance des cartels de la drogue au Mexique consistait en une “narco-insurrection”, et la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, au début du mois de septembre, en est venue à suggérer que le Mexique était un Etat en faillite.
Jenkins insiste avec regret sur l’impact de la criminalisation des drogues sur les démocraties d’Amérique latine, sur la Bolivie, le Pérou, la Colombie et encore sur le Mexique. Mais ces Etats démocratiques n’ont été “pollués” par la drogue illégale, et particulièrement dans la période actuelle où le capitalisme pourrit sur pied, que parce que ces Etats relativement faibles ne pouvaient être que des organisations de gangsters ainsi que toute la criminalité qui va avec. Il en est de même des puissances plus fortes et majeures dont les services secrets et militaires sont profondément impliqués dans l’industrie de la drogue. Quelles soient légales ou illégales, les drogues ne sont pas un problème latino-américain, mais une des faces de l’impérialisme mondial.
Pour donner un exemple : à la frontière canadienne, malgré les divers mesures répressives, le business “drogues contre des armes” ou pour du cash est tout à fait aussi actif sinon aussi dramatique qu’au sud des Etats-Unis. La police canadienne estime à une centaine de milliers de Colombiens britanniques engagés dans le seul trafic de la marijuana. Il existe de véritables Nations-Unies des gangs criminels organisés avec des dizaines de milliers de gens inclus dans le passage rapide aux frontières du Canada vers les Etats-Unis, impliquant des bandes grandissantes de voyous en motos. Simon Jenkins propose de distinguer entre drogue “dure” et drogue “douce” impliquant un élément de décriminalisation. Mais lui-même, bien qu’il ne voit d’issue au problème, a raison de poser la question de l’hypocrisie de la “guerre contre les drogues” et note les mots de l’ancien chef de la lutte anti-drogue aux Nations-Unies, Antonio Maria Costa, avec une colère justifiée : Costa a récemment suggéré que les 352 milliards de dollars du cartel de la drogue avaient aidé à soutenir la faillite du système économique mondial de 2008-2009 en fournissant de nombreuses liquidités qui y étaient nécessaires. Mais même cela n’est pas l’indication majeure de la taille de l’industrie de la drogue et de ses relations avec l’irrationalité et la décomposition de la société capitaliste.
Depuis plusieurs années déjà, le pavot, symbole du carnage de la guerre (2), a gagné une valeur ajoutée piquante. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime a détaillé la culture du pavot afghan comme étant passé de 64 % de la production mondiale de l’héroïne à 92 % aujourd’hui. Il estime également le nombre d’Afghans impliqués dans la production générale et dans le processus de distribution entre 1,7 et 2,3 millions de personnes. Depuis la même période, le prix de base de l’opium sec est tombé de 69 %. L’occupation militaire britannique de la province de Helmand a supervisé la culture de la production de pavot qui s’étend aujourd’hui à 70 000 hectares. Dans le contexte de l’impérialisme, la “guerre contre la drogue” est aussi frauduleuse que la “guerre contre le terrorisme”. Dans les deux cas, le capitalisme est amené à utiliser la décadence de son système afin de s’en nourrir lui-même. Ceci a pour conséquences qu’on peut voir ou cacher, débattre ou ne pas prendre en considération toutes les dévastations qu’il cause, mais toute l’humanité est concernée.
Au début de 2007, les Nations Unies estimaient qu’il y avait environ un million de dépendants à l’opium en Afghanistan, dont 600 000 de moins de 15 ans et un nombre grandissant de femmes (Al Jazeera du 15 juillet 2007). L’héroïne bon marché d’Afghanistan est en train d‘avoir des effets dévastateurs en Iran, en Inde, en Russie, aux Etats-Unis, au Canada et en Chine, où elle est la cause d’instabilité sociale particulière, sans compter avec le Sida et d’autres maladies, de la prostitution et des éléments d’esclavagisme qui vont avec.
Dans les pays principaux de l’Europe, les effets de la misère sont ressentis directement depuis les îles écossaises, où les marins sans emploi, de solides et forts membres de la communauté, avec des compensations en poche, tombent dans les bras de “Madame La Joie”.
D’un côté du monde à l’autre, des régions les plus pauvres à celles relativement mieux loties, l’héroïne afghane sème son chaos.
Il y a une semaine ou deux, des journaux (également la BBC du 12 septembre) ont rapporté un informateur tirant la sonnette d’alarme à propos de “grandes quantités” d’opium ayant été exporté d’Afghanistan par des avions américains, canadiens et britanniques. Cela est tout à fait possible et n’est pas forcément en lien avec une politique délibérée des militaires, mais c’est une conséquence directe de l’impérialisme. Lorsque la production de l’opium en Afghanistan a commencé à s’envoler au début des années 1990, face à la Colombie et à la Birmanie, ses rivales dans le commerce de l’héroïne, la CIA a fondé et soutenu le seigneur de la drogue, Ahmed Shah Massoud. Le MI6 l’a aussi armé et assuré dans cette position, et les services secrets britanniques ont appris à son entourage immédiat (3) l’anglais : auparavant, il a entretenu des liens avec le KGB russe ainsi qu’avec les services secrets français. Comme l’intervention directe de l’Ouest en Afghanistan dès la fin de 2001, la production d‘opium afghane a augmenté de 33 %. D’après ce que dit l’ex-ambassadeur britannique en Ouzbékistan, Craig Murray, dans un article de 2007 du Daily Mail, les services secrets occidentaux ont aidé l’Afghanistan à dépasser la simple production fermière d‘opium vers une conversion de l’héroïne à un niveau industriel avec, cela va sans dire, l’implication directe de l’Etat afghan. Le grand changement opéré ici est l’exportation d’héroïne plutôt que d’opium, et cela nécessite de grandes usines, des volumes de produits chimiques importés, des ouvriers et de nombreux moyens de transport pour exporter les produits raffinés (c’est une des nombreuses ironies de l’Afghanistan que l’Ouest paye les talibans pour qu’ils veillent au moins partiellement à l’exportation de l’héroïne raffinée).
Avant 1979, très peu d’opium venait d’Afghanistan vers l’Ouest, mais alors la CIA, dans sa campagne anti-russe a commencé à envoyer des camions d’armes à Karachi, d’où ils revenaient chargés d’héroïne (The Road to 9.11, UCP, 2007).
Le rôle des services secrets de l’impérialisme dans le commerce de la drogue est remarquable depuis la Seconde Guerre mondiale : la CIA et l’implication de la mafia corse dans le commerce de cocaïne à la fin des années 1940 – la fameuse “French connection” ; en Birmanie, au Laos et en Thaïlande dans le Triangle d’Or, où la CIA envoyait de la drogue à travers toute l’Asie du Sud-Est ; au Panama dans les années 1970 avec l’implication américaine dans le trafic de drogue avec leur marionnette Noriega ; au Vietnam, où la compagnie “Air America” contrôlée par la CIA envoyait de la drogue entre le Laos et Hong-Kong ; le commerce de cocaïne en Haïti dans les années 1980 ; la politique de la CIA dans l’Irangate (“Iran-Contra”) où des armes étaient vendues à l’Iran pour financer des militants anti-communistes au Nicaragua, militants qui étaient aussi par ailleurs “soutenus” par un gigantesque trafic de cocaïne aux Etats-Unis mêmes ; et, plus récemment, les “taxis de la torture” de la CIA, qui servaient à livrer à des bourreaux “amis” des prisonniers de Guantanamo ou ailleurs, et qui servaient aussi à transporter la drogue via les aéroports européens comme Gatwick avec, on peut supposer, l’aval des Etats concernés qui ont soit fermé l’œil soit été directement complices.
La CIA et les services secrets pakistanais, à travers la Banque de Crédit et de Commerce Internationale, utilisant aussi les services britanniques et le Mossad, ont trouvé un facteur majeur de financement, à travers les profits de vente d’opium, le Jihad des Etats-Unis, du Pakistan, de l’Arabie Saoudite, de la Grande-Bretagne, contre les Russes en Afghanistan dans les années 1980.
Ce n’est qu’une partie de l’étendue du rôle de l’impérialisme dans le commerce de la drogue et de l’abjecte hypocrisie de la “guerre contre la drogue”. En remontant bien plus loin en arrière, nous avons l’exemple de la “Guerre franco-anglaise de l’opium” contre la Chine. Pour citer Karl Marx dans le New York Daily Tribune du 25 septembre 1858 : “(le) gouvernement britannique, la bouche pleine de bonnes paroles chrétiennes et civilisées (…) prétend dans sa capacité impériale n’avoir rien à voir avec la contrebande d’opium, et signe même des traités l’interdisant”.
Il n’y a rien de nouveau sous le soleil capitaliste ; on comprend ainsi la “guerre contre la drogue” du Premier ministre Lord Palmerston en même temps que sa guerre pour la culture, la propagation et la vente forcées de l’opium. Une certaine quantité de ce dernier était aussi vendue à la classe ouvrière de Grande-Bretagne sous l’appellation généreuse de “Cordial de Godfrey”, un opiacé utilisé pour droguer les enfants alors que les deux parents travaillaient4, produisant des générations de drogués à l’opium.
En un certain sens, il s‘agissait de la “revanche” de la Chine et de l’Inde, mais en fait l’ensemble du commerce de l’opium était totalement irrationnel et aux dépends du commerce d‘autres produits. La Compagnie des Indes Orientales cessa de devenir l’exportatrice directe de l’opium vers la fin des années 1700 mais devint sa productrice, alors que les propres bateaux de la compagnie étaient sentencieusement interdit de trafiquer la drogue. Malgré les tentatives de l’Empire Céleste de combattre l’importation de la production britannique de l’opium indien en Chine, la Grande-Bretagne et Palmerston facilitaient ce “commerce” par la force des armes. Marx a montré cette irrationalité et cette expansion du capitalisme sans moralisation. Mais, dans un article paru dans le New York Daily Tribune du 20 septembre 1858, titré “Commerce ou opium ?”, il cite l’Anglais Montgomery Martin : “Pourquoi le ‘commerce des esclaves’ était comparé sans pitié au ‘commerce de l’opium’. Nous n’avons pas détruit les corps des Africains, car c’était dans notre intérêt immédiat de les garder en vie ; nous n’avons pas dégradé leur nature, corrompu leurs esprits, ni détruit leur âme (juste un peu, NDLR). Mais le marchand d‘opium tue le corps après qu’il ait corrompu, dégradé et annihilé l’être moral de malheureux sinners, pendant que chaque heure apporte de nouvelles victimes au Moloch qui ne connaît pas de satiété, et où le meurtrier anglais et le Chinois suicidaire se font concurrence pour apporter leurs offrandes à son autel”.
Il a été dit que Marx soutenait les guerres de l’opium de la Grande-Bretagne contre la Chine, mais ce n’est pas vrai et provient d’une mauvaise lecture du Manifeste communiste sur comment les marchandises bon marché du capitalisme “battent en brèche tous les murs de Chine, avec lesquelles il force les barbares qui haïssent intensément les étrangers à capituler”.
En fait, dans ce cas, il ne s’agissait pas de marchandises bon marché mais de cuirassés, d’artillerie et d’opium – ce dernier assez bon marché pour fournir à la Compagnie des Indes Orientales et donc à l’Etat anglais un retour de 800 % des volumes de ce commerce “particulier”.
Encore d’après Marx, du journal cité plus haut, sur l’ironie délirante de cette situation tout à fait bizarre : “Alors que le demi-barbare se fiait aux principes de la moralité, l’homme civilisé lui a opposé le principe de l’égoïsme. Qu’un empire immense, qui végète en dépit du temps, isolé par la force des échanges entre les nations, et qui réussit ainsi à s’imaginer d’une perfection céleste – qu’un tel empire soit enfin happé par le destin dans un duel à mort ou les représentants du monde antique semblent animés par des motifs nobles alors que les représentants de la société moderne se battent pour le privilège d’acheter à prix bas pour revendre à prix cher, voilà un couplet tragique plus étrange qu’un poète n’aurait pu l’imaginer”.
Aujourd’hui, alors que les contradictions du capitalisme en sont arrivées à un point extrême, dont le rapport entre drogues et impérialisme n’est qu’un exemple de plus, on nous sert le couplet absurde de la “guerre contre la terreur” et la “guerre contre la drogue”.
Baboon (24 septembre)
1 John Ross, El Monstruo - Dread and Redemption in Mexico City.
2 Depuis la guerre de 1914-18, une des fleurs de pavot, le coquelicot, est le symbole des soldats anglais morts dans les champs de Flandres.
3 Steve Coll, Ghost Wars.
4 Le Capital, voir le chapitre sur la grande industrie.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un échange qui a eu lieu sur notre site en espagnol (rubrique “Commentaire”) à propos de notre article “Gauche communiste et anarchisme internationaliste : ce que nous avons en commun” (1).
Le premier camarade affirme des points de désaccords avec notre analyse de la nature de l’anarchisme internationaliste. En particulier, il doute très fortement du bien-fondé de la collaboration avec les anarchistes, même “internationalistes”.
Le second tente de répondre en partie à ces critiques et pose surtout de nouvelles questions.
Nous ne répondrons pas ici à ces interrogations, nous les laissons pour l’heure en suspens (et nous renvoyons nos lecteurs à notre série de trois articles sur “Gauche communiste et anarchisme internationaliste”). Elles sont à nos yeux une contribution au débat, ouvert et fraternel, au-delà des désaccords, qui doit se développer à l’échelle internationale.
Chers camarades,
Avant tout, je vous envoie de loin mes plus sincères et fortes salutations. Je vous écris pour un certain nombre de raisons ; entre autres, un bref commentaire à votre article récemment publié dans Acción Proletaria (2) avec le titre “Gauche communiste et anarchisme internationaliste : ce que nous avons en commun”. Ce qui m’a frappé dans cet article, c’est cette salutaire culture du débat que vous pratiquez vis-à-vis d’autres mouvements prolétariens lorsqu’on a la volonté “de comprendre les positions de l’autre, de cerner honnêtement les points de convergence et de divergence” ; d’un autre côté, “encore faut-il savoir distinguer les révolutionnaires (ceux qui défendent la perspective du renversement du capitalisme par le prolétariat) des réactionnaires (ceux qui, d’une façon ou d’une autre, contribuent à la perpétuation de ce système)”. Et ceci, pour toujours mettre en avant les principes révolutionnaires communistes. Ceci dit, et je voudrais que vous preniez cette critique comme salutaire, il y a un point dans cet article que je ne partage pas du tout. Votre texte dit : “[Ces maladresses de notre part] révèlent la difficulté de voir, au-delà des divergences, les éléments essentiels qui rapprochent les révolutionnaires.”. Je considère que le communisme et l’anarchisme ne partagent pas des éléments essentiels, mais plutôt des perspectives générales pour l’humanité et peut-être certains objectifs immédiats qui peuvent faire que certaines interventions conjointes puissent être acceptables. Je pense que lutter pour la révolution communiste dans ces eaux troubles, froides et traîtresses du capitalisme avec des mouvements qui se prétendent et qui montrent une apparence de révolutionnaires est toujours dangereux à long terme. En fait, je ne sais pas si cet anarchisme “révolutionnaire” pourrait être catalogué comme tel. En tout cas, il faudrait regarder la pratique à long terme de l’anarchisme “révolutionnaire” pour tirer les conclusions appropriées et mettre en avant, depuis le début et d’une façon claire, les délimitations qui existent entre le communisme et l’anarchisme avant de mener une intervention commune. Cela ne signifie pas que je m’oppose à ce que l’on établisse certaines “alliances” avec les anarchistes pour lutter pour les intérêts généraux du prolétariat ; ce que je veux exprimer, c’est qu’on doit différencier avec plus de précision les éléments essentiels qui configurent le mouvement anarchiste. Je considère, en effet, que les éléments qui rapproche l’anarchisme du communisme ne sont pas essentiels, mais plutôt des éléments apparents et passagers quel que soit le degré d’honnêteté de l’anarchisme. Ce ne serait pas de trop de rappeler aux anarchistes eux-mêmes que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Une organisation révolutionnaire ne l’est vraiment que si, en premier lieu, elle ne perd jamais de vue la perspective révolutionnaire de transformer qualitativement le régime de production actuel qui génère tant d’oppression, mais aussi si elle ne se développe pas de façon permanente sur la base de principes programmatiques qui doivent être nécessairement homogènes ; des principes programmatiques dont l’objectif indispensable est l’abolition de tout ce qui existe avec une stratégie pour le mener à terme, une stratégie que l’anarchisme ne partage pas sur la forme et encore moins sur le fond : le communisme. Autrement dit, si on perdait de vue les principes communistes qui animent et donnent vie à une structure politique véritablement révolutionnaire, cela aurait pour conséquence l’oubli des différences politiquement transcendantales avec d’autres mouvements au moment même de sauvegarder la révolution elle-même, celle d’un prolétariat organisé en soviets. Je souhaiterais que ce que je dis ici soit pris comme une critique fraternelle, étant donné que c’est bien avec vous que je partage non seulement une bon nombre de principes, mais aussi des positions concrètes sur des faits concrets.
Leon’s
Il faut saluer le camarade Leon’s pour sa critique à l’article d’Acción Proletaria sur l’anarchisme. Dans l’article, et aussi dans cette critique de Leon’s, on met en avant le fait que l’internationalisme est une frontière de classe autant chez les marxistes que chez les anarchistes. Ce qui arrive souvent c’est qu’on parle d’internationalisme d’une façon confuse, abstraite, et cela donne lieu à de nombreuses ambiguïtés. Je ne fais pas du tout référence aux petits toutous apprivoisés de la bourgeoisie, qu’ils soient marxistes ou anarchistes, ça c’est une autre affaire ; je parle des camarades qui pensent et agissent avec loyauté, qu’ils soient anarchistes ou marxistes, qui se trouvent aujourd’hui sur le terrain de l’internationalisme. Ici et maintenant je me pose, personnellement, deux questions :
1) Je connais quelques camarades anarchistes honnêtes, mais qui ne pensent pas que la lutte de classe soit un fait déterminant dans la marche de l’histoire, qui parlent d’oppresseurs et d’opprimés, de peuple exploité par les riches et les multinationales, mais ne parlent pas de la lutte de classe comme quelque chose de central. Ceci est somme toute logique, puisque, historiquement, cette question de la lutte de classe n’a jamais été tout à fait claire chez les anarchistes. Donc, pour moi, la question concrète, une question qui n’est pas posée ni dans l’article du CCI ni dans le commentaire du camarade Leon’s, est de savoir si ces éléments qui ne pensent pas que la lutte de classe soit un facteur essentiel dans les changements historiques peuvent faire partie du terrain internationaliste. Voilà une question que je me pose et dont j’aimerais bien discuter.
2) D’un autre coté, je pense que l’internationalisme, comme le disait Lénine par rapport à la vérité, c’est toujours quelque chose de concret, parfaitement palpable et mesurable… ou est-ce qu’il existe des formes différentes d’internationalisme prolétarien ? C’est pour cela que je me permets d’attirer l’attention des camarades comme Leon’s, mais aussi ceux du CCI, sur une partie de l’introduction (3) à la brochure Nation ou classe, où il est dit que l’internationalisme prolétarien se concrétise sur une série de points que je me permets de citer en partie… Voici la citation : “Mais, quel est donc le véritable internationalisme ? Comment pouvons-nous le mettre en pratique ? L’internationalisme prolétarien se concrétise dans :
“1. La dénonciation totale des blocs impérialistes, des idéologies qui leur servent de sergents recruteurs, des partis qui les soutiennent.
“2. La dénonciation de la “neutralité”, du “tiers-mondisme”, des “troisièmes voies”, etc. qui ne sont que des leurres inventés par les nations de second ordre pour défendre leur propre appétit impérialiste.
“3. L’opposition radicale à toute idée de lutte nationale, d’autonomie, de fédéralisme, de racisme (ou son parallèle, la lutte “raciale”), dont la fonction est toujours celle de diviser le prolétariat et le diluer en toutes sortes de fronts interclassistes.
“4. La lutte intransigeante contre toute guerre impérialiste en menant en pratique face à elle le “défaitisme révolutionnaire”, autrement dit, la fraternisation entre ouvriers et opprimés des deux camps, en retournant des deux cotés les fusils contre leur propre commandement, contre leur capital national respectif.
“5. L’opposition de nos intérêts de classe contre l’intérêt national du capital. En luttant avec intransigeance contre tout licenciement, sacrifice, agression que le capital voudrait nous imposer au nom de la “sauvegarde de l’économie nationale” et d’autres mystifications semblables.
“6. Le soutien total aux luttes ouvrières des autres pays. En développant la seule forme de solidarité avec elles : rejoindre leur combat, en ouvrant un nouveau front de lutte contre notre propre capital national.
“7. La recherche de la coordination et de la centralisation internationales des luttes.
“8. L’unité dans une organisation internationale et centralisée de toutes les forces d’avant-garde du prolétariat.
“9. Donner à toutes les luttes qui sont menées aujourd’hui la perspective de la révolution prolétarienne mondiale qui détruise l’État bourgeois dans tous les pays, mette en avant le pouvoir mondial des conseils ouvriers, ouvre un processus d’abolition de la marchandise, du salariat et des frontières nationales en ouvrant le chemin vers la communauté humaine mondiale, le communisme. Il est clair que la révolution commencera probablement dans un pays, mais devra se donner pour tâche l’extension mondiale de la révolution, sinon elle sera condamnée à l’échec.”
Germán
1 http ://fr.internationalism.org/ri414/gauche_communiste_et_anarchisme_internationaliste_ce_que_nous_avons_en_commun.html [147]
2 Organe de presse du CCI en Espagne.
3 à la première édition en espagnol, 1981 [164]. [NdT]
Il existe en Italie un groupe, Lotta Comunista, qui a non seulement la prétention de passer pour une avant-garde de la classe ouvrière mais aussi pour une des formations politiques de la Gauche Communiste, c’est-à-dire d’être issu au moins politiquement sinon organisationnellement, de ce courant politique qui, à partir des années 20 s’est opposé à la dégénérescence de la IIIème Internationale. Nous allons voir en quoi cela est totalement dépourvu de fondement et quels buts LC poursuit en fait.
Lotta Comunista est le nom du journal des Groupes léninistes de la Gauche Communiste. LC n’a jamais expliqué en quoi elle se réclame politiquement et théoriquement de la Gauche Communiste, des expériences de ces minorités qui, dans différents pays comme l’Italie, l’Allemagne, la Hollande, la Belgique, la Russie, le Mexique, la France, en s’affrontant aux forces de la répression capitaliste, ont cherché à maintenir le fil rouge de la continuité marxiste.
Si LC évite soigneusement toute référence aux positions de la Gauche Communiste, tout en continuant à se parer de son nom, c’est parce que les origines de cette organisation sont aux antipodes politiques de la Gauche Communiste. Elles s’enracinent dans la « Résistance » à l’occupation de l’Italie par les troupes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Certains des partisans, parmi lesquels Cervetto, Masini et Parodi, adhérèrent ensuite au mouvement anarchiste en constituant les Groupes Anarchistes d’Action Prolétarienne en 1951. Le congrès de formation des GAAP, à Gènes le 28 février 1951, est considéré par LC comme le point de départ de toute l’organisation telle qu’on la connaît aujourd’hui, si bien qu’une manifestation commémorative du 25° anniversaire (« Lotta Comunista – 25 ans ») a eu lieu en février 1976 à Gènes.
Il est donc plus qu’évident que le fait que LC se réclame de la Gauche Communiste est un faux historique.
Pour LC, le marxisme est une métaphysique, planant au dessus de la société, des classes et de la lutte entre celles-ci ; il n’est pas l’expression d’un mouvement réel d’émancipation du prolétariat, mais une révélation, une religion – donnée pour une science à appliquer – détachée de la réalité et de la matérialité du prolétariat dans son rapport contradictoire avec le capital. Le « marxisme » de LC n’est que le produit de la pensée d’idéologues fondée sur des spéculations philosophiques. Pour se donner une certaine crédibilité, Lotta Comunista accole l’adjectif « scientifique » à ses élucubrations en vertu desquelles nous avons le parti comme lieu où naît et vit la « science de la révolution », nous avons le programme révolutionnaire « scientifique », la « science prolétarienne ». Le développement de la prétendue science marxiste se produirait donc dans le cerveau de penseurs armés par la « science révolutionnaire » et non pas en tant que théorie élaborée par le prolétariat dans son mouvement antagonique à la société capitaliste. Aujourd’hui, ce corpus immuable de la « science marxiste » serait en dépôt chez LC qui s’en sert pour se développer indépendamment des vicissitudes du mouvement réel des montées et des reflux de la lutte des classes.
Pour LC, la crise économique n’existe pas. Ce serait d’ailleurs une petite histoire inventée par les patrons pour attaquer la classe ouvrière. En 1974, LC avait d’ailleurs publié une brochure au titre significatif : « Mais quelle crise ? ».
Le capitalisme serait en expansion continue grâce à des zones entières et des marchés que le capitalisme doit encore conquérir.
LC en veut pour preuve les statistiques de l’OCDE, de la revue Fortune ou du Financial Time. Le journal, au lieu d’être un journal d’études mais aussi de propagande et de combat, après la première page qu’on pourrait définir comme philologique, tient la chronique des concentrations d’entreprises sans que n’apparaisse à quelque endroit la préoccupation de la perspective révolutionnaire. La rubrique des luttes ouvrières dans le monde ne donne qu’un instantané des grèves sans aucune analyse du niveau de conscience, de combativité ou de l’organisation autonome Au fond, ce n’est pas par hasard : LC ne voit dans le prolétariat que du capital variable, qu’un producteur de plus-value, exactement comme le capital. Il n’y a aucune analyse, aucune vision dynamique du devenir de la lutte de classe et de ses perspectives, mais uniquement une vision statique, où le prolétariat est conçu comme une addition d’individus, atomisés, à conduire demain à la révolution – ou à ce qui est donné pour tel.
Pour examiner la position de LC sur la classe ouvrière et la lutte de classe, il faut se référer à trois éléments à la base de la conception que LC : la conception « léniniste » du parti, le rôle des syndicats et, enfin, la phase économique actuelle qui imposerait une « retraite en bon ordre » de la classe ouvrière.
LC développe une conception de la conscience et du parti selon laquelle le prolétariat n’est pas capable de faire mûrir une prise de conscience communiste, que celle-ci, au contraire, doit lui être transmise exclusivement par le parti, formé d’intellectuels bourgeois dédiés à la cause révolutionnaire.
Avec cette vision, LC ne tient aucun compte des luttes réelles du prolétariat, mais s’attache au niveau de syndicalisation de la classe ouvrière et à sa propre influence dans son syndicat d’adoption, la CGIL « rouge ». Le discours de LC est simple : étant le parti révolutionnaire, il faut organiser et diriger la classe ouvrière et, pour y parvenir, prendre la direction du syndicat, par tous les moyens.
En conséquence, les interventions de LC dans la classe ouvrière ne sont jamais destinées à élever le niveau de conscience du prolétariat, mais visent à conquérir quelques cadres de plus et de nouveaux espaces politiques à contrôler. .
Finalement, comme pour LC, le capitalisme est dans une phase économique de croissance continue et la tâche de la classe ouvrière est essentiellement d’attendre que les conditions mûrissent, que le capitalisme soit implanté sur toute la planète dans toute sa plénitude. Ce groupe a lancé en 1980 le mot d’ordre de « retraite en bon ordre » :
« … nous avons depuis longtemps repris le mot d’ordre léniniste courageux de regrouper autour du parti révolutionnaire les forces conscientes et saines de la classe ouvrière disposées à faire des efforts dans une retraite en bon ordre, sans débandade, déceptions, confusions, démagogie. »1,
Conclusion : il faut vraiment travailler à émousser l’agressivité des luttes pour éviter, à ce qu’il semble, une « déroute dans le désordre ». LC en arrive même à « reprocher » au vieux parti stalinien italien, le PCI, d’avoir été trop loin : « Comme ce n’est pas par hasard que le PCI en soit arrivé au contraire à concevoir les ‘coups de force’ syndicaux qui accentuent le chemin désordonné des luttes ouvrières pour défendre son propre poids parlementaire dans l’intérêt exclusif des fractions bourgeoises ».2
La même critique est faite au « grand syndicat », la CGIL, dont LC rêve de prendre la tête :
« Le grand syndicat, ayant au contraire rejeté la tâche que nous lui avions indiquée au début de la crise de restructuration, d’organiser une retraite en bon ordre pour être ensuite en mesure de réorganiser la reprise, a fini par faire pleurer les entrepreneurs et les gouvernants, non parce qu’il était fort, mais à cause de la crise d’autorité et de confiance qu’il subissait ». 3
Voila les mouches du coche qui conseillent – sans être écoutées – le syndicat sur ce qu’il lui faut faire. Mais celui-ci ne les écoute pas et entre en crise, faisant pleurer – et là, c’est le plus beau – les patrons et les gouvernants. Pourquoi donc les patrons et les gouvernants pleureraient-ils la crise du syndicat ? Il n’y a qu’une réponse : parce que va leur manquer l’outil qui, grâce à son autorité morale et matérielle, enchaîne les travailleurs au char du capital. Ainsi, ce sont, au contraire, les Comités de base qui naissent4 ; si, à l’opposé, le syndicat avait écouté les conseils de LC, il ne se retrouverait pas dans la situation d’avoir à régler des comptes avec les Comités de base, c’est-à-dire avec la tendance des ouvriers à se libérer du carcan syndical et à commencer à s’organiser de façon autonome, obligeant le syndicalisme à se radicaliser pour mieux encadrer les ouvriers.
Tout cela conduit à une pratique politique dont l’objectif n’est pas de favoriser la maturation dans la classe ouvrière, mais le renforcement des positions du « parti » au détriment de la classe ouvrière.
Voici un exemple de cette politique aux conséquences profondément négatives :
En 1987, quand les travailleurs de l’école s’organisent en Comités de base, LC vient dans quelques assemblées pour proclamer qu’il ne s’agit pas de constituer un nouveau syndicat mais de prendre la direction politique de ceux qui existent. Ce qui signifie : ne pas abandonner la CGIL, laisser la direction du mouvement à LC et tout ira pour le mieux. Mais le mouvement des travailleurs de l’école en 1987 était un mouvement qui commençait à s’organiser sur des bases de classe, malgré toutes ses faiblesses. Econduite, LC a préféré alors calomnier publiquement le mouvement en le définissant comme un mouvement « sudiste » (puisqu’il était surtout développé au sud de l’Italie, LC en faisait quasiment un mouvement régionaliste), « bouillon de culture des futurs dirigeants des partis parlementaires », et appelait au contraire à un congrès extraordinaire de la CGIL. Cela signifiait tout platement que la CGIL devait se réveiller et ne pas laisser s’échapper les travailleurs de l’école en lutte. Voila les « révolutionnaires » à l’œuvre !
LC s’affirme « contre tous les partis parlementaires » et « contre l’Etat et la démocratie », mais cosigne avec le PCI, la DC, le PR, la DP et le PSI (tous partis de l’appareil d'Etat italien) un communiqué de presse, de « ferme condamnation du terrorisme et de toutes les forces qui lui sont associées » appelant « tous les travailleurs à repousser la grave attaque menée par ces forces économiques et politiques qui tendent à déstabiliser la démocratie de notre pays ». (souligné par nous, NDR)
En ce qui concerne les élections, LC se déclare abstentionniste, mais quand l’abstentionnisme devient trop impopulaire comme en 1974, lors du référendum sur l’abrogation du divorce, LC donne alors l’indication de voter pour le « non », assaisonnant sa position de phrases du genre : « Le vote ne suffit pas, il faut continuer la lutte. » En réalité, LC ne fait que prendre position, à l’instar des extra-parlementaires de ces années là, en faveur d’une fraction bourgeoise contre une autre.
La question de la participation à la guerre impérialiste est une question particulièrement lourde de conséquences parce qu’elle délimite le camp prolétarien du camp de la bourgeoisie. Bien que LC se déclare internationaliste, elle apparaît particulièrement compromise sur ce plan.
Une brochure de 1975 explique qu’en 1943, « face au délabrement de la bourgeoisie, les premiers noyaux ouvriers se sont organisés spontanément : de la grève on passe à la lutte armée. C’EST LE DEBUT DE LA RESISTANCE ! Les ouvriers gagnent les montagnes, s’organisent clandestinement dans les villes et les usines. A la construction de la nouvelle société s’oppose comme premier obstacle, comme premier ennemi, la présence des fascistes et des nazis. C’est contre ces valets du capital que les partisans doivent commencer à combattre. Mais les ouvriers savent bien que cela ne peut être l’objectif, mais seulement un passage obligé pour arriver au socialisme ».5
Ce discours se situe complètement sur le terrain de la bourgeoisie. En effet, les bandes de partisans sont des regroupements interclassistes au service de l’impérialisme « démocratique » et même les organisations qui agissaient en ville et dans les usines, les GAP et le SAP6, bien que constituées d’ouvriers, étaient complètement dirigées par le PCI (le parti stalinien italien) et d’autres partis bourgeois. Les révolutionnaires se devaient au contraire de dénoncer que des ouvriers se soient laissés entraîner dans une « guerre du peuple » au service de l’impérialisme où ils ne défendaient pas leurs propres intérêts mais ceux de leur ennemi de classe. C’est vrai qu’en mars 1943, les ouvriers se sont mis en grève avec des revendications de classe, pas antifascistes, mais il est aussi vrai que ces grèves et celles qui ont suivi ont été dénaturées et dévoyées sur le terrain de l’antifascisme. Les prolétaires en uniforme de l’armée allemande – soit par instinct de classe, soit à cause des souvenirs de luttes ouvrières transmis par leurs parents – ont cherché en quelques occasions à prendre contact avec les ouvriers en grève et leur manifestaient leur sympathie en leur lançant des cigarettes7, mais ils ne trouvaient en face que les charognes staliniennes du PCI qui leur tiraient dessus pour empêcher une fraternisation entre prolétaires au-delà des nationalités et des langues. Les ouvriers italiens et les prolétaires sous l’uniforme allemand – nous parlons de l’armée allemande composée en grande partie de prolétaires comme toutes les armées et non pas de la Gestapo et des SS – commençaient à mettre spontanément en pratique l’internationalisme prolétarien. LC, au contraire, voit dans ces prolétaires - définis comme des Nazis – le premier ennemi à abattre.
Dans la même brochure, on lit encore que les ouvriers comprendront qu’il faut prendre le pouvoir à la bourgeoisie « et c’est ce que nous chercherons à faire, là où nous réussirons à prendre le pouvoir même si c’est pour peu de temps : formation de nouvelles structures politiques dans lesquelles sera rassemblé le pouvoir de faire des lois et de les faire exécuter en nommant directement les maires et les fonctionnaires ; gestion des usines ; exercice direct du pouvoir judiciaire et liquidation des fascistes ».8 L’effronterie de LC n’a pas de limite. On voudrait nous faire croire que les Comités de Libération Nationale (CNL), auxquels il est fait implicitement référence dans le passage précédent, seraient des organismes prolétariens, alors que les CLN n’étaient formés que des partis de la bourgeoisie qui soumettaient les ouvriers aux exigences de la guerre impérialiste.C’est une autre catastrophe, que des groupes comme LC qui se font passer pour les héritiers de la Gauche Communiste et de Lénine, en arrivent à exalter la Résistance en la présentant comme une révolution manquée, alors que la Résistance fut au contraire une des expressions de la contre-révolution.
Pour finir, on peut se demander sur quoi repose l'internationalisme revendiqué par un groupe comme LC qui, provenant de la Résistance, n’a même pas tenté de renier cette expérience avec un minimum de critique ? Toujours fidèle à l’idée d’achever la révolution bourgeoise avant d’oeuvrer à la révolution prolétarienne, LC s’est fixé comme tâche d’appuyer toutes les luttes d’émancipation nationale par rapport aux soi-disants impérialismes ; LC n’a pas réussi à prendre en compte la leçon de Luxembourg que dans l’époque actuelle de décadence du capitalisme, tous les Etats, petits ou grands, forts ou faibles, sont obligés de mener une politique impérialiste.
C’est ainsi que LC met en avant [qu’] « intervenir activement contre toute manifestation de la force impérialiste prédominante dans son pays signifie se mettre au premier rang sur le front de la lutte de classe internationale. Participer à chaque lutte qui frappe, directement ou indirectement, un ou tous les secteurs de l’impérialisme, participer en se distinguant idéologiquement et politiquement avec ses propres thèses, mots d’ordre, résolutions et en dénonçant la dialectique unitaire de l’impérialisme. » Et elle se fixe pour tâche « dans les colonies et semi-colonies, [de] lutter par tous les moyens contre l’impérialisme, en appuyant toutes ces actions et initiatives des bourgeoisies nationales qui vont effectivement et concrètement contre les forces impérialistes, étrangères ou locales. »9
LC a même republié tous les articles de son fondateur historique Cervetto10 argumentant en faveur du soutien à la Corée : « … nous tenons pour la tâche des masses travailleuses de lutter pour que les troupes américaines et chinoises abandonnent la Corée et que le peuple coréen soit libre d’œuvrer à sa propre émancipation nationale et sociale en prenant la seule voie révolutionnaire, sans interférence soviétique, chinoise ou de l’ONU »11 ; tout comme « en faveur de l’indépendance africaine » : « La révolte anti-impérialiste des peuples africains n’est pas en fait le prélude à la formation de la société socialiste sur ce continent. C’est une étape nécessaire pour faire une brèche dans la domination impérialiste, pour la désagrégation de la stratification féodale, pour la libération des forces et énergies économiques nécessaires à la constitution d’un marché national et d’une structure capitaliste industrielle. (…) Ce n’est que pour cela que nous soutenons la lutte d’indépendance africaine. »12
C’est ainsi que LC est amenée à encenser les personnalités bourgeoises en lutte contre d’autres bourgeoisies : « Lumumba est un combattant de la révolution coloniale sur la tombe duquel le prolétariat, un jour, déposera la fleur rouge. Nous qui, de façon marxiste, avons critiqué et critiquons la confusion de son œuvre politique, nous le défendons contre les insultes. (…) Lumumba a su mourir en combattant pour rendre son pays indépendant. Nous les internationalistes, nous défendons son nationalisme contre ceux qui font de leur nationalisme (blanc !) une profession. »13
LC a aussi des paroles flatteuses pour le castrisme qui « devient révolutionnaire malgré ses origines, c’est-à-dire qu’il est obligé de rompre de façon décisive avec le passé ».14
Et, bien sur, pour le Vietnam : « Pour ceux qui, comme nous, ont soutenu depuis toujours la lutte d’unification étatique en tant que processus de la révolution démocratique bourgeoise vietnamienne, la portée historique de la victoire politique et militaire de Hanoï transcende le fait contingent. »15
Il y a encore beaucoup de points critiques dans le passé lointain et moins lointain de LC qui pourraient être passés au crible.
Concrètement, ce qui ressort, c’est que face à la lutte de classe et aux problèmes de l’internationalisme, LC ne prend jamais, fondamentalement, la position révolutionnaire dans le conflit entre classes, et de ce fait, au-delà de toute la bonne volonté et de la bonne foi que peuvent déployer les militants de LC dans leur travail, celui-ci est destiné à produire des effets exactement contraires à ce qui est nécessaire pour le triomphe de la lutte de classe.
Ezechiele (6/04/2010)
1 Lotta Comunista n° 123, nov. 1980
2 idem
3 Parodi, Critica del sindicato subalterno,, Ed. Lotta Comunista.
4 Parodi, op.cit. p.30
5 Viva la Resistenza operaia, brochure de Lotta Comunista, avril 175, page 5.
6 Groupes d'Action Patriotique et Équipes d'Action Patriotique
7 Cf. Roberto Battaglia, Storia della resistenza italiana, Einaudi
8. Viva la Resistenza operaia, brochure de Lotta Comunista, avril 175, page 5.
9 Tiré de L’Impulso, 15 décembre 1954, publié aujourd’hui dans L’imperialismo unitario ,page 113, Lotta Comunista Ed. (souligné par nous).
10 Arrigo Cervetto (1927-1995) est né à Buenos Aires de parents émigrés italiens. Jeune ouvrier à Savona, il participe à la libération par les partisans contre le fascisme et milite dans des organisations syndicales libertaires. Collaborateur à Prometeo et Azione Comunista jusqu’en 1964 où il il crée autour de lui le groupe LC et prône la construction d'un nouveau « parti ouvrier révolutionnaire », fondé sur un « travail quotidien d’organisation et d’éducation du prolétariat. »
11 Tiré de « Il Libertario », 13 décembre 1950, publié aujourd’hui dans ‘L’imperialismo unitario, page258, Lotta Comunista Ed.
12 Tiré de Azione Comunista n° 44, 10 avril 1959, aujourd’hui republié dans L’imperialismo unitario ,page 258, Lotta Comunista Ed.
13 Tiré de Azione Comunista n° 59, mars 1961, aujourd’hui republié dans L’imperialismo unitario ,page 326, Lotta Comunista Ed.
14 Tiré de Azione Comunista n° 54, octobre 1960, aujourd’hui republié dans L’imperialismo unitario ,page 329, Lotta Comunista Ed.
15 Lotta Comunista n°57, mai 1975, aujourd’hui republié dans L’imperialismo unitario ,page 1175, Lotta Comunista Ed.
“La France n’est pas menacée”, selon la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. “La France n’est pas dans la même catégorie que l’Irlande ou le Portugal”, affirme l’Elysée.
Ouf, nous voilà soulagés… Un instant, nous avions eu la douloureuse impression que le capitalisme était plongé tout entier dans une crise économique mondiale effroyable, que dans tous les pays, la misère se répandait comme la peste, qu’aucun de nous, travailleurs, ne serait épargné… mais si les Autorités nous assurent que tout ce fléau va s’arrêter aux frontières de l’hexagone… alors… nous sommes rassurés.
En cette fin d’année 2010, la bourgeoisie française veut nous faire croire au Père Noël. Très bien, il existe peut être. Mais en ce cas, c’est vraiment une ordure !
Après la Grèce en mai, l’Irlande a sombré à son tour. Fin novembre, le “Tigre Celtique” a perdu ses griffes, ses crocs et sa queue. Le krach ! La faillite ! La banqueroute !
Durant les 20 dernières années, l’Irlande était pourtant sans cesse citée en exemple. Sa croissance était “époustouflante”, à l’image de celle des tigres asiatiques des années 1980-1990. D’où son surnom de Celtic Tiger. Un vrai petit modèle pour tous les gouvernements du monde. Mais, exactement comme ses cousins d’Orient, sa croissance était financée par… l’endettement. Et exactement comme ses cousins d’Orient qui se sont effondrés en 1997, le miracle s’est révélé être un mirage. L’Etat, les banques, les entreprises, les ménages, croulent tous aujourd’hui sous une montagne de dettes. Les familles ouvrières ont, en moyenne, un taux d’endettement de 190% ! En 2010, la totalité des engagements des banques irlandaises a atteint 1 342 milliards d’euros, soit plus de huit fois le PIB du pays (164 milliards d’euros en 2009) ! Or, ces créances que détiennent les banques ont perdu une grande partie de leur valeur avec la crise économique et l’explosion de la bulle immobilière. Les banques irlandaises se retrouvent donc aujourd’hui au bord du gouffre. Nombre de prêts qu’elles ont accordés ne pourront pas être honorés. La première d’entre elles, Anglo Irish Bank, a ainsi perdu 12,9 milliards d’euros en 2009 et presque autant rien qu’au premier semestre 2010.
Face au danger de faillites en cascade, l’Etat irlandais a déjà injecté 46 milliards de fonds propres dans ses banques mais au prix d’un déficit abyssal de 32 % du PIB (quand les critères européens fixent un maximum à 3 %). Et aujourd’hui, évidemment, c’est l’Etat lui-même qui sombre à son tour.
Cette situation économique catastrophique a donc contraint les pays de l’Union Européenne à se porter au chevet du malade. Ils ont débloqué 85 milliards d’euros d’aide. Cela ne soigne pas, certes, mais ça permet de gagner du temps, de prolonger l’agonie.
La bourgeoisie irlandaise n’a, dans toute cette histoire, qu’une seule consolation, elle n’est pas seule à sombrer. Le Portugal la suit de près, de très près. « Le Portugal devrait être le prochain sur la liste. Je ne sais pas si ce sera avant Noël, mais ce sera de toute façon inévitable l’année prochaine », a ainsi estimé Filipe Garcia, conseiller financier portugais au cabinet Informação de Mercados Financeiros. Là aussi, les dettes sont comme un boulet attaché aux pieds du pays qui l’entraîne inexorablement vers le fond. Et les gesticulations de la classe dominante portugaise n’y changeront rien. La dette publique ne cesse de gonfler et devrait, de l’aveu même du gouvernement, atteindre 82 % du PIB à la fin de l’année 2010.
Mais, à en croire José Socrates, le Premier ministre socialiste portugais les travailleurs peuvent être rassurés, “il n’y a aucun rapport entre le Portugal et l’Irlande” . Néanmoins, pour ceux qui auraient un doute envers la profonde honnêteté des grands dirigeants de la planète, continuons de voyager dans ce monde en crise.
Si des sueurs d’effroi coulent le long des tempes des dirigeants des pays européens, ce n’est ni pour l’Irlande, ni pour le Portugal… mais pour l’Espagne “L’Espagne est trop grande pour s’effondrer, et trop grande pour être renflouée”, a résumé l’économiste américain Nouriel Roubini, devenu l’une des voix les plus écoutées depuis qu’il a été le premier économiste, en 2007, à prédire la crise mondiale.
Selon le FMI, une bonne partie des banques espagnoles (plus d’une cinquantaine d’établissements) “souffrent” fortement de l’explosion de la bulle immobilière. “Un effondrement du système bancaire ne serait donc pas exclu”. Quand le FMI, cette grande institution internationale bourgeoise dont l’un des rôles est d’afficher les perspectives les plus optimistes possibles, commence à utiliser de tels euphémismes, “il n’est pas à exclure que…”, cela signifie que le pire est inévitable !
Le hic, c’est que la péninsule ibérique pèse 10 % du PNB européen. Le sauvetage de l’Espagne en cas de défaillance est ainsi estimé à 800 milliards d’euros, soit 10 fois l’aide apportée à la Grèce ! Inutile de dire qu’une telle débâcle serait synonyme d’une véritable tempête économique sur toute la zone euro.
Mais là encore, aucune crainte à avoir, les Autorités affirment quils ont tout sous contrôle. La preuve, le chef du gouvernement socialiste espagnol José Luis Rodriguez Zapatero a écarté “absolument” l’éventualité d’un plan de sauvetage financier à la grecque ou à l’irlandaise. Convaincant ? Non, n’est-ce pas ? Cette insistance pour dire, contre toute vraisemblance, que “tout va bien” est même plutôt inquiétante. Et la liste des pays en perdition est loin d’être terminée.
L’Italie croule tout simplement sous l’une des dettes publiques les plus élevées du monde, représentant près de 120 % de son PIB. Pour l’économiste canadien Robert Mundell, Prix Nobel d’économie, l’Italie constitue ainsi “la plus grande menace” qui soit pour la monnaie unique européenne.
Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne (Spain en anglais), ce quinté n’est pas une surprise, cela fait deux ans que tous les économistes pointent ces Etats du doigt comme des survivants en sursis. Le sigle qu’ils forment, PIIGS, est devenu un label pour “pays en faillite”. Mais aujourd’hui, fait nouveau, d’autres pays de la zone Euro sont ouvertement menacés par la banqueroute.
Si des doutes sur la solidité des Pays-Bas grandissent peu à peu, la Belgique est, elle, d’ores et déjà sur le sellette. Selon un article du journal britannique The Guardian, le plat pays serait en effet le prochain sur la liste des pays connaissant la plus forte crise économique.
Et la France, cette nation qui « n’est pas menacée”, où en est-elle vraiment ? Comme souvent, le coup le plus meurtrier est porté involontairement par ceux là-même qui s’efforcent le plus de soutenir et rassurer. Le président de l’agence de notation Standard & Poor’s, Deven Sharma, a ainsi affirmé “A l’heure actuelle, la France mérite son ‘rating’ AAA”1. Notez bien… “A l’heure actuelle”. Et voici le coup de grâce, “D’autres pays seront dégradés avant que la France ne le soit”. Les propos de Nouriel Roubini, “La France, par certains aspects essentiels, n’a pas l’air en bien meilleur état que la périphérie2”, sont finalement presque moins cruels.
Ces difficultés économiques profondes de l’Etat français se concrétisent déjà à travers des difficultés pour payer les fonctionnaires et les contractuels. Huit ministères (dont l’Education nationale) ont été contraints de contracter un prêt pour verser les payes de leurs agents en décembre. Et des milliers d’employés précaires (en CCD) en fin de contrat n’ont pas encore touchés leur prime de départ (10% du salaire) depuis le printemps !
Reste LE pillier de la Zone Euro, l’Allemagne. Avec près de 3 % de croissance, et un endettement étatique relativement limité, le pays d’outre-Rhin semble être actuellement le seul pays européen à tenir le coup. C’est en tout cas ce que disent les experts… Mais à y regarder de plus prêt, les fondations sont tout aussi pourries. L’Allemagne est le pays qui, après l’Irlande, a injecté, en 2008, le plus d’argent dans ces banques en difficulté avec 180,94 milliards d’euros. Le Financial Times a estimé, en septembre, que le système bancaire le plus menacé n’était ni portugais ni espagnol mais bel et bien allemand. « Il est dans son ensemble presque insolvable et le gouvernement doit se résoudre à sacrifier plusieurs établissements, sous peine de faire face à de graves problèmes », écrit le célèbre quotidien économique britannique. La chute de la maison irlandaise rend le problème d’autant plus urgent que les banques allemandes détiennent 205 milliards de dollars d’actifs irlandais… Un record au sein de la zone euro. De surcroit, l’appareil industriel est totalement dépendant des exportations alors que les débouchés extérieurs vont certainement se réduire fortement dans les mois et années à venir.
Bref, toute l’Union Européenne est mal en point. Mme Merkel, la chancelière allemande, a ainsi avoué, avant de se rétracter, que la zone euro était “dans une situation extrêmement sérieuse”. Avec Nicolas Sarkozy, ils ont commencé à annoncer la mise en place progressive de structure palliative permettant la mise en faillite officielle d’Etats européens avec, à la clef, une « restructuration de la dette ». Angela Merkel s’est alors empressée d’ajouter “Mais je ne vois pas d’Etat qui soit dans cette situation aujourd’hui”. « Aujourd’hui »… mais demain ?
Hors de la Zone Euro, il n’y a pas non plus de salut.
En Grande-Bretagne, la dette publique est de 100%, bien plus que la moyenne de ses voisins européens. Et les différents plans d’austérité censés réduire les déficits n’y changent rien.
Le Japon est plongé depuis plus d’une décennie dans la récession et les dernières nouvelles montrent que son cas s’aggrave. Sa dette publique frôle les 200% !
La première puissance mondiale, les Etats-Unis, est sans aucun doute le malade le plus atteint. Un seul chiffre. Le taux de chômage réel est de 22% (lors de la Grande dépression des années 1930, ce taux était de 25%). Cela signifie que 33 millions de citoyens américains se retrouvent aujourd’hui sans emploi.
Heureusement, il y a pour les économistes un espoir auquel s’accrocher, il se nomme la Chine. La Chine, c’est le Japon des années 1970/1980, les tigres asiatiques des années 1980/1990, l’Islande et l’Irlande des années 2000 : un dynamisme incroyable, une croissance époustouflante, un paradis pour golden boys, un Eldorado pour jeunes investisseurs… en un mot, une bulle qui finira comme les autres… par exploser ! Le boom chinois prendra alors un tout autre sens.
D’ailleurs, s’annoncent déjà les premiers signes de ce dénuement inévitable. L’empire du milieu a une immense bulle immobilière qui ne cesse de gonfler. L’inflation est en train de devenir galopante, 4,4% officiellement, le double officieusement. Les tensions entre yuans et dollars deviennent peu à peu insoutenables. Et la croissance s’avère au fil du temps de moins en moins élevé.
Comparer les tigres asiatiques et la Chine est abusif, nous rétorqueront les sceptiques. C’est vrai, sa chute va faire bien plus de bruit et de dégâts.
« D’un pays à l’autre, les potions utilisées sont différentes – pour ne pas dire opposées – mais elles ont en commun d’être inefficaces. Essayant toutes les combinaisons de remèdes – panachant des interventions des banques centrales et des plans de relance, ou les proscrivant au contraire – les gouvernements tirent dans tous les sens […]. Une ère est en train de se clore, dans laquelle le crédit était facile, aussi bien pour les ménages que pour les Etats. L’ensemble dopait une croissance dont on ne se souciait pas trop de savoir de quoi elle était faite, tant qu’elle se poursuivait allégrement. » (François Leclerc, économiste français).
Tout est là. Le capitalisme a vécu à crédit. Et cette « ère est en train de se clore ».
Depuis les années 1960, ce système survit effectivement par l’injection de plus en plus massives de crédits. La paye des ouvriers ne pouvant suffire à tout absorber, le marché mondial est saturé de marchandises. Pour ne pas être paralysé par la surproduction, pour écouler les produits fabriqués, le capitalisme a dû ouvrir à chaque crise de plus en plus grand les vannes de l’endettement, en 1967, 1973, 1986, 1993, 1997, 2001, 2007…
Après des décennies d’une telle fuite en avant, le résultat était inévitable : les ménages, les entreprises, les banques et les Etats sont tous pris à la gorge par leurs gigantesques dettes.
Il n’y a aujourd’hui plus aucune bonne solution pour le capitalisme. La planche à billets des Etats-Unis, du Japon ou de la Grande-Bretagne, les plans d’austérité européens, les tricheries chinoises avec la valeur de leur monnaie… tous ces pays prennent des chemins différents mais tous se dirigent inexorablement vers le même gouffre.
Il y a aujourd’hui deux symboles à cette absence totale de perspective pour l’économie capitaliste : la montée du protectionnisme et la « guerre des monnaies ».
Depuis le krach de 1929 et la Grande dépression des années 1930, toutes les nations avaient retenu une leçon essentielle : le protectionnisme engendre un chaos mondial indescriptible. Et depuis lors, son interdiction était plus ou moins respectée. Aujourd’hui, toutes les grandes puissances se livrent un véritable bras de fer économique, et elles sont prêtes à tout. Pourtant, au dernier G20 de Séoul, Merkel a demandé un ferme engagement de tous :”Nous devons tout faire pour éviter le protectionnisme ». Mais si elle a dû rappeler cette loi d’airain, c’est que les pressions internationales pour limiter les exportations allemandes et chinoises de par le monde, Etats-Unis en tête, sont de plus en plus importantes. « Exporter ou mourir » est en train de redevenir le cri de guerre économique de toutes les les bourgeoisies nationales concurrentes !
A propos de guerre, celle des monnaies fait la Une des médias depuis plusieurs mois. De quoi s’agit-il ? En fait, sur le marché monétaire, ce ne sont pas les devises qui s’affrontent, comme on aimerait nous le faire croire, mais les nations. Un seul exemple. En faisant tourner leur planche à billets et en créant ainsi des quantités inimaginables de dollars afin de soutenir artificiellement leur économie, les Etats-Unis font baisser la valeur même de cette monnaie. Ils exportent d’ailleurs ainsi plus facilement. Mais les pays qui détiennent des milliers de milliards de la devise américaine, comme la Chine, voit leur trésor fondre comme neige au soleil. La livre anglaise, le yuan chinois, le yen japonais comme l’Euro, toutes ces monnaies sont elles-aussi des armes aux mains de chaque Etat pour soutenir la demande intérieure et essayer de favoriser leurs propres exportations. Seulement, une telle « guerre des monnaies » implique aussi des risques de déstabilisation internationale incontrôlable : dévaluation massive, inflation galopante, explosion de l’euro…
Faillites de banques, de caisses d’épargne, de multinationales, de régions ou d’Etats, éclatement de la bulle chinoise, montée du protectionnisme, fin de l’euro, dévaluation massive du dollar ou de la livre sterling… personne ne peut savoir quelle planche pourrie va craquer la première sous nos pieds, ni quand. Une seule chose est certaine : dans tous les pays, l’avenir nous réserve des secousses économiques dévastatrices. Le capitalisme est un système moribond. Il entraîne progressivement, mais inexorablement, toute l’humanité vers les affres de la misère et de la guerre.
Aujourd’hui, comme hier, les gouvernements de tous les pays, quelle que soit leur couleur politique, de gauche comme de droite, appellent les travailleurs à « se serrer la ceinture », à « accepter des sacrifices » pour « relancer l’économie et renouer avec la croissance ». Mensonges ! Les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer… les sacrifices plus lourds encore de demain.
Seule la lutte de classe peut permettre de ralentir les attaques. Et seule la révolution prolétarienne internationale mettra fin au supplice qu’inflige ce système d’exploitation à une partie toujours plus importante de l’humanité.
Pawel (9 décembre)
1) La note AAA est la plus élevée, elle signifie que l’agence estime que cette économie nationale a les reins solides.
2) C’est à dire les PIIGS.
“La France n’est pas menacée”, selon la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. “La France n’est pas dans la même catégorie que l’Irlande ou le Portugal”, affirme l’Elysée.
Ouf, nous voilà soulagés… Un instant, nous avions eu la douloureuse impression que le capitalisme était plongé tout entier dans une crise économique mondiale effroyable, que dans tous les pays, la misère se répandait comme la peste, qu’aucun de nous, travailleurs, ne serait épargné… mais si les Autorités nous assurent que tout ce fléau va s’arrêter aux frontières de l’hexagone… alors… nous sommes rassurés.
En cette fin d’année 2010, la bourgeoisie française veut nous faire croire au Père Noël. Très bien, il existe peut être. Mais en ce cas, c’est vraiment une ordure !
Après la Grèce en mai, l’Irlande a sombré à son tour. Fin novembre, le “Tigre Celtique” a perdu ses griffes, ses crocs et sa queue. Le krach ! La faillite ! La banqueroute !
Durant les 20 dernières années, l’Irlande était pourtant sans cesse citée en exemple. Sa croissance était “époustouflante”, à l’image de celle des tigres asiatiques des années 1980-1990. D’où son surnom de Celtic Tiger. Un vrai petit modèle pour tous les gouvernements du monde. Mais, exactement comme ses cousins d’Orient, sa croissance était financée par… l’endettement. Et exactement comme ses cousins d’Orient qui se sont effondrés en 1997, le miracle s’est révélé être un mirage. L’Etat, les banques, les entreprises, les ménages, croulent tous aujourd’hui sous une montagne de dettes. Les familles ouvrières ont, en moyenne, un taux d’endettement de 190% ! En 2010, la totalité des engagements des banques irlandaises a atteint 1 342 milliards d’euros, soit plus de huit fois le PIB du pays (164 milliards d’euros en 2009) ! Or, ces créances que détiennent les banques ont perdu une grande partie de leur valeur avec la crise économique et l’explosion de la bulle immobilière. Les banques irlandaises se retrouvent donc aujourd’hui au bord du gouffre. Nombre de prêts qu’elles ont accordés ne pourront pas être honorés. La première d’entre elles, Anglo Irish Bank, a ainsi perdu 12,9 milliards d’euros en 2009 et presque autant rien qu’au premier semestre 2010.
Face au danger de faillites en cascade, l’Etat irlandais a déjà injecté 46 milliards de fonds propres dans ses banques mais au prix d’un déficit abyssal de 32 % du PIB (quand les critères européens fixent un maximum à 3 %). Et aujourd’hui, évidemment, c’est l’Etat lui-même qui sombre à son tour.
Cette situation économique catastrophique a donc contraint les pays de l’Union Européenne à se porter au chevet du malade. Ils ont débloqué 85 milliards d’euros d’aide. Cela ne soigne pas, certes, mais ça permet de gagner du temps, de prolonger l’agonie.
La bourgeoisie irlandaise n’a, dans toute cette histoire, qu’une seule consolation, elle n’est pas seule à sombrer. Le Portugal la suit de près, de très près. « Le Portugal devrait être le prochain sur la liste. Je ne sais pas si ce sera avant Noël, mais ce sera de toute façon inévitable l’année prochaine », a ainsi estimé Filipe Garcia, conseiller financier portugais au cabinet Informação de Mercados Financeiros. Là aussi, les dettes sont comme un boulet attaché aux pieds du pays qui l’entraîne inexorablement vers le fond. Et les gesticulations de la classe dominante portugaise n’y changeront rien. La dette publique ne cesse de gonfler et devrait, de l’aveu même du gouvernement, atteindre 82 % du PIB à la fin de l’année 2010.
Mais, à en croire José Socrates, le Premier ministre socialiste portugais les travailleurs peuvent être rassurés, “il n’y a aucun rapport entre le Portugal et l’Irlande” . Néanmoins, pour ceux qui auraient un doute envers la profonde honnêteté des grands dirigeants de la planète, continuons de voyager dans ce monde en crise.
Si des sueurs d’effroi coulent le long des tempes des dirigeants des pays européens, ce n’est ni pour l’Irlande, ni pour le Portugal… mais pour l’Espagne “L’Espagne est trop grande pour s’effondrer, et trop grande pour être renflouée”, a résumé l’économiste américain Nouriel Roubini, devenu l’une des voix les plus écoutées depuis qu’il a été le premier économiste, en 2007, à prédire la crise mondiale.
Selon le FMI, une bonne partie des banques espagnoles (plus d’une cinquantaine d’établissements) “souffrent” fortement de l’explosion de la bulle immobilière. “Un effondrement du système bancaire ne serait donc pas exclu”. Quand le FMI, cette grande institution internationale bourgeoise dont l’un des rôles est d’afficher les perspectives les plus optimistes possibles, commence à utiliser de tels euphémismes, “il n’est pas à exclure que…”, cela signifie que le pire est inévitable !
Le hic, c’est que la péninsule ibérique pèse 10 % du PNB européen. Le sauvetage de l’Espagne en cas de défaillance est ainsi estimé à 800 milliards d’euros, soit 10 fois l’aide apportée à la Grèce ! Inutile de dire qu’une telle débâcle serait synonyme d’une véritable tempête économique sur toute la zone euro.
Mais là encore, aucune crainte à avoir, les Autorités affirment quils ont tout sous contrôle. La preuve, le chef du gouvernement socialiste espagnol José Luis Rodriguez Zapatero a écarté “absolument” l’éventualité d’un plan de sauvetage financier à la grecque ou à l’irlandaise. Convaincant ? Non, n’est-ce pas ? Cette insistance pour dire, contre toute vraisemblance, que “tout va bien” est même plutôt inquiétante. Et la liste des pays en perdition est loin d’être terminée.
L’Italie croule tout simplement sous l’une des dettes publiques les plus élevées du monde, représentant près de 120 % de son PIB. Pour l’économiste canadien Robert Mundell, Prix Nobel d’économie, l’Italie constitue ainsi “la plus grande menace” qui soit pour la monnaie unique européenne.
Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne (Spain en anglais), ce quinté n’est pas une surprise, cela fait deux ans que tous les économistes pointent ces Etats du doigt comme des survivants en sursis. Le sigle qu’ils forment, PIIGS, est devenu un label pour “pays en faillite”. Mais aujourd’hui, fait nouveau, d’autres pays de la zone Euro sont ouvertement menacés par la banqueroute.
Si des doutes sur la solidité des Pays-Bas grandissent peu à peu, la Belgique est, elle, d’ores et déjà sur le sellette. Selon un article du journal britannique The Guardian, le plat pays serait en effet le prochain sur la liste des pays connaissant la plus forte crise économique.
Et la France, cette nation qui « n’est pas menacée”, où en est-elle vraiment ? Comme souvent, le coup le plus meurtrier est porté involontairement par ceux là-même qui s’efforcent le plus de soutenir et rassurer. Le président de l’agence de notation Standard & Poor’s, Deven Sharma, a ainsi affirmé “A l’heure actuelle, la France mérite son ‘rating’ AAA”[1]. Notez bien… “A l’heure actuelle”. Et voici le coup de grâce, “D’autres pays seront dégradés avant que la France ne le soit”. Les propos de Nouriel Roubini, “La France, par certains aspects essentiels, n’a pas l’air en bien meilleur état que la périphérie[2]”, sont finalement presque moins cruels.
Ces difficultés économiques profondes de l’Etat français se concrétisent déjà à travers des difficultés pour payer les fonctionnaires et les contractuels. Huit ministères (dont l’Education nationale) ont été contraints de contracter un prêt pour verser les payes de leurs agents en décembre. Et des milliers d’employés précaires (en CCD) en fin de contrat n’ont pas encore touchés leur prime de départ (10% du salaire) depuis le printemps !
Reste LE pillier de la Zone Euro, l’Allemagne. Avec près de 3 % de croissance, et un endettement étatique relativement limité, le pays d’outre-Rhin semble être actuellement le seul pays européen à tenir le coup. C’est en tout cas ce que disent les experts… Mais à y regarder de plus prêt, les fondations sont tout aussi pourries. L’Allemagne est le pays qui, après l’Irlande, a injecté, en 2008, le plus d’argent dans ces banques en difficulté avec 180,94 milliards d’euros. Le Financial Times a estimé, en septembre, que le système bancaire le plus menacé n’était ni portugais ni espagnol mais bel et bien allemand. « Il est dans son ensemble presque insolvable et le gouvernement doit se résoudre à sacrifier plusieurs établissements, sous peine de faire face à de graves problèmes », écrit le célèbre quotidien économique britannique. La chute de la maison irlandaise rend le problème d’autant plus urgent que les banques allemandes détiennent 205 milliards de dollars d’actifs irlandais… Un record au sein de la zone euro. De surcroit, l’appareil industriel est totalement dépendant des exportations alors que les débouchés extérieurs vont certainement se réduire fortement dans les mois et années à venir.
Bref, toute l’Union Européenne est mal en point. Mme Merkel, la chancelière allemande, a ainsi avoué, avant de se rétracter, que la zone euro était “dans une situation extrêmement sérieuse”. Avec Nicolas Sarkozy, ils ont commencé à annoncer la mise en place progressive de structure palliative permettant la mise en faillite officielle d’Etats européens avec, à la clef, une « restructuration de la dette ». Angela Merkel s’est alors empressée d’ajouter “Mais je ne vois pas d’Etat qui soit dans cette situation aujourd’hui”. « Aujourd’hui »… mais demain ?
Hors de la Zone Euro, il n’y a pas non plus de salut.
En Grande-Bretagne, la dette publique est de 100%, bien plus que la moyenne de ses voisins européens. Et les différents plans d’austérité censés réduire les déficits n’y changent rien.
Le Japon est plongé depuis plus d’une décennie dans la récession et les dernières nouvelles montrent que son cas s’aggrave. Sa dette publique frôle les 200% !
La première puissance mondiale, les Etats-Unis, est sans aucun doute le malade le plus atteint. Un seul chiffre. Le taux de chômage réel est de 22% (lors de la Grande dépression des années 1930, ce taux était de 25%). Cela signifie que 33 millions de citoyens américains se retrouvent aujourd’hui sans emploi.
Heureusement, il y a pour les économistes un espoir auquel s’accrocher, il se nomme la Chine. La Chine, c’est le Japon des années 1970/1980, les tigres asiatiques des années 1980/1990, l’Islande et l’Irlande des années 2000 : un dynamisme incroyable, une croissance époustouflante, un paradis pour golden boys, un Eldorado pour jeunes investisseurs… en un mot, une bulle qui finira comme les autres… par exploser ! Le boom chinois prendra alors un tout autre sens.
D’ailleurs, s’annoncent déjà les premiers signes de ce dénuement inévitable. L’empire du milieu a une immense bulle immobilière qui ne cesse de gonfler. L’inflation est en train de devenir galopante, 4,4% officiellement, le double officieusement. Les tensions entre yuans et dollars deviennent peu à peu insoutenables. Et la croissance s’avère au fil du temps de moins en moins élevé.
Comparer les tigres asiatiques et la Chine est abusif, nous rétorqueront les sceptiques. C’est vrai, sa chute va faire bien plus de bruit et de dégâts.
« D’un pays à l’autre, les potions utilisées sont différentes – pour ne pas dire opposées – mais elles ont en commun d’être inefficaces. Essayant toutes les combinaisons de remèdes – panachant des interventions des banques centrales et des plans de relance, ou les proscrivant au contraire – les gouvernements tirent dans tous les sens […]. Une ère est en train de se clore, dans laquelle le crédit était facile, aussi bien pour les ménages que pour les Etats. L’ensemble dopait une croissance dont on ne se souciait pas trop de savoir de quoi elle était faite, tant qu’elle se poursuivait allégrement. » (François Leclerc, économiste français).
Tout est là. Le capitalisme a vécu à crédit. Et cette « ère est en train de se clore ».
Depuis les années 1960, ce système survit effectivement par l’injection de plus en plus massives de crédits. La paye des ouvriers ne pouvant suffire à tout absorber, le marché mondial est saturé de marchandises. Pour ne pas être paralysé par la surproduction, pour écouler les produits fabriqués, le capitalisme a dû ouvrir à chaque crise de plus en plus grand les vannes de l’endettement, en 1967, 1973, 1986, 1993, 1997, 2001, 2007…
Après des décennies d’une telle fuite en avant, le résultat était inévitable : les ménages, les entreprises, les banques et les Etats sont tous pris à la gorge par leurs gigantesques dettes.
Il n’y a aujourd’hui plus aucune bonne solution pour le capitalisme. La planche à billets des Etats-Unis, du Japon ou de la Grande-Bretagne, les plans d’austérité européens, les tricheries chinoises avec la valeur de leur monnaie… tous ces pays prennent des chemins différents mais tous se dirigent inexorablement vers le même gouffre.
Il y a aujourd’hui deux symboles à cette absence totale de perspective pour l’économie capitaliste : la montée du protectionnisme et la « guerre des monnaies ».
Depuis le krach de 1929 et la Grande dépression des années 1930, toutes les nations avaient retenu une leçon essentielle : le protectionnisme engendre un chaos mondial indescriptible. Et depuis lors, son interdiction était plus ou moins respectée. Aujourd’hui, toutes les grandes puissances se livrent un véritable bras de fer économique, et elles sont prêtes à tout. Pourtant, au dernier G20 de Séoul, Merkel a demandé un ferme engagement de tous :”Nous devons tout faire pour éviter le protectionnisme ». Mais si elle a dû rappeler cette loi d’airain, c’est que les pressions internationales pour limiter les exportations allemandes et chinoises de par le monde, Etats-Unis en tête, sont de plus en plus importantes. « Exporter ou mourir » est en train de redevenir le cri de guerre économique de toutes les les bourgeoisies nationales concurrentes !
A propos de guerre, celle des monnaies fait la Une des médias depuis plusieurs mois. De quoi s’agit-il ? En fait, sur le marché monétaire, ce ne sont pas les devises qui s’affrontent, comme on aimerait nous le faire croire, mais les nations. Un seul exemple. En faisant tourner leur planche à billets et en créant ainsi des quantités inimaginables de dollars afin de soutenir artificiellement leur économie, les Etats-Unis font baisser la valeur même de cette monnaie. Ils exportent d’ailleurs ainsi plus facilement. Mais les pays qui détiennent des milliers de milliards de la devise américaine, comme la Chine, voit leur trésor fondre comme neige au soleil. La livre anglaise, le yuan chinois, le yen japonais comme l’Euro, toutes ces monnaies sont elles-aussi des armes aux mains de chaque Etat pour soutenir la demande intérieure et essayer de favoriser leurs propres exportations. Seulement, une telle « guerre des monnaies » implique aussi des risques de déstabilisation internationale incontrôlable : dévaluation massive, inflation galopante, explosion de l’euro…
Faillites de banques, de caisses d’épargne, de multinationales, de régions ou d’Etats, éclatement de la bulle chinoise, montée du protectionnisme, fin de l’euro, dévaluation massive du dollar ou de la livre sterling… personne ne peut savoir quelle planche pourrie va craquer la première sous nos pieds, ni quand. Une seule chose est certaine : dans tous les pays, l’avenir nous réserve des secousses économiques dévastatrices. Le capitalisme est un système moribond. Il entraîne progressivement, mais inexorablement, toute l’humanité vers les affres de la misère et de la guerre.
Aujourd’hui, comme hier, les gouvernements de tous les pays, quelle que soit leur couleur politique, de gauche comme de droite, appellent les travailleurs à « se serrer la ceinture », à « accepter des sacrifices » pour « relancer l’économie et renouer avec la croissance ». Mensonges ! Les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer… les sacrifices plus lourds encore de demain.
Seule la lutte de classe peut permettre de ralentir les attaques. Et seule la révolution prolétarienne internationale mettra fin au supplice qu’inflige ce système d’exploitation à une partie toujours plus importante de l’humanité.
Pawel (9 décembre)
1. La note AAA est la plus élevée, elle signifie que l’agence estime que cette économie nationale a les reins solides.
2. C’est à dire les PIIGS.
Les grèves et les manifestations d’octobre-novembre en France qui se sont déroulées à l’occasion de la réforme des retraites ont témoigné d’une forte combativité dans les rangs des prolétaires (même si elles n’ont pas réussi à faire reculer la bourgeoisie). Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique internationale de notre classe qui retrouve progressivement le chemin de la lutte. Ainsi, d’autres combats de classe sont en cours dans de nombreux autres pays. La crise économique et la bourgeoisie portent leur coups de boutoir partout dans le monde. Et partout, de l’Europe aux Etats-Unis, les travailleurs commencent peu à peu à réagir et à refuser la paupérisation, l’austérité et les sacrifices « salutaires » (sic !) imposés.
Pour l’instant, cette riposte est en deçà des attaques que nous subissons. C’est incontestable. Mais une dynamique est enclenchée, la réflexion ouvrière et la combativité vont continuer de se développer. Pour preuve, ce fait nouveau : des minorités cherchent aujourd’hui à s’auto-organiser, à contribuer au développement de luttes massives et à se dégager de l’emprise syndicale.
Nous publions dans ce journal (page 5), deux courts articles sur les mouvement qui ont eu lieu récemment en Grande-Bretagne et en Espagne. Un état des lieux plus complet des luttes à travers le monde (Irlande, Etats-Unis, Portugal, France, Pays-Bas… sera très prochainement publié dans notre Revue Internationale et sur ce site).
Le premier samedi après l’annonce du plan de rigueur gouvernemental de réduction drastique des dépenses publiques, le 23 octobre, se sont déroulées un certain nombre de manifestations contre les coupes budgétaires, partout dans le pays, appelées par divers syndicats. Le nombre de participants, variant de 300 à Cardiff à 15 000 à Belfast ou 25 000 à Edimbourg, révèle le profondeur de la colère.
Une autre démonstration de ce ras le bol généralisé est la rébellion des étudiants contre la hausse de 300 % des frais d’inscription dans les universités. Déjà ces frais les contraignaient à s’endetter lourdement pour rembourser après leurs études des sommes astronomiques (pouvant aller jusqu’à 95 000 euros !). Ces nouvelles hausses ont donc provoqué toute une série de manifestations du Nord au Sud du pays (5 mobilisations en moins d’un mois : les 10, 24 et 30 novembre, les 4 et 9 décembre). Cette hausse a tout de même été définitivement votée à la chambre des Communes le 8 décembre.
Grèves des universitaires, dans la formation continue, des étudiants des écoles supérieures et des lycées, occupations d’une longue liste d’universités, de nombreuses réunions pour discuter de la voie à suivre... les étudiants ont reçu le soutien et la solidarité de la part de nombreux enseignants, notamment en fermant les yeux devant les absences des grévistes en classe (l’assiduité au cours est ici strictement réglementée) comme en allant rendre visite aux étudiants et en discutant avec eux.
La révolte des étudiants et élèves contre la hausse des frais de scolarité est toujours en marche. Les précédentes se sont terminées par des affrontements violents avec la police anti-émeutes pratiquant une stratégie d’encerclement, n’hésitant pas à matraquer les manifestants, ce qui s’est traduit par de nombreux blessés et de nombreuses arrestations, surtout à Londres, alors que des occupations se déroulaient dans une quinzaine d’universités avec le soutien d’enseignants. Le 10 novembre, les étudiants avaient envahi le siège du parti conservateur et le 8 décembre, ils ont tenté de pénétrer dans le ministère des finances et à la Cour suprême, tandis que les manifestants ont tenté de s’en prendre à la Rolls-Royce transportant le prince Charles et son épouse Camilla. Les étudiants et ceux qui les soutiennent sont venus aux manifestations de bonne humeur, fabriquant leurs propres bannières et leurs propres slogans, certains d’entre eux rejoignant pour la première fois un mouvement de protestation. Les grèves, manifestations et occupations ont été tout sauf ces sages événements que les syndicats et les ‘officiels’ de la gauche ont habituellement pour mission d’organiser. Les débrayages spontanés, l’investissement du QG du Parti conservateur à Millbank, le défi face aux barrages de police, ou leur contournement inventif, l’invasion des mairies et autres lieux publics, ne sont que quelques expressions de cette attitude ouvertement rebelle. Et le dégoût devant la condamnation des manifestants à Millbank de Porter Aaron, le président du NUS (Syndicat National des Etudiants), était si répandu qu’il a dû ensuite présenter ses plus plates excuses.
Cet élan de résistance à peine contrôlé a inquiété les gouvernants. Un signe clair de cette inquiétude est le niveau de la répression policière utilisée contre les manifestations. Le 24 novembre à Londres, des milliers de manifestants ont été encerclés par la police quelques minutes après leur départ de Trafalgar Square, et malgré quelques tentatives réussies pour percer les lignes de police, les forces de l’ordre ont bloqué des milliers d’entre eux pendant des heures dans le froid. A un moment, la police montée est passée directement à travers la foule. A Manchester, à Lewisham Town Hall et ailleurs, mêmes scènes de déploiement de la force brutale. Après l’irruption au siège du parti conservateur à Millbank, les journaux ont tenu leur partition habituelle en affichant des photos de présumés ‘casseurs’, faisant courir des histoires effrayantes sur les groupes révolutionnaires qui prennent pour cible les jeunes de la nation avec leur propagande maléfique. Tout cela montre la vraie nature de la ‘démocratie’ sous laquelle nous vivons.
La révolte étudiante au Royaume-Uni est la meilleure réponse à l’idée que la classe ouvrière dans ce pays reste passive devant le torrent d’attaques lancées par le gouvernement sur tous les aspects de notre niveau de vie : emplois, salaires, santé, chômage, prestations d’invalidité ainsi que l’éducation. Elle est un avertissement pour les dirigeants que toute une nouvelle génération de la classe exploitée n’accepte pas leur logique de sacrifices et d’austérité.
W. (12 décembre)
Le 3 décembre, le gouvernement du “socaliste José Zapatero s’est livré à une véritable provocation prenant pour cible les aiguilleurs du ciel : l’approbation en Conseil des ministres d’une semi-privatisation de l’Autorité de gestion des aéroports (AENA) , dans le cadre de nouvelles mesures anti-crise prises par le gouvernement socialiste. Cette mesure inclut un dispositif portant à 1670 heures par an le temps maximum légal que pourront travailler les contrôleurs, diminuant leur paiement en heures supplémentaires, reculant l’âge de leur départ en retraite et surtout abaissant leur salaire de 40% en moyenne (alors que les fonctionnaires du pays s’étaient vus récemment imposer une amputation entre 5 et 10 % de leur salaire). La riposte a été immédiate : les contrôleurs aériens ont quitté leurs postes de travail dans les heures qui suivaient, entraînant la fermeture de la majeure partie de l’espace aérien espagnol (sauf en Andalousie), en plein début du plus long “pont” de l’année (5 jours) en Espagne. Une gigantesque campagne idéologique a été orchestrée contre les grévistes présentés comme des “privilégiés” qui “gagnent plus que le chef du gouvernement!.””Il n’est pas tolérable qu’une entreprise publique donne des salaires de millionnaires à ses employés”, avait affirmé le ministre des Transports, Blanco. La presse, elle aussi, s’est déchaînée contre les grévistes : “avec cette attitude, les contrôleurs perdent la raison et la bataille de l’opinion publique”, écrivait El Pais (centre-gauche). La Vanguardia (centre-droit) parlait d’une “prise d’otages intolérable” et ABC (droite) se moquait de ces “malades imaginaires”. Sur Internet, la radio Cadena Ser montrait une photo d’un repas samedi entre plusieurs contrôleurs, avec ce titre rageur : “les responsables du chaos boivent un coup à Madrid”, tandis que sur Facebook, un blog réclamait leur renvoi. Plusieurs contrôleurs, interrogés par El Pais, ont tenté de se défendre : “nous voulons seulement défendre nos droits”, a dit l’un d’eux. “Nous aussi nous sommes des victimes”, ajoutait un autre, “on nous montre comme les méchants dans les films (mais) la faute revient au gouvernement”. Immédiatement après, “l’état d’urgence” a été décrété pendant quinze jours. Cela a permis de soumettre les aiguilleurs du ciel à l’autorité du Ministère de la Défense en les faisant passer du statut civil à celui de militaires mobilisés. les contrôleurs ont alors repris le travail sous 24 heures. Cette clause de la constitution espagnole n’avait jamais été invoquée jusqu’à aujourd’hui. Elle est destinée à aider le gouvernement à faire face à des catastrophes naturelles telles que des séismes et des inondations ou, dans ce cas précis, au blocage d’un service public essentiel au fonctionnement du pays comme le trafic aérien. Loin d’être une catastrophe naturelle, cette grève s’inscrivait, tout simplement, dans la lutte engagée contre le plan d’austérité édicté par le gouvernement socialiste en réduisant les dépenses publiques et les dépenses sociales, en rendant plus facile les licenciements dans un pays qui compte déjà 20 % de chômeurs.
L’état d’urgence permet au gouvernement d’arrêter le personnel des « industries stratégiques » qui refusent de travailler. Le ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba a ainsi menacé : « L’état d’urgence suppose la mobilisation de tous les contrôleurs et la mise à disposition de la justice de tous ceux qui ne se présenteront pas à leurs postes, tombant ainsi sous le coup d’un délit pouvant entraîner de sévères peines de prison pouvant aller de 8 à 10 ans. » Le ministre des Travaux publics et des Transports a en outre demandé qu’une sanction « appropriée » soit appliquée à ce « comportement irresponsable » dont de lourdes amendes et des licenciements contre les grévistes. Un aiguilleur du ciel a déclaré : “On se croirait à nouveau revenu à l’époque de Franco”. C’est en effet la première fois depuis la fin du franquisme que l’article 116-2 de la Constitution est utilisé (les lois permettant l’imposition de tels pouvoirs avaient été laissés dans la constitution « démocratique » rédigée en 1978). Le gouvernement a justifié cette mesure par le caractère exceptionnel du conflit qui l’oppose aux contrôleurs aériens depuis un an. Ces derniers n’ont, en effet, jamais accepté les modifications de leurs conditions de travail en termes de retraite, de temps de travail et de salaire. Outre le soutien massif de la population et des médias, Zapatero a obtenu le renfort du Parti Populaire, PP, qui est sorti de la « contestation systématique » pour appuyer la décision gouvernementale. Loin de s’opposer à cette attaque contre la classe ouvrière, les syndicats espagnols et l’IU (la Gauche unie) conduite par le Parti communiste ont soutenu le gouvernement et ont eux aussi calomnier les grévistes en répétant à satiété qu’il s’agissait là d’une élite privilégiée prenant l’Espagne en otage.
La vérité est évidemment toute autre comme en témoigne ces propos d’un aiguilleur du ciel : « J’ai la tristesse de vous dire que nous nous sentons mal depuis février dernier. On n’arrive pas à dormir correctement. On n’arrive pas à se reposer correctement. On nous change nos vacances et nos jours de congé et on nous réquisitionne pour travailler n’importe quel jour et dans n’importe quelle équipe. On nous force, ce n’est pas du volontariat. […] On est fatigué, épuisé, brisé. […] On veut en finir avec cette situation, mais on ne sait pas comment... De nouveaux décrets sont inventés jour après jour. »
Cette véritable provocation pour discréditer les aiguilleurs du ciel a évidemment pour but de préparer le terrain à d’autres “sacrifices” encore plus gros et à des attaques d’envergure contre d’autres groupes de travailleurs se mettant en grève pour protester contre les mesures d’austérité du gouvernement. Les travailleurs vivant en Espagne ont d’ailleurs vite pris conscience de cette tactique de division, la propagande haineuse du gouvernement socialiste et des syndicats contre cette corporation n’a pas eu un grand succès dans les rangs ouvriers. Il faut dire qu’avec l’impact de la crise le sentiment d’être tous dans la même galère fait son chemin dans toutes les têtes des exploités.
Wim (12 décembre)
Éric Cantona a l’habitude d’être moqué. L’ancien footballeur a connu ses heures de gloire en la matière avec sa marionnette des « Guignols de l’info » qui le représentait en peintre philosophe à l’inspiration obscure.
Mais jusqu’à maintenant, la moquerie était plutôt tendre, face à un personnage dont la réflexion critique, l’honnêteté et le « bon sens » lui conférait un caractère sympathique évident.. Mais cette fois-ci, ce n’est plus le même registre. On est passé dans les médias de la raillerie, au mépris et à l’insulte.
C’est que Cantona a, cette fois, osé faire publiquement la critique du système. Dans une interview vidéo accordée à un journal local1, vouée par nature à une certaine confidentialité, il a émis l’idée que « s’il y a vingt millions de gens qui retirent leur argent [des banques], le système s’écroule ». Diffusée sur internet, l’interview a donné naissance à un mouvement collectif qui a organisé la mise en œuvre pratique de cette idée pour le mardi 7 décembre.
Derrière cette idée candide, il y a une vérité incontestable : l’argent de la masse des anonymes participe à faire tourner le système et génère le profit dont une minorité profite. Et c’est cette vérité qui a le plus gêné la bourgeoisie dans cette affaire. Bien sûr, les banquiers, en bon professionnels quelque peu échaudés ces derniers temps par les turpitudes de la finance internationale, ont mis en avant le danger d’un « bank run », en référence aux mouvements de panique des années 1930 aux États-Unis qui poussaient les épargnants à réclamer en masse leurs liquidités, ce à quoi les banques ne pouvaient pas répondre2. Mais la bourgeoisie sait bien qu’un « bank run » ne se décrète pas, qu’il est lié justement à une panique qui se diffuse de façon incontrôlable et que c’est justement ce caractère incontrôlable – et donc incontrôlé – qui en constitue tout le danger. Bref, la classe dominante savait parfaitement que l’idée de Cantona ferait le même effet, au mieux, qu’une piqûre de moustique sur la peau d’un rhinocéros.
Par contre, la bourgeoisie n’aime pas qu’on pointe les risques d’effondrement de son système et qu’on ose associer à tout ça l’idée de « révolution ». Même si l’idée d’Eric Cantona restait une utopie (dont la réalisation n’a d’ailleurs pas eu lieu le jour dit), même si elle manifestait une vision simpliste du fonctionnement du capitalisme, elle comportait une dimension fondamentale, celle de proclamer tout haut la nécessité que « le système s’écroule », et que cet écroulement proviendra d’une action massive des « petites gens », qui sont au centre de la production de valeur.
C’est pourquoi la bourgeoisie n’a pas tardé à réagir, de façon en général agressive et méprisante ; Christine Lagarde et François Baroin invitant Cantona à « se cantonner au football»3, que cela dit, il a quitté depuis un certain temps, Roselyne Bachelot rappelant que la femme de l’ex-footballeur a tourné une publicité pour une banque4… En tout cas, la classe dominante a sorti l’artillerie lourde pour dénigrer cette initiative vouée fatalement à l’échec. Même les syndicats s’y sont mis, comme FO qui a prévenu qu’en cas de mise en péril du monde de la finance, « des centaines de milliers d’emplois pourraient être mis en danger plus ou moins directement »5 .
Le fait est cependant que si la critique du système qu’elle contient est juste et légitime, la solution proposée n’en est pas une. Eric Cantona a raison de dire que c’est une action massive qui aura raison du système capitaliste, mais il a tort quand il dit que la révolution ne se fait pas dans la rue, mais dans les banques. Car si un « bank run » mettrait sans aucun doute les banques sollicitées dans une situation périlleuse, cette situation ne le serait pas plus que celle dans laquelle elles étaient en 2008, quand tous les grands États du monde sont venus à leur secours à renfort de centaines de milliards de dollars ou d’euros ! Par contre, si ces vingt millions de clients des banques, qui sont aussi la force économique centrale du capitalisme par leur travail, descendent dans la rue, se mettent en grève et réclament des comptes à leur classe dominante sur l’aggravation constante de leurs conditions de travail et de vie, sur la baisse de leurs revenus, sur la destruction de la « protection sociale », cette fois les comptes à rendre ne se chiffreront plus en dollars ou en euros, mais en nombre de travailleurs unis, conscients et combatifs.
Le rapport de force s’établira directement avec le pouvoir politique, l’État, et l’écroulement du système ne proviendra plus d’un manque de liquidités, toujours rattrapable, mais d’un manque de réponse de la part de la bourgeoisie aux aspirations des masses.
Retenons donc de cet épisode la grande gêne qu’il a provoqué dans la classe dominante, et l’idée essentielle (qu’on ne répandra jamais trop et que même un « footballeur » a le droit de répandre), qu’il ne dépend que de nous de continuer ou non à subir la misère et la détresse que le capitalisme nous impose depuis trop longtemps.
GD (8 décembre)
1) Presse océan
2) C’est aussi ce qui s’est passé par exemple plus récemment en 2008 en Grande-Bretagne où des milliers de gens se sont rués aux portes de la Northern Bank menacée de faillite pour vider précipitamment leur compte.
3) 20 minutes, 6 décembre 2010
4) 20 minutes, 7 décembre 2010
5) Rue89.com
En avril 2009, Marion Bergeron, jeune graphiste de 24 ans, sans emploi et en fin de droits, est employée par Pôle Emploi lors de la fusion entre les ex-Assedic et l’ex-ANPE. Affectée à une agence de la banlieue parisienne, semblable à bien d’autres, son CDD de 183 jours se révèlera être un véritable calvaire qu’elle décrit dans son livre-témoignage intitulé : « 183 jours dans la barbarie ordinaire, en CDD chez Pôle Emploi ». Atmosphère pesante, magouilles de chiffres et de statistiques, plannings intenables, agressivité des demandeurs à bout de nerfs, impuissance des conseillers, tout est décrit avec une remarquable précision et un vécu d’un réalisme saisissant. Nous tenons à saluer cette jeune travailleuse, jetée dans la précarité depuis la fin de sa formation, pour avoir mis en lumière la situation qui règne aujourd’hui chez Pôle Emploi. L’agence, sensée améliorer les conditions d’accès à l’emploi et orienter les demandeurs vers des filières qui leur correspondent, n’est autre qu’un organisme de gestion d’une situation de crise. D’un côté, le marché de l’emploi se réduit de jour en jour, et de l’autre immanquablement, le nombre de chômeurs ne cesse de croître. Entre les deux, tel un dernier rempart avant l’explosion sociale, les employés de Pôle Emploi jouent les conciliateurs entre un Etat qui va cyniquement de plans d’austérité en plans d’austérité et une masse croissante de laissés pour compte, dont les allocations s’amenuisent et pour qui l’avenir devient obscur, très obscur ! Ne nous racontons pas d’histoire : aujourd’hui, suivant les directives d’un Etat qui tente de sauver ses derniers Euros, le Pôle Emploi mène une politique de radiation massive. Les ouvriers de Pôle Emploi, n’ont d’autre choix que de se plier à cette politique et de laisser une partie de leur humanité au vestiaire pour supporter leur labeur. « D’un côté, je passe mon temps à demander des justificatifs qui ne sont manifestement pas nécessaires. De l’autre, un demandeur qui aurait eu une vrai tuile est immédiatement catalogué bonimenteur et peut se retrouver radié, car il faut bien en radier quelques-uns. Sur des critères qui relèvent entièrement du hasard. (…) C’est sur ce château de cartes que notre vigilant ministre du budget, Eric Woerth, organise sa grande « journée spéciale de lutte contre la fraude ». Il en profite pour exprimer, la cravate bien droite, tout le mal qu’il pense des vilains qui fournissent des fausses déclarations dans le but de percevoir de maigres aides sociales. Et ne manque pas de conclure sur l’intensification des contrôles. »1 Voilà ce qui se cache derrière la prétendue « stabilisation du chômage » dont les médias bourgeois nous rebattent les oreilles depuis de nombreux mois2. Effectivement, le nombre officiel de chômeurs tend à se stabiliser. Le nombre de personnes ayant droit à des allocations, RSA ou autre, cesse d’augmenter. Cela ne veut pas dire que le marché de l’emploi est en meilleure forme que les années précédentes. Non ! Cela signifie simplement que l’Etat est aujourd’hui tellement endetté qu’il doit par tous les moyens tenter de réduire ses dépenses. En première ligne, ce sont les chômeurs qui trinquent, c’est-à-dire la partie improductive du capital humain. Il faut réduire le montant des allocations et radier à tour de bras les ayants droit. C’est dans cette logique que s’inscrit le célèbre « Suivi Mensuel Personnalisé », proposé en juillet 2005 par Dominique de Villepin alors Premier ministre. Marion Bergeron ne manque d’ailleurs pas de dénoncer cette supercherie : « Si le principe du suivi mensuel peut paraître louable, apporter une aide plus régulière semble aller dans le bon sens, il n’en est pas moins une vaste fumisterie. La logique est toute mathématique. Les convocations génèrent des absences. Les absences, des radiations. Plus de convocations entraînent plus d’absences. Donc plus de radiations. Donc moins de chômeurs au compteur. Et Dominique a la joie d’annoncer une baisse du chômage à Noël. »3 Voici un bel exemple de la manière dont l’Etat capitaliste « gère » la situation invivable créée par la faillite de son propre système que nous subissions au quotidien. Dans cette situation abjecte, les conseillers débordés font avec les moyens du bord comme cette collègue de Marion Bergeron cherchant à joindre une autre agence du Pôle pour répondre à une annonce : « Cécilia n’a pas de solution. Elle me montre donc sa petite magouille personnelle. Faire appel à Actu-chômage. Une association de défense des droits des demandeurs qui, en réponse à la généralisation du 3949, met en ligne sur son site les lignes directes des agences. C’est un comble. Je travaille pour Pôle Emploi, et pour contacter mon collègue de l’agence à Trifouillis-sur-Poisse, le moyen le plus simple dont je dispose est d’utiliser les ressources d’une association qui dénonce les méthodes de mon employeur. »4 L’impuissance de Pôle-Emploi pour réellement aider les demandeurs, ou plutôt les « clients », pour reprendre le terme d’usage, est à l’image de l’incapacité de l’Etat de gérer sa propre crise économique. A propos d’une longue journée d’entretiens fleuves, Marion Bergeron raconte : « Ils ne laissent pour trace de leur passage qu’un entretien informatique plein de phrases creuses et d’espoirs bancals. Et seuls quelques rares élus resteront dans ma mémoire. Ils sont le visage du chômage. La multitude de vies que la crise perpétuelle dans laquelle nous vivons peut réduire à néant d’un claquement de doigts. »5 Dans ce témoignage critique et plein de sincérité, c’est une partie du vrai visage du capitalisme que l’auteur nous révèle. Un capitalisme à bout de souffle. Incapable de venir en aide à ceux qu’il ne peut intégrer à son fonctionnement décadent. Allant même jusqu’au mépris, au cynisme et à la barbarie.
En bref, pour Pôle Emploi comme partout au sein du capitalisme : « le service ne doit pas être rendu, il doit être productif. »6
Rodrigue (10 décembre)
1) 183 jours dans la barbarie ordinaire, édition Plon, page 65.
2) Voir RI n°416, « Le mensonge grossier de la baisse du chômage [168] ».
3) 183 jours..., page 76.
4) Ibidem, page 184.
5) Ibid., page 224.
6) Ibid., page 158.
Au lendemain du deuxième tour de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier, le pays s’est réveillé avec deux « présidents » à sa tête.
L’un, Alassane Ouattara a été proclamé vainqueur par la commission électorale (la CEI) et par l’ONU avec 54% des voix ; l’autre, Laurent Gbagbo a été désigné victorieux par le Conseil constitutionnel ivoirien avec 51,4% des voix. Voilà donc deux gros « crocodiles » en lice dans le « marigot du pouvoir ivoirien » et prêts à s’entre-dévorer.
Pourtant il s’agissait, paraît-il, d’un processus électoral « normal » selon le Conseil de sécurité de l’ONU qui a « salué l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle qui s’est tenue dans un climat démocratique (…), élections libres, justes, transparentes (sic)».
La réalité est évidemment toute autre. Cette élection n’a été qu’une sinistre farce qui a déjà fait 55 morts et 504 blessés (cf. Le Monde du 08/12/10). En effet, après le Congo, le Kenya, le Zimbabwe, le Togo, le Gabon et la Guinée tout récemment, c’est autour de la Côte d’Ivoire d’entrer dans l’arène sanglante que représente ce genre d’élections où le futur vainqueur est désigné d’avance par lui-même ou avec la complicité de ses parrains impérialistes. Et comme toujours dans pareil cas, les protagonistes règlent leurs comptes par massacres interposées.
La situation actuelle de la Côte d’Ivoire ne peut que rappeler la séquence morbide précédente, en 2002, où l’élection présidentielle s’était conclue par des tueries en masse et un coup de force militaire avec, à la clef, des années de terreur et la coupure du pays en deux, entre le Nord et le Sud. Depuis cette époque, les cliques ivoiriennes (gouvernement comme ex-rebelles) ont confisqué à leur seul profit les ressources se trouvant dans les zones sous leur contrôle respectif. Surtout, ces criminels puisent dans cette manne pour acheter massivement des armes en vue de poursuivre leur luttes concurrentielle vers le pouvoir. Il va sans dire que cela se fait au détriment de la population dont plus de 50 % vit avec moins de 2 dollars par jour. De surcroît, cette population est régulièrement la proie de rackets et de meurtres. Aujourd’hui, avec ces nouvelles élections, toutes les conditions sont réunies pour des massacres d’une ampleur encore plus dramatique.
« Le scénario que chacun redoutait s’est produit au soir du 3 décembre. Laurent Gbagbo est parvenu à se faire proclamer vainqueur de la présidentielle. Au risque de plonger son pays dans la crise, voire dans la guerre.(…) Nul doute qu’en matière de pugnacité Gbagbo soit médaille d’or. Mais lui qui, jusqu’ici, se présentait volontiers comme « un fils des élections », voire « un enfant de la démocratie », aura désormais le plus grand mal à incarner cette image d’Epinal. Coûte que coûte, il a décidé d’aller au bout d’une démarche qui n’a plus rien à avoir avec les urnes. Quitte à replonger la Côte d’Ivoire dans les affres de la crise et de la guerre. (…) La perspective d’une nouvelle partition, d’un nouvel embrasement Nord-Sud, ne l’inquiète pas : la plupart des ressources (cacao, café, pétrole) se trouvent dans le Centre ou le Sud ; et les récoltes sont exportées par le port de San Pedro. Sa Côte d’Ivoire fonctionne ainsi depuis 2002. Pourquoi ne serait- ce pas le cas à l’avenir ? (…) Le vrai Gbagbo, après ces élections finalement inutiles, est de retour. Les armes à la main, prêt à soutenir du haut de sa citadelle le siège de « l’ennemi extérieur »1 comme il aime à la répéter. La Côte d’Ivoire, elle, est revenue à la case départ.» (Jeune Afique du 5/12/10) ».
De son côté, Alassane Ouattara, se prépare aussi à en découdre et compte sur ses partisans dits « forces nouvelles » qui viennent d’annoncer qu’ils ne resteront pas longtemps bras croisés si Gbagbo reste au pouvoir. De même, Guillaume Soro, nouveau premier ministre d’Ouattara dit son intention d’aller « déloger » Gbagbo (dont il était le premier ministre jusqu’au début des élections). Bref, chaque camp actionne ses chiens sanglants, les escadrons de la mort et autres porteurs de machettes. Mais surtout, chacun compte sur ses soutiens impérialistes à commencer par les grandes puissances en quête du « butins ivoiriens », en particulier la France.
Il suffit de voir comment l’affaire ivoirienne mobilise toute la sphère de la bourgeoisie française pour se rendre compte de l’importance de l’enjeu qui se joue dans cet ancien pré-carré de l’impérialisme français. Depuis l’éclatement de sa « vitrine économique » début 2000, entraînant au passage sa perte de contrôle sur les acteurs locaux, l’impérialisme français se démène pour garder coûte que coûte son influence dans ce pays incarnées par les grandes sociétés comme Bouygues, Total, Bolloré, etc. Ce sont ces sociétés qui constituent la colonne vertébrale de la « Françafrique » en Côte d’Ivoire où les intérêts privés et intérêts étatiques fusionnent comme le montre plus particulièrement la relation incestueuse entre Bolloré et l’Etat français.
« Difficile de démêler les connexions multiples qui existent entre le groupe (Bolloré), digne héritier des trusts coloniaux et des réseaux françafricains, et les responsables politiques français. Comme d’autres conglomérats, il bénéficie de l’appui des pouvoirs publics dans sa conquête des marchés du continent., le président de la République ou les ministres se transportent volontiers en Afrique pour jouer les lobbyistes auprès de leurs homologues. Si les amitiés de Bolloré à droite sont connues, on note que le député socialiste Jean Glavany2 fait partie, aux côtés de M. Alain Minc, du comité stratégique du groupe. (…) Quand la France envoie - ou rapatrie - des troupes en Afrique, comme pour l’opération « Licorne » en Côte d’Ivoire, les nombreuses filiales du groupe Bolloré apparaissent souvent indispensables. « Toutes les opérations sont réalisées avec la plus stricte sécurité et confidentialité », lit-on en surimpression d’images de véhicules blindés, sur un prospectus distribué par la branche « Défense » de SDV... (Manière de voir, du Monde diplomatique, déc. 2009) ».
Mais la France est mal armée, faute d’appuis sûrs sur place. C’est pourquoi, formellement, elle affiche son soutien à Ouattara le candidat « démocratiquement élu » mais en coulisses, jusqu’à l’annonce des résultats définitifs, Sarkozy n’a pas cessé de « rassurer » Gbagbo pour que celui-ci préserve les intérêts français sur place. Et, c’est en parfaite connaissance de la fragilité du positionnement de la France que Gbagbo traditionnellement proche du PS a décidé de faire « chanter » les autorités françaises en brandissant ses appuis chinois devant leurs yeux. Et effectivement, la France a dû finalement déclarer publiquement sa « neutralité », disant qu’elle n’avait pas de « candidat » parmi les postulants. En somme, il s’agit pour elle de miser sur les deux tableaux, mais sans aucune garantie de succès pour autant.
En effet, derrière ces titres de presse ou d’ouvrages, il y a le fait que la France est réellement menacée dans ses positions en Afrique où elle fait face à une redoutables concurrence sur place, bourgeoisies américaine et chinoise en tête.
Déjà, la bataille fait rage au Conseil de sécurité de l’ONU entre les partisans de Gbagbo et ceux d’Ouattara, le premier est défendu par la Chine et la Russie et le second par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. On notera le comble de l’hypocrisie de ce repaire de brigands qui, tous, appellent à la « retenue » pour la « paix », mais fournissent en coulisses conseils et munitions à leurs bras armés sur place.
En France, Alassane Ouattara était qualifié de « pro-américain » durant un bon moment, mais depuis quelques temps il a pu tisser des liens avec l’Elysée où il prend assez régulièrement le café ou « l’apéro » avec Sarkozy. En même temps, il a gardé de solides amitiés avec les milieux américains notamment au sein du FMI dont il fut un vice- président. Sans doute finira-t-il par choisir le parrain le plus « offrant », surtout dans la perspective des prévisibles affrontements en Côte d’Ivoire. Et au niveau continental, Ouattara peut compter (formellement) sur de nombreux soutiens en Afrique de l’Ouest et sur l’Union Africaine.
Quant à Laurent Gbagbo, l’Angola demeure son plus grand fournisseur d’armements et, sur le plan diplomatique, il peut s’appuyer sur l’Afrique du Sud qui fut son soutien notamment lors de sa confrontation armée avec la France en 2004.
En fin de compte, derrière ces manœuvres et les appels au « respect des résultats des urnes », on voit en réalité des charognards criminels qui poussent à l’implosion du pays et aux massacres de masse de la population, avec comme conséquence l’extension d’un chaos sanglant dans toute la région.
Amina (8 décembre)
1) Dans la campagne nationaliste sur « l’ivoirité » déchaînée par l’ ancien président Bédié en 2000 et reprise par Gbagbo dans la guerre civile de 2002 , le musulman originaire du Nord du pays Ouattara a été désigné comme un agent étranger lié au Burkina Faso.
2) Membre de l’Internationale Socialiste, Gbagbo est retsté « l’ami » aujourd’hui bien encombrant de plusieurs ténors du PS en France.
Le bombardement du 23 novembre par le régime de la Corée du Nord de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong, tuant deux marines et deux civils, tout en détruisant de nombreuses maisons, s’inscrit dans une lignée de représailles suite à la mort de 46 marins nord-coréens en mars dernier, dont le navire avait été sans nul doute torpillé par un sous-marin sud-coréen. Ce dernier incident suit également le récent étalage public par le Nord qualifié « d’Etat-voyou » de la production avancée de plutonium à des fins militaires. Il existe aujourd’hui un dangereux engrenage de tensions à travers l’échiquier stratégique de l’Asie du Sud-Est, impliquant non seulement les Corées du Nord et du Sud, mais aussi le Japon, la Chine et les Etats-Unis. Personne ne veut la guerre totale pour le moment, et certainement pas les principaux parrains respectifs de chaque partie de la Corée, la Chine et les Etats-Unis, mais la situation connaît sa propre dynamique vers l’abîme et l’irrationalité qui menace potentiellement de devenir hors de contrôle.
La guerre de Corée de 1950-1953, où la Russie et la Chine soutinrent le Nord contre le régime pro-américain du Sud, avait vu un déluge de 13 000 tonnes de bombes par mois lâchées par les Etats-Unis.
Au Nord, la guerre n’a jamais été officiellement considérée comme terminée et les tensions resurgissent périodiquement. Ces dernières sont devenues plus dangereuses dans la période actuelle de militarisme montant, avec une plus grande affirmation de l’impérialisme chinois et une situation dans laquelle les Etats-Unis, seul grand parrain mondial, sont conduits en permanence à marquer leur présence.
Après l’attaque du 23 novembre, le président Obama a considéré la Corée du Nord comme une « menace sérieuse et constante avec laquelle il faut traiter » (BBC News du 23 novembre). Avant cela, les Etats-Unis l’avaient estampillé « Etat-voyou » et Bush l’avait mis dans un « axe du mal ». Des dizaines de milliers de soldats américains basés en permanence à la fois en Corée du Sud et au Japon, et les Etats-Unis sont constamment engagés dans des exercices militaires à l’intérieur et autour des eaux disputées par les deux Corées. L’envoi d’une escadre autour du porte-avions USS George-Washington (devant arriver sur zone le 29 novembre) ne peut qu’attiser encore plus vivement les tensions. L’éviction du ministre de la défense sud-coréen pour ne pas avoir répondu assez vite au tir de barrage – le feu a duré 13 minutes – est une autre source de tension. Le gouvernement a décidé qu’il « redéfinirait les règles de l’engagement » qui permettait jusqu’ici d’éviter l’escalade (The Guardian du 26 novembre). Il y a environ cinq ans, le Pentagone avait discuté des possibilités de frappes nucléaires contre des « cibles » nord-coréennes et, aujourd’hui, au moins deux sites nucléaires américains ont été remplis de missiles armés pointés en permanence sur le régime de Pyongyang. Son plan de « patience stratégique », c’est-à-dire de faire pression sur la Corée du Nord à coup de sanctions renforcées et de provocations militaires, tout en exigeant une dénucléarisation immédiate, est largement celle que les Etats-Unis emploient contre l’Iran – le bâton et encore le bâton.
Mais il n’y a aucun signe de chute imminente du régime nord-coréen comme l’espérait Washington, qui semble plus fort et brutal que jamais. Tout comme les liens entre la Corée du Nord et la Chine sont également aussi resserrés, cette dernière applaudissant avec ostentation l’accession au pouvoir du fils du « Grand Leader », Kim Jong Eun, et offrant son soutien au long terme. La Corée du Nord joue un rôle stratégique vital de zone tampon pour la Chine et celle-ci l’appuie également pour empêcher que des millions de réfugiés ne viennent se déverser au-delà des frontières.
Toutes ces « va-t-en guerre » prétendent vouloir la « stabilité » mais ils jouent un jeu dangereux dont l’avenir est rendu encore plus incertain à travers un « ordre » mondial impérialiste qui est devenu de plus en plus chaotique ces vingt dernières années.
Baboon (26 novembre)
Nous avons reçu sur notre site en espagnol, en provenance de camarades de différents endroits, des informations sur le meurtre d’un jeune ouvrier qui participait à la lutte des chemins de fer, meurtre perpétré par une bande armée appartenant aux syndicats, de mèche avec le gouvernement de Cristina Kirchner, lequel a adopté la tactique, soulignée par l’un des textes publiés ci-dessous, de donner en sous-traitance la répression aux bandes syndicales, ce qu’en Argentite on a appelé les « patotas sindicales ».
Aujourd’hui, alors que Kirchner, ancien président et « co-président » jusqu'à son récent décès, est élevé par toutes les forces politiques de la bourgeoisie à la catégorie de « grand homme d’État », ces faits nous donnent des enseignements particulièrement éclairants :
1º Le cynisme et l’hypocrisie sans limites des politiciens, ces démocrates qui n’hésitent pas à mettre en arrière-plan les « forces de l’ordre » officielles de l’État dans leur exercice de répression contre les luttes de la classe ouvrière en la sous-traitant aux bandes armées syndicales. Il convient de rappeler que ceci n’est pas du tout une nouveauté. Dans la Russie tsariste, la police « déléguait » les tâches répressives contre les ouvriers et les militants révolutionnaires aux Cent-Noir, des bandes criminelles qui regroupaient la lie de la société. Egalement, en janvier 1919, face à l’insurrection des ouvriers de Berlin, le Parti social-démocrate allemand, ne pouvant pas compter sur les soldats et même pas sur une partie de la police, organisa les Corps-francs, bandes armées chargées de mater les ouvriers. Beaucoup de futurs hiérarques hauts placés du régime nazi militèrent dans ce corps spécialisé… en sales besognes.
2º La collaboration des syndicats, aux côtés du parti au pouvoir, à la répression des luttes.
3º La nécessité de la solidarité avec les victimes de la répression capitaliste. Ce sont des camarades qui, au-delà de leur appartenance à telle ou telle organisation, ont été assassinés par les forces du capital au moment où ils étaient engagés dans une lutte pour les intérêts de notre classe.
Nous publions donc ci-dessous 3 documents sur ces événements :
Le premier émane d’un camarade sympathisant du CCI qui est en processus de réflexion sur le trotskisme.
Le deuxième d’un groupe anarchiste de Rosario (Argentine).
Et le troisième est un document auquel fait référence ce groupe.
Au-delà des réflexions qu’on pourrait faire sur certaines visions politiques, le plus important, c’est de publier ces documents pour les informations qu’ils fournissent et l’engagement dans la lutte de classe qu’ils expriment.
Mercredi 20 octobre à midi, l’embuscade criminelle menée par une bande syndicale a coûté la vie à Mariano Ferreyra, militant trotskiste du Parti Ouvrier.
Une autre camarade du PO, Elsa Rodríguez, ainsi que quelques autres camarades cheminots ont été hospitalisés dans un état grave.
Les balles assassines ont été tirées par les cosignataires de l’infâme négociation de sous-traitance qui unit les patrons amis du gouvernement des Kirchner et le syndicat de l’Union Ferroviaire.
Avec l’argent des subventions de l'Etat, les concessionnaires du chemin de fer payent des contrats à coups de millions à des « entreprises » qui leur appartiennent.
Le syndicat du dirigeant Pedraza est le négociateur de cette affaire.
« Il faudra trouver les responsables », a proclamé la Présidente Kirchner, lors d’une exposition au Parc Nord après un discours consacré « au manque de goût des grosses fraises », sept heures après ces assassinats.
Mais les témoignages et les vidéos accusent la patota ferroviaire sans la moindre ombre de doute possible.
Ces mêmes vidéos témoignent du fait que la police s’est retirée de la zone où la bande ferroviaire réalisa son embuscade.
« Il faudra enquêter », dit le gouvernement qui revendique comme sienne la Jeunesse Syndicale Péroniste, le bras armé syndical [du Péronisme] des années 1970.
Le gouvernement a répété qu’il « ne réprimait pas » ; n’est-on pas face à la sous-traitance de la répression par le biais des patotas, tel que c’est déjà arrivé à l’Hôpital Français et ce qui arrive encore au métro de Buenos-Aires sous la coupe du syndicat de l’UTA (Union des Traminots) ?
Mariano militait depuis l’âge de 14 ans ; il voulait sa place au sein de la classe ouvrière avec sa profession de tourneur mais, surtout, dans le cadre d'organisations de jeunesse, il s’est mis à lutter avec d'autres ouvriers sur des bases de classe dans la ville d’Avellaneda.
Mariano est l’un de ces meilleurs exemples humains de cette jeunesse qui se met debout dans le monde entier.
Mariano, c’est nous tous, les combattants conscients.
Assassins !
Comme si ce n’était pas suffisant pour eux de vivre de la sueur et du sang des travailleurs, un mort et des blessés graves est la conséquence des agissements d’une bande de nervis syndicaux, cette fois-ci celle de l’Union Ferroviaire, aidée aussi par des clubs de supporters de foot violents. Mariano Ferreyra a été tué d’une balle, Elsa Rodríguez, avec une balle dans la tête, se débat entre la vie et la mort, et il y a bien d’autres manifestants blessés.
Tous ces gens-là ont agi protégés par la Police Fédérale et le gouvernement du moment, qui sans doute vont nous raconter qu’ils vont mettre le paquet « pour retrouver le coupable », autrement dit quelque bouc-émissaire pour en sortir disculpés et propres et que tout puisse continuer comme avant. Cela a été toujours leur politique, c’est, en fait, la politique !
Mercredi 20 octobre 2010 à Buenos Aires, on a pu voir encore une fois ce que représente ce réseau assassin qu'ils appellent la bonne société ; ils sont bien de la même engeance ceux qui ont « la gâchette facile » dans les quartiers pauvres, ceux qui encouragent et alimentent la traite d'êtres humains, ceux qui tuent en nous faisant mourir de faim et en nous poussant au désespoir, comme ceux qui nous tuent à la tâche, rapidement ou à petit feu.
Ces événements ne sont pas extraordinaires, et ne sont pas la conséquence de la démence de quelque personnage syndical, politicard ou policier, mais sont la conséquence logique de ce système qui porte atteinte à la vie humaine : en assassinant Mariano, ou, voici quelques années, Carlos Fuentealba et tous les « sans nom » qui meurent jour après jour, comme ce maçon écrasé par un mur dans le sud de Rosario ce même mercredi.
Nous sommes de plus en plus poussés à choisir entre continuer à subir la loi de cette lie de la société ou lutter pour tout changer.
Grupo Anarquistas Rosario, Octobre 2010.
www.grupoanarquistasrosario.blogspot.com [170]
Les balles de la patota de l’Union Ferroviaire ont été dirigées contre les cheminots précaires (en sous-traitance, justement), mobilisés pour exiger leur intégration en CDI. La police s’est retirée de la zone de la manifestation pour que les troupes de choc de la bureaucratie syndicale puissent « travailler » en toute tranquillité et avec ses arrières bien protégées.
Plusieurs camarades ont été blessés. Mariano Ferreyra, étudiant de 23 ans et militant du Parti Ouvrier, a reçu une balle à l’abdomen et est décédé. Un autre projectile a atteint la nuque de Elsa Rodriguez, 56 ans, militante, elle aussi, du PO. Cette camarade se trouve très gravement blessée à l’Hôpital Argerich.
De la même manière que les patrons utilisent la sous-traitance au travail pour accroître l’exploitation, le gouvernement sous-traite la répression, pour la rendre plus efficace et à moindre coût politique que quand il envoie directement ses flics et ses gendarmes.
Depuis 2003, on a pu voir comment, de plus en plus couramment, le gouvernement péroniste des Kirchner délègue la répression aux bandes de la bureaucratie syndicale pour effrayer les travailleurs. Avec les enseignants, les étudiants, les travailleurs du métro, des hôpitaux français et Garrahan, voilà quelques exemples de cette méthode répressive qui permet au gouvernement de rester « les mains propres », parce que ce n’est pas l’appareil répressif officiel qui attaque les travailleurs ; cela sert aussi à discréditer les luttes grâce aux médias qui parlent d’une « lutte interne entre corporations syndicales ».
C’est ainsi, avec l’intervention coordonnée entre entreprises, bureaucratie syndicale et gouvernement, qu’ils veulent continuer à mettre sous leur discipline les travailleurs organisés.
Avec le meurtre de Mariano, il y a déjà eu sept morts à cause de la répression lors des marches et des manifestations sous le gouvernement des Kirchner. Mariano Ferreyra vient ajouter son nom à cette liste sanglante qui débuta à Jujuy, lors d’une mobilisation contre la torture, avec Luis Cuéllar, en 2003, qui continua avec Carlos Fuentealba (enseignant, Neuquén, 2007), Juan Carlos Erazo (ouvrier agricole, Mendoza, 2008), Facundo Vargas (Talar de Pacheco, 2010), Nicolás Carrasco y Sergio Cárdenas (Bariloche, 2010), ces trois derniers tués par la « gâchette facile » de la police.
Sans oublier qu’il y a un de nos jeunes tué par jour à cause d’une autre variante répressive, celle qui s’acharne de façon préventive sur la classe ouvrière non organisée, à travers les coups de pistolet et la torture….
CORREPI vous appelle à une mobilisation pour réprouver ce nouveau meurtre abominable, une manifestation est prévue depuis l’avenue Corrientes et Callao jusqu’à la Plaza de Mayo aujourd’hui à 17h.
CONTRE LA REPRESSIÓN, ORGANISONS-NOUS ET LUTTONS !
Le 28 novembre, malgré le risque évident de rassembler la population alors qu’une épidémie de choléra sévit, les Haïtiens ont été convoqués aux urnes pour renouveler le parlement local et élire un président. La validation par la “communauté internationale” d’élections abondamment truquées n’a pas suffi à crédibiliser cette farce tragique. Le représentant de la mission d’observateurs, Colin Granderson, a d’ailleurs déclaré sans sourciller : “La mission [...] ne pense pas que ces irrégularités, aussi sérieuses soient-elles, n’invalident les élections.” Ces propos en disent long sur les intentions de la bourgeoisie. Dans ce pays dévasté, où le palais présidentiel repose encore sur son toit, l’État haïtien n’existe plus et semble, au mieux, ne gouverner que lui-même : l’ensemble de ses administrations, déjà presque réduites aux forces de répression, se sont effondrées après le tremblement de terre du 12 janvier. Personne n’ignore que l’État haïtien est un pantin dérisoire entre les mains des puissances impérialistes présentent dans le pays. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dénoncer dans notre presse, après le tremblement de terre, l’hypocrite élan humanitaire avait pour seul objectif d’établir une véritable occupation d’Haïti. Mais le pays n’est pas un protectorat, c’est un champ de bataille où chaque bourgeoisie, rangée en ordre de bataille derrière ses souriantes ONG et leurs milliers de soldats, essaye d’y arracher des “occasions d’affaires,” une influence politique, etc. L’enjeu réel du cirque électoral organisé par l’ensemble des démocraties apparaît ainsi dans toute sa nudité en Haïti : persuader la population de se déplacer dans l’isoloir afin d’anesthésier les antagonismes de classe sur l’inoffensif terrain d’un choix fictif entre telle ou telle faction politique de la bourgeoisie.
Et la colère des Haïtiens a toute les raisons d’être forte. Presque un an après le séisme, alors que des millions de personnes vivent encore dans des conditions de vie effroyables, entassées dans des camps de fortune surpeuplés et insalubres, la reconstruction est au point mort. Les autorités estiment ainsi qu’à ce jour seulement 3% des gravats ont été déblayés. Même le “camp modèle” de Torbech, la vitrine de la reconstruction à long terme, est constitué de quelques cabanes en “matériaux locaux,” c’est-à-dire en bois et en tôle ; les familles de trois personnes sont parquées dans des abris de 13m², celles de sept personnes bénéficient de tous les égards avec un abri de 27m². Et pour faire bonne mesure, une épidémie de choléra particulièrement virulente, une maladie directement liée aux conditions d’existence insalubres dont sont victimes les Haïtiens, frappe la population.1
Comme pour chaque catastrophe spectaculaire, beaucoup de puissances promettent une aide financière afin de « faciliter » leurs ambitions impérialistes que la brèche ouverte par l’événement ne manque pas d’aiguiser. En réalité, l’aide versée est systématiquement ridicule et consiste, le plus souvent, à « arroser » la bourgeoisie locale. Ainsi, contrairement à ce que nous avions annoncé dans nos précédents numéros, à l‘heure actuelle, il semble qu’à peine plus de 2,5% (et non 10%) des 10 milliards promis aient été effectivement injectés dans le pays.
Si la tutelle anarchique des puissances impérialistes suffit à justifier, aux yeux de la bourgeoisie, l’organisation d’élections, la corruption, les penchants claniques et l’incurie de la bourgeoisie haïtienne les nécessitent également. Afin de retrouver un semblant de virginité, l’ensemble des partis bourgeois locaux ne se sont pas privés d’accuser la Mission des Nations Unis pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) de tous les maux. C’est bien vite oublier que les 10 000 soldats de la MINUSTAH, en place depuis 2004, sont un instrument militaire essentiel pour le maintien des factions politiques de la bourgeoisie au pouvoir, celle-là même qui s’est généreusement enrichie grâce au soutien financier et miliaire de grandes puissances impérialistes, laissant la population dans le plus terrible dénuement.
Puissantes ou pas, toutes les bourgeoisies sont donc pareillement impérialistes. Comme l’illustre Haïti, les intérêts de la classe capitaliste sont définitivement contraires à ceux de l’ensemble de la société et à la plus infime expression de la dignité humaine. Dans ce contexte, les élections en Haïti, au milieu de la barbarie et de l’horreur pour restaurer un gouvernement, apparaissent explicitement pour ce qu’elles sont : une mystification dont le seul bénéficiaire est la bourgeoisie.
V. (10 décembre)
1) Un rapport confidentiel du professeur Renaud Piarroux a établi la responsabilité directe de l’ONU dans le surgissement de l’épidémie. Les soldats de la base de Mirebalais ont déversé leurs excréments contaminés, matière par laquelle se transmet la bactérie, dans le fleuve Artibonite dont l’eau est désormais directement consommée par les habitants. Le ministère français des affaires étrangères a rapidement demandé au professeur Piarroux “de s’abstenir de tout commentaire public.” (Cf. Le Monde du 05 décembre 2010.) Avant que le scandale n’éclate au grand jour, la presse bourgeoise n’a bien sûr pas manqué de railler la « l’ingratitude » « l’ignorance » et « le racisme » des Haïtiens qui dénonçaient la responsabilité des soldats onusiens.
Nous avons reçu le courrier d’un lecteur que nous publions ci-dessous qui apporte sa propre expérience très intéressante sur le mouvement de grève des infirmiers et infirmières en 1978 en France, auquel il a participé.
Bonjour,
J’ai lu les articles de votre journal à propos du mouvement social contre la réforme des retraites et je suis d’accord avec vous sur l’analyse que le blocage est une “arme à double tranchant”1.
J’ai travaillé autrefois dans un hôpital et je voudrais vous raconter ici comment s’est passée une grève à laquelle j’ai participé en 1988.
Les infirmiers de mon hôpital se sont mis en grève pour une amélioration des conditions de travail (à l’époque on travaillait 40 heures par semaine). L’intersyndicale dirigeait les AG (avec des militants de Lutte Ouvrière) et voulait que cela reste enfermé dans l’hôpital et que ce soit seulement une grève du personnel soignant infirmier, excluant les autres catégories du personnel. Mais ça n’a pas marché : le personnel administratif (et les ouvriers d’entretien) est entré dans la lutte en soutien aux infirmiers en grève. Très vite, il y a eu beaucoup de monde qui venait au AG. Nous avons décidé dans les AG d’ouvrir les portes de l’hôpital et d’informer les autres hôpitaux de notre mouvement.
Les syndicats ont donc été obligés de contacter leurs collègues des autres hôpitaux pour qu’ils fassent circuler l’information comme quoi nous étions en grève. Ce qui a permis que des infirmiers d’autres hôpitaux viennent voir ce qui se passait “chez nous” et participent aussi à nos AG.
Dans les AG, on discutait bien sûr des actions à mener et bien sûr, la question du blocage des soins a été posée, mais majoritairement les infirmiers ont dit qu’on ne pouvait cesser le travail et abandonner les soins aux malades. Alors comment faire pour faire pression sur la direction ?
Les syndicats ont proposé la séquestration du directeur mais des grévistes ont proposé une autre action : la gratuité des soins pour les malades et le blocage administratifs des admissions. Cela voulait dire que les malades entrants étaient accueillis à l’hôpital mais le personnel administratif n’enregistrait pas leur admission.
Dans cette lutte, nous avons porté aussi des badges et avons mis une grande banderole devant la grille d’entrée de l’hôpital: “Personnel en grève. Soins assurés aux malades” pour éviter d’être sanctionnés par la direction et pour que notre grève ne soit pas impopulaire. On faisait un service minimum avec un « turn over » pour que les collègues puissent aller aux AG. Certains malades avaient aussi un badge : “Nous soutenons les infirmiers en grève”.
Malheureusement, les syndicats des autres hôpitaux n’ont pas appelé à faire des AG pour soutenir notre mouvement et les collègues des autres hôpitaux venus nous soutenir n’ont pas pu se mettre en grève eux aussi. Les syndicats ont affirmé que les conditions de travail ne concernaient que notre hôpital et donc que les autres hôpitaux n’étaient pas concernés par “nos” problèmes. Chaque hôpital devait donc se mobiliser dans son coin avec “ses” revendications particulières (conditions de travail, manque de personnel, primes, etc…).
Après plusieurs semaines de grève, nous nous sommes retrouvés seuls enfermés dans les murs de notre hôpital. Les syndicats ont pu faire abandonner le blocage des admissions et la gratuité des soins (au nom de l’inefficacité de ce type d’action) pour imposer leur action présentée comme plus radicale : la séquestration du directeur. Finalement, il y a eu une négociation entre la direction et les syndicats (dans notre dos évidemment) et la direction a cédé en ponctionnant sur l’enveloppe budgétaire pour améliorer les conditions de travail dans certains services seulement, ceux jugés plus archaïques que d’autres. Ils nous ont ainsi divisés en accordant des miettes aux uns et en laissant les autres sur le carreau.
Le personnel des hôpitaux ne peut pas utiliser l’arme “à double tranchant” du blocage de la production des soins aux malades. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas envie de se battre comme les autres et avec les autres salariés contre la réforme des retraites. Tout le monde est concerné par cette réforme et il fallait trouver des actions où toutes les catégories professionnelles peuvent participer (les manifs, les AG interpro, etc…).
Les “blocages” peuvent être un moyen de lutte, mais ils peuvent aussi être utilisés contre la lutte. C’est bien dommage que les travailleurs des raffineries n’aient pas fait pression sur les syndicats pour que leurs AG soient ouvertes à tous ceux qui sont venus les soutenir. Ils se sont laissés séquestrer par les syndicats qui ont tout fait pour bloquer les portes d’entrée de leurs AG à tous ceux qui sont venus apporter leur solidarité.
Il faut discuter maintenant dans les AG du blocage et du sabotage de la lutte par les syndicats.
Et s’il y a un blocage que je soutiendrai des deux mains, c’est le blocage des centres des impôts ! (...)
Roba
1) Note du CCI : le lecteur fait ici référence à notre article « Le blocage des raffineries : Une arme à double tranchant [172] ».
La question du blocage des raffineries a occupé, à partir de la mi-octobre, tous les esprits.
Les médias et les politiques ont braqué leurs projecteurs sur la pénurie d’essence, sur la “galère des automobilistes” et le bras de fer entre les bloqueurs et les forces de l’ordre. Dans toutes les AG (syndicales ou non), les débats n’ont tourné plus que presque exclusivement autour de “comment aider les travailleurs des raffineries ?”, “comment exprimer notre solidarité ?”, “que pouvons-nous bloquer à notre tour ?”… Et dans les faits, quelques dizaines de travailleurs de tous secteurs, de chômeurs, de précaires, de retraités se sont effectivement rendus chaque jour devant les portes des 12 raffineries paralysées, pour “faire nombre” face aux CRS, apporter des paniers-repas aux grévistes, un peu d’argent et de chaleur morale.
Cet élan de solidarité est un élément important, il révèle une nouvelle fois la nature profonde de la classe ouvrière.
Néanmoins, malgré la détermination et les bonnes intentions des grévistes et de leurs soutiens, de façon plus générale, ces blocages ont participé non au développement du mouvement de lutte mais à sa décrue. Pourquoi ?
Ces blocages ont été initiés et contrôlés entièrement, de bout en bout, par la CGT (principal syndicat français). Il n’y a pratiquement eu aucune AG permettant aux travailleurs des raffineries de discuter collectivement. Et quand une assemblée avait tout de même lieu, elle n’était pas ouverte aux autres travailleurs ; ces “étrangers” venus participer aux piquets n’étaient pas invités à venir discuter et encore moins participer aux décisions. L’entrée leur était même interdite ! La CGT voulait bien de la solidarité… platonique… point barre ! En fait, sous couvert d’une action “forte et radicale”, la CGT a organisé l’isolement des travailleurs très combatifs de ce secteur de la raffinerie. Les piquets sont d’ailleurs restés “fixes” et non pas “volants” : il aurait été pourtant bien plus efficace pour entraîner un maximum de travailleurs dans la lutte d’organiser des “piquets volants”, allant d’entreprises en entreprises, pour créer des débats, des AG spontanées… C’est exactement de ce genre d’extension que les syndicats ne voulaient pas !
“La recherche de l’extension et de la solidarité doit animer toutes méthodes de lutte”. Tel était justement le titre de l’article écrit en 2008 que nous republions ci-dessous.
Nous reviendrons le mois prochain, dans une seconde partie, sur un bilan plus détaillé du blocage des raffineries, en examinant en particulier le rôle du “blocage économique”.
Pw. (6 décembre 2010)
A l’automne 2007 au plus fort du mouvement contre la loi LRU1, 36 universités ont été « perturbées » (pour reprendre la terminologie journalistique) par des barrages filtrants, des blocages ou des occupations. Ces méthodes ont bien souvent suscité de longs débats passionnés au sein des assemblées générales (AG). Laissons de côté tous ces collectifs anti-blocages qui, aux noms de la sacro-sainte « liberté individuelle » et du « droit d’étudier », soutenaient en réalité les « réformes nécessaires » du gouvernement. Beaucoup plus intéressantes furent les discussions entre ces étudiants qui, refusant de recevoir des coups sans combattre, se sont demandés collectivement comment il fallait lutter : Bloquer la fac ? Totalement ? Par un barrage filtrant ? Devons-nous aussi occuper les locaux ?
Toutes ces questions ne concernent pas seulement les jeunes et les étudiants. Au fil du développement des luttes, des questions similaires se poseront peu à peu à toute la classe ouvrière : comment mener la grève ? Faut-il établir un piquet ? Sous quelle forme ? Faut-il occuper l’usine ?
Cet article n’a pas la prétention de répondre à toutes ces questions par une recette magique prête à l’emploi et valable en toutes circonstances car à chaque nouvelle lutte, ses conditions particulières et ses choix ! Simplement, en se penchant sur quelques expériences de blocages et d’occupations, il est possible de percevoir à quel point la volonté d’étendre la grève est absolument vitale et, a contrario, comment l’isolement est toujours un piège mortel.
Lors du mouvement contre le CPE, au printemps 2006, la question du blocage était déjà omniprésente. En fait, ce type de mouvement ne peut pas réellement exister sans une certaine « perturbation » du bon fonctionnement des universités. Qui remarquerait l’absence -même massive - des étudiants à leurs cours ? Qui se soucierait de voir les amphithéâtres vides ? Peut-être même pas les maîtres de conférence !
Mais au-delà de cette simple nécessité, en 2006 comme en 2007, en bloquant les facs, certains étudiants exprimèrent surtout un profond sentiment de solidarité et un besoin d’unité. « Nous ne bloquons pas l’université pour nous faire plaisir ou par désintérêt pour nos cours ! La grève est le meilleur moyen pour nous faire entendre. En faisant grève, on casse la logique routinière du travail et on prend le temps de s’organiser démocratiquement tous ensemble. Mais pour que la grève ne reste pas un acte isolé et le fait d’une minorité de personne, le blocage est aussi important. C’est lui qui permet à tout le monde de ne pas aller en cours et donc de dégager du temps libre pour commencer à mener une activité pour la mobilisation. En plus, le blocage permet aux étudiants qui le souhaitent de se libérer de la pression des cours ou des examens pour pouvoir participer activement au mouvement sans être pénalisés. Le blocage, c’est le moyen démocratique qui permet à tout le monde de se mobiliser ! » ( Lu sur le blog : https://antilru.canalblog.com/archives/le_blocage/index.html [173]). Arrêter les cours a permis, par exemple, aux boursiers d’aller aux AG et aux manifestations sans craindre la suppression de leurs ressources pour « absence », ce qu’exprime consciemment encore un étudiant aux journalistes de Libération le 12 novembre 2007 : « S’il n’y a pas de blocage, il n’y a pas de mouvement. Les étudiants boursiers n’iront pas manifester sinon. »
Nous sommes ici à mille lieues des accusations odieuses lancées par ces respectables présidents d’universités, et relayées par tous les médias, qualifiant les étudiants en lutte de « Khmers rouges » et de « délinquants ». La bourgeoisie peut bien cracher tout son venin, derrière les actions de blocage, il n’y avait nullement une volonté d’imposer la position minoritaire de quelques excités par la force (la force physique était d’ailleurs plutôt du côté des présidents, comme en témoigne le nombre de blessés suite aux interventions des CRS) et d’enfermer les étudiants dans « leurs » facs. Au contraire, elles traduisaient une volonté d’action consciente et collective vers l’élargissement de la lutte s’exprimant dans la volonté d’un débat le plus large et vivant possible. Ainsi, bien plus que les blocages en soi, cet état d’esprit qui les animait a conféré au mouvement contre le CPE en particulier, toute sa vitalité et sa force. Comme nous l’écrivions déjà en mai 2006 dans nos Thèses sur le mouvement des étudiants : « La grève des universités a commencé par des blocages. Les blocages étaient un moyen que se sont donnés les étudiants les plus conscients et combatifs pour manifester leur détermination et surtout pour entraîner un maximum de leurs camarades vers les assemblées générales où une proportion considérable de ceux qui n’avaient pas compris la signification des attaques du gouvernement ou la nécessité de les combattre ont été convaincus par le débat et les arguments ».
La force de la classe ouvrière se révèle au grand jour quand elle développe un profond sentiment d’unité et de solidarité. C’est pourquoi toute méthode de lutte doit être animée d’une claire volonté d’étendre la grève. En suivant cette voie, les ouvriers du grand complexe de tissage et de filage Mahalla al-Kubra’s Misr, situé au nord du Caire en Egypte, sont parvenus à mener, en 2006 et 2007, une longue lutte finalement victorieuse. Un épisode de ce mouvement éclaire particulièrement la façon dont ces ouvriers ont occupé leur usine pour se protéger de la répression féroce de l’Etat égyptien.
Le 7 décembre 2006, pour protester contre le non-versement de primes promises, 3000 ouvrières quittent leur poste de travail et se dirigent vers les sections où leurs collègues masculins n’ont pas encore arrêté les machines. Les ouvrières s’écrient en chantant : « Où sont les hommes ? Voici les femmes ! » Peu à peu, 10 000 ouvriers se retrouvent rassemblés sur le Mahalla’s Tal‘at Harb Square, la place située devant l’entrée de l’usine. La réponse de la bourgeoisie égyptienne ne se fait pas attendre : la police anti-émeutes se déploie rapidement autour de l’usine et dans la ville. Face à cette menace de répression, quelques dizaines de grévistes choisissent alors d’occuper l’usine. Voilà 70 ouvriers apparemment pris au piège. Sûr de son fait, l’Etat lâche ses ordres : le soir même, la police anti-émeutes se précipite sur les portes. A 70 contre toute une meute, le combat est évidemment perdu d’avance. Mais ces ouvriers savent qu’en réalité, ils ne sont pas seuls. Ils commencent à frapper bruyamment sur les barreaux d’acier. « Nous réveillâmes tout le monde dans le complexe et dans la ville. Nos téléphones mobiles sortirent des forfaits car nous appelions nos familles et nos amis à l’extérieur, leur demandant d’ouvrir les fenêtres et de faire savoir à la sécurité qu’ils regardaient. Nous appelâmes tous les ouvriers que nous connaissions pour leur dire de se précipiter vers l’usine [...] Plus de 20 000 ouvriers arrivèrent »2. Les enfants des écoles élémentaires et les étudiants des écoles supérieures proches prennent les rues en soutien aux grévistes. Les services de sécurité sont paralysés. Finalement, au quatrième jour de l’occupation de l’usine, les officiels du gouvernement, paniqués, offrent une prime de 45 jours de salaire et donnent l’assurance que la compagnie ne sera pas privatisée.3
En choisissant ainsi d’occuper leur usine, ces 70 ouvriers auraient très bien pu se retrouver coincés dans une véritable souricière, à la merci des forces de l’ordre. Mais cette poignée d’ouvriers qui se sont enfermés dans l’usine n’a pas tenté d’y tenir un siège, seule contre tous et « jusqu’au bout ». Ils ont au contraire utilisé cette occupation comme un point de ralliement, en appelant leurs frères de classe à rejoindre le combat. Plusieurs semaines de lutte leur avaient montré qu’une solidarité de classe se forgeait peu à peu, que des liens étaient en train de se tisser et qu’ils pouvaient donc compter sur le soutien de « 20 000 ouvriers ». C’est cette confiance progressivement engrangée qui leur a permis d’oser appeler tous les ouvriers qu’ils connaissaient « pour leur dire de se précipiter vers l’usine ». L’occupation d’usine ne fut qu’un moyen parmi les autres pour mener cette lutte, la dynamique générale d’extension du mouvement étant l’élément déterminant.
Aucune méthode de lutte ne constitue en soi une panacée. Les blocages et les occupations peuvent être, selon les circonstances, totalement inadaptés. Pire ! Aux mains des syndicats, ils sont toujours utilisés pour diviser les ouvriers et les mener à la défaite. La grève des mineurs de 1984, en Grande-Bretagne, en est une illustration tragique.
A cette époque, le prolétariat le plus vieux du monde est aussi l’un des plus combatifs. Il détient chaque année, et de loin, le record du nombre de jours de grève ! Par deux fois, l’Etat doit même retirer ses attaques. En 1969 et 1972, les mineurs parviennent en effet à créer un rapport de force favorable à la classe ouvrière en imprimant à la grève une dynamique d’extension sortant de la logique sectorielle ou corporatiste. Par dizaines ou par centaines, ils se rendent en véhicules dans les ports, les aciéries, les dépôts de charbon, les centrales, pour les bloquer et convaincre les ouvriers sur place de les rejoindre dans la lutte. Cette méthode deviendra célèbre sous le nom de flying pickets (« piquets volants ») et symbolisera la force de la solidarité et de l’unité ouvrières. Les mineurs paralysent ainsi toute l’économie en interrompant presque totalement la production, la distribution et la combustion du charbon, source d’énergie alors indispensable aux usines.
En arrivant au pouvoir en 1979, Thatcher compte bien briser les reins de cette classe ouvrière pas assez docile à son goût. Pour cela, son plan est simple : il s’agit d’isoler les éléments les plus combatifs, les mineurs, dans une grève longue et dure. Durant des mois, la bourgeoisie anglaise se prépare au bras de fer. Des stocks de charbon sont constitués pour faire face au risque de pénurie. Dans ses Mémoires, Thatcher rapporte : « Il incomba principalement à Nigel Lawson, qui était devenu ministre de l’Energie en septembre 1981, d’amasser - régulièrement et sans provocation - les stocks de charbon qui permettraient au pays de tenir. On devait beaucoup entendre le mot « tenir » au cours des mois suivants. » Quand tout est fin prêt, en mars 1984, 20 000 suppressions d’emplois sont brutalement annoncées dans le secteur du charbonnage. Comme attendu, la réaction des mineurs est fulgurante : dès le premier jour de grève, 100 puits sur 184 sont fermés. Un corset de fer syndical entoure alors immédiatement les grévistes. Tout est fait pour annihiler tout « risque » de « contamination ». Les syndicats de cheminots et de marins soutiennent platoniquement le mouvement, autrement dit, ils laissent les mineurs se débrouiller tout seuls. Le puissant syndicat des dockers se contente de deux appels à la grève tardifs, l’un en juillet quand nombre de puits sont fermés pour cause de vacances et l’autre à l’automne pour le retirer quelques jours plus tard ! Le TUC (la centrale syndicale nationale) refuse de soutenir la grève. Les syndicats des électriciens et des sidérurgistes s’y opposent. Bref, les syndicats sabotent activement toute possibilité de lutte commune. Mais surtout, le syndicat des mineurs, le NUM (National Union of Mineworkers), parachève ce sale boulot en enfermant les mineurs dans des occupations stériles et interminables (plus d’un an !) des puits de charbon. Compte-tenu des stocks amassés, la paralysie de la production de charbon ne fait cette fois-ci pas peur à la bourgeoisie, seule la possibilité d’une extension de la lutte aux différents secteurs de la classe ouvrière l’inquiète. Il lui faut donc à tout prix éviter que les mineurs envoient des piquets volants partout pour discuter et convaincre les ouvriers des autres secteurs de les rejoindre dans la lutte. Le NUM déploie toute son énergie à restreindre la grève à l’industrie minière. Afin d’éviter que des flying pickets soient envoyés aux portes des usines voisines, toute l’attention des ouvriers est focalisée sur la nécessité d’occuper les puits, tous les puits, rien que les puits, coûte que coûte. Or, le NUM a bien pris soin de ne pas appeler à la grève nationale, chaque région doit décider de rentrer en lutte ou non. Quelques puits continuent donc de tourner.. Ce même NUM désigne alors ces puits encore en activité comme des « repaires de jaunes ». De mars 1984 à mars 1985, pendant un an, la vie de milliers d’ouvriers et de leur famille va tourner autour de cette seule question d’occuper les mines et de bloquer les quelques puits encore en activité. Bloquer la production du charbon devient, sous la houlette syndicale, l’objectif central et unique, une question en soi. Les flying pickets ont du plomb dans l’aile ; au lieu de « voler » d’usine en usine, ils restent là, au même endroit, devant les mêmes puits, jour après jour, semaine après semaine, puis mois après mois. Le seul résultat est l’exacerbation des tensions entre grévistes et non-grévistes ; parfois même, des affrontements entre mineurs éclatent.
Cette fois isolés de leur classe, divisés en leur propre sein, les mineurs deviennent une proie facile. Grâce à ce sabotage syndical, à ces occupations stériles et interminables, à ces flying pickets qui n’ont plus de volants que le nom, la répression policière peut s’abattre avec d’autant plus de violence. Le bilan de la grève des mineurs de 1984 sera de 7000 blessés, 11 291 arrestations et 8392 personnes traduites en justice. Bien plus grave, cette défaite sera la défaite de toute la classe ouvrière, le gouvernement Thatcher passera alors en force toute une série d’attaques dans tous les secteurs.
Décidément, il n’existe aucune recette pour la lutte de classe. Toute méthode de lutte (blocage, piquet, occupation...) peut tantôt être au service du mouvement, tantôt facteur de division. Une seule chose est certaine : la force de la classe ouvrière réside dans son unité, sa capacité à développer sa solidarité et donc à étendre la lutte à tous les secteurs. C’est cette dynamique d’extension qui seule fait vraiment peur à la bourgeoisie et permet de dégager, dans les grandes lignes, quelques leçons essentielles des expériences de lutte du prolétariat:
- jamais les piquets ou les occupations ne doivent être la source d’un quelconque enfermement et repli, mais au contraire un outil au service de l’extension ;
- pour ce faire, l’ouverture est un élément vital. Une usine occupée doit être un lieu où les ouvriers des autres secteurs, les retraités, les chômeurs... peuvent venir débattre et participer à la lutte. Les piquets, eux aussi, doivent constituer des lieux privilégiés d’échange pour convaincre les non-grévistes de rejoindre le combat. Les piquets volants doivent avoir pour souci premier cette notion d’extension de la lutte à tous les secteurs ;
- tout mode d’action ne peut être employé à tout moment. En particulier, quand un mouvement ne s’étend pas et stagne puis qu’il s’oriente ostensiblement vers la reprise, il est presque toujours vain pour les éléments les plus combatifs et déterminés de vouloir aller « jusqu’au bout » de leurs forces (physiques et morales) par des occupations et des blocages souvent désespérés. Ce qui compte alors, c’est surtout de préparer les nouvelles luttes à venir.
- enfin, derrière les actions de blocage, de piquet et d’occupation, les syndicats ne cherchent toujours qu’à diviser et isoler. Seule la prise en mains de la lutte par les ouvriers eux-mêmes permet le développement de la lutte et de la solidarité !
Quoi qu’il en soit, au-delà du rôle que peut jouer une occupation d’usine ou un piquet à un moment donné d’une grève, c’est dans la rue que les ouvriers peuvent se rassembler massivement ! Ce n’est pas pour rien qu’en mai 2006, les métallurgistes de Vigo, en Espagne, qui occupaient leur usine et faisaient face à une répression policière violente, ont décidé d’organiser leurs assemblées générales et les manifestations dans les rues du centre-ville. Ici, dans la rue, les ouvriers de tous secteurs, les retraités, les chômeurs, les familles ouvrières... tous ont pu rejoindre les grévistes et manifester activement, par la lutte et l’unité dans la lutte, leur solidarité de classe !
Pawel (24 janvier 2008)
1 La loi LRU (Libertés et Responsabilités des Universités) a pour but la réduction des coûts étatiques pour l’enseignement supérieur en recentrant les « efforts financiers » sur quelques « facs élites », transformant ainsi toutes les autres universités en de véritables « facs poubelles ».
2 Témoignages de deux ouvriers de l’usine, Muhammed Attar et Sayyid Habib, recueillis par Joel Beinin et Hossam el-Hamalawy et publiés sous le titre « Les ouvriers du textile égyptien s’affrontent au nouvel ordre économique », sur les sites “Middle East Report Online” et libcom.org.
3 Pour plus d’informations sur cette lutte, qui dura plusieurs mois, lire notre article « Grèves en Egypte : la solidarité de classe, fer de lance de la lutte [174] ».
à l’heure où nous mettons sous presse, la situation sociale en Égypte se révèle explosive. Des millions de personnes sont dans la rue, bravant les couvre-feux, le régime étatique et la répression sanglante. Au même moment, en Tunisie, le mouvement social perdure ; la fuite de Ben Ali, les remaniements gouvernementaux et les promesses d’élections prochaines ne suffisent pas à calmer la profonde colère de la population. En Jordanie, là aussi, des milliers de manifestants expriment leur ras-le-bol face à la pauvreté croissante alors que la contestation en Algérie a été purement et simplement étouffée.
Les médias et les politiciens de tous bords ne cessent de parler de la “révolte des pays du Maghreb et des États arabes”, focalisant ainsi l’attention sur les spécificités régionales, sur les mœurs “trop peu démocratiques” des dirigeants nationaux, sur l’exaspération des populations de voir depuis 30 ans les mêmes têtes au pouvoir…
Tout ceci est vrai ! Oui, les Ben Ali, Moubarak, Rifai et autres Bouteflika sont des gangsters, véritables caricatures de la dictature de la bourgeoisie. Mais avant tout, ces mouvements sociaux appartiennent aux exploités de tous les pays. Ces explosions de colère qui font aujourd’hui tâche d’huile ont pour toile de fond l’accélération de la crise économique mondiale qui, depuis 2007, est en train de plonger toute l’humanité dans la plus effroyable des misères. (1)
Après la Tunisie, l'Égypte ! La contagion de révoltes dans les États arabes, en particulier en Afrique du Nord comme celle qu’a connue la Tunisie que toutes les bourgeoisies redoutaient a déjà commencé. Là encore, des populations plongées dans la misère et le désespoir sous les coups de boutoir de la crise de l’économie mondiale sont livrées à l’horreur d’une répression sanguinaire. Face à la colère des exploités, les gouvernants et les dirigeants révèlent ce qu’ils sont tous : une classe d’affameurs et d’assassins. La seule réponse qu’ils puissent apporter, c’est le règne de la terreur et des balles dans la peau. Il ne s’agit pas là des seuls “dictateurs” désignés, les Moubarak, les Ben Ali, les Bouteflika, les Saleh au Yémen et consorts. Nos propres dirigeants “démocrates”, de gauche comme de droite, n’ont cessé de s’en faire des “amis”, des “alliés fidèles” et des complices, unis avec eux dans la même défense de l’ordre et de l’exploitation capitaliste. En feignant d’ignorer que la stabilité tant vantée de ces pays ou le prétendu rempart qu’ils représentaient contre l’islamisme radical n’était dus qu’au maintien depuis des décennies d’un régime cadenassé par la terreur policière, en détournant les regards de leurs tortures, de leur corruption, de leurs exactions, du climat de terreur et de peur qu’ils faisaient régner sur les populations. Ils les ont toujours pleinement soutenus dans le maintien de cette chape de plomb au nom de la stabilité, de l’amitié et de la paix entre les peuples, au nom de la non-ingérence, ne défendant ainsi rien d’autre que leurs sordides intérêts impérialistes nationaux.
Aujourd’hui, en Égypte, ce sont à nouveau des dizaines voire des centaines de morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers d’arrestations dans un climat survolté. Avec la chute de Ben Ali en Tunisie qui a servi de détonateur, le verrou a sauté. Cela a suscité un immense espoir dans la population de la plupart des États arabes où sévit la même terreur, seul moyen de museler la classe ouvrière et les couches exploitées. On a aussi assisté à maintes manifestations de désespoir avec une vague de tentatives d’immolation en Algérie, au Maroc, en Mauritanie, au Sahara occidental, en Arabie saoudite et jusqu’au Soudan qui a touché aussi bien des jeunes chômeurs que des ouvriers qui ne parviennent plus à subvenir aux besoins de leur famille. En Égypte, ce sont les mêmes revendications qu’en Tunisie qui sont scandées : “Du pain ! De la liberté ! De la dignité ! Plus d’humanité !”, face aux mêmes fléaux qui sévissent ailleurs dans le monde provoquée par la crise économique mondiale dans laquelle nous plonge partout le capitalisme : le chômage (qui touche en fait plus de 20 % de la population égyptienne), la précarité (4 Égyptiens sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté et les fameux “chiffonniers du Caire” sont connus dans le monde entier à travers les reportages), les hausses de produits de première nécessité et la misère croissante. Le slogan “Moubarak, dégage !” est directement repris sur le modèle de la population tunisienne réclamant le départ de Ben Ali à l’encontre de celui qui dirige le pays d’une poigne de fer depuis trente ans. Des manifestants proclamaient au Caire : “Ce n’est pas notre gouvernement, ce sont nos ennemis”. Un journaliste égyptien déclare à un correspondant du Figaro : “Aucun mouvement politique ne peut revendiquer ces manifestations. C’est la rue qui s’exprime. Les gens n’ont rien à perdre. Ça ne peut plus durer.” Une phrase revient sur toutes les lèvres : “Aujourd’hui, on n’a plus peur”.
En avril 2008, les salariés d’une usine textile de Mahallah el-Koubra au nord du Caire s’étaient mis en grève pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail. Pour appuyer les ouvriers et appeler à une grève générale le 6 avril, un groupe de jeunes s’était déjà organisé sur Facebook et Twitter. Des centaines de manifestants avaient été arrêtés. Cette fois, et contrairement à la Tunisie, le gouvernement égyptien a brouillé d’avance ces accès à Internet.
Le mardi 25 janvier, décrété “journée nationale de la police”, des dizaines de milliers de protestataires sont descendus dans les rues du Caire, d’Alexandrie, de Tanta, de Suez où ils se sont heurtés aux forces de l’ordre. Quatre jours d’affrontements quotidiens se succèdent où la violence de la répression n’a cessé d’alimenter la colère : pendant ces journées et ces nuits, la police anti-émeutes utilise à tour de bras gaz lacrymogène, tirs à balle en caoutchouc ou à balles réelles L’explosion de colère couvait depuis des semaines. La répression est toujours là : affrontements au Caire, à Suez, Alexandrie, dans le Sinaï. Déjà une dizaine de morts, une centaine de blessés, des milliers d’arrestations dans les premiers jours. L’armée forte de 500 000 hommes , suréquipée et très entraînée tient un rôle central de puissant soutien au régime, contrairement à la Tunisie. Le pouvoir bénéficie aussi d’hommes de main munis de bâtons et spécialisés comme casseurs de manifestations, les baltageyas ainsi que de nombreux flics en civil de la Sûreté d'État mêlés aux manifestants armés de chaînes métalliques, les flics contrôlent les rassemblements en groupe et quadrillent les sorties de métro dans la capitale. Le 28, jour de congé, vers midi, à l’heure de la sortie des mosquées, malgré l’interdiction de se rassembler, les manifestants affluent de toutes parts et s’affrontent avec la police dans plusieurs quartiers de la capitale. Ce sera la “jour de colère”. Dès la veille, le gouvernement a brouillé les sites internet comme les téléphones portables et coupé toutes les communications téléphoniques. Le pays s’embrase ; dans la soirée, les manifestants de plus en plus nombreux, bravent le couvre-feu décrété au Caire, à Alexandrie, à Suez. Des camions de police utilisant des canons à eau foncent sur la foule, surtout composée de jeunes. Au Caire, les chars et les troupes sont d’abord accueillis en héros libérateurs par les manifestants, et on assiste à quelques tentatives de fraternisations avec l’armée, largement médiatisées qui, ça et là, aboutissent à empêcher un convoi de blindés de rallier le gros des forces de l’ordre. De même quelques policiers jettent même leurs brassards et rejoignent le camp des manifestants. Mais très vite, à d’autres endroits au contraire, les blindés militaires ont ouvert le feu sur les manifestants venus à leur rencontre ou les fauchent. Le chef d’état-major égyptien, Sami Anan, qui conduisait une délégation militaire aux États-Unis pour des entretiens au Pentagone, est rentré précipitamment en Égypte vendredi. Des voitures de police, des commissariats, ainsi que le siège du parti gouvernemental sont incendiés, le ministère de l’information est mis à sac. Les blessés s’entassent dans les hôpitaux surchargés. A Alexandrie, le gouvernorat est aussi incendié. A Mansoura aussi, dans le delta du Nil, des affrontements violents ont eu lieu, faisant plusieurs morts. Quelques assiégeants tentent de s’emparer du siège de la télévision d'État, d’où ils sont repoussés par l’armée.
Vers 23 heures 20, Moubarak apparaît devant les écrans de télévision et prend la parole pour annoncer le remaniement de son équipe gouvernementale le lendemain et promet d’entreprendre des réformes politiques ainsi que de nouvelles mesures pour la démocratie tout en assurant de sa fermeté “pour assurer la sécurité et la stabilité de l'Égypte” contre les “entreprises de déstabilisation”. Ces propos n’ont fait qu’attiser la colère et renforcer la détermination des manifestants.
Mais si la Tunisie est un modèle pour les manifestants, les enjeux de la situation ne sont plus les mêmes pour la bourgeoisie. La Tunisie reste un pays de taille modeste qui pouvait revêtir un intérêt impérialiste important pour un pays “ami” de second ordre tel que la France2. Il en est tout autrement de l'Égypte qui est de loin l'État le plus peuplé (plus de 80 millions d’habitants) de la région et qui occupe surtout une place stratégique centrale et fondamentale au Proche- et au Moyen-Orient, en particulier pour la bourgeoisie américaine. L’enjeu est ici majeur. La chute du régime Moubarak pourrait provoquer un chaos régional lourd de conséquences. L'Égypte de Moubarak est le principal allié des États-Unis dans le conflit du Moyen-Orient, afin d’assurer la protection de l'État israélien, jouant un rôle clé et prépondérant dans les relations israélo-palestiniennes et même inter-palestiniennes entre le Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas. Cet État était jusqu’ici considéré comme un facteur de stabilité au Proche-Orient. De même, l’évolution politique du Soudan qui se dirige vers une sécession du Sud du pays rend nécessaire un pouvoir égyptien fort. C’est donc une pièce maîtresse la stratégie américaine dans le conflit israélo-arabe depuis 40 ans dont la déstabilisation risquerait de faire basculer de nombreux pays voisins, en particulier la Jordanie, la Libye, le Yémen et la Syrie. Cela explique l’inquiétude des États-Unis qui, du fait de ses liens très étroits avec le régime, se retrouve dans une situation inconfortable ; Obama et la diplomatie américaine sont ainsi contraints de se mobiliser et de monter en première ligne pour multiplier les pressions directes sur Moubarak afin de tenter de préserver la stabilité du pays et d’abord de sauver le régime. C’est pourquoi Obama a déclaré publiquement qu’il s’est entretenu une demie-heure avec Moubarak, après l’allocution de ce dernier pour que celui-ci lâche davantage de lest. Auparavant, Hillary Clinton a ainsi déclaré que le “les forces de l’ordre devaient être incitées à plus de retenue” et que le gouvernement devait très rapidement remettre en service les réseaux de communication. Le lendemain, c’est probablement sous la pression américaine qu’un général, Omar Souleimane, chef du puissant service des Renseignements militaires, de surcroît chargé des dossiers de négociation avec Israël au Moyen-Orient, a été imposé comme vice-président. C’est d’ailleurs l’armée qui a profité de sa popularité auprès des manifestants pour être restée en retrait et avoir à maints endroits pactisé avec les manifestants pour pousser avec succès une grande partie de la foule amassée au centre-ville et qui bravait une nouvelle fois le couvre-feu à rentrer “à la maison” pour “se protéger des pillards”
... comme dans d’autres États arabes...
D’autres manifestations de révolte ont eu lieu en même temps aussi en Algérie, au Yémen, en Jordanie. Dans ce dernier pays, 4 000 manifestants se sont rassemblés à Amman pour la troisième fois en 3 semaines pour protester contre la vie chère et réclamer des réformes économiques et politiques, notamment le départ du premier ministre. Les autorités ont fait quelques gestes avec de petites mesures économiques et quelques consultations politiques. Mais les manifestations se sont étendues aux villes d’Irbid et de Kerak. La répression en Algérie a déjà fait 5 morts et plus de 800 blessés et au centre d’Alger, une manifestation a été durement réprimée le 22 janvier. En Tunisie aussi, la chute de Ben Ali n’a freiné ni la colère ni l’ampleur de la répression : dans les prisons, les exécutions sommaires depuis le départ de Ben Ali auraient fait plus de morts que les affrontements avec la police auparavant. La “caravane de la libération”, venue du centre ouest du pays d’où était parti le mouvement, a bravé le couvre-feu et campé plusieurs jours devant le siège du palais abritant un gouvernement dominé par d’anciens caciques et des séides du régime pour réclamer sa démission. La colère perdure car ce sont les mêmes hommes que du temps de Ben Ali qui tiennent les rênes du pays. Le remaniement gouvernemental, plusieurs fois repoussé, a eu lieu le 27 janvier, écartant les ministres les plus compromis avec l’ancien régime mais conservant toujours le même premier ministre, n’ a pas réussi à calmer les esprits. La répression féroce de la police continue et la situation reste confuse.
Ces explosions de révolte massives et spontanées révèlent le ras-le-bol des populations qui sont aujourd’hui déterminées à en finir avec la misère et la répression de ces régimes. Mais elles révèlent aussi le poids des illusions démocratiques et du poison nationaliste : dans les diverses manifestations, les drapeaux nationaux restaient fièrement brandis. En Égypte, comme en Tunisie, la colère des exploités a été immédiatement dévoyée sur le terrain du combat pour plus de démocratie. La haine de la population pour le régime et la focalisation sur Moubarak (comme en Tunisie pour Ben Ali) a permis quelques revendications économiques contre la misère et le chômage soient reléguées en arrière plan par tous les médias bourgeois. Cela permet évidemment à la bourgeoisie ds pays “démocratiques” de faire croire à la la classe ouvrière, notamment celle des pays centraux, que ces “soulèvements populaires” n’ont pas les mêmes causes fondamentales que les luttes ouvrières qui se déroulent ici : la faillite du capitalisme mondial..
Vers le développement des combats de classe
Cette irruption de plus en plus forte d’une très grande colère sociale engendrées par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme dans des États de la périphérie qui étaient jusqu’à présent le foyer permanent et exclusif de tensions impérialistes et de menées guerrières constitue un facteur politique nouveau avec lequel la bourgeoisie mondiale devra désormais de plus en plus compter. L’émergence de ces révoltes contre la corruption des dirigeants qui s’en mettent plein les poches alors que la grande majorité de la population crève de faim, ne peut apporter de solutions en elles-même dans ces pays. Mais ces mouvements sont le signe avant-coureur d’une maturation des futures luttes sociales qui ne vont pas manquer de surgir dans les pays les plus industrialisés face aux mêmes maux : la baisse du niveau de vie, la misère croissante, le chômage des jeunes.
C’est d’ailleurs la même révolte contre un système mondial en faillite qui couve chez les jeunes en Europe, comme on l’a vu avec les luttes des étudiants en particulier en France, en Grande-Bretagne, en Italie. Dernier exemple en date : aux Pays-Bas, le 22 janvier, 20 000 étudiants et enseignants se rassemblent dans la rue à La Haye devant le siège du parlement et le ministère de l’enseignement. Ils protestent contre la forte hausse des droits d’inscription à l’université visant en premier lieu les “redoublants” (ce qui est souvent le cas de beaucoup d’étudiants-salariés obligés de travailler pour payer leurs études) qui auront à payer 3000 euros supplémentaires par an, tandis que les prochaines coupes budgétaires prévoient la suppression de 7000 postes dans le secteur. C’est l’une des plus importantes manifestations d’étudiants depuis 20 ans dans le pays. Ils sont alors violemment et brutalement chargés par la police.
Ces mouvements sociaux sont le symptôme d’ une avancée importante dans le développement international de la lutte de classe dans tous les pays, même si la classe ouvrière n’apparaît pas en tant que telle, comme force autonome, dans les pays arabes et reste noyée dans un mouvement de protestation populaire.
Partout dans le monde, le fossé se creuse entre d’un côté une classe dominante, la bourgeoisie, qui étale avec une morgue et une arrogance de plus en plus indécente ses richesses, et de l’autre la masse des exploités qui plongent de plus en plus dans la misère et le dénuement. Ce fossé tend à rapprocher et unir dans un même combat contre le capitalisme les prolétaires de tous les pays quand la bourgeoisie ne peut plus répondre à l’indignation de ceux qu’elle exploite que par de nouvelles mesures d’austérité, par des coups de matraque et par des balles.
Les révoltes et les luttes sociales vont inévitablement prendre des formes différentes dans les années à venir et selon les régions du monde. Les forces et les faiblesses des mouvements sociaux ne seront pas partout identiques. Ici, la colère, la combativité et le courage seront exemplaires. Là, les méthodes et la massivité des luttes permettront d’ouvrir d’autres perspectives et d’établir un rapport de force en faveur de la classe ouvrière, seule force de la société capable d’offrir une perspective d’ avenir à l’humanité. En particulier, la concentration et l’expérience du prolétariat mobilisé dans ses combats dans les pays situés au cœur du capitalisme seront déterminantes. Sans la mobilisation massive des prolétaires des pays centraux, les révoltes sociales à la périphérie du capitalisme sont condamnées in fine à l’impuissance et ne pourront se dégager du joug de telle ou telle fraction de la classe dominante. Seule la lutte internationale de la classe ouvrière, sa solidarité, son unité, son organisation et sa conscience des enjeux de ses combats pourront entraîner dans son sillage toutes les couches de la société, afin de mettre à bas ce capitalisme agonisant et construire un autre monde !
W. (29 janvier)
1) Nous devons être ici prudents face à l’ampleur du black-out international de la situation algérienne. Il semble par exemple avoir encore des foyers de lutte en Kabylie.
2) La France qui après avoir soutenu Ben Ali avait fait son mea culpa pour avoir sous-estimé la situation et cautionné un autocrate se couvre quant à elle une nouvelle fois de ridicule en ménageant à son tour Moubarak et en se gardant bien de l’appeler à partir.
Dans Les Manuscrits économiques et philosophiques, après avoir examiné les diverses facettes de l’aliénation humaine, Marx s’est attaché à critiquer les conceptions du communisme, rudimentaires et inadéquates, qui prédominaient dans le mouvement prolétarien de son époque. Marx a rejeté les conceptions héritées de Babeuf que les adeptes de Blanqui ont continué à défendre, car elles tendaient à présenter le communisme comme un nivellement général par le bas, une négation de la culture dans laquelle “la condition de travailleur n’est pas abolie, elle est étendue à tous les hommes.” Dans cette conception, tout le monde devait devenir travailleur salarié sous la domination d’un capital collectif, de la “communauté en tant que capitaliste universel”. En rejetant ces conceptions, Marx anticipait déjà sur les arguments que les révolutionnaires venus après ont dû développer pour démontrer la nature capitaliste des régimes soi-disant “communistes” de l’ex-bloc de l’Est.
Marx avait à cœur de montrer, à l’encontre de ces définitions restrictives et déformées, que le communisme ne signifiait pas la réduction générale des hommes à un philistinisme inculte, mais l’élévation de l’humanité à ses plus hautes capacités créatrices.
Le communisme vulgaire avait compris assez correctement que les réalisations culturelles des sociétés antérieures étaient basées sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais ce faisant, il les rejetait de façon erronée alors que le communisme de Marx, au contraire, cherchait à s’approprier et à rendre vraiment fructueux tous les efforts culturels et, si l’on peut utiliser ce terme, spirituels antérieurs de l’humanité en les libérant des distorsions dont la société de classe les avait inévitablement marqués. En faisant de ces réalisations le bien commun de toute l’humanité, le communisme les fusionnerait en une synthèse supérieure et plus universelle. C’était une vision profondément dialectique qui, même avant que Marx ait exprimé une claire compréhension des formes communautaires de société ayant précédé la formation des divisions de classe, reconnaissait que l’évolution historique, en particulier dans sa phase finale capitaliste, avait spolié l’homme et l’avait privé de ses rapports sociaux “naturels” originels. Mais le but de Marx n’était pas un simple retour à une simplicité primitive perdue mais l’instauration consciente de l’être social de l’homme, une accession à un niveau supérieur qui intègre toutes les avancées contenues dans le mouvement de l’histoire.
La critique par Marx du travail aliéné présentait plusieurs aspects :
• le travail aliéné séparait le producteur de son propre produit : ce que l’homme créait de ses propres mains devenait une force hostile écrasant son créateur ; il séparait le producteur de l’acte de production : le travail aliéné était une forme de torture, une activité totalement extérieure au travailleur. Et comme la caractéristique humaine la plus fondamentale, l’“être générique de l’homme” comme dit Marx, était la production créatrice consciente, transformer celle-ci en source de tourment, c’était séparer l’homme de son véritable être générique ;
• il séparait l’homme de l’homme : il y avait une profonde séparation non seulement entre l’exploiteur et l’exploité, mais aussi entre les exploités eux-mêmes, atomisés en des individus rivaux par les lois de la concurrence capitaliste.
Dans ses premières définitions du communisme, Marx traitait ces aspects de l’aliénation sous différents angles, mais toujours avec la même préoccupation de montrer que le communisme fournissait une solution concrète et positive à ces maux. Dans la conclusion des Extraits des éléments d’économie politique de James Mill, commentaire qu’il a écrit à la même époque que les Manuscrits, Marx explique pourquoi le remplacement du travail salarié capitaliste (qui ne produit que pour le profit) par le travail associé produisant pour les besoins humains, constitue la base du dépassement des aliénations énumérées plus haut.
En opposition à cela, Marx nous demande de supposer “que nous produisions comme des êtres humains : chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l’autre. 1° Dans ma production, je réaliserais mon identité, ma particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et, dans la contemplation de l’objet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme une puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute. 2° Dans ta jouissance ou ton emploi de mon produit, j’aurais la joie spirituelle immédiate de satisfaire par mon travail un besoin humain, de réaliser la nature humaine et de fournir au besoin d’un autre l’objet de sa nécessité. 3° J’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d’être reconnu et ressenti par toi comme un complément à ton propre être et comme une partie nécessaire de toi-même ; d’être accepté dans ton esprit comme dans ton amour. 4° J’aurais, dans mes manifestations individuelles, la joie de créer la manifestation de ta vie, c’est-à-dire de réaliser et d’affirmer dans mon activité individuelle ma vraie nature, ma sociabilité humaine. Nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre. (...) Mon travail serait une manifestation libre de la vie, une jouissance de la vie.”.
Ainsi, pour Marx, les être humains ne produiraient de façon humaine que lorsque chaque individu serait capable de se réaliser pleinement dans son travail : accomplissement qui vient de la jouissance active de l’acte productif ; de la production d’objets qui non seulement aient une utilité réelle pour d’autres êtres humains mais qui méritent également d’être contemplés en eux-mêmes, parce qu’ils ont été produits, pour utiliser une expression des Manuscrits, “selon les lois de la beauté” ; du travail en commun avec d’autres êtres humains, et dans un but commun.
Pour Marx, la production pour les besoins n’a jamais constitué un simple minimum, une satisfaction purement quantitative des besoins élémentaires de se nourrir, de se loger, etc. La production pour les besoins était également le reflet de la nécessité pour l’homme de produire – pour l’acte de production en tant qu’activité sensuelle et agréable, en tant que célébration de l’essence communautaire du genre humain. C’est une position que Marx n’a jamais modifiée. Comme l’écrit, par exemple, le Marx “mûr” dans la Critique du Programme de Gotha (1874), quand il parle d’une «phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail, et, avec elle, l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail manuel, quand le travail sera devenu non seulement un moyen de vivre, mais même le premier besoin de l’existence ; quand avec le développement en tous sens des individus, les forces productives iront s’accroissant, et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance...”
Dans la société future, la principale motivation pour travailler sera que travailler devient “le premier besoin de l’existence”, la jouissance de la vie - cœur de l’activité humaine et accomplissement des désirs les plus essentiels de l’homme.
Dans le premier volume du Capital, Marx passe des pages et des pages à fulminer contre la façon dont le travail à l’usine réduit l’ouvrier à un simple fragment de lui-même ; contre la façon dont il transforme les hommes en corps sans tête, dont la spécialisation a réduit le travail à la répétition des actions les plus mécaniques engourdissant l’esprit. Mais cette polémique contre la division du travail se trouve déjà dans ses premiers travaux, et il est clair dans ce qu’il dit que, pour Marx, il ne peut être question de dépasser l’aliénation implicite dans le système salarié sans qu’il y ait une profonde transformation de la division du travail existante. Un passage fameux de l’Idéologie allemande traite cette question :
“Enfin, et la division du travail nous en fournit d’emblée le premier exemple, aussi longtemps que les hommes se trouvent dans la société primitive, donc aussi longtemps que subsiste la division entre intérêt particulier et intérêt général, et que l’activité n’est pas divisée volontairement mais naturellement, le propre acte de l’homme se dresse devant lui comme une puissance étrangère qui l’asservit, au lieu que ce soit lui qui la maîtrise. En effet, du moment où le travail commence à être réparti, chacun entre dans un cercle d’activités déterminé et exclusif, qui lui est imposé et dont il ne peut s’évader ; il est chasseur, pêcheur, berger ou “critique”, et il doit le rester sous peine de perdre les moyens qui lui permettent de vivre. Dans la société communiste, c’est le contraire : personne n’est enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former dans n’importe quelle branche de son choix ; c’est la société qui règle la production générale et qui me permet ainsi de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique.”
Cette merveilleuse image de la vie quotidienne dans une société communiste pleinement développée utilise évidemment une certaine licence poétique, mais elle traite le point essentiel : étant donné le développement des forces productives que le capitalisme a apporté, il n’y a absolument pas besoin que les êtres humains passent la plus grande partie de leur vie dans la prison d’un genre unique d’activité - par-dessus tout dans le genre d’activité qui ne permet l’expression que d’une minuscule part des capacités réelles de l’individu. De la même façon, nous parlons de l’abolition de l’ancienne division entre la petite minorité d’individus qui ont le privilège de vivre d’un travail réellement créatif et gratifiant, et la vaste majorité condamnée à l’expérience du travail comme aliénation de la vie :
“Le fait que le talent artistique soit concentré exclusivement dans quelques individus, et qu’il soit, pour cette raison, étouffé dans la grande masse des gens, est une conséquence de la division du travail. (...) dans une organisation communiste de la société, l’assujettissement de l’artiste à l’esprit borné du lieu et de la nation aura disparu. Cette étroitesse d’esprit est un pur résultat de la division du travail. Disparaîtra également l’assujettissement de l’individu à tel art déterminé qui le réduit au rôle exclusif de peintre, de sculpteur, etc., de sorte que, à elle seule, l’appellation reflète parfaitement l’étroitesse de son développement professionnel et sa dépendance de la division du travail. Dans une société communiste, il n’y a pas de peintres, mais tout au plus des êtres humains qui, entre autres choses, font de la peinture.”.
L’image héroïque de la société bourgeoise dans son aurore naissante est celle de 1’ “Homme de la Renaissance” – d’individus tels que Léonard De Vinci qui a combiné les talents d’artiste, de scientifique et de philosophe. Mais de tels hommes ne sont que des exemples exceptionnels, des génies extraordinaires, dans une société où l’art et la science s’appuyaient sur le labeur éreintant de l’immense majorité. La vision du communisme de Marx est celle d’une société composée tout entière d’“Hommes de la Renaissance”.
Les descriptions par Marx des buts ultimes du communisme sont extrêmement hardies, bien plus que ne le soupçonnent habituellement les
“réalistes”, car elles ne considèrent pas seulement les profonds changements qu’implique la transformation communiste (production pour l’usage, abolition de la division du travail, etc.) ; elles fouillent aussi dans les changements subjectifs que le communisme apportera, permettant une transformation spectaculaire de la perception et de l’expérience sensitive mêmes de l’homme.
Là encore, la méthode de Marx est de partir du problème réel, concret posé par le capitalisme et de chercher la solution contenue dans les contradictions présentes de la société. Dans ce cas, il décrit la façon dont le règne de la propriété privée réduit les capacités de l’homme de jouir véritablement de ses sens. D’abord, cette restriction est une conséquence de la simple pauvreté matérielle qui émousse les sens, réduit toutes les fonctions fondamentales de la vie à leur niveau animal, et empêche les êtres humains de réaliser leur puissance créatrice :
Au contraire, “les sens de l’homme social sont autres que ceux de l’homme non social. C’est seulement grâce à l’épanouissement de la richesse de l’être humain que se forme et se développe la richesse de la sensibilité subjective de l’homme : une oreille musicienne, un oeil pour la beauté des formes, bref des sens capables de jouissance humaine, des sens s’affirmant comme maîtrise propre à l’être humain... une fois accomplie (sa gestation), la société produit comme sa réalité durable l’homme pourvu de toutes les richesses de son être, l’homme riche, l’homme doué de tous ses sens, l’homme profond.”
Mais ce n’est pas seulement la privation matérielle quantifiable qui restreint le libre jeu des sens. C’est quelque chose de plus profondément incrusté par la société de propriété privée, la société d’aliénation. C’est la “stupidité” induite par cette société qui nous convainc que rien “n’est vraiment vrai” tant qu’on ne le possède pas :
“La propriété privée nous a rendus si sots et si bornés qu’un objet est nôtre uniquement quand nous l’avons, quand il existe pour nous comme capital, ou quand ils est immédiatement possédé, mangé, bu, porté sur notre corps, habité par nous, etc., bref quand il est utilisé par nous. Il est vrai que la propriété privée ne conçoit toutes ces réalisations directes de la possession elle-même que comme des moyens de vivre, et la vie, à laquelle elles servent de moyens, comme la vie de la propriété privée : le travail et le profit du capital. A la place de tous les sens physiques et intellectuels est apparue l’aliénation pure et simple des sens, le sens de l’avoir.”
Et de nouveau, en opposition à cela :
“...l’abolition positive de la propriété privée – c’est-à-dire l’appropriation sensible par l’homme et pour l’homme de la vie et de l’être humains, de l’homme objectif, des oeuvres humaines - ne doit pas être comprise dans le seul sens de la jouissance immédiate, partiale, dans le sens de la possession, de l’avoir. L’homme s’approprie sa nature universelle d’une manière universelle, donc en tant qu’homme total. Chacun de ses rapports humains avec le monde, voir, entendre, sentir, goûter, toucher, penser, contempler, vouloir, agir, aimer, bref, tous les actes de son individualité, aussi bien que, sous leur forme directe, ses organes génériques sont, dans leur comportement envers l’objet, l’appropriation de celui-ci (...) L’abolition de la propriété privée est l’émancipation de tous les sens et de toutes les qualités humaines ; mais elle est cette émancipation précisément parce que ces sens et ces qualités deviennent humains, tant subjectivement qu’objectivement. L’oeil devient l’oeil humain, tout comme son objet devient un objet social, humain, venant de l’homme et aboutissant à l’homme. Ainsi les sens sont devenus “théoriciens” dans leur action immédiate. Ils se rapportent à l’objet pour l’amour de l’objet et inversement, l’objet se rapporte humainement à lui-même et à l’homme. C’est pourquoi le besoin et la jouissance perdent leur nature égoïste, tandis que la nature perd sa simple utilité pour devenir utilité humaine.”
Clairement, pour Marx, le remplacement du travail aliéné par une forme réellement humaine de production mènerait à une modification fondamentale de l’état de conscience de l’homme. La libération de l’espèce du tribut paralysant payé à la lutte contre la pénurie, le dépassement de l’association de l’anxiété et du désir imposée par la domination de la propriété privée libèrent les sens de l’homme de leur prison et lui permettent de voir, d’entendre et de sentir d’une nouvelle façon. Il est difficile de discuter de telles formes de conscience parce qu’elles ne sont pas “simplement” rationnelles. Cela ne veut pas dire qu’elles ont régressé à un niveau antérieur au développement de la raison. Cela veut dire qu’elles sont allées au-delà de la pensée rationnelle telle qu’elle a été conçue jusqu’à présent en tant qu’activité séparée et isolée, atteignant une condition dans laquelle “non seulement dans le penser, mais avec tous ses sens, l’homme s’affirme dans le monde des objets.”
Une première approche pour comprendre de telles transformations internes, c’est de se référer à l’état d’inspiration qui existe dans toute grande oeuvre d’art. Dans cet état d’inspiration, le peintre ou le poète, le danseur ou le chanteur entrevoit un monde transfiguré, un monde resplendissant de couleur et de musique, un monde d’une signification élevée qui fait que notre état “normal” de perception apparaît partiel, limité et même irréel – ce qui est juste quand on se rappelle que la “normalité” est précisément la normalité de l’aliénation. L’analogie avec l’artiste n’est pas du tout fortuite. Lorsqu’il écrivait les Manuscrits, l’ami le plus estimé de Marx était le poète Heine et toute sa vie durant, Marx fut passionné par les oeuvres d’Homère, Shakespeare, Balzac et autres grands écrivains. Pour lui, de tels personnages et leur créativité débridée constituaient des modèles durables du véritable potentiel de l’humanité. Comme nous l’avons vu, le but de Marx était une société où de tels niveaux de créativité deviendraient un attribut “normal” de l’homme ; il s’ensuit donc que l’état élevé de perception sensitive décrite dans les Manuscrits deviendrait de plus en plus l’état “normal” de conscience de l’humanité sociale.
Plus tard, l’approche de Marx développera plus l’analogie avec l’activité créatrice du scientifique qu’avec celle de l’artiste, tout en conservant l’essentiel : la libération de la corvée du travail, le dépassement de la séparation entre travail et temps libre, produisent un nouveau sujet humain.
CDW
A l’heure où nous mettons sous presse, la situation sociale en Égypte se révèle explosive. Des millions de personnes sont dans la rue, bravant les couvre-feux, le régime étatique et la répression sanglante. Au même moment, en Tunisie, le mouvement social perdure ; la fuite de Ben Ali, les remaniements gouvernementaux et les promesses d’élections prochaines ne suffisent pas à calmer la profonde colère de la population. En Jordanie, là aussi, des milliers de manifestants expriment leur ras-le-bol face à la pauvreté croissante alors que la contestation en Algérie a été purement et simplement étouffée.
Les médias et les politiciens de tous bords ne cessent de parler de la “révolte des pays du Maghreb et des États arabes”, focalisant ainsi l’attention sur les spécificités régionales, sur les mœurs “trop peu démocratiques” des dirigeants nationaux, sur l’exaspération des populations de voir depuis 30 ans les mêmes têtes au pouvoir…
Tout ceci est vrai ! Oui, les Ben Ali, Moubarak, Rifai et autres Bouteflika sont des gangsters, véritables caricatures de la dictature de la bourgeoisie. Mais avant tout, ces mouvements sociaux appartiennent aux exploités de tous les pays. Ces explosions de colère qui font aujourd’hui tâche d’huile ont pour toile de fond l’accélération de la crise économique mondiale qui, depuis 2007, est en train de plonger toute l’humanité dans la plus effroyable des misères. (1)
Après la Tunisie, l'Égypte ! La contagion de révoltes dans les États arabes, en particulier en Afrique du Nord comme celle qu’a connue la Tunisie que toutes les bourgeoisies redoutaient a déjà commencé. Là encore, des populations plongées dans la misère et le désespoir sous les coups de boutoir de la crise de l’économie mondiale sont livrées à l’horreur d’une répression sanguinaire. Face à la colère des exploités, les gouvernants et les dirigeants révèlent ce qu’ils sont tous : une classe d’affameurs et d’assassins. La seule réponse qu’ils puissent apporter, c’est le règne de la terreur et des balles dans la peau. Il ne s’agit pas là des seuls “dictateurs” désignés, les Moubarak, les Ben Ali, les Bouteflika, les Saleh au Yémen et consorts. Nos propres dirigeants “démocrates”, de gauche comme de droite, n’ont cessé de s’en faire des “amis”, des “alliés fidèles” et des complices, unis avec eux dans la même défense de l’ordre et de l’exploitation capitaliste. En feignant d’ignorer que la stabilité tant vantée de ces pays ou le prétendu rempart qu’ils représentaient contre l’islamisme radical n’était dus qu’au maintien depuis des décennies d’un régime cadenassé par la terreur policière, en détournant les regards de leurs tortures, de leur corruption, de leurs exactions, du climat de terreur et de peur qu’ils faisaient régner sur les populations. Ils les ont toujours pleinement soutenus dans le maintien de cette chape de plomb au nom de la stabilité, de l’amitié et de la paix entre les peuples, au nom de la non-ingérence, ne défendant ainsi rien d’autre que leurs sordides intérêts impérialistes nationaux.
Aujourd’hui, en Égypte, ce sont à nouveau des dizaines voire des centaines de morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers d’arrestations dans un climat survolté. Avec la chute de Ben Ali en Tunisie qui a servi de détonateur, le verrou a sauté. Cela a suscité un immense espoir dans la population de la plupart des États arabes où sévit la même terreur, seul moyen de museler la classe ouvrière et les couches exploitées. On a aussi assisté à maintes manifestations de désespoir avec une vague de tentatives d’immolation en Algérie, au Maroc, en Mauritanie, au Sahara occidental, en Arabie saoudite et jusqu’au Soudan qui a touché aussi bien des jeunes chômeurs que des ouvriers qui ne parviennent plus à subvenir aux besoins de leur famille. En Égypte, ce sont les mêmes revendications qu’en Tunisie qui sont scandées : “Du pain ! De la liberté ! De la dignité ! Plus d’humanité !”, face aux mêmes fléaux qui sévissent ailleurs dans le monde provoquée par la crise économique mondiale dans laquelle nous plonge partout le capitalisme : le chômage (qui touche en fait plus de 20 % de la population égyptienne), la précarité (4 Égyptiens sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté et les fameux “chiffonniers du Caire” sont connus dans le monde entier à travers les reportages), les hausses de produits de première nécessité et la misère croissante. Le slogan “Moubarak, dégage !” est directement repris sur le modèle de la population tunisienne réclamant le départ de Ben Ali à l’encontre de celui qui dirige le pays d’une poigne de fer depuis trente ans. Des manifestants proclamaient au Caire : “Ce n’est pas notre gouvernement, ce sont nos ennemis”. Un journaliste égyptien déclare à un correspondant du Figaro : “Aucun mouvement politique ne peut revendiquer ces manifestations. C’est la rue qui s’exprime. Les gens n’ont rien à perdre. Ça ne peut plus durer.” Une phrase revient sur toutes les lèvres : “Aujourd’hui, on n’a plus peur”.
En avril 2008, les salariés d’une usine textile de Mahallah el-Koubra au nord du Caire s’étaient mis en grève pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail. Pour appuyer les ouvriers et appeler à une grève générale le 6 avril, un groupe de jeunes s’était déjà organisé sur Facebook et Twitter. Des centaines de manifestants avaient été arrêtés. Cette fois, et contrairement à la Tunisie, le gouvernement égyptien a brouillé d’avance ces accès à Internet.
Le mardi 25 janvier, décrété “journée nationale de la police”, des dizaines de milliers de protestataires sont descendus dans les rues du Caire, d’Alexandrie, de Tanta, de Suez où ils se sont heurtés aux forces de l’ordre. Quatre jours d’affrontements quotidiens se succèdent où la violence de la répression n’a cessé d’alimenter la colère : pendant ces journées et ces nuits, la police anti-émeutes utilise à tour de bras gaz lacrymogène, tirs à balle en caoutchouc ou à balles réelles L’explosion de colère couvait depuis des semaines. La répression est toujours là : affrontements au Caire, à Suez, Alexandrie, dans le Sinaï. Déjà une dizaine de morts, une centaine de blessés, des milliers d’arrestations dans les premiers jours. L’armée forte de 500 000 hommes , suréquipée et très entraînée tient un rôle central de puissant soutien au régime, contrairement à la Tunisie. Le pouvoir bénéficie aussi d’hommes de main munis de bâtons et spécialisés comme casseurs de manifestations, les baltageyas ainsi que de nombreux flics en civil de la Sûreté d'État mêlés aux manifestants armés de chaînes métalliques, les flics contrôlent les rassemblements en groupe et quadrillent les sorties de métro dans la capitale. Le 28, jour de congé, vers midi, à l’heure de la sortie des mosquées, malgré l’interdiction de se rassembler, les manifestants affluent de toutes parts et s’affrontent avec la police dans plusieurs quartiers de la capitale. Ce sera le “jour de colère”. Dès la veille, le gouvernement a brouillé les sites internet comme les téléphones portables et coupé toutes les communications téléphoniques. Le pays s’embrase ; dans la soirée, les manifestants de plus en plus nombreux, bravent le couvre-feu décrété au Caire, à Alexandrie, à Suez. Des camions de police utilisant des canons à eau foncent sur la foule, surtout composée de jeunes. Au Caire, les chars et les troupes sont d’abord accueillis en héros libérateurs par les manifestants, et on assiste à quelques tentatives de fraternisations avec l’armée, largement médiatisées qui, ça et là, aboutissent à empêcher un convoi de blindés de rallier le gros des forces de l’ordre. De même quelques policiers jettent même leurs brassards et rejoignent le camp des manifestants. Mais très vite, à d’autres endroits au contraire, les blindés militaires ont ouvert le feu sur les manifestants venus à leur rencontre ou les fauchent. Le chef d’état-major égyptien, Sami Anan, qui conduisait une délégation militaire aux États-Unis pour des entretiens au Pentagone, est rentré précipitamment en Égypte vendredi. Des voitures de police, des commissariats, ainsi que le siège du parti gouvernemental sont incendiés, le ministère de l’information est mis à sac. Les blessés s’entassent dans les hôpitaux surchargés. A Alexandrie, le gouvernorat est aussi incendié. A Mansoura aussi, dans le delta du Nil, des affrontements violents ont eu lieu, faisant plusieurs morts. Quelques assiégeants tentent de s’emparer du siège de la télévision d'État, d’où ils sont repoussés par l’armée.
Vers 23 heures 20, Moubarak apparaît devant les écrans de télévision et prend la parole pour annoncer le remaniement de son équipe gouvernementale le lendemain et promet d’entreprendre des réformes politiques ainsi que de nouvelles mesures pour la démocratie tout en assurant de sa fermeté “pour assurer la sécurité et la stabilité de l'Égypte” contre les “entreprises de déstabilisation”. Ces propos n’ont fait qu’attiser la colère et renforcer la détermination des manifestants.
Mais si la Tunisie est un modèle pour les manifestants, les enjeux de la situation ne sont plus les mêmes pour la bourgeoisie. La Tunisie reste un pays de taille modeste qui pouvait revêtir un intérêt impérialiste important pour un pays “ami” de second ordre tel que la France2. Il en est tout autrement de l'Égypte qui est de loin l'État le plus peuplé (plus de 80 millions d’habitants) de la région et qui occupe surtout une place stratégique centrale et fondamentale au Proche et au Moyen-Orient, en particulier pour la bourgeoisie américaine. L’enjeu est ici majeur. La chute du régime Moubarak pourrait provoquer un chaos régional lourd de conséquences. L'Égypte de Moubarak est le principal allié des États-Unis dans le conflit du Moyen-Orient, afin d’assurer la protection de l'État israélien, jouant un rôle clé et prépondérant dans les relations israélo-palestiniennes et même inter-palestiniennes entre le Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas. Cet État était jusqu’ici considéré comme un facteur de stabilité au Proche-Orient. De même, l’évolution politique du Soudan qui se dirige vers une sécession du Sud du pays rend nécessaire un pouvoir égyptien fort. C’est donc une pièce maîtresse la stratégie américaine dans le conflit israélo-arabe depuis 40 ans dont la déstabilisation risquerait de faire basculer de nombreux pays voisins, en particulier la Jordanie, la Libye, le Yémen et la Syrie. Cela explique l’inquiétude des États-Unis qui, du fait de ses liens très étroits avec le régime, se retrouve dans une situation inconfortable ; Obama et la diplomatie américaine sont ainsi contraints de se mobiliser et de monter en première ligne pour multiplier les pressions directes sur Moubarak afin de tenter de préserver la stabilité du pays et d’abord de sauver le régime. C’est pourquoi Obama a déclaré publiquement qu’il s’est entretenu une demie-heure avec Moubarak, après l’allocution de ce dernier pour que celui-ci lâche davantage de lest. Auparavant, Hillary Clinton a ainsi déclaré que le “les forces de l’ordre devaient être incitées à plus de retenue” et que le gouvernement devait très rapidement remettre en service les réseaux de communication. Le lendemain, c’est probablement sous la pression américaine qu’un général, Omar Souleimane, chef du puissant service des Renseignements militaires, de surcroît chargé des dossiers de négociation avec Israël au Moyen-Orient, a été imposé comme vice-président. C’est d’ailleurs l’armée qui a profité de sa popularité auprès des manifestants pour être restée en retrait et avoir à maints endroits pactisé avec les manifestants pour pousser avec succès une grande partie de la foule amassée au centre-ville et qui bravait une nouvelle fois le couvre-feu à rentrer “à la maison” pour “se protéger des pillards”
D’autres manifestations de révolte ont eu lieu en même temps aussi en Algérie, au Yémen, en Jordanie. Dans ce dernier pays, 4 000 manifestants se sont rassemblés à Amman pour la troisième fois en 3 semaines pour protester contre la vie chère et réclamer des réformes économiques et politiques, notamment le départ du premier ministre. Les autorités ont fait quelques gestes avec de petites mesures économiques et quelques consultations politiques. Mais les manifestations se sont étendues aux villes d’Irbid et de Kerak. La répression en Algérie a déjà fait 5 morts et plus de 800 blessés et au centre d’Alger, une manifestation a été durement réprimée le 22 janvier. En Tunisie aussi, la chute de Ben Ali n’a freiné ni la colère ni l’ampleur de la répression : dans les prisons, les exécutions sommaires depuis le départ de Ben Ali auraient fait plus de morts que les affrontements avec la police auparavant. La “caravane de la libération”, venue du centre ouest du pays d’où était parti le mouvement, a bravé le couvre-feu et campé plusieurs jours devant le siège du palais abritant un gouvernement dominé par d’anciens caciques et des séides du régime pour réclamer sa démission. La colère perdure car ce sont les mêmes hommes que du temps de Ben Ali qui tiennent les rênes du pays. Le remaniement gouvernemental, plusieurs fois repoussé, a eu lieu le 27 janvier, écartant les ministres les plus compromis avec l’ancien régime mais conservant toujours le même premier ministre, n’ a pas réussi à calmer les esprits. La répression féroce de la police continue et la situation reste confuse.
Ces explosions de révolte massives et spontanées révèlent le ras-le-bol des populations qui sont aujourd’hui déterminées à en finir avec la misère et la répression de ces régimes. Mais elles révèlent aussi le poids des illusions démocratiques et du poison nationaliste : dans les diverses manifestations, les drapeaux nationaux restaient fièrement brandis. En Égypte, comme en Tunisie, la colère des exploités a été immédiatement dévoyée sur le terrain du combat pour plus de démocratie. La haine de la population pour le régime et la focalisation sur Moubarak (comme en Tunisie pour Ben Ali) a permis quelques revendications économiques contre la misère et le chômage soient reléguées en arrière plan par tous les médias bourgeois. Cela permet évidemment à la bourgeoisie des pays “démocratiques” de faire croire à la la classe ouvrière, notamment celle des pays centraux, que ces “soulèvements populaires” n’ont pas les mêmes causes fondamentales que les luttes ouvrières qui se déroulent ici : la faillite du capitalisme mondial..
Cette irruption de plus en plus forte d’une très grande colère sociale engendrées par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme dans des États de la périphérie qui étaient jusqu’à présent le foyer permanent et exclusif de tensions impérialistes et de menées guerrières constitue un facteur politique nouveau avec lequel la bourgeoisie mondiale devra désormais de plus en plus compter. L’émergence de ces révoltes contre la corruption des dirigeants qui s’en mettent plein les poches alors que la grande majorité de la population crève de faim, ne peut apporter de solutions en elles-même dans ces pays. Mais ces mouvements sont le signe avant-coureur d’une maturation des futures luttes sociales qui ne vont pas manquer de surgir dans les pays les plus industrialisés face aux mêmes maux : la baisse du niveau de vie, la misère croissante, le chômage des jeunes.
C’est d’ailleurs la même révolte contre un système mondial en faillite qui couve chez les jeunes en Europe, comme on l’a vu avec les luttes des étudiants en particulier en France, en Grande-Bretagne, en Italie. Dernier exemple en date : aux Pays-Bas, le 22 janvier, 20 000 étudiants et enseignants se rassemblent dans la rue à La Haye devant le siège du parlement et le ministère de l’enseignement. Ils protestent contre la forte hausse des droits d’inscription à l’université visant en premier lieu les “redoublants” (ce qui est souvent le cas de beaucoup d’étudiants-salariés obligés de travailler pour payer leurs études) qui auront à payer 3000 euros supplémentaires par an, tandis que les prochaines coupes budgétaires prévoient la suppression de 7000 postes dans le secteur. C’est l’une des plus importantes manifestations d’étudiants depuis 20 ans dans le pays. Ils sont alors violemment et brutalement chargés par la police.
Ces mouvements sociaux sont le symptôme d’ une avancée importante dans le développement international de la lutte de classe dans tous les pays, même si la classe ouvrière n’apparaît pas en tant que telle, comme force autonome, dans les pays arabes et reste noyée dans un mouvement de protestation populaire.
Partout dans le monde, le fossé se creuse entre d’un côté une classe dominante, la bourgeoisie, qui étale avec une morgue et une arrogance de plus en plus indécente ses richesses, et de l’autre la masse des exploités qui plongent de plus en plus dans la misère et le dénuement. Ce fossé tend à rapprocher et unir dans un même combat contre le capitalisme les prolétaires de tous les pays quand la bourgeoisie ne peut plus répondre à l’indignation de ceux qu’elle exploite que par de nouvelles mesures d’austérité, par des coups de matraque et par des balles.
Les révoltes et les luttes sociales vont inévitablement prendre des formes différentes dans les années à venir et selon les régions du monde. Les forces et les faiblesses des mouvements sociaux ne seront pas partout identiques. Ici, la colère, la combativité et le courage seront exemplaires. Là, les méthodes et la massivité des luttes permettront d’ouvrir d’autres perspectives et d’établir un rapport de force en faveur de la classe ouvrière, seule force de la société capable d’offrir une perspective d’avenir à l’humanité. En particulier, la concentration et l’expérience du prolétariat mobilisé dans ses combats dans les pays situés au cœur du capitalisme seront déterminantes. Sans la mobilisation massive des prolétaires des pays centraux, les révoltes sociales à la périphérie du capitalisme sont condamnées in fine à l’impuissance et ne pourront se dégager du joug de telle ou telle fraction de la classe dominante. Seule la lutte internationale de la classe ouvrière, sa solidarité, son unité, son organisation et sa conscience des enjeux de ses combats pourront entraîner dans son sillage toutes les couches de la société, afin de mettre à bas ce capitalisme agonisant et construire un autre monde !
W. (29 janvier)
1) Nous devons être ici prudents face à l’ampleur du black-out international de la situation algérienne. Il semble par exemple avoir encore des foyers de lutte en Kabylie.
2) La France qui après avoir soutenu Ben Ali avait fait son mea culpa pour avoir sous-estimé la situation et cautionné un autocrate se couvre quant à elle une nouvelle fois de ridicule en ménageant à son tour Moubarak et en se gardant bien de l’appeler à partir.
2010 a été reconnue par la presse bourgeoisie elle-même comme l’année “record” des catastrophes. Pourtant, de tsunamis en ouragans, de pollutions massives en catastrophes écologiques, le siècle dernier et bien plus encore le début du xxie siècle n’ont pas été avares de morts comme de dégradations ahurissantes de l’environnement, aux côtés des massacres en tous genres dus aux “prodiges” des prétendus “faiseurs de paix” de par le monde. La première décennie de ce siècle qu’on nous promettait avec les festivités grandioses qui avaient ouvertes l’an 2000 comme une ère nouvelle, de modernité, de changements, etc., s’achève donc sur ce constat : le nombre invraisemblable de catastrophes, “naturelles” ou non, survenues un peu partout à travers le monde. Tremblements de terre, tempêtes, canicules, inondations… faire la listes de toutes ces catastrophes serait presque impossible. La liste déborde même déjà sur 2011 ! C’est le cas pour l’Australie par exemple, avec les deux vagues de tempêtes successives qui s’étaient abattues sur le pays, les 13 et 22 mars 2010, détruisant de nombreuses habitations et installations électriques. Et voici que depuis début janvier, ce même pays connait les pires inondations depuis 40 ans, qualifiées de “bibliques” par les autorités australiennes. On parle déjà d’une trentaine de morts, avec une surface inondée plus vaste que la France et l’Allemagne réunies. Au Brésil également, l’année commence très fort, avec des pluies torrentielles qui ont fait plus de 250 morts en 2 jours ([1]) !
Ainsi, pour ne rappeler que les grandes lignes des catastrophes 2010 :
– Le 12 janvier 2010 à Haïti, un séisme de magnitude 7.3 fait 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de sans-abris, semant le chaos et la maladie dans un pays déjà en proie à la misère ([2]).
– A partir du 27 février, la tempête Xynthia sévit sur la côte atlantique, en France où elle fait 47 morts et détruit de nombreuses habitations. Elle laissera deux victimes au Portugal et trois en Espagne.
– Au Chili, le même jour, un séisme de magnitude 8.8 tue 521 personnes et détruit près de 500 000 logements.
– En juin, la Russie connaîtra une canicule sans précédent qui fera 15 000 victimes et ravagera de nombreuses forêts et champs de céréales.
– Le 4 septembre, c’est au tour de la Nouvelle Zélande de connaître un séisme d’une magnitude proche de celui d’Haïti (7,1) mais cette fois, les réglementations antisismiques permettent de limiter à deux blessés graves le nombre de victimes.
Tous ces évènements sont particulièrement dramatiques et l’on ne peut qu’en déplorer les terribles conséquences. Aussi, nous exprimons notre solidarité avec les victimes de ces catastrophes meurtrières. Toutefois, si des phénomènes “naturels”, qu’ils soient météorologiques, géologiques ou autre, en sont souvent à l’origine, les conséquences désastreuses qu’ils entraînent n’ont, quant à elles, rien de naturel ou de fatal. Comme nous le montrions dans notre article sur le drame d’Haïti, ce sont toujours les mêmes qui payent le plus cher les conséquences de ces catastrophes : la classe exploitée et ses couches les plus pauvres. On se rappelle encore le cynisme avec lequel l’administration Bush avait tardé à porter secours à la population de la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina en août 2005.
Hélas, le bilan 2010 ne s’arrête pas là. Nous devons encore dénoncer deux autres grandes catastrophes pour lesquelles le capitalisme est bien le seul responsable :
• L’explosion de la plateforme pétrolière “Deepwater” dans le golfe du Mexique, le 20 avril, qui a provoqué une marée noire d’une ampleur sans précédent dans l’histoire déjà “riche” de la pollution due à l’irresponsabilité des compagnies pétrolières et des Etats, producteurs ou non, qui tirent de phénoménaux bénéfices de l’or noir. Pendant près de 5 mois, 780 millions de litres de pétrole se sont déversés dans le golfe, sans compter les 11 employés tués lors de l’explosion ([3]).
• Puis, en octobre, la rupture d’un barrage d’une usine de bauxite-aluminium à proximité d’Ajka en Hongrie provoque la pire catastrophe écologique qu’ait connue le pays et fait de nombreuses victimes. 1,1 million de litres de boue toxique (alcaline) sont déversés dans la Marcal, transformant cette rivière en rivière morte. “Le taux alcalin très élevé a tout tué” déplore Tibor Dobson avant de poursuivre : “Tous les poissons sont morts et nous n’avons pas pu sauver la végétation non plus” ([4]).
Pour ces véritables désastres écologiques et humains, dont les effets restent par ailleurs encore à venir, la cause ne se trouve bien évidemment pas dans ce que la classe dominante aimerait faire passer pour des “méfaits” quasi-inéluctables de “Mère Nature”. Cette dernière est une victime directe des conséquences de la course au profit du capitalisme et des contradictions de plus en plus monstrueuses que cela génère, et avec elle les 6 milliards d’êtres humains qui peuplent la planète. Aujourd’hui, pour la classe dominante, plus rien ne compte que la survie du système capitaliste, qu’il se nomme “démocratie” ou bien “dictature”. Aucune région du monde n’est à l’abri, des plus “nanties” aux plus pauvres. A n’importe quel prix, il faut que le monstre fasse du profit, et donc qu’il produise, jusqu’à vomir sa propre surproduction. Qu’importe la vie de ceux qui produisent : les ouvriers. Qu’importe la vie des populations frappées de plein fouet par ce système en pleine décomposition. S’ils ne sont pas solvables, “qu’ils crèvent !” Voilà le discours clair et net que tiennent nos exploiteurs en voix off, quand ils ne sont pas devant les caméras, leurs larmes de crocodiles ne servant à peine qu’à masquer leur avide cupidité et à compléter leur costume de clown humanitaire dont ils font usage pour justifier les plus bas appétits ([5]).
Aujourd’hui, le capitalisme prend l’humanité dans son étau : d’un côté, il détruit la planète pour la plier aux lois de la concurrence, ce qui tend à augmenter les catastrophes naturelles, et de l’autre, il appauvrit l’immense majorité des exploités et nous rend tous plus vulnérables. “Les phénomènes naturels ne devraient jamais être que des phénomènes, aussi spectaculaires soient-ils. Mais ils resteront des catastrophes tant que les lois capitalistes régiront le monde.” ([6])
Maxime (18 janvier)
1.) Sur lemonde.fr, le 14/01/2011. Le bilan est aujourd’hui de plus de 500 morts.
2.) Lire RI n° 409 : “En Haïti, l’humanitaire comme alibi”.
3.) RI no 413 : “Marée noire dans le golfe du Mexique : le capitalisme est une catastrophe [162]”.
4.) Déclaration de Tibor Dobson, chef régional des services anti-catastrophes. Ses services avaient tenté de déverser du plâtre et de l’acide pour diminuer le taux alcalin de la Marcal. En vain.
5.) RI no 409 : “En Haïti, l’humanitaire comme alibi”.
6.) Voir notre article à propos d’une énième catastrophe : “Coulées de boues en Amérique latine : le capitalisme est une catastrophe meurtrière permanente”.
Petit à petit les ballets diplomatiques et les tentatives de “médiation” cessent les uns et après les autres, l’heure est à la boucherie, bref les appels publics à la guerre fusent de toutes parts (1) :
“La communauté internationale gagnerait à ne pas laisser trop perdurer la situation actuelle en Côte d’Ivoire. Au-delà de janvier, les incertitudes sont grandes et les risques aussi. Barack Obama a indiqué qu’il était prêt à appuyer une intervention militaire de la CEDEAO. Les Britanniques aussi. Il reste à la CEDEAO de savoir se décider. Dans le projet d’intervention militaire effective, peu de pays seront prêts à franchir le pas. Il faut donc organiser sérieusement l’intervention pour lui donner toutes ses chances de réussir. Une bonne intervention ne devrait pas durer plus d’une semaine. Dans ce cas de figure, la France aura un rôle éminent à jouer”.
Et dans le même sens, le président nigérian de la CEDEAO demande officiellement l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU pour l’usage de la force, pour sa part, le camp d’Ouattara décrète la fin des négociations et s’apprête à faire parler les armes pour “déloger” Gbagbo. De fait, les tueries ont déjà commencé sous forme d’enlèvements, d’assassinats ciblés et d’assauts sanglants perpétués par les sanguinaires des deux camps qui se disputent le pouvoir ivoirien. Depuis l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier, on compte déjà 300 morts (sans doute plus avec les charniers non encore “décortiqués”) et pas un seul jour sans cadavres exposés en plein soleil sous les regards notamment des casques bleus de l’ONU. En effet :
“Jeudi 13 janvier, après deux jours de troubles et de tension croissante en Côte d’Ivoire, le bilan officiel fait état de 11 morts, dont 8 parmi les FDS(forces de défense et sécurité loyales au président sortant). Une source officielle française le juge sous-évalué. Il n’est qu’à voir le nombre de cargos calcinés, ces camions de transports de troupes, qui jalonnent la route vers Abidjan : 7 avant le premier carrefour d’Abobo. Plus loin vers le quartier PK 18, au milieu de l’artère à quatre voies, un cadavre torse nu est abandonné au soleil. Il ne fait bon de s’arrêter pour savoir s’il s’agit d’un mort civil ou militaire (…). A Abidjan le ton monte contre l’ONU et la France, accusées par Charles Blé Goudé, chef des jeunes patriotes et pilier du régime Gbagbo, de “préparer un génocide en Côte d’Ivoire (…) et les militants de l’opposition accusent des milices libériens (et autres escadrons de la mort) d’avoir été à la pointe de ces violence (2)”.
Et les grandes puissances de se cacher hypocritement derrière l’ONU qui, elle, gesticule et palabre beaucoup mais se contente d’établir le macabre bilan des morts. Et la France n’est pas moins au cœur de ces sombres manœuvres guerrières.
“Tout en s’abritant derrière la communauté internationale et en travaillant avec les Etats-Unis qui préparent leurs propres sanctions, la France reste confrontée à un délicat problème en cas de nouvelle spirale de violence. La force de Licorne dont les effectifs ont été réduits depuis 2004 (5000 soldats à l’époque) aurait pour rôle prioritaire l’évacuation des ressortissants français, en cas de besoin. Tout pourrait se corser si le conflit s’envenime et que de nouvelles exactions sont commises contre des civils. La France peut-elle rester passive sur le terrain en cas de massacres ? Licorne a “un droit de légitime défense” mais “son rôle n’est pas de s’interposer”, a déclaré le 19 décembre le chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie (3)”.
Comme l’avoue froidement son ministre, la France est là pour faire la guerre. En effet, bien qu’acculée et sur la défensive depuis la perte de son pré carré ivoirien entraînant la perte de son autorité sur les acteurs locaux, elle ne s’avoue pas vaincue pour autant et se bat farouchement pour conserver ses positions (économiques) dans ce pays quitte à aggraver les souffrances que subissent les habitants depuis plus de 10 ans.
Ils se comportent comme leurs anciens maîtres coloniaux, c’est-à-dire pour gouverner ils ont toujours opté pour le fameux “diviser pour régner” en dressant les ethnies les unes contre les autres et c’est le “Père de la nation ivoirienne” (4) qui fut le grand initiateur du phénomène :
“Le président Houphouet Boigny a ouvertement favorisé son groupe ethnique. Il a même mobilisé les ressources de l’Etat pour aménager son village Yamoussoukro jusqu’en faire la capitale politique. Issu de son ethnie, et habilement imposé, M. Konan Bédié, poursuivra cette tradition. (…) Les Bétés seraient des “sauvages”, des gens “violents” (…) Les gens du Nord, quant à eux- et, sur ce point, bétés et Akans, gens du Sud, se rejoignent, seraient plus ou moins des “étrangers”. De même les 3 à 4 millions d’immigrés (25 % de la population) dont la force de travail assurait le “miracle économique ivoirien” et qui pouvaient voter jusqu’en 1994, ont été exclus en 1995 du processus électoral et désignés comme “étrangers” voire des criminels à abattre.
Il est clair aussi que cette politique criminelle n’a pu se faire qu’avec la complicité active de l’ex- puissance coloniale, c’est elle qui a “formé”, “éduqué” et “modelé” toute cette bande de racailles dans le seul but d’en faire les dociles défenseurs de ses intérêts en Afrique.
En dépit de ses 11 500 hommes en Côte d’Ivoire, l’ONU va probablement faire comme à son habitude : accompagner les tueurs ou fuir les combats et, là, on a en tête l’exemple rwandais, c’est ce que rappelle cet éditorialiste (5) :
“En 1994, lors du génocide rwandais, Roméo Dallaire commandait la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), la force de l’ONU qui été chargée de maintenir la paix dans ce pays, mais qui allait se déshonorer en laissant se perpétuer l’une des plus grandes tragédies contemporaines : le génocide des Tutsis et des Hutus modérés, qui fit plus de 800 000 morts. Traumatisé par cette expérience, ce général canadien, pour solder se comptes avec ses démons intérieurs, a publié un livre au titre choc : “J’ai serré la main du diable”.
Dans cet ouvrage sont mis à nu les atermoiements, les hésitations, le manque de compassion, bref, en un mot la lâcheté de la communauté internationale. Pour les puissances occidentales, ce qui se passait au Rwanda n’était qu’une guerre tribale ordinaire en Afrique. Pis, la complexité des règles d’engagement de l’ONU en fait une force peu dissuasive pour les boutefeux. En Côte d’Ivoire, la communauté internationale va-t-elle laisser une nouvelle fois un pays africain sombrer dans une guerre civile aux conséquences incalculables ?
Avec un pays coupé en deux blocs ethnico-religieux antagoniques qui font redouter le pire, la Côte d’Ivoire n’a jamais été aussi proche du Rwanda (souligné par nous)”.
En effet le climat qui règne en ce moment en Côte d’Ivoire ressemble à celui qui précédait le déclanchement du génocide rwandais, cela s’illustre plus particulièrement à travers les attitudes des maîtres de l’ONU qui aujourd’hui devant les médias jurent vouloir œuvrer “pour la paix” tout en se préparant en coulisse à se rejeter mutuellement les responsabilités des crimes en cours et à venir. C’est là le summum de cynisme, de barbarie dont font preuve nos éminents “humanistes démocrates” pour lesquels ce qui se prépare en Côte d’Ivoire (comme le précédent rwandais) n’est qu’affaire “tribale”.
Amina (25 janvier)
1) Courrier international, 20/26/01/11
2) Le Monde du 20/12/10.
3) Selon le Monde.
4) Tiemoko Coulibaly, le Monde diplomatique, mars 2005.
5) Cité in Courrier international du 05/01/11.
Le Centre Culturel Libertaire (CCL) de Lille est le point de ralliement incontournable des anarchistes lillois, qu'ils soient organisés ou autonomes. Le groupe le plus important rattaché à ce lieu est le Groupe Des Anarchistes de Lille et Environs (GDALE), autrefois affilié à la FA et aujourd'hui à la CGA.
Mais depuis quelques années, deux petits groupes autonomes se sont formés en dehors des organisations "traditionnelles" : l'un sous la forme d'une "organisation ouverte à tous" nommée Turbulences Sociales (TS), l'autre sous la forme d'un collectif publiant le journal La Brique. Ces groupes rassemblent des éléments prolétariens à l'esprit très ouvert, dans une dynamique de prise de distance avec les organisations gauchistes, notamment sur la question nationale. Lors du mouvement social de cet automne, certains d'entre eux ont été des éléments moteurs de « l'AG de lutte de Lille », qui continue aujourd'hui de rassembler chaque semaine des éléments de tous horizons pour tirer le bilan de la lutte, des actions menées et tracer des perspectives.
C'est lors d'une soirée de soutien au journal La Brique qu'une violente intervention policière a eu lieu au CCL où se déroulait l'évènement. Vers 4h du matin, un « tagueur » poursuivi par la police s'est réfugié dans l'entrée du CCL. Les policiers ont alors pénétré brutalement dans les lieux, provoquant la réaction évidente des personnes présentes qui n'avaient aucun lien avec la course-poursuite extérieure. Les renforts du commissariat voisin n'ont pas tardé et c'est alors à une incroyable démonstration de force que les flics se sont livrés : 53 personnes interpellées et placées en garde à vue jusqu'au lendemain ; certains risquent peut-être des poursuites pour « bourre-pif » à agent. L'intervention s'est accompagnée de dégradations et de perquisition au CCL avec saisie de matériel politique.
Nous publions ci-dessous les deux communiqués de La Brique et de Turbulences Sociales publiés quelques jours après les événements, et nous nous associons à leur indignation face à cette violence démesurée qui sonne avant tout comme un avertissement à tous les prolétaires qui refusent aujourd'hui de subir les attaques incessantes de la bourgeoisie et s'engagent dans une réflexion collective pour mieux comprendre la dynamique du système et mieux s'y opposer.
Nous exprimons notre totale solidarité aux militants victimes de ces violences et saluons leur réaction responsable.
Le CCI.
Vendredi 14 janvier, au cours de la soirée de La Brique qui se déroulait au Centre Culturel Libertaire (CCL), une altercation a servi de prétexte à un exercice de harcèlement grandeur nature : 53 personnes arrêtées, plus de 15h de garde à vue, jamais on n’a autant « embarqué » d’un coup. Rétablissons la vérité face aux versions policière, journaliste et fasciste qui circulent à propos de cette soirée.
On organise une fête hip-hop. Le début de soirée se passe bien. Les DJ et les rappeurs assurent, l’ambiance est bonne. Au delà des habitué-e-s du lieu, plein de personnes viennent pour la première fois. À l’extérieur, une banale embrouille comme on en voit tous les week-ends dans n’importe quel bar ou discothèque débouche sur l’arrivée de deux flics qui, comme à leur habitude, font dégénérer la situation en voulant embarquer des gens au hasard. La lacrymo est utilisée une première fois. Tout le monde se retranche dans le CCL. En bas, la fête continue. Certains ne sont toujours pas au courant de ce qui se passe en haut.
Avec une étonnante rapidité, les flics se jettent comme des enragés sur les lieux et assiègent le local fébrilement barricadé. Pour nous faire sortir, ils envoient du gaz lacrymogène par les extrémités de la porte d’entrée et par une fenêtre qu’ils ont cassée. L’atmosphère devient irrespirable. Asphyxiées, les premières personnes tentent de sortir mais sont directement frappées à coups de tonfa, jetées à terre, insultées, menottées. Les flics regazent un coup alors que l’on continue de sortir. L’intervention est d’une brutalité hallucinante. Nous sommes ensuite embarqués dans les fourgons, et on se retrouve toutes et tous dans les geôles du commissariat central de Lille-Sud. À ce moment, l’incompréhension est totale. Les flics se défoulent. La violence atteint des sommets tristement ordinaires dans les geôles de France : injures racistes, sexistes, homophobes, humiliations, coups, mauvais traitements, pas d’eau ni d’alimentation pendant des dizaines d’heures, non assistance aux personnes évanouies ou suffocantes…
Au départ, le « pronostic vital » d’un flic serait engagé. Comme à leur habitude, les larbins de la presse régionale s’empressent de relayer la version policière, trop contents de semer le doute sur un graffiti « à caractère raciste et injurieux », et de taper sur notre journal et le CCL. Aucun policier n’« a été entraîné de force dans les locaux et molesté ». Au final, un flic serait en état de choc, sans même un ongle retourné. Conclusion : 53 arrestations, deux procès pour « jets de projectiles » et « violences sur agent »… pour rien.
Tous ces faits ne sont pas si exceptionnels. Surtout ici, à Wazemmes, dans ce quartier populaire et vivant, attaqué depuis quelques années par une entreprise de « nettoyage social » menée conjointement par les flics, les urbanistes, la mairie et ses supplétifs sociaux. Le Centre Culturel Libertaire (CCL) fait partie des indésirables qu’il convient de faire déguerpir. Tout comme le raid policier organisé rue Jules-Guesde il y a quelques mois, ce qui nous est arrivé vendredi soir est malheureusement récurrent à Wazemmes et dans les autres quartiers populaires lillois. Il s’ajoute à une présence policière continue dans le quartier et aux contrôles d’identité intempestifs…
Moins banal en revanche, c’est la rafle, le fichage, la rétention de plus de 50 personnes d’un seul coup, la réquisition d’affiches, brochures et littérature au sein d’un lieu politique. C’est dans un but politique, de contrôle et d’intimidation que cette opération a été menée. Bien évidemment, nous apportons tout notre soutien aux inculpés. Mais nous témoignons également notre soutien total aux personnes du quartier qui pourraient s’estimer blessées par des tags idiots1, pour lesquels le CCL et La Brique déclinent toute implication.
Pour finir, le collectif de La Brique aurait un conseil à donner à celles et ceux que ça ne dérange pas de colporter l’image d’un collectif qui ne prendrait pas la mesure, voire qui en rajouterait, dans le racisme ordinaire et la guerre entre les pauvres : apprenez à lire et demandez-vous à qui servent ces amalgames trop faciles. Bien sûr, et comme tout le monde, on n’est pas sauvé-e-s de certains déterminismes sociaux. Et on est prêt-e-s à en discuter. Mais surtout, vous observerez dans nos pages qu’on a toujours défendu les enfants de colonisés stigmatisés par l’État et une presse aux ordres, qu’on s’est toujours positionné du côté des femmes – voilées ou non, des quartiers populaires, des victimes de bavures, des émeutiers, des engeôlé-e-s, des vandales, des crève-la-dalle…
Encore une fois : plus de hip-hop et moins de flics – dans la rue des Postes comme dans toutes les autres.
Allez, salut.
Turbulences Sociales affirme sa complète solidarité avec toutes et tous les interpellé-e-s dans la nuit de vendredi à samedi au Centre Culturel Libertaire lors de la soirée de soutien au journal La Brique. Profitant d’incidents ayant eu lieu aux alentours du CCL, la police a comme à son habitude tabassé, gazé, insulté et humilié nos camarades détenu-e-s dans des conditions dégradantes sans possibilité d’uriner, de boire ou de manger pendant de trop longues heures. Nous dénonçons les violences et les humiliations sexistes, racistes, antisémites et homophobes dont ont été victimes nos camarades. Nous voulons pointer du doigt le comportement de la police : dans les cellules lilloises, les inculpé-e-s ont subi une véritable torture physique et psychologique. Violences multiples, coups, insultes, la rage aveugle de la police s’est abattue sur les gardé-e-s à vue pendant 17h.
Turbulences Sociales dénonce la tentative de manipulation impulsée par la police et reprise sans retenue par la presse régionale visant à faire passer les libertaires lillois-es pour les auteurs de tags présentés comme islamophobes. Depuis sa création, le CCL accueille des organisations engagées dans les luttes antiracistes et agissant contre la stigmatisation des musulmans. La Voix du Nord et autre Nord Eclair, bien loin de la déontologie journalistique, préfèrent colporter, sans la vérifier, la parole des représentants policiers. Nous condamnons sans réserve leur volonté de faire de l’événementiel plutôt que de l’information.
Liberté pour tous et toutes les inculpé-e-s, ACAB !
1[Note de La Brique] Pour que les choses soient claires, un individu pose depuis plusieurs années « cochon » sur tous les murs de la métropole, y compris ceux de magasins tels que les kebabs ou autres épicerie arabes. Une signature salement inopportune dans une société raciste qui stigmatise sans relâche les musulman-e-s.
Nous publions ci-dessous un texte de l’assemblée générale interprofessionnelle de la Gare de l’Est / Ile-de-France qui s’est constituée lors du dernier mouvement de lutte en France contre la réforme des retraites, à l’automne 2010, et qui continue encore aujourd’hui de se réunir régulièrement.
Cette AG, par cette “Adresse internationale aux ouvriers d’Europe” fait vivre une valeur fondamentale pour la classe ouvrière et son combat : l’internationalisme. Oui, exploités du monde entier, nous subissons aujourd’hui une brutale dégradation de nos conditions de vie ! Oui, nous sommes tous attaqués par la bourgeoisie ! Oui, dans tous les pays, les bourrasques de la crise économiques nous appauvrissent et, parfois même, nous affament !
Face à ce système d’exploitation de plus en plus inhumain, nous devons donc refuser de nous laisser diviser en nationalités, religions, couleurs de peau… Notre lutte doit d’étendre et s’unir par delà toutes les frontières.
Nous sommes un groupe de salariés de différents secteurs (cheminots, enseignants, informaticiens…), de chômeurs et de précaires. Pendant les récentes grèves en France, nous nous sommes réunis en Assemblée Générale Interprofessionnelle – d’abord sur le quai d’une gare (Gare de l’Est, Paris), ensuite dans une salle d’une Bourse du Travail. Nous voulions regrouper plus largement possible des travailleurs d’autres villes de la région parisienne. Parce que nous en avions assez de la collaboration de classe des syndicats qui nous menaient une nouvelle fois à la défaite, nous avons voulu nous organiser par nous même pour tenter d’unifier les secteurs en grève, étendre la grève et que ce soit les grévistes eux mêmes qui contrôlent leur lutte.
En Grande-Bretagne, en Irlande, au Portugal, en Espagne, en France… dans tous les pays, nous sommes tous durement attaqués. Nos conditions de vie se dégradent.
En Grande-Bretagne, le gouvernement Cameron a annoncé la suppression de 500 000 emplois dans la fonction publique, £7 milliards de coupes dans les budgets sociaux, le triplement des droits d’inscription à la fac, etc.
En Irlande, le gouvernement Cowen vient de baisser le salaire horaire minimum de plus d’un euro et les retraites de 9 %.
Au Portugal, les travailleurs font face à un taux de chômage record. En Espagne, le “très socialiste” Zapatero n’arrête pas de faire des coupes claires en tout genre dans les allocations chômages, les aides sociales et médicales…
En France, le gouvernement continue la casse de nos conditions de vie. Après les retraites, c’est le tour de la santé. L’accès aux soins devient de plus en plus difficile pour les travailleurs : toujours plus de médicaments payants, augmentation des mutuelles privées, suppressions de postes dans l’hôpital public. Comme l’ensemble des services publics (Poste, EDF-GDF, Telecom), l’Hôpital est démantelé et privatisé. Résultat : des millions de familles ouvrières ne peuvent déjà plus se soigner !
Cette politique est vitale pour les capitalistes. Face au développement de la crise et de l’effondrement de pans entiers de l’économie capitaliste, ces derniers trouvent de moins en moins de marchés sources de profits pour leurs capitaux. Aussi sont-ils d’autant plus pressés de privatiser les services publiques.
Cependant, ces nouveaux marchés sont plus restreints en terme de débouchés productifs que ne le sont les piliers de l’économie mondiale tels que le bâtiment, l’automobile, le pétrole…. Ils ne permettront pas, même dans le meilleur des cas, un nouvel essor économique salvateur.
Aussi, dans ce contexte d’effondrement, la lutte pour les marchés sera des plus acharnée pour les grands trusts internationaux. Autrement dit, ce sera une question de vie ou de mort pour les investisseurs de capitaux. Dans cette lutte, chaque capitaliste se retranchera derrière son Etat pour se défendre. Au nom de la défense de l’économie nationale, les capitalistes tenteront de nous enchaîner dans leur guerre économique.
De cette guerre, les victimes sont… les travailleurs. Car derrière la défense de l’économie nationale, chaque bourgeoisie nationale, chaque Etat, chaque patron essaie de réduire ses “coûts” pour maintenir sa “compétitivité”. Concrètement, ils n’auront de cesse que d’intensifier les attaques contre nos conditions de vie et de travail. Si nous les laissons faire, si nous acceptons de nous serrer encore la ceinture, ces sacrifices ne connaîtront pas de fin. Ils remettront en cause jusqu’à nos conditions d’existence !
Travailleurs, refusons de nous laisser diviser par corporation, secteur ou nationalité. Refusons de nous livrer cette guerre économique de part et d’autre des frontières. Battons-nous ensemble et unissons-nous dans la lutte ! Le cri lancé par Marx est d’autant plus d’actualité : “Prolétaires de tous les pays unissez-vous”.
Aujourd’hui, ce sont les travailleurs de Grèce, d’Espagne, les étudiants d’Angleterre qui sont en lutte et sont en butte à des gouvernements qui, de gauche comme de droite, sont aux services des classes dirigeantes. Et comme nous en France, vous avez à faire à des gouvernements qui répriment violemment les travailleurs et les chômeurs, les étudiants, les lycéens.
En France, cet automne, nous avons voulu nous défendre. Nous étions des millions à descendre dans la rue pour refuser purement et simplement cette nouvelle attaque. Nous nous sommes battus contre cette nouvelle loi et contre toutes les mesures d’austérité qui nous touchent de plein fouet. Nous avons dit “Non !” à l’augmentation de la précarité et de la pauvreté.
Mais l’intersyndicale nous a menés volontairement à la défaite en combattant l’extension du mouvement gréviste :
– au lieu de briser les barrières de métier et de corporation pour unir le plus largement les travailleurs, elle a fermé les assemblées générales de chaque entreprises aux autres travailleurs.
– elle a fait des actions spectaculaires pour “bloquer l’économie” mais rien fait pour organiser des piquets de grève ou des piquets volants qui auraient pu attirer d’autres travailleurs dans la lutte. Ce que des travailleurs et précaires ont fait.
– elle a négocié notre défaite derrière notre dos, derrière les portes fermées des cabinets ministériels.
L’intersyndicale n’a jamais rejeté la loi sur les retraites, elle a même répété et répété encore qu’elle était “nécessaire” et “inévitable” ! A l’entendre, nous aurions dû nous contenter de demander à ses côtés “plus de négociations gouvernement-patrons-syndicats”, “plus d’aménagements de la loi pour une réforme plus juste et équitable”…
Pour lutter contre toutes ces attaques, nous ne pouvons compter que sur nous mêmes. En ce qui nous concerne nous avons défendu dans ce mouvement la nécessité pour les travailleurs de s’organiser sur leurs lieux de travail dans des AG souveraines, de se coordonner à l’échelle nationale pour diriger le mouvement gréviste en élisant des délégués révocables à tout moment. Seule une lutte animée, organisée et contrôlée par l’ensemble des travailleurs, tant dans ses moyens que dans ses objectifs, peut créer les conditions nécessaire afin d’assurer la victoire.
*
* *
Nous savons que ce n’est pas fini, les attaques vont continuer, les conditions de vie vont être de plus en plus difficiles et les conséquences de la crise du capitalisme ne vont qu’empirer. Partout dans le monde, nous devons donc nous battre. Pour cela, nous devons retrouver confiance dans notre propre force :
– nous sommes capables de prendre nos luttes en main et de nous organiser collectivement ;
– nous sommes capables de débattre ouvertement et fraternellement, en “libérant la parole” ;
– nous sommes capables de contrôler véritablement la tenue de nos débats et nos décisions.
Les assemblées générales ne doivent pas être dirigées par les syndicats mais par les travailleurs eux-mêmes.
Nous allons devoir nous battre pour défendre nos vies et l’avenir de nos enfants !
Les exploités du monde entier sont frères et sœurs d’une seule et même classe !
Seule notre union de par les frontières sera à même de jeter à bas ce système d’exploitation.
Des participants de l’AG interpro “Gare de l’Est et Île-de-France”
Pour nous contacter :
[email protected] [176]
En fin d’année 2010, et pour une courte période, l’affaire Wikileaks fut au centre de tous les médias. Le soufflé est assez vite retombé, le battage a été tellement énorme qu’on peut légitimement se demander à qui il profitait réellement.
Les faits sont bien connus. Fin novembre, suite à une campagne médiatique à sensation et minutieusement préparée, Wikileaks a commencé à rendre publique une partie des centaines de milliers de câbles diplomatiques classés du gouvernement américain. Dans le même temps, plusieurs groupes de presse à travers le monde (The New York Times, le Monde, The Guardian, El Pais, et le magazine allemand Der Spiegel), à qui Wikileaks avait donné ces fichiers avant leur publication, ont commencé à publier des articles basés sur ces documents. Quiconque a cru que des “secrets d’État” des États-Unis étaient sur le point d’être publiés, a dû être bien déçu. Si l’on fait exception de quelques ragots amusants, ce qui a été rendu public jusqu’à présent n’apporte pas grand chose à ce qui est déjà largement connu de la politique des États-Unis dans le monde. Aussi embarrassant que soient ces câbles diplomatiques pour certains individus dont les opinions ont été diffusées (américains et étrangers), ils sont loin d’être une “bombe”, comme certains commentateurs de la gauche et de la bourgeoisie en général le prétendaient.
C’est finalement Robert Gates, secrétaire d’Etat américain à la défense, qui a peut-être fait la meilleure évaluation de l’importance de la publication de ces documents pour la bourgeoisie américaine :
“J’ai entendu dire que ces publications sur notre politique étrangère étaient une catastrophe, un bouleversement, etc. Je pense que ces descriptions sont assez nettement exagérées. Le fait est que les gouvernements traitent avec les États-Unis parce que c’est dans leur intérêt, non parce qu’ils nous aiment, non parce qu’ils nous font confiance, et non parce qu’ils croient que nous pouvons garder les secrets. Certains gouvernements traitent avec nous parce qu’ils nous craignent, d’autres parce qu’ils nous respectent, la plupart parce qu’ils ont besoin de nous. ... Est-ce gênant ? Oui. Est-ce délicat ? Oui. Les conséquences pour la politique étrangère des Etats-Unis ? Plutôt modeste, je pense.” Quoi qu’il en soit, malgré l’avis de ce représentant très apprécié de la classe dominante des États-Unis, il y a encore des opinions très polarisées sur Wikileaks et la publication de ces documents classés du gouvernement américain. Il y a notamment l’idée de considérer Wikileaks comme une sorte de “cyber” organisation terroriste. Le Département de la Justice lui-même a annoncé qu’il étudiait les poursuites possibles contre Wikileaks et son principal représentant Julian Assange, éventuellement en vertu de la loi sur l’espionnage de 1917, une loi draconienne adoptée dans le contexte de la Première Guerre mondiale, qui punit de la peine de mort ou de longues peines de prison ceux qui diffusent des informations préjudiciables à la sécurité des États-Unis.
Surfant sur cette assimilation avec le terrorisme, les bourgeoisies du monde entier ont commencé à mettre en avant les dangers de l’Internet, réseau décentralisé, sans contrôle, où des irresponsables vent mettre en péril la “liberté” et la “démocratie”. En d’autres termes, là où dans la presse dite traditionnelle, le journaliste un peu trop aventureux est vite bâillonné par ses dirigeants plus “responsables”, sur Internet tout le monde peut s’inventer rédacteur en chef et publier tout et surtout n’importe quoi.
Dans un sens, c’est vrai. Il n’est pas nécessaire de passer beaucoup de temps dans la “blogosphère” pour recevoir un flot d’informations pour la plupart sans intérêt, voire fausses. De même, Julian Assange, au risque de le décevoir, n’est pas le premier à avoir rendu public le fait que, par exemple, nombre de bourgeoisies dans le monde considèrent Nicolas Sarkozy comme un personnage autoritaire et agité.
Mais ce qui intéresse la bourgeoisie dans cette affaire, c’est surtout de pointer le prétendu danger d’une expression politique incontrôlée sur Internet. Derrière Wikileaks, la bourgeoisie fait l’amalgame avec tous les sites, forums, blogs qui, de plus en plus nombreux, portent une critique au système, qui expriment une réflexion et une analyse sur la société capitaliste et qui favorisent la discussion et la rencontre d’éléments qui partagent cette réflexion. Et qui de fait, et potentiellement, représentent bel et bien un danger pour elle. En prédisant pour bientôt une guerre nucléaire intergalactique parce que Wikileaks a révélé des informations aussi sensibles que le fait que les diplomates américains trouvaient Hugo Chavez quelque peu excentrique, la bourgeoisie s’autorise tous les flicages, toutes les intrusions, tous les blocages, au nom de la sécurité et de la défense de la “démocratie”.
Désormais, quiconque “révélera” que, par exemple, le capitalisme est la cause de toute la misère qui dévaste le monde, est susceptible d’être fiché comme “terroriste” et de ce fait, de subir la surveillance et la répression réservées à cette catégorie.
Cette affaire a pu sans aucun doute troubler le sommeil de quelques bourgeois mais, avant tout, le battage allait bien au-delà de la peur que la bourgeoisie a pu ressentir, pour au contraire légitimer toujours plus sa répression contre tous les ennemis de son système. Et il est particulièrement significatif que ce renforcement du flicage de tous et toutes s’effectue au nom de la “défense de la démocratie” ! Voilà effectivement ce qu’est la démocratie bourgeoise : sous une vitrine qu’elle s’efforce de rendre extérieurement polie et respectable, se cache toujours l’horrible visage d’une classe dominante viscéralement mensongère, exploiteuse et répressive !
GD (25 janvier)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article d'Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne. Il s'agit d'une prise de position réalisée à chaud lors de la grève des aiguilleurs du ciel début décembre 2010.
Nous venons d’assister, au moment de ce qui semblait être le début d’un long pont de vacances1, altéré seulement par le mauvais temps, au spectacle dramatique du « chaos aéroportuaire » et à sa conséquence : la déclaration, pour la première fois depuis la mort de Franco, de l’état d’urgence et de la militarisation des contrôleurs aériens. Ceux-ci, apeurés, ont finalement dû retourner au travail en devant supporter la surveillance de la Garde civile.
Trois ans après son début, nous continuons à vivre sous celle qu’on reconnaît comme la pire des crises de l’histoire du capitalisme. La guerre des monnaies et, plus spécifiquement, la crise de la dette souveraine qui touche l’Espagne de plein fouet, ont été les derniers jalons d’une dégradation jamais vue.
Le seul "remède" que le capitalisme a à sa disposition est celui de s’attaquer aux conditions de vie des tous les travailleurs, en leur déclarant une guerre sans quartier. Le symbole de cette dure et brutale réalité c’est que chaque fois que les fameux marchés l'exigent, le gouvernement, complaisant, adopte de nouvelles mesures contre les travailleurs. L’Irlande, le Portugal, la Grande-Bretagne, sont aujourd’hui, entre autres multiples pays, le théâtre de plans d’austérité draconiens qui, comme le dit le premier ministre britannique Cameron (si admiré par l’impassible Rajoy, chef de la droite espagnole) entraînent, pour la grande majorité, du sang, de la sueur et des larmes.
Ici, en Espagne, les mesures du mois de février 2010 ont ouvert le chemin aux baisses de salaire des fonctionnaires en juin, ce qui, à son tour, a ouvert la porte à la réforme du code du travail imposée en septembre. Pas de trêve cependant ! Le 1er décembre, Zapatero2 annonçait de nouvelles salves : l’élimination de l’allocation-aumône de 426 € aux chômeurs et la privatisation partielle d’AENA3 qui met en question 12 000 postes de travail. Et la reforme des retraites est annoncée pour janvier...
Voilà la réalité toute crue : la guerre d’une minorité de privilégiés et du gouvernement à leur service contre la grande majorité de la population. Mais, ne voilà-t-il pas que, grâce à la mise en œuvre d’une provocation sournoise du gouvernement et d’une violente campagne médiatique sans répit, on a mis la réalité sens dessus dessous : ce serait un collectif, celui des contrôleurs, qui partirait en guerre contre les citoyens en les prenant comme otages dans leur bras de fer avec le « gouvernement de la Nation ». On a voulu occuper nos esprits avec ce seul sujet, dans un tourbillon médiatique monomaniaque, pour qu’on oublie tout le reste pendant un temps, même les vrais faits préoccupants : 40% des chômeurs vivent dans des foyers où aucun des membres de la famille travaille.
Un des principes de la stratégie militaire consiste dans la division et la démoralisation de l’adversaire avant la bataille. Le gouvernement sait très bien que les coups de trique continuels qu’il assène aux travailleurs finiront par entraîner des ripostes. Aussi, il avait besoin au préalable de trouver une tête de turc pour semer la division, en lui adressant un avertissement exemplaire qui intimide et éradique toute tentative de protestation chez les autres travailleurs.
Pour ce rôle, les contrôleurs étaient les candidats parfaits. Les gouvernement de González [PS, 1982-1996] et surtout celui d’Aznar [droite, 1996-2004], avec la convention collective de 1999, avaient mis les contrôleurs aériens dans une cage dorée corporative, pas par bonté d’âme, mais à cause du rôle stratégique et indispensable qu’ils jouent dans le trafic aérien et, surtout, pour dévaluer le rôle des pilotes et du personnel de vol qui ont vu comment leurs salaires diminuaient sensiblement, en transférant aux contrôleurs le suivi des vols, l’écart des avions, le guidage de l’atterrissage et de décollage, qui se faisaient auparavant depuis les avions eux-mêmes. La convention de 1999 octroyait au syndicat des contrôleurs, l’USCA, des prérogatives très larges dans les embauches et l’organisation du travail, en renforçant ainsi l’état d’esprit de privilégié et de pouvoir corporatif.
En échange de ces « attentions », ces travailleurs réalisent un travail sur-spécialisé dans le plus grand isolement, subissant une très forte pression incluant l’engagement de responsabilité pénale, obligés à réaliser des heures supplémentaires sans arrêt pour couvrir les postes au moment de sur-trafic, et des mutations constantes d’un aéroport à un autre. Ce n'est donc pas un hasard si ces travailleurs détiennent le triste record, peu enviable, des maladies mentales, dépression, anxiété, stress, etc.
Dans le fracas de la bataille médiatique que nous venons de vivre, la presse, la radio, les TV ont soigneusement occulté ces faits pour insister sur les salaires élevés, la retraite à 52 ans, etc. Mais ils ont surtout étouffé le plus important : depuis février 2010, ce collectif est soumis à des mesures brutales qui servent de banc d’essai, pour les appliquer par la suite aux autres travailleurs. C’est à cette date-là que leur journée de travail a été augmentée de 33% et que les salaires étaient diminués de 30%.
Le 3 décembre, la veille du pont, le Gouvernement, soudainement, a allumé la mèche avec un décret-loi imprévisible : les congés-maladie ou autres permissions devaient être récupérés avec des heures de travail supplémentaires à ajouter aux 1670 heures signées. C’était un piège qui mettait les travailleurs sur le gril : ou se taire ou protester à un moment particulièrement sensible pour le public.
En vérité, ce ne sont pas les contrôleurs qui ont défié au bras de fer le gouvernement, mais celui-ci qui les a soumis à une manœuvre soigneusement orchestrée et préparée. Ce ne sont pas les contrôleurs qui ont été les protagonistes d’une « grève sauvage » tel que les médias l’ont exagéré, mais ils ont été poussés à faire une espèce de grève passive sur le tas, isolés les uns des autres. Ce qui est arrivé a été présenté comme une action des contrôleurs contre les nombreux passagers piégés dans les aéroports. Mais, en fait, c’est autant les uns que les autres qui ont été victimes d’une manœuvre de grande ampleur qui, en dernière instance, est dirigée contre l’ensemble des travailleurs.
Le ministre Blanco, vendredi, et aussi le vice-président Rubalcaba, samedi, ont déclaré qu’ils « savaient bien ce qui était en train de se préparer » ; bien plus, le ministre a dit que « Le PP en était informé ». Et le vice-président a « répondu » avec un silence assourdissant à la question, posée lors d’un point-presse samedi, de pourquoi le décret-loi qui allait pousser les contrôleurs à la révolte a été promulgué juste le jour précédent ce pont ?
Après le décret, les mesures se sont succédées avec une précision de montre suisse. À 20h30, ce même vendredi, Blanco annonce « qu’on va utiliser toute la force de la loi pour finir avec cette situation ». Une heure plus tard, le Roi d’Espagne4, qui assiste en Amérique Latine au « sommet ibéro-américain », signe un nouveau décret de contrôle militaire du trafic aérien. Et encore une heure plus tard, le président du gouvernement, Zapatero, qui, inexplicablement pour tous les médias, n’avait pas assisté à ce sommet-là, signe un nouveau décret de militarisation des contrôleurs. On convoque pour le matin suivant à 9h un conseil de ministres qui déclare l’état d’alarme. Trois décrets et une déclaration d’état d’alarme en moins de 24 heures ! Difficile de croire que tout cela a été une réaction à chaud contre le défi des contrôleurs !
Les résultats sont là : militarisation d’un collectif de travailleurs et déclaration de l’état d’alarme. Une mesure à laquelle était attaché le dictateur Franco a été reprise non pas par cette méchante droite d’Aznar mais par le « socialiste » Zapatero.
Ainsi, le précédent vient d’être mis en place. Dorénavant, face à des luttes ouvrières significatives, on brandira la menace de la militarisation et de déclaration d’état d’urgence. Avec le plus grand des cynismes, monsieur Rubalcaba, a déclaré qu’il est parfaitement constitutionnel de travailler avec l’haleine d’un garde civil derrière la nuque ou sous la surveillance de l’armée.
La manœuvre orchestrée sur le dos des contrôleurs aériens n’est pas seulement une attaque politique et économique, mais elle comporte un coup moral aux conséquences profondes.
Avec la plus grande unanimité, depuis l’extrême droite néolibérale de l’Inter-Economía jusqu’à la « gauche modérée » d’El País, des radios, des chaînes de TV, des journaux de toute sorte, des partis, et de grands syndicats, tous ont rivalisé dans l’escalade d’insultes et des demi-vérités jetées sur des contrôleurs mis au pilori. On a soufflé sur les braises du plus mauvais esprit de chasse aux sorcières chez les citoyens et certains participants dans ces émissions de TV poubelle où l’on se crêpe le chignon, se sont permis de dire : « Si vous avez un voisin contrôleur, frappez à sa porte pour lui dire tout le mal que vous pensez de son ignoble comportement »5.
Au Moyen Age, les seigneurs féodaux organisaient des cérémonies sinistres où des individus ou des groupes sociaux étaient soumis à la raillerie et la vindicte publique. C’était là un avertissement servant d’exemple, à effet dissuasif et en même temps, ces malheureux servaient de bouc émissaire pour que le peuple, devenu populace pour l’occasion, décharge sur eux sa frustration et ses souffrances.
Ce serait une erreur de sous-estimer et de banaliser cette campagne contre les contrôleurs. Le préjudice moral causé, l’humiliation subie, engendrent des souffrances pires parfois qu’une bastonnade ou la torture. Quelle tête vont faire les contrôleurs quand ils vont aller faire leurs courses à la boutique du coin ou partager l’ascenseur avec un voisin ? Quel genre des railleries vont subir leurs enfants de la part des leurs camarades d’école ?
Aujourd’hui ce sont les contrôleurs, demain ça peut être n’importe quel autre groupe de travailleurs, nous sommes tous sous cette menace !
Peut-on penser que tout va rester limité aux contrôleurs ?
Absolument pas ! Rappelons-nous comment, en février, ces mêmes contrôleurs ont été utilisés comme cobayes pour imposer les réductions salariales, ce qui a préparé le terrain aux baisses salariales imposées en juin aux fonctionnaires. La compensation des congés maladie imposée aujourd’hui aux contrôleurs ouvre la voie à ce que, tôt ou tard, cette mesure soit appliquée à d’autres secteurs tel que celui de la Santé.
Peut-on affirmer que d’autres secteurs de travailleurs sont à l’abri de nouvelles campagnes de diffamation ?
Encore une fois, absolument pas ! Ces « légendes urbaines » qui circulent sur les chômeurs (« ce n’est que des fainéants qui ne veulent pas travailler », « ce sont des coquins qui touchent une allocation et, après, ils travaillent au noir ») peut-on croire qu’ils ne vont pas être bombardés par une campagne médiatique ? Les clichés sur les fonctionnaires (« avec leur boulot à vie, ils s’arrangent pour laisser leur poste et se balader dans les grandes surfaces… ») ne pourraient-ils pas devenir, le moment venu, les flèches pour les accabler ? Est-ce qu’on doit oublier, comme si de rien n’était, la campagne agressive menée main dans la main par la dame Aguirre et le sieur Rubalcaba6, si distants en apparence, contre les travailleurs lors de la grève du métro de Madrid ?
Diviser pour mieux régner, disaient les Romains. Aujourd’hui, cela a été le tour des contrôleurs, demain ce sera contre les chômeurs ou les fonctionnaires ou les retraités. En vérité, c’est contre tous les travailleurs que cette offensive se prépare…. Qu’est-ce, sinon, la réforme du code du travail, la réforme des retraites, l’élimination des 426 € [donnés aux « fins de droits »] et un bon paquet de « réformes » que le pouvoir garde au chaud ?
Notre seule force possible est la solidarité. Laisser tomber les contrôleurs, c’est nous laisser tomber nous-mêmes, c’est permettre qu’on nous écrase et qu’on nous humilie paquet par paquet.
Les contrôleurs aériens ont été victimes d’un mirage qui a favorisé les agissements du gouvernement. Il leur semblait que leur capacité pour paralyser tout le trafic aérien leur permettrait, avec une simple grève sur le tas, de faire plier le dit gouvernement. Et on a vu justement le contraire : ce sont les contrôleurs qui ont dû plier. Pourquoi ?
En premier lieu parce que ces travailleurs avaient leur ennemi chez eux. Il s’agit de « leur » syndicat, l’USCA, qui les tenait enchaînés avec un corporatisme insensé et suicidaire, en même temps qu’il négociait en sous-main avec le gouvernement. La photo de ses dirigeants, au moment le plus aigu du conflit, prenant calmement quelques bières, a montré mieux que mille explications quel est le terrain qu’ils défendent.
En deuxième lieu, parce que la simple pression sur les transports ou la production ne fait pratiquement pas de mal aux capitalistes et à leur gouvernement. La crise et la décomposition sociale dominante, font que l’économie elle-même et la société capitaliste fonctionnent d’une façon de plus en plus chaotique et désordonnée. Dans beaucoup de cas, la simple paralysie du travail offre aux patrons une possibilité en or de réduire leurs stocks accumulés. Une action de pression d’un groupe isolé de travailleurs n’est pas seulement inefficace parce qu’elle ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu du désordre « normal », mais aussi parce qu’elle permet aux gouvernements, aux médias et aux capitalistes de les faire apparaître comme coupables du désordre existant.
Une lutte efficace ne peut pas emprunter ces chemins-là. Au minimum et comme point de départ, la lutte a besoin de deux conditions. La première : qu’elle soit organisée, contrôlée, suivie et menée par les travailleurs eux-mêmes, grâce à des assemblées générales ouvertes aux autres travailleurs. Sans la participation, l’initiative, l’engagement et l’enthousiasme des travailleurs, la lutte est condamnée à l’échec. Une lutte qui est confiée aux « mains expertes » des syndicats est un combat perdu d’avance.
La seconde consiste à gagner la solidarité, le soutien, la participation active des autres travailleurs. Ce qui peut vraiment mettre à genoux le pouvoir établi est une lutte qui s’étend, une lutte qui suscite l’estime de la majorité. Quand les travailleurs s’unissent, partagent les débats, les aspirations, les volontés communes, quand les barrières du secteur, de l’entreprise, de la corporation, sont détruites et apparaît une classe ouvrière unie, qui est, à son tour, l’embryon de l’unité générale de toute l’humanité, alors le rapport de force face au capital et son État change radicalement et ceux-ci apparaissent pour ce qu’ils sont en réalité : c’est eux la minorité de privilégiés qui vivent à nos dépends. Par contre, lorsqu’un groupe de travailleurs essaye à lui seul coincer le gouvernement par la simple pression économique, l’État et les médias à son service peuvent facilement les isoler et les défaire en les présentant comme une minorité qui essaye de prendre en otage la majorité. C’est l’État lui-même qui se renforce en se présentant comme garant des « droits de tous ».
CCI (5 décembre 2010)
1 De samedi 4 au mercredi 8 décembre inclus.
2 Chef du gouvernement espagnol (Parti socialiste)
3 Entreprise publique qui gère tous les aéroports espagnols.
4 Qui est, théoriquement, le chef de l’État espagnol.
5 Ceci est un exemple donné par nos camarades du CCI d’Espagne, mais il suffit de lire ou entendre la moindre interview dans n’importe quel journal ou émission espagnols au moindre spécialiste de n’importe quoi, à n’importe quelle célébrité genre people ou politicien, pour qu’il ajoute avec componction sa profonde exécration de ces « gangsters » de contrôleurs aériens. Même les banquiers en ont profité pour nettoyer les excréments qui leur collent aux souliers sur le dos des contrôleurs ! Sans oublier l’aspect principal de la campagne : montrer en long et en large la monstrueuse pagaille et les souffrances qui ont été le lot de beaucoup de gens, une souffrance qui ne pouvait que se retourner contre ces « privilégiés » de contrôleurs et qui a servi surtout à celui qui en été à l’origine : le gouvernement.
6 Aguirre est la présidente de droite de la région de Madrid et Rubalcaba était le vice-premier ministre socialiste du gouvernement espagnol.
Le scandale du Mediator est venu mettre en lumière les louches accointances qui unissent laboratoires pharmaceutiques, profit et partis politiques.
Le président Sarkozy nous a promis “la transparence la plus complète” sur la façon dont un médicament, soupçonné d’avoir tué entre 500 et 2000 personnes en France, interdit aux Etats-Unis depuis 1997, a été officiellement soutenu par l’Etat. Pendant 33 ans, ce “Terminator” médicamenteux a sévi malgré des rapports d’experts médicaux répétés signalant sa dangerosité.
Xavier Bertrand, re-ministre de la Santé, qui avait décidé de maintenir le remboursement à 65 % du Mediator en 2006, s’est lancé récemment à coups de flonflons dans ce qu’il voudrait faire passer pour un grand nettoyage des ces véritables écuries d’Augias grâce à une loi prémunissant contre “les conflits d’intérêts” au sein de l’Etat. Après le feuilleton Woerth-Bettancourt, il est l’heure pour la bourgeoisie française d’orchestrer une mascarade d’opération “main blanche” !
Tout cela n’est que du tape-à-l’œil, bien sûr, et n’empêchera pas les sales méthodes et les affaires de continuer comme avant. Rappelons les liens reconnus entre Sarkozy et Servier, qui a financé sa campagne électorale. Rappelons que Martine Aubry en 1999 et Kouchner en 1998 avaient eux aussi en leur temps ignoré les rapports et leurs avertissements sur le Mediator. Et si celui-ci est autant sur le devant de la scène, ce n’est pas parce que le gouvernement s’est décidé à jouer les “Monsieur Propre”, c’est pour mieux enterrer et masquer l’ensemble des pratiques hautement dangereuses et mortelles qui font le quotidien de cette partie du monde de la santé publique.
Ainsi, la France a continué jusqu’en 2004 à commercialiser le Vioxx (1), médicament anti-douleur et anti-inflammatoire, interdit aux Etats-Unis en 2004 : ce dernier serait responsable entre 1999 et 2004, selon la FDA (Food and Drug Administration, agence de régulation américaine des médicaments), de 160 000 attaques cardiaques ou cérébrales et de 40 000 décès. Dans l’Hexagone, il a fallu l’arrêt pur et simple du Vioxx par le laboratoire Merck pour que l’Afssaps (Agence française de sécurité des produits sanitaires) reconnaisse dans un discret communiqué 9 mois plus tard que ce médicament avait de graves conséquences sur le plan cardio-vasculaire. Silence radio sur le nombre de morts !
On se souvient du Tamiflu, hautement préconisé en cas de grippe A (porcine) par le gouvernement à l’automne 2009 et pendant l’hiver suivant, bien que de nombreuses sonnettes d’alarme aient retenti dans le monde médical. Une étude du British Medical Journal sortait le 8 décembre 2009 pour dénoncer le fait que le Tamiflu n’avait pas d’effet mesurable ni en prévention, ni sur l’intensité de la maladie, ni sur les complications, ni sur le nombre d’hospitalisations, ni sur la mortalité. En revanche, la Société scientifique de médecine générale et le Forum des associations de généralistes mettaient en garde sur les effets indésirables importants sur les enfants, et éventuellement sur les femmes enceintes. On sait que le laboratoire Roche avait totalement trafiqué les résultats de ses études : mais pour 33 millions de médicaments achetés par la France que ne ferait-on pas.
Evidemment, il ne s’agit pas d’une spécificité française. Jouer sans vergogne avec la vie humaine en faisant du profit et au nom du profit est un sport international pour la bourgeoisie. Cela fait partie de son être profond, dans le domaine de la santé comme dans tous les autres.
Pour ce qui concerne les laboratoires pharmaceutiques, le marché est juteux. Une étude de 2007 faite pour ces entreprises, intitulée “Pharma 2020 : The vision – What path will you take ?” projette que le marché mondial de l’industrie pharmaceutique sera de 1300 milliards de dollars en 2020. Les rédacteurs misent en particulier sur l’augmentation des maladies chroniques dans les pays “en voie de développement”. Il s’agit de “l’intérêt des patients”, on n’en doute pas. Patients auxquels il est reproché de ne pas prendre sérieusement leurs traitements, alors que s’ils montraient un plus grand sérieux dans ce suivi, grâce à des stratégies de “com” ad hoc, c’est un bonus de 30 milliards de dollars qui pourrait être gagné par les laboratoires. Il faut donc “innover” avec de nouvelles “molécules” et convaincre les gens qu’elles leur sont bénéfiques ; la preuve, c’est la caution scientifique. Et elle vaut son pesant de gélules ! 6 à 43 %, chiffre indéterminé dans l’opacité de la nébuleuse pharmaceutique, des résultats des essais ne sont pas fournis par les laboratoires. Mais il suffit qu’ils n’en fournissent que deux positifs, même si c’est au milieu d’une myriade de résultats négatifs. De plus, ils sont seuls habilités à les fournir, les autres se faisant au fil du temps et à l’usage. Alors, pourquoi se gêner ? Entre des instances sans moyens et des politiciens qui encouragent ces pratiques, au nom de la santé… de l’économie, c’est l’eldorado assuré.
Les laboratoires ne lésinent sur aucun moyen pour “aider à la guérison” de multiples maladies, comme le sida. Ils font ainsi des pieds et des mains aux différents sommets de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) pour empêcher la concurrence indienne ou chinoise de produire des génériques à bas prix et de les exporter vers les pays pauvres qui sont les plus frappés par le virus. Dans le même souci permanent d’œuvrer au bien-être des populations, ils expérimentent à tout va, galvanisés par la concurrence qui fait rage mondialement. A New York (2), les foyers de l’Aide à l’enfance de Harlem servent de plaque-tournante pour un immonde commerce d’enfants séropositifs servant de cobayes, sous la houlette du comité d’éthique de la ville. Ceux-ci proposent aux parents de ceux qui sont dans leur famille de toucher 25 dollars par mois en acceptant qu’ils servent de cobayes, avec de nombreuses souffrances à la clé sinon la mort. Et les services sociaux d’Aide à l’enfance sont, là encore, mis à contribution : les enfants sont donc enlevés à leur famille, pour “carence de soins” (sic !), pour être placés en foyer où les laboratoires pourront œuvrer à leur guise pendant des années.
Soigner les populations pour le bien-être de tous, par humanisme et bonté d’âme ? C’est pour la galerie. La bourgeoisie s’efforce d’extirper le moindre sou(ffle) de chaque être humain, malade ou en bonne santé. Il est significatif que, selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), 80 % des pathologies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, des diabètes et 40 % des cancers pourraient être évités avec une réelle prévention. Or, cette dernière ne représente que 3 % des dépenses de santé des pays de l’OCDE… car elle n’est pas “rentable” !
Les choses ne peuvent être plus claires. Les larmes de crocodiles et les discours offensés que versent les représentants de la bourgeoisie ne peuvent pas masquer leur cynisme et l’incurie phénoménale de ce système capitaliste décadent.
Mulan (27 janvier)
1) Source www.lmous.com [177]
2) Dailymotion
Que s’est-il passé en Tunisie et en Egypte, ces dernières semaines et que se passe-t-il aujourd’hui en Libye ? Un soulèvement massif de la population et des classes exploitées contre des régimes de terreur, des conditions de vie effroyables, un chômage et une misère rendus intolérables par la pression d’une crise économique mondiale. Cette lame de fond démontre au monde entier que les gouvernements, même les plus ouvertement sanguinaires, ne sont pas tout-puissants. Il est possible de les renverser. Pour autant, après le départ de Moubarak en Egypte comme après celui de Ben Ali en Tunisie, rien n’est résolu. En Egypte comme en Tunisie, les nouveaux “représentants” du pouvoir, qu’ils soient militaires ou civils, appartiennent à la même clique, au même camp, à la même classe que les anciens. Ils gardent le même objectif : nous exploiter !
La bourgeoisie occidentale, de gauche comme de droite, après avoir fait ami-ami avec tous ces dictateurs pendant des décennies, encense maintenant hypocritement les “peuples courageux qui se sont battus pour la démocratie”. Mais la misère et la répression qui ont provoqué la révolte sont toujours là. Comme elle reste présente dans le monde entier asservi au capitalisme et à la classe dominante.
L’effet “dominos” qui aboutit aujourd’hui au renversement ou à la remise en cause directe de plusieurs régimes tyranniques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient évoque pour beaucoup l’effondrement en chaîne des régimes du bloc de l’Est au début des années 1990. Elle est d’ailleurs porteuse d’une même illusion : entretenir de faux espoirs démocratiques dans les populations libérées de décennies de terreur. Mais il existe une différence capitale entre les deux mouvements et les deux périodes. En 1989-90, c’est la bourgeoisie qui en avait entièrement tiré les bénéfices en développant son idéologie mensongère sur la mort du communisme (en l’assimilant aux régimes staliniens en décomposition). Les prolétaires n’avaient ainsi pas eu conscience que c’était en réalité un pan entier du système capitaliste en faillite qui s’effondrait. Toute cette propagande avait porté un coup très important au moral et à la combativité de notre classe. Concrètement, il y a eu très peu de luttes à travers le monde durant toutes les années 1990. Mais aujourd’hui, la libération de populations entières du joug et de la chape de plomb qu’imposaient des dictateurs haïs est au contraire un encouragement à la lutte partout dans le monde même si ces soulèvements restent prisonniers de pernicieuses idéologies nationalistes et de fortes illusions électoralistes. La présence des ouvriers dans ce mouvement, s’affirmant sur leur terrain de classe, autour de leurs propres revendications, en constitue d’ailleurs l’élément le plus positif. Et c’est précisément ce qui inspire des craintes à la bourgeoisie partout dans le monde. Les luttes ouvrières au début noyées dans l’explosion de colère générale ont, surtout en Egypte, joué un rôle qui a certainement accéléré les événements. C’est significativement 48 heures seulement après l’extension de ces grèves dans la région industrielle du canal de Suez qu’Obama a persuadé l’armée que le départ de Moubarak devait être immédiat. Et il est encore plus édifiant qu’après cela, le mouvement de grève a continué de s’amplifier, contraignant l’armée, le nouveau maître national, à lancer un message sans équivoque intimant aux grèves de cesser et aux ouvriers et employés de reprendre leur travail !
Hossam el-Hamalawy (1) exprime, dans un article publié par The Guardian du 14 février, cette recrudescence de la lutte des ouvriers : “Toutes les classes en Egypte ont pris part à l’insurrection. Moubarak a réussi à s’aliéner toutes les classes sociales de la société. Sur la place Tahrir, vous pouviez rencontrer les fils et les filles de l’élite égyptienne, collaborant avec les travailleurs, les citoyens de la classe moyenne et les pauvres des zones urbaines. Mais n’oubliez pas que c’est seulement quand des grèves massives ont démarré que le régime a commencé à s’effriter, et que l’armée a dû forcer Moubarak à démissionner parce que le système allait s’effondrer... Dès le premier jour de l’insurrection, le 25 janvier, la classe ouvrière a pris part aux manifestations. Toutefois, les travailleurs ont commencé à participer d’abord comme “manifestants” et pas nécessairement en tant “qu’ouvriers”, c’est à dire qu’ils n’agissaient pas de façon autonome. C’est le gouvernement qui avait arrêté l’économie, et non les manifestants, avec son couvre-feu, et en fermant les banques et les entreprises. Il s’était agi d’une grève capitaliste, qui visait à terroriser le peuple égyptien.”
Un article de David McNally (2) sur www.pmpress.org [179] donne une idée de l’ampleur des luttes ouvrières par la suite : “Au cours de la semaine du 7 février, des dizaines de milliers d’entre eux se sont précipités dans l’action. Des milliers de cheminots ont fait grève et ont bloqué des lignes de chemin de fer. Six mille travailleurs du Service du Canal de Suez ont débrayé et ont organisé des sit-in à Suez et dans deux autres villes. A Mahalla, 1500 travailleurs de “Abul Sebae Textiles” ont fait grève et ont bloqué la route. A l’hôpital de Kafr al-Zayyat, des infirmières et des infirmiers ont organisé un sit-in et ont été rejoints par des centaines d’employés d’autres hôpitaux. A travers l’Egypte, des milliers d’autres – les travailleurs de bus au Caire, les employés de “Telecom Egypt”, des journalistes d’un certain nombre de journaux, les travailleurs dans les usines pharmaceutiques et les aciéries ont rejoint la vague de grèves. Ils exigent l’amélioration des salaires, le licenciement des directeurs d’entreprise sans scrupules, réclamant le paiement des arriérés de salaire, de meilleures conditions de travail et des syndicats indépendants. Dans de nombreux cas, ils ont aussi appelé à la démission du président Moubarak. Et dans certains cas, comme celui des 2000 ouvriers de la soie “Helwan Factory”, ils ont exigé la suppression du conseil d’administration de leur société. Il y a eu aussi des milliers de membres du corps professoral de l’Université du Caire qui ont rejoint les manifestations, se sont confrontés aux forces de sécurité et ont empêché le Premier ministre Ahmed Shariq de se rendre à son bureau au gouvernement.”
On pourrait ajouter de nombreux autres exemples : environ 20 000 travailleurs de Al-Mahalla Al-Kobra, plus de 100 kilomètres au nord du Caire, relançant la grève après une pause de trois jours dans la plus grande usine de filature et de tissage d’Egypte, des employés de banque exigeant le limogeage de leurs patrons corrompus, des ambulanciers utilisant leurs véhicules pour bloquer les routes pour protester par rapport à leurs salaires, des travailleurs manifestant devant le siège de la Fédération des syndicats égyptiens qu’ils dénoncent comme un “repaire de brigands” et “un groupe de voyous” et appelant à sa dissolution (les gros bras du service d’ordre syndical répondant évidemment à ces travailleurs par… des coups et des balles). Il y aurait sans doute beaucoup d’autres exemples à ajouter à ceux-ci.
Maintenant que les manifestations massives se sont dispersées, circulent des informations selon lesquelles les réunions de travailleurs seraient interdites. Nous savons déjà que pendant toute la période où l’armée prétendait être la protectrice des personnes, des centaines de militants ont été arrêtés et torturés par cette même institution “populaire”, et il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que ce genre de répression “ordinaire” ne continue pas, même si les affrontements frontaux sont évités.
De même, il y a l’illusion que l’armée appartient au peuple, ces illusions sont dangereuses car elles empêchent les opprimés de voir qui est leur ennemi et d’où le prochain coup viendra. Mais ces illusions sur l’armée font partie d’une illusion plus générale sur la “démocratie”, avec l’idée que des changements dans la forme de l’Etat capitaliste vont changer la fonction de cet Etat et le mettre au service des besoins de la majorité. L’appel à former des syndicats indépendants qui a traversé beaucoup de grèves est à la racine d’une variante de ce mythe démocratique : en particulier, il est basé sur l’idée que l’Etat capitaliste, dont le rôle est de protéger un système qui n’a rien à offrir aux travailleurs, ni à l’ensemble de l’humanité, peut permettre à la classe exploitée de maintenir ses propres organisations indépendantes sur une base permanente.
Nous sommes loin de la révolution dans le seul sens que cela peut avoir aujourd’hui : la révolution prolétarienne internationale. La conscience authentiquement révolutionnaire nécessaire pour guider une telle révolution à la victoire ne peut se développer qu’à l’échelle mondiale, et elle ne peut se concrétiser sans la contribution déterminante des travailleurs les plus expérimentés des pays capitalistes les plus anciens, en Europe. Mais les prolétaires (et d’autres couches opprimées) du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont d’ores et déjà, par leurs luttes, mis en lumière des enseignements essentiels pour le prolétariat mondial : sur la façon de prendre en charge leurs propres luttes, sur l’organisation de l’occupation de la rue, sur la solidarité et l’entraide… Sur la place Tahrir s’est exprimée toute cette créativité auto-organisatrice de la lutte ouvrière, comme le décrit McNally, “Sur la place Tahrir, le centre névralgique de la “révolution”, la foule s’engage dans la prise de décision directe, parfois avec des centaines de milliers de manifestants. Organisés en petits groupes, les gens discutent et débattent, puis envoient des délégués élus à des consultations par rapport aux exigences du mouvement. […] les délégués de ces mini-rassemblements se réunissent alors pour discuter de l’atmosphère qui règne, avant que les demandes potentielles ne soient lues, au moyen d’un système de haut-parleur de fortune. L’adoption de chaque proposition se fait en proportion des huées ou des applaudissements qu’elle reçoit de l’ensemble de la foule.” Leçons aussi sur la façon de se défendre collectivement contre les assauts de la police et des pillards, sur la façon de surmonter les divisions sectaires entre sunnites et chiites, musulmans et chrétiens, religieux et laïcs. Leçons sur la propagation au-delà des frontières de chaque pays, avec la révolte qui se propage de pays à pays, avec les mêmes exigences et méthodes et le fait que partout les prolétaires vont découvrir qu’ils font face aux mêmes attaques contre leur niveau de vie, à la même répression, au même système d’exploitation. Interrogés par la presse au cours des derniers jours, les travailleurs en Egypte ont souvent exprimé la simple vérité qui motive leurs grèves et leurs manifestations : ils ne peuvent pas nourrir leurs familles, parce que leurs salaires sont trop bas, parce que les prix sont trop élevés, parce que le chômage fait rage…
La classe ouvrière de tous les pays va de plus en plus faire face à la dégradation de ses conditions de vie et aucune “réforme démocratique” ne les soulagera. La classe ouvrière n’a que sa lutte pour se défendre, et la perspective d’une nouvelle société pour solution.
Am/W (26 février)
1) Journaliste égyptien qui blogue sur arabawy.org.
2) Professeur de sciences politiques à l’Université d’York à Toronto.
Que s’est-il passé en Tunisie et en Egypte, ces dernières semaines et que se passe-t-il aujourd’hui en Libye ? Un soulèvement massif de la population et des classes exploitées contre des régimes de terreur, des conditions de vie effroyables, un chômage et une misère rendus intolérables par la pression d’une crise économique mondiale. Cette lame de fond démontre au monde entier que les gouvernements, même les plus ouvertement sanguinaires, ne sont pas tout-puissants. Il est possible de les renverser. Pour autant, après le départ de Moubarak en Egypte comme après celui de Ben Ali en Tunisie, rien n’est résolu. En Egypte comme en Tunisie, les nouveaux “représentants” du pouvoir, qu’ils soient militaires ou civils, appartiennent à la même clique, au même camp, à la même classe que les anciens. Ils gardent le même objectif : nous exploiter !
La bourgeoisie occidentale, de gauche comme de droite, après avoir fait ami-ami avec tous ces dictateurs pendant des décennies, encense maintenant hypocritement les “peuples courageux qui se sont battus pour la démocratie”. Mais la misère et la répression qui ont provoqué la révolte sont toujours là. Comme elle reste présente dans le monde entier asservi au capitalisme et à la classe dominante.
L’effet “dominos” qui aboutit aujourd’hui au renversement ou à la remise en cause directe de plusieurs régimes tyranniques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient évoque pour beaucoup l’effondrement en chaîne des régimes du bloc de l’Est au début des années 1990. Elle est d’ailleurs porteuse d’une même illusion : entretenir de faux espoirs démocratiques dans les populations libérées de décennies de terreur. Mais il existe une différence capitale entre les deux mouvements et les deux périodes. En 1989-90, c’est la bourgeoisie qui en avait entièrement tiré les bénéfices en développant son idéologie mensongère sur la mort du communisme (en l’assimilant aux régimes staliniens en décomposition). Les prolétaires n’avaient ainsi pas eu conscience que c’était en réalité un pan entier du système capitaliste en faillite qui s’effondrait. Toute cette propagande avait porté un coup très important au moral et à la combativité de notre classe. Concrètement, il y a eu très peu de luttes à travers le monde durant toutes les années 1990. Mais aujourd’hui, la libération de populations entières du joug et de la chape de plomb qu’imposaient des dictateurs haïs est au contraire un encouragement à la lutte partout dans le monde même si ces soulèvements restent prisonniers de pernicieuses idéologies nationalistes et de fortes illusions électoralistes. La présence des ouvriers dans ce mouvement, s’affirmant sur leur terrain de classe, autour de leurs propres revendications, en constitue d’ailleurs l’élément le plus positif. Et c’est précisément ce qui inspire des craintes à la bourgeoisie partout dans le monde. Les luttes ouvrières au début noyées dans l’explosion de colère générale ont, surtout en Egypte, joué un rôle qui a certainement accéléré les événements. C’est significativement 48 heures seulement après l’extension de ces grèves dans la région industrielle du canal de Suez qu’Obama a persuadé l’armée que le départ de Moubarak devait être immédiat. Et il est encore plus édifiant qu’après cela, le mouvement de grève a continué de s’amplifier, contraignant l’armée, le nouveau maître national, à lancer un message sans équivoque intimant aux grèves de cesser et aux ouvriers et employés de reprendre leur travail !
Hossam el-Hamalawy (1) exprime, dans un article publié par The Guardian du 14 février, cette recrudescence de la lutte des ouvriers : “Toutes les classes en Egypte ont pris part à l’insurrection. Moubarak a réussi à s’aliéner toutes les classes sociales de la société. Sur la place Tahrir, vous pouviez rencontrer les fils et les filles de l’élite égyptienne, collaborant avec les travailleurs, les citoyens de la classe moyenne et les pauvres des zones urbaines. Mais n’oubliez pas que c’est seulement quand des grèves massives ont démarré que le régime a commencé à s’effriter, et que l’armée a dû forcer Moubarak à démissionner parce que le système allait s’effondrer... Dès le premier jour de l’insurrection, le 25 janvier, la classe ouvrière a pris part aux manifestations. Toutefois, les travailleurs ont commencé à participer d’abord comme “manifestants” et pas nécessairement en tant “qu’ouvriers”, c’est à dire qu’ils n’agissaient pas de façon autonome. C’est le gouvernement qui avait arrêté l’économie, et non les manifestants, avec son couvre-feu, et en fermant les banques et les entreprises. Il s’était agi d’une grève capitaliste, qui visait à terroriser le peuple égyptien.”
Un article de David McNally (2) sur www.pmpress.org [179] donne une idée de l’ampleur des luttes ouvrières par la suite : “Au cours de la semaine du 7 février, des dizaines de milliers d’entre eux se sont précipités dans l’action. Des milliers de cheminots ont fait grève et ont bloqué des lignes de chemin de fer. Six mille travailleurs du Service du Canal de Suez ont débrayé et ont organisé des sit-in à Suez et dans deux autres villes. A Mahalla, 1500 travailleurs de “Abul Sebae Textiles” ont fait grève et ont bloqué la route. A l’hôpital de Kafr al-Zayyat, des infirmières et des infirmiers ont organisé un sit-in et ont été rejoints par des centaines d’employés d’autres hôpitaux. A travers l’Egypte, des milliers d’autres – les travailleurs de bus au Caire, les employés de “Telecom Egypt”, des journalistes d’un certain nombre de journaux, les travailleurs dans les usines pharmaceutiques et les aciéries ont rejoint la vague de grèves. Ils exigent l’amélioration des salaires, le licenciement des directeurs d’entreprise sans scrupules, réclamant le paiement des arriérés de salaire, de meilleures conditions de travail et des syndicats indépendants. Dans de nombreux cas, ils ont aussi appelé à la démission du président Moubarak. Et dans certains cas, comme celui des 2000 ouvriers de la soie “Helwan Factory”, ils ont exigé la suppression du conseil d’administration de leur société. Il y a eu aussi des milliers de membres du corps professoral de l’Université du Caire qui ont rejoint les manifestations, se sont confrontés aux forces de sécurité et ont empêché le Premier ministre Ahmed Shariq de se rendre à son bureau au gouvernement.”
On pourrait ajouter de nombreux autres exemples : environ 20 000 travailleurs de Al-Mahalla Al-Kobra, plus de 100 kilomètres au nord du Caire, relançant la grève après une pause de trois jours dans la plus grande usine de filature et de tissage d’Egypte, des employés de banque exigeant le limogeage de leurs patrons corrompus, des ambulanciers utilisant leurs véhicules pour bloquer les routes pour protester par rapport à leurs salaires, des travailleurs manifestant devant le siège de la Fédération des syndicats égyptiens qu’ils dénoncent comme un “repaire de brigands” et “un groupe de voyous” et appelant à sa dissolution (les gros bras du service d’ordre syndical répondant évidemment à ces travailleurs par… des coups et des balles). Il y aurait sans doute beaucoup d’autres exemples à ajouter à ceux-ci.
Maintenant que les manifestations massives se sont dispersées, circulent des informations selon lesquelles les réunions de travailleurs seraient interdites. Nous savons déjà que pendant toute la période où l’armée prétendait être la protectrice des personnes, des centaines de militants ont été arrêtés et torturés par cette même institution “populaire”, et il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que ce genre de répression “ordinaire” ne continue pas, même si les affrontements frontaux sont évités.
De même, il y a l’illusion que l’armée appartient au peuple, ces illusions sont dangereuses car elles empêchent les opprimés de voir qui est leur ennemi et d’où le prochain coup viendra. Mais ces illusions sur l’armée font partie d’une illusion plus générale sur la “démocratie”, avec l’idée que des changements dans la forme de l’Etat capitaliste vont changer la fonction de cet Etat et le mettre au service des besoins de la majorité. L’appel à former des syndicats indépendants qui a traversé beaucoup de grèves est à la racine d’une variante de ce mythe démocratique : en particulier, il est basé sur l’idée que l’Etat capitaliste, dont le rôle est de protéger un système qui n’a rien à offrir aux travailleurs, ni à l’ensemble de l’humanité, peut permettre à la classe exploitée de maintenir ses propres organisations indépendantes sur une base permanente.
Nous sommes loin de la révolution dans le seul sens que cela peut avoir aujourd’hui : la révolution prolétarienne internationale. La conscience authentiquement révolutionnaire nécessaire pour guider une telle révolution à la victoire ne peut se développer qu’à l’échelle mondiale, et elle ne peut se concrétiser sans la contribution déterminante des travailleurs les plus expérimentés des pays capitalistes les plus anciens, en Europe. Mais les prolétaires (et d’autres couches opprimées) du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont d’ores et déjà, par leurs luttes, mis en lumière des enseignements essentiels pour le prolétariat mondial : sur la façon de prendre en charge leurs propres luttes, sur l’organisation de l’occupation de la rue, sur la solidarité et l’entraide… Sur la place Tahrir s’est exprimée toute cette créativité auto-organisatrice de la lutte ouvrière, comme le décrit McNally, “Sur la place Tahrir, le centre névralgique de la “révolution”, la foule s’engage dans la prise de décision directe, parfois avec des centaines de milliers de manifestants. Organisés en petits groupes, les gens discutent et débattent, puis envoient des délégués élus à des consultations par rapport aux exigences du mouvement. […] les délégués de ces mini-rassemblements se réunissent alors pour discuter de l’atmosphère qui règne, avant que les demandes potentielles ne soient lues, au moyen d’un système de haut-parleur de fortune. L’adoption de chaque proposition se fait en proportion des huées ou des applaudissements qu’elle reçoit de l’ensemble de la foule.” Leçons aussi sur la façon de se défendre collectivement contre les assauts de la police et des pillards, sur la façon de surmonter les divisions sectaires entre sunnites et chiites, musulmans et chrétiens, religieux et laïcs. Leçons sur la propagation au-delà des frontières de chaque pays, avec la révolte qui se propage de pays à pays, avec les mêmes exigences et méthodes et le fait que partout les prolétaires vont découvrir qu’ils font face aux mêmes attaques contre leur niveau de vie, à la même répression, au même système d’exploitation. Interrogés par la presse au cours des derniers jours, les travailleurs en Egypte ont souvent exprimé la simple vérité qui motive leurs grèves et leurs manifestations : ils ne peuvent pas nourrir leurs familles, parce que leurs salaires sont trop bas, parce que les prix sont trop élevés, parce que le chômage fait rage…
La classe ouvrière de tous les pays va de plus en plus faire face à la dégradation de ses conditions de vie et aucune “réforme démocratique” ne les soulagera. La classe ouvrière n’a que sa lutte pour se défendre, et la perspective d’une nouvelle société pour solution.
Am/W (26 février)
1) Journaliste égyptien qui blogue sur arabawy.org.
2) Professeur de sciences politiques à l’Université d’York à Toronto.
Tirs au mortier et aux lance-roquettes par des avions de chasse, bombardements par air et par terre sur des foules de protestataires désarmés. La capitale de la Libye, Tripoli, mise à feu et à sang. Plus de 2000 morts dans la seule région de Benghazi depuis le 17 février. Mais les massacres et les combats à mort se sont quasiment généralisés dans tout le pays. Exode massif de dizaines de milliers de travailleurs immigrés, épouvantés et traumatisés par les scènes d’horreur auxquels ils ont assisté. Charniers de civils comme de soldats déserteurs menottés découverts dans des geôles souterraines. Partout, des corps déchiquetés par des obus, des cadavres laissés sur place dans les rues ou dans les maisons avec des balles en pleine tête ou dans le cœur : le sinistre colonel Kadhafi et ses fils n’ont pas lésiné pour lancer dans les pires tueries leur armée et leurs mercenaires africains des Légions islamiques grassement rémunérés à coups de pétro-dollars qui sont venus jusque dans les hôpitaux submergés achever les blessés. Le bain de sang déchaîné en Libye est l’expression de la barbarie capitaliste dans toute son horreur.
Des ministres comme des ambassadeurs libyens ont préféré sauter du navire de ce pouvoir en folie et démissionner. Des pilotes d’avions de combat se sont détournés sur Malte et des militaires qui avaient reçu l’ordre de mitrailler la foule ont déserté, une partie de l’armée s’est prestement ralliée aux insurgés. Après de sanglants combats, l’Est puis l’Ouest du pays sont tombés aux mains des rebelles qui projettent d’attaquer massivement la capitale avec une “nouvelle armée reconstituée” autour de quelques généraux passés dans l’autre camp. Kadhafi, de plus en plus isolé, ne règne plus que sur Tripoli, en proie au chaos. Mais à l’heure où nous mettons sous presse, il est impossible de prévoir l’issue d ‘une telle situation. Kadhafi, qui a passé sa vie à asseoir son pouvoir en exploitant savamment les rivalités et les divisions entre les différentes tribus de Bédouins qui composent le tissu archaïque de l’Etat libyen, n’a cessé d’émailler ses théâtraux discours de matamore de menaces où il promettait à la population d’autres massacres de l’ampleur de la place Tian’anmen (répression qui fit entre avril et juin 1989 des milliers de victimes en Chine) qui ont laissé place à d’ubuesques harangues hallucinées et délirantes parlant tantôt de se battre jusqu’au bout, tantôt d’exterminer les rebelles jusqu’au dernier, accusés d’être de jeunes drogués “qui se comportent comme des animaux”, de surcroît manipulés par Al Qaida.
Avec une hypocrisie sans bornes, la bourgeoisie occidentale se contente de protester contre cet usage excessif de la force et demande l’arrêt des combats, mais la prétendue “communauté internationale” s’est bien gardée jusqu’ici de prendre des mesures de rétorsion économiques ou financières efficaces. Cela n’a rien d’étonnant.
Depuis que Kadhafi, au pouvoir de puis 42 ans était redevenu “fréquentable” en 2004, après l’éponge passée sur l’attentat de Lockerbie, toutes les grandes puissances se sont ruées en Libye pour le courtiser frénétiquement et signer de mirifiques contrats commerciaux, qui tenaient plus de l’appât que de l’achat concret, de même que toutes les grandes compagnies pétrolières qui n’avaient même pas attendu cette date pour exploiter les gisements libyens. En premier lieu, l’Etat français qui s’était placée dans les premiers rangs de juteuses ventes d’armes (pour 30 millions d’euros avec notamment MBDA, filiale d’EADS, pour les missiles anti-char Milan, EADS Défense et Sécurité pour des réseaux de télécommunication et le pool Dassault-Thales-Snecma Sofema pour la rénovation des Mirages). Personne n’a oublié la morgue de Kadhafi pour qui Sarkozy avait déroulé le tapis rouge et qui avait installé sa somptueuse tente de bédouin et sa suite dans les jardins de l’Elysée en décembre 2007 en échange de promesses d’achat de quelques Mirages et autres Rafales. C’est d’ailleurs le ministre Patrick Ollier, compagnon dans la vie de l’inénarrable ministre des Affaires étrangères MAM (1), qui est depuis 2000 le président des amitiés franco-libyennes et à ce titre n’a cessé d’officier comme le grand commis des tractations de la France avec son “ami” Kadhafi.
Non, la vie humaine n’a pas plus de prix pour tous nos dirigeants et nos exploiteurs de gauche comme de droite que pour les Kadhafi, les Ben Ali, les Moubarak !
“Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment...” s’indignait déjà Rosa Luxemburg dans la Brochure de Junius (la Crise de la Social-démocratie) en 1916. Ces phrases n’ont rien perdu de leur actualité près d’un siècle plus tard. Nous devrons les garder en mémoire tant que nous n’aurons pas fait sauter les chaînes de la misère, de la terreur et de l’exploitation capitalistes à l’échelle mondiale.
W (26 février)
1) Outre ses liens d’affaires avec le clan des tyrans, démontrant que la corruption n’est pas réservée à des régimes à coloration absolutistes ou totalitaires , Madame Alliot-Marie a eu aussi l’insigne mérite en se proposant publiquement d’aider Ben Ali avant sa chute à rétablir l’ordre contre le soulèvement de la populace, de souligner le trait d’union et finalement le parfait accord des forces de répression entre “leurs” régimes dictatoriaux et “nos” valeurs démocratiques.
A force d’entendre dire que la France a la droite la plus bête du monde, nous finirions presque par ne plus nous en rendre compte. Mais heureusement, régulièrement, elle s’applique à nous le rappeler avec brio, repoussant toujours plus loin les limites de sa propre stupidité.
Avec Sarkozy et sa clique, on est même plutôt gâtés. A tel point qu’on se demande à chaque fois ce qu’ils vont pouvoir inventer. Par exemple, qui aurait pu imaginer que la ministre des affaires étrangères et le Premier ministre, rien que ça, iraient passer leurs vacances en Tunisie ou en Egypte, frais payés alors même que la colère a embrasé les deux pays ? Eh bien si, ils l’ont fait ! Quand le grand patron lui-même fête ses victoires sur des yachts d’amis milliardaires, pourquoi ses ministres se priveraient-ils de quelques escapades en jet privé ou, à défaut, présidentiel ?
C’est ce qu’on appelle tendre le bâton pour se faire battre. Et le bâton n’est pas resté longtemps tendu sans que l’opposition ne s’en saisisse. Jouant les parangons de vertu outragés, elle appelle aujourd’hui unanimement à la démission des fautifs, au nom de la rigueur, de la droiture attachées aux fonctions gouvernementales et de l’image de la France. Profiter des largesses d’une clique de dictateurs, quelle horreur !
Le problème c’est que ce bâton ressemblent étrangement à un boomerang et que la gauche devrait s’en méfier un peu. Cet infréquentable Ben Ali était encore il y a peu de temps membre de l’Internationale socialiste (IS) et en a même été exclu trois jours seulement après sa fuite de Tunisie (1). Quelque mois avant de subir la fronde populaire, il aura donc encore eu le temps de décorer son “camarade” Strauss-Kahn, par exemple. Et on apprenait récemment que la compagne de l’ex-ministre de Mitterrand (lui-même ami et régulièrement invité des deux dictateurs bannis), Elizabeth Guigou, traitait avec le même homme d’affaires proche du clan Ben Ali qui faisait bénéficier MAM de ses largesses !
De même en novembre, l’IS tenait congrès à Paris, avec la présence appréciée de membres du FPI de Gbagbo et du PND de Moubarak. Si ce dernier a finalement subi le même sort que Ben Ali, le “camarade” Laurent Gbagbo, lâché par le monde entier suite à sa défaite contre Alassane Ouattara, est encore dans la grande famille socialiste. Ouf ! Certains socialistes français adeptes du soleil ivoirien et des boîtes de nuit d’Abidjan (2) pourront encore prendre du bon temps.
Parmi les “camarades” fréquentables pour l’IS, il y a certainement aussi l’Union sociale-démocrate au pouvoir en Macédoine de façon quasi-ininterrompue depuis 1991 et qui en matière de corruption n’a certainement rien à envier à Ben Ali, ou le Parti révolutionnaire du peuple mongol qui de 1921 à 1990 a présidé aux destinées d’un peuple dont on connaît l’insolent bonheur ou enfin, et pour revenir à l’Afrique, le Frelimo qui fait du Mozambique un enfer sur terre (3) .
Bref, pour faire ami-ami avec les pires tortionnaires, les pires profiteurs à travers le monde, la gauche n’a de leçons à recevoir de personne, pas même d’un Sarkozy, d’une Alliot-Marie ou d’un Fillon qui pourtant semblent être dotés en la matière d’une rare expertise. Rien d’étonnant en cela, de gauche comme de droite, ce sont d’abord des membres d’une même classe, la bourgeoisie. Qui se ressemble s’assemble !
L’extraordinaire don de la droite française est seulement de se faire prendre, avec une prodigieuse régularité, la main dans un sac où tous ses petits camarades bourgeois, de tous bords et de tous pays, piochent constamment des deux mains.
GD (16 février)
1) http ://www.slate.fr/story/34001/internationale-socialiste-dictateurs [181] (entre autres sources).
2) On se souvient du bruit qu’avait fait la virée nocturne de Jack Lang avec son “ami” en 2008, à une époque où le PS était fier de compter un “camarade” au pouvoir dans un pays phare de l’ex-pré carré français en Afrique (www.agn.netis-senegal.com/Laurent-Gbagbo-s-eclate-en-boite [182]).
3) Idem note 1.
Tous les politiques occidentaux se lamentent aujourd’hui sur la répression et la misère qui frappent en Libye, en Tunisie et en Egypte. Ils jurent tous, la main sur le cœur, leur pleine solidarité avec les “souffrances du monde arabe”. Mais leurs actes, réels ceux-là, prouvent leur hypocrisie sans borne et leur totale inhumanité. Face aux milliers d’émigrés qui fuient, en tentant de gagner le territoire européen, toutes les bourgeoisies sont en train de s’organiser pour dresser un rideau de fer infranchissable.
Samedi 25 février, la commissaire européenne, Cecilia Malmström a annoncé : “J’ai le plaisir [sic !] d’annoncer qu’à partir de dimanche 20 février, la mission “Hermes” de Frontex (l’agence de surveillance des frontières européennes) sera officiellement déployée pour aider les autorités italiennes à gérer les flux de migrants en provenance d’Afrique du Nord, et en particulier les arrivées en provenance de Tunisie sur l’île de Lampedusa”. Frontex apportera également un soutien naval et aérien à la surveillance des frontières.
Au total, une dizaine d’Etats, dont la France, se sont dits prêts à participer à cette mission. La France est d’ailleurs un pays “en pointe” pour sa politique d’immigration et pour la défense de l’espace Schengen (1).
Paris s’est ainsi montré très ferme à l’égard des Tunisiens débarqués sur l’île italienne de Lampedusa, dont beaucoup veulent venir en France : le ministre de l’Intérieur a prévenu qu’ils seront traités comme des immigrés clandestins appelés à être reconduits dans leur pays. Interrogé à l’Assemblée nationale, Brice Hortefeux a rappelé la règle en politique migratoire : “Un étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, sauf situation humanitaire particulière.” On pense bien qu’avec Hortefeux, cet ami des “Auvergnats”, les situations humanitaires particulières… cela n’existe pas, il n’y a que des tricheurs et des profiteurs. Et pour bien se faire comprendre plus clairement : “Ce n’est l’intérêt ni de la Tunisie, qui l’a parfaitement compris, ni de l’Europe, ni de la France que d’encourager et d’accepter ces migrations clandestines.” Cela ne vaut pas seulement pour les Tunisiens, car le président de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Dominique Paillé, a affirmé jeudi 24 février que les “clandestins” en provenance de Libye “seront reconduits” eux aussi. Non mais, on ne pourra pas dire que la bourgeoisie française fait deux poids, deux mesures ! Tous plongés dans la même misère et dans l’horreur capitaliste, pas d’injustice !
Mulan (26 février)
1) Kadhafi s’était d’ailleurs permis d’épingler Sarkozy publiquement à ce sujet lors de son séjour dans les jardins de l’Elysée, sous sa tente de bédouin. Interrogé sur la question des droits de l’homme en Libye, il avait répondu : “Avant de parler des droits de l’Homme, il faut vérifier que les immigrés bénéficient chez vous de ces droits.”
Après le départ de Ben Ali et de Moubarak, après l’éclatement des affrontements sanglants en Libye, un vent de révolte parcourt le monde, contre les régimes de terreur et contre l’enfoncement dans la misère. Partout la bourgeoisie s’inquiète de la propagation de cette onde de choc qui révèle la faillite générale du système capitaliste.
Au Yémen, les manifestants ont baptisé le 25 février “vendredi du début de la fin du régime”. Des dizaines de milliers de Yéménites ont participé à des prières collectives dans plusieurs villes du pays (Sanaa, Aden, Taez) pour demander la chute du régime du président Ali Abdallah Saleh. “Pars, pars !”, a scandé à son intention la foule réunie dans la capitale. Une foule d’au moins 50 000 personnes, selon le décompte du Guardian, s’est rassemblée sur une place située devant l’université où campent depuis plusieurs jours des manifestants.
Depuis le début de la contestation le 27 janvier, douze personnes ont été tuées à Aden, outre les deux morts de Sanaa et celui de Taez.
A Bahreïn, les manifestants étaient des dizaines de milliers, le 25 février, dans le centre de la capitale Manama, pour la prière du vendredi. Cette prière a eu lieu sur la place de la Perle, qui est devenue l’épicentre de la contestation entrée dans sa douzième journée. “Nous voulons que les Al-Khalifa quittent Bahreïn”, lancent certains, en référence à la dynastie sunnite qui règne sur l’île du Golfe, dont la majorité de la population est chiite.
L’amiral Mike Mullen, chef d’état-major interarmées, en tournée dans le Golfe depuis le 20 février, a marqué une étape à Bahreïn, quartier général de la 5e Flotte américaine, pour y rencontrer jeudi soir le roi Hamad ben Issa Al-Khalifa et le prince héritier. Il a salué “la manière très modérée” avec laquelle les autorités ont répondu à la crise. Après des violences initiales qui ont fait sept tués parmi les manifestants, les forces de sécurité se sont retirées sur ordre du prince héritier, chargé par son père de conduire un “dialogue nationale avec l’opposition”. Le régime a aussi procédé à des libérations de prisonniers politiques.
En Algérie, l’état d’urgence a été levé le 24 février. La décision a été publiée au Journal officiel du pays. Pourquoi maintenant ? Quelles en sont les conséquences ?
Selon le correspondant de France 24 en Algérie, l’état d’urgence, mis en place le 9 février 1992 pour contrer la menace islamiste, sortie victorieuse aux élections législatives de 1991, reposait sur trois dispositions. Tout d’abord, aucun rassemblement – manifestations, ou réunion d’ampleur dans une salle – n’était autorisé sans l’aval du pouvoir. Ensuite, l’état d’urgence justifiait tout internement administratif : “On pouvait mettre en détention provisoire n’importe qui sans décision de justice. Et c’est ce qui s’est passé dans les camps du Sud où de nombreux islamistes ont été internés. Enfin, le pouvoir algérien d’avant 2011 avait accepté la réquisition des forces militaires par les autorités civiles : “C’était en gros l’armée dans la rue”.” Il a fallu 19 ans au pouvoir assassin pour lever l’état d’urgence qui lui permet d’arrêter n’importe qui, de le détenir, de le torturer puis de le faire disparaître au nom de la lutte contre le terrorisme. Mais, curieusement, le pouvoir reconnaît que la question du terrorisme n’est pas réglée et avoue qu’il fait cela face à la contestation sociale. En quoi la situation va-t-elle changer ? Fondamentalement… en rien. Les militaires garderont le pouvoir que leur conférait l’ancienne disposition d’état d’urgence, afin de poursuivre la lutte anti-terroriste, en vertu d’une nouvelle loi prochainement annoncée (toujours sous le prétexte d’endiguer une possible menace d’Al Qaïda). Pour beaucoup, cette nouvelle mesure, de même que l’annonce le 3 février de plans pour contrer le chômage et la crise du logement, fléaux majeurs qui ont largement conduit aux manifestations de janvier dernier, pour l’emploi et le logement, n’est qu’un effet d’annonce et une manœuvre.
Il est fort à parier que la manifestation prévue à Alger pour s’opposer au régime de Bouteflika le samedi 26 février, se termine par le même flot d’arrestations que les précédentes des 12 et 19 février qui avaient mobilisé de 30 à 40 000 policiers pour 2 à 3000 manifestants.
Cette contestation sociale, malgré la répression et surtout malgré le poids énorme de vingt ans de guerre civile qui aura fait 200 000 morts, n’a pas cessé comme en témoignent les grèves qui tendent à se poursuivre au cours de ces dernières semaines.
• 300 salariés d’une société de sous traitance ont multiplié des actions de protestation, fin février, devant la direction générale de Fertial (entreprise algéro espagnole de production d’engrais phosphatés), à Annaba, pour revendiquer leur intégration au sein de l’entreprise, des hausses de salaires et une protection sociale. Ce mouvement pourrait rebondir et s’élargir à Annaba en cas d’échec des négociations.
• Une grève des employés paramédicaux déclenchée mardi 1er février, a été suivie à plus de 87 %, à l’échelle nationale et à près de 100 % dans la capitale (selon le syndicat de ce secteur, le SAP). “Pour un statut de dignité. Les paramédicaux en grève” pouvait on lire sur les pancartes.
• Une grève des travailleurs a affecté, mardi 1er février, le secteur de l’éducation de la wilaya de Bejaïa. Un mouvement de grève de deux jours initié conjointement par les deux syndicats autonomes de l’éducation, le CNAPEST et l’UNPEF. Cette grève a été précédée, lundi, par celle du syndicat rival le SETE, affilié à l’UGTA. Les syndicats revendiquent “la régularisation immédiate de toutes les situations des travailleurs du secteur de l’éducation”. D’après certaines informations, la grève aurait été suivie par plus de 92 % des travailleurs.
Selon les organisateurs, se disant indépendants de toute formation politique, près de 15000 étudiants (moins de 5000, selon les services de sécurité) ont pris part sous une pluie battante à la marche “du changement” à laquelle avait appelé pour le 1er février la coordination locale des étudiants de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Les manifestants ont scandé, en plus de revendications d’ordre pédagogique, des slogans contre le système et les responsables de l’université mais surtout en faveur des libertés démocratiques en Algérie.
En Tunisie, 100 000 personnes ont défilé dans l’après-midi du 25 février pour réclamer le départ du gouvernement de transition, et en particulier du premier ministre Mohammed Ganouchi qui était déjà celui de l’ex-président. Dans la rue, les Tunisiens maintiennent la pression et continuent à subir la répression. Des incidents ont conclu dans la soirée la plus importante manifestation en Tunisie depuis la chute de Ben Ali. Des manifestants ont jeté des pierres sur le ministère de l’Intérieur et des soldats ont tiré en l’air pour tenter de les disperser. Le gouvernement a de son côté annoncé des élections au plus tard pour la mi-juillet.
Au Maroc, les protestations n’ont pas cessé. Particularité : les opposants ne demandent pas la démission de leur dirigeant, Mohamed VI. “On n’a rien contre le roi, mais on veut plus de justice et du travail”, ont expliqué deux participants aux manifestations cités dans le Courrier international. Le souverain avait d’ailleurs pris les observateurs à contre-pied en n’interdisant pas ces rassemblements.
A ce jour, le bilan s’élève tout de même à six morts. Tous ont été tués lors des troubles qui ont entaché les défilés largement pacifiques.
En Jordanie, à Amman, le 25 février, une nouvelle “journée de la colère” avait été décrétée par l’opposition islamiste et une vingtaine de groupes issus de la société civile. Des milliers de personnes ont manifesté pour réclamer des “réformes constitutionnelles” et, cette fois, tout semble s’être déroulé dans le calme, contrairement au vendredi précédent. Des partisans du régime avaient alors attaqué une manifestation de jeunes et huit personnes avaient été blessées.
Les manifestations ont commencé en janvier pour protester contre l’augmentation du coût de la vie. Elles avaient pris une plus grande ampleur après la chute de Ben Ali en Tunisie, le 14 janvier, ce qui avait contraint le roi Abdallah II à limoger son Premier ministre et à former un nouveau gouvernement chargé de proposer des réformes, au terme d’un dialogue avec l’opposition. Des concessions encore jugées trop faibles par cette dernière.
En Syrie, la rue est restée calme mais la population n’est pourtant pas insensible à ce qui se passe dans les autres pays arabes. Le pays est placé en état d’urgence depuis 1963 et tout rassemblement public non autorisé est interdit. Une manifestation pacifique de 200 personnes à Damas devant l’ambassade de Libye mercredi a été violemment dispersée par les forces de l’ordre. Le Guardian rapporte que 14 personnes ont été arrêtées et les autres participants de ce sit-in pacifique de soutien aux révoltés libyens dispersés à coups de bâtons. La Syrie est en apparence le pays le moins vulnérable à un vent de contestation populaire. Le système policier de Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 11 ans, contrôle étroitement la population. Les moyens de communication et de mobilisation (Internet et téléphone) sont surveillés comme jamais. Ceux qui ne sont pas arrêtés sont convoqués par les autorités et menacés de poursuite. Les services secrets, terriblement efficaces, étouffent dans l’oeuf le moindre frémissement protestataire de ce régime présidentiel avec un parti unique. L’actuel président a cependant décidé en janvier de créer un fonds d’aide de 250 millions de dollars aux plus démunis, suivie en février de mesures pour faire baisser les prix de produits alimentaires de base.
En Irak, le 25 février a aussi été proclamé “Journée de la colère”. De Kirkouk, à Mossoul dans le Nord, comme à Bassorah, dans le Sud, des milliers d’Irakiens sont descendus dans les rues pour dénoncer la corruption et l’état déplorable des services de base. Au moins cinq personnes ont été tuées et 49 blessées. Huit ans après l’invasion américaine qui a renversé Saddam Hussein, on enregistre des pénuries de vivres, d’eau et d’électricité et les emplois sont rares. Enfin, les frustrations sont grandes dans un pays qui dispose d’importantes réserves de pétrole et pourrait être un gros producteur. “Où est ma part des profits du pétrole ?”, se demandait un manifestant sur une banderole.
En Iran, les chefs de l’opposition réformatrice sont mis à l’isolement. La justice iranienne a averti mardi qu’elle considèrerait désormais comme des “contre-révolutionnaires” tous les partisans de Karoubi et Moussavi, accusés de s’être mis au ban du régime issu de la révolution islamique de 1979. L’accusation de “contre-révolutionnaire” peut entraîner des condamnations judiciaires sévères, notamment pour des participants à des manifestations interdites.
En Inde, au moins 100 000 personnes ont manifesté le 23 février dans les rues de New Delhi pour protester contre la hausse des prix alimentaires et le chômage. Le défilé était organisé et encadré par le Comité des syndicats indiens (CITU, affilié au Parti communiste) et auquel se sont associés d’autres syndicats, y compris certains adhérents d’une centrale liée au parti du Congrès au pouvoir. Les manifestants, en majorité issus de la classe ouvrière, scandaient des slogans contre l’inflation et la corruption. Il s’agit de la plus grande manifestation dans la capitale depuis des années. Il faut dire que l’inquiétude est grande face à l’inflation sur les denrées alimentaires qui a atteint 18 % en décembre en rythme annuel. Les centaines de millions de miséreux de ce pays de plus d’un milliard d’habitants sont les plus durement touchés. “On gagne 100 à 125 roupies par jour (deux à trois dollars). Comment allons-nous survivre avec ça si les prix augmentent autant ?”, s’interrogeait un manifestant. “Les prix vont finir par tuer l’homme de la rue”, lisait-on sur une banderole.
En Chine, la crainte d’une contagion des révoltes arabes est perceptible dans toute la bourgeoisie et son appareil d’Etat. Le site américain LinkedIn, réseau social professionnel sur Internet, a annoncé vendredi être bloqué en Chine, après avoir été le vecteur d’une campagne pro-démocratie en ligne inspirée par la “révolution du jasmin”. Le gouvernement chinois n’est pas tranquille. De nombreux médias étrangers à Pékin ont reçu ce vendredi des convocations ou des coups de téléphone des autorités chinoises leur enjoignant de “respecter les règlements”, à la veille d’un week-end où les Chinois ont été appelés sur Internet à participer à des “rassemblements du jasmin”. Les autorités sont visiblement nerveuses de voir des rassemblements se produire, potentiellement dans 13 villes du pays. A Pékin, l’une des 13 villes concernées par cet appel, le McDonald’s devant lequel la population a été appelée à se retrouver sur le site basé à l’étranger boxun.com a vu sa façade entourée de palmiers et de barrières de chantier qui en ont bloqué l’accès. “Nous invitons chaque participant à se promener, à observer, voire à prétendre qu’il ne fait que passer. Pour peu que vous soyez présents, le gouvernement autoritaire va trembler de peur”, ont assuré les initiateurs des rassemblements.
En Albanie, au moins trois personnes ont été tuées par balles vendredi 25 février à Tirana au cours d’une manifestation de l’opposition émaillée de violents accrochages avec les forces de l’ordre devant le siège du gouvernement. Selon les services d’urgence, au moins 55 personnes ont également été blessées dont 20 policiers et 30 civils.
En Croatie, se sont produits des affrontements entre police et manifestants anti-gouvernementaux. La police a utilisé des gaz lacrymogènes jeudi 24 février au soir à Zagreb pour disperser un millier de manifestants qui tentaient de s’approcher du siège du gouvernement en réclamant la démission du Premier ministre Jadranka Kosor. Les manifestants scandaient : “Voleurs ! Voleurs !”, et : “Jadranka, va-t-en !”. Une dizaine de personnes ont été arrêtées, selon la télévision nationale. La manifestation avait été organisée sur Facebook. Une autre, similaire, avait rassemblé la veille quelque 300 personnes. Les organisateurs ont réclamé la démission de Mme Kosor. Ils ont accusé le gouvernement de “rendre tous les jours la vie des citoyens plus difficile et de mener le pays vers un chaos économique”. L’économie locale s’est contractée de 1,9% en 2010, selon les prévisions de la Banque centrale, après un recul du PIB de 5,8% en 2009.
En Russie, interrogé sur les répercussions potentielles des révolutions arabes, notamment dans le Caucase du Nord, Poutine s’est dit “préoccupé” tout en affirmant que la situation dans ces deux régions n’avait rien de comparable !
En Grèce, les grèves générales contre la cure d’austérité imposée par le gouvernement socialiste pour répondre aux exigences de l’Union européenne, de la BCE et du FMI, se multiplient depuis deux ans. La dernière en date, le 23 février a donné lieu à des heurts particulièrement violents avec la police. Face à une misère grandissante et à des syndicats complices du pouvoir, la colère des exploités ne peut que s’amplifier. Le PIB a reculé de 1,4% au quatrième trimestre 2010 par rapport au troisième trimestre, le chômage affiche un taux record de 15%, le coût de la vie est en hausse constante, du fait de la baisse des salaires et de l’augmentation des taxes impôts, l’inflation grimpe à 5 %, et la consommation s’effondre. Un Grec sur quatre vit désormais sous le seuil de pauvreté (on commence à voir à Athènes des “cartoneros”, phénomène caractéristique de la misère urbaine sud-américaine) et une majorité des jeunes (le plus fort taux de diplômés d’Europe) ne songe qu’à s’expatrier. Face à cette réalité sans fard, les réponses des institutions politiques et sociales tournent en rond. Celles du gouvernement socialiste ont pour principal leitmotiv “ou nous vaincrons ou nous coulerons”. Il propose comme unique solution une privatisation à outrance des services publics. Quant aux syndicats, leur rhétorique est usée jusqu’à la corde. Ce mécontentement de la population, face à la cure d’austérité imposée par un gouvernement ne réussit finalement qu’à exprimer de la rage et de l’impuissance. Il peine à trouver une portée efficace. Tous les signes d’une mobilisation étaient là pourtant lors de la grève générale du 23 février : participation plus massive que les derniers mois, salariés du public et du privé ensemble dans les rues de plusieurs villes du pays. De nombreux secteurs ont été touchés par la paralysie. Aucun transport urbain, sauf le métro. Les médias ont observé une grève de 24 heures. Pharmacies, banques, cabinets d’avocats fermés. Nombre de vols ont été annulés du fait, notamment, de la grève des contrôleurs aériens. Les ferries sont restés à quai. Dans les hôpitaux, seules les urgences assuraient un service de garde tandis que les écoles n’ont accueilli aucun enfant. Répondant à l’appel de leur Union professionnelle, les commerçants ont gardé porte close, indiquant : “Nous fermons aujourd’hui pour ne pas fermer pour toujours.” Et ce, dans un contexte très tendu de grèves quasi-quotidiennes ces derniers mois.
CCI (26 février)
Avec la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi2), adoptée en février par le Parlement, le gouvernement vient de franchir un grand pas supplémentaire dans le flicage des populations. Au nom de la “sécurité” et de la “protection” de tous, une vaste offensive balise le terrain pour tenter d’étouffer toute forme de contestation sociale, renforcer la répression, notamment celle des minorités ouvrières les plus combatives. Bien entendu, si la loi touche toute la population, les organisations révolutionnaires et leurs militants, dans ce cadre, sont particulièrement dans le collimateur.
Qu’est-ce qui change réellement et que prépare cette loi renforcée ?
La première offensive concerne la “cybercriminalité”. La bourgeoisie et ses flics n’ont pas attendu les révoltes sociales en Tunisie, en Egypte, dans le Maghreb ou ailleurs, pour s’apercevoir des dangers que recèle internet et les téléphones portables. D’abord comme moyen de communication rapide, permettant une réactivité et des liaisons instantanées aux moments des grèves ou lors des manifestations, mais aussi comme vecteur et réceptacle d’idées subversives. Aujourd’hui, ces outils privilégiés, aux mains des “classes dangereuses”, deviennent des armes redoutables. C’est ce que nous avons pu constater, par exemple, en Tunisie, forçant les sbires de Ben Ali à vouloir verrouiller un temps l’accès à Facebook et Twitter, à limiter les possibilités d’échanger avec l’étranger. Bien entendu, dans les états démocratiques, il serait contreproductif pour les anciens amis de Ben Ali d’opérer ce même verrouillage complet pour l’instant. Il y a plus efficace. Avec Loppsi2, en effet, se met en place la possibilité d’une censure ciblée. Les flics disposent d’un “temps d’écoutes téléphoniques plus long”, grâce à l’article 22. Les agents de renseignements peuvent agir en toute impunité contre les minorités révolutionnaires. Le but non avoué est de pouvoir “filtrer” à terme les forums ou les sites politiques qui dérangent, sur la base d’une “liste noire” en toute logique déjà constituée (voir articles 4 et 6). La police officiellement, surveille donc les ordinateurs de ceux qui mènent “une entreprise collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur” (article 421-1). Avec Loppsi2, la pratique scandaleuse (1) des flics devient “normale”. Nul doute que ceux qui prônent la grève de masse et la révolution sont ici visés. Une seule réserve : dans de telles circonstances, l’histoire montre que la “terreur et l’intimidation” sont principalement du côté de la répression, de ceux qui légifèrent !
Tout ce dispositif s’accompagne d’un renforcement sensible de la vidéo-surveillance, que la loi rebaptise “vidéo-protection” pour détourner l’attention de l’objectif visant un contrôle social complet. Alors que le nombre de caméras explose dans les zones urbaines, un amendement donne maintenant à tout préfet la possibilité “d’autoriser l’installation de dispositifs de vidéo-surveillance à titre provisoire sans réunir la commission départementale de vidéo-surveillance lorsqu’il est confronté à une manifestation ou un rassemblement de grande ampleur présentant des risques pour l’ordre public” (2).
En clair, le préfet peut passer outre l’avis des maires récalcitrants pour que chaque manifestant dans la rue, par définition contre “l’ordre public”, soit sous l’œil de Big Brother ! Il est ainsi prévu de multiplier par trois le nombre de caméras pour atteindre les 60 000. Avec la loi, l’installation de ces nouvelles caméras sera grandement facilitée. Naturellement, les rares pleurnicheries à gauche ne sont là que pour amuser la galerie. Comme s’en vante un socialiste : “Nous avons pu avoir des torts dans le passé. Nous avons essayé de les analyser, et vous pouvez venir dans les municipalités socialistes : nous y avons implanté sans aucun scrupule des caméras” (3).
La loi autorise et favorise donc la multiplication des initiatives privées pour installer des caméras aux abords des bâtiments. Autant de moyens supplémentaires qui, par recoupements successifs, permettent de fliquer davantage une population qui devient totalement suspecte.
Le pire, c’est que Loppsi2 prévoit d’officialiser la formation d’une véritable “milice armée”, appelée “police auxiliaire citoyenne” au nom du besoin pour la police de “renouer avec la population civile” ! Depuis l’abandon de “l’îlotage” prôné par la gauche, la méfiance et même le rejet de la “police de proximité”, l’Etat cherche à s’adapter au terrain pour quadriller les quartiers sans se heurter trop frontalement aux habitants hostiles qui se sentent, à juste titre, de plus en plus traqués. Il s’agit en fait, avec la nouvelle loi, d’étendre aux “citoyens volontaires” la réserve civile de la police nationale (existant déjà depuis 2003 pour les policiers à la retraite). Le public visé est surtout celui des jeunes, notamment les étudiants ayant au moins 18 ans. Ceci permet d’une part de faire des économies en évitant de payer des policiers à temps plein, mais surtout, encore une fois, de renforcer l’emprise policière de l’Etat. De ce fait, nous assistons bien à un processus continu de militarisation complète de la société, à un véritable quadrillage complet des zones urbaines. Nous voyons déjà depuis longtemps les lieux publics, comme les gares, sillonnés de long en large par des militaires. Nous aurons en plus des jeunes lâchés dans les quartiers pour aider à faire régner l’ordre. Ces nouveaux éléments pourront signaler la présence des sans papiers, surveiller les foules et particulièrement les minorités combatives qui défendent un point de vue de classe. Bref, signaler tous les suspects possibles susceptibles d’être surveillés de près où directement réprimés. Autant dire que ces “milices” au service de l’Etat pourront facilement se transformer un jour en unités de répression directe contre les mouvements révolutionnaires dans le futur. L’expérience sombre de l’histoire montre que les “milices” de ce genre ne préparent pas seulement la délation. Elles sont le terreau sur lequel peuvent fleurir les rafles, les tortures en tout genre et les exécutions sommaires. En attendant, nos simples voisins pourront devenir des flics, comme au temps de Pétain et Vichy ! Ils pourront porter des armes, dresser des procès-verbaux, nous surveiller de plus près encore, nous vendre.
A cela, il faut ajouter le dispositif complémentaire qui prévoit d’étendre en même temps le pouvoir de la police municipale. Celle-ci pourra alors procéder à des tâches qui ne lui étaient pas autorisées auparavant : les fouilles, les contrôles d’identité ; ceci, dans un contexte ou la loi durcit considérablement les peines encourues, particulièrement pour les citoyens (même mineurs) qui oseront se révolter contre un “dépositaire de l’autorité publique”. Dans la même logique, après avoir renforcé les fichiers de police STIC, JUDEX et EDWIGE (voir notre article dans RI no 394), la loi va inclure dans le fichage des personnes susceptibles d’être impliquées, même très indirectement, dans les affaires de petite délinquance. Avec un “fichage d’analyse sérielle”, la généralisation du contrôle devient effective.
Le plus ignoble, c’est que Loppsi2 s’acharne sur les plus vulnérables, les immigrés et les précaires (voir notre article sur la répression de squat). Un des volets les plus révoltants de la loi concerne en effet les victimes de la crise du logement. L’article 32 ter A donne la possibilité aux préfets d’expulser de façon complètement arbitraire les démunis de leur abris de fortune (4). Sous le prétexte d’un “risque grave d’atteinte à la salubrité, à la sécurité, à la tranquillité”, les habitants de cabanes et camionnettes, d’abris légers, de bidonvilles, de maisons sans permis de construire, de squats, sont soumis à une procédure d’expulsion encore plus expéditive. Les gens se retrouvent à la rue, même en plein hiver ! L’article en question prévoit en plus une sanction financière. Puis, si nécessaire, la destruction au bulldozer avec le vol des biens de ces pauvres gens qu’il faut faire disparaître. Cela, en toute légalité !
Loin d’être isolée, loin d’être uniquement le fait de la simple “paranoïa” de Sarkozy ou de son gouvernement, comme on voudrait nous le faire croire (5) cette Loppsi2 s’inscrit dans un contexte de durcissement général de plus en plus sévère, observable au niveau international. Tous les états, depuis quelques années, ont renforcé leur surveillance et musclé la police. De nombreuses lois “liberticides” sont votées partout dans le monde, notamment en Europe. En Grande-Bretagne, par exemple, le système des “milices citoyennes” est déjà en place. Dans certaines villes, on a même couplé aux caméras un micro qui permet d’interpeller directement les personnes sur la voie publique : “vous, le monsieur au pull-over rouge, vous avez jeté un papier sur le trottoir. Ramassez !”. Aux Etats-Unis, certains dispositifs contenus dans Loppsi2 sont déjà en vigueur depuis G.W. Bush. Comment expliquer ce qui apparaît sous la plume des médias comme une sorte de “dérive” (quand on n’y voit pas une mesure salutaire un peu “excessive”) ?
Bien que dans la phase historique de déclin du capitalisme ce soit en permanence que l’état cherche à renforcer son emprise totalitaire sur l’ensemble de la société civile, l’approfondissement de la crise économique mondiale engendre une riposte de la classe ouvrière poussant la bourgeoisie à renforcer la répression.
Contrairement à l’idée que veulent instiller les médias aux ordres, pour qui la censure et le flicage ne sont que l’apanage des “dictatures”, l’arsenal juridique générant la terreur sous les formes les plus insidieuses et subtiles, comme Loppsi2, se trouve bel et bien dans les états démocratiques. Leur vrai visage est celui d’une ineffable barbarie générée par le capitalisme décadent.
WH (18 février)
1) Le FBI utilise déjà des programmes qui espionnent les frappes sur les touches, tel que Magic lantern, utilisant les techniques des pirates informatiques pour l’installer dans l’ordinateur ciblé.
2) Amendement CL 190. Sources : LDH Toulon (www.ldh-toulon.net/spip.php?articles3738 [183])
3) Propos de Pupponi www.ldh-toulon.net/spip.php?articles3738 [183]
4) Une poursuite de la lutte “anti-cabanisation” lancée par le préfet des Pyrénées-Orientales depuis 2007.
5) Au passage, on peut signaler que d’après Wikipédia faisant référence à un article de Der Spiegel, la France s’est dotée de la loi la plus répressive du monde en matière de cybercriminalité, devant l’Australie,
Sera-t-il encore possible de se soigner ? Voilà une question angoissante que se posent de plus en plus de travailleurs. Et ils ont raison de se la poser ! Sans grand tapage médiatique, et avec la plus grande discrétion, l’Etat vient de prendre, depuis le début de l’année 2011, une série de mesures pour réduire le déficit abyssal de la Sécurité Sociale dont les conséquences seront catastrophiques pour des milliers voire des millions de personnes, mesures qui viennent s’ajouter à la longue liste de celles qui ont été prises depuis plusieurs décennies par des gouvernements qu’ils soient de gauche ou de droite. Avec la brutale accélération de la crise de 2008, le trou de la Sécurité Sociale a explosé, en une année il a doublé, passant de 10 milliards d’euros à 20 milliards.
L’objectif budgétaire de l’Etat est clair : réduire les dépenses de santé de 7.2 milliards d’euros, comme cela a été annoncé à la fin de l’année 2010, en catimini, en plein mouvement contre la “réforme de la retraite”. Et n’en doutons pas, d’autres mesures suivront, encore plus dures que les précédentes.
Voici ce que la bourgeoisie nous a concocté :
Fin de la gratuité des chambres individuelles dans les Hôpitaux Publics, maintenant il faudra débourser 45 euros par jour pour en bénéficier en plus des 18 euros de forfait journalier, cela fait chère l’hospitalisation !
D’après une ordonnance de la ministre de la “santé” Bachelot, les infirmières n’auront plus le droit de pratiquer des prélèvements sanguins comme cela se faisait jusqu’à maintenant. Les laboratoires d’analyses médicales, pour subsister, devront passer une certification assez contraignante et compliquée exigeant, entre autres, qu’ils se portent garants de leurs infirmières, c’est-à-dire qu’elles soient formées et agréées par le laboratoire dans lequel le prélèvement est analysé. Ce qui veut dire qu’ils ne pourront plus embaucher des infirmières remplaçantes ou intérimaires. De ce fait, les prélèvements à domicile seront interdits : les patients devront se rendre par leurs propres moyens, quel que soit leur état de santé, au laboratoire ! Alors que les cotations de leurs actes seront revues à la baisse, les laboratoires seront tenus de s’équiper de moyens matériels performants avec un personnel réduit. Pour continuer à fonctionner, ils vont donc devoir se regrouper. Pour la ministre, l’objectif est d’avoir 1 à 2 laboratoires par département, ce qui veut dire que certains hôpitaux de taille moyenne seront obligés de fermer leurs propres laboratoires. Les personnes qui auront besoin d’analyses particulières seront obligées de se déplacer vers un grand plateau technique qui peut être distant de plusieurs kilomètres ; étant les seuls à accueillir une grande partie des examens à réaliser, il faudra attendre plusieurs jours supplémentaires pour avoir les résultats ! De plus cette ordonnance précise qu’il n’est plus besoin d’être biologiste pour ouvrir un laboratoire, de grands établissements financiers ou des groupes industriels sont sur la ligne de départ pour racheter une grande partie des laboratoires, la rentabilité financière s’imposera au détriment des objectifs médicaux.
Augmentation du nombre de médicaments qui verront leurs taux de remboursement baisser voire même ne plus être remboursés, reconnus “inefficaces” par la communauté médicale. La campagne médiatique sur le scandale du Médiator a permis à l’Etat de pointer du doigt la surconsommation, et de publier une liste de 77 médicaments inefficaces ou ayant des effets secondaires plus ou moins dangereux, voilà comment passer en douce au déremboursement du Diantalvic, très utilisé contre la douleur.
Face à cette avalanche de déremboursements, les mutuelles emboitent le pas en utilisant le chantage : afin d’éviter l’augmentation des cotisations, elles ne “rembourseront plus à l’aveuglette”, sauf les médicaments reconnus comme efficaces, les autres passeront à la trappe, ce qui est le cas des vignettes orange, remboursés à 15 % par la Sécu (comme le Gaviscon pour les brûlures d’estomac). Ces mêmes médicaments, nous les retrouvons sur le marché 2 à 3 fois plus chers !
Les frais d’optique et les appareils auditifs seront moins remboursés.
La consultation des médecins généralistes augmente de 22 à 23 euros.
Taxer les assurés qui ne présentent pas leur carte vitale au moment des actes médicaux quand on sait qu’il faut attendre 3 ou 4 mois pour avoir ce précieux sésame !
Jusque là gratuite, il faudra, pour les immigrés non titulaires d’une carte de séjour ou d’un récipissé délivrés par la Préfecture, débourser 30 euros pour avoir droit à l’Aide Médicale d’Etat qui leur permet de se soigner gratuitement, en attendant une éventuelle régularisation. Ce qui veut dire que bon nombre d’entre eux, fuyant la misère dans leur pays, seront incapables de se soigner.
Depuis le 1er janvier, les indemnités journalières accident de travail et maladies professionnelles doivent être déclarées aux Impôts. Et cela dans un contexte où les maladies professionnelles liées au stress ou à l’utilisation de produits dangereux (l’amiante en est l’exemple le plus significatif) connaissent une très nette augmentation alors que les accidents de travail, eux, connaissent une diminution en trompe-l’oeil, et cela pour 2 raisons : d’une part un nombre important de salariés ne déclarent pas de “petits accidents de travail” et d’autre part, c’est la conséquence de la désindustrialisation.
Quant à la prise en charge des soins liés aux affections de longue durée, qui en 20 ans, de 1990 à 2010, sont passées de 600 000 à près de 1 200 000 (augmentation importante des cancers), et qui représentent 60 % des dépenses de santé), ordre est donné aux médecins-conseil d’en limiter le nombre.
La réduction des effectifs dans la Sécurité sociale entraîne d’une part un retard, qui peut atteindre plusieurs mois, dans le paiement des indemnités journalières ou le remboursement des soins, et d’autre part une impossibilité des employés d’informer correctement les assurés sociaux sur leurs droits, facteurs aggravant la précarité de milliers de salariés.
Enfin, cerise sur le gâteau, renforcer la chasse à la fraude. Les sommes récupérées sont ridicules, mais là n’est pas le réel message. Il faut culpabiliser, montrer du doigt et traquer les fraudeurs comme des boucs émissaires, responsables du trou de la Sécurité sociale !
Les dernières statistiques démontrent que 25 % de la population française ne peut plus se soigner pour des raisons financières. Et la situation ne peut qu’empirer.
Pour les conseillers de l’Etat qui travaillent sur les comptes de la Sécurité Sociale, la logique est de réduire les soins assujettis au régime général et obligatoire. Il faut donc transférer cette prise en charge sur les ménages et sur les organismes complémentaires. En 2008, 20 % du budget des familles sont consacrés aux dépenses de soins, les mutuelles en remboursent 10 %. A partir de ce constat, et dans le but d’appliquer encore des mesures qui visent à réduire le déficit de la Sécurité Sociale, il est dans les objectifs de l’Etat d’augmenter les cotisations sociales, et pour les mutuelles de participer plus à la prise en charge des soins, ce qui veut dire qu’elles augmenteront aussi leurs cotisations. Voilà en perspective de nouvelles attaques : alors qu’ils sont obligés d’acheter de plus en plus de médicaments non remboursables, les travailleurs subiront de nouvelles ponctions sur des salaires qui depuis des années sont gelés ! La conséquence c’est que, même en travaillant, il deviendra plus difficile de se soigner, surtout quand on est jeune, et que le salaire d’embauche c’est juste le SMIG avec des charges de loyers, nourriture, etc. qui ne diminueront pas. Quant aux précaires, aux invalides, aux chômeurs, aux étudiants, aux retraités, aux immigrés, pour qui tout espoir de voir une perspective d’amélioration de leur situation matérielle s’amenuiser du fait de la crise économique, exclus pour la plupart de la C.M.U., contracter une mutuelle est impossible. Toute cette frange de la classe ouvrière va grossir les rangs de ceux qui ne peuvent plus se soigner.
Ce sont les conditions de l’exploitation capitaliste qui génèrent toutes ces maladies, tous ces accidents, et c’est ce même capitalisme qui aujourd’hui nous condamne à pouvoir de moins en moins nous soigner !
Antoine (22 février)
1) Voir notre article dans Révolution Internationale n°417 “Après les retraites : la santé [184]”.
Nous avons reçu des informations de la part d’un camarade nous signalant un épisode significatif de la brutalité ordinaire des policiers contre des immigrés. Avec Loppsi2, ces brutalités ne font que se banaliser, comme le montre ce témoignage dont nous restituons l’essentiel.
Au moment d’une distribution alimentaire, le matin du 3 février à Calais, des voitures et fourgons des CRS et de la PAF (Police aux frontières) se sont placés en barrage sur la route menant à ce point de survie. Après que les “bénévoles de Salam” aient distribué les repas et fermé leurs portes, les migrants ont été traqués. Ceux qui ont tenté de s’échapper ont été poursuivis par les véhicules de police. Les policiers “sont sortis, les ont battus avec leur matraques et les ont tirés dans les fourgons. Un groupe a été chassé sur la voie ferrée où un migrant s’est effondré avec une jambe blessée. La PAF a commencé à le frapper sans pitié”. Un bénévole qui sur place a voulu filmer la scène a vu sa caméra détruite sur le champ. Un des migrants “était couché sur le sol à gémir et à crier à cause des coups qu’il avait reçus, mais la police a répété qu’il était juste en train de faire semblant et a continué à le battre hors de la vue des nombreux observateurs qui regardaient aux fenêtres (…) l’homme, alors inconscient, a été traîné dans un fourgon et frappé au visage à plusieurs reprises alors qu’il gémissait de douleur. Ses membres tombaient sans cesse empêchant la police de fermer la porte et ce fut apparemment une excuse suffisante pour le battre à nouveau”.
Face à la crise du système capitaliste, la bourgeoisie montre que la répression est le seul avenir qu’elle puisse offrir aux affamés.
WH (20 février)
Le blocage des raffineries pétrolières et des dépôts de carburant a marqué les luttes contre la réforme des retraites de 2010 en France au point de cristalliser, au sein des assemblées générales et des manifestations, l’ensemble des discussions et des débats. Pour beaucoup, bloquer les raffineries est apparu comme un moyen de faire concrètement pression sur la bourgeoisie en paralysant, par l’intermédiaire de ce “secteur stratégique,” les transports et l’ensemble de l’économie.
“Malgré huit journées d’action particulièrement suivies, il apparaît que même avec 3,5 millions de personnes dans les rues, les défilés ne permettent pas d’être correctement entendus. […] Partout en France, les blocages dans les raffineries, dans les centres de traitement des ordures et dans bien d’autres sites se multiplient. Incontestablement, l’obstination de l’État et du patronat à imposer leur réforme des retraites aura poussé la lutte à retrouver des pratiques syndicales disparues depuis trop longtemps […] Comment penser sérieusement que des grèves peuvent se résumer à des défilés dans les rues, encadrés par les forces de l’ordre ? L’histoire […] a souvent montré que nos droits, nos acquis sociaux ont été arrachés (et pas demandés poliment) à l’issue de luttes très dures et généralement en utilisant le seul moyen à la disposition des travailleurs et des travailleuses : la grève et le blocage de la production sur le lieu de travail” (1). Ces quelques lignes de la CNT-Vignoles résument ce que tous les “bloqueurs” de l’automne 2010 avaient effectivement en tête. De février à novembre, les manifestations se sont succédées, rassemblant chaque fois des millions de personnes. Dans les cortèges, une immense colère face à la dégradation générale des conditions de vie s’est explicitement exprimée. Pourtant, la bourgeoisie française n’a pas reculé, multipliant même les attaques contre la sécurité sociale, l’accès aux soins, les effectifs des fonctionnaires, etc. Tandis que les “défilés dans les rues” apparaissaient aux yeux de tous impuissants et stériles, des minorités ont cherché des méthodes de lutte plus radicales et efficaces. Le blocage de l’économie leur est alors apparu “comme une évidence” (2).
Quelques jours d’occupation des raffineries ont suffi à créer un relatif phénomène de pénurie de carburant et des troubles dans les transports.
Dès la fin du mois de septembre, la grève éclate dans certaines raffineries. Le mouvement fait naturellement tâche d’huile et les usines ferment les unes après les autres. A la mi-octobre, les 12 raffineries françaises sont toutes bloquées. Face aux provocations des CRS, des piquets composés d’ouvriers du raffinage, de travailleurs d’autres secteurs, de chômeurs, d’étudiants précaires, de retraités, etc., gardent les portes nuit et jour.
Rapidement, le carburant vient à manquer aux pompes. La pénurie d’essence fait la Une de tous les journaux. Les déclarations des responsables politiques affirmant qu’il n’y a aucun problème d’approvisionnement aux pompes apparaissent comme des gesticulations grotesques. Au final, selon l’INSEE, la production de pétrole a été réduite de 56,5 % au mois d’octobre.
En apparence, les bloqueurs semblent donc avoir réussi leur coup. Mais évidemment, en réalité, il n’en est rien. Cette prétendue “victoire” n’est qu’une illusion créée par la propagande de la bourgeoisie. Laisser croire qu’il est possible de bloquer la production à partir d’un secteur, quel qu’il soit, est un grossier mensonge. Et dans le cas précis du pétrole, la bourgeoisie a eu pleinement la capacité de faire face aux blocages. La France, comme beaucoup d’autres pays, dispose en effet de plusieurs millions de tonnes de pétrole en réserve lui assurant de nombreux mois d’approvisionnement (17 millions de tonnes de stocks stratégiques, soit plus de trois mois de consommation normale, des stocks de réserves dont disposent les compagnies pétrolières, des réserves de carburants gérées par l’armée…). De plus, avec l’internationalisation des réseaux de pipeline et, tout simplement, la possibilité d’importer de l’étranger de l’essence par camion, les Etats ne s’appuient pas seulement sur leurs propres réserves pour assurer la distribution de carburant. Comme l’écrit Peter Vener, “Il est caractéristique que même les plus insurrectionnalistes des tiqquniens (3) parlent de bloquer “l’économie du pays”, à partir de la simple généralisation des blocages effectifs, plus ou moins sporadiques ou étendus, plus ou moins spontanés ou téléguidés, etc., comme si cela avait encore le moindre sens à notre époque de “globalisation” et d’organisation en “réseaux” du capital modernisé, en particulier dans le secteur clé de la production et de la distribution de pétrole” (4).
Le risque de pénurie d’essence d’octobre 2010, et de paralysie de l’économie nationale, n’a donc été qu’un conte de fée pour endormir les ouvriers. La difficulté de s’approvisionner en essence n’a finalement touché que quelques automobilistes, surtout à cause du phénomène de panique. Les compagnies pétrolières ont même profité de l’occasion pour vendre leur essence à prix d’or. Le blocage des raffineries n’a été qu’une piqûre de moustique sur le dos d’un éléphant. Et le capitalisme a le cuir épais !
En fait, derrière cette prétendue victoire du blocage se cache au contraire une réelle défaite pour la classe ouvrière. A travers le blocage des raffineries la bourgeoisie s’est employée à isoler des ouvriers parmi les plus combattifs et à diviser le prolétariat.
D’un côté, les syndicats, notamment la CGT, s’appuyant sur le contrôle absolu qu’ils exerçaient sur les opérations, se sont employés à isoler les ouvriers des raffineries, menacés depuis plusieurs mois par des restructurations et donc particulièrement combatifs, du reste de leur classe. Leur colère justifiée n’a pas été le point de départ d’une extension de la lutte : plutôt qu’organiser des piquets volants devant des entreprises d’autres secteurs pour les gagner au mouvement, la CGT a évidemment enfermé les bloqueurs sur leur lieu de travail. Tout devant se jouer sur le seul soi-disant blocage des raffineries, il s’agissait de tenir coûte que coûte, dans une ambiance de citadelle assiégée où seule comptait la “pénurie d’essence.”
De l’autre, à travers une intense campagne sur les risques de pénurie d’essence, le gouvernement et ses médias ont volontairement créé un climat de panique parmi la population. Coincés entre de coûteuses journées de grève, massivement suivies, et le harcèlement quotidien au sein de l’entreprise, beaucoup d’ouvriers ont craint de ne pas pouvoir se rendre sur leur lieu de travail. Cette inquiétude s’est d’ailleurs matérialisée dans les longues files de véhicule à l’entrée des stations-service que les journalistes ont couvert jusqu’à la nausée. Si, en général, les prolétaires n’ont pas stigmatisé les ouvriers des raffineries et ont même plutôt manifesté leur solidarité, l’hystérique propagande médiatique a indéniablement contribué à briser la dynamique d’extension dans laquelle s’était engagée la lutte.
Ainsi, ce n’est pas un hasard si, après des mois de montée en puissance du mouvement de contestation, le déclin s’est amorcé au moment même où le blocage des raffineries battait son plein.
Mais, dans la mesure où un mouvement de masse démarre toujours quelque part, en quoi le blocage des raffineries n’aurait-il pu être le point de départ d’une lutte de plus grande ampleur ? Pourquoi le CCI, dès les premiers blocages, avertissait du risque d’enfermement, d’isolement et de division contenu dans cette action de lutte ? (5)
Dès ses premières manifestations, la théorie du blocage économique était bâtie sur de mauvaises fondations. Les pro-bloqueurs ont très rapidement pris conscience de l’inefficacité des manifestations sans lendemain organisées par les syndicats. Ils en ont cependant concluent qu’une poignée d’individus déterminés entravant le fonctionnement de cibles stratégiques comme les raffineries était la meilleure base sur laquelle créer les conditions de la massification et d’une authentique solidarité. Le groupe de Lyon nommé “Premier Round” a ainsi écrit : “Le mouvement actuel part aussi de là : “il faut bloquer l’économie, comment s’y prendre ?” La réponse s’est imposée d’elle-même autour de la question du pétrole. Même si personne ne sait au fond si cela marchera, si c’est le bon bout par lequel attaquer ce problème, il y a cette tentative : organiser la pénurie d’essence. Et voir ce qui se passera. Un peu partout, dès la grève reconductible votée, il a suffi que quelques grévistes adoptent le blocage comme moyen d’action pour que d’un peu partout on vienne les rejoindre. Là où la grève et le sabotage ne suffisent plus, les grévistes s’opposent eux-mêmes à la circulation. C’est ainsi que l’on voit des cheminots, des étudiants, des postiers, des infirmiers, des enseignants, des dockers, des chômeurs, bloquer ensemble les dépôts de carburant – sans attendre les éternels appels à une abstraite “convergence des luttes.” De même à l’encontre des gares, des centres de tri, des dépôts de transports en commun, des aéroports, des autoroutes : là où quelques dizaines de personnes suffisent à bloquer. […] Le nerf de la bataille en cours, ce sont les blocages des raffineries et des dépôts pétroliers, des points névralgiques au nombre relativement réduits. Bloquer la production et l’acheminement de pétrole, c’est sortir des revendications symboliques, c’est attaquer là où ça fait mal.”6 Cette seule phrase révèle à elle-seule la fausse route : “là où quelques dizaines de personnes suffisent à bloquer. “
Il est d’ailleurs très significatif que les cibles mises en avant soient les raffineries, les gares, les aéroports, les autoroutes ou les transports publics. Le secteur des transports est effectivement un élément stratégique pour la lutte ouvrière, mais pour des raisons exactement inverses que celles évoquées par Premier Round : le blocage des trains, des métros ou des bus est souvent un obstacle à l’élargissement de la lutte et peut favoriser le jeu de la bourgeoisie. C’est même un grand classique : monter les travailleurs les uns contre les autres en déchaînant des campagnes sur le thème de la “prise en otage des usagers”. Surtout, le blocage des transports entrave la mobilité des travailleurs qui ne sont plus en mesure de se déplacer pour apporter leur solidarité aux grévistes, en se rendant à leurs AG ou en participant aux manifestations. Les déplacements des délégations de grévistes vers les autres entreprises sont également rendus difficiles. En fait, le blocage total favorise presque toujours l’enfermement dans le corporatisme et l’isolement. C’est pourquoi les luttes ouvrières les plus avancées n’ont jamais conduit au blocage des transports.
La théorie du blocage de l’économie s’appuie sur une idée profondément juste : la classe ouvrière tient sa force de la place centrale qu’elle occupe dans la production. Le prolétariat produit presque l’ensemble des richesses que la bourgeoisie, dans son rôle proprement parasitaire, s’approprie. Ainsi, par la grève, les ouvriers sont potentiellement capables de bloquer toute la production et de paralyser l’économie.
Lors des événements de mai 1968 en France et ceux d’août 1980 en Pologne, de gigantesques grèves ont paralysé les pays provoquant même… des pénuries d’essence. Mais bloquer n’était nullement l’objectif en soi des ouvriers, les pays étant d’ailleurs paralysés de fait. Si ces deux luttes sont historiques et restent gravées dans les mémoires, c’est parce que le prolétariat a su construire un rapport de force en sa faveur par l’auto-organisation et la massivité de ses luttes. Quand les ouvriers prennent en main leur lutte, ils se regroupent spontanément en assemblées générales pour débattre et décider collectivement des actions à mener, ils cherchent la solidarité de leurs frères de classe en allant à leur rencontre, en essayant de les entraîner dans le mouvement. Etendre la lutte est une préoccupation et une pratique instinctive des exploités face au Capital.
Lors de ces deux grands mouvements, les grévistes ont surtout cherché à faire tourner l’économie pour eux, au service de la lutte et de ses besoins. En 1968, par exemple, les cheminots faisaient circuler les trains pour permettre à la population de se déplacer jusqu’aux manifestations. En 1980, cette prise en main des moyens de production va beaucoup plus loin encore. Le Comité de grève inter-entreprises (nommé MKS) avait “toute prérogative pour conduire la grève. Il formait des commissions de travail – entretien, information, liens avec les journalistes présents sur place, sécurité – et décidait si certaines entreprises devaient continuer à travailler pour assurer les besoins des grévistes. Ainsi la raffinerie produisait, au ralenti, l’essence nécessaire aux transports, des bus et des trains circulaient, l’industrie alimentaire dépassait les plus hautes normes (fixées par les bureaucrates auparavant) pour assurer l’approvisionnement de la population. La “tri-ville” [des ports de la Baltique] (Gdansk, Gdynia, Sopot) vivait au rythme de la grève, au rythme que les grévistes avaient décidé.” (7) Dans les moments les plus forts de ce mouvement, le comité de grève a organisé le ravitaillement des grévistes et de toute la population en contrôlant et en faisant tourner les entreprises d’électricité et d’alimentation.
Les pro-bloqueurs proches de groupes comme Premier Round critiquent très justement et de manière très virulente la mainmise des syndicats sur les luttes. Ils ont ainsi cru identifier dans le blocage des raffineries une action de lutte radicale débordant le corset de fer syndical : “Des nouvelles solidarités informelles se mettent en place à la base et en dehors du contrôle des directions syndicales. On le sent bien, ces dernières sont un peu dépassées par les événements et ne savent pas trop quoi faire de tous ces “soutiens”. Ces solidarités-là, et c’est bien leur force, ne sont pas vraiment encadrables.” Mais la réalité est exactement inverse. Il suffit d’ailleurs de poursuivre la lecture de l’article pour que cette illusion saute aux yeux :
“Où se retrouver pour venir en soutien aux grévistes ? Où envoyer la thune ?
• Raffinerie de Grandpuits : dons en liquide ou par chèques adressés à l’ordre de : Intersyndicale CFDT-CGT, à l’adresse suivante : Intersyndicale CFDT-CGT, Raffinerie Total de Grandpuits, boîte postale 13, 77 720, MORMANT, ou dons en ligne sur le site internet.
• Raffinerie Total de Flandres : adresser vos dons à la caisse de grève gérée par SUD-Chimie : P.W. SUD-Chimie Raffinerie des Flandres 59140 DUNKERQUE. Chèques à l’ordre de : SUD-Chimie RF.”
Les actions de blocage se déroulent “en dehors du contrôle des directions syndicales” car elles “ne sont pas encadrables,” à en croire Premier Round qui informe pourtant sans sourciller ses lecteurs sur “Où envoyer la thune” pour soutenir les grévistes : à la CFDT, à la CGT, et à SUD ! La vérité, c’est que les syndicats ont orchestré de bout en bout la paralysie du secteur pétrolier.
Là encore, Peter Vener est l’un des rares à oser regarder la réalité en face : “Des personnes sont venues rejoindre des piquets de grève autour des raffineries, en règle générale à l’appel des comités intersyndicaux locaux, rebaptisées souvent assemblées interprofessionnelles, histoire d’en élargir les assises. Bien entendu, de telles personnes n’avaient pas nécessairement des visées politiciennes mais, simplement, elles avaient l’impression de dépasser l’atomisation, de sortir des séparations et des corporatismes, bref, de participer à la “convergence des luttes” et “au blocage de l’économie”. […] Les personnes qui gonflent les piquets ne se demandent pas pourquoi les syndicalistes de l’Énergie et de la Chimie, si corporatistes et si repliés sur eux-mêmes habituellement, ont ainsi besoin de faire appel à des forces n’appartenant pas à leur secteur, voire étrangères au “monde du travail”, même parfois à des “anarchistes” sur lesquels ils crachaient encore ouvertement la veille. S’agit-il de nouvelles percées à travers les murs de tels bastions, à l’ordinaire particulièrement bien contrôlés par les syndicalistes, qui, de leurs miradors, organisèrent des cordons sanitaires autour d’eux ? Assiste-t-on à la rupture réelle des salariés de tels secteurs avec leur corporatisme spécifique, fondé sur l’horrible tradition néo-stalinienne du “produire et consommer français”, etc. ? En réalité, sauf peut-être pour quelques-uns d’entre eux, il n’en est rien. […] D’où l’acceptation des quelques “forces” venues d’ailleurs, qui, pour l’essentiel, doivent jouer le rôle de troupiers additionnels de l’appareil syndical de la CGT, mais aussi de celui de SUD. […] Aujourd’hui, via le recentrage de la principale centrale syndicale en direction des formes d’intervention à la mode, tel le blocage programmé d’axes de communication, parfois annoncé à l’avance à la police par les leaders syndicaux, nous sommes passés de la “grève par procuration”, des années 1980 et 1990, au “blocage par procuration”. Les “bloqueurs” des sites, bien souvent, ont travaillé pour les centrales syndicales. Point barre.”
Ainsi, à la raffinerie de Grandpuits, en région parisienne, de nombreux salariés, chômeurs, étudiants précaires et retraités sont venus chaque jour apporter leur soutien aux ouvriers grévistes. Certains ont même parfois pu participer aux AG. Mais ces rares AG “ouvertes” n’étaient que de tristes mascarades : prise de parole du délégué CFDT, puis du délégué CGT, puis… vote. Aucune discussion, aucun débat.
Pourquoi des pro-bloqueurs, si critiques envers les centrales syndicales, ont-ils fini par jouer le rôle de faire-valoir dans des actions typiques des gros bras de la CGT ? Pour Peter Vener, il ne faut pas confondre “de simples réactions de colère contre les services d’ordre syndicaux pour de la critique approfondie du syndicalisme.” L’expérience de la réalité est d’ailleurs encore plus édifiante. Il y a, en effet, une parfaite concordance entre les partisans du blocage économique et celle des syndicats : une minorité décide et agit à la place de la majorité des exploités. La différence réside en ce que les pro-bloqueurs croient agir au service de la lutte alors que les appareils syndicaux ont pleinement conscience de leur œuvre de sabotage.
Aucune recette immédiate, aucune pratique activiste minoritaire ne peut se substituer à la nécessité de l’extension et du développement massif de la lutte pour le prolétariat. Le blocage concret de l’économie ne peut pas être un raccourci vers la victoire tombant du ciel par décret ; il est le résultat d’un processus de généralisation de la lutte auto-organisée et solidaire des travailleurs. Si le constat de l’inefficacité des manifestations de l’automne 2010 est juste, il faut en déduire, non pas qu’il est inutile d’être des millions dans la lutte, mais que la question essentielle est : qui dirige le mouvement de contestation ? Les ouvriers ou les syndicats ?
“L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes”… de tous les travailleurs.
Pawel et V. (21 février)
1) “Généraliser les pratiques de lutte, aujourd’hui et demain…,” Classe en lutte, no 116, nov. 2010 (CNT-Vignoles).
2) “France, automne 2010 : Le blocage de l’économie comme une évidence”, nov. 2010 (Groupe communiste internationaliste).
3) NDLR : Les “tiqquniens” désigne les partisans de la revue Tiqqun, organe de presse du Parti de l’imaginaire dont le membre le plus connu est Julien Coupat, mis en examen sous le coup des lois anti-terroristes et livré en pâture par le pouvoir et ses médias en étant désigné comme l’auteur du sabotage d’une caténaire d’une ligne de TGV sur le réseau de la SNCF en novembre 2008.
4) “L’idéologie du blocage”, Peter Vener, oct.-nov. 2010.
5) Cf. “Bloquer les raffineries : une arme à double tranchant,” Révolution Internationale - suppl. au mensuel no 417, oct. 2010.
6) “Bloquons tout,” Le blocage, une idée qui circule, mardi 26 octobre 2010. (Premier Round).
7) “La victoire au bout de la grande grève,” Inprecor, no 84, 11 sept. 1980.
“Le Conseil de sécurité [de l’ONU],
Se déclarant vivement préoccupé par la détérioration de la situation, l’escalade de la violence et les lourdes pertes civiles, […]
Condamnant la violation flagrante et systématique des droits de l’homme, y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires, […]
Considérant que les attaques généralisées et systématiques actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité, […]
Se déclarant résolu à assurer la protection des civils, […]
Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet […] à prendre toutes mesures nécessaires, […] pour protéger les populations […]” (Résolution ONU 1973 – Libye, 17 mars 2011).
Une nouvelle fois, les hauts dirigeants de ce monde usent de belles formules humanitaires, font des discours, la voix vibrante, sur la “démocratie”, la “paix” et la “sécurité des populations”, pour mieux justifier leurs aventures impérialistes.
Ainsi, depuis le 20 mars, une “coalition internationale” (1) mène en Libye une opération militaire d’envergure, nommée poétiquement “Aube de l’Odyssée” par les Etats-Unis. Chaque jour, des dizaines d’avions décollent des deux puissants porte-avions français et américain pour larguer des tapis de bombes sur toutes les régions abritant des forces armées fidèles au régime de Kadhafi (2).
En langage clair, c’est la guerre !
Tous ces Etats ne font que défendre leurs propres intérêts… à coup de bombes
Evidemment, Kadhafi est un dictateur fou et sanguinaire. Après des semaines de recul face à la rébellion, l’autoproclamé “Guide libyen” a su réorganiser ses troupes d’élite pour contre-attaquer. Jour après jour, il a réussi à regagner du terrain, écrasant tout sur son passage, les “rebelles” comme la population. Et il s’apprêtait sans aucun doute à noyer dans leur propre sang les habitants de Benghazi quand l’opération Aube de l’Odyssée a été déclenchée.
Les frappes aériennes de la coalition ont mis à mal les forces de répression du régime et ont donc effectivement évité le massacre annoncé.
Mais qui peut croire un seul instant que ce déploiement de forces armées a réellement eu pour but le bien-être de la population libyenne ?
Où était cette même coalition quand Kadhafi a fait massacrer 1000 détenus dans la prison Abu Salim de Tripoli en 1996 ? En réalité, c’est depuis quarante ans que ce régime enferme, torture, terrorise, fait disparaître, exécute… en toute impunité.
Où était hier cette même coalition quand Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte ou Bouteflika en Algérie faisaient tirer sur la foule lors des soulèvements de janvier et février ?
Et que fait aujourd’hui cette même coalition face aux massacres qui ont lieu au Yémen, en Syrie ou à Bahreïn ? Oh pardon… ici nous ne pouvons pas dire qu’elle est tout à fait absente : un de ses membres, l’Arabie Saoudite, intervient effectivement pour soutenir l’Etat du Bahreïn… à réprimer les manifestants ! Et ses complices de fermer les yeux.
Les Sarkozy, Cameron, Obama et consorts peuvent bien se présenter fièrement comme des sauveurs, des défenseurs de la veuve et de l’orphelin, la souffrance des “civils” de Benghazi n’a été pour eux qu’un alibi pour intervenir militairement sur place et défendre leurs sordides intérêts impérialistes respectifs. Tous ces gangsters ont une raison, qui n’a rien à voir avec l’altruisme, de se lancer dans cette croisade impérialiste :
Cette fois-ci, contrairement aux dernières guerres, les Etats-Unis ne sont pas le fer de lance de l’opération militaire. Pourquoi ? En Libye, la bourgeoisie américaine est contrainte de jouer à l’équilibriste.
D’un côté, elle ne peut pas se permettre d’intervenir massivement par voie terrestre sur le sol libyen. Cela serait perçu par l’ensemble du monde arabe comme une agression et une nouvelle invasion. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont en effet encore renforcé l’aversion généralisée pour “l’impérialisme américain, allié d’Israël”. Et le changement de régime en Egypte, traditionnel allié de l’Oncle Sam, est venu affaiblir un peu plus sa position dans la région (3).
Mais de l’autre, ils ne peuvent rester en dehors du jeu sans risquer de décrédibiliser totalement leur statut de “combattant pour la démocratie dans le monde”. Et il est évidemment hors de question pour eux de laisser le terrain libre au tandem France/Grande-Bretagne.
La participation de la Grande-Bretagne a un double objectif. Elle aussi tente, auprès des pays arabes, de redorer son blason terni par ses interventions en Irak et en Afghanistan. Mais elle essaye aussi d’habituer sa propre population à des interventions militaires extérieures qui ne manqueront pas de se multiplier à l’avenir. “Sauver le peuple libyen de Kadhafi” est l’occasion parfaite pour cela (4).
Le cas de la France est un peu différent. Il s’agit du seul grand pays occidental à jouir d’une certaine popularité dans le monde arabe, acquise sous De Gaulle et amplifiée par son refus de participer à l’invasion de l’Irak en 2003.
En intervenant en faveur du “peuple libyen”, le président Sarkozy savait parfaitement qu’il serait accueilli les bras grands ouverts par la population et que les pays voisins verraient d’un bon œil cette intervention contre un Kadhafi beaucoup trop incontrôlable et imprévisible à leur goût. Et effectivement, à Benghazi, ont retenti des “Vive Sarkozy”, “Vive la France” (5). Une fois n’est pas coutume, l’Etat français est parvenu ici à profiter ponctuellement de la mauvaise posture américaine.
Le président de la République française en a aussi profité pour se rattraper suite aux bourdes successives de son gouvernement en Tunisie et en Egypte (soutiens aux dictateurs finalement chassés par les révoltes sociales, accointances notoires pendant ces luttes entre ses ministres et les régimes locaux, proposition d’envoyer ses forces de police pour épauler la répression en Tunisie…).
Nous ne pouvons pas ici détailler les intérêts particuliers de chaque Etat de la coalition qui frappe aujourd’hui la Libye mais une chose est sûre, il ne s’agit en rien d’humanisme ou de philanthropie ! Et il en est exactement de même pour ceux qui, réticents, se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU ou alors du bout des doigts :
La Chine, la Russie et le Brésil sont très hostiles à cette intervention tout simplement parce qu’ils n’ont rien à gagner au départ de Kadhafi.
L’Italie, elle, a même tout à perdre. Le régime actuel assurait, jusqu’à maintenant, un accès facile au pétrole et un contrôle draconien des frontières. La déstabilisation du pays peut remettre tout cela en cause.
L’Allemagne d’Angela Merkel est encore aujourd’hui un nain militaire. Toutes ses forces sont engagées en Afghanistan. Participer à ces opérations aurait révélé un peu plus au grand jour cette faiblesse. Comme l’écrit le journal espagnol El País, “Nous assistons à une réédition du rééquilibrage constant de la relation entre le gigantisme économique allemand, qui s’est manifesté pendant la crise de l’euro, et la capacité politique française, qui s’exerce aussi à travers la puissance militaire” (6).
Finalement, la Libye, comme l’ensemble du Moyen-Orient, ressemble aujourd’hui à un immense échiquier où les grandes puissances tentent d’avancer leurs pions.
Cela fait des semaines que les troupes de Kadhafi avancent vers Benghazi, le fief des rebelles, massacrant tout ce qui bouge sur leur passage. Pourquoi les pays de la coalition, s’ils avaient de tels intérêts à intervenir militairement dans la région, ont-ils tant attendu ?
Dans les premiers jours, le vent de révolte qui a soufflé en Libye venait de Tunisie et d’Egypte. La même colère contre l’oppression et la misère embrasait toutes les couches de la société. Il était donc hors de question pour les “Grandes démocraties de ce monde” de soutenir réellement ce mouvement social, malgré leurs beaux discours condamnant la répression. Leur diplomatie refusait hypocritement toute ingérence et vantait le “droit des peuples à faire leur propre histoire”. L’expérience enseigne qu’à chaque lutte sociale, il en est ainsi : la bourgeoisie de tous les pays ferme les yeux sur les plus horribles répressions, quand elle ne leur prête pas directement main forte !
Mais en Libye, ce qui semblait avoir commencé comme une véritable révolte de “ceux d’en bas”, avec des civils sans armes, partant courageusement à l’assaut des casernes des militaires et incendiant les QG des prétendus ‘Comités du Peuple’, s’est rapidement transformé en une sanglante ‘guerre civile’ entre fractions de la bourgeoisie. Autrement dit, le mouvement a échappé des mains des couches non-exploiteuses. La preuve en est que l’un des chefs de la rébellion et du CNT (Conseil National de Transition) est Al Jeleil, l’ancien ministre de la Justice de Kadhafi ! Cet homme a évidemment autant les mains couvertes de sang que son ancien “Guide” devenu son rival. Autre indice, alors que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, ce gouvernement provisoire s’est donné pour drapeau les couleurs de l’ancien royaume de Libye. Et enfin, Sarkozy a reconnu les membres du CNT comme les “représentants légitimes du peuple Libyen”.
La révolte en Libye a donc pris une tournure diamétralement opposée à celle de ses grandes sœurs tunisienne et égyptienne. Ceci est principalement dû à la faiblesse de la classe ouvrière de ce pays. La principale industrie, le pétrole, embauche presque exclusivement des travailleurs venus d’Europe, du reste du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique. Ceux-là, dès le début, n’ont pas pris part au mouvement de contestation sociale. Résultat, c’est la petite-bourgeoisie locale qui a donné sa coloration à la lutte, d’où la mise en avant du drapeau national par exemple. Pire ! Les travailleurs “étrangers”, ne pouvant alors se reconnaître dans ces combats, ont fui. Il y a même eu des persécutions de travailleurs noirs entre les mains des forces “rebelles”, car il y avait de nombreuses rumeurs selon lesquelles certains mercenaires d’Afrique noire avaient été recrutés par le régime pour écraser les manifestations, ce qui jetait la suspicion sur tous les immigrants venant de là.
Ce retournement de situation en Libye a des conséquences dépassant largement ses frontières. La répression de Kadhafi d’abord et l’intervention de la coalition internationale ensuite, constituent un coup de frein à tous les mouvements sociaux de la région. Cela permet même aux autres régimes dictatoriaux contestés de se livrer sans retenue à une répression sanglante : c’est le cas à Bahreïn où l’armée saoudienne a prêté main forte au régime en place pour réprimer violemment les manifestations (7) ; au Yémen où le 18 mars les forces gouvernementales n’ont pas hésité à tirer sur la foule, faisant 51 morts supplémentaires ; et plus récemment en Syrie.
Cela dit, il n’est pas du tout sûr qu’il s’agisse là d’un coup fatal. La situation libyenne pèse, tel un boulet attaché aux pieds du prolétariat mondial, mais la colère est si profonde face au développement de la misère qu’elle ne la paralyse pas totalement. Au moment où nous écrivons ces lignes, il faut s’attendre à des manifestations à Riyad, alors même que le régime saoudien a déjà décrété que toutes les manifestations sont contraires à la charia. En Egypte et en Tunisie, où la “révolution” est censée avoir déjà triomphé, il y a des affrontements permanents entre les manifestants et l’Etat, maintenant “démocratique”, qui est administré par des forces qui sont plus ou moins les mêmes que celles qui ont mené la danse avant le départ des “dictateurs”. De même, des manifestations perdurent au Maroc, malgré l’annonce par le roi Mohammed VI de l’avènement d’une monarchie constitutionnelle.
Quoi qu’il en soit, pour toutes ces populations prises sous le joug de terribles répressions, et parfois sous les bombes démocratiques des différentes coalitions internationales, le ciel ne s’éclaircira vraiment que lorsque le prolétariat des pays centraux, en particulier d’Europe occidentale, développera à son tour des luttes massives et déterminées. Alors, armé de son expérience, rompu notamment aux pièges du syndicalisme et de la démocratie bourgeoise, il pourra montrer ses capacités à s’auto-organiser et ouvrir la voie d’une véritable perspective révolutionnaire, seul avenir pour toute l’humanité.
Etre solidaire de tous ceux qui tombent aujourd’hui sous les balles, ce n’est pas soutenir le régime de Kadhafi, ni les “rebelles”, ni la coalition onusienne ! Il faut au contraire dénoncer tous ceux-là comme des chiens impérialistes !
Etre solidaire, c’est choisir le camp de l’internationalisme prolétarien, lutter contre nos propres exploiteurs et massacreurs dans tous les pays, participer au développement des luttes ouvrières et de la conscience de classe partout dans le monde !
Pawel (25 mars)
1) Royaume-Uni, France, Etats-Unis en particulier, mais aussi Italie, Espagne, Belgique, Danemark, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Emirats Arabe Unis et Qatar.
2) A en croire les médias occidentaux, seuls les hommes de main de Kadhafi meurent sous ces bombes. Mais souvenons-nous qu’au moment de la Guerre du Golfe, ces mêmes médias avaient aussi fait croire à une “guerre propre”. En réalité, en 1991, au nom de la protection du “petit Koweït” envahi par l’armée du “boucher” Saddam Hussein, la guerre avait fait plusieurs centaines de milliers de victimes.
3) Même si la bourgeoisie américaine a réussi à limiter les dégâts en soutenant l’armée pour remplacer le régime honni par la population.
4) Il faut se souvenir ici qu’en 2007, à Tripoli, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair embrassait chaleureusement le colonel Kadhafi, en le remerciant de la signature d’un contrat avec BP. Les dénonciations actuelles du “dictateur fou” ne sont que purs cynisme et hypocrisie !
5) Rappelons que la bourgeoisie française ne fait là, elle aussi, que retourner une nouvelle fois sa veste, elle qui a reçu en grande pompe Kadhafi en 2007. Les images de sa tente plantée au beau milieu de Paris ont d’ailleurs fait le tour du monde et ridiculisé encore un peu plus Sarkozy et sa clique. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau film qui nous est joué : “OTAN en emporte l’auvent”.
6) https://www.elpais.com/articulo/internacional/guerra/europea/elpepuint/2... [186]
7) Ici aussi d’ailleurs, la faiblesse de la classe ouvrière favorise ces répressions. Le mouvement y est en effet dominé par la majorité chiite, soutenue par l’Iran.
“Le Conseil de sécurité [de l’ONU],
Se déclarant vivement préoccupé par la détérioration de la situation, l’escalade de la violence et les lourdes pertes civiles, […]
Condamnant la violation flagrante et systématique des droits de l’homme, y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires, […]
Considérant que les attaques généralisées et systématiques actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité, […]
Se déclarant résolu à assurer la protection des civils, […]
Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet […] à prendre toutes mesures nécessaires, […] pour protéger les populations […]” (Résolution ONU 1973 – Libye, 17 mars 2011).
Une nouvelle fois, les hauts dirigeants de ce monde usent de belles formules humanitaires, font des discours, la voix vibrante, sur la “démocratie”, la “paix” et la “sécurité des populations”, pour mieux justifier leurs aventures impérialistes.
Ainsi, depuis le 20 mars, une “coalition internationale” (1) mène en Libye une opération militaire d’envergure, nommée poétiquement “Aube de l’Odyssée” par les Etats-Unis. Chaque jour, des dizaines d’avions décollent des deux puissants porte-avions français et américain pour larguer des tapis de bombes sur toutes les régions abritant des forces armées fidèles au régime de Kadhafi (2).
En langage clair, c’est la guerre !
Tous ces Etats ne font que défendre leurs propres intérêts… à coup de bombes
Evidemment, Kadhafi est un dictateur fou et sanguinaire. Après des semaines de recul face à la rébellion, l’autoproclamé “Guide libyen” a su réorganiser ses troupes d’élite pour contre-attaquer. Jour après jour, il a réussi à regagner du terrain, écrasant tout sur son passage, les “rebelles” comme la population. Et il s’apprêtait sans aucun doute à noyer dans leur propre sang les habitants de Benghazi quand l’opération Aube de l’Odyssée a été déclenchée.
Les frappes aériennes de la coalition ont mis à mal les forces de répression du régime et ont donc effectivement évité le massacre annoncé.
Mais qui peut croire un seul instant que ce déploiement de forces armées a réellement eu pour but le bien-être de la population libyenne ?
Où était cette même coalition quand Kadhafi a fait massacrer 1000 détenus dans la prison Abu Salim de Tripoli en 1996 ? En réalité, c’est depuis quarante ans que ce régime enferme, torture, terrorise, fait disparaître, exécute… en toute impunité.
Où était hier cette même coalition quand Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte ou Bouteflika en Algérie faisaient tirer sur la foule lors des soulèvements de janvier et février ?
Et que fait aujourd’hui cette même coalition face aux massacres qui ont lieu au Yémen, en Syrie ou à Bahreïn ? Oh pardon… ici nous ne pouvons pas dire qu’elle est tout à fait absente : un de ses membres, l’Arabie Saoudite, intervient effectivement pour soutenir l’Etat du Bahreïn… à réprimer les manifestants ! Et ses complices de fermer les yeux.
Les Sarkozy, Cameron, Obama et consorts peuvent bien se présenter fièrement comme des sauveurs, des défenseurs de la veuve et de l’orphelin, la souffrance des “civils” de Benghazi n’a été pour eux qu’un alibi pour intervenir militairement sur place et défendre leurs sordides intérêts impérialistes respectifs. Tous ces gangsters ont une raison, qui n’a rien à voir avec l’altruisme, de se lancer dans cette croisade impérialiste :
Cette fois-ci, contrairement aux dernières guerres, les Etats-Unis ne sont pas le fer de lance de l’opération militaire. Pourquoi ? En Libye, la bourgeoisie américaine est contrainte de jouer à l’équilibriste.
D’un côté, elle ne peut pas se permettre d’intervenir massivement par voie terrestre sur le sol libyen. Cela serait perçu par l’ensemble du monde arabe comme une agression et une nouvelle invasion. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont en effet encore renforcé l’aversion généralisée pour “l’impérialisme américain, allié d’Israël”. Et le changement de régime en Egypte, traditionnel allié de l’Oncle Sam, est venu affaiblir un peu plus sa position dans la région (3).
Mais de l’autre, ils ne peuvent rester en dehors du jeu sans risquer de décrédibiliser totalement leur statut de “combattant pour la démocratie dans le monde”. Et il est évidemment hors de question pour eux de laisser le terrain libre au tandem France/Grande-Bretagne.
La participation de la Grande-Bretagne a un double objectif. Elle aussi tente, auprès des pays arabes, de redorer son blason terni par ses interventions en Irak et en Afghanistan. Mais elle essaye aussi d’habituer sa propre population à des interventions militaires extérieures qui ne manqueront pas de se multiplier à l’avenir. “Sauver le peuple libyen de Kadhafi” est l’occasion parfaite pour cela (4).
Le cas de la France est un peu différent. Il s’agit du seul grand pays occidental à jouir d’une certaine popularité dans le monde arabe, acquise sous De Gaulle et amplifiée par son refus de participer à l’invasion de l’Irak en 2003.
En intervenant en faveur du “peuple libyen”, le président Sarkozy savait parfaitement qu’il serait accueilli les bras grands ouverts par la population et que les pays voisins verraient d’un bon œil cette intervention contre un Kadhafi beaucoup trop incontrôlable et imprévisible à leur goût. Et effectivement, à Benghazi, ont retenti des “Vive Sarkozy”, “Vive la France” (5). Une fois n’est pas coutume, l’Etat français est parvenu ici à profiter ponctuellement de la mauvaise posture américaine.
Le président de la République française en a aussi profité pour se rattraper suite aux bourdes successives de son gouvernement en Tunisie et en Egypte (soutiens aux dictateurs finalement chassés par les révoltes sociales, accointances notoires pendant ces luttes entre ses ministres et les régimes locaux, proposition d’envoyer ses forces de police pour épauler la répression en Tunisie…).
Nous ne pouvons pas ici détailler les intérêts particuliers de chaque Etat de la coalition qui frappe aujourd’hui la Libye mais une chose est sûre, il ne s’agit en rien d’humanisme ou de philanthropie ! Et il en est exactement de même pour ceux qui, réticents, se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU ou alors du bout des doigts :
La Chine, la Russie et le Brésil sont très hostiles à cette intervention tout simplement parce qu’ils n’ont rien à gagner au départ de Kadhafi.
L’Italie, elle, a même tout à perdre. Le régime actuel assurait, jusqu’à maintenant, un accès facile au pétrole et un contrôle draconien des frontières. La déstabilisation du pays peut remettre tout cela en cause.
L’Allemagne d’Angela Merkel est encore aujourd’hui un nain militaire. Toutes ses forces sont engagées en Afghanistan. Participer à ces opérations aurait révélé un peu plus au grand jour cette faiblesse. Comme l’écrit le journal espagnol El País, “Nous assistons à une réédition du rééquilibrage constant de la relation entre le gigantisme économique allemand, qui s’est manifesté pendant la crise de l’euro, et la capacité politique française, qui s’exerce aussi à travers la puissance militaire” (6).
Finalement, la Libye, comme l’ensemble du Moyen-Orient, ressemble aujourd’hui à un immense échiquier où les grandes puissances tentent d’avancer leurs pions.
Cela fait des semaines que les troupes de Kadhafi avancent vers Benghazi, le fief des rebelles, massacrant tout ce qui bouge sur leur passage. Pourquoi les pays de la coalition, s’ils avaient de tels intérêts à intervenir militairement dans la région, ont-ils tant attendu ?
Dans les premiers jours, le vent de révolte qui a soufflé en Libye venait de Tunisie et d’Egypte. La même colère contre l’oppression et la misère embrasait toutes les couches de la société. Il était donc hors de question pour les “Grandes démocraties de ce monde” de soutenir réellement ce mouvement social, malgré leurs beaux discours condamnant la répression. Leur diplomatie refusait hypocritement toute ingérence et vantait le “droit des peuples à faire leur propre histoire”. L’expérience enseigne qu’à chaque lutte sociale, il en est ainsi : la bourgeoisie de tous les pays ferme les yeux sur les plus horribles répressions, quand elle ne leur prête pas directement main forte !
Mais en Libye, ce qui semblait avoir commencé comme une véritable révolte de “ceux d’en bas”, avec des civils sans armes, partant courageusement à l’assaut des casernes des militaires et incendiant les QG des prétendus ‘Comités du Peuple’, s’est rapidement transformé en une sanglante ‘guerre civile’ entre fractions de la bourgeoisie. Autrement dit, le mouvement a échappé des mains des couches non-exploiteuses. La preuve en est que l’un des chefs de la rébellion et du CNT (Conseil National de Transition) est Al Jeleil, l’ancien ministre de la Justice de Kadhafi ! Cet homme a évidemment autant les mains couvertes de sang que son ancien “Guide” devenu son rival. Autre indice, alors que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, ce gouvernement provisoire s’est donné pour drapeau les couleurs de l’ancien royaume de Libye. Et enfin, Sarkozy a reconnu les membres du CNT comme les “représentants légitimes du peuple Libyen”.
La révolte en Libye a donc pris une tournure diamétralement opposée à celle de ses grandes sœurs tunisienne et égyptienne. Ceci est principalement dû à la faiblesse de la classe ouvrière de ce pays. La principale industrie, le pétrole, embauche presque exclusivement des travailleurs venus d’Europe, du reste du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique. Ceux-là, dès le début, n’ont pas pris part au mouvement de contestation sociale. Résultat, c’est la petite-bourgeoisie locale qui a donné sa coloration à la lutte, d’où la mise en avant du drapeau national par exemple. Pire ! Les travailleurs “étrangers”, ne pouvant alors se reconnaître dans ces combats, ont fui. Il y a même eu des persécutions de travailleurs noirs entre les mains des forces “rebelles”, car il y avait de nombreuses rumeurs selon lesquelles certains mercenaires d’Afrique noire avaient été recrutés par le régime pour écraser les manifestations, ce qui jetait la suspicion sur tous les immigrants venant de là.
Ce retournement de situation en Libye a des conséquences dépassant largement ses frontières. La répression de Kadhafi d’abord et l’intervention de la coalition internationale ensuite, constituent un coup de frein à tous les mouvements sociaux de la région. Cela permet même aux autres régimes dictatoriaux contestés de se livrer sans retenue à une répression sanglante : c’est le cas à Bahreïn où l’armée saoudienne a prêté main forte au régime en place pour réprimer violemment les manifestations (7) ; au Yémen où le 18 mars les forces gouvernementales n’ont pas hésité à tirer sur la foule, faisant 51 morts supplémentaires ; et plus récemment en Syrie.
Cela dit, il n’est pas du tout sûr qu’il s’agisse là d’un coup fatal. La situation libyenne pèse, tel un boulet attaché aux pieds du prolétariat mondial, mais la colère est si profonde face au développement de la misère qu’elle ne la paralyse pas totalement. Au moment où nous écrivons ces lignes, il faut s’attendre à des manifestations à Riyad, alors même que le régime saoudien a déjà décrété que toutes les manifestations sont contraires à la charia. En Egypte et en Tunisie, où la “révolution” est censée avoir déjà triomphé, il y a des affrontements permanents entre les manifestants et l’Etat, maintenant “démocratique”, qui est administré par des forces qui sont plus ou moins les mêmes que celles qui ont mené la danse avant le départ des “dictateurs”. De même, des manifestations perdurent au Maroc, malgré l’annonce par le roi Mohammed VI de l’avènement d’une monarchie constitutionnelle.
Quoi qu’il en soit, pour toutes ces populations prises sous le joug de terribles répressions, et parfois sous les bombes démocratiques des différentes coalitions internationales, le ciel ne s’éclaircira vraiment que lorsque le prolétariat des pays centraux, en particulier d’Europe occidentale, développera à son tour des luttes massives et déterminées. Alors, armé de son expérience, rompu notamment aux pièges du syndicalisme et de la démocratie bourgeoise, il pourra montrer ses capacités à s’auto-organiser et ouvrir la voie d’une véritable perspective révolutionnaire, seul avenir pour toute l’humanité.
Etre solidaire de tous ceux qui tombent aujourd’hui sous les balles, ce n’est pas soutenir le régime de Kadhafi, ni les “rebelles”, ni la coalition onusienne ! Il faut au contraire dénoncer tous ceux-là comme des chiens impérialistes !
Etre solidaire, c’est choisir le camp de l’internationalisme prolétarien, lutter contre nos propres exploiteurs et massacreurs dans tous les pays, participer au développement des luttes ouvrières et de la conscience de classe partout dans le monde !
Pawel (25 mars)
1) Royaume-Uni, France, Etats-Unis en particulier, mais aussi Italie, Espagne, Belgique, Danemark, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Emirats Arabe Unis et Qatar.
2) A en croire les médias occidentaux, seuls les hommes de main de Kadhafi meurent sous ces bombes. Mais souvenons-nous qu’au moment de la Guerre du Golfe, ces mêmes médias avaient aussi fait croire à une “guerre propre”. En réalité, en 1991, au nom de la protection du “petit Koweït” envahi par l’armée du “boucher” Saddam Hussein, la guerre avait fait plusieurs centaines de milliers de victimes.
3) Même si la bourgeoisie américaine a réussi à limiter les dégâts en soutenant l’armée pour remplacer le régime honni par la population.
4) Il faut se souvenir ici qu’en 2007, à Tripoli, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair embrassait chaleureusement le colonel Kadhafi, en le remerciant de la signature d’un contrat avec BP. Les dénonciations actuelles du “dictateur fou” ne sont que purs cynisme et hypocrisie !
5) Rappelons que la bourgeoisie française ne fait là, elle aussi, que retourner une nouvelle fois sa veste, elle qui a reçu en grande pompe Kadhafi en 2007. Les images de sa tente plantée au beau milieu de Paris ont d’ailleurs fait le tour du monde et ridiculisé encore un peu plus Sarkozy et sa clique. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau film qui nous est joué : “OTAN en emporte l’auvent”.
6) https://www.elpais.com/articulo/internacional/guerra/europea/elpepuint/2... [186]
7) Ici aussi d’ailleurs, la faiblesse de la classe ouvrière favorise ces répressions. Le mouvement y est en effet dominé par la majorité chiite, soutenue par l’Iran.
Nos camarades du Réseau de Rencontre et de Solidarité (Red de Encuentro y Solidaridad) d’Alicante et le collectif L'Escletxa ont organisé une rencontré pour débattre et contribuer à la lutte ouvrière les 11 et 12 février derniers. On devait y aborder des expériences de lutte en France et à Barcelone. La volonté affichée de cette réunion était : "Se regrouper pour développer la lutte ouvrière".
Nous publions ci-dessous l'Appel à cette rencontre car il témoigne de cet effort de notre classe à créer des lieux de débats révolutionnaires et est une preuve vivante du besoin des exploités à tisser entre eux des liens forts de solidarité dans la lutte.
NOUS RETROUVER POUR PARTAGER des expériences d’unité, d’auto-organisation, de solidarité.
PARTAGER CES EXPERIENCES POUR CONTINUER LA LUTTE
Il y a peu de temps, nous commencions un de nos tracts ainsi : « Nous cherchons des travailleurs (des personnes) pour exprimer nos véritables besoins ». Nous poursuivons cette recherche, parce que nous savons que nous ne sommes pas seuls. Nous savons de l’existence d’un mouvement (chétif et diffus encore de nos jours) qui se produit et qui grandit partout dans le monde et qui est déjà apparu avec force à d’autres moments de l’histoire. Nous pouvons le nommer de différentes manières différentes : internationalisme prolétarien, autonomie ouvrière, ou encore, mouvement auto-organisé des travailleurs. C’est dans ces mouvements que s’est concrétisé et se concrétise toujours le meilleur de ce que le genre humain peut donner :
• L’unité : se ressembler fraternellement pour mettre en commun nos besoins et pouvoir leur donner une issue, en comprenant que les besoins des autres correspondent aux nôtres, sans établir des frontières artificielles : de races, de nations, de secteur...
• En nous organisant par nous mêmes sans besoin d’intermédiaires, dans de véritables ASSEMBLÉES, qui concrétisent au mieux ce que nous ressentons à travers nos luttes pour une vie meilleure.
• Sur la solidarité et la coopération, en comprenant bien que, sans elles, nous ne serions que des êtres acculés à la solitude et à l’incapacité de nous défendre.
Dans l'état actuel des choses, il n’est pas facile de se comprendre en tant que collectif, alors qu'on essaye en permanence de nous isoler pour pouvoir ainsi nous frapper plus fort avec la crise, le chômage, les expulsions, les salaires non payés, et qu'il ne nous reste que les plaintes des « on-n’arrive-plus-à joindre-les deux-bouts- à-la-fin-du-mois », des « quel-va-être-le-futur-de-nos-enfants »...
C’est terriblement simple à comprendre quand on se trouve concrètement dans de telles situations, celles que nous touchons du doigt avec notre corps, avec nos sentiments, et aussi avec nos « mains pensantes ». Par hasard, n’avez-vous jamais passé du temps à ruminer, avec votre compte bancaire à la main, en essayant de faire durer le plus longtemps possible les quelques euros que vous avez en poche, jusqu’à une nouvelle acrobatie de prêt ou de report de payement ? Ne vous est-il jamais arrivé de sentir votre coeur se serrer en entendant la mère ou le grand-père reconnaître qu’ils sont en train de vivre dans la gêne parce qu’il faut répartir la pension entre le chômeur de la famille et l’endetté jusqu’au cou ?...
Encore une fois, nous vous appelons, nous nous appelons, tous, les travailleurs, les chômeurs, les expulsés, les étudiants qui connaissent bien leur non-futur, les retraités aux pensions encore une fois laminées, les ménagères qui doivent surtout se ménager sans salaire,... aux PROLETAIRES, à tous ceux auxquels ce système n’offre d’autre issue que l’angoisse, la pauvreté cachée ou ouverte, la crainte de ne pas savoir ce qui va se passer le lendemain, le fait d’être toujours les spectateurs impuissants de ce que d’autres veulent faire avec notre propre survie.
Parce que, malgré tout, la VIE est toujours là et il y en a qui luttent pour elle, pour celle de tous, en partant des besoins immédiats, en rejoignant les siens, tous ceux qui partagent ces mêmes besoins devenus pénuries, en nous efforçant de construire un mouvement qui puisse tout changer. Ce sont de petites expériences, éparpillées de par le monde entier, quelques unes pratiquement inconnues, mais ce sont NOS expériences et nous savons que le fait de les mettre en commun nous rendra plus forts.
Red de Encuentro y Solidaridad de Trabajadores (Alicante)
[email protected] [187]
Ateneo Libertario "La Escletxa" [Athénée Libertaire]
escletxa.org
Dans cette rencontre participent à partir de leurs expériences, des camarades :
- des Comités de quartier de l’Assemblée de Barcelone. C’est une expérience « assembléiste1 » qui a fait du bruit dans les médias à cause de l’occupation de l’ancienne Banque de crédit et des incidents provoqués par la police pendant l’évacuation (c’était le jour de la dernière grève générale). Cette assemblée mène, cependant, un travail profond d’auto-organisation et de lutte au-delà du spectaculaire que les journalistes aiment présenter.
- Les Assemblées de travailleurs de Toulouse qui sont le reflet de la volonté de mener une lutte auto-organisée de la part des travailleurs en France aujourd'hui. Ces assemblées essayent de faire front aux attaques contre les conditions de vie des travailleurs, ainsi qu’à la démobilisation et la manipulation syndicales.
- Le Groupe Rupture, de Madrid. Ce sont des camarades avec une longue trajectoire, qui animent la lutte auto-organisée des travailleurs, et y participent en alimentant le débat dans leur publication.
- L'Assemblée des travailleurs de Valence qui se présente comme un espace de rencontre, de débat et d’intervention par la classe ouvrière et pour la classe ouvrière.
- Le Réseau de rencontre et de solidarité de travailleurs d’Alicante. C’est une initiative partie de la Plateforme des travailleurs des Services sociaux de la Santé, à partir de la lutte let de ses assemblées générales, tout en évoluant et ebn s’appuyant sur la certitude du fait qu’il n’y a que l’unité et l’extension des luttes qui puissent nous ouvrir une perspective.
Ce qui nous rassemble tous, ce sont les efforts d’auto-organisation et d’unité, le principe de la solidarité entre nous et la pratique des assemblées générales interprofessionnelles et ouvertes.
Nous espérons et souhaitons que d’autres personnes, groupes ou assemblées, auxquels cet appel peut parvenir par quelque moyen que ce soit, nous rejoignent et participent à notre rencontre.
Avec cette invitation, considérez votre présence comme indispensable.
Nous vous attendons.
1 Qu’on nous permette ce néologisme en français pour traduire « asambleísta », c'est-à-dire qui lutte pour des assemblées ouvrières souveraines.
Plus de 200 000 travailleurs du secteur public et étudiants sont descendus dans la rue et ont occupé le Wisconsin State Capitol pour protester contre des modifications proposées à des conventions collectives, à la suite d'accords négociés entre le gouvernement de l'Etat et les syndicats de la fonction publique. Scott Walker, le néophyte gouverneur Républicain de l'Etat, soutenu par le Tea Party, avait proposé un projet de loi supprimant les droits de négociation collective pour la majorité des 175.000 employés du secteur public de l'Etat, leur interdisant de négocier les cotisations de retraite et de santé, ne leur laissant que le droit de négocier sur les salaires. En outre, conformément à la législation, les syndicats de la fonction publique auraient dû se soumettre aux votes d'authentification annuelle afin de maintenir leur droit de représenter les travailleurs pour les négociations à venir. Les pompiers, qui n'étaient pas affectés par les modifications proposées (parce que leur syndicat a appuyé Walker à l'élection de Novembre) ont montré leur solidarité avec ceux qui ont été attaqués en rejoignant les manifestations, que beaucoup disent s'être inspirées de la vague d'agitation qui balaie l'Egypte et le Moyen-Orient. De nombreux manifestants du Wisconsin arboraient fièrement des pancartes donnant au gouverneur le sinistre surnom de 'Scott Moubarak Walker', tandis que d'autres chantaient: «Si l'Egypte peut avoir une démocratie, pourquoi pas le Wisconsin? » Des manifestants en Egypte ont même montré leur solidarité avec les travailleurs du Wisconsin !
Pendant ce temps, bien que le Département d'Etat américain ait demandé à plusieurs reprises, ces dernières semaines, aux dirigeants arabes de faire preuve de retenue contre les manifestants, le gouverneur Walker a menacé de faire appel à la Garde Nationale pour réprimer si nécessaire! Certains groupes d'anciens combattants ont répondu que le travail de la Garde est d'intervenir face aux catastrophes et non de se mettre au service de l'équipe de voyous du gouverneur. La situation politique dans le Wisconsin est dite fragile, comme une menace de crise constitutionnelle. L'ensemble des 14 sénateurs d'Etat Démocrates ont déserté l'Etat, empêchant ainsi que l'Etat Républicain ait le quorum nécessaire pour passer le projet de loi du gouverneur. On dit que si on les trouve dans l'Etat, la patrouille de l'Etat les arrêtera et les ramènera au Capitole ! D'autre part, le syndicat et les dirigeants démocrates parlent ouvertement de révoquer le gouverneur et les sénateurs qui soutiennent son projet de loi. A chaque crise, la politique américaine ne cesse de ressembler de plus en plus à une bande dessinée!
La crise dans le Wisconsin a été évoquée par les médias nationaux, comme le premier véritable affrontement d'un dirigeant Républicain, soutenu par le Tea Party, qui utilise son nouveau pouvoir politique pour ordonner un programme idéologique de destruction des syndicats des employés du secteur public, que de nombreux membres du Tea Party et du Parti Républicain blâment pour la quasi faillite des gouvernements d'Etat à travers le pays. Ces républicains affirment qu'il est nécessaire d'adopter des mesures d'austérité pour équilibrer le budget de l'Etat paralysé par un énorme déficit de 137 millions de dollars. D'un autre côté, les Démocrates et leurs amis dans les syndicats font un tollé par rapport au gouverneur Républicain et à ses alliés nationaux Le Tea Party fait un bon usage politique d'un véritable dilemme financier pour alimenter son idéologie anti-syndicale. Qui a raison?
Il est vrai que, tout comme en Europe, les Etats américains sont en effet confrontés à l'insolvabilité. Alors qu'au niveau national, le gouvernement fédéral peut encore se donner une certaine souplesse (en imprimant plus de dollars), les Etats n'ont pas ce privilège et sont donc confrontés à un besoin urgent de faire adopter des mesures draconiennes d'austérité, si elles permettent d'équilibrer leurs budgets qui demeureraient financièrement viables sur les marchés obligataires. A ce niveau, le projet de loi du gouverneur Walker semble répondre à un besoin vital de la bourgeoisie de réduire les coûts de la force de travail dans l'Etat et gagner un avantage durable dans les négociations futures, en limitant la portée des futurs contrats. Cela semblerait être la mise en place d'un modèle à suivre dans d'autres Etats, dans leur lutte pour venir à bout de leur terrible situation fiscale.
Toutefois, à un niveau plus global, la bourgeoisie est aussi bien consciente du risque politique et social à lancer de lourdes attaques contre des travailleurs déjà martelés par un chômage élevé, le gel des salaires, la mise en congé et l'effondrement du marché immobilier. D'où la stratégie qui a fait ses preuves aux USA qui consiste à lancer des attaques au niveau local ou à celui des Etats, plutôt que de lancer un assaut frontal, direct et immédiat sur les programmes du droit fédéral. Pourtant, il existe le risque que la loi du gouverneur Walker aille trop loin en déstabilisant les syndicats qui agissent comme des unités de police pour contrôler la colère des travailleurs, ainsi que le Parti Démocrate lui-même, qui s'appuie sur les syndicats pour le financement d'une grande partie de sa campagne. La politique du gouverneur Walker risquerait non seulement d'émasculer les syndicats lorsque la bourgeoisie en aura le plus besoin, mais elle pourrait aussi menacer de perturber le système à deux partis dans un 'Etat bascule' vital que le président Obama a gagné en 2008.
L'année dernière, des manifestations en Californie contre les coupes budgétaires dans l'éducation et récemment, la semaine dernière, les ouvriers dans l'Ohio ont protesté contre un projet de loi qui limiterait la négociation collective pour les travailleurs de l'Etat, tout comme l'avaient fait les enseignants à Indianapolis. Lorsque le besoin de nouvelles attaques se fait sentir, la bourgeoisie a besoin d'un appareil syndical en ordre de bataille pour contenir la combativité des travailleurs et s'assurer que la lutte restera sur le terrain de la négociation sur les salaires et les allocations plutôt que de menacer l'Etat lui-même.
L'état dramatique des finances du Wisconsin n'est pas chose rare. Il doit faire face cette année à un déficit de 137 millions de dollars, et pour les deux prochaines années, ce sera la modique somme de 3,6 milliards. L'aspect le plus drastique des coupes budgétaires du gouverneur Walker c'est l'exigence que la plupart des employés d'Etat et de localités contribuent pour moitié du coût de leurs cotisations de retraite et au moins pour 12,6 pour cent de leurs primes d'assurance maladie. Cependant, tout ceci ne doit permettre à l'Etat d'enregistrer que 30 millions de dollars d'ici le mois de Juin, ce qui représente seulement 10% du déficit. Le reste du projet de loi propose d'économiser 165 millions de dollars cette année par simple refinancement de la dette de l'Etat. Ainsi, les économies les plus importantes n'ont rien à voir avec les employés du secteur public. Ceci est bien sûr réconfortant pour les travailleurs face à une augmentation écrasante des cotisations de retraite et des coûts des soins de santé. Selon une estimation, le projet équivaut à une réduction de 10% pour la moyenne des enseignants de la ville de Madison.
Etant donné que la négociation des contrats dure en moyenne 15 mois, le gouverneur a refusé de rencontrer les syndicats, a appelé à des mesures drastiques, menaçant de licenciement 1.500 travailleurs de l'Etat, si son plan n'est pas accepté. Il semble bien rester fidèle à sa réputation de partenaire agressif. Mais est-ce juste un autre cas où un Républicain tente de se placer à l'aile droite de son parti en démantelant les syndicats? Walker lui-même est très clair: «Pour nous, c'est simple. Nous sommes fauchés. Il ne s'agit pas des syndicats. Il s'agit d'équilibrer le budget. »(NY Times) Du côté syndical, David Ahrens, du UW-Madison's Carbone Cancer Center, conteste le caractère d'urgence de la situation en disant:« Ce serait plus crédible si, pour commencer, il avait seulement pris la peine de rencontrer les syndicats. »(Wisconsin State Journal)
Le président Obama a également mis son poids en faveur des syndicats avec le remboursement des 200 millions de dollars qu'ils avaient dépensés pour sa campagne électorale en Novembre et en appelant les propositions de M. Walker « une attaque contre les syndicats. » Toutefois, le Président de la Chambre, le Républicain John Boehner, de l'Ohio, a félicité M. . Walker pour « s'être attaqué aux problèmes qui se posent, qui ont été négligés pendant des années au détriment de l'emploi et de la croissance économique. » Comme on pouvait s'y attendre, la gauche est venue défendre les syndicats, comme étant la meilleure protection des travailleurs dans les moments difficiles, alors que la droite les décrit comme des anachronismes historiques qui entravent la croissance économique et tuent les emplois. Qu'est-ce que les travailleurs ont à faire de tout cela?
Il est important de comprendre le rôle clé que jouent les syndicats dans le cadre de l'appareil d'Etat. Ils sont les «pompiers sociaux", agissant comme une soupape de sécurité aux niveaux économique et politique. Ce genre de conventions collectives, d'accords sur les négociations, qui sont aujourd'hui attaqués ont été introduits par des gens comme le Président Kennedy qui ont vu leurs intérêts en termes de contrôle social offert par les syndicats, en particulier lorsque les types de 'victoires' que les syndicats ont remportées incluaient des clauses de non-grève! A la fin des années 60 et au début des années 70, ces 'concessions' étaient certainement plus abordables en termes économiques qu'elles ne le sont aujourd'hui. Quarante années de crise économique ont conduit à une grande érosion du salaire social dont bénéficiaient les 'baby-boomers' d'après-guerre. Mais, même si les syndicats sont coûteux en termes économiques, ils sont également des outils efficaces pour imposer l'austérité à la classe ouvrière. Par exemple, dans le Wisconsin les syndicats « avaient déjà négocié un accord avec l'administration précédente de 100 millions de dollars de coupes dans les prestations avec une réduction de salaire de 3% pure et simple. » On a le sentiment que la colère des syndicats à l'égard du projet du gouverneur n'est pas tant causée par les réductions pour les travailleurs qu'ils sont censés représenter, mais par la perspective de ne plus être considérés comme des partenaires de l'Etat dans la gestion de l'économie. En fait, Marty Beil, le chef du Syndicat des employés du secteur public du Wisconsin, a soutenu que le syndicat était parfaitement disposé à aller de concert avec certaines coupes, mais qu'il ne pouvait pas supporter l'insolence du gouverneur: «Nous sommes prêts à mettre en oeuvre les concessions financières proposées pour aider à équilibrer le budget de notre Etat, mais nous ne nous laisserons pas priver de notre droit, donné par Dieu, d'adhérer à un véritable syndicat ... nous ne laisserons pas, je le répète, nous ne laisserons pas nier nos droits à la négociation collective »Dans une conférence téléphonique avec les médias, elle poursuit: « Ce n'est pas une question d'argent (...) Nous comprenons la nécessité des sacrifices ». (Milwaukee Journal Sentinel)
Tous les discours sur le démantèlement des syndicats est au fond une tentative pour faire dérailler le mécontentement manifesté par les travailleurs contre les attaques sur leurs conditions de vie dans l'impasse de la défense des syndicats eux-mêmes et de la démocratie qu'ils sont censés incarner et on se trouve ainsi loin de la grève efficace pour défendre les conditions de vie et de travail. Déjà, dans le mouvement du Wisconsin, les syndicats ont été très efficaces en le désignant par l'expression 'défense de la démocratie' (d'où le lien avec l'Egypte), même si ce sont leurs alliés, les sénateurs Démocrates qui semblent, pour l'instant , avoir entravé le fonctionnement de l'appareil au gouverneur démocratique bourgeoise en s'enfuyant de l'Etat. Déjà, des militants du Tea Party ont organisé des contre-manifestations en soutien au gouverneur 'démocratiquement élu' et pour protéger 'la majorité des Wisconsinites' qui ont voté pour ses actions sévères contre les syndicats. Si votre objectif principal est de défendre la 'démocratie', il n'est pas évident de savoir quel camp vous allez soutenir!
En un sens, la chasse aux sénateurs disparus, par la police d'Etat est emblématique de la chasse plus importante que fait la bourgeoisie américaine pour trouver une solution à la crise économique. Comme cette solution s'avère plus improbable que jamais, la bourgeoisie à tous les niveaux, fédéral, étatique et local, devra avoir recours à de nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Les fonctionnaires employés-civils, pompiers, travailleurs de la voirie et surtout les enseignants, seront sur la ligne de front de cette agression. Ce n'est pas un accident, ni tout simplement un penchant idéologique de la droite, si le Tea Party et les Républicains ont mis les employés du secteur public dans leur ligne de mire. C'est le projet de loi contre leurs salaires et leurs allocations qui aura l'impact le plus immédiat sur la solvabilité financière de l'Etat.
En outre, les attaques contre les employés du secteur public n'ont pas été limitées aux Etats régis par des Républicains. A New York, le gouverneur démocrate Cuomo a proféré une menace de près de 10.000 licenciements si les négociations avec les syndicats stagnent, alors que le démocrate Jerry Brown en Californie, a parlé de la nécessité de coupes douloureuses pour résoudre ces perpétuels problèmes budgétaires. Au niveau fédéral, le président Obama lui-même a gelé les salaires des fonctionnaires fédéraux et sa commission budgétaire a menacé de licencier 10 pour cent de l'effectif fédéral! Néanmoins, le zèle avec lequel des Tea Party Républicains comme Walker ont effectué leur croisade contre les fondements même des syndicats (par opposition aux travailleurs qu'ils sont censés représenter) peut avoir l'effet inverse si elle est menée à son terme. La bourgeoisie va avoir inévitablement besoin de faire appel aux syndicats si la lutte de classes continue à s'embraser. La tentative d'un gouverneur Républicain néophyte de faire disparaître les syndicats de son Etat est encore un autre exemple des difficultés de la bourgeoisie nationale US pour contrôler son appareil politique, en tant que conséquence de la décomposition sociale qui s'aggrave chaque jour, dans ce système.
Internationalism
Début mars, la bourgeoisie française nous propose un remake de sa grande peur de la “peste brune”. Des sondages mettant en scène des deuxièmes tours des présidentielles de 2012 avec Marine Le Pen face à différents candidats potentiels, de gauche comme de droite, placent la candidate du FN en tête dans la grande majorité des cas. Cette fois, ce n’est plus le 21 avril (1), c’est encore pire : une catastrophe, la fin de la démocratie, la dictature, le fascisme, les pogroms, les ratonnades et bien d’autres horreurs, qui attendent les français s’ils ne se ressaisissent pas !
Coup monté de l’UMP ? Vrai sondage ? Les deux ? Finalement, cela ne change pas grand chose à la situation. On sait que l’extrême-droite reçoit un écho grandissant dans l’opinion, le reste n’est qu’affaire de stratégie et d’exploitation médiatique pour les intérêts des uns et des autres. Cela dit, cela pose à nouveau la question : Marine Le Pen va-t-elle accéder au pouvoir ? Beaucoup d’observateurs bourgeois ne cèdent pas à la panique et estiment que ce qui s’est passé en 2002 (2) se passera encore en 2012 s’il le faut. Même si ceux qui sont allés voter Chirac une pince à linge sur le nez à l’époque, auraient encore plus de mal à déposer un bulletin “Sarkozy” dans l’urne, la défense de la démocratie saurait sans aucun doute leur dicter ce sacrifice ultime de ce qu’il leur reste d’amour propre.
Pour autant, la bourgeoisie ne se veut pas rassurante : même si le FN n’accédera vraisemblablement pas au pouvoir, ses idées, elles, pourront sans problème franchir les portes de l’Elysée. Car face à cette menace, ce sont les partis “de gouvernement”, ceux qui ont vocation à exercer le pouvoir, qui réagissent en adoptant les idées populistes de l’extrême-droite. Pour en rajouter et enfoncer le clou, on rappelle la sortie de Brice Hortefeux sur les maghrébins (ou les auvergnats, selon les versions !) et on rediffuse à en vomir les propos de son successeur, Claude Guéant, estimant légitime de ne plus se sentir “chez soi” face à tous ces “étrangers”.
C’est donc entendu : le barrage démocratique bloquera Marine Le Pen, mais pas ses idées ! Pendant que l’on ferme la porte, les idées fascistes pénètrent la République par la fenêtre !
Sommes-nous donc à la veille d’un régime fasciste ? Après tout, la question peut être posée : cela fait au moins dix ans que le danger guette. Il y a évidemment l’épisode de 2002 en France, mais pas seulement.
En Italie, le gouvernement Berlusconi bénéficie de l’alliance et du soutien des deux formations d’extrême-droite qui ont déjà été ses partenaires gouvernementaux entre 1995 et 1997 : la Ligue lombarde d’Umberto Bossi et l’Alliance Nationale (ex-MSI) de Gianfranco Fini. En Autriche, l’accession de Jörg Haider au pouvoir en 1999 (en coalition avec le parti conservateur) avait fait naître une véritable angoisse en Europe. De même pour l’éclosion ultra-rapide du parti de Pym Fortuyn aux Pays-Bas qui fit son entrée au parlement en 2002.
Depuis que la question est posée, nous apportons toujours la même réponse : non, mille fois non, le danger fasciste n’existe pas aujourd’hui en Europe. Nous sommes certes face à une crise économique mondiale effroyable et à une montée du populisme qui ne sont pas sans rappeler celles des années 1930, qui ont donné naissance au fascisme et au nazisme. Mais la comparaison s’arrête là car il y a plus de différences que de points communs entre la période d’aujourd’hui et celle des années 1930. Il s’agit même de situations radicalement opposées.
Dans les années 1920 et 1930, l’accession au pouvoir des régimes fascistes a été favorisée et soutenue par de larges fractions nationales de la classe dominante, en particulier par les grands groupes industriels. En Allemagne, de Krupp à Siemens en passant par Thyssen, Messerschmitt, IG Farben, regroupés en cartels (Konzerns) qui fusionnent capital financier et industriel, celles-ci contrôlent les secteurs clés de l’économie de guerre, développée par les nazis : le charbon, la sidérurgie, la métallurgie.
En Italie, les fascistes sont également subventionnés par les grands patrons italiens de l’industrie d’armement et de fournitures de guerre (Fiat, Ansaldo, Edison) puis par l’ensemble des milieux industriels et financiers centralisés au sein de la Confinindustria ou de l’Association bancaire. Face à la crise, l’émergence des régimes fascistes a correspondu aux besoins du capitalisme, en particulier dans les pays vaincus et lésés par l’issue du premier conflit mondial, contraints pour survivre de se lancer dans la préparation d’une nouvelle guerre mondiale pour redistribuer les parts du gâteau impérialiste.
Pour cela, il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l’Etat, accélérer la mise en place de l’économie de guerre, de la militarisation du travail et faire taire toutes les dissensions internes à la bourgeoisie. Les régimes fascistes ont été directement la réponse à cette exigence du capital national. Ils n’ont été, au même titre que le stalinisme, qu’une des expressions les plus brutales de la tendance générale vers le capitalisme d’Etat. Loin d’être la manifestation d’une petite bourgeoisie dépossédée et aigrie par la crise, même si cette dernière lui a largement servi de masse de manoeuvre, le fascisme était une expression des besoins de la bourgeoisie dans certains pays et à un moment historique déterminé.
Aujourd’hui, au contraire, les “programmes économiques” des partis populistes sont soit inexistants, soit inapplicables, du point de vue des intérêts de la bourgeoisie. Ils ne sont ni sérieux, ni crédibles. Leur mise en œuvre impliquerait une totale incapacité à soutenir la concurrence économique sur le marché mondial face aux autres capitaux nationaux. La mise en application des programmes des partis d’extrême-droite signifierait une catastrophe économique assurée pour la bourgeoisie nationale. De telles propositions rétrogrades et fantaisistes ne peuvent qu’être rejetées avec mépris par tous les secteurs responsables de l’économie nationale.
L’autre condition majeure et indispensable pour l’instauration du fascisme, c’est la défaite physique et politique préalable du prolétariat. Au même titre que le stalinisme, le fascisme est une expression de la contre-révolution dans des conditions historiques déterminées. Il a été permis par l’écrasement et la répression directe de la vague révolutionnaire de 1917-1923. C’est l’écrasement sanglant en 1919 et 1923 de la révolution allemande, c’est l’assassinat des révolutionnaires comme Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, par la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie, la social-démocratie, qui a permis l’avènement du nazisme. C’est la répression de la classe ouvrière après l’échec du mouvement des occupations d’usines à l’automne 1920 par les forces démocratiques du gouvernement Nitti qui a ouvert la voie au fascisme italien. Jamais la bourgeoisie n’a pu imposer le fascisme avant que les forces “démocratiques”, et surtout celles de gauche, ne se soient chargées de défaire le prolétariat, là où ce dernier avait constitué la menace la plus forte et la plus directe contre le système capitaliste.
C’est précisément cette défaite de la classe ouvrière qui avait ouvert un cours vers la guerre mondiale. Le fascisme a été avant tout une forme d’embrigadement de la classe ouvrière dans la guerre pour un des deux blocs impérialistes, au même titre que l’antifascisme dans les pays dits “démocratiques” dans l’autre camp (voir notre brochure Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital).
Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La classe ouvrière reste dans une dynamique d’affrontements de classe ouverte depuis la fin des années 1960. Elle n’est pas dans un cours contre-révolutionnaire. L’accroissement des combats de classe, l’émergence d’une réflexion profonde sur les raisons de la crise et la meilleure façon de résister, le développement de la solidarité dans la lutte, sont autant de preuves que la bourgeoisie n’est pas parvenue à embrigader massivement le prolétariat des pays centraux du capitalisme derrière la défense du capital national vers la guerre ni à l’entraîner dans un soutien aveugle aux incessantes croisades impérialistes.
Un dérapage incontrôlé est-il cependant possible ? Peut-on penser que la bourgeoisie garde la maîtrise de son processus électoral quand on voit, notamment en France, tout ce qu’elle a été incapable d’empêcher (3) ?
Il est certain que la bourgeoisie française n’est pas la championne du monde, dans beaucoup de domaines. Cependant, la victoire d’un parti d’extrême-droite est tellement contraire à tous les intérêts, du plus particulier au plus général, de la bourgeoisie, qu’elle ne peut être envisagée. Ainsi, pour accéder au pouvoir, les partis “populistes” actuels doivent renier leur programme, abandonner une partie de leurs oripeaux idéologiques et se reconvertir en aile droite libérale et pro-européenne. Par exemple, le MSI de Fini en Italie en 1995 a rompu avec l’idéologie fasciste pour adopter un credo libéral et pro-européen. De même, le FPÖ d’Haider en Autriche a dû s’aligner sur un “programme responsable et modéré” pour pouvoir exercer des responsabilités gouvernementales. Et de fait, la “vague brune” qu’il symbolisait n’a pas envahi l’Europe. Elle n’a même pas envahi l’Autriche !
Par ailleurs, l’expérience du 21 avril 2002 montre la capacité de la bourgeoisie à “mettre le paquet” quand elle s’embourbe dans ses difficultés, pour retourner celles-ci à son avantage contre la classe ouvrière. Rarement un deuxième tour aura connu un tel engouement, une telle mobilisation ! Jamais il n’aura été aussi difficile de dire “je n’irai pas voter dimanche” !
Et justement, le principal danger qui menace aujourd’hui la classe ouvrière n’est pas le fascisme, mais la pression démocratique, le chantage, la culpabilisation qui est exercée sur le prolétariat alors même qu’il se pose de plus en plus de questions sur les raisons de la situation dramatique dans laquelle il se débat chaque jour.
Bien sûr, Marine Le Pen récolte des soutiens et des adhésions en surfant sur le populisme et ses grands classiques que sont la xénophobie et le “tous pourris”. Mais ce n’est pas la seule ! Dans sa région de prédilection, l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais, abandonné dans une misère indicible, elle n’a pas eu de mal à entrer dans un conseil municipal (4), face à un maire PS pourri jusqu’à l’os, architecte d’un grand réseau d’influence et de corruption (5). Elle n’avait pas besoin de beaucoup d’imagination pour dénoncer la misère, dans une zone particulièrement sinistrée, où des familles s’entassent parfois dans des corons sans eau ni électricité, où le sol est même encore en terre battue. Elle pouvait aussi sans difficulté dénoncer le pouvoir de l’argent et des riches qui emploient “des étrangers au lieu de faire travailler les français”. Ce discours-là n’est pas nouveau autour des carreaux en friche. Le PCF en use depuis longtemps, et reste toujours bien implanté grâce à l’entretien minutieux de ce verbiage stalinien qui n’a pas varié d’une once depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale (et son célèbre “Produisons français, consommons français”!). Là-bas, entre un meeting du FN et un autre du PCF, il faut être bien attentif pour déceler la différence !
Et pourtant, le PCF reste un parti “respectable”, à l’inverse du FN, qu’il faut abattre. Tout cela démontre le caractère essentiellement idéologique des campagnes contre l’extrême-droite. Le populisme touche toutes les composantes politiques de la bourgeoisie et il n’est pas surprenant que les fractions les plus minoritaires en fassent l’axe central de leur discours. Mais au final, pas une tête bourgeoise ne manque quand il faut lancer l’appel aux urnes, à la “conscience citoyenne”, à la “responsabilité” et au “devoir” de l’électeur. Par là, la classe dominante démontre que, quelle que soit sa crainte de ne pas pouvoir contenir la montée du FN, cette peur ne sera jamais aussi importante que celle de voir son ennemi historique, la classe ouvrière, démonter ses mensonges un à un et prendre toujours plus conscience de la responsabilité de toute la bourgeoisie dans la situation catastrophique où est plongée l’humanité.
GD (21 mars)
1) Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen, candidat d’extrême-droite, obtient le deuxième score au premier tour des présidentielles, devancé par Jacques Chirac (RPR, droite) mais devant Lionel Jospin (PS, gauche). Depuis, cette date symbolise pour beaucoup en France le danger fasciste devenu réalité.
2) Entre les deux tours, des manifestations sont organisées partout en France : le 1er mai, près de 2 millions de personnes défilent dans les rues d’une centaine de villes. Le 5 mai, lors du deuxième tour, le taux de participation approche les 80 % et Jacques Chirac est élu avec plus de 82 % des voix.
3) Déjà en 1981, nous avions analysé l’élection de Mitterrand comme un résultat non souhaité pour la bourgeoisie qui, face à la crise et aux attaques que le gouvernement devait porter à la classe ouvrière, avait tout intérêt à garder son appareil de gauche dans l’opposition. Depuis, trois cohabitations ont notamment montré les difficultés de la bourgeoisie française dans l’exercice électoral, en comparaison par exemple avec la maîtrise longtemps infaillible de la bourgeoisie anglaise.
4) Marine le Pen a été élue au conseil municipal d’Hénin-Beaumont en 2008 puis en 2009 après la révocation du maire. Sous le coup d’un cumul de mandat, elle en a démissionné en février 2011. Hénin-Beaumont est une commune de l’ex-bassin minier, elle compte 25 000 habitants et un taux de chômage officiel de 19,4 %.
5) Gérard Dalongeville est maire (PS) de 2001 à 2009. La ville est placée sous contrôle budgétaire à partir de 2002. En 2009, plusieurs élus sont mis en examen. Gérard Dalongeville est en prison (détention provisoire) de façon quasi-ininterrompue depuis 2009.
Vignette illustrant ce qu'est l'argent selon le manga "Karl Marx - Le Capital", éd Soleil Manga – Demopolis.
De curiosité destinée à la jeunesse des années 1980 fan de « Goldorak » et autres « Dragonball Z », le manga est devenu un véritable phénomène culturel. A tel point que toute une génération et la suivante en ont fait leurs lectures préférées et des signes de ralliement sociaux, au grand dam de nombreux parents et enseignants désespérant de voir cette « génération manga » ouvrir un jour un "vrai" livre sans images ! La simplicité du dessin, celle des textes (réduits le plus souvent à des onomatopées), le tout lu de droite à gauche pour ajouter au charme de l’exotisme, ont fait l’universalité des mangas, dans une période de désocialisation et d’abaissement généralisés de l’alphabétisation, alliée à la perte de goût pour la lecture qui gagne toutes les couches de la société. Yusuke Maruo dirige chez l'éditeur East Press la collection « Tout lire en bande dessinée », spécialisée dans la reprise de grandes oeuvres (Dante, Machiavel, Dostoïevski, Kafka, Bouddha, etc.) comme de textes au lourd passé tel que « Mein Kampf » d'Hitler. Outre la fiction, la violence ou la pornographie auxquelles, hors de l'archipel japonaise, on réduit trop souvent le manga, le genre permet de diffuser une masse d'informations et de connaissances.
Surfant sur l’inquiétude et les réflexions grandissantes générées dans la classe ouvrière, et dans sa jeunesse, par la crise de 2007, cet éditeur a réussi le tour de force de faire un manga de cette œuvre majeure de Karl Marx et de Friedrich Engels qu’est Le Capital . Vingt ans et plus de recherches et d’écriture, quatre livres divisés chacun en plusieurs volumes, plus de 3000 pages, se trouvent condensés en deux volumes de dessins faisant 190 pages.
Ce n’est pas un hasard si cette publication apparaît au Japon d’abord. D’abord car c’est la terre natale du manga. Mais aussi parce que le Parti communiste japonais a dépassé les 400 000 adhérents en 2008 et qu'il en gagne 1000 par mois depuis, avec un élan de syndicalisation grandissant chez les jeunes Japonais. La formule a largement fait florès au Japon, où ce manga s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires depuis sa parution.
Un tel engouement pour ces « vieux » Marx et Engels, voués régulièrement aux gémonies, régulièrement dénoncés comme les annonciateurs du futur stalinisme par nombre de philosophes et autres « théoriciens » socio-politiques, n’est pas anodin. Il est d’abord directement issu de la crise des subprimes de 2007 et de l’incapacité de la bourgeoisie et de ses économistes à donner une explication satisfaisante de cet évènement qui a jeté des dizaines de millions de personnes à la rue et dans la misère, partout dans le monde. On nous a répété qu’au fond, c’était la faute à « pas de chance », mais que la production allait repartir. Ce qui n’est pas le cas. Aussi, il existe une quête profonde dans l’ensemble de la classe ouvrière mondiale et dans sa jeune génération à essayer de comprendre et à se donner des perspectives en-dehors de ce système d’exploitation qui montre chaque jour son incapacité à satisfaire les besoins humains les plus élémentaires. Ce manga sur Le Capital s’efforce de répondre à ce besoin. Un éditeur français, « Soleil Manga », s’en est même emparé avec l’édition de 50 000 exemplaires, ce qui pourrait paraître d’autant plus étonnant que le fondateur de cette édition est aussi propriétaire du Racing Club de Toulon, milieu du sport qui ne milite pas en général pour l’émancipation politique des masses. C’est parce que l’intérêt pour Marx et le marxisme n’est pas question d’élévation de la conscience collective pour un patron quel qu’il soit, eut-il l’âme « socialiste », mais parce que c’est un marché. Comme l’était dans les années 1960 et 1970 le marché des œuvres de Mao, de Staline, mais aussi de Marx et d’Engels, pour nombre d’éditeurs maoïstes comme les éditions Maspéro1 ou de libraires trotskistes comme la Fnac2.
Pour ce qui est du manga, le résultat est assez étonnant. Contre toutes les méchantes attentes des vieilles barbes prévoyant une vulgarisation pitoyable et fausse du Capital, le résultat, malgré quelques notes surprenantes comme Marx présenté sous la forme d’une sorte d’archange venu prêcher depuis le ciel, ou encore Engels appelant Marx « Monsieur », est assez étonnant de justesse.3
Dans le Tome 1, le lecteur suit l’aventure de Robin, jeune fromager fils d’artisan, qui quitte l’entreprise familiale pour fonder une usine de fromage grâce aux subsides d’un jeune loup financier plein aux as qui lui prête l’argent nécessaire à la fondation de son entreprise. En pleine révolution industrielle, ce qui n’est pas dit dans le manga car il s’agit du 19e siècle, le jeune fromager passe donc d’une fabrique artisanale et familiale à une petite usine aux grandes ambitions. Robin découvre les responsabilités et les tracas d'un jeune patron, la nécessité de composer entre la qualité du produit, les délais de fabrication, la masse salariale. Il doit faire face à son investisseur qui le pousse à toujours plus exploiter ses ouvriers, afin de produire toujours plus et à moindre coût, donc à augmenter les cadences et travailler plus longtemps. Se greffe sur cette trame le « surveillant » (traduire « contremaître ») de l’usine, brute débile qui matraque les ouvriers et que Robin tente de calmer dans un premier temps avant de se résigner à le laisser cogner car c’est de ce garde-chiourme que dépend la productivité. Harangués par l’un d’entre eux qui prend conscience que les patrons tirent leur profit de la partie de leurs salaires non payée, les ouvriers esquissent une vague révolte (durant trois/quatre pages) qui est matée par la police et tout rentre vite fait dans le rang. Ce que l'on en retient, en laissant de côté l’aspect plutôt moralisateur et manichéen de l’ouvrage, c’est que le capitalisme est en effet inhumain car il réduit des individus de façon massive à la misère et qu’il exploite leur force de travail comme aucun système ne l'avait jamais fait auparavant.
L’exemple mis en exergue d’un petit patron comme Robin montre aussi que ce n’est pas parce qu’il est un salaud (il veut seulement devenir riche) qu’il est un exploiteur mais parce que c’est la logique du système capitaliste. Et s’il ne suit pas cette loi, il se fait écraser par la concurrence et n’a plus pour perspective que de mettre la clé sous la porte avec les dettes à payer pour sa faillite. En revanche, les "salauds" sont les investisseurs et, on le verra dans le 2e tome, le banquier. Mais ça, c’est pour la galerie « actuelle ».
Le Tome 2, plus théorique, voit Friedrich Engels s’adresser directement au lecteur dans une sorte de cours magistral illustré. Au moyen d’exemples vivants, y sont expliquées la « valeur d’usage », la « valeur d’échange », la « valeur étalon » (l’argent) et la « plus-value » qui « s’obtient grâce au travail du prolétariat », puis la surproduction et enfin les crises capitalistes. Il s’agit là d’une vulgarisation du langage économique qui est expliquée de manière assez claire et simple mais sans être trop réductrice, avec pour support pédagogique des situations compréhensibles et qui ne sont pas falsificatrices de la pensée marxiste.
Dans cette deuxième partie est assez bien vu et résumé le processus qui mène à la crise. La compétition entre patrons entraîne l’achat de matériels comme des machines plus modernes qui coûtent plus cher et contraignent à exiger plus de productivité de la part des ouvriers et une baisse de leurs salaires en termes réels. D’autre part, la compétition entre capitalistes pousse à la surproduction et à la saturation des marchés. Le tout provoque la crise économique avec la fermeture des usines et le licenciement des ouvriers et la mise au tapis d’un certain nombre de capitalistes. C’est cette logique implacable selon laquelle le capitalisme ne peut mener qu’à la crise qui est clairement affirmée : « Le but du jeu pour les capitalistes est d’arriver à profiter au maximum des travailleurs pour générer le plus de profits possible ! Et pour réussir à dépasser la concurrence, ils produisent toujours plus de nouvelles machines (…) Mais c’est à cet instant précis que le capitalisme montre son visage contradictoire [car] les machines représentent un capital constant qui n’engendre pas de valeur ajoutée » et donc fait baisser « le taux de profit [et la] rentabilité », alimentant d’autant plus la concurrence et la compétition sur toute la planète et avec elles les crises.
Ce 2e tome s’achève sur un appel de Marx, qui monte au ciel en compagnie d’Engels avec une auréole sur la tête (!!!) : « l’ombre néfaste du capitalisme recouvre la planète entière. Cette ombre provoque des effets dévastateurs (…) Pour les capitalistes, tout se vend, tout s’achète, tout est bon pour faire du profit. (…) Laissez donc parler ceux qui ne voient pas la réalité en face ! Mais vous, prenez le chemin de la justice ! Remettez en cause le capitalisme ! »
Ce ne sont donc pas quelques exploiteurs avides qui sont désignés, mais le système lui-même dans son entièreté qui mène à la catastrophe permanente.
Cependant, manque à cet appel la réelle perspective révolutionnaire qui ne peut réellement prendre corps qu’avec la conscience que les crises finissent par mener à la faillite générale du système capitaliste et avec la conscience de l’alternative marxiste « Socialisme ou barbarie ». Cette dernière est non seulement absente mais le manga, par la bouche de Marx, présente les crises comme une cure de jouvence dure mais utile : « Il est indéniable que dans les sociétés capitalistes… les paniques et les crises économiques sont monnaie courante… mais n’allez pas blâmer les crises ! En effet, ce sont elles qui vont rétablir l’équilibre entre l’offre et la véritable demande. Mais après quels dégâts ? » Au bout du compte, le capitalisme auto-régule en quelque sorte ses crises et de façon infinie. Ceci a une implication fondamentale : que la révolte contre ce système ne peut pas être une révolution mais jamais qu’une réaction contre l’injustice, contre l’exploitation, etc., une sorte de volonté morale « d’assainissement » ou de « réforme » sans réelle perspective de dépassement et d'abolition du capitalisme. Or, depuis bientôt un siècle, ce système est en décadence et montre tous les jours des expressions de sa faillite généralisée, à travers les crises, mais aussi à travers les catastrophes en série et tous les aspects de la vie quotidienne qui vont en s’aggravant de façon accélérée, même dans les pays « riches ».4
On pourrait difficilement reprocher ce manque à cette édition, qui a fait par ailleurs un énorme travail. En revanche, et pour la bonne bouche, il y a la préface de l’édition française, signée… Olivier Besancenot. Cool, tutoyant d’emblée le lecteur, dans l’ensemble de bonne facture, de toute évidence au fait du Capital, on peut même y lire : « Ainsi, le système capitaliste produit plus, sans plus parvenir à vendre sa production. C’est la marque des crises de surproduction, telles que nous les connaissons aujourd’hui. » Quelle lucidité ! Besancenot se revendique même de Marx : « Marx est le fondateur de la première association internationale des travailleurs dont le but était de renverser le capitalisme et d’établir le socialisme. » Et c’est là que le bât blesse. Car le NPA, dont le leader se revendique de la nécessité de la révolution sur la base d’une compréhension marxiste des lois du capitalisme « dont les crises à répétition désagrègent toujours la société plus de 140 ans après sa parution (du Capital) », et en accord avec ce manga qu’il ne s’agit pas de « méchanceté » ou de « cupidité » en soi des patrons, ne cesse de rabâcher qu’il faut « réformer » ce système ; qu’il faut un « capitalisme à visage humain », « plus juste », qu’il faut pour cela « nationaliser », rendre l'Etat plus social… Bref, c’est ce qui s’appelle avoir deux discours, celui du racoleur de foire qui dit qu’il vous en vend deux pour le prix d’un et vous en prend en définitive le double : à l’instar du capitaliste qui prétend payer le salaire à juste valeur et qui en tire en catimini la plus-value nécessaire à sa survie.
Mulan (24 février)
1Où le cassage de gueule était la coutume pour ceux qui volaient un « Petit Livre Rouge » dans les rayons… pour le « respect » de la pensée de Mao.
2 Ce sont les nervis trotskistes qui faisaient là leur office de tabasseurs de voleurs de livres. Vous savez, la Fnac « Agitateur de curiosités »...
3 Il a d’ailleurs la qualité de pouvoir être lu de gauche à droite, contrairement à la « coutume », ce qui n’est pas négligeable pour toucher un plus large public, et rassembler éventuellement les différentes générations.
4 C’est d’ailleurs une des faiblesses de ce manga de faire apparaître en message plus que subliminal la distinction entre pays pauvres exploités et pays peuplés de « nantis ».
Après les tueries à « petit feu » qui ont commencé dès le lendemain de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, place maintenant aux massacres de masse et à ciel ouvert. Selon diverses sources (tel le porte- parole d’Ouattara sur RFI), on compte déjà plus de mille morts, des dizaines de milliers de blessés et des centaines de milliers de réfugiés, dont 300 000 qui ont fui les quartiers d’Abidjan. Les combats se déroulent dans la plupart des quartiers de cette ville, notamment Abobo. La population y est prise en tenaille par le feu des assassins des deux camps qui n’hésitent pas à marcher sur les cadavres de leurs victimes, notamment femmes et enfants. Bref, ce ne sont plus seulement des assassinats ciblés et des assauts ponctuels des escadrons de la mort, ce sont aussi les chars, les hélicoptères et autres armes lourdes qui entrent désormais dans cette danse macabre. D’ores et déjà, la guerre va d’Abidjan à Yamoussoukro (capitale politique) et s’étend jusqu’aux frontières libériennes où ces chiens assoiffés de sang règlent leurs comptes. On sait par ailleurs que ceux qui échappent à la mort se heurtent inévitablement à la misère due à l’état de guerre avec son lot de disette, de chômage de masse et d’insécurité permanente.
« Ici, une femme, « une ménagère, une maman », comme la Côte d’Ivoire appelle ses mères de famille avec respect et tendresse, a eu la tête emportée par le tir d’un soldat sur la chaussée d’Abobo, le quartier insurgé d’Abidjan. Autour, peut-être six, sept ou huit autres femmes ont été fauchées par les rafales tirées depuis un blindé des forces de défense (FDS) loyales à Laurent Gbagbo qui venait, selon la foule, d’un camp voisin de la Garde républicaine, appuyé par des hommes de la Brigade anti-émeute (BAE). Des colonnes infernales traversent les zones désormais hostiles, suivies d’ambulances ou de corbillards pour faire disparaître les corps.(…) Jeudi 3 mars, la marche des femmes qui pensaient pouvoir manifester pacifiquement à l’égyptienne ou à la tunisienne avec des pancartes « Gbagbo dégage ! » ne s’est pas soldée par le début de la « révolution » à laquelle a appelé Guillaume Soro, ex-chef de la rébellion devenu le premier ministre d’Alassane Ouattara, président reconnu par la communauté internationale. Les FDS ont tiré sur les femmes, y compris à la mitrailleuse lourde, avec des balles capables d’arracher têtes et membres. Sept morts (Le Monde, 10 mars 2011) ».
Et le carnage s’est reproduit le 8 mars (au cours d'une autre marche à l'occasion de la « journée internationale de la femme »). Au bout du compte, on voit ici l’extrême barbarie dans laquelle excellent les forces loyales au criminel Gbagbo, mais il ne faudrait pas ignorer pour autant la responsabilité non moins criminelle du camp Ouattara qui a sciemment envoyé ces femmes se faire massacrer sans aucune protection. C’est bien Soro, le bras droit d’Ouattara, qui a profité des circonstances, des révoltes dans le monde arabe, pour pousser les femmes vers cet abattoir sous prétexte de déclencher la « révolution » contre le pouvoir de Gbagbo. Ce procédé proprement monstrueux consiste à manipuler les civils et les femmes dans le seul but de satisfaire leurs ambitions criminelles. Mais les deux camps charognards ne s’arrêtent pas là, ils enrôlent les populations dans l’horreur absolue :
« L’impensable se produit : chacun son camp, malheur aux neutres. Il y a de plus en plus de civils en armes. De plus en plus de situations où des innocents se font tuer, brûler vifs, blesser, martyriser, dans les deux camps. La Côte d’Ivoire court à sa perte et ce n’est pas la réunion organisée par l’Union africaine, jeudi, à Addis-Abeba, pour communiquer ses solution « contraignantes » aux deux rivaux de la présidentielle de novembre 2010, qui suscite de grands espoirs … Parallèlement, la gamme des violences se diversifie. Trois mosquées ont été brûlées les jours derniers. Des groupes de miliciens ont aussi saccagé les résidences à Abidjan de responsables de RHDP d’Alassane Ouattara, qui vivent reclus à l’Hôtel du Golf, ou qui sont sortis discrètement du pays. Dix-huit maisons sont pillées sur fond de peur grandissante de voir une prochaine vague d’exactions toucher ceux que leurs voisins suspectent d’être pro-Ouattara. Inversement, les habitants d’Anokoua, un quartier d’Abobo peuplé par l’ethnie Ebrié, supposée appartenir au camp Gbagbo, a été attaqué l’avant-veille. Trois morts, dont une femme brûlée dans sa maison, de nombreux blessés. Aux miliciens Ebrié, on a distribué des armes. La spirale de violence, si elle n’est pas interrompue, va tout embraser (Le Monde, ibid.) ».
Voilà l’enfer que vivent au quotidien les populations, malheureusement sans espoir d’en sortir pour eux car, au vu de la protection dont bénéficient les tueurs, le plus probable est que le pays entier va finir par s’embraser.
Pour soutenir Alassane Ouattara désigné vainqueur (par eux) à l’issue du deuxième tour de la présidentielle de novembre dernier, les Etats-Unis et l’Union européenne avaient annoncé une série de « sanctions » à caractère économique et diplomatique contre le clan Gbagbo pour contraindre celui-ci à céder le pouvoir à son rival. Mais 3 mois après, Laurent Gbagbo est toujours là et se moque ouvertement des « sanctions » car il sait que ceux qui les ont décidées tiennent par ailleurs un double langage et ne sont unis sur rien, au contraire ils se battent âprement en coulisses pour défendre leurs intérêts respectifs.
Face à la volonté de « bloquer » le cacao ivoirien, Gbagbo réfléchit désormais à une réorganisation de la commercialisation de cette matière première, y compris en remettant en cause la « toute puissance des groupes occidentaux » et en recherchant de nouveaux débouchés. Son entourage plastronne : « Gbagbo a payé les salaires de février, il payera ceux de mars et d’avril. (…) L’étau de réprobation internationale envers son régime demeure, mais Laurent Gbagbo n’a pas renoncé à le desserrer. Il espère profiter des désaccords apparus au sein de la communauté internationale et veut croire que le temps joue pour lui. Les pharmacies commencent à souffrir de pénuries de médicaments, en raison d’un embargo maritime qui ne dit pas son nom. Mais des hommes d’affaires européens continuent à solliciter des audiences, même si Gbagbo ne les reçoit qu’après avoir éconduit les caméras indiscrètes » (Jeune Afrique, 6/12 mars 2011).
Et le cas de la France est particulièrement édifiant en la matière. En effet, il se trouve que d’un côté, Monsieur Sarkozy a annoncé publiquement une série de mesures pour soi-disant sanctionner le gouvernement Gbagbo, y compris à travers la menace d'un boycott économique alors que de l’autre, il s’est bien gardé d’inciter les grandes sociétés françaises sur place (Bouygues, Bolloré, Total, etc.) à quitter le pays. Au contraire, tous ces groupes continuent de « faire affaires » avec le régime Gbagbo en atténuant ou en contournant ainsi les dites « sanctions économiques ». Une fois de plus, on voit là le caractère odieusement hypocrite de la « politique africaine » de la France en Côte d’Ivoire. En réalité, l’impérialisme français se soucie avant tout de ses capitaux et ne s’est jamais préoccupé du sort des populations, premières victimes de cette boucherie, d’ailleurs ses chiens de l’opération militaire « Licorne » sont sur les dents et, comme en 2004, seront lâchés dès que les intérêts français sur place seront menacés. En clair, dans cette affaire de « sanctions », aucun gangster ne veut laisser des « plumes » au profit de ses concurrents.
A chaque grande explosion de violence en Côte d’Ivoire depuis le début du sanglant processus électoral de fin 2010, le Conseil de sécurité de l’ONU se dépêche de se réunir pour prendre des « résolutions », mais jamais dans le sens de faire arrêter les massacres, au contraire car chacun de ses membres soutient plus ou moins ouvertement l’un ou l’autre camp armé en place. Cela montre clairement le comportement sordide de ces messieurs du Conseil de sécurité de l’ONU, d’autant plus cynique que leurs 11 000 soldats de « paix » sur le sol ivoirien ne font rien d’autre que du « recensement » des victimes et pire encore : ils couvrent de fait les groupes armés qui, même entourés des Casques bleus, bombardent et tirent tranquillement sur les populations.
Donc, non seulement les responsables de l’ONU restent scandaleusement indifférents aux souffrances des victimes de la guerre, mais depuis quelque temps ils ont instauré un black-out sur les tueries.
Là encore, soulignons un énième « numéro » du président français qui, à l’adresse du monde entier, avait lancé un ultimatum à Gbagbo lui intimant « l’ordre » de quitter le pouvoir avant fin 2010. Depuis lors ? Rien… Il observe scrupuleusement un silence total sur les horreurs qui se déroulent devant ses services et ses « soldats de paix » sur place.
Quant à l’Union africaine, elle adopte une attitude aussi ignoble que l’ONU. En effet, prise à la gorge par les partisans respectifs des bouchers qui se disputent le pouvoir ivoirien, elle laisse à ses membres le soin de soutenir et d’armer l’une ou l’autre clique sanguinaire en lutte (à l’instar de l’Afrique du Sud et de l’Angola pour Gbagbo, du Burkina Faso et compagnie pour Ouattara). Pour masquer cette réalité, elle fait semblant de « réconcilier » les belligérants en créant commission sur commission, dont la dernière (réunie à Addis-Abeba le 10 mars 2011) n’a rien trouvé de mieux à faire que de nommer un énième « haut représentant chargé de la mise en œuvre de solutions contraignantes en liaison avec un comité de suivi, où siègent des représentants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l‘Ouest et des Nations unes » ».
Derrière ce jargon de diplomates,quel cynisme de tous ces gangsters impérialistes ! Tous ces « réconciliateurs » ne sont rien d’autre que les véritables bourreaux des populations ivoiriennes prises dans un étau.
Amina (17 mars)
Les grèves, les luttes et les manifestations continuent en Afrique du Nord ! Des soulèvements de populations opprimées, d’étudiants, des manifestations ouvrières ont gagné de nombreux autres pays du continent africain, du Proche et du Moyen-Orient. Pourtant, les guerres entre fractions bourgeoises nationalistes et les politiques impérialistes des différents pays impliqués dans toutes ces régions pèsent d’un poids très lourd sur toutes ces luttes. Un danger mortel guette les couches opprimées et la classe ouvrière de tous ces pays. Au piège démocratique et nationaliste fait écho une répression de plus en plus généralisée et féroce, la mitraille pour les uns, les obus et les bombes pour les autres. Mais le besoin de se nourrir, de vivre dignement, d’avoir un avenir pousse malgré tout nos frères de classe à ne pas se résigner. Que peut et que doit faire la classe ouvrière en France, en Allemagne, en Angleterre et dans tous les pays du cœur du capitalisme mondial devant une telle situation ? La lutte des opprimés et des ouvriers dans ces pays est notre lutte ; les armées et les cliques bourgeoises qui les massacrent sont nos ennemis communs.
En Egypte, la rue, la détermination des manifestants, la volonté de la classe ouvrière ont eu raison du gouvernement de Moubarak. La bourgeoisie a cru alors la partie gagnée : la place Tahrir, haut lieu de la lutte, pouvait être à nouveau ouverte à la circulation. La population pouvait retourner “librement” crever de faim dans les taudis des villes égyptiennes. Le gouvernement provisoire, sous l’égide de l’armée et de son conseil suprême, allait reprendre les affaires de l’Etat en main avec promesse d’élections libres et démocratiques à venir. Pourtant le 23 mars dernier, le Premier ministre Essam Charaf, appuyé par l’armée, promulguait une loi criminalisant les grèves et les manifestations. Lourdes amendes et peines de prisons, voilà la réponse de la bourgeoisie égyptienne confrontée à une vague de revendications qui continuent à s’exprimer. Les interventions de la police et de l’armée, aussi bien contre les grévistes qu’à l’intérieur de l’université du Caire, ne pouvaient enrayer le mécontentement. Bien au contraire, cette loi a suscité une vague de protestations et de grèves. Le 12 avril, le quotidien Al-Masry Al-Youm soulignait “la permanence de mouvements de protestations et de grèves dans de nombreuses régions de l’Egypte. Elles portaient sur les salaires, les conditions de travail, les contrats de travail, etc. Ces mouvements touchent des secteurs très diversifiés.” A Alexandrie, par exemple, des enseignants demandent la suppression de leur statut de temporaires, réclament des contrats à durée indéterminée. Au Caire, se sont des salariés des services de l’administration fiscale qui exigent une hausse de salaire. Certes, en Egypte, il n’y a plus pour le moment de manifestations massives, mais la colère ouvrière et sa combativité restent bien présentes. Les revendications avancées par les travailleurs en Egypte au cours des derniers mois expriment parfaitement à la fois leur caractère ouvrier et les illusions démocratiques qui pèsent lourdement. Elles ont été affichées sur tous les sites en lutte et reprises dans plus de 500 plates-formes revendicatives. Elles étaient résumées en six points, les voici :
1) Transformer en contrats à durée indéterminée les contrats des travailleurs temporaires qui travaillent depuis plus de trois ans.
2) Limoger les membres des conseils d’administration des institutions et banques mêlés à des actes de corruption impliquant de l’argent public, eux qui profitent encore de leur poste.
3) L’annulation de sanctions arbitraires prononcées par les dirigeants des entreprises contre des cadres et des travailleurs qui ont dénoncé les pratiques de ces dirigeants ; sanctions allant du transfert vers une autre entreprise à des punitions diverses comme à des licenciements.
4) Déterminer un seuil minimum et un plafond pour les salaires et veiller à réduire les disparités entre les revenus ; garantir un niveau de vie digne pour les travailleurs ; assurer une relation entre les salaires et l’évolution des prix des biens et des services, ainsi que celle du montant moyen à payer pour les assurances.
5) Assurer le droit d’organisation syndicale, indépendante de l’Etat.
6) Modifier les textes du Code du travail pour assurer la stabilité des relations de travail et parvenir à la sécurité d’emploi et limiter les pouvoirs de l’employeur dans l’utilisation de licenciements arbitraires.
Tel est le cas également en Algérie. Depuis plusieurs mois, la contestation est permanente. Le 3 avril, le journal Al Watan déclarait : “Les étudiants ne décolèrent toujours pas. Les médecins résidents lancent un défi à Ould Abbès. Les gardes communaux menacent “d’encercler” la Présidence. Les paramédicaux reprennent la grève.” Dans l’enseignement, une grève nationale de trois jours sur la question des retraites était prévue à partir du 25 de ce mois, alors que des employés de l’Education avaient été réprimés deux jours auparavant lors d’une manifestation sur la question des conditions de travail.
En Tunisie, se sont les ouvriers travaillant dans le secteur du pétrole pour la société SNDP qui viennent de rentrer en grève. Ce mouvement touche l’ensemble du personnel des nombreuses sociétés de sous-traitance disséminées dans tout le pays, véritables entreprises de misère. Ils rejoignent ainsi ceux de l’enseignement qui luttent depuis de longues semaines.
Dans des pays comme le Swaziland, le Gabon, le Cameroun, Djibouti et le Burkina Faso, des manifestations estudiantines et ouvrières, influencées par ce qui s’est passé en Egypte et en Tunisie, ont été réprimées dans la plupart des cas. Dans ces pays, la classe ouvrière est peu nombreuse ce qui, malgré la détermination des populations réduites à la misère, ouvre toute grande la porte à la répression de masse.
Au Yémen, alors que le porte-parole de l’opposition avait annoncé, lundi 25 avril, avoir donné son accord au plan de sortie de crise proposé par le Conseil de coopération du Golfe qui prévoyait le départ d’ici quelques semaines du président Saleh, au pouvoir depuis trente deux ans, la réponse de la rue a été claire et sans ambages : “Nous rejetons catégoriquement toute initiative qui ne prévoit pas le départ du président Saleh et sa famille”, a affirmé dimanche dans un communiqué la Coordination des mouvements de jeunes qui encadre le sit-in de la place de l’université de Sanaa. La suite de ce communiqué en dit long sur la détermination des manifestants : “l’opposition ne représente qu’elle même” et invite “à s’abstenir de tout dialogue avec le régime, à demander le départ immédiat de Saleh et son jugement”. Là encore, la réponse fut la même. Lundi, lors de manifestation à Taêz, à Ibb et à Al-Baîdah, l’armée a fait feu sur la manifestation.
Dans le genre chien sanglant, la famille el-Assad en Syrie sait également tenir son rang. Dans ce pays, depuis le 12 mars dernier, une grande partie de la population s’est soulevée. Les raisons sont là encore les mêmes. Misère grandissante et oppression quotidienne sont le lot de toute la population opprimée. Répression, enlèvements et assassinats sont la réponse du sinistre Bachir el-Assad. Selon l’AFP, depuis que le soulèvement a eu lieu, il y aurait eu quelques 390 tués, dont environ 160 depuis la prétendue levée de l’état d’urgence le 21 avril. Lundi dernier, au moins 25 personnes ont été tuées lors du pilonnage de Deraa, où plus de 3000 soldats appuyés par les blindés et des chars étaient arrivés avant l’aube. “La mosquée Abou Bakr Assidiq est la cible de tir intensif, et un sniper est posté sur la mosquée Bilal al-Habachi. Des chars sont postés et des barrières installées aux entrées de la ville” (site Orange du 26 avril 2011). La justification est toujours la même, on croirait entendre un Kadhafi, ou n’importe quel autre dirigeant aux prise avec la révolte et la contestation, qui accuse hypocritement “des gangs criminels armés” d’être à l’origine du mouvement. L’armée serait entrée à Deraa “en réponse aux appels aux secours lancés par les habitants pour mettre fin aux actes de sabotage et d’assassinat commis par des groupes terroristes extrémistes” (idem). Ignobles et pathétiques sont ces justifications de Bachir el-Assad. Comme est ignoble et pathétique l’attitude des grandes puissances. Rome et Paris se disent préoccupés par la situation et appellent le régime à “arrêter la répression violente”, a déclaré le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi à l’issue d’un sommet franco-italien. Quand aux Etats-Unis, ils disent réfléchir à des sanctions ciblées. Le président français Sarkozy, champion toutes catégories du bombardement de la population libyenne, a bien évidemment exclu une intervention militaire en Syrie sans une résolution préalable du Conseil de sécurité de l’ONU. Résolution que tous savent impossible à obtenir, intervention militaire que personne ne veut : la population syrienne peut bien crever, la Syrie n’est pas la Libye ! La Syrie, c’est plus de 21 millions d’habitants, une force armée bien plus conséquente que celle de la Libye ou de l’Irak d’hier et, surtout, c’est une puissance impérialiste qui compte dans la région : elle a des alliés non négligeables dans sa politique anti-américaine, tel l’Iran, et des appuis diplomatiques tels que la Chine ou la Russie. Une intervention militaire en Syrie déstabiliserait tout le monde arabo-musulman, et personne ne sait où cela conduirait. Les impérialismes vont devoir, contrairement à ce qui se passe en Libye, défendre leurs sordides intérêts autrement.
Mais un danger bien réel guette la population insurgée en Syrie. Le gouvernement de Bachir el-Assad s’appuie sur des minorités religieuses dont celle des alaouites, alors que la population est à 70 % sunnite. En l’absence d’une classe ouvrière suffisamment forte et consciente, il peut être facile d’entraîner la population opprimée et affamée derrière une fraction bourgeoise ou une autre. Malheureusement, cette situation peut déboucher sur une véritable guerre civile, à l’image de ce qui se passe à Bahreïn.
Dans cet émirat, depuis maintenant de nombreuses semaines, la population manifeste pour demander la chute du Premier ministre Khalifa ben Salman Al-Khalifa, oncle du roi Hamad ben Issa Al-Khalifa, dynastie sunnite qui règne depuis deux cents ans sur ce royaume dont la population est en majorité chiite. Dans ce pays, réclamer du pain, réclamer le droit à la parole ne peut que se transformer rapidement de la part de la population pauvre en une contestation ouverte de la dynastie sunnite corrompue au pouvoir. A la répression du gouvernement en place s’est alors ajoutée celle de l’entrée en force dans ce petit royaume de l’armée d’Arabie saoudite, venue défendre le pouvoir sunnite. Les chars pouvaient alors occuper les rues de la capitale Manama. Le décor était tristement planté et les tensions impérialistes entre l’Iran et ses voisins du conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Katar et Oman) ne faisaient que se tendre. A partir de la mi-mars, l’Iran n’a cessé de critiquer la répression d’un mouvement de contestation dirigé de fait par des chiites, majoritaires dans le pays. L’hypocrisie totale de la France, de l’Angleterre, des Etats-Unis qui, rappelons-le, bombardent en ce moment même la Libye au nom de l’humanitaire, éclate ici au grand jour. Pas un mot, pas une protestation de la part de ces gangsters impérialistes. Ici les massacres ne leur révulsent pas le cœur. Et pour cause, leur allié objectif se trouve dans ce pays du côté des massacreurs, le gouvernement du Bahreïn et autre Arabie saoudite. L’ennemi commun s’appelle l’Iran. Pour cette population qui se révolte avec courage et détermination, il n’y a pas d’issue favorable dans tout ce bourbier nationaliste et impérialiste.
Dans tous les pays de ce que l’on appelle le monde arabo-musulman les populations se soulèvent, la crise économique fait des ravages ; se nourrir devient une préoccupation quotidienne. Mais tous ces opprimés qui se révoltent ne sont pas tous logés à la même enseigne. Il est bien plus difficile pour les bourgeoisies locales de réprimer massivement dans des pays comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, comme il est plus difficile pour les différentes grandes puissances impérialistes d’y défendre leurs sordides intérêts à coup de canons. La différence tient à l’existence dans ces pays d’une classe ouvrière qui, si elle ne peut pas prendre la tête du mouvement de révolte, n’en pèse pas moins dans la situation sociale.
Mais dans tous ces pays, quel que soit le prix à payer par les populations opprimées, les révoltes et les luttes ouvrières ne sont pas prêtes de cesser.
Voilà donc nos dirigeants démocratiques et grands défenseurs des droits de l’homme confrontés à un nouveau problème humain ! Le développement de la misère, la répression violente et massive dans les pays d’Afrique du Nord ont accéléré brutalement la migration de familles entières démunies de tout et cherchant à survivre dans la fuite vers les pays d’Europe. Il est estimé que dans les prochains mois, la vague d’émigrants devrait compter 300 000 personnes. Depuis quelques semaines ce sont quelques 20 000 Tunisiens qui sont arrivés sur les côtes italiennes, cherchant en partie à rejoindre la France. 8000 d’entre eux seraient passés par la désormais célèbre île de Lampedusa. Le problème, c’est qu’aucun gouvernement d’Europe, aucune bourgeoisie nationale ne veut de ces gens. D’ailleurs, bon nombre d’entres eux crèvent tout simplement en mer, de froid, de faim ou de noyade sans qu’un seul de ces magnifiques bateaux de guerre déployés partout dans le monde par nos grandes puissances ne daignent même faire semblant de les secourir. Mais dans l’horreur et l’inhumanité de la classe bourgeoise, il y a toujours pire à faire et à envisager. La France en tête, la bourgeoisie européenne veut jeter aux oubliettes l’espace sans frontière de Schengen. Cela veut dire concrètement que tous les pays d’Europe veulent se protéger, y compris militairement si nécessaire, contre ce qu’ils appellent l’invasion massive d’étrangers venus d’Afrique du Nord. A l’Italie de se débrouiller toute seule ou plus exactement à prendre la responsabilité de rejeter tous ces pauvres gens à la mer.
Que valent alors tous ces grandiloquents discours bourgeois qui justifient les bombardements en Libye au nom de l’humanitaire, au nom de la défense de la vie humaine ? La réponse est simple : RIEN ! Ce sont des paroles d’hypocrites, de menteurs et de gangsters qui ne font que défendre l’intérêt de leur propre impérialisme national.
Aujourd’hui, la crise ne sévit pas que dans les pays d’Afrique du Nord. En Asie, en Amérique, en Europe, partout, ses effets commencent à se faire sentir. Des luttes impliquant notamment des jeunes générations ouvrières se sont développées dans des pays tels que la Grèce, le Portugal, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne. Dans ces pays, la classe ouvrière s’est mobilisée contre les plans d’austérité que chaque bourgeoisie nationale essaie de leur imposer. Ces réactions sont importantes et nécessaires. Dernièrement, dans bien des manifestations, s’exprimait une sympathie certaine pour les révoltes et les luttes qui se développaient en Egypte, en Tunisie, etc. Dans les pays du cœur du capitalisme, la classe ouvrière commence à ressentir confusément que ces révoltes dans ces pays d’Afrique du Nord relèvent des mêmes raisons qui poussent les ouvriers en Chine, aux Etats-Unis et en Europe dans la rue. Mais cela ne suffit pas. Pour se défendre, pour se protéger et freiner ces attaques du capitalisme, il va falloir des luttes beaucoup plus massives et unies que celles que nous avons connues jusqu’à maintenant. Seules ces luttes impliquant la majorité de la classe ouvrière des pays développés pourra freiner le bras meurtrier de la répression dans les pays d’Afrique du Nord. Plus que jamais, les populations opprimées et les ouvriers de ces pays ont besoin de la solidarité active du prolétariat du cœur du capitalisme. Les ouvriers d’Europe peuvent voir concrètement ce qu’est la démocratie en regardant les bombes de la coalition internationale tomber sur la population libyenne et les mesures d’expulsions de ceux qui fuient les massacres et leurs conditions de vie insoutenables, renvoyés purement et simplement crever dans leurs pays, tandis que la bourgeoisie occidentale les noie sous des discours humanitaires.
Dans l’avenir, quelles que soient les difficultés, la résistance de la classe ouvrière ne peut se faire que de plus en plus massive et, au cœur historique du capitalisme, l’Europe, la confrontation à la démocratie bourgeoise de plus en plus claire et frontale.
Tino (28 avril)
Les grèves, les luttes et les manifestations continuent en Afrique du Nord ! Des soulèvements de populations opprimées, d’étudiants, des manifestations ouvrières ont gagné de nombreux autres pays du continent africain, du Proche et du Moyen-Orient. Pourtant, les guerres entre fractions bourgeoises nationalistes et les politiques impérialistes des différents pays impliqués dans toutes ces régions pèsent d’un poids très lourd sur toutes ces luttes. Un danger mortel guette les couches opprimées et la classe ouvrière de tous ces pays. Au piège démocratique et nationaliste fait écho une répression de plus en plus généralisée et féroce, la mitraille pour les uns, les obus et les bombes pour les autres. Mais le besoin de se nourrir, de vivre dignement, d’avoir un avenir pousse malgré tout nos frères de classe à ne pas se résigner. Que peut et que doit faire la classe ouvrière en France, en Allemagne, en Angleterre et dans tous les pays du cœur du capitalisme mondial devant une telle situation ? La lutte des opprimés et des ouvriers dans ces pays est notre lutte ; les armées et les cliques bourgeoises qui les massacrent sont nos ennemis communs.
En Egypte, la rue, la détermination des manifestants, la volonté de la classe ouvrière ont eu raison du gouvernement de Moubarak. La bourgeoisie a cru alors la partie gagnée : la place Tahrir, haut lieu de la lutte, pouvait être à nouveau ouverte à la circulation. La population pouvait retourner “librement” crever de faim dans les taudis des villes égyptiennes. Le gouvernement provisoire, sous l’égide de l’armée et de son conseil suprême, allait reprendre les affaires de l’Etat en main avec promesse d’élections libres et démocratiques à venir. Pourtant le 23 mars dernier, le Premier ministre Essam Charaf, appuyé par l’armée, promulguait une loi criminalisant les grèves et les manifestations. Lourdes amendes et peines de prisons, voilà la réponse de la bourgeoisie égyptienne confrontée à une vague de revendications qui continuent à s’exprimer. Les interventions de la police et de l’armée, aussi bien contre les grévistes qu’à l’intérieur de l’université du Caire, ne pouvaient enrayer le mécontentement. Bien au contraire, cette loi a suscité une vague de protestations et de grèves. Le 12 avril, le quotidien Al-Masry Al-Youm soulignait “la permanence de mouvements de protestations et de grèves dans de nombreuses régions de l’Egypte. Elles portaient sur les salaires, les conditions de travail, les contrats de travail, etc. Ces mouvements touchent des secteurs très diversifiés.” A Alexandrie, par exemple, des enseignants demandent la suppression de leur statut de temporaires, réclament des contrats à durée indéterminée. Au Caire, se sont des salariés des services de l’administration fiscale qui exigent une hausse de salaire. Certes, en Egypte, il n’y a plus pour le moment de manifestations massives, mais la colère ouvrière et sa combativité restent bien présentes. Les revendications avancées par les travailleurs en Egypte au cours des derniers mois expriment parfaitement à la fois leur caractère ouvrier et les illusions démocratiques qui pèsent lourdement. Elles ont été affichées sur tous les sites en lutte et reprises dans plus de 500 plates-formes revendicatives. Elles étaient résumées en six points, les voici :
1) Transformer en contrats à durée indéterminée les contrats des travailleurs temporaires qui travaillent depuis plus de trois ans.
2) Limoger les membres des conseils d’administration des institutions et banques mêlés à des actes de corruption impliquant de l’argent public, eux qui profitent encore de leur poste.
3) L’annulation de sanctions arbitraires prononcées par les dirigeants des entreprises contre des cadres et des travailleurs qui ont dénoncé les pratiques de ces dirigeants ; sanctions allant du transfert vers une autre entreprise à des punitions diverses comme à des licenciements.
4) Déterminer un seuil minimum et un plafond pour les salaires et veiller à réduire les disparités entre les revenus ; garantir un niveau de vie digne pour les travailleurs ; assurer une relation entre les salaires et l’évolution des prix des biens et des services, ainsi que celle du montant moyen à payer pour les assurances.
5) Assurer le droit d’organisation syndicale, indépendante de l’Etat.
6) Modifier les textes du Code du travail pour assurer la stabilité des relations de travail et parvenir à la sécurité d’emploi et limiter les pouvoirs de l’employeur dans l’utilisation de licenciements arbitraires.
Tel est le cas également en Algérie. Depuis plusieurs mois, la contestation est permanente. Le 3 avril, le journal Al Watan déclarait : “Les étudiants ne décolèrent toujours pas. Les médecins résidents lancent un défi à Ould Abbès. Les gardes communaux menacent “d’encercler” la Présidence. Les paramédicaux reprennent la grève.” Dans l’enseignement, une grève nationale de trois jours sur la question des retraites était prévue à partir du 25 de ce mois, alors que des employés de l’Education avaient été réprimés deux jours auparavant lors d’une manifestation sur la question des conditions de travail.
En Tunisie, se sont les ouvriers travaillant dans le secteur du pétrole pour la société SNDP qui viennent de rentrer en grève. Ce mouvement touche l’ensemble du personnel des nombreuses sociétés de sous-traitance disséminées dans tout le pays, véritables entreprises de misère. Ils rejoignent ainsi ceux de l’enseignement qui luttent depuis de longues semaines.
Dans des pays comme le Swaziland, le Gabon, le Cameroun, Djibouti et le Burkina Faso, des manifestations estudiantines et ouvrières, influencées par ce qui s’est passé en Egypte et en Tunisie, ont été réprimées dans la plupart des cas. Dans ces pays, la classe ouvrière est peu nombreuse ce qui, malgré la détermination des populations réduites à la misère, ouvre toute grande la porte à la répression de masse.
Au Yémen, alors que le porte-parole de l’opposition avait annoncé, lundi 25 avril, avoir donné son accord au plan de sortie de crise proposé par le Conseil de coopération du Golfe qui prévoyait le départ d’ici quelques semaines du président Saleh, au pouvoir depuis trente deux ans, la réponse de la rue a été claire et sans ambages : “Nous rejetons catégoriquement toute initiative qui ne prévoit pas le départ du président Saleh et sa famille”, a affirmé dimanche dans un communiqué la Coordination des mouvements de jeunes qui encadre le sit-in de la place de l’université de Sanaa. La suite de ce communiqué en dit long sur la détermination des manifestants : “l’opposition ne représente qu’elle même” et invite “à s’abstenir de tout dialogue avec le régime, à demander le départ immédiat de Saleh et son jugement”. Là encore, la réponse fut la même. Lundi, lors de manifestation à Taêz, à Ibb et à Al-Baîdah, l’armée a fait feu sur la manifestation.
Dans le genre chien sanglant, la famille el-Assad en Syrie sait également tenir son rang. Dans ce pays, depuis le 12 mars dernier, une grande partie de la population s’est soulevée. Les raisons sont là encore les mêmes. Misère grandissante et oppression quotidienne sont le lot de toute la population opprimée. Répression, enlèvements et assassinats sont la réponse du sinistre Bachir el-Assad. Selon l’AFP, depuis que le soulèvement a eu lieu, il y aurait eu quelques 390 tués, dont environ 160 depuis la prétendue levée de l’état d’urgence le 21 avril. Lundi dernier, au moins 25 personnes ont été tuées lors du pilonnage de Deraa, où plus de 3000 soldats appuyés par les blindés et des chars étaient arrivés avant l’aube. “La mosquée Abou Bakr Assidiq est la cible de tir intensif, et un sniper est posté sur la mosquée Bilal al-Habachi. Des chars sont postés et des barrières installées aux entrées de la ville” (site Orange du 26 avril 2011). La justification est toujours la même, on croirait entendre un Kadhafi, ou n’importe quel autre dirigeant aux prise avec la révolte et la contestation, qui accuse hypocritement “des gangs criminels armés” d’être à l’origine du mouvement. L’armée serait entrée à Deraa “en réponse aux appels aux secours lancés par les habitants pour mettre fin aux actes de sabotage et d’assassinat commis par des groupes terroristes extrémistes” (idem). Ignobles et pathétiques sont ces justifications de Bachir el-Assad. Comme est ignoble et pathétique l’attitude des grandes puissances. Rome et Paris se disent préoccupés par la situation et appellent le régime à “arrêter la répression violente”, a déclaré le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi à l’issue d’un sommet franco-italien. Quand aux Etats-Unis, ils disent réfléchir à des sanctions ciblées. Le président français Sarkozy, champion toutes catégories du bombardement de la population libyenne, a bien évidemment exclu une intervention militaire en Syrie sans une résolution préalable du Conseil de sécurité de l’ONU. Résolution que tous savent impossible à obtenir, intervention militaire que personne ne veut : la population syrienne peut bien crever, la Syrie n’est pas la Libye ! La Syrie, c’est plus de 21 millions d’habitants, une force armée bien plus conséquente que celle de la Libye ou de l’Irak d’hier et, surtout, c’est une puissance impérialiste qui compte dans la région : elle a des alliés non négligeables dans sa politique anti-américaine, tel l’Iran, et des appuis diplomatiques tels que la Chine ou la Russie. Une intervention militaire en Syrie déstabiliserait tout le monde arabo-musulman, et personne ne sait où cela conduirait. Les impérialismes vont devoir, contrairement à ce qui se passe en Libye, défendre leurs sordides intérêts autrement.
Mais un danger bien réel guette la population insurgée en Syrie. Le gouvernement de Bachir el-Assad s’appuie sur des minorités religieuses dont celle des alaouites, alors que la population est à 70 % sunnite. En l’absence d’une classe ouvrière suffisamment forte et consciente, il peut être facile d’entraîner la population opprimée et affamée derrière une fraction bourgeoise ou une autre. Malheureusement, cette situation peut déboucher sur une véritable guerre civile, à l’image de ce qui se passe à Bahreïn.
Dans cet émirat, depuis maintenant de nombreuses semaines, la population manifeste pour demander la chute du Premier ministre Khalifa ben Salman Al-Khalifa, oncle du roi Hamad ben Issa Al-Khalifa, dynastie sunnite qui règne depuis deux cents ans sur ce royaume dont la population est en majorité chiite. Dans ce pays, réclamer du pain, réclamer le droit à la parole ne peut que se transformer rapidement de la part de la population pauvre en une contestation ouverte de la dynastie sunnite corrompue au pouvoir. A la répression du gouvernement en place s’est alors ajoutée celle de l’entrée en force dans ce petit royaume de l’armée d’Arabie saoudite, venue défendre le pouvoir sunnite. Les chars pouvaient alors occuper les rues de la capitale Manama. Le décor était tristement planté et les tensions impérialistes entre l’Iran et ses voisins du conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Katar et Oman) ne faisaient que se tendre. A partir de la mi-mars, l’Iran n’a cessé de critiquer la répression d’un mouvement de contestation dirigé de fait par des chiites, majoritaires dans le pays. L’hypocrisie totale de la France, de l’Angleterre, des Etats-Unis qui, rappelons-le, bombardent en ce moment même la Libye au nom de l’humanitaire, éclate ici au grand jour. Pas un mot, pas une protestation de la part de ces gangsters impérialistes. Ici les massacres ne leur révulsent pas le cœur. Et pour cause, leur allié objectif se trouve dans ce pays du côté des massacreurs, le gouvernement du Bahreïn et autre Arabie saoudite. L’ennemi commun s’appelle l’Iran. Pour cette population qui se révolte avec courage et détermination, il n’y a pas d’issue favorable dans tout ce bourbier nationaliste et impérialiste.
Dans tous les pays de ce que l’on appelle le monde arabo-musulman les populations se soulèvent, la crise économique fait des ravages ; se nourrir devient une préoccupation quotidienne. Mais tous ces opprimés qui se révoltent ne sont pas tous logés à la même enseigne. Il est bien plus difficile pour les bourgeoisies locales de réprimer massivement dans des pays comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, comme il est plus difficile pour les différentes grandes puissances impérialistes d’y défendre leurs sordides intérêts à coup de canons. La différence tient à l’existence dans ces pays d’une classe ouvrière qui, si elle ne peut pas prendre la tête du mouvement de révolte, n’en pèse pas moins dans la situation sociale.
Mais dans tous ces pays, quel que soit le prix à payer par les populations opprimées, les révoltes et les luttes ouvrières ne sont pas prêtes de cesser.
Voilà donc nos dirigeants démocratiques et grands défenseurs des droits de l’homme confrontés à un nouveau problème humain ! Le développement de la misère, la répression violente et massive dans les pays d’Afrique du Nord ont accéléré brutalement la migration de familles entières démunies de tout et cherchant à survivre dans la fuite vers les pays d’Europe. Il est estimé que dans les prochains mois, la vague d’émigrants devrait compter 300 000 personnes. Depuis quelques semaines ce sont quelques 20 000 Tunisiens qui sont arrivés sur les côtes italiennes, cherchant en partie à rejoindre la France. 8000 d’entre eux seraient passés par la désormais célèbre île de Lampedusa. Le problème, c’est qu’aucun gouvernement d’Europe, aucune bourgeoisie nationale ne veut de ces gens. D’ailleurs, bon nombre d’entres eux crèvent tout simplement en mer, de froid, de faim ou de noyade sans qu’un seul de ces magnifiques bateaux de guerre déployés partout dans le monde par nos grandes puissances ne daignent même faire semblant de les secourir. Mais dans l’horreur et l’inhumanité de la classe bourgeoise, il y a toujours pire à faire et à envisager. La France en tête, la bourgeoisie européenne veut jeter aux oubliettes l’espace sans frontière de Schengen. Cela veut dire concrètement que tous les pays d’Europe veulent se protéger, y compris militairement si nécessaire, contre ce qu’ils appellent l’invasion massive d’étrangers venus d’Afrique du Nord. A l’Italie de se débrouiller toute seule ou plus exactement à prendre la responsabilité de rejeter tous ces pauvres gens à la mer.
Que valent alors tous ces grandiloquents discours bourgeois qui justifient les bombardements en Libye au nom de l’humanitaire, au nom de la défense de la vie humaine ? La réponse est simple : RIEN ! Ce sont des paroles d’hypocrites, de menteurs et de gangsters qui ne font que défendre l’intérêt de leur propre impérialisme national.
Aujourd’hui, la crise ne sévit pas que dans les pays d’Afrique du Nord. En Asie, en Amérique, en Europe, partout, ses effets commencent à se faire sentir. Des luttes impliquant notamment des jeunes générations ouvrières se sont développées dans des pays tels que la Grèce, le Portugal, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne. Dans ces pays, la classe ouvrière s’est mobilisée contre les plans d’austérité que chaque bourgeoisie nationale essaie de leur imposer. Ces réactions sont importantes et nécessaires. Dernièrement, dans bien des manifestations, s’exprimait une sympathie certaine pour les révoltes et les luttes qui se développaient en Egypte, en Tunisie, etc. Dans les pays du cœur du capitalisme, la classe ouvrière commence à ressentir confusément que ces révoltes dans ces pays d’Afrique du Nord relèvent des mêmes raisons qui poussent les ouvriers en Chine, aux Etats-Unis et en Europe dans la rue. Mais cela ne suffit pas. Pour se défendre, pour se protéger et freiner ces attaques du capitalisme, il va falloir des luttes beaucoup plus massives et unies que celles que nous avons connues jusqu’à maintenant. Seules ces luttes impliquant la majorité de la classe ouvrière des pays développés pourra freiner le bras meurtrier de la répression dans les pays d’Afrique du Nord. Plus que jamais, les populations opprimées et les ouvriers de ces pays ont besoin de la solidarité active du prolétariat du cœur du capitalisme. Les ouvriers d’Europe peuvent voir concrètement ce qu’est la démocratie en regardant les bombes de la coalition internationale tomber sur la population libyenne et les mesures d’expulsions de ceux qui fuient les massacres et leurs conditions de vie insoutenables, renvoyés purement et simplement crever dans leurs pays, tandis que la bourgeoisie occidentale les noie sous des discours humanitaires.
Dans l’avenir, quelles que soient les difficultés, la résistance de la classe ouvrière ne peut se faire que de plus en plus massive et, au cœur historique du capitalisme, l’Europe, la confrontation à la démocratie bourgeoise de plus en plus claire et frontale.
Tino (28 avril)
Si mentir était un péché mortel, la bourgeoisie serait une classe en voie de disparition.
Il faut la voir crier partout, sur les plateaux télé, à la radio, dans ses journaux et ses revues : “Ca y est, regardez bien, là-bas, tout au fond, ce petit point blanc lumineux, c’est la sortie du tunnel !” La preuve : le chômage baisse partout… paraît-il. Aux Etats-Unis et en France, le taux de chômage a enregistré ces derniers mois son plus fort recul depuis l’éclatement de la crise de 2007. En Allemagne, il est tombé au plus bas depuis 1992 ! Et les grandes institutions internationales se font fort, elles aussi, d’afficher leur plus bel optimisme. Selon le FMI, en 2011, la croissance mondiale sera de 4,4 %. La Banque asiatique de développement prévoit une croissance de 9,6 % pour la Chine et de 8,2 % pour l’Inde. L’Allemagne, la France et les Etats-Unis devraient respectivement atteindre des taux de 2,5 %, 1,6 % et 2,8 %. Le FMI ose même pronostiquer, malgré le séisme et la catastrophe nucléaire, une croissance de 1,7 % cette année pour le Japon !
Argument décisif en faveur du retour à venir de l’embellie, les bourses s’envolent, s’envolent…
Alors ? Cette fameuse lumière au bout du tunnel annonce-t-elle réellement une résurrection imminente ? N’est-elle pas plutôt l’hallucination classique d’un être agonisant ?
Aux Etats-Unis, cela irait donc en s’améliorant. Evanoui le spectre du krach de 1929. Aucune chance de croiser d’interminables files d’attente devant les bureaux d’embauche comme au temps cauchemardesque de la Grande dépression des années 1930 ! Quoique… Fin mars, les restaurants McDonald’s annoncent un recrutement exceptionnel de “50 000 jobs en une journée”. Le 19 avril, date fatidique, trois millions de personnes se retrouvent à attendre devant les portes des restaurants !
La réalité de la crise actuelle se révèle là, dans les souffrances infligées à la classe ouvrière. Le chômage américain peut bien être officiellement en baisse, les statistiques étatiques ne sont de toute façon qu’une immense supercherie. Par exemple, est exclue de ces savants calculs toute la population nommée NLF (“Not in the Labor Force” ou population non active). Par ce sigle sont désignés les personnes âgées licenciées, les chômeurs découragés, les étudiants et les jeunes, les chômeurs qui se relancent dans la recherche d’un emploi… soit, en janvier 2011, 85,2 millions de personnes. L’Etat lui-même est obligé de reconnaître que le nombre de pauvres, constituant 15 % de la population américaine, est en constante augmentation.
L’explosion de la misère sur le sol de la première puissance mondiale révèle l’état de déliquescence de l’économie internationale. Aux quatre coins du globe, les conditions de vie sont toujours plus inhumaines. Selon les estimations de la Banque mondiale, environ 1,2 milliard d’individus vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté (1,25 dollar par jour). Mais l’avenir est encore plus sombre. Pour une partie toujours plus large de l’humanité, le retour de l’inflation va signifier une difficulté croissante à trouver un toit ou simplement se nourrir. Les prix mondiaux des produits alimentaires ont augmenté de 36 % par rapport à leurs niveaux d’il y a un an. Or, selon la dernière édition du Food Price Watch de la Banque mondiale, chaque hausse de 10 % des prix mondiaux précipite, au minimum, 10 millions de personnes supplémentaires sous le seuil d’extrême pauvreté. 44 millions de personnes sont ainsi officiellement tombées dans la misère depuis juin 2010. Concrètement, les prix des produits de premières nécessité, voire essentiels à la survie, sont en passe de devenir inabordables : en un an, le maïs a augmenté de 74 %, le blé de 69 %, le soja de 36 %, le sucre de 21 %, etc.
Depuis l’été 2007 et l’éclatement de la bulle dite des “subprimes” aux Etats-Unis, la crise mondiale s’aggrave irrémédiablement, à un rythme de plus en plus élevé, sans que la bourgeoise ne trouve l’ombre d’un début de solution. Pire, ses tentatives désespérées pour endiguer le mal qui ronge son système ne font chaque fois que préparer de nouvelles secousses. L’histoire économique de ses dernières années ressemble à une sorte de spirale infernale, à un tourbillon aspirant tout vers le fond. Et ce sont ces quarante dernières années qui ont préparé ce drame.
De la fin des années 1960 à ce fameux été 2007, l’économie mondiale n’a en effet dû sa survie qu’au recours systématique et grandissant à l’endettement. Pourquoi ? Ici un petit détour théorique s’impose.
Le capitalisme produit plus de marchandises que son marché ne peut en absorber. C’est presque là une tautologie :
Le Capital exploite ses ouvriers (autrement dit leurs salaires sont moins importants que la valeur réelle qu’ils créent par leur travail).
Le Capital peut ainsi vendre ses marchandises avec profit. Mais la question est : à qui ?
Evidemment, les ouvriers achètent ces marchandises… à la hauteur de leurs salaires. Il en reste donc une bonne partie encore à vendre, celle-là justement qui n’a pas été payée aux ouvriers lors de sa production, qui contient une valeur en plus (une plus-value) et qui seule a ce pouvoir magique pour le Capital de générer du profit.
Les capitalistes eux aussi consomment… et ils ne sont d’ailleurs en général pas trop malheureux. Mais ils ne peuvent pas à eux seuls acheter toutes les marchandises porteuses de plus-value. Cela n’aurait aucun sens. Le Capital ne peut s’acheter, pour faire du profit, ses propres marchandises ; ce serait comme s’il prenait l’argent de sa poche gauche pour le mettre dans sa poche droite. Personne ne s’enrichit ainsi, les pauvres vous le diront.
Pour accumuler, se développer, le Capital doit donc trouver des acheteurs autres que les ouvriers et les capitalistes. Autrement dit, il doit impérativement trouver des débouchés en-dehors de son système, sinon il se retrouve avec des marchandises invendables sur les bras qui engorgent le marché : c’est alors la célèbre “crise de surproduction” !
Cette “contradiction interne” (cette tendance naturelle à la surproduction et cette obligation à trouver sans cesse des débouchés extérieurs) est aussi l’une des racines de l’incroyable dynamisme de ce système. Le capitalisme a dû lier commerce avec toutes les sphères économiques sans exception : les anciennes classes dominantes, les paysans et les artisans du monde entier. L’histoire de la fin du xviiie siècle et de tout le xixe est celle de la colonisation, de la conquête du globe par le capitalisme ! La bourgeoise était alors assoiffée de nouveaux territoires sur lesquels elle forçait, par de multiples moyens, la population à acheter ses marchandises. Mais, en agissant ainsi, elle transformait aussi ces économies archaïques ; elle les intégrait peu à peu à son système. Les colonies devenaient lentement, elles aussi, des terres capitalistes, produisant selon les lois de ce système. Non seulement leurs économies étaient donc de moins en moins susceptibles de représenter des débouchés aux marchandises d’Europe et des Etats-Unis mais elles généraient même à leur tour une surproduction. Pour se développer, le Capital était donc condamné à découvrir de nouvelles terres, encore et encore.
Cela aurait pu être une histoire sans fin mais notre planète n’est qu’une petite boule ronde ; à son grand malheur, le Capital en fait le tour en à peine 150 ans. Au début du xxe siècle, tous les territoires sont conquis, les grandes nations historiques du capitalisme se sont partagé le monde. Dès lors, il n’est plus question pour elles de nouvelles découvertes mais de prendre, par la force armée, aux nations concurrentes les territoires dominés. L’Allemagne, la moins riche en colonies, se montrera ainsi la plus agressive en déclenchant les hostilités de la Première Guerre mondiale en raison de cette nécessité que formulera explicitement plus tard Hitler dans la marche vers la Seconde Guerre mondiale : “Exporter ou mourir”.
Dès lors, le capitalisme, après 150 ans d’expansion, devient un système décadent. L’horreur des deux guerres mondiales et la Grande dépression des années 1930 en seront des preuves dramatiques irréfutables.
Pourtant, même après avoir détruit dans les années 1950 les marchés extra-capitalistes qui subsistaient encore (telle la paysannerie française), le capitalisme n’a pas sombré dans une crise de surproduction mortelle. Pourquoi ? Nous revenons là à notre idée initiale qu’il nous fallait démontrer : si “le capitalisme produit plus de marchandises que son marché ne peut en absorber”, il a su créer un marché artificiel ; “de la fin des années 1960 à ce fameux été 2007, l’économie mondiale n’a en effet dû sa survie qu’au recours systématique et grandissant à l’endettement.”
Ces quarante dernières années se résument à une série de récessions et de relances financées à coups de crédit. A chaque crise ouverte, le Capital a dû recourir de plus en plus massivement à l’endettement. Et il ne s’agit pas là de soutenir seulement la “consommation des ménages” par le biais d’aides étatiques… non, les Etats se sont aussi endettés pour maintenir artificiellement la compétitivité de leur économie face aux autres nations (en finançant directement un investissement infra-structurel, en prêtant aux banques à des taux le plus bas possible pour qu’elles puissent à leur tour prêter aux entreprises et aux ménages…). Bref, en ouvrant toutes grandes les vannes du crédit, l’argent a coulé à flot et, peu à peu, tous les secteurs de l’économie se sont retrouvés en situation classique de surendettement : chaque jour de plus en plus de nouvelles dettes ont dû être contractées pour… rembourser les dettes d’hier. Cette dynamique menait forcément à une impasse.
En cela, l’été 2007 a ouvert un nouveau chapitre au sein de l’histoire de la décadence. La capacité de la bourgeoisie mondiale à ralentir le développement de la crise par un recours de plus en plus massif au crédit a pris fin. Aujourd’hui, les secousses succèdent aux secousses sans qu’il n’y ait entre elles ni répit ni véritable relance. L’impuissance de la bourgeoisie face à la nouvelle situation est patente. En 2007, avec l’éclatement de la bulle des “subprimes” et en 2008 avec la faillite du géant bancaire Lehman Brothers, tous les Etats du monde n’ont su faire qu’une seule chose : renflouer le secteur de la finance en laissant littéralement exploser la dette publique. Problème, il ne s’agissait pas là d’un “coup de pouce” ponctuel : depuis 2007, l’économie mondiale, les banques et les bourses ne survivent que par la transfusion permanente d’argent public issu de nouvelles dettes ou directement de la planche à billets. Un seul exemple : les Etats-Unis. En 2008, pour sauver son secteur financier de la banqueroute généralisée, la banque centrale américaine (la Fed) lance un premier plan de rachats d’actifs (le QE1 – “Quantitative Easing 1”) de plus de 1400 milliards de dollars. Deux ans plus tard seulement, en janvier 2010, elle doit renouveler l’opération de soutien en lançant un QE2 : 600 milliards de dollars sont alors injectés grâce à la planche à billets. Mais cela ne suffit toujours pas. A peine 6 mois plus tard, dès l’été 2010, la Fed doit renouveler l’achat de créances arrivées à échéance pour 35 milliards de dollars par mois. En tout, depuis la crise, c’est donc plus de 2300 milliards de dollars qui sont sortis de la poche de la Banque centrale américaine. C’est tout simplement l’équivalent du PIB d’un pays comme l’Italie ou le Brésil ! Mais évidemment, l’histoire ne s’arrête pas là. A l’été 2011, la Fed sera contrainte de lancer un QE3, puis un QE4 (1)…
L’économie mondiale est devenue un puits sans fond ou plutôt une sorte de trou noir : elle absorbe des quantités d’argent-dette toujours plus astronomiques.
Il serait pourtant faux d’affirmer que les immenses sommes d’argent injectées aujourd’hui par tous les Etats de la planète n’ont aucun effet. A double titre. Sans elles, le système s’effondrerait, littéralement. Mais il y a une seconde conséquence : l’augmentation sans précédent de la masse monétaire mondiale, en particulier en dollars, est en train de ronger le système, d’agir sur lui comme un poison. Le capitalisme est devenu un malade agonisant dépendant de sa pompe à morphine ; sans elle, il meurt, mais chaque nouvelle injection le ronge un peu plus : si les injections de dettes des années 1967-2007 ont permis à l’économie de tenir, aujourd’hui les doses nécessaires précipitent au contraire sa perte.
Concrètement, en faisant tourner la planche à billets, les différentes banques centrales produisent consciemment ce que les économistes appellent de “la monnaie de singe”. Quand la masse monétaire croît plus vite que l’activité réelle, elle perd de sa valeur. Par conséquent, les prix montent, c’est l’inflation… (2). Evidemment, en ce domaine, les champions toute catégorie sont les Etats-Unis. Ils savent que leur monnaie est le pilier de la stabilité économique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, personne ne peut se passer du dollar. C’est pourquoi ce sont eux qui ont pu depuis 2007 créer la plus grande quantité de monnaie pour soutenir leur économie. Si le dollar n’a pas encore décroché, c’est parce que la Chine, le Japon… ont été obligés, malgré eux, d’acheter du dollar. Mais cet équilibre précaire aussi commence à toucher à sa fin. Les acheteurs en Bons du trésor américain (T-Bonds) se font de plus en plus rares car tout le monde sait qu’ils ne valent rien en réalité. Depuis 2010, c’est en fait la Fed elle-même qui achète ses propres T-Bonds pour soutenir leur valeur ! Surtout, l’inflation commence à se développer de manière importante aux Etats-Unis (entre 2 et 10 % selon les sources, la fourchette haute étant en fait la plus vraisemblable, celle en tout cas ressentie par les ouvriers qui font leurs courses…). Le Président de la Fed de Dallas, Richard Fisher, qui siège cette année au comité de politique monétaire, a ainsi récemment brandi le risque croissant d’une “hyper-inflation”, comparable à celle de la République de Weimar en 1923.
Il s’agit là d’une tendance fondamentale, l’inflation gagne progressivement tous les pays. Il y a d’ailleurs une méfiance grandissante des capitalistes à l’égard de toutes les monnaies. Les convulsions à venir, les probables faillites de grandes entreprises, de banques, voire d’Etats, posent un immense point d’interrogation sur le comportement du marché monétaire international. La conséquence en est visible : l’or s’envole. Après une hausse de 29 % en 2010, les cours de l’or battent record sur record et viennent de franchir pour la première fois la barre des 1500 dollars. Soit cinq fois plus qu’il y a dix ans. Même phénomène avec l’argent, au plus haut depuis trente et un ans. L’université du Texas, qui forme des économistes, a dernièrement placé toute sa trésorerie (soit 1 milliard de dollars) en or. Nous voyons ici quelle confiance accorde la grande bourgeoisie américaine à sa propre monnaie ! Et il ne s’agit pas là d’un épiphénomène. Les banques centrales elles-mêmes ont acheté plus de métal jaune en 2010 qu’elles n’en ont vendu, une première depuis 1988. Il ne s’agit là de rien d’autre que du dernier paraphe de l’acte d’enterrement des accords de Breton Woods (non officiellement mais dans les faits) qui avaient établi après la Seconde Guerre mondiale un système monétaire international adossé à la stabilité du dollar.
La bourgeoisie est évidemment consciente du danger. Incapable de fermer les vannes du crédit et de stopper les rotatives de la planche à billets, elle essaye de limiter les dégâts et de réduire l’endettement en mettant en place des plans de rigueur draconiens à l’encontre de la classe ouvrière. Presque partout, les salaires du privé et du public sont soit gelés soit amputés, les aides sociales et de santé s’effondrent… en un mot, la misère se développe. Aux Etats-Unis, Obama a annoncé vouloir réduire ainsi le déficit américain de 4000 milliards en douze ans. Les sacrifices qui vont être imposés à la population sont inimaginables ! Mais cette solution aussi n’en est évidemment pas une. En Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne…, les plans de rigueur se succèdent les uns aux autres et les déficits continuent de se creuser. Le seul effet de cette politique est de faire plonger encore un peu plus l’économie dans la récession. Il n’y a qu’une seule issue à cette dynamique : après la faillite des ménages américains en 2007, des banques en 2008, c’est au tour des Etats de se diriger inévitablement vers la banqueroute. Il n’y a aucune illusion à avoir, les défauts de paiement de pays comme la Grèce sont inévitables à l’avenir. Même des Etats américains comme la Californie ne sont pas à l’abri.
Il est impossible de fixer des échéances, de savoir avec précision par où et quand l’économie mondiale va de nouveau craquer. Est-ce la catastrophe qui a touché le Japon (qui a fait plonger la production de la troisième puissance économique mondiale de plus de 15 % en mars) qui va être le détonateur ? Ou est-ce la déstabilisation du Moyen-Orient ? Est-ce l’effondrement du dollar ou la faillite de la Grèce ou de l’Espagne ? Personne ne peut le prévoir. Une seule chose est certaine : se dresse devant nous une succession de récessions d’une extrême brutalité. Après le lent développement de la crise économique mondial de 1967 à 2007, nous entrons aujourd’hui dans un nouveau chapitre de la décadence du capitalisme caractérisé par des convulsions incessantes du système et l’explosion de la misère.
Pawel (30 avril 2011)
1) Néanmoins, elle le fera ces fois-ci certainement sans le dire officiellement pour ne pas avouer l’échec patent de toutes les mesures précédentes !
2) Les lecteurs pointilleux diront : “mais cette masse monétaire a augmenté démesurément dans les années 1990-2000 sans qu’il n’y ait eu une poussée inflationniste”. C’est vrai et la raison en est simple : la saturation du marché réel a poussé les capitaux à fuir vers l’économie virtuelle (les bourses). Autrement dit, la masse monétaire augmentant considérablement avant tout dans la sphère financière, ce ne sont pas les prix des marchandises mais ceux des actions qui sont montés. Mais cette spéculation, aussi folle et déconnectée de la réalité soit-elle, repose tout de même, in fine, sur des entreprises qui produisent de la valeur. Quand celles-ci sont massivement menacées par la faillite (en particulier les banques), ce petit jeu de casino sent le roussi. C’est ce qui s’est produit en 2008, le krach, et ce qui se reproduira encore dans un avenir proche. C’est d’ailleurs pour cela que les investisseurs se rabattent actuellement sur l’or et les denrées alimentaires, à la recherche de “valeurs refuges”. Nous y revenons plus loin dans l’article.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Revolución Mundial, organe de presse du CCI au Mexique.
Ce qui en Libye semblait avoir commencé comme une révolte de “ceux d’en bas” a dégénéré en sanglante guerre civile entre factions de la bourgeoisie et, immédiatement, en dispute impérialiste avec participation directe des grandes puissances : les protestations initiales de la mi-février ont été complètement dévoyées. Ces fractions de la bourgeoisie s’affrontent depuis lors à feu et à sang et les masses leur servent de chair à canon. La répression brutale et l’intervention militaire ont freiné le développement des mouvements sociaux dans la région : tous les gouvernements de la région pratiquent maintenant la répression ouverte et impitoyable contre les manifestants, à Bahreïn, au Yémen, en Arabie Saoudite, en Syrie, etc., avec la complicité des mêmes puissances qui dirigent l’intervention prétendument “humanitaire”.
C’est dans ce scénario que se déroule l’opération militaire de l’alliance de la Grande-Bretagne, de la France et des Etats-Unis, sous la couverture idéologique de la “défense humanitaire du peuple libyen” massacré par le gouvernement de ce “fou” de Kadhafi.
Il y a aussi eu des réactions moins meurtrières, mais pour le moins tout aussi abjectes. Nous voulons parler du soutien émis par “les amis de Kadhafi” en Amérique Latine. Les gouvernements de Cuba, du Venezuela, de la Bolivie et de l’Équateur, principalement, ont déclaré haut et fort leur soutien à leur congénère libyen, en arborant comme d’habitude la défense de la souveraineté nationale, autrement dit la libre détermination de chaque bourgeoisie à pratiquer à sa guise l’exploitation dans son propre pays. Bien évidemment, peu importe à ces personnages de “gauche” que les masses de “leur” pays ou de celui de leurs congénères soient massacrées comme des mouches, contrairement à ce qu’ils prétendent dans leurs tonitruants discours.
En particulier, Fidel Castro, Hugo Chavez et Daniel Ortega ont réagi de façon très véhémente à la situation de leur copain Kadhafi, lequel leur avait octroyé il y a quelques années le “Prix des droits de l’homme Mouammar Kadhafi” qu’il avait créé en 1988. Une reconnaissance, sans doute, à l’efficacité de ce genre de gouvernement bourgeois à l’heure de mener à bien une exploitation et une répression dans leurs pays respectifs, une espèce de réponse cynique à la réticence vis-à-vis d’autres gouvernements qui octroient des prix similaires, mais qui feraient la fine bouche dégoûtée vis-à-vis de ces gouvernants qui ne sauvent pas les apparences démocratiques. Hugo Chavez, en retour et avec tout le tintamarre dont il sait s’entourer, a offert à Kadhafi une copie conforme de l’épée du libertador Simon Bolivar. “Je ne vais pas condamner Kadhafi... rien ne me dit que ce soit un assassin” a-t-il dit en haussant les épaules.
Fidel Castro, de son côté, a refusé en faisant les gros yeux de se prononcer sur les massacres perpétrés par le Guide autoproclamé du peuple libyen, préférant encenser les succès de son ami dans l’économie nationale de son pays, c’est-à-dire dans la bonne gestion de l’économie capitaliste libyenne, ce qui revient à dire dans l’exploitation efficace des masses laborieuses et opprimées.
Ce soutien au régime kadhafiste par ses frères de classe en Amérique Latine ne fait que mettre en évidence, si besoin était, la nature bourgeoise de leurs propres gouvernements.
Il ne s’agit pas bien sûr de se mettre à soutenir le conseil des “rebelles” et la coalition des Nations Unies. D’un côté comme de l’autre, ils agissent en fonction de leurs propres intérêts, en tant que fraction de la bourgeoisie, et règlent leurs comptes sur les cadavres des masses opprimées.
Il nous faut leur opposer l’internationalisme prolétarien, tant aux uns comme aux autres, sans la moindre hésitation, en nous solidarisant avec les milliers de gens qui se révoltent dans cette région et luttent contre la bourgeoisie qui nous opprime et nous exploite, en assumant consciemment le fait que la lutte prolétarienne est une seule et même lutte partout dans le monde. Pour qu’elle puisse un jour triompher, elle doit se généraliser internationalement, par dessus toutes les divisions nationales, de langue, de religion, etc. Ce n’est qu’ainsi que la puissance de la lutte ouvrière pourra arrêter la répression des Etats capitalistes. Quand ceci deviendra une réalité en Amérique Latine, les amis de Kadhafi seront les premiers à essayer de massacrer leurs peuples, qu’ils ont toujours prétendu défendre.
RR (avril 2011)
Alors que la catastrophe de Fukushima ne cesse d’évoluer vers une situation toujours plus incertaine, l’histoire est venue nous rappeler l’épisode de Tchernobyl, il y a 25 ans, le 26 avril 1986.
Cet “anniversaire” de l’explosion d’un réacteur nucléaire, qui a fait entre 1986 et 2004 (dernier “pointage” de l’OMS) un million de morts “reconnus”, est par la même occasion venu aussi nous rappeler à quel point la classe dominante nous prend pour des imbéciles, elle qui a cette incroyable capacité à se lancer dans des projets dont elle ne maîtrise en rien les conséquences et les risques les plus destructeurs. En 1986, on nous avait seriné que c’était évidemment de la faute à l’incurie du système “soviétique”, et la propagande occidentale ne s’était pas gênée pour fustiger l’arriération des dirigeants russes proportionnellement égale à la vétusté de leurs centrales nucléaires, et inversement. Il est vrai que l’Etat russe avait entourloupé sans état d’âme les 500 000 liquidateurs du fameux réacteur no 4 en leur répétant qu’ils ne craignaient rien, ainsi que le monde entier !
Mais ici, dans l’Hexagone, relayant en quelque sorte les mensonges du Kremlin, on nous avait également copieusement arrosé, au milieu de la masse d’atomes de césium 137 ou encore d’iode 135 équivalente à 400 fois la radioactivité de la bombe d’Hiroshima, de nombreuses certitudes comme celle répétée à plusieurs reprises selon laquelle “l’anticyclone des Açores” (1) avait “bloqué” l’arrivée du panache atomique en provenance de Tchernobyl, alors que des doses radioactives largement supérieures à la normale étaient décelées le jour-même et le lendemain de la Suède (2) jusqu’au midi de la France. Ce que savait pertinemment le gouvernement qui ne se gênait pas de déclarer que “du point de vue de la santé publique, il n’y a aucun risque” (3). Au ministère de l’Intérieur, tenu par un dénommé Pasqua, on savait qu’en Corse par exemple la contamination par l’iode 131 était de 10 000 becquerels par litre de lait (ce qui est une dose hautement dangereuse), le gouvernement ne prenait aucune mesure particulière, à part répéter la même litanie, celle que servaient au peuple les éteigneurs de lanternes du Moyen-Age : “Tout va bien, bonnes gens, dormez tranquilles !”
Et si l’effet de la pollution atomique a été largement sous-évalué, en particulier en France dont le lobby nucléaire est d’une importance cruciale pour son indépendance énergétique et militaire, la dangerosité de la centrale n’a quant à elle pas cessé. Les risques d’effondrement du sarcophage existant et de fusion du réacteur sont toujours imminents, tandis que les émanations radioactives continuent de pourrir l’environnement à des dizaines de kilomètres alentour. Pourtant la bourgeoisie et nombre de ses prostitués qui manient le verbiage de ceux qui savent se sont efforcés de “positiver” une prétendue nouvelle “norme” de vie initiée par la catastrophe de Tchernobyl. Une sorte de mode a ainsi pris son essor il y a quelques années consistant à se faire une balade, sous escorte d’un guide et d’un compteur Geiger, dans la zone interdite de Tchernobyl. Après Dysneyland, Tchernoland ! Non seulement des touristes en mal de sensations mais aussi des journalistes en mal de scoops y font donc de fréquentes incursions. Certains prétendus “scientifiques” prétendent même que la vie sauvage y a repris ses droits avec des chevaux sauvages et des loups en pleine santé, développant diverses théories sur les potentialités des cellules à “se réparer” devant les attaques des atomes ionisants, ce qui est en effet une véritable capacité du monde vivant, confronté à une radioactivité naturelle permanente. Mais on sent dans ces théorisations le souffle frelaté du bourgeois qui voudrait à la fois minimiser le danger monstrueux du nucléaire et même répéter que la présence de taux élevés de radioactivité, dans la mesure où ils sont “stables”, fait que la région est devenue “habitable”. Tchernobyl serait en passe de devenir avec le temps un milieu original, celui de la “genèse” d’une nouvelle norme “propice à la vie”.
Voilà qui devrait rasséréner les victimes de Tchernobyl, mortes ou en passe de la devenir, ainsi que les enfants nés de malformations et de handicaps profonds, physiques et mentaux. Voilà aussi qui devrait rassurer les victimes d’Hiroshima et de Nagasaki et dont les enfants et petits-enfants subissent encore jusqu’à aujourd’hui les séquelles de ces bombardements atomiques.
L’accident de la centrale de Fukushima, en totale perdition, est passé en niveau 7, égalant le triste record de… Tchernobyl ! Joyeux anniversaire !
Les taux de radioactivité ne cessent de monter, le gouvernement nippon a repoussé à 30 km la zone de “sécurité” autour de la centrale (recommandation qui sous-estime celle des Etats-Unis qui l’ont repoussée pour leurs ressortissants à 80 km), ce qui ne l’empêche pas de continuer à mentir et trafiquer les chiffres devant une situation qu’il est incapable de maîtriser. Ainsi, vingt établissements scolaires, écoles maternelles, primaires et collèges autour de la ville de Fukushima ont été réouverts. Des mesures plus approfondies dans la région, comme à Tsushima, un village à l’extérieur de la zone d’évacuation volontaire de 30 km, laissent aussi paraître des niveaux de contamination jusqu’à 47 microSieverts par heure. L’exposition humaine à un tel degré de radioactivité signifie que la dose maximale admissible pour une année est atteinte en 24 heures. Toutes les cultures de la région sont contaminées, tandis que le gouvernement ne donne aucune consigne claire quant à leur utilisation. L’eau déversée dans la mer est environ 100 fois plus radioactive que les seuils autorisés, a précisé Tokyo Electric Power (Tepco), l’opérateur de la centrale mais, selon le gouvernement japonais, “il n’y a pas d’autre solution”, car Tepco n’a plus de place pour stocker une eau encore plus radioactive ayant servi à refroidir les réacteurs.
Comme à Tchernobyl, il n’y aura aucune autre option que de recouvrir les réacteurs d’un sarcophage de béton, mais, selon un reportage de Reuters, cela serait beaucoup plus difficile qu’à Tchernobyl, ne serait-ce que du fait qu’il s’agit d’une zone hautement sismique. Et même, une telle mesure n’empêchera pas la formation d’un “désert nucléaire” à long-terme autour de la centrale, alors que des milliers de tonnes de dérivés hautement radioactifs resteront sur le site et que la contamination s’est répandue dans toute la zone d’exclusion. Selon de nombreux experts, le “nettoyage” de la zone autour de Fukushima prendra plusieurs décennies.
Le Premier ministre japonais, Naoto Kan, a fini par déclarer “l’état d’alerte maximale”, laissant entendre que trois des réacteurs nucléaires situés à Fukushima sont présentement en fusion. Le réacteur no 3, qui fonctionnait depuis peu avec du MOX, un mélange d’uranium et de plutonium, est fissuré [191] et donc des fuites y sont présentes. D’ailleurs, des échantillons prélevés à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments ont décelé du plutonium [192], l’élément chimique le plus toxique connu de la science. Tepco, qui est évidemment de la plus grande opacité, a été contraint de reconnaître que des taux de radiation 100 000 plus élevés que la norme ont été mesurés dans de l’eau contaminée sous le réacteur no 2, dans des tunnels, et qui se déversent maintenant dans l’océan adjacent [193]. La nappe phréatique sous la centrale a des taux de radioactivité 10 000 fois supérieurs à la “normale”.
Pourtant, l’horreur qui est en train de se produire au Japon, avec toutes ses conséquences, était annoncée. De nombreux scientifiques, dont le professeur Katsuhiko, avaient dénoncé dès 2006 la “vulnérabilité fondamentale” aux séismes de cette centrale. Mais, dans le capitalisme, la science ne doit servir qu’aux intérêts capitalistes, et advienne que pourra !
Barack Obama déclarait le 29 avril à Tusaloosa en Alabama, après la série de tornades qui a fait des centaines de morts et des milliers de blessés, du jamais vu depuis 1925 : “Nous ne pouvons pas contrôler où et quand une terrible tempête va frapper, mais nous pouvons contrôler la façon dont nous y répondons.”
Voilà la logique bourgeoise, on voudrait bien, on sait que c’est dangereux, mais on s’en fout.
Mulan (30 avril)
1) Déclaration imposée aux services météorologiques et reprise au JT d’Antenne 2 le 30 avril au soir.
2) Au soir même du 26 avril, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants avait équipé en catimini les avions d’Air France de filtres permettant d’analyser l’atmosphère vers le nord et l’est de l’Europe.
3) JT d’Antenne 2 du 29 avril à 13 h.
A l’heure où les spécialistes de l’environnement tirent la sonnette d’alarme, où les océans, pollués par toute sorte de produits chimiques, sont de plus en plus saturés de déchets plastiques, où boire l’eau du robinet prend une allure de roulette russe, la classe capitaliste et ses spécialistes à la solde des compagnies gazières nous annoncent fièrement qu’ils vont développer une nouvelle méthode de production gazière très rentable : l’extraction du gaz de schiste. Cette “alternative” énergétique permettrait entre autres à la France d’être autonome pour ses besoins en gaz pendant des décennies et ainsi de réduire le coût de ses dépenses en énergie. Bien des Etats se penchent donc sur cette nouvelle recette miracle. En France, le 21 avril dernier, une mission d’inspection des ministères de l’Industrie et de l’Ecologie a rendu un rapport très attendu au gouvernement pour présenter les enjeux des huiles et gaz de schiste dont les sous-sols semblent regorger. En vue de la grande mascarade démocratique de 2012, il faut reconnaître que tous les partis politiques semblent unanimes pour dénoncer le manque de recul et de réflexion pour accorder des permis d’exploration et d’exploitation. “En clair, le gouvernement n’est pas prêt à décider quoi que ce soit avant l’élection présidentielle de 2012, et d’ici là, la loi Jacob aura peut-être été adoptée” (le Monde du 23 avril 2011). Toutefois, il est à noter que ce rapport ne ferme pas la porte à une possible exploration des gaz de schiste : “Il serait dommageable pour l’économie nationale et pour l’emploi que notre pays aille jusqu’à s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle.”
Pour ainsi dire, il n’y a rien de véritablement “révolutionnaire” dans cette production de gaz. Il s’agit de forer le sol à une certaine profondeur jusqu’à atteindre une couche de schiste ou plus précisément de roche sédimentaire argileuse (appelée “shale” par les géologues canadiens) et d’en extraire les hydrocarbures par pompage. Rien de bien nouveau depuis le premier puits de gaz foré en 1821 à Fredonia aux Etats-Unis, dans une formation de schiste du dévonien. Rapidement abandonnée au profit de l’exploitation des réservoirs de gaz conventionnel, cette méthode fait aujourd’hui son retour “en grandes pompes” avec quelques modifications tout à fait stupéfiantes !
La méthode traditionnelle d’extraction de gaz conventionnel consiste en un forage vertical au dessus de la poche de gaz à exploiter. Le nouveau procédé s’appuie sur le forage directionnel (souvent horizontal), associé à la fracturation hydraulique. Le forage directionnel consiste à forer non pas verticalement, mais à une profondeur et un angle qui permettent au puits de rester confiné dans une zones potentiellement productrices (1). La fracturation hydraulique consiste à provoquer un grand nombre de micro-fractures dans la roche contenant du gaz, permettant à celui-ci de se déplacer jusqu’au puits afin d’être récupéré en surface. La fracturation est obtenue par l’injection d’eau à haute pression dans la formation géologique. On injecte également du sable de granulométrie adapté qui va s’insinuer dans les micro-fractures et empêcher qu’elles ne se referment. Du point de vue technique, il faut reconnaître que ce procédé est très astucieux. Mais en y regardant de plus près… il s’avère être une menace immédiate sur le plan écologie et sanitaire. Outre la consommation en eau particulièrement vorace de ce procédé (2), on ajoute des additifs dans l’eau pour améliorer l’efficacité de la fracturation, parmi lesquels figurent :
– des lubrifiants, qui favorisent la pénétration du sable dans les micro-fractures ;
– des biocides destinés à réduire la prolifération bactérienne dans le fluide et dans le puits ;
– des détergents qui augmentent la déportation du gaz et donc la productivité des puits ;
– des produits pour gélifier l’eau et autres anti-corrosions…
La liste est encore longue. Selon le Centre Tyndall (université de Manchester), certains de ces additifs seraient toxiques et cancérigènes.
Pour le forage des douze puits d’une plate-forme, c’est au total jusqu’à 7000 tonnes d’additifs toxiques qui peuvent être déversés dans les sous-sols, risquant ainsi de contaminer l’eau contenue dans les nappes phréatiques environnantes. Si, pour certains spécialistes comme Didier Bonijoly, chef du bureau des recherches géologiques et minières, ce risque serait minime du fait qu’“en général, les couches de schiste visées par les explorations en France sont bien trop profondes pour que les fissures puissent atteindre les nappes phréatiques proches de la surface”, son homologue Bernard Collot, un géologue ancien d’Exxon, a la lucidité de reconnaître : “dans nos régions géologiquement agitées, les couches de schistes sont plissées et fracturées, si bien qu’on peut imaginer une migration verticale des additifs par les failles de schiste”. En France, le risque de pollution à grande échelle est bien réel.
Le film documentaire de Josh Fox intitulé “Gasland”, diffusé sur Canal + en avril dernier, est très explicite et démonstratif. On y voit des familles américaines, vivant à proximité des fameuses plate-formes de forage, condamnées à souffrir des conséquences de cette exploitation sauvage. Par les robinets des maisons, de l’eau pétillante contaminée par les hydrocarbures se déverse devant les yeux pleins de colère des habitants impuissants. Un homme approche une flammèche du filet d’eau trouble… et tout l’évier est envahi de flammes ! Plus tard, on apprend qu’une famille aura bu cette eau contaminée pendant plusieurs années avant de se rendre compte de sa toxicité. Il faut également remarquer que le procédé de fracturation peut entraîner la migration de certains éléments radioactifs contenus dans les sous-sols vers, entre autres, des nappes phréatiques !
Et ce n’est là qu’un début. La société norvégienne Statoil [196], impliquée dans une coentreprise [197] avec Chesapeake Energy [198] pour produire le gaz de schiste du Marcellus Shale dans le nord-est des Etats-Unis, veut profiter de son “expérience” pour développer le gaz de schiste en Europe. La société russe Gazprom [199] a annoncé en octobre 2009 qu’elle envisageait l’achat d’un producteur américain de gaz de schiste afin d’acquérir une expertise qu’elle pourrait utiliser pour développer le potentiel de la Russie. Dans le Barnett Shale au Texas [200], la compagnie pétrolière française Total SA [201] participe à une coentreprise [197] avec Chesapeake Energy, alors que la société italienne ENI [202] a acquis une participation dans Quicksilver Resources. En Autriche, l’exploration est en cours. OMV [203] travaille sur un bassin prometteur, près de Vienne [204]. En Allemagne, Exxon Mobil [205] détient des baux sur 750 000 hectares dans le bassin inférieur de la Saxe [206], où elle projetait de forer dix puits de gaz de schiste en 2009. Cette [205] même compagnie a foré le premier puits de gaz de schiste en Hongrie [207] dans la fosse Mako, en 2009. En Angleterre, Eurenergy Resource Corporation a annoncé son intention de forer pour du gaz de schiste dans le bassin Weald [208], situé dans le sud du pays. La Royal Dutch Shell [209] évalue la viabilité des schistes d’Alum, dans le sud de la Suède, comme source de gaz de schiste. Beach Petroleum Limited a annoncé son intention de forer pour du gaz de schiste dans le bassin de Cooper, en Australie-Méridionale [210]. La Chine s’est fixé un objectif de production de 30 milliards de mètres cubes par an à partir des schistes…
Voilà se dessiner une fois encore l’avenir glorieux que nous annonce cette société décadente, pourrie jusqu’à la moelle ! Les contraintes économiques qui poussent ces grandes compagnies à développer des méthodes d’extraction toujours plus complexes, profondes et… risquées, rappellent étrangement la catastrophe de la plate-forme Deapwater survenue dans le golfe du Mexique il y a tout juste un an.
Le capitalisme ne s’arrêtera jamais de détruire la planète.
Maxime (26 avril)
1) “Selon Total, dix à quinze puits peuvent être installés sur une même plate-forme de forage, afin de rayonner dans toutes les directions. Le forage horizontal peut aller jusqu’à trois kilomètres” (le Point, 11.04.2011).
2) “Compte tenu du recyclage possible d’une partie de cette eau (entre 20 et 80 %), il faut prévoir 200 000 mètres cubes pour forer les douze puits d’une plate-forme” (idem).
Depuis le début des révoltes sociales dans les pays arabes, la presse chinoise est extrêmement discrète sur les événements. Tout au plus sont-ils présentés comme l’œuvre de l’impérialisme américain, sans écho envisageable en Chine.
Mais au-delà du discours de façade des autorités chinoises, c’est bien une contagion à laquelle s’attend la bourgeoisie mondiale dans ce pays, comme le montre cet article de presse de janvier 2011 : “Une étude du CNRS dans le Sud de la Chine montre une combativité nouvelle qui pourrait déboucher sur une grève générale. […] Depuis un an, on voit se multiplier les conflits du travail. De ce fait, les salaires montent. Les journaux ont même fait état de plusieurs conflits, dans des entreprises taïwanaises ou japonaises, lesquels se sont soldés par de très conséquentes hausses de salaires. Le mouvement est tellement fort que de plus en plus d’observateurs parlent de la possibilité d’une grève générale en Chine du Sud. [...] les conditions sont réunies pour un printemps ouvrier en Chine du Sud, explosif ou rampant, mouvement qui a déjà commencé ; tout porte à penser qu’il va se développer dans les mois qui viennent” (1).
Et le sud de la Chine n’est pas la seule région à connaître des conflits sociaux. Après les grèves massives de mai à juillet 2010 (2), qui se sont principalement soldées par des augmentations de salaire allant de 20 à 70 % selon l’endroit (3), des mouvements sporadiques de moindre ampleur continuent à toucher la moitié est du pays, là où la classe ouvrière est la plus concentrée, et concernent un grand nombre de secteurs : usines de batteries (Huizhou), d’électronique (Longhua, Foshan, Shenzhen), de textiles (Wuhan), chantiers de construction (Shanghai, Zunhua, Wuzhou, Canton), transports en commun (Shenzhen), éducation (Shenzhen), assainissement (Canton), chômeurs (Emeishan). Et ce qui caractérise ces mouvements, qui mobilisent parfois plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’ouvriers, c’est à la fois leur caractère spontané et leurs principales revendications, dans lesquelles chaque prolétaire peut se reconnaître au-delà de son lieu de travail ou de son secteur : hausse des salaires, paiement des heures supplémentaires et des arriérés de salaire, paiement des indemnités de licenciement et de maladie professionnelle, meilleures conditions de travail, lutte contre les licenciements et le chômage, protestation contre la répression patronale et étatique…
Même si les revendications ouvrières sont parfois en grande partie satisfaites, notamment dans les entreprises étrangères, c’est loin d’être une généralité et cela ne se passe pas sans heurts : une répression féroce est à l’œuvre.
D’un côté, il y a la répression de l’État stalinien. Si habituellement il s’agit de matraquages suivis d’arrestations, en janvier la police n’a pas hésité à tirer à balle réelle sur une manifestation d’une centaine d’ouvriers protestant contre leur salaire misérable, faisant plusieurs blessés (4).
De l’autre, il y a la répression patronale. Outre les classiques menaces de licenciement envers les grévistes, il est aussi fait usage de nervis issus des couches déclassées, du lumpenprolétariat, transportés par dizaines voire par centaines au devant des ouvriers, parfois armés de couteaux et de tubes métalliques, et se vantant pour certains d’être payés 50 $ par jour pour casser du gréviste ; bien évidemment, la police n’est jamais présente sur les lieux au moment même de ces exactions, qui font à chaque fois de nombreux blessés (5).
Mais la répression brutale est insuffisante pour venir à bout du mécontentement ouvrier ; il est nécessaire pour la bourgeoisie d’avoir également recours à son principal outil de sabotage des luttes : le syndicalisme.
Le syndicat unique lié au Parti “communiste” chinois au pouvoir, la Fédération des Syndicats de toute la Chine (ACFTU) (6), est aujourd’hui fortement discrédité. “En effet, en cas de grève, le syndicat n’hésite pas à prendre l’initiative pour renvoyer des salariés grévistes, ou embaucher des non-grévistes. [...] Il n’est pas rare que le syndicat envoie des milices pour taper sur les grévistes” (7). De plus, “les leaders syndicaux sont désignés par le Parti communiste, payés par les entreprises dans lesquelles ils officient, et pour beaucoup sont des membres du Parti communiste, voire des comités de direction des entreprises dont ils sont censés défendre les travailleurs. Par exemple, à l’usine Honda de Foshan, touchée par un mouvement de grève en mai, les représentants syndicaux étaient le directeur de l’usine et d’autres cadres dirigeants.” Cette situation rend indispensable de redorer le blason syndical et d’accroître son influence, en profitant des illusions sur le syndicalisme toujours présentes chez les ouvriers. D’une part, “il est prévu de changer le mode de rémunération des leaders syndicaux, et de permettre leur élection par la base des travailleurs. Les leaders syndicaux pourraient donc bientôt être payés directement par l’ACFTU, et choisis par les travailleurs dans un processus de “gestion démocratique” des syndicats au niveau local” (8). D’autre part, l’ACFTU était jusque l’année dernière très peu implantée dans les entreprises privées, chinoises ou étrangères, et ne syndiquait quasiment pas d’ouvriers migrants, pour la plupart de jeunes prolétaires arrivés des campagnes chinoises, subissant les salaires les plus bas et les conditions de travail les plus difficiles, et qui font preuve d’une grande combativité dans les luttes ; l’extension de la présence de l’ACFTU dans ces directions est ainsi devenue une priorité pour la bourgeoisie chinoise (9).
Pour réussir dans cette entreprise de renforcement de l’appareil d’encadrement, quoi de mieux que de s’adresser aux champions toutes catégories du sabotage syndical : les bourgeoisies des pays centraux du capitalisme. En témoigne cette tournée aux États-Unis d’une délégation de dirigeants de l’ACFTU partis rencontrer leurs homologues américains afin “d’améliorer leurs relations” (10), ou encore ces “séances d’échanges entre syndicalistes chinois et français” (11).
La bourgeoisie mondiale n’a en effet aucun intérêt au développement de la lutte de classe dans quelque partie du monde que ce soit, et pour contrer celle-ci elle est toujours capable de passer outre ses rivalités économiques et impérialistes. Pour la combattre, le prolétariat devra lui opposer sa solidarité de classe internationale.
DM (21 avril)
1) http ://dndf.org/ ?p=8835 [211]
2) Voir notre article : “Une vague de grèves parcourt la Chine [212]”, Révolution internationale no 415.
3) www.clb.org.hk/en/node/100813 [213].
4) http ://dndf.org/ ?p=8843 [214]
5) http ://chinastrikes.crowdmap.com/reports/view/59 [215] et http ://chinastrikes.crowdmap.com/reports/view/57 [216]
6) “All-China Federation of Trade Unions” en anglais de Hong-Kong.
7) http ://dndf.org/ ?p=8835 [211]
8) http ://dndf.org/ ?p=7498 [217]
9) www.clb.org.hk/en/node/101029 [218].
10) www.clb.org.hk/en/node/100837 [219].
11) http ://dndf.org/ ?p=8835 [211]. Ainsi, après avoir envisagé d’apporter le concours de sa police pour venir à bout des révoltes sociales en Tunisie, la France envoie ses syndicats en Chine afin de prévenir de telles révoltes. Décidément, le savoir-faire français en la matière s’exporte bien.
Comme on s’y attendait depuis quelque temps, l’armée française est intervenue massivement en Côte-d’Ivoire en utilisant chars, missiles et autres armements lourds pour déloger Gbagbo de son bunker et installer Ouattara au pouvoir, en bombardant au passage résidences et autres édifices, provoquant sans doute nombre des victimes. Cependant, plusieurs jours après cette pluie de bombes et tirs de missiles, on ne sait rien du nombre de ces victimes. En effet, on a beau faire le tour d’une dizaine de médias (presse écrite et audiovisuels français), pas un seul chiffre n’a été avancé ; comme si on voulait nous faire croire qu’il s’agissait d’opérations ultra-“chirurgicales” évitant sciemment tout être humain. Tout au plus, certains projecteurs continuent de montrer des cadavres sauvagement exposés autour et au milieu des passages empruntés par les chars français au cours de leurs actions. Duplicité suprême, les autorités françaises justifient sans honte leur entreprise criminelle au nom de la “protection” des civils et à la demande de l’ONU. Gros mensonge et hypocrisie sans borne, car cela fait des mois que la population et les civils en Côte-d’Ivoire se font massacrer quotidiennement par les bandes et troupes armées sous les regards complices des forces de l’ONU et de la “Licorne”. Cette attitude de l’ONU et de la France relève du cynisme des grands charognards capitalistes.
En effet, comme toutes ses interventions passées, cette fois-ci encore l’impérialisme français s’est mis en première ligne, mais hypocritement “sous couvert” de l’ONU, dont le rôle habituel consiste justement à accompagner les tueurs. La vérité dans cette histoire est celle que décrit si bien cet éminent connaisseur de la “Françafrique” : “Ainsi, donc loin des discours sans cesse martelés depuis 2007 sur sa volonté de rompre avec les turpitudes interventionnistes, auxquelles se sont livrés tous ses prédécesseurs de la Ve République, Nicolas Sarkozy a remis au goût du jour les propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Louis de Guiringaud, qui, en 1978, déclarait sans ambages que “l’Afrique est la seule région du monde où la France peut se prendre pour une grande puissance capable de changer le cours de l’histoire avec 500 hommes”. […] Les bombardements aériens quotidiens, dont celui du 10 avril visant directement la résidence de Laurent Gbagbo, et le soutien logistique, stratégique et militaire apporté aux forces d’Alassane Ouattara n’entrent assurément pas dans le mandat donné par la résolution 1975 du Conseil de sécurité, en date du 30 mars.[…] Dans pratiquement tous les cas où l’armée française a agi pour voler au secours d’un président ami menacé par des troubles intérieurs, ou installer un chef d’Etat en lieu et place de celui qui est au pouvoir, les dirigeants français ne se sont jamais embarrassés de savoir si le droit, comme par exemple l’existence d’un accord international, les y autorisait. Pire, la protection ou l’évacuation des nationaux français a parfois été le prétexte pour une opération de maintien de l’ordre destiné à garder au pouvoir un président, comme ce fut le cas au Gabon, en 1990, où l’armée française, après avoir sécurisé les nationaux à Port-Gentil, a été surtout assignée à des tâches de maintien de l’ordre à Libreville qui ont permis d’asseoir le pouvoir d’Omar Bongo” (Albert Bourgi, le Monde du 16 mars 2011).
En réalité, la France préparait son intervention armée dès le lendemain de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de novembre/décembre 2010. C’est dans ce cadre qu’elle a préparé et armé le camp Ouattara en guidant celui-ci dans ses opérations, y compris les plus monstrueuses comme celles ayant abouti aux massacres de Duékoué.
“Massacres à dimension politico-ethnique, immolations, viols, exécutions sommaires, pillage : une série d’atrocités ont été commises dans l’extrême ouest de la Côte-d’Ivoire au mois de mars au moment où, à Abidjan, l’affrontement militaire entre le président sortant, Laurent Gbagbo, et le président élu, Alassane Ouattara, focalisait l’attention des observateurs. Si les soldats de M.Gbagbo ont alors tué plus d’une centaine de partisans de son rival, les massacres commis par les forces républicaines de Côte-d’Ivoire (FRCI) de M.Outtara semblent revêtir une autre dimension : elles ont tué des centaines de civils, ciblés comme étant prétendument pro-Gbagbo, violé au moins 23 femmes et brûlé au moins 10 villages pendant leur offensive du mois de mars, selon un rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) publié vendredi 8 avril au soir” (le Monde du 11 avril 2011).
Et, au bout du compte, on dénombre au moins 800 morts selon la Croix-Rouge, un millier selon l’ONG catholique Caritas. Ce sont là les nouvelles autorités ivoiriennes que l’armée française vient d’installer au pouvoir, c’est-à-dire un gouvernement Ouattara “démocratiquement élu” qui entame son mandat en sanguinaire ordinaire.
Ce terrible récit se passe de commentaires sur le degré de barbarie et de monstruosité dont ont fait (et font encore) preuve les deux camps sanguinaires.
“Au repli identitaire ivoirien dont il se faisait le champion, Laurent Gbagbo avait greffé une semelle nationaliste. Celle-ci préconisait à terme “l’indigénisation” partielle de l’économie ivoirienne et la diversification des investissements étrangers en Côte-d’Ivoire. Il s’agissait alors pour M. Gbagbo d’affranchir son pays de sa dépendance systématique historique envers la France. Il s’est alors tourné vers la Chine. En moins d’une décennie, le volume des échanges entre la Côte-d’Ivoire et la Chine explose. D’une cinquantaine de millions d’euros en 2002, il oscille autour du demi-milliard d’euros en 2009. Favorisée par la crise économique en Occident et regorgeant de surplus commerciaux et de devises, la Chine a supplanté la France et les Etats-Unis en Afrique. Le triomphe de la diplomatie économique chinoise en Afrique de l’Ouest notamment confirme la proximité géopolitique entre M.Gbagbo et la gérontocratie pékinoise. L’éviction de la France par la Chine en Côte-d’Ivoire et en Afrique est perçue par le Quai d’Orsay comme une gifle géopolitique inacceptable. Dès lors, la destitution de M.Gbagbo faisait partie des priorités stratégiques de la France” (Willson Saintelmy, le Monde du 16 mars 2011).
Contrairement à la propagande véhiculée par les médias nationaux, cette intervention armée de Sarkozy n’a aucun objectif humanitaire mais elle a pour seul but de défendre les sordides intérêts du capital national. Et ce n’est pas par hasard que les principales forces politiques françaises, de droite comme de gauche, soutiennent cette sale intervention.
Amina (20 avril)
Carlo Rovelli (1) a écrit un ouvrage paru en 2009 intitulé Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique (2).
Parmi la somme d’ouvrages qui abordent la méthode scientifique, ce livre doit retenir l’attention car son auteur fait preuve d’un esprit d’ouverture à saluer. Dans l’introduction de son livre, C. Rovelli montre d’emblée ce qui apparaît clairement comme étant la motivation première qui a présidé à l’écriture de son ouvrage : “En ouvrant, pour reprendre les mots de Pline (3), “les portes de la nature”, Anaximandre (4) a en effet ouvert un conflit titanesque : le conflit entre deux formes de savoirs profondément différents. D’un côté, un nouveau savoir sur le monde fondé sur la curiosité, sur la révolte contre les certitudes et donc sur le changement. De l’autre, la pensée alors dominante, principalement mystico-religieuse, et fondée, dans une large mesure, sur des certitudes qui, par nature, ne peuvent être mises en discussion. Ce conflit a traversé l’histoire de notre civilisation, siècle après siècle, avec victoires et défaites de part et d’autres. Aujourd’hui, après une période où les deux formes de pensées rivales semblaient avoir trouvé une forme de coexistence pacifique, ce conflit semble s’ouvrir à nouveau. De nombreuses voix, d’origines politiques et culturelles assez différentes chantent à nouveau l’irrationalisme et le primat de la pensée religieuse” (p. 7).
Nous ne pouvons que souscrire à cette triste constatation de l’auteur. Celui-ci continue en affirmant : “L’issue incertaine de ce conflit détermine notre vie de tous les jours, et le sort de l’humanité” (page 8).
Anaximandre vécut dans la cité de Milet (5) au vie siècle avant J.-C. Mais bien avant lui et depuis fort longtemps, le savoir avait été développé par la civilisation humaine. L’écriture est utilisée depuis trois millénaires. Les lois sont écrites depuis au moins douze siècles sur de splendides blocs de basalte (visibles au Louvre). Les mathématiques correspondent déjà au savoir actuel d’un enfant de CE2 : “Retenons qu’il a été tout sauf facile pour l’humanité de rassembler des connaissances qu’un enfant de huit ans d’aujourd’hui assimile sans difficultés” (p. 15).
C. Rovelli développe d’emblée, tout au long de son ouvrage, une réflexion faisant le lien entre l’évolution du savoir scientifique et le type de société et d’organisation politique dans laquelle elle s’inscrit.
Pour lui, la forme fondamentale de l’organisation politique des grandes civilisations est la monarchie : “C’est cette structure monarchique qui permet le développement de la civilisation. Elle constitue la garantie de stabilité et de sécurité nécessaire à la complexification des relations sociales” (p. 15). Mais ce type de société monarchique a aussi ses limites, notamment sous l’angle de l’immobilisme qui y règne et des représentations sociales et religieuses qui y sont associées et qui déterminent une “image du monde”. Il nous donne ainsi l’exemple de la civilisation chinoise, capable d’amasser pendant des millénaires une somme de connaissances extraordinaires sur l’astronomie, mais incapable d’en dégager une réalité correcte en lien rationnel avec ses observations. Elle devra ainsi attendre le xvie siècle et la venue du jésuite Matteo Ricci pour accéder aux connaissances développées depuis bien longtemps par l’astronomie grecque et européenne et ainsi comprendre que la terre n’était pas carrée mais ronde.
C’est avec cette même démarche que l’auteur nous montre ce qu’a été Milet pour la naissance de la pensée scientifique : “C’est ici que naît le libre esprit d’investigation qui deviendra la marque distinctive de la pensée grecque et plus tard du monde moderne” (p. 29).
Il décrit Milet comme une ville marchande, un endroit où de nombreuses cultures différentes et formes de pensées se sont réunies : “Une florissante petite cité portuaire ionienne, d’où partent et où arrivent sans cesse des navires de commerce. Où chaque citoyen se sent sans doute plus maître de son destin et de celui de sa cité qu’un anonyme sujet du pharaon ! […] L’Ionie est le pivot entre l’occident et l’orient. Enfin au sud, d’où arrivent les navires phéniciens par lesquels les Grecs ont appris à écrire […] Milet est donc la scène d’un processus politique complexe, qui rappelle celui d’Athènes et celui plus tardif et bien connu de Rome” (p. 28 à 31).
Tout aussi déterminante fut la structure politique et sociale de cette cité où, pour la première fois, quelle que soit sa complexité et les différentes formes qu’elle peut prendre, “on assiste à une remise en question continuelle de la gestion de la chose publique” (p. 95). De cette “désacralisation et cette laïcisation de la vie publique, qui passe des mains des rois à celle des citadins, s’ouvre un processus de désacralisation et de laïcisation du savoir” (p. 95). “Au moment où les cités grecques chassent les rois, quand elles découvrent qu’une collectivité humaine hautement civilisée n’a pas besoin d’un roi-dieu pour exister, qu’au contraire elle fleurit mieux sans roi-dieu, à ce moment la lecture de l’ordre du monde se libère de la sujétion aux dieux créateurs et ordonnateurs, et de nouvelles voies s’ouvrent pour comprendre et ordonner le monde” (p. 95). “La loi que cherche Anaximandre pour comprendre le cosmos est sœur de la loi que les citoyens de la Polis cherchent pour s’organiser” (p. 95). Ce sont ces conditions qui ont présidé à la naissance de la pensée scientifique d’Anaximandre dans la ville de Milet.
Un siècle avant Anaximandre, au sein de la Grèce archaïque, un autre penseur marque son temps : l’historien Hésiode. Son monde et sa pensée sont très humains. Il s’interroge sur le sens de l’humanité et la peine de la vie dans les Travaux et les Jours et sur la naissance et l’histoire de l’univers dans sa théogonie (6). Autant de travaux qui s’inscriront dans les recherches futures et notamment à Milet. Pourtant, comme le dit C. Rovelli : “Les réponses qu’offre Hésiode, quoique sans doute un peu plus complexes, sont taillées dans la même étoffe que celle que nous trouvons partout autour du monde, et en particulier dans la vallée du Tigre et de l’Euphrate : une étoffe faite exclusivement de dieux et de mythes” (p. 23). Lorsque Hésiode se pose les questions “comment le monde est-il né et de quoi est-il fait ?”, il ne peut répondre dans sa théogonie que par ce que nous pourrions résumer ainsi, la force et le désir des dieux. “De tous les textes qui sont arrivés jusqu’à nous, c’est exclusivement par ces mythes que la pensée confère un ordre au monde. Et c’est au pouvoir des dieux, ou en tout cas d’entités surnaturelles, que l’homme attribue les responsabilités des événements du monde” (p. 25). “Selon certains, l’activité religieuse humaine ou en tout cas “rituelle”, remonte au moins à 200 000 ans, sinon à l’origine du langage. C’est aujourd’hui une opinion consensuelle que la pensée religieuse était la pensée universellement dominante, dans toutes les cultures antiques dont nous avons la trace” (p. 152). C’est à ce moment-là de son analyse sur la pensée pré-scientifique que l’auteur choisit d’introduire l’importance de la naissance de la pensée d’Anaximandre pour la pensée scientifique : “Anaximandre invente quelque chose de nouveau : une lecture du monde où la pluie n’est pas décidée par Zeus mais causée par la chaleur du soleil et par le vent, et où le cosmos ne naît pas d’une décision divine mais d’une boule de feu. Il propose d’expliquer le monde de l’origine du cosmos jusqu’à l’origine des gouttes de pluie, sans faire référence aux dieux” (p. 139).
Anaximandre va tirer les premières conséquences scientifiques d’observations déjà millénaires. La liberté de pensée d’Anaximandre va lui permettre de remettre en cause de manière constructive les enseignements de son maître Thalès et des sages ou autres savants chinois. “A mi-chemin entre la révérence absolue des pythagoriciens envers Pythagore, de Mencius envers Confusisus, de Paul envers le Christ, et le rejet brutal de celui qui pense différemment de soi, Anaximandre ouvre une troisième voie. Le respect d’Anaximandre à l’égard de Thalès est clair, et il est évident qu’il s’appuie complètement sur ses conquêtes intellectuelles. Et pourtant, il n’hésite pas à dire que Thalès s’est trompé, en ceci et en cela, et qu’il est possible de faire mieux. Ni Mencius, ni Paul de Tarse, ni les pythagoriciens n’ont compris que cette troisième voie, étroite, est le chemin de la connaissance” (p. 82).
Ici, c’est la nature même de la démarche scientifique qui est mise en lumière : “La science est avant tout une exploration passionnée d’une nouvelle façon de penser le monde. Sa force ne tient pas aux certitudes qu’elle fournit, mais au contraire à une conscience aiguë de l’étendue de notre ignorance. C’est cette conscience qui nous pousse à sans cesse douter de ce que nous croyons savoir et ainsi nous permet d’apprendre toujours. La recherche de la connaissance ne se nourrit pas de certitudes : elle se nourrit d’une absence radicale de certitudes” (p. 2). Ce que nous dit ici C. Rovelli, c’est qu’il n’existe pas de vérité absolue, vraie de tout temps et pour toujours. La matière, la vie, la pensée, la science sont mouvement.
Malgré cela, la science est source de sécurité. La théorie scientifique est indispensable à la construction de la civilisation humaine. En ce sens, comme le dit l’auteur : “La théorie de Newton ne perd pas sa valeur après Einstein” (p. 107). Comme l’idée de lois naturelles d’Anaximandre et de Pythagore ne perdent pas de leur importance pour le développement de la science avec Platon ! “S’il serait candide de prétendre savoir comment est fait le monde sur la base du peu que nous en connaissons, il serait franchement idiot de mépriser ce que nous savons, seulement parce que demain nous pourrions en savoir un peu plus. […] L’humanité parcourt une voie vers la connaissance qui sait se tenir loin des certitudes de ceux qui se croient dépositaire de la vérité, sans pour autant être incapable de reconnaître qui a raison et qui a tort […]” (p. 6).
Plus profondément encore, comme Anaximandre l’écrit lui-même dans le seul texte qu’il nous reste de lui rapporté par Simplicius (7) : “Toutes choses ont racines l’une dans l’autre et périssent l’une dans l’autre selon la nécessité. Elles se rendent justice l’une à l’autre et se récompensent à l’injustice conformément à l’ordre du temps” (p. 74).
C. Rovelli rend justice à Anaximandre et à ses intuitions. Avant Anaximandre, on se représentait la Terre avec le ciel au-dessus d’elle, celle-ci devant nécessairement reposer sur quelque chose. Anaximandre fait cette découverte “qui a elle seule suffirait à faire de lui un géant de la pensée” (p. 1) : la terre flotte dans le ciel. Il n’y a plus de haut ni de bas. Ces notions n’ont de sens que par rapport à la Terre elle-même.
Ce qui semble aujourd’hui une évidence, l’espèce humaine a mis 200 000 ans à le découvrir. Pourquoi ? “La difficulté est que la Terre flotte dans l’espace contredit violemment l’image que nous avons du monde. C’est une idée absurde, ridicule et incompréhensible. La difficulté principale est d’accepter que le monde puisse ne pas être comme nous croyions qu’il était. Que les choses puissent ne pas être comme elles apparaissent. La vraie difficulté est d’abandonner une image qui nous est familière. Pour franchir ce pas, il faut une civilisation dans laquelle les hommes sont prêts à mettre en doute ce que tout le monde croit vrai”… et tel était le cas à Milet ! (p. 59).
“Mais son héritage est plus vaste. Anaximandre ouvrit la voie à la physique, à la géographie, à l’étude des phénomènes météorologiques et à la biologie” (p. 1). Entre autres contributions d’Anaximandre, il faut noter celle de l’origine de l’homme : “Tous les animaux vivaient originellement dans la mer ou dans l’eau qui recouvrait la terre dans le passé. Les premiers animaux étaient donc des poissons ou des sortes de poissons. Ils ont ensuite conquis la terre ferme quand celle-ci s’est asséchée et se sont adaptés à ce nouveau milieu. Les hommes en particulier ne peuvent être apparus dans leur forme actuelle parce que les nourrissons ne sont pas autosuffisants, ce qui implique que quelqu’un d’autre devait les nourrir. Ils sont donc dérivés d’autres animaux à la forme de poisson” (p. 40). Nous assistons ici à la naissance d’une ébauche de théorie sur l’évolution des espèces.
Carlo Rovelli insiste sur la nécessité de la discussion la plus large et la plus ouverte : “Dans le domaine du savoir, la découverte est que laisser libre cours à la critique, permettre la remise en question, donner le droit à la parole à tous et prendre au sérieux toute proposition, ne mène pas à une cacophonie stérile. Au contraire, cela permet d’écarter les hypothèses qui ne fonctionnent pas, et de faire émerger les meilleures idées” (p. 97). Il s’élève de ce fait contre cette vision du xixe siècle selon laquelle “les bonnes théories scientifiques sont définitives, exactement valides pour l’éternité” (p. 105). Mais aussi contre celle de la théorie scientifique consistant à accumuler et mesurer des faits : “L’objectif déclaré de la recherche scientifique n’est pas de faire des prédictions quantitatives correctes. Qu’est ce que cela signifie ? Construire et développer une image du monde. C’est-à-dire une structure conceptuelle pour penser le monde efficace et compatible avec ce que nous en savons” (p. 111).
Notre quête du savoir est ainsi en permanente évolution : “Nous pensions que la Terre était plate puis qu‘elle était au centre du monde. Nous pensions que les bactéries étaient spontanément générées par la matière inanimée. Nous pensions que les lois de Newton étaient exactes… A chaque nouvelle découverte, le monde se redessine et change sous nos yeux. Nous le connaissons différemment et mieux. La science est une recherche continuelle de la meilleure façon de penser le monde, de regarder le monde. C’est avant tout une exploration de nouvelles formes de penser… Cette aventure s’appuie sur toute la connaissance accumulée mais son âme est le changement perpétuel. La clé du savoir scientifique est la capacité à ne pas rester agrippé à nos certitudes, à nos images, à être prêt à les changer, et le changer encore en fonction d’observations, de discussions, de nouvelles idées, de nouvelles critiques” (p. 111).
Cependant, “s’il ne cesse de se transformer, pourquoi le savoir scientifique est-il digne de foi ?” Pour Carlo Rovelli, “l’aspect évolutif de la science est précisément la raison de sa fiabilité. Les réponses scientifiques ne sont pas définitives mais ce sont, presque par définition, les meilleures réponses dont nous disposons aujourd’hui” (p. 121). “La science offre les meilleures réponses justement parce qu’elle ne considère pas ses réponses comme certainement vraies ; c’est pourquoi elle est toujours capable d’apprendre, de recevoir de nouvelles idées” (p. 122).
C. Rovelli nous présente Anaximandre comme un géant de la pensée. Pour lui : “Il est l’homme qui a donné naissance à ce que les Grecs ont appelé “l’investigation de la nature” jetant les bases y compris littéraires de toute la tradition scientifique ultérieure. Il ouvre sur le monde naturel une perspective rationnelle pour la première fois, le monde des choses est perçu comme directement accessible à la pensée” (p. 169). C’est à notre sens au cœur de cette citation que l’on trouve la raison fondamentale à partir de laquelle l’auteur affirme que nous assistons avec Anaximandre à la naissance de la pensée scientifique.
Pour ce qui nous concerne, le livre de C. Rovelli sur Anaximandre nous semble important à un double titre. Dans l’opposition qu’il introduit entre la pensée mystique et la pensée rationnelle et enfin dans la démonstration qu’il fait tout au long de son ouvrage de l’importance vitale pour l’espèce humaine de ce que l’on doit appeler la méthode scientifique. Méthode d’investigation de la nature que C. Rovelli utilise dans l’étude des travaux d’Anaximandre et de l’exposé qu’il nous fait de l’histoire des sciences. L’auteur utilise ainsi la même méthode qu’ont utilisée depuis bientôt deux siècles Marx et Engels dans leur étude des phénomènes de la nature et de l’histoire.
C’est l’utilisation de cette méthode qui permet par exemple au lecteur de tirer un fil de continuité d’Anaximandre à Copernic, Galilée, Newton et Einstein, ou encore à Darwin.
Pour citer une dernière fois C. Rovelli : “La science est l’aventure humaine qui consiste à explorer les modes de pensée du monde, prête à subvertir certaines de certitudes que nous avions jusqu’ici. C’est l’une des plus belles aventures” (p. 126).
T et P (avril 2011)
1) Carlo Rovelli est professeur à l’université de la Méditerranée (Marseille), membre de l’Institut Universitaire de France, chercheur en physique théorique et co-inventeur avec Lee Smolin et Abbay Ashtekar, de la théorie de la gravitation quantique en boucles
2) Editions Dunod-La Recherche.
3) Pline, naturaliste et écrivain né à Côme en Italie (23-79). Il a laissé une histoire naturelle en 37 volumes.
4) Anaximandre, philosophe grec de l’école ionienne (610-547 av. J.-C.).
5) Milet, située sur la côte occidentale de l’actuelle Turquie.
6) Généalogie et filiation des dieux.
7) Simplicius, mort en 483, pape de 463 à 483.
Au moment où, dans beaucoup de pays, les médias font, jour après jour, leurs gros titres sur le “séisme” du “scandale DSK”, un autre “séisme”, réel, frappe l’Europe : celui d’un vaste mouvement social en Espagne qui se cristallise, depuis le 15 mai, par l’occupation jour et nuit de la Puerta del Sol (la “Porte du Soleil”) à Madrid par une marée humaine composée essentiellement de jeunes, révoltés par le chômage, les mesures d’austérité du gouvernement Zapatero, la corruption des politiciens... Ce mouvement social s’est répandu comme une traînée de poudre à toutes les villes du pays grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) : Barcelone, Valence, Grenade, Séville, Malaga, Léon… Mais les informations n’ont pas franchi la barrière des Pyrénées. En France, seuls les réseaux sociaux Internet et certains médias alternatifs ont largement diffusé les images et les vidéos de ce qui se passait en Espagne depuis la mi-mai. Si les médias bourgeois ont fait un tel black-out sur ces événements, en préférant nous intoxiquer avec la “série américaine” de l’affaire DSK, c’est justement parce que ce mouvement constitue une étape très importante dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière mondiale face à l’impasse du capitalisme.
Le mouvement des “Indignés” en Espagne a mûri depuis la grève générale du 29 septembre 2010 contre le projet de réforme des retraites. Cette grève générale s’était soldée par une défaite, tout simplement parce que les syndicats avaient négocié avec le gouvernement et accepté le projet de réforme (les travailleurs actifs de 40-45 ans toucheront, à leur départ à la retraite, une pension inférieure de 20 % à leur pension actuelle). Cette défaite a provoqué un profond sentiment d’amertume au sein de la classe ouvrière. Mais elle a suscité un profond sentiment de colère parmi les jeunes qui s’étaient mobilisés et avaient participé activement au mouvement, notamment en apportant leur solidarité dans les piquets de grève.
Début 2011, la colère commence à gronder dans les universités. En mars, au Portugal, un appel à une manifestation du groupe Jeunes précaires est lancé sur Internet et débouche sur une manifestation regroupant 250 000 personnes à Lisbonne. Cet exemple a eu un effet immédiat dans les universités espagnoles, notamment à Madrid. La grande majorité des étudiants et des jeunes de moins de 30 ans survit avec 600 euros par mois grâce à des petits boulots. C’est dans ce contexte qu’une centaine d’étudiants ont constitué le groupe Jeunes sans avenir (Jovenes sin futuro). Ces étudiants pauvres, issus de la classe ouvrière, se sont regroupés autour du slogan “sans soins, sans toit, sans revenus, sans peur”. Ils ont appelé à une manifestation le 7 avril. Le succès de cette première mobilisation qui a rassemblé environ 5000 personnes, a incité le groupe Jeunes sans avenir à programmer une nouvelle manifestation pour le 15 mai. Entre temps est apparu à Madrid le collectif Democracia Real Ya (Démocratie réelle maintenant !) dont la plate-forme se prononçait aussi contre le chômage et la “dictature des marchés”, mais qui affirmait être “apolitique”, ni de droite ni de gauche. Democracia Real Ya a lancé également des appels à manifester le 15 mai dans d’autres villes. Mais c’est à Madrid que le cortège a connu le plus grand succès avec environ 25 000 manifestants. Un cortège bon enfant qui devait se terminer tranquillement sur la place de la Puerta del Sol.
Les manifestations du 15 mai appelées par Democracia Real Ya ont connu un succès spectaculaire : elles exprimaient un mécontentement général, notamment parmi les jeunes confrontés au problème du chômage à la fin de leurs études. Tout aurait dû apparemment s’arrêter là, mais à la fin des manifestations, à Madrid et à Grenade, des incidents provoqués par un petit groupe de “black blocks” sont réprimés par les charges de la police et se sont soldés par plus d’une vingtaine d’arrestations. Les détenus, brutalisés dans les commissariats, se sont regroupés dans un collectif et ont adopté un communiqué dénonçant les violences policières. La diffusion de ce communiqué a suscité immédiatement une réaction d’indignation et de solidarité générale face à la brutalité des forces de l’ordre. Une trentaine de personnes totalement inconnues et inorganisées décident d’occuper la Puerta del Sol à Madrid et d’y établir un campement. Cette initiative a fait immédiatement tâche d’huile et a gagné la sympathie de la population. Le même jour, l’exemple madrilène s’étend à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression policière met le feu aux poudres et depuis lors, les rassemblements de plus en plus massifs sur les places centrales se sont étendus à plus de 70 villes du pays et n’ont fait que croître à toute allure.
Dans l’après-midi du mardi 17 mai, les organisateurs du Mouvement du 15 mai avaient prévu des actions silencieuses de protestation ou des mises en scène ludique “défouloir”, mais la foule rassemblée sur les places publiques ne cessait de croître en réclamant à grands cris la tenue d’assemblées. A 20 heures, commencent à se tenir des assemblées à Madrid, Barcelone, Valence et dans d’autres villes. A partir du mercredi 18, ces assemblées prennent la forme d’une véritable avalanche. Les rassemblements se transforment en Assemblées générales ouvertes sur les places publiques.
Face à la répression et dans la perspective des élections municipales et régionales, le collectif Democracia Real Ya lance le débat autour d’un objectif : la “régénération démocratique” de l’État espagnol. Il revendique une réforme de la loi électorale afin d’en finir avec le bipartisme PSOE/Parti Populaire, en réclamant une “vraie démocratie” après 34 ans de “démocratie imparfaite” suite au régime franquiste.
Mais le mouvement des “Indignés” a largement débordé la seule plate-forme revendicative, démocratique et réformiste, du collectif Democracia Real Ya. Il ne s’est pas cantonné à la seule révolte de la jeune “génération perdue des 600 euros”. Dans les manifestations et sur les places occupées à Madrid, comme à Barcelone, Valence, Malaga, Séville, etc., sur les pancartes et banderoles, on pouvait y lire des slogans tels que : “Démocratie sans capital !”, “PSOE et PP, la même merde”, “Construisons un futur sans capitalisme !”, “Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir”, “Tout le pouvoir aux Assemblées !”, “Le problème n’est pas la démocratie, le problème, c’est le capitalisme !”, “Sans travail, sans maison, sans peur”, “Ouvriers, réveillez-vous !” “600 euros par mois, voilà où est la violence !”.
A Valence, des femmes criaient : “Ils ont trompés les grands-parents, ils ont encore trompés les fils, il faut que les petits-enfants ne se laissent pas avoir !”.
Face à la démocratie bourgeoise qui réduit la “participation” au fait de “choisir” tous les quatre ans le politicien qui ne tiendra jamais ses promesses électorales et mettra en œuvre les plans d’austérité exigés par l’aggravation inexorable de la crise économique, le mouvement des “Indignés” en Espagne s’est réapproprié spontanément une arme du combat de la classe ouvrière : les Assemblées générales ouvertes. Partout ont surgi des assemblées massives de villes, regroupant des dizaines de milliers de personnes de toutes les générations et de toutes les couches non exploiteuses de la société. Dans ces assemblées, chacun peut prendre la parole, exprimer sa colère, lancer des débats sur différentes questions, faire des propositions. Dans cette atmosphère d’ébullition générale, la parole se libère, tous les aspects de la vie sociale sont passés en revue (politique, culturel, économique…). Les places sont inondées par une gigantesque vague collective d’idées discutées dans un climat de solidarité et de respect mutuel. Dans certaines villes, on installe des “boîtes à idées”, des urnes où chacun peut déposer des idées rédigées sur un bout de papier. Le mouvement s’organise avec une très grande intelligence. Des commissions se mettent en place, notamment pour éviter les débordements et les affrontements avec les forces de l’ordre : la violence y est interdite, l’alcoolisation proscrite avec le mot d’ordre “La revolución no es botellón” (La révolution n’est pas une beuverie). Chaque jour, des équipes de nettoyage sont organisées. Des cantines publiques servent des repas, des garderies pour enfants et des infirmeries sont montées avec des volontaires. Des bibliothèques sont mises en place ainsi qu’une “banque du temps” (où son organisés des enseignements aussi bien scientifiques que culturels, artistiques, politiques, économiques). Des “journées de réflexion” sont planifiées. Chacun apporte ses connaissances et ses compétences.
En apparence, ce torrent de pensées ne semble déboucher sur rien. Il n’y a pas de propositions concrètes, pas de revendications réalistes ou immédiatement réalisables. Mais ce qui apparaît clairement, c’est d’abord et avant tout un énorme ras-le-bol de la misère, des plans d’austérité, de l’ordre social actuel, une volonté collective de briser l’atomisation sociale, de se regrouper pour discuter, réfléchir tous ensemble. Malgré les nombreuses confusions et illusions, dans les bouches comme sur les banderoles et pancartes, le mot “révolution” est réapparu et ne fait plus peur.
Dans les assemblées, les débats ont fait apparaître des questions fondamentales :
– faut-il se limiter à la “régénération démocratique” ? Les problèmes n’ont-ils pas leur origine dans le capitalisme, un système qui ne peut être réformé et doit être détruit de fond en comble ?
– Le mouvement doit-il s’arrêter le 22 mai, après les élections, ou faut-il le poursuivre pour lutter massivement contre les attaques des conditions de vie, le chômage, la précarité, les expulsions ?
– Ne devrait-on pas étendre les assemblées aux lieux de travail, aux quartiers, aux agences pour l’emploi, aux lycées, aux universités ? Doit-on enraciner le mouvement chez les travailleurs qui sont les seuls à avoir la force de mener une lutte généralisée ?
Dans ces débats au sein des assemblées, deux tendances sont apparues très clairement :
– l’une, conservatrice, animée par les couches sociales non prolétariennes semant l’illusion qu’il est possible de réformer le système capitaliste à travers une “révolution démocratique et citoyenne” ;
– l’autre, prolétarienne, mettant en évidence la nécessité d’en finir avec le capitalisme.
Les assemblées qui se sont tenues le dimanche 22 mai, jour des élections, ont décidé de poursuivre le mouvement. De nombreuses interventions ont déclaré : “nous ne sommes pas ici à cause des élections, même si elles ont été le détonateur”. La tendance prolétarienne s’est plus clairement affirmée à travers les propositions d’“aller vers la classe ouvrière” en mettant en avant des revendications contre le chômage, la précarité, les attaques sociales. A la Puerta del Sol, la décision est prise d’organiser des “assemblées populaires” dans les quartiers. On commence à entendre des propositions d’extension vers les lieux de travail, les universités, les agences pour l’emploi. A Malaga, Barcelone et Valence, les assemblées ont posé la question d’organiser une manifestation contre les réductions du salaire social, en proposant une nouvelle grève générale, qui soit “véritable” comme l’a affirmé l’un des orateurs.
C’est surtout à Barcelone, capitale industrielle du pays, que l’Assemblée centrale de la place de Catalogne apparaît comme la plus radicale, la plus animée par la tendance prolétarienne et la plus distante par rapport à l’illusion de la “régénération démocratique”. Ainsi, des ouvriers de la Telefónica, des travailleurs des hôpitaux, des pompiers, des étudiants mobilisés contre les coupes sociales, ont rejoint les assemblées de Barcelone et ont commencé à leur insuffler une tonalité différente. Le 25 mai, l’Assemblée de la place de Catalogne décide de soutenir activement la grève des travailleurs des hôpitaux, tandis que l’Assemblée de la Puerta del Sol à Madrid décide de décentraliser le mouvement en convoquant des “assemblées populaires” dans les quartiers afin de mettre en pratique une “démocratie participative horizontale”. A Valence, les manifestations des chauffeurs de bus ont rejoint une manifestation d’habitants contre les coupes budgétaires dans l’enseignement. A Saragosse, les conducteurs de bus se sont joints aux rassemblements avec le même enthousiasme.
A Barcelone, les “Indignés” décident de maintenir leur campement et de continuer à occuper la place de Catalogne jusqu’au 15 juin.
Quelle que soit la direction dans lequel va se poursuivre le mouvement, quelle que soit son issue, il est clair que cette révolte initiée par les jeunes générations confrontées au chômage (en Espagne, 45 % de la population des 20-25 ans n’a pas de travail), se rattache pleinement au combat de la classe ouvrière. Sa contribution à la lutte internationale de la classe ouvrière est indiscutable.
C’est un mouvement généralisé qui a impliqué toutes les couches sociales non exploiteuses, notamment toutes les générations de la classe ouvrière. Même si celle-ci a été noyée dans la vague de colère “populaire” et ne s’est pas affirmée de façon autonome à travers des grèves et manifestations massives, en mettant en avant ses propres revendications économiques immédiates. Ce mouvement exprime en réalité une maturation en profondeur de la conscience au sein de la seule classe qui puisse changer le monde en renversant le capitalisme : la classe ouvrière.
Ce mouvement révèle clairement que, face à la faillite de plus en plus évidente du capitalisme, des masses importantes commencent à se lever dans les pays “démocratiques” d’Europe occidentale, ouvrant la voie à la politisation des luttes du prolétariat.
Mais surtout, ce mouvement a révélé que les jeunes, en grande majorité des travailleurs précaires et chômeurs, ont été capables de s’approprier les armes de combat de la classe ouvrière, les assemblées générales massives et ouvertes, qui leur ont permis de développer la solidarité et de prendre eux-mêmes en main leur propre mouvement en dehors des partis politiques et des syndicats.
Le mot d’ordre “Tout le pouvoir aux assemblées !” qui a surgi dans le mouvement, même si de façon encore minoritaire, n’est qu’un remake du vieux mot d’ordre de la Révolution russe “Tout le pouvoir aux conseils ouvriers !” (soviets).
Même si, aujourd’hui, le mot “communisme” fait encore peur (du fait du poids des campagnes déchaînées par la bourgeoisie au lendemain de l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes staliniens), le mot “révolution” n’a effrayé personne, bien au contraire.
Ce mouvement n’est nullement une “Spanish Revolution” comme le présente le collectif Democracia Real Ya. Le chômage, la précarité, la vie chère et la dégradation constante des conditions d’existence des masses exploitées ne sont pas une spécificité espagnole ! Le visage sinistre du chômage, notamment le chômage des jeunes, on le voit autant à Madrid qu’au Caire, autant à Londres qu’à Paris, autant à Athènes qu’à Buenos Aires. Nous sommes tous unis dans la même chute dans l’abîme de la décomposition de la société capitaliste. Cet abîme, ce n’est pas seulement celui de la misère et du chômage, mais aussi celui de la multiplication des catastrophes nucléaires, des guerres et d’une dislocation des rapports sociaux accompagnée d’une barbarie morale (comme en témoigne, entre autres, l’augmentation des agressions sexuelles et des violences faites aux femmes dans les pays “civilisés”).
Le mouvement des “Indignés” n’est pas une “révolution”. Il n’est qu’une nouvelle étape dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière à l’échelle mondiale qui, seuls, peuvent ouvrir une perspective de futur pour cette jeunesse “sans avenir” comme pour l’ensemble de l’humanité.
Ce mouvement (malgré toutes ses confusions et ses illusions sur la “République indépendante de la Puerta del Sol”), révèle que, dans les entrailles de la société bourgeoise, la perspective d’une autre société est en gestation. Le “séisme espagnol” révèle que les nouvelles générations de la classe ouvrière, qui n’ont rien à perdre, sont d’ores et déjà les acteurs de l’histoire. Elles sont en train de creuser les galeries pour d’autres tremblements de terre sociaux qui finiront par ouvrir la voie vers l’émancipation de l’humanité. Grâce à l’utilisation de réseaux sociaux Internet, de la téléphonie mobile et des moyens modernes de communication, ces jeunes générations ont montré leur capacité à briser le black-out de la bourgeoise et de ses médias pour commencer à développer la solidarité au-delà des frontières.
Cette nouvelle génération de la classe ouvrière a émergé sur la scène sociale internationale à partir de 2003, d’abord face à l’intervention militaire en Irak de l’administration Bush (dans de nombreux pays, les jeunes manifestants protestaient contre la “busherie”), puis avec les premières manifestations en France contre la réforme des retraites en 2003. Elle s’est affirmée au printemps 2006 dans ce même pays avec le mouvement massif des étudiants et lycéens contre le CPE. En Grèce, en Italie, au Portugal, en Grande-Bretagne, la jeunesse scolarisée a fait également entendre sa voix face à la seule perspective que le capitalisme est capable de lui offrir : la misère absolue et le chômage.
Le raz de marée de cette nouvelle génération “sans avenir” a frappé récemment la Tunisie et l’Égypte, conduisant à une gigantesque révolte sociale qui a provoqué la chute de Ben Ali et de Moubarak. Mais il ne faut pas oublier que l’élément déterminant qui a obligé la bourgeoisie des principaux pays “démocratiques” (et notamment Barak Obama) à lâcher Ben Ali et Moubarak, ce sont les grèves ouvrières et la menace d’une grève générale face à la répression sanglante des manifestants.
Depuis, la place Tarhir est devenue un emblème, un encouragement à la lutte pour les jeunes générations de la classe ouvrière dans de nombreux pays. C’est sur ce modèle que les “Indignés” en Espagne ont établi leur campement à la Puerta del Sol, ont occupé les places de plus de 70 villes et ont agrégé dans les assemblées toutes les générations et toutes les couches sociales non exploiteuses (à Barcelone, les “Indignés” ont même renommé la place de Catalogne, “Plaza Tahrir”).
Le mouvement des “Indignés” est, en réalité, beaucoup plus profond que la révolte spectaculaire qui s’est cristallisée au Caire sur la place Tahrir.
Ce mouvement a explosé dans le principal pays de la péninsule Ibérique, et qui constitue le pont entre deux continents. Le fait qu’il se déroule dans un Etat “démocratique” d’Europe occidentale (et, de surcroît, dirigé par un gouvernement “socialiste” !), ne peut que contribuer, à terme, à balayer les mystifications démocratiques déployées par les médias depuis la “Révolution de jasmin “ en Tunisie.
De plus, bien que Democracia Real Ya qualifie ce mouvement de “spanish revolution”, aucun drapeau espagnol n’a été exhibé, alors que la place Tahrir était inondée de drapeaux nationaux (1).
Malgré les illusions et confusions qui jalonnent inévitablement ce mouvement initié par les jeunes “Indignés”, ce dernier constitue un maillon très important dans la chaîne des luttes sociales qui explosent aujourd’hui. Avec l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme, ces luttes sociales ne peuvent que continuer à converger avec la lutte de classe du prolétariat et contribuer à son développement.
Le courage, la détermination et le sens profond de la solidarité de la jeune génération “sans avenir” révèle qu’un autre monde est possible : le communisme, c’est-à-dire l’unification de la communauté humaine mondiale. Mais pour que ce “vieux rêve” de l’humanité puisse devenir réalité, il faut d’abord que la classe ouvrière, celle qui produit l’essentiel des richesses de la société, retrouve son identité de classe en développant massivement ses combats dans tous les pays contre l’exploitation et contre toutes les attaques du capitalisme.
Le mouvement des “Indignés” a commencé à poser de nouveau la question de la “révolution”. Il appartient au prolétariat mondial de la résoudre et de lui donner une direction de classe dans ses combats futurs vers le renversement du capitalisme. C’est uniquement sur les ruines de ce système d’exploitation basé sur la production de marchandises et le profit que les nouvelles générations pourront édifier une autre société, rendre à l’espèce humaine sa dignité et réaliser une véritable “démocratie” universelle.
Sofiane (27 mai 2011)
1) On a même vu, au contraire, apparaître des slogans appelant à une “révolution globale” et à l’“extension” du mouvement au-delà des frontières nationales. Dans toutes les assemblées une “commission internationale” a été créée. Le mouvement des “Indignés” a essaimé dans toutes les grandes villes d’Europe et du continent américain (même à Tokyo, Pnom-Penh et Hanoï, des regroupements de jeunes espagnols expatriés déploient la bannière de Democracia Real Ya !).
L’arrestation et l’incarcération de Dominique Strauss-Kahn, directeur général en exercice du puissant Fonds monétaire international, caracolant sous la casaque social-démocrate en tête de tous les sondages pour les primaires du PS et ultérieurement pour l’élection présidentielle de 2012 en France, ne pouvait que faire sensation et provoquer un énorme scandale. Le voilà désormais sous l’inculpation de sept chefs d’accusation différents dont le harcèlement sexuel et la tentative de viol d’une femme de chambre d’origine guinéenne dans l’hôtel où il se trouvait, cueilli et menotté par la police new-yorkaise dans l’avion qui devait le ramener en Europe.
Les moeurs libertines de DSK (qui ne sont un secret pour personne) ont-elles été exploitées à l’extrême et poussées à la caricature pour diaboliser le personnage, le virer du FMI et saboter sa candidature aux présidentielles en France ? DSK a-t-il été victime d’un “complot” ou de règlements de comptes au sein de différentes cliques de la bourgeoisie ? C’est tout à fait possible. Cette classe de requins et de gangsters ne se fait pas de cadeaux. Elle n’a jamais hésité à “flinguer” (au sens propre comme au sens figuré) l’un des siens. Cela a été le cas, entre autres exemples, en France avec la mort en octobre 1979 du ministre de Giscard, Robert Boulin, en passe de devenir Premier ministre, présentée comme un suicide alors qu’il a été retrouvé noyé sous quelques centimètres d’eau dans un étang de la forêt de Rambouillet et, selon plusieurs témoignages, le visage tuméfié par les coups. Ou encore l’ex-Premier ministre de Mitterrand, Pierre Bérégovoy, qui se suicide le 1er mai 1993 après une énorme campagne l’accusant de corruption. Et, aux Etats-Unis, personne n’a oublié l’assassinat à Dallas de John-Fitzgerald Kennedy (“JFK”) en novembre 1963, probablement commandité – on le sait aujourd’hui – par la CIA, ni le gigantesque scandale du Watergate où le camp républicain avait mis sur écoutes téléphoniques le siège de ses rivaux démocrates et qui a forcé le président Richard Nixon à démissionner en 1975...
“L’affaire DSK” est tout à fait révélatrice des moeurs banalement dépravées de la bourgeoisie et elle va de pair avec les comportements “naturels” de prédateurs de leurs dirigeants. Ce n’est d’ailleurs pas une première : on se souvient que, lorsqu’il était président des Etats-Unis, Bill Clinton s’est fait épingler et a fait l’objet d’une procédure d’empeachment lors de l’affaire Monica Lewinski. De même, les scandales pleuvent sur Berlusconi qui recrute à tour de bras de jeunes call girls ou cover girls pour des “parties fines”, y compris des mineures de moins de 16 ans en achetant le silence de leurs parents, tout en s’enorgueillissant de sa “verdeur” de chaud latin. Les grands de ce monde, souvent grisés par un sentiment de toute puissance, ont tendance à se croire tout permis et ils étalent ce pouvoir avec morgue et arrogance. DSK lui-même avait déjà été confronté en 2008 à une histoire sordide avec une subordonnée sur laquelle il avait exercé un chantage et qui avait failli lui coûter sa place à la tête du FMI. La “morale bourgeoise” s’accommode parfaitement “d’écarts” ou d’agissements de ses dirigeants, de gauche comme de droite, qui relèvent des comportements de voyous et de grands truands mafieux. En France, ces dernières années, les “scandales” ou les “affaires” nauséabondes ont été particulièrement nombreux, de Giscard à Sarkozy, en passant par Mitterrand ou Chirac et leurs ministres : subornations, détournements de fonds publics dans les caisses des partis, implication de ministres dans des affaires louches ou frauduleuses, comme l’étalage d’un luxe ostentatoire dans laquelle ils se vautrent. DSK, avec son goût du luxe, est aussi bling-bling que Sarkozy ; même Christine Lagarde présentée comme la “meilleure” représentante de l’Europe pour succéder à DSK à la tête du FMI est nantie de casseroles (elle est notoirement intervenue plusieurs fois à la rescousse de l’homme d’affaires Bernard Tapie quand celui-ci était en procès dans l’affaire du Crédit Lyonnais).
Ce qui est plus inusité, c’est l’ampleur de la publicité qui est donnée à “l’affaire DSK”. Depuis qu’elle a éclaté le 15 mai, elle a accaparé la “une” de toute la presse internationale et, dans la plupart des médias, on nous abreuve quasiment heure par heure en direct des péripéties de ce qui nous est présenté désormais comme un grand feuilleton à suspense. Tous les journaux télévisés y consacrent les trois-quarts de leur temps, des débats animés les relaient quotidiennement, c’est devenu le principal sujet de conversation de l’homme de la rue, sur les lieux de travail, dans les cafés. Chacun est invité à donner son avis. On parle de surprise, d’incrédulité, de honte, d’humiliation. On n’hésite pas à évoquer complaisamment la thèse déjà évoquée ci-dessus du “complot orchestré” contre DSK, du “piège qui lui a été tendu”. Les médias et les politiques n’hésitent pas à jouer la surenchère pour critiquer ou se justifier sous couvert de déontologie. Ceux qui se sont tus et ont couvert pendant des années le “problème de DSK avec les femmes” balancent hypocritement aujourd’hui leurs “révélations” sur des turpitudes notoirement connues dans le cercle fermé du pouvoir et des médias.
La vraie question à se poser est pourquoi la bourgeoisie et ses médias donnent une telle publicité à ce scandale qui l’éclabousse et la compromet pourtant gravement toute entière, brisant la carrière d’un de ses représentants patentés les plus éminents ? Quel intérêt la classe dominante trouve-t-elle dans la médiatisation outrancière de ce scandale ?
Aujourd’hui, il est clair que les divers épisodes de cette sordide affaire sont mis délibérément sous les projecteurs pour une raison majeure. La polarisation spectaculaire sur cet épisode permet pour un temps d’occulter les vrais problèmes sociaux, de créer un écran de fumée afin de tenter de reléguer au second plan et de minimiser dans la tête des prolétaires une réalité sociale quotidienne douloureuse et dramatique engendrée par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme : hausse vertigineuse du chômage, de la précarité, des produits de première nécessité, aggravation tous azimuts des attaques contre nos conditions de vie, réduction de tous les budgets et amputation des programmes sociaux, qui mettent de plus en plus à nu la faillite irrémédiable du capitalisme. Il est particulièrement édifiant de voir que l’affaire DSK est montée en épingle au moment même où les plans d’austérité concertés du FMI et des gouvernements sont redoublés en Grèce ou au Portugal, et surtout au moment même où les jeunes chômeurs, les étudiants et de nombreux travailleurs, précaires ou non, manifestent leur colère et leur ras-le-bol non seulement sur la Puerta del Sol à Madrid mais dans toutes les principales villes d’Espagne, se réclamant d’un mouvement explicitement dans la lignée des révoltes en Tunisie et en Egypte, ou des autres luttes en Europe (Grèce, France, Grande-Bretagne).
Bien sûr, les sommes astronomiques lâchées comme caution pour obtenir la “libération conditionnelle” de DSK ou pour alimenter son procès sont choquantes et révoltantes pour tous les travailleurs et les chômeurs qui n’ont même plus de quoi se loger, se nourrir, se vêtir. Un responsable du PS (proche de DSK), Manuel Valls, a même piqué une colère dans un débat, accusant avec une certaine lucidité les journalistes d’alimenter ainsi “un fossé qui se creuse entre les politiques et la société civile”.
Mais cet aspect est provisoirement noyé sous les flots de reportages, d’interviews, de propagande, de polémiques (c’est pourquoi on laisse même des associations féministes monter au créneau pour fustiger le sexisme et la misogynie-réelles des dirigeants et des élites) qui servent à entretenir les divisions et la confusion dans l’opinion publique : on souligne les différences d’opinions ou de lois, on met en demeure chacun de se prononcer : faut-il défendre la présomption d’innocence ou défendre les droits de la victime ? On compare et on oppose les méthodes juridiques et les moyens d’investigation entre la France et les Etats-Unis, on compare et on oppose le traitement “éthique” de l’information entre journalistes français et la presse anglo-saxonne. Et surtout on essaie ainsi de canaliser les spéculations sur les “nouvelles donnes” afin de relancer l’intérêt pour les supposés enjeux électoraux de 2012 en France. Tout ce barouf n’est que de la poudre aux yeux, une campagne de diversion visant à éloigner les exploités de la défense de leurs intérêts de classe. Ce n’est pas vers l’affaire DSK qu’il faut se tourner mais vers les luttes sociales qui se déroulent actuellement contre le chômage, la misère, les plans d’austérité imposés par le FMI (sans DSK comme avant avec lui) et par tous les gouvernements de gauche comme de droite.
W. (22 mai)
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Nous avons choisi de publier de larges extraits d’une présentation orale faite en avril par une participante du Comité de lutte Saint-Sernin et de l’assemblée populaire Ponzan à Toulouse, qui sont nés au cours des luttes de l’automne 2010 contre la réforme des retraites. Ces assemblées sont parvenues à rédiger, le plus collectivement possible étant donné la diversité des intervenants, une brochure qui tire un premier bilan de cette expérience riche de promesses pour l’avenir. Nous partageons l’espoir de la camarade que de nombreux contacts prennent plaisir à lire ce document, mais aussi nous les incitons à le diffuser, à en débattre et à en discuter le plus largement possible autour d’eux.
Nous sommes un certain nombre d’individus, militants ou non, à s’être réunis lors du mouvement social de cet automne. Nous avons tenté de proposer une alternative aux formes d’expression et d’organisation proposées traditionnellement par les partis politiques et les syndicats. Nous avons essayé de permettre à chacun de s’exprimer en dehors de la censure de la parole que nous impose la société. Cela a pris la forme d’assemblées populaires en fin de manifestations, de rassemblements, d’écriture de tracts, de participation à des blocages devant des entreprises. Toutes ces actions étaient décidées collectivement. Elles ont été menées à l’initiative du Comité de lutte de Saint-Sernin (des grévistes qui se réunissaient tous les soirs de la semaine devant la Bourse du travail, puis aux Pavillons sauvages les mardis soirs) et l’Assemblée populaire Ponzan (réunions les dimanches aux jardins de Ponzan puis à la Chapelle). Avec la fin du mouvement, les deux assemblées ont continué à se réunir et, comme elles partageaient beaucoup de choses, elles se sont fondues en une seule assemblée pour faire le bilan des expériences vécues, d’où la production d’une brochure qui recueille des témoignages individuels et collectifs, fruit de ce travail en commun.
Nous sommes venus ce soir dans un lieu (...) tout à fait adéquat pour parler de nos ressentis concernant l’injustice, le besoin de créer ensemble et de témoigner de nos réflexions, de notre expérience collective pour restaurer la dignité, pour se dire qu’il est possible de construire différemment de ce que nous propose ce monde moribond !
Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est parce que nous avons conscience qu’une lutte contre les injustices et l’oppression s’est engagée un peu partout dans le monde et que chacun d’entre nous est concerné. Ici, il ne s’agit pas d’une affaire de spécialistes mais de nous rapproprier la parole, savoir être à l’écoute des autres, avec pour objectif de contribuer à mettre fin à ce monde qui crée des inégalités. À notre niveau et avec beaucoup d’humilité, nous avons essayé de développer de nouvelles formes d’organisation, dont les assemblées populaires sont une expression. Quant on voit ce qui s’est passé sur la place Tahrir en Egypte, on se rend compte qu’au delà des différences apparentes, les mêmes besoins créent des volontés communes de se réunir, de prendre en charge nous-mêmes nos revendications, bref, de défendre notre dignité ! Dans cette aventure humaine qui dure depuis plusieurs mois, chacun de nous s’est interrogé. Car dans ces moments forts de l’histoire, de nombreuses questions émergent. Elles peuvent concerner une collectivité : Qui sommes-nous ? Contre qui ou quoi nous battons-nous ? Quelle(s) stratégie(s) devons-nous adopter ? Quels seront nos alliés dans cette bataille ? Quels sont ceux qui voudront nous mettre des bâtons dans les roues ? Comment s’y prendront-ils ? Comment anticiper cela et partager l’esprit de notre travail commun ? Ou bien toucher à notre intimité : Qu’est-ce que je défends ? Comment ai-je l’intention de me rendre utile ? Quelle est ma place dans ce groupe ? Est-ce que je m’y sens à l’aise ? Est-ce que je communique avec les autres comme je le voudrais ?
Certains ont peut-être douté face à l’ampleur de la tâche et les risibles moyens dont nous disposons pour nous en acquitter. On se sent alors découragé, isolé, tout petit et impuissant. D’autres auraient préféré que les choses aillent plus vite et ils n’ont plus trouvé d’intérêt à nous rejoindre et ils sont partis. Mais tous ont contribué, pendant un instant, à créer cet espace de discussion libre, d’expression de nos peurs, de nos idées, de nos points de désaccord et de nos espoirs. Nous avons appris à nous connaître au-delà des apparences, des barrières sociales et des préjugés. Nous nous sommes découverts dans nos différences, et ensemble, nous avons été capables de produire une brochure afin d’immortaliser ces réflexions. Elle n’est pas parfaite. Mais elle a le mérite d’être authentique. Nous avons voulu situer notre expérience collective de participation au mouvement social de cet automne dans le fil historique de la lutte en France depuis le xixe siècle, parce que conserver la mémoire du passé, c’est se préserver des écueils de l’oubli. Inscrire notre action dans un contexte historique, c’est donner une âme à ce mouvement qui semble encore fragile, c’est lui montrer sa force à travers les âges pour qu’il grandisse à nouveau. Et cela nous permet d’avoir une vision plus étendue du chemin parcouru et de celui qu’il reste encore à faire. Nous avons besoin de savoir où nous en sommes. C’est pourquoi chacun de ceux qui le souhaitaient a pu apporter sa contribution personnelle, un témoignage de son expérience et de son ressenti dans son propre langage, souvent avec humour et parfois de manière poétique. Nous espérons que vous prendrez plaisir à lire ce document comme nous avons pris plaisir à le composer. (...)
Nous publions ci-dessous la première partie de la Résolution sur la situation internationale adoptée par le CCI lors de son 19e Congrès qui s’est tenu au mois de mai. Cette première partie est consacrée à l’analyse de la situation économique actuelle. La totalité de cette résolution sera publiée dans le prochain numéro de notre Revue Internationale.
1. La résolution adoptée par le précédent congrès du CCI mettait d’emblée en évidence le démenti cinglant infligé par la réalité aux prévisions optimistes des dirigeants de la classe bourgeoise au début de la dernière décennie du xxe siècle, particulièrement après l’effondrement de cet “Empire du mal” que constituait le bloc impérialiste dit “socialiste”. Elle citait la déclaration désormais fameuse du président George Bush senior de mars 1991 annonçant la naissance d’un “Nouvel ordre mondial” basé sur le “respect du droit international” et elle soulignait son caractère surréaliste face au chaos croissant dans lequel s’enfonce aujourd’hui la société capitaliste. Vingt ans après ce discours “prophétique”, et particulièrement depuis le début de cette nouvelle décennie, jamais, depuis la fin de la seconde guerre mondiale le monde n’a donné une telle image de chaos. A quelques semaines d’intervalle on a assisté à une nouvelle guerre en Libye, venant s’ajouter à la liste de tous les conflits sanglants qui ont touché la planète au cours de la dernière période, à de nouveaux massacres en Côte d’Ivoire et aussi à la tragédie qui a frappé un des pays les plus puissants et modernes du monde, le Japon. Le tremblement de terre qui a ravagé une partie de ce pays a souligné une nouvelle fois qu’il n’existe pas des “catastrophes naturelles” mais des conséquences catastrophiques à des phénomènes naturels. Il a montré que la société dispose aujourd’hui de moyens pour construire des bâtiments qui résistent aux séismes et qui permettraient d’éviter des tragédies comme celle d’Haïti l’an dernier. Mais il a montré aussi toute l’imprévoyance dont même un État aussi avancé que le Japon peut faire preuve : le séisme en lui-même a fait peu de victimes mais le tsunami qui l’a suivi a tué près de 30 000 êtres humains en quelques minutes. Plus encore, en provoquant un nouveau Tchernobyl, il a mis en lumière, non seulement l’imprévoyance de la classe dominante, mais aussi sa démarche d’apprenti sorcier, incapable de maîtriser les forces qu’elle a mises en mouvement. Ce n’est pas l’entreprise Tepco, l’exploitant de la centrale atomique de Fukuyama qui est le premier, encore moins l’unique responsable de la catastrophe. C’est le système capitaliste dans son ensemble, basé sur la recherche effrénée du profit ainsi que sur la compétition entre secteurs nationaux et non sur la satisfaction des besoins de l’humanité, qui porte la responsabilité fondamentale des catastrophes présentes et futures subies par l’espèce humaine. En fin de compte, le Tchernobyl japonais constitue une nouvelle illustration de la faillite ultime du mode de production capitaliste, un système dont la survie constitue une menace croissante pour la survie de l’humanité elle-même.
2. C’est évidemment la crise que subit actuellement le capitalisme mondial qui exprime le plus directement la faillite historique de ce mode de production. Il y a deux ans, la bourgeoisie de tous les pays était saisie d’une sainte panique devant la gravité de la situation économique. L’OCDE n’hésitait pas à écrire : “L’économie mondiale est en proie à sa récession la plus profonde et la plus synchronisée depuis des décennies” (Rapport intermédiaire de mars 2009). Quand on sait avec quelle modération cette vénérables institution s’exprime habituellement, on peut se faire une idée de l’effroi que ressentait la classe dominante face à la faillite potentielle du système financier international, la chute brutale du commerce mondial (plus de 13 % en 2009), la brutalité de la récession des principales économies, la vague de faillites frappant ou menaçant des entreprises emblématiques de l’industrie telles General Motors ou Chrysler. Cet effroi de la bourgeoisie l’avait conduite à convoquer les sommets du G20 dont celui de mars 2009 à Londres décidant notamment le doublement des réserves du Fond monétaire international et l’injection massive de liquidités dans l’économie par les États afin de sauver un système bancaire en perdition et de relancer la production. Le spectre de la “Grande dépression des années 1930” hantait les esprits ce qui conduisait la même OCDE à conjurer de tels démons en écrivant : “Bien qu’on ait parfois qualifié cette sévère récession mondiale de ‘grande récession’, on reste loin d’une nouvelle ‘grande dépression’ comme celle des années 30, grâce à la qualité et à l’intensité des mesures que les gouvernements prennent actuellement” (Ibid.). Mais comme le disait la Résolution du 18e congrès, “le propre des discours de la classe dominante aujourd’hui est d’oublier les discours de la veille” et le même rapport intermédiaire de l’OCDE du printemps 2011 exprime un véritable soulagement face à la restauration de la situation du système bancaire et à la reprise économique. La classe dominante ne peut faire autrement. Incapable de se donner une vision lucide, d’ensemble et historique des difficultés que rencontre son système, car une telle vision la conduirait à découvrir l’impasse définitive dans laquelle se trouve ce dernier, elle en est réduite à commenter au jour le jour les fluctuations de la situation immédiate en essayant de trouver dans celle-ci des motifs de consolation. Ce faisant, elle en est amenée à sous-estimer, même si, de temps en temps, les médias adoptent un ton alarmiste à son sujet, la signification du phénomène majeur qui s’est fait jour depuis deux ans : la crise de la dette souveraine d’un certain nombre d’États européens. En fait, cette faillite potentielle d’un nombre croissant d’États constitue une nouvelle étape dans l’enfoncement du capitalisme dans sa crise insurmontable. Elle met en relief les limites des politiques par lesquelles la bourgeoisie a réussi à freiner l’évolution de la crise capitaliste depuis plusieurs décennies.
3. Cela fait maintenant plus de 40 ans que le système capitaliste se confronte à la crise. Mai 68 en France et l’ensemble des luttes prolétariennes qui ont suivi internationalement n’ont connu cette ampleur que parce qu’ils étaient alimentés par une aggravation mondiale des conditions de vie de la classe ouvrière, une aggravation résultant des premières atteintes de la crise capitaliste, notamment la montée du chômage. Cette crise a connu une brutale accélération en 1973-75 avec la première grande récession internationale de l’après guerre. Depuis, de nouvelles récessions, chaque fois plus profondes et étendues, ont frappé l’économie mondiale jusqu’à culminer avec celle de 2008-2009 qui a ramené dans les consciences le spectre des années 1930. Les mesures adoptées par le G20 de mars 2009 pour éviter une nouvelle “Grande Dépression” sont significatives de la politique menée depuis plusieurs décennies par la classe dominante : elles se résument par l’injection dans les économies de masses considérables de crédits. De telles mesures ne sont pas nouvelles. En fait, depuis plus de 35 ans, elles constituent le cœur des politiques menées par la classe dominante pour tenter d’échapper à la contradiction majeure du mode de production capitaliste : son incapacité à trouver des marchés solvables en mesure d’absorber sa production. La récession de 1973-75 avait été surmontée par des crédits massifs aux pays du Tiers-Monde mais, dès le début des années 1980, avec la crise de la dette de ces pays, la bourgeoise des pays les plus développés avait dû renoncer à ce poumon pour son économie. Ce sont alors les États des pays les plus avancés, et au premier lieu celui des États-Unis, qui ont pris la relève en tant que “locomotive” de l’économie mondiale. Les “reaganomics” (politique néolibérale de l’Administration Reagan) du début des années 80, qui avaient permis une relance significative de l’économie de ce pays, étaient basées sur un creusement inédit et considérable des déficits budgétaires alors que Ronald Reagan déclarait au même moment que “L’État n’est pas la solution, c’est le problème”. En même temps, les déficits commerciaux également considérables de cette puissance permettaient aux marchandises produites par les autres pays de trouver à s’y écouler. Au cours des années 1990, les “tigres” et les “dragons” asiatiques (Singapour, Taïwan, Corée du Sud, etc.) ont accompagné pour un temps les États-Unis dans ce rôle de “locomotive” : leurs taux de croissance spectaculaires en faisaient une destination importante pour les marchandises des pays les plus industrialisés. Mais cette “success story” s’est construite au prix d’un endettement considérable qui a conduit ces pays à des convulsions majeures en 1997 au même titre que la Russie “nouvelle” et “démocratique” qui s’est retrouvée en cessation de paiements ce qui a déçu cruellement ceux qui avaient misé sur la “fin du communisme” pour relancer durablement l’économie mondiale. Au début des années 2000 l’endettement a connu une nouvelle accélération, notamment grâce au développement faramineux des prêts hypothécaires à la construction dans plusieurs pays, en particulier aux États-Unis. Ce dernier pays a alors accentué son rôle de “locomotive de l’économie mondiale” mais au prix d’une croissance abyssale des dettes, – notamment au sein de la population américaine – basées sur toutes sortes de “produits financiers” censés prévenir les risques de cessation de paiement. En réalité, la dispersion des créances douteuses n’a nullement aboli leur caractère d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’économie américaine et mondiale. Bien au contraire, elle n’a fait qu’accumuler dans le capital des banques les “actifs toxiques” à l’origine de leur effondrement à partir de 2007 et de la brutale récession mondiale de 2008-2009.
4. Ainsi, comme le disait la résolution adopté au précédent congrès, “ce n’est pas la crise financière qui est à l’origine de la récession actuelle. Bien au contraire, la crise financière ne fait qu’illustrer le fait que la fuite en avant dans l’endettement qui avait permis de surmonter la surproduction ne peut se poursuivre indéfiniment. Tôt ou tard, “l’économie réelle” se venge, c’est-à-dire que ce qui est à la base des contradictions du capitalisme, la surproduction, l’incapacité des marchés à absorber la totalité des marchandises produites, revient au devant de la scène.” Et cette même résolution précisait, après le sommet du G20 de mars 2009, que “la fuite en avant dans l’endettement est un des ingrédients de la brutalité de la récession actuelle. La seule ‘solution’ que soit capable de mettre en œuvre la bourgeoisie est… une nouvelle fuite en avant dans l’endettement. Le G20 n’a pu inventer de solution à une crise pour la bonne raison qu’il n’existe pas de solution à celle-ci.”
La crise des dettes souveraines qui se propage aujourd’hui, le fait que les États soient incapables d’honorer leurs dettes, constitue une illustration spectaculaire de cette réalité. La faillite potentielle du système bancaire et la récession ont obligé tous les États à injecter des sommes considérables dans leur économie alors même que les recettes étaient en chute libre du fait du recul de la production. De ce fait les déficits publics ont connu, dans la plupart des pays, une augmentation considérable. Pour les plus exposés d’entre eux, comme l’Irlande, la Grèce ou le Portugal, cela a signifié une situation de faillite potentielle, l’incapacité de payer leurs fonctionnaires et de rembourser leurs dettes. Les banques se refusent désormais à leur consentir de nouveaux prêts, sinon à des taux exorbitants, puisqu’elles n’ont aucune garantie de pouvoir être remboursées. Les “plans de sauvetage” dont ils ont bénéficié de la part de la Banque européenne et du Fond monétaire international constituent de nouvelles dettes dont le remboursement s’ajoute à celui des dettes précédentes. C’est plus qu’un cercle vicieux, c’est une spirale infernale. La seule “efficacité” de ces plans consiste dans l’attaque sans précédent contre les travailleurs qu’ils représentent, contre les fonctionnaires dont les salaires et les effectifs sont réduits de façon drastique, mais aussi contre l’ensemble de la classe ouvrière à travers les coupes claires dans l’éducation, la santé et les pensions de retraite ainsi que par des augmentations majeures des impôts et taxes. Mais toutes ces attaques anti-ouvrières, en amputant massivement le pouvoir d’achat des travailleurs, ne pourront qu’apporter une contribution supplémentaire à une nouvelle récession.
5. La crise de la dette souveraine des PIIGS (Portugal, Islande, Irlande, Grèce, Espagne) ne constitue qu’une part infime du séisme qui menace l’économie mondiale. Ce n’est pas parce qu’elles bénéficient encore pour le moment de la note AAA dans l’indice de confiance des agences de notation (les mêmes agences qui, jusqu’à la veille de la débandade des banques en 2008, leur avaient accordé la note maximale) que les grandes puissances industrielles s’en tirent beaucoup mieux. Fin avril 2011, l’agence Standard and Poor’s émettait une opinion négative face à la perspective d’un Quantitative Easing n° 3, c’est-à-dire un 3e plan de relance de l’État fédéral américain destiné à soutenir l’économie. En d’autres termes, la première puissance mondiale court le risque de se voir retirer la confiance “officielle” sur sa capacité à rembourser ses dettes, si ce n’est avec un dollar fortement dévalué. En fait, de façon officieuse, cette confiance commence à faire défaut avec la décision de la Chine et du Japon depuis l’automne dernier d’acheter massivement de l’or et des matières premières en lieu et place des bons du Trésor américain ce qui conduit la Banque fédérale américaine à en acheter maintenant de 70% à 90% à leur émission. Et cette perte de confiance se justifie parfaitement quand on constate l’incroyable niveau d’endettement de l’économie américaine : en janvier 2010, l’endettement public (État fédéral, États, municipalités, etc.) représentait déjà près de 100 % du PIB ce qui ne constituait qu’une partie de l’endettement total du pays (qui comprend également les dettes des ménages et des entreprises non financières) se montant à 300 % du PIB. Et la situation n’était pas meilleure pour les autres grands pays où la dette totale représentait à la même date des montants de 280 % du PIB pour l’Allemagne, 320 % pour la France, 470 % pour le Royaume-Uni et le Japon. Dans ce dernier pays, la dette publique à elle seule atteignait 200 % du PIB. Et depuis, pour tous les pays, la situation n’a fait que s’aggraver avec les divers plans de relance.
Ainsi, la faillite des PIIGS ne constitue que la pointe émergée de la faillite d’une économie mondiale qui n’a dû sa survie depuis des décennies qu’à la fuite en avant désespérée dans l’endettement. Les États qui disposent de leur propre monnaie comme le Royaume-Uni, le Japon et évidemment les États-Unis ont pu masquer cette faillite en faisant fonctionner à tout va la planche à billets (au contraire de ceux de la zone Euro, comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal, qui ne disposent pas de cette possibilité). Mais cette tricherie permanente des États qui sont devenus de véritables faux-monnayeurs, avec comme chef de gang l’État américain, ne pourra se poursuivre indéfiniment de la même façon que ne pouvaient pas se poursuivre les tricheries du système financier comme l’a démontré sa crise de celui-ci en 2008 qui a failli le faire exploser. Un des signes visibles de cette réalité est l’accélération actuelle de l’inflation mondiale. En basculant de la sphère des banques à celles des États, la crise de l’endettement ne fait que marquer l’entrée du mode de production capitaliste dans une nouvelle phase de sa crise aiguë où vont s’aggraver encore de façon considérable la violence et l’étendue de ses convulsions. Il n’y a pas de “sortie du tunnel” pour le capitalisme. Ce système ne peut qu’entraîner la société dans une barbarie toujours croissante.
CCI (mai 2011)
Depuis le déclenchement le 19 mars de l’intervention militaire en Libye sous la double bannière de l’ONU et de l’OTAN, la situation ne s’est pas apaisée. Mais qu’on se rassure, le dernier sommet du G8 a réaffirmé que les coalisés, au-delà de leurs dissensions, étaient “déterminés à finir le travail”, après avoir appelé le dirigeant libyen à quitter le pouvoir car il a “perdu toute légitimité”. La Russie elle-même s’est mêlée au concert de tous ces nouveaux anti-kadhafistes pour proposer son concours à une médiation avec celui qu’elle “ne considère plus comme le dirigeant de la Libye”. En signe de leur appui aux “révolutions arabes” et donc aussi en direction de la population libyenne, les dirigeants présents se sont fendus, en pressant l’Arabie Saoudite de mettre la main à la poche, d’un cadeau aux “révolutions arabes” de 45 milliards de dollars.
En attendant, ce bel élan de “solidarité” envers les insurgés anti-Kadhafi réunis autour du Conseil national de transition libyen, dont les représentants passent plus de temps dans les ambassades occidentales que sur les zones de combats, a bien du mal à faire accréditer une guerre qui s’enlise jour après jour un peu plus. Les forces de Kadhafi, malgré les quelque 2700 frappes aériennes qu’elles ont subies, continuent de pilonner les rebelles, que ce soit à Benghazi ou à Misrata. On est bien loin de l’éviction de ce pouvoir libyen récemment dénoncé par la “communauté internationale” pour sa cruauté et de l’avènement de cette démocratie qui ont été le prétexte à cette nouvelle aventure militaire impérialiste. Car le “guide de la révolution verte” s’accroche désespérément au pouvoir. Aussi, le pays offre un spectacle de désolation, loin de satisfaire à l’espoir ou à l’enthousiasme qui ont accompagné, malgré la dureté des événements, les mouvements en Tunisie et en Egypte. Les morts se comptent par douzaines chaque jour au moins à Misrata (selon l’OMS), et les carcasses de blindés et de voitures sommairement armées jonchent les routes, tandis que les villes ressemblent de plus en plus à des gruyères, à l’image de Beyrouth dans les années 1970 et 1980. Evidemment, nos dignes représentants n’ont de cesse de fustiger le gouvernement libyen et d’exiger que “les responsables d’attaques contre les civils rendent des comptes”, sans omettre de mobiliser préventivement la Cour pénale internationale sur ces “crimes”. On connaît leurs grands discours, comme on connaît leur hypocrisie mensongère : ils sont eux aussi responsables des morts, dans les deux camps, y compris parmi les populations civiles. Parce que c’est la loi des “frappes aériennes” qui ne font pas des morts que pile-poil dans le camp des méchants, comme dans les films de série B. Rappelons juste en exemple les prétendues attaques “ciblées” des deux guerres en Irak, et leurs quelques centaines de milliers de morts “collatéraux”, de celle en Afghanistan où c’est régulièrement que des villages entiers sont la cible “d’erreurs” logistiques. La liste des responsabilités des grandes puissances, qui n’enlève rien à celle des petits Etats, pour la mort de “civils”, serait bien longue. De même que leur responsabilité pour créer le chaos.
Ainsi, la réaffirmation du dernier sommet du G8 d’accentuer sa pression militaire contre Kadhafi avec la décision de mettre en place des attaques par hélicoptères français et britanniques pour être au “plus près du sol” sont au plus près d’une présence à terme “sur le sol”. Autant l’intervention militaire était partie sur des bases plutôt troubles et instables, avec les Etats-Unis qui traînaient des pieds, ainsi que l’Italie, et la Russie qui s’y opposait, autant aujourd’hui la direction semble affirmée : aller à la curée. La population libyenne, que les champions toutes catégories de la démocratie occidentale sont venus “secourir” pour les “sauver”, subit désormais le même calvaire que celles subissant le joug de tel ou tel dictateur ou du terrorisme international. Cet avenir, cet après-Kadhafi annoncé, c’est celui d’un affrontement plus ou moins larvé entre les différentes cliques tribales libyennes, soutenues par les différentes puissances sur le terrain, avec pour mot d’ordre : chacun pour soi et tous contre tous.
Et la question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir si le même sort attend bientôt la population syrienne ; une population dans les rangs de laquelle il y a eu au moins un millier de morts depuis le début des manifestations anti-Assad il y a deux mois, et des dizaines de milliers d’emprisonnés par les forces de répression du gouvernement de Damas. Tortures, tabassages, assassinats sont le lot quotidien des Syriens, en fait le même brouet qu’en Libye, qui a tout à coup “offusqué” les représentants de l’Union européenne. Relayant leurs velléités protestataires contre cette “répression sanglante” syrienne jusqu’au Conseil de sécurité de l’ONU, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et le Portugal ont appelé à frapper le régime syrien de “sanctions internationales”, qui lui font pour l’instant aussi peur que l’histoire du Grand méchant loup.
Contrairement à ce qui s’est passé avec la Libye, l’ONU est loin de parvenir à un accord et à une résolution qui l’engagerait à une action militaire contre la Syrie. D’abord parce que l’Etat syrien possède des moyens militaires autrement plus conséquents que ceux de Kadhafi, et parce que la région est bien plus sensible stratégiquement que l’environnement de la Libye. Et c’est là qu’on peut une fois encore mesurer le peu de crédit à accorder aux puissances occidentales pour soutenir les “révolutions démocratiques arabes”, dont les mots remplissent la bouche de ces menteurs patentés alors qu’elles cautionnent depuis des années le régime de la famille Al-Assad. Les enjeux impérialistes concernant la Syrie sont de tout premier ordre. Voisine et alliée de l’Irak où les Etats-Unis s’essoufflent toujours à trouver une voie de sortie militaire à peu près honorable, la Syrie est de surcroît de plus en plus soutenue par l’Iran qui lui a fourni, depuis les derniers événements des milices aguerries et rompues à toutes les sortes de sévices que requièrent les besoins d’une répression massive de la population.
La première puissance mondiale ne peut pas se permettre de se retrouver avec un nouveau bourbier sur le bras en Syrie, bourbier qui la décrédibiliserait encore un peu plus dans les pays arabes, alors même qu’elle a de plus en plus de mal à calmer le jeu dans les tensions israélo-palestiniennes, précisément attisées par Israël et la Syrie. De plus, le bonus momentané tiré sur l’arène mondiale par les Etats-Unis – et par Obama en particulier, ce prestige lui assurant presque sa future réélection – avec le succès de la traque et de la mort surmédiatisée de Ben Laden, “lavant l’affront du 11 septembre”, ne signifie pas pour autant une éradication du terrorisme, but proclamé de la grande croisade américaine depuis 20 ans. Au contraire, cette nouvelle situation expose toujours plus le monde à une recrudescence des attentats meurtriers et les récents attentats sanglants au Pakistan et à Marrakech n’ont pas tardé à le démontrer. Partout, on assiste à une multiplication des foyers de guerre, à une fuite en avant dans des tensions impérialistes plus fortes aiguisées par les rivalités entre les grandes puissances et à une accumulation d’instabilité et de barbarie.
Il ne faut avoir aucune illusion. Le capitalisme, c’est la guerre, le chaos, mais nulle part il n’aboutira à une prétendue libération ou émancipation des peuples.
Mulan (28 mai)
Que ce soit au Mexique ou au Pérou, les attentes autour des élections sont amplifiées au maximum et par tous les moyens de communication pour maintenir l’intérêt des travailleurs fixé sur des sujets qui sont bons pour la bourgeoisie et qui sont partout les mêmes : tel ou tel parti est le meilleur pour en finir avec la crise ou l’insécurité, telle ou telle alliance serait meilleure pour signer des accords qui permettent de réaliser les reformes légales nécessaires pour les affaires capitalistes, toujours présentées, cela va de soi, comme bénéfiques “pour les pauvres enfin, en dernière instance, toutes ces campagnes ont comme axe le culte de la personnalité des différents candidats dont il faudrait valoriser les attributs au moment de voter. Et c’est ainsi que les personnages des principaux partis du Mexique (PAN, droite, PRI, centre, et PRD, gauche) se sont mis en concurrence pour les gouvernorats des provinces mexicaines (1). Ou, au Pérou, les candidatures autour de personnages comme Ollanta Humala ou Keiko Fujimori (la fille de l’ancien président Alberto Fujimori), pour ne nommer que les plus connus. Tous reviennent pour renouveler dans les têtes des masses ouvrières et opprimées le sempiternel espoir selon lequel cette fois-ci c’est la bonne, cette fois-ci on a l’occasion de sortir de la crise, cette fois-ci la pauvreté va disparaître, cette fois-ci on va régler ce fléau de la délinquance déchainée, du narcotrafic et ainsi de suite...et tout ça, uniquement grâce à un simple geste magique… “le vote démocratique”. Cette mystification est effectivement la même dans tous les pays, même s’il existe quelques particularités, parfois extravagantes ou en lien avec les systèmes électoraux, qui font qu’au Mexique, par exemple, il n’y ait qu’un seul “tour” et au Pérou un “deuxième tour”, face à des résultats peu clairs, ce qui au demeurant, peut servir à susciter une attente et un intérêt plus grands.
La démocratie capitaliste ne pourrait fonctionner sans la mystification idéologique des élections libres et démocratiques, par lesquelles, prétendument, “les citoyens sont à égalité pour décider pour qui ils votent, en ayant ainsi une influence dans le choix de ceux qui vont les gouverner et leurs représentants au Parlement” ; voilà une des plus grandes escroqueries réalisée par l’État lui-même à notre époque de décadence du capitalisme ; alors que c’est à partir de l’État lui-même que sont créés les différents partis, avec des masques idéologiques de droite, de centre ou de gauche pour inciter à la participation citoyenne, pour faire voter pour tel ou tel choix par le biais de différents mécanismes de manipulation, de propagande et de moyens de diffusion aux mains de l’État. C’est une tromperie démesurée, qui, en plus, essaye d’occulter que la prétendue égalité est une chimère, c’est la classe dominante qui décide quels candidats doivent être dans la compétition et, en fin de compte, quel candidat ou quel équipe gouvernementale doit prendre en charge tel ou tel poste pour une période donnée.
La bourgeoisie conserve cette institution démocratique en y injectant des masses d’argent considérables, parce qu’elle est la colonne vertébrale de sa domination ; c’est à travers ces institutions que les masses travailleuses surtout peuvent avoir l’illusion que seul le vote “pacifique”, très solitaire et atomisé dans une urne en carton, pourrait avoir une véritable influence pour que son état permanent de pénurie puisse ne serait-ce que diminuer. C’est ainsi que les agissements des partis politiques, des syndicats, des médias, etc., arrivent à détourner l’attention des masses ouvrières de leurs intérêts de classe, c’est-à-dire : la défense de leurs conditions de vie et de travail.
Au Pérou, par exemple, grâce à l’orgie électoraliste, on a occulté intentionnellement toute information sur des luttes qui se sont déroulées parallèlement aux élections : des mineurs, des dockers, des ouvriers des raffineries de sucre, avec, parfois, des affrontements des travailleurs contre les forces de répression de ce même État qui organise les élections, des affrontements qui ont causé des morts et des blessés. Ou au Mexique où l’on offre cette eucharistie du vote citoyen pour éviter que les prolétaires ne portent leur attention sur les véritables causes de leur misère croissante, pour éviter qu’ils ne recherchent les raisons du chômage qui broie leurs familles, éviter qu’ils ne s’opposent activement aux attaques impitoyables du capital qui continue à dégrader leur situation jusqu’à des limites insupportables.
Pour les travailleurs, rien ne se joue dans les élections démocratiques. Il suffit de se rappeler ne serait-ce que les résultats des élections passées au moment où des “alternatives différentes” sont arrivées au pouvoir, mais dans les faits, elles ont appliqué les mêmes mesures nécessaires pour que les affaires capitalistes puissent continuer à marcher tant bien que mal, ce qui, toujours, s’est concrétisé à travers des plans d’austérité contre les exploités. La diversité politique avec laquelle on veut nous droguer n’est faite que des masques plus ou moins hideux ou avenants pour cacher la division du travail entre la droite, le centre et la gauche. Il faut que tous les “choix” s’offrent aux votants : pour que ces campagnes électorales soient un succès, il faut que le plus grand nombre de personnes aillent aux urnes pour qu’elles soient ainsi accrochées au char de l’État.
La bourgeoisie a érigé le totem avec l’emblème du “citoyen avec des droits et des devoirs”, le citoyen “qui participe dans une communauté et qui se développe par l’action autorégulée, intégrante, pacifique et responsable, avec le seul objectif supérieur d’améliorer sans cesse le bien-être public”, autrement dit, la bourgeoisie, en accord avec ses intérêts, identifie “l’intérêt commun” avec les siens propres qui sont ceux d’une économie et d’un ordre politique et social organisé à l’intérieur d’une nation capitaliste, des intérêts préservés grâce à l’État qui exerce une dictature de la minorité sur l’immense majorité. Les travailleurs, pour pouvoir s’affirmer en tant que classe, devront secouer aussi le joug de cette mystification et penser en termes de classe, de leurs intérêts communs, comment développer la conscience du fait qu’au niveau individuel ils ne sont rien et qu’ils doivent rechercher la solidarité et l’unité pour arriver à ce que le poids réel qu’ils représentent dans la société soit reconnu grâce à leurs propres méthodes d’organisation et de lutte. Un scénario totalement opposé a la mascarade des élections démocratiques bourgeoises.
RR, avril 2011
1) Tout au long de l’année 2011, il y a des élections de gouverneurs placés à la tête des provinces mexicaines.
La révolution industrielle a aussi été une révolution de l’énergie, dans l’utilisation de ses sources qui ont permis à la société d’aller au-delà des frontières imposées par « l’économie organique » qui la cantonnait à la croissance saisonnière des ressources d’énergie naturelles pour assouvir la plupart de ses besoins. Cependant, au cours de la révolution industrielle, prédominait l’utilisation principale du charbon qui est allée de pair avec les changements du mode de production, ainsi que l’émergence de la bourgeoisie comme classe qui a poussé au développement de la technologie pour extraire et utiliser les gisements charbonneux.[1].
Autant les premiers jours du capitalisme ont vu une utilisation extensive et plus systématique des moyens de production existants, autant on a vu un usage des ressources énergétiques existantes poussées à leurs limites.
Dans l’économie organique qui a prédominé depuis la révolution néolithique jusqu’à l’adoption à grande échelle du charbon pendant la révolution industrielle, la puissance humaine et animale ainsi que celle du bois furent les principales sources d’énergie. En 1561-70, elles représentaient respectivement 22,8%, 32,4% et 33% de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. Le vent et l’énergie hydraulique faisaient tout juste plus de 1% combinés ensemble alors que le charbon comptait pour 10,6%.[2]
L’abondance du bois en Europe lui donna un avantage sur les sociétés où il était rare, mais le développement de la production épuisa ces ressources et enraya la croissance. Ainsi en 1717, un haut-fourneau du Pays de Galles n’était pas allumé depuis quatre ans après sa construction que le bois et le charbon accumulés ne pouvaient donc assurer régulièrement la production que pour 15 semaines par an pour la même raison.[3]
Avant le 18e siècle, il a été calculé qu’un haut-fourneau standard travaillant deux ans sans interruption exigeait la coupe de 2000 hectares de forêt.[4]
En Galles du Sud, bien connu pour ses mines de charbon, les premières étapes de la révolution industrielle ont témoigné du développement des aciéries et ont conduit à la déforestation des vallées qui étaient autrefois densément boisées. La croissance de la demande en bois amena des augmentations de prix et des famines qui affectèrent le plus grand nombre des pauvres. Dans certaines parties de la France, il n’y avait pas assez de bois pour les fours à pain et, dans d’autres, il est raconté que « les pauvres vivaient sans feu ».[5]
Les limites à la production imposée par l’économie organique ne peuvent être considérées qu’en calculant le nombre de troncs qui aurait été nécessaire pour réaliser une consommation conséquente d’énergie à partir du charbon. Le bois n’est pas une source d’énergie aussi efficace que le charbon, car deux tonnes de bois sont nécessaires pour produire la même énergie qu’une tonne de charbon et trente tonnes pour produire une tonne d’acier. Un acre de bois (0,4 hectare) peut produire environ l’énergie équivalente d’une tonne de charbon en un an. En 1750, 4 515 000 tonnes de charbon ont été extraites en Angleterre et au Pays de Galles. Pour produire la somme équivalente d’énergie, utiliser le bois aurait demandé 13 045 000 tonnes, c’est-à-dire 35% de la surface boisée (11,2 millions d’acres). Un demi-siècle plus tard, la production avait atteint 65 050 000 tonnes, ce qui revient à pas moins de 150% de la même surface (48,1 millions d’acres).[6]
Une des clés de la domination britannique sur le monde a été qu’elle avait des réserves de charbon qui étaient accessibles en utilisant la technologie existante. Cela a pu créer l’impulsion pour développer les moyens de production afin de permettre l’extraction de charbon à des niveaux plus profonds.
Charbon et pétrole : les fondements du capitalisme industriel
Avant l’utilisation à grande échelle du charbon, l’énergie utilisable était essentiellement déterminée par la quantité d’énergie solaire qui était convertie en croissance des plantes par la photosynthèse. Ceci impliquait la production de nourriture pour les humains et les animaux et celle du bois. Ce cycle naturel semblait imposer une limite insurmontable à l’accumulation d’énergie musculaire et thermique qui pouvait être utilisée et donc au niveau de la production et de la prospérité de la société. La pauvreté et la misère généralisée semblaient éternelles, inaltérables, des données de la vie. L’extraction à grande échelle du charbon et aussi du pétrole a brisé cette barrière en permettant l’accès aux sources d’énergie de la terre, à la production de la photosynthèse des millénaires passés.[7]
Le 19e siècle et la première partie du 20e ont été dominés par l’utilisation du charbon. L’avancée de la révolution industrielle est souvent mesurée en tonnes de minerai de charbon, en tonnes d’acier produites et en kilomètres de chemin de fer posés. Nous en avons donné quelques indications ci-dessus, mais elle peut aussi être mesurée par le modèle changeant d’utilisation de l’énergie et par l’augmentation de l’énergie utilisée par personne. Nous avons vu qu’en 1560 le charbon comptait pour à peine plus de 10,6% de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. En 1850, il compte pour 92%. A l’origine, le charbon servait pour remplacer le bois dans des industries telles que la poterie et des préparations qui exigeaient de grandes quantités de chaleur et il n’affectait qu’assez peu l’organisation de l’époque sur la production et l’augmentation directe de la productivité. Les machines à vapeur statiques étaient utilisées pour pomper l’eau des mines, lesquelles, bien qu’inefficaces, permettaient que le charbon et d’autres ressources, aussi faibles qu’en Cornouailles, soient prélevés de profondeurs jusqu’alors inaccessibles. Les machines étaient donc adaptées à manier des équipements, comme dans l’industrie du coton, et comme moyens de transport. La consommation totale d’énergie augmenta progressivement dans la révolution industrielle. En 1850, en Angleterre et au Pays de Galles, celle-ci fut au total 28 fois supérieure à elle de 1560. Cela était dû en partie à la croissance substantielle de la population qui a été constatée pendant cette période mais l’échelle réelle de cette montée est montrée par le fait que la consommation par personne a été multipliée par cinq.[8]
L’industrie du pétrole s’est développée graduellement pendant le 20e siècle avec des développements significatifs dans les techniques de production et avec le niveau de production qui a eu lieu dans les années de l’entre-deux-guerres. En 1929, le commerce du pétrole avait augmenté de 1,170 million de dollars, les principaux exportateurs étant les Etats-Unis, le Venezuela et les Antilles néerlandaises, bien que des raffineries aient aussi été établies au Barheïn et en Arabie Saoudite par les Etats-Unis et en Irak et au Liban par des entreprises britanniques et européennes.[9]
Cependant, ce fut seulement après la Seconde Guerre mondiale que le pétrole est devenu comme la production d’énergie dominante, comptant pour 46,1% de la production mondiale d’énergie en 1973, bien qu’il soit descendu en 2008 à 33,2%.
L’utilisation croissante de l’énergie a été un trait marquant de l’industrialisation partout dans le monde. Elle exprime non seulement la poussée de l’échelle de la production et l’impact de la croissance de la population, mais aussi le développement de la productivité avec la croissance en quantité des moyens de production, l’énergie comprise, que chaque ouvrier est capable de mettre en ?uvre. Cette tendance a perduré de nos jours : entre 1973 et 2008, la consommation totale d’énergie a augmenté de 80%.[10]
La révolution en forme et en quantité d’énergie offerte à l’humanité a dopé la révolution industrielle et a ouvert la porte à la possibilité de passer du règne de la volonté à celui de l’abondance. Mais cette révolution a été conduite par le développement du capitalisme dont le but n’est pas la satisfaction des besoins humains mais la croissance du capital sur la base de l’appropriation de la plus-value produite par une classe ouvrière exploitée.
Le capitalisme n’a pas d’autre critère pour utiliser l’énergie, pour détruire les ressources finies, que celui du coût de production qu’il représente. L’augmentation de la productivité pousse à exiger plus d’énergie, aussi les capitalistes (autres que ceux impliqués dans l’industrie du pétrole) sont amenés à essayer de réduire le coût de cette énergie. D’un côté, ceci conduit à une utilisation prolifique de cette énergie à des fins irrationnelles, telles que le transport des mêmes marchandises en tous sens à travers le monde, et à la multiplication sans fin de marchandises qui ne représentent aucun besoin humain mais servent uniquement de moyens pour extraire et réaliser la plus-value. De l’autre, ceci conduit à ce que des millions d’êtres humains ne puissent accéder à cette ressource et à ces produits parce qu’ils ne présentent pas assez d’intérêt financier pour les capitalistes. Cela s’illustre au Niger où Shell pompe des milliards de dollars de pétrole alors que la population locale n’en a pas ou bien risque sa vie pour en prendre illégalement dans les pipelines. Le prix est aussi payé par ceux qui travaillent dans les industries énergétiques et dont l’organisme est miné ou empoisonné par l’environnement dans lequel ils vivent, des eaux toxiques polluées de la Tamise qui ont caractérisé le 19e siècle à Londres jusqu’au réchauffement de la planète qui menace le futur de l’humanité aujourd’hui.
L’énergie nucléaire
La possibilité d’utiliser la fission ou la fusion nucléaires pour produire de l’énergie est connue depuis environ un siècle, mais c’est seulement après la Seconde Guerre mondiale qu’elle a pu être menée à bien. Aussi, bien que le contexte général est le même que celui souligné ci-dessus, la situation spécifique de l’après-guerre est dominée par la rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS, avec la course aux armements qui s’en est suivie. Le développement de l'énergie nucléaire n’est donc pas seulement inextricablement lié à celui des armes nucléaires mais a été probablement l’écran de fumée de ce dernier.
Au début des années 1950, le gouvernement américain était inquiet de la réaction du public au danger de l’arsenal nucléaire qu’il avait mis en oeuvre et à la stratégie de la « première frappe » qui avait été proposée. Sa réponse fut d’organiser une campagne connue sous le nom d’Opération Candor pour gagner l’opinion grâce à des messages dans les médias (y compris des bandes dessinées) et par une série de discours du président Eisenhower qui ont culminé dans l’annonce à l’assemblée générale de l’ONU du programme « Des atomes pour la paix » pour « encourager l’investigation au niveau mondial de l’utilisation la plus efficace en temps de paix des matériaux fissibles ».[11] Le plan incluait une information et des ressources partagées, avec les Etats-Unis comme l’URSS créant de façon conjointe un stock de matériau fissible. Dans les années qui ont suivi la course aux armements des armes nucléaires se sont répandues chez d’autres puissances, souvent sous le prétexte de développer un programme civil nucléaire, comme en Israël et en Inde. Les premiers réacteurs produisaient de grandes quantités de matériel pour les armes nucléaires et une petite quantité pour une électricité très dépensière. Le partage de la connaissance en matière de nucléaire fit alors partie des luttes impérialistes au niveau mondial ; ainsi, à la fin des années 1950, la Grande-Bretagne soutint secrètement Israël avec de l’eau lourde pour le réacteur qu’elle avait construit grâce à l’assistance française.[12] En dépit des discours sur cette énergie moins chère, la puissance nucléaire n’a jamais rempli cette promesse et a eu besoin du soutien de l’Etat pour couvrir son coût réel. Là où des compagnies privées construisent et dirigent des usines, il existe habituellement des subsides ouverts ou cachés. Par exemple, la privatisation de l’industrie nucléaire en Grande-Bretagne a avorté lorsque Thatcher dans les années 1980 l’a attaquée parce que le capital privé reconnaissait qu’il y avait des risques et des coûts non quantifiables. Ce n’est qu’en 1996, alors que les vieux réacteurs Magnox qui avaient déjà besoin d’être mis au rancart ont été exclus de l’accord que les investisseurs privés avaient préparé un contrat pour acheter British Energy à un prix cassé de 2 milliards de livres. Six ans plus tard, la compagnie devait être cautionnée d’un prêt du gouvernement de 10 milliards de livres.[13]
Alors que les avocats du nucléaire arguent aujourd’hui qu’il est meilleur marché que d’autres sources d’énergie, ceci reste une affirmation discutable. En 2005, l’Association Mondiale du Nucléaire (World Nuclear Association) statuait sur le fait que : « Dans la plupart des pays industrialisés aujourd’hui, de nouvelles usines nucléaires offrent la façon la plus économique de créer de l’électricité à bas coût sans considération des avantages géopolitiques et environnementaux que confère l’énergie nucléaire » et publiait une série de statistiques pour soutenir la demande selon laquelle la construction, le financement, la mise en oeuvre et les coûts que représentent les déchets ont tous été réduits.[14] Entre 1973 et 2008, la proportion d’énergie provenant des réacteurs nucléaires est montée de 0,9% à un total global de 5,8%.[15]
Un rapport publié en 2009, demandé par le gouvernement fédéral allemand[16], fait une évaluation de loin plus critique de l’économie du nucléaire et questionne l’idée d’une renaissance du nucléaire. Ce rapport montre que le nombre de réacteurs a chuté ces dernières années en contradiction avec les projets plus larges d’augmentations à la fois des réacteurs et de l’énergie produite. L’augmentation de puissance générée qui a eu lieu durant cette période est le résultat de la rentabilité des réacteurs existants et de l’extension de leur vie opérationnelle. Il continue en argumentant qu’il existe une incertitude sur les réacteurs couramment décrits comme étant « en construction », un certain nombre étant dans cette position depuis plus de 20 ans. Le nombre de ceux en construction est tombé d’un pic de 200 en 1980 à moins de 50 en 2006.
Au regard de l’économie du nucléaire, le rapport montre le haut niveau d’incertitude dans toutes les zones incluant le financement, la construction et l’entretien.
Il montre que l’Etat reste central pour tous les projets nucléaires quels que soient ceux auxquels ils appartiennent ou qui les dirigent. Un de ces aspects tient dans les formes variées des subsides fournis par l’Etat pour soutenir les coûts du capital investis dans l’entretien comme dans les démantèlement des usines, ainsi que le soutien des prix. Un autre a été la nécessité pour l’Etat de limiter la responsabilité de l’industrie afin que le secteur privé en accepte les risques. En 1957, le gouvernement américain a marqué le pas lorsque les compagnies d’assurance refusèrent de couvrir l’assurance car il leur était impossible de quantifier les risques.[17] Aujourd’hui, on estime qu' « en général, les limites nationales sont de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros, moins de 10% du coût de construction d’une usine et bien moins que le coût de l’accident de Tchernobyl. »[18]
Les dangers de l’énergie nucléaire sont aussi fortement débattus que les coûts et les preuves scientifiques apparaissent très variables. Cela est particulièrement le cas du désastre de Tchernobyl dont l’estimation des morts qui en ont résulté varie largement. Un rapport de l’OMS considère que 47 des 134 ouvriers irradiés au cours de l'intervention d'urgence sont morts des suites de la contamination en 2004[19] et estime qu’il y aurait à peine moins de 9000 morts de plus par cancer provoqué par la catastrophe.[20] Un rapport de scientifiques russes publié dans les Annales de l’Académie des Sciences de New-York pense que, de la date de l’accident jusqu’en 2006, ce sont 985 000 morts de plus qu’il faut compter, des cancers à toute une série d’autres maladies.[21]
Pour tous ceux qui n’ont pas la connaissance scientifique et médicale des spécialistes, il est difficile de s’y retrouver mais, ce qui est moins douteux, c’est le niveau massif de secret et de falsification en cours, depuis la décision du gouvernement britannique de retenir la publication du rapport sur un des premiers accidents à la centrale de Windscale en 1957 jusqu’à Fukushima aujourd’hui où le vrai niveau de catastrophe n’émerge que lentement. Pour revenir à Tchernobyl, le gouvernement russe n’a pas rapporté l’accident pendant plusieurs jours, laissant la population locale continuer à vivre et à travailler au milieu des radiations. Mais il n’y a pas qu’en Russie. Le gouvernement français a minimisé les niveaux de radiation qui atteignait le pays[22], disant à la population que le nuage radioactif qui s’étendait sur toute l’Europe n’était pas passé sur la France[23], tandis que le gouvernement britannique rassurait le pays qu’il n’y avait aucun risque pour la santé, rapportant des niveaux de radiation 40 fois plus bas que ceux de la réalité[24], mettant cependant plus tard des centaines de fermes en quarantaine. Jusqu’en 2007, 374 fermes sont encore restées sous contrôle spécial.[25]
L’énergie nucléaire est mise en avant par divers gouvernements comme la solution “verte” aux problèmes associés aux combustibles fossiles. C’est en majeure partie un écran de fumée qui cache les motifs réels qui tournent autour de l’épuisement possible du pétrole, de l’augmentation du prix du pétrole et des risques associés à une dépendance des ressources énergétiques hors de contrôle des Etats. Cette façade “verte » s’estompe à mesure que la crise économique conduit les Etats à revenir au charbon[26] et à baisser les coûts des nouvelles sources de pétrole en exploitation, la plupart d’entre elles physiquement difficiles d’accès, ou qui demandent des processus qui polluent et salissent l’environnement, comme les suies.
Les produits énergétiques ont aussi été un facteur dans les luttes impérialistes ces dernières années et elles le seront encore plus dans la période à venir. L’énergie nucléaire revient là même où elle a commencé comme source de matériau fissible et comme couverture pour les programmes d’armement.
Le communisme et les sources d'énergie
Les régimes staliniens qui se sont appropriés et ont sali le nom du communisme ont tous partagé le comportement du capitalisme dans l’utilisation du nucléaire et ont agi avec un mépris total de la santé de la population comme de l’environnement. Cela était vrai de l’ex-URSS et l’est aussi pour la Chine d’aujourd’hui et nourrit la confusion largement répandue sur le fait que le communisme pousse à une industrialisation forcée qui ne tient pas compte de la nature.
Contrairement à ces fausses idées, Marx se sentait très concerné par la nature, au niveau théorique de la relation entre l’humanité et la nature comme on l’a déjà vu, et au niveau pratique quand il écrit sur le danger de l’épuisement des sols par l’agriculture capitaliste et sur l’impact de l’industrialisation sur la santé de la classe ouvrière : « En outre, chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de dépouiller le sol; chaque progrès dans l'art d'accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du nord de l'Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s'accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. »[27]
Nous ne pouvons pas prévoir la « politique énergétique » du communisme, mais partant du fait fondamental que la production se fera pour les besoins humains et pas pour le profit, nous pouvons prédire que le modèle de l’utilisation de l’énergie changera de façon significative et nous pouvons en mettre en avant certains aspects :
- nous pouvons anticiper une vaste réduction dans la production des choses non-nécessaires et dans le transport d’autres choses dont le seul but est d’accroître les profits des capitalistes ;[28]
- de même, il y aura une réduction des voyages non-nécessaires vers et depuis les endroits de travail en même temps que les communautés prendront des proportions plus humaines, comme la frontière entre les activités de travail et celles dites de non-travail, comme le divorce entre la ville et la campagne, qui seront alors dépassés ;
- la créativité et l’intelligence seront dirigées vers les besoins humains, et on peut donc anticiper des développements significatifs dans les ressources d’énergie,[29] spécialement renouvelables, tout comme dans la mise en perspective de moyens de production, de transports et d’autres équipements et de machines pour les rendre plus efficaces, et cela à long terme.
Parce qu’une société communiste aura le souci du long terme, ceci implique de grandes réductions dans l’usage des sources d’énergie non-renouvelables de façon à ce qu’elles puissent servir aux futures générations. Il faut noter que même l’uranium utilisé par le nucléaire est une source d’énergie non-renouvelable et ne brise donc pas la dépendance envers les ressources finies. Ceci implique que l’énergie renouvelable sera fondamentale pour la société communiste mais, parce que la créativité et l’intelligence de l’humanité se libéreront des chaînes actuelles, cela n’entraînera pas un retour aux privations des anciennes économies organiques.
Il ne nous appartient pas de dicter au futur les décisions qui seront prises sur cette question. Mais ce que nous avons dit ci-dessus implique une réduction significative de l’utilisation de l’énergie et des changements dans les formes d’énergie à la lumière d’une intelligence scientifique en éveil. Les dangers potentiels du nucléaire et le fait que dépenser du pétrole et contaminer la terre représente un risque pour des centaines de milliers d’années suggère que l’énergie nucléaire n’ait pas de place dans une société dirigée vers le bien commun de sa génération, des futures générations et de la planète dont nous dépendons.
Contrairement à cela, le capitalisme a la prétention aujourd’hui d’être « écolo ». L’énergie verte de nos jours est largement périphérique, quoi qu’on entende dire partout que c’est économique de la mettre en pratique. Cela dit, la manière dont le capitalisme utilise les diverses sources d’énergie expose l’humanité à tous les dangers parce que la menace qu’il représente ne surgit pas de telle ou telle politique ou des éléments de la production, mais des lois qui gouvernent le capitalisme et de l’héritage historique des sociétés basées sur l’exploitation.
North (19 juin 20
[1] Ceci est également valable dans le cas de la Chine : « Le charbon était extrait et brûlé à une échelle substantielle dans certaines parties de la Chine depuis le 4e siècle et peut avoir atteint un pic durant le 11e siècle, mais cela n’a jamais conduit à une transformation de l’économie.” » E. A. Wrigley, Energy and the English Industrial Revolution, p. 174, Cambridge University Press, 2010.
[2] Wrigley, op.cit., p.92.
[3] Fernand Braudel, Civilisation and Capitalism 15th 18th Century Vol. 1, p.366-7. William Collins Sons and Co. Ltd, London
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Wrigley, op. cit, p.37 et p.99
[7] Energy and the English Industrial Revolution. par E. A. Wrigley.
[8] Ibid., p.94.
[9] Kenwood et Lougheed, The growth of the international economy (1820-1990). Routledge, 1992 (3e édition).
[10] International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.28.
[11] Noté dans S. Cooke, In mortal hands: A cautionary history of the nuclear age, Bloomsbury New York, 2010 (Paperback edition), p.110.
[12] Ibid., p.148-9.
[13] Ibid., p. 357-8.
[14] World Nuclear Association, The new economics of nuclear power, p.6.
[15] International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.6
[16] The World Nuclear Industry Status Report 2009 With Particular Emphasis on Economic Issues. Commissioned by German Federal Ministry of Environment, Nature Conservation and Reactor Safety. Paris 2009.
[17] Cooke, op. cit., p.120-5. Le gouvernement accepta arbitrairement un plafond engageant sa responsabilité à hauteur de 500 milions de dollars en dépit de l'avis de ses propres experts pour lesquels “la mesure du risque encouru ne peut pas être exactement evalué” (ibid, p. 124).
[18] German Federal Ministry of Environment, Nature Conservation and Reactor Safety, op.cit., p.44.
[19] World Health Organisation, 2006, Health effects of the Chernobyl accident and special health care programmes, p.106.
[20] Ibid., p.108.
[21] Yablokov, Nesterenko and Nesterenko, “Chernobyl: Consequences of the catastrophe for people and the environment.” Annals of the New York Academy of Sciences, Vol. 1181, 2009, p.210. Cette étude a suscité pas mal de controverses, notamment des critiques selon lesquelles elle amalgamerait des données incompatibles entre elles, ne tiendrait aucun compte des études qui ne soutiennent pas son argumentation et ne suivrait pas des méthodes scientifiques reconnues. Voir par exemple la revue des publications dans Environmental Health Perspectives, Vol. 118, 11 Novembre 2010.
[22] Cooke, op. cit., p.320.
[23] Yablokov et al, op. cit., p.10
[24] Ibid., p.14
[25] Cooke, op. cit., p.321.
[26] Le charbon est passé de 24,5% des sources d’énergie totale en 1973 à 27% en 2008. Source: International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.6.
[27] Marx, Le Capital , Vol. I, Chapitre XV ter “Machinisme et grande industrie”, Section 10, “Grande industrie et agriculture.”
[28] Voir : “Le monde à l’aube d’une catastrophe environnementale ” dans la Revue Internationale n°139.
[29] Voir Makhijani, A. 2007, Carbon-Free and Nuclear-Free: A Roadmap for U.S. Energy Policy pour un inventaire des sources d’énergie alternatives.
Derrière le prétendu “miracle” de la croissance chinoise se cache une réalité qui n’a rien d’enviable. Si peu enviable que la classe dirigeante et ses médiats aux ordres l’occultent même complètement. Dans le pays où fut inventée la poudre à canon, la situation est véritablement explosive !
Depuis le début du mois de juin, de violentes protestations parcourent le sud du pays, opposant les migrants des campagnes (mingongs) aux forces de police et parfois même à l’armée. Il semblerait que l’élément déclencheur de cette vague de colère soit une altercation dans la ville de Xintang entre un couple de modestes vendeurs ambulants originaires du Sichuan et des “chengguan” (l’équivalent de nos policiers municipaux et profondément détestés). Ces derniers, voulant déloger le couple sous prétexte que la vente à la sauvette est illégale, auraient violemment bousculé la jeune femme qui est enceinte. Aussitôt, la foule alentour s’est regroupée et a exprimé sa colère contre de tels comportements. Dans un climat rendu explosif par la situation qui règne dans le pays, le mouvement a rapidement tourné à l’émeute. Selon l’agence officielle de Chine nouvelle, des centaines de personne ont jeté des briques et des bouteilles sur les policiers. Dans les jours qui suivirent, malgré l’intervention massive des policiers appuyée par le déploiement de blindés, la fermeture des routes à la circulation et l’arrestation de 25 personnes, la situation dans la région de Xintang demeure tendue. De nombreux manifestants restent mobilisés, demandant la libération des 25 collègues détenus (1). Ce phénomène n’est pas un fait isolé. Loin de là. Pour l’immense majorité du peuple chinois et particulièrement pour les ouvriers migrants venus dans les grandes agglomérations avec l’espoir de trouver du travail, les conditions de vie sont de moins en moins supportables. Entre les murs de “l’usine du monde”, comme ailleurs, le cynisme et le mépris de la classe capitaliste envers les ouvriers paraît sans limite. Il y a peu, un ouvrier chinois demandait que lui soient versé des salaires impayés. En retour… il a reçu un coup de couteau de la part de ses patrons ! L’ignominie de cet acte abominable a sans doute fortement attisé le sentiment de révolte qui s’est étendu peu à peu à travers le pays. Mais ces faits ne suffisent pas à comprendre les causes profondes de l’explosivité du climat social. Ainsi, dans un article du journal les Echos du 15 juin on peut lire : “Des problèmes locaux ont tendance à dégénérer en raison de l’inquiétude croissante posée par d’autres questions comme l’inflation, explique à l’AFP Russell Leigh-Moses, analyste installé à Pékin. (…) L’inflation en Chine a atteint en mai son plus haut niveau en près de trois ans, et la hausse des prix est potentiellement explosive. De nombreuses catégories de Chinois subissent de plein fouet l’envolée des prix, notamment les paysans, les retraités et les ouvriers migrants.” Face à ce profond malaise, l’Etat doit employer les grands moyens pour maintenir une certaine stabilité dans la région où avait déjà explosé, il y a un an, une série de grèves et de manifestations (2). Sur le site web Rue 89, un article bien détaillé et daté du 14 juin 2011 précise : “s’ils avaient réussi à obtenir des augmentations de salaire et, dans certains cas, une relative amélioration de leurs conditions de travail, leur situation reste peu enviable”. Enfin, Jeffrey Crothall, porte-parole de l’ONG China Labor Bulletin explique : “Ils ont des horaires de travail très lourds et souffrent de discriminations. Certes, grâce au manque de main-d’œuvre, les travailleurs ont gagné du pouvoir de négociation dans certains secteurs. Mais dans beaucoup d’endroits, ils sont encore très mal traités par leurs patrons, qui refusent souvent de les payer. Quant aux augmentations de salaires, de toute façon leur effet a été largement amoindri par l’inflation.”
En définitive, c’est un pas de plus vers la misère généralisée que nous montre la réalité du “miracle chinois”.
Maxime (24 juin)
1) Selon le site Radio Free Asia.
2) Lire RI n°415, “Une vague de grève parcourt la Chine [226]”, et RI n° 422, “Après le monde arabe, la Chine ? [227]”.
Dans le mouvement des Indignés en Espagne comme en France et dans tous les pays, le collectif Democracia Real Ya ! (DRY – “Démocratie réelle maintenant !”), a exploité le dégoût légitime des jeunes envers les partis politiques bourgeois (et la corruption des politiciens), pour promouvoir une idéologie extrêmement pernicieuse : celle de “l’apolitisme”. Ainsi, partout, on a pu entendre les mentors de DRY faire croire aux Indignés que leur mouvement de protestation contre les effets de la crise du capitalisme (notamment le chômage des jeunes) devait rester un mouvement “apolitique”, en dehors et contre tous les partis, associations et syndicats. Partout, les éléments politisés devaient donc respecter la consigne : ne pas prendre la parole au nom de leur groupe politique mais uniquement en tant que simples “citoyens” (1). Tous ceux qui font de la politique étaient ainsi suspectés de vouloir diviser ou récupérer le mouvement pour le compte de leur propre “chapelle”.
L’hypocrisie sans borne de DRY atteint son comble lorsqu’on sait que derrière cette vitrine prétendue “apolitique” se cachent en réalité non seulement toute la brochette des partis de la gauche du capital (PS, PC, NPA, Front de gauche, etc.), mais également des partis de droite et d’extrême-droite (puisque leurs militants ont droit de cité dans les assemblées en tant que “citoyens au-dessus de tout soupçon”).
C’est en réalité à une union sacrée de toutes les bonnes âmes respectueuses de la “citoyenneté” capitaliste que nous convie la politique démagogique et populiste de DRY. En réalité, ce que visent les leaders de DRY, c’est à attacher les jeunes prolétaires au char de l’ordre capitaliste.
Lorsque DRY appelle à revendiquer une réforme de la loi électorale en Espagne, lorsqu’elle nous demande d’aller voter et de rester ainsi de bons “citoyens”, lorsque ses slogans mensongers nous appellent à lutter contre la “dictature des banques” et nous fait croire qu’un capitalisme “propre”, “éthique”, à “visage humain” est possible, DRY ne fait rien d’autre que de la… “politique” ! Et cette politique réformiste, de gestion de la crise économique, c’est celle des partis de la gauche du capital, avec ses politiciens plus ou moins “propres” et corrompus (comme Strauss-Kahn, Zapatero, Papandréou et consorts).
“L’apolitisme” est une pure mystification et un piège dangereux pour les exploités ! Cette idéologie hypocrite ne vise qu’à les déposséder de leurs propres moyens de lutte afin de les rabattre sur le terrain pourri de la “légalité” de la “démocratie” bourgeoise. Les partis de gauche et les syndicats, après avoir porté tant de coups à notre classe, ont de plus en plus de mal à déverser leurs poisons : les divisions corporatistes ou sectorielles, le noyautage des luttes et des assemblées générales et, surtout, les illusions réformistes et électorales… Les exploités sont animés d’une méfiance grandissante à leurs égards, voire d’un réflexe de rejet ; ils ont appris à détecter la puanteur de leurs poisons. “L’apolitisme” de l’alter-mondialisme a donc pour mission de nous refourguer ce même poison mais en le rendant préalablement inodore ! Il s’agit d’un tour de passe-passe, ni plus ni moins, qui vise au bout du compte à ramener les prolétaires dans le giron des ennemis officiellement rejetés : les partis de gauche et les syndicats !
La classe exploitée ne doit pas oublier que c’est au nom de “l’apolitisme” que le fascisme est arrivé au pouvoir dans les années 1930. C’est sous couvert “d’apolitisme” que les mouvements sociaux ont toujours été récupérés par ceux qui se font les promoteurs patentés de cette idéologie, tels les “altermondialistes” de DRY ou d’ATTAC.
C’est ce que nous avions vu, par exemple en France, dans le mouvement des étudiants contre le CPE au printemps 2006 où de nombreux enfants de la classe ouvrière ont été récupérés, entre autres par le NPA, dans la perspective des élections présidentielles de 2007. Ils ont été dévoyés sur le terrain des isoloirs électoraux derrière un front uni “anti-Sarko”.
Pour ne pas se faire “récupérer” et dévorer par des loups déguisés en agneaux, les jeunes générations d’aujourd’hui doivent se souvenir du slogan des étudiants de Mai 68 : “Si tu ne t’intéresses pas à la politique, la politique s’intéressera à toi”.
Oui, il faut s’intéresser à la “politique” ! Confronter les idées politiques dans les assemblées générales est le seul moyen de démasquer nos faux amis, de déjouer leurs pièges et de ne pas se laisser confisquer nos luttes par des politicards “spécialistes” de la négociation et de la magouille. C’est dans la confrontation et le débat politique, notamment au sein des assemblées souveraines, que les exploités en lutte peuvent faire la distinction entre les groupes politiques qui défendent vraiment leurs intérêts et ceux qui jouent le rôle de chiens de garde du Capital.
La lutte de la classe exploitée contre la classe exploiteuse est toujours un combat politique. C’est uniquement dans ce combat, à travers le débat le plus large possible que les exploités peuvent construire un rapport de force en leur faveur face à l’ignominie du Capital et de ses politiciens de tous bords. C’est dans ce combat politique, dans la rue et au sein des assemblées massives, qu’ils peuvent retrouver leur identité de classe, développer leur solidarité, leur unité, et retrouver confiance en leur propre force.
La classe exploitée, qu’elle soit salariée ou au chômage, est la seule force politique qui puisse changer le monde, renverser le capitalisme et construire une société véritablement humaine, sans crise, sans guerre, sans exploitation.
Sofiane (29 juin)
1) Voir notre article “Altercation entre Democracia Real et le CCI : notre indignation face aux méthodes “démocratiques” de DRY [228]”.
Ecœurante à tous les niveaux, l’affaire DSK, quelle que soit son issue, est venue nous rappeler quelle est la condition faite aux femmes. Que cet homme à la “stature de chef d’Etat” ait effectivement violé une domestique ou couché avec une prostituée qui s’est révélée être l’appât d’un piège… tout cela révèle le même fond : le mépris total et sociétal du genre féminin. Ce monde “développé” est capable de nous bassiner d’une “journée de la femme”, comme on parle de la “journée du sida” ou du “téléthon”. Cette société capitaliste sexiste, qui a repris à son compte les conceptions des sociétés patriarcales tribales du passé, ne peut dépasser cette idéologie d’un monde dominé par les hommes. La société capitaliste méprise les femmes, considérées comme une marchandise à la fois salariale et sexuelle. Et ses représentants politiques, comme DSK, en sont les meilleurs VRP. Il vaut la peine en l’occurrence de rappeler quelles ont été les réactions premières de ses amis, pourtant tous prétendument défenseurs des droits de l’homme et de la femme. Jean-François Kahn, pourfendeur populiste des tares de cette société et de ses représentants, ex-rédacteur en chef de Marianne, hebdo engagé dans toutes les causes des minorités, et donc de celle des femmes, s’est empressé de minorer “l’incident” en le qualifiant d’ “imprudence”, de “troussage de domestique”. C’est vrai, quoi, si on ne peut plus lutiner le petit personnel, où va-t-on ? Et puis si la bonne ne dit rien, effrayée de perdre sa place, on peut aller plus loin ! Pourquoi se gêner, surtout à Sofitel qui a pour habitude de couvrir les frasques de ce genre chez les “bons clients”.
Et que penser de la saillie de Jack Lang, glissant au passage d’un interview télévisé avec Pujadas : “Il n’y a pas mort d’homme.” Que diable mon Prince de Blois, n’y aurait-il eu au pire que viol de femme, et qui plus est de femme de chambre ? Au regard de l’avenir d’un des hommes les plus en vue de la politique française, ce ne sont là que billevesées !
Cette société capitaliste a beau faire se tortiller dans tous les sens ses hommes, et ses femmes, politiques pour nous convaincre d’une évolution des conditions de la femme et qu’ils oeuvrent en ce sens, rien n’est plus illusoire. Il n’y a pour s’en rendre compte que de prendre en exemple la moyenne des salaires de 30% inférieure, à charge de travail égale, pour les femmes par rapport aux hommes. Et même si un nombre relativement croissant de femmes occupe des postes à responsabilité dans les entreprises, c’est en fait parce qu’elles singent littéralement le comportement social “dominant”, agressif et “prédateur” des capitalistes qu’elles sont acceptées. En politique, on dit des “pointures” comme Mme Lagarde, nommée en remplacement de DSK au FMI : “Celle-là, elle a des couilles.” Et cela est si vrai que les députées (femmes) ne se présentent jamais (ou très rarement) en jupe à l’Assemblée Nationale, sous peine de subir les quolibets “joyeux” de la finesse de corps de garde qu’on imagine de la part de leurs confrères.
En réalité, la classe bourgeoise, et plus que jamais dans la décadence, est empreinte jusque dans ses gènes de cet esprit machiste nauséabond, ne considérant la femme que comme l’objet de l’assouvissement du besoin sexuel de l’homme.
La publicité est d’ailleurs en cette occurrence un bon “sexomètre”. Celle sur Orangina qui fleurit sur panneaux géants tous les printemps depuis quelques années, dans les gares, les centres commerciaux, etc., en est un prototype des plus “excitants” intellectuellement. On peut y voir des animaux, censés être femelles, affublés de sous-vêtements “sexy”, dans des poses provocantes, tous étant censés représenter des femmes “épanouies” grâce à Orangina ! En fait des objets sexuels avilis et rabaissés. L’indécence de cette publicité, le mépris ouvert qu’elle affiche pour les femmes renvoie à cette maxime populaire qu’on utilise pour les sexopathes avérés et invétérés : “Une chèvre avec une culotte, et c’est bon pour lui.”Hasard ou coïncidence, il y a d’ailleurs même une chèvre dans la publicité Orangina qui fait le ménage ! On nous dira que nous sommes des imbéciles qui ne comprennent rien à l’humour au second degré. Eh bien oui ! Car cet “humour” est le reflet exact de la pitoyable pensée bourgeoise, de la séparation et de la ségrégation qu’elle opère entre les sexes.
L’injustice criante et révoltante faite aux femmes pousse souvent les plus indignés à s’engager sur la voie du féminisme. Ceux-là luttent avant tout pour l’égalité entre les sexes. Il s’agit là d’un combat voué à l’échec, d’une impasse. Le sort réservé aux femmes est le fruit du capitalisme. Pour changer réellement les choses, il faut donc l’abattre. Aucun aménagement ne sera possible. En effet, le capitalisme est une société de classe et d’exploitation, en cela il induit forcément cette injustice entre les sexes. Comme l’écrivait Engels “la première opposition de classe qui se manifeste dans l’histoire coïncide (souligné par nous) avec [ ] la première oppression de classe avec l’oppression du sexe féminin par le sexe masculin.” et “De nos jours, l’homme dans la grande majorité des cas, doit être le soutien de la famille et doit la nourrir, au moins dans les classes possédantes ; et ceci lui donne une autorité souveraine qu’aucun privilège juridique n’a besoin d’appuyer. Dans la famille, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat.”
Ce n’est donc pas un hasard si c’est le mouvement ouvrier dès sa naissance qui, en luttant contre le capitalisme, a aussi posé en premier la question de la place de la femme dans la société. Comme l’a écrit la militante ouvrière Flora Tristan en 1843 dans son livre L’Union ouvrière : “L’affranchissement des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. L’homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme. Elle est le prolétaire du prolétaire même”. Autrement dit, pour abolir l’exploitation de la femme par l’homme, il faut abolir l’exploitation de l’Homme par l’Homme.
Wilma (1er juillet)
A l’heure où l’OTAN couvre son aventure meurtrière d’un silence gêné et se fend de discrètes excuses vite recouvertes par mille faits-divers “pour s’être trompée de cible et avoir tué par erreur des familles de civils” en Libye, des révélations sur les crimes de l’armée américaine en Irak donnent une image très précise de ce qu’est une “guerre propre” pour l’ensemble des bourgeoisies du monde.
En avril et en novembre 2004, la ville de Falloujah, à l’ouest de Bagdad, fut le théâtre d’une gigantesque bataille opposant les forces américaines aux cliques baassiste et djihadiste de la région. Si les chiffres officiels font état de presque 500 victimes, le bilan de l’opération s’élève en réalité à plusieurs milliers de tués, dont de nombreux civils pris entre deux feux. Mais les victimes directes des combats ne représentent qu’une fraction d’un ensemble plus vaste, celui des estropiés, des orphelins, des sans-abris, etc.
Parmi ceux-ci, Falloujah compte désormais ses “bébés-monstres,” victimes des effets durables des armes à l’uranium appauvri. Ce métal, faiblement radioactif, est néanmoins très polluant et dangereux pour la santé en cas d’ingestion par la digestion ou la respiration. Dès 2008, le taux exceptionnellement élevé de nourrissons gravement malformés, la surmortalité infantile et l’explosion des cas de cancers (y compris dans l’armée et les unités ayant servi en Irak ou dans la guerre des Balkans) produisent quelques remous qui finissent par attirer l’attention des scientifiques. Plusieurs enquêtes finissent par établir un lien direct entre les nombreuses malformations et les obus à l’uranium appauvri utilisés lors des combats.
Le professeur Christopher Busby, connu pour ses recherches sur les effets sanitaires des faibles doses de rayonnements ionisants, affirme même avoir découvert des traces d’uranium cette fois “enrichi”, utilisé dans l’armement nucléaire, en analysant des échantillons prélevés sur place. En d’autres termes, la bourgeoisie américaine a fait tirer des armes irradiant durablement la population et ses propres soldats.
L’incurie des états-majors militaires pour la santé de la “piétaille” est d’ailleurs bien connue. A titre d’exemple stupéfiant, les déchets de l’armée sont soigneusement recyclés dans de grandes fournaises à ciel ouvert, entretenues au kérosène par des sous-traitants locaux sous l’œil des soldats. Les conséquences sanitaires sont évidemment catastrophiques, comme en témoignent les nombreuses insuffisances respiratoires, les lésions cérébrales et les cancers dont sont victimes les soldats chargés de la surveillance des décharges et que les hôpitaux militaires qualifient pudiquement de “troubles psychosomatiques”.
La guerre en Irak et toutes les “guerres justes” sont décidément de sales guerres.
V. (22 juin)
L’ampleur de la catastrophe en cours à Fukushima révèle une fois de plus l’exploitation prédatrice de la nature par le capitalisme. L’espèce humaine a toujours été amenée pour vivre à transformer la nature. Mais le Capital pose aujourd’hui un nouveau problème : ce système ne produit pas pour satisfaire les besoins de l’humanité mais pour le profit. Il est prêt à tout pour cela. Laissé à sa seule logique, ce système finira donc par détruire la planète.
Au sein de cette nouvelle série, nous allons donc retracer brièvement l’histoire des rapports entretenus par l’Homme à la nature pour mieux comprendre les dangers actuels mais aussi les nouvelles possibilités énergétiques qui pourraient s’ouvrir à l’Homme dans la société future, le communisme.
Le désastre du réacteur nucléaire
de Fukushima au Japon au mois de mars dernier a réouvert le débat sur le rôle de la puissance nucléaire dans les besoins que connaît l’énergie mondiale. Beaucoup de pays, y compris la Chine, ont annoncé qu’ils allaient revoir ou temporairement arrêter leur programme de constructions de centrales tandis que la Suisse et l’Allemagne sont allées plus loin et prévoient de remplacer leur capacité nucléaire. Dans le cas de ce dernier pays, 8 des 17 centrales du pays seront fermées cette année avec un arrêt de toutes en 2022 et seront remplacées par des sources d’énergie renouvelables. Ce changement a provoqué de puissants avertissements de la part de l’industrie nucléaire et certains grands utilisateurs d’énergie de problèmes de réserves et de grosses augmentations des prix. Depuis ces dernières années, on avait vu des rapports sur la renaissance de l’industrie nucléaire avec 60 centrales en construction et une 493e planifiée selon le groupe industriel World Nuclear Association1. En Grande-Bretagne, il y a eu un débat sur les risques et les bénéfices du nucléaire comparé à celui des plus profitables énergies vertes. George Monbiot, par exemple, a annoncé non seulement sa conversion au nucléaire comme la seule voie réaliste pour éviter le réchauffement global de la planète2 mais allant jusqu’à attaquer ses anciens collègues du mouvement anti-nucléaire d’ignorer la question scientifique du risque réel de la puissance nucléaire3.
En réalité, le problème du nucléaire ne peut être compris comme une question purement technique ou comme une équation déterminée par les différents coûts ou bénéfices du nucléaire, de l’énergie fossile ou des énergies renouvelables. Il est nécessaire de s’arrêter et de regarder l’ensemble de la question de l’utilisation de l’énergie dans la perspective historique de l’évolution de la société humaine et des différents modes de production qui ont existé. Ce qui suit se veut être une esquisse nécessairement brève d’une telle approche.
L’utilisation de l’énergie
et le développement humain
L’histoire de l’humanité et des différents modes de production est aussi l’histoire de l’énergie. Les premières sociétés de chasseurs-cueilleurs vivaient principalement de l’énergie humaine comme de celle des animaux et des plantes produites par la nature avec une intervention plutôt modérée, même si certains usages impliquaient l’utilisation du feu pour la déforestation en vue de cultures ou pour abattre les arbres. Le développement de l’agriculture au néolithique marqua un changement fondamental dans l’utilisation de l’énergie par l’humanité et dans ses relations avec la nature. Le travail humain fut organisé sur une base systématique pour transformer la terre, avec des forêts nettoyées et des murs érigés pour élever les animaux domestiques. Les animaux commencèrent à être utilisés pour l’agriculture et donc dans certains processus productifs comme les moulins à grains. Le feu servait à réchauffer et faire la cuisine et pour des processus industriels comme la fabrication de poteries et la fonte des métaux. Le commerce se développa également, reposant à la fois sur la puissance du muscle et de l’animal mais aussi exploitant la force du vent pour traverser les océans.
La révolution néolithique transforma la société humaine. L’augmentation des sources de nourriture qui en résulta conduisirent à une augmentation significative de la population et à une plus grande complexité de la société, avec une partie de la population allant graduellement de la production directe de nourriture vers des rôles plus spécialisés liés aux nouvelles techniques de production. Certains groupes furent aussi libérés de la production pour prendre des rôles militaires ou religieux. Ainsi, le communisme primitif des sociétés de chasseurs-cueilleurs se transforma en sociétés de classe, les élites militaires et religieuses soutenues par le travail des autres.
Les accomplissements des sociétés dans l’agriculture, l’architecture et la religion requéraient tous l’utilisation concentrée et organisée du travail humain. Dans les premières civilisations, ils furent le résultat de la cœrcition massive du travail humain, qui trouva sa forme typique dans l’esclavage. L’utilisation par la force de l’énergie d’une classe assujettie permit à une minorité d’être libérée du travail et de vivre une vie qui exigeait la mobilisation d’un niveau de ressources bien supérieur à celui qu’un individu aurait pu réaliser pour lui-même. Pour donner un exemple : une des gloires de la civilisation romaine était les systèmes de chauffage des villas qui faisaient circuler de l’air chaud sous les sols et dans les murs ; rien de comparable n’a été vu par la suite durant des siècles où même les rois vivaient dans des bâtiments qui étaient si froids qu’on raconte que le vin et l’eau gelaient sur les tables l’hiver4. Ces systèmes étaient le plus souvent construits et entretenus par des esclaves et consommaient de grandes quantités de bois et de charbon. La chaleur dont profitait la classe dominante venait de l’appropriation de l’énergie humaine et naturelle.
La relation entre l’humanité
et la nature
Le développement des forces productives et des sociétés de classe qui était à la fois la conséquence et l’aiguillon de ces dernières changea la relation entre l’homme et la nature comme il avait changé la relation entre les gens. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs étaient immergées dans la nature et dominées par elle. La révolution de l’agriculture poussa à contrôler la nature avec les cultures et la domestication des animaux, le défrichement des forêts, l’amendement des sols par l’utilisation de fertilisants naturels et le contrôle des apports d’eau.
Le travail humain et celui du monde naturel devinrent des ressources à exploiter mais aussi des menaces devant être dominées. Il en résulta que les Hommes – exploités et exploiteurs – se détachèrent de la nature et les uns des autres. Vers le milieu du 19e siècle, Marx montra l’intime inter-relation entre l’humanité et la nature qu’il vit comme la “vie des espèces” : “Physiquement, l’homme ne vit que de ces produits naturels, qu’ils apparaissent sous forme de nourriture, de chauffage, de vêtements, d’habitation, etc. L’universalité de l’homme apparaît en pratique précisément dans l’universalité qui fait de la nature entière son corps non-organique, aussi bien dans la mesure où, premièrement, elle est un moyen de subsistance immédiat que dans celle où, [deuxièmement], elle est la matière, l’objet et l’outil de son activité vitale. La nature, c’est-à-dire la nature qui n’est pas elle-même le corps humain, est le corps non-organique de l’homme. L’homme vit de la nature signifie : la nature est son corps avec lequel il doit maintenir un processus constant pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l’homme est indissolublement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissolublement liée avec elle-même, car l’homme est une partie de la nature.”5 Le capitalisme, le travail salarié et la propriété privée déchire tout cela, détournant la production du travail ouvrier en “une puissance autonome vis-à-vis de lui” et transformant la nature qui “s’oppose à lui, hostile et étrangère.”6
L’aliénation, que Marx voyait comme une caractéristique du capitalisme dont la classe ouvrière faisait l’expérience de façon très aiguë, avait émergé en fait avec l’apparition des sociétés de classe mais s’accélérait avec la transition vers le capitalisme. Tandis que l’humanité toute entière est affectée par l’aliénation, son impact et son rôle n’est pas le même qu’il s’agisse de la classe exploitante ou de la classe exploitée. La première, en tant que classe qui domine la société, pousse vers l’avant le processus d’aliénation tout comme elle anime le processus d’exploitation et ressent rarement ce que cela provoque, même si elle ne peut échapper aux conséquences. La seconde ressent l’impact de l’aliénation dans sa vie quotidienne comme un manque de contrôle sur ce qu’elle fait et ce qu’elle est mais absorbe en même temps la forme idéologique que prend l’aliénation et le répète en partie dans ses relations humaines et dans sa relation avec le monde naturel.
Le processus a continué depuis que Marx l’a décrit. Au siècle dernier, l’humanité aliénée s’est entredévorée dans deux guerres mondiales et a vu l’effort systématique effectué pour anéantir des parties d’elle-même dans l’holocauste de la Seconde Guerre mondiale et lors des “nettoyages ethniques” des vingt dernières années. Elle a également exploité et détruit la nature brutalement au point que le monde naturel et toute vie menacent de s’éteindre. Cependant, ce n’est pas une humanité vue comme une abstraction qui a fait cela mais la forme particulière de société de classe qui est arrivée à dominer et menacer la planète : le capitalisme. Ce ne sont pas non plus tous ceux qui vivent dans cette société qui en portent la responsabilité : entre les exploiteurs et les exploités, entre la bourgeoisie et le prolétariat, il n’y a pas d’égalité de pouvoir. C’est le capitalisme et la classe bourgeoise qui ont créé ce monde et qui en portent la responsabilité. Cela peut déranger ceux qui veulent nous mettre tous ensemble dans le même sac pour le “bien commun”, mais l’histoire a montré que notre conclusion est correcte.
North (19 juin)
1) Financial Times du 6 juin 2011, “Nuclear power : atomised approach”.
2) Guardian du 22 juin 2011, “Why Fukushima made me stop worrying and love nuclear power”.
3) Guardian du 5 avril 2011, “The unpalatable truth is that the anti-nuclear lobby has misled us all”.
4) Fernand Braudel, Civilisation and Capitalism 15th – 18th Century, Volume one : The Structures of Everyday Life, p.299. William Collins Sons and Co. Ltd, London.
5) Marx, manuscrits philosophiques et économiques de 1844, “Le travail aliéné” (www.marxists.org [230])
6) Ibid.
Nous publions ci-dessous la traduction de la prise de position de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne, sur les émeutes qui ont fait rage cet été outre-manche. Ce texte a été publié immédiatement sur notre site en anglais alors que les rues n’avaient toujours pas retrouvé leur calme.
Suite aux émeutes qui ont éclaté à travers le pays, les porte-paroles de la classe dominante – le gouvernement, les politiciens, les médias, etc. – nous demandent de participer à la défense d’une campagne ayant pour but de soutenir leur “programme” : accroissement de l’austérité et répression accrue contre quiconque s’y opposerait.
Une austérité accrue parce qu’ils n’ont aucune solution à apporter pour remédier à la crise économique de leur système en phase terminale. La seule chose qu’ils puissent faire, c’est de supprimer des emplois, de baisser les salaires, de sabrer les aides sociales, d’amputer les dépenses sur les retraites, dans la santé, l’éducation. Tout cela ne peut signifier qu’une aggravation considérable des conditions sociales mêmes qui ont précisément poussé à ces émeutes, conditions entraînant la conviction chez une partie importante de toute une génération qu’ils n’ont plus d’avenir devant eux. C’est pourquoi toute discussion sérieuse sur les causes économiques et sociales des émeutes a été dénoncée comme voulant trouver “une excuse” aux émeutiers. On nous a raconté que c’étaient des criminels et qu’ils seraient traités comme tels. Point final. Ce qui est très pratique parce que l’Etat n’a aucune intention de donner de l’argent pour les centres urbains, comme il l’avait fait après les émeutes des années 1980.
Une répression accentuée parce que c’est la seule chose que la classe dominante puisse nous offrir. Elle tire au maximum avantage de l’inquiétude des populations concernant les destructions causées par les émeutes pour accroître les dépenses de la police, pour l’équiper de balles en caoutchouc, de canons à eau et même pour mettre en avant l’idée d’imposer des couvre-feux et l’armée dans la rue. Ces armes, en même temps que la surveillance accrue des réseaux sociaux sur Internet et la “justice” expéditive qui s’est abattue sur ceux qui ont été arrêtés après les émeutes, ne seront pas seulement utilisées contre les pillages et les saccages. Nos dirigeants savent très bien que la crise ne peut que déboucher sur un torrent de révoltes sociales et de luttes ouvrières qui s’est déjà répandu de l’Afrique du Nord à l’Espagne et de la Grèce jusqu’en Israël. Ils sont parfaitement conscients qu’ils seront confrontés à l’avenir à des mouvements massifs et que toutes leurs prétentions démocratiques servent uniquement à justifier le recours à la violence contre ces mouvements, de la même manière que l’ont fait les régimes ouvertement dictatoriaux, comme en Egypte, au Bahreïn ou en Syrie. Ils l’ont déjà démontré lors de la lutte des étudiants en Grande-Bretagne l’an dernier.
La campagne sur les émeutes est basée sur la proclamation de nos dirigeants qu’ils défendent ainsi la moralité de la société. Cela vaut la peine de considérer le contenu de ces déclarations.
Les porte-parole de l’Etat condamnent la violence des émeutes. Mais c’est l’Etat lui-même qui exerce aujourd’hui la violence, à une bien plus large échelle, contre les populations en Afghanistan et en Libye. Une violence qui chaque jour est présentée comme héroïque et altruiste alors qu’elle sert uniquement les intérêts de nos dirigeants.
Le gouvernement et les médias condamnent les hors-la-loi et la criminalité. Mais c’est la brutalité de leurs propres forces de répression au nom du maintien de la loi et de l’ordre, la police, qui, dès le début, a mis le feu aux poudres, avec l’assassinat de Mark Duggan et le comportement méprisant envers sa famille et ses amis qui manifestaient autour du poste de police de Tottenham afin de savoir ce qui s’était réellement passé. Et cela fait suite à toute une longue série de gens morts dans des commissariats situés dans des quartiers similaires à celui de Tottenham ou subissant quotidiennement le harcèlement policier dans les rues.
Le gouvernement et les médias condamnent l’avidité et l’égoïsme des émeutiers. Mais ce sont eux les gardiens et les propagandistes d’une société qui fonctionne sur la base de l’avidité organisée, de l’accumulation de richesses entre les mains d’une petite minorité. Alors que nous sommes sans cesse encouragés à consommer davantage pour réaliser leurs profits, à identifier notre valeur sociale à la quantité de biens que l’on peut s’acheter. Puisque non seulement ce système repose sur l’inégalité, et que celle-ci devient de pire en pire, il n’est pas surprenant que ceux qui sont au bas de l’échelle sociale, qui ne peuvent pas s’offrir les “belles choses” dont on leur vante le besoin, pensent que la réponse à leur problème est de piquer tout ce qu’ils peuvent, quand ils le peuvent.
Les dirigeants condamnent ce pillage “à la petite semaine” alors qu’eux mêmes participent à une vaste opération de pillage à l’échelle planétaire : les compagnies pétrolières ou forestières qui détruisent la nature pour leur profit, les spéculateurs qui s’engraissent en faisant grimper le cours des produits alimentaires, les trafiquants d’armes qui vivent de la mort et des destructions, les respectables institutions financières qui blanchissent des milliards du trafic de drogue. Une contrepartie essentielle de ce pillage est qu’une partie croissante de la classe exploitée est jetée dans la pauvreté, dans le désespoir et la délinquance. La différence, c’est que les petits délinquants sont habituellement punis alors que les grands criminels ne le sont pas.
En résumé : la moralité de la classe dominante ? Elle n’existe pas.
La question réelle à laquelle est confrontée l’immense majorité qui ne profite pas de cette gigantesque entreprise criminelle appelée capitalisme, est celle-ci : comment pouvons-nous nous défendre réellement alors que ce système, maintenant en train de crouler sous les dettes, est contraint de tout nous prendre ?
Est-ce que les émeutes que nous avons vues début août 2011 en Grande-Bretagne nous donnent une méthode pour lutter, pour prendre le contrôle de ces luttes, pour unir nos forces, pour créer un futur différent pour nous-mêmes ?
Beaucoup de ceux qui ont pris part aux émeutes ont clairement exprimé leur colère contre la police et contre les possesseurs de richesses qui sont ressentis comme la cause essentielle de leur misère. Mais, presque immédiatement, les émeutiers ont sécrété les aspects les plus négatifs, les comportements les plus troubles, alimentés par des décennies de désintégration sociale dans les quartiers urbains les plus pauvres, par des mœurs propres aux gangs, allant puiser dans la philosophie dominante du “chacun pour soi” et du “sois riche ou crève en essayant de le devenir !” C’est ainsi qu’au début une manifestation contre la répression policière a dégénéré dans un chaos franchement anti-social et dans des actions anti-prolétariennes : intimidation et agression vis-à-vis d’individus, mise à sac de boutiques dans le voisinage, attaques contre les ambulanciers et les pompiers, incendies d’immeubles sans discrimination, alors que souvent les occupants se trouvaient encore à l’intérieur.
De telles actions n’offrent absolument aucune perspective permettant de se dresser contre ce système de rapine dans lequel nous vivons. Au contraire, elles servent uniquement à élargir les divisions parmi ceux qui souffrent de ce système. Face aux attaques contre les boutiques et les immeubles, des habitants se sont armés eux-mêmes de battes de base-ball et ont formé des “unités d’auto-défense”. D’autres se sont portés volontaires pour des opérations de nettoyage au lendemain des émeutes. Beaucoup se sont plaints du manque de présence policière et ont demandé des mesures plus fortes.
Qui profitera le plus de ces divisions ? La classe dominante et son Etat. Comme nous l’avons dit, ceux qui sont au pouvoir se revendiqueront dorénavant d’un mandat populaire pour renforcer l’appareil répressif policier et militaire, pour criminaliser toute forme de manifestations et de désaccords politiques. Déjà les émeutes ont été imputées à “des anarchistes” et, il y a une semaine ou deux, la police londonienne (le MET) a fait l’erreur de publier des enquêtes sur des personnes militant pour une société sans Etat.
Les émeutes sont le reflet de l’impasse atteint par le système capitaliste. Elles ne sont pas une forme de la lutte de la classe ouvrière ; elles sont plutôt une expression de rage et de désespoir dans une situation où la classe ouvrière est absente en tant que classe. Les pillages ne sont pas un pas vers une forme de lutte supérieure, mais un obstacle sur ce chemin. D’où la frustration justifiée d’une femme du quartier londonien d’Hackney qui a été regardée par des milliers de gens sur Youtube (1), dénonçant les pillages parce que cela empêchait les gens de se regrouper et de réfléchir ensemble sur comment mener la lutte. “Vous me faites chier... nous ne sommes pas rassemblés pour nous battre autour de la défense d’une cause. Nous sommes en train de piller Footlocker...” (NDT : un magasin de chaussures à Londres).
Se rassembler et lutter pour une cause : ce sont là les méthodes de la classe ouvrière ; c’est la morale de la lutte de classe prolétarienne mais ces méthodes courent le danger d’être happées par l’atomisation et le nihilisme au point que des pans entiers de la classe ouvrière oublient qui ils sont.
Mais il existe une alternative. On peut la percevoir dans les mouvements massifs qui se déroulent en Tunisie, en Egypte, en Espagne, en Grèce ou en Israël avec la re-émergence d’une identité de classe, avec la résurgence de la lutte de classe. Ces mouvements, avec toutes leurs faiblesses, nous donnent un aperçu sur une manière toute différente de mener le combat prolétarien : à travers des assemblées de rues où chacun peut prendre la parole ; à travers un intense débat politique où chaque décision peut être discutée ; à travers une défense organisée contre les attaques de la police et des voyous ; à travers les manifestations et les grèves des travailleurs ; à travers la montée de la question de la révolution, de l’interrogation sur une forme de société totalement différente, non pas basée sur la vision que l’homme est un loup pour l’homme mais sur la solidarité entre les êtres humains, basée non sur une production en vue de la vente de marchandises et du profit mais sur une production qui corresponde à nos réels besoins.
A court terme, à cause des divisions créées par les émeutes, parce que l’Etat a réussi son coup en matraquant le message selon lequel toute lutte contre le système actuel est vouée à finir dans des destructions gratuites, il est probable que le développement d’un réel mouvement de classe au Royaume-Uni se confrontera à des difficultés encore plus grandes qu’auparavant. Mais à l’échelle mondiale, la perspective reste la même : l’enfoncement dans la crise de cette société vraiment malade, la résistance de plus en plus consciente et organisée des exploités. La classe dominante en Grande-Bretagne ne pourra être épargnée ni par l’un ni par l’autre.
CCI (14 août)
Les mois de juillet et d’août de cette année auront été marqués par des événements apparemment stupéfiants. On assiste à un affolement généralisé des gouvernements, des dirigeants, des banques centrales et autres institutions financières internationales. Les maîtres de ce monde semblent avoir totalement perdu la boussole. Chaque jour se tiennent de nouvelles réunions de chefs d’Etat, des G8, G20, de la BCE, de la FED, etc Au même rythme ahurissant, dans une totale improvisation, sont prononcées des déclarations paraissant dérisoires au regard des problèmes rencontrés, et des décisions sont annoncées sans que, pour autant, la crise économique mondiale ne cesse de poursuive son cours catastrophique. La faillite généralisée avance. La dépression plonge dans le gouffre de manière irréversible. En quelques semaines, le plan de sauvetage de l’économie de la Grèce est dépassé et la crise de la dette gagne spectaculairement des pays aussi importants que l’Italie et l’Espagne.
La première puissance économique mondiale elle-même, les Etats-Unis, a connu une crise politique majeure devant la nécessité absolue pour elle de relever le plafond de sa dette de 14 500 à 16 600 milliards de dollars. Les difficultés de cet État ont conduit à la dégradation de la note évaluant sa capacité à honorer sa dette. Ce qui est une première dans son histoire. Et les conducteurs perdent le contrôle de leur machine qui s’emballe toujours plus dangereusement. Mais où va donc l’économie mondiale ? Pourquoi celle-ci semble-t-elle tomber dans un précipice sans fond ? Où l’économie mondiale en faillite entraîne-t-elle l’humanité ? Autant de questions auxquelles il est nécessaire de répondre.
Il faut se souvenir. À la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008, la faillite de la banque américaine Lehman Brothers et la crise des subprimes avaient amené l’économie au bord du gouffre. Tout le système financier, tel un château de cartes, risquait alors de s’effondrer. Les Etats ont dû reprendre à leur compte une partie de la dette bancaire, d’un montant souvent astronomique, qui a eu pour effet de les engager, à leur tour, sur le chemin de la faillite Dans ce contexte, les banques centrales elles-mêmes n’allaient pas tarder à se retrouver dans une situation périlleuse. Et, pendant tout ce temps, la bourgeoisie s’est cyniquement moquée du monde. Nous avons eu droit à des discours plus mensongers les uns que les autres. Certes, les bourgeois sont en partie dupes de leur propres discours, les exploiteurs ne pouvant jamais faire preuve de lucidité totale face à l’effondrement de leur propre système. Toutefois, ils doivent aussi mentir, tricher pour cacher les faits afin de maintenir les exploités sous leur joug.
Ils ont commencé par dire que tout cela n’était pas grave, qu’ils gardaient un contrôle total sur la situation. Il était déjà difficile de faire plus ridicule. Pourtant, dans ce domaine, le meilleur était à venir. Au début de l’année 2008, après la chute des bourses de près de 20 % et le recul de la croissance mondiale, on nous promettait, sans rire, une sortie rapide de la crise. Celle-ci était présentée comme passagère et ponctuelle ; mais les faits sont plus têtus que les discours. La situation, se moquant résolument de tous ces bonimenteurs, continuait de s’aggraver. Ces messieurs sont alors passés à des arguments bassement nationalistes, aussi faux et perfides qu’ignobles. La population américaine fut accusée d’avoir dépensé à crédit sans réfléchir, achetant des maisons sans avoir les moyens de rembourser les emprunts contractés à cet effet ; il s’agit ici des célèbres subprimes. Bien sûr, cette explication ne pouvait que révéler sa vacuité lorsqu’il est devenu évident que l’Etat grec ne pourrait pas éviter la faillite. L’ignominie est alors montée d’un cran : les exploités de ces pays ont tout simplement été traités de fainéants et de profiteurs. La crise en Grèce était alors présentée comme une spécificité de ce pays, comme avant elle il avait existé une spécificité islandaise et, quelques mois plus tard, il existera une spécificité irlandaise. Sur les écrans de télé, à la radio, tous les dirigeants y allaient de leurs petites phrases assassines. Selon eux, les gens dépensaient trop ; à les entendre, les exploités de ces pays vivaient au-dessus de leurs moyens ou comme des pachas ! Mais devant la colère légitime qui se développait au sein de ces pays, les discours mensongers ont encore une fois évolué. En Italie, l’inénarrable Berlusconi, président du Conseil, est désigné comme le seul responsable d’une politique économique totalement... irresponsable. Mais il était difficile de faire de même avec le très sérieux président du gouvernement espagnol Zapatero.
La bourgeoisie reprend à présent le thème utilisé au début de la crise des subprimes, en rendant le monde de la finance, fait de requins avides de gains toujours croissants, en grande partie responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Aux Etats-Unis, en décembre 2008, B. Madoff, ancien dirigeant du Nasdaq et l’un des conseillers en investissements les plus connus et respectés à New York, était devenu, du jour au lendemain, le pire escroc de la planète. De même, les agences de notation ne cessent de servir de boucs-émissaires. Fin 2007, on les taxait d’incompétence pour avoir négligé le poids les dettes souveraines des Etats dans leurs évaluations. Aujourd’hui, elles sont accusées au contraire de trop pointer du doigt ces mêmes dettes souveraines de la zone euro (pour Moody’s) et des Etats-Unis (pour Standard & Poor’s). La crise devenant visiblement et explicitement mondiale, il fallait trouver un mensonge plus crédible, plus proche de la réalité. C’est ainsi que, depuis un certain nombre de mois, circule une rumeur de plus en plus tenace selon laquelle la crise serait due à un endettement généralisé, insupportable, organisé par la finance dans l’intérêt des grands spéculateurs. Avec l’été 2011, et la nouvelle explosion de la crise financière, ces discours ont envahi nos écrans.
Ainsi, pour les partis de gauche, les gauchistes et un grand nombre d’économistes, ce serait la finance, et non le capitalisme en tant que tel, qui serait responsable de l’aggravation actuelle de la crise. Certes, l’économie croule sous des dettes qu’elle ne peut plus ni rembourser, ni supporter. Celles-ci mettent à mal la valeur des monnaies, poussent à la hausse le prix des marchandises et sont à l’origine d’un processus de faillite des particuliers, des banques, des assurances et des Etats, posant en perspective la paralysie des banques centrales. Mais cet endettement n’a pas pour origine fondamentale l’avidité insatiable des financiers et autres spéculateurs, et encore moins la consommation des exploités. Au contraire, cet endettement généralisé était nécessaire, vital même à la survie du système depuis plus d’un demi-siècle pour lui permettre de créer des débouchés à ses marchandises produites de façon croissante et qui, sans cela, n’auraient pas trouvé d’acquéreur solvable. Le développement progressif de la spéculation financière n’est donc pas la cause de la crise, mais la conséquence des moyens que les Etats ont pris pour tenter de faire face à la surproduction depuis cinquante ans. En fait, c’est l’accroissement de cet endettement qui a permis au capitalisme, pendant toute cette période, de soutenir sa croissance. Le développement monstrueux de la finance spéculative, devenant progressivement un véritable cancer pour le capitalisme, n’est en réalité que le produit de la difficulté croissante pour ce système d’investir et de vendre avec profit. L’épuisement historique de cette capacité, à la fin 2007/début 2008, a ouvert en grand les portes de la dépression (1).
Les événements qui se déroulent en ce mois d’août en sont la claire manifestation. Le président de la Banque centrale européenne, J.-C. Trichet, vient de déclarer que “la crise actuelle était aussi grave que celle de 1930”. Pour preuve, depuis l’ouverture de la phase actuelle de la crise à la fin de l’année 2007, la survie de l’économie mondiale tient en peu de mots : création monétaire accélérée et titanesque par les banques centrales et en tout premier lieu par celle des Etats-Unis. Ce qui a été appelé les “Quantitative Easing” nos 1 et 2 (2) ne sont que les parties visibles de l’iceberg d’une création monétaire massive. En réalité, la FED a littéralement inondé l’économie, les banques et l’Etat américain de nouveaux dollars et, par ricochet, l’ensemble de l’économie mondiale. Le résultat en a été la survie du système bancaire et une croissance mondiale ainsi maintenue sous perfusion permettant de contenir momentanément la dépression initiée il y a quatre ans. Cette dernière fait son grand retour sur la scène mondiale en cet été 2011. Une des choses qui effraie le plus la bourgeoisie, c’est le ralentissement brutal actuel de l’activité. La croissance de la fin de l’année 2009 et de l’année 2010 s’effondre.
Aux Etats-Unis le PIB est remonté, au troisième trimestre 2010 de 3,5 % depuis son point le plus bas de la mi-2009. Il restait toutefois inférieur de 0,8 % par rapport à son niveau d’avant fin 2007. Alors qu’il avait été prévu un taux de croissance annualisé de 1,5 % au premier trimestre 2011, le chiffre réel s’établit en réalité à 0,4 %. Pour le second semestre la croissance y était prévue de 1,3 % et sera en réalité toute proche de 0. C’est la même tendance qui se fait jour en Grande-Bretagne et dans la zone euro. L’économie mondiale s’oriente vers des taux de croissance en réduction, et même dans certains pays majeurs, comme les Etats-Unis, vers ce que la bourgeoisie appelle des taux de croissance négatifs. Et dans le même temps, dans ce contexte récessionniste, l’inflation ne cesse d’augmenter. Elle est officiellement de 2,9 % aux Etats-Unis mais de 10 % selon le mode de calcul de l’ancien directeur de la FED Paul Volcker. Pour la Chine, qui donne le ton de tous les pays émergents, elle s’élève annuellement à plus de 9 %.
En ce mois d’août 2011, la panique générale sur les marchés financiers traduit, entre autres choses, la prise de conscience que l’argent injecté depuis la fin 2007 n’aura pas permis de relancer l’économie et de sortir de la dépression. Par contre il aura, en quatre ans, exacerbé le volume de la dette mondiale au point que l’effondrement du système financier est de nouveau d’actualité, mais dans une situation économique bien plus dégradée qu’à la fin 2007. Actuellement, la situation économique est telle que l’injection de nouvelles liquidités est chaque jour nécessaire et vitale pour permettre, par exemple, à la Banque centrale européenne (BCE) d’acheter quotidiennement de la dette italienne et espagnole pour une somme d’environ 2 milliards d’euros, sous peine de voir ces pays s’effondrer. Mais il faudrait beaucoup plus pour éponger des dettes qui, pour l’Espagne et l’Italie (et ils ne sont pas les seuls), se chiffrent en centaines de milliards d’euros. L’éventualité d’une dégradation de la note de la France, actuellement “AAA”, serait vraisemblablement fatale à la Zone Euro. En effet, seuls les pays bénéficiant d’une telle note peuvent financer le fonds de soutien européen. Si la France ne le peut plus, c’est toute cette zone qui s’effondre. C’est dire que la panique de la première quinzaine du mois d’août n’est pas encore pas finie ! Nous sommes en train d’assister à la prise de conscience brutale par la bourgeoisie et ses dirigeants que le soutien nécessaire et continu à la croissance de l’activité économique – même modérée – devient impossible. Voilà les raisons profondes du déchirement de la bourgeoisie américaine sur la question du relèvement du plafond de sa dette. Il en va de même des soi-disant accords – proclamés en fanfare – des dirigeants de la zone euro sur le sauvetage de la Grèce, plans remis en cause quelques jours plus tard par certains gouvernements européens. L’incapacité des dirigeants de la zone euro à se mettre d’accord sur une politique ordonnée et consensuelle de soutien aux pays européens qui sont en situation de ne plus pouvoir faire face au remboursement de leurs dettes, ne relève pas que des antagonismes entre les intérêts mesquins des dirigeants de chaque capital national. Elle traduit une réalité bien plus profonde encore et plus dramatique pour le capitalisme. La bourgeoisie est tout simplement en train de prendre conscience qu’un nouveau soutien massif de l’économie, comme celui qui a été pratiqué entre 2008 et 2010, est particulièrement périlleux. Car il risque de provoquer tant l’effondrement de la valeur des Bons du Trésor des différents pays que celle de la monnaie de ces mêmes pays, y compris de l’euro ; effondrement qu’annonce, ces derniers mois, le développement de l’inflation.
La dépression est là et la bourgeoisie ne peut plus empêcher son développement. Voilà ce que cet été 2011 nous apporte. L’orage a éclaté. La première puissance mondiale autour de laquelle s’organise toute l’économie de la planète depuis 1945 est sur le chemin du défaut de paiement. Impossible à imaginer il y a encore quelques temps, cette réalité historique marque au fer rouge le processus de faillite de toute l’économie mondiale. Comme les Etats-Unis viennent de le démontrer publiquement, le rôle de locomotive économique qu’ils ont tenu depuis plus de soixante ans est maintenant révolu. Ils ne peuvent plus continuer comme avant, quel que soit le montant du rachat d’une partie de leur dette par des pays tels que la Chine ou l’Arabie Saoudite. Leur propre financement est devenu un problème majeur et, par conséquent, ils sont dorénavant dans l’incapacité de financer la demande mondiale. Qui va prendre la relève ? La réponse est simple : personne ! La zone euro ne peut qu’aller de crise en crise tant au niveau de la dette publique que privée, s’acheminant à terme vers l’éclatement de cette zone sous sa configuration actuelle. Les fameux “pays émergents”, dont la Chine, sont, quant à eux, complètement dépendants des marchés américains, européens et japonais. Malgré leurs coûts de production très bas, ces dernières années montrent qu’il s’agit d’économies qui se développent à travers ce que les médias dénomment une “économie de bulle”, c’est-à-dire un investissement colossal qui ne pourra jamais être rentabilisé. C’est le même phénomène que nous avons bien connu avec ce que les spécialistes et les médias ont appelé “la crise de l’immobilier” aux Etats-Unis et “la nouvelle économie” quelques années auparavant. Dans les deux cas, nous avons assisté à un effondrement. La Chine a beau augmenter le coût de son crédit, rien n’y fait. Des krachs guettent l’Empire du Milieu à l’image de ce qui se passe en Occident. La Chine, l’Inde, le Brésil, loin d’être les futurs pôles de croissance de l’économie, ne peuvent que prendre leur place dans le processus de dépression mondiale. L’ensemble de ces craquements majeurs dans l’économie vont constituer un facteur très puissant de déstabilisation et de désorganisation de celle-ci. La dynamique économique actuelle aux Etats-Unis et dans la zone euro propulse le monde vers des dépressions et des faillites se nourrissant les unes les autres, de manière de plus en plus rapide et profonde. Le répit relatif que nous avons connu depuis la mi-2009 s’effiloche à vitesse grand V.
Ce processus de faillite du capitalisme dans lequel l’économie mondiale est maintenant entrée pose aux exploités du monde entier des exigences qui vont bien au-delà de la nécessité de refuser de payer au quotidien les effets de cette crise majeure du système. Avec cette dernière, il ne s’agit plus seulement de licenciements massifs ou de diminution de nos salaires réels mais de la marche vers une généralisation de la misère, une incapacité croissante pour tous les prolétaires de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Cette perspective dramatique nous oblige à comprendre que ce n’est pas une forme particulière du capitalisme qui s’effondre, tel le capital financier par exemple, mais le capitalisme en tant que tel. C’est toute la société capitaliste qui est entraînée dans le gouffre et nous avec si nous nous laissons faire. Il n’y a aucune autre alternative que son renversement complet, que le développement de la lutte massive contre ce système pourrissant et sans aucun avenir. À la faillite du capitalisme, nous devons opposer l’alternative d’une société nouvelle dans laquelle les hommes ne produisent pas pour le profit de quelques-uns mais pour satisfaire les besoins humains, une société véritablement humaine, collective et solidaire. L’établissement d’une telle société est à la fois indispensable et possible.
TX (14 août)
1) On qualifie de dépression une longue période de chute de l’activité économique comme cela a été le cas dans les années 1930. Les medias nous parlent aujourd’hui d’un risque d’une nouvelle “récession”. Si nous pouvons qualifier la période dans laquelle nous sommes de dépression, c’est parce que la période de stagnation et de chute de la production dans laquelle nous nous trouvons n’a rien à voir, comme la suite de l’article le montre, avec la durée limitée de la période qui définit, d’après la classe dominante, une récession.
2) Les banques centrales créent toujours de la monnaie pour permettre à la masse de marchandises créées par le capital national de circuler ; l’augmentation de cette création de monnaie dépend donc en temps normal de la croissance de la production. En fait, depuis le début de l’aggravation de la crise en 2007, les banques centrales ont créé beaucoup plus de monnaie que ce qui était nécessaire à la circulation des marchandises (qui elle, de manière globale, a diminué pour les pays développés) car il a été très rapidement nécessaire pour elles d’acheter aux banques et aux Etats des créances qui ne pourraient pas être remboursées à leur valeur par les débiteurs. Malgré cette augmentation, parce qu’il était devenu évident que ni les banques américaines, ni l’Etat américain n’étaient capables de rembourser un grand nombre de dettes, il est apparu nécessaire à la Réserve Fédérale de définir elle-même qu’elle devait émettre plus de monnaie que ce que son statut et ses livres de comptes étaient censés lui permettre en vue de racheter ces créances “pourries”. C’est ainsi qu’à la fin 2009, elle a décidé qu’elle émettrait une somme supplémentaire de 1700 milliards de dollars (ce fut le Quantitive Easing – QE no 1) et qu’en novembre 2010, elle a décidé d’émettre, dans le même but, une nouvelle quantité d’argent (appelée QE no 2 et représentant un montant de 600 milliards de dollars).
En France, comme partout dans le monde, la crise économique est de plus en plus synonyme de pauvreté. Ainsi, fin août, un nouveau plan de 12 milliards d’Euros d’économies a été annoncé. Le Premier ministre, François Fillon s’est fendu d’un long discours pour enrober cette énième aggravation de l’austérité et faire croire à une répartition juste et équitable de “l’effort national”. Il n’en est rien, bien entendu. La hausse sur le prix du tabac, des alcools, des sodas et surtout de la taxation des mutuelles de santé vont inévitablement se répercuter lourdement sur les revenus les plus modestes. Ce qui a été présenté comme la mesure-phare de ce plan, la taxation exceptionnelle pour 2 ans de 3 % supplémentaires sur les plus hauts revenus, n’est que de la poudre aux yeux. Non seulement elle ne va représenter qu’une part ridicule (220 millions) des économies escomptées mais le battage publicitaire dont elle a bénéficié risque même d’être contre-productif tant cela frôle le ridicule. Qui peut croire à la sincérité de la déclaration, publiée dans le Nouvel Obs’, des 16 d’entre les plus grandes fortunes du pays (dont l’inénarrable Liliane Bettencourt) réclamant en chœur “d’être taxés plus” (à l’instar du milliardaire américain Warren Buffett). La ficelle est trop grosse : un article de Marianne daté du 20 août intitulé “Y a un truc”, lève d’ailleurs le lièvre, non sans humour : “Certains membres de la nomenklatura du business ont dû profiter de leurs vacances pour revoir le Guépard de Luchino Visconti et réfléchir à la fameuse phrase du comte de Lampedusa, proposant de tout changer pour que rien ne change.” L’article rapporte que le principal promoteur de cette campagne pour la “taxation exceptionnelle des nantis”, “Maurice Lévy, président de Publicis et patron de l’Association française des entreprises privées (le gratin du gratin) sait qu’il est des moments où il faut soulever le couvercle de la bouilloire pour éviter qu’elle n’explose (...) Il essaie de sauver ce qui peut l’être pour éviter le pire.” Et le pire, ce n’est pas pour la droite de perdre les élections prochaines, comme tous les médias et les politicards nous le laissent entendre, mais c’est le risque d’explosions sociales incontrôlées. La classe dominante est parfaitement consciente que le risque en France est particulièrement élevé. Comme le rapporte toujours l’article de Marianne : “Un autre parrain du capitalisme, Claude Bébéar, ex-PDG d’Axa, président de l’Institut Montaigne avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Dans un texte publié par le Figaro (...), il lançait : “Nous pouvons craindre bien plus qu’un énième krach : un rejet radical et violent du capitalisme””. On ne saurait être plus clair. D’ailleurs, c’est cette crainte qui explique aussi le caractère timoré des nouvelles mesures proposées par le gouvernement, bien en deçà des autres plans d’austérité en Europe face au coup d’accélérateur de la crise et à l’explosion de l’endettement : 93 milliards d’euros en Italie annoncés en deux temps, près de 100 milliards en Grande-Bretagne, 78 milliards en Grèce, 55 milliards en Espagne (malgré la pression sociale du mouvement des Indignés) ou encore en Allemagne où les économies à réaliser seront de 80 milliards en 3 ans. C’est pourquoi, dans sa présentation du plan français, Fillon l’a justifié en invoquant des “obligations économiques et sociales”. C’est que la bourgeoisie nationale redoute des réactions sociales très fortes dans un pays où non seulement existe une longue tradition de luttes (de la Commune de Paris à Mai 68) mais aussi où s’est affirmé ces dernières années une claire volonté de lutter massivement et de dépasser le carcan corporatiste et sectoriel comme l’ont prouvé la tenue de très nombreuses assemblées générales lors mouvement des étudiants contre le CPE en 2006 et l’apparition de comités interprofessionnels, autonomes et non syndicaux lors de la lutte contre la réforme des retraites en 2010. D’ailleurs, les déclarations de B. Thibault, Secrétaire général de la CGT dans Libération du 29 août dernier (à la veille d’être reçu par Fillon lui-même) sont édifiantes. Il appelle les autres syndicats à se mobiliser contre l’austérité le 11 octobre alors que cette énième journée d’action apparaît déjà pour beaucoup comme une simple parade stérile, une gesticulation d’ailleurs d’ores et déjà promise au spectacle lassant de la division syndicale (FO a fait savoir qu’elle était contre une mobilisation de rue, la CFDT s’est déclarée “pas très chaude”). En réalité, si certains syndicats prennent ainsi les devants pour jeter de l’eau sur le feu, tout en se partageant les rôles, il s’agit d’une manœuvre délibérée destinée à prendre les devants pour freiner toute possibilité d’élan de mobilisation massive, spontanée, et donc hors du contrôle syndical.
De fait, les travailleurs comme ceux réduits au chômage seront d’emblée confrontés à une rentrée plus dure que jamais avec :
– un chômage et une précarité qui se sont aggravés durant l’été (notamment avec l’amplification du phénomène de chômage de longue durée) ;
– l’enfoncement d’une part croissante de prolétaires dans la grande misère (1). L’été a une nouvelle fois fait plus de morts dans la rue que l’hiver alors que les centres d’hébergement du Samu social sont complètement débordés, au point que son président, l’ancien ministre Emmanuelli, a démissionné de son poste, écœuré par l’étranglement croissant des moyens budgétaires réservé aux sans-abri ;
– la suppression de 16 000 postes supplémentaires à la rentrée 2011 dans l’Education nationale (dont 9000 dans le primaire et 4800 dans le secondaire – alors qu’il y a 80 000 élèves de plus que l’an dernier dans les lycées et collèges). Les syndicats enseignants se sont d’ailleurs empressés d’organiser une journée de mobilisation spécifique dans ce secteur dès le 27 septembre ;
– de même sont particulièrement touchés le milieu hospitalier où les fermetures d’hôpitaux et de lits se multiplient, comme l’ensemble de la fonction publique, avec le non-remplacement systématique de plus d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ;
– un nouveau coup sur les retraites a été porté en catimini début juillet par le Conseil d’orientation des retraites avec l’aval du gouvernement qui légalisera une nouvelle mesure par décret d’ici la fin de l’année : le prolongement de la durée des cotisations à 166 trimestres (41 ans et demi pour tous les salariés nés après 1954 afin de pouvoir toucher une retraite à taux plein alors que la réforme de 2010 a entériné le recul de l’âge de la retraite à 62 ans). Ce qui était naguère présenté comme une mesure alternative au recul de l’âge légal fait désormais office de “double peine” : il s’agira désormais de travailler plus longtemps pour toucher moins de pension… Aujourd’hui, cela nous est présenté comme une “mesure d’ajustement technique” de la réforme alors que l’an dernier, promis, juré, on nous avait dit que la réforme dispenserait de toute autre retouche… d’ici 2020 !
Bref, nos conditions de vie sont en train de se dégrader brutalement. Et il ne faut pas avoir d’illusion, les présidentielles de 2012, quel qu’en soit le résultat, n’y changeront rien. Pendant les huit mois à venir, la bourgeoisie va tenter de nous abrutir sans discontinuer avec ses boniments électoraux. “Votez ! Votez ! Votez !”, tel va être le message que ses médias vont tenter de nous enfoncer de force dans le crâne. Mais il suffit de regarder en Espagne ou en Grèce pour constater que les Partis socialistes au pouvoir réservent le même triste sort aux populations. Que ce soit la gauche ou la droite qui gouverne, les mêmes attaques pleuvent sur nos têtes, la même crise économique fait ses ravages. Le seule voie dans laquelle nous devons résolument nous engager, c’est de nous préparer à nous mobiliser massivement sans attendre pour défendre pied à pied nos conditions de vie en développant, en élargissant, en unifiant et en organisant nous-mêmes nos combats contre le système capitaliste et son exploitation.
W (2 septembre)
1) Un rapport de l’INSEE vient d’établir officiellement que 8,2 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté en France en 2009, soit 13,5 % de la population (contre 7,8 millions l’année précédente), confirmant les effets ravageurs de la crise de 2008 sur les plus déshérités. Le Secours populaire prévoit que ces chiffres, sous-évalués, vont augmenter vertigineusement pour les années suivantes.
Le mouvement des Indignés en Espagne est riche en enseignements. Il révèle la montée progressive de la combativité des exploités face à l’incessante dégradation de leurs conditions de vie et l’avancée de la réflexion sur “Comment lutter ? Comment faire face collectivement à la crise économique et aux attaques du Capital ?”. Il a d’ailleurs fait des émules dans toute l’Europe, notamment en Grèce, mais aussi plus largement encore dans le reste du monde, jusqu’en Israël et au Chili.
Et les derniers événements de la fin juillet sont venus confirmer cette profondeur du mécontentement social et cette maturation de la conscience ouvrière. En effet, alors que les médias internationaux ont largement passé sous silence les manifestations qui ont frappé Madrid au cœur de l’été, préférant braquer leurs projecteurs sur la levée des derniers camps et proclamer la mort du mouvement, les militants du CCI présents sur place ont pu au contraire constater que les dizaines de milliers d’Indignés qui envahissaient les rues étaient animés d’une véritable volonté de poursuivre la lutte, conscients que la crise allait continuer de faire ces ravages et que la lutte devra donc nécessairement reprendre. Mais c’est surtout la qualité des discussions sur la véritable nature de la démocratie bourgeoise, le piège du réformisme, le sabotage du mouvement par “Démocratie Real Ya !” (DRY), l’importance des débats en assemblée… qui ont littéralement enthousiasmé nos camarades. Ils ont alors immédiatement réalisé un compte-rendu de leur intervention destiné à informer tous les militants du CCI de par le monde de ce qu’ils avaient vu et vécu. C’est ce texte que nous publions ci-dessous tel quel, presque dans son intégralité, ce qui explique son style très direct et parfois télégraphique.
Sur les rassemblements à Madrid en juillet
Vendredi 22 juillet : Les premiers cortèges arrivent des villes ouvrières de la banlieue de Madrid. D’après de nombreux témoignages, l’arrivée de ces marches a donné lieu à des assemblées massives et les gens étaient très heureux d’être ensemble avec des embrassades, chants et débats animés.
Samedi 23 : La place de la Puerta del Sol était remplie, ainsi que les rues adjacentes. Peut-être 10 000 personnes ou plus, très au-delà de ce qu’a rapporté la presse et la TV qui parlaient de “centaines d’Indignés”. Nous étions présents et nous avons diffusé notre supplément (1). Il a été très bien accueilli. Autour de nous se formaient des petits rassemblements. Il était frappant de constater l’envie de parler des gens qui s’exprimaient, de façon spontanée, contre le capitalisme et pour les assemblées comme l’instrument le plus précieux. L’assemblée générale a commencé après 10 heures du soir, elle était consacrée entièrement au récit des marches. Il y a eu des moments très émouvants puisque les orateurs étaient enthousiasmés, presque tous ont parlé de révolution, de dénonciation du système, de radicalité (dans le sens “d’aller aux racines des problèmes” comme a précisé l’un d’eux).
Dimanche 24 : Dans la matinée, au parc du Retiro, il y avait des assemblées thématiques : coordination internationale, coordination nationale, action politique, moyens informatiques… Au sein de la coordination internationale, il y avait des éléments d’Italie, de Grèce, de Tunisie, de France et aussi des jeunes espagnols émigrés. Il a été proposé la convocation d’une journée européenne des Indignés, mais il y a eu aussi deux interventions parlant d’une “journée mondiale” ayant comme axe “la lutte contre les coupes dans les budgets sociaux qui aujourd’hui tombent partout”. L’un de nous est intervenu en insistant sur cette convergence des problèmes qui nous affectent. Un autre a présenté une initiative surgie à Valence d’une “journée internationaliste de débat sur le 15 M” où sont convoqués des collectifs non seulement de l’Espagne mais aussi d’autres pays (2). Cette initiative a été explicitement soutenue par le modérateur de l’assemblée.
Ceci dit, dans l’assemblée générale qui a suivi, il y a eu des manipulations. Elle était seulement centrée sur les rapports de chaque assemblée “thématique” empêchant les interventions “libres”. De surcroît, les rapports des porte-parole étaient trop longs. Le rapport sur le comité de coordination internationale a été relégué à la dernière place et beaucoup de participants étaient partis. Le rapporteur –que nous n’avions pas vu dans le comité- n’a pas soufflé mot sur la journée proposée. Nous n’avons pu intervenir pour le corriger.
Dans l’après-midi a eu lieu la manifestation qui a été très massive (100 000 personnes). L’ambiance était très animée, la diffusion de notre presse a été un succès avec beaucoup de discussions. A un moment donné, la police faisait un barrage dans le Paseo de La Castellana. Les manifestants, au lieu de s’affronter, les ont encerclés en se divisant sur plusieurs rues adjacentes et en se regroupant après. Le dispositif policier a viré au ridicule pitoyable puisque il s’est retrouvé entouré de tous les côtés sans possibilité de réagir (3).
Dans la soirée, il y avait une assemblée “thématique” sur “Etat et économie”. Un Catalan qui sentait l’idéologie d’ATTAC à plein nez, s’est fait remarquer par un très long discours de 30 minutes, dans lequel il disait qu’il faudrait un “système coopératif”, que l’Etat “disparaîtrait” sous le poids “des marchés” et qu’aussi les nations étaient “écrasées”. Il a présenté l’Etat et la nation comme des “alternatives révolutionnaires face au capitalisme, aujourd’hui. Ce qui est révolutionnaire, c’est de défendre l’Etat et la nation”. Un certain nombre d’interventions, dont les nôtres, ont combattu vigoureusement ces propos.
Lundi 25 : Il y avait un forum débattant de plusieurs sujets : écologie, féminisme, politique, coopératives… Nous avions prévu de mettre une table pour vendre la presse et participer à un de ces forums. Nous avons choisi celui qui a abordé le sujet Pour ou contre une nouvelle constitution.
Une femme a fait une longue présentation. Elle parlait d’une évolution de la démocratie “représentative” vers une démocratie “participative” dont les assemblées étaient le fer de lance. Il devrait y avoir des assemblées pour tout : pour choisir les candidats des partis politiques, pour élire les leaders syndicaux, pour approuver les budgets municipaux… Cela ferait d’après ses paroles “un nouvel ordre, un ordre assembléiste”. Tout cela, elle l’a présenté comme un nouvel apport à la “science politique” (sic)…
L’assemblée ne s’est pas laissée impressionner par cette “découverte”. Un jeune a dit franchement que le problème était le capitalisme et qu’il était impossible de le “réformer” ou de le “démocratiser”. Un autre a parlé de révolution et a demandé de revenir aux enseignements de Lénine pour former un parti révolutionnaire. Cela a provoqué la colère d’un anarchiste qui, tout en défendant le besoin de détruire l’Etat et d’instaurer le pouvoir des assemblées (ou Soviets, a-t-il ajouté) a dit que Lénine voulait former un parti sans ouvriers, seulement avec des intellectuels. Un autre intervenant a dit qu’il faut un parti révolutionnaire qui ne participe pas au jeu électoral ni parlementaire mais “qui accepte seulement la loi des assemblées.”
D’autres interventions ont dénoncé la proposition d’une nouvelle constitution. “En 1978, ils nous ont trompés. Pourquoi tomber aujourd’hui dans la même erreur ?”. Un jeune de Ciudad Real a parlé de “double pouvoir” : le pouvoir des assemblées et le pouvoir de “ce qu’on appelle la démocratie”, il a ajouté que nous devions avoir “une stratégie pour parvenir à faire triompher le premier”. Une fille a développé l’idée suivante : “on veut concilier assemblées et constitution mais cela est impossible, les assemblées n’ont rien à voir avec la constitution, elles sont en totale opposition.” Parfois, il y avait des interventions en défense d’une nouvelle constitution, mais un type qui au début a lu un long texte sur un “projet de nouvelle constitution rédigé par un groupe de Grenade” est revenu en arrière dans une deuxième intervention en disant qu’il n’avait été que le porte-parole du groupe mais qu’il préférait “le pouvoir des assemblées”. Les interventions sur l’impossibilité de réformer le capitalisme ont été très applaudies ainsi que le besoin de ne pas parler de démocratie en général mais de l’Etat. Un de nos camarades est intervenu en précisant que l’Etat était l’organe de la classe dominante, qu’il constituait son appareil répressif et bureaucratique avec ses troupes, ses forces de police, ses tribunaux et ses prisons, tout cela masqué par sa façade démocratique : “Nous, les exploités, nous avons seulement l’instrument des assemblées pour nous unifier, pour penser collectivement et décider ensemble, le pouvoir aux assemblées – même s’il s’agit d’un long combat – n’est pas une utopie si ce combat s’inscrit dans un processus mondial.” Plusieurs personnes sont venues nous féliciter de cette intervention.
Sentant le vent tourner, le Catalan de la veille a retourné sa veste : il s’est prononcé pour “tout le pouvoir aux assemblées” et pour un “gouvernement mondial” et que “dans ce cadre, on aurait assez de force pour établir des nouvelles constitutions” (sic). Un discours “marxiste”, ça ? Peut-être, mais alors “tendance Groucho” (4) !
Dans l’après-midi, nous sommes allés à Móstoles – une ville industrielle de la banlieue de Madrid – pour visiter la coordination d’assemblées du Sud, celle ayant convoqué la manifestation du 19 juin. En fait il s’agissait du local d’un collectif très combatif et ayant participé au 15 M avec une démarche de classe. Un jeune, qui y avait participé très activement nous a manifesté sa joie sur ce mouvement du 15 M et a discuté avec nous sur l’analyse qu’il en a faite : la dénonciation de la démocratie, les magouilles de DRY sur lesquelles il a apporté des éléments très concrets, la perspective révolutionnaire, le réveil du prolétariat, la piège de l’immédiatisme, le besoin d’une prise de conscience… Le seul point sur lequel il était en désaccord avec nous était l’analyse sur l’Espagne de 1936 qu’il voyait comme une révolution autogestionnaire. Il était très content de nous accueillir et on a décidé l’envoi de notre presse au local et aussi il va proposer au collectif la participation à la Rencontre d’octobre à Valence.
Quelques réflexions
Ces 3 journées ont été très intenses, révélant un mouvement d’une grande profondeur.
Il semblerait que le mouvement garde des énormes réserves de mécontentement mais aussi d’autres aspects très importants : une envie de discuter et de se clarifier, un goût pour être ensemble, une recherche permanente de liens…
Dès le début, DRY et ses satellites, ont fait tout leur possible pour enfermer le mouvement dans le carcan d’une série de “revendications concrètes” –le fameux catalogue de revendications démocratiques. Il y a toujours une résistance sourde dans une large frange et une opposition frontale de la part d’une grosse minorité.
Cela dit, deux mois sont passés et “l’affrontement entre les classes” n’est pas encore à l’ordre du jour5. Est-ce que cela représente une faiblesse ? Est-ce le signe d’un essoufflement du mouvement ? Si nous passons en revue les raisons de l’essoufflement des mouvements de classe de ces dernières décennies, nous voyons qu’une de ses causes, c’est la défaite physique mais la cause la plus fréquente a été la défaite idéologique. Dévoyée sur un terrain étranger, la classe s’est trouvée enfermée dans un combat qui la désintégrait, ce qui a fini par provoquer une profonde démoralisation. Mais l’essoufflement du mouvement de l’automne en France 2010 n’a répondu exactement à aucune de ces deux causes. Cela est principalement dû au constat que le gouvernement n’allait pas céder malgré la massivité et, face à cela, à la difficulté pour développer des embryons d’assemblées qui se confrontent aux syndicats. Ce que nous trouvons en Espagne, c’est une caractéristique un peu plus “inédite” encore et certainement un peu déboussolante pour certaines minorités politisées mais aussi pour la bourgeoisie elle-même : le mouvement évite l’affrontement frontal et se consacre à un travail de réflexion et de développement de liens, de solidarité… On pourrait dire que le mouvement préfère préparer les affrontements inévitables en “accumulant des forces”.
D’un coté, une certaine conscience émerge par rapport à l’ampleur des enjeux qui se dressent à l’horizon le plus immédiat (6). Mais il y a aussi une certaine conscience sur la faiblesse de la classe, sur son manque de confiance en elle, sur la nécessité de récupérer son identité de classe ; en résumé, sur le manque de maturité pour entamer une réponse aux graves attaques en cours et à la dégradation des conditions de vie dont on pâtit.
Dans ce contexte, cette tentative “d’accumulation de forces” est aussi l’expression d’une certaine clairvoyance. Il s’agit sans doute d’une phase nécessaire et inévitable dans une période contenant en perspective des vastes affrontements de classes. Le mouvement du 15 M reprend et développe toute une série de traits déjà présents à l’état embryonnaire dans le mouvement de 2006 contre le CPE : les assemblées, l’irruption des nouvelles générations, l’attention aiguë aux facteurs subjectifs et éthiques, la volonté de créer des liens, d’entamer une bataille consciente…
Lorsqu’on regarde avec un peu de recul les journées de Madrid, une série de constats sont frappants :
– on parle très naturellement de “révolution”, du fait que le problème posé, c’est “le système” ;
– “tout le pouvoir aux assemblées” commence à sortir des rangs d’une petite minorité pour devenir plus étendu et populaire (7).
– la poussée vers “l’extension internationale” des assemblées est très remarquable, comme le montre la proposition de plus en plus populaire d’une “journée mondiale d’assemblées”.
C’est vrai que tout cela a lieu au milieu d’une énorme confusion. Dans la bouteille “révolution”, on met toute sorte de breuvages : autogestion, coopératives, nationalisation de la banque… Sur l’internationalisation, on pourrait raconter une conversation avec un jeune de Valence : il nous reprochait nos dénonciations acerbes de DRY et apportait comme réfutation la proposition de la DRY d’une “journée européenne de lutte qui pourrait devenir mondiale”. Mais en même temps, il ajoutait : “ce qui me pose problème, c’est le contenu de cette journée. Si l’objectif est la démocratie, pourquoi est-ce qu’aucun pays n’a une véritable démocratie ?”
Le prolétariat souffre du poids de l’idéologie dominante, dans les assemblées sont présentes DRY et d’autres forces bourgeoises (8) relayées par les politiciens et les médias et le prolétariat compte avec des minorités communistes dont la taille et l’influence restent faibles. Dans ce contexte pourrait-on attendre autre chose qu’un débat qui a lieu au milieu d’une énorme confusion, avec une prolifération des théories les plus disparates, les propositions les plus saugrenues ? La conscience doit se frayer un chemin dans cette situation à la fois chaotique et vertigineuse.
Les collectifs prolétariens
Dans les assemblées, nous voyons que DRY – la tentacule de l’Etat en leur sein – se confronte à une résistance sourde et à une minorité de plus en plus active (9). Il faut différencier les deux secteurs : le premier, probablement plus large que ce qu’on pourrait croire, résiste passivement aux propositions de DRY, il le laisse faire, n’ose pas lui enlever les postes de commande, mais manifeste une résistance diffuse à ses propositions.
Par contre, une minorité mène un combat contre la politique démocratique, citoyenne et réformiste en y opposant une tentative de politique de classe, pour s’inscrire dans la perspective révolutionnaire de lutte contre le capitalisme et pour le pouvoir des assemblées.
Cette minorité tend à s’organiser en “collectifs” qui prolifèrent partout et développent un effort considérable de réflexion, à notre connaissance, notamment à Valence, Alicante ou Madrid, même si, pour le moment ces collectifs restent dispersés, éparpillés sans trop réussir à sortir d’un cadre d’action local.
CCI (1er aout)
1) Fait avec des extraits de l’éditorial de la Revue internationale n° 146 dédié au bilan du “mouvement 15 M” (qui est également disponible en français sur notre site).
2) A Valence fonctionne une “Assemblée des Égaux” regroupant 5 collectifs avec une forte composante anarchiste. Un collectif de jeunes a notamment proposé la tenue d’une Journée de Débat sur le 15 M pour septembre ou octobre. Nous avons soutenu cette proposition en ajoutant la possibilité d’inviter des collectifs au niveau international, ce qui a été approuvé. Il s’agit à notre avis d’une initiative importante.
3) La sensibilité envers la répression et la volonté de lui répondre massivement continue à être vivante dans le mouvement. Le 27 juillet, il y a eu une protestation devant le parlement et la police a durement frappé les participants. Dans l’après-midi, une manifestation spontanée de solidarité s’est formée regroupant 2000 personnes qui a parcouru le centre de la ville en criant “Si vous frappez l’un d’entre nous, c’est nous tous qui sommes frappés !”
4) Groucho Marx disait : “Voilà mes principes mais s’ils ne vous plaisent pas, j’en ai d’autres dans la poche”.
5) Comme nous expliquons dans l’article éditorial de la Revue internationale no 146, l’affrontement entre les classes a été présent dés le début mais pas d’une façon explicite ou sur un terrain directement politique ou économique mais plutôt sur des questions on pourrait dire plus “subjectives” : le développement de la conscience, la solidarité, la construction d’un tissu d’actions collectives.
6) Des énormes attaques – notamment dans le secteur de la santé et celui de l’éducation avec beaucoup de licenciements – vont tomber après septembre (en Catalogne, elles tombent d’ores et déjà)
7) Dans la rue Alcalá, très près des Cortes (du Parlement) un graffiti réclame : “Tout le pouvoir aux assemblées !”. En fait, la tentative d’écrire ce message a provoqué l’intervention de la “commission de respect” – une sorte de police intérieure crée par DRY – qui a jugé une telle écriture “trop violente” et a encerclé les 3 jeunes “coupables”, mais un groupe nombreux de manifestants a encerclé à son tour les “commissionnés” pour leur demander de laisser “s’exprimer” les jeunes.
8) A coté de DRY, il y a IU (Gauche Unie, front créé par le stalinisme), UPYD (un parti de centre libéral), MPPC (un mouvement républicain), ainsi que plusieurs groupes gauchistes, notamment trotskistes.
9) A Valence sont apparu des graffitis proclamant “DRY ne nous représente pas”, ce qui retourne contre DRY un de ses propres slogans très répandu vis à vis des politiciens : “Ils ne nous représentent pas”.
Depuis quelques semaines, au milieu des panneaux publicitaires L’Oréal, Décathlon, Dior, etc., une nouvelle affiche de l’Unicef a fait son apparition : “Urgence malnutrition : 2 millions d’enfants menacés par la crise nutritionnelle dans la Corne de l’Afrique !” Cette fois, les spécialistes de la “com” n’hésitent pas à exhiber des photos de désespoir sur lesquelles on peut voir une mère exténuée qui tient dans ses bras un enfant malade, sans doute mal nourri. Mais là, nous dit-on, c’est pour la bonne cause. A l’instar de ses consœurs publicitaires qui attirent notre œil de consommateur potentiel, son objectif est clair : d’une part, tout en nous poussant à mettre la main à la poche et nous délester de quelques Euros, cela donne l’illusion que l’Etat “démocratique” (comme il se nomme lui-même) met en place des structures afin que nous tous, en bons “citoyens”, nous puissions venir en aide aux plus démunis. Une grave illusion que nous nous devons de dénoncer. D’autre part, cela contribue d’une manière tout à fait insidieuse et méprisable à nous faire passer pour des privilégiés. Des épargnés de la misère qui passent leur temps à se plaindre pour si peu : pour les quelques mesures de rigueur que prennent “courageusement” la plupart des gouvernants des pays centraux. Cette campagne est encore une farce ignoble ! Alors, que faire ?
Il est vrai que la situation en Somalie, Djibouti, Ethiopie, Kenya et Erythrée qui constituent la corne de l’Afrique, est particulièrement dramatique et révoltante. Une sécheresse d’une ampleur inédite (1) s’abat impitoyablement sur la région déjà en proie à la guerre depuis plus de deux décennies. Dans une interview parue dans le Figaro.fr, Andrée Montpetit, conseillère qualité de l’ONG Care en Ethiopie, confie : “J’entends des choses que je n’ai jamais entendues avant. Un villageois de Dambi, dans la région de Morena, m’a expliqué vendredi que même les chameaux mouraient de soif, alors que lors de la grande sécheresse de 1991 les chameaux avaient tenu le coup. Toujours à Borena, il faut marcher six heures aller-retour pour avoir accès à un point d’eau. C’est du jamais vu. Il n’y a ni eau, ni herbe, les vaches tombent comme des mouches.” L’ONU estime à plus de 12 millions le nombre de personnes en situation de détresse. En Somalie, la situation est insoutenable. Avec la guérilla qui oppose depuis 2006 l’armée éthiopienne aux 7000 combattants Chabab, le mouvement de la jeunesse des tribunaux islamiques qui contrôle 80 % de la Somalie et impose une application extrémiste de la Charia, c’est plus de 9 millions d’habitants qui vivent l’enfer au quotidien. Crevant la bouche ouverte dans des conditions abjectes, souffrant de maladies dans une chaleur atroce, sans eau pour se laver. Quant à l’aide humanitaire, les ONG elles-mêmes, dénoncent le manque de moyens mis en œuvre. Pire encore, lorsque l’aide arrive enfin, elle est souvent bloquée ou détournée par les rebelles islamistes qui combattent le gouvernement de transition, ou à l’inverse, par l’armée somalienne pour les mêmes raisons militaires. “Dernier exemple en date, vendredi passé [le 12 août], le pillage de deux camions d’aide alimentaire par des soldats somaliens, juste avant une distribution de nourriture à des familles affamées dans un quartier de la capitale. La fusillade qui s’est ensuivie à fait cinq morts” (2). On ose à peine imaginer ce que sont devenues ces familles affamées, terrées dans des quartiers de Mogadiscio. Tout comme des milliers d’autres familles ayant fui la capitale, entassées dans les tentes des camps de réfugiés, sous un soleil de plomb, et avec juste ce qu’il faut d’eau et de nourriture pour survivre encore un jour de plus. “Mahieddine Khelladi, directeur exécutif de l’ONG Secours islamique, préfère parler de “risque important” de détournement : ‘Dans un hôpital que j’ai visité auquel on avait envoyé des médicaments, la pharmacie était vide” , raconte-t-il” (3). Et ce n’est pas l’intervention des grandes puissances qui va améliorer le sort de ces malheureux, bien au contraire ! “Depuis l’effondrement du gouvernement en 1990, les Etats-Unis occupent une partie du terrain militairement. Cela c’est fait en 1992 à travers l’opération baptisée Restore Hope (“Restaurer l’espoir” – sic !). A la même époque, tout le monde se souvient des images diffusées partout de Bernard Kouchner arrivant en Somalie avec des sacs de riz sur les épaules, suivi de près, discrètement, par quelques contingents de l’armée française !”, écrivions-nous en février 2010, dans un article intitulé : “Au Yémen, en Somalie, les grandes puissances accentuent le chaos”. Ne visant que la défense de leurs intérêts capitaliste dans cette zone géostratégique d’une importance majeure (4), les grandes puissances n’ont que faire du sort des pauvres habitants. En fait, l’exacerbation des tensions impérialistes dans la région est un facteur aggravant qui pousse, entre autres choses, les groupes armés à recruter des combattants de plus en plus jeunes. “Selon un récent rapport d’Amnesty International, les Chabab, qui ont perdu beaucoup d’hommes depuis le début de l’année, en sont réduits à recruter de plus en plus d’enfants” (5).
Des œdèmes aux joues et aux paupières, la peau amincie, vernissée, craquelée ou sanguinolente, le ventre démesurément gonflé : syndrome de malnutrition, ou bien encore les traits du visage marqués par la guerre, les yeux noirs et plein de haine, une mitrailleuse entre les mains, voici désormais le visage des enfants du “berceau de l’humanité”. Le visage, qu’ont sculpté quelques décennies de barbarie capitaliste. Des milliers d’années d’évolution sont remises en cause par la survie de ce système totalement cynique. Il ne faut pas s’y tromper : ce qui se passe en Afrique et dans les pays en proie à la guerre et à la misère n’est que le reflet du sort que le capitalisme réserve à toute l’humanité. Nul gouvernement, nulle ONG ou force armée ne peut enrayer cette dynamique destructrice dictée par les lois du profit et des intérêts impérialistes. Dans les pays centraux, l’inflation galopante et les cures d’austérité à répétition en sont les prémices. Seul le renversement du capitalisme, œuvre de la majorité en recherche d’une solidarité authentique, pourra libérer l’humanité des griffes de ce système moribond.
Maxime (27 août)
1) L’ONU parle de “la pire sécheresse depuis 60 ans”.
2) Courrier international no 1085, du 18 au 24 août 2011.
3) Selon le quotidien 20 Minutes du 22 août 2011, “Somalie : l’aide humanitaire détournée ?”.
4) Le Golfe d’Aden, voie maritime vers la mer Rouge et les champs pétroliers du Golfe persique et traversé par la moitié de la flotte mondiale des porte-conteneurs et 70 % du trafic total des produits pétroliers qui passent par la mer d’Arabie et l’Océan Indien. Nous incitons nos lecteurs à se référer à notre article cité plus haut pour comprendre les enjeux de cette zone géostratégique.
5) Courrier international no 1085.
Après six mois de combats, les “rebelles” libyens fêtent leur victoire contre le tout-puissant Kadhafi, provocateur qui narguait depuis 42 ans les démocraties occidentales et leurs dirigeants, jouant au chat et à la souris avec ces derniers. Des démocraties qui, après avoir, bon an mal an, essayé de s’attirer les bonnes grâces du “Guide” libyen, ont apporté leur soutien militaire le plus actif au Conseil national de transition de Libye, dès lors que la véritable révolte populaire contre le régime de la “Jamahyria” du dictateur libyen s’est transformée en sinistre lutte de chefs de tribus occasionnellement ligués contre ce dernier (voir RI no 421). Des démocraties qui ont orchestré et dirigé toutes les opérations des “rebelles”. Combien de morts et de blessés, d’estropiés à vie, dans cette guerre de fractions bourgeoises que les médias aux ordres ont cherché à faire passer pour la continuation des “révoltes arabes du printemps” ? Depuis des mois, pas un seul chiffre clair du nombre de victimes de ces tueries n’est encore sorti dans une presse qui, pourtant, pour mieux justifier l’intervention de l’OTAN, n’a cessé durant les premiers mois d’étaler les massacres provoquées par les forces kadhafistes. Depuis la première Guerre du Golfe, on nous ressert ce mensonge infect et grossier des “frappes ciblées”, qui ne tuent que les “méchants” et pas les civils, alors que des milliers d’exemples ont prouvé le contraire. Or, selon ses propres estimations, l’OTAN a effectué 20 000 sorties aériennes et 8000 missions de frappes “humanitaires” depuis le 31 mars. Et là, alors que l’OTAN a bombardé les villes pour “préparer la voie aux rebelles”, 9 morts seulement sont reconnus officiellement. Or, malgré le black-out opéré, des quartiers et des villages entiers ont été rasés dans différentes batailles, comme à Tripoli et dans les autres villes “libérées”, comme encore avec le pilonnage en règle de Syrte et de sa population, qui subit à l’heure actuelle un vrai massacre, “coupable” du fait que l’armée loyaliste s’y trouve, et peut-être Kadhafi lui-même. De plus, une catastrophe humanitaire se profile : à Tripoli, il n’y a plus d’eau, plus d’électricité, plus d’approvisionnement de nourriture, tandis que les cadavres pourrissent. C’est cela, la “libération” libyenne.
Les forces de l’OTAN ne se sont d’ailleurs pas contentées de bombarder, soi-disant pour “couvrir” les rebelles, mais elles ont également envoyés des forces sur le terrain. Cinq cent commandos britanniques y opéraient, et des centaines de français. Et non seulement cela, mais elles ont armé les forces militaires anti-Kadhafi : la France a reconnu avoir largué comme “moyens d’autodéfense” (sic) des armes telles que des lance-roquettes, des fusils d’assaut, des mitrailleuses et des missiles anti-char ! Sans compter la présence de certaines forces de la CIA, et cela bien que les Etats-Unis se soient prétendument retirés de l’intervention militaire.
Dans cette guerre où le mensonge, la désinformation généralisée, l’inhumanité et le mépris envers les “peuples” ont été les maîtres-mots, l’hypocrisie meurtrière tant des chefs tribaux libyens que des grandes ou moyennes puissances a montré qu’elle était une marque de fabrique de l’après-Kadhafi. Personne ne regrettera bien sûr cet odieux dictateur sanguinaire qui depuis des mois exhorte la population à se sacrifier et abrite ce qui lui reste de pouvoir derrière de véritables boucliers humains pris en otage, mais la suite des événements ne peut être qu’à la mesure de la cacophonie nationale et internationale qui a dominé, et dominera encore plus, derrière les discours de façade. Une fois de plus, après l’Irak, l’ex-Yougoslavie, l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, etc., “l’aide internationale” aux “opprimés” ouvre la voie royale à une situation de chaos qui n’aura pas de fin. Jamais dans l’histoire autant de pays, de régions n’ont été la proie permanente de la guerre et des attentats, de la destruction humaine et matérielle : la Libye vient se joindre dès à présent à ce concert mondial de l’enfer impérialiste.
En effet, on nous raconte que les “combattants de la liberté” du Conseil national de transition vont maintenant oeuvrer à l’établissement d’un régime de “stabilité, de démocratie et de respect”, avec le soutien de la communauté internationale prête à dégeler (au compte-gouttes) les avoirs libyens pour financer le nouveau régime. Cette coalition (qui prévoit des élections pour dans… 20 mois) est un ramassis plus qu’hétéroclite composé de chefs de tribus, d’islamistes militants et d’anciens membres éminents du gouvernement de Kadhafi. Le chef du Conseil militaire du CNT est lui-même un ex-djihadiste, proche d’Al-Qaïda, au passé afghan et américain plus que trouble ; le président du CNT était encore récemment le ministre de la Justice de ce régime exécré, celui qui avait condamné à mort les infirmières bulgares ; le Premier ministre est un ami d’enfance du dictateur déchu...
La brève histoire du CNT montre de surcroît déjà une ombre au tableau, celle de l’assassinat de Younès, chef d’état-major, et chef d’une puissante tribu, tué fin juillet dans des conditions obscures. Tous ces ingrédients, auxquels il faut ajouter les rivalités tribales ancestrales que le “Guide vert” avait réussi à faire taire, sont donc réunis pour voir se développer une foire d’empoigne générale. Et si cela ne suffisait pas, la curée à laquelle vont se livrer les rapaces européens, américains et arabes (comme le Qatar ou la Jordanie, ou même encore l’Algérie), chacun pour défendre leur part du gâteau de ce pays pétrolier, ne pourra qu’aggraver l’instabilité.
La France, dont le chef d’Etat bombe le torse et hausse les talonnettes plus que jamais, s’auto-proclamant sauveur du peuple libyen, a organisé avec la Grande-Bretagne la “Conférence internationale de soutien à la Libye nouvelle” à Paris, le 1er septembre. Belle image trompeuse, car derrière l’unité de façade des 60 délégations représentant les “amis de la Libye”, c’est en fait un avenir plein de nuages qui s’annonce. La manne pétrolière libyenne est en soi un enjeu de taille. Paris et Londres, se targuant de leur soutien actif à la rébellion, prétendent ainsi obtenir des contrats préférentiels avec le nouveau “gouvernement”, tout comme les Etats-Unis, déjà présents sur place avec deux compagnies pétrolières. Sarkozy aurait semble-t-il négocié l’attribution à l’Etat français de 35 % du brut libyen, en échange de ses bons et loyaux services à l’égard du CNT.
Mais derrière eux se pressent des pays comme l’Italie, l’Allemagne, la Russie et la Chine. Que ce soit avant ou pendant le conflit, on a vu ces derniers montrer une opposition plus ou moins ouverte. L’Italie, dont 21 % des exportations étaient destinées à l’ancien gouvernement libyen (contre 4 % pour la France) et qui craint de voir ses accords pétroliers existants révisés à la baisse, n’a cessé d’essayer de contrecarrer l’intervention (“pour des raisons humanitaires” !), avant comme après la résolution 1973 de l’ONU du 31 mars, tout en étant bien forcée d’y participer de crainte de tout perdre. En effet, comme l’a dit le porte-parole du CNT à cette conférence, “le peuple libyen sait qui a soutenu sa bataille de liberté et qui ne l’a pas fait”. Le message est clair envers la Russie et la Chine, mais les jeux ne sont pas faits.
Car le territoire de la Libye lui-même est un enjeu de taille, non seulement pour le pétrole mais aussi en ce qui concerne le contrôle géographique de la région. Tout d’abord, la mission de l’OTAN est supposée durer jusqu’à la fin septembre et il est clair qu’il fallait accélérer le départ de Kadhafi (ou sa mort – sa tête étant très chèrement mise à prix – comme l’ont préconisé Juppé, BHL et autres) afin que les forces militaires des pays qui ont participé aux opérations trouvent un prétexte pour s’installer, histoire de “stabiliser” le pays. Un document de l’ONU prévoit l’envoi – officiel cette fois – d’une force militaire et policière, “pour le désarmement de la population”, dans le cadre de “l’établissement d’un climat de confiance”.
C’est donc clair, l’ONU et ses protagonistes principaux ne vont pas lâcher le morceau : “Le mandat de “protection des civils” du Conseil de sécurité appliqué par les forces de l’OTAN ne prend pas fin avec la chute du gouvernement Kadhafi.” Si la foire d’empoigne au sein du repaire de brigands du CNT est assurée, celle des grandes puissances qui vont venir du même coup attiser les tensions est tout aussi certaine. Les quarante, et surtout les dix dernières années nous ont montré ce que cela voulait dire : tirer la couverture à soi et jouer des dissensions entre les différentes fractions en présence, et on sait qu’elles sont nombreuses dans ce pays resté fondamentalement tribal. Mais les vieilles puissances impérialistes comme la France ou la Grande-Bretagne, tout comme les Etats-Unis, ont une expérience notoire pour semer la zizanie et diviser pour mieux régner. Excepté qu’ici, personne ne va régner sinon le chacun pour soi le plus explosif.
L’instabilité permanente à venir de la Libye est un nouvel exemple de la folie du système capitaliste.
Wilma (3 septembre)
“Il va y avoir un krach et la chute sera violente”. “Absolument personne ne croit aux plans de sauvetage, ils savent que le marché est cuit et que la bourse est finie”. “Les traders se foutent de comment on va redresser l’économie, notre boulot est de faire de l’argent avec cette situation”. “Je me couche tous les soirs en rêvant d’une nouvelle récession”. “En 1929, quelques personnes étaient préparées à faire de l’argent avec le krach et tout le monde peut faire cela aujourd’hui, et pas seulement les élites”. “Cette crise économique est comme un cancer”. “Préparez-vous ! Ce n’est pas le moment d’espérer que les gouvernements règlent les problèmes. Les gouvernements ne dirigent pas le monde, c’est Goldman Sachs qui dirige le monde. Cette banque se fiche des plans de sauvetage”. “Dans moins de 12 mois je prédis que les économies de millions de gens vont disparaître, et ce ne sera que le début...”. Ces propos ont été tenus lundi 26 septembre sur la BBC par le trader londonien Alesio Rastani. Depuis, la vidéo tourne en boucle sur Internet en créant un véritable buzz [1]. Nous partageons évidemment la noirceur de la perspective tracée par cet économiste. Sans nous aventurer à établir des échéances aussi précises que lui, nous pouvons cependant affirmer sans craindre de nous tromper que le capitalisme va continuer de plonger, que la crise va s’aggraver et être de plus en plus ravageuse, et que les mille souffrances de la misère vont s’abattre sur une frange toujours plus large de l’humanité.
Cette déclaration d’Alesio Rastani vient surtout alimenter l’un des plus gros mensonges de ces dernières années : la planète serait en faillite à cause de la finance… et seulement à cause de la finance. “C’est Goldman Sachs qui dirige le monde”. Et toutes les voix altermondialistes, de gauche et d’extrême-gauche de s’écrier alors en chœur : “Quelle horreur ! Voilà la cause de tous nos maux. Nous devons reprendre le contrôle de l’économie. Nous devons mettre au pas les banques et la spéculation. Nous devons lutter pour un Etat plus fort et plus humain !”. Ce discours est incessant depuis la faillite du géant bancaire américain Lehman Brothers en 2008. Aujourd’hui, même une partie de la droite classique s’est emparée de cette critique “radicale” de la “finance sauvage” et clame la nécessité à revenir à plus de morale et plus d’Etat. Cette propagande n’est qu’un rideau de fumée idéologique désespéré pour occulter la cause réelle du cataclysme en cours : la faillite historique du capitalisme. Ce n’est pas une nuance ou une simple affaire de terminologie. Accuser le libéralisme ou accuser le capitalisme est fondamentalement différent. D’un côté, il y a l’illusion que ce système d’exploitation peut être réformé. De l’autre, il y a la compréhension que le capitalisme n’a pas d’avenir, qu’il doit être détruit de fond en comble et remplacé par une nouvelle société. Nous comprenons donc pourquoi la classe dominante, ses médias et ses experts déploient autant d’énergie à pointer du doigt l’irresponsabilité de la finance en l’accusant de tous les déboires économiques actuels : ils cherchent à épargner leur système et à détourner la réflexion en cours sur la nécessité d’un changement radical et donc d’une révolution.
Depuis quatre ans, à chaque krach boursier éclate une affaire de trader véreux. En janvier 2008, le “scandale Jérôme Kirviel” fait la Une des journaux. Il est jugé responsable de la déroute de la Société générale (banque française) pour avoir perdu 4,82 milliards d’euros suite à de mauvais placements. La vraie raison de cette crise, l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis, est reléguée au second plan. En décembre 2008, l’investisseur Bernard Madoff est mis en examen pour une arnaque de 65 milliards de dollars. Il devient le plus grand escroc de tous les temps et fait ponctuellement oublier la faillite du géant bancaire américain Lehman Brothers. En septembre 2011, le trader Kweku Adoboli est accusé d’une fraude de 2,3 milliards de dollars à la banque suisse UBS. Cette affaire tombe, par le “plus grand des hasards”, en pleine nouvelle déconfiture économique mondiale.
Evidemment, tout le monde sait que ces individus sont des boucs-émissaires. La ficelle tirée ici par les banques pour justifier leurs déboires est un peu trop grosse pour ne pas être vue. Mais cette propagande médiatique intense permet de focaliser toutes les attentions sur le monde pourri de la finance. L’image de ces requins de spéculateurs, sans foi ni loi, est en train de s’incruster dans nos esprits jusqu’à devenir obsédante et embrumer notre réflexion.
Alors, prenons un instant de recul et réfléchissons : comment ces faits-divers peuvent-ils expliquer en quoi que ce soit les menaces de faillite qui planent sur l’économie mondiale ? Aussi révoltantes que puissent être ces magouilles de plusieurs milliards de dollars quand des millions de personnes meurent de faim à travers le monde, aussi cyniques et honteux puissent être les propos tenus par Alesio Rastani sur la BBC quand il dit espérer un krach boursier pour spéculer et s’enrichir, il n’y a là rien qui justifie en profondeur l’ampleur de la crise économique mondiale qui touche actuellement tous les secteurs et tous les pays. Les capitalistes, qu’ils soient banquiers ou capitaines d’industrie, sont depuis toujours à la recherche du profit maximum sans jamais se soucier du bien-être de l’humanité. Il n’y a là rien de nouveau. Le capitalisme est un système d’exploitation inhumain depuis sa naissance. Le pillage barbare et sanguinaire des populations d’Afrique et d’Asie au xviiie et au xixe siècles en constitue une preuve tragique. La voyoucratie des traders et des banques n’explique donc rien de la crise actuelle. Si les escroqueries financières entraînent aujourd’hui des pertes colossales et mettent parfois en péril l’équilibre des banques, c’est en réalité à cause de leur fragilité induite par la crise et non l’inverse. Si, par exemple, Lehman Brothers a fait faillite en 2008, ce n’est pas à cause de l’irresponsabilité de sa politique d’investissement mais parce que le marché de l’immobilier américain s’est effondré lors de l’été 2007 et que cette banque s’est retrouvée avec des monceaux de créances sans aucune valeur. Avec la crise des subprimes, les ménages américains endettés se sont révélés être insolvables et tout le monde a alors pris conscience que les prêts accordés ne seraient jamais remboursés.
Les agences de notation sont, elles aussi, sous le feu croisé des critiques. Fin 2007, elles étaient taxées d’incompétence pour avoir négligé le poids des dettes souveraines des Etats. Aujourd’hui, elles sont accusées au contraire de trop pointer du doigt ces mêmes dettes souveraines de la zone euro (pour Moody’s) et des Etats-Unis (pour Standard & Poor’s).
Il est vrai que ces agences ont des intérêts particuliers, que leur jugement n’est pas neutre. Les agences de notation chinoises ont ainsi été les premières à dégrader la note de l’Etat américain, et les agences de notation américaines sont plus sévères envers l’Europe qu’envers leur propre pays. Et il est aussi vrai qu’à chaque dégradation, les financiers en profitent pour spéculer, ce qui accélère la dégradation des conditions économiques. Les spécialistes parlent alors de “prophéties auto-réalisatrices”.
Mais la réalité, c’est que ces toutes agences sous-estiment volontairement la gravité de la situation ; les notes qu’elles attribuent sont bien trop élevées au regard de la capacité réelle des banques, des entreprises et de certains Etats à pouvoir un jour rembourser leurs dettes. L’intérêt de ces agences est indéniablement de ne pas trop critiquer les fondamentaux économiques pour ne pas créer d’affolement, car l’économie mondiale est la branche sur laquelle elles sont toutes assises. Quand elles décôtent, c’est qu’elles y sont contraintes pour conserver un minimum de crédibilité. Nier totalement la gravité de la situation de l’économie mondiale serait grotesque et personne n’y croirait ; il est plus intelligent, du point de vue de la classe dominante, de reconnaître certaines faiblesses pour mieux amoindrir les problèmes de fond de son système. Tous ceux qui accusent les agences de notation aujourd’hui savent tout cela parfaitement. S’ils dénigrent la qualité du thermomètre, c’est pour éviter toute réflexion sur l’étrange maladie qui touche le capitalisme mondial, de peur que l’on ne s’aperçoive qu’il s’agit là d’une maladie dégénérescente et incurable !
Ces critiques des traders et des agences de notation appartiennent à une entreprise de propagande beaucoup plus vaste sur la folie et l’hypertrophie de la finance. Comme toujours, cette idéologie mensongère s’appuie sur une parcelle de vérité. Car il faut bien l’avouer, le monde de la finance est effectivement devenu ces dernières décennies un monstre gigantesque, presque obèse, qui est peu à peu gagné par l’irrationalité.
Les preuves sont légions. En 2008, le total des transactions financières mondiales s’élevait à 2 200 000 milliards de dollars, contre un PIB mondial de 55 000 milliards [2]. L’économie spéculative est donc environ 40 fois plus importante que l’économie dite “réelle” ! Et ces milliards ont été au fil des ans investis de manière de plus en plus folle et auto-destructrice. Un exemple est à lui seul édifiant : la VAD (vente à découvert). De quoi s’agit-il ? “Dans le mécanisme de vente à découvert, nous commençons par vendre une valeur que nous ne possédons pas pour la racheter plus tard. Le but du jeu est bien évidemment de vendre une valeur à un certain prix et de la racheter à un prix inférieur pour encaisser la différence. Comme nous le voyons, le mécanisme est complètement opposé à celui d’un achat suivi d’une vente” [3]. Concrètement, la VAD entraîne d’immenses flux financiers spéculatifs sur certaines valeurs en pariant sur leur baisse, ce qui parfois peut entraîner la faillite de la cible. C’est aujourd’hui ce qui fait scandale. De nombreux économistes et politiciens nous expliquent qu’il s’agit même là du principal problème, de LA cause de la faillite de la Grèce ou de la chute de l’euro. Leur solution est donc simple : interdire les VAD et tout ira de nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il est vrai que ces ventes à découvert sont une pure folie et qu’elles accélèrent la destruction de pans entiers de l’économie. Mais justement, elles ne font que “l’accélérer”, elles n’en sont pas la cause ! Il faut que la crise économique fasse déjà rage pour que ces ventes soient avantageuses à une si grande échelle. Le fait que les capitalistes parient de manière croissante sur la baisse et non plus sur la hausse des marchés révèle en réalité la défiance totale qu’ils ont eux-mêmes sur l’avenir de l’économie mondiale. C’est aussi pourquoi il y a de moins en moins de stabilité et d’investissement au long-cours : les investisseurs font “des coups” sur le très court terme, sans aucun souci de la pérennité des entreprises et des usines car, de toute façon, il n’y a presque plus de secteurs industriels sûrs et rentables sur le long terme. Et c’est là, qu’enfin, nous commençons à toucher du doigt le vrai cœur du problème : l’économie dite “réelle” ou “traditionnelle” est plongée dans un profond marasme depuis des décennies. Les capitaux fuient cette sphère qui est de moins en moins rentable. Le commerce mondial étant saturé de marchandises invendables, les usines ne tournent plus suffisamment et n’accumulent plus assez. Résultat, les capitalistes investissent leur argent dans la spéculation, le “virtuel”. D’où l’hypertrophie de la finance qui n’est qu’un symptôme de la maladie incurable du capitalisme : la surproduction.
Ceux qui luttent contre le libéralisme partagent ce constat d’état de délabrement de l’économie réelle. Mais ils ne l’attribuent pas un seul instant à l’impossibilité pour le capitalisme de continuer à se développer ; ils nient que ce système soit devenu décadent et s’enfonce dans son agonie. Les tenants de l’idéologie alter-mondialiste attribuent la destruction de l’industrie depuis les années 1960 à de mauvais choix politiques et donc à l’idéologie ultra-libérale. Pour eux, comme pour notre trader Alesio Rastani, “c’est Goldman Sachs qui dirige le monde”. Ils luttent donc pour plus d’Etat, plus d’encadrement, plus de politique sociale. Partant de la critique du libéralisme, ils en viennent à nous refourguer une autre camelote tout aussi frelatée, l’étatisme : “Avec plus d’Etat pour encadrer la finance, nous pourrons construire une nouvelle économie, plus sociale et prospère.”
Le “plus d’Etat” ne permet en rien de régler les problèmes économiques du capitalisme. Répétons-le, ce qui mine fondamentalement ce système, c’est sa tendance naturelle à produire plus de marchandises que ses marchés ne peuvent en absorber. Depuis des décennies, il parvient à éviter la paralysie de son économie en écoulant sa surproduction dans un marché créé artificiellement par l’endettement. En d’autres termes, le capitalisme survit à crédit depuis les années 1960. C’est pourquoi aujourd’hui, les particuliers, les entreprises, les banques, les Etats, croulent tous sous une gigantesque montagne de créances et que la récession actuelle est nommée “la crise de la dette”. Or, depuis 2008 et la faillite de Lehman Brothers, que font les Etats, à travers leurs banques centrales, Fed et BCE en tête ? Ils injectent des milliards de dollars pour éviter les faillites. Et d’où viennent ces milliards ? De nouvelles dettes ! Ils ne font donc que déplacer l’endettement privé vers la sphère publique et ainsi préparer de futures faillites d’Etat, comme nous le voyons avec la Grèce dés aujourd’hui. Les bourrasques économiques à venir risquent d’être d’une violence inouïe [4].
“Mais s’il ne règle pas la crise, l’Etat pourrait tout de même nous protéger, être plus social”, nous disent tous les choeurs de la gauche. C’est oublier un peu vite que l’Etat est et a toujours été le pire des patrons. Ainsi, les nationalisations n’ont jamais été une bonne nouvelle pour les travailleurs. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’importante vague de nationalisations avait pour objectif de remettre sur pied l’appareil productif détruit en augmentant les cadences de travail. A l’époque, Thorez, secrétaire général du Parti communiste français et alors vice-président du gouvernement dirigé par De Gaulle, lança à la face de la classe ouvrière en France, et tout particulièrement aux ouvriers des entreprises publiques : “Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront”, ou encore : “Retroussez vos manches pour la reconstruction nationale !”, et : “La grève est l’arme des trusts”. Bienvenu dans le monde merveilleux des entreprises nationalisées ! Il n’y a ici rien d’inattendu ni d’étonnant. Les révolutionnaires communistes ont toujours mis en évidence, depuis l’expérience de la Commune de Paris de 1871, le rôle viscéralement anti-prolétarien de l’État. “L’État moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble.” Friedrich Engels a écrit ces lignes en 1878, ce qui montre que, déjà à l’époque, l’Etat commençait à étendre ses tentacules sur l’ensemble de la société, à saisir d’une poigne de fer la direction de toute l’économie nationale, des entreprises publiques comme des grandes sociétés privées. Depuis lors, le capitalisme d’Etat n’a fait que se renforcer ; chaque bourgeoisie nationale est en rang et au garde-à-vous derrière son Etat pour mener à bien la guerre commerciale internationale sans merci que ce livrent tous les pays.
Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (ou Brics) ont connu ces dernières années un succès économique retentissant. La Chine en particulier est considérée aujourd’hui comme la deuxième puissance économique mondiale, et nombreux sont ceux qui pensent qu’elle ne tardera pas à détrôner les Etats-Unis. Cette réussite flamboyante fait espérer aux économistes que ce groupe de pays pourrait devenir la nouvelle locomotive de l’économie mondiale, comme le furent les Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Dernièrement, face aux risques d’explosions de la Zone euro embourbée dans la crise des dettes souveraines, la Chine a même proposé de renflouer en partie les caisses italiennes. Les altermondialistes voient là une raison de se réjouir : la suprématie américaine de l’ultra-libéralisme étant vécue comme l’un des pires fléaux de ces dernières décennies, la montée en puissance des Brics permettrait l’avènement futur d’un monde plus équilibré et juste. Cet espoir commun de voir les Brics se développer, qu’expriment tous les grands bourgeois et les alter-mondialistes, n’est pas seulement comique, il révèle aussi qu’ils sont tous également profondément attachés au monde capitaliste.
Cet espoir va vite être déçu car il y a dans toute cette affaire de “miracle économique” un air de déjà-vu. L’Argentine et les tigres asiatiques dans les années 1980-1990 ou, plus récemment, l’Irlande, l’Espagne et l’Islande, ont été eux aussi mis en avant, en leur temps, comme des “miracles économiques”. Et comme tout miracle, cela s’est révélé être une supercherie. Tous ces pays devaient leur rapide croissance à un endettement totalement débridé. Ils ont donc connu le même sort : récession et faillite. Il en sera de même pour les Brics. Déjà, les inquiétudes grandissent sur l’endettement réel des provinces chinoises, sur le ralentissement de la croissance et la montée de l’inflation. Le président du fonds souverain China Investment Corp, Gao Xiping, vient d’ailleurs de déclarer : “Nous ne sommes pas des sauveteurs, nous devons nous sauver nous-mêmes”. Nous ne saurions être plus clairs !
Le capitalisme ne peut plus être réformé. Etre réaliste, c’est admettre que seule la révolution peut éviter la catastrophe. Le capitalisme, comme l’esclavagisme et le servage avant lui, est un système d’exploitation condamné à disparaître. Après s’être développé et épanoui durant deux siècle, aux xviiie et xixe siècles, après avoir conquis la planète, le capitalisme est entré en décadence avec fracas en déclenchant la Première Guerre mondiale. La Grande dépression des années 1930 puis l’effroyable boucherie de la Seconde Guerre mondiale sont venues confirmer l’obsolescence de ce système et la nécessité, pour que l’humanité survive, de mettre à bas ce système social moribond. Mais depuis les années 1950, aucune crise aussi violente que celle de 1929 n’a éclaté. La bourgeoisie a appris à limiter les dégâts et à relancer l’économie ; ce qui laisse croire aujourd’hui à certains que la nouvelle crise que nous traversons n’est qu’un énième et nouvel épisode de ces multiples tremblements et que la croissance ne tardera pas à revenir, comme elle le fait depuis 60 ans et plus. En réalité, les récessions successives en 1967, 1970-71, 1974-75, 1991-93, 1997-1998 (en Asie) et 2001-2002 n’ont fait que préparer le drame actuel. En effet, chaque fois, la bourgeoisie n’est parvenue à relancer l’économie mondiale qu’en ouvrant toujours plus grandes les vannes du crédit. Elle n’est jamais parvenue à régler le problème de fond, la surproduction chronique ; elle n’a donc fait que repousser les échéances à coup de dettes et aujourd’hui, le système entier est étouffé sous les créances : tous les secteurs, tous les pays sont surendettés. Cette fuite en avant touche donc à sa fin. Est-ce à dire que l’économie va se bloquer, que tout va s’arrêter ? Evidemment non. La bourgeoisie va continuer à se débattre. Concrètement, aujourd’hui, la classe dominante n’a le choix qu’entre deux politiques qui sont comme la peste et le choléra : austérité draconienne ou relance monétaire. La première mène à la récession violente, la seconde à l’explosion d’une inflation incontrôlable.
Dorénavant, l’alternance de courtes phases récessives et de longues périodes de reprise financées à coups de crédits est une époque définitivement révolue : le chômage va exploser et la misère comme la barbarie vont se répandre de façon dramatique. S’il y aura, de temps à autres, des phases de relance (comme ce fut le cas en 2010), ce ne seront que des “bouffées d’oxygène” de très courte durée auxquelles succéderont de nouveaux cataclysmes économiques. Tous ceux qui prétendent le contraire sont comme ce suicidaire qui, après avoir sauté du haut de l’Empire State Bulding, disait à chaque étage que “jusqu’ici, tout va bien”. N’oublions pas qu’au début de la Grande dépression de 1929, le président américain Hoover affirmait lui-aussi que “la prospérité est au coin de la rue”. La seule véritable incertitude est de savoir comment va s’en sortir l’humanité. Va-t-elle sombrer avec le capitalisme ? Ou va-t-elle être capable de construire un nouveau monde de solidarité et d’entraide, sans classes ni Etat, sans exploitation ni profit ? Comme l’a écrit Friedrich Engels il y a déjà plus d’un siècle : “La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie” ! Les clés de ce futur sont entre les mains de toute la classe ouvrière, de ses luttes unissant travailleurs, chômeurs, retraités et jeunes précaires.
Pawel (29 septembre)
1. Source : www.dailymotion.com/video/xlcg84 [235]
2. Source : www.jacquesbgelinas.com/index_files/Page3236.htm [236]
3. Source : www.abcbourse.com/apprendre/1_vad.html [237]
4. Le “plus d’Europe” ou le “plus de gouvernance mondiale” est évidemment tout autant une impasse : qu’ils soient seuls ou à plusieurs, les Etats n’ont aucune solution réelle et durable. Tout juste leur union permet-elle de ralentir un peu l’avancée de la crise alors que leurs divisions l’accélèrent.
Le mouvement des Indignés est remarquable par la volonté qui l’anime de favoriser partout le débat dans des assemblées générales de rue, et par ce sentiment largement partagé de faire face dans tous les pays aux même attaques, à la même exploitation, à la même misère. Ce n’est pas un hasard si, parti d’Espagne, ce mouvement a gagné la Grèce, Israël et même le Chili !
D’ailleurs, en juillet, en Espagne, de nombreux intervenants avaient mis en avant l’importance de cette extension internationale des luttes et s’étaient interrogés sur les moyens de créer plus de liens et d’unité entre exploités par-delà les frontières. La DRY (Démocratie réelle maintenant), qui essaye depuis le début de noyauter la lutte et les débats pour endiguer toute réflexion trop radicale, contestataire et révolutionnaire à son goût, a alors immédiatement proposé sa vision de la lutte internationale : une “marche pacifiste” à travers l’Europe, de l’Espagne jusqu’à Bruxelles, pour demander aux membres du Parlement européen “la démocratie directe en Europe”, dénoncer “le monopole des technocrates non élus, des oligarchies politiques qui détiennent tous les pouvoirs” et exiger “leur départ” (1).
Cette marche partie de Madrid le 24 juillet, pour une arrivée prévue à Bruxelles le 8 octobre, a fait escale le 17 septembre à Paris. Certains militants du CCI se sont rendus aux rassemblements et débats organisés. L’un d’eux livre ci-dessous son témoignage.
Le samedi 17 septembre, la marche des “Indignés” espagnols, organisée par DRY, est arrivée à Paris. Le rendez-vous du rassemblement censé accueillir les marcheurs était prévu à 18 heures place de la Bastille, où une AG devait également se tenir. Mais à 18 heures 30, il n’y avait toujours aucun signe “d’indignation” devant l’Opéra. Le porte-parole de DRY annonce alors qu’en attendant l’arrivée des marcheurs, ils ont fait venir une fanfare et une petite troupe de théâtre.
Cette fanfare nous a joué un air tout à fait original, mélangeant la Marseillaise avec l’Internationale ! Un badaud qui passait par là a demandé aux musiciens-compositeurs pourquoi ils avaient fait un tel melting-pot avec l’hymne national de la bourgeoisie française et l’hymne révolutionnaire du mouvement ouvrier. Réponse : “Ces deux chants révolutionnaires ne sont plus d’actualité. En attendant de trouver un autre chant révolutionnaire correspondant à la “troisième voie” dont on a besoin aujourd’hui, on a mélangé les deux.”
Autrement dit, pour DRY, il est clair que ce n’est pas la lutte de classe, la révolution prolétarienne mondiale, qui constitue aujourd’hui la seule alternative à la faillite du capitalisme, mais une “troisième voie” : celle de l’union sacrée de tous les “citoyens”, qu’ils soient exploiteurs ou exploités !
Cette “troisième voie” préconisée par les altermondialistes de DRY n’a rien de bien nouveau. C’est celle qui prétend qu’il ne faut pas renverser le capitalisme mais le réformer en semant l’illusion qu’un système basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme pourrait devenir “éthique” si tous les “citoyens” du monde se serraient les coudes pour construire un autre monde : un “capitalisme à visage humain” !
Rien de bien nouveau non plus dans cette ébauche d’un nouvel hymne révolutionnaire. Le métissage de la Marseillaise avec l’Internationale par la fanfare de DRY n’est rien d’autre qu’une resucée de l’idéologie contre-révolutionnaire du parti stalinien français (le PCF) qui, dans ses heures de gloire, avait mêlé le drapeau rouge de l’Internationale avec le drapeau tricolore en embrigadant des dizaines de millions de prolétaires dans la Seconde Guerre mondiale derrière la défense du capital national et de la “patrie du socialisme” (l’URSS).
Rien d’étonnant non plus dans ces propos très “démocratiques” tenus par l’animateur du “débat” de la Bastille : “Ici, c’est la démocratie horizontale. Tout le monde peut s’exprimer et dire tout ce qu’il a sur le cœur sauf… les provocateurs qui viennent ici pour foutre la merde !” (Suivez mon regard, je ne vise personne !).
Qui sont les “fouteurs de merde” ? Ce porte-parole de DRY (mal décrotté du stalinisme) n’a pas osé dire (mais cela va sans dire !) que les “fouteurs de merde” sont bien sûr ceux qui ne sont pas d’accord avec l’idéologie réformiste et la politique de DRY !
L’animateur du “débat” place de la Bastille a également affirmé que ce mouvement des Indignés en Espagne n’est pas un mouvement “anti-système”, mais un mouvement revendiquant un système “qui fonctionne” (avec bien sûr des banques “éthiques” ou “coopératives”).
Rien n’est plus mensonger ! Le mouvement des Indignés en Espagne ne s’est pas limité à son encadrement et sa tentative de récupération par ATTAC et DRY. Il ne s’est pas limité à l’Espagne, mais a surgi également en Grèce par exemple. C’était un mouvement social massif de protestation contre la faillite du capitalisme et donc un mouvement “contre le système”, n’en déplaise à tous les récupérateurs et saboteurs “altermondialistes” de la gauche du capital ! Un mouvement qui a fait écho aux révoltes sociales massives en Tunisie et en Egypte. Un mouvement dont l’onde de choc se répercute aussi en Israël aujourd’hui. De tout cela, les animateurs du “débat” à la Bastille n’ont pas pipé mot !
Lors de son speech au micro, le porte-parole de DRY (dont les propos sentaient à plein nez le programme du parti de gauche de Mélanchon !), nous a encore dit textuellement que “l’indignation doit être l’affaire de TOUS, et pas seulement des pauvres, des chômeurs, etc.” Autrement dit, les “riches citoyens-exploiteurs” sont aujourd’hui conviés par DRY à participer aux AG pour exprimer eux aussi, en tant que “citoyens” et hommes de bonne volonté, “tout ce qu’ils ont sur le cœur” (contrairement aux “provocateurs qui viennent pour foutre la merde”).
Plus grotesque, tu meurs !
La seule “indignation” que nos citoyens-exploiteurs peuvent exprimer, c’est celle de la matraque et de la répression face à “l’indignation” des pauvres, des chômeurs et des exploités ! C’est ce qu’on a vu en Espagne lors de la répression brutale du mouvement au printemps dernier. C’est ce qu’on a vu aussi ce jour-là à Paris où nos bons “citoyens-exploiteurs” ont montré “tout ce qu’ils avaient sur le cœur” en envoyant leurs CRS, leurs matraques et leurs bombes lacrymogènes contre les Indignés tout simplement parce que ces derniers avaient décidé de tenir leur AG devant la Bourse (comme “action symbolique contre les banques”, à Paris comme à New York).
Les bureaucrates de DRY qui dirigent et contrôlent aujourd’hui le mouvement des Indignés savent très bien que la classe des “citoyens”-exploiteurs est incapable de “s’indigner” contre son propre système (et qu’elle ne peut pas renoncer à ses privilèges).
En organisant cette marche de Madrid à Bruxelles (dont l’objectif est d’aller gentiment demander à l’Assemblée européenne de nous accorder une “démocratie réelle maintenant” !), les organisateurs ne font rien d’autre que le sale boulot classique de toutes les forces d’encadrement (partis de gauche et syndicats) au service de la préservation de l’ordre social capitaliste : épuiser la combativité des “indignés”, défouler leur “indignation” et dévoyer leur révolte contre le capitalisme dans une impasse afin de les livrer pieds et poings liés à la répression.
Cette marche européenne des Indignés est une pure mascarade organisée par DRY et destinée à ridiculiser le mouvement : elle s’apparente davantage à une marche de pénitents sur les chemins de Compostelle qu’à une manifestation de protestation contre le capitalisme !
Quant aux informations données par les organisateurs du rassemblement à la Bastille, c’était de la même eau que celles des commentateurs du Tour de France à la télé ! Avec les mêmes trémolos dans la voix, destinés à nous tenir en haleine, les ténors de DRY ont passé leur temps à raconter les différentes étapes de la marche des Indignés vers Bruxelles, la sympathie de la population dans les petits villages qu’on leur a fait traverser (au fin fond de la France profonde) soit disant pour… étendre le mouvement de l’autre côté des Pyrénées et en Europe !
Dans tous les pays du monde, les exploités ressentent de plus en plus ce besoin d’unité et de solidarité internationale, au-delà des frontières. Mais pour que leur indignation se transforme en force motrice capable de construire un autre monde débarrassé des lois barbares du capitalisme, ils devront nécessairement développer tous les lieux de débat et déjouer les pièges de leurs faux amis.
Linus (29 septembre)
1) Source : https://roadtobrussels.blogspot.com/
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La grève des enseignants du 27 septembre a montré au moins une chose : il y a un réel mécontentement dans la classe ouvrière, qui n’est pas prête à accepter tous les sacrifices qu’on lui met sur le dos depuis des années, et dont le rythme ne semble pas prêt de ralentir, période électorale ou pas. Le taux de grévistes a ainsi été très élevé. Le fait que les enseignants du privé se soient joint à ceux du public a beaucoup participé à cette affluence, et constitue aussi un signe de la colère grandissante.
Cependant cette colère a aussi été circonscrite dans le milieu des profs. Car il n’y a pas qu’eux qui ont besoin et envie d’exprimer leur résistance aux attaques incessantes sur leurs conditions de travail et de vie. Tous les secteurs de la classe ouvrière sont touchés, tous contiennent une vraie colère.
C’est d’ailleurs pour cela que le 11 octobre, deux semaines seulement après les enseignants, ce sont tous les autres secteurs qui sont appelés à défiler.
Pourquoi pas tous en même temps, tous le même jour ? C’est l’éternelle question. En séparant certains secteurs, souvent les plus combatifs, du reste de la classe ouvrière, les syndicats rompent l’unité indispensable à tout mouvement social. De plus, la multiplication de “journées d’action”, qui ont émaillé le début de cette décennie et qui continue ce 11 octobre, n’apporte pas grand chose sinon la sensation de faire grève pour rien. Une action stérile dont la répétition conduit au sentiment d’impuissance, à l’épuisement, au découragement.
Ceux qui sont à l’origine de ces mouvements et mobilisations, les syndicats, sont-ils idiots au point de ne pas s’en rendre compte ? Certainement pas. Ils maîtrisent au contraire parfaitement leur sujet (il faut dire qu’ils ont de l’entraînement !). Ils savent parfaitement que face aux salves d’attaques dont elle est la victime, la victoire de la classe ouvrière passe par une riposte massive et unie. Mais leur objectif n’est pas la victoire de la classe ouvrière, c’est la victoire de la bourgeoisie. Et en baladant les ouvriers dans des grèves répétées et sans lendemain, et parfois corporatiste, ils parviennent pour le moment à laisser échapper la pression ouvrière sans risquer d’être dépassés.
La période électorale est aussi un moment pour la bourgeoisie de développer son discours démocratique (exprimez vous dans les urnes, pas dans la rue !) et les illusions de l’alternance. Beaucoup d’ouvriers sont excédés par la méthode de Sarkozy et espèrent que sa défaite face à la gauche pourra changer la donne. C’est une illusion car on a déjà pu vérifier la capacité de la gauche à attaquer la classe ouvrière. Et la situation économique est telle que la bourgeoisie n’a objectivement pas d’autre solution que de s’en prendre à la force de travail. Certes, si la gauche arrive au pouvoir en 2012, elle n’appliquera pas la même méthode que Sarkozy. Il est unique, grand bien lui fasse ! Mais n’ayons pas le moindre doute sur une chose : les attaques au final seront les mêmes, quel que soit le discours qui les accompagnera. D’ailleurs, nos frères de classe en Grèce et en Espagne sont depuis des mois dans la rue pour faire face aux mêmes attaques, à la même dégradation brutale des conditions de vie, aux mêmes mesures d’austérités prises là-bas par des gouvernements… socialistes !
La classe ouvrière a tout à perdre en accordant sa confiance aux syndicats et aux partis bourgeois. Mais alors, comment réagir ?
Il faut prendre ses luttes en main. Développer les assemblées générales, y discuter et y mettre en oeuvre des décisions collectives, des mandats vérifiables et vérifiés. Faire confiance oui, mais en nous-mêmes et seulement en nous-mêmes, en tant que classe unie autour d’une situation sociale commune et d’intérêts fondamentaux communs. Ce n’est pas quelque chose d’infaisable, une mission trop importante. Il y a un an, lors du mouvement sur les retraites en France, des initiatives autonomes ont vu le jour. Des assemblées générales interprofessionnelles, non syndicales, animées de vrais débats libres (parfois au mégaphone en fin de manif), ont été organisées par les manifestants eux-mêmes. A Toulouse, le slogan “Libérons la parole” de la CNT-AIT a été repris par plusieurs dizaines de personnes qui ont effectivement pris leur lutte en main et ont poussé à la discussion la plus large possible sur “Comment lutter ? Comment nous organiser ? Comment nous unir ?”. Même si elles ont gardé un caractère minoritaire, leur capacité à réunir, à déjouer les pièges des syndicats et des gauchistes qui ont tenté de les noyauter, et le fait même que les syndicats et les gauchistes aient tenté de les saboter, sont autant de signes qu’il s’agit là de la bonne réponse face aux attaques.
Et ce qui s’est passé en France à petite échelle lors du mouvement contre les retraites en 2010 a pris une toute autre ampleur les mois suivants en Espagne, en Israël et ailleurs, lors du mouvement des Indignés. Là, ce sont par milliers que les travailleurs et les chômeurs, les jeunes précaires et les retraités ont tenu des assemblées générales massives de rue. Et ce n’est là qu’un début, car la dynamique internationale de notre classe est clairement vers la massification de ses luttes prises en main par les travailleurs eux-mêmes. C’est en poursuivant sur ce chemin que petit à petit, la classe ouvrière trouvera les moyens et la force de repousser la bourgeoisie et de réfléchir à ses propres solutions à la crise du système.
GD (30 septembre)
Si l’été n’a pas été très ensoleillé cette année, il y a eu tout de même de beaux feux d’artifice… d’affaires politico-judicaires qui ont éclaboussé l’UMP comme le PS. Et le spectateur de s’écrier : “Oh ! la belle bleue… oh ! la belle rose…”
Cette rentrée de septembre 2011 est aussi dominée par les scandales à feuilletons et les coups-bas. Il y en a pour tous les goûts. Un véritable spectacle décadent fait d’orgie, de corruption et de coups de poignard dans le dos. Toutes ressemblance avec la fin de règne des maîtres de la Rome antique n’est absolument pas fortuite !
A notre gauche, c’est “OK Corral” : “je te flingue, tu me flingues”. Pour se faire mousser avant les primaires socialistes, Arnaud Montebourg – rejoint par Ségolène Royal – a joué les Monsieur Propre en sortant de son chapeau un rapport sur les pratiques mafieuses du socialiste Guérini. Il n’y a là aucune révélation, aucun scoop puisque la corruption ambiante et la voyoucratie au sein du PS dans le sud-est de la France sont ultra-connues depuis Gaston Defferre (patron du PS marseillais, maire de la ville phocéenne et ami intime des gangsters et de la “French Connection” de l’après-guerre aux années 1980). Mais en réalité, Montebourg visait là une autre cible : cette affaire lui a aussi permis de pointer du doigt la responsable nationale du PS, Martine Aubry. Sentant le piège, celle-ci a répondu : “Il n’y a rien dans ce rapport. Pas un élément concret, précis, pas un fait.” Autrement dit, “circulez, il n’y a rien à voir”. Cet affrontement larvé a alimenté d’autant plus les dissensions que ce parti est de plus en plus éclaté.
Pour ce qui est de DSK, saigné comme un poulet sur l’autel des magouilles politiciennes, bien qu’on ne sache pas qui a porté le coup mortel, il est de plus en plus certain qu’il a été l’objet d’une attention particulière ; autrement dit, coupable ou pas d’agressions sexuelles, que ce soit à New-York, au FMI ou à Paris, il était attendu au tournant. Ses mœurs sordides auraient pu être passées une nouvelle fois sous silence, comme c’est d’ailleurs le cas en permanence pour tant d’autres puissants de ce monde, mais cette fois certains ont au contraire décidé de faire le maximum de bruit et de publicité pour le dégommer. Qui ? L’histoire le dira peut-être.
A notre droite, cela vaut aussi son pesant de “Terminator” en 3D et en blueray. L’omniprésident Sarkozy, malgré tous ses récents efforts pour se donner une stature internationale et au-dessus de la mêlée des “connards” (1) de l’UMP, voit se resserrer un étau implacable sur nombre d’aspects de son activité politique passée et présente qui le ramène irrésistiblement dans ses talonnettes hexagonales. On a pour se mettre en appétit la suite de l’affaire Woerth-Bettencourt et les enveloppes distribuées gracieusement à Nicolas Sarkozy en personne par une femme vieillissante perdant prétendument la tête, pour payer la campagne électorale présidentielle sarkozyenne de 2007. Suivent à présent les valises de billets qui ont servi à financer la campagne de Balladur : celles-ci ne venait pas de Neuilly mais de Karachi en 1995 ! Ces valises ont été ramenées par un intermédiaire professionnel de vente d’armes, Takieddine, qui les refilait via la Suisse à l’ami (et témoin de son mariage avec Carla) de Sarkozy, Nicolas Bazire. Résultat tragique de ce tripatouillage, il est hautement probable que l’ISI (2) pakistanaise a fait sauter 14 personnes en 2002 (dont 11 Français) pour d’obscures raisons d’accords de ventes d’armes et de dessous de table. Dans cette sombre affaire de ventes de sous-marins, où il n’y a de clair que les tripatouillages en tous genres, sont impliqués non seulement Sarkozy mais aussi Balladur, de Villepin et bien sûr Chirac. Lequel est atteint “d’anosognosie”, de pertes de mémoires, ce qui lui a permis d’éviter un procès dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Mais ces trous de mémoires, apparemment très sélectifs, ne l’ont pas empêché de démentir ces accusations de valises pleines d’argent circulant au sein de la droite ; il se souvient là très bien qu’il n’en a jamais vu ni même jamais entendu parlé ! D’ailleurs, cet homme qu’on nous présente presque gâteux va participer en décembre à un colloque sur sa “politique extérieure” à Sciences Po ! Il faut croire qu’il sera alors guéri.
Que Chirac et Sarkozy sont ennemis, c’est une certitude. Mais une autre chose est certaine : ils emploient les mêmes procédés crapuleux, en particulier en Afrique où, décidément, contrairement aux promesses, la fin de la Françafrique n’est pas pour demain. Les déclarations fracassantes de M. Bourgi, autre porteur de valises mais en provenance d’Afrique cette fois-ci (et à l’en croire pour le compte de Chirac et de Villepin), n’ont fait que renvoyer dos à dos les politiques africaines de Chirac et de Sarkozy, comme elles ont rappelé celle de Mitterrand et de la gauche en leur temps.
Enfin, n’omettons pas Christine Lagarde, toute fraîche présidente du FMI (parce qu’elle parle anglais) qui traîne l’affaire Tapie/Crédit lyonnais comme un boulet. Elle se dit victime d’un acharnement injuste. Après tout, elle n’a “que” pesé de tout son poids, quand elle était ministre de l’Economie, en faveur d’un “arrangement” (litigieux certes) permettant à “Nanard” d’être quelque peu “dédommagé” (en palpant 45 millions d’euros !).
La liste de tous ces déballages, de toutes ces affaires plus scabreuses les unes que les autres, pourrait être infinie. Aujourd’hui, on ne sait plus qui balance qui, tellement ses affaires sont douteuses. Comme dit Hortefeux : “ça balance” dans tous les commissariats. A propos de commissariats, la dernière affaire à la Une est elle-aussi très révélatrice de la décomposition qui touche toutes les hautes sphères de l’Etat : cette fois-ci, c’est un membre éminent de la Police judiciaire de Lyon, donc un représentant et défenseur appointé de “l’ordre” bourgeois, qui est mis en examen avec d’autres collègues et magistrats pour des faits de corruption “sans précédent connu” (3) en France. Depuis 20 ans, au vu et au su de tous, les grands patrons de la police lyonnaise fricotait avec la mafia, en touchant au fric facile, à la drogue dure, aux belles voitures et aux femmes de petite vertu.
Chaque affaire semble en révéler une autre, à la façon des poupées gigognes, mais sans qu’il y ait là de fin. Dans le capitalisme, comme le dit la chanson du chanteur Mano Solo, “Il y a toujours plus profond que le fond.”
Ces innombrables affaires judiciaires, bien qu’elles soient écœurantes voire révoltantes, ne doivent pas nous étonner. L’effet “règlement de comptes” pour gagner la campagne électorale à tout prix et ainsi “aller à la soupe”, selon l’expression consacrée, y est certes pour beaucoup. Mais cela révèle aussi un mal beaucoup plus profond. Pour preuve, il ne s’agit pas d’un phénomène franco-français, il est généralisé à tous les Etats du monde, petits ou grands. Il suffit de passer les Alpes et de se rendre dans l’Italie de Berlusconi pour s’en rendre compte. L’image des ces “républiques bananières” dont se moquaient les beaux esprits de la classe dominante est en fait leur propre reflet. Elle est l’expression d’une bourgeoisie dont le mode de fonctionnement fondamental et le credo sont l’exploitation et l’appât du gain, la quête permanente et fébrile du profit, par n’importe quel moyen. Le vol et la spoliation, le meurtre individuel ou de masse, la corruption, le mensonge, la menace constante et la répression forment les moindres outils de cette classe dont le mot d’ordre préféré est : “L’homme est un loup pour l’homme.” Donc, mort aux plus faibles et aux plus démunis ! Et c’est ce qu’elle fait, contre la classe ouvrière et contre les classes non exploiteuses, mais aussi en son sein. Ce qui est significatif en revanche des “affaires” qui explosent avec une telle virulence aujourd’hui, c’est qu’elles témoignent d’un nouvel enfoncement dans la décomposition du capitalisme, auquel l’aggravation de la crise économique ne peut être étrangère. D’ailleurs, c’est justement cette absence d’avenir du système capitaliste qui renforce le chacun pour soi au sein de la classe dominante. “Sauve qui peut et Dieu pour tous !” est sa nouvelle maxime. Même si, sous de nombreux aspects, cette litanie permanente de scandales permet d’occuper le gogo et les rédactions des journaux, on ne peut qu’être frappé par le sentiment de dégoût que tout cela provoque.
Il reviendra à la lutte de la classe ouvrière de transformer ce dégoût en une force capable de balayer tous ces malfrats et de renverser ce système capitaliste en pleine déliquescence.
Wilma (30 septembre)
1) Propos de Sarkozy lui-même cité dans le Canard enchaîné du 28 septembre 2011.
2) Service de renseignement pakistanais, véritable Etat dans l’Etat, à l’origine de la création des groupes talibans pour lutter contre l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979.
3) Jean-Marc Berlière, historien de la police (interviewé par atlantico.fr)
Le texte ci-dessous s’appuie en grande partie sur un article [240] d’Internacionalismo, organe de presse du CCI au Venezuela, publié sur notre site en espagnol cet été. Les faits que nous rapportent ici nos camarades montrent une nouvelle fois que dans tous les pays la même crise économique et les mêmes mesures d’austérité font rage. Les fractions au pouvoir peuvent bien se prétendent “libérales”, “progressistes” ou “révolutionnaires”, le même capitalisme sauvage et barbare attaque les travailleurs aux quatre coins du globe.
L’Etat de Chavez nie en bloc l’existence de la crise économique au Venezuela, mais cela n’empêche pas la dure réalité d’y frapper impitoyablement la population. La politique “socialiste” menée dans ce pays ne fait pas moins de dégâts que le “libéralisme” américain. Et il n’y a là rien d’étonnant puisqu’il s’agit en réalité, dans les deux cas, du même capitalisme d’Etat ; seul le masque change. Au Venezuela, le capitalisme d’Etat est seulement plus caricatural qu’ailleurs et… moins performant puisqu’il réussit le tour de force d’affaiblir autant le capitalisme privé que le capital étatique.
Le pays doit aujourd’hui importer pratiquement tous les biens de consommation courante, ce qui est assez paradoxale pour un pays qui prétend développer une “révolution” continentale en exportant son label “Socialisme du xxie siècle”. Mais il y a encore plus ironique : pour la galerie, Chavez mène des affrontements permanents avec les Etats-Unis désignés comme le grand Satan capitaliste mais, dans les coulisses, les deux Etats entretiennent des liens économiques très étroits. Les Etats-Unis sont ainsi le principal client commercial du Venezuela (1).
Les chiffres officiels eux-mêmes et ceux de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine) et du FMI, sont tous obligés de reconnaître la gravité de la crise économique du pays : le Venezuela et Haïti (l’un des pays les plus pauvres au monde !) ont été les seuls d’Amérique latine et des Caraïbes à ne pas avoir eu de croissance en 2010. Il s’agit même pour le Venezuela de la troisième année de décroissance du PIB. Le pays a l’inflation la plus élevée de la région et une des plus élevées du monde : pour chacune des trois dernières années, elle a été de 27 % en moyenne et on estime que, pour 2011, elle dépassera 28 %. Voilà des taux d’inflation qui transforment en “sel et eau” les salaires et les pensions des travailleurs, ainsi que les aides que l’Etat octroie par le biais des plans sociaux !
Evidemment, le Venezuela subit là la crise économique mondiale. Mais les mesures prises par Chavez n’ont rien à envier à celles des droites les plus “dures et réactionnaires” de la planète :
Les revenus pétroliers, qui ont portant augmenté considérablement en 2011 suite à la crise libyenne, ne sont pas suffisants pour assouvir la voracité de l’Etat ; ils se volatilisent dans des budgets “alternatifs” au budget national, manipulés directement et de façon arbitraire par l’Exécutif (avec l’excuse de rendre plus agile “l’investissement social”). Voilà une forme de gestion du régime qui a facilité la création d’un vaste réseau de corruption qui embrasse plusieurs niveaux de fonctionnaires publics et militaires.
Alors qu’une bonne partie des travailleurs survit avec tout juste un peu plus du salaire minimum (équivalent à 150 $ par mois), la haute bureaucratie de l’État, autant civile que militaire, touche de très hauts salaires et “profits” pour ainsi garantir sa loyauté au régime.
Les dépenses militaires ont continué d’augmenter, avec l’excuse de contrer la menace d’invasion de “l’impérialisme yankee” pour s’emparer des ressources énergétiques.
Et comme les autres économies du monde, le Venezuela voit l’endettement de l’État exploser. Cette dette de 150 milliards de dollars, un peu plus du 40 % du PIB, est aujourd’hui encore gérable mais les experts en économie signalent que si elle continue d’augmenter au rythme actuel, il y a un risque de défaut de paiement (impossibilité de rembourser le service de la dette) dans les trois ans ! Ainsi, le Venezuela pourrait se retrouver dans une situation identique à celle de la Grèce, situation qui a exigé le secours de l’Union européenne et entraîné une politique d’austérité inouïe.
Voici la réalité de la politique “socialiste” de Chavez :
– dévaluation du bolivar [monnaie nationale] de 65 % en janvier 2011, après une autre de 100 % au début de 2010 ;
– agression permanente contre les salaires et les aides sociales ;
– réduction drastique des plans d’alimentation et de santé ;
– augmentation des tarifs électriques avec la justification de stopper “le gaspillage d’électricité”, ce qui va affecter dramatiquement le coût de la vie ;
– augmentation des prix de l’essence, de la TVA et divers autres impôts.
A cause de l’inflation, les salaires ont souffert d’une forte détérioration. D’après la CEPAL et l’Organisation internationale du travail (OIT), les salaires des travailleurs vénézuéliens sont tombés, en termes réels, de plus de 8 % le premier trimestre de cette année par rapport à la même période en 2010. Comme dans beaucoup d’autres pays, l’emploi précaire n’a fait qu’augmenter autant dans le public que dans le privé : selon une étude récente réalisée par l’Université catholique “Andrés-Bello”, 82,6 % de la force de travail vénézuélienne a un emploi précaire. Bref, malgré la détermination du régime chaviste à maquiller les chiffres, la réalité est que la pauvreté continue de s’aggraver.
Au niveau social, même les “Missions”, ces plans sociaux inventés par le chavisme pour essayer de faire croire aux “conquêtes du socialisme” en distribuant des miettes aux secteurs le plus paupérisés, ont été réduits. Aujourd’hui, les plans de santé, d’éducation, de distribution d’aliments, etc., sont en train d’être abandonnés ou sont très affaiblis. C’est un fait que la totalité des services publics se dégrade à grande vitesse. Voilà une réalité qui vient s’ajouter à la pénurie quasi permanente de plusieurs produits alimentaires de base, à l’augmentation constante des prix alimentaires et des produits de première nécessité.
Le plus révoltant est sans nul doute le fait que, comme toujours sous le capitalisme, cette terrible réalité quotidienne est subie par les prolétaires et les secteurs les plus pauvres alors que les grands caciques du régime et leurs proches vivent dans la plus grande opulence. Toute ressemblance avec certains pays arabes ou africains n’est pas du tout fortuite !
Mais il y a quelques rayons de soleil qui percent les nuages et qui sont source d’espérance pour l’avenir. Le prolétariat au Venezuela participe lui-aussi à la poussée, lente mais perceptible, de la combativité à l’échelle internationale. La bourgeoise vénézuélienne ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a suspendu temporairement une grande partie de ses attaques après avoir vu les travailleurs se dresser en Bolivie. En effet, en décembre dernier, dans cet autre pays d’Amérique latine, le gouvernement d’Evo Morales, après avoir décrété l’augmentation du prix de l’essence, a dû revenir en arrière face à l’ampleur des protestations qui ont mis à mal sa popularité.
Au Venezuela, le prolétariat de l’industrie pétrolière, qui avait subi un dur contrecoup avec le licenciement de presque 20 000 employés en 2003, a mené des mobilisations contre le non-respect de la convention collective. Il y a eu aussi des mobilisations des employés publics, dans le secteur de la santé et de l’administration centrale, pour exiger des augmentations de salaire et des améliorations des conditions de travail.
Plus importantes encore sont les luttes menées depuis plus de deux ans par les ouvriers de la Zone du fer dans la Guyane vénézuélienne, au Sud du pays, région où se concentrent une vingtaine d’entreprises de l’industrie lourde d’Etat et plus de 100 000 travailleurs. Pour essayer de mystifier les travailleurs de cette zone et dévoyer leur combativité, le gouvernement a essayé de mettre en place plusieurs schémas de production “socialiste” : après avoir essayé “l’autogestion” dans l’ALCAS (entreprise productrice d’aluminium), et avoir nationalisé la sidérurgique Sidor, il essaye maintenant d’introduire le “contrôle ouvrier” de la production.
Tout cela montre l’augmentation significative des protestations sociales en 2011 qui, sans le moindre doute, vont dépasser les 3000 actes de protestation comptabilisées en 2010, qui avaient pourtant elles-mêmes déjà battu tous les records des années précédentes. Ceci entraîne une importante érosion dans le soutien à Chavez, étant donné que ces protestations ont surtout lieu au sein des couches les plus appauvries, qui étaient la base principale de soutien de ce régime. Un exemple récent et dramatique de ces protestations a été celle des familles des prisonniers de plusieurs prisons du pays, qui ont été impitoyablement réprimées par les forces de l’Etat lorsqu’elles ont manifesté contre l’entassement des prisonniers et la répression au sein même des établissement. La barbarie que l’on vit dans les prisons n’est que l’extension de celle que l’on vit, quotidiennement, dans le pays tout entier, surtout dans les quartiers pauvres. Ce pays cumule plus de 140 000 assassinats durant les 12 années de “révolution bolivarienne”. Et Chavez, avec un aplomb indécent, ose appeler tout cela la “jolie révolution” !
Les luttes et les mobilisations menées par le prolétariat sont le meilleur démenti à la prétendue “révolution” que dirigent les nouvelles élites bourgeoises qui gouvernent le Venezuela. Seule la résistance des travailleurs contre les attaques de l’État, dans la défense de leurs conditions de vie, en se basant sur des assemblées qui tendent à unifier les travailleurs de différents secteurs, pourront devenir une référence pour ces masses paupérisées qui commencent déjà à perdre leurs illusions sur les propositions des chavistes comme de l’opposition.
Et ainsi, ces mouvements s’inscriront dans le sillon ouvert par les prolétaires et les masses exploitées d’Afrique du Nord, de Grèce ou d’Espagne, avec le mouvement des “Indignés”.
D’après Internacionalismo (30 juillet)
1) Les exportations aux Etats-Unis ont même augmenté de 27,7 % pendant le premier trimestre 2011 par rapport à la même période de 2010. Elles représentent aujourd’hui 49 % du total des exportations du Venezuela.
Notre camarade Claude est décédée en juillet 2011 d’insuffisance respiratoire, à l’âge de 60 ans.
C’est dans les années 1970 qu’elle avait fait ses premières expériences politiques, dans l’ambiance agitée de la période post-68 à l’université de Vincennes où elle milite d’abord dans les rangs de la LCR. Comme beaucoup d’étudiants de cette université, déjà à l’époque, elle doit occuper successivement différents emplois temporaires pour subvenir à ses besoins en même temps qu’elle effectue des études de psychologie. C’est en compagnie d’autres étudiants, notamment en provenance de cette université, qu’elle participe à un groupe de discussions politiques et qu’elle découvre les positions du CCI, les discute et les approfondit jusqu’au moment où elle décide de rompre avec le trotskisme et la LCR. Elle rejoint alors le CCI en septembre 1975, en même temps que l’essentiel des éléments du groupe de discussion en question. Elle militera dans la section en France du CCI jusqu’en 1990, les deux années précédentes ayant été celles d’un relatif isolement de sa part vis-à-vis de l’organisation, alors qu’elle avait déménagé dans l’île de la Réunion.
Lorsqu’elle décide de revenir vivre en métropole, en 1992, c’est en partie afin de pouvoir être associée de plus près aux activités du CCI. Après toute une période de galère, lorsqu’elle se réinstalle en France, elle participe à certaines activités (d’intervention en particulier) aux côtés du CCI, puis se pose alors à elle la question de réintégrer les rangs de notre organisation et des discussions ont lieu en ce sens. Elle hésite cependant à franchir le pas, en raison en particulier de la dégradation rapide de son état de santé qui la handicape, physiquement et moralement. De ce fait, en dépit d’une implication croissante et d’un engagement sans faille à nos côtés et bien que sachant qu’elle était la bienvenue en notre sein, elle ne pourra jamais formellement redevenir membre de notre organisation.
Quoi qu’il en soit, depuis que nous la côtoyons soit comme membre, soit en tant que très proche sympathisante, nous pouvons témoigner de son très grand attachement au combat de la classe ouvrière, à la révolution et au CCI, comme en avait attesté son soutien à notre organisation dans des combats politiques à la fin des années 1990-début des années 2000. C’est donc à une militante convaincue et dévouée de la cause du prolétariat à qui nous rendons aujourd’hui hommage.
Nous avons bien sûr des souvenirs concernant la militante et la femme de cœur qu’elle était, spontanée, vive, intelligente, dotée d’une très grande générosité et d’une profonde sensibilité, n’hésitant jamais à rendre service de façon désintéressée.
Dans la vie de l’organisation, lorsque la camarade était persuadée de quelque chose, elle ne le gardait pas pour elle et pouvait même faire preuve d’une certaine opiniâtreté dans la défense de ses idées, surtout dans une première période de sa vie militante. Ce qui ne l’a pas empêchée d’apprendre à écouter, de savoir enrichir son point de vue grâce à la discussion. Elle a aussi bien sûr participé en notre sein à des combats politiques d’une certaine âpreté mais n’en a pas pour autant nourri de rancunes envers qui que ce soit.
Ce qui a le plus frappé certains d’entre nous, qui ont souvent eu l’occasion d’intervenir à ses côtés dans des manifestations, c’est sa capacité à établir le contact pour susciter la discussion parmi les ouvriers, dans des contextes parfois difficiles d’indifférence ou d’hostilité. Il lui arrivait ainsi, maintes fois, de poursuivre la discussion avec de petits groupes jusqu’à la fin de la manifestation tout en diffusant notre presse. Elle savait se mettre à la place de l’autre et trouver les mots simples et convaincants qui interpellent et accrochent, sans rien concéder à ses convictions. Personne n’était indifférent à la chaleur humaine qui enveloppait ses paroles. La camarade était connue pour sa très grande sensibilité humaine, parfois exacerbée.
Toutes ces qualités ne sont pas passées inaperçues de ses proches parmi lesquels figuraient des militants bien sûr, mais aussi des membres de sa famille, des collègues et des amis, envers lesquels elle a toujours manifesté une fidélité à toute épreuve et une grande loyauté.
A ceux-là, nous nous joignons pour t’adresser un dernier salut, Claude. Tu laisses dans nos cœurs un grand vide et nous conserverons de toi une magnifique image.
CCI
La première partie [241] de cet article, consacrée à l’étude du rapport de l’Homme à la nature, montrait que “L’espèce humaine a toujours été amenée pour vivre à transformer la nature. Mais le Capital pose aujourd’hui un nouveau problème : ce système ne produit pas pour satisfaire les besoins de l’humanité mais pour le profit.”
Cette seconde partie aborde le rôle qu’a joué le charbon, le pétrole puis le nucléaire sous l’ère capitaliste et s’interroge sur la place de l’énergie dans la société future.
La révolution industrielle a aussi été une révolution de l’énergie, ce qui a permis à la société d’aller au-delà des frontières imposées par “l’économie organique” qui la cantonnait à la croissance saisonnière des ressources d’énergie naturelles pour assouvir la plupart de ses besoins. L’utilisation principale du charbon allait de pair avec les changements du mode de production et l’émergence de la bourgeoisie.
Dans l’économie organique qui a prédominé depuis la révolution néolithique jusqu’à l’adoption à grande échelle du charbon, la puissance humaine et animale ainsi que celle du bois furent les principales sources d’énergie. En 1561-70, elles représentaient respectivement 22,8 %, 32,4 % et 33 % de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. Le vent et l’énergie hydraulique faisaient tout juste plus de 1 % combinés ensemble alors que le charbon comptait pour 10,6 %.
L’abondance du bois en Europe lui donna un avantage sur les sociétés où il était rare, mais le développement de la production épuisa ces ressources et enraya la croissance. Ainsi en 1717, un haut-fourneau du Pays de Galles n’était pas allumé depuis quatre ans après sa construction que le bois et le charbon venaient déjà à manquer. Avant le xviiie siècle, il a été calculé qu’un haut-fourneau standard travaillant deux ans sans interruption exigeait la coupe de 2000 hectares de forêt.
En Galles du Sud, bien connu pour ses mines de charbon, les premières étapes de la révolution industrielle ont témoigné du développement des aciéries et ont conduit à la déforestation de vallées qui étaient autrefois densément boisées. La croissance de la demande en bois amena des augmentations de prix et des famines. Dans certaines parties de France, il n’y avait pas assez de bois pour les fours à pain et, dans d’autres, il est raconté que “les pauvres vivaient sans feu”.
Les limites à la production imposée par l’économie organique ne peuvent être considérées qu’en calculant la quantité de troncs qui aurait été nécessaire pour réaliser une consommation conséquente d’énergie à partir du charbon. Le bois n’est pas une source d’énergie aussi efficace que le charbon, car deux tonnes de bois sont nécessaires pour produire la même énergie qu’une tonne de charbon. Une acre de bois (0,4 hectare) peut produire environ l’énergie équivalente d’une tonne de charbon en un an. En 1750, 4 515 000 tonnes de charbon ont été extraites en Angleterre et au Pays de Galles. Pour produire la somme équivalente d’énergie, utiliser le bois aurait demandé 13 045 000 tonnes, c’est-à-dire 35 % de la surface boisée (11,2 millions d’acres). Un demi-siècle plus tard, la production avait atteint 65 050 000 tonnes, ce qui revient à pas moins de 150 % de la même surface (48,1 millions d’acres).
Une des clés de la domination britannique sur le monde a été qu’elle avait des réserves de charbon qui étaient accessibles en utilisant la technologie existante. Cela a pu créer l’impulsion pour développer les moyens de production afin de permettre l’extraction de charbon à des niveaux plus profonds.
Avant l’utilisation à grande échelle du charbon, l’énergie utilisable était essentiellement déterminée par la quantité d’énergie solaire déterminant la croissance des plantes et donc la quantité de nourriture et de bois. Ce cycle naturel semblait imposer une limite insurmontable. La pauvreté et la misère généralisée semblaient éternelles, inaltérables, une donné de la vie. L’extraction à grande échelle du charbon et aussi du pétrole a brisé cette barrière.
L’avancée de la révolution industrielle est souvent mesurée en tonnes de minerai de charbon, en tonnes d’acier produites et en kilomètres de chemin de fer posés. Mais elle peut aussi être mesurée par l’augmentation de l’énergie utilisée. En 1560, le charbon comptait pour à peine plus de 10,6 % de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. En 1850, il compte pour 92 %. Durant cette période, la consommation d’énergie fut multipliée par 28 !
L’industrie du pétrole s’est développée graduellement pendant le xxe siècle. En 1929, le commerce du pétrole avait augmenté de 1,170 million de dollars, les principaux exportateurs étant les Etats-Unis, le Venezuela et les Antilles néerlandaises, bien que des raffineries aient aussi été établies au Barheïn et en Arabie Saoudite par les Etats-Unis, en Irak et au Liban par des entreprises britanniques et européennes.
Cependant, ce fut seulement après la Seconde Guerre mondiale que le pétrole est devenu la production d’énergie dominante, comptant pour 46,1 % de la production mondiale d’énergie en 1973, bien qu’il soit descendu en 2008 à 33,2 %.
L’utilisation croissante de l’énergie a été un trait marquant de l’industrialisation partout dans le monde. Elle exprime non seulement la poussée de l’échelle de la production et l’impact de la croissance de la population, mais aussi le développement de la productivité. Entre 1973 et 2008, la consommation totale d’énergie a augmenté de 80 %.
La révolution en forme et en quantité d’énergie offerte à l’humanité a dopé la révolution industrielle et a ouvert la porte à la possibilité de passer du règne de la volonté à celui de l’abondance. Mais cette révolution a été conduite par le développement du capitalisme dont le but n’est pas la satisfaction des besoins humains mais la croissance du capital sur la base de l’appropriation de la plus-value produite par une classe ouvrière exploitée.
Le capitalisme n’a pas d’autre critère pour utiliser l’énergie, pour détruire les ressources finies, que celui du coût de production qu’il représente. L’augmentation de la productivité pousse à exiger plus d’énergie, aussi les capitalistes (autres que ceux impliqués dans l’industrie du pétrole) sont amenés à essayer de réduire le coût de cette énergie. D’un côté, ceci conduit à une utilisation prolifique de cette énergie à des fins irrationnelles, telles que le transport des mêmes marchandises en tous sens à travers le monde, et à la multiplication sans fin de marchandises qui ne représentent aucun besoin humain mais servent uniquement de moyens pour extraire et réaliser la plus-value. De l’autre, ceci conduit à ce que des millions d’êtres humains ne puissent accéder à cette ressource et à ces produits parce qu’ils ne présentent pas assez d’intérêt financier pour les capitalistes. Cela s’illustre au Niger où Shell pompe des milliards de dollars de pétrole alors que la population locale en est privée ou bien risque sa vie pour en prendre illégalement dans les pipelines. Le prix est aussi payé par ceux qui travaillent dans les industries énergétiques et dont l’organisme est miné ou empoisonné par l’environnement dans lequel ils vivent, des eaux toxiques polluées de la Tamise qui ont caractérisé le xixe siècle à Londres jusqu’au réchauffement de la planète qui menace aujourd’hui le futur de l’humanité.
La possibilité d’utiliser la fission ou la fusion nucléaires pour produire de l’énergie est connue depuis environ un siècle, mais c’est seulement après la Seconde Guerre mondiale qu’elle a pu être menée à bien.
L’après-guerre est dominé par la rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS, et la course aux armements. Cependant, le développement de l’énergie nucléaire n’est pas seulement inextricablement lié à celui des armes nucléaires.
Au début des années 1950, le gouvernement américain était inquiet de la réaction du public au danger de l’arsenal nucléaire qu’il avait mis en oeuvre et à la stratégie de la “première frappe” qui avait été proposée. Sa réponse fut d’organiser une campagne connue sous le nom d’Opération Candor pour gagner l’opinion grâce à des messages dans les médias (y compris des bandes dessinées) et par une série de discours du président Eisenhower qui ont culminé dans l’annonce à l’assemblée générale de l’ONU du programme “des Atomes pour la paix” pour “encourager l’investigation au niveau mondial de l’utilisation la plus efficace en temps de paix des matériaux fissibles”. Le plan incluait une information et des ressources partagées, avec les Etats-Unis comme l’URSS, créant de façon conjointe un stock de matériau fissible. Dans les années qui ont suivi la course aux armements, des armes nucléaires se sont répandues chez d’autres puissances, souvent sous le prétexte de développer un programme civil nucléaire, comme en Israël et en Inde. Les premiers réacteurs produisaient de grandes quantités de matériel pour les armes nucléaires et une petite quantité pour une électricité très dépensière. Le partage de la connaissance en matière de nucléaire fit alors partie des luttes impérialistes au niveau mondial ; ainsi, à la fin des années 1950, la Grande-Bretagne soutint secrètement Israël avec de l’eau lourde pour le réacteur construit grâce à l’assistance française. En dépit des discours sur “cette énergie moins chère”, la puissance nucléaire n’a jamais rempli cette promesse et a eu besoin du soutien de l’Etat pour couvrir son coût réel. Là où des compagnies privées construisent et dirigent des usines, il existe habituellement des subsides ouverts ou cachés. Par exemple, la privatisation de l’industrie nucléaire en Grande-Bretagne a avorté lorsque Thatcher dans les années 1980 l’a attaquée parce que le capital privé reconnaissait qu’il y avait des risques et des coûts non quantifiables. Ce n’est qu’en 1996, alors que les vieux réacteurs Magnox, qui avaient déjà besoin d’être mis au rancart, ont été exclus de l’accord, que les investisseurs privés avaient préparé un contrat pour acheter British Energy à un prix cassé de 2 milliards de livres. Six ans plus tard, la compagnie devait être cautionnée d’un prêt du gouvernement de 10 milliards de livres.
Alors que les avocats du nucléaire arguent aujourd’hui qu’il est meilleur marché que d’autres sources d’énergie, ceci reste une affirmation discutable. En 2005, l’Association mondiale du nucléaire (World Nuclear Association) statuait sur le fait que : “Dans la plupart des pays industrialisés aujourd’hui, de nouvelles usines nucléaires offrent la façon la plus économique de créer de l’électricité à bas coût sans considération des avantages géopolitiques et environnementaux que confère l’énergie nucléaire” et publiait une série de statistiques pour soutenir la demande selon laquelle la construction, le financement, la mise en oeuvre et les coûts que représentent les déchets ont tous été réduits. Entre 1973 et 2008, la proportion d’énergie provenant des réacteurs nucléaires est montée de 0,9 % à un total global de 5,8 %.
Un rapport publié en 2009, demandé par le gouvernement fédéral allemand, fait une évaluation de loin plus critique de l’économie du nucléaire et questionne l’idée d’une renaissance du nucléaire. Ce rapport montre que le nombre de réacteurs a chuté ces dernières années en contradiction avec les projets plus larges d’augmentation tant des réacteurs que de l’énergie produite. L’augmentation de puissance générée qui a eu lieu durant cette période est le résultat de la rentabilité des réacteurs existants et de l’extension de leur vie opérationnelle. Le rapport continue en argumentant qu’il existe une incertitude sur les réacteurs couramment décrits comme étant “en construction”, un certain nombre étant dans cette position depuis plus de 20 ans. Le nombre de ceux en construction est tombé d’un pic de 200 en 1980 à moins de 50 en 2006.
Au regard de l’économie du nucléaire, le rapport montre le haut niveau d’incertitude dans toutes les zones incluant le financement, la construction et l’entretien.
Il montre que l’Etat reste central pour tous les projets nucléaires quels que soient ceux auxquels ils appartiennent ou qui les dirigent. Un de ces aspects tient dans les formes variées des subsides fournis par l’Etat pour soutenir les coûts du capital investis dans l’entretien comme dans les démantèlements des usines, ainsi que le soutien des prix. Un autre a été la nécessité pour l’Etat de limiter la responsabilité de l’industrie afin que le secteur privé en accepte les risques. En 1957, le gouvernement américain a marqué le pas lorsque les compagnies d’assurance refusèrent de couvrir les risques car il leur était impossible de les quantifier.
Les dangers de l’énergie nucléaire sont aussi fortement débattus que les coûts. Cela est particulièrement le cas du désastre de Tchernobyl dont l’estimation des victimes varie largement. Un rapport de l’OMS considère que 47 des 134 ouvriers irradiés au cours de l’intervention d’urgence sont morts des suites de la contamination en 2004 et estime qu’il y aurait à peine moins de 9000 morts de plus par cancer provoqué par la catastrophe. Un rapport de scientifiques russes publié dans les Annales de l’Académie des sciences de New-York pense que, de la date de l’accident jusqu’en 2006, ce sont 985 000 morts de plus qu’il faut compter, des cancers à toute une série d’autres maladies.
Pour tous ceux qui n’ont pas la connaissance scientifique et médicale des spécialistes, il est difficile de s’y retrouver mais, ce qui est moins douteux, c’est le niveau massif de secret et de falsification en cours, comme c’est aujourd’hui le cas sur l’accident de Fukushima. Pour revenir à Tchernobyl, le gouvernement russe n’a pas rapporté l’accident pendant plusieurs jours, laissant la population locale continuer à vivre et à travailler au milieu des radiations. Mais il n’y a pas qu’en Russie. Le gouvernement français a minimisé les niveaux de radiation qui atteignait le pays, disant à la population que le nuage radioactif qui s’étendait sur toute l’Europe n’était pas passé sur la France, tandis que le gouvernement britannique rassurait le pays en affirmant qu’il n’y avait aucun risque pour la santé, rapportant des niveaux de radiation 40 fois plus bas que ceux de la réalité, mettant cependant plus tard des centaines de fermes en quarantaine. Jusqu’en 2007, 374 fermes sont encore restées sous contrôle spécial.
L’énergie nucléaire est mise en avant par divers gouvernements comme la solution “verte” aux problèmes associés aux combustibles fossiles. C’est en majeure partie un écran de fumée qui cache les motifs réels qui tournent autour de l’épuisement possible du pétrole, de l’augmentation de son coût et des risques associés à une dépendance des ressources énergétiques hors de contrôle des Etats. Cette façade “verte” s’estompe à mesure que la crise économique conduit les Etats à revenir au charbon (1) et à baisser les coûts des nouvelles sources de pétrole en exploitation, la plupart d’entre elles physiquement difficiles d’accès, ou qui demandent des processus qui polluent et salissent l’environnement, comme les suies.
Les produits énergétiques ont aussi été un facteur dans les luttes impérialistes ces dernières années et elles le seront encore plus dans la période à venir.
Les régimes staliniens qui se sont appropriés et ont sali le nom du communisme ont tous partagé le comportement du capitalisme dans l’utilisation du nucléaire et ont agi avec un mépris total de la santé de la population comme de l’environnement. Cela est vrai pour l’URSS d’hier comme pour la Chine d’aujourd’hui, nourrissant la confusion largement répandue sur le fait que le communisme pousse à une industrialisation forcée qui ne tient pas compte de la nature.
Contrairement à ces fausses idées, Marx se sentait très concerné par la nature, tant au niveau théorique de la relation entre l’humanité et la nature, qu’au niveau pratique quand il écrit sur le danger de l’épuisement des sols par l’agriculture capitaliste et sur l’impact de l’industrialisation sur la santé de la classe ouvrière : “En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur.” (2)
Nous ne pouvons pas prévoir la “politique énergétique” du communisme, mais partant du fait fondamental que la production se fera pour les besoins humains et non pour le profit, nous pouvons prédire que le modèle de l’utilisation de l’énergie changera de façon significative et nous pouvons en mettre en avant certains aspects généraux :
– nous pouvons anticiper une vaste réduction dans la production des choses non-nécessaires et dans les transports ;
– de même, il y aura une réduction des voyages non-nécessaires vers les lieux de travail, en même temps que les communautés prendront des proportions plus humaines, le divorce entre la ville et la campagne seront alors dépassés ;
– la créativité et l’intelligence seront dirigées vers les besoins humains, et on peut donc anticiper des développements significatifs dans les ressources d’énergie, spécialement renouvelables, tout comme dans la mise en perspective de moyens de production, de transports et d’autres équipements et de machines pour les rendre plus efficaces, et cela à long terme.
Parce qu’une société communiste aura le souci du long terme, ceci implique de grandes réductions dans l’usage des sources d’énergie non-renouvelables de façon à ce qu’elles puissent servir aux futures générations. Il faut noter que même l’uranium utilisé par le nucléaire est une source d’énergie non-renouvelable et ne brise donc pas la dépendance envers les ressources finies. Ceci implique que l’énergie renouvelable sera fondamentale pour la société communiste mais, parce que la créativité et l’intelligence de l’humanité se libéreront des chaînes actuelles, cela n’entraînera pas un retour aux privations des anciennes économies organiques.
Il ne nous appartient pas de dicter au futur les décisions qui seront prises sur cette question. Mais ce que nous avons dit ci-dessus implique une réduction significative de l’utilisation de l’énergie et des changements dans les formes d’énergie à la lumière d’une intelligence scientifique en éveil. Les dangers potentiels du nucléaire et le fait que dépenser du pétrole et contaminer la terre représentent un risque pour des centaines de milliers d’années suggère que l’énergie nucléaire n’ait pas de place dans une société dirigée vers le bien commun, les futures générations et la planète dont nous dépendons.
North (19 juin)
1) Le charbon est passé de 24,5 % des sources d’énergie totale en 1973 à 27 % en 2008. Source : International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p. 6.
2) Marx, le Capital , Vol. I, Chapitre XV ter, “Machinisme et grande industrie”, Section 10, “Grande industrie et agriculture” .
Malgré les gesticulations d’un Sarkozy se présentant ensuite lors d’une interview devant les caméras de la télévision française en “sauveur... du monde” (rien de moins !), “un accord a minima”, comme titrait le quotidien le Monde du 28 octobre, arraché dans la nuit du 26 au 27 lors du sommet européen de Bruxelles, ne va pas “sauver” l’Europe ni même la Grèce. Derrière les rodomontades pleines de suffisance du président français, futur candidat à sa réélection, qui s’attribue sans vergogne une bonne part du mérite d’avoir évité une catastrophe, la barre du gouvernail du navire européen en pleine tempête a été à l’évidence tenue d’une main ferme par la bourgeoisie allemande derrière sa chancelière Angela Merkel. Mais au contraire d’un succès, ces manœuvres à court terme sont l’expression même – au-delà du rebond des places boursières lié au à un soulagement très momentané après s’être retrouvées au bord du précipice – de l’impuissance des Etats et de leurs organismes financiers. Du FMI à la BCE, censés réguler le marché et endiguer la déferlante de la crise économique mondiale, l’emballement de l’endettement, la menace de récession, les paniques financières et monétaires sont bel et bien là et révèlent la faillite réelle du système capitaliste aux abois. En fait, la réalité que le monde des capitalistes s’obstine à cacher, c’est que la faillite avérée de la Grèce ouvre la voie de la banqueroute dans laquelle sont déjà engagés les autres Etats développés, à commencer par ceux d’Europe. Il n’y a pas de bons et de mauvais élèves, tricheurs ou truqueurs comme le prétend Sarkozy. C’est le système capitaliste tout entier et tous les Etats, qui vivent désormais à crédit, dans le surendettement, qui sont amenés à tricher et à transgresser en permanence les propres lois qu’ils se fixent sur le marché mondial pour pouvoir perpétuer leurs rapports d’exploitation.
Que traduit réellement cet accord péniblement obtenu aux forceps ?
• Un effacement de 50 % de la dette grecque à hauteur de 106 milliards d’euros, partis en fumée, qui va contraindre les banques européennes créancières de l’Etat grec à faire une croix définitive sur le remboursement de leurs prêts et à se recapitaliser. Cela alors même que les Etats les contraignent pour l’instant à ne pas compter sur les fonds publics pour les renflouer, ce qui va les fragiliser davantage et sera le prélude à un effondrement brutal en cascade ; car la plupart d’entre elles sont déjà dans le rouge, comme la Société générale, BNP-Paribas ou le Crédit agricole, pour ne citer que les banques françaises. Ces mesures ne parviendront pas davantage, contrairement à ce que tous prétendent, à “sauver le soldat grec” qui est un train de s’enfoncer dans un marasme sans fin. L’Espagne, qui a vu récemment sa notation abaissée de deux crans par l’agence Moody’s, va continuer à s’enliser ; de même que les autres pays déjà désignés “à risque élevés” : l’Irlande, le Portugal ou l’Italie, cette dernière de surcroît plombée par la fragilité politique et l’impopularité d’un Berlusconi menacé par ses alliés gouvernementaux eux-mêmes malgré un cahier des charges rédigé in extremis à la hâte par les condotttieri à la solde du pouvoir. Mais cette liste ne peut que s’étendre rapidement, notamment à la France, pilier fragile de l’Europe aux côtés de l’Allemagne.
• Le relèvement d’un FESF (Fonds européen de stabilité financière), structure jusque-là famélique (servant à gérer les versements dans un pot commun des Etats réputés les plus riches destiné à éponger les dettes des nations européennes les plus faibles) à hauteur de 1000 milliards d’euros. Cela passe par la création d’une “structure bis” qui sera alimentée par des Etats émergents à commencer par son plus gros contributeur, l’Etat chinois, mais aussi l’Inde, la Russie, l’Afrique du Sud (le Brésil qui avait publiquement lancé ses offres de service semble se rétracter). C’est donc par l’intermédiaire d’un nouveau montage financier qui n’est qu’un tour de passe-passe juridique pour éviter l’humiliation d’une mainmise directe de ces fameux pays émergents sur le chantier déjà plein de lézardes de la fière puissance européenne. Ce qui signifie une interdépendance croissante d’économies concurrentes alors que la Chine, qui détient déjà 360 milliards d’euros d’avoirs sur les dettes souveraines européennes, est elle-même fortement dépendante des fluctuations des Bons du Trésor américain. On assiste donc à l’élévation d’un véritable château de cartes qui ne peut que menacer de s’écrouler en cas d’aggravation d’une récession américaine, qui est déjà imminente.
• Cela annonce une terrible accélération des plans d’austérité, des attaques frontales que les prolétaires et les couches sociales les plus défavorisées vont prendre sur la tête une fois encore de plein fouet. Alors qu’en Grèce, le gouvernement bombarde la population et particulièrement les prolétaires à coups de plans d’austérité toujours plus draconiens et rapprochés qui la plonge dans une misère d’ores et déjà dramatique, surtout chez les jeunes générations plongées dans une précarité extrême et privées d’avenir. Quant à l’Italie, elle s’est entre autres mesures engagée à reporter l’âge légal de la retraite à 67 ans pour tous les salariés (contre 65 ans actuellement) d’ici 2026. L’Espagne qui connaît déjà un taux de chômage dépassant 20 % de la population active, qui a déjà prolongé à 67 ans l’âge du départ légal à la retraite et n’en finit pas de patauger dans la crise de son secteur immobilier va encore intensifier la précarisation du travail alors que les secteurs les plus vitaux des services publics sont déjà sérieusement grippés comme l’éducation nationale et la santé à cause du manque de moyens budgétaires et de la pénurie de personnel qui ont entraîné une large mobilisation d’une part à Madrid (pour les enseignants) et à Barcelone (pour le milieu hospitalier) et des manifestations de solidarité importante des autres ouvriers (40 000 personnes à Madrid). Un sérieux tour de vis est prévu en France, sous la menace directe d’une dégradation et de la perte de son triple A par les agences de notation. L’annonce d’une hausse de la TVA très impopulaire, et en pleine période électorale, qui va toucher les produits alimentaires de première nécessité et la restauration (alors qu’en 2007 le candidat Sarkozy avait promis qu’il n’augmenterait pas les impôts), une nouvelle hausse probable de la CSG et une nouvelle limitation du remboursement des dépenses de santé comme une taxation supplémentaire des mutuelles (alors que la hausse des dépenses d’assurance-maladie devrait atteindre 2,8 % en 2012) sont dans le premier wagon du train de mesures qui va suivre. Ce que Sarkozy appelle des “mesures courageuses”, des “réformes nécessaires” au lieu de rigueur et d’austérité pour faire entre 6 à 8 milliards d’économies sur le budget. Les indemnités de licenciements pourraient elles aussi être taxées. Un ralentissement de l’appareil productif est annoncé, notamment dans le secteur de l’automobile dont les ventes un temps dopées artificiellement par des mesures provisoires comme les “primes à la casse” sont en chute libre contraignant Renault et PSA à mettre leurs ouvriers au chômage technique au moins pour les deux derniers mois de l’année et surtout à annoncer un plan de 6800 suppressions d’emplois en Europe en 2012. Tandis que le taux de chômage continue à grimper, touchant désormais officiellement près de 4, 2 millions de personnes dans l’Hexagone (près de 4,5 millions avec les DOM) (+ 0,9 % en septembre pour ceux reconnus “activement demandeurs d’emplois”). Mais plus significativement encore, le plongeon ne va pas épargner le pays salué comme un “modèle” et qui fait figure de locomotive économique de l’Europe, l’Allemagne, qui vient de réviser à la baisse sa prévision de taux de croissance pour 2011 pour atteindre un très modeste 1 %, après des années de rigueur budgétaire stricte et au prix d’un gel des salaires depuis plusieurs années.
Il ne fait aucun doute que l’avenir s’annonce menaçant partout et que ce ne sont pas les banques qui vont payer la note de la crise mais bien la population, contrairement à ce que raconte l’omniprésident français qui a eu le culot d’affirmer dans son interview : “Si les accords sont respectés, si on adopte les mesures nécessaires, il n’y aura rien à payer !” Bien sûr que si, et ce seront toujours les mêmes à qui on demandera partout des sacrifices de plus en plus lourds, y compris dans les pays les plus développés au cœur du capitalisme (voir les exemples aux Etats-Unis dans notre article en p. 2) où il est révélateur que ce système n’arrive plus à subvenir aux besoins les plus élémentaires (de quoi se nourrir, se loger, se soigner…) d’une part croissante de la population, qu’elle soit au chômage ou en activité, à procurer du travail pour les jeunes, à assurer une retraite pour les vieux... Les prolétaires ne doivent pas se faire d’illusions, ni sur un changement d’équipe gouvernementale qui sera de toutes façons contrainte d’appliquer les mêmes mesures avec une rigueur féroce, ni sur une embellie de relance économique. Les solutions miracles n’existent pas pour sortir de cette impasse, qu’il s’agisse même de la taxation des banques, de celle des spéculateurs, ou encore de celle des hauts revenus.
Dans cette situation, les prolétaires n’ont rien à attendre de ce système qui les mène dans le mur. Ils sont de plus en plus nombreux à savoir partout dans le monde que les sacrifices grandissants qu’on leur demande ne les tirent que vers le bas. Ils vont être précipités dans une misère toujours plus inacceptable, ressentant dans leur chair des conditions de vie et de travail de plus en plus insupportables et intolérables. La classe ouvrière a une histoire, celle de ses innombrables luttes, qui démontre qu’à travers leur développement et leur prise en mains, elle peut, à travers la riposte nécessaire pour se défendre contre les attaques capitalistes, être porteuse des intérêts d’une humanité qui ne sera libérée que par le renversement de ce système, par l’abolition des rapports d’exploitation et l’instauration d’une autre société basée non plus sur le profit mais sur les besoins humains. A-t-elle les moyens de réaliser cette tâche qui paraît aujourd’hui titanesque ? Oui ! Même si beaucoup pensent que ce n’est pas réalisable, qu’une telle société reste une utopie. Les minorités révolutionnaires doivent réaffirmer et faire comprendre à l’ensemble de leur classe qu’elle seule est porteuse d’un avenir pour l’humanité, qu’elle ne peut compter que sur ses propres forces, sur la prise de conscience que, partout dans le monde, elle est poussée pour se défendre à mener le même combat face à ce monde pourrissant sur pied. Mais cela passe par la perte de toute illusion de pouvoir réformer les banques, l’Etat et le système capitaliste. Malgré ses faiblesses et ses limites qui viennent principalement du fait que la classe ouvrière ne s’y manifeste pas en tant que telle et reste à la traîne des illusions démocratiques que véhicule la bourgeoisie, la mobilisation des jeunes Indignés partie d’Espagne (1) est déjà porteuse de cet espoir avec quelques germes essentiels de cette maturation. Elle participe de ce combat en ce qu’elle se conçoit déjà comme partie d’un mouvement international qui n’a pas de frontières et qui fait tâche d’huile de façon significative dans le monde entier sur la base et le principe, comme les assemblées ouvrières, d’un fonctionnement en assemblées générales ouvertes à tous, où se mènent les débats et où toutes les décisions se discutent et sont prises collectivement. Ce n’est qu’un début.
W (29 octobre)
1) Le 15 octobre, lors de la journée mondiale des Indignés, la mobilisation en Espagne a atteint des records et il y a eu de nombreuses discussions où participaient des ouvriers et où le la remise en cause capitalisme était au cœur des débats. Nous y reviendrons ultérieurement.
Les lecteurs ont sans doute suivi les événements autour du mouvement Occupation de Wall Street (OWS). Depuis la mi-septembre, des milliers de manifestants occupent Zuccotti Park à Manhattan, à quelques blocs de Wall Street. Les manifestations se sont maintenant étendues à des centaines de villes à travers l’Amérique du Nord. Des dizaines de milliers de personnes ont pris part à des occupations, à des manifestations et à des assemblées générales qui ont montré une capacité d’auto-organisation et de participation directe à des activités politiques jamais vues aux Etats-Unis depuis de nombreuses décennies. Les exploités et la population en colère ont fait entendre leur voix, montré leur indignation contre les maux du capitalisme. L’impact international de l’OWS à travers le monde ne doit pas non plus être sous-estimée : des manifestations ont eu lieu dans les centres les plus importants du capitalisme mondial, brandissant des slogans et des expressions de ras-le-bol qui font écho à ceux jaillis à travers l’Europe et l’Afrique du Nord.
Toutefois, l’avenir du mouvement semble incertain. Alors que de nombreux manifestants jurent de poursuivre indéfiniment leur occupation, il devient de plus en plus clair que l’énergie spontanée initiale du mouvement est en reflux, comme le montrent ses assemblées générales, de plus en plus transformées en chambres d’écho passives des “groupes de travail” et des “comités”, dont beaucoup semblent être dominées par des militants professionnels, des gauchistes, etc. La situation reste instable, mais nous pensons qu’elle a atteint un certain niveau de développement qui nous permet maintenant de tenter de faire une première évaluation de son sens et d’identifier certaines de ses forces et de ses faiblesses.
Le CCI a pu participer à ces événements à New York, où plusieurs militants et sympathisants proches ont fait un certain nombre de voyages pour aller à Zuccotti Park parler avec les occupants et participer aux assemblées générales. Par ailleurs, des sympathisants du CCI nous ont envoyé des comptes-rendus sur leurs expériences dans ces mouvements dans leurs villes. Une discussion animée a également commencé sur le forum de discussion de notre site (1). Cet article est une contribution à ce débat, et nous encourageons nos lecteurs à se joindre à la discussion.
D’abord, nous devons reconnaître que le mouvement actuel d’occupation provient de la même source que toutes les révoltes sociales massives auxquelles nous avons assisté au cours de l’année 2011. Des mouvements en Tunisie et en Egypte à l’apparition des Indignés en Espagne, aux occupations en Israël et aux mobilisations contre l’austérité et l’anti-syndicalisme dans le Wisconsin et dans d’autres Etats, la frustration et le désespoir de la classe ouvrière, en particulier des jeunes générations durement frappées par le chômage (2).
Ainsi, nous voyons une continuité directe entre OWS et la volonté croissante de la classe ouvrière de se battre contre les attaques du capitalisme, à l’échelle internationale. Il est clair qu’OWS n’est pas une campagne bourgeoise pour faire dérailler et récupérer la lutte de classe. Au contraire, il s’agit du dernier acte d’une série de mouvements, en grande partie organisés à travers Internet et les médias sociaux en dehors des syndicats et des partis politiques officiels, à travers lesquels la classe ouvrière cherche à répondre aux attaques massives qui se déchaînent sur elle, dans la sillage de la crise historique du capitalisme. Le mouvement doit donc être accueilli comme un signe que le prolétariat en Amérique du Nord n’est pas totalement vaincu et qu’il n’est pas disposé à subir indéfiniment les attaques du capitalisme. Néanmoins, nous devons aussi reconnaître qu’il existe des tendances différentes dans le mouvement et qu’une lutte se déroule en leur sein. Les tendances dominantes ont une attitude très réformiste et les tendances les plus prolétariennes ont de grandes difficultés à trouver le terrain de classe de leur lutte.
Peut-être l’aspect le plus positif de la revendication de OWS a-t-il été l’émergence des assemblées générales (AG) comme des organes souverains du mouvement qui représente une avancée par rapport aux mobilisations dans le Wisconsin, qui, malgré leur spontanéité initiale, ont été rapidement prises en charge par les appareils syndicaux et par la gauche du Parti Démocrate (3). L’émergence des AG dans OWS représente une continuité avec les mouvements en Espagne, en France et ailleurs, et est la preuve de la capacité de la classe ouvrière de prendre le contrôle de ses luttes et d’apprendre des événements dans d’autres parties du globe. En effet, l’internationalisation des AG, comme forme de lutte, est l’une des caractéristiques les plus impressionnantes de la phase actuelle de la lutte des classes. Les AG sont, par-dessus tout, une tentative de la classe ouvrière pour défendre son autonomie en impliquant l’ensemble du mouvement dans les décisions prises et en veillant à ce que les discussions soient les plus larges possibles.
Cependant, malgré leur importance dans ce mouvement, il est clair que ces AG n’ont pas été en mesure de fonctionner sans de considérables distorsions et sans les manipulations des activistes professionnels et des gauchistes qui ont largement contrôlé les différents groupes de travail et comités qui étaient censés être nominalement responsables des AG. Ce poids a constitué une difficulté grave pour le mouvement dans le maintien d’une discussion ouverte et il a travaillé à empêcher que les discussions ne s’ouvrent à ceux qui n’occupaient pas, pour atteindre l’ensemble de la classe ouvrière. Le mouvement du 15 Mai en Espagne a également rencontré des problèmes similaires (4).
Au début de l’occupation, en réponse aux demandes persistantes des médias pour que le mouvement identifie ses objectifs et ses exigences, un comité de presse a été formé dans le but de publier un Occupy Wall Street journal. Un de nos camarades était présent à l’AG quand le premier numéro de ce journal, qui avait déjà été rédigé et diffusé auprès des médias par le comité de presse, a été critiqué. Le sentiment dominant de l’AG a été l’indignation devant le fait que ce journal ait été produit et diffusé auprès des médias, alors que son contenu ne reflétait pas le consensus du mouvement, mais semblait refléter un point de vue politique particulier. La décision a été prise de retirer la personne responsable de la production et de la diffusion du journal du comité de presse. Cette action a montré la capacité de l’AG d’affirmer sa souveraineté sur les comités et sur les groupes de travail. Il s’agit d’une expression embryonnaire du “droit de révocation immédiate”, à l’encontre d’un membre fautif du comité de presse, qui a été rapidement révoqué pour avoir outrepassé les limites de son mandat.
Cependant, une semaine plus tard, lors d’une AG qui s’était déroulée la veille de la menace d’expulsion, de la part du maire Bloomberg, des occupants du parc Zuccotti, notre camarade a trouvé une atmosphère totalement différente. Après cette révocation immédiate, l’AG n’a pratiquement pas eu de discussion constructive. La plus grande partie de l’AG a été occupée par les rapports des groupes de travail et des comités sans qu’il y ait de discussion. La seule discussion qui a été autorisée par les animateurs de l’AG a été au sujet d’une proposition par le Président du quartier de Manhattan de limiter le spectacle des percussionnistes du mouvement à deux heures par jour. Cette AG n’a jamais abordé la question de l’avenir du mouvement. Elle n’a même pas envisagé la question de savoir comment développer une stratégie et formuler des tactiques pour étendre le mouvement au-delà de ses limites actuelles et comment s’opposer à sa disparition presque certaine de Zuccotti Park.
Lors de cette AG, l’un de nos camarades a tenté de proposer que les occupants envisagent l’avenir en s’adressant, au-delà des limites du parc, à la classe ouvrière de la ville, auprès de qui ils étaient susceptibles de recevoir un accueil chaleureux. Il a été répondu à notre camarade que son intervention était hors sujet par rapport à la proposition de limiter les percussions et que le temps pour les interventions (arbitrairement fixé par les animateurs à une minute) avait été dépassé. Une autre proposition a été faite par un participant de former une délégation pour parler du mouvement à des étudiants de plusieurs écoles et universités de la région Sa proposition a également été rejetée et de nombreux manifestants ont indiqué qu’ils n’avaient aucun désir d’étendre le mouvement et que si les étudiants voulaient soutenir l’occupation, ils devaient venir à Zuccotti Park.
Comment, alors, peut-on expliquer la tendance des groupes de travail, des comités et des animateurs à assurer progressivement leur contrôle sur le mouvement, au fur et à mesure que le temps passe ?
Dès le début, le mouvement OWS s’est caractérisé par un certain esprit “anti-politique” qui a servi à étouffer la discussion, empêcher la polarisation des idées contradictoires et le développement des revendications de classe. Cela a été rendu possible par les gauchistes, les célébrités politiques et les politiciens de tous bords qui ont pu intervenir et parler au nom du mouvement, et ont permis aux médias de présenter le mouvement comme la première étape d’une “aile gauche” du Tea Party (5).
Le refus de presque tous les manifestants d’OWS d’aborder la question des objectifs et des exigences, ce qui représente à notre avis une réticence générale à examiner la question du pouvoir, se présente un peu comme une énigme pour les révolutionnaires. Comment pouvons-nous comprendre ce phénomène, qui a également été présent dans d’autres mouvements ? Nous pensons que cela découle, dans une large mesure, des facteurs suivants.
S’il est vrai que la principale force sociale derrière ces mouvements semble être la jeune génération de travailleurs, dont beaucoup sont nés après l’effondrement du stalinisme en 1989, il reste une crainte réelle de la part de la classe ouvrière de se réapproprier la question du communisme. Alors que Marx a souvent été intégré dans un processus de réhabilitation pour sa critique du capitalisme, il y a toujours une grande peur d’être associé à un système que beaucoup continuent à croire qu’il a “déjà été essayé et qu’il a échoué” et qui va à l’encontre de l’objectif d’établir “une véritable démocratie”. Alors que l’on a pu voir lors de ces occupations de nombreux écriteaux et slogans qui citaient Marx pour affirmer que le capitalisme est devenu intolérable, il reste une confusion totale sur ce qui peut le remplacer. D’un autre côté, dans une perspective à plus long terme “le poids des cauchemars du passé” constitue moins un obstacle pour ceux qui cherchent le contenu véritable du communisme, une nouvelle façon de penser à l’épanouissement de la société future.
En général, ces mouvements sont animés par la jeune génération des travailleurs. Bien que les travailleurs plus âgés, touchés par la destruction massive d’emplois qui s’est produite aux Etats-Unis depuis 2008 soient également présents dans les mouvements, sociologiquement, la force motrice de ces manifestations est constituée de prolétaires qui ont entre vingt et trente ans. La plupart sont instruits, mais beaucoup n’ont jamais connu dans leur vie un emploi stable. Ils sont parmi les plus profondément touchés par le chômage massif de longue durée qui hante désormais l’économie américaine. Peu d’entre eux ont une expérience du travail associé, si ce n’est d’une manière précaire. Leur identité n’est pas enracinée dans leur lieu de travail ou dans leur catégorie d’emploi. Bien que ces qualités sociologiques soient susceptibles de les rendre plus ouverts à une large solidarité abstraite, elles signifient également que la plupart d’entre eux n’ont pas l’expérience des luttes de défense des conditions de vie et de travail avec des exigences et des objectifs propres. Ayant été en grande partie exclus du processus de production, ils connaissent trop peu la réalité concrète pour défendre autre chose que leur dignité d’êtres humains ! La nécessité de développer des exigences spécifiques et des objectifs n’est donc pas si évidente. Dans un monde qui ne lui offre aucun avenir réel, il n’est pas surprenant que la jeune génération ait des difficultés pour penser concrètement à la façon de développer les luttes pour l’avenir. Ainsi, le mouvement se retrouve piégé dans un processus d’autocélébration de l’occupation pour elle-même, étant donné que le site d’occupation devient une communauté et, dans certains cas, même une maison (6). Un autre aspect qui ne peut être ignoré est le poids du discours politique post-moderniste, en particulier sur ceux qui sont passés par le cursus du système universitaire américain, qui instille la méfiance “traditionnelle” envers une politique de classe et son rejet.
Cela dit, nous ne pouvons pas “demander à l’enfant de se comporter en homme”. La simple existence d’assemblées générales est une victoire en soi, et ces AG constituent d’excellentes écoles où les jeunes peuvent développer leur expérience et apprendre à combattre les forces de la gauche de la bourgeoisie. Tout cela est vital pour les luttes à venir.
OWS reste obstinément coincé dans le contexte de la politique et de l’histoire des Etats-Unis. Les racines de la crise internationale et les mouvements sociaux dans d’autres pays sont rarement mentionnés. La croyance dominante du mouvement continue d’être que les immenses problèmes auxquels le monde est confronté sont tous, sous une forme ou une autre, la conséquence des comportements contraires à l’éthique des banquiers de Wall Street, aidés et encouragés par les partis politiques américains. La dérégulation des rapports entre les banques de dépôt et d’investissement, les gens peu scrupuleux qui laissent gonfler une bulle immobilière, l’influence grandissante sur l’Etat américain de la richesse des entreprises, l’immense écart entre les plus riches qui constituent un pour cent de la population et les autres, le fait que Wall Street est assis sur des milliards de dollars de liquidités excédentaires qu’elle refuse de réinvestir dans l’économie américaine, restent les principaux griefs du mouvement. Enfin, il faut identifier le problème principal qui est que “le capital financier non réglementé” a servi à maintenir des illusions sur la nature finalement altruiste de l’Etat bourgeois américain.
De toute évidence, l’éthique anti-politique du mouvement OWS a servi à l’empêcher d’aller au-delà du niveau du mouvement lui-même et a finalement seulement servi à reproduire le genre de domination politique qu’il craignait à juste titre. Cela devrait servir de leçon pour les mouvements futurs. Alors que le mouvement a le droit d’être sceptique par rapport à tous ceux qui cherchent à parler pour lui, la classe ouvrière ne peut se dérober devant la discussion ouverte et la confrontation des idées. Le processus de polarisation, de travailler sur des objectifs et des exigences concrets, aussi difficile soit-il, ne peut être évité si le mouvement va de l’avant. En fin de compte, un mouvement dominé par un éclectisme extrême des idées, selon lequel toutes les exigences sont “également valables” aura pour conséquence que seules les exigences qui sont acceptables pour la bourgeoisie progresseront. Les objectifs de re-régulation du capitalisme, de taxer les riches et de briser la mainmise de l’argent des entreprises sur le processus électoral sont en réalité des objectifs partagés par de nombreuses fractions de la bourgeoisie américaine ! Serait-ce un hasard si Barack Obama veut faire payer son plan de travail avec une surtaxe sur les millionnaires ? Il y a un fort risque que les principales fractions de la bourgeoisie puissent orienter ce mouvement dans une direction qui serve leurs propres intérêts contre la renaissance de la droite dans leur lutte de cliques. Cependant, en dernière analyse, l’incapacité totale de la bourgeoisie à résoudre sa crise mortelle signe la fin des illusions sur le “rêve américain”, remplacé par le cauchemar de l’existence, sous le capitalisme.
Avec toutes ses faiblesses, nous devons reconnaître les leçons profondes que les protestations d’OWS contiennent pour la poursuite du développement de la lutte des classes. L’apparition des AG, probablement pour la première fois depuis des décennies sur le sol de l’Amérique du Nord, représente une avancée majeure pour la classe ouvrière car elle cherche à développer son combat au-delà des limites tracées par la gauche bourgeoise et par les syndicats. Cependant, nous devons affirmer qu’un mouvement qui se replie sur lui-même plutôt que de chercher l’extension en direction de l’ensemble de la classe est voué à l’échec, que cet échec soit le résultat de la répression, de la démoralisation ou d’un encadrement derrière les campagnes de la bourgeoisie de gauche. Au stade actuel de la lutte de classe, nous sommes face à une situation où les secteurs de la classe ouvrière ayant le moins d’expérience du travail collectif se sont avérés être les plus combatifs. D’autre part, ceux ayant le plus d’expérience des luttes concrètes pour la défense de leurs conditions de vie et de travail restent encore très désorientés par les attaques du capitalisme et incertains sur la façon de riposter. Beaucoup sont simplement heureux d’avoir encore un emploi et ont reculé face au poids de l’offensive du capitalisme contre les conditions de vie et de travail.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, les campagnes persistantes de l’aile droite pour écraser les syndicats ont effectivement eu pour effet de revitaliser dans une certaine mesure le carcan syndical aux yeux des travailleurs et elles ont encore plus désorienté ce secteur de la classe ouvrière (7). En fait, dans la mesure où ce secteur de la classe ouvrière a participé au mouvement d’OWS, celle-ci s’est largement faite sous la bannière syndicale, mais avec des syndicats qui ont systématiquement oeuvré à isoler leurs membres des occupants. Il était clair que, sous l’influence des syndicats, les ouvriers étaient là pour soutenir les occupants, mais non pour les rejoindre ! C’est dans le mouvement de la lutte de la classe ouvrière pour défendre ses conditions de vie et de travail que les organes qui peuvent réellement mettre en œuvre la transition vers une société de producteurs associés – les conseils ouvriers – peuvent émerger. La classe ouvrière, dans ses luttes pour protéger son niveau de vie, constamment contrariées à cause de la persistance de la crise économique, prendra alors conscience que le capitalisme ne peut plus offrir aucune perspective. En conséquence, il lui apparaîtra que la société humaine ne peut plus désormais se développer que si elle est unifiée.
Cela dit, nous ne minimisons pas les difficultés énormes que la classe ouvrière va rencontrer aujourd’hui pour trouver son terrain de classe et développer la détermination de se battre contre les attaques du capitalisme. Dans une première étape, nous pensons que le mouvement d’OWS s’est laissé piéger sur le terrain idéologique bourgeois, cependant, celui-ci a déjà un immense mérite, car il donne un aperçu de la façon avec laquelle la classe ouvrière peut prendre le contrôle de sa propre lutte.
Internationalism (19 octobre 2011)
1) http :/en.internationalism.org/forum/1056/beltov/4515/occupy-wall-street-protests # comment-3866 [243].
2) Voir tous nos articles sur le mouvement indignado http ://en.internationalism.org/icconline/2011/september/indignados [244].
3) Bien que contrairement au Wisconsin, où, pour l’instant la menace d’une grève générale a été brandie, OWS représente une mobilisation beaucoup moins “massive”, car, à part pour un petit groupe de manifestants, la mobilisation n’est pas régulière.
4) http ://en.internationalism.org/iccon.
Voir “Real Democracy Now !’ : A dictatorship against the mass assemblies [245] , article line/2011/special-report-15M-spain/real-democracy-now.
5) Voir Pierre Beinhart, “Occupy Protests” Seismic Effects [246]” pour une déclaration sur la façon avec laquelle la gauche bourgeoise pense qu’OWS pourrait être utilisée pour faire les choux gras d’Obama.
http ://news.yahoo.com/occupy-protests-seismic-effect-062600703.htm [247].
6) Au cours des dernières semaines, les médias ont rapporté plusieurs cas de jeunes qui quittent leur travail peu rémunérés ou l’école pour participer à l’occupation.
7) Voir notre article [248] sur la récente grève de Verizon.
Source URL : http ://en.internationalism.org/icconline/2011/october/ows [249]
Les événements économiques qui se succèdent à vitesse accélérée depuis cet été 2011 montrent que la faillite du capitalisme qui s’est pleinement révélée en 2007-2008 avec la crise financière s’approfondit de plus en plus vite. Le capital ne peut plus faire face aux engagements financiers qu’implique l’accroissement sans fin de l’endettement qu’il a pratiqué pendant des décennies ; cet accroissement de l’endettement avait pour but d’écouler une production de plus en plus supérieure à la demande. Comme cette surproduction ne peut que se traduire par un taux de profit de plus en plus en baisse, en plus de l’endettement, les capitalistes ont, pendant ces décennies, tenté de diminuer leurs coûts, c’est-à-dire la rémunération des travailleurs qu’ils soient en activité, au chômage ou à la retraite. On sait que depuis la fin des années 1990, les revenus réels des ouvriers et de toutes les couches pauvres de beaucoup de pays développés ont stagné ou diminué. Par ailleurs, pendant des années, les capitalistes ont massivement provoqué la baisse des salaires en pratiquant la délocalisation des entreprises dans “les pays émergents”. Cette opération a permis une remontée momentanée des profits car les salaires étaient tellement bas dans ces pays que beaucoup ne pouvaient vivre que dans des bidonvilles ou, en Chine, dormir dans les “mingongs”, ces dortoirs dans l’usine qui ne sont faits que de lits en fer superposés.
Depuis 2007, les conditions de vie des exploités des pays développés se sont dégradées de manière beaucoup plus accélérée que précédemment. Le chômage augmente partout et, littéralement, explose dans certains pays. En Grèce, depuis le premier plan d’austérité d’avril 2010, le chômage est passé de 12 % à 16,5 % (1) de la population active ; en Espagne, le pays ayant connu un éclatement particulièrement violent de la bulle immobilière, ce taux est passé depuis 2008, de 9 à 21 %, ce qui veut dire qu’il touche officiellement plus de 4 200 000 personnes. Les chiffres sont bien plus élevés chez les jeunes : 42 % en Espagne, 33 % en Grèce et ce chiffre est de 25 % pour l’ensemble des autres pays, y compris pour le Suède que l’on nous présente aujourd’hui comme un modèle de sortie de crise (2) ; ces jeunes n’ont, bien souvent, pas droit à des allocations chômage car n’ayant pas travaillé. Il est donc facile de comprendre un phénomène qui s’est énormément développé ces dernières années : les jeunes ne peuvent plus avoir de logement et doivent habiter chez leurs parents.
Mais les parents, même s’ils ont un travail, peuvent de moins faire face aux besoins élémentaires de leur vie et de celle de leurs enfants : en Espagne, avec un salaire minimum de 748 euros (3) on ne peut même pas se loger dans un studio d’une grande ville car le loyer est en moyenne de 600 euros. Inutile de dire que lorsqu’on est chômeur, se loger normalement est devenu impossible puisque les indemnités de chômage varient en Espagne de 492 euros à 1384 euros et durent au maximum 24 mois. Alors, on est obligé de pratiquer la co-location, mais même ainsi, on ne peut pas se loger dans les grandes villes à moins de 250 euros. Au Portugal, les récentes mesures d’austérité viennent de supprimer les 13e et 14e mois pour les fonctionnaires, ce qui va amputer leur pouvoir d’achat de 20 %, alors que 20 % de la population a déjà un revenu mensuel inférieur à 450 €.
La capacité de faire face aux besoins immédiats de la vie est encore plus difficile en Grèce. Si le salaire minimum correspond à peu près à celui qui est pratiqué en Espagne, l’ensemble des salaires diminuent en ce moment au rythme de 10 % par an ; le dernier plan d’austérité a décidé de mettre au chômage technique 300 000 personnes ayant un emploi dans des organismes publics ou semi-publics, a organisé une baisse des salaires de la fonction publique de 25 % en moyenne (ce qui veut dire que certains verront leur salaire diminuer de 50 %) et a rendu imposables les revenus dépassant annuellement 5000 euros (4). En fait la difficulté de vivre des exploités de Grèce se trouve résumé dans un seul chiffre : la consommation des ménages a diminué de 20 % en moyenne depuis le début 2010 (5) ; et cela donne une idée du niveau de ressources misérables des prolétaires les plus pauvres.
Mais il n’y a pas que sur le vieux continent que les revenus que parvient à obtenir la population ne suffisent pas à vivre : aux Etats-Unis, en août 2011, 45,7 millions de personnes sur les 311 millions d’habitants que compte ce pays étaient contraintes, pour pouvoir survivre, d’aller chercher des bons alimentaires de 30 dollars par semaine versés par l’Administration (6). De plus en plus d’entreprises sont en train de mettre en œuvre des licenciements massifs ; citons à titre d’exemple les 30 000 suppressions d’emplois de Bank of America et les 6500 de Cisco, et la liste des entreprises qui licencient, tant aux Etats-Unis qu’en Europe est très longue.
On sait que durant l’été, les républicains et les démocrates se sont affrontés sur la question du relèvement de la dette des Etats-Unis, mais cela ne doit pas masquer le fait que chacun des deux partis prévoient des coupes très importantes dans les dépenses budgétaires, avec des dizaines de milliers de suppressions d’emplois. De plus, dans différents Etats de la fédération , les municipalités sont tellement endettées qu’un certain nombre d’entre elles se déclarent en faillite et mettent leur personnel au chômage : c’est de cette manière que 22 000 fonctionnaires de l’Etat du Minnesota ont été priés de rester chez eux et ne sont plus payés depuis le 4 juillet (7) ; c’est la même chose qui est arrivé aux fonctionnaires de Harrisburg – capitale de l’Etat de Pennsylvanie – et à ceux de la ville de Central Falls, près de Boston.
De telles conditions de vie sont imposées de plus en plus à la grande majorité de la population des pays développés. Si, déjà, le plan d’austérité mis en place en Grande-Bretagne a provoqué dans ce pays une diminution des salaires réels de 3 %, ce sont tous les pays européens (en dehors, pour le moment, de l’Allemagne) qui sont en train de mettre en œuvre de tels plans ou de les prévoir. Or, plus des plans d’austérité sont mis en œuvre et plus la demande est faible et, en conséquence, plus la surproduction devient massive entraînant une baisse des profits et, donc, de nouveaux plans d’austérité. Le bilan est la chute de la très grande majorité de la population dans une misère toujours plus profonde.
La faillite des collectivités locales des Etats-Unis entraîne la fermeture de toute une série de services, y compris dans le secteur de santé : beaucoup d’infirmières et de médecins ne peuvent plus renouveler leur contrat de travail. Cela signifie que la faillite du capitalisme, outre l’extension de la misère qu’elle provoque, est en train de bloquer le fonctionnement de la société. De la même manière qu’aux Etats-Unis, en Espagne, pour des raisons d’économie budgétaire, les hôpitaux de Barcelone ont décidé la fermeture pendant certaines heures de la semaine des services d’urgence et des blocs opératoires : en d’autres termes, si quand les habitants de cette ville tombent gravement malades ou sont sérieusement blessés, ils devront “choisir” leurs heures d’arrivée aux urgences !
En fait, ce blocage des mécanismes de fonctionnement de la société est beaucoup plus avancé en Grèce : selon certains témoignages, nombre d’entreprises ont fermé leurs portes car elles ne pouvaient plus payer leurs salariés, les employés de l’Etat ou proches de l’Etat ne sont plus payés depuis des mois, les écoles publiques ne reçoivent plus de manuels scolaires (8), etc.
De même que la misère s’étend, la désorganisation des institutions et des entreprises nécessaires à la survie de tous ne fait qu’empirer. Le capitalisme montre chaque jour un peu plus son incapacité à assurer la survie de l’humanité et de ses membres. Et c’est contre cette progression de la misère et du chaos social que des exploités ont engagé la lutte dans les pays arabes, en Grèce, en Espagne, en Israël, au Chili et dans bien d’autres pays.
Vitaz (26 octobre)
1) http ://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-taux-de-chomage-officiel-atteint-16-5-en-grece_266257.html [250]
2) http ://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-2012/Actualite/Royal-gonfle-les-chiffres-du-chomage-des-jeunes-397587/ [251]
3) http ://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/10/13/04016-20111013ARTFIG00498-le-salaire-minimum-est-juge-trop-eleve-en-grece.php [252]
4) http ://www.lepoint.fr/economie/grece-les-nouvelles-mesures-d-austerite-du-projet-de-loi-conteste-20-10-2011-1386811_28.php [253]
5) http ://cib.natixis.com/flushdoc.aspx ?id=60259 [254]
6) Le Monde 7-8 août 2011.
7) http ://www.rfi.fr/ameriques/20110702-faillite-le-gouvernement-minnesota-cesse-activites [255]
8) http ://www.info-grece.com/agora.php ?read,28,40283 [256]
Le dimanche 16 octobre 2011, vers 19h, alors même que les chances de victoire de sa pouliche Martine Aubry étaient déjà définitivement enterrées, Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris déclarait à la presse : “Ces primaires sont une victoire pour la démocratie.” Evidemment, cette petite phrase cache une réelle déception par ce que les professionnels de la communication appellent un “discours positif”. Mais pas seulement. Il y a derrière ces quelques mots désabusés, une vérité fondamentale dont leur auteur n’a sans doute pas bien mesuré l’importance.
A quoi ont servi les primaires, finalement ? A unir le PS ? On en doute, et nos doutes risquent fort de s’envoler très vite, sitôt les embrassades de ce dimanche oubliées. A moderniser l’image du PS ? C’est sûrement vrai même si ce n’est là qu’affaire de paillettes. A montrer la diversité existant au sein du PS ? Sûrement pas : après tout le parti n’a pas attendu les primaires pour voter son programme, censé être donc repris par tous.
Alors à quoi ont servi ces débats soporifiques, cette organisation gigantesque, ces millions de pièces de un euro versés par les “citoyens électeurs” ? A la base, à désigner le candidat qui représentera le PS aux présidentielles. Mais bien au-delà, les primaires ont aussi servi, tout comme aux Etats-Unis par exemple où le système existe depuis longtemps pour les deux grands partis de pouvoir, à remettre une couche, toute fraîche et brillante, à la mystification démocratique. Ce n’est d‘ailleurs pas tant l’intérêt pour les idées d’un PS qui n’a rien à dire que ce souffle démocratique est venu presque faire la pige à la coupe du monde de rugby, mais la mobilisation de près de trois millions de personnes exaspérées par Sarkozy et dont la perspective essentielle est de ne plus le voir à la tête du pays.
Mais cela, c’est en définitive au service de toute la classe bourgeoise. C’est bien pour cela que la droite a patiemment et sagement attendu la proclamation des résultats avant de sortir ses armes lourdes et entrer en campagne. L’UMP avait-elle à ce point besoin de connaître l’identité de son adversaire pour s’adonner, comme elle l’a fait deux jours après, à la démolition en règle du programme socialiste, particulièrement sur la question économique où Hollande ne brille certainement pas plus que les autres par l’innovation ou le scoop qui viendrait renverser la vapeur de l’enfoncement inéluctable dans la crise ? Comme on vient de le dire, le programme socialiste est connu depuis longtemps. Qu’il y ait des nuances entre François Hollande et Martine Aubry, certes, on veut bien l’admettre. Mais c’est le programme d’un parti de la bourgeoisie, qui ne pourra faire de toutes façons qu’une politique d’austérité, emballée sous forme de cadeau aux ouvriers, comme à l’époque où Martine Aubry faisait avaler la réforme sur les 35 heures comme une avancée sociale sans précédent. On connaît la suite : aux embauches promises ont succédé des cadences de travail de plus en plus exténuantes et des licenciements massifs, une précarisation généralisée et des suppressions de postes tous azimuts.
Si la droite a laissé se dérouler les primaires sans intervenir autrement que par de molles critiques, voire au contraire des réflexions sur l’intérêt de procéder de même dans son camp, c’est parce qu’en sa qualité de fraction bourgeoise responsable, elle avait tout intérêt à ce que la classe ouvrière se retrouve embringuée en partie dans ces primaires socialistes et surtout focalisant l’attention sur le suspense de leurs résultats de façon à donner du grain à moudre à l’idée qu’il faudra se mobiliser dans les présidentielles de 12012. Le discours plus “radical”, anti-pouvoir des banques et altermondialiste (ou “démondialiste” comme il l’a rebaptisé) de Montebourg comme sa rhétorique sur la nécessité dune opération “mains propres” et des 17 % des voix du premier tour qui en a fait l’arbitre le plus courtisé. L’idée même que des primaires apportent un surcroît de pouvoir au “peuple” en maîtrisant une étape supplémentaire en amont du processus électoral, ont permis de ramener vers les urnes et de ranimer surtout les illusions d’un électorat de gauche qui se lassait de l’image de corruption donné par l’ensemble de la classe politique et des querelles internes entre les éléphants du parti social-démocrate. La publicité tapageuse des médias pour ces “primaires” pendant un mois où elles ont servi d’écran de fumée pour masquer les attaques s’est révélée très intéressante pour toute la bourgeoisie : elle a permis d’occuper la scène plus tôt sur le terrain électoral et elle redore le blason d’une démocratie passablement terni, même cl’argument de l’alternance : alors même que de plus en plus d’électeurs doutent , à juste titre de la pertinence du choix entre droite et gauche, la bourgeoisie cherche à lui faire croire que, non, en dépit de l’évidence, tout n’est pas joué d’avance et que c’est à lui de choisir !
Maintenant, suite au battage médiatique des primaires, et à son réel succès, l’anti-Sarkozysme a pris une meilleure consistance et va pouvoir tenir le haut du pavé jusqu’en mai prochain. L’occupation du terrain médiatique par la campagne présidentielle permettra de détourner au mieux les consciences ouvrières de la réalité catastrophique de la situation qui amènera le pouvoir, qu’il soit de droite ou de gauche, porté désormais par Hollande, à taper toujours et encore plus fort sur la force de travail. Hollande l’a dit lors de la campagne des primaires : “Je vais redresser la situation mais ça va être dur.” S’il est élu, on peut lui faire confiance pour qu’il ne redresse rien du tout mais pour qu’il tienne la seconde partie de sa promesse. En résumé, que le PS revienne ou pas au gouvernement, on a vu qu’il restait plus que jamais un fidèle serviteur du capitalisme et un des ses meilleurs propagandistes.
GD (19 octobre)
Dans le courant du mois de septembre, une découverte sans précédent a secoué le monde scientifique et s’est rapidement propagée à travers les médias du monde entier. Dans le laboratoire de Gran Sasso dans les Abruzzes, une équipe de scientifique a observé des particules élémentaires appelées “neutrinos” (1), envoyés depuis l’accélérateur de particules du CERN, un laboratoire proche de Genève, situé à près de 730 km de là (2). L’expérience OPERA, qui s’est déroulée sur une durée de plus de 3 ans, consistait à étudier la propagation de ces particules, ainsi qu’à mesurer leur vitesse avec une précision de l’ordre de la nanoseconde (3).
Une fois les résultats vérifiés et revérifiés, l’expérience reprise depuis le début, les scientifiques durent admettre la réalité des faits : ces particules se déplacent à une vitesse légèrement supérieure à celle de la lumière. Cette découverte vient bouleverser les lois fondamentales de la physique, telle que la loi de la relativité (mise en évidence par Einstein) qui définit la vitesse de la lumière comme une constante universelle infranchissable. L’annonce de cette découverte a immédiatement été la proie des médias qui ne reculent jamais devant rien pour se lancer dans la surenchère du “scoop”. “Le neutrino a-t-il tué Einstein ?” “Einstein est contredit !” “Einstein est enfoncé !” Nous en passons, “des pires et des meilleures”, comme disait Coluche.
Cette vision de la science dont les différentes théories sont essentiellement concurrentielles et prêtes à s’éliminer les unes les autres comme des prédateurs en lutte mortelle permanente est typique de l’idéologie bourgeoise et fondamentalement inhérente à son mode de fonctionnement social. Cette découverte implique effectivement de remettre en cause les fondements même de la physique moderne. Il s’agit là bien sûr d’une découverte aux conséquences difficilement imaginables à l’heure actuelle. Nous pourrions joyeusement nous hasarder à développer des théories sur ce que cela induira dans notre perception de l’univers. Mais en quelques lignes et avec une approche totalement empirique, cela reviendrait à écrire un fabuleux article de science-fiction. Tel n’est pas notre but. Ce qui apparaît tout de suite et de manière très claire, et que toute la propagande capitaliste s’efforce de dénaturer et d’oblitérer, c’est que dans toute démarche scientifique, aucune théorie n’est gravée dans le marbre de manière permanente et incontestable.
La perception de la réalité scientifique est éminemment historique, en constante évolution. Une telle découverte, vient nous obliger à revoir nos conceptions antérieures et à les confronter à cette nouvelle représentation de la réalité. C’est ainsi que le dépassement des conceptions passées nous amène à de nouvelles questions et de nouveaux progrès scientifiques et techniques. Et ces progrès, à leur tour, nous permettent de dépasser certaines problématiques et d’en apporter de nouvelles, sans toutefois nier l’apport des précédentes… C’est ce caractère dialectique de l’évolution qui rend chaque étape, chaque progrès (aussi infime qu’il puisse être), absolument nécessaire en tant que maillon de la chaîne dans notre processus d’évolution.
Cette vision, qui parait être la base de toute démarche scientifique honnête, ne fait pourtant pas partie de l’idéologie dominante. Du moins, c’est le constat que l’on peut faire lorsque l’on regarde les faits en face : à l’heure où l’on est parfaitement capable d’envoyer un engin robotisé pour explorer la surface de la planète Mars, les spécialistes de l’économie sont quasiment incapables de prévoir l’évolution de notre économie pour les quelques jours à venir… et par voie de conséquence, nous sommes incapables de subvenir aux besoins les plus élémentaires d’une partie croissante de la population mondiale ! Ceci pour une raison simple : selon l’idéologie de la classe dominante (l’idéologie capitaliste), le système actuel avec son idéal démocratique basé sur la réalisation de la plus-value, sur la concurrence et sur la compétition entre les individus, serait fondamentalement le système qui correspond le mieux aux caractères de l’espèce humaine, à la nature humaine, passée, présente et future. La pérennité du capitalisme seule est perçue comme une vérité absolue et incontestable. L’idéal politique de ce système : la démocratie capitaliste, serait la seule perspective vers laquelle l’humanité pourrait évoluer. Tout autre perspective étant automatiquement étiquetée “utopiste” voire même dangereuse, et pour cause ! Si la plus grosse partie de l’humanité, la classe exploitée, en venait à prendre conscience que les savantes équations des spécialistes de l’économie ont depuis bien longtemps cessé d’être un moteur pour le progrès humain… ; si aujourd’hui ces calculs de charlatans étaient dénoncés comme étant la base de l’extorsion de la plus-value qui justifie les immenses privilèges dont jouit une minorité d’exploiteurs ; si pour nous sauver nous-mêmes, nous parvenions à créer un monde sans Etats où l’activité de production serait organisée exclusivement en fonction des besoins humains et dans le respect des ressources naturelles… ; alors effectivement, la classe capitaliste serait complètement dépassée ; ses privilèges et son idéologie seraient profondément remis en cause. Dans une société fondée sur la solidarité et le progrès social, le rôle et la place des sciences seraient complètement différents de ceux que nous leur connaissons. Car ne nous y trompons pas : le monde scientifique n’échappe pas aux lois capitalistes et à son idéologie réactionnaire. Le milieu de la recherche est imprégné d’un esprit de concurrence féroce et permanent. La plupart du temps, les chercheurs sont en compétition les uns avec les autres, et les coopérations entre les différentes équipes trouvent rapidement leurs limites. La course pour les publications, la quête du prestige individuel, de la reconnaissance sociale et financière sont autant d’entraves qui freinent considérablement l’humanité dans sa marche vers la connaissance et le progrès.
Aujourd’hui, aucune découverte scientifique, aussi brillante qu’elle soit, ne pourra sortir l’humanité de la préhistoire obscure dans laquelle l’enferme un capitalisme à bout de souffle. La plus grande expérience qui se dresse désormais devant nous, n’est autre que la transformation en profondeur de la société, la seule alternative à la barbarie capitaliste qui puisse faire entrer l’humanité dans sa véritable histoire.
Maxime (23 octobre)
1) Il s’agit de la plus petite particule élémentaire connue à ce jour. Elle résulte de la collision entre deux protons, éléments qui constitue le noyau des atomes.
2) Cette distance représente la trajectoire la plus directe entre l’accélérateur du CERN et les détecteurs de Gran Sasso. La trajectoire des neutrinos traverse donc la croûte terrestre.
3) Soit un milliardième de seconde.
Le mois de septembre écoulé a été le théâtre de “révélations fracassantes” faites par l’un des acteurs de la “Françafrique”, Robert Bourgi, allant à la télévision française pour dire qu’il a été lui-même “porteur de valises” bourrées de billets et destinées au financement des partis politiques français. Comme l’ont dit certains médias, cette opération sent à la fois le règlement de comptes et la “fin de règne” du pouvoir en place.
Mais quelles que soient les motivations des véritables initiateurs de ce “déballage” à ciel ouvert, il ne reste pas moins que cette affaire est l’illustration d’un fait sordide et historique, à savoir la vraie “Françafrique” ou la “République des mallettes” (1) dans ses heures les plus abjectes, bref sous son manteau de “république bananière” à la française. Déjà laissons décrire le système par un de ses plus grands connaisseurs en l’occurrence le PDG de l’hebdomadaire Jeune Afrique, Béchir Ben Yahmed (2) :
“Il (le système) se perpétue depuis plus d’un demi-siècle, car il a pris naissance quelques années après les indépendances des pays africains, au Nord et au Sud du Sahara.
“Comme on le sait, ces indépendances ont été concédées par la France, bon gré mal gré, à partir de la fin des années 1950, et l’ancienne puissance métropole a tout naturellement voulu garder ces pays dans son orbite. Elle a alors instauré un système post-colonial de coopération et d’interdépendance, élaboré et régi pour l’Afrique subsaharienne, jusqu’à sa mort en 1997, par Jacques Foccart, choisi pour cette mission de confiance par le général de Gaulle.
“Pour les périodes où les gaullistes n’ont pas été au pouvoir, sous Giscard et Mitterrand, les rênes de ce système ont été confiées par ces deux présidents à des exécutants qui ont tout bonnement chaussé les bottes de Foccart.
“Baptisé “Françafrique”, entretenu par Charles Pasqua et d’autres, le système a réussi à survivre au xxe siècle ; il perdure à ce jour : de temps à autre affleure à la surface un incident de parcours qui montre que le “canard est toujours vivant”.
“Du côté africain, les instigateurs du système qui en sont vite devenu s– au sens littéral du terme- les “parrains”– ont pour nom Houphouët, Mobutu et Bongo (père). Ils ont disposé de sommes colossales et en ont utilisé une bonne part pour “lubrifier” leurs relations politiques, principalement, mais pas uniquement, en France (et en Belgique).
“Félix Houphoet-Boigny et Omar Bongo n’ont pas craint de dire ou de laisser entendre qu’ils avaient financé non seulement les hommes politiques français de droite et de gauche, mais aussi le leader de l’extrême-droite !
“En Afrique du Nord, l’ancien roi du Maroc, Hassan II, et l’ancien “Guide” de la révolution libyenne se sont adonnés à ce jeu d’argent et y ont inclus eux aussi, l’extrême-droite française”.
Voilà la vraie “Françafrique”, implacablement décrite, avec ses acteurs les plus divers venant de tous les horizons de l’appareil politique de la bourgeoisie sous la Ve République française.
Un système mafieux institutionnalisé sous De Gaulle et perpétué par tous ses successeurs de droite et de gauche. En clair, tandis que les uns se font financer leurs campagnes électorales ou “safaris africains”, les autres s’achètent ou se font construire des palais et des appartements de luxe en Europe, d’où l’appellation désormais célèbre de “biens mal acquis” (appartenant aux Bongo et compagnie). Une république de malfrats gouvernée alternativement par la droite et la gauche, ceux-là mêmes qui nous donnent sans cesse des leçons de “droit”, de “démocratie exemplaire”. Ce sont là d’odieuses pratiques d’autant plus criminelles que pendant ce partage des “butins africains” entre dirigeants français et africains, les populations, elles, crèvent de faim et subissent quotidiennement la misère et la violence des régimes mis en place ou protégés par l’ancienne puissance coloniale.
Mais ce qui est plus sordide dans ce système politique “françafricain” est le fait que celui qui gouverne la France aujourd’hui se trouve dans une position d’un grand cynisme en dénonçant régulièrement la “Françafrique” en public tout l’appliquant parfaitement en pratique, comme le montre le journal le Monde du 13/09/11) :
“Robert Bourgi a été formé à bonne école, celle de Jacques Foccart, grand architecte auprès du général de Gaulle, de ce système postcolonial dont il se prétend l’héritier. Son métier : vendre à des personnalités africaines des contacts auprès de hauts responsables français- ressemble à s’y méprendre à celui de ces “émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils inventent’, ceux-là mêmes dont le candidat Sarkozy avait ainsi annoncé la fin à Cotonou (Bénin) en 2006.
“Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, les affaires de cet intermédiaire discret ont été florissantes. A peine élu, le président de la République lui a remis la Légion d’honneur, en l’engageant à “ participer à la politique étrangère de la France avec efficacité et discrétion’. M. Bourgi sera l’émissaire officieux du président, l’homme des missions trop sensibles pour être confiées à ces légalistes de diplomates, qui le détestent. Il organise la rencontre entre M. Sarkozy et le président ivoirien, Laurent Gbagbo, à New York fin 2007, et fait intervenir Omar Bongo auprès de Nelson Mandela pour que Carla et Nicolas Sarkozy puissent être pris en photo, en 2008, avec l’icône sud-africaine”.
Et pour justifier son revirement, ou plutôt son hypocrisie sans bornes, Sarkozy invoque la fameuse “raison d’Etat” en expliquant que certains pays sont des amis de la France et “ils contribuent à son influence, cela ne sert à rien de se fâcher avec des alliés ( !)”. Donc exit l’époque où il déclarait ne pas vouloir serrer la “main des dictateurs”.
Cerné de plus en plus étroitement par ses rivaux sur le continent noir, l’impérialisme français n’a plus d’autre politique que reprendre ses accents interventionnistes et c’est bien cela qui explique sa récente intervention en Côte-d’Ivoire qui s’est traduite par le reversement sanglant du régime Gbagbo (3).
“En moins d’une décennie, le volume des échanges entre la Côte d’Ivoire et la Chine explose. D’une cinquantaine de millions d’euros en 2002, il oscille autour du demi-milliard d’euros en 2009. Favorisé par la crise économique en Occident et regorgeant de surplus commerciaux et de devises,, la Chine a supplanté la France et les Etats-Unis en Afrique. Le triomphe de la diplomatie économique chinoise, en Afrique de l’Ouest notamment, confirme la proximité géopolitique entre M. Gbagbo et la gérontocratie pékinoise. L’éviction de la France par la Chine en Côte-d’Ivoire et en Afrique est perçue par le Quai d’Orsay comme une gifle géopolitique inacceptable. Dès lors, la destitution de M. Gbagbo faisait partie des priorités stratégiques de la France”.
Donc, contrairement à la propagande véhiculée par les médias français, le renversement de Laurent Gbagbo n’avait aucun “objectif humanitaire”, mais avait pour seul but de défendre coûte que coûte les intérêts du capital français, gravement menacés par la Chine notamment. C’est d’ailleurs ce que confirme un autre organe de presse4 dénonçant au passage l’hypocrisie du président français :
“Nicolas Sarkozy avait proclamé urbi et orbi la fin de la Françafrique, mais, pour beaucoup, son implication directe et active dans la crise ivoirienne rappelle une fâcheuse ingérence digne de cette époque où la cellule africaine de l’Elysée décidait de l’avenir politique des rois nègres. (…) Mais, quelles que soient les motivations réelles et cachées de cette intervention française, dans sa finalité, elle ne diffère en rien de la Françafrique originelle, c’est-à-dire celle conçue par le général de Gaulle et mise en œuvre par son bras séculier, Jacques Foccart. (…) Le prix à payer par Alassane Ouattara, “président élu”, mais installé par la force Licorne, sera le même que celui réglé par les nombreux dictateurs portés au pouvoir par le mercenaire (français) Bob Denard (décédé en 2007) : servir d’abord les intérêts français, qu’incarnent les multinationales comme Total, Bouygues, Bolloré, et nous en passons. La Françafrique reste la Françafrique : la France-à-fric”.
Le problème est que les temps ont changé et que la France n’est plus en mesure de se faire obéir “au doigt et à l’œil” comme aux beaux jours de la France gaulliste et que le renversement du régime Gbagbo a laissé le chaos sanglant intact en Côte d’Ivoire. En effet, au lendemain du coup de force de la France en avril dernier, on constate que les mêmes bandes sont toujours armées et sèment terreur et massacres tous les jours, sans parler de l’état de déliquescence de l’armée officielle comme l’indique Jeune Afrique du 16/07/11 :
“(Le problème d’Ouattar) : En cause, les hommes en armes paradant dans Abidjan et sillonnant l’ensemble du pays. D’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient… Parmi eux, les militaires de carrière, républicains et disciplinés ont perdu la main. Seigneurs de guerre, combattants recyclés en chefs de gangs, miliciens ou soldats pro-Ouattara de la 25e heure, eux, règnent en maîtres. Sans les patrouilles de l’Onuci et de l’opération Licorne, le pire serait à craindre. Sidéré par une défaite militaire éclair, le gros de la troupe (50 000 hommes) des ex-Forces de défense et de sécurité (FDS) de Gbagbo a déserté. Beaucoup sont partis avec armes et bagages. Dans ces rangs à présent disséminés figurait également la soldatesque de Gbagbo, en partie tribalisée. Elle peut être considérée, aujourd’hui, comme une sorte de cellule dormante potentiellement dangereuse et difficilement recyclable. Exils pour les uns, poursuites judiciaires ou allégeances forcées pour les autres... La matrice de l’ancienne armée a, de fait, disparu.
“En face, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), créées par Alassane Ouattara avant l’assaut final sur Abidjan sur la base des ex-rebelles, sont incapables, pour l’instant, de justifier leur appellation, rongées de l’intérieur par l’indiscipline et un défaut de commandement sur lesquels prospèrent les fameux comzones. Ils ont fait la loi dans la Nord du pays depuis 2002. Ils dupliquent, sans vergogne et sans entrave, à Abidjan, leurs méthodes qui n’ont rien à voir avec le bréviaire du parfait soldat”.
Autrement dit, Sarkozy a beau se vanter d’avoir remis la “démocratie ivoirienne” sur les rails, la réalité nous montre que tout reste à faire pour instaurer la “paix” en Côte d’Ivoire.
Nous venons d’apprendre que le gangster libyen a été liquidé suite à une opération militaire téléguidée par les forces de l’OTAN impliquant notamment la France. Et tous les dirigeants des grandes capitales occidentales célèbrent hypocritement l’évènement en saluant la mort du “méchant dictateur libyen”.
Pourtant, Kadhafi a été un grand ami de la France jusqu’à tout récemment, comme le rappelle l’hebdomadaire le Canard enchaîné du 14/09/11 :
“Le soutien de Paris aux flics de Kadhafi (…) Cette généreuse collaboration a surtout consisté, pour les techniciens de la DRM et de la DGSE, à superviser, de juillet 2008 à février 2011 –début de la rébellion–, la mise au point des équipements d’espionnage électronique vendus à Kadhafi par des sociétés françaises (Amesys), américaines, chinoises et sud-africaines. Un matériel haut de gamme destiné à surveiller et à intercepter les communications téléphoniques ainsi que tout ce qui circule sur Internet. En clair, un savoir-faire français et international qui a permis aux chefs libyens de détecter des opposants, de les espionner, de les torturer, voire de les envoyer au paradis”.
Quel cynisme extraordinaire, quelle duplicité de l’Etat français !
Voilà le pouvoir français qui célèbre publiquement la mort du “tyran libyen” en s’appropriant au passage le rôle du “sauveur du peuple libyen”, alors que, jusqu’au début de la guerre civile, dans ce pays, il mettait son “savoir-faire” répressif au service de Kadhafi en lui facilitant ainsi “l’envoi au paradis” de ses opposants. Il faut se rappeler aussi que le “Guide libyen” n’était pas seulement un gros client du capital français pour l’achat d’armements, il fut également membre du “club” des dirigeants africains qui se sont attachés à financer les partis politiques français. De ce fait on comprend mieux pourquoi les dirigeants français ont tant de mal à se débarrasser de la “Françafrique” et aussi pourquoi tous avaient intérêt à liquider Kadhafi à bout portant pour éviter qu’il ne parle à la barre d un tribunal international.
Amina (23 octobre)
1) Titre de l’ouvrage de Pierre Péan.
2) Jeune Afrique, 24 sept. 2011.
3) Wilson Saintelmy, le Monde, 16 mars 2011.
4) L’Observateur Paaga, in Courrier international du 21/04/11.
Depuis le 21 septembre, l’île de Mayotte est le théâtre d’un soulèvement social contre la cherté de la vie, la misère et le chômage. Ce bout de terre de l’océan Indien n’a pas d’autre intérêt pour la France que sa situation géostratégique sur la sinistre route maritime de l’Est africain. Si l’île est devenue, en début d’année, le 101ème département français, sa structure sociale reste un avatar désuet de l’empire colonial : les indigènes survivent dans une misère effroyable au service des couches supérieures venues de la métropole (exploitants agricoles, hauts fonctionnaires, commerçants, etc.) qui ne manquent également pas d’exploiter le petit contingent des prolétaires métropolitains. Quelques élus locaux noirs servent d’alibi ethnique à la préfecture qui a placé le conseil général et plus de la moitié des 17 communes de l’île sous tutelle. Le tableau de cette véritable caricature coloniale ne serait évidemment pas complet si Mayotte ne comptait pas son régiment de légionnaires.
L’activité principale de l’Etat consiste dans une traque brutale des clandestins comoriens qui affluent à bord d’embarcations de fortune. Les cow-boys de la police aux frontières (PAF), appuyés par un radar et un hélicoptère flambant neuf, effectuent de régulières descentes musclées dans les bidonvilles pour rafler ceux qui ont échappé aux interceptions en pleine mer. Avec ses méthodes expéditives, la PAF a opéré pas moins de 26 000 “reconduites à la frontière” en 2010. Si “le combat est loin d’être gagné”, “c’est presque autant que pour tout le territoire métropolitain !”, s’est félicité Nicolas Sarkozy en 2009. Malgré le matraquage idéologique récurrent sur l’immigration clandestine, la brutalité des expulsions choque les Mahorais qui ont bien sûr de nombreux liens de parenté avec les habitants de l’ensemble de l’archipel des Comores.
Cette chasse irrite d’autant plus que les moyens financiers et matériels mis en œuvre pour traquer les clandestins tranchent avec l’extrême pauvreté de la majorité de la population de Mayotte. Les statistiques sont édifiantes : sur une population d’environ 200 000 habitants, seules 30 000 personnes ont un emploi. En d’autres termes, le salaire d’un travailleur, en moyenne de 80 % du salaire minimum de la métropole, fait souvent vivre plus de six personnes, alors que les revenus sociaux sont presque inexistants. Par exemple, le Conseil Général versera aux chômeurs de longue durée seulement 25 % du déjà misérable RSA à partir de 2012.
Si les revenus de la population sont très bas, les prix des marchandises, même les plus élémentaires, sont terriblement élevés. Les commerçants profitent en effet de l’isolement de l’île, accentué par des infrastructures portuaires et aéroportuaires obsolètes, pour gonfler les prix sans aucun scrupule. Depuis 2007, les prix ont grimpé de 40 % : le kilo d’ailes de poulets congelées, et souvent périmées, le plat principal sur Mayotte, coûte environ 30 euros, la bouteille de gaz se monnaye actuellement à 31 euros. Evidemment, les cas de malnutrition sont en augmentation, mais, par bonheur, le président Sarkozy a promis aux habitants une mise à niveau… sur vingt-cinq ans.
Dans ce contexte, un mouvement social contre la cherté de la vie a éclaté le mercredi 21 septembre à Mamoudzou, chef-lieu de l’île. Trois centrales syndicales et deux associations de consommateurs appelaient à bloquer les véhicules sur le rond-point dit “SFR”, nœud de la circulation sur l’île. Ces “opérations escargot” sont de véritables coupe-gorges syndicaux destinées à exposer les manifestants à la répression policière. En effet, dès l’aube, les gendarmes attendaient de pied ferme les 3000 manifestants. L’agressivité et les provocations policières firent monter d’un cran la colère des manifestants qui finirent par se diriger vers Mamoudzou afin d’éviter les confrontations stériles. Aussitôt, des élus locaux entrèrent en scène pour ramener la foule sur le rond-point afin de poursuivre le blocage de la circulation. Enumérant les délibérations du Conseil Général, un élu se fit interrompre par les manifestants : “On s’en fout ! Nous voulons une réponse à la cherté de la vie avec une baisse des prix du riz et des mabawas (ailes de poulets) !”. “L’opération escargot” finit par s’échouer aux portes de la préfecture où les syndicats étaient reçus de longues heures sans résultat sinon pour appeler à la grève la semaine suivante.
Le mardi suivant, visiblement insatisfaits de leur encadrement brouillon, les syndicats appelèrent à nouveau à bloquer la circulation mais à deux endroits différents. Le chef de la CFDT se félicitait d’ailleurs de la meilleure préparation de la manifestation avec un “service d’ordre interne”. Au même moment, les enseignants étaient appelés à manifester dans leur coin contre les suppressions de postes dans l’éducation nationale ; un saucissonnage en règle que les enseignants rompirent en réclamant de manifester avec le reste de la population. Les manifestants se rassemblèrent à nouveau au rond-point “SFR”. Jusque-là conciliants et discrets, c’est-à-dire satisfaits de l’encadrement du “service d’ordre” syndical, les gendarmes multiplièrent les provocations et les agressions. Les cailloux commencèrent à pleuvoir tandis que les gendarmes, soutenus par des renforts venus de l’île de la Réunion, évacuaient le rond-point avec brutalité et brûlaient les nombreux barrages routiers aussitôt surgi.
Le lendemain, les manifestations, que rejoignaient de nombreux travailleurs, reprirent à Mamoudzou, tandis que la grève se répandait à d’autres localités et entraînait de nombreux secteurs. Au rond-point “SFR”, la tension montait encore d’un cran entre la gendarmerie et les manifestants, excédés par les provocations policières. Avec le porte-voix de la police, les leaders syndicaux, qui s’employaient méthodiquement à provoquer des confrontations depuis les premières heures du mouvement, demandèrent aux grévistes de ne pas bloquer la circulation et de ne rien casser. Les combats reprirent presque aussitôt. Dans plusieurs autres villes, les manifestants érigeaient des barricades et les combats tournaient rapidement à l’émeute. Ce sont les jeunes qui représentent plus de la moitié de la population, qui se trouvaient aux avant-postes de la révolte : sans perspectives et victimes d’un chômage massif, ils ont exprimé toute leur rage derrière les barricades.
Le 30 septembre, alors que les émeutes se poursuivaient sur l’ensemble de l’île, Mayotte était totalement bloquée par la grève : stations-services et supermarchés fermés, administrations au ralenti, chantiers bloqués, routes barrées, transports au point mort, etc. Les manifestants de Mamoudzou et de Kawéni, sous l’impulsion des syndicats, obligèrent les commerçants à fermer leur boutique, particulièrement les moyennes et les grandes surfaces. Le blocage des supermarchés et des routes de Mayotte joue le même rôle que celui des raffineries pétrolières métropolitaines en 2010 pendant la lutte contre la réforme des retraites : il s’agit pour les syndicats de monter les travailleurs les uns contre les autres en déchaînant des campagnes médiatiques sur le thème de la “prise d’otage” d’autant plus facilement que de nombreuses personnes n’ont plus accès aux biens de première nécessité. De même, le blocage des routes entrave le déplacement des travailleurs et des délégations de grévistes vers les autres entreprises et les rassemblements, en favorisant l’enfermement corporatiste.
Débordés par les évènements, les syndicats avaient entamé, quelques jours plus tôt, la première d’une longue série de négociations avec les représentants locaux de l’Etat et du patronat afin d’étouffer le mouvement. En effet, dans la soirée, l’ensemble des syndicats, à l’exception de FO qui refusait de participer aux négociations, signèrent un “accord de sortie de crise” grotesque avec les enseignes de la distribution et le préfet : réduction du prix du riz et des boîtes de sardine de 10 % et du kilo d’ailes de poulets de 5 € pendant … un mois. Des manifestants, rassemblés devant la préfecture, accueillirent évidement la nouvelle sans enthousiasme et poussèrent les syndicats, qui venaient pourtant de signer l’enterrement du mouvement contre quelques miettes, à appeler à la poursuite de la grève. Le lundi 3 octobre, les syndicats tentèrent à nouveau de tuer le mouvement en annonçant un calendrier de négociation, produit par produit, sur un mois. Rien n’y faisait : la grève se poursuivit et s’étendait aussi rapidement que la méfiance envers les syndicats. Aux fenêtres de la préfecture, une manifestante interpella les syndicalistes au mégaphone : “Ne signez rien qui nous désavantagerait !” Comment ? Les syndicats pourraient donc signer des accords contraires aux intérêts des travailleurs ?
Le mardi 4 octobre, les émeutes cessèrent mais les rangs des grévistes et des manifestants étaient toujours plus importants, ce qui ne pouvait évidemment satisfaire ni les syndicats, ni l’Etat. Le lendemain, la police se déchaîna sur les manifestants faisant plusieurs blessés. Les échauffourées reprirent progressivement. Le même jour, un entrepôt de Kawéni fut “pillé” ; les sacs de riz furent placés sur la chaussée à la disposition des passants. Pendant ce temps, les négociations entre “les partenaires sociaux” débouchèrent sur un nouvel accord, tout aussi ridicule que le précédent.
Le vendredi 7 octobre, les syndicats, n’osant plus rien signer, “présentèrent” un nouvel accord aux manifestants rassemblés sur le parvis de la préfecture : nouveau refus catégorique de la population. Mais ouvertement satisfait de l’accord, les syndicats et le préfet décidèrent de “changer de méthode” pour expliquer au bon peuple que le poulet à 21€33 pendant un mois au lieu des 22€ de la première mouture de l’accord déjà rejeté, c’est une “avancée sur le fond”. Les “femmes mahoraises” furent donc convoquées sans grand succès à la préfecture. La veille et le jour même, des renforts de police et de gendarmerie avaient débarqué sur l’île en provenance de la Réunion et de la métropole pour mater le soulèvement, ce qui déclencha une nouvelle poussée de violence. Entre les arrestations arbitraires et les matraquages en règle, un petit garçon de 9 ans devait être transporté à l’hôpital de la Réunion pour une blessure grave au visage, suite aux tirs d’une grenade lacrymogène et de flash-ball.
Les manifestations, les grèves et les violences se poursuivirent plusieurs jours malgré l’intervention de la ministre de l’Outre-mer, Marie-Luce Penchard. Les syndicats et le préfet cherchaient manifestement à laisser pourrir la situation en bloquant les négociations sur la base de l’accord du 7 octobre et en simulant l’affrontement sur des points de détail.
Dans l’indifférence, Boinali Said, leader de la CFDT, annonçait, lundi 17 octobre, – ô joie ! ô allégresse ! ô félicité ! – sa candidature à l’élection législative de 2012. En fait, cette annonce annonçait la deuxième phase du pourrissement organisé du mouvement : devant leur impuissance à étouffer la combativité des travailleurs et des chômeurs contre la vie chère, les leaders syndicaux décidèrent en effet de reléguer les problèmes économiques au second plan en inscrivant la question du prix de la viande à l’ordre du jour des travaux de “l’observatoire des prix,” organe inutile issu des négociations : “c’est-à-dire en dehors de tout mouvement de grève”, ne s’empêcha pas de souligner le syndicaliste-candidat Boinali Said. Les syndicats et la gauche voulaient désormais donner au mouvement une “dimension intellectuelle” en déplaçant les discussions sur les questions ethniques et culturelles. Par la voix de Elie Domota, chef du LKP, charismatique leader de la grève générale en Guadeloupe, début 2009, qu’il avait menée dans la même impasse, les syndicats avaient déjà tenté de diviser les grévistes noirs et blancs autour des thèmes ethniques : “L’attitude du Préfet, de la Ministre des colonies et le black-out médiatique […] expriment clairement la volonté de l’Etat français de soumettre, par tous moyens, les Travailleurs et le peuple mahorais au diktat des importateurs-distributeurs. Domination économique, domination culturelle et répression : telles sont les méthodes employées dans les dernières colonies.” Et Salim Nahouda, leader de la CGT-Mayotte d’en rajouter une couche dans un entretien au Monde du 13 octobre : “Là où notre mouvement rejoint [celui du LKP], c’est sur nos revendications pour l’intégration des Mahorais dans la vie économique de l’île. Actuellement, ce sont des métropolitains qui occupent les postes à responsabilités, les Mahorais en sont éliminés.”
Le 19 octobre, un tragique évènement devait renforcer l’orientation ethnique du mouvement. Peu avant midi, la rumeur d’un meurtre perpétué par la PAF, mobilisée pour l’occasion contre les manifestants, se répandit dans l’île : Ali El Anziz, 39 ans, officiellement victime d’un “mauvais massage cardiaque” suite au brutal assaut des policiers sur une barricade. Le secouriste lui aurait brisé les côtes qui ont “embrochées le cœur”. La répugnante explication ne convainquit personne. La colère et l’écœurement de la population explosaient. Dans la soirée, les barricades se dressèrent à nouveau sur les routes, tandis que les appels à la grève se multipliaient. L’occasion était trop belle pour la gauche et les syndicats. Le lendemain, une marche regroupant 7000 personnes, essentiellement noires, se tint en hommage à Ali El Anziz.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, le mouvement social contre la cherté de la vie évolue très clairement vers des revendications identitaires et nationalistes alors même qu’un “médiateur”, nommé par le gouvernement français, a été dépêché pour venir désamorcer le conflit. S’il est impossible de deviner quelle orientation prendra désormais ce mouvement, des leçons, utiles à l’ensemble de la classe ouvrière internationale, peuvent déjà être tirées :
1. La gauche et les syndicats ne sont que des rouages de l’Etat capitaliste. Dans la lutte des Mahorais contre la vie chère et le chômage, ils ont été en première ligne pour canaliser le mouvement en favorisant les confrontations stériles et démoralisantes contre les forces de répression, en proposant des actions qui ont créé de la rancœur entre les exploités et en négociant en leur nom des accords ridicules. Les exploités doivent s’opposer à ces faux amis en prenant en main leur lutte, à travers des assemblées souveraines où les délégués sont mandatés et révocables à tout moment.
2. Les conflits comme les revendications ethniques, avatar du nationalisme, sont un poison pour les travailleurs. Le gouvernement des Comores ne vaut pas mieux que celui de la France. Noirs ou Blancs, tous les dirigeants du monde sont des exploiteurs ; Noirs ou Blancs, l’ensemble des exploités ont les mêmes intérêts de classe à défendre. Aux divisions ethniques, religieuses et culturelles, les prolétaires doivent opposer leur unité et leur solidarité de classe.
3. La seule façon de répondre aux brutalités de l’Etat et de sa police et la seule façon de défendre nos intérêts réside dans notre capacité à massifier nos luttes, c’est-à-dire à étendre le mouvement dans l’ensemble des secteurs, par-delà les frontières corporatistes et nationales. Malgré leur faiblesse matérielle et leur isolement géographique, les prolétaires mahorais en lutte doivent chercher la solidarité partout où cela est possible, dans tous les secteurs de l’économie, y compris dans les îles voisines.
V. (23 octobre)
L’anniversaire de la tragédie du 17 octobre 1961, c’est-à-dire celui du massacre de manifestants algériens, dont le nombre de victimes n’a jamais été clairement établi, a été l’occasion pour la bourgeoisie française d’essayer de solder une affaire très embarrassante pour son image démocratique. Il n’est pas étonnant que ces faits aient été occultés depuis plus d’une cinquantaine d’années !
Le gouvernement français, dans un contexte de fin de guerre coloniale, avait décidé d’isoler davantage le FLN (Front de libération national algérien) en le coupant au maximum de ses appuis sur le territoire. Au sommet de l’Etat, le général de Gaulle, quelques mois à peine avant de se présenter auréolé comme “l’homme providentiel de la décolonisation” à partir des accords d’Evian signés avec le FLN consacrant l’indépendance de l’Algérie, le premier ministre Michel Debré, le ministre de l’intérieur Roger Frey et, en bout de chaîne, le préfet de police de la Seine Maurice Papon (1) avaient décidé de durcir la chasse à l’homme contre les Algériens. Pour ce faire, une nouvelle unité spéciale, la “force de police auxiliaire”, pouvait démultiplier les exactions contre les immigrés algériens en toute impunité : arrestations arbitraires, tabassages, tortures, ratonnades et meurtres. Un couvre-feu discriminatoire était même décrété le 5 octobre par la préfecture exclusivement pour les Nord-Africains. Cette sinistre et ignoble pression sur les “musulmans de France”, déjà stigmatisés et méprisés, vivants pour la plupart misérablement dans des bidonvilles, devenait insupportable. En signe de protestation, une manifestation pacifique était décidée par le FLN. L’après-midi du 17 octobre, une foule de 30 000 personnes convergeait alors des banlieues vers le centre de Paris. Brutalement, les policiers chauffés à blanc encerclaient les manifestants. Comme le dira dans son témoignage Mohamed Ouchik : “A ce moment-là, l’étau s’est resserré sur les Algériens. La police prenait les Algériens et les jetaient dans la Seine” (2). Des coups de feux étaient tirés sur la foule, les coups de pieds, les coups de matraques pleuvaient, fracassant et explosant le crâne de civils sans défense. Selon bon nombre de témoignages, les matraques se brisaient sur les crânes tant la hargne et la sauvagerie policière étaient fortes. Les milliers d’arrestations, dignes des rafles les plus terribles de l’histoire, alimentaient des bus chargés conduits vers des stades. Des manifestants entassés dans des fourgons étaient dirigés vers le Palais des Sports de la Porte de Versailles. Parqués dans des conditions inhumaines, les Algériens arrêtés étaient roués de coups, passés à tabac, et parfois même torturés. Selon Joseph Gommenginger, ancien gardien de la Paix et témoin : “Au fur et à mesure que les cars arrivaient, ils (les Algériens, NDLR) étaient déchargés manu militari, projetés à terre, frappés par une double haie de gardiens de la paix qui se disaient comité d’accueil” (2). Plus tard dans la soirée, “plusieurs témoins ont vu un grand tas de corps sans vie, ramassés par la police devant le fameux cinéma le Grand Rex (II° arrrondissement), tandis que d’autres ont aperçu de long morceaux de tissus étendus sur des piles bosselées, le long de trottoirs ensanglantés de l’Opéra (IX° arrondissement) (...) En fait, les seuls objets en mouvement étaient ces cadavres qui, jetés des ponts de la ville, flottaient sur la Seine” (3).
Les estimations les plus fiables des historiens avancent les chiffres de 100 à 300 morts, sans compter les milliers de blessés qui ont résulté également de cette répression. Selon le point de vue des historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master, ces massacres constituent “dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale, la répression la plus violente et la plus meurtrière qu’ait jamais subit une manifestation de rue désarmée”. On comprend mieux pourquoi il fallait absolument faire disparaître des mémoires, au moins tout un temps, ce grand crime d’Etat.
Toute la bourgeoisie, de droite comme de gauche, a su jouer sa partition pour garantir l’omerta et la censure. Quelques mois à peine après le tragique événement, le 8 février 1962, les forces de l’ordre réprimaient encore une nouvelle manifestation. A la bouche de métro de la station Charonne, huit personnes perdaient la vie (étouffées ou le crâne fracassé). Une neuvième victime allait mourir peu après de ses blessures à l’hôpital. Contrairement au quasi silence qui a suivi le massacre du 17 octobre, les partis de gauche et les syndicats, relayés par les journaux (4) allaient cette fois fortement se mobiliser et polariser sur l’événement lui-même, au point d’en occulter les précédents crimes du 17 octobre. Ainsi, par exemple, c’est de façon délibérée que le journal le Monde, alors qu’il nous livre tant de détails aujourd’hui, pouvait se permettre d’écrire mensongèrement le 10 février 1962 à propos de Charonne : “C’est le plus sanglant affrontement entre policiers et manifestants depuis 1934.” Ce qui s’était passé le 17 octobre 1961 ? Probablement un... “détail”, qu’il fallait naturellement minorer !
Il ne faut pas se tromper, les mêmes bourgeois qui “s’indignent” aujourd’hui, sont ceux qui hier ordonnaient et cautionnaient les basses œuvres de la police, assuraient la censure. Aussi, les grandes déclarations et gestes symboliques des politiciens, comme ceux aujourd’hui de Bertrand Delanoë, amateur de plaques commémoratives, ou de François Hollande, filmé et photographié avec ses roses jetées dans la Seine depuis le pont de Clichy, ne sont que pure hypocrisie et propagande. Profitant de l’oubli de ce massacre et du jugement assez récent de Maurice Papon pour crime contre l’humanité, la bourgeoisie tente sinon de blanchir, au moins de dédouaner en partie l’état démocratique, notamment en pointant du doigt la responsabilité exclusive du gouvernement de l’époque, voire du seul Maurice Papon.
Une des tactiques de la bourgeoisie, outre les mensonges (ouverts ou “par omission”), c’est de cacher systématiquement ses propres crimes au moment des faits. Généralement, ce n’est que longtemps après que le public “découvre” les événements par des “révélations” qui sont en fait des informations connues de tous les journalistes depuis le début, mais qu’ils font mine d’exhumer à un moment choisi après les avoir soigneusement cachées. Au début, l’objectif du silence obligatoire est de prévenir toute forme de révolte pour maintenir l’ordre. Bien après, il s’agit de jouer la carte de la “transparence”, de la “démocratie”, pour pervertir et stériliser toute forme de réflexion et de questionnement possible de la part des ouvriers sur le sens politique des événements. C’est d’ailleurs le moment choisi pour graver dans le marbre la version officielle, celle qui figurera dans les manuels d’histoire, c’est-à-dire une version inoffensive pour l’état bourgeois et ses sbires, dédouanant le système d’exploitation barbare qu’est le capitalisme. Aujourd’hui, les révélations ne sont donc pas “neutres”. Elles s’inscrivent dans cette volonté de pourrir les consciences en redorant le blason d’une gauche lancée dans la campagne présidentielle. Cette gauche, héritière des Guy Mollet et Mitterrand (5), celle qui allait donner tous les pouvoirs au général Massu et à sa 10e division parachutiste pour la “bataille d’Alger”, celle qui a couvert les actes de torture systématiques et les milliers d’exécutions, c’est la même dont celle d’aujourd’hui est la digne héritière. Derrière toute la campagne idéologique et les cérémonies commémoratives se cache donc un objectif partagé, celui que révèle un député dans sa lettre adressée au président de la République : “Ma démarche ne procède pas d’une recherche de repentance de notre pays qui ne serait utile pour personne, mais d’une (...) reconnaissance qui rende la France plus forte et plus unie” (6).
Autrement dit, ce que vise toute cette campagne n’est autre que l’“union sacrée”, l’idéologie nationaliste destinée à empêcher toute véritable démarche critique.
Pourtant, les méthodes sanguinaires de l’Etat bourgeois doivent révéler au grand jour, une fois de plus, la nature barbare et le vrai visage de la bourgeoisie. Il ne s’agit pas simplement d’escrocs qui exploitent notre force de travail et nous réduisent à la misère, de spéculateurs ou de politiciens véreux sans scrupules, il s’agit aussi de véritables assassins prêts à massacrer ceux qui voudront renverser le système, l’ordre des exploiteurs, comme tous ceux qui dérangent leurs desseins.
WH, 22 octobre 2001
1) Maurice Papon a été un haut fonctionnaire de l’Etat français condamné en 1998 pour complicité de crime contre l’humanité pour des actes (il a contribué à la déportation des juifs) commis durant le régime de Vichy. Il est mort en 2007.
2) M. Ouchik était membre du FLN. Source : http ://www.ldh-toulon.net/spip.php ?article4638 [257]
3) www.nouvelobs.com/rue89 [258]
4) Le photographe de presse américain Elie Kagan s’est vu systématiquement refuser ses clichés par toutes les rédactions au motif qu’ils étaient un peu “trop choquants” !
5) “Lors du début de l’insurrection et rébellion nationaliste algérienne, les “socialistes” étaient au pouvoir en France et le gouvernement comprenait alors Guy Mollet, Mendès-France et le jeune F. Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur. Le sang de tous ces “authentiques démocrates” ne fit qu’un tour et les pleins pouvoirs sont confiés à l’armée en 1957 pour rétablir “l’ordre républicain”. Très vite les grands moyens sont employés, en représailles d’un attentat contre des colons ou l’armée, on rase des villages et des douars entiers, l’aviation mitraille systématiquement des caravanes. Deux millions d’Algériens, soit près du quart de la population totale, furent chassés de leurs villages et zones de résidence, pour être parqués à la totale merci de l’armée dans des “camps de re-groupements” où, selon un rapport de M. Rocard, alors inspecteur des Finances : “Les conditions sont déplorables et au moins un enfant meurt par jour”. Voir notre article “Les massacres et les crimes des grandes démocraties [259]” voir Revue internationale no 66, 1991.
6) Lettre du député de Seine-Saint-Denis Daniel Golberg, www.elmoudjahid.com/fr/actualites/17989 [260].
Il fut un temps, pas si lointain, où les révolutionnaires ne rencontraient que scepticisme ou raillerie lorsqu’ils affirmaient que le système capitaliste allait vers la catastrophe. Aujourd’hui, ce sont les plus chauds partisans du capitalisme qui le disent : “Le chaos est là, juste devant nous” (1) (Jacques Attali, ancien collaborateur très proche du Président Mitterrand, ancien Directeur de la BERD (2) et actuellement conseiller du Président Sarkozy). “Je crois que vous ne vous rendez pas compte que d’ici deux jours, ou une semaine, notre monde pourrait disparaître. C’est Armageddon… Nous sommes tout près d’une grande révolution sociale” (3) (Jean-Pierre Mustier, directeur de banque, anciennement à la Société Générale). Ce n’est pas de gaieté de cœur que ces défenseurs du capitalisme admettent que leur idole est moribonde. Ils en sont évidemment désolés, d’autant plus qu’ils constatent que les solutions qu’ils envisagent pour la sauver sont irréalistes. Comme le fait remarquer la journaliste qui rapporte les propos de Jean-Pierre Mustier : “Pour les solutions, on reste un peu sur sa faim.” Et pour cause !
Ce n’est certainement pas ceux qui, malgré leur lucidité sur les perspectives du capitalisme, considèrent qu’il n’y a pas d’autre système possible pour l’humanité qui peuvent proposer des solutions à la catastrophe qui s’abat aujourd’hui sur l’humanité. Car il n’y a pas de solution aux contradictions du capitalisme dans ce système. Les contradictions qu’il affronte sont insurmontables parce qu’elles ne découlent pas de sa “mauvaise gestion” par tel ou tel gouvernement ou par la “finance internationale” mais tout simplement des lois même sur lesquelles il est fondé (4). C’est uniquement en sortant de ces lois, en remplaçant le capitalisme par une autre société, que l’humanité pourra surmonter la catastrophe dans laquelle elle s’enfonce inexorablement.
Au même titre que les sociétés qui l’on précédé, l’esclavagisme et le féodalisme, le capitalisme n’est pas un système éternel. L’esclavagisme prédominait dans la société antique parce qu’il correspondait au niveau d’alors des techniques agricoles. Quand celles-ci ont évolué, exigeant une plus grande attention de la part des producteurs, la société est entrée dans une crise profonde (par exemple la décadence romaine) et il a été remplacé par la féodalisme où le serf était attaché à sa terre tout en travaillant sur celles du seigneur ou en cédant à ce dernier une partie de ses récoltes. A la fin du Moyen-Âge, ce système est devenu caduc plongeant la société dans une nouvelle crise historique. Il a été alors remplacé par le capitalisme qui n’était plus fondé sur la petite production agricole mais sur le commerce, le travail associé et la grande industrie, eux-mêmes permis par les progrès de la technologie (par exemple la machine à vapeur). Aujourd’hui, du fait de ses propres lois, le capitalisme est devenu caduc à son tour. à son tour, il doit céder la place.
Mais céder sa place à quoi ? Voilà LA question très angoissante que se posent tous ceux qui, de plus en plus nombreux, prennent conscience que le système actuel n’a plus d’avenir, qu’il emmène avec lui l’humanité dans le gouffre de la misère et de la barbarie. Ce serait se prétendre devin que de décrire dans ses moindres détails cette société future, mais une chose est certaine : elle devra en premier lieu abolir la production pour un marché et la remplacer par une production n’ayant comme seul objectif que la satisfaction des besoins humains. Aujourd’hui, nous sommes devant une véritable absurdité : dans tous les pays, l’extrême pauvreté progresse, la majorité de la population est contrainte de se priver de plus en plus, non pas parce que le système ne produit pas assez mais au contraire parce qu’il produit trop. On paye les agriculteurs pour qu’ils réduisent leur production, on ferme les entreprises, on licencie en masse les salariés, on condamne au chômage des proportions considérables de jeunes travailleurs, y compris lorsqu’ils ont fait de longues années d’études et, à côté de cela, on oblige les exploités à se serrer de plus en plus la ceinture. La misère et la pauvreté ne sont pas la conséquence d’un manque de main d’œuvre capable de produire, d’un manque de moyens de production. Elles sont les conséquences d’un mode de production qui est devenu une calamité pour l’espèce humaine. C’est seulement en rejetant radicalement la production pour le marché, en abolissant tout marché, que le système qui doit succéder au capitalisme pourra réaliser la devise : “De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins”.
Mais comment parvenir à une telle société ? Quelle force dans le monde est capable de prendre en charge un tel bouleversement de toute la vie de l’humanité ?
Il est clair qu’un tel bouleversement ne peut venir des capitalistes eux-mêmes ni des gouvernements existants qui TOUS, quelle que soit leur couleur politique, défendent le système et les privilèges qu’il leur procure. Seule la classe exploitée du capitalisme, la classe des travailleurs salariés, le prolétariat, peut mener à bien un tel bouleversement. Cette classe n’est pas la seule subissant la misère, l’exploitation et l’oppression. Il est de par le monde des multitudes de petits paysans pauvres qui eux aussi sont exploités et vivent dans une misère souvent bien plus cruelle que celle des ouvriers de leur pays. Mais leur place dans la société ne leur permet pas de prendre en charge l’édification de la nouvelle société, même s’ils seraient évidemment intéressés eux aussi par un tel bouleversement. De plus en plus ruinés par le système capitaliste, ces petits producteurs aspirent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire, à revenir au temps béni où ils pouvaient vivre de leur travail, où les grandes compagnies agro-alimentaires ne leur retiraient pas le pain de la bouche. Il en est autrement des producteurs salariés du capitalisme moderne. Ce qui est à la base de leur exploitation et de leur misère, c’est le salariat, c’est le fait que les moyens de production soient entre les mains de la classe capitaliste (sous forme de capitaux privés ou de capitaux d’État) et que le seul moyen de gagner leur pain et leur toit est de vendre leur force de travail aux détenteurs du capital. Ainsi, l’abolition de leur exploitation passe par l’élimination du salariat, c’est-à-dire l’achat et la vente de la force de travail. En d’autres termes, l’aspiration profonde de la classe des producteurs salariés, même si la majorité de ses membres n’en a pas encore conscience, est d’abolir la séparation entre producteurs et moyens de production qui caractérise le capitalisme et d’abolir les rapports marchands à travers lesquels ils sont exploités et qui justifient en permanence les attaques contre leur revenu puisque, comme dit le patron (et tous les gouvernements), “il faut être compétitif”. Il s’agit donc pour le prolétariat d’exproprier les capitalistes, de prendre en main collectivement l’ensemble de la production mondiale afin d’en faire un moyen de satisfaire réellement les besoins de l’espèce humaine. Cette révolution, puisque c’est de cela qu’il s’agit, va se heurter nécessairement à tous les organes que s’est donné le capitalisme pour établir et préserver sa domination sur la société, en premier lieu ses États, ses forces de répression mais aussi tout l’appareil idéologique destiné à convaincre les exploités, jour après jour, qu’il n’y a pas d’autre système possible que le capitalisme. La classe dominante est bien décidée à empêcher par tous les moyens la “grande révolution sociale” qui hante le banquier que nous avons cité plus haut et beaucoup de ses pairs.
La tâche sera donc immense. Les luttes qui se sont déjà engagées contre l’aggravation de la misère dans des pays comme la Grèce et l’Espagne (5) ne sont ainsi qu’une première étape, nécessaire, des préparatifs du prolétariat pour renverser le capitalisme. C’est dans ces luttes, dans la solidarité et l’union qu’elles permettent de développer, c’est dans la prise de conscience qu’elles favoriseront de la nécessité et de la possibilité de renverser un système dont la faillite sera tous les jours plus évidente, que les exploités forgeront les armes nécessaires à l’abolition du capitalisme et à l’instauration d’une société enfin libérée de l’exploitation, de la misère, des famines et des guerres.
Le chemin est long et difficile mais il n’y en a pas d’autre. La catastrophe économique qui se profile, et qui suscite tant d’inquiétude dans les milieux de la bourgeoisie, va signifier pour l’ensemble des exploités de la terre une aggravation terrible de leurs conditions d’existence. Mais elle permettra aussi qu’ils s’engagent sur ce chemin, celui de la révolution et de la libération de l’humanité.
Fabienne (7 décembre)
1) Le Journal du dimanche du 27/11/2011
2) Banque européenne pour la reconstruction et le développement.
3) www.challenges.fr/finance-et-marche/quand-l-ex-patron-de-jerome-kerviel-prevoit-l-apocalypse_1294 [262]
4) Lire notre article page 3, “La crise de la dette : Pourquoi ?” qui analyse ces lois et souligne les véritables racines de la crise historique du système capitaliste.
5) Lire notre article page 4 : “A propos de la mobilisation en Espagne : un pas vers l’internationalisme”.
L’économie mondiale connaît une débâcle que la classe dominante parvient de plus en plus difficilement à masquer. Les différents sommets internationaux à répétition censés chaque fois “sauver le monde”, des G20 aux multiples rencontres franco-allemandes, ne font en effet que révéler toujours un peu plus l’impuissance de la bourgeoise à ranimer son système. Le capitalisme est dans une impasse. Et cette absence totale de solution et de perspective est en train de raviver les tensions entre les nations ainsi qu’entre les cliques bourgeoises à l’intérieur de chaque pays, et de rendre de plus en plus instables les gouvernements. Des crises politiques sérieuses ont ainsi déjà éclaté :
• Au Portugal, le 23 mars dernier, le Premier ministre portugais, José Socrates, démissionnait devant le refus de l’opposition de voter un quatrième plan d’austérité afin d’éviter un nouvel appel à l’aide financière de l’Union européenne et du Fonds monétaire ;
• En Espagne, au mois d’avril, le Premier ministre José Luis Zapatero a dû annoncer par avance qu’il ne se représenterait pas en 2012, pour faire adopter son plan d’austérité ; mais ce plan d’austérité et les attaques très rudes contre les retraites, a été payé par la lourde défaite du PSOE aux législatives du 20 novembre, entraînant l’accession au pouvoir d’un nouveau gouvernement de droite conduit par Mariano Rajoy ;
• En Slovaquie, la Première ministre Iveta Radicova a été contrainte de saborder son gouvernement début octobre pour obtenir le feu vert du parlement à l’adoption d’un plan de secours pour la Grèce ;
• En Grèce, après l’annonce-surprise le 1er novembre, juste au lendemain du Sommet européen du 26 octobre, d’un projet de référendum qui a suscité un affolement et un gigantesque tollé des autres puissances européennes, Georges Papandréou a dû rapidement y renoncer sous la pression internationale et s’étant vu contesté, désavoué et mis en minorité dans son propre parti, le PASOK. Il s’est alors résigné à démissionner le 9 novembre et à passer la main à l’équipe Papademos ;
• En Italie, c’est le lâchage par ses pairs européens mais aussi par tous les acteurs du marché mondial, parce qu’il était jugé incapable de faire passer les mesures drastiques qui s’imposaient, qui ont poussé le très contesté président du conseil Silvio Berlusconi à se démettre de ses fonctions le 13 novembre alors que ni la rue ni les scandales à répétition n’avaient réussi à le faire tomber ;
• Aux Etats-Unis, la bourgeoisie américaine se déchire autour de la question du relèvement du plafond de la dette. Cet été, un accord bancal et éphémère a été trouvé in extremis. Et cette même question risque à nouveau de faire des ravages d’ici quelques semaines ou quelques mois. De même, l’incapacité d’Obama de prendre de réelles décisions, la division au sein du camp démocrate, la véhémence du Parti républicain, la montée en puissance de l’obscurantiste Tea Party… montrent à quel point la crise économique sape la cohésion de la bourgeoisie la plus puissante au monde.
Ces difficultés ont trois racines qui s’entremêlent :
1. La crise économique aiguise les appétits de chaque bourgeoisie nationale et de chaque clique. Pour prendre une image, le gâteau à se partager devient de plus en plus petit et la guerre pour arracher sa part de plus en plus haineuse. Par exemple, en France, les règlements de compte entre les différents partis et parfois au sein même de ces partis, à coups d’affaires de mœurs, de scandales financiers, de révélations de corruption et de procès retentissants, relèvent pleinement de cette compétition sans foi ni loi pour le pouvoir et les avantages qui en découlent. De même, les “divergences partielles de point de vue” (autrement dit, une fois le langage diplomatique décrypté, “l’affrontement ouvert de positions inconciliables”) qui s’expriment dans les grands sommets sont le fruit de la lutte à mort au sein du marché économique mondial en crise.
2. La bourgeoisie n’a aucune réelle solution pour enrayer la dégringolade de l’économie mondiale. Chaque fraction, de gauche ou de droite, ne peut donc proposer que des mesures vaines et irréalistes. Or, chacune de ses fractions ne voit pas l’inefficacité de ses propositions mais a pleinement conscience de l’impuissance de la politique de la fraction adverse. Chaque fraction sait que la politique de l’autre mène droit dans le mur. Voilà ce qui explique fondamentalement le blocage des décisions concernant l’élévation du plafond de la dette aux Etats-Unis : les démocrates savent que les options républicaines mènent le pays à la déroute… et réciproquement !
C’est pourquoi les appels lancés un peu partout, de la Grèce à l’Italie, de la Hongrie aux Etats-Unis, à “l’union nationale” et aux sens des responsabilités de tous les partis sont tous désespérés et illusoires. En réalité, face au bateau qui menace de sombrer, c’est plus que jamais le “sauve qui peut” qui prévaut dans la classe dominante, où chacun ne cherche avant tout qu’à sauver sa peau aux dépens des autres.
3. Mais toutes ces divisions n’expliquent pas elles seules l’instabilité actuelle des gouvernements. La colère des exploités ne cesse de croître face aux plans d’austérité successifs et les partis au pouvoir sont aujourd’hui totalement discrédités. Les oppositions, qu’elles soient de droite ou de gauche et même si elles n’ont aucune autre politique à proposer, se retrouvent donc les unes après les autres à leur tour au pouvoir lors de chaque élection. Et quand les échéances électorales sont trop lointaines, elles sont artificiellement précipitées par la démission du Président ou Premier ministre en place. C’est exactement ce qui s’est passé à maintes reprises ces derniers mois en Europe. En Grèce, si un référendum a été momentanément proposé, c’est parce que Papandréou et ses acolytes se sont faits éjecter du cortège de la fête nationale (le 28 octobre) à Thessalonique par une foule en colère !
En Grèce, ou en Italie avec le gouvernement Mario Monti, le discrédit des politiques est tel que les nouvelles équipes au pouvoir ont dû être présentées comme des “technocrates”, même si ces nouveaux représentants du pouvoir sont en réalité autant des “politiques” que leurs prédécesseurs (ils occupaient d’ailleurs déjà auparavant des postes importants au sein des gouvernements précédents !). Cela donne une indication du niveau de discrédit envers la classe politique dans son ensemble. Nulle part pour les populations et les exploités, il ne s’agit d’adhésion aux nouveaux gouvernants mais d’un simple rejet des gouvernants en place. Cela s’est vérifié à travers un taux d’abstention record atteint en Espagne qui est passé de 26 % à 53 % de la population en âge de voter en 2011... En France d’ailleurs, les sondages montrent que 47 % des électeurs n’ont pas l’intention de choisir entre les deux grands favoris au second tour des présidentielles de mai 2012 et se prononcent pour un “ni Sarkozy, ni Hollande” (1).
Il est donc de plus en plus flagrant pour tous que les changements de gouvernants ne changent rien aux attaques, que toutes les divisions qui traversent le camp de la bourgeoisie ne changent rien à son unanimité pour mener des plans d’austérité drastiques contre les exploités. Preuve en est, il y a peu encore, les périodes électorales et leurs lendemains étaient synonymes d’un relatif calme social. Aujourd’hui, il n’y a plus de “trêve des confiseurs”. En Grèce, il y a déjà eu une nouvelle grève générale et des nouvelles manifestations dès le 1er décembre. Au Portugal, le 24 novembre, avec la plus grande mobilisation dans l’ensemble du pays depuis 1975, de nombreux secteurs (écoles, bureaux de postes, agences bancaires et services hospitaliers) ont été fermés tandis que le métro de Lisbonne a été paralysé, les principaux aéroports fortement perturbés et les services de voirie n’ont pas été assurés. En Grande-Bretagne s’est déroulée le 30 novembre, les grèves les plus suivies et les manifestations les plus massives de tout le secteur public depuis janvier 1979 (près de 2 millions de personnes). En Belgique, le 2 décembre, les syndicats ont lancé une grève de 24 heures assez largement suivie contre les mesures d’austérité annoncées par le futur gouvernement Di Rupo, péniblement formé après 540 jours où le pays est resté officiellement “sans gouvernement”. Et la crise politique n’est pas près de s’achever car aucune des sources de tensions entre les différents partis bourgeois n’a été résorbée. En Italie, le 5 décembre, dès l’annonce du plan d’austérité draconien, les syndicats modérés UIL et CISL ont été contraints d’appeler… à une dérisoire grève symbolique… de 2 heures le 12 décembre.
Seule cette voie, celle de la lutte dans la rue, classe contre classe, peut effectivement s’opposer aux politiques drastiques qui attaquent nos conditions de vie. D’ailleurs, en France, alors que c’est une droite prétentieuse et arrogante symbolisée par son infatué président Sarkozy qui détient les rênes du gouvernement, la bourgeoisie nationale est en partie paralysée face à ce risque de “lutte de classe”. Sous la menace directe d’une dégradation de sa note économique qui est sa hantise et qui lui ferait perdre son statut de leadership en Europe aux côtés de l’Allemagne, ce gouvernement vient pourtant d’adopter un nouveau plan d’austérité bien loin d’être au niveau des autres Etats. Un exemple significatif est l’attaque sur les congés-maladie qui en constitue le volet le plus rude : le gouvernement a dû manœuvrer pour ne pas avoir l’air de mener une attaque trop frontale. Après avoir annoncé un jour de non paiement supplémentaire sur les salaires pour tous les travailleurs en cas d’arrêt maladie, elle a fait mine de lâcher du lest pour le secteur privé (où la règle était déjà de 3 jours de retenue sur salaire) et n’a maintenu la déduction d’une journée de carence que pour le secteur public (qui n’en avait aucune jusqu’à lors). Cela démontre que la bourgeoisie française, plus que tout autre, n’ose pas frapper aussi fort qu’ailleurs, en fonction de sa crainte de mobilisations prolétariennes d’envergure dans un pays qui a déjà historiquement été le détonateur d’explosions sociales en Europe en 1789, 1848, 1871 et 1968. Et le mouvement de la jeunesse précarisée en 2006, contre le CPE, face à laquelle le gouvernement français a dû reculer, à constitué une très efficace piqûre de rappel.
L’ensemble de cette situation inaugure une ère d’instabilité de plus en plus grande où les gouvernements ne peuvent que se décrédibiliser de plus en plus vite à cause des attaques à mener. Et dans ces crises politiques, derrière de précaires accords de façade ou des tentatives de replâtrage pour parer aux plus pressé, le “chacun pour soi”, les tensions et le déchirement entre fractions rivales comme entre pays concurrents ne peuvent que s’accentuer.
Nous, par contre, prolétaires en activité ou au chômage, à la retraite ou en formation, devons défendre partout les mêmes intérêts face aux mêmes attaques. A la différence de notre ennemi de classe qui s’entredéchire face à la crise, poussée par l’aiguillon de la concurrence, cette situation nous pousse, nous, les exploités, à riposter de manière de plus en plus massive, unie et solidaire !
WP (8 décembre)
1) Source : https://www.lexpress.fr/actualites/1/politique/presidentielle-ni-hollande-ni-sarkozy-pour-47-des-francais-selon-un-sondage_1056443.html
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La petite phrase de Montebourg sur l’Allemagne qui mènerait une politique “à la Bismarck” “pour imposer sa domination”, a fait couler pas mal d’encre et de pixels dans le monde des médias et des partis de tous poils. Chacun s’est renvoyé la balle de la “germanophobie”, Sarkozy surfant sur ce thème pour tacler une gauche qui n’a pas manqué de rappeler les propos de Sarkozy en 2007 déclarant, entre autres allusions anti-allemandes, que ce n’était pas la France qui avait “inventé la solution finale”…
Il n’y a d’ailleurs pas que la classe politique française qui exploite ce filon face à l’importance grandissante mais incontournable de l’Allemagne dans la tourmente économique actuelle en Europe. En Grande-Bretagne ou en Grèce aussi, certaines réactions sont vives. L’ultra-conservateur britannique Nigel Farage a ainsi lancé devant le parlement européen mi-novembre : “Nous vivons aujourd’hui dans une Europe dominée par l’Allemagne, soit précisément la situation que le projet européen était censé empêcher.” Ou encore le Daily Mail qui titrait déjà au mois d’août un article : “La montée du IVe Reich, comment l’Allemagne se sert de la crise financière pour conquérir l’Europe”. Tandis que la presse grecque qualifie carrément de “nouveaux QG de la Gestapo” les bureaux du responsable allemand de la “task force” économique de l’Union européenne à Athènes. Rien que ça ! De son côté, l’Allemagne n’a cessé de monter son opinion publique contre les Grecs accusés d’être des profiteurs, des tricheurs et des parasites tondant la laine sur le dos de la communauté européenne et du bon peuple allemand en particulier qui devait aujourd’hui se saigner aux quatre veines pour leur venir en aide.
Dans toutes les bourgeoisies nationales, chaque fraction tente de dévoyer la montée de la colère ou du mécontentement contre les plans d’austérité en essayant de rejeter la responsabilité de l’aggravation de la crise sur les autres.
Bref, chacun essaie de nous dresser les uns contre les autres tout en vantant et en exaltant les “valeurs du nationalisme”. Par exemple, en France, à travers la campagne électorale, on a assisté récemment à une véritable surenchère pour tenter de répandre et d’inoculer dans les têtes le poison du nationalisme. Cela va du candidat socialiste à la présidence de la république François Hollande, en visite dans l’usine Alstom du Creusot exhortant au “patriotisme industriel” devant un parterre d’ouvriers jusqu’au candidat “centriste” Bayrou reprenant à son compte le slogan “achetez français !” mis à la mode par le très stalinien Georges Marchais dans les années 1980 (1). De quoi tenir la dragée haute à la candidate du Front national, Marine Le Pen !
En fait, ce qui s’exprime ici et là, c’est le nationalisme inhérent au système capitaliste lui-même, celle d’une société fondée sur la concurrence la plus acharnée, qui n’a eu de cesse d’instiller massivement dans le cerveau des populations “nationales” le patriotisme, le chauvinisme, la défense de “son” pays, “l’intérêt national”. Les grands discours sur la “solidarité entre les peuples” ou sur “l’unité européenne” tenus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale n’ont toujours été que pure hypocrisie. Chaque bourgeoisie nationale ne défend toujours que ses intérêts contre toutes les autres Etats et au détriment de l’intérêt général de l’humanité dont elle n’a que faire.
Ce monde divisé en nations concurrentes, et se livrant une lutte à mort, n’est pas le nôtre ! C’est le leur ! Nous, prolétaires, n’avons aucun intérêt particulier, ni national à défendre. Partout, nous subissons la même exploitation, les mêmes attaques, la même crise capitaliste. Partout nous devons mener la même lutte, massive, unie et solidaire, par-delà les frontières. D’ailleurs, de l’Egypte à l’Espagne, d’Israël aux Etats-Unis les derniers mouvements de contestation vibrent clairement de cette fibre internationaliste de notre classe. Les prolétaires n’on pas de patrie, ils ont un monde à gagner ! “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”
Wilma (9 décembre)
1) Il s’agissait plus exactement de « Produire et acheter français ! ». Mais le PCF et la CGT n’en avaient pas l’exclusivité puisqu’à la même époque, le syndicat CFDT se faisaient aussi le chantre du mot d’ordre “Vivre et travailler au pays !”.
Nous publions ci-dessous de longs extraits d’un communiqué de nos camarades d’Acción Proletaria, envoyé initialement à toutes les sections du CCI pour nous informer du déroulement de la journée de mobilisation du 15 octobre. Il y apparaît clairement que la conscience ouvrière continue lentement mais sûrement à se développer. La colère, la combativité, la solidarité, le besoin d’unité dans la lutte, l’auto-organisation des assemblées générales, la prise en main de la nécessaire extension de la lutte… sont autant d’éléments de plus en plus présents dans les mouvements sociaux qui régulièrement animent les rues et lieux de travail espagnols. Mais il y a bien plus significatif encore quant à la profondeur de la réflexion de notre classe. Il est de plus en plus fréquent de lire des slogans sur les pancartes des manifestants ou d’entendre des interventions dans les débats affirmant la faillite mondiale du système capitaliste, la nécessité de trouver des solutions à l’échelle internationale, l’idée que les exploités mènent la même lutte face au même ennemi dans tous les pays. L’internationalisme prolétarien n’est pour l’instant encore qu’un vague sentiment mais, indéniablement, il a fait un nouveau petit pas en avant.
Le 15 octobre (15-O), il y avait un appel à une Journée mondiale de mobilisation pour “un changement global”. Des mobilisations étaient prévues dans 900 villes de 82 pays. En Espagne, il y a eu des manifestations dans près de 70 villes. Nous verrons plus loin leurs répercussions dans ce pays mais aussi au niveau mondial. En premier lieu, il est important de remarquer que la participation en Espagne a été plus forte que pour le mouvement du 19 juillet (19-J). A Madrid, environ 200 000 personnes, à Barcelone 300 000, à Valence 70 000, à Séville et Saragosse 45 000, Grenade 20 000…
Pour ceux qui ont pu participer au mouvement, cela a été vécu dans la même ambiance que celle du 19-J : disponibilité pour la communication, multitude de pancartes et d’affichettes portées à bout de bras, ambiance joyeuse, solidarité… La révolte contre les violentes coupes sociales décidées par les gouvernements régionaux et des appels à la grève générale, mais sans les syndicats, étaient très présents. À Bilbao, les manifestants ont convaincu des ménagères et des passants de se joindre au défilé au moment où celui-ci passait dans la zone commerciale de la Gran Vía. À Madrid, Saragosse et Barcelone, il y avait des manifestations qui partaient de banlieues ouvrières et qui marchaient en récupérant les gens de différents quartiers. À Barcelone, une de ces colonnes est passée devant un hôpital en grève occupé où une courte assemblée improvisée s’est déroulée. Dans d’autres cas, ces colonnes saluaient ceux qui occupaient des centres de santé ou des hôpitaux. Au moment où la manif de Barcelone est arrivée à l’Arc de Triomphe, une partie du cortège s’est écartée pour exprimer sa solidarité avec les travailleurs de l’Hôpital del Mar en lutte. Dans les Asturies, la présence de Llamazares, député d’IU (Gauche unie, autour du PC) fut très critiquée. Un manifestant déclarait : “Ceux qui sont la cause de l’indignation ne peuvent pas maintenant se trouver aux cotés des indignés. La solution était dans la rue, et elle est toujours dans la rue, c’est bien pour cela que le 15-M (15 mai) a commencé avec le slogan : ‘ils ne nous représentent pas’”.
Une fois encore les cris, les slogans, les affiches, ont démontré la créativité dont le mouvement est capable. Au désormais classique “On l’appelle démocratie mais ce n’en est pas une”, s’est ajouté dans beaucoup d’endroits : “C’est une dictature mais on ne la voit pas”. Bien d’autres slogans chargés de sens ont fait leur apparition. Voici quelques uns des plus significatifs :
– “Coupes sociales : voilà le terrorisme !”
– “Les Commissions ouvrières et l’UGT au service du pouvoir”
– “Non aux syndicats, oui aux assemblées !”
– “Ce mouvement n’a pas de frontières !”
– “Peuples du monde, unissez-vous !”
– “Nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes ceux d’en bas contre ceux d’en haut !”
– “Tout le pouvoir aux assemblées !”
À Madrid, la manifestation s’est terminée par la Neuvième symphonie de Beethoven, interprétée par un groupe de musiciens au chômage. Cette initiative provoqua une émotion intense chez les participants. À la suite de quoi, une assemblée générale a commencé “pour débattre les points suivants : pourquoi sommes-nous là ? Comment entamer le changement global ?, Quelle évolution après ce 15-O ?”. Cette assemblée a décidé d’occuper un hôtel abandonné pour que des familles expulsées puissent s’y installer. Le même genre d’initiative fut adopté à Barcelone dans un bâtiment vacant.
La genèse de la Journée fut la suivante : à la suite des manifestations du 19 juillet, l’Assemblée de Puerta del Sol à Madrid décida d’appeler à une Journée mondiale de lutte. Ceci reflétait un authentique sentiment internationaliste étant donné que cela coïncidait avec des manifestations de solidarité avec la Grèce. A Madrid, on scandait : “Résiste, Athènes ! Madrid se soulève !” L’accord de l’Assemblée paraissait ne pas se concrétiser, mais lors des Journées des 24-25 juillet, une Assemblée d’extension internationale a eu lieu à laquelle des éléments de différents pays ont assisté : des Français, des Belges, des Grecs, des Israéliens, des Anglais… mais aussi des étudiants de différentes nationalités présents en Espagne dans le cadre du programme Erasmus. Ce groupe d’extension internationale a pris contact avec de nombreux pays et a reçu le soutien des Indignés de Grèce et d’Israël. Depuis la fin août, DRY, soutenue à l’échelle internationale par ATTAC, paraît avoir pris le contrôle de l’initiative et, de fait, l’appel est dirigé “contre les banques” et non pas contre le capitalisme. On y quémande une “véritable démocratie”, que “les peuples possèdent la souveraineté” et tout cela est articulé autour d’une coquille vide : le fameux “changement global”. On peut dire qu’il y avait une dynamique vers la recherche de l’extension internationale, mais celle-ci – du moins momentanément – a été contrôlée et dévoyée vers des thèmes dépourvus de perspectives.
Il est clair que le triomphalisme manifesté par DRY, en parlant à la fin des manifs en Espagne de “la première manifestation mondiale de l’histoire” et du “grand succès”, voulait insuffler de l’euphorie sur un “triomphe” obtenu sur un faux terrain : celui de la “lutte contre les banques, pour une démocratie réelle” et non pas contre le capitalisme. Il s’agit bien là d’une fausse réponse, mais il faut rappeler que les préoccupations et l’inquiétude sont bien réelles : la plupart des travailleurs perçoivent, encore confusément, que nous assistons à un phénomène historique aux dimensions gigantesques. Il n’est pas exagéré de dire que le capitalisme est en train de vivre la pire crise économique de son histoire et ceci fait planer des doutes profonds sur l’avenir qu’il nous offre. Contre cette inquiétude générale et le germe d’internationalisme que l’on a vu poindre timidement à Madrid, la bourgeoisie a réussi à opposer une mobilisation sur le terrain empoisonné de la démocratie, mais aussi dans la lutte contre une partie du capitalisme préalablement diabolisée : les banques.
En septembre, l’exacerbation extrême de la crise pendant l’été et l’incroyable rafale d’attaques qui pleuvent sur les travailleurs ont rendu la confrontation inévitable. Les manifestations du 15-O ont fait ressortir les réserves importantes de combativité que la classe renferme. Elles ont montré que l’envie de s’unir, l’indignation et la volonté de lutter, sont intactes. Cependant, il est important de remarquer que ce processus, qui à terme devra aboutir à une confrontation avec les forces de la bourgeoisie, n’en est qu’à ses débuts.
Même si tout cela est révélateur des potentialités du mouvement, il faut rester lucide : d’un côté, le mouvement a suscité beaucoup de sympathie à Madrid, avec plus de 40 000 participants à la dernière manifestation de solidarité explicite avec les enseignants en grève ; mais la sympathie a été principalement canalisée vers le piège de “la défense de l’enseignement public contre la privatisation”, ce qui isole considérablement la lutte et, au final, l’affaiblit. Il y a quelque chose de plus évident encore : alors que les coupes sombres dans l’enseignement, la santé et le secteur social se sont généralisées à tout le pays, aucun mouvement de solidarité n’a été suscité dans le reste de l’Espagne et les tentatives pour mettre en avant cette question dans les assemblées du 15-M ont été vouées à l’échec ou sont tombées dans “la préparation d’une grève générale”. Même phénomène avec les occupations d’hôpitaux et de centres de santé à Barcelone : s’il est vrai qu’elles ont suscité une certaine solidarité au niveau local – et on a pu voir des actions conjointes entre le personnel sanitaire et les usagers –, aucune solidarité n’est apparue dans le reste de l’Espagne, laissant isolés les participant à la lutte.
Tout cela révèle les difficultés et la position de faiblesse dont souffre encore la classe exploitée malgré les progrès indiscutables qu’elle est en train de réaliser. Au niveau mondial, il est clair que cette dynamique n’est pas encore homogène dans la mobilisation. Mais s’il n’y a effectivement pas une situation de simultanéité des luttes, nous ne devons pas sous-estimer l’inquiétude et la réflexion qui parcourent ce mouvement. Il faut ne pas perdre de vue la “spécificité” du 15-M : ce ne fut pas à proprement parler une lutte directe, en réponse à une attaque particulière de la classe capitaliste. Il s’agit en fait d’une première expression massive d’indignation avec, simultanément, une réelle avancée vers le terrain collectif, le débat fraternel, la solidarité et la créativité des masses.
Acción Proletaria
(22 octobre)
“Grève historique de la fonction publique britannique”, les médias sont unanimes, le mouvement de grève du 30 novembre qui a rassemblé dans les rues près de 2 millions de personnes en Angleterre a connu un taux de participation record. Les écoles, les hôpitaux, les services municipaux, tout a tourné au ralenti durant 24 heures. Du jamais vu depuis les années 1970 ! La massivité de cette grève révèle l’ampleur de la colère qui anime les rangs de la classe ouvrière outre-Manche. Depuis 40 ans, les travailleurs vivant en Grande-Bretagne subissent presque sans mot dire une dégradation continue et intolérable de leurs conditions de vie. Cette passivité est la conséquence de l’écrasement de la combativité ouvrière sous la botte de Margaret Thatcher. Mais aujourd’hui, c’en est trop. Les coups de boutoirs de la crise, les attaques incessantes font exploser la colère. Depuis quelques années maintenant, des grèves et mouvement éclatent ainsi régulièrement. Les syndicats ont parfaitement conscience de cette situation. Ils veulent à tout prix éviter que les travailleurs n’entrent en lutte spontanément, hors de leur contrôle et de leur encadrement. La journée du 30 novembre a donc eu pour but de “lâcher de la vapeur pour éviter que la cocotte minute n’explose”. Dans de très nombreux pays, les syndicats utilisent d’ailleurs cette technique de faire se succéder les journées d’action les unes aux autres pour que la colère s’exprime de façon stérile, pour décourager et épuiser les plus combatifs.
Nous publions ci-dessous un tract que nos camarades vivant en Angleterre ont réalisé et distribué les jours précédents cette manifestation comme le jour-même au sein du cortège pour encourager la prise en mains des luttes par les travailleurs eux-mêmes.
Les syndicats prédisent deux ou trois millions de travailleurs en grève le 30 novembre, ceux de l’éducation, de la santé, du secteur public, des services civils, et plus encore. La préoccupation principale de la grève : l’avenir des retraites du secteur public, est un problème très réel car nous sommes tous appelés à travailler plus longtemps et à payer plus pour toucher moins de retraite. Et ce n’est que le début. En Grèce, les retraites existantes sont déjà amputées. La logique de ce système est de nous faire travailler jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Mais les pensions ne sont pas le seul problème et ce n’est pas non plus le seul secteur public qui est concerné. Le chômage monte en flèche : selon les derniers chiffres, il touche 20 % des jeunes. En fait, de plus en plus de jeunes travaillent pour pratiquement rien alors qu’il devient de plus en plus coûteux d’aller à l’université.
Les plans d’austérité du gouvernement prévoient des réductions dans toutes sortes de prestations sociales, et les salaires sont également l’objet d’attaques. Par exemple, les électriciens sont en lutte contre les nouveaux contrats de l’industrie du bâtiment impliquant une réduction de 30 % de leur rémunération.
Tout cela est le produit d’une crise économique qui n’a pas simplement commencé en 2007, qui n’a pas été provoquée par des banquiers cupides ou par des Grecs paresseux. C’est le point culminant d’une crise historique mondiale du système capitaliste ! La dépression d’aujourd’hui qui va en s’approfondissant est le retour de la même crise sous-jacente qui a éclaté dans les années 1930. Et les dirigeants de ce monde n’ont aucune solution à y apporter. S’ils prennent parti pour la “croissance”, celle-ci les plonge plus profondément dans l’endettement et l’inflation. S’ils prennent parti pour “l’austérité”, ils réduisent encore plus la demande, puisque la crise est déjà le résultat de l’engorgement des marchés.
La question qui se pose partout aux travailleurs, étudiants, retraités, et chômeurs n’est pas de savoir si nous devons résister. Si nous nous contentons d’accepter passivement ces attaques aujourd’hui, les patrons et l’Etat nous attaqueront encore plus brutalement demain. La question est de savoir comment riposter. Cette année, nous avons déjà eu deux grosses journées officielles d’action, le 26 mars et le 30 juin, mais ont-elles vraiment fait peur à nos dirigeants ? Le gouvernement a même suggéré que nous devrions faire une belle grève générale de 15 minutes, mais est-ce qu’un arrêt de travail de 24 heures, organisée du début à la fin par les appareils syndicaux, est un peu plus efficace ? En fait, ces gestes symboliques ont essentiellement pour effet de saper nos énergies et de nous faire sentir que nous avons perdu notre temps.
L’expérience de l’histoire a montré que la classe dirigeante ne commence à être sur ses gardes que lorsque la classe exploitée commence à prendre les choses en mains et à unir ses forces. Et l’expérience de cette dernière année a confirmé qu’il y a effectivement d’autres façons de se battre que de marcher du point A au point B, d’écouter les discours de quelques leaders connus, et de rentrer ensuite chez soi.
Partout dans le monde, du Caire à Barcelone, de New York à Londres, l’occupation et la défense des espaces publics, et l’organisation d’assemblées générales, ont montré la possibilité de moyens de lutte plus massifs et auto-organisés.
Au Royaume-Uni, les électriciens ont initié de nouvelles formes d’actions non-officielles, utilisant les manifestations pour appeler les autres travailleurs à rejoindre leurs grèves et tenant des discussions dans la rue ouvertes à tous. Ces mouvements soulignent la nécessité d’assemblées générales sur les lieux de travail, qui nous unissent par delà les divisions syndicales.
Le 30 novembre fournit une occasion pour les ouvriers qui viennent de nombreux secteurs différents de se rencontrer, de discuter et même de mettre en pratique les meilleures méthodes pour résister à l’offensive des patrons et de l’Etat . Mais nous avons besoin de rendre le débat aussi ouvert que possible, ce qui signifie qu’il faut rejeter les rassemblements passifs et, à leur place, organiser toutes sortes de réunions publiques où chacun peut s’exprimer. Et on ne peut pas tout concentrer sur une seule journée. Nous sommes confrontés à une période de crise prolongée, et donc à des assauts de plus en plus violents de nos conditions de vie et de travail. C’est pourquoi de nombreux travailleurs sont déjà sceptiques sur ce qui peut être obtenu le 30 novembre. Beaucoup d’autres, qui sont confrontés à des factures de plus en plus lourdes ou à la menace de licenciement, s’interrogent sur l’utilité des grèves et des occupations. Il est assez difficile de savoir comment résister quand votre entreprise est sur le point de couler. Le problème est multiplié des centaines de fois quand c’est l’ensemble des économies nationales qui semblent sombrer. Mais cela souligne que, non seulement nous devons trouver de meilleures façons de nous battre, mais que nous avons aussi besoin de développer une perspective à long terme. Le système capitaliste est à bout de souffle et ne peut nous offrir que la dépression, la guerre et le désastre écologique. Mais la classe ouvrière peut utiliser ses luttes pour devenir une véritable puissance sociale, pour développer sa compréhension politique du système actuel, et créer un avenir différent : une communauté mondiale où toute la production sera organisée pour les besoins humains et non pour les lois inhumaines du marché.
CCI (25 novembre)
Cet été, certains militants d’Internationalism, organe du CCI aux Etats-Unis, et quelques révolutionnaires qui sympathisent avec notre organisation, sont intervenus ensemble dans la grève des ouvriers de Verizon (opérateur de téléphonie numéro un du secteur en Amérique et exploitant environ 45 000 salariés). Nos camarades, du CCI ou non, ont tous travaillé en étroite collaboration dès le début (de l’échange d’idées pour écrire un tract jusqu’à sa diffusion, en passant par les discussions avec les grévistes et la réflexion après cette intervention). C’est justement cette discussion qui a essayé de dresser un premier bilan de cette intervention collective que nous publions ci-dessous. La lecture de ces notes montre, de façon saisissante, comment de part et d’autre de l’Atlantique (et en vérité partout dans le monde), les mêmes interrogations et difficultés se posent dans la lutte. En particulier, nos camarades se sont confrontés à cette grande question : comment révéler l’impasse des méthodes syndicales sans déclencher une réaction épidermique chez ceux qui croient sincèrement lutter pour l’intérêt de tous en suivant les ordres et consignes de leurs centrales ?
Quand nous dénonçons les syndicats, cela peut vraiment être assimilé à une attaque que livre contre eux l’aile droite de la bourgeoisie. Il peut être difficile, pour des gens qui n’ont jamais entendu auparavant les syndicats être attaqués sur leur gauche, de faire la distinction. En fait, on finit souvent par dire la même chose que l’aile droite (les syndicats vous prennent de l’argent, mais ne font rien pour vous, ils ne font que défendre leurs propres intérêts, etc.). Peut-être, étant donné le rapport entre les classes aux Etats-Unis, devrions-nous donc moins insister sur notre attaque contre les syndicats – ou du moins ne pas en faire le cœur de notre intervention – et nous concentrer plutôt au développement des revendications de classe. Bien sûr, les syndicats vont les saboter, mais les travailleurs doivent peut-être apprendre cela au cours de la lutte. Il est possible qu’une dénonciation trop forte des syndicats ne puisse que renforcer la tendance à s’identifier à eux. Les ouvriers n’arrivent pas encore à voir la différence entre les syndicats et eux-mêmes. Quand ils entendent qu’il y a des attaques contre les syndicats, ils pensent qu’ils sont eux-mêmes attaqués. Peut-être qu’il n’y a pas de perspective immédiate aux Etats-Unis de prise en main de leurs luttes par les ouvriers ? En ce sens, le Wisconsin était peut-être une véritable exception et nous avons vu comment les syndicats y ont pris rapidement le contrôle de la situation. La chose la plus importante n’est-elle pas que les ouvriers soient réellement en train d’essayer de lutter, et nous devrions peut-être nous concentrer sur la volonté de lutter plutôt que sur la dénonciation des syndicats ? Cela ne veut pas dire qu’on donne un blanc-seing aux syndicats, mais on ne devrait pas donner l’impression que notre principal but est de détruire les syndicats.
Personnellement, j’ai eu un moment vraiment difficile pour comprendre comment intervenir de façon adéquate, de manière à ce que, d’un côté, cela aide, développe et favorise la conscience de classe et que d’un autre, cela ne soit pas vraiment une dénonciation des syndicats que la grande masse des travailleurs ne comprend pas encore. Je ne sais pas non plus comment les ouvriers peuvent être d’accord pour faire ce qu’on a dit avant sans se poser la question de pourquoi tout cela devrait être fait en dehors du cadre syndical. C’est une énigme à laquelle je suis toujours confronté sur mon lieu de travail, où beaucoup de collègues sont d’accord avec les idées et les propositions, mais finissent toujours par dire quelque chose comme : c’est bien, allons proposer cela aux syndicats… En dernière analyse, les travailleurs ont besoin de sentir qu’ils peuvent faire ce qui précède (développer la lutte, etc.) sans les syndicats. C’est ce sentiment d’impuissance, mais aussi cette reconnaissance d’une identité de classe encore inexistante, je pense, que la classe n’a pas encore surmonté et développé. Et cela, comme nous le savons, se produit dans les luttes elles-mêmes. Je me demande si le tract n’aurait pas eu un impact tout différent si les trois premiers paragraphes n’avaient pas été là du tout, ou s’ils avaient été écrits à la fin, après avoir présenté ce que les travailleurs pouvaient réellement faire dans de telles circonstances.
Tous ces questionnements et ces sentiments sont très justes. Je pense souvent, que notre intervention se réduit à la chose suivante : les ouvriers ont besoin de se rassembler pour décider par eux-mêmes ce qu’il faut faire. Au delà de quelques orientations très générales, et la plupart sur ce qu’il ne faut pas faire, nous ne pouvons pas réellement dire aux travailleurs ce qu’il faut faire, ou réellement comment lutter, en dehors de quelques leçons de base de l’histoire. C’est réellement une situation difficile pour toute la Gauche communiste. Les ouvriers doivent le trouver par eux-mêmes. En tant que telle, notre intervention apparaît souvent comme négative, c’est-à-dire : “Nous ne savons pas exactement quelle est la réponse mais les syndicats ne l’ont sûrement pas, pourquoi n’allez-vous pas discuter entre vous de ce qu’il faut faire alors que les syndicats ne s’en occupent pas ?” En même temps, les syndicats semblent avoir des réponses concrètes qui ne se dévoilent être des illusions que très lentement. Cela demandera du temps et de l’expérience pour que les ouvriers brisent l’étreinte du syndicat. En ce moment même, les tentatives absurdes d’éléments de la bourgeoisie de détruire les syndicats ne semblent que renforcer ce mythe syndical. Les syndicats sont capables de jouer la carte de la victimisation. Ce n’est pas le meilleur moment pour faire une intervention qui condamne les syndicats en des termes aussi austères. En Europe ou ailleurs, c’est peut-être une autre histoire. J’entends bien la frustration qu’éprouve A quand les travailleurs semblent être d’accord avec quelques-uns de nos concepts de base, mais pensent encore qu’ils peuvent les réaliser à travers le syndicat. C’est comme quand vous avez une liste de doléances contre la société et qu’un type quelconque en costume-cravate vous dit d’écrire à votre député. C’est comme s’ils ne comprenaient pas que le cadre que vous mettez est fondamentalement différent. De fait, ils ne comprennent vraiment pas. Ce n’est que l’expérience qui leur apprendra. Nous ne pouvons réellement qu’espérer avoir semé des germes de doute, le creuset d’un paradigme différent parmi les éléments les plus ouverts et qui pensent à plus long terme, de façon à préparer le terrain pour la prochaine lutte. Nous n’en sommes encore qu’à un tout premier stade du retour à la lutte, un retour qui ne balise que très lentement le terrain de classe.
J’ai énormément apprécié votre aide pour l’intervention. Je pense que j’ai appris beaucoup et j’ai aussi été surprise par l’ouverture à la discussion et encouragée par la solidarité qu’ont montrée les autres travailleurs. En même temps, je suis vraiment d’accord avec ce que dit H. Pour le moment, les ouvriers pensent encore que “les syndicats se battent pour nous”. Je pense que dix ans d’endoctrinement peuvent éroder ce que les ouvriers ont appris de la dernière grève, surtout quand la majeure partie de la classe ne lutte pas et que – bien que la solidarité ait été appréciée comme nous l’avons vu –, la classe ouvrière a encore peur et reste conservatrice dans toutes ses tentatives de se défendre. Tant qu’il n’y aura pas de luttes plus fréquentes, il y a probablement peu de chance que nous convainquions beaucoup de monde de notre position sur les syndicats. Cependant, nous pouvons sans doute convaincre les ouvriers du fait que :
– la crise ne mène nulle part et il y aura davantage de luttes dans le futur ;
– chaque travailleur mérite de jouer un rôle actif dans ces luttes et de discuter de ce que sont exactement les revendications, et de comment se battre pour elles ;
– d’autres travailleurs sont intéressés par notre lutte et veulent nous aider et on peut donc discuter avec eux aussi ;
– ce que font les syndicats ne marche pas à long terme et ce que nous devons faire avec ces lutte, c’est d’en discuter, en dehors de la boîte, avec d’autres ouvriers, discuter des luttes des autres ouvriers – pour construire une sorte d’identité de classe ;
– ce n’est pas tel ou tel patron mais le système capitaliste tout entier qui attaque, non seulement les ouvriers de Verizon mais la classe ouvrière toute entière et nous devons répondre en luttant en tant que classe.
Il y a un tas de choses que nous pouvons dire aux ouvriers et J en a cité quelques-unes ici, mais je suis d’accord avec le fait que nous ne devons pas mettre en avant la dénonciation des syndicats quand on va dans les piquets de grèves, dans les marches de protestation ou dans les manifestations et autres. Je ne pense pas que nous devions cacher ou mentir à propos de nos positions, mais ce ne doit pas être la première chose qui sorte de notre bouche. Ce ne devrait pas être en première ligne de notre tract. Pour la presse, c’est une autre histoire. L’audience est différente. Quand nous intervenons dans un piquet, nous allons vers les ouvriers ; quand quelqu’un achète un journal ou prend le temps d’aller sur le site, il prend l’initiative d’en savoir plus sur nos positions. En théorie, notre presse n’est lue que par les éléments les plus avancés de la classe alors qu’un tract est beaucoup plus largement distribué. Je suis d’accord avec J qu’à ce stade, il est probablement plus important d’intervenir sur la question de la crise, en mettant en avant la perspective marxiste qui dit qu’il n’y a pas de solution à cette pagaille au sein du capitalisme ; quoi que fassent les ouvriers dans les syndicats, ils ne vont pas au-delà de l’horizon des alternatives bourgeoises, qui ne sont en réalité pas du tout des alternatives. Les travailleurs ont besoin de voir que réformer le système n’est pas possible, qu’aucune fraction de la bourgeoisie n’a de réponse : le futur est sinistre sans leur action indépendante. En théorie, la remise en question de l’hégémonie syndicale devrait suivre.
Discussion répercutée par le CCI (24 septembre 2011)
Plus de 40 000 morts, un nombre incalculable d’actes barbares allant du viol à la torture systématique banalisés par le contexte de guerre civile, voilà le bilan de la guerre qu’a entrepris depuis décembre 2006 le gouvernement mexicain présidé par Felipe Calderón entre cette date et avril 2011. Une guerre “sale” où la population civile vit sous la terreur des mafias, de la police, de l’armée et des groupes paramilitaires d’assassins à la solde des uns ou des autres. Et bien que la bourgeoisie mexicaine ou américaine tentent de présenter ce problème comme une particularité locale étrangère au capitalisme, la réalité démontre que les drogue et les crimes qui s’y rattachent et se répandent sont issus, comme c’est le cas pour n’importe quelle guerre dans le système de concurrence capitaliste, de la tentative de gagner des marchés et de la difficulté qu’éprouve la classe dominante à mettre de l’ordre dans cette compétitivité. Cette perte de contrôle politique de la bourgeoisie provient de l’explosion des rapports sociaux dominants et met à jour brutalement la progression de la décomposition du système.
Il est vrai que le poids de la décomposition est plus écrasant dans les pays moins développés, dans la mesure où la bourgeoisie est moins à même de contrôler ses différences. C’est ainsi que dans des régions comme la Colombie, la Russie ou le Mexique, la mafia se fond dans les structures gouvernementales, de telle façon que chaque groupe mafieux est associé avec un secteur de la bourgeoisie, transformant les structures mêmes de l’État en champ de bataille, étendant ainsi la lutte de “tous contre tous” qui pourrit l’ambiance sociale.
Ceci ne signifie évidemment pas que les pays industrialisés sont protégés du processus de décomposition. Même si la bourgeoisie de ces pays peut encore, pour l’instant, reporter certains aspects de la décomposition vers la périphérie et relativement agir de façon plus concertée pour amortir ses conflits, elle n’est cependant pas exempte de cette tendance dominante. Et si le problème du narcotrafic n’est pas encore devenu dans ces pays une lourde tare, c’est sur d’autres aspects qu’avance ce même processus, le problème du terrorisme par exemple. Ce qu’il est important de dégager, c’est que la progression de la décomposition, bien que dominant l’ensemble du système capitaliste même si elle ne se présente pas de façon homogène à cause des conditions particulières, implique que ce qui se vit dans des pays comme le Mexique montre la perspective vers laquelle se dirige la planète toute entière.
C’est sans le moindre doute l’avancée de la barbarie dominant l’actualité qui, ajoutée à la paupérisation accélérée par la crise, fait que le capitalisme est synonyme de misère et de guerre.
Au début des années 1990, nous disions que “parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique” ([1]). La raison en est la difficulté de la classe dominante à assurer son unité politique. Les diverses fractions qui divisent la bourgeoisie se confrontent non seulement sur le plan de la concurrence, mais aussi et surtout sur le plan politique et, dans les conditions actuelles où ont disparu les blocs, aucun “ennemi commun” ne vient permettre et justifier des alliances durables. Nous pouvons donc voir que l’Etat permet de rassembler contre la crise économique, mais ce n’est que sur des objectifs à court terme et même ainsi, l’accroissement de la concurrence provoqué par la crise fait que la dispersion des forces s’amplifie à son tour, poussant vers une lutte “de tous contre tous” et une indiscipline généralisée au niveau politique, empêchant que ne se perpétue l’ordre existant lors de la période de domination des blocs politiques qui se déterminèrent autour de la guerre froide.
L’entrée dans la décomposition ne s’est pas produite du jour au lendemain, une série de phénomènes propres à cette phase se retrouvent à des moments antérieurs du développement du capitalisme, mais c’est sans le moindre doute pendant la décadence du capitalisme qu’ils ont pris leur dimension majeure, et en particulier dans les dernières décades du xxe siècle, qu’ils sont devenus dominants. L’exemple du narcotrafic illustre parfaitement cette avancée.
Déjà pendant la période ascendante du capitalisme, au milieu du xixe siècle, l’importance du commerce de certaines drogues comme l’opium a crée des difficultés politiques qui favorisaient certaines guerres, mais les Etats étaient alors directement engagés et la classe dominante ne présentait pas de divisions là-dessus pour autant. C’est ce qui permet à la “guerre de l’opium” – déchaînée essentiellement par l’Etat britannique – d’être une référence dans l’histoire du capitalisme sans pour autant devenir un phénomène qui domine cette étape.
L’importance de la drogue et la formation de groupes mafieux ayant toute une vie souterraine se développent dans la phase de décadence du capitalisme, même si elles ne prennent pas ses dimensions actuelles dès le début. Il est vrai que c’est dans les premières décennies du xxe siècle que la bourgeoisie tente de limiter et d’ajuster par des lois et des règlements la culture, la préparation et le trafic de certaines drogues, mais ce n’est alors que dans le but de mieux contrôler cette marchandise.
Il est donc faux de penser que la “filière de la drogue” serait une activité répudiée par la bourgeoisie et son État. C’est la même classe qui se charge d’étendre sa consommation et d’en profiter. La méthamphétamine, par exemple, est une drogue qui fut inventée au Japon en 1919, qui développa sa production durant la Seconde Guerre mondiale et fut utilisée, autant par les armées des pays alliés que par les Japonais, afin d’atrophier les capacités de conscience des soldats et d’exacerber leurs comportements violents.
Les États parviennent sans trop de problèmes à maintenir leur contrôle de la drogue jusqu’au trois-quarts du xxe siècle. Ainsi, pendant la guerre du Vietnam dans les années 60, quelques dérivés de la cocaïne furent essayés sur les chiens d’attaque, puis l’héroïne fut distribuée parmi les troupes pour atténuer la démoralisation et profiter en même temps de la férocité qu’elle réveille. Cette utilisation par l’Oncle Sam développe la demande de drogue, et le gouvernement américain y répond en impulsant la production dans les pays de la périphérie et en utilisant même ses propres laboratoires.
Même si l’effet de dégradation sociale commence à prendre des dimensions inquiétantes aux États-Unis, la bourgeoisie n’y prête pas grand cas… Le président Nixon a beau proclamer la “guerre à la drogue” en 1971, il sait très bien que le gros de la production et de sa commercialisation sont sous son contrôle et celui des États nationaux à sa botte.
L’importance de la production et de la distribution de la drogue n’est pas encore significative quand le Mexique entre dans la seconde moitié du xxe siècle, mais déjà les instances gouvernementales la maintiennent sous un strict contrôle. Non seulement la police surveille et protège la mafia naissante (comme l’exemple de “Lola la Chata”, célèbre pourvoyeuse de drogue dans les années 1940 dans la ville de Mexico, qui maintint son monopole grâce à la protection de la police), mais les structures de l’Etat se confondent bien souvent avec celles des mafias. Un personnage comme Nazario Ortiz, par exemple, gouverneur de Coahuila (province du Nord du Mexique) et fondateur du Parti national révolutionnaire ([2]), secrétaire de l’Agriculture sous le gouvernement de Miguel Alemán (1946-52), profita largement de son investiture pour exercer librement la distribution de l’opium. La propre Direction fédérale de sécurité (DFS), chargée d’exercer les fonctions de “police politique” (c’est-à-dire la surveillance et l’extermination de la dissidence) est commandée par des militaires dont l’activité personnelle (obtenue comme prébende) est le négoce de la drogue.
Pendant les années 1980, c’est l’Etat américain qui anime une fois de plus le développement de la production et de la consommation de drogue. A partir du cas “Iran-contras” (1986), il apparaît que le gouvernement de Ronald Reagan, lorsqu’il fut confronté à une limitation du budget destiné à appuyer les groupes militaires d’opposition au gouvernement du Nicaragua (connus sous le nom de “contras”), utilise des fonds provenant de la vente d’armes en Iran mais, surtout, provenant du marché de la drogue (à travers la CIA et la DEA). Dans cet imbroglio, le gouvernement des Etats-Unis pousse les mafias colombiennes à amplifier leur production, et assure le soutien militaire et logistique aux gouvernements du Panama, du Mexique, du Honduras, du Salvador, de la Colombie et du Guatemala pour que la marchandise si convoitée puisse passer librement. La propre bourgeoisie américaine, pour “élargir le marché”, produit des dérivés de la cocaïne qui non seulement sont meilleur marché et donc plus faciles à commercialiser, mais sont en outre bien plus destructeurs.
Cette même pratique que le parrain américain utilise pour obtenir des fonds lui permettant de financer des aventures putschistes se répète en Amérique latine pour mener à son terme la lutte contre la guérilla. Au Mexique, la dite “guerre sale”, c’est-à-dire la guerre d’extermination que mène l’Etat pendant les années 1970-80 contre la guérilla – menée à bien par l’armée et des groupes paramilitaires qui avaient carte blanche pour assassiner, séquestrer et torturer – fut financée par des fonds qui provenaient de la drogue. Certains projets, tel l’Opération Condor, qui se présentaient comme des actions destinées à lutter contre la production de drogue, étaient de fait des actions pour affronter la guérilla et protéger les champs de culture de pavot, de coca ou de cannabis. Selon la journaliste Anabel Hernandez ([3]), c’était l’armée et la police fédérale qui, en collaboration avec les groupes mafieux, contrôlait les opérations en rapport avec la drogue.
Le contrôle de la production et de la commercialisation des stupéfiants est alors sous le contrôle des Etats, ce qui comme nous l’avons vu est une constante, mais il apparaît un changement qualitatif qui s’exprime par une croissante indiscipline entre les différentes fractions de la bourgeoisie qui composent l’appareil d’Etat. Le développement de la guerre froide fut associé au Mexique avec le pouvoir monolithique du PRI, qui depuis sa fondation en 1929 se donne la fonction d’agglutiner les différents groupes qui composent la bourgeoisie mexicaine et qui se sont consolidés à partir de la guerre interne de 1910-20, créant ainsi la dénommée “famille révolutionnaire” rendue cohérente par la distribution de bénéfices et autres fragments de pouvoir ; la classe dominante peut ainsi assurer une “harmonieuse” unité et une discipline de fer. Mais l’effondrement du bloc de l’Est, rompant le schéma international d’alignement des diverses forces impérialistes, répète la fracture au sein de chaque Etat, avec bien sûr des nuances nationales. Dans le cas du Mexique, cette fracture s’exprime par une dispute au grand jour entre les fractions de la bourgeoisie nationale, rendant inévitables le changement de parti au pouvoir et la décentralisation : de sorte que les pouvoirs locaux, représentés par des gouverneurs d’Etats et des présidents municipaux, assurent le contrôle régional, s’associant au gré des intérêts avec les mafias rivales, faisant ainsi croître l’importance de ces bandes et exacerbant leurs affrontements.
L’accélération de la barbarie déchaînée par le narcotrafic et la “guerre” qui lui est associée se traduit par la mort et la souffrance pour la majorité, de hauts profits pour quelques-uns… c’est une des grandes horreurs qu’a engendrée le capitalisme. Toute la classe dominante est sans aucun doute impliquée dans ce conflit, et elle-même en subit les conséquences, mais elle sait cependant en transférer les pires effets vers les travailleurs et, qui plus est, utiliser ses conséquences pour assurer son contrôle. Nous voyons ainsi que les masses de population qui ont abandonné les territoires par crainte ou sous la menace directe sont toujours des masses d’exploités ([4]). La bourgeoisie a profité de ce climat pour semer la terreur, paralyser tout mécontentement ou le dévoyer vers des ripostes désespérées.
Aveuglée par son monde mystifié, la bourgeoisie pense que ce problème peut se résoudre en rectifiant les politiques et les stratégies contre la drogue. Un exemple en est la “Global Comission on Drug Policy” qui, après avoir critiqué les politiques nord-américaines depuis les années 1970, propose de réviser et réformer la classification des drogues, pour pouvoir légitimer le contrôle de certaines et mieux contrôler leur production et distribution. D’autres propositions, venant aussi de secteurs non exploiteurs comme le Mouvement pour la paix ayant à sa tête Javier Sicilia ([5]), bien qu’étant une réelle expression du mécontentement et du rejet de la barbarie qui règne, n’expriment que le désespoir qui conduit vers des impasses. Sa déclaration du 4 juin (lors de la “caravane vers Ciudad Juarez”), le met en évidence, quand il affirme vouloir que son appel “… parvienne au cœur de la classe politique, au cœur des criminels et qu’ils transforment leur vie en fonction de l’être humain au service de tous. Ils ont la possibilité de changer s’ils changent leur cœur…”. De sorte que bien que sa douleur et sa colère soient indiscutablement réelles, comme le sont celles des gens qui accompagnent la caravane, cela n’aboutit qu’à faire confiance à cette même bourgeoisie pour semer l’illusion qu’elle pourrait résorber la pourriture engendrée par le système à travers des appels à la compassion.
La seule solution de la bourgeoisie pour limiter l’explosion de la barbarie est la consolidation d’une cohésion autour d’un des groupes mafieux et pouvoir ainsi marginaliser tous les autres. C’est ce qui se fit en Colombie pour diminuer les crimes et les attentats. La bourgeoisie, depuis son gouvernement, impulsa l’un des cartels parvenant ainsi à mieux contrôler la situation nationale… Mais ceci n’est pas une solution à la barbarie, c’est uniquement éloigner ses pires effets de l’une des régions pour la déchaîner dans d’autres pays. Dans le cas du Mexique, la bourgeoisie devra chercher à concilier les intérêts, mais plus on se rapproche de l’échéance électorale présidentielle de 2012 qui anime cette guerre, plus s’exacerbent les règlements de compte et la lutte “de tous contre tous”, laissant présager une accélération majeure des violences et des meurtres.
De sorte qu’il est impossible d’espérer que la bourgeoisie trouve une solution à la décomposition qui progresse et ronge le système, seule l’action révolutionnaire de la classe ouvrière pourra mettre fin au cauchemar actuel. Le choix qui se trouve devant l’humanité est plus que jamais résumé par la phrase de Engels qui n’a jamais été aussi actuelle : “Socialisme ou barbarie !”.
Tatlin, juin 2011
1.) “La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme [265]”, Revue internationale no 62, juin-septembre 1990.
2.) Le PNR fut fondé en 1929 sous le commandement du général Plutarco Elias Calles, puis changera son nom par Parti de la Révolution mexicaine (PRM) et enfin par Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), se maintenant comme parti gouvernant sous ses différentes appellations de 1929 jusqu’en 2000.
3.) Anabel Hernandez, Los Señores del narco (les Seigneurs du narcotrafic), Editions Grijalbo, México, 2010.
4.) Dans certains Etats du Nord comme Durango, Nuevo Leon et Tamaulipas, des zones entières sont totalement abandonnées, des “villes fantômes”. Les paysans ont été obligés de fuir en liquidant leurs terres ou en les abandonnant purement et simplement. La situation des ouvriers est encore plus grave, dans la mesure où leur mobilité se voit restreinte par l’absence de recours financiers. Des groupes de bourgeois qui ont aussi été menacés par les mafias ont la possibilité de transférer leurs capitaux vers le Texas ou vers des Etats du centre du pays.
5.) Javier Sicilia est un poète et journaliste de tendance sociale-chrétienne, dont le fils fut assassiné avec six autres jeunes par des tueurs liés à la drogue, tragédie qui motiva son appel à former un “Mouvement pour la paix”. Ce mouvement parcourt le pays en caravanes et a commencé des discussions avec le président Felipe Calderón et des gouverneurs d’Etats pour demander que s’achèvent les quadrillages militaires.
La volonté de changer le système capitaliste s’est affirmée et propagée à toute vitesse au cours de ces derniers mois dans le monde, en particulier dans la jeunesse, à travers le mouvement des Indignés et des Occupy. Ce mouvement de contestation, de dimension internationale, est marqué au fer rouge par la violence de la crise économique et la dégradation brutale des conditions de vie. En Espagne, en Grèce, au Portugal, en Israël, au Chili, aux États-Unis, en Grande-Bretagne… aux quatre coins du globe, une même angoisse face à l’avenir traverse toutes les discussions. Mais bien plus que le chômage ou la précarité, ce qui engendre autant d’inquiétude est sans conteste l’absence d’alternative. Que faire ? Comment lutter ? Contre qui ? La finance ? La droite ? Les dirigeants ? Et surtout, un autre monde est-il possible ?
Aujourd’hui, l’une des réponses qui émerge est la nécessité de réformer, de “démocratiser” le capitalisme. En particulier, les médias, les intellectuels et la gauche font la plus grande publicité à ce “combat pour la démocratie”. Le mouvement parti d’Espagne s’est nommé “Indignés” en référence à la courte brochure de Stéphane Hessel Indignez-vous ! qui s’est empressé de publier un second volet Engagez-vous ! afin de rabattre le mécontentement vers les urnes et l’éloigner ainsi de la rue. Les organisations altermondialistes ont orienté eux aussi le mouvement vers la lutte pour “plus de démocratie”. La représentation officielle du mouvement des Indignés s’est faite par la DRY, ¡Democracia real Ya ! (démocratie réelle maintenant). Ce combat démocratique a d’ailleurs réellement un certain succès. Début janvier, les Occupy du village de tentes de Saint-Paul à Londres ont brandi une immense banderole réclamant la démocratisation du capitalisme.
Pourquoi ce mot d’ordre pour “un capitalisme plus démocratique” a-t-il ce succès ? Lors du “printemps arabe”, a été révélé aux yeux de tous que des cliques au pouvoir en Tunisie, Egypte, Syrie, Libye… spoliaient depuis des décennies les populations, maintenant leur domination par la crainte et la répression. La contestation, aiguillonnée par la montée de la misère, est parvenue à soulever cette chape de plomb et a été un immense encouragement pour les exploités du monde entier. En Europe, pourtant berceau de la démocratie occidentale, le mécontentement s’est aussi focalisé sur une “élite dirigeante” incapable, malhonnête… mais riche. En France, la clique du président Sarkozy a été dénoncée par de nombreux livres, comme le Président des riches, et d’autres ouvrages récents comme l’Oligarchie des incapables, écrits par des journalistes, chercheurs ou intellectuels, montrent comment la bourgeoisie française est faite de clans qui spolient toute la société au nom de leurs intérêts particuliers. Ces mœurs de voyous ne peuvent qu’engendrer indignation et dégoût. De Bush à Berlusconi, le même constat a été fait. Mais c’est en Espagne que ce rejet des élites a pris la tournure la plus politique. A l’origine du mouvement des Indignés, un fait a été particulièrement frappant : en pleine campagne électorale, période traditionnellement attentiste et morne pour la lutte, un large mouvement de contestation s’est développé. Alors que tous les médias et responsables politiques focalisaient l’attention sur le pouvoir des urnes, les rues étaient effervescentes d’AG et de discussions en tout genre. Une idée était d’ailleurs particulièrement répandue : “droite et gauche, la même merde”. A même parfois retenti “tout le pouvoir aux assemblées !”. Un de nos camarades a entendu une femme répondre à ceux qui voulaient “faire pression sur le gouvernement” que c’était contradictoire avec ce mot d’ordre de “tout le pouvoir aux assemblées !”.
Qu’est-ce que cela signifie ? Que l’idée grandit que, partout dans le monde, sous tous les gouvernements, c’est effectivement “la même merde”. Qu’ont changé les élections démocratiques en Egypte aussi bien qu’en Espagne ? Rien ! Qu’est ce que le départ de Berlusconi ou de Papandréou a changé en Italie et en Grèce ? Rien ! Les plans d’austérité se sont durcis et sont aujourd’hui devenus encore plus insupportables. Elections ou pas, la société est dirigée par une minorité dominante qui maintient ses privilèges sur le dos de la majorité. C’est d’ailleurs la signification profonde des fameux “1 % et 99 %” mis en avant par le mouvement des Occupy aux Etats-Unis. En fait, fondamentalement, il y a une volonté croissante de ne plus se laisser faire, de prendre les choses en main… l’idée que ce sont les masses qui doivent organiser la société… A partir de “tout le pouvoir aux AG”, il y a une réelle aspiration à construire une société où ce n’est plus une minorité qui dicte nos vies.
Mais la question est : cette nouvelle société passe-t-elle vraiment par un combat pour “démocratiser le capitalisme” ?
Oui, être dirigés par une minorité de privilégiés est insupportable. Oui, c’est à “nous” de prendre en main nos vies… Mais qui c’est, ce “nous” ? Dans la réponse donnée majoritairement par les mouvements actuels, “nous” c’est “tout le monde”. “Tout le monde” devrait diriger la société actuelle, c’est-à-dire le capitalisme, via une démocratie réelle. Mais là, apparaissent les vrais problèmes : le capitalisme n’appartient-il pas… aux capitalistes ? Ce système d’exploitation ne constitue-t-il pas l’essence même du capitalisme ? Si la démocratie, telle qu’elle existe aujourd’hui, est la gestion du monde par une élite, n’est-ce pas parce que ce monde et cette démocratie appartiennent à cette même élite ? Allons au bout du raisonnement, imaginons un instant une société capitaliste animée d’une démocratie parfaite et idéale où “tout le monde” déciderait de tout collectivement. D’ailleurs en Suisse ou dans certains villages autogérés en Espagne, ou dans le programme de 2007 de Ségolène Royal (1), on trouve la présence de cette “démocratie participative”. Et alors ? Gérer une société d’exploitation ne signifie pas supprimer cette exploitation… Dans les années 1970, beaucoup d’ouvriers ont mis en avant une revendication autogestionnaire à laquelle ils croyaient de toutes leurs forces : “Plus de patrons, on produit nous-mêmes et on se paye !” Les ouvriers de Lip en France l’ont appris à leurs dépens : ils ont géré collectivement et de façon égalitaire “leur” entreprise. Mais en suivant les lois incontournables du capitalisme, ils en sont venus dans la logique du marché à accepter… l’auto-licenciement et ce de façon très “libre” et très “démocratique”. Nous voyons donc qu’aujourd’hui, dans le capitalisme, la démocratie la plus proche de la perfection ne changerait rien pour construite une nouvelle société. La démocratie, dans le capitalisme, n’est pas un organe du pouvoir de conquête du prolétariat ou d’abolition du capitalisme… c’est un mode politique de gestion du capitalisme ! Pour mettre fin à l’exploitation, il n’y a qu’une seule solution, la révolution.
Nous sommes de plus en plus nombreux à rêver d’une société où l’humanité prendrait sa vie en main, où elle serait maîtresse de ses décisions, où elle ne serait pas divisée entre exploiteurs et exploités, mais unie et égalitaire… Mais la question est qui peut construire ce monde ? Qui peut permettre que demain l’humanité prenne en main la société ? “Tout le monde” ? Eh bien, non ! Car “tout le monde” n’a pas intérêt à la fin du capitalisme. La grande bourgeoisie, évidemment, luttera toujours bec et ongles pour maintenir son système et sa position dominante sur l’humanité, quitte à verser en abondance le sang, y compris dans les “grandes démocraties”. Et dans ce “tout le monde”, il y a aussi les artisans, les notables, les propriétaires terriens…, bref la petite-bourgeoise qui soit veut conserver le train de vie que lui offre cette société, soit (quand le déclassement la menace) est prise par la nostalgie d’un passé idéalisé. La fin de la propriété privée ne fait certainement pas partie de ses projets.
Pour devenir maître de sa propre vie, l’humanité doit sortir du capitalisme. Or, seul le prolétariat peut renverser ce système. La classe ouvrière regroupe les salariés d’usines et de bureaux, du privé et du public, les retraités et les jeunes travailleurs, les chômeurs et les précaires (2). Ce prolétariat forme la première classe de l’histoire à la fois exploitée et révolutionnaire (3). Précédemment, ce sont les nobles qui ont mené la lutte révolutionnaire contre l’esclavagisme, puis les bourgeois contre le féodalisme. Chaque fois, un système d’exploitation a été chassé et remplacé par… un nouveau système d’exploitation. Aujourd’hui, enfin, ce sont les exploités eux-mêmes, à travers la classe ouvrière, qui peuvent abattre le système dominant et construire ainsi un monde sans classes et sans frontières. Sans frontières car notre classe est internationale ; elle subit partout le même joug capitaliste, elle a partout les mêmes intérêts. Dès 1848, notre classe s’est d’ailleurs dotée de ce cri de ralliement : “Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”. Tous les mouvements de ces derniers mois, ceux du Moyen-Orient, des Indignés, des Occupy... se réclament d’ailleurs les uns des autres, d’un pays à un autre, d’un continent à un autre, montrant encore une fois qu’il n’y a pas de frontières pour la lutte des exploités et des opprimés. Mais ces mouvements de contestation ont aussi une grande faiblesse : la force vive des exploités, la classe ouvrière, n’y a pas encore conscience d’elle-même, de son existence, de sa force, de sa capacité à s’organiser comme classe… de ce fait, elle se noie dans le “tout le monde” et elle est encore victime du piège idéologique qui se proclame “pour un capitalisme plus démocratique”.
Pour faire triompher la révolution internationale et bâtir une nouvelle société, il faut que notre classe développe SA lutte, SON unité, SA solidarité… et surtout SA conscience de classe. Il faut pour cela qu’elle parvienne à organiser en son sein le débat, les discussions les plus larges, les plus vivantes, les plus effervescentes possibles pour développer sa compréhension du monde, de ce système, de la nature de son combat… Les débats doivent être libres et ouverts à tous ceux qui veulent essayer de répondre aux multiples questions qui se posent aux exploités : comment développer la lutte ? Comment nous organiser ? Comment faire face à la répression ? Et ils doivent être fermés à ceux qui viennent pour se faire les publicistes de l’ordre établi. Il ne s’agit certainement pas de sauver ou de réformer ce monde agonisant et barbare ! C’est en quelque sorte le miroir de la démocratie athénienne, son image inversée : dans la Grèce antique, à Athènes, la démocratie était le privilège des propriétaires d’esclaves, des citoyens masculins, les autres couches de la société en étaient exclues. Eh bien, dans la lutte révolutionnaire du prolétariat, la plus grande liberté existe en son sein mais en sont exclus ceux qui n’ont comme intérêt que de maintenir l’exploitation capitaliste.
Le mouvement des Indignés et des Occupy portent la marque caractéristique de cette volonté de débattre, cette effervescence incroyable, cette créativité des masses en action qui caractérisent notre classe quand elle lutte, comme on a pu le voir, par exemple, en mai 68, où l’on discutait à tous les coins de rue. Mais sa force créatrice est aujourd’hui diluée, voire paralysée, par son incapacité à exclure de sa lutte et de ses débats ceux qui travaillent en réalité corps et âme à la survie du système actuel. Si nous voulons un jour envoyer aux poubelles de l’histoire des mots comme profit, exploitation, répression et être enfin les maîtres de notre propre vie, le chemin à suivre devra nécessairement se séparer de ces appels illusoires à “démocratiser le capitalisme” et de tous les chantres d’un “capitalisme plus humain”.
CCI (28 janvier)
1) Candidate aux élections présidentielles françaises de 2007 au nom du Parti socialiste.
2) Lire notre article “Qu’est-ce que la classe ouvrière ? [267]”.
3) Lire notre article “Pourquoi la classe ouvrière est la classe révolutionnaire [268]”.
En France, la campagne électorale présidentielle commence à battre son plein, tandis que les perspectives économiques s’avèrent toujours plus sombres chaque jour et que chacun y va de ses propositions-miracle pour sortir de la crise. Le président Sarkozy en personne s’est mué naguère en chef de file de la guerre contre la finance mondiale, avec sa “moralisation du capitalisme” et sa toute récente conversion à l’instauration de la taxe Tobin. Dans tout ce fatras de déclarations électoralistes, l’idée directrice est toujours la même, et on ne peut en attendre autre chose : encore et toujours faire perdurer l’idée que le capitalisme est un système économique qui a de beaux jours devant lui, si on prend évidemment les “bonnes” mesures. De façon exemplaire, l’hebdomadaire Marianne, dont la prétention affichée depuis sa création tient dans l’observation et la moralisation de la vie politique française et internationale, a sorti dans son numéro 760 de la mi-novembre 2011 un numéro intitulé : “Oui, un autre capitalisme, c’est possible !”, avec un dossier spécial titré : “Oui, un capitalisme à visage humain, c’est possible !”. Partant du constat de l’aggravation de la crise économique, Marianne s’inquiète que cela “a eu pour conséquence de plonger dans un même sentiment d’impuissance les traditionnels thuriféraires du capitalisme et ses habituels opposants”. L’hebdomadaire, au travers de tout un tas de considérations diverses et variées sur l’état de l’économie mondiale et sur ses plénipotentiaires, contre “l’amoralité constitutive” du capitalisme moderne, se charge de rassurer dans un premier temps les brebis capitalistes égarées et affolées par le séisme économique actuel en leur rappelant avec force que “le capitalisme a connu son âge d’or dans les années 1970” (celles du début des licenciements massifs dans l’industrie !) ou en citant Emmanuel Todd pour lequel : “Notre génération sait bien que le capitalisme à visage humain peut exister, elle l’a vécu jusqu’aux années 80 !” (années où les attaques anti-ouvrières se sont brutalement intensifiées !).
Marianne se propose donc de revenir à un protectionnisme “raisonnable” comme lors des Trente Glorieuses ou du New Deal de Roosevelt et appelle les politiques à ne plus “laisser le capitalisme agir tout seul : il ne sait pas où il va.” C’est donc une “rupture” avec le capitalisme, dans le capitalisme, pour sortir de la crise. Comme le dit Jacques Julliard, éditorialiste en chef de Marianne : “Depuis que le communisme a cessé de faire peur, le capitalisme a cessé d’être sérieux.” Ce qui ne rassure justement pas du tout la bourgeoisie, c’est que le communisme (et pas le stalinisme) lui fait en réalité de plus en plus peur, car il est vrai que le capitalisme, à partir du moment où il menace sérieusement l’humanité, sa raison d’exister comme son existence elle-même peuvent être de plus en plus souvent remises en cause.
Les propos de l’hebdomadaire reflètent l’illusion de la bourgeoisie que son système économique aurait un avenir devant lui et ont le mérite, sinon de la clarté, de l’honnêteté de son engagement résolu pour la défense du capitalisme.
C’est loin d’être le cas des groupes gauchistes comme Lutte ouvrière ou le Nouveau parti anticapitaliste qui bouffent du capitaliste au petit-déjeuner pour mieux partager le souper avec lui, et dont la raison de vivre est d’effectuer de multiples tours de bonneteau pour faire passer leur défense du système capitaliste pour une politique “révolutionnaire”. LO et le NPA peuvent bien appeler à la “révolution” et au “changement de société” à tous crins, dans les faits, ils entraînent la classe ouvrière derrière des mots d’ordre tout aussi illusoires et mystificateurs que les propositions de Marianne. LO donne ainsi pour mot d’ordre “d’exproprier les banquiers et rassembler les banques dans un seul établissement public”, en fait de pousser au renforcement de l’Etat capitaliste. Et, tout en assénant cette vérité selon laquelle “Les élections ne peuvent pas changer la vie. La lutte des exploités, si !”, LO rabat systématiquement les mêmes exploités vers les urnes, c’est-à-dire les livre à la mystification démocratique bourgeoise. Quant au NPA, qui se revendique prétendument lui aussi de Trotski et de la Révolution russe de 1917, on a vu aux dernières élections régionales son empressement à envoyer voter les salariés. Devant les événements en Egypte du printemps dernier, il n’a par ailleurs pas cessé de soutenir cette “révolution, jusqu’à la victoire” à travers les cliques “démocratiques et populaires” égyptiennes en faisant le tour de force de ne prendre aucunement position sur les luttes ouvrières qui se développaient au même moment dans le pays.
C’est ce qu’on appelle le double langage, celui des menteurs patentés. Nous ne pouvons donc que remercier Marianne d’avoir écrit en gros ce que tous les groupes gauchistes pensent tout bas.
Mitchell (28 janvier)
Enfin ! Cette édition de l’essai d’Anton Pannekoek, Darwinisme et Marxisme, mérite bien cette exclamation. En 2009, nous avions déjà publié dans notre Revue internationale (1) ce texte en français (ainsi qu’en espagnol et en anglais) en nous basant sur une traduction anglaise (due à Nathan Weiser, 1912) de la première édition en allemand (1909). Mais notre publication avait pâti de la piètre qualité de cette traduction malgré notre tentative de l’améliorer à l’aide de l’original néerlandais. Nous disposons maintenant de la première édition française scientifique de ce texte très important, traduite directement à partir de la dernière édition néerlandaise parue du vivant de l’auteur, celle de 1931 (2). Il s’agit donc d’un véritable texte de référence en langue française.
Dans notre introduction de la Revue internationale nous soulignions les grandes qualités de Darwinisme et Marxisme, notamment la clarté de sa présentation de ces deux théories et de leur complémentarité, théories que Pannekoek maîtrisait au plus haut degré en tant que scientifique éminent et en tant que militant révolutionnaire. Nous soulignions aussi sa dénonciation de la déformation de la véritable pensée de Darwin et de son instrumentalisation par les idéologues bourgeois, notamment Herbert Spencer, théoricien de l’ultralibéralisme et véritable inventeur du “darwinisme social” dont la vocation est de trouver des justifications “naturelles” aux injustices sociales propres aux sociétés de classes et notamment au capitalisme. En même temps, nous signalions un certain nombre d’insuffisances du livre de Pannekoek liées au fait qu’il ne pouvait évidemment bénéficier à l’époque de sa rédaction de la masse de connaissances accumulées depuis un siècle par la recherche scientifique mais aussi au fait qu’il était encore quelque peu influencé par une compréhension erronée de la véritable pensée anthropologique de Darwin par Marx et Engels eux-mêmes, lesquels avaient eu tendance à lui attribuer les conceptions de ses épigones bourgeois que justement il rejette dans son second ouvrage fondamental, la Filiation de l’homme.
Un des grands mérites de la présente édition de Darwinisme et Marxisme, outre la qualité de sa traduction qui permet de rendre compte bien mieux que la précédente de la profondeur du texte original, réside dans la présence d’un appareil critique étoffé, notamment une chronologie de la vie et de l’œuvre d’Anton Pannekoek, mais aussi et surtout la préface et le commentaire de Patrick Tort (3) intercalé tout au long du texte. Historien des sciences, chercheur au Muséum, responsable de la publication du monumental Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, directeur de l’Institut Charles-Darwin international en même temps que très bon connaisseur des textes de Marx et Engels, Patrick Tort était certainement l’auteur le plus en mesure d’apporter au texte original de Pannekoek tous les enrichissements, actualisations et précisions qu’il mérite, y compris les rectifications nécessaires.
Un des éclaircissements important donné par Patrick Tort concerne les rapports contradictoires de Marx et Engels avec Darwin, ce mélange de respect profond face à un matérialisme fondamental et de scepticisme têtu devant ce qui apparaissait aux fondateurs du socialisme scientifique comme des concessions à l’idéologie victorienne. Les causes de ce “rendez-vous manqué” entre Marx et Darwin, aux multiples conséquences néfastes, sont analysées dans cet ouvrage.
Aujourd’hui, grâce notamment à l’essai de Pannekoek et aux commentaires de Patrick Tort, lesquels font suite à plusieurs de ses travaux autour de cette question dont nous avons rendu compte en partie dans notre presse (4), il est plus aisé de comprendre que Darwin et Marx se situent le long d’un même fil historique : celui qui passe par la naissance de la civilisation, puis par l’émergence du communisme. Voilà qui nous ramène à la perspective d’une société libérée des classes, de l’État et de l’aliénation du travail, cette aliénation qui génère sous le capitalisme les catastrophes humaines et environnementales que l’on sait.
La lecture parallèle d’Anton Pannekoek et de Patrick Tort constitue une stimulation sérieuse de la réflexion sur ces questions vitales pour l’avenir de l’humanité. Bonne lecture !
Avrom E. (28 janvier)
1) Revue Internationale, nos 137 et 138, 2009.
(http ://fr.internationalism.org/rint137/darwinisme_et_marxisme_anton_pannekoek.html [270] et http ://fr.internationalism.org/rint138/darwinisme_et_marxisme_2_anton_pannekoek.html [271])
2) Anton Pannekoek, Patrick Tort, Darwinisme et Marxisme, Paris, éd. Arkhê, 259 pages, 19,90 € (Belles Lettres Diffusion). Cet ouvrage est disponible en librairie à partir du 16 février 2012.
3) Pour connaître l’œuvre et les travaux de Patrick Tort, rendez-vous sur son site www.patrick-tort.org [272].
4) “À propos du livre l’Effet Darwin. Une conception matérialiste des origines de la morale et de la civilisation”, Révolution Internationale, no 400, 2009
Le triste feuilleton de la mise en liquidation de la société Seafrance a quasiment pris fin, et tout a été fait pour que la plus grande confusion règne. De Sarkozy aux syndicats (CFDT en proue), de la SNCF (maison-mère de Seafrance) aux différents repreneurs qui ont offert leurs bons offices, c’est la cacophonie la plus totale qui a été entretenue, le tout sur fond de basses magouilles mafieuses syndicales tellement énorme que Chérèque a été contraint de désavouer et d’exclure purement et simplement la section locale.
Alors que le sort de l’entreprise de ferries et de ses quelque 900 salariés était scellé depuis des mois, après déjà plus de 700 licenciements en 2010, toutes ces voix se sont brutalement réveillées en décembre pour s’élever au plus haut dès le début de l’année.
Sarkozy a ainsi piqué à l'occasion à la gauche ses intonations “sociales” en affichant un ferme soutien gouvernemental et en proposant la création d’une Société coopérative ouvrière de production (SCOP). Il ne s’agissait là évidemment que d’un coup de com’ électoraliste, cette fameuse coopérative ayant en réalité tout d’une coque vide de bonimenteur de foire et d’une arnaque. Le gouvernement, prenant des allures auto-gestionnaires presque dignes de la belle époque des LIP de 1973, décidait de “tout faire” pour que perdure l’activité de la compagnie et sauver un maximum d’emplois, en proposant la création de cette SCOP, dont les salariés seraient les actionnaires, donc les gestionnaires de leur propre exploitation. Discours repris haut et fort par le syndicat CFDT de la compagnie et par les “élus” du Comité d’entreprise qui votaient le 23 janvier dans le sens d’une même création, qui n’intéresse de toute évidence pas les salariés, très méfiants envers ces “solutions” qui les trimballent de mois en mois, de faux espoirs en désillusions. Enfin, les huit “représentants du personnel” ont voté contre le plan de sauvegarde de l’emploi proposé par la SNCF et donc d’engager les procédures de licenciements, prenant la posture radicale et mensongère de ceux qui veulent se battre jusqu’au bout pour la défense des salariés !
Trois cent d’entre eux ont donc reçu leur lettre de licenciement, et recevront “en moyenne” 60 000 euros d’indemnité, c’est-à-dire de quoi survivre 2 ou 3 ans avec leur famille en attendant d’être radiés du Pôle emploi.
Sur les 570 restants, 200 seront “reclassés” un peu partout dans l’Hexagone ainsi que 50 cheminots affectés à Seafrance, mais 150 sont pour le moment maintenus à leur poste parce que “nécessaires à la procédure de liquidation de la compagnie”. Donc en sursis d’être mis à la porte après leurs collègues. Quant aux 150 derniers, il s’agit des représentants du personnel (!) pour lesquels les procédures de licenciement sont spécifiques et bien plus longues, car ce sont des postes “protégés”.
Concernant les repreneurs comme Louis-Dreyfus Armateurs qui gère LD Lines ou le danois DFDS, rien n’est moins sûr qu’au bout du compte ils embauchent certains des 300 licenciés ou de ceux qui attendent de l’être, malgré leur “projet industriel solide”. D’autant que pour alimenter le tout, le Conseil général socialiste du Pas-de-Calais refuse de prêter à LD Lines un des bateaux de la compagnie (dont il est propriétaire) qui aurait permis de faire redémarrer rapidement un minimum d’activité, justifiant cela par le fait qu’il ne lui appartenait pas “d’interférer en faveur de tel ou tel opérateur”. C’est beau l’hypocrisie ! Et ni Hollande, ni Montebourg, qui est plus actif pour défendre ardemment “le soutien-gorge tricolore” chez Lejaby, n’y ont trouvé à redire.
Ainsi, tout a été fait et tous, droite, gauche, gouvernement, patronat et syndicats ont mis la main à la pâte une nouvelle fois pour faire passer des licenciements tout en tentant de nous faire croire qu’ils ont œuvré à la défense des intérêts ouvriers.
Ce type de manœuvres va se multiplier car, avec l’aggravation de la crise économique, les fermetures de boîtes vont se succéder à un rythme infernal. Pour y faire face, les exploités vont devoir apprendre à déjouer ces pièges, à ne pas laisser des spécialistes (syndicaux ou politiques) mener la lutte à leur place pour en réalité mieux la saboter. Il vont devoir prendre la lutte entre leurs propres mains, organiser eux-mêmes les assemblées générales, décider eux-mêmes des mots d’ordres, des revendications et des moyens d’action. Aujourd’hui, nous sommes tous touchés par les attaques incessantes du capital, si nous nous battons chacun dans notre coin, nous perdrons chacun dans notre coin, usine par usine, école par école, hôpital par hôpital. Pour être forts, nous devons nous unir dans la lutte. Si nous parvenons à prendre notre lutte en main, à organiser nos AG, alors nous pourrons aussi tisser des liens entre nous, nous déplacer massivement d’un lieu de travail à l’autre pour entraîner dans le combat la boîte voisine qui, si elle n’est pas touchée aujourd’hui, le sera demain.
Prenons nos luttes en main !
Notre force, c’est l’unité et la solidarité !
Wilmag (28 janvier)
Vendredi 13 janvier, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s (S&P) dégrade la note de crédit de 9 pays de la zone euro. C’est le “black Friday” ! La France, l’Autriche, Malte, la Slovaquie et la Slovénie chutent d’un cran, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et Chypre de deux. Cette décision met la note de l’Italie au même niveau que le Kazakhstan (BBB+) et place celle du Portugal dans la catégorie à risque élevé ! S&P place également 14 pays de la zone sous perspective négative (au total 15 pays sur 17 sont sous perspective négative). Pour résumer, seule l’Allemagne est encore estampillée “AAA – perspective stable” au sein d’une zone euro à la dérive.
La perte du triple A français est l’indice le plus révélateur de la gravité de la situation économique en Europe. La France formait avec l’Allemagne la colonne vertébrale de la zone euro. Ce sont principalement ces deux pays qui alimentaient les fonds d’aide à la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Or, n’ayant plus son AAA, la France ne peut plus être un garant crédible et l’Allemagne se retrouve seule à devoir supporter ce fardeau de l’endettement européen. C’est d’ailleurs pourquoi le Fonds européen de stabilité financière (FESF) a lui aussi vu sa note être dégradée par S&P.
Le tableau est, pour la bourgeoisie, catastrophique. Depuis 2008, le système bancaire est aux abois, il ne doit sa survie qu’à la perfusion permanente d’argent frais des banques centrales. En Allemagne par exemple, pays pourtant censé être le plus solide de la zone euro, toutes les banques sont surendettées et personne ne sait comment elles vont encaisser les prochains chocs inéluctables à venir, telle la faillite annoncée de la Grèce. Aujourd’hui, banques, fonds d’investissement, grands industriels, Etats, banques centrales, institutions internationales (comme le FMI)… tous se soutiennent les uns les autres comme des alcooliques qui, sortant d’un bar, se tiennent par les épaules pour essayer de marcher droit et ne pas tomber. Le résultat est prévisible : une marche sinueuse et improbable, puis… la chute collective.
La bourgeoisie elle-même a, en partie, conscience des jours sombres qui attendent son économie. Pour Ben May, de Capital Economics, “le Portugal et la Grèce vont subir des récessions assez sévères quoi qu’entreprennent les dirigeants dans les semaines ou les mois à venir pour sauver la zone euro” (1). L’économie portugaise va se contracter d’après lui de 8 % l’année prochaine ! Les situations italienne et espagnole ne sont pas meilleures : leur PIB devrait reculer de 2,2 % et 1,7 % !
Et la crise ne ravage pas seulement la zone euro. L’économie britannique s’est contractée de 0,2 % au dernier trimestre 2011 et redoute de perdre à son tour le fameux triple A. Le Japon devrait connaître lui-aussi la récession (– 0,4 % pour l’année fiscale en cours).
Plus généralement, le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour 2012. Son scénario le plus optimiste anticipe 3,3 % de croissance (et non plus 4 % comme il était avancé en septembre dernier) mais, selon l’aveu même de son chef économiste Olivier Blanchard, “si la crise de la zone euro s’aggrave, le monde replongera dans la récession.”
Le marasme économique actuel est nommé par les spécialistes “la crise de la dette”. La montagne de créances accumulées en effet depuis les années 1960 par tous les acteurs de l’économie mondiale, des entreprises aux banques, des Etats aux particuliers, a créé une sorte de surendettement généralisé qui pousse l’économie mondiale vers la faillite (2).
Face à cette situation, la bourgeoisie n’a aucune solution. Quand elle tente de désendetter son économie, la récession est immédiate et brutale. L’activité est comme paralysée, tout s’arrête. Et, au bout du compte, les déficits se creusent. Quand elle tente de relancer la croissance en injectant massivement de l’argent, les déficits… se creusent. Deux chemins, une même destination : la faillite.
En Europe, en particulier en Grèce et au Portugal, l’austérité est violente, les coupes claires dans les budgets sont faites à la hache. Résultat ? Des pays au bord du gouffre. Aujourd’hui, le FMI demande d’ailleurs aux banques européennes d’accepter des pertes importantes sur la Grèce (ce qui va menacer à leur tour ces établissements de banqueroute) et souhaite que la zone euro ajoute 1000 milliards au FESF et au MES (Mécanisme européen de stabilité) afin de sauver l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie qui sont en train de flancher à leur tour. Evidemment, l’Allemagne s’est d’ores et déjà positionnée contre une telle éventualité puisque c’est à elle que reviendrait le privilège de fournir la plus grande partie de la somme.
Aux Etats-Unis, malgré les milliers de milliards injectés depuis 2008, l’économie nationale s’entête à ne pas redécoller. L’Etat va donc devoir continuer à maintenir l’activité sous perfusion d’argent “à bas coût”. La Réserve fédérale vient d’annoncer qu’elle ne prévoyait pas de relever ses taux avant fin 2014, maintenant ceux-ci proche de zéro (entre 0 % et 0,25 %), et nombre d’analystes restent persuadés que la Banque centrale n’échappera pas au lancement d’un nouveau cycle de “relance quantitative” (“QE3”) (3), sous la forme de 500 milliards de dollars de rachats d’actifs titrisés (“mortgage-backed securities”) et de bons du Trésor, en avril ou en juin. Bref, de la dette va encore être ajoutée à la dette et en très très grande quantité ! Tout cet argent créé va couler à flots mais sans engendrer une quelconque relance réelle et durable, un peu comme s’il était versé dans “le tonneau des Danaïdes” (4).
La bourgeoisie pourra bien verser tout l’argent qu’elle veut dans le tonneau de l’économie mondiale, rien n’y fera. Son système est moribond, condamné. C’est d’ailleurs là que s’arrête la comparaison avec les Danaïdes. Si, en mythologie, un supplice peut durer éternellement, dans le monde réel, tout a une fin et celle du capitalisme approche.
L’Espagne en crise vient de franchir la barre “historique” des 5 millions de chômeurs. Chez les moins de 25 ans, plus d’un sur deux (51,4 %) est sans travail. En seulement 4 ans, le pays a multiplié par 3 son taux de chômage !
La France compte officiellement près de 2,8 millions chômeurs sans aucune activité. Avec les départements d’outre-mer, le nombre de demandeurs d’emploi s’établit même à 4,5 millions. Là aussi, l’augmentation est vertigineuse.
Les prolétaires de tous les pays sont confrontés à cette même réalité dramatique. Tous ? Non ! L’Allemagne ferait exception si l’on en croit les bonimenteurs qui nous gouvernent. Jamais, Outre-Rhin, le taux de chômage n’a été aussi bas depuis la réunification (6,9 %). Un véritable “miracle économique”. Sauf si l’on tient compte des millions de chômeurs radiés ou des précaires dépendants de l’aide sociale... Les longs extraits qui suivent de l’article “Chômage : la face caché du “miracle économique allemand”” sont à ce sujet édifiants :
“En 2001, le Chancelier socialiste Schröder […] fait appel à Peter Hartz, directeur des ressources humaines de Volkswagen, qui pense avoir trouvé la solution à la gabegie du système d’allocation. Ce seront les fameuses lois Hartz, dont la plus connue et la plus contestée est la Loi Hartz IV. Celui que toute l’Allemagne appelle bientôt “Doktor Hartz”, veut s’attaquer au “chômage volontaire”, et met en place un système contraignant de recherche d’emplois. Il instaure les fameux “mini-jobs”, payés 400 euros par mois sans cotisation sociale et donc sans assurance, et les “un euro-jobs”, essentiellement des travaux d’intérêt public. Tout le système allemand d’allocations est remis à plat. […] On connaît la suite : des résultats impressionnants, mais en trompe-l’œil. A l’instar de Brigitte Lestrade, auteur d’une étude sur les réformes Hartz IV, certains pointent la mise en place d’un système qui, par vases communicants, aurait progressivement fait passer plusieurs millions d’Allemands des listes de chômeurs à ceux de “quasi-chômeurs” ou travailleurs pauvres.
La chercheuse estime à 6,6 millions de personnes – dont 1,7 millions d’enfants – les “bénéficiaires” d’Hartz IV. Les 4,9 millions d’adultes sont en fait des chômeurs, des “quasi-chômeurs” [qui travaillent moins de 15 heures par semaine] ou des précaires. […] Une responsable de l’Arbeitsagentur d’Hambourg [le Pôle-emploi allemand], souhaitant garder l’anonymat, ne cache pas sa colère : “Qu’on arrête de parler de miracle économique. Aujourd’hui, le gouvernement répète que nous sommes aux alentours de 3 millions de chômeurs, ce qui serait effectivement historique. La réalité est toute autre, 6 millions de personnes touchent Hartz IV, ce sont tous des chômeurs ou des grands précaires. Le vrai chiffre n’est pas de 3 millions de chômeurs mais de 9 millions de précaires” (5).
En fait, il n’y a pas d’îlot paradisiaque sur cette terre dominée par le capitalisme. L’enfer de l’exploitation règne partout et lacère notre dos avec le fouet de la crise économique. Selon l’Organisation international du travail, 1,1 milliard de personnes dans le monde sont au chômage ou vivent sous le seuil de pauvreté. 450 millions de travailleurs pauvres survivent avec moins de 1,25 dollar par jour ! Et cette situation dramatique ne cesse d’empirer.
Le système d’exploitation actuel est en train d’agoniser, nul doute possible. Il n’y a qu’une seule incertitude : l’humanité va-t-elle s’éteindre avec lui ou sera-t-elle capable d’engendrer un autre monde ? Autrement dit, nous, les exploités, allons-nous encore longtemps accepter les mille souffrances que le capitalisme nous fait endurer ?
Pawel (28 janvier)
1) Source : www.lexpress.fr/economie [274].
2) Lire notre article : “La crise de la dette : pourquoi ?” (http ://fr.internationalism.org/icconline/2011/la_crise_de_la_dette_pourquoi.html [275]).
3) Les QE 1 et 2 ont été de plans de relance successifs et également inefficaces de l’économie américaine. Concrètement, à travers eux, 2000 milliards de dollars ont été injectés depuis 2008, ce qui a juste permis à la croissance de ne pas s’effondrer.
4) Les Danaïdes sont les cinquante filles du roi Danaos. Ce roi fit venir ses cinquante neveux qui lui expliquèrent leur désir d’épouser ses filles. Danaos accepta. Pour leurs noces, il offrit à ses filles une dague puis leur fit promettre de tuer leurs époux pendant la nuit. Toutes le firent, sauf Hypermnestre, qui épargna Lyncée. Plus tard, Danaos organisa des jeux pour marier ses 49 filles. Mais Lyncée tua les 49 filles pour venger ses frères. Aux enfers, les Danaïdes reçurent une punition qui consistait à remplir éternellement d’eau un tonneau percé.
5) Source : fr.myeurop.info/2011/10/04/chomage-la-face-cachee-du-miracle-economique-allemand-3478
Nous publions ci-dessous une prise de position de sympathisants du CCI présents sur le territoire de l’ex-URSS concernant les manifestations contre les fraudes électorales qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans près de 80 villes en Russie en décembre dernier.
Il est particulièrement significatif que ces mobilisations massives se produisent dans le pays épicentre de la contre-révolution mondiale pendant des décennies (depuis le milieu des années 1920), où l’écrasement physique et idéologique du prolétariat par le stalinisme au nom du communisme a été absolu. De plus, l’effondrement et le démembrement de l’URSS dans les années 1990, l’un des phénomènes marquant l’entrée du capitalisme en décadence dans sa phase ultime de la décomposition, avait poussé au paroxysme le déboussolement et la démoralisation de cette partie du prolétariat mondial. Ces mouvements sont aujourd’hui inévitablement fortement marqués par cette histoire et sont, en particulier, porteurs d’importantes illusions sur la démocratie. Pour autant, ils sont avant tout une expression de la dynamique internationale qui, partie des pays arabes, déferle sur de nombreux pays (comme en Roumanie actuellement), voit s’élever la protestation de toutes les couches et classes victimes du capitalisme contre le présent de misère et l’avenir catastrophique auxquels les condamne ce système en faillite. Au-delà du déclencheur immédiat anti-fraude électorale, c’est la profonde insatisfaction de leur condition de vie et de travail qui pousse aussi de larges secteurs de la population et des exploités en Russie à exprimer leur mécontentement et à sortir de la passivité que la clique de Poutine se plaisait officiellement à faire passer pour une approbation de son régime de terreur et d’exploitation sans frein. A ce titre, le surgissement de ces mouvements constitue un événement majeur.
Le 4 décembre 2011, les élections parlementaires ont eu lieu en Russie. Les fraudes électorales y ont été si cyniques et si insolentes qu’elles ont indigné des centaines de milliers de citoyens. Des dizaines de milliers de personnes ont pris part aux manifestations de contestation, “pour des élections honnêtes” dans différentes villes du pays. Mais il est à noter que la grande majorité des indignés s’entretiennent d’illusions démocratiques et luttent pour améliorer le système capitaliste au lieu de le combattre par la lutte des classes.
Les manifestations les plus grandioses se sont déroulées à Moscou, le 10 décembre place Bolotnaïa et le 24, Avenue Sakharov, où le nombre de participants a atteint plusieurs dizaines de milliers de personnes, selon diverses estimations. Les contestations ont vu des forces politiques différentes, les enseignes des libéraux voisiner avec les drapeaux rouges, les bannières des nationalistes avec les étendards rouges et noirs des anarchistes. Mais la plupart des manifestants n’appartenaient à aucune organisation ou tendance politique.
La revendication principale de la manifestation était celle d’“élections honnêtes”. En même temps, beaucoup de gens non engagés politiquement persistaient à ne rien vouloir d’autre que soumettre les autorités à la loi et faire des transformations démocratiques pacifiques. En général, la grande masse faisait la sourde oreille aux appels à la révolution ou à toute action radicale.
Il faut aussi noter la grande bigarrure de la composition sociale des manifestants. D’une part, on y trouvait des hommes d’affaires, d’anciens membres du gouvernement (y compris l’ex-Premier ministre Mikhaïl Kassianov), des stars du show-biz, des journalistes célèbres et même une mondaine, telle que Xénia Sobtchak dont le père Anatoli Sobtchak passe pour être le “parrain” politique de Poutine. D’autre part, il y avait aussi beaucoup de gens ordinaires : des employés de bureau, des étudiants, des ouvriers, des retraités, des chômeurs... D’après certains observateurs, la composition sociale des manifestants en province (ce qui signifie pratiquement l’ensemble de la Russie, sauf pour Saint-Pétersbourg et Moscou) était plus prolétarienne que dans la capitale.
Il ne fait aucun doute que la crise économique mondiale a joué un rôle de catalyseur des contestations en Russie. Malgré l’optimisme affiché des autorités, cette crise se fait ressentir de plus en plus pour les gens ordinaires. Les fraudes électorales lors des élections parlementaires de 2011 n’ont fait que servir de prétexte au déclenchement des manifestations de masse. La revendication d’“élections honnêtes” a été le leitmotiv de presque toutes les actions de masse, de l’Extrême-Orient aux deux métropoles (Moscou et Saint-Pétersbourg).
Les réseaux Internet sont devenus la principale arme idéologique de l’opposition à Poutine. Sur la toile, on peut retrouver des centaines, si ce ne sont des milliers de vidéos où sont enregistrées, à en croire leurs auteurs, les violations à la loi électorale. D’ailleurs, personne n’en a vérifié la crédibilité parce que l’indignation a plutôt trouvé dans les trucages électoraux un prétexte formel, alors que, comme nous l’avons indiqué, sa cause principale en était le mécontentement général de millions de personnes vis-àvis de leur situation.
A leur tour, les autorités prétendent que les accusations de trucage lors des élections sont en grande partie infondées. En outre, le Kremlin mène une campagne médiatique visant à présenter les manifestants sous influence d’agents de l’Occident au service de l’Oncle Sam et du Département d’Etat. Pourtant, craignant ce mécontentement généralisé, le régime de Poutine est obligé de faire certaines concessions. Par exemple, Medvedev vient de promettre quelques réformes démocratiques à la population, notamment de rétablir l’élection directe des gouverneurs de région, abolie il y a quelques années par Poutine sous prétexte de la lutte contre le terrorisme.
Il ne fait aucun doute que le mécontentement a des raisons sociales. La Russie, comme partie de l’économie mondiale, traverse la même crise que les autres pays. Les gens ordinaires en Russie tout autant que les millions des travailleurs partout dans le monde, commencent à comprendre que le capitalisme ne leur assure aucun “avenir radieux”. Mais ce sentiment ne s’est pas encore transformé en conscience de classe. Et les illusions démocratiques imposées par la propagande bourgeoise y sont dans une large mesure pour quelque chose. Malheureusement, nombre de gens ne comprennent pas encore que les élections ne sont que le droit des opprimés de choisir un représentant de la classe dirigeante à intervalles réguliers (selon l’expression de Marx). Et quel que soit le visage du pouvoir, sa nature sera toujours la même, capitaliste et exploiteuse. Qu’importe si on a tel ou tel président, tel ou tel député, les prolétaires, les salariés manuels et intellectuels privés de moyens de production et du pouvoir politique demeureront exploités. Les travailleurs n’obtiendront l’émancipation sociale qu’en s’organisant (à l’exemple de la Commune de Paris de 1871 et des Conseils ouvriers de 1905 et 1917) et en renversant le système capitaliste, parce que c’est seulement un changement de système qui leur permettra de faire cesser l’exploitation.
Les libéraux, la “gauche” (avant tout les staliniens) et les nationalistes se sont mis à la tête du mouvement. Ensemble, ils ont formé le Centre de coordination “Pour des élections honnêtes”.
Parmi les leaders de l’opposition, on voit des personnages tels que Boris Nemtsov, vice-Premier ministre sous Eltsine qui a pas mal “contribué” au pillage sur le dos des travailleurs de Russie.
En somme, les rivaux de Poutine n’obtiennent aucune sympathie de la part des prolétaires russes. Les gens se souviennent bien encore de la pauvreté, de la misère, des retards du paiement des salaires et des retraites, à l’époque où certains des opposants actuels étaient au pouvoir. Les leaders de l’opposition ne se sont pas gênés pour utiliser le mécontentement des masses à des fins électoralistes. Cette fois-ci, il s’agit de la future présidence. Dans les manifestations de contestation, on appelle les électeurs à voter “comme il faut”. Mais il est tout à fait clair que même si “l’opposition” actuelle succède à Poutine et à son régime, les travailleurs n’en tireront aucun bénéfice.
On sait bien que la revendication d’élections honnêtes n’a rien à voir avec la lutte de classes. Mais il faut se rendre compte que parmi les dizaines de milliers des manifestants, il y a beaucoup de nos compagnons de classe. Dans une telle situation, nous devons critiquer ouvertement les illusions démocratiques, même si cela ne contribuera pas à accroître la sympathie pour nos positions parmi les partisans d’“élections honnêtes”. Sans la compréhension qu’à la base de tous les problèmes contemporains, il y a la nature du système capitaliste, il n’y aura pas de développement de la conscience de classe révolutionnaire. C’est pourquoi, malgré le battage médiatique entourant les élections, les révolutionnaires doivent inlassablement démasquer la fausseté et l’illusion des “libertés” bourgeoises. Tout en critiquant les erreurs des participants aux manifs pour des élections honnêtes, il ne faut jamais oublier la différence entre “l’opposition” bourgeoise qui veut utiliser le mécontentement des masses pour gagner de confortables places au sein des organes du pouvoir et les gens ordinaires qui s’indignent sincèrement de l’insolence, de l’impudence et de la perfidie des autorités actuelles du Kremlin.
Et comme le montre même l’expérience de telles contestations aussi stériles et insignifiantes pour le pouvoir que puissent être les manifestations à Moscou, un état d’esprit radical au sein de la société peut très vite émerger. Il y a un mois encore, avant ces actions de masse, personne n’aurait pu supposer que des dizaines de milliers de personnes iraient protester dans la rue contre le régime de Poutine.
Notre devoir révolutionnaire consiste à démasquer la véritable nature de la clique de Poutine et de ses opposants politiques. Nous devons expliquer aux travailleurs que seule la lutte de classe autonome pour le renversement du capitalisme et la construction d’une nouvelle société sans exploitation pourra résoudre réellement leurs problèmes personnels et ceux de l’humanité toute entière.
Des sympathisants du CCI dans l’ex-URSS (janvier 2012)
Exactement un an (le 25 janvier) après le début du soulèvement en Egypte, le film Tahrir, place de la libération du documentariste italien Stefano Savona, parrainé par la LIDH (Ligue internationale des droits de l’homme) et soutenu par des producteurs “indépendants” est sorti dans une quinzaine de salles en France.
En préambule du film, outre une animation proposée par un chanteur et un musicien, célébrant notamment la révolte de Sidi Bouzid en Tunisie, il a été rappelé qu’aujourd’hui encore, la mobilisation sur le place Tahrir continuait et qu’il y avait encore 15 000 détenus politiques dans les geôles bien que l’armée ait relâché symboliquement environ 200 autres prisonniers à l’occasion de l’anniversaire de ce que tous les Egyptiens appellent désormais avec fierté “la Révolution”.
Il faut cependant rappeler que l’armée détient toujours les rênes du pouvoir dans ce pays après les récentes élections où les 2/3 du Parlement sont composés par les partis islamistes (les Frères musulmans qui formellement en détiennent la majorité) plus le parti salafiste (intégriste). Ainsi, rien n’a changé depuis le départ du dictateur remplacé par… la dictature ouverte de l’armée. Et surtout, outre cette répression, il n’y a aucune amélioration quant à la misère et aux conditions de vie des exploités, désormais coincés entre le marteau et l’enclume, entre l’armée, les illusions démocratiques et le poids politique des partis islamistes.
Pour sa “première” à Paris, le film était également suivi d’un débat direct avec le réalisateur, auquel nous avons participé.
Filmé caméra au poing à partir d’un simple appareil photo Canon 5D, ce documentaire nous fait partager au plus près des visages et des mouvements de foule, la vie de dizaines de milliers de participants, s’attachant pendant 12 jours, au hasard des rencontres et au gré des coups de cœur du réalisateur, à suivre quelques uns des protagonistes tout au long des “journées de la colère” depuis le 6e jour de l’occupation jusqu’à l’annonce de la démission de Moubarak le 11 février, et dans les dernières images un peu au-delà avec quelques interrogations sur le futur.
Le problème avec ce film, c’est qu’il prétend de par son aspect documentaire, être un témoignage de l’histoire en train de se vivre et qui se vit de l’intérieur de la place Tahrir, se donnant ainsi le brevet d’une certaine “objectivité” propre au reportage journalistique en montrant la réalité prise sur le vif de ce qui ses passe sous ses yeux. Mais ce cinéma est tout, sauf objectif. Non seulement il ne montre la réalité que d’un certain point de vue, mais son parti pris de filmer cette réalité de l’intérieur aboutit à ne la montrer que plus partiellement, focalisant l’attention sur une surface plus étroite et limitée comme avec une loupe dont les effets grossissants rejettent dans l’ombre ou hors du champ de vision le cadre qui permet de la voir entièrement et de la comprendre.
Alors que précisément le mouvement en Egypte ne se limite pas à ce qui s’est passé sur la place Tahrir, celle-ci nous est présentée comme le seul point de référence. Il n’y a pas un seul écho, ni la moindre préoccupation sur la place de la vague de grèves ouvrières qui a déferlé dans tout le pays et qui a réellement poussé Moubarak, sous la pression des Etats-Unis, à démissionner. Si l’armée n’est pas intervenue à ce moment-là, si par la suite, une de ses premières mesures a été d’interdire les grèves, c’est que ces grèves qui ont quasiment paralysé le pays ont joué un rôle majeur dans le déroulement des événements. Le film donne l’illusion, la vision déformée que la seule force du mouvement provenait de l’occupation de la place Tahrir. Un article sur le film dans le Monde daté du 25 janvier 2012 livre ce commentaire : “Que nous montre le film ? D’abord une extraordinaire effervescence, une ivresse palpable, une reconquête exaltante de la liberté de parole et de mouvement”. C’est vrai. Et cette ivresse envahit le spectateur comme les participants eux-mêmes paralysant tout effort de réflexion. De ce fait, le film nous embarque et nous entraîne d’emblée à partager les émotions et les sentiments de la foule, en se plaçant au milieu des participants sans permettre aucun recul pour la réflexion, il épouse son point de vue avec un maximum d’empathie et d’engagement : ses colères, ses craintes, ses espoirs, ses doutes, ses explosions de joie à l’annonce de la chute du tyran. L’article du Monde poursuit ainsi : “Puis (il montre) une diversité de visages, d’âges, de sexes, d’origines, d’appartenances, d’attitudes qui se mélangent, se respectent, s’unissent dans un même ras-le-bol, dans un même défi, dans un même combat. Des barbus et des glabres, des gens en prière et d’autres en keffieh, des jeunes filles voilées transportant des pierres, des jeunes qui les lancent, des vieillards qui les soutiennent. En un mot, un peuple en marche, une utopie réalisée”. Et cette “utopie” non pas réalisée mais porteuse de dangereuses illusions et d’un maximum de confusion a une double étiquette : Démocratie et Révolution du peuple.
Cependant, même à travers ce prisme déformant et cette réalité tronquée, certains aspects de la situation à ce moment-là sautent aux yeux du spectateur. D’abord le courage donné par un ras-le-bol collectif : “nous n’avons plus peur”, la détermination : “nous irons jusqu’au bout pour que Moubarak dégage” et la solidarité des participants : hommes et femmes inconnus auparavant se parlant les uns aux autres, se côtoyant, dormant côte à côte dans les abris de fortune – toiles de tente ou rideaux de douches – sans le moindre problème, chacun apportant la nourriture de son foyer pour la collectivité. Il montre le combat courageux et à mains nues contre la police, contre les snipers ou contre les hordes de détenus de droit commun, libérés et recrutés par Moubarak comme tueurs à gages grassement payés envoyés à l’assaut des occupants. Il montre l’impuissance d’un haut gradé militaire affublé d’une fleur blanche à la main non parce qu’il serait contesté ou conspué mais parce que, même muni d’un micro, il est incapable de se faire entendre. Il montre l’utilisation de Twitter par certains jeunes pour appeler à se rassembler sur la place ou à se déplacer sur des points stratégiques où il y a besoin de renforts dans les affrontements pour “tenir” la place, les infos qui circulent de bouche à oreille, les déplacements continuels sur la place. Un autre élément frappant est l’absence d’AG malgré la “libre parole” : il n’y a pas de délibération ni de décision collective sur l’orientation du mouvement en dehors de petits groupes de discussion informels sur la situation ou sur l’avenir. Au début du film, certains évoquent des manifestations dans d’autres villes, leurs origines, leur profession. A un moment, cette diversité se reflète quand trois jeunes parlent ensemble : l’un est campagnard, l’autre citadin, un troisième Bédouin, parfois ils donnent leur opinion ou livrent leurs sympathies respectives pour telle ou telle fraction à trois ou quatre, tout au plus. Les gens parlent entre eux fraternellement malgré leurs convictions différentes, notamment religieuses ou laïques, on voit quelques discours suivis par de petits groupes de la part des Frères musulmans, des harangues individuelles enflammées souvent émouvantes devant la caméra et surtout des slogans répétés et scandés à satiété : “Le peuple veut changer de régime”, “Moubarak, dégage”, “Le peuple égyptien, c’est nous, il est ici”, “Vive l’Egypte !” au milieu d’une nuée de drapeaux nationaux brandis à bout de bras ou certains gigantesques déployés au dessus de la foule. Car le nationalisme, la préoccupation du sort et des intérêts du pays est omniprésente sur la place et, semble-t-il, partagé par chacun. Chaque participant se reconnaît avec tous les autres comme “le peuple” sans la moindre connotation de classe. Là, le miroir aux alouettes de la démocratie fonctionne. Et aussitôt, le piège se referme. Le piège c’est précisément toutes les valeurs idéologiques mises en avant par la bourgeoisie et les discours remplis d’illusions que véhicule ce film : un personnage le dit : “le peuple est uni ici comme les doigts de la main” autour d’une seule idée, “chasser Moubarak”. Mais seule cette volonté de chasser Moubarak et son régime exécré crée cette unité interclassiste artificielle : “Ce que nous voulons tous, c’est renverser ce régime”. Jeunes comme vieux, femmes voilées ou pas, intégriste ou pro-laïque, musulman ou chrétien. Après, on verra… A la fin du film, après les scènes de liesse provoquée par l’annonce du départ de Moubarak et que beaucoup lèvent le camp pour rentrer chez eux, une femme prévient pourtant : “maintenant c’est l’armée qui a les pleins pouvoirs et qui suspend nos libertés, il ne faut pas partir d’ici, c’est contre elle que nous devons maintenant continuer à nous mobiliser et nous battre.”
Bref, le film est entièrement à la gloire de la conquête de cette démocratie rêvée dont “le peuple égyptien” serait le héros. D’ailleurs, les nouveaux arrivants sont accueillis aux cris de “Les voilà, les héros de la nation !” Toute disposée à se trouver un héros ou un leader emblématique, la foule fait venir à la tribune un jeune manifestant emprisonné et relâché au bout de 12 jours qui, effrayé par les ovations et le rôle qu’on lui octroie, renonce à prendre la parole.
Le film invite insidieusement à adhérer ou à s’extasier devant ce qui révèle au contraire les grandes faiblesses, l’immaturité de la révolte et surtout le poison nationaliste conforté par cette fierté d’avoir chassé Moubarak comme les illusions démocratiques qui pèsent très lourdement, outre le poids de la religion, sur la population exploitée dans le soulèvement en Egypte.
C’est d’ailleurs les termes de peuple, de démocratie et de révolution qu’on a retrouvé galvaudés tout au long du “débat” organisé à la suite du film. Alors que la plupart des intervenants ont interrogé le cinéaste sur les conditions de tournage ou sur les rencontres avec des personnages qu’on pouvait suivre tout au long du film, trois interventions ont plus ou moins fait part de leur “malaise” ou ont remis en cause le terme de Révolution pour qualifier les événements, l’un d’eux disant que des véritables révolutions, il n’y en avait pas eu beaucoup dans l’histoire et le cinéaste s’est contenté d’y répondre en disant que vivre ces jours avait été une expérience exceptionnelle, que rien ne serait plus comme avant dans les mentalités en Egypte et que cela avait durablement marqué les consciences, y compris la sienne. C’était cela pour lui qui justifiait l’emploi du terme révolution. L’élément “contestataire” dans la salle est brièvement réintervenu pour dire que, les drapeaux nationaux en moins, le phénomène n’était pas sans rappeler Mai 68 en France sans que cela puisse être qualifié de révolution ; la réponse apportée par le cinéaste et son entourage ont été que c’était le début d’un processus révolutionnaire toujours en cours car la mobilisation de ceux de Tahrir n’était pas terminée et ont finalement répondu que le propos de l’intervenant avait une connotation pessimiste injustifiée. Un camarade du CCI est intervenu à plusieurs niveaux : sur l’absence de toute référence à la mobilisation ouvrière dans les événements, sur le fait que le film et le débat prenaient l’Egypte comme un référentiel absolu alors que ce mouvement s’insérait dans un cadre de contestation internationale de la société ces dernières années qui s’était exprimé un peu partout mais que l’on retrouvait dans les mouvement des Indignés en Espagne ou en Grèce ou des Occupy en Grande-Bretagne et jusqu’aux Etats-Unis face à une crise mondiale du système. Enfin pour rappeler que la révolte et la naissance du mouvement en Tunisie partaient de revendications économiques contre le chômage, la misère et la hausse des produits alimentaires et non pas prioritairement pour réclamer plus de liberté et de démocratie. Il a encore insisté sur le fait que cet aspect était sous-estimé dans ce débat sur l’Egypte, alors que la précarité, le chômage et la misère étaient au moins aussi fortes en Egypte, où la protestation contre la vie chère apparaissait uniquement dans le film à travers ce rappel hurlé par les manifestants “l20 livres le kilo de lentilles !”. Le réalisateur a cherché à démentir assez maladroitement l’aspect prioritaire des revendications économiques niant même qu’en Tunisie elles aient joué un rôle majeur ou de détonateur. Un membre de l’équipe associée au film a plus subtilement admis que les grèves ouvrières avaient joué aussi un rôle important dans le soulèvement notamment depuis la vague de grèves de 2007/2008 dans les usines textiles de El Mehalla el Kubra dans le delta du Nil et à la suite de celles-ci par le “mouvement du 6 avril” et qu’à Tahrir il y avait aussi des bouts de pain collés sur des affichettes pour l’exprimer. Après cette intervention, le débat, sans doute pour éviter que la discussion ne prenne une tournure plus “politique”, a été rapidement clos par les organisateurs.
W (26 janvier)
L’article suivant, traduit depuis World Revolution (organe de presse du CCI en Grande-Bretagne), a été écrit par un sympathisant de notre organisation, avant la récente attaque contre l’ambassade britannique en Iran.
Le 29 novembre, des étudiants ont fait irruption dans le bâtiment, causant des dommages aux bureaux de l’ambassade et à des véhicules. Dominick Chilcott, l’ambassadeur britannique, dans une interview à la BBC, a accusé le régime iranien d’être derrière ces attaques “spontanées”. En représailles, le Royaume-Uni a expulsé l’ambassade iranienne de Londres. Ces événements sont un nouvel épisode de la montée des tensions au Moyen-Orient entre l’Occident et l’Iran, autour de la question des armes nucléaires et de la Syrie. Le récent rapport de l’AIEA sur le nucléaire iranien a déclaré que l’Iran avait développé un programme nucléaire militaire. En réponse, le Royaume-Uni, le Canada et les Etats-Unis ont introduit de nouvelles sanctions. Ces derniers jours, l’Iran a affirmé qu’il a abattu un drone américain qui tentait de recueillir des renseignements militaires. Par rapport à la Syrie, l’article mentionne la collaboration entre le régime d’Assad et la Garde Révolutionnaire Iranienne dans le massacre de la population syrienne. Dans le sac de l’ambassade britannique, on a également vu un coup de main de la part de la section jeunesse du Basij, téléguidé par El-Assad.
De même que les rivalités inter-impérialistes, nous ne devons pas oublier les rivalités internes au sein des bourgeoisies nationales elles-mêmes. L’été dernier, il est devenu clair qu’un fossé croissant se creusait entre le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et l’ayatollah Ali Khamenei. Malgré ses diatribes antisémites et sa rhétorique pleine de rodomontades, Ahmadinejad représente une fraction de la bourgeoisie iranienne qui veut maintenir quelques liens avec l’Occident. Khamenei avait arrêté quelques-uns des proches alliés d’Ahmadinejad au sein du gouvernement limogé. En réponse, Ahmadinejad a “fait grève” pendant 11 jours, refusant de s’acquitter de ses fonctions à la tête du gouvernement. Les récents événements autour de la mise à sac de l’ambassade britannique sont considérés par certains analystes des médias dans le cadre de cette querelle. Khamenei et ses partisans conservateurs sont considérés comme étant derrière les attaques pour saper la politique plus conciliante de M. Ahmadinejad et lui nuire en vue des prochaines élections de 2012.
Avec l’aggravation des tensions entre l’Iran et l’Occident, certains pronostiquent le déclenchement d’une troisième guerre mondiale. La question qui se pose dans la réalité est tout autre : est-ce que les ouvriers du Moyen-Orient et de l’Occident sont prêts à être mobilisés pour soutenir une autre guerre majeure ? Les travailleurs du monde entier supportent le fardeau de la crise sur leurs épaules et commencent à riposter. La guerre signifiera encore plus d’austérité, plus de violence contre les travailleurs, plus de désespoir. Les travailleurs n’ont aucun intérêt dans ces massacres impérialistes sanglants et ne sont pas prêts à y être embrigadés de façon massive.
CCI (28 janvier)
Après huit mois de manifestations, à l’origine parties d’un mouvement régional et international contre l’oppression, le chômage et la misère, impliquant Druzes, Sunnites, Chrétiens, Kurdes, hommes, femmes et enfants, les événements en Syrie continuent à prendre une sinistre allure. Si, par rapport à la défense de leurs propres intérêts et de leur stratégie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France se méfient d’une attaque directe contre l’Iran, en revanche, ils peuvent contribuer à une agression sur son plus proche allié, le régime d’Assad en Syrie, dans la logique des rivalités interimpérialistes. Les brutales forces de sécurité d’Assad, avec le soutien logistique de “300 à 400 Gardiens de la Révolution” d’Iran (The Guardian du 17 novembre 2011), ont massacré des milliers de personnes et donné naissance à la mensongère et hypocrite “préoccupation pour les civils” de la part des trois principales puissances du front anti-iranien nommées ci-dessus. Comme pour la Libye, les Etats-Unis sont le “leader par l’arrière”, cette fois en poussant la Ligue arabe (tout en l’amenant à se détacher des alliés algériens, irakiens et libanais d’Assad), dont la Syrie était une puissance majeure, à suspendre son adhésion et en la soumettant à des échéances ultérieures humiliantes. Au premier plan de cette préoccupation-bidon pour la vie et l’intégrité physique de la population se trouve le régime meurtrier d’Arabie Saoudite qui, il y a quelque temps, avait envoyé environ deux mille soldats de ses troupes d’élite, formées par la Grande-Bretagne, pour écraser les manifestations à Bahreïn ainsi que pour protéger les intérêts et les bases américaines et britanniques. Comble de l’hypocrisie, la confirmation de la suspension de la Syrie pour son “bain de sang” a été faite par la réunion de la Ligue Arabe dans la capitale marocaine, Rabat, le 16 novembre, alors même que les forces de sécurité de ce pays étaient en train d’attaquer et de réprimer des milliers de ses propres manifestants. Il y a des ramifications impérialistes plus larges par rapport à l’action de la Ligue Arabe, en ce sens que ses décisions ont été condamnées par la Russie, mais soutenues par la Chine.
Ce n’est pas seulement la Ligue Arabe que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis poussent en avant dans cette voie, mais aussi la puissance régionale qu’est la Turquie, qui a également participé aux réunions à Rabat. Après avoir apparemment dissuadé l’Etat turc de mettre en place une sorte de zone tampon ou une “zone de non-survol” sur la frontière entre la Turquie et la Syrie, l’administration américaine a désormais changé d’avis. Ainsi, Ben Rhodes, conseiller d’Obama à la sécurité nationale, a dit la semaine dernière : “Nous saluons fortement l’attitude ferme que la Turquie a prise...” Le chef en exil des Frères Musulmans en Syrie a également déclaré aux journalistes la semaine dernière que l’action militaire turque (“pour protéger les civils”, bien sûr !) serait acceptable (The Guardian du 18 novembre 2011). La possibilité d’une zone tampon le long de la désormais fortement militarisée frontière turco-syrienne verrait la mystérieuse “Armée Syrienne Libre”, largement basée en Turquie (ainsi qu’au Liban) et, pour le moment, largement inférieure en nombre à l’armée syrienne, capable de se déplacer avec un armement beaucoup plus lourd. Au sein de cette convergence d’intérêts impérialistes se trouvent les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la majorité de la Ligue arabe, des gauchistes divers, les Frères musulmans et les djihadistes salafistes de Syrie qui ont également pris un plus grand rôle dans l’opposition à Assad. En outre, la déstabilisation de la région et la perspective d’une aggravation des problèmes sont bien visibles tant dans l’avertissement du président turc Gül adressé à la Syrie et précisant qu’elle aurait à payer pour semer le trouble dans le Sud-est kurde de la Turquie que dans “la volonté renouvelée de Washington de fermer les yeux sur des incursions militaires turques contre les bases de guérilla kurdes dans le nord l’Irak.” (The Guardian du 18 novembre 2011). Toute cette instabilité, alimentée par ces puissances et ces intérêts, rend une intervention militaire de la Turquie dans le territoire syrien d’autant plus probable.
“L’Armée syrienne libre” a elle-même été impliquée dans des meurtres sectaires et des assassinats de civils en Syrie (Newsnight du 17 novembre 2011) et, comme elle opère à partir de ses refuges en dehors du pays, pour combattre et tuer les forces gouvernementales et la police, les représailles s’abattent sur la population civile. Le Conseil National Syrien, qui a fait son apparition le mois dernier, a également appelé à une intervention militaire contre les forces d“Assad, tandis qu’une autre force d’opposition, le Comité National de Coordination, a dénoncé cette position. Le ministre français des Affaires Etrangères, Alain Juppé, a déjà rencontré les forces d’opposition à Paris et, le secrétaire au Foreign Office, Hague, les a rencontrées à Londres le 21 novembre. Il n’a pas été précisé qui étaient ces “forces d’opposition”, ni si elles incluent l’Armée Syrienne Libre, le Conseil National Syrien, le Comité de Coordination Nationale, l’opposition kurde, les Frères Musulmans et les djihadistes salafistes. En outre, les coalitions de l’opposition incluent des staliniens, onze organisations kurdes, des structures tribales et claniques, plus un nombre ahurissant d’amorces d’intérêts contradictoires. En tout cas, Hague a appelé à un “front uni” et a nommé un “ambassadeur désigné” pour eux (BBC News du 21 novembre) !
Téhéran, l’objectif ultime
Depuis maintenant plusieurs années, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, Israël et l’Arabie Saoudite ont fait monter l’hystérie anti-iranienne et c’est ce qui se cache derrière leur soutien à l’opposition syrienne et leur “préoccupation pour les civils”. Cette campagne a été considérablement renforcée par un récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) qui laissait entrevoir une “possible” dimension militaire aux ambitions nucléaires de l’Iran. Mais les Etats-Unis encerclent l’Iran depuis un certain temps. Sur la frontière orientale de l’Iran, il y a plus d’une centaine de milliers de soldats américains en Afghanistan, au Nord-Est, il y a le Turkménistan avec ses bases militaires américaines. Dans le sud de Bahreïn, ce sont des bases navales américaines et britanniques. De même au Qatar, il y a le siège du commandement avancé des forces américaines et la marionnette anti-iranienne, l’Arabie Saoudite. Le seul espace où l’Iran peut respirer se situe maintenant autour de sa frontière occidentale avec l’Irak et même ici, les forces spéciales américaines et britanniques ont fait un certain nombre d’incursions directes ou indirectes : en 2007, Bush a obtenu l’approbation du Congrès pour un programme de 400 millions de dollars afin de soutenir les groupes “ethniques”, tandis que, plus récemment, Seymour Hersch dans le Daily Telegraph et Brian Ross de la chaîne ABC ont eu des renseignements sur le groupe de gangsters terroristes iranien Joundallah. Le chef de ce groupe, Abdolmalek Rigi, capturé par les services secrets iraniens alors qu’il allait à Doha, affirme qu’il a rencontré la CIA à la base aérienne américaine de Manas au Kirghizistan pour apporter son aide dans des attaques terroristes en Iran. Au large des côtes de l’Iran, il y a une accumulation massive de navires de guerre américains dans le Golfe Persique et dans l’ensemble de la région du Golfe, les Etats-Unis vont renforcer leurs atouts au Koweït, au Bahreïn et dans les Emirats Arabes Unis. Des révélations récentes (The Guardian du 11 mars 2011) ont montré que le Royaume-Uni préparait des plans d’urgence pour la liaison avec les forces américaines en vue d’une possible attaque navale et aérienne contre des cibles en Iran. A seulement environ 1500 km de là se trouve Israël, qui possède l’arme nucléaire, qui a été impliqué dans l’attaque au virus Stuxnet qui a réussi à arrêter définitivement environ un cinquième des centres nucléaires d’Iran, et dans la mort de scientifiques iraniens, dont un expert nucléaire de premier plan, le major général Moghaddam, tué avec 16 autres dans une énorme explosion dans une base des Gardiens de la Révolution, près de Téhéran, il y a dix jours. Encore une fois, l’hypocrisie de la démocratie est presque incroyable : au mépris de leur rhétorique sur le désarmement, le British American Security Information Conseil affirme que les Etats-Unis dépenseront 700 milliards de dollars pour la modernisation de leur installations d’armes nucléaires au cours de la prochaine décennie et “d’autres pays, y compris la Chine, l’Inde, Israël, la France et le Pakistan devraient consacrer des sommes énormes pour les systèmes de missiles tactiques et stratégiques” (The Guardian du 31 octobre 2011). Le rapport poursuit en disant que “les armes nucléaires se voient assigner des rôles qui vont bien au-delà de la dissuasion... de rôles d’armes de guerre dans la planification militaire”. En ce qui concerne Israël, le rapport déclare : “... la dimension des têtes nucléaires des missiles de croisière de sa flotte sous-marine est augmentée et le pays semble être sur la bonne voie, grâce à son programme de lancement de fusée satellite, pour le développement futur d’un missile balistique intercontinental (ICBM)”.
La Grande-Bretagne, qui a contribué à fournir à Israël des armes nucléaires, n’est pas mentionnée dans ce rapport commandé par ce pays. Tout le monde sait qu’une attaque sur l’Iran serait de la folie, même le Mossad et le Shin Bet, les forces secrètes de sécurité externes et internes d’Israël. Utilisant leur canal habituel de fuite contre leurs politiciens, le journal koweïtien Al-Jarida, les deux agences ont exprimé leurs sérieux doutes et le patron du Mossad, qui a récemment pris sa retraite, Meir Dagan, a appelé la perspective d’une attaque sur l’Iran “la plus stupide des idées” dont il n’avait jamais entendu parler. Mais le fait qu’elles soient stupides ou irrationnelles ne les rend pas improbables : il suffit de regarder les guerres en Irak et l’interminable cauchemar, complètement irrationnel, en Afghanistan/Pakistan. La Syrie devient une autre étape manifeste dans la transformation de la guerre secrète contre l’Iran. Cela n’a rien à voir avec “la protection des civils”, mais s’identifie entièrement à l’avancée des objectifs de plus en plus irrationnels imposés par un système capitaliste en pleine décomposition.
Baboon (21 novembre)
Nous publions ci-dessous la traduction de la première partie d’un article de Welt Revolution, organe de presse du CCI en Allemagne.
Le 11 mars 2011, un gigantesque tsunami inonde les côtes Est du Japon. Des vagues hautes de 12 à 15 mètres causent des dommages incroyables. Plus de 20 000 personnes sont tuées, des milliers sont aujourd’hui encore portées disparues. Un nombre incalculable de personnes ont perdu leur maison.
Mais le pire était encore à venir : la catastrophe nucléaire de Fukushima. Un an après, nous pouvons affirmer qu’il s’agit là d’une catastrophe mondiale encore en cours.
Face à cette catastrophe nucléaire, la classe dominante a encore une fois étalée son incurie. L’évacuation de la population a commencé trop tard et la zone de sécurité interdite a été insuffisante. Même si on peut objecter que les mesures de sauvetage et d’évacuation ont été retardées et rendues plus difficiles en raison des conséquences du tsunami, le gouvernement a surtout évité une évacuation à grande échelle parce qu’il voulait minimiser absolument les dangers. Il est tout à coup devenu évident que les responsables japonais de la société Tepco qui gère la centrale nucléaire ainsi que le gouvernement n’avaient jamais prévu un tel scénario et que les mesures de sécurité en cas d’un séisme et d’un tsunami d’une telle ampleur étaient inadéquates. Les mesures d’urgence prévues ont été totalement insuffisantes et ont fait apparaître ce pays réputé de haute technologie qu’est le Japon comme un géant pauvrement équipé et impuissant.
Quelques jours après la catastrophe, quand la question d’une évacuation de fait nécessaire de la zone métropolitaine de Tokyo, avec ses 35 millions d’habitants, a été discutée au sein du gouvernement, cette idée a été immédiatement rejetée parce qu’il n’avait tout simplement pas les moyens de la mettre en œuvre et qu’elle aurait impliqué le danger d’un effondrement du gouvernement.
Dans et autour de la centrale nucléaire, les radiations enregistrées ont atteint une intensité fatale. Peu après la catastrophe, le Premier ministre Kan a réclamé la formation d’un commando-suicide de travailleurs qui auraient à entreprendre la tâche de faire baisser le niveau de radioactivité dans l’usine. Les travailleurs qui sont intervenus sur le site étaient très mal équipés. Depuis quelques temps, il manquait des dosimètres, ainsi que des bottes de sécurité appropriées et réglementaires. Un ouvrier a signalé que les travailleurs avaient dû attacher des sacs en plastique avec du ruban adhésif autour de leurs chaussures. Il était très souvent impossible pour les travailleurs de communiquer les uns avec les autres ou avec les centres de contrôle. Beaucoup de travailleurs ont dû dormir sur les lieux même du site et ils ne pouvaient pas se couvrir avec des couvertures de plomb. Le taux critique pour les travailleurs de la centrale dans des situations d’urgence a été augmenté le 15 mars de 100 à 250 millisieverts par an. Dans plusieurs cas, les travailleurs n’ont pu avoir de bilan de santé que des semaines ou des mois plus tard.
Il y a 25 ans, au moment de Tchernobyl, le régime stalinien de l’URSS en voie d’effondrement, à cause de son manque de ressources, n’avait rien trouvé d’autre à faire que d’envoyer de force une armée gigantesque de recrues pour combattre le désastre sur place. Selon l’OMS, environ 600 000 à 800 000 “liquidateurs” ont été envoyés, dont des centaines de milliers sont morts ou sont tombés malades à cause des radiations. Le gouvernement n’a jamais publié de chiffres officiels fiables.
Aujourd’hui, 25 ans plus tard, un pays de haute technologie et très démocratique, le Japon, a désespérément tenté d’éteindre le feu et de refroidir le site, entre autres, avec des lances à incendie et par pulvérisation d’eau à partir d’hélicoptères. En contradiction avec tous les plans précédents, Tepco a été forcée d’utiliser de grandes masses d’eau de mer pour le refroidissement de l’usine et de déverser les eaux polluées dans l’Océan Pacifique. Et comme à Tchernobyl, des milliers de travailleurs ont été contraints de risquer leur vie (non sous la menace de la répression cette fois-ci, mais sous celle de la misère). Tepco a entres autres recruté des travailleurs sans-abri et des chômeurs dans la région la plus pauvre d’Osaka et de Kamagasaki, à qui, dans de nombreux cas, on ne disait pas où ils devaient travailler et qui n’étaient souvent même pas informés des risques encourus.
Et non seulement la vie des liquidateurs a été mise en péril, mais aussi celle de la population civile, en particulier les enfants de la zone irradiée qui ont été exposés à des doses très élevées. Depuis que ces émissions ont été enregistrées, le gouvernement a décidé de relever le seuil de non-dangerosité concernant l’exposition des enfants dans la région de Fukushima, à 20 millisieverts…
En 1986, durant les premiers jours, les dirigeants de l’URSS stalinienne avaient essayé de garder le silence total au sujet de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl ; en 2011, le gouvernement du Japon démocratique s’est montré tout aussi déterminé à cacher l’ampleur de la catastrophe. Les responsables au Japon n’ont pas montré moins de cynisme et de mépris pour la vie humaine que le régime stalinien au pouvoir à l’époque de Tchernobyl.
Il est impossible aujourd’hui d’évaluer de façon réaliste les conséquences à long terme. Les barres de combustible fondues ont formé un gigantesque caillot radioactif qui a percé le container sous pression. L’eau de refroidissement est devenue extrêmement contaminée. Les barres de combustible ont besoin d’un refroidissement permanent, et c’est en continu que de nouvelles masses gigantesques d’eau contaminée s’accumulent. Non seulement l’eau mais aussi les réacteurs non protégés émettent des isotopes de césium, de strontium, de plutonium. Ils sont appelés “particules chaudes” et se retrouvent disséminés dans tout le Japon. Jusqu’ici, il n’y a pas de moyens techniques disponibles pour éliminer les déchets nucléaires accumulés à Fukushima. Le processus de refroidissement lui-même prendra de longues années. A Tchernobyl, il était nécessaire de construire un sarcophage qui devrait être démoli, au plus tard, au bout de cent ans, le temps d’être remplacé par un autre. Il n’y a pas encore de solution en vue pour Fukushima. Pendant ce temps, l’eau contaminée s’accumule et les autorités en charge ne savent pas où la stocker. Une grande partie de l’eau de refroidissement est directement déversée dans l’océan, où les courants la répandent à travers le Pacifique, et les conséquences pour la chaîne alimentaire et pour les êtres humains ne peuvent pas encore être mesurées. La côte Nord-Est du Japon, qui compte parmi l’une des plus abondantes zones de pêche est touchée, de même que le sera prochainement le détroit de Béring, avec ses réserves de saumons (1).
Parce que la densité de population dans cette région du Japon est 15 fois supérieure à celle de l’Ukraine, les conséquences sur la population ne peuvent pas encore être évaluées.
L’accident révèle ainsi que les conséquences d’une telle catastrophe nucléaire sont totalement hors contrôle. Les irresponsables politiques avaient le choix entre la peste et le choléra : soit laisser se dérouler l’accident, sans aucun moyen d’intervention, soit tenter de refroidir le cœur des réacteurs avec de l’eau de mer, mais en acceptant ainsi une plus grande propagation de la radioactivité à travers la diffusion qui a infiltré les dispositifs d’extinction. Le gouvernement, impuissant, a opté pour la contamination de l’eau de mer, par des eaux d’extinction hautement radioactives.
Les tentatives pour se débarrasser de la terre contaminée ont fait la preuve d’un manque terrible de responsabilité et de scrupule. Jusqu’en août 2011, dans la ville de Fukushima, de 300 000 habitants, 334 cours d’école et crèches ont été nettoyées. Mais les autorités ne savent pas vraiment non plus quoi faire avec la contamination des sols. Par exemple à Koriyama, dans la région de Fukushima, les particules radioactives ont été enfouies dans… les cours d’écoles. 17 des 48 zones préfectorales du Japon, dont Tokyo, font état de sols contaminés. A seulement 20 km de Tokyo, des terres irradiées ont été enregistrées. Des milliers de bâtiments ont besoin d’être nettoyés. Même les montagnes boisées auront probablement besoin d’être décontaminées, ce qui pourrait nécessiter des coupes claires et un véritable curetage du sol. Les médias japonais ont rapporté que le gouvernement doit trouver des dépôts provisoires pour des millions de tonnes de déchets contaminés. Comme il n’existe aucune solution, certaines des décharges contaminées par la radioactivité ont été brûlées. C’est une façon de répandre encore plus la radioactivité par l’intermédiaire des fumées. Ce sentiment d’impuissance vis-à-vis de l’amas de déchets nucléaires jette une lumière crue sur l’impossibilité de la décontamination.
Selon les informations des organisations environnementales japonaises, le gouvernement prévoit de répartir les déchets contaminés de la région de Fukushima à travers le pays tout entier et de les brûler. Le ministère japonais de l’environnement évalue la quantité de déchets à éliminer à environ 23,8 millions de tonnes. Comme Mainichi Daily News en fait état, une première cargaison de 1000 tonnes de décombres de Iwate à Tokyo s’est faite début novembre 2011. Les autorités de Iwate estiment que ces décombres contiennent 133 Becquerels par kilo de matières radioactives. Avant mars 2011, cette opération aurait été illégale, mais le gouvernement japonais a établi de nouvelles normes limites en juillet de 100 Bq / kg à 8000 Bq / kg, et en octobre à 10 000 Bq / kg. La ville de Tokyo a annoncé qu’elle recueillerait pour sa part environ 500 000 tonnes de déchets radioactifs.
La caractéristique spécifique de la production d’électricité par l’utilisation de l’énergie nucléaire est que le rayonnement ne s’arrête pas une fois que les centrales nucléaires sont à la fin de leur durée de fonctionnement et sont éteintes. Le processus de fission nucléaire n’est pas terminé une fois que la centrale nucléaire a été éteinte. Que faire alors des déchets nucléaires, de toute cette matière qui a été en contact avec des matières radioactives et se trouve contaminée ? Selon la World Nuclear Association, chaque année, environ 12 000 tonnes de déchets hautement radioactifs s’accumulent. Jusqu’à la fin de 2010, environ 300 000 tonnes de déchets hautement radioactifs ont été entassés dans le monde entier. Pour le seul cas de la France, d’après le Canard enchaîné (“Nucléaire, c’est où la sortie ?”), une surface de plus d’un million de mètres cubes de sols est contaminée par les déchets radiocactifs qui y sont stockés. Le stockage géologique qui a été pratiqué ou qui est prévu dans plusieurs pays, par exemple dans d’anciennes mines, n’est rien d’autre qu’une “solution” de fortune, dont les dangers sont plus ou moins passés sous silence par les défenseurs de l’énergie nucléaire. Par exemple, en Allemagne, 125 000 barils de déchets nucléaires sont déposés dans une ancienne mine à Asse. Ces fûts sont rongés par le sel et de la saumure contaminée s’échappe déjà aujourd’hui. Les responsables ordonnent l’entassement de tous les déchets nucléaires dans des dépotoirs, laissant aux générations futures le soin de s’en accommoder.
Et le fonctionnement “normal” d’une centrale nucléaire n’est pas aussi “impeccable” que cela est sans cesse proclamé par les défenseurs de l’industrie nucléaire. En réalité, d’énormes quantités d’eau sont nécessaires pour le refroidissement des barres de combustible. Les centrales nucléaires doivent être construites au bord des rivières ou de la mer. Tous les 14 mois, dans chaque réacteur, le quart des barres de combustible doit être renouvelé. Toutefois, étant donné qu’elles sont extrêmement chaudes, après leur remplacement, elles doivent être placées dans des piscines pour y être refroidies pendant des périodes de 2 à 3 ans. L’eau de refroidissement, qui est pompée dans les rivières, amène une pollution thermique. Une algue s’y développe qui fait périr les poissons. Par ailleurs, des produits chimiques, tels que le sodium, l’acide chlorhydrique, l’acide borique, sont rejetés dans les rivières. Et enfin, cette eau est aussi polluée par la radioactivité, même si c’est seulement à petites doses (2).
A suivre…
Di (25 janvier)
1) Au Nord-Est de Fukushima, deux courants, le chaud Kuoshio et le froid Oyashio fusionnent. C’est l’un des domaines les plus abondants de la terre pour la pêche et dans cette région, les bateaux de pêche japonais attrapent près de la moitié de la quantité des poissons consommée au Japon. Ainsi, l’approvisionnement en poisson du Japon pourrait être mis en danger. puisque “Une émission aussi élevée de radioactivité dans la mer n’a jamais été mesurée”.
2) En France, si pendant les saisons sèches il n’y a pas suffisamment d’eau disponible, certaines centrales nucléaires doivent être refroidies par hélicoptère, tandis que les forêts brûlent ! (Les dossiers du Canard enchaîné, “Nucléaire : c’est où la sortie ?”, le Grand débat après Fukushima, p. 80).
Depuis des semaines, les joutes verbales des politiciens patentés occupent le devant de la scène médiatique. Les journaux reprennent en chœur les derniers propos provocateurs de tel homme politique fustigeant tel autre. Et puis les sondages, les sondages et encore les sondages. Bref, l’appareil électoral est en branle dans sa marche grotesque vers la grande mascarade démocratique.
Comme de coutume, toute l’attention est portée sur les propos de tel ou tel personnage politique, sur son style vestimentaire, sur sa stratégie de campagne électorale, sur les restaurants qu’il fréquente, etc. C’est la façon que la bourgeoisie a de toucher… oh pardon… de traiter le fond. Toute cette gesticulation n’a pour but que de masquer l’absence totale de propositions réelles pour améliorer la situation. La bourgeoisie, qu’elle soit de gauche comme de droite, n’a en réalité aucune alternative à proposer à l’enfoncement de cette société vers la misère et la barbarie. Gauche et droite mènent partout la même politique, attaquent partout violemment les conditions de vie. Il suffit de demander aux travailleurs vivant en Grèce, en Espagne et au Portugal ce qu’ils pensent des “socialistes”. Et à ceux qui croient que le PS français est différent, qu’ils se remémorent ce qu’ont été sous Mitterrand les années 1980 et 1990 et sa politique anti-ouvrière.
Le seul argument de poids de Hollande auprès des travailleurs, des chômeurs, des précaires, des retraités…, ce n’est pas sa politique (qui sera faite d’une sévère cure d’austérité comme chacun sait), mais la nature horripilante de son concurrent nommé Sarkozy. Ce président sortant, complètement imbu de sa personne, n’hésitant pas à user de ce langage particulièrement grossier qui lui est propre, a cette incroyable capacité à concentrer dans un si petit corps autant d’aspects insupportables. Le “style Sarko” est si stérile et prétentieux qu’il représente même une menace pour la crédibilité de la bourgeoisie française dans son ensemble aux yeux de la communauté internationale. Il n’est donc pas surprenant que de nombreuses critiques viennent remplir les pages de la presse et des médias, y compris de droite.
Mais ce “nabot”, comme certains se plaisent à le nommer, est-il pire que les autres membres de sa classe ? Plus insupportable, certainement. Mais son remplaçant, si remplaçant il y a, ne mènera-t-il pas exactement la même politique anti-ouvrière ?
Les principales réformes menées depuis ces 40 dernières années sont le fruit du travail commun de la gauche et de la droite. En 1991, le fameux “livre blanc” sur les retraites de Rocard1 a constitué les prémices d’une attaque majeure contre le système des retraites. C’est sur cette base qu’a été menée la réforme de Woerth en 2010. L’actuelle loi sur la législation du travail et son fameux article 40 qui impose sans l’accord des travailleurs des conditions de travail nécessaires au patronat est une extension de la loi Aubry sur les 35 heures qui permet à l’Etat et aux patrons de rendre corvéables à merci tous les ouvriers. Ce sont les mêmes paroles de Felipe Gonzales du Parti socialiste ouvrier espagnol qui, en 2003, justifiait une réforme visant à précariser plus le travail sous prétexte que le travail n’est pas la propriété du travailleur (2).
Autrement dit, l’anti-sakozysme mis en avant pour pousser dans les isoloirs est un piège car il entretient une illusion, celle que les autres représentants politiques peuvent mener une politique différente, plus humaine et, ce faisant, elle détourne de la seule riposte possible contre les attaques : la lutte !
Cette réalité que droite et gauche sont comme la peste et le choléra est comprise par une partie toujours croissante de la population. Pourtant, nombreux sont ceux pour qui il est impensable de ne pas voter. Ne pas se rendre dans l’isoloir à chaque grande messe électorale est même une chose honteuse pour la société, ceux qui avouent cette “faute” à un repas de famille ou à leurs collègues sont aussitôt montrés du doigt. Et la même phrase sentencieuse revient alors presque toujours : “Mais tu te rends compte que des gens sont morts pour qu’on ait le droit de vote ?” Qui est mort ? Quand ? Pourquoi ? Où ? Lors de quelle lutte ? Personne ne le sait mais tout le monde est persuadé que le droit de vote a été arraché au prix du sang. Quelle est la réalité ?
Au xixe siècle, la lutte ouvrière contre l’exploitation et l’oppression de la bourgeoisie passait nécessairement par une lutte pour des réformes, par d’âpres batailles revendicatives pour conquérir et arracher des améliorations possibles, réelles et durables des conditions de travail et d’existence sur le terrain économique et politique. A cette époque, le parlement pouvait être utilisé comme une tribune grâce à laquelle la classe ouvrière pouvait faire entendre sa voix, s’affirmer comme une force sociale dans un capitalisme encore florissant. De ce fait, tout en combattant les illusions sur la possibilité de parvenir au socialisme par des voies démocratiques, pacifiques, réformistes, les révolutionnaires étaient néanmoins partie prenante du combat pour l’obtention du suffrage universel. Ils appelaient les ouvriers dans certaines circonstances à participer aux élections et au parlement bourgeois pour favoriser l’obtention de telles réformes en jouant sur les oppositions entre fractions progressistes et réactionnaires de la classe dominante qui s’y affrontaient. A cette époque donc, effectivement, il y a avait des manifestations pour le suffrage universel qui étaient réprimées, souvent violemment.
Mais au xxe siècle, l’attitude de la bourgeoisie change. En France et en Belgique par exemple, les femmes accèdent au suffrage universel après la Seconde Guerre mondiale sans qu’il y ait même besoin de descendre dans la rue pour le réclamer. Dans certains pays, les travailleurs sont obligés par la loi d’aller voter, sous peine d’amende. En France, très régulièrement, cette “obligation citoyenne” est avancée par tel ou tel politique, telle que Ségolène Royal en 2007. Et lors de chaque campagne électorale, l’Etat, celui-là même qui tirait dans la foule manifestant pour le droit de vote au xixe siècle, ce même Etat paye aujourd’hui des spots publicitaires pour nous pousser tous, jeunes et vieux, chômeurs ou retraités, à aller poser notre petit bulletin dans l’urne. Pourquoi ? Pourquoi, de gauche comme de droite, tiennent-ils tous tant à nous faire voter ? La raison est simple, c’est eux qui y gagnent, à tous les coups, et non plus nous.
Depuis des décennies, le capitalisme s’enfonce dans la crise, plus aucune réforme progressiste n’est possible. Nos conditions de vie ne cessent de se dégrader. Les fractions bourgeoises n’ont plus rien à nous proposer, nous n’avons plus rien à leur réclamer. Nous n’avons qu’une seule chose à faire, faire face ensemble, collectivement, nous les exploités, aux attaques du capital et, par ce combat, découvrir que nous pouvons construire un autre monde. C’est de ce cheminement de pensée que la bourgeoisie tente en permanence de nous détourner en essayant de nous faire croire qu’il n’y a pas besoin de faire la révolution, qu’un autre capitalisme, plus humain, est possible, “il suffit de bien voter”.
Comme le proclamait un slogan des Indignés : “Nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes ceux d’en bas contre ceux d’en haut !” Ce combat, il faudra le développer, non pas derrière les représentants patentés de la “démocratie” bourgeoise mais en prenant nos luttes en main, internationalement.
Maxime (23 février)
1) Il fut Premier ministre socialiste de François Mitterrand et est un ardent défenseur depuis toujours de la” nécessaire réforme des retraites” (entre autres) : “Michel Rocard note que la réforme menée par Eric Woerth est “non négligeable et courageuse” estimant que “le gouvernement a eu raison de la faire” mais regrettant “que le gouvernement n’ait pas suivi la voie de la négociation”. Il insiste sur le fait que de nombreux problèmes n’ont pas été tranchés, comme ceux des régimes spéciaux” (Sur le site du journal le Monde, page du 24 juin 2010).
2) Le PSOE a même poussé jusqu’à présenter cette réforme comme un concept marxiste contre la propriété privée !
Ces dernières semaines, les candidats à l’élection présidentielle ont eu une sévère tendance à confondre les usines avec le salon de l’agriculture, serrant les paluches ouvrières et multipliant les tapes sur l’épaule comme ils caressent le cul des vaches. A ce grand bal des hypocrites, pas un n’a manqué à l’appel !
A l’extrême-gauche, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud (respectivement candidat du NPA et de LO) peuvent bien s’agiter, multiplier les déplacements de terrain, rien n’y fait, la star du moment, celle qui, devant les portes des usines, soulève les foules de micros et de caméras s’appelle Jean-Luc Mélenchon. Au chevet des salariés de Fralib (Thé Eléphant), d’Arcelor Mittal, de la Fonderie du Poitou, d’Arkéma dans le Rhône, de Petroplus et de M-Real en Normandie, de Peugeot Scooters près de Sochaux, d’Alstom à Belfort…, il est partout où une usine se meurt, prônant tout à la fois l’“interdiction des licenciements boursiers”, le remboursement des subventions publiques pour une entreprise restant moins de cinq ans en France, un “droit de préemption” de l’entreprise par les salariés en cas de fermeture… Bref, plus radical, tu meurs !
Evidemment, il était hors de question pour François Bayrou de ne pas essayer de se placer au centre (1) de cette agitation pro-ouvrière. Armé de son slogan incroyablement innovant “Produire en France” (seuls les mauvais esprits y verront une vague ressemblance avec l’appel chauvin du PCF des années 1970 : “Produire français”), le président du Modem a lui aussi visité les centres industriels comme la fonderie de Conty, dans la Somme, pour plaider en faveur d’un étiquetage systématique d’un logo “Produit en France” ce qui devrait selon ses dires susciter “une vraie mobilisation nationale”. Nous n’en doutons pas.
Eva Joly, pour une fois, a refusé de se mettre au vert et de passer son tour. Elle a multiplié elle aussi les déplacements, ciblant les PME de pointe, image de marque oblige. Nul n’ayant compris ses propositions, nous ne pouvons ici vous en faire part.
Plus mouvementées sont les visites de la fille de son père, Marine Le Pen, qui est chaque fois attendue par un comité d’accueil scandant tout le bien qu’il pense de son idéologie encore plus xénophobe et nauséabonde que celle des autres partis de droite. Elle a même été quelque peu chahutée à la porte de l’usine PSA de Sochaux le 18 janvier. Pour autant, elle y retourne car elle joue là sa carte de candidate “du peuple contre les élites”.
Mais à ce petit jeu de celui qui sera le plus fidèle ami des ouvriers, les meilleurs sont indéniablement François Hollande et Nicolas Sarkozy. Ces deux jumeaux politiques, qui sur des talonnettes pourraient jouer à “grand benêt et benêt grand”, rivalisent en effet de promesses et de soudaines déclarations d’amour empathique pour “ceux qui travaillent et qui souffrent”. Et c’est fou comme ça sonne vrai :
“Perché sur le toit d’une camionnette bleue, entre trois drapeaux de la CFDT, François Hollande tend la main au délégué CGT pour l’aider à grimper. Devant l’usine sidérurgique ArcelorMittal de Florange (Moselle), toute l’intersyndicale rejoint le candidat socialiste à l’Elysée” (2). Et devant ces quelques centaines d’ouvriers, Hollande lance : “Si Arcelor ne veut plus de vous, ce qui serait un grand tort, je suis prêt à ce que nous déposions une proposition de loi pour que, quand une grande firme ne veut plus d’un outil de production, nous lui faisions obligation de le céder.” Et il continue : “Quel que soit mon avenir, soit comme président soit comme député, je reprendrai ce texte parce que je vous le dois.”
Le 20 février, Nicolas Sarkozy a mangé à la cantine de l’usine Alstom à Aytre (Charente-Maritime). Sur les photos, il affiche un air réjoui avec une petite serviette blanche à la main. Oublié le Fouquet’s et les vacances sur le yacht privé du patron Bolloré ! Il l’affirme et il le prouve, il a changé. Il a même pris soudainement conscience qu’en tant que président de la République il devait et il pouvait sauver des emplois. Il a ainsi demandé à son ami Henri Proglio, PDG d’EDF, de reprendre Photowatt (3) et à son ami et témoin de mariage (celui avec son ex femme Cécilia) Bernard Arnault, PDG de LVMH, de reprendre la très médiatique usine de fabrication de soutiens-gorges Lejaby à Yssingeaux (Haute-Loire).
UMP et PS se livrent une vraie bataille, c’est à celui qui sauvera le plus d’usines d’ici les élections : “l’annonce par Laurent Wauquiez d’un rachat par le sous-traitant de LVMH s’est faite juste après la proposition rendue publique par Montebourg d’une éventuelle reprise par l’ex-directrice de collection de la marque Princesse Tam Tam. Rarement un atelier de textile du fin fond de l’Auvergne (4)n’aura intéressé tant de repreneurs…” (5)
Ce grotesque cirque pré-électoral serait comique si, une fois les projecteurs médiatiques éteints, des milliers de familles ouvrières n’allaient pas se retrouver licenciées et démunies. Car tel est l’avenir, le vrai, celui qui va s’abattre sur notre classe. Si, en dix ans, 750 000 emplois industriels ont été détruits en France, la décennie devant nous sera plus impitoyable encore. La crise économique mondiale va ravager les bassins d’emplois, le chômage va battre record sur record. Des plans de licenciements massifs, des fermetures d’usines sont d’ailleurs déjà dans les tiroirs ministériels ; la bourgeoisie française ne fait qu’attendre que les élections passent pour redoubler ses attaques, mais elle n’attendra pas un jour de plus, que ce soit la droite ou à la gauche au pouvoir. Par exemple, tous, de la droite à la gauche en passant par les syndicats, taisent les 32 000 suppressions d’emplois qui attendent les salariés d’Orange et de SFR pour le début de l’été. Et ces mêmes syndicats discutent sans publicité depuis le 17 février avec le patronat et le gouvernement pour savoir comment faire passer sans trop de réaction une nouvelle réduction du coût du travail.
De droite ou de gauche, d’extrême-droite ou d’extrêmegauche, tous les candidats à la présidentielle sont des ennemis de notre classe et des défenseurs acharnés de ce système d’exploitation. Leurs promesses et leurs visites courtoises dans nos usines n’y changent rien. Face aux attaques qui ne manqueront pas de tomber dru sur nos têtes dès le nouveau président élu, quel qu’il soit, nous ne devons compter ni sur les partis politiques ni sur les syndicats mais sur nous-mêmes, sur notre unité et notre solidarité dans la lutte.
Pawel (3 mars)
1) Bayrou est LE candidat centriste, chouchou des médias depuis une décennie.
2) Site de Libération (http ://www.liberation.fr/politiques/01012392182-francois-hollande-a-florange-notre-messie [278]).
3) Rappelons en passant que ces dernières années, 14 000 emplois ont disparu dans la filière photovoltaïque.
4) Surtout quand on sait ce que pensent les éminents membres de l’UMP des Auvergnats…
5) Site de Libération (http ://www.liberation.fr/politiques/01012392179-la-campagne-decouvre-l-industrie [279]).
L’explosion sociale a eu lieu alors que la majeure partie de la population de l’île de La Réunion déjà exposée à des conditions de vie dramatiques, a été confrontée à une intolérable hausse des prix. Dans ce département de plus de 800 000 habitants, le taux de chômage officiel frise les 30 % et atteint 59 % chez les jeunes de 18-25 ans ! Plus d’un habitant sur deux (52 %) vit sous le seuil de pauvreté. La nouvelle augmentation du prix des carburants dans ce département d’outremer depuis le 1er février a été le détonateur, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La colère de la population a alors éclaté dans la soirée du 21 février au Port et dans le quartier populaire du Chaudron du chef-lieu Saint-Denis à l’issue d’une journée de grève et de manifestations, virant à l’émeute et à des affrontements de plus en plus violents avec les forces de police appelées en renfort (600 policiers et gendarmes ont été déployés). Ces émeutes et affrontements qui ont culminé dans la nuit du 23 au 24 se sont rapidement propagés, comme une traînée de poudre, à plusieurs communes de l’est et du sud du département. Plusieurs commerces et bâtiments publics ont été saccagés, des poubelles et quelques voitures ont été brûlées, souvent par des bandes de gamins entre 12 et 16 ans. Il y a eu une dizaine de blessés mais plus de 200 personnes, surtout des jeunes, ont été arrêtées et pour la plupart assignées à comparution immédiate devant les tribunaux. Les jeunes émeutiers se sont vus infliger de très lourdes peines “pour l’exemple”, allant de 6 mois à 2 ans de prison.
Le mouvement avait démarré avec la revendication très corporatiste des transporteurs routiers organisant des barrages pour obtenir une réduction de 25 centimes le litre des prix à la pompe. Devant l’échec des négociations, à partir du 17, les routiers ont bloqué l’unique dépôt de carburant de l’île. Puis les chauffeurs routiers ont désavoué le président de leur syndicat, la FNTR quand celui-ci a annoncé la signature d’un accord pour une nouvelle table ronde avec l’Etat et les pétroliers et ils ont lancé un appel à la mobilisation de la population “contre la vie chère”. Cet appel a eu un très large écho car pour beaucoup de familles, la voiture est l’unique moyen de transport (il y a 400 000 véhicules, soit une voiture pour 2 habitants) car le réseau de transports publics est quasiment inexistant : pas de réseau ferré, et des bus non fiables. Ainsi, entre l’assurance, l’entretien et le prix du carburant, la voiture absorbe entre 30 et 50 % du budget des familles. Par ailleurs, dans les grandes surfaces, la nourriture est plus chère qu’en métropole alors que le salaire médian est de 950 € (contre 1600 € en France métropolitaine) ; les légumes sont à des prix exorbitants : les champignons de Paris à 13,95 € le kilo, l’artichaut est vendu 2.35 € pièce, le kilo de la viande de bœuf atteint 24 € et la simple cuisse de lapin est à 7,35 €. Certaines denrées de consommation courante voient leur prix littéralement exploser, comme par exemple le produit vaisselle qui a grimpé jusqu’à 6,70 € le litre. La semaine suivante, le préfet, pour calmer la pression, a promis une baisse de prix des carburants, du gaz et de 60 produits de première nécessité (dont 48 alimentaires), garantis stables jusqu’à… la fin de l’année alors que les salaires seront bloqués pour une période de 3 ans au minimum… ce qui laisse la population très sceptique : “C’est rien du tout ! En 2009, on avait arraché à la grande distribution des diminutions sur 250 produits” (1) déclarait le président de l’Alliance des Réunionnais contre la pauvreté et les effets de cette baisse se sont évaporés en quelques mois. D’ailleurs l’Observatoire des prix et des revenus réunissant associations de consommateurs, syndicats, administrations, représentants de l’Etat, des patrons et de la grande distribution qui publie officiellement la liste des produits qui doivent baisser n’est pas crédible et attire cette réflexion : “C’est du bidon ! L’observatoire n’a jamais permis la moindre avancée sur la transparence des prix” (2). Pour beaucoup, la baisse de prix est un leurre. Il y a de bonnes raisons qui justifient cette méfiance généralisée : la baisse des prix des carburants et du gaz est financée par les collectivités, donc ponctionnée sur les impôts. Un habitant déclarait que c’était une vulgaire arnaque pour faire diversion, la baisse promise concerne surtout des produits qui venaient de subir une très forte augmentation début février : “Ils ont augmenté les prix il y a quinze jours. Je le sais. Je fais tous les supermarchés” (3). Un autre surenchérissait dans le même sens : “les prix ont même monté pendant les grèves. Ca va être des conneries, la baisse !” (4). Déjà touchée par des émeutes récurrentes notamment en 1991 puis en 2009 et alors que les conditions de vie se sont encore dégradées, un mouvement de résistance “démocratique” pour éviter les débordements a déjà été mis en place depuis les précédentes émeutes il y a 3 ans sur le modèle du mouvement en Guadeloupe du LKP et de son collectif contre la “profitation” : le COSPAR (Collectif des organisations syndicales politiques et associatives de La Réunion) dans lequel grenouillent tous les notables politiques et syndicaux pour encadrer ceux qui se nomment eux-mêmes “les indignés du pays” ou les “gouttes d’eau”. Parmi ceux-ci qui se rassemblent devant les mairies en signes de protestation, filtre l’idée exprimée par cette manifestante : “Nous, on reste pacifiques ; mais on comprend les jeunes qui cassent, il n’y a que ça qui marche !” (5). En réalité, les émeutes comme les illusions “démocratiques et citoyennes” conduisent vers le même sentiment d’impuissance alors même que l’Etat, les politiques et les syndicats attisent la division entre prolétaires en prenant comme boucs-émissaires les fonctionnaires qui bénéficient d’une prime de vie chère représentant entre 30 et 53 % du salaire de base, alors qu’un fonctionnaire faisait ce constat désabusé : “On sait bien que tôt ou tard, ce privilège va sauter” (6). La division entre privé et public permet de dévoyer le combat en prenant pour cible précisément ceux qui seront les victimes de la prochaine attaque d’ores et déjà annoncée. Tout cela ne peut qu’entraîner une masse croissante de prolétaires vers le bas.
Pour que ces luttes ne sombrent pas dans des émeutes désespérées et que les prolétaires ne soient pas condamnés à subir la misère toujours plus grande et la répression toujours plus forte, il est nécessaire que ces luttes s’inscrivent dans une toute autre perspective d’un combat non pas localiste mais international et qu’elles soient reliées au combat de leurs frères de classe pour sortir de l’ornière de l’isolement insulaire. Ce n’est que le développement du combat au cœur des métropoles du monde capitaliste qui pourra porter un avenir et ouvrir une perspective, là où sont aussi à l’ordre du jour la même lutte et la même nécessité de résister contre la vie chère et contre l’ensemble des attaques de la bourgeoisie.
W (2 mars)
1) Libération du 27 février 2012.
2) Idem.
3) Le Monde daté du 1er mars 2012.
4) Idem.
5) Libération du 27 février 2012.
6) Le Monde du 1er mars 2012.
Le 2 février dernier, le match de foot qui opposait les équipes de Port-Saïd et du Caire s’est terminé dans un bain de sang : 73 morts et un millier de blessés ! La fin du match était tout juste sifflée par l’arbitre que des supporters locaux, ou prétendus tels, dont l’équipe était pourtant gagnante, ont envahi le terrain et les gradins, agressant avec une violence inouïe joueurs et supporters de l’équipe adverse. Tandis que cette folle mêlée se déroulait, à coups de pierres, de bouteilles, de fusées de feux d’artifice dirigées directement contre les gens dont le plus grand nombre est mort étouffé ou écrasé par le mouvement de foule devenu délirant, la police n’est pas intervenue. Alors que les matches de football sont l’occasion de nombreux et brutaux accrochages entre supporters et, de ce fait, surveillés comme le lait sur le feu par les forces de l’ordre, de nombreuses questions se posent sur leur attitude le 2 février. De l’avis de nombreux observateurs et de témoins, la police a largement laissé faire ce déferlement de haine. Curieusement, on voit des photos de policiers totalement passifs, tournant le dos à l’agitation générale, comme si de rien n’était ; et la question se pose clairement de savoir s’il ne s’est pas agi carrément d’une provocation bien orchestrée, avec des flics infiltrés chez les supporters de Port-Saïd pour “agiter l’ambiance” et pousser au massacre. “Il s’agit d’une guerre programmée”, a accusé le docteur Ehab Ali, médecin de l’équipe de Port-Saïd, devant la passivité des forces de sécurité qui a duré une heure entière (1).
Une première chose est évidente, c’est que le nouveau gouvernement voulait adresser un message aux opposants du nouveau régime composé de l’armée et des Frères musulmans, à travers cette attaque visiblement programmée contre les supporters du club du Caire (Ahly). Ces derniers, dont la plupart sont fils d’ouvriers, ont été des acteurs de premier plan, entre autres, de la lutte contre Moubarak et très présents dans les affrontements avec la police de la place Tahrir. Ils se considèrent eux-mêmes comme faisant partie des “ultras”, c’est-à-dire des plus radicaux d’une jeunesse rebelle qui aspire à un changement réel en Egypte. Un de leur mots d’ordre favoris est : “A bas le régime militaire”, et un de leurs hymnes préférés : “All Cops Are Bastards” s’exprime dans de nombreux tags par l’acronyme “ACAB”. Ils diffusent même un pamphlet intitulé : “Les crimes contre les forces révolutionnaires n’arrêteront ni n’effrayeront les révolutionnaires”.
Lors du match du 2 février, les supporters de Port-Saïd criaient des slogans opposés à ceux du Caire mais en soutien au Conseil militaire des Forces Armées (CSFA) au pouvoir, et ce qui aurait pu être un épisode tragique de plus de la folie nationaliste ou localiste qui gangrène le sport et ses supporters, copieusement alimentée par les médias (2), s’est révélé être une véritable “leçon” pour les opposants au régime en place.
Car elle n’était pas destinée qu’à cette jeunesse qui compose les supporters de foot auto-proclamés “ultras”, et chez lesquels nombre d’entre eux avaient décidé de “faire l’unité” entre différents clubs pour se rassembler autour de l’opposition au régime de l’après-Moubarak, mais voulait être également et surtout un message pour toute la population égyptienne (3).
Cette dernière ne s’y d’ailleurs pas trompée car, au lendemain de ces évènements, Le Caire et d’autres villes ont été le théâtre d’affrontements très violents au cours desquels la police était mise en cause et a tiré à balles réelles et à coups de chevrotines, et qui ont duré deux jours. Dans la capitale, le ministère de l’Intérieur a été assiégé de longues heures et même attaqué par la foule, dans les rangs de laquelle il y a eu officiellement trois morts et des centaines de blessés. La colère était particulièrement grande parmi la population. “Ils savent protéger un ministère, mais pas un stade !”, lançaient des manifestants. Ou encore : “Le peuple veut l’exécution du maréchal Tantaoui ! Dégage !”
Cependant, cette réaction tout à fait légitime de la population est une impasse et tombe dans le piège de la réponse à la répression par l’émeute, même si elle peut largement se comprendre. D’ailleurs, immédiatement après le macabre match de Port-Saïd, la ville était quadrillée par l’armée, et déployée dans la plupart des villes principales du pays, preuve que le pouvoir savait ce qu’il faisait, qu’il s’attendait à des émeutes et les avait prévues.
Il ne faut pas rêver. Ce n’est pas par le combat populaire dans les rues, aussi “ultra” soit-il que nous pourrons changer cette société, et il ne suffira pas à réaliser des “révolutions”. Rappelons que ce qui a changé la donne en Egypte et fait partir Moubarak l’an dernier est lié à la révolte populaire mais aussi et surtout aux grèves ouvrières qui ont progressivement gagné le pays et fait naître une peur réelle au sein de la bourgeoisie égyptienne et internationale, celle de la lutte de la classe ouvrière. C’est la bourgeoisie égyptienne et américaine qui a accéléré le départ du vieux dictateur égyptien, pour qu’elle ne prenne pas le pas sur les mouvements seulement “démocratiques” dans le pays et qu’elle ne serve pas d’exemple à suivre pour les prolétaires du monde entier comme seule vraie perspective pour le renversement du capitalisme.
Wilma (17 février)
1) Henri Michel, qui a entraîné l’équipe égyptienne de Zamalek en 2007 et 2009, déclarait sur RTL : “Je n’ai jamais senti ce danger-là, je ne l’ai jamais senti autour d’aucun terrain en Egypte. La passion est exacerbée, il peut y avoir des accidents mais de là à arriver à ce drame-là, jamais on n’aurait pu y penser.”
2) Il n’y a qu’à voir le temps ahurissant accordé à “l’information sportive” sur les antennes de tous genres, ainsi que les qualificatifs les plus délirants et patriotiques qui accompagnent le galimatias verbal des commentateurs sportifs, que ce soit même dans la défaite.
3) Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si ces évènements de Port-Saïd, pour mieux frapper les esprits, se sont passés alors que des manifestations massives étaient prévues devant l’assemblée du peuple en commémoration de la “bataille des chameaux” du 2 février 2011, au cours de laquelle des hommes de main du régime Moubarak avaient attaqué les manifestants place Tahrir.
Nos camarades d’Accion Proletaria (section du CCI en Espagne) diffusent depuis la mi-février le tract traduit ci-dessous.
Après les dures attaques du gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), voici le Parti populaire (PP) de droite qui lance depuis deux mois les coups les plus mauvais de ces cinquante dernières années :
– forte augmentation des impôts qui va entraîner une perte de 3 à 5 % des revenus pour les salariés, les retraités et les chômeurs ;
– avalanche de coupes dans les budgets des régions surtout dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation ;
– réforme du code du travail qui réduit l’indemnisation pour cause de licenciement à 33 jours (au lieu de 45 jours jusqu’alors) pour une année de travail, et qui laisse la porte ouverte à la généralisation des licenciements avec seulement 20 jours d’indemnités. Cette réforme permet aussi aux entreprises les licenciements sans autorisation administrative, elle consolide et élargit la loi du gouvernement (socialiste !) précédent qui permet des contrats précaires (“contrats-poubelle” comme on dit en Espagne) d’une durée allant jusqu’à 3 ans et, ce qui est encore plus grave, elle autorise les entreprises à réduire les salaires sans aucune restriction.
Par ailleurs et en tant “que hors d’oeuvre” de cette réforme du code du travail, les syndicats et le patronat ont signé un pacte à peine quelques jours plus tôt pour le gel des salaires jusqu’en 2014, en donnant la possibilité aux entreprises de sortir de ce pacte selon leur bon vouloir.
Ces agressions ont lieu en pleine montée du chômage, avec une multiplication des licenciements (1) et une prolifération des impayés et des retards dans le payement des salaires allant jusqu’à 6 mois.
Il y a une forte indignation, la combativité et les initiatives de lutte “venant d’en bas” ont tendance à augmenter. Cependant, il est nécessaire de comprendre dans quelles conditions cela se produit. Aussi, il faut se poser quelques questions : Comment le gouvernement, l’opposition et les syndicats se situent face aux travailleurs ? Quelle est la conscience de ceux-ci ? Dans quelle mesure les graines plantées par le mouvement social du 15-Mai peuvent-elles favoriser aujourd’hui leur lutte ?
La région de Valence a vécu 2 grandes manifestations : le 21 janvier (pour le secteur de l’éducation) avec 80 000 personnes à Valence et 40 000 à Alicante et le 26 janvier (pour tout le secteur public) avec 100 000 à Valence, 50 000 à Alicante et 20 000 à Castellon. À la suite de ces manifestations, la mobilisation a continué dans des collèges, des lycées, des quartiers…
Et même si la région de Valence a été temporairement la cible principale des attaques, les luttes tendent à augmenter dans les autres régions. À Madrid : manifestation des pompiers, des fonctionnaires et rassemblements contre la réforme du code du travail le jour même de son adoption ; à Bilbao manifestation du secteur public ; 100 000 manifestants à Barcelone venant de tous les secteurs ; dans cette même ville, les travailleurs des écoles primaires se rassemblent, avec des parents et des enfants, devant le gouvernement régional ; il y a eu une manifestation massive du secteur public à Tolède ; 10 000 manifestants à Vigo en solidarité avec le chantier naval ; marche des travailleurs de Ferrol vers La Corogne…
Contrairement à tout ce qu’on veut nous faire croire, nous ne sommes pas des citoyens égaux, la société est divisée entre une classe minoritaire qui possède non seulement les moyens de production mais aussi l’Etat (2), et une immense majorité qui ne peut compter qu’avec sa conscience, sa solidarité, son unité et la force du nombre.
Nous allons vers des affrontements dont l’importance est difficile à prédire, mais ce qui est évident c’est que la minorité – le Capital et son Etat – a préparé un piège politico-idéologique pour bloquer la mobilisation des travailleurs.
Les réajustements se mènent d’une manière échelonnée, région par région, paquet par paquet : en janvier 2011, c’est la région de Murcie qui a commencé ; depuis juin c’est la Catalogne ; en septembre la région de Madrid et maintenant c’est le tour de la région de Valence ; plus tard ce sera, sans doute, le tour de l’Andalousie. Autrement dit, c’est une attaque générale qui apparaît comme une succession d’attaques régionales sans rapports entre elles, en faisant en sorte que les travailleurs luttent bien enfermés chacun dans leur région (3).
Par ailleurs, on manipule la division “traditionnelle” entre les travailleurs du secteur public et du secteur privé. On présente les premiers comme des privilégiés et on essaye de leur faire gober une telle propagande, et c’est ainsi que les syndicats leurs disent, pour se faire “pardonner” en quelque sorte, qu’ils devraient renoncer aux revendications sur leurs salaires et leurs conditions de vie pour ne se concentrer que sur la défense du service public dans l’éducation ou dans la santé.
Cette différence entre travailleurs du public et ceux du privé est totalement battue en brèche par la réalité elle-même : 40 % des travailleurs du public sont des intérimaires, à telle enseigne qu’il y a davantage de précarité dans le secteur public que dans le privé. Les travailleurs du privé par le biais de la réforme du code du travail et les travailleurs du public par celui des coupes et des réductions en tout genre partagent la même réduction de salaires, la même menace généralisée de chômage (4), la même dégradation des conditions de travail. Les coupes sont comme un couteau à double tranchant : avec un coté on taillade les salaires et les conditions de travail des travailleurs du public ; avec l’autre on réduit les services indispensables en les dégradant aux niveaux les plus bas. Les coupes et la réforme du travail ne sont pas des faits reliés à des réalités différentes, mais elles font partie d’une ATTAQUE GLOBALE contre TOUS LES TRAVAILLEURS.
Lors du mouvement du 15-Mai des critiques très dures se sont exprimées vis-à-vis des syndicats, surtout contre le tandem Commissions ouvrières -Union générale des travailleurs (CO-UGT).
Ce n’est pas pour rien ! D’un coté ces syndicats signent tout ce que le patronat et le gouvernement leur mettent sur la table, mais de l’autre coté, et c’est là le pire de leur boulot, ils organisent des luttes factices qui engendrent la démobilisation et la division au sein des travailleurs, en les amenant à la défaite.
Le capital et son État emploient leurs deux mains contre les ouvriers : avec la droite, gouvernement et patronat abattent des coups de hache, tandis qu’avec la gauche, syndicats et opposition les poussent à mettre la tête sur le billot.
À Madrid, de la main droite, la présidente de la région, Aguirre, a attaqué les travailleurs de l’enseignement avec 3000 licenciements et un allongement du temps de travail, alors que de la main gauche, l’alliance entre 5 syndicats (qui va des CO-UGT jusqu’aux syndicats de droite tels que CSIF ou AMPE) a fait l’impossible pour boycotter les assemblées de base, en contrariant par tous les moyens leur coordination, et, enfin, en dévoyant et en épuisant la lutte vers la fausse dichotomie public-privé, ce qui a permis de faire passer tout ce que le gouvernement régional voulait.
Maintenant, avec les mobilisations à Valence, on nous ressert le même plat : de la main droite, le gouvernement du PP impose des coupes très dures tandis que, de la main gauche, on nous parle de corruption et de gaspillage, en occultant le fait que la crise est globale et mondiale. Avec cela, on essaye de nous isoler entre les quatre murs de chaque région, en demandant de renoncer aux revendications “égoïstes”.
Il est significatif que, face à la prétendue réforme du travail, les syndicats adoptent un profil bas, en essayant d’éviter par tous les moyens que la nécessité d’une lutte vraiment unitaire ne devienne une évidence. Leur politique consiste à échelonner leurs “réponses” pour qu’elles soient le plus fragmentées possibles, pour qu’on ne voit pas le lien entre les coupes sociales et la réforme du travail, entre tout cela et le chômage déchaîné, pour qu’on ne comprenne pas que nous nous trouvons face à des manifestations d’une même et unique crise du système.
Ils ont choisi la tactique de l’usure dans l’isolement pour les employés publics de la région de Valence (comme ça a été fait pour leurs camarades de Murcie, Madrid et Barcelone), ils misent sur leur défaite et alors ils lanceront “une mobilisation générale” contre la réforme du code du travail qui traînera comme un boulet cette défaite préalable.
Après 5 ans de crise, les souffrances sont de plus en plus grandes et la seule chose qu’on voit à l’horizon c’est encore plus de “réajustements”, encore plus de chômage, encore plus de misère... La droite promet – comme le PSOE l’avait fait auparavant – une “sortie de la crise” si on consent à de durs sacrifices, la gauche et les syndicats parlent “d’une issue possible” si l’État mettait son veto “pouvoir démesuré des financiers” et s’il “libérait des ressources budgétaires” pour les créations d’emploi, etc. Mais, est-ce qu’on peut croire en de telles “issues” quand on voit qu’après les “réajustements” arrivent les coupes et après les coupes, les coups de ciseaux dans une chaîne sans fin ? Est-ce qu’il est réaliste de rechercher des “issues” à l’intérieur d’un système qui n’en offre pas ?
Que faire ? Les luttes, même les plus massives, ne réussissent pas à rendre plus vivable la situation. Mais ne pas lutter est encore pire parce que nous perdons notre dignité, nous sommes humiliés en permanence.
Nous devons lutter ! L’acquis principal de la lutte est la lutte elle-même. La lutte est une école où nous prenons conscience des moyens dont nous disposons, de qui sont nos ennemis et nos faux amis, des pièges qu’ils utilisent contre nous. La lutte, si elle est capable de s’auto-organiser à travers des assemblées massives et ouvertes aux autres prolétaires, permet de développer la communication, l’empathie, la discussion et une prise de décisions basée sur la responsabilité et l’engagement de tous. Face à une société qui nous inocule le poison de la concurrence entre nous, les assemblées nous fournissent l’antidote : apprendre à agir ensemble, à prendre nos affaires en mains.
La lutte fait que des foules investissent les rues et les places, nous fait découvrir la possibilité d’AGIR ENSEMBLE et si nous arrivions à le faire à une échelle internationale, nous pourrions réaliser que nous sommes une force capable de transformer le monde, qu’un autre monde différent du capitalisme est possible, parce que, même s’ils sont très puissants et disposent de moyens terrifiants, ils ne sont qu’une minorité parasite dont l’existence dépend entièrement de notre travail collectif et associé.
Avec les luttes qui se déroulent en Italie, en Grèce et ailleurs nous avons pu voir des initiatives, encore minoritaires, qui vont dans cette direction.
À Alicante, plusieurs collèges d’enseignement ont décidé de s’unir en assemblées regroupées à l’échelle géographique, d’organiser des cortèges de rue pour mobiliser tout le monde et marcher ensemble avec une pancarte commune lors des manifestations ; ça fonctionne comme une assemblée ouverte qui, périodiquement, organise des réunions où se rejoignent des travailleurs des services socio-sanitaires, de l’enseignement, du gaz, du nettoyage, etc. À Castellón, le mouvement du 15-Mai a convoqué une assemblée sur la place centrale pour lutter contre les coupes budgétaires. Des travailleurs des crèches et des écoles primaires de Valence ont fait un rassemblement avec les parents et les enfants devant le gouvernement régional. Des assemblées du 15-Mai des cités-dortoirs du sud de la ville de Valence appellent à une manifestation conjointe pour le 18 février contre les coupes et contre la montée des taxes municipales. Dans plusieurs quartiers et villes de la banlieue de Valence, des assemblées de zone se sont organisées qui coordonnent des écoles et des lycées. Appelée “lundis au soleil” (5), c’est une initiative de regroupement de chômeurs qui s’est concrétisée à Valence – et ailleurs en Espagne –, encore très minoritaire. Dans plusieurs villes d’Espagne, il y a aussi eu des rassemblements en solidarité avec les travailleurs grecs.
Lors d’une assemblée de professeurs de Valence dont le présidium était occupé par les syndicats, il y a eu une forte tension entre ceux-ci et les travailleurs. Une intervention a mis clairement en avant la nécessité de s’organiser en assemblées horizontales. Plusieurs interventions ont “mis en garde” les syndicats contre “toute trahison” et contre “toute signature comme ils en ont l’habitude”.
Pour le 20 février, ont été programmées des occupations dans les centres d’enseignement, les délégués de deux lycées ont proposé de faire “une seule occupation centrale” dans le lycée Luis-Vives (en plein centre ville de Valence) où tout le monde pouvait se rendre, autant les travailleurs de l’enseignement que ceux de la santé, les chômeurs etc. On y a proposé que ce soit une occupation pour créer un espace de débats, de rencontres et d’unité qui pourra continuer pendant quelques jours. Les syndicats ont tout fait pour freiner une telle initiative, mais elle a fini par être approuvé… après deux votes !
On voit bien comment les syndicats essayent d’occuper le terrain social, mais on voit aussi, simultanément, un élan, un développement d’initiatives de la part des travailleurs qui essayent de mener une lutte efficace, tout en essayant de la prendre en main. Il y a une forte aspiration à LUTTER ENSEMBLE. Nous avons besoin d’une même lutte contre les coupes sociales, contre le chômage et la prétendue réforme du travail ; une même lutte pour une santé, une éducation et des services sociaux vraiment humains et de qualité.
Notre mouvement est à la fois ancré dans le présent et dans le futur. Il est du présent pour résister aux coupes et autres réformes. Il est du futur pour répondre à des questions dont dépend l’avenir : de quelle société avons-nous besoin comme alternative à celle que nous subissons actuellement ? Comment pouvons-nous y arriver ? Comment pourrons nous faire fonctionner l’éducation, la santé, les services sociaux, les services culturels, etc. ?
CCI (15 février)
1) Spanair et Air Nostrum (deux compagnies aériennes low-cost) ont licencié quelques 5000 travailleurs ; les chantiers navals de Ferrol sont menacés de fermeture avec 6000 travailleurs concernés directement et 10 000 en sous-traitance.
2) L’État n’est pas “à tous”, et il n’est pas non plus neutre. C’est une machine bureaucratique et répressive au service de la minorité dominante qui prend sa légitimité tous les quatre ans par le biais de la farce électorale. Comme cela était scandé dans le mouvement du 15-Mai “on l’appelle démocratie et ce n’est pas le cas”, “c’est une dictature et on ne le voit pas”.
3) Prenons l’exemple de la Région de Valence. Il est vrai que le gouvernement régional est très corrompu, mais comme le disait un tract d’un Collectif de travailleurs de Valence “Il est plus que clair qu’une grosse partie de la classe politique est une bande grotesque de profiteurs du genre coq vaniteux comme de nouveaux riches (Gürtel, Emarsa, Brugal, Aerocas, le scandale des ERE en Andalousie...). Mais ces abus sont la conséquence d’un système social qui prend l’eau partout dans le monde. Les coupes sont générales : en Catalogne, à Madrid, en Castille-La Manche, partout en Espagne !, mais aussi au Portugal, en Grèce, aux USA, en Grande-Bretagne ! La crise de la dette a mis à nu l’échec d’un système dont le seul but est le profit, ce qui favorise la spéculation et l’investissement dans les secteurs financiers et immobiliers, ce qui a fini par créer une bulle qui au moment d’éclater nous a tous éclaboussé”.
4) En Grèce, on a déjà commencé à licencier les fonctionnaires avec un poste de travail sûr.
5) Ce nom est sans doute emprunté au titre d’un film qui racontait les luttes et la vie des chômeurs à Vigo, à la suite d’une gigantesque vague de licenciements dans les chantiers navals [NdT].
Nous traduisons ci-dessous un article publié dans Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, à propos des déclarations faites par un chef de la Police sur la répression des lycéens et des étudiants à Valence. Ces déclarations sont effectivement bien éclairantes...
Lors d’une conférence de presse, à la question sur le nombre de policiers employés pour réprimer les étudiants, le chef supérieur de la police de la Région de Valence a répondu : “Il n’est pas prudent, du point de vue de la tactique et des forces de police mises en œuvre, que je dise à l’ennemi quelles sont mes forces et mes faiblesses” (1).
Il faut remercier ce haut fonctionnaire de la police pour la grande leçon de marxisme qu’il vient de donner : un, on nous considère comme des ennemis, et deux, on est impliqués dans une guerre dans laquelle il faut avoir une tactique et où il faut cacher ses propres faiblesses.
Par contre, les politiciens de tout poil, les syndicalistes, les idéologues, les table-rondiers (2) spécialistes en tout genre, prêchent dans l’autre sens : d’après eux, on ferait partie d’une communauté de “citoyens libres et égaux” dans laquelle l’État et ses différentes institutions – dont la police – seraient au “service de tous”. Lorsque le plus hauts responsables de l’État sont obligés de prendre de mesures extrêmement dures, ce serait pour le “bien de tous”. Ainsi la réforme du code du travail serait faite pour “favoriser les chômeurs” et, avec les coupes et autres restrictions, ils essaieraient de préserver “l’État providence”.
Les déclarations du grand chef de la police démentent radicalement de tels discours fumeux. Ce qui s’en dégage c’est, d’abord, que nous ne sommes pas des citoyens libres et égaux, mais que nous sommes divisés entre une classe minoritaire qui possède tout et ne produit rien et une classe majoritaire qui n’a rien et qui produit tout. Et, deuxièmement, que l’immense toile d’araignée bureaucratique que tisse l’Etat, n’est pas au “service des citoyens”, mais qu’elle est le patrimoine exclusif et excluant de cette minorité privilégié, ce qui fait que celle-ci considère comme des ennemis les manifestants qui luttent et qu’elle conçoit ses propres agissements comme une guerre contre l’immense majorité.
On va nous dire que cette haute autorité est de droite et que la droite a une conception patrimoniale de l’Etat et qu’elle ne cache pas son égoïsme et sa vénalité. Cependant, quand on regarde la carrière politique de cet individu haut gradé, on apprend qu’il l’avait commencé au sein de la Brigade politico-sociale à la fin du franquisme et qu’en 2008 il a été nommé à son poste actuel par le ministre de l’Intérieur d’alors, le sieur Rubalcaba, lequel, aujourd’hui chef de l’opposition socialiste, utilise des tons d’une radicalité hautement incendiaire. Dans cette fonction, le chef de la police de Valence était sous le commandement d’un ancien membre du parti dit “communiste” et avocat du travail du syndicat CO, le sieur Peralta. C’est sous leur commandement qu’a eu lieu l’épisode répressif bien connu contre des manifestants dans le quartier des pêcheurs d’El Cabañal (3). Il s’agit donc de quelqu’un qui a servi l’État sous des gouvernements de toutes les couleurs. Ses agissements ne sont pas du tout le fruit d’un “réflexe fasciste de la droite”, mais c’est bien une action d’État, qui a une logique et une continuité qui va bien au-delà de l’étiquette politique du parti aux commandes aujourd’hui.
Il faut se rappeler, pour ne parler que de l’Espagne, que sur les 35 années “d’Etat démocratique”, c’est pendant 21 ans que le gouvernail a été tenu par le PSOE. Ce n’est pas la peine de parler du mandat entre 2004 et 2011 parce qu’il est toujours présent dans les mémoires. En ce qui concerne le premier gouvernement “socialiste”, celui de monsieur Gonzalez (1982-96), rappelons qu’il fut le responsable de 3 assassinats de manifestants ouvriers (Bilbao en 1984, Gijón en 1985 et Reinosa en 1987) et de la destruction d’un million d’emplois.
L’actuel ministre de l’Intérieur, Fernández Díaz, a essayé d’arranger les choses en disant qu’il s’agissait d’un… lapsus. Or, un lapsus consiste à dire involontairement ce que l’on pense… réellement !
La société capitaliste se caractérise par l’hypocrisie et le cynisme les plus repoussants et, en cela, la classe dominante est passée maître. Il n’y a qu’à voir les campagnes électorales où sont affirmées mille promesses par tous les candidats pour appliquer, une fois élu, la politique contraire. Dans le secret de leurs bureaux, les hauts mandataires de la bourgeoisie, classe qui ne représente qu’une petite minorité des populations, parlent tranquillement de tout ce qu’ils vont démentir, nier ou déformer devant les micros. Mais, de temps en temps, un lapsus malvenu, c’est comme une légère déchirure de rideau par laquelle on peut observer ce qu’ils pensent vraiment et qui traduisent leurs vrais mobiles ou leurs crapuleuses machinations contre l’immense majorité, en particulier contre leur pire ennemi, la classe ouvrière, auquel il sont contraints de livrer une guerre permanente.
CCI (23 février)
1) El País, 21 février, supplément pour la Région de Valence.
2) Par ce néologisme, nous voudrions traduire le mot “tertuliano”. Sont nommés ainsi, en espagnol, ces personnages spécialistes en tout et surtout en rien qui pullulent dans ces émissions de débat à la TV, où ils donnent leur avis ou plutôt vomissent leurs sentences de “bon sens”.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par nos camarades de Welt Revolution, organe de presse du CCI en Allemagne et en en Suisse.
En réponse à la crise économique, des gens en colère et indignés se sont, en Suisse aussi, rendus le 15 octobre 2011 à la première assemblée générale (AG) du mouvement Occupy. Les rassemblements hebdomadaires ultérieurs devant les grandes banques sur Paradeplatz (la place d’Armes) à Zurich se sont inspirés des mouvements internationaux numériquement beaucoup plus importants, tels les Indignados en Espagne ou Occupy-Wall Street aux États-Unis. Le mouvement Occupy, très hétérogène, est l’expression de l’émergence internationale d’une réflexion et d’une révolte par rapport à l’impasse de la société capitaliste. En dépit de la tendance convergente au plan international de se focaliser (de façon souvent bien trop restreinte) sur le “monde de la finance”, des expériences tout à fait diverses se déroulent dans différents pays, méritant d’être répercutées au niveau international. Et cela justement au moment où la traversée du désert et les désillusions au sein du mouvement Occupy apparaissent partout clairement. Nous voulons donc faire partager ici quelques expériences tirées de notre participation aux activités d’Occupy.
Comme à New York et dans d’autres villes aux Etats-Unis, le 15 octobre, Paradeplatz s’est transformée en village de tentes, mais au bout de deux jours, menacé d’expulsion par la police, le “village” a du se déplacer dans le Parc central Lindenhof. Le mouvement Occupy à Zurich ne s’est pas trouvé dès le départ confronté à la répression directe comme en Espagne, mais bien plus à la politique de tentative d’intégration au système classiquement utilisée par la classe dirigeante en Suisse visant, à l’aide de la “démocratie directe”, à émousser toute résistance au capitalisme. Et justement en Suisse, la classe dirigeante a tiré la leçon des événements du début des années 1980 qu’il ne lui est pas possible d’étouffer les mouvements sociaux en recourant à la seule brutalité mais qu’elle peut y parvenir bien mieux en offrant des possibilités de participation au système.
Hypocritement, les dirigeants des banques et le gouvernement ont ainsi montré leur “compréhension” envers les préoccupations du mouvement Occupy. Les militants Occupy ont immédiatement été invités à l’une des plus importantes émissions politiques à la télévision ayant pour objectif de réfléchir en concertation avec les principaux banquiers et des professeurs quant aux moyens possibles afin d’améliorer le système financier ; les dirigeants d’aujourd’hui ne pouvant exclusivement adopter l’attitude arrogante du “tout va bien”. Au cours de cette phase initiale, les attaques de la presse bourgeoise se sont principalement restreintes à l’allégation d’absence de propositions politiques concrètes de la part d’Occupy.
Lorsque le mouvement Occupy, dans son enthousiasme du départ, a accepté des offres comme celle de la télévision d’Etat, c’était dans l’espoir d’une plus grande popularité. Mais fin octobre, les AG sont parvenues, la plupart du temps, à percer à jour ce piège des “propositions concrètes” pour l’amélioration du système financier capitaliste et à déjouer le piège de s’intégrer aux mécanismes de la participation démocratique classique.
Pour la classe dirigeante, le plus rentable semblait être alors de tolérer le mouvement dans son ensemble et d’attendre son épuisement plutôt que de l’intégrer immédiatement dans le jeu démocratique ou de le faire matraquer. Outre la culture du débat solidaire quasi-inédite permettant à chacun de prendre la parole, dans la phase initiale des mois d’octobre et novembre, ce fut certainement une grande force du mouvement que de se fixer le principe : “prenons le temps de discuter et ne nous laissons pas mettre sous pression !”
Le village de tentes du Lindenhof, bien organisé et accueillant envers tous ceux qui souhaitaient y participer, devint (ainsi que les AG du samedi sur Paradeplatz) rapidement le véritable centre des discussions du mouvement-Occupy. Comme dans le mouvement des Indignados en Espagne, l’occupation collective de l’espace public a fourni un cadre permettant au mouvement de se réunir. Très vite cependant, en dépit de l’attitude ouverte des militants vivant dans le village, apparurent deux dynamiques :
1. L’émergence d’une communauté indépendante à laquelle seules les personnes ayant assez de temps et d’endurance pour passer leur vie en ce lieu pouvaient participer – alors que cela était presque impossible à la plupart des personnes chargées de famille et soumises aux obligations du travail salarié.
2. Le souci quotidien de l’entretien et de l’organisation du village de tentes prenant progressivement le pas sur la place dédiée au débat politique – qui était pourtant l’aspiration à l’origine du mouvement Occupy.
Cette situation n’a pas été librement choisie par les occupants et ne peut pas non plus leur être reprochée ; elle leur a été imposée par la difficulté objective d’assurer au village de tentes une infrastructure habitable, et surtout par la menace permanente d’être expulsés par l’appareil répressif de la police. Contrairement à Zuccotti Park à New York, le mouvement dans son ensemble à Zurich n’est pas allé aussi loin dans la dynamique de repli sur soi et dans la fétichisation du parc, il s’est engagé dans ses assemblées générales dans une intense réflexion sur la façon dont le mouvement pouvait joindre les autres “99 %” restants.
L’AG du 3 novembre au soir qui occupait la cour de l’Université pour y tenir une discussion collective tout autant que pour inviter directement les étudiants à y participer, a constitué une expression de cette aspiration à l’élargissement. Durant cinq semaines, libérées des soucis quotidiens du village de tentes, ces assemblées générales hebdomadaires ont été des moments collectifs encourageants de réflexion sur les questions de politique générale. Face à l’émergence de positions se proposant de façon absurde comme “direction” au mouvement ou se qualifiant de façon fataliste “d’illusionnaires”, les assemblées plénières ont été en mesure d’opposer leur esprit collectif auto-organisé. Mais la colère et la combativité chez les étudiants n’étaient pas assez développées pour déclencher une jonction entre les préoccupations du mouvement Occupy et les leurs propres. Même si l’espoir d’une forte participation des étudiants ne s’est pas concrétisé (en 2009, un mouvement avait éclaté à l’Université de Zurich), ces soirées, qualifiées “d’AG sur le contenu” où quelques nouvelles têtes ont fait leur apparition ont constitué un enrichissement montrant que le mouvement Occupy ne se réduisait pas au village de tentes. Occupy avait tenté de prendre des mesures concrètes pour étendre le mouvement.
Justement, la dynamique positive de telles “AG sur le contenu” démontre qu’à l’avenir, tout mouvement devra éviter de transférer les discussions politiques fondamentales des AG plénières aux “AG sur le contenu” – de même que la vie politique ne doit pas être déléguée exclusivement à des groupes de travail. Au contraire, l’AG plénière doit prendre le temps de se réunir pour clarifier collectivement et calmement les questions politiques fondamentales du mouvement. Occupy-Zurich, fortement influencé par l’activisme, s’est de plus en plus enlisé en décembre dans le problème de ne tenir plus que des AG traitant de façon exténuante de nombreuses questions d’organisation de détail.
L’esprit pionnier présent dans les premières grandes mobilisations d’octobre et de novembre sur Paradeplatz s’était tassé. Occupy n’est pas mort, comme l’aurait souhaité la presse bourgeoise fin décembre avec le slogan “Bye Bye Occupy !”, voulant enterrer la protestation contre la crise et les institutions financières. Mais la participation aux AG a rapidement diminué courant décembre. Le village de tentes avait été à nouveau évacué par la police le 15 novembre et des militants s’étaient vu infliger des amendes démoralisantes. Lors de la première AG en 2012, celle du 4 janvier, d’une participation d’environ 70 personnes, il a été souligné par plusieurs interventions qu’“ils étaient de moins en moins nombreux”. En l’espace d’un mois, Occupy était clairement passé d’un mouvement spontané mobilisant de nombreuses personnes à un noyau de militants essayant de maintenir coûte que coûte des actions quasi-quotidiennes.
Une tout autre atmosphère affectait la culture du débat de l’ AG : la patience et l’écoute mutuelles impressionnantes du départ pâtissaient désormais de la fatigue, de l’impatience, des tensions et du sentiment d’être exclu de toute prise de décision. Il se développa une dynamique cherchant à compenser l’isolement croissant par un activisme reposant de plus en plus clairement uniquement sur les capacités et la bonne volonté des militants pris individuellement et non plus sur une perspective portée collectivement. Occupy-Zurich se cramponnait aux nombreuses actions qu’il n’était presque plus possible de réaliser avec une force déclinante, comme le montra la discussion de l’ AG sur le stand d’information installé sur une place publique, au Stauffacher. Quoique sans doute bien intentionnés, mais presque désespérés, les appels à la discipline (sur laquelle il est impossible à tout mouvement social se fixant l’objectif de l’émancipation de l’humanité de se fonder parce que cela équivaut finalement à la morale individualisée de la société capitaliste) ne font que conduire uniquement à des tensions.
C’est un phénomène bien connu dans les mouvements sociaux que les grandes envolées des débuts se transforment rapidement en frustration lorsque le mouvement reste isolé du reste de la classe ouvrière. La question de l’isolement s’est révélé être une question-clé. La fétichisation évidente de Zuccotti Park à New York n’était pas due à l’isolement naissant d’Occupy-Wall Street, mais était plutôt une expression de celui-ci. Il n’existe pas de “recettes de survie” pour un mouvement comme Occupy, parce que comme d’autres mouvements sociaux, il ne provient pas d’une “faisabilité” activiste, mais surgit de la fermentation politique au sein de la société sur la base des conditions de vie objectives.
Marquée par le déclin progressif du mouvement des Occupy-Zurich, l’AG du 4 janvier a ainsi pris la tournure d’une présentation et de l’adoption de projets d’action dans lesquels les participants s’engageaient en bonne partie de façon très individuelle. Dans un tel moment, il est plus productif de se poser les questions : “qu’est-ce que nous voulons ?”, “quelles sont nos forces communes ?”, “quelles sont les raisons du recul du mouvement ?”
Pour les personnes investies dans le mouvement Occupy-Zurich, confrontées à la fatigue et au rétrécissement à l’état de petit noyau, la nécessité de se poser des questions tout à fait fondamentales s’est manifestée clairement dans les deux premières semaines de janvier 2012 à travers la question de la fréquence des AG. Ce qu’a montré cette discussion dans le cadre d’un mouvement social en phase de déclin, c’est la contradiction insoluble entre d’une part le maintien d’AG fréquentes comme poumon du mouvement et d’autre part sa force et la participation déclinantes. Lors de l’AG du 4 janvier, cette question a été tranchée en faveur de la seule solution semblant réaliste et raisonnable (passer immédiatement à une assemblée par semaine) mais uniquement à l’aide du “thermomètre de la fatigue”. Il était absolument correct de la part de l’un des éléments les plus actifs de formuler par écrit dès le lendemain de cette assemblée la critique que “la décision de ne tenir plus qu’une AG par semaine n’était pas une décision prise à l’unanimité, mais une décision à la majorité. Dès le départ, je m’étais clairement prononcé contre la réduction de la fréquence des AG, cependant on a à peine abordé mes arguments et on a ignoré mes préoccupations. Dans le tour de parole où chacun a exprimé son opinion, il ressortait qu’il y avait une majorité pour tenir moins d’AG, ce qui a finalement abouti lorsque j’ai voulu à nouveau soutenir ma position à me faire conspuer par tous. Malheureusement, deux propositions de compromis ont été rejetées sans discussion. Je dois ici présenter mes excuses auprès de ceux qui ont les formulées ; dans cette situation, mis sous pression de toutes parts, j’ai considéré ces propositions de compromis sans contrôle sur mes émotions, ce qui m’a amené à les rejeter d’emblée. Je le regrette. Avec le recul, toutes deux avaient un potentiel si on avait pu les discuter en détails.”
Ce qu’il défend ici n’est pas le principe aveugle d’un rythme élevé des AG indépendamment de la dynamique du mouvement, mais la préservation de la culture du débat. La méthode consensuelle du mouvement Occupy, même si elle recèle la faiblesse latente de prendre souvent prématurément le seul plus petit dénominateur commun comme résultat de la discussion, empêchant aussi souvent la nécessaire polarisation, avait eu, au moins dans la phase initiale, l’avantage de permettre d’accorder une place à toutes les opinions. Il est clair que parfois des décisions concrètes doivent être prises, même si tout le monde n’est pas d’accord. Cependant, quand des décisions sont prises à la majorité, fondamentalement celles-ci ne doivent pas signifier la fin des discussions à leur propos. Lors de l’AG du 11 janvier, la préoccupation du participant engagé cité précédemment n’a justement pu trouver aucune place en raison de la quantité accablante d’informations et de points concernant les actions, bien que sa critique aborde le cœur du problème : les changements intervenus dans la mise en œuvre de la culture du débat.
Il est difficile de dire où va Occupy. Cependant l’AG du 11 janvier comportait clairement une tendance porteuse de la conception d’un “mouvement permanent”, voulant le faire évoluer et le transformer en regroupement politique. Tout comme les luttes pour les conditions de travail ou contre les baisses de salaires dans le capitalisme d’aujourd’hui ne peuvent avoir un caractère permanent sans tomber dans la recherche syndicale de compromis pourris et de la politique de la démocratie représentative, des périls similaires guettent Occupy. L’AG a clairement démontré que, dans le contexte de perte momentanée de sa force et de sa dynamique propres, des voix en faveur de l’alliance avec des groupes gauchistes tels les Jusos, Greenpeace se faisaient plus fortement entendre, sans doute dans l’espoir de regagner de la force. A titre d’exemple, l’AG s’est complètement laissé embarquer par une offre insignifiante de coopération ponctuelle avec un groupe politique spiritualiste. Au lieu de construire l’autonomie du mouvement, de discuter les questions qui sont réellement à l’ordre du jour, l’AG a été contrainte de s’astreindre à un débat pour parvenir à une décision immédiate concernant leur relation à ce groupe et aux groupes religieux en général. Une discussion qui peut être intéressante en soi, mais qu’il est impossible de mener et de clarifier dans une telle précipitation imposée de l’extérieur, et qui donne déjà un avant-goût bien connu de la politique gauchiste bourgeoise. Ce qui, au début du mouvement et dans un réflexe sain, avait été jeté par la porte, à savoir le chantage exercé par la bourgeoisie poussant à se résoudre aux “revendications concrètes” en vue d’améliorer le système financier, en d’autres termes la pression pour obtenir un positionnement dans le cadre de la politique bourgeoise, s’insinue à nouveau furtivement dans le mouvement par la fenêtre.
Si Occupy ne veut pas se disperser et s’égarer dans le soutien aux propositions parlementaires de “divulgation du financement des partis politiques” ou aux initiatives démocratiques contre la spéculation sur les produits alimentaires, que quelques uns des participants ont présenté à l’AG comme leur projet politique, il faut revenir à la question du commencement : pourquoi cette crise du capitalisme ? Le mouvement Occupy devrait se poser la question de savoir si tous les problèmes qui ont été perçus par ses participants avec une sensibilité impressionnante peuvent trouver une solution au sein du capitalisme – ou s’il est temps de dépasser ce mode de production comme un tout. Comme il est impossible que de tels mouvements sociaux se maintiennent en permanence, et qu’il y en aura d’autres, il est important de transmettre toutes les expériences positives faites aux futurs mouvements sociaux, au cas où Occupy ne trouve pas de second souffle. Car la crise du capitalisme, l’élément déclencheur du mouvement Occupy, ne va pas disparaître tant que ce système d’exploitation survivra.
Mario (16 janvier)
Nous publions ci-dessous la traduction de la seconde partie de l’article de Welt Revolution, organe de presse du CCI en Allemagne, dressant un an après un bilan provisoire de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Dans la première partie [282] de cet article, nos camarades soulignaient la gravité de l’événement et l’incurie de la classe dominante qui n’a su opposer au désastre en cours que ses mensonges et ses manipulations. Ici, il s’agit de démontrer que le pire, pour la planète et l’humanité, est encore à venir.
ESt-ce que les détenteurs du pouvoir, les responsables, sont intéressés à aller à la racine du problème du nucléaire dans le monde ? Evidemment non ! Sous le poids de la concurrence et de l’aggravation de la crise, la tendance est au contraire à la baisse drastique des investissements dans l’entretien, la sécurité et le personnel qualifié.
Il est devenu clair que, sur les 442 centrales en exploitation sur la planète, beaucoup d’entre elles ont été construites dans des zones sujettes aux séismes. Concernant le seul Japon, plus de 50 centrales ont été construites dans de telles zones. En Russie, de nombreuses centrales nucléaires ne disposent même pas d’un mécanisme automatique de mise hors-tension, en cas d’incident nucléaire. Vu leur état général, Tchernobyl n’était probablement pas une exception et une telle catastrophe peut se reproduire à tout moment. La Chine a lancé la construction de 27 nouvelles centrales nucléaires alors qu’elle est une des régions les plus actives sur le plan sismologique.
La période de fonctionnement des vieilles centrales nucléaires qui devaient être fermées est prolongée. Aux Etats-Unis, leur durée d’exploitation a été prolongée à 60 ans, en Russie à 45 ans.
Bien que les mécanismes de contrôle par les Etats, à l’échelle nationale, sur l’industrie nucléaire se soient avérés insuffisants, les Etats sont opposés aux normes de sécurité trop restrictives ou trop interventionnistes par les organisations internationales de surveillance. “La souveraineté nationale prime sur la sécurité” affirment-ils.
En Allemagne, le gouvernement a décidé, depuis l’été 2011, d’abandonner l’énergie nucléaire en 2022, puis, comme mesure immédiate, certaines centrales nucléaires ont été arrêtées peu après l’explosion de Fukushima. Est-ce que le capital allemand a agi d’une manière plus responsable ? Pas du tout ! En effet, seulement quelques mois avant Fukushima, le même gouvernement avait prolongé la durée de fonctionnement de plusieurs centrales nucléaires. Si, toutefois, il a décidé d’abandonner l’énergie nucléaire aujourd’hui, cela correspond, d’une part, à une tactique politique, parce qu’il espère améliorer ses chances d’être réélu, et bien sûr à un calcul économique, parce que l’industrie allemande est très compétitive dans la production d’énergies alternatives avec son savoir-faire en ce domaine. L’industrie allemande espère maintenant y obtenir des marchés très rentables. Cependant, la question de se débarrasser des déchets nucléaires n’est toujours pas résolue.
Pour résumer : malgré Fukushima, l’humanité se trouve toujours face à ces bombes nucléaires à retardement qui, dans de nombreux endroits, peuvent déclencher une nouvelle catastrophe, à cause d’un tremblement de terre ou d’autres points faibles.
Maintes et maintes fois, nous entendons les arguments avancés par les défenseurs de l’énergie nucléaire selon lesquels l’électricité nucléaire produite est moins chère, plus propre et qu’il n’y a pas d’autre alternative. Il est un fait que la construction d’une centrale coûte des sommes gigantesques qui, grâce à l’aide de subventions de l’Etat, sont prises en charge par les compagnies d’électricité. Mais la majeure partie des coûts de l’élimination des déchets nucléaires n’est pas prise en charge par les sociétés d’exploitation. De plus, les coûts de démolition d’une centrale nucléaire sont énormes. En Grande-Bretagne, on a estimé que le coût de démantèlement des centrales nucléaires existantes s’élèverait à 100 milliards d’euros pour le pays, soit environ 3 milliards d’euros par centrale nucléaire.
Et si jamais survient un incident ou un accident nucléaire, l’Etat doit venir à la rescousse. A Fukushima, les coûts de démolition et de suivi, dont l’importance est encore inconnue, sont estimés à environ 250 milliards d’euros. Tepco n’a pas pu réunir cette somme. L’Etat japonais a donc “promis son aide”, à la condition que les employés fassent des sacrifices : les pensions et les salaires sont abaissés, des milliers d’emplois sont supprimés ! Des charges fiscales spéciales sont prévues dans le budget japonais. Ayant tiré les leçons des accidents précédents, les entreprises opérant en France ont limité leur responsabilité à 700 millions d’euros en cas d’accident, avec la bénédiction grassement rétribuée des politicards locaux et nationaux, ce qui n’est rien en comparaison du coût économique d’une catastrophe nucléaire.
D’un point de vue économique et écologique, le coût réel du fonctionnement des centrales et la question non résolue des déchets nucléaires sont un puits sans fond. A tous égards, la puissance nucléaire est un projet irrationnel. Les sociétés d’énergie nucléaire reçoivent des quantités massives d’argent pour la production d’énergie, mais elles reportent les coûts d’entretien sur l’ensemble de la société. Les centrales nucléaires incarnent la contradiction capitaliste insurmontable entre la recherche du profit et la protection à long terme de l’homme et de la nature.
L’énergie nucléaire ne constitue pas le seul danger pour l’environnement. Le capitalisme pratique un appauvrissement permanent de la nature. Il pille en permanence toutes les ressources, sans aucun souci de l’avenir pour l’humanité, d’harmonie avec la nature, il traite cette dernière comme une gigantesque décharge.
Aujourd’hui, des pans entiers de la terre sont devenus inhabitables et de vastes zones de la mer sont irrémédiablement intoxiquées. Ce système décadent est lancé dans une dynamique irrationnelle, où de plus en plus de nouveaux moyens technologiques sont développés mais dont l’exploitation devient de plus en plus coûteuse et destructrice pour les ressources naturelles. Lorsqu’en 2010, sur les rivages de la principale puissance industrielle, les Etats-Unis, la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon a explosé, l’enquête sur l’accident a dévoilé des plaies béantes dans les règles de sécurité.
La pression découlant de la concurrence contraint les rivaux, quand ils ont à investir de grosses sommes d’argent dans la construction et l’entretien des sites de production, à économiser et à saper les normes de sécurité. L’exemple le plus récent est la pollution par les hydrocarbures, au large des côtes atlantiques du Brésil. Toutes ces négligences ne se font pas seulement dans les pays technologiquement arriérés, mais prennent des proportions encore plus incroyables précisément dans les pays les plus développés, parce que leurs moyens sont infiniment plus puissants.
L’énergie nucléaire a été développée au cours de la Seconde Guerre mondiale, comme un instrument de guerre. Le bombardement nucléaire de deux villes japonaises a inauguré un nouveau niveau de destruction dans ce système décadent. La course aux armements pendant la Guerre Froide, avec son déploiement systématique de l’arme nucléaire, a poussé la capacité militaire de destruction au point où l’humanité pourrait être anéantie d’un seul coup. Aujourd’hui, plus de deux décennies après 1989 et l’effondrement du bloc de l’Est qui devait permettre la naissance d’une nouvelle ère de “paix”, il subsiste encore quelque 20 000 têtes nucléaires pouvant anéantir de nombreuses fois l’humanité.
Non seulement concernant la question de l’énergie nucléaire, mais aussi la protection de l’environnement, la classe dirigeante est de plus en plus irresponsable, comme l’a montré le véritable fiasco du récent sommet de Durban. La destruction de l’environnement a atteint aujourd’hui une échelle supérieure et la classe dirigeante est totalement incapable de changer de cap comme de prendre les mesures appropriées. La planète et l’humanité sont sacrifiées sur l’autel du profit.
Une course contre le temps a commencé. Soit le capitalisme détruit toute la planète, soit les exploités et les opprimés, avec la classe ouvrière à leur tête, réussissent à renverser le système. Parce que le capitalisme constitue une menace pour l’humanité à différents niveaux (crise, guerre, environnement), il ne peut pas se contenter de lutter seulement contre un aspect de la réalité capitaliste, par exemple, contre l’énergie nucléaire. Il y a un lien indéfectible entre ces différentes menaces et leurs racines dans le système capitaliste. Pendant les années 1980 et 1990, il y a eu beaucoup de mouvements portant sur un seul point (tels que la lutte contre l’énergie nucléaire, contre la militarisation, contre la pénurie de logement, etc.), ce qui avait pour résultat de morceler les luttes. Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de montrer la faillite de l’ensemble du système. Il est vrai que les connexions entre les différents aspects ne sont pas faciles à comprendre, mais si nous ne prenons pas en compte le lien entre la crise, la guerre et la destruction écologique, notre lutte se retrouvera dans une impasse, en croyant à tort que nous pourrions trouver des solutions dans le système, que les choses pourraient être réformées en gardant le même mode de production. Si nous suivions cette voie, notre combat serait un échec.
Di (janvier 2012)
En avant-première mondiale, le CCI va ici vous révéler un scoop exclusif. Le soir du 6 mai, à 20 heures pétantes, le visage du vainqueur des élections présidentielles françaises qui s’affichera sur tous vos écrans de télé sera celui de… la bourgeoisie.
Quel que soit l’élu, de gauche ou de droite, le gouvernement mis en place va implacablement attaquer nos conditions de vie et de travail au nom de l’intérêt du capital national français. Toutes les promesses de cette campagne, toutes sans exceptions, vont s’envoler et le programme qui sera réellement appliqué portera pour nom Austérité. Réduction des effectifs des fonctionnaires, baisse des pensions de retraites, détérioration des droits des chômeurs et de l’accès aux soins, aggravation de la précarité et de la flexibilité sur le marché du travail, hausse des prix…
Entre la droite et la gauche, seuls les discours changent, les actes, eux, restent les mêmes. Hollande voudrait aujourd’hui nous faire croire que voter pour lui, ce serait mettre fin à la politique liberticide, raciste et brutale de “la clique à Sarko”. Les petites phrases des Guéant, Hortefeux et consorts sont en effet abjectes et insupportables. Et les envies de passer un grand coup de Kärcher dans la salle du Fouquet’s sont tout à fait compréhensibles. Mais il ne faut pas oublier qui sont réellement les socialistes :
Sous l’ère mitterrandienne, ont régné la désindustrialisation, les licenciements massifs et la hausse du chômage. Jamais l’Etat n’a autant privatisé pour supprimer des postes qu’avec Jospin Premier ministre !
Dans les années 1980, la gauche a généralisé le travail précaire en multipliant les petits boulots (par exemple les TUC), a propulsé dans la misère les RMIstes, fabriqué des SDF…
La gauche a “perfectionné” la politique anti-immigrés en mettant en place “les charters collectifs pour les expulsions de sans-papiers” au début des années 1990 lorsque Edith Cresson était Premier ministre de Mitterrand.
Les lois promulguées par Pierre Joxe, ministre socialiste de l’Intérieur dans les années 1980, ont permis de fliquer et quadriller les banlieues.
Il n’ont pas hésité à participer à la guerre du Golfe en 1990 (500 000 morts) ou à jouer un rôle sordide dans le génocide rwandais de 1994 (au moins 800 000 morts). Souvenons-nous de ce qu’avait déclaré à l’époque François Mitterrand à un journaliste qui l’interrogeait sur le rôle “obscur” de l’armée française alors en opération “humanitaire” sur ces terres rwandaises : “Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important”.
Si Hollande est élu, le Parti socialiste ne barrera pas la route à la politique nauséabonde de Sarkozy, il lui emboîtera le pas. Que la droite ou la gauche soit au pouvoir demain, la vie sera plus dure qu’aujourd’hui. Il n’y a aucune illusion à avoir. Pour reprendre une formule crue mais explicite des Indignés d’Espagne : “Izquierda, derecha, ¡la misma mierda!” (“Gauche, droite, la même merde !”).
Et Mélenchon ? Lui qui clame partout “Prenez le pouvoir !” et “Place au Peuple !”, ne pourrait-il pas être la lueur d’espoir dans un coin de ce tableau si noir ? Fort des quelques millions de voix qui vont le soutenir, ne pourrait-il pas à l’avenir “peser dans la balance” en faveur des faibles, des petits et des exploités ? Encore une fois, regardons les actes. Mélenchon a, il est vrai, tout de l’homme anti-système… à condition de fermer les yeux sur son passé ! En tant que socialiste, il a en effet été successivement rien de moins que conseiller municipal de Massy (1983), conseiller général de l’Essonne (1985), sénateur du même département en 1986, 1995 et 2004, ministre de l’Enseignement professionnel de 2000 à 2002 sous Jospin et député européen en 2009 dans la circonscription du Sud-Ouest. Mais, nous dit-il, il a changé (lui aussi !), il a appris de ses erreurs passées (décidément !). Très bien. Qui est son principal soutien politique actuel ? Le PCF ! Le plus chauvin des partis français, celui dont le “F” jette une ombre démesurée sur les deux autres toutes petites lettres qui l’accompagnent… Faut-il rappeler l’épisode du foyer malien rasé à coups de bulldozers le 24 décembre 1980, à Vitry-sur-Seine, sous les ordres de la mairie “communiste” ? Ou l’ordre donné à la police par Fiterman, le ministre des Transports “communiste”, d’évacuer manu militari les cheminots grévistes de la gare Saint-Lazare en 1984, accusés “d’être manipulés par l’extrême droite” ? Comme ses amis staliniens, Mélenchon prétend défendre les exploités, en paroles, pour mieux protéger les intérêts de sa nation, en actes. Comme ses amis staliniens, Mélenchon discourt de “la nécessaire solidarité internationale des peuples” coiffé du bonnet phrygien et en scandant les slogans les plus cocardiers, du “Produisons et consommons français !” au “Soutenons l’industrie française !”. Monsieur Mélenchon peut bien jouer au pipeau l’air de l’Internationale, il suffit de tendre l’oreille pour entendre que les paroles qu’il nous chante sont sans aucun doute celles de la Marseillaise. Il pourrait presque former un chœur avec “les gars de la Marine” (Le Pen)… lui qui pourtant se présente comme le plus grand adversaire du Front national.
Rien de bon ne peut réellement sortir des urnes. Il ne peut pas y avoir de “bons candidats” pour les exploités lors d’une élection organisée par et pour la bourgeoisie. Jamais. La raison en est simple : le capitalisme est en train de sombrer, la crise économique l’entraîne peu à peu vers le fond. Ce système ne peut plus rien apporter à l’humanité, que toujours plus de misère et de guerre. La seule issue possible, c’est de mettre fin à l’exploitation et à la division du monde en nations concurrentes. Aucune élection (1), aucun référendum ne peut mener à un tel résultat. Au contraire, chaque fois que la bourgeoisie nous demande de voter aux élections présidentielles, elle ne nous impose rien d’autre que de choisir celui qui va se mettre à la tête de l’Etat pour faire perdurer ce système, de choisir celui qui défendra au mieux les intérêts capitalistes du pays. Ce n’est donc pas simplement que “gauche-droite, c’est pareil”, mais bien plus profondément que la démocratie ne cherche, à travers ses élections, qu’à maintenir en vie le système capitaliste et les privilèges d’une minorité au détriment de l’écrasante majorité. Comme l’ont affirmé certains Indignés d’Espagne “Lo llaman democracia y no lo es, es una dictadura y no se ve” (“Ils l’appellent démocratie mais ce n’est pas le cas, c’est une dictature mais ça ne se voit pas !”) (2).
WH et Pawel (27 mars)
1) Nous désignons ici évidemment les élections organisées par les Etats dits démocratiques et non celles pouvant avoir lieu au sein d’organes de luttes ouvrières comme, par exemple, les assemblées générales.
2) Lire notre tract international [284].
Depuis plus d’un an, nous assistons à de nombreuses expressions de révolte. De celles qui sont nées dans les pays arabes en passant par le mouvement des Indignés en Espagne et en Grèce, jusqu’au mouvement des Occupy aux Etats-Unis ou encore en Grande-Bretagne, les populations montrent une volonté claire de ne plus se laisser traiter comme moins que rien. Ces mobilisations massives qui regroupent à la fois l’ensemble des laissés-pour-compte de ce système capitaliste moribond comme ceux qui ont encore la “chance” d’avoir du travail sont une réponse immédiate à l’angoisse progressive qui envahit la société avec une conscience à divers degrés que le monde dans lequel nous vivons n’est plus possible. Les mouvements des “Indignés” ont pris ce nom en référence au livre de Stéphane Hessel, ancien résistant français de la Seconde Guerre mondiale, intitulé Indignez-vous et publié en octobre 2010. Ce petit fascicule, largement médiatisé on s’en souvient, a été écrit à la demande de journalistes et de membres d’Attac qui avaient déjà sollicité Hessel lors de la déclaration de mars 2004 d’anciens du Conseil national de la Résistance (CNR) au plateau des Glières 1 , revendiquant les prétendues “valeurs” de la France issue de la “Libération” avec le slogan : “Créer, c’est résister. Résister, c’est créer.”
Dans le sillage de cet appel à faire revivre les idéaux de la Résistance et à défendre “la paix et la démocratie” contre la dictature internationale des marchés financiers, une kyrielle d’associations étaient apparues, ou ont été réactivées, souvent en créant des blogs ou en étant présents dans certains mouvements de résistance aux injustices sociales (luttes des sans-papiers, des sans-logis, etc.). Ces groupes, se voulant apolitiques et citoyens, où l’on retrouve aussi bien des représentants des partis de gauche et de droite traditionnels 2 que des éléments de la gauche radicale, des altermondialistes ou des syndicalistes, ont été très actifs dans le mouvement des Indignés. Ils prétendent lutter contre les ravages du libéralisme économique en s’inspirant des valeurs du CNR de 1944 et militent pour l’idée selon laquelle le mouvement actuel des Indignés serait l’expression d’un mouvement populaire de résistance qui pourrait s’apparenter à celui de la Résistance française contre l’Allemagne nazie en 1939-1945. En d’autres termes, le programme du CNR de 1944 aurait été un programme économique au service des exploités et qu’il suffirait de réactualiser, d’y apporter quelques aménagements pour en faire un programme de société au service du bien-être de tous. Le programme du CNR aurait-il une quelconque viabilité ou une utilité pour les luttes actuelles des exploités ? Pourrait-on s’appuyer sur les grandes lignes de l’idéologie qu’il véhicule ? Pour nous, la réponse est clairement : non.
Nous allons nous efforcer d’étayer cette réponse dans une série d’articles, dont voici la première partie. Avant d’aborder le programme du CNR lui-même, il est nécessaire de rappeler le contexte de la Seconde Guerre mondiale, la division de la classe politique en France entre le Gouvernement de Vichy, de Gaulle et la Résistance. Notre souci est d’ouvrir un débat sur cette période qui est toujours présentée comme un combat entre les forces du mal (régimes fascistes, Allemagne nazie) et les forces du bien (les glorieux mouvements de Résistance, le général de Gaulle et les alliés anglo-saxons “défenseurs de la démocratie”). Pour les jeunes générations qui n’ont pas connu ces événements dramatiques, les livres d’histoire officiels présentent souvent cette période sous l’angle qui arrange la bourgeoisie. Pour notre combat commun contre le capitalisme, il est absolument nécessaire de débattre du passé, de se réapproprier la réalité historique, sans ostracisme, pour éclairer notre présent et savoir ce que nous voulons bâtir pour le futur et comment le faire.
On oublie souvent, lorsqu’on aborde la tragédie de la Seconde Guerre mondiale, que la cause fondamentale de celle-ci est le produit comme aujourd’hui d’une crise économique profonde qui commence en 1929 et qui plonge le monde entier dans une misère insupportable. Le système économique est en train de mourir parce qu’il produit trop de marchandises qu’il n’arrive pas à écouler, à vendre, pendant que des millions de chômeurs affamés cherchent de ville en ville un emploi introuvable. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si c’est l’Allemagne, grande perdante de la Première Guerre mondiale qui va à nouveau déclencher les hostilités avec le fameux mot d’ordre pan-germanique de Hitler qui était “exporter ou mourir”. Alors que la Première Guerre mondiale avait été interrompue pour faire face à la Révolution russe et à sa menace d’extension à l’Europe, les années 1930 sont marquées par sa dégénérescence et par la défaite de toute la formidable vague révolutionnaire des années 1920, notamment en Allemagne. L’instauration du stalinisme, c’est-à-dire du capitalisme d’Etat en Russie au nom du “socialisme”, aura dans ce contexte une portée catastrophique pour le mouvement prolétarien mondial 3).
Face à cette nouvelle crise économique et à l’écrasement de l’espoir d’une nouvelle société qu’avait représentée la Révolution russe, le monde va basculer dans l’horreur. La barbarie fasciste et l’hystérie antifasciste vont conduire les prolétaires et la population d’Espagne en 1936, puis des principaux pays du monde, au massacre. Sans compter les dizaines de millions d’êtres humains qui seront exterminés dans les camps de concentration staliniens et hitlériens, les combats du conflit de 1939/1945 feront 55 millions de morts, ce qui constitue de loin le plus grand holocauste de l’humanité. Qu’on le veuille ou non, c’est bien pour préserver son système décadent que toute la bourgeoise, quel que soit le camp qu’elle a choisi, fasciste ou antifasciste, s’est vautrée dans la guerre et a sacrifié autant de vies humaines.
C’est en ayant à l’esprit le sordide bilan de cette période que l’on peut examiner la façon dont la France a été impliquée dans cette période tragique, tout en sachant qu’un certain nombre d’éléments sont valables aussi pour d’autres pays, notamment en Europe, qui a été le principal théâtre de cette boucherie.
Pendant quelque temps, l’Etat français avait eu l’illusion que la crise de 1929 ne toucherait que les Etats-Unis et l’Allemagne. Malgré l’instauration d’un fort protectionnisme, pour protéger le marché intérieur, sous la forme de quotas notamment pour les marchandises importés sur le territoire national, la grande dépression va se développer et ses ravages vont être profonds. “Une fois la décélération commencée, avec un effondrement des exportations et des prix agricoles en 1931, il n’y eut plus moyen de l’arrêter” (4). La crise économique va créer une véritable débandade dans la classe politique et démontrer que la IIIe République n’était plus adaptée à la situation, ce qui va d’ailleurs donner un premier point en commun au gouvernement de Vichy et à la Résistance, à savoir celui d’un rejet viscéral des institutions de la IIIe République et du libéralisme anarchique (et archaïque au vu des nécessités du capitalisme d’Etat) qui rendaient l’appareil productif français incapable de faire face à la concurrence mondiale et de rentrer dans la course aux armements en vue de la guerre qui se dessinait déjà. Les différents gouvernements qui vont se succéder, notamment ceux des partis de gauche du Front populaire de Léon Blum de 1936 et 1938, vont en fait préparer la guerre qui semble inévitable. En contrepartie d’augmentations de salaires et de conventions collectives dans certains secteurs, les ouvriers vont travailler plus de 40 heures dans les usines d’armement. Un certain nombre de nationalisations sont réalisées, notamment celle qui compte le plus dans une économie qui va vers la guerre, l’industrie des armements. Le ministère Daladier (Parti radical) devait être le dernier du temps de paix. Le président du conseil se fixa comme objectif primordial la défense nationale, ce qui permit aux socialistes et communistes de rester à l’écart du gouvernement et de ne pas apparaître ouvertement, auprès des ouvriers et de la population en général, comme des fractions va-t-en guerre. De son côté, Hitler, en Autriche, puis en Tchécoslovaquie, lançait l’Allemagne dans sa course à l’expansion impérialiste à travers cette série de provocations (débouchant notamment sur les accords de Munich de 1938 qui accordaient de fait le droit pour Hitler d’annexer la partie allemande de la Tchécoslovaquie – les fameux Sudètes – et préparaient déjà la guerre, mais une guerre à laquelle les futurs “Alliés” n’étaient pas encore prêts). En septembre 1939, c’est le pacte entre les deux brigands Hitler et Staline, entre l’Allemagne nazie et la Russie “socialiste”, dont la première clause est le partage de la Pologne, qui signe en fait l’ouverture généralisée des hostilités militaires. C’est aussi à ce moment là que dans le sillage de l’Angleterre, la France déclare la guerre à l’Allemagne.
La défaite rapide et totale de l’armée française devant les forces allemandes en juin 1940 va créer un véritable séisme dans l’ensemble des partis politiques. C’est au maréchal Pétain, “héros” du carnage de 1914/1918, que revient les pleins pouvoirs en juillet, seule une minorité de députés de la IIIe République s’y oppose et l’armistice avec l’Allemagne est signée dans la foulée. C’est à ce moment là que Pétain proclame aussi son intention d’entreprendre un redressement de la France, dénommé ensuite “Révolution nationale”. La question qui se pose alors pour la classe politique, tous partis confondus, est celle de préserver la continuité de l’Etat français, malgré la présence d’une force d’occupation allemande sur une partie du territoire, la zone Nord, et une zone libre au sud du territoire. C’est ici que la classe politique française va se diviser entre ceux qui sont pour l’alliance avec l’Allemagne et ceux qui se regroupent derrière le général De Gaulle et qui sont pour l’alliance avec les alliés anglo-saxons et donc la poursuite de la guerre pour préserver les intérêts de la France.
Pour le régime de Vichy, il n’y a pas de doute, le rapport de forces est favorable à l’Allemagne nazie et donc il faut collaborer avec celle-ci pour préserver les intérêts de l’Etat français et espérer avoir une place de choix dans une Europe qui serait sous la domination allemande.
Donc pour les dirigeants de Vichy, en 1940, ils ont une stratégie à double objectif, défendre la France de la domination du conquérant allemand et reconstruire les institutions. “En théorie, l’armistice reconnaissait à la France bon nombre des attributs de la souveraineté, y compris l’autorité sur la zone occupée et sur les colonies… Mais, dans les faits, Vichy n’avait d’autorité que ce que lui accordait les Allemands et les réformes n’étaient accordées que dans la mesure où “elles n’allaient pas à l’encontre des objectifs militaires nazis” (5).
Quant au général De Gaulle, réfugié à Londres, il appelle dans son célèbre discours du 18 juin 1940, à résister à l’envahisseur allemand sous la formule : “La flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas”. Il signe un accord avec Churchill qui le reconnaît comme le chef des Français libres et, avec l’argent que lui avance le gouvernement anglais, il va reconstituer un embryon de marine et d’armée, en s’appuyant sur les militaires et politiciens qui partagent son option impérialiste, notamment dans les divers territoires coloniaux que la France possède dans la défense commune des intérêts du capital national.
En fait, il ne s’agit pas d’un combat entre les forces du bien contre les forces du mal, mais plutôt de divergences au sein de la classe politique française, sur l’option militaire et impérialiste à choisir.
Quelles que soient leurs divergences idéologiques, les hommes de Vichy ou ceux de la Résistance autour du général De Gaulle ont pour préoccupation essentielle que l’Etat français retrouve sa place sur l’échiquier européen et mondial : “Malgré des différences évidentes, les réformes proposées par Vichy et par la Résistance avaient beaucoup de points communs. Les unes comme les autres visaient à une renaissance nationale, à une réconciliation sociale, à une restauration morale, à une économie planifiée et plus juste, à un Etat plus dynamique” (6).
Leur peur commune est d’être soit sous le joug allemand, soit sous la coupe des Alliés. Si les relations entre Vichy et l’Etat allemand sont difficiles, du fait des exigences financières de l’occupant (frais pour les troupes d’occupation, production de marchandises pour l’industrie allemande, prélèvement de main d’œuvre qualifiée d’origine française pour travailler dans les usines allemandes) ; il en est de même pour De Gaulle : “Quant au général De Gaulle, son principal souci sera toujours d’affirmer, fût-ce au prix de vifs conflits, sa totale indépendance à l’égard des Alliés… En septembre 1941, il constitua le Comité national français, embryon d’un Conseil des ministres... qui fut accepté de mauvaise grâce par les Anglais… Les Anglais, par-dessus la tête de leur protégé (De Gaulle), recherchèrent un modus vivendi avec Vichy sans aboutir à un accord véritable. Quant aux Américains, systématiquement, ils ne voulaient reconnaître que Pétain” (7).
C’est un véritable bras de fer en permanence entre De Gaulle et les Alliés pour préserver l’indépendance de la France. Les Américains, tout comme l’Allemagne nazie, se verraient bien occuper la France, si les forces alliées gagnaient la guerre. C’est d’ailleurs le sens du débarquement des troupes américaines en novembre 1942 en Afrique du Nord où, comme le souligne l’historien O. Paxton, “L’Afrique du Nord devient en quelque sorte ‘un Vichy à l’envers’ sous occupation américaine” (8). C’est pour cela d’ailleurs, que le général De Gaulle n’a jamais osé critiquer la Russie pour avoir signé en 1939, un pacte avec le “diable” hitlérien, car elle pouvait lui servir comme contrepoids aux ambitions américaines vis-à-vis des territoires français. “Avant le 21 juin 1941 (rupture du pacte Staline-Hitler), il s’est gardé de l’attaquer et de lui reprocher son pacte avec l’Allemagne nazie. Jamais il ne s’en prend à son régime politique. Il affecte d’ailleurs de l’appeler la Russie et de la voir, non pas sous la forme temporaire qu’elle a prise, mais sous l’angle de l’histoire. Le premier point, c’est que l’URSS se bat et se bat bien ; le deuxième, c’est qu’elle est utile, en contrepoids des Anglo-saxons et contre l’Allemagne, aujourd’hui et demain” (9). Le général De Gaulle couvre même d’éloges Staline, le bourreau de la Révolution russe, du fait de la vaillance de ses armées et de leurs chefs.
Comme pour toute bourgeoisie nationale, en temps de guerre, comme en tant de paix, ce qui la préoccupe, c’est la défense de ses intérêts et donc la défense du capital national. A aucun moment, les exploités et la population en général n’ont leur mot à dire, sinon celui d’accepter toujours plus de sacrifices. Suivre le général De Gaulle et la Résistance, ou rejoindre le gouvernement de Vichy, impliquait de toute façon, toujours plus de misère, de privation, pour finalement servir de chair à canon.
Contrairement à la mythologie de l’histoire officielle, il n’est pas vrai que le régime de Vichy était composé exclusivement d’hommes de droite et que les partis de gauche vont rejoindre la Résistance et son héroïque général. La réalité est plus complexe.
Si le régime de Vichy est composé d’éléments de droite qui défendent la France agricole, la moralité, l’ordre, les modernisateurs font leur apparition dans les principaux ministères, ceux que l’on appelait les “planistes”, ceux qui étaient partisans de réformes structurelles pour adapter et préparer le capital français à la grande Europe sous influence allemande. Des hommes politiques de gauche ou des syndicalistes vont participer ou soutenir le régime de Vichy. Par exemple René Belin, un des responsables de la CGT, devint même sous Vichy ministre de la Production et du Travail. “Les dissidents de la gauche que l’on trouve à Vichy présentent un double intérêt : ils sont, bien sûr, le reflet des querelles intestines qui ont déchiré la CGT et la SFIO avant la guerre ; mais surtout – et c’est là l’important – ils attestent que, du moins pendant un an ou deux, les collaborateurs du maréchal Pétain arrivent d’horizons très divers. Loin d’être des nouveaux venus ou d’anciens leaders de l’extrême-droite, les hommes de Vichy se recrutent parmi les notables de la IIIe République, où qu’ils se situent sur l’éventail politique” (10).
Cette diversité politique n’est pas que l’apanage du gouvernement de Vichy, on verra ultérieurement, que dans les forces de la Résistance, se côtoyaient, à la fois des hommes de gauche, dont les staliniens du PCF, des hommes de droite, mais aussi des éléments issus de l’extrême-droite, notamment de l’organisation clandestine de la Cagoule.
Mais le soutien à Vichy ou à de Gaulle n’est pas figé. L’hiver 1942/1943 va être un tournant dans la guerre. Le général allemand Rommel perd la bataille en Afrique du Nord, avec le débarquement des Alliés en novembre 1942 au Maroc et en Algérie, et Staline, qui a rompu son pacte avec Hitler, est maintenant dans le camp des Alliés et infligera une défaite cinglante à l’Allemagne en janvier 1943 lors de la bataille de Stalingrad. Lors du débarquement américain en novembre 1942, en Afrique du Nord, l’amiral Darlan (11), ancien Premier ministre de Pétain, alors commandant en chef des forces armées de Vichy, va passer avec armes et bagages dans le camp des alliés, sous la menace du général américain Marck Clark qui envisage de constituer un gouvernement militaire américain en Algérie. “C’est ainsi que l’armée et l’administration, ardemment pétainistes, se retrouvent en bloc dans l’autre camp... De cette manière, un grand nombre d’officiers et de fonctionnaires fidèles à Vichy peuvent passer de l’autre côté tout à fait légalement et sans renoncer à la révolution nationale (programme de Pétain). Tel est le cas du général Juin qui, onze mois plus tôt, discutait à Berlin avec Goering de ce que ferait la France si Rommel se repliait en Tunisie et qui va gagner son bâton de maréchal en prenant le commandement des forces françaises (fidèles à De Gaulle) pendant la campagne d’Italie en 1943” (12).
Il n’y a rien de surprenant à ces changements d’alliances ou de camps, puisqu’au bout du compte, que cela soit Vichy ou de Gaulle, ce qui importait, c’était de préserver les intérêts de la nation française et de l’Etat français.
L’histoire officielle présente souvent les programmes économiques de Vichy et de De Gaulle et la Résistance comme antagoniques, alors que la réalité est bien différente, on peut même parler de continuité, même si l’un à dû gérer l’économie de guerre et l’autre la reconstruction du capitalisme français.
Un aspect en commun entre Vichy et la Résistance, notamment des staliniens du PCF, étaient leur phobie des trusts et des sociétés anonymes, issus de la IIIe République. Le souci de Vichy était de donner un cadre dirigiste à l’Etat pour moderniser l’économie, ce qui était d’ailleurs aussi le souci de la Résistance, même si certaines composantes dont les socialistes ou les communistes, l’enrobent d’un discours qui parle de révolte sociale et Vichy de révolution nationale.
La grande force de Vichy sera de créer une administration hyper centralisée pour collecter les données de statistiques économiques, essayer de gérer le rationnement des produits alimentaires et de la pénurie de matières premières, tout cela, dans un contexte où l’occupant allemand se sert en premier pour faire tourner ses propres usines d’armement ou celles de la France à son profit.
En 1940, sont créés les CO (Comités d’organisation), organes corporatistes qui comptent des ouvriers et des patrons pour la gestion du commerce et des affaires. Les CO sont des créations dont les textes datent d’avant-guerre (1938) qui eux-mêmes reprennent des mesures de la guerre de 1914-1918, c’est cela la continuité de l’Etat. Cela se met en place à chaque fois dans le cadre de l’économie de guerre.
Les CO remplacent ce que l’on appelait les consortiums avant la guerre. Pour imprimer la marque de l’Etat au fonctionnement économique, se crée l’OCRPI (Office central de répartition des produits industriels) qui va chapeauter les CO. Cet Office est l’outil idéal à ce moment là pour l’Etat français afin de gérer l’économie de guerre et il sera largement utilisé par les Allemands pour utiliser les capacités productives dont ils ont besoin pour la production, entre autres, d’armes de guerre. Il faut se rendre compte, qu’en fait Vichy va gérer la pénurie. “A la fin de 1940, le rationnement de la consommation touchait non seulement des produits industriels… mais aussi une longue liste de produits alimentaires. Les six mois qui suivirent l’armistice virent s’instaurer plus de rationnement et pire qu’il n’y en avait jamais eu pendant la Première Guerre mondiale. Ce devint pour la plupart des Français une corvée quotidienne que de courir après la nourriture et de tenter de se chauffer. A la suite de la fixation des prix par l’Etat apparaît le marché noir” (13). Un journaliste a pu écrire que la vraie voix de la France pendant la guerre était le grondement de son estomac.
Entre 1938 et 1943, les prix officiels des denrées alimentaires de base doublèrent tandis que les salaires des travailleurs augmentaient tout juste de 30 %.
Cette gestion de la pénurie est non seulement due à l’économie de guerre mais surtout à la politique de l’occupant et des alliés, “les CO (comités d’organisation de Vichy) ne pouvaient être tenus pour responsables de la dégradation générale de l’économie pendant la guerre. Il est plus exact d’attribuer, par exemple, les souffrances dues à un rationnement parcimonieux, à des causes telles que la politique des autorités d’occupation ou le blocus allié” (14).
Dans ce contexte très défavorable, le gouvernement de Vichy, sur le plan de la défense des intérêts du capitalisme français, a fait un travail remarquable.
De toutes les tentatives faites dans les temps modernes pour contrôler et organiser au mieux dans un contexte d’économie de guerre, l’industrie française, ce fût l’organisation des CO et de l’OCRPI qui eut la plus grande portée. Ce n’est pas un hasard si de Gaulle et la Résistance, qui allaient prendre le pouvoir à la Libération pour reconstruire l’appareil productif, vont utiliser ce que Vichy avait mis en place ou prévu de mettre en place.
“Sous un nouveau nom mais avec le même personnel, l’organisme statistique de Vichy devait se trouver comme le ministère de la production incorporé dans l’administration d’après-guerre” (15).
“Ainsi à l’époque même où Vichy amenait le peuple français a se dresser contre les contrôles, la Résistance entreprenait une campagne en faveur d’une forme socialiste de dirigisme et de fait la Résistance devait s’apercevoir qu’une bonne partie de l’appareil de l’Etat français pouvait s’adapter a ses propres desseins” (16).
C’est bien cette continuité de l’Etat qui, au delà des divergences idéologiques, va voir Vichy préparer finalement le terrain à l’équipe suivante qui prendra en charge la reconstruction, à savoir de Gaulle et la Résistance.
Pour mettre en œuvre une économie planifiée à la fin de la guerre, Vichy va confier à la DGEN (Délégation générale à l’équipement national) la mission de rédiger des plans d’équipement, c’est-à-dire une planification de la rénovation de l’appareil productif et bancaire, etc.
“Décidés à mettre en œuvre, après la fin des hostilités, une économie planifiée, les administrateurs du temps de guerre établirent deux plans d’équipement : le plan d’équipement national, ou plan de dix ans, publié en 1942 ; puis une version de ce même document, adaptée aux besoins de l’immédiat après-guerre et intitulé “Tranche de démarrage” (17), qui fût achevée en 1944. Bien que ces projets n’aient jamais été mis directement à exécution, le gouvernement provisoire d’après-guerre (De Gaulle et la Résistance) les utilisa pour élaborer ses propres programmes de rétablissement économique. D’un point de vue historique, ils représentent aussi les premiers vrais plans économiques français.”
Donc, Vichy a œuvré efficacement pour l’après-guerre et une grande partie du plan économique établi par De Gaulle et la Résistance (c’est-à-dire le PCF, les chrétiens, les socialistes) a été mis en œuvre grâce au travail effectué par Vichy.
Ce nouveau plan de démarrage fût rédigé au cours de l’été 1944, alors que la Libération a déjà commencé. Malgré son hostilité au régime de Vichy, le gouvernement du général De Gaulle qui prenait le pouvoir fit une exception pour la planification (élément essentiel de la politique économique pour créer les infrastructures, planifier les importations, assurer la reprise des activités économiques essentielles). De Gaulle “ordonna d’imprimer et de distribuer le projet de la DGEN, à un moment où Pétain et ses ministres avaient déjà fui hors de France” (18).
“Le plan de deux ans (des experts de Vichy) était conçu de façon à pouvoir être appliqué par le gouvernement quel qu’il dût être, qui dirigerait la reconstruction. Ce que nous savons, c’est que les nouveaux planificateurs de 1945-1946 l’utilisèrent pour élaborer les programmes d’après-guerre et que les commandes placées dès 1944 auprès de l’industrie permirent d’accélérer la reprise de l’économie. Des convergences frappantes apparaissent entre ce qu’envisageaient les planistes de Vichy et ce que les experts de Monnet mirent en forme et réalisèrent à partir de 1946. Les deux équipes se trouvèrent d’accord sur les grands obstacles qui pouvaient s’opposer à la renaissance, et sur les solutions à proposer. Toutes deux reconnaissaient le vieillissement de l’appareil productif français et condamnaient d’une même voix l’économie politique de l’avant- guerre, avec son aversion sous-jacente pour l’intervention étatique, qui justement laissait l’Etat agir au hasard, avec ses préoccupations de stabilité financière, avec son penchant pour le protectionnisme. Comme celle de Monnet, celle de Vichy trouvait dans une planification indicative le moyen de mener le navire entre les écueils opposés du libéralisme (au sens des trusts différent du libéralisme dont on parle ces dernières années) d’avant-guerre et du dirigisme de guerre” (19).
C’est cela que l’on appelle la continuité de l’Etat, au delà des gouvernements, l’appareil d’Etat assure sa propre continuité, et bien entendu sur le dos des exploités et de la population.
Il y a bien sûr des différences, notamment Vichy misait sur l’autosuffisance nationale alors que les gouvernements de la Libération attendaient beaucoup de l’aide américaine.
“Quand, au cours de l’été 1944, De Gaulle et la Résistance vinrent remplacer les pétainistes, la continuité fut durement rompue dans l’ordre politique, elle le fut beaucoup moins au niveau de l’administration économique” (20).
L’attitude de la Résistance répondit dans une large mesure aux espoirs de Vichy : “Au niveau institutionnel, l’organisme de planification, l’office statistique, le ministère de la Production se trouvèrent intégrés dans l’administration d’après guerre. Les CO, l’OCRPI, les comités sociaux survécurent également… les personnels de l’administration économique ne subirent pas de purge violente… Cette fois, le besoin de changement suscité par la guerre et les programmes de Vichy allaient se mêler au puissant élan de la Résistance pour amener la France à une économie politique nouvelle” (21).
Là encore, comme sous Vichy, la réalité de la situation des exploités ne va pas changer à la Libération sous le règne de De Gaulle et de la Résistance, il fallait bien accepter de nouveaux sacrifices pour la “grandeur de la France” : “La reconstruction planifiée exigeait envers autre chose que la semaine de travail des ouvriers dépasse les 40 heures et que chacun se résignât à un bas niveau de consommation, tel était le coût de la rénovation” (22).
Dans la seconde partie de cet article, nous aborderons plus précisément ce qui a provoqué la constitution du Conseil national de la Résistance et quel a été son programme de fond ainsi que l’idéologie réelle qui le sous-tendait et avec quelles options politiques.
K (15 mars)
1) Ce plateau de Haute-Savoie incarne le combat de la Résistance contre Vichy et les troupes allemandes en cela que ce fut le théâtre du premier combat des “Résistants” d’une certaine ampleur en cette fin de Seconde Guerre mondiale et de défaite nazie annoncée. La déclaration du 8 mars 2004 “fêtait” le 60e anniversaire de ce combat.
2) Sarkozy ne manque pas lui non plus de se dire inspiré par le CNR de 1944. Voir le site de Rue 89, “Sarkozy ou les indignés, qui sont les héritiers de la Résistance ?”.
3) Voir à ce sujet notre brochure la Terreur stalinienne : un crime du capitalisme, pas du communisme.
4) Voir le chapitre “Les années 30 : expériences et alternatives à l’ordre libéral”, tiré du livre de Richard Kuisel le Capitalisme et l’Etat en France, NRF, Editions Gallimard.
5) Idem, chapitre “La révolution nationale à Vichy, 1940-1944 : survie et rénovation”.
6) Idem, p. 228, chapitre “la révolution nationale à Vichy”.
7) Voir le chapitre “Naissance et extension de la France libre” tiré de l’ouvrage de Henri Michel Histoire de la résistance en France, Presses Universitaires de France.
8) Voir le chapitre “La collaboration de 1942 à 1944”, page 323, tiré de l’ouvrage d’O. Paxton, la France de Vichy, 1940-1944.
9) Voir le chapitre “Le nationalisme” dans le livre de Henri Michel, les Courants de pensée de la Résistance, Presses universitaires de France.
10) O.Paxton, op. cit., chapitre “Les hommes de Vichy”, p. 320. Pour le lecteur qui voudrait une étude plus approfondie sur ce sujet, on recommande de lire l’ouvrage de Rémy Handourtzel et Cyril Buffet la Collaboration…à gauche aussi, collection Vérités et légendes, librairie académique Perrin.
11) L’amiral Darlan est assassiné le 24/12/1942, peu de temps après sa conversion du pétainisme au camp des alliés. Les historiens ne sont pas unanimes sur la question, mais il semble que les Américains n’avaient pas envie à la fin de la guerre qu’il raconte les liens secrets qui ont existé durant toute la guerre entre des émissaires de Pétain et des militaires américains, ce qui ne serait pas surprenant, vu les animosités qui opposaient de Gaulle et la Résistance aux Américains.
12) O.Paxton, op. cit., chapitre “La collaboration de 1942 à 1944”, p. 322-324.
13) R. Kuisel, op. cit., p. 241.
14) Idem., p. 252.
15) Idem., p. 236.
16) Idem., p. 253.
17) Idem., p. 256-257.
18) Idem., p. 266.
19) Idem., p. 269.
20) Ibidem.
21) Idem., p. 270.
22) Idem., p.324.
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Nous publions ci-dessous le tract international que le CCI diffuse partout où il est présent et qui dresse le bilan des mouvements des Indignés et des « Occupy » qui ont eu lieu en 2011.
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Les deux événements les plus marquants de 2011 ont été la crise globale du capitalisme1 et les mouvements sociaux en Tunisie, en Egypte, en Espagne, en Grèce, en Israël, au Chili, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne...
Les conséquences de la crise capitaliste sont extrêmement dures pour l’immense majorité de la population mondiale : détérioration des conditions de vie, chômage qui se prolonge pendant des années, précarité qui rend impossible la plus petite exigence de stabilité vitale, des situations extrêmes de pauvreté et de faim...
Des millions de personnes se rendent compte avec anxiété du fait que toute possibilité « d’une vie stable et normale », « d’un futur pour leurs enfants » devient inatteignable. Ceci a provoqué une indignation profonde, a amené à briser la passivité, à prendre les rues et les places, à se poser des questions sur les causes d’une crise qui dans sa phase actuelle dure déjà depuis cinq ans.
L’indignation est encore montée d’un cran à cause de l’arrogance, la rapacité et l’indifférence vis-à-vis des souffrances de la majorité de la population, avec lesquelles se comportent les banquiers, les politiciens et les autres représentants de la classe capitaliste. Mais aussi à cause de l’impuissance des gouvernements face aux graves problèmes de la société : les mesures qu’ils prennent ne font qu’augmenter la misère et le chômage sans y apporter la moindre solution.
Le mouvement d’indignation s’est étendu internationalement. Il a surgi en Espagne où le gouvernement socialiste avait mis en place un des premiers plans d’austérité et un des plus durs ; en Grèce, devenue le symbole de la crise économique mondiale à travers l’endettement ; aux Etats-Unis, temple du capitalisme mondial ; en Egypte et en Israël pays pourtant situés de chaque coté du front du pire conflit impérialiste et le plus enkysté, celui du Moyen Orient.
La conscience du fait qu’il s’agit d’un mouvement global commence à se développer, malgré le boulet destructeur du nationalisme (présence de drapeaux nationaux lors des manifestations en Grèce, en Egypte ou aux Etats-Unis). En Espagne, la solidarité avec les travailleurs de Grèce s’est exprimée aux cris de « Athènes tiens bon, Madrid se lève !». Les grévistes d’Oakland (Etats-Unis, novembre 2011) proclamaient leur « solidarité avec les mouvements d’occupation au niveau mondial ». En Egypte a été approuvée une Déclaration du Caire en soutien au mouvement aux Etats-Unis. En Israël, les Indignés ont crié « Netanyahou, Moubarak, El Assad, c’est la même chose » et ont pris contact avec des travailleurs palestiniens.
Aujourd’hui, le point culminant de ces mouvements est derrière nous, même si l’on voit apparaître de nouvelles luttes (Espagne, Grèce, Mexico). Alors, beaucoup de gens se posent la question : à quoi a servi toute cette vague d’indignation ? Avons-nous gagné quelque chose ?
Il y a plus de trente ans qu’on n’avait pas vu des foules occupant les rues et les places pour essayer de lutter pour leurs intérêts propres au-delà des illusions et des confusions qui peuvent exister.
Ces personnes-là, les travailleurs, les exploités, tous ceux qu’on dépeint comme des ratés indolents, des gens incapables d’initiative ou de faire quelque chose en commun, sont arrivés à s’unir, à partager, à créer et à briser la passivité étouffante qui nous condamne à la sinistre normalité quotidienne de ce système.
Cela a fait un bien fou pour regonfler le moral, le début d’un développement de la confiance en notre propre capacité, de la redécouverte de la force fournie par l’action collective de masse. La scène sociale est en train de changer. Le monopole sur les affaires publiques exercées par les politiciens, les experts, les « grands de ce monde » commence à être mis en question par les foules anonymes qui veulent se faire entendre2.
Il s’agit certes d’un point de départ fragile. Les illusions, les confusions, les inévitables va-et-vient des états d’âme, la répression, les voies de garage dangereuses vers lesquelles poussent les forces d’encadrement que possède l’État capitaliste (les partis de gauche et les syndicats) imposeront des pas en arrière, d’amères défaites. C’est un chemin long et difficile, semé d’obstacles et sur lequel on n’a aucune garantie de succès, mais le fait même de se mettre en marche est déjà une victoire.
Les foules ne se sont pas bornées à crier, passivement, leur malaise, mais ont pris l’initiative de s’organiser en assemblées. Les assemblées massives sont la concrétisation du slogan de la Première Internationale (1864) « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou elle ne sera pas ». Elles s’inscrivent dans la continuité de la tradition du mouvement ouvrier qui démarre avec la Commune de Paris et prend son expression la plus élevé en Russie en 1905 et en 1917, se poursuivant en 1918 en Allemagne, 1919 et 1956 en Hongrie, 1980 en Pologne.
Les assemblées générales et les conseils ouvriers sont les formes distinctives de l’organisation de la lutte du prolétariat et le noyau d’une nouvelle organisation de la société.
Des assemblées pour s’unir massivement et commencer à briser les chaînes qui nous accrochent à l’esclavage salarié : l’atomisation, le chacun pour soi, l’enfermement dans le ghetto du secteur ou de la catégorie sociale.
Des assemblées pour réfléchir, discuter et décider, devenir collectivement responsables de qui est décidé, en participant tous, autant dans la décision que dans l’exécution de ce qui a été décidé.
Des assemblées pour construire la confiance mutuelle, l’empathie, la solidarité, qui ne sont pas seulement indispensables pour mener en avant la lutte mais qui seront aussi les piliers d’une société future sans classes ni exploitation.
2011 a connu une explosion de la véritable solidarité qui n’a rien à voir avec la « solidarité » hypocrite et intéressée qu’on nous prêche : il y a eu des manifestations à Madrid pour exiger la libération des détenus ou empêcher que la police arrête des émigrants ; des actions massives contre les expulsions de domicile en Espagne, en Grèce ou aux Etats-Unis ; à Oakland « l’assemblée des grévistes a décidé l’envoi de piquets de grève ou l’occupation de n’importe quelle entreprise ou école qui sanctionne des employés ou des élèves d’une quelconque manière parce qu’ils auraient participé à la grève générale du 2 novembre ». On a pu vivre des moments, certes encore très épisodiques, où n’importe qui pouvait se sentir protégé et défendu par ses semblables, ce qui est en fort contraste avec ce qui est « normal » dans cette société, autrement dit le sentiment angoissant d’être sans défense et vulnérable.
La conscience nécessaire pour que des millions de travailleurs transforment le monde ne s’acquiert pas dans des cours magistraux ou en suivant des consignes géniales des chefs illuminés, mais le fruit d’une expérience de lutte accompagnée et guidée par un débat qui analyse ce qui est en train de se vivre en tenant compte du passé et en le projetant toujours vers l’avenir car, comme le disait une pancarte en Espagne, « pas de futur sans révolution ! ».
La culture du débat, autrement dit, la discussion ouverte qui part du respect mutuel et de l’écoute attentive, a commencé à germer pas seulement dans les assemblées mais autour d’elles : des bibliothèques ambulantes ont été montées, des rencontres, des discussions, des échanges se sont organisés... Une vaste activité intellectuelle avec des moyens précaires s’est improvisée dans les rues et sur les places. Et, à l’instar des assemblées, cela a renoué avec l’expérience passée du mouvement ouvrier : « La soif d’instruction, non assouvie pendant si longtemps, est devenue avec la révolution un véritable délire. Rien que de l’Institut Smolny sont sorties chaque jour, durant les six premiers mois, des tonnes de littérature qui, en charrettes ou en trains, se sont déversées sur le pays. La Russie absorbait, insatiable, comme le sable chaud absorbe l’eau. Et non pas des romans grotesques, de l’histoire falsifiée, de la religion diluée, toute cette littérature bon marché qui pervertit, mais des théories économiques et sociales, de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol, de Gorki »3. Face à la culture de cette société qui propose de lutter pour des « modèles à succès », ce qui est à l’origine de millions d’échecs, contre les stéréotypes aliénants et falsificateurs que l’idéologie dominante et ses médias martèlent jour après jour, des milliers de personnes ont commencé à rechercher une culture populaire authentique, construite par elles-mêmes, en essayant de forger ses propres valeurs, de manière critique et indépendante. Dans ces rassemblements, on a parlé de la crise et de ses causes, du rôle des banques, etc. On y a parlé de révolution, même si dans cette marmite on a versé beaucoup de liquides différents, parfois disparates ; on y a parlé de démocratie et de dictature, le tout synthétisé dans le slogan de ce distique aux deux strophes complémentaires : « ils l'appellent démocratie mais ce n’est pas le cas ! », « C’est une dictature mais ça ne se voit pas ! » »4
On a fait les premiers pas pour que surgisse une véritable politique de la majorité, éloignée du monde des intrigues, des mensonges et des manœuvres troubles qui est la caractéristique de la politique dominante. Une politique qui aborde tous les sujets qui nous touchent, pas seulement l’économie ou la politique, mais aussi l’environnement, l’éthique, la culture, l’éducation ou la santé.
Si tout ce qui précède fait de 2011 l’année du début de l’espoir, nous devons néanmoins avoir un regard lucide et critique sur les mouvements qu’on a vécus, ses limites et ses faiblesses qui sont encore bien nombreux.
Si une quantité croissante de gens dans le monde entier sont convaincus du fait que le capitalisme est un système obsolète, que « pour que l’humanité puisse vivre, le capitalisme doit mourir », on tend à réduire le capitalisme à une poignée de « méchants » (des financiers sans scrupules, des dictateurs sans pitié) alors que c’est un réseau complexe de rapports sociaux qui doit être attaqué dans sa totalité et non pas se disperser en poursuivant ses expressions multiples et variées (les finances, la spéculation, la corruption des pouvoirs politico-économiques).
Si le rejet d’une violence dont le capitalisme dégouline par tous ses pores (répression, terreur et terrorisme, barbarie morale) est plus que justifié, il n’en demeure pas moins que ce système ne pourra pas être aboli par la simple pression pacifique et citoyenne. La classe minoritaire n’abandonne pas volontairement le pouvoir, elle se protège derrière un Etat qui, dans sa version démocratique, est légitimé par des élections tous les 4 ou 5 ans, avec des partis qui promettent ce qu’ils ne feront jamais et font ce qu’ils n’avaient jamais dit, et avec des syndicats qui mobilisent pour démobiliser et finissent par signer tout ce que la classe dominante leur met sur la table. Seule une lutte massive, tenace et persévérante, pourra fournir aux exploités la force nécessaire pour détruire les moyens d’écrasement dont dispose l’État et faire devenir réel le mot d’ordre si souvent repris en Espagne : « Tout le pouvoir aux Assemblées ».
Même si le slogan « nous sommes 99% face à 1% », si populaire dans les mouvements d’occupation aux Etats-Unis, révèle un début de compréhension du fait que la société est cruellement divisée en classes, la majorité de participants dans ces mouvements se voyaient eux-mêmes comme des « citoyens de base » qui veulent être reconnus dans une société de « citoyens libres et égaux ».
Et pourtant la société est divisée en classes, une classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien et une classe exploitée -le prolétariat- qui produit tout et possède de moins en moins. Le moteur de l’évolution sociale n’est pas le jeu démocratique de « la décision d’une majorité de citoyens » (ce jeu est plutôt le masque qui couvre et légitime la dictature de la classe dominante) mais la lutte de classe.
Le mouvement social a besoin de s’articuler autour de la lutte de la principale classe exploitée -le prolétariat- qui produit collectivement l’essentiel des richesses et assure le fonctionnement de la vie sociale : les usines, les hôpitaux, les écoles, les universités, les ports, les travaux, la poste... Dans certains mouvements en 2011, la force de cette classe exploitée a commencé à apparaître : à partir du moment où la vague de grèves a éclaté en Egypte, le pouvoir a été obligé de se débarrasser de Moubarak. A Oakland (Californie), les "occupiers"5 ont appelé à une grève générale, ils sont allés au port et ont réussi à avoir le soutien actif des travailleurs du port et des routiers. À Londres, les électriciens en grève et les occupants de Saint-Paul ont convergé vers des actions communes. En Espagne, les assemblées sur les places et certains secteurs en lutte ont tendu à s’unifier.
Il n’existe pas d’opposition entre la lutte du prolétariat moderne et les besoins profonds des couches sociales spoliées par l’oppression capitaliste. La lutte du prolétariat n’est pas un mouvement particulier ou égoïste mais la base du « mouvement indépendant de l’immense majorité au bénéfice de la immense majorité » (Manifeste Communiste).
Reprenant de façon critique les expériences de deux siècles de lutte prolétarienne, les mouvements actuels pourront tirer profit des tentatives du passé de lutte et de libération sociale. Le chemin est long et hérissé d’obstacles, ce dont rendait bien compte un slogan répété maintes fois l’an dernier en Espagne « l’essentiel n’est pas qu’on aille vite ou pas, c’est qu’on aille loin ». En menant un débat le plus large possible, sans aucune restriction et sans ambiguïté pour ainsi préparer consciemment les futurs mouvements, nous pourront agir pour que devienne réalité cet espoir : une autre société est possible !
CCI (12 mars)
1 En rapport avec la crise globale du système, le très grave incident dans la centrale nucléaire de Fukushima au Japon nous montre les grands dangers que l’humanité encourt.
2 Il est assez significatif que Times Magazine ait désigné « Homme de l’année » le « Protester » (l’indigné). Voir www.time.com/time/specials/packages/article/0,28804,2101745_2102132_2102... [286]
3 John Reed 10 jours qui ébranlèrent le monde.
4 En espagnol : « lo llaman democracia y no lo es» et «es una dictadura y no se ve ».
5 Participants du mouvement des Occupy, signifiant “les occupants”.
En mars dernier, à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire des accords d’Evian qui scellaient la fin de la guerre d’Algérie, une série de documentaires et de débats se sont succédés dans les médias, faisant découvrir à ceux d’entre nous qui ne l’ont pas connue, l’ampleur des atrocités et des horreurs commises de part et d’autre pendant les huit ans de guerre (1954-1962). C’est-à-dire près de 400 000 morts et un million de réfugiés. Pour la circonstance, cette commémoration a été accompagnée de cérémonies et de discours officiels en France comme en Algérie, au cours desquels l’Etat français en particulier s’est livré à une sorte de mea culpa pour sa responsabilité dans les massacres. Surprenant ? Pas vraiment… Cela ne lui coûte pas grand-chose de reconnaître ses crimes 50 ans après les faits. Et cela a permis à la bourgeoisie française de profiter de l’occasion pour essayer de nous faire croire que, depuis l’indépendance, le peuple algérien est “libre”.
A en croire la propagande, malgré ses torts, l’Etat français a été finalement capable de libérer l’Algérie du joug du colonialisme. Et l’Etat algérien, qui s’est construit par la suite, serait le produit d’une réelle volonté du “peuple” de vivre “libre et autonome”. Quelle hypocrisie ! Ce qui s’est passé en Algérie entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la proclamation d’indépendance de 1962 est le prototype même de l’énorme mystification des “libérations nationales”. Les prémices de cette guerre, qui jusqu’en 1999 restera officiellement en France “les événements d’Algérie”, reviennent aux massacres de Sétif et Guelma, le 8 mai 1945. Alors que l’Europe fête la victoire des Alliés contre l’Allemagne nazie, l’armée française réprime la naissance d’un fort mouvement nationaliste algérien né de l’obstination de l’Etat français, et de ceux qu’on appelait les “pieds-noirs” c’est-à-dire les colons, de reconnaître une égalité de droits pour la population algérienne, enfermée dans le statut d’un “indigénat” pourtant officiellement abrogé. Cela alors même que près de 70 000 Algériens avaient combattu dans l’armée française. La répression, menée à coups de bombes par la marine et l’aviation (sous les ordres du radical-socialiste René Coty), fera au moins 30 000 morts. Il existait certes dès avant la guerre, un mouvement de militants algériens regroupés dans le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj prêts à en découdre avec l’armée française pour secouer l’hégémonie colonialiste. Mais la plupart d’entre eux seront massacrés à Melouza en 1957 pour laisser le champ libre au Front de libération nationale (FLN), peu ou prou instrumentalisé par le bloc de l’Est via la Hongrie, la Tchécoslovaquie ou encore la Yougoslavie. Ces derniers pays fournirent des armes à profusion pour l’Armée de libération nationale du FLN. Les règlements de compte furent ainsi la règle au sein des forces de “libération” algérienne, dans lesquels les assassinats se comptaient déjà à l’époque par dizaines de milliers.
Du côté français, la soupe ne fut pas moins amère. La lutte à mort entre les pro et les anti-colonialistes signera la chute de la IVe République et l’avènement du général De Gaulle et de sa Ve République en 1958. Ce n’est nullement pour des raisons humanitaires que ce dernier finira par emporter la mise, mais parce que les fractions bourgeoises colonialistes, comme celle qu’incarnait l’Organisation armée secrète (OAS), avaient fait leur temps, dans une période où la vague de décolonisation s’ancrait dans la période des nouveaux enjeux impérialistes de la Guerre froide. Les indépendances nationales étaient d’autant mieux acceptées que les pays concernés restaient dans le camp de la puissance de tutelle.
L’Algérie serait donc aujourd’hui un pays “libre et indépendant” où vivrait, par conséquent un peuple “libre et indépendant”. La réalité est évidemment toute autre.
Quarante ans après la fin de la guerre, les travailleurs subissent toujours aussi férocement le même joug de l’exploitation capitaliste… simplement aujourd’hui il n’est plus le fruit de la bourgeoisie française mais de la bourgeoisie algérienne. La preuve en est l’ampleur de la colère sociale qui gronde dans ce pays. L’Algérie a connu au cours des dernières années des grèves importantes, en particulier en 2011 chez les enseignants, les travailleurs communaux, le personnel de la santé, dans toute la fonction publique, les pilotes, les cheminots, comme dans les grands centres industriels (SNVI-Rouiba, Sonatrach…). Et elle n’a pas été épargnée par les soulèvements qui ont secoué les pays arabophones et particulièrement le Maghreb. Ce qui a empêché la rébellion de se poursuivre comme en Egypte par exemple, c’est la main de fer de l’armée, alors même que plusieurs nuits d’émeutes gagnaient le pays face au ras-le-bol général, à la hausse du coût de la vie, à la généralisation d’un système mafieux où le moindre poste ou visa se paie. Pour la jeunesse, dont une majeure partie est condamnée au chômage et à une précarité endémique, il n’y a aucune perspective. La soldatesque algérienne détient les rênes du pouvoir avec des forces de répression qui contrôlent fermement la situation.
D’autre part, l’Algérie n’a cessé d’être de manière quasi-ininterrompue un terrain d’affrontements violents et de rivalités sanglantes entre fractions et cliques bourgeoises autochtones dont l’ensemble de la population a fait les frais.
Ainsi, après des années de luttes et de rivalités internes au sein du FLN qui ont succédé à l’indépendance du pays comme au sein de l’appareil militaire qui se sont traduites par des règlements de compte, des assassinats ou des “disparitions” ou encore après une répression féroce des soulèvements des minorités berbères notamment en Tizi-Ouzou dans les années 1970 ou en 1986, la violence a encore franchi un nouveau palier. Alors que le FIS (Front Islamique du Salut) avait fait une razzia lors des premières élections “libres” lors des élections locales en 1990, confirmé lors des législatives le 26 décembre 1991, l’armée décidait de pousser à la démission le président Chadli et d’interrompre le processus électoral. Les assemblées dirigées par des élus du FIS ont alors été dissoutes, militants et sympathisants des islamistes jetés en prison ou expédiés dans des camps dans le Sud saharien, tandis que d’autres s’engageaient dans la lutte armée. Le Mouvement islamique armé (MIA), puis les Groupes islamistes armés (GIA) se mirent à proliférer et à perpétrer des tueries et des attentats. Cela a été le début d’une effroyable guerre civile meurtrière qui allait durer une dizaine d’années avec des assassinats et des attentats de toutes sortes, les habitants de villages entiers, femmes et enfants compris, violés et égorgés. De nombreux témoignages, y compris émanant des services secrets de l’armée eux-mêmes, ont depuis largement démontré que le MIA et le GIA se sont vus équipés dès le début par les services secrets de l’armée de “véhicules de services”, et qu’un grand nombre des assassinats avaient été commis par les officines de l’armée qui avaient progressivement infiltré le mouvement et pris le contrôle des GIA ou s’y étaient même carrément substitués. Pendant cette “décennie noire”, la population algérienne s’est trouvée déchirée, et plongée dans la terreur permanente, en proie à la pire des guerres civiles, prise en otage entre le feu des islamistes et celui de l’armée, qui était fréquemment le même. Et durant cette période, l’Etat algérien, de Bouteflika aux militaires, n’a cessé de bénéficier de la totale complicité du gouvernement français qui continue aujourd’hui encore de lui apporter son appui.
Dans ce monde capitaliste, l’indépendance, nationale ou autre, n’existe pas ; tous les discours qui sont brassés autour de cette mystification ne servent qu’à renforcer et justifier l’exploitation, voire le massacre, des masses de la population.
W. (30 mars)
Depuis 2007, la France avait pour président un homme, Nicolas Sarkozy, d’un mépris, d’une arrogance et d’une bêtise sans bornes. Son amour affiché pour l’argent, ses discours d’une extrême violence à l’encontre des jeunes des banlieues ou des immigrés, ses provocations, sa propension à ne parler que de lui… Tout cela et bien d’autres choses avait créé un profond sentiment de rejet et d’exaspération dans l’ensemble de la population. Bref, c’est sans surprise que les élections présidentielles viennent de consacrer sa défaite. Son remplaçant, le socialiste François Hollande, s’est d’ailleurs appuyé presque essentiellement sur cet anti-sarkozysme pour gagner. Se gardant bien de toutes promesses de lendemains qui chantent, sous-entendant même que l’austérité (nommée hypocritement “maîtrise des budgets” ou “réduction des déficits”) serait un axe majeur de sa gouvernance, Monsieur Hollande s’est contenté de se présenter comme un futur président “normal”, un président qui évitera les provocations inutiles et les fautes de goût. Et cela a effectivement suffi à sa victoire. C’est dire si le dégoût envers Nicolas Sarkozy était profond.
Cela dit, ce serait commettre une erreur grave de ne voir dans ce changement de couleur du pouvoir que le rejet d’une personnalité, aussi antipathique soit-elle. Et il serait tout aussi faux d’espérer une politique plus humaine et plus juste de la gauche maintenant à la tête de l’Etat français.
Il suffit de porter quelques instants son regard par delà les frontières hexagonales pour s’en convaincre. Partout en Europe ces derniers mois, quand une échéance électorale se présente, le pouvoir en place est vaincu, qu’il soit de droite ou de gauche. En Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne, en Italie, en Finlande, en Slovénie, en Slovaquie..., tous les gouvernements ont été éjectés et remplacés. Pourquoi ? Tout simplement parce que depuis 2007 et l’aggravation considérable de la crise économique mondiale, les gouvernements en place mènent partout, dans tous les pays, la même politique ravageuse faite de “sacrifices”. Il n’y a là aucune différence entre la droite et la gauche, excepté peut-être le discours, la couleur du paquet cadeau emballant ces “réformes”. En Grèce, au Portugal et en Espagne, de 2007 à 2011, les “socialistes” au pouvoir ont matraqué les ouvriers, au travail ou au chômage, à la retraite ou encore sur les bancs des universités. Ils ont imposé mois après mois des mesures toujours plus drastiques, attaquant ainsi sans vergogne les conditions de vie.
Mais il y a un second point commun à toute l’Europe concernant ces changements systématiques de gouvernance. Le remplaçant ne connaît pas d’état de grâce. Immédiatement, il mène à son tour une politique d’austérité brutale et immédiatement il est confronté au mécontentement. La crise économique n’est pas un choix du Capital, elle s’impose à lui ; elle est le fruit d’un système mondial malade et obsolète. Le capitalisme est aujourd’hui en déclin comme l’ont été avant lui l’esclavagisme à l’époque de la décadence romaine ou le féodalisme à l’époque de l’absolutisme. La “crise de la dette” n’est qu’un symptôme 1. Tous les élus, quelle que soit leur tendance politique et quel que soit leur pays, doivent donc appliquer les mêmes orientations : réduire les déficits, éviter la faillite en… attaquant impitoyablement les conditions de vie et de travail. Il n’en sera pas autrement avec le très socialiste François Hollande.
Les élections qu’organisent les Etats ne sont qu’un moment où les “citoyens” choisissent celui qui va gérer au mieux les intérêts de la nation. Elles s’inscrivent dans la cadre du système alors qu’aujourd’hui, pour mettre fin à la paupérisation croissante de la population mondiale, il n’y a qu’un seul chemin : celui de la lutte révolutionnaire. Le capitalisme, ce système inhumain et malade, doit être remplacé par un monde sans classe ni exploitation, sans profit ni compétition. Un tel monde ne peut être bâti que par les masses, les masses de travailleurs, chômeurs, retraités, jeunes précaires… unies et solidaires dans la lutte. Si des votes peuvent engendrer un vrai changement, ce sont ceux que nous organisons, nous les exploités, à main levée, dans nos assemblées générales pour décider ensemble, collectivement, comment nous devons nous battre contre les Etats et leurs représentants.
Pawel (6 mai)
1 Nous ne pouvons ici dans le cadre de cet article expliquer pourquoi le capitalisme est un système décadent qui ne peut mener l’humanité que vers toujours plus de misère et de guerres. Nous renvoyons nos lecteurs aux multiples articles traitant ce sujet sur notre site Internet, en particulier au texte “La crise de la dette, pourquoi ?”.
Les élections présidentielles occupent l’espace médiatique depuis des mois. Au lendemain de ce scrutin, quelles en sont les principales leçons ?
Qui a gagné ? Les travailleurs, les exploités ? Certainement pas ! Contrairement à ce que prétend le PS, sa victoire n’est pas la nôtre. Les expériences de la gauche au pouvoir sont sans appel : seuls ou dans le cadre de la cohabitation, les gouvernements de gauche successifs depuis 1981 et sous l’ère Mitterrand ont appliqué sans discontinuer des plans de rigueur, de licenciements, ou des gels de salaire sans le moindre état d’âme. Et avec l’accélération de la crise mondiale, ceux-ci seront même beaucoup plus rudes encore. Les prolétaires vont subir dès demain les coups redoublés de l’austérité assénés cette fois par la gauche au pouvoir ! L’euphorie et l’illusion d’une victoire seront sans doute comparables à celles qu’avait provoquées l’élection de Mitterrand en mai 1981 mais la période a changé : elle sera de très courte durée et les effets de cette “gueule de bois” vont se dissiper dès le lendemain des législatives. Il n’y aura pas cette fois le moindre “état de grâce”. Car l’ampleur de la crise mondiale va faire très vite l’effet d’une douche froide (voir notre éditorial). Et les exploités d’aujourd’hui le seront encore bien davantage demain !
Dans ce cirque électoral, dopé par une polarisation et un matraquage médiatique intense, le scrutin du premier tour a clairement démontré l’ampleur des illusions électorales (à peine 20,5 % d’abstentions), en particulier dans les jeunes générations (19 % chez les 18-25 ans) même si celle-ci progresse dans les grandes agglomérations, chez les ouvriers et les employés.
Il est vrai aussi que la polarisation autour du score de Marine Le Pen à 18 %, ralliant plus de 6 millions d’électeurs, soit le plus grand nombre de voix jamais atteint par le FN, traduit la montée générale du populisme qui n’est que le produit des effets d’une décomposition sociale grandissante et du désarroi, d’un no future de beaucoup face à un avenir bouché.
Du moins, nous dira-t-on, cette élection aura permis que “Sarko dégage”. S’exprime ainsi surtout l’illusion dans cette élection d’avoir choisi “le moins pire”. Ce sentiment s’est même renforcé dans l’entre deux tours face aux discours nauséabonds de Sarkozy et sa drague effrénée envers les électeurs de la candidate d’extrême-droite présentée tantôt comme “compatible avec la République” (Sarkozy), tantôt comme une “interlocutrice plus présentable que son père” (dixit le ministre Longuet). Sarkozy n’a pas hésité à emprunter sans vergogne l’arsenal idéologique ultra-populiste du FN, tiré des égouts de la société, sur l’immigration et l’insécurité… ce qui a de quoi écoeurer. Cela a finalement été un puissant repoussoir, y compris pour bon nombre des électeurs potentiels de la droite “modérée” et du “centre” 1.
Mais dire que le choix s’est porté sur le “moins pire”… pas sûr, car de toutes façons, tant que l’enfer de l’exploitation capitaliste subsistera, les lendemains seront toujours pires.
C’est pourquoi les exploités n’ont rien à gagner en participant au grand cirque électoral où chacun d’entre nous se retrouve atomisé, impuissant, isolé... précisément dans l’isoloir. Au contraire ! Car c’est là que nos exploiteurs et leur gouvernement parviennent à nous démobiliser du seul terrain où nous pouvons nous affirmer, nous retrouver et nous reconnaître comme une force sociale collective, unie, solidaire, capable de remettre leur pouvoir en cause : la lutte de classe ! A la veille des législatives, nous devons réaffirmer avec énergie que les prolétaires n’ont rien à faire sur le terrain électoral, qui est par excellence celui de notre ennemi de classe.
Si le PS se retrouve aujourd’hui au pouvoir, le candidat Hollande n’a, contrairement à l’époque de l’élection de Mitterrand en 1981, fait aucune promesse inconsidérée : aucune remise en cause d’ensemble sur la réforme des retraites (le principal “acquis” dont se vante Sarkozy), renforcement annoncé des effectifs de la police et des mesures de sécurité, engagement à poursuivre la politique de son prédécesseur sur la restriction des flux migratoires et les expulsions des immigrés clandestins, maintien des camps de rétention, etc. Il n’y a, sur le fond, pas de vraies différences entre le programme du PS et celui de l’UMP 2.
Le discours de Sarkozy au Trocadéro, qui était le 1 mai anti-syndical, a en réalité permis de lancer une campagne de réhabilitation des syndicats comme pôle oppositionnel 3. Pourquoi ? Parce que la bourgeoisie française sait parfaitement que les syndicats vont devoir jouer un rôle crucial d’encadrement des luttes à venir. Les mois futurs vont être marqués par de lourdes attaques, surtout que les syndicats ont discrètement passé des accords avec le patronat et le gouvernement pour bloquer l’annonce de tous les nouveaux plans de licenciements prévus dans de très nombreuses entreprises (chez PSA, notamment à Citroën-Aulnay, chez sous-traitants de l’automobile, à Air France, à la SNCM, dans les télécoms, chez Areva, à Carrefour, dans le secteur bancaire et beaucoup d’autres...). Et cela jusqu’à la fin des élections législatives, donc pour que soit respectée “la paix sociale” pendant la période électorale. Tous savent donc bien que des annonces tomberont durant les vacances estivales. De même, les syndicats et le patronat (MEDEF) ont décidé en avril d’un commun accord de suspendre les négociations avec le gouvernement jusqu’après les présidentielles (elles devraient reprendre “discrètement” dès le 13 mai) sur les accords de “compétitivité/emploi” qui vont porter un sérieux coup de canif dans les règles des contrats de travail. En effet, ces “accords” prévoient une flexibilité accrue du temps de travail et des salaires. Il est prévu que cette plus grande “souplesse” puisse permettre aux entreprises d’ajuster le temps de travail et les salaires à la conjoncture sans l’accord individuel du salarié et de déroger à la durée légale de travail, en échange de la vague promesse d’un maintien des emplois.
De même, la percée électorale de Mélanchon et de son Front de Gauche (bien qu’elle reste inférieure à la prévision des sondages), ne représente pas une réelle alternative sur le plan électoral, car il s’agit d’une mayonnaise montée artificiellement autour de la vieille sauce stalinienne, historiquement condamnée à jouer un rôle d’appoint qui, en plus, n’a fait que rabattre purement et simplement “sans conditions” ses voix vers Hollande pour “barrer la route à Sarko”. Néanmoins, cette fraction est appelée à jouer un autre rôle de premier plan tout à fait essentiel pour l’appareil bourgeois.
Il est clair que dans l’après-élection, il y aura des luttes face à la recrudescence très forte des attaques. Et le Front de Gauche de Mélenchon, comme le NPA du candidat Poutou et LO de la candidate Arthaud, le savent bien. C’est pour cela qu’ils se présentent comme une gauche oppositionnelle, parlant tous trois à l’unisson d’un “troisième tour social”, et mettant en avant la pression sociale à venir. Ils ont martelé comme jamais le message qu’ils seront bel et bien présents dans ces luttes. Le but est clair : les luttes ouvrières ne doivent surtout pas se développer librement, en-dehors du contrôle idéologique des syndicats et des gauchistes.
A aucun de tous ceux-là nous ne devons faire confiance. Nous devons prendre en mains nous-mêmes nos luttes, qui sont le seul moyen de nous défendre et d’imposer la défense de nos intérêts propres en créant un rapport de forces pour pouvoir abolir les rapports d’exploitation.
W. (6 mai 2012)
1 dont M. Bayrou, représentant de ce centre mou toujours acoquiné et rallié traditionnellement aux gouvernements de droite que les discours très “bleu Marine” de Sarkozy a rejeté dans les bras de Hollande.
2 C’est d’ailleurs pourquoi les “commentateurs” des médias aux ordres ont tellement insisté, notamment lors du fameux “débat télévisé de l’entre-deux tours sur “l’agressivité de la confrontation” et sur les différences de “personnalité entre les deux candidats.
3 Alors qu’en réalité Sarkozy a reçu pendant ces cinq années très régulièrement tous les syndicats, CFDT et CGT en tête, officiellement ou pas, à l’Elysée.
En Europe, la violence de la crise économique et des politiques d’austérité entraîne une paupérisation accrue de la population. Selon l’organisme statistique officiel européen, Eurostat, 16,4 % de la population de l’Union européenne (80 millions de personnes) vivent désormais sous le seuil de pauvreté en 2010 1, les plus touchés étant les jeunes de moins de 25 ans 2.
Selon l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), “dans l’Union européenne, l’emploi des jeunes a reculé davantage que l’emploi total et l’activité économique entre 2007 et 2010. (…) Après quatre années, la crise s’est aussi traduite par une progression des emplois temporaires et des temps partiels, une augmentation du chômage et du chômage de longue durée, une hausse de la proportion des jeunes sans emploi et hors de toute forme d’éducation et de formation (les “NEET”) 3, et plus généralement par une importante dégradation de la situation économique et sociale des jeunes” 4. À tout ceci s’ajoute, dans certains pays comme le Royaume-Uni, le poids énorme de l’endettement privé des étudiants nécessaire au financement de leur formation et les difficultés de remboursement en découlant, faute d’emploi stable à la fin de leurs études. Cela a pour conséquence que, “confrontés à la dégradation du marché du travail, une partie des jeunes l’a quitté ou n’y est pas entré, ayant souvent cédé au découragement, soit en se réfugiant dans le système éducatif et en prolongeant leurs études, soit en restant inactifs.” Résultat, les jeunes quittent leur pays en espérant trouver loin de chez eux un emploi pour pouvoir vivre : “Les chiffres provisoires sont incertains, mais plusieurs sources confirment une forte émigration de jeunes, en particulier des diplômés. (…) En Italie, (…) on estime qu’il y a 60 000 jeunes émigrants chaque année, dont 70 % sont diplômés de l’université” 5.
Parmi tous les pays de l’UE, seule la jeunesse d’Allemagne est pour l’instant relativement épargnée par la paupérisation.
Question paupérisation de la jeunesse, la France se situe à un niveau médian, comparée aux autres pays de l’Union européenne. Concrètement, “sur quatre jeunes sur le marché du travail, un est au chômage, un second en emploi précaire et les deux derniers occupent un emploi normal. Et pour y parvenir ils ont, pour la plupart, dû accepter des stages ou des emplois temporaires. Même avec un diplôme, l’insertion dans l’emploi des jeunes est difficile. (…) Ainsi, 29 % des jeunes n’arrivent pas à se loger convenablement ou à se chauffer et 17 % ne parviennent pas à payer leurs factures et se retrouvent par dizaines de milliers en situation de surendettement. Avant 25 ans, les jeunes n’ont toujours pas droit à un revenu minimum, sauf conditions draconiennes” 6. Et la situation est encore pire pour les jeunes dans les “zones urbaines sensibles”, dont le taux de chômage officiel s’élève à 43 % !
Mais l’Irlande, l’Espagne et la Grèce sont actuellement les pays où les conditions de vie des jeunes se sont, de loin, le plus dégradées entre 2007 et 2011 : “Très forte baisse de l’emploi des jeunes, trop peu atténuée par une hausse de l’inactivité, provoquant hausse du travail précaire, explosion du temps partiel subi et du chômage, en particulier du chômage de longue durée, explosion de la proportion de jeunes pauvres ou en danger d’exclusion, forte émigration” 7.
La situation en Espagne est une illustration concrète de ce que signifie cette dégradation ; dans ce pays, “700 000 jeunes de 15 à 29 ans étaient au chômage mi-2007, soit un taux de 14 %, le plus bas des trente années précédentes. En un peu plus de trois ans, on est revenu aux niveaux les plus élevés connus : le nombre de jeunes chômeurs a atteint au 2 trimestre 2011 près de 1,6 million, soit un taux de chômage de 32 %. Le nombre de jeunes chômeurs de longue durée a été multiplié par six dans la période 2007-2011. Aujourd’hui, 42 % des jeunes chômeurs sont de longue durée, alors qu’ils n’étaient que 15 % en 2007” 8, et la dégradation de la situation au premier trimestre 2012 vient même de porter le taux de chômage officiel des moins de 25 ans au-delà de 52 % 9 ! En conséquence, “on assiste à un recul de la part des jeunes quittant le domicile de leurs parents : le taux de décohabitation s’est réduit de près de 5 % chez les 18-34 ans, descendant à 45,6 %. Cette baisse est encore plus accentuée chez ceux de à 29 ans, pour lesquels ce taux baisse de 10 %” 10.
Quelle est la réponse du gouvernement espagnol face à cette misère croissante ? Encore plus d’austérité ! Ainsi, suite aux mesures prises le 20 avril par le gouvernement conservateur, les étudiants devraient bientôt voir leurs frais d’inscription universitaire s’envoler, passant de 1000 à 1500 € en moyenne 11.
Ces dernières mesures du gouvernement espagnol touchent également les retraités, qui avaient jusqu’ici un accès gratuit aux médicaments et qui devront désormais payer, en fonction de leurs revenus, jusqu’à 18 € par mois pour s’en procurer 12.
De fait, même si, à l’échelle de toute l’UE, les vieux sont bien moins touchés que les jeunes par la paupérisation, leur situation se détériore dramatiquement dans les pays ayant déjà adopté de sévères plans d’austérité.
Ainsi, au Portugal, “près de 11 600 personnes sont mortes en février dernier, selon la Direction générale de la santé portugaise (DGS), soit 10 % de plus qu’à la même période l’année passée. La plupart des victimes avaient plus de 75 ans” 13. De nombreux médecins dénoncent les mesures d’austérité et leurs conséquences sur les maigres pensions : dénutrition liée à la hausse du prix de l’alimentation, hypothermie liée à la hausse du prix de l’électricité et aux tentatives de réduire les factures de chauffage, logements insalubres, incapacité de payer transports, frais hospitaliers et médicaments. Des vieux résument ainsi la situation : “Nous pouvons acheter soit de la nourriture, soit des médicaments, mais pas les deux” 14.
En clair, la bourgeoisie portugaise laisse désormais crever de faim, de froid et de maladie les vieux les plus misérables, ces improductifs d’un point de vue capitaliste, impossibles à exploiter. Et avec l’aggravation de la crise économique et l’austérité croissante en résultant, nul doute que cette pandémie de misère et de mort qui commence à frapper la vieillesse du Portugal se propagera bientôt en Europe.
Toutefois, les chiffres mentionnés ici sont en partie trompeurs. D’un côté, certains chiffres, comme ceux du chômage, sont systématiquement falsifiés par les organes étatiques chargés de les produire, via de complexes manœuvres statistiques. De l’autre, ces mêmes organes étatiques rassemblent dans le même panier statistique “les jeunes” ou “les vieux”, comme s’il s’agissait de catégories populationnelles non divisées en classes sociales. Il résulte de tout ceci qu’au sein des classes opprimées, qui représentent l’immense majorité de la population, la situation sociale est encore pire que ce que nous laissent entrevoir ces chiffres !
Mais gardons-nous de ne voir “dans la misère que la misère, sans y voir le côté révolutionnaire, subversif, qui renversera la société ancienne” 15.
La classe ouvrière, sa jeunesse en particulier, n’a pas l’intention de subir sans combattre. C’est ce qu’ont montré les mouvements sociaux qui ont parcouru la planète en 2011, au cours desquels les jeunes prolétaires, encore étudiants, déjà au travail ou au chômage, ont été parmi les éléments les plus combatifs 16.
Car chez les ouvriers, jeunes ou vieux, se développe progressivement la conscience que la possibilité d’une vie meilleure ne peut passer que par la lutte.
DM (29 avril)
1 Le seuil de pauvreté est fixé à 60 % du revenu médian national. En France par exemple, ce seuil correspond à un revenu mensuel de 876 pour une personne seule, selon les estimations d’Eurostat.
3 NDLR : NEET (“Not in Education, Employment or Training”) signifie “ni étudiant, ni employé, ni stagiaire”.
4 Dossier de presse, no spécial 133 de la Chronique internationale de l’Ires, “Les jeunes dans la crise Principaux résultats”,
www.ires-fr.org/images/pdf/IresDossierConferencePresseLesJeunesdanslaCri... [289]
5 Idem.
7 “Les jeunes dans la crise”, op. cit.
8 Idem.
10 “Les jeunes dans la crise”, op. cit.
12 Idem.
14 Idem.
15 Karl Marx, Misère de la philosophie, http ://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615g.htm [294]
16 Sur ces luttes, voir en particulier fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html [284]
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par notre nouvelle section au Pérou.
Depuis quelques temps, l’Etat péruvien développe une campagne contre le terrorisme, en particulier contre certains groupes affaiblis mais armés comme le Sentier lumineux. A l’origine, c’était une simple campagne pour affaiblir la tentative de légalisation d’une fraction de Sentier lumineux – le Movadef 1 – qui aspirait à participer au jeu politique avec les autres partis. Lorsque des groupes terroristes, comme ce fut le cas pour l’IRA en Irlande ou actuellement l’ETA en Espagne, tentent de s’intégrer “normalement” au cirque politique, les forces déjà établies au sein de l’Etat déchaînent toujours des campagnes de décrédibilisation, de démolition et de harcèlement pour que les nouveaux venus soient le plus affaiblis possible et ne puissent pas rentabiliser le prestige qu’ils ont acquis préalablement par la lutte armée. Quand les partis bourgeois s’allient, il est courant qu’ils se donnent au préalable le maximum possible de coup bas. Ce n’est en rien paradoxal : chacun tente de s’allier avec un “partenaire” le plus faible possible, car dans ce marchandage impitoyable, ne pas le faire reviendrait à s’exposer à être affaibli à son tour.
Mais après que la tentative de légalisation du Movadef n’ait pas abouti, voilà que la campagne de l’Etat s’attaque à présent à de supposées incursions et à de prétendus actes de violence de la part de SL (cela va des graffitis sur les murs aux voitures piégées, aux assassinats et aux séquestrations, etc.). Et avec le temps, nous voyons l’Etat commencer à faire le lien entre certains secteurs de la population et ce groupe terroriste, en particulier des secteurs comme l’industrie minière où les conflits sont chaque jour plus aigus, comme c’est le cas pour Conga à Cajamarca ou pour les mineurs illégaux de la forêt amazonienne par exemple. Pourquoi l’Etat invente-t-il ce lien ? Pourquoi l’Etat commence-t-il à lier les manifestations contre les mineurs avec le Sentier lumineux ?
La réponse est évidente : parce que cela permet d’exercer plus facilement une répression extrêmement violente, sous prétexte “que dans ces mouvements sont présents des membres infiltrés du Sentier lumineux”. L’Etat a déjà commencé cette répression contre les secteurs paysans appauvris qui luttent contre la pollution minière dans leurs villages, qui luttent pour leur survie. La campagne contre le Sentier lumineux sert à justifier la répression de l’Etat contre les mouvements de protestations et sont un clair avertissement aux mouvements qui apparaîtront dans le futur.
Cette campagne ne se prive pas non plus de tenter de faire un lien entre le communisme et le terrorisme. La lutte de la classe ouvrière n’a rien à voir avec le terrorisme et le terrorisme n’a rien à voir lui non plus avec la classe ouvrière, car le terrorisme est toujours l’ennemi et le destructeur de celle-ci. Les communistes rejettent donc ouvertement les méthodes et les visions du terrorisme, ses pratiques et ses positions sont antagoniques à celles de la classe ouvrière.
“Le terrorisme n’est en rien un moyen de lutte de la classe ouvrière. Expression des couches sociales sans avenir historique et de la décomposition de la petite bourgeoisie, quand il n’est pas directement l’émanation de la guerre que se livrent en permanence les Etats, il constitue toujours un terrain privilégié de manipulation de la bourgeoisie. Prônant l’action secrète de petites minorités, il se situe en complète opposition à la violence de classe qui relève de l’action de masse consciente et organisée du prolétariat” 2.
Le terrorisme est donc une pratique qui n’appartient en rien à la tradition du mouvement ouvrier. Le terrorisme ne permet pas un processus de critique ni de réflexion, il provoque au contraire la peur et l’angoisse ; comme dans un pays en guerre, les bombardements ne favorisent pas la réflexion ni la prise de conscience des raisons de la guerre, mais au contraire provoquent des exodes, des fuites de populations qui sont poussées au sauve-qui-peut, générant ainsi un recul et un obstacle pour la prise de conscience collective de la classe ouvrière.
Les pratiques terroristes (et celles du Sentier lumineux en particulier) n’expriment que le désespoir et la décomposition de la petite-bourgeoisie à travers les “actions exemplaires” de groupes élitistes, pratique qui est totalement à l’opposé de la violence de classe qui, elle, surgit comme action collective et consciente des masses en lutte pour la destruction du capitalisme, comme ce fut le cas lors de l’émergence des soviets dans la Russie de 1917. Les pratiques prolétariennes sont basées sur les assemblées générales, les décisions collectives, la pratique commune, et sur tout ce qui favorise les conditions qui permettent le développement de la conscience. La conscience de la classe ouvrière se forge dans la lutte collective et unitaire.
Nous rejetons donc la politique d’amalgame que la bourgeoisie et l’Etat péruvien, avec à sa tête le guignol Humala, mettent en place pour fourrer dans le même sac “terrorisme et subversion” ou toute autre expression du mécontentement ou de lutte contre l’ordre actuel. Leur fin n’est autre que celle de préparer le terrain pour justifier la répression sanglante contre la classe ouvrière au Pérou, dans un contexte de crise mondiale du capitalisme qui apporte avec elle son chapelet d’attaques et de coupes contre les conditions de vie de notre classe, provoquant des réactions d’indignation et de lutte.
Nous pouvons voir à quel point ces groupes terroristes sont étrangers à la classe ouvrière avec la récente séquestration de trente travailleurs de l’usine de gaz de Camisea. par un supposé groupe du Sentier lumineux, qu’ils voulaient échanger contre le “camarade Artemio” emprisonné. La capture du “camarade Artemio” et la légalisation du Movadef, jointes aux supposées attaques de ce groupe terroriste, servent de cheval de Troie à l’Etat pour préparer le terrain à une répression brutale de la classe ouvrière, qui a commencé à lutter dans d’autres parties du monde (Espagne, Grèce…) et dont la lutte se concrétisera aussi bien au Pérou que sur le reste du continent américain.
Internacionalismo-Pérou (avril)
1 Movadef : “Movimiento por Amnistía y Derechos Fundamentales” (Mouvement pour l’amnistie et les droits fondamentaux). Le Sentier lumineux, fondé en 1970, est un mouvement d’inspiration maoïste prônant la lutte armée et les actes terroristes. Sa “tactique de guérilla” a semé la terreur dans tout le pays et provoqué de sanglants massacres de population (environ 70 000 morts) tout au long des années 1980 et 1990 au Pérou, en particulier dans les campagnes et les villages d’où ils menaient leurs “actions” (NDLR).
2 Extrait des “Positions de base” du Courant communiste international.
Au cours des années 1990, le territoire de l’ex-Etat de Yougoslavie a été le théâtre d’une série de massacres horribles justifiés par l’idéologie du chauvinisme ethnique. La guerre dans les Balkans a plus rapproché la boucherie impérialiste du cœur du capitalisme qu’à n’importe quel moment depuis 1945. Les bourgeoisies locales ont fait tout ce qu’elles ont pu pour jeter leurs populations dans une haine inter-ethnique et nationaliste frénétique, condition d’un soutien ou d’une participation aux affrontements sanglants de la guerre en Yougoslavie.
Ces haines n’ont pas été éliminées par la paix précaire qui règne maintenant dans la région, aussi il est pour le moins réconfortant de voir des signes qu’il y a dans cette région des gens qui cherchent une issue dans le mouvement social contre le capitalisme et pas dans des rêves quelconques d’expansion nationale. Nous avons vu, par exemple, un certain nombre de luttes d’étudiants en Serbie et en Croatie, qui doivent être considérées comme une autre expression de la même tendance internationale que nous avons vue en Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis avec les “indignados” et le mouvement des Occupy. Et maintenant, nous assistons au développement d’une minorité politisée authentiquement internationaliste dans ces deux pays, qui rejette ouvertement les divisions nationales et recherche la coopération avec tous les révolutionnaires internationalistes.
Une expression de ce nouveau mouvement est la déclaration du collectif de Birov en Serbie, qui a récemment émergé d’un noyau qui grandit (voir leur site web : www.birov.net [295] 1). Nous la publions ici. Il nous semble que le plus important dans cette déclaration, c’est la clarté et la façon directe de mettre en avant une série de positions de classe fondamentales :
– L’affirmation de la nature révolutionnaire de la classe ouvrière contre toutes les “mystifications post-marxistes” ;
– La nécessité de l’auto-organisation de la classe ouvrière en opposition aux syndicats définis comme organes de l’Etat capitaliste ;
– L’insistance sur le fait que les assemblées ouvrières et, par la suite, les conseils ouvriers, sont les instruments de la lutte de masse contre le capitalisme ;
– Le rejet de toutes les luttes de libération nationale et des guerres capitalistes, vu comme une “frontière” fondamentale “entre révolutionnaires et la gauche patriotique et social démocrate”.
– La caractérisation des soi-disant “Etats socialistes” comme des régimes capitalistes.
Les deux derniers points sont évidemment spécialement importants étant donné les récents conflits dans la région et l’utilisation croissante de la rhétorique nationaliste par la classe dominante.
Insister sur ces positions révolutionnaires est l’expression de la claire reconnaissance que le capitalisme n’est plus dans sa phase progressive et ne peut plus accorder de réformes permanentes, en d’autres termes, que c’est un système en déclin.
La déclaration fait aussi une observation intéressante sur la période de transition, en reconnaissant le problème du “frein” conservateur exercé par certains organismes semi-étatiques.
Il reste évidemment des domaines de discussion et de clarification entre internationalistes, par exemple sur la question de l’organisation des révolutionnaires, des perspectives pour la lutte de classe et de la signification de l’anarcho-syndicalisme aujourd’hui. Dans l’immédiat, nous pouvons saluer un réalisme plein de santé dans l’affirmation de la Déclaration selon laquelle “aucune organisation révolutionnaire ne peut être plus grande ou plus forte que ce que dicte la position générale actuelle des ouvriers”. Ces points et d’autres, sans doute, ne peuvent être éclaircis que qu’à travers le développement d’un débat ouvert et fraternel.
CCI (février 2012)
“S’il y a un espoir, il doit reposer sur le prolétariat” (George Orwell).
Conscients de la division en classes au sein du système capitaliste, de l’exploitation brutale dont nous sommes tous les victimes, de l’oppression de l’Etat qui rend cette exploitation possible et aussi de l’ordre militariste actuel insoutenable qui nous conduit inévitablement à la catastrophe, nous nous sommes organisés au sein de “Birov”, un collectif dont le but est de s’opposer radicalement à ces phénomènes sociaux et de mener à bien leur éradication totale à travers la lutte de classe.
Conscients que la classe ouvrière, en tant que classe la plus touchée par les contradictions sociales actuelles, détient le plus grand potentiel révolutionnaire, “Birov” organise des militants ouvriers, avec une conscience de classe, avec l’intention de répandre la conscience de classe au sein de la classe ouvrière, et d’orienter cette dernière vers la lutte des travailleurs organisés au moyen des conseils ouvriers. Nous rejetons toutes les mystifications “post-marxistes” sur la mort ou la non existence de la classe ouvrière qui nient donc la lutte de classe et le rôle crucial des ouvriers comme acteurs du changement révolutionnaire. Est membre de la classe ouvrière celui qui doit vendre sa force de travail au capital : un commis-boucher, un employé dans l’industrie du sexe ou une fille qui travaille dans une imprimerie le sont tout autant.
Les actions émancipatrices de la classe doivent reposer sur l’auto-activité des opprimés et sur des conseils ouvriers autonomes, se battant pour la perspective de créer une société autogérée, sans Etat, sans classe et sans les institutions non voulues de la société civile. Chaque nouvelle tentative de renverser la vieille société doit être dirigée vers l’organisation du système de conseils à l’échelle internationale, parce qu’il n’y a qu’un changement radical dans le rapport de force entre les classes qui puisse donner lieu à des transformations progressives des rapports sociaux. La forme des conseils érigée après la dissolution de la machine étatique traditionnelle et hiérarchique, n’est pas le but de la lutte révolutionnaire – à ce moment, la machine étatique ne peut exister que comme organe conservateur pendant la révolution, et l’auto-organisation comme l’émancipation finale de la classe ouvrière menaceront son pouvoir rapidement, tout autant que l’existence de cet ordre lui-même. Dans ce conflit imminent, les révolutionnaires doivent reconnaître dans les ouvriers organisés de manière autonome l’avant-garde révolutionnaire dans la bataille finale et décisive contre l’ordre ancien et pour une société de libres producteurs.
Ce n’est que l’opposition ouverte et sans restriction aux divisions créée par cette société qui libérera le potentiel subversif que recèle la lutte existante des ouvriers aujourd’hui. La lutte des travailleurs doit être axée sur les lieux de travail, où les ouvriers se reconnaissent comme producteurs, et où les différences de classe sont prévisibles et résolues dans leur essence. Nous rejetons le parti parce que complètement inadéquat pour l’organisation révolutionnaire de la classe ouvrière. Les vieux partis réformistes, qu’on nous rappelle avoir gagné des libertés politiques et des réductions d’heures de travail, n’étaient pas cela en premier lieu : leur principal objectif était une lutte pour des réformes économiques et politiques, dans laquelle une conscience anti-politique était encore à venir et qui tendait vers des formes traditionnelles et hiérarchiques de représentation.
Nous pouvons en conclure que “Birov” peut être caractérisé comme une organisation de propagande anarcho-syndicaliste. Elle s’adresse aux ouvriers en lutte et regroupe les anarcho-syndicalistes qui agissent en formant des regroupements de classe des éléments combatifs sur leurs lieux de travail. Ces groupes ne doivent pas être confondus avec des syndicats parce que leur but n’est pas de grossir en nombre mais de participer à des mouvements d’assemblée. Ils n’ont pas de structure formelle et de programme politique. Ces groupes se forment sur les lieux de travail où il y a déjà une tradition d’organisation ouvrière autonome et où un réseau d’ouvriers tend à continuer ses activités et à développer de nouvelles façons de lutter.
Nous considérons qu’aujourd’hui les syndicats ne peuvent pas avoir de programme politique qui ne soit pas réactionnaire et donc, la seule façon possible de s’organiser pour la masse des ouvriers ne peut être que les assemblées ; s’organiser massivement dans une organisation “permanente” n’est pas possible tant que la révolution n’est pas devenue un but immédiat. Les syndicats ont perdu, en tant qu’instruments de lutte pour des réformes et organisation économique séparée, leur raison d’exister dans des conditions dans lesquelles ils ne peuvent plus encore refléter les aspirations de la classe ouvrière. Ils ne sont rien de plus aujourd’hui qu’un instrument qui maintient la dépolitisation de la lutte des ouvriers au sein d’un cadre strictement limité. Ils représentent une sorte de prison pour la classe ouvrière, sans lesquels les ouvriers seraient libres d’exprimer leur tendance à l’auto-organisation. Les bureaucrates syndicaux payés et souvent corrompus, ne sont rien d’autre que des gardiens qui mettent en œuvre une autre sorte de répression de la classe ouvrière. Le capitalisme ne peut plus accorder de réformes durables : chaque lutte pour les intérêts immédiats et quotidiens du prolétariat, quand elles ne sont pas empêchées par les syndicats et les partis, évolue nécessairement vers une orientation révolutionnaire des masses et vers des actions contre les fondements répressifs et exploiteurs de l’ordre capitaliste. C’est pourquoi aujourd’hui, tout ce qui tend à dépolitiser la lutte des travailleurs et à la maintenir dans le cadre imposé par le système est nécessairement réactionnaire. Les affirmations selon lesquelles les organisations anarcho-syndicalistes devraient être “non idéologiques”, ne sont pas une alternative aux fausses divisions imposées par le capitalisme, mais ne sont qu’une réémergence de la vieille idée (inapplicable) sur une organisation économique séparée, et finissent le plus souvent dans la pratique, comme celles des réseaux gauchistes activistes qui reproduisent l’idéologie de la gauche nationaliste officielle. A l’opposé de ces affirmations, les organisations anarcho-syndicalistes sont des organisations de la classe combative et politiques : les seuls principes de l’anarcho-syndicalisme qui sont acceptés par tous les membres sont nécessairement politiques dans leur contenu.
Nous ne nous voyons pas comme une organisation qui tende nécessairement à grandir en nombre, une idée dont le résultat est souvent l’activisme radical, pas plus que nous ne nous considérons comme une espèce d’avant-garde de la classe ouvrière qui impose ses intérêts. Notre but est de développer une organisation qui sera capable d’intervenir dans la lutte des travailleurs. Nous partageons une accumulation d’expériences avec les ouvriers et à partir de là, nous pouvons accroître la capacité de la lutte ouvrière, contribuant ainsi à son extension et à son organisation ultérieure. Une telle relation crée une dépendance mutuelle et en conséquence, aucune organisation révolutionnaire ne peut être plus grande ou plus forte que ce que dicte l’actuelle position générale des travailleurs ; et c’est pourquoi nous n’avons pas peur de l’auto-organisation des travailleurs et d’une “perte de contrôle”, c’est au contraire notre but. En conséquence, la base de l’unification des groupes opprimés dans le capitalisme ne sera pas établie par un quelconque parti ou “front”, ni par un syndicat de masse, ou un groupe anarchiste qui agit dans une phase préparatoire, la phase de regroupement des forces révolutionnaires, mais par une lutte massive anti-capitaliste organisée à travers des conseils ouvriers sous l’aile desquels peut être seulement élaborée la vision émancipatrice. De plus, la meilleure façon d’exprimer la solidarité avec les groupes opprimés est le développement de notre propre lutte sur les lieux de travail et d’une éducation constante sur la question de l’oppression.
Nous condamnons comme complètement réactionnaires tout discours sur le caractère révolutionnaire des luttes de “libération nationale”. Faire un parallèle avec les mouvements nationaux révolutionnaires bourgeois est faux et dans cette période l’anti-nationalisme est une frontière entre les révolutionnaires et la gauche patriotique, social démocrate. Dans la société capitaliste d’aujourd’hui, chaque Etat est impérialiste et la croissance du sentiment d’appartenir à une nation ne peut être vue que comme un moyen de préserver l’ordre capitaliste qui est dans des conditions de crise permanente et de catastrophe imminente. Toute acceptation des discours populistes, nationalistes, ne peuvent que mener les ouvriers à une sanglante guerre impérialiste ; c’est le prélude à un tel moment historique, comme nous en avons été les témoins au début et au milieu du xx siècle.
En opposition totale aux idées du mouvement anti-guerre de la Première Guerre mondiale, l’idéologie soumet les ouvriers aux besoins de la bourgeoisie nationale et tout cela au nom de “l’anti-impérialisme” et de la “libération des peuples”. Les résultats sont visibles historiquement et peuvent être vus dans les “révolutions sociales” après la fin de la période révolutionnaire d’Octobre 1917, qui ont été victimes de l’instrumentation et de la suppression de toute forme d’auto organisation et ont débouché sur des régimes impérialistes totalitaires capitalistes d’Etat, ou du soi-disant “socialisme réel”.
L’émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou elle ne sera pas.
Belgrade, Serbie (octobre 2011)
1) Voir leur FAQ qui donne aussi plus d’explication de ceci et d’autres aspects de la politique du groupe.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par notre nouvelle section en Equateur.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Correa 1 en Equateur, les attaques contre la classe ouvrière n’ont cessé de pleuvoir, et se sont au contraire intensifiées. Le “corréisme” s’est révélé bien plus efficace que d’autres gouvernements dans sa besogne anti-prolétarienne. Le “corréisme” est ainsi la continuation de tous les gouvernements qui l’ont précédé depuis 1979, quand les militaires, associés aux partis de gauche comme de droite, se répartirent à huis clos les rôles dans le nouveau scénario destiné à gérer le mieux possible la crise du capitalisme enclenchée à la fin des années 1960 et qui s’est exprimé essentiellement à travers la fuite en avant dans l’endettement généralisé des Etats.
Face à l’impasse dans lequel se trouve le capitalisme décadent, marqué par une décomposition galopante qui rend le futur toujours plus incertain, même aux yeux des économistes les plus optimistes, la bourgeoisie ne peut que recourir avec une passion démente à l’endettement et à l’application de politiques économiques d’austérité qui ont comme conséquence de plonger la classe ouvrière dans la misère la plus noire.
L’Etat équatorien n’échappe pas à cette tendance, lui dont les exportations ont tendu à décroître ces trois dernières années. La prétendue santé de l’économie repose sur le montant des revenus nationaux en dollars, basés sur le prix du pétrole qui génère apparemment une expansion des revenus de l’ordre de 13 %. Il s’agit en réalité d’un mirage dû à ce que les réserves mondiales s’épuisent et que la spéculation se déchaîne, mais l’essentiel des mesures pour faire face à l’instabilité se trouve dans le serrage de ceinture des travailleurs. C’est ainsi que tend à disparaître la part de salaire indirect représentée par la réduction des dépenses de santé et d’éducation qui provoquent aussi des licenciements dans la classe ouvrière, comme le font Obama, Sarkozy, Angela Markel, Rajoy ou n’importe quel gouvernement dans le monde.
Correa, protégeant les intérêts de la classe dominante, impose des politiques de flexibilité de l’emploi, de licenciements brutaux, de gel des salaires, de suppression des conventions collectives tout en évitant le “traumatisme” des manifestations de rues… grâce aux enjolivements des discours axés sur la défense de la démocratie et de lois imposées au nom du “pouvoir populaire”.
Quelques exemples concrets de ce que nous venons d’avancer :
– le 30 avril 2008, l’imposition de “l’ordonnance n 8” destinée à normaliser la “Tercerización e Intermediación Laboral” a signifié le licenciement de 39 200 travailleurs, dont une partie seulement fut réembauchée par les entreprises où ils travaillaient auparavant, mais en sous-traitance ;
– à partir du 30 avril 2009 fut appliqué le “décret 1701” destiné à limiter les “privilèges” donnés par les conventions collectives signées par les fonctionnaires publics et l’Etat : des milliers de travailleurs furent aussitôt mis à la retraite anticipée et d’autres, après avoir subi des “évaluations” de leurs capacités, furent forcés de démissionner ; dans l’enseignement, pas moins de 2957 enseignants furent amenés à suivre ce “chemin de croix” ;
– dès le 7 juillet 2011 fut appliqué le “décret exécutif 813”, qui réformait la réglementation du service public et instituait “l’achat de démissions obligatoires2” ; 7093 postes ont ainsi été éliminés depuis 2011, sapant particulièrement le secteur de la santé qui a souffert le plus des licenciements.
Parmi la population active de l’Equateur (qui atteint 55,5 % de la population totale), 57 % n’a pas de travail stable, c’est-à-dire qu’elle est ballottée entre le travail informel (vendre n’importe quoi dans la rue), le travail précaire et la zone des traîne-misère privés de tout…
Mais même les travailleurs qui ont un travail fixe n’ont pas de revenus suffisants pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Le salaire d’un travailleur “qualifié” (bac technique ou autre qualification professionnelle) est de 280 dollars par mois, celui d’un médecin issu de l’université après sept années d’études varie entre 500 et 700 dollars mensuels. Les seuls qui ont vu leurs salaires augmenter sont les forces de police. Correa a décrété une augmentation de salaires des militaires qui varie de 5 à 25 %. Aujourd’hui, un simple soldat issu des casernes d’instruction militaire, entraîné à tuer, touche un salaire de 900 dollars mensuels.
C’est là l’essence du “corréisme”, enveloppé dans cette aberration baptisée “révolution citoyenne”, qui fait partie de cette ignoble et abominable idéologie du “socialisme du xxi siècle” cher à Chavez.
Les promesses de Correa et des idéologues du “socialisme du xxiee siècle” ne sont pas des options valables pour les travailleurs, seule leur lutte peut tracer une perspective propre contenant un vrai futur.
Internacionalismo-Equateur (mars 2012)
1 Rafaël Correa Delgado, ancien professeur d’économie politique, formé en Europe et aux Etats-Unis, est issu du sérail de la bourgeoisie. Devenu conseiller du président puis ministre des Finances sous le régime Palacio, se présentant comme “chrétien de gauche et humaniste”, il se fait remarquer par sa brève “croisade” idéologique contre les diktats du FMI et de la Banque mondiale. Porté à la tête d’une coalition entre différents partis de gauche, il est élu au 2e tour des élections présidentielles d’octobre 2006 et se retrouve à la tête de l’Etat équatorien depuis mars 2007. Il réforme la Constitution et se fait réélire dès le 1er tour de nouvelles élections présidentielles anticipées qu’il a provoquées en avril 2009 (NDLR).
2 “Compra de renuncias obligatorias”, facilitant les licenciements.
La gravité de la situation à laquelle l’humanité est confrontée est de plus en plus évidente. L’économie capitaliste mondiale, après quatre décennies d’efforts pour amoindrir les effets de la crise ouverte, est en train de s’effondrer sous nos yeux. Et les perspectives posées par la destruction de l’environnement apparaissent à chaque enquête scientifique toujours plus sombres. La guerre, la famine, la répression et la corruption sont aussi le lot quotidien de millions de gens.
En même temps, la classe ouvrière et les autres couches opprimées de la société commencent à résister aux exigences du capitalisme pour plus de sacrifices et d’austérité. Révoltes sociales, occupations, manifestations et mouvements de grève ont surgi dans toute une série de pays de l’Afrique du Nord à l’Europe et de l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud.
Le développement de toutes ces contradictions et conflits confirme plus que jamais le besoin d’une présence active des organisations révolutionnaires, capable d’analyser une situation qui évolue rapidement, capable de parler clairement d’une voix unifiée au-delà des frontières et des continents, de participer directement aux mouvements des exploités et d’aider à clarifier leurs méthodes et leurs buts.
Il ne faut pas cacher que les forces du CCI sont extrêmement limitées en regard des énormes responsabilités auxquelles nous devons faire face. Nous voyons l’émergence au niveau mondial d’une nouvelle génération en recherche de réponses révolutionnaires à la crise de ce système. Il est essentiel pour ceux qui sympathisent avec les buts généraux de notre organisation de prendre contact avec le CCI et de faire leur propre contribution à cette capacité d’agir et de grandir.
Nous ne parlons pas seulement ici de rejoindre notre organisation, bien que nous reviendrons sur ce sujet. Nous donnons toute sa valeur à toutes sortes de soutien et d’assistance que tous ceux qui sont en accord général avec nos positions politiques peuvent offrir.
Premièrement, en discutant avec nous. En nous écrivant par courrier, e-mail, ou en prenant part à notre forum de discussion en ligne. En venant à nos réunions publiques et aux réunions organisées pour les contacts. En soulevant des questions sur nos positions, nos analyses, notre façon d’écrire, la manière dont fonctionne notre site web, etc.
Ecrivez pour notre site et nos journaux, que ce soit des comptes rendus sur des meetings auxquels vous avez assisté, ce qui se passe sur votre lieu de travail, votre secteur ou celui d’à côté, ou encore des articles plus développés, des contributions théoriques, etc.
Aidez-nous à traduire à partir de ou dans les différentes langues dans lesquelles nous écrivons : le CCI a différentes pages web de tailles variées en anglais, français, espagnol, allemand, hollandais, italien, portugais, hongrois, suédois, finlandais, russe, turc, bengali, coréen, japonais, chinois et philippin. Il y a toujours beaucoup trop d’articles à traduire dans toutes les langues, y compris certains des textes de base de notre organisation. Si vous pouvez traduire dans telle ou telle langue, faîtes-le nous savoir.
Participez à nos activités publiques : en vendant la presse dans la rue, en discutant et en distribuant notre presse et nos tracts aux piquets de grève, dans les manifestations et les occupations. Aidez-nous à intervenir dans les réunions politiques, allez-y vous-mêmes et défendez les idées révolutionnaires ; contribuez aux forums de discussion Internet dans lesquels nous participons régulièrement comme par exemple, pour la langue anglaise, sur libcom.org [296], ou www.revleft.space/vb [297] (1), www.red-marx.com [298], etc.
Si vous connaissez d’autres personnes qui sont aussi intéressées à discuter de la politique révolutionnaire et de la lutte de classe, mettez en place des cercles de discussion, des comités de lutte de classe ou des regroupements similaires, que nous serions très satisfaits à vous aider à démarrer et à y prendre part nous-mêmes.
Contribuez aux techniques et aux ressources techniques : photos, travaux d’art, informatique…
Aidez-nous à augmenter nos finances très restreintes en faisant des dons réguliers, en souscrivant à notre presse, en prenant des exemplaires supplémentaires de notre presse pour les vendre autour de vous, ou pour les déposer dans des librairies locales.
Nous saluons avec enthousiasme les demandes de camarades qui veulent élever leur soutien à l’organisation à un plus haut niveau en devenant membres.
Alors que chaque sympathisant ne rejoint pas l’organisation, nous pensons qu’en devenir membre signifie prendre part à l’histoire de la lutte de classe prolétarienne dans le plein sens du terme. Le prolétariat est par nature une classe dont la force réside dans sa capacité à l’organisation collective, et cela est particulièrement vrai pour ses éléments révolutionnaires, qui ont toujours cherché à s’unir dans des organisations pour défendre la perspective communiste contre l’énorme poids de l’idéologie dominante. Devenir membre du CCI permet aux camarades de participer directement à la réflexion et aux discussions qui traversent constamment l’organisation et de contribuer le plus efficacement à notre intervention dans la lutte de classe. Pour affûter les analyses et la politique de l’organisation, la place la plus utile d’un militant individuel est de se trouver en son sein, car pour l’organisation dans son ensemble, ses membres sont une source irremplaçable sur laquelle elle peut compter et à travers laquelle elle peut développer son activité à une échelle mondiale.
Avant de rejoindre le CCI, il est essentiel pour chaque camarade d’avoir une discussion en profondeur sur nos positions politiques fondamentales, qui sont liées à une cohérence marxiste générale et contenues dans notre plate-forme, afin que ceux qui vont être membres le deviennent avec une véritable conviction et soient capables d’argumenter nos positions politiques parce qu’ils en ont une réelle compréhension. Il est également important de discuter de nos statuts organisationnels et d‘être en accord avec les principes et les règles de base qui guident notre fonctionnement : comment nous sommes organisés au niveau local, national et international, le rôle des congrès et des organes centraux, comment nous conduisons nos débats internes, ce qui est attendu des membres en termes de participation dans la vie de l’organisation, etc. L’approche de base contenue dans nos statuts peut être lue dans ce texte : “Rapport sur la structure et le fonctionnement de l’organisation révolutionnaire” (2).
En ce sens, nous vivons dans la tradition du parti bolchevik, selon lequel un membre était quelqu’un qui, non seulement était en accord avec le programme du parti, mais le défendait activement à travers les activités de l’organisation, et était donc prêt à adhérer à sa méthode de fonctionnement incluse dans ses statuts.
Ce n’est pas un processus d’une nuit et cela prend du temps et de la patience. Contrairement aux groupes gauchistes, trotskistes ou autres, qui se réclament faussement du bolchevisme, nous ne cherchons pas à “recruter” à tout prix, et donc à avoir des membres qui ne sont rien de plus que des pions dans le jeu d’une direction bureaucratique. Une réelle organisation communiste ne peut fleurir que si ses membres ont une profonde compréhension de ses positions et de ses analyses et sont capables de prendre part à l’effort collectif pour les appliquer et les développer.
La politique révolutionnaire n’est pas un hobby : elle implique un engagement à la fois intellectuel et émotionnel pour faire face aux exigences de la lutte de classe. Mais ce n’est pas non plus une activité de moine, coupée de la vie et des inquiétudes que connaît le reste de la classe ouvrière. Nous ne sommes pas une église, cherchant à réguler chacun des aspects de la vie de nos membres, en façonnant des fanatiques incapables de pensée critique. Nous n’attendons pas non plus que chaque membre soit “expert” de tous les aspects de la théorie marxiste, ou d’entrer dans nos rangs avec des techniques hautement développées d’écriture ou des talents d’orateur. Nous reconnaissons que les camarades, les individus, ont des capacités variées dans différents domaines. Nous travaillons sur le principe communiste que chacun contribue selon ses moyens – que c’est la tâche du collectif de renforcer toutes les énergies individuelles de la façon la plus efficace.
La décision d’entrer dans une organisation révolutionnaire n’est pas à prendre à la légère. Mais rejoindre le CCI signifie devenir une partie de la fraternité mondiale luttant pour un but commun – le seul but qui offre un réel futur pour l’humanité.
CCI (novembre 2011)
1) En particulier sur ce dernier le forum de la Gauche communiste [299].
2) Paru dans notre Revue internationale no 33 (disponible sous forme papier sur demande ou à consulter sur notre site Internet [300]).
C’est à la grande joie de notre organisation et de ses militants que viennent d’être constituées deux nouvelles sections du CCI, au Pérou et en Equateur.
La constitution d’une nouvelle section dans notre organisation est toujours pour nous un évènement de la plus grande importance. D’une part, parce qu’elle constitue une vérification supplémentaire de la capacité du prolétariat mondial, malgré ses difficultés, à secréter des minorités révolutionnaires à l’échelle internationale et, d’autre part, parce qu’elle participe du renforcement de la présence dans le monde de notre organisation.
La fondation de ces deux nouvelles sections du CCI intervient dans une situation où le prolétariat commence à récupérer, depuis 2003, de la longue période de recul dans sa conscience et dans sa combativité qu’il a subie à partir des événements de 1989 1. Cette récupération s’est traduite par un ensemble de luttes démontrant une conscience croissante de l’impasse dans lequel se trouve le capitalisme et par l’émergence, à l’échelle internationale, de minorités internationalistes qui recherchent le contact entre elles, se posent de nombreuses questions, recherchent une cohérence révolutionnaire et débattent des perspectives pour développer les combats de classe. Une partie de ce milieu se tourne vers les positions de la Gauche communiste et certains de ses éléments ou groupes viennent rejoindre notre organisation. C’est ainsi qu’en 2007 était créé un noyau du CCI au Brésil 2. En 2009, nous saluions la création de deux nouvelles sections du CCI aux Philippines et en Turquie 3.
Ces deux nouvelles sections sont aussi le produit de l’effort soutenu de toute notre organisation et de ses militants afin de participer à la discussion et à la clarification politique, de tisser des liens partout où il existe des groupes ou éléments en recherche, qu’ils se destinent ou non à entrer dans notre organisation.
Nos nouvelles sections étaient, avant de nous rejoindre, des groupes d’éléments en recherche qui, soit se sont tournés d’emblée vers la clarification politique autour des positions du CCI comme en Equateur, soit proviennent de différents milieux politiques comme au Pérou. Dans un cas comme dans l’autre, elles se sont développées à travers la discussion avec d’autres forces politiques et dans les discussions systématiques avec le CCI, de sa plateforme en particulier. Par ailleurs, elles ont eu à cœur de prendre position sur les évènements majeurs de la situation internationale et nationale 4. Aujourd’hui, elles continuent d’évoluer dans un milieu riche de contacts.
Basées en Amérique du Sud, ces deux nouvelles sections viennent renforcer l’intervention du CCI en langue espagnole, et sa présence en Amérique latine où le CCI était déjà présent au Venezuela, au Mexique et au Brésil.
L’ensemble du CCI adresse un chaleureux et fraternel salut à ces deux nouvelles sections et aux camarades qui les constituent.
CCI (avril 2012)
1 L’effondrement du stalinisme qui avait donné lieu au développement de campagnes de la bourgeoisie identifiant frauduleusement, une nouvelle fois, le communisme et le capitalisme d’Etat tel qu’il s’était développé dans les pays de l’Est suite à la dégénérescence de la révolution russe.
2 Lire “Salut à la création d’un noyau du CCI au Brésil !”. http ://fr.internationalism.org/ri381/salut_a_la_creation_d_un_noyau_du_cci_au_bresil.html [301]
3 Lire “Salut aux nouvelles sections du CCI aux Philippines et en Turquie !”.
http ://fr.internationalism.org/icconline/2009/philippines-turquie [302]
4 Certaines de ces prises de position ont été publiées dans Action Proletaria, organe du CCI en Espagne, et dans ICC on line sur notre site en langue espagnole.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article d’Internasyonalismo, organe du CCI aux Philippines.
“Travailleurs de tous les pays, unissez vous !” C’est la vérité et la réalité dans le système capitaliste. Nous, les travailleurs, n’avons ni intérêt national, ni nationalité à laquelle nous raccrocher, et nous nous défendons en tant que classe internationaliste. Où que nous soyons dans le monde, nous sommes exploités et opprimés par le capital et l’Etat national.
Le patriotisme et l’intérêt national ne servent qu’une classe particulière. L’histoire nous a appris que la souveraineté, le patriotisme et l’Etat ne servent que les intérêts de la bourgeoisie, pour contrôler et exploiter la classe ouvrière et le reste des masses laborieuses.
Le bras de fer actuel aux Iles Spratly entre les bourgeoisies philippine et chinoise, toutes deux revendiquant pour leurs les ressources de cette riche petite île, s’accompagne de déclarations de “souveraineté nationale” et “d’intégrité du territoire”. Des appels à “l’unité nationale” et à la “défense du territoire national” retentissent. Les médias bourgeois empoisonnent maintenant les esprits des masses laborieuses, en inculquant qu’en tant qu’appartenant à la même race et à la même nation, les capitalistes et les ouvriers seraient des frères et des alliés.
La bourgeoisie a injecté aux ouvriers des deux pays “l’amour de la mère patrie” pour diviser les travailleurs, les faire se combattre et s’entre-tuer.
Le conflit à propos des Iles Spratly n’est pas le fait exclusif de la Chine et des Philippines. D’autres pays, comme le Vietnam, la Thaïlande et la Malaisie1 se querellent avec elles et le Brunei2 s’est joint à la revendication de cette île riche en ressources. Le fondement, pour chaque pays, réside dans leur longue histoire d’agression coloniale et pas de leur “souveraineté nationale”.3
Amasser plus de profit est la principale motivation de chaque bourgeoisie nationale qui se dispute les Iles Spratly. Qui que ce soit qui l’emporte dans la confrontation actuelle, ce ne sont pas les masses laborieuses de Chine et des Philippines qui y gagneront quelque chose, mais le gouvernement, les bureaucrates et les capitalistes.
Une autre raison importante, c’est l’intérêt impérialiste des bourgeoisies nationales en présence ; l’archipel de Spratly est une plate-forme qui peut être stratégique pour une base militaire, raison majeure pour laquelle la Chine, le Vietnam, Taiwan et les Etats-Unis se le disputent. Il y a eu des frictions et des conflits armés pendant des décennies entre la Chine et le Vietnam (aujourd’hui allié des Etats-Unis).
En clair, cette tension à propos des Iles Spratly fait partie de la rivalité impérialiste entre la Chine et les Etats-Unis en Asie. C’est une nécessité pour l’ambitieuse Chine impérialiste d’étendre son territoire du fait de la crise globale du capitalisme. La puissance impérialiste numéro un, les USA, le sait, et fait tous ses efforts pour renforcer et conserver ses positions en Asie.4
Malgré la concurrence naturelle entre les différentes factions capitalistes, les capitaux nationaux sont unis pour attaquer la classe ouvrière.
Tant que l’idéologie nationaliste/patriotique empoisonne les travailleurs, la coopération diplomatique et économique entre les pays en conflit continue5. Tandis que des secteurs de la population de ces parties en conflit restent assujettis à ces disputes sur la souveraineté nationale 6, leurs capitalistes et leurs bureaucrates étatiques ont le champ libre et s’en frottent les mains comme leurs concurrents aux Philippines, en Chine, aux Etats-Unis, avec une seule préoccupation : comment renforcer leur emprise économique sur la population. En d’autres termes, ils discutent de comment intensifier leurs attaques contre le prolétariat.
La bourgeoisie nationale des pays en conflit exploite et opprime à fond les travailleurs. Des centaines de milliers de travailleurs en Chine ont déclenché des grèves sauvages ou ont participé à des manifestations presque chaque jour contre leur Etat et les capitalistes. Il y a des grèves au Vietnam à cause des bas salaires et de l’absence de protection sociale. Les ouvriers philippins sont confrontés et soumis à la même réalité. Les difficultés des prolétaires du “tiers monde” ne sont pas différentes de celles de leurs frères/sœurs dans les pays du “premier monde”, en particulier aux Etats-Unis.
L’objectif principal et central de chaque capital national est d’attiser les braises de façon à favoriser chez les masses le mécontentement à l’égard des nations étrangères qui “piétinent notre droit souverain”.
C’est la classe capitaliste, qu’elle soit locale ou “étrangère”, le premier et véritable ennemi de la classe ouvrière.
Nous ne devons pas soutenir les appels à la “souveraineté nationale” et à la “défense du territoire national” de notre bourgeoisie nationale. Ce qui est vrai derrière ces appels, c’est que la bourgeoisie est souveraine pour exploiter et opprimer encore plus la classe ouvrière ; c’est le terrain du capital d’amasser encore plus de profit à partir du travail non payé.
Nous devons au contraire unir à la fois les travailleurs philippins et chinois avec nos frères et sœurs de classe dans le monde pour renverser nos “propres” bourgeoisies nationales. Nous devons condamner le tapage incessant de nos gouvernements et les menaces de guerre ; guerre qui ne ferait qu’aggraver nos conditions de vie et nous jeter dans la plus extrême pauvreté, la mort, la destruction de biens et la division entre nous.
Nous savons que, dans le conflit actuel, aucune des parties en conflit n’a pas la capacité ni l’intérêt de déclencher une agression et confrontation militaire de grande ampleur 7. Néanmoins, la propagande sur une guerre possible peut attirer et amener des secteurs de la population qui sont relativement peu conscients à soutenir leur bourgeoisie nationale locale contre une bourgeoisie étrangère. L’objectif principal et central de la bourgeoisie nationale de Chine et des Philippines est d’empoisonner les esprits des masses laborieuses avec l’idéologie et la ferveur nationaliste.
Camarades, ouvriers philippins et chinois, ne nous laissons pas abuser par ces propos d’union nationale, par les discours doucereux et la propagande venimeuse de notre “propre” gouvernement ! Continuons notre lutte contre toutes les attaques du capital, contre notre classe, dans chaque pays ! Continuons à dénoncer la nature exploiteuse et oppressive de la classe capitaliste, locale ou étrangère. Nous devons renforcer notre unité en tant que classe.
“La souveraineté nationale” et “l’unité nationale” sont des chaînes qui nous attacheront pour toujours à notre esclavage salarié dans la prison capitaliste. Ce sont des manœuvres pour diviser la classe ouvrière partout dans le monde. Les mouvements qui suivent une ligne nationaliste sont des mouvements visant à affaiblir encore plus le mouvement prolétarien international.
Prolétaires de Chine et des Philippines, ce n’est pas notre intérêt et nous n’avons rien à gagner, quelle que soit la puissance impérialiste qui gagne et s’annexe l’archipel Spratly. Notre intérêt, c’est de nous libérer nous-mêmes de la pauvreté, de l’esclavage salarié. Notre intérêt, c’est d’en finir avec le capitalisme et de construire une société libérée de l’exploitation et de l’oppression. Nos ennemis, ce sont les gouvernements de Philippines, de la Chine impérialiste et de tous les pays impérialistes 8.
Le capitalisme est la cause des guerres à l’époque de l’impérialisme. La seule garantie pour l’humanité de connaître une paix durable, c’est la destruction du capitalisme.
Travailleurs du monde entier,
unissez vous !
A bas la classe capitaliste,
locale ou étrangère !
Renversons “nos” gouvernements nationaux et l’idéologie nationaliste !
A bas la Chine et les Etats-Unis
impérialistes !
A bas le système impérialiste
mondial !
Internasyonalismo (28 avril)
1) http ://www1.american.edu/ted/SPRATLY.htm
2) http ://en.wikipedia.org/wiki/Spratly_Islands_dispute
3) En plus des territoires reconnus par le droit International, les Philippines revendiquent la possession de Scarborough Shoal depuis l’époque de la colonisation espagnole. (http ://globalnation.inquirer.net/34031/ph-sovereignty-based-on-unclos-principles-of-international-law [303]) tandis que le Vietnam le fait depuis l’ère de la colonisation française. La Chine impérialiste réclame des droits sur des bases analogues. (en.wikipedia.org/wiki/Spratly_Islands [304]).
4) Dans le rapport de forces entre les impérialismes chinois et américain en Asie, la Corée du Nord est le seul allié de la Chine. La conséquence n’est pas que les Etats-Unis soit le premier ennemi en Asie et que les autres pays rivaux et concurrents soient des “ennemis secondaires” ou des “alliés tactiques”. Le premier ennemi du prolétariat mondial est la bourgeoisie mondiale.
5) Les relations économiques entre les Philippines et la Chine s’élargissent continuellement, et il en va de même entre la Chine et les Etats-Unis . En fait, la Chine est le plus grand créancier de l’Oncle Sam.
Sources : (www.mb.com.ph/articles/346111/robust-philippineschina-trade-relations [305]), (http ://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html [306]). (http ://money.cnn.com/2011/01/18/news/international/thebuzz/index.htm [307]l.
6) Des hackers de Chine comme des Philippines détruisent des websites de leurs pays “ennemis”.
7) Le conflit de l’archipel Spratly a vu plusieurs petits accrochages militaires entre le Vietnam et la Chine, contrôlés par les deux pays de façon à ne pas exploser dans une guerre à grande échelle puisque leur seul objectif est de porter plus haut l’idéologie nationaliste de leur pays. Entre la Chine et les Philippines, il y a une possibilité d’une confrontation militaire à petite échelle, annoncée avec des roulements de tambour par les forces armées des Philippines, des Etats-Unis et de la Chine. Les médias chinois se sont récemment fait l’écho de cette menace entre la Chine et les Philippines.
8) Le mouvement maoïste philippin aide la bourgeoisie philippine dans sa campagne pour l’idéologie nationaliste au sein des travailleurs philippins. Les maoïstes s’en tiennent fermement à la tactique contre révolutionnaire de “choisir le moindre mal” ce qui s’exprime clairement dans les déclarations de leurs organisations légales, à propos des frictions entre la Chine et les USA.
Cependant, il n’y a pas que le mouvement maoïste à penser ainsi, tout le reste des organisations de gauche colle à la même tactique qui a fait faillite.
Nous publions ci-dessous la traduction du tract diffusé par nos camarades de World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne, à l’occasion de la manifestation du 28 mars.
Le 28 mars, des milliers d’enseignants seront en grève à Londres contre les “réformes” gouvernementales sur les retraites.
Les conditions de retraites sont attaquées pour tous les travailleurs de tout le service public. En fait avec la “granny tax” (taxe sur les personnes âgées) contenue dans le dernier budget, tous les retraités sont touchés de plein fouet. Pourquoi les syndicats n’ont pas décidé d’appeler aujourd’hui tous ces secteurs attaqués à la grève ? C’est tout aussi vrai pour l’ensemble du privé, là où un nombre grandissant d’ouvriers ne peuvent même pas espérer une quelconque sorte de retraite du tout.
Non. De plus en plus d’ouvriers se trouvent confrontés au gel des salaires, à des conditions de travail aggravées – s’ils ont un travail. Plus de 20 % des jeunes entre 16 et 25 ans sont en réalité au chômage.
Non. Ces conditions sont celles que les ouvriers trouvent partout dans le pays.
Non. Les mesures d’austérité brutales qui sont imposées à la classe ouvrière et à toute la population en Grèce, au Portugal et en Espagne, où les salaires et les retraites ont déjà été directement diminuées, et où des centaines de milliers de postes de travail sont “éliminés”, montrent à quel point on nous ment à tous, car la crise de ce système est mondiale et définitive.
Il y a beaucoup de raisons. Le sentiment dominant qu’il n’y a pas d’alternative, le faux espoir que les choses vont aller mieux, le manque de confiance sur comment prendre les choses dans nos propres mains.
Ce manque de perspectives et de confiance en nous signifient que ceux qui prétendent faussement représenter nos intérêts – surtout nos représentants syndicaux “officiels” – peuvent se permettre de nous diviser en secteurs, catégories innombrables, qu’ils peuvent nous appeler à des journées de grève séparées, annuler des grèves si la justice le décide, et nous emprisonner dans la législation syndicale qui fait que nous combattons avec les mains liées dans le dos.
Oui, si nous allons au-delà des divisions professionnelles et syndicales, et si nous nous réunissons dans des assemblées ouvertes à tous les travailleurs.
Si nous ignorons les lois sur les votes à bulletins secret et utilisons ces assemblées pour rendre effectives les décisions sur comment lutter.
Si nous ignorons les lois syndicales interdisant les “piquets de grève secondaires” et utilisons massivement des délégations pour appeler d’autres ouvriers à rejoindre la lutte.
Si nous nous ouvrons aux ouvriers précaires, aux étudiants, aux chômeurs, aux retraités.
Si nous utilisons les manifestations, les occupations et les assemblées de rue non pas pour écouter passivement des discours d’experts mais pour échanger des expériences de lutte et discuter de comment la poursuivre et l’élargir.
Si nous redécouvrons notre identité de classe – une classe qui partout, dans tous les pays, a les mêmes intérêts et le même but : le remplacement de ce système pourri par une communauté réellement humaine.
CCI (23 mars)
Le président malien Amadou Toumani Touré (ATT) a été renversé le 22 mars par une poignée de soldats quasi-inconnus qui, n’ayant pas les moyens de contrôler le pays, a dû laisser les rebelles (nationalistes et islamistes) s’emparer de toute la région nord du Mali et y semer la terreur, provoquant le déplacement forcé de plusieurs centaines de milliers de personnes. En réalité, ce coup de force n’a fait qu’accélérer le chaos d’un Etat corrompu et en déliquescence depuis bien longtemps. Par ailleurs, le coup d’Etat s’est déroulé dans un contexte de luttes d’influence et dans une zone qui est le théâtre de trafics en tous genres, notamment d’armes et de drogue, où des groupes criminels (mafieux islamiques et autres) se disputent le marché de la prise d’otages et de la spoliation de migrants. Mais surtout, le Mali est le maillon faible d’une région en décomposition accélérée par les tensions impérialistes qui se déroulent dans la grande région du Sahel, en particulier à travers la guerre qui a ravagé la Libye dont les effets n’ont pas tardé à se faire sentir jusqu’à Bamako.
“En Libye, le gouvernement de transition peine à surveiller les stocks d’armes et à contrôler ses frontières. En septembre, la découverte de la disparition de plus de 10 000 missiles sol-air avait créé la panique sur la scène internationale. (…) Parallèlement, les combattants touaregs embauchés comme mercenaires et armés par Kadhafi sont rentrés dans leurs pays, au Niger et au Mali, après la chute du régime libyen, en août dernier. Depuis janvier 2012, les insurgés touaregs du Mali, issus du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) prennent d’assaut les villes du nord armés de mitrailleuses lourdes et d’armes antichars, relancent un combat vieux de plusieurs décennies pour la création d’un Etat touareg indépendant” (The National, in Courrier international du 11/04/12).
Plus que le Soudan et le Tchad, le Mali constitue aujourd’hui le principal marché d’armements de cette région où tueurs et barbouzes viennent s’approvisionner et échanger leurs “marchandises”, notamment à Gao et Tombouctou. Mais plus sombre encore pour l’avenir du Mali est le fait qu’en plus d’être le “grand marché” des criminels professionnels, ce pays est aussi convoité pour ses matières premières. Outre l’or dont il est l’un des premiers producteurs, le Mali est sur le point de devenir un exportateur de brut et son futur marché est d’ores et déjà le théâtre de rivalités intenses entre des grands vautours bien connus comme Total, GDE-Suez, Tullow Oil, Dana Petrolieum, CNPC, Repsol, etc. En clair, il s’agit des sociétés euro-américaines et chinoises épaulées par leurs Etats respectifs dans la bagarre qu’elles mènent pour le contrôle et l’exploitation des matières premières maliennes.
“Impossible (par exemple) de ne pas noter que le récent coup d’Etat est un effet collatéral des rébellions du Nord, qui sont elles-mêmes la conséquence de la déstabilisation de la Libye par une coalition occidentale qui n’éprouve étrangement ni remord ni sentiment de responsabilité. Difficile aussi de ne pas noter cet harmattan kaki qui souffle sur le Mali, après être passé par ses voisins ivoirien, guinéen, nigérien et mauritanien ” (Le Nouveau Courrier, in Courrier international du 11/04/12).
Loin d’apporter la “paix” et la “démocratie”, l’intervention des forces impérialistes de l’OTAN en Libye n’a fait qu’étendre le chaos et accélérer la décomposition des Etats de la région. En effet désormais pas moins de 12 pays sont touchés par les conflits guerriers et les trafics se déroulant dans une zone vaste de 9 millions de kilomètres carrés.
“La boutade en forme de prévision stratégique, lancée naguère par Jean-Claude Cousseran, ancien patron de la DGSE : “L’Afrique sera notre Afghanistan de proximité”, est désormais prise au sérieux. Ne serait-ce qu’en découvrant la banale mais sinistre comptabilité des opérations menées par des groupes islamistes radicaux au Nigeria, en Somalie, en Libye, dans les pays du Sahel et au Mali. (…) Au Quai d’Orsay, l’équipe Juppé s’inquiète pour les otages français et l’avenir des régions et des Etats menacés. A l’état-major, on établit des plans d’intervention, au cas où des chefs africains, l’ONU, voire l’OTAN, décideraient de faire “quelque chose…” Et les services de renseignements, eux, sont en liaison constante avec les officiers français en mission au Mali et les membres du Commandement des opérations spéciales en poste au Burkina, au Niger et en Mauritanie. (…) L’objectif recherché par ces groupes combattants (…) peut aboutir à créer une immense zone grise en Afrique sahélienne, sous la bannière de la religion, où des bandes criminelles tirent profit des différends violents entre partisans de l’islam, tribus nomades, groupes salafistes, rescapés d’Al-Qaida, soldats perdus des combats contre le printemps arabe Avec pour résultat le risque d’une décomposition des Etats” (le Canard enchaîné du 11/04/12).
En effet, l’impérialisme français panique face au développement du chaos au Mali et s’apprête donc à intervenir pour tenter de préserver ses intérêts directement menacés dans cette région du Sahel. En fait, au-delà de ses intérêts économiques et stratégiques, la France cherche à récupérer ses ressortissants pris en otages par des groupes armés (islamiques). Rappelons que l’armée française mène une véritable guerre dans cette zone au nom de la “lutte contre les groupes terroristes islamiques (AQMI)”, tantôt en Mauritanie, tantôt au Niger et la dernière intervention militaire dans ce dernier pays a provoqué plusieurs morts.
Tandis que les Etats-Unis fournissent conseillers et matériels militaires aux mêmes pays, toujours au nom de la “lutte antiterroriste” et de la “sécurisation” de la région, d’où d’ailleurs les liens très étroits que Washington a pu établir avec les différents réseaux maliens.
De leur côté, les puissances rivales locales jouent aussi leurs propres cartes. Ainsi, l’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Mali avaient décidé d’organiser leur propre état major commun dont le siège se trouve à Tamanrasset (en territoire algérien). Mais en réalité, c’est le chacun pour soi qui domine chez tous les gangsters et de ce fait les alliances ne tiennent jamais très longtemps, se faisant et se défaisant selon le rapport de force du moment et le “gain” immédiat.
“Des ruines de l’Etat malien vient surgir un document de trois pages classé “très sensible”. Il s’agit d’une note remise en février dernier au président Amadou Toumani Touré. Elle s’intitule “La Mauritanie et l’appui secret aux rebelles d’Azwad”. A sa lecture, l’ancien général (ATT) a dû comprendre que sa fin était imminente. Ses services de renseignement l’avertissent, avec force détails, des contacts étroits noués entre les Touaregs, qui viennent de repartir sur le sentier de la guerre et le régime voisin d’Ould Abdelaziz. Le tout nouveau Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), recevrait une “aide matérielle” de Nouakchott. (…) Au moment où des représentants du MNLA ouvrent un bureau d’information à Nouakchott, d’autres sont reçus à plusieurs reprises au Quai d’Orsay. Une simultanéité qui ne doit sans doute rien au hasard. La Mauritanie, grande alliée de la France dans la région, n’aurait pas prêté main forte aux indépendantistes touaregs, sans l’aval, même tacite, de son mentor. (…) Le MNLA, toujours selon la note secrète, s’engagerait à combattre Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqumi). Une priorité pour la Mauritanie et la France, qui reprochent au président Touré sa mollesse envers les djihadistes. (…) Stupéfaction en Occident et au Sahel : les insurgés touaregs, considérés comme les meilleurs remparts contre Aqmi, combattent aux côtés des islamistes. Après avoir subi l’un de leur pires revers en Afrique, les autorités françaises avouent leur impuissance. “On a un vrai problème, lâche un haut responsable. Les Maliens sont incapables de reconquérir ce qu’ils ont perdu. Et envoyer l’armée française ? Personne n’y songe. La Françafrique, c’est fini !”” (le Nouvel observateur daté du 12/04/12)
En effet, l’Etat français visait à la fois à préserver ses intérêts globaux dans la région et faire libérer ses otages entre les mains des groupes liés à Aqmi. Et, au final, il s’est fait “rouler dans la farine” par des minables et obscurs petits groupes mafieux avec lesquels il magouillait souterrainement tout en apportant publiquement son soutien au président malien ATT. Aujourd’hui, l’impérialisme français est totalement paralysé par l’amateurisme dont il a fait preuve dans cette affaire et risque de perdre sur tous les tableaux.
Outre leur présence militaire dans toute la région en ayant négocié et obtenu des accords de coopération militaire avec tous les régimes, les Américains avaient à la fois l’oreille du président renversé et du chef des putschistes.
“Le camp de DJCORNI, où s’est réfugié ATT le 21 mars, est à deux pas et sous la quasi protection de l’ambassade américaine- laquelle avait, si l’on en croit les télégrammes révélés par Wikileaks, alerté depuis Washington sur l’état de déliquescence du haut état-major malien et sur le climat de corruption qui régnait dans l’entourage proche (y compris familial) du président. Les gardes du corps qui ont protégé le chef déchu pendant sa fuite ont été formés par les célèbres Navy Seals de l’US Army. Et le capitaine putschiste Amadou Sanago fait volontiers étalage de ses stages aux Etats-Unis : la base aérienne de Lackland (Texas) ; Fort Huachua (Arizona), spécialisé dans le renseignement ; l’école des officiers de Fort Benning (Géorgie). Plus un séjour chez les Marines, dont il porte le pin’s sur sa vareuse. Bref, on savait les Américains très implantés et très informés sur le Mali. Sans doute mieux que les Français. On en a la confirmation” (Jeune Afrique du 7/04/2012).
Il est doit être clair que la France n’est pas étrangère au renversement du régime d’ATT et que la cause principale se trouve dans le lien établi entre ce dernier et les Etats-Unis qui font tout, là encore, pour évincer Paris de son ex-pré carré.
Voilà un pays en état de délabrement avancé gouverné par des bandes corrompues en lutte avec divers charognards, mafieux islamistes ou bandits de grand chemin en compagnie des puissances impérialistes en quête d’influence et de matières premières qui déguisent leurs projets de boutiquiers capitalistes “en plans de sécurisation” de la zone. Et pendant ce temps-là, les populations, elles, crèvent de faim et de misère, ou se font carrément massacrer par les uns et les autres.
Amina (17 avril)
Le titre de MIB3, dernière version de la série des Men In Black, aurait pu être le slogan de campagne de François Hollande : “Retour vers le passé pour sauver le futur”. Tout aussi mensonger que “Le changement, c’est maintenant !”, ça sonnait quand même plus “sympatoche” ou plus “djeuns”, comme un clin d’œil aux jeunes générations que le nouveau président de la République française cherche à enfumer par rapport à la réalité qui les attend, à savoir, pour celles-ci comme pour les plus anciennes, misère, chômage et souffrance.
Quel est donc ce programme de Hollande, répété avec force et conviction durant toute la campagne électorale présidentielle, et que nous allons entendre et réentendre jusqu’aux législatives ? Le même que celui de Sarkozy à la sauce “socialiste”. Bon, on enlève le “bling-bling”, on ne va pas au Fouquet’s ni sur le yacht de Bolloré mais, pour le reste, quoi de neuf ? Rien, si ce n’est ce baratin associé aux trains de promesses aussi allusives que vagues, quant à l’avenir de l’ensemble de la classe ouvrière, et de toute la jeunesse. Ce train de promesses va en réalité prendre la forme d’un train d’attaques qui seront déguisées ou enrobées dans le verbiage habituel de la gauche. Pour en retenir quelques-unes des plus médiatisées, citons “Je veux redresser la France”, “Je veux rétablir la justice”, “Je veux redonner espoir aux jeunes générations”, “Je veux une République exemplaire et une France qui fasse entendre sa voix”. Et ce ne sont que quelques titres de son programme en soixante points qui nous promet monts et merveilles !
A part quelques nuances “culturelles” et “politiques”, on a entendu la même chose il y a cinq ans avec le programme de Sarkozy, et en particulier son “travailler plus pour gagner plus”, et qui s’est traduit par “travailler plus et gagner moins”. Qu’est-ce que Hollande va faire de mieux ? Rien. C’est plutôt à pire qu’il faut s’attendre.
A l’époque de Mitterrand, la bourgeoisie disposait encore d’une marge de manœuvre économique qui avait permis à la gauche au gouvernement de bénéficier d’un “état de grâce”. L’illusion qu’avec le PS allié au PC, tout irait mieux, avait constitué un frein au développement des luttes ouvrières. Dès 1983, deux ans après l’élection de Mitterrand, les attaques ont commencé à tomber brutalement dans tous les secteurs. Les baisses de salaires, le non remplacement de fonctionnaires, les licenciements massifs dans la sidérurgie, la déréglementation des lois de licenciement comme l’amendement Lamassoure, qui a ouvert la porte toute grande à la “flexibilité du travail” et donc à la possibilité, dans le public comme dans le privé, de rendre toujours plus corvéables les salariés. Telles ont été les “valeurs” de la gauche entre 1981 et 1998. Pas différentes, en définitive, de celles de la droite. Ce sont les valeurs de la bourgeoisie avec l’exploitation et le mépris de la classe ouvrière comme maîtres mots.
Le Père Noël Hollande peut sortir toute une kyrielle de joujoux de sa hotte, il n’est et ne sera jamais qu’un défenseur de l’intérêt du capital national. Qu’il fasse le beau à Berlin, à Washington, ou au Japon, et qu’il trinque avec Poutine, ne changera rien à la condition des prolétaires. Il n’en peut plus de parler de relance éco nomique ici et là, mais une fois encore, il s’agit d’un thème qui ne tiendra guère plus que le temps d’un été. Politique de relance – comme aux Etats-Unis – ou pas, ce qui va continuer de s’imposer c’est la dure et cruelle réalité de la situation économique mondiale, marquée par l’aggravation de la crise. Aucun pays n’y échappera. Alors, que va faire notre nouvellement nominé Président de la République française, face à un déferlement prévisible de catastrophes économiques, avec des épisodes à la grecque affectant cette fois le Portugal, l’Espagne, l’Italie… et les suivants, dont la France, qui ne sont pas loin derrière.
Il fera non seulement la même chose que son prédécesseur, mais encore pire et bien plus fort. Déjà, les licenciements à Arcelor-Mittal donnent le ton.
Les jeunes générations de la classe ouvrière, qui n’ont pas vécu les attaques anti-ouvrières de la gauche au gouvernement, doivent apprendre qu’elles ne doivent compter que sur la lutte de leur classe et rejeter en toute conscience cette mystification selon laquelle la gauche serait moins pire que la droite. Il n’y a pas de choix à faire entre les différentes fractions de la bourgeoisie.
Wilma (3 juin)
Depuis l’année 2008 et le début de la phase actuelle de la crise, partout s’est développée une austérité croissante. Cette politique était censée réduire les dettes et relancer la croissance. Et puis, tel un lapin sorti tout droit du chapeau d’un magicien, est brandie maintenant une nouvelle alternative qui doit remédier à tous les problèmes. Celle-ci a pour nom relance. Elle s’est invitée partout dans les journaux, à la télévision, sur les radios. Véritable magie du discours, la croissance pourrait être de retour et l’endettement généralisé diminué. La dette pourrait être monétisée. Que veut dire ce jargon de spécialistes bourgeois ? En réalité, des questions toutes simples se posent. Pourquoi ce revirement soudain de la plus grande majorité des dirigeants de la zone euro ? Quelle peut être la réalité de cette politique ? L’austérité généralisée va-t-elle prendre fin ? Dans l’avenir tout proche, la crise va-t-elle continuer oui ou non à s’approfondir ?
En Grèce, Irlande, Italie, Espagne notamment, la population, au cours des dernières années, a été attaquée de toutes parts. La classe ouvrière au travail, les chômeurs, les jeunes, les retraités, chacun et tous à la fois ont vu leur niveau de vie s’effondrer. Les hôpitaux, l’école et tous les services publics ont été massacrés. La justification politique de cette guerre économique contre tous les exploités était claire. A écouter tous les gouvernements en place, accepter ces sacrifices aujourd’hui voulait dire : réduire l’endettement des Etats, l’endettement public, tout en abaissant le coût du travail pour mieux vendre les marchandises produites et ainsi relancer la croissance. Malgré les luttes qui se sont développées, en réaction à cette politique qui considère la classe ouvrière comme du bétail que l’on peut tondre à merci, l’austérité a continué à s’accélérer mais, au plus grand désarroi de la classe capitaliste, sa crise également.
Depuis l’année 2008, le PIB de la zone euro est resté à peu près le même et avoisine les 8900 milliards d’euros. Par contre, la dette globale publique et privée a continué à s’accélérer pour atteindre maintenant 8000 milliards d’euros. Il est incroyable de constater que toute la richesse créée par une année de travail correspond pratiquement à la dette existante et nous ne parlons là que de la partie officielle et reconnue de celle-ci. Pire que cela pour la bourgeoisie, voilà maintenant que l’économie s’installe de nouveau dans la récession. Seule l’Allemagne en 2012 peut afficher un petit 0,5% de croissance. Pour les autres pays de la zone la dégringolade est là. En Grèce et en Espagne, l’activité recule à toute vitesse et le chômage de masse s’est installé. La dette explose et est pratiquement hors de contrôle dans ces pays, au moment même où leur PIB s’effondre. Quant à la France qui est parvenue jusque-là à éviter le pire, elle paye maintenant ses fonctionnaires en empruntant l’argent sur ce que l’on appelle les marchés financiers.
Dans sa grande majorité, la bourgeoisie est alors amenée à faire un constat qui était pourtant depuis bien longtemps évident : l’austérité généralisée et la crise du crédit amènent à la récession et au creusement de sa dette. Alors que faire ?
Les débats en cours au sein de la bourgeoisie sont au fond toujours les mêmes depuis l’année 2008 : qui va bien pouvoir rembourser la dette, comment et quand ? C’est alors qu’une idée présentée comme nouvelle apparaît. Pour rembourser la dette, il faut créer de la richesse. C’est simple, il suffisait d’y penser. Cette idée qui existe depuis au moins la crise économique des années 1930 refait tout à coup surface. On se demande d’ailleurs pourquoi ils n’y ont pas pensé plutôt, par exemple depuis 2008 et l’apparition du puits sans fond de l’endettement.
Comment relancer la croissance ? Voilà une question qui hante toute la classe bourgeoise. Pour certains, il faut rendre la production de la zone euro compétitive et donc baisser les prix de revient des marchandises produites. En termes clairs, il est nécessaire de poursuivre la baisse des salaires pour concurrencer la production effectuée en Chine, en Inde, au Brésil, ou dans les pays d’Europe centrale par exemple, et empêcher ainsi les délocalisations. Prétendre relancer l’activité par une compétitivité supplémentaire ainsi acquise prêterait à rire tellement elle est absurde, si elle ne se traduisait pas par de nouvelles souffrances pour la classe ouvrière.
Pour d’autres, il faut maintenant que les Etats de la zone euro prennent en main directement la relance de la croissance. Ici, l’idée est la suivante : puisque les banques en situation potentielle de faillite ne peuvent plus prêter suffisamment ni aux entreprises, ni aux particuliers, c’est l’Etat qui va passer directement commande. On va donc construire ici des autoroutes et là des lignes de TGV. Les entreprises concernées vont travailler, embaucher des salariés et participer ainsi à relancer la croissance. Le problème est alors le suivant : d’où va venir l’argent supplémentaire, quel montant faudrait-il investir et pour quel résultat ? Une fois raclés les fonds de tiroirs existants qui représenteraient environ 450 milliards d’euros, il faudrait avoir recours à un endettement supplémentaire effectué par des Etats déjà en situation de risques de faillites. Actuellement, dans les pays occidentaux, pour produire un euro en plus de richesse, il est nécessaire de s’endetter pour 8 euros supplémentaires. Autrement dit, un plan de relance implique ceci : une dette qui augmente huit fois plus vite que le PIB. Mais une marchandise produite n’est pas une marchandise vendue. Combien de crédits supplémentaires faudrait-il encore distribuer à des “consommateurs” exsangues afin qu’ils puissent les acheter. Tout cela est absurde et irréalisable. Le capital engagé est devenu trop important pour le profit réalisé. Alors que le capitalisme ne peut déjà plus faire face actuellement à sa dette, comment pourrait-il alors le faire ? Comment empêcher les déficits publics d’exploser et les marchés financiers d’exiger des intérêts exorbitants pour continuer à prêter éventuellement aux Etats ? Derrière toute la campagne idéologique et médiatique actuelle, cette prétendue relance devra se contenter de fonds actuellement disponibles et non encore utilisés qui ne pourront avoir qu’un effet marginal sur l’activité.
Monsieur Hollande, nouveau président de la France, rejoint en ceci par de très nombreux dirigeants de la zone euro, sauf bien entendu l’Allemagne, entonne un nouveau chant qui devrait nous remplir d’espoir. Le titre de cette chanson qu’il espère devenir populaire s’intitule : monétisation et mutualisation de la dette. Ce qui n’a rien de très poétique. La monétisation revient tout simplement à fabriquer de l’argent. La Banque centrale s’en charge et prend en échange des reconnaissances de dettes de l’Etat ou des banques, et en général cela s’appelle des obligations. La mutualisation veut dire que tous les Etats de la zone euro prennent en charge collectivement la dette. Les Etats les moins en difficultés payent pour les Etats les plus en difficultés.
Lorsque l’on ne crée plus et que l’on ne vend plus assez de richesses pour empêcher la dette d’entraîner tout le système dans l’abîme, les marchés financiers se détournent progressivement de celle-ci. Une relance sans effet réel et une dette toujours plus grande rend les prêteurs de plus en plus rares et les prêts de plus en plus chers. Alors vient le temps de ponctionner l’épargne, première étape de la monétisation de la dette à venir. L’Etat se fait voleur à grande échelle. L’augmentation des impôts de toutes sortes et les emprunts obligatoires pointent leur nez. Cet emprunt est évalué en pourcentage des impôts payés par chacun. Il est susceptible d’être remboursé au bout d’une certaine période et cela doit donner lieu à des intérêts. Celui-ci est actuellement à l’étude en France comme pour toute la zone euro. A charge pour l’Etat de nous rembourser demain avec de l’argent qu’il ne possède déjà plus aujourd’hui ! Il est bien évident que devant le puits sans fond de la dette tout cela n’est que gouttes d’eau dans la mer. De celles qui alimentent pourtant une austérité déjà bien présente.
Mais de nouveau l’alerte générale est là. La Grèce et l’Espagne sonnent le tocsin. Seulement quelques mois après que la Banque centrale européenne ait injecté 1000 milliards auprès des banques, tout le système financier public privé vacille.
Pour la seule année 2012 dans la zone euro, et afin de faire face à la seule partie de la dette arrivant à échéance, il faudrait trouver entre 1500 et 4000 milliards. Chiffres qui bien entendu n’ont rien à voir avec la réalité puisque, à elle seule, la banque Bankia en Espagne réclame officiellement plus de 23 milliards. Les sommes sont énormes et hors de portée du capitalisme. Il ne reste plus donc alors qu’un chemin rempli d’embûches pour le capital afin d’éviter la faillite immédiate. Sur le panneau est écrit : création monétaire massive. La distance à parcourir pour en arriver là se chiffre en quelques semaines. A la mi-juin, la Grèce va tenir de nouvelles élections. Si un parti refusant les plans d’austérité de la zone euro arrive au pouvoir dans ce pays, la sortie de la Grèce de celle-ci est envisageable. Pour la population grecque, cela veut dire un retour à leur monnaie d’origine et une dévaluation du drachme d’environ 50 %. Ce pays s’enfoncerait dans l’autarcie et la misère. Ce qui ne changerait pas grand-chose à ce qui l’attend. Par contre, pour les banques et la Banque centrale de la zone euro, l’addition serait salée. Dans les comptes de ces banques restent encore beaucoup de reconnaissances de dettes grecques, sans doute pour près de 300 milliards d’euros. Mais la question fondamentale n’est pas là. Si la zone euro laisse sortir la Grèce de celle-ci par impuissance à la garder, que va-t-il se passer avec l’Espagne, l’Italie, etc.
Et voici venu le temps de l’Espagne, de ses banques toutes en faillites réelles et de ses régions totalement ingérables financièrement. Le morceau est énorme, trop gros pour être avalé. Les marchés financiers et toutes ces institutions qui rassemblent l’argent privé disponible dans le monde ne se trompent pas lorsqu’ils réclament toujours plus d’intérêts pour prêter à ce pays. Actuellement, les taux à 10 ans pour la dette de l’Etat approchent les 7 %. Ce taux est le maximum qu’un Etat peut supporter ; au-dessus, il ne peut plus emprunter. Le président du gouvernement espagnol, Mario Rajoy, a de manière détournée appelé au secours la Banque centrale européenne. Celle-ci en retour a fait la sourde oreille. Le gouvernement espagnol a alors annoncé qu’il allait tenter de financer ses banques en allant sur le marché. Tout ceci n’est qu’un serpent de mer. Des banques dans le monde doivent prêter de l’argent à l’Etat espagnol insolvable pour que celui-ci prête à ses banques insolvables qui, en échange, lui remettra des reconnaissances de dettes insolvables. L’absurdité est totale, l’impasse manifeste.
Alors, il faudra bien qu’à un moment ou à un autre, au moins une partie de la dette soit monétisée et mutualisée. Il faudra créer du papier monnaie que l’Allemagne garantira en partie avec la richesse qu’elle produit. C’est le produit national brut allemand qui autoriserait une certaine création monétaire. L’Allemagne s’appauvrirait et ralentirait l’appauvrissement général en Europe. Pourquoi le ferait-elle ? Tout simplement parce qu’elle vend une grande partie de ses marchandises dans cette zone.
Monétiser la dette en partie revient à démontrer dans la réalité que le capitalisme ne peut plus se développer, même à crédit. C’est le moment officiel où le capitalisme nous dit : “Je vais créer de la monnaie en perdant progressivement de sa valeur pour empêcher ma dette d’exploser tout de suite. J’aimerais mieux investir, créer de la richesse et vendre, mais je n’y parviens plus. La dette est trop immense. Elle me tient à la gorge : vite du papier monnaie, encore du papier monnaie et voici du temps de gagné.”
L’argent, y inclus le crédit, doit représenter la richesse produite et à produire qui sera vendue avec profit. Pendant des décennies, on a maintenu la croissance avec des crédits que l’on a affirmé pouvoir rembourser un jour. Quand ? On ne sait plus. Cette échéance est toujours repoussée dans le temps. La richesse produite dans 10 ans est déjà détruite dans la production et la vente d’aujourd’hui. Que nous reste t-il alors sinon des dettes et encore de nouvelles dettes ?
La monétisation, c’est le triomphe du capital fictif au détriment du vrai capital, celui qui contient en lui de la vraie richesse. Créer ainsi de la monnaie massivement pour s’acheter à soi-même sa propre dette revient à détruire de l’argent. Cela revient à provoquer une inflation galopante des prix, malgré la récession. De ce côté aussi, il y a de l’austérité, car comment survivre avec des prix à la consommation qui s’élèveraient tous les jours ?
Le capitalisme peut-il accélérer sa propre descente aux enfers ? Et si l’Allemagne refusait la monétisation, paralysant ainsi la Banque centrale européenne ? Personne ne peut totalement écarter cette éventualité, même si elle s’apparenterait à un suicide collectif. La bourgeoisie allemande fait depuis des mois des calculs savants pour évaluer ce que lui coûterait l’éclatement ou son financement de la zone euro. Dans les deux cas, à terme, l’addition est trop lourde et insupportable, mais à court terme, quelle est la perspective la plus terrifiante ?
Dans tous les cas, l’Allemagne exigera l’austérité. L’austérité pour elle est l’espérance que la dette, à travers les déficits publics, se creusera moins rapidement, que l’ardoise sera moins salée. Dans la réalité, tout cela n’est qu’illusions tragiques qui se soldent de toutes façons partout pour les prolétaires par une précarisation encore plus forte de leurs conditions de vie.
L’impasse est à ce point tel pour le capitalisme qu’il en arrive à vouloir mener en même temps relance de l’économie et austérité accrue, création monétaire massive et réduction de la dette. Le capitalisme devient fou. Il perd la boussole. Il ne sait plus où se diriger ni comment manœuvrer pour éviter les récifs qui l’entourent de tous côtes. La zone euro n’a jamais été dans une crise aussi aiguë. Les mois à venir sont des mois de grandes tempêtes économiques, qui vont déboucher sur des naufrages encore plus dévastateurs et révélateurs de la faillite généralisée du capitalisme mondial.
Rossi (30 mai)
La lecture des minutes du procès d’Anders Breivik relatant comment il a massacré des douzaines d’adolescents l’année dernière, dans le camp d’été du Parti travailliste norvégien, donne la nausée. Le procès de Breivik a donné lieu à beaucoup de débats sur sa santé mentale, sur le fait qu’il ait agi seul ou comme membre d’un réseau fasciste organisé, ou s’il devait être autorisé à utiliser la cour d’Oslo comme tribune pour défendre sa philosophie politique 1.
Les meurtres commis par Mohamed Merah à Toulouse n’étaient pas à aussi grande échelle mais n’en font pas moins froid dans le dos. Mais les tireurs d’élite de la police française n’ont pas offert de scène à Merah pour exposer sa philosophie : il a été abattu après un siège en règle 2.
Il y a des différences évidentes dans la façon dont ces deux cas ont été traités. Dans The Guardian du 21avril, Jonathan Friedland 3 souligne qu’en règle générale, habituellement, on ne donne pas une chance aux terroristes islamiques, même s’ils sont capturés vivants, d’expliquer leurs motivations comme on l’a fait avec Breivik. Idéologiquement, des gens d’extrême droite comme Breivik et des djihadistes comme Merah semblent se situer à deux pôles opposés. L’obsession de Breivik, c’est la menace “d’islamisation” de l’Europe, alors que les djihadistes déclarent qu’ils agissent non seulement pour venger les attaques contre les musulmans en Irak, en Palestine ou en Afghanistan, mais pour la création d’un califat mondial gouverné par la loi de la Charia.
Mais ce qui est le plus frappant en réalité, qu’il s’agisse des islamophobes et des djihadistes, c’est la similarité de leur idéologie et leur pratique.
Pour commencer, Breivik a exprimé devant la cour son admiration pour la méthode d’al Qaida, son organisation en petites cellules décentralisées. On a suggéré que c’était un modèle dont les groupes d’extrême droite s’inspirent de plus en plus. Breivik a aussi vanté le caractère impitoyable d’al Qaida et son esprit de sacrifice personnel au service d’un idéal plus élevé. Mais quand on regarde de plus près ces idéologies respectives, on voit qu’elles ont beaucoup de choses en commun.
Toutes les deux sont profondément racistes : l’hystérie de droite sur l’islamisation de l’Europe n’est que la dernière version de l’idéologie de la civilisation chrétienne blanche menacée par des hordes d’envahisseurs à peau sombre. Au début du xx siècle, la grande menace était présentée comme étant celle des Juifs fuyant les pogroms en Russie ; il y a quelques décennies, c’était les émigrés asiatiques et noirs importés pour travailler pour des salaires inférieurs à ceux des ouvriers “du pays” ; aujourd’hui, le racisme a dû se déguiser sous les habits de l’anti-islam parce qu’être ouvertement antisémitisme, ou raciste anti-noir est beaucoup plus difficile à faire avaler à une population qui est déjà habituée à un environnement social beaucoup plus diversifié. La English Defence League (EDL) 4 a même des membres juifs et sikhs, unis (pour le moment) par leur haine de l’islam, “religion du mal”, à des troupes d’assaut blanches. Mais derrière tout cela, c’est la même vision d’un monde “aryen”, née comme justification de l’extension impérialiste du capitalisme européen et américain depuis la fin du xix siècle.
Mais les djihadistes ne sont pas moins racistes. Quand l’Islam est apparu, comme les autres religions monothéistes, il était l’expression, en termes idéologiques, d’une réelle tendance à l’unification de l’humanité, au delà du tribalisme. Il était donc ouvert à tous les groupes ethniques et avait une attitude pleine de respect vis-à-vis des religions juives et chrétiennes qu’il considérait comme porteuses d’une révélation précédente. Mais aujourd’hui, le djihadisme est l’expression d’une autre réalité historique : la religion, sous toutes ses formes, est devenue une force au service de la division et du maintien d’un système en déclin. Dans l’esprit des groupes djihadistes, ou de type taliban, les “kaffirs” (incroyants) ne se distinguent pas des “étrangers”, les Juifs ne sont plus le peuple élu de la Bible, mais les diaboliques conspirateurs de la paranoïa nazi, les églises chrétiennes sont des cibles légitimes pour les attentats à la bombe ou les massacres. Cette doctrine de la division s’est même étendue aux disciples de l’islam – al Qaida a probablement tué plus de musulmans chiites en Irak ou au Pakistan que de membres de n’importe quelle autre confession.
Leur haine peut s’adresser à des groupes différents, mais l’extrême droite et les djihadistes s’opposent tous implacablement à tout mouvement réel vers l’unification de l’humanité.
Breivik et al Qaida partagent aussi la même conception de la morale : la fin justifie les moyens. Pour Breivik, les ados qu’il a tués n’étaient pas innocents parce qu’ils soutenaient un parti qui incarne “le mal” que représente le “multiculturalisme”. Mais ils ont été tués, avant tout, dans l’intention de déclencher une guerre raciale qui conduirait au nettoyage ethnique de l’Europe et à un nouveau millénaire aryen-chrétien. Pour Merah, les petits enfants juifs peuvent être descendus d’une balle dans la tête parce que les avions israéliens ont tué beaucoup plus d’enfants palestiniens. Pour Ben Laden et ceux de son acabit, tuer des milliers de civils dans les Twin Towers est une réponse justifiée à ce que les Américains ont fait en Afghanistan et servira le but de rallier tous les Musulmans du monde sous le même étendard de la Guerre Sainte et du nouveau califat.
Beaucoup de libéraux peuvent bien sur tenir le même discours – cela fait partie de leur argumentation selon laquelle tous les extrêmes se rejoignent. Mais les extrémistes les plus visibles ne sont que la partie émergée d’un iceberg beaucoup plus grand.
Derrière Breivik, il y a tous les variantes d’EDL (English Defense League) et de politiciens “populistes” comme Le Pen en France et Wilders aux Pays-Bas, qui adoptent la ligne “je ne suis pas d’accord avec sa méthode mais la menace de l’islamisation pose vraiment question…”. Et derrière eux, il y a le flot des journaux dont les titres n’arrêtent pas d’être des plaintes sur les terroristes musulmans parmi nous, l’arrivée croissante de demandeurs d’asile, pendant que les politiciens “responsables” se font concurrence pour montrer qui est le plus ferme contre l’immigration, et sont en tout cas en charge de l’Etat qui expulse à tour de bras dans leur pays d’origine les demandeurs d’asile qui fuient la pire misère que leur offre le système actuel, ou les enferme dans des camps de rétention.
De la même façon, l’idéologie djihadiste n’est que la fille de l’idéologie officielle des Etats arabes qui sont depuis longtemps anti-sionistes et en perpétuel état de guerre avec Israël, une façon de tenter de détourner la colère des masses de leurs propre pratiques dictatoriales et corrompues. “L’Islam radical” a aussi ses apologistes “révolutionnaires” : Galloway 5, le SWP 6 et d’autres fractions gauchistes, dont la réponse à la dernière atrocité du Djihad est aussi : “je ne suis pas d’accord avec leurs méthodes, mais….” parce qu’ils partagent la même conception que les Etats-Unis et le sionisme sont l’ennemi impérialiste numéro 1 et voient le Hezbollah, le Hamas et les djihadistes irakiens ou afghans comme des expressions de “l’anti-impérialisme”.
Tout cela représente la sécrétion idéologique du processus de pourrissement sur pied réel en cours dans la société capitaliste contemporaine : le cours sans fin à la guerre impérialiste qui est devenu de plus en plus chaotique et irrationnel au fur et à mesure que le système se décomposait. La guerre de tous contre tous, qui divise et dresse les populations les unes contre les autres , que ce soit au nom de la race, de la religion ou de la défense de l’Etat, est un maelström qui constitue la menace la plus réelle et la plus dévastatrice à laquelle fait face l’humanité aujourd’hui – la menace d’un enfoncement sans limite dans la barbarie et l’autodestruction. Les “libéraux” ou “bons démocrates” qui incriminent l’extrémisme et nous inondent de leurs discours humanistes ne représentent pas davantage une alternative. Ce sont bien ces derniers qui ont entretenu la guerre en justifiant l’usage de la terreur, de l’envoi de la bombe atomique sur Japon et sur les villes allemandes à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et donc poursuivi la catastrophe et le cauchemar subi par les populations dans cette guerre, parce que c’était un moyen d’assurer la domination du capitalisme dans l’après-guerre.
La seule vision mondiale en opposition à ces divisions idéologiques, c’est l’internationalisme de la classe ouvrière : la simple idée que les exploités sous le joug de toutes les nations, de toutes les religions, ont là défendre les mêmes intérêts de lutter contre leur exploitation et leurs exploiteurs. C’est un combat dont le but est l’unification réelle de l’humanité, dans une communauté mondiale sans Etats. C’est un combat dont les moyens ne peuvent qu’être en adéquation avec ses buts. Ce combat-là cherche à gagner à sa cause ceux qui sont tombés dans l’idéologie des exploiteurs en montrant le besoin réel d’une solidarité humaine, au lieu de prôner le massacre des incroyants ou des infidèles Ce combat rejette la pratique de la vengeance sans discrimination et le meurtre de masse parce qu’il sait que ces méthodes ne pourront jamais aboutir à l’établissement d’une société humaine. Oui, la lutte de la classe ouvrière est une sorte de guerre. Mais elle est vraiment la guerre pour en finir avec toute guerre, parce que ses buts et ses méthodes sont radicalement opposés aux buts et aux méthodes du capitalisme et de la société de classe dont ne peuvent surgir que toujours plus de massacres sanglants.
Amos (3 mai 2012)
1) Voir l’article que nous avons écrit à l’époque de la tuerie : http ://en.internationalism.org/icconline/2011/august/norway [311]
2) www.ilfoglio.it/soloqui/12779 [312]
4) Mouvement fondé en 2009 dont le but affiché est de combattre l’islamisation de l’Angleterre et qui organise depuis régulièrement des manifestations dans plusieurs villes du pays dans ce sens.
5) George Galloway d’origine écossaise est un ancien député du Parti travailliste, fervent admirateur de Fidel Castro, qui est surtout connu pour ses prises de postions d’extrême gauche et pro-palestiniennes. En novembre 2007, il a fondé RESPECT Renewal , devenu ensuite le Parti de Respect, qui soutient notamment la Palestine dans le conflit israélo-palestinien. Il a notamment organisé entre 2008 et 2010 des convois d’aide humanitaire à la population de Gaza contre le blocus du territoire baptisés Viva Palestina ! . Battu aux législatives en 2010, il est élu membre de la Chambre des Communes depuis mars 2012.
6) A l’origine Groupe Socialist Review (GSR) , ce groupe fondé autour de Tony Cliff en 1950 analysait la Russie stalinienne comme un régime particulier où la bureaucratie s’était emparée du pouvoir. Partisan d’une politique d’entrisme dans le Parti Travailliste et les syndicats. Rebaptisé SWP début 1977 où il se présente aux élections sous sa propre bannière, il sert encore aujourd’hui de rabatteur au Parti Travailliste lors des consultations électorales. Devenu l’organisation gauchiste la plus importante au Royaume-Uni, le SWP recrute parmi les jeunes ouvriers et surtout les étudiants sur une base de campagnes activistes (conte le désarmement nucléaire pendant la Guerre froide, puis contre la guerre au Vietnam), elle anime toujours les grandes manifestations sur ses thèmes favoris : l’anti-fascisme et l’anti-racisme. Son organe de presse est Socialist Worker.
Les législatives après les présidentielles en France... : tout le battage médiatique comme chaque nouvelle campagne électorale témoigne de la préoccupation, présente de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, que le plus grand nombre possible d’électeurs accomplissent leur “devoir de citoyen”.
Quelle en est la raison ?
Les arguments avancés par les formations politiques ou candidats en lice pour convaincre les électeurs de leur accorder leur suffrage se ramènent en général à ceci : les élections constituent un moment pendant lequel les “citoyens” seraient confrontés à un choix dont dépendrait l’évolution de la société et, par conséquent, leurs conditions de vie future. Grâce à la démocratie, chaque citoyen disposerait ainsi de la possibilité de participer aux grands choix sociaux.
Or, dans la réalité, il n’en est rien puisque la société est divisée en classes sociales aux intérêts parfaitement antagoniques ! L’une d’elles, la bourgeoisie, exerce sa domination sur l’ensemble de la société à travers la possession des richesses et, grâce à son Etat, sur toute l’institution démocratique, sur les médias, etc. Elle peut ainsi imposer au quotidien son ordre, ses idées, sa propagande aux exploités en général et à la classe ouvrière en particulier. Cette dernière est la seule classe qui, par ses luttes, est capable de remettre en question l’hégémonie de la bourgeoisie et de son système d’exploitation.
Dans ces conditions, il est parfaitement illusoire de penser qu’il soit possible de transformer l’Etat, l’institution démocratique, etc., pour les mettre au service de la grande majorité dans une société sans exploitation. C’est pourquoi tous les partis qui briguent les suffrages des exploités en prétendant défendre leurs intérêts ou améliorer leur sort participent d’entretenir cette illusion. De même l’alternative “gauche-droite” n’est en réalité qu’un faux choix destiné à masquer que, derrière les bavardages électoraux ou parlementaires, seule la bourgeoisie a réellement le pouvoir.
Le suffrage universel représente un pilier de la domination bourgeoise sur la société. Tout comme l’ensemble des institutions démocratiques, il représente en effet la principale légitimité de l’exercice du pouvoir par la classe dominante. Même si la crise économique sape continuellement les bases de la domination bourgeoise et mine son emprise idéologique sur les exploités, met à nu les mensonges continuellement martelés, la classe dominante n’en devient que plus déterminée, plus acharnée à utiliser tous les moyens à sa disposition pour conserver son pouvoir. Pour éviter que son système ne soit directement mis en cause et pour masquer la faillite de son mode de production, celle-ci n’a de cesse, entre autres, de développer des campagnes de mystification électorales. Face à l’angoisse de l’avenir, à la peur du chômage, au ras-le-bol de l’austérité et de la précarité qui sont au cœur des préoccupations ouvrières actuelles, notamment parmi les nouvelles générations, la bourgeoisie utilise et exploite au maximum ses échéances électorales afin de pourrir la réflexion des ouvriers sur ces questions, en exploitant les illusions, encore très fortes au sein du prolétariat, envers la démocratie et le jeu électoral.
L’avenir de l’humanité ne passe pas par le bulletin de vote mais par la lutte de classe. Cependant, le refus de participer au cirque électoral ne s’impose pas de manière évidente au prolétariat du fait que cette mystification est étroitement liée à ce qui constitue le cœur de l’idéologie de la classe dominante, la démocratie. Toute la vie sociale dans le capitalisme est organisée par la bourgeoisie autour du mythe de l’Etat “démocratique”. Ce mythe est fondé sur l’idée mensongère suivant laquelle tous les citoyens sont “égaux” et “libres” de “choisir” par leur vote, les représentants politiques qu’ils désirent et le parlement est présenté comme le reflet de la “volonté populaire”. Le piège de la démocratie parlementaire est d’instiller chez chacun le principe soi-disant égalitaire, un individu = un vote, niant par là même, la division de la société en classes.
Et un constat que chaque prolétaire peut faire de sa propre expérience de participation à la mascarade électorale, c’est que, quel que soit le résultat des élections, que la gauche ou la droite l’emporte, c’est finalement toujours la même politique anti-ouvrière qui est menée.
Finalement cela veut dire que l’Etat “démocratique” parvient à conduire sa politique indépendamment des élections qui sont organisées.
En fin de compte, ce que cherche à faire la bourgeoisie, c’est à remplacer la lutte de classe, l’éliminer au profit du vote, et remplacer la classe ouvrière par une notion fourre-tout de “peuple” qui choisit “librement” ce que la classe dominante a déjà choisi pour lui.
Lors des consultations électorales, la propagande essentielle de la classe dominante se résume à : “Votez ce que vous voulez, mais surtout votez”.
Loin de constituer une arme pour le prolétariat, la “liberté électorale” constitue le fondement même du désarmement de la classe ouvrière.
D’après l’introduction
à notre brochure Les élections : un piège pour la classe ouvrière
Avec l’approfondissement de la crise du capitalisme, le nationalisme le plus exacerbé s’étale dans les colonnes des journaux et devant les caméras de télévision. Les prétendues digues idéologiques qui séparaient, paraît-il, l’extrême-droite du “camp républicain” ont depuis bien longtemps volé en éclats. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer la xénophobie ouvertement affichée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy, la traque infâme des Roms ou le populisme décomplexé du Front national. Mais le nationalisme sait adopter de nombreuses formes, beaucoup plus subtiles et pernicieuses. Ainsi, l’ensemble de l’appareil politique bourgeois, y compris l’extrême-gauche, participe à diffuser le poison de la division nationale, fondement de la concurrence capitaliste qui est diamétralement et irréductiblement opposé au terrain, au point de vue internationaliste, aux intérêts et à la conscience que notre classe, le prolétariat, doit affirmer pour développer ses luttes et renverser ce système d’exploitation.
Point de vue nationaliste
La lutte contre l’immigration économique est un thème central du discours de la bourgeoisie et pas seulement de l’extrême-droite, toutes les fractions politiques au gouvernement, de gauche comme de droite, reprennent cette rhétorique à leur compte. C’est le sens des mesures anti-immigrées adoptées par les gouvernements, de gauche comme de droite, dans tous les pays à commencer par les plus développés qui dressent un rideau administratif, policier, judiciaire allant de l’espace Schengen en Europe à la construction de murs aux frontières des Etats-Unis : limitation de la durée des séjours, expulsions par charters ou reconductions massives, harcèlements juridiques, traque policière, patrouilles navales et aériennes aux frontières, camps de rétention face à l’exode de populations fuyant la misère ou la guerre, etc. L’argument peut se résumer dans la célèbre formule du Front national en France : “3 millions de chômeurs, ce sont 3 millions d’immigrés de trop.” Ainsi, si ça va mal, s’il y a trop de licenciements, s’il y a trop de chômeurs dans le pays, “expulsons les immigrés, interdisons leur l’accès au territoire” pour que les travailleurs nationaux puissent occuper les emplois vacants. Si la protection sociale baisse, s’il y a trop de déficits, c’est à cause de ces “étrangers”, qui “profitent” des largesses du système social !
Point de vue internationaliste
Historiquement, la classe ouvrière est une classe d’immigrés, contraints de vendre n’importe où leur force de travail et l’immigration est un élément essentiel du développement du mouvement ouvrier sous le capitalisme 1. Dès le xiv siècle, la bourgeoisie britannique a déplacé des masses de paysans, souvent irlandais, pour les enrôler comme main-d’œuvre dans les premières manufactures. A partir du xviiiee siècle, lorsque le problème de la surproduction apparaît, l’immigration s’étend par-delà les frontières nationales et se massifie progressivement. “Les crises cycliques de surproduction qui frappent l’Europe capitaliste dès le milieu du xixe siècle vont contraindre des millions de prolétaires à fuir le chômage et la famine en s’exilant vers les “nouveaux mondes”. Entre 1848 et 1914, ce sont 50 millions de travailleurs européens qui vont quitter le vieux continent pour aller vendre leur force de travail dans ces régions, notamment en Amérique.
De la même façon que l’Angleterre du xvie siècle a pu permettre le développement du capitalisme grâce à l’immigration intérieure, la première puissance capitaliste mondiale, les Etats-Unis, se constituera grâce à l’afflux de dizaines de millions d’immigrés venus d’Europe (notamment d’Irlande, de Grande-Bretagne, d’Allemagne, des pays d’Europe du Nord).” 2
C’est au xx siècle, avec le déclin du capitalisme, que les flux migratoires ralentissent et que les Etats se dotent d’outils pour lutter contre l’immigration. La bourgeoisie s’appuie sur le fatras idéologique des thèmes anti-immigrés pour désigner des boucs émissaires alors qu’en réalité, s’il y a du chômage, c’est précisément parce que les pays développés ne sont plus en mesure d’intégrer économiquement de nouveaux prolétaires sur le marché du travail, en particulier les jeunes. En fait, le capitalisme, parce qu’il est en crise, n’est pas capable de fournir du travail non seulement à la main-d’œuvre immigrée mais à tous les prolétaires.
Point de vue nationaliste
L’idée de consommer préférentiellement la production nationale est le cheval de bataille idéologique des partis politiques bourgeois. Lors de la précédente campagne électorale, pas moins de trois des principaux candidats, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, ont ouvertement prôné de repousser ou de surtaxer les marchandises étrangères qui viendraient étrangler la compétitivité nationale ou exercer une pression déloyale car produites par une main d’œuvre payée à coups de lance-pierre. L’objectif est de favoriser les entreprises nationales contre la concurrence étrangère afin de “protéger les emplois”.
Point de vue internationaliste
Si le protectionnisme ne fonctionne pas, c’est parce que le marché capitaliste est mondial. Des mesures protectionnistes qu’ont pu prendre certains Etats, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, n’ont eu de validité qu’à une époque où elles pouvaient s’appuyer sur un marché extra-capitaliste paysan ou artisanal suffisamment conséquent et n’avaient jamais qu’une durée limitée. Après le début du xxee siècle, ces mesures se sont avérées souvent désastreuses pour les économies nationales. Les mesures prises par l’Allemagne, censées lui permettre de vivre en autarcie, n’ont fait qu’aggraver démesurément la crise mondiale. Leur principal résultat a été la contraction ou la fermeture des marchés internationaux et l’augmentation du coût des marchandises dans les pays où était pratiquée la fermeture économique des frontières. C’est pour cette raison que la bourgeoisie a essayé de freiner les tentations protectionnistes qui n’ont cessé de se manifester depuis les premiers signes de la crise actuelle dont l’origine remonte à la fin des années 1960.
Point de vue nationaliste
La défense de la compétitivité est également un grand classique pour l’argumentation nationaliste. Le message est revenu en force avec la crise économique qui est expliquée d’un point de vue national : si le pays est en crise, c’est à cause de la faiblesse de la compétitivité française par exemple, c’est-à-dire à cause du coût trop élevé des marchandises produites en France par rapport à celui des autres pays, comme l’Allemagne, la Chine ou les Etats-Unis. Ainsi, les travailleurs devraient patriotiquement accepter de diminuer leur salaire et baisser toujours plus leur niveau de vie pour faciliter la vente des marchandises nationales à l’étranger. C’est une logique assez voisine qui s’est exprimée récemment par la mise en avant de différents “coupables” à l’ampleur de la dette souveraine des Etats ainsi menacés de faillite : “C’est la faute aux Grecs” qui ont profité des largesses de l’Europe pour vivre au-dessus de leurs moyens et n’ont pas “payé leurs impôts”, dont les fonctionnaires “sont payés à ne rien faire”, etc. Ou encore, les autres nations n’ont pas à payer les “erreurs de gestion ou le gaspillage des Grecs...”. A l’inverse, côté Grec, la source des maux qui accablent ce pays serait “la pression de l’Europe” ou des banques centrales (FMI, Banque mondiale)...
Point de vue internationaliste
En fait, les explications avancées par la bourgeoisie pour justifier les plans de rigueur ou d’austérité au nom de la compétitivité sont grossièrement mensongères : plus les exploités acceptent de “se serrer la ceinture”, plus on leur demande et on leur demandera des “sacrifices”. Cette course sans fin à la productivité a déjà fait ses preuves. Hier, l’Irlande, le “tigre celtique”, était porté aux nues pour l’exemplarité des ouvriers gaéliques qui avaient courageusement accepté les sacrifices… jusqu’à ce que l’Irlande soit ébranlée par la récession et le chômage. De même avec l’Espagne ou le Portugal. Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui fait figure de parangon mais, déjà, le “modèle allemand” se fissure de toute part, comme le Royaume-Uni et il y a quelques années etc. En fait, la racine de la crise réside dans la surproduction généralisée de marchandises face à laquelle la restriction des coûts salariaux ne peut être que totalement impuissante au niveau du capital global.
Les solutions nationalistes avancées par la bourgeoisie de tous les pays sont des leurres lancés à la face du prolétariat pour le diviser et le détourner de la claire compréhension que le capitalisme est un système en faillite. L’identification “du peuple”, des “citoyens” à leur Etat, à leur gouvernement, à leur entreprise ne sert qu’à faire écran à une véritable compréhension des enjeux de la situation historique mondiale, empoisonne la conscience des prolétaires de leur responsabilité historique pour abattre le système.
Les prolétaires n’ont pas à faire cause commune avec leurs exploiteurs mais, au contraire, ils doivent mener la lutte contre eux en s’unissant, se solidarisant par delà les frontières.
Rien ne peut sauver le capitalisme. Cette guerre de tous contre tous et cette concurrence permanente à travers lesquelles toutes les bourgeoisies, tous les Etats tentent de nous dresser le uns contre les autres est à l’opposé de notre perspective. La bourgeoisie distille partout le poison du nationalisme économique afin de démolir la conscience d’appartenir à une même classe internationale qui n’a rien à gagner à soutenir les vieilles recettes chauvines, fondement de ce système et de ses contradictions. Alors que la solidarité internationale à l’œuvre dans la lutte des travailleurs, dans nos combats de classe, nous grandit, élève notre conscience en mettant en avant la perspective d’une société édifiée collectivement à partir des besoins réels de l’humanité, sur d’autres rapports humains, capables d’offrir la seule issue possible à l’humanité face au gouffre de misère et de barbarie dans lequel l’entraîne l’impasse avérée du capitalisme. Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissons-nous !
V. (25 mai)
Voici déjà près de quatre mois que les étudiants québécois sont mobilisés contre la hausse des frais de scolarité, mais pendant près de 3 mois au milieu d’un black-out quasi-unanime hors du pays. Cette augmentation de près de 80 % vient s’ajouter aux augmentations précédentes et, avec l’attitude répressive et provocatrice du gouvernement Charest, les étudiants en lutte, aux cris de “Manif chaque soir jusqu’à la victoire”, ne sont pas prêts d’accepter passivement une telle mesure. Alors que d’emblée, la plupart des médias traitait de la question sous l’angle très idéologique de “la popularité ou l’impopularité” de la grève au Québec 1, le mouvement quant à lui, a exprimé une tendance à se généraliser et à dépasser le secteur de l’enseignement.
Afin de mieux comprendre le contexte de ce mouvement rappelons les mesures similaires prises par le gouvernement ces dernières années et les conditions actuelles des étudiants.
Dans ces temps d’austérité imposés par la faillite historique du système capitaliste 2, l’augmentation des frais de scolarité, au même titre que toutes les mesures de réduction du déficit, n’a rien de bien nouveau ni de spécifique au Québec. En 1990, le deuxième gouvernement de Robert Bourassa brise le gel des frais de scolarité, établis depuis 1968 à 540 $ CAN par an, pour les élever à 1668 $ CAN par an (soit trois fois plus). Puis en 2007, c’est au tour du gouvernement de Jean Charest (centre-droit) de poursuivre dans ce sens avec une augmentation de 500 $ CAN sur 5 ans, amenant ainsi l’addition à 2168 $ CAN pour l’année scolaire 2011-2012. Avec de tels frais de scolarité (pourtant en deçà de la moyenne de scolarité aux Etats-Unis), bon nombre d’étudiants n’ont plus accès aux études supérieures. Dans ce pays, 80 % des étudiants travaillent et étudient à temps plein, alors même que la moitié de ces étudiants vit avec 12 200 $ par an (avec un seuil de pauvreté pour une personne seule de 16 320 $ en 2010 !).
Dans le budget du Québec déposé le 18 mars 2011, le gouvernement Charest confirme donc son intention d’augmenter les droits de scolarité de 1625 $ sur 5 ans, les faisant passer à près de 4500 $ par année en 2016, si l’on ajoute les frais afférents exigibles par les universités. Suite à cette annonce, la réaction ne se fit pas attendre. Le 31 mars 2011, une manifestation rassemble quelques milliers d’étudiants à Montréal et, sur l’initiative de la FEUQ 3, un campement est érigé chaque fin de semaine devant les bureaux du ministère de l’Education.
Etait-ce une méthode de lutte adaptée, qui permette au mouvement de s’étendre en allant chercher la solidarité ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il que ce dernier ne connaîtra pas d’événement marquant pendant un an. Il faudra attendre le 22 mars 2012 pour qu’une manifestation étudiante surprenne par son ampleur. Entre 200 000 et 300 000 personnes y participent, rassemblant étudiants et travailleurs dans le centre de Montréal. Les revendications avancées s’inscrivent alors dans un mouvement historique bien plus large. Certains parlent alors de “Printemps érable” en référence aux révoltes dans les pays arabes. La base de la colère qui s’exprime est bien plus vaste que la seule augmentation des frais universitaire, et la solidarité avec le mouvement “Occupy” est clairement affichée. Ce mouvement montre que même dans un pays qui n’est pas réputé pour être le siège de mouvements sociaux d’ampleur, la mobilisation, poussée par des conditions de vie de plus en plus difficiles, gagne une partie croissante de la population. Le 7 avril, lors d’un cycle de conférences à Montréal, Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la Coalition large de l’association pour la solidarité syndicale étudiante (CLASSE) devait reconnaître l’ampleur du mouvement : “Notre grève, c’est pas l’affaire d’une génération, c’est pas l’affaire d’un printemps, c’est l’affaire d’un peuple, c’est l’affaire d’un monde. Notre grève, ce n’est pas un événement isolé, notre grève c’est juste un pont, c’est juste une halte le long d’une route beaucoup plus longue.” Pour le gouvernement de Charest, il est clair qu’il ne faut pas laisser les étudiants occuper la rue, au risque qu’ils parviennent à trouver la solidarité d’autres secteurs et que le mouvement prenne encore plus d’ampleur 4. C’est donc avec brutalité que ce gouvernement a fait passer une loi le 18 mai dernier, dite “loi 78” qui rend illégale toute manifestation non annoncée. Voici les grandes lignes de cette loi “spéciale” 5 : “Elle interdit tout rassemblement à moins de 50 mètres des établissements scolaires (c’est-à-dire, interdiction des piquets de grève devant les universités) ;
– elle restreint le droit de manifester sans accord préalable avec la police : il faudra fournir huit heures avant, la durée, l’heure, le lieu ,le parcours et les moyens de transports (cette restriction est valable pour tous les regroupements de plus de 50 personnes) ;
– elle prévoit de très lourdes amendes pour les organisateurs de piquets de grève : de 1000 à 5000 dollars (de 770 à 3860 euros) pour un individu seul et de 25 000 à 125 000 dollars (de 19 320 à 96 600 euros) pour une association d’étudiants, le double en cas de récidive.”
Pour le gouvernement en place, il s’agit de taper fort pour casser la mobilisation et pour rappeler aux manifestants qui fait la loi. Ces méthodes répressives ne sont pas sans rappeler la violence à laquelle se sont confrontés les manifestants espagnols ou grecs lors des grands mouvements ces derniers mois. En France, cela rappelle la violence dont la police avait fait preuve pour intimider les étudiants et lycéens qui manifestaient à Lyon en 2010. Elle n’avait pas hésité à les isoler pendant de longues heures sur la place Bellecourt pour finalement les relâcher un à un après identification 6. Cela ressemblait bien à une expérimentation de manœuvre d’intimidation, pour faire peur aux manifestants et casser leur combativité. Il est vraisemblable que ce soit ce même résultat que visait le gouvernement Charest avec sa loi 78.
Visiblement, les événements ne se sont pas tout à fait déroulés comme l’espérait la classe politique québécoise. Bien loin de “casser” le mouvement et de remettre les étudiants dans le rang, cette “mesure spéciale” a été reçue comme une provocation pour les manifestants, ce qui a eu pour effet d’amplifier et de radicaliser le mouvement. L’heure est donc à la contestation et aux “casserolades”.
Pour les manifestants québécois, il s’agit aujourd’hui de répondre spontanément à la provocation du gouvernement par… des manifestations provocatrices ! Et à ce jeu-là, l’Etat est très fort : “Près de 700 personnes ont été arrêtées dans la nuit de mercredi à jeudi à Montréal et à Québec au terme de manifestations jugées illégales par les services policiers. Parmi les 518 arrestations effectuées dans le cadre de la 30 manifestation nocturne consécutive dans la métropole, on compte 506 arrestations de groupe et 12 arrestations isolées, dont 14 en vertu du Code criminel et une en vertu du règlement municipal proscrivant le port d’un masque ‘sans motif raisonnable’.” (le Devoir, 25 mai 2012)
Il est clair que ce qui fait la force de ce mouvement c’est la combativité et la détermination dont fait preuve la jeune génération. Nous ne pouvons que soutenir cette combativité, tout comme l’extension qu’a connue le mouvement avec la présence en son sein des travailleurs d’autres secteurs. Dans un sens, le manque d’habileté et la brutalité de l’équipe Charest peuvent être un facteur de généralisation du mouvement et jouer en faveur des ouvriers en lutte. Toutefois, ce mouvement comporte de nombreuses faiblesses, et il devra éviter bien des pièges pour ne pas se scléroser derrière des revendications trop stériles.
Parmi ces pièges, il en est un de taille : l’illusion que l’on pourrait vivre dans un monde meilleur au sein du capitalisme ; l’illusion que l’on pourrait changer ce système d’exploitation à coups de réformes et par la voie “démocratique” 7. Cette illusion est clairement insufflée par les syndicats, dont la Classe en première ligne avec tout son discours sur la “désobéissance civile” 8. La loi 78 prévoit également une suspension des cours jusqu’au mois d’août dans les établissements en grève, sans annulation de la session, si bien qu’aujourd’hui il est difficile d’affirmer que le mouvement va continuer à se développer. Ce qu’en revanche on peut affirmer, à la lumière des différents mouvements ouvriers qui marquent l’histoire du capitalisme, c’est qu’il n’y a que la recherche de solidarité et l’extension la plus large possible vers toute la classe ouvrière qui puisse offrir un réelle perspective au mouvement. La solidarité avec le mouvement des indignés et “Occupy”, la tenue d’assemblées générales ouvertes à tous où les questions politiques sont débattues collectivement et sans s’en remettre à de soi-disant “professionnels de la lutte”, sont des étapes incontournables pour lutter efficacement contre ce système en pleine décomposition généralisée et pour offrir à l’humanité ce à quoi elle aspire : “un monde meilleur” !
Enkidu (26 mai)
1 Le 19 mai, le Parisien titrait : Québec : les étudiants en grève sont déterminés mais l’opinion reste divisée.
2 Pour bien comprendre cette notion de faillite historique, nous incitons nos lecteurs à consulter notre dossier spécial crise économique, disponible sur notre site web.
3 Fédération étudiante universitaire du Québec.
4 Devant l’ampleur de la mobilisation, le gouvernement québécois tente de restreindre le droit de manifester. Le Point, 18/05/12
5 D’après le site Rue89.
6 Voir nos articles : Face à l’escalade répressive à Valence (Espagne) de mars 2012 et le témoignage sur la manifestation du 19 octobre à Lyon, disponibles sur notre site internet.
7 Ce à quoi des indignés espagnols répondaient par : Ils l’appellent démocratie mais ce n’est pas le cas !, C’est une dictature mais on ne la voit pas !
8 De son côté, Gabriel Nadeau-Dubois, président de la CLASSE, le syndicat le plus radical, a affirmé que le texte était tout simplement anticonstitutionnel et a appelé à la désobéissance civile (le Point, 18/05/12).
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de la publication du CCI en Espagne, Acción Proletaria, qui tire le bilan de la journée d’action du 29 mars (voir notre site Web sur ce sujet) en s’appuyant en particulier sur les différents tracts diffusés dans les cortèges de manifestants et sur les débats qui ont suivi sur différents forums sur la question de “comment lutter ?”.
Sii aujourd’hui les syndicats nous appellent à un arrêt de travail général, qu’ils osent appeler grève, et parlent “d’aller dans la rue”, c’est justement pour saboter notre lutte ; pour nous encadrer, pour nous contrôler, pour maintenir la paix sociale avec des simulacres d’opposition ; pour que les réponses aux attaques contre nos conditions de vie empruntent les voies légales de la démocratie, ce qui signifie que tout continue à l’identique ou bien pire.”
Face à la convocation de grève pour le 29 mars, le CCI a ouvert une rubrique de débat dans notre site Web où l’on a recueilli des réflexions des camarades, des tracts distribués par des collectifs divers, des débats qui ont eu lieu ici ou là, etc. 1. Il s’agit de laisser la parole aux minorités les plus actives et conscientes qui expriment l’effort en train d’émerger au sein de la classe ouvrière pour se libérer des chaînes syndicales et pour mettre en avant une alternative de lutte qui réunisse la défense contre les coupes budgétaires et la perspective de destruction du capitalisme, la construction d’une nouvelle société.
La citation avec laquelle commence cet article est prise d’un des tracts que nous avons inclus dans cette rubrique 2 et qui dénonce clairement ce qu’a représenté le 29 mars : une escroquerie pour nous démobiliser.
Les méthodes syndicales de lutte
Les syndicats créent de plus en plus de méfiance dans les rangs ouvriers, mais il faudrait aller au fond des choses : le problème n’est pas seulement le fait des syndicats en tant qu’organes participant des réseaux de l’Etat capitaliste, le problème est aussi le syndicalisme, c’est-à-dire une manière de concevoir la lutte, une manière de s’organiser et des méthodes d’action qui, malgré les meilleures intentions, nous amènent toujours à la défaite.
Comme le dit un camarade dans le débat sur le site Libcom 3, le syndicalisme limite “les conflits du travail à une entreprise ou à un secteur particulier, en empêchant, avec des entraves diverses, que la lutte ne s’étende au reste des prolétaires”, il répand “une mentalité individualiste et purement économique chez les “citoyens travailleurs”, “en oubliant” et en affaiblissant la réflexion sur la dimension politique et collective des problèmes du prolétariat” et prônant “l’action déléguée et individuelle, en minant la possibilité d’auto-organisation et de solidarité”. Donc, la façon avec laquelle les grèves syndicales sont envisagées “est négative : obéir aux syndicats sans la moindre réflexion ou discussion collective ; mener les actions absurdes des piquets qui, au lieu de renforcer la solidarité, l’union et la confiance en soi au sein de la classe ouvrière, restent fixés sur le fait “que personne ne travaille”, avec le seul objectif d’entasser des chiffres pour les évaluations sur l’emprise syndicale ; cela n’offre aucun espace pour que les millions de chômeurs, les étudiants et les retraités renouent le contact et mènent des luttes communes avec ceux qui ont encore un travail” 4.
La grève est une arme de la classe ouvrière qui sert à développer son unité, à affirmer sa conscience, à créer sa propre organisation ; la grève syndicale sert à tout le contraire, c’est pour cela que les syndicats “alternatifs” (CGT, CNT, etc.), “quelles que soient leurs couleurs, au-delà de leurs propositions ou de leurs dénonciations des syndicats majoritaires, ne sont au fond que l’appendice “radical” des “syndicats responsables”. Ils ont totalement participé à cette “grève” sans dire un mot sur le piège que ces soi-disant luttes représentent. Au contraire, le seul problème qu’ils dénoncent, c’est que les grands syndicats ne fassent pas ce type d’appel plus souvent...” 5.
Dans le débat sur Libcom, un des interlocuteurs dit : “Je pense que ce serait très difficile de faire participer beaucoup de monde dans une grève faite sous le slogan “À bas le capitalisme, révolution de suite !”.” Tout syndicat s’oppose, bien entendu, à une lutte révolutionnaire puisque son existence même en tant que syndicat est liée à la conservation du capitalisme, mais, en plus, il s’oppose aussi à n’importe quelle lutte revendicative véritable, parce que, comme répond le camarade cité : “L’équation “lutte pour améliorer ou défendre les conditions de vie et de travail = syndicalisme” est erronée.”
Sous le capitalisme on ne peut pas vivre
La dynamique des attaques, du chômage déchaîné, de la crise généralisée, pose une question simple : est-ce qu’on peut continuer à vivre sous le capitalisme ?
Depuis qu’on est enfant, on nous éduque avec les idées : “tout dépend de nous”, “si tu fais bien les choses”, tu auras “une vie stable et confortable”, “tu auras comme récompense des enfants, une maison, une voiture, une deuxième résidence, des croisières de vacances” et encore d’autres merveilles consuméristes. “... Nous pensons que si ça va bien pour nous, pour un autre, ce devrait être pareil, et si ce n’est pas le cas, c’est parce que celui-là a dû faire quelque chose de mal ou alors, c’est un fainéant, un inutile ou un incompétent” 6.
Après tant d’années de crise et surtout avec l’accélération des cinq dernières années, ces contes de fées s’écroulent : “On entend la même rengaine : étudie, travaille, fais encore des efforts, ne proteste pas, achète-toi une voiture et un appartement, sois quelqu’un... Et maintenant ? Tout ce pour quoi on nous a éduqués apparaît comme un mensonge” 7. On a beau avoir plein de titres universitaires, on a beau accumuler de l’expérience professionnelle, être consciencieux au travail, le futur se présente comme un tunnel sans fin rempli de précarité, de chômage et de misère.
Nous assistons au lent effondrement d’un système social qui a derrière lui un siècle de décadence. Ce n’est pas seulement la crise économique et sociale si grave déjà en elle-même ! C’est aussi la destruction environnementale, les guerres impérialistes, la barbarie morale la plus dégradée ! C’est pour cela que face à la sous-estimation éhontée de la crise que les syndicats nous dépeignent pour nous faire croire “qu’un autre capitalisme est possible” dûment “reformé”, nous souscrivons à ce que des camarades de la ville de Palencia affirment dans leur dénonciation :
“Pour eux, autant la crise que les coupes faites dans les droits des travailleurs sont la conséquence des actes de certains gouvernements et “de spéculateurs avides”. Ceci est faux, la crise et ses effets sont inhérents au système capitaliste, et non pas la conséquence directe des actions de “quelques individus sans scrupules”. Les crises se succèdent les unes après les autres depuis les débuts du système capitaliste lui-même, et elles ne peuvent être que de plus en plus graves. Si l’on sort de cette crise, on retombera dans une autre bien pire. Le capitalisme est un système économique en décadence.”
Toutes les voix du monde politique, patronal et syndical, en y incluant les “nouveaux radicaux” de DRY, nous prêchent que “tout cela peut s’arranger”. La droite et le patronat proposent comme remède d’autres coupes, plus de flexibilité, des sacrifices… La gauche et les syndicats proposent d’autres mesures : des nationalisations, des impôts supplémentaires pour les riches, des audits sur les dettes et encore d’autres rapiéçages. Des deux cotés, on veut surtout nous écarter de la voie de la lutte massive contre ce système d’exploitation et nous dévoyer vers l’impasse du sacrifice pour faire tenir debout ce système pourri. C’est pour cela que nous soutenons cette analyse de camarades de Barcelone :
“Les réformes, les différentes alternatives qu’on nous offre : un capitalisme à visage humain, avec des formes différentes de production et de distribution, une “bonne gestion citoyenne”, la décroissance, l’anti-globalisation, des changements dans le gouvernement, des négociations syndicales et toutes les autres variantes qui prétendent changer le monde sans révolution ; ce ne sont que des manœuvres pour nous emberlificoter et détruire toute tentative de lutte. Ce sont des mécanismes et des appareils fabriqués dans le but de nous faire gober tout ce qu’ils veulent nous faire gober” 8.
Ce système ne peut pas être reformé et ses bénéficiaires – la classe dominante – fera tout ce qu’elle pourra, quels que soient les dégâts, pour garder ses privilèges : “La vie de l’immense majorité de l’humanité doit être poussée au-delà de toute limite pourvu que les coffres du capital soient sauvegardés, pourvu que la banqueroute de ce système moribond soit évitée. Les gouvernements du monde entier et de toute couleur politique, en tant que représentants du monde de l’argent, appliquent les mêmes mesures terroristes que le capital exige partout” 9.
Comment développer une lutte contre les attaques du capitalisme qui prépare simultanément les conditions pour un changement révolutionnaire ?
Si le capitalisme nous condamne à une éternelle non-vie, si son Etat, ses politiciens, ses syndicalistes, ne font pas autre chose que nous conduire vers l’abîme, alors le fait de nous unir, de nous organiser, de lutter, tous ensemble, à partir de la base, ce n’est pas un bel idéal, mais un besoin vital. “Ensemble, nous pouvons tout changer”, voilà le slogan simple et percutant avec lequel les camarades d’Alicante concluent leur appel : “Il faut en finir avec les têtes qui se baissent, les gosiers qui avalent tout, les yeux qui regardent ailleurs devant les humiliations quotidiennes, parce que lorsqu’on accepte le mauvais avec résignation, on s’enfonce encore pire” 10.
Il est évident que ce combat est difficile parce que “se débarrasser totalement des mensonges dans un monde construit sur la falsification est une tache titanesque (…) Il est difficile de combattre un système dont les tentacules s’étendent aux moindres recoins de notre vie” 11. Mais, pour avancer, le plus important, c’est le développement de l’unité, de la solidarité, de la conscience et de l’auto-organisation dans nos propres rangs.
Face à la “grève syndicale” qui est conçue pour nous broyer et nous réduire à un tas de poussière, d’individus enfermés sur eux-mêmes, “une grève c’est bien plus que ne pas aller travailler un jour. Ce qui est important, c’est ce que l’on vit et ce que l’on crée, c’est la rencontre et les expériences qui en surgissent. C’est là la base du succès ou de l’échec d’une grève et non pas dans les chiffres du suivi ou dans la manif-procession de l’après-midi” 12.
Il s’agit de “devenir conscients de la réalité d’un monde en faillite. Occuper les rues, les libérer de la marchandise et les ouvrir à la communication et à l’action collectives” 13.
Il ne s’agit pas de “se foutre” des appels comme celui pour la grève du 29 mars, en même temps qu’on les dénonce, il faut tout faire pour y porter la lutte en vue du développement des forces du prolétariat ; comme le dit un camarade : ““Sortir de la normalité” du chacun pour soi et de l’acceptation résignée et sans critique de tout ce qui nous tombe dessus, voilà des pas importants” 14.
C’est pour cela que l’initiative des camarades d’Alicante est très importante :
“Nous proposons de créer un espace de participation, critique, unitaire et de lutte pour l’annulation de la réforme du travail et contre toute forme d’exploitation, ayant comme fondement l’auto-organisation en assemblées.”
Dans cet espace, “on pourrait essayer de récupérer sa propre vie : retrouver des gens qui ressentent des choses semblables à celles qui nous remuent les tripes ces derniers temps, partager la rage, les expériences, les émotions et la recherche d’alternatives, s’organiser et lutter pour avoir une vie qu’on puisse considérer comme libre” 15.
Cependant, le chemin est long et plein d’obstacles et, comme le dit un camarade, même s’il commence à se faire jour “une plus grande prédisposition et acceptation des critiques dirigées contre le système capitaliste, et des idées qui parlent de la nécessité d’une protestation massive. Les quatre dernières années de crise (ou de la dernière éruption de la maladie chronique du capitalisme), et tout ce que nous attend, sont en train de faire apparaître un changement d’état d’esprit lent, souterrain mais certain. Ceci dit, une alternative claire au niveau social et politique n’est toujours pas apparue” (16.
Acción Proletaria (20 mai 2012)
1 Voir, en espagnol, Debate sobre la huelga general (Débat sur la grève générale) :
2 Voir (en esp.) https://es.internationalism.org/node/3374 [317]
3 Voir https://es.internationalism.org/node/3381 [318]
4 Idem.
5 Idem.
6 Voir (esp) https://es.internationalism.org/node/3376 [319]
7 Voir (esp) https://es.internationalism.org/node/3379 [320]
8 Idem, note 2.
9 Idem.
10 Idem, note 6.
11 Idem, note 7.
12 Idem.
13 Idem.
14 Voir https://es.internationalism.org/node/3369 [321]
15 Idem, note 6.
16 Idem, note 14.
En Syrie, chaque jour qui passe apporte son nouveau lot de massacres. La récente horreur frappant la ville d’Houla est particulièrement atroce et révoltante Ce pays a rejoint les terrains des guerres impérialistes au Moyen-Orient. Après la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan et la Libye, voici maintenant venu le temps de la Syrie.
Malheureusement, cette situation pose immédiatement une question particulièrement inquiétante. Que va-t-il se passer dans la période à venir ? En effet, le Proche et le Moyen-Orient dans leur ensemble paraissent au bord d’un embrasement dont on voit difficilement l’aboutissement. Derrière la guerre en Syrie, c’est l’Iran qui attise aujourd’hui toutes les peurs et les appétits impérialistes, mais tous les principaux brigands impérialistes sont également préparés à défendre leurs intérêts dans la région. Celle-ci est sous la menace permanente de la guerre, d’une guerre dont les conséquences dramatiques seraient irrationnelles et destructrices pour le système capitaliste lui-même.
Pour le mouvement ouvrier international, comme pour tous les exploités de la terre, la réponse à cette question ne peut être que la suivante : le responsable et le seul, c’est le capital. C’était déjà le cas pour les boucheries des Première et Seconde Guerres mondiales. Mais aussi des guerres incessantes qui, depuis celles-ci, ont fait à elles seules plus de morts que ces deux guerres mondiales réunies. Il y a un peu plus de 20 ans, George Bush, alors président des Etats-Unis, et ceci bien avant que son propre fils n’accède à la Maison Blanche, déclarait d’un air triomphant “que le monde entrait dans un nouvel ordre mondial”. Le bloc soviétique s’était littéralement écroulé. L’URSS disparaissait et, avec elle, devaient disparaître également toutes les guerres et les massacres. Grâce au capitalisme enfin triomphant et sous le regard bienveillant et protecteur des États-Unis, la paix allait désormais régner dans le monde. Que de mensonges encore une fois démentis immédiatement par la réalité. N’est-ce pas ce même président qui allait, peu après ce discours cynique et hypocrite, déclencher la première guerre d’Irak ?
En 1982 l’armée syrienne avait réprimé dans le sang la population révoltée de la ville de Hama. Le nombre de victimes n’a jamais pu être déterminé avec certitude : les estimations varient entre 10 000 et 40 000. Personne à l’époque n’avait parlé d’intervention pour secourir la population, personne n’avait exigé le départ de Hafez El-Assad, père de l’actuel président syrien. Le contraste avec la situation actuelle n’est pas mince ! La raison en est qu’en 1982, la scène mondiale était encore dominée par la rivalité entre les deux grands blocs impérialistes. Malgré le renversement du Shah d’Iran par le régime des Ayatollahs au début 1979 et l’invasion russe de l’Afghanistan un an après, la domination américaine sur la région n’avait pas été contestée par les autres grandes puissances impérialistes et elle était à même de garantir une relative stabilité.
Depuis lors les choses ont bien changé : l’effondrement du système des blocs et l’affaiblissement du “leadership” américain donnent libre cours aux appétits impérialistes des puissances régionales que sont l’Iran, la Turquie, l’Égypte, la Syrie, Israël... L’approfondissement de la crise réduit les populations à la misère et attise leur sentiment d’exaspération et de révolte face aux régimes en place.
Si aujourd’hui aucun continent n’échappe à la montée des tensions inter-impérialistes, c’est au Moyen-Orient que se concentrent tous les dangers. Et, au centre de ceux-ci, nous trouvons en premier lieu la Syrie, après plusieurs mois de manifestations contre le chômage et la misère et qui impliquaient des exploités de toutes origines : Druzes, Sunnites, Chrétiens, Kurdes, hommes, femmes et enfants tous unis dans leurs protestations pour une vie meilleure. Mais la situation dans ce pays a pris une sinistre tournure. La contestation sociale y a été entraînée, récupérée, sur un terrain qui n’a plus rien à voir avec ses raisons d’origine. Dans ce pays, où la classe ouvrière est très faible et les appétits impérialistes très forts, cette triste perspective était, en l’état actuel des luttes ouvrières dans le monde, pratiquement inévitable.
Au sein de la bourgeoisie syrienne, tous se sont jetés tels des charognards sur le dos de cette population révoltée et en détresse. Pour le gouvernement en place et les forces armées pro Bachar Al-Assad, l’enjeu est clair. Il s’agit de garder le pouvoir à tout prix. Pour l’opposition, dont les différents secteurs sont prêts à s’entre-tuer et que rien ne réunit si ce n’est la nécessité de renverser Bachar el-Assad, il s’agit de prendre ce même pouvoir. Lors des réunions de ces forces d’opposition à Londres et à Paris, il y a peu de temps, aucun ministre ou service diplomatique n’a voulu préciser leur composition. Que représente le Conseil national syrien ou le Comité national de coordination ou encore l’Armée syrienne libre ? Quel pouvoir ont en leur sein les Kurdes, les Frères musulmans ou les djihadistes salafistes ? Ce n’est qu’un ramassis de cliques bourgeoises, chacune rivalisant avec les autres. Une des raisons pour lesquelles le régime d’Assad n’a pas encore été renversé, c’est qu’il a pu jouer sur les rivalités internes à la société syrienne. Ainsi, les chrétiens voient d’un mauvais œil la montée des islamistes et craignent de subir le même sort que les coptes en Égypte ; une partie des Kurdes essaie de négocier avec le régime ; et ce dernier garde le soutien de la minorité religieuse alaouite dont fait partie la clique présidentielle.
De toute façon, le Conseil national n’existerait pas militairement et politiquement de manière significative s’il n’était pas soutenu par des forces extérieures, chacune essayant de tirer ses marrons du feu. Au nombre d’entre elles, il faut citer les pays de la Ligue arabe, Arabie Saoudite en tête, la Turquie, mais également la France, la Grande-Bretagne, Israël et les États-Unis.
Tous ces requins impérialistes prennent le prétexte de l’inhumanité du régime syrien pour préparer la guerre totale dans ce pays. Par l’intermédiaire du média russe la Voix de Russie, relayant la chaîne de télévision publique iranienne Press TV, des informations ont été avancées selon lesquelles la Turquie s’apprêterait, avec le soutien américain, à attaquer la Syrie. A cet effet, l’État turc masserait troupes et matériels à sa frontière syrienne. Depuis lors, cette information a été reprise par l’ensemble des médias occidentaux. En face, en Syrie, des missiles balistiques sol-sol de fabrication russe ont été déployés dans les régions de Kamechi et de Deir ez-Zor, à la frontière de l’Irak. Car le régime de Bachar Al-Assad est lui-même soutenu par des puissances étrangères, notamment la Chine, la Russie et l’Iran.
Cette bataille féroce des plus puissants vautours impérialistes de la planète à propos de la Syrie se mène également au sein de cette assemblée de brigands qui est dénommée ONU. En son sein, la Russie et la Chine avaient à deux reprises mis leur veto à des projets de résolution sur la Syrie, dont le dernier appuyait le plan de sortie de crise de la Ligue arabe prévoyant ni plus ni moins que la mise à l’écart de Bachar Al-Assad. Après plusieurs jours de tractations sordides, l’hypocrisie de tous s’est encore étalée au grand jour. Le Conseil de sécurité des Nations unies, avec l’accord de la Russie et de la Chine, a adopté le 21 mars dernier une déclaration qui vise à obtenir un arrêt des violences, grâce à l’arrivée dans ce pays d’un envoyé spécial de renom, monsieur Kofi Annan, tout cela n’ayant par ailleurs bien entendu aucune valeur contraignante. Ce qui veut dire en clair que cela n’engage en réalité que ceux qui y croient. Tout cela est sordide.
La question que nous pouvons nous poser est alors bien différente. Comment se fait-il que, pour le moment, aucune puissance impérialiste étrangère impliquée dans cet affrontement n’ait encore frappé directement – évidemment en défense de ses intérêts nationaux – comme ce fut par exemple le cas en Libye, il y a seulement quelques mois ? Principalement parce les fractions de la bourgeoisie syrienne s’opposant à Bachar Al-Assad le refusent officiellement. Elles ne veulent pas d’une intervention militaire massive étrangère et elles le font savoir. Chacune de ces fractions a très certainement la crainte légitime de perdre dans ce cas-là toute possibilité de diriger elle-même le pouvoir. Mais ce fait ne constitue pas une garantie que la menace de la guerre impérialiste totale, qui est aux portes de la Syrie, ne fasse pas irruption dans ce pays dans la période qui vient. En fait, la clé de la situation réside certainement ailleurs.
On ne peut que se demander pourquoi ce pays attise aujourd’hui autant d’appétits impérialistes de par le monde. La réponse à cette question se trouve à quelques kilomètres de là. Il faut tourner les yeux vers la frontière orientale de la Syrie pour découvrir l’enjeu fondamental de cette empoignade impérialiste et du drame humain qui en découle. Celui-ci a pour nom Iran.
Le 7 février dernier le New York Times déclarait : “La Syrie c’est déjà le début de la guerre avec l’Iran”. Une guerre qui n’est pas encore déclenchée directement, mais qui est là, tapie dans l’ombre du conflit syrien.
En effet le régime de Bachar Al-Assad est le principal allié régional de Téhéran et la Syrie constitue une zone stratégique essentielle à l’Iran. L’alliance avec ce pays permet en effet à Téhéran de disposer d’une ouverture directe sur l’espace stratégique méditerranéen et israélien, avec des moyens militaires directement au contact de l’État hébreu. Mais cette guerre potentielle, qui avance cachée, trouve ses racines profondes dans l’enjeu vital que représente le Moyen-Orient au moment où se déchaînent de nouveau toutes les tensions guerrières contenues dans ce système pourrissant.
Cette région du monde est un grand carrefour qui se situe à la croisée de l’Orient et de l’Occident. L’Europe et l’Asie s’y rencontrent à Istanbul. La Russie et les pays du Nord regardent par-dessus la Méditerranée le continent africain et les vastes océans. Mais, plus encore, alors que l’économie mondiale a commencé à vaciller sur ses bases, l’or noir devient une arme économique et militaire vitale. Chacun doit tenter de contrôler son écoulement. Sans pétrole n’importe qu’elle usine se retrouve à l’arrêt, tout avion de chasse reste cloué au sol. Cette réalité fait partie intégrante des raisons pour lesquelles tous ces impérialismes s’impliquent dans cette région du monde. Pourtant, toutes ces considérations ne constituent pas les motifs les plus opérants et pernicieux qui poussent cette région dans la guerre.
Depuis maintenant plusieurs années, les États-Unis, la Grande-Bretagne, Israël et l’Arabie Saoudite ont été les chefs d’orchestre d’une campagne idéologique anti-iranienne. Cette campagne vient de connaître un violent coup d’accélérateur. En effet, le tout récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie atomique (AIEA) laisse entendre une possible dimension militaire aux ambitions nucléaires de l’Iran. Et un Iran possédant l’arme atomique est insupportable pour bon nombre de pays impérialistes de par le monde. La montée en puissance d’un Iran nucléarisé, s’imposant dans toute la région, est totalement insupportable pour tous ces requins impérialistes, d’autant plus que le conflit israélo-palestinien y maintient une instabilité permanente. L’Iran est totalement encerclé militairement. L’armée américaine est installée à proximité de toutes ses frontières. Quant au Golfe Persique, il regorge d’une telle quantité de bâtiments de guerre de tous ordres que l’on pourrait le traverser sans se mouiller les pieds ! L’État israélien ne cesse de proclamer qu’il ne laissera jamais l’Iran posséder la bombe atomique et, selon ses dires, l’Iran devrait en être doté dans un délai maximum d’un an. L’affirmation proclamée haut et fort à la figure du monde est effrayante car ce bras de fer est très dangereux : l’Iran n’est pas l’Irak, ni même l’Afghanistan. C’est un pays de plus de 70 millions d’habitants avec une armée “respectable”.
Mais l’utilisation de l’arme atomique par l’Iran n’est pas le seul danger, ni le plus important : ces derniers temps, les dirigeants politiques et religieux iraniens ont affirmé qu’ils riposteraient par tous les moyens à leur disposition si leur pays était attaqué. Celui-ci dispose d’un moyen de nuisance dont personne n’est en mesure d’évaluer la portée. En effet, si l’Iran était conduit à empêcher, y compris en coulant ses propres bateaux, toute navigation dans le détroit d’Ormuz, la catastrophe serait mondiale.
Une partie considérable de la production mondiale de pétrole ne pourrait plus parvenir à ses destinataires. L’économie capitaliste en pleine crise de sénilité serait alors automatiquement entraînée dans une tempête de force maximale. Les dégâts seraient incommensurables sur une économie déjà particulièrement malade.
Les conséquences écologiques peuvent être irréversibles. Attaquer des sites atomiques iraniens, qui sont enterrés sous des milliers de tonnes de béton et de mètres cubes de terre, nécessiterait une attaque aérienne tactique aux moyens de frappes atomiques ciblées. C’est ce qu’expliquent les experts militaires de toutes ces puissances impérialistes. Si tel était le cas, que deviendrait l’ensemble de la région du Moyen-Orient ? Quelles seraient les retombées sur les populations et l’écosystème, y compris à l’échelle planétaire ? Tout ceci n’est pas le produit d’une imagination morbide sortie du cerveau d’un Docteur Folamour totalement fou. Ce n’est pas non plus un scénario pour un nouveau film catastrophe. Ce plan d’attaque fait partie intégrante de la stratégie étudiée et mise en place par l’État israélien et, avec plus de recul pour le moment, par les États-Unis. L’État-major de l’armée israélienne étudie, dans ses préparatifs, la possibilité, en cas d’échec d’une attaque aérienne plus classique, de passer à ce stade de destruction. La folie gagne un capital en pleine décadence.
Depuis le déclenchement des guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye au cours des années précédentes, le chaos le plus total règne dans ces pays. La guerre s’y poursuit interminablement. Les attentats sont quotidiens et meurtriers. Les populations tentent désespérément de survivre au jour le jour. La presse bourgeoise l’affirme : “L’Afghanistan est sujet à une lassitude générale. A la fatigue des Afghans répond la fatigue des occidentaux”. (le Monde du 21-03-2012) Si, pour la presse bourgeoise, tout le monde semble fatigué de la poursuite sans fin de la guerre en Afghanistan, pour la population ce n’est pas de fatigue qu’il s’agit mais d’exaspération et d’abattement. Comment survivre dans une telle situation de guerre et de décomposition permanente ? Et en cas de déclenchement de la guerre en Iran, la catastrophe humaine serait d’une ampleur encore plus considérable. La concentration de la population, les moyens de destruction qui seraient employés laissent entrevoir le pire. Le pire, c’est un Iran à feu et à sang, un Moyen-Orient plongé dans un chaos total. Aucun de ces assassins de masse à la tête des instances dirigeantes civiles et militaires n’est capable de dire où la guerre en Iran s’arrêterait. Que se passerait-il dans les populations arabes de toutes ces régions ? Que feraient les populations chiites ? Cette perspective est tout simplement humainement effroyable.
Le fait même d’entrevoir seulement une petite partie de ces conséquences effraie les secteurs de la bourgeoisie qui tentent de garder un minimum de lucidité. Le journal koweïtien Al-Jarida vient de laisser filtrer une information, relayant ainsi comme à son habitude les messages que les services secrets israéliens veulent faire connaître publiquement. Son dernier directeur Meir Dagan vient en effet d’affirmer “que la perspective d’une attaque contre l’Iran est la plus stupide idée dont il ait jamais entendu parler.” Tel est l’avis qui semble également exister au sein de l’autre officine des forces secrètes de sécurité externe israélienne : le Shin Bet.
Il est de notoriété publique que toute une partie de l’état-major israélien ne souhaite pas cette guerre. Mais il est également connu qu’une partie de la classe politique israélienne, rassemblée derrière Netanyahou, veut son déclenchement au moment jugé le plus propice pour l’État hébreu. En Israël, pour des raisons de choix de politique impérialiste, la crise politique couve sous les braises d’une guerre possible. En Iran, le chef religieux Ali Khamenei s’affronte également sur cette question avec le président de ce pays, Mahmoud Ahmadinejad. Mais ce qui est le plus spectaculaire, c’est le bras de fer que se livrent les États-Unis et Israël sur cette question. L’administration américaine ne veut pas, pour le moment, d’une guerre ouverte avec l’Iran. Il faut dire que l’expérience américaine en Irak et en Afghanistan n’est guère probante, et que l’administration Obama a préféré jusqu’ici se fier aux sanctions de plus en plus lourdes. La pression des États-Unis sur Israël, pour que cet État patiente, est énorme. Mais l’affaiblissement historique du leadership américain se fait même sentir sur son allié traditionnel au Moyen-Orient. Israël affirme haut et fort que, de toute manière, il ne laissera pas l’Iran posséder l’arme atomique, quel que soit l’avis de ses plus proches alliés. La main de fer de la surpuissance américaine continue à s’affaiblir et même Israël conteste maintenant ouvertement son autorité. Pour certains commentateurs bourgeois, il pourrait s’agir là potentiellement d’une première rupture du lien États-Unis-Israël, jusqu’ici indéfectible.
Le joueur majeur de la région immédiate est la Turquie, avec les forces armées les plus importantes du Moyen-Orient (plus de 600 000 en service actif). Alors que ce pays était autrefois un allié indéfectible des États-Unis et un des rares amis d’Israël, avec la montée du régime Erdogan la fraction plus “islamiste” de la bourgeoisie turque est tentée de jouer sa propre carte d’islamisme “démocratique” et “modéré”. De ce fait, elle essaie de profiter des soulèvements en Égypte et en Tunisie. Et cela explique aussi le revirement de ses relations avec la Syrie. Il fut un temps où Erdogan prenait ses vacances avec Assad mais, à partir du moment où le leader syrien a refusé d’obtempérer aux exigences d’Ankara et de traiter avec l’opposition, l’alliance a été rompue. Les efforts de la Turquie d’exporter son propre “modèle” d’islam “modéré” sont d’ailleurs en opposition directe avec les tentatives de l’Arabie Saoudite d’accroître sa propre influence dans la région en s’appuyant sur le wahhabisme ultra-conservateur.
La possibilité du déclenchement d’une guerre en Syrie, et peut être ensuite en Iran, est à ce point présente que les alliés de ces deux pays que sont la Chine et la Russie réagissent de plus en plus fortement. Pour la Chine, l’Iran est d’une grande importance puisqu’elle lui fournit 11% de ses besoins énergétiques. Depuis sa percée industrielle, la Chine est devenue un nouveau joueur de taille dans la région. Au mois de décembre dernier, elle mettait en garde contre le danger de conflit mondial autour de la Syrie et de l’Iran. Ainsi elle déclarait par la voix du Global Times : “L’Occident souffre de récession économique, mais ses efforts pour renverser des gouvernements non occidentaux en raisons d’intérêts politiques et militaires est à son point culminant. La Chine, tout comme son voisin géant la Russie, doit rester en alerte au plus haut niveau et adopter les contre-mesures qui s’imposent.” Même si une confrontation directe entre les grandes puissances impérialistes du monde n’est pas envisageable dans le contexte mondial actuel, de telles déclarations mettent en évidence le sérieux de la situation.
Le Moyen-Orient est une poudrière et certains sont tout près d’y mettre le feu. Certaines puissances impérialistes envisagent et organisent froidement l’utilisation de certaines catégories d’armes atomiques dans une prochaine guerre éventuelle contre l’Iran.
Des moyens militaires sont déjà prêts et disposés stratégiquement à cet effet. Comme, dans le capitalisme agonisant, le pire est toujours le plus probable, nous ne pouvons pas écarter totalement cette éventualité. Dans tous les cas, la fuite en avant du capitalisme devenu entièrement sénile et obsolète conduit l’irrationalité de ce système toujours plus loin. La guerre impérialiste, portée à un tel niveau, s’apparente à une réelle autodestruction du capitalisme. Que le capitalisme, maintenant condamné par l’histoire, disparaisse n’est pas un problème pour le prolétariat et pour l’humanité. Malheureusement cette destruction du système par lui-même va de pair avec la menace d’une destruction totale de l’humanité. Cette constatation de l’enfoncement du capitalisme dans un processus de destruction de la civilisation ne doit pas nous conduire à l’abattement, au désespoir ou à la passivité. Dans cette même revue, au premier trimestre de cette année, nous écrivions ceci : “La crise économique n’est pas une histoire sans fin. Elle annonce la fin d’un système et la lutte pour un autre monde.” Cette affirmation s’appuie sur l’évolution de la réalité de la lutte de classe internationale. Cette lutte mondiale pour un autre monde vient de commencer. Certes difficilement et à un rythme encore lent, mais elle est maintenant bien présente et en marche vers son développement. C’est cette force à nouveau en mouvement, dont la lutte des Indignés en Espagne au printemps dernier en est, pour le moment, l’expression la plus marquante, qui nous permet d’affirmer qu’existent potentiellement les capacités de faire disparaître toute cette barbarie capitaliste de la surface de notre planète.
Tino (mai 2012)
Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits d’un article réalisé par Internationalism US, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
En revenant sur différentes grèves qui ont frappé le Canada ces deux dernières années, ce texte révèle l’ampleur de la colère qui gronde aussi dans ce coin de la planète, là où pourtant, nous dit-on, le capitalisme est “incroyablement dynamique et relativement épargné par la crise grâce aux réformes structurelles déjà réalisées et donc aux sacrifices consentis”.
En Europe, de ces luttes, rien n’a filtré médiatiquement, le black-out a été total. Tout au plus avons nous eu, à partir de la fin mai, des bribes d’informations sur le “printemps d’érable”, ce mouvement de contestation des étudiants vivant au Québec et s’inspirant des Indignés et des Occupy, alors même que les jeunes se battaient déjà depuis plusieurs mois.
Le premier élément frappant à la lecture des lignes rédigées par nos camarades est la similitude des racines profondes de la contestation qui se développe progressivement à travers le monde, de part et d’autres des continents : ce mécontentement grandissant face à la dégradation continue de nos conditions de vie et de travail et ce refus d’un avenir toujours plus sombre.
Le second élément est le sabotage permanent et pernicieux de tous ceux qui sont estampillés officiellement “professionnels de la lutte” : les syndicats.
A partir de l’été 2011, avec des tensions à Air Canada, la grève puis le lock-out dans les postes, le Canada a connu une série d’actions sur les lieux de travail qui ont touché nombre d’industries centrales au niveau national, provincial et local. De plus, bien que le mouvement Occupy ait été beaucoup moins spectaculaire au Canada qu’ailleurs, les étudiants au Québec se sont engagés dans une lutte déterminée et prolongée contre les plans du gouvernement provincial, couvert de dettes, d’augmenter les droits d’inscription à l’université, arrêtant la circulation dans Montréal à plusieurs reprises et contraignant l’appareil répressif de l’État du Québec à montrer les dents une fois de plus.
Juste un mois après que les conservateurs aient acquis la majorité gouvernementale, des tensions ouvrières éclatent à la Poste sous la forme d’une série de grèves tournantes dans tout le pays. En colère à cause de l’intransigeance de la direction dans les négociations contractuelles, préoccupés pour leur retraite, et par la détérioration de leurs conditions de vie et de sécurité, la combativité grandit chez les postiers, obligeant le Syndicat canadien des ouvriers de la poste (CUPW) à déclencher des grèves tournantes début juin 2011. Les postiers canadiens sont traditionnellement un des secteurs les plus combatifs du pays, obligeant régulièrement les syndicats à suivre une ligne apparemment plus radicale.
Après douze jours de grèves tournantes dans différentes villes du pays, la Poste canadienne riposte en “lock-outant” l’ensemble des 48 000 ouvriers syndiqués à la mi-juin, arrêtant complètement la distribution du courrier dans tout le pays. Incapables d’ignorer cet événement, les medias bourgeois initient à toute vitesse une grande discussion sur “l’obsolescence technologique” de la Poste et les medias plus à gauche sur le besoin de “protéger le service public vital”. Les medias versent des larmes de crocodile sur les citoyens âgés qui ne vont pas pouvoir payer leurs factures à temps, alors qu’ils n’expriment que fort peu de sympathie pour les travailleurs de la poste “surpayés” dont les services ne sont plus aussi essentiels qu’avant pour l’économie nationale. “Pourquoi les contribuables devraient-t-ils payer pour les postiers quand le même travail peut être fait par des compagnies privées pour beaucoup moins ?” est une question qui revient fréquemment dans les débats et sur les forums Internet.
La direction de la Poste canadienne assure que le lock-out est nécessaire parce que les grèves tournantes affectent le volume de courrier et entraînent déjà une perte de 103 millions de dollars. Comment le lock-out et l’arrêt complet de la distribution de courrier sont-ils supposés y remédier ? Mystère. Dès que le lock-out est annoncé, le gouvernement conservateur commence à faire grand bruit d’une loi à soumettre au parlement sur la reprise du travail – la même tactique qu’il avait adoptée en réponse aux grèves simultanées des agents du service clientèle d’Air Canada (voir plus bas). En fait, la direction de la Poste canadienne a en tête l’intervention du gouvernement fédéral quand elle annonce le lock-out. Sa tactique est claire : lock-outer les travailleurs, créer une “crise nationale” et attendre que le gouvernement fédéral intervienne en faveur de la direction et sorte ainsi le pays de l’impasse.
Et c’est finalement exactement ce que fait le gouvernement fédéral, en imposant aux postiers de reprendre le travail dans des conditions moins favorables que celles proposées précédemment par la direction ! Selon le ministre du travail conservateur, Lisa Raitt, la législation est nécessaire pour “protéger le redressement économique du Canada”. Cela déclenche une véritable campagne à gauche contre la loi sur le retour au travail, plusieurs députés NDP tentant de “toutes leurs forces” d’empêcher la loi de passer au parlement en agitant la menace de… l’obstruction parlementaire dans le style américain. Les experts supposés favorables aux postiers pleurent sur la dégradation de la “démocratie canadienne” et sur le fait que la négociation collective est sapée. Selon eux, à partir de maintenant, les employeurs ne seront plus motivés pour négocier de bonne foi, et attendront que le gouvernement se mette finalement de leur côté. Le futur leader du NDP, Thomas Mulcair, fait part de sa réflexion : “c’est le gouvernement lui-même, à travers une corporation de la Couronne, qui a provoqué le lock-out imposé par les employeurs. Le même gouvernement change maintenant d’avis et critique une situation qu’il a créée lui-même” ([1]).
Finalement, le NDP et le CUPW s’avèrent évidemment impuissants à empêcher la promulgation de la loi sur le retour au travail. Quelles qu’aient été leurs démonstrations théâtrales au parlement, ils ne peuvent pas empêcher le gouvernement conservateur de faire ce qu’il veut. Mobilisés derrière les syndicats et le NDP, les postiers n’ont aucune idée de comment résister à ce que le gouvernement leur impose.
Au cours de l’année passée, Air Canada est la seconde grande entreprise nationale frappée par des tensions sociales. Alors que les grèves tournantes à la Poste canadienne entrent dans leur seconde semaine à la mi-juin 2011, les agents du service clientèle de la compagnie aérienne nationale entrent en grève, exaspérés par la politique de la compagnie en matière de retraite qui conduirait à passer d’une pension fixe à un taux variable.
Afin de “maintenir en vie la compagnie”, les organisations syndicales acceptent les diminutions de salaires, la modification des règles de travail et un certain nombre de licenciements. La lutte des agents du service clientèle est d’autant plus dure que leurs syndicats acceptent une diminution de 10 % du salaire, l’abandon d’une semaine de congés, du paiement des pauses déjeuners et des congés maladie. En vérité, depuis le début des années 2000, les conditions de travail se dégradent de façon constante au sein de cette compagnie. En 2004 et 2005, le syndicat accepte une diminution supplémentaire de 2,5 % des salaires. Bien qu’on note une modeste amélioration de 2006 à 2008, dès 2009 Air Canada menace déjà d’une nouvelle restructuration qui s’accompagne d’un gel des salaires pour 2009 et 2010. Le projet de la compagnie de lancer une nouvelle ligne “low cost” est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour beaucoup de travailleurs qui voient dans ce projet un moyen de faire chuter leurs salaires.
Le 14 juin 2011, incapables de trouver un accord avec la direction, quelques 3800 agents du service clientèle d’Air Canada arrêtent le travail. En réponse, le gouvernement Harper ne tarde pas à menacer de promulguer une loi sur la reprise du travail. Face à la menace d’une loi sur le retour au travail, la “Canadian Auto Worker’s Union (CAW)”, le syndicat représentant les agents du service clientèle, met rapidement fin à la grève, au bout de trois jours seulement, acceptant un arbitrage exécutoire sur les questions les plus litigieuses.
Cependant, la fin de la grève des agents du service clientèle est loin de ramener la paix sociale à Air Canada. En octobre, les hôtesses de l’air rejettent une tentative d’accord avec la compagnie, pour la seconde fois en trois mois, menaçant de faire une nouvelle grève qui pourrait perturber les vols sur tout le territoire.
Le sentiment en faveur de la grève est fort, obligeant un officiel de la CUPE à concéder que “le rejet de cette seconde tentative d’accord montre à quel point le personnel est mécontent après des années et des années de concessions” ([2]).
Néanmoins, le gouvernement Harper n’est pas enclin à laisser se développer une grève à ce moment là et avertit qu’il va décréter immédiatement la loi sur la reprise du travail. Le ministre du travail Raitt n’attend même pas que le parlement débatte d’une quelconque loi. Il confie l’arbitrage unilatéral du différend au bureau des relations industrielles canadiennes, avec pour conséquence de rendre illégale toute grève des hôtesses de l’air. Tandis que les universitaires déplorent les entraves des conservateurs à la négociation collective – supposée faire partie intégrante du fonctionnement sain d’une “société démocratique” – les responsables du CUPE insistent auprès de leurs membres sur le fait que toute action de grève serait illégale. Dans une note adressée à ses 6800 membres, la CUPE écrit : “notre grève est suspendue pour une durée indéterminée. Donc, le syndicat vous avertit que vous ne pouvez pas faire grève”. Cependant, afin de conserver la confiance des travailleurs, les négociateurs de la CUPE s’en sont pris au gouvernement Harper. Dans une note séparée, ils écrivent : “Appelons un chat un chat. Ce gouvernement n’est pas notre ami. Il essaie de vous enlever le droit de grève. Il utilisera tous les moyens et tous les mensonges à sa disposition” ([3]).
Le cadre est maintenant posé. Les travailleurs déçus par des années de concessions ripostent au gel des négociations contractuelles ou aux tentatives inadaptées d’accord en maintenant une volonté de faire grève ; la direction s’entête, le gouvernement fédéral menace d’intervenir, les syndicats cèdent sur tout, tout en faisant porter la responsabilité au gouvernement des attaques “au droit démocratique à la négociation collective”. L’idée que les travailleurs pourraient faire grève de toute façon – quoique fassent le gouvernement et les syndicats, quelle que soit la légalité de la grève – n’est pas admise par le syndicat, les politiciens de gauche, les universitaires et encore moins par les médias bourgeois.
De plus, ces derniers n’ont jamais toléré l’idée que des travailleurs d’une industrie ou d’un secteur puissent joindre leurs forces à celles de ceux qui subissent les mêmes menaces d’austérité.
Dans le cas des hôtesses de l’air d’Air Canada, cela aurait pu vouloir dire de se joindre aux agents de sécurité qui, pendant qu’elles faisaient grève, avaient déclenché une grève du zèle à l’aéroport Pearson de Toronto, causant des retards importants pendant trois jours au début d’octobre. Personne, au sein de la hiérarchie syndicale, n’aurait-il remarqué la concomitance de ces événements ? Une évidence de plus que le travail des syndicats n’est pas d’étendre la lutte mais d’isoler les travailleurs dans leur propre secteur et dans les barrières du légalisme bourgeois.
Lors de la grève suivante des travailleurs d’Air Canada, les tensions ne peuvent être contenues aussi facilement avec une menace d’intervention gouvernementale. Fin mars 2012, le personnel au sol d’Air Canada déclenche une grève sauvage à l’aéroport Pearson de Toronto. Bien que d’une durée de 12 heures un vendredi matin, la grève sauvage entraîne 84 annulations et le retard de plus de 80 vols. L’agitation gagne rapidement Montréal, Québec, et Vancouver. La grève sauvage des 150 employés au sol à Pearson était une réponse à la décision d’Air Canada de suspendre trois travailleurs qui auraient soi-disant chahuté le ministre Raitt alors qu’elle traversait l’aéroport la veille. L’attachée de presse de Raitt a dit que la ministre avait été suivie dans l’aéroport et “harcelée” par des employés. En réponse à la “grève illégale”, Air Canada licencie 37 employés qui avaient arrêté le travail. Un médiateur indépendant – qui travaillait déjà sur la question du contrat entre Air Canada et ses mécaniciens et pilotes à la demande de Raitt après que le parlement ait adopté la loi interdisant les grèves et lock-out – recommande d’ordonner aux grévistes de reprendre le travail ([4]).
Néanmoins, l’Association internationale des mécaniciens et des travailleurs d’Aerospace (IAMAW) tente de crier victoire en disant qu’ils n’ont accepté d’arrêter le mouvement qu’en recevant l’assurance d’Air Canada que personne ne perdrait son travail et que tous les travailleurs licenciés seraient réintégrés. Le porte parole de l’IAMAW, Bill Trbovich, est cependant obligé d’admettre que son syndicat n’avait pas un contrôle total sur les travailleurs en grève : “nous voudrions que chacun reprenne le travail. Qu’ils veuillent ou non, c’est à voir” ([5]). Pour sa part, Raitt ne manque pas l’occasion de rappeler aux travailleurs qu’ils encourent des amendes allant jusqu’à 1000 dollars par jour pour action illégale.
En réponse à la grève sauvage, les medias déclenchent une véritable attaque, alimentant la colère du public contre Air Canada et ses employés. Les appels à mettre fin aux subventions gouvernementales à Air Canada et faire jouer la concurrence privée envahissent les débats télévisés et les blogs. Il y a une réelle campagne pour s’assurer que le public en ait assez des arrêts de travail sur les lignes nationales. Cependant, la gauche de la bourgeoisie élève aussi la voix, le ministre des affaires intérieures de Terre-Neuve et du Labrador, Gerry Rogers – dont le vol a été retardé sur le tarmac à l’aéroport Pearson – soutient publiquement les travailleurs. Il dit : “nous ne pouvons pas continuer à avoir un gouvernement qui intervienne de cette façon et casse les syndicats. Cela concerne les droits des travailleurs et je soutiens entièrement leur action. Si je dois attendre dans cet aéroport pendant 10 heures pour avoir mes bagages, qu’il en soit ainsi” ([6]).
Un sentiment commence à clairement émerger dans quelques fractions de la classe dominante canadienne : le gouvernement fédéral va peut être trop loin et trop souvent, avec le risque de provoquer une réponse ouvrière que les syndicats ne seront plus capables de contrôler. Bien que n’ayant duré que quelques heures, la grève sauvage des personnels au sol d’Air Canada est une claire expression du développement de la combativité et de la volonté de résister, et de l’émergence d’un sentiment croissant d’éloignement des structures mises en place pour contrôler la lutte de classe.
L’exemple du personnel au sol d’Air Canada est rapidement suivi par les pilotes qui déclenchent ce que les média appellent une “grève illégale” mi-avril. Les négociations autour de leur contrat avec la compagnie étaient déjà soumises à la décision parlementaire d’arbitrage exécutoire, qui empêchait grève et lock-out, mais les pilotes décident d’un vendredi “de congé de maladie” qui conduit à annuler quelques 75 vols dans le pays, entraînant des retards pendant tout le week-end. Air Canada obtient rapidement que l’arbitrage adopte une décision qui oblige les pilotes à reprendre le travail, mais le sentiment, chez les pilotes, de s’être vraiment fait avoir à failli les amener à la confrontation avec leurs syndicats. Le président Paul Strachan de l’Association des Pilotes d’Air Canada (ACPA) est obligé d’admettre que la colère grandit chez ses membres quand il fait la déclaration suivante : “nous avons tous besoin d’être réellement conscients du risque que les pilotes, à un certain moment, se sentent si attaqués et sans aide, se déchaînent et que cette organisation ne puisse même plus contrôler le déroulement des événements” ([7]).
Le mieux que puisse faire l’ACPA est d’assurer à ses membres qu’elle combat la loi qui implique l’arbitrage des tribunaux, mais tant que c’est en cours, comme cela prend beaucoup de temps par les canaux légaux, aucune grève n’est possible. Dans un mémo adressé à ses membres, l’ACPA dit : “c’est notre devoir d’avertir tous les pilotes que le droit de grève de l’ACPA et le droit d’Air Canada de lock-outer ses employés sont suspendus jusqu’à ce qu’à ce qu’un nouvel accord prenne effet (…). Jusqu’à ce que la loi soit annulée, nous devons tous faire avec çà”. Le légalisme bourgeois triomphe encore ! Selon le syndicat, il ne peut y avoir de grève sans la permission de l’État !
Le gouvernement Harper a eu la main lourde avec la classe ouvrière, mais les syndicats ont été de toute évidence ceux qui ont renforcé la loi anti-grève.
Au cours de l’année dernière, Air Canada a été une référence pour les conflits du travail dans tout le pays ([8]). Pour la plupart, ceux-ci sont restés dans le giron syndical, car les travailleurs ont succombé à la pression de leurs syndicats pour qu’ils respectent les différentes lois anti-grèves adoptées par le parlement.
Henk, 23 mai
[1]) City-TV “Ottawa tables bill to end Canada Post lock-out”, http ://www.citytv.com.toronto/citynews/news/article/138095-ottawa-tables-bill-t... [323]
[2]) Brent Jang, “Air Canada strike called off after Ottawa intervenes”,
http ://www.theglobeans [324] mail.com/globe-investor/air-canada-strike-called-off_after-ottawa-intervenes/article298544
[3]) Idem.
[4]) CBC, Air Canada strike effects felt into weekend: Pearson ground crews in Toronto held wildcat strike that disrupted thousands” at http ://www.cbc.ca/news/canada/story/2012/03/23/air-canada-wildcat.html [325]
[5]) National Post Staff, “Air Canada ground crew sent back to work after wildcat strike causes flight chaos.” at http ://www.google.com/search [326] ?q=Air+Canada+crews+sent+back+to+work&ie=utf-8&oe=utf-8&aq=t&rls=org.mozilla :en-US :unofficial&client=firefox-a
[6]) CBC, op.cit.
[7]) Thomson-Reuters, “Update 5-Air Canada back to normal Sat. after pilots strike.“ http ://www.reuters.com/article/2012/04/14/aircanada-pilots-idUSL2E8FD36K20120414 [327]
[8]) Naturellement, une occasion importante de lier les luttes à Air Canada avec celles d’American Airlines a été manquée. Ces dernières faisaient face à de lourdes diminutions de salaires et à des licenciements à cause de la banqueroute de la compagnie. La difficulté d’unir les luttes des ouvriers de ces deux compagnies aériennes est encore plus grande du fait du black-out aux États-Unis sur tout ce qui se passe au Canada.
En 1967 prennent fin les “30 glorieuses”, cette ère brève de relative prospérité économique qui a fait suite à l’effroyable succession “Première Guerre mondiale-Grande dépression-Seconde Guerre mondiale”. Cette année 1967 voit en effet revenir le spectre de la crise économique. Au premier semestre, l’Europe rentre en récession, au second éclate une crise monétaire internationale. Depuis, le chômage, la précarité, la dégradation des conditions de vie et de travail sont devenus le lot quotidien des exploités. Il suffit ainsi de survoler les grands événements du xxe siècle, qui fut l’un des plus catastrophiques et barbares de l’histoire de l’humanité, pour comprendre que le capitalisme est devenu, comme l’esclavagisme ou le féodalisme avant lui, un système décadent et obsolète.
Mais cette crise historique du capitalisme a été en partie masquée, ensevelie sous un tombereau de propagandes et de mensonges. A chaque décennie, la même grosse ficelle est tirée : un pays, une partie de la planète ou un secteur économique qui s’en sort un peu mieux que les autres, est mis en exergue pour faussement démontrer que la crise n’est pas une fatalité, qu’il suffit de mener les bonnes “réformes structurelles” pour que le capitalisme soit dynamique et apporte croissance et bonheur. Dans les années 1980-1990, l’Argentine et les “Tigres asiatiques” sont ainsi brandis comme des modèles de réussite, puis c’est au tour de l’Irlande et de l’Espagne à partir de 2000… Invariablement, évidemment, ces “miracles” se révèlent des “mirages” : en 1997 les “Tigres asiatiques” s’avèrent être de papiers ; à la fin des années 1990, l’Argentine est déclarée en faillite ; aujourd’hui, l’Irlande et l’Espagne sont au bord du gouffre… Chaque fois, “l’incroyable croissance” a été financée à coup de crédits et chaque fois le poids de la dette a fini par emporter de par le fond ces espoirs artificiels. Mais, faisant mine d’avoir la mémoire courte, les mêmes bonimenteurs font entendre à nouveaux leurs voix. A les croire, l’Europe serait malade pour des raisons particulières qui lui seraient propres : difficultés à mener des réformes et à mutualiser les dettes de ses membres, manque d’unité et de solidarité entre les pays, banque centrale qui ne peut pas relancer l’économie faute de pouvoir faire tourner une planche à billets à sa guise. Seulement, cet argument a du plomb dans l’aile, et pas du petit calibre qui picote les fesses, non, du gros qui éparpille et qui disloque ! La crise frappe l’Europe par manque de réforme et de compétitivité, il faut s’inspirer de l’Asie ? Patatras, ces pays sont également touchés. La relance n’est pas suffisamment prise en main par la Banque centrale européenne et sa planche à billets ? Patatras, les États-Unis et sa banque centrale, championne toutes catégories de création monétaire depuis 2007, sont eux aussi mal en point.
L’acronyme “BRICs” désigne les quatre pays dont les économies ont été les plus florissantes ces dernières années : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Mais tel l’Eldorado, cette bonne santé relève plus du mythe que de la réalité. Tous ces “booms” sont en effet financés essentiellement par la dette et finiront comme leurs prédécesseurs, en plongeant dans les affres de la récession. D’ailleurs dès aujourd’hui ce vent mauvais commence à se faire ressentir.
Au Brésil, les crédits à la consommation ont explosé ces dix dernières années. Or, comme aux États-Unis, lors des années 2000, les “ménages” ont de moins en moins les moyens de faire face aux échéances de remboursement. Le taux de “défaut des consommateurs” bat donc tous les records ces derniers temps. Pire, la bulle immobilière ressemble comme deux gouttes d’eau à la bulle espagnole d’avant qu’elle n’explose : de grands ensembles de buildings nouvellement construits demeurant désespérément vides.
En Russie, l’inflation est en passe de devenir incontrôlable : 6 % officiellement, 7,5 % pour les instances indépendantes. Et les prix des fruits et des légumes se sont littéralement envolés en juin-juillet, avec une hausse de près de 40 % !
En Inde, le déficit budgétaire se creuse dangereusement (5,8 % du PIB attendu pour 2012), le secteur industriel est en récession (– 0,3% au premier trimestre de cette année), la consommation ralentit fortement, l’inflation est très forte (7,2 % au mois d’avril, en octobre dernier l’envolée des prix alimentaires avait même frôlé les 10 %). L’Inde est aujourd’hui considérée comme un pays à risque par le monde financier : elle est notée BBB- (la note la plus basse de la catégorie “qualité moyenne inférieure”). Elle est menacée d’être prochainement classée aux côtés des pays où il est formellement déconseillé d’investir.
En Chine, l’économie ne cesse de ralentir et les dangers de s’accumuler. L’activité manufacturière s’est contractée en juin pour le huitième mois consécutif. Le prix des appartements s’est effondré et l’activité des secteurs liés à la construction est en chute libre. Un seul exemple très significatif : la ville de Pékin a, à elle seule, 50 % de logements vacants de plus que l’ensemble des États-Unis (3,8 millions de foyers disponibles à Pékin contre 2,5 millions sur les terres américaines). Mais le plus menaçant est sans aucun doute l’état budgétaire des provinces. Car si l’État ne croule pas officiellement sous les dettes, c’est seulement le fait du truchement d’écriture qui fait peser tous les déficits à l’échelle locale. Nombreuses sont ainsi les provinces au bord de la faillite.
Les investisseurs sont tout à fait conscients de la mauvaise santé des BRICs ; c’est pour cette raison qu’ils fuient comme la peste ces quatre monnaies nationales – real, rouble, roupie et yuan – qui plongent de façon continue depuis des mois.
La ville de Stockton en Californie a déposé le bilan mardi 26 juin tout comme, avant elle, Jefferson County en Alabama et Harrisburg en Pennsylvanie. Pourtant depuis trois ans, les 300 000 habitants de cette ville ont subit tous les “sacrifices nécessaires à la relance” : réductions budgétaires de 90 millions de dollars, licenciements de 30 % des pompiers et de 40 % des autres employés municipaux, coupe de 11,2 millions de dollars dans les salaires des employés municipaux, réduction drastique du financement des pensions de retraite.
Cet exemple très concret révèle l’état de déliquescence réelle de l’économie américaine. Les ménages, les entreprises, les banques, les villes, les États et le gouvernement fédéral. Tous les secteurs sont littéralement ensevelis sous des monceaux de dettes qui ne seront jamais honorées. Dans ce contexte, la prochaine négociation entre républicains et démocrates lors du relèvement du plafond de la dette à l’automne risque fortement de tourner au psychodrame comme pendant l’été 2011. Il faut dire que la bourgeoisie américaine fait face à un problème insoluble : pour relancer l’économie, elle doit engendrer toujours plus de dettes ; pour ne pas faire faillite, elle doit réduire l’endettement.
Chaque pan endetté de l’économie est une bombe en puissance : ici une banque proche du dépôt de bilan, là une ville ou une entreprise en quasi-faillite… et si une mine explose, attention à la réaction en chaîne.
Aujourd’hui, c’est la “bulle des prêts étudiants” qui inquiète le monde de la finance. Les études coûtent de plus en plus chers et les jeunes trouvent de moins en moins de travail en sortant des bancs de l’université. Autrement dit, les prêts aux étudiants sont de plus en plus importants et les risques de défaut de remboursement de plus en plus probables. Pour être précis :
– au bout de leur cursus universitaire, les étudiants américains sont endettés à hauteur de 25 000 dollars en moyenne ;
– l’encours de leurs prêts dépasse celui de l’ensemble des crédits à la consommation du pays, soit 904 milliards de dollars (il a quasiment doublé au cours des cinq dernières années) ce qui correspond à 6 % du PIB ;
– le taux de chômage des universitaires diplômés de moins de 25 ans est de plus de 9 % ;
– 14 % des étudiants diplômés qui avaient contracté un prêt font défaut trois ans après leurs sortie de l’université.
Cet exemple est très significatif de ce qu’est devenu le capitalisme : un système malade qui ne peut qu’hypothéquer (au sens propre comme au figuré) son avenir. Pour vivre les jeunes doivent aujourd’hui s’endetter et “investir” le salaire que demain… ils n’auront pas. Ce n’est pas un hasard si dans les Balkans, en Angleterre ou au Québec, ces deux dernières années, la nouvelle génération a fortement réagi aux hausses des coûts d’inscription aux universités par de grands mouvements de contestation : crouler sous les dettes à 20 ans en se devinant au chômage ou sous-payés dans quelques années, voilà le parfait symbole du “no future” qu’offre le capitalisme.
Les États-Unis sont, comme l’Europe, comme tous les pays du monde, malades ; et il n’y aura aucune rémission réelle et durable sous le capitalisme car ce système d’exploitation est la source de l’infection.
A la fin de cet article, peut être reste-t-il quelques lecteurs qui veulent tout de même espérer et croire qu’un “miracle économique” est toujours possible ? Si vous êtes de ceux-là… sachez que même le budget du Vatican est dans le rouge.
Pawel, 6 juillet
Nous publions ci-dessous un texte de l’anthropologue Chris Knight, “La solidarité humaine et le gène égoïste” [1]. Ce texte scientifique s’appuie sur la théorie néodarwinienne du gène égoïste [2], dont il résume les bases, pour battre en brèche les allégations selon lesquelles l’Homme serait par essence “un loup pour l’Homme” ; de ce fait, il constitue une précieuse contribution combattant l’idée que le communisme serait incompatible avec la nature humaine, et arrivant à la conclusion que la solidarité serait, au contraire, inhérente à notre nature.
En 1844, suite à un voyage de quatre années autour du monde, Charles Darwin confia à un ami proche qu’il était parvenu à une conclusion dangereuse. Pendant sept ans, écrivit-il, il s’était “engagé dans un travail très présomptueux”, voire “très stupide”. Il avait remarqué que, sur chacune des Îles Galapagos, les pinsons locaux mangeaient une nourriture légèrement différente, et avaient des becs présentant des modifications correspondantes. En Amérique du Sud, il avait examiné un grand nombre de fossiles extraordinaires d’animaux éteints. Réfléchissant à la signification de tout ceci,il s’était senti obligé de changer d’avis sur l’origine des espèces. À son ami, Darwin écrivit : “Je suis presque convaincu (d’une manière assez opposée à mon opinion de départ) que les espèces ne sont pas (c’est comme confesser un meurtre) immuables.”
En ces temps là, la conviction de la transmutation – l’idée que les espèces pouvaient évoluer en d’autres – était politiquement dangereuse. Au moment même où Darwin écrivait à son ami, des athées et des révolutionnaires diffusaient des journaux à bas prix dans les rues de Londres, se faisant les champions des idées évolutionnistes en opposition aux doctrines établies de l’Église et de l’État. À cette époque, le théoricien évolutionniste le plus connu était Jean-Baptiste Lamarck, qui était responsable des expositions des insectes et des vers au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. Étroitement assimilé à l’athéisme, au chartisme et à d’autres formes de subversion tenues comme émanant de la France révolutionnaire, l’évolutionnisme en Grande-Bretagne était désigné sous le terme de “lamarckisme”. Tout “lamarckien” – en d’autres termes, tout scientifique qui mettait en question l’immuabilité d’origine divine des espèces – risquait d’être assimilé aux communistes, émeutiers et insurgés. Pris entre ses prudentes opinions politiques libérales et sa science, Darwin était si anxieux qu’il se rendit malade, dissimulant et étouffant ses conclusions comme s’il avait secrètement commis un meurtre.
La période de soulèvements révolutionnaires culmina avec les événements de 1848, quand les ouvriers organisèrent des insurrections et descendirent dans les rues en Grande-Bretagne et à travers l’Europe. Avec la défaite de ces soulèvements, la contre-révolution s’installa. Durant la décennie suivante, la menace provenant de la gauche s’éloigna. En 1858, un autre scientifique – Alfred Wallace – trouva indépendamment le principe d’évolution par sélection naturelle ; si Darwin ne publiait pas, Wallace gagnerait toute la gloire scientifique. Sans danger immédiat de révolution, le courage de Darwin crût et en 1859 il publia enfin l’Origine des espèces.
Dans son remarquable ouvrage, Darwin exposa les grandes lignes d’un concept d’évolution assez différent de celui de Lamarck. Lamarck avait expliqué l’évolution comme la conséquence des efforts constants de tous les animaux pour l’auto-amélioration durant leur existence. L’idée plus sinistre et plus cruelle de Darwin était empruntée au Révérend Thomas Malthus, un économiste employé par la Compagnie des Indes orientales. Malthus ne s’intéressait pas à l’origine des espèces ; son idée était politique. Les populations humaines, affirmait-il, croîtront toujours plus vite que l’offre de nourriture. Lutte et famine en résultent inévitablement. La charité publique, dit Malthus, ne peut qu’aggraver le problème : les aides font que les pauvres se sentent à l’aise, ce qui les encourage à se reproduire. Plus de bouches à nourrir conduit à une plus grande pauvreté et donc à davantage encore de demandes – insatiables – d’aide sociale. La meilleure politique est de laisser les pauvres mourir.
Le génie de Darwin fut de lier la botanique et la géologie à ce plaidoyer, politiquement motivé, en faveur de la libre compétition et de la “lutte pour la survie”. Darwin vit la moralité “laissez-faire” de Malthus à l’œuvre partout dans la nature. La croissance de population dans le monde animal devançait toujours l’offre locale de nourriture ; d’où l’inéluctabilité de la compétition se soldant par la famine et la mort pour les plus faibles. Alors que moralistes et sentimentalistes auraient cherché à adoucir cette image d’une Nature cruelle et sans cœur, Darwin suivit Malthus en la célébrant. Tout comme le capitalisme punissait brutalement pauvres et nécessiteux, la “sélection naturelle” éliminait aussi ces créatures moins à même de se débrouiller. Puisque les moins aptes de chaque génération ne cessaient de mourir, la progéniture des survivants était donc disproportionnellement plus nombreuse, transmettant à toutes les futures générations leurs bénéfiques caractéristiques héréditaires. Famine et mort, par conséquent, étaient des facteurs positifs, dans une dynamique évolutive qui punissait inexorablement l’échec tout en récompensant le succès.
De cette manière, Darwin parvint à transformer les implications politiques de la théorie évolutionniste. Loin de servir à justifier la résistance à l’exploitation capitaliste ou à l’inégalité sociale, cette version malthusienne de l’évolutionnisme était faite pour servir une fonction politique inverse. Darwin décrivit la nature comme un monde sans morale. Par conséquent, ceci donnait une certaine justification à un système économique basé sur une compétition effrénée, libre de toute ingérence “morale” fourvoyée venant de la religion ou de l’État. Du vivant de Darwin, les controverses publiques majeures autour de sa théorie opposèrent les évolutionnistes contre ces philosophes, ecclésiastiques et autres qui craignaient qu’une telle vision puisse mener à l’effondrement de toute morale dans la société.
Après la mort de Darwin en 1881, beaucoup de penseurs influents tentèrent d’émousser la force du raisonnement apparemment dur et amoral de Darwin, cherchant des façons de réconcilier la théorie évolutionniste avec les valeurs religieuses ou humanistes. En Russie, le penseur anarchiste Pierre Kropotkine écrivit l’Entraide, où il affirma que la coopération, non la compétition, était la loi fondamentale de la nature. Une façon très courante de sauver une dimension “morale” du raisonnement de Darwin était de suggérer que le moteur compétitif du changement évolutif opposait des groupes entre eux, et non des individus entre eux. L’expression “survie du plus apte” – comme on disait alors – signifiait la survie du plus apte des groupes ou de la plus apte des espèces, l’un et l’autre considérés dans leur totalité, impliquant une étroite coopération au sein de chaque espèce. Selon ce raisonnement, les individus étaient créés pour favoriser les intérêts de l’espèce. Les membres de n’importe quelle espèce devaient coopérer les uns avec les autres, leur survie individuelle dépendant du sort du plus grand ensemble.
Cette idée devint prisée car elle était tout à fait en accord avec des tendances de la philosophie morale, incluant la tendance “classe moyenne” du socialisme et du nationalisme, au tournant du siècle. Les nations étaient associées aux “races” et comparées aux espèces animales. Chaque espèce, race ou nation était supposée être engagée dans une compétitive lutte à mort contre ses rivales. Ceux dont les membres coopéraient par besoin collectif survivaient ; ceux dont les membres agissaient “égoïstement” finissaient par s’éteindre. Quand des animaux ou des humains affichaient un comportement coopératif, ceci était expliqué en termes “moraux” en référence aux besoins du groupe.
En Grande-Bretagne, Winston Churchill affirma que les plus pauvres éléments de la société ne devraient pas être autorisés à se reproduire, puisqu’ils ne pouvaient qu’affaiblir le “cheptel national” en le faisant. L’eugénisme devint largement prisé, y compris chez un grand nombre de personnes de gauche ; en Allemagne, il joua un rôle clé dans la formation de l’idéologie nazie. Dans les années 1940, l’éthologue pionnier Konrad Lorenz ravit les propagandistes nazis quand il affirma que la guerre était naturelle et précieuse. Il la comparait à un modèle général dans lequel les mammifères mâles, durant la saison des amours, s’engageaient dans un féroce combat mutuel, les femelles ne s’accouplant qu’avec les vainqueurs. Ceci, affirma Lorenz, est un sain mécanisme d’élimination des faibles qui, par conséquent, préserve et améliore la pureté et la vigueur de la race.
La théorie évolutionniste de la “sélection de groupe” – comme elle est appelée actuellement – reçut sa formulation la plus sophistiquée et explicite en 1962, quand le naturaliste écossais V. C. Wynne-Edwards publia un livre intitulé Animal Dispersion in Relation to Social Behaviour. Pour Wynne-Edwards, suivant en cela Malthus, le problème fondamental rencontré par chaque groupe ou espèce était celui de la reproduction effrénée. La surpopulation menait finalement à des pénuries, provoquant la famine à une échelle qui pourrait menacer la population locale entière. Quelle était la solution ? Selon Wynne-Edwards, c’était l’espèce dans son ensemble qui devait agir. Des mécanismes spéciaux devaient avoir évolué afin d’éviter la reproduction au delà de la capacité de charge de son environnement. On s’attendait à ce que les individus réfrènent leur fécondité dans l’intérêt du groupe.
Sur la base de cette théorie, Wynne-Edwards chercha à expliquer nombre de curieuses caractéristiques de la vie sociale animale et humaine. En particulier, il prétendit expliquer des comportements apparemment répugnants comme le cannibalisme, l’infanticide et le combat ou la guerre entre groupes. En apparence négatives, à un niveau plus large de telles pratiques constitueraient une série d’adaptations bénéfiques par lesquelles chaque espèce s’efforcerait de limiter sa population. Beaucoup de naturalistes avaient été perplexes en observant des cas d’oiseaux en grandes colonies détruire leur progéniture réciproque, ou de lions mordant mortellement des lionceaux à leur naissance. Tout ceci, dit Wynne-Edwards, pouvait maintenant être compris. Ceux présentant un tel comportement n’agissaient pas de façon égoïste ou antisociale ; ils avantageaient l’espèce en contenant la population. Chez l’humain, les activités violentes telles que la guerre avaient une fonction similaire. D’une manière ou d’une autre, les niveaux de populations humaines devaient être limités ; la guerre, accompagnée d’autres formes de violence, aidaient à y parvenir.
Ce genre de pensée “sélectionniste de groupe” resta influent au sein du darwinisme jusqu’aux années 1960. Mais précisément, en le formulant en des termes aussi véhéments et explicites, Wynne-Edwards exposa involontairement le raisonnement de l’”avantage pour l’espèce” à une attaque plus finement ciblée, sapant l’ensemble de l’édifice théorique. Dès que les scientifiques commencèrent à réfléchir aux prétendus “mécanismes de réduction de population”, les raisons pour lesquelles ils ne pouvaient pas fonctionner devinrent claires sur un plan purement théorique. Comment une espèce entière pouvait-elle mobiliser ses membres pour une action collective, comme si elle réagissait en prévision de futures pénuries de nourriture ? Supposons, à titre d’exemple, l’existence d’un gène qui susciterait ou faciliterait un comportement présentant les deux caractéristiques suivantes : (a) il bénéficierait à l’espèce à une date ultérieure, et en même temps (b) il entraverait maintenant le succès reproductif de son possesseur. Comment un tel gène pourrait-il bien être transmis au futur, où ses bénéfices supposés se réaliseraient ? Parler d’un gène de moindre succès reproducteur est simplement une contradiction. Celui-ci ne serait pas transmis. Ses futurs bénéfices supposés ne pourraient jamais se réaliser. La théorie de la “sélection de groupe” dans sa totalité était simplement illogique.
Cette compréhension inaugura une révolution scientifique – un des plus monumentaux bouleversements de l’histoire scientifique récente, avec un grand nombre d’implications pour les sciences humaines et sociales. Si Marx et Engels étaient vivants aujourd’hui, ils se placeraient eux-mêmes à la tête de tels développements. Quasiment tous les scientifiques évolutionnistes sont aujourd’hui d’accord que la théorie de la “sélection de groupe” de Wynne-Edwards était erronée. L’idée que le sexe, la violence ou toute autre forme de comportement animal peut évoluer “pour le bien de l’espèce” est maintenant complètement discréditée. Les animaux ne pratiquent pas le sexe “pour perpétuer l’espèce” ; ils le font pour une raison plus terre-à-terre – pour perpétuer leurs propres gènes particuliers. Aucun gène ne peut être conçu pour minimiser sa propre auto-réplication – dans un monde compétitif, il serait rapidement éliminé et remplacé. Supposons qu’un lion tue ses propres lionceaux afin d’aider à réduire le niveau de population totale. Par rapport aux autres lions, cet individu particulier aurait un faible succès reproducteur. Indépendamment de ce qui arriverait finalement au groupe entier, tous les individus de n’importe quelle population future seraient exclusivement les descendants des reproducteurs les plus “égoïstes” – ces lions programmés pour maximiser la transmission de leurs gènes (aux dépens des gènes rivaux) aux générations futures.
Une fois ceci compris, les scientifiques furent capables de montrer que les lions qui tuaient des petits lionceaux ne tuaient effectivement pas leur propre progéniture, mais celles engendrées par des mâles rivaux. La même chose s’appliquait aux autres cas de soi-disant “régulation de population”. Dans tous les cas, il pouvait être montré que les animaux responsables agissaient “égoïstement” d’un point de vue génétique, leurs gènes œuvrant à transmettre autant de copies d’eux-mêmes que possible aux générations futures, sans trop se soucier de quelconques conséquences sur le niveau de population à long terme. La “valeur sélective” signifiait la capacité à faire entrer ses gènes dans le futur ; elle ne pouvait être définie autrement. Une conséquence était que les idées eugénistes telles que celles de Winston Churchill n’avaient aucune signification darwinienne. Churchill estimait que les pauvres se reproduisaient trop rapidement ; étant “moins aptes”, leur fertilité devrait être refrénée. À titre d’exemple, supposons que les pauvres à l’époque de Churchill se reproduisaient effectivement beaucoup plus que les riches. Selon les standards darwiniens modernes, ceci aurait rendu les pauvres plus “aptes”, pas moins. Même chose lorsque des minorités ethniques se reproduisent à un rythme plus élevé que celles les entourant. La “valeur sélective”, comme ce terme est compris par les darwiniens modernes, peut être mesurée en se référant uniquement aux gènes – pas aux races ou aux espèces. À l’avenir, par conséquent, les politiciens réactionnaires, racistes ou autres, devront répandre leurs théories sans l’aide du darwinisme.
Le nouveau darwinisme rendit désormais impossible l’élévation de l’intérêt personnel d’un individu au niveau de celui de l’espèce. Les penseurs “sélectionnistes de groupe” avaient obstinément enveloppé de “morale” l’infanticide, la violence ou l’agression, eu égard aux intérêts supérieurs “de la nation” ou “du groupe”. Les militaristes et les génocidaires avaient été reconceptualisés comme les gardiens d’intérêts supérieurs, abattant la population excédentaire ou éliminant les faibles pour le plus grand bien. Le darwinisme “gène égoïste” mit brusquement fin à tout ceci. Les groupes ou espèces animales ne pouvaient désormais plus être comparés aux États-nations, décrits comme des ensembles cohésifs et moralement régulés. Au lieu de cela, on s’attendait à ce que les animaux cherchent à optimiser leur valeur sélective, œuvrant consciemment ou inconsciemment à propager leurs gènes. En conséquence, on s’attendait aussi à ce que les unités sociales n’affichent pas seulement la coopération mais aussi le conflit, opposant de façon récurrente les femelles et les mâles, les jeunes et les vieux, et même les enfants et leurs propres parents. Cette insistance sur la lutte et le conflit fit converger le darwinisme et le marxisme, qui n’admet pas l’harmonie ou la fraternité mais voit à la place un monde social humain déchiré par des conflits de classes, de sexes et d’autres formes. Là où l’harmonie existe ou est établie avec succès, ceci doit être expliqué, non admis.
Une fois le “sélectionnisme de groupe” renversé, les scientifiques furent contraints d’observer à nouveau la vie, abordant, clarifiant et souvent résolvant une batterie d’énigmes scientifiques en chemin. Comment la vie apparut-elle sur Terre ? Quand et pourquoi le sexe évolua-t-il ? Comment les insectes sociaux devinrent-ils si coopératifs ? Pourquoi, comme tous les organismes vivants, tombons-nous malades et finalement mourrons-nous ? Dès lors, chaque théorie devait démontrer sa cohérence avec l’implacable “égoïsme” sans complaisance des gènes. Le résultat fut une spectaculaire série de percées intellectuelles, représentant une véritable révolution, toujours en cours, dans les sciences de la vie. Le livre de Richard Dawkins, le Gène égoïste, résumait nombre de ces nouvelles découvertes quand il fut publié sous les acclamations générales – et les dénonciations d’une véhémence équivalente de la “gauche classe moyenne” – en 1976.
Tout comme Karl Marx et Friedrich Engels s’opposaient aux théories “utopiques” du socialisme, les darwiniens modernes s’opposent vigoureusement à toutes les théories évolutionnistes larmoyantes et irréalistes. Le socialisme “utopique” échoua car il ne se confronta jamais au capitalisme. Il n’expliqua jamais comment passer de “A” à “B” – de la logique compétitive du capitalisme à son antithèse socialiste ou communiste. Au lieu de cela, les rêveurs “utopiques” ne firent qu’opposer leurs visions idéalistes aux dures réalités de la vie contemporaine, sans jamais se soucier de comprendre le fonctionnement du capitalisme lui-même. D’une façon comparable, avant la révolution “gène égoïste” dans les sciences de la vie, les biologistes avaient fait appel à la “coopération” dans le monde animal en tant que principe explicatif sans avoir jamais expliqué d’où venait ce principe lui-même. Le grand mérite du nouveau darwinisme était de ne pas être “utopique”. Quand on constatait que des animaux s’entraidaient ou même risquaient leur vie l’un pour l’autre – comme cela arrive souvent – un tel altruisme devait être expliqué plutôt que seulement admis. Par dessus tout, tout altruisme au niveau du comportement social devait être concilié avec l’”égoïsme” réplicatif des gènes de ces animaux.
De ce point de vue, le nouveau darwinisme pourrait presque être appelé la “science de la solidarité”. L’égoïsme est facile à expliquer. Le vrai défi est d’expliquer pourquoi les animaux, si souvent, ne sont pas égoïstes. C’est un défi particulier dans le cas des humains, qui – peut-être plus que n’importe quel autre animal – peuvent se lancer dans des actes de courage et de sacrifice de soi pour le bénéfice des autres. Il existe des histoires, à l’authenticité bien établie, sur la façon dont des soldats durant la Première Guerre mondiale se jetaient sur une grenade en train d’exploser, sauvant par là-même leurs camarades. Un tel courage devait-il être laborieusement appris ou inculqué aux humains, ou était-il fait appel à de puissants instincts ? Si, en suivant la plupart des darwiniens, nous supposons que les gens ont en eux-mêmes la capacité d’être naturellement coopératifs et même héroïques, alors se dresse un paradoxe intellectuel. Pourquoi les gènes permettant ou rendant possible l’héroïsme – ces courageux instincts qui, en temps de crise, peuvent outrepasser nos pulsions plus lâches et égoïstes – ne sont-ils pas éliminés au cours du temps évolutif ? L’homme qui meurt au combat n’aura plus d’enfants. Par contraste, le lâche peut laisser de nombreux descendants. Sur cette base, ne devrions-nous pas nous attendre à ce que chaque génération soit moins héroïque – plus égoïste – que la précédente ?
La théorie utopique de la “sélection de groupe” avait obscurci ce problème en proposant une réponse bien trop facile. L’héroïsme œuvrait pour le bien du groupe. Le problème était que ceci échouait à expliquer comment un tel courage pouvait faire partie de la nature humaine, transmis de génération en génération. C’est précisément cette difficulté qui poussa les nouveaux darwiniens à proposer une meilleure réponse. Quand la solution fut trouvée, elle devint la pierre angulaire de la science évolutionniste.
La solution à l’énigme résidait dans l’idée de “valeur sélective inclusive”. La bravoure au combat repose sur des instincts non radicalement différents de ceux motivant une mère à prendre des risques en défendant ses enfants. C’est précisément parce que ses gènes sont “égoïstes” – et non malgré cet “égoïsme” – que le courage d’une mère peut faire appel à de profondes ressources instinctives. En effet, la mère qui prend instinctivement des risques pour ses enfants inclut ces enfants comme partie de son “soi” potentiellement immortel. En termes génétiques, ceci est réaliste car ses enfants partagent ses gènes. Nous pouvons voir aisément pourquoi les gènes “égoïstes” d’une mère peuvent la pousser à se comporter de façon désintéressée – c’est clairement dans le propre intérêt des gènes. Une logique comparable pourrait pousser frères et sœurs à se comporter de façon désintéressée les uns envers les autres.
Loin dans le passé évolutif, les humains évoluaient en groupes de relativement petite échelle basés sur la parenté. Toute personne avec qui tu travaillais, ou avec qui tu t’étais étroitement lié, avait une bonne chance statistique de partager tes gènes. De fait, les gènes auraient dit : “Réplique-nous en prenant des risques pour défendre tes frères et sœurs.” Nous, humains, sommes conçus pour nous aider les uns les autres – et même mourir les uns pour les autres – à condition d’avoir d’abord eu une chance de former des liens. Aujourd’hui, même dans des conditions où nous avons beaucoup moins de chances d’être apparentés, ces instincts continuent à nous pousser aussi fortement qu’autrefois. La notion de “solidarité fraternelle” n’est pas totalement dépendante de facteurs externes et sociaux, tels que l’éducation ou la propagande. Elle n’a pas besoin d’être inculquée chez les gens à l’encontre de leur nature profonde. La solidarité fait partie d’une ancienne tradition – une stratégie évolutive – qui, il y a longtemps, devint centrale à la nature humaine elle-même. C’est une expression sans prix de l’”égoïsme” de nos gènes.
Chris Knight
[1]) "Human Solidarity and The Selfish Gene [328]".
Nous avons déjà publié un autre texte de Chris Knight dans notre presse : “Marxisme et science”.
[2]) La théorie du gène égoïste, bien que combattue par une minorité de théoriciens de l’évolution (notamment par le défunt Stephen Jay Gould dans la Structure de la théorie de l’évolution), est défendue par la majorité d’entre eux (notamment par Richard Dawkins dans le Gène égoïste et The Extended Phenotype).
En décrivant les gènes comme étant « égoïstes », Dawkins n’entend pas par là qu’ils sont munis d’une volonté ou d’une intention propre, mais que leurs effets peuvent être décrits comme si ils l’étaient. Sa thèse est que les gènes qui se sont imposés dans les populations sont ceux qui provoquent des effets qui servent leurs intérêts propres (c’est-à-dire de continuer à se reproduire), et pas forcément les intérêts de l’individu même. Cette vision des choses explique, comme nous allons le découvrir plus loin dans cet article de Chris Knight, l’altruisme au niveau des individus dans la nature, en particulier dans le cercle familial : quand un individu se sacrifie pour protéger la vie d’un membre de sa famille, il agit dans l’intérêt de ses propres gènes.
“L’Affaire des neutrinos” a débuté en septembre 2011, lorsque l’équipe internationale de scientifiques participant à l’expérience OPERA rendit publics ses résultats selon lesquels les neutrinos se déplaçaient à une vitesse supérieure à celle de la lumière, remettant par là-même en question un des cadres théoriques fondamentaux de la physique actuelle, la théorie de la relativité restreinte, élaborée par Albert Einstein en 1905 et jamais infirmée depuis ([1]).
Considérant ses propres résultats comme très probablement erronés mais incapable d’identifier l’origine de cette erreur, l’équipe scientifique d’OPERA comptait ainsi sur l’aide de la communauté scientifique internationale afin de résoudre cette énigme. Après plusieurs mois de minutieuses vérifications couplées à de nouvelles expériences, les conclusions furent officiellement présentées à l’occasion de la 25e Conférence internationale sur la physique du neutrino et l’astrophysique, qui s’est tenue au mois de juin au Japon : “Au final, deux défaillances étaient en cause, d’une part la liaison GPS-ordinateur, mais aussi une horloge atomique mal réglée. Les problèmes étant résolus, l’expérience a été tentée une dernière fois avec succès : les neutrinos se déplacent bien moins vite que la lumière. De plus, trois autres expériences menées en parallèle ont conclu au même résultat” ([2]).
Sans attendre l’annonce officielle, les deux principaux responsables d’OPERA, poussés vers la sortie par certains de leurs pairs suite à de nombreuses tensions internes, avaient déjà démissionné. Quant aux principaux médias, après avoir multiplié les annonces aussi racoleuses que stupides au début de ladite “affaire”, leur attitude oscille désormais entre silence assourdissant et mépris ostensible : un des responsables d’OPERA a ainsi été qualifié de “physicien du flop” par le journal italien Corriere della Sera.
Et pourtant, comme le souligne le communiqué fait lors de la Conférence internationale, il est tout à fait normal que les scientifiques acceptent “le questionnement de principes, même et surtout les plus fondamentaux, et se basent avant tout sur l’expérience et l’examen par les pairs afin de faire progresser notre connaissance des lois de la nature. [...] La démarche critique qui a été effectuée constitue un bel exemple du fonctionnement de la science et du doute scientifique [...] si in fine nous avons eu affaire à une erreur expérimentale, il est impossible de parler de faute” ([3]).
Finalement, quelles leçons tirer de toute cette histoire ? “L’annonce de ces résultats à coups de grands titres dans les médias, puis leur réfutation peu après, a – selon certains – contribué à faire que les gens croient moins en la Science. Cependant, la Science n’est pas la magie, et la Science – souvenons-nous du système solaire géocentrique – n’a pas été exempte d’erreurs au cours de l’histoire. C’est donc à force de remises en question, d’erreurs commises que l’on avance. Cette pensée est au final bien résumée dans la conclusion de l’édito de Nature : “Le message [d’OPERA] est que les scientifiques n’ont pas peur de se frotter aux grandes questions. Ils n’ont pas peur de soumettre à la vue du grand public leur activité de recherche. Et ils ne doivent pas avoir peur de se tromper”” ([4]).
DM, 28 juin
[1]) Pour en savoir davantage sur les aspects scientifiques de cette expérience, voir : sciences.siteduzero.com/news-62-42559-p1-la-relativite-restreinte-remise-en-question.html. Voir aussi notre article de Révolution internationale no 427 : http ://fr.internationalism.org/ri427/confirmation_de_l_existence_des_neutrinos_le_progres_scientifique_est_il_plus_rapide_que_son_ombre.html [330] , dont le titre contient une erreur factuelle importante ; en effet, la confirmation de l’existence des neutrinos date en réalité de... 1956 ! (voir à ce sujet : http ://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_du_neutrino [331]).
[2]) sciences.siteduzero.com/news-62-44749-les-neutrinos-supraluminiques-qui-ne-l-etaient-pas.html
[3]) Idem.
[4]) Idem.
Nous publions ci-dessous l’exposé qui a introduit le débat lors de notre Réunion publique du 30 juin à Paris.
D'élection en élection, depuis longtemps déjà, les scores électoraux de l’extrême-droite alimentent la crainte d’une menace fasciste. Il est vrai que cette frange de la classe politique se distingue par un discours particulièrement haineux, xénophobe, raciste…
C’est aussi vrai qu’un tel discours n’est pas sans rappeler les thèmes nauséabonds mis en avant par les partis fascistes en ascension vers le pouvoir dans les années 1930, en particulier en Allemagne et en Italie.
Cette similitude nous permet-elle de conclure qu’il existe aujourd’hui un danger d’accession du fascisme au pouvoir comme dans les années 1930 ?
Notre réponse à cette question, et sa discussion, sont justement l’objet de cette réunion publique.
Un ensemble d’éléments semblent aller dans le sens d’une réponse affirmative à cette question :
• aujourd’hui, comme dans les années 1930, la crise économique frappe très violemment la très grande majorité de la population ;
• aujourd’hui, comme dans les années 1930, il y a dans les discours de l’extrême-droite la recherche d’un bouc-émissaire aux maux de la société. Hier les juifs, désignés comme les représentants du grand capital apatride ou encore comme liés au péril bolchevique, aujourd’hui les musulmans ou les Arabes qui nous “prennent nos emplois” ou “fauteurs de troubles” de par le monde ;
• aujourd’hui, comme dans les années 1930, les catégories sociales les plus réceptives aux thèmes d’extrême-droite sont souvent des petits artisans ou commerçants ruinés par la crise, mais également une partie de la classe ouvrière ;
• aujourd’hui, l’extrême-droite se développe dans beaucoup de pays, plus nombreux encore que dans les années 1930, et tend à acquérir une importance politique croissante :
– Aux Pays-Bas, le parti de la liberté, eurosceptique et islamophobe, allié au Parti libéral et aux chrétiens démocrates, assurait depuis 2010 une majorité parlementaire au gouvernement dirigé par un Premier ministre libéral, avant de s’en désolidariser en mars de cette année ;
– en Hongrie, le Premier ministre issu des élections législatives de 2010, V. Orban, instaure un gouvernement autoritaire ayant “liquidé la démocratie”, selon les termes de ses opposants démocrates ; et c’est vrai qu’en plus d’attaques très fortes contre les conditions de vie de la classe ouvrière, il a supprimé un certain nombre de mécanismes de la démocratie ;
– en Autriche, aux élections législatives de 2008, les deux principaux partis d’extrême-droite, le FPÖ et le BZÖ, obtenaient à eux deux 29 % des suffrages ;
– aux États-Unis, le Tea Party, qui développe des thèmes de propagande parmi les plus rétrogrades, tel que la demande de l’enseignement du créationnisme dans les écoles, constitue une force très influente au sein de la droite.
• Même des partis qui ne se revendiquent pas de l’extrême-droite reprennent ouvertement ses thèmes. En Suisse, par exemple, la populiste Union démocratique du Centre avait fait une campagne publicitaire présentant un mouton blanc chassant un mouton noir, ce dernier symbolisant les Arabes et les Roumains qui sont les deux nationalités stigmatisées dans ce pays.
Tous ces exemples et éléments d’analyse semblent valider, en première analyse, la thèse d’un danger fasciste dans la période actuelle.
On ne peut cependant en rester à ce niveau d’analyse. Pour comparer deux périodes historiques, en l’occurrence celle des années 1930 et celle que nous vivons actuellement, on ne peut pas se limiter à extraire des éléments de l’une et l’autre, aussi importants soient-ils comme la crise, une poussée de l’extrême-droite, un certain succès des thèmes xénophobes et racistes, etc. Il faut replacer ces éléments dans le contexte de la dynamique de la société et du rapport de force, au sein de celle-ci, entre bourgeoisie et prolétariat.
C’est justement ce qu’on se propose de faire ici.
De la crise, nous l’avons déjà dit. Cependant, pour comprendre l’irruption, dans un certain nombre de pays, de cette forme particulière de la domination du capitalisme sur la société, un autre facteur, essentiel selon nous, doit être pris en compte.
Il s’agit de la plus lourde défaite que la classe ouvrière ait eu à subir de toute son existence, celle de la vague révolutionnaire mondiale de 1917-23. Rappelons pour mémoire que celle-ci avait pris la forme de la dégénérescence de la révolution russe et de l’écrasement physique et idéologique du prolétariat par la bourgeoisie. Et cela en particulier dans les pays où celui-ci était allé le plus loin, à travers sa lutte révolutionnaire, dans la remise en cause de l’ordre capitaliste. Tous les partis communistes se sont transformés en organes de défense du capitalisme, sous une forme particulière, celle du capitalisme d’État sous sa forme existant en URSS.
Une telle défaite allait donner naissance à la plus longue et profonde période de contre-révolution mondiale, comme le prolétariat n’en avait jamais connu. Le principal signe distinctif de cette contre-révolution, c’est qu’elle a rendu le prolétariat du monde entier toujours plus soumis aux impératifs de la bourgeoisie. Le summum de cette soumission a été son enrôlement, comme chair à canon, dans la Seconde Guerre mondiale impérialiste.
Durant la Seconde Guerre mondiale, parmi les principaux pays belligérants des deux blocs qui s’opposent, on trouve trois modèles différents d’organisation de la société, tous trois capitalistes et tous trois bâtis autour du renforcement du capitalisme d’État, qui est alors une tendance générale affectant tous les pays du monde :
– l’État capitaliste démocratique,
– l’État capitaliste stalinien,
– l’État capitaliste fasciste.
Les différences que présente l’État capitaliste démocratique avec les deux autres modes sont évidentes. Avec le recul dont on dispose aujourd’hui, il est aussi évident qu’il est plus efficient que les deux autres modes, tant en ce qui concerne la gestion de l’appareil de production que le contrôle sur la classe ouvrière. Il existe bien sûr des différences de forme entre l’État capitaliste fasciste et le stalinien, ce dernier s’étant développé sur la base de la bureaucratie étatique qui a progressivement pris la place de l’ancienne bourgeoisie déchue. Mais notre propos n’est pas de nous étendre là-dessus à présent.
Le fait que l’État capitaliste fasciste (tout comme le stalinien) soit dénué de tout mécanisme démocratique destiné en premier lieu à mystifier la classe ouvrière, cela ne constitue pas un problème au moment où ces régimes s’instaurent, en URSS, en Allemagne et en Italie. En effet, il n’est alors nullement nécessaire de mystifier le prolétariat vu que celui-ci sort exsangue de la défaite de la vague révolutionnaire (en particulier en URSS et en Allemagne). Ce qu’il faut, c’est le maintenir exsangue au moyen de la violence d’une féroce dictature ouverte.
En Allemagne et en Italie, c’est aux partis fascistes qu’il revient d’assumer, pour les intérêts du capital national, l’option politique capitaliste d’État, dans le contexte d’une économie désorganisée par la guerre, acculée par une crise économique profonde : la bourgeoisie de ces pays ayant devant elle la nécessité de préparer une nouvelle guerre. Celle-ci sera placée sous le signe de la revanche par rapport à la défaite et/ou l’humiliation subie lors de la Première Guerre mondiale. Or les fascistes étaient depuis le début des années 1920 les champions d’une telle option.
Il est à noter que dans ces deux pays la transition de la démocratie au fascisme s’est effectuée de façon démocratique, avec le soutien du grand capital.
Nous avons parlé de défaite profonde de la classe ouvrière comme étant la condition essentielle de l’instauration du fascisme dans les pays où il est arrivé au pouvoir. Selon une croyance largement entretenue par la bourgeoisie, c’est le fascisme qui aurait été l’instrument de la défaite de la classe ouvrière dans les années 1920-1930. Rien n’est plus faux. Le fascisme n’a fait que parachever une défaite dont le principal instrument avait été la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie. Cette dernière était représentée, au moment de la vague révolutionnaire, par les partis de la social-démocratie qui avaient trahi la classe ouvrière et l’internationalisme prolétarien. Lors de la Première Guerre mondiale, ceux-ci avaient en effet appelé le prolétariat à soutenir l’effort de guerre de la bourgeoise dans différents pays, contre les principes même de l’internationalisme prolétarien.
Et pourquoi se sont-ils retrouvés à jouer ce rôle ? Cela a-t-il été circonstanciel ou bien la réponse à une nécessité ? Face à une classe ouvrière qui n’est pas vaincue et, qui plus est, développe sa lutte révolutionnaire en rendant inopérantes certaines forces répressives, il aurait été suicidaire pour la bourgeoisie d’employer d’abord et avant tout la force brute. Cette dernière ne peut être efficace que si elle est mise au service d’une stratégie capable de mystifier le prolétariat pour le “pousser à la faute”, l’orienter vers des impasses, lui tendre des pièges. Et cette basse besogne ne peut être prise en charge que par des partis politiques qui, bien qu’ayant trahi le prolétariat, conservent encore la confiance de fractions importantes de celui-ci.
Ainsi, en 1919, c’est au très démocrate SPD allemand, dernier pilier politique de la domination capitaliste encore debout au moment de la révolution en Allemagne, qu’échoie la tâche d’être le bourreau de la classe ouvrière révolutionnaire. A cette fin, il s’appuie sur les restes de l’armée demeurés fidèles à l’État et met sur pieds les corps francs, corps répressifs, qui constituèrent les ancêtres des troupes de choc du nazisme.
Une vérification supplémentaire du même phénomène a été donnée par les événements en Espagne dans les années 1930. La classe ouvrière est d’abord affaiblie de façon sanglante par la république et, ensuite, elle est immobilisée et livrée par le Front populaire au massacre des troupes franquistes. C’est alors que s’instaure la dictature fasciste de Franco.
C’est la raison pour laquelle, parmi tous les ennemis de la classe ouvrière, droite démocrate, gauche démocrate, extrême-gauche démocrate ou non, populistes fascisants ou non, les plus dangereux sont ceux qui sont à même de mystifier le prolétariat afin de l’empêcher d’avancer dans la direction de son projet révolutionnaire. Ceux-là, qui sont en premier lieu la gauche et l’extrême-gauche du capital, doivent absolument être démasqués pour ce qu’ils sont.
La grande différence avec les années 1930, c’est que la classe ouvrière a ouvert avec 1968 en France et internationalement un nouveau cours de la lutte de classe, une nouvelle dynamique de celle-ci pouvant déboucher sur des confrontations majeures entre les classes et sur la révolution. Bien que depuis lors elle ait rencontré des difficultés très importantes, la classe ouvrière n’a pas subi de défaite majeure à même d’ouvrir une période de contre-révolution mondiale similaire à celle des années 1930.
C’est la raison pour laquelle la condition essentielle pour l’instauration du fascisme, à savoir un prolétariat défait à l’échelle mondiale, vaincu idéologiquement et physiquement dans certains pays centraux du capitalisme, n’est pas présente actuellement.
Dans la période actuelle, ce qui est le plus à redouter pour le prolétariat, ce n’est pas un péril direct lié à l’instauration du fascisme, mais bien les mystifications démocratiques et l’action de ces partis anciennement ouvriers et passés à l’ennemi de classe. En effet, leur fonction est de saborder tout effort de la classe ouvrière pour se défendre face au capitalisme et affirmer sa nature révolutionnaire. Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, ces partis sont les premiers à agiter la menace du fascisme afin de rabattre les ouvriers vers la défense de la démocratie et de la gauche.
Elle est la conséquence des difficultés de la classe ouvrière à dégager sa perspective propre, celle de la révolution prolétarienne, en tant qu’alternative à la faillite du mode de production capitaliste.
Ainsi, même si la bourgeoisie n’a pas les mains libres pour déchaîner sa logique propre face à la crise de son système, à savoir la guerre impérialiste généralisée, la société, sous les effets de la crise économique, pourrit sur pieds. Ce processus de décomposition de la société sécrète un ensemble d’idéologies obscurantistes, xénophobes, basées sur la haine de l’autre vu comme un concurrent ou un ennemi, etc. Une partie significative de la population, y compris de la classe ouvrière, se trouve influencée à différents niveaux par cette ambiance.
Face à cela, la solution ne consiste certainement pas dans une mobilisation ou une lutte spécifiques contre le fascisme comme le propose Mélenchon, ni dans la défense de la démocratie, mais dans le développement de la lutte autonome du prolétariat contre le capitalisme et toutes ses composantes.
CCI, 30 juin
“La condition de la femme au xxie siècle” ; pourquoi un tel titre, pourquoi se pencher sur un tel sujet ? N’est-ce pas anachronique ou dépassé ? Après tout, ne sommes-nous pas en 2012 ? Les droits des femmes à l’égalité ne sont-ils pas reconnus en France et dans une foultitude de conventions et de déclarations à travers le monde ?
En réalité, la question de la souffrance des femmes dans une société qui demeure fondamentalement patriarcale reste entière ([1]). Partout dans le monde, la violence conjugale, la mutilation génitale rituelle, le développement d’idéologies complètement anachroniques, comme le fondamentalisme religieux, par exemple, continuent de sévir et de se développer ([2]).
Ce que les socialistes du xixe siècle appelaient “la question de la femme” reste donc posé : comment créer une société où les femmes ne subissent plus cette oppression particulière ? Et quelle doit être l’attitude des communistes révolutionnaires envers “les luttes des femmes” ?
Une première constatation : la société capitaliste a jeté les bases pour le changement le plus radical que la société humaine ait jamais connu. Toutes les sociétés antérieures, sans exception, étaient fondées sur la division sexuelle du travail. Quelle que soit leur nature de classe, et que la situation de la femme y soit plus ou moins favorable, il allait de soi que certaines occupations étaient réservées aux hommes, d’autres aux femmes. Les occupations masculines et féminines pouvaient varier d’une société à une autre mais le fait de la division était universel. Nous ne pouvons entrer ici dans une étude approfondie sur le pourquoi de ce fait, mais très vraisemblablement il est lié aux contraintes de l’enfantement, et remonte à l’aube de l’humanité. Le capitalisme, pour la première fois dans l’histoire, tend à éliminer cette division. Dès ses débuts, le capitalisme rend le travail abstrait. Là où autrefois il y avait le travail concret de l’artisan ou du paysan, encadré par les règles des guildes ou les lois coutumières, maintenant il n’y a que la main d’œuvre comptabilisée au taux horaire ou à la pièce, et peu importe qui exécute le travail. Puisque les femmes sont payées moins cher, on les fait entrer à l’usine souvent pour remplacer les hommes qui y travaillaient autrefois. C’est le cas des tisserandes notamment. Le machinisme aidant, le travail exige de moins en moins de force physique puisque la force humaine est remplacée par celle, décuplée, des machines. De nos jours, le nombre d’emplois qui exigent encore la force physique masculine est limité et on voit de plus en plus de femmes entrer dans des domaines autrefois réservés aux hommes. Les vieux préjugés sur “l’irrationalité” supposée des femmes tombent presque d’eux-mêmes, et on voit de plus en plus de femmes occuper des postes de chercheurs ou dans les professions médicales autrefois réservées aux hommes.
L’entrée massive des femmes dans le monde du travail associé ([3]) a deux conséquences potentiellement révolutionnaires :
La première conséquence, c’est qu’en mettant fin à la division sexuelle du travail, le capitalisme ouvre la voie vers un monde où hommes et femmes ne seront plus cantonnés dans des occupations sexuellement déterminées mais pourront réaliser pleinement leur talents et leurs capacités humaines. Cela ouvre aussi la perspective d’établir les relations entre les sexes sur des bases entièrement nouvelles.
La deuxième conséquence, c’est que les femmes acquièrent une indépendance économique. Une travailleuse salariée n’est plus dépendante de son mari pour vivre, et cela ouvre la possibilité, pour la première fois, aux masses de femmes ouvrières de participer à la vie publique et politique.
Dans le capitalisme, au tournant du xixe et du xxe siècle, la revendication de participer à la vie politique n’était pas limitée aux femmes ouvrières. Les femmes de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie revendiquaient elles aussi l’égalité des droits, et le droit de vote en particulier. Pour le mouvement ouvrier, cela posait la question de l’attitude à adopter vis-à-vis des mouvements féministes. Car si le mouvement ouvrier s’opposait à toute oppression de la femme, les mouvements féministes, en posant la question sociale à partir du sexe et non pas des classes, niaient le besoin d’un renversement révolutionnaire de la société, réalisé par une classe sociale composée d’hommes et de femmes : le prolétariat. Mutatis mutandis, la même question se pose aujourd’hui : quelle attitude les révolutionnaires doivent-ils adopter envers le mouvement de libération de la femme ?
Dans un article publié en mai 1912 sur la lutte pour le suffrage féminin, la révolutionnaire Rosa Luxemburg fait une nette distinction entre les femmes de la classe bourgeoise et le prolétariat féminin : “Nombre de ces femmes bourgeoises qui agissent comme des lionnes dans la lutte contre les “prérogatives masculines” marcheraient comme des brebis dociles dans le camp de la réaction conservatrice et cléricale si elles avaient le droit de vote (…) Économiquement et socialement, les femmes des classes exploiteuses ne sont pas un segment indépendant de la population. Leur unique fonction sociale, c’est d’être les instruments de la reproduction naturelle des classes dominantes. A l’opposé, les femmes du prolétariat sont économiquement indépendantes. Elles sont productives pour la société, comme les hommes” ([4]). Luxemburg fait donc une distinction très nette entre la lutte pour le suffrage des femmes prolétaires, et celle des femmes de la bourgeoisie, et elle insiste en plus sur le fait que la lutte pour les droits des femmes est une question pour toute la classe ouvrière : “Le suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du prolétariat.”
Le rejet du féminisme bourgeois est tout aussi clair chez Alexandra Kollontaï, membre du Parti bolchevique, qui publie en 1908 : La base sociale de la question de la femme : “Quoiqu’en disent les féministes, l’instinct de classe se montre toujours plus puissant que les nobles enthousiasmes de la politique “au-dessus des classes”. Tant que les femmes bourgeoises et leurs “petites sœurs” [c’est-à-dire les ouvrières, ndlr] sont égales dans leur inégalité, les premières peuvent en toute sincérité faire de grands efforts pour défendre les intérêts généraux des femmes. Mais une fois la barrière détruite et que les femmes bourgeoises ont eu accès à l’activité politique, les défenseurs récents des “droits pour toutes les femmes” deviennent les défenseurs enthousiastes des privilèges de leur classe (…) Lorsque les féministes parlent aux ouvrières de la nécessité d’une lutte commune pour réaliser un quelconque “principe général des femmes”, les femmes de la classe ouvrière sont naturellement méfiante” ([5]).
Que cette méfiance avancée par Kollontaï et Luxemburg était entièrement justifiée, fut montré dans la pratique lors de la Première Guerre mondiale. Le mouvement des “suffragettes” s’est scindé en deux : d’un côté, les féministes menées par Emmeline Pankhurst et sa fille Christabel ont donné leur soutien sans équivoque à la guerre et au gouvernement ; de l’autre, Sylvia Pankhurst en Grande-Bretagne et sa sœur Adela en Australie se sont séparées du mouvement féministe pour défendre une position internationaliste. Pendant la guerre, Sylvia Pankhurst abandonna petit à petit la référence au féminisme : sa “Women’s Suffrage Federation” devint la “Workers’ Suffrage Federation” en 1916, et son journal le Women’s Dreadnought ([6]) changea de nom pour devenir le Workers’ Dreadnought en 1917.
Luxemburg et Kollontaï admettent que les luttes des féministes et celles des femmes prolétaires peuvent se trouver momentanément sur un terrain commun, mais non pas que les femmes prolétaires doivent se fondre dans la lutte des féministes sur le terrain purement des “droits de femmes”. Il nous semble que les révolutionnaires doivent adopter la même attitude aujourd’hui, dans les conditions de notre époque évidemment.
Nous voulons terminer par une réflexion sur “l’égalité” comme revendication pour les femmes. Parce que le capitalisme traite la force de travail comme une abstraction, financièrement comptable, sa vision de l’égalité est également abstraite, comptable : une “égalité des droits”. Mais puisque les êtres humains sont tous différents, une égalité de droits devient très vite une inégalité dans les faits ([7]), et c’est pourquoi les communistes depuis Marx ne se revendiquent pas d’une “égalité” sociale. Au contraire, le slogan de la société communiste est : “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins”. Et il y a un besoin, et capacité, que les femmes ont, que les hommes n’auront jamais : celui d’enfanter.
Une femme doit donc avoir la possibilité de mettre au monde son enfant, de le soigner pendant ses premières années, sans que cela ne se trouve en contradiction ni avec son indépendance ni avec sa participation à la vie sociale dans toutes ses dimensions. C’est un besoin, un besoin physique, que la société doit soutenir ; c’est une capacité dont la société a tout intérêt à permettre l’expression puisqu’il s’agit là de son avenir ([8]). Il n’est donc pas difficile de voir qu’une société vraiment humaine, une société communiste, ne cherchera pas à imposer une “égalité” abstraite aux femmes, qui ne serait qu’une inégalité réelle dans les faits. Elle cherchera au contraire à intégrer cette capacité spécifique aux femmes dans l’ensemble de l’activité sociale, en même temps qu’elle complétera un processus que le capitalisme n’a pu qu’entamer, et mettra fin pour la première fois de l’histoire à la division sexuelle du travail.
Jens, juin 2012
[1]) Selon l’enquête nationale sur les violences envers les femmes de 2000, “en 1999, plus d’un million et demi de femmes ont été confrontées à une situation de violence, verbale, physique et/ou sexuelle. Une femme sur 20 environ a subi en 1999 une agression physique, des coups à la tentative de meurtre, [alors que] 1,2 % ont été victimes d’agressions sexuelles, de l’attouchement au viol. Ce chiffre passe à 2,2 % dans la tranche d’âge des 20-24 ans”
(cf. http ://www.sosfemmes.com/violences/violences_chiffres.htm [332])
[2]) Pour ne prendre qu’un exemple, selon un article publié en 2008 par Human Rights Watch, les Etats-Unis ont connu une augmentation dramatique de la violence contre les femmes pendant les deux années précédentes
(cf. http ://www.hrw.org/news/2008/12/18/us-soaring-rates-rape-and-violence-against-women [333])
[3]) Les femmes, évidemment, ont toujours travaillé. Mais dans les sociétés de classes antérieures au capitalisme, leur travail restait majoritairement dans le domaine domestique privé.
[5]) Publié dans Alexandra Kollontai : Selected writings, Alison & Busby, 1977, p. 73. Traduit en français par nous.
[6]) Référence aux cuirassées de la marine britannique de l’époque.
[7]) “Le droit par sa nature ne peut consister que dans l’emploi d’une même unité de mesure ; mais les individus inégaux (et ce ne seraient pas des individus distincts, s’ils n’étaient pas inégaux) ne sont mesurables d’après une unité commune qu’autant qu’on les considère d’un même point de vue, qu’on ne les saisit que sous un aspect déterminé ; par exemple, dans le cas présent, qu’on ne les considère que comme travailleurs et rien de plus, et que l’on fait abstraction de tout le reste” (Marx, Critique du Programme de Gotha).
[8]) Nous parlons ici de façon générale. Il est évident que toutes les femmes ne ressentent pas forcément ce besoin.
Aucun pays n’est épargné par la crise économique qui alimente en même temps l’explosion du chômage (3). En Europe, le taux dépasse déjà le seuil des 10 % et frappe particulièrement les jeunes qui ne peuvent désormais plus s’insérer dans un appareil productif sursaturé. En Espagne et en Grèce, c’est plus de 50 % des jeunes qui se retrouvent sans travail (4) ! Désormais, une grande partie de la population est dans un état de paupérisation absolue, sans logement, uniquement préoccupée par les moyens d’assurer sa propre survie et vivant dans la terreur des pressions policières. En Espagne, par exemple, dans 1 700 000 foyers, personne ne travaille ni ne perçoit plus la moindre indemnité ! Dans certaines régions les plus sinistrées, comme l’Andalousie, 35 % des familles des grandes villes vivent en dessous du seuil de pauvreté (5).
Les expulsions se multiplient et, face aux contestations, la répression policière s’amplifie.
Ce n’est pas un hasard non plus si l’Allemagne autorise désormais l’intervention de l’armée sur son sol, s’empressant aussitôt d’avertir que “ce n’est pas dirigé contre les manifestations” ! Sans commentaire…
Dans ce contexte de crise économique aiguë, la France en récession doit faire face elle aussi à des vagues de licenciements et de multiples plans sociaux. L’annonce en juillet de la suppression de 8000 postes chez PSA à Aulnay-sous-Bois et dans différents établissements n’est qu’un avant-goût de ce qui se prépare. Le secteur automobile est touché de plein fouet. Avec une baisse d’environ 10 % des ventes en Europe, il devient clair qu’il y a surcapacité et que l’avenir se présente très sombre partout. On annonce aussi 5000 suppressions de postes pour les télécommunications chez Alcatel Lucent, idem à Air France, le géant de la pharmacie Sanofi met sur la sellette 2000 salariés, la grande distribution, dont Carrefour, entrevoit de supprimer des milliers de postes... sans compter tous les sous-traitants touchés et les nombreuses PME qui disparaissent chaque jour en France. L’idée du “redressement productif” est une mascarade. Elle cache en réalité la simple volonté de la bourgeoisie française de résister à son recul sur un marché mondial saturé, face à une concurrence exacerbée. C’est d’ailleurs le sens de sa volonté sous-jacente de sacrifier en grande partie l’automobile pour se recentrer sur d’autres secteurs industriels vitaux. Comme le faisait Sarkozy en son temps, lorsqu’il promettait de “sauver des emplois” dans la sidérurgie, le nouveau gouvernement prétend qu’“une solution sera proposée pour chaque salarié” ! Ce mensonge, comme les précédents, permet de gagner du temps pour tenter de faire avaler la pilule.
Partout, que les gouvernements soient de droite ou de gauche, nous voyons le capital opérer des choix drastiques et obéir à une même logique d’attaques massives : fermetures d’usines, d’hôpitaux, salaires gelés (quand ils ne sont pas tout simplement supprimés...), fonctionnaires non remplacés, pensions diminuées, âge du départ à la retraite repoussé, pression fiscale accrue et hausse du coût de la vie.
Que valent, dans un tel contexte, les discours sur la “justice sociale” du gouvernement Hollande ? Rien, si ce n’est une nouvelle imposture ! Il faut ajouter que le chauvinisme, savamment entretenu par la bourgeoisie nationale et ses médias, derrière le soutien à ses athlètes aux JO enveloppés dans le drapeau tricolore, a constitué un véritable enfumage pour masquer l’austérité et tenter de préserver la paix sociale. De l’union nationale autour des jeux sportifs au “patriotisme économique” proclamé par les ministres Ayrault et Montebourg, les discours officiels incitent à un même “sacrifice” soi-disant juste et pour tous, au “dépassement de soi”, pour soutenir la compétitivité de “l’économie nationale”.
Les premières mesures symboliques du gouvernement, comme la baisse de 30 % des salaires des ministres (qui restent plus que très confortables), la retraite à 60 ans pour quelques dizaines de milliers de salariés, le barouf autour de la taxation des 75 % devant compenser la baisse de l’ISF pour les plus riches, le “coup de pouce” au SMIC (22 euros par mois !), etc., ne sont que des cosmétiques, de la poudre aux yeux destinés à “légitimer” les attaques en cours et à justifier d’avance celles bien pires en préparation contre tous les prolétaires. Cela, au nom de “l’effort juste” !
Car, derrière les beaux discours hypocrites du gouvernement, cherchant à faire diversion face à l’explosion du chômage, ces attaques sont déjà une réalité. L’été, comme toujours, a été un moment privilégié pour augmenter les prix sur le dos des classes exploitées : ceux des biens de première nécessité, du gaz, de l’électricité et des carburants (même si des effets d’annonce du gouvernement prétendent y remédier) sont déjà facturées. Comme nous l’avons vu, c’est surtout au niveau de l’emploi que la situation s’est très fortement dégradée. En juin 2012, on comptait 41 600 demandeurs d’emploi en plus. Les 295 100 radiations représentent 65 % des “sorties” de Pôle Emploi et on enregistre une multiplication des stages-parking, en hausse de 24 % en un an ! Le chômage de longue durée s’est lui aussi accru de plus de 21 % durant la même période ! Et ces chiffres ne prennent pas en compte les 1 312 400 foyers réduits au RSA, ni le million de sans-droits, etc. En réalité, c’est plus de 8,5 millions de demandeurs d’emploi, au bas mot, qu’il faudrait compter aujourd’hui (6).
Et la situation ne peut que s’aggraver ! Les budgets de la majorité des ministères, jugés “non prioritaires”, sont en effet partout revus à la baisse par le gouvernement Ayrault. Le principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux de l’ère Sarkozy est non seulement maintenu, mais renforcé, puisqu’il passe à deux fonctionnaires sur trois ! Ce ne sont pas les quelques milliers de postes d’enseignants recréés qui permettront de compenser les pertes ni de redresser la situation de précarité croissante. De grosses coupes claires sont déjà programmées en coulisse dans les collectivités territoriales. De nombreux postes de fonctionnaires dans les mairies, les petites communes, les départements et les régions, sont appelés à disparaître.
Par ailleurs, le gouvernement, qui se vante d’avoir supprimé la “TVA sociale” au nom de la “justice”, se prépare à une mesure aussi injuste que douloureuse : la hausse de la CSG, impôt sur l’impôt, inventée par la gauche elle-même et l’ancien ministre Michel Rocard. Il s’agira là d’une mesure transitoire en attendant une “réforme de la fiscalité” qui ne fera que plomber encore davantage le portefeuille des ménages. Mais les attaques ne s’arrêtent pas là. La question des retraites sera remise sur la table au printemps 2013. Et ce ne sera certainement pas pour une amélioration ! De même, la question du coût de la force de travail et de la flexibilité sera traitée dans l’esprit de ce qui est déjà en œuvre un peu partout ailleurs, comme en Allemagne, avec la profusion de petits boulots à 400 euros par mois. Aux États-Unis, par exemple, les salaires dans le secteur automobile ont déjà été divisés par deux pour des conditions de travail aggravées. Nous avons là un avant-goût de ce qui nous attend ! Et pour mettre en œuvre ces attaques, le gouvernement socialiste pourra compter sur toutes les forces politiques “critiques” de la bourgeoisie : de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, en passant par toutes les forces syndicales.
Alors que le gouvernement prépare ces nouvelles attaques, l’opposition lui facilite le travail en multipliant les critiques par une surenchère démagogique. Mais dans le dispositif politique anti-ouvrier, ce sont surtout les syndicats et l’extrême-gauche, de Lutte ouvrière à Mélanchon, qui s’avèrent les plus utiles pour mystifier et encadrer la classe ouvrière en cherchant à la museler, comme on a pu le vérifier au moment de l’annonce des suppressions de postes à PSA. Le gouvernement était parfaitement au courant des intentions de la direction Peugeot. Les propos du ministre demandant une “expertise” n’étaient que pure hypocrisie, polarisant les responsabilités exclusivement sur la famille Peugeot et sa “mauvaise stratégie” : Hollande déclarait le 14 juillet que le plan social était “inacceptable en l’état” et qu’il devait être “renégocié”. Les syndicats, comme chiens de garde de l’ordre établi, ont alors emboîté le pas exprimant leur volonté d’obtenir “des preuves des difficultés avancées par le constructeur”. Le syndicat SUD, qui appelait à une “grève illimitée” à Aulnay, éteignait sa mèche en demandant en même temps l’appui du gouvernement pour “mettre en place un plan d’ensemble de la filière automobile assurant l’avenir et maintenant tous les emplois du secteur”. Un véritable écho au discours de Montebourg, pour qui “la nation doit se rassembler autour de la défense de PSA”, souci également partagé et appuyé par le Front de gauche patriotard de Mélanchon.
La délégation de la CFDT se vantait du “soutien du ministre” alors que la CGT, plus radicale face aux méfiants, entérinait l’isolement : “on ne peut compter que sur nous-mêmes” (7) ! Mais dans cette partition, tous les syndicats, dont le SIA (syndicat maison), étaient hostiles à la grève et jouaient au maximum la division. Le SIA, par exemple, opposait les ouvriers en distinguant les “traîtres”, les “jaunes”, les “islamistes”. Les syndicats ont tout fait pour éviter la grève au moment où le gouvernement n’avait aucun intérêt au déclenchement de conflits sociaux.
Le pompon revient aux militants de Lutte ouvrière qui, comme éléments radicaux de la CGT, proclamaient qu’“une grève illimitée serait une erreur tactique” et qu’il valait mieux attendre le mois de septembre après les vacances ! S’il est vrai que l’annonce de la fermeture durant les vacances a été un choix délibéré de la direction pour profiter de la démobilisation estivale, la pratique de LO a été dans le sens de la renforcer en essayant de tuer dans l’œuf toute volonté des plus combatifs en appelant à défendre “l’unité syndicale”, enfermant ceux qui voulaient réellement se battre dans un vague projet de “comité de lutte” qui visait à les isoler davantage (8).
Il n’y a pas d’illusions à avoir, le gouvernement est parfaitement préparé face à la colère ouvrière et bénéficie d’une complicité sans faille de toutes les composantes radicales de la gauche, syndicales et d’extrême-gauche !
Si cette préparation de la bourgeoisie et les attaques au niveau mondial rendent plus difficile le combat de la classe ouvrière, il existe néanmoins des signes qui montrent que le prolétariat, comme classe internationale, n’est pas prêt à se résigner (9). Si le chemin vers de futures luttes massives est encore long et difficile, il se poursuit, en exprimant de plus en plus clairement le besoin de solidarité ou en faisant surgir des regroupements de minorités plus conscientes. Cette maturation en profondeur constitue un pas nécessaire pour préparer les luttes massives de demain.
WH, 25 août
1) Voir notre article sur la guerre en Syrie (p. 4)
2) Voir nos articles sur le massacre de Marikana (p. 1) et la traque des Roms (p. 5).
3) HP a ainsi prévu de supprimer 27 000 postes, Nokia 10 000, Sony 10 000 également, RWE, deuxième groupe de services aux collectivités en Allemagne, prévoit de supprimer 5000 emplois supplémentaires en Europe, le groupe japonais d’électronique Sharp va en supprimer 5000 autres dans le monde..., la liste est très longue.
4) Voir le tract diffusé par la section du CCI en Espagne (p. 3).
5) www.liberation.fr [336].
6) http ://www.agoravox.fr [337]
8) Le Prolétaire no 503.
9) Voir nos articles sur la lutte des classes dans le monde (pages 2 et 3).
Le 16 août, au-dessus des mines de Marikana, au Nord-Ouest de Johannesburg, 34 personnes tombaient sous les balles de la police sud-africaine qui en blessait 78 autres. Plusieurs centaines de manifestants étaient également interpellées. Immédiatement, les images insoutenables des exécutions sommaires faisaient le tour du monde. Mais, comme toujours, la bourgeoisie et ses médias édulcoraient le caractère de classe de cette grève, la réduisant au sordide affrontement entre les deux principaux syndicats du secteur minier, et jouant la vieille partition du “démon de l’apartheid”.
Malgré des investissements de plusieurs centaines de milliards d’euros destinés à soutenir l’économie, la croissance est atone et le chômage massif” (1). Le pays a fondé une partie de sa richesse sur l’exportation de produits miniers tels que le platine, le chrome, l’or et le diamant. Or, ce secteur, qui représente près de 10 % du PIB national, 15 % des exportations et plus de 800 000 emplois, a subi une forte récession en 2011. Le cours du platine, dont l’Afrique du Sud possède 80 % des réserves mondiales, s’effondre ainsi depuis le début de l’année.
Les conditions de vie et de travail des mineurs, déjà particulièrement pénibles, se sont fortement dégradées : payés un salaire misérable (environ 400 euros mensuels), logés dans des taudis, plongés souvent 9 heures au fond de mines surchauffées et asphyxiantes, ils subissent désormais les licenciements, les arrêts de production et le chômage. L’Afrique du Sud a ainsi été le théâtre de nombreuses grèves. En février, la plus grande mine de platine du monde, exploitée par Impala Platinum, avait déjà été paralysée six mois par une grève. C’est cette dynamique que le gouvernement dirigé par le président Zuma, successeur de l’emblématique Nelson Mandela, de concert avec les syndicats, a voulue enrayer. Car le développement des luttes en Afrique du Sud participe pleinement des réactions de la classe ouvrière à l’échelle internationale face à la crise mondiale.
C’est dans ce contexte que, le 10 août, 3000 mineurs de Marikana décident d’arrêter le travail pour réclamer des salaires décents, soit l’équivalant de 1250 euros : “Nous sommes exploités, ni le gouvernement ni les syndicats ne sont venus à notre aide [...]. Les sociétés minières font de l’argent grâce à notre travail, et on ne nous paie presque rien. Nous ne pouvons pas nous offrir une vie décente. Nous vivons comme des animaux à cause des salaires de misère” (2). Les mineurs entament aussitôt une grève sauvage sur le dos de laquelle deux syndicats, l’Union nationale des mineurs (NUM) et le Syndicat de l’association des mineurs et de la construction (AMCU), vont s’affronter violemment pour défendre leurs intérêts réciproques tout en enfermant les ouvriers dans la souricière de l’affrontement avec la police.
La NUM est un syndicat complètement corrompu et inféodé au pouvoir du président Jacob Zuma. La compromission ouverte de ce syndicat et son soutien systématique au parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), a fini par le discréditer aux yeux de nombreux travailleurs. Cette perte de crédit a conduit à la création d’un syndicat au discours plus radical issu de ses propres rangs : l’AMCU.
Mais tout comme la NUM, l’AMCU ne se soucie aucunement des mineurs : après une campagne de recrutement physiquement très agressive, le syndicat a profité de la grève pour que ses gros bras puissent en découdre avec ceux de la NUM. Résultat : dix morts et plusieurs blessés sur le compte des mineurs. Mais, au-delà de la guerre de territoire, ces altercations inter-syndicales ont permis aux forces de l’ordre d’intervenir, de provoquer un nouveau bain de sang, et de faire un exemple pour endiguer la dynamique des luttes ouvrières.
En effet, après plusieurs jours d’affrontement, Frans Baleni, secrétaire général de la NUM, avait évidemment beau jeu d’en appeler à l’armée : “Nous appelons au déploiement d’urgence des forces spéciales ou des forces armées sud-africaines avant que la situation soit hors de contrôle” (3)... et pourquoi pas un bombardement aérien sur la mine, Monsieur Baleni ? Mais le piège était déjà refermé sur les travailleurs. Dès le lendemain, le gouvernement envoyait des milliers de policiers, des véhicules blindés et deux hélicoptères (!) pour “rétablir l’ordre”, l’ordre bourgeois, bien sûr !
D’après plusieurs témoignages qui, vu la réputation des forces de répression sud-africaines, sont probablement authentiques, la police a passé son temps à provoquer les mineurs en tirant sur eux avec des flash-balls et des canons à eau, en envoyant des grenades lacrymogènes et des grenades incapacitantes, sous le prétexte mensonger que les grévistes possédaient des armes à feux.
Le 16 août, évidement, vu la fatigue et l’excitation alimentée par les “représentants syndicaux”, qui avaient – heureux hasard des circonstances – soudainement disparu de la circulation ce jour-là, quelques mineurs ulcérés osèrent “charger” (sic) les flics avec des bâtons. Comment ? La vile canaille “charge” les forces de l’ordre ? Quelle insolence ! Mais que pouvaient donc faire plusieurs milliers de flics, avec leurs armes à feux, leurs gilets pare-balles, leurs véhicules blindés, leurs canons à eau, leurs grenades et leurs hélicoptères face à une horde de 34 “sauvages” qui les “chargent” avec des bâtons ? Tirer dans le tas... “pour protéger leur vie” (4).
Et cela donne les images absolument écœurantes, insoutenables et monstrueuses que nous connaissons. Mais, si la classe ouvrière ne peut qu’exprimer son indignation face à une telle barbarie, elle doit comprendre que la diffusion de ces images avait aussi pour objectif de la mystifier en soulignant combien les prolétaires des pays “vraiment démocratiques” ont de la chance de pouvoir défiler “librement” derrières les banderoles syndicales. C’est également un avertissement implicite jeté à la face de tous ceux dans le monde qui osent se dresser contre la misère et le système qui l’engendre.
Immédiatement après le massacre, des voix s’élevaient dans le monde entier pour dénoncer le “démon de l’apartheid” et multiplier les déclarations compassées. La bourgeoisie veut désormais donner au mouvement une dimension mystificatrice en déplaçant le questionnement vers des problèmes ethniques et nationalistes. Julius Malenna, exclu de l’ANC en avril, s’est ainsi régulièrement déplacé à Marikana pour dénoncer les compagnies étrangères, réclamer la nationalisation des mines et l’expulsion des “grands propriétaires terriens blancs.”
S’enfonçant dans l’hypocrisie la plus crasse, le président Jacob Zuma déclarait devant la presse : “Nous devons faire éclater la vérité sur ce qui s’est passé ici, c’est pourquoi j’ai décidé d’instaurer une commission d’enquête pour découvrir les causes réelles de cet incident.” La vérité la voici : la bourgeoisie essaye de duper la classe ouvrière en masquant la lutte des classes sous les traits mystificateurs de la lutte des races. Mais la ficelle est un peu grosse : n’est-ce pas un gouvernement “noir” qui a répondu à l’appel d’un syndicat “noir” en déployant ses policiers ? N’est-ce pas un gouvernement “noir” qui fait tout son possible législatif pour contenir les mineurs dans des conditions de vie indignes ? N’est-ce pas un gouvernement “noir” qui emploie les policiers issus de l’époque de l’apartheid et vote des lois les autorisant à “tirer pour tuer” ? Et ce gouvernement “noir”, n’est-il pas issu des rangs de l’ANC, le parti dirigé par Nelson Mandela, célébré dans le monde entier comme le champion de la démocratie et de la tolérance ?
Dans la nuit du 19 au 20 août, espérant pousser l’avantage, la direction de Lonmin, entreprise qui exploite la mine, ordonnait aux “3000 employés en grève illégale de reprendre le travail lundi 20 août, faute de quoi ils s’exposent à un possible licenciement” (5). Mais la colère et les conditions de vie des mineurs sont telles qu’ils adressèrent un refus explicite à la direction, préférant s’exposer aux licenciements : “Est-ce qu’ils vont virer aussi ceux qui sont à l’hôpital et à la morgue ? De toutes façons, c’est mieux d’être mis à la porte parce qu’ici, on souffre. Nos vies ne vont pas changer. Lonmin se fiche de notre bien-être, jusqu’à maintenant, ils ont refusé de nous parler, ils ont envoyé la police pour nous tuer” (6). Tandis que Lonmin devait rapidement reculer, le 22 août, la grève s’étendait, avec les mêmes revendications, à plusieurs autres mines, exploitées par Royal Bafokeng Platinum et Amplats.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, il est encore impossible de savoir si les grèves glisseront sur un terrain de conflit inter-racial ou continueront à s’étendre. Mais, ce qu’a explicitement montré le massacre de Marikana, c’est la violence d’un État démocratique. Noirs ou blancs, les gouvernements sont prêts à tous les massacres contre la classe ouvrière.
El Generico, 22 août
1) Le taux de chômage s’élevait officiellement à 35,4 % à la fin de l’année 2011.
2) Cité dans le Monde du 16 août 2012.
3) Communiqué du NUM du 13 août 2012.
4) Déclaration de la police après le massacre. Le porte-parole de la police a même osé affirmer : “La police a été attaquée lâchement par un groupe, qui a fait usage d’armes variées, dont des armes à feu Les policiers, pour protéger leur vie et en situation de légitime défense, ont été obligés de répondre par la force.”
5) Communiqué de Lonmin du dimanche 19 août 2012.
6) Cité sur www.jeuneafrique.com [339], le 19 août 2012.
Partout, la classe ouvrière paie la note de l’accélération de la crise mondiale du capitalisme à travers une terrible dégradation de ses conditions de vie et de travail. Partout, elle subit les coups de boutoir des attaques de chaque bourgeoisie nationale : paupérisation, chute des salaires, chômage massif, plans de licenciements, précarité, réduction des budgets sociaux… Malgré le poids de l’idéologie démocratique, les manœuvres de division, l’encadrement syndical de ses luttes, la répression directe comme en Afrique du Sud, et les obstacles multiples que dresse la bourgeoisie devant elle, la classe ouvrière ne se résigne pas. Au contraire, elle tend à démontrer son unité et sa solidarité.
Afin de contribuer à rompre l’isolement et le black-out que les médias aux ordres font peser sur les luttes du prolétariat, nous tenons à mettre en évidence quelques unes des mobilisations récentes et significatives du prolétariat mondial qui témoignent du caractère international de la lutte de classe.
Alors que de nouvelles mesures d’austérité dictées par l’UE sont annoncées et que le gouvernement Rajoy a décidé de supprimer l’aide de l’État au secteur du charbon, prélude à la fermeture prochaine de toutes les mines restantes, les principaux syndicats (CCOO, UGT) avaient organisé, pour contrer la mobilisation massive des 30 000 mineurs en grève depuis le mois de mai, une marche sur Madrid, le 11 juillet. Elle devait servir d’enterrement de première classe au mouvement des mineurs. Mais d’autres travailleurs ont rejoint cette marche à la recherche de solidarité. Les jours suivants, des rassemblements spontanés ont regroupé des ouvriers du secteur public, mais aussi du secteur privé, pour manifester devant les sièges des partis bourgeois, en-dehors de l’encadrement syndical. La classe ouvrière est donc en train de digérer ses combats antérieurs et de mettre l’unification et la solidarité au cœur de ses luttes.
Dans cet autre pays au cœur de la tourmente européenne, où les plans de rigueur se succèdent à un rythme effréné et où le chômage touche officiellement 15 % de la population, une grève des dockers a paralysé les principaux ports le 14 août (notamment ceux de Lisbonne Aveiro, Figueira da Foz, Setubal et Sines) pour protester contre un projet du gouvernement de mettre en place des contrats de travail temporaires ou intermittents et de favoriser la précarisation des emplois. La moitié des salariés du secteur portuaire risquent ainsi de perdre leur travail.
Environ 10 % des 6515 employés du secteur pétrolier s’étaient mis en grève le 24 juin pour réclamer des hausses de salaires et le droit de partir à la retraite à 62 ans. La Norvège est le premier producteur de pétrole et de gaz naturel en Europe et cela constitue la 8ème richesse industrielle du monde. Brandissant aux côtés des grands groupes pétroliers, la menace du blocage à l’accès des plateformes offshore en Mer du Nord, le gouvernement “travailliste” a décrété au bout de 15 jours, le 7 juillet, la fin de la grève tout en convoquant une commission d’arbitrage. Cette manœuvre s’est opérée suite à une odieuse campagne idéologique présentant les ouvriers du secteur pétrolier comme des “nantis” et des “privilégiés”, alors que leurs conditions de travail, baptisées “antichambre de l’enfer”, sont parmi les plus pénibles et les plus dangereuses du monde, les exposant pendant de nombreuses heures au froid ou aux tempêtes. Malgré leurs protestations de pure forme et la menace de reprendre la grève dans quelques mois, les syndicats, ont appelé les ouvriers à la reprise immédiate du travail.
Les employés du métro de Buenos Aires ont fait grève durant 10 jours, paralysant l’activité de la capitale du 3 au 13 août. Il s’agit de la plus longue grève du métro argentin depuis sa création en 1913. Les salariés demandaient une hausse de salaire de 28 % alors que la hausse annuelle du coût de la vie galope à 25 % par an. Au bout du compte, les syndicats ont appelé les travailleurs à suspendre leur grève, après la “concession” d’une augmentation salariale limitée à 23 %. Mais ce conflit sur un terrain revendicatif a surtout été exploité et dénaturé par la bourgeoisie et ses médias pour, d’une part, tenter de diviser les ouvriers entre employés et usagers du métro et, d’autre part, pour polariser l’attention sur un conflit interne à la bourgeoisie, opposant la présidente Cristina Kirchner de “centre gauche” au maire de “droite” de Buenos Aires, Mauricio Macri. Celui-ci avait signé en janvier dernier un accord de principe pour assumer la gestion du métro, incombant jusque là à l’État. Dans la foulée, il décide de doubler le tarif des tickets de transport. Par la suite, le sieur Macri, mettant en avant le non-respect par l’État de plusieurs clauses du contrat et notamment le mauvais état des wagons et l‘absence d’entretien du réseau, a décidé de renoncer à la gestion du métro. Le gouvernement a alors fait adopter par le Congrès une loi transférant à la ville la gestion du réseau, tandis que le parlement autonome de la capitale votait de son côté une loi transférant l’administration du métro à l’État. Et ce sont les travailleurs, non seulement les employés du métro, mais tous les prolétaires usagers des transports en commun, qui ont fait les frais de cette guerre entre deux clans bourgeois, avec la complicité active des syndicats et leur sale boulot de division.
Le secteur des transports est un secteur crucial pour le capitalisme. Pour cette raison, le transport aérien a une grande signification. Un mouvement de grève lancé par le personnel naviguant de la compagnie aérienne nationale, la Turkish Airlines, a paralysé les 29 et 30 mai, le grand aéroport d’Istambul, avec des centaines de vols annulés et d’importants retards. La durée du travail dans le secteur des transports aériens peut en effet s’élever à 16 ou 18 heures par jour en Turquie ! Certaines compagnies obligent même les équipages en cabine à dormir dans la même pièce pour réduire le coût du travail quand ceux-ci sont en dehors de leur résidence. Les navigants doivent ainsi travailler pendant de longues heures en n’ayant dormi que 2 ou 3 heures avant, au mépris de leur santé, de leur vie sociale et de leurs besoins humains. Avant que la grève n’éclate, le ministre de l’industrie avait lancé une véritable provocation en menaçant d’interdire le droit de grève “dans des secteurs stratégiques comme les transports”. Les syndicats, qui n’avaient pourtant rien fait quand des centaines de travailleurs avaient été licenciés à l’aéroport Sabiha Gokeen à Istanbul, ou quand on les avait contraints à travailler davantage d´heures pour des salaires de misère, ont adressé un message “urgent” aux travailleurs les appelant à “exercer leur droit de grève”. Et les travailleurs ont effectivement déclenché une grève “illégale” le 29 mai, ce qui a servi de prétexte aux licenciements par Turkish Airlines. Ainsi, lors d’un piquet de grève, 305 grévistes, essentiellement des femmes, recevaient ce SMS sur leur téléphone portable leur signifiant simplement : “votre contrat de travail a été annulé”. Tout cela démontre que ces attaques de la bourgeoisie ont été menées main dans la main avec les syndicats.
Il était nécessaire, pour les travailleurs, de lutter non seulement contre l’administration de Turkish Airlines et le gouvernement, mais aussi contre les syndicats dont ils étaient membres. Ainsi, l’Association du 29 mai, formée par les travailleurs des compagnies aériennes en tant qu’organe de lutte indépendant des syndicats, a déclaré, à l’image de la Plate-forme des Ouvriers en lutte qui a surgi suite à la lutte de Tekel : “l’administration du syndicat Hava-Is, dont nous sommes membres, a joué un grand rôle dans le fait que cette protestation justifiée ait été déclarée “illégale” en ne prenant même pas la responsabilité d’une action à laquelle ils avaient appelé eux-mêmes. Les patrons de Turkish Airlines comptent bien tirer profit de cette situation pour éliminer des employés et les rendre quasiment esclaves. Est-ce que l’administration de Havas-Is manquait à ce point d’expérience qu’elle ne pouvait prévoir ce qui allait se passer quand elle a laissé des centaines de ses membres seuls face à l’administration de Turkish Airlines ? Quelle sorte de mentalité syndicale cela reflète t-il ?”
La gauche bourgeoise a mené une campagne déplorant le manque de soutien des travailleurs au président du syndicat tandis qu’elle présentait l’Association du 29 mai comme les “diviseurs de la lutte”. Tout au contraire, mettant l’accent sur l’importance de la solidarité, l’Association du 29 mai n’a cessé de pousser à étendre la lutte pour défendre les intérêts de la classe ouvrière toute entière et à l’organisation d’assemblées ouvertes à tous les prolétaires.
Plus de 23 000 salariés de la plus grande entreprise de textiles d’Égypte se sont mis en grève, dimanche 15 juillet, en réclamant une revalorisation de leurs salaires. L’usine de la société nationale Mir Spinning and Weaving, à Mahalla dans le delta du Nil, a déjà connu en 2008 des manifestations qui ont déclenché une vague de grèves à travers le pays, considérée par beaucoup comme le catalyseur du soulèvement qui a abouti à la chute d’Hosni Moubarak en février 2011. Sept mille grévistes de Misr Spinning and Weaving ont organisé un sit-in dans l’usine en réclamant une hausse des salaires de base, le renvoi de responsables corrompus et l’amélioration des conditions dans l’hôpital rattaché à l’entreprise. De nombreux salariés égyptiens, encouragés par le soulèvement du début 2011, ont fait grève ces derniers mois dans l’espoir d’obtenir des augmentations et une amélioration de leurs conditions de travail. La majeure partie de ces mouvements sociaux ont pris fin, mais certains arrêts de travail continuent d’être observés de temps à autre. Des manifestations ont lieu devant le palais présidentiel au Caire depuis l’élection de Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans. Nombre de ces rassemblements portent sur les questions du chômage et des salaires.
La ville de Sidi Bouzid, berceau du “printemps arabe” et du mouvement qui a conduit à la chute du président Ben Ali, a connu le mardi 14 août une grève générale extrêmement suivie et une manifestation “pour la liberté d’expression et contre la répression”, rassemblant environ 2000 personnes : les protestataires réclamaient la libération d’une quarantaine de personnes arrêtées dans la région depuis fin juillet lors de manifestations contre les difficultés sociales et les coupures d’eau et d’électricité. La population locale, et plus globalement du bassin minier attendent toujours l’aide promise. Il y a ceux qui attendant le versement d’indemnités à tous les proches des victimes du soulèvement de janvier 2011. Il y a aussi ceux qui ne supportent plus les coupures d’eau ou d’électricité récurrentes et ceux qui désespèrent d’être au chômage. C’est la misère et le chômage qui ont d’ailleurs été au cœur du soulèvement de décembre 2010. Depuis, la situation n’a pas changé et les manifestations comme les conflits sociaux se sont multipliés ces dernières semaines dans le pays, face à un gouvernement dominé par les islamistes d’Ennahda. Une manifestation rassemblant plusieurs milliers de personnes a également eu lieu à Tunis le 13 août pour la protection du droit des femmes.
Arno, 31 août
Depuis le mois d’avril, une tempête de même nature que celle initiée par le “printemps arabe”, qui avait encouragée ailleurs une multitude de mobilisations de populations “indignées” dans le monde (Espagne, Grèce, États-Unis, Canada, etc.), souffle sur l’archipel japonais. Et comme pour bon nombre de ces mouvements, nous assistons de nouveau à un véritable black-out de la part de la bourgeoisie et de ses grands médias aux ordres. Au Japon même, en dehors des lieux cristallisant le mécontentement, c’est un silence identique à celui des autres moyens d’information démocratiques occidentaux. Ainsi, par exemple, une manifestation de plus de 60 000 personnes, à Tokyo, a pu être complètement occultée aux yeux du grand public. Selon les termes même d’un journaliste japonais “indépendant”, M Uesugi, “au Japon, le contrôle des médias est pire que la Chine et semblable à l’Égypte” (1).
Ces manifestations, de quelques centaines de personnes en avril, passant rapidement à quelques milliers par la suite, ont débouché sur une véritable vague de colère qui s’est amplifiée. Ainsi, au début du mois de juillet, affluant des diverses contrées (région de Tohoku – nord-est –, île de Kyushu – sud –, Shikoku – sud-est –, Hokkaido – nord –, Honshu – centre-ouest –), les protestataires ont convergé en nombre à proximité du parc Yoyogi à Tokyo pour investir la rue. Rapidement, une “manifestation monstre” atteignait près de 170 000 mécontents. On n’avait pas vu pareille manifestation contre les conditions de vie depuis les années 1970. La dernière en date, d’une relative ampleur, en 2003, était contre la guerre en Irak.
Le facteur déclencheur de ce mécontentement est lié au traumatisme de Fukushima, à la forte indignation face aux mensonges des autorités nippones et à leur volonté de poursuivre un programme nucléaire kamikaze. Le dernier plan national prévoyait la construction de 14 nouveaux réacteurs d’ici 2030 ! Suite à la catastrophe de Fukushima, le gouvernement n’a pas trouvé mieux pour “rassurer” et préparer son plan que de dire aux populations : “Vous n’allez pas être affectés immédiatement. (...) Ce n’est pas grave, c’est comme prendre l’avion ou subir des rayons”. Quel cynisme ! Il n’est pas étonnant que la population très en colère demande “l’arrêt du nucléaire”, à commencer par la centrale d’Hamaoka, à 120 km de Nagoya, située sur une zone de subduction fortement sismique.
Outre la massivité qui a été une surprise pour les organisateurs eux-mêmes, on retrouve le même rôle dynamique joué par Internet, par twitter et la nouvelle génération, en particulier les étudiants et les lycéens. Pour bon nombre, il s’agissait de leur première mobilisation. Parmi les manifestations quasi-hebdomadaires qui se sont succédées, certaines ont été organisées par des lycéennes de Nagoya via les réseaux sociaux et par une nébuleuse de groupes antinucléaires (2). Des critiques fusent de partout sur le Web, les vidéos se multiplient et les sites alternatifs s’étoffent. Un peu à l’image du blog d’un ancien ouvrier de la centrale d’Hamaoka, dénonçant les mensonges sur la prétendue “sécurité” des installations nucléaires, les esprits s’animent. Un étudiant à Sendai (Nord-est), Mayumi Ishida, souhaite pour sa part “un mouvement social avec des grèves” (3). Ce mouvement exprime ainsi en profondeur l’accumulation des frustrations sociales liées à la crise économique et à l’austérité brutale. En cela, ce mouvement au Japon se rattache bel et bien aux autres expressions de ce mouvement international des “indignés”.
Des gens très en colère n’hésitent donc plus à prendre la parole, même s’il est difficile d’en rendre compte faute d’informations précises.
Bien entendu, comme partout ailleurs, ce mouvement présente de grandes faiblesses, notamment des illusions démocratiques et des préjugés nationalistes marqués. La colère reste largement canalisée et encadrée par les syndicats et surtout, en l’occurrence, les organisations antinucléaires officielles. Des élus locaux frondeurs, par leur démagogie et leurs mensonges, réussissent encore souvent à entraîner derrière eux des mécontents en les isolant les uns des autres, en poussant à des actions stériles, exclusivement focalisées contre tel ou tel projet de l’industrie nucléaire et surtout contre le Premier ministre “fusible” Naoto Kan.
Malgré ces nombreuses faiblesses, ce mouvement au Japon est symboliquement très important. Il démontre non seulement que son isolement relatif des autres fractions du prolétariat (lié à des facteurs géographiques, historiques et culturels) tend en partie à être dépassé (4) mais aussi que toute la propagande nauséabonde des médias bourgeois sur la prétendue “docilité” des ouvriers japonais repose sur des préjugés destinés à briser l’unité internationale des exploités.
Progressivement, les ouvriers du monde entier commencent à entrevoir la force sociale qu’ils sont potentiellement capables de représenter pour le futur. Peu à peu, ils apprennent que la rue est un espace politique qu’il leur faudra investir par une lutte solidaire. Ils pourront alors retrouver, au Japon comme ailleurs, dans l’élan d’une force révolutionnaire internationale, les moyens de détruire le capitalisme et de construire une société libérée de l’exploitation et ses barbaries. Il s’agit là d’un long, très long chemin, mais c’est aussi et surtout le seul qui mène vers le règne de la liberté.
WH, 21 juillet
1) http ://blogs.mediapart.fr/edition/japon-un-seisme-mondial/article/201111/fukushima-occuper-tokyo-des-manifestations-de-ma [340]
3) www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Japon-manifestations-anti-nucleaires-monstres_3637-2097031_actu.Htm ?xtor=RSS-4&utm_source=RSS_MVI_ouest-france [342]
4) Voir notre série publiée en 2003 sur l’histoire du mouvement ouvrier au Japon, in Revue internationale nos 112 [343], 114 [344], 115 [345].
Voici un tract avec lequel notre section en Espagne dénonce la pire attaque contre les conditions de vie de la classe ouvrière, une attaque qui paraîtra pourtant “légère” en comparaison à celles qui vont venir. C’est aussi une analyse de la situation, qui essaie d’apporter des solutions aux dernières luttes.
En 1984, le gouvernement du PSOE (Parti socialiste, de gauche) imposa la première Réforme du travail ; il y a tout juste trois mois, le gouvernement actuel du PP (Parti populaire, de droite) a mis en place la plus grave des Réformes du travail connue jusqu’ici. En 1985, le gouvernement du PSOE fit la première Réforme des retraites ; en 2011, un autre gouvernement de ce même PSOE en imposa une autre. Pour quand la prochaine ? Depuis plus de 30 ans, les conditions de vie des travailleurs ont empiré graduellement, mais depuis 2010 cette dégradation a pris un rythme frénétique et, avec les nouvelles mesures gouvernementales du PP, elle a atteint des niveaux qui, malheureusement, sembleront bien bas lors des futures attaques. Il y a, par-dessus le marché, un acharnement répressif de la part de la police : violence contre les étudiants à Valence en février dernier, matraquage en règle des mineurs, usage de balles en caoutchouc utilisées, entre autres, contre des enfants. Par ailleurs, le Congrès est carrément protégé par la police face aux manifestations spontanées qui s’y déroulent depuis mercredi dernier et qui s’y sont renouvelées dimanche 15 juillet...
Nous, l’immense majorité, exploitée et opprimée, mais aussi indignée ; nous, travailleurs du public et du privé, chômeurs, étudiants, retraités, émigrés..., nous posons beaucoup de questions sur tout ce qui se passe. Nous devons tous, collectivement, partager ces questionnements dans les rues, sur les places, sur les lieux de travail, pour que nous commencions tous ensemble à trouver des réponses, à donner une riposte massive, forte et soutenue.
Les gouvernements changent, mais la crise ne fait qu’empirer et les coupes sont de plus en plus féroces. On nous présente chaque sommet de l’UE, du G20, etc., comme la “solution définitive”... qui, le jour suivant, apparaît comme un échec retentissant ! On nous dit que les coupes vont faire baisser la prime de risque, et ce qui arrive est tout le contraire. Après tant et tant de saignées contre nos conditions de vie, le FMI reconnaît qu’il faudra attendre… 2025 (!) pour retrouver les niveaux économiques de 2007. La crise suit un cours implacable et inexorable, faisant échouer sur son passage des millions de vies brisées.
Certes, il y a des pays qui vont mieux que d’autres, mais il faut regarder le monde dans son ensemble. Le problème ne se limite pas à l’Espagne, la Grèce ou l’Italie, et ne peut même pas se réduire à la “crise de l’euro”. L’Allemagne est au bord de la récession et déjà, il s’y trouve 7 millions de mini-jobs (avec des salaires de 400 €) ; aux Etats-Unis, le chômage part en flèche à la même vitesse que les expulsions de domicile. En Chine, l’économie souffre d’une décélération depuis 7 mois, malgré une bulle immobilière insensée qui fait que, dans la seule ville de Pékin, il y a 2 millions d’appartements vides. Nous sommes en train de souffrir dans notre chair la crise mondiale et historique du système capitaliste dont font partie tous les Etats, quelle que soit l’idéologie officielle qu’ils professent –“communiste” en Chine ou à Cuba, “socialiste du xxie siècle” en Équateur ou au Venezuela, “socialiste” en France, “démocrate” aux Etats-Unis, “libérale” en Espagne ou en Allemagne. Le capitalisme, après avoir créé le marché mondial, est devenu depuis presque un siècle un système réactionnaire, qui a plongé l’humanité dans la pire des barbaries (deux guerres mondiales, des guerres régionales innombrables, la destruction de l’environnement...) ; aujourd’hui, depuis 2007, après avoir bénéficié de moments de croissance économique artificielle à base de spéculation et de bulles financières en tout genre, il est en train de se crasher contre la pire des crises de son histoire, plongeant les États, les entreprises et les banques dans une insolvabilité sans issue. Le résultat d’une telle débâcle, c’est une catastrophe humanitaire gigantesque. Tandis que la famine et la misère ne font qu’augmenter en Afrique, en Asie et en Amérique latine, dans les pays “riches”, des millions de personnes perdent leur emploi, des centaines de milliers sont expulsées de leur domicile, la grande majorité n’arrive plus à boucler les fins de mois ; le renchérissement de services sociaux ultra-réduits rend l’existence très précaire, ainsi que la charge écrasante des impôts, directs et indirects.
Le capitalisme divise la société en deux pôles : le pôle minoritaire de la classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien ; et le pôle majoritaire des classes exploitées, qui produit tout et reçoit de moins en moins. La classe capitaliste, ce 1 % de la population comme le disait le mouvement Occupy aux États-Unis, apparaît de plus en plus corrompue, arrogante et insultante. Elle cumule les richesses avec un culot indécent, se montre insensible face aux souffrances de la majorité et son personnel politique impose partout des coupes et de l’austérité... Pourquoi, malgré les grands mouvements d’indignation sociale qui se sont déroulés en 2011 (Espagne, Grèce, Etats-Unis, Egypte, Chili etc.), continue-t-elle avec acharnement à appliquer des politiques contre les intérêts de la majorité ? Pourquoi notre lutte, malgré les précieuses expériences vécues, est si en dessous de ce qui serait nécessaire ?
Une première réponse se trouve dans la tromperie que représente l’Etat démocratique. Celui-ci se présente comme étant “l’émanation de tous les citoyens” mais, en vérité, il est l’organe exclusif et excluant de la classe capitaliste, il est à son service, et pour cela il possède deux mains : la main droite composée de la police, des prisons, des tribunaux, des lois, de la bureaucratie avec laquelle elle nous réprime et écrase toutes nos tentatives de révolte ; et la main gauche, avec son éventail de partis de toutes idéologies, avec ses syndicats apparemment indépendants, avec ses services de cohésion sociale qui prétendent nous protéger..., qui ne sont que des illusions pour nous tromper, nous diviser et nous démoraliser.
A quoi ont-ils servi, tous ces bulletins de vote émis tous les quatre ans ? Les gouvernements issus des urnes ont-ils réalisé une seule de leurs promesses ? Quelle que soit leur idéologie, qui ont-ils protégé ? Les électeurs ou le capital ? À quoi ont servi les réformes et les changements innombrables qu’ils ont faits dans l’éducation, la sécurité sociale, l’économie, la politique, etc. ? N’ont-t-ils pas été en vérité l’expression du “tout doit changer pour que tout continue pareil” ? Comme on le disait lors du mouvement du 15-Mai : “On l’appelle démocratie et ça ne l’est pas, c’est une dictature mais on ne le voit pas.”
Le capitalisme mène à la misère généralisée. Mais ne voyons pas dans la misère que la misère ! Dans ses entrailles se trouve la principale classe exploitée, le prolétariat qui, par son travail associé – travail qui ne se limite pas à l’industrie et à l’agriculture mais qui comprend aussi l’éducation, la santé, les services, etc. –, assure le fonctionnement de toute la société et qui, par là même, a la capacité tant de paralyser la machine capitaliste que d’ouvrir la voie à une société où la vie ne sera pas sacrifiée sur l’autel des profits capitalistes, où l’économie de la concurrence sera remplacée par la production solidaire pour la pleine satisfaction des besoins humains. En somme, une société qui dépasse le nœud de contradictions dans lesquelles le capitalisme tient l’humanité prisonnière.
Cette perspective, qui n’est pas un idéal mais le fruit de l’expérience historique et mondiale de plus de deux siècles de luttes du mouvement ouvrier, paraît cependant aujourd’hui difficile et lointaine. Nous en avons déjà mentionné une des causes : on nous berce avec l’illusion de l’Etat démocratique. Mais il y a d’autres causes plus profondes : la plupart des prolétaires ne se reconnaissent pas comme tels. Nous n’avons pas confiance en nous-mêmes en tant que force sociale autonome. Par ailleurs, et surtout, le mode de vie de cette société, basé sur la concurrence, sur la lutte de tous contre tous, nous plonge dans l’atomisation, dans le chacun pour soi, dans la division et l’affrontement entre nous.
La conscience de ces problèmes, le débat ouvert et fraternel sur ceux-ci, la récupération critique des expériences de plus de deux siècles de lutte, tout cela nous donne les moyens pour dépasser cette situation et nous rend capables de riposter. C’est le jour même (11 juillet) où Rajoy a annoncé les nouvelles mesures que quelques ripostes ont immédiatement commencé à poindre. Beaucoup de monde est allé à Madrid manifester sa solidarité avec les mineurs. Cette expérience d’unité et de solidarité s’est concrétisée les jours suivants dans des manifestations spontanées, appelées à travers les réseaux sociaux. C’était une initiative, hors syndicats, propre aux travailleurs du public ; comment la poursuivre en sachant qu’il s’agit d’une lutte longue et difficile ? Voici quelques propositions :
Chômeurs, travailleurs du secteur public et du privé, intérimaires et fonctionnaires, retraités, étudiants, immigrés, ensemble, nous pouvons. Aucun secteur ne peut rester isolé et enfermé dans son coin. Face à une société de division et d’atomisation nous devons faire valoir la force de la solidarité.
Le capital est fort si on laisse tout entre les mains des professionnels de la politique et de la représentation syndicale qui nous trahissent toujours. Il nous faut des assemblées pour réfléchir, discuter et décider ensemble. Pour que nous soyons tous responsables de ce que nous décidons ensemble, pour vivre et ressentir la satisfaction d’être unis, pour briser les barreaux de la solitude et de l’isolement et cultiver la confiance et l’empathie.
Défendre la nation fait de nous la chair à canon des guerres, de la xénophobie, du racisme ; défendre la nation nous divise, nous oppose aux ouvriers du monde entier, les seuls pourtant sur lesquels nous pouvons compter pour créer la force capable de faire reculer les attaques du capital.
Nous regrouper dans les lieux de travail, dans les quartiers, par Internet, dans des collectifs pour réfléchir à tout ce qui se passe, pour organiser des réunions et des débats qui impulsent et préparent les luttes. Il ne suffit pas de lutter ! Il faut lutter avec la conscience la plus claire de ce qui arrive, de quelles sont nos armes, de qui sont nos amis et nos ennemis !
Notre lutte ne peut pas se limiter à un simple changement de structures politiques et économiques, c’est un changement de système social et, par conséquent, de notre propre vie, de notre manière de voir les choses, de nos aspirations. Ce n’est qu’ainsi que nous développerons la force de déjouer les pièges innombrables que nous tend la classe dominante, de résister aux coups physiques et moraux qu’elle nous donne sans trêve. Nous devons développer un changement de mentalité qui nous ouvre à la solidarité, à la conscience collective, lesquelles sont plus que le ciment de notre union, mais aussi le pilier d’une société future libérée de ce monde de concurrence féroce et de mercantilisme extrême qui caractérise le capitalisme.
CCI,16 juillet
Voilà plus d’un an et demi que les politiciens occidentaux de tous bords et les médias se penchent avec compassion sur le sort de la population syrienne. On n’entend plus partout que cette incessante litanie : Bachar el-Assad est responsable de “crimes contre l’humanité”. Et en effet, les tueries en règle opérées par le régime syrien s’accumulent avec une effrayante régularité et se sont même notablement accélérées cet été, malgré les appels de l’ONU à cesser les combats. “Droit dans ses bottes”, le dictateur de Damas poursuit une œuvre de mise au pas et de destruction de la “rébellion” syrienne avec détermination, déclarant récemment que “cela [la guerre actuelle] nécessite encore du temps” et que la vague d’exil est au fond “une opération d’auto-nettoyage de l’Etat, premièrement, et de la nation en général”.
Depuis le 15 mars 2011, selon l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme, on dénombre 23 000 morts. Et combien des 200 000 blessés resteront estropiés à vie, ou ne survivront pas à leurs blessures ? Il faut dire qu’Assad leur laisse peu de chances, puisque c’est jusque dans les hôpitaux qu’il bombarde et envoie ses troupes pour mieux écraser et terroriser. Al-Qoubir, Damas, Rifha, Alep, Deraâ, dernièrement Daraya, etc., toutes ces villes-martyres sont le symbole de la brutalité extrême qui se répand dans tout le pays.
S’ajoute à cela une situation de catastrophe humanitaire. Les vivres, le lait pour les enfants, les médicaments (quant aux soins, n’en parlons pas), l’eau manquent de façon catastrophique dans la plupart des villes et dans des régions entières. Les maisons sont détruites en masse et un grave manque d’abris se fait déjà sentir. Les coupures d’électricité durent souvent de 4 à 5 jours pour revenir à peine une heure comme à Alep.
Fuyant les combats et les exactions de l’armée d’Assad mais aussi de l’Armée Syrienne de Libération, de plus en plus pointée du doigt comme responsable de certains massacres, près de 300 000 personnes ont pris la route de l’exil. Que ce soit au Sud de la Syrie, vers le Liban et la Jordanie, au Nord vers la Turquie, et même en Irak, des masses de réfugiés s’agglutinent dans des camps de misère, dans l’attente désespérée de revenir un jour chez eux... où tout est détruit.
Au total ce serait plus de 2,5 millions de personnes, femmes, enfants, personnes âgées, qui sont selon l’ONU en “situation de détresse”.
Evidemment, ces chiffres alarmants sont un prétexte à verser des flots de larmes de crocodile pour les sensibles dirigeants de la planète. On pouvait par exemple entendre, entre autres, Fabius, ministre des Affaires étrangères français, clamer qu’il s’agissait d’une “situation intolérable et inacceptable”. On ne pourrait qu’applaudir des deux mains ces fortes paroles paraissant l’expression d’une révolte légitime devant tant d’horreurs, et accourir apporter son obole au fonds de l’ONU pour la Syrie, s’il ne s’agissait pas d’une lamentable et cynique mascarade.
Le 27 août dernier, François Hollande déclarait : “Je le dis avec la solennité qui convient : nous restons très vigilants avec nos alliés pour prévenir l’emploi d’armes chimiques par le régime [syrien] qui serait pour la communauté internationale une cause légitime d’intervention directe.” Cette intervention emboîtait le pas à celle de Barack Obama qui avait affirmé peu avant que cette question de l’utilisation des armes chimiques constituerait une “ligne rouge” et une raison d’envoyer des troupes contre l’Etat syrien. Autrement dit, tant que les tueries se font à l’arme “traditionnelle”, autrement dit “à la loyale” (!), ça va, c’est “honnête”, c’est de “bon aloi”. Mais attention à la “ligne rouge” !
La tartufferie infecte de la bourgeoisie se montre une fois de plus à l’envi dans cette situation dramatique. Ils menacent tous d’intervenir depuis de longs mois, pour ne pas être en mesure de faire quoi que ce soit, les passades diplomatiques se succédant les unes aux autres, plus hypocrites les unes que les autres. Et même s’ils intervenaient, ce ne serait en aucun cas pour soutenir la population mais pour ouvrir la porte à une nouvelle foire d’empoigne dont les Syriens feraient inévitablement les frais et cela ne constituerait qu’une escalade dans l’horreur.
Car cette guerre de prétendue “libération” ou de “lutte pour la démocratie” est une guerre impérialiste tout court, dans laquelle sont engagées toutes les puissances régionales et au premier chef les principales, Etats-Unis, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne. L’implication et la responsabilité de tous ces gangsters ne se manifestent pas seulement par leurs gesticulations à l’ONU ou ailleurs, mais est déjà active par l’armement et/ou l’argent qu’ils fournissent aux deux camps syriens (1).
La question de la création d’une zone-tampon en Syrie à la frontière avec la Turquie, afin d’offrir un soi-disant abri aux dizaines de milliers de réfugiés qui affluent, et dont on nous rebat les oreilles, est une vaste fumisterie ; parce qu’elle ne serait pas viable du fait de l’opposition d’Assad, et nécessiterait quasiment la guerre ouverte avec Damas, justement du fait qu’il s’agirait d’une base arrière de presque tous les requins en présence, sous la bannière de la “défense de la paix” avec au bout du compte tout autant de risques pour les réfugiés. Il faut en ce sens se rappeler avec quelle attention l’ONU, et la France qui en était responsable, avait laissé massacrer des milliers de gens à Srebrenica en Bosnie en 1995 par les troupes de Milosevic.
Si l’ONU intervient, il faudra se souvenir de la sollicitude avec laquelle les Afghans ont été traités depuis 2001, puis les Irakiens, au nom de la lutte “contre le terrorisme” ou bien de celle “pour la démocratie”, et ce qu’il en reste : des champs de ruines et des millions de gens offerts en pâture aux bandes armées de telle et telle clique avec pour perspective la misère et une soumission aux volontés de chefs de guerre plus arriérés les uns que les autres.
Il faut encore se remettre en mémoire la sournoiserie et la violence qui ont présidé à l’établissement des protectorats français et britannique dans cette région du Moyen-Orient au moment de l’effondrement de l’Empire ottoman, lors de la Première Guerre mondiale, et de l’accord Sykes-Picot de 1916 qui était un dépeçage en règle de la Syrie et de l’Irak, sur fond de promesses “libératrices” aux Arabes, et de tueries récurrentes. La bourgeoisie est toujours pleine de bonnes intentions pour cacher ses véritables objectifs et ne peut que surenchérir de mensonges pour les réaliser.
Soyons certains d’une seule chose, c’est que ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux est l’expression, non pas seulement de la folie d’Assad, mais aussi de ce monde décadent. Et c’est sans ambiguïté, quelle que soit l’évolution de ce drame, le prélude à une aggravation sans précédent de la situation de tout le Moyen-Orient. Les conséquences en seront désastreuses, comme on le voit déjà avec l’extension actuelle du conflit au Liban.
Wilma, 31 août
1) Il faut souligner le culot de la Russie qui prétend livrer à Assad des hélicoptères de combat qui étaient en “réparation”, et celui des Etats-Unis qui prétendent ne fournir que “des moyens de communication”, bien qu’ils procurent notoirement à l’ASL des armes antichars par le biais de l’Arabie Saoudite, du Qatar et du Koweït. La France, qui vend des caméras thermiques à la Russie pour ses chars, et dont ne sont prétendument pas équipées les troupes syriennes, n’est pas en reste dans le registre de l’hypocrisie crasse.
Comme son prédécesseur, le gouvernement socialiste a profité de l’été pour mobiliser ses flics contre les Roms. Les forces de répression se sont ainsi livrées à une véritable “chasse à l’homme” dans les banlieues de Lille et de Lyon. Rien de tel, en effet, que la période estivale, où les gens sont en vacances, pour utiliser la politique du “nettoyage au Kärcher” sans risquer de trop fortes oppositions de la part des populations !
Le fait que les socialistes poursuivent la même politique que l’UMP ne doit surprendre personne. Dans les années 1980, le gouvernement socialiste avait déjà instauré un véritable arsenal répressif contre les immigrés (1). L’association “La voix des Roms” a d’ailleurs pu ironiser sur le fait que le nouveau ministre de l’Intérieur Manuel Valls “pourrait porter les couleurs de l’UMP en 2017”. Il ne s’agit donc nullement d’une “trahison”, même si, pendant sa campagne présidentielle, François Hollande avait hypocritement déclaré : “On ne peut pas continuer à accepter que des familles soient chassées d’un endroit sans solution” (2).
En réalité, l’acharnement sur les populations fragiles, comme celle des Roms, très marginalisées et faciles à criminaliser, est une pratique généralisée de la bourgeoisie. Tous les gouvernements, partout, quelle que soit leur couleur politique, sont obsédés par “l’ordre public” et recherchent sans cesse des bouc émissaires face à la crise. Ainsi, presque au moment même où Valls et ses flics réprimaient en France, la police grecque engageait à Athènes une vaste opération de chasse aux migrants, baptisée “Xénos Zeus”, au cours de laquelle elle a arrêté 1595 personnes et interpellé 6000 autres. Tout cela pour criminaliser et rendre responsables de la situation sociale dramatique les sans-papiers qui sont, en réalité, les premières victimes de la crise économique ! C’est dans ce sens que le ministre grec Nikos Denias a tenu ces propos nauséabonds : “Au nom de votre patriotisme et de l’instinct de survie du citoyen grec, je vous demande de soutenir cet effort. La question de l’immigration illégale est l’un des grands problèmes du pays (!) avec celui de l’économie” (3). La violence de la police grecque a été telle qu’un Irakien traqué a même trouvé la mort.
La bourgeoisie italienne utilise les mêmes méthodes de chasse aux Roms : très régulièrement, des camps sont brutalement détruits à Milan et à Rome. En Allemagne, même si le passé nazi de ce pays impose une certaine discrétion, les 10 000 Roms qui avaient fui la guerre au Kosovo attendent, dans la crainte, d’être chassés car Berlin a décidé d’opérer des expulsions à hauteur de 2500 personnes par an. Même dans un pays “social” comme la Suède, où 80 % des Roms sont sans emploi, la simple mendicité est un prétexte à l’expulsion. Cinquante Roms on déjà été expulsés cette année (4). On pourrait multiplier les exemples où la terreur, la traque et le mépris sont la règle.
La mise “sous surveillance” de la France par la Commission européenne à propos de la “gestion” des Roms n’est donc qu’une pure hypocrisie, tout comme les propos mensongers et complices des politiciens qui adoptent les mêmes tactiques de communication pour mystifier les populations. Ainsi, Manuel Valls, qui prétend pourtant que sa politique n’a “rien à voir” avec la méthode de Nicolas Sarkozy, utilise exactement les mêmes propos défensifs que Bernard Kouchner lorsqu’il défendait l’ancien président pour couvrir des pratiques identiques : “Jamais le Président de la République n’a stigmatisé une minorité en fonction de son origine” (5). Un véritable copier-coller ! De même, Michel Rocard, à l’époque où œuvrait l’équipe Sarkozy, s’exclamait : “On n’a pas vu cela depuis les nazis !” En réponse, les mêmes prétextes à propos de “l’insalubrité”, de la “criminalité” et des “troubles à l’ordre public” étaient invoqués par la majorité au pouvoir.
En réalité, derrière les discours creux et hypocrites se cache la froide et insensible mécanique du capital. La classe ouvrière ne peut qu’exprimer son indignation et sa colère face à une telle inhumanité.
1) Loi Joxe, arrestation et reconduites aux frontières par charters entiers sous la houlette de la ministre Édith Cresson, etc.
2) Cité in www.ldh-france.org [346]
3) www.lepoint.fr [347]
5) Cité in RI no 415.
Autant l’avouer, même parmi les cinéphiles acclimatés aux petites salles associatives, certains films sont propices aux cruels préjugés. Cosmopolis, de David Cronenberg, est un exemple parfait de ces remords qui vous saisissent tandis que vous patientez tristement dans la file d’attente qui conduit à la billetterie. D’emblée le titre a de quoi effrayer : référence directe à Metropolis de Fritz Lang, le film de Cronenberg éveille plus d’un doute sur la modestie de son réalisateur. Encore un film prétentieux à vingt millions de dollars sur la finance pourrie et les banquiers véreux ? La critique est d’ailleurs impitoyable : les spectateurs qui ont survécu à l’immonde bande-annonce quittent massivement les salles de cinéma avant la fin du film et les journalistes sont particulièrement virulents ; d’autres, ce qui est probablement pire, jouent les intellectuels verbeux sans visiblement rien comprendre. Et la présence à l’affiche de Robert Pattinson, à la fois acteur principal du film et coutumier des navets pour midinettes, n’arrange rien.
Mais qu’est-ce que Cosmopolis ? C’est d’abord un scénario baroque tiré d’un ouvrage du même nom. Le milliardaire Eric Packer n’a qu’un désir : aller chez son coiffeur ! A l’intérieur de sa limousine blindée, sur le long chemin qui le conduit vers son objectif insignifiant, le capitalisme s’effondre, la population se soulève, des émeutes éclatent. Dès le début du film, deux personnes pénètrent dans un café où le milliardaire s’est arrêté quelques instants. Des rats dans les mains, qui serviront d’ailleurs d’étalon monétaire imaginaire, ils crient les premières lignes du Manifeste communiste de 1848 : “Un spectre hante le monde !”… désormais celui du capitalisme. Mais rien ne semble détourner Packer de son objectif délirant, pas même l’abstraite et mystérieuse menace qui pèse sur lui.
Ce film est plus qu’une critique superficiellement radicale du capitalisme et de ses dérives, typique du cinéma, artistiquement excellent au demeurant, des années 1970. Packer est plus qu’un milliardaire cynique, bien plus qu’un trader diabolique, c’est un symbole, celui du capitalisme lui-même. La clef pour pleinement pénétrer le film est là : à la manière des personnages de Ana y los lobos, de Carlos Saura, illustrations de la composition sociale de l’Espagne franquiste, ceux de Cosmopolis sont des métaphores, des incarnations qui dépassent l’individu proprement dit. Packer verra ainsi défiler sa fiancée, incarnation du milieu artistique, la directrice des théories, un médecin, plein des illusions et des aveuglements des experts bourgeois pour qui tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, le garde du corps, image des forces de répression, un employé au chômage, prolétaire s’élevant difficilement à la conscience de sa force, ainsi qu’à l’inconsistance des banderilles flamboyantes de ce monde “mort depuis cent ans” et duquel il a pourtant tellement espéré : “Je voulais que vous me sauviez !”
Si le film sous-estime le rôle fondamental de l’État dans le capitalisme décadent, son auteur est néanmoins parfaitement conscient du caractère vain des fausses révoltes, des actions symboliques et inoffensives. Un individu, qu’on croit dans un premier temps être la mystérieuse menace, vient ainsi entarter Packer avec un gâteau à la crème. Sous les flashs nourris des photographes, une véritable simulation de bagarre s’ensuit. Après un discours ridicule, vantant ses faits d’arme insignifiants, l’entarteur n’a plus qu’à piteusement ajouter : “Bon, ben… on s’en va !” Loin des fanfaronnades pseudo-héroïques, pour Cronenberg, la révolution est une chose sérieuse, une confrontation violente, une mise à mort radicale de la société bourgeoise.
Mais le réalisateur paraît conscient des limites de l’exercice : comment dénoncer un monde à la dérive avec un film si coûteux, financé par une partie de ceux qui ont justement tout intérêt à le défendre ? Par l’intermédiaire de la fiancée de Packer, Cronenberg répond très honnêtement à cette question. Artiste très fortunée, elle se plait à jouer la déshéritée dans son taxi ou ses bars miteux, et se pique même de critiquer, superficiellement certes, son amant. Dans la chute, si elle décide de prendre publiquement ses distances, simule même la rupture, elle ne peut que continuer à soutenir secrètement le capitalisme. Elle cristallise ainsi toutes les contradictions de l’exercice qui, s’il est une critique vigoureuse contre le capitalisme, obéit malgré tout à ses lois. C’est l’occasion d’une réflexion intéressante sur l’art sous le règne des producteurs et autres vendeurs d’art.
Alors, comment expliquer la réception négative d’une large partie du public ? D’abord, le film est particulièrement dense. Un peu à l’image des œuvres de Stanley Kubrick, Cronenberg n’a rien laissé au hasard. Bien qu’il se soit appuyé sur l’ouvrage de Don De Lillo pour les dialogues, chaque scène, chaque phrase, chaque image donnent à réfléchir. Chaque détail est chargé de sens dans un tout cohérent. Il est vrai qu’un bagage politique sérieux et plusieurs visionnages sont nécessaires pour saisir l’ensemble des éléments du film, tant les références au mouvement ouvrier et à la littérature politique sont nombreuses, tant les détails sont signifiants. Mais il est vraiment rare, vu le prix d’une place de cinéma, que les spectateurs désertent les salles si massivement et si irrités avant la fin d’un film, fut-il mauvais. Il y a sans doute quelque chose de plus fondamental. Beaucoup de personnes ont probablement vu quelque chose qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, une forme de claque qui les a peut-être heurtés dans leurs représentations immédiates. Cosmopolis n’est pas une simple démonstration rigoureuse, à laquelle il est possible de répondre par d’autres arguments. S’il s’agit bien d’une critique radicale du capitalisme, elle est d’abord poétique. La force des grands artistes, c’est de donner à leur œuvre une dimension émotionnelle qui pénètre naturellement l’esprit et vient, d’une façon ou d’une autre, titiller la froide mécanique de la raison. Que ces œuvres fassent fuir ou qu’elles enthousiasment, qu’elles heurtent ou qu’elles transportent, elles produisent quelque chose de difficilement explicable et de complexe : l’émotion.
El Generico, 31 juillet
Nous publions ici un article écrit par un de nos très proches sympathisants en collaboration avec des militants du CCI. Nous voulons saluer la volonté du camarade de contribuer aux discussions en cours et à la clarification d’une des questions sociales les plus brûlantes de notre époque – les “droits” des gays – d’un point de vue de classe. Nous voulons aussi exprimer notre avis sur ce que le camarade a choisi de cibler en écrivant cet article. Nous pensons qu’il est rafraîchissant d’aborder la question sous l’angle des émotions humaines. Nous sommes aussi d’accord avec la compréhension et l’argumentation politique du camarade. Nous invitons tous nos contacts proches à collaborer avec des militants du CCI pour écrire sur des questions qui aident à la clarification et à l’émancipation des pensées de la classe ouvrière.
Le “débat” sur le “droit” des gays ou des lesbiennes de se marier légalement et de bénéficier, grâce à cette reconnaissance légale, des avantages financiers attribués aux couples hétérosexuels mariés – le bénéfice allant au dernier survivant étant parmi les plus chaudement contestés – est depuis longtemps une de ces questions que la classe dominante sort périodiquement de son chapeau, pour en faire un thème à sensation, notamment en période électorale. Dans cet article, nous voulons mettre en évidence l’hypocrisie de la classe dominante, de gauche, du centre et de droite, qui traite de la question soit d’un point de vue “humaniste” – la gauche et le centre – soit avec une approche moraliste/religieuse, à droite. L’administration Obama aime se présenter comme “libérale” et “progressiste”, d’où ses appels à revenir sur les lois anti-mariage gay passées au niveau de certains États (tout récemment par référendum en Caroline du Nord), sans toutefois essayer de faire du mariage gay un “droit” constitutionnel. La droite a besoin de répondre aux craintes et à l’exagération de l’insécurité de sa base électorale particulièrement conservatrice, d’où le discours anti-mariage gay du candidat du Parti républicain, Mitt Romney. Tout le “débat” est en réalité un stratagème de l’administration Obama pour attirer la jeunesse et “les indépendants d’esprit” en plus de l’électorat gay et pousser Romney à se discréditer vis-à-vis des Évangélistes s’il ne réagit pas clairement et avec force contre le mariage gay. Le glissement encore plus à droite de Romney risque de lui aliéner le secteur indécis et indépendant de l’électorat. Il est clair que cette gesticulation légaliste est complètement hypocrite. Elle vise à utiliser une situation, qui est certainement vécue comme dramatique et humiliante par les gays et les lesbiennes, pour nourrir les divisions, l’animosité et autres incompréhensions pour un profit politique. De plus, l’opposition véhémente par moments au mariage gay exprimée par la droite ne doit pas nous faire croire que la légalisation d’un aspect de la vie personnelle contrarierait d’une certaine manière le système établi de l’exploitation capitaliste.
Aujourd’hui, si vous allumez la télévision et zappez sur n’importe quelle chaîne d’information importante, il y a toutes les chances que vous tombiez sur le “débat sur les droits des gays”. C’est intéressant de voir comment les médias bourgeois insistent sur les différences personnelles entre humains, en nous montrant où nous sommes le moins d’accord en tant que personnes. Mais la bourgeoisie et ses porte-parole dans la presse sont extrêmement hypocrites. Surtout quand la “partialité” est tellement désapprouvée dans le climat politique actuel. Maintenant, certaines fractions de la classe dominante affirment soutenir le mariage gay. Plus encore, elles affirment le faire avec un sentiment humaniste plus profond, se référant souvent à la lutte pour les droits des gays, comme à un combat pour “l’égalité” ou “les droits civils”.
Alors nous devons nous demander : “égalité” au nom de quoi ? Et pour quelles personnes dans la société ? “L’égalité devant le mariage” est-elle même une revendication adéquate de la classe ouvrière ? La liberté sexuelle est-elle-même possible dans le capitalisme ? En tant que travailleurs, nous devons répondre par la négative à toutes ces questions. Construire un monde libéré de l’homophobie et de l’hétéro-sexisme, dans lequel chaque individu est vu et traité comme un être humain plutôt qu’une catégorie est impossible dans le capitalisme.
Depuis quelques temps, des éléments de la classe politique bourgeoise plaident pour la reconnaissance du mariage entre même sexe. Leurs arguments sont souvent codés dans un langage qui interpelle les ouvriers. Ils disent que la légalisation du mariage entre même sexe améliorerait la qualité de vie des travailleurs homosexuels, puisqu’ils auraient accès à des avantages pour les assurances, le divorce, les droits de propriété, etc. Mais dans le capitalisme, les rapports humains sont réduits à une question d’échange. Les émotions ne sont que de simples produits de consommation et de finances pour la bourgeoisie. Nous pouvons voir ainsi le besoin de légaliser le mariage entre personnes du même sexe, mais qu’en est-il du concept du mariage lui-même dans le capitalisme ?
Marx et Engels ont écrit dans le Manifeste du parti communiste que “la bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité touchante qui recouvrait les rapports familiaux et les a réduits à de simples rapports d’argent”. Plus loin, ils continuent : “le prolétaire est sans propriété ; ses relations avec sa femme et ses enfants n’ont plus rien de commun avec celles de la famille bourgeoise. Sur quelle base repose la famille bourgeoise actuelle ? Sur le capital, le profit individuel. La famille n’existe, sous sa forme achevée, que pour la bourgeoisie.”
Ainsi, selon la définition de Marx et Engels du mariage dans le capitalisme, nous pouvons commencer à comprendre que “droits égaux devant le mariage” est un terme qui ne s’applique qu’à ceux qui peuvent s’offrir les avantages du mariage. Des droits qui ne s’appliquent qu’à des classes propriétaires, qu’aux gens qui peuvent s’offrir un mariage légal au départ. Le mariage concerne fondamentalement les droits de propriété et d’héritage. Il a défini historiquement quelles personnes la classe dominante juge dignes d’être propriétaires et même quels gens pouvaient eux-mêmes être possédés ! A l’origine bien sûr, mariage voulait dire possession de la femme et de ses biens par le mari. Aux yeux de la bourgeoisie, le mariage n’a rien à voir avec le respect mutuel et l’amour – c’est une affaire de possession, d’appropriation et de droits de propriété.
Pourquoi avons-nous besoin que la bourgeoisie nous dise ce qu’est le mariage et avec qui on peut, ou pas, se marier ? Comme nous l’avons écrit auparavant dans Internationalism no 130 et dans d’autres articles de la presse du CCI, une société communiste sera au contraire “une société au-delà de la famille dans laquelle les rapports humains seront régulés par l’amour mutuel et le respect et pas par la sanction d’une loi d’État”.
L’État démocratique bourgeois et ses agents ne posent jamais des questions sur les droits des gays en terme de besoins humains. Quels sont les besoins des gays et des lesbiennes ? Ou même quels sont les besoins des êtres humains en général ? Il ne fait aucun doute que la répression des communautés gays soit réelle. Nous voyons l’homophobie, l’hétéro-sexisme, le patriarcat se manifester partout dans le capitalisme ; dire autre chose est simplement démenti. L’intimidation de la jeunesse gay et homosexuelle, par exemple, a récemment été qualifiée d’“épidémique” par les médias bourgeois. Beaucoup d’événements traumatisants au cours desquels des homosexuels ont été agressés conduisent à des dépressions et même, dans quelques cas, au suicide.
Est-ce que la bourgeoisie s’occupe de résoudre ces questions ? Quelle législation parlementaire ? Existe-t-il des lois, des amendements qui concernent ces problèmes sociaux ? Non ! Le débat est presque toujours enfermé dans le cadre de la religion ou du moralisme, surtout dans les médias à grande audience, et particulièrement dans la rhétorique de la classe dominante. Car tous les discours si vantés – tout le charabia légaliste – sur les “droits de l’homme”, qui sont approuvés par l’État capitaliste et reconnus sous couvert du droit, ne peuvent rien faire pour extirper la bigoterie religieuse et moraliste vieille de plusieurs siècles. Les gens religieux sont “blâmés” pour leur attitude arriérée, ce qui contribue à polariser sur cette atmosphère de chasse aux sorcières. Dans des situations comme celle-ci, légaliser le mariage entre personnes du même sexe ne peut qu’aider l’État capitaliste à apparaître comme une entité “juste” et “bienfaisante”.
Même s’il y a une once de sincérité dans le soutien de la classe dominante au mariage entre personnes du même sexe, cela vient de leur besoin de détourner l’attention des travailleurs et de les noyer dans le cirque de la politique électorale et du légalisme. Bien sûr, il est vrai que le soutien croissant à la liberté sexuelle fait partie du développement par l’humanité d’une plus grande compréhension scientifique et d’un plus grand sentiment de solidarité humaine générale. Mais la classe dominante n’en a rien à faire, et pourquoi s’en ferait-elle ? Si vous avez de l’argent, vos droits ne sont jamais menacés ou en débat. “L’égalité devant le mariage” n’est pas identique à une bonne relation ou à une égalité économique : elle revient à une domination de classe accrue par la bourgeoisie.
Les luttes sociales qui ne concernent que partiellement les problèmes fondamentaux du capitalisme, tout en étant l’expression de problèmes sociaux réels qui existent dans notre société, détournent la classe ouvrière de ses discussions et devoirs révolutionnaires. Nous avons déjà discuté de comment la bourgeoisie peut se fixer sur le débat sur les droits des gays, presque jusqu’à l’obsession. Mais cette fixation existe aussi chez les prétendus “révolutionnaires”.
Beaucoup de gens utilisent un langage exclusivement en direction des travailleurs, pour les “organiser” autour d’une question sociale large, qui traverse les classes. L’argument selon lequel les droits des gays nous rapprocheraient “d’une pleine égalité” est complètement hors de propos, un principe fondamental des communistes étant que l’égalité pleine et entière est impossible sous le capitalisme. Pourquoi les révolutionnaires lutteraient-ils pour se “rapprocher” d’une société égalitaire ? Nous devons nous dresser contre toutes les injustices du capitalisme à la fois ! Beaucoup de ces mêmes “révolutionnaires” qualifient les décisions électorales et légales en faveur du mariage gay de “victoires” pour les travailleurs. Mais ces victoires ne font rien d’autre que conforter le recours à la société civile bourgeoise.
Les politiques légalistes, démocratistes, n’ont rien à offrir à la classe ouvrière. La véritable émancipation de l’humanité ne peut venir que de la révolution de la classe ouvrière. Les travailleurs soutiennent toujours les gays et les homosexuels, surtout dans une société où ils sont considérés comme étrangers et ridiculisés de si terrible manière. Mais nous devons être vigilants à l’égard des campagnes bourgeoises qui entourent ces débats. Bien souvent, elle nous détournent et nous dévoient du but final : en finir avec toutes les formes de répression et d’exploitation de qui que ce soit sur terre.
Jam, 11 juin
Le 15 septembre dernier, 700 000 personnes sont descendues dans la rue à Lisbonne et dans une trentaine de villes du Portugal pour manifester contre la politique d’austérité menée par le nouveau gouvernement de Pedro Coelho. La majoration brutale de 7 % des cotisations-sociales (TSU, Taxe sociale unique) des travailleurs, jointe à la diminution de 5,75 % des cotisations du patronat ont été à l’origine de cette réaction spontanée de colère qui a débordé les syndicats officiels. C’est effectivement exclusivement à travers les réseaux sociaux que se sont organisées ces manifestations. Devant la massivité de cette mobilisation, le gouvernement a momentanément fait semblant de reculer. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, c’est pour mieux mettre en œuvre les mêmes mesures et d’autres, demain, avec l’accord et l’aide des syndicats comme la CGTP (Confédération générale des travailleurs portugais) qui auront bien balisé le terrain cette fois-ci, comme ils l’ont fait depuis plus d’un an, pour contribuer à faire passer les programmes d’austérité qui s’accumulent. D’ailleurs, la CGTP a très vite réagi ; pour retrouver le contrôle du mouvement, elle appelait immédiatement à une nouvelle manifestation encadrée par ses soins et sous ses mots d’ordre dès le samedi 29 septembre, manifestation qui s’est révélée être bien moins suivie.
En Grèce, suite au troisième mot d’ordre de grève générale donné par les syndicats, dont le plus suivi est le Pame, de nouvelles manifestations ont eu lieu mercredi 26 septembre à Salonique et à Athènes, auxquelles ont participé plus de 30 000 travailleurs. La colère est telle qu’on a vu une nouvelle fois de violents affrontements avec la police, et cette fois-ci même entre policiers en grève et forces de l’ordre !
En Espagne, des dizaines de milliers de manifestants sont venus crier leur rage le mardi 25 septembre devant un parlement protégé par 2000 policiers, avec des débordements de violence policière “comme à l’époque de Franco”, selon de nombreux témoins. Samedi 29, à peine cinq jours plus tard, preuve de la profonde exaspération, le parlement s’est retrouvé de nouveau encerclé toute la soirée.
En Italie encore, 30 000 fonctionnaires étaient dans la rue vendredi 28 à Rome pour protester contre un nouveau train de mesures d’austérité sur les retraites et les “reclassements”.
Bref, la dernière semaine de septembre a été marquée par une montée de la colère dans de nombreux pays d’Europe face à la brutalité des attaques et l’annonce sans fin de nouveaux plans d’austérité.
Évidemment, devant toutes ces mesures drastiques, les responsables désignés par les gouvernements comme par les partis d’opposition et les syndicats, ce sont les membres de la fameuse “troïka” composée de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international. Tout ce joli monde veut nous faire croire encore que le problème de la crise pourrait se régler pays par pays et s’efforce d’enfoncer dans les têtes l’illusion que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, qu’il est possible pour certains d’éviter le pire, pour d’autres de se relancer, en faisant les “efforts nécessaires”. Ainsi, les reportages sur la situation économique des fameux PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) n’ont pour but que de conforter l’idée fausse selon laquelle en France, par exemple, les choses iraient mieux. Non, cela ne va pas mieux ! D’ailleurs, les mesures sociales en trompe-l’œil du gouvernement Ayrault vont vite montrer ce qu’elles sont : des attaques pures et simples contre nos conditions de vie et de travail. Et c’est le sort de toute la classe ouvrière, partout dans le monde, une classe qui subit le même joug de l’exploitation pour toujours être moins en mesure de survivre, et la matraque si elle se révolte.
La bourgeoisie fait tout son possible pour empêcher la prise de conscience que partout les ouvriers sont attaqués et que ce sentiment d’appartenir à une même classe ne prenne chair dans les rangs des travailleurs au niveau international. C’est pourquoi les médias ne parlent que très peu, sauf si c’est trop gros, et de toute façon toujours très ponctuellement ou en montrant de préférence la violence repoussoir d’affrontements, les faiblesses ici et là, des nombreuses manifestations qui se déroulent de par la planète. Et c’est pourquoi, pour nous, exploités, il est au contraire absolument nécessaire de regarder autant dans les livres que par dessus les frontières, de discuter des expériences de luttes, passées et présentes, et ainsi tirer les leçons pour les luttes à venir (1.
Il n’y a pas d’issue à cette crise ; cela doit être clair et sans ambiguïté, bien que le désir d’un avenir économique plus radieux soit un espoir qui tient à tout un chacun. La paupérisation et la misère sont le lot du futur pour tous dans ce système capitaliste. Cela fait plus de trente ans qu’on nous annonce quotidiennement que ça ira mieux demain si nous consentons des sacrifices aujourd’hui. Mais chaque sacrifice ouvre la porte à un autre encore pire ! Il ne s’agit même pas de mauvaise volonté de la part des capitalistes ou des Etats, c’est la plongée dans la faillite inexorable qui exige cette loi implacable de la brutalité grandissante des attaques )(2.
Alors, comment faire, comment se battre ? Malgré la montée de la colère, qui se traduit par des affrontements de plus en plus réguliers avec la police, les journées d’action montrent qu’elles ne servent à rien. On voit bien depuis des décennies que cette forme “d’action” ne sert que de défouloir stérile et de quadrillage d’une classe ouvrière mise bien en rang derrière les banderoles syndicales, souvent saucissonnée par “corporations”, et prise entre les barrières de la police et le bruit des hauts parleurs des meneurs syndicaux empêchant toute discussion.
La classe ouvrière le ressent plus ou moins, mais si elle n’affirme pas consciemment et massivement la claire compréhension qu’elle doit prendre elle-même ses luttes en main, sur le terrain de ses revendications propres, les avancées du mouvement risquent de rester lettre morte.
A ce titre, l’exemple de l’Espagne est très frappant. L’an dernier, le mouvement des Indignés a été une réelle et puissante démonstration de la volonté de la population et de la classe ouvrière de se retrouver collectivement, en-dehors des syndicats, pour chercher et discuter des moyens de lutte contre les attaques et exprimer son écœurement face aux conditions de misère imposées par l’Etat espagnol. Le plus significatif fut cette création d’espaces de discussion dans les rues à travers de multiples assemblées générales libres et ouvertes à tous et cette ouverture aux souffrances et aux combats menés partout dans le monde. En Espagne, lorsqu’un ouvrier venu “d’ailleurs” prenait le micro pour se porter solidaire du mouvement et parfois raconter comment cela se passait d’où il venait, la sympathie était immédiate et palpable, l’accueil chaleureux et enthousiaste. A ce moment-là, nul drapeau, ni national ni régional, n’était visible, et ceux qui voulaient restreindre la lutte aux combats indépendantistes n’étaient pas particulièrement les bienvenus, en tout cas leurs discours n’entraînaient aucune adhésion. Et le mouvement des Indignés n’est pas resté enfermé dans les frontières hispaniques, il a “fait des petits” dans de très nombreux pays, jusqu’en Israël ou aux Etats-Unis avec le mouvement des “Occupy”.
La bourgeoisie est, elle, consciente du danger potentiel que représente le mûrissement des telles idées “saugrenues” (à ses yeux) dans les cerveaux des exploités ; elle sait qu’il n’est jamais bon, de son point de vue, qu’un sentiment de solidarité DANS la lutte naisse entre les ouvriers, encore moins à l’échelle internationale. Aujourd’hui, en cette fin septembre, une contre-offensive de la bourgeoisie est donc menée, elle tente d’instiller progressivement le poison nationaliste et régionaliste dans l’ensemble de la classe ouvrière. Ainsi, lors de la journée du 15 septembre, le sommet social (autrement dit : CO, UGT () et 200 autres plateformes) a été appelé à Madrid sous le slogan : “Il faut empêcher qu’ils nous volent le pays”. Le 25 septembre, un essaim d’organisations, un éventail qui allait des regroupements ayant une histoire trouble jusqu’à des formations plus ou moins classiques de la gauche du capital (le PC ou la Gauche anticapitaliste), en y incluant les restes décomposés du 15M, ont promu une action de “désobéissance civile” pour protester “contre la séquestration de la souveraineté nationale perpétrée par les marchés”, tournant autour de la Chambre des députés. On sait que le tout s’est soldé par des affrontements (où la provocation d’éléments “troubles” était évidente) avec les flics… pour rien. Le jour d’après, les syndicats les plus exaltés (autrement dit : CGT et CNT ()) appelaient, avec des syndicats nationalistes (ELA, LAB, etc3.), à une autre grève générale dans certaines parties de l’Etat, etc., et dans d’autres, à une journée de lutte. C’est-à-dire à lier les ouvriers derrière les intérêts nationalistes, qui ne sont pas les leurs.
De telles récupérations sont possibles, comme on l’a vu le 15 septembre à Barcelone où un million de personnes ont participé à une manifestation nationaliste catalane ! Et représentent un danger réel et grave pour la classe ouvrière et l’avenir de ses luttes.
Ce que représentait encore le mouvement des Indignés dès ses débuts et que les discussions en son sein ont montré, c’était l’espoir dans un autre monde. Cet espoir, la confiance que la classe ouvrière doit développer en elle-même, doit développer et faire vivre dans ses luttes, sont de puissants et indispensables leviers pour dépasser les pièges qu’une bourgeoisie aux abois ne cessera de nous mettre dans les jambes et dans la tête. Cela permettra de se dégager des mouvements à répétition qui ne donnent rien, sinon la démoralisation et la démobilisation.
Cela ne viendra pas tout seul, par un coup de baguette magique, mais par la compréhension profonde que les seules perspectives qui s’ouvrent pour l’humanité sont celles que peuvent lui offrir la classe ouvrière, unie internationalement, pour ouvrir la voie vers le renversement d’un monde capitaliste en pleine déliquescence. La gravité de la crise, si elle fait grandir en nous une profonde colère, a aussi un aspect effrayant ; elle révèle qu’il ne s’agit pas de faire plier tel ou tel patron, tel ou tel ministre, mais bel et bien de changer radicalement le système, de lutter pour la libération de toute l’humanité des chaînes de l’exploitation. En sommes-nous capables ? Nous, la classe ouvrière, pouvons-nous accomplir une telle tâche ? Comment nous y prendre ? Face à la barbarie croissante et à l’incapacité de plus en plus manifeste du capitalisme à offrir autre chose que toujours plus de misère, toutes ces questions se posent et traînent dans les têtes, consciemment ou non. Le prolétariat a la force de retrouver confiance en lui-même, en sa capacité à s’unir et à faire vivre la solidarité en son sein… l’aube commence d’ailleurs à poindre à l’horizon. Quand ce jour viendra, ces mots de Karl Marx prendront alors tout leur sens : “Les révolutions prolétariennes […] se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta !” ( (le 18 Brumaire).
Wilma, 28 septembre
1) Voir nos articles sur la situation au Venezuela, en Turquie et en Espagne, pages 4 et 5 de ce numéro.
2) Nous retiendrons dans le registre Plus menteur, tu meurs !, le dernier éditorial de Lutte ouvrière qui explique qu’il n’y a même pas de crise, mais seulement des patrons qui s’en mettent plein les poches !
() Les Commissions ouvrières (CO) et l’Union générale de travailleurs (UGT) sont les syndicats largement majoritaires en Espagne. Le premier est historiquement lié au PC et le second au Parti socialiste.
() La CGT en Espagne est un syndicat anarchiste, scission du syndicat anarchiste historique CNT.
3) ELA et LAB sont deux syndicats nationalistes basques, le premier modéré (crée à l’origine pour contrer les syndicats marxistes et anarchistes) et le second est lié à la gauche abertzale (patriote).
() C’est ici qu’est la rose, c’est ici qu’il faut danser !
Depuis le coup d’Etat militaire du 22 mars qui a mis le pays en lambeaux, le Mali baigne dans un chaos sanglant. Il est la proie de nombreux gangs et puissances impérialistes qui se disputent son cadavre. Tandis que des centaines de milliers d’habitants quittent leurs demeures pour tenter d’échapper aux massacres, d’autres, sur place, sont bastonnés systématiquement, abattus froidement, voire lapidés. Les habitants des villes et des campagnes vivent ainsi dans une misère et une insécurité effroyable que les forces armées sanguinaires se préparent encore à aggraver en généralisant les tueries au nom de la “libération” de la région Nord, entre les mains des groupes islamistes.
Voilà une situation on ne peut plus claire : un coup d’Etat dans le Sud, une rébellion qui ne vise désormais qu’à installer un Etat théocratique d’un autre âge dans le Nord, AQMI et consorts qui narguent le monde entier, leurs chefs, parmi les plus recherchés de la planète, qui se baladent tranquillement à Tombouctou ou à Gao et dont les crimes en série les enverraient aussi sûrement à la CPI [Cour pénale internationale] que tous ceux qui attendent leur procès dans les geôles de Scheveninge, à La Haye.
“A Bamako, le président de la transition, qui n’a pas grand-chose à se reprocher dans l’épreuve que traverse son pays, s’est fait lyncher pendant près d’une heure, devant des bidasses passifs, voire hilares, par des jeunes désœuvrés dont des politiciens, qui n’avaient aucune chance d’exister en dehors du chaos actuel, avaient savamment lavé le cerveau pour les inciter à commettre ce crime impardonnable. Le “sauveur de la nation”, Amadou Haya Sango, chef d’une junte qui a arraché le pouvoir des mains d’un président sur le départ, ne sauve rien du tout. (…) Et ses troupes ne se privent pas de torturer, bastonner et emprisonner arbitrairement tous ceux qui n’adhèrent pas à la “cause”.
[Face au] Mali qui sombre chaque jour un peu plus, on nous explique que tous les ingrédients d’une véritable bombe à retardement sont réunis. Qu’une nouvelle Somalie, plus proche et plus inquiétante, est en gestation. Tout le monde clame sa détermination à ne pas laisser AQMI s’installer et son indignation face à une telle descente aux enfers” ().
Voilà la parfaite description d’un Etat à terre et de sa population prise en otage par les gangsters civils, militaires et islamiques. Fidèles à leur réputation barbare, ces derniers n’ont pas tardé à mettre en branle leur machine à mutiler, à lapider, à expédier dans “l’enfer islamique” tous ceux qui ne se conforment pas à leur “charia”.
Voici une illustration caractéristique de la mentalité et des méthodes de cette “tribu” d’un autre âge qui règne sur Gao : “Gao n’est plus très loin. Le drapeau noir des salafistes flotte sur le barrage dressé au bord de la route. Le jeune qui nous arrête, mon chauffeur et moi, n’a pas plus de 14 ans. Il s’énerve en entendant la musique que crachote le vieil autoradio de notre véhicule. “C’est quoi, ça ? hurle-t-il en arabe.
“– Bob Marley.
“– Nous sommes en terre d’Islam et vous écoutez Bob Marley ? Nous sommes des djihadistes, nous ! Descendez de la voiture, nous allons régler ça avec la charia.
“Un chapelet dans une main, un kalachnikov dans l’autre, il me rappelle ces enfants-soldats croisés vingt ans plus tôt en Sierra Leone… Les enfants sont souvent plus féroces que les adultes. Nous nous empressons de l’assurer de notre fidélité à l’Islam, avant d’être autorisés à reprendre la route. (…) Venus d’Algérie ou d’ailleurs, tous se retrouvent au commissariat de police, rebaptisé siège de la “police islamique” : Abdou est ivoirien ; Amadou, nigérien ; Abdoul, somalien ; El Hadj, sénégalais ; Omer, béninois ; Aly, guinéen ; Babo, gambien… Il y a là toute l’internationale djihadiste ! Lunettes noires sur le nez, le bas du visage mangé par une barbe abondante, un Nigérian explique qu’il est un membre de la secte islamique Boko Haram, responsable de nombreux attentats dans le Nord de son pays. Il parle du Mali comme la “terre promise”, fustige l’Occident et les “mécréants”, et jure qu’il est “prêt à mourir”, si c’est la volonté de Dieu” ().
Ce que vivent les populations sous le “gouvernement” des diverses cliques maliennes, qui rivalisent en barbarie, est abominable. Mais, surtout, le monde bourgeois se fiche des souffrances des victimes en laissant pourrir sordidement la situation et en attendant cyniquement les monstrueux déchaînements qui se préparent.
Après six mois de gesticulations et de marchandages entre brigands, une coalition hétéroclite de cliques maliennes vient de solliciter officiellement l’aide de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), cela “dans le cadre du recouvrement des territoires occupés du Nord et la lutte contre le terrorisme”. Selon le Monde du 8 septembre 2012, Paris, qui préside le Conseil de Sécurité de l’ONU, a aussitôt annoncé l’organisation d’une conférence internationale sur le Sahel, le 26 septembre à New York en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, dont l’appui est nécessaire pour une intervention militaire au Mali. Et de fait, les pays de la Cédéao n’attendent que le “feu vert” du Conseil de sécurité pour envoyer au front quelques 3300 soldats. On sait aussi que depuis le début de l’occupation du nord du pays par les islamistes, les grandes puissances, en particulier la France et les Etats-Unis, poussent en coulisse les pays de la zone à s’impliquer militairement au Mali en leur promettant financements et moyens logistiques.
En clair, après avoir embrasé le Mali en soutenant ou armant directement les bandes qui assassinent, Français et Américains, avec leurs rivaux, s’apprêtent à se lancer dans une nouvelle aventure guerrière sous prétexte d’aider le Mali à retrouver son “intégrité territoriale” et au nom de la lutte contre le “terrorisme islamiste”.
Malheureusement pour la classe ouvrière et les opprimés de cette région, toutes les forces bourgeoises autour de l’ONU et de l’UA-Cédéao, qui clament hypocritement leur “détermination” et leur “indignation” pour mieux justifier une intervention armée, ne vont certainement pas lancer la soldatesque dans le but de leur épargner la descente aux “enfers”. En effet, qui peut croire que les impérialismes français ou américain s’indignent sincèrement face à la misère que subissent les masses prolétariennes de cette région ? Qui peut penser que ces chefs de gangs s’activent sérieusement contre AQMI et consorts dans le seul but d’établir la “paix” et la “sécurité” des “peuples” de cette zone ?
A l’évidence, la réponse est : personne ! En vérité, nos grands barbares “démocrates” s’apprêtent à brûler toute la région simplement parce que leurs intérêts stratégiques et économiques y sont menacés directement par des groupes armés, empêchant de fait le “bon fonctionnement” des circuits économiques. D’ailleurs, c’est ce qu’il faut comprendre quand les autorités américaines et françaises parlent de “guerre contre les groupes terroristes” et pour la “sécurisation des zones d’approvisionnement des matières premières”. De même certains organes de la presse bourgeoise préparent les “opinions publiques” dans ce sens pour mieux justifier les massacres de masse : “Ce n’est plus une hypothèse, c’est une certitude : plus les jours passent, plus s’accentue la décomposition de cet Etat désormais éclaté, et plus le cauchemar stratégique, humanitaire et politique d’une somalisation du Mali hante l’Afrique de l’Ouest, le Maghreb et bientôt l’Europe. Même ceux qui, il y a deux mois, accordaient à la sécession du Nord quelques circonstances atténuantes par sympathie pour les revendications socio-économiques trop longtemps négligées des Touaregs, sont effarés par la mainmise brutale des groupes islamiques les plus intransigeants sur ce qui reste des populations de l’Azawad. Comment accepter que le terrorisme et les trafics en tous genres trouvent un sanctuaire en plein Sahel, sous le couvert de la charia et la bannière d’un djihadisme dévoyé ?” ()
En effet, de l’Algérie au Nigeria, de la Libye au Niger, du Soudan au Mali, du Tchad au Gabon en passant par la Côte d’Ivoire, toute cette partie de l’Afrique est bourrée des matières premières les plus recherchées dont le contrôle constitue un enjeu hautement stratégique. Donc, même s’ils savent parfaitement qu’ils vont y laisser des plumes, les divers charognards vont cyniquement entretenir le sanglant chaos. On sait que la France n’a jamais cessé d’intervenir militairement dans cette zone, notamment en Mauritanie et au Niger, en compagnie de troupes de ces pays pour protéger ses sociétés, comme AREVA qui exploite l’uranium nigérien. Les Etats-Unis ne sont également pas en reste comme le remarque à nouveau la revue Jeune Afrique : “Leur rôle [des Etats-Unis] est devenu encore plus vital depuis que le Nord du Mali est tombé entre les mains des islamistes et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad. (…) La tension qui règne dans le nord malien incite aussi le Pentagone à renforcer sa présence en Mauritanie. (…) Actuellement, affirme le Washington Post, les Américains auraient débloqué plus de 8 millions de dollars pour rénover une base proche de la frontière malienne et mener des opérations de surveillance conjointes avec les forces mauritaniennes. Les deux autres points chauds qui incitent les Etats-Unis à mettre en branle leur dispositif sont le Nigeria, avec la montée en puissance de Bako Haram, et la Somalie (…). Devant le Congrès en mars dernier, le général Carter Ham (qui dirige l’Africom) a souligné : “Si nous ne disposons pas de bases sur le continent, nos moyens en RSR (renseignement, surveillance et reconnaissance) seraient limités et cela contribuerait à fragiliser la sécurité des Etats-Unis.” (...) Lors de son passage devant les parlementaires, le général Carter Hom a aussi déclaré qu’il souhaitait pouvoir établir une nouvelle base de surveillance à Nzara, au Soudan du Sud. Là encore, ce projet s’explique par le contexte local. Les tensions entre le Soudan et son voisin méridional riche en hydrocarbures ne laissent pas indifférent Washington, qui doit assurer la sécurité des compagnies pétrolières présentes dans la région”.
On ne peut être plus clair : le grand gang américain et ses concurrents vont pulvériser toute la région du Sahel, à commencer par le Mali, dans le seul but de sécuriser (entre autres) les zones “riches en hydrocarbures”.
Voilà un pays en décomposition totale qui ne peut offrir aucune perspective vivable à sa population et à ses enfants livrés à eux-mêmes, dont nombreux sont ceux qui, pour survivre, se laissent manipuler ou se font recruter de force par divers mafieux et autres trafiquants qui les transforment en soldats ou en mercenaires. Voilà comment de simples hommes victimes de la misère du capitalisme peuvent devenir, du jour au lendemain, des tueurs, des “apprentis bourreaux” d’une grande cruauté. Tous ces jeunes, chômeurs et éternels sans travail, tous ces “sans rien” se trouvent à la merci de tous les brigands criminels assoiffés de profits et de sang : “démocrates” civils ou militaires, putschistes, nationalistes indépendantistes, “djihadistes” et autres vrais “fous de Dieu”.
Amina, 9 septembre
() Jeune Afrique du 14 juillet 2012.
() Récit d’un journaliste de Jeune Afrique, 4 août 2012.
() Jeune Afrique, 16 juin 2012.
Le film paru sur YouTube le 11 septembre dernier, Innocence of muslims, selon tous les avis d’une rare stupidité et d’une médiocrité à l’avenant, produit par un petit malfrat californien prétendument de confession copte, a été le centre de l’attention internationale durant une quinzaine de jours. En effet, cette dénonciation en règle du prophète Mahomet et de ses disciples, présentés, entre autres caricatures, comme des individus immoraux, pédophiles et brutaux, a provoqué des réactions dans l’ensemble du monde musulman. Ces manifestations de colère ont débouché sur des affrontements et des exactions visant principalement les intérêts des Etats-Unis, allant jusqu’au meurtre de l’ambassadeur américain en Libye.
De nombreuses choses ont été dites sur ces réactions conduites par des radicaux salafistes. Tout cela a bien sûr été allégrement monté en épingle par les médias occidentaux. Car on n’a pas dénombré en tout plus de quelques dizaines de milliers de manifestants épars, de la Tunisie au Daccar indien, en passant par le Yémen. Ce qui, au regard des centaines de millions de musulmans qui peuplent le monde arabe, sans compter les millions de musulmans qui vivent en Europe ou en Amérique, est tout à fait dérisoire.
Il ne s’agit bien sûr pas de minimiser la violence qui s’est exprimée, mais ces événements ont été délibérément grossis pour stigmatiser le “péril musulman”. Pour l’Allemagne, Angela Merkel a fait part de sa “grande inquiétude”, tandis que, pour la France, Manuel Valls tremblait devant cette “menace contre la République” après la mini-manifestation qui s’était produite devant l’Élysée, “à l’insu” des pouvoirs publics. Les Etats-Unis réagissaient quant à eux par la voix d’Hillary Clinton en déclarant que les pays arabes n’avaient “pas troqué la tyrannie d’un dictateur pour celle des foules”, en référence aux “révolutions arabes” du printemps 2011. Jusqu’au pape qui, depuis le Liban, a appelé à “éradiquer” le fondamentalisme, musulman s’entend !
Dans ce concert de réactions offusquées des politiciens, certains commentateurs ont quand même relev0é l’évidente manipulation idéologique, de part et d’autre :
• D’un côté, qu’un tel film (1 sorte dans le contexte de tensions guerrières grandissantes avec la Syrie et l’Iran, mais aussi avec les islamistes radicaux du Mali et du Sahel, et qui plus est le 11 septembre, jour anniversaire de l’attaque des Twin Towers à New-York, qui avait provoqué en 2001 la mort de 4000 personnes puis l’invasion américaine contre les talibans en Afghanistan, vient à point nommé pointer du doigt la sauvagerie des extrémistes musulmans de par le monde.
• De l’autre, ces extrémistes musulmans ne pouvaient faire autrement que de tomber peu ou prou dans le panneau, en faisant preuve une nouvelle fois de leur potentiel destructeur, car ils se devaient de faire montre de leur détermination à en découdre avec l’Amérique et les puissances occidentales afin d’asseoir leur pouvoir grandissant vis-à-vis des autres cliques bourgeoises concurrentes.
Il est donc clair que nous avons eu affaire à une escalade des deux côtés, alors que se profile des interventions militaires et d’autres massacres qui seront justifiés par ce type de préparation idéologique.
Bien sûr, la bourgeoisie et toutes ses fractions, quelle que soit la religion, s’en servent incidemment pour diviser les ouvriers partout dans le monde, comme pour les terroriser, mais l’objectif premier, derrière les discours hypocrites appelant au « calme et à la raison », est de préparer à une nouvelle avancée dans la barbarie guerrière )(2.
Mulan, 28 septembre
1) Il faut aussi s’interroger sur le fait que cette vidéo est restée deux jours sur le site YouTube, filiale de Google, et lié de près au pouvoir américain, dont la charte précise : Nous n’autorisons pas les discours incitant à la haine, qui attaquent ou rabaissent un groupe en raison de la race, l’origine ethnique, la religion, le handicap, le sexe, l’âge, le statut de vétéran ou l’identité sexuelle.
2) Nous invitons les lecteurs à lire notre article : Une vallée de larmes dont la religion est l’auréole, page 8, pour plus de détails sur ce que représente la religion aujourd’hui.
Ah, qu’il est bon de se sentir en sécurité ! Voilà ce que tout bon travailleur devrait se dire en son for intérieur en se laissant envahir la nuit venue par le sommeil réparateur d’une journée harassante de labeur.
Car oui, vraiment, en matière de sécurité, le gouvernement ne peut pas être taxé d’attentisme ou d’inaction. C’est le moins que l’on puisse dire ! Alors que Claude Guéant avait à peine eu le temps de le rêver et que déjà on l’accusait à l’envi de crime liberticide, voilà que Manuel Valls, son successeur au ministère de l’Intérieur, le fait dans le plus grand calme. Le nouveau ministre n’a pas seulement créé quinze zones de sécurité prioritaires, où les moyens policiers seront significativement renforcés, il a aussi remis sur le tapis législatif la question de l’arrestation préventive.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une idée qui avait germé suite à l’affaire Mohamed Merah à Toulouse, celle d’autoriser l’arrestation de quiconque dont le comportement pourrait laisser penser qu’il présenterait un risque pour la sécurité du pays. Pour étudier ce comportement alarmant, la police a le droit de surveiller les communications, de répertorier les pays visités, de garder trace de tous les sites internet visités. Rien de moins que la légalisation du délit idéologique. Vos idées sont... subversives ? Au trou ! Après tout, on ne sait jamais.
Avec de telles mesures, la France devrait rapidement être ramenée au calme. Mais aussi se couvrir de prisons !
On pourrait presque en rire si derrière tout cela ne se cachait des intentions qui nous conduisent plutôt à une sérieuse inquiétude. Bien sûr, il y a la crainte de la bourgeoisie de voir se développer le banditisme sur le terreau de la crise et le terrorisme sur celui des pressions impérialistes. La décomposition du système capitaliste conduit à un développement violent du chacun-pour-soi et d’une situation de moins en moins contrôlable. Il ne s’agit pas de nier que la bourgeoisie – véritable pompier pyromane – fait face à une vraie problématique sécuritaire et à de vraies menaces terroristes. Mais il n’y a pas que cela. Et pour s’en convaincre, il suffit simplement de s’intéresser à deux exemples voisins en Europe.
D’abord en Allemagne : là-bas existent depuis 1968 (sans doute un hasard), des lois d’urgence qui autorisent l’intervention de l’armée sur le sol national en cas de péril grave, et notamment des agissements d’insurgés armés et organisés. Jusque ici, ces lois étaient rangées bien haut sur les étagères. Un peu trop pour certains puisque la cour constitutionnelle a, le 17 août dernier, autorisé la Bundeswehr à exercer sur son propre sol dans des conditions pour le moins allégées : “en cas de situation exceptionnelle de nature catastrophique” (). D’habitude le droit est connu pour son attachement à la précision des termes. Là, les juristes vont pouvoir s’adonner à l’interprétation jusqu’au dégoût tellement la formule est floue !
Aurions-nous l’esprit assez tordu pour imaginer qu’une telle mesure soit prévue pour faire face à des luttes massives ? L’idée n’avait pas encore eu le temps d’être formulée totalement dans les esprits les plus aguerris que déjà la Cour répondait : non ! Sont exclus “les dangers pouvant émaner d’une foule qui manifeste”. Pourquoi tant d’empressement à le préciser ? Aurions-nous vraiment l’esprit tordu ?
Surtout que, deuxième exemple, d’autres pays ne prennent pas autant de gants. En Espagne, la bourgeoisie se remet avec peine des secousses ressenties autour de la place Puerta del Sol en 2011. L’homologue de Manuel Valls, Jorge Fernandez Diaz, en oublie carrément la langue de bois : désormais, le fait d’organiser par Internet des rassemblements protestataires sera qualifié de participation à une organisation criminelle (). Ceci pour, selon lui, mettre fin à une spirale de violence qui tourne à la guérilla urbaine. C’est qu’il a dû avoir très peur, le Monsieur, car déjà l’arsenal répressif et pénal de l’Espagne n’était pas parmi les plus laxistes sur le continent !
Qu’on se le tienne pour dit : émettre des idées remettant en cause la légitimité du pouvoir, ou même simplement chercher à les lire sur Internet, développer des contacts autour de ces idées, protester contre le pouvoir, chercher à s’organiser pour défendre ses intérêts et construire un rapport de force, tout cela peut nous conduire devant les juridictions pénales, en prison, sous les matraques de la police ou les flingues de l’armée. C’était déjà implicitement le cas, mais maintenant, c’est écrit noir sur blanc ! Ces mesures sont tout autant dirigées contre le banditisme ou le terrorisme que contre… la lutte de classe, elles en font même volontairement l’amalgame pour criminaliser par nature ceux qui refusent de laisser le système nous détruire sans réagir.
Si ces mesures doivent nous rendre conscients et lucides sur la détermination que mettra la bourgeoisie à s’affronter au développement des luttes, elles nous informent aussi, en négatif, de la menace que le prolétariat représente en perspective pour les intérêts du capitalisme. C’est une preuve de plus que l’avenir appartient bien à la lutte de classe.
GD, 26 septembre
() lemonde.fr
() legrandsoir.info
L’article que nous publions ci-dessous est paru dans Acción Proletaria, journal de la section du CCI en Espagne.
En septembre 2011, les travailleurs de l’enseignement à Madrid ont répondu aux 3000 licenciements et à l’allongement de la journée de travail par des assemblées générales massives unissant professeurs, étudiants et tous les travailleurs du secteur de l’enseignement. Les cinq syndicats de l’Education ont fait de leur mieux pour étouffer cette initiative afin de contrôler la lutte. Quel a été le résultat ? Les assemblées massives ont été remplacées par des “enquêtes” et des réunions de comités syndicaux, les professeurs sont restés isolés, les manifestations étaient chaque fois moins fréquentées. Finalement, la lutte s’est terminée et les mesures du gouvernement autonome ont fini par s’imposer.
En février 2012, les lycéens de Valence, qui ont subi une répression sauvage, sont descendus chaque jour dans la rue et ont appelé à la solidarité des travailleurs. Ce mouvement s’est étendu à toute l’Espagne et le gouvernement central a dû retirer ses mesures répressives. Les syndicats se sont empressés de prendre en mains la lutte contre la répression et la réforme du Code du travail. Ils ont organisé une journée de “grève générale”-défouloir, le 29 mars, qui fut une immense escroquerie. Devant la déception de nombreux travailleurs, ils ont promis de nouvelles mobilisations. Ils se sont limités à appeler à des manifestations pour la fin avril et le 1er mai. Résultat : l’Etat a appliqué la réforme du Code du travail avec toutes ses conséquences dramatiques.
Le 11 juillet, le gouvernement Rajoy a adopté le pire programme d’austérité depuis plus de cinquante ans. Les syndicats sont restés silencieux. Mais, le même jour, des manifestations spontanées ont éclaté, surtout à Madrid. Devant ce phénomène, les syndicats se sont “réveillés” et ont offert leurs “bons et loyaux services” : ils ont appelé à des manifestations dans toute l’Espagne, le 19 juillet. Mais, au vu de l’intérêt et la rage de la population, les syndicats – une fois de plus – ont reporté les actions à une date ultérieure, la plus lointaine possible : une marche sur Madrid pour le 15 septembre, un référendum pour octobre, une nouvelle journée de “grève générale” prévue pour on ne sait quand. Cela revient à balancer un seau d’eau glacée sur la combativité et la colère des travailleurs !
Des rencontres secrètes entre les syndicats et le gouvernement
Quelques jours après la manifestation du 19 juillet, nous apprenions que les chefs des CCOO et de l’UGT avaient rencontré, début juillet, Madame Merkel. Cette visite s’est doublée d’une autre au Palais de la Moncloa pour discuter avec Rajoy. L’objet de ces rencontres secrètes ne fait aucun doute : Merkel, le gouvernement espagnol et les syndicats ont pactisé pour, selon toutes probabilités, élaborer une stratégie contre les travailleurs.
Ainsi, avant la grève du 29 mars, Rajoy a rencontré séparément chaque leader syndical. La vice-présidente du gouvernement a même reconnu la tenue de 33 “réunions techniques” entre les représentants du gouvernement et les syndicats !
Ce n’est là nullement une nouveauté. Tout au long de l’histoire, de nombreux coups ont été portés aux travailleurs à travers des réunions secrètes entre ses ennemis déclarés (les gouvernements) et ses faux-amis (les syndicats et les partis de gauche). Quand en 1980-81, à l’époque du régime soi-disant “communiste”, une grève massive frappait la Pologne, le syndicat Solidarnosc a progressivement démobilisé les ouvriers pour faciliter le coup de grâce : l’Etat de siège décrété par le général Jaruzelski, alors chef de l’Etat, le 13 décembre 1981. Or, deux jours avant le coup d’Etat, une réunion secrète était organisée entre ce général, le cardinal primat de Pologne et le chef de Solidarnosc, Lech Walesa ! () Il ne faut pas être particulièrement clairvoyant pour comprendre que ce conciliabule a préparé la répression qui a envoyé à la mort des centaines d’ouvriers, en prison des milliers d’autres, et l’armée pour inonder les mines avec les mineurs prisonniers à l’intérieur !
Les syndicats mobilisent pour... démobiliser
Nous savons parfaitement ce que font les gouvernements et le patronat. Personne n’entretient plus aucune illusion sur eux. Ils ne cherchent d’ailleurs même plus à cacher leur volonté d’imposer les pires sacrifices aux travailleurs. Mais que font les syndicats ? Quel est leur rôle ?
Une première tâche des syndicats consiste à organiser des mobilisations qui, en réalité, démobilisent et divisent les travailleurs. Les actions de “lutte” des CCOO et de l’UGT servent uniquement à mouiller la poudre. Les appels syndicaux sont systématiquement à contretemps : quand les gens ont envie de lutter, les syndicats démobilisent et ne lancent aucun appel, tandis qu’ils multiplient les “actions de lutte” quand les gens sont fatigués et déboussolés. Beaucoup de personnes en ont marre des gesticulations des journées de “grève générale”, des “manifestations-ballades”, des luttes isolées, enfermées dans un secteur déterminé ou une entreprise particulière.
C’est à ce problème que la grève des mineurs a dû faire face. Ces derniers ont été enfermés dans une lutte pour “sauver les mines de la nation”. Toute la combativité et toute la colère ont été canalisées à travers des affrontements stériles avec la police pour bloquer les lignes ferroviaires ou les autoroutes. Cependant, le 11 juillet, lors de la marche des mineurs sur Madrid, beaucoup de travailleurs de la capitale ont rejoint la manifestation par solidarité et se sont eux-mêmes mis en lutte. Les syndicats ont alors hâtivement renvoyé les mineurs chez eux et ont annulé les appels à la lutte, en promettant des mobilisations futures à des dates très lointaines.
Le piège national
Les syndicats ont appelé à la manifestation du 19 juillet avec pour slogan : “Ils veulent couler le pays !” Selon eux, Merkel veut faire sombrer l’Espagne et le gouvernement Rajoy se comporte comme un domestique complaisant. L’objectif de la lutte aurait donc été de “sauver le pays” face à Merkel et à Rajoy.
Machiavel, le philosophe qui a inspiré depuis le xvi siècle les générations successives de gouvernements, disait que le bon homme d’Etat devait présenter ses intérêts particuliers comme étant l’intérêt de ses sujets. Un des meilleurs mensonges avec lequel la minorité exploiteuse assoit sa domination consiste à nous faire croire que la nation appartient à tous, qu’il s’agit d’une communauté dans laquelle les exploiteurs et les exploités ont un intérêt et un lien communs. Cet “intérêt commun” est le déguisement des intérêts particuliers et égoïstes des capitalistes.
Qu’est-ce que la nation ? La nation est la propriété privée d’un groupe de capitalistes qui opèrent dans un pays. Défendre la nation, c’est défendre cette propriété privée. En d’autres termes, nous, travailleurs, nous renonçons à nos propres intérêts et au futur de toute l’humanité pour servir de pions aux intérêts capitalistes, et, parfois, de chair à canon dans ses guerres contre les autres Etats capitalistes.
Rajoy ne cesse d’ailleurs de répéter que les mesures d’austérité sont prises “pour le bien de tous les Espagnols”. Chaque fois, de moins en moins de personnes croient en ce mensonge. Alors, comment continuer à faire crédit à la mystification selon laquelle l’intérêt national est “l’intérêt de tous” ? C’est ici qu’interviennent les syndicats pour rabattre les travailleurs sur des revendications interclassistes, en lien avec celles des policiers, des politiciens “honnêtes”, des chefs d’entreprise productifs, des “entrepreneurs”, etc., avec qui nous pourrions sauver le pays.
Lutter pour la défense de l’intérêt national est la meilleure manière d’accepter l’austérité, les licenciements, le chômage, les expulsions, et, ce qui reste le sacrifice suprême, la guerre.
De la même manière qu’ils nous ligotent au capital national, les syndicats nous séparent et nous opposent aux travailleurs du monde entier qui sont les seuls sur lesquels nous pouvons compter, avec lesquels nous pouvons forger un front unis et solidaire contre le capital pour créer une société nouvelle, libérée des classes, des Etats, des frontières nationales, une communauté humaine mondiale.
Le piège du référendum
Avant les coupes budgétaires, les syndicats proposent comme alternative un référendum sur le gouvernement Rajoy. Ils font valoir que Rajoy a commis une fraude envers les électeurs, qu’il a été élu sur un programme et qu’une fois au gouvernement, il en applique un autre. Ils ont raison, mais c’est ce que font tous les gouvernements, pas seulement en Espagne, mais dans n’importe quel pays du monde ! Les élections sont toujours une fraude parce que tous les partis promettent des choses et s’empressent de faire le contraire quand ils sont au pouvoir. Quand ils sont dans l’opposition, ils affirment vouloir faire ce que personne ne fait, et quand ils sont au gouvernement, ils font ce que personne n’a dit vouloir faire. C’est là l’essence de l’Etat démocratique : le parti qui gagne poursuit l’œuvre du précédent, tout comme celui qui succédera… Et l’alternative des syndicats, c’est un référendum visant à renverser Rajoy pour fraude au profit d’un nouveau gouvernement et d’une nouvelle fraude ! C’est-à-dire nous lier à une fraude permanente ! Comment pouvons-nous briser cette chaîne sans fin de fraudes ?
D’abord en rompant avec la proposition syndicale et en refusant de participer au référendum et aux élections. Le vote est toujours un piège et il est toujours une escroquerie. Il se base sur la prétendue “liberté de vote” d’une somme de citoyens supposés agir souverainement. Mais c’est une tromperie ! Parce que nous sommes soumis à des conditions de vie aliénantes, atomisés, mis en concurrence les uns les autres ; parce que nous subissons l’intoxication quotidienne des médias et de la communication qui nous manipulent ; parce que l’idéologie dominante nous pousse à un affronter entre nous, à lutter pour les intérêts d’une minorité au lieu de lutter pour nos propres intérêts. Dans de telles conditions, il n’y a pas d’autre choix que d’élire ceux que le capital et l’Etat ont choisi. Voter pour n’importe quel parti, dire oui ou dire non ; toujours seront élus ceux dont le capital a besoin.
D’autre part, le vote consiste à déléguer la gestion de nos affaires à une minorité de politiciens professionnels et de leaders syndicaux à qui nous donnons un chèque en blanc pour “nous défendre” alors que ce qu’ils font toujours – et il ne peut en être autrement – c’est défendre les intérêts du capital et de l’Etat.
En fixant le référendum comme objectif de lutte, les syndicats nous divisent et sabotent ce qui serait le début de la solution aux sérieux problèmes qui se posent aux travailleurs et à l’humanité : les assemblées générales et la lutte unitaire, directe et massive.Ces assemblées se basent sur la force que donne l’association : s’unir de manière solidaire et empathique afin que chacun puisse donner le meilleur de lui-même pour un objectif commun à tous, débattre, décider ensemble, se sentir responsable de toutes les décisions prises. L’alternative est donc la suivante : la lutte syndicale, avec sa démobilisation et ses pièges, ou la lutte autonome de la classe exploitée.
Acción Proletaria, 31 août
() Il faut également signaler que Monsieur Walesa est passé de la fonction de chef du syndicat à celle de chef d’Etat dans les années 1990.
Face au black-out qu’impose la bourgeoisie sur les luttes du prolétariat dans le monde, nous tenons à nous faire l’écho des mobilisations les plus significatives. C’est dans ce cadre que nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits d’un article de notre section en Turquie.
“Où allez-vous ?
– Nous sortons, mon frère, nous ne voulons pas travailler.
– Bien, alors sortons tous ensemble, n’allons pas travailler.”
Les ouvriers du textile dans la zone industrielle d’Antep, une ville à la frontière de la zone kurde de la Turquie, ont récemment déclenché une grève contre leurs conditions de travail, les bas salaires et les réductions de leurs primes. La grève, qui a débuté avec trois à cinq mille ouvriers selon différentes sources, s’est rapidement étendue à sept usines dans la zone industrielle, impliquant sept mille travailleurs au total.
Au sujet de leurs conditions de travail dont la durée journalière est en moyenne de douze heures, les ouvriers disaient ceci : “Ce que nous voulons, c’est juste un salaire, qui suffise à nourrir nos familles, et nos droits sociaux. Nous ne demandons rien d’autre. Nous n’avons rien contre quelqu’un en particulier, ni n’avons de mauvaises intentions, nous voulons ce que nous méritons” ().
Un ouvrier qui a participé à la grève explique comment la bourgeoisie turque, qui a pris un tournant important en développant solidement son intégration dans le réseau des rapports impérialistes internationaux avec le mot d’ordre de “devenir une superpuissance”, n’a semé que de faux espoirs dans son adresse à la nation : “Ils disent que nous ne sommes que derrière la Chine au niveau économique. Ils disent que nous sommes des pionniers en ce qui concerne les exportations. Personne ne demande quel impact cela a sur les travailleurs, quelle quantité de pain peuvent ramener les ouvriers à la maison. Personne ne se soucie des travailleurs. Nous avons été en grève ici pendant des jours et les revendications humaines de milliers de personnes ont été ignorées” ()
Une autre caractéristique importante de la grève est la réaction contre le syndicat Oz-Iplik-Is qui fait partie de la confédération Hak-Is () dont une partie significative des grévistes sont membres. Dès le début, la grève était indépendante de la direction et des orientations syndicales ; les ouvriers n’ont pas hésité à critiquer les syndicats. La prise de position la plus claire sur la situation a été celle de Nihat Necati Bencan, le représentant régional du DISK () a Antep, que nous souhaitons citer non seulement pour sa clarté sur la façon dont les syndicalistes ont ressenti la grève, mais aussi pour son ironie : “Les revendications des travailleurs de cinq usines sont formulées par les représentants qu’ils ont délégués parmi eux. Toutefois, des directeurs d’usine ne prennent pas ces revendications au sérieux et ne prennent pas les mesures nécessaires pour satisfaire ces revendications. Des mesures doivent être prises de façon à régler le problème rapidement. Autrement la grève continuera et s’étendre” ().
L’accord sur une augmentation ridicule entre le syndicat et un patron d’usine est une des raisons qui a déclenché la grève. Quand les ouvriers ont réalisé que le syndicat avait négocié une augmentation de 45 TRY (), c’est-à-dire presque rien, ils se sont immédiatement mis en grève en juillet. Mehmet Kaplan, le président régional du syndicat OZ-Iplik-Is à Antep, a même été retenu dans l’usine pendant un moment par les travailleurs après avoir fait face à des slogans comme “Président, traître ! Syndicat, traître” ! Les travailleurs ont donc concrètement et immédiatement fait grève contre un syndicat !
Comme la grève continuait, les laquais de la bourgeoisie ont continué à réprimer par différents moyens. L’Etat, qui a envoyé des meutes de chiens devant les usines dès le début de la vague de grèves, a été très perturbé par les actions ouvrières qui n’étaient pas contrôlées par les syndicats. Les “conseils” donnés par les policiers aux ouvriers pendant la grève étaient à ce titre frappants : “Si vous n’acceptez pas cela, vous ne trouverez plus jamais de travail ailleurs. Les patrons ne peuvent pas se permettre plus. Acceptez et reprenez le travail”. Les forces de l’ordre semblent ainsi aussi bien informées que la police des usines : les syndicats…
Le onzième jour, la grève s’est terminée avec un gain réel pour les travailleurs, notamment une augmentation de salaire allant de 780 à 875 TRY. Les ouvriers de l’usine Motif Textile reviendront même au travail avec une augmentation de 905 TRY par mois. Grâce encore à cette grève, les travailleurs ont obtenu un bonus de dix jours pour chaque grande fête nationale.
Juste après la grève, l’attentat à la bombe, qui a entraîné la mort de neuf civils à Antep, est rapidement devenu le sujet principal en ville et a dissipé la bouffée d’air frais produite par la grève. Dans un pays comme la Turquie, où les événements médiatiques sont très faciles à produire et très aléatoires, les nouvelles, qui sont entièrement contrôlées par la bourgeoisie comme dans tous les autres pays, sont utilisées pour empêcher de tels mouvements d’atteindre le reste de la classe ouvrière. Ainsi, la classe dominante fait tout ce qu’elle peut pour empêcher le reste de la classe ouvrière d’entendre seulement parler de pareilles grèves. Par exemple, alors que les principaux médias turcs ont relayé sans arrêt l’information du massacre des mineurs sud-africains par la police, cette grève, qui avait lieu dans le pays où ils sévissent, n’a évidemment pas fait l’objet de commentaires, même très brefs, dans les journaux et à la télévision. Nous n’en sommes pas surpris, bien sûr ! C’est leur rôle de manipuler.
Malgré ces manœuvres, les travailleurs ont poursuivi leur grève. Les patrons, dans quelques usines, voulaient, en effet, faire signer aux travailleurs un document qui disait : “Je regrette d’avoir participé au mouvement.” Contre ces manœuvres des patrons qui sont capables de toutes sortes de mesures répressives, les ouvriers ont refusé de signer ces documents.
Cette grève est une pierre angulaire pour le mouvement de la classe ouvrière en Turquie, qui a progressé dans une série de luttes isolées au sein des usines et des ateliers après la lutte des ouvriers du tabac de Tekel, comme lors de la lutte des travailleurs de Hey Textile qui ont été mis à pied sans motif valable, ou lors de la grève de Turkish Airlines.
Certains détails mettent en lumière la signification de la grève. Les ouvriers se sont organisés pour satisfaire presque tous leurs besoins au long de la lutte, à côté de quelques aides limitées qui leur ont été données plus tard au cours de la lutte. Ils agissaient ensemble sur des questions comme la nourriture, les transports, etc., et prenaient toutes les décisions avec un comité qu’ils avaient constitué en leur sein. Un des éléments les plus importants de cette grève auto-organisée a été la capacité des travailleurs à agir en dehors des syndicats, à prendre leur lutte en mains ; ce qui constitue un acquis très significatif. Les critiques à l’égard des syndicats pendant la grève démontrent qu’il existe maintenant une question brûlante pour les travailleurs : nous n’avons pas besoin des syndicats dans notre lutte !
Selon toute la presse bourgeoise de gauche, en dépit de cette grève pourtant complètement indépendante des syndicats (et même contre eux), les travailleurs devraient être incités à former des syndicats plus forts ! Affirmer que les ouvriers vont discuter de cela alors que leur lutte a eu lieu en-dehors des syndicats, est une manœuvre politique. Ainsi, au lieu d’écrire sur la grève sauvage elle-même, la gauche bourgeoise ne parle que de ce qui correspond à son programme pro-capitaliste et syndicaliste.
Nous pouvons également constater une différence considérable lorsque nous comparons la durée des luttes et des grèves encadrées par les syndicats et celles qui ne le sont pas. Les premières, tout en suscitant une profonde colère contre les formations syndicales, qui ne sont rien d’autres que des appareils d’Etat, entraînent aussi l’épuisement et le désespoir chez les travailleurs, en particulier quand il leur apparaît nécessaire de prendre le contrôle de leur propre lutte. Cependant, nous pouvons voir, en prenant aussi en considération l’expérience de la classe ouvrière dans le monde, que les mouvements organisés et dirigés par les travailleurs eux-mêmes entrent toujours dans l’histoire du prolétariat et réussissent vraiment à remonter le moral, car les ouvriers organisent et mènent leur lutte eux-mêmes. D’un côté, la capacité des travailleurs à s’organiser et à faire vivre la solidarité développe la confiance en leur capacité et leur dignité et, de l’autre, les grèves organisées par les syndicats aboutissent dans des impasses, gaspillent l’énergie des ouvriers et les poussent au désespoir de l’impuissance ; le résultat en est une nouvelle mauvaise expérience et une amère déception.
“Malgré tout, nos salaires se sont élevés de 780 à 875 TRY. Ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas une petite augmentation. Cette grève est aujourd’hui terminée mais notre lutte ne l’est pas” (). Suite à la grève, les ouvriers ont décidé que leur comité de lutte organiserait un congrès pour discuter de leur expérience. Alors que les comptes-rendus sur les détails de la grève diffèrent dans les média bourgeois, il est significatif de constater que les ouvriers créent des espaces de discussion pour clarifier les leçons de la grève sauvage et de la lutte.
Nevin, 3 septembre
() Hak-Is est une confédération syndicale pro-gouvernementale et islamiste
() La Confédération syndicale ouvrière révolutionnaire (progressiste, comme se désigne désormais la confédération) est le principal syndicat gauchiste dans le secteur privé turc.
() 45 livres turques, soit environ 20 euros.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article écrit par Internacionalismo, notre section au Venezuela.
Les élections présidentielles du 7 octobre au Venezuela représentent un moment de tension maximale entre les fractions bourgeoises que sont les chavistes et les partis d’opposition. Ces derniers, regroupés dans la Mesa de la Unitad Democrática () (MUD), ayant choisi Henrique Capriles pour candidat, comme le pouvoir officiel misant sur son candidat à perpétuité, Hugo Chàvez, qui dispose de l’appareil de son parti et de centaines de millions de bolivars (), tentent de mobiliser et de gagner des voix, principalement parmi les masses ouvrières épuisées depuis l’arrivée du régime chaviste au pouvoir, par treize années d’affrontements politiques.
L’ascension de Chavez fut le produit de la décomposition de la bourgeoisie vénézuélienne, principalement des forces politiques qui ont gouverné le pays jusqu’à son accession au pouvoir en 1999. En raison de sa forte popularité, divers secteurs du capital l’ont appuyé avec, alors, pour objectif de lutter contre le niveau élevé de corruption, de rétablir la crédibilité des institutions et, par dessus tout, celle du gouvernement, c’est-à-dire d’améliorer le système d’oppression et d’exploitation dans l’intérêt de la nation et de la bourgeoisie. Les forces d’opposition, bien qu’affaiblies, sont rapidement entrées dans un rapport de force avec le régime, notamment lors du coup d’Etat en 2002 () et l’arrêt de la production pétrolière à la fin de la même année, ce qui s’avéra finalement infructueux et renforça le pouvoir de Chavez, se traduisant par sa réélection en 2006.
Après plus d’une décennie de chavisme, la crise a poussé les différentes fractions de la bourgeoisie à se disputer le pouvoir central de l’Etat. Les forces d’opposition bénéficient en effet de la baisse de popularité du régime liée à deux causes principales :
• La décomposition croissante du régime chaviste, que nous caractérisions ainsi dans un précédent article d’Internacionalismo : “De nouvelles élites civiles et militaires se sont constituées et trustent les postes au sommet de la bureaucratie Etatique. Elles ont échoué dans leur objectif de surmonter les problèmes accumulés par les gouvernements précédents bien plus occupées par leurs intérêts personnels et le partage du butin de la manne pétrolière, provoquant une croissance exponentielle de la corruption et un abandon progressif de la gestion de l’Etat. Cette situation, doublée de la mégalomanie du régime chaviste et de sa prétention d’étendre la “révolution bolivarienne” au niveau de tout le continent latino-américain, a peu à peu vidé les caisses de l’Etat. Elle a également exacerbé les antagonismes politiques et sociaux qui ont élevé l’incapacité de gouverner à un niveau bien pire que dans les années 90.”
• L’intensification de la crise du capitalisme en 2007 a joué contre les aspirations du régime chaviste d’implanter son projet de “socialisme du xxi siècle”. Bien que Chavez, comme les autres gouvernements, ait déclaré que l’économie vénézuélienne était “blindée”, la réalité est que la crise mondiale du capitalisme a permis de redécouvrir la fragilité historique de l’économie nationale : elle varie en fonction des prix du pétrole. A cela s’ajoute le fait que les plans populistes ont été possibles grâce aux attaques sur les salaires et à la réduction ou à la suppression des “acquis” comme les conventions collectives que le chavisme avait pourtant octroyé comme “pourboire” aux travailleurs.
La stratégie du candidat d’opposition, Henrique Capriles, basée sur des tournées quotidiennes sillonnant les villes et les villages du pays, “maison par maison”, cherchant à exploiter l‘abandon social des laissés-pour-compte et les échecs du chavisme, ont permis, selon certaines enquêtes d’opinion, une remontée en flèche dans les sondages de sa candidature. Sa tactique consistant à proposer des programmes sociaux, populistes et semblables à ceux du chavisme, tout en évitant la confrontation directe, a donné des résultats. Cependant, Hugo Chavez insiste sur les pseudo-réussites de son projet en direction des pauvres et sur sa qualité de “gardien de l’ordre nécessaire” contre l’anarchie qui pourrait frapper le capital vénézuélien dans son ensemble.
Le chavisme, malgré toutes ses faiblesses (perte de gouvernements de province, conflits d’intérêts dans ses propres rangs, maladie de Chavez, etc.), n’envisage pas d’abandonner le pouvoir et, ces derniers mois, n’a négligé aucun détail dont l’opposition pourrait tirer avantage : inscription obligatoire des employés du secteur public au Parti Socialiste Uni du Venezuela (), obstacles dressés contre le vote des résidents à l’étranger, particulièrement à Miami et en Espagne, neutralisation des partis qui soutiennent l’opposition (PODEMOS, PPT, COPEI) à travers des condamnations prononcées par le Tribunal supérieur de justice, etc. A cela s’ajoute le contrôle exercé sur les médias et les moyens de communications qui offrent à Chavez un avantage décisif sur le plan de la propagande électorale.
Chavez a également élaboré d’autres stratégies pour l’emporter en cas d’échec aux élections. Il a notamment déjà annoncé que l’opposition prépare un plan pour dénoncer une fraude électorale... Pour mener à bien cette stratégie, il s’appuie comme toujours sur le pouvoir d’Etat et particulièrement sur l’armée, qui a abandonné son statut de “force professionnelle au service de la nation, non décisionnelle et apolitique” pour se convertir en “force patriotique, anticapitaliste, anti-impérialiste et chàviste”. En ce sens, on comprend la fréquence des menaces de Chavez et de son entourage contre les opposants.
Le parti au pouvoir accuse également l’opposition de refuser de reconnaître dès maintenant les résultats qui seront proclamés par le Conseil national électoral (CNE) ; c’est pour cela que le gouvernement prétend donner l’alerte afin d’éviter que les opposants excitent la population quand le CNE annoncera le triomphe de Chavez. Pour sa part, l’opposition explique qu’elle ne peut pas donner un chèque en blanc au CNE, à la fois juge et partie, qui a sanctionné l’opposition mais qui n’a pas sanctionné les arrangements du pouvoir avec les règles qu’il avait pourtant imposées. En somme, il s’agit simplement d’un affrontement entre partis bourgeois où chaque clan utilise les ruses propres à sa classe pour assurer le meilleur rapport de forces possible à sa candidature.
Le prolétariat vénézuélien doit rester sur ses gardes pour ne pas être la victime de cette “bataille finale” que se livrent les forces du capital national et dans lequel elles vont chercher à l’entraîner.
Le chavisme dispose d’armes idéologiques très puissantes pour mobiliser “les pauvres” et “les exclus” qui ont encore l’espoir que Chavez tiendra ses promesses, surtout celles sur les “Missions”, théoriquement dirigées “contre la bourgeoisie prédatrice, qui veut un retour au passé”. Mais, Chavez se prépare également à un affrontement armé en cas de nécessité. Il sait pouvoir compter sur la milice bolivarienne et sur les troupes de choc qui se sont constituées en différents “collectifs” aussi bien à Caracas qu’à l’intérieur du pays, armés par l’Etat lui-même.
Les forces d’opposition, de leur côté, bien qu’elles n’aient pas de stratégie publique en cas d’épreuve de force, ne vont pas rester les bras croisés. Parmi celles-ci, on trouve des partis traditionnels comme celui de la social-démocratie, Action démocratique, qui ont des décennies d’expérience dans l’organisation de “collectifs” armés. Dans les rangs de l’opposition, on trouve également des organisations de gauche qui ont soutenu le chavisme à ses débuts et qui connaissent parfaitement les méthodes d’affrontement.
Les travailleurs doivent avoir conscience qu’il est impossible de lutter contre la précarité et l’exploitation en changeant de gouvernement. La crise du capitalisme demeure et s’approfondira quel que soit le vainqueur, Chavez ou Capriles. Ce sont les mesures d’austérité et la précarité qui l’emporteront finalement.
Nous ne devons pas tomber dans le piège idéologique que nous tendent ceux qui prétendent que la confrontation électorale oppose le “communisme” et la démocratie, “le peuple” et la bourgeoisie. Chavez et Capriles défendent deux programmes capitalistes d’Etat, qui chacun s’appuie sur la même exploitation de la force de travail du prolétariat vénézuélien.
La dispute électorale est seulement un moment de la confrontation entre les différentes fractions du capital national. Le prolétariat doit éviter de se laisser prendre au jeu des conflits entre fractions bourgeoises. Il doit plutôt rompre avec l’idéologie démocratique, tirer les leçons de ses propres luttes, poursuivre son effort pour retrouver son identité de classe, son unité et sa solidarité.
Internacionalismo, août 2012
() Plateforme de l’Unité démocratique.
() Monnaie locale.
() Du 11 au 13 avril 2002, un coup d’Etat, mené par Pedro Carmona, a vainement tenté de destituer Chàvez.
() Le parti chaviste.
Nous publions ci-dessous la contribution d’une lectrice qui permet, à la lumière des recherches en psychologie sociale et en neurologie, de mieux comprendre les liens entre les conditions de vie et les conduites addictives. En expliquant les mécanismes sous-jacents de ce phénomène croissant, cette contribution illustre un aspect de l’impasse du capitalisme et tout le cynisme de la classe dominante. Prendre conscience de la réalité des souffrances générées par l’exploitation et la barbarie de la société est important. L’appel à la “conscience collective” est à ce titre parfaitement valable car il s’agit d’une arme des exploités pour critiquer et renverser une société inhumaine. Nous tenons donc vivement à saluer l’initiative de la camarade et à encourager cette démarche.
Les individus sans activité professionnelle sont constamment stigmatisés pour leur prétendu manque de volonté, en particulier à cause de la consommation de substances psychoactives () plus importante dans cette population, comme en témoignent de nombreuses études qui sont régulièrement réalisées sur les conduites addictives des jeunes et des personnes sans emploi. A contrario, très peu d’étude sur la consommation de substances psychoactives ont été réalisées chez les personnes en activité. C’est pourtant une réalité qui affecte de nombreux travailleurs et dont les causes sont multiples et souvent travesties. Par ailleurs, les structures et les actions qui sont mises en place par l’Etat pour lutter contre les addictions sont peu efficaces et hypocrites.
Les publics en exclusion professionnelle consomment davantage de tabac, d’alcool, de médicaments psychotropes (anxiolytique, antidépresseur, myorelaxant, etc.) et de drogues illicites. Ainsi, selon une étude de l’INPES () réalisée auprès de 2594 chômeurs en 2005, 10,5 % d’entre eux étaient dépendants à l’alcool, 12 % consommaient du cannabis et 17,4 % ingéraient des médicaments psychotropes. Par ailleurs, les allocataires du Revenu de solidarité active sont 45 % à avoir des difficultés avec l’alcool contre 15 % des actifs occupés (). Les jeunes sont également victimes d’une surconsommation de substances psychoactives. Selon les études de l’OFDT (), en 2002, et de l’ADSP (), en 2007, 40 % des jeunes âgés de 18 ans consomment quotidiennement du tabac, contre 29 % des personnes âgées entre 18 et 75 ans. De plus, 10,5 % des jeunes surconsomment des boissons alcoolisées et 13,3 % fument régulièrement du cannabis.
Plusieurs explications à cette surconsommation chez les populations en recherche d’insertion sociale peuvent être avancées. D’une part, certains auteurs pensent que l’adolescence et ses multiples changements (physiologique, psychologique, passage à l’âge adulte, etc.) est la cause principale des conduites à risque des jeunes. En effet, les adolescents perçoivent l’alcool comme un moyen, soit de mieux vivre ce bouleversement générant un mal-être, soit de créer du lien social. Il est vrai que si l’aspect convivial de l’alcool n’est pas propre à l’adolescence, il n’en reste pas moins un moyen perçut comme efficace et facilement accessible par les jeunes. D’ailleurs, les professionnels du secteur des boissons alcoolisées connaissent ce phénomène et développent des stratégies marketing en direction des jeunes consommateurs qui sont attirés par des saveurs sucrées. Des produits appelés “premix” ou “alcopops” sont créés à destination de ce public. Ces boissons fortement alcoolisées (vodka, whisky ou rhum) sont mélangées à des boissons non alcoolisées fortement sucrées (sodas ou jus de fruits) afin de cacher le fort goût d’éthanol. Or, même si la quantité d’alcool ingérée est moindre par rapport à une boisson alcoolisée traditionnelle, le risque est d’oublier leur teneur en alcool et donc d’en consommer en plus grande quantité, ce qui a des conséquences graves sur ces cerveaux encore en développement.
D’autre part, l’anxiété face au futur et la crainte du chômage, liées à la situation économique, accentuent également la consommation de substances psychoactives des populations précaires. A ce titre, Isabelle Varescon montre que la dépendance à l’alcool est la conséquence d’un échec devant une tâche. Cet échec se traduit par un sentiment d’incompétence personnelle et sociale. Par son effet analgésique, la consommation de substances psychoactives est un moyen de pallier la faible estime que l’individu a de lui-même.
La recherche de lien social au moyen de l’alcool et l’effet antalgique des substances psychoactives sont des stratégies d’adaptation dont les consommateurs s’aperçoivent, souvent trop tard, qu’elles les précarisent davantage.
La même enquête de l’INPES, réalisée auprès de 15 994 “actifs occupés” âgés de 16 à 65 ans, estime que 28,1 % des répondants présentent un tabagisme régulier, 13,8 % consomment des médicaments psychotropes, 8,1 % présentent une alcoolo-dépendance et 8 % consomment des drogues illicites.
Cette enquête a également montré qu’il existe des liens entre le type de substances psychoactives consommé et le milieu professionnel. Sauf le milieu des activités financières, aucun secteur ne semble épargné. Mais, les domaines du bâtiment et des transports sont les plus touchés dans la mesure où la consommation de tabac, d’alcool, de médicaments psychoactifs et de drogues illicites est supérieure à tous les autres milieux professionnels. Une surconsommation de tabac et de drogues illicites est également démontrée dans le milieu de la restauration. En ce qui concerne les médicaments psychotropes, les activités de ménage et administratives présentent une consommation plus importante que d’autres secteurs comme l’industrie, les services et la restauration.
Des études récentes ont montré que la surconsommation de substances psychoactives en milieu professionnel est la conséquence d’un mal-être au travail se traduisant par du stress. Le stress apparaît lorsqu’une situation de travail dépasse les capacités normales d’un individu (ressources adaptatives) (). Pour faire face à ces situations de travail tendues, les travailleurs développent donc des stratégies d’adaptation. Dans ce cadre, les salariés qui usent de substances psychoactives le font pour mieux gérer leur stress ou augmenter leur capacité de travail (). Concrètement, l’expérience de Niezborala (2000) montre que sur 2106 personnes en activité interrogées à l’occasion de l’examen périodique de santé au travail, près d’une personne sur trois consomme des médicaments psychoactifs pour faire face à des difficultés rencontrées sur le lieu du travail. Ainsi, “20 % utilisent un médicament pour être ‘en forme au travail’, 12 % prennent leur médicament sur leur lieu de travail pour traiter un ‘symptôme gênant’, et 18 % utilisent un médicament ‘pour se détendre au décours d’une journée difficile’”.
D’autres auteurs, comme Reynaud-Maurupt et Hoareau, (2010) et Fontaine et Fontana (2003) pensent également que la consommation excessive de substances psychoactives concerne essentiellement les actifs qui ont des conditions de travail pénibles, induisant “la nécessité de se sentir hyperperformant”. Cette stratégie vise l’amélioration de la performance afin de s’adapter aux exigences professionnelles. D’ailleurs, Angel montre que les salariés qui ont des conditions de travail physiques et pénibles consomment davantage de substances psychoactives que les salariés des autres secteurs d’activité.
La consommation de substances psychoactives est donc bien une stratégie d’adaptation face au stress professionnel. Ce phénomène est le résultat direct de la pénibilité au travail et de la précarité croissante. De même, l’isolement social au sein des entreprises et dans la vie privée, dont sont de plus en plus victimes les travailleurs, entraîne des consommations à risque. Ces consommations permettent d’une part de rétablir du lien social par la consommation collective (tabac et alcool, notamment) et, d’autre part, de mieux supporter les troubles physiques et psychiques liés au travail (alcool, médicaments psychoactifs et drogues illicites, notamment).
Ces surconsommations de substances psychoactives chez les publics précaires et chez les travailleurs qui ont des conditions de travail qui agissent sur leur santé physique et mentale ont des conséquences dramatiques. En effet, chaque année en France, environ 45 000 décès sont directement liés à la surconsommation d’alcool. Cette surconsommation de substances engendre également des conflits, des accidents du travail, des maladies de courte et de longue durée, des suicides, etc. Hassé Consultants et Angel estiment qu’en moyenne 20 % des accidents et des arrêts de travail sont liés à la surconsommation de substances psychoactives. De plus, dans 40 à 45 % des cas, les accidents mortels au travail sont la conséquence directe d’une surconsommation.
Quelques structures et actions sont mises en place pour lutter contre les dépendances, notamment les centres d’addictologie. Ces centres accueillent, dans le cadre d’une hospitalisation, des personnes en Etat de dépendance à un produit psychoactif (). Dans un premier temps un sevrage physique d’environ une semaine est imposé, puis un sevrage psychologique plus long est proposé. A l’occasion de ce sevrage psychologique, de plus en plus de structures choisissent d’informer les patients sur le fonctionnement physiologique des dépendances. Ainsi, une phase de déculpabilisation est souvent mise en place par la compréhension du mécanisme cérébral de la dépendance.
Dans le cadre d’une surconsommation régulière d’alcool, par exemple, l’éthanol déséquilibre les récepteurs, dits récepteurs GABA, sur les neurones. Ces récepteurs, devenus dépendants, solliciteront, tout au long de la vie, une quantité d’éthanol croissante pour être satisfaits. L’arrêt de la consommation d’alcool se révèle donc extrêmement difficile dans la mesure où un syndrome de sevrage, plus ou moins important selon les individus, apparaît. L’abstinence totale est alors préconisée à vie dans la mesure où ces récepteurs ne retrouveront jamais un fonctionnement normal. Ainsi, une faible quantité d’alcool ingérée suffit pour réactiver ce processus.
Toutefois, le sevrage n’est rien par rapport aux difficultés futures de l’ex-dépendant. En effet, en plus de la difficulté à échapper aux nombreuses sollicitations sociales (fêtes, réunions de famille, dîners professionnels, etc.), tout est fait pour le pousser à consommer des boissons alcoolisées. Les commerces font de ces rayons un passage obligé. Quant aux boissons sans alcool que dire à part que ce n’est pas très “fun” et… qu’elles contiennent pour la plupart de l’alcool ! Oui, une histoire sordide de législation veut qu’en dessous de 1,2° d’éthanol, les boissons puissent porter la mention : “sans alcool”1, sans indiquer dans leur contenu qu’elles en contiennent justement, alors que la moindre quantité d’alcool suffit à la rechute.
Alors, la fête est plus folle sans alcool ? Certainement pour les industriels de la boisson alcoolisée ! Voilà bien la preuve que les rechutes sont liées à un manque de volonté des dépendants !... Quant à leur travail, quand ils en ont un, il ne s’est bien sûr pas amélioré pendant leur cure. Ah, ces travailleurs qui ont bien de la chance d’avoir un travail et un gentil patron qui les attend après leur “petit problème personnel” !... pourvus quand même qu’ils gardent la même docilité qu’avant leur cure ! Sinon, pourvu qu’ils rechutent vite ! Ça restera toujours un moyen de pression supplémentaire pour que le travail soit fait rapidement et sans réclamation.
L’exclusion sociale est grandissante à cause de la précarisation de l’emploi, du chômage, des difficultés financières, etc., et les conditions de travail sont de plus en plus pénibles. L’isolement social, qui en découle souvent, s’accentue et se pérennise. Les individus cherchent des solutions à cette dégénérescence lente et laborieuse. Ces solutions peuvent prendre plusieurs formes : la lutte contre ces conditions de vie ou l’abandon. Lutter contre des conditions de vie pénibles ne devrait jamais se faire par l’adaptation de son organisme à ces dites conditions au moyen de substances psychoactives. Lutter contre l’origine du problème serait bien plus efficace mais, plutôt qu’une réponse individuelle, requiert une conscience collective.
Agnosia, 17 septembre
() Les substances psychoactives (tabac, alcool, médicaments psychoactifs et drogues illicites) agissent sur le fonctionnement cérébral des individus et modifient leurs comportements.
() Institut national de prévention et d’éducation pour la santé.
() Données tirées du site ALPA (Alcool, prévention et accompagnement).
() Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
() Actualité et Dossier en santé publique.
() Guillet, Hermand et Py (2003).
() Angel, Amar, Gava et Vaudolon (2005).
() Généralement, l’alcool et les drogues illicites.
1) Article L3321-1 du Code de la santé publique.
Nous publions ci-dessous de longs extraits de la Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel écrit par Karl Marx en 1843 (1. Ces lignes, qui ont la force de la beauté poétique, sont aussi d’une brûlante actualité. La religion, la croyance, le mysticisme, l’obscurantisme… y sont dépeints comme un produit de l’aliénation et donc des souffrances et de la déshumanisation infligées aux exploités. La religion n’est donc pas simplement une conscience erronée du monde, elle est aussi une réponse à l’oppression réelle, mais une réponse inappropriée et qui ne conduit qu’à l’échec.
La mise à bas des mille plaies de la société passe inévitablement par l’abolition de l’exploitation et de l’oppression. Alors l’obscurantisme n’aura plus de raison d’être.
Sous la plume de Marx, cette révolution n’est pas seulement absolument nécessaire, elle est surtout possible. Dans ce texte, il exprime en effet toute la confiance qu’il porte dans la capacité du prolétariat à mener une lutte historique et consciente pour l’émancipation de toute l’humanité.
Le texte que nous publions ayant fait l’objet de larges coupes, nous pensons qu’il est nécessaire d’expliquer ce choix à nos lecteurs.
La source fondamentale de la mystification religieuse est l’esclavage économique. Les croyances disparaîtront donc avec l’abolition de la dernière forme d’exploitation, le salariat. Tel est le fond de la pensée de Marx, son aboutissement logique. Néanmoins, au milieu du xix)e siècle, Marx a sous les yeux un capitalisme florissant. En France, la bourgeoisie révolutionnaire et éclairée mène depuis près d’un siècle une lutte décidée et radicale contre les archaïsmes économiques et politiques féodaux qui entravent son développement. La religion faisant partie de ces archaïsmes, elle est combattue par la nouvelle classe dominante et elle recule effectivement au fur et à mesure que le capitalisme se développe. La bourgeoise allemande est, en revanche, économiquement empêtrée dans le passé ; elle ne parvient pas à jeter aux orties les vestiges féodaux qui la paralysent, ce qu’elle fera finalement lors de la guerre franco-prussienne de 1870 et la transformation de la Prusse en Allemagne.
Marx pensait alors que cette tâche revenait au prolétariat allemand qui, par le développement de sa lutte, porterait un coup fatal à l’obscurantisme. C’est pourquoi la version intégrale de la Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel contient de longs passages sur la particularité de la situation allemande que nous avons choisi ici de couper.
De façon plus générale, Marx pensait que le développement économique du capitalisme allait saper les fondements de la religion. Dans l’Idéologie allemande, par exemple, il affirme que l’industrialisation capitaliste a réussi à réduire la religion à n’être plus qu’un simple mensonge. Pour se libérer, le prolétariat devait perdre ses illusions religieuses et détruire tous les obstacles l’empêchant de se réaliser en tant que classe ; mais le brouillard de la religion devait être rapidement dispersé par le capitalisme lui-même. En fait, pour Marx, le capitalisme lui-même était en train de détruire la religion, à tel point qu’il en parlait parfois comme une forme d’aliénation déjà dépassée pour le prolétariat. Nous savons aujourd’hui qu’il n’en a rien été, bien que le capitalisme et le développement des sciences aient sapé un à un les fondements de toutes les religions. En fait, depuis que le capitalisme a cessé d’être une force révolutionnaire pour la transformation de la société, la bourgeoisie s’est de nouveau tournée pleinement vers l’idéalisme et la religion.
Au-delà des erreurs de prévisions inévitables, liées à ‘époque historique, le fond de la pensée exprimée par Marx reste parfaitement valable : la religion est le résultat de l’exploitation, elle ne disparaîtra qu’avec elle, et seul le prolétariat est capable de mener à bien cette lutte indispensable pour la survie et l’épanouissement de l’humanité.
CCI
“Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, et non la religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, son universel motif de consolation et de justification. Elle est la réalisation chimérique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel.
La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.
Nier la religion, ce bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il abandonne toute illusion sur son Etat, c’est exiger qu’il renonce à un Etat qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de la vallée de larmes dont la religion est l’auréole.
La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans rêve ni consolation, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille les fleurs vivantes. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme afin qu’il pense, agisse, forge sa réalité en homme sans illusions parvenu à l’âge de la raison, afin qu’il gravite autour de lui-même, c’est à dire de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même.
C’est donc la tâche de l’histoire, une fois l’au-delà de la vérité disparu, d’établir la vérité de l’ici bas. Et c’est tout d’abord la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, de démasquer l’aliénation de soi dans ses formes profanes, une fois démasquée la forme sacrée de l’aliénation de l’homme. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. (….)
Il s’agit de faire le tableau d’une sourde oppression que toutes les sphères sociales exercent les unes sur les autres, d’une maussaderie générale mais inerte, d’une étroitesse d’esprit faite d’acceptation et de méconnaissance, le tout bien encadré par un système de gouvernement qui, vivant de la conservation de toutes les médiocrités, n’est lui-même que la médiocrité au gouvernement.
Quel spectacle ! Voici la société infiniment divisée en races les plus diverses qui s’affrontent avec leurs petites antipathies, leur mauvaise conscience et leur médiocrité brutale, et qui, en raison même de leur voisinage équivoque et méfiant, sont toutes, sans exception, traitées par leurs seigneurs comme des existences concédées. Et ce fait même d’être dominées, gouvernées, possédées, elles doivent le reconnaître et le confesser comme une concession du ciel ! Et voici, en face d’elles, ces maîtres eux-mêmes dont la grandeur est inversement proportionnelle à leur nombre ! (…)
Il faut rendre l’oppression réelle encore plus pesante, en lui ajoutant la conscience de l’oppression, rendre la honte plus infamante encore, en la divulguant. (…)
De toute évidence, l’arme de la critique ne peut pas remplacer la critique des armes : la force matérielle doit être renversée par une force matérielle, mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu’elle saisit des masses. La théorie est capable de saisir les masses, dès qu’elle argumente ad hominem, et elle argumente ad hominem dès qu’elle devient radicale. Être radical, c’est saisir les choses par la racine. Mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même. (…) La critique de la religion s’achève par la leçon que l’homme est l’être suprême pour l’homme, donc par l’impératif catégorique de renverser tous les rapports sociaux où l’homme est un être dégradé, asservi, abandonné, méprisable ; ces rapports, on ne saurait mieux les rendre que par l’exclamation d’un Français à l’annonce d’un projet d’impôt sur les chiens : Pauvres chiens ! on veut vous traiter comme des hommes ! (…)
[La possibilité de l’émancipation réside] dans la formation d’une classe chargée de chaînes radicales, d’une classe de la société civile qui ne soit pas une classe de la société civile, d’un ordre qui soit la dissolution de tous les ordres, d’une sphère qui possède un caractère universel en raison de ses souffrances universelles et qui ne revendique aucun droit particulier parce qu’on ne lui fait subir non un tort particulier mais le tort absolu, qui ne peut plus s’en rapporter à un titre historique, mais seulement à un titre humain, (…) d’une sphère, enfin, qui ne peut s’émanciper sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et, partant, sans les émanciper toutes ; en un mot, une sphère qui est la perte totale de l’homme et ne peut donc se reconquérir elle-même sans la reconquête totale de l’homme. Cette dissolution de la société, c’est, en tant que classe particulière, le prolétariat. (…) Lorsque le prolétariat annonce la dissolution de l’ordre présent du monde, il ne fait qu’énoncer le secret de sa propre existence, car il est lui-même la dissolution effective de cet ordre du monde.”
K. Marx
1) Ces extraits s’appuient sur les différentes traductions de ce texte disponibles sur Internet (marxists.org) et sur papier dans la Bibliothèque de la Pléiade (Karl Marx, Œuvres III, Philosophie, 1982, pages 382 à 397).
Tout semble a priori favorable à une explosion sans précédent de la colère ouvrière. La crise est manifeste, elle n’échappe à personne, et personne n’y échappe. Peu croient encore à la “sortie de crise” dont on nous rebat les oreilles quotidiennement. La planète nous déroule tout aussi quotidiennement son spectacle de désolation : guerres et barbarie, famines insupportables, épidémies, sans parler des manipulations irresponsables d’apprentis-sorciers délirants auxquels les capitalistes se livrent avec la nature, la vie et notre santé, au seul nom du profit.
Face à tout cela, il est difficile d’imaginer qu’un autre sentiment que la révolte et l’indignation puisse occuper les esprits. Il est difficile de penser qu’une majorité de prolétaires croient encore à un avenir sous le capitalisme. Et pourtant, les masses n’ont pas encore pleinement pris le chemin de la lutte. Faut-il alors penser que les jeux sont faits, que le rouleau compresseur de la crise est trop puissant, que la démoralisation qu’il engendre est indépassable ?
De grandes difficultés…
On ne peut nier que la classe ouvrière connaît actuellement des difficultés importantes. Il y a au moins quatre raisons essentielles à cela :
• La première, de loin la plus centrale, c’est tout simplement le fait que le prolétariat n’a pas conscience de lui-même, qu’il a perdu sa propre identité de classe. Suite à la chute du mur de Berlin, toute une propagande s’était en effet déchainée dans les années 1990 pour tenter de nous convaincre de la faillite historique du communisme. Les plus audacieux – et les plus stupides – annonçaient même “la fin de l’histoire”, le triomphe de la paix et de la “démocratie”… En amalgamant le communisme à la carcasse du monstre stalinien putréfié, la classe dominante a cherché à discréditer par avance toute perspective de classe visant à renverser le système capitaliste. Non contente de chercher à détruire toute idée de perspective révolutionnaire, elle s’est aussi efforcée de faire du combat prolétarien une sorte d’archaïsme bon à préserver comme “mémoire culturelle” au musée de l’Histoire, à l’instar des fossiles de dinosaures ou de la grotte de Lascaux.
Surtout, la bourgeoisie n’a cessé d’insister sur le fait que la classe ouvrière sous sa forme classique avait disparu de la scène politique. Tous les sociologues, journalistes, politiciens et philosophes du dimanche rabâchent l’idée que les classes sociales ont disparu, fondues dans le magma informe des “classes moyennes”. C’est le rêve permanent de la bourgeoisie d’une société où les prolétaires ne se verraient qu’en simples “citoyens”, divisés en catégories socioprofessionnelles plus ou moins bien discernées et surtout bien divisées – en cols blancs, cols bleus, employés, précaires, chômeurs, etc. – avec des intérêts divergents et qui ne “s’unissent” que momentanément, isolés et passifs, dans les urnes. Et il est vrai que le battage sur la disparition de la classe ouvrière, répété et asséné à grands renforts de reportages, de livres, d’émissions télévisés… a eu pour résultat que nombre d’ouvriers ne parviennent pour l’instant plus à se concevoir comme partie intégrante de la classe ouvrière et encore moins comme classe sociale indépendante.
• De cette perte de l’identité de classe découle, en second lieu, les difficultés du prolétariat à affirmer son combat et sa perspective historique. Dans un contexte où la bourgeoisie elle-même n’a aucune perspective à offrir autre que l’austérité, le chacun pour soi, l’isolement et le sauve-qui-peut dominent. La classe dominante exploite ses sentiments pour monter les exploités les uns contre les autres, les diviser pour empêcher toute riposte unie, pour les pousser au désespoir.
• Le troisième facteur, comme conséquence des deux premiers, c’est que la brutalité de la crise tend à paralyser de nombreux prolétaires, à cause de la peur de tomber dans la misère absolue, de ne pouvoir nourrir sa famille et de se retrouver à la rue, isolé et exposé à la répression. Même si certains, mis au pied du mur, sont poussés à manifester leur colère, à l’image des “Indignés”, ils ne se conçoivent pas comme une réelle classe en lutte. Ceci, malgré les efforts et le caractère parfois relativement massif des mouvements, limite la capacité à résister aux mystifications et aux pièges tendus par la classe dominante, à se réapproprier les expériences de l’histoire, à tirer des leçons avec le recul et la profondeur nécessaires.
• Il y a enfin un quatrième élément important pour expliquer les difficultés actuelles de la classe ouvrière à développer sa lutte contre le système : c’est l’arsenal d’encadrement de la bourgeoisie, ouvertement répressif, comme les forces de police, ou surtout plus insidieux et bien plus efficaces, comme les forces syndicales. Sur ce dernier aspect, notamment, la classe ouvrière n’est pas encore parvenue à dépasser ses craintes de lutter en dehors de leur encadrement, même si ceux qui ont encore des illusions sur la capacité des syndicats à défendre nos intérêts sont de moins en moins nombreux. Et cet encadrement physique se double d’un encadrement idéologique plus ou moins maîtrisé par les syndicats, les médias, les intellectuels, les partis de gauche, etc. Ce que la bourgeoisie réussit aujourd’hui le plus à développer est sans conteste l’idéologie démocratique. Tout événement est exploité pour vanter les bienfaits de la démocratie. La démocratie est présentée comme le cadre où toutes les libertés se développent, où toutes les opinions s’expriment, où le pouvoir est légitimé par le peuple, où les initiatives sont favorisées, où tout le monde peut accéder à la connaissance, à la culture, aux soins et, pourquoi pas, au pouvoir. En réalité, la démocratie n’offre qu’un cadre national au développement du pouvoir des élites, du pouvoir de la bourgeoisie, et le reste n’est qu’illusion, l’illusion qu’en passant par l’isoloir on exerce un quelconque pouvoir, que dans l’hémicycle s’expriment les opinions de la population au travers du vote de “représentants”. Il ne faut pas sous-estimer le poids de cette idéologie sur les consciences ouvrières, tout comme il ne faut pas oublier le choc extrême qu’aura provoqué l’effondrement du stalinisme à la charnière des années 1980 et 1990. A tout cet arsenal idéologique vient s’ajouter l’idéologie religieuse. Elle n’est pas nouvelle si l’on considère qu’elle a accompagné l’humanité depuis ses premiers pas dans le besoin de comprendre son environnement. Elle n’est pas nouvelle non plus si on se rappelle à quel point elle est venue légitimer toutes sortes de pouvoirs à travers l’histoire. Mais aujourd’hui, ce qu’elle présente d’original est qu’elle vient se greffer aux réflexions d’une partie de la classe ouvrière face au capitalisme destructeur et en faillite. Elle vient dévoyer cette réflexion en expliquant la “décadence” du monde occidental dans son éloignement des valeurs portées depuis des millénaires par la religion, en particulier les religions monothéistes. L’idéologie religieuse a cette force qu’elle réduit à néant la complexité extrême de la situation. Elle n’apporte que des réponses simples, faciles à mettre en œuvre. Dans ses formes intégristes, elle ne convainc qu’une petite minorité d’ouvriers, mais de façon plus générale, elle contribue à parasiter la réflexion de la classe ouvrière.
… et un formidable potentiel
Ce tableau est un peu désespérant : face à une bourgeoisie qui maîtrise ses armes idéologiques, à un système qui menace de misère la plus grande partie de la population, quand elle ne l’y plonge pas directement, y a-t-il encore une place pour développer une pensée positive, pour dégager un espoir ? Y a-t-il vraiment encore une force sociale capable de mener à bien une œuvre aussi immense que la transformation radicale de la société, rien de moins ? A cette question, il faut répondre sans hésitation : oui ! Cent fois oui ! Il ne s’agit pas d’avoir une confiance aveugle dans la classe ouvrière, une foi quasi-religieuse dans les écrits de Marx ou un élan désespéré dans une révolution perdue d’avance. Il s’agit de prendre du recul, d’avoir une analyse sereine de la situation, au delà des enjeux immédiats, tenter de comprendre ce que signifient réellement les luttes de la classe ouvrière sur la scène sociale et étudier en profondeur le rôle historique du prolétariat.
Dans notre presse, nous avons déjà analysé que, depuis 2003, la classe ouvrière est dans une dynamique positive par rapport au recul qu’elle a subi avec l’effondrement des pays de l’Est. De nombreuses manifestations de cette analyse se retrouvent dans des luttes plus ou moins importantes mais qui ont toutes pour caractéristique de montrer la réappropriation progressive par la classe de ses réflexes historiques comme la solidarité, la réflexion collective, et plus simplement, l’enthousiasme face à l’adversité.
Nous avons pu voir ces éléments à l’œuvre dans les luttes contre les réformes des retraites en France en 2003 et en 2010-2011, dans la lutte contre le CPE, toujours en France, en 2006, mais aussi de façon moins étendue en Grande-Bretagne (aéroport d’Heathrow, raffineries de Lindsay), aux Etats-Unis (Métro de New York), en Espagne (Vigo), en Egypte, à Dubaï, en Chine, etc. Les mouvements des Indignés et Occupy, surtout, reflètent une expression beaucoup plus générale et ambitieuse que des luttes se développant au sein d’une entreprise, par exemple. Qu’avons-nous vu, notamment, dans les mouvements des Indignés ? Des ouvriers de tous horizons, du précaire au cadre, simplement venus pour vivre une expérience collective et attendre d’elle une meilleure compréhension des enjeux de la période. Nous avons vu des personnes s’enthousiasmer à la seule idée de pouvoir à nouveau discuter librement avec d’autres. Nous avons vu des personnes discuter d’expériences alternatives et d’en poser les atouts et les limites. Nous avons vu des personnes refuser d’être les victimes impassibles d’une crise qu’ils n’ont pas provoquée et qu’ils refusent de payer. Nous avons vu des personnes mettre en place des assemblées spontanées, y adopter des formes d’expression favorisant la réflexion et la confrontation, limitant la perturbation et le sabotage des discussions. Enfin et surtout, le mouvement des Indignés a permis l’éclosion d’un sentiment internationaliste, la compréhension que, partout dans le monde, nous subissons la même crise et que nous devons lutter contre elle par-delà les frontières.
Certes, nous n’avons pas, ou peu, entendu parler explicitement de communisme, de révolution prolétarienne, de classe ouvrière et de bourgeoisie, de guerre civile, etc. Mais ce que ces mouvements ont montré, c’est avant tout l’exceptionnelle créativité de la classe ouvrière, sa capacité à s’organiser, issues de son caractère inaliénable de force sociale indépendante. La réappropriation consciente de ces caractéristiques est encore au bout d’un chemin long et tortueux, mais elle est indéniablement à l’œuvre. Elle s’accompagne forcément d’un processus de décantation, de reflux, de découragement partiel. Elle alimente cependant la réflexion des minorités qui se situent à l’avant-garde du combat de la classe ouvrière au niveau mondial, et dont le développement est visible, quantifiable, depuis plusieurs années.
C’est un processus sain qui contribue à la clarification des enjeux auxquels la classe ouvrière est confrontée aujourd’hui.
Finalement, même si les difficultés posées à la classe ouvrière sont énormes, rien ne permet dans la situation d’affirmer que les jeux sont faits, que la classe ouvrière n’aura pas la force de développer des luttes massives puis révolutionnaires. Bien au contraire, les expressions vivantes de la classe se multiplient et en étudiant ce qu’elles ont vraiment, non en apparence, où seule leur fragilité est évidente, mais en profondeur, alors apparaît le potentiel, la promesse d’avenir qu’elles contiennent. Leur caractère minoritaire, épars et sporadique n’est là que pour nous rappeler que les principales qualités des révolutionnaires sont la patience et la confiance en la classe ouvrière1 ! Cette patience et cette confiance s’appuie sur la compréhension de ce qu’est historiquement, la classe ouvrière : la première classe à la fois exploitée et révolutionnaire qui a pour mission d’émanciper toute l’humanité du joug de l’exploitation. Il s’agit là d’une vision matérialiste, historique, à long terme ; c’est cette vision qui nous a permis d’écrire en 2003, lorsque nous dressions le bilan de notre XVe congrès international : “Comme le disent Marx et Engels, il ne s’agit pas de considérer “ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier imagine momentanément comme but. Seul importe ce qu’il est et ce qu’il sera historiquement contraint de faire conformément à cet être” (la Sainte famille). Une telle vision nous montre notamment que, face aux coups très forts de la crise du capitalisme, qui se traduisent par des attaques de plus en plus féroces, la classe réagit et réagira nécessairement en développant son combat. Ce combat, à ses débuts, sera fait d’une série d’escarmouches, lesquelles annonceront un effort pour aller vers des luttes de plus en plus massives. C’est dans ce processus que la classe se comprendra à nouveau comme une classe distincte, ayant ses propres intérêts et tendra à retrouver son identité, aspect essentiel qui en retour stimulera sa lutte.”
GD, 25 octobre
1) Lénine aurait ajouté l‘humour !
Le sport représente depuis longtemps déjà un phénomène que nul ne peut ignorer du fait de son ampleur culturelle et de sa place dans la société. Phénomène de masse, il nous est imposé par le biais d’institutions tentaculaires et d’un matraquage médiatique permanent. Quelle signification peut-on en donner du point de vue de l’analyse historique et de la classe ouvrière ?
Dans le premier article de cette série, nous allons essayer d’apporter quelques réponses en nous penchant sur les origines et la fonction du sport dans la société capitaliste ascendante.
Le mot “sport” est un terme d’origine anglaise. Hérité des jeux populaires et des divertissements aristocratiques, il est né en Angleterre avec les débuts de la grande industrie capitaliste.
Le sport moderne se distingue nettement des jeux, divertissements ou exercices physiques du passé. S’il en hérite les pratiques, c’est pour s’orienter exclusivement vers la compétition : “Il a fallu que le développement des forces productives capitalistes soit suffisamment important pour que l’idée abstraite de rendement apparaisse de la masse des travaux concrets (…) de même il a fallu un long développement des pratiques physiques compétitives pour que se dégage peu à peu l’idée de compétition physique généralisée” (1). L’équitation de la noblesse aboutira de la sorte aux courses de chevaux. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une course que sera inventé en 1831 le chronographe. Dès 1750, le Jockey-club en Angleterre fera la promotion des nombreuses courses de chevaux qui ne cesseront de se développer par la suite. Il en ira de même avec la course à pieds et les autres sports. Le jeu populaire de la soule fera naitre les rencontres de football (1848 à Cambridge, le football association en 1863), le jeu de paume transformé donnera bien plus tard le premier tournoi de tennis en 1876, etc. En bref, les nouvelles disciplines seront toutes orientées vers la compétition : “Le sport se dégagera ainsi petit à petit de ce chaos confus et complexe de gestes naturels pour former un corpus cohérent et codifié de techniques hautement spécialisées et rationalisées, adaptées au mode de production capitaliste-industriel” (2). De la même manière que le travail salarié est lié à la production dans la société capitaliste, le sport va incarner “la matérialisation abstraite du rendement corporel” (3).
Très rapidement, la recherche de la performance, celle des records, accompagnée des paris et des jeux d’argent, va alimenter une diversité d’activités sportives dont certaines connaitront un véritable engouement populaire permettant d’oublier momentanément l’usine. Ce sera le cas par exemple du cyclisme avec le Tour de France (sorte de “fête gratuite”) dès 1903, de la boxe, du football, etc. En lien avec le développement du système capitaliste, les transports et les communications, le sport va connaitre un essor en Europe comme dans le reste du monde. L’extension et l’institutionnalisation du sport, la naissance et la multiplication des fédérations nationales, vont concorder avec l’apogée du système capitaliste, dès les années 1860 mais surtout dans les dernières décennies du xixe siècle puis du début du xxe siècle. C’est à ce moment que le sport va réellement s’internationaliser. Le football, par exemple, sera introduit en Amérique du Sud par des ouvriers européens venu travailler sur les chantiers des lignes ferroviaires. Le premier groupement international sportif est celui de l’Union Internationale des Courses de yachts en 1875. Puis d’autres vont prospérer : Club international de concours hippiques en 1878, Fédération internationale de gymnastique en 1881, Aviron et patinage dès 1892, etc. Le CIO (Comité international olympique) sera fondé en 1894, la FIFA (Fédération internationale de football association) en 1904. La plupart des organismes internationaux vont se constituer avant 1914.
Contrairement à l’opinion officielle entretenue, le sport version capitaliste ne représente pas une simple “continuité” des jeux antiques. L’olympisme des Grecs anciens ne se basait absolument pas sur l’idée du record ou l’obsession de la performance et du chronomètre. Si la confrontation entre adversaires existait, elle entrait dans un cérémonial religieux et des mythes qui n’ont plus rien à voir avec l’univers matériel et mental des jeux contemporains. Même si l’aspect militaire, la guerre entre cités, la volonté de se “doper” et la dimension mercantile étaient déjà présents. Les jeux Olympiques, comme ceux de Paris en 1900 ou de Londres en 1908, sont déjà de véritables foires commerciales. Mais surtout, ces jeux s’inscrivent dans un contexte de montée des tensions guerrières et participent à alimenter le nationalisme ambiant. L’institution des jeux Olympiques créée en 1896, comme pseudo-tradition de la Grèce ancienne libérant les esclaves et devant correspondre à l’idéal démocratique affiché par Pierre de Coubertin et son célèbre adage, “l’essentiel est de participer”, n’est qu’une imposture ! Ces jeux modernes réactivés pour propager l’hystérie chauvine, le militarisme, se situent dans le cadre de l’aliénation capitaliste où tout repose sur l’élitisme et les rapports de domination liés à la production de marchandises.
Au début du xixe siècle, le sport est d’ailleurs une pratique exclusivement réservée à l’élite bourgeoise, notamment des jeunes éduqués en milieu scolaire. C’est l’occasion pour les bourgeois de se montrer, de se divertir et de rivaliser en permettant aux dames d’exhiber avec ostentation leurs nouvelles toilettes. C’est l’heure des grands rendez-vous aux hippodromes, des grands lieux du nautisme, des premiers sports d’hiver, comme à Chamonix, des clubs de golf qui se multiplient. Ces clubs qui se créent sont donc réservés à une bourgeoisie qui en interdit l’accès aux ouvriers (4).
Du fait même des conditions d’exploitation capitaliste, au début du xixe siècle, les ouvriers n’ont ni les moyens ni le temps de faire du sport. L’exploitation forcenée dans l’usine ou la mine et l’Etat misérable au quotidien ne permettent qu’à peine la reconstitution de la force de travail. Même les enfants de la classe ouvrière, frappés de rachitisme, doivent se sacrifier à l’usine dès l’âge de 6-7 ans. La journée de 10 heures ne sera instituée que tardivement, pas avant 1900 et la journée de repos ne sera obtenue qu’en 1906.
Dans un premier temps, le mouvement ouvrier marque une méfiance et une certaine distance vis-à-vis des pratiques sportives bourgeoises. Mais dans leur volonté de se constituer en classe autonome et de développer les luttes revendicatives et les réformes sociales, les ouvriers réussissent à arracher aux capitalistes des activités sportives qui leur étaient jusque-là interdites ou inaccessibles.
Le sport des ouvriers va naître en réalité timidement, avant que ne se constituent officiellement les clubs et les fédérations sportives ouvrières issues et obtenues par de grandes luttes (5). A l’origine, tout attroupement à la sortie de l’usine, même en petit nombre, était illégal. Les jeux populaires risquant les désordres, comme le jeu de la soule, avaient été interdits par les autorités sur la voie publique (Highway act britannique de 1835). La moindre tentative de jeu apparaissait comme suspecte et “dangereuse” aux yeux des patrons. La police la considérait comme un “trouble à l’ordre public”. Confiné initialement dans un espace clôt et discret, le sport des ouvriers ne naîtra vraiment que dans la mouvance des trade-unions et ne se développera qu’après l’ère victorienne. Dans les quartiers ouvriers, un sport informel s’inscrivait alors dans toute une ambiance, une culture, une sociabilité fondée sur l’appartenance de classe. L’activité physique était ressentie comme un besoin alimentant les liens sociaux, celui de se retrouver ensemble.
D’une certaine manière, l’activité sportive était associée par les ouvriers à l’esprit fraternel qui avait donné naissance par solidarité à l’assistance mutuelle. Dès les années 1890, sur ces bases, les clubs ouvriers se multiplient donc (football ou cyclisme) et se développeront plus tard dans les “banlieues rouges”. Il s’agit désormais pour des ouvriers qui se constituent en classe autonome, de trouver une opportunité pour lutter contre l’abrutissement au travail, s’unir pour s’éduquer et développer leur conscience par l’activité politique et la propagande. Ainsi, en France, dès sa création en 1907, l’Union sportive socialiste affirme la nécessité de “faire de la réclame (…) pour le parti, en organisant des fêtes sportives et en participant aux diverses épreuves athlétiques qui se disputent”. La Fédération sportive athlétique socialiste, souligne l’année suivante : “nous voulons créer à la portée de la classe ouvrière des centres de distraction qui se développeront à côté du Parti et qui seront (…) des centres de propagande et de recrutement” (6). Par les activités sportives, les militants de la classe ouvrière ont conscience de permettre en même temps une lutte préventive contre les méfaits de l’alcoolisme et les ravages de la délinquance. Dans sa plateforme, l’USPS (Union sportive du Parti socialiste) souligne par exemple qu’il faut “développer la force musculaire et purifier les poumons de la jeunesse prolétarienne, donner aux jeunes gens des distractions saines et agréables, ce qui serait un palliatif à l’alcoolisme et aux mauvaises fréquentations, ramener au parti de jeunes camarades (…) développer parmi les jeunes socialistes l’esprit d’association et d’organisation” (7).
En Allemagne, ces mêmes préoccupations étaient partagées dans les années comprises entre 1890 et 1914 par le parti social-démocrate (SPD), très influent, qui s’est impliqué dans l’éducation des masses ouvrières, appuyant la constitution de clubs et de fédérations sportives en plus des structures syndicales et des bourses du travail. En 1893, “l’Union gymnique des ouvriers” pouvait ainsi voir le jour et faire contrepoids au nationalisme ambiant. Dans un souci d’unité et d’internationalisme, les ouvriers seront même être amenés à créer en Belgique, en 1913, une “Internationale Socialiste de culture physique”.
Bien entendu, face à ces initiatives ouvrières, la bourgeoisie ne restait pas les bras croisés et cherchait à attirer les ouvriers dans ses propres structures, notamment les plus jeunes. Le mouvement ouvrier était parfaitement conscient de cela, comme en témoigne en France un article de l’Humanité publié en 1908 : “Les autres partis politiques, surtout ceux de la réaction, cherchaient par tous les moyens à attirer chez eux la jeunesse en créant des patronages ou l’athlétisme tenait une large place” (8).
Pour le patronat à l’esprit paternaliste, récupérer l’activité physique ouvrière pour la détourner à son profit devenait rapidement un souci majeur, notamment dans la grande industrie. Le baron Pierre de Coubertin lui même était affolé par l’idée d’un “sport socialiste”. Dès lors, pour renforcer la soumission à l’ordre établi, le sport devenait un des outils majeurs à disposition. C’est ainsi que les patrons allaient créer des clubs dans lesquels les ouvriers étaient conviés de s’impliquer. Les clubs des mines en Angleterre, par exemple, permettaient de stimuler l’esprit de concurrence entre ouvriers, d’empêcher les discussions politiques et contribuaient à briser les grèves dans l’œuf. Avec ce même esprit, les patrons en France développaient des clubs, comme le cyclisme des Grands magasins sinueux de Lyon (1886), l’équipe de football du Bon marché (1887), le club Omnisport des usines automobiles Panhard-Levassor (1909), ce sera le cas aussi de Peugeot à Sochaux, du Stade Michelin à Clermont-Ferrand (1911), etc. : des clubs destinés à un contrôle social, à un flicage des ouvriers. On peut prendre pour exemple celui du directeur des Mines de Saint-Gobain “qui notait sur les livrets des sociétaires les présences, les attitudes pendant le travail gymnique et les opinions politiques”. Dans le même esprit, le fondateur du Racing-club de Paris, en 1897, Georges de Saint Clair, pensait qu’il était important d’occuper les jeunes sportifs plutôt que de les “laisser au cabaret pour s’occuper de politique et fomenter des grèves” (9).
Beaucoup plus fondamentalement, dans un cadre codifié, le sport permettait au corps des ouvriers de devenir plus facilement un appendice de la machine et des technologies naissantes. Le corps du sportif comme du travailleur, était en quelque sorte mécanisé, fragmenté, comme pour les gestes à l’entrainement, à l’image même de la division du travail et des mouvements accomplis dans l’usine. La force de travail, comme celle du sportif compartimenté par discipline, était soumise en quelque sorte au rythme du temps industriel : “La concurrence suppose que les travaux se sont égalisés par la subordination de l’homme à la machine ou par la division extrême du travail ; que les hommes s’effacent devant le travail ; que le balancier du pendule est devenu la mesure exacte de l’activité relative de deux ouvriers comme il l’est de la célérité de la locomotive. Alors il ne faut pas dire qu’une heure d’un homme vaut une heure d’un autre homme mais plutôt qu’un homme d’une heure vaut un autre homme d’une heure. Le temps est tout, l’homme n’est plus rien. Il est tout au plus la carcasse du temps” (10). Le sport moderne participe pleinement à transformer l’homme en “carcasse”, en une machine a produire pour battre des records. Il permet au patron d’exercer sa pression sur l’ouvrier qui intériorise en même temps la discipline qui tend à le rendre plus docile et corvéable. Le mouvement ouvrier était capable de déceler et de dénoncer cette réalité capitaliste du sport. Il le fera, par exemple, à propos du football anglais (professionnel depuis 1885) infecté par des “entreprises-spectacles”. La situation des joueurs jugée indigne sera alors comparée à celle d’une “traite des blanches” (11).
Le sport, en tant que rouage de la société capitaliste fut également un des moyens privilégiés de la classe dominante pour développer le patriotisme, le nationalisme dans les rangs ouvriers et la discipline militaire. C’est ce que nous avons évoqué avec les premiers jeux Olympiques. Si en marge s’est développé un courant hygiéniste – sous l’impulsion, par exemple, du docteur Ph. Tissié (1852-1935) – soucieux de la santé de la population plus ou moins en lien avec la mode eugéniste, le sport a surtout servi à renforcer l’esprit de compétition et à préparer la guerre. En Allemagne, Ludwig Jahn allait fonder en 1811 le “Turplatz” (club de gymnastique) dans un esprit patriotique et militaire marqué. Il va réussir clandestinement à créer une véritable armée de réserve destinée à contourner la limitation des effectifs militaires imposée par l’Etat français. Dans les années 1860, l’institution scolaire va militariser la gymnastique et inculquer “l’ordre et la discipline” (zucht und ordnung).
En France, il en allait de même avec une culture militariste chauvine. L’Union des sociétés de gymnastique de France était créé en 1873. Et, ce n’est pas un hasard, se développait en même temps le tir comme discipline complémentaire (fondation en 1886 de l’Union des sociétés de tir en France). Le 26 juin 1871, Gambetta déclarait déjà ceci : “il faut mettre partout, à côté de l’instituteur, le gymnaste et le militaire” pour faire “œuvre de patriotes” (12).
Après la défaite de Sedan et l’annexion de l’Alsace-Lorraine, la bourgeoisie française prépare ainsi sa “revanche”. La loi du 27 janvier 1880 fait entrer la gymnastique dans l’école primaire. Le célèbre Jules Ferry va être un grand promoteur de l’éducation militaire des jeunes fils d’ouvriers. Dès juillet 1881, les autorité parisiennes vont organiser les enfants des écoles communales de garçons dans des “bataillons scolaires”. Quatre “bataillons” équipés (en uniformes, bérets de la flotte et vareuses bleues) et armés seront en manœuvre sur le boulevard Arago avant les cours classiques, encadrés par un “chef de bataillon de l’armée territoriale” et quatre professeurs de gymnastiques. Le 6 juillet 1882, après le décret d’officialisation de ces pratiques, Jules Ferry s’adressera à ces enfants de la manière suivante : “Sous l’apparence d’une chose bien amusante vous remplissez un rôle profondément sérieux. Vous travaillez à la force militaire de demain” (13).
Cette “force militaire de demain”, avec l’ensemble des sportifs formés, c’est celle qui va servir de chair à canon dans la grande boucherie de 1914. Ce qui permet au directeur de “l’Auto”, Henri Desgranges, de déclarer le 5 août 1914 avec légèreté et cynisme : “Tous nos petits troupiers qui sont en ce moment à la frontière pour défendre le sol de la patrie ne vivent-ils pas, à nouveau, des impressions déjà vécues, lorsqu’ils étaient aux prises avec l’adversaire dans les compétitions internationales ?” (14).
Durant les massacres, on relève un épisode passé longtemps sous silence et mis en scène par le film “Joyeux noël” : celui d’un match de football improvisé opposant sur le front des soldats allemands et anglais cherchant à fraterniser. Ils furent brutalement déportés et réprimés : de ce sport-là, la bourgeoisie et ses officiers n’en voulaient pas ! La seule “contribution” sportive de cette guerre monstrueuse sera l’importation par les troupes américaines de nouvelles disciplines venues des Etats-Unis en 1917 : le volley-ball et le basket-ball. Maigre “consolation” quand on déplore plus de dix millions de morts.
WH, 29 octobre
A paraître prochainement la deuxième partie de cette série : “Le sport dans le capitalisme décadent (1914 à nos jours)”.
1) J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992.
2) Idem.
3) Idem.
4) Il existera ensuite un clivage de classe dans les choix et la pratique du sport. Dans le cricket, on trouvait au sein même de cette discipline un même clivage dans le choix des postes : ainsi, le batsman était de classe sociale élevée, valorisée, alors que le lanceur et ceux qui ramassent les balles sont des classes populaires.
5) Pierre Arnaud, les Origines du sport ouvrier en Europe, L’Harmattan 1994.
6) Le Socialiste, no 208, 9-16/05/1909.
7) P. Clastres et P. Dietschy, Sport, société et culture en France, Hachette Carré Histoire.
8) Idem.
9) Idem.
10) Karl Marx, Misère de la philosophie.
11) Le Socialiste des 8-15/12/1907
12) ht [356]tp ://books.google.fr/books [356].
13) P. Clastres et P. Dietschy Sport société et culture en France, Hachette Carré Histoire.
14) J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992.
Le livre de Léonardo Padura paru en 2011 en français, l’Homme qui aimait les chiens, a connu un succès important dans de nombreux milieux littéraires et politiques. Il retrace la vie de Trotski depuis sa mise à l’écart du pouvoir soviétique par Staline en 1927, puis son exil forcé et sans fin de 1929 à 1940, de la Turquie au Mexique en passant par la France et la Norvège, avec les multiples humiliations que sa femme, ses enfants et lui-même durent subir de la part des autorités. Persona non grata sur cette “planète sans visa”, ce grand révolutionnaire finira reclus dans une maison transformée en bunker pour mourir sous le piolet de Ramon Mercader (alias Frank Jacson ou Jacques Mornard), militant stalinien formaté par Moscou pour devenir le tueur froid et calculateur exclusivement destiné à l’assassinat de Trotski. Comme Léon Trotski, Mercader aime les chiens (d’où le titre du roman) ; des lévriers russes, les barzoïs.
C’est l’histoire parallèle de ces deux personnages que retrace ce livre, histoire racontée par un troisième, le narrateur, dont la caractéristique est d’être lui-même une victime de l’oppression castriste et un déçu du socialisme. Comme le dit l’auteur : “je voulais écrire un roman sur l’assassinat de Léon Trotski, dire ce que cela avait signifié pour le mouvement révolutionnaire du xxe siècle, l’image de l’utopie, le destin de l’Union soviétique et le reste des pays socialistes. Mais ce devait être un livre cubain, écrit de Cuba par quelqu’un qui vit à Cuba.” De fait, le constat général de cet ouvrage est amer. Léonardo Padura l’assume pleinement et écrit en postface : “J’ai voulu me servir de l’histoire de l’assassinat de Trotski pour réfléchir à la perversion de la grande utopie du xxe siècle, ce processus où nombreux furent ceux qui engagèrent leur espérance et où nous fûmes tant et tant à perdre nos rêves et notre temps, quand ce ne fut pas notre sang et notre vie.”
Cependant, l’auteur s’est efforcé de faire montre d’une honnêteté historique et ne sombre pas, contrairement à de nombreux livres anti-communistes haineux et falsificateurs (cf. le Livre noir du communisme qui fut un chef d’œuvre en la matière !). L’Homme qui aimait les chiens, en gestation pendant près de vingt années, est documenté, assez fidèle à ce que les archives ont révélé aux chercheurs et à ce que les historiens sérieux comme Isaac Deutscher ou Julian Gorkin (ancien poumiste) ont pu rapporter sur la vie de Trotski et les éléments autour de son assassinat comme sur la personnalité de Ramon Mercader.
Effrayant est le récit de l’univers anti-trotskyste : les assassinats en série des membres de la famille de Trotski, de ses amis et alliés politiques, les désertions, les trahisons et infiltrations autour de Trotski. Le livre de Padura montre bien encore la pression implacable de la terreur, des procès de Moscou par lesquels Trotski voit sombrer moralement et mourir ses anciens compagnons de lutte les plus endurcis, tous les crimes staliniens, dans leurs expressions les plus monstrueuses. Face à cela, la désorganisation et l’amateurisme politique des partisans trotskistes à Mexico ne peut pas faire le poids et la maison fortifiée de Coyoacán ne fait que peu illusion. Trotski, malade et prématurément vieilli, sait que Staline pourra frapper quand il l’aura décidé. Il sait également que si ce dernier l’a laissé en vie jusqu’ici c’est pour mieux l’utiliser à ses fins personnelles et comme justification aux purges qu’il infligera de façon massive aux anciens bolcheviks et au prolétariat russe. Mais que son tour viendra inévitablement.
Léonardo Padura décrit pourtant un Trotski toujours combatif et incisif, dont la fibre révolutionnaire n’est pas émoussée, malgré les multiples et dures épreuves. Il continue sans relâche son travail politique, multipliant les correspondances de par le monde et les publications, analysant sans relâche tous les événements de l’époque, comme la guerre d’Espagne. Ce qui ressort du portrait de Trotski dressé par l’écrivain, c’est celui d’un homme résolu, d’une volonté de fer, plein d’exigences qu’il s’impose à lui-même et à son entourage, avec quelques faiblesses très humaines qui n’entachent en rien l’image d’un homme de haute valeur quoi que parfois tyrannique avec son entourage le plus proche. Les débats qu’il ouvre avec André Breton sur l’art et la littérature nous montrent un être totalement ouvert aux idées artistiques et à la liberté de leurs expressions, prônant sans concession aucune la totale licence dans ce domaine. Mais dans ce tableau, une ombre est projetée sur Trotski, c’est celle de l’épisode de 1921 à Kronstadt. A plusieurs reprises, Léonardo Padura lui prête des retours de pensées pleines de remords sur ces événements ; or, Trotski n’a, semble-t-il, pas fait part de ces réflexions, s’il en a eu dans ces termes-là.
Les calculs malsains et inhumains du bourreau Staline s’expriment clairement dans le travail psychologique effectué avec Mercader. On assiste ainsi à la transformation d’un jeune communiste idéaliste en un fanatique prêt à tout pour servir la cause stalinienne. Mercader est une sorte de héros malgré tout, qui est plus le jouet des événements et de son entourage que quelqu’un qui assume pleinement son destin. Sa mère, Caridad Mercader, bourgeoise déchue, droguée et alcoolique, possède un pouvoir entier sur son fils ainsi que son amant, Leonid Eitingon, cynique mentor du NKVD.
Concernant la personnalité de la femme et son parcours politique, Léonardo Padura commet cependant une erreur historique qui peut être due au bain “fidéliste” et anti-anarchiste dans lequel il baigne inévitablement à Cuba. En effet, elle est décrite au début du livre comme quittant régulièrement son domicile et ses enfants pour s’adonner à une vie dissolue dans les milieux anarchistes. Or, ces derniers en Espagne prônaient une sobriété exemplaire et une attitude sociale moralement supérieure, en tant qu’expression de la classe ouvrière et de sa lutte pour la révolution. Il fallait donc rétablir cette vérité à l’honneur des anarchistes espagnols.
Son crime accompli, Mercader est présenté dans l’ouvrage comme un militant courageux et déterminé qui ne parle pas, qui ne trahit pas Staline pendant ses vingt années d’incarcération au Mexique. Pour autant, on sait que Joe Hansen, un des gardes du corps de Trotski, fut le premier à pénétrer dans le bureau du fondateur de la IVe Internationale, quelques instants après l’assaut. Il décrit un Mercader sanglotant, qui balbutiait frénétiquement : “Ils ont emprisonné ma mère… Ils m’ont forcé à le faire”. La terreur de la GPU a en réalité terrassé le jeune idéaliste, et lui a imposé ce silence. Sans jamais se repentir d’un crime dont il avait fini par comprendre qu’il était inutile et barbare, Mercader se taira, non par extrême dévouement à une cause, mais pour se protéger. Il vivra et mourra, probablement empoisonné par une montre radioactive, dernier “cadeau” du KGB, en rebut de la nomenklatura soviétique, méprisé de tous. Comme sa mère, Mercader a été un pion important de l’aristocratie rouge internationale. Homme intelligent et cultivé, il a fait ce choix valorisant. Avant l’assassinat, Mercader avait pourtant saisi la nature de la terreur stalinienne et son modus operandi (notamment lors des procès de Moscou). D’autres individus, dans des conditions similaires, auraient tenté de se rebeller au nom de la morale supérieure de leurs idéaux, et auraient essayé de se sortir du piège que signait cette entreprise. Léonardo Padura insiste ainsi sur l’admiration que porte Mercader à Andres Nin, militant du PC espagnol puis du Poum trotskiste, à son courage exemplaire et à son abnégation, qui lui vaudront d’être assassiné par la Guépéou en 1937. Aussi, peut-être possédé par le doute, individu complexe pris dans l’engrenage de la monstruosité bureaucratique stalinienne, Mercader ira malgré tout jusqu’au bout du projet pour lequel il a été choisi.
Un autre protagoniste non négligeable de l’histoire et du roman se trouve dans la personne de Sylvia Ageloff. Léonardo Padura ne lui donne cependant pas la juste place qu’elle mérite. Jeune assistante sociale de Brooklyn, elle milite dans le Socialist Workers Party, d’obédience trotskiste. L’entourage de Mercader s’arrange pour que celui-ci fasse sa connaissance lors du voyage de l’Américaine à Paris en juin 1939. Elle tombe éperdument amoureuse de cet homme beau et cultivé, qui prétend n’avoir aucun intérêt pour la politique. Mercader la séduit, à la seule fin de pouvoir approcher Trotski sans éveiller de soupçon, quand les deux amants se rendront à Mexico. Le double jeu fonctionnera à la perfection. Mercader trompera doublement Ageloff : sur le plan de ses sentiments personnels, mais aussi sur le plan de ses intentions politiques. Il traite la jeune femme avec mépris ; il la décrit comme naïve, voire idiote, insiste sur sa prétendue laideur. Pour dresser le portrait de la militante trotskyste, Padura reprend des informations tendancieuses et erronées. Dans le roman, elle est décrite comme une personne superficielle et sans épaisseur politique. Pourquoi avoir brossé un tel portrait misogyne et approximatif ? Dans une audition devant une commission d’enquête à la Chambre des représentants en 1950, Sylvia Ageloff s’exprime avec conviction et dans une langue sophistiquée. Elle défendit avec courage son engagement dans la gauche trotskyste pendant la période du maccarthysme. En outre, elle veilla scrupuleusement à la sécurité de Trotski et évita rigoureusement de venir accompagnée de Mercader lors de ses visites à la villa de Coyoacán. Car c’est en gagnant la sympathie des gardes de la villa, puis des époux Rosmer, des camarades français fidèles, à qui il servit de chauffeur et rendit des petits services qu’il put se rapprocher progressivement de Trotski, jusqu’à pouvoir être seul avec lui. Sylvia Ageloff (1910-1995) eut un sort tragique et vécut le reste de sa vie dans l’indignité. Profondément accablée par l’événement, elle refusa jusqu’à sa mort d’en parler avec qui que ce soit mais elle reçut le soutien et l’affection sans faille de Natalia Sedova, la veuve de Léon Trotski. Licenciée par son employeur à son retour de Mexico (où elle fut même un temps suspectée de collusion avec Mercader), elle dut prendre le nom de sa mère (Maslow) pour échapper à ses tourmenteurs.
Sa sœur, Ruth Ageloff-Poulos, fut d’ailleurs secrétaire de la Commission John Dewey qui se tint à Mexico en 1937 et qui blanchit Trotski des accusations portées contre lui par Staline.
Le bilan que tire Léonardo Padura de la période de l’après-révolution d’Octobre est donc très négatif et à l’aune des espoirs déçus à l’égard du socialisme de la part du narrateur, dans lequel on peut reconnaître l’auteur lui-même. Mais son livre est d’une grande qualité, tant littéraire qu’historique, et réussi le tour de force de nous tenir en haleine, sans que nous puissions en rater une ligne tout au long, alors que nous savons dès le début quel sera l’inévitable dénouement final. La lecture de l’Homme qui aimait les chiens nous laisse bien sûr un arrière-goût âcre de cette partie de l’histoire que furent les années 1930 et pourrait démoraliser en donnant l’impression et la certitude que “l’utopie révolutionnaire” est définitivement perdue.
Cependant, pour nous, révolutionnaires, il n’en est rien. Léon Trotski aimait se référer à cette maxime du philosophe Spinoza : “Ni rire, ni pleurer, mais comprendre.” C’est cela qui doit nous guider et nous faire avancer.
Wilma (23 octobre)
Nous publions ci-dessous de larges extraits du premier chapitre 1 de la brochure de Rosa Luxemburg la Crise de la social-démocratie 2. Ce texte magistral de 1915 doit être une source d’inspiration face aux difficultés actuelles du prolétariat. Alors confrontée à la pire boucherie de l’histoire de l’humanité, la Première Guerre mondiale 3 , et à la trahison de la social-démocratie qui a contribué à embrigader dans ce carnage impérialiste les ouvriers de tous les pays, Rosa Luxemburg ne cède pas au découragement. Au contraire ! Elle plaide pour un marxisme vivant, non dogmatique, empreint de la méthode scientifique, qui regarde les erreurs et les défaites en face pour en tirer les leçons et mieux préparer l’avenir. Car cette révolutionnaire a une confiance inébranlable en l’avenir et dans la capacité du prolétariat mondial à accomplir sa mission historique : lutter consciemment pour l’émancipation de toute l’humanité.
CCI
[…] Finie l’ivresse. […] L’allégresse bruyante des jeunes filles courant le long des convois ne fait plus d’escorte aux trains de réservistes et ces derniers ne saluent plus la foule en se penchant depuis les fenêtres de leur wagon, un sourire joyeux aux lèvres […]. Dans l’atmosphère dégrisée de ces journées blêmes, c’est un tout autre chœur que l’on entend : le cri rauque des vautours et des hyènes sur le champ de bataille. […] La chair à canon, embarquée en août et septembre toute gorgée de patriotisme, pourrit maintenant en Belgique, dans les Vosges, en Masurie, dans des cimetières où l’on voit les bénéfices de guerre pousser dru. […] Les affaires fructifient sur des ruines. Des villes se métamorphosent en monceaux de décombres, des villages en cimetières, des régions entières en déserts, des populations entières en troupes de mendiants, des églises en écuries. […]
Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment.
Et au cœur de ce sabbat de sorcière s’est produit une catastrophe de portée mondiale : la capitulation de la social-démocratie internationale. Ce serait pour le prolétariat le comble de la folie que de se bercer d’illusions à ce sujet ou de voiler cette catastrophe : c’est le pire qui pourrait lui arriver. “Le démocrate” (c’est-à-dire le petit-bourgeois révolutionnaire) dit Marx, “sort de la défaite la plus honteuse aussi pur et innocent que lorsqu’il a commencé la lutte : avec la conviction toute récente qu’il doit vaincre, non pas qu’il s’apprête, lui et son parti, à réviser ses positions anciennes, mais au contraire parce qu’il attend des circonstances qu’elles évoluent en sa faveur.” Le prolétariat moderne, lui, se comporte tout autrement au sortir des grandes épreuves de l’histoire. Ses erreurs sont aussi gigantesques que ses tâches. Il n’y a pas de schéma préalable, valable une fois pour toutes, pas de guide infaillible pour lui montrer le chemin à parcourir. Il n’a d’autre maître que l’expérience historique. Le chemin pénible de sa libération n’est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d’erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l’atteindra s’il sait s’instruire de ses propres erreurs. Pour le mouvement prolétarien, l’autocritique, une autocritique sans merci, cruelle, allant jusqu’au fond des choses, c’est l’air, la lumière sans lesquels il ne peut vivre. Dans la guerre mondiale actuelle, le prolétariat est tombé plus bas que jamais. C’est là un malheur pour toute l’humanité. Mais c’en serait seulement fini du socialisme au cas où le prolétariat international se refuserait à mesurer la profondeur de sa chute et à en tirer les enseignements qu’elle comporte.
Ce qui est en cause actuellement, c’est tout le dernier chapitre de l’évolution du mouvement ouvrier moderne au cours de ces vingt-cinq dernières années. Ce à quoi nous assistons, c’est à la critique et au bilan de l’œuvre accomplie depuis près d’un demi-siècle. La chute de la Commune de Paris avait scellé la première phase du mouvement ouvrier européen et la fin de la Ire Internationale. A partir de là commença une phase nouvelle. Aux révolutions spontanées, aux soulèvements, aux combats sur les barricades, après lesquels le prolétariat retombait chaque fois dans son Etat passif, se substitua alors la lutte quotidienne systématique, l’utilisation du parlementarisme bourgeois, l’organisation des masses, le mariage de la lutte économique et de la lutte politique, le mariage de l’idéal socialiste avec la défense opiniâtre des intérêts quotidiens immédiats. Pour la première fois, la cause du prolétariat et de son émancipation voyait briller devant elle une étoile pour la guider : une doctrine scientifique rigoureuse. A la place des sectes, des écoles, des utopies, des expériences que chacun faisait pour soi dans son propre pays, on avait un fondement théorique international, base commune qui faisait converger les différents pays en un faisceau unique. La théorie marxiste mit entre les mains de la classe ouvrière du monde entier une boussole qui lui permettait de trouver sa route dans le tourbillon des événements de chaque jour et d’orienter sa tactique de combat à chaque heure en direction du but final, immuable.
C’est le parti social-démocrate allemand qui se fit le représentant, le champion et le gardien de cette nouvelle méthode. […] Au prix de sacrifices innombrables, par un travail minutieux et infatigable, elle a édifié une organisation exemplaire, la plus forte de toutes ; elle a créé la presse la plus nombreuse, donné naissance aux moyens de formation et d’éducation les plus efficaces, rassemblé autour d’elle les masses d’électeurs les plus considérables et obtenu le plus grand nombre de sièges de députés. La social-démocratie allemande passait pour l’incarnation la plus pure du socialisme marxiste. Le parti social-démocrate occupait et revendiquait une place d’exception en tant que maître et guide de la IIe Internationale. […] La social-démocratie française, italienne et belge, les mouvements ouvriers de Hollande, de Scandinavie, de Suisse et des Etats-Unis marchaient sur ses traces avec un zèle toujours croissant. Quant aux Slaves, les Russes et les sociaux-démocrates des Balkans, ils la regardaient avec une admiration sans bornes, pour ainsi dire inconditionnelle. […] Pendant les congrès, au cours des sessions du bureau de l’Internationale socialiste, tout était suspendu à l’opinion des Allemands. […] “Pour nous autres Allemands, ceci est inacceptable” suffisait régulièrement à décider de l’orientation de l’Internationale. Avec une confiance aveugle, celle-ci s’en remettait à la direction de la puissante social-démocratie allemande tant admirée : elle était l’orgueil de chaque socialiste et la terreur des classes dirigeantes dans tous les pays.
Et à quoi avons-nous assisté en Allemagne au moment de la grande épreuve historique ? A la chute la plus catastrophique, à l’effondrement le plus formidable. […] Aussi faut-il commencer par elle, par l’analyse de sa chute […]. La classe ouvrière, elle, ose hardiment regarder la vérité en face, même si cette vérité constitue pour elle l’accusation la plus dure, car sa faiblesse n’est qu’un errement et la loi impérieuse de l’histoire lui redonne la force, lui garantit sa victoire finale.
L’autocritique impitoyable n’est pas seulement pour la classe ouvrière un droit vital, c’est aussi pour elle le devoir suprême. Sur notre navire, nous transportions les trésors les plus précieux de l’humanité confiés à la garde du prolétariat, et tandis que la société bourgeoise, flétrie et déshonorée par l’orgie sanglante de la guerre, continue de se précipiter vers sa perte, il faut que le prolétariat international se reprenne, et il le fera, pour ramasser les trésors que, dans un moment de confusion et de faiblesse au milieu du tourbillon déchaîné de la guerre mondiale, il a laissé couler dans l’abîme.
Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde. […] La guerre mondiale a changé les conditions de notre lutte et nous a changés nous-mêmes radicalement. Non que les lois fondamentales de l’évolution capitaliste, le combat de vie et de mort entre le capital et le travail, doivent connaître une déviation ou un adoucissement. […] Mais à la suite de l’éruption du volcan impérialiste, le rythme de l’évolution a reçu une impulsion si violente qu’à côté des conflits qui vont surgir au sein de la société et à côté de l’immensité des tâches qui attendent le prolétariat socialiste dans l’immédiat toute l’histoire du mouvement ouvrier semble n’avoir été jusqu’ici qu’une époque paradisiaque. […] Rappelons-nous comment naguère encore nous décrivions l’avenir :
[…] Le tract officiel du parti, Impérialisme ou socialisme, qui a été diffusé il y a quelques années à des centaines de milliers d’exemplaires, s’achevait sur ces mots “Ainsi la lutte contre le capitalisme se transforme de plus en plus en un combat décisif entre le Capital et le Travail. Danger de guerre, disette et capitalisme - ou paix, prospérité pour tous, socialisme ; voilà les termes de l’alternative. L’histoire va au-devant de grandes décisions. Le prolétariat doit inlassablement œuvrer à sa tâche historique, renforcer la puissance de son organisation, la clarté de sa connaissance. Dès lors, quoi qu’il puisse arriver, soit que, par la force qu’il représente, il réussisse à épargner à l’humanité le cauchemar abominable d’une guerre mondiale, soit que le monde capitaliste ne puisse périr et s’abîmer dans le gouffre de l’histoire que comme il en est né, c’est-à-dire dans le sang et la violence, à l’heure historique la classe ouvrière sera prête et le tout est d’être prêt.” […] Une semaine encore avant que la guerre n’éclate, le 26 juillet 1914, les journaux du parti allemand écrivaient “Nous ne sommes pas des marionnettes, nous combattons avec toute notre énergie un système qui fait des hommes des instruments passifs de circonstances qui agissent aveuglément, de ce capitalisme qui se prépare à transformer une Europe qui aspire à la paix en une boucherie fumante. Si ce processus de dégradation suit son cours, si la volonté de paix résolue du prolétariat allemand et international qui apparaîtra au cours des prochains jours dans de puissantes manifestations ne devait pas être en mesure de détourner la guerre mondiale, alors, qu’elle soit au moins la dernière guerre, qu’elle devienne le crépuscule des dieux du capitalisme” (Frankfurter Volksstimme) […] Et c’est alors que survint cet événement inouï, sans précédent : le 4 août 1914.
Cela devait-il arriver ainsi ? […] Le socialisme scientifique nous a appris à comprendre les lois objectives du développement historique. Les hommes ne font pas leur histoire de toutes pièces. Mais ils la font eux-mêmes. Le prolétariat dépend dans son action du degré de développement social de l’époque, mais l’évolution sociale ne se fait pas non plus en dehors du prolétariat, celui-ci est son impulsion et sa cause, tout autant que son produit et sa conséquence. Son action fait partie de l’histoire tout en contribuant à la déterminer. Et si nous pouvons aussi peu nous détacher de l’évolution historique que l’homme de son ombre, nous pouvons cependant bien l’accélérer ou la retarder. Dans l’histoire, le socialisme est le premier mouvement populaire qui se fixe comme but, et qui soit chargé par l’histoire, de donner à l’action sociale des hommes un sens conscient, d’introduire dans l’histoire une pensée méthodique et, par là, une volonté libre. Voilà pourquoi Friedrich Engels dit que la victoire définitive du prolétariat socialiste constitue un bond qui fait passer l’humanité du règne animal au règne de la liberté. Mais ce “bond” lui-même n’est pas étranger aux lois d’airain de l’histoire, il est lié aux milliers d’échelons précédents de l’évolution, une évolution douloureuse et bien trop lente. Et ce bond ne saurait être accompli si, de l’ensemble des prémisses matérielles accumulées par l’évolution, ne jaillit pas l’étincelle de la volonté consciente de la grande masse populaire. La victoire du socialisme ne tombera pas du ciel comme fatum, cette victoire ne peut être remportée que grâce à une longue série d’affrontements entre les forces anciennes et les forces nouvelles […]. Friedrich Engels a dit un jour : “La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie.” Mais que signifie donc une “rechute dans la barbarie” au degré de civilisation que nous connaissons en Europe aujourd’hui ? Jusqu’ici nous avons lu ces paroles sans y réfléchir et nous les avons répétées sans en pressentir la terrible gravité. Jetons un coup d’œil autour de nous en ce moment même, et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoise dans la barbarie. Le triomphe de l’impérialisme aboutit à l’anéantissement de la civilisation – sporadiquement pendant la durée d’une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. C’est exactement ce que Friedrich Engels avait prédit, une génération avant nous, voici quarante ans. Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. C’est là un dilemme de l’histoire du monde, un ou bien – ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l’avenir de la civilisation et de l’humanité en dépendent. Au cours de cette guerre, l’impérialisme a remporté la victoire. En faisant peser de tout son poids le glaive sanglant de l’assassinat des peuples, il a fait pencher la balance du côté de l’abîme, de la désolation et de la honte. Tout ce fardeau de honte et de désolation ne sera contrebalancé que si, au milieu de la guerre, nous savons retirer de la guerre la leçon qu’elle contient, si le prolétariat parvient à se ressaisir et s’il cesse de jouer le rôle d’un esclave manipulé par les classes dirigeantes pour devenir le maître de son propre destin.
La classe ouvrière paie cher toute nouvelle prise de conscience de sa vocation historique. Le Golgotha de sa libération est pavé de terribles sacrifices. Les combattants des journées de Juin, les victimes de la Commune, les martyrs de la Révolution russe – quelle ronde sans fin de spectres sanglants ! Mais ces hommes-là sont tombés au champ d’honneur, ils sont, comme Marx l’écrivit à propos des héros de la Commune, “ensevelis à jamais dans le grand cœur de la classe ouvrière”. Maintenant, au contraire, des millions de prolétaires de tous les pays tombent au champ de la honte, du fratricide, de l’automutilation, avec aux lèvres leurs chants d’esclaves. Il a fallu que cela aussi ne nous soit pas épargné. Vraiment nous sommes pareils à ces Juifs que Moïse a conduits à travers le désert. Mais nous ne sommes pas perdus et nous vaincrons pourvu que nous n’ayons pas désappris d’apprendre. Et si jamais le guide actuel du prolétariat, la social-démocratie, ne savait plus apprendre, alors elle périrait “pour faire place aux hommes qui soient à la hauteur d’un monde nouveau”.
Junius (1915)
1) Dont le titre est “Socialisme ou barbarie”.
2) Aussi connue sous le nom de “La brochure de Junius”, pseudonyme utilisé par Rosa pour le signer, ce texte est intégralement disponible sur le site marxists.org.
3) De pires atrocités viendront ensuite, comme la Seconde Guerre mondiale.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
Une fois de plus, les missiles israéliens ont frappé Gaza. En 2008, l’opération « plomb durci » avait tué presque 1500 personnes, souvent des civils, malgré les déclarations prétendant que seuls les terroristes faisaient l’objet de « frappes chirurgicales ». La bande de Gaza est une des régions les plus pauvres et les plus densément peuplées du monde. Il est ainsi absolument impossible de distinguer les « terroristes » des zones résidentielles qui les entourent. Malgré les armes sophistiquées dont Israël dispose, la majorité des dommages de la campagne militaire actuelle touche aussi les femmes, les enfants et les vieillards.
Gaza est une fois de plus punie, comme ce fut le cas non seulement lors du massacre précédent, mais également à travers le blocus qui a paralysé son économie, affamé les populations et brisé les efforts de reconstruction après les ravages de 2008.
Par rapport à la puissance de frappe de l’Etat israélien, les capacités militaires du Hamas et des autres groupes djihadistes radicaux de Gaza sont dérisoires. Cependant, à cause du chaos en Libye, le Hamas a mis la main sur des missiles de longue portée plus efficace. En plus d’Ashdod au Sud (où trois habitants d’un immeuble résidentiel ont été tués par une roquette tirée depuis la bande de Gaza), Tel-Aviv et Jérusalem sont à présent à leur portée. La menace de paralysie qui saisit Gaza commence aussi à se faire sentir dans les principales villes israéliennes.
En clair, les populations des deux côtés de la frontière sont les otages des logiques militaristes adverses qui dominent Israël et la Palestine – avec une aide discrète de l’armée égyptienne qui patrouille aux frontières de Gaza pour empêcher les incursions ou les évasions indésirables. Les deux populations sont victimes d’une guerre permanente – sous la forme de roquettes et de bombes, mais aussi en portant le poids grandissant d’une économie plombée par les besoins de la guerre. De plus, la crise économique mondiale contraint aujourd’hui la classe dominante en Israël comme en Palestine à adopter de nouvelles mesures de restrictions du niveau de vie, à augmenter les prix des produits de première nécessité.
En Israël, l’an dernier, l’augmentation du prix des logements fut à l’origine du mouvement de protestation qui a pris la forme de manifestations massives et d’assemblées – mouvement directement inspiré des révoltes du monde arabe et qui avait pour mots d’ordre « Netanyahou, Assad, Moubarak sont tous les mêmes » et « Arabes et Juifs veulent des logements accessibles et décents ». Pendant ce bref mais stimulant mouvement de lutte, tout dans la société israélienne était ouvert à la critique et au débat – y compris le « problème palestinien », l’avenir des colonies et des territoires occupés.
Une des plus grandes peurs des protestataires était que le gouvernement ne réponde à ce défi en appelant à « l’unité nationale » et en se lançant dans une nouvelle aventure militaire.
De même, l'été dernier, dans les territoires occupés de la Bande de Gaza et de Cisjordanie, l’augmentation du prix du carburant et de la nourriture a provoqué une série de manifestations de colère, des barrages routiers et des grèves. Les ouvriers du transport, de la santé et de l’éducation, les étudiants et les écoliers, ainsi que des chômeurs, se sont retrouvés dans la rue face à la police de l’Autorité palestinienne pour exiger des hausses de salaires, du travail, la baisse des prix et la fin de la corruption. Des manifestations contre le coût de la vie ont même été organisées dans le royaume voisin de Jordanie.
Malgré les différences de niveau de vie entre les populations israélienne et palestinienne, en dépit du fait que cette dernière subit en plus l’oppression et l’humiliation militaire, les racines de ces deux révoltes sociales sont exactement les mêmes : l’impossibilité grandissante de vivre dans un système capitaliste en crise.
Les motifs de la dernière escalade militaire ont fait l’objet de nombreuses spéculations. Netanyahou essaye-t-il d’attiser la haine nationaliste pour améliorer ses chances de réélection ? Le Hamas a-t-il provoqué ces attaques à la roquette pour prouver sa détermination face aux bandes islamistes plus radicales ? Quel rôle sera appelé à jouer dans le conflit le nouveau régime en Égypte ? Comment ces événements vont-ils affecter la guerre civile en Syrie ?
Toutes ces questions sont pertinentes mais ne permettent pas de répondre au problème de fond qui les relie. La réalité, c'est qu'il s'agit d'une escalade guerrière impérialiste, aux antipodes des intérêts et des besoins des populations israéliennes, palestiniennes et plus largement du Moyen-Orient.
Lorsque les révoltes sociales permettent aux exploités de se battre pour leurs intérêts matériels contre les capitalistes et l’État qui les exploitent, la guerre impérialiste crée une fausse unité entre les exploités et leurs exploiteurs, accentuant leur division. Lorsque les avions d’Israël bombardent Gaza, cela offre des nouvelles recrues au Hamas et aux djihadistes dont tout Juif qui se respecte est censé être l’ennemi. Lorsque les roquettes des djihadistes s’abattent sur Ashdod ou Tel-Aviv, encore plus d’Israéliens se tournent vers la protection et les appels à la vengeance de « leur » État contre les « Arabes ». Les problèmes sociaux pressants qui animent les révoltes sont engloutis sous une avalanche de haine et d’hystérie nationalistes.
Petites ou grandes, toutes les nations sont impérialistes ; petites ou grandes, toutes les fractions bourgeoises n’ont jamais aucun scrupule à utiliser la population comme chair à canon au nom des intérêts de la « patrie ». D’ailleurs, devant l’actuelle escalade de la violence à Gaza, quand les gouvernements « responsables » et démocratiques comme ceux des États-Unis et de la Grande-Bretagne appellent à « l’apaisement », au retour vers « le processus de paix », l’hypocrisie atteint des sommets. Car ce sont ces mêmes gouvernements qui font la guerre en Afghanistan, au Pakistan, en Irak. Les États-Unis sont également le principal soutien financier et militaire d’Israël. Les grandes puissances impérialistes n’ont aucune solution « pacifique » pas plus que les États comme l’Iran qui arme ouvertement le Hamas et le Hezbollah. Le réel espoir d’une paix mondiale ne se trouve pas chez « nos » dirigeants, mais dans la résistance des exploités, dans leur compréhension grandissante qu’ils ont les mêmes intérêts dans tous les pays, le même besoin de lutter et de s’unir contre un système qui ne peut rien offrir d’autre que la crise, la guerre et la destruction.
Amos (20 novembre)
Après son élection, François Hollande déclarait : “Une alternance change le pouvoir mais elle ne change pas la réalité”. Ces propos illustrent pleinement combien, depuis plusieurs décennies déjà, les illusions autour des partis de gauche, socialistes en tête, se sont définitivement évanouies, au point que les principaux intéressés ne cherchent désormais même plus à se fendre, la mine compassée et la main tremblante, des traditionnelles postures de défenseurs des opprimés.
Aujourd’hui, la gauche est “responsable” et “moderne” – entendez : prête à toutes les attaques, à toutes les manœuvres pour la défense de son système.
Néanmoins, les règnes de François Mitterrand et de Lionel Jospin n’ont pas complètement écorné l’idée selon laquelle la gauche serait moins brutale et plus protectrice que la droite. L’élection sans enthousiasme de François Hollande est à ce titre significative : aucune illusion sur des lendemains plus heureux ne s’est manifestée autre que le faible espoir de “normaliser” l’exercice du pouvoir et de donner aux inévitables plans de rigueur une coloration plus “juste”.
Pourtant, après sept mois de “hollandisme”, rien ne laisse à penser que la gauche est “moins pire” que la droite : mêmes esbroufes autour des usines en faillite érigées en point de fixation médiatique et destinées à camoufler le défilé sans fin des licenciements ; mêmes ignominies envers les prolétaires immigrés que l’Etat pourchasse avec acharnement ; mêmes plans de rigueur à travers lesquels la classe ouvrière est sacrifiée sur l’autel des “objectifs budgétaires” que le gouvernement n’atteindra vraisemblablement pas... Tout est comme avant, en pire…
Depuis juillet, le gouvernement multiplie, en effet, les mesures d’austérité en augmentant les impôts et en diminuant les dépenses de l’Etat dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’aide sociale, etc. Ainsi, le budget de 2013 en cours d’élaboration prévoit une économie historique de trente-sept milliards d’euros. Cet “effort historique”, “le plus important depuis 1945”, selon les mots du gouvernement, a même poussé l’OCDE à recommander au gouvernement français de ne pas adopter de nouvelles mesures de rigueur afin de ne pas tomber dans une récession irréversible.
Malgré les déclarations du gouvernement décrivant ces attaques comme un “effort juste”, prétendant même que “les nouvelles hausses d’impôts épargneront neuf français sur dix”, la plupart des mesures concernent évidemment les travailleurs. L’exemple le plus stupéfiant est le rétablissement de la “TVA sociale” 1 en 2014, dispositif imaginé par le gouvernement précédent que le candidat Hollande avait tant décrié, ensuite supprimé une fois élu... puis rétabli six mois plus tard !
C’est au nom de la “compétitivité nationale” que droite et gauche font payer la crise à la classe ouvrière. Selon la bourgeoisie, la cause de tous les maux de “la nation” est le coût trop élevé du travail par rapport à celui des pays “vertueux” comme l’Allemagne ou la Chine. Afin de faciliter la vente des marchandises nationales face à la concurrence étrangère, les travailleurs devraient patriotiquement accepter la misère croissante.
En fait, les motifs idéologiques pour justifier les plans de rigueur au nom de la compétitivité sont de grossiers mensonges. Les pays dans lesquels les ouvriers ont “courageusement accepté les sacrifices”, tels l’Irlande, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ont tous été emportés par le raz-de-marée de la crise économique. La vérité, la voici : la bourgeoisie n’a plus aucune solution à la crise du capitalisme. Pourquoi ? Parce que les électeurs font toujours le “mauvais choix” ? Parce que les politiciens sont méchants ? Parce que des “lobbies” tiennent en secret les “rênes du pouvoir” ? Rien de tout cela ! Le capitalisme est arrivé au bout de ses propres contradictions économiques et sociales. L’Etat n’a aucune solution parce qu’il n’y a plus de solution à la surproduction généralisée de marchandises face à laquelle la restriction des coûts salariaux est foncièrement impuissante, tout comme les “coups de pouce” et la “relance” préconisés par l’extrême-gauche.
Partout dans le monde, la classe ouvrière paye chèrement l’effondrement du capitalisme. De droite ou de gauche, libéraux, keynésiens, “pragmatiques” ou “socialistes”, les gouvernements du monde entier n’ont rien d’autre à offrir que la misère et le chômage.
En Espagne, par exemple, l’année 2013 ne s’annonce pas moins brutale que les précédentes : à lui seul, l’Etat central prévoit d’économiser quatorze milliards d’euros en coupes budgétaires et en hausses d’impôts ; les communautés et les provinces, qui assurent la gestion de budgets colossaux devraient naturellement ajouter leur pierre à l’édifice. En Italie, au Royaume-Uni, au Portugal, en Grèce, on observe partout les mêmes attaques, partout les mêmes sacrifices. Et le plus souvent, aux cures drastiques d’austérité s’ajoute l’inflation qui ronge le “pouvoir d’achat” des travailleurs et les pousse vers la misère, comme aux Pays-Bas où, en plus de la “discipline budgétaire”, le taux d’inflation n’a pas cessé d’augmenter depuis 2009 pour atteindre 3.2 % au mois d’octobre 2012.
Les prévisions mondiales de croissance s’annonçant déjà catastrophiques, nul doute que la bourgeoisie poursuivra ses attaques avec frénésie. Le prolétariat a néanmoins en lui les ressources pour résister par ses mobilisations où se forgent son unité et la conscience qu’il est la seule force sociale en mesure d’abattre le capitalisme.
El Generico (5 décembre)
1) Le taux normal de TVA est actuellement de 19,6 % et la France compte deux taux réduits de 7 % et 5,5 %. A partir de 2014, ces taux seront respectivement portés à 20, 10 et 5 %, soit une augmentation de presque sept milliards d’euros.
Nous publions, ci-dessous, la “Résolution sur la situation en France” que le XXe Congrès de Révolution internationale, section du CCI en France, a récemment adoptée.
Se trouve déjà confirmée, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, la poursuite de l’austérité. Contrairement aux mensonges de la campagne électorale, il n’existe aucune “sortie du tunnel” et la “croissance” promise n’est que celle du chômage et de la pauvreté ! Dans ce contexte de faillite généralisée, une cynique guerre des chefs déchire le principal parti de droite. Ce symbole d’une société qui pourrit sur pied illustre à quel point le seul avenir réside définitivement dans les futurs combats de la classe ouvrière.
Comme l’ensemble des grands pays européens, la France, subit l’impact de la très violente aggravation de la crise que connaît le capitalisme mondial depuis 2008. Cette aggravation est en train de franchir une nouvelle étape depuis la fin 2011 qui provoque une chute de la production dans la plupart des pays européens, notamment en France puisque depuis le quatrième trimestre 2011, les chiffres officiels annoncent que la croissance économique de ce pays est nulle.
Le fait que le taux de croissance en France ait moins baissé que dans les autres pays entre la fin 2009 et la fin 2011 devait déboucher sur une aggravation ultérieure plus importante : les amortisseurs sociaux et la faiblesse des plans d’austérité menés de 2008 à 2012 par l’équipe Sarkozy ont certes permis un plus faible impact immédiat de la crise sur la population, et notamment sur la classe ouvrière, mais ils ont été un facteur de détérioration accrue de la situation pour le capital français. Ainsi, la dette publique sera de 91 % fin 2012 alors qu’elle n’était que de 77,6 % en 2009 et cette évolution a, dès à présent, abouti à la suppression par l’agence Standard and Poor’s de la note AAA de la dette publique française signifiant que la signature de l’Etat français n’était plus tout à fait crédible.
Mais, surtout, cette dégradation de la situation du capital français par rapport à ses concurrents se traduit par un déficit commercial et une diminution des parts du marché mondial de la France qui sont passés de 5 % en l’an 2000 à 3,5 % en 2011 ce qui fait dire à l’économiste P. Artus que “La France détient le record du monde des pertes de parts de marché” 1.
L’affaiblissement de la compétitivité du capital français est amplifié par l’aggravation de la crise économique, mais elle a des causes plus anciennes. Elles proviennent de certaines caractéristiques propres à la bourgeoisie française : elle craint, depuis l’immense mouvement de mai 68, l’éventualité de luttes massives de la classe ouvrière si elle mène de trop fortes attaques de ses conditions de vie. C’est pour cela que la “politique de rigueur” prévue par la présidence Sarkozy n’étaient que de 29 milliards d’euros en 2012, c’est-à-dire un niveau bien inférieur à ce qu’ont réalisé des pays comme le Royaume-Uni et l’Italie, ou l’Allemagne il y a 10 ans.
Le poids de la petite bourgeoisie est encore important sur les partis de la droite française dont certaines fractions (ce fut le cas en particulier de J. Chirac) ne comprennent pas l’importance de la recherche-développement pour le capital des pays développés. C’est la raison pour laquelle cette dernière a baissé en pourcentage du PIB à partir de 2003.
Même si la bourgeoisie française a rattrapé partiellement ces handicaps en renforçant l’intensité du travail ce qui permet une productivité horaire très forte (dont un des résultats est un taux de suicide au travail en France parmi les plus élevés au monde), ce rattrapage n’est que partiel. Les entreprises, pour rester compétitives sont obligées de rogner sur leur taux de profit ce qui handicape leur possibilité d’investissement et accroît d’autant plus les pertes de compétitivité.
Dans ces conditions, dans le cadre d’une crise économique qui ne cesse de s’approfondir, le capital français n’a pas d’autre solution que de tenter de mener des attaques économiques de bien plus grande ampleur contre la classe ouvrière. C’est ce qu’est en train de faire le gouvernement Ayrault avec le dernier plan d’austérité de 37 milliards d’euros, soit plus de 1,7 % du PIB. Ce plan va représenter l’attaque la plus violente contre la classe ouvrière depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et comme nous le montre la situation de l’Espagne ou de la Grèce, de tels plans d’austérité ne peuvent que diminuer la demande et aggraver la situation du capital national, ce qui oblige à de nouveaux plans d’austérité. Contrairement à ce que les hommes politiques nous ont répété depuis quarante ans, le “bout du tunnel” n’est pas en vue ; le capitalisme est dans une impasse et la crise précipite la classe ouvrière de tous les pays vers une dégradation sans fin de ses conditions de vie, dégradation qui s’est accélérée de façon considérable ces dernières années.
En France, un des impacts les plus significatifs de l’aggravation de la crise depuis 2008 est une augmentation massive du chômage. Entre janvier 2008 et septembre 2012, le nombre de chômeurs à temps complet a augmenté d’un million pour dépasser aujourd’hui 3 millions. Et si l’on compte les chômeurs à temps partiel ce sont plus de 5 millions de personnes qui sont touchées.
Cette explosion du chômage n’est qu’une des raisons expliquant l’appauvrissement rapide d’une grande partie de la classe ouvrière ; le développement de la précarité, la baisse des salaires et l’exclusion de tous les régimes sociaux en sont les autres causes. Aujourd’hui, 9 millions de personnes (parmi lesquelles un tiers de familles monoparentales) vivent sous le seuil de pauvreté et 3,7 millions vivent avec moins de 600 euros par mois 2, et ce alors que le prix du logement engouffre une grande partie de leur revenu.
En fait, les mesures fiscales et de réduction des dépenses de santé du plan Ayrault rendent encore plus évident un phénomène partout à l’œuvre ces dernières années : ce sont les conditions de vie de l’ensemble de la classe ouvrière qui sont tirées vers le bas par l’aggravation de la crise et cela met toujours plus clairement en évidence que la situation de la classe ouvrière en Espagne et en Grèce montre l’avenir de la classe ouvrière en France.
Comme pour beaucoup d’autres pays, les conséquences de l’approfondissement de la crise sur la vie de la très grande majorité de la population ont provoqué en France une alternance politique. A cette tendance générale s’est ajouté le fait qu’une grande partie de la bourgeoisie ne souhaitait pas que N. Sarkozy garde le pouvoir, et ce pour plusieurs raisons :
– les initiatives brouillonnes et contradictoires qu’il a prises pendant son quinquennat ont globalement provoqué une dégradation de la position du capital français tant sur le terrain économique qu’au plan impérialiste ;
– du fait de l’agressivité et du rejet des couches ouvrières les plus déshéritées (chômeurs, immigrés), dont N. Sarkozy a fait un des thèmes majeurs de sa propagande, sa réélection aurait été ressentie par une partie importante de la classe ouvrière comme une provocation inutile ou même dangereuse.
Mais, en même temps, cette agressivité a permis à la bourgeoisie de faire de l’anti-sarkozysme un thème important en vue de mobiliser pour une campagne électorale dans laquelle le candidat socialiste – sachant la gravité de la situation du capital français – a tenté de ne promettre que le moins possible.
Le thème majeur de la campagne du candidat F. Hollande a été qu’il mènerait une politique de croissance, c’est-à-dire de relance, prenant le contre-pied de la politique de son prédécesseur. A l’encontre de cette promesse, c’est un plan d’austérité qui a été décidé et qui, de plus, n’est qu’une amplification de celui mené par le gouvernement Fillon-Sarkozy. Quant à la promesse d’une renégociation du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en zone Euro (TSCG), elle s’est envolée dès le candidat élu. Seul a été sauvegardée, lors du sommet de l’Euro du 19 juin, l’idée d’une “relance européenne” (permettant que ne soient pas reniées en quelques semaines toutes les promesses du candidat) mais les 100 milliards de dépenses supplémentaires décidées devront être, il va de soi, financées ce qui ne peut qu’ajouter à la montagne de dettes qui menace en permanence la finance et l’économie mondiales. D’autre part, si, à l’occasion de ce sommet, Hollande paraît s’être plus rapproché des pays de la zone euro en difficulté (Italie et Espagne) que ne l’avait fait Sarkozy, c’est d’abord parce que l’Allemagne ne peut plus maintenir, comme elle le faisait, la défense d’une politique d’austérité rigide car il est chaque jour plus évident qu’une telle politique ne peut que provoquer l’éclatement de la zone Euro.
Si la nouvelle équipe au pouvoir ne retombe pas dans la politique faite d’improvisations et de coups de menton qui était celle de Sarkozy, le contenu de la politique impérialiste des deux équipes est fondamentalement la même.
Tout d’abord, l’arrivée de Sarkozy au pouvoir a impliqué un rapprochement avec les Etats-Unis, et donc une rupture avec la politique d’opposition à cette puissance que la France pratiquait depuis l’effondrement de l’URSS. Le fait le plus marquant de cette politique est le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. La déstabilisation du monde arabe a accru le besoin de ce rapprochement car les deux pays y ont des positions à défendre alors que cette déstabilisation peut être utilisée par l’Iran, la Chine et la Russie pour avancer leurs propres positions. Malgré toutes les proclamations de F. Hollande sur le retrait des troupes françaises d’Afghanistan qui n’est intervenu que quelques mois avant la date prévue par N. Sarkozy, la nouvelle équipe au pouvoir pratique par rapport aux Etats-Unis la même politique ; elle est d’ailleurs célébrée, non sans prétention, par F. Hollande : “Quand les Etats-Unis et la France sont d’accord, le monde avance”. Ainsi, la nouvelle place de la France dans l’OTAN n’a pas été remise en cause et les deux pays sont conjointement en train d’organiser une force d’intervention au Mali et ont la même position par rapport à la Syrie.
En Europe, l’affaiblissement économique de la France par rapport à l’Allemagne la pousse à défendre toujours plus l’existence de l’Union européenne et de la zone Euro car les institutions européennes sont un tremplin important pour que l’impérialisme français puisse avoir un certain poids dans l’arène mondiale. C’est pour cela que la défense des institutions européennes, malgré les désaccords qui existent entre la France et l’Allemagne sur la gestion économique de la zone euro, ont été et sont un élément important de la politique impérialiste tant de la présidence de N. Sarkozy que de celle de F. Hollande.
Sur le continent africain, F. Hollande, comme N. Sarkozy l’avait fait avant lui, fait tout pour maintenir une influence importante de l’impérialisme français dans les zones qui étaient ses chasses gardées et qui sont aujourd’hui les cibles d’autres grandes puissances comme les Etats-Unis et la Chine. La puissance américaine a déjà pris le dessus dans la région des Grands Lacs alors qu’elle s’implante de plus en plus au Sahel (bases militaires américaines en Mauritanie et au Burkina Faso) et au Maghreb (“facilités militaires” en Algérie) et qu’elle porte une responsabilité dans le présent chaos malien pour être proche tant du responsable du récent coup d’Etat, le capitaine Sanago, que du président destitué Amadou Toumani Touré. En même temps, la Chine a supplanté la France et les Etats-Unis en termes d’échanges commerciaux avec le continent africain et on voit s’accroître son influence diplomatique dans plusieurs pays francophones (Côte d’Ivoire, Gabon, Niger, RDC, etc.). C’est ce qui permet de comprendre que le rapprochement franco-américain s’applique aussi à l’Afrique malgré les croupières que la puissance américaine a taillées dans les intérêts français et c’est dans cette logique que l’on a vu la France et les Etats-Unis coopérer dans les guerres civiles en Côte d’Ivoire et en Lybie. Même si elle n’a plus les moyens de ses ambitions, la bourgeoisie française n’est pas disposée à renoncer de son plein gré à ses positions en Afrique. La politique de la France au Mali, les relations entretenues avec le président F. Ouattara de Côte d’Ivoire, la réunion à Malte du sommet 5+5 qui a créé une force de police commune pour lutter contre l’immigration clandestine dans les pays européens, l’organisation à Kinshasa du sommet de la francophonie montrent l’importance que l’impérialisme français continue d’accorder à sa présence en Afrique et le mensonge que représente la proclamation par le candidat socialiste de la fin de la Françafrique.
Comme toujours depuis 1914, le Parti socialiste reste un défenseur déterminé des intérêts impérialistes de la bourgeoisie française.
Cette défense déterminée des intérêts bourgeois, on la retrouve évidemment dans la politique menée par le gouvernement socialiste pour faire passer les attaques toujours plus violentes contre le niveau de vie de la classe ouvrière imposées par l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme. Plusieurs méthodes sont utilisées à cet effet.
La première méthode est le mensonge pur et simple. Ainsi, on donne l’illusion à chaque travailleur que si, individuellement, son revenu diminue, ce n’est pas vrai pour les autres exploités et qu’il est donc vain d’en attendre une mobilisation. De même, à l’encontre de la propagande sur le soutien de la croissance économique par le gouvernement, ce dernier est en train de retarder ou d’annuler une série de grands travaux prévus dans le ferroviaire et le fluvial. De même aussi, derrière la propagande gouvernementale affirmant que l’augmentation des impôts ne frappera que les riches, il y a la réalité d’une augmentation qui frappera même des revenus inférieurs de 16 % à celui du salarié qui gagne le SMIC à plein temps. Dans le même sens, l’agitation très médiatisée du ministre du Redressement Productif A. Montebourg est faite pour donner l’illusion que le gouvernement agit pour sauver usines et emplois alors que les fermetures d’usines se succèdent et que le chômage augmente à une vitesse record.
Ce règne général du mensonge éhonté a pour but de donner un peu plus d’efficacité à l’utilisation que la bourgeoisie française a faite de la victoire du candidat de “gauche” : gagner du temps par rapport aux probables expressions de combativité du prolétariat en France.
Le PS au pouvoir utilise une arme plus redoutable encore que le mensonge ouvert ; il s’agit, de façon pernicieuse, de renforcer les handicaps que rencontre la classe ouvrière dans le développement de sa conscience. Dans la mesure où les grandes masses ouvrières ne sont pas encore parvenues à comprendre la nécessité et, surtout, la possibilité d’une autre société, toute la propagande gouvernementale martelant que la seule possibilité est dans la mise en œuvre d’une “rigueur” de manière juste, c’est-à-dire en favorisant les “pauvres” au détriment des “riches” vise à répandre un rideau de fumée devant la réalité des attaques capitalistes et aussi à renforcer l’idée que vouloir en finir avec le capitalisme et instaurer le communisme est un rêve chimérique.
Si les expressions de combativité se sont caractérisées, comme dans les autre pays, par un éparpillement des luttes, la violence des attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière que provoque la crise économique va pousser les ouvriers vers des expressions de combativité d’une ampleur croissante. Ceci est vrai pour la classe ouvrière de tous les pays et c’est aussi, et surtout, vrai pour la France, car justement, la classe ouvrière de ce pays a une tradition de mobilisations massives.
Cette tradition explique pourquoi, contrairement à des pays comme l’Espagne et le Royaume-Uni, des mouvements analogues à celui des Indignés ou d’Occupy Wall Street n’ont pas réellement eu lieu en France. La cause réside dans le fait que, contrairement aux autres pays, la combativité de la classe ouvrière de ce pays s’était déjà concrétisée par des mobilisations massives comme la lutte contre le CPE en 2006 et, plus récemment, contre la réforme des retraites. De ce fait, le besoin de tels mouvements pour exprimer son mécontentement était moins ressenti au sein de la classe ouvrière ce qui veut dire que l’absence de mouvement analogue à celui des Indignés en France ne signifie pas que la classe ouvrière de ce pays aurait un retard particulier par rapport à celle des autres pays développés tant au plan de sa combativité que de sa prise de conscience. En particulier, les éléments de cette prise de conscience qu’on a pu observer au sein des jeunes générations de la classe ouvrière lors de la lutte contre le CPE en 2006 étaient très similaires à ceux qu’on a pu constater dans le mouvement des Indignés en 2011, par exemple en Espagne, sachant que l’aggravation considérable de la crise entre ces deux dates ne pouvait que renforcer la compréhension de l’impasse politique dans laquelle s’enfonce le capitalisme.
Malgré les gros handicaps qui entravent la classe ouvrière (perte de son identité de classe et absence de perspectives) autant en France que dans les autres pays, la vitesse avec laquelle la dégradation des conditions de vie va se poursuivre va pousser les exploités à tenter d’exprimer leur combativité comme on le voit en ce moment avec les manifestations massives qui ont lieu au Portugal, en Espagne et en Grèce. Même si l’habillage idéologique avec lequel la bourgeoisie tente de faire passer ces attaques va retarder et rendre plus difficiles l’explosion de luttes, il n’est pas suffisant pour l’empêcher.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu en France et dans les autres pays, depuis quelques années, l’aggravation de la crise et les difficultés de la classe ouvrière ne peuvent que pousser des minorités à se rassembler soit pour impulser la lutte, soit pour tenter de comprendre les enjeux de la période. Le phénomène d’apparition de ces minorités, même s’il est peu visible est important car il est une manifestation du fait que la classe ouvrière garde toutes ses potentialités ; ces minorités seront un des moteurs pour le déclenchement des luttes à venir et leur développement.
à l’image de l’ancien ministre A. Madelin qui proclame que “le pays est au bord de la rupture sociale”, les médias spécialisés sur les questions économiques ne laissent pas de doute sur le fait que la bourgeoisie a bien conscience tant de la poursuite de l’aggravation de la crise que de la probabilité de mouvement sociaux importants qu’elle qualifie déjà de “chaos social”.
Pour faire face à ce risque, la bourgeoisie compte principalement sur les syndicats comme elle l’a fait en 2010 lors de la réforme des retraites pour laquelle Sarkozy avait donné la gestion de l’encadrement de la lutte à l’intersyndicale et, au premier chef, à la CGT. C’est d’ailleurs en bonne partie pour tenter de renouveler la crédibilité des syndicats face au questionnement qui existe sur le thème “comment lutter” qu’un changement de leurs dirigeants est en cours.
A l’image de ce qui se passe dans les autres pays européens, les manœuvres syndicales se développent ou vont se développer dans deux directions. D’abord en polarisant l’attention, main dans la main avec le gouvernement, sur des attaques particulières très médiatisées comme la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois ou celle de l’aciérie de Florange. Cela permet de développer au maximum l’idée que le problème n’est pas celui de la classe ouvrière en général mais des ouvriers de telle ou telle usine et, en stigmatisant tel ou tel patron, d’empêcher de comprendre que c’est le capitalisme qui est en cause. Le deuxième axe que les syndicats préparent est celui de journées d’action qui auront, pour le moment, la fonction, de défouler le mécontentement, tout en cherchant à démontrer qu’il est inefficace de vouloir une extension de la lutte au-delà de l’entreprise. Enfin, on ne peut pas avoir de doute qu’à un moment où le mécontentement et l’envie de se battre deviendront plus grands au sein d’une partie de la classe ouvrière, la violence minoritaire et stérile sera aussi utilisée pour renforcer l’idée de l’inutilité de la lutte.
Alors qu’il existe une réelle réflexion chez une minorité significative d’ouvriers sur les perspectives, la bourgeoisie a besoin d’un relais politique à l’action des syndicats. Les élections présidentielles lui ont permis la mise en avant du leader du Front de gauche J.-L. Mélenchon du fait de ses capacités tribunitiennes, et aussi du soutien de l’appareil du PCF. La bourgeoisie a bien compris que, pour garder sa crédibilité, le Front de gauche ne devait pas entrer dans le gouvernement socialiste, même si cela a fait grincer les dents d’un certain nombre de caciques du PCF qui étaient habitués aux bénéfices que permet d’obtenir le fait d’être dans l’équipe dirigeante d’un parti de gouvernement. Le rôle de relais politique des syndicats s’appuie aussi sur l’idéologie nationaliste que la bourgeoisie, de manière unanime, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, développe pour empêcher que la classe ouvrière ne parvienne à réfléchir à la seule perspective possible, c’est-à-dire au renversement du capitalisme à l’échelle mondiale et à la nécessaire solidarité des prolétaires de tous les pays.
Les groupes trotskistes n’ont joué qu’un faible rôle dans un passé récent pour les raisons suivantes :
– ils ont eu une attitude très suiviste à l’égard des grands syndicats lors du mouvement contre les réformes des retraites ;
– la bourgeoisie a mis Mélenchon sous les feux des médias pendant les élections présidentielles, ce qui a mis au second plan les candidats trotskistes qui, d’ailleurs manquaient d’envergure.
Cela ne veut pas dire que ces organisations ne seront pas amenées à jouer un rôle important dans l’avenir. Le slogan de la campagne de la candidate de Lutte ouvrière “Nathalie Arthaud, une candidate communiste à l’élection présidentielle” est significatif à cet égard : il s’agit de prendre date pour le moment où un nombre significatif d’ouvriers comprendront que la seule perspective est le communisme ; à ce moment-là, l’organisation Lutte ouvrière fera ce qu’elle a toujours fait : dévoyer et discréditer le communisme en le faisant passer pour le capitalisme d’Etat.
Des mobilisations massives de la classe ouvrière sont probables, en France comme dans les autres pays, dans les années à venir. A l’image de ce que le CCI a fait par rapport aux révoltes arabes, et au mouvement des “Indignés” et des “OWS”, les révolutionnaires auront comme responsabilités :
– de comprendre le sens de ces mouvements ;
– de montrer comment ils font partie et annoncent les mouvements par lesquels le prolétariat retrouvera son identité de classe ;
– de dénoncer toutes les manœuvres des forces de la bourgeoisie pour en bloquer ou dévoyer le développement ;
– de défendre au sein de la classe ouvrière les voies par lesquelles ces mouvements pourront se développer.
Enfin, il appartiendra aux révolutionnaires de mettre à profit les interrogations de plus en plus répandues que ces mouvements feront surgir parmi les travailleurs, les chômeurs, les étudiants-futurs chômeurs ou exploités pour mettre clairement en avant la seule perspective “réaliste” face à l’effondrement de l’économie capitaliste et à la barbarie croissante qu’il provoque : le renversement de ce système par la classe exploitée dont les luttes présentes ne constituent que les préparatifs.
RI (9 décembre)
() Le Monde, 6 février 2012.
() Martin Hirsch à l’adresse http ://www.expression-publique.com/interview_reaction.php [359] ?type=iv&id=33
“Le problème des hauts fourneaux de Florange, ce n’est pas les hauts fourneaux de Florange, c’est Mittal”. “Nous ne voulons plus de Mittal en France parce qu’ils n’ont pas respecté la France” (1. Le ministre du Redressement productif, excusez du peu, a dernièrement bombé le torse face à la famille indienne Mittal, propriétaire du site sidérurgique ArcelorMittal de Florange, où près de 500 salariés risquent d’être bientôt jetés à la rue. Arnaud Montebourg a même été jusqu’à “menacer” ces “patrons-voyous” de nationaliser l’usine.
Disons-le tout net : il s’agit là d’une véritable arnaque contre la classe ouvrière ! D’abord, en braquant les projecteurs sur le seul site de Florange, une ombre gigantesque est jetée sur les plans de licenciements incessants qui tombent partout ailleurs, comme le prouve la hausse continuelle et spectaculaire du chômage. Ensuite, les 500 salariés d’ArcelorMittal sont aujourd’hui baladés de promesses en promesses pour mieux être abandonnés à leur triste sort demain. Enfin, leur défaite sera d’autant plus cuisante qu’ils seront isolés face à la propagande gouvernementale qui en aura fait un cas spécifique, coupé de leurs frères de classe pourtant victimes, hier, aujourd’hui ou demain, des mêmes attaques.
“Ministre du Redressement productif” ! Ce titre fait penser aux noms donnés par George Orwell aux ministères dans son magnifique roman d’anticipation, 1984. Dans cet ouvrage, le “ministère de la Paix” s’occupe en fait de la guerre ; le “ministère de la Vérité” est celui de la propagande et du mensonge ; le “ministère de l’Amour” s’occupe de la torture et le “ministère de l’Abondance” organise la famine. Dans le monde réel, le “ministère du Redressement productif” orchestre les vagues de licenciements massifs afin que ce fléau engendre le moins de résistance ouvrière possible.
Et il ne s’agit pas là de mettre en cause Arnaud Montebourg ou qui que ce soit d’autre. Les ministres, de gauche ou de droite, d’extrême-gauche ou d’extrême-droite, dans tous les pays, font toujours ce que leur fonction exige : défendre l’Etat et la nation… capitalistes ! Là est le cœur du problème, là est le plus grand mensonge de toute la propagande actuelle. A travers tout ce bruit médiatico-politique sur la “menace” de nationalisation, la bourgeoisie aimerait nous faire croire que l’Etat peut protéger les salariés. Mensonges ! L’Etat est le pire des patrons ! Qui, sous le nom de “réformes”, mène sans cesse des attaques générales contre nos conditions de vie ? Qui réduit continuellement l’accès aux soins, augmente l’âge de départ à la retraite et diminue les pensions ? Qui a rendu impossible la vie aux chômeurs en les culpabilisant, en les radiant massivement des statistiques officielles et en restreignant drastiquement leurs droits ? Et qui s’apprête à cogner encore plus dur sur nos têtes ? L’Etat, toujours l’Etat et encore l’Etat !
Quant aux nationalisations pour le bien-être des ouvriers, parlons-en ! Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’importante vague de nationalisations avait pour objectif de remettre sur pied l’appareil productif détruit en augmentant les cadences de travail. Rappelons-nous les paroles de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti “communiste” français, alors vice-président du gouvernement dirigé par Charles De Gaulle : “Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront”, “Retroussez vos manches pour la reconstruction nationale !” “La grève est l’arme des trusts”. Bienvenue dans le monde merveilleux des entreprises nationalisées !
“L’Etat moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’Etat des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble” (F. Engels en 1878). L’Etat, ce Moloch capitaliste, est viscéralement anti-prolétarien ; l’émancipation de l’humanité passe par sa destruction.
Pawel (3 décembre)
1) Les Échos du lundi 26 novembre.
Nous publions ci-dessous un texte largement inspiré d’un article que nos camarades des Etats-Unis ont publié après l’élection d’Obama. L’intégralité de cet article est disponible sur notre site en anglais (en.internationalism.org [360]).
L’élection présidentielle de 2012 s’est conclue par un résultat positif pour les fractions les plus conséquentes de la bourgeoisie américaine. En battant son rival républicain, Mitt Romney, le président Obama a offert au Parti démocrate de diriger l’Etat quatre années supplémentaires.
Après l’élection, les médias ont fait un tapage assourdissant : Obama a remporté une victoire écrasante avec 332 voix du Collège électoral contre 206 pour Romney, nous dit-on. Il a battu son rival avec plus de 3 millions de votes populaires d’avance. Les scénarios apocalyptiques d’une nouvelle élection contestée, comme celle de 2000, sont réduits à néant. […] Les Républicains lèchent encore les blessures d’une raclée électorale qui les a même vus perdre plusieurs de leurs sièges au Sénat. […] Finalement, après quatre ans d’obstructionnisme obstiné, le GOP 1 va être contraint d’adopter un discours plus rationnel et revenir sur les grandes négociations autour de la réduction du déficit que la bourgeoisie américaine n’a pu traiter durant le premier mandat d’Obama.
Certains experts s’attendent même à ce que les résultats de l’élection marquent la fin de l’influence grandissante du Tea Party au sein du Parti républicain et soulignent que les éléments les plus rationnels pourront à présent s’affirmer et reprendre en main le parti. D’autres prévoient encore une véritable guerre au sein du GOP car ses positions racistes actuelles, sa politique sexuelle rétrograde, ses théories conspiratrices, sa défense des thèses créationnistes comme anti-scientifiques et sa haine des immigrés sont de plus en plus incompatibles avec l’exercice sérieux de la présidence et constituent une entrave réelle au retour de ce parti au gouvernement.
Mais, en dépit de ces diverses interprétations, le résultat de l’élection, et la campagne qui l’a précédée, confirment notre analyse selon laquelle nous assistons au développement d’une “crise politique” profonde au sein de la bourgeoisie américaine 2.
Le poids de la décomposition sociale au sein de la bourgeoisie américaine
Nous pouvons examiner les caractéristiques principales de cette crise selon plusieurs axes.
Les effets de la décomposition sociale exercent plus que jamais une force centrifuge au sein de la bourgeoisie elle-même menant à une incapacité croissante de certaines fractions de celle-ci d’agir dans l’intérêt global du capital national. Toutefois, ce processus n’a pas affecté de la même manière toutes les fractions de la bourgeoisie. Le Parti républicain est particulièrement touché par une dégénérescence idéologique, remettant en cause sa capacité à agir comme parti de gouvernement bourgeois crédible.
L’incapacité de la bourgeoisie à trouver une solution à la crise économique persistante a renforcé les tendances vers des luttes intestines au sein de la bourgeoisie. La décomposition idéologique du Parti républicain signifie qu’il tend à abandonner toute aptitude à gérer la crise économique d’une manière rationnelle, en retombant dans un dogmatisme économique conservateur complètement discrédité et en gaspillant son énergie dans des politiques antisyndicales qui menacent de dépouiller l’Etat de son meilleur rempart contre la classe ouvrière.
Compte-tenu de la situation actuelle, il était trop risqué pour les fractions de la bourgeoisie les plus responsables de remettre à nouveau au Parti républicain la charge du gouvernement national. Et cela, malgré le poids de la crise économique et la nécessité d’adopter une brutale politique d’austérité, alors même que ce contexte devrait pousser la bourgeoisie à ménager dans l’opposition la gauche de son appareil politique afin de mieux préparer les conditions permettant d’encadrer les futurs expressions de la colère ouvrière.
A cause de la dégénérescence du Parti républicain, les Démocrates sont laissés au pouvoir pour diriger le gouvernement national et devront mener la politique d’austérité nécessaire à la défense du capital national. Cela risque de perturber la division idéologique traditionnelle du travail au sein de la bourgeoisie, rendant les Démocrates directement responsables des douloureuses coupes dans les programmes sociaux à venir, à l’inverse de la rhétorique qu’ils ont utilisé pendant la campagne électorale sur la relance de l’économie.
Les fractions les plus responsables de la bourgeoisie sont confrontées à une situation dans laquelle il est plus difficile d’imposer sa volonté sur le processus électoral. La décomposition idéologique du Parti Républicain s’est accompagnée d’un durcissement idéologique généralisé de la société elle-même et le pays se retrouve plus divisé qu’avant en deux blocs politiques – à peu près de taille égale. La présidence d’Obama, tout en fournissant une revitalisation du mythe électoral, notamment parmi les minorités victimes du racisme et stigmatisées par les huit années de la présidence Bush, a seulement suscité un durcissement encore plus marqué et beaucoup plus durable de la droite.
Que peut attendre la classe ouvrière de la réélection d’Obama ?
Nous ne devons avoir aucune illusion sur ce que le second mandat d’Obama signifie pour la classe ouvrière. On peut le résumer en un simple mot : austérité. […] La seule question est de savoir quelle sera la profondeur des attaques et à quel rythme elles seront portées.
C’est en réalité tout à fait simple. La bourgeoisie américaine, qu’elle soit démocrate ou républicaine, de gauche ou de droite, est dans son ensemble d’accord pour dire que les perspectives budgétaires des Etats-Unis sont parfaitement insoutenables. Ils partagent tous la vision que des “réformes” devront s’ajouter aux programmes “prévus” pour tenter de mettre un frein au déficit. […] Il est vrai que les positions défendues par l’ex-candidat à la vice-présidence, Paul Ryan, comme la transformation du Medicare 3 en un système de bonus, était trop draconiennes pour être raisonnablement mise en place actuellement. Il est également vrai que les principales fractions de la bourgeoisie rejettent le mensonge grossier selon lequel la sécurité sociale doit être davantage privatisée afin d’être “sauvée”. Mais cela ne signifie pas qu’ils s’efforceront de préserver ces programmes tels qu’ils sont. Au contraire, de douloureuses attaques sont à prévoir.
Le président Obama a déjà exprimé sa volonté de réduire les programmes sociaux. Il s’agit d’ailleurs d’un élément essentiel du prétendu “grand pacte” issu du processus de négociation avec John Boehner, le président républicain de la Chambre des représentants, lors de la crise de l’été 2011 autour du plafond de la dette de l’Etat. La seule vraie différence en la matière a simplement été le désir du président d’envelopper les coupes du budget de la santé par quelques augmentations d’impôts des plus riches afin de vendre sa camelote à la population avec la rhétorique politicienne bien connue du “sacrifice partagé”.
Seule l’intransigeance du Tea Party a empêché Boehner d’accepter ce “grand pacte”, contraignant le Congrès à des compromis complexes qui posent la nécessité pour la bourgeoisie américaine d’imposer par la force les augmentations automatiques de taxes et les coupes drastiques dans les dépenses budgétaires, et ceci, dès le début de l’année prochaine.
En fait, les commentateurs politiques affirment déjà qu’il s’agit du réel enjeu de l’élection. En effet, Obama a désormais le capital politique dont il a besoin pour forcer les Républicains qui sont toujours majoritaires à la Chambre des représentants à négocier un marché qui, au moins, inclura quelques augmentations d’impôts pour les riches qui pourront, le moment venu, être vendues à la population comme des “sacrifices partagés”. La gauche du Parti démocrate peut crier qu’elle veut “protéger les Big Three” 4, mais peut-on douter réellement que suite à l’accord qui sera signé, ils n’essayeront pas de nous vendre l’idée que cela aurait été pire si les Républicains contrôlaient la Maison Blanche ? Ou essayer de nous sensibiliser à nouveau sur le fait qu’au moins les milliardaires ne seront pas exclus de ce “partage plus juste des sacrifices” ? Mais que restera-t-il exactement de cette aide aux bénéficiaires de Medicare qui ont vu fondre leurs maigres avantages ou grimper leurs prélèvements ? Que restera-t-il de ces mineurs du charbon, âgés de 65 ans, qui devront désormais attendre une ou deux années de plus pour toucher leur pension de retraite ?
Le mieux que les commentateurs puissent faire sur la relance économique est de rappeler les jours glorieux où le président Clinton avait augmenté les taxes et équilibré le budget tout en se présentant comme le président de la “plus grande expansion économique de l’histoire américaine”. Cette vision à courte vue et a-historique de la bourgeoisie fait qu’elle a perdu la mémoire sur le fait que la grande partie de cette prétendue “croissance” des années Clinton était le résultat d’une explosion de la dette alimentée par la réserve monétaire et qu’elle a engendré une véritable bulle spéculative qui a conduit à l’actuelle récession !
Ils semblent croire que les recettes de l’ère Clinton peuvent être ressuscitées et appliquées aujourd’hui, sans considération du contexte économique et historique. Nous ne savons pas si l’administration Obama croit réellement dans cette campagne médiatique qui dit combien l’économie ira mieux sous sa gouvernance. Qu’importe, même si elle reconnaît la nécessité de plus de relance, elle ne pourra rien faire dans ce sens. Quel que soit le nouveau mode de coopération que le Parti républicain va adopter à la suite de sa cuisante défaite électorale, il est peu probable qu’il adhère à une nouvelle politique de relance économique. La Réserve fédérale a récemment été appelée à agir de son propre chef en achetant davantage de valeurs hypothécaires, mais les économistes les plus sérieux sont d’accord pour dire que cela ne fera pas plus d’effet sur l’économie qu’une petite piqûre d’insecte sur le dos d’un éléphant.
En dernier lieu cependant, même s’il y avait une volonté politique pour une telle tentative de relance économique, on ne sait pas d’où viendrait tout l’argent : de la planche à billets ? De plus d’emprunts à la Chine ? Tout cela contrarierait directement le besoin pressant de réduction du déficit. La bourgeoisie est vraiment prise entre deux feux. Même si elle pouvait relancer l’économie une nouvelle fois, ceci ne ferait – à la fin – qu’aboutir à rien de plus qu’un coup d’épée dans l’eau.
Il résulte de tout cela que la victoire d’Obama n’en est pas une pour la classe ouvrière. Au contraire, il sait qu’il a désormais assez de crédit politique pour renforcer les programmes d’austérité qu’il a planifiés et que le capital national exige. Bien qu’il reste un danger pour la bourgeoisie que le Parti démocrate soit perçu comme le parti qui a présidé aux coupes drastiques, ce fait est tempéré à un certain degré par le succès idéologique qu’a eu l’administration Obama à vendre à la population le fait que sous les Républicains, les mesures auraient été pires. C’est principalement pour cette raison, plus qu’avec une profonde conviction ou un soutien à la politique d’Obama, que beaucoup d’ouvriers sont allés aux urnes et ont voté pour les Démocrates. La logique du moins pire semble avoir prédominé 5.
Mais les ouvriers qui ont encore des illusions dans la présidence d’Obama, qui croient encore qu’il peut “sauver la classe moyenne” ou qu’il est une sorte de champion des “droits des ouvriers”, n’ont pas besoin de chercher plus loin que les événements survenus pendant la grève des enseignants de Chicago pour avoir une réelle compréhension du point de vue du chef de la Maison Blanche sur ces problèmes. Nous ne devons pas oublier que ce sont les copains du président qui ont porté les coups sur les enseignants 6. Peut-on sérieusement douter sur le fait que leur conception du secteur éducatif – en réalité pour toute la classe ouvrière – est intimement partagée par le président lui-même ? En effet, la personne à l’origine du plan de réforme du système scolaire de Chicago n’était autre que l’ex-conseiller à l’école de Chicago, Arne Duncan – actuel secrétaire d’Etat à l’Education d’Obama.
Nous devons affirmer contre tous les calculs électoraux possibles que les intérêts de la classe ouvrière sont ailleurs – dans ses luttes autonomes pour défendre ses conditions de vie et de travail. Il est compréhensible que les ouvriers craignent les mesures draconiennes préconisées par le Parti républicain. Il est tout à fait possible que ce parti ait en réalité perdu la tête et n’hésiterait pas à mettre en place la politique la plus rétrograde au niveau national, s’il revenait au gouvernement. Cependant, cela signifie-t-il que nous devrions nous attendre à plus de mansuétude de la part des Démocrates ? Certainement pas ! Il est clair que, à ce niveau, la seule vraie différence entre les deux partis est le rythme et la force avec lesquelles les attaques vont tomber sur nous. Au bout du compte, les deux routes conduisent au même endroit. Lorsque nous votons Démocrates, c’est nous, ouvriers, qui donnons des coups d’épée dans l’eau. La seule véritable solution pour nous défendre est de reprendre le chemin de nos luttes autonomes autour de nos problèmes de classe.
De notre point de vue, la réélection du président Obama ne prédit pas une nouvelle ère de paix, de prospérité et de coopération.
Bien qu’il y aura probablement une tentative des fractions les plus rationnelles du Parti Républicain soucieuses de se démarquer et de regagner du crédit face au Tea Party, il n’y a pas de garantie qu’elles y parviendront. De plus, ce serait une erreur de réduire les problèmes de la bourgeoisie américaine à cet aspect seulement. Les défis qu’elle connaît sont immenses et selon toutes probabilités insurmontables. Pour la classe ouvrière, la conclusion est claire : il n’y a pas de salut dans la politique électorale bourgeoise. Nous ne pouvons défendre nos intérêts que sur un terrain fondamentalement différent.
Henk (14 novembre)
1 Great Old Party, surnom du Parti républicain.
2 Voir aussi sur notre site en français la traduction de l’article “Aux Etats-Unis, scandale à propos de ‘la suppression d’électeurs’ : tromperie politique et illusion démocratique”.
() Il s’agit du système d’assurance-maladie américain
3 Ce sont les mots du tenant et porte-parole de l’aile gauche du Parti démocrate, Ed Schultz, pour parler de la Sécurité sociale, du Medicare (système d’assurance-santé) et du Medicaid (système d’assurance maladie pour les plus démunis).
4 On doit noter, cependant, que la participation électorale était de 10 % inférieure cette année à celle de 2008.
5 Voir notre tract “Solidarity with the Chicago Teachers”
en.internationalism.org/internationalismusa/201209/5162/solidarity-chicago-teachers)
Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits d’un article de notre section aux Etats-Unis sur la catastrophe provoquée par le passage de l’ouragan Sandy sur les côtes américaines.
Dans le monde entier, les gens ont vu les images de destruction de villes côtières et la désolation de centaines de milliers de personnes sans toit – 40 000 dans la seule ville de New-York. Cela rappelle, entre autres, l’ouragan Katrina de 2005, la tornade à Joplin (Missouri) et l’ouragan Irène de l’année dernière. Chaque fois, la même question se pose : alors qu’avec le réchauffement climatique, l’élévation du niveau des mers et les changements dans les courants marins, il est reconnu que la fréquence des tempêtes ne va faire que croître, pourquoi rien n’est fait pour empêcher ces événements climatiques d’engendrer dégâts, catastrophes et disparitions de vies humaines ?
Après le “super-ouragan Sandy”, la plupart des blâmes face à la souffrance subie par les populations ont porté sur le choix individuel qu’ont fait certains de ne pas quitter leur maison pour rejoindre des abris. Évidemment, depuis les critiques qu’avait déclenchées la réponse à l’ouragan Katrina en 2005, la classe dominante a l’intention de redorer l’image de l’Etat. Dans une tentative de restaurer la confiance des masses, elle a besoin de propager l’idée d’un Etat capable de sauvegarder la protection de la population. En vérité, l’Etat n’est même pas capable de remplir la tâche de rendre la communication plus rapide entre les différentes agences fédérales en charge d’avertir des dangers potentiels d’une tempête. Selon les paroles de Bryan Norcross, un météorologiste respecté depuis plus de 20 ans, “elle (l’Administration nationale des océans et de l’atmosphère, NOAA) a fait des prévisions remarquables. La puissance de sa prévision était fondamentalement parfaite et sa prévision de l’arrivée de la tempête sur New-York était aussi juste qu’une prévision peut l’être de nos jours”. D’ailleurs, maintenant, les prévisions de tempêtes potentiellement destructrices peuvent se faire très précisément une semaine avant qu’elles n’arrivent sur la terre ferme. Mais le Centre national des ouragans a choisi de ne donner l’alerte à la tempête que la veille du jour où l’ouragan Sandy a frappé les terres.
De toutes les façons, fondamentalement, il semble impossible, dans les conditions actuelles de “développement” urbain sous le capitalisme, d’organiser une protection rationnelle et une évacuation de zones à risque pour plusieurs raisons :
1. le nombre énorme de gens vivant dans ces zones ;
2. le manque d’infrastructures mobilisables et adéquates pour évacuer et fournir un abri aux gens à la suite d’une tempête ;
3. la destruction de l’environnement naturel et le développement urbain continu de zones entières qui ne devraient pas être utilisées à des fins urbaines ;
4. le transfert de gigantesques ressources financières, humaines et techniques vers des objectifs militaires.
Dans le cas du New Jersey, qui a été durement frappé par la tempête, la plupart des communautés sur la barrière d’îles qui borde la côte ont été développées pour attirer les touristes et les résidents d’été. Pendant des décennies, les digues en béton, les jetées rocheuses ou les autres barrières de protection ont doublé la barrière d’îles pour impulser le développement de l’industrie touristique. Les immeubles, les maisons, les routes, encerclent les plages, ce qui contribue significativement à rendre les zones de peuplement plus vulnérables à l’élévation du niveau des mers et aux tempêtes, à la détérioration qui s’en suit de la protection naturelle assurée auparavant par les plages non exploitées. Les plages non exploitées s’avèrent utiles lors des tempêtes. Leur sable se déplace ; les îles servant de barrière peuvent même migrer vers la terre et de cette façon la protéger. Mais les exigences du profit capitaliste, plutôt que d’harmoniser les principes de la nature avec les besoins humains, sont ce qui détermine le choix de continuer à développer des plages artificielles. Dans la logique du capitalisme, les avantages économiques, même temporaires, l’emportent sur le coût de la protection des vies humaines.
La ville de New-York a subi un sort identique, mais à une beaucoup plus grande échelle. Maintenant que le “super-ouragan” Sandy est passé et que chacun réalise à quel point la ville et ses millions d’habitants sont vulnérables, la cacophonie inévitable sur ce qu’il faudrait faire à l’avenir recommence. Des propositions pour des aménagements artificiels de ce qui étaient les barrières naturelles de protection du port sont à l’étude. Certaines de ces propositions sont très intéressantes et créatives ; certaines prennent même en compte l’utilisation de tels projets pour des loisirs et leur attrait esthétique. Cela montre qu’au niveau technologique et scientifique, l’humanité a développé la capacité de mettre potentiellement la science au service des besoins de l’humanité. Des digues contre les lames dues aux tempêtes ont été construites autour de la ville de Saint-Pétersbourg en Russie, à Providence, dans le Rhode Island et aux Pays-Bas. Le savoir-faire technique existe. La situation géographique de New-York, cependant, est telle que construire un brise-lames pour protéger Manhattan et des zones de Brooklyn pourrait affecter les courants de marée de telle façon qu’une lame qui frapperait le brise-lames redoublerait de force contre des zones de Staten Island et les Rockaway, qui sont parmi les zones qui ont été les plus durement frappées par l’ouragan Sandy. Il n’est pas impossible qu’une solution technique puisse être trouvée à ce problème mais, étant donné les réalités de la crise économique, il n’est pas invraisemblable d’imaginer que la ville de New-York va plutôt revenir à ce que les ingénieurs appellent des opérations de “résilience”, un terme qui décrit des interventions à petite échelle telles que l’installation de vannes dans les stations d’épuration ou le relèvement du niveau du sol dans certains endroits du quartier de Queens. Vu que New-York est une ville de plusieurs millions d’habitants qui gère une bonne part de l’économie mondiale et dont l’infrastructure est très complexe, vieille et très étendue, de telles interventions heurtent tout bon sens !
La campagne électorale du président Obama a vu dans l’ouragan Sandy une opportunité de réanimer la controverse entre l’aile droite la plus conservatrice de la classe dominante et son aile plus libérale sur le rôle du gouvernement. Bien sûr, elle l’a fait à son propre avantage. On a affirmé que la réponse de l’administration actuelle a été beaucoup plus efficace que la réponse de l’administration Bush après l’ouragan Katrina. En réalité, des centaines de milliers de personnes vivent depuis deux semaines – au moment où nous écrivons – dans des conditions catastrophiques. De la réouverture des écoles qui ont aussi servi d’abris, aux coupures prolongées d’électricité, au rationnement en fuel et au récent plan du maire Bloomberg pour réhabiliter les quartiers les plus dévastés dans la métropole avec le programme Rapid Repair (réparation rapide) – qui promet d’être un rafistolage destiné à étouffer la colère et la frustration de la population – l’épreuve des faits montre que la classe dominante et son appareil d’Etat bureaucratique sont dans une impasse et incapables de répondre aux besoins urgents comme à long terme de la population.
A chaque épisode de “désastre naturel”, la classe dominante est particulièrement encline à empêcher que s’élabore tout un questionnement plus profond, d’une nature plus générale et qu’il y ait une réponse révolutionnaire. Quelle est la perspective pour le futur de la planète et l’espèce humaine subissant le joug d’une classe sociale qui montre qu’elle n’a aucune préoccupation pour la sécurité et le bien-être des classes qu’elle exploite ? Si l’avenir dans le capitalisme n’a rien d’autre à nous offrir que plus de destruction environnementale et des menaces toujours plus grandes pour la survie de l’espèce humaine, que doit-on faire ? Quelle alternative y a-t-il pour la construction d’un monde nouveau, différent ? Parce qu’elles n’ont pas d’intérêts économiques particuliers à défendre et aucune position de pouvoir à maintenir et à défendre dans la société capitaliste, la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires sont les seules forces sociales qui puissent donner des réponses débarrassées des mystifications idéologiques et qui visent à chercher la vérité. Ce n’est que sur la base d’une connaissance de comment les facteurs économiques, politiques et sociaux déterminent vraiment notre existence humaine que les classes exploitées peuvent trouver la confiance en elles-mêmes et démontrer leur capacité à offrir et finalement concrétiser une vision différente du monde.
Ana (10 novembre)
Le procès qui s’est tenu à l’Aquila fin octobre est à la hauteur des dernières stupidités de télé-réalité. S’agissait-il de véritables acteurs ? D’une blague de mauvais goût ? On pourrait le penser. Hélas non, on ne rêve pas ! Le tribunal de l’Aquila a bel et bien condamné les cinq scientifiques de la commission “grand risque” à six ans de réclusion pour “homicide par imprudence”. En clair, on leur reproche d’avoir tenu des propos trop rassurants dans un communiqué de presse, tout juste une semaine avant le séisme qui frappait l’Aquila, le 6 avril 2009. Il faut se souvenir que ce séisme, d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter, fit plus de 300 victimes et détruisit de nombreux édifices, en plus des quelques 1500 blessés. Mais de là à faire porter le chapeau à cette petite équipe de scientifiques, la faille est un peu grosse ! Quand on sait toute la complexité de ce type de prévisions, cela n’a pas de sens.
La communauté scientifique n’a d’ailleurs pas manqué de réagir : “On fait porter aux scientifiques la responsabilité d’une catastrophe imprédictible”, a déclaré à l’agence de presse Sipa, Jean-Paul Montagner, professeur de géophysique à l’Institut de physique du Globe de Paris (IPGP) et à l’université Paris-Diderot. “C’est l’ensemble du système qui a failli, et on fait porter le chapeau aux scientifiques.” Ou encore : “C’est assez déconcertant et déroutant”, estime Alexis Rigo, sismologue du CNRS à Toulouse. “Comment peut-on condamner des chercheurs sur quelque chose d’imprévisible ?” 1.
Pour y voir un peu plus clair, un petit retour en arrière, début 2009 s’impose.
La péninsule italienne est alors frappée par de nombreuses secousses qui inquiètent déjà la population. Hormis quelques fissures ça et là, on ne déplore aucun dégât mais la répétition du phénomène occupe les esprits tant et si bien que le président de la protection civile, Guido Bertolaso, avait appelé l’adjointe à la protection civile de la région, Daniela Stati, pour convoquer une réunion de la commission “grands risques” une semaine avant la catastrophe.
Plus récemment, la chaine italienne Repubblica TV a diffusé des écoutes téléphoniques qui nous informent sur ce mystérieux appel entre Bertolaso et son adjointe. L’objet de cet appel ne pourrait être plus clair : “De Bernardis [vice-président de la Protection civile], va t’appeler pour organiser une réunion à l’Aquila au sujet du “buzz” sismique. Comme ça, on fera taire les imbéciles, calmer les suppositions, préoccupations... Dis à tes employés que lorsqu’ils doivent préparer leurs communiqués, ils doivent passer par mon bureau de presse. C’est une opération médiatique, tu as compris ? Comme ça, ces supers experts des séismes diront : c’est une situation normale, ce sont des phénomènes qui se vérifient, mieux vaut 100 secousses de niveau 4 sur Richter que plus rien du tout car ces 100 secousses servent à libérer l’énergie et que donc il n’y aura jamais la secousse, celle qui fait mal” 2.
Voilà comment le pouvoir du capital achète la parole de scientifiques pour faire “taire les imbéciles” et pour se dédouaner de mesures de sécurité trop contraignantes. Cela n’est pas une nouveauté. On se rappelle bien de la fabuleuse histoire du nuage radioactif de Tchernobyl qui, nous disait-on en 1986, ne devait pas franchir la frontière française… Avec une telle démarche, on peut s’y attendre, c’est la catastrophe assurée. Alors, il s’agit pour le pouvoir de désigner des coupables, pour apaiser les esprits et retrouver le calme. Quoi de plus simple et de plus logique que d’inculper les scientifiques pour “négligence, imprudence et inexpérience” 3 ?
Sans enlever la part de responsabilité de ces scientifiques 4, en faire des boucs-émissaires très médiatisés permet aux autorités d’occulter une autre réalité : les raisons des effets si dévastateurs des catastrophes naturelles et les véritables responsables.
En 2000, la situation sismique de la péninsule avait fait l’objet d’un rapport très détaillé. De même qu’à la fin des années 1990, “[le rapport Barberi] 5 regroupait le travail de techniciens chargés de vérifier l’état de milliers de constructions publiques. Tous les maires en avaient obtenu une copie. Nombre de monuments de l’Aquila qui se sont écroulés étaient listés dans ce rapport.”
“Il y avait aussi cet ancien ingénieur qui avait lancé une alerte, en se basant sur la détection du radon, rappelle Jean-Paul Montagner. A plusieurs reprises dans les semaines qui ont précédé le séisme, Giampaolo Giuliani a prédit l’imminence d’un séisme à l’Aquila”. Avec de tels témoignages, la responsabilité des autorités n’est plus à démontrer. Une autre réalité que la bourgeoisie italienne espère sans doute masquer à travers la recherche effrénée de boucs-émissaires, c’est son indifférence et son incapacité à venir en aide à la population de l’Aquila. Comme conclut l’article de Rue89 : “Ici, 37 000 personnes vivent toujours grâce aux aides d’Etat, faute de mieux. Les travaux s’éternisent et l’espoir de voir un jour la ville refaite à neuf s’est envolé en fumée… Et la politique de rigueur du gouvernement Mario Monti n’a pas pour priorité l’aide aux victimes de tremblements de terre.”
Enkidu (5 décembre)
1 Citations issues du Nouvel Observateur du 23/10/12.
2 D’après Rue89, le 26/10/12.
3 Procès-verbal de l’Aquila cité dans le journal italien Fatto quotidiano.
4 On ne peut pas non plus nier qu’ils ont effectivement cédé à la pression politique pour rassurer les habitants.
5 “Le rapport Barberi, du nom de l’ancien chef de la Protection civile, était la plus grande étude jamais réalisée concernant la vulnérabilité sismique du pays”, Rue89, le 26/10/12.
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(Stade Melbourne Criketground : 100 000 places)
Dans le premier article [361], nous avons vu que le sport était un pur produit du capitalisme et qu'il avait été un véritable enjeu de la lutte de classe. Nous verrons, dans celui-ci, que dans la période de décadence de ce système il est un instrument de l'État destiné à asservir et à réprimer les exploités.
Au moment de la Première Guerre mondiale, le sport possède déjà une dimension planétaire. Il deviendra, en quelques décennies, un véritable phénomène de masse.
A partir de 1914, l’Éat prend en charge de façon totalitaire l’organisation des grandes manifestations sportives dans chaque nation, tout comme il organise la mobilisation sous les drapeaux au moment des conflits mondiaux : « Le sport mondial comme totalité est devenu une vaste organisation et une structure administrative, une affaire nationale prise en charge par les États, en fonction de leurs intérêts diplomatiques »1. Les États construisent et financent alors des infrastructures pharaoniques : les complexes sportifs, stades de 80 à 100 000 places dont les plus grands ont pu atteindre 200 000 (Maracana au Brésil), gymnases, pistes, circuits (comme le Indianapolis Motor Speedway aux États-Unis avec ses 400 000 places) etc. De véritables parcs géants, des cathédrales d'acier et de béton se dressent, remplies de supporters ou « fidèles », comme au moment des Jeux Olympiques, des coupes du monde de football, des Grands Prix automobiles, etc., avec à chaque fois l'organisation et la logistique militaire d'une véritable armée pour produire du spectacle. Les moyens de transport et de communication sous la coupe des États permettent de drainer les foules vers ces nouveaux temples modernes. Une presse sportive spécialisée s'est développée industriellement au XXe siècle pour couvrir le moindre événement. La radio, puis la télévision, deviennent les outils privilégiés de la propagande d’État qui cherche à populariser la pratique sportive, à promouvoir davantage les spectacles-marchandises et les jeux d'argent. Un des symptômes de cette réalité est également la bureaucratisation d'institutions sportives tentaculaires : « au point qu'aujourd'hui, on ne peut absolument pas parler de sport là où manque l’organisation sportive (fédérations, clubs, etc.) »2. Ce changement d'échelle vers le sport de masse, depuis les années 1920, s'opère donc dans un contexte où l’État capitaliste « est devenu cette machine monstrueuse, froide et impersonnelle, qui a fini par dévorer la substance même de la société civile »3. Tous les grands événements sportifs sont de véritables foires commerciales d'États avec, à chaque fois, une couverture médiatique hypertrophiée. C'est ce qui explique que les effectifs des sportifs et des spectateurs explosent, notamment depuis ces trente dernières années. En France, par exemple, on ne compte qu'un million de licenciés sportifs seulement en 1914. Quarante ans plus tard, ce chiffre a doublé. Il atteindra plus de 14 millions en 2000, soit sept fois plus que dans les années 1950 !4 Aujourd'hui, des manifestations comme les Jeux Olympiques peuvent mobiliser et hypnotiser plus de 4 milliards de téléspectateurs dans le monde !
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(Stade Melbourne Criketground : 100 000 places)
Les États capitalistes sont les grands prêtres de cette nouvelle religion universelle, le sport ; un véritable « opium du peuple », une drogue inoculée depuis plusieurs décennies à hautes doses. Dans l'Antiquité, le pouvoir s'affermissait par la religion, « le pain et les jeux ». Dans l'ère du capitalisme décadent et du chômage de masse, le sport-marchandise est lui-même une véritable religion destinée à consoler, distraire et contrôler les familles ouvrières paupérisées. Plus de jeux et moins de pain, voilà la réalité capitaliste contemporaine ! Pour les populations et les masses ouvrières qui ont encore la chance d'avoir un travail, soumises aux rythmes du bureau ou de l'usine, à l'enfer de l'exploitation et à la dépersonnalisation des grands centres urbains, le spectacle sportif ou la pratique du sport deviennent, grâce à la propagande et au marketing, des « loisirs indispensables ». Le sport constitue un des moyens privilégiés pour s’abandonner soi-même aux « forces invisibles du capital ». Ainsi, les activités sportives, assimilées au « temps libre », ne se limitent finalement qu'à l'étroitesse d'un simple moyen de subsistance et de conservation physiologique : « en dégradant au rang de moyen la libre activité créatrice de l'homme, le travail aliéné fait de sa vie générique un instrument de son existence physique ».5 Vécue comme une sorte de « décompression nécessaire » pour des salariés, la pratique sportive n'est en réalité qu'un moyen de reconstituer la force de travail, comme dormir, boire et manger ! Le sport permet d’ailleurs de mieux résister physiquement aux cadences infernales. Il permet donc de faire face à la brutalité des conditions d’exploitation, d'« oublier » l'espace d'un instant les tourments de la société capitaliste. Le véritable paradoxe est que le sport lui-même s’apparente à un travail pénible, chronométré, à des souffrances volontaires enchaînant davantage aux rythmes industriels et à la performance. Il devient pour un nombre croissant d'adeptes une véritable addiction. Des salariés vont même jusqu’à s'inscrire pendant leurs vacances à des activités sportives collectives dont le contenu est proche des stages commandos. Encore une fois, le sport exprime une des réalités de l’aliénation en devenant, par sa massivité, presque indispensable, générant au final une plus grande soumission au capital. Il est reconnu que le sport permet d'accroître la productivité et encourage l'esprit de concurrence ! Dans un quotidien où le travail hérité du taylorisme tend à sédentariser les salariés et à les détruire par des gestes répétitifs et la « malbouffe », une véritable entreprise de culpabilisation accompagne en plus des discours moraux sur la « santé » et la nécessaire « lutte contre l'obésité » par le sport. Il faut être « compétitif », « dynamique » et « performant ». Ces discours sont parfaitement au diapason des nécessités de compétitivité des entreprises qui favorisent et sponsorisent les clubs sportifs tout en cherchant à vendre en même temps leur camelote « amincissante », destinée au « bien être » ou toutes autres marchandises valorisées par l'image du sport. Durant l'été 2012, par exemple, au moment des Jeux Olympiques de Londres, la capitale britannique s'est métamorphosée en une méga-foire commerciale, un véritable hypermarché pour nous inonder de produits commerciaux de toutes sortes. Partout, dans les stades et autres complexes sportifs, les moindres recoins sont placardés d'affiches et d'écrans publicitaires. Les sportifs sont des hommes-sandwichs sponsorisés, avec des tenues bardées de slogans publicitaires pour des grandes marques qu'ils s'efforcent d'exhiber au mieux devant les photographes et les caméras. Cette exhibition mercantile fait d'ailleurs partie intégrante de la stratégie de préparation, au même titre que les exercices physiques à l'entraînement. Le sport est une marchandise au service d'une économie de casino, avec des droits TV, des produits dérivés, des managers, des clubs côtés en bourse, etc. L'inflation du nombre de compétitions correspond à une arène où ce sont des États et des groupes commerciaux qui s’affrontent eux-mêmes directement sur un marché saturé. Les sportifs ne sont plus des hommes, ce sont des marchandises performantes, qui s'échangent entre clubs d'une fédération à l'autre, parfois pour des sommes astronomiques, sans avoir trop leur mot à dire. Cette commercialisation de sportifs dépersonnalisés, ou transformés en stars déifiées, renforçant même les tendances au culte de la personnalité, n'est qu'une des expressions multiples du fétichisme de la marchandise. Devenu un dieu ou une simple chose, un objet à échanger et à exploiter comme capital, le sportif professionnel est soumis de façon drastique à la loi du marché et à la rentabilité, avec obligation de résultats. Il est poussé en permanence à l'exploit extrême, pressuré et contraints au dopage et à l’autodestruction planifiée (nous aborderons ces questions dans le prochain article).
Ces sportifs-machines robotisés, dans un contexte où l'État planifie la dépolitisation et la soumission, alimentent des spectacles grandioses aux contenus extrêmes, pour une sorte de glorification, d'apologie de l'ordre établi et du pouvoir en place. A toutes les grandes manifestations sportives, les hommes d'Etat, sont aux premières loges pour récolter des fruits politiques de cet abrutissement programmé à grande échelle. Des grands spectacles hitlériens aux exhibitions staliniennes d'hier, en passant par les méga-shows des démocraties d’aujourd’hui, ces messes sportives fabriquent du rêve, favorisent l’idolâtrie, en faisant la promotion par le muscle de l'effort et du sacrifice. Elles servent surtout à embrumer les esprits, comme la religion, en les détournant de toute réflexion sur les conditions d'exploitation du capitalisme. Elles cherchent bien souvent à occulter la véritable actualité, ce qui touche à la critique et à la lutte de classe, voire à embrigader dans la guerre, comme ce fut le cas dans les années 1930.
Le sport est clairement un dérivatif à toute forme de « subversion », destiné prioritairement à la jeunesse, notamment dans les écoles, pour un lavage et un formatage des cerveaux. Si ceci fut caricatural dans les régimes nazi et stalinien, cela reste plus subtilement présent dans les démocraties. Après Mai 68 en France, « l'éphémère ministre des sports M. Nungesser, expliquait (…) qu'il fallait rendre le sport obligatoire à l'école » pour maintenir la paix sociale. Dans le même sens, M Cornec, président de la Fédération des parents d'élèves, déclarait en 1969 : « il y a juste un an, la France a été bouleversée par la révolte de la jeunesse. Tous ceux qui cherchent des solutions à ce problème complexe doivent savoir qu'aucun équilibre ne pourra être trouvé sans la solution préalable du sport scolaire ».6 Dans la même veine, les journaux expliquaient à longueurs de lignes qu'il valait mieux « faire du sport » que « d'affronter physiquement la police et les CRS » ! Dompter, mettre au pas par le sport, par ses symboles et son univers de superstitions, tout cela entre très bien dans l'optique de l'idéologie démocratique bourgeoise officielle pour un véritable contrôle social, avec des éducateurs qui doivent promouvoir le mythe du « self-made-man », celui du sportif qui peut « s'en sortir » individuellement par ses propres qualités grâce à une discipline militaire. Cette perspective égalitariste, où « chacun a sa chance » à condition de travail et d'ascèse, ne peut qu'endormir les sens de ceux qui cherchent une critique radicale de la société, de ceux qui cherchent à développer un esprit politique pour lutter contre l'ordre établi !
En contribuant à endormir les esprits de la sorte, le sport prépare en même temps à la répression plus directe. Les rencontres sportives sont devenues des prétextes au déploiement de forces de police toujours plus imposantes, au nom de la défense de « l'ordre public » et de la « sécurité ». Dans un contexte où les populations urbaines sont déjà soumises à un véritable quadrillage policier, à une surveillance totale avec présence de militaires qui patrouillent désormais régulièrement dans les lieux publics, comme les gares, ce renforcement des effectifs aux abords des stades paraît « normal ». Par la présence régulière des CRS et des cars de police, l'État habitue graduellement les esprits à accepter la présence massive des forces de répression dont il a le monopole. Il faut se souvenir que dans les années 1970, les États démocratiques en Europe de l'Ouest n'avaient pas de mots assez durs pour stigmatiser les « régimes fascistes » et les « dictatures d'Amérique latine », du fait justement de la présence visible des forces de l'ordre et des militaires dans les lieux publics, près des stades notamment, comme c'était le cas en Argentine, au Brésil ou au Chili à l'époque. En 1972, aux Jeux Olympiques d'Hiver de Sapporo au Japon, la présence des 4000 soldats nippons quadrillant le site ne passait déjà pas inaperçue. Aujourd'hui, ces mêmes pratiques sont non seulement surpassées depuis longtemps dans les pays démocratiques donneurs de leçons, mais renforcées toujours par des mesures encore plus draconiennes. Il n'est plus possible de se rendre actuellement dans un stade sans traverser un véritable cordon sanitaire de flics, sans être palpé et fouillé au corps, puis « accompagné » par des « stadiers » !
Les derniers Jeux Olympiques de Londres de l'été 2012 en donnent d'ailleurs une illustration, l'image d'une véritable situation de guerre. On a compté 12 000 policiers en service et 13 500 militaires disponibles, c'est- à-dire plus que les troupes anglaises déployées en Afghanistan (9500 soldats) ! Plus que les 20 000 soldats de la Wehrmacht à Munich en 1936 ! A cela, on doit ajouter encore 13 300 agents de sécurité privés ! Un dispositif ultra-rapide de missile sol-air avait carrément été installé sur un immeuble, dans une zone densément peuplée, près du principal site olympique pour parachever un bouclier antiaérien. Dans les rues, des voies spéciales avaient été aménagées pour les véhicules officiels et interdits aux gens « ordinaires » (135 livres sterling -170 euros- d’amende au cas où ils s'y glisseraient). Enfin, les contrôles de sécurité étaient dignes de la paranoïa ordinaire de tous les Etats : fouilles systématiques en entrant sur tous les sites, interdiction d'apporter de l'eau de l'autre côté des zones contrôlées, interdiction de « tweeter », de partager ou de poster des photos de l'événement de quelque manière que ce soit !7
Si on prend du recul, l’histoire nous montre que les complexes sportifs sont de véritables points névralgiques permettant de parquer une partie de la population à des fins plus répressives encore et même meurtrières. Un des épisodes les plus célèbres est naturellement la « Rafle du Vel’ d'Hiv’ » en France, organisée par la police et les milices françaises durant l'été 1942. Ce célèbre stade vélodrome a servi alors de camp retranché où les Juifs étaient acheminés et parqués avant leur déportation vers le camp d'extermination d’Auschwitz pour connaître les sommets de l'horreur. Après la Deuxième Guerre mondiale, les exemples d'enceintes sportives au service de la mort et de la répression étatique restent nombreux. En France, après le Vel’ d'Hiv’, d'autres installations sportives sont utilisées lors du massacre d'opposants algériens en octobre 1961. Environs 7000 d'entre eux étaient menés de force vers le Palais des Sports de Versailles et le stade Pierre de Coubertin à Paris, pour y être tabassés, bon nombre finissant en cadavres jetés dans la Seine ! En juin 1966, en Afrique, les opposants au régime Mobutu étaient exécutés devant la foule au « stade des Martyrs » de Kinshasa. En Amérique latine, les stades ne servaient pas uniquement d'exutoires aux populations affamées. Le Stadio nacional chilien servait aussi de lieu « d'interrogatoires » et de « centre de tri » pour les camps de concentration après le coup d'État du général Pinochet (septembre 1973). En Argentine, au moment de la coupe du monde 1978 et de la junte militaire au pouvoir, les clameurs amplifiées par les sonos des tribunes permettaient de couvrir les hurlements des nombreux torturés. Aujourd'hui encore, bon nombre de stades intègrent l'histoire macabre. En 1994, le stade Amahoro de Kigali était un des théâtres du génocide rwandais, dont la France fut largement complice. C'est ce qu'illustre le témoignage du commandant R. Dallaire : « Lorsque la guerre a commencé, le stade s’est rempli et à un moment donné, il y avait là jusqu’à 12 000 personnes, 12 000 personnes qui essayaient d’y vivre. Tout ce qu’on voit, ce sont des gens et des vêtements, et la situation semble échapper à tout contrôle. C’est devenu… comme un camp de concentration... On était là pour les protéger, mais pendant ce temps, ils étaient en train de mourir dans ce grand stade du Rwanda ».8
Plus récemment encore, le stade de football de Kaboul a connu de nombreuses horreurs : des pendaisons sur la barre transversale des buts, des mutilations pour cause de vols, des lapidations de femmes adultères sur le terrain, etc.9. En Afrique du Sud, le nouveau stade du Cap, qui avait été inauguré pour la coupe du monde de football 2010, possède carrément des cellules pour emprisonner les « supporters agités » !
Même si la pratique sportive n'est pas toujours directement impliquée, il existe bel et bien un lien étroit entre le contrôle des esprits par le sport, les infrastructures sportives et la barbarie du capitalisme décadent. L'exacerbation des contradictions entre les classes fait que les stades sont de plus en plus souvent des lieux de confrontations et de tensions, au cours même des épreuves sportives. On a vu ainsi de véritables tueries, des révoltes éclater dans des stades de football. En Argentine, des portraits des disparus ont certes pu être brandis avec calme dans les tribunes lors de rencontres. Mais assez souvent, des tensions ouvertes se sont exprimées un peu partout avec violence, particulièrement à la sortie des stades. Nombreuses sont les situations où les pires idéologies, de la xénophobie la plus primaire au nationalisme débridé, ont conduit à de véritables actes de barbarie.
Dans le prochain et dernier article de cette série, nous reviendrons sur ces aspects pour en prolonger l'analyse.
WH (8 novembre 2012)
1 J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992.
2 Idem.
3 Plateforme du CCI
4 C. Sobry, Socio-économie du sport, coll. De Boek.
5 K. Marx, Manuscrits de 1844, Ed. La Pléiade, T. II.
6 Cité par J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992
7 Voir notre article sur les JO de Londres dans notre site fr.internationalism.org
“Ce que nous avons fait était pour libérer...” : voici ce que le président Hollande pouvait déclarer devant les caméras lors de sa visite du 2 février dernier à Tombouctou. Difficile de ne pas se laisser prendre au jeu des apparences ! En effet, c’est bien une foule en liesse, agitant des drapeaux tricolores et maliens, chantant et vantant les mérites du Président français, qui a accueilli le “héros national du Mali”. Hollande, le “grand libérateur”, ne s’est probablement pas trompé en y voyant “la journée la plus importante de sa vie politique”. La communication est une arme stratégique et, comme Mitterrand l’avait fait à Sarajevo en son temps, Hollande a voulu marquer les esprits d’un sentiment de légitime victoire au nom d’un prétendu combat “pour la paix”.
Par contre, pas une image du conflit n’a filtré, pas l’ombre d’un cadavre, aucune trace des bombardements massifs de l’armée française au Nord du Mali, à peine quelques mots chuchotés des exactions des troupes maliennes. Circulez, il n’y a rien à voir ! Tout cela ne porte pas à critique, tant le travail de propagande a été facilité par la terreur même des fondamentalistes et hordes mafieuses d’un côté et la liesse d’une population exsangue soulagée, pouvant enfin “se mettre à chanter” de l’autre ! La cruauté des bandes armées qui régnaient au Nord du Mali ne fait aucun doute. Ces seigneurs de guerre sèment la mort et la terreur partout où ils passent. Mais, contrairement à ce que nous racontent en chœur politiciens et journalistes, les motifs de l’intervention française n’ont évidemment rien à voir avec les souffrances des populations locales. L’Etat français ne vise qu’à défendre ses sordides intérêts impérialistes. En réalité, l’allégresse des populations sera de courte durée. Quand une “grande démocratie” passe avec ses chars, l’herbe n’est jamais plus verte après ! Au contraire, la désolation, le chaos, la misère, sont les preuves de leur intervention. La carte ci-contre détaille les principaux conflits qui ont ravagé l’Afrique dans les années 1990 et les famines qui l’ont frappé. Le résultat est spectaculaire : chaque guerre – souvent opérée sous la bannière du droit à l’ingérence humanitaire, comme en Somalie en 1992 ou au Rwanda en 1994 – a entraîné de graves pénuries alimentaires. Il ne va pas en être autrement au Mali. Cette nouvelle guerre, paradoxalement, va déstabiliser la région entière et accroître considérablement le chaos.
“Avec moi Président, c’est la fin de la “Françafrique’”. Ce mensonge grossier de François Hollande pourrait prêter à rire s’il n’impliquait pas une logistique militaire imposante et de nouvelles victimes. Il y a autant de soldats mobilisés qu’en Afghanistan, 4000 hommes ! Selon le ministre de la Défense français : “Nous avons acheminé 10 000 tonnes de matériel en quinze jours. C’est autant que ce que nous avons transporté en un an lors du retrait d’Afghanistan.” L’utilisation du matériel aérien a été particulièrement intensive, notamment avec les frappes aériennes au nord de Kidal.
La gauche n’a de cesse de mettre en avant son humanisme mais, depuis près d’un siècle, les valeurs dont elle se drape ne servent qu’à dissimuler sa réelle nature : une fraction bourgeoise qui comme les autres est prête à tout, à tous les crimes, pour défendre l’intérêt national. Car c’est bien de cela qu’il s’agit au Mali : défendre les intérêts stratégiques de la France. Comme François Mitterrand qui avait décidé d’intervenir militairement au Tchad, en Irak, en ex-Yougoslavie, en Somalie et au Rwanda, François Hollande prouve que les “socialistes” n’hésitent jamais à protéger leurs “valeurs” (entendre les intérêts bourgeois de la nation française) à la pointe de la baïonnette.
Depuis le début de l’occupation du Nord du pays par les islamistes, les grandes puissances, en particulier la France et les Etats-Unis, poussaient en coulisses les pays de la zone à s’impliquer militairement en leur promettant financements et moyens logistiques. Mais à ce petit jeu d’alliances et de manipulations, l’État américain semblait plus doué et gagner peu à peu en influence. Se faire ainsi damer le pion au cœur de son “pré-carré” était tout simplement inacceptable pour la France, elle se devait de réagir et de taper un grand coup : “A l’heure des décisions, la France a réagi en usant de son “droit-devoir” d’ancienne puissance coloniale. Le Mali se rapprochait certes un peu trop des Etats-Unis, au point d’apparaître comme le siège officieux de l’Africom, le commandement militaire unifié pour l’Afrique, instauré en 2007 par George Bush et consolidé depuis par Barack Obama” (Courrier international du 17 janvier 2013).
En réalité, dans cette région du globe, les alliances impérialistes sont d’une infinie complexité et très instables. Les amis d’aujourd’hui peuvent devenir les ennemis de demain quand ils ne sont pas les deux en même temps ! Ainsi, tout le monde sait que l’Arabie Saoudite et le Qatar, ces “Grands alliés” déclarés de la France et des Etats-Unis, sont aussi les principaux bailleurs de fonds des groupes islamiques agissants au Sahel. Il n’y a donc aucune surprise à lire dans les colonnes du Monde du 18 janvier, le Premier ministre du Qatar se prononcer contre la guerre que la France a engagée au Mali en mettant en doute la pertinence de l’opération “Serval”. Et que dire des superpuissances que sont les Etats-Unis et la Chine qui soutiennent officiellement la France pour mieux agir en coulisses et continuer d’avancer leurs pions ?
Conscient des difficultés, le président français n’a pas hésité à déclarer : “Le terrorisme a été repoussé, chassé, mais il n’a pas encore été vaincu.” Si Gao, centre névralgique de la lutte contre les islamistes radicaux a été reprise comme tout le nord du Mali, les zones montagneuses restent un ultime refuge pour des groupes terroristes bien armés et fanatisés, conditions qui rappellent la situation et le terrain difficiles de l’Afghanistan. On ne peut, en outre, s’empêcher aussi de faire un rapprochement avec la Somalie. “La violence dans le pays, à la suite des tragiques événements de Mogadiscio au début des années 1990, s’est propagée dans toute la Corne de l’Afrique qui, vingt ans après, n’a toujours pas retrouvé sa stabilité.” (A. Bourgi, le Monde du 15 janvier 2013). Cette dernière idée doit être soulignée : la guerre en Somalie a déstabilisé toute le Corne de l’Afrique qui, “vingt ans après, n’a toujours pas retrouvé sa stabilité”. Voilà ce que sont ces guerres prétendument “humanitaires” ou “antiterroristes”. Quand les “grandes démocraties” brandissent le drapeau de l’intervention guerrière pour défendre le “bien-être des peuples”, la “morale” et la “paix”, elles laissent toujours derrière elles des champs de ruines où règne l’odeur de la mort.
“Impossible (...) de ne pas noter que le récent coup d’Etat (au Mali) est un effet collatéral des rébellions du Nord, qui sont elles-mêmes la conséquence de la déstabilisation de la Libye par une coalition occidentale qui n’éprouve étrangement ni remords ni sentiments de responsabilité. Difficile aussi de ne pas noter cet harmattan kaki qui souffle sur le Mali, après être passé par ses voisins ivoirien, guinéen, nigérien et mauritanien” (Courrier international du 11 avril 2012). En effet, nombreux ont été les groupes armés qui se battaient aux côtés de Kadhafi qui se trouvent aujourd’hui au nord du Mali, et ailleurs, avec leurs armements après avoir vidé les caches d’armes libyens. Pourtant, en Libye aussi, la “coalition occidentale” intervenait prétendument pour faire régner l’ordre et la justice, pour le bien être du peuple libyen… Aujourd’hui, la même barbarie est subie par les opprimés de cette région du monde et le chaos ne cesse de s’étendre. Ainsi, avec cette guerre au Mali, l’Algérie elle même se trouve aujourd’hui déstabilisée. Depuis le début de la crise malienne, le pouvoir algérien menait un double jeu, comme l’ont montré deux faits significatifs : d’un côté la “négociation” ouverte avec certains groupes islamistes, laissant même certains s’approvisionner sur son sol en grosses quantités de carburant lors de leur offensive pour la conquête de la ville de Konna en direction de Bamako ; d’un autre côté, Alger a autorisé le survol de son espace aérien aux avions français pour bombarder les groupes djihadistes au Nord du Mali. Ce positionnement contradictoire et la facilité avec laquelle les éléments d’AQMI ont pu accéder au site industriel le plus “sécurisé” du pays, tout cela a montré le caractère décomposé des rouages de l’Etat comme de la société. A l’instar des autres Etats du Sahel, l’implication croissante de l’Algérie ne peut qu’accélérer le processus de décomposition en cours.
Toutes ces guerres indiquent que le capitalisme est plongé dans une spirale extrêmement dangereuse et qui met en péril la survie même de l’humanité. Progressivement, des zones entières du globe plongent dans le chaos et la barbarie. S’entremêlent la sauvagerie des tortionnaires locaux (seigneurs de guerre, chefs de clans, bandes terroristes…), la cruauté des seconds couteaux impérialistes (petits et moyens Etats) et la puissance dévastatrice des grandes nations, chacun étant prêt à tout, à toutes les intrigues, à tous les coups bas, à toutes les manipulations, à tous les crimes, à toutes les atrocités… pour défendre ses minables et pathétiques intérêts. Les incessants changements d’alliances donnant à l’ensemble des allures de danse macabre.
Ce système moribond ne va cesser de s’enfoncer, ces conflits guerriers ne vont faire que s’étendre, embrasant des régions du globe toujours plus vastes. Choisir un camp, au nom du moindre mal, c’est participer à cette dynamique qui n’aura d’autre issue que la mort de l’humanité. Il n’y a qu’une seule alternative réaliste, qu’une seule façon de sortir de cet engrenage infernal : la lutte massive et internationale des exploités pour un autre monde, sans classe ni exploitation, sans misère ni guerre.
Amina (15 février)
Depuis le retour de la crise ouverte en 2007, partout dans le monde, la classe ouvrière est frappée de plein fouet par une brutale dégradation de ses conditions de vie. Il n’y a bien sûr en ce domaine aucune “exception culturelle française” : depuis 2009, 1087 usines ont fermé ([1]) ; et tous les secteurs sont touchés, de l’automobile à la pharmacie, des manufactures aux imprimeries. Selon les Echos, “le délitement du tissu industriel français s’est de nouveau accéléré en 2012, avec une augmentation du rythme des fermetures de sites de 42 %”. Et 2013 sera bien pire encore : pas un jour ne passe sans qu’une énième charrette de licenciements ou qu’une nouvelle fermeture de site ne soit annoncée. Les grandes catastrophes industrielles de ces derniers mois chez Goodyear, PSA, ArcelorMittal, Pétroplus, Electrolux, Sanofi, etc., ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. Dans l’anonymat le plus complet, disparaissent chaque jour des centaines d’emplois, en particulier dans les petites entreprises ([2]). Inexorablement, le chômage ne cesse de croître : en 2012, malgré les purges administratives, la restriction des droits, les tricheries statistiques en tous genres, le nombre de demandeurs d’emploi a bondi de 10,8%.
Face à cette situation insupportable qui touche toutes les familles ouvrières, que font les syndicats ? Ils “mobilisent les ouvriers” en orchestrant la division, l’isolement et l’impuissance. Combien d’entreprises sont en train de fermer au moment où nous écrivons ces lignes ? Des dizaines ! Et c’est autant de luttes planifiées et commandées par les syndicats, sans aucun lien entre elles, sans aucune discussion entre les travailleurs, sans aucune assemblée générale commune. Il n’y a pas meilleur moyen d’aller à la défaite, les uns après les autres. Le “diviser pour mieux régner”, grand classique syndical, frôle désormais la caricature : le 31 janvier, par exemple, avait lieu, d’un côté, une série de rassemblements de fonctionnaires protestant contre leur paupérisation et, de l’autre, l’annonce de milliers de licenciements dans l’usine Goodyear à Amiens. Quelques jours après, le 12 février, bis repetita : tandis que les syndicats appelaient les salariés de l’école primaire et les parents d’élèves à manifester contre la réforme du rythme scolaire, ils organisaient parallèlement un simulacre de solidarité entre les ouvriers de Goodyear et de PSA. Cela, alors que la cause immédiate de la dégradation des conditions de vie des salariés du public comme du privé est identique : l’exploitation et la crise historique du capitalisme. Telle est la chaîne d’acier qui unit tous les exploités. C’est ensemble qu’ils doivent marcher dans la lutte. Mais les syndicats ont préféré exprimer leur “immense colère” en parlant de “pneus” à Amiens et de “grille indiciaire” ou d’“horaires d’ouverture d’écoles” dans cent petits défilés de fonctionnaires aux différents coins de l’hexagone.
Il ne s’agit nullement d’une erreur de stratégie des syndicats, ni même d’incompétence. Au contraire, ils accomplissent au mieux leur mission véritable, celle de désarmer les ouvriers face au Capital, par un travail de sape pour encadrer les luttes, en les éparpillant et les isolant les unes des autres. Pire encore, les syndicats poursuivent le sabotage jusqu’à pousser les prolétaires dans la gueule du loup, notamment quand ils “critiquent” le gouvernement pour son “manque de conviction et de courage face au patronat”, quand ils encourageant les salariés à “faire pression sur le Président et ses ministres” pour qu’ils prennent enfin “leurs responsabilités” et conduisent une “véritable politique de gauche”.
De qui se moquent-ils ? L’État, qu’il soit dirigé par la main droite ou la main gauche de la bourgeoisie, demeure toujours le pire des patrons. C’est lui qui organise les fermetures des sites industriels, en recevant les grands patrons dans ses bureaux dorés pour leur dicter la marche à suivre afin d’étrangler les remous sociaux. C’est lui qui étouffe les fonctionnaires et exploite des milliers de contractuels sous-payés et corvéables à merci. C’est lui qui orchestre les “grandes réformes” qui ne sont rien d’autre que des attaques massives contre les conditions de vie de toute la classe ouvrière. Ainsi, l’arrivée de la gauche au pouvoir n’a rien changé à cette dynamique dévastatrice ; le discours est peut-être moins provocateur mais la réalité est sans aucun doute encore plus âpre. Avec “Lui, Président”, qui se targue de “relancer l’économie en faisant des économies”, les salaires ont déjà commencé à dégringoler sous le poids des taxes et des impôts en tout genre. Avec “Lui, Président”, et avec la complicité des centrales syndicales, c’est “un accord historique” qui a été signé à la mi-janvier pour flexibiliser le marché du travail et accroître la compétitivité des entreprises. Cet accord prévoit plus d’heures travaillées, plus de précarité, une diminution des salaires et la mobilité forcée. Voilà pourquoi François Hollande se réjouissait du “succès du dialogue social” entre les syndicats, le patronat et le gouvernement, qui se sont effectivement “concertés” pour mieux taper sur la tête des ouvriers. Et cet accord n’est qu’une mise en bouche. Fin 2013, viendront les nouvelles réformes de la sécurité sociale et des retraites qui promettent d’être particulièrement corsées. Le gouvernement a déjà annoncé une baisse importante des pensions des retraités (suppression de l’abattement fiscal de 10 % des pensions, augmentation du taux de CSG au niveau de celui des salariés, etc.), l’augmentation du nombre d’annuités de cotisation, la réduction drastique des prestations familiales (telles que les allocations, les aides pour les crèches ou les gardes d’enfant), la diminution de la couverture sociale étudiante, l’augmentation de la TVA, etc.
Face à toutes ces attaques, la classe ouvrière ne semble pas pour l’heure en mesure de réagir, d’exprimer sa combativité en dehors de l’encadrement syndical. Il faut dire que, face à l’aggravation prévisible de la crise, la bourgeoisie a particulièrement bien préparé le terrain sur le plan des luttes sociales. D’un côté, les syndicats occupent activement le terrain, lançant eux-mêmes les grèves et les manifestations afin d’enfermer, comme on l’a vu, chaque lutte dans “son” secteur, dans “son” entreprise et de prévenir toute tentative d’extension. Il s’agit ni plus ni moins d’une manière d’épuiser les ouvriers les plus combatifs dans des luttes stériles. D’un autre côté, en polarisant l’attention sur la fermeture de telle ou telle usine, la bourgeoisie a su instiller l’idée que les problèmes sont particuliers à tel ou tel secteur, que tel ou tel patron est mal-intentionné, que le gouvernement “fait ce qu’il peut pour défendre les emplois”. “C’est la faute à la famille Mittal !”, “C’est la faute à tel ou tel patron véreux ou/et incompétent”, proclament-ils en chœur. Quelle que soit l’explication avancée, l’important est d’épargner le capitalisme comme un tout. Les partis de gauche et d’extrême gauche se sont d’ailleurs consciencieusement relayés dans les usines médiatisées pour “apporter leur soutien” aux travailleurs avec leurs mots d’ordre démobilisateurs et leur culte de “l’État sauveur”.
Se battre en dehors de l’encadrement syndical fait encore peur à beaucoup. Prendre la parole en public, organiser une assemblée générale, décider collectivement de la marche à suivre, rédiger des tracts, exprimer sa solidarité à d’autres travailleurs, tout cela est difficile, surtout lorsqu’on a le sentiment d’être isolé, d’être “incompétent” et “illégitime” par rapport à ces “professionnels de la lutte”. Il s’agit pourtant de la seule manière de développer un combat de classe. Le prolétariat possède, en effet, la force de prendre en main ses luttes. Même si les manœuvres de la bourgeoisie retardent le développement de mouvements conséquents, nul doute que la multiplication des attaques, liées à l’aggravation de la crise, constitue un terreau fertile pour l’émergence future de mouvements massifs qui pourront se cristalliser autour d’attaques emblématiques. Ceci est d’autant plus vrai que, comme lors de la dernière vague de luttes en France contre la réforme des retraites en 2003, celles des Indignés en Espagne il y a deux ans, des Occupy aux États-Unis, des mouvements sociaux en Grèce, au Portugal, etc., des minorités surgiront probablement pour impulser la lutte et pousser à la réflexion sur les enjeux de la période et les moyens de lutter de manière autonome.
La classe dominante est parfaitement consciente du danger d’explosion des luttes, comme elle sait que ses syndicats ne suffiront pas à canaliser la colère. C’est pour cette raison que le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a récemment réorganisé les services de renseignement de la police (ex-RG) en créant une “cellule d’observation” pour “suivre “au plus près” les entreprises en difficulté afin d’anticiper une éventuelle “radicalisation” de mouvements sociaux” ([3]), c’est-à-dire de déployer des flics en civil autour des entreprises en grève et des rassemblements pour mater les troubles à “l’ordre public” et semer la terreur parmi les ouvriers en lutte.
La seule réponse que nous pouvons opposer aux “préparatifs” de l’État, c’est le développement de notre conscience politique. Seuls la réflexion et le débat sur nos moyens de lutte nous permettront de ne pas tomber dans le piège des affrontements stériles avec les flics. Seuls la réflexion et le débat sur les enjeux de la période et la nature du capitalisme nous permettrons de lutter contre les campagnes idéologiques que la bourgeoisie met en place pour nous désorienter et nous diviser.
Aussi, la priorité des éléments les plus conscients et les plus combatifs n’est pas, aujourd’hui, de se lancer dans des luttes isolées, mais de créer des espaces de discussion pour préparer un terrain plus fertile pour les luttes massives de demain.
Pawel/El Generico (15 février)
[1]) “La France a perdu plus d’un millier d’usines depuis 2009” (les Echos).
[2]) Les sites qui ont fermé depuis quatre ans, employaient en moyenne entre onze et soixante salariés.
[3]) AFP, 4 février 2013.
En annonçant l’adoption prochaine d’une loi autorisant le mariage homosexuel, le gouvernement français a déclenché, comme ce fut le cas dans l’ensemble des pays qui ont suivi le même chemin, une série de mobilisations et de débats médiatiques où chacun a été tenu de choisir son camp : pour ou contre le “mariage gay”.
Les répugnantes manifestations encadrées par les ligues et partis homophobes, comme Civitas ou Famille de France, ont choqué par leur ampleur. Si la lie ridicule du catholicisme intégriste, avec ses bures de kermesse et ses gibets de crucifixion, formait le gros du bataillon, l’ampleur des mobilisations illustre à quel point les tendances portées par le capitalisme déliquescent à la déshumanisation, à la haine de l’autre et à l’irrationalité se répandent comme la peste dans toutes les couches de la société ([1]).
Car sous couvert de slogans fanés tel que “la défense de la famille”, dans les cortèges, les ouailles avaient quelques difficultés à contenir leurs marottes homophobes et racistes.
Face à ces démonstrations de haine et ces délires collectifs, organisés au nom d’une “normalité” et d’une soi-disant “évidence” abstraite et déshumanisée, le prolétariat doit affirmer son attachement à la liberté sexuelle, au respect des différences, mais du point de vue de son propre combat. Car la lutte pour le communisme n’est pas qu’une lutte pour du pain et un toit, c’est aussi – et surtout ! – un combat pour l’émancipation des hommes, pour “une association où le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous” ([2]).
Une question demeure néanmoins : l’autorisation du mariage homosexuel est-elle susceptible de faire avancer la société vers plus de liberté sexuelle ? En exceptant l’idée selon laquelle le “mariage pour tous” est un moyen de lutter contre les discriminations – les insultes, les agressions et les patrons homophobes ne disparaîtront malheureusement pas avec une bague au doigt – et tous les embrouillaminis autour des “Droits de l’homme” et de “l’égalité devant la Loi”, les arguments invoqués sont révélateurs du caractère réactionnaire de ce nouveau contrat : la bourgeoisie, et spécialement ses partis de gauche, présente le mariage homosexuel comme un progrès social qui permettrait aux intéressés de bénéficier des “avantages fiscaux” et des “droits de succession” dont jouissent les couples hétérosexuels, en particulier en direction des enfants qui ne profitent pas de la filiation d’un de leurs parents. Ces arguments illustrent parfaitement que le mariage n’est rien d’autre qu’un rapport d’argent. Or, comme le disait Marx, “le prolétaire est sans propriété ; ses relations avec sa femme et ses enfants n’ont plus rien de commun avec celles de la famille bourgeoise. Sur quelle base repose la famille bourgeoise actuelle ? Sur le capital, le profit individuel. La famille n’existe, sous sa forme achevée, que pour la bourgeoisie” ([3]).
Bien sûr, de nombreux ouvriers se marient pour exprimer sincèrement leur amour et bénéficier de maigres mesures fiscales et administratives. Mais le mariage est une institution fondamentalement liée aux sociétés de classes. Pour la bourgeoisie, le mariage a peu de chose à voir avec l’amour, c’est surtout un contrat pour la conservation et la transmission de la propriété privée : “Ce mariage de convenance se convertit assez souvent en la plus sordide prostitution – parfois des deux parties, mais beaucoup plus fréquemment de la femme ; si celle-ci se distingue de la courtisane ordinaire, c’est seulement parce qu’elle ne loue pas son corps à la pièce, comme une salariée, mais le vend une fois pour toutes, comme une esclave” ([4]). Voilà la nature du “progrès social” promis par la gauche, qui s’auréole à bon compte d’une image progressiste : une simple réforme sur la base de la marchandisation des êtres humains et de la production capitaliste, système à l’origine de toutes les discriminations et notamment du harcèlement et des comportements “pogromistes” dont sont victimes les homosexuels.
El Generico (24 janvier)
[1]) Lire, sur notre site, le texte : “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste”,
fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ultime_de_la_decadence_du_capitalisme.html
[2]) K. Marx et F. Engels, Le Manifeste du Parti communiste, 1848.
[3]) Idem.
[4]) F. Engels, l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884. Dans cet ouvrage, Engels développe une critique complète et historique de la famille, et notamment du rôle du mariage dans les sociétés de classes.
La section du CCI en France vient de tenir son 20ème Congrès. Comme tous les congrès de RI, cette assemblée plénière de notre section territoriale, a eu, évidemment, une dimension internationale. C’est la raison pour laquelle était présentes des délégations de différentes sections du CCI, composées de camarades venus de plusieurs pays et continents, et qui se sont impliquées de façon très dynamique dans les discussions. À ce Congrès étaient également présents un certain nombre de sympathisants et contacts du CCI, invités aux différentes sessions (exceptées à celles concernant nos activités internes).
Comme pour les assemblées plénières de nos autres sections territoriales, une place importante des travaux du Congrès de RI a été accordée à la discussion sur les activités du CCI. Par ailleurs, dans la mesure où ces dernières années, notre organisation a surtout privilégié les débats de ses congrès à l’analyse de l’évolution de la crise économique et de la lutte de classe, le Congrès de RI s’est donné comme tâche de mener une discussion particulière sur la dynamique des conflits impérialistes en les situant dans un cadre historique et théorique.
Le Rapport et la discussion sur les conflits impérialistes se sont donnés comme objectif de tirer un bilan des événements qui se sont déroulés depuis l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, afin de vérifier si ces derniers ont confirmé la validité des analyses du CCI.
Après l’effondrement de l’URSS, le CCI avait posé la question suivante : avec la disparition du bloc de l’Est, allait-on assister à l’hégémonie d’un seul bloc impérialiste et à un recul des conflits militaires ? Le CCI avait répondu : Non ! En effet, nous avons toujours rejeté la thèse du “ super-impérialisme ”, développée par Kautsky avant la Première Guerre mondiale et qui avait été combattue par les révolutionnaires du passé (notamment par Lénine). Cette thèse a été démentie par les faits eux-mêmes. “ Elle est restée tout autant mensongère lorsqu'elle a été reprise et adaptée par les staliniens et les trotskistes pour affirmer que le bloc dominé par l'URSS n'était pas impérialiste. Aujourd'hui, l'effondrement de ce bloc ne saurait remettre en selle ce genre d'analyses : cet effondrement porte avec lui, à terme, celui du bloc occidental. ” (Revue Internationale n°61, janvier 1990).
Les débats du Congrès ont mis en évidence que les événements ont pleinement confirmé la validité du marxisme : la disparition du bloc impérialiste russe n’allait certainement pas permettre l’ouverture d’une “ ère de paix et de prospérité ” pour l’humanité, comme le prétendait la bourgeoisie du camp “ démocratique ” occidental. Depuis 1989, la barbarie guerrière du capitalisme a continué à se déchaîner au Moyen-Orient, en Afrique, au Pakistan, et même en Europe avec la guerre dans l’ex-Yougoslavie.
Le Congrès a également examiné cette autre analyse que le CCI avait développée en 1989 : si la tendance historique à la formation de blocs impérialistes (caractéristique de la période de décadence du capitalisme) continue à se confirmer, seule l’Allemagne pourrait constituer une nouvelle tête de bloc face aux États-Unis, du fait de sa puissance économique et de sa position stratégique. Mais, comme nous l’avions affirmé, cette perspective hypothétique ne pouvait pas se réaliser de façon immédiate, notamment du fait que l’Allemagne n’a pas de potentiel militaire ; elle ne dispose pas de l’arme atomique lui permettant de prendre la tête d’un nouveau bloc impérialiste. Vingt-trois ans après l’effondrement de l’URSS, le Congrès de RI a fait le constat que l’Allemagne ne s’est pas affirmée sur la scène mondiale comme un leader rival pouvant défier la puissance américaine (cette hypothèse du CCI ne s’est donc pas vérifiée). Par contre, c’est la Chine qui apparaît désormais comme le principal concurrent de la première puissance mondiale. Le Congrès a clairement affirmé que cette situation est un élément nouveau que le CCI n’avait pas prévu (et ne pouvait pas prévoir) lors de l’effondrement de l’URSS. Néanmoins, bien que la Chine affirme de plus en plus sa vocation de puissance mondiale, elle n’a pas les moyens militaires de contrer les visées impérialistes des États-Unis. Son agressivité à l’égard des États-Unis se manifeste essentiellement sur le plan économique et stratégique (comme le confirment la compétitivité mondiale de ses marchandises, ses positions actuelles et son implantation sur le continent africain).
Les débats du Congrès ont rappelé que, bien que les conditions militaires d’une Troisième Guerre mondiale aient disparu avec l’effondrement de l’URSS (qui portait avec lui la dislocation de l’ancien bloc américain constitué à l’issue de la Seconde Guerre mondiale), les conflits armés ne se sont nullement atténués et ont continué à ensanglanter la planète. La seule différence réside dans le fait que ces conflits ne sont plus contenus par une discipline de bloc, comme c’était le cas pendant la période de la “ Guerre Froide ”. Notre analyse de la décomposition du capitalisme, phase ultime de la décadence de ce mode de production, avait également permis au CCI d’affirmer que la tendance au “ chacun pour soi ” et l’instabilité des alliances militaires allaient constituer une entrave à la formation de nouveaux blocs impérialistes. Si la barbarie guerrière du capitalisme a pris, depuis plus de deux décennies, la forme du “ chacun pour soi ” (y compris avec l’apparition du terrorisme comme arme de la guerre entre les États), c’est justement parce qu’aucune puissance mondiale n’est capable désormais de jouer un rôle de gendarme du monde et d’imposer un quelconque nouvel “ ordre mondial ”, comme le prétendait, à l’époque, le président américain Georges Bush. Le Congrès a donc mis en évidence que les prévisions du CCI et du marxisme se sont pleinement vérifiées : la paix est impossible dans le capitalisme. C’est bien ce qu’ont révélé, depuis 1989, les deux guerres du Golfe, les massacres au Moyen-Orient et en Afrique, le conflit entre l’Inde et le Pakistan et, pour la première depuis 1945, le déchaînement de la guerre en Europe dans l’ex-Yougoslavie.
Si le 20ème Congrès de RI a estimé nécessaire de rappeler le cadre d’analyse du CCI, c’est également afin de transmettre aux jeunes militants, la méthode du marxisme. Seule cette méthode historique et de vérification scientifique des faits, peut permettre d’éviter l’écueil de l’empirisme basé sur une vision purement photographique des événements au jour le jour.
La seconde discussion qui a animé les débats du Congrès a porté évidemment sur la situation en France et a donné lieu à l’adoption d’une Résolution, publiée dans le numéro 438 de RI. Ce 20ème Congrès de RI s’est tenu peu de temps après les dernières élections présidentielles qui ont consacré la victoire de François Hollande. Les débats du Congrès ont souligné que ce changement d’équipe gouvernementale allait renforcer encore les difficultés de la bourgeoisie française à gérer le capital national. C’est maintenant un gouvernement “ socialiste ” qui va devoir faire face à l’aggravation inéluctable de la crise économique mondiale. Ce gouvernement de “ gauche ” (qui a hérité, par ailleurs, des bévues du “ sarkosysme ”) ne peut que poursuivre et accentuer les attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Le seul “ changement ” ne peut porter que sur le “ langage ” et les thèmes mystificateurs destinés à faire passer la politique d’austérité du nouveau gouvernement, comme le met clairement en évidence la Résolution adoptée par le Congrès (et à laquelle nous renvoyons nos lecteurs).
Les débats sur le rapport sur la situation en France présenté au Congrès ont également abordé la dynamique de la lutte de classe. Ils ont mis en évidence que, malgré la profondeur de la crise économique et la dégradation considérable des conditions d’existence de la classe ouvrière en France, comme dans tous les pays, celle-ci ne s’est pas encore engagée dans des luttes massives après le mouvement contre la réforme des retraites à l’automne 2011 : “ Si les expressions de combativité se sont caractérisées, comme dans les autres pays, par un éparpillement des luttes, la violence des attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière que provoque la crise économique, va pousser les ouvriers vers des expressions de combativité d’une ampleur croissante. Ceci est vrai pour la classe ouvrière de tous les pays et c’est vrai aussi, et surtout, pour la France, car, justement, la classe ouvrière de ce pays a une tradition de mobilisations massives. Cette tradition explique pourquoi, contrairement à des pays comme l’Espagne et le Royaume-Uni, des mouvements analogues à celui des Indignés ou d’Occupy Wall Street n’ont pas eu lieu en France. La cause réside dans le fait que, contrairement aux autres pays, la combativité de la classe ouvrière de ce pays s’était déjà concrétisée par des mobilisations massives comme la lutte contre le CPE en 2006 et plus récemment, contre la réforme des retraites. De ce fait, le besoin de tels mouvements pour exprimer son mécontentement était moins ressenti au sein de la classe ouvrière, ce qui veut dire que l’absence de mouvement analogue à celui des Indignés, en France, ne signifie pas que la classe ouvrière de ce pays aurait un retard particulier par rapport à celle des autres pays développés. Malgré les gros handicaps qui entravent la classe ouvrière (perte de son identité de classe et absence de perspectives), autant en France que dans les autres pays, la vitesse avec laquelle la dégradation des conditions de vie va se poursuivre, va pousser les exploités à tenter d’exprimer leur combativité, comme on le voit en ce moment avec les manifestations massives qui ont eu lieu au Portugal, en Espagne et en Grèce. Même si l’habillage idéologique avec lequel la bourgeoisie tente de faire passer ses attaques va retarder et rendre plus difficile l’explosion de luttes, il n’est pas suffisant pour l’empêcher. ” (Résolution sur la situation en France, Point 7).
L’assemblée plénière de notre section en France est aussi le moment où celle-ci doit tirer le bilan de ses activités, depuis le dernier congrès de RI, afin de tracer des perspectives pour les deux années à venir. Et, bien évidemment, dans une organisation internationale centralisée comme le CCI, les activités de ses sections territoriales ne peuvent être examinées que dans le cadre général des activités de l’ensemble de l’organisation. C’est pour cela que le Congrès a accordé une place importante à la discussion sur les activités du CCI (dont nous rendrons compte ultérieurement, dans notre presse, après la tenue de notre prochain congrès international).
Le Congrès, sur la base du rapport présenté par l’organe central de la section en France, a tiré un bilan incontestablement positif de l’ensemble des activités de RI (notamment de son intervention dans la lutte de classe, et au sein de ses minorités politisées). C’est sur la base de ce bilan que le Congrès se devait également d’examiner avec la plus grande lucidité les faiblesses et difficultés auxquelles la section du CCI en France a été confrontée, ces deux dernières années, et qu’elle s’est donnée comme perspective de dépasser : un certain “ routinisme ” qui s’est soldé par une sous-estimation de l’approfondissement théorique (notamment sur les questions organisationnelles), une difficulté à transmettre aux nouveaux militants les leçons de toute l’expérience accumulée du CCI pour la construction de l’organisation et de l’esprit de parti (combat pour la défense des Statuts du CCI, contre le centrisme et l’opportunisme, contre l’esprit de cercle basé sur des conceptions affinitaires de l’organisation, etc.).
Les débats du Congrès, qui se sont déroulés essentiellement autour et en vue de l’adoption de la Résolution d’Activités, ont donné comme orientation pour notre section en France, d’améliorer son fonctionnement interne face aux enjeux qui sont devant nous : la nécessité de transmettre à une nouvelle génération de militants la méthode du marxisme et les acquis du CCI tant sur le plan politique et théorique qu’organisationnel. Pour pouvoir assurer cette transmission et ce lien “ organique ” entre les générations, le Congrès a rappelé que l’ancienne génération doit résister en permanence contre la tendance à la perte de ces acquis (que nous avions déjà évoquée à plusieurs reprises dans le passé). Du fait que le CCI est l’organisation révolutionnaire internationale qui a la plus longue durée de vie de toute l’histoire du mouvement ouvrier, il est “ normal ” que les acquis de l’expérience du passé aient tendance à être oubliés avec le temps.
Le Congrès a donné comme perspective à la section en France, la nécessité de mieux équilibrer son activité dans le but de permettre à tous les militants de dégager du temps pour lire afin que l’ensemble de l’organisation puisse développer collectivement ses débats théoriques (notamment sur les questions nouvelles qui ne doivent pas être laissées à des “ spécialistes ”).
Dans le cadre de la rationalisation de notre activité, le Congrès a également mené une discussion sur notre presse territoriale papier et Internet, et sur la fonction de ces deux supports. Dans la mesure où, aujourd’hui, c’est notre site Internet qui est notre principal outil d’intervention (puisque nos articles sont mis en ligne au fur et à mesure de leur parution), le Congrès a engagé une réflexion dans le sens de diminuer la périodicité de la publication régulière du journal RI (dont les ventes n’augmentent qu’à l’occasion de nos diffusions dans les manifestions, alors que la consultation de nos articles sur notre site Internet n’est pas tributaire des aléas de la lutte de classe).
Face au danger de l’immédiatisme, le Congrès a rappelé que l’intervention dans les luttes immédiates de la classe ouvrière, aussi indispensable soit-elle, n’est pas, cependant, notre activité principale. Comme toutes les organisations révolutionnaires du passé, la responsabilité première du CCI consiste à préparer les conditions de la révolution prolétarienne, et plus particulièrement les conditions de formation du futur parti mondial. C’est la raison pour laquelle notre travail à long terme de construction de l’organisation, doit rester au centre de notre activité.
La Résolution d’Activités, adoptée par le Congrès à l’issue d’un long débat (où tous les militants se sont impliqués) a souligné que : “ L’activité des révolutionnaires ne se résume pas à l’intervention dans les luttes immédiates de la classe ouvrière et ses minorités, mais d’abord dans la ‘clarification théorique et politique des buts et des moyens de la lutte du prolétariat, des conditions historiques et immédiates de celles-ci (voir le point sur notre activité dans nos positions publiées au dos de nos publications) (…) Notre travail d’élaboration théorique n’est pas encore achevé, loin de là, et ne sera jamais achevé. Cette clarification théorique est encore devant nous et doit rester notre priorité dans le combat pour la construction de l’organisation et afin de continuer à assumer notre responsabilité d’avant-garde du prolétariat. ” (Point 14).
“ La lutte pour le communisme ne comporte pas seulement une dimension économique et politique, mais également une dimension théorique (“ intellectuelle ” et morale). C’est en développant la ‘culture de la théorie’, c’est-à-dire la capacité de placer en permanence dans un cadre historique et/ou théorique tous les aspects de l’activité de l’organisation, que nous pourrons développer et approfondir la culture du débat en notre sein, et mieux assimiler la méthode dialectique du marxisme. ”
C’est évidement avec cette démarche que la section du CCI en France s’est donnée comme perspective de renforcer son tissu organisationnel et d’améliorer son fonctionnement en développant un débat théorique sur les racines de ses difficultés présentes et passées.
“ Ce travail de réflexion théorique ne peut ignorer l’apport des sciences (et notamment des sciences humaines, telles la psychologie et l’anthropologie), l’histoire de l’espèce humaine et le développement de sa civilisation. C’est en particulier pour cela que la discussion sur le thème ‘marxisme et science’ était de la plus haute importance et que les avancées qu’elle a permises doivent rester présentes et se renforcer dans la réflexion et la vie de l’organisation. ” (Résolution d’Activité, Point 6).
Comme nos lecteurs assidus le savent, depuis la célébration de “ l’année Darwin ”, le CCI a récupéré une tradition du mouvement ouvrier du passé : l’intérêt pour les recherches et les nouvelles découvertes scientifiques, et notamment celles qui peuvent permettre au marxisme de mieux comprendre la “ nature ” humaine. Car, pour construire le communisme du futur, le prolétariat doit aller à la “ racine des choses ” et, comme le disait Marx, “ la racine des choses pour l’homme, c’est l’homme lui-même ”. C’est la raison pour laquelle nous avions développé un débat sur “ marxisme et science ” et avions invité des scientifiques aux deux derniers congrès du CCI.
Notre ouverture aux sciences s’est poursuivie au 20ème Congrès de RI. Une petite partie de ses travaux a donc été consacrée à un débat avec une scientifique autour du thème que nous avions choisi : “ La confiance et la solidarité dans l’évolution de l’humanité : en quoi notre espèce se différencie-t-elle des grands singes ? ”.
Camilla Power, professeur d’anthropologie à l’Université East London (et collaboratrice de Chris Knight), a accepté de venir au Congrès de RI animer une discussion autour de ce thème. Dans son exposé, très intéressant et très bien illustré, elle a expliqué le développement de la solidarité et de la confiance dans l’espèce humaine à partir d’un rappel de la théorie darwinienne de l’évolution.
Tous les participants au congrès, y compris nos contacts et sympathisants invités, ont particulièrement apprécié la démarche matérialiste et la rigueur scientifique de cette présentation, de même que la qualité du débat. Pour sa part, c’est en ces termes que Camilla Power a chaleureusement remercié le Congrès, avant son départ :
“ J'aimerais juste vous dire merci ; c'était très stimulant pour moi d’être venue à votre congrès. J'ai beaucoup appris des questions et des réponses des différents intervenants. J'ai été très impressionnée par les lectures que vous avez faites, et de ce que vous en avez tiré. Je me suis toujours sentie très engagée envers le marxisme et envers le darwinisme. Je suis une anthropologue. Nous devons combiner la compréhension de l'histoire naturelle et de l'histoire sociale. Et l'anthropologie est au centre de cela. Marx et Engels, à la fin de leur vie, passaient beaucoup de temps à faire des recherches en anthropologie. C'est arrivé très tard dans leur vie mais cela montre qu'ils avaient reconnu à quel point c'est important. C'est très stimulant de rencontrer des gens qui veulent réfléchir de manière scientifique à ce que veut dire “ être humain ”. C'est une question très importante pour tout le monde, pour la classe ouvrière internationale. Pour nous permettre de redécouvrir la nature de notre humanité. Nous ne devons pas avoir peur de la science, car c'est la science qui va nous donner des réponses révolutionnaires. Merci beaucoup, camarades. ”
Nous pouvons aujourd’hui tirer un bilan très positif de l’invitation d’un scientifique à nos congrès. C’est une expérience que notre organisation s’efforcera de renouveler, autant que possible, dans ses prochains congrès.
Le chemin qui mène à la révolution prolétarienne est un chemin long, difficile et parsemé d’embûches (comme l’avait souligné Marx dans “ Le 18 Brumaire ”).
La tâche du CCI est donc tout aussi longue et difficile que la lutte du prolétariat pour son émancipation. Elle est d’autant plus difficile que nos forces sont encore extrêmement réduites aujourd’hui. Mais les difficultés que les organisations communistes rencontrent dans leur activité n’ont jamais été un facteur de découragement, comme l’exprime cette citation de Marx rappelée à la fin de la Résolution d’Activité adoptée par le 20ème Congrès de RI :
“ J’ai toujours constaté que toutes les natures vraiment bien trempées, une fois qu’elles se sont engagées dans la voix révolutionnaire, puisent constamment de nouvelles forces de la défaite et deviennent de plus en plus résolues à mesure que le fleuve de l’histoire les emporte. ” (Marx, Lettre à J. Philip Becker).
Dans le dernier article de cette série, nous verrons que le sport concentre l'idéologie nationaliste et qu'il est un instrument au service de l'impérialisme. Il exprime toute la monstruosité du capitalisme décadent.
La « neutralité politique » du sport est un mythe ! Avec les médias, il ne cesse de cultiver l’identification chauvine, le nationalisme. Le sport est même un véhicule privilégié pour distiller ce poison nocif. Après le traumatisme de la Première Guerre mondiale, « le fossé entre le monde privé et public fut (…) comblé par le sport. Entre les deux guerres, le sport en tant que spectacle de masse fut transformé en une interminable succession de combats de gladiateurs entre des personnes et des équipes symbolisant des États-nations ».1
Le nationalisme a donc été entretenu en permanence contre les exploités par le rituel et les symboles qui encadraient ces rencontres. La mise en scène sportive à des fins de propagande, contrairement à ce que laisse entendre l'histoire officielle, n'est pas une particularité du nazisme ou du stalinisme, mais une pratique généralisée à tous les pays. Il suffit de se rappeler les protocoles et les fastes d'ouverture des jeux olympiques de Pékin en 2008 ou de Londres en 2012, ou encore de l'entrée des équipes nationales de football au moment des grandes rencontres, pour s'en convaincre. Les grands shows sportifs permettent de provoquer de fortes émotions collectives guidant facilement les esprits vers un univers de codes et de symboles nationaux : « Ce qui donna au sport une efficacité aussi unique comme moyen d’inculquer un sentiment national (…) c'est la facilité avec laquelle les individus (…) peuvent s'identifier avec la nation symbolisée. »2Souvent accompagnées de musiques militaires, les compétitions internationales sont systématiquement précédées ou clôturées par les hymnes : « Ces rapports sont ceux de confrontations de toutes sortes où le prestige national est en jeu ; le rituel sportif est donc à ce niveau un rituel de la confrontation entre nations.»3 Dans ces brefs moments d’unions sacrées, les classes sociales sont « fondues », niées, les spectateurs ouvertement appelés à se lever et à chanter les yeux fixés sur le drapeau national ou sur l’équipe qui l'incarne par ses couleurs.
En Afrique du Sud, par exemple, au nom du combat contre l’apartheid, les couleurs de l’équipe de rugby ont ainsi été utilisées par l'ANC de Mandela afin de canaliser la lutte de classe vers la mystification nationale.4 Les grandes victoires sportives peuvent aussi prolonger ce principe de soumission aveugle dans une sorte d'hystérie collective (comme on a pu l’observer lors de la victoire de la sélection espagnole au moment de la coupe du monde 2010 de football, celle d'Italie, quelques années plus tôt, ou celle de l'équipe de France en 1998...), avec des manifestations de liesse infestées pour l'occasion de drapeaux et de mythes nationaux préfabriqués.5 Finalement, la guerre des titres, des médailles, nation contre nation, essaie d'entretenir, comme au front durant les conflits militaires, cette dépendance des esprits en préparant toujours le terreau de la xénophobie et des violences nationalistes. Le sport incarne bien les intérêts des Etats, selon le même rituel que l'armée : décorations, citations, défilés. Comme le disait Rosa Luxembourg au moment de la Première Guerre mondiale : « Les intérêts nationaux ne sont qu'une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l'impérialisme. »6
Le sport a toujours été instrumentalisé dans les confrontations impérialistes. Les Jeux olympiques de Berlin, en 1936, ont été, par exemple, le fer de lance de la militarisation préfigurant les démonstrations de force des puissances de « l'Axe », bloc militaire qui allait lutter pour son « espace vital ». Pour les Nazis, les champions devaient être « des guerriers pour l’Allemagne, des ambassadeurs du III° Reich ». Selon Hitler, le jeune sportif allemand devait être « résistant comme le cuir, dur comme l'acier de Krupp ».7 Le sport devait préparer la guerre impérialiste et justifier ainsi la « supériorité de la race aryenne », en dépit des victoires du sprinteur noir américain Jesse Owens, qui firent exploser de colère le Führer.8 Toutes les rencontres sportives étaient un moyen pour le régime nazi de faire symboliquement flotter son drapeau sur des territoires convoités.
Pour ce qui devint le camp militaire adverse, les rencontres sportives allaient aussi préparer physiquement et mentalement à la guerre les « Résistants ». Les organisations staliniennes et social-patriotes avaient d'ailleurs cherché à organiser une « contre-olympiade » à Barcelone en juillet 1936, destinée à embrigader les prolétaires derrière le drapeau de l'antifascisme. Si ce projet sportif n'a pu se concrétiser, du fait du coup d'État franquiste, il n'a pas pour autant freiné l'adhésion idéologique au bloc impérialiste des futurs « alliés ». Le sport a donc apporté sa petite contribution, de part et d'autre, à ce qui allait devenir une nouvelle boucherie mondiale faisant plus de 50 millions de morts !
Sur les ruines encore fumantes de ce terrible conflit, l'arène sportive mondiale sera ensuite dominée par la Guerre Froide, jusqu'à l'aube des années 1990. Les compétitions internationales seront marquées par un contexte d'opposition Est-Ouest qui ne fut pas loin de déboucher sur un holocauste nucléaire. Pendant toute la phase de décadence capitaliste, les rencontres sportives ont toutes été marquées par les clivages de nature impérialiste. L'universalité symbolisée par les anneaux olympiques n'est donc qu'une sinistre tartufferie ; elle représente un véritable panier de crabes aux intérêts capitalistes divergents. Dès les années 1920, par exemple, les vaincus, comme l'Allemagne, étaient écartés des Jeux par vengeance et en représailles. En 1948, l'Allemagne et le Japon étaient exclus. Aux Jeux de 1956, à Melbourne, le boycott de la part d'un certain nombre de pays (Pays-Bas, Espagne, Suisse...) permettait de réagir politiquement contre l'invasion des chars soviétiques à Budapest en alimentant les tensions de la « Guerre Froide ». Notons, par contre, qu'au Mexique, en 1968, au moment de la répression et du massacre de 300 étudiants place des Trois cultures, de grandes démocraties invitées participèrent sans sourciller à ces jeux ! En 1972, les Jeux olympiques de Munich ont été le théâtre d'actes de guerre. L'équipe israélienne a ainsi été prise en otage par un commando palestinien. Bilan : un bain de sang, le massacre de 17 personnes ! En 1976, une grande partie du continent noir était absente des Jeux du fait de l'apartheid. Dans les années 1980, les Jeux de Moscou, véritable hymne militaire à la gloire du régime stalinien, étaient boycottés par bon nombre d'alliés occidentaux du bloc américain rival, dont la Chine, en opposition cette fois à l'intervention russe en Afghanistan ! Basculée du côté de l'impérialisme américain, on a parlé tout un temps, à propos de la Chine, du fait de la dimension politique du sport, de sa « diplomatie du ping-pong ». Aujourd'hui, la montée en puissance de la Chine sur la scène impérialiste mondiale, notamment face aux États-Unis, s'accompagne de records sportifs très agressifs, révélateurs d'ambitions clairement affichées.
A chaque fois, les Etats engagés ont toujours présenté des athlètes dopés à mort, « en guerre » pour défier « l'ennemi », que ce soit dans le cadre de blocs militaires rivaux, au sein même de ces derniers, ou, après leur disparition, entre nations. Le football a largement illustré ces tensions, alimentant les climats de haine dans les foules. Parmi la foison d'exemples, nous retiendrons l'épisode tragique du match entre le Salvador et le Honduras, en 1969, pour la qualification à la Coupe du monde de 1970. Cette rencontre était le prélude d'une guerre entre ces deux pays qui fit au moins 4000 morts !
Le sport exprime de plus en plus clairement la réalité du pourrissement sur pied d'une société bourgeoise sans avenir. L'absence de perspectives, le chômage et la misère, ont fait naître, dès les années 1970 et surtout à l'aube des années 1980, des hordes de hooligans xénophobes sous l'emprise régulière de l’alcool, semant la terreur et la haine, particulièrement dans les stades des grandes métropoles sinistrées par la crise. Ils ont régulièrement infesté les rencontres sportives, en Angleterre et ailleurs, comme ce fut le cas par exemple en mai 1990 lors du match opposant le Dynamo Zagreb au Red Star de Belgrade, débouchant sur une bataille rangée faisant des centaines de blessés et plusieurs morts, contribuant à envenimer les tensions nationalistes déjà existantes qui allaient déboucher sur la guerre en ex-Yougoslavie. Parmi les supporteurs serbes les plus radicaux, on remarquait le chef de guerre Arkan, spécialiste de « l'épuration ethnique », nationaliste recherché plus tard par l'ONU pour « crime contre l'humanité » !
Outre cet épisode dont on aurait pu multiplier les exemples, la violence croissante a fait dire au bon sens populaire bourgeois que le sport était, de plus en plus, « gangrené par l'argent et les mafias ». C’est occulter le fait que le sport est lui-même une mafia et un pur produit du capitalisme ! S'il est vrai qu'il est investi par un secteur financier hypertrophié, par des systèmes occultes fonctionnant avec des « sociétés écrans », à la tête desquelles se trouvent in fine en bout de chaîne les États eux-mêmes, le sport génère, du fait de la crise économique catastrophique, un véritable jeu de casino, symbole même d'un mode de production en faillite. Les grandes instances internationales sportives, comme le CIO (Comité Olympique International) ou la FIFA (Fédération Internationale de Football Association), les grands clubs, qui alimentent des mœurs de voyous et de gangsters, dont certains joueurs sont d’éminents représentants, les politiciens et les spéculateurs véreux, accompagnent les scandales à répétitions dont les détournements de fonds réguliers ne sont que la partie émergée de l'iceberg.9 Des opérations financières sauvages pour la construction des complexes sportifs, comme en Chine ou en Afrique du Sud ces dernières années, témoignent de pratiques brutales très courantes, comme l'expropriation violente de gens misérables qu'on jette à la rue pour l'occasion.
Tous les Etats, les mafias, ainsi que le monde « sportif » pourri jusqu’à la moelle, spéculent dans le secteur économique du sport et des jeux. Certains, en achetant même des clubs, comme récemment le Qatar avec le Paris-Saint-Germain et son cortège de vedettes, procèdent à des investissements faramineux dans ce secteur improductif. C'est aussi le cas en Grande-Bretagne pour les grands clubs. Lors du « mercato », véritable « marché aux bestiaux » de footballeurs, les transactions servent même régulièrement à blanchir de l'argent « sale ». Selon Noël Pons (spécialiste en criminalité) : « Les clubs de football sont des entreprises de type CAC 40, le phénomène de blanchiment doit donc être au même niveau de ce qu'il peut être pour ces entreprises ».10
Le revers de cette médaille est la surexploitation : à côté des stars surpayées et des agents véreux, des milliers de jeunes sportifs se retrouvent sans contrats, paupérisés, notamment de très jeunes Africains qu'on fait venir avec des promesses mirifiques en Europe, que les clubs jettent ensuite sans scrupule à la rue et qui deviennent parfois SDF. L'autre grande spécialité est depuis longtemps celle des matchs truqués, des paris d'argent, qui affectent un nombre incalculable de rencontres en Europe et dans le monde. Le football italien, davantage sur la sellette, montre que de nombreux joueurs et dirigeants sont clairement liés au monde politique et au crime organisé. Même des sports qui ont été présentés comme « propres » par les médias, tel le handball en France, sont sujets aux paris truqués et à la corruption ! C'est d'ailleurs le cas du tennis, ou des joueurs rétribués en coulisses n'hésitent pas à perdre volontairement des matchs pour gagner plus d'argent.
Toutes ces pratiques de voyous, qui sont en dernière instance celles des Etats, ne s'arrêtent pas là. Elles affectent parfois même la sécurité des spectateurs, comme, par exemple, on a pu le constater en 1985 lors de la tragédie du stade du Heysel en Belgique, où sous le poids de supporters excités, des grilles de séparation se sont effondrées, faisant 39 morts et plus de 600 blessés ! Ces tragédies, malheureusement, ne sont pas uniques. Les installations à bas coûts, la surcapacité et les mouvements de foules entraînent des catastrophes comme celle de Sheffield, en avril 1989 : 96 morts, 766 blessés ! Au stade Furiani à Bastia, le 5 mai 1992, pour une question de rentabilité, une tribune provisoire construite à la va-vite s'effondrait juste avant le coup d'envoi faisant 18 morts et 2300 blessés !
Nous ne pouvons finir sans évoquer l'exploitation barbare, forcenée et scandaleuse des athlètes eux-mêmes, en particulier par le dopage, jusqu'aux limites physiologiques et même jusqu’à la mort. Au début du siècle dernier, des substances dopantes comme la strychnine étaient déjà banalisées. Très tôt, pour l'Etat, « le sport est devenu la science expérimentale du rendement corporel qui a exigé la création de laboratoires de médecine sportive, la mise au point de matériel expérimental et d'engins divers, l'ouverture d'instituts sportifs spécialisés ».11 En 1967, tout le monde était choqué par le décès du cycliste britannique Tom Simpson sur les pentes du Mont Ventoux, mais la réalité du dopage était depuis longtemps institutionnalisée. Comme le souligne l'ancien médecin du Tour de France, le docteur Jean-Pierre de Mondenard : « Le sport de haut niveau est une école de la triche ». Aujourd'hui, suivi médical et dopage sont donc intimement mêlés. Stéroïdes, anabolisants, EPO, autotransfusions sont utilisés de manière courante dans les compétitions, encadrées par les équipes médicales de toutes les grandes écuries. Inutile de dire que le phénomène touche tous les sports à très hautes doses ! Un sport comme le rugby, par exemple, est concerné dès la formation des jeunes joueurs. C'est ce que montre ce témoignage d'un sportif de 24 ans, aujourd'hui malade, à la carrière brisée : « On arrive en centre de formation. Là, on entend beaucoup parler du “vrai” dopage. Certains de mes coéquipiers s’injectaient des molécules, des produits vétérinaires, fournis par un médecin qui tournait autour du club. On parle de clenbutérol et de salbutamol, d’anabolisants de veaux et de taureaux. Tu ne vas plus rien acheter sur Internet mais essayer de rencontrer la personne qu’il faut. Le médecin te fait tes premières injections et te laisse faire ensuite. » Il ajoute très justement ceci : « L’omerta est déjà très forte dans le milieu du sport, elle l’est encore plus quand cela concerne des adolescents. »12 Usés et détruits prématurément, les sportifs souffrent de troubles très graves : accidents cardiaques et circulatoires, insuffisances rénales et hépatiques, cancers, impuissance, stérilité, troubles de la grossesse chez la femme enceinte, maladies musculo-squelettiques, etc. Un nombre important d'athlètes de haut niveau décèdent avant 40 ans ! L’exemple des nageuses est-allemandes, qui révèle déjà toute la brutalité et l'horreur capitaliste de la planification étatique, a été depuis, très largement surpassé. Rappelons tout de même que comme les autres athlètes, ces nageuses étaient dopées de force, le plus souvent à leur insu. Fliquées par les services spéciaux (Stasi, KGB) dans tous leurs déplacements, ces athlètes ne devaient pas communiquer avec les gens de l'Ouest, sous peine de représailles contre leur famille. Devenues des « hommes » sur le plan hormonal (forte pilosité, trouble de la libido, clitoris hypertrophié...) grâce à des pilules et des injections quotidiennes inoculées par des médecins spécialisés13, elles étaient condamnées à toutes sortes de chantages et au silence par l'Etat. On recense plus de 10 000 victimes ! Bon nombre d’entre elles est décédé, atteintes de cancers, gravement malades.14 Aujourd'hui, les cas très connus du cyclisme, de l'affaire Festina15 aux déboires de coureurs autant acteurs que victimes et boucs-émissaires, comme le cycliste Lance Amstrong, destitué dernièrement (avec la perte de ses 7 titres de vainqueur au palmarès du Tour de France et de ses maillots jaunes), témoignent du fait que les lois du capital et du profit ne reculent devant rien.
L' « éthique du sport » est celle du capitalisme ! Elle se résume en peu de mots : ambition, tricherie, corruption, hypocrisie, concurrence à mort, violence et brutalité ! Le sport paralympique connaît d'ailleurs la même logique, une sordide mise en concurrence qui débouche sur
une sorte de « guerre des prothèses ».
Vouloir encore « moraliser » le sport aujourd'hui ne relève plus seulement d'une pure illusion. Il s'agit, pour le moins, d'une utopie réactionnaire et même d'une véritable escroquerie !
Les tentatives d'utiliser le sport dans la décadence capitaliste pour le combat ouvrier n'ont fait qu'accentuer la gangrène opportuniste, stimuler les forces conservatrices. Il ne peut exister de « sport prolétarien ». Lors de la vague révolutionnaire mondiale de 1917-1923, l'échec programmé de l'Internationale Rouge du Sport (ISR fondée en 1921) était lié aux conditions historiques et politiques du moment, celles du capitalisme décadent et de l'isolement tragique de la révolution en Russie. Les Jeux d'Asie Centrale, organisés sportivement en 1920 par les bolcheviks à Tachkent (Ouzbékistan), stimulant les sentiments nationaux et renforçant les États locaux, véritable mosaïque de l'ex-empire russe, n'avaient fait qu’accroître la confusion politique. Pire, ils allaient durcir le cordon sanitaire des troupes bourgeoises de l'Entente autour d'une Russie soviétique assiégée. Les « Spartakiades » de Moscou, en 1928, parachevaient la défense de la « patrie socialiste » par ces jeux sportifs qui incarnaient déjà la contre-révolution. Le seul vrai « triomphe » était alors celui du stalinisme, exhibant avec fierté ses « bolcheviks d'acier » ! Marx soulignait que la société communiste ferait « la démonstration pratique de la possibilité d'unir l’enseignement et la gymnastique avec le travail et vice-versa ». Cela, dans la perspective de réaliser des « hommes complets ».16 Si Lénine et les bolcheviks défendaient une telle vision au départ, ils ne purent avoir le temps, ni la possibilité, de voir cette œuvre s'accomplir. Le stalinisme a créé l'inverse : une caricature médicalisée de robots monstrueux ! Il est naturellement difficile d'entrevoir la société communiste du futur. Mais il est certain que le sport, tel qu'il existe actuellement, aura forcément disparu dans une société sans classes sociales. Il est autant difficile pour un amateur de sport de le concevoir aujourd'hui, qu'il l'est pour un dépendant d'entrevoir un monde sans addictions. Aux séparations artificielles de toutes sortes entre activités physiques et intellectuelles, aux oppositions forcées entre sportifs et sédentaires, devra se substituer un monde humain, unitaire, créatif et libre. Ainsi, « l'homme complet », cher à Marx, retrouvera dans le communisme sa vraie nature sociale : « Les sens de l'homme social sont autres que ceux de l'homme non social. C'est seulement grâce à l'épanouissement de la richesse de l'être humain que se forme et se développe la richesse de la sensibilité subjective de l'homme : une oreille musicienne, un œil pour la beauté des formes, bref des sens capables de jouissance humaine, des sens s'affirmant comme maîtrise propre à l'être humain... une fois accomplie (sa gestation), la société produit comme sa réalité durable l'homme pourvu de toutes les richesses de son être, l'homme riche, l'homme doué de tous ses sens, l'homme profond. »17 Cet homme « profond » exprimera ainsi sa véritable individualité dans une harmonie supérieure : celle de l'unité dialectique rendant grâce à la beauté du corps et de l'esprit.
WH (20 décembre)
1 E. Hobsbawm, Nations et nationalisme depuis 1780, Folio histoire.
2 Op. cit.
3 J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992.
4Notons qu'on voit désormais ressortir le drapeau national allemand dans les foules lors de rencontres sportives, conformément aux nouvelles ambitions impérialistes allemandes ; cela, après des années de sourdines imposées par un lourd passé.
5 Comme, par exemple, l'idéologie «black-blanc-beur» en France : allusion au drapeau tricolore « bleu-blanc-rouge » et à l'unité nationale, au-delà des couleurs de peaux et des origines, derrière l'État républicain, dans une sorte d'union sacrée.
6 Brochure de Junius, 1915.
7 www.memorialdelashoah.org [366]
8 Ceci n’a d’ailleurs pas plus enthousiasmé la bourgeoisie américaine d’alors, marquée par des préjugés raciaux diviseurs et meurtriers. Les minorités noires étaient, en effet, marginalisées lors des Jeux Olympiques de Saint-Louis en 1904. Des compétitions spéciales, appelées « journées anthropologiques » étaient même organisées et réservées à ce que les « officiels » considéraient comme des « sous-hommes ». Victimes de ségrégation et de lynchages, les minorités noires allaient réagir plus tard dans des luttes parcellaires, dont celle des célèbres «Black Panthers», incarnées sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico en 1968 par les poings levés, gantés de noir, des coureurs Smith et Carlos.
9 Un scandale parmi d'autres : lors de la candidature de Salt Lake City aux Jeux d'Hiver 2002, des membres du CIO ont accepté des pots-de vin venant des élus influents.
11 J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992.
12 www.rue89.com [368]
13 Notons que des entraineurs en ex-RDA auraient même mis enceinte leurs sportives : au troisième mois de grossesse, la femme produisant davantage de testostérone serait plus performante !
14 Pour donner une idée de la progression du phénomène de dopage aujourd'hui, un exemple : le record de l'Australienne Stéphanie Rice (au 400 mètres 4 nages à Pékin en 2008) est inférieur de 7 secondes à celui de l'ex-championne de l'Est, Petra Schneider, (en 1980 à Moscou), pourtant réputée très fortement « chargée » en stéroïdes !
15 En juillet 1998, le soigneur de l'équipe cycliste Festina, Willy Voet, était arrêté par la douane. Il transportait des ampoules d’érythropoïétine (EPO), des capsules d'amphétamines, des solutions d'hormone de croissance et des flacons de testostérone.
16 Marx cité par J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992.
17 Marx, Manuscrits, « Communisme et propriété », La Pléiade, T.II.
"Parfois, les ouvriers triomphent mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs. Cette union est facilitée par l'accroissement des moyens de communication qui sont créés par une grande industrie et qui permettent aux ouvriers de localités différentes de prendre contact. (…) et l'union que les bourgeois du moyen âge mettaient des siècles à établir avec leurs chemins vicinaux, les prolétaires modernes la réalisent en quelques années grâce aux chemins de fer".
C'est en ces termes que Marx s'exprimait en 1848, dans le Manifeste Communiste. Le capitalisme a finalement vécu plus longtemps que Marx ne le prévoyait mais la lutte de classe est plus que jamais présente dans le monde entier. Là où les ouvriers de 1848 comptaient sur les chemins de fer, qui n'ont évidemment pas été créés pour les servir, les ouvriers et les révolutionnaires de 2013 comptent de plus en plus sur Internet pour diffuser leurs idées, pour discuter et, nous espérons, pour forger progressivement cette "union grandissante" dont Marx parlait. Internet a profondément modifié notre manière de travailler et, par-dessus tout, la manière dont nous communiquons.
Quand le CCI a été constitué en 1975, Internet n'existait pas, bien sûr. Les idées étaient diffusées au moyen de la presse imprimée, distribuée dans des centaines de petites librairies radicales qui ont émergé de la dynamique enclenchée par Mai 68 en France et les luttes qui ont suivi dans le monde entier. Et c'est au moyen de lettres (souvent écrites à la main !) transmises par la poste que s'effectuaient les correspondances.
Aujourd'hui les choses ont bien changé : le papier a été remplacé par les médias électroniques et, alors que les librairies constituaient par le passé un lieu privilégié de la diffusion de notre presse imprimée dans le monde, maintenant nos ventes de celle-ci s'effectuent essentiellement dans les manifestations et les luttes sur les lieux de travail.
Par ailleurs, depuis la formation du CCI, notre presse s'est efforcée de contribuer au développement d'une perspective internationaliste dans la classe ouvrière en s'appuyant sur des articles valables pour différents pays. Aujourd'hui, nous poursuivons dans cette direction mais la plus grande rapidité permise par les médias électroniques a permis aux sections du CCI de travailler plus étroitement ensemble (en particulier celles qui ont en commun une même langue) et nous voulons mettre à profit cette nouvelle réalité pour renforcer encore l'unité internationale de notre presse.
Tout cela nous a poussés à entreprendre une réévaluation de notre presse et de la place relative de la presse électronique et de la presse imprimée au sein de notre intervention globale. Nous sommes convaincus que la presse imprimée demeure une partie essentielle de nos moyens d'intervention. C'est en effet à travers elle que nous pouvons être présent directement sur le terrain des luttes. Mais la presse imprimée ne joue plus exactement le même rôle que dans le passé et de ce fait doit devenir plus flexible, pouvoir s'adapter à une situation changeante.
Nos forces étant limitées, nous sommes ainsi arrivés à la conclusion que si nous devons effectivement renforcer et adapter notre site Web, nous devons en même temps réduire l'effort consacré à la production de la presse imprimée : une des premières conséquences de cette réorientation de nos publications va donc être une réduction de la fréquence de nos publications imprimées, notamment de certains de nos journaux Ainsi notre journal en Grande-Bretagne (World Revolution) et en France (Révolution Internationale) ne paraîtront dorénavant plus qu'une fois tous les deux mois.
Par ailleurs, comme nos lecteurs l'auront certainement remarqué, le numéro d'été de la Revue Internationale n'est pas paru. Nous nous en excusons auprès de ceux-ci. Comment expliquer cela alors que, selon nous, les nécessités historiques du combat de la classe ouvrière requièrent des révolutionnaires un effort accru d'intervention sur le plan théorique et historique ? Il s'avère en fait que nos forces limitées ne nous permettent pas de mener de front un ensemble de tâches liées à la publication, en plus de la Revue internationale, de brochures ou livres dont la finalisation en cours requiert de notre part un travail significatif. Nous ne sommes qu'au début de nos réflexions sur le sujet de la presse et nous ne savons pas encore précisément quelles modalités définitives seront adoptées concernant le rythme de sortie de la Revue Internationale.
Nous pensons que dans le courant de l'année de nouvelles modifications interviendront, concernant en particulier la structuration de notre site Web. Nous voudrions impliquer nos lecteurs dans cette entreprise et, à cette fin, nous publierons bientôt un questionnaire sur le site leur permettant de donner leur avis. En attendant, nous serions très heureux qu'ils nous transmettent leurs suggestions sur le forum.
Tout ce qui précède s'applique bien sûr au cas des zones géographiques où l'accès à Internet est répandu. Il existe encore des régions où l'absence ou la difficulté d'accès à Internet signifie qu'une presse imprimée doit pouvoir continuer à jouer le même rôle que dans le passé. Ceci est particulièrement vrai de l'Inde et de l'Amérique Latine et nous travaillerons avec nos sections en Inde, au Mexique, au Venezuela, au Pérou et en Équateur pour déterminer comment adapter au mieux la presse imprimée aux conditions dans ces pays.
CCI (18 janvier)
"Surenchère militaire en Corée du Nord", "La Corée du Nord annonce qu’elle est en état de guerre avec le Sud", "La Corée du Nord menace de frapper les États-Unis", "Menace de guerre nucléaire"… les titres étalés à la Une des journaux ces dernières semaines ont de quoi donner des sueurs froides. Mais contrairement à la propagande que l’on nous sert matin, midi et soir, cette tension militaire palpable n’est pas le fruit des seuls cerveaux malades des dirigeants nord-coréens. Toute l’Asie du Sud-Est est prise dans cette spirale. Ainsi, par exemple, au cours des derniers mois, le Japon n’a cessé de se disputer avec la Chine le contrôle des îles Senkaku/Diyao et avec la Corée du Sud celui de l’île de Takeshima/Dokdo, à grands coups de déclarations belliqueuses et de campagnes nationalistes. D’ailleurs, pour réellement comprendre ce qui se déroule aujourd’hui en Corée, il est impératif d’étudier l’histoire moderne, très dense, des conflits qui ont ravagé l’Asie.
Durant la Première Guerre mondiale, l’Asie orientale a été relativement épargnée. Mais au cours de la Seconde, la déflagration n’en fut que plus terrible : probablement plus de 20 millions de morts !1 Et la capitulation du Japon le 2 septembre 1945, si elle a signifié la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique, n’a en rien ouvert une période de "paix". Une guerre n’a fait qu’en chasser une autre : la nouvelle sera nommée "Froide". Dès 1945, alors que les ruines n’ont pas encore fini de fumer, l’Union Soviétique et les États-Unis entrent en conflit pour le contrôle de l’Asie. Telle est la cause réelle du largage des premières bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki : alors que le Japon est déjà à genoux (Tokyo a été écrasé sous un tapis de bombes incendiaires pendant l’hiver 1944/1945), les États-Unis veulent démontrer toute leur puissance et bloquer l'avancée de leur nouvel ennemi numéro un, l’URSS. En Chine aussi, cette même confrontation fait rage. La Russie soutient l’Armée Rouge de Mao et les États-Unis, les troupes de Chiang Kai Shek. La Chine est ainsi le premier pays à être divisé en un territoire pro-russe (La République Populaire de Chine) et une partie pro-américaine (Taiwan). Aujourd’hui encore, ces deux nations dirigent l’une contre l’autre un arsenal militaire terrifiant.
L’histoire de la Corée s’inscrit en plein dans cette opposition frontale du bloc de l’Est et du bloc de l’Ouest. En 1945, après la défaite des occupants japonais, alors que les troupes russes se préparaient à occuper toute la péninsule coréenne, les États-Unis ont forcé la Russie à accepter une occupation conjointe de la Corée. La Corée fut ainsi divisée le long du 38e parallèle. La guerre de Corée de 1950-1953 a été un des premiers et des plus sanglants conflits de la Guerre Froide (Trois millions de morts, Séoul et Pyongyang rasés plusieurs fois). Le pays est depuis resté divisé et les armées n’ont cessé d’être en alerte.
L’escalade actuelle s’inscrit dans cette continuité. Ses racines plongent dans le découpage impérialiste, la fragmentation du monde en nations engagées dans des luttes à mort pour leur survie. La Corée n’est donc en rien une exception. L’ensemble de l’Europe a été divisée après 1945 en deux blocs (l’Allemagne est restée divisée jusqu’en 1989) ; le sous-continent indien a été découpé entre Pakistan, Bangladesh et Inde ; le Vietnam a été divisé ; en 1990, la Yougoslavie a été déchirée par de nombreuses guerres de sécession et est aujourd’hui fragmentée en Serbie, Bosnie, Croatie, Slovénie, Monténégro et Macédoine ; les territoires de l’ex-Empire ottoman au Moyen-Orient ont été morcelés en de nombreuses petites nations constamment en guerre avec, en plus, la fondation d’Israël au milieu de ce paysage qui a créé une autre zone de guerre permanente… Tout cela montre que la formation de nouvelles nations ne représente plus un progrès pour l’humanité mais engendre la mort et la désolation.
Le régime nord-coréen a été soutenu par la Chine dès ses premiers jours d’existence car elle y a vu la possibilité de constituer une zone "tampon" entre elle-même et le Japon. Aujourd’hui encore, derrière la Corée du Nord, se dresse le géant chinois. La Chine utilise l’attitude belliqueuse du régime de Pyongyang : les forces armées de ses adversaires (Corée du Sud, Japon et États-Unis) doivent se concentrer sur cette Corée du Nord belliciste et sont ainsi contraintes de délaisser un peu la Chine. Et l’idée d’une réunification des Corées du Nord et du Sud (sous domination sud-coréenne) et la perspective de base américaine près de la frontière chinoise ne peut que renforcer sa détermination. Mais une défaite du régime nord-coréen dans une confrontation militaire avec les États-Unis représenterait un affaiblissement significatif de la Chine. Elle doit donc essayer de "réfréner" la Corée du Nord, tout en la laissant les troupes américaines mobilisées contre elle. Il s’agit là d’un jeu dangereux à l’équilibre instable.
La Russie quant à elle, comme dans beaucoup d’autres zones de conflit depuis 1989, se retrouve dans une position contradictoire. D’un côté, elle a été une rivale de la Chine depuis les années 1960 (après l’avoir soutenue au début de la Guerre Froide), mais depuis la montée de la Chine en tant que "puissance émergente" au cours de la dernière décennie, la Russie a pris le parti de la Chine contre les États-Unis tout en voulant limiter sa montée en puissance. En ce qui concerne la Corée du Nord, la Russie ne veut pas que les États-Unis y accroissent leur présence.
Les États-Unis n’ont jamais été prêts à laisser la Corée tomber dans les mains de la Chine et de la Russie. Dans la situation présente, ils sont de nouveau les défenseurs indéfectibles de la Corée du Sud et du Japon. Bien sûr, leur objectif majeur est de freiner la Chine. Jusqu’à un certain point, les menaces militaires nord-coréennes sont une justification bienvenue pour les États-Unis afin d'accroître leur arsenal de guerre dans le Pacifique (ils ont déjà déplacé plus d’armes à Guam, en Alaska et en Corée). Naturellement, ces armes peuvent être utilisées contre la Corée du Nord, mais aussi contre la Chine. En même temps, tout pays qui peut défier ou même directement menacer les bases américaines à Guam ou en Alaska – comme le prétend la Corée du Nord – contribue à un affaiblissement de la domination américaine. Ainsi, en plus de l’affaiblissement des positions de l’Oncle Sam par la Chine, les ambitions nord-coréennes de menacer les États-Unis avec des armes nucléaires ne peuvent être tolérées par ces derniers. La politique américaine de containment (ou endiguement) de la Chine contribue significativement à alimenter les tensions avec la Corée du Nord.
Le Japon est dans une situation extrêmement complexe et pleine de contradictions. En tant qu’ennemi ancestral de la Chine, il se sent le plus menacé par elle et son allié, la Corée du Nord. En même temps, le Japon est en conflit avec la Corée du Sud à propos des îles Dokdo/Takeshima. Le dilemme est tout aussi cornélien avec les États-Unis : depuis la disparition du bloc russe après 1989, la Japon a eu comme objectif de desserrer l’étreinte américaine ; mais du fait de l’émergence de la Chine et des conflits répétés et de plus en plus aigus avec la Corée du Nord, le Japon n’a pas pu réduire sa dépendance vis-à-vis du pouvoir militaire des États-Unis. Si la Corée devait être réunie, le Japon aurait à faire face à un autre plus grand rival dans la région. Le Japon qui a occupé la Corée pendant plus de trois décennies aurait aussi –paradoxalement – à regretter de voir disparaître l’Etat-tampon Nord-coréen. L’accroissement récent des tensions avec la Chine et la Corée du Nord a été un heureux prétexte pour le gouvernement japonais afin d’accroître ses dépenses d’armement.
Ainsi, presque exactement 60 ans après la fin de la guerre de Corée en 1953, les mêmes forces s’opposent les unes aux autres ; l’Asie extrême-orientale est une zone de conflits permanents aux retombées mondiales.
Le régime de la Corée du Nord n’est pas venu au pouvoir suite à un soulèvement ouvrier mais seulement grâce à l’aide militaire de la Russie et de la Chine. Dépendant entièrement de ses patrons staliniens, le régime a orienté ses ressources vers le maintien et l’expansion de son appareil militaire. En conséquence de cette militarisation gigantesque, sur une population de 24,5 millions, le pays affirme disposer d’une armée de métier forte de 1,1 million d’hommes et de 4,7 millions de réservistes. Comme tous les ex-pays staliniens de l’Europe de l’Est, l’économie de la Corée du Nord n’a pas de produits civils concurrentiels à offrir sur le marché du commerce mondial. L’hypertrophie du secteur militaire signifie que durant les six dernières décennies, il y a eu des rationnements permanents de nourriture et des produits de consommation. Depuis l’effondrement du bloc russe en 1989, la production industrielle a chuté de plus de 50%. La population a été décimée par une famine au milieu des années 1990, famine qui apparemment n’a pu être stoppée qu’après des dons de nourriture par la Chine. Même aujourd’hui, la Corée du Nord importe 90% de son énergie, 80% des biens de consommation et approximativement 45% de sa nourriture de Chine.
Si la classe dominante n’a rien à offrir à sa population que la misère, la faim et la répression, allant de pair avec une militarisation permanente, et si ses entreprises ne peuvent en rien être compétitives sur le marché mondial, le régime peut seulement essayer de gagner "la reconnaissance" grâce à sa capacité de menacer et de faire du chantage au niveau militaire. Un tel comportement est l’expression typique d’une classe en ruine, qui n’a rien à offrir à l’humanité sinon la violence, l’extorsion et la terreur. L’attitude de menacer ses rivaux avec toutes sortes d’attaques militaires montre à quel point la situation est devenue imprévisible. Ce serait donc une erreur de sous-estimer le réel danger d’escalade dans la situation. La montée des tensions impérialistes ne sont jamais simplement des "bluffs" ou des "fanfaronnades" ou une "diversion". Tous les gouvernements dans le monde sont happés par la spirale du militarisme. La classe dominante n’a pas de contrôle réel sur le cancer du militarisme. Même s’il est évident que dans le cas d’une attaque de la Corée du Nord contre la Corée du Sud ou contre les États-Unis, cela mènerait à un affaiblissement considérable, si ce n’est pas à l’effondrement du régime tout entier et de l’État, nous devons savoir que la classe dominante ne connaît aucune limite à la politique de la terre brûlée. Le cas de la Corée du Nord montre qu’un État tout entier peut être prêt au "suicide". Même si la Corée du Nord est extrêmement dépendante de la Chine, la Chine ne peut pas être sûre d’être en mesure de "freiner" le régime de Pyongyang qui vient de montrer une nouvelle dimension de sa folie.
Avec ce régime nord-coréen si ouvertement va-t-en-guerre, le Japon, les États-Unis et la Corée du Sud peuvent facilement se présenter aujourd’hui comme "d’innocentes victimes". Il faut donc ici rappeler que l’histoire a maintes fois démontré à quel point les "grandes démocraties" n’étaient pas moins barbares que les pires dictatures !
La Corée du Sud n’est ainsi pas moins féroce que sa voisine du nord. En mai 1948, le gouvernement Rhee (soutenu par les États-Unis dans le Sud) a organisé un massacre de 60 000 personnes environ à Cheju, un cinquième des résidents de l’île. Pendant la guerre de 1950-1953, le gouvernement sud-coréen a assassiné avec la même intensité que les troupes du Nord. Pendant la période de reconstruction, sous Rhee ou sous Park Chung-Hee, quand des manifestations de colère ouvrières ou étudiantes explosaient, le régime recourait à la répression sanglante. En 1980, un soulèvement populaire à plus grande participation ouvrière à Kwangju a été écrasé. Aujourd’hui encore, la loi sur la Sécurité Nationale autorise le gouvernement à faire la chasse à toute voix critique du régime, en accusant n’importe qui d’être un agent de la Corée du Nord. Dans tant de grèves et de manifestations d’ouvriers ou d’étudiants ou même de "citoyens ordinaires" (voir par exemple Ssangyong ou "la manifestation des bougies allumées"), l’État sud-coréen a constamment utilisé la répression. Et la clique au pouvoir sud-coréenne est tout autant déterminée à utiliser des moyens militaires contre son rival du Nord. Récemment, Séoul a eu pour objectif de développer des armes nucléaires ! L’histoire le montre : aucun régime n’est meilleur qu’un autre ; les deux sont des ennemis jurés des travailleurs. Les travailleurs ne peuvent se ranger d’aucun côté.
L’accroissement récent des tensions en Asie cristallise les tendances destructives du capitalisme. Mais le conflit récent n’est pas qu’une simple répétition des conflits passés, le danger est devenu beaucoup plus grand pour l’humanité. Ce système pourrit sur pied : il est à la fois de plus en plus lourdement armé et de moins en moins rationnel. Des dictateurs fous contrôlant la puissance nucléaire aux grandes puissances face à face et prêtes à tout, le capitalisme est une véritable épée de Damoclès suspendue au dessus de nos têtes.
Mais le potentiel pour abatture ce système barbare et créer une nouvelle société, sans guerre ni classe sociale, demeure présent aussi. Au temps de la guerre de Corée et de la Guerre Froide, la classe ouvrière était défaite et incapable de relever la tête. Seul, un petit nombre infime de révolutionnaires de la Gauche Communiste défendait une position internationaliste. Aujourd’hui, le prolétariat en Asie du Sud-Est ne veut pas sacrifier sa vie dans l’avancée mortelle du capitalisme. Pour que l’humanité ne sombre pas dans la barbarie, la classe ouvrière doit rejeter le patriotisme et l’engrenage militariste. Non à "un front uni avec le gouvernement" ! Non à la guerre impérialiste ! La seule solution pour la classe ouvrière est de combattre résolument contre sa propre bourgeoisie, au Nord comme au Sud. Cette position internationaliste a déjà été défendue en 2006 à une Conférence de révolutionnaires. Trois groupes et sept personnes ont ainsi signé une "Déclaration internationaliste depuis la Corée contre la menace de guerre [372]" qui s’achevait par ces deux points :
"Affirmons notre entière solidarité envers les travailleurs de la Corée du Nord et du Sud, de Chine, du Japon, de Russie qui seront les premiers à souffrir en cas d'un déclenchement des affrontements armés.
Déclarons que seule la lutte des ouvriers à l'échelle mondiale peut mettre fin pour toujours à la menace de la barbarie, de la guerre impérialiste et de la destruction nucléaire qui est suspendue sur l'humanité sous le capitalisme."
Les révolutionnaires doivent reprendre partout ce mot d’ordre.
D et P (17 avril)
1 Notamment à travers le terrible conflit sino-japonais entre 1937 et 1945.
Le samedi 16 mars au matin, la radio annonce au million d’habitants de l’île de Chypre qu'un plan d'aide européen a été accordé au pays et que celui-ci implique la mise en place d'une taxe de 6,75% sur les dépôts jusqu'à 100 000 euros et de 9,9% pour les dépôts supérieurs à ce montant. Évidemment, tout le monde se rue vers les banques pour retirer son argent. En vain ! Les banques et les marchés sont fermés, les retraits aux guichets automatiques sont limités. Pendant plus d’une semaine, la population va vivre ainsi, dans un pays à l’arrêt, sans savoir de quoi demain sera fait. Finalement, après maints rebondissements (un rejet du plan européen au parlement chypriote, de multiples tractations officielles et dans les coulisses…), la taxe qui frappait les petits épargnants est annulée mais, en contrepartie, les comptes supérieurs à 100 000 euros sont plus durement touchés (par exemple ceux de la Banq of Cyprius – première banque du pays – devraient subir des pertes allant de 30 à 40%) et la deuxième banque du pays, Laïki Banque est mise en faillite.
Pour expliquer ce cataclysme, tout et surtout n’importe quoi a été avancé. "C’est la faute à Merkel !", "C’est la faute à l’Union Européenne !", "C’est la faute au FMI !" a-t-il été affirmé à tous ceux qui subissaient les attaques ou qui se sentaient solidaires des familles ouvrières touchées. "C’est la faute à l’irresponsabilité des Chypriotes !", "C’est la faute aux capitaux internationaux qui blanchissent leur argent !", "Il s’agit d’une lutte saine et nécessaire contre les dérives nocives du monde de la finance !" était-il au contraire été assuré pour légitimer les coups de fouets claquant sur l’économie chypriote.
En réalité, toutes ces explications ne sont pas seulement de grossiers et pathétiques mensonges, elles sont surtout un poison pour les consciences et la lutte ouvrière car y adhérer implique :
soit combattre Merkel, l’UE, le FMI ;
soit combattre les "dirigeants irresponsables", les "financiers véreux", les "excès du capital".
Dans les deux cas, la colère et la réflexion sont détournées des racines réelles de la situation dramatique actuelle : le capitalisme. Pire ! En accusant seulement certaines parties, tel individu, tel gouvernement ou telle institution, en faisant croire à la possibilité d’un capitalisme plus humain, la bourgeoisie pousse finalement les exploités à prendre la défense de ce système qui les avilit !
Pour étayer sa propagande, la bourgeoisie s’appuie sur l’apparence des choses, sur ce qui semble évident, sur le bon sens commun de chacun. Or, comme l’écrivait Albert Einstein, "Ce qu'on appelle le bon sens est en fait l'ensemble des idées reçues qu'on nous a inculquées jusqu'à 18 ans"… et même après, pourrait-on rajouter. Alors, à nous de faire un véritable effort théorique pour aller au-delà des apparences et découvrir les véritables causes du marasme actuel, à Chypre comme partout dans le monde.
Chypre est par sa position géographique, depuis toujours, un lieu de passage, hautement convoité et disputé. Cette île fut ainsi, à la préhistoire, l’un des premiers points de contact entre l’Orient et l’Occident. Indépendante au Moyen-Âge, elle fut ensuite tour à tour le fleuron des républiques de Gênes et de Venise. En 1571, les Chypriotes passèrent sous domination Ottomane. S’en suivit un long déclin, jusqu’à ce qu’au XIXe siècle arrive un nouveau maître : la Grande-Bretagne. Cette dernière l’ajouta à Gibraltar et Malte sur la route maritime conduisant à l’Égypte et au Levant. Chypre en tira alors profit, s’éveillant de sa torpeur, mais sans que cela se transformât pour elle en véritable sursaut.
L’île acquit son "indépendance" en 1960. En 1963 et 1964, la communauté turque fut victime d’atrocités. Le 6 août 1964, l’aviation turque bombarda Tillyria en représailles. Dans le contexte de la Guerre Froide où les Américains s’appuyaient dans la zone sur leurs alliés turcs et iraniens, voire irakiens, il ne pouvait être question de laisser Chypre devenir le Cuba de la Méditerranée. Washington et Ankara, craignant une intervention soviétique dans l’île, s’entendirent pour accepter l’unification de Chypre à la Grèce, à condition que l’armée turque eût une base identique à celles des Anglais. Or, contre toute attente, le président d’alors, Makarios, refusa, désormais défenseur farouche de l’indépendance de son pays. Pour la première fois, l’armée turque intervint et les premiers déplacements de populations se produisirent spontanément. Peu après, les États-Unis, inquiets de la faiblesse de la Grèce et craignant toujours une intervention russe, précipitèrent la chute de la monarchie par l’instauration, le 21 avril 1967, d’une dictature des colonels. Or, ces mêmes militaires, partisans du rattachement à la Grèce, supportèrent mal l’indépendantisme de Makarios dont, par ailleurs, les Américains se défiaient, craignant qu’il ne prît au sérieux la réputation qu’on lui avait faite de "Castro de la Méditerranée".
Le 15 juillet 1974, les premiers, sans opposition des seconds, firent un coup d’État. Le 20 juillet, la Turquie, craignant le rattachement à la Grèce, débarqua 7000 de ses soldats pour "protéger les musulmans". Les Turcs souhaitant deux États géographiquement et ethniquement distincts, réunis sous l’autorité d’un État fédéral aux pouvoirs limités, organisèrent le déplacement des chrétiens vers le Sud et des musulmans vers le Nord. La partie Sud, chrétienne, entendit représenter la totalité de Chypre, ce que la communauté internationale lui reconnut. La partie Nord, musulmane, franchit un pas en 1983, en se déclarant indépendante, mais les instances internationales ont toujours ignoré cette décision. Ainsi, depuis 1989, Chypre est le dernier pays européen partagé par une ligne de démarcation et dont la capitale est divisée par un mur.
Chypre tira alors profit d’un autre conflit régional, celui de la guerre du Liban. Pendant une décennie, les capitaux libanais qui fuyaient un pays en guerre, s’investirent dans une transformation spectaculaire de la région Sud. Avec le retour de la paix au Liban, Chypre put craindre un reflux des investissements étrangers, mais la Perestroïka soviétique et le renouveau de l’économie russe entraînèrent un nouvel apport financier.
A en croire certains journalistes et docteurs en économie, Chypre serait dans une position "délicate" à cause de l’irresponsabilité de son gouvernement (et donc du "peuple qui l’a élu") qui a transformé, par pur appât du gain, l’île en une immense place spéculative et même une gigantesque lessiveuse des capitaux douteux, en particuliers ceux venant de Russie. En réalité, la brève histoire de ce pays démontre à quel point sa situation actuelle est le fruit de l’histoire du commerce mondial et de l’impérialisme.
Lors de l'invasion turque de 1974, des secteurs et pans entiers de l’économie nationale ont été perdus. Sans agriculture, sans industrie lourde, la bourgeoisie chypriote devait trouver un nouveau secteur lui permettant de continuer d’accumuler du capital ou périr. Mais lequel ? En tant qu’ancienne colonie, Chypre a une relation historique étroite avec la Grande-Bretagne depuis plus d’un siècle : l’anglais, à Chypre, est toujours la lingua franca et la langue de l’éducation. De grandes institutions ont été reprises, et maintenues. C’est sûrement cette culture britannique qui explique que Chypre consacre 7% de sa capacité productive à l’enseignement, ce qui place le pays dans les trois premiers de l'Union européenne. Nombre de Chypriotes vont faire leurs études dans les universités du Royaume-Uni ou de l'Amérique du Nord : ce sont près de 4 Chypriotes sur 5 qui font leurs études en dehors de leur île. Et 47% ont un diplôme d’études supérieures, le taux le plus élevé dans l'UE. Les Chypriotes sont donc un peuple instruit et mobile. C'est la raison pour laquelle ils sont particulièrement bien placés pour fournir des services comptables, bancaires et juridiques de grande qualité. De surcroît, ils sont membres de l'UE avec tous les avantages qu’apporte la liberté des paiements, des capitaux et des services, et une convention de double imposition avec la Russie et des impôts modérés. L’ensemble constitue les raisons de son succès passé en tant que centre européen du commerce et des services.
"Oui, mais de là à devenir un paradis fiscal !", bêleront tous ceux qui refusent de voir que sur le banc des accusés ne sont pas assis tel ou tel dirigeant, tel ou tel financier, mais le système capitaliste mondial comme un tout. Si le tourisme, l’affrètement naval et les transactions bancaires sont démesurés par rapport au poids de l’économie réelle de cette petite île, si toutes les facilités bancaires et d’impositions ont été mises en place pour favoriser le développement des placements financiers étrangers, c’est que sans cela, l’économie nationale se serait effondrée. Si ce paradis fiscal n’avait pas été créé, la faillite actuelle n’aurait pas surgi car… elle serait intervenue bien plus tôt !
Plus encore, c’est en réalité toute l’économie mondiale qui a besoin de ces "paradis". Depuis 1967, le capitalisme subit récession sur récession, crise sur crise. L’économie réelle, l’industrie, est peu à peu plongée en léthargie. Investir dans une usine est de plus en plus hasardeux, c’est risquer de perdre tout. C’est pourquoi, aujourd’hui, nombre d’investisseurs placent leur argent dans les prêts aux États alors que les taux sont de zéro, voire négatifs. Autrement dit, ils placent leur argent sans avoir rien à y gagner parce qu’investir ailleurs, c’est risquer de tout perdre. C’est dire à quel point trouver un placement rentable est aujourd’hui devenu incroyablement difficile. Les bulles spéculatives (dans l’immobilier, à la bourse…) comme les tricheries innombrables des paradis fiscaux sont donc un produit nécessaire de la crise économique mondiale du capitalisme. Sans cela, la bourgeoisie chypriote, comme toutes les autres, serait incapable de tirer profit de ses capitaux. Voilà ce qui explique l’existence de la spéculation.
Mais pourquoi le monde est-il parsemé des grandes places financières qui ne respectent aucune loi autre que l’opacité ? N’est-ce pas là, cette fois ci, le produit de l’immoralisme des investisseurs et de leur soif jamais étanchée de l’argent ? Eh bien non ! Là aussi, il ne s’agit que de la surface des choses. Alors creusons un peu. L’économie réelle et légale étant de moins en moins rentable et de plus en plus risquée à cause de la gravité de la crise économique mondiale, les profits financiers que dégage le capitalisme ont tendance à provenir de manière croissante des activités illégales. La drogue, le trafic d'armes, la prostitution, le trafic des femmes et même d'enfants sont aujourd'hui une part importante de l'économie mondiale. Tous les capitaux investis dans ces nauséabondes et inhumaines activités doivent sembler provenir de nulle part et les masses de profit qui en résultent doivent être "blanchies" avant d'apparaître si nécessaire au grand jour. Mais là ne s'arrête pas la cupidité du capitalisme. A la surface de la planète, ce sont des millions d'être humains qui travaillent dans des ateliers de production pour fabriquer des ballons ou des chaussures ; une multitude de travailleurs sont ainsi réduits à l'esclavage sans que rien de tout cela ne soit "légal". Cette économie de la honte, cette économie de l'ombre alimente massivement des fonds financiers, eux-mêmes reliés par des milliers de fils invisibles aux plus grandes banques et institutions financières de la planète. Tous ces profits tirés du sang des exploités doivent être d’abord soigneusement cachés puis, après de longs cycles de "nettoyage" dans des lessiveuses comme Chypre, peuvent réapparaître sur la place publique, celle des banques ayant pignon sur rue ou au sein des places boursières officielles. A ce niveau, l’inventivité perfide du capital n'a pas de bornes. Une très grande partie de la spéculation mondiale se fait donc ainsi, de manière cachée, en dehors de toute réglementation, de toute loi, de tout contrôle. Cette économie "noire", sous-jacente, illégale, s'est répandue dans toute l'économie capitaliste. Aujourd'hui, les dirigeants s’en plaignent au moment où les États sont en situation de faillite. Car tout cet argent échappe à l'impôt. Mais il nourrit aussi et surtout les profits financiers dont le capital sous perfusion doit se nourrir, tel un homme drogué. C’est pour cela que tous les slogans du type "Pour un capitalisme propre !", "A bas les paradis fiscaux !", "Pour une régulation intransigeante !"… ne sont rien d’autres que des cris d’orfraie ! Le capitalisme est malade, son économie réelle ne tourne plus rond ; pour survivre, il est donc obligé de tricher de façon de plus en plus ouverte avec ses propres lois. Les grands discours des dirigeants politiques sur la nécessaire "moralisation de l’économie" ne sont donc que du bluff ! Ni Chypre, ni le Luxembourg et encore moins la City de Londres ne seront jamais réellement contraints de cesser leur activité spéculative.
Les tractations interminables entre Chypre, l’UE et la Russie sur la nature du plan d’aide ne peuvent être comprises qu’à travers le prisme des tensions impérialistes qui se cristallisent sur cette petite île.
D’abord, il s’agit d’un lieu militaire géostratégique de la plus haute importance. L’OTAN y a une base tout comme la Grande-Bretagne. D’ailleurs, Chypre est nommée le porte-avion méditerranéen de l’Europe. La seule base navale russe est située dans un pays pour le moins instable et juste en face de Chypre… la Syrie ! Le problème, là encore, c’est que la Russie qui soutient Bachar el Assad risque de se voir sortir de Syrie en cas de défaite du régime actuel. Si les Russes devaient quitter la Syrie, Chypre située à une centaine de kilomètres pourrait rendre le "déménagement" beaucoup plus facile et permettre à Moscou de conserver une base en Méditerranée.
Ensuite, dépendante en grande partie du gaz russe, l’Europe se verrait bien confier en échange de son aide financière (forcément payante) l’exploitation des ressources de gaz chypriote estimées à plusieurs centaines de milliards de mètres cubes. Évidemment en face, les dirigeants russes voient cela comme une menace sur leur capacité à négocier avec l’Europe puisque le gaz chypriote permettrait à l’Europe d’éloigner les "chantages" russes à l’approvisionnement.
Enfin, Chypre est devenue en vingt ans un refuge pour les fonds plus ou moins opaques des oligarques russes et gère plusieurs dizaines de milliards d’euros russes ! La Russie a donc, sur ce plan-là aussi, toutes les raisons sérieuses de soutenir Chypre, voire de "racheter" Chypre. Évidemment, l’Europe n’est absolument pas d’accord. L’économie de Chypre sera laminée si cela est nécessaire mais l’Europe ne perdra pas Chypre ou alors au prix d’un âpre combat.
La taxation des comptes de plus de 100 000 euros n’est qu’une des conséquences de la faillite chypriote. Les impôts et les taxes de toutes sortes vont exploser, l’austérité va s’accroître brutalement, la récession va laminer tout le tissu économique, le chômage et la misère vont se répandre telle la peste…
En réalité, comme ceux vivants en Grèce ou en Espagne avant eux, les ouvriers de Chypre subissent aujourd’hui le sort que réserve le capitalisme à la classe ouvrière mondiale. Un mythe, une croyance savamment entretenue par les dirigeants du monde entier vient même de tomber : "Ne vous inquiétez pas, quoi qu’il arrive, votre argent placé à la banque est garanti !" La proposition initiale de taxer tous les comptes chypriotes a mis à bas cette illusion. L’idée de l’UE était de faire passer cette mesure de vol direct comme étant le fruit d’une particularité : celle d’un paradis fiscal qui depuis des années octroyait des rendements sur l’épargne incroyable, immorale et insupportable pour l’économie. Les Chypriotes auraient ainsi profité abusivement d’un système, ils devaient donc participer à "réparer". Mais la ficelle était trop grosse ! En Europe notamment, l’idée dominante n’a pas été "Chypre est une exception" mais au contraire "Cela peut nous arriver à notre tour demain", "Ce sont des voleurs", "On n’a pas le droit de toucher à nos économies". Il fallait donc endiguer une éventuelle panique bancaire sur l’île et ailleurs par effet de contagion : l’UE a fait machine arrière et à épargné les "petits". Mais la sacro-sainte garantie des comptes est apparue pour ce qu’elle est : une illusion.
Voilà ce qui va arriver à toute la classe ouvrière demain : pour renflouer un peu les caisses, les États, quelle que soit la couleur des gouvernements en place, dans tous les pays, n’hésiteront pas à nous faire les poches, à nous mettre sur la paille, à nous jeter à la rue. Chypre n’est pas une exception ! Si ce n’est en saisissant directement nos comptes, ce vol se fera par l’augmentation des taxes et des impôts, ou par l’envolée des prix suite à l’explosion de l’inflation. Sous le capitalisme, tous les chemins mènent à la misère.
Seule la lutte unie et solidaire des ouvriers, contre les États, contre le capitalisme, dans tous les pays, est source d’espoir et d’avenir.
T et P (20 avril)
1 Cette partie s’appuie très largement sur l’ouvrage d’Alain Blondy, Chypre ou l’Europe aux portes de l’Orient.
L’attentat épouvantable qui a coûté la vie à trois spectateurs du marathon de Boston et blessé 180 autres évoque immédiatement deux événements tragiques différents en apparence : d’abord, les attentats de New-York du 11 septembre 2001 par lesquels les djihadistes d’Al-Qaïda vomissaient leur haine aveugle en écrasant des avions sur les tours jumelles du World Trade Center ; ensuite, le massacre de l'école de Sandy Hook, le 14 décembre 2012, où un jeune déséquilibré abattait enfants et enseignants à l’arme lourde. Bien qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, les motivations des deux terroristes, les frères Tsarnaïev, et le degré d’implication de groupes djihadistes soient encore flous, les attentats de Boston associent en quelque sorte ces deux types de crimes, et montrent avec beaucoup de clarté que les tendances à l’irrationalité et au chaos portées par le capitalisme pourrissant sont au cœur de nombreux massacres, fussent-ils a priori distincts.
Si le terrorisme est historiquement porté par les couches sociales sans perspective de la petite bourgeoisie1, la généralisation et la permanence des conflits impérialistes a conduit les différentes parties de la classe capitaliste à adopter ces méthodes dans leurs luttes contre les rivaux tant nationaux qu’étrangers, tendance que la décomposition de la société n’a fait que renforcer2.
En fait, le terrorisme est même devenu un moyen usuel de la guerre que se livrent les États et les différentes fractions politiques de la classe dominante, en dépit des lois internationales dont la bourgeoisie s’est dotées pour prétendument "pacifier" ses conflits. Le Rapport annuel sur le terrorisme, publié par l’OTAN en mars 2012, recense ainsi presque 12 000 attentats dans le monde pour la seule année 2011 à l’origine de plus de 17 000 morts et 25 000 blessés !
Tout au long du XXe siècle, la bourgeoisie n’a jamais hésité à multiplier les assassinats "ciblés" comme au Moyen-Orient avec le meurtre du président égyptien Anouar el-Sadate en 1981 ou celui d’Itzhak Rabin en 1995. Mais ce sont les populations civiles, au premier rang desquelles se trouve la classe ouvrière, qui ont payé le plus lourd tribut dans la longue histoire des règlements de compte par bombes interposées.
Des années 1960 à la fin des années 1980, l’affrontement des deux blocs impérialistes dirigés par les États-Unis et l’URSS a été l’occasion d’une guerre terroriste permanente et particulièrement brutale. L’attentat de la piazza Fontana de 1969, en Italie, et celui de la gare de Bologne en 1980, sont particulièrement symptomatiques de l’absence de scrupule de la bourgeoisie quand il s’agit de défendre ses intérêts. Longtemps attribués aux Brigades Rouges staliniennes, on sait désormais que le réseau Gladio3 est à l’origine de ces attentats meurtriers qui avaient pour objectif de dynamiser la stratégie de la tension dans le cadre des luttes violentes que se livraient les fractions pro-russe et pro-américaine en Italie.
Mais la Guerre Froide n’est pas l’unique conflit où l’on a vu utiliser les méthodes terroristes. On peut, parmi de nombreux exemples, citer l’attentat du Rainbow Warrior perpétré par les services secrets français en 1985, ou les attentats de Lockerbie et du vol 772 organisés par l’Etat libyen en 1988 et 1989.
L’utilisation du terrorisme par la bourgeoisie va prendre une nouvelle dimension avec l’effondrement du bloc russe et le développement de plus en plus exacerbé du "chacun pour soi" dans l’arène impérialiste. Avec la décomposition sociale, les fractions politiques les plus irrationnelles se développent de manière exponentielle et, avec elle, les attentats aveugles visant ouvertement les populations civiles. La liste est trop longue pour être exhaustive, mais on peut notamment citer : la vague d’attentats organisés par les GIA4 en France en 1995, l’attentat d'Oklahoma City commis par Timothy McVeigh, un sympathisant d’extrême-droite, les attaques-suicides organisées par Al-Qaïda contre plusieurs ambassades américaines en Afrique en 1998, les spectaculaires attentats du 11 septembre 2001, la prise d’otages du théâtre de Moscou en 2002 par un commando tchétchène, les attentats suicides de Casablanca en 2003, ceux de Madrid en 2003, de Londres en 2005, d’Alger en 2007, ceux du métro moscovite en 2010… Puissantes ou non, toutes les bourgeoisies et toutes ses factions, démocratiques ou pas, sont ainsi pareillement réactionnaires et utilisent sans vergogne et à leur profit le phénomène du terrorisme.
La confusion qui règne autour de l’attentat de Boston ne permet pas encore de déterminer s’il est le résultat d’un complot organisé au moins par une partie des rebelles du Caucase ou si les frères Tsarnaïev ont évolué "seuls" vers l’islamisme radical. Mais que les deux terroristes soient le produit de manipulations de la part d'États ou de groupuscules, qu'ils aient agi simplement sans mobile comme expression de la petite bourgeoisie décomposée et désespérée, leurs actes de barbarie, comme celui des rebelles tchétchènes, des mafieux des FARC, des terroristes du Hezbollah ou ceux de l’ETA, n’ont strictement rien à voir avec le combat de la classe ouvrière. Si les bourgeoisies rivales recrutent bien souvent leurs "martyres" dans les rangs de la petite bourgeoisie et du prolétariat, ces derniers se mettent alors au service de leur maîtres en soldats zélés. Les actes des frères Tsarnaïev ne sont pas une "manifestation pervertie" de la colère ouvrière, ce sont des actes monstrueux au seul profit de la bourgeoisie : que ce soit directement au bénéfice d'une faction impérialiste particulière ou, de manière plus indirecte, en renforçant par la simple barbarie occasionnée, l'idéologie de la terreur propre au système capitaliste décadent.
De même que le terrorisme, les actes meurtriers isolés ou les tireurs fous agissant sans mobile ne datent pas d’hier. Pourtant, avec l’entrée du capitalisme dans sa période de décomposition, la multiplication incroyable des candidats aux massacres n’est pas le fruit du hasard.
Avec l’approfondissement de la crise économique et de la misère, de plus en plus de personnes se sentent écrasées par la société. Le sentiment d’avoir "raté sa vie" se répand comme la peste dans la tête de beaucoup de gens. Comment, isolé et sans perspective sociale ou politique, ne pas se sentir "nul" et "inutile", alors que dans les médias, comme dans les publicités, l’image de familles proprettes, dont le bonheur croît à mesure qu’elles achètent des biens de consommation, est présentée comme un standard de vie dans laquelle baigne prétendument la plupart des "gens normaux". Tout cela alors que les solidarités les plus élémentaires disparaissent dans un monde en état de siège permanent où l’altérité est vécue comme un danger en puissance ?
Ce désespoir généralisé s’exprime de nombreuses manières dans toutes les couches de la société, notamment par le développement prodigieux des dépressions et des suicides, la fuite dans la drogue et l’alcool, ou l’explosion de la violence et des passions morbides soigneusement entretenues par l’industrie du divertissement, sans compter la montée en puissance des idéologies irrationnelles, notamment religieuses… Parfois, ces souffrances se traduisent par le passage à des actes odieux, agents et produits d'une banalisation de l'horreur, comme les tueries dans les écoles ou des dynamiques de radicalisation religieuse qui débouchent sur l’organisation d’attentats meurtriers.
Il ne s’agit pas de trouver des circonstances atténuantes aux auteurs de tels crimes, encore moins "d’excuser" leur geste mais de comprendre les causes profondes de ces actes effroyables.
En accusant seulement la monstruosité de tel ou tel individu, telle ou telle idéologie particulière alors se répand l’illusion dangereuse et finalement elle aussi inhumaine qu’il suffit de débarrasser la société de ces individus, de les enfermer ou de les mettre à mort, de fliquer toujours plus ceux "qui n’ont rien à cacher", de faire la guerre au terrorisme, à l’islamisme… de bâtir une société plus violente et meurtrière encore. Il est donc important de prendre conscience que ces actes barbares sont le produit du capitalisme décadent, que ces enfants kamikazes et assassins, aussi horribles que soient leurs crimes, sont surtout le produit de ce monde désespérant.
El Generico (23 avril)
1 Voir : Terreur, terrorisme et violence de classe, in Revue Internationale n°14 et sur notre site.
2 Voir : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, in Revue Internationale n°62 et sur notre site.
3 Le Gladio est le réseau italien des stay-behind, une organisation clandestine créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par les Etats-Unis. Composés d’"anti-communistes" fiables, c’est-à-dire de rebuts du fascisme, du catholicisme intégriste et d’anciens SS, ces cellules devaient, à l’origine, constituer le squelette d’un réseau opérationnel de résistance en Europe de l’Ouest en cas d’invasion russe. Les réseaux évoluèrent rapidement en direction de la lutte contre les fractions pro-russes, notamment par des attentats en Italie et en Allemagne. Échappant peu à peu à tout contrôle, l'existence de ces cellules est révélée au grand public dans les années 90 par le Premier ministre italien Giulio Andreotti et de nombreuses enquêtes parlementaires afin de les détruire (voir, par exemple, le documentaire : Le Réseau Gladio, armée secrète d’Europe).
4 Réseau des Groupes islamiques armés.
En France, l’intervention militaire au Mali a fait l’unanimité de la part des partis politiques officiels et des médias, de la droite aux "pacifistes" Verts. Les rares voix "discordantes" sont venues du Front de Gauche (PC/PG) reprochant simplement au gouvernement Hollande de n’avoir pas consulté le parlement ! Idem pour un communiqué de l’association Survie (qui lutte contre la "Françafrique") paru le 14 janvier 2013 : "La nature préméditée de cette intervention armée aurait indiscutablement dû susciter une prise de décision parlementaire." Mais aussi : "Cette intervention ne s’inscrit pas dans le cadre des résolutions de l’ONU. Des mois de négociations ont permis de faire voter trois résolutions du Conseil de Sécurité, ouvrant la voie à une intervention internationale sous responsabilité africaine et pouvant faire usage de la force, mais officiellement sans implication directe des militaires français. En informant simplement le Conseil de Sécurité, (...) elle a finalement pu justifier une décision bilatérale. Ce changement majeur, qui met ses ‘partenaires’ devant le fait accompli, est complaisamment occulté afin de laisser à nouveau croire que la France met en œuvre une volonté multilatérale actée au sein de l’ONU. Il est donc nécessaire qu’elle respecte au plus vite les résolutions de l’ONU."
Ainsi, dans les voix "critiques", ce n’est nullement la croisade militaire, ni le militarisme en lui-même, qui sont mis en cause, mais seulement la façon de faire !
Les gauchistes (LO et NPA), plus radicaux, ont dénoncé cette intervention militaire, à travers différents communiqués, afin de mettre en avant un mot d'ordre… démocratique bourgeois, celui de l’appel "au droit des peuples a disposer d’eux-mêmes". Il y a même eu dans certaines villes de France des appels à des rassemblements, dans le sillage de ces mêmes initiatives1. Nous y reviendrons ultérieurement.
Outre les différentes prises de position de ces différentes organisations bourgeoises, l'intervention militaire a aussi suscité des prises de position de la part d’éléments qui se sont exprimés sur différents forums. Interventions qui ont suscité un débat dans lequel s'inscrit cet article. Sur un forum qui s’appelle "forum anarchiste", il est dit : "Les réalités que vivent les gens sont parfois très simples. Jusqu’à Bamako les gens étaient angoissés par l’irruption possible des milices fondamentalistes.
Et là, c’était pas Marine le Pen au deuxième tour. Non, une vraie menace. Des gens qui fouettent ou exécutent en public, coupent des membres. Des gens qui interdisent jusqu'à la musique, détruisent des tombeaux respectés depuis des siècles, brutalisent aussi bien des femmes que des vieillards.
Pour un Malien lambda pour qui la violence est la dernière extrémité à éviter, même quand toute négociation n'est plus possible, c'est l'horreur.
Une invasion barbare. Voila ce que craignaient les Maliens. Mais, vu de Paris, ça ne doit pas sembler réel. Vous ne mesurez pas la gravité de la situation. Vous croyez que les Maliens qui saluent l’armée française tout au long des routes le font de gaieté de cœur ? Vous croyez que ça leur plait vraiment de voir des soldats blancs débarquer pour venir les protéger ? Le Mali, complètement miné, n'est pas capable de faire face à ce genre de menaces."
Sur ce même forum, un intervenant répondait très justement (à notre avis) à cette intervention en disant : " … On peut constater que loin de libérer les gens, le gouvernement français continue à maintenir les gens sous le joug de régimes plus dictatoriaux les uns que les autres. Pour le Mali, il est évident que l’intervention de la France ne vise pas à combattre l’obscurantisme mais bien à défendre les intérêts de la Françafrique. Si les islamistes voulaient collaborer avec les capitalistes français, la charia ne les dérangerait pas, mais comme il n’en est rien ils veulent les chasser".
Une autre intervention, parue sur notre forum cette fois, mettait en évidence que l’intervention au Mali se faisait pour "des intérêts pétroliers et miniers" et demandait s'il ne fallait pas la soutenir au nom du moindre mal ? Voici l’essentiel de cette intervention : "L’intervention armée – même si elle se fait bien sûr pour les intérêts pétroliers et miniers des bourgeoisies locales et impérialistes – a-t-elle accentuée la barbarie ou bien fait réduire – temporairement et imparfaitement – la vitesse de la chute vers la barbarie ? Que ceux qui veulent répondre lèvent la main (ou leur moignon...)". Dans sa même intervention, le camarade faisait un parallèle avec la Deuxième Guerre mondiale et la chute du système soviétique. "L’humanité vit-elle mieux, moins bien ou pareil sans le régime nazi (ou Pol Pot ou autre ...) ? Bien sûr, les alliés –et, au premier rang, les USA– ne sont pas venus libérer l’Europe pour la démocratie et la liberté, mais pour des questions de suprématie économique. Devons nous pour autant regretter qu'ils se soient débarrassés de leurs compétiteurs nazis ?"
Naturellement, nous pensons qu'il faut dénoncer la barbarie des djihadistes, celle des nazis et des staliniens. Mais n’en rester qu'à cela, même si on se dit contre l’intervention militaire, même si on reconnaît que l'intervention n’a rien d’humanitaire et qu'elle défend les intérêts du capital national, amène implicitement à dire que dans certaines circonstances on peut s’accommoder d'un des camps de la barbarie. Il faudrait donc, au nom du moindre mal, soutenir des États qui se battent contre les expressions les plus extrêmes, les "plus méchants". A travers cette position du "moindre mal" est perdu de vue le fait que la barbarie n’est pas l’émanation de tel ou tel régime bourgeois pris en soi (nazi, staliniens, djihadistes) mais le produit du capitalisme lui-même, comme un tout.
L'idéologie du "moindre mal" va de pair avec celle de "la fin qui justifie les moyens". C’est pour cela que la barbarie devient alors "démocratique", "humanitaire", qu'elle commet ses crimes au nom de… la civilisation ! Par exemple, ce sont les États-Unis qui vont lâcher deux bombes atomiques sur le Japon en 1945… pour soi-disant mettre un terme à la poursuite du massacre sur les champs de bataille alors qu'il s'agissait seulement de freiner l'avancée des Russes vers l'Asie ! N’oublions pas non plus que les États démocratiques, qui dénonçaient la barbarie nazie, connaissaient l’existence des camps de concentration, et qu’ils n’ont rien fait pour bombarder les lignes de chemins de fer qui conduisaient des millions de gens vers la mort. Au contraire, ils poursuivaient eux-mêmes les massacres et les actes barbares dans les colonies. Plus récemment, n’oublions pas, par exemple, que la France est directement complice des massacres du Rwanda de 1994 (800 000 morts en 4 mois).
De plus, quand leurs intérêts impérialistes se recoupent, ces mêmes États démocratiques, "outrés" par ceux qu'ils dénoncent comme des "bouchers" ou des "dictateurs" pour les besoins de leur propagande, se retrouvent main dans la main et n'hésitent jamais à s'allier avec eux afin de faire face à un ennemi commun. C’est ainsi qu’aujourd’hui en Syrie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France soutiennent la rébellion et l’ASL (armée de la Syrie libre) par l’envoi d’armements, alors que l’ASL est renforcée (voir noyautée) par des groupes djihadistes proche de la mouvance Al-Qaida !
N’oublions pas non plus, l’aide massive des États-Unis aux Talibans quand ceux-ci s’opposaient à l’ex-URSS pendant la guerre en Afghanistan.
Ces quelques exemples montrent bien que la barbarie n’est pas le fait de tel ou tel régime, comme l'induit l’intervention citée plus haut, mais bien l’émanation du capitalisme, de ses principes de vie.
La position du "moindre mal", outre le fait de nier que c’est le capitalisme qui produit la barbarie, comme le mettait en avant le mot d’ordre "socialisme ou barbarie" du 1er Congrès de l’Internationale communiste en 1919, conduit toujours, au bout de sa logique, à soutenir un camp impérialiste contre un autre.
C’est une variante de la position pacifiste. On dénonce la guerre en soi, on mobilise la classe ouvrière contre celle-ci et, quand la guerre éclate, il y a toujours un camp "plus barbare que l’autre" (soi-disant) ! On appelle ainsi le prolétariat à soutenir un camp contre un autre ! C’est ce qui s’est passé dans tous les conflits.
Souvent, les tenants de la politique du moindre mal disent qu’en ne prenant pas parti dans un camp du conflit guerrier, ce serait faire preuve d’indifférence et que cela ne ferait que traduire un soutien à la barbarie commise par certains régimes. L’intervention du forum citée plus haut ne le dit pas, mais c’est tellement sous entendu qu’il faut être sourd pour ne pas l’entendre ! Nous ne partageons pas cet argument. Dans tous les conflits, les organisations révolutionnaires ne sont jamais restées indifférentes. Par contre, leur position n’a jamais été de soutenir un camp contre un autre, mais de mettre en avant que face à la guerre, aux conflits armés qui ensanglantent la planète, la seule perceptive pour en finir avec la barbarie capitaliste, c’est le développement de la lutte ouvrière révolutionnaire à l’échelle internationale.
Voilà quelques éléments de réponse vis-à-vis de prises de position que nous saluons, car elles participent au débat qui doit se mener au sein de la classe ouvrière. Et nous invitons les lecteurs à ne pas hésiter à prendre position sur ce débat, à poser leurs questions et exprimer leurs doutes ou désaccords2.
Anselme et Rossi (20 avril)
1 Cet article n’a pas pour but spécifique de faire la critique de la position des organisations gauchistes sur "le droit des peuples à disposer d’eux- mêmes". Pour cela, nous renvoyons le lecteur à la position que défend le CCI sur l’impérialiste qu’on peut trouver sur : http :fr.internationalism.org/ri372/imperialism.
2 Nous profitons donc de l’occasion pour inviter tous les lecteurs à venir participer aux débats de notre forum [160].
Dans la partie II de notre série sur l’Histoire du sport, nous affirmions ceci : "Durant la guerre civile en Espagne, le stade Bernabeu à Madrid servait aux phalangistes de lieu privilégié pour fusiller les soldats républicains". Il s'avère que cette information est erronée à double titre. D’une part, le stade Bernabeu n'a été construit et inauguré qu'après 1945. D’autre part, afin d'installer une véritable terreur, les exécutions planifiées avaient plutôt lieu dans des endroits discrets : devant les murs des cimetières, à proximité de fosses communes, sur les bords de routes, dans les bois etc. Bref, partout où l'on pouvait enterrer ou faire "disparaitre" facilement les opposants au régime.
Ce sont surtout les arènes ou les Plazas de Toros qui ont été utilisées pour ce genre d'enfermement en vue de la répression. Le cas le plus connu est celui de Badajoz où les phalangistes jouaient au "toro" avec les prisonniers en leur donnant parfois "l'estocade". De façon plus secondaire, les stades permettaient de regrouper les prisonniers en transit. Ce fut le cas, par exemple, pour le stade Metropolitano (en 1939 à Madrid, terrain d’un club rival du Réal) qui a servi de centre de tri en direction des camps de concentration. Après la guerre, les stades avaient surtout pour fonction d’offrir des "jeux" en pâture, pour les rencontres de football notamment, à défaut de pouvoir distribuer du "pain" !
Au-delà de notre erreur factuelle, nous pensons que le sens général de l'article, visant à mettre en rapport le côté "pratique" des stades pour la répression et leur dimension symbolique comme enceintes destinées à asservir les masses, reste cependant pleinement valable.
Cette série dont nous recommandons la lecture est composée des trois articles suivants :
CCI (19 mars).
Nous publions, ci-dessous, la traduction d’un article de nos camarades au Royaume-Uni.
Quand Margaret Thatcher est morte, on nous a dit que, comme de son vivant, sa mort avait polarisé et divisé la Grande-Bretagne. D’un côté, il y a eu les hommages des parlementaires, les déclamations au sujet de sa grandeur en tant que femme et ses principes en tant que politicienne, et des funérailles avec des dignitaires venus du monde entier. D'un autre côté, il y avait les gens de la rue célébrant sa mort en chantant : "Ding Dong ! La Sorcière est Morte !" et les épanchements au vitriol contre "le Premier ministre le plus haï des Britanniques". Ainsi, plus de vingt ans après sa sortie du gouvernement, Thatcher est encore capable de jouer un rôle dans les fausses alternatives idéologiques proposées par les différentes factions de la classe dominante.
En guise de préambule, le Président américain Obama désigna Thatcher comme "un des grands champions de la liberté et de l’indépendance". Cette curieuse évocation rappelle le langage de la Guerre Froide. Margaret Thatcher avait autant à faire avec la "liberté" que les dirigeants staliniens de l’URSS avaient à voir avec le communisme ! Ce qu’elle a vraiment fait alors qu’elle assurait ses fonctions était de permettre à l’impérialisme britannique de tenir sa place en tant que loyal lieutenant de la domination américaine sur le bloc de l’Ouest. Et quand le bloc russe implosa, et que la bourgeoisie anglaise souhaita une orientation plus indépendante pour l’impérialisme britannique, "les hommes en complets gris" s’arrangèrent pour la remplacer. Il n’y avait plus de place pour la ligne dure de la rhétorique de la Guerre Froide. Thatcher n’était pas irremplaçable.
Concernant la politique économique, les dénigreurs de Thatcher lui ont reproché l’augmentation du chômage au début des années 80, le déclin de l’acier, de l’industrie automobile et navale et l’attaque contre l’exploitation minière du charbon. Cette politique n’était pas de la responsabilité d’une seule personne. Le déclin des principales industries a eu une portée internationale, pas à cause du caprice ou de la personnalité des politiciens individuels mais à cause de l’enfoncement du capitalisme dans la crise économique. Dans ce contexte, le capitalisme anglais était particulièrement plombé par des industries obsolètes et non compétitives. Les lois du profit exigeaient les coupes claires réalisées sous les mandats du gouvernement Thatcher.
Au sujet du rôle spécifique du gouvernement, les attaques qui ont caractérisé les années 80 n’ont pas commencé avec le gouvernement conservateur, mais avec les gouvernements travaillistes précédents de Callaghan et Healey. En fait, les luttes de la classe ouvrière, les grèves et les manifestations massives de 1978-1979, connues sous le nom "d’ hiver de la colère", ont eu lieu contre les coupes imposées par les travaillistes. Et lorsque John Major quitta son poste en 1997, le gouvernement travailliste entrant se rallia explicitement au projet de dépenses publiques des conservateurs. Lorsque le gouvernement travailliste de Gordon Brown fut remplacé par la coalition dirigée par Cameron, le même régime de base continua son œuvre.
Sous Thatcher et Major, la gauche dénonçait la manipulation continuelle des chiffres du chômage. En réalité, à part quelques modifications, les éléments permettant de calculer les chiffres du chômage n’ont jamais été modifiés afin que des comparaisons cohérentes puissent être faites sur les dernières décennies. Il y a officiellement, en Grande-Bretagne, environ 9 millions de personnes en âge de travailler qui sont déclarées "économiquement inactives". Quel que soit le nombre que vous soustrayiez de ce chiffre, la masse des personnes sans emploi au Royaume-Uni ne s’est pas évaporée pendant les treize années de gouvernement travailliste. Ce chiffre est toujours d’actualité, sans interruption, depuis trente ans. Ce n’est la faute d’aucun individu, ni d’aucun gouvernement ou politique gouvernementale : c’est une expression de la profondeur de la crise du capitalisme.
Dans les années 80, certains Tories pensaient que si le gouvernement investissait plus, cela changerait les choses, de même que l’ensemble de la gauche qui proposait différents degrés d’intervention étatique. Rien de tout cela n’apportait une "alternative". En ce sens, quand Thatcher disait : "il n’y a pas d’alternative", elle avait raison. La crise économique était une crise de l’État capitaliste.
Il est certain que Thatcher et les Tories abhorrés étaient les ennemis jurés de la classe ouvrière et ils l’ont montré de manière flagrante pendant la grève des mineurs de 1984-1985. Oui, l’État était préparé et utilisa la répression et la propagande contre cette grève d’un an. Mais ceci n’est qu’une partie de l’équation. Le travail qui consista à s’assurer que les mineurs resteraient bien isolés a été de la responsabilité des syndicats. Le potentiel d’extension vers les dockers et les ouvriers de l’automobile existait, mais les syndicats divisèrent les ouvriers. Tout au long des années 80, la gauche et les syndicats jouèrent un rôle, comme partie de l’appareil politique du capitalisme, en mettant en avant de fausses perspectives. Cela n’impliquait pas seulement des mesures économiques "alternatives", mais aussi des campagnes autour de questions telles que les menaces contre le gouvernement local ou la présence d’armes américaines sur le sol anglais. En fin de compte, pendant les années 80, les ouvriers anglais se heurtèrent non seulement aux attaques matérielles soutenues par l’État, mais aussi à l’ensemble des mensonges véhiculés par la gauche. Tony Blair a récemment dit que les travaillistes ne devaient pas redevenir un parti d’opposition. En fait, sous Thatcher, le Labour joua un rôle irremplaçable en étant juste cela. On peut avoir haï les conservateurs mais les travaillistes, la gauche et les syndicats, étaient prêts et attendaient pour éteindre le feu et saper toute tentative de résistance.
On gardera également de Thatcher le souvenir de la guerre des Malouines, contre l’Argentine en 1982. Aujourd’hui encore, les campagnes de propagande se concentrent sur ce sujet. Certains disent que l’on devrait d’abord demander leur avis aux habitants des Malouines ; pour d’autres, c’est un épisode ordinaire de l’histoire de l’impérialisme britannique. Examiné dans le contexte de l’époque, on voit quelque chose de différent. Il n’y avait pas et il n’y a toujours pas d’intérêt stratégique ou matériel aux îles Malouines. Au début des années 80, l’Argentine était un allié du Royaume-Uni dans le bloc américain. Des démarches étaient déjà en cours pour changer le statut des Malouines. On ne peut pas comprendre cette guerre au niveau militaire, on peut la comprendre au niveau social. La stimulation d’une telle campagne nationaliste (avec le dirigeant travailliste Michaël Foot sur le devant de la scène) a constitué une énorme diversion à un moment où les différents intérêts de classes à l’intérieur de la population anglaise commençaient à être posés d’une manière aiguë.
Madame Thatcher, à cause de son animosité permanente contre le bloc russe, est devenue célèbre sous le nom de "Dame de Fer". Sa réputation de va–t-en-guerre est indiscutable. Cependant, si l’on regarde le déploiement des forces armées britanniques pendant ses mandats (Malouines, Irlande du Nord, etc.), cela n’atteint pas l’ampleur des opérations militaires menées par le Labour Party sous Blair et Brown avec l’Afghanistan, l’Irak, etc.
Au parlement, Glenda Jackson critiqua "le tort social, économique et spirituel" causé par Thatcher. Les vies qui ont été dévastées pendant les années 80 ont souffert de l’impact de la crise économique du capitalisme. Contrairement à Margaret Thatcher, les marxistes disent qu’il existe une réalité sociale. Et la société capitaliste dans laquelle nous vivons, n’est pas simplement économiquement indigente ; elle a développé une culture de chacun contre tous, d’individus atomisés, aliénés, un appauvrissement émotionnel. Au cours de sa vie, Thatcher a certainement joué son rôle au sein de la classe dominante, mais elle n’était simplement qu’une pièce, incontestablement importante, dans la machine de guerre de l’État capitaliste comme un tout.
Car (12 avril)
Nous publions ci-dessous la traduction d’une déclaration de travailleurs d’Alicante, ville située au sud-est de l’Espagne, au bord de la méditerranée, précédée d’une très courte introduction de notre organisation. Ces deux textes ont d’abord été mis en ligne sur notre site en Espagnol.1
Face aux nouveaux appels à des “grèves générales” de vingt-quatre heures (pour le 31 octobre appelée par la CGT2 et pour le 14 novembre par cinq autres syndicats avec à leur tête le duo CO-UGT3), nos camarades “Assembléistes4-Travailleurs indignés et auto-organisés” d’Alicante, ont diffusé une déclaration. Ces camarades qui mènent une activité depuis plus de deux ans ont le mérite de dénoncer des manifestations qui ne font que démobiliser et démoraliser et qui ne sont que le prolongement des coups à répétition du gouvernement Rajoy. Mais ils n'en restent pas là, ils ont mis en avant une perspective, celle du combat pour la grève de masse, qui, face à la démobilisation syndicale, est l’orientation que tendent à prendre les ouvriers depuis plus d’un siècle.
Il est faux de dire qu’il n’y a pas d’alternative aux “mobilisations pour démobiliser” qu’organisent les syndicats. En emboîtant le pas aux camarades d’Alicante, nous pensons qu’un débat devrait émerger pour éclaircir l’alternative qui se présente au prolétariat historiquement depuis la révolution de 1905 en Russie et nous encourageons à ce que d’autres camarades, d’autres collectifs, fassent d’autres apports.
CCI (1er novembre 2012)
Comment se fait-il qu’un arrêt de travail de vingt-quatre heures soit appelé une grève ? Et la question encore plus importante à se poser est celle-ci : en quoi un arrêt de vingt-quatre heures va t-il favoriser le combat de la classe ouvrière ?
Notre position politique est liée à l’internationalisme et l’autonomie prolétarienne ; pour nous, toute action des minorités conscientes doit aller dans le sens de favoriser la prise de conscience, l’unité et l’auto-organisation de la classe ouvrière.
Il y a eu de nombreuses mobilisations ces derniers temps et il y a eu beaucoup d’efforts de la part du prolétariat pour s’organiser. C’est une période de nouvelles mobilisations massives qui a commencé, symboliquement, en mai 2011. Celles-ci ont été le début de la réponse aux attaques de plus en plus brutales contre les conditions de vie de la population. Mais il n’y a pas de progression linéaire : c’est une période marquée par des moments très divers. Il a existé des poussées très fortes vers l’auto-organisation faisant apparaître un mouvement diffus et encore embryonnaire en faveur des assemblées générales. Par la suite, profitant de la fatigue et de la baisse évidente de la participation, ce sont les syndicats et les organisations de gauche qui sont revenues sur le devant de la scène, en ramenant les mobilisations sur les sentiers battus : des mobilisations bien contrôlées, désunies, sectorielles, démotivantes où rien n’est gagné et où, par contre, le sentiment de solitude et de lassitude chez les participants est patent. Face à tout cela, nous pensons que la non-participation de la majorité des travailleurs, dans des mobilisations que ceux-ci considèrent étrangères à leurs propres intérêts, est logique. Et il est tout à fait normal qu’un temps de réflexion s’impose à eux.
Nous avons besoin de réfléchir, d’apprendre de ce qui vient de se passer et de chercher les chemins de notre auto-organisation, des chemins qu’on ne retrouvera ni à travers la décision d’on ne sait quelles avant-gardes « éclairées », ni à travers des réflexes conditionnés, même avec les meilleures intentions du monde.
La grève que nous considérons efficace, que nous sentons nécessaire, devra être convoquée par les travailleurs eux-mêmes et s’étendre à toute la société, en prenant possession de tous les espaces, en occupant tous les lieux, en créant un nouveau type de rapports et de communication sociaux. Cette grève n’arrête pas la vie, mais elle la recommence, cette grève est la grève de masse qui pendant tout le siècle dernier s’est exprimée à plusieurs reprises, où tous nos ennemis (toutes les bourgeoises publiques et privées) ont tout fait pour qu’elles tombent dans l’oubli. Tout simplement parce que ce type de grève fait peur tant elle exprime la force avec laquelle le prolétariat est capable d’apparaître.
Une véritable grève est un mouvement massif et intégral qui ne se limite pas au seul arrêt de travail. C’est l’arme fondamentale de la classe ouvrière, laquelle prend le contrôle de sa propre vie et ceci se traduit dans tous les domaines de la société qu’elle combat, exprimant à la fois tous les aspects de la société humaine à laquelle elle aspire. Il est clair que ce n’est pas quelque chose qui peut être appelé par qui que ce soit (même avec les meilleures intentions), mais elle fait partie d’un processus de prise de conscience et de lutte des travailleurs. La question n’est pas de savoir si elle va durer vingt-quatre, quarante-huit heures ou qu’elle soit indéfinie, sa radicalité n’étant pas une question de temps. Sa radicalité consiste en ce qu’elle est et fait partie du mouvement réel des ouvriers qui s’organisent et se dirigent eux-mêmes.
La grève de masse est le résultat d’une période du capitalisme, le période qui commence au début du 20e siècle. Rosa Luxemburg fut la révolutionnaire qui mit le plus en avant ce phénomène en se basant sur le mouvement révolutionnaire de 1905 des travailleurs en Russie. La grève de masse “est un phénomène historique résultant à un certain moment d’une situation sociale à partir d’une nécessité historique.”5
La grève de masse n’est pas quelque chose d’accidentel, elle n’est pas le résultat ni de la propagande ni des préparatifs qu’on aurait mis en place par avance ; on ne peut pas la créer artificiellement. Elle est le produit d’une période donnée de l’évolution des contradictions du capitalisme.
Les conditions économiques à la base de la grève de masse ne se limitaient pas à un pays mais avaient un sens international. Ces conditions font surgir ce genre de lutte avec une dimension historique, une lutte essentielle pour le surgissement des révolutions prolétariennes. En bref, la grève de masse n’est pas autre chose qu' “une forme universelle de la lutte de classe prolétarienne déterminée par le stade actuel du développement capitaliste et des rapports de classe”.6
Ce “stade actuel” consistait dans le fait que le capitalisme était en train de vivre ses dernières années de prospérité. Le développement des conflits inter-impérialistes et la menace de la guerre mondiale, la fin de toute amélioration durable des conditions de vie de la classe ouvrière, bref, la menace croissante que représentait l’existence même de la classe ouvrière au sein du capitalisme, voilà les nouvelles circonstances historiques qui accompagnaient l’irruption de la grève de masse.
La grève de masse est le produit du changement dans les conditions de vie à un niveau historique qui, nous le savons aujourd’hui, ont signifié la fin de l’ascendance capitaliste, des conditions qui préfiguraient celle de la décadence capitaliste.
Il existait déjà en ce temps-là de fortes concentrations d’ouvriers dans les pays capitalistes avancés, habitués à la lutte collective, et dont les conditions de vie et de travail se ressemblaient un peu partout. Conséquence du développement économique, la bourgeoisie devenait une classe de plus en plus concentrée et s’identifiait de plus en plus avec l’appareil d’État. Comme le prolétariat, les capitalistes avaient appris à faire face ensemble à leur ennemi de classe. Les conditions économiques rendaient de plus en plus difficile pour les ouvriers l’obtention de reformes au niveau de la production et, de la même manière, la “ruine de la démocratie bourgeoise” rendait de plus en plus difficile pour le prolétariat la consolidation des acquis au niveau parlementaire. Ainsi, le contexte politique, de même que le contexte économique de la grève de masse, n’était pas celui de l’absolutisme russe mais celui de la décadence croissante de la domination bourgeoise dans tous les pays.
Sur les plans économique, social et politique, le capitalisme avait jeté les bases pour les grands affrontements de classe à l’échelle mondiale.
L’objectif syndical (l’obtention d’améliorations au sein du système) est devenu de plus en plus difficile à réaliser dans le capitalisme décadent. Dans cette période, le prolétariat n’entreprend pas une lutte avec la perspective assurée d’obtenir de véritables améliorations de son sort. Les grèves d’aujourd’hui, les grandes manifestations, n’arrivent pas à obtenir quoi que ce soit.
Par conséquent, le rôle des syndicats qui était d’obtenir des améliorations économiques au sein du système capitaliste, disparaissait. Il y a d’autres implications révolutionnaires dérivées de la mise en cause des syndicats par la grève de masse :
1) La grève de masse ne pouvait pas se préparer à l’avance ; elle surgit sans plan pré-établi du genre “méthode de mouvement pour la masse prolétarienne”. Les syndicats, se consacrant à leur organisation permanente, préoccupés par leurs comptes bancaires et leurs listes d’adhésions, ne pouvaient même pas se poser la question d’être à la hauteur de l’organisation des grèves de masse, une forme qui évolue dans et pour la lutte elle-même.
2) Les syndicats ont divisé les ouvriers et leurs intérêts entre toutes les différentes branches industrielles alors que la grève de masse “fusionna, à partir de différents points particuliers, des causes différentes” et ainsi elle tendait à éliminer toutes les divisions au sein du prolétariat.
3) Les syndicats n’organisaient qu’une minorité de la classe ouvrière alors que la grève de masse rassemblait toutes les couches de la classe, syndiqués et non syndiqués.
La lutte est liée à la réalité dans laquelle elle se déroule, on ne peut pas la considérer séparément. Depuis le début du siècle dernier, la décadence d’un système qui a épuisé les marchés extra-capitalistes limitant ainsi sa nécessité insatiable de croissance, devient évidente, provoquant une crise permanente et de permanents cataclysmes sociaux (des guerres et des misères sans précédents pour l’humanité).
La période depuis la fin des années 1960 est le point culminant de la crise permanente du capitalisme, l’impossibilité d’expansion du système, l’accélération des antagonismes inter-impérialistes, dont les conséquences mettent en péril toute la civilisation humaine.
Partout, l’État, avec l’extension redoutable de son arsenal répressif, prend en charge les intérêts de la bourgeoisie. Face à lui, il trouve une classe ouvrière qui, même affaiblie numériquement par rapport au reste de la société depuis les années 1900, est encore plus concentrée et dont les conditions d’existence se sont égalisées de plus en plus dans tous les pays jusqu’à un degré sans précédent. Au niveau politique, la « ruine de la démocratie bourgeoise » est si évidente qu’elle arrive à peine à cacher sa véritable fonction de rideau de fumée devant la terreur de l’État capitaliste.
Les conditions de la grève de masse correspondent à la situation objective de la lutte de classes actuelle, parce que les caractéristiques de la période actuelle expriment le point le plus aigu des tendances du développement capitaliste, qui ont commencé à s’imposer il y a presque un siècle.
Les grève de masse des premières années du siècle dernier furent une réponse à la fin de la période d’ascendance capitaliste et au début des conditions de sa décadence.
Ces conditions sont devenues totalement évidentes et chroniques aujourd’hui, on peut penser que ce qui pousse objectivement vers la grève de masse est, aujourd’hui, mille fois plus fort.
Les “résultats généraux du développement capitaliste international” qui ont déterminé le surgissement historique de la grève de masse n’ont cessé de mûrir depuis le début du XXe siècle.
Comment pouvons-nous favoriser le développement de la grève de masse, de l’auto-organisation internationale du prolétariat, de sa nécessaire unité ?
Nos contributions ne sont que cela, des contributions d’une partie consciente au sein de la classe ouvrière. Nous n’aspirons pas à plus que cela, à moins non plus.
Une des formes de ces contributions consiste justement à critiquer les actions erronées qui sont autant d’entraves à l’auto-organisation et à l’approfondissement de la conscience. Même avec la meilleure des intentions de leurs militants, l’activisme, le syndicalisme de base, le gauchisme…, font partie de ces barrières que les travailleurs devront abattre pour atteindre leur autonomie de classe.
Une autre contribution consistera à encourager la réflexion, les éclaircissements sur ce que nous avons vécu. Mais aussi l’extension des luttes véritables, leur coordination et leur information, ainsi que les rencontres et l’organisation des révolutionnaires. Ou encore, la récupération de la mémoire de nos luttes et de leur outils fondamentaux, tels que la grève de masse.
Des “Assembléistes-travailleurs indignés et auto-organisés” pour un 15-M7 ouvrier et anticapitaliste
1 es.internationalism.org/revolucionmundial/201211/3535/debate-a-proposito-de-la-huelga-general
2 La CGT en Espagne est un syndicat de tendance anarchosyndicaliste, scission de la CNT. [NdT].
3 Les Commissions Ouvrières (CO), sont historiquement lié au PC, et l’UGT au Parti socialiste. Ce sont les deux principaux syndicats en Espagne [NdT]
4 Nous utilisons parfois ce néologisme en français pour traduire « asambleista », autrement dit des militants qui défendent les assemblées générales comme moyen de pouvoir des ouvriers lors des luttes. [NdT]
5Rosa Luxemburg : Grève de masse, partis et syndicats (www.marxists.org/francais/luxembur/gr_p_s/greve2.htm [379].)
7“15-M” fait référence au mouvement qui débuta en Espagne le 15 mai 2011. [NdT]
Face aux attaques qui ne cessent de se multiplier dans tous les pays, les réactions de la classe ouvrière restent très limitées et particulièrement laborieuses. Tout ceci confirme le fait que le combat du prolétariat pour renverser l'ordre établi est un énorme défi historique nécessitant ténacité et patience. La marche vers la révolution est un long chemin, difficile et complexe, qui nécessite une réflexion en profondeur et un réel effort théorique. Nous publions ci-dessous un extrait de notre série : A l'aube du XXIe siècle : Pourquoi le prolétariat n'a pas renversé le capitalisme ?1 Cet extrait du deuxième article revient plus particulièrement sur un des obstacles majeurs permettant de comprendre les difficultés qui pèsent encore aujourd'hui sur la classe ouvrière : celui de l’impact idéologique de l'effondrement du stalinisme. Cependant, l'explication de fond ne pouvant se limiter ni se réduire à cette seule dimension, nous encourageons nos lecteurs à revenir sur le contenu de ces deux articles dans leur intégralité.
(...) Dans ce contexte de difficultés rencontrées par la classe ouvrière dans le développement de sa prise de conscience allait intervenir fin 1989 un événement historique considérable, lui-même manifestation de la décomposition du capitalisme : l’effondrement des régimes staliniens d’Europe de l’Est, de ces régimes que tous les secteurs de la bourgeoisie avaient toujours présenté comme "socialistes" :
"Les événements qui agitent à l’heure actuelle les pays dits 'socialistes', la disparition de fait du bloc russe, la faillite patente et définitive du stalinisme sur le plan économique, politique et idéologique, constituent le fait historique le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale avec le resurgissement international du prolétariat à la fin des années 1960. Un événement d’une telle ampleur se répercutera, et a déjà commencé à se répercuter, sur la conscience de la classe ouvrière, et cela d’autant plus qu’il concerne une idéologie et un système politique présentés pendant plus d’un demi-siècle par tous les secteurs de la bourgeoisie comme 'socialistes' et 'ouvriers'. Avec le stalinisme, c’est le symbole et le fer de lance de la plus terrible contre-révolution de l’histoire qui disparaissent. Mais cela ne signifie pas que le développement de la conscience du prolétariat mondial en soit facilité pour autant, au contraire. Même dans sa mort, le stalinisme rend un dernier service à la domination capitaliste : en se décomposant, son cadavre continue encore à polluer l’atmosphère que respire le prolétariat. Pour les secteurs dominants de la bourgeoisie, l’effondrement ultime de l’idéologie stalinienne, les mouvements 'démocratiques', 'libéraux' et nationalistes qui bouleversent les pays de l’Est constituent une occasion en or pour déchaîner et intensifier encore leurs campagnes mystificatrices. L’identification systématiquement établie entre communisme et stalinisme, le mensonge mille fois répété, et encore plus martelé aujourd’hui qu’auparavant, suivant lequel la révolution prolétarienne ne peut conduire qu‘à la faillite, vont trouver avec l’effondrement du stalinisme, et pendant toute une période, un impact accru dans les rangs de la classe ouvrière. C‘est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat, dont on peut dès à présent (notamment avec le retour en force des syndicats) noter les manifestations, qu’il faut s’attendre. Si les attaques incessantes et de plus en plus brutales que le capitalisme ne manquera pas d’asséner contre les ouvriers vont les contraindre à mener le combat, il n’en résultera pas, dans un premier temps, une plus grande capacité pour la classe à avancer dans sa prise de conscience. En particulier, l’idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l’action des syndicats."2
Cette prévision que nous avions faite en octobre 1989 s’est pleinement vérifiée tout au long des années 1990. Le recul de la conscience au sein de la classe ouvrière s’est manifesté par une perte de confiance en ses propres forces qui a provoqué le recul général de sa combativité dont on peut voir aujourd’hui encore les effets.
En 1989 nous définissions les conditions de la sortie du recul pour la classe ouvrière :
"Compte tenu de l’importance historique des faits qui le déterminent, le recul actuel du prolétariat, bien qu’il ne remette pas en cause le cours historique, la perspective générale aux affrontements de classes, se présente comme bien plus profond que celui qui avait accompagné la défaite de 1981 en Pologne. Cela dit, on ne peut en prévoir à l‘avance l’ampleur réelle ni la durée. En particulier, le rythme de l’effondrement du capitalisme occidental (dont on peut percevoir à l’heure actuelle une accélération avec la perspective d’une nouvelle récession ouverte) va constituer un facteur déterminant du moment où le prolétariat pourra reprendre sa marche vers la conscience révolutionnaire. En balayant les illusions sur le 'redressement' de l’économie mondiale, en mettant à nu le mensonge qui présente le capitalisme 'libéral' comme une solution à la faillite du prétendu 'socialisme', en dévoilant la faillite historique de l’ensemble du mode de production capitaliste, et non seulement de ses avatars staliniens, l’intensification de la crise capitaliste poussera à terme le prolétariat à se tourner de nouveau vers la perspective d’une autre société, à inscrire de façon croissante ses combats dans cette perspective."3
Et justement, les années 1990 ont été marquées par la capacité de la bourgeoisie mondiale, et particulièrement son principal secteur, celui des États-Unis, de ralentir le rythme de la crise et de donner même l’illusion d’une "sortie du tunnel". Une des causes profondes du faible degré de combativité actuel de la classe ouvrière, en même temps que ses difficultés à développer sa confiance en elle et sa conscience réside bien dans les illusions que le capitalisme a réussi à créer sur la "prospérité" de son économie.
Cela dit, il existe un autre élément plus général permettant d’expliquer les difficultés de la politisation actuelle du prolétariat, une politisation lui permettant de comprendre, même de façon embryonnaire, les enjeux des combats qu’il mène afin de les féconder et de les amplifier :
"Pour comprendre toutes les données de la période présente et à venir, il faut également prendre en considération les caractéristiques du prolétariat qui aujourd’hui mène le combat :
il est composé de générations ouvrières qui n’ont pas subi la défaite, comme celles qui sont arrivées à maturité dans les années 1930 et au cours de la Seconde Guerre mondiale ; de ce fait, en l’absence de défaite décisive que la bourgeoisie n‘a pas réussi à leur infliger jusqu‘à présent, elles conservent intacte leurs réserves de combativité ;
ces générations bénéficient d’une usure irréversible des grands thèmes de mystification (la patrie, la démocratie, l’antifascisme, la défense de l’URSS) qui avait permis par le passé l’embrigadement du prolétariat dans la guerre impérialiste.
Ce sont ces caractéristiques essentielles qui expliquent que le cours historique actuel soit aux affrontements de classe et non à la guerre impérialiste. Cependant ce qui fait la force du prolétariat actuel fait aussi sa faiblesse : du fait même que seules des générations qui n’avaient pas connu la défaite étaient aptes à retrouver le chemin des combats de classe, il existe entre ces générations et celles qui ont mené les derniers combats décisifs dans les années 1920, un fossé énorme que le prolétariat d’aujourd’hui paie au prix fort :
d’une ignorance considérable de son propre passé et de ses enseignements ;
du retard dans la formation du parti révolutionnaire.
Ces caractéristiques expliquent en particulier le caractère éminemment heurté du cours actuel des luttes ouvrières. Elles permettent de comprendre les moments de manque de confiance en soi d’un prolétariat qui n’a pas conscience de la force qu’il peut constituer face à la bourgeoisie. Elles montrent également la longueur du chemin qui attend le prolétariat, lequel ne pourra faire la révolution que s’il a consciemment intégré les expériences du passé et s’est donné son parti de classe. (...)
Fabienne
1 Les deux articles de cette série parue en 2000 et 2001 sont sur notre site et in Revue Internationale n° 103 et 104.
2 Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est, Revue internationale n°60.
3 Ibid.
L'histoire tourmentée de l'Allemagne au XXe siècle est riche en thèmes dramatiques dans tous les sens du terme ; en témoignent des films qui depuis quelques années ont connu un succès retentissant : Le pianiste par exemple1, (sur le ghetto de Varsovie), ou encore Goodbye Lenin ou La vie des autres (à propos de l'Allemagne de l'Est et de la chute du mur de Berlin). La cinéaste Margarete Von Trotta a déjà puisé à plusieurs reprises dans ce réservoir profond, et elle n'a pas hésité à s'attaquer à des sujets difficiles : "Les années de plomb" (1981), une version romancée de la vie et de la mort (dans des circonstances jamais complètement élucidées, dans la prison de Stammheim) de la terroriste de la "Fraction armée rouge" Gudrun Ensslin ; un film biographique sur Rosa Luxemburg (1986) ; "Rosenstrasse" (2003), sur une manifestation de femmes allemandes en 1943 contre la rafle par la Gestapo de leurs maris juifs. Son nouveau film, "Hannah Arendt" (sorti en 2012 en Allemagne et en 2013 en France), revient sur le sujet de la guerre, la Shoah et le nazisme, à travers un épisode de la vie de la philosophe allemande éponyme, remarquablement interprété par l'actrice Barbara Sukowa, qui avait joué le rôle de Rosa Luxemburg 20 ans auparavant.
Née en 1906, Hannah Arendt était d'origine juive. Jeune étudiante, elle suivit les cours du philosophe Martin Heidegger, avec qui elle eut une relation amoureuse. Le fait qu'elle n'ait jamais renié cette relation, ni Heidegger lui-même, malgré l'adhésion de ce dernier au parti Nazi à partir de 1933, lui a été beaucoup reproché par la suite ; ses liens avec Heidegger et sa pensée philosophique, sans doute très complexe, auraient presque mérité un roman à eux seuls, et les flashbacks de ses rencontres avec Heidegger sont peut-être les scènes les moins réussies du film, les seules où on sent Von Trotta moins en prise avec le thème traité dans son film : la "banalité du mal".
Hannah Arendt fuit l'Allemagne en 1933, au moment de l'arrivée d'Hitler au pouvoir, pour s'installer à Paris où elle milite dans le mouvement sioniste malgré des positions critiques à son égard. C'est à Paris qu'elle épouse, en 1940, son deuxième mari Heinrich Blücher. Avec l'invasion de la France par l'Allemagne, elle est internée par l'État français dans le camp de Gurs, mais elle réussit à s'enfuir et arrive enfin – après maintes péripéties – aux États-Unis en mai 1941. Complètement démunie, elle gagne sa vie et réussit à s'établir comme universitaire (elle sera même la première femme admise comme professeur par la prestigieuse université de Princeton) et, en 1960, lorsque le film commence, Arendt est une intellectuelle d'envergure ayant déjà publié deux de ses œuvres les plus importantes : Les origines du totalitarisme (1951) et La condition de l'homme moderne (1958). Hannah Arendt n'était certes pas marxiste, même si elle s’est intéressée à l’œuvre de Marx et à la vie de Rosa Luxemburg, son mari Heinrich étant ancien spartakiste puis membre de l'opposition à la stalinisation du KPD dans les années 20, rejoignant le KPD-Opposition (ou KPO) de Brandler et Thalheimer lors de l'exclusion de celui-ci du parti.2 Le film contient un clin d'œil à l'engagement d'Heinrich : on apprend, de la bouche d'une amie américaine du couple, que "Heinrich était avec Rosa Luxemburg jusqu'à la fin". Sans être marxiste le travail philosophique d'Arendt et surtout son analyse des mécanismes du totalitarisme restent très pertinentes aujourd'hui. Par sa rigueur de pensée et par son intégrité, grâce à laquelle elle est prête à s'engager contre les poncifs et les lieux communs de l'idéologie dominante de son époque, Hannah Arendt, par son honnêteté, est une femme qui dérange. En faisant une analyse très fine du procès d'Eichmann à Jérusalem, Arendt cherche à comprendre comment des êtres humains ont pu être les fonctionnaires de l’extermination des juifs ?
Les premiers moments du film évoquent l'enlèvement d'Adolf Eichmann par le Mossad, en Argentine. Sous le régime nazi, Eichmann avait occupé plusieurs positions d'importance, d'abord dans l'organisation de l'expulsion des juifs d'Autriche, ensuite, pendant la guerre, de la logistique de la "solution finale", notamment le transport des juifs d'Europe vers les camps de la mort d'Auschwitz, Treblinka et d'autres. L'intention de David Ben Gourion, premier ministre d'Israël et donc responsable de l'opération du Mossad, était clairement de monter un procès spectacle fondateur pour le jeune État, où les juifs eux-mêmes jugeraient un des auteurs de leur génocide.
En apprenant la nouvelle du procès Eichmann à venir, Arendt propose à la revue littéraire le New Yorker de suivre le procès et d'en faire le reportage. La série d'articles qu'elle a écrite sur le procès fut publiée par la suite en forme de livre sous le titre La banalité du mal. La publication du livre créa un scandale retentissant en Israël et encore plus aux États-Unis : Arendt fut l'objet d'une campagne de dénonciation médiatique : "juive qui se déteste" et "Rosa Luxemburg du néant" n'étaient que deux des épithètes les plus sobres. On lui demanda de démissionner de son poste universitaire, ce qu'elle refusa. C'est justement l'évolution de la pensée d'Arendt pendant le procès et la réaction à son livre qui fournit la matière du film. Et quand on y pense, faire une œuvre dramatique du mouvement contradictoire et parfois pénible de la pensée philosophique sans toutefois trivialiser celle-ci est une sacrée gageure que Von Trotta et Sukowa relèvent avec brio.
Pourquoi donc le reportage d'Arendt a-t-il fait autant scandale ?3 En partie la réaction était compréhensible et même inévitable : Arendt manie le scalpel de la critique comme un chirurgien, mais pour beaucoup, la guerre et les souffrances abominables des victimes de la Shoah étaient trop proches, les traumatismes encore trop présents, pour pouvoir prendre du recul sur les événements. Mais les voix les plus fortes étaient intéressées : intéressées surtout à garder sous silence des vérités gênantes que la critique d'Arendt dévoilait.
Arendt coupait au vif quand elle démontait la tentative du premier ministre d'Israël, David Ben Gourion, d'utiliser le procès Eichmann comme un procès spectacle fondateur pour justifier l'existence d'Israël par le calvaire des juifs dans le Shoah. Pour cela, le procès Eichmann devait être celui d'un monstre, digne représentant des crimes monstrueux des nazis contre l’humanité. Arendt elle-même s'attendait à voir un monstre, mais plus elle l’observait moins elle était convaincue, non pas de la culpabilité mais de la monstruosité. Dans les scènes du procès, Von Trotta place Arendt non pas dans la salle d'audience du tribunal mais dans une salle réservée aux journalistes qui regardaient le procès par une liaison télévisée. Ce truchement cinématographique permet à Von Trotta de nous montrer, non pas un acteur qui joue Eichmann, mais le vrai Eichmann lui-même, et comme Arendt, nous pouvons voir cet homme médiocre (Arendt utilisait le terme "banal" plutôt dans le sens de "médiocre") qui n'a rien à voir avec la folie meurtrière d'un Hitler ni de la froideur toute aussi folle d'un Goebbels (comme on a pu les voir brillamment interprétés par Bruno Ganz et Ulriche Mathes dans La Chute). Au contraire, nous sommes face à un petit bureaucrate dont l'horizon intellectuel ne dépasse guère celui de son bureau et de son bon fonctionnement, et dont les perspectives ne dépassent pas ses espoirs de promotion et les rivalités bureaucratiques. Eichmann n'est pas un monstre, en conclut Arendt : "il aurait été très réconfortant de croire qu'Eichmann était un monstre (…) Le problème avec Eichmann était précisément qu'il y en avait tant comme lui, qui n'étaient ni des pervers ni des sadiques, mais au contraire remarquablement et épouvantablement normaux" (p. 274).4 En somme, le crime d'Eichmann n'était pas d'avoir été responsable à la manière d'un Hitler de l'extermination des juifs, mais d'avoir abdiqué toute capacité de réflexion, de penser, et d'avoir donc agi en toute légalité et en toute bonne conscience comme un simple rouage d’une machine totalitaire d’un État qui, lui, était criminel. Le "bon sens" indubitable des "personnalités" lui a servi de "guide moral". Ainsi, la conférence de Wannsee (qui devait mettre en marche le mécanisme opérationnel de la "solution finale") "était une occasion très importante pour Eichmann, qui ne s'était jamais mêlé à autant de 'grandes personnalités' (…) Maintenant il pouvait voir de ses yeux et entendre de ses oreilles non seulement Hitler, non seulement Heydrich ou le 'sphinx' Müller, non seulement les SS ou le Parti mais aussi l'élite de la bonne vieille fonction publique se disputant les honneurs de la direction de ces questions 'sanglantes'. A ce moment, j'ai ressenti une émotion à la Ponce Pilate, je me suis senti lavé de toute culpabilité" (p. 112).
Arendt récuse explicitement l'idée que "tous sont potentiellement coupables", ou "coupables par association" : Eichmann méritait la mort pour ce qu'il avait fait lui-même. (comme si son exécution pouvait redonner vie aux monceaux de cadavres!) Cela dit, son analyse est une gifle courageuse infligée à l'antifascisme devenu idéologie officielle de tous les États, et notamment de l’État sioniste. De notre point de vue, la "banalité" dont parle Arendt est celle d'un monde – le monde capitaliste, – où l'être humain, aliéné et réifié, est réduit à l'état d'une chose, d'une marchandise, un rouage dans la machine du capital. Cette machine n'est pas le seul apanage de l’État Nazi. Arendt nous rappelle que la politique de "judenrein" (se débarrasser des juifs) avait déjà été explorée par l’État polonais avant la guerre, en 1937, et que le très démocratique gouvernement français en la personne de son ministre des affaires étrangères, Georges Bonnet, avait envisagé l'expulsion des 200.000 juifs "non-français" vers Madagascar (Bonnet avait même demandé des conseils en la matière à son homologue allemand Von Ribbentrop). Arendt épingle également le tribunal de Nuremberg comme un "tribunal des vainqueurs" ou siégeaient des juges dont les pays étaient aussi responsables de crime de guerre : les russes coupables des goulags, et les américains coupables du bombardement atomique de Nagasaki et Hiroshima.
Arendt n'est pas tendre non plus avec l’État d'Israël. Contrairement aux autres reporters, elle souligne dans son livre l'ironie amère de la mise en accusation d'Eichmann pour des crimes à base raciale, alors que lui-même incorpore des distinctions raciales dans ses propres lois : "la loi rabbinique dicte le statut personnel des citoyens juifs, avec comme résultat qu'aucun juif ne peut épouser un non-juif, les mariages à l'étranger sont reconnus mais les enfants des mariages mixtes sont illégitimes (…) et si on est né de mère non juive on ne peut être ni marié ni enterré". Quelle ironie amère, que les rescapés de la politique de "pureté raciale" nazie chercheraient à créer leur propre "pureté raciale" en terre promise ! Arendt détestait le nationalisme en général et le nationalisme israélien en particulier. Déjà dans les années 1930, elle s'était opposée à la politique sioniste et au refus de celle-ci de chercher un mode de vie en commun avec les palestiniens. Et elle n'hésite pas à démasquer l'hypocrisie du gouvernement Ben Gourion, qui braque les projecteurs sur les liens de certains États arabes avec le régime Nazi mais reste silencieux sur le fait que l'Allemagne de l'Ouest continuait d'abriter un nombre impressionnant de nazis haut placés dans des postes à responsabilité.
Un autre motif de scandale était la question des "Judenrat" – les conseils juifs créés par les nazis précisément dans le but de faciliter la "solution finale". C'est une partie très courte du livre, mais qui a coupé au vif. Voici ce qu'en dit Arendt : "Partout où habitaient les juifs, il y avait des dirigeants juifs reconnus, et cette direction, presque sans exception, a coopéré d'une façon ou d'une autre, pour une raison ou une autre, avec les nazis. La vérité, c'est que si les juifs avaient été inorganisés et sans direction, il y aurait eu du chaos et de la misère en abondance mais le nombre total des victimes ne se serait pas élevé à 4-6 millions de gens (…) J'ai traité cet aspect de l'histoire, que le procès de Jérusalem a manqué de poser devant le monde entier dans sa vraie dimension, parce qu'il nous offre l'aperçu le plus frappant de l'effondrement moral total que les nazis ont infligé à la société européenne respectable" (p. 123). Elle révèle même un élément de distinction de classe entre les dirigeants juifs et la masse anonyme : dans la catastrophe générale, ceux qui en échappaient étaient soit suffisamment riches pour acheter leur fuite, soit suffisamment "en vue" dans la "communauté internationale" pour être gardés en vie dans l'espèce de ghetto privilégié de Theresienstadt. Les relations entre la population juive et le régime nazi, et aussi les autres populations européennes, étaient beaucoup plus complexes que l'idéologie dominante manichéenne des vainqueurs de la guerre ne voulait le faire croire.
Le problème de la Shoah et du nazisme occupe une place centrale dans l'histoire récente de l'Europe, plus encore même aujourd'hui que dans les années 60. Malgré les efforts des auteurs, par exemple, du Livre noir du communisme, le nazisme reste en quelque sorte le "mal ultime". La Shoah est une partie importante du programme scolaire, avec la Résistance française, presque à l'exclusion de toute autre considération sur la guerre. Pourtant, sur le plan purement arithmétique, le stalinisme était bien pire avec 20 millions de morts dans les goulags de Staline et au moins 20 millions de morts dans la famine provoquée par le "Grand bond en avant" de Mao. Il y a évidemment une forte part d'opportunisme là-dedans : les descendants de Staline et de Mao sont toujours au pouvoir en Russie et en Chine, ce sont toujours des gens avec qui on peut et doit "faire des affaires".
Arendt ne traite pas cette question directement, mais dans une discussion sur le chef d'accusation retenu contre Eichmann, elle insiste sur le fait que le crime des nazis n'était pas un crime contre les juifs, mais un crime contre toute l'humanité en la personne du peuple juif, précisément parce qu'il niait aux juifs leur appartenance à l'espèce humaine, et faisait de ces êtres humains un mal inhumain à extirper. Ce caractère raciste, xénophobe, obscurantiste du régime nazi, était clairement affiché et c'est d'ailleurs pour cela qu'une partie de la classe dominante européenne, des classes paysannes et petite-bourgeoises ruinées par la crise économique, ont pu si bien s'en accommoder. Le stalinisme par contre, s'affichait toujours comme progressiste : on chantait toujours que "L'Internationale sera le genre humain", et c'est pour cela que même jusqu'à la chute du Mur de Berlin, même après sa chute, des gens ordinaires pouvaient continuer de défendre les régimes staliniens au nom de l'espoir dans un avenir meilleur.5
Ce que met essentiellement en avant Arendt, c’est que la barbarie "impensable" de la Shoah, la banalité des fonctionnaires nazis, est le produit de la destruction de la "capacité de penser". Eichmann "ne pense pas", il exécute les ordres de la machine et fait correctement son boulot, de façon très rigoureuse et disciplinée, sans aucun état d’âme, sans aucune capacité à se représenter l’horreur dans les camps d’extermination. En ce sens, le film de Von Trotta doit être vu comme un éloge de la pensée.
Hannah Arendt n'était pas marxiste.6 Elle n'avait pas une vision révolutionnaire et historique du monde ne comprenant pas que, depuis la fin du communisme primitif, "l‘histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la lutte de classe" (Marx). Elle ne comprenait pas non plus la conception du travail chez Marx. Mais en posant des questions qui mettent à mal l'idéologie antifasciste officielle, elle est l'ennemi du conformisme, des lieux communs et de l'abandon de la pensée critique. Le mérite de son analyse est aussi celui de permettre une réflexion sur la "conscience morale" de l’être humain (tout comme l’expérience du psychologue américain Stanley Milgram, relatée dans le film d'Henri Verneuil "I comme Icare", mettant en évidence les mécanismes de "soumission à l’autorité" chez les tortionnaires).
La publicité faite aujourd’hui par toute la bourgeoise démocratique à l’œuvre d'Hannah Arendt, dont on fait une icône dans les milieux de l’intelligentsia "démocratique", n’est pas anodine. Ce qui est visé dans cette récupération de son analyse du totalitarisme, c’est, évidemment l’idée pernicieuse qu’il existe une continuité entre la machine totalitaire de l’État stalinien avec le bolchévisme et la Révolution russe d’Octobre 1917 puisque "le vers était déjà dans le fruit" : Staline n’aurait été que l’exécuteur de la pensée de Lénine. "Moralité" : toute révolution prolétarienne ne peut mener qu’au totalitarisme et à de nouveaux crimes contre l’humanité ! C’est pour cela que certains idéologues patentés de la bourgeoisie, comme Raymond Aron, ne se sont pas privés d’exploiter l’analyse de Hannah Arendt du totalitarisme de l’État stalinien en saluant sa "philosophie politique" pour alimenter les campagnes de la Guerre froide et celles sur la "faillite du communisme" déchainées après l’effondrement de l’URSS.
Hannah Arendt était une philosophe. Et comme le disait Marx, "Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde. Il s’agit maintenant de le transformer". Le marxisme n’est pas une doctrine "totalitaire". C’est l’arme théorique de la classe exploitée pour sa transformation révolutionnaire du monde. Et c’est pour cela que seul le marxisme a été capable d’intégrer les apports de l’art, de la science et des philosophes comme Épicure, Aristote, Spinoza, Hegel, etc., et qu'il est capable aujourd'hui d'intégrer les apports d'Hannah Arendt : un regard profond et critique sur l'époque contemporaine et son éloge de la pensée.
Jens et SL (25 juin)
1 Voir la critique publiée dans numéro 113 de la Revue internationale. (https://fr.internationalism.org/french/rint/113_pianiste.html [384])
2 Le KPO faisait partie de ces groupes d'opposition au stalinisme qui n'ont jamais réussi à pleinement rompre avec celui-ci puisque, comme Trotski, ils n'ont pas pu accepter l'idée d'une contre-révolution en URSS.
3 Le lecteur francophone pourrait écouter des témoignages de l'époque fort éclairants à ce propos, dans un documentaire de France Culture : Hannah Arendt et le procès d’Eichmann.
(https://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-histoire... [385])
4 Les citations du livre sont tirées de l'édition publiée par Penguin Books en 2006, avec une introduction par Amos Elon, traduites de l'anglais par nous.
5Voir à ce propos cette fascinante série documentaire (en anglais et en allemand) à propos de la vie dans l'ex-RDA : https://www.youtube.com/watch?v=7fwQv5h7Lq8 [386]
6 Arendt a bien écrit une petite biographie très sommaire de Rosa Luxemburg à partir du livre de Nettl. Elle ne comprend pas que les deux corps francs qui ont assassiné Rosa étaient aux ordres de Noske et Scheidemann, connus pour leur rôle de premier plan dans l'écrasement de la révolte spartakiste. Elle pense que le gouvernement Noske n'était seulement que "complice" des corps francs qui allaient servir le nazisme.
Nous publions ci-dessous un texte qui s’appuie très largement sur l'article d'un sympathisant du CCI en Grande-Bretagne1. Bien que les événements aient évolué depuis sa rédaction, nous pensons qu'il représente une contribution positive à la réflexion du prolétariat sur la nature de la guerre. En quelques lignes, est ici dénoncé à la fois la terreur semée par le régime au pouvoir en Syrie et la nature tout aussi meurtrière de la fraction bourgeoise ennemie nommée "camp de la rébellion" et l’hypocrisie sans borne des grandes puissances démocratiques qui exploitent cette nouvelle tragédie et les souffrances infligées à la population pour justifier leurs propres aventures impérialistes et ainsi défendre sur place leurs sordides intérêts.
Les plates discussions de la "communauté internationale" (c'est-à-dire du Royaume-Uni, des États-Unis et de la France, suivies de près par une partie des pays du Golfe, d'Israël et de l'opposition syrienne) à propos de l'utilisation hypothétique d'armes chimiques en Syrie par le régime d'Assad ont abouti à une conclusion unanime. La semaine dernière, le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a ainsi déclaré que oui, le gaz sarin, un puissant neurotoxique, avait bien été utilisé par le régime syrien contre la rébellion.
Sans sous-estimer la brutalité de ce régime, on peut se demander pourquoi il utiliserait des armes chimiques, typiques de la stratégie de la terre brûlée d'une armée qui recule, alors qu'Assad consolide ses positions. L'offensive de l'armée loyaliste est peut-être la raison pour laquelle l'occident fait monter les enchères. Dans une interview à The Independent du 27 avril 2013, le professeur Sally Leivesley, analyste des produits chimiques et qui a travaillé pour les gouvernements occidentaux déclarait : "Certaines choses ne collent pas. L'utilisation du gaz sarin sur un champ de bataille causerait des décès de masse et laisserait très peu de gens en vie." Mais, bien que nos dirigeants insistent sur la nécessité d'être prudent quant aux accusations, des éléments d'agents chimiques et biologiques ont été découverts. Ainsi, le 25 avril dernier, dans la ville méridionale de Daraya, deux roquettes ont lâché un gaz qui a touché une centaine de personnes, selon l'opposition, et il a été signalé des attaques du même type dans d'autres zones. Alex Thomson, reporter sur Channel 4, a également signalé que 26 soldats de l'armée syrienne faisait partis des victimes d'une attaque chimique dans le quartier d'Al-Bab, près d'Alep, que le Front al-Nusra, groupe djihadiste de l'opposition, contrôle. Un certain nombre de services secrets et de forces spéciales agissent en Syrie avec leurs propres objectifs, notamment le Qatar qui a été particulièrement brutal en Libye. Il est donc tout à fait envisageable que certains éléments du régime, tout comme les rebelles, aient utilisé des armes chimiques.
La farce actuelle fait écho à la tragédie des fameuses armes de destruction massive de Saddam Hussein et aux mensonges éhontés du gouvernement britannique et du secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, à l'ONU, il y a un peu plus de 10 ans sur les prétendus preuves de leur existence afin de justifier l'invasion de l'Irak. Une grande partie de la Syrie est désormais détruite par la guerre impérialiste. Les bombes tombent sur les usines, les tirs de roquettes sur les bâtiments et toutes sortes de combinaisons toxiques sont respirées par la population à cause des explosions. La poussière des matériaux de construction bas de gamme est souvent toxique et il y en a beaucoup dans l’atmosphère. Et cela sans parler de la puissance destructrice des explosifs eux-mêmes : les retombées chimiques sont une sorte de bonus impérialiste !
Il ne fait aucun doute que le régime syrien possède l'un des plus grands, si ce n'est le plus grand arsenal d'armes chimiques du Moyen-Orient. La ville d'Al-Safira, près d’Alep, détient l'une des principales installations de production d'armes chimiques, dont celle de gaz sarin. Les médias des puissances démocratiques de l'Ouest disent craindre que ces armes tombent entre de mauvaises mains, mais elles sont bel et bien entre les mains des rebelles directement ou indirectement soutenus par ces mêmes puissances Occidentales et les pays du Golfe. Le fait que ces armes tombent entre de "mauvaises mains" a été l'une des conséquences des actions de l'impérialisme occidental, notamment en Afghanistan dans les années 1980, ainsi que de la propagation de l’instabilité et de la décomposition au Mali cette année. Le premier ministre britannique, David Cameron, en dépit de sa "prudence", a déjà décidé que Assad avait commis un "crime de guerre." (Telegraph du 26 avril 2013) L'administration Obama a été plus circonspecte, mais affirme qu'elle "conserve sa capacité d'agir unilatéralement" et évoque des "lignes rouges" à ne pas franchir. Le gouvernement israélien a déclaré, pour sa part, qu’Assad avait bien utilisé des armes chimiques et que la "ligne rouge" avait effectivement été franchie. Israël a tout intérêt à soutenir cette idée de l'impérialisme américain en adhérant à la notion de "lignes rouges" par rapport aux conditions de la guerre et en particulier face aux menaces de l'Iran. Les États-Unis et la Grande-Bretagne se montrent plus exigeants avec leurs porte-parole de l'ONU pour faire pression sur le régime d’Assad afin qu'il donne un "accès inconditionnel et sans entraves" aux autorités chargées d’évaluer la présence des armes de destruction massive en Syrie. Cette inspection ne serait rien moins qu'une mission d'espionnage américaine et britannique, exactement de même nature qu'en Irak avec tout son cortège de mensonges et de désinformation.
Tout ceci ne repose donc que sur une pure hypocrisie : l'Etat d'Israël utilise bien du phosphore contre des civils hermétiquement cloîtrés dans la bande de Gaza. On peut ajouter à ceci l'utilisation passée de ces mêmes armes chimiques par les États-Unis à Falloujah, en Irak, où les malformations des nouveaux nés sont en hausse aujourd'hui. Un autre exemple, celui de l'opération Tempête du désert en 1991, où du napalm, des explosifs à dépression (faisant éclater les poumons), des bombes à fragmentation et des obus à l’uranium appauvri ont été utilisés par les armées britanniques et américaines. Et avant cela, lorsque les bourgeoisies de Grande-Bretagne et des États-Unis soutenaient Saddam Hussein dans la guerre contre l'Iran dans les années 1980 (il était alors le "bon ami" de la France), elle a fermé les yeux lorsque ce dernier a utilisé des armes chimiques (la plupart fournies par les occidentaux) contre les Kurdes, tuant au moins 5000 personnes rien qu’à Hallabjah. La classe dominante en Grande-Bretagne avait déjà constaté que le largage d'armes chimiques à partir des avions de guerre contre les Kurdes avait été très utile dans les années 1920 !
Les bourgeoisies occidentales battent les tambours de guerre en exploitant donc hypocritement la question des armes chimiques. Leurs réactions politiques et militaires peuvent conduire à diverses formes d'escalades et à des tensions supplémentaires en Syrie et dans la région. Nous pouvons être certains que les derniers événements ne feront qu'exacerber l'instabilité immédiate et les dangers potentiels, tout comme s'aggrave la misère imposée à la classe ouvrière. Les destructions en Syrie, comme expression du militarisme en décomposition, constituent une nouvelle attaque brutale contre toute la classe ouvrière.
D'après un article de Baboon, sympathisant du CCI (29 avril)
1 Le texte original [388] est disponible sur notre site en anglais.
Pris à la gorge depuis son entrée dans le bourbier malien, le Président français tente d’en sortir en imposant l’organisation d’élections (fin juillet) aux cliques maliennes qui se disputent le pouvoir de Bamako. Malgré le chaos sanglant qui y règne, François Hollande a déjà tout programmé dans son bureau et comme il l’a annoncé lui-même (à la télé) : "A la fin du mois d’avril, nous allons nous retirer. En juillet, il n’y aura plus que 2000 soldats au Mali. A la fin de l’année, un millier de soldats seront présents". Pur cynisme à la "hollandaise", "flagrant délire électoral français", comme l’a si bien dit Le Canard enchaîné. En fait le "Moi président" se mystifie en parlant de sa "victoire sur les groupes terroristes" alors qu’il sait très bien que ces derniers sont en train de harceler la France dans toute la zone du Sahel. Et en ce moment même, l’impérialisme français doit faire face à de redoutables concurrents, à commencer par l’impérialisme américain qui n’arrête pas de lui mettre des bâtons dans les roues.
"L’ONU s’apprête à déployer une opération de maintien de la paix dans un nouveau contexte géopolitique, avec des menaces jamais rencontrés jusqu’ici. (…) Plus grave, la menace terroriste s’exporte, preuve en est l’attentat au Niger. (…) Enfin, la tenue de l’élection présidentielle le 28 juillet, comme souhaitée par Bamako, n’est pas le moindre défi pour l’ONU censée aider à son organisation. (…) Des élections dans ces circonstances seront inévitablement faussées". (Le Monde du 12 juin 2013) Effectivement, depuis la déclaration tapageuse de François Hollande, la situation du Mali est marquée par la persistance des affrontements sanglants entre les deux camps criminels ("libérateurs" et "terroristes") sous forme d’embuscades meurtrières et d’attentats à la voiture piégée, sans parler de la confrontation sanglante entre les forces maliennes encadrées par l’armée française et celles du groupe touareg MNLA qui se disputent le contrôle de la ville de Kidal. En fait, Hollande tient un double discours car, derrière son opération de communication sur sa "victoire" contre les terroristes qu’il veut parachever par des élections "libres" au Mali, en coulisses il exprime son inquiétude et celle de son entourage : "Les plus hauts dirigeants du Quai d’Orsay le reconnaissent : pendant plusieurs mois, ils ont sous-estimé le ‘risque islamiste’ au Mali et en Libye. Comme pour s’en excuser, certains diplomates affirment que leurs collègues militaires, eux non plus, n’avaient pas bien mesuré le danger. Aujourd’hui, changement de ton : les nouvelles en provenance de Libye sont inquiétantes, les télégrammes diplomatiques alarmistes, et tous les dirigeants des pays du Sahel -Burkina, Mali, Tchad, Niger, Mauritanie- appellent les Occidentaux à l’aide. (…) Sans en oublier d’autres : Algérie, Tunisie ou Egypte. (…) Idriss Déby président du Tchad s’est voulu le porte-parole de ses collègues inquiets : ‘Il ne faut pas se leurrer, nous, les pays du Sahel, a-t-il déclaré au Figaro, le 8 juin, nous allons tous être touchés. Le Mali et le Niger hier, demain cela va être le Tchad. Et aucun pays ne peut s’en sortir seul, face à cette armada (sic). Tous les radicaux islamistes sont aujourd’hui en Libye, (un Etat) au bord de l’explosion’". (Le Canard enchaîné du 12 juin 2013). Donc, comme on le voit, Hollande qui prétend avoir libéré le Mali des groupes terroristes, pour justifier l’organisation d’un processus électoral, ne fait que mentir cyniquement : tout au plus il n’a fait que disperser ces groupes comme l’indique l’hebdomadaire Jeune Afrique daté du 3 mars 2013 commentant un dessin de Willem publié dans le quotidien français Libération. : "(…) un point que l’on devine français, tape sur le Mali et, au lieu de les écraser, projette les djihadistes qui s’y trouvent chez les voisins immédiats. En Mauritanie, au Burkina, au Niger, au Tchad…". Visiblement, les groupes djihadistes n’ont pas été "écrasés" mais projetés aux alentours du Mali et n’ont pas tardé à s’attaquer partout aux intérêts français comme ceux des pays considérés comme soutiens de la France.
Le jeudi 23 mai, un groupe armé islamiste a fait exploser deux véhicules piégés dans un camp militaire nigérien à Agadez et sur le site de l’entreprise française Areva, suivi d’un assaut des forces nigériennes et françaises. L’affrontement a fait plus de trente morts et des dizaines de blessés, y compris parmi le personnel d’Areva. Le président français a beau crier "victoire sur les terroristes", la réalité l’a très vite rattrapé…
Encore un pays entraîné dans la guerre du Sahel. Pour le Président nigérian, Goodluck Jonathan, les actions de Boko Haram sont une tentative délibérée d’ébranler l’Etat nigérian, du coup : "L’armée nigériane a lancé, jeudi 16 mai, une offensive dans le nord-est du pays contre les islamistes du groupe Boko Haram. Plusieurs milliers de soldats, selon un porte-parole des armées nigérianes ont été déployés ainsi que des avions et des hélicoptères de combat. Le président Goodluck Jonthan, qui a déclaré mardi 14 mai, l’état d’urgence dans les Etats de Borno, Yobe et Adamawa, a présenté comme ‘une déclaration de guerre’ les dernières violences du groupe et il a pour la première fois reconnu que Boko Haram avait pris le contrôle de certaines parties de l’Etat de Borno. Boko Haram a revendiqué les attaques de Baga, le 16 avril, suivies d’une violente répression par l’armée ayant fait au total 187 morts, et celle de Bama, le 7 mai, qui s’était soldée par au moins 55 morts. L’insurrection et sa répression par les forces de sécurité ont fait quelque 3600 morts depuis 2009, selon l’organisation Human Rights Watch". (Le Monde du 18 mai 2013). En effet, depuis le début de la guerre au Mali, il était de notoriété publique que Boko Haram avait des liens étroits avec le groupe terroriste Aqmi et tous deux s’entraînaient dans les mêmes camps dans le nord malien.
"Depuis le 29 avril, la traque du groupe djihadiste (salafiste tunisien) commencée il y a deux semaines a pris une autre tournure avec l’explosion de plusieurs mines qui ont fait vingt-sept victimes dans les rangs de l’armée et de la garde nationale. Parmi elles, trois militaires sont morts, cinq autres ont dû être amputés. (…) Les armes proviennent de Libye, et les enquêteurs ont acquis la certitude que le groupe entretient d’étroites relations avec les djihadistes installés dans le nord du Mali". (Le Monde du 18 juin 2013)
Le 23 avril, un "attentat terroriste" a touché l’ambassade française en Libye causant des destructions importantes et blessant grièvement deux gendarmes français. Et là aussi, comme le reconnaît le Ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius, derrière cette attaque contre l’ambassade il y a le groupe armé Aqmi qui a récemment appelé à frapper les intérêts français "à l’intérieur comme à l’extérieur du Mali". Justement, la Libye est devenue le sanctuaire de la plupart des groupes sanguinaires en guerre contre les puissances criminelles étatiques qui les traquent. On se souvient qu’au lendemain de la liquidation physique de Kadhafi et son régime (fin octobre 2011) par les forces de l’OTAN, les dirigeants français et britanniques (Sarkozy et Cameron) avaient publié des communiqués triomphalistes en prétendant avoir réglé la crise et apporté la paix aux populations en organisant des élections "libres et transparentes" ! Mais en réalité, derrière l’image d’une Libye "libre" en route vers la "prospérité" brandie par les propagandistes des grandes puissances, se cache un pays miné par un sanglant chaos et en totale décomposition. En effet, la Libye est un pays dominé par des tribus ou entités féodales dotées de leurs propres seigneurs et de forces armées. Par exemple, à Misrata, la 3e ville du pays, on dénombre quelques 150 milices pour 450 000 habitants. Deux ans après la "libération" de la Libye de son dictateur Kadhafi, l’Etat libyen est aujourd’hui encore en lambeaux : "(…) les ex-thuwar (révolutionnaires) disposent d’un atout considérable : les armes, qu’ils refusent toujours de déposer, plus d’un an et demi après la capture et la mort du Guide libyen. Mardi 30 avril, pour la troisième journée consécutive, des dizaines de pick-up équipés de mitrailleuses lourdes barraient ainsi l’accès au ministère des affaires étrangères, perçu par les jusqu’au-boutistes comme un bastion de l’ancien régime. En février et en mars, les mêmes avaient assiégé à plusieurs reprises le bureau du premier ministre et le siège du parlement, allant jusqu’à ouvrir le feu sur le convoi de Mohamed Al-Magaryef, son président". (Le Monde du 2 mai 2013).
"Le plan de paix élaboré par Hollande avant même l’envoi de troupes au Mali est aujourd’hui rejeté par la Maison Blanche et le Pentagone. Un diplomate français, et il n’est le seul, n’apprécie guère cette rebuffade subie par l’Elysée. Et il résume ainsi la stratégie imposée par Washington : ‘les forces africaines qui, en principe, seront bientôt placées sous mandat de l’ONU ne doivent pas combattre les djihadistes, mais se limiter à un simple rôle d’interposition. La traque de ces groupes armés est réservée aux seuls français’. Et le secrétaire d’Etat adjoint aux affaires africaines John Corson de préciser : ‘une opération contre-terroriste dans le Nord du Mali se révèle nécessaire, et il revient probablement (sic) aux français de la mener, mais en aucun cas cette opération n’est à mettre dans les mains des Nations unies’. (…) Selon plusieurs diplomates, les Américains ne veulent pas que la France soit ‘en position de leader’ dans cette zone sahélienne où uranium, pétrole et gaz peuvent être prospectés". (Le Canard en chaîné du 20 février 2013). Derrière les bavardages sur les "négociations de paix" ou l’unité de façade contre les groupes terroristes pour la "sécurisation" du Mali, il y a cette autre guerre (non déclarée) qui oppose grands et petits brigands qui se disputent le contrôle de la région et de ses matières premières. Et c’est bien cela l’enjeu principal et la motivation de l’engagement des divers vautours impérialistes présents dans cette région, qui comme la France et les barbares djihadistes, n’ont que misère et massacre à offrir aux populations.
Amina (20 juin)
Lors de sa campagne électorale, François Hollande nous avait promis un demi-mandat d'efforts pour un autre demi-mandat de répartition des richesses. Sachons reconnaître que, pour une fois, un candidat aux présidentielles n'aura qu’à moitié menti. Depuis un an, effectivement, les coups tombent sur un peu tout le monde. Les allocations familiales, la Sécurité sociale, les retraites... les attaques pudiquement baptisées réformes vont bon train. Comme à chaque fois, une réforme est présentée comme un correctif aux politiques passées, pas assez justes, pas assez égalitaires, pas assez protectrices et soucieuses des besoins des plus démunis, etc. Le problème est qu'au lieu de corriger le tir, chaque réforme appuie un peu plus là où la précédente faisait déjà sacrément mal ! L'effort à consentir est justifié par le fait que nos valeurs de solidarité et nos "acquis" les plus précieux sont en danger : couverture maladie, retraite par répartition, assurance chômage, prestations familiales... tout peut disparaître si on ne se serre pas immédiatement – et encore un peu plus – la ceinture. Au moins les médecins qui, sous l’antiquité ou au moyen-âge, pratiquaient la saignée et précipitaient la mort du malade, croyaient sincèrement au bien fondé de leur remède. Aujourd’hui, ce gouvernement qui nous saigne aux quatre veines, le fait en toute connaissance de cause !
Au nom de l’égalité et même de l’équité, tous les ouvriers dégustent, sans distinction. Quand il s'agit de taper dessus, il n'y a plus de sexe, de couleur de peau ou de religion qui compte. Les jeunes, les vieux, les fonctionnaires, les employés du secteur privé, tout le monde a droit à son coup de massue ! Ceci n'est évidemment pas une spécificité française, ni même une spécificité actuelle : depuis bien des années, les gouvernements successifs de droite comme de gauche dans tous les pays développés ont mené ces types de "réformes". La bourgeoisie elle-même n'hésite pas à y faire référence : regardez en Allemagne ou en Espagne, la retraite est à 67 ans ! Regardez en Italie, les efforts que le "peuple" fait ! Et la Grèce !
Effectivement, s'il faut s'aligner sur ce qui se fait de plus misérable en chaque domaine, il y a encore un peu de chemin, mais nous ne sommes plus très loin ! Cependant, on nous assure qu'on n'arrivera jamais à ce niveau car en France, on a des valeurs, on est attachés à la solidarité et à la justice... balivernes. Ça, c'est le discours de la gauche, son emballage hypocrite. Cette solidarité-là, cette justice là, c'est le chemin vers la culpabilisation de ceux qui n'ont pas encore tout perdu, c'est la comparaison entre les régimes ou les statuts différents, les secteurs variés, ou avec d’autres pays pour finir inexorablement par un alignement de tous vers le bas. On y arrivera bien sûr, les attaques ne cesseront pas au nom de quelconques "valeurs" auxquelles la bourgeoisie n'a cure de s'attacher. Bien au contraire, en pointant les parties de la classe les plus touchées, elle imprime son propre mode de pensée, ses propres références, ses propres valeurs, marquées par la compétitivité, la concurrence, le chacun-pour-soi, véritable loi de la jungle où la morale n'a plus droit de Cité. Elle s'offre la possibilité de diviser les prolétaires en comparant les plus solidaires, ceux qui font des efforts à ceux qui pourraient en faire un peu plus. On nous rabâche que ce seront les plus riches qui paieront, que les plus pauvres seront épargnés, mais c'est faux ! La réforme des allocations familiales, pour ne parler que d'elle, touchera tous ceux qui gagnent 2500 euros et plus. Avec 2500 euros, on n'est pas riche, on peut même être en difficulté si nos charges sont importantes, et elles le sont pour de plus en plus d'ouvriers.
C'est là toute l'intelligence de la bourgeoisie : bien sûr que tout le monde est attaqué, aucun ouvrier n'est à l'abri quel que soit sont statut, mais tous ne seront pas frappé simultanément. Ce n'est pas nouveau : en 1987, les cheminots avaient "leur" attaque, à part des autres secteurs ; en 2003, c'étaient les enseignants, etc. Les exemples ne manquent pas et aujourd'hui encore, on se prépare à nous démontrer que tous les régimes de retraite ne sont pas au même niveau, que certaines entreprises licencient légitimement, mais pas d'autres, etc. En cela, les syndicats jouent pleinement leur rôle en focalisant leurs revendications sur ce qu'il y a de plus catégoriel, sectoriel, voire spécifique à l'entreprise. C'est ainsi qu'on fait passer l'idée de plus en plus répandue, qu'on ne lutte pas de la même façon dans une PME que dans une multinationale, dans le privé que dans le public...
La solidarité, ce n'est pas consentir aux mêmes sacrifices que ceux à qui l’Etat a infligé le plus. La solidarité, c'est refuser pour les autres comme pour soi de faire ces sacrifices qui ne mènent à rien d'autre qu'à préparer le constat que finalement, ce n'était pas assez, qu’il faut continuer à en faire davantage, qu’il faut une nouvelle fois rentrer le ventre et serrer la ceinture d’un cran. A quoi aboutissent aujourd'hui les efforts déjà faits par la classe ouvrière ? Par un chômage record, un déficit public qui n'arrête pas de se creuser, les systèmes de santé, d'éducation qui se dégradent. A quoi serviront ceux que l’on prévoit de nous imposer demain ? A la même chose ! Il est temps de voir que quelque chose cloche et de refuser de verser une goutte de sueur de plus pour ce système qui nous broie lentement mais sûrement.
GD (25 juin)
Aux côtés des quelques adorateurs des Saintes Ecritures, les agissements des groupuscules d'extrême-droite et autres skinheads ont pu choquer par leur violence très médiatisée : inondation du web par des propos infâmes, passage à tabac des militantes du groupe Femen et de plusieurs journalistes, agressions contre des homosexuels, etc. Le 5 juin ponctuait cette multiplication d'actes plus ou moins barbares par l’assassinat d’un jeune militant antifasciste, Clément Méric.
Ces expressions de violence aveugle s’inscrivent dans une dynamique d’affirmation des fractions les moins lucides, voire irrationnelles de la bourgeoisie dans le monde entier. Que ce soit par la présence dans plusieurs gouvernements européens de personnalités populistes, par le développement des mouvements religieux intégristes tant islamistes, chrétiens que judaïques, ou le renforcement du Tea Party sur la scène politique américaine, les exemples sont innombrables à l’échelle internationale.
Avec l’approfondissement des contradictions du système capitaliste, les structures économiques, mais aussi sociales, politiques et idéologiques se décomposent à un rythme sans cesse croissant. Or, le développement des courants d’extrême droite est une manifestation directe de l’absence de perspectives que le capitalisme est en mesure de proposer, tout comme la violence des groupes les plus radicaux2.
Cette dynamique de surenchère idéologique et de violence correspond, en effet, à un enfoncement dans la phase de décomposition sociale du capitalisme dans les années 1980. Au début de cette décennie, la référence européenne des mouvements d’extrême droite était le Front National (FN) en France. Si le FN laissait quelques mouvements insoumis et plusieurs groupes skinheads issus des années 1970 végéter à sa marge (Œuvre française, Troisième Voie, le GUD, etc.), le parti de Jean-Marie Le Pen regroupait alors la plupart des chapelles xénophobes et traditionalistes sous sa bannière.
En 1981, les illusions de la classe ouvrière sur la gauche au pouvoir se dissipèrent rapidement avec les nombreuses attaques du gouvernement socialiste contre ses conditions de vie. Confronté au discrédit, le parti socialiste (PS) favorisera par des réformes électorales et des "contacts permanents"3 les succès électoraux du FN, permettant notamment l’entrée de celui-ci au parlement en 1986. S’appuyant sur une tendance typique de la période de décomposition, le rejet de "la classe politique" et le vote protestataire, le PS a développé une stratégie délibérée consistant à se présenter en rempart de la démocratie contre le "danger fasciste", et, surtout, inciter le prolétariat à se mobiliser dans les urnes pour la "défense des valeurs républicaines".
Avec la surenchère rhétorique autour de la "démocratie en danger" et de la prétendue "montée de la menace fasciste", le PS a alimenté la logique de violence et de radicalité des militants d’extrême droite. Entre les assassinats racistes et les ratonnades, c’est sans doute le meurtre de Brahim Bouaram en 1995, noyé dans la Seine par des militants proches du FN, qui choqua le plus fortement.
Bien que le processus fût parfois plus lent, dans de nombreux pays européens, une logique similaire présida au surgissement de partis d’extrême droite d’envergure nationale comme le Vlaams Belang en Belgique, le FPÖ en Autriche ou la Ligue du Nord en Italie.
Si, aujourd’hui, la capacité de la bourgeoisie à manipuler l’extrême droite comme par le passé est moins aisée, la manière dont le gouvernement français a excité les opposants au mariage homosexuel, tout comme les déclarations du Premier ministre appelant à "tailler en pièces" les groupes néo-nazis, procèdent sans aucun doute d'une stratégie similaire. Si la bande lumpenisée des Jeunes Nationalistes Révolutionnaires (JNR) est directement responsable du meurtre atroce de Clément Méric, le PS a fait tout son possible pour créer le sentiment d’un climat d’ultra violence.
Avec l’approfondissement de la crise du système capitaliste, la dynamique électorale des partis xénophobes s'accéléra dans les années 2000, au point de devenir difficilement contrôlable. Ainsi, dès 1999, la bourgeoisie française tenta de briser le FN en favorisant une querelle des chefs à la tête du parti entre Jean-Marie Le Pen et son dauphin Bruno Mégret. Bien que l’extrême droite n’avait alors aucune chance de faire son entrée au gouvernement, ses scores électoraux hypothéquaient sérieusement les capacités de la droite à reprendre en main les rênes du pouvoir, obligeant le PS, dirigé par Lionel Jospin, à assumer directement les attaques contre la classe ouvrière, ce qui continue encore aujourd’hui à lourdement handicaper les partis de gauche quant à leur aptitude à leurrer le prolétariat sur leur nature de partis prétendument "progressistes" et "protecteurs". Mais cette vaine tentative de démantèlement s'avéra pire que le mal, au point que le FN réussit à se qualifier au second tour de l’élection présidentielle de 2002.
À la même période, avec le poids croissant de la décomposition, plusieurs pays européens connurent la même dynamique. Élections après élections, les partis d’extrême droite progressèrent : en 2001, le FPÖ autrichien entra au gouvernement ; la même année, le Vlaams Belang (Belgique) obtint 33% des voix à l’élection municipale d’Anvers et 24% aux élections législatives de 2004 ; entre 2001 et 2011, le Parti du Progrès norvégien participa au gouvernement, tout comme la Ligue du Nord et le Mouvement Social Italien au sein du gouvernement de Silvio Berlusconi. De même, le Parti du Peuple danois est devenu une force politique importante depuis 2001 où il réalisa 12% aux élections législatives. En Suisse, l’Union Démocratique du Centre obtint 62 sièges au conseil national en 2007...
Par ailleurs, en réaction au rôle institutionnel que les partis extrémistes les plus influents commencèrent à jouer, une multitude de groupuscules marginaux et très violents proliféra sur des bases politiques confuses4, à l’image des JNR ou du Bloc Identitaire en France. Il s’agit d’une véritable évolution par rapport à la situation des années 1980 puisque les grosses écuries xénophobes ne parviennent même plus à contrôler leurs composantes les plus radicales.
Cette perte de maîtrise du jeu politique s’est encore accélérée avec le développement, d’abord en Allemagne puis dans toute l’Europe, des Nationalistes Autonomes (NA), sorte de mouvance hétéroclite et déstructurée, composée de membres, souvent très jeunes, sans véritables activités en dehors du web. Les NA sont un phénomène tellement caricatural de la décomposition que leur propre "charte" se passe de commentaires : "Le Nationaliste autonome (…) n’a ni intérêts personnels, ni affaires, ni sentiments, ni attachements, ni propriété, ni même de nom. (…) En ce qui concerne ce monde civilisé, il en est un ennemi implacable, et s’il continue à y vivre, ce n’est qu’afin de le détruire plus complètement. (…) Il doit chaque jour être prêt à mourir. Il doit s’habituer à supporter les tortures, les infamies, la diffamation."
Le poids actuel de l’extrême droite est donc un véritable problème pour la bourgeoisie, pas tant à cause de son rôle institutionnel croissant que de la perte de contrôle du jeu politique qu’il représente et occasionne. Comme les manœuvres de François Mitterrand l’ont parfaitement illustré, l’extrême droite, au même titre que le gauchisme, a un rôle avant tout idéologique, à la fois comme véhicule d’un programme destiné à pourrir les consciences des franges les plus rétrogrades de la population sur le terrain de l’ultra-nationalisme et de la xénophobie, mais aussi comme repoussoir pour la défense du piège démocratique.
L’idéologie et les revendications des partis xénophobes sont incompatibles avec l’exercice du pouvoir. L’extrême droite est composée des fractions les moins lucides de la bourgeoisie et les moins en mesure de répondre aux besoins objectifs du capital. Par exemple, l’application de leurs revendications fantaisistes en matière économique contre l’Union Européenne, la monnaie unique ou en faveur du protectionnisme représenterait un véritable cataclysme que la bourgeoisie, dans son ensemble, ne peut pas permettre. Surtout, même si l’extrême droite commence à considérer ces questions avec un peu plus de sérieux, elle est marquée par son incapacité historique à comprendre les enjeux de l'encadrement de la classe ouvrière et de la mystification démocratique. C’est pour ces raisons que la classe dominante préfère recourir aux partis de droites traditionnels "musclant" leur discours, à l’image de l’aile droite de l’UMP en France ou des fractions les plus souverainistes du Parti conservateur britannique.
Cependant, même lorsque les partis xénophobes parviennent, à l’occasion d’une coalition de circonstance, à se hisser au gouvernement, la réalité du capitalisme d’État et la nécessité de défendre le capital national s'imposent de manière implacable, les contraignant alors à abandonner l’essentiel de leur fatras idéologique. C’est ainsi qu’aussitôt aux affaires, le Mouvement Social Italien de Gianfranco Fini adopta, en 1995, un programme pro-européen de centre-droit en rupture complète avec son passé fasciste afin de faciliter son maintien au gouvernement de Silvio Berlusconi, tout comme la Ligue du Nord abandonna rapidement ses velléités indépendantistes. La même logique s’imposa en Autriche à Jörg Haider contraint d’assouplir ses revendications et d’adopter un programme plus responsable.
Pour comprendre pourquoi le fascisme n’est, aujourd’hui, pas à l’ordre du jour, il est indispensable de revenir aux circonstances historiques particulières dans lesquelles il est apparu. Après la Première Guerre mondiale, les pays vaincus, comme l’Allemagne, ou lésés, comme l’Italie, durent rapidement préparer le terrain à l’éclatement d’un nouveau conflit afin de répartir en leur faveur le marché mondial, de se doter d’un "espace vital" : "Pour cela, il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l’État, accélérer la mise en place de l'économie de guerre, de la militarisation du travail et faire taire toutes les dissensions internes à la bourgeoisie. Les régimes fascistes ont été directement la réponse à cette exigence du capital national."5 Ainsi, la plupart des fractions des bourgeoisies allemande, autrichienne et italienne soutinrent bec et ongles l’ascension des régimes fascistes.
Surtout, tout comme le stalinisme, le fascisme était une expression du développement du capitalisme d’Etat et de l’exploitation la plus brutale, ainsi qu’un instrument d’embrigadement de la classe ouvrière dans la guerre, que seul le contexte de la période contre-révolutionnaire a autorisé. Sans l’écrasement physique préalable des ouvriers orchestré par la Gauche et les partis démocratiques pendant la Révolution allemande ou les grèves de 1920 en Italie, jamais le fascisme n’aurait pu voir le jour. Inversement, dès la guerre d’Espagne en 1936, le "combat contre le fascisme" fut un puissant mot d’ordre d’embrigadement des ouvriers des pays démocratiques vers la guerre.
Bien que la contre-révolution des années 1920-1960 pèse encore sur la conscience du prolétariat, la bourgeoisie n’est aujourd’hui pas en mesure d’imposer la militarisation de l’économie et un nouveau conflit mondial, et encore moins de se priver des illusions démocratiques, sans se heurter à une réaction extrêmement dangereuse pour le maintien de sa domination.
Si la propagande antifasciste ne joue plus son rôle de préparation à la boucherie planétaire comme pour la Seconde Guerre mondiale, elle demeure néanmoins un poisson idéologique destiné à pousser le prolétariat dans les bras de la défense des institutions et de l’État, afin qu'il abandonne le combat de son propre terrain de classe pour celui de la démocratie.
El Generico (22 juin)
1 Voir notre article : Mariage pour tous, seule la société communiste peut mettre fin aux discriminations sexuelles [389], dans le numéro 439 de Révolution Internationale.
2 Voir notre article : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, dans le numéro 62 de la Revue Internationale et sur notre site. (https://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ul... [390])
3 Lorrain de Saint-Affrique, Dans l'ombre de Le Pen (1998).
4 Un des aspects très frappant de cette confusion est l’immense inculture, voire le néant idéologique de ces groupes, caractérisés par une filiation politique qui relève visiblement d’une mosaïque des plus hétéroclites, où se côtoient nostalgies du nazisme, conservatisme ou traditionalisme le plus rétrograde et mystique New Age.
5 "Montée de l'extrême-droite en Europe, existe-t-il un danger fasciste aujourd'hui ? [391]", dans le numéro 110 de la Revue Internationale.
Dans notre précédent article analysant la situation en Égypte1, nous écrivions en conclusion : « Le capitalisme s'est donné les moyens de détruire toute vie sur la terre entière. L'effondrement de la vie sociale et le règne des bandes armées meurtrières – c'est ça, le chemin de la barbarie qui est illustré par ce qui se passe aujourd'hui en Syrie. La révolte des exploités et des opprimés, la lutte massive pour défendre la dignité humaine et un véritable avenir – c'est ça, la promesse des révoltes sociales en Turquie et au Brésil. ». Et nous ajoutions ceci : « L'Égypte se tient à la croisée des chemins de ces deux choix radicalement opposés, et dans ce sens il est symbolique du dilemme auquel est confrontée toute l'espèce humaine. » Les événements tragiques qui se sont déroulés et précipités durant le mois d'août en Égypte suite aux réactions face au coup d'État de l'armée contre l'ex-président élu Morsi, notamment la répression sanglante des Frères musulmans (dont un pic a été atteint le 14 août), témoignent de toute la gravité de cette situation historique et confirme cette idée de « croisée des chemins » pour l'ensemble de l'humanité.
L'enfoncement dans la décomposition, la crise économique et sociale, l'incurie et la politique désastreuse du gouvernement Morsi (élu en juin 2012) ont conduit les populations à poursuivre dans la rue leurs manifestations pour exprimer un mécontentement et un ras-le-bol face à la misère et l'insécurité galopantes. C'est cette situation dégradée, marquée de plus par l’irrationalité politique et les provocations multiples des Frères musulmans, qui a poussé l'armée égyptienne au coup d'État du 3 juillet dernier, destituant le président Morsi de ses fonctions. Parallèlement, l'agitation sociale n'avait fait que se poursuivre pour aboutir à des tensions vives et des convulsions extrêmement dangereuses, débouchant même sur des affrontements sanglants. Il s'agit là d'un engrenage qui n'est autre que celui de la guerre civile. La seule force de cohésion qu'est l'armée au sein de l'Etat se retrouve donc du coup aujourd'hui en première ligne, mise à contribution forcée pour tenter d'empêcher que toute la société égyptienne ne vole en éclats. L'homme « fort » du moment est donc sans surprise le chef de l'armée Abdel Fattah al-Sissi. Ce dernier n'a d'autre option que la répression brutale, répression sanglante assurée en grande partie par la police civile contre les Frères musulmans et les pro-Morsi. Durant tout l'été, les heurts entre ces pro-Morsi et forces de l'ordre ou entre pro- et anti-Morsi n'ont cessé de se multiplier, faisant de nombreux morts, notamment parmi les Frères musulmans. Les sit-in où les manifestants pro-Morsi se sont regroupés avec femmes et enfants, ont fini par être dispersés de manière sanglante. Les assauts de l'armée, comme celui du 14 août, ont fait plus d'un millier de morts ! L'instauration de la loi martiale a été décrétée par l'application de l'état d’urgence et un couvre-feu a été aussitôt mis en vigueur au Caire et dans treize provinces du pays ! De nombreux dirigeants des Frères musulmans et des activistes (plus de 2000) ont été arrêtés, parmi lesquels le « guide suprême » Mohammed Badie et bien d'autres, dont certains ont péri en prison après une tentative d'évasion. Depuis, les manifestants sont devenus moins nombreux, restant la cible des tirs de soldats et de la police. Pour ce maintien de l'ordre, l'armée et la police ont obtenu le soutien d'une majorité de la population qui perçoit les Frères musulmans comme des « terroristes ». Ce soutien teinté de nationalisme, accompagné d'un sentiment anti-intégriste croissant, conduit nécessairement à affaiblir davantage le prolétariat qui risque d'être de plus en plus dilué et happé par les miasmes de la situation. Ceci, d'autant que ce rejet de l'intégrisme religieux est alimenté par la mystification démocratique qui reste plus vive que jamais. À l’opposé des grandes manifestations de la Place Tahrir qui ont conduit au renversement de Moubarak, où la présence politique des femmes était tolérée et où elles étaient relativement protégées, la terreur qui tend à s'imposer aujourd'hui conduit par contre à des régressions morales spectaculaires, comme les viols collectifs sur des femmes signalés lors des manifestations, de même que l'atmosphère de pogrom qui se développe de plus en plus à l'égard des coptes (des centaines d'églises ont été incendiées cet été et de nombreux coptes ont été tués).
Bien entendu, comme nous l'écrivions dans notre précédent article : « la classe ouvrière en Égypte est une force bien plus formidable qu'en Syrie ou en Libye. Elle a une longue tradition de luttes combatives contre l'État et ses syndicats officiels qui remonte au moins jusqu'aux années 1970. En 2006 et en 2007, des grèves massives se sont étendues à partir des usines textiles hautement concentrées, et cette expérience de défiance ouverte envers le régime a alimenté le mouvement de 2011, fortement marqué par l'empreinte de la classe ouvrière à la fois dans ses tendances à l'auto-organisation qui sont apparues sur la Place Tahrir et dans les quartiers, comme dans la vague de grèves qui ont finalement convaincu la classe dominante de se débarrasser de Moubarak. La classe ouvrière en Égypte n'est pas immunisée contre les illusions démocratistes qui imprègnent tout le mouvement social, mais il ne sera pas facile non plus pour les cliques bourgeoises de la convaincre d'abandonner ses intérêts de classe et de l'attirer dans le cloaque de la guerre impérialiste. » Et il est vrai que dernièrement aussi, des expressions de la lutte de classe se sont à nouveau manifestées, notamment à Mahalla2 où 24 000 ouvriers se sont mis en grève pour n'avoir perçu que la moitié de leur prime. De même, des grèves et luttes ont été menées à Suez. Mais si certaines pancartes dans les manifestations ont pu proclamer « Ni Morsi ! Ni les militaires ! », ces voix très minoritaires sont de plus en plus étouffées, tout comme les luttes courageuses que mènent ces ouvriers sont de plus en plus isolées et donc affaiblies. Si la situation n'est pas arrivée à un point aussi tragique que la Syrie, il devient de plus en plus difficile de sortir d'un engrenage sournois qui peut mener à de telles issues barbares.
L'instabilité intérieure accrue par les événements récents ne touche pas n'importe quel pays secondaire. Grand axe nilotique, l’Égypte constitue une zone charnière ouverte sur le Moyen-Orient, placée entre l'Afrique et l'Asie. Elle est le pays le plus peuplé du monde musulman en Afrique et sa capitale, Le Caire, la plus grande métropole du continent. Le pays s’intègre à un arc sunnite opposé aux nations chiites, notamment l'aire syro-libanaise et l'Iran, ennemi juré des États-Unis et d’Israël dans la région. D'un point de vue géographique, l’Égypte occupe donc une place géostratégique majeure, en particulier pour les intérêts de la première puissance mondiale mais déclinante que sont les États-Unis d'Amérique. Durant la Guerre froide, l’Égypte était d'ailleurs un pion essentiel garantissant en partie l'équilibre de la région au bénéfice des États-Unis. Cet avantage s'était consolidé avec les accords de Camp David signés en 1979, scellant le rapprochement de l’Égypte, d’Israël et des États-Unis. La stabilité relative liée à la logique des blocs militaires rivaux Est-Ouest permettait de contenir et tolérer les Frères musulmans, très surveillés, pourtant interdits à l'époque du président Gamal Abdel Nasser. Aujourd'hui, la disparition de la discipline des blocs et le développement du chacun pour soi, sur fond de décomposition sociale accélérée, accentue les forces centrifuges et notamment la fuite en avant des fractions radicalisées comme celles des salafistes et des Frères musulmans, déjà considérés par Moubarak comme étant « un État dans l'État ». Cette confrérie musulmane, constituée par Hasan Al Banna en Égypte, même en 1928, s'est implantée rapidement un peu partout au Moyen- Orient dans les pays arabes, avec un projet idéologique traditionaliste et rétrograde, celui du grand califat sunnite, dont la logique heurtait d'emblée les nations déjà constituées. Le contexte international et surtout le panier de crabes dans lequel sont plongées les grandes puissances occidentales aujourd'hui contribuent à exacerber les tensions multiples. Au Moyen-Orient même, les clivages accentués opposant par exemple le Qatar à l’Arabie saoudite, proche des États-Unis et de l’Égypte malgré son idéologie extrême wahhabite, contribuent à mettre de l'huile sur le feu. C'est pour cela que les États-Unis ne peuvent remettre en cause leur financement de l’armée égyptienne (à hauteur de 80% au moins) tout en constatant que la situation politique échappe de plus en plus à tout contrôle.
Le capitalisme n'a en fait rien d'autre à offrir que la misère et le chaos sanglant. Quelles que soient les cliques bourgeoises au pouvoir, le sort de la population ne peut que s'aggraver ! Mais contrairement à ce que laisse entendre la bourgeoisie et ses médias, pour qui l’échec en Égypte est la preuve indubitable que tout soulèvement des populations ne peut fatalement mener qu'à « l'obscurantisme religieux » ou à la « dictature », la perspective historique de la révolution prolétarienne, même si elle ne peut s'exprimer de manière immédiate, reste la seule et unique alternative réelle à la barbarie. Il est de la responsabilité du prolétariat d'en prendre conscience et de manifester sa solidarité de classe pour offrir une véritable perspective à toutes les luttes difficiles qui se mènent. Seule l'implication décidée du prolétariat mondial, notamment de ses fractions les plus expérimentées du vieux centre industriel européen, pourront ouvrir à terme la seule voie du futur, celle de la révolution mondiale.
WH (28 Août)
1 Voir notre site fr.internationalism.org/internationalisme/201310/8701/legypte-nous-montre-lalternative-socialisme-ou-barbarie [394]
2 https://english.ahram.org.eg/NewsContent/3/12/79967/Business/Economy/Egypts-Mahalla-textile-workers-on-strike-again.aspx [395]
Nous publions ci-dessous la traduction d'un court article rédigé par notre section aux Etats-Unis sur la surveillance à grande échelle de l'internet par le gouvernement américain. Si l'affaire Prism fait scandale, il n'y a aucune illusion à se faire sur la probité des gouvernements d'Europe qui se félicitent pourtant de protéger les "libertés individuelles". En France, par exemple, une enquête du Monde et les déclarations du directeur technique de la DGSE en personne, Bernard Barbier, ont révélé l'existence d'un dispositif similaire de surveillance. Ce "Big Brother français" n'est qu'un élément parmi d'autres (écoutes téléphoniques, caméras de surveillances, etc.) d'un espionnage permanent de la population. Un article plus complet sur le scandale Prism est disponible en langue anglaise sur notre site : NSA Spying Scandal: The Democratic State Shows Its Teeth [397].
Les révélations sur l’étendue de la cyber-surveillance de la part de l’État capitaliste – résultat de la dénonciation de l’ex-opérateur de l’Agence Nationale de Sécurité (NSA), Edward Snowden – se sont multipliées au cours des dernières semaines. Tous les grands serveurs Internet, les moteurs de recherche et les programmes de communication – Windows, Google, Yahoo, Skype, etc. etc. – sont tous plus que volontaires pour fournir à la NSA ou à d’autres organes étatiques de surveillance toute information demandée par l’État. Les e-mails, les appels téléphoniques, les codes de cryptage – rien de tout cela n’est privé et la technologie au service de la surveillance est si sophistiquée que, même sans l’accord de ces opérateurs, l’État américain peut exploiter presque toutes les formes de communication électronique, quand et où il le veut.
La surveillance peut viser tout citoyen, qu’il soit ou non impliqué dans des activités subversives ou illégales. Pas seulement les citoyens américains d’ailleurs : le scandale a dévoilé la coopération très étroite entre la NSA et le GCHQ britannique (Government Communications Headquarters, GCHQ , littéralement « quartier-général des communications du gouvernement ») , et Snowden a affirmé que la NSA couche avec un bon nombre d’autres États occidentaux. Mais cela ne confère pas d’immunité à ces États contre le fait d’être espionnés eux-mêmes : les Etats-Unis utilisent les mêmes techniques de surveillance de masse pour espionner d’autres États, y compris ceux naguère supposés être ses alliés, comme l’Allemagne et la France.
Le développement foudroyant de la communication électronique dans les dernières décennies a bien sûr porté les capacités techniques de telles agences d’espionnage à un niveau jamais atteint jusque là. Mais il n’y a rien de nouveau là-dedans et ce phénomène n’est certainement pas limité aux États-Unis.
L’État anglais, le premier, était le leader dans le domaine de la technologie d’espionnage industriel. Quand l’Angleterre était le pays capitaliste le plus puissant, elle était le centre du réseau international des lignes télégraphiques, position similaire à celle des États-Unis par rapport à Internet. Durant la Première guerre mondiale, l’impérialisme britannique utilisait cette position pour se brancher sur les réseaux de communication internationaux de l’impérialisme allemand. Il avait coupé les principaux câbles reliant l’Allemagne et les Etats-Unis, mais il a été capable de surveiller les autres réseaux que devait utiliser l’Allemagne. Il a aussi mis la main sur les installations des postes et de télécommunications sans fil pour contrôler les communications télégraphiques allemandes. Cela s’est fait dans le domaine de la marine militaire par la Chambre 40 de la Navy Intelligence dans l’immeuble-même de l’amirauté. Après la guerre, il a continué à utiliser et à développer ces capacités. Aujourd’hui, bien que n’étant plus une superpuissance, l’impérialisme anglais peut se servir de son expérience d’espionnage dans les communications vieille de cent ans pour jouer encore dans la cour des grands, sur la scène de l’espionnage.
En ce qui concerne la France qui a protesté haut et fort contre la violation de sa souveraineté par la NSA, le journal français Le Monde a publié récemment des informations sur les opérations de collecte en grand de données et de surveillance électronique menées par les services nationaux de la sécurité, la DGSE. La république française est presque aussi hypocrite que la Russie de Poutine qui est régulièrement suspectée d’assassiner des journalistes qui posent trop de questions embarrassantes, tout en se posant en défenseur des libertés et en réfléchissant à l’éventualité d’offrir l’asile politique au fugitif Snowden.
En somme : ils trempent tous plus que jamais dans le même bain ! Ils espionnent leurs propres concitoyens parce que leur domination est fragile, sapée par ses propres contradictions sociales et économiques, et parce qu’ils vivent dans la peur constante d’un danger de révolte de ceux d’en bas. Ils s’espionnent aussi les uns les autres parce que ces mêmes contradictions poussent chaque État-nation à des guerres incessantes avec ses rivaux, et dans cette guerre de chacun contre tous, l’allié d’aujourd’hui peut être l’ennemi de demain. Il n’y a qu’un organe qui soit capable d’organiser l’espionnage et la surveillance à une échelle aussi gigantesque : l’État capitaliste, qui à l’époque du capitalisme décadent est vraiment devenu un monstre froid et inhumain qui tend de plus en plus à engloutir la société civile qu’il est censé protéger.
Amos/Phil, 13 juillet
Cet été s’est produite une spectaculaire série d’accidents ferroviaires à travers le monde. En Inde, le réseau ferré est dans un tel état que les accidents mortels sont pratiquement quotidiens (300 par an en moyenne) ; 37 pèlerins hindous ont par exemple étaient fauchés le 19 août. Au Mexique aussi de tels drames sont récurrents ; il en a été ainsi le 25 août où un train de marchandises appelé « La bête », car servant chaque jour de moyen de transport clandestin à tous ceux migrants vers les Etats-Unis, a déraillé et fait six victimes. Dans ces pays, les infrastructures sont totalement délabrées. Mais avec l’aggravation de la crise et les « nécessaires plans d’économie » qui se multiplient partout, ce sont tous les pays qui voient les investissements dans la sécurité être rognées et, par là-même, les risques croître. La collision de deux trains en Suisse, le déraillement d’un train en pleine gare d’une ville de banlieue parisienne en France, l’explosion d’un convoi pétrolier rayant de la carte le centre ville de Lac-Mégantic au Canada, la sortie de voie d’un train à grande vitesse en Espagne – soit près de deux cents morts au cours du seul mois de juillet – révèlent la gravité de la situation, cette tendance lourde du capitalisme à sacrifier de plus en plus de vies sur l’autel de la sacro-sainte rentabilité.
Dans ce cadre, nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article d’Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, qui traite de l’accident ayant eu lieu près de Saint-Jacques de Compostelle. Ce texte dénonce non pas tel ou tel conducteur, tel ou tel technicien, tel ou tel individu mais au contraire l’ensemble du système capitaliste comme responsable de toutes ces morts inutiles, évitables et révoltantes.
L’enquête parlementaire sur l’accident qui s’est produit le 24 juillet à Angrois dans la banlieue de Saint-Jacques de Compostelle (Galice, Espagne) conclut en fait que ce fut une tragédie imprévisible. Mensonges !
Les entreprises et l’État, en tant que propriétaire collectif et régulateur de la production nationale dans chaque pays, font tout leur possible pour réduire les coûts, main d’œuvre comprise, en faisant travailler plus vite et davantage les ouvriers, en les payant le moins possible. Ils essayent d’escamoter au maximum tout ce qui, du point de vue du profit, est considéré comme dépenses superflues malgré les conséquences énormes que cela entraîne pour l’environnement et la sécurité. La crise historique qui dure déjà depuis plus de 100 ans et qui s’est accélérée depuis les années 1970 exacerbe la concurrence ; la lutte à mort pour les marchés impose aujourd’hui une surexploitation sans merci des travailleurs et des coupes sombres dans les dépenses de maintenance et de sécurité. Voilà les véritables données Voilà les véritables données à prendre en compte pour examiner le virage d’A Grandeira1.
“Les Trains à Grande Vitesse ne sont pas à mettre en cause” (Directeur de RENFE2), “les voies et les signalisations sont conformes aux normes techniques en vigueur ” (ADIF), “la cause fondamentale de l’accident est l’erreur humaine” (ce que disent tous les groupes parlementaires ainsi que les média).
Cette sorte de criminalisation du conducteur du train, comme ce fut le cas pour le chauffeur du métro de Valence, afin de « sauver » la compétitivité et le crédit des chemins de fer espagnols qui ont des contrats en cours en Arabie Saoudite et au Brésil, menacés par la concurrence allemande et française, ne peut que provoquer nausée et indignation morale.
À cette campagne ignoble de diabolisation participent toutes les composantes de l’État bourgeois, à commencer par l’ensemble des groupes parlementaires, les uns s'affichant comme les champions de “la défense des services publics” avec un semblant de solidarité formelle envers avec les cheminots, comme la coalition IU ou l’UPD, les autres avec moins de scrupules ouvriéristes, étant donné qu’ils sont impliqués directement dans quelques-unes des décisions concernant les infrastructures ferroviaires et “frisent” la responsabilité légale, tel que le PSOE ou le PP3. Mais les média, eux aussi, se partagent et jouent leur rôle : Radio Nationale d’Espagne (RNE) sonnant la charge sans retenue contre le conducteur et la SER (radio privée pro-PSOE) très cyniquement compréhensive vis-à-vis de « l’erreur humaine ».
Parce que, automatiquement, la « faute » du chauffeur équivaut à une déclaration d’innocence de l’État bourgeois : c’est lui le responsable; non pas les voies, ni le manque de systèmes de sécurité, ni les terribles conditions de travail.
Comme dans les romans de Dostoïevski où l’assassin est en réalité une victime sociale, le machiniste du train Alvia est la victime des conditions de travail et de surexploitation qui exigent des travailleurs une tension psychique et physique insupportable, ainsi que l’ont reconnu les experts en psychologie, des horaires à rallonges et variables, qui rendent difficile un sommeil régulier et le maintien d’une vie sociale avec la famille et les amis. Parce que les coupes décidées, cautionnées toujours par des rapports techniques et souvent avec le plein accord de ces “défenseurs des travailleurs” qui, lorsqu’ils sont dans le gouvernement imposent des reformes du travail, et quand ils sont dans l’opposition poussent de hauts cris avant de les accepter, ont réduit les effectifs à un seul chauffeur par train (au lieu de deux auparavant), obligé d’écraser tout le temps la pédale (qui porte le sinistre nom de “l’homme mort”) pour ainsi signaler qu’il n’a pas eu de malaise, tout en surveillant attentivement les panneaux de signalisation et en regardant sa feuille de route.
Le prétendu si « solidaire » et « combatif » syndicat des machinistes, auquel appartenait ce conducteur, s’est déclaré satisfait par la proposition de durcir encore plus les conditions de travail, sous couvert de tests psychologiques et d'épreuves d’aptitude régulières, visant surtout les plus âgés, venant s’emboîter parfaitement, telle une pièce d’un puzzle, dans l’ensemble des attaques que la réforme du travail assène à la tranche d’ouvriers âgés entre 50 et 60 ans.
La cynique campagne étatique essaye d’opposer les victimes et leur famille au conducteur, d’opposer, en fait, la population aux travailleurs, alors que le vrai conflit est celui qui oppose l’État bourgeois aux travailleurs et à la population en général.
Malgré toutes les larmes de crocodile versées par les politiciens bourgeois, dans les calculs de la production capitaliste, concrétisés dans la législation de l’État, les vies des voyageurs du train ne valent pas plus que les économies en coûts de production dans les lignes à grande vitesse et pour leur maintenance. «Tout ce qui ne démontre pas son utilité sociale immédiate dans le marché n’a pas de valeur et est oublié»4.
Les passagers qui, “le jour d’après ”, pour cause de campagne idéologique ont leur nom, leur prénom et leur histoire personnelle dans les journaux, “le jour d’avant”, n’étaient qu’un chiffre, faisant partie du froid calcul en dépenses comparatives relatives aux différents systèmes de freinage. Et, comme lors des accidents du métro de Valence et de Spanair à Barajas, la fausse solidarité des représentants de l’État avec les subventions ou les misérables réparations en dommages accordés, partiront en fumée dans peu de temps, parce que dans le capitalisme il n’y a pas de place pour le deuil.
En réalité, le déversement médiatique d’une fausse solidarité pré-conditionnée et pré-emballée n’a même pas permis que la véritable solidarité spontanée de la population et des travailleurs puisse s’exprimer.
Juste après l’accident, la population d’Angrois est venue spontanément porter secours aux victimes, en ouvrant les maisons pour accueillir les blessés, en allant donner du sang, des pompiers ont annulé leur grève pour réaliser leur travail de sauvetage et les travailleurs de la santé de l’hôpital de Saint-Jacques qui étaient en vacances ou en congé se sont présentés spontanément sur leur lieu de travail. Comme dans d’autres événements (par exemple le 11 mars 2004 à Madrid), ces initiatives sont l’expression de la solidarité spontanée de la population et de la classe ouvrière.
Mais de suite se sont enclenchés les rouages de la machinerie médiatique de la fausse solidarité d’État, transformant tout ce qu’elle touchait en hypocrisie et cynisme. La saine réponse humaine qui renforce le sens spontané du collectif, où chacun prend librement la décision de s’impliquer et donner le meilleur de lui-même, qui s’inspire, en fin de compte, des moments de lutte sociale, de créativité des masses, on essaye de la présenter comme son contraire, comme l’expression d’une “citoyenneté”, qui n’est pas autre chose que l’encadrement de tout un chacun dans l’isolement, dans ses devoirs et obligations envers l’État. Et c’est ainsi qu’on essaye de transformer un mouvement spontané qui brise le joug du totalitarisme de l’Etat et qui exprime les potentialités d’une nouvelle société vraiment humaine, en une réaffirmation des misères de la société bourgeoise.
Il est aussi répugnant qu’on ait essayé de rallier sous les drapeaux de la Xunta (le gouvernement galicien) une initiative sociale qui permet de dépasser les divisions corporatistes et les séparations nationales.
Cette fausse solidarité, non seulement ne transmet pas un véritable sentiment de soutien aux victimes et aux familles, mais les soumet à la même violence de l’exploitation capitaliste qui se trouve, en dernier ressort, à l’origine de l’accident. Mais elle sert surtout à démobiliser pour éviter de remonter jusqu’à l’analyse de ce qui est arrivé et à celle de ses causes réelles et des moyens pour pouvoir lutter contre elles.
Pour notre part, avec cette prise de position, nous voulons exprimer notre plus profonde solidarité avec toutes les victimes, celles de l’accident et leurs familles, le conducteur du train. Nous voulons ainsi contribuer, dans la mesure de nos possibilités, à la lutte contre le capitalisme pour que l'exploitation de la force de travail et les causes de tels accidents disparaissent enfin.
D'après Acción Proletaria, organe du CCI en Espagne (19 août)
1Nom du virage de la voie ferrée près de Saint Jacques de Compostelle où l’accident a eu lieu et qu’on a pu voir jusqu’à satiété sur les écrans de téle [NdT].
2 La RENFE est la SNCF espagnole et l’ADIF correspond au Réseau Ferré de France.
3Le Parti Populaire (PP, droite) est au gouvernement en Espagne depuis début 2012, à la suite du Parti Socialiste (PSOE) au pouvoir entre 2004 à 2011. Izquierda Unida est une coalition du type Front de Gauche, dont l’ancien parti stalinien est la colonne vertébrale. L’UPD est un petit parti centriste.
4 Adorno, Dialectique de la Raison
Depuis que la gauche est arrivée au pouvoir en France, il y a près d’un an et demi, de changement il n’y a pas eu. C’est au contraire la même politique anti-ouvrière qui règne en maître. Comment pourrait-il en être autrement ? Toute fraction à la tête de l’état a pour mission de défendre l’économie nationale. Maintenir la compétitivité de la France dans l’arène du marché mondial en crise passe nécessairement par une exploitation de plus en plus forcenée des travailleurs et une baisse continue des coûts sociaux comme les allocations chômages, retraites et familiales, le remboursement des soins…
Pour faire ce sale boulot, si la méthode d’Hollande est apparemment plus « douce et consensuelle » que celle du « brutal et prétentieux Sarkozy », elle n’en est pas moins efficace, sinon plus. Par exemple, la réforme du marché du travail était l’un des vieux rêve de toute la droite… eh bien, la gauche l’a réalisé ! La loi adoptée définitivement en mai dernier augmente considérablement la mobilité interne à l’entreprise comme un droit et un devoir (en clair, refuser d’être bougé n’importe où et n’importe comment devient un motif de licenciement), accentue la variabilité du temps de travail et du salaire en fonction de la conjoncture (et là aussi, tout refus de voir ses heures et payes réduites à peau de chagrin, pour sauver l’entreprise, devient une cause de licenciement), diminue les recours possibles devant les prud’hommes (les délais de prescriptions sont réduits à trois ans au lieu de cinq ans auparavant), etc. Mais tout cela, la gauche a eu l’intelligence de le faire passer sans provocation inutile et sous un brouillard idéologique que sont ses déclarations en faveur de la justice sociale, de l’égalité, de l’équilibre de l’effort entre pauvres et riches, entre le monde du travail et celui du Capital…
Grappiller, si un terme devait qualifier l’action du gouvernement socialiste depuis plus d’un an, celui-ci lui irait comme un gant. Les impôts et les taxes multiples ne cessent d’augmenter, un euro par-ci, un euro par-là, la règle lancée comme un défi du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraire a été abandonnée en grande pompe pour être remplacée en catimini par une baisse drastique des budgets alloués et une explosion de la précarité... Un seul exemple : le statut des enseignants a été prétendument défendu et redoré par les socialistes, avec un retour de la formation et de la reconnaissance de l’Etat quand, dans le monde réel, ces mêmes enseignants constatent une dégradation sans précédent de leur condition de travail, que les milliers de nouveaux emplois promis se révèlent être des petits contrats de quelques heures, sous-payés et sans aucune stabilité.
Seulement, à force de grappiller, cela finit par se voir… ou plutôt se ressentir. Les conditions de vie et de travail sont de plus en plus insupportables ; la colère est donc grande au sein de la classe ouvrière, même si elle gronde pour l’instant en sourdine. La preuve en est la réforme des retraites finalement annoncée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Cette réforme devait être LA réforme, celle qui allait enfin mettre à plat l’ensemble du régime des retraites en France, celle qui allait être à la hauteur des enjeux et des déficits… bref, nous allions voir ce que nous allions voir. Et alors ? « Retraites : une réforme habile mais timorée » titre le journal Libération1.
1) Timorée en effet. Evidemment, les conditions d’accès à la retraite s’empirent à nouveau, tout comme les conditions de vie des retraités. La durée de cotisation s’élèvera à 41,75 ans en 2020, contre actuellement 41,5 ans ; puis de 2020 à 2035, s’ajoutera un trimestre tous les trois ans, jusqu’à une durée de 43 ans en 2035. Les cotisations retraite salariales vont elles aussi augmenter progressivement (pour aboutir en 2017 à une hausse totale de 0,3 point). Les pensionnés seront touchés par deux mesurettes : la revalorisation annuelle des pensions est décalée du 1er avril au 1er octobre et la majoration de 10 % du montant de la retraite pour les parents de trois enfants, sera désormais soumise à l’impôt sur le revenu. Il s’agit donc indéniablement d’une nouvelle et énième attaque contre nos conditions de vie. Mais le pire a été écarté. Pas de hausse généralisée de la CSG, ni pour les travailleurs ni pour le retraités, l’abattement de 10 % dans le calcul de l’impôt sur le revenu qui devait être supprimé est finalement maintenu, l’âge de départ légal à la retraite n’est pas repoussé,… Pourquoi la montagne socialiste a-t-elle donc ainsi accouché d’une souris ? Pour la même raison qu’Hollande vient de déclarer : « le temps est venu pour une pause fiscale ».
2) C’est ici que le terme « habile » utilisé par Libération prend tout son sens. Les socialistes ont clairement perçu le ras-le-bol grandissant. Le temps n’est pas propice à une grande réforme spectaculaire et qui potentiellement pourrait unir tous les secteurs, toutes les générations. Car la retraite est un symbole. « Si vous trimez pendant 40 ans, alors les portes du paradis de la retraites vous seront ouvertes », tel est le deal capitaliste depuis l’après-guerre. Rogner toujours plus ces conditions d’accès à la retraite, c’est dévoiler que l’avenir du capitalisme est d’une noirceur absolue, que demain sera pire qu’aujourd’hui. La bourgeoisie sait parfaitement que ceci est insupportable aux yeux de la classe ouvrière. Or, il y a eu ces derniers mois quelques indices de la montée de la colère sociale à l’échelle internationale : en Turquie, au Brésil, actuellement en Colombie… Ces mouvements sociaux prouvent que les exploités, en particulier les jeunes, ne sont pas prêts à subir sans broncher, à toujours courber l’échine. Or, en France plus qu’ailleurs, la lutte a tendance à prendre une tournure massive et politique. Le mouvement contre le CPE en 2006, qui a contraint la bourgeoisie à reculer devant le risque d’extension, par solidarité du monde des travailleurs avec la jeunesse précaire, fut là pour le démontrer à nouveau. Et la menace de guerre qui plane en Syrie, les velléités de la France à jouer son rôle dans cette nouvelle aventure impérialiste, sans que la « population » y soit réellement favorable, rend le moment encore moins propice à une attaque d’ampleur contre la classe ouvrière.
La bourgeoisie française, en tout cas sa fraction la plus clairvoyante et qui est actuellement aux manettes, la gauche, a donc eu cette intelligence d’éviter une réforme trop grosse pour passer inaperçue et ne pas engendrer de réaction ; elle va continuer son œuvre de rabotage progressif, insidieux mais permanent. Pour ce faire, elle sait qu’elle pourra continuer de s’appuyer sur ses plus fidèles chiens de garde, les syndicats. Ceux-là même qui lors des dernières réformes des retraites, en 2007 puis en 2010, ont su multiplier les journées d’actions ponctuelles et stériles, pour que la vapeur soit lâchée progressivement, qu’il n’y ait pas d’explosion incontrôlée, ni de rassemblements spontanés et autonomes, hors de leur emprise, aucune réelle assemblée générale sur les lieux de travail où la discussion serait libre et ouverte… La « grande » journée de manifestation « unitaire » du 10 septembre s’inscrit d’ailleurs en tout point dans cette logique : une kermesse syndicale, une « journée ballade », faite pour décourager et distiller un sentiment d’impuissance.
La colère est grande, disions-nous. Mais alors pourquoi l’atmosphère sociale semble si atone, pourquoi ni en Angleterre, ni en France, ni en Allemagne, aucun mouvement d’ampleur n’a su se développer ces dernières années alors que la crise économique produit ses ravages ? C’est que la colère ne suffit pas. Faut-il encore être porté par un projet, une perspective. Le plus grand frein au développement de luttes massives est l’absence de confiance que la classe ouvrière a en elle-même. Plus exactement, les salariés ne savent plus qu’ils forment une classe, qu’unis et organisés, ils sont la force principale de la société, la seule capable d’offrir à l’humanité un autre monde.
Le constat lucide que le capitalisme est obsolète, qu’il est en train de plonger l’humanité dans la misère et la barbarie, qu’il n’a finalement aucun réel avenir, ne cesse de croître dans les rangs des exploités. Mais l’identité de classe, la capacité à se reconnaître comme une force collective, tel est le maillon manquant, perdu depuis des décennies. Retrouver cette identité est une étape cruciale, fondamentale et en même temps, c’est un pas très difficile à franchir. Elle passe par un processus conscient : la prise en charge directe des besoins d’auto-organisation et d’extension de la lutte, vers les masses, pour les masses et par les masses. Tel est l’un des sens profonds de cette affirmation de l’Adresse inaugurale de 1864 de l’AIT (Association internationale des travailleurs, la 1ère Internationale) : « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-même ». Prendre ainsi conscience de ce qu’elle est, de la force collective qu’elle représente au sein de la société, des valeurs dont elle est porteuse est en effet le seul moyen pour notre classe de prendre confiance en elle-même, de renouer avec son histoire, de redécouvrir les leçons de ses luttes passées et ainsi de pouvoir déjouer les pièges que lui tend sans cesse la bourgeoisie pour la diviser. Cette nécessaire identité de classe pourra commencer à être reconquise dans les rues, quand celles-ci se rempliront de millions de manifestants poussés par l’indignation face aux politiques d’austérité et enthousiasmés par la solidarité spontanée qui émanera de leurs rangs. Voilà ce que cherche à éviter la bourgeoisie, voilà la seule chose qui tempère encore un peu la brutalité de ses attaques à nos conditions de vie.
Pawel, le 30 août
1 Article publié le 27 août sur le site liberation.fr
Nous publions ci-dessous le compte rendu critique d'une conférence-débat rédigé par un camarade proche du CCI qui dénonce les positions développées par Isaac Joshua, "économiste marxiste" d'ATTAC. Nous tenons à vivement saluer l'initiative et le long travail du camarade qui contribue ainsi à lever le voile sur la véritable nature de l'altermondialisme.
Le 10 avril dernier, l'Université Populaire de Toulouse (UPT) a organisé une conférence-débat au Bijou. L'invité, Isaac Johsua, venait présenter son dernier livre intitulé : La révolution selon Karl Marx. L’UPT est "un réseau d'initiatives et de débats né de l’ambition de reconstruire et de dynamiser une pensée et un corpus idéologique de gauche, face aux crises sociales, écologiques, politiques et économiques qui secouent le monde"1. Cette structure est largement influencée par divers courants de la gauche radicale (Parti de gauche, mouvement Altermondialiste, etc..). Une trentaine de personnes étaient présentes mais peu d'individus de la jeune génération. Après l'exposé de l'auteur, la suite de la rencontre s'est réduite à un jeu de questions/réponses, I. Johsua se montrant réticent au développement d'un débat dans lequel les intervenants réagiraient aux idées contenues dans l'exposé. Certains s'y sont risqués mais sans que I. Johsua se soit montré ouvert aux remarques et au développement d'une discussion constructive. De fait, il me semble peu pertinent d'intervenir dans ce genre de rencontres. L'impossibilité d'exprimer clairement et en totalité notre opinion altère largement la richesse et la portée de notre intervention, en particulier dans le cas présent où le travail de démolition de la pensée marxiste est tellement important qu'il serait difficile de reprendre l'auteur sur toutes les idées malhonnêtes de son intervention.
I. Johsua est un ancien membre du PCF, un temps trotskyste, il fait désormais partie du comité scientifique d'Attac2. Dans son exposé, il fait l'hypothèse que "des failles dans le dispositif théorique du marxisme" ont joué un rôle dans l'échec du mouvement ouvrier et dans la trajectoire qu'ont pris les "pays socialistes" au cours du XXe siècle. Selon lui, les fondateurs du marxisme (Marx et Engels) auraient élaboré une théorie révolutionnaire qui s'est avérée soit incomplète, soit incorrecte dans les différentes périodes révolutionnaires. Autrement dit, si Octobre 1917 a débouché sur le stalinisme, c'est que le vers était bien incrusté dans le fruit de la théorie marxiste. Pour I. Johsua, la faille essentielle de la théorie marxiste réside dans "l'escamotage de la politique". Autrement dit, Marx et Engels n'auraient jamais pris en compte la dimension politique de la révolution. Cet escamotage est perceptible dans trois thèmes essentiels de l'œuvre des fondateurs du marxisme : le moteur de l'histoire, l'agent de la révolution et le socialisme. Nous proposons de faire la critique des idées émises par l’auteur sur les trois points en question à partir de son exposé et non pas de son livre (que nous n’avons pas lu).
Pour I. Johsua, Marx a donné au développement des forces productives et à la lutte de classe une dimension automatique et inéluctable : l'abolition des classes sociales et de la propriété privée, la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie seraient, dans la pensée marxiste, des phénomènes inéluctables qui adviendront forcément. Cette interprétation permet à I. Johsua d'affirmer que Marx et Engels ne prennent pas en compte d'autres champs des possibles. Ainsi, ces derniers resteraient aveugles à tout projet politique pour construire la société communiste. Selon I. Johsua, la pensée marxiste reste muette sur les contours de la société communiste (quid de l'organisation future des travailleurs, des droits démocratiques, de "l'Etat allégé"). Ainsi, pour I. Johsua, Marx et Engels définissent le communisme comme un messianisme. Selon les lois de la dialectique du matérialisme historique, l'avènement d'une société communiste serait inévitable, rien ne pourrait l'empêcher. Or, les deux hommes ne se sont jamais montrés aussi passifs et naïfs qu’I. Johsua veut bien l'admettre. D'une part, Marx et Engels ont participé à la structuration politique de la classe ouvrière (Ligue des Justes, Ligue des communistes, Première Internationale). D'autre part, le Manifeste du Parti communiste expose un programme et un projet politique de transformation du monde. I. Johsua semble ignorer tout ceci. Marx et Engels ont toujours pris en compte l'hypothèse selon laquelle le communisme ne pourrait jamais advenir : "les forces productives engendrées par le mode de production capitaliste moderne, ainsi que le système de répartition des biens qu'il a créé, sont entrés en contradiction flagrante avec ce mode de production lui-même, et cela à un degré tel que devient nécessaire un bouleversement du mode de production et de répartition éliminant toutes les différences de classes, si l'on ne veut pas voir toute la société moderne périr. C'est sur ce fait matériel palpable qui, avec une nécessité irrésistible, s'impose sous une forme plus ou moins claire aux cerveaux des prolétaires exploitées, c'est sur ce fait, et non dans les idées tel ou tel théoricien en chambre sur le juste et l'injuste que se fonde la certitude de victoire du socialisme moderne" 3. Preuve en est que le marxisme a intégré dès le début ces deux possibilités. Rosa Luxembourg réactualisera en 1915 ce dilemme sous l'expression de "socialisme ou barbarie". Pour les révolutionnaires, envisager ces deux possibilités va au-delà d'un simple constat. Comme l'indiquaient Engels et Rosa, c'est sur "ce fait" que doit se construire la volonté politique de détruire le capitalisme et bâtir la société communiste.
I. Johsua remet en cause la capacité du prolétariat à faire la révolution. La conscience du prolétariat est un manque cruel à l'entreprise révolutionnaire. L'une des causes se trouve chez Marx qui n'aurait rien fait pour éveiller la conscience de classe par un travail politique. Ce dernier pensant que la prise de conscience politique intervient seulement par l'action.
Par la suite, I. Johsua met en évidence ce qu'il pense être une contradiction fondamentale de la révolution prolétarienne chez Marx et Engels. A l'inverse de la prise du pouvoir de la bourgeoisie sur l'aristocratie, fruit d'une longue maturation, la victoire du prolétariat serait un événement immédiat. Au temps long de la révolution bourgeoise répondrait le temps court de la révolution prolétarienne. I. Johsua conclut ainsi : "D'une part la révolution bourgeoise est prise comme modèle ; d'autre part elle est rejetée". Autrement dit, la bourgeoisie aurait prouvé sa capacité à transformer le monde à son image bien avant sa victoire finale sur la féodalité, grâce à son projet politique. Le prolétariat ne peut en faire autant d'après l'auteur ce qui prouve sa faiblesse politique. I. Johsua renforce son argumentaire par une citation de Marx : "la prise du pouvoir politique du prolétariat est un préalable à tous les bouleversements sociaux".
Moins qu'un contresens de Marx, cette différence révèle une incompréhension totale des différences fondamentales entre les caractéristiques de la révolution bourgeoise et celle de la révolution prolétarienne dans les analyses de Joshua. Toute révolution, qu’elle soit bourgeoise ou prolétarienne, résulte d'une lente maturation de la lutte de classe. La révolution ne peut advenir qu'à partir du moment où la classe révolutionnaire est suffisamment forte pour la réaliser. Voici plus de deux siècles que le capitalisme a sécrété la classe ouvrière. Durant tout ce temps, cette dernière s'est renforcée sur un certain nombre de plans (politique, conscience de classe, quantitatif, etc.). La révolution prolétarienne sera la consécration de cette longue histoire de consolidation de la classe ouvrière. Certes, la révolution marque une rupture mais les motifs qui y concourent ne tombent pas comme un cheveu sur la soupe. Bien au contraire, ils incarnent la longue expérience du prolétariat dans sa lutte contre la bourgeoisie. La mémoire des révolutions bourgeoises dans l'entreprise révolutionnaire de la classe ouvrière était imposée par les conditions historiques de la lutte de classe. L'expérience et la conscience du prolétariat et des révolutionnaires jusqu'en 1917 était insuffisante pour ne pas utiliser les révolutions bourgeoises comme des références. Aujourd'hui, le prolétariat peut se passer de ces exemples compte tenu du bilan qu'ont su tirer les révolutionnaires de l'histoire des luttes prolétariennes.
I. Johsua invente cette contradiction dans un but précis : mettre en doute la capacité du prolétariat à réaliser la révolution. Comparé à la bourgeoisie, le prolétariat n'a jamais prouvé sa capacité à transformer la société. Mais l'auteur ne va pas plus loin et omet de signaler l'élément qui distingue ces deux classes dans leur entreprise révolutionnaire. Dans la société féodale, il fut possible à la bourgeoisie de se développer, de se renforcer, d'accéder au pouvoir parallèlement à l'aristocratie. Sa nature de classe exploiteuse le lui permettait. En revanche, la classe ouvrière, en tant que classe exploitée, ne peut pas prendre le pouvoir au sein du système capitaliste. Son rôle historique est d'abolir les classes sociales, pas de les maintenir. Ainsi, la révolution est un préalable à toute domination politique du prolétariat. Mais là encore, la transformation sociale ne s'effectuera pas du jour au lendemain. Le prolétariat devra se mettre à pied d'œuvre pour mener un mouvement qui "passera dans la réalité par un très long et très dur processus"4.
De même, il n'est pas besoin de creuser bien loin dans l'histoire du mouvement ouvrier pour constater que le prolétariat a déployé une intense activité politique depuis son origine. Karl Marx ne fut pas le dernier à stimuler la classe ouvrière dans le domaine politique à travers ses écrits et sa pratique. I. Johsua ignore volontairement tout cela.
Pour I. Johsua la formation des sociétés où s'est développé un "socialisme réellement existant" tend à désavouer les thèses de Marx et Engels sur l'abolition des rapports marchands avec l'avènement du socialisme : "La société socialiste se noie dans un véritable océan de rapports marchands". En réalité c'est le capitalisme d'Etat qui nage dans cet océan. Le véritable noyé est l'auteur de cette phrase ! Ici, le travestissement du capitalisme d'Etat en un "socialisme réel" biaise complètement le débat et amène l'auteur vers des contresens et des erreurs grossières sur l'œuvre de Marx et surtout sur l'interprétation de l'histoire du XXe siècle.
I. Johsua se sert de l'exemple des pays dits socialistes pour démontrer l'idéalisme que porte en lui le communisme. Selon lui, l'histoire a montré que les rapports marchands, l'Etat, les antagonismes entre individus sont des traits inéluctables dans les sociétés humaines y compris dans le communisme. Pour l'auteur, le socialisme et le capitalisme ne sont pas si différents, ils forment même "deux branches du même arbre" au niveau économique. La sortie de cette impasse se trouve au niveau politique : "la multiplication des rapports marchands doit être contrebalancée par un projet commun unificateur, formant le chemin du tous ensemble". Or, le marxisme ne donnerait aucune piste de réflexion à ce sujet si l'on en croit Isaac Joshua : Marx était convaincu que la révolution entrainerait l'abolition des classes sociales, des rapports marchands, de l'Etat. Cette "vision de la cité idéale" expliquerait le mutisme de Marx et Engels sur l'organisation des travailleurs, des droits démocratiques, des relations entre l'Etat et les travailleurs. Ces silences auraient joué un rôle non négligeable dans le développement du stalinisme et de ses corollaires au cours du XXe siècle. Voici ce que l'auteur désigne "escamotage de la politique", un idéalisme ou des silences de la part de Marx et Engels dont l'histoire a montré les effets pervers. Au final, la révolution selon Marx est condamnée à rester au banc des utopies : "Peut-on arrivé un jour à chacun selon ses besoins ? C'est irréalisable et pas souhaitable car la planète a des besoins limités, produire au maximum n'est pas un objectif en soi, produire avec parcimonie s'oppose complètement à produire selon ses besoins". Contrairement aux analyses de Marx, les rapports marchands, la propriété privée et l'Etat se maintiendraient dans le "socialisme réellement existant"5 et l'histoire l'aurait prouvé. Ainsi, les travailleurs devraient s'adapter et limiter au mieux les effets négatifs de ces constantes de l'histoire. Seul un projet politique au sein duquel le pouvoir des travailleurs s’articulerait sur des organes d'auto-organisation et sur l'Etat pourrait offrir "une dimension pérenne au socialisme". Sans le dire, Isaac Joshua nous propose un régime bien connu dans l'histoire du XXe siècle : le capitalisme d'Etat.
Il convient de battre en brèche cette posture théorique qui consiste à penser (comme Isaac Joshua) que le marxisme est une pensée figée et dogmatique, que la révolution est seulement la mise en pratique d'une théorie révolutionnaire, que l'œuvre de Marx et Engels est une nouvelle Bible qui ne peut être réactualisée, remise en cause à mesure de l'expérience pratique du prolétariat. Marx et Engels n'ont jamais prétendu servir de prophètes à la classe ouvrière dans son entreprise révolutionnaire. Ils se sont efforcés d'analyser l'histoire des sociétés humaines afin de donner une explication globale et cohérente à son évolution. La vision dialectique et matérialiste de l'histoire permet de prendre acte du fait que l'histoire des hommes est impulsée par la lutte de classes s'opérant au cours du développement des forces productives. Cette démarche scientifique a permis à Marx et Engels d'orienter les buts et les moyens de la classe ouvrière sur des bases objectives. Les fondateurs du marxisme ne se sont pas levés un beau matin en se disant que le capitalisme se caractérise par un certain nombre de contradictions, que ces mêmes contradictions permettent d'envisager la perspective d'une société communiste et que le seul moyen pour arriver à cette société s'avère être une révolution mondiale de la classe ouvrière. Au contraire, la pensée de Marx et Engels fut largement modelée par l'apport des théoriciens antérieurs, par le contact avec des ouvriers et par l'analyse des conditions matérielles de leur époque. De même, les acquis théoriques des révolutionnaires actuels seraient bien maigres si ces derniers en restaient aux analyses des fondateurs du marxisme. Ce serait omettre les apports théoriques de nombreuses générations de révolutionnaires qui se sont efforcées de remettre en cause le marxisme à partir des expériences pratiques de la classe ouvrière au cours de son histoire.
Ainsi, la démarche intellectuelle d'Isaac Joshua va à contre-courant de celle des révolutionnaires marxistes. Pour lui, il s'agit d'analyser des idées, de se rendre compte qu'elles n'ont pas été mises en pratique et d'en conclure qu'elles étaient erronées dès l'origine. Pour les révolutionnaires, il s'agit de tirer les leçons de l'histoire de la classe ouvrière, de tester si des évènements ne viennent pas remettre en cause la vision marxiste des choses ou s'il ne faudrait pas réactualiser une idée qui nous semblait juste mais qui se trouve bousculée par les faits. Comme l'affirmait un intervenant au cours du débat, l'exégèse des textes marxistes n'est pas une solution pertinente si l'on veut tirer les leçons des échecs de la classe ouvrière en vue de la transformation de la société. Mieux vaut faire le bilan de l'histoire. Les sottises énoncées ici sont tellement évidentes qu'on pourrait penser que l'auteur n'a pas lu ou n'a rien compris aux écrits de Marx et Engels. Or, I. Joshua baigne depuis plusieurs décennies dans l'œuvre des fondateurs du marxisme. En vérité, à travers un travail de dévoiement et de falsification, l'auteur souhaite légitimer le projet politique de la gauche de la bourgeoisie. Les révolutionnaires doivent être très attentifs à ce genre de détournement de la vision marxiste. Ces entreprises malhonnêtes peuvent orienter des éléments de la classe ouvrière en manque de clarification vers des voies inutiles. Depuis Marx et Engels, les révolutionnaires marxistes n'ont jamais hésité à critiquer des théoriciens plus ou moins honnêtes qui portèrent atteinte aux outils théoriques de la classe ouvrière. Avec la décomposition du capitalisme, la bourgeoisie ne loupe jamais une occasion de dévoyer la démarche marxiste. L'avant-garde de la classe ouvrière a le devoir de défendre cet héritage fondamental dans le but de la révolution de la classe ouvrière.
José Caliente.
1 Citation tirée du site du Parti de Gauche en Haute Garonne.
2 Voir la page Wikipédia qui lui est consacrée.
3 F. Engels, Anti-Dühring, Paris, Editions sociales, 1963, p 189.
4 K. Marx, Manuscrits de 1844.
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article rédigé par nos camarades au Mexique et publié en espagnol dans le numéro 133 de Revolución Mundial (mars-avril 2013).
En toute occasion, la terreur et la dégénérescence de la révolution russe sont expliquées par la seule personnalité de Staline, personnage grossier, arriviste et aventurier. Il est certain que son caractère fut un élément important dans le rôle historique joué par Staline, mais pas uniquement.
Il y a 60 ans, le 6 mars 1953, la presse du monde entier annonçait la mort de Staline. "Mort le chien enragé, finie la rage", affirme l'adage populaire utilisé dans les pays hispanophones. Mais, dans le cas de Staline, une telle affirmation n'est pas justifiée. Si Staline a piloté la destruction physique et morale de toute une génération de révolutionnaires, s'il a ouvertement contredit tous les principes internationalistes du marxisme et s'il a été le représentant d'une des principales puissances impérialistes dans le partage et la division du monde, sa mort n'a nullement éliminé ni enrayé la dynamique contre-révolutionnaire qu'il a largement contribué à instaurer de son vivant. Cela confirme que son rôle comme acteur principal de la contre-révolution découle de l'absence d'extension de la révolution mondiale. L'isolement auquel fut soumise la révolution produisit directement la dégénérescence du parti bolchevik et sa transformation en parti d'État mettant les intérêts nationaux au-dessus de ceux de la révolution mondiale.
Le sinistre héritage de Staline a servi et continue à servir la classe dominante au pouvoir. Winston Churchill, personnalité bien connue de la classe exploiteuse et ennemi acharné du prolétariat, a ainsi rendu un hommage aux services rendus par Staline à la bourgeoisie, en affirmant qu'il "figurera parmi les grands hommes de l'histoire de la Russie".
Dans la vague révolutionnaire qui a surgi durant et après la Première Guerre mondiale, le prolétariat russe s'est trouvé à la tête de la révolution de 1917 qui fut la période la plus bouillonnante de cette vague internationale. Dans la continuité de cette dynamique, en 1918, les bataillons ouvriers d'Allemagne se sont soulevés, cherchant à étendre la révolution, mais ont été impitoyablement écrasés par l'État bourgeois allemand dirigé par la social-démocratie avec la large collaboration des États démocratiques. Les tentatives pour étendre la révolution prolétarienne furent donc brisées et la révolution russe triomphante se trouva isolée. La bourgeoisie du monde entier déploya alors un cordon sanitaire autour des prolétaires en Russie, de fait incapables de maintenir entre leurs mains le pouvoir qu'ils avaient pris en 1917. C'est dans ces conditions que la contre-révolution surgit de l'intérieur : le parti bolchevik perdit toute vitalité ouvrière, favorisant l'émergence et l'hégémonie d'une faction bourgeoise à la tête de laquelle Staline se plaça.
Ainsi, le stalinisme n'est pas le produit de la révolution communiste mais, au contraire, le résultat de sa défaite. Suivant à la lettre les recommandations de Machiavel, Staline n´hésita pas à recourir à l'intrigue, au mensonge, à la manipulation et à la terreur pour s'installer à la tête de l'État et pour préserver son pouvoir, continuer son travail de sape contre-révolutionnaire en recourant à des actes aussi ridicules que la réécriture de l'histoire, en trafiquant les photos, en faisant disparaître de celles-ci les personnalités considérées par lui comme des "hérétiques" à cause de leur attitude oppositionnelle ou en mettant en avant le culte de sa personnalité, faisant du mensonge joint à la répression, le socle de sa politique. C'est pour cela que le stalinisme n'est nullement un courant prolétarien ; il est tout à fait évident que les moyens utilisés et les buts poursuivis par Staline et le groupe d'arrivistes dont il s'est entouré sont ouvertement bourgeois.
La vague révolutionnaire de 1917-23 ayant reflué, la contre-révolution ouvrit la porte aux agissements de Staline. Ainsi, la persécution, le harcèlement et la destruction physique des combattants prolétariens furent les premiers services qu'il rendit à la classe dominante. La bourgeoisie mondiale applaudit ses méthodes, non seulement parce toute une génération importante de révolutionnaires fut exterminée mais aussi parce qu'elles furent conduites au nom-même du communisme, entachant ainsi son image, mais surtout en jetant la plus totale confusion au sein de la classe ouvrière.
Les intrigues montées de toutes pièces par la police politique, le recours aux camps de concentration et les autres atrocités furent soutenus par tous les États démocratiques. Par exemple, avant même les procès de Zinoviev et de Kamenev (1936) dans lequel on recourut aux menaces contre leur famille et à la torture physique, les États démocratique se réjouirent des services que Staline leur rendait : par la voix de leurs "dignes" représentants rassemblés dans la Ligue des Droits de l'Homme (dont le siège est en France), la bourgeoisie approuva la parfaite "légalité" de ces purges et de ces procès. La déclaration du romancier Romain Rolland, prix Nobel de Littérature en 1915 et membre distingué de cette organisation, est révélatrice de l'attitude adoptée par la classe dominante : 'il n'y a aucune raison de mettre en doute les condamnations qui sont tombées sur Zinoviev et Kamenev, personnages discrédités depuis pas mal de temps, qui ont été deux fois renégats et qui ont trahi leur parole donnée. Je ne vois pas à quel titre je pourrais rejeter comme des inventions ou des aveux extorqués les déclarations publiques des accusés eux-mêmes".
De la même manière, avant l'exil forcé de Trotsky et sa persécution ultérieure à travers le monde, le gouvernement social-démocrate de Norvège et le gouvernement français, en toute complicité avec le stalinisme, n'ont pas hésité à harceler et finalement expulser le vieux bolchevik.
Photo prise pendant un discours de Lénine en 1920 sur laquelle figure Trotsky. En dessous, la même photo trafiquée par les services staliniens.
"Le socialisme dans un seul pays", négation-même du marxisme
La dérive totale du Parti bolchevik s'est révélée dans toute son ampleur en 1925, avec la doctrine imposée par Staline sur la possibilité de construire le socialisme dans un seul pays.
Tout de suite après la mort de Lénine en janvier 1924, Staline s'est empressé de placer ses pions aux postes-clés du parti et a concentré ses attaques sur Trotsky, qui était après Lénine le plus prestigieux des révolutionnaires, en première ligne des mobilisations massives d'Octobre 1917.
Une des preuves de l'éloignement de Staline du terrain prolétarien se trouve dans la construction, conjointement avec Boukharine, de la thèse du "socialisme dans un seul pays". (Remarquons au passage que, des années plus tard, Staline fera même exécuter Boukharine !). S'autoproclamant "guide suprême du prolétariat mondial" et la voix officielle du marxisme, le meilleur service que Staline a rendu à la bourgeoisie, c'est justement cette "doctrine" par laquelle il a dénaturé et dévoyé l'internationalisme prolétarien défendu historiquement par le mouvement ouvrier. Cette politique a discrédité la théorie marxiste, répandant et semant la confusion non seulement parmi la génération de prolétaires de son époque mais également les générations actuelles. Par exemple, on nous présente cyniquement des faits comme l'invasion de la Tchécoslovaquie (1968), l'écrasement de l'insurrection en Hongrie (1956) ou encore l'invasion de l'Afghanistan dans les années 1980 comme des expressions de "l'internationalisme prolétarien". Même un personnage comme "Che" Guevara expliquait que l'envoi d'armes dans des pays comme l'Angola était une démonstration de l'internationalisme prolétarien. Ce n'est nullement une confusion mais une politique délibérée pour démolir cette poutre-maîtresse du marxisme.
Dans les Principes du Communisme (1847), Engels défendait clairement l'argument internationaliste attaqué par Staline : "Cette révolution se fera-t-elle dans un seul pays ? Non. La grande industrie, en créant le marché mondial, a déjà rapproché si étroitement les uns des autres les peuples de la terre, et notamment les plus civilisés, que chaque peuple dépend étroitement de ce qui se passe chez les autres. Elle a en outre unifié dans tous les pays civilisés le développement social à tel point que, dans tous ces pays, la bourgeoisie et le prolétariat sont devenus les deux classes les plus importantes de la société, et que l'antagonisme entre ces deux classes est devenu aujourd'hui l'antagonisme fondamental de la société. La révolution communiste, par conséquent, ne sera pas une révolution purement nationale. Elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés (…) Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel."
Les mêmes bolcheviks, avec Lénine à leur tête, concevaient la révolution en Russie comme un premier moment de l'engagement dans la révolution mondiale. C'est pour cela que Staline mentait quand, pour mettre en valeur sa thèse, il affirmait qu'elle était dans la continuité des enseignements de Lénine. La nature bourgeoise de cette "théorie" a creusé la tombe du parti bolchevik dégénérescent et également celle de l'Internationale communiste (la Troisième Internationale) en soumettant définitivement ces organes de combat aux intérêts de l'État russe.
L'expansion de la terreur à travers les camps de concentration et la surveillance, le contrôle et la répression du NKVD (la police politique), etc., symbolisent la contre-révolutionnaire impulsée par Staline. Mais ce n'est que la toile de fond du rôle plus profond qu'elle devait remplir : permettre la reconstitution de la bourgeoisie en URSS.
La défaite de la révolution prolétarienne mondiale et la disparition de toute vie ouvrière des soviets ont fourni les conditions pour la constitution d'une nouvelle bourgeoisie. Il est vrai que la bourgeoisie avait été défaite par la révolution prolétarienne de 1917, mais, la ruine de la classe ouvrière permit au stalinisme de reconstituer la classe dominante. La réapparition sur la scène sociale de la bourgeoisie ne provient pas de la résurrection des vestiges de l'ancienne classe (sauf dans quelques cas individuels), ni de la propriété individuelle des moyens de production, mais du développement d'un capital qui va apparaître dépersonnalisé, sans visage individuel, seulement incarné par la bureaucratie du parti fondu dans l'Etat, c'est-à-dire sous la forme de la propriété d'Etat des moyens de production.
Pour cette raison, supposer que l'étatisation des moyens de production est l'expression d'une société distincte du capitalisme ou qu'elle a représenté (ou représente) une "étape progressiste" est une erreur. C'est vrai, il faut ajouter que lorsque Trotsky dans La Révolution trahie expliquait que "la propriété étatique des moyens de production ne transforme pas de la bouse de vache en or et ne confère pas une auréole de sainteté au système de surexploitation", il poursuivait en insistant sur le fait qu'en URSS existait "un État ouvrier dégénéré", ce qui impliquer d'en appeler à sa défense, ce qui introduisait d'emblée une idée d'une profonde confusion. Le trotskysme après Trotsky a d'ailleurs poussé cette logique à l'extrême en embrigadant la classe ouvrière derrière la défense d'un camp impérialiste, l'URSS, pendant la Seconde Guerre mondiale ; ce qui démontrait que le courant trotskiste avait abandonné le terrain prolétarien.
De fait, le comportement du stalinisme au cours de la Seconde Guerre mondiale a fait très ouvertement preuve de sa nature bourgeoise : "l'armée rouge" a écrasé l'insurrection ouvrière de Varsovie et, conjointement avec les Alliés, a participé au repartage du butin impérialiste en allant jusqu'à s'installer à Berlin.
Comme on l'a dit plus haut, la bourgeoisie mondiale a reçu et reçoit encore de très grands services de la part du stalinisme, même si hypocritement, elle a pris ses distances avec Staline en qualifiant son gouvernement de démoniaque, n'hésitant pas à l'utiliser comme repoussoir pour alimenter le patriotisme et justifier la guerre impérialiste.
L'année 2012 a été marquée par une accélération des luttes entre fractions bourgeoises en Géorgie qui, non seulement se sont manifestées sur les pistes du cirque électoral, mais qui ont affecté toutes les couches sociales. Dans le cadre de cette querelle bourgeoise, on en est revenu à invoquer Staline pour déchaîner une campagne nationaliste.
A la fin 2012 et les premiers mois de cette année, la bourgeoisie géorgienne, sous prétexte de retrouver une mémoire historique, a restauré dans plusieurs villes des statues de Staline. La bourgeoisie géorgienne (et principalement le parti ultra-nationaliste baptisé Rêve géorgien) a récupéré ce personnage pour la seule raison qu'il est né dans cette région, mais plus encore pour répandre parmi les exploités les relents anesthésiants de la défense des intérêts de la bourgeoisie locale.
De la même manière, le changement de nom de la ville de Volgograd rebaptisée Stalingrad durant six jours à l'occasion des commémorations festives de "la défense de Stalingrad", plus qu'un singulier acte provincial, doit être compris comme une justification par la bourgeoisie de la guerre impérialiste qui, au passage, anoblit le rôle qu'ont joué des bouchers sanguinaires comme Staline.
Mais si la bourgeoisie rend hommage à la mémoire de ses chiens de garde sanglants, la classe ouvrière qui a besoin de comprendre le monde et de le transformer, doit s'approprier sa propre histoire et tirer les leçons de son expérience afin d'être en mesure de reconnaître le profil anti-prolétarien de Staline et du stalinisme, et avant tout, de retrouver les principes internationalistes du marxisme que la bourgeoisie s'est obstinée à déformer dans le but de les dénaturer.
Tatlin, (février 2013).
L'élection cantonale de Brignoles (Var) du 13 octobre dernier, qui s'est conclue par la victoire du candidat presque inconnu du Front National, a été l'occasion d'un déchainement médiatique démesuré au regard de la faiblesse des enjeux politiques1 et du faible taux de participation caractéristique de ce type de scrutin. Après deux scrutins annulés en 2011 et en 2012 pour fraude, où les candidats du FN et du PCF l'avaient successivement emporté, les "citoyens" se sont visiblement lassés de cette mascarade, donnant une vigueur inouïe à la "vague bleu marine" désormais composée de... 216 élus, soit 0,003% des plus de 562 000 élus français.2 Si l'élection sans enjeux de M. Lopez sur un territoire où l'extrême réalise depuis longtemps des scores importants n'est pas un événement remarquable, la presse et les politiciens y ont pourtant vu un nouvel échelon gravi dans la "stratégie de conquête du pouvoir" de Marine Le Pen et, surtout, une preuve de la "lepénisation des esprits".
Incontestablement, la société capitaliste en décomposition est un terrain propice à l'affirmation des fractions politiques les moins lucides de la bourgeoisie et des idéologies les plus irrationnelles. La haine féroce et presque psychotique de l'étranger, de l'homosexuel ou du "gaucho" se répand dans une société où, sous le poids énorme de ses contradictions et des difficultés rencontrées par la classe ouvrière pour développer sa propre alternative politique, les structures économiques, sociales, politiques et idéologiques se décomposent de manière dramatique.3
Toutefois, le succès croissant des partis populistes dans le monde entier est loin d'échapper à la logique des appareils politiques bourgeois. Au contraire, comme nous le précisions dans le numéro 441 de Révolution Internationale4, l'extrême-droite remplit parfaitement son rôle avant tout idéologique, à la fois comme véhicule d’un programme destiné à pourrir les consciences sur le terrain de l’ultra-nationalisme, mais aussi comme repoussoir pour la défense du piège démocratique. L'élection de M. Lopez dans le canton de Brignoles est à ce titre significative de la manière dont la bourgeoisie instrumentalise le Front National, comme l'a souligné dans Le Monde du 14 octobre 2013, l'historien Nicolas Lebourg : "C'est incroyable tout ce cirque que l'on observe autour de ces cantonales. On est déconnecté des réalités, on est en train de construire quelque chose de toutes pièces. On est dans la prophétie autoréalisatrice. Le FN est maintenant surexposé et devient mainstream." Tout était en effet réuni pour une victoire du candidat de l'extrême-droite. Non seulement le FN est fortement implanté dans la région depuis la fin des années 1980 et compte plusieurs victoires électorales, mais, surtout, le récent scrutin à Brignoles s'inscrit dans un contexte d'instabilité politique typique de la phase de décomposition et favorable au populisme.
Lors de la première élection de 2011, le candidat du FN, Jean-Paul Dispard, l'emportait de 5 voix sur le candidat du PCF, Claude Gilardo, avant que le scrutin ne soit annulé pour irrégularité à la demande du vaincu. En 2012, les rôles s'inversèrent avec la courte victoire de M. Gilardo (13 voix d'écart) et une nouvelle annulation du scrutin. Finalement, les protagonistes furent remplacés à l'occasion du troisième scrutin de 2013 qui a vu M. Lopez triompher. Par ailleurs, l'ambiance nauséabonde construite de toutes pièces par la bourgeoisie et stigmatisant un jour les Roms et les Arabes, et l'autre les fainéants qui refusent de travailler le dimanche est certainement pour beaucoup dans le succès frontiste à Brignoles.
Une observation superficielle de la situation suggérerait que la dilution de l'idéologie d'extrême-droite dans la population, et notamment dans une part non négligeable du prolétariat, est un véritable don du ciel pour la bourgeoisie. Néanmoins, si celle-ci instrumentalise depuis des décennies les partis d'extrême-droite pour pousser la classe ouvrière vers les urnes au nom de la "défense de la démocratie", le succès croissant des partis populistes signifie en réalité une dangereuse perte de maîtrise du jeu politique.
Pour la bourgeoisie, le danger n'est nullement la conquête du pouvoir par le FN. Les fractions d'extrême-droite de l'appareil politique véhiculent en effet un programme en complet décalage avec les besoins objectifs du capital national, tant au niveau de la gestion de l'économie et des conceptions impérialistes qu'à celui, et surtout, de l'encadrement de la classe ouvrière dont elles ont beaucoup de difficultés à comprendre les enjeux. C'est une des raisons pour laquelle la classe dominante ne laissera pas ses fractions d'extrême-droite disposer du pouvoir, préférant muscler le discours des partis traditionnels et plus responsables de la droite pour contenir électoralement les partis populistes.
D'ailleurs, partout où l'extrême-droite a eu l'occasion de participer à la gestion de l'Etat, les éléments programmatiques les plus en contradiction avec les intérêts nationaux ont été soigneusement enterrés. En 1995, par exemple, le Mouvement social italien, parti alors ouvertement néo-fasciste de Gianfranco Fini, adopta un programme pro-européen de centre-droit afin de se maintenir au gouvernement de Silvio Berlusconi, tandis que la Ligue du Nord, tout en conservant son verbiage populiste, enterra rapidement son programme indépendantiste. La même logique s’imposa, en Autriche, à Jörg Haider, contraint d’assouplir ses positions et d’adopter un programme plus responsable, tout comme elle s'impose encore aujourd'hui à la coalition indépendantiste flamande (Vlaamsblok) en Belgique.
Pendant l'entre-deux-guerres, les programmes fascistes étaient alors la réponse aux besoins des nations vaincues ou lésées par la Première Guerre mondiale et qui devaient préparer le terrain à l’éclatement d’une nouvelle boucherie afin de repartager le marché mondial en leur faveur. La bourgeoisie allemande comme italienne soutenait à ce titre les fractions fascistes pour qu'elles puissent concentrer l'ensemble des pouvoirs dans les mains de l’État, empêcher les dissensions internes au sein de la classe dominante et ainsi accélérer l'établissement de l'économie de guerre.
Surtout, le fascisme fut un instrument d’embrigadement de la classe ouvrière sous les drapeaux impérialistes, que seul le contexte de la période contre-révolutionnaire permettait. Sans l’écrasement préalable du prolétariat allemand orchestré par la gauche et les partis démocratiques pendant la Révolution en Allemagne ou celui des grèves de 1920 en Italie, jamais le fascisme et sa militarisation délirante du travail, n’auraient pu voir le jour. De même, dès la guerre civile espagnole de 1936, la bourgeoisie des pays démocratiques usa de la propagande antifasciste pour enrôler les ouvriers sous les drapeaux de la démocratie.
Bien que la contre-révolution des années 1920-1960 pèse encore de tout son poids sur la conscience du prolétariat, la classe dominante n’est aujourd’hui pas en mesure d'imposer la militarisation du travail et de nous entrainer vers un nouveau conflit mondial sans se heurter à de violentes réactions ouvrières. Surtout, elle ne peut pas prendre le risque de se priver dans les pays centraux d'un élément au cœur de son dispositif idéologique : les illusions démocratiques. Si la propagande antifasciste ne joue donc plus son rôle de préparation à la guerre, elle demeure néanmoins un puissant poison idéologique destiné à pousser le prolétariat sur le terrain de la défense des institutions et de l’État démocratique.
Mais, si la bourgeoisie ne craint pas en soi une dynamique électorale du FN aboutissant à la conquête du pouvoir, cette intrusion institutionnelle et la "lepénisation" forcée de l'aile droite de l'UMP fait perdre à l'extrême-droite son aura de parti repoussoir, laissant ce terrain à des groupuscules radicaux et ultra-violents mais sans potentiel électoral. En accédant aux responsabilités, l’extrême droite perdrait en partie sa crédibilité idéologique, comme le PS a largement perdu avec la victoire de François Mitterrand en 1981 sa capacité à se présenter comme le défenseur du progrès social.
Ainsi, le problème fondamental de la bourgeoisie à Brignoles n'est nullement la montée en puissance du FN qui n’a, en l'occurrence, rien gagné en nombre de voix par rapport aux élections précédentes dans la même ville. En revanche, la classe dominante est très inquiète d'un phénomène qui s'est manifesté tant à Brignoles que lors d'autres scrutins partiels : la faible mobilisation des électeurs pour barrer la route du FN. Cela signifie que les manœuvres pour renforcer la défense de la démocratie ne fonctionnent plus aussi bien qu'avant. De l'eau a coulé sous les ponts depuis les immenses manifestations contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002 !
La classe ouvrière ne doit donc pas se laisser berner par le prétendu danger fasciste et bien comprendre que l'ensemble des fractions politiques de la bourgeoisie, populistes ou démocrates, sont pareillement réactionnaires et barbares. Elles laisseront se répandre le pire des chaos pour défendre leur système moribond.
El Generico (23/10/2013)
1 Au Conseil général du Var, l'UMP et ses alliées possèdent une majorité écrasante de 32 sièges sur 43 que l'élection de Laurent Lopez ne pouvait aucunement ébranler.
2 Brignoles: un élu FN de plus, mais combien y-a-t-il d'élus au Front ?, Le Huffington Post (14 octobre 2013).
3 Voir notre article : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste. dans le numéro 62 de la Revue Internationale et sur notre site. (https://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ul... [390])
4 Cf. La montée du populisme est un produit de la décomposition du système capitaliste.
"Indigne", "Rafle", "Sordide", "Chasse aux sans-papiers", "Populisme", "Révoltant", "Abomination", "Inhumain"…1 La gauche et l’extrême gauche n’ont pas eu de mots assez durs pour dénoncer ce qui est jugé comme le pas de trop de Manuel Valls. Après ses multiples déclarations anti-Roms, l’expulsion de la jeune kosovare Léonarda, sous les yeux de ses camarades de classe, a provoqué un tollé. Le ministre de l’Intérieur irait trop loin, trop vite, il perdrait le sens de la mesure, emporté par ses ambitions personnelles. Le but de toute cette propagande est clair : faire croire que Valls est un mouton noir, un traître, un vendu, un populiste déguisé en socialiste ; et que toute la gauche, si elle a mis le temps à réagir, est aujourd’hui décidée à défendre ses valeurs morales et son humanisme. Quelle manœuvre grossière ! Toutes ces indignations, ces protestations outrées, ces discours prononcés la main sur le cœur et la larme à l’œil…, tout, absolument tout sonne faux. L’air qui nous est joué ici n’est rien d’autre que celui qui ouvre le bal pour la valse des hypocrites2.
Quand il déclare qu'environ 20 000 hommes, femmes et enfants originaires de Roumanie et de Bulgarie "ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution.", que "ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation avec les populations locales", qu’il "n'y a pas d'autre solution que de démanteler ces campements progressivement et de reconduire à la frontière", quand il prône une intransigeance vis-à-vis des sans-papiers qui aboutit à humilier une gamine de 15 ans devant ses amis, Manuel Valls ne fait rien d’autre que d’appliquer la même politique anti-immigrés féroce que ses prédécesseurs, de gauche comme de droite. Ni plus, ni moins. Le ministre socialiste s’inspire sans aucun doute d’Hortefeux ou de Guéant. Mais Hortefeux ou Guéant eux aussi suivaient les traces laissées par leurs prédécesseurs, comme Chevènement par exemple qui, en déclarant dans une circulaire ministérielle d’octobre 1999 : "L'activité en matière d'éloignement des étrangers se situe à un niveau anormalement bas. (...) J'attache aussi du prix à ce que, dans les derniers mois de 1999, une augmentation significative du nombre d'éloignements effectifs intervienne", inaugurait sous l’ère Jospin la culture du chiffre, du quota et du résultat dans le domaine de l’expulsion. Et tous ceux-là ont profité sans vergogne, les uns après les autres, pour mener à bien leur politique contre les sans-papiers, de la mise en place des charters collectifs par Edith Cresson, en 1991, dont le terrain avait été préparé par la célèbre déclaration de Rocard : "Notre pays ne peut pas accueillir toute la misère du monde" (prononcée en 1990 alors qu’il était Premier ministre d’un gouvernement socialiste)3. Depuis 1974, droite et gauche se relaient aux plus hautes responsabilités de l’État et la même politique anti-immigrés demeure. La raison en est simple. À la fin des années 1960, le retour de la crise économique a signifié la fin du plein emploi et la hausse du chômage. N'étant que de la chair à usine ne trouvant plus à être exploités, les immigrés sont devenus de plus en plus encombrants. C'est pourquoi le président français de l'époque, Giscard d'Estaing, avait décidé de "suspendre" l'immigration puis, trois ans plus tard, de créer une "aide au retour". Depuis lors, au fil des récessions, les lois anti-immigrés n'ont fait que se durcir, sous tous les gouvernements sans exception. Seule différence, traditionnellement, la droite se vante de sa "fermeté" vis-à-vis des étrangers vivant illégalement sur le territoire quand la gauche mène exactement la même politique en catimini, l’air de rien. Voici "l’originalité" de Valls : prôner une gauche décomplexée, qui affiche ses ambitions "sécuritaires" (c’est-à-dire anti-immigrés).
Que Valls tienne des discours nauséabonds, il est dans son rôle, son rang de grand bourgeois défendant froidement les intérêts sordides de sa classe et donc du Capital national. Mais pourquoi ces propos trouvent-ils un écho au sein de la "population" ? Pourquoi un sale type comme lui est-il si "populaire" ? Pire : pourquoi des campements de Roms ont-ils été récemment incendiés par la foule ?4
Ces sentiments de peur de l’autre et de haine, cette tendance à chercher des individus ou groupes d’individus responsables de tous les maux de la terre, véritables boucs-émissaires à l’égard desquels se développe chaque fois un esprit pogromiste… tout ceci prend racine dans la société actuelle telle qu’elle est. La cause profonde de cette dynamique nauséabonde et destructrice est en effet le fonctionnement même du capitalisme et de son idéologie. Ce système jette les hommes les uns contre les autres, détruit les liens sociaux, met en concurrence et même en guerre chaque individu contre tous les autres. "La concurrence est l'expression la plus achevée de la guerre de tous contre tous dans la société bourgeoise moderne. Cette guerre (...) non seulement existe entre les différentes classes de la société mais également entre les membres individuels de ces classes. Chacun se trouve sur le chemin de quelqu'un d'autre et c'est pourquoi chacun essaie de pousser les autres de côté et de prendre leur place. Les ouvriers sont en concurrence les uns avec les autres, tout comme la bourgeoisie fait de la concurrence en son sein".5 Ce "chacun pour soi" bourgeois condamne la société moderne au malheur. Comme le remarquait Engels : "Nous travaillons tous, chacun pour son propre avantage, sans se soucier du bien-être des autres, bien qu'il soit assez clair, une vérité évidente, que l'intérêt, le bien-être, le bonheur de la vie de chaque individu dépendent inséparablement de ceux de ses semblables".6
Cette mise en concurrence fait d’autant plus de ravages que chaque individu est, sous le capitalisme, menacé par la précarité, incertain pour son avenir, insécurisé et surtout impuissant face aux lois économiques (qui semblent tenir des lois naturelles alors qu’elles sont le produit de l’activité humaine). Cette dernière idée est primordiale. L'aliénation de l'humanité sous le capitalisme conduit à ce que l'activité productive des membres de la société devienne une force aveugle qui échappe à leur contrôle et même à leur compréhension ; cette activité productive peut, de façon soudaine et inattendue, plonger l'individu, la classe ou l'ensemble de l'humanité dans des cataclysmes apparemment inexplicables. La peur pour soi engendre la peur de l’autre, puisqu’il est un concurrent ; quand cet autre est considéré comme une menace pour sa propre existence, la crainte peut se transformer en haine. Autrement dit, le capitalisme est à la racine de la peur sociale et des tendances au pogromisme.
La bourgeoisie utilise la mise en concurrence de tous contre tous, la peur de l’avenir, la fragilité et l’insécurité ressentie par chaque individu pour distiller au sein des rangs ouvriers le poison de la division et de la méfiance. Autrement dit, elle retourne contre les exploités les effets pervers de son propre système, la pourriture idéologique qu’il engendre, pour maintenir sa domination. Cela dit, s’il n’est pas immunisé contre un tel poison, le prolétariat a la capacité d’y résister et même d’y opposer son propre principe d'association, édifié sur la confiance, l’unité et la solidarité. "Si les ouvriers décident de ne plus accepter d'être achetés et vendus, si, face à la détermination de ce qu'est en réalité la valeur du travail, ils s'affirment comme êtres humains qui en même temps que leur force de travail possède une volonté, il en sera fini de toute l'économie nationale de l'époque actuelle et des lois salariales. Ces lois salariales s'imposeraient en fait à nouveau à long terme si les ouvriers se satisfaisaient d'abolir la concurrence entre eux (...). La nécessité les oblige non seulement à abolir une partie de la concurrence, mais la concurrence comme telle."7 Le capitalisme a engendré une classe d’immigrés, le prolétariat, qui est l’antithèse de la division de l’humanité en nations. Le prolétariat est la seule classe aux intérêts internationaux unis qui, sur la base du travail associé et de la lutte de classe, intègre constamment des gens de différentes nationalités, de différentes races, différentes cultures, générations, personnalités et origines sociales en une unité. En tant que seule classe contemporaine économiquement active qui n'ait pas de propriété, le prolétariat a toujours eu à accueillir dans ses rangs les victimes ruinées et malheureuses du capitalisme. Travaillant pour le marché mondial dont il fait partie et sous le régime de la socialisation de la production qui rend chaque partie dépendante de l'ensemble, le travailleur salarié est obligé d'entrer en relation active avec le reste du monde. Potentiellement, ces qualités font du prolétariat une classe capable de lutter de façon désintéressée pour la libération de toute l’humanité. Faut-il encore, pour que ce potentiel se réalise, des conditions adéquates. Ces "conditions adéquates" sont le développement de la lutte de classe, de la conscience et la formation politique d'une classe, grâce auxquels le prolétariat a toujours été capable de développer la largeur d'esprit, la générosité chaleureuse et la solidarité.8
Le cri de ralliement "Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" comporte ainsi une dimension hautement morale, il indique que le but de la révolution communiste sera de "créer des conditions de vie pour tous les êtres humains telles qu'ils puissent développer leur nature humaine, vivre avec leurs voisins dans des conditions humaines et ne plus avoir peur que de violentes crises bouleversent leurs vies"9.
Pawel (21/10/2013)
1 Tous ces mots ont été prononcés par les plus hauts représentants du PS, d’Europe Ecologie-les Verts, du PCF, du Front de gauche ou de LO.
2 Les lycéens qui sont sortis dans la rue pour manifester leur colère, certains d’entre eux réalisant même une courte grève de la faim, étaient, eux, sincères. Leur colère est plus que légitime. Mais la FIDL, syndicat lycéen proche du PS, les a poussés à se mobiliser pour donner du crédit à cette thèse selon laquelle "les valeurs de gauche existent et doivent être défendues" afin de limiter la perte des illusions et la prise de conscience de ce qu’est réellement la social-démocratie une fois au pouvoir. Certains lycéens s’en sont d’ailleurs rendu compte. Au lycée Ravel à Paris, par exemple, les tracts de la FIDL ont été jetés au sol et des pancartes "Nous ne voulons pas être récupérés" ont commencé à fleurir.
3 Et il ne s’agit pas là d’une exception française. Partout la gauche au pouvoir apporte sa contribution à la politique anti-immigrés. Par exemple, en Espagne, l’ex- Premier ministre socialiste Zapatero n’avait pas hésité, dans la nuit du 1er octobre 2005, à donner l’ordre à l’armée marocaine de tirer sur tous ceux qui tentaient de pénétrer dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Les images d’hommes et de femmes littéralement empalés sur les grilles barbelées de la frontière ou fauchés par les balles de la police avaient à l’époque fait le tour du monde.
4 Sous l’œil bienveillant des forces de l’ordre.
5 F.Engels, La Situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845.
6 F.Engels, Deux discours d’Eberfeld, 1845
7 F.Engels, La Situation de la classe laborieuse en Angleterre.
8Une preuve en négatif de ce potentiel sont les "conditions inadéquates" des années 1930 durant lesquelles les ouvriers étaient physiquement et idéologiquement écrasés (en particulier en Allemagne lors des répressions sanglantes de 1919 et du début des années 1920). En effet, une fois le prolétariat vaincu et la contre-révolution triomphante, plus rien ne pouvait résister aux tendances les plus barbares du capitalisme. Un prolétariat qui résiste, même de façon assez passive comme aujourd’hui, ou qui développe sa lutte et sa perspective comme en 1917, ou qui est défait et démoralisé,… voilà ce qui explique qu’à certaine période de l’histoire le "tous contre tous" capitaliste prenne plus ou moins d’ampleur, fasse plus ou moins de ravages.
9 F.Engels, Deux discours d’Eberfeld.
Nous publions ci-dessous l'article d'un de nos sympathisants proches. L'article porte sur l'attaque du centre commercial Westgate de Nairobi au Kenya. Cet article est documenté, marqué par une indignation forte et une révulsion que nous partageons. Son souci d'adopter une démarche historique et d'inscrire les événements tragiques qui se sont déroulés dans un cadre international donne des clés pour une compréhension élargie. C'est ce qui permet de bien souligner l'importance stratégique de la région, de porter un éclairage sur l'implication barbare des grandes puissances et la dynamique du chaos. Ce chaos, comme le démontre le camarade, est celui de la phase ultime de la décadence du système capitaliste : une phase de décomposition qui n'offre comme avenir à l'humanité que l'exploitation forcenée, du sang, des destructions et des massacres.
"Quel est le nom de la mère de Mahomet ?" demandaient les combattants d’al-Shabab aux pauvres personnes innocentes faisant leurs courses ? Et lorsque la réponse ne venait pas, hommes, femmes et enfants étaient alignés et exécutés. Voilà la logique tordue, dépravée et horrible de ces fanatiques religieux ! Même confrontés aux horreurs absolues et quotidiennes du capitalisme en décomposition, de tels événements choquent et donnent la nausée. Le fait d’être exécuté par des membres de al-Shabab (qui semblent venir du Kenya, de la Somalie ou de plus loin encore) parce qu’on ne connaît pas le nom de la mère de Mahomet ou qu’on n’est pas capable de citer le Coran, montre la profondeur de la dépravation abominable que le capitalisme nous sert sur un plateau.1
Mais les terroristes d’al-Shabab, à l’instar des terroristes qui ont attaqué l’usine de gaz d’Ain Amenas en Algérie en janvier dernier, tuant 38 personnes, ont choisi leur cible soigneusement. Nairobi se trouve dans la partie de l’Afrique de l’Est qui est la plus dynamique, pleine de touristes occidentaux, centre d’activités avec des intérêts d’affaires à la fois régionaux et internationaux, des agences diplomatiques, militaires, d’espionnage et des opérations humanitaires. A partir de là, il ne fait aucun doute que l’importance de la couverture médiatique en Grande-Bretagne à propos de l’attaque des militants d’al-Shabab sur le centre commercial de Nairobi est le reflet du nombre de victimes occidentales.2 Le nombre de personnes touchées, au moins 70 tués et peut-être 200 personnes encore manquantes, correspond au nombre quotidien de victimes et blessés dans les attaques terroristes en Irak, au nombre des attaques moins fréquentes mais régulières qui ont lieu au Pakistan, sans parler des assassinats et destructions quotidiens qui ont lieu en Syrie, dénoncés par la dénommée "Communauté internationale". Mais cela ne diminue aucunement l’horreur perpétrée à Westgate, où des hommes, des femmes et des enfants, ainsi que 200 travailleurs, dans un environnement qui était censé être sécurisé et bienveillant, ont été soudain confrontés à l’irruption effrayante et terrorisante d’un déferlement des forces de l’enfer.
Cette attaque démontre finalement comment la "Guerre contre la terrorisme" produit elle-même la généralisation de la terreur, des terroristes et du terrorisme. C’est un exemple supplémentaire de comment la politique des Clinton, Bush et Obama, de l’impérialisme américain notamment, contribue directement à aggraver et à étendre les vrais problèmes que cette politique est censée contenir. A ce niveau, cet événement illustre également le développement de la faiblesse historique de l’impérialisme américain, malgré son statut incontestable de première puissance militaire mondiale. Toute la région autour de la Corne de l’Afrique et plus au Sud, en Afrique Centrale, est un champ de bataille impérialiste et comprend de nombreuses bases et des forces spéciales des pays occidentaux, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et d’Israël en particulier. Etant donné son importance stratégique, cette région doit être parmi les plus surveillées et pistées. Malgré cela, les forces de répression ont été incapables d’intercepter ou d’arrêter cette attaque féroce et bien organisée. Les officiels de la sécurité, anglais et américains, suggèrent maintenant qu’ils savaient qu’une attaque était en préparation mais pas exactement dans quel endroit. Cependant, quiconque avait des intérêts dans la région devait savoir cela. Il ne fait aucun doute que les forces de sécurité kényanes sont incompétentes et corrompues, davantage intéressées à se remplir les poches ! Fondamentalement, elles restent les pâles images de leurs homologues occidentaux plus efficacement gratifiés.
La responsabilité de la dévastation de toute la région autour de la Somalie et la montée de forces toujours plus irrationnelles incombe fondamentalement aux principaux impérialismes, dont les actions et incursions fréquentes contribuent à l’instabilité et au chaos grandissants qui appellent à leur tour d’autres actions et incursions qui contribuent encore plus au chaos et à l’instabilité… Et on assiste à une fuite en avant dans une spirale sans fin. Bien sûr, ce sont majoritairement les pauvres et les masses qui paient. Il y a environ un demi-million de réfugiés somaliens parqués comme du bétail dans le plus grand camp de réfugiés du monde, ainsi qu’environ cinq cent mille personnes à l’extérieur. Sur ce sujet, les ONG, habituellement optimistes, estiment que la situation est sans espoir. En plus de la misère, de la famine, des privations et de la pauvreté dans la région, il y a la corruption de la bourgeoisie locale et les bases des forces spéciales occidentales hérissées des dernières armes et technologies de pointe. Les Etats-Unis ont installé leur "Poste de commandement africain" au Kenya, appuyés par les forces spéciales et les services de renseignements de la Grande-Bretagne et d’Israël.
Obama a dit, le 23 septembre, qu’il était chargé de "démanteler ces centres (terroristes) de destruction". Mais le fait est que, dans le contexte des conditions générales de décomposition du capitalisme, négocier avec les terroristes accroît la tendance à la décomposition. Les actions entreprises par Obama élargissent le problème et favorisent l’enrôlement d’un courant grossissant de recrues, au niveau local et international, pour la cause djihadiste. Depuis l’opération "Restaurer l’espoir" et la bataille de Mogadiscio en 1993, où les forces américaines ont dû battre en retraite, l’instabilité grandissante s’est étendue à toute la région. Même quand il y avait une apparence de relative stabilité dans le gouvernement somalien, avec le parti modéré Islamic Court Union (ICU), il y a quelques années, ces espoirs ont été balayés par la contre-offensive américaine qui a financé l’invasion de la Somalie par l’armée éthiopienne en décembre 2006. Puis, les Britanniques et les Américains financèrent le camp de l’Union Africaine, ce qui entraîna la chute de l’ICU, la mise en place de la mascarade du "Gouvernement fédéral de transition" (maintenant "Gouvernement fédéral de Somalie", financé par les Etats-Unis). Ceci à son tour provoqua la descente dans un chaos grandissant et la montée en puissance d’al-Shabab. Jusqu’alors, cette organisation était un mouvement hybride, objet de luttes intestines, ce qu’elle est toujours jusqu’à un certain point, et il était difficile de trouver des recrues en Somalie ; al-Shabab a été souvent réduit à enrôler de force ou à soudoyer de jeunes chômeurs pour augmenter ses effectifs. La pénurie de cibles pro-occidentales en Somalie et l’implication de l’Ouganda et du Kenya dans l’armée de l’Union Africaine (African union MIssion in SOMalia) envoyée en Somalie, en même temps que des drones américains, pour mettre ces rebelles en déroute, ont permis à al-Shabab de mener deux attaques en Ouganda en 2010 : contre des personnes regardant à l’extérieur les matches de la coupe du monde de football (tuant plus de 70 personnes et en blessant des centaines d’autres), et une précédente attaque frontalière contre l’armée kényane (il y en a eu deux de plus ces derniers jours), puis l’atrocité de Westgate. Le groupe al-Shabab, issu d’une aile islamique modérée, a évolué vers un statut d’intermédiaire impitoyable affilié à l’équipe de "combat total" al-Qaïda qui, d’après les agences de renseignement occidentales, a attiré un nombre considérable de combattants étrangers, particulièrement américains et anglais, avec une circulation facile à travers les frontières de l’Ouest et un accès possible aux cibles occidentales. Paradoxalement, cette menace deviendra encore plus grande si al-Shabab est défait en Somalie.
La plus grande partie du financement d’al-Shabab provient directement de l’Arabie Saoudite et d’autres Etats du Golfe. (…) Mais al-Shabab a sa propre activité lucrative dans le commerce de charbon et les revenus des ports somaliens. Ses membres ne semblent pas avoir été compromis dans les actes de piraterie qui se répandent inexorablement dans les eaux somaliennes et qui semblent être le fait de pêcheurs paupérisés et de gangsters locaux. Mais cela n’a pas empêché ces eaux de devenir une mer militaire, avec des bateaux de guerre en provenance de toute l’Europe, de la Chine, de la Russie, de l’OTAN et d’Inde, tous en concurrence. De toutes façons, al-Shabab a été chassé des ports de Mogadiscio et de Somalie depuis 2011. Le groupe d’observation de l’ONU en Somalie estimait qu’en 2011, avant que la plus grande partie des forces kényanes ne le leur prennent, al-Shabab gagnait 50 millions de dollars par an grâce à l’activité du port somalien de Kismayo (Bloomberg, 22/09/13). Après que les Kényans se soient emparés de ce port dans lequel, comme en écho aux tractations économiques du régime d’Assad avec al-Nusra, les autorités kényanes continuent à travailler avec des contacts d’al-Shabab qui ont subsisté afin que l’argent continue à affluer, selon plusieurs rapports. Mais les rebelles ont seulement ressenti de l’amertume suite à la prise de Kismayo et de ses richesses par l’impérialisme kényan et ils ont promis des représailles qu'ils ont finalement infligées, dans la logique inhumaine de la guerre impérialiste.
Le régime kényan du Président Uhuru Kenyatta a récemment été en mauvais termes avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, qui ont critiqué son rapport à la question des Droits de l’Homme et l’ont lâché politiquement, pendant que la coopération militaire et de renseignement se poursuivait. Mais le régime kényan a joué la carte chinoise, réactivant les relations avec Pékin et obligeant Washington et Londres à revenir à un plein soutien au régime. Kenyatta et le vice-président, William Ruto, ont tous les deux été poursuivis par la Cour pénale internationale de la Haye pour encouragement au meurtre, viols, déportations et persécutions à l'occasion de l'offensive de leurs troupes sur la population au moment des élections au Kenya, il y a six ans. Les chiffres officiels de cette terreur démocratique flagrante furent de 1100 morts, des dizaines de blessés et environ 250 000 personnes déplacées. Kenyatta et Ruto ont maintenant été relaxés par la Cour afin de pouvoir aider leur pays !
Plusieurs rapports sur l’incompétence des forces de sécurité dans la gestion de l’attaque de Nairobi ont été publiés. Il est vrai que l’incompétence va de pair avec la corruption et le gangstérisme qui sont le cachet des hommes politiques de la région. Premièrement, la police a été critiquée sur la scène de Westgate pour ne pas avoir su quoi faire, mais ces officiers de police lents n’auraient pas dû être présents normalement dans ce centre commercial haut de gamme. Les forces de sécurité kényanes sont alors arrivées et, selon certains rapports, ont commencé à tirer dans tous les sens et on peut imaginer la panique des gens innocents qui étaient présents. Alors, les régiments lourds des commandos américains et israéliens sont entrés en scène ; des explosions ont suivi, dont on ne sait pas qui les a provoquées, le plafond de l’immeuble s'est effondré, écrasant un nombre incalculable de personnes.
Ce qui risque de se produire maintenant, à part les pogroms et le harcèlement contre la population somalienne au Kenya, est une réponse énergique de l’armée kényane contre les dernières positions d’al-Shabab en Somalie. Comme il a été dit plus haut, cela pourrait être la plus mauvaise option, dispersant les djihadistes étrangers tout autour et vers leur pays d’origine pour préparer une revanche ultérieure. La perspective d’attaques sur le modèle de celle de Boston est à la fois le cauchemar et la création des régimes occidentaux. Cette région d’Afrique, dans et autour de la vallée du Rift, est le berceau de l’Humanité. C’est l’endroit à partir duquel nos ancêtres ont commencé leur lutte pour la survie contre tous les dangers. Aujourd’hui, en même temps que les champs de bataille permanents et dépravés de la République démocratique du Congo où des enfants-soldats, des viols de masse, des seigneurs de guerre, l’irrationalisme religieux et la désintégration sont négligés et manipulés par les pouvoirs des pays centraux, la région entière devient de plus en plus une zone de non-droit impérialiste où toutes les atrocités sont possibles, un vrai creuset de la barbarie capitaliste.
Baboon (28 septembre)
1 La droite anti-musulmane du site Internet américain Atlas Shugs dénonce les musulmans présents qui n’ont pas donné les bonnes réponses aux questions posées par les terroristes aux non-musulmans. Comme si n’importe qui était censé répondre à un questionnaire religieux dont le prix est la vie ou la mort ! Mais une telle aberration n’est qu’un voile qui cache le message mensonger : musulman = terroriste, un sentiment qui est propagé d’une manière plus subtile par les grands médias.
2 La semaine qui a suivi Westgate, les tueurs du groupe terroriste Boko Haram assassinèrent 50 étudiants dans leur lit, dans un collège agricole du Nigeria, pour le crime consistant à poursuivre des études sur le modèle occidental ; il n’est pas certain que les morts, dans cette affaire et dans des affaires similaires, fassent l’objet d’une couverture médiatique importante comme Westgate.
Avec le décès de Jean-Pierre, le CCI perd un camarade d'une sacrée trempe, un grand combattant et une personnalité remarquable.
Jean-Pierre nous a quittés le 13 septembre dans la nuit, à la suite d'une longue et irrémédiable maladie, dont l’issue funeste était connue de tous, y compris de lui-même. Depuis plus de deux ans, notre camarade, pourtant grand pratiquant sportif, a peu à peu perdu l'usage de ses membres, de la respiration et enfin de la parole. Dans ce parcours, Jean-Pierre a toujours été parfaitement conscient de tous les moments de l'évolution de sa maladie et de ses conséquences. Cette lucidité l'affectait bien évidemment profondément puisque cela lui faisait renoncer à tout ce qu'il aimait : l'activité physique, le contact charnel avec la nature, en particulier la montagne où il a longtemps effectué de longues randonnées (il vivait dans les Alpes), faire la cuisine… Mais cette fatalité, il ne l'acceptait pas. Il voulait rester chez lui tant que c'était possible et personne ne pouvait le faire changer d'avis ! Il exigeait fermement de rester dans cet espace familier et humanisé pour maintenir les liens les plus proches avec sa famille, ses amis et ses camarades de combat. Son espace était son accès au monde, là où étaient ses livres, là où l'on peut parler de politique et de l’actualité jusqu'à point d'heure, là où l'on peut regarder un film et en parler, là où il pouvait nous lire une poésie qu'il aimait. Sa volonté de fer, c'était aussi de mettre des limites aux actes médicaux destinés à le faire survivre. Il a lutté jusqu'au bout pour qu'elles soient respectées. Jean-Pierre a fini, quelques semaines avant sa mort, par accepter de quitter son "chez-lui" pour une hospitalisation en soins palliatifs. Il savait qu'il n'en reviendrait pas. Notre camarade n’a pas subi cela mais l'a choisi et assumé. Mais toujours cette volonté a été destinée à donner l'espace maximum à ses proches, à ses enfants et à ses camarades pour poursuivre le combat politique. Le personnel et les militants qui ont partagé ses derniers instants, témoignent que notre camarade est parti "avec une grande sérénité" malgré la souffrance qui l'a tenaillée jusqu'au bout. Cette sérénité, nous savons, nous, ses camarades, qu'il l'a construite comme la dernière œuvre de sa vie. Il est des personnalités qui forcent l'admiration par la ténacité et le courage avec lesquelles elles dépassent leur propre fin. Jean-Pierre était de celles-là. Nous avons tous aimé entrer dans cet espace personnel et politique qu'il nous a réservé avec tant de générosité. Nous en avons tiré un grand plaisir et cela nous a donné de grandes leçons de vie pour notre militantisme. De cela, Jean-Pierre, nous t'en savons infiniment gré.
Jean-Pierre a rejoint le CCI relativement tard dans sa vie. Après avoir été confronté à la mobilisation pour la guerre d'Algérie qu'il a ressentie comme un moment de barbarie inacceptable et indicible, il n'a cessé d’être travaillé par la perspective de la construction d’une autre société où ces horreurs seraient bannies à jamais. Avec ce "Que faire pour cela ?" qui le tenaille, il va traverser Mai 68 avec ses espoirs et toutes ses confusions, en particulier celle du communautarisme. Il ne découvre le CCI qu'au début des années 1990. Il trouve en lui la cohérence pratique et théorique du marxisme, ce qui lui permettra d'effectuer une véritable rupture politique avec les idéologies confuses qu'il avait pu côtoyer auparavant. Cette rencontre l'enracinera fermement dans la "passion du communisme" (selon ses propres termes). Son indignation au sujet de ce monde plein de barbarie avait enfin trouvé un sens qu'il cherchait, celui du combat pour la révolution prolétarienne mondiale.
Depuis, notre camarade a placé le combat politique au premier plan de sa vie jusque dans ses derniers moments. Il était animé d'une profonde conviction et il n'y avait pas de visite, face à l’évolution fatale de sa maladie, qui ne se faisait sans discussion politique. Notre camarade a tenu, jusqu'au bout, à participer aux réunions régulières du CCI et à affirmer ainsi sa responsabilité de militant : à la fin, depuis son lit, par Internet. Il tenait particulièrement à verser régulièrement ses contributions financières pour être partie prenante dans la mesure de se moyens au bon fonctionnement de l’organisation.
Mais surtout, son souci de rigueur s’est manifesté en étant parmi les plus résolus pour défendre les principes organisationnels et leur esprit par ses prises de position dans les débats à propos de cette question politique difficile tout au long de ces dernières années. Le camarade était persuadé que le travail de construction d'une organisation du prolétariat était un art difficile qu'il fallait apprendre et transmettre grâce à l'effort théorique. Convaincu qu'il était de la nécessité de la révolution, il n'avait de cesse de se préoccuper de lever tous les obstacles qui se dressaient devant notre classe pour qu'elle puisse réaliser enfin l’émancipation de l'humanité. Il exprimait toujours et constamment, dans les entretiens que nous avions, la dimension planétaire et le caractère titanesque de ce combat. Combat défensif quotidien, certes, mais surtout démarche consciente et avec une dimension culturelle qui devra, il en était persuadé, nous fortifier pour enfin pouvoir nous conduire à l'offensive nécessaire pour abattre le système capitaliste. Il était aussi profondément persuadé du poids de l’idéologie dominante pesant sur l’organisation et sur les individus et des effets pervers de la décomposition sociale dans les rapports sociaux. Il savait que les moyens réels d’y résister ne pouvaient se trouver que dans la force collective des débats dans l’organisation s’appuyant sur des principes moraux et une démarche intellectuelle. Cette préoccupation ne l'a jamais quittée : comment lutter efficacement, comment se hisser à la hauteur de ses responsabilités, à la fois comme militant porteur des intérêts de sa classe sociale et comme organisation, comme corps collectif et associé dans son ensemble aussi bien en ce qui concerne les nécessités du moment que les tâches historiques qui incombent aux révolutionnaires et à leur classe ? C’est parce qu’il avait ces préoccupations constantes qu’il n’a jamais perdu de vue de participer à la construction d’une organisation à la hauteur de sa tâche, capable d’assumer ses responsabilités historiques, qu’il a toujours manifesté un souci de rigueur sur le plan du fonctionnement de l’organisation et qu’il a jusqu’au bout combattu ce que Lénine appelait déjà en 1903 «l’esprit de cercle", la vision d’une organisation conçue comme une sommes d'individus, comme un regroupement affinitaire. Une telle vision était pour lui clairement et diamétralement opposée aux besoins réels d’une organisation révolutionnaire qui, pour pouvoir devenir dans le futur un véritable parti prolétarien, devait être capable de construire sur des bases solides un esprit de parti fidèle à sa mission historique. Il a donc toujours fermement pris position contre les tentations de regroupements affinitaires parce qu’il a toujours placé par-dessus tout la constante préoccupation de participer à la construction d’une organisation révolutionnaire pour qu’elle soit à la hauteur de sa fonction historique à long terme, l’armer pour le futur afin d’assurer la défense des intérêts du prolétariat. C’est pour cela que, pour lui, l’organisation ne pouvait pas se réduire à être une "bande de copains", un "cercle d’amis", même s’il entretenait des rapports fraternels et chaleureux avec tous les camarades et avait su nouer de solides liens d’amitiés avec certains d’entre eux. Selon son expression, "avec à peine un petit filet de voix", ce combat, il n'a eu de cesse de le mener jusqu'à sa propre fin et son dernier souffle.
Ce dévouement, sa ténacité, son engagement continuent de vivre dans chacun de ses camarades. Il est un exemple pour nous tous, ses camarades, de ce que peut être un militant convaincu.
La personnalité de Jean-Pierre était par ailleurs tellement attachante qu'il est impossible de la passer sous silence.
Jean-Pierre restait toujours curieux, l’esprit en éveil et développait un attachement naturel, une empathie non seulement pour ses proches mais pour les personnalités qu'il rencontrait ou qu’il croisait. Sa compagnie était pétrie de ces qualités. Il savait naturellement que chaque personne évolue, est en constant mouvement, qu'elle vit des crises qui peuvent être des moments de dépassement. Il le reconnaissait facilement tout autant pour lui même et il en témoignait souvent. Il nous racontait volontiers son long parcours compliqué et chaotique qui l'avait mené vers le marxisme et les positions de classe. Cela n'avait pas été un fleuve tranquille et c'est sans doute ce qui lui a donné cette curiosité des autres, respectueuse de leurs contradictions, contradictions qu'il voyait toujours positivement comme un devenir, un potentiel de dépassement. Il portait cette vision d'avenir, et aussi cette réserve respectueuse, bien au delà de la critique facile.
Jean-Pierre était un grand admirateur de Rabelais. Il aimait la franchise qui transparaît dans son œuvre et l’amour sensuel, cru et presque brutal de la vie qui se dégageait de cette lecture. La bonne bouffe, les repas généreux, il tenait cela comme sacré, comme un moment précieux de convivialité et de partage. Jean-Pierre nous a souvent ouvert son univers aussi par les textes ou les poésies dont il nous entretenait goulûment. Ceux qui l’ont connu de près ont eu le privilège de partager avec lui un grand plaisir. Les silences qui suivaient avaient eux aussi un contenu actif, un sens relationnel et communicatif que nous "écoutions", que nous partagions. Jean-Pierre était un exemple de combattant dévoué à l’organisation et à la perspective de la révolution prolétarienne mais aussi, outre sa volonté et son courage face aux épreuves et a la maladie, son tempérament reflétait la trempe d’une personne puissamment animée par l’amour de la liberté. Il nous livrait ses passions, ses goûts, des pans de sa vie comme s’il esquissait devant nous un brouillon de ce que pourrait être le comportement d’un être humain qui comprend l'autre comme partie intégrante de son propre bonheur, il nous faisait souvent part de son bonheur au milieu de la chaleur humaine, dans la solidarité de classe, son bonheur de manifester aux côtés des autres, ensemble, comme s’il participait à une danse, à la vie créatrice de l'humanité, qu'elle soit scientifique ou artistique. Jean-Pierre était un tel compagnon, fidèle et résolu dans ses choix, ses engagements et ses attachements.
Les militants du CCI partagent profondément la douleur de ses enfants, de sa famille, de ses amis. Nous avons perdu notre camarade Jean-Pierre, mais son souvenir est toujours présent, toujours vivant pour tous ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer, de le connaître et de l’apprécier.
Le CCI te salue, camarade, comme militant exemplaire de la cause du communisme à laquelle tu as su donner le meilleur de toi-même.
CCI (15/10/2013)
Notre quotidien est imprégné par ces images insupportables d’enfants et de familles entières qui crèvent de faim au milieu de détritus. La violence de cette misère absurde ne semble pas avoir de limite. En a-t-elle seulement ? A regarder la situation à travers le monde, on pourrait se le demander ! La manière dont la situation évolue montre bien la tendance dans laquelle s’engouffre la société actuelle toute entière1. A des degrés divers, la misère ne cesse de progresser à travers le monde et amène même une part de la population des pays "riches", quand elle n’est jetée elle-même dans la misère, à se sentir coupable des maux des pays du "tiers-monde".
De la bouche de prétendus "spécialistes" on entend invoquer les raisons les plus invraisemblables : nous serions "trop d’êtres humains", notre régime alimentaire ne serait "pas adapté aux ressources" de notre planète, notre attitude même à l’égard de ces ressources ne serait "pas respectueuse"… En bref, tous les motifs les plus culpabilisants sont évoqués, sans que jamais les véritables responsables ne soient dénoncés. Est-ce de leur faute si des familles "modestes" des "pays du Nord", ne trouvent rien d’autre pour se nourrir que les "modestes" produits que l’on trouve dans les grandes surfaces et des marques à bas prix ? Faut-il effectivement rejeter la faute sur les "consommateurs" qui achètent des produits fabriqués dans des conditions plus que douteuses ? Certains se plaisent à le répéter. Ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à dire que l’on peut "consommer autrement", que si l’on s’en donnait les moyens, on pourrait tous vivre mieux, y compris dans les pays pauvres. En gros, nous n’aurions pas une attitude responsable ! Nous mangerions trop, trop mal ! Pour ce qui est de mal manger, cela ne fait pas de doute avec tous ces produits bourrés de conservateurs, de colorants, de sucres, de pesticides… Nous y reviendrons plus tard. Nous mangerions trop de viande, trop de ceci ou de cela. Dans certains pays on meurt de faim pendant que dans d’autres, on mange des produits de mauvaise qualité mais finalement, tout cela serait un peu de notre faute. Comment comprendre cette situation ?Notre terre est une planète très fertile, dotée d’un écosystème extrêmement riche et diversifié qui offre un immense potentiel. Avec près de 10 GHa (10 000 000 000 Ha) de terres potentiellement cultivables, ce sont des terrains fertiles à perte de vue qui se présentent. A tel point, qu’il devrait apparaître comme inconcevable que des individus qui possèdent le niveau de développement technologique actuel puissent connaitre la faim sur une planète aussi riche. Et pourtant ! Que voyons-nous aujourd’hui ? Si l’on fait le bilan des ressources disponibles sur la planète et que l’on met ce dernier en rapport avec la manière effective donc nous les exploitons aujourd’hui, d’un point de vue purement scientifique, il y a là des contradictions immenses. Aujourd’hui, ces contradictions menacent même l’existence de notre espèce !
Regardons un peu plus en détails quelles sont ces contradictions. Comme nous l'évoquions plus haut, notre planète dispose de près de 10 GHa de terres cultivables. D’après un rapport publié par l’Institution of Mechanical Ingeneers2 en Angleterre, l’ensemble des terres actuellement exploitées représente une surface de 4,9 GHa, soit environ la moitié des ressources totales exploitables pour la production de denrées alimentaires. Ce même rapport indique que la capacité moyenne de production d’un champ d’un hectare de blé ou de maïs, permet de nourrir, avec les moyens actuels, entre 19 et 22 personnes pendant toute une année quand l’exploitation d’un hectare destiné à l’élevage de bœuf ou de mouton pour la consommation humaine, permet de nourrir environ 1,5 personnes par an.
La productivité actuelle dans le domaine agro-alimentaire permet donc de nourrir très largement toute la population mondiale. Si des millions d’êtres humains meurent chaque jour de faim, la cause est ce système immonde qui ne produit pas pour satisfaire les besoins de l’humanité mais pour vendre et faire du profit. Voici une grande différence avec les famines du Moyen-âge : celles-ci étaient le résultat du faible développement des outils, des techniques, de l’organisation du travail et des terres qui créait des manques réels. Les hommes ne cessaient jamais de défricher, d’exploiter chaque parcelle de terre afin de combler ce manque de productivité. Aujourd’hui, sous le capitalisme, l’humanité possède d’incroyables capacités dont elle ne bénéficie pas. Pire ! La course au profit induit un immense gâchis permanent : "Dans les pays d’Asie du Sud-est par exemple, les pertes en riz s’étendent de 37% à 80% de la production totale, en fonction du niveau de développement, et représentent annuellement 180 millions de tonnes (...)[Au niveau mondial] la possibilité de fournir 60 à 100% de nourriture en plus, simplement en éliminant les pertes et simultanément en libérant des ressources en terres, en énergie et en eau pour d’autres utilisations est une opportunité qui ne devraient pas être ignorée."3 ! En Europe, 50% des aliments produits finissent à la poubelle, soit 240 000 tonnes chaque jours.
Face aux famines, l'exploitation des terres arables laissées en friche, la lutte contre le gaspillage, contre la destruction des invendus… apparaissent comme des mesures immédiates à prendre mais largement insuffisantes. D'ailleurs, même ces mesures de première urgence, jamais le capitalisme ne pourra les mettre en place car le bien-être et la satisfaction des besoins humains, même les plus élémentaires, ne sont absolument pas le but de la production4. Ses usines, ses machines, ses capitaux n'existent que pour accumuler plus de capital et faire des profits. Ces mesures qui paraissent simples et immédiates ne pourront être adoptées que par le prolétariat dans une situation révolutionnaire et politique très avancés.
Cela dit, sur le long terme, un changement bien plus radical devra s’imposer pour une société future libérée des classes sociales et du capital. Le mode de production capitaliste ravage la nature, appauvrit les sols, empoissonne la vie. D’ailleurs, la plupart des espèces animales sont en danger et menacées de disparition si un terme n’est pas mis à la folie destructrice de ce système.
Le réflexe de nombres de ceux qui ont conscience de cette situation et s’en indignent, est de prôner une réduction de la consommation, une "décroissance". En réalité, la solution n’est ni "productiviste" (produire toujours plus sans se soucier de la finalité de la production), ni "décroissante" (produire moins pour que chaque être humain vive à peine au-dessus du seuil de la pénurie, ce qui dans le capitalisme est impossible) ; elle doit être bien plus radicale et profonde que cela. Si la production n’est plus aiguillonnée par la recherche du profit mais par la satisfaction des besoins humains, alors les conditions de la production changeront intégralement. En l’occurrence, dans le domaine agro-alimentaire, toute la recherche, l’organisation du travail et des sols, la répartition,… tout sera guidé par le respect de l’homme et de la nature. Mais cela implique d’abattre le capitalisme.
De ce que l’on sait actuellement, l’agriculture a fait son apparition il y a près de 10 000 ans, quelque part vers le Sud Est de la Turquie actuelle. Depuis lors, les techniques n’ont cessé de se développer, voyant les rendements faire parfois des bonds considérables. L’utilisation de la force animale ne tarda pas à se généraliser (utilisation de l’araire dès l’antiquité) et au moyen-âge, l’apparition de la charrue et de la rotation triennale (vers le Xe siècle en Europe), permirent de nettes améliorations de la production. Ce système, basé sur la culture attelée, dura de nombreux siècles. Toutefois, il est important de rappeler que malgré les avancées qui marquèrent cette longue période5, les connaissances et la technique de l’époque ne permettaient pas de garantir des récoltes stables d’une année sur l’autre. Nombreux sont les exemples de grandes famines qui décimèrent les populations : en 1315 par exemple, du fait d’une année particulièrement froide et pluvieuse les récoltes en France sont inférieures de 50% à celles des autres années, entrainant la mort de 5 à 10% de la population. Dans une moindre mesure, le même phénomène est constaté en 1348, cette fois suivi de la peste Noire qui s’abat sur la population affaiblie. Pour faire simple, au cours des XIVe et XVe siècles où le climat se montre moins favorable que dans la période précédente, c’est pratiquement tous les 20 à 30 ans que survient une terrible famine ! Finalement, il faudra attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour que la production agricole cesse se subir aussi durement des coups du climat. Les progrès du machinisme et l’utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole), les avancées de la chimie inorganique et l’introduction des engrais minéraux, permettent une augmentation formidable des rendements. Avec le développement du capitalisme, l’agriculture devient une industrie, à l’instar de l’industrie du textile, ou des transports. Les taches sont rigoureusement planifiées et la vision de "processus de fabrication" (avec l’organisation scientifique du travail) permet une augmentation inédite de la productivité. Tout cela pouvait laisser croire que les périodes de crises et de famines dont nous parlions plus haut allaient laisser place à des siècles d’abondance. La plupart des scientifiques de l’époque ne jurait que par le progrès scientifique et voyait dans le développement de la société capitaliste, le remède de tous les maux de la société. La plupart, mais pas tous ! En 1845 par exemple, alors même que le capitalisme était en plein développement, une terrible famine s’abat sur l’Irlande. Le mildiou6 et l’humidité du climat provoquent une chute de la production de pommes de terre de près de 40%. Les conséquences pour la population furent dramatiques.7 Même si les moyens de l’époque sont encore assez rudimentaires, il serait faux de considérer ce parasite comme seul responsable de ce qui fut une véritable catastrophe : contrairement à ce qui s’est passé pendant la famine de 1780, les ports irlandais restèrent ouverts sous la pression des négociants protestants et l’Irlande continua à exporter de la nourriture. Alors que dans des régions de l’île, des familles entières mourraient de faim, des convois de nourriture appartenant aux landlords, escortés par l’armée, partaient vers l’Angleterre. On peut aussi rappeler qu’à cette époque l’armée britannique possédait les plus grandes réserves alimentaires d’Europe. C’est ainsi que l’Angleterre soutint son expansion capitaliste. La cruauté sans bornes du système capitaliste, dont les exemples foisonnent, amène notamment Engels à écrire en 18828 : "Dans les pays industriels les plus avancés, nous avons dompté les forces de la nature et les avons contraintes au service des hommes ; nous avons ainsi multiplié la production à l’infini si bien qu’actuellement, un enfant produit plus qu’autrefois cent adultes. Et quelle en est la conséquence ? Surtravail toujours croissant et misère de plus en plus grande des masses, avec, tous les dix ans, une grande débâcle."
(Dans le prochain article de cette série, nous aborderons le sujet à l'aune de la décadence du capitalisme).
Enkidu (20/10/2013)
1 100 000 personnes meurent de faim chaque jour dans le monde, un enfant de moins de 10 ans meurt toutes les 5 secondes, 842 millions de personnes souffrent de malnutrition chronique aggravée, réduites à l’état d’invalides.
2 "Global Food, waste not, want not"
3 Global food report, traduit par nous
4 La bourgeoisie est seulement intéressée à suffisamment nourrir les ouvriers pour qu’ils aient la force d’aller au travail.
5 On pourrait citer les travaux d’Olivier de Serres (1539-1619) pour structurer les pratiques agricoles.
6 Principal parasite de la pomme de terre
7 On estime à un million, le nombre total de victimes entre 1846 et 1851.
8 Dans La dialectique de la nature, imprimée la première fois en 1925 d’après des notes datant de 1882, éditions sociales P. 42
Coup sur coup, la France vient de s’engager dans deux expéditions guerrières sur le sol africain en 2013: au Mali depuis le 11 janvier et dernièrement en Centrafrique depuis le 7 décembre. La première, c’était au nom de la lutte contre le terrorisme pour stopper l’avancée des djihadistes dans le Sahel ; la seconde sous prétexte humanitaire, afin de protéger les populations et de mettre fin au chaos et aux massacres perpétrés par les fractions rivales qui sévissent dans le pays depuis le coup d’État de mars dernier. Tous ces alibis ne sont qu’un tissu de gros mensonges !
D’abord, quelle est la réalité sur le terrain ? “Si la France n’était pas intervenue, si nos soldats n’avaient pas commencé à séparer les belligérants et à désarmer les bandes, les massacres, les carnages, en ce moment même, continueraient”, a déclaré François Hollande. Quelle hypocrisie ! Quel cynisme ! Le président a même eu le culot d’ajouter devant les cercueils des premiers soldats français, deux jeunes paras tués lors d’un “accrochage” près de l’aéroport de Bangui, face aux familles des victimes: “En cinq jours, ils (y) sont parvenus au-delà même de ce que nous pouvions espérer” ! Même si François Hollande plastronne dans son costume de chef de guerre que “l’honneur de la France était de s’engager sans la moindre hésitation” pour soi-disant “mettre fin à des crimes contre l’humanité”, ce nouveau déploiement militaire de l’impérialisme français n’a nullement mis un terme au chaos, aux massacres et aux atrocités de part et d’autre. En fait, depuis le lancement de “l’opération Sangaris” et l’arrivée des nouvelles forces françaises dans le pays, portant ses effectifs à 1600 hommes, avec l’aval d’une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu, les combats et violences entre milices chrétiennes et ex-rebelles musulmans, au pouvoir depuis le mois de mars, non seulement perdurent mais se sont intensifiés en Centrafrique. Depuis lors, ils ont fait plus de 600 morts et provoqué le déplacement de 159 000 personnes supplémentaires (soit 710 000 au total). Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a lui-même dû admettre que, depuis l’arrivée des nouvelles troupes d’intervention, “la spirale de l’affrontement s’est brutalement aggravée, ajoutant à la crise sécuritaire les prémices d’une crise humanitaire.” Fuyant les violences à Bangui, environ 45 000 personnes s’entassent près de l’aéroport dans des conditions d’hygiène dramatiques.
Mais, au-delà de ces faits, il s’agit de masquer que l’État français est directement responsable du déchaînement de la barbarie et n’a cessé de l’attiser pour assurer la sordide défense de ses propres intérêts impérialistes.
Elles s’inscrivent tout d’abord dans une politique de froid calcul visant à préserver les bases et les positions géostratégiques menacées de la France sur le sol africain. Le nouveau Livre blanc français sur la défense, sorti en mai dernier, avait déjà montré un revirement dans la “politique africaine” de l’État français: plus question de fermer les bases militaires tricolores en Afrique ! Mais on y rappelait que “les accords passés avec certains pays africains offrent à nos forces armées des facilités d’anticipation et de réaction à travers plusieurs implantations.” Le processus de désengagement, entamé sous le gouvernement de M. Lionel Jospin (au niveau des effectifs), puis élargi lors de la présidence Sarkozy (révision des accords de défense, fermeture de certaines bases en Afrique) a été de fait suspendu sous la présidence Hollande, au nom des nouvelles menaces “terroristes” dans le Sahel.
Par ailleurs, dans le rapport Pour une approche globale au Sahel, sorti en juillet 2013, l’ancien ministre socialiste de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, et l’ex-président du Sénat, Gérard Larcher (UMP), recommandaient de concert de “ne pas réduire notre présence militaire en Afrique”, et “ne pas rétrécir aveuglément notre dispositif militaire, ni notre coopération structurelle”, mais de “profiter du nouveau contexte créé par l’opération Serval au Mali pour déplacer, en accord avec les États concernés, vers le Nord et l’Ouest le centre de gravité de nos implantations militaires en Afrique, renforcer notre stratégie d’accès et nous appuyer sur des échelons “légers” autour des zones de crise.” Ce rapport proposait parallèlement la consolidation de deux pôles autour de Dakar pour l’Afrique de l’Ouest, et, sur le même format, à Libreville, pour les États de l’Afrique centrale. Un autre volumineux rapport d’un groupe de travail présidé par un autre tandem de sénateurs Lorgeoux (de droite)-Bockel (de gauche), L’Afrique est notre avenir, présenté le 30 octobre dernier, élargit encore cette stratégie d’encerclement du continent par les bases de la Réunion au Sud et de Djibouti à l’Est. Mais les rapporteurs demandent aussi et surtout le maintien des points d’appui existants en Afrique, dessinant en creux une carte des intérêts français en Afrique: les trois bases de la côte occidentale encadrent la zone de l’Afrique francophone et le Golfe de Guinée, haut lieu de piraterie maritime, par lequel transite la majorité des approvisionnements en hydrocarbures et minerais africains ; tandis que les troupes à Djibouti, aux Émirats arabes unis et à la Réunion sont des moyens de contrôle des routes maritimes et pétrolières qui longent l’Est de l’Afrique en provenance des pays du Golfe et de l’Asie.
Et si le gendarme français retrouve le chemin de Bangui comme maintes fois depuis l’indépendance de ce pays en 1960 pour y rétablir son ordre néo-colonial, ce n’est nullement pour “permettre une amélioration de la situation humanitaire” ou à cause des “exactions extraordinaires” qui s’y déroulent. Car cela fait bientôt un an que les autorités françaises ferment les yeux sur les “actes abominables” se déroulant en Centrafrique et le silence était de mise jusqu’aujourd’hui à tous les étages du pouvoir français, grands médias compris. Le général François Bozizé (arrivé au pouvoir en 2003 par un coup d’Etat téléguidé par Paris) a été renversé fin mars 2013 par une coalition de groupes armés (la “Séléka”) soutenue en sous main par la France. En réalité, l’impérialisme français s’est servi de ces bandes armées pour se débarrasser de l’ancien “dictateur” qui échappait à son contrôle. La vraie raison du “lâchage” de l’ex-président Bozizé est la “trahison” de son maître français en allant “coucher” avec l’Afrique du Sud, rivale déclarée de la France derrière laquelle se cache à peine la Chine, l’autre redoutable concurrent en train de s’emparer des ressources pétrolières de ce pays. Pourtant, en fonction des “accords de défense” existant entre les deux pays (permettant, entre autres, la présence militaire française permanente en Centrafrique), Hollande aurait dû soutenir Bozizé qui avait fait appel à lui. Au lieu de cela, le président français a décidé de “punir” son “ex-ami dictateur” par tous les moyens y compris en facilitant l’avancée des bandes sanguinaires de la Seléka jusqu’au palais présidentiel entouré par ailleurs de centaines de militaires français.
Mais l’impuissance du nouveau dirigeant du pays, Michel Djotodia, à asseoir son autorité sur ses anciennes “bandes rebelles” de la Séléka, coalition hétérogène où domine un ramassis de mercenaires, brigands, pillards et tueurs, a poussé la France à intervenir directement et militairement. En l’absence d’un commandement unifié, les exactions contre les populations civiles se sont multipliées. “Les bandes armées se livrent à des razzias et des massacres. Des villages sont brûlés, pillés. Les habitants sont tués ou sont en fuite dans la brousse”, constatait l’organisation Human Rights Watch. Et il est pour l’instant impossible de connaître le nombre de morts qu’a engendrés ce conflit. Le département d’Etat américain évoque même une situation “prégénocidaire”. Les membres de la Séléka sont essentiellement des musulmans, pratiquants ou non, alors que la population centrafricaine est composée à 80 % de chrétiens. Le conflit a cristallisé les sentiments d’appartenance religieux et, après les pillages de la Séléka, des groupes d’autodéfense chrétiens – les “antibalaka” (anti-machette en sango) qui avaient déjà été formés ponctuellement par l’ancien dirigeant Bozizé, se sont regroupés et s’en sont pris aux populations musulmanes, assimilées aux anciens rebelles. Elles sont accusées d’avoir profité de l’arrivée des troupes françaises pour se livrer à des représailles sanglantes. Dès lors, les clivages religieux ont alimenté un cycle de ripostes. “On assiste à des représailles ciblées à la fois contre des villages chrétiens et musulmans, et les civils en sont les premières victimes”, analyse un responsable de Human Rights Watch. Même s’il existait des conflits traditionnels, d’ordre tant économique que religieux, entre éleveurs nomades musulmans et paysans sédentaires chrétiens, cette situation est inédite dans un pays où les populations vivaient mélangées dans les mêmes quartiers et les mêmes villages.
Ainsi, la France en voulant jouer les apprentis-sorciers est le premier responsable des massacres et de la barbarie avec la complicité active du gouvernement tchadien d’Idriss Déby ([1]). Elle trouvait un intérêt direct à mettre le pays à feu et à sang et elle est maintenant en train de s’enliser dans un bourbier où elle est contrainte de recourir à une militarisation encore plus large de la région en entraînant d’autres puissances et d’autres États dans un conflit de plus en plus incontrôlable. C’est le sens qu’il faut donner au projet de doubler les effectifs de la force interafricaine d’interposition mandatée par l’Onu pour atteindre 6000 hommes sur place et à sa sollicitation pour l’envoi de renforts de troupes au sein de l’Union Européenne. De plus, l’Elysée a prévu de demander à Bruxelles la création d’un “fonds de soutien pour les actions européennes”, afin de partager le lourd fardeau du financement des opérations militaires par les autres pays de l’UE.
L’opération Sangaris, censée rétablir la sécurité dans le pays et protéger les populations en désarmant milices et groupes armés avait été prévue pour six mois mais le président Hollande a déjà indiqué que “les troupes françaises resteraient en fait jusqu’à ce que les troupes africaines, puissent assurer elles-mêmes le maintien de l’ordre”. On sait ce que cela signifie : près d’un an après le début de l’opération Serval prétendue de courte durée, 2800 soldats français (sur les 4500 envoyés) sont encore au Mali où le quotidien continue à être régulièrement ponctué par des attentats, prises d’otages et assassinats.
En clair, l’État français n’a que faire du sort et des souffrances infligées aux populations centrafricaines, maliennes et autres. Il s’agit pour lui, simplement de défendre par tous les moyens les intérêts du capital national dans un des bastions de sa zone de domination impérialiste, le Sahel, région hautement stratégique et bourrée de matières premières, face aux autres requins impérialistes qui lui disputent son influence. Et il n’hésitera jamais à entraîner le continent africain dans de nouvelles horreurs pour cela.
Wim, 18 décembre
[1]) Le millier de militaires tchadiens déployé en République centrafricaine (RCA) dans le cadre de la force panafricaine fait preuve d’une certaine collusion sur le terrain avec les ex-Séléka, parmi lesquels se trouvent nombre de combattants du Tchad ou dont les parents en sont originaires. Avant l’indépendance, les deux pays n’en faisaient qu’un: l’Oubangui-Chari et la frontière de plus de 1000 km qui les séparent désormais reste à bien des égards artificielle. Il y a d’ailleurs 30 000 ressortissants tchadiens installés en Centrafrique et les Tchadiens, considérés comme les complices voire les promoteurs d’un pouvoir honni par a population majoritairement chrétienne, font figure de premières cibles pour tous ceux qui entendent régler leur compte.
Nous publions ci-dessous la traduction de l’article réalisé par Welt Revolution, organe de presse du CCI en Allemagne, sur les dernières élections qui ont eu lieu dans ce pays.
Au lendemain des élections du 22 septembre 2013 en Allemagne, la chancelière de la République Fédérale, Angela Merkel, également tête de file des démocrates-chrétiens, est actuellement en train de négocier la formation d’une “grande coalition” avec les sociaux-démocrates. Le nouveau gouvernement sera le troisième à être dirigé par A. Merkel. Le premier était également une grande coalition avec le deuxième plus grand parti du Parlement, le SPD. Le second gouvernement était une coalition avec le petit parti libéral FDP. Une des conséquences des récentes élections est qu’A. Merkel a perdu son partenaire de coalition. Pour la première fois depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne, suite à la Seconde Guerre mondiale, les libéraux n’ont pas réussi à entrer au parlement. Au moment où nous écrivons cet article, la formation d’une coalition des démocrates-chrétiens avec le SPD semble la plus probable. La course aux tractations entre les deux partis indique déjà que, bien que les démocrates-chrétiens aient un plus grand nombre de sièges au parlement, la nouvelle coalition avec le SPD, si elle devient réalité, sera “écrite de la main des sociaux-démocrates” comme les médias l’ont déjà déclaré. En d’autres termes, le programme du nouveau gouvernement n’attaquera pas tout de suite et frontalement la classe ouvrière, même si ces attaques se produiront forcément plus tard.
Le résultat le plus remarquable de ces élections est de loin le fait que la chancelière et son parti, qui ont déjà dirigé le pays pendant deux mandats, vont pouvoir célébrer un tel triomphe électoral. Dans un pays qui, depuis la guerre, a toujours été dirigé par des gouvernements de coalition, A. Merkel a été près de gagner la majorité absolue – un exploit en Allemagne. C’est d’autant plus remarquable que, dans la plupart des autres pays d’Europe, la situation économique est plus grave, et le besoin d’attaquer la classe ouvrière si important, que n’importe quel gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, a tendance à devenir rapidement impopulaire, à perdre toute crédibilité et en conséquence à être renvoyé dans l’opposition lors des élections suivantes. C’est en fin de compte la soupape de sécurité qu’utilise actuellement la démocratie capitaliste en Europe : la colère de la population est canalisée et neutralisée dans un vote de protestation qui, pour la classe politique, a pour conséquence que l’équipe d’un gouvernement donné a peu de chances de durer dans le temps.
Un exemple édifiant de cet état de fait est donné par la France, où l’aile gauche du gouvernement de F. Hollande n’est plus célébrée par les médias comme un nouvel espoir pour la population ouvrière de l’Europe dans son ensemble, et a souffert après seulement un an de pouvoir de la perte de sympathie des électeurs. En Allemagne, nous voyons un développement contraire, du moins pour le moment. La question est : comment cela peut-il s’expliquer ?
Le secret sans doute le plus important de la force acquise lors des dernières élections par A. Merkel repose dans le fait qu’il n’était pas nécessaire, à ce moment-là, sous sa direction, d’attaquer massivement la population. Une des raisons qui expliquent cela est que son prédécesseur, le chancelier Gerhard Schröder, et sa coalition de gauche du SPD avec les Verts, avait déjà porté des attaques avec un tel succès qu’A. Merkel en tire toujours les bénéfices. L’“agenda 2010”, instauré par G. Schröder au début du nouveau siècle, a été un énorme succès du point de vue du capital. Il a réussi à réduire la masse salariale du pays d’une manière si radicale que ses principaux rivaux en Europe, notamment la France, ont protesté publiquement contre “les coupes salariales” du pouvoir économique dirigeant. Il a aussi réussi à renforcer la flexibilité de la force de travail, en particulier grâce à un développement accru de l’“emploi précaire”, pas seulement dans les secteurs traditionnellement mal payés mais aussi au cœur de l’industrie.
Troisièmement (et ce n’était pas la moindre des réalisations de G. Schröder), tout cela a été mené à travers une attaque brutale mais non généralisée ; en d’autres termes, au lieu d’attaquer le prolétariat comme un tout, les mesures ont été adoptées pour créer de profondes divisions dans la classe ouvrière, entre les ouvriers actifs et les chômeurs, entre les ouvriers ayant un CDI et les autres. Dans les grandes usines, un véritable système de division a été mis en place, entre les employés embauchés définitivement et les intérimaires qui faisaient le même travail pour seulement la moitié ou un tiers de salaire et qui, parfois, n’avaient même pas accès au restaurant d’entreprise. En conséquence, alors que dans beaucoup d’autres pays européens de telles attaques massives ont dû être menées sans qu’il y ait eu anticipation, suite au souffle de l’explosion de la crise financière en 2008, A. Merkel était dans une position confortable : ces mesures drastiques avaient déjà été prises en Allemagne et donnaient leurs fruits au capital.
Une autre spécificité à ce niveau est que les attaques en Allemagne n’ont pas été tramées par un de ces décriés “groupes d’experts” néolibéraux, mais en premier et essentiellement, par les syndicats. L’“agenda 2010” a été mis au point par une commission dirigée par Peter Hartz, un ami de G. Schröder, sur la question de Volkswagen, avec la participation directe du conseil d’usine des syndicats de Volkswagen et d’IG Metall, le syndicat des ouvriers de la métallurgie, le syndicat le plus puissant en Europe, qui (comme beaucoup d’employés l’ont déclaré publiquement), comprend mieux les intérêts d’une bonne direction que les dirigeants eux-mêmes. Il ne fait pas de doute que, aujourd’hui, la majorité de la bourgeoisie allemande, y compris les fédérations d’employeurs, est amère de voir que les sociaux-démocrates (et les syndicats avec eux) rejoignent A. Merkel dans un gouvernement de coalition. Et il ne fait pas de doute que A. Merkel, après avoir perdu son partenaire de coalition libéral, va de plus en plus prendre ses distances avec l’idéologie néolibérale et entonner des louanges sur “le bon vieux modèle de l’économie sociale de marché” allégée (dans lequel les syndicats participent directement à la marche du pays) et même commencer à faire la promotion de l’application de ce modèle au reste de l’Europe.
Une autre raison de cette “histoire de succès” d’Angela Merkel réside dans la force de compétitivité de l’économie allemande. Si l’avantage au niveau de la compétition était basé seulement sur les coupes salariales décrites plus haut, cet avantage se dissoudrait inexorablement face aux attaques brutales qui ont eu lieu ces dernières années en Europe. En réalité, la supériorité de l’Allemagne au niveau compétitif a une assise plus large dans la structure même de l’économie du pays. Il y a un danger, pour les marxistes, confrontés au mode de fonctionnement abstrait du capital, à se focaliser sur ce caractère abstrait et ainsi de tomber dans l’illusion que la relative force ou faiblesse du capital national dépende uniquement des critères abstraits tels que la composition organique du capital ou le taux d’endettement en relation avec les PNB, etc. Cela conduit à une vision purement schématique de l’économie capitaliste, dans laquelle les facteurs politiques, historiques, culturels, géographiques, militaires et autres sont perdus de vue. Par exemple, si on regarde le taux de croissance du niveau des dettes aux Etats-Unis et qu’on le compare à celui de la Chine, on peut seulement conclure que l’Amérique a déjà perdu la course contre les concurrents asiatiques et devrait arrêter d’évoquer le statut de “tiers-monde”. Mais n’oublions pas que les États-Unis sont encore un paradis capitaliste pour les “nouvelles entreprises” innovantes, que ce n’est pas une coïncidence si le centre des nouveaux médias se trouve aux Etats-Unis et que la politique culturelle stalinienne a conduit un pays comme la Chine à éviter d’imiter son rival.
Dans sa polémique avec le révisionniste E. Bernstein, Rosa Luxemburg (dans son livre Réforme ou révolution), explique que les “lois” découvertes par Karl Marx au sujet du développement de la composition organique du capital et de sa centralisation n’impliquent pas nécessairement la disparition des petites et moyennes entreprises. Au contraire, explique-t-elle, de telles petites entreprises demeurent nécessairement le cœur de l’innovation d’une technique qui est le portail d’un système économique basé sur la compétition et l’obligation d’accumuler. L’Allemagne n’est pas un paradis pour la création de nouvelles entreprises, comme les Etats-Unis (de plus, le poids écrasant de ses traditions bureaucratiques l’en empêche). Mais l’Allemagne demeure, à ce jour, la mecque du monde des moteurs et de l’industrie de la construction de machines. Cette force est souvent basée sur des empires familiaux hautement spécialisés, qui se transmettent leur savoir-faire de génération en génération et avec une main-d’œuvre hautement qualifiée formée uniquement par un système d’apprentissage et des traditions qui remontent au Moyen-Âge. Au cours des vingt dernières années, par une opération coordonnée entre les fédérations d’employeurs, le gouvernement, les banques et les syndicats, ces petites et moyennes entreprises de construction de machines ont été transformées en affaires d’envergure mondiale, sans nécessairement s’agrandir. Mais leur base de travail demeure l’Allemagne. Ici également, l’intervention des syndicats est évidente : là où un chef d’entreprise aura tendance à ne pas se demander si le profit vient d’Allemagne ou de l’étranger (du moment qu’il y a du profit), la pensée syndicale est viscéralement nationaliste, dans la mesure où leur fonction primordiale est de contrôler la force ouvrière en Allemagne même, pour les intérêts du capital et ceci peut être mieux fait si l’industrie et le travail restent “à la maison”. Le syndicat directement concerné des ouvriers métallurgistes, IG Metall, est un défenseur acharné de la production nationale (le “Standort Deutschland”).
Tout ceci aide à comprendre pourquoi l’Allemagne, jusqu’à ce jour, a été meilleure que la plupart de ses rivaux pour résister aux terribles ravages de la crise économique mondiale depuis 2008. Mais aucun de ces avantages ne l’aurait fait avancer, si la structure de l’économie capitaliste n’avait pas radicalement changé depuis la terrible dépression qui a commencé en 1929 et a conduit à la Seconde Guerre mondiale. A cette époque, l’Allemagne et les États-Unis ont été les premiers touchés et les plus gravement affectés. Ce n’est pas un hasard. Les crises du capitalisme décadent ne sont plus des crises d’expansion, elles sont des crises du système en tant que tel, se développant dans son cœur et affectant le centre directement. Mais, à l’opposé de 1929, la bourgeoisie aujourd’hui n’est pas seulement plus expérimentée, elle a de plus un appareil d’Etat capitaliste gigantesque à sa disposition, qui, s’il ne peut pas empêcher la crise économique, peut néanmoins dévier le cours naturel de la crise. C’est la raison principale pour laquelle, depuis la réapparition de la crise ouverte du capitalisme décadent à la fin des années 60, les Etats les plus forts économiquement ont été les plus capables de résister à la crise. Rien de tout cela ne peut empêcher la crise, non seulement de venir toujours au plus près des centres historiques du capitalisme, mais aussi de les affecter d’une manière toujours plus sérieuse. Mais cela n’entraîne pas nécessairement qu’il aura un effondrement économique partiel dans le futur proche comme en Allemagne ou aux États-Unis après 1929. De toute façon, la gestion internationale et européenne de la “crise de l’euro” dans les dernières années démontre clairement que les mécanismes de l’Etat capitaliste consistant à répercuter les effets de la crise sur les rivaux plus faibles fonctionnent toujours.
La crise de la propriété et de la finance qui a commencé en 2007-2008, ainsi que la crise de confiance dans la monnaie européenne commune qui a suivi, ont directement menacé la stabilité des banques allemandes et françaises et le secteur financier. Le résultat principal des différentes opérations européennes de sauvetage, tout l’argent si généreusement prêté à la Grèce, à l’Irlande, au Portugal, etc., a servi d’étayage des intérêts de la France et de l’Allemagne aux dépens des rivaux plus faibles et avec la conséquence supplémentaire que les ouvriers de ces pays ont dû supporter le plus fort des attaques. Et comme les raisons que nous avons données au commencement de cet article pour expliquer que le succès électoral de A. Merkel n’était pas de son propre fait, concernant cette question, A. Merkel et son ministre des finances W. Schaüble ont certainement défendu bec et ongles les intérêts de l’Allemagne, à tel point que les partenaires européens ont été souvent conduits au bord de l’exaspération. Et là il est clair que derrière le vote qui a plébiscité A. Merkel, il existe un élan nationaliste qui est très mauvais pour la classe ouvrière.
Il y a beaucoup de raisons objectives qui permettent de comprendre le triomphe électoral de A. Merkel : la résistance assez efficace de l’Allemagne, jusqu’à ce jour, à la profondeur de la crise historique et le succès relatif récent de A. Merkel dans la défense des intérêts allemands en Europe. Mais la raison la plus importante de son succès réside dans le fait que l’ensemble de la bourgeoisie allemande voulait ce succès et a tout fait pour y arriver. Les raisons de ce choix ne se trouvent pas en Allemagne elle-même, mais dans la situation mondiale comme un tout, qui est en train de devenir de plus en plus menaçante. Au niveau économique, la crise en Europe, et la confiance fluctuante dans l’euro sont loin d’avoir atteint le fond : le pire reste à venir. C’est pourquoi, la campagne autour de “maman Merkel”, la “mère sage et attentive” en charge de l’Etat allemand est maintenant si importante. Selon une école de pensée populaire dans le milieu économique bourgeois, “la théorie”, l’économie est à un haut degré une question de psychologie. Ils disent “économie” et cela signifie “capitalisme”. Ils disent “psychologie” et cela veut dire “religion” ou, devrions-nous dire, “superstition” ? Dans le volume I du Capital, K. Marx explique que le capitalisme est basé, “à un haut degré”, sur la croyance dans le pouvoir magique de personnes et objets (marchandises, argent) investis d’un pouvoir purement imaginaire. Aujourd’hui, la confiance des marchés internationaux dans l’euro est principalement basée sur la conviction que l’investissement allemand est une garantie de sérieux. “Maman Merkel” est devenue un fétiche pour le monde entier.
Le problème de la monnaie européenne commune n’est pas périphérique mais absolument central, à la fois économiquement et politiquement. Dans le capitalisme, la confiance entre les acteurs, sans laquelle un minimum de stabilité sociale n’est pas possible, n’est plus basée sur une confiance entre êtres humains, mais prend la forme abstraite de la confiance dans l’argent, dans l’unité monétaire courante. La bourgeoisie allemande sait, à partir de sa propre expérience de l’hyperinflation en 1923, que l’effondrement de la monnaie constitue la base des explosions d’instabilité et de débordement incontrôlables.
Mais il y a aussi une dimension politique. En effet, le gouvernement de Berlin est très inquiet du développement à long terme du mécontentement social en Europe, et au sujet de la situation présente en France. Berlin s’alarme de l’incapacité de la bourgeoisie de l’autre côté du Rhin à venir à bout des problèmes économiques et politiques. Et Berlin se désole des perspectives d’agitation sociale dans ce pays, alors que la classe ouvrière allemande, pendant les dix dernières années, a développé une admiration particulière pour le prolétariat français et tend à le prendre pour modèle. C’est avec une pleine conscience de ses responsabilités internationales qu’aujourd’hui, suite aux résultats des dernières élections, la bourgeoisie allemande a choisi un gouvernement consistant qui symbolise la force, la stabilité, la continuité, et avec lequel elle espère affronter les orages à venir.
Welt Revolution, 4 novembre
Le flot de bonnets rouges qui a couvert les rues bretonnes à plusieurs reprises cet automne exprime bel et bien la réalité de la crise économique tout en remuant les fonds troubles de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise.
La situation économique de la Bretagne ne laisse pas indifférents ceux qui en subissent les conséquences : il est naturel que les fermetures d’usines, le chômage, les baisses de revenus dans tous les secteurs conduisent à l’exaspération et à la colère. Cependant, toutes les exaspérations et toutes les colères n’ont pas la même signification, les mêmes enjeux, les mêmes perspectives et les mêmes résultats.
Le relatif succès de ces manifestations résulte à la fois d’une préparation active de la bourgeoisie locale et d’un matraquage médiatique conséquent. Les petits patrons, les élus locaux et quelques grands patrons ont commencé dès le début de l’été à mettre en avant les difficultés de l’économie bretonne. Les difficultés des entreprises locales ont ainsi été relayées par la presse nationale qui a parfois décrit la situation de manière caricaturale et grotesque, présentant la Bretagne comme le dernier village gaulois “à ne pas être sorti de la crise.” Petit à petit, la contestation a gagné les syndicats qui, dans un élan d’unité régionale, ont rejoint le mouvement pour former une marée rouge “dépassant tous les clivages.”
L’unité n’allait évidemment pas de soi. Entre un grand patron de l’industrie agro-alimentaire, son ouvrier découpeur de poulet, son fournisseur, éleveur de volaille, et ses petits sous-traitants, on peine à voir ce qui peut les lier les uns aux autres, et encore plus ce qui peut les rassembler !
Le miracle de l’union est l’écotaxe. Voilà ce qui, selon la propagande, va “tuer l’économie bretonne” et unifie tous ceux qui, comme dans un jeu de dominos, vont en subir les conséquences d’un bout à l’autre de la chaîne. Finies les prétendues rivalités entre patronat et syndicats ! Finies les compétitions entre grosses boites et sous-traitants ! Et surtout, finis les antagonismes entre la classe ouvrière et la bourgeoisie ! Ainsi, cette “défense de la Bretagne” face à la “menace extérieure”, devenant une sorte de cause hexagonale, révèle sa nature réactionnaire. Le fait que cette idéologie des bonnets rouges puisse aussi bien fonctionner sur les secteurs les plus rétrogrades s’explique avant tout par l’état décomposé de la société capitaliste. Elle ne fait qu’alimenter une véritable idéologie nationaliste, un poison contre la conscience de la classe ouvrière.
Une question brûle en effet les lèvres : où est la classe ouvrière là-dedans ?
C’est la grande question récurrente posée, peu ou prou, dans la plupart des mouvements sociaux de ces dernières années : Printemps arabe, Indignés, Occupy, etc. La capacité de la classe ouvrière à retrouver son identité de classe et à affirmer, autour de ses intérêts propres, son rôle de seule force révolutionnaire en imposant sa perspective positive dans la société, c’est l’enjeu politique fondamental de la période actuelle.
Et justement, la fausse unité nationaliste ou régionaliste, réactionnaire et interclassiste des bonnets rouges est un clou empoisonné que tente d’enfoncer la bourgeoisie dans la tête des ouvriers pour saper les bases de mûrissement d’une prise de conscience en entraînant des prolétaires sur un chemin radicalement opposé à celui qu’ils doivent prendre. L’exploitation qui est faite par la bourgeoisie pèse nécessairement sur la réflexion ouvrière en accentuant les confusions existantes, instaurant un climat de peur et de perte de confiance momentanée en l’avenir. Dès lors, du fait que la classe ouvrière n’a pas encore la force d’affirmer son combat et du fait de son manque de perspective claire, les résistances immédiates et les réflexes de survie sont inspirés directement des expressions petite-bourgeoises qui alimentent les intérêts particuliers, et donc, plus globalement, ceux de la bourgeoisie.
Les petits paysans et artisans bretons souffrent de la crise à des degrés divers pouvant aller jusqu’à des situations extrêmes de pauvreté, d’endettement, de faillite. Evidemment ! L’écotaxe ne fait pas de bien aux comptes des PME bretonnes. Sans aucun doute ! Mais ce ne sont pas les petits paysans ni les petits patrons qui sont porteurs d’avenir dans cette société. Au contraire ! Ils constituent une force réactionnaire et donc historiquement conservatrice. Leurs intérêts sont intimement liés au capitalisme, même si celui-ci tend à les marginaliser de plus en plus. Pour la petite-bourgeoisie, sont salut passe par un utopique retour au pré-capitalisme, pas par son dépassement par la société communiste.
La classe ouvrière n’a en revanche rien à conserver dans le capitalisme et rien à perdre à son renversement. Elle a tout à gagner. Elle est la seule classe dans cette position et si elle parvient à porter ses intérêts propres sur le devant de la scène, la question du véritable dépassement du capitalisme pourra être concrètement posée.
Cela, la bourgeoisie le sait parfaitement. De même qu’elle sait parfaitement que la crise et les mesures que celle-ci la pousse à prendre toujours plus, toujours plus fort, toujours plus souvent, sont des catalyseurs de la colère ouvrière et de sa réflexion quant à la capacité du système en place à répondre à ses intérêts propres.
Pour la bourgeoisie, la tâche du moment est donc d’empêcher cette dynamique de prise de conscience alors même que ses attaques s’intensifient et créent ainsi un terrain favorable au développement des luttes. Alors elle sort le grand arsenal, l’arme ultime du nationalisme et de sa variante la plus ridicule : le régionalisme.
L’occupation du terrain idéologique est un enjeu central pour la classe dominante et c’est la raison pour laquelle, à côté du travail syndical de rabatteur des grandes masses ouvrières, il a fallu s’occuper aussi des quelques minorités ouvrières qui risquent de trouver la ficelle du bonnet rouge un peu trop grosse. En effet, les syndicats ne font pas l’unanimité dans les rangs prolétariens. En plus de leur sabotage en règle des luttes, nombreux sont ceux qui voient combien leur politique dans les plans sociaux consiste souvent à “minimiser” vaguement leur impact plutôt que de les remettre en cause, même si le partage des tâches est effectif, quelques syndicats gardant toujours une ligne d’apparence plus “radicale.” Dans le cas des bonnets rouges, il y a en plus la possibilité qu’un nombre significatif d’ouvriers voient d’un mauvais œil la perspective d’arpenter le bitume main dans la main avec le patron qui les exploite.
C’est là que Mélenchon, nouvel héros du stalinisme, et la ribambelle des partis gauchistes entrent en jeu, reprenant à leur compte le rejet de la “collaboration de classe” pour le recycler dans une contre-manifestation ridicule qui trimballera les quelques “radicaux” jusqu’à un épuisement stérile. Sa position radicale se teintera intelligemment (pour la bourgeoisie) d’un soutien critique au gouvernement et finira par opposer en filigrane l’unité nationale à l’unité régionale. En matière de pourriture idéologique, on est dans ce qui se fait de mieux ! Bref, entre ce mouvement réactionnaire “breton” et celui de Mélenchon, entre l’enfermement dans la région et le nationalisme, c’est bonnets rouges et rouges bonnets !
D’ailleurs, le mouvement des bonnets rouges finira lui aussi par s’épuiser. Les actions “coup de poing” de démontage de portiques “écotaxe” sont typiques de ces manœuvres syndicales permettant de déverser la colère des ouvriers dans des actions parfaitement stériles. L’issue de cet exutoire est le découragement le plus total.
Ce mouvement local, fait de “bric et de broc”, hyper médiatisé, est un exemple de la pourriture idéologique que la bourgeoisie cherchera à nous vendre dans les mois et les années à venir. La crise n’est pas finie, les attaques non plus. Leur multiplication va conduire la bourgeoisie à user de tout son arsenal. Si on a vu autant de bonnets rouges à la télé et dans la presse, si le gouvernement a fait quelques concessions, c’est parce que demain, la bourgeoisie les utilisera comme modèle de mobilisation plutôt que de laisser la classe ouvrière se réapproprier ses armes politiques, ses propres expériences et sa propre histoire.
GD, 19 décembre
Avec les immondes campagnes anti-immigrés, le populisme sans bornes des politiciens et les mensonges ultra-formatés des experts de la télévision, une atmosphère nauséabonde semble envahir les rues et les esprits. Mais, comme l’illustre l’inénarrable “débat” sur le travail nocturne et dominical – débat comme seule la bourgeoisie sait les cultiver : “pile, je gagne ; face, tu perds” – cette ambiance oppressante de division est aussi en partie une mise en scène soigneusement orchestrée par la classe dominante.
Un beau matin d’octobre, nous dit-on, les tribunaux interdirent à plusieurs enseignes de la distribution d’ouvrir leurs portes le dimanche et la nuit. Comme si l’épée de Damoclès venait de s’abattre sur leur tiroir-caisse, les “entrepreneurs” lésés se levèrent comme un seul homme pour “défendre les emplois” et “braver la Justice”, aussitôt suivis par des salariés en colère de voir l’État “empêcher les honnêtes gens de travailler et de les appauvrir”. Puis, avec la spontanéité naïve de la victime, quelques centaines de ces “honnêtes travailleurs” créèrent un comité sur les réseaux sociaux et sortirent dans la rue, avec banderoles, t-shirts et casquettes, pour des manifestations relayées à qui mieux-mieux par la presse. Sur l’air de “La France d’en bas veut travailler !” ou de “Laissez les étudiants ramasser un peu de monnaie !”
Tout cela est très émouvant, mais c’est une grossière mise en scène destinée à faire passer le travail dominical pour une réforme désirée par la “vraie France”, la masse silencieuse et laborieuse. Non seulement les banderoles et autres t-shirts imprimés étaient financés par les patrons des “manifestants spontanés” en question qui avaient, pour l’occasion, l’autorisation exceptionnelle de distribuer des tracts aux clients, non seulement au moins l’une des deux uniques “manifestantes spontanées” interviewées par la presse était une militante de l’UMP, mais, pour faire bonne mesure, le fameux “comité spontané” existait déjà depuis décembre 2012. Et que dire du savoureux témoignage d’un des “manifestants spontanés” qui a révélé avoir suivi avec ses “spontanés camarades de lutte” une authentique “formation” ( !) financée par ses employeurs pour préparer la manifestation, sinon que décidément, la bourgeoisie cherche à manipuler activement la classe ouvrière en donnant une image mensongère de l’état de “l’opinion” ? Comme si, “spontanément” quelqu’un pouvait souhaiter sacrifier au travail et à la consommation le seul jour de la semaine où il est possible de rassembler sa famille et ses amis ou se promener dans la nature !
La vérité est que l’ouverture des magasins le dimanche et la nuit est déjà la norme dans bien des villes et que, loin de créer des emplois et de dynamiser l’économie, ces pratiques sont le résultat direct de la crise et de la concurrence acharnée que se livrent les enseignes pour tenter de prendre des parts de marché aux autres commerces !
El Generico, 24/10/2013
Nous publions ci-dessous la partie consacrée à la lutte de classe de la résolution sur la situation internationale adoptée lors du dernier congrès international du CCI. La première partie de cette résolution, qui a été publiée en français dans notre journal de septembre-octobre, montre comment l’impérialisme menace l’humanité de la plus effroyable des barbaries. Viennent ensuite le danger de destruction de l’environnement et les ravages de la crise économique. C’est dans ce contexte de faillite historique du capitalisme qu’est ensuite abordée la question de la lutte actuelle et à venir. En particulier, cette résolution souligne le lien entre le niveau des attaques de la bourgeoisie et les capacités de résistances du prolétariat : “Pour le mode de production capitaliste, la situation est sans issue. Ce sont ses propres lois qui l’ont conduit dans l’impasse où il se trouve et il ne pourrait sortir de cette impasse qu’en abolissant ces lois, c’est-à-dire en s’abolissant lui-même. […] La crise des “subprimes” de 2007, la grande panique financière de 2008 et la récession de 2009 ont marqué le franchissement d’une nouvelle étape très importante et significative de l’enfoncement du capitalisme dans sa crise irréversible. […] Cela ne veut pas dire cependant que nous allons revenir à une situation similaire à celle de 1929 et des années 1930. Il y a 70 ans, la bourgeoisie mondiale avait été prise complètement au dépourvu face à l’effondrement de son économie et les politiques qu’elle avait mises en œuvre, notamment le repliement sur soi de chaque pays, n’avaient réussi qu’à exacerber les conséquences de la crise. L’évolution de la situation économique depuis les quatre dernières décennies a fait la preuve que, même si elle était évidemment incapable d’empêcher le capitalisme de s’enfoncer toujours plus dans la crise, la classe dominante avait la capacité de ralentir le rythme de cet enfoncement […]. Il existe une autre raison pour laquelle nous n’allons pas revivre une situation similaire à celle des années 1930. A cette époque, l’onde de choc de la crise, partie de la première puissance économique du monde, les États-Unis, s’était propagée principalement vers la seconde puissance mondiale, l’Allemagne. C’est dans ces deux pays qu’on avait vu les conséquences les plus dramatiques de la crise, comme ce chômage de masse touchant plus de 30% de la population active, ces queues interminables devant les bureaux d’embauche ou les soupes populaires […]. A l’heure actuelle, […] les pays les plus développés de l’Europe du Nord, les États-Unis ou le Japon sont encore très loin d’une telle situation et il est plus qu’improbable qu’ils y parviennent un jour, d’une part, du fait de la plus grande résistance de leur économie nationale face à la crise, d’autre part, et surtout, du fait qu’aujourd’hui le prolétariat de ces pays, et particulièrement ceux d’Europe, n’est pas prêt à accepter un tel niveau d’attaques contre ses conditions d’existence. Ainsi, une des composantes majeures de l’évolution de la crise échappe au strict déterminisme économique et débouche sur le plan social, sur le rapport de forces entre les deux principales classes de la société, bourgeoisie et prolétariat.”
15. Alors que la classe dominante voudrait nous faire passer ses abcès purulents pour des grains de beauté, l’humanité commence à se réveiller d’un rêve devenu cauchemar et qui montre la faillite historique totale de sa société. Mais alors que l’intuition de la nécessité d’un ordre de choses différent gagne du terrain face à la brutale réalité d’un monde en décomposition, cette conscience vague ne signifie pas que le prolétariat est convaincu de la nécessité d’abolir ce monde, encore moins de celle de développer la perspective d’en construire un nouveau. Ainsi, l’aggravation inédite de la crise capitaliste dans le contexte de la décomposition est le cadre dans lequel s’exprime la lutte de classes actuellement, bien que d’une manière encore incertaine dans la mesure où cette lutte ne se développe pas sous la forme de confrontations ouvertes entre les deux classes. A ce sujet, nous devons souligner le cadre inédit des luttes actuelles puisqu’elles ont lieu dans le contexte d’une crise qui dure depuis presque 40 ans et dont les effets graduels dans le temps – en dehors des moments de convulsion –ont “habitué” le prolétariat à voir ses conditions de vie se dégrader lentement, pernicieusement, ce qui rend plus difficile de percevoir la gravité des attaques et de répondre en conséquence. Plus encore, c’est une crise dont le rythme rend difficile la compréhension de ce qui se trouve derrière de telles attaques rendues “naturelles” de par leur lenteur et leur échelonnement. C’est là un cadre très différent de celui de convulsions et de bouleversements évidents, immédiats, de l’ensemble de la vie sociale que l’on connaît dans une situation de guerre. Ainsi, il y a des différences entre le développement de la lutte de classe – au niveau des ripostes possibles, de leur ampleur, de leur profondeur, de leur extension et de leur contenu – dans un contexte de guerre qui rend le besoin de lutter dramatiquement urgent et vital (comme ce fut le cas lors de la Première Guerre mondiale au début du xxe siècle même s’il n’y eut pas immédiatement de réponse à la guerre) et dans un contexte de crise ayant un rythme lent.
Ainsi, le point de départ des luttes d’aujourd’hui est précisément l’absence d’identité de classe d’un prolétariat qui, depuis l’entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition, a connu de grandes difficultés non seulement pour développer sa perspective historique mais même pour se reconnaître comme une classe sociale. La prétendue “mort du communisme” qu’aurait sonné la chute du bloc de l’Est en 1989, déchaînant une campagne idéologique qui avait pour but de nier l’existence même du prolétariat, a porté un coup très dur à la conscience et à la combativité de la classe ouvrière. La violence de l’attaque de cette campagne a pesé sur le cours de ses luttes depuis lors. Mais malgré cela, comme nous le constations dès 2003, la tendance vers des affrontements de classe a été confirmée par le développement de divers mouvements dans lesquels la classe ouvrière a “démontré son existence” à une bourgeoisie qui avait voulu “l’enterrer vivante”. Ainsi, la classe ouvrière dans le monde entier n’a pas cessé de se battre, même si ses luttes n’ont pas atteint l’ampleur ni la profondeur espérées dans la situation critique où elle se trouve. Toutefois, penser la lutte de classes en partant de “ce qui devrait être”, comme si la situation actuelle “était tombée du ciel”, n’est pas permis aux révolutionnaires. Comprendre les difficultés et les potentialités de la lutte de classes a toujours été une tâche exigeant une démarche matérialiste et historique patiente afin de trouver un “sens” au chaos apparent, de comprendre ce qui est nouveau et difficile, ce qui est prometteur.
16. C’est dans ce contexte de crise, de décomposition et de fragilisation de l’état du prolétariat sur le plan subjectif que prennent leur sens les faiblesses, les insuffisances et les erreurs, tout comme les potentialités et les forces de sa lutte, en nous confirmant dans la conviction que la perspective communiste ne dérive pas de façon automatique ni mécanique de circonstances déterminées. Ainsi, pendant les deux années passées, nous avons assisté au développement de mouvements que nous avons caractérisés par la métaphore des 5 cours :
1. des mouvements sociaux de la jeunesse précaire, au chômage ou encore étudiante, qui commencent avec la lutte contre le CPE en France en 2006, se poursuivent par les révoltes de la jeunesse en Grèce en 2008 et qui culminent dans les mouvements des Indignés et d’Occupy en 2011 ;
2. des mouvements massifs mais très bien encadrés par la bourgeoisie qui avait préparé le terrain à l’avance, comme en France en 2007, en France et en Grande-Bretagne en 2010, en Grèce en 2010-2012, etc. ;
3. des mouvements subissant le poids de l’interclassisme comme en Tunisie et en Égypte en 2011 ;
4. des germes de grèves massives en Égypte en 2007, Vigo (Espagne) en 2006, Chine en 2009 ;
5. la poursuite de mouvements dans des usines ou des secteurs industriels localisés mais contenant des germes prometteurs comme Lindsay en 2009, Tekel en 2010, les électriciens en Grande-Bretagne en 2011.
Ces 5 cours appartiennent à la classe ouvrière parce que malgré leurs différences, ils expriment chacun à son niveau l’effort du prolétariat pour se retrouver lui-même malgré les difficultés et les obstacles que sème la bourgeoisie ; chacun à son niveau a porté une dynamique de recherche, de clarification, de préparation du terrain social. A différents niveaux, ils s’inscrivent dans la recherche “du mot qui nous emmènera jusqu’au socialisme” (comme l’écrit Rosa Luxemburg en parlant des conseils ouvriers) au moyen des assemblées générales. Les expressions les plus avancées de cette tendance ont été les mouvements des Indignés et d’Occupy – principalement en Espagne – parce que ce sont ceux qui ont le plus clairement posé les tensions, les contradictions et les potentialités de la lutte de classes aujourd’hui. Malgré la présence de couches en provenance de la petite bourgeoisie appauvrie, l’empreinte prolétarienne de ces mouvements s’est manifestée par la recherche de la solidarité, les assemblées, l’ébauche d’une culture du débat, la capacité d’éviter les pièges de la répression, les germes d’internationalisme, une sensibilité aiguë à l’égard des éléments subjectifs et culturels. Et c’est à travers cette dimension, celle de la préparation du terrain subjectif, que ces mouvements montrent toute leur importance pour le futur.
17. La bourgeoisie, pour sa part, a montré des signes d’inquiétude face à cette “résurrection” de son fossoyeur mondial réagissant aux horreurs qui lui sont imposées au quotidien pour maintenir en vie le système. Le capitalisme a donc amplifié son offensive en renforçant son encadrement syndical, en semant des illusions démocratiques et en allumant les feux d’artifice du nationalisme. Ce n’est pas un hasard si sa contre-offensive s’est centrée sur ces questions : l’aggravation de la crise et ses effets sur les conditions de vie du prolétariat provoquent une résistance que les syndicats tentent d’encadrer par des actions qui fragmentent l’unité des luttes et prolongent la perte de confiance du prolétariat en ses propres forces.
Comme le développement de la lutte de classe auquel nous assistons aujourd’hui se réalise dans un cadre de crise ouverte du capitalisme depuis près de 40 ans – ce qui est dans une certaine mesure une situation sans précédent par rapport aux expériences passées du mouvement ouvrier, la bourgeoisie tente d’empêcher le prolétariat de prendre conscience du caractère mondial et historique de la crise en en cachant la nature. Ainsi, l’idée de solutions “nationales” et la montée des discours nationalistes empêchent la compréhension du véritable caractère de la crise, indispensable pour que la lutte du prolétariat prenne une direction radicale. Puisque le prolétariat ne se reconnaît pas lui-même comme classe, sa résistance tend à démarrer comme une expression générale d’indignation contre ce qui a lieu dans l’ensemble de la société. Cette absence d’identité de classe et donc de perspective de classe permet à la bourgeoisie de développer des mystifications sur la “citoyenneté” et les luttes pour une “vraie démocratie”. Et il y a d’autres sources à cette perte d’identité de classe qui prennent racine dans la structure même de la société capitaliste et dans la forme que prend actuellement l’aggravation de la crise. La décomposition, qui entraîne une aggravation brutale des conditions minimales de survie humaine, s’accompagne d’une insidieuse dévastation du terrain personnel, mental et social. Cela se traduit par une “crise de confiance” de l’humanité. De plus, l’aggravation de la crise, à travers l’extension du chômage et de la précarité, vient affaiblir la socialisation de la jeunesse et faciliter la fuite vers un monde d’abstraction et d’atomisation.
18. Ainsi, les mouvements de ces deux dernières années, et en particulier les “mouvements sociaux”, sont marqués par de multiples contradictions. En particulier, la rareté des revendications spécifiques ne correspond apparemment pas à la trajectoire “classique” qui va du particulier au général que nous attendions de la lutte de classe. Mais nous devons aussi prendre en compte les aspects positifs de cette démarche générale qui dérive du fait que les effets de la décomposition se ressentent sur un plan général et à partir de la nature universelle des attaques économiques menées par la classe dirigeante. Aujourd’hui, le chemin qu’a pris le prolétariat a son point de départ dans “le général”, ce qui tend à poser la question de la politisation d’une façon bien plus directe. Confrontée à l’évidente faillite du système et aux effets délétères de sa décomposition, la masse exploitée se révolte et ne pourra aller de l’avant que quand elle comprendra ces problèmes comme des produits de la décadence du système et de la nécessité de le dépasser. C’est à ce niveau que prennent toute leur importance les méthodes de lutte proprement prolétariennes que nous voyons (assemblées générales, débats fraternels et ouverts, solidarité, développement d’une perspective de plus en plus politique) car ce sont ces méthodes qui permettent de mener une réflexion critique et d’arriver à la conclusion que le prolétariat peut non seulement détruire le capitalisme mais construire un monde nouveau. Un moment déterminant de ce processus sera l’entrée en lutte des lieux de travail et leur conjonction avec les mobilisations plus générales, une perspective qui commence à se développer malgré les difficultés que nous devrons affronter dans les années qui viennent. C’est là le contenu de la perspective de la convergence des “cinq cours” dont nous parlions plus haut en cet “océan de phénomènes”, comme Rosa Luxemburg décrit la grève de masse.
19. Pour comprendre cette perspective de convergence, le rapport entre l’identité de classe et la conscience de classe est d’une importance capitale et une question se pose : la conscience peut-elle se développer sans identité de classe ou cette dernière surgira-t-elle du développement de la conscience ? Le développement de la conscience et d’une perspective historique est à juste raison associé à la récupération de l’identité de classe mais nous ne pouvons pas envisager ce processus se développant petit à petit selon une séquence rigide : d’abord forger son identité, ensuite lutter, ensuite développer sa conscience et développer une perspective, ou n’importe quel autre ordonnancement de ces éléments. La classe ouvrière n’apparaît pas aujourd’hui comme un pôle d’opposition de plus en plus massif ; aussi le développement d’une posture critique par un prolétariat qui ne se reconnaît pas encore lui-même est le plus probable. La situation est complexe, mais il y a plus de chances que nous voyions une réponse en forme de questionnement général, potentiellement positif en termes politiques, partant non d’une identité de classe distincte et tranchante mais à partir de mouvements tendant à trouver leur perspective propre au travers de leur propre lutte. Comme nous le disions en 2009, “Pour que la conscience de la possibilité de la révolution communiste puisse gagner un terrain significatif au sein de la classe ouvrière, il est nécessaire que celle-ci puisse prendre confiance en ses propres forces et cela passe par le développement de ses luttes massives” (Résolution sur la situation internationale, point 11, 18e Congrès du CCI). La formulation “développer ses luttes pour retrouver confiance en soi et en sa perspective” est tout à fait adéquate car elle veut dire reconnaître un “soi” et une perspective, mais le développement de ces éléments ne peut dériver que des luttes elles-mêmes. Le prolétariat ne “crée” pas sa conscience, mais “prend” conscience de ce qu’il est réellement.
Dans ce processus, le débat est la clef pour critiquer les insuffisances des points de vue partiels, pour démonter les pièges, rejeter la chasse à des boucs-émissaires, comprendre la nature de la crise, etc. A ce niveau, les tendances au débat ouvert et fraternel de ces dernières années sont très prometteuses pour ce processus de politisation que la classe devra faire avancer. Transformer le monde en nous transformant nous-mêmes commence à prendre corps dans l’évolution des initiatives de débats et dans le développement de préoccupations qui se basent sur la critique des puissantes chaînes qui paralysent le prolétariat. Le processus de politisation et de radicalisation a besoin du débat pour critiquer l’ordre actuel et apporter une explication historique aux problèmes. A ce niveau reste valable que “La responsabilité des organisations révolutionnaires, et du CCI en particulier, est d’être partie prenante de la réflexion qui se mène d’ores et déjà au sein de la classe, non seulement en intervenant activement dans les luttes qu’elle commence à développer mais également en stimulant la démarche des groupes et éléments qui se proposent de rejoindre son combat” (Résolution sur la situation internationale du 17e Congrès du CCI, 2007). Nous devons être fermement convaincus que la responsabilité des révolutionnaires dans la phase qui s’ouvre est de contribuer, catalyser le développement naissant de la conscience qui s’exprime dans les doutes et les critiques qui commencent déjà à se poser dans le prolétariat. Poursuivre et approfondir l’effort théorique doit être le centre de notre contribution, non seulement contre les effets de la décomposition mais aussi comme moyen de fertiliser patiemment le champ social, comme antidote à l’immédiatisme dans nos activités, car sans la radicalité et l’approfondissement de la théorie par les minorités, la théorie ne pourra jamais s’emparer des masses.
CCI
Dans la première partie de cet article, nous avons vu que la bourgeoisie donnait de fausses explications pour justifier la persistance de la malnutrition et des famines. Elle cherche en effet à dédouaner le système capitaliste de toutes les catastrophes alimentaires en culpabilisant les individus ou en pointant du doigt tel ou tel patron, telle ou telle entreprise, usant ici du dérivatif ancestral du bouc-émissaire. Dans ce deuxième article, nous verrons à quel point ce système barbare, favorisant le pillage et le gaspillage, est destructeur.
les crises alimentaires qui marquèrent le développement de la production capitaliste se sont accentuées avec l’entrée en décadence de ce système, et plus encore dans sa phase présente de pourrissement sur pied, de décomposition, prenant souvent des caractères qualitativement différents. Et même si le capitalisme a toujours empoisonné, affamé et détruit l’environnement, aujourd’hui, en cherchant à exploiter à son profit chaque parcelle du monde, son aspect destructeur et ravageur s’est étendu à toute la planète, ce qui fait que ce système menace aujourd’hui la survie même de l’espèce humaine.
En séparant la valeur d’usage et la valeur marchande des produits, le capitalisme a historiquement coupé l’humanité du but même de l’activité productive. L’agriculture a-t-elle pour objectif la satisfaction de besoins humains ? Eh bien, dans le capitalisme, la réponse est non ! Elle n’est qu’une production de marchandises dont le contenu et la qualité importent peu, pourvu qu’elles s’imposent sur le marché mondial en permettant au passage de reproduire la force de travail à faible coût.
Et avec la décadence du capitalisme, l’intensification de la production s’est systématisé, au détriment de la qualité. C’est ce qui apparaît comme la crue réalité lorsque l’on observe le développement de l’agriculture depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours. Au lendemain de la guerre, le mot d’ordre était : produire, produire et produire ! Dans la plupart des pays développés, l’industrie agricole a vu ses capacités de production augmenter de manière fulgurante. La généralisation des machines agricoles et de produits chimiques y furent pour beaucoup. Dans les années 1960-1980, l’intensification de l’agriculture porta même le nom trompeur de “révolution verte”. Ne voyons-là aucune considération écologique ! Il s’agissait en réalité de produire un maximum et à moindre coût, sans trop regarder la qualité du résultat, pour faire face à une concurrence exacerbée. Mais les contradictions d’un système en déclin ne pouvaient que s’accumuler et accroître ainsi la surproduction. Produire, produire… mais pour vendre à qui ? A ceux qui ont faim ? Certainement pas ! Faute de marchés solvables suffisants, les marchandises sont bien souvent détruites ou pourrissent sur place ([1]).
Des millions de personnes meurent de faim dans les pays d’Afrique ou d’Asie, des masses croissantes ont recours aux associations caritatives dans les pays développés mêmes, alors que de nombreux producteurs sont contraints de détruire une partie de leur production pour respecter des “quotas” ou maintenir artificiellement leurs prix !
L’enfoncement du système capitaliste dans sa crise historique rend le problème pire encore. Sur fond de crise économique chronique, les investisseurs avides de profits cherchent à placer leurs capitaux dans les valeurs de denrées alimentaires rentables (comme les riz ou les céréales), spéculent et jouent au casino sans aucun scrupule, quitte à affamer une partie croissante de la population mondiale : “Pour donner quelques chiffres particulièrement éclairants, le prix du maïs a quadruplé depuis l’été 2007, le prix du blé a doublé depuis le début 2008 et les denrées alimentaires ont globalement augmenté de 60 % en deux ans dans les pays pauvres” ([2]). Pour les populations en situation précaire comme au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Indonésie ou aux Philippines, cette hausse est devenue tout simplement insupportable et a fini par provoquer des émeutes de la faim lors de ce qui est aujourd’hui appelé “La crise alimentaire de 2007-2008” ([3]). Comme une farce cynique, le même scénario, exacerbé par l’utilisation marquée de récoltes alimentaires pour la production de biocarburants (soja, maïs, colza, canne à sucre), s’est répété en 2010, entraînant à nouveau les plus démunis dans une misère encore plus extrême.
Parallèlement au sort tragique qu’il réserve à ces populations du “tiers monde”, le capitalisme n’oublie pas les exploités des pays “développés”. S’il est vrai que la production agricole a considérablement augmenté au cours de ces dernières décennies, permettant de réduire globalement le pourcentage de personnes sous-alimentées, il faut voir quel en est le résultat désastreux. L’intensification à outrance de l’agriculture avec utilisation massive et incontrôlée de produits chimiques a considérablement appauvri les sols, à tel point que la valeur nutritive des produits et leur teneur en vitamines le sont également ([4]). Des études récentes tendent à montrer la corrélation directe qu’il existe entre l’utilisation d’herbicides, insecticides et autre fongicides dans les cultures et l’augmentation patente du nombre de cancers et de maladies neurodégénératives ([5]). Par ailleurs, l’utilisation d’édulcorants comme l’aspartame (E 951 sur les étiquettes), ou le glutamate dans l’industrie agroalimentaire, comme la généralisation des colorants, se révèle très nocif pour la santé. Une expérience menée sur des rats a même révélé qu’ils détruiraient les cellules nerveuses ([6]). Nous n’allons pas faire ici la liste des différents produits nocifs présents dans nos assiettes, cela prendrait des pages et des pages.
“Tout est une question de doses”, nous dit-on. Mais au fond, aucune étude n’est rendue publique ou menée à terme pour mesurer les effets de ces différentes “doses” additionnées et ingérées dans un même produit jour après jour. On a seulement pu constater certains effets du nucléaire qui irradie nos aliments : comme après l’accident de Tchernobyl, avec l’explosion des cancers de la thyroïde, les malformations dans la population de la région suite à l’ingestion de denrées contaminées. Idem aujourd’hui au Japon depuis Fukushima avec les produits de la mer. Le caractère meurtrier du capitalisme a bel et bien pris une nouvelle dimension. Pour dégager des bénéfices, le capitalisme peut faire avaler n’importe quoi à ses exploités !
En écho au texte d’Engels publié dans ce numéro [412], rappelons quelques faits contemporains qui montrent de quelle manière le capitalisme se soucie de la santé de ses exploités : “En décembre 2002, l’affaire du ré-étiquetage de boite de lait en poudre Nestlé pour nourrisson, arrivées à leur date de péremption éclate. La multinationale a importé illégalement du lait d’Uruguay pour qu’il soit vendu en Colombie. […] Le journal El Tiempo du samedi 7 décembre fait remarquer “qu’aux 200 tonnes de lait saisies, […] s’ajoutent 120 autres tonnes, saisies alors qu’elles étaient en processus de ré-étiquetage pour simuler avoir été produites à l’intérieur du pays et pour cacher qu’il s’agissait de lait périmé non apte à la consommation humaine” ([7]).
Parmi les nombreux produits frelatés que produit le capitalisme, on trouve par exemple le saumon de Norvège qui, à l’instar des poulets de batterie, est bourré d’antibiotiques et même de colorants pour répondre aux exigences du marché. La concentration de médicaments dans leur organisme est telle que le saumon d’élevage est devenue une espèce monstrueuse et mutante avec des têtes déformées ou des nageoires échancrées… Mais parce qu’une ministre de ce pays détient plusieurs fermes et maintient fermement l’omerta, des universitaires ont été évincés car ils pointaient le danger cancérigène, voir la toxicité du saumon d’élevage. A quoi il faudrait ajouter les tonnes de polluants qui dérivent dans la mer, les PCB dans les fleuves, les déchets ou les éléments radioactifs enterrés ou non ([8])… Sans compter les méfaits des métaux lourds, la dioxine, l’amiante transportés dans nos aliments et nos assiettes. L’eau et les produits de la mer, l’air que nous respirons, les produits animaux que nous mangeons et les terres de culture sont profondément imprégnés de toutes ces sources permanentes de contamination.
Il y a de quoi être indigné par cette crise alimentaire permanente qui traverse la planète, affamant certains alors que d’autres sont empoisonnés.
La colère de ceux qui combattent les aberrations de ce système est profondément juste. Mais, en même temps, “contrôler et réduire le niveau de gaspillage est souvent au-delà des capacités du paysan, du distributeur ou du consommateur individuel, car cela dépend de la philosophie des marchés, de la sécurité de l’approvisionnement en énergie, de la qualité des routes et de la présence ou l’absence de centres de transport” ([9]). En définitive, cela revient à dire que la recherche de solutions au niveau local et individuel mène, à court ou moyen terme, dans une impasse. Agir en tant que “citoyen” responsable et éclairé, c’est-à-dire en tant qu’individu, n’apportera jamais de solutions à l’immense gaspillage que le capitalisme génère. La recherche de solutions “individuelles” ou “locales” porte l’illusion qu’il pourrait exister une réponse immédiate aux contradictions du capitalisme. Comme nous l’avons vu, les raisons en sont profondément historiques et politiques. C’est à ce niveau que le véritable combat doit être mené. “Maintenant les propagandistes du capital appellent à “améliorer les habitudes alimentaires”, à “réduire son poids” pour faire de la prévention, à éliminer la “malbouffe” des écoles... Pas un mot sur l’augmentation salariale ! Rien pour améliorer les conditions matérielles des opprimés ! Ils discourent sur les habitudes, les recettes de saison ou les maux congénitaux... Mais ils cachent la véritable cause de la dégradation alimentaire de l’humanité : la crise d’un système qui ne vit que pour le profit” ([10]).
Enkidu, 25 octobre
[1]) Suite à de mauvaises stratégies commerciales, liées à la levée de l’embargo indien sur son riz : “la Thaïlande a perdu son rang de premier exportateur mondial et le pays a accumulé l’équivalent d’une année de sa consommation. Les hangars de l’ancien aéroport de Bangkok seraient utilisés pour stocker le riz que l’on ne sait plus ou mettre pour qu’il ne pourrisse pas” (“La Thaïlande étouffée par son riz”, Le Monde du 24 juin 2013)
[2]) Revue Internationale 132, Crise alimentaire, émeutes de la faim : seule la lutte du prolétariat peut mettre fin aux famines.
[3]) http ://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_alimentaire_mondiale_de_2007-2008
[4]) “Dans la période de 1961 à 1999, l’utilisation d’engrais azotés et phosphatés a augmenté respectivement de 638 % et de 203 %, alors que la production de pesticides a augmenté de 854%”, Global Food Report, p.13, traduit par nous
[5]) Voir les travaux de la journaliste Marie Monique Robin, Notre poison quotidien.
[6]) Idem.
[7]) Christian Jacquiau, Les coulisses du commerce équitable, p.142.
[8]) “A Fukushima, 300 tonnes d’eau contaminée se déversent chaque jour dans le Pacifique”, Le Monde du 7 août 2013.
[9]) Global food report, p. 18.
[10]) “Mexique : l’obésité, nouveau visage de la misère sous le capitalisme”, sur le site web du CCI, Juin 2010.
Comme beaucoup d’entre vous ont pu le constater, nous n’avons pas organisé de réunion publique ni de permanence depuis plus d’un an. Nous tenons à vous en donner ici les raisons.
1. L’ensemble du CCI a pris la décision de mener une réflexion bilan sur sa fonction et sur le sens de son activité à partir d’une analyse approfondie sur la situation historique depuis l’effondrement du bloc de l’Est et sur les difficultés internes que nous avons rencontrées.
Nous avons pris conscience assez récemment que nous avons eu tendance à gaspiller nos faibles forces en nous dispersant dans une trop grande activité d’intervention à l’extérieur, et ceci au détriment de la construction de notre organisation sur le long terme. En particulier, nous avons pu constater (comme nous l’avons affirmé dans notre article de bilan du XXe congrès de RI) une tendance en notre sein à la perte des acquis du CCI et de l’histoire du mouvement ouvrier parmi les camarades de la vieille génération, notamment sur les questions d’organisation. Et ceci alors que nous avons la responsabilité de transmettre ces acquis aux jeunes camarades qui nous ont rejoints et qui vont devoir reprendre le flambeau de la vieille génération. Notre priorité est donc aujourd’hui d’œuvrer au renforcement de notre organisation, de faire tout un travail de transmission pour préparer l’avenir et armer la jeune génération afin qu’elle puisse assumer ses responsabilités dans le futur. C’est la raison pour laquelle, depuis un an, nous avons organisé des week-ends d’études et de discussions internes sur les questions d’organisation et avons été pas mal mobilisés dans ce travail.
Nous avons décidé de mettre à profit le temps que nous avons encore devant nous avant le surgissement de mouvements sociaux massifs pour faire ce travail vital de construction de l’organisation, de consolidation de nos acquis et également d’approfondissement théorique qui est la tâche première des organisations révolutionnaires. Le CCI n’a pas la conception de l’organisation des gauchistes. Nous ne sommes pas non plus un parti, mais un pont entre l’ancien parti (la Troisième Internationale) et le futur parti. C’est pour cela que notre activité s’apparente au travail d’une fraction car le CCI est encore une petite organisation même si nous avons des sections ou noyaux dans 18 pays sur 3 continents.
2. La deuxième raison pour laquelle nous n’avons pas organisé de réunion avec nos contacts ni de réunion publique réside dans le fait que nos forces ont été réduites par le départ de plusieurs camarades vers d’autres sections du CCI. Et malheureusement cet affaiblissement de nos effectifs n’a pas encore été compensé par l’arrivée de nouveaux camarades en nombre suffisant. De plus, nous avons des camarades dans la section en France qui ont eu également de graves problèmes de santé (l’un d’entre eux est d’ailleurs décédé récemment), ce qui a augmenté notre charge de travail.
3. La troisième raison réside dans le fait que nous avons privilégié nos voyages internationaux pour participer à des conférences et réunions des autres sections du CCI afin de consolider notre unité internationale, de même que pour discuter avec des contacts et sympathisants dans d’autres pays. La participation des militants de RI à notre activité internationale a donc plus de poids aujourd’hui que dans la période passée.
Nous avons donc décidé d’organiser des RP uniquement quand nos forces nous le permettent et en fonction des événements majeurs de la situation internationale. Par contre, afin de garder le lien avec nos contacts, nous pouvons envisager d’organiser des permanences à thème de temps en temps en fonction de votre demande et de nos propres disponibilités.
Compte tenu de notre charge de travail et de nos faibles forces, nous en profitons pour rappeler à nos sympathisants et contacts proches que leur aide est toujours la bienvenue que ce soit pour le suivi de la diffusion de notre presse dans les librairies ou dans les manifestations, ou pour des traductions ou rédaction d’articles. Et bien sûr pour animer notre forum de discussions sur notre site Internet.
Salutations communistes
RI, section en France du CCI, 26 octobre
Voici comment Engels présentait lui-même son livre La situation de la classe laborieuse en Angleterre, publié en 1845 et devenu depuis un classique du mouvement ouvrier : “Aux classes laborieuses de Grande-Bretagne : Travailleurs, c’est à vous que je dédie un ouvrage où j’ai tenté de tracer à mes compatriotes allemands un tableau fidèle de vos conditions de vie, de vos peines et de vos luttes, de vos espoirs et de vos perspectives.”
Nous en publions ci-dessous de larges extraits qui abordent la question particulière de ce qui serait appelé aujourd’hui “la malbouffe”. Faisant écho à notre série d’articles sur ce même thème, dont la deuxième partie est présente dans ce numéro page 6, ce texte d’Engels révèle que, derrière ce terme à la mode et mis actuellement en avant pour pointer du doigt tel ou tel patron sans scrupule, telle ou telle entreprise de l’agro-alimentaire faisant fi de toutes les règles sanitaires de base, se cache en réalité l’un des traits constants du capitalisme : ce système n’a jamais hésité à transformer la nourriture en poison au nom du profit.
aux travailleurs échoit ce que la classe possédante trouve trop mauvais. Dans les grandes villes anglaises, on peut avoir de tout et dans la meilleure qualité, mais cela coûte fort cher ; le travailleur qui doit joindre les deux bouts avec ses quelques sous ne peut pas dépenser tant. […] Les pommes de terre que les ouvriers achètent sont le plus souvent de mauvaise qualité, les légumes sont fanés, le fromage vieux et médiocre, le lard rance, la viande maigre, vieille, coriace, provenant souvent d’animaux malades ou crevés, souvent à demi pourrie. Les vendeurs sont, très fréquemment, de petits détaillants qui achètent en vrac de la camelote et la revendent si bon marché précisément à cause de sa mauvaise qualité. Les plus pauvres des travailleurs doivent se débrouiller autrement pour arriver à s’en tirer avec leur peu d’argent même lorsque les articles qu’ils achètent sont de la pire qualité. […] La viande qu’on vend aux ouvriers est très souvent immangeable – mais puisqu’ils l’ont achetée, il leur faut bien la manger.
Le 6 janvier 1844 (si je ne m’abuse), il y eut une session du tribunal de commerce à Manchester, au cours de laquelle onze bouchers ont été condamnés pour avoir vendu de la viande impropre à la consommation. […] Cette histoire parut à l’époque dans le Manchester Guardian avec les noms et le montant de l’amende. Durant les six semaines du 1er juillet au 14 août, le même journal rapporte trois cas semblables ; selon le numéro du 3 juillet, fut saisi à Heywood un porc de 200 livres mort et avarié qui avait été dépecé chez un boucher et mis en vente ; selon celui du 31, deux bouchers de Wigan, dont l’un s’était déjà rendu coupable jadis du même délit, furent condamnés à deux et quatre livres sterling d’amende, pour avoir mis en vente de la viande impropre à la consommation – et selon le numéro du 10 août, on saisit chez un épicier de Bolton 26 jambons non comestibles qui furent publiquement brûlés ; le commerçant fut condamné à une amende de 20 shillings. Mais ceci ne rend pas compte de tous les cas et ne représente pas même pour ces six semaines une moyenne d’après laquelle on pourrait établir un pourcentage annuel ; il arrive fréquemment, que chaque numéro du Guardian, qui paraît deux fois par semaine, relate un fait analogue à Manchester ou dans le district industriel environnant – et lorsqu’on réfléchit au nombre des cas qui doivent se produire sur les vastes marchés qui bordent les longues artères et qui doivent échapper aux rares tournées des inspecteurs des marchés, comment pourrait-on expliquer autrement l’impudence avec laquelle ces quartiers de bétail entiers sont mis en vente ? –, lorsqu’on songe combien doit être grande la tentation, vu le montant incompréhensiblement bas des amendes, lorsqu’on songe dans quel état doit être un morceau de viande pour être déclaré complètement impropre à la consommation et confisqué par les inspecteurs – il est impossible de croire que les ouvriers puissent acheter en général une viande saine et nourrissante. Cependant, ils sont encore escroqués d’une autre façon par la cupidité de la classe moyenne. Les épiciers et les fabricants frelatent toutes les denrées alimentaires d’une manière vraiment insoutenable avec un mépris total de la santé de ceux qui les doivent consommer. Nous avons donné plus haut, la parole au Manchester Guardian, écoutons maintenant ce que nous dit un autre journal de la classe moyenne – j’aime à prendre mes adversaires pour témoins – écoutons le Liverpool Mercury : On vend du beurre salé pour du beurre frais, soit qu’on enduise les mottes d’une couche de beurre frais, soit qu’on place au sommet de l’étalage une livre de beurre frais à goûter et qu’on vende sur cet échantillon les livres de beurre salé, soit qu’on enlève le sel par lavage et qu’on vende ensuite le beurre comme frais. On mêle au sucre du riz pulvérisé ou d’autres denrées bon marché qu’on vend au prix fort. Les résidus des savonneries sont également mêlés à d’autres marchandises et vendus pour du sucre. On mêle au café moulu de la chicorée ou d’autres produits bon marché, on va jusqu’à en mêler au café en grains, en donnant au mélange, la forme de grains de café. On mêle très fréquemment au cacao de la terre brune fine qui est enrobée de graisse d’agneau et se mélange ainsi plus facilement avec le cacao véritable. On mélange au thé des feuilles de prunellier et d’autres débris, ou bien encore on fait sécher des feuilles de thé qui ont déjà servi, on les grille sur des plaques de cuivre brûlant, pour qu’elles reprennent couleur et on les vend pour du thé frais. Le poivre est falsifié au moyen de cosses en poudre etc. ; le porto est littéralement fabriqué (à partir de colorants, d’alcool, etc...), car il est notoire qu’on en boit en Angleterre plus qu’on n’en produit dans tout le Portugal […]. Le pauvre, l’ouvrier, […] il lui faut aller chez les petits épiciers, peut-être même acheter à crédit et ces épiciers qui, en raison de leur petit capital et des frais généraux assez importants ne peuvent même pas vendre aussi bon marché – à qualité égale – que les marchands au détail plus importants, sont bien contraints de fournir consciemment ou non des denrées frelatées – à cause des prix assez bas qu’on leur demande et de la concurrence des autres. […] Mais ce n’est pas seulement sur la qualité mais encore sur la quantité que le travailleur anglais est trompé ; les petits épiciers ont la plupart du temps de fausses mesures et de faux poids et l’on peut lire chaque jour, un nombre incroyable de contraventions pour des délits de ce genre dans les rapports de police. […]
L’alimentation habituelle du travailleur industriel diffère évidemment selon le salaire. Les mieux payés, en particulier ceux des ouvriers d’usine chez lesquels chaque membre de la famille est en état de gagner quelque chose ont, tant que cela dure, une bonne nourriture, de la viande chaque jour et, le soir, du lard et du fromage. Mais dans les familles où on gagne moins, on ne trouve de la viande que le dimanche ou 2 à 3 fois par semaine et en revanche plus de pommes de terre et de pain ; si nous descendons l’échelle peu à peu, nous trouvons que la nourriture d’origine animale est réduite à quelques dés de lard, mêlés aux pommes de terre ; plus bas encore, ce lard lui-même disparaît, il ne reste que du fromage, du pain, de la bouillie de farine d’avoine (porridge) et des pommes de terre, jusqu’au dernier degré, chez les Irlandais, où les pommes de terre constituent la seule nourriture. […] Mais ceci est vrai dans l’hypothèse où le travailleur a du travail ; s’il n’en a pas, il est réduit totalement au hasard et mange ce qu’on lui donne, qu’il mendie ou qu’il vole ; et s’il n’a rien, il meurt tout simplement de faim, comme nous l’avons vu précédemment. […] Singulièrement à Londres, où la concurrence entre ouvriers croît en proportion directe de la population, cette catégorie est très nombreuse, mais nous la trouvons également dans toutes les autres villes. Aussi bien y a-t-on recours à tous les expédients : on consomme, à défaut d’autre nourriture, des pelures de pommes de terre, des déchets de légumes, des végétaux pourrissants, et on ramasse avidement tout ce qui peut contenir ne serait-ce qu’un atome de produit mangeable. Et, lorsque le salaire hebdomadaire est déjà consommé avant la fin de la semaine, il arrive fréquemment que la famille, durant les derniers jours, n’ait plus rien ou tout juste assez à manger pour ne pas mourir de faim. Un tel mode de vie ne peut évidemment qu’engendrer une foule de maladies et lorsque celles-ci surviennent, lorsque l’homme, dont le travail fait vivre essentiellement la famille et dont l’activité pénible exige le plus de nourriture – et qui par conséquent succombe le premier – quand cet homme tombe tout à fait malade, c’est alors seulement que commence la grande misère, c’est seulement alors que se manifeste de façon vraiment éclatante, la brutalité avec laquelle la société abandonne ses membres, juste au moment où ils ont le plus besoin de son aide.
Résumons encore une fois, pour conclure, les faits cités : les grandes villes sont habitées principalement par des ouvriers puisque, dans le meilleur des cas, il y a un bourgeois pour deux, souvent trois et par endroits pour quatre ouvriers ; ces ouvriers ne possèdent eux-mêmes rien et vivent du salaire qui presque toujours ne permet que de vivre au jour le jour ; la société individualisée à l’extrême ne se soucie pas d’eux, et leur laisse le soin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille ; cependant, elle ne leur fournit pas les moyens de le faire de façon efficace et durable ; tout ouvrier, même le meilleur, est donc constamment exposé à la disette, c’est-à-dire à mourir de faim, et bon nombre succombent ; les demeures des travailleurs sont en règle générale mal groupées, mal construites, mal entretenues, mal aérées, humides et insalubres ; les habitants y sont confinés dans un espace minimum et dans la plupart des cas il dort dans une pièce, au moins une famille entière ; l’aménagement intérieur des habitations est misérable ; on tombe, par degré, jusqu’à l’absence totale des meubles les plus indispensables ; les vêtements des travailleurs sont également en moyenne médiocres et un grand nombre sont en guenilles ; la nourriture est généralement mauvaise, souvent presque impropre à la consommation et dans bien des cas, au moins par périodes, insuffisante, si bien qu’à l’extrême, il y a des gens qui meurent de faim. La classe ouvrière des grandes villes nous présente ainsi un éventail de modes d’existence différents – dans le cas le plus favorable une existence momentanément supportable : à labeur acharné bon salaire, bon logis et nourriture pas précisément mauvaise – du point de vue de l’ouvrier évidemment, tout cela est bon et supportable – au pire, une misère cruelle qui peut aller jusqu’à être sans feu ni lieu et à mourir de faim ; mais la moyenne est beaucoup plus proche du pire que du meilleur de ces deux cas. Et n’allons pas croire que cette gamme d’ouvriers comprend simplement des catégories fixes qui nous permettraient de dire : cette fraction de la classe ouvrière vit bien, celle-là mal, il en est et il en a toujours été ainsi ; tout au contraire ; si c’est encore parfois le cas, si certains secteurs isolés jouissent encore d’un certain avantage sur d’autres, la situation des ouvriers dans chaque branche est si instable, que n’importe quel travailleur peut être amené à parcourir tous les degrés de l’échelle, du confort relatif au besoin extrême, voire être en danger de mourir de faim […].
F. Engels (1845)
Depuis un siècle, nous nous trouvons à un nouveau carrefour dans l’histoire de l’humanité. La classe révolutionnaire a très tôt déjà et avec une clarté aiguë qualifié cette époque charnière avec la formule : “socialisme ou barbarie”. La lucidité de l’analyse marxiste que recèle ce slogan et qui s’exprime en lui, ne doit cependant pas être réduite à une formule creuse. C’est pourquoi, nous tenons à en souligner ici brièvement l’importance historique et la profondeur essentielle. En nous penchant sur les origines obscures et dissimulées du genre humain, nous ne pouvons qu’être stupéfaits et impressionnés par les étapes considérables qui ont permis à l’Homme d’opérer son émergence du monde animal et qui ont suivi cette émergence : les langues, l’écriture, les danses, l’architecture, la production d’une profusion de biens, sa capacité à se référer à la diversité et à la profondeur des besoins moraux, culturels, intellectuels et à la valeur de ces besoins, tout cela reflétant une richesse culturelle et une accélération de l’histoire qui nous fait frémir. Mais si nous portons notre attention sur les différentes époques de l’histoire humaine, nous devons aussi reconnaître qu’il n’y pas eu, et qu’il n’y a pas de développement continu et progressif. Encore plus dramatiquement, après l’avènement des sociétés de classes et la naissance des grandes “cultures” nous devons conclure que presque toutes ces dernières ont irrémédiablement disparu et que seules quelques-unes se sont transformées en quelque chose de nouveau. Nous constatons de nombreuses époques de régression culturelle et d’oubli des acquis, généralement accompagnées d’un abrutissement moral des hommes et de la brutalisation énorme des rapports humains. A la base des progrès accomplis par l’espèce humaine réside sa capacité à transformer la nature en vue de la satisfaction de ses besoins, en premier lieu matériels, et dans sa capacité à améliorer et développer ses moyens et techniques de production, ce que Marx appelle les “forces productives”. C’est fondamentalement le degré de développement de ces forces productives et la division du travail qu’elles impliquent qui déterminent la façon dont s’organise la société pour les mettre en œuvre, les “rapports de production”. Lorsque ces derniers constituent le cadre le plus adéquat au développement des premières, la société connaît un épanouissement, non seulement sur le plan matériel mais aussi sur le plan culturel et moral. Mais lorsque ces rapports de production deviennent une entrave à la poursuite du développement des forces productives, la société connaît des convulsions croissantes et se trouve menacée par la barbarie. Pour ne prendre qu’un exemple historique : un des piliers de l’Empire romain était l’exploitation des esclaves, notamment pour les travaux agricoles, mais lorsque de nouvelles techniques agricoles ont fait leur apparition, elles ne pouvaient être mises en œuvre par des producteurs ayant un statut de bétail ce qui constitue une des causes de la décadence et de l’effondrement de cet Empire.
Aujourd’hui, nous pouvons voir l’éclat des grands bonds culturels (, de la révolution néolithique, jusqu’à la Renaissance, l’Humanisme et la Révolution russe comme un prélude à la révolution mondiale. Ces bonds culturels sont à chaque fois le résultat de longues périodes de lutte, où les nouveaux rapports sociaux devaient triompher des anciens. Ces grands bonds culturels nous portent vers le prochain saut : la première socialisation mondiale consciente, le socialisme ! Le marxisme, la théorie dont s’est doté le prolétariat dans son combat contre le capitalisme, a la capacité de porter un regard lucide et non mystifié sur l’histoire et de reconnaître les grandes tendances de celle-ci. Cela ne signifie pas qu’il peut lire le futur dans une boule de cristal. Nous ne pouvons pas prédire quand se produira la révolution mondiale, ni même si elle pourra effectivement avoir lieu. Cependant, nous devons défendre et comprendre en profondeur, contre toutes les résistances et incompréhensions qui affectent même certains révolutionnaires, l’énorme importance historique que constitue l’entrée du capitalisme dans sa décadence. L’alternative devant laquelle nous nous trouvons depuis 100 ans peut se résumer ainsi : soit effectuer le prochain saut social et culturel, le socialisme, soit la barbarie. La gravité de cette alternative est plus dramatique qu’à n’importe quelle époque connue jusqu’à aujourd’hui du fait que l’accroissement des contradictions entre les forces productives et les rapports de production ouvre la possibilité non seulement du déclin social et culturel, mais de la destruction totale de l’espèce humaine. Pour la première fois dans l’histoire, la question de l’existence-même de l’espèce humaine est en cause dans la décadence d’un mode de production. En même temps, il existe des possibilités historiques immenses pour un développement ultérieur : l’entrée dans la “véritable” histoire consciente de l’humanité. Le modèle capitaliste de socialisation est celui qui a connu la plus grande réussite dans l’histoire de l’humanité. Le capitalisme a absorbé en lui tous les milieux culturels des autres sociétés (pour autant qu’il ne les ait pas détruits) et a créé pour la première fois une société mondiale. La forme centrale de l’exploitation est le travail salarié, permettant l’appropriation et l’accumulation du sur-travail dont l’appropriation gratuite du travail coopératif énormément productif, du travail associé, socialisé. C’est ce qui explique l’incomparable explosion technique et scientifique liée à l’histoire de la montée du capitalisme. Mais l’une des particularités de la socialisation capitaliste c’est qu’elle s’est réalisée de façon inconsciente, déterminée par des lois qui, si elle sont l’expression de rapports sociaux déterminés, l’échange force de travail contre salaire, entre les producteurs et les détenteurs des moyens de production, se présentent comme “naturelles”, “immuables” et donc extérieures à toute volonté humaine. C’est dans cette vision de la réalité mystifiée, réifiée, où les être humains et les rapports entre eux deviennent des “choses”, que l’augmentation considérable des ressources matérielles, des forces productives apparaît comme un produit du capital et non comme le produit du travail humain. Cependant, avec la conquête du monde, il s’avère que la terre est ronde et finie. Le marché mondial est créé (après la destruction des formes alternatives de production, telles que la production textile chinoise, indienne et ottomane). Même si le succès du mode de production capitaliste constitue une étape progressive dans l’histoire humaine, le saut de la révolution industrielle signifie pour la majorité de la population du centre du capitalisme la destruction des formes de vie existant précédemment ainsi qu’une exploitation féroce, alors que dans de grandes parties du reste du monde, il signifie les épidémies, la faim et l’esclavage. Le capitalisme est sans doute le rapport d’exploitation le plus moderne, mais il est finalement tout aussi parasite que ses prédécesseurs. Pour maintenir en marche la machine de l’accumulation, la socialisation capitaliste nécessite toujours plus de matières premières et de marchés, de même qu’elle doit pouvoir compter sur une réserve d’êtres humains contraints de vendre leur force de travail pour survivre. C’est pour cela que sa victoire sur les autres modes de production passait par la ruine et la famine des anciens producteurs.
Le capitalisme se présente comme l’objectif et l’apogée du développement humain. Selon son idéologie, il n’y aurait rien en dehors de lui. Pour ce faire, cette idéologie doit occulter deux choses : d’une part que le capitalisme dépend historiquement au plus haut degré des rapports de production et du milieu extra-capitalistes, d’autre part que la socialisation capitaliste, comme toutes les formes qui l’ont précédée dans l’histoire de l’humanité, n’est qu’une étape dans le processus du devenir conscient de l’humanité. La force motrice de l’accumulation produit en permanence des contradictions internes, qui se déchargent de façon éruptive dans les crises. Dans la phase ascendante du capitalisme, ces crises étaient surmontées par la destruction du capital excédentaire et la conquête de nouveaux marchés. Le nouvel équilibre s’accompagnait d’une nouvelle extension des rapports sociaux capitalistes, mais avec le partage du marché mondial entre les puissances centrales du capitalisme, celui-ci atteint, dans les relations mondiales, une limite. A ce moment-là, les grands États nationaux ne peuvent poursuivre leur conquête du monde qu’en se trouvant face à face ; le gâteau étant entièrement partagé, chacun ne pouvait accroître sa propre part de celui-ci qu’en réduisant celle des autres. Les États développent leurs armements et fondent l’un sur l’autre dans la Première Guerre mondiale. Les forces productives enchaînées par les rapports de production historiquement dépassés se retournent dans la boucherie mondiale en force destructrice dotée d’un potentiel de destruction incroyable. Avec l’entrée du capitalisme dans sa décadence, la guerre devient une guerre de matériels soumettant l’essentiel de la production aux besoins militaires. La machine aveugle de destruction et d’anéantissement entraîne le monde entier dans l’abîme. Bien avant 1914, la gauche de l’Internationale socialiste, les forces révolutionnaires autour de Rosa Luxemburg et de Lénine, ont pris en main de toutes leurs forces la lutte contre la menace du massacre impérialiste. Le marxisme vivant, c’est-à-dire le véritable marxisme, qui n’est pas enfermé dans des dogmes et des formules toutes faites valables de tout temps, a reconnu qu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle guerre entre les États-nations, semblable aux précédentes, mais que celle-ci marquait l’entrée dans la décadence du capitalisme. Les marxistes savaient que nous étions à une croisée des chemins historique (où nous nous trouvons toujours), qui menace pour la première fois de devenir une lutte pour la survie de l’espèce entière. L’entrée du capitalisme dans sa décadence il y a 100 ans est irréversible, mais cela ne signifie pas l’arrêt des forces productives. En réalité, ces forces sont tellement entravées et comprimées par la seule logique de l’exploitation capitaliste que le développement de la société est aspiré dans un tourbillon de plus en plus barbare. Seule la classe ouvrière est capable de donner à l’histoire une direction différente et de construire une nouvelle société. Avec une brutalité inimaginable jusqu’alors nous avons connu la tendance pure de la barbarie capitaliste après la défaite du soulèvement révolutionnaire des années 1917-23. Le cours à une autre guerre mondiale était ouvert, les hommes ont été réduits à des numéros et des matricules, enfermés dans des camps en vue d’une exploitation meurtrière ou de leur assassinat pur et simple. Les meurtres de masse staliniens ont été surpassés par la folie exterminatrice des nazis mais la bourgeoisie “civilisée” elle-même n’a pas voulu rater ce rendez-vous de la barbarie : ce fut l’utilisation de la bombe atomique “démocratique” rasant deux villes du Japon et infligeant aux survivants d’horribles souffrances. La machine de l’État capitaliste n’a “appris” de l’histoire que dans la mesure où elle s’interdit à elle-même l’autodestruction (la bourgeoisie ne va pas tout simplement se suicider pour laisser la scène de l’histoire au prolétariat), mais c’est seulement le retour de la classe ouvrière après 1968 qui offre une garantie contre le cours ouvert à la guerre. Cependant, si la classe ouvrière a pu barrer le chemin d’un nouvel holocauste mondial, elle n’a pu, pour autant imposer sa propre perspective. Dans cette situation, où aucune des deux classes déterminantes de la société ne pouvait apporter de réponse décisive à une crise économique irréversible et de plus en plus profonde, la société a connu de façon croissante un véritable pourrissement sur pieds, une décomposition sociale croissante rendant encore plus difficile l’accession du prolétariat à une claire conscience de sa perspective historique, une perspective qui était largement répandue dans ses rangs il y a un siècle.
Il y a cent ans et depuis lors, la classe ouvrière a été confrontée à une tâche historique énorme. La classe du travail associé, la classe ouvrière, en tant que porteuse de l’ensemble de l’histoire de l’humanité, en tant que classe centrale dans la lutte pour l’abolition des classes, doit s’élever contre cette barbarie. Dans la lutte contre la barbarie nihiliste et amorale du capitalisme, elle est l’incarnation de l’humanité prenant conscience d’elle-même. Elle est la force productive encore enchaînée de l’avenir. Elle recèle en elle le potentiel d’un nouveau bond culturel. Dans la lutte contre l’entrée en décadence du capitalisme toute une génération de révolutionnaires est apparue au plan mondial pour opposer à la socialisation dénaturée et réifiée du capitalisme l’association consciente de la classe ouvrière – guidée par le phare de l’Internationale communiste.
Avec la Révolution russe, elle a pris en main la lutte pour la révolution mondiale. Cette grande tâche d’assumer sa responsabilité pour l’humanité reste toujours pour nous, près de 100 ans après, électrisante et enthousiasmante. Cela montre que même face à la menace d’abrutissement s’élève une indignation morale au cœur de la classe ouvrière, qui est encore une boussole pour nous aujourd’hui. La classe ouvrière souffre avec l’ensemble de la société sous le fardeau de la décadence. L’atomisation et l’absence de perspective attaquent notre propre identité. Dans les confrontations à venir, la classe ouvrière démontrera si elle est capable de reprendre à nouveau conscience de sa tâche historique. C’est peut-être une courte étape historiquement que de passer de l’indignation morale à la politisation de toute une génération. Un nouveau bond culturel dans l’histoire de l’humanité est possible et indispensable, c’est ce que nous enseigne l’histoire vivante.
CCI
() Soyons clair que nous regroupons sous le terme de “culture” tout ce qui fait une société donnée : sa façon de se reproduire matériellement, mais aussi l’ensemble de sa production artistique, scientifique, technique et morale.
Au moment de mettre sous presse, la situation en Ukraine évolue très rapidement. L’article ci-dessous a été rédigé le 19 février. Le 20 février, 100 personnes au moins, selon les chiffres officiels, perdent la vie dans les affrontements entre la police anti-émeute et l’opposition anti-gouvernementale. Le soir même, les grandes puissances se mobilisent. La France dépêche sur place son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, pour négocier un accord visant à calmer la situation, la Russie son émissaire Vladimir Lukin. L’Allemagne, les Etats-Unis, tous se fendent de déclarations d’une extrême fermeté en faveur de la “paix”. Le lendemain, 21 février, un accord est effectivement signé, le ministre de l’Intérieur ukrainien est débarqué, des élections présidentielles anticipées promises et la libération de l’ancien Premier ministre emprisonnée depuis deux ans, Ioulia Timochenko, votée. Aussitôt, tous les médias du monde saluent cette “avancée extraordinaire”, le “courage” de l’opposition et l’implication des grandes démocraties. Seule la Russie tempère l’enthousiasme en dénonçant des “menaces pour la souveraineté” de l’Ukraine.
Il n’y a là aucune illusion à se faire. Toute cette énergie déployée par les grandes puissances n’a rien à voir avec une quelconque empathie pour les victimes de ce conflit. Si elles sont intervenues, c’est à la fois parce qu’aucune d’entre-elles n’a intérêt à ce que l’Ukraine s’enfonce dans la guerre civile et devienne ainsi incontrôlable, et à la fois parce que chacune d’entre-elles a ici défendu bec et ongle ses propres intérêts impérialistes, cherchant à exploiter la situation à son avantage. Le scepticisme de la Russie démontre simplement que, momentanément, c’est elle qui a perdu le plus dans cette concurrence impérialiste impitoyable.
Moins de dix ans après la pseudo ”révolution orange” de décembre 2004 qui, à l’époque, était partout brandie triomphalement comme un modèle de “liberté et de démocratie,” l’Ukraine est au bord de la guerre civile.
Les nouveaux affrontements violents et meurtriers entre les manifestants de l’opposition et la police anti-émeutes aux ordres du gouvernement sur la place de l’Indépendance (Maïdan), lieu symbolique de la “révolution orange”, après presque trois mois d’occupation et de face-à-face permanent avec les contre-manifestants soutenant le président pro-russe Ianoukovitch, constitue une nouvelle étape dans une escalade qui menace de basculer dans un véritable chaos sanglant.
Parallèlement, le mouvement de contestation a gagné l’Ouest et le Nord du pays. Dans de nombreuses villes, comme à Dniepopetrovsk, Poltava, Vinnitsa, Lvov, les protestataires ont pris d’assaut des bâtiments publics et des administrations régionales. Le même scénario s’est reproduit à Jitomir, Rovno, Tchernovtsy, Ivano-Frankovsk, Ternopol, Khmelnitski ou Loutsk. En même temps, notamment dans les régions orientales, des centaines de milliers d’Ukrainiens participent aux rassemblements en soutien du gouvernement actuel.
L’évolution dramatique de cette situation ne fait que confirmer la validité du cadre donné dans l’article que nous avons écrit en janvier dernier, déjà publié sur notre site web : “En Ukraine, la Russie cherche à desserrer l’étau de ses rivaux impérialistes” (.
La situation en Ukraine est essentiellement déterminée par les tensions impérialistes. Les conflits entre brigands impérialistes dans un pays plus que jamais tiraillé entre l’Est et l’Ouest, n’ont cessé d’alimenter une pression grandissante. En 2005, nous écrivions à propos de la “révolution orange” : “Derrière tout ce battage, l’enjeu réel n’est nullement dans la lutte pour la démocratie. Il se trouve en réalité dans l’affrontement de plus en plus aigu entre les grandes puissances (…) Depuis la dislocation de l’URSS et la constitution en catastrophe de la Communauté des États Indépendants en 1991, destinée à sauver les débris de son ex-empire, la Russie n’a cessé d’être menacée sur ses frontières, du fait même de la tendance permanente à l’éclatement qui lui est inhérente et sous la pression de l’Allemagne et des États-Unis. Avec la question de l’Ukraine, qui a toujours été, que ce soit pour la Russie tsariste ou soviétique, une pièce maîtresse, le problème se pose de façon bien plus cruciale. En effet, Moscou n’a pas d’accès direct à la Méditerranée, l’Ukraine est la seule et dernière voie qui lui reste vers l’Asie et la Turquie via la mer Noire où se trouvent en outre la base nucléaire russe de Sébastopol et la flotte russe. La perte de l’Ukraine reculerait de façon dramatique la position russe face aux pays européens, en premier lieu l’Allemagne et affaiblirait tout autant sa capacité à jouer un rôle dans les destinées de l’Europe et des pays de l’Est, pour la plupart déjà largement pro-américains. Mais de plus, il est certain qu’une Ukraine tournée vers l’Ouest (donc contrôlée par celui-ci et en particulier par les États-Unis), mettant plus à nu que jamais l’inanité grandissante du pouvoir russe, provoquerait une accélération du phénomène d’éclatement de la CEI, avec son cortège d’horreurs. Sans compter qu’il est plus que probable qu’une telle situation ne pourrait que pousser des régions entières de la Russie elle-même (dont les petits potentats locaux ne demandent qu’à ruer dans les brancards) à déclarer leur indépendance, encouragées par les grandes puissances déjà à l’œuvre” (.
L’origine de cette nouvelle crise remonte aux pressions exercées par les Russes et les Occidentaux sur la bourgeoisie ukrainienne dès la reprise du pouvoir par la fraction pro-russe lors des élections de 2010. Ce pays constitue un enjeu déterminant pour la Russie qui ne peut pas reculer d’une part face aux États-Unis, d’autre part face aux puissances de l’Union européenne impliquées (notamment l’Allemagne, historiquement liée à l’Ukraine). La grande différence de cette situation par rapport à 2004 provient de l’affaiblissement de la puissance américaine qui s’est accéléré avec ses aventures guerrières, notamment au Moyen-Orient (. Ainsi, tandis que la première “révolution” était une offensive américaine contre la Russie, la deuxième est de toute évidence une contre-offensive de la Russie qui est à l’origine du durcissement de la situation parce qu’elle ne peut pas se permettre de lâcher l’Ukraine.
Ce remake n’est donc pas une simple copie. Si la contestation des élections archi-truquées de novembre 2004 avait alors mis le feu aux poudres, aujourd’hui, le rejet de l’accord d’association avec l’UE au profit d’une commission incluant la Russie par le président Viktor Ianoukovitch est à l’origine de la crise. Ce pied de nez à l’UE, une semaine avant la date prévue de sa signature a aussitôt déclenché une violente offensive des différentes fractions pro-européennes de la bourgeoisie ukrainienne contre le gouvernement, criant à la “haute trahison” et demandant la destitution du président Ianoukovitch. Suite aux appels de l’opposition à “l’ensemble du peuple à réagir à cela comme il le ferait à un coup d’État, c’est-à-dire : descendre dans les rues,” les manifestants ont occupé le centre-ville de Kiev et la place de l’Indépendance. La répression brutale, les affrontements et les nombreux blessés permirent également au gouvernement de déclarer : “Ce qui se passe présente tous les signes d’un coup d’État” et d’organiser des contre-manifestations. Comme en 2004, les médias des grands pays démocratiques ont monté au pinacle cette “volonté du peuple ukrainien” de se “libérer” de la clique inféodée à Moscou. Les photos et les reportages ont mis en avant la dictature et la violence des répressions de la fraction pro-russe, les mensonges de la Russie et les diktats de Poutine. Occidentaux et Russes se sont mutuellement accusés le 1)er février, lors de la conférence annuelle de Munich sur la sécurité, de chercher à forcer la main à l’Ukraine pour qu’elle s’allie à l’Europe ou à la Russie. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry n’est pas en reste, il a déclaré : “Les États-Unis et l’Union européenne se tiennent aux côtés du peuple ukrainien dans ce combat.” Cela se traduit par des menaces accrues de sanctions économiques de l’UE jusqu’ici ponctuelles car les États occidentaux savent qu’ils ne peuvent pas pousser le bouchon trop loin, de crainte de provoquer un chaos difficilement contrôlable et maîtrisable.
Depuis un mois, l’attitude du gouvernement Ianoukovitch n’a cessé de se durcir, se raidissant sous la pression de l’armée qui a appelé le président “à prendre des mesures énergiques et urgentes pour stabiliser la situation” en déclarant qu’il était intolérable pour l’ordre public de laisser prendre d’assaut par l’opposition des bâtiments publics. Cela s’est traduit aussi par le refus d’assouplir les conditions de détention de l’opposante Timochenko pour “raison médicale” mais surtout par la relaxe de deux hauts responsables (dont le maire de Kiev) accusés “d’abus de pouvoir” dans la répression féroce au cours de la dispersion par la police anti-émeutes des manifestations de fin novembre, décision qui n’a pas manqué d’envenimer la colère de la rue dans une situation déjà très tendue. De même, le climat de terreur est entretenu par la multiplication d’enlèvements d’opposants ensuite tués ou torturés par des bandes ou des milices armées.
Cette impasse tend à faire éclater la cohérence de toutes les fractions de la bourgeoisie ukrainienne dans une fuite en avant irrationnelle, dans une politique criminelle d’affrontement et de violence, notamment la politique de l’opposition. Mais la composition hétéroclite de cette dernière traduit à quel point la décomposition marque de son empreinte toute perspective politique, allant de la corruption mafieuse à l’agrégation en son sein de groupements ultra-nationalistes, voire ouvertement profascistes (.
Mais contrairement à 2004, l’espoir d’une vie meilleure et plus libre a fait long feu. Le chef de l’opposition Viktor Iouchtchenko qui avait pris, avec son clan, le pouvoir à la suite de la “révolution orange”, n’a pas manqué d’imposer des sacrifices et la répression à la classe ouvrière lorsqu’il était premier ministre et banquier du gouvernement de son prédécesseur pro-russe, Léonid Kuchma. Le clan Iouchtchenko, non seulement s’est servi des illusions de la population ukrainienne pour arriver au pouvoir, mais s’est considérablement enrichi sur le dos de l’État, ce qui lui a valu sa réputation de clique mafieuse et la détention de sa complice, Ioulia Timochenko. Mais la même Timochenko, soi-disant championne de la démocratie est à l’origine d’un crédit du FMI de 15 milliards de dollars obtenu en échange de conditions drastiques imposées à la classe ouvrière : augmentation de l’âge de départ à la retraite, augmentation des charges communales, du prix de l’électricité, de l’eau, etc.
En dépit de leurs désaccords sur les orientations impérialistes, les différentes fractions politiques de la bourgeoisie, pro ou antigouvernementales, n’ont pas d’autre perspective que d’imposer davantage de misère et d’horreurs au prolétariat. La bourgeoisie ne cesse de jouer sur la fibre nationaliste soigneusement entretenue en Ukraine.
Quelle doit être l’attitude de la classe ouvrière face à cela ?
L’engrenage de la guerre civile représente un très grand danger pour l’ensemble de la population et surtout pour la classe ouvrière qui court les pires risques de se faire totalement embarquer derrière l’une ou l’autre de ces fractions également bourgeoises, également criminelles et sans scrupules, notamment des forces d’opposition qui tentent de ranimer les mystifications et les illusions démocratiques de la “révolution orange” qui ont pourtant été cruellement déçues depuis.
Les prolétaires ont tout à perdre en prenant parti ou en se rangeant derrière l’un ou l’autre des camps en présence, en se laissant enrôler et finalement entraîner dans un casse-pipe pour des intérêts qui ne sont non seulement en rien les leurs mais qui leur sont diamétralement opposés.
Hier comme aujourd’hui, les manifestants qui soutiennent l’opposition ou ceux qui se sont rangés derrière Viktor Ianoukovitch ne sont que des pions, manipulés et baladés, sacrifiés derrière l’une ou l’autre des fractions bourgeoises rivales pour le compte de telle ou telle orientation impérialiste. La bourgeoisie ukrainienne et tous les requins qui gravitent autour d’elle expriment la réalité de l’impasse d’un système capitaliste à bout de souffle. La classe ouvrière est la seule classe radicalement opposée à ce système et porteuse d’un avenir pour l’humanité toute entière. Elle doit au contraire avant tout défendre sa propre perspective historique et combattre énergiquement les campagnes de recrutement et l’hystérie nationaliste qui visent à l’embrigader dans les combats que se livrent toutes les cliques bourgeoises concurrentes. La révolution prolétarienne dont elle est porteuse ne s’opposera non pas à une clique bourgeoise particulière au profit d’une autre, mais au système monstrueux qui les engendre : le capitalisme.
W., 19 février
() fr.internationalism.org
() Extrait de l’article “Élections en Ukraine : les grandes puissances sèment le chaos”, RI no 353 (janvier 2005).
() La tendance à l’affaiblissement des États-Unis depuis l’effondrement du bloc de l’Est en 1990 n’a cessé de se confirmer. Voir le Résolution sur la situation Internationale du 20e congrès du CCI.
(http ://fr.internationalism.org/revue-internationale/201401/8855/resolution-situation-internationale-20e-congres-du-cci)
() Par exemple le parti Svoboda, auparavant Parti national-socialiste d’Ukraine, se réclame historiquement de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), dont la branche armée (UPA) collabora activement avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et massacra les Juifs de Galicie (ouest de l’Ukraine).
Sotchi est au départ une petite station balnéaire défraîchie, qui doit son existence et sa notoriété en Russie à sa situation géographique sur les bords de la mer Noire, seule région du pays où les hivers peuvent connaître des températures positives. Justement un problème pour organiser des compétitions qui requièrent beaucoup de neige et de glace. Cette région montagneuse ne dispose d’aucune infrastructure digne de ce nom : pas de route adaptée à un trafic important, pas de voie ferrée, une offre d’hébergement rachitique. Construire un village olympique et les enceintes sportives là où il n’y a que forêts et montagnes devait fatalement coûter une fortune et compromettre l’équilibre écologique de la région. Autrefois lieu de villégiature discret de Staline et de nombreux oligarques, lieu de rencontres au sommet des grands dirigeants du monde, Sotchi est une région du Caucase balayée par les conflits entre la Russie et les républiques issues de l’ex-URSS. Elle est traversée par les mouvances islamistes et nationalistes issues de nombreuses “minorités ethniques”. On comprend à ce titre les véritables intentions et la détermination de Vladimir Poutine à organiser ces Jeux exactement là où se trouvent les intérêts de l’impérialisme russe.
L’histoire des Jeux olympiques est d’ailleurs une longue histoire politique et impérialiste. Les Jeux antiques mettaient déjà en scène la rivalité des cités grecques, la trêve instituée alors par traité symbolisant ce passage temporaire de relais des lances aux javelots. Sparte, dont la domination militaire lui permettait de s’exonérer en partie du respect de la trêve, confirmait sa domination dans les stades.
Les Jeux modernes n’échappent bien entendu pas à la règle. Les Jeux de 1936 furent confiés à l’Allemagne avec le but avoué de sortir la nation perdante de la Première Guerre mondiale de son humiliation du Traité de Versailles. Ce sera finalement une vitrine pour le IIIe Reich. En 1972, les Jeux reviennent en Allemagne, à Munich, et sont le décor d’une prise d’otage spectaculaire de onze membres de la délégation israélienne par un groupe palestinien. En 1976, à Montréal, ce sera la présence de l’Afrique du Sud qui entraînera le boycott de plusieurs compétitions par plusieurs pays. Bien entendu, la guerre froide marquera les Jeux des tensions permanentes entre les deux têtes de blocs, les États-Unis et l’URSS. Alors que les premiers boycottèrent les Jeux de Moscou en 1980, les seconds ne se rendirent pas quatre ans plus tard à ceux de Los Angeles. Loin d’être anecdotique, ces événements furent marqués par des déclarations très violentes des deux camps, renforçant les tensions bien au-delà des simples enjeux prétendument sportifs.
Plus récemment, en 2008, même les plus distraits des observateurs n’auront pu échapper à la dimension profondément politique des Jeux de Pékin, à l’heure où la Chine ne cachait plus ses velléités d’influence mondiale sur les plans politique, économique et même militaire.
Les JO sont aussi d’immenses et coûteux chantiers et drainent vers eux, de ce fait, toute l’avidité capitaliste et la corruption qui l’accompagne. Il ne s’agit pas d’un simple effet pervers d’une compétition qui ne pourrait pas, bien malgré elle, conserver la pureté de ses intentions. Le système olympique lui-même se nourrit de cette corruption et de la convergence d’intérêts autour des Jeux. Alors que chaque attribution se déroule dans un soupçon général d’achat des voix des membres votants du Comité olympique international, certains Jeux ont été clairement de vastes opérations maffieuses, portant la corruption à des niveaux rarement atteints. Parmi ceux-ci, les Jeux de l’ère Juan Antonio Samaranch, ancien ministre du régime franquiste espagnol et qui présida le CIO de 1980 à 2001, ont sans aucun doute remporté une médaille d’or ! Plus encore qu’à Barcelone, son fief, M. Samaranch écrasa la compétition à Salt Lake City, en 2002, une ville dont personne n’aurait pu douter qu’elle puisse un jour accueillir des Jeux olympiques et qui, pour y parvenir, fut l’objet d’un système de corruption à grande échelle.
Un peu comme à Sotchi... sauf qu’en occurrence le record du monde explose ! Parler de monstrueuse gabegie est bien en deçà de la réalité. Le coût avancé de 36 milliards d’euros est de loin le plus élevé de l’histoire pour des Jeux olympiques, et il ne comprend même pas le coût de la “campagne” menée avant 2007 pour obtenir l’organisation des JO. 36 milliards d’euros, c’est six fois plus que les derniers Jeux d’hiver à Vancouver ! Les 6 milliards d’euros qu’auront coûté Vancouver auront à peine suffi à la Russie pour construire la route entre Adler, en bord de mer, et les stations d’altitude de Krasnaïa-Poliana.
Pour organiser les JO de Sotchi, il a fallu exproprier des milliers de gens, racheter des stations à leurs propriétaires en ressortant des cartons les bonnes vieilles méthodes de pression staliniennes, tailler sans discernement dans les forêts, les montagnes, édifier des enceintes sportives parfaitement démesurées et mégalomaniaques. Tout cela pourquoi ? Pour les vertus du sport ? Pour l’idéal olympique ?
La région de Sotchi est, historiquement, une zone de tensions permanentes. Frontière entre l’Europe et l’Asie, le Caucase était traversé par la route de la soie. Très vite la Russie tsariste lança ses cosaques dans la région afin d’étendre son territoire, décimant les populations locales et les poussant à la diaspora dans toute l’Europe.
Aujourd’hui, cette zone reste un enjeu primordial pour la Russie post-soviétique. Sotchi se trouve à proximité des républiques instables du Caucase du nord, en particulier la Tchétchénie qui depuis son indépendance proclamée en 1991 est en proie à des conflits qui ont massacré ou poussé à l’exil la moitié de sa population. Sotchi, est également très proche de l’Abkhasie, une sécession de la Georgie opérée lors d’une guerre de l’été 2008, presque en même temps que les Jeux de Pékin. Une guerre où toutes les grandes puissances auront été mettre leur nez de charogne, espérant retirer de cette explosion soudaine le moyen de placer quelques billes dans la région.
Le Caucase n’a rien perdu de son intérêt impérialiste pour les grandes puissances. Les États-Unis y mènent depuis la fin de la guerre froide une longue opération de retour d’influence qui porte petit à petit ses fruits : l’Azerbaïdjan accueille des bases de l’OTAN et la Georgie a également signé des accords avec l’OTAN. Face à ces succès, les puissances européennes tentent de faire valoir leurs intérêts en travaillant à la réouverture de la route de la soie, plus pragmatiquement en recherchant la continuité des liens géopolitiques et commerciaux avec l’Asie du sud-est.
Ces rivalités ne sont pas sans conséquences : 986 personnes auraient péri en 2013 à cause des conflits dans le nord Caucase (.
La Russie n’est évidemment pas étrangère à ces tensions, elle occupe même la première place. Sa candidature et l’obtention des JO à Sotchi s’inscrit totalement dans sa stratégie d’influence locale. A l’heure où la Russie gesticule sur tous les théâtres impérialistes pour marquer sa présence et tenir tête à ses trois plus grands ennemis, les États-Unis, la Chine et les puissances européennes (en Syrie, en Ukraine, etc.), la vitrine olympique à trois kilomètres de la frontière géorgienne est une claire mise en scène de la souveraineté russe sur le Caucase. Poutine se met d’ailleurs lui-même en scène, cherchant à tirer au maximum les marrons du feu.
Cette guerre d’influence dans une région stratégique n’a pas de prix : pas celui, en tout cas, des vies humaines perdues sur les chantiers, des milliards d’euros dépensés en pots-de-vin et gaspillés dans la démesure, d’une nature écrasée par les bulldozers… pour deux semaines de compétition avant que tout cela ne soit laissé à l’abandon comme peuvent l’être aujourd’hui les installations de bien des JO, ceux d’Athènes tout particulièrement.
La démonstration de force que représentent ces JO est impressionnante et à la hauteur de l’instabilité et l’insécurité de cette région. Entre 37 et 100 000 hommes sont mobilisés (il y en avait 6000 à Vancouver). Des lois d’exception sont promulguées limitant les déplacements, offrant des pouvoirs élargis aux forces de l’ordre pour mener des écoutes et des interpellations. Cette opération “gros-bras” ne suffit pourtant pas à obtenir la confiance des grandes puissances. Trêve olympique ou pas, les athlètes français sont accompagnés par un contingent du GIGN et du RAID. Quant aux États-Unis, ils ont préféré laisser deux vaisseaux se promener dans les eaux de la mer Noire…
Les JO de Sotchi sont donc intimement liés à la situation impérialiste mondiale, comme la plupart des Jeux précédemment organisés. Et cela ne pourra que continuer à l’avenir : les trois prochains pays qui accueilleront les JO sont le Brésil, la Corée du Sud et le Japon. Quand ont connaît leur situation sur la scène impérialiste, on comprend aisément que ces pays ont des intérêts bien plus brutaux qu’économiques et sportifs.
Même le Caucase pourrait revenir sur la scène olympique dans quelques années. Borjomi en Georgie était en lice en 2007 face à Sotchi, avec le succès que l’on sait. Elle pourrait de nouveau se porter candidate pour 2026. La Russie laissera-t-elle faire ? On ne peut qu’en douter...
GD, 12 février 2014
() Knot, site caucasien, cité par lemonde.fr
L’affrontement entre le ministre de l’Intérieur Manuel Valls et l’humoriste Dieudonné a alimenté les colonnes de la presse pendant plusieurs semaines. Cet accrochage est une manifestation, au même titre que la poussée électorale du FN, les manifestations contre le mariage homosexuel rassemblant des milliers de personnes ou celles des “bonnets rouge”, d’une orchestration nourrie par une véritable montée en puissance médiatique. Récemment encore, tandis qu’une hystérie collective s’emparait des pourfendeurs de la théorie du genre, des propos ouvertement xénophobes étaient scandés sans vergogne par les manifestants du “Jour de colère”, ce triste cortège où s’étaient rassemblées les innombrables chapelles de l’extrême-droite, réactivées pour l’occasion par ce climat favorable.
La France est néanmoins loin d’être le seul pays à connaître une telle dynamique. Partout dans le monde, les partis et mouvances populistes, du Tea Party américain aux islamistes salafistes, sont en mesure de mobiliser et de troubler parfois le jeu politique. Il suffit d’ailleurs de lire sur Internet les commentaires de n’importe quel site d’actualité en n’importe quelle langue pour mesurer l’extraordinaire capacité de mobilisation de la “fachosphère”.
L’un des effets les plus significatifs de la promotion de ces idéologies d’extrême-droite est la prolifération ou le renouveau de mouvances, certes marginales mais parfois très violentes, nihilistes et complètement hystériques, à l’image des JNR de Serge Ayoub ou du Bloc Identitaire. En fait, l’incapacité de la bourgeoisie à imposer sa réponse historique, la guerre mondiale, à la crise de son système, conjuguée aux immenses difficultés du prolétariat à défendre sa propre alternative historique, la révolution, sont un terrain propice au développement de ce type d’expressions politiques que l’Etat instrumentalise en permanence.
Le succès relatif de cette idéologie nauséabonde qu’est l’antisémitisme et ses délires complotistes sont à ce titre un des produits de la décomposition du système capitaliste. Pour se faire une idée précise du degré d’irrationalité qui frappe le milieu dont Dieudonné est aujourd’hui la figure médiatique, il suffit, par exemple, d’écouter les indigestes monologues de son maître à penser, le semi-intellectuel d’ultra-droite, Alain Soral, qui pullulent sur le web. Tous les ingrédients d’un “néo-fascisme” mal bricolé sont là : l’obsession du complot sioniste et maçonnique, le mépris goguenard pour tout ce qui n’est pas “viril” – entendez les femmes et les homosexuels – les divagations mystico-religieuses, la haine épidermique pour toute expression un tant soit peu saine de lutte des classes... le tout généreusement saupoudré d’un orgueil démesuré où, entre deux insultes à connotation sexuelle, ce “bon client” des émissions de divertissement bas-de-gamme se peint lui-même en théoricien illustre disposé au martyre.
Mais au-delà des provocations de Dieudonné et de ses amis, des déclarations hypocrites du gouvernement et des rebondissements judiciaires, la classe dominante a soigneusement maintenu les débats sur un terrain complètement pourri pour le prolétariat, celui de ce faux choix : lutte contre l’antisémitisme ou liberté d’expression ? Le milieu sordide, composé d’Alain Soral et du négationniste Robert Faurisson, dans lequel grenouille Dieudonné, tout comme les appels du gouvernement à “défendre les valeurs de la République” révèlent en effet le sens profond de la fausse alternative mis en avant par la classe dominante : fascisme ou démocratie ! Ce vieux mot d’ordre, jadis destiné à embrigader la classe ouvrière sous les drapeaux des régiments pour être transformée en chair à canon, est encore aujourd’hui un poison idéologique poussant le prolétariat dans les bras de l’État démocratique, c’est-à-dire dans ceux de son ennemie de classe, la bourgeoisie.
Ce relatif dynamisme de l’extrême- droite ne doit en effet pas cacher que son exploitation médiatique n’échappe pas à une logique machiavélique d’encadrement idéologique de la classe ouvrière, créant un véritable écran de fumée sur une situation où les attaques anti-ouvrières se multiplient et redoublent : comme sous Mitterrand, le PS stimule l’extrême-droite pour constituer un repoussoir crédible au profit de la défense, non seulement des “valeurs des partis de gauche” en particulier, mais surtout de la démocratie en général, cette expression politique particulièrement sournoise de la dictature capitaliste.
Les manœuvres habiles du PS constituent ainsi une vaste hypocrisie. En effet, le gouvernement a cru bon d’envoyer en première ligne dans sa “lutte contre le racisme et la haine” Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur en charge du harcèlement et du lynchage abject de Roms, le chef d’orchestre de l’expulsion de la petite Léonarda, celui qui voulait, en 2009, “plus de whites, plus de blancos” dans sa bonne ville d’Evry !
D’ailleurs, la violence médiatisée des propos de l’extrême-droite n’a d’égale que la barbarie parfaitement tangible des gouvernements démocratiques largement responsables des “tragiques accidents” de migrants embarqués au large de la Méditerranée et traqués à l’ombre de bien des frontières.
Face à la barbarie de toutes les fractions de la bourgeoisie, le prolétariat ne vaincra pas la xénophobie et la chasse aux immigrés en s’alliant à tel ou tel parti de l’appareil politique ; il n’a d’autre solution pour cela que de développer sa lutte autonome, sur un terrain de classe pour un monde nouveau, solidaire et sans concurrence, sans patrie ni frontière.
El Generico, 11 février
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article d’Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, qui analyse la grève des éboueurs de Madrid de novembre 2013, en mettant l’accent sur un facteur essentiel et vital pour la lutte de classe : la solidarité ouvrière.
Le 17 novembre dernier, les assemblées générales des services de voirie de Madrid mettaient fin à 13 jours de grève en acceptant un accord qui évitait le licenciement de près de 1200 d’entre eux ainsi que les menaces de coupes salariales allant jusqu’à 43 %. À la sortie de ces assemblées, l’ambiance parmi les travailleurs était au soulagement, en se sentant vainqueurs, au moins momentanément, à l’issue d’une lutte interminable contre les attaques incessantes de ce système contre nos conditions de vie. Ils avaient ainsi ce sentiment non pas tant pour les résultats tangibles de la négociation – car les travailleurs ont été contraints d’accepter le gel de leur salaire jusqu’en 2017 de même qu’un dossier de Contrat Temporaire de travail limité à 45 jours par an jusqu’à cette année-même – que pour la forme dans laquelle ils ont réussi à résister à cet énième coup de hache : soutenus par une émouvante démonstration de solidarité ouvrière. Une solidarité qui s’est révélée à tout le personnel des trois entreprises concessionnaires chargées de la voirie de Madrid et qui s’est étendue aux travailleurs de l’entreprise publique TRAGSA, aux bars des districts les plus populaires de Madrid où étaient installées des “caisses de soutien” comme forme spontanée de caisses de secours pour compenser les pertes économiques des grévistes ou dans la concentration de la solidarité entre eux qui s’est produite lors de la dernière nuit de négociation…
Les médias et tout particulièrement les chaînes de télévision – tellement habituées elles-mêmes aux programmes “poubelles” – ont focalisé l’attention précisément sur les sacs d’ordures et sur les protagonistes montrés comme des rebuts sociaux. D’abord, en ce qui concerne ces médias, il n’y pas un journal télévisé qui n’ait sorti ses caméras dans les rues pour interroger la population sur la gêne occasionnée “par la grève” (jamais auparavant on n’a effectué la moindre enquête sur la gêne engendrée par les coupes dans le budget des services de voirie) ou sur leurs répercussions économiques, sauf pour les commerçants, les hôteliers, etc. Il s’agissait en définitive de lancer une campagne idéologique habituelle pour monter la population contre les travailleurs de la voirie. Une campagne comme celle qui a été utilisée avec succès dans de précédentes occasions, y compris avec la complicité des syndicats.[1] Cependant cette fois, l’opinion publique, surtout dans les quartiers ouvriers de Madrid, a penché du côté des grévistes. Ainsi par exemple dans une “proclamation” de l’Assemblée populaire de Lavapiés, on pouvait lire : “Que les travailleuses et les travailleurs en grève illimitée soient un exemple pour nous tous. Aucune personne sensée ne resterait les bras croisés en regardant venir les événements (…) Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est seulement une préfiguration du Madrid sale et laissé à l’abandon qui s’abattra sur nos quartiers populaires, si la grève était un échec et il s’ensuivra qu’il y aura moins d’ouvriers et dans des conditions pires. (…) Si les travailleurs/travailleuses qui protègent nos rues et nos jardins (et par conséquent nous tous) se mettent en grève, nous devons les soutenir jusqu’au bout, nous devons être avec eux dans les piquets de grève et dans les manifestations (…) Si on emprisonne les grévistes, nous devons être chaque jour plus nombreux dans les rues. Que la raison et la rage des travailleurs ne soit pas réduite au silence par les policiers, les juges, les patrons, les médias, les politiciens et les chefs syndicaux. Si la grève se termine, que ce soit parce que nous y avons gagné quelque chose et non à cause d’accords conclus sur le dos des travailleurs et des travailleuses…” [2].
Quand on a cherché à faire passer les grévistes pour des “maîtres-chanteurs”, les travailleurs se sont souvenus que l’origine des licenciements était une baisse du budget de la voirie de la municipalité de Madrid et que les entreprises concessionnaires – filiales des grands constructeurs – s’étaient engraissés avec la spéculation immobilière et d’autres cadeaux accordés par l’administration, alors qu’on voulait la mettre sur le dos des employés de ces entreprises et de la population des quartiers ouvriers de Madrid.
Il est vrai que l’attitude arrogante de la maire de Madrid, digne épouse de l’ex-président Aznar (en tout cas “digne” de lui, sans aucun doute…), a servi à chauffer un peu plus l’atmosphère de soutien à la lutte. Quand elle a posé un ultimatum pour arriver à un accord au milieu de la nuit du 15 novembre, en menaçant de faire appel aux travailleurs de l’entreprise publique TRAGSA pour faire avorter la grève, elle s’est heurtée au refus de ces travailleurs (qui étaient à leur tour menacés de licenciements) de jouer le rôle de “jaunes” vis-à-vis de leurs camarades, 200 travailleurs qu’elle voulait recruter sur l’heure et à toute vitesse – et à travers des entreprises d’intérim – pour ne pas paraître complètement ridiculisée. Cette même nuit, pendant que la maire supervisait un semblant de service minimum revêtue d’un manteau de fourrure, le patronat lui-même a accepté de remplacer les coupes de salaires par un gel de salaires jusqu’en 2017, et à reporter à la nuit suivante – dépassant ainsi la date de l’ultimatum – la décision sur les licenciements. Dans les rangs ouvriers s’est étendu le sentiment que, cette fois, on pouvait freiner l’attaque.
Pourquoi ? Parce que nos exploiteurs se seraient montrés plus raisonnables ? Rien n’est plus éloigné de la réalité : quelques jours plus tard, les mêmes protagonistes – ou presque – ont annoncé une attaque très semblable dirigée cette fois contre les travailleurs des laveries des hôpitaux de Madrid. Est-ce que les syndicats ont “fait volte face” (comme le répète le PSOE !) pour défendre les travailleurs ? On ne peut pas dire cela quand on voit qu’ils ont signé des accords qui impliquent des milliers de licenciements et des réductions de salaires dans les banques, à Panrico, chez RTVE, etc. Dans la nuit du samedi 16 novembre, alors que les syndicats des travailleurs des services de voirie de Madrid étaient prêts à accepter une proposition qui comprenait un chiffre plus réduit de licenciements (de fait, l’UGT est restée à la table des négociations et les Commissions ouvrières l’ont quittée bien qu’ils y soient revenus par la suite), des centaines de travailleurs – non seulement du secteur de la voirie mais aussi d’autres – se sont rassemblés autour du bâtiment où se tenaient lesdites négociations, et ont commencé à appeler à une manifestation pour le jour suivant. Quelques heures après, les entreprises ont retiré le plan de licenciements annoncé, le remplaçant par des mesures de mise en chômage technique temporaire.
Le facteur clé au cours de cette lutte : la solidarité, a été le fruit d’un changement occulté par la propagande bourgeoise, qui a préféré polariser l’attention sur le ramassage des sacs-poubelles, ou sur les déclarations de la maire qui, récemment, est réapparue auprès des médias pour se plaindre d’une campagne permanente dirigée contre elle. Pour les exploités, au contraire, le plus important, c’est la réponse que donnait un gréviste anonyme à un reporter de télévision qui lui demandait ce qu’il avait retenu de positif dans cette grève : “Découvrir que celui qui travaille à côté de moi est un véritable camarade.”
Le mécanisme “de base” sur lequel repose le système capitaliste est un chantage impitoyable : le travailleur isolé ne peut obtenir ses moyens de subsistance que si sa force de travail profite au capital. La propagande de nos exploiteurs insinue sournoisement que cela est un “ordre” inhérent à la nature humaine, voulant réduire notre existence à être cette marchandise, en cherchant par tous les moyens que la valeur “sur le marché” de cette marchandise soit le prix le plus bas possible. La conséquence, c’est que la détermination de la valeur de cette force de travail ne dépend pas uniquement des lois aveugles de l’échange capitaliste (l’offre et la demande, la loi du profit et la valeur d’échange…), mais aussi de paramètres moraux comme le courage et l’indignation face à l’inhumanité des lois qui régissent la société, la solidarité et la défense de la dignité des travailleurs. Ici s’opposent deux mondes séparés par un abyme : celui des besoins humains et celui des intérêts du capital.
Toute tentative de sacrifier les premiers aux seconds se présente comme une défense de la “compétitivité” de l’entreprise, ou au seul profit de rentabiliser des services publics tels que la santé, l’éducation ; quelle que soit la soumission des conditions de vie des exploités à la défense des institutions du système, à telle ou telle entreprise, à telle ou telle industrie locale ou régionale, ou bien aux intérêts de la nation, cela implique précisément le sabotage du principe même de la solidarité entre les exploités, pour susciter une fraternité frauduleuse entre exploiteurs et exploités. La contribution la plus importante de la lutte des travailleurs des services de voirie de Madrid n’est pas d’avoir montré un chemin infaillible pour arracher des concessions au patronat, mais d’avoir cherché celui de la solidarité qui va dans un sens prolétarien de renforcement de l’unité de classe et pas dans le sens contraire de soumission des travailleurs à la logique de l’exploitation.
On a assisté ces derniers temps à un nouveau déluge de milliers et de milliers de licenciements et, parmi ceux qui “conservaient” leur poste de travail, à des coupes brutales de salaires. De toutes parts. L’inquiétude des travailleurs est croissante face au cynisme des exploiteurs qui annoncent la sortie de la crise et des rentrées d’argent pour l’économie espagnole tandis que s’accumulent les stigmates d’une paupérisation chaque fois plus généralisée et dramatique. Cette agitation se traduit souvent par des mobilisations de protestation. Mais nous devons être honnêtes et ne pas nous laisser duper. Dans la grande majorité des cas, cette agitation dans les rangs ouvriers a été récupérée par les partis de gauche du capital et les syndicats à travers une ribambelle de mobilisations éparpillées et surtout détournées sur un terrain de fausse solidarité, celui de la défense des institutions démocratiques.
On peut prendre l’exemple de la Radio-télevision valenciana [3] où l’indignation face aux licenciements a été “canalisée” derrière la défense “d’une télévision de service public et régionaliste”. Sur ce terrain, les syndicats ont eu les mains libres pour justifier les licenciements et les réductions de salaires (comme l’a fait le comité d’entreprise à travers le plan de viabilité qu’il a proposé) au nom, bien sûr, du sauvetage du “patrimoine national”. Sur ce terrain, on a contraint les salariés de Canal 9 à défiler aux côtés des députés du PSOE qui, quand ils étaient au pouvoir, ont réalisé le plus massif plan de licenciements de la radio-télévision espagnole !
Sur ce terrain pourri, nos “exploiteurs” nous sont présentés comme des “alliés” et les travailleurs des autres entreprises, des autres secteurs de la production, ou d’autres pays, nous sont présentés comme des concurrents et des ennemis. C’est ce que l’on a pu voir par exemple chez Panrico ou chez FAGOR. Dans le premier cas, les travailleurs de l’entreprise de Santa Perpetua de Mogoda qui ont refusé d’accepter les licenciements et les coupes salariales se sont vus exposés à une offensive brutale du patronat et des médias, mais aussi des syndicats en leur racontant que leur intransigeance et celle des travailleurs des autres entreprises mettrait en danger “l’avenir” de la boîte. Un autre cas s’est produit dans le Groupe Mondragon, maison-mère de FAGOR et jusqu’à tout récemment modèle de “l’essor industriel basque” et des avantages du “système de coopérative”, et qui aujourd’hui s’est vu brisé en jetant à la rue plus de 5000 de nos frères de classe, qui cependant se sont retrouvés empêtrés dans une bagarre pour savoir quelle unité de production était “rentable” ou quels travailleurs auraient droit au “privilège” d’un reclassement dans d’autres entreprises du groupe…
La concurrence entre travailleurs [4] peut sauver la rentabilité des investissements capitalistes mais implique la ruine des exploités. La solidarité de classe ne suffit pas à protéger indéfiniment les travailleurs des attaques de ce capitalisme en période de décadence, mais elle montre la voie d’une alternative sociale, à une autre forme de compréhension des relations entre les hommes sans se soumettre aux lois du marché. Comme il est indiqué dans le Manifeste Communiste, écrit il y a plus de 150 ans : “Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union grandissante de tous les travailleurs.”
Valerio, 25 novembre 2013
1. Comme nous l’avons dénoncé par exemple dans notre article d’avril 2013 :
2. Le texte complet de la “proclamation” de cette assemblée, dans le feu de la lutte des Indignés (“mouvement du 15 mai”), peut être consulté sur www.alasbarricadas.org/noticas/node/26904 [424].
3. Voir aussi notre article : es.internationalism.org/cci-online/201311/3953/lo-que-esta-en-juego-con-el-cierre-de-canal-9 [425]
4. L’industrie de l’automobile espagnole survit à la crise en partie grâce à un abaissement brutal de la main d’œuvre avec des contrats pour des jeunes qui n’atteignent pas 70% du salaire. Le résultat le plus significatif de cela, c’est de voir comment le Parti Populaire (droite) et les syndicats se réjouissent conjointement de rafler “la production” à d’autres entreprises comme Ford, Nissan, SEAT… Mais cela ne fournira jamais le pain quotidien ni pour aujourd’hui, ni pour demain. A moins que ne s’impose une solidarité de classe, il y aura toujours quelqu’un de plus désespéré prêt à accepter d’abaisser le coût de sa force de travail.
Nous publions ci-dessous des extraits d’un rapport sur la lutte de classe daté de décembre 2000 (publié dans la Revue internationale no 107, 4e trimestre 2001). Nous montrions clairement à l’époque comment le poids de la décomposition pouvait affecter la conscience du prolétariat. Les éléments politiques contenus dans ce rapport restent à notre sens toujours d’actualité pour comprendre les obstacles et les difficultés de la classe ouvrière aujourd’hui.
L’ouverture de la décomposition est un résultat du cours historique identifié par le CCI depuis les années 1960, puisqu’elle est partiellement conditionnée par l’incapacité de la bourgeoisie à mobiliser la société pour la guerre. Mais elle nous a aussi contraint à soulever le problème du cours historique d’une façon nouvelle qu’on n’avait pas prévue :
– d’abord, l’éclatement des deux blocs impérialistes formés en 1945, et la dynamique du chacun pour soi que cela a déclenché – tous deux produits et expressions de la décomposition – sont devenus un nouveau facteur obstruant la possibilité d’une guerre mondiale. Tout en exacerbant les tensions militaires sur toute la planète, cette nouvelle dynamique l’a de loin emporté sur la tendance à la formation de nouveaux blocs. Sans blocs, sans un nouveau centre capable de défier directement l’hégémonie américaine, une précondition vitale pour déchaîner la guerre mondiale est absente.
– en même temps, cette évolution n’apporte aucune consolation quelle qu’elle soit à la cause du communisme puisqu’elle a créé une situation dans laquelle les bases d’une nouvelle société pourraient être sapées sans guerre mondiale et donc sans la nécessité de mobiliser le prolétariat en faveur de la guerre. (…) Le nouveau scénario envisage la possibilité d’un glissement plus lent mais non moins mortel dans un état où le prolétariat serait fragmenté au-delà de toute réparation possible et les bases naturelles et économiques pour la transformation sociale également ruinées à travers un accroissement des conflits militaires locaux et régionaux, les catastrophes écologiques et l’effondrement social. De plus, tandis que le prolétariat peut lutter sur son propre terrain contre les tentatives de la bourgeoisie de le mobiliser pour la guerre, c’est bien plus difficile par rapport aux effets de la décomposition.
C’est particulièrement clair par rapport à l’aspect “écologique” de la décomposition : bien que la destruction par le capitalisme de l’environnement naturel soit devenu en lui-même une véritable menace pour la survie de l’humanité – question sur laquelle le mouvement ouvrier n’a eu qu’un aperçu partiel jusqu’aux toutes dernières décennies – c’est un processus contre lequel le prolétariat ne peut pas faire grand-chose tant qu’il n’assume pas lui-même le pouvoir politique à l’échelle mondiale. (…)
Nous pouvons donc voir que la décomposition du capitalisme place la classe ouvrière dans une situation plus difficile qu’auparavant. Dans la situation précédente, il fallait une défaite frontale de la classe ouvrière, une victoire de la bourgeoisie dans une confrontation classe contre classe, avant que ne soient pleinement remplies les conditions pour une guerre mondiale. Dans le contexte de la décomposition, la “défaite” du prolétariat peut être plus graduelle, plus insidieuse, et bien moins facile à contrecarrer. Et par-dessus tout ça, les effets de la décomposition, comme nous l’avons maintes fois analysé, ont un impact profondément négatif sur la conscience du prolétariat, sur son sens de lui-même comme classe, puisque dans tous ses différents aspects – la mentalité de gang, le racisme, la criminalité, la drogue, etc. – ils servent à atomiser la classe, à accroître les divisions en son sein, et à le dissoudre dans une foire d’empoigne sociale généralisée. (…)
L’ouverture de la période de décomposition a donc changé la façon dont nous posons la question du cours historique mais elle ne l’a pas rendue caduque, au contraire. En fait, elle tend à poser de façon encore plus aiguë la question centrale : est-ce trop tard ? Le prolétariat a-t-il déjà été battu ? Existe-t-il un obstacle à la chute dans la barbarie totale ? (…) Dans les conditions d’aujourd’hui où la décomposition du capitalisme peut engloutir le prolétariat sans qu’aient eu lieu ni défaite frontale ni ce type de mobilisation “positive”, les signes d’une défaite insurmontable sont par définition plus difficiles à discerner. Néanmoins, la clé de la compréhension du problème se trouve au même endroit qu’en 1923, ou qu’en 1945 (...) – dans les concentrations centrales du prolétariat mondial et avant tout en Europe occidentale. Ces secteurs centraux du prolétariat mondial ont-ils dit leur dernier mot dans les années 1980 (ou comme certains le pensent, dans les années 1970), ou gardent-ils assez de réserves de combativité, et un potentiel suffisant pour le développement de la conscience de classe, afin d’assurer que des confrontations de classes majeures soient encore à l’ordre du jour de l’histoire ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’établir un bilan provisoire (…) de la période qui a suivi l’effondrement du bloc de l’Est et l’ouverture définitive de la phase de décomposition.
Là, le problème réside dans le fait que, depuis 1989, le “schéma” de la lutte de classe a changé par rapport à ce qu’il avait été durant la période qui a suivi 1968. (...) Pendant les différentes vagues de lutte, il était évident que les luttes dans un pays pouvaient être un stimulant direct pour les luttes dans d’autres pays (par exemple le lien entre mai 1968 et l’Italie 1969, entre la Pologne 1980 et les mouvements qui ont suivi en Italie, entre les grands mouvements des années 1980 en Belgique et les réactions ouvrières dans les pays voisins). En même temps, on pouvait voir que les ouvriers tiraient des leçons des mouvements précédents – par exemple, en Grande-Bretagne où la défaite de la grève des mineurs a provoqué une réflexion dans la classe sur la nécessité d’éviter d’être piégé dans de longues grèves d’usure isolées, ou encore en France et en Italie, en 1986 et 1987, où des tentatives de s’organiser en dehors des syndicats se sont mutuellement renforcées l’une l’autre.
La situation depuis 1989 ne s’est pas caractérisée par des avancées aussi facilement discernables dans la conscience de classe. Cela ne veut pas dire que pendant les années 1990, le mouvement n’ait eu aucune caractéristique. Dans le “Rapport sur la lutte de classe” pour le 13e Congrès du CCI, nous avons mis en évidence les principales phases que le mouvement a traversées :
– le puissant impact de l’effondrement du bloc de l’Est, accentué par les campagnes sans merci de la bourgeoisie sur la mort du communisme. Cet événement historique a mis une fin brutale à la troisième vague de luttes et inauguré un profond reflux tant sur le plan de la conscience que sur celui de la combativité de classe, dont nous subissons toujours les effets, en particulier sur le plan de la conscience ;
– la tendance à une reprise de la combativité à partir de 1992 avec les luttes en Italie, suivies en 1993 par des luttes en Allemagne et en Grande-Bretagne ;
– les grandes manœuvres de la bourgeoisie en France en 1995 qui ont servi de modèle à des opérations similaires en Belgique et en Allemagne. A ce moment-là, la classe dominante se sentait assez confiante pour provoquer des mouvements à grande échelle visant à restaurer l’image des syndicats. En ce sens, ces mouvements étaient à la fois le produit du désarroi dans la classe et d’une reconnaissance par la bourgeoisie que ce désarroi ne durerait pas éternellement et que des syndicats crédibles constitueraient un instrument vital pour contrôler de futures explosions de la résistance de la classe ;
– le développement lent mais réel du mécontentement et de la combativité au sein de la classe ouvrière confrontée à l’approfondissement de la crise s’est confirmé avec une vigueur supplémentaire à partir de 1998 avec les grèves massives au Danemark, en Chine et au Zimbabwe. Ce processus s’est illustré encore plus durant l’année passée avec les manifestations des employés des transports new-yorkais, les grèves des postiers en Grande Bretagne et en France, et, en particulier, par l’explosion importante de luttes en Belgique à l’automne 2000. (…).
Aucun de ces mouvements cependant n’a eu ni l’échelle ni l’impact capables de fournir une véritable riposte aux campagnes idéologiques massives de la bourgeoisie sur la fin de la lutte de classe ; rien de comparable aux événements de mai 68 ou à la grève de masse en Pologne, ni à certains mouvements suivis des années 1980. (…) Dans ce contexte, il est difficile même aux révolutionnaires de voir clairement un type de lutte ni des signes définis de progrès de la lutte de classe dans les années 1990. (...)
Cette tendance d’une classe ouvrière désorientée à perdre de vue son identité de classe spécifique, et donc à se sentir au fond impuissante face à la situation mondiale de plus en plus grave est le résultat d’un certain nombre de facteurs entremêlés. Au niveau le plus fondamental – et c’est un facteur que les révolutionnaires ont toujours eu tendance à sous-estimer, précisément parce qu’il est si basique – se trouve la position première de la classe ouvrière en tant que classe exploitée subissant tout le poids de l’idéologie dominante. En plus de ce facteur “invariant” dans la vie de la classe ouvrière, il y a l’effet dramatique du 20e siècle – la défaite de la vague révolutionnaire, la longue nuit de la contre-révolution, et la quasi-disparition du mouvement politique prolétarien organisé pendant cette période. Ces facteurs, par leur nature même, restent extrêmement puissants pendant la phase de décomposition, en fait même ils renforcent tous deux leur influence négative et sont eux-mêmes renforcés par celle-ci. (...) L’effondrement du stalinisme – produit par excellence de la décomposition – est ensuite utilisé par la bourgeoisie pour renforcer encore plus le message selon lequel il ne peut y avoir d’alternative au capitalisme, et que la guerre de classe est terminée.
Cependant, afin de comprendre les difficultés particulières que rencontre la classe ouvrière dans cette phase, il est nécessaire de se centrer sur les effets plus spécifiques de la décomposition sur la lutte de classe. Sans entrer dans les détails puisque nous avons déjà écrit beaucoup d’autres textes sur ce problème, nous pouvons dire que ces effets opèrent à deux niveaux : le premier sont les effets matériels, réels du processus de décomposition, le second est la manière dont la classe dominante utilise ces effets pour accentuer la désorientation de la classe exploitée. Quelques exemples :
le processus de désintégration apporté par un chômage massif et prolongé, en particulier parmi les jeunes, par l’éclatement des concentrations ouvrières traditionnellement combatives de la classe ouvrière dans le cœur industriel, tout cela renforce l’atomisation et la concurrence entre les ouvriers. Ce processus objectif directement lié à la crise économique est ensuite renforcé par les campagnes sur “la société post-industrielle” et la disparition du prolétariat. (...) La fragmentation de l’identité de classe dont nous avons été témoins durant la dernière décennie en particulier ne constitue en aucune façon une avancée mais est une claire manifestation de la décomposition qui comporte de profonds dangers pour la classe ouvrière.
Les guerres qui prolifèrent à la périphérie du système et qui se sont rapprochées du cœur du capital sont évidemment une expression directe du processus de décomposition et contiennent une menace directe contre le prolétariat de ces régions qui sont dévastées et par le poison idéologique déversé sur les ouvriers mobilisés dans ces conflits : la situation au Moyen Orient témoigne amplement de ce dernier aspect en particulier. Mais la classe dominante des principaux centres du capital utilise aussi ces conflits -pas seulement pour développer ses propres intérêts impérialistes- mais aussi pour augmenter ses assauts contre la conscience des principaux bataillons prolétariens, aggravant le sentiment d’impuissance, de dépendance envers l’Etat “humanitaire” et “démocratique” pour résoudre les problèmes mondiaux, etc.
Un autre exemple important est le processus de “gangstérisation” qui a pris beaucoup d’ampleur durant la dernière décennie. Ce processus englobe à la fois les plus hauts échelons de la classe dominante – la mafia russe étant une caricature d’un phénomène plus vaste – et les couches les plus basses de la société, y compris une proportion considérable de la jeunesse prolétarienne. (…) La classe dominante (…) n’hésite pas à “emballer” l’idéologie de “bande” à travers la musique, le cinéma ou la mode, la cultivant comme une sorte de fausse rébellion qui oblitère toute signification d’appartenance à une classe pour exalter l’identité de la bande, que cette dernière se définisse en termes locaux, raciaux, religieux ou autre.
(…) Néanmoins, contre toutes ces pressions, contre toutes les forces qui proclament que le prolétariat est mort et enterré, les révolutionnaires doivent continuer d’affirmer que la classe ouvrière n’a pas disparu, que le capitalisme ne peut pas exister sans le prolétariat, et que le prolétariat ne peut pas exister sans lutter contre le capital. Pour un communiste, c’est élémentaire. Mais la spécificité du CCI, c’est qu’il est prêt à s’engager dans une analyse du cours historique et du rapport de forces global entre les classes. Et ici, il faut affirmer que le prolétariat mondial au début du 21e siècle, malgré toutes les difficultés auxquelles il s’affronte, n’a pas dit son dernier mot, représente toujours l’unique barrière au plein développement de la barbarie capitaliste et contient toujours en lui-même la potentialité de lancer des confrontations de classe massives au cœur du système.
Il ne s’agit pas d’une foi aveugle, ni d’une vérité éternelle ; nous n’excluons pas la possibilité que nous puissions dans le futur réviser notre analyse et reconnaître qu’un changement fondamental dans ce rapport a eu lieu au détriment du prolétariat. Nos arguments se basent sur une observation constante des processus au sein de la société bourgeoise qui nous a menés à conclure :
– que malgré les coups portés à sa conscience pendant la dernière décennie, la classe ouvrière conserve d’énormes réserves de combativité qui ont fait surface dans un nombre considérable de mouvements pendant cette période. C’est d’une importance vitale parce que même s’il ne faut pas confondre combativité et conscience, le développement de la résistance ouverte aux attaques du capital constitue dans les conditions d’aujourd’hui une condition plus cruciale que jamais pour que le prolétariat redécouvre son identité en tant que classe ce qui est une précondition à une évolution plus générale de la conscience de classe ;
– qu’un processus de maturation souterraine s’est poursuivi et s’exprime entre autres par l’émergence “d’éléments en recherche” dans le monde entier, une minorité croissance qui se pose sérieusement des questions sur le système existant et est à la recherche d’une alternative révolutionnaire. (...) Leur arrivée sur la scène aura un effet considérable sur le milieu prolétarien existant, transformant sa physionomie et le contraignant à rompre avec ses habitudes sectaires établies depuis longtemps.
La permanence de la menace prolétarienne peut aussi se mesurer, dans une certaine mesure, “en négatif” – en examinant les politiques et les campagnes de la bourgeoisie. Nous pouvons voir cela à différents niveaux – idéologique, économique et militaire. Au niveau idéologique, la campagne sur “l’anticapitalisme” est un bon exemple. (...) L’insistance d’aujourd’hui sur “l’anticapitalisme” est (...) une expression de l’usure de la mystification sur le “triomphe du capitalisme”, de la nécessité que le capitalisme récupère et dévoie le potentiel d’un questionnement réel au sein de la classe ouvrière. Le fait que les protestations anticapitalistes n’aient mobilisé les ouvriers que d’une façon marginale ne diminue pas leur impact idéologique général.
(…) Au niveau économique, nous avons montré ailleurs que la bourgeoisie des grands centres continuera d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour empêcher l’économie de s’effondrer, de “s’ajuster” à son niveau réel. La logique derrière est à la fois économique et sociale. Elle est économique dans le sens où la bourgeoisie doit à tous prix continuer à faire tourner son économie et même maintenir ses propres illusions sur les perspectives d’expansion et de prospérité. Mais elle est aussi sociale dans le sens où la classe dominante vit toujours dans la terreur qu’un plongeon dramatique de l’économie ne provoque des réactions massives du prolétariat qui serait capable de voir plus clairement la banqueroute réelle du mode de production capitaliste.
De façon peut-être encore plus importante, dans tous les conflits militaires majeurs impliquant les puissances impérialistes, centrales pendant cette dernière décennie (les conflits du Golfe, des Balkans, d’Afrique), nous avons assisté à une grande prudence de la classe dominante, à sa répugnance à utiliser d’autres hommes que des soldats professionnels dans ces opérations, et même dans ce cas, à son hésitation à risquer la vie de ces soldats de peur de provoquer des réactions “au retour au pays”. (…) Il n’est pas du tout évident aujourd’hui que la classe ouvrière des grands pays industriels soit prête à marcher derrière les drapeaux nationaux, à s’enrôler dans des conflits impérialistes majeurs (...). Le capitalisme est toujours contraint de masquer ses divisions impérialistes derrière une façade d’alliances pour une intervention humanitaire. (...) Pour le moment il est impossible de voir quels thèmes idéologiques pourraient être utilisés pour justifier la guerre entre les principales puissances impérialistes aujourd’hui – elles ont toutes la même idéologie démocratique et aucune ne peut pointer le doigt contre un “Empire du mal” qui représenterait la menace numéro un à son mode de vie : l’antiaméricanisme encouragé dans un pays comme la France n’est qu’un pâle reflet des idéologies passées d’antifascisme et d’anti-communisme. Nous avons dit que le capitalisme devait toujours infliger une défaite majeure et ouverte à la classe ouvrière des pays avancées avant de pouvoir créer les conditions pour la mobiliser directement dans une guerre mondiale. (...) C’est une réelle expression du poids “négatif” d’un prolétariat non défait sur l’évolution de la société capitaliste.
Nous avons évidemment reconnu que dans le contexte de la décomposition, le prolétariat pourrait être englouti sans une telle défaite frontale et sans une guerre majeure entre les puissances centrales. Il pourrait succomber à l’avancée de la barbarie dans les pays centraux, un processus d’effondrement social, économique et écologique comparable mais encore plus cauchemardesque que ce qui a déjà commencé à arriver dans des pays tels que le Rwanda ou le Congo. Mais bien que plus insidieux un tel processus ne serait pas invisible et nous en sommes encore loin – ce fait s’exprime lui aussi “en négatif” dans les récentes campagnes sur les “demandeurs d’asile” qui se basent dans une grande mesure sur la reconnaissance que l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord restent des oasis de prospérité et de stabilité par rapport aux parties d’Europe de l’est et du tiers-monde les plus affectées par les horreurs de la décomposition.
On peut donc dire sans hésitation que le fait que le prolétariat n’ait pas été défait dans les pays avancés continue de constituer une barrière au plein déchaînement de la barbarie dans les centres du capital mondial.
Mais pas seulement : le développement de la crise économique mondiale décape lentement l’illusion qu’un brillant avenir se profile – un futur fondé sur la “nouvelle économie” où tout le monde serait dépositaire d’enjeux. Cette illusion s’évaporera encore plus quand la bourgeoisie sera contrainte de centraliser et d’approfondir des attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière afin de “s’ajuster” à l’état réel de son économie. Et bien que nous soyons encore loin d’une lutte ouvertement politique contre le capitalisme, nous ne sommes probablement pas très loin d’une série de luttes défensives dures et même à grande échelle quand le mécontentement du prolétariat qui couve prendra la forme d’une combativité directe. Et c’est dans ces luttes que les graines d’une politisation future pourront être semées. Il va sans dire que l’intervention des révolutionnaires sera un élément clé de ce processus.
C’est donc en reconnaissant de façon claire et sobre les difficultés et les dangers terribles qui font face à notre classe que les révolutionnaires peuvent continuer à affirmer leur confiance : le cours historique ne s’est pas tourné contre nous. La perspective de confrontations de classe massives reste devant nous et continuera à déterminer notre activité présente et future.
CCI
Plus de 300 morts et des dizaines de blessés graves, parfois des gamins d’à peine 16 ans, ensevelis dans les décombres ! L’explosion qui a ravagé la mine de Soma, à l’Ouest de la Turquie, est la catastrophe industrielle la plus meurtrière de l’histoire du pays. Il ne s’agit nullement d’un “accident”, d’un caprice du hasard ou d’une triste fatalité devant laquelle, impuissants, nous ne pourrions que nous incliner avec résignation. Il s’agit d’un crime ! Un crime du capital !
Parmi les morts, il y avait de nombreux réfugiés de la guerre civile en Syrie et la grande majorité de ces victimes avait entre 16 et 20 ans.
Après l’effondrement de la mine, par milliers, les travailleurs et leurs enfants étudiants sont spontanément sortis dans la rue non seulement à Soma et Izmir (ville portuaire proche de Soma) mais aussi dans les grandes villes turques, Ankara et Istanbul, et dans les régions kurdes. Depuis, bravant la répression féroce, les grenades lacrymogènes et les coups de matraques, les manifestants descendent sur le pavé chaque jour plus nombreux, près d’un an après le grand mouvement social de défense du parc Gezi d’Istanbul.
Cette colère, la bourgeoisie turque et ses médias aux ordres l’occultent totalement. Sur toutes les chaînes de télévision, les seules images qui défilent en boucle, ce sont celles des familles en deuil pleurant et priant pour leurs morts, alternant avec les discours de Ergdogan et du ministre de l’Energie qui promettent de les indemniser (comme si cette aumône pouvaient soulager leur douleur ou ranimer les morts !). Et pour calmer la tension sociale, désamorcer la colère des mineurs, on leur promet aussi de leur donner un autre emploi après la fermeture de la mine.
Le black-out des médias sur les manifestations de rue et les assemblées d’étudiants occupant les universités s’accompagne d’un quadrillage policier de toute la population. Aucune information ne filtre de ce qui se passe à Soma, mises à part les prières et les pleurs des familles. Le gouvernement a mobilisé tous ses imams et ses curés pour tenter d’intoxiquer la colère des ouvriers dans l’opium de la mystification religieuse afin de leur faire courber l’échine, les enfoncer dans un sentiment d’impuissance, de résignation et de docilité à l’ordre capitaliste.
Dans les manifestations, la solidarité avec les familles des victimes et l’indignation face à l’incurie du gouvernement et du patronat se heurtent à la répression brutale de l’État policier.
La photographie de cette jeune femme brandissant une pancarte où est écrit : “Ceci n’est pas un accident, c’est un meurtre. Le gouvernement est responsable” est très significative de la profondeur de la colère et du mécontentement social.
A l’heure où nous écrivons cet article, des assemblées générales ouvertes à tous s’organisent entre étudiant et travailleurs dans les universités d’Istambul et d’Ankara, suite à la répression des manifestions de rue.
A côté des curés et des imams, la bourgeoisie turque mobilise également toutes ses forces démocratiques d’“opposition” pour endiguer tout risque d’explosion sociale. Derrière la focalisation sur la responsabilité du gouvernement se dissimule le slogan démocratique qui s’est répandu dans tous les cortèges : “Gouvernement démission !”. Les forces du “progrès” démocratiques (partis de gauche, d’extrême gauche et syndicats) jouent donc leur propre partition pour le maintien de l’ordre capitaliste et de l’union nationale, de l’union sacrée des prolétaires avec leurs propres exploiteurs. Leurs discours “radicaux” contre le gouvernement Erdogan ne visent qu’un seul objectif : désamorcer la bombe sociale en dévoyant la colère des travailleurs et des étudiants dans le piège électoral. Les curés appellent les prolétaires à s’agenouiller et à prier, les forces d’opposition les appellent à se disperser dans les isoloirs électoraux, c’est-à-dire à revendiquer une meilleure gestion du capital national par une clique bourgeoise plus “compétente” !
En effet, l’élection présidentielle aura lieu en août prochain, pour la première fois au suffrage universel. D’ici là, toutes les trompettes démocratiques vont retentir pour transformer les exploités en simples “citoyens”. Ce n’est pas par hasard si les opposants d’Erdogan insistent à ce point sur “la carence du contrôle des lieux de travail par les pouvoirs publics”, en particulier dans les mines. Et ce n’est pas une coïncidence non plus si les syndicats ont proclamé une journée de grève générale afin de “protester contre les négligences et le laxisme des autorités”. Les syndicats et l’opposition marchent main dans la main pour focaliser l’attention sur M. Erdogan, c’est-à-dire pour semer l’illusion qu’un autre dirigeant, qu’une autre clique d’exploiteurs au gouvernement, pourrait gérer plus “humainement” l’exploitation des prolétaires et donc pour empêcher toute réflexion sur les causes réelles et le vrai responsable de cette catastrophe : le système capitaliste comme un tout !
Évidemment, les déclarations provocatrices du Premier ministre ne peuvent que contribuer à renforcer ce sentiment de rejet de ce triste sire au cynisme sans borne. Quand M. Erdogan déclare froidement que “les accidents sont dans la nature même des mines” devant les familles, les voisins, les amis, les frères de classe des victimes, il ne peut que susciter encore plus d’indignation et de colère. Et quand on le voit gifler des manifestants tenus par des flics et qu’un de ses assistants assène des coups de pieds à un autre manifestant à terre, cela frise la provocation !
L’arrogance, la brutalité et le cynisme d’Erdogan montrent le vrai visage de toute la classe bourgeoise, une classe mondiale d’exploiteurs et d’assassins. Le capitalisme à “visage humain” est une pure mystification car la bourgeoisie, quelle que soit la clique au gouvernement, de droite comme de gauche, se moque royalement des vies humaines. Sa seule préoccupation, c’est le profit. Et qu’il soit laïc ou pas, l’État bourgeois, c’est toujours l’État policier, comme on le voit dans les pays démocratiques les plus développés où les manifestations sont toujours bien encadrées d’un côté par les partis d’opposition, les syndicats (et leur “service d’ordre”), de l’autre par les forces de répression.
Akin Celik, le directeur d’exploitation de Soma Kömür Isletmeleri, avait déclaré en 2012, dans un entretien à un journal turc, être parvenu à réduire les coûts de production à 24 dollars la tonne contre 130 dollars avant la privatisation de la mine. Comment a-t-il réalisé un tel prodige ? Évidemment en rognant partout où il le pouvait, en particulier sur la sécurité et avec la bénédiction de ces syndicats qui aujourd’hui dénoncent l’incurie gouvernementale. “Il n’y a aucune sécurité dans cette mine. Les syndicats ne sont que des pantins et la direction ne pense qu’à l’argent”, on ne pourrait être plus clair que ce mineur de Soma ().
Mais l’avidité et la cupidité patronale n’est pas la cause fondamentale des catastrophes industrielles et “accidents” de travail. Si les coûts doivent être sans cesse rognés, c’est afin de préserver la productivité de l’entreprise, sa compétitivité. Autrement dit, la nature même du fonctionnement du mode de production capitaliste, basé sur la concurrence, sur le marché mondial, la production pour le profit, poussent inexorablement les patrons, même les moins “inhumains”, à mettre en danger la vie de ceux qu’ils exploitent. Pour la classe bourgeoise, le prolétaire, le travailleur salarié, n’est rien d’autre qu’une marchandise à qui elle achète la force de travail au plus bas prix. Et pour faire baisser les coûts de production, la bourgeoisie rogne de plus en plus et fait des économies sur les conditions de sécurité sur les lieux de travail. Les exploiteurs n’ont que faire de la vie, de la santé, de la sécurité des exploités. La seule chose qui compte, c’est le chiffre d’affaire, le taux de plus-value, les carnets de commande de leurs clients, etc.
Selon le rapport publié en 2003 par l’Organisation internationale du travail (OIT), chaque année dans le monde, 270 millions de salariés sont victimes d’accidents du travail et 160 millions contractent des maladies professionnelles. L’étude révèle que le nombre de travailleurs morts dans l’exercice de leur métier dépasse, par an, les deux millions... Chaque jour, donc, le travail tue 5000 personnes !
Et cette horreur n’est pas l’apanage du tiers-monde. En France, chaque année, selon la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), 780 salariés sont également tués par leur travail (plus de 2 par jour !). Il y a 1 350 000 accidents du travail environ, ce qui correspond à 3700 victimes par jour, soit, pour une journée de huit heures, à 8 blessés par minute...
Que l’on traverse les frontières ou les âges, l’exploitation capitaliste sème partout et toujours la mort. Comme le mettait déjà en évidence Engels en 1845 dans son étude sur La situation de la classe laborieuse en Angleterre :
“La mine est le théâtre d’une foule d’accidents horribles et précisément ceux-là doivent être portés directement au compte de l’égoïsme de la bourgeoisie. L’hydrogène carburé, qui s’y dégage si souvent, forme en se mélangeant à l’air atmosphérique un composé gazeux explosif qui s’enflamme facilement au contact d’une flamme et tue quiconque se trouve à proximité. Des explosions de ce genre surviennent presque chaque jour ici ou là ; le 28 septembre 1844, il y en eut une à Haswell Colliery (Durham) qui causa la mort de 96 personnes. L’oxyde de carbone qui s’y dégage aussi en grandes quantités se dépose dans les parties profondes de la mine en une couche qui dépasse parfois la taille d’un homme, asphyxiant quiconque y pénètre. (…) On pourrait éviter parfaitement les effets funestes de ces deux gaz à condition d’assurer une bonne ventilation des mines au moyen de puits d’aération, mais le bourgeois ne veut pas y consacrer son argent et il préfère ordonner à ses ouvriers de se servir simplement de la lampe Davy, celle-ci leur est souvent tout à fait inutile en raison de la pâle lueur qu’elle diffuse ; et c’est pourquoi ils préfèrent la remplacer par une simple bougie. Si une explosion se produit alors, c’est la négligence des ouvriers qui en est cause, alors que si le bourgeois avait installé une bonne ventilation, toute explosion aurait été presque impossible. De plus, à chaque instant une portion de galerie ou une galerie entière s’effondre, ensevelissant ou écrasant des ouvriers ; la bourgeoisie a intérêt à ce que les veines de charbon soient exploitées au maximum, d’où ce genre d’accidents.”
Une seule solidarité avec les victimes de Soma : lutter partout contre nos propres exploiteurs !
Les morts de Soma, ce sont nos morts ! Ce sont nos frères de classe qui ont été tués par le capitalisme. Ce sont nos frères de classe qui sont réprimés et matraqués aujourd’hui dans les manifestations en Turquie ! Les exploités de tous les pays doivent se sentir concernés par cette catastrophe. Car la vraie catastrophe, c’est le système capitaliste !
Face à la barbarie de ce système qui sème la mort non seulement dans les conflits guerriers mais de plus en plus en temps de “paix” sur les lieux de travail, les exploités de tous les pays doivent refuser de faire cause commune avec leurs exploiteurs. La seule solidarité qu’ils doivent manifester aux familles endeuillées de Soma, c’est la lutte sur leur propre terrain de classe. Partout sur les lieux de travail, dans les lycées et universités, dans les assemblées, il faut discuter des causes véritables de cette tragédie. Il faut déjouer les pièges de tous les réformistes et chiens de garde de l’ordre bourgeois qui agitent l’épouvantail Erdogan pour masquer le vrai coupable : le capitalisme mondial.
Aux mots d’ordre des curés “Ne luttez pas, priez !”, aux mots d’ordre des forces d’opposition démocratiques “Ne luttez pas, votez !”, il faut riposter :
“Solidarité avec nos frères de classe en Turquie. A bas le capitalisme ! Engageons le combat contre tous les exploiteurs de tous les pays !”.
RI,16 mai 2014
() Source : www.france24.com/fr/20140514-turquie-explosion-mine-charbon-morts-prisonniers-accident-erdogan [429]
En octobre 2013, un nouveau “groupe politique” est né et s’est donné le nom pompeux de “Groupe international de la Gauche communiste” (GIGC). Ce nouveau groupe décline son identité : il est constitué de la fusion entre 2 éléments du groupe Klasbatalo de Montréal et d’éléments de l’ex-prétendue “Fraction interne” du CCI (FICCI) qui ont été exclus du CCI en 2003 pour leurs comportements indignes de militants communistes : en plus du vol, de la calomnie, du chantage, ces éléments ont franchi le Rubicon par leurs comportements délibérés de mouchards, notamment en publiant à l’avance sur Internet la date de la Conférence de notre section au Mexique et en affichant de façon insistante les véritables initiales d’un de nos camarades présenté comme le “chef du CCI”. Nous renvoyons nos lecteurs non avertis aux articles publiés à l’époque dans notre presse ().
Dans un de ces articles, “Les méthodes policières de la FICCI”, nous avions clairement mis en évidence que ces éléments offrent à titre gracieux leurs bons et loyaux services à l’État bourgeois. Ils passent le plus clair de leur temps à une activité de surveillance assidue du site Internet du CCI, cherchant à s’informer de tout ce qui se passe dans notre organisation, se nourrissant et colportant les ragots les plus nauséabonds ramassés dans les égouts (et notamment sur le couple Louise-Peter, deux militants du CCI, qui les obsède et les excite au plus haut point depuis plus de dix ans !). Ultérieurement à cet article, ils avaient encore aggravé leur cas en publiant un document de 114 pages, reproduisant de nombreux extraits des réunions de notre organe central international, qui se proposait de faire la démonstration de leurs accusations contre le CCI. Ce que ce document démontrait en réalité, c’est que ces éléments ont un cerveau malade, totalement aveuglé par la haine contre notre organisation, et que c’est consciemment qu’ils livrent à la police des informations sensibles afin de favoriser le travail de celle-ci.
A peine né, ce petit avorton dénommé “Groupe international de la Gauche communiste” lance son cri primal en déchaînant une propagande hystérique contre le CCI, comme en témoigne le placard publicitaire affiché sur son site Web : “Une nouvelle (ultime ?) crise interne dans le CCI !” accompagné bien sûr d’un “Appel au camp prolétarien et aux militants du CCI”.
Depuis plusieurs jours, ce “groupe international” (composé de 4 individus) mène une activité frénétique, adressant lettre sur lettre à tout le “milieu prolétarien” ainsi qu’à nos militants et à certains de nos sympathisants (dont ils ont récupéré les adresses) afin de les sauver des “griffes” d’une prétendue “faction liquidationniste” (un clan Louise, Peter, Baruch).
Les membres fondateurs de ce nouveau groupe, deux mouchards de l’ex-FICCI, viennent de franchir un pas supplémentaire dans l’ignominie en dévoilant clairement leurs méthodes policières visant à la destruction du CCI. Ce prétendu “Groupe international de la Gauche communiste” sonne le tocsin et crie à tue-tête qu’il est en possession des Bulletins internes du CCI. En exhibant leur trophée de guerre et en faisant un tel tintamarre, le message que ces mouchards patentés cherchent à faire passer est très clair : il y a une “taupe” dans le CCI qui travaille main dans la main avec l’ex-FICCI ! C’est clairement un travail policier n’ayant pas d’autre objectif que de semer la suspicion généralisée, le trouble et la zizanie au sein de notre organisation. Ce sont les mêmes méthodes qu’avait utilisées le Guépéou, la police politique de Staline, pour détruire de l’intérieur le mouvement trotskiste des années 1930. Ce sont ces mêmes méthodes qu’avaient déjà utilisées les membres de l’ex-FICCI (et notamment deux d’entre eux, Juan et Jonas, membres fondateurs du “GIGC”) lorsqu’ils ont fait des voyages “spéciaux” dans plusieurs sections du CCI en 2001 pour organiser des réunions secrètes et faire circuler des rumeurs suivant lesquelles l’une de nos camarades (la “femme du chef du CCI”, suivant leur expression) serait un “flic”. Aujourd’hui, le même procédé pour tenter de semer la panique et détruire le CCI de l’intérieur est encore plus abject : sous le prétexte hypocrite de vouloir “tendre la main” aux militants du CCI et les sauver de la “démoralisation”, ces indicateurs professionnels adressent en réalité le message suivant à tous les militants du CCI : “Il y a un (ou plusieurs) traîtres parmi vous qui nous donne vos Bulletins internes, mais on ne vous donnera pas son nom car c’est à vous de chercher par vous-même !”. Voilà le véritable objectif de toute cette agitation fébrile de ce nouveau “groupe international” : introduire une fois encore le poison du soupçon et de la méfiance au sein du CCI pour chercher à le détruire de l’intérieur. Il s’agit bien d’une véritable entreprise de destruction dont le degré de perversion n’a rien à envier aux méthodes de la police politique de Staline ou de la Stasi.
Comme nous l’avions rappelé à plusieurs reprises dans notre presse, Victor Serge dans son livre bien connu et qui est une référence dans le mouvement ouvrier, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, met clairement en évidence que la diffusion du soupçon et de la calomnie est l’arme privilégié de l’État bourgeois pour détruire les organisations révolutionnaires : “la confiance en le parti est le ciment de toute force révolutionnaire (…) Les ennemis de l’action, les lâches, les bien installés, les opportunistes ramassent volontiers leurs armes dans les égouts ! Le soupçon et la calomnie leur servent à discréditer les révolutionnaires (…) Ce mal – le soupçon entre nous – ne peut être circonscrit que par un grand effort de volonté. Il faut – et c’est d’ailleurs la condition préalable de toute lutte victorieuse contre la provocation véritable dont chaque accusation calomnieuse portée contre un militant fait le jeu – que jamais un homme ne soit accusé à la légère, et que jamais une accusation formulée contre un révolutionnaire ne soit classée. Chaque fois qu’un homme aura été effleuré d’un pareil soupçon, un jury de camarades doit statuer et se prononcer sur l’accusation ou sur la calomnie. Règles simples à observer si l’on veut préserver la santé morale des organisations révolutionnaires.” Le CCI est la seule organisation révolutionnaire qui soit restée fidèle à cette tradition du mouvement ouvrier en défendant le principe des Jurys d’Honneur face à la calomnie : seuls des aventuriers, des éléments troubles et des lâches ne veulent pas faire la clarté devant un Jury d’Honneur ().
Victor Serge affirme également que les motivations qui conduisent certains militants à offrir leurs services aux forces de répression de l’État bourgeois ne sont pas forcément la misère matérielle ou la lâcheté : “il y a beaucoup plus dangereux, les dilettanti, aventuriers qui ne croient en rien, blasés sur l’idéal qu’ils ont naguère servi, épris du danger, de l’intrigue, de la conspiration, d’un jeu compliqué où ils dupent tout le monde. Ceux-là peuvent avoir du talent, jouer un rôle à peu près indéchiffrable”. Et parmi le profil du mouchard ou de l’agent provocateur, on trouve, selon Victor Serge, d’ex-militants “blessés par le parti”. De simples blessures d’orgueil, des griefs personnels (jalousie, frustration, déception…), peuvent conduire des militants à développer une haine incontrôlable contre le parti (ou contre certains de ses membres qu’ils considèrent comme des rivaux) et à offrir leurs services aux forces de répression de l’État bourgeois.
Tous les “Appels” tapageurs de cette agence officieuse de l’État bourgeois qu’est le “GIGC” ne sont que des appels au pogrom contre certains de nos camarades (nous avions déjà dénoncé dans notre presse les menaces proférées par un membre de l’ex-FICCI qui avait dit à l’un de nos militants “toi, je vais te trancher la gorge !”). Ce n’est nullement un hasard si ce nouvel “Appel” des mouchards de l’ex-FICCI a été immédiatement relayé par l’un de leurs complices et “ami”, un certain Pierre Hempel (qui publie une feuille de chou, du genre “presse people”, aussi indigeste que délirante) intitulé Le Prolétariat universel [430] dans lequel on peut lire des propos du style “Peter et sa pouffiasse”. La “pouffiasse” en question étant bien entendu notre camarade harcelée depuis plus de 10 ans par les mouchards et potentiels tueurs de l’ex-FICCI et leurs complices. Voilà par quel genre de littérature (très “prolétarienne”) est relayée aujourd’hui l’“appel” de ce prétendu “Groupe international de la Gauche communiste” qui attise la curiosité (et le voyeurisme) de tous les charognards du petit “milieu” soi-disant “prolétarien”. On a les amis qu’on mérite !
Mais ce n’est pas tout. En consultant les liens qui figurent en note (), nos lecteurs qui appartiennent vraiment au camp de la Gauche communiste, pourront se faire une idée un peu plus précise du pedigree de ce nouveau “Groupe international de la Gauche communiste” : il est sponsorisé depuis plusieurs années par une tendance au sein d’une autre officine de l’État bourgeois, le NPA (parti d’Olivier Besancenot qui se présente aux élections et qui est invité régulièrement sur les plateaux de la télévision). Cette tendance du NPA lui fait régulièrement une publicité tapageuse, à la Une de son site Internet ! Si un groupe de l’extrême gauche du Capital fait autant de publicité pour la FICCI et son déguisement (le “GIGC”), c’est bien la preuve que la bourgeoisie sait reconnaître ses fidèles serviteurs : elle sait sur qui elle peut compter pour tenter de détruire le CCI. Ainsi, les mouchards du “GIGC” seraient en droit de réclamer une décoration à l’État (remise par le ministre de l’Intérieur, évidemment !) à qui ils ont rendu des services bien plus éminents que ceux de la plupart des récipiendaires de breloques.
Le CCI fera toute la clarté et informera ses lecteurs des suites de cette affaire. Il est tout à fait possible que nous soyons infiltrés par un (ou plusieurs) élément troubles. Ce ne serait pas la première fois et nous avons une longue expérience de ce type de problème au moins depuis l’affaire Chénier, un élément exclu du CCI en 1981 et qui, quelques mois plus tard, travaillait officiellement pour le Parti socialiste alors au gouvernement. Si tel est le cas, bien évidemment, nous appliquerons nos Statuts comme nous l’avons toujours fait.
Mais nous ne pouvons pas écarter une autre hypothèse : l’un de nos ordinateurs a pu être piraté par les services de la police (qui surveille nos activités depuis plus de 40 ans). Et il n’est pas à exclure que ce soit la police elle-même (en se faisant passer pour une “taupe”, militant anonyme du CCI) qui ait transmis à la FICCI certains de nos Bulletins internes sachant pertinemment que ces mouchards (et notamment les deux membres fondateurs de ce prétendu “GIGC”) en feraient immédiatement bon usage. Cela n’aurait d’ailleurs rien de surprenant puisque les cow-boys de la FICCI (qui tirent toujours plus vite que leur ombre !) se sont déjà fait avoir en 2004 en flirtant avec un “inconnu” d’une officine stalinienne en Argentine, le “citoyen B” qui se cachait derrière un prétendu “Circulo de comunistas internacionalistas”. Ce “Circulo” purement virtuel présentait le grand avantage de publier des mensonges ignobles et grossiers contre notre organisation, mensonges qui ont été complaisamment relayés par la FICCI. Dès que ces mensonges ont été démontés, le “citoyen B” a disparu de la circulation, laissant la FICCI dans la consternation et le plus grand désarroi.
La FICCI prétend que “Le prolétariat a besoin de ses organisations politiques plus que jamais afin de s’orienter vers la révolution prolétarienne. Un affaiblissement du CCI reste toujours un affaiblissement du camp prolétarien dans son ensemble. Et un affaiblissement du camp prolétarien implique nécessairement un affaiblissement du prolétariat dans la lutte de classe.” C’est d’une immonde hypocrisie. Les partis staliniens se proclamaient des défenseurs de la révolution communiste alors qu’ils en étaient les plus féroces ennemis. Personne ne doit être dupe : quel que soit le scénario, présence en nos rangs d’une “taupe” de la FICCI ou manipulation par les services officiels de l’État, le dernier “coup d’éclat” de la FICCI-GIGC démontre clairement que sa vocation n’est absolument pas de défendre les positions de la Gauche communiste et d’œuvrer à la révolution prolétarienne mais de détruire la principale organisation actuelle de la Gauche communiste. C’est une agence policière de l’État capitaliste, qu’elle soit rétribuée ou non.
Le CCI s’est toujours défendu contre les attaques de ses ennemis, notamment contre ceux qui veulent le détruire par des campagnes de calomnies et de mensonges. Cette fois non plus il ne se laissera pas faire. Il ne sera ni déstabilisé, ni intimidé par cette attaque de l’ennemi de classe. Toutes les organisations prolétariennes du passé ont dû faire face aux attaques de l’État bourgeois en vue de les détruire. Elles se sont défendues farouchement et, bien souvent, ces attaques, loin de les affaiblir, ont au contraire renforcé leur unité et la solidarité entre militants. C’est de cette façon que le CCI et ses militants ont toujours réagi face aux attaques et aux mouchardages de la FICCI. C’est ainsi que, dès qu’a été connu l’“appel” ignoble du “GIGC”, toutes les sections, tous les militants du CCI, se sont immédiatement mobilisés pour défendre avec la plus grande détermination notre organisation et nos camarades ciblés dans cet “appel”.
CCI, 4 mai 2014
() “Défense de l’organisation : les méthodes policières de la “FICCI [431]””, “Les réunions publiques du CCI interdites aux mouchards [432]”, et “Calomnie et mouchardage, les deux mamelles de la politique de la FICCI envers le CCI [433]”.
() Voir notamment notre communiqué du 21 février 2002, “Le combat des organisations révolutionnaires contre la provocation et la calomnie – Communiqué à nos lecteurs [434]”.
Voilà cinq ans que la population du nord du Nigeria vit dans l’horreur et la terreur. Depuis 2009 et son appel au djihad, Boko Haram n’a de cesse de commettre les pires exactions. Ce groupe terroriste massacre tous ceux qui semblent s’écarter de sa doctrine islamiste : villageois, écoliers… Rien que depuis le début de cette année, l’ONG Amnesty International estime que leurs crimes ont fait mille cinq cents victimes. L’objectif est simple : faire appliquer la charia, la loi islamique. Ce groupe et son idéologie barbare sont incontestablement une expression caricaturale de la décomposition du capitalisme. Il s’agit en particulier d’écarter tout ce qui relève de la culture et de l’éducation dite “moderne” ou “occidentale”, “Boko Haram” signifiant littéralement “l’éducation occidentale (ou moderne) est interdite”. Leur dernier exploit macabre vient d’ailleurs de faire la Une des médias de toute la planète : le 14 avril, ces terroristes ont enlevé deux cent soixante-seize lycéennes dans leur dortoir à Chibok. Ils ont ensuite fanfaronné devant les caméras pour annoncer leur mise en vente comme esclaves. Si cinquante-trois d’entre elles sont parvenues à s’échapper, un mois après, personne ne sait ce que sont devenues les deux cent vingt-trois autres jeunes filles.
L’indignation face à une telle barbarie a secoué immédiatement les réseaux sociaux dans tous les pays. Le 23 avril est ainsi apparu sur le Web le mot clef #Bring Back Our Girls (Rapportez nos filles), mot d’ordre relayé spontanément en quelques jours par des millions d’internautes. Il s’agit là d’une réaction saine, d’un refus de rester indifférent, d’un refus de s’habituer aux pires atrocités commises chaque jour dans ce monde barbare. La classe laborieuse, comme en grande partie les couches non-exploiteuses, qui subissent partout les mêmes conditions indignes, sont ainsi souvent bouleversées par le sort d’autres êtres humains qui leur sont inconnus mais avec qui elles se sentent pourtant liées. Dans ce sentiment instinctif d’appartenir à une seule et même humanité, à se solidariser, voire à s’unir pour lutter, recèle l’une des clefs de l’avenir.
La grande bourgeoisie, par la bouche de ses dirigeants politiques, son intelligentsia, ses figures médiatiques… s’est elle aussi fendue de déclarations afin de manifester tout son émoi et sa solidarité. Ainsi, entre autres exemples, Michelle Obama, la Première dame des États-Unis, posant ci-contre pour la photo.
Cette image a fait le tour du monde comme symbole de la mobilisation des puissants pour ces 223 jeunes filles en danger. Quel cynisme ! Quelle hypocrisie sans borne ! Si Boko Haram est un rassemblement de fous fanatiques meurtriers, la grande bourgeoisie est tout aussi barbare. Cette classe dirige un système d’exploitation inhumain et ne recule devant rien pour défendre ses intérêts. C’est froidement et en toute conscience qu’elle commet des massacres de masse, à grande échelle : les deux guerres mondiales, le Vietnam ou la Corée, la guerre du Golfe en 1991, celles d’Afghanistan ou d’Irak dans les années 2000… la liste des boucheries impérialistes est sans fin. A ses yeux, la vie des esclaves n’a aucune valeur. D’ailleurs, concrètement, derrière le paravent médiatique, dans le monde réel, au Nigeria, ce sont les parents qui sont partis à la recherche de leurs propres filles, se cotisant pour payer l’essence.
Tout ce cirque médiatique ne visait en réalité qu’une seule chose, redorer à peu de frais le vernis des dirigeants politiques des grands pays démocratiques. Quelques belles photos, quelques déclarations, quelques clics sur les réseaux sociaux et pourquoi pas quelques larmes de crocodiles devant les caméras, voilà comment tous ces bouchers veulent nous faire oublier leurs propres croisades sanguinaires.
Cette grande propagande internationale n’est une fois de plus qu’une immense opération de marketing destinée à régénérer l’idéologie démocratique en profitant de la barbarie. La guerre menée par Boko Haram, même si elle ne semble pas directement affecter l’économie du pays, une des premières du continent africain, le pétrole, les grandes villes, les zones de production étant toutes au sud quand le groupuscule terroriste décapite et éviscère à tour de bras dans le nord, apparaît comme une opportunité pour orchestrer une campagne médiatique efficace, une campagne qui laisse dans l’ombre le véritable mobile de son agitation. Même si l’intérêt purement économique et immédiat pour les grandes puissances d’intervenir directement paraît a priori assez limité, nul doute que les requins impérialistes tournant autour de cette région géostratégique voient par contre une occasion pour essayer de s’implanter militairement face à leurs rivaux. Ainsi, le 6 mai, les États-Unis ont annoncé l’envoi de forces armées ; puis la France leur a emboîté le pas en annonçant, le 7 mai, l’envoi d’une “équipe spécialisée” et le Royaume-Uni mobilisera bientôt lui aussi des “conseillers spéciaux” et des forces spéciales de son armée de l’air. Tous ces gens cyniques se moquent et se fichent totalement des lycéennes ! L’expérience nous montre la signification de ces élans humanitaires des représentants de la grande bourgeoisie : un même alibi pour avancer, encore une fois, leurs pions respectifs dans la guerre impérialiste sans merci que les nations se livrent continuellement.
DG, 15 mai 2014
Les accrochages meurtriers dans la région de Donetsk, les tensions et nouvelles provocations dans l’Est de Ukraine, comme le référendum pro-russe bidon et les divers petits coups de force des troupes spéciales russes, les manifestations et actions diverses tendant à échapper à tout contrôle, les réactions sporadiques de l’armée ukrainienne, tout cela ne relève pas d’une “réalité du xixe siècle” ou d’un “autre âge” comme veulent le faire croire bon nombre d’observateurs, mais bel et bien de la logique interne du système capitaliste, d’un système en décomposition, toujours bien présent et toujours meurtrier.
Cet article, rédigé en mars, revient spécifiquement sur l’hypocrisie de la classe dominante, notamment occidentale, qui persiste à se parer d’une image “pacifiste”, garante des “droits”, se donnant bonne conscience en enfumant les esprits par l’annonce de “sanctions” à l’égard des dirigeants russes.
L’article ci-dessous nous invite à aller au-delà de la simple dénonciation et indignation pour revenir sur la nécessité d’aller à la racine du problème : le fait que chaque Etat, petit ou grand, est impérialiste et donc que le prolétariat ne doit en aucun cas soutenir l’un ou l’autre des camps belligérants. Dans un prochain article nous reviendrons en profondeur sur l’analyse des événements qui se déroulent en Ukraine.
Quand les troupes russes s’emparèrent des bâtiments stratégiques en Crimée, le secrétaire d’État américain John Kerry prononça cette condamnation sans concession : “Au xxie siècle, il est inconcevable de se comporter comme au xixe siècle, en envahissant un autre pays, sous un prétexte totalement fallacieux.”
Poutine, cependant, empruntant une expression à Tony Blair, insista sur le fait que la demi-invasion de l’Ukraine était une “intervention humanitaire” et que, de toutes façons, les forces qui ont pris possession du Parlement de Crimée étaient de simples “unités d’auto-défense” qui ont acheté leurs uniformes russes dans un magasin d’occasions.
Il n’est pas difficile de voir la vacuité et l’hypocrisie de ces représentants du capital. La déclaration de Kerry a été accueillie par un torrent de protestations à gauche : celle-ci a fait remarquer que le fait d’inventer des prétextes pour justifier l’invasion d’autres pays correspond exactement au comportement des États-Unis depuis les vingt dernières années et plus : il suffit de rappeler l’invasion en 2003 de l’Irak, justifiée par la suspicion de présence d’armes de destruction massive, ou le comportement des États-Unis au xixe siècle. De même, l’appel de Poutine pour des motifs humanitaires porte le monde entier à se moquer de lui lorsqu’on pense à Grozny réduite à des décombres dans les années 1990 quand l’armée russe a réprimé sans ménagement les tentatives des Tchétchènes voulant rompre avec la Fédération de Russie.
Le comportement des États du xixe siècle est une référence pour l’impérialisme. A cette époque de l’histoire du capitalisme, les grandes puissances ont construit des empires énormes en envahissant des pans entiers de l’espace pré-capitaliste, à la recherche de marchés. Les efforts désespérés pour s’emparer des espaces restants, s’y accrocher ou se les partager, furent un facteur décisif dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
De tous les marxistes et aussi de notre point de vue, Rosa Luxemburg avait la vision la plus clairvoyante des origines et de la nature de l’impérialisme. Elle a ainsi analysé la signification de cette transition de l’impérialisme du xixe au xxe siècle : “Avec le degré d’évolution élevé atteint par les pays capitalistes et l’exaspération de la concurrence des pays capitalistes pour la conquête des territoires non capitalistes, la poussée impérialiste, aussi bien dans son agression contre le monde non capitaliste que dans les conflits plus aigus entre les pays capitalistes concurrents, augmente d’énergie et de violence. Mais plus s’accroissent la violence et l’énergie avec lesquelles le capital procède à la destruction des civilisations non capitalistes, plus il rétrécit sa base d’accumulation. L’impérialisme est à la fois une méthode historique pour prolonger les jours du capital et le moyen le plus sûr et le plus rapide d’y mettre objectivement un terme. Cela ne signifie pas que le point final ait besoin à la lettre d’être atteint. La seule tendance vers ce but de l’évolution capitaliste se manifeste déjà par des phénomènes qui font de la phase finale du capitalisme une période de catastrophes” ().
Ces mots ont été écrits un an avant l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Et nous sommes toujours en train de vivre cette “période de catastrophes”, marquée par une crise économique globale, deux guerres mondiales, des guerres par procuration meurtrières (souvent menées au nom de la décolonisation) au cours de la guerre froide, puis les conflits exprimant le chaos qui a envahi le globe après la chute du vieux système des blocs Est-Ouest.
Dans ce conflit, l’impérialisme peut avoir changé de forme – le fait de garder des colonies, par exemple, comme dans le cas de la Grande-Bretagne et de la France, devenait le signe d’un déclin impérialiste plutôt que d’une force, et la nation capitaliste la plus puissante, les États-Unis, a supplanté les vieux empires en utilisant son immense force économique pour asseoir sa domination sur de larges pans de la planète. Mais, même les États-Unis ont été obligés encore et encore d’utiliser leur force militaire pour soutenir leur influence économique, y compris par l’invasion d’autres pays, de la Corée à Grenade et du Vietnam à l’Irak. De même leur principal rival durant la guerre froide, l’URSS, qui, du fait de sa faiblesse économique, utilisait un contrôle militaire brutal, seule façon de tenir la cohésion de son bloc : comme nous avons pu le voir avec les invasions de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie. Et bien que l’URSS n’existe plus, la Russie de Poutine ne lâche rien sur l’option militaire pour défendre ses intérêts nationaux.
En bref : l’impérialisme, loin d’être un phénomène du xix siècle, dirige toujours le monde. Et comme Rosa Luxemburg l’écrivait de la prison où elle était détenue pour s’être opposée au bain de sang de 1914 : “La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire” ().
En d’autres termes, toutes les nations sont impérialistes aujourd’hui, de la plus grande à la plus petite, toutes sont poussées par les exigences impérieuses de l’accumulation capitaliste à s’étendre aux dépens de leurs rivaux, à utiliser la guerre, le massacre et le terrorisme pour défendre leurs intérêts économiques et diplomatiques. De même, la phrase nationaliste “ne sert plus qu’à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu’elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l’adhésion des masses populaires et de leur faire jouer leur rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes” ().
R. Luxemburg, comme Lénine, Trotski, Pannekoek, Rosmer et les autres, était une internationaliste. Elle ne considérait pas la société du point de vue de “son pays” mais de “sa classe”, la classe ouvrière, qui est la seule classe réellement internationale parce qu’elle est exploitée et attaquée par le capitalisme dans tous les pays. Elle savait que le nationalisme avait toujours été une façon de cacher la réalité fondamentale selon laquelle la société capitaliste est divisée en classes – une qui possède l’économie nationale et qui contrôle l’État national, et l’autre qui ne possède rien d’autre que sa force de travail. Dans le passé, alors que le capitalisme venait d’émerger de la vieille société féodale, l’idéal de la libération nationale pouvait servir les intérêts de la révolution bourgeoise progressiste, mais, dans la période du déclin du capitalisme, rien de positif ne reste du nationalisme, si ce n’est d’entraîner les exploités dans la guerre, pour la survie de leurs exploiteurs.
C’est pourquoi les internationalistes, en 1914, ont défendu la poursuite et l’approfondissement de la lutte de classe contre leur propre classe dominante ; pour la solidarité avec les ouvriers des autres pays luttant contre leur classe dominante ; pour l’unification éventuelle des ouvriers du monde entier en une révolution contre la loi capitaliste en tout lieu. C’est pourquoi ils ont adopté la même position au moment de la Seconde Guerre mondiale, guerre de procuration entre les États-Unis et l’URSS, et c’est pourquoi nous adoptons la même position contre les guerres d’aujourd’hui. Nous ne cautionnons pas la politique “du moindre mal” contre “l’ennemi numéro un”, nous ne défendons pas les “petites nations” contre les nations plus fortes. Nous ne soutenons pas non plus qu’il existe un “nationalisme des opprimés” qui serait moralement supérieur au “nationalisme de l’oppresseur”. Toutes les formes de nationalisme aujourd’hui sont également réactionnaires et meurtrières.
Dans le conflit actuel en Ukraine, nous ne défendons pas la “souveraineté” de l’Ukraine, soutenue par l’impérialisme américain, pas plus que nous ne défendons le militarisme russe mobilisé contre les États-Unis ou l’influence européenne sur leur flanc sud. Nous ne sommes pas non plus “neutres” ou pacifistes. Nous sommes partisans de la lutte de classes dans tous les pays, même si, comme en Ukraine ou en Russie aujourd’hui, la lutte de classes est noyée dans les combats de fractions concurrentes de la classe dominante.
Contre les barricades des drapeaux nationaux, divisant les ouvriers d’Ukraine et de Russie, contre la menace que constitue l’intoxication patriotique, qui risque de les entraîner dans un massacre terrible, les internationalistes ne doivent pas perdre de vue le mot d’ordre du mouvement ouvrier :
“La classe ouvrière n’a pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”
CCI, mars 2014
() R. Luxemburg, L’Accumulation du capital, 1913, “III – Les conditions historiques de l’accumulation”, 31 : “Le protectionnisme et l’accumulation”.
() Brochure de Junius, éd. Spartacus, 1994, p. 127.
() Idem, page 128.
Cet article tente de mieux comprendre la situation sociale ambiante dominée par l’abattement qui règne en France depuis 2010. Mais parce que, comme il est dit dans l’article, “Le prolétariat n’a pas de patrie, il mène partout le même combat, il forme dans tous les pays une seule et même classe ; les défaites ou les victoires d’une partie du prolétariat dans un coin quelconque du globe sont les défaites ou les victoires du prolétariat comme un tout à l’échelle mondiale, chaque lutte portant atteinte à la confiance ou au contraire soulevant l’enthousiasme selon son issue”, la dynamique de la lutte de classe y est étudiée dans sa dimension historique et internationale, avec toutes les interdépendances que cela engendre. L’impact des mouvements sociaux en France influe sur le prolétariat de tous les pays, comme les mouvements à travers le monde influent sur la situation en France. Comme nous le verrons, cette dimension internationale de la lutte prolétarienne est bien connue de la bourgeoisie qui est capable face à son ennemi mortel, le prolétariat, de dépasser ses divisions nationales pour se concerter et s’entraider.
Depuis le mouvement social contre la réforme des retraites en 2010, voilà bientôt quatre ans, il n’y a plus eu une seule manifestation d’envergure en France. Pourtant, les raisons de lutter ne manquent pas. Prises sous le feu croisé de la crise économique et des attaques gouvernementales, les conditions de vie ne cessent de se dégrader. Les licenciements, les plans sociaux et les fermetures d’usines atteignent des sommets (63 100 entreprises ont déposé le bilan en 2013, égalant ainsi le record de 2009) ; chaque fonctionnaire doit réaliser toujours plus de tâches avec toujours moins de collègues, des moyens matériels déplorables et une immense pression morale culpabilisante, souvent proche du harcèlement, les aides sociales fondent comme neige au soleil. Des milliers de chômeurs se font radier chaque mois de Pôle emploi au moindre prétexte, perdant ainsi toutes indemnités ; les impôts et taxes en tout genre explosent… Plus encore que les attaques qui touchent le prolétariat dans sa chair, le mépris de la bourgeoisie pour les travailleurs, simples bêtes de somme à ses yeux, est insupportable. La situation est donc révoltante et devrait soulever massivement bien plus que de la colère : de l’indignation ! Alors pourquoi y a-t-il actuellement si peu de réactions ? Pourquoi cette morne plaine sociale ? Pire. Depuis plusieurs mois, les quelques manifestations qui font la Une des journaux sont celles de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie, qui prônent le repli communautaire ou régionaliste et déversent toute leur haine contre les homosexuels, les Juifs, les femmes qui avortent…
Essayer de comprendre cette situation, sans se bercer de douces illusions ni sombrer dans le désespoir, en affrontant les difficultés réelles du développement de la lutte contre le capitalisme, telle doit être l’attitude de tous ceux qui souhaitent contribuer au mieux à l’avènement d’un autre monde. Ces mots de Rosa Luxemburg prononcés en janvier 1919 devant les ouvriers de Berlin en pleine insurrection, doivent être pour tous une source d’inspiration : “Je crois qu’il est sain pour nous d’avoir en pleine clarté devant les yeux toutes les difficultés et les complications de cette révolution. Car j’espère bien que, pas plus que sur moi, cette description des grandes difficultés des tâches qui s’accumulent n’a pas sur vous un effet paralysant ; au contraire : plus la tâche est grande, plus nous rassemblerons toutes nos forces” ().
Le stalinisme est le fossoyeur de la révolution prolétarienne de 1917. Après que le gouvernement allemand ait écrasé dans le sang les insurrections de 1919, 1921 et 1923, le prolétariat de Russie s’est retrouvé totalement isolé ; la contre-révolution a alors inexorablement gagné du terrain jusqu’à sa victoire totale. Seulement, ce triomphe de la bourgeoisie ne s’est pas réalisé par la victoire guerrière de l’armée blanche, comme les Versaillais ont en 1871 écrasé la Commune de Paris, mais de “l’intérieur” sous le masque rouge du Parti bolchevik qui a peu à peu dégénéré puis trahi la classe ouvrière ().
Ce fut là un véritable drame historique, non seulement parce que la victoire de la contre-révolution a signifié la déportation ou le massacre par millions des combattants restés fidèles au combat de 1917, mais aussi parce que ces crimes purent être commis au nom du communisme. Le plus grand mensonge de l’histoire “communisme = stalinisme” fut un terrible poison idéologique inoculé dans les veines ouvrières. Il a permis de déformer de façon monstrueuse ce qu’était réellement le combat prolétarien pour l’émancipation de l’humanité. Pour tous les dupes de ce mensonge honteux, quel choix reste-t-il ? Soit continuer à se revendiquer du communisme en défendant, de façon aveugle ou “critique”, “la patrie du socialisme”, c’est-à-dire l’URSS et tous ses crimes ; soit rejeter sans distinction l’URSS, la révolution russe et toute l’histoire du mouvement ouvrier. Tel fut le premier coup de poignard du stalinisme.
Et le second ? Il fut donné à l’occasion de l’effondrement de l’URSS. Une immense campagne idéologique fut orchestrée au début des années 1990 ; la mort du communisme et même “la fin de l’histoire” furent décrétées1. Le même message a été matraqué et matraqué encore sur toutes les têtes : le combat révolutionnaire de la classe ouvrière mène à la pire barbarie. “A la poubelle Marx, Engels et Lénine puisqu’ils ne sont finalement que les pères de Staline ! A la poubelle les leçons des luttes ouvrières de l’histoire puisqu’elles ne peuvent engendrer qu’un monstre ! Vive le capitalisme éternel !” Les sociologues et autres spécialistes en tout genre sont venus apporter ici leur petite contribution en ajoutant que, de toutes façons, la classe ouvrière n’existait plus en Europe ou aux États-Unis puisque l’industrie avait presque disparu ; le bleu de chauffe et Le Manifeste de 1848 étaient donc des reliques.
Il ne faut surtout pas sous-estimer la puissance destructrice phénoménale de cette idéologie. Les travailleurs de telle ou telle branche, les chômeurs, les retraités, les jeunes précaires… se sont retrouvés dans les années 1990 atomisés puisqu’ils n’avaient plus de classe visible à laquelle se rattacher, sans avenir puisque la lutte pour un monde meilleur était officiellement impossible et sans passé puisque la lecture des livres et les leçons du mouvement ouvrier avaient prétendument abouti à l’horreur stalinienne. Le désespoir, le no future, la solitude ont ainsi fait un bond énorme, tout comme les sentiments de solidarité et la combativité ont reculé. Sans perspective, le tissu social s’est décomposé et se décompose encore ().
C’est ainsi que la dynamique de luttes née avec le tremblement de terre prolétarien de Mai 1968 en France et qui ne cessait de parcourir le monde, s’est brisée en 1990 et 1991. La bourgeoisie est parvenue à faire croire au prolétariat qu’il n’existait plus, que sa révolution n’avait jamais été, n’est pas et ne sera jamais ().
La bourgeoisie est la classe dominante la plus machiavélique et manœuvrière de l’histoire. Et si la Commune de Paris de 1871 et surtout la Révolution russe de 1917 lui ont bien fait comprendre une chose c’est que ses capacités, elle doit les employer à tout mettre en œuvre pour empêcher le prolétariat d’affirmer sa perspective historique. Un bref résumé des manœuvres et pièges tendus par la bourgeoisie depuis le début des années 1990 aux travailleurs vivant en France est à ce titre très éclairant sur la façon dont cette classe a constamment eu pour préoccupation d’endiguer le développement de la conscience du prolétariat en exploitant sans relâche la principale faiblesse de son ennemi mortel, celle de ne plus savoir qui il est, d’avoir perdu son identité :
En 1995, la bourgeoisie française a profité du déboussolement des travailleurs pour redorer à peu de frais le blason de ses plus fidèles chiens de garde, les syndicats. Comme elle savait parfaitement qu’une prise en mains des luttes par les travailleurs eux-mêmes était alors impossible compte tenu de l’état de faiblesse de la conscience prolétarienne, la bourgeoisie française s’est permise de créer artificiellement un mouvement massif en lançant simultanément deux attaques, l’une de grande ampleur et touchant tout le monde (le plan Juppé sur la Sécurité sociale) et une spécifique (contre les “privilèges” des cheminots), ce qui était à l’évidence une provocation. Il s’agissait d’un calcul permettant aux syndicats d’apparaître pour l’occasion “unis, combatifs et radicaux”. Dans quel but ? Face à l’usure accélérée des syndicats et à la défiance des travailleurs suscitée par trente-cinq ans de sabotage des mouvements sociaux (depuis mai 1968 et les luttes qui s’en suivirent dans les années 1970 et 1980), il était important pour la bourgeoisie d’imprimer une nouvelle image positive de ses officines d’encadrement de la classe ouvrière et de pousser les ouvriers à leur faire confiance. C’est pourquoi face à ce mouvement en carton-pâte, le gouvernement Juppé a fait mine de trembler et a retiré officiellement ses attaques. Les syndicats pouvaient triompher, le message selon lequel “la lutte paye si et seulement si vous suivez comme des moutons vos syndicats” était passé (). Car il n’y a rien pour la bourgeoisie de plus dangereux que des prolétaires qui commencent à penser et à s’organiser par eux-mêmes.
En 2003, l’ambiance sociale a changé. Alors la bourgeoisie a sorti la même partition : deux attaques simultanées, la première générale (une énième réforme des retraites) et une particulière (suppression de milliers de postes dans l’Éducation nationale). Mais le gouvernement l’a joué différemment. La manœuvre était simple : masquer l’attaque sur les retraites qui touchait toute la classe ouvrière, en harcelant un secteur spécifique avec une mesure spécifique. Et c’est ici que les syndicats, recrédibilisés par la manœuvre de 1995, sont entrés en scène. Refoulant la question des retraites au second plan, ces officines ont mis en avant la revendication particulière des travailleurs de l’Éducation nationale. Ainsi, le secteur de la classe ouvrière le plus touché, au lieu de devenir la locomotive d’un mouvement plus large et global, s’est englué dans le piège du corporatisme. Les enseignants se sont retrouvés isolés et impuissants. Les syndicats finiront d’épuiser les éléments les plus combatifs en les entraînant dans des actions désespérées et stériles comme le blocage des examens de fin d’année. Et afin de parachever le travail de sape, la bourgeoisie pris un malin plaisir à annoncer à grand renfort de publicité que pas un seul jour de grève ne serait payé. Le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, pouvait ainsi, en guise de conclusion, ressortir son message adressé à toute la classe ouvrière : “Ce n’est pas la rue qui gouverne.”
En 2006, le mouvement contre le CPE n’a pas été voulu et programmé par la bourgeoise. Au contraire, il va la surprendre. A l’origine, l’attaque semble bénigne : il s’agit d’instaurer un nouveau contrat précarisant encore un peu plus le travail des moins de vingt-cinq ans. Seulement, une large partie des jeunes futurs prolétaires vont réagir de façon inattendue en prenant en mains la lutte à travers de vraies assemblées générales et en refusant de se laisser enfermer dans un mouvement de “jeunes”, en en appelant au contraire à la solidarité des autres secteurs, des retraités, des chômeurs. Cela ne se fait d’ailleurs pas sans heurts avec les syndicats étudiants qui tentent partout de saboter cette auto-organisation et cette volonté d’extension du mouvement. Et la mayonnaise prend. Manifestation après manifestation, toujours plus nombreux sont les membres de la classe ouvrière à venir grossir les rangs, de façon totalement désintéressée (puisque la réforme prévue ne les touche pas directement) ; ils sont portés par ce qui est le ciment de notre classe : le sentiment de solidarité. La bourgeoisie a l’intelligence de sentir clairement le danger et retire immédiatement le projet pour mettre un terme à cette dynamique menaçante.
L’année suivante, en 2007, le vent enthousiasmant de cette expérience souffle encore un peu. Les cheminots d’un côté, les lycéens et étudiants de l’autre sont attaqués séparément et de façon ciblés. Nombreux sont les lycéens à se joindre au mouvement de lutte des cheminots et les manifestations rassemblent de façon relativement plus large des travailleurs des autres secteurs, des retraités et des chômeurs. Lors d’assemblées générales, des dirigeants syndicaux sont conspués et chassés (). Cela dit, cette fois, parce que l’élan de solidarité au sein de la classe est tout de même moindre qu’en 2006 et que les assemblées générales demeurent au main des syndicats, le gouvernement ne cède pas ; les attaques passent et la lutte finit par s’épuiser. Le prix à payer pour la bourgeoisie pour faire passer le message selon lequel “lutter ne paie pas” est un discrédit important des syndicats. Mais la défaite n’est pas suffisamment amère pour le prolétariat au goût de la bourgeoisie, elle ne pouvait donc en rester là.
En 2008 et 2009, en Guadeloupe, face à la cherté de la vie, la colère est immense. La bourgeoisie française va alors utiliser ce prolétariat combatif mais isolé, manquant d’expérience et empoisonné par la division raciale entre les blancs et les noirs, comme des cobayes dans un laboratoire grandeur nature pour tester ses manœuvres. S’en suit la plus grande mobilisation ouvrière de l’histoire de l’île, quantitativement impressionnante, mais totalement encadrée de bout en bout par le syndicat local (le LKP). Ce mouvement s’achèvera avec quelques promesses de contrôle des prix et quelques aides ponctuelles et surtout un immense épuisement de la combativité. La manœuvre était rodée et pouvait donc être appliquée à plus grande échelle à la métropole.
2010 va ainsi connaître tout au long de l’année une série de manifestations massives. Là encore, la colère est immense face à une forte dégradation des conditions d’accès à la retraite, symbole d’un avenir de plus en plus noir. Mais d’emblée les syndicats prennent les affaires en mains. En fait, ils s’étaient entretenus déjà préventivement de nombreuses fois à l’Élysée, leur riposte était donc déjà planifiée et décidée collectivement avec le gouvernement. Mois après mois d’abord, puis semaine après semaine ensuite, ils mobilisent largement et font défiler des millions de travailleurs lors de “journées d’action” toutes aussi stériles les une que les autres. Une toute petite minorité réagira d’ailleurs en prônant dans des assemblées générales organisées en dehors du contrôle syndical et rassemblant quelques dizaines de personnes, la prise en mains de la lutte par les travailleurs eux-mêmes. Mais cet appel, profondément juste pour l’avenir, ne pouvait être qu’un vœu pieux dans la situation immédiate marquée par un encadrement syndical absolu. Au fil de ces journées d’action, où les discussions sont interdites par la kermesse syndicale, où les rencontres entre les différents secteurs de la classe des exploités est impossible du fait du “parcage” syndical, chacun restant bien en rang sous “sa” banderole, aux côtés de “ses” collègues, où les assemblées générales sont organisées en catimini pour les syndiqués et selon une savante règle de division proche du saucissonnage (secteur par secteur, boîte par boîte, corporation par corporation et parfois même étage par étage…), le résultat est un épuisement, un découragement et surtout un sentiment d’impuissance croissant. Pour parachever ce travail de sape et alors que le mouvement commence à décliner, les syndicats finissent par se radicaliser en prônant le blocage de l’économie par l’occupation du secteur prétendument stratégique des raffineries. Les ouvriers les plus combatifs se retrouvent donc isolés à devoir défendre seuls le blocage de “leur” unité de production pétrolière. Cette manœuvre, il faut en avoir conscience, fut d’une redoutable efficacité pour la bourgeoisie car, quatre années plus tard, le sentiment d’impuissance ressenti à l’époque fut tel que la situation sociale est encore marquée aujourd’hui par le sceau de l’abattement.
Le timing de cette manœuvre doit aussi interroger. Pourquoi cette volonté d’épuiser la combativité ouvrière en France précisément à ce moment là ? A l’été 2007, avec la crise des subprimes et surtout à l’automne 2008 avec la faillite de la banque Lehman Brothers, la crise économique mondiale connaît une brusque aggravation. En Europe, la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne sont touchés de plein fouet alors que la France est relativement épargnée, notamment par l’explosion massive du chômage et la baisse des salaires des fonctionnaires. Pourtant, c’est bien en France que va avoir lieu en premier la “riposte” syndicale. Pourquoi ? Par le mouvement artificiel de 2010 qui va durer jusqu’à épuisement, il est tout à fait possible que la bourgeoisie ait ici réalisée une sorte de contre-feu : sentant la colère et la réflexion se développer dans les pays les plus gravement atteints par la crise, en particulier en Espagne (pays qui a lui aussi une longue expérience de luttes ouvrières), il fallait préventivement épuiser la colère et décourager à la lutte en France. Voir s’étendre une seule et même lutte entre ces deux prolétariats voisins serait dangereux pour la bourgeoisie et donc inacceptable. Quoi qu’il en soit, cette manœuvre syndicale de la bourgeoisie française a eu effectivement comme résultat de démoraliser les travailleurs de l’hexagone juste avant que ne se développe un mouvement social porteur de l’autre côté des Pyrénées. En 2011, en effet, quand le mouvement des Indignados (les indignés) va naître sur la place de La Puerta del Sol à Madrid et se propager aux quatre coins du monde, même en Israël ou aux États-Unis sous le nom des Occupy, il viendra s’échouer lamentablement en France sur la résignation de prolétaires épuisés et abattus. L’extension géographique du mouvement des Indignados vers ses plus proches voisins et frères de classe a ainsi été brisée et les Indignés se sont finalement retrouvés isolés… ce qui explique en partie qu’en Espagne aussi la situation sociale est depuis lors très morne malgré les coups de boutoirs puissants et incessants de la crise économique. Le prolétariat n’a pas de patrie, il mène partout le même combat, il forme dans tous les pays une seule et même classe ; les défaites ou les victoires d’une partie du prolétariat dans un coin quelconque du globe sont les défaites ou les victoires du prolétariat comme un tout à l’échelle mondiale, chaque lutte portant atteinte à la confiance ou au contraire soulevant l’enthousiasme selon son issue. C’est pourquoi cette réussite de la bourgeoisie dans la prévention de la convergence des mouvements en France et en Espagne, explique le recul des luttes depuis la fin 2011 bien au-delà des frontières de ces deux seuls pays, le contre-coup de l’isolement des Indignados s’est répercuté à l’échelle internationale. L’autre raison de cette dynamique négative, qui doit toujours être inscrite dans le cadre de la décomposition et de la perte d’identité de classe du prolétariat depuis 1990, est le tour sinistre qu’a pris le “Printemps arabe”. En effet, les mouvements sociaux initiaux de Tunisie et d’Égypte, avec le symbole de l’occupation de la place Tahrir, même s’ils étaient d’emblée marqués par la faiblesse de l’interclassisme, étaient aussi animés par une vague d’indignation et concrètement de grèves de la classe ouvrière. Le mouvement des Indignados y avait d’ailleurs vu une source d’inspiration et de courage, clamant aux premiers jours de lutte à Madrid ce slogan internationaliste : “De la place Tahrir à la Puerta del Sol !”. Seulement, en Libye puis en Syrie, le prolétariat trop faible historiquement n’a pu apporter son souffle ; ce sont au contraire la guerre civile et les enjeux impérialistes tant régionaux qu’internationaux qui ont fini par dominer totalement la situation, engendrant toutes les horreurs imaginables de la guerre capitaliste. L’Égypte a alors basculé aussi à son tour, dans une moindre mesure évidemment, dans cette barbarie faite d’affrontements meurtriers dans le seul intérêt des bandes bourgeoises rivales. Le message apparent qui ressort de cet enchaînement, et relayé abondamment par les médias généreux en images horribles, est que la lutte sociale, l’aspiration à la dignité et à la liberté, sont des impasses qui mènent à toujours plus de chaos. Et les derniers événements en Ukraine confirment encore un peu plus ce sentiment. Il faudra un véritable effort de réflexion au sein de la classe ouvrière pour comprendre les raisons réelles de cette dégénérescence vers la guerre civile :
– le prolétariat n’a rien à gagner à se battre pour plus de démocratie bourgeoise ou un “capitalisme plus humain” car cela revient à se battre pour maintenir ce système d’exploitation qui ne peut être que barbare ;
– il à tout à perdre à se laisser entraîner derrière la confrontation des différentes cliques et bandes de la bourgeoise ;
– il n’a aucun intérêt local, régional, national, communautaire, ethnique, religieux à défendre ;
– sa lutte est celle de l’abolition de l’exploitation, des classes et des frontières à l’échelle du monde ;
– sa force est celle du développement de sa conscience et de sa moralité, de son auto-organisation et de sa solidarité internationale !
La bourgeoisie distille en permanence quantités de mensonges et autres subterfuges qui pourrissent insidieusement la réflexion. Toutes les manœuvres de la bourgeoisie française depuis les années 1990 renvoient ainsi à cette autre grande arme de la classe dominante face à son ennemi : son intelligence et la force de sa propagande idéologique :
Les années qui ont suivi l’effondrement de l’URSS furent dominées par cette offensive idéologique impitoyable sur la mort du communisme et “la fin de l’histoire” ; années durant lesquelles le mensonge “stalinisme = communisme” fut répété jusqu’à satiété. Ce fut là un coup porté terrible à la confiance des ouvriers à lutter pour un monde meilleur, comme nous l’avons déjà vu précédemment.
Les manifestations de 2003 montraient, nous l’avons dit aussi, un léger timide changement du climat social par rapport au désespoir ambiant des années 1990 ; non seulement la colère et la combativité étaient très grandes mais surtout une réflexion commençait à se développer depuis le début des années 2000 sur l’évolution de la situation mondiale. La marchandisation de toute activité humaine, la destruction de la planète et la précarité galopante étaient autant de sujets d’inquiétude. L’antimondialisme des années 1990, qui prônait fondamentalement le repli nationaliste et exprimait ainsi la peur face à l’avenir, s’est alors mué en altermondialisme, animé d’une volonté de lutte contre l’uniformisation et la standardisation, volonté symbolisée par ce slogan : “un autre monde est possible”. Cette évolution est intéressante car elle révèle un changement d’état d’esprit au sein de la classe ouvrière. En effet, la bourgeoisie a dû s’adapter, faire évoluer sa propagande pour attirer dans ses filets idéologiques les ouvriers et détourner ainsi leur réflexion des racines profondes du mal de l’humanité : le capitalisme, l’exploitation de l’homme par l’homme, la société de classes. Car l’antimondialisme comme l’altermondialisme sont des pièges idéologiques tendus par la bourgeoisie pour diluer les ouvriers dans l’interclassisme, les éloigner de toutes pensées révolutionnaires et les rabattre vers les “combats” pour “plus de démocratie”, “une politique moins libérale et plus humaine”, un “commerce équitable”, etc. ().
Quelques années plus tard, à partir de l’été 2007, l’aggravation considérable de la crise va pousser la bourgeoisie à adapter une nouvelle fois son discours. Traditionnellement, le discours dominant sur la situation économique mondiale est de nier la gravité de la situation. Lors de la faillite de la banque Lehman Brothers, à l’automne 2008, au contraire, tous les médias, tous les politiciens et tous les intellectuels vont agiter les bras et crier à la catastrophe : le monde était menacé de s’arrêter de tourner, l’économie mondiale pouvait sombrer dans le gouffre des dettes et l’apocalypse nous attendait tous. Pourquoi ce changement radical de ton ? Pourquoi arrêter de cacher la gravité réelle de la situation économique mondiale pour, à l’inverse, la dramatiser de façon outrancière ? La crise économique ne pouvant plus être cachée, la bourgeoisie a décidé d’en parler à longueur de journée pour mieux la déformer et éviter toute réflexion libre. Surtout, ce discours alarmant est venu justifier les “nécessaires sacrifices”. Là aussi, il faut réfléchir à une éventualité : le gouvernement américain et sa banque centrale, la FED, avaient parfaitement les moyens financiers de sauver Lehman Brothers, ils ont pourtant choisi de la laisser se déclarer en faillite. Il n’est pas exclu qu’il s’agissait de trouver une raison pour déclencher une panique médiatique et justifier les “nécessaires sacrifices”. Augmenter la rentabilité des économies nationales américaines et européennes était devenu en effet une nécessité vitale face à la concurrence croissante des “pays émergents”, de la Chine tout particulièrement. Au nom de la “lutte contre les déficits”, nombreux sont les pays menant encore des politiques de réductions drastiques des aides sociales, des salaires, du nombre de fonctionnaires, etc. () Par exemple, aujourd’hui, l’Espagne a effectivement restauré la compétitivité de son économie nationale et exporte à nouveau ().
La bourgeoisie française a elle aussi joué cette carte. De nombreux fonctionnaires partant en retraite n’ont pas été remplacés, les salaires ont été gelés, les aides sociales réduites, les impôts augmentés… Mais il n’y a pas eu comme chez d’autres pays voisins d’attaques de grande ampleur : les réformes structurelles promises de la Sécurité sociale, de l’assurance- chômage, des régimes des retraites, du statut des fonctionnaires… ne cessent d’être reportées.
Il s’agit encore d’une preuve de l’intelligence de la bourgeoisie. Le prolétariat vivant en France est, comme partout ailleurs, atomisé et ne sait plus qu’il existe. Cela dit, et le mouvement de 2006 en a été une nouvelle preuve, il s’agit d’un prolétariat expérimenté et historiquement combatif. Ainsi, même terriblement affaiblie dans la conscience que la classe ouvrière a d’elle-même, une attaque frontale et massive du Capital français risquerait de déclencher un mouvement social tout aussi frontal et massif. Non seulement la bourgeoisie française ne veut pas de cela, mais les bourgeoisies voisines le craignent aussi.
Donc, depuis 2010 et la manœuvre qui a démoralisé les travailleurs, la classe dominante s’emploie à faire perdurer ce calme plat social : elle attaque de façon incessante les conditions de vie et de travail mais par petites touches, de-ci, de-là. Si le lion, sûr de sa force, se jette d’un bond sur la gazelle, les hyènes qui privilégient l’intelligence et la stratégie, harcèlent, mordillent et usent leur proie, avec patience et précision. En l’occurrence, la bourgeoisie française, même si chaque président élu se rêve en lion (), agit en véritable hyène contre les travailleurs. Elle attaque tel secteur ou tel autre, réduit de quelques euros telle aide ou augmente telle taxe, selon le vieil adage “diviser pour mieux régner”. La bourgeoisie appuie volontairement là où cela fait mal : puisque depuis les années 1990, la classe ouvrière a perdu son identité de classe, que règne la décomposition du tissu social et l’atomisation, elle s’abat sur les travailleurs petits paquets par petits paquets, voire individu par individu.
La gauche, au pouvoir depuis la victoire du socialiste François Hollande en 2012, s’avère une nouvelle fois particulièrement douée à ce petit jeu fait d’hypocrisie, de sournoiserie et d’instrumentalisation de la décomposition. En effet, non seulement elle a l’art et la manière d’enrober ses attaques, de les faire passer incognito mais elle sait aussi se dépenser sans compter pour lever un épais brouillard idéologique. En mettant en avant sa loi légalisant le mariage pour tous, en combattant avec forte publicité l’antisémitisme de “l’humoriste” Dieudonné ou encore en créant une taxe touchant particulièrement les petits industriels, paysans, commerçants et artisans, elle savait parfaitement qu’elle ferait se lever la frange la plus nauséabonde de la société. Et cela n’a pas loupé. Manifestations anti-homos, anti-Juifs, pour la “défense des régions” qui se vantaient de rassembler main dans la main petits patrons et ouvriers sous un même “bonnet-rouge” (), etc., rien n’a manqué à ce tableau affligeant.
Ce piège idéologique est redoutable. D’abord, il diffuse dans la société, soit ces idées putréfiées, soit une peur face à cette dynamique décrite comme fascisante. Ensuite, il crée l’illusion que la gauche est progressiste puisque se dressent face à elle les éléments les plus ouvertement réactionnaires. Dans les deux cas, cela renforce le déboussolement de la classe ouvrière, la perte de vue de qui elle est et de la force sociale qu’elle représente en diluant les ouvriers dans ces mouvements interclassistes (pro- ou anti-gouvernementaux).
La seconde partie de cet article, d’ores et déjà disponible sur notre site internet, sera publiée dans le prochain numéro de ce journal et aura pour chapitres : “La solidarité internationale de la bourgeoisie face au prolétariat en France” et “L’avenir appartient à la lutte de classe”.
Pawel, 6 mars 2014
() Citée par Paul Frölich, in Rosa Luxemburg, éd. L’Harmattan, p. 347.
() Lire nos brochures sur la Révolution russe et le stalinisme.
1) Le philosophe et économiste américain Francis Fukuyama eu ainsi un succès retentissant en pronostiquant en 1989 “la fin de l’histoire” (c’est à dire la fin de la lutte des classe) la victoire absolue du “monde libéral” (c’est à dire du capitalisme) et la chute brutale du nombre de guerres. La guerre du Golfe en 1990, quelques mois seulement après cette déclaration triomphante, révèle la profondeur et la véracité de la thèse de ce grand visionnaire de la bourgeoisie (sic !).
() Lire nos “Thèses sur la décomposition”, disponibles sur notre site web.
() Rosa Luxemburg, parlant de la révolution, et cela quelques jours avant de mourir elle-même assassinée par la soldatesque aux ordres de la social-démocratie nouvellement au pouvoir, finit son dernier texte, L’ordre règne à Berlin, par ces quelques mots soulignant l’importance pour le prolétariat de l’Histoire (du lien entre le passé, le présent et le futur), ainsi que sa confiance dans l’avenir : “J’étais, je suis et je serai”.
() En réalité, le plan Juppé est passé intégralement, petit bout par petit bout, les années suivantes.
() Lire nos articles sur le web “Intervention des militants du CCI dans deux AG de travailleurs de la SNCF : les cheminots démasquent les syndicats [439]” et “Un exemple de solidarité des lycéens avec les cheminots [440]”.
() Lire notre article sur le web : “L’altermondialisme : un piège idéologique contre le prolétariat”.
() Alors que, par ailleurs, les banques centrales et tous les États continuent de creuser les déficits en soutenant artificiellement l’économie à coups de dettes.
() Il s’agit d’un exemple illustrant les contradictions qui traversent le capitalisme. La compétitivité de l’économie espagnole est importante pour la santé économique de ce pays mais aussi pour que cesse la crise financière qui travers l’Union européenne. Néanmoins, les exportations de l’Espagne participent également à la saturation du marché et mettent à mal les économies voisines, comme celles de la France.
() Churchill avait, lui, pour surnom “Le dernier lion”.
() Les manifestants portaient le bonnet rouge breton comme signe de ralliement.
Le 14 avril 2014, ce qui semble être la plus grande grève de mémoire récente en Chine commença dans l’une des usines de Yue Yuen à Duongguan, au sud du pays. Selon les estimations, le nombre de grévistes variait de trente à quarante mille, le South China Morning Post du 18 avril avançant le nombre de cinquante mille grévistes. La grève a démarré dans l’une des sept usines de la Yue Yuen Industrial Holding Company installée à Taiwan, le plus gros fabricant de chaussures de marque du monde, produisant des chaussures pour Nike, Adidas, Convers, Reebok, Timberland et des douzaines d’autres encore. Une femme qui avait travaillé dans une de ces usines venait juste de se mettre en retraite et avait constaté que la pension versée était bien inférieure à ce qu’elle croyait toucher. Une grève a éclaté à l’usine et quelques centaines d’ouvriers sont sortis, immédiatement suivis de milliers d’autres dans les six autres sites, les jours suivants. Quelques jours plus tard, environ deux à six mille ouvriers (selon les estimations) sont sortis du site de Yue Yuen dans la province voisine de Jiangxi sur la même revendication concernant l’insuffisance du salaire social.
L’insuffisance de financement pour la protection des ouvriers (les pensions, les assurances accidents, les indemnités de licenciement, les prestations maladie et chômage) est en train de devenir un réel problème pour la classe ouvrière en Chine, particulièrement quand les usines ferment, sont relocalisées dans des endroits moins chers, comme au Vietnam par exemple, ou ailleurs dans le pays comme ici dans la province turbulente de Shenzhen vers la province du Huizhou qui est (pour le moment) plus calme. Cette pénurie chronique est certainement un phénomène lié aux entreprises étrangères, comme l’ont suggéré certaines fractions de la bourgeoisie chinoise (comme ils l’ont fait dans le passé en relation avec les affaires liées aux intérêts japonais) mais c’est néanmoins la pratique courante du capitalisme chinois de même que celle de tous les États capitalistes occidentaux, consistant à rogner encore et toujours sur les pensions, les indemnités de chômage et les prestations sociales des ouvriers. Il est également significatif que la classe ouvrière en Chine soit en train de commencer à se poser la question du budget pour les pensions et les autres prestations à long terme. Cela montre, tout comme pour les ouvriers à l’Ouest, le grand intérêt et le malaise qui existent pour l’avenir et la future génération d’ouvriers. Leurs actions sont sur la même ligne que la lutte contre les coupes dans les retraites en France en 2010 qui ont mobilisé des ouvriers de tous âges dans les rues en une immense manifestation de colère et de protestation. C’est la même question qui a provoqué la grève du métro à New York en décembre 2005 quand les patrons ont essayé de réduire les futurs paiements de pensions et de restreindre les remboursements médicaux, amenant quelque trente-cinq mille ouvriers à débrayer. Un intérêt similaire pour l’avenir a contribué à mobiliser les ouvriers et les jeunes dans des manifestations de masse en Espagne et en Grèce, amenant des dizaines de milliers de personnes dans les rues. Il a fallu toutes la rouerie des syndicats britanniques pour étouffer le questionnement et la colère des ouvriers en Grande-Bretagne, contre une attaque brutale sur les retraites dans les secteurs public et privé ; les syndicats ont aidé les patrons à faire passer les coupes, diminuant les retraites des ouvriers directement employés par eux d’un côté et augmentant les contributions de l’autre.
Un autre problème a surgi pour le prolétariat chinois : les coupes dans les prestations sociales et l’augmentation du nombre de fermetures d’usines ont entraîné le fait que de nombreux emplois sont maintenant classés par l’État comme “temporaires”. Cela génère une grande difficulté pour inscrire les enfants à l’école, obtenir des soins médicaux et toutes les prestations citées plus haut, particulièrement en l’absence de permis de résidence permanente. Là, les ouvriers ne sont pas seulement en train de lutter pour une coupe plus faible dans le “salaire social” mais ils font grève également pour obtenir une augmentation de salaire de 30 %. L’entreprise a fait des propositions aux ouvriers mais, selon toute vraisemblance, ils ne les ont pas acceptées ; la “People’s Republic” a oublié de parler du piège tendu par l’appareil syndical dans les négociations arrangées. Comme le dit le porte-parole et directeur exécutif de Yue Yuen, George Lui, le 22 avril : “Nous ne savons pas trop avec qui négocier”. C’est un vrai problème pour la classe dominante chinoise et cela l’amène à réagir au coup par coup par la répression violente à l’inverse de la tactique à long terme du sabotage subtil opéré par les syndicats à l’Ouest par exemple.
Malgré l’esprit combatif et la solidarité exprimés par la classe ouvrière en Chine, ou à cause d’eux, il y a également des problèmes et des obstacles auxquels les ouvriers doivent se confronter, tout comme leurs frères de classe à l’Ouest. Le nombre de grèves en Chine était cette année trois fois plus important que l’an dernier à la même période. Il y a également eu une augmentation de l’agitation sociale et il faut se souvenir que 99 % des grèves en Chine sont illégales et sauvages. Cette année, les chercheurs parlent d’“une augmentation notable du nombre de grèves et de protestations d’ouvriers depuis la Luna New Year Holiday en février… le mouvement des ouvriers (les grèves et protestations) continue sur une très large base dans toute une série d’industries dans le pays.” Soulignant la réponse répressive de l’État chinois, l’étude poursuit en disant qu’il y a “une nette augmentation de l’intervention de la police et des arrestations d’ouvriers en colère”. Avec un appareil syndical faible et dédaigné, il n’est pas étonnant que la police anti-émeute ait été généreusement déployée ici au Dongguan, dans la mesure où elle est de plus en plus contre la lutte de classe en Chine. On ne dispose pas encore d’une information claire au sujet de la conduite et de l’organisation de cette grève par les ouvriers pour des raisons évidentes mais il est certain que les ouvriers ressentent le besoin d’organiser des assemblées et d’élire leurs propres délégués (il y a eu un appel des ouvriers à se rendre dans une usine de Dongguan pour l’élection de leurs propres délégués et cette grève a certainement des “dirigeants”). Cependant, nous n’en connaissons pas les détails. Ce qui est sûr, c’est que peu de temps après le début de la grève, alors qu’environ un millier d’ouvriers du site de Yue Yuen avaient entamé une marche (peut-être vers une autre usine), la police anti-émeute est intervenue avec des chiens et les “dirigeants” ont été arrêtés, certains ont dû être hospitalisés. La police anti-émeute a également effectué des raids, arrêtant quelques ouvriers dans et autour de l’usine. Il est tout-à-fait possible que certains militants aient été dénoncés par les gorilles de l’omniprésente All China Federation of Trade Unions (ACFTU) ; cette fédération compte 900 000 adhérents, la plupart membres du Parti, et existe dans tout le pays.
Les grèves des ouvriers de Yue Yuen sont monnaie courante (comme l’a été la vague de grève générale en Chine pendant quelque temps) mais des problèmes similaires ont émergé des grèves précédentes cette année : à l’usine IBM de Shenzhen et aux magasins Walmart en mars dernier. L’ACFTU a joué un rôle décisif dans l’installation de 400 magasins Walmart en Chine en 2006-2007 dans un contexte de volonté gouvernementale d’implanter des syndicats dans les sociétés privées. Une partie du marché consistait en ce que tous les employés du Walmart verraient leur cotisation syndicale directement prélevée sur leur salaire. Cela est maintenant légitime pour l’industrie chinoise et c’est un marché très lucratif pour l’ACFTU avec ses 260 millions d’adhérents. Les syndicats britanniques (et généralement les syndicats occidentaux) ont pratiqué la même arnaque depuis des décennies, s’enrichissant directement sur la masse salariale avec la bénédiction des patrons et de la loi.
La protestation des ouvriers contre les indemnités de licenciement minables offertes par Walmart au moment de la fermeture de leur magasin dans la ville de Changde, province du Hunan, est intéressante par la tentative de radicaliser des éléments de l’ACFTU. Le meneur du mouvement est un certain Huang Xingguo, secrétaire de branche et président du syndicat. Il apparaît que Huang, comme beaucoup de dirigeants syndicaux chinois, vient de la gestion administrative et qu’il semble maintenant apparemment dévoué à la cause des ouvriers. Les ouvriers à l’Ouest connaissent la collusion entre administration et syndicats, même s’il y a davantage de flou idéologique là-bas. Huang a fait un pas supplémentaire dans l’imitation des syndicats occidentaux en impliquant des groupes de conseillers juridiques et en prenant la voie toute tracée par les syndicats britanniques consistant à rechercher l’harmonie du travail par les tribunaux. C’est une tendance qui tend à se développer en Chine dans la mesure où cette fraction de la bourgeoisie chinoise recherche la paix sociale à travers la négociation dans le cadre de la loi. D’autre militants, qui ont été impliqués dans la grève initiale ont été arrêtés, mais, à la différence de Huang, qui a des accointances avec la clique des avocats, ils n’ont pas été soutenus par le syndicat américain AFL-CIO. A l’inverse de celui-ci, un certain Wu Guijun, véritable représentant des ouvriers pendant leur grève de trois semaines à l’usine Diweixin (fabrique de meubles) située à Shenzhen province de Hong-kong, faisait partie des 200 ouvriers arrêtés et détenus. Il est toujours en prison et a fait l’expérience malheureuse d’avoir été soutenu par des hommes de lettres libéraux occidentaux, des penseurs, des représentants syndicaux, des défenseurs des droits de l’homme et même (sans doute pour défendre ses propres intérêts impérialistes) la Commission exécutive du Congrès américain, tous réclamant le droit de grève et de protester qui n’existe même pas dans leur propre pays.
Les grèves en cours dans le Dongguan, la vague de grèves qui continue en Chine, montrent le courage militant de larges masses du prolétariat. Mais, comme leurs camarades à l’Ouest, la classe ouvrière en Chine doit affronter et surmonter des obstacles importants. La grève montre aussi le rôle des syndicats qui sont mandatés partout pour protéger l’intérêt national dans tous les pays où ils travaillent. La fonction des syndicats, et cela se voit clairement en Chine, est de surveiller les ouvriers, de concert avec la police anti-émeute, de faciliter les attaques contre eux et de protéger l’État. C’est ce qui arrive en ce moment en Chine, avec ses particularités, mais ce travail anti-ouvrier est une caractéristique des syndicats partout.
Baboon, un sympathisant du CCI, 24 avril 2014
Ces dernières années, de plus en plus nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour mettre en avant des revendications encore plus radicales et rechercher une solution pour une transformation plus fondamentale de la société. Les mouvements de lutte de ces dernières années (Occupy, Indignés, etc.) ont mis en évidence que des revendications partielles en tant que telles, des revendications sur des terrains particuliers de la société, bien qu’elles peuvent constituer un point de départ pour la lutte, sans suite et sans extension dans et par la lutte, se brisent tôt ou tard. Un texte signé Sander du KSU (1), tente de formuler une réponse à cette question.
”Viser les réformes semble, à première vue, plus réaliste, mais il vaut la peine de lutter pour une société qui est entièrement comme tu l’imagines. En revendiquant des réformes, on risque d’affaiblir la lutte une fois que les revendications ont été satisfaites. (…) Des causes sous-jacentes (…) sont faciles à reprendre à leur compte par des parties modérées qui ensuite récupèrent la résistance. Quand par contre, on lutte pour une toute autre société (…) alors il est possible sur cette base de davantage développer, parce que le but final dès le début est une société totalement différente et ainsi on peut continuer vers ce qu’on vise véritablement” ().
Et Sander n’est pas le seul qui constate que poser des “revendications réalistes” ne favorise pas le combat. D’autres voix également font un plaidoyer pour radicaliser les revendications :
”Celui qui soumet l’art aux lois du marché, après tout, abolit la promesse sur l’avenir. Car du véritable art est hors normes, un sens du possible et de l’imagination et c’est là que le changement commence. Aussi l’artiste et les amoureux de la culture doivent, en ce qui concerne la gestion de la culture, oser réfléchir sur un changement radical” ().
“Les dernières années m’ont appris que beaucoup de gens entre temps savent qu’un changement radical est inévitable. Les crises sociales, écologiques et économiques ne peuvent pas être résolues par un ‘business as usual’. Les conceptions existantes ont mené vers les crises et ne peuvent être employées pour les résoudre” ().
Mais comment mettre en avant des revendications encore plus radicales si on a déjà lutté pour l’abolition du capitalisme ? Quelque part désorientés, mais non découragés et battus, les camarades combatifs du KSU se retirent pour soigner leurs blessures et tirer les leçons, à la recherche d’une autre façon d’enfoncer une plus grande brèche dans le mur de l’État capitaliste. Plusieurs articles sont parus sur le site web du KSU, qui essayent de donner un élan à un nouveau concept stratégique pour la lutte à venir.
Toutes sortes de groupes, surtout anarchistes, ont depuis des années pris ces mêmes chemins battus. Le KSU est un des rares groupes dans le milieu politique qui montre encore une vraie vie et garde la capacité de prendre un autre chemin, dans une tentative de sortir de l’impasse dans laquelle il est arrivé, en partie suite à son propre activisme. C’est un regroupement qui existe depuis plusieurs années mais qui n’est pas un groupe d’action classique. Même si rien n’indique que de nombreuses discussions ont lieu au sein du groupe, les participants sont néanmoins intéressés par la théorie. Régulièrement des textes sont publiés, surtout des reprises, qui approfondissent l’un ou l’autre thème.
Le groupe est assez hétérogène, n’a pas de concept idéologique fixe (anarchiste, situationniste, moderniste, etc.)et développe surtout des activités dans le cadre de l’enseignement supérieur et de la science. Même si le noyau est resté pratiquement le même depuis plusieurs années, le groupe attire encore régulièrement des nouveaux, jeunes gens qui, avec des nouvelles idées, ravivent le groupe. Récemment encore par la publication de quelques contributions sur une stratégie utopique, qui pourrait éventuellement redonner une perspective à la lutte anticapitaliste :
Prenons par exemple l’article titré : “Ecotopia”, dans lequel on tend à présenter une alternative utopique d’une société où la nature est au centre, face à la dérive d’une croissance continue et de la consommation infinie, produits logiques du mode de production capitaliste ;
Un deuxième article sur le site, intitulé : “Réalité au-dessus des rêves et de l’imagination ?”, écrit : “les rêves sur un meilleur monde. Irréaliste ! pas pratique ! gaspillage de temps ! dangereux ! Nous avons oublié la valeur de l’idéalisme” ;
Dans un troisième article sur le site du KSU, nommé : “La pensée non pratique comme solution pratique, on lit : “… des autres font immédiatement le choix du but ultime et avancent des revendications utopiques (…) en élargissant le but, plus nombreux seront ceux qui peuvent s’y retrouver (…) cela parait utopique, mais c’est peut-être le façon la plus pratique de s’y prendre”.
Que ces trois articles cités expriment non seulement les besoins d’un groupe quelconque mais répondent aussi à un besoin plus large parmi les couches non exploiteuses, est confirmé par le fait qu’au cours de l’année passée, plusieurs livres sont parus sur le thème de l’utopie :
– La nouvelle coopération entre la réalité et l’utopie (Walter Lotens) ;
– De la crise vers l’utopie réalisable (Jan Bossuy) ;
– La nouvelle démocratie et autres formes de politique (Willem Schinkel).
S’y ajoutent d’autres initiatives :
– Konfrontatie a consacré un numéro de sa revue pour une grande partie à la question de l’utopie ;
– une série de trois émissions de radio, il y a un an, traitait de l’idée utopiste ;
– dernièrement, a eu lieu une discussion de forum à Leiden sur le même sujet.
L’anticapitalisme donc, ne suffit pas. Cela entre-temps, les camarades du KSU l’ont probablement également bien compris. Cela avait, en passant, déjà été souligné lors d’une contribution précédente sur le site du KSU . Il doit y avoir également une perspective, une perspective réelle d’une autre société. Celle-ci représente un autre avenir, constitue une attirance qui peut donner une orientation et une inspiration à la lutte actuelle. Selon Willem Schinkel, on aurait justement besoin de plus d’imagination utopique, car cela constitue un moyen de dépasser la “politique d’une simple gestion des problèmes”.
Afin de dépasser la nature purement anticapitaliste de la lutte, certains soulignent l’importance des rêves. Parce que la pensée utopique est l’art de rêver d’une alternative. Pour transcender notre réalité, nous devons en effet apprendre à regarder au-delà de l’horizon du capitalisme et donner un contenu à une vision d’un monde alternatif et meilleur. Pour donner une forme dans nos têtes à un tel avenir, nous avons besoin de nous inscrire à un certain idéal, même s’il reste fondé sur une base matérielle. Libéré de la nécessité de rechercher une solution pratique à la misère quotidienne du capitalisme, un espace est libéré pour créer dans nos pensées une représentation idéale.
“L’imagination au pouvoir !”, a été le célèbre slogan de la révolte de mai 1968. Non pas que l’imagination suffise pour réaliser une autre société. Mais l’imagination peut avoir une fonction importante. “Nous devons à nouveau oser rêver. Parce que les rêves d’un monde meilleur signifient une réflexion critique sur le monde actuel. Car si on réfléchit à des choses qui semblent impossibles, on est en mesure de penser en dehors du cadre, peu importe que notre idée soit oui ou non “réaliste”” (“Réalité au-delà des rêves et de l’imagination ?”)
La lutte contre le capitalisme se compose de trois éléments :
– la lutte contre les attaques sur nos conditions matérielles de vie : notre revenu et sur l’éducation, sur la santé... ;
– la lutte pour le pouvoir politique : le remplacement du système de la propriété privée par la propriété collective ;
– la lutte contre l’aliénation, contre le rétrécissement de la conscience, contre l’abrutissement par un mode de vie comme une machine, comme des aspects importants du volet culturel de la lutte.
Ce troisième volet culturel de la lutte se caractérise par des caractéristiques fondamentales de l’homme, telles que l’engagement moral (la voix de l’intérieur) et les sentiments artistiques (le sens de la beauté), mais aussi par des aspects tels que l’imagination, la créativité, l’intuition. “L’imagination a tout. Elle décide de la beauté, de la justice et du bonheur, qui signifient tout dans le monde” (Blaise Pascal). La lutte “pour le socialisme n’est pas seulement une question de pain et de beurre, mais un mouvement culturel...” (Rosa Luxemburg).
Dans les yeux de Henriette Roland Holst la lutte obtient toute son importance seulement quand la raison et l’intuition coulent conjointement. Il s’agissait pour elle “d’écouter la voix intérieure”, où “la véracité et l’empathie sont les deux principales puissances psychiques”. Selon Henriette Roland Holst, le monde n’est pas connu dans son intégralité que par la raison. L’intuition, le sentiment, la perception et leur synthèse dans l’imagination sont les autres composants indispensables (“Le communisme et la morale”).
”En élargissant l’objectif, plus de gens se reconnaîtront dans le but (....) Cela parait utopique...”. En fait, dans la période actuelle, l’établissement d’une utopie dans le cadre de la lutte revendicative n’a jamais conduit à une forme de mobilisation générale des travailleurs, des étudiants, des chômeurs. La revendication “utopique” : un revenu de base pour tous, qui depuis plusieurs décennies est mise en avant par les gauchistes, mène à l’opposé de l’unification dans la lutte. La revendication comparable de “gratuité de l’enseignement”, qu’entre autre le KSU récemment avait mis en avant comme une revendication “utopique”, n’a pas fonctionné. C’est parce que l’“utopie” ne se définit pas au niveau de la lutte matérielle, mais est une expression typique de la lutte “spirituelle”.
Bien sûr, la lutte pour la défense des conditions matérielles de vie est et reste dans les circonstances actuelles, la première préoccupation dans la lutte de la classe. Parce que sans un minimum vital, la vie de toute façon n’est pas digne d’être vécue. Cependant la lutte contre le capitalisme et son idéologie étroite ne s’arrête pas là. Car la poursuite d’une véritable conscience, de la vérité, est motivée non seulement par des intérêts matériels, comme un revenu décent pour tous, mais aussi par l’idée d’une sorte d’“idéal”.
”Nous avons oublié la valeur de l’idéalisme.” Non ! Mais sans nous considérer comme des idéalistes, la valeur la plus élevée de la lutte pour une autre société finalement ne se trouve pas sur le plan matériel, mais sur le plan de la conscience, de la lutte spirituelle. Et nous ne pouvons l’utiliser que si nous comprenons que l’idée créative en constitue un élément indispensable. Dépasser dans la tête – la représentation idéale donc – des limites du système actuel n’est pas possible sans faire appel à l’inspiration de l’imagination. Des structures idéales dans nos esprits sont capables de faire monter à la surface une force intérieure profonde, qui peut fournir un stimulus majeur à la lutte.
Il doit être clair qu’il serait myope de nous limiter aux sources d’inspiration, développées par les utopistes socialistes ci-dessus et Kropotkine. Nous devons considérer dans un contexte plus large la valeur de l’imagination, la pensée créative qui tout au long de l’histoire de l’humanité a toujours été une force majeure dans son progrès. En effet, les gens vivent également dans un monde d’idées et d’idéaux, dont la poursuite à certains moments peut être plus puissante que l’instinct de préserver le niveau des conditions matérielles immédiates. Ainsi, les révolutionnaires sociaux-démocrates en 1905, lors de la montée révolutionnaire en Russie, par exemple, ont été “surpris, rattrapés et dépassés par la turbulence du mouvement, ses nouvelles formes d’apparence, son imagination créatrice...”.
Un exemple d’un effort, conduit par l’imagination et l’inspiration, est la vie de Léon Tolstoï. La source de sa force venait des profondeurs de sa grande personnalité qui lui a donné le courage de rechercher sans préjudice la vérité. Comme a écrit Rosa Luxemburg dans le Leipziger Volkszeitung (1908) “tout au long de sa vie et de son œuvre, c’était en même temps une contemplation agitée de la vérité dans la vie humaine”. Il était un chercheur et un combattant, mais était loin d’être un socialiste révolutionnaire. “Avec son art, il a embrassé toute la passion humaine, toutes les faiblesses et les humeurs” qui lui ont permis, jusqu’à son dernier souffle, de lutter pour faire face aux problèmes sociaux les yeux ouverts.
Zyart, 15 janvier 2014
() Sander van Lanen ; KSU.
() L’imagination au pouvoir ! Egalement dans le domaine de la gestion de la culture ; 20-09-2013, DeWereldMorgen.
() Martijn Jeroen van der Linden, économe d’entreprise, Hoogeveen.
Quand la guerre éclate le 4 août 1914, ce n’est guère une surprise pour les populations européennes et pour les ouvriers plus particulièrement. Cela fait des années, depuis le début du siècle, que les crises se succèdent : les crises marocaines de 1905 et 1911, les guerres balkaniques de 1912 et 1913, pour ne nommer que les plus graves. Ces crises mettent directement aux prises les grandes puissances qui se sont toutes lancées dans une course effrénée aux armements : l’Allemagne entame un immense programme de construction navale auquel la Grande-Bretagne doit inévitablement répondre. La France introduit le service militaire de trois ans et finance par des emprunts énormes la modernisation des chemins de fer russes destinés à acheminer les troupes vers la frontière avec l’Allemagne, ainsi que la modernisation de l’armée serbe. La Russie, après la débâcle du conflit russo-japonais en 1905, impulse un programme de réformes des forces armées. Contrairement à ce que la propagande sur les origines de la guerre nous dit aujourd’hui, celle-ci était sciemment préparée et surtout voulue par toutes les classes dominantes des grandes puissances.
Aucune surprise donc, mais pour la classe ouvrière, ce fut un choc terrible. Par deux fois, à Stuttgart en 1907 et à Bâle en 1912, les partis socialistes frères de la Deuxième Internationale ont pris des engagements solennels de défendre les principes internationalistes, de refuser l’embrigadement des ouvriers dans la guerre et d’y résister par tous les moyens. Le congrès de Stuttgart adopte un amendement de résolution proposé par la gauche – Lénine et Rosa Luxemburg : “Au cas où la guerre éclaterait [les partis socialistes] ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste”. Jean Jaurès, le grand tribun du socialisme français, déclare au même congrès que “L’action parlementaire ne suffit plus dans aucun domaine... Nos adversaires sont épouvantés devant les forces incalculables du prolétariat. Nous, qui avons si orgueilleusement proclamé la faillite de la bourgeoisie, ne permettons pas que la bourgeoisie puisse parler de la faillite de l’Internationale”. Au congrès du Parti socialiste français, à Paris en juillet 1914, Jaurès fait adopter la formulation selon laquelle “Le congrès considère comme particulièrement efficace la grève générale ouvrière, simultanément et internationalement organisée dans les pays intéressés, ainsi que l’agitation et l’action populaires sous les formes les plus actives, entre tous les moyens employés pour prévenir et empêcher la guerre.”
Et pourtant, en août 1914, l’Internationale s’effondre ou, plus exactement, elle se disloque lorsque tous les partis qu’elle regroupe (à quelques honorables exceptions près, comme les Russes ou les Serbes) trahissent l’internationalisme prolétarien, son principe fondateur, au nom de la défense de la “patrie en danger” et de la “culture”. Et chaque bourgeoisie, alors qu’elle se prépare à jeter dans l’abattoir des millions de vies humaines, se présente bien évidemment comme le summum de la civilisation et de la culture, alors que l’ennemi en face n’est que bestialité assoiffée de sang et responsable des pires atrocités...
Comment une telle catastrophe est-elle possible ? Comment ceux qui, quelques mois, voire quelques jours auparavant, ont menacé la bourgeoisie des conséquences de la guerre pour sa propre domination, ont pu se rallier sans résistance à l’union sacrée avec l’ennemi de classe – le Burgfriedenpolitik selon le terme allemand ?
De tous les partis de l’Internationale, c’est le Sozialdemokratische Partei Deutschlands, le Parti social-démocrate allemand (SPD), qui porte la plus lourde responsabilité. Dire cela ne disculpe en rien les autres partis, et tout particulièrement le parti français. Mais le parti allemand est alors le fleuron de l’Internationale, le joyau fabriqué par le prolétariat. Avec plus d’un million de membres et plus de 90 publications régulières, le SPD est de loin le parti le plus fort et le mieux organisé de l’Internationale. Sur le plan intellectuel et théorique, il est la référence pour tout le mouvement ouvrier : les articles publiés dans sa revue théorique, la Neue Zeit, donnent le “la” sur le plan de la théorie marxiste et Karl Kautsky, rédacteur en chef de la Neue Zeit, est même parfois considéré comme le “pape du marxisme”. Comme l’écrit Rosa Luxemburg, “Au prix de sacrifices innombrables, par un travail minutieux et infatigable, [la social-démocratie allemande] a édifié une organisation exemplaire, la plus forte de toutes ; elle a créé la presse la plus nombreuse, donné naissance aux moyens de formation et d’éducation les plus efficaces, rassemblé autour d’elle les masses d’électeurs les plus considérables et obtenu le plus grand nombre de sièges de députés. La social-démocratie allemande passait pour l’incarnation la plus pure du socialisme marxiste. Le parti social-démocrate occupait et revendiquait une place d’exception en tant que maître et guide de la IIe Internationale” (Brochure de Junius).
Le SPD est le modèle que cherche à imiter tous les autres, même les bolcheviques en Russie. “Dans la IIe Internationale, le “groupe de choc” allemand avait un rôle prépondérant. Pendant les congrès, au cours des sessions du bureau de l’Internationale socialiste, tout était suspendu à l’opinion des Allemands. En particulier lors des débats sur les problèmes posés par la lutte contre le militarisme et sur la question de la guerre, la position de la social-démocratie allemande était toujours déterminante. ‘Pour nous autres Allemands, ceci est inacceptable’ suffisait régulièrement à décider de l’orientation de l’Internationale. Avec une confiance aveugle, celle-ci s’en remettait à la direction de la puissante social-démocratie allemande tant admirée : elle était l’orgueil de chaque socialiste et la terreur des classes dirigeantes dans tous les pays” (Brochure de Junius). C’est donc au parti allemand qu’il incombait de mettre en œuvre les engagements de Stuttgart et de lancer la résistance à la guerre.
Et pourtant, le jour fatidique du 4 août 1914, le SPD rejoint les partis bourgeois du Reichstag pour voter les crédits de guerre. Du jour au lendemain, la classe ouvrière dans tous les pays belligérants se trouve désarmée et sans organisation, parce que ses partis politiques et ses syndicats sont passés à la bourgeoisie et sont désormais les principaux organisateurs non pas de la résistance à la guerre mais au contraire de la militarisation de la société en vue de la guerre.
Aujourd’hui, la légende veut que les ouvriers aient été emportés comme le reste de la population par une immense vague de patriotisme, et les médias aiment nous montrer les images des troupes qui partent au front le fleur au fusil. Comme beaucoup de légendes, celle-ci n’a que peu à voir avec la réalité. Certes, il y a eu des manifestations d’hystérie nationalistes mais elles étaient essentiellement le fait de la petite-bourgeoisie, de jeunes étudiants abreuvés de patriotisme. En France et en Allemagne, les ouvriers au contraire manifestaient par centaines de milliers contre la guerre en juillet 1914 : ils seront réduits à l’impuissance par la trahison de leurs organisations.
En réalité, bien sûr, la trahison du SPD ne s’est pas faite du jour au lendemain : elle était préparée de longue date. La puissance électorale du SPD a caché une impuissance politique, mieux encore, c’est même justement la puissance électorale du SPD et la puissance de l’organisation syndicale allemande qui ont réduit le SPD à l’impuissance en tant que parti révolutionnaire. La longue période de prospérité économique et de relative liberté politique qui suit l’abandon des lois anti-socialistes et la légalisation des partis socialistes en Allemagne, à partir de 1891, finit par convaincre les dirigeants parlementaires et syndicaux que le capitalisme est entré dans une nouvelle phase où il a surmonté ses contradictions internes, au point que l’avènement du socialisme se ferait, non plus par un soulèvement révolutionnaire des masses, mais par un processus graduel de réformes parlementaires. Gagner aux élections deviendra ainsi le but principal de l’activité politique du SPD et le groupe parlementaire prendra en conséquence un poids de plus en plus prépondérant au sein du parti. Le problème, cela malgré les meetings et les manifestations ouvrières lors des campagnes électorales, c’est que la classe ouvrière ne participe pas aux élections en tant que classe mais en tant qu’individus isolés, en compagnie d’autres individus appartenant à d’autres classes – dont il ne faut pas heurter les préjugés. Ainsi, lors des élections de 1907, le gouvernement impérial du Kaiser mène une campagne en faveur d’une politique coloniale agressive et le SPD – qui jusqu’alors s’était opposé aux aventures militaires – subit des pertes importantes en nombre de sièges au Reichstag. Les dirigeants du SPD et surtout le groupe parlementaire, en tirent la conclusion qu’il ne faut pas se heurter directement aux sensibilités patriotiques et de ce fait, le SPD résistera à toutes les tentatives au sein de la Deuxième Internationale (notamment au Congrès de Copenhague en 1910) de discuter des mesures précises à adopter contre la guerre dans le cas où celle-ci éclaterait.
Évoluant dans un monde bourgeois, les dirigeants et l’appareil du SPD en prennent de plus en plus l’état d’esprit. La fougue révolutionnaire qui a permis à leurs prédécesseurs de dénoncer la guerre franco-prussienne en 1870 s’estompe chez les dirigeants, pire encore, elle est vue comme dangereuse car exposant le parti à la répression. En fin de compte, en 1914, derrière sa façade imposante, le SPD est devenu “un parti radical comme les autres”. Le parti adopte le point de vue de sa bourgeoisie, il vote les crédits de guerre et seule une petite minorité de gauche reste ferme pour résister à la débâcle. Cette minorité, pourchassée, emprisonnée, persécutée, sera à l’origine du groupe Spartakus qui se hissera à la tête de la révolution allemande en 1919 et qui fondera la section allemande de la nouvelle Internationale, le KPD.
C’est presque une banalité de dire que nous vivons toujours à l’ombre de la guerre de 14-18. Elle représente le moment où le capitalisme a encerclé et dominé la planète, intégrant l’ensemble de l’humanité dans un seul marché mondial, ce marché mondial qui était et qui est l’objet de toutes les convoitises des puissances. À partir de 1914, l’impérialisme, le militarisme domineront la production, la guerre deviendra mondiale et permanente. Depuis, le capitalisme menace de mener toute l’humanité à sa perte !
Le développement de la Première Guerre mondiale n’était pas inévitable. Si l’Internationale avait rempli ses engagements, elle n’aurait peut-être pas pu empêcher la guerre, mais elle aurait pu animer la résistance ouvrière qui n’a pas manqué de surgir, lui donner une direction politique et révolutionnaire, ouvrant ainsi la voie, pour la première fois de l’histoire, à la possibilité de créer une communauté planétaire, sans classes et sans exploitation, mettant fin à la misère et aux atrocités qu’un capitalisme impérialiste et décadent inflige depuis lors à l’espèce humaine. Il ne s’agit pas là d’un vœu pieux et illusoire ; la révolution russe a au contraire fait la preuve que la révolution n’était pas (et n’est pas) seulement nécessaire, mais aussi possible. Car c’est bien cet extraordinaire assaut du ciel par les masses, cet immense élan prolétarien qui a fait trembler la bourgeoisie internationale et l’a contrainte à arrêter prématurément la guerre. Guerre ou révolution, barbarie ou socialisme, 1914 ou 1917... : la seule alternative qu’a l’humanité ne pourrait apparaître avec plus de clarté !
Les sceptiques argueront que la révolution russe est restée isolée et a fini par sombrer, emportée par la contre-révolution stalinienne et ils ajouteront qu’à 14-18 a succédé 39-45. C’est parfaitement vrai. Mais pour ne pas en tirer de fausses conclusions, il faut en comprendre les causes, se demander pourquoi et ne pas se contenter d’avaler sans broncher la propagande officielle permanente. En 1917, la vague révolutionnaire internationale a débuté dans un contexte où les clivages de la guerre étaient encore profondément ancrés. Ces difficultés ont occasionné une hétérogénéité dans les rangs du prolétariat qui a été exploité par la classe dominante pour battre la classe ouvrière. Désorienté et déboussolé, le prolétariat n’a pu réellement s’unir dans un vaste mouvement international. Il est resté divisé au sein des camps “vainqueurs” et des “vaincus”. Les assauts révolutionnaires héroïques, comme celui de 1919 en Allemagne, ont alors pu être anéantis, écrasés dans le sang, principalement par l’entremise du grand parti ouvrier traître, la social-démocratie. L’isolement amorcé a ensuite permis à la réaction internationale de parfaire son crime, de défaire la Révolution russe pour préparer une deuxième grande boucherie mondiale, validant une seconde fois la seule alternative historique qui est encore devant nous : “socialisme ou barbarie” !
Jens, 30 juin
A peine les résultats des élections européennes tombaient qu’un constat s’imposait immédiatement : ce scrutin n’intéresse personne et prend de plus en plus ouvertement la forme d’un défouloir électoral. Comment s’en étonner ? Le Parlement européen est un véritable panier de crabes sans réel pouvoir et surtout destiné à donner une caution démocratique aux institutions de l’UE qui ne trompe personne. Sans même parler des magouilles très officielles des lobbies ou des chamailleries de couloir sur fond de sordides intérêts nationaux, les règles institutionnelles elles-mêmes montrent très clairement que ce sont les États et non le Parlement qui dictent la “politique européenne”. Le niveau de l’abstention, frôlant les 60 % depuis le début des années 2000, illustre le peu d’illusions sur les enjeux de cette élection : sauf dans les États obligeant la population à se déplacer aux urnes sous peine de sanction pécuniaire, la participation au scrutin de mai 2014 a rarement dépassé les 50 %, plongeant à 37 % au Pays-Bas et 36 % au Royaume-Uni, 19 % au Portugal, voire à 13 % en Slovaquie. Ceci, malgré toutes les campagnes de culpabilisation contre les abstentionnistes.
De même, en dépit du battage médiatique pré-électoral, avec ses désormais traditionnelles mises en garde contre la “menace” d’une montée en puissance de l’extrême-droite, les européennes se caractérisent de plus en plus par un vote atypique, avec des scores relativement honorables de partis secondaires, voire fantaisistes. Ainsi, à l’époque où “l’écologie politique” devait, disait-on, sauver le capitalisme et le monde des pires tourments, les partis écologistes en France ou en Allemagne faisaient jeu égal avec leurs alliés “socialistes”. De la même façon, la poussée des partis populistes et anti-européens dans plusieurs pays et ceux d’extrême-gauche dans certains autres a fortement marqué le dernier scrutin.
L’abstentionnisme et la poussée des partis qui ne sont pas destinés à diriger le gouvernement expriment un véritable mécontentement de la population vis-à-vis de la crise économique et de la multiplication des attaques, ainsi qu’un discrédit de l’appareil politique bourgeois et un rejet à l’égard des institutions que vient confirmer la faible mobilisation en faveur des partis de gouvernement dans de nombreux pays européens. La participation aux élections est une impasse, mais ce serait prendre des vessies pour des lanternes que de mettre superficiellement l’abstention au crédit de la conscience politique de la classe ouvrière. Pour éviter un tel écueil, il est indispensable de comprendre dans quelle dynamique et dans quel cadre historique s’inscrit ce résultat.
En fait, loin de manifester un développement de la conscience du prolétariat sur la nature de la démocratie bourgeoise et sur la perspective du communisme, l’abstention massive lors de ce dernier scrutin traduit plutôt ce dont la poussée du populisme est également porteuse : un certains désespoir, une peur de l’avenir et une profonde méfiance envers le monde politique.
Depuis plus de trente ans, le contexte mondial est dominé par une situation historique inédite que nous avions décrite en 1990 dans : “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste”. Contrairement à la crise ouverte des années 1930, la classe ouvrière n’est aujourd’hui pas physiquement et idéologiquement écrasée par la contre-révolution qui s’était alors déchaînée après la défaite de la vague révolutionnaire de 1917. A partir de 1968, avec la fin de la contre-révolution, le prolétariat, bien qu’il n’ait pas encore trouvé la force de renverser le capitalisme a néanmoins trouvé celle d’empêcher la bourgeoisie de mettre à l’ordre du jour sa propre “réponse” à la décadence de son système : la guerre mondiale. “Certes, une réponse d’une incroyable cruauté, une réponse de nature suicidaire entraînant la plus grande catastrophe de l’histoire humaine, une réponse qu’elle n’avait pas choisi délibérément puisqu’elle lui était imposée par l’aggravation de la crise, mais une réponse autour de laquelle, avant, pendant et après, elle a pu, en l’absence d’une résistance significative du prolétariat, organiser l’appareil productif, politique et idéologique de la société”. Tandis que les contradictions du capitalisme ne cessent de s’approfondir, l’incapacité des deux classes fondamentales et antagonistes de la société à imposer leur perspective respective “ne peut que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société”.
Dans ce contexte d’impasse momentanée, la bourgeoisie ne peut que naviguer à vue, incapable de proposer une quelconque direction capable de mobiliser la société autour d’un objectif “commun” et “réaliste”. Or, non seulement la classe dominante n’est pas en mesure d’enrôler le prolétariat derrière elle, mais, incapable de s’entendre sur une réponse appropriée à la crise historique de son système, elle ne peut désormais plus imposer la même discipline qu’auparavant à l’ensemble de ses propres composantes politiques. Ceci entraîne de plus en plus les appareils, y compris de grands partis traditionnels, vers un manque de cohésion et le chacun pour soi. Cette impasse a nécessairement un impact négatif sur la vie politique de la bourgeoisie et la gestion de son État. Les crises politiques à répétition et toujours plus suicidaires, même au sein des grandes puissances, confirment pleinement cette analyse.
Les résultats des élections européennes s’inscrivent complètement dans ce cadre historique. Lorsque les différentes fractions de la bourgeoisie sont suffisamment disciplinées pour s’éclipser devant l’intérêt général de leur classe, il est relativement aisé, avec l’énorme appareil médiatique et idéologique dont elle dispose et la faiblesse politique actuelle de notre classe, de pousser le prolétariat vers l’isoloir et de lui suggérer un “choix raisonnable”. L’opération est beaucoup plus délicate lorsque les fractions de la bourgeoisie sont de moins en moins en mesure de marcher dans la même direction. Alors, ce sont surtout les tendances à l’irrationalité et à la haine aveugle, portées par le capitalisme en décomposition, qui pèsent sur les épaules du “citoyen” atomisé, isolé de sa classe.
Dans un tel contexte de décomposition sociale, où la classe ouvrière souffre d’une perte d’identité et d’un grave manque de confiance en elle-même, certains ouvriers peuvent suivre les leaders populistes qui critiquent faussement les hommes politiques et le “système”, qui mettent en avant la défense de la nation bourgeoise comme un cadre protecteur face à la crise du capitalisme et désignent toutes sortes de boucs émissaires pour l’expliquer.
Mais ces idéologies réactionnaires et ultranationalistes ne sont nullement l’apanage des populistes d’extrême-droite. Non seulement l’ensemble des partis bourgeois véhiculent plus ou moins ouvertement ces tendances à la haine et à la mentalité de pogrom, ainsi qu’un nationalisme inébranlable, mais, en plus, un populisme d’extrême-gauche, partageant le même chauvinisme hystérique, s’est raffermi ces dernières années. Que ce soit le Front de gauche, en France, Die Linke en Allemagne, Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne, toutes ces nouvelles devantures plus ou moins héritées du stalinisme prônent ouvertement le nationalisme et le rejet de l’étranger, cela, au nom de la “défense du peuple et des opprimés”. D’ailleurs, en France, par exemple, le Front national s’est inspiré du Parti communiste français, de tous les thèmes patriotiques de la “défense nationale contre l’impérialisme étranger” avec en plus le rejet de l’immigration. C’est pour cela que la poussée des partis d’extrême-gauche dans certains pays ne représente en rien un “pas en avant” pour la classe ouvrière ou une quelconque forme de prise de conscience. Ce “néo-stalinisme” n’est rien d’autre qu’un piège nationaliste destiné à pourrir la conscience des ouvriers les plus combatifs.
Avec la poussée électorale des fractions d’extrême-droite en Europe et dans le monde depuis les années 1980 et la participation au gouvernement de certaines d’entre-elles dans des pays comme l’Italie ou l’Autriche, où la droite traditionnelle étant très affaiblie fut contrainte d’accepter une coalition, les campagnes sur le “danger fasciste” ont redoublé, tout comme celles culpabilisant les abstentionnistes, les accusant de “faire le lit du fascisme” et de “bafouer la mémoire des héros morts pour la démocratie”. Lors des élections européennes de mai, la bourgeoisie n’a pas joué sur cette corde avec beaucoup de force mais il n’en reste pas moins que le thème de “la défense de la démocratie contre le fascisme” joue encore un rôle idéologique de premier plan. Tout comme il est illusoire d’espérer l’avènement d’une “vraie” démocratie où tous les hommes seraient “égaux” dans un système où ils sont exploités, la classe ouvrière n’a aujourd’hui rien à attendre du bulletin de vote et de l’État. Le capitalisme épuisé par ses propres contradictions n’a plus rien à offrir à l’humanité, ni grandes, ni petites réformes. Au contraire, le cirque électoral et toutes les campagnes antifascistes sont de véritables mystifications destinées à pousser la classe ouvrière dans les bras de la défense de l’État démocratique, cette expression politique particulièrement sournoise de la dictature capitaliste.
En fait, l’idéologie et les revendications des partis xénophobes sont aujourd’hui incompatibles avec l’exercice du pouvoir. L’extrême-droite est composée des fractions les moins lucides de la bourgeoisie et les moins en mesure de répondre aux besoins objectifs du capital. La mise en place de leurs revendications fantaisistes représenterait un véritable cataclysme que la bourgeoisie, dans son ensemble, ne peut pas permettre. Surtout, l’extrême-droite est marquée par son incapacité à comprendre les enjeux de l’encadrement idéologique de la classe ouvrière et de la mystification démocratique. C’est pour ces raisons que la classe dominante préfère “muscler” le discours des partis de droite traditionnels, à l’image de l’aile droite de l’UMP en France ou des fractions les plus souverainistes du Parti conservateur britannique.
Cependant, même lorsque les partis xénophobes parviennent, à l’occasion d’une coalition de circonstance, à se hisser au gouvernement, la réalité du capitalisme d’État et la nécessité de défendre les intérêts nationaux s’imposent de manière implacable, les contraignant alors à abandonner l’essentiel de leur programme politique. C’est ainsi qu’aussitôt aux affaires, le Mouvement social italien de Gianfranco Fini adopta, en 1995, un programme pro-européen de centre-droit en rupture complète avec son passé fasciste afin de faciliter son maintien au gouvernement de Silvio Berlusconi, tout comme la Ligue du Nord abandonna rapidement ses velléités indépendantistes. La même logique s’imposa en Autriche à Jörg Haider contraint d’assouplir ses revendications et d’adopter un programme plus “responsable” ou aux indépendantistes flamands en Belgique.
Pour comprendre pourquoi le fascisme n’est, aujourd’hui, pas à l’ordre du jour, il est indispensable de revenir aux circonstances historiques particulières dans lesquelles il est apparu. Après la Première Guerre mondiale, les pays vaincus, comme l’Allemagne, ou lésés, comme l’Italie, durent rapidement préparer le terrain à l’éclatement d’un nouveau conflit afin de répartir en leur faveur le marché mondial, de se doter d’un “espace vital” : “Pour cela, il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l’État, accélérer la mise en place de l’économie de guerre, de la militarisation du travail et faire taire toutes les dissensions internes à la bourgeoisie. Les régimes fascistes ont été directement la réponse à cette exigence du capital national”.
Surtout, tout comme le stalinisme, le fascisme était une expression du développement du capitalisme d’État et de l’exploitation la plus brutale, ainsi qu’un instrument d’embrigadement de la classe ouvrière dans la guerre, que seul le contexte de la période contre-révolutionnaire a autorisé. Sans l’écrasement physique préalable des ouvriers orchestré par la gauche “socialiste” (la social-démocratie) et les partis démocratiques pendant la Révolution allemande ou les grèves de 1920 en Italie, jamais le fascisme n’aurait pu voir le jour. Inversement, dès la guerre d’Espagne en 1936, le “combat contre le fascisme” fut un puissant mot d’ordre d’embrigadement des ouvriers des pays démocratiques dans la guerre.
Bien que la contre-révolution des années 1920-1960 pèse encore sur la conscience du prolétariat, la bourgeoisie n’est aujourd’hui pas en mesure d’embrigader idéologiquement le prolétariat pour un nouveau conflit mondial, et encore moins de se priver des illusions démocratiques, sans se heurter à une réaction extrêmement dangereuse pour le maintien de sa domination. Si la propagande antifasciste ne joue plus son rôle de préparation à la boucherie planétaire comme pour la Seconde Guerre mondiale, elle demeure néanmoins un poison idéologique destiné à culpabiliser les abstentionnistes et à pousser le prolétariat dans les bras de la défense de l’État qui l’exploite, afin qu’il abandonne le combat sur son propre terrain de classe pour celui de la démocratie.
L’avenir ne se décide pas dans le bulletin de vote, mais dans la lutte de classe !
El Generico, 23 juin
Les quais bondés, des regards perdus sur les tableaux d’affichage où les mentions “retard” ou “annulé” clignotent comme des enseignes de casinos à Las Vegas, les gens pendus à leur téléphone portable... : ces scènes de grèves sont connues de beaucoup. Et pour ceux qui ont la chance d’y échapper directement, la télévision se fait un plaisir de nous en abreuver à l’envie. Les journalistes se glissent dans la foule pour recueillir les impressions des travailleurs crevés de leur journée de boulot et dont la seule envie – celle de retourner chez eux – se confronte à l’absence de trains ou, quand ils parviennent à en attraper un, à des wagons bondés de gens énervés, impatients et épuisés. Alors quand le journaliste leur tend son micro pour leur demander “comment ça va ?”, il ne faut pas s’étonner d’entendre que ça ne va pas ! La réponse la plus entendue a été : “Le premier jour, on veut bien comprendre que les cheminots fassent grève, mais quand même. Au bout de quelques jours, on n’en peut plus.” Et de moins en moins rares sont ceux qui finissent par dire : “Mais moi je n’y suis pour rien dans leurs problèmes ; d’ailleurs moi aussi j’en ai des problèmes au boulot, au moins autant !” Bingo ! Là, les syndicats peuvent enrouler les banderoles et débrancher les mégaphones, le but est atteint : la grève est impopulaire, les cheminots sont isolés, les ouvriers sont divisés.
La grève que viennent d’organiser les syndicats de cheminots est un exemple parfait du sabotage de la combativité ouvrière dont sont capables ces officines du pouvoir bourgeois. Alors même que la capacité d’un secteur de la classe ouvrière à se mobiliser contre les attaques portées par la bourgeoisie devrait avoir valeur d’exemple pour les autres secteurs, devrait faire réfléchir à la nécessité de ne pas subir passivement les attaques, alors même que ces grèves isolées et corporatistes devraient essayer de dépasser cet enfermement et rechercher la solidarité de tous les ouvriers ployant sous le poids de la crise pour construire une unité, une extension et un rapport de force en mesure de donner du poids aux revendications, c’est tout le contraire qui s’est passé.
La grève a été déclenchée sur la base de revendications les plus spécifiques possibles : les attaques contre le statut des cheminots ne sont pas vraiment différentes des attaques que subissent les statuts des fonctionnaires de l’État, des collectivités, de la santé ou des entreprises publiques. Pourtant, c’est le statut des cheminots qu’il fallait défendre, et celui-là seul. Les craintes pour l’emploi que soulèvent le rapprochement entre la SNCF et RFF (l’entreprise qui gère le réseau ferré) n’ont rien qui les différencie fondamentalement des craintes pour l’emploi que soulèvent d’autres rachats et fusions, délocalisations, fermetures, dans le public comme dans le privé. Mais, selon les syndicats, il ne fallait se battre que pour la SNCF et RFF. Les cheminots, c’est à part ! L’extension, c’est la dilution des revendications !
Mensonges ! Ces mots d’ordre ne sont là que pour circonscrire la lutte et couper court à toute riposte possible, miner le terrain pour empêcher toute forme de solidarité future avec les cheminots.
Comme si cet isolement ne suffisait pas, les syndicats poussèrent à une grève dure et longue, de celles qui pourrissent la vie des millions d’ouvriers qui dépendent du train pour travailler, étudier, récupérer leurs enfants à l’école… de celles qui épuisent les ouvriers grévistes eux-mêmes, sacrifiant des journées de salaire pour rien, rendus individuellement coupables des conséquences de leur mouvement.
La caricature est même poussée jusqu’à ce que ce soit l’entreprise qui appelle à la solidarité envers les étudiants dont l’année pouvait être gâchée par la grève, en demandant à grand renfort de spots radio de leur laisser la priorité !
Au final, tout le monde est épuisé, tout le monde est divisé, tout le monde en a marre.
Mais pourquoi cela se passe-t-il comme cela ? Pourquoi personne ne voit la manœuvre, aussi visible que le nez au milieu de la figure ? Pourquoi les cheminots ne se sont-ils pas dressés contre leurs syndicats en reprenant les choses en main, en montrant leur solidarité avec les ouvriers qu’ils transportent matin et soir ?
S’il y a sans aucun doute la très grande expérience des syndicats dans le sabotage des luttes de ce secteur hautement combatif et sensible, il faut aussi tenir compte, pour bien comprendre la situation, du contexte dans lequel la classe ouvrière se débat aujourd’hui.1 Depuis 2010 et les luttes contre la réforme des retraites, la classe ouvrière en France est incapable de réagir réellement aux coups pourtant nombreux et puissants que la bourgeoisie lui porte pour tenter de sauver son économie du marasme dans lequel elle s’enfonce inexorablement. La bourgeoisie a réussi à éloigner durablement la classe ouvrière de son identité de classe exploitée et porteuse d’une autre société.
A un niveau plus faible mais tout aussi significatif, la même manœuvre est menée avec les intermittents du spectacle, véritables prolétaires de la culture, que les syndicats baladent dans des actions stériles (occupation de théâtre le jour, quand il n’y a pas de représentation) et tout autant vectrices de divisions : annulations de spectacles au dernier moment, quand le public qui s’est parfois saigné pour s’offrir cette sortie se retrouve devant une porte fermée !
La classe ouvrière n’est pas ce qu’on nous montre aujourd’hui, cette masse anonyme de gens exaspérés par les grèves, jaloux de la réussite des autres, individualistes, incapables de la moindre solidarité… Il n’y a pas si longtemps, elle montrait un tout autre visage.
En 2006, le gouvernement lançait une attaque ciblée sur les jeunes à travers un nouveau type de contrat de travail au rabais, le Contrat première embauche (CPE). Déjà effrayés par les difficultés pour eux de trouver un emploi à la fin de leurs études, les jeunes ont manifesté une profonde indignation face à ce qui représentait une menace supplémentaire de paupérisation. La bourgeoisie n’avait pas prévu une telle réaction face à une mesure qui restait dans la lignée des contrats précaires qu’elle multiplie depuis les années 1980, surtout que les jeunes manifestants ont organisé leur lutte en gardant une méfiance et une relative autonomie vis-à-vis des syndicats. Mais ce que la bourgeoisie avait encore moins prévu, c’est qu’une partie de plus en plus grande d’ouvriers, a priori non concernés par ce contrat, ont été directement touchés par l’indignation de ces jeunes sacrifiés par la crise et ont commencé à rejoindre le mouvement. Face à cet élan de solidarité, mu par le rejet des conditions de vie proposées par le système aux nouvelles générations, face au danger de développement d’une réflexion de plus en plus large sur l’impasse économique du capitalisme, la bourgeoisie a cédé et vite coupé court en retirant son projet. Fait suffisamment rare et même unique ces dernières années pour être souligné.
Un an plus tard environ, alors que les cheminots subissent une énième attaque, les lycéens, eux-mêmes en lutte, vont spontanément rechercher la solidarité des ouvriers de la SNCF. Ici, pas de rejet, pas d’incompréhension, pas de ce sentiment de ras-le-bol qu’on a pu vivre ces dernières semaines. La méfiance que les cheminots expriment vis-à-vis des syndicats (allant jusqu’à huer les leaders Chérèque – de la CFDT – et Thibault – de la CGT – lors d’une manifestation) les amènera à organiser des assemblées générales bien plus ouvertes que lorsque les syndicats ont les mains totalement libres. Ces AG ouvertes permettront tout naturellement à des délégations de lycéens de venir soutenir la lutte et recueillir le soutien des grévistes. Évidemment, lorsque les AG sont gardées à l’entrée par des gros bras syndicalistes faisant comprendre aux “extérieurs” qu’ils n’ont rien à faire ici, c’est beaucoup plus difficile de venir apporter sa solidarité. Et pourtant, cela se passe très souvent comme ça !
Même si, en 2007, la bourgeoisie ira au bout de sa manœuvre, cet épisode de rapprochement de secteurs différents en lutte aura exprimé la solidarité, ce que la bourgeoisie réussit aujourd’hui à enrayer et camoufler, mais qu’elle ne parvient pas à anéantir définitivement.
Ne parvenant pas à l’anéantir, elle doit se servir de ces luttes pour diviser toujours plus la classe ouvrière, mais également redorer l’image des syndicats, présentés comme seuls vecteurs de la volonté de combattre ; seuls capables de faire “pression sur les directions”. Pendant ce temps, le gouvernement socialiste peut maintenir son cap, sa “feuille de route”, sans craindre ainsi une riposte ouvrière massive et incontrôlée.
Face aux manœuvres d’épuisement et de divisions organisées par les syndicats, la réaction doit être forte et immédiate : une lutte isolée est une lutte perdue d’avance. Seule une recherche d’extension et de solidarité des autres secteurs en lutte, dès le début de la grève, peut ouvrir une perspective positive. Ce n’est pas un hasard si les syndicats trouvent toujours le moyen de s’y opposer, en argumentant sur les spécificités des revendications, sur la nécessité de construire un rapport de force “d’abord au sein de la boite” ! Il n’y a de rapport de force à construire que sur le plan le plus large, autour des revendications communes, en éliminant toute caractérisation restrictive.
Le dernier mouvement à la SNCF est une expérience de plus de l’encadrement des luttes par la bourgeoisie à travers ses officines syndicales, une expérience de plus de ce qu’il faut absolument et résolument combattre dans les luttes de demain.
GD, 26 juin
1Lire à ce sujet notre article : "Quand la bourgeoisie fait croire au prolétariat qu’il n’existe pas (I) [447]".
La crise actuelle en Ukraine est la plus grave depuis l’éclatement de la Yougoslavie il y a vingt-cinq ans. En effet, la Russie essaie de défendre ses intérêts dans la région contre les tentatives des forces occidentales de gagner en influence, menaçant de déclencher une guerre civile et la déstabilisation de la région.
Le pays a un nouveau président, Petro Porochenko, élu à la majorité dès le premier tour des élections sur la promesse d’écraser sans délai “les séparatistes terroristes” à l’est du pays. Il ne saurait incarner un nouvel espoir. Sa carrière politique a commencé dans le Parti unifié social-démocrate d’Ukraine, puis il a rejoint le Parti des régions, loyal envers Koutchma, un allié de la Russie, avant de changer pour le Bloc Notre Ukraine de Iouchtchenko en 2001. Il a été ministre dans les gouvernements de Iouchtchenko et Ianoukovitch. Milliardaire du chocolat, il a été accusé de corruption en 2005 et s’est battu aux élections présidentielles avec le soutien de l’ancien boxeur Vitaly Klitschko – qui a été élu maire de Kiev au même moment – et de ses partisans corrompus Levochkin et Firtash. L’Ukraine est à présent dirigée par un nouvel oligarque corrompu, imposant la seule perspective que le système capitaliste pourri a en réserve pour l’humanité : le militarisme et l’austérité.
Incapable de vaincre rapidement les séparatistes pro-russes, le combat a continué, l’Ukraine repoussant un assaut des séparatistes à l’aéroport de Donetsk, au prix de douzaines de victimes et la perte d’un hélicoptère avec un général à son bord. Le combat continue et les séparatistes tiennent leurs positions.
Loin d’ouvrir une nouvelle époque de stabilité et de croissance, l’élection présidentielle du 25 mai a marqué une nouvelle étape dans le glissement vers la guerre civile sanglante, autant que les référendums tenus par les séparatistes de Crimée en mars et ceux de Donetsk et Louhansk en mai. Nous assistons à l’élargissement des divisions internes dans ce pays artificiel en faillite, amplifiées par les manœuvres impérialistes extérieures. Le risque est que ce pays soit déchiré par la guerre civile, le nettoyage ethnique, les pogroms, les massacres et l’extension des conflits impérialistes.
L’Ukraine est le deuxième pays d’Europe en termes de superficie, une construction artificielle comprenant 78 d’Ukrainiens et 17 de Russophones, majoritaires dans la région du Donbass, ainsi que différentes nationalités incluant les Tartares de Crimée. Les divisions autour des richesses économiques suivent les mêmes lignes de fractures, avec le charbon et la sidérurgie dans l’Est russophone, massivement exportés vers la Russie et représentant 25 des exportations la partie occidentale, quant à elle, théâtre de la “révolution orange” en 2004 et des manifestations sur Maïdan, la place de l’Indépendance à Kiev l’hiver dernier, lorgne vers l’Occident en cherchant son salut.
L’économie est en faillite. En 1999 la production avait baissé de 40 par rapport à son niveau de 1991, date de l’accession de l’Ukraine à l’indépendance. Après un léger frémissement, elle a de nouveau perdu 15 en 2009. L’outil industriel de l’Est est obsolète, hautement dangereux et polluant. L’épuisement des mines a entraîné une augmentation des risques d’accidents du travail en poussant plus vers des profondeurs allant jusqu’à 1200 mètres avec les menaces d’explosion de méthane et de poussière de charbon ainsi que d’éclatement de roches (comme les conditions dangereuses qui ont entraîné plus de trois cents morts récemment à Soma, en Turquie). La pollution des mines affecte l’approvisionnement en eau, alors que les moulins qui traitent les résidus de charbon et de fer vomissent un air pollué visible et que l’amoncellement des scories et du métal rouillés peuvent entraîner des glissements de terrain boueux (). Il faut ajouter à tout cela la radioactivité de l’exploitation minière de l’ère nucléaire soviétique. Ces industries ne sont pas compétitives à moyen terme, ou même à court terme, si elles doivent faire face à la compétition de l’UE et il est difficile d’entrevoir qui voudra bien effectuer les investissements nécessaires. Sûrement pas les oligarques dont l’objectif est de s’en mettre plein les poches au détriment de l’économie. Pas la Russie non plus, qui doit se débrouiller avec son industrie obsolète héritée de l’ère soviétique. Pas davantage le capital d’Europe de l’Ouest qui a décidé la fermeture de la plupart de ses propres industries minières et métallurgiques entre 1970 et 1980. L’idée que la Russie pourrait proposer une solution au désastre économique, à l’appauvrissement et au chômage qui n’a cessé de s’aggraver au fur et à mesure de l’enrichissement des oligarques – une sorte de nostalgie pour le stalinisme et son chômage déguisé – est une illusion dangereuse qui peut juste affaiblir la capacité de la classe ouvrière à se défendre elle-même.
Les illusions sur la monnaie européenne sont tout aussi dangereuses. Le FMI a apporté une garantie à hauteur de 14/18 milliards de dollars en mars, remplaçant les 15 milliards de dollars retirés par la Russie lors de la chute de Ianoukovitch. Cette garantie est conditionnée par une stricte austérité, entraînant une augmentation du prix du carburant de 40 et une coupe de 10 dans le secteur public, environ 24 000 emplois. Et les chiffres du chômage ne sont pas fiables, dans la mesure où beaucoup de personnes sont non enregistrées ou sous-employées.
Lorsque l’Ukraine faisait partie de l’URSS et qu’elle était bordée à l’Ouest par des pays satellites de la Russie, les divisions ne menaçaient pas l’intégrité du pays – ce qui ne veut pas dire que ces divisions n’existaient pas. Par exemple, il y a 70 ans, les Tartares de Crimée ont été expulsés et quelques-uns ne sont revenus que très récemment. Les divisions sont utilisées de façon nauséabonde assoiffant de sang toutes les parties. Le parti Svoboda, d’extrême-droite, n’est pas isolé, le gouvernement intérimaire de réhabilitation de Stepan Bandera, la va-t-en guerre nazie ukrainienne Ioulia Timochenko appellent tous au meurtre et au bombardement des dirigeants et de la population russes, et Porochenko met ceci en pratique. Le camp russe est tout aussi nauséabond et meurtrier. Ces deux clans ont formé des paramilitaires. Même Kiev ne compte pas seulement sur son armée régulière. Ces forces irrégulières comprennent les fanatiques les plus dangereux, mercenaires, terroristes, assassins, propageant la terreur sur les populations civiles et se tuant mutuellement. Une fois que ces forces sont lâchées, elles ont tendance à devenir autonomes, incontrôlables, conduisant au même bilan meurtrier qu’en Irak, Afghanistan, Libye ou Syrie.
L’impérialisme russe a besoin de la Crimée pour sa base navale de la mer Noire, une mer chaude avec accès à la Méditerranée. Privée de ses bases en Crimée, la Russie ne pourrait pas maintenir des opérations en mer Méditerranée ou dans l’océan Indien. Sa position stratégique dépend de la Crimée. Elle a besoin également de l’Ukraine pour la défense du gazoduc South Stream en cours de construction. C’est une préoccupation constante depuis l’indépendance de l’Ukraine. La Russie ne peut absolument pas tolérer l’existence d’un gouvernement pro-occidental en Crimée, d’où sa réponse négative à toute question sur un accord avec l’UE. En 2010, elle a consenti une remise sur le prix du gaz en échange d’une extension du bail de sa base navale en Crimée. Lorsque le gouvernement Ianoukovitch a renvoyé à plus tard l’accord d’association avec l’UE en novembre dernier, la Russie a répondu avec une offre d’aide de 15 milliards de dollars, qui a été suspendue quand Ianoukovitch a été désavoué et s’est enfui d’Ukraine. Peu de temps après, la Russie s’est emparée de la Crimée et a organisé un référendum pour son rattachement, ce qu’elle a pu utiliser dans sa propagande de guerre en faveur de l’annexion.
Ainsi, en mars, la Russie possédait la Crimée, de facto, sans reconnaissance internationale. Mais elle n’est toujours pas sécurisée, dans la mesure où elle est entourée par l’Ukraine, un pays qui est sur le point de signer un accord d’association avec l’UE et qui s’allie pour cela avec les ennemis de la Russie, sur le point de se libérer du chantage russe en trouvant de nouveaux donateurs en Europe de l’Ouest. Pour des raisons stratégiques, afin d’avoir un accès terrestre à la Crimée, la Russie a besoin de contrôler la partie orientale de l’Ukraine. Celle-ci est tout-à-fait différente de la Crimée, malgré le poids de la population russophone qui a fourni le prétexte à l’invasion. N’ayant pas de base militaire à l’Est de Ukraine, les référendums séparatistes de Donetsk et Louhansk ne peuvent pas sécuriser ces régions mais seulement les déstabiliser, entraînant davantage de combats. L’Ukraine de l’Est n’est même pas sûre de contrôler les gangs séparatistes locaux.
La Russie a une autre carte à jouer dans l’éventualité d’une déstabilisation de cette région : la Transnistrie, qui a fait sécession d’avec la Moldavie, à la frontière Sud-Ouest de l’Ukraine et qui a également une importante population russophone.
Ce n’est absolument pas un retour à la guerre froide. La guerre froide correspond à une période de plusieurs dizaines d’années de tensions militaires entre les deux blocs impérialistes qui se partageaient l’Europe. En 1989, la Russie s’est affaiblie au point de ne plus pouvoir contrôler ses satellites, ni même la vieille URSS, on l’a vu lors de la guerre contre la Tchétchénie. Maintenant, beaucoup de pays de l’Est de l’Europe font partie de l’OTAN, puissance implantée jusqu’aux frontières de la Russie. Cependant, cette dernière a toujours un arsenal nucléaire et conserve les mêmes intérêts stratégiques. La menace de la perte de toute influence en Ukraine est une menace d’affaiblissement qu’elle ne peut tolérer. Elle est donc obligée de réagir.
Les États-Unis sont la seule superpuissance restante, mais ils n’ont plus l’autorité d’un dirigeant de bloc sur ses “alliés” et concurrents en Europe cela est attesté par le fait qu’ils ne peuvent plus mobiliser ces puissances pour les épauler dans la deuxième guerre d’Irak, comme ils l’avaient fait lors de la première. Les États-Unis ont été quelque peu laminés par plus de vingt ans d’enlisement dans les guerres en Irak et en Afghanistan. De plus, ils font face à la montée d’un nouveau rival, la Chine, qui est en train de déstabiliser le Sud-Est asiatique et l’Extrême-Orient. En conséquence, malgré l’intention des États-Unis de diminuer leur budget militaire, ils sont obligés de focaliser leur attention sur cette région du monde. Obama a dit : “Quelques-unes de nos plus grandes erreurs passées ne viennent pas de notre désengagement, mais de notre acharnement à nous précipiter dans des aventures militaires, sans penser aux conséquences”. Cela ne signifie pas que les États-Unis ne vont pas essayer d’avoir une part du gâteau en Ukraine, par la voie diplomatique, la propagande et des opérations secrètes, mais il n’y a pas de perspective d’intervention militaire immédiate. La Russie n’est pas face à un Occident unifié, mais face à une multitude de pays qui défendent tous leurs propres intérêts impérialistes, même s’ils condamnent verbalement l’intervention de la Russie en Ukraine. La Grande-Bretagne ne veut pas que des sanctions compromettent les investissements russes dans la City, l’Allemagne pense à sa dépendance actuelle pour l’approvisionnement en gaz russe, même si elle cherche d’autres sources énergétiques. Les États baltes sont favorables à une condamnation et des actions très sévères dans la mesure où une grande proportion de leurs populations étant russes, ils se sentent aussi menacés. C’est ainsi que le conflit ukrainien a déclenché une nouvelle spirale de tensions militaires dans l’Est de l’Europe, montrant qu’elles sont un cancer incurable.
A présent, la Russie affronte des sanctions qui sont potentiellement handicapantes puisqu’elles concernent les exportations de pétrole et de gaz. La signature récente d’un contrat pour vendre du gaz à la Chine va être d’un grand secours. La Chine n’a pas suivi l’ONU dans la condamnation de l’annexion de la Crimée par la Russie. Au niveau de la propagande, elle a revendiqué Taïwan sur les mêmes bases que les prétentions russes sur la Crimée : l’unité des peuples parlant chinois mais elle ne veut pas admettre le principe d’auto-détermination pour ses nombreuses minorités.
Toutes les factions de la bourgeoisie, à la fois à l’intérieur de l’Ukraine et celles qui manœuvrent de l’extérieur, font face à une situation dans laquelle tout mouvement fait empirer les choses. Cela fait penser au “zugzwang” aux échecs, un jeu qu’adorent les Russes et les Ukrainiens, dans lequel tout mouvement effectué par un joueur ne peut qu’aggraver sa situation, ce qui fait qu’il ne peut que bouger – ou abandonner. Par exemple, Kiev et l’UE souhaitent un rapprochement, ce qui ne peut conduire qu’à un conflit avec la Russie et au séparatisme à l’Est la Russie veut affermir son contrôle de la Crimée, mais comme elle ne peut pas prendre le contrôle de l’Ukraine ou de sa partie orientale, tout ce qu’elle peut faire c’est distiller la discorde et l’instabilité. Plus ils essaient de défendre leurs intérêts, plus la situation devient chaotique et plus le pays glisse vers la guerre civile ouverte – comme la Yougoslavie dans les années 1990. C’est une caractéristique de la décomposition du capitalisme, la classe dominante ne peut pas proposer de perspective rationnelle à la société et la classe ouvrière n’est pas encore capable de mettre en avant sa propre perspective.
Le risque, pour la classe ouvrière, dans cette situation, est d’être embrigadée derrière l’une ou l’autre des différentes factions nationalistes. Ce danger est accru par l’hostilité historique basée sur la vraie barbarie portée par chaque faction tout au long du xxe siècle : la bourgeoisie ukrainienne peut rappeler à la population et particulièrement à la classe ouvrière la famine qui a tué des millions de personnes suite à la collectivisation forcée sous la Russie stalinienne, les Russes peuvent rappeler à leur population le soutien des Ukrainiens à l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale et les Tartares n’ont pas oublié leur expulsion de Crimée et la mort d’environ la moitié des 200 00 personnes concernées. Il y a aussi le danger, pour la classe ouvrière, de reprocher à telle ou telle fraction d’être responsable de l’aggravation de la misère et d’être attirée dans le piège de la défense d’un camp contre un autre. Aucune d’entre elles n’a à offrir quoi que ce soit à la classe ouvrière mis à part l’aggravation de l’austérité et un conflit sanguinaire.
Il est presque inévitable que quelques ouvriers soient aspirés dans le soutien aux factions pro ou anti-Russes, bien que nous ne sommes pas sûrs de la situation réelle. Mais le fait que le Donbass soit devenu un champ de bataille pour les forces nationalistes souligne la faiblesse de la classe ouvrière dans cette zone. Confrontés au chômage et à la pauvreté, ils n’ont pas la force de développer des luttes sur leur propre terrain avec leurs frères de classe de l’Ukraine de l’Ouest et courent le risque d’être montés les uns contre les autres.
Il y a un espoir, ténu mais significatif : une minorité d’internationalistes en Ukraine et en Russie, le KRAS et d’autres, ont une prise de position courageuse : “Guerre à la guerre Ne versons pas une seule goutte de sang pour la “nation”” ces internationalistes défendent la position de la classe ouvrière. La classe ouvrière, bien qu’elle ne puisse pas encore mettre en avant sa perspective révolutionnaire, n’est pas battue au niveau international. C’est le seul espoir pour une alternative face à la course du capitalisme qui se dirige droit dans le mur de la barbarie et de l’auto-destruction.
Alex, 8 juin
L’Irak est toujours à feu et à sang. Depuis 1980, trois guerres impérialistes ont déjà ensanglanté ce pays. Mais l’histoire ne se répète jamais à l’identique. Ce nouveau conflit, après cent années de décadence du capitalisme, est l’expression de la décomposition d’une société devenue irrationnelle. La tragédie dépasse d’ailleurs largement les frontières de ce pays. En ce moment même, en Syrie ou en Israël, la barbarie capitaliste révèle aussi toute son ampleur. Ainsi, au moment de mettre sous presse, le meurtre de trois jeunes Israéliens vient encore d’accroître les tensions, la réponse de Netanyahou faisant même monter d’un cran supplémentaire l’affrontement larvé avec l’Iran.
Depuis un siècle, le monde a connu deux guerres mondiales. Et depuis 1945, de multiples guerres localisées n’ont cessé d’éclater.
En Corée et au Vietnam dans les années 1950 et 1970, en Afghanistan, au Moyen-Orient, comme durant la guerre du Kippour en 1973 en passant par le Liban des années 1980, l’Intifada entre Palestiniens et Israéliens, en Somalie en 1992, le Rwanda en 1994, en République démocratique du Congo entre 1998 et 2000, mais aussi en Côte-d’Ivoire, au Soudan et dernièrement encore au Mali… la liste des guerres impérialistes est sans fin. Pour des pans entiers de l’humanité, l’horreur est devenue une compagne quotidienne.
Et l’entrée dans le xxie siècle n’a pas enrayé ce processus, bien au contraire. En juin 2014, selon le HCR des Nations-Unis, il y avait plus de 50 millions de réfugiés enregistrés officiellement de par le monde. Cette population qui est pour partie parquée dans des camps, sans médicaments ni nourriture suffisante, connaît un taux de mortalité effroyable. Et voilà maintenant que, pour la quatrième fois depuis 1980, une nouvelle guerre ravage l’Irak. Cette réalité dramatique et inhumaine confirme ce qu’affirmaient déjà les révolutionnaires il y a un siècle : “La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie” (1). Entre 1914 et 1945, cette rechute dans la barbarie s’est particulièrement illustrée à travers l’éclatement de deux guerres mondiales. Depuis lors, elle prend la forme d’une multiplication de guerres locales qui se développent au sein d’une société qui pourrit sur pieds. Pourquoi ? Parce que, depuis les années 1960, aucune des deux classes fondamentales de la société, bourgeoisie et prolétariat, n’a pu développer sa propre perspective : guerre mondiale ou révolution. En effet, le prolétariat est sorti de la contre-révolution stalinienne à la fin des années 1960 (Mai 68 en France étant le symbole de ce retour de la capacité du prolétariat à entrer en lutte), la bourgeoisie n’avait donc plus à faire à un prolétariat écrasé physiquement et idéologiquement, prêt à être embrigadé pour la boucherie impérialiste mondiale comme dans les années 1930. Mais en même temps, le prolétariat n’était pas et n’est toujours pas en mesure d’affirmer sa perspective révolutionnaire. Depuis 1989, la propagande mensongère mais terriblement efficace qui a assimilé le stalinisme au communisme et l’effondrement du bloc soviétique à la mort du rêve d’un autre monde possible, a même occasionné un fort recul de la conscience prolétarienne et de la confiance des exploités en eux-mêmes. La situation apparaît donc comme bloquée : ni guerre mondiale, ni révolution. Mais rien ne pouvant rester réellement figé, la société se décompose. L’Irak en est une parfaite et dramatique illustration.
L’Irak est un pays qui depuis le début des années 1980 n’a connu pratiquement qu’une situation permanente de guerre.
Au début de cette décennie et pendant huit années, un conflit meurtrier va opposer ce pays à l’Iran. L’effondrement du dernier empereur d’Iran, le Shah Mohamed Reza Pahlavi (alors allié des Etats-Unis) et l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny, ont amené les États-Unis à pousser l’Irak dans cette guerre qui fera entre 500 000 et 1 200 000 morts.
Après l’effondrement du bloc impérialiste soviétique en 1989, l’Amérique de G. Bush père va provoquer la première guerre du Golfe. Mais l’objectif des États-Unis n’était pas à cette époque d’abattre Saddam Hussein et son régime. La peur de l’éclatement de ce pays taraudait déjà les bourgeoisies occidentales et surtout la bourgeoisie américaine. Les autorités américaines voulaient seulement réaliser une véritable démonstration de leur suprématie écrasante comme puissance militaire aux yeux de tous leurs anciens alliés. De fait, la réussite de cette politique impérialiste n’a pas duré bien longtemps. Sans ennemi commun, le bloc occidental s’est délité rapidement. Chaque impérialisme, petit ou grand, a joué de plus en plus ouvertement sa carte personnelle. Le chacun pour soi s’est développé inexorablement.
En 2003, les États-Unis vont militairement envahir l’Irak. L’occupation militaire de ce pays va durer huit ans. Le pouvoir de Saddam Hussein et du parti Baas (sunnite) sera détruit. A sa place, les États-Unis vont mettre au pouvoir Nouri al-Maliki et son clan chiite. Il s’agissait de tenter de mettre en place une armée et un appareil policier capable de maintenir l’ordre et l’influence directe américaine dans ce pays. Tout cela a échoué lamentablement. Pendant ces huit années, le pays s’est enfoncé dans le chaos. Maliki n’a eu de cesse de purger les sphères du pouvoir en chassant les Sunnites de toutes fonctions officielles, afin de renforcer son propre clan et ceci au grand désespoir des Américains totalement impuissants. Les anciens partisans de Saddam Hussein marginalisés, alliés aux djihadistes les plus extrémistes, ont perpétué attentats sur attentats. Devant leur incapacité totale à stabiliser la situation, les forces armées occidentales et en dernier lieu les États-Unis, comme en Afghanistan, allaient se retirer de ce bourbier, laissant les diverses communautés religieuses et ethniques face à face, prêtes à en découdre.
Ce développement des antagonismes et de la haine qui découle d’une telle situation entre les communautés chiite et sunnite n’est pas seulement dû à l’instrumentalisation des différences religieuses, pas plus qu’à la simple défense des intérêts particuliers des cliques bourgeoises de ces communautés. Le déchaînement de l’obscurantisme et de l’irrationalité qui sont à l’œuvre dans toute cette partie du monde est un terrain favorable pour la haine religieuse et ethnique. Les guerres ayant en partie comme terreau idéologique les préjugés religieux sont une expression directe de la décomposition capitaliste. C’est la porte grande ouverte à de nouveaux pogroms entre les différentes communautés, comme nous en connaissons en ce moment même en Syrie.
Actuellement, ce sont les forces de l’EIIL (État islamique en Irak et au Levant) qui sont à l’offensive en direction de Bagdad. Celles-ci étaient initialement composées de combattants provenant d’une milice tribale sunnite qui s’est réclamée un temps de la nébuleuse Al-Qaïda. Après leur sécession, ils ont proclamé vouloir se battre pour la construction d’un État islamique qui s’étendrait pour partie en Syrie et en Irak, jusqu’aux confins de la Palestine. De fait, cet EIIL, en plus des radicaux islamistes, est constitué d’une majorité d’anciens militaires ou combattants du parti Baas de feu Saddam Hussein qui ne visent qu’à se venger de ceux qui les pourchassent depuis leur perte du pouvoir. Tout cela sans compter avec le renforcement militaire des Peshmergas qui occupent maintenant militairement et politiquement la région kurde irakienne. Autant de forces armées qui, à terme, ne manqueront pas d’en découdre entre elles tant leurs propres intérêts sont en réalité antagoniques.
Depuis le début des années 1990, le leadership de la première puissance impérialiste du monde n’a cessé de s’affaiblir. Face à la montée de l’impérialisme chinois devenu aujourd’hui un adversaire de première importance, les États-Unis sont obligés de maintenir en Asie du Sud-Est une force militaire considérable. Tout en devant tenir compte des tentatives d’avancée de l’impérialisme russe dans la région, comme en Syrie par exemple. L’impérialisme américain, ainsi affaibli, a été obligé de tenter de pactiser avec le diable d’hier. En effet, l’arrivée de Rohani, pour le moment plus modéré que son prédécesseur, à la présidence de l’État iranien a été le prétexte tout trouvé pour entamer une ouverture diplomatique. Tel est le sens des négociations sur le problème du nucléaire iranien. Si cela se traduit par une montée des tensions avec la Russie qui soutient par ailleurs l’Iran, cela se traduit également par un mécontentement israélien, ennemi irréductible de ce pays. Cependant la nouvelle guerre en Irak touche en premier lieu l’Arabie Saoudite, un des principaux alliés des États-Unis depuis des décennies. Ce principal et riche État sunnite du Moyen-Orient, très divisé en son sein, voit d’un très mauvais oeil la main tendue américaine à l’Iran et l’offensive incontrôlable de l’EIIL (2).
La position impérialiste saoudienne dans toute la région risque d’en sortir affaiblie. Ainsi, l’accord économique bilatéral entre celle-ci et la Chine en matière d’énergie qui vient d’être signé, ne trouve pas sa source seulement dans des raisons économiques. La tentation d’un rapprochement entre l’Arabie Saoudite et la Chine commence en effet à se faire jour. L’Arabie Saoudite contestée de plus en plus ouvertement au Moyen-Orient, ne va pas rester sans réagir, en Syrie et probablement également en Irak.
Le fait que les États-Unis soient clairement dans une impasse à propos de la situation en Irak illustre l’accélération de leur affaiblissement en tant que première puissance impérialiste mondiale. Incapable de revenir en force dans ce pays après l’avoir quitté sur un total échec il y a peu, les voilà obligés de soutenir, du bout des doigts, le gouvernement en place à Bagdad. Il est certain que l’Oncle Sam voudrait éviter la partition de l’Irak, comme il souhaite que la Syrie n’éclate pas à son tour. Mais le développement de son impuissance croissante devient un facteur de premier plan pour la déstabilisation de cette région du monde. Il n’y a plus de vrai maître dans la maison. L’Iran et l’Arabie Saoudite le savent maintenant pertinemment, comme tous les chefs de guerre et autres djihadistes en Irak. Le Moyen-Orient s’enfonce inexorablement dans la décomposition, dans une guerre impérialiste de plus en plus fragmentée en de nombreux foyers. Les divisions religieuses et ethniques vont donc prendre une part de plus en plus grande.
La guerre actuelle en Irak concrétise dramatiquement au plus haut point la décomposition de la société, ultime étape de la décadence du capitalisme. Voici ce que nous écrivions à ce sujet après 1989 et l’effondrement du bloc soviétique : “La disparition du gendarme impérialiste russe et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux partenaires, ouvrent la porte au déchaînement de toutes une série de rivalités plus locales. Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l’heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial En revanche, ces conflits risquent d’être plus violents et plus nombreux, en particulier évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible” ().
Même si nous ne pouvons pas prévoir concrètement la suite des événements en Irak, ce que nous savons, c’est que ce pays s’enfonce de manière inexorable dans les affres d’un système en décomposition.
Tino, 30 juin
1) Rosa Luxemburg, en 1915, dans sa Brochure de Junius, reprenant là elle-même les paroles d’Engels.
2) L’aide financière et militaire du pouvoir saoudien à l’EIIL, jusque là très active, a brutalement cessé en janvier quand ce dernier est entré en guerre contre les autres groupes rebelles syriens soutenus par les États du Golfe.
() “Après l’effondrement du bloc de l’Est, déstabilisation et chaos”, Revue internationale no 61
La première partie de cet article, publiée dans le numéro précédent de ce journal et sur notre site web, revenait en détail sur la dynamique de la lutte de classe en France depuis 2003, l’objectif étant de mieux comprendre pourquoi la situation sociale est aujourd’hui dominée par l’abattement. Cette seconde partie aborde la dimension internationale. L’impact des mouvements sociaux en France influe sur le prolétariat de tous les pays, comme les mouvements à travers le monde influent sur la situation en France. Comme nous le verrons, cette dimension internationale de la lutte prolétarienne est bien connue de la bourgeoisie qui est capable face à son ennemi mortel, le prolétariat, de dépasser ses divisions nationales pour se concerter et s’entraider. Enfin, sera souligné que, malgré les difficultés immenses et les efforts constants de la bourgeoisie pour tuer dans l’œuf tout développement de la conscience et de la combativité prolétariennes, l’avenir appartient sans aucun doute à la lutte de classe !
La bourgeoisie française est donc particulièrement adroite face au prolétariat pour pourrir les consciences et dévoyer la réflexion dans des impasses. Ce n’est pas un hasard si ce pays est le berceau de l’altermondialisme, par exemple, qui s’est répandu partout dans le monde.1 Cette force est le fruit d’une longue expérience de confrontation avec sa classe ennemie : 1848, 1871 et 1968, pour ne prendre que quelques exemples qui ont en commun d’avoir placé à ces moments-là les prolétaires en France à la pointe du combat international, d’en avoir fait un exemple à suivre pour leurs frères de classe du monde entier.
Cependant, la présence en France d’exploités expérimentés et combatifs limite aussi les marges de manœuvre de la bourgeoisie. Si elle a eu l’intelligence de ne pas les affronter frontalement et massivement ces dernières années mais de les harceler et d’éroder leurs conditions de vie, reste que les grandes réformes structurelles dont le capital français a besoin pour restaurer sa compétitivité sur le marché mondial, sont toujours en attente et manquent cruellement à la compétitivité du capital national. La France est en train de devenir “l’homme malade de l’Europe” comme étaient qualifiés le Royaume-Uni après la Seconde Guerre mondiale et l’Allemagne dans les années 1990. Or, justement, ces deux pays se sont redressés en menant des attaques brutales profondes, respectivement sous Thatcher et Schröder.
L’incapacité de la France de mener des attaques similaires inquiète particulièrement l’Allemagne. Elle n’a aucun intérêt à voir sombrer l’économie française, ce qui mettrait trop à mal les instances économiques européennes. Mais bien plus que cela, une grave récession en France impliquerait encore plus de fermetures d’usines, une explosion du chômage et une austérité drastique, ce qui pourrait engendrer une forte réaction du prolétariat. Il y a visiblement là un dilemme pour le capital français : attaquer massivement… au risque de provoquer le réveil de la lutte, ou attendre et voir l’économie se dégrader fortement… au risque de provoquer un réveil de la lutte. Voici pourquoi la bourgeoisie allemande s’interroge sur la manière d’aider la France à retrouver une forte compétitivité sans pour autant créer de mouvement social incontrôlé. C’est ainsi que les conseillers allemands défilent depuis des mois à l’Élysée (telle la rencontre entre François Hollande et Peter Hartz, ancien conseiller de Gerhard Schröder et tête pensante de toutes les attaques du début des années 2000 en Allemagne pour rendre le travail plus précaire et baisser les allocations chômage). L’Allemagne aide donc la bourgeoisie française à réfléchir sur la façon de faire passer les attaques nécessaires à venir. En particulier, ces deux pays doivent coordonner leur planning afin de ne surtout pas mener trop simultanément leurs attaques et éviter que la colère ne croisse en même temps des deux côtés du Rhin. Tout comme la bourgeoisie a tout fait pour éviter, avec succès, que ne se produise une jonction potentielle, par dessus les Pyrénées, de luttes entre l’Espagne et la France, elle se préoccupe d’ores et déjà de diviser les travailleurs vivant en France et en Allemagne en étalant les attaques dans le temps de façon concertée. Le soutien de la bourgeoisie allemande pour que l’Etat français mène à bien et sans heurts ses attaques a d’ailleurs commencé dès la victoire du socialiste Hollande aux présidentielles : l’Allemagne est la première à essayer de faire croire que Hollande est un “mou”, un “Flamby”, un “indécis”… alimentant ainsi l’idée qu’il est incapable de prendre les mesures courageuses et donc d’attaquer la classe ouvrière ; cette image flasque est aussi savamment entretenue par la bourgeoisie française car elle permet au gouvernement de mener ses attaques mine de rien, sans en avoir l’air.
Cette idée émise de la solidarité internationale de la bourgeoisie peut éventuellement décontenancer. En effet, la bourgeoisie est divisée en nations et se bat de façon acharnée sur le marché mondial. Cet affrontement est aussi guerrier, la barbarie impérialiste qui ravage la planète de façon incessante depuis 1914 le prouve de façon tragique. Mais l’histoire a aussi montré une chose : cette division cesse face au prolétariat. Pendant la Commune de Paris, l’armée prussienne qui occupait une partie de la France a prêté main-forte aux Versaillais pour écraser dans le sang les insurgés alors que les cadavres de la guerre franco-prussienne étaient encore chauds. En 1917, toutes les puissances se sont alliées pour aider l’armée blanche face à la Révolution russe alors que la guerre mondiale faisait rage partout ailleurs. Sur un autre plan, lorsqu’en 1980, une grève de masse déferla en Pologne, les bourgeoisies démocratiques vinrent sans attendre au secours de la bourgeoisie polonaise pour l’aider à faire face, non pas militairement, mais idéologiquement : le syndicat français CFDT, en particulier, eut là un rôle très important de conseil pour saboter la lutte en faisant profiter de toute son expérience dans le domaine.
Résumons. Le prolétariat a face à lui la classe dominante le plus manœuvrière et la plus machiavélique de l’histoire ; sa propagande idéologique et son unité internationale contre les exploités révèlent l’ampleur des difficultés qui se dressent devant la révolution. La bourgeoisie a surtout la capacité de retourner en permanence la propre pourriture de son système contre le prolétariat : le capitalisme n’a plus d’avenir à offrir, le futur fait peur et engendre le repli, les pensées irrationnelles… La bourgeoisie se sert de ces peurs, de ce repli, de cette irrationalité pour renforcer l’atomisation des travailleurs, cultiver le sentiment d’impuissance et ainsi pouvoir les attaquer les uns après les autres.
Pourtant, l’avenir appartient bien à la lutte prolétarienne ! Les obstacles sont immenses, mais pas insurmontables. La bourgeoisie ne cesse de nous diviser, mais le prolétariat a déjà prouvé que le sentiment de solidarité est profondément ancré en lui. C’est en cela que le mouvement contre le CPE de 2006 est si précieux. L’attaque du gouvernement touchait exclusivement les moins de vingt-cinq ans, mais par centaines de milliers les travailleurs, chômeurs, retraités se sont joints à la lutte. Ils étaient transportés par un fort sentiment de solidarité. Cette dynamique a pu naître dans la mesure où le mouvement était organisé en dehors du contrôle syndical, à travers de véritables assemblées générales autonomes, animées par des débats libres où pouvaient à ce titre s’exprimer la véritable nature de la classe ouvrière. Ce mouvement est une promesse pour l’avenir, une petite graine qui finira par germer pour donner de magnifiques fleurs sauvages. Alors, pour participer pleinement à ces mouvements à venir, il faudra être à l’écoute, être capables de s’appuyer sur l’expérience historique, sur les grandes leçons du passé, sans dogme ni cadre pré-établi et rigide. La destruction de grandes unités industrielles en Europe et aux États-Unis, la croissance très forte dans ces deux régions du monde des emplois liés à la recherche, l’administration, les services, la distribution, la multiplication des contrats à courte durée et de l’intérim, la précarité absolue de la jeunesse et l’explosion du chômage… tout ceci aura forcément un impact sur la façon dont les luttes futures vont se développer, se frayer un chemin au milieu de tous les pièges tendus par la bourgeoisie. Quand à New York, des jeunes du mouvement des Occupy en 2011 témoignaient qu’en se regroupant ainsi dans la rue, autant pour y lutter que pour y vivre ensemble, ils avaient la sensation d’avoir de nouveau des relations sociales, qu’ils souffraient énormément de leur isolement sur leurs différents lieux de travail où ils ne faisaient que passer quelques semaines, quelques jours, parfois quelques heures, quand ils n’étaient pas reclus chez eux à cause du chômage… ils pointaient là du doigt sans le savoir l’avenir, l’importance de cette volonté de vivre et de lutter au cœur d’un tissu social animé de solidarité, de partage, de rencontres vraies et humaines. La rue, comme lieu de rassemblement, va prendre ainsi une importance croissante, non plus pour défiler les uns à côté des autres et assourdis par les sonos syndicales, mais pour débattre franchement au sein d’assemblées générales autonomes, ouvertes et libres. De même, les mouvements du CPE en 2006, des Indignados et des Occupy en 2011 indiquent tout aussi clairement que la jeunesse précarisée, moins marquée par le contre-coup terrible de l’assimilation de le fin de l’horreur stalinienne d’avec la fin du communisme et plus indigné par cet avenir qui ne cesse de se noircir sous le ciel capitaliste, aura un rôle déterminant à jouer par son enthousiasme, sa volonté et sa créativité. Les ouvriers les plus anciens (à la retraite ou encore au travail) auront la possibilité de souder une solidarité entre les générations en ayant alors la responsabilité particulière de transmettre leurs expériences, de prévenir des pièges qui se tendent et dont ils ont été déjà les victimes. Il ne s’agit là que de “grands poteaux indicateurs”, pour reprendre les mots de Marx, qui ont commencé à apparaître ces dernières années, mais la créativité des masses impliquera aussi d’autres changements et découvertes inattendues.
Pawel, 6 mars
1 La plus grande association représentant ce courant, ATTAC, est née en France en 1998.
Le 14 mars dernier, 20 ans après les massacres perpétrés entre avril et juillet 1994 au Rwanda (dans un des conflits les plus meurtriers sur le continent africain), à l’issue de six semaines d’un procès retentissant, le capitaine Pascal Simbikwanga était condamné à 25 ans de réclusion criminelle. Tout cela à l’issue de 6 semaines de procès par la Cour d’assises de Paris pour génocide envers les tutsis et crime contre l’humanité. Et on nous promet que ce procès n’est que le premier d’une longue série sur le territoire français ! Cette condamnation dont tous les médias se sont unanimement félicités n’est une fois de plus que le paravent hypocrite permettant de désigner un lampiste servant de bouc-émissaire pour le charger de tous les crimes et de toutes les horreurs afin de masquer la nature criminelle d’un système capitaliste qui plonge l’humanité dans un océan de plus en plus irrationnel de barbarie et d’horreurs. Il s’agit non seulement de dédouaner la responsabilité particulière de l’impérialisme français, mais aussi celle des autres grandes puissances impérialistes qui dans leurs rivalités et pour protéger leurs sordides intérêts ont été les principaux responsables du déchaînement des massacres et de la barbarie.
Dans une nouvelle et écœurante débauche d’hypocrisie, la presse française, les médias, la LICRA, se sont tous félicités de ce qu’ils ont salué comme une “première”. Car pour la “première fois” en France, aura été activé un tribunal à compétence universelle, ce qui nous a été cyniquement présenté comme une “victoire des victimes”, un devoir de mémoire du génocide”, un moyen de “lutte contre l’oubli”. En réalité, cela n’a encore une fois que servi à masquer l’hypocrisie fondamentale et l’abjection morale de la classe dominante qui permet de dénaturer la vérité et d’occulter les faits réels. La réalité, c’est que la France tente aujourd’hui de redorer son blason en se présentant désormais comme un défenseur et champion de la justice alors qu’elle a été un des principaux commanditaires de ces tueries planifiées et programmées en protégeant l’ancien régime, en exhortant aux massacres des tutsis, mais aussi en étant complice direct à travers son opération militaire Turquoise qui a notamment permis le sinistre massacre de Biserero en juin 1994 où s’étaient réfugiés plus de 60 000 tutsis. Par ailleurs, cette parade cache le fait que les pires crimes et atrocités ont été commises à parts égales par les deux camps, notamment par le Front patriotique rwandais de l’actuel président. Pire, depuis la “pacification” du Rwanda et depuis 20 ans que s’exerce la dictature impitoyable de Kagame, le cauchemar continue ! Ses milices n’ont cessé d’exercer une féroce et impitoyable répression de toute opposition, que ce soit à l’intérieur du pays ou hors des frontières (notamment dans l’Est de la République Démocratique du Congo). Ces exactions ont fait encore plus de victimes et d’éliminations physiques qu’au cours des cent jours passés de massacres directs, sans compter les innombrables emprisonnements, tortures, disparitions, déportations... À leur tour, les hutus sont réduits à la pauvreté, à l’exclusion et à la répression exercée jusque dans les camps de réfugiés, si bien que près de la moitié de la population envisage et redoute le déclenchement probable d’un nouveau génocide. Ces abominations et ce climat de terreur ne pourront prendre fin tant que durera le capitalisme sur la planète.
Au milieu des années 1990, les rivalités franco-américaines se sont cristallisées autour d’une zone géostratégique majeure d’Afrique, la région des Grands Lacs. Par milices interposées, ces Etats se sont livrés une guerre sans merci, transformant un pan entier de ce continent en un véritable charnier à ciel ouvert. Le paroxysme de l’horreur fut atteint lors du génocide rwandais de l’été 1994. Un bain de sang effroyable. Des populations entières froidement assassinées, à coups de machettes et de gourdins à clous ; le lac Victoria charriant des milliers de cadavres putréfiés. Le nombre des victimes ? Plus de 800 000 en moins de 100 jours ! Et bien plus si l’on comptabilise les victimes de l’ensemble du conflit. En intégrant les morts des deux camps rivaux, hutu et tutsi, plus l’extension de cette guerre au Zaïre, le total dépasse selon les estimations les 5 millions de morts !
Aujourd’hui, les procès se multiplient. Les États diligentent des enquêtes. Des organismes internationaux, tel le tribunal de La Haye, enregistrent les plaintes des victimes. La vérité va-t-elle éclater au grand jour ? Évidemment, non ! Ce n’est absolument pas le but de tout ce barouf. Au contraire ! A coups de commissions et de mises en examen, les États français et rwandais sont en train de poursuivre sur le terrain judiciaire et médiatique la guerre qui les oppose depuis maintenant près de 13 ans. Ainsi, chacune de ces deux bourgeoisies brandit ses “dossiers” et menace de “révéler” les crimes de l’adversaire. Depuis avril, une commission d’enquête est officiellement chargée par l’Etat rwandais de “rassembler les preuves de l’implication de la France dans le génocide”. Dans ce but, une série d’auditions publiques a été diffusée en direct à la radio courant novembre. Des témoignages effroyables s’y sont succédés, décrivant les exactions de l’armée française et son soutien aux milices hutus. La contre-attaque de la bourgeoisie française fut immédiate. Sortant de ses tiroirs un vieux dossier judiciaire bouclé depuis mars 2004, elle a montré les crocs en accusant explicitement le président rwandais Paul Kagame d’être le commanditaire de l’attentat du 6 avril 1994, attentat qui a coûté la vie à son prédécesseur et déclenché les vagues de massacres. Ce jeu cynique de maîtres-chanteurs est résumé par le quotidien burkinabé Le Pays : “Cette action judiciaire a des allures d’épouvantail pour calmer les ardeurs de Kigali qui a de son côté diligenté une enquête pour établir la responsabilité de la France dans le génocide rwandais.” Mais ce pare-feu n’a absolument pas calmé les “ardeurs” du pouvoir rwandais. Au contraire, depuis, c’est l’escalade. Début décembre, le président Paul Kagame lui-même a martelé au micro de la BBC à Londres : “La France a soutenu les forces génocidaires, les a entraînées, les a armées.”
Comme le montre notre article de 2004 que nous republions ci-dessous, l’histoire du Rwanda révèle ce que sont vraiment les grandes démocraties : des Etats sanguinaires qui n’hésitent pas à massacrer des millions d’êtres humains pour défendre leurs sordides intérêts impérialistes.
Le prétendu conflit ethnique entre hutus et tutsis fut en fait créé de toutes pièces. Avant la vague de colonisation, le Rwanda était l’une des rares régions d’Afrique possédant une langue, une culture et une religion communes. Tutsis et hutus correspondaient alors beaucoup moins à des critères “ethniques” qu’à des castes sociales. “Tutsi” désignait la caste féodale au pouvoir sur laquelle se sont d’abord appuyées les grandes puissances.
Héritant de la colonie rwandaise lors du dépeçage de l’empire allemand entre les vainqueurs de la Première Guerre mondiale, c’est la Belgique qui introduit en 1926 la mention “ethnique” sur la carte d’identité des Rwandais, attisant la haine entre les deux castes.
En 1959, changeant son fusil d’épaule, Bruxelles soutient la majorité hutue qui s’était emparée du pouvoir. La fameuse carte d’identité “ethnique” est maintenue et les discriminations entre tutsis et hutus sont renforcées. Dès lors, plusieurs centaines de milliers de tutsis fuient le pays pour s’installer en Ouganda.
Ce dernier pays constituera une base arrière de la guérilla tutsie, le Front patriotique rwandais (FPR), pour préparer ses incursions armées contre le régime hutu, incursions qui deviendront massives à partir de 1990.
Entre-temps, le contrôle de l’impérialisme belge sur Kigali a laissé la place à la France qui apporte un soutien militaire et économique sans faille au régime hutu d’Habyarimana. C’est grâce au soutien de l’impérialisme français qui l’arme activement et qui envoie en renfort ses militaires lors de l’opération Noroît, que le régime repoussera l’attaque d’octobre 1990 du FPR, soutenu discrètement par les Etats-Unis, via l’Ouganda.
A partir de là, la guerre civile s’emballe, les pogroms anti-tutsis se multiplient en même temps que ceux menés par le FPR contre tous ceux qu’il soupçonne de “collaborer” avec le régime. La guérilla du FPR prend peu à peu la forme d’une véritable offensive américaine visant ouvertement à faire tomber le régime pro-français de Kigali.
L’État français va alors défendre sa chasse gardée face à l’offensive américaine en faisant couler de plus en plus de sang. Dans les colonnes du Monde diplomatique de mars 1995, on peut lire : “Pendant trois ans (1990-1993), l’armée française a tenu à bout de bras les troupes d’un régime rwandais […] s’enfonçant dans le génocide […]. Engagée dans le combat contre le Front patriotique rwandais […], la France a massivement équipé les Forces armées rwandaises (FAR) ; elle les a instruites dans des camps où se pratiquaient la torture et le massacre de civils (à Bigogwe par exemple) ; elle a encouragé une stratégie “antisubversive” qui passait par la création de milices enivrées de haine, et enivrées tout court. Après la publication, en février 1993, du rapport d’une commission internationale dénonçant – déjà – des “actes de génocide”, le mot d’ordre, venu directement de l’Elysée, n’a pas changé : “Casser les reins du FPR”.”
Malgré ses efforts guerriers, la France ne parvient pas à endiguer l’avancée du FPR et donc des Etats-Unis. L’assassinat du président Habyarimana, son plus fidèle allié, lors de l’attentat du 6 avril 1994, est le signe de la défaite de la fraction hutue et de la France. Dès lors, ces deux bourgeoisies vont se livrer une aveugle lutte à mort. La population hutue est d’autant plus facile à embrigader que durant des décennies, la Belgique puis la France leur ont bourré le crâne de cette haine anti-tutsi.
L’ambassade de France à Kigali devient le QG des partisans de l’épuration ethnique et du massacre des tutsis. Le Monde diplomatique décrit ces réunions comme des sortes “d’assemblées générales extraordinaires du “Hutu power”” et ce journal poursuit en affirmant que “d’avril à juin 1994, pendant que les massacres se poursuivaient et qu’étaient tués à la machette environ 500 000 tutsis, une fraction de l’armée française n’aura qu’une obsession : continuer de ravitailler et d’assister les FAR – sous la protection desquelles “travaillaient” les tueurs” (1). L’Etat français est allé jusqu’à constituer lui-même, toujours dans les locaux de son ambassade, le Gouvernement intérimaire rwandais (le GIR), tête “pensante” du génocide, et à financer l’achat des armes… machettes comprises ! Toute la bourgeoisie française est responsable de cette barbarie. En 1994, droite et gauche étaient au pouvoir. En pleine période de cohabitation, le président socialiste François Mitterrand et le Premier ministre RPR Edouard Balladur prirent ensemble les décisions exigées pour la défense de l’intérêt national. Quand François Mitterrand déclare “Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important” (2), il résume en une phrase toute la cruauté et le mépris de la bourgeoisie pour la vie humaine dès que les intérêts impérialistes de la nation sont en jeu.
Sachant la partie perdue avec l’avancée inexorable du FPR, l’État français assume alors une véritable politique de la “terre brûlée” pour ne laisser sur place à ses adversaires impérialistes qu’un champ de ruines et de désolation. Sous couvert d’une mission humanitaire (sic !) (3) nommée “opération Turquoise”, l’armée française va en effet organiser le repli des troupes génocidaires vers le Zaïre tout en laissant ces milices massacrer hommes, femmes et enfants sur leur passage, dans un déchaînement effroyable de sauvagerie.
Au Rwanda, en 1994, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été violés, massacrés à la machette, sont morts de faim ou d’épidémies pour s’être retrouvés au milieu de la tourmente et de l’enfer de ce carnage inter-impérialiste. Il ne s’agit pas là d’une anomalie ou d’un dérapage. L’horreur du Rwanda révèle la vraie nature du capitalisme, cachée bien souvent derrière son masque démocratique. Comme l’écrivait déjà en 1915 Rosa Luxemburg :
“Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment” (Brochure de Junius).
Pawel, 15 décembre 2004
(1) Le Monde diplomatique de mars 1995.
(2) Propos recueillis par Patrick de Saint-Exupéry pour Le Figaro et reportés dans son livre L’Inavouable, la France au Rwanda, éd. Les Arènes, 2004.
(3) Il est à souligner que la politique menée par les fameuses organisations non gouvernementales (ONG) a suivi exactement la même logique en étant déterminée par leur appartenance nationale et la stratégie de leur gouvernement. Médecins sans frontières fut ainsi déchirée entre ses différentes sections nationales, la section française souhaitant intervenir aux côtés de l’armée française et les autres le refusant évidemment catégoriquement. La vraie signification de ONG est bien Organisations nationalistes gouvernementales.
Le film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit, présenté au festival de Cannes, a reçu un éloge unanime. Et pour cause ! Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un hymne à l’abandon du combat de classe. Les ouvriers sont présentés comme des abrutis égoïstes dès qu’ils sont ensemble, regroupés dans l’usine. “A la poubelle la lutte du prolétariat, vive les individus atomisés !”, voilà quel message infâme diffusent en chœur les frères Dardenne, Marion Cotillard (l’actrice principale), les critiques et le monde du cinéma en smokings et robes haute-couture.
Le synopsis parle de lui-même : “Sandra, modeste employée d’une entreprise de panneaux solaires, arrive au terme d’un long arrêt de maladie pour dépression. Son patron, qui a réorganisé l’usine en distribuant le travail de Sandra aux autres employés, soumet ceux-ci à un dilemme : ils devront choisir entre conserver leur prime de 1000 euros ou permettre le maintien de l’emploi de Sandra en perdant la prime. Un premier vote défavorable à Sandra, sous influence du contremaître Jean-Marc, est contesté par une employée, Juliette, qui obtient de son patron le vendredi soir qu’il organise un autre vote dès le lundi matin. Juliette réussit à convaincre Sandra de se mettre en marche, pendant les deux jours et la nuit du week-end, pour aller convaincre une majorité de ses seize collègues de voter en sa faveur en changeant d’avis. Lors d’un fastidieux et répétitif porte à porte, frappée de doutes, de honte misérabiliste et de désespoir, elle va rencontrer un à un ses collègues au destin aussi fragile que le sien et se heurter à leur refus souvent, à leur hésitation toujours, à la violence de certains, ou bénéficier de leur revirement parfois. Finalement perdante de justesse au vote, elle retrouve vigueur et espoir de vie de s’être battue de la sorte et d’avoir réveillé chez certains le sens de la solidarité, enfoui sous l’égoïsme matérialiste. Sur le point de trouver une issue positive à son inquiétant destin, elle sera amenée à assumer à son tour avec une fierté retrouvée son propre choix de solidarité” (Wikipédia). Tout est là. Des ouvriers qui préfèrent le licenciement d’une collègue plutôt que de renoncer à leur prime... Une femme (Marion Cotillard pleurnicharde et geignarde au possible tout le long du film) qui lutte seule en faisant du porte à porte pour demander à ses collègues d’être “solidaires” en cédant une partie de salaire... et surtout, jamais ô grand jamais, l’idée ne traverse la tête de quiconque de se dresser ensemble pour refuser le chantage immonde du patron. Ni baisse de salaire, ni licenciement ! Solidarité dans la lutte ! Un pour tous, tous pour un ! Voilà ce que crie le prolétariat quand il parvient à développer sa lutte, voilà quels sentiments profondément humains et dignes il révèle avoir en lui quand il se dresse. Mais de ce vent enthousiasmant et porteur, pas un souffle dans ce film volontairement désespérant. Les Dardenne iront même jusqu’à pousser leur héroïne dans les affres de la tentative de suicide, seule “issue” pour cette ouvrière lâchée par ses frères de classe et engouffrée dans l’impasse de la réaction individuelle et citoyenne. Mais rassurez-vous, nous disent les médias, il y a une fin inattendue sous forme d’happy-end. Roulement de tambours... dans les dernières minutes, Marion Cotillard, pardon, Sandra refuse l’offre de réintégration de son patron (impressionné par ses qualités de battantes... sic !) ; elle téléphone à son mari pour lui dire qu’elle a retrouvé sa volonté de lutter pour... trouver un autre travail. La morale de l’histoire est que nous sommes impuissants, des pions dans cette société et que la seule manière de ne pas céder au désespoir, c’est de se changer soi-même, de se montrer résolu à trouver sa place dans le système, dans la concurrence entre ouvriers. Le film est d’autant plus pernicieux qu’il montre très bien, comme un documentaire, le cynisme du patron, l’atomisation réelle des ouvriers aujourd’hui, la peur de la crise et de ses conséquences, la destruction morale des personnes... Suivre les frères Dardenne dans la démarche idéologique de leur film, c’est accepter que face à la violence des rapports d’exploitation, l’ouvrier n’a qu’une solution : se faire violence pour pouvoir exister. A aucun moment dans le film, les employés ne cherchent à se réunir, à discuter ensemble pour voir comment réagir, à essayer de créer un rapport de force avec leurs exploiteurs. Le nec plus ultra de la lutte selon les frères Dardenne, est présenté lors d’une scène du vote à bulletins secrets où les personnes qui sont devant l’urne évitent de se parler et même de se regarder au moment de voter dans une urne transparente pour que ce soit bien “démocratique”. La recherche de solidarité est présentée comme une recherche de soutien d’individu à individu. C’est un chant à la gloire de l’individualisme. Pas étonnant qu’un critique puisse écrire : c’est un “récit sur les aléas de la solidarité entre petites gens, par le passé valeur prolétarienne fondamentale, “Deux jours, une nuit” stigmatise les temps nouveaux, où l’individualisme prime sur le partage. Sans pour autant tomber dans le pessimisme. La morale du film stigmatise l’effort sur soi nécessaire pour ne pas sombrer dans le désespoir, afin de s’en sortir” (). Le drame serait alors que l’individualisme des exploités mènerait à l’incapacité d’accepter de partager les sacrifices exigés par la crise du capitalisme. Ce discours, les gouvernements du monde entier, de droite comme de gauche, ne cessent eux-aussi de nous l’asséner au nom de la “solidarité” nationale. Au fond, la bourgeoisie fait culpabiliser les ouvriers, leur demande de se serrer la ceinture par altruisme pour que survive... son système agonisant et ses privilèges de classe dominante. Or, c’est justement ce système qui engendre “le “chacun pour soi”, “l’atomisation”, la “débrouille individuelle”, la “destruction des rapports qui fondent toute vie en société” (). Le message du film est frauduleux, c’est une escroquerie dangereuse et même mortelle : il est faux qu’il n’y ait pas d’autre perspective que de s’adapter et montrer qu’on est apte à être un bon rouage dans la machine capitaliste ! S’il est vrai que le prolétaire est exclu, coupé de toute emprise réelle sur la conduite de la vie sociale et donc de sa vie, qu’il ne possède pas ses moyens de production et vit sans réserve, il n’est pas que cela. Le prolétaire n’est pas seulement un “pauvre” comme un autre. Il est aussi un producteur, le producteur de la plus-value qui est transformée en capital. Il est exploité collectivement et sa résistance au capital peut être et ne peut être que collective dans le travail associé. Pour paraphraser Karl Marx dans Misère de la philosophie (1847), il ne faut pas voir dans la misère que la misère mais aussi et surtout son côté révolutionnaire. Le prolétariat n’est pas qu’une classe exploitée, c’est aussi une classe révolutionnaire : “il développe dans sa lutte quotidienne un principe qui correspond à la tâche historique qu’il doit remplir – le principe de la solidarité de classe, expression de son unité” (). La solidarité ouvrière n’est pas basée sur la charité à l’égard d’individus moins bien lotis que soi, mais sur la reconnaissance que les ouvriers n’ont pas d’intérêts particuliers à défendre, que lorsque l’un d’entre eux est attaqué, ce sont tous ses frères de classe qui sont attaqués. Ce qu’on veut nous faire croire, c’est que la crise qui rend l’exploitation de plus en plus intolérable, ne peut que rencontrer la soumission à l’ordre établi, que lutter ne sert finalement à rien. Le film met ses qualités artistiques au service de cette thèse démoralisatrice. La crise suscite aussi la colère et l’indignation vis-à-vis du sort qui est fait aux classes exploitées. Ce qui rend possible de retrouver sa dignité en tant qu’être humain, c’est justement de se considérer comme membre d’une classe qui a les clefs de l’avenir de l’humanité, en développant la solidarité avec ses frères et sœurs de classe, pour transformer sa colère en volonté commune de combat contre ce système qui n’a pas de perspective et menace la survie de l’humanité. “La lutte du prolétariat n’est pas un mouvement particulier ou égoïste mais la base du mouvement indépendant de l’immense majorité au bénéfice de l’immense majorité” (). C’est en luttant ensemble, unis et solidaires, que les travailleurs reprendront confiance en cette perspective qu’eux seuls peuvent mettre en œuvre. La solidarité prolétarienne n’est pas une “valeur fondamentale” du passé, elle est plus que jamais celle de l’avenir.
Sandra B, 30 juin
() http ://www.premiere.fr/film/Deux-Jours-Une-Nuit-3680132/ [454](affichage)/press
() “La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme”, Revue Internationale no 62, 2e trimestre 1990)
() “Texte d’orientation : la confiance et la solidarité dans la lutte prolétarienne”, Revue Internationale no 112, 2005.
() Marx-Engels, Le Manifeste communiste.
Durant l’été 2014, alors que la classe dirigeante telle une épidémie continue de nous abreuver de ses assourdissantes “commémorations” à propos de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, l’intensification des conflits militaires a encore une fois confirmé ce que les révolutionnaires avaient déjà compris en 1914 : la civilisation capitaliste est devenue un obstacle au progrès, une menace pour la survie même de l’humanité. Dans sa Brochure de Junius, écrite de prison en 1915, Rosa Luxemburg avait déjà averti que si la classe ouvrière ne renversait pas ce système, il ferait nécessairement plonger l’humanité dans une spirale de guerres impérialistes de plus en plus destructrices. L’histoire des xxe et xxie siècles a tragiquement confirmé cette prévision, et aujourd’hui, après un siècle de déclin du capitalisme, la guerre est de plus en plus omniprésente, plus chaotique, plus irrationnelle que jamais. Nous avons atteint un stade avancé dans la désintégration du système, une phase qui peut être décrite comme celle de la décomposition du capitalisme.
Tous les grands conflits de l’été expriment les caractéristiques de cette phase historique :
• La “guerre civile” en Syrie a réduit à l’état de ruines une grande partie du pays, détruisant la vie économique et le travail accumulé par les cultures du passé, tandis que l’opposition au régime Assad est de plus en plus dominée par les djihadistes de “l’État islamique”, dont la brutalité et le sectarisme dépassent ceux d’Al-Qaïda.
• Initialement soutenu par les Américains contre le régime Assad appuyé par la Russie, l’EIIL a maintenant clairement échappé au contrôle de ses anciens partisans, avec pour résultat la propagation de la guerre en Syrie puis en Irak, menaçant le pays de désintégration et obligeant les États-Unis à intervenir par des frappes aériennes contre la progression des forces de ce même EIIL et d’armer les Kurdes, même si cette issue risque à son tour de créer une nouvelle entité kurde qui serait un facteur supplémentaire de déstabilisation pour toute la région.
• En Israël et en Palestine, une nouvelle campagne plus meurtrière de bombardements israéliens a fait 2000 morts, des civils en majorité, sans aucune perspective réelle de faire taire les roquettes lancées par le Hamas et le Djihad islamique.
• En Ukraine, le nombre de décès est également en hausse après le bombardement de zones résidentielles par le gouvernement de Kiev, tandis que la Russie est de plus en plus engagée dans le conflit par son soutien à peine déguisé aux “rebelles” pro-russes. À son tour, ce conflit a visiblement aiguisé les tensions entre la Russie et les puissances occidentales.
Ces guerres expriment toutes le fait que le capitalisme conduit vers la destruction et ne sera ni la base d’un “nouvel ordre mondial”, ni celle d’une “prospérité d’après-guerre”. Elles sont, comme Rosa Luxemburg l’a écrit à propos de la Première Guerre mondiale, l’expression la plus concrète de la barbarie. En même temps elles exigent un prix terrible pour la classe exploitée, cette force qui peut stopper la chute dans la barbarie et affirmer la seule alternative possible : le communisme. Citons de nouveau La Brochure de Junius : “La guerre est un meurtre méthodique, organisé, gigantesque. En vue d’un meurtre systématique, chez des hommes normalement constitués, il faut cependant d’abord produire une ivresse appropriée. C’est depuis toujours la méthode habituelle des belligérants. La bestialité des pensées et des sentiments doit correspondre à la bestialité de la pratique. Elle doit la préparer et l’accompagner”. En Israël, où le cri “Mort aux Arabes” est scandé face aux manifestants pacifistes ; à Paris, où des manifestations “anti-sionistes” ont pour écho “Mort aux Juifs” ; en Ukraine, où les forces pro et anti-gouvernementales sont motivées par la nationalisme le plus enragé ; en Irak, où les djihadistes menacent les chrétiens et les Yézidis du choix : la conversion à l’Islam ou la mort. Cette intoxication guerrière, cette atmosphère de pogrom, constituent une atteinte à la conscience du prolétariat le livrant pieds et mains liés à ses exploiteurs et leurs mobilisations guerrières.
Ces faits très graves, ces dangers pour l’unité et la santé morale de notre classe, nécessitent une réflexion profonde. Nous reviendrons sur ce point dans de prochains articles pour cette critique plus profonde nécessaire des conflits impérialistes actuels et sur l’état de la lutte de classe. En attendant, nous renvoyons le lecteur à un certain nombre d’articles traitant de ce sujet dans ce numéro et également sur notre site internet.
D’après WR,
section du CCI en Grande-Bretagne
Nous venons d’assister à un des miracles du “changement maintenant” : celui de la nomination du gouvernement Valls II… quelques semaines après celle du premier du nom. Une nouvelle équipe dont l’orientation est piteusement rappelée par l’Élysée : “il faut garder le cap” ! C’est donc la même politique de fond que nos “frondeurs”, désormais libérés de leurs responsabilités gouvernementales, ont partagé et assumé depuis le début de l’ère Hollande, cautionnant une série de décisions qui n’ont fait qu’accentuer la pression de l’exploitation, multiplier les attaques contre la classe ouvrière, garantissant l’austérité et le développement du chômage. Toutes la bande des “frondeurs”, prétendus pourfendeurs des “décisions de Bruxelles”, du “diktat de l’Allemagne” et de la “finance”, sont ainsi tout à fait responsables de la politique du PS et des “réformes” gouvernementales (en particulier le fameux “pacte de responsabilité” qui accroît encore la flexibilité, la charge de travail et la misère des masses ouvrières).
Parmi ces grands chevaliers défenseurs des “vraies valeurs de la gauche”, Arnaud Montebourg n’a fait que précipiter le scandale, poussant les rats à quitter le navire par ses grands “coups de gueule” hypocrites, lui qui n’a œuvré qu’à distiller un sentiment nationaliste et patriotique chez les ouvriers en détresse, notamment en arborant sa ridicule marinière. Le champion du “made in France”, comme le furent les staliniens du PCF qui prônaient un vulgaire “produisons français” durant les années 1980, n’est qu’un pantin bouffon de la bourgeoisie. Il en va de même pour Benoît Hamon. Il prend aujourd’hui lui aussi la tangente après avoir été grandement utile au gouvernement en tant que caution “socialiste” et représentant de l’aile gauche. Son image lui a ainsi permis de faire passer sans aucune vague de nouvelles attaques dans l’Education nationale, en imposant par exemple lui aussi la fameuse réforme des rythmes scolaires ou en maintenant le lancement de la réforme du statut des enseignants. Quant à Aurélie Filippetti, il suffit d’évoquer le conflit très dur des intermittents du spectacle pour se rappeler les mesures scélérates prévues au sujet des allocations chômage portant atteintes aux précaires et aux chômeurs ! De cette nouvelle nébuleuse qui se dessine vaguement autour de Montebourg, on retrouve en embuscade une figure comme Martine Aubry, celle qui a mené la grande bataille de la flexibilité avec le chantage aux 35 heures à la fin des années 1990 ainsi que l’expérimenté Henri Emmanuelli, celui qui durant toutes les années 1980 sous Mitterrand avait contribué à la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière.
Il serait facile d’ironiser sur la situation de crise que connaît le Parti socialiste. En réalité, il connaît là une situation qui tend à se généraliser un peu partout ailleurs, celle que partagent à des degrés divers et selon des expressions variables la plupart des gouvernements dans le monde. Les comportements irrationnels, le chacun pour soi, la voyoucratie et les clivages s’accentuent, tendant à rendre de plus en plus difficile le contrôle de la vie politique et publique. En effet, face à la décadence de son système, la classe dominante n’a aucune solution ni aucune perspective à offrir autre que celle des sacrifices et de l’insécurité. Partout, elle attaque de plus en plus brutalement les conditions de vie et de travail sans pour autant réussir à endiguer la dégradation de la situation économique mondiale. Partout donc, ou presque, les gouvernements sont décrédibilisés, voire rejetés. Mais si la bourgeoisie est impuissante, la classe ouvrière ne parvient pas, elle non plus, à dégager sa propre perspective politique, celle de la révolution mondiale. Par conséquent, face à l’absence d’avenir, la société se décompose en pourrissant sur pied.
Les forces centrifuges et les miasmes gangrènent de plus en plus la politique bourgeoise. Ce diagnostic se vérifie partout : en Grande-Bretagne où les dissensions autour de Cameron empoisonnent l’atmosphère ; en Italie où l’ère Berlusconi faisait figure de caricature ; aux Etats-Unis mêmes où les difficultés croissantes et la contestation du président Obama se renforcent. Un peu partout se multiplient les “affaires”, la “peopolisation”, la perte du “sens de l’Etat”. La France n’échappe pas à la règle et devient presque un cas d’école. Alors que la droite et l’UMP sont en ruine, minés par la “guerre des chefs” et les scandales à répétitions, le PS se retrouve également dans une situation déplorable. De l’affaire Cahuzac, spécialiste de l’évasion fiscale, à celle récente du député Thévenou récemment nommé au gouvernement puis aussitôt remercié pour avoir “oublié” pendant deux ans de payer ses impôts (cela ne s’invente pas!), du livre règlement de compte de Valérie Trierweiler – ex-compagne du Président Hollande – à la récente fronde de plusieurs parlementaires et ministres, la tempête a soufflé sur un exécutif discrédité. La “synthèse” politique permettant de canaliser jusqu’ici les courants du PS a vécu et s’avère un échec cuisant. Face à la crise historique de son système capitaliste et à sa phase ultime de décomposition, le “cap” de la bourgeoisie, même si elle n’a pas d’autre choix, s’apparente finalement à celui du Titanic.
C’est dans ce contexte de difficultés et face à l’approfondissement de la crise économique que la partie la plus lucide du PS tente de préserver l’avenir face à la montée inexorable du populisme, en particulier contre l’influence croissante du FN. En resserrant son équipe derrière Valls pour accentuer et redoubler les attaques anti-ouvrières, appuyé et encouragé en cela par toutes les bourgeoisies européennes, dont l’Allemagne, le gouvernement se positionne pour tenter de répondre à la hauteur des exigences du capital en essayant de préserver ses arrières. En dégageant par la force des choses une gauche afin de ne pas torpiller l’ensemble le PS, il s’agit d’éviter une catastrophe aux prochaines élections, tant est redouté le syndrome de 2002 (où le FN s’était qualifié pour le second tour des présidentielles en éliminant le socialiste Jospin, alors Premier ministre sortant et donc responsable des attaques menées entre 1997 et 2002). A plus long terme, la bourgeoisie et le PS se préparent en permettant de repositionner une force à “gauche” au moment où les tentatives de Mélenchon et du NPA de Besancenot s’avèrent des échecs. A plus longue échéance encore, le PS se prépare à contrer et à pourrir les futures ripostes de la classe ouvrière.
Il n’y a jamais rien de bon à attendre des exploiteurs ! Ceci, d’autant plus lorsque ce sont de “faux-amis” comme le sont le PS et les “frondeurs” d’aujourd’hui. Les exploités devront rester sur leurs gardes. Ils devront se méfier comme de la peste de ceux qui restent des ennemis acharnés du prolétariat.
Faber, 6 septembre 2014
La contribution, dont nous publions ci-dessous de larges extraits (1, a été postée sur notre forum de discussion (en langue anglaise), suite aux protestations et aux troubles qui ont éclaté après l’assassinat de Michaël Brown à Ferguson (Missouri) au début du mois d’août.
L’assassinat d’un jeune homme noir par la police, suivi de manifestations, n’est pas un phénomène rare aux Etats-Unis. Le texte fait d’ailleurs référence à l’assassinat de Trayvon Martin à Sanford (2012 en Floride) et à celui d’Oscar Grant (Oakland en 2009). En fait, les derniers chiffres disponibles montrent que 96 personnes noires sont tuées chaque année en Amérique par un policier blanc. Au total, les polices locales déclarent plus de 400 meurtres par an au FBI (ce chiffre auto-déclaré est sans doute largement sous-estimé).
Le texte a ainsi raison de s’indigner face à la violence de la répression étatique. Des voitures blindées et des tireurs d’élite ont été massivement déployés dans Ferguson. Dans tous les États-Unis, la police locale et les milices paramilitaires se procurent du matériel provenant des surplus de l’armée.
Le texte souligne aussi à juste titre la nécessité d’élever le niveau de conscience pour lutter contre ce système. Il reconnaît que le pillage, les incendies volontaires et les explosions de colère incontrôlée ne mènent nulle part. Le même phénomène s’est produit en Grèce avec le meurtre d’Alexandros Grigoropoulos en décembre 2008 et les protestations qui ont suivi.
La nécessité de “réfléchir et discuter davantage” exige un effort sérieux pour comprendre le capitalisme, ce qu’il est devenu et comment la classe ouvrière peut lutter.
Le texte demande ce qui se passerait “si, un jour, nous nous réveillions tous et disions juste : ‘non !’” En réalité, le processus qui mène à la révolution implique le développement de la conscience de classe, tirant les leçons des échecs, développant une réflexion sur l’expérience historique de la classe ouvrière, ainsi que l’identification du but final du communisme.
A ce titre, la question de la répression par la bourgeoisie se pose au niveau mondial, dans la mesure où fondamentalement la classe ouvrière est une classe internationale qui ne peut menacer la domination capitaliste que par une lutte mondiale. Comme le dit le texte, “les ouvriers doivent s’unir au-delà des différences raciales afin de sauver la société et peut-être toute la civilisation humaine de la destruction”.
Bien que le texte dénonce avec justesse l’impasse du nationalisme noir ou de la lutte pour les “libertés civiles” dans le cadre de l’ordre social existant, nous sommes en désaccord avec certaines formulations. Par exemples, l’idée que “le riche capitaliste américain ne peut pas tolérer l’existence d’une nation noire prospère” ou que le racisme est le fondement de la répression étatique laisse traîner l’idée que la lutte des classes prendrait en Amérique la forme de la lutte des races.
CCI
Juste à l’extérieur d’un complexe d’immeubles gisait le corps sans vie d’un jeune adolescent. Son corps a été laissé dans la rue pendant quatre heures. Il avait été touché six fois par l’arme de l’officier de police de Ferguson, Darren Wilson. Ce jeune homme n’avait pas de casier judiciaire et la police n’avait pas de mandat pour l’arrêter. Il s’appelait Michael Brown. Il avait 18 ans.
Ainsi, Ferguson s’ajoute à la liste qui comprend Sanford, Money, San Francisco, New York, Londres (…).
La réponse de la communauté afro-américaine, qui est en contact avec beaucoup de personnes qui travaillent dans le comté de Saint-Louis, a été plutôt significative. Cependant, les discours et les protestations des personnes allaient du nationalisme noir au “libéralisme de gauche” en passant par les thèses libertaires. L’idée principale véhiculée dans la polémique était que la race et les droits humains sont les enjeux principaux de la mort de Michael Brown.
(…) Parmi les nombreuses questions posées, il y avait : pourquoi y a-t-il tant de jeunes Noirs tués dans des conditions similaires aux États-Unis ? La vie d’un jeune Afro-américain a-t-elle moins de valeur que celle des autres ? Pourquoi est-ce que les droits des Afro-américains ne sont pas mieux respectés dans le système “démocratique” en Amérique ?
Le système capitaliste exploite tous les ouvriers. Les ouvriers, partout en Amérique, sont soumis aux mêmes types de répression, même si l’ampleur et la gravité de chaque situation varient.
En Amérique, il existe une longue tradition du gouvernement, consistant à réprimer violemment les manifestations de rue et les réunions ouvrières ! Et aussi partout dans le monde !
Le racisme en est la base, fondé sur les divisions ethniques-nationales. La classe dominante utilise la police et les forces paramilitaires (payées par nos impôts), qui tuent nos enfants sous de faux prétextes parce qu’elles sont elles-mêmes intrinsèquement racistes. Le capitalisme engendre le racisme. Le riche capitaliste américain ne peut pas tolérer une nation noire prospère, au Missouri, en Californie en Afrique ou ailleurs. Le capitalisme signifie la concurrence entre les nations, les races, les économies et repose sur l’huile de coude de tous les travailleurs et travailleuses.
Ferguson, Missouri, ressemble maintenant davantage à la Cisjordanie qu’aux Etats-Unis. C’est un sentiment partagé par les manifestants, qui ont eu des contacts avec les Palestiniens et les Égyptiens sur la meilleure façon d’éviter les gaz lacrymogènes et les balles en caoutchouc.
Pourquoi les manifestants à Gaza et en Israël ont-ils vécu des événements similaires à ceux qu’a vécus la classe ouvrière de la Première puissance mondiale ? Pourquoi de tels événements ont-ils lieu dans un pays “développé” comme les États-Unis ? Parce que les travailleurs n’ont pas de frontières, pas de pays. Peu importe où nous vivons, nous sommes tous soumis à la volonté du gouvernement de l’État “démocratique” ou autre. Il ne faut donc pas s’étonner d’apprendre que le chef de la police de Ferguson lui-même, ainsi que beaucoup d’autres officiers de police du comté de Saint-Louis ont vraiment fait une formation aux armes de combat et aux tactiques de guérilla en Israël au cours des dernières années.
N’est-ce pas ironique ? Non, c’est juste le capitalisme !
Les travailleurs doivent continuer à se défendre contre la répression brutale de la classe dirigeante qui utilise l’État capitaliste, qu’il s’agisse de la répression économique, de la violence contre la dignité de la personne ou de la brutale répression qui consiste à assassiner nos jeunes.
Mais nous devons faire attention à nos tactiques, nos méthodes et leur efficacité. La colère non canalisée ne mène nulle part. La réflexion approfondie et la discussion sont toujours nécessaires. Mettre le feu aux poubelles et lancer des cailloux sur des véhicules blindés et des chars urbains n’est pas la solution pour faire cesser les meurtres d’enfants noirs. Pas plus que le pillage des galeries marchandes.
La seule solution est une révolution sociale, qui ne peut être réalisée que par des travailleurs comme vous et moi. Il ne sert à rien d’implorer nos gestionnaires, la classe dirigeante, d’améliorer nos conditions de vie, il est fondamentalement dans leur intérêt de ne pas nous aider. Ce système décadent peut à peine rester à flot dans son état actuel. Et demander au gouvernement et aux gens qui nous contrôlent de respecter nos “droits démocratiques” et nos besoins de base mettrait en surcharge les capacités du système. A moins d’aller tous ensemble se jeter à l’eau, les travailleurs doivent s’unir, sans tenir compte des différences raciales, afin de sauver la société et peut-être toute la civilisation humaine de la destruction.
Quels droits peuvent-ils nous donner, démocratiques ou non, qui empêcheraient nos patrons de nous prendre une partie de notre travail et de nos salaires à leur profit ? Tant que durera l’exploitation des travailleurs, tant que durera l’extorsion de profit du travail des ouvriers, aucun acte de désobéissance “civile” ne pourra empêcher la pauvreté ! Le capitalisme nous tape sur la tête. Cela ne nous aide pas de savoir que le bâton a été démocratiquement élu.
Nous devons jeter le bâton.
(…)
Jamal, 20 août 2014
1) L’intégralité de cette contribution est disponible sur notre site Internet.
Selon de récents sondages, 87 %, voire 97 % des Israéliens soutenaient l’assaut militaire sur Gaza au moment de sa plus haute intensité. Des spectateurs attendaient même sur les collines surplombant la bande de Gaza, buvant de la bière en regardant au loin le feu d’artifice mortel. Certaines personnes interrogées suite aux tirs de roquettes du Hamas déclaraient que la seule solution est l’extermination de tous les habitants de Gaza – hommes, femmes et enfants. Le Times of Israël a publié un article d’un blogueur juif américain, Yochanan Gordon, intitulé : “Quand le génocide est permis”. Dans le sillage de l’assassinat des trois jeunes israéliens en Cisjordanie – l’événement qui a déclenché le conflit actuel – le slogan “Mort aux Arabes” est devenu la devise favorite de la foule.
Dans la bande de Gaza, la population soumise aux bombardements israéliens impitoyables a applaudi quand le Hamas et le Djihad islamique ont déclenché de nouveaux tirs de roquettes, destinés, même si rarement avec “réussite”, à tuer autant d’Israéliens que possible – hommes, femmes et enfants. Le cri “Mort aux Juifs” a été entendu une fois de plus, tout comme dans les années 1930, pas seulement à Gaza et en Cisjordanie, mais aussi dans des manifestations “pro-palestiniennes” en France et en Allemagne où des synagogues et magasins juifs ont été parfois attaqués. En Grande-Bretagne, une augmentation des actes antisémites a également été relevée.
Il y a trois ans, durant l’été 2011, suite au Printemps arabe et à la révoltes des Indignados en Espagne, la nature des slogans était très différente : “Netanyahou, Assad, Moubarak, même combat !” Tel était le mot d’ordre de dizaines de milliers d’Israéliens sortis dans les rues pour lutter contre l’austérité et la corruption, contre la pénurie chronique de logements et autres types de privations sociales.
Provisoirement, fiévreusement, l’unité d’intérêts entre les Juifs et les Arabes pauvres apparut dans les manifestations, malgré le fossé dressé par le nationalisme, grâce aux slogans similaires sur la question du logement identifiée comme un problème pour tous, sans distinction de nationalité.
Aujourd’hui, les petites réunions d’Israéliens plaçant dos à dos Netanyahou et le Hamas ont été isolées, noyées et même agressées par des sionistes de l’aile droite aux slogans de plus en plus ouvertement racistes. Sort ironique du rêve sioniste : une “patrie juive” censée protéger les Juifs de la persécution et des pogroms a donné naissance à ses propres pogroms juifs, incarnés par l’action de gangs comme le Betar et la Ligue de défense juive.
En 2011, les protagonistes du mouvement de protestation avaient exprimé la crainte de voir le gouvernement trouver un prétexte pour un nouvel assaut sur Gaza et ainsi conduire la protestation sociale dans l’impasse du nationalisme. Cette dernière conflagration, plus meurtrière que toutes les guerres précédentes sur Gaza, semble avoir commencé par une provocation du Hamas ou peut-être d’une cellule djihadiste séparée – avec l’enlèvement brutal et l’assassinat des jeunes Israéliens. Le gouvernement israélien, avec son déploiement spectaculaire de troupes censées trouver les jeunes et les arrestations de centaines de suspects palestiniens, n’était que trop désireux de se saisir des événements pour porter un grand coup à la coalition récemment formée entre le Hamas et l’OLP, et en même temps, contre ceux qui se tiennent derrière le Hamas, en particulier l’Iran, les chiites de la “république islamique” actuellement courtisée par les Etats-Unis comme allié en Irak contre l’avancée des sunnites fondamentalistes regroupés dans l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Cela dit, quelles que soient les motivations du gouvernement israélien en “acceptant” la provocation du Hamas (qui inclut bien entendu les tirs incessants de roquettes sur Israël), la recrudescence actuelle du nationalisme et la haine ethnique en Israël et en Palestine n’est pas pour autant un coup mortel porté à la conscience de classe naissante que nous avons vu s’exprimer en 2011.
Mais à l’heure du centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, nous devons nous rappeler ce que la révolutionnaire internationaliste Rosa Luxemburg a écrit depuis sa cellule de prison dans sa Brochure de Junius (initialement intitulée : La crise de la social-démocratie) sur l’atmosphère de la société allemande au moment du déclenchement de la guerre. Luxemburg raconte : “Finie l’ivresse. Fini le vacarme patriotique dans les rues, la chasse aux automobiles en or ; les faux télégrammes successifs ; on ne parle plus de fontaines contaminées par des bacilles du choléra, d’étudiants russes qui jettent des bombes sur tous les ponts de chemin de fer de Berlin, de Français survolant Nuremberg ; finis les débordements d’une foule qui flairait partout l’espion ; finie la cohue tumultueuse dans les cafés où l’on était assourdi de musique et de chants patriotiques par vagues entières ; la population de toute une ville changée en populace, prête à dénoncer n’importe qui, à molester les femmes, à crier : hourra ! et à atteindre au paroxysme du délire en lançant elle-même des rumeurs folles ; un climat de crime rituel, une atmosphère de pogrom, où le seul représentant de la dignité humaine était l’agent de police au coin de la rue.” En fait, au moment où elle a écrit ces mots, en 1915, elle faisait clairement apparaître que l’initiale euphorie nationaliste avait été dissipée ensuite par la misère croissante liée à la guerre, tant à l’arrière qu’au front. Mais il n’en reste pas moins que la mobilisation de la population pour la guerre, la culture de l’esprit de vengeance, la destruction de la pensée et de la morale ont crée un dégoûtant “air de Kichinev” – un air de pogrom. Luxemburg faisait ainsi allusion au pogrom de 1903 dans la ville de Kichinev en Russie tsariste où les Juifs avaient été massacrés suite au prétexte médiéval “d’assassinat rituel” d’un garçon chrétien. Comme les pouvoirs féodaux étaient heureux de susciter des émeutes antijuives pour détourner l’attention du mécontentement populaire envers les lois, et il n’était pas rare que la destruction des Juifs ait également supprimé les dettes importantes que les rois et les seigneurs avaient contracté auprès des prêteurs juifs, les pogroms du xxe siècle ont également connu cette double caractéristique du calcul, la manipulation cynique de la part de la classe dirigeante et l’éveil des sentiments les plus irrationnels et antisociaux parmi la population, notamment parmi la petite bourgeoisie désespérée et les éléments les plus lumpenisés de la société. Face à Kichinev et aux pogroms similaires, le régime tsariste avait ses Cent-Noirs, des gangs de rue et des voyous prêts à obéir aux ordres de leurs maîtres aristocratiques. Les autorités nazies qui agitaient les horreurs de la Nuit de cristal en 1938 avaient présenté les passages à tabac, les pillages et les meurtres comme étant une expression de la “colère populaire spontanée” contre les Juifs après l’assassinat du diplomate nazi Ernst vom Rath par un jeune juif polonais, Herschel Grynszpan.
Les puissances impérialistes qui gouvernent le monde d’aujourd’hui attisent ces forces irrationnelles pour la défense de leurs sordides intérêts.
Ben Laden débuta sa carrière politique comme agent de la CIA dans la guerre contre la Russie en Afghanistan. Al-Qaïda est un exemple parfait de la manière dont ces forces peuvent facilement échapper au contrôle de ceux qui tentent de les manipuler. Pourtant, l’affaiblissement progressif de l’hégémonie américaine dans le monde a conduit à faire la même erreur en Syrie, où l’on arma clandestinement des mouvances islamistes radicales pour s’opposer au régime d’Assad jusqu’à ce qu’elles menacent d’installer en Syrie, et maintenant en Irak, un régime encore plus hostile aux intérêts américains. Même Israël, avec ses services secrets performants, a répété l’erreur en encourageant le développement du Hamas à Gaza pour faire contrepoids à l’OLP.
Au stade le plus avancé de son déclin, le capitalisme est de moins en moins en mesure de contrôler les forces infernales qu’il a suscitées. Une manifestation claire de cette tendance est que l’esprit de pogrom se répand à travers la planète. En Afrique centrale, au Nigeria, au Kenya, les non-musulmans sont massacrés par des fanatiques islamistes, provoquant en représailles de nouveaux massacres par des bandes chrétiennes. En Irak, en Afghanistan et au Pakistan, les terroristes sunnites s’attaquent aux mosquées et aux processions chiites, tandis que l’État Islamique en Irak menace les chrétiens et contraint les Yézidis à la conversion sous peine d’expulsion ou de mort. En Birmanie, la minorité musulmane est régulièrement attaquée par des “militants bouddhistes”. En Grèce, les immigrés sont violemment attaqués par des groupes fascisants comme Aube Dorée. En Hongrie, le parti Jobbik organise des raids contre les Juifs et les Roms. Et dans les démocraties européennes les campagnes xénophobes contre les musulmans, les immigrants illégaux ou les Roumains rythment quotidiennement la vie politique, comme lors des dernières élections européennes.
En réponse au pogrom de Kichinev, le Parti ouvrier social-démocrate russe, lors de son congrès historique de 1903, adopta une résolution demandant à la classe ouvrière et aux révolutionnaires de s’opposer à la menace de pogroms de toutes leurs forces : “Du fait que des mouvements tels que le pogrom tristement célèbre de Kichinev, sans parler des abominables atrocités commises, servit à la police de moyen par lequel elle chercha à freiner la croissance de la conscience de classe au sein du prolétariat, le Congrès recommande aux camarades d’utiliser tous les moyens en leur pouvoir pour lutter contre ces mouvements et d’expliquer au prolétariat la nature réactionnaire de l’antisémitisme et de tous les autres excitations nationales-chauvines.”
Combien était juste cette résolution qui voyait dans le pogrom une attaque directe contre la conscience de classe du prolétariat ! En 1905, face aux grèves de masse et l’apparition des premiers soviets de travailleurs, le régime tsariste déclenchait le pogrom d’Odessa directement contre la révolution. Et la révolution répondit non moins directement par l’organisation de milices armées pour défendre les quartiers juifs contre les Cent-Noirs.
Aujourd’hui, cette question prend un tour plus universel et encore plus vital. La classe ouvrière voit sa conscience d’elle-même en tant que classe sapée et minée par l’implacable rouleau compresseur de la décomposition du capitalisme. Sur le plan social, cette décomposition de la société capitaliste signifie la lutte de tous contre tous, la prolifération des rivalités de gangs, la propagation sinistre de haines ethniques, raciales et religieuses. Au niveau des relations internationales entre États, cela se traduit par la multiplication des conflits militaires irrationnels, des alliances instables, des guerres échappant au contrôle des grandes puissances, par un glissement permanent vers davantage de chaos. Dans les guerres entre Israël et la Palestine, en Irak, en Ukraine, la mentalité de pogrom est un élément central de la guerre et menace de se transformer en son ultime avatar : le génocide, l’extermination organisée par l’État de populations entières.
Ce sombre tableau d’une société mondiale en agonie peut provoquer un sentiment d’angoisse et de désespoir, d’autant plus que les espoirs qui ont surgi avec le “Printemps arabe” en 2011 ont été presque totalement brisés, non seulement en Israël, mais dans l’ensemble du Moyen-Orient où les manifestations en Libye et en Syrie ont tourné en “guerres civiles” meurtrières et en un immense chaos. La prétendue “révolution” égyptienne a débouché sur des régimes plus répressifs les uns que les autres.
Néanmoins, des mouvements comme celui des Indignés en Espagne commencent à faire émerger une perspective pour l’avenir en montrant le potentiel des masses quand elles se réunissent lors de manifestations, dans des assemblées, lors de débats approfondis sur la nature de la société capitaliste et la possibilité de la renverser. Ils montrent que le prolétariat n’est pas vaincu, qu’il n’a pas été totalement submergé par la putréfaction avancée de l’ordre social. De manière confuse et hésitante, le spectre de la lutte de classe du prolétariat international qui fit la révolution de 1905, celles de 1917 et 1918 qui mit fin à la Première Guerre mondiale par la grève de masse et ses soulèvements, qui barra la route à la troisième guerre mondiale à partir de 1968, hante toujours le monde. A travers plusieurs mouvements de classe depuis 2003, la classe exploitée de la société capitaliste commence à prendre conscience des intérêts communs qui l’unit en dépit des barrières nationales, ethniques et religieuses. Elle est la seule force sociale capable de résister à l’esprit de vengeance contre les boucs émissaires que sont les minorités, contre les haines nationales et contre les Etats-nations avec leurs guerres sans fin.
D’après World Revolution
section du CCI en Grande-Bretagne
Quand Porochenko a été élu président de l’Ukraine, il promettait de vaincre “les terroristes séparatistes” de la région du Donbass. Ces derniers mois, la combinaison de l’armée régulière à Kiev et de milices non officielles lui a permis de gagner du terrain, en particulier autour de Louhansk ; ceci, malgré des pertes humaines croissantes du fait d’un combat qui s’est déplacé vers des cités plus peuplées où davantage de civils ont été pris sous des feux croisés. Les estimations sont toutes au-delà des 2000 morts. On doit ajouter à cela les 298 passagers abattus avec l’avion du vol MH17 ; la Russie avait mis dans les mains des séparatistes des armes antiaériennes puissantes, sans que ceux-ci n’aient la capacité ni même le souci de reconnaître les signaux d’un transporteur civil. Par-dessus le marché, la compagnie aérienne, poussée par la logique capitaliste du profit, a pris elle-même le risque de voler au-dessus d’une zone de guerre afin d’éviter les coûts supplémentaires de carburant qu’entraînait un simple contournement.
“La crise de sécurité la plus grave en Europe”[1]
L’Ukraine est un pays intrinsèquement instable, un pays artificiel[2] qui regroupe la majorité de la population ukrainienne, une minorité de russophones et d’autres nationalités. Les populations qui la composent sont divisées par des haines historiques remontant aux famines de la collectivisation forcée sous Staline, aux divisions issues de la Deuxième Guerre mondiale, à l’expulsion des Tatars de Crimée : tout cela étant instrumentalisé par les politiciens d’extrême-droite et les différents gangs. De plus, en proie à une situation économique désastreuse, la partie ouest de l’Ukraine voit son salut dans un commerce plus proche de l’UE, alors que l’Est du pays reste davantage lié à la Russie.
Tout cela fait que la guerre “civile” n’est pas fondamentalement une affaire ukrainienne, mais un conflit dont la genèse et les implications sont complètement intégrées à la chaine des tensions impérialistes existant en Europe et ailleurs. Avant 1989, l’Ukraine faisait partie de l’URSS et les divisions étaient tenues sous contrôle. Aujourd’hui, la Russie se trouve de plus en plus à l’étroit du fait de l’expansion de l’UE et de l’OTAN, à tel point que Barack Obama souligne que le défi représenté par la Russie est “effectivement régional” (The Economist, 9 août 14). Or, même avec cette ancienne superpuissance réduite à sa dimension régionale, il y a certaines choses qu’elle ne peut abandonner, y compris sa base en Crimée sur la Mer Noire, un port en eau tempérée qui lui donne accès à la Méditerranée et, via le Canal de Suez, à l’Océan Indien. Pas plus qu’elle ne peut permettre à l’Ukraine et à la branche sud de son pipeline de tomber entièrement sous le contrôle de ses rivaux et ennemis. D’où l’encouragement et le soutien aux séparatistes à Donetsk et Louhansk. La Russie a bénéficié pour cela du déplacement de l’attention américaine vers l’Extrême-Orient avec la nécessité de contrer la montée en puissance de la Chine. Le Russie ne pouvait donc en aucune façon rester en dehors et laisser la “Novorossiya” (nouvelle Russie) être détruite. La Russie n’a pas seulement fourni des armes lourdes aux séparatistes, elle a aussi 20 000 soldats massés près de Rostov en manœuvre à la frontière ukrainienne. L’incursion estimée à 1000 soldats n’allait pas seulement au secours de Donetsk ; elle visait la création d’un couloir vers Marioupol au sud. Les séparatistes “novorossiyens” n’en font clairement pas assez aux yeux du Kremlin pour créer un pont vers la Crimée, qu’elle a annexée en mars dernier, ni en faveur des séparatistes pro-russes de la Transnistrie, en Moldavie. Pour le moment, ce n’est qu’une incursion à peine déguisée, sans être ouvertement une invasion. La perspective actuelle est donc à la déstabilisation continue.
Alors que l’Ukraine souhaite rejoindre l’OTAN, Porochenko et Poutine peuvent bien s’être rencontrés à Minsk lors d’une réunion de l’Union Eurasienne, il n’y avait en réalité aucune base pour des négociations.
“L’Ouest” ne pouvait pas laisser les mains libres à la Russie, même si elle n’est désormais qu’une puissance régionale, alors qu’Obama a admis que les États-Unis devaient encore développer une stratégie pour la contrer. D’abord, il y a eu la condamnation diplomatique. Ensuite, des sanctions croissantes décidées après que l’avion de ligne malais a été abattu et elles affectent désormais les banques russes. De plus, la question de fournir de l’aide à Kiev a été soulevée : 690 millions de dollars venant de l’Allemagne, 1,4 milliard de dollars du FMI (le premier acompte des 1,7 milliard promis quand la Russie a supprimé son aide l’hiver dernier). Sans aucun doute, l’aide va aussi inclure la vente d’armes. Enfin, la Grande-Bretagne va commander une nouvelle Force Expéditionnaire Unie de 10 000 hommes venant de six pays, aucun d’entre eux n’étant un des poids lourds de l’OTAN. Le Canada pourrait aussi être impliqué – ceci est largement symbolique à cette étape et ne présage certainement pas d’une réponse militaire à la crise ukrainienne. Même si tous les pays européens sont unis par leurs intérêts pour contrer l’offensive russe, nous ne pouvons imaginer qu’il y ait “une communauté internationale” unie ou “occidentale”. En fait, les pays voisins et les puissances européennes sont tout affairés à protéger leurs propres intérêts. La France fournit encore des hélicoptères gros porteurs à la Russie, la Grande-Bretagne veut encore que le milieu d’affaire russe investisse via la City de Londres et l’Allemagne dépend encore du gaz russe. En fait, chacun voudrait que les autres supportent le coût des sanctions. Il existe des divergences entre des pays qui ont un point de vue beaucoup plus belliqueux vis-à-vis des incursions russes en général, parce qu’ils ont leurs propres minorités russes et ont peur que la même instabilité se produise chez eux. La Serbie, quant à elle, est en même temps prise dans le dilemme d’essayer de garder son vieil allié russe tout en s’orientant vers l’UE : une situation intenable.
La ruine interne
Le conflit en Ukraine est très destructeur. En plus des pertes humaines et des destructions d’infrastructures, dans l’Est en particulier, il existe des effets négatifs sur l’économie. Bien que l’industrie lourde et minière du Donbass soit désuète et dangereuse, la perte d’une région qui représente 16 % du PIB et 27 % de la production industrielle est un désastre pour Kiev dont on prévoit que le PIB va chuter de 6,5 % à la fin de l’année et dont la monnaie, le hryvnia, a perdu 60 % par rapport au dollar depuis le début de l’année. L’Ukraine est donc vraiment dépendante de l’aide qu’elle reçoit. Les choses ne peuvent qu’empirer cet hiver si la Russie coupe le gaz dont elle dépend – avec des implications désastreuses pour les populations qui seront confrontées aux rigueurs de l’hiver. 117 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur et il y a à peu près un quart de million de réfugiés en Russie.
La nature du combat, les deux côtés dépendant de milices composées de mercenaires les plus fanatiques, de terroristes et d’aventuriers, font non seulement souffrir les populations civiles mais créent aussi une situation réellement dangereuse pour l’avenir. Qui contrôle ces forces irrégulières ? Qui sera capable de les rappeler ? Nous n’avons qu’à regarder la prolifération des différents gangs fanatiques en Afghanistan, Irak, Syrie, ou Libye, pour voir la menace se profiler.
La classe ouvrière et le danger du nationalisme
Le plus grand danger pour la classe ouvrière dans le conflit ukrainien est qu’elle puisse être enrôlée derrière différentes factions nationalistes. Un indice vraiment concret du succès ou de l’échec de cet embrigadement peut se voir dans la volonté des travailleurs à se laisser recruter dans l’armée. Or, en Ukraine, de nombreuses protestations se sont produites contre cela. “Après que six soldats originaires de la région de Volhynia ont été tués, les mères, les femmes et les parents des soldats de la 15 brigade ont bloqué les routes dans la région de Volhynia pour protester contre un nouvel envoi de l’unité dans le Donbass. Les manifestations et les protestations organisées par les femmes et les autres parents de conscrits demandant le retour au foyer des soldats ou essayant d’empêcher leur départ au front s’étendirent aux autres régions de l’Ukraine (Bukovina, Lviv, Kherson, Melitopol, Vlhynia, etc.). Les familles des soldats bloquaient les routes avec des arbres coupés dans la région de Lviv début juin” (article du groupe tchèque Guerre de classe posté sur le forum de discussion du CCI)[3]. Des occupations de bureaux de recrutement, de terrains militaires d’entraînement et même d’un aéroport se sont produites.
Ces protestations n’ont pas toutes réussi à résister au chant des sirènes du nationalisme. Par exemple, le même article rapporte que des manifestations ont eu lieu dans le Donbass en faveur de la paix et de la fin de l’“opération anti-terroriste”. En d’autres termes, en appelant seulement à la fin de l’action militaire du camp “d’en face”. Malgré cela, l’article rapporte qu’il y a eu des grèves de mineurs dans la région avec des revendications portant sur la sécurité (ne pas aller sous la terre qu’un bombardement a pu piéger) et pour des salaires plus élevés.
Ces protestations rapportées par Guerre de classe sont un signe important que la classe ouvrière n’est pas battue, que beaucoup de travailleurs ne veulent pas perdre leur vie pour la classe dominante dans de telles aventures militaires. Cela ne signifie pas que la classe ouvrière en Ukraine et en Russie soit assez forte pour mettre directement la guerre en question. Et le danger pour la classe ouvrière d’être recrutée par les différents gangs nationalistes demeure. Pour mettre vraiment la guerre en question, cela demanderait une lutte beaucoup plus massive et surtout plus consciente de la classe ouvrière à l’échelle internationale.
D’après Alex, 30 août 2014
[1] Le ministre des Affaires étrangères polonais, Radoslaw Sikorski, a décrit la guerre civile en Ukraine comme “la crise de sécurité la plus grave en Europe depuis la dernière décennie”.
[2] Voir : Le glissement de l’Ukraine vers la barbarie militaire, dans RI numéro 447 [459].
(http ://en.internationalism.org/icconline/201406/9958/ukraine-slides-towards-military-barbarism).
[3] http ://en.internationalism.org/forum/1056/guerre-de-classe/9820/ukraine-battlefield-imperialist-powers (http ://www.autistici.org/tridnivalka/neither-ukrainian-nor-russian/ [460]), and video of protests can be seen on here https ://www.youtube.com/watch [461] ?v=AWi0Daf228M
Début 2014, le CCI écrivait : “Aujourd’hui, le retrait programmé des troupes américaines et de l’OTAN d’Irak et d’Afghanistan laisse une instabilité sans précédent dans ces pays avec le risque qu’elle ne participe à l’aggravation de l’instabilité de toute la région” (“Résolution sur la situation internationale du XXe Congrès du CCI”, point 5). C’est clairement la situation présente, et elle laisse présager une prochaine spirale d’instabilité guerrière dans toute la région et ses alentours. Nos dirigeants nous ont promis la guerre pour des années, pour une génération.
L’Irak et la Syrie ne sont pas étrangers à la guerre capitaliste et l’existence même de ces pays est la conséquence de la guerre impérialiste de 1914-1918. Ils ont été créés par l’impérialisme le long de la ligne de démarcation Sykes-Picot, tracée par les Anglais et les Français en 1916 afin de découper la région alors aux mains de l’Empire ottoman. Ces deux pays sont nés au cours et de la guerre, laquelle s’est en quelque sorte poursuivie depuis lors. Il en a été de même pour les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale contre l’Allemagne et par la suite lors de la guerre froide, lorsqu’Américains et Anglais multipliaient les coups tordus et les manipulations contre la Russie au cours des années 1950. L’Irak fut à nouveau utilisé par l’Ouest contre l’Iran lors de la sanglante guerre de 1980 et fut en 1991 le bouc-émissaire du vain effort des Américains pour permettre au bloc de l’Ouest de conserver sa cohérence, ce qui coûta la vie à des dizaines de milliers de victimes lorsque le boucher Saddam Hussein et sa garde républicaine furent épargnés pour permettre la répression. L’invasion de 2003, menée par les États-Unis et l’Angleterre, a abouti à des milliers de morts supplémentaires et de blessés par des bombes à fragmentation ou au phosphore et les munitions en uranium appauvri. La population irakienne connaît fort bien les embrassades et les baisers de l’impérialisme, particulièrement ceux des Américains, des Français et des Anglais.
Le 10 juin, la prise de Mossoul, une ville de plus d’un million d’habitants, par l’EI (“l’État islamique”, connu depuis juin de cette année sous le nom d’EIIL, “État islamique en Irak et au Levant”), a amorcé une nouvelle descente dans la barbarie capitaliste, le chaos, la terreur et la guerre des régions du Proche-Orient déjà frappées par ces fléaux. L’EIIL n’est pas une armée en haillons plus ou moins affiliée à de vagues regroupements, comme l’est Al-Qaïda (qui a formellement désavoué l’EIIL en février de cette année), mais une très efficace et impitoyable machine de guerre actuellement capable de mener des combats sur trois fronts : vers Bagdad au sud, vers les territoires kurdes à l’est et vers Alep et la Syrie à l’ouest. Hisham al-Hashimi, un expert de l’EIIL basé à Bagdad, estime ses forces à 50 000 hommes (The Guardian du 21 août 2014), le même rapport ajoutant qu’elle disposerait “d’au moins cinq divisions de l’armée irakienne, toutes équipées de matériel américain”, et ajoute que “le nombre important de combattants étrangers présents acquiert une influence de plus en plus grande dans certaines zones”. L’EIIL a largement étendu son règne de terreur en grandissant au sein d’Al-Qaïda en Irak (AQI), puis s’est développé dans le maelström syrien où il a absorbé, volontairement ou sous peine de mort, d’autres djihadistes et des forces “modérées” anti-Assad ; il contrôle aujourd’hui des zones importantes de la vallée de l’Euphrate où il a établi son “califat” autour de ce qu’il reste de la frontière Irak/Syrie, c’est-à-dire la ligne Sykes-Picot. La destruction de cette frontière est significative de l’enfoncement dans la décadence et le chaos qui est de plus en plus la marque du capitalisme dans toutes les grandes régions du monde.
Avec la régression que constitue la pagaille au Proche-Orient, une force s’installe, l’État islamique, dont les principes en tant que califat islamique sont basés sur les divisions religieuses et des arguments qui remontent à plus d’un siècle. La nature complètement réactionnaire de ce califat est à la fois l’exacerbation et le reflet de toute la nature réactionnaire et irrationnelle du monde capitaliste lui-même, une tendance qui se situe dans la continuité de la Première Guerre mondiale et de tous les massacres impérialistes qui l’ont suivie. L’État islamique n’a pas de futur, sauf celui d’un nouveau gang de bandits, de brutes et d’assassins qui vont continuer à déstabiliser la région et sont une expression de l’impérialisme qui atteint le stade d’une sanglante pagaille. Bien qu’elle soit une force religieuse réactionnaire, ainsi que le démontre la terreur imposée aux civils chiites, chrétiens, yazidis, turkmènes, shabaks, l’EIIL est fondamentalement une expression capitaliste construite et soutenue par les forces impérialistes locales et maintenant devenu le front anti-Assad et anti-iranien. Cette évolution a été soutenue par les actes de l’Amérique et de l’Angleterre.
“Bien sûr que non”, répondront certains, quel sens cela peut-il bien avoir ? Mais le capitalisme a une longue histoire de création de ses propres monstres : Adolf Hitler a été démocratiquement mis en place avec l’assistance de la Grande-Bretagne et de la France afin d’être au départ une force capable de terroriser la classe ouvrière en Allemagne. Saddam et son régime d’assassins ont été mis en place par l’Occident, en particulier par la Maison Blanche. C’est la même chose pour Robert Mugabe au Zimbabwe et Slobodan Milosevic en Serbie. Les madrasas islamiques fondamentalistes ainsi qu’Oussama ben Laden sont essentiellement des produits de la CIA et du MI6 en collaboration avec l’ISI, les services secrets pakistanais, tout ce monde agissant pour contrer l’impérialisme russe en Afghanistan, une mixture qui a donné naissance aux Talibans et à Al-Qaïda. La création du Hamas fut au départ encouragée par Israël comme un moyen d’affaiblir l’OLP, et les forces djihadistes ont été armées, encouragées et soutenues par l’Occident en Libye et dans les républiques de l’ex-URSS.
Tout cela s’est retourné contre ses initiateurs et a mordu les mains qui l’avaient élevé et nourri, montrant que ce n’est pas une question de quelques individus diaboliques, mais de psychopathes capitalistes efficaces, armés et soutenus par la démocratie. Et aujourd’hui, au Proche-Orient, plus que jamais, tout ce que les impérialismes majeurs et locaux vont essayer de faire pour affronter leurs rivaux, jouer leurs cartes et façonner les événements va non seulement échouer, mais va contribuer à la détérioration générale de la situation, approfondir encore plus les problèmes et les élargir à plus long terme.
Al-Qaïda en Irak a été puissant pendant une dizaine d’années, mais sa ramification, l’EIIL, sous la nouvelle direction de Abu Bakr-al-Baghdadi (lequel a été libéré en 2009 de la prison américaine de la base irakienne d’Umm Qasr sur l’ordre d’Obama [1]) a été soutenu par les fonds saoudiens et qataris blanchis par le très accommodant système bancaire koweïtien, avec ses combattants qui lui ont donné accès à la frontière avec la Turquie. L’EIIL a été armé, directement ou indirectement, par la CIA, et il existe des rapports concordants signalant que certains de ses combattants ont été entraînés par les forces spéciales américaines et britanniques en Jordanie ou sur la base américaine d’Inçirlik en Turquie [2]. Pourquoi ? Parce qu’Américains et Britanniques voulaient une force de combat efficace contre le régime d’Assad, plus efficace en tout cas que les forces “modérées”. Même le régime syrien a fait affaire avec l’EIIL et l’a utilisé dans la vieille stratégie consistant à soutenir l’ennemi de mon ennemi. En apportant une aide aux forces de l’État islamique, les puissances locales et occidentales ont cherché à contrer la menace grandissante constituée par l’alliance Iran/Hezbollah/Assad, une machine de guerre soutenue en arrière-plan par la Russie.
Le califat de l’EIIL n’a aucune perspective à long terme, mais pour le moment il s’étend et grossit, profitant de l’attrait particulier qu’il exerce sur la jeunesse nihiliste qui constitue une sorte de “brigade internationale” en son sein. Il possède des milliards de dollars d’équipements, des liquidités provenant de ses nombreuses affaires. Ce n’est pas le premier retournement dans la situation : les forces aériennes américaines ont apporté leur couverture au PKK kurde dans son combat contre les djihadistes, alors que c’est un groupe qui est qualifié de “terroriste” par les États-Unis. L’Iran, la Syrie d’Assad et l’Occident sont maintenant peu ou prou du même bord, des informations (The Observer, 17/08/14) signalant que des avions de combat iraniens opèrent depuis l’énorme base aérienne de Rasheed au sud de Bagdad et lancent des barils d’explosifs sur les zones sunnites. Indubitablement, des forces iraniennes opèrent sur le sol de l’Irak et de la Syrie contre l’EIIL. La Turquie et la Jordanie, l’Arabie Saoudite elle-même sont impliquées par la menace que constitue cette organisation. Rien n’est ici stable ; tout est ici mouvant, un continuel remue-ménage inter-impérialiste.
Lorsque les éléments sunnites de la province d’Anbar se sont alliés à l’État islamique pour prendre Mossoul en juin, il était clair que la guerre en Syrie avait débordé sur l’Irak. C’est un complet renversement de la situation de 2006/2007, lorsque les chefs tribaux sunnites d’Anbar avaient rejoint les forces américaines dans une “prise de conscience” qu’il fallait battre Al-Qaïda. Mais le gouvernement d’Al-Maliki à Bagdad, soutenu dans l’ombre par les Américains et dominé par les Chiites, a exclu les Sunnites de tout pouvoir, encouragé les gangs chiites à mener de quasi-pogroms contre eux et traité les populations sunnites comme le ferait une armée d’occupation. Le nouveau gouvernement d’“Union nationale” en Irak peut admettre à nouveau certains de ses députés sunnites, mais ces derniers se feront probablement décapiter s’ils osent retourner dans leurs circonscriptions. Les États-Unis peuvent bien espérer un gouvernement stable, mais la perspective pour l’Irak ressemble bien plutôt à une partition. Les États-Unis ne peuvent ni contrôler ni contenir ce chaos qu’ils ont au contraire facilité. Pour le moment, il a été décidé de défendre la capitale kurde, Erbil, où les Américains sont actuellement implantés, pour le pétrole et autres intérêts. Il n’est aucunement question de quelque “intervention humanitaire” que ce soit ici, c’est seulement un mensonge flagrant [3]. Un autre mensonge de Cameron est son affirmation que “l’Angleterre ne se laissera pas entraîner dans une nouvelle guerre en Irak” (BBC News, 18/08/14), ce qui rejoint celui sur la nature soi-disant “humanitaire” de son intervention. La décision des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, de l’Allemagne et de la République tchèque d’armer les Kurdes n’est aucunement une politique commune de ces pays, elle ne peut que renforcer le gouvernement régional kurde (KRG) et la tendance à la partition de l’Irak, et causer de nouveaux problèmes dans la région.
Il y a 60 000 réfugiés à Erbil, et il y en a 300 000 de plus à Dohuk, l’une des régions les plus pauvres d’Irak. Cela fait plus d’un million rien qu’en Irak, plusieurs millions dans toute la région. Ce chiffre sans précédent de gens errant sur les routes, ainsi que l’effondrement des frontières, sont des expressions de l’avancée de la décadence de ce système en train de pourrir. Le régime iranien s’est renforcé, les frontières de la Turquie (qui est un membre de l’OTAN) et de la Jordanie sont affaiblies et menacées, les terroristes d’hier et ceux qui incarnaient alors le mal sont maintenant devenus des alliés. Et le danger de leur retour vers les capitales occidentales et les régions industrialisées, menace contre laquelle le Premier ministre Blair avait été averti dès 2005 par le Joint Intelligence Commitee (JIC) [4], est aujourd’hui plus aigu que jamais alors que les djihadistes vaincus vont chercher à revenir vers de grands centres stratégiques et à obtenir les moyens de continuer leurs attaques violentes. L’EIIL résume à lui seul la nature putréfiée, régressive du capitalisme, ainsi que son enfoncement dans le militarisme, la barbarie et l’irrationalité : tuer et mourir pour la religion [5], le massacre massif de civils, le viol et la mise en esclavage des femmes et des enfants. Les États-Unis et leurs “alliés” sont à même de repousser l’EIIL, mais ils ne peuvent contenir le chaos impérialiste qui l’a fait naître. Bien au contraire, les grandes puissances et les forces locales ne peuvent qu’aggraver toujours plus l’instabilité et le chaos. Ce qu’ils ne veulent pas est exactement ce à quoi ils ont travaillé et continuent à travailler, parce que tout le système capitaliste les mène aveuglément dans cette direction.
Baboon, 23 août 2014
1. http ://www.politifact.com/punditfact/statements/2014/jun/19/jeanine-pirro/foxs-pirro-obama-set-isis-leader-free-2009/ [462]
2. guardianlv.com/2014/06/isis-trained-by-us-government.
3. Obama et le Premier ministre Cameron se sont attribués le mérite du sauvetage des Yezidis du Mont Singar, mais ce qui les préoccupait bien plus était de défendre Erbil, et c’est la même chose pour les Peshmergas kurdes qui ont abandonné ces civils, offrant au PKK bien plus radical l’occasion de s’engouffrer dans la brèche et de se présenter comme le véritable sauveur des Yezidis, malgré le fait que nombre d’entre eux sont encore dans la nature et en grand danger.
4. warisacrime.org/node/22644.
5. L’un des plus efficaces et absurdes moyens de défense de l’État islamique contre les forces irakiennes menées par les Américains pour reprendre Tikrit a été les bombes volantes humaines, qui se jetaient elles-mêmes depuis les fenêtres et les toits sur les colonnes en progression.
Le centenaire de la mort de Jean Jaurès, célébré le 31 juillet 2014, a été l'occasion de quelques événements remarquables. Le président de la République, François Hollande, s'est rendu sur les lieux de l'assassinat du leader socialiste, dans l'ancien Café du Croissant. Lorsqu'on ouvre le journal du lendemain, on le voit sur la photo, attablé, ne sachant que faire de ses dix doigts, avec sa mine de chien battu. Aussitôt, celui qui se présente comme l'opposant le plus résolu à la politique gouvernementale et le véritable héritier de Jaurès, Jean-Luc Mélanchon, a dénoncé la récupération politique. Quelques temps plus tôt, le philosophe ex-ministre Luc Ferry se réjouissait sur France-Culture de la façon dont Jaurès aurait "dézingué" le Manifeste communiste dans un article paru dans les Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy. Déjà pendant la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy en appelait à Jaurès qui aurait récusé la lutte de classe et qui, lui au moins, aimait et respectait les travailleurs. Comme tout ceci est à la fois ridicule et scandaleux en comparaison de la stature historique de Jean Jaurès !
Il est vrai que Jaurès est un personnage bien pratique pour la bourgeoisie qui en a fait une sorte de secrétaire aux multiples tiroirs. Selon les besoins de la propagande idéologique, on peut ouvrir le tiroir du héros national qui repose au Panthéon aux côtés des héros de la guerre impérialiste, comme Jean Moulin par exemple, ou alors on peut ouvrir le tiroir du socialiste modéré qui réprouve les méthodes violentes de la révolution, ou bien encore celui du partisan de la voie parlementaire et nationale au socialisme, le tiroir favori du Parti communiste français, ou le tiroir du pacifiste qui aurait rompu les liens entre la lutte contre la guerre et la lutte pour la révolution prolétarienne. Tous ces clichés sont mensongers et l'adage selon lequel pour supprimer un homme qui met en danger l'ordre établi la meilleure méthode est encore d'en faire une icône inoffensive se vérifie une nouvelle fois.
Qui était donc Jean Jaurès ? Tout simplement un produit du mouvement ouvrier, le produit collectif et historique d'une classe particulière de la société, l'un de ses produits les plus remarquables si l'on considère l'époque où Jaurès exerça ses talents. Issu de la petite bourgeoisie provinciale, élu député d'abord sur une liste d'Union des républicains en 1885, il passe au socialisme à 34 ans fortement impressionné par la lutte des mineurs de Carmaux et scandalisé par la répression d'une manifestation à Fourmies dans le Nord. Les ouvriers y luttaient pour la journée de huit heures, pendant la manifestation une fusillade fit une dizaine de morts dans leurs rangs. Comme dans le cas de Marx et de bien d'autres militants ouvriers, c'est le prolétariat lui-même qui a gagné Jaurès à la cause du socialisme révolutionnaire. C'est comme martyr de cette cause qu'il a été assassiné à la veille de la Première Guerre mondiale alors qu'il avait jeté toutes ses forces contre le militarisme et qu'il espérait que l'action internationale du prolétariat allait stopper l'engrenage de la guerre impérialiste. Certes, Jaurès appartenait à la tendance réformiste du socialisme, il a donc à plusieurs reprises contribué à affaiblir considérablement le combat de classe, mais il pouvait évoluer du fait d'un dévouement inconditionnel à la cause du prolétariat, ce qui le distinguait radicalement de ses collègues socialistes comme Pierre Renaudel, Aristide Briand, René Viviani ou Marcel Sembat, très vite emportés dans l'opportunisme le plus crasse. Les membres de la Gauche de la Seconde Internationale l'ont combattu vivement, mais la plupart d'entre eux admirait la personnalité de Jaurès, l'élévation de sa pensée, sa force morale. Trotsky écrit dans son autobiographie : "Au point de vue politique j'étais éloigné de lui, mais il était impossible de ne pas éprouver l'attraction exercée par cette puissante figure. (...) Doué d'une vigueur imposante, d'une force élémentaire comme celle d'une cascade, il avait aussi une grande douceur qui brillait sur son visage comme le reflet d'une haute culture. Il précipitait des rochers, grondait tel un tonnerre, ébranlait les fondations, mais jamais il ne s'assourdissait lui-même, il se tenait toujours sur ses gardes, il avait l'oreille assez fine pour saisir la moindre interpellation, pour y répliquer, pour parer aux objections, parfois en termes impitoyables, balayant les résistances comme un ouragan, mais aussi sachant parler avec générosité et douceur, comme un éducateur, comme un frère aîné."1 Rosa Luxemburg, cette autre grande figure de la Gauche, éprouvait les mêmes sentiments. Comme il lisait l'allemand, elle lui offrit un exemplaire dédicacé de sa thèse de doctorat, Le développement industriel de la Pologne. Le tribun avait le même physique d'athlète qu'Auguste Rodin et à la mort du sculpteur, Rosa Luxemburg écrivit à Sonia Liebknecht : "Ce devait être une personnalité merveilleuse : franc, naturel, débordant de chaleur humaine et d'intelligence ; il me rappelle décidément Jaurès."2
On ne comprendrait rien à cette personnalité si riche, si complexe, si on ne la replaçait pas dans le contexte de l'époque, la phase finale de l'ascendance du capitalisme qui déboucha sur la Première Guerre mondiale, et si on oubliait comment Jaurès a été capable d'apprendre à l'école de la lutte prolétarienne et de l'Internationale. Bien qu'il n'épousa jamais complètement les thèses de Marx et Engels, lors d'une conférence à Paris le 10 février 1900, il a éprouvé le besoin d'exprimer son accord avec toutes les idées essentielles du socialisme scientifique.3
La Commune de Paris de 1871 avait démontré que le prolétariat était capable de s'emparer du pouvoir et de l'exercer par le moyen des assemblées de masse et des délégués élus et révocables. Elle avait apporté une clarification décisive : la classe ouvrière ne peut pas simplement s'emparer de la machine de l'État et la mettre en mouvement pour ses propres fins, elle doit tout d'abord détruire le vieil édifice de l'État bourgeois puis ériger un nouvel État spécifique de la période de transition du capitalisme au communisme, l'État-Commune. Dans son magnifique opuscule, L'État et la révolution, Lénine se chargera plus tard de rappeler ces leçons à ceux qui les avaient oubliées. Mais la Commune de Paris a aussi démontré que le prolétariat n'avait pas encore la force à l'époque de se maintenir au pouvoir et de généraliser le processus révolutionnaire à l'échelle internationale. Le prolétariat était apparu comme une classe distincte avec son propre programme lors de l'insurrection de Juin 1848, mais le processus à travers lequel il pouvait se constituer comme une force internationale dotée d'une conscience de classe et d'une expérience politique était loin d'être achevé. Cette immaturité trouva son pendant dans un développement gigantesque du capitalisme au sein duquel, justement, le processus de la constitution du prolétariat en classe pouvait se poursuivre. Ce fut une période de conquêtes économiques et coloniales gigantesques durant laquelle les dernières aires "non-civilisées" du globe allaient être ouvertes aux géants impérialistes ; une période aussi de rapide développement du progrès technologique, qui a vu le développement massif de l'électricité, l'apparition du téléphone, de l'automobile et bien d'autres choses encore.
Cette période n'était pas sans danger pour le prolétariat, mais il n'avait pas le choix. Seul le capitalisme pouvait créer les conditions de la révolution communiste internationale, lui seul pouvait produire ses propres fossoyeurs. S'appuyant sur la possibilité d'obtenir des réformes réelles en sa faveur, la classe ouvrière développa de grandes luttes économiques et politiques et, dans ce but, s'organisa en de puissants syndicats et partis sociaux-démocrates. Comme le dit le Manifeste communiste, "elle profite des divisions intestines des bourgeois pour les obliger à donner une garantie locale à certains intérêts de la classe ouvrière : par exemple la loi de dix heures de travail en Angleterre."4
Les luttes pour une législation ouvrière, pour le suffrage universel, y compris la défense de la République bourgeoise face aux forces rétrogrades, étaient comprises comme une préparation des conditions de la révolution prolétarienne qui devait renverser la domination bourgeoise. Le programme minimum et le programme maximum formaient une unité à condition que dans les luttes quotidiennes, au sein des alliances inévitables avec certaines fractions de la bourgeoisie et avec la petite bourgeoisie, le prolétariat défende son indépendance de classe et garde en vue le but final révolutionnaire. C'était l'époque par excellence du parlementarisme ouvrier et Jean Jaurès, orateur de talent, y consacra toute son énergie. Les élections législatives de 1893 voient l'entrée massive des socialistes à la Chambre des députés. Jaurès fait partie du lot. Selon les tendances politiques les plus claires de l'époque, le parlementarisme ouvrier n'était pas un but en soi mais seulement un appui à la lutte générale du prolétariat. Effectivement, lorsque les socialistes intervenaient à la Chambre on disait qu'ils parlaient "en regardant par la fenêtre" pour dire que leur objectif n'était pas de convaincre les députés bourgeois mais d'éclairer la classe ouvrière, de l'encourager à se lancer dans les grandes luttes politiques qui lui donnerait l'expérience nécessaire à l'exercice du pouvoir demain. Dans les Considérants du programme du Parti ouvrier français, rédigés en 1880 par Jules Guesde, Paul Lafargue, Engels et Marx, on trouve cette formulation significative :
"Considérant,
Que cette appropriation collective [des moyens de production] ne peut sortir que de l'action révolutionnaire de la classe productive – ou prolétariat – organisée en parti politique distinct ;
Qu'une pareille organisation [de la société] doit être poursuivie par tous les moyens dont dispose le prolétariat, y compris le suffrage universel, transformé ainsi d'instrument de duperie qu'il a été jusqu'ici en instrument d'émancipation (...)."5
Le parlementarisme n'est absolument pas présenté ici comme le moyen de l'émancipation ouvrière à la place de la révolution mais, si on lit bien le paragraphe précédent, comme l'un des moyens pour aller vers le grand but de l'appropriation collective des moyens de production. L'unité des moyens et du but est donc clairement revendiquée. Le développement d'un gigantesque mouvement ouvrier international à la fin du XIXe siècle a tenu ses promesses en partie. Il permit de faire le pont entre la Commune de Paris et la vague révolutionnaire de l'après-guerre qui culmina en 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne. Ce développement a provoqué des frayeurs sans nom pour la classe dominante et cet acharnement pour défigurer Jean Jaurès n'est pas simplement utile à la bourgeoisie, il sert aussi à exorciser ses peurs.
Bien entendu, l'opportunisme, le crétinisme parlementaire et le réformisme ont fini par s'imposer au sein de la Seconde Internationale, la faillite de 1914 et l'union sacrée ont été une catastrophe qui eut de profondes répercussions sur le mouvement ouvrier. Mais il est nécessaire de préciser que cette victoire de l'opportunisme n'était pas une fatalité et que son origine n'est pas à chercher principalement dans les fractions parlementaires, les permanents syndicaux et politiques, dans la bureaucratie générée par ces organisations. Même si ceux-ci furent des vecteurs du mal qui rongeait l'Internationale, l'origine fondamentale se trouve dans le manque de vigilance des organisations ouvrières face à l'ambiance du monde capitaliste. Le développement impulsif du capitalisme dans un cadre relativement pacifique (en tout cas dans les pays centraux) a fini par induire l'idée que la transition au communisme pouvait s'effectuer de façon graduelle et pacifique. C'est l'occasion de rappeler que la croissance du mouvement ouvrier n'est pas linéaire et qu'elle n'est possible qu'au prix de combats incessants contre la pénétration de l'idéologie de la classe dominante au sein du prolétariat.
Le témoignage de Trotsky sur cette époque et sur les hommes qui l'incarnèrent est précieux car il a vécu la transition entre l'ascendance et la décadence du capitalisme. Cette période de 25 ans est au plus haut point contradictoire, elle "attire l'esprit par le perfectionnement de sa civilisation, le développement ininterrompu de la technique, de la science, des organisations ouvrières et paraît en même temps mesquine dans le conservatisme de sa vie politique, dans les méthodes réformistes de sa lutte de classe."6 Dans Ma vie, il souligne la haute tenue morale de militants du mouvement ouvrier comme Jean Jaurès et Auguste Bebel, le premier avec une teinte aristocratique, le second comme simple plébéien ; il montre en même temps leurs limites : "Jaurès et Bebel ont été les antipodes et, en même temps, les sommets de la IIe Internationale. Ils furent profondément nationaux : Jaurès avec son ardente rhétorique latine, Bebel avec sa sécheresse de protestant. Je les ai aimés tous deux, mais différemment. Bebel épuisa ses forces physiques. Jaurès tomba en pleine floraison. Mais tous deux ont disparu en temps opportun. Leur fin marque la limite à laquelle s'est achevée la mission historique, progressiste, de la IIe Internationale."7
Depuis la grande Révolution bourgeoise de 1789, la France a dominé pendant longtemps toute l'histoire de l'Europe. Que ce soit en 1830 ou en 1848, à chaque fois c'est de France que partait le signal du bouleversement général. Ces circonstances donnèrent au prolétariat français une grande éducation politique et une capacité d'action qui se sont transmises jusqu'à nos jours. Mais ces qualités avaient leur contrepartie. La classe ouvrière en France avait tendance à sous-estimer la lutte économique quotidienne, ce qui explique pourquoi les syndicats se sont moins développés que dans d'autres pays. D'autre part, le combat politique était conçu dans un sens restrictif, celui de l'étape insurrectionnelle. Du côté opposé, la bourgeoisie était parvenue assez vite à une souveraineté politique intégrale sous le régime de la République démocratique, plus particulièrement la bourgeoisie industrielle. Et elle en était très fière. C'est ainsi que la grandiose Révolution bourgeoise avait conduit à cette grandiloquence creuse typique des discours en France : le pays des Droits de l'Homme s'était octroyé la tâche messianique de la libération des peuples de la tyrannie, entendez par là la concurrence économique entre nations et les guerres de rapine qui conduisirent à la guerre impérialiste de 1914. Chez de nombreux leaders du mouvement ouvrier en France, cette phraséologie dissimulait un patriotisme profondément ancré.
Jean Jaurès est un représentant classique de ce républicanisme qui a lourdement pesé sur le mouvement ouvrier à une époque où la société bourgeoise était encore progressiste et où la forme que prendrait le pouvoir prolétarien était encore loin d'être clarifiée. Même pour les éléments de gauche au sein de la IIe Internationale, la République était la seule formule possible de la dictature du prolétariat. Jaurès s'exprime ainsi dans un article de La Dépêche du 22 octobre 1890 : "Ni l'Angleterre, ni l'Allemagne n'ont dans leur passé une République démocratique comme celle qui fut proclamé en France en 1792. Dès lors, les espérances d'émancipation des travailleurs anglais et des travailleurs allemands ne prennent pas précisément la forme républicaine, et voilà pourquoi le parti des réformes populaires s'y appelle plus spécialement le parti socialiste. Au contraire, en France, le seul mot de République, tout plein des rêves grandioses des premières générations républicaines, contient à lui tout seul toutes les promesses d'égalité fraternelle."8
C'est Karl Kautsky qui va défendre la position marxiste sur cette question. Dans un article paru dans Die Neue Zeit en janvier 1903, il rappelait que malgré la continuité historique entre révolution bourgeoise et révolution prolétarienne il existe plus encore une rupture politique du simple fait qu'il s'agit de deux classes différentes dotées d'un programme différent avec des buts et des moyens spécifiques : "C'est justement à cause de la grande force de la tradition révolutionnaire au sein du prolétariat français qu'il n'est nulle part plus important que là-bas de l'amener à penser de façon autonome en lui montrant que les problèmes sociaux, les objets, les méthodes et les moyens des combats sont aujourd'hui tout autres que ce qu'ils étaient à l'époque de la Révolution ; que la révolution socialiste doit être tout autre chose qu'une parodie ou une poursuite de la révolution bourgeoise ; que le prolétariat peut lui emprunter son enthousiasme, sa foi en la victoire et son tempérament mais certainement pas sa manière de penser."9
Cette position classique du socialisme révolutionnaire s'appuie sur les travaux de Marx et Engels qui, après l'échec de la Révolution 1848, avaient remis en cause leur idée d'une révolution permanente basée sur une unité organique entre révolution bourgeoise et révolution prolétarienne et la transcroissance de l'une en l'autre.10 D'autre part, contre Lassalle, partisan d'un socialisme d'État, et contre Bakounine qui prônait l'égalité des classes, Marx et Engel avaient toujours défendu le but final communiste de l'abolition des classes, ce qui signifie la fin de la domination politique engendrée précisément par l'existence de classes antagoniques, ce qui implique le dépérissement de l'État. Mais la fin de l'État, c'était aussi la fin de la démocratie qui n'est qu'une forme particulière de l'État. L'ambition du communisme, qui paraît démesurée mais qui est en fait la seule réaliste face aux lois de l'histoire et aux contradictions dangereuses du capitalisme, consiste en une maîtrise des forces productrices et des forces sociales à l'échelle mondiale, le seul terrain sur lequel puisse être dépassée la contradiction entre intérêt général et intérêt particulier, entre le collectif et l'individu. Pour la première fois, il est devenu possible de faire de la communauté humaine une réalité concrète. Cela ne signifie pas la fin des problèmes et des contradictions, mais que l'abolition des classes et de la sphère politique va permettre de libérer toutes les potentialités humaines tandis que la promesse contenue dans la devise : Liberté, Égalité, Fraternité, n'avait jamais pu être honorée par la démocratie bourgeoise. Le communisme ne signifie pas la fin de l'histoire mais la fin de la préhistoire et le début de l'histoire véritable. Ce passage du règne de la nécessité au règne de la liberté, c'est-à-dire la perspective d'une société libérée de la production marchande et de l'État, n'était pas une position inconnue durant cette époque du parlementarisme ouvrier et de la lutte pour les réformes. Les minorités politiques les plus claires s'efforçaient de la défendre, comme Williams Morris en Angleterre (Nouvelles de nulle part, 1890) et Auguste Bebel en Allemagne (La femme dans le passé, le présent et l'avenir, 1891).11
Comme bien d'autres, Jaurès ne parviendra jamais à se libérer de cette tradition républicaine, ce qui va l'empêcher de défendre l'autonomie de la classe ouvrière face à l'ennemi de classe.
Le capitaine Alfred Dreyfus passe devant un conseil de guerre en décembre 1894, c'est un officier juif appartenant à l'état-major de l'armée française. Il est injustement accusé d'avoir livré des secrets militaires à l'Allemagne. Cette affaire d'espionnage, apparue dans un contexte profondément marqué par l'antisémitisme et par le chauvinisme après l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine, a enflammé la IIIe République jusqu'en 1906, année où la Cour de cassation innocentera et réhabilitera définitivement Dreyfus. Il ne s'agissait pas d'une simple erreur judiciaire mais de la défense des intérêts de fractions particulièrement réactionnaires et nationalistes de la bourgeoisie s'appuyant sur les milieux militaires, cléricaux et monarchistes. La crise du Parti radical12 au pouvoir leur avait ouvert la voie.
Après une période d'hésitation, Jean Jaurès va se lancer à corps perdu dans la bataille pour la défense du capitaine et la révision de son procès. "Et Jaurès avait raison, s'écria Rosa Luxemburg. L'affaire Dreyfus avait réveillé toutes les forces latentes de la réaction en France. Le vieil ennemi de la classe ouvrière, le militarisme, était là démasqué, et il fallait diriger toutes les lances contre sa poitrine. Pour la première fois, la classe ouvrière était appelée à mener une grande lutte politique. Jaurès et ses amis l'ont conduite au combat et ont inauguré ainsi une nouvelle époque dans l'histoire du socialisme français."13
Le parti marxiste de Guesde et Lafargue ainsi que le parti des ex-blanquistes de Vaillant continuaient de prôner la neutralité c'est-à-dire l'abstention politique alors que la classe ouvrière aurait dû mener le combat contre les fractions réactionnaires de la bourgeoisie, y compris en défendant la république bourgeoisie. Elle devait se saisir de cette opportunité pour rassembler ses forces, mûrir politiquement tout en sauvegardant son autonomie de classe. C'est sur la question de l'autonomie de classe que se révélèrent toutes les faiblesses de la politique défendue par Jaurès. Les dreyfusards de la classe ouvrière devaient garder leur indépendance vis-à-vis de leurs alliés, les dreyfusards bourgeois comme Émile Zola et Georges Clemenceau. Du fait de ses positions de fond républicaines, Jaurès s'engagea dans le soutien au gouvernement radical jusqu'à gommer les positions spécifiques de la classe ouvrière. Il soutint le gouvernement sur la loi d'amnistie adoptée par la Chambre le 19 décembre 1900 alors que son but était l'amnistie de tous, surtout des officiers impliqués dans le complot contre Dreyfus. Il refusa de passer à une attaque directe et systématique contre le militarisme à travers la revendication d'une milice populaire, car il y avait un risque de rupture entre les dreyfusards. Et les capitulations se multiplient au nom d'une prétendue "œuvre républicaine d'ensemble" qui porterait "la certitude de victoires futures". Voyons le commentaire de R. Luxemburg : "Cela prouve que, dans la tactique de Jaurès, ce ne sont pas les aspirations propres au parti socialiste qui sont l'élément permanent, l'élément de base, et l'alliance avec les radicaux l'élément variable, accessoire, mais que, au contraire, l'alliance avec les démocrates bourgeois constitue l'élément constant, ferme, et les aspirations politiques, qui parfois se font jour, ne sont que le produit fortuit de cette alliance. Déjà pendant la campagne pour Dreyfus, l'aile fidèle à Jaurès n'a pas su conserver la ligne de démarcation entre les camps bourgeois et prolétarien. Si, pour les amis bourgeois de Dreyfus, il s'agissait exclusivement d'extirper les excès du militarisme, de supprimer la corruption, de l'assainir, la lutte des socialistes devait porter contre les racines du mal, contre l'armée permanente elle-même. Et si pour les radicaux la réhabilitation de Dreyfus et la punition des coupables de l'Affaire étaient le but de l'agitation, le cas Dreyfus ne pouvait être pour les socialistes que l'occasion d'entamer une agitation en faveur de l'armée de milices. C'est en ce cas seulement que l'affaire Dreyfus et les étonnants sacrifices de Jaurès et de ses amis auraient pu, par l'agitation, rendre au socialisme des services énormes."14
Non seulement Jaurès refusa de rompre avec le gouvernement en temps opportun, mais il apporta un soutien sans réserve au cabinet Waldeck-Rousseau et à la participation d'un socialiste à ce gouvernement. S'ouvre alors le chapitre le plus sombre de la vie politique de Jean Jaurès.
En juin 1899, le socialiste Alexandre Millerand entra, aux côtés du général Gaston de Galliffet, le massacreur des Communards, dans le ministère radical de Pierre Waldeck-Rousseau. Il s'agissait d'une initiative personnelle de Millerand qui appartenait à la mouvance des socialistes indépendants, il ne disposait d'aucun mandat d'un parti socialiste. Il faut bien se rendre compte que nous sommes en plein dans l'affaire Dreyfus alors que l'officier dégradé subit toujours les tourments du bagne en Guyane. Jaurès s'évertue à soutenir la participation socialiste. Il salue le courage des socialistes français qui envoient un des leurs "dans la forteresse du gouvernement bourgeois". Cette affaire représentait un formidable encouragement à toute l'aile droite de l'Internationale qui attendait avec impatience que l'expérience se renouvelle dans d'autres pays, en particulier en Allemagne. Elle approuvait chaudement les arguments de Jaurès selon qui l'évolution de la société capitaliste vers le socialisme engendrait une étape intermédiaire au cours de laquelle le pouvoir politique était exercé en commun par le prolétariat et la bourgeoisie. En Allemagne, Édouard Bernstein venait de publier son œuvre révisionniste où il remettait en cause la théorie marxiste des crises du capitalisme et où il proclamait : "Le but final, quel qu'il soit, n'est rien, le mouvement est tout."
Rosa Luxemburg s'engage avec passion dans la bataille. Elle répond à Bernstein dans une série d'articles qui paraîtront en une brochure au titre célèbre : Réforme ou révolution. Elle s'attaque en même temps aux arguments de Jaurès. Pour commencer, elle rappelle les principes de base du socialisme scientifique : "Dans la société bourgeoise, la social-démocratie, du fait de son essence même, est destinée à jouer le rôle d'un parti d'opposition ; elle ne peut accéder au gouvernement que sur les ruines de l'État bourgeois."15 Elle souligne en particulier la différence fondamentale entre la participation des socialistes au parlement de l'État bourgeois ou aux conseils municipaux, depuis longtemps acceptée, et la participation à l'exécutif de l'État. Pour une raison bien simple : dans le premier cas ils agissent pour faire triompher leurs revendications mais toujours sur la base d'une critique du gouvernement qui sans cesse persécute les ouvriers et tente de rendre inoffensives les réformes sociales qu'il est contraint de mettre en œuvre. C'est ce principe qui motive le refus systématique des socialistes de voter le budget au parlement. Dans le second cas, quel que soit le parti auquel appartiennent les membres du gouvernement, ils sont tenus de se solidariser avec la politique entreprise et ils sont forcément considérés comme responsables de cette politique.
Le Congrès socialiste international tenu à Paris du 23 au 27 septembre 1900 condamna "le socialisme gouvernemental" de Millerand, ce qui démontrait que les conditions pour une offensive de l'opportunisme au sein de l'Internationale n'étaient pas encore réunies. La résolution s'intitulait : "La conquête des pouvoirs publics et les alliances avec les partis bourgeois." Elle avait été adoptée sur la base d'une motion présentée par Kautsky et la majorité des membres de la commission permanente. Le problème c'était que le rédacteur de cette résolution s'était efforcé de lui donner un caractère général, théorique sans aborder le cas Millerand à proprement parler. Toutes les interprétations, les plus tirées par les cheveux soient-elles, étaient permises. C'est pourquoi on nomma cette "Résolution Kautsky" la "Résolution caoutchouc". Jaurès, Vollmar, Bernstein, toute la droite jusqu'aux révisionnistes les plus avérés, s'engouffrèrent dans la brèche. Ils ne se gênèrent pas pour présenter l'issue du Congrès de Paris comme favorable à Millerand.
Ils s'appuyaient en particulier sur une idée présente dans la résolution selon laquelle dans certains cas exceptionnels la participation des socialistes au gouvernement bourgeois apparaîtrait comme nécessaire. En effet, dans tous les programmes socialistes figurait la position, valable à l'époque, qu'en cas de guerre défensive, donc surtout pas en cas de guerre impérialiste, les socialistes pouvaient participer au gouvernement.16 Ou encore lorsqu'une crise politique menaçait de remettre en cause la République et les acquis démocratiques. Rosa Luxemburg répondit que dans ces cas exceptionnels il n'était pas question pour autant d'aller jusqu'à la solidarité en général, sans nuance, avec la politique du gouvernement. Mais l'essentiel c'était de définir si nous étions vraiment dans une situation relevant des cas exceptionnels ci-dessus évoqués. Jaurès répondit par l'affirmative.
Depuis 1885 environ, la France était secouée par des crises constantes, la crise du boulangisme, le scandale de Panama, l'affaire Dreyfus. On pouvait observer alors l'existence d'un nationalisme bruyant, des débordements antisémites, des campagnes de presse haineuses et grossières, des échanges de coups dans la rue. La dernière heure de la République semblait imminente. Mais Rosa Luxemburg réussit à montrer brillamment que tel n'était pas le cas. Simplement la réaction militariste et cléricale et le radicalisme bourgeois se disputaient le contrôle de cette République dans le cadre d'une crise profonde du Parti radical au pouvoir. Il fallait participer à ces luttes politiques mais certainement pas en participant au gouvernement et en flattant la petite bourgeoisie, la clientèle traditionnelle du Parti radical.
Jaurès invoquait certains passages du Manifeste communiste concernant l'alliance des ouvriers avec la bourgeoisie. Tout d'abord, il s'agissait d'une toute autre période historique où, comme en Allemagne par exemple, le pouvoir de la bourgeoisie n'était aucunement assuré face aux forces politiques du féodalisme. Et surtout, il oubliait de citer les passages essentiels sur la préservation de l'indépendance de la classe ouvrière en toutes circonstances. En particulier celui-ci: "Mais, à aucun moment, ce parti ne néglige d'éveiller chez les ouvriers une conscience claire et nette de l'antagonisme profond qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, afin que, l'heure venue, les ouvriers allemands sachent convertir les conditions politiques et sociales, créées par le régime bourgeois, en autant d'armes contre la bourgeoisie afin que, sitôt détruites les classes réactionnaires de l'Allemagne, la lutte puisse s'engager contre la bourgeoisie elle-même."17
Enfin, le dernier argument de Jaurès consistait à souligner l'importance pour les ouvriers des réformes mises en œuvre par Millerand. C'était pour lui "des germes de socialisme, semés dans le sol capitaliste, et qui porteraient des fruits merveilleux". Il suffit d'examiner de près la réalité de ces réformes pour contredire l'enthousiasme démesuré qui s'était emparé de Jaurès. Par exemple, l'intention initiale de raccourcir la durée du travail aboutit à un allongement de la durée du travail pour les enfants et de simples espoirs pour le futur. Ou encore, l'intention de garantir le droit de grève aboutit à l'enserrer dans des limites juridiques étroites. On a vu l'hypocrisie de la politique du gouvernement dans l'affaire Dreyfus. Il faut ajouter l'hypocrisie de la lutte pour la laïcité de l'État qui se solda par des dons charitables à l'église catholique et qui était surtout une véritable machine de guerre contre l'influence grandissante des partis socialistes sur les ouvriers. N'oublions pas que durant toute cette expérience Millerand, la troupe continuait de tirer sur les grévistes, comme à Chalons et à la Martinique. L'ère des réformes culminait dans le massacre d'ouvriers en grève.
Rosa Luxemburg voyait juste et loin lorsqu'elle critiquait le "ministérialisme". Ce qui avait commencé en France sous la forme d'une triste farce s'est terminé en Allemagne en tragédie après 1914 avec un gouvernement social-démocrate assumant en pleine conscience son rôle contre-révolutionnaire. Pour l'heure, nous allons nous apercevoir que Jaurès était capable d'apprendre. Dix ans après le début de l'affaire Millerand, il invectivait Millerand lui-même et deux autres ministres socialistes, Briand et Viviani, à qui il reprochait d'être "des traîtres qui se laissent utiliser par le capitalisme".
Nous avons vu que Jaurès avait côtoyé Bernstein de près. Il n'est pourtant pas possible de le placer dans le camp du révisionnisme. De même, il n'y avait aucune trace chez lui du philistinisme d'un Kautsky qui succombe aux sirènes centristes vers 1906. Nous avons vu ses liens intimes avec les membres de l'aile droite de l'Internationale ouvrière. Son opportunisme était celui que le mouvement ouvrier de l'époque a dû confronter et qui se caractérise à la fois par une impatience quant aux résultats de la lutte (on préfère sacrifier le but final au profit de réformes immédiates pour une large part illusoires) et une adaptation au monde capitaliste environnant (on se contente de la dynamique progressiste et du contexte pacifique qui permettaient d'augmenter, relativement et illusoirement, la sécurité des ouvriers et on sacrifie les intérêts du mouvement général). Mais sa forte personnalité le plaçait au-dessus des autres opportunistes. Après son adhésion au socialisme, il continua de se consacrer au service du droit, de la liberté et de l'humanité. Mais, comme le notait Trotsky, ce "qui chez les déclamateurs français ordinaires n'est qu'une phrase vide, [Jaurès y] mettait, lui, un idéalisme sincère et agissant." Trotsky le présente à juste titre comme un idéologue au sens positif du terme, quelqu'un qui s'empare de l'idée comme d'une arme terrible dans la lutte pratique quotidienne, et il l'oppose au doctrinaire et au praticien-opportuniste : "Le doctrinaire se fige dans la théorie dont il tue l'esprit. Le praticien-opportuniste s'assimile des procédés déterminés du métier politique ; mais qu'il survienne un bouleversement inopiné et il se trouve dans la situation d'un manœuvre que l'adoption d'une machine rend inutile. L'idéologue de grande envergure n'est impuissant qu'au moment où l'histoire le désarme idéologiquement, mais même alors il est parfois capable de se réarmer rapidement, de s'emparer de l'idée de la nouvelle époque et de continuer à jouer un rôle de premier plan. Jaurès était un idéologue. Il dégageait de la situation politique l'idée qu'elle comportait et, dans son service à cette idée, ne s'arrêtait jamais à mi-chemin."18
Nous avons déjà noté les réticences de Jaurès à l'égard du marxisme. Il y voyait un déterminisme économique froid ne laissant aucune place pour l'individu et pour la liberté humaine en général. Son regard était détourné vers le passé et les grandes heures de la Révolution bourgeoise : "C'est l'honneur de la Révolution française d'avoir proclamé qu'en tout individu humain, l'humanité avait la même excellence native, la même dignité et les mêmes droits", disait-il.19 De par sa formation et de par la situation générale en France à l'époque, il n'arrivait pas à voir que le matérialisme de Marx – souvent mal interprété sous la forme d'un déterminisme économique absolu – contenait une explication cohérente de l'histoire humaine qui, au lieu de les étouffer, donnait au contraire toute leur place – et leur fondement – à l'action des classes, à la force de la volonté et à l'individu qui sous le capitalisme était écrasé au nom du collectif anonyme et de la nation. La glorification de l'individu sous le capitalisme était en réalité le masque de sa négation absolue. Dans sa critique impitoyable de la société bourgeoise, Marx mit en évidence les phénomènes du fétichisme de la marchandise et de la réification. Jaurès ne pouvait pas non plus reconnaître la présence chez Marx d'une authentique éthique prolétarienne.20
Cependant, son dévouement à la cause de l'émancipation prolétarienne lui permit de ne jamais se détourner de la perspective d'une société sans classe, sans propriété, où les moyens de production seraient gérés en commun. Il a lu Marx, il admirait son travail et adhérait à la théorie de la valeur exposée dans Le Capital. Alors qu'en France, la tendance était à la sous-estimation des controverses théoriques, Jaurès participa, avec Jules Guesde et Paul Lafargue, à des discussions publiques sur des sujets traités en profondeur. Le 12 décembre 1894, Jaurès répond à l'invitation du Groupe des Étudiants collectivistes qui organisait une controverse sur "Idéalisme et matérialisme dans la conception de l'histoire". Dans son exposé, on sent qu'il se confronte à ses propres contradictions : "Je ne veux pas dire qu'il y a une partie de l'histoire qui est gouvernée par les nécessités économiques et il y en a une autre dirigée par une idée pure, par un concept, par l'idée, par exemple, de l'humanité, de la justice ou du droit ; je ne veux pas mettre la conception matérialiste d'un côté d'une cloison, et la conception idéaliste de l'autre. Je prétends qu'elles doivent se pénétrer l'une l'autre, comme se pénètrent, dans la vie organique de l'homme, la mécanique cérébrale et la spontanéité consciente."21 Paul Lafargue lui répond le 10 janvier 1895. Il commence ainsi : "Vous comprendrez que c'est avec hésitation que j'ai assumé la tâche de répondre à Jaurès, dont l'éloquence fougueuse sait passionner les thèses les plus abstraites de la métaphysique. Pendant qu'il parlait, je me suis dit et vous avez dû vous dire : il est heureux que ce diable d'homme soit avec nous."22 L'expérience se renouvelle en 1900, lorsque Jaurès et Guesde s'affrontèrent à l'hippodrome de Lille dans une polémique où furent confrontées "Les deux méthodes", la méthode révolutionnaire et celle du réformisme.
Le moment décisif de l'évolution de Jaurès a été le Congrès de l'Internationale à Amsterdam en 1904. Avec toute la conviction dont il est capable, il y défend ses thèses sur le ministérialisme et la défense de la République dans plusieurs discours. L'affrontement avec Auguste Bebel a été acharné, mais il mène sa démonstration avec un tel brio qu'il souleva les applaudissements du Congrès. Jaurès était un adversaire que l'on respecte, R. Luxemburg dut même traduire l'un de ses discours à cause du manque de traducteurs. Le Congrès finalement condamna ses positions, et d'une façon beaucoup plus nette qu'au dernier Congrès international de Paris. Jaurès se soumet à la discipline, parce qu'il est profondément attaché au mouvement international du prolétariat, parce qu'il sentait les pièges que comportait la participation gouvernementale, et aussi parce qu'il voulait éviter à tout prix un nouvel échec de l'unification des socialistes en France. Une motion spéciale du Congrès est votée à l'unanimité et appelle, avec insistance, les socialistes français à réaliser enfin leur unité. L'un des considérants de cette motion disait : "Il ne doit y avoir qu'un seul Parti socialiste comme il n'y a qu'un seul prolétariat."23
L'échec de la Commune de Paris, écrasée dans le sang par la République démocratique bourgeoise d'Adolphe Thiers, a provoqué une période de dépression du mouvement ouvrier en France. Au moment où il a commencé à se ressaisir à la fin des années 1870, il se présentait comme un assemblage incohérent d'éléments disparates. Il y avait les mutuellistes proudhoniens, les utopistes de la vieille école comme Benoît Malon, les anarchistes, des syndicalistes bornés patronnés par le Parti radical, des blanquistes, des collectivistes et enfin les anciens communards portés sur la phrase insurrectionnelle. Dans ces circonstances, l'unification du mouvement ouvrier va prendre des formes différentes en comparaison des autres pays. Avant de se regrouper, il fallait tout d'abord franchir une première étape marquée par un processus de différenciation et d'éliminations progressives des éléments hétérogènes. En 1879 se constitue le premier parti d'obédience marxiste, le Parti ouvrier français de Jules Guesde, et deux ans plus tard, les blanquistes se regroupent derrière Édouard Vaillant dans le Comité révolutionnaire central. Une réelle clarification était apparue sur la base des tâches présentes des socialistes qui soulignaient l'importance de l'action politique et du parlementarisme ouvrier. Malgré un rapprochement, ceux qu'on appelait les "partis de la vieille école" se regardaient en chiens de faïence et étaient incapables, du fait de leur histoire et du fait des erreurs politiques accumulées, de militer pour l'unification du mouvement. Seules des forces neuves et indépendantes pouvaient assumer ce rôle.
Voilà qui offrait tout un champ d'action à des personnalités comme Jean Jaurès. La crise du Parti radical apporta du sang neuf et des nouveaux militants. Mais ils étaient marqués par leur origine petite bourgeoise et se présentèrent comme des socialistes indépendants, au-dessus des partis. Il y avait donc le risque que le mouvement ne perde sa physionomie de classe, seuls les vieux partis socialistes pouvaient éviter ce piège. Rosa Luxemburg décrit ainsi la situation : "Si les vieux partis se révélaient incapables de traduire l'objectif final socialiste en mots d'ordre pratiques applicables à la politique du moment, les "indépendants" ne pouvaient, dans la conjoncture politique présente, préserver l'empreinte de l'objectif final socialiste. Les fautes des indépendants prouvaient avec évidence que le mouvement de masse du prolétariat avait besoin pour le diriger d'une force organisée et éduquée sur des principes solides ; d'autre part, l'attitude des anciennes organisations prouvait qu'aucune d'entre elles ne se sentait capable de mener à elle seule cette tâche."24
L'évolution de la situation avec la montée du militarisme et des tensions impérialistes, avec la crise des gouvernements radicaux successifs, donna la dernière impulsion. Après un échec en 1899, du fait des désaccords sur le ministérialisme, l'unification des socialistes est réalisée au Congrès de la salle du Globe à Paris, en avril 1905. Le Parti socialiste, Section française de l'Internationale ouvrière se constitue sur la base des Résolutions du Congrès d'Amsterdam. Il se présente comme "un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d'échange, c'est-à-dire de transformer la société capitaliste en société collectiviste ou communiste". Il "n'est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classes et de révolution". Les députés du parti devront former "un groupe unique en face des fractions politiques bourgeoises" et "refuser au gouvernement tous les moyens qui assurent la domination de la bourgeoisie" c'est-à-dire ne pas voter les crédits militaires, les crédits de conquête coloniale, les fonds secrets et l'ensemble du budget.25 Jaurès domina de toute sa puissance intellectuelle le nouveau parti. Le 18 avril 1904 parut le premier numéro de L'Humanité, le grand quotidien socialiste fondé par Jean Jaurès ; il supplantera bientôt l’organe officiel du parti enfin unifié, Le Socialiste.
La révolution de 1905 en Russie et en Pologne va bouleverser la situation. Les lueurs qui s'élevaient jusqu'au ciel au loin vers l'Est n'apportaient pas seulement de précieuses armes pour la lutte révolutionnaire, la grève de masse et les conseils ouvriers, elles révélaient que la société bourgeoise était en train de passer sur l'autre versant de son évolution historique, le versant descendant, celui de la décadence du mode de production capitaliste. Une époque entière agonisait, une époque marquée par la création de la Seconde Internationale en 1889, une époque où "le centre de gravité du mouvement ouvrier était placé entièrement sur le terrain national dans le cadre des États nationaux, sur la base de l'industrie nationale, dans le domaine du parlementarisme national."26
La profonde ambiguïté de Jaurès se manifesta encore dans son ouvrage, L'Armée nouvelle. Paru en livre en 1911, ce texte est au départ une introduction à un projet de loi refusé par la chambre des députés. Loin de chercher à comprendre et analyser la montée du militarisme et de l'impérialisme qui inquiétait et mobilisait les socialistes les plus clairvoyants, Jaurès proposait une "organisation vraiment populaire de la défense nationale" fondée sur la "nation armée". Sa conception s'éloignait quelque peu de la revendication de "l'armée des milices" défendue dans la période précédente par les socialistes français et allemands. Elle s'appuyait sur l'idée d'une "guerre défensive", une idée qui avait pourtant perdu tout son sens avec l'évolution des événements. Il suffisait qu'un impérialisme pousse, par une série de provocations, l'ennemi à se lancer dans la guerre pour apparaître d'emblée comme la nation agressée.
Les deux crises marocaines (1905 et 1911), les deux guerres des Balkans (1912 et 1913), la constitution de deux blocs impérialistes, la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) et la Triple Entente (Angleterre, France, Russie), tout cela signifiait que l'ère des guerres nationales était terminée et qu'une guerre d'un type nouveau se profilait à l'horizon : la guerre impérialiste pour le repartage du marché mondial. Totalement sous l'emprise de ses positions républicaines, Jaurès ne voit pas le caractère central des positions internationalistes du prolétariat et le danger que représente la moindre concession à l'intérêt national, il cherche encore à concilier les deux : "C'est dans l'Internationale que l'indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c'est dans les nations indépendantes que l'Internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d'internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d'internationalisme y ramène."27
Alors qu'il a parfaitement conscience du danger mortel qui guette le prolétariat mondial, il arpente les couloirs de la Chambres des députés, interpellant tel ou tel ministre avec l'illusion de pouvoir bloquer l'engrenage fatal, ne serait-ce qu'en demandant au gouvernement de condamner les appétits impérialistes de la Russie. Il multiplie les appels à l'arbitrage international entre nations et soutient la cour internationale de La Haye créée par la Russie tsariste et objet des railleries du monde entier. Sur le fond, il partage finalement la position de Kautsky selon laquelle les trusts et les cartels seraient intéressés par le maintien de la paix. Cette position dite du "super-impérialisme" éloignant le danger de guerre mondiale, désarmait totalement le prolétariat et signifiait le ralliement du centrisme à l'opportunisme. Les vieux amis Kautsky et Bernstein étaient enfin réconciliés.
Mais encore une fois, il est très difficile de faire entrer de force Jaurès dans une case. Comme Engels peu de temps auparavant, il comprenait que la guerre mondiale signifierait une profonde défaite pour le prolétariat qui pouvait remettre en cause l'avenir. On se souvient de sa formule condamnant le capitalisme : "Toujours votre société violente et chaotique (...) porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l'orage."28 En 1913, on l'entendait tonner à la Chambre des députés contre le retour au service militaire de trois ans et il pesa de toutes ses forces pour que des manifestations soient organisées en commun par les syndicalistes révolutionnaires de la CGT et le Parti socialiste. Des démonstrations seront organisées dans de nombreuses villes. À Paris des foules énormes accoururent à la Butte-Rouge, au Pré-Saint-Gervais. Sa condamnation de la guerre n'était pas une simple condamnation morale et c'est pourquoi il reporta tous ses espoirs sur le prolétariat mondial et l'Internationale. Il donna à nouveau toute sa puissance oratoire dans un discours à Lyon-Vaise le 25 juillet 1914 : "Il n'y a plus au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu'une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères et que tous les prolétaires français, anglais, allemands, italiens, russes, et nous le demandons à ces milliers d'hommes, s'unissent pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l'horrible cauchemar."29
C'est ce qui lui valut la haine de toute la bourgeoisie. Une véritable campagne de calomnie avec menaces de mort fut lancée contre lui. On réclama le peloton d'exécution. Les vociférations les plus excitées venaient des tendances politiques les plus réactionnaires et ultra-nationalistes, des milieux de la petite bourgeoisie et du lumpenprolétariat qui jouent un si grand rôle dans les mouvements de foule irrationnels. Elles étaient encouragées en sous-main par le gouvernement démocratique. C'était comme dans un pogrom contre les juifs, il fallait trouver un bouc émissaire qui puisse jouer le rôle du coupable, de celui qui était la cause de tous les maux, de toutes les angoisses. Jaurès était une sorte de symbole, de drapeau dont il fallait se débarrasser à tout prix. On réclama la mort de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht à partir de novembre 1918 et on l'obtint en janvier 1919. De la même façon on réclama la mort de Jaurès et on l'obtint le 31 juillet 1914. Raoul Villain, l'assassin de Jaurès, reconnu par les siens comme un "patriote", fut naturellement acquitté le 29 mars 1919 !
Le 29 juillet, Jean Jaurès se rend à la réunion extraordinaire du Bureau socialiste international à Bruxelles. Après la réunion un grand meeting est organisé en présence des ténors du socialisme international. Jaurès prend la parole et parle encore de paix et d'arbitrage entre nations. Il fulmine contre le gouvernement français incapable de raisonner la Russie. Il menace de son poing les dirigeants allemands, français, russes, italiens qui seront balayés par la révolution que la guerre va provoquer comme en 1871 et en 1905. Il désigne R. Luxemburg assise à côté de lui sur la tribune : "Permettez-moi de saluer la femme intrépide dont la pensée enflamme le cœur du prolétariat allemand."30 Toute la salle est bouleversée par le discours de Jaurès et lui fait une ovation qui n'en finit pas. Mais les discours sur la paix révèlent toute leur impuissance. Ce qu'il manquait c'était l'appel à rompre avec la bourgeoisie et avec les opportunistes qui la soutiennent. Tel était le sens du slogan de Karl Liebknecht : "L'ennemi principal est dans notre pays, c'est notre propre bourgeoisie." C'était aussi le sens des appels à la scission vis-à-vis des opportunistes lancés par Lénine et les bolcheviks. Ce n'était pas la paix qu'il fallait opposer à la guerre mais la révolution comme le stipulait le célèbre amendement de R. Luxemburg, Lénine et Martov au Congrès de Stuttgart en 1907 : "Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, [la classe ouvrière et ses représentants dans les Parlements] ont le devoir de s'entremettre pour la faire cesser promptement et d'utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste."31
Il n'est pas question d'épiloguer sur ce que Jaurès aurait fait face à l'épreuve de la guerre s'il avait survécu. Mais selon toute vraisemblance, la bourgeoisie française ou ses services n’ont voulu prendre aucun risque; si elle connaissait ses faiblesses, elle connaissait aussi sa force: sa droiture morale, sa haine pour la guerre, et sa grande réputation parmi les ouvriers. Rosmer raconte que Jaurès commença à se méfier des déclarations pacifiques et mensongères de Poincaré et que quelques heures avant sa mort, la rumeur courrait que Jaurès s’apprètait à rédiger pour l’Humanité une nouvelle “J’accuse!” dénonçant le gouvernement et ses menées guerrières, et appelant les ouvriers à résister à la guerre. Avant de pouvoir écrire l’article redouté, Jaurès est abattu par Raoul Villain dans des circonstances qui n’ont jamais vraiment été éclaircies; l’assassin, après avoir passé la guerre en prison, fut acquitté à son procès dont la veuve de Jaurès a même dû payer les frais.32
Jaurès mort, ceux qui résistèrent à la déferlante chauvine de 1914 furent au départ une minorité. La plupart des dirigeants français, des syndicalistes révolutionnaires aux socialistes, burent jusqu'à la lie la coupe amère de la trahison. Tous proclamèrent que le prolétariat international retiendrait le bras meurtrier de l'impérialisme, mais ils répétaient sournoisement : "À condition que les socialistes d'Allemagne fassent de même ! En effet, si nous renonçons d'avance à la défense de la patrie, cela signifie que nous encourageons extrêmement les chauvins des pays ennemis." Avec de tels raisonnements, l'Internationale ouvrière n'avait aucun sens, ni les résolutions contre la guerre aux congrès de Stuttgart (1907), de Copenhague (1910) et de Bâle (1912). Il est vrai que l'Internationale était minée de l'intérieur et qu'elle devait s'effondrer comme un château de cartes lorsque fut prononcé l'ordre de mobilisation. La Troisième Internationale allait bientôt s'élever sur les ruines de la Deuxième.
Jean Jaurès n'appartient pas à notre tradition, celle de Marx et Engels, celle de la Gauche de la IIe puis de la IIIe Internationale, la tradition de la Gauche communiste. Mais Jaurès appartient par toutes ses fibres au mouvement ouvrier, c'est-à-dire à la seule force sociale qui porte en elle, aujourd'hui encore, la perspective de l'émancipation humaine. C'est pourquoi nous avons voulu lui rendre hommage et nous pouvons conclure avec Trotsky : "Les grands hommes savent disparaître à temps. Sentant la mort, Tolstoï prit un bâton, s'enfuit de la société qu'il reniait et alla mourir en pèlerin dans un village obscur. Lafargue, épicurien doublé d'un stoïcien, vécut dans une atmosphère de paix et de méditation jusqu'à soixante-dix ans, décida que c'en était assez et prit du poison. Jaurès, athlète de l'idée, tomba sur l'arène en combattant le plus terrible fléau de l'humanité et du genre humain, la guerre. Et il restera dans la mémoire de la postérité comme le précurseur, le prototype de l'homme supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la lutte."33
Avrom E, 18 août 2014.
1 Léon Trotsky, Ma vie, Paris, éd. Gallimard, 1953, p. 252.
2 Rosa Luxemburg, J’étais, je suis, je serai ! Correspondance 1914-1919, Paris, éd. Maspero, 1977, lettre à Sonia Liebknecht du 14 janvier 1918, p. 325.
3 Cf. Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France, Marseille/Toulouse, éd. Agone/Smolny, 2013, p. 163.
4 Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, Paris, éd. Champ Libre, 1983, Chapitre I : Bourgeois et prolétaires, p. 39.
5 Considérants du Parti ouvrier français (1880), dans Karl Marx, Œuvres I, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1963, p. 1538.
6 Léon Trotsky, "Jean Jaurès", dans Le Mouvement communiste en France, Paris, éd. de Minuit, 1967, p. 25.
7 Léon Trotsky, Ma vie, Op. Cit., p. 252.
8 Jean Jaurès, Le socialisme de la Révolution française (1890), dans Jean Jaurès, Karl Kautsky, Socialisme et Révolution française, Paris, éd. Demopolis, 2010, p. 189.
9 Karl Kautsky, Jaurès et la politique française vis-à-vis de l’Église (1903), dans Jean Jaurès, Karl Kautsky, Socialisme et Révolution française, Op. Cit., p. 228.
10 Cf. les Préfaces au Manifeste communiste et la Préface au livre de Marx, Les luttes de classes en France, 1848-1850 où Engels explique pourquoi "l’histoire nous a donné tort à nous et à tous ceux qui pensaient de façon analogue". L’explication la plus claire, comme quoi les tâches historiques d’une classe ne peuvent être assumées par une autre classe, est donnée par Marx dans Révélations sur le procès des communistes à Cologne (Bâle, 1853) dans Karl Marx, Œuvres VI, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, p. 635.
11 Voir notre série Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle, les parties XII à XV dans la Revue Internationale n. 84, 85, 86, 88.
12 Le Parti radical, ou Parti républicain ou Parti radical-socialiste, est né en 1901 et a tenu un rôle central au gouvernement pendant la IIIe République, en particulier en jouant habilement sur l’alliance avec les socialistes (Émile Combes). Il a également su manier la provocation et une répression très dure contre la classe ouvrière sous les auspices de Georges Clemenceau.
13 La crise socialiste en France, article de 1900 dans Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France, Op. Cit., p. 116.
14 Ibidem, p. 121.
15 Une question tactique, article de 1899 dans Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France, Op. Cit., p. 64.
16 Sur ce sujet voir en particulier notre brochure : Nation ou classe, édition augmentée de 2005.
17 Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, Paris, éd. Champ Libre, 1983, Chapitre IV : Position des communistes vis-à-vis des différents partis d’opposition, p. 71.
18 Les deux dernières citations sont tirées de Jean Jaurès, article de 1915 dans Léon Trotsky, Le Mouvement communiste en France (1919-1939), Op. Cit., p. 32.
19 Cité par la revue L’Histoire n° 397, mars 2014, p. 48.
20 "La critique de la religion s'achève par la leçon que l'homme est, pour l’homme, l’être suprême, donc par l'impératif catégorique de bouleverser tous les rapports où l'homme est un être dégradé, asservi, abandonné, méprisable (…)." Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction, dans Karl Marx, Œuvres III, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1982, p. 390.
21 Cité par la revue L’Histoire n° 397, mars 2014, p. 50.
22 L’exposé se trouve dans Paul Lafargue, Paresse et révolution. Écrits, 1880-1911, Paris, éd. Tallandier, Coll. Texto, 2009, p. 212.
23 Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale, Paris, éd. d’Avron, 1993, tome I, p. 41.
24 L'unification française, article de 1899 dans Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France (1898-1912), Op. Cit., p. 81.
25 Toutes ces citations du Congrès d’unification proviennent de Pierre Bezbakh, Histoire du socialisme français, Paris, éd. Larousse, 2005, p. 138.
26 Manifeste du premier Congrès de l’Internationale communiste, Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, 1919-1923, Paris, éd. La Brèche-Sélio, 1984, p. 33.
27 Jean Jaurès, L'Armée nouvelle, cité dans Jean Jaurès, un prophète socialiste, Le Monde hors-série, mars-avril 2014, p. 51.
28 Discours de 1895 à la Chambre, cité par la revue L’Histoire n° 397, mars 2014, p. 57.
29 Cité dans Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale, Op. Cit., p. 487
30 Cité dans Paul Frölich, Rosa Luxemburg, Paris, éd. l’Harmattan, 1991, p. 252.
31 Cité dans Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale, Op. Cit., p. 93
32 Cf. notre article 1914: le début de la saignée [464]. Il y a cependant une autre version des faits donnée par Pierre Dupuy, député et gérant du Petit Parisien fondé par son père Jean Dupuy qui avait siégé au gouvernement Waldeck-Rousseau. Selon Dupuy, Jaurès lui aurait fait cette confidence quelques heures avant son assassinat : "Il disait qu'une information tout à fait sûre venait, tout juste quelques instants auparavant, de lui apprendre que les socialistes allemands de l'Internationale ouvrière avaient décidé d'obéir sans réserve à la mobilisation générale et que, dans ces conditions, il allait lui-même rédiger dans la soirée, pour paraître le lendemain matin dans son journal l'Humanité, un article intitulé : "En avant". Il estimait en effet qu'en présence de l'échec maintenant définitif de tous ses efforts et de ceux de son parti pour le maintien de la paix, il fallait de toute nécessité éviter de donner à l'ennemi de demain l'impression d'une France désunie et apeurée" (le témoignage est cité dans Le Monde du 12 février 1958). On peut toutefois se poser la question de savoir quelle foi accorder au témoignage d’un allié politique de Poincaré, qui évidemment avait tout intérêt de faire de Jaurès un patriotard posthume. Pour les détails du procès de Raoul Villain, cf Il a tué Jaurès de Dominique Paganelli, aux éditions La Table Ronde 2014.
33 Léon Trotsky, Jean Jaurès, dans Le Mouvement communiste en France (1919-1939), Op. Cit., p. 35.
Il y a cent ans, en août 1914, éclatait la Première Guerre mondiale. Le bilan humain de cette boucherie planétaire est officiellement de 10 millions de morts et 8 millions d’invalides. La “paix” signée, la bourgeoisie jura la main sur le cœur qu’il s’agissait de la “der des ders”. Mensonges évidemment. Il ne s’agissait au contraire que de la première conflagration barbare marquant la décadence du capitalisme. L’histoire du xxe siècle et de ce jeune xxie est en effet jalonnée d’affrontements impérialistes incessants et meurtriers. A la Première succéda la Seconde Guerre mondiale, à la Seconde Guerre mondiale la guerre froide et à la guerre froide de multiples et incessants foyers de combats qui frappent, depuis les années 1990, des pans de plus en plus larges de la planète. Cette dernière période, si elle n’a pas l’aspect spectaculaire de l’affrontement entre deux blocs, entre deux super-puissances, n’en met pas moins en péril la survie même de l’humanité car sa dynamique, plus sournoise et insidieuse, peut aboutir non à la guerre mondiale mais à la généralisation de la guerre et de la barbarie. La guerre en Ukraine, qui marque le retour de la guerre en Europe, cœur historique du capitalisme, est d’ailleurs un pas qualitatif significatif dans cette direction.
Après la Seconde Guerre mondiale et ses 50 millions de morts, l’Europe était déjà redevenue une zone déchirée par la brutalité des blocs militaires Est/Ouest. Durant cette longue période meurtrière de la guerre froide, les massacres avaient lieu à la périphérie du capitalisme par conflits interposés entre, en tout premier lieu, les Etats-Unis et la Russie. L’épisode sanglant de la guerre du Vietnam en fut une illustration dramatique. Mais aussitôt après la chute du mur de Berlin, une nouvelle période allait s’ouvrir.
En 1991, les États-Unis, à la tête d’une puissante coalition récalcitrante, allaient prendre prétexte de l’invasion du Koweït par l’armée irakienne pour déclarer la guerre. Le but principal : stopper la tendance à la dilution de leur ancien bloc impérialiste par une démonstration de leur puissance militaire et réaffirmer ainsi leur leadership planétaire. Il s’agissait alors d’assurer un soi-disant “nouvel ordre mondial”. Au prix d’un désastre matériel et humain (plus de 500 000 morts), de bombardements aériens massifs et d’explosions de bombes à dépression faisant éclater les poumons, cette prétendue “guerre chirurgicale”, “civilisatrice”, devait apporter “paix et prospérité”. Mais ce mensonge allait très vite être démenti. Aussitôt en effet, de façon quasi-simultanée, une nouvelle guerre se déclenchait aux portes mêmes de l’Europe, en ex-Yougoslavie. Une guerre atroce, à seulement quelques heures de Paris, rythmée par de multiples charniers (dont celui de Srebrenica, avec la complicité des Casques bleus français, laissant massacrer de 6000 à 8000 Bosniaques !).
Et aujourd’hui, une fois encore, la gangrène militariste se retrouve aux portes de l’Europe. En Ukraine, c’est la bourgeoisie qui se déchire ouvertement. Les milices armées, plus ou moins bien contrôlées par les États russe et ukrainien, s’affrontent en prenant la population de l’Est de l’Ukraine en otage. Ce conflit, sur la base de nationalismes cultivés depuis des décennies, est bien le fruit de charognards. Les principaux acteurs restent comme toujours les grandes puissances : les États-Unis, la Russie, la France et bon nombre de pays de l’Europe occidentale.
La situation dramatique en Ukraine marque clairement le pas qualitatif du système agonisant dans son processus de décomposition. Le fait que tous concourent à pousser en avant ce conflit par des intérêts divergents et en Europe, lieu des déflagrations mondiales du siècle dernier, traduit le niveau de désagrégation du système.
Depuis, avec l’effondrement du mur de Berlin et l’implosion de l’URSS, l’ancienne discipline des blocs a été rompue, ouvrant une véritable boîte de Pandore. En effet, malgré les effets politiques et les illusions de courte durée portés par la première guerre du Golfe, les États-Unis ont été contraints de continuer à intervenir, partout, de plus en plus fréquemment et souvent seuls : comme lors des interventions en Somalie, en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan et en Irak.
Or, cette politique impérialiste, symbole d’une impasse historique, est clairement un échec. Chaque nouvelle démonstration de force de cette super- puissance déclinante s’est traduite par une tendance à montrer ouvertement son incapacité à contrôler les zones de guerre qu’elle avait investies. Face à un maître en déclin, le désordre et les appétits impérialistes ne peuvent que grandir, avec leur cortège d’exacerbation nationalistes, de conflits religieux et interethniques.
Les forces centrifuges alimentées par des appétits croissants ont donc généré des conflits marqués par la réalité de la décomposition sociale, poussant à la désagrégation des Etats, favorisant les pires seigneurs de la guerre et les aventures mafieuses pour des trafics en tous genres, dont le prix payé est celui de la mort et de la destruction. Dans la seconde moitié des années 1980, une succession d’attentats meurtriers allait déjà frapper le cœur des métropoles européennes comme ce fut le cas à Paris, Londres ou Madrid. Ces attentats n’étaient plus le simple recours de groupes ou d’acteurs isolés, mais le fait d’Etats constitués. En ce sens, ils devenaient des actes de guerre dont les attentats du 11 septembre 2001 à New York constituaient un des sommets. Les pires expressions barbares longtemps rejetées à la périphérie tendaient bel et bien à revenir frapper vers le centre du capitalisme, vers des territoires où seul le prolétariat peut constituer un frein par sa présence et son potentiel civilisateur.
Tous les jours, des réfugiés venant de pays en guerre meurent en voulant traverser la Méditerranée. Entassés comme du bétail, sur des bateaux-cercueils, par des passeurs sans scrupule, ils tentent d’échapper désespérément à l’indicible. Le nombre de réfugiés, de demandeurs d’asile et de personnes déplacées à l’intérieur de leurs pays à travers le monde a dépassé officiellement, selon le HCR, les cinquante millions pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. A elle seule, la guerre en Syrie à la fin de l’année dernière a engendré 2,5 millions de réfugiés et 6,5 millions de déplacés. Et tous les continents sont touchés.
Loin d’affaiblir les tendances du capitalisme décadent, la décomposition a largement renforcé les velléités impérialistes et l’aspect toujours plus irrationnel de celles-ci, ouvrant des boulevards aux fractions les moins lucides de la bourgeoisie qui se nourrissent de la putréfaction de la société et du nihilisme qu’elle induit. La naissance de groupes islamistes tels Al-Qaïda, l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) ou Boko Haram aujourd’hui, sont le résultat de cette dynamique de régression intellectuelle et morale, d’une inculture inouïe. Le 29 juin dernier, Daesh annonçait le rétablissement d’un “Califat” dans les territoires sous son contrôle et proclamait la mise en place d’un successeur de Mahomet. Pendant que Boko Haram, organisation de même nature, enlevait plusieurs centaines de jeunes filles.
Ces organisations obscurantistes n’obéissent à personne et sont seulement guidées par leur folie mystique et de sordides intérêts mafieux. En Syrie et en Irak, dans les zones contrôlées par “l’État islamique”, aucun nouvel État national n’est donc viable. Au contraire, la tendance est à une désagrégation des États syrien, libanais et irakien.
Cette effrayante barbarie insondable, qu’incarnent particulièrement les djihadistes, sert aujourd’hui de prétexte sécuritaire aux nouvelles croisades militaires et aux bombardements aériens occidentaux. Pour les grandes puissances impérialistes, cela permet de terroriser les populations et la classe ouvrière à peu de frais, en se présentant en pacificateurs civilisés. Mais au Proche et Moyen-Orient, l’EIIL a bel et bien été armé initialement, pour partie, par les États-Unis et par des fractions de la bourgeoisie d’Arabie saoudite, sans compter les complicités de la Turquie et de la Syrie. Cette organisation radicale islamique a échappé au contrôle de ses maîtres. La voilà maintenant en train d’assiéger la ville de Kobané en Syrie, à quelques kilomètres de la frontière turque, dans une région à dominante kurde. Contrairement à la première guerre du Golfe, les grandes puissances, États-Unis en tête, courent après ces événements subis sans aucune vision politique à terme, réagissant en fonction d´impératifs militaires immédiats. Une coalition hétéroclite de 22 Etats, ayant des intérêts propres totalement divergents les uns des autres, a pris cette décision de bombarder la petite partie de la ville tombée entre les mains de Daesh. Les États-Unis, chefs de file de cette pseudo-coalition se trouvent aujourd’hui incapables d’envoyer eux-mêmes des troupes au sol dans cette bataille et incapables pour le moment d’obliger la Turquie, qui craint comme la peste les Kurdes du PKK et du PYD, d’intervenir militairement à Kobané.
Tous les points chauds de la planète sont parvenus à incandescence. Partout les grandes puissances sont de plus en plus aveuglement entraînées dans cet engrenage. Au Mali, l’armée française est embourbée. Les négociations de “paix” entre le gouvernement malien et les groupes armés sont dans l’impasse. La guerre dans la bande sub-saharienne est permanente. Au nord du Cameroun et du Nigeria, face à Boko Haram, luttes armées, guérillas et attentats se multiplient. Sur tous les continents, notamment si on prend compte de la montée en puissance de la Chine en Asie, les mêmes mœurs et les pires méthodes mafieuses se sont étendues à l’ensemble de la planète.
Au xixe siècle, à l’époque où le capitalisme était florissant, les guerres pour constituer un État national, les guerres coloniales ou de conquêtes impérialistes avaient une certaine rationalité politique et économique. Le capitalisme trouvait par la guerre un moyen indispensable pour se développer. Il lui fallait conquérir le monde ; sa puissance économique et militaire conjuguée lui ont permis d’atteindre ce résultat dans la “boue et dans le sang” (Marx).
Avec la Première Guerre mondiale, tout cela change radicalement. Les principaux pays participant sortent généralement très affaiblis de ces quelques années de guerre totale. Aujourd’hui, dans la phase de décomposition du système, une course folle, une véritable danse macabre embarque le monde et l’humanité vers leur perte. L’autodestruction devient le trait dominant des zones en guerre.
S’il n’y a pas de solution immédiate face à cette dynamique infernale, il existe néanmoins une solution révolutionnaire pour le futur. Et c’est à celle-ci qu’il faut contribuer patiemment. Cette société est devenue obsolète. La survie du capitalisme est non seulement une entrave au développement de la civilisation mais même à sa simple survie. Il y a un siècle, c’est la révolution communiste en Russie et la poussée révolutionnaire en Allemagne, en Autriche, en Hongrie qui ont mis fin à la première boucherie impérialiste mondiale. Dans la période historique actuelle, c’est à nouveau la lutte du prolétariat international qui pourra, et elle seule, mettre un terme au pourrissement et à la déliquescence de cette société en décomposition.
Antonin, 5 novembre 2014
Ebola n’est pas seulement un problème médical, c’est avant tout une question sociale, le produit d’un système doté de la technologie et du savoir-faire scientifique nécessaire pour considérablement réduire les souffrances causées par les épidémies, mais incapable d’atteindre cet objectif.
Au cours de l’histoire, l’humanité a régulièrement été confrontée à l’apparition de maladies contagieuses décimant la population mondiale. Mais l’évolution du savoir a rendu progressivement l’humanité plus apte à diminuer leurs effets dévastateurs et le nombre de victimes.
La première pandémie massive et de dimension planétaire connue est “la Peste Noire”, qui toucha l’Europe principalement entre les années 1346 et 1353. Elle fut une des épidémies les plus dévastatrices, causant la mort d’environ 30 à 60 % de la population européenne, soit environ 25 millions de victimes (et probablement autant en Asie). L’humanité fit reculer l’épidémie grâce aux mesures de quarantaine. Au xixe siècle, en 1826, éclatait une épidémie de choléra en Europe qui infecta des dizaines de milliers de personnes en Grande-Bretagne. Au début, on pensait qu’elle était causée par l’exposition aux déchets en décomposition. Mais, en utilisant des méthodes de recherche simples, un groupe de médecins montra que c’était l’eau souillée qui permettait à la maladie de se propager. A Hambourg, ville connaissant alors une forte croissance démographique, le choléra frappa de nouveau pendant dix semaines, paralysant complètement le commerce et les échanges ; 8600 personnes moururent.
En 1892, Engels estimait que “les attaques répétées du choléra (…) et autres épidémies [avaient] convaincu la bourgeoisie anglaise de la nécessité urgente de procéder à l’assainissement des villes et des cités” (). Finalement, la science finit par découvrir que le choléra était transmis par l’eau polluée et par l’exposition aux matières fécales d’une personne infectée.
Au cours du xix siècle, la médecine accomplit d’énormes progrès. Le développement des vaccins et, plus important encore, la mise en place de mesures sanitaires environnementales, associés à une meilleure compréhension des maladies infectieuses (épidémiologie), ont constitué des armes irremplaçables dans le combat pour la santé humaine : “Les abus les plus criants décrits dans ce livre ont, soit disparu, soit sont devenus moins visibles” ().
Dans la première moitié du xx siècle, le développement de la science continua, entraînant des progrès considérables. La découverte des antibiotiques, l’introduction d’une vaccination efficace contre un nombre croissant de maladies ont entraîné une diminution spectaculaire du nombre de victimes. Ainsi, il y a soixante ans, la bourgeoisie était convaincue que la lutte à l’échelle mondiale contre les maladies infectieuses était sur le point de triompher.
Cependant, avec l’aggravation des contradictions du système capitaliste débutait sa période de décadence, la crise historique du système bourgeois. Les conditions étaient mûres pour l’éclatement de deux guerres mondiales et un nombre conséquent de guerres locales. Cela a eu un impact dramatique sur la santé publique. La Première Guerre mondiale en particulier provoqua une grave pandémie.
La guerre avait conduit à la complète dévastation de régions entières en Europe, au déplacement de millions de gens, au transport massif de troupes de soldats à travers toutes les régions du monde… En d’autres termes : la création d’un énorme chaos et une régression majeure des conditions sanitaires et d’hygiène.
Une nouvelle souche du virus de la grippe – surnommée Grippe espagnole en raison des règles de censure en temps de guerre – est devenue très contagieuse à l’automne 1918 en France. Des paysans chinois, envoyés par bateau du nord de la Chine vers la France, travaillant juste derrière le front dans des conditions déplorables, à la limite de la famine, infectèrent les soldats des tranchées. La grippe se répandit rapidement vers les Etats-Unis et dans certaines parties de l’Asie. La grippe tua environ 50 millions de personnes à travers le monde, se classant comme l’une des épidémies les plus meurtrières de l’Histoire. La bourgeoisie a toujours nié ou minimisé les liens entre les conditions créées par la guerre et le nombre phénoménal de morts dus à la grippe.
Les progrès de la science médicale et des systèmes de santé réalisés depuis le milieu du xixee siècle n’ont jamais été étendus et mis en pratique dans tous les pays du monde. Dans les pays dits “en voie de développement”, l’accès à ces améliorations est impossible pour la grande majorité des ouvriers et paysans. Et cela n’a jamais changé depuis. Les signaux d’alarme insistants au sujet des maladies contagieuses dans ces régions du monde ont jeté une ombre de doute sur la propagande au sujet du “futur radieux” et la “bonne santé” du système actuel.
Pour le marxisme, cela n’a rien d’étonnant. Ces maladies sont l’expression du fait que le système capitaliste est en train de pourrir sur pied, à cause de l’impasse dans laquelle se trouvent les deux principales classes de la société : la bourgeoisie et le prolétariat. Comme le prolétariat n’est pas encore capable d’affirmer sa perspective révolutionnaire, les contradictions du capitalisme en décomposition ne peuvent que s’aggraver toujours plus.
La phase de décomposition, qui a commencé à la fin des années 1980, favorise le développement du “chacun pour soi”, détruit la cohésion sociale et amène à un délitement moral toujours croissant. La décomposition est marquée par la tendance au chaos complet dans tous les coins du monde. Non seulement le capitalisme en décomposition ne parvient pas à enrayer les maladies, mais, de plus, il tend à les aggraver et même à les provoquer :
– environ 3,3 milliards de personnes dans les pays “en voie de développement” n’ont pas accès à l’eau potable.
– près de 2,5 milliards de personnes (plus du tiers de la population mondiale) n’ont pas accès à un équipement sanitaire de base.
– chaque année, 250 millions de personnes s’empoisonnent avec de l’eau contaminée, ce qui entraîne un décès dans plus de trois millions de cas ().
L’apparition de nouvelles maladies infectieuses et la résurgence d’anciennes maladies dans différentes régions du monde, jusque-là épargnées, ont précipité une nouvelle crise sanitaire, qui menace de réduire à néant tous les progrès accomplis auparavant, comme le reconnaît la bourgeoisie. Les maladies comme le choléra, qui étaient jusque-là cantonnées dans des zones limitées, se répandent maintenant dans des régions que l’on croyait à l’abri. Alors que quelques maladies sont complètement éradiquées, d’autres, telles que la malaria et la tuberculose, qui ont toujours fait partie des plus grands ennemis “naturels” de l’humanité, sont de retour avec une férocité accrue, causant des millions de morts chaque année.
C’est la décomposition de la société qui est clairement responsable de la débandade des services médicaux. Le SRAS, par exemple, était l’une des pandémies les plus dangereuses avant l’éruption d’Ebola. On pense que le SRAS est passé d’une espèce biologique à l’autre dans une région démunie de la Chine du Sud où les gens vivent entassés avec leurs animaux dans des conditions qui rappellent le Moyen-Age. Ces conditions de vie sont à l’origine de beaucoup des plus sérieuses épidémies de grippe dans le monde. “Le “succès” du marché mondial dans la décadence ne réside pas dans la prévention de l’apparition de la maladie mais dans le fait d’avoir favorisé son extension mondiale” ().
C’est en Afrique que la descente dans la barbarie militariste est le plus clairement prononcée. Au travers des conflits continuels, de la fragmentation des Etats capitalistes, de l’instabilité des frontières, du rôle des clans et des seigneurs de guerre, il est possible de voir les conflits meurtriers et le chaos se répandre sur le continent et cela nous donne une idée de ce que le capitalisme en décomposition réserve dans l’avenir à l’humanité ().
Ces dernières années, sur les trois pays les plus touchés par Ebola (Liberia, Sierra Leone, Guinée), deux ont été ravagés par la guerre civile et des massacres ethniques. Entre 1989 et 2003, les infrastructures du Liberia ont été dévastées par deux guerres civiles. Le Sierra Leone a été la proie d’une guerre civile de onze ans.
De plus, les programmes d’exploitation, par des entreprises étrangères qui extraient le pétrole, le gaz ou du minerai sans la moindre précaution pour trouver de nouvelles ressources économiques, ont conduit à une déforestation massive et à la destruction de l’habitat local et des infrastructures naturelles. La rupture de la cohésion sociale a gravement touché les moyens de subsistance de la population rurale. Les peuples autochtones ont été obligés de quitter leur terre pour aller s’agglutiner dans des bidonvilles urbains.
Parmi ces trois pays, le Liberia est le moins développé économiquement et l’un des plus pauvres du monde. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 1,3 million de personnes au Liberia vivent dans une extrême pauvreté. Au Sierra Leone, 70 % de la population vivent dans le dénuement. La moitié de la population des trois pays subit une misère extrême, manquant de l’hygiène la plus élémentaire telle que l’accès à l’eau potable.
La déforestation inexorable a également conduit à un changement radical dans les conditions climatiques des pays de l’Afrique de l’Ouest et centrale. L’augmentation des précipitations exceptionnelles est à craindre dans l’avenir. Des changements soudains avec le passage d’une atmosphère sèche à une atmosphère humide favorisent l’éclosion du virus Ebola. L’effet combiné de l’exploitation par des compagnies étrangères, le changement radical des phénomènes climatiques et la crise économique mondiale ont créé les conditions pour la présente catastrophe sanitaire.
Le déclenchement de la fièvre Ebola au cours de cette année n’était pas le premier. Il y a eu des épidémies répétées à peu près tous les ans depuis sa découverte en 1976 au centre de l’Afrique. Ebola est principalement une maladie rurale, où la nourriture issue de la chasse collective est consommée en commun ; les gens sont exposés à des animaux infectés et le manque d’eau potable favorise la propagation de l’infection. Les conditions d’isolement qui existent dans les zones rurales limitent le nombre de personnes infectées, tuant quelques centaines de personnes.
Cette année, le virus Ebola se propage pour la première fois vers des zones fortement peuplées de la côte ouest-africaine. Dans ces régions, non seulement les conditions sanitaires, mais aussi la situation des soins de santé sont désastreux, ce qui entraîne une augmentation de la vulnérabilité des communautés alentour au virus.
Le virus a complètement débordé les capacités des systèmes locaux de santé, qui passent leur temps à courir après lui pour le contrôler. Après la mort de 60 travailleurs de la santé par l’épidémie d’Ebola, un certain vent de panique a soufflé. Comme le dit Joseph Fair () : “beaucoup ont abandonné le navire”. Après que la maladie eut tué près de mille personnes et en ait infecté près de deux mille, l’OMS a déclaré, le 8 août 2014 : “l’épidémie d’Ebola est une urgence de santé publique internationale.” Le système de santé publique à Monrovia est en voie d’effondrement total. Les unités de soins les plus élémentaires, incluant les médicaments contre la malaria pour les enfants et les soins aux femmes enceintes, ont été fermées. Le 19 août, le quartier de West Point a été mis en quarantaine, piégeant environ 75 000 personnes, transformant le quartier en un immense cimetière. Ils peuvent mourir, du moment qu’ils meurent entre eux ! La quarantaine, qui a causé la mort de centaines de personnes, pas seulement à cause d’Ebola, mais aussi par la malaria (qui touche les enfants) et à cause du manque de nourriture et d’eau potable, a été levée après dix jours. Les gens sont partis en masse, sans demander leur reste.
Jusqu’à présent, il n’y a eu que peu d’aide de la part des pays développés. Outre la mobilisation de quelques centaines de médecins et d’infirmières bénévoles dévouées, la plus grande partie de l’aide a consisté en dons de matériel, d’équipements pour le personnel de santé. La contribution des Etats-Unis, pour les neuf derniers mois, se chiffre par exemple à peine à 100 millions. Cela contraste terriblement avec les milliards mis à disposition par les puissances impérialistes et leurs alliés parmi les monarchies du Golfe, pour la nouvelle guerre en Syrie et en Irak, sans parler des centaines de milliards gaspillés dans les guerres en Libye, en Irak et en Afghanistan. Malgré tout, Obama a décrété que l’épidémie d’Ebola constituait “une priorité pour la sécurité nationale”, car elle pourrait déclencher la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest, ce qui entraînerait “de graves conséquences sur l’économie, la politique et la sécurité.” Et avec cela, il s’est contenté d’envoyer… trois mille soldats !
L’IRC (International Rescue Committee), constate que, sur les 1500 nouveaux médicaments mis à disposition entre 1974 et 2004, seulement dix concernent les maladies tropicales. Pour ce qui concerne le virus Ebola, pratiquement aucune recherche n’a été effectuée depuis 1976. Les maladies tropicales vont donc continuer à affecter plus d’un milliard de personnes dans le monde et à tuer jusqu’à 500 000 personnes par an. John Ashton, de la Faculté de Santé publique de Londres, a ainsi caractérisé la situation : “une banqueroute morale du capitalisme agissant en l’absence d’un cadre éthique et social.” Le journal New Yorker a déclaré sans ambages : “les maladies qui touchent principalement les populations pauvres des pays pauvres ne sont pas une priorité pour la recherche, car ces marchés ne sont pas solvables.”
Par contre, comme toujours, les Etats les plus “anti-racistes” sont tout-à-fait prêts à utiliser la peur des voyageurs africains, à attiser les sentiments xénophobes parmi la population européenne. Les fractions dominantes de la classe dirigeante utilisent à leur profit le climat de peur et de panique :
– pour inciter les gens à oublier les plus grandes menaces auxquelles nous faisons face aujourd’hui, telles que la guerre ou les catastrophes nucléaires ;
– pour encourager la population des pays centraux à rechercher la protection de l’Etat bourgeois ;
– pour bloquer par tous les moyens possibles l’arrivée de gens venant d’Afrique à la recherche d’un refuge dans les pays centraux.
L’épidémie d’Ebola est le produit d’une aggravation des contradictions du capitalisme qui, depuis un siècle, “a apporté seulement plus de misère et de destruction sous toutes leurs formes. Face à la décomposition avancée de son système, la classe dominante n’a rien d’autre à offrir que des mensonges idéologiques et la répression” ().
Zyart, 5 novembre 2014
() Préface de La situation de la classe laborieuse en Angleterre.
() Idem.
() Selon les données officielles disponibles sur la Toile.
() “SRAS : le symptôme de la décomposition de la société”, World Revolution, mai 2003.
() “La propagation de la guerre montre l’impasse où se trouve le capitalisme”, World Revolution, mai 2013.
() Virologiste américain, travaillant avec l’Institut Mérieux, attaché au ministère de la Santé du Sierra Leone depuis 10 ans
() “SRAS : c’est le capitalisme qui est responsable de l’épidémie”, World Revolution, mai 2003.
Le “collectif” des éditions Smolny vient de jouer un mauvais tour à la mémoire de Rosa Luxemburg et donc à l’ensemble de la classe ouvrière. En publiant en octobre son tome IV des Œuvres complètes de Rosa Luxemburg (1 cette association a en effet apporté sa petite contribution à la campagne internationale et historique faisant de Rosa Luxemburg une inoffensive démocrate, une pacifiste et une anti-bolchevique farouche.
Les textes de Rosa Luxemburg rassemblés dans ce tome IV sont évidemment enthousiasmants ; le contraste en est d’autant plus saisissant avec l’introduction sans vie ni souffle réalisée sous la responsabilité de Smolny.
Formellement, l’internationalisme de Rosa Luxemburg, ses très hautes valeurs morales, tout semble bien y être présents. Et pourtant, l’ensemble demeure très éloigné de l’œuvre de Rosa Luxemburg, de sa fidélité indéfectible aux principes et au combat révolutionnaire pour le renversement du capitalisme. Cette introduction est en quelque sorte l’antithèse de la préface de cette même Brochure de Junius, réalisée il y a près d’un siècle par l’amie et camarade de Rosa Luxemburg, Clara Zetkin : “Dans les brumes sanglantes du chaos de la guerre mondiale, son intelligence historique clairvoyante montrait aux hésitants les lignes ineffaçables de l’évolution vers le socialisme ; son énergie impétueuse et jamais défaillante aiguillonnait ceux qui étaient las et abattus, son audace intrépide et son dévouement faisaient rougir les timorés et les apeurés” (). Cette différence n’est pas liée à la qualité de la plume, plus ou moins acérée, des rédacteurs ; elle est avant tout politique. Cette préface de Smolny est tiède, lisse comme un galet, œcuménique car elle ne veut froisser personne. Ceux qui voient en Rosa Luxemburg une ardente combattante aux côtés de Lénine ne seront pas choqués, ni ceux qui voient en ces deux figures historiques du mouvement ouvrier deux ennemis irréconciliables. Ceux qui reconnaissent en Rosa Luxemburg une militante révolutionnaire ne seront là en rien contredits, pas plus que ceux qui imaginent Rosa en une aimable adepte de la démocratie “en général”. Bref, la carpe et le lapin s’y trouvent parfaitement mariés, sans même s’en apercevoir.
Cet aspect lisse, passe-partout, sans aspérité pour ménager la chèvre et le chou, n’est pas le fruit du hasard mais d’une volonté consciente. Pour réaliser cette introduction, Eric Sevault (ES), membre fondateur du “collectif” Smolny, a collaboré avec Julien Chuzeville (JC), membre de “Critique Sociale”, un petit cénacle farouchement “anti-léniniste” et “anti-bolchévik”. En clair, le “collectif” Smolny s’est fait épauler pour préfacer ce tome IV, par un social-démocrate de gauche. Cet “historien” fait en effet partie d’une mouvance qui se prétend “luxemburgiste” pour mieux dénaturer l’activité militante révolutionnaire de Rosa Luxemburg.
Eric Sevault (ES) prétend, lui, défendre l’ensemble des courants de gauche, de Rosa Luxemburg à Lénine, en passant par Trotski, Pannekoek ou Marc Chirik. JC et ES ayant co-signé cette introduction, il ne pouvait donc en sortir qu’un texte “consensuel”, insipide, et ayant la consistance de la guimauve. Un texte qui “oublie” étrangement de parler de la révolution allemande de 1918-19 et de l’activité militante de Rosa Luxemburg au sein de celle-ci. Qui “oublie” étrangement de dire que Rosa Luxemburg, à cause de son engagement révolutionnaire, fut assassinée sur ordre de ses anciens “camarades” du SPD alors au gouvernement (Ebert, Scheidemann et le “chien sanglant” Noske) juste après qu’elle ait participé à la fondation du Parti communiste d’Allemagne (KPD) dont elle avait écrit le programme (“Que veut la Ligue spartakiste ?”). Un texte truffé de formules ampoulées et ambiguës qui font la part belle à l’idéologie démocratique et pacifiste au détriment de la vision et du souffle révolutionnaires qui se dégagent du livre de Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie.
Après avoir affirmé que “Le socialisme international était, dans ces années-là, le “parti de la paix” par excellence. La II Internationale était d’ailleurs pressentie pour le Nobel de la paix dès 1913 et elle aurait été une très bonne candidate pour 1914”, l’introduction de ES et JC déplore, en conclusion, “l’absence, aujourd’hui encore, d’une organisation porteuse de paix (…) : l’Internationale que Rosa Luxemburg appelait de ses vœux et qui reste à bâtir” (souligné par nous). Il s’agit là d’un petit tour de passe-passe visant à la falsification honteuse du combat de Rosa Luxemburg : un combat de classe pour la révolution, pour le renversement du système capitaliste par la dictature mondiale du prolétariat et non pas pour la “paix” (et la “démocratie”) !
Cette volonté d’arrondir les angles, de fuir les sujets qui fâchent (qui “divisent”), est une véritable catastrophe, car dans la compromission (et la tactique du “front unique” sans clarification des divergences), c’est toujours la bourgeoisie et son idéologie qui triomphent. En collaborant avec un historien de “Critique sociale”, le “collectif” Smolny s’est fait ni plus ni moins le porte-voix d’un courant social-démocrate de gauche et donc bourgeois (même si les membres de ce courant n’en n’ont pas forcément conscience).
Ainsi JC, dans un article sur René Lefeuvre, publié sur le site de “Critique sociale” (nous y reviendrons), écrit : “René Lefeuvre a été pendant soixante ans un militant fidèle au courant socialiste révolutionnaire, s’inspirant en particulier de la marxiste Rosa Luxemburg, s’attachant à la défense de la démocratie comme base indispensable du mouvement ouvrier” (souligné par nous). Voilà ce qu’aime par-dessus tout JC chez René Lefeuvre : sa défense du système politique le plus sophistiqué, hypocrite et pernicieux de la dictature du capital : la démocratie bourgeoise. René Lefeuvre, tant apprécié par JC, lui-même tant apprécié par Smolny, a passé sa vie à s’appuyer de façon totalement frauduleuse sur les écrits de Rosa Luxemburg pour calomnier les bolcheviks et la Révolution russe, pour rejeter la dictature du prolétariat (dont les soviets ont été “la forme enfin trouvée”, selon l’expression de Lénine) et la nécessaire insurrection, et pour soutenir in fine la démocratie… bourgeoise. Sous sa plume, ce n’est ainsi plus la social-démocratie qui assassine Rosa Luxemburg le 15 janvier 1919 mais les “précurseurs nazis” : “les précurseurs des nazis l’assassinèrent en janvier 1919”. Ces “précurseurs des nazis”, c’étaient les corps francs aux ordres du ministre Noske, ce chien sanglant, socialiste et démocrate !
Mais les accointances de Smolny avec René Lefeuvre ne sont pas seulement celles passant via JC, elles sont aussi plus directes puisque Smolny affirme vouloir s’inscrire dans la “lignée” () des cahiers Spartacus (maison d’édition fondée par… René Lefeuvre !). Et puisque Smolny aime bien publier les écrits de Marc Chirik (), nous allons laisser Marc lui répondre : “Ce qui fait l’unité, le ciment de l’équipe de “Spartacus”, c’est l’antibolchevisme tripal qu’il confond volontairement et sournoisement avec le stalinisme. (…) Au nom de l’antibolchevisme, les socialistes de gauche ont toujours été la queue misérable de la social-démocratie, des Scheidemann-Noske, des Turati et des Blum”().
Pour lancer son tome IV, Smolny a demandé à ses collaborateurs de “Critique sociale” d’organiser une Réunion publique à Paris le 15 octobre sous le titre “Rosa Luxemburg contre la guerre”. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin en effet ? Quitte à coucher avec des réformistes, autant y aller à fond !
Qui est “Critique sociale” ? Le nom de ce petit cénacle fervent défenseur de la “démocratie” en général (et du pouvoir du “peuple”), fait référence à la revue La Critique sociale fondée en 1931 par Boris Souvarine, aussi membre du Cercle communiste démocratique (). Le site Internet de “Critique sociale” contient ainsi plusieurs articles de Boris Souvarine, non pour saluer sa période première où il s’opposa à la dégénérescence de la Révolution russe en tant que membre des courants de gauche mais lorsqu’il passa avec armes et bagages dans le camp bourgeois, de “l’autre côté de la barrière” pour reprendre les mots de Trotski.
Ce cénacle social-démocrate de gauche, est lui aussi dans la digne “lignée” de l’antibolchevisme de René Lefeuvre et de son art de la falsification des écrits de Rosa Luxemburg. Ainsi, dans un article intitulé “Le léninisme et la Révolution russe”, publié sur le site de “Critique sociale”, on peut y lire : “Le mythe répété religieusement est clair : en octobre 1917, les bolcheviks auraient fait une “révolution”. Encore plus fort, cette “révolution” d’octobre aurait été une “révolution socialiste”, voire une “révolution marxiste” ! (…) Ce qui a eu lieu en octobre 1917 en Russie, c’est une prise du pouvoir par un parti, le parti bolchevik. (…) Aucun rapport, donc, avec une révolution populaire. D’où vient alors la confusion ? D’abord la Russie était en révolution depuis février 1917, cette révolution ayant renversé le tsarisme, mais n’arrivant pas à se trouver un nouveau régime, bien que l’aspiration populaire soit clairement pour une véritable démocratie. Après octobre, le pouvoir est exercé par un “Conseil des commissaires” dirigé par Lénine (qui n’a jamais été membre d’un soviet) () et en pratique encore plus par la petite direction bolchevique (…) Rosa Luxemburg constate en septembre 1918 que le pouvoir bolchevik a fait “preuve du mépris le plus glacial à l’égard de l’Assemblée constituante, du suffrage universel, de la liberté de la presse et de réunion, bref de tout l’appareil des libertés démocratiques fondamentales des masses populaires”. Cette politique des bolcheviks constitue l’inverse de ce qui est indispensable selon le marxisme, ce que rappelle Luxemburg quand elle en appelle à “la vie politique active, libre, énergique, de larges masses populaires”, à “la démocratie la plus large et la plus illimitée”, à “une vie intensément active des masses dans une liberté politique illimitée”. (…) Selon Luxemburg le pouvoir léniniste est “un gouvernement de coterie – une dictature, il est vrai, non celle du prolétariat, mais celle d’une poignée de politiciens, c’est-à-dire une dictature au sens bourgeois, au sens de la domination jacobine”. (…) février aurait pu déboucher sur un autre résultat, plus conforme aux aspirations des masses”.
Pour résumer, “Critique sociale” exècre Lénine, le Parti bolchevik, la Révolution d’octobre, la dictature du prolétariat et fondamentalement la notion même de Parti. Il soutient la Révolution de février 1917 qui était, elle, selon “Critique sociale”, réellement démocratique. Autrement dit, “Vive le gouvernement démocratique bourgeois de Kerenski !”. Les sociaux-démocrates de “Critique sociale” prétendent se tenir là aux côtés de Rosa Luxemburg en faisant de la revendication de la démocratie l’alpha et l’oméga de “l’émancipation des travailleurs” ! “Critique sociale” cite en long, en large et surtout de travers de multiples petits bouts de phrases de Rosa Luxemburg extraites de leur contexte pour lui faire dire ce qu’elle n’a jamais pensé. Il s’agit d’une véritable entreprise de falsification. Si Rosa adresse des critiques aux bolcheviks (dont certaines sont partagées par le CCI ()), elle s’adresse sans aucun doute possible à des camarades pour qui elle a le plus grand respect, et même de l’admiration. Laissons Rosa Luxemburg répondre à “Critique sociale” : “La démocratie socialiste (…) n’est pas autre chose que la dictature du prolétariat. Parfaitement : dictature ! (…) Mais cette dictature doit être l’œuvre de la classe et non d’une petite minorité dirigeante, au nom de la classe (…). C’est certainement ainsi que procéderaient les bolcheviks, s’ils ne subissaient pas l’effroyable pression de la guerre mondiale, de l’occupation allemande, de toutes les difficultés énormes qui s’y rattachent, qui doivent nécessairement défigurer toute politique socialiste animée des meilleures intentions et s’inspirant des plus beaux principes. (…) Ce serait exiger de Lénine et de ses amis une chose surhumaine que de leur demander encore, dans des conditions pareilles, de créer, par une sorte de magie, la plus belle des démocraties, la dictature du prolétariat la plus exemplaire et une économie socialiste florissante. Par leur attitude résolument révolutionnaire, leur énergie sans exemple et leur fidélité inébranlable au socialisme international, ils ont vraiment fait tout ce qu’il était possible de faire dans des conditions si terriblement difficiles.” Oui, il y a dans son texte La Révolution russe des critiques profondes à la politique menée par les bolcheviks, mais il s’agit de polémiques menées à l’intérieur d’un même camp révolutionnaire.
Aux faussaires sociaux-démocrates de “Critique sociale” et autres “anti-bolcheviks”, nous retournons donc ces mots de Rosa Luxemburg elle-même : “Les bolcheviks ont certainement commis plus d’une faute dans leur politique et en commettent sans doute encore –qu’on nous cite une révolution où aucune faute n’ait été commise ! L’idée d’une politique révolutionnaire sans faille, et surtout dans cette situation sans précédent, est si absurde qu’elle est tout juste digne d’un maître d’école allemand” ().
En réalité, nos “maîtres d’école” qui font de la “critique sociale” ne comprennent absolument rien à la vision prolétarienne et au combat internationaliste de Rosa Luxemburg qu’ils se plaisent tant à encenser pour mieux déformer l’histoire réelle du mouvement ouvrier. Rosa Luxemburg conçoit les bolcheviks et le prolétariat de Russie, les spartakistes et le prolétariat d’Allemagne, comme autant de maillons de la chaîne de la révolution mondiale : “la situation fatale dans laquelle se trouvent aujourd’hui les bolcheviks ainsi que la plupart de leurs fautes sont elles-mêmes la conséquence du caractère fondamentalement insoluble du problème auquel les a confrontés le prolétariat international et surtout le prolétariat allemand. Établir une dictature prolétarienne et accomplir un bouleversement socialiste dans un seul pays, encerclé par l’hégémonie sclérosée de la réaction impérialiste et assailli par une guerre mondiale, la plus sanglante de l’histoire humaine, c’est la quadrature du cercle. (…) Il n’y a qu’une seule issue au drame qui s’est noué en Russie : l’insurrection tombant sur l’arrière de l’impérialisme allemand, le soulèvement des masses allemandes qui donnerait le signal d’un achèvement révolutionnaire international du génocide. Le sauvetage de l’honneur de la révolution russe coïncide, en cette heure fatale, avec le salut de l’honneur du prolétariat allemand et du socialisme international” ().
Laisser à un groupe social-démocrate, le lancement d’un livre de Rosa Luxemburg, comme l’a fait le “collectif” Smolny, c’est participer au travail de sape idéologique de l’Etat démocratique bourgeois. C’est pourquoi, lors de la réunion publique du 15 octobre à Paris, le CCI était présent et est intervenu pour dénoncer l’opposition frauduleuse de Rosa Luxemburg et de Lénine, des spartakistes et des bolcheviks, des marxistes “démocrates” et des marxistes “dictatoriaux”. Nous avons dénoncé cette méthode de falsification de l’histoire comme participant, fondamentalement, à la même campagne nauséabonde du Livre noir du communisme. A cette méthode, nous avons opposée celle du CCI : essayé de tirer les leçons du meilleur du mouvement ouvrier, sans dogmatisme ; comprendre les forces et les faiblesses des différents courants constitutifs du mouvement révolutionnaire en les resituant dans le contexte historique de l’époque.
Eric Sevault, qui en tant que représentant du “collectif” Smolny, était présent à la table du présidium de cette réunion, a, lui, fait des contorsions tout au long du débat. Démontrant aussi son grand talent de caméléon, il fit en permanence, dans le débat public, le grand écart en se déclarant en accord avec le CCI et en accord avec “Critique sociale” qui n’est pas d’accord avec les “léninistes” du CCI. Comprenne qui pourra ! Mais après la réunion, il est venu nous trouver pour critiquer, dans les coulisses, notre “sabotage” de la réunion de présentation du livre et notre “faux procès” à ses collaborateurs de “Critique sociale”. Nous comprenons parfaitement sa gêne.
Notre but, dans ce débat, est la clarification politique, la défense du mouvement ouvrier et des combats de la gauche marxiste révolutionnaire internationale et internationaliste (à laquelle appartenaient Rosa Luxemburg et Lénine), la dénonciation des mystifications idéologiques bourgeoises, qui sont le terreau le plus fertile pour les campagnes de dénigrement de la Révolution russe d’octobre 1917 (avec, en toile de fond, évidemment, une resucée de la propagande démocratique bourgeoise de 1917 qui présentait les bolcheviks avec un couteau entre les dents !).
Le but d’Eric Sevault est de faire tourner sa maison d’éditions Smolny, d’être reconnu le plus largement possible pour son travail d’éditeur. D’un côté, la méthode et les principes intransigeants et désintéressés de la Gauche communiste ; de l’autre, les compromissions de toutes sortes, les alliances d’intérêts et le double jeu, propres à la démarche de petit boutiquier qui surfe sur le créneau de la “publication intégrale inédite” des œuvres de Rosa Luxemburg (comme sur celui des textes de la Gauche communiste) pour assurer la publicité et la prospérité de son fonds de commerce !
CCI, 7 novembre 2014
1) Ce tome IV est composé essentiellement de la Brochure de Junius, texte déjà publié maintes fois en Français et disponible gratuitement sur le site web www.marxists.org [473].
() Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie, édition La taupe, 1970, page 37.
() In Qui sommes-nous ? (www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=37 [474])
() Marc Chirik, ex-militant de la Gauche communiste, était le principal membre fondateur du CCI (voir la Revue Internationale nos 61 et 62).
() “IIe Conférence internationale des groupes de la Gauche communiste” (Revue internationale no 16, 1er trimestre 1979) disponible sur notre site à cette adresse :
() Un article de “Critique sociale” fait ainsi la promotion de la mystification de l’idéologie de “l’antifascisme” et de la collaboration de classe du CCD : “Sous le nom de Fédération communiste démocratique, le Cercle participe au “Front commun pour la défense des libertés publiques” créé à l’initiative de Marceau Pivert, dirigeant de l’aile gauche de la SFIO. Ce “Centre de liaison antifasciste”, à la différence du “Front populaire” qui sera formé plus tard, ne comporte ni le PC ni le Parti radical, mais unit la SFIO, les groupes d’extrême-gauche et diverses autres organisations de gauche.”
() Ici la mauvaise foi (et l’ignorance) est à son comble : le bolchevik Trotski, compagnon de Lénine, était le président du Soviet de Petrograd !
() Lire particulièrement ces deux articles :
1) “1903-1904 : la naissance du bolchevisme (III). La polémique entre Lénine et Rosa Luxemburg” (Revue Internationale no 118, troisième trimestre 2004) disponible sur notre site à cette adresse : fr.internationalism.org/./1903-1904-naissance-du-bolchevisme-iii-polemique-entre-lenine-et-rosa
2) “Comprendre la défaite de la Révolution russe (1re partie)” (Revue Internationale no 99, quatrième trimestre 1999) disponible sur notre site à cette adresse : https://fr.internationalism.org/french/rint/99_communisme-ideal [476]
() La tragédie russe, septembre 1918.
() Idem.
À l’occasion de cette rentrée littéraire, est sorti un petit livre qui s’adresse aux adolescents, écrit par Anne Blanchard : Rosa Luxemburg : non aux frontières ! Il fait partie d’une collection Junior intitulé : Ceux qui ont dit non. On retrouve dans cette collection, des biographies de Federico Garcia Lorca, Lucie Aubrac, Simone Weil, Gandhi…
L’originalité de ce livre est que l’auteur fait parler Mimi, la chatte de Rosa Luxemburg. Le début du livre montre comment Mimi arrive à comprendre et enfin à écrire la biographie de sa maîtresse.
Dans un premier temps, le livre relate bien la vie, le combat qu’a mené Rosa Luxemburg. On y apprend que les dirigeants de la social-démocratie allemande ont écarté Rosa des instances dirigeantes du Parti en la nommant professeur à l’École du Parti, en charge des cours du soir. Mais comme le souligne Mimi : “Raté ! Ma maîtresse travaille deux fois plus ; elle fait classe, sans sécher pour autant aucune réunion.” On y apprend également que Rosa aurait tenté de se suicider quand elle apprit la mort de Jean Jaurès. Le livre évoque aussi la prison où elle écrivait sur les oiseaux, les fleurs, etc.
La lecture est plaisante. Mais derrière la fluidité du texte, par petites touches, progressivement, puis de façon grossière, l’auteur travestit (à travers Mimi, bien sûr) les propos de Rosa, notamment en affirmant qu’elle aurait considéré Lénine, Trotski et les bolcheviks comme des dictateurs sanguinaires. C’est ainsi qu’on peut lire page 53 : “Ma maîtresse a retrouvé sa capacité à s’insurger. Elle ne décolère plus contre ses amis russes, les Lénine, les Trotski et tous les communistes bolcheviques. En effet les événements en Russie se compliquent. Les communistes bolcheviques versent dans la terreur : après avoir écarté leurs alliés modérés, ils fusillent (…) Ma maîtresse trouve que réduire de la sorte ses contradicteurs au silence, c’est amorcer un terrible virage pour la révolution et pour l’humanité qui espère tant depuis que le mouvement est en marche.”
Anne Blanchard véhicule sans surprise le mensonge selon lequel il y aurait une continuité entre la révolution d'Octobre et l'horreur du stalinisme. C'est ainsi qu'on peut lire page 64 : “Pourtant moi Mimi, je vous le dis, la “maladie” ne va pas se propager très vite, si on attend l’aide de Lénine. Cet égoïste se concentre sur son seul pays : la Russie.” De là à affirmer que Lénine ait théorisé “le socialisme dans un seul pays”, il n’y a qu’un pas… Il n’y a pas pire outrage à la mémoire de Lénine qui savait que la Révolution russe était condamnée si elle ne s’étendait pas à l’Europe et notamment à l’Allemagne !
L’auteur de ce mauvais conte pour enfants reprend aussi l’idée insidieuse que le Parti révolutionnaire du prolétariat est nuisible, un danger pour la classe ouvrière, et que Rosa Luxemburg aurait défendu cette position. C’est ainsi qu’on peut lire page 58 : “A force de faire grève et de manifester, les Allemands ont gagné une république toute neuve. A présent, ils s’affrontent pour savoir quel visage lui donner. Une “République des conseils”, où les plus humbles – qui sont aussi les plus nombreux, rappelle toujours ma maîtresse – auraient le pouvoir ? Rosa le voudrait. On débattrait librement, sans avoir à obéir à un parti, pas comme en Russie, où Lénine mènera bientôt tout le monde à la baguette.”
Ainsi, en peu de phrases, à travers la chatte Mimi, l’auteur cherche à persuader ses jeunes lecteurs que Rosa Luxemburg était non seulement anti-bolchevique, mais également anti-Parti… Rien n’est plus faux !
Même si des débats et des combats théoriques, tout à fait ordinaires et légitimes au sein du mouvement ouvrier, eurent lieu entre révolutionnaires, Rosa et Lénine se retrouvaient sur l’essentiel dans la défense des principes politiques prolétariens. Vis-à-vis de la guerre, par exemple, au congrès de 1907 à Stuttgart, Rosa et Lénine combattaient côte à côte et proposèrent un amendement qui stipulait notamment : “Si néanmoins une guerre éclate, les socialistes ont le devoir d’œuvrer pour qu’elle se termine le plus rapidement possible et d’utiliser par tous les moyens la crise économique et politique provoquée par la guerre pour réveiller le peuple et de hâter ainsi la chute de la domination capitaliste.”
Concernant la révolution en Russie, il est vrai que Rosa fit des critiques à la politique des bolcheviks sur différentes questions : la réforme agraire, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la “terreur rouge” contre la “terreur blanche”, etc. (). Tout en critiquant ces erreurs (qui, selon Rosa, auraient pu être dépassées si la Révolution russe avait pu s’étendre de façon victorieuse aux pays d’Europe), Rosa Luxemburg a soutenu et ainsi salué le combat titanesque des bolcheviks : “Lénine, Trotski et leurs amis ont été les premiers qui aient montré l’exemple au prolétariat mondial ; ils sont jusqu’ici encore les seuls qui puissent s’écrier avec Hutten : j’ai osé ! C’est là ce qui est essentiel, ce qui est durable dans la politique des bolcheviks. En ce sens, il leur reste le mérite impérissable d’avoir, en conquérant le pouvoir et en posant pratiquement le problème de la réalisation du socialisme, montré l’exemple au prolétariat international, et faire faire un pas énorme dans la voie du règlement de comptes final entre le capital et le travail dans le monde entier. En Russie, le problème ne pouvait qu’être posé. Et c’est dans ce sens que l’avenir appartient partout au “bolchevisme”” (Rosa Luxemburg, La Révolution russe)
Par rapport au rôle d’avant-garde du parti bolchevik lui-même, Rosa Luxemburg écrivait aussi : “Tout ce qu’un Parti peut apporter, en un moment historique, en fait de courage, d’énergie, de compréhension révolutionnaire et de conséquence, les Lénine, Trotski et leurs camarades, l’ont réalisé pleinement. L’honneur et la capacité d’action révolutionnaire, qui ont fait à tel point défaut à la social-démocratie, c’est chez eux qu’on les a trouvés. En ce sens, leur insurrection d’octobre n’a pas sauvé seulement la Révolution russe, mais aussi l’honneur du socialisme international.”
Comment peut-on seulement imaginer que Rosa était anti-Parti quand on sait qu’elle participa à la fondation du Parti communiste d’Allemagne (le KPD), et en rédigea même le Programme à la fin du mois de décembre 1918 ? Ce que semble ignorer Madame Anne Blanchard (mais l’ignorance n’est pas un argument !)
Après avoir présenté Rosa Luxemburg comme une anti-bolchevik, une anti-Parti, l'auteur, à la fin de son livre, la présente de surcroit comme une réformiste. C'est ainsi qu'elle cherche à montrer que les différentes associations et organisations qui se sont créées pour lutter contre "le néo- libéralisme, la mondialisation" se situeraient dans la continuité du combat mené par Marx et Rosa Luxemburg (tout en remettant au passage une petite couche sur le prétendu anti-bolchevisme de Rosa). A la page 79, on y apprend que : “Rosa Luxemburg prônait un communisme très différent de celui qui a été mis en pratique en Union Soviétique après la révolution de 1917. Là-bas, Lénine, le leader du parti bolchevik, considérait qu’un mouvement révolutionnaire n’avait pas de chance d’aboutir que s’il était dirigé par un Parti capable d’installer un État centralisé fort. Rosa Luxemburg, comme Marx, accordait une grande valeur à la spontanéité de la révolte ainsi qu’aux libertés. Son projet était celui d’un “communisme de conseils”, d’ouvriers et de paysans, moins dépendant qu’un Parti. Ce communisme de conseils, ne s’est jamais incarné dans un État ni même un Parti. Néanmoins, c’est être proche des convictions de Luxemburg que de parier sur la capacité des individus à inventer de nouvelle façon de lutter ou de vivre ensemble. Ce fut le cas de Mai 68 en France et dans le monde. Durant cette révolte déclenchée par la jeunesse étudiante, des milliers de personnes, rejetant les syndicats ou les partis traditionnels, jugés trop autoritaires, se sont initiés à la politique. Beaucoup ont ensuite continué à œuvrer au sein d’associations, d’ONG, de collectifs tels que RESF (Réseau Education Sans Frontières) et le GISTI (groupe d’information et de soutien des immigré-e-s)”. La fin du livre est un appel ouvert à la “mobilisation citoyenne”. Un document du CRIF () (Conseil représentatif des Institutions juives de France) parlant du livre d’Anne Blanchard signale d’ailleurs qu’“en complément, l’auteur propose un chapitre Eux aussi, ils ont dit non et évoque l’action de la CIMADE, de RESF, du GISTI, ou encore du MRAP et, plus généralement, des altermondialistes” et pose la question “Rosa Luxemburg aurait-elle accepté cette filiation ?” La réponse est clairement : NON ! Cette pseudo-continuité participe bien d’une grossière entreprise de manipulation et de récupération idéologique.
Les mouvements citoyens qui ont surgi et se sont insurgés, comme le dit l’auteur, contre la politique libérale mise en place par le FMI (Fonds monétaire international) et l’OMC (Organisation mondiale du commerce), n’ont rien à voir avec la lutte de classe que prônait Marx et Rosa Luxemburg. Ni avec le mouvement de Mai 68 qui fut l’expression de la reprise des combats de la classe ouvrière après un demi siècle de contre révolution triomphante et non une simple “révolte étudiante” (). Les organisations ou associations comme ATTAC (Association pour la taxation des transactions financière et pour l’action citoyenne) ne défendent pas le moins du monde le renversement du capitalisme par la lutte de classe, comme le défendaient Marx et Luxemburg. Elle revendique au mieux une utopique réforme du capitalisme, un capitalisme à “visage humain”. L’auteur s’efforce elle aussi de dénaturer et falsifier la pensée et l’engagement militant de Rosa Luxemburg, tout en cachant son combat impitoyable contre le réformisme, notamment à travers son ouvrage : Réforme sociale ou révolution, dans lequel elle dénonçait les idées révisionnistes de Bernstein qui prônait l’avènement du socialisme par des réformes et rejetait toute idée de révolution. Rosa Luxemburg a toujours défendu l’idée que ceux qui prônent la réforme du système capitaliste sont des mystificateurs au service de la bourgeoisie, une entrave à la lutte et à la réflexion politique au sein de la classe ouvrière.
Toute la bourgeoisie cherche aujourd’hui à nous faire oublier cette vérité historique : ce sont les Partis “socialistes” qui ont voté les crédits de guerre en 1914 et embrigadé des dizaines de millions de prolétaires dans cette infâme boucherie, non les véritables révolutionnaires. En trahissant les principes et le mot d’ordre du mouvement ouvrier : “Les prolétaires n’ont pas de patrie, prolétaires de tous les pays unissez-vous !”, ce sont les partis “socialistes” qui ont été les principaux responsables du massacre, non les véritables révolutionnaires.
Le livre d’Anne Blanchard, destiné à intoxiquer les adolescents, trouve sa place dans la campagne démocratique de récupération écœurante de Rosa Luxemburg pour en faire une arme contre Lénine et les bolcheviks. Une arme contre le prolétariat pour l’empêcher de comprendre que c’est bien la Révolution russe d’octobre 1917 et la révolution en Allemagne en 1918 qui ont obligé la bourgeoisie à mettre fin à la Première Guerre mondiale.
Cette campagne de récupération frauduleuse de Rosa Luxemburg, orchestrée sous l’égide des sociaux-démocrates à la phraséologie “radicale”, vise à faire oublier à la classe ouvrière (et à ses jeunes générations) que Rosa et les spartakistes, Lénine et les bolcheviks, en tant que militants révolutionnaires internationalistes, ont mené le même combat contre la barbarie guerrière, contre le capitalisme, contre la mystification pacifiste et réformiste, contre la dictature de l’Etat bourgeois (qu’il soit “démocratique” ou “totalitaire”).
Cealzo, 28 octobre 2014
() Voir la brochure de Rosa Luxemburg : La Révolution russe.
() Voir le lien http ://www.crif.org/fr/alireavoiraecouter/rosa-luxemburg-non-aux-fronti%C3%A8res-par-anne-blanchard/52393 [478]
() Voir notre brochure sur Mai 68.
“Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de “consoler” les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. C’est sur cette façon d’“accommoder” le marxisme que se rejoignent aujourd’hui la bourgeoisie et les opportunistes du mouvement ouvrier” (Lénine, L’État et la révolution, 1917) ().
Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg est assassinée, avec son camarade de combat Karl Liebknecht, par des corps francs. Cette soldatesque est alors aux ordres du ministre Noske, membre du SPD (la social-démocratie allemande) qui déclare “s’il faut un chien sanglant, je serai celui-là” ! Ce sont les socialistes au pouvoir, à la tête de l’Etat démocratique, qui ont orchestré la répression sanglante de l’insurrection ouvrière à Berlin et assassiné l’une des plus grandes figures du mouvement ouvrier international.
Ce meurtre odieux avait été préparé de longue date par une série de calomnies contre Rosa Luxemburg. “Rosa la rouge”, “Rosa la pétroleuse”, “Rosa la sanguinaire”, “Rosa, l’agent du tsarisme”… de son vivant, aucune attaque mensongère contre sa personne ne lui a été épargnée, pour culminer dans les appels au pogrom de la fin 1918, début 1919, notamment lors de “semaine sanglante” à Berlin.
Mais à peine quelques mois après son assassinat, la bourgeoisie et les opportunistes du mouvement ouvrier ont commencé à en faire une icône inoffensive, afin de la canoniser, vider sa doctrine révolutionnaire de son contenu, l’avilir et en émousser le tranchant révolutionnaire. Rosa Luxemburg ne devait surtout pas rester la militante intransigeante et exemplaire qu’elle fut ; elle devait mourir une seconde fois, dénaturée en une sorte de démocrate pacifiste et féministe. Tel est le but réel, depuis des décennies, du travail de “mémoire” qui vise à “réhabiliter” (c’est-à-dire récupérer) cette grande combattante de la révolution.
Dans les années 1930, par exemple en France, tout un courant s’est développé autour de Lucien Laurat, courant qui a cédé toujours plus nettement aux sirènes de la démocratie pour signifier finalement que, dès les débuts de la “révolution bolchevique”, “le ver” Lénine était dans le “fruit” du projet révolutionnaire. Cette idéologie fera logiquement l’apologie de l’armée républicaine dans la guerre d’Espagne de 1936-39, saluera les hauts faits de l’embrigadement des ouvriers dans la deuxième boucherie mondiale sous couvert de lutte contre le fascisme. Elle saura soutenir le POUM en Espagne et les trotskistes dans leur “héroïsme” national de résistants ! Cette propagande démocratique nauséabonde fut portée à son paroxysme plus particulièrement après la Seconde Guerre mondiale par des gens tels que René Lefeuvre, fondateur des éditions Spartacus. Celui-ci, dans un recueil de textes de Rosa Luxemburg () à la préface purement idéologique et au titre-montage préfabriqué, Marxisme contre dictature (titre qui n’a jamais été utilisé par Rosa Luxemburg !) présentait en 1946 cette combattante de la révolution comme radicalement hostile au bolchevisme, ce qui n’est rien d’autre qu’un grossier mensonge. Dans l’introduction du recueil, il écrivait même ceci : “tous les grands théoriciens marxistes de renom international : Kart Kautsky, Émile Vandervelde, Rodolphe Hilferding, Karl Renner, Georges Plekhanov – et nous en passons – dénonçaient tout autant que Rosa Luxemburg la doctrine totalitaire de Lénine comme absolument contraire aux principes du marxisme.”
Staline momifia Lénine et dénatura sa pensée en un dogme terrifiant. Rosa Luxemburg, la “sanguinaire”, devient ici une sorte de sainte apôtre de la démocratie ! La contre-révolution stalinienne allait rapidement générer par ses miasmes ces deux nouvelles idéologies putrides et complémentaires : l’appât “luxemburgisme” d’un côté et le repoussoir “marxisme-léninisme” de l’autre. Il s’agit en réalité des deux faces de la même médaille, où plutôt les deux mâchoires d’un même piège : rejeter les bolcheviks “aux couteaux entre les dents” et glorifier la figure offerte de Rosa “pacifiste” comme on admire ces lions “sauvages” hollywoodiens, mutilés, sans crocs ni griffes.
En 1974, dans l’Allemagne du camp démocratique (la RFA), des timbres poste ont même été imprimés à l’effigie de Rosa Luxemburg !
Après l’effondrement du bloc de l’Est et la disparition de l’URSS, cette vaste campagne idéologique a été exhumée et s’est amplifiée pour alimenter la prétendue “mort du communisme”, décrétée avec zèle au moment de la chute du mur de Berlin. L’idéologie officielle poursuit ici le plus grand mensonge de l’Histoire assimilant frauduleusement le communisme au stalinisme. Il s’agit là d’une arme idéologique particulièrement efficace aux mains de la classe dominante. Car si depuis 1990 le prolétariat a tant de difficultés à se reconnaître comme force sociale, à développer sa conscience et son organisation, c’est justement parce qu’il est coupé de son passé, qu’il a perdu son identité, qu’il ne sait plus d’où il vient, qui il est et où il peut aller. Si le communisme c’est le stalinisme, cette horreur qui a fait finalement faillite, pourquoi en effet se battre ? Pourquoi étudier l’histoire du mouvement ouvrier alors que celui-ci aurait mené à la catastrophe stalinienne ? C’est cette logique et ce poison que la bourgeoisie fait rentrer dans les crânes ! Et la présentation de Rosa comme “pacifiste, républicaine et ennemie de Lénine”, ce pro-“dictateur du prolétariat”, ce “père spirituel de Staline”, est l’un des chapitres noirs de cette ignoble propagande. Ceux qui participent à celle-ci, de manière consciente ou non, luttent contre la classe ouvrière !
Aujourd’hui les blogs, les forums (comme par exemple Libcom en Grande-Bretagne où des propos visqueux ont été tenus concernant Rosa Luxemburg), dans les librairies et les kiosques, un peu partout en Europe et dans le monde, une nouvelle campagne nauséabonde refait surface pour de nouveau dénaturer l’image de la militante Rosa Luxemburg. C’est ainsi que, dans des émissions de télévision, Rosa Luxemburg est encore apparue récemment sous les seuls traits d’une “femme” et d’une “pacifiste”. Le très reconnu et estimé journal Le Monde a publié un article en septembre 2013, réalisé par un certain Jean-Marc Daniel, professeur de l’ESCP Europe, au titre très évocateur : “Rosa Luxemburg, marxiste pacifiste”. Cette association des mots “marxiste” et “pacifiste” peut laisser pantois : le “vrai marxiste” est pour la classe dominante celui qui abdique devant la guerre de classe, qui renonce à l’insurrection et au renversement du capitalisme !
De nombreux livres sont publiés actuellement, jusque dans la littérature pour enfants, où Rosa Luxemburg est de nouveau présentée comme l’adversaire acharnée des bolcheviks et du “dictateur” Lénine (voir notre article ci-dessous). Des conférences et des débats sont également organisés un peu partout, comme ce fut le cas à Paris dernièrement sous la houlette des historiens démocrates “luxemburgistes” du groupe “Critique sociale” (voir notre article p. 5). Même avec les arts, le prix MAIF 2014 de la sculpture a récompensé Nicolas Milhé pour son projet “Rosa Luxemburg” ! Une véritable ovation pour Rosa… à condition de l’opposer à ses camarades de combat, aux bolcheviks, à la Révolution russe et à la révolution tout court. La récupération de Rosa Luxemburg pour en faire une “icône inoffensive” est une vaste entreprise d’intoxication idéologique. Elle vise à inoculer l’idée que le prolétariat doit se battre pour… construire non pas la société communiste mondiale mais une société “plus démocratique” en s’inspirant de l’œuvre méconnue de Rosa Luxemburg présentée de façon mensongère comme une ennemie des bolcheviks. Après l’odieuse propagande du Livre noir du communisme, c’est désormais en partie ce discours qui est enseigné très sérieusement et officiellement dans les programmes scolaires ().
Aujourd’hui, l’enjeu pour la bourgeoisie est bien de convaincre les éléments les plus critiques et les récalcitrants qu’il n’existe pas d’autre avenir que la défense de la démocratie bourgeoise. Mais derrière cette dénaturation, il y aussi dans la campagne de récupération de Rosa Luxemburg par les “démocrates” de tous bords, un autre objectif poursuivi – et inavoué ! – : celui de discréditer – en les “diabolisant” une fois de plus – les réelles positions des organisations révolutionnaires.
Olga, 7 novembre 2014
() Ce passage magistral de Lénine est aussi valable pour le sort qu’a réservé la bourgeoisie à Jean Jaurès. Lire notre article page 8.
() “Problèmes de l’organisation socialiste” (1904), “Masses et chefs” (ou “Espoirs déçus” - 1903),”Liberté de la critique et de la science” (1899).
() Voir sur notre site Internet l’article “La falsification de l’histoire dans les programmes scolaires [480]”.
Cabu, Charb, Tignous, Wolinski, ces quatre noms parmi la vingtaine de morts inscrits au bilan des tueries de Paris des 7 et 9 janvier sont un symbole. Ce sont eux qui étaient visés en priorité. Et pour quelle raison ? Parce qu'ils représentaient l'intelligence contre la bêtise, la raison contre le fanatisme, la révolte contre la soumission, le courage contre la lâcheté1, la sympathie contre la haine, et cette qualité spécifiquement humaine : l'humour et le rire contre le conformisme et la grisaille bien-pensante. On pouvait rejeter et combattre certains de leurs positionnements politiques (dont certains étaient parfaitement bourgeois).2 Mais ce qui était frappé, c'est justement ce qu'ils avaient de meilleur. Ce déchaînement barbare de violence contre de simples dessinateurs ou d'inoffensifs clients d'un supermarché cacher, abattus tout simplement parce qu'ils étaient juifs, a provoqué une émotion considérable, non seulement en France mais dans le monde entier, et c'est normal. L'utilisation que font aujourd'hui de cette émotion tous les représentants patentés de la démocratie bourgeoise ne doit pas occulter le fait que l'indignation, la colère et la profonde tristesse qui ont saisi des millions d'hommes et de femmes, et qui les a fait descendre spontanément dans la rue le 7 janvier, était une réaction saine et élémentaire contre cet acte ignoble de barbarie.
Le terrorisme ne date pas d'hier.3 La nouveauté, c'est la forme qu'il a prise et le fait qu'il s'est fortement développé à partir du milieu des années 1980 pour devenir un phénomène planétaire sans précédent. La série d'attentats aveugles qui a frappé Paris en 1985-86, et qui, de façon claire, n'était pas le simple fait de petits groupes isolés mais portait la signature d'un État, inaugurait une période nouvelle dans l'utilisation du terrorisme qui, depuis, a pris une extension inconnue dans l'histoire faisant un nombre croissant de victimes.
Les attentats terroristes perpétrés par des fanatiques islamistes ne sont pas chose nouvelle non plus. L'histoire de ce début de siècle en est régulièrement le témoin, et avec une ampleur bien plus grande que celle des attentats de Paris début janvier 2015.
Les avions-kamikazes contre les Twin Towers de New York le 11 septembre 2001 ont ouvert une nouvelle époque. Pour nous il est clair que les services secrets américains ont laissé faire et même favorisé ces attentats qui ont permis à la puissance impérialiste américaine de justifier et déchaîner la guerre en Afghanistan et en Irak tout comme l'attaque japonaise contre la base navale de Pearl Harbor en décembre 1941, prévue et voulu par Roosevelt, avait servi de prétexte pour l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.4 Mais il est clair aussi que ceux qui avaient pris les commandes des avions étaient des fanatiques complètement délirants qui pensaient gagner le paradis en tuant massivement et en faisant le sacrifice de leur vie.
Moins de trois ans après New York, le 11 mars 2004, Madrid a été le théâtre d'un massacre effroyable : des bombes "islamistes" ont provoqué 200 morts et plus de 1500 blessés dans la gare d'Atocha ; des corps humains étaient tellement déchiquetés qu'ils n'ont pu être identifiés que par leur ADN. L'année suivante, le 7 juillet 2005, c'est Londres qui est frappée : quatre explosions également dans les transports publics ont fait 56 morts et 700 blessés. La Russie également a connu plusieurs attentats islamistes au cours des années 2000, dont celui du 29 mars 2010 qui a fait 39 morts et 102 blessés. Et bien entendu, les pays périphériques n'ont pas été épargnés à l'image de l'Irak depuis l'intervention américaine en 2003 et comme on a pu le voir encore tout dernièrement au Pakistan, à Peshawar, où en décembre dernier 141 personnes, dont 132 enfants, ont péri dans une école.
Ce dernier attentat, où ce sont spécifiquement des enfants qui sont la cible, illustre, dans toute son horreur, la barbarie croissante de ces adeptes du "Djihad". Mais l'attentat de Paris du 7 janvier, bien que beaucoup moins meurtrier et atroce que celui du Pakistan, exprime une dimension nouvelle dans la barbarie.
Dans tous les cas précédents, aussi révoltant que soit le massacre de populations civiles, et notamment d'enfants, il y avait une certaine "rationalité" : il s'agissait d'exercer des représailles ou de tenter de faire pression sur des États et leurs forces armées. Le massacre de Madrid de 2004 était censé "punir" l'Espagne pour son engagement en Irak à côté des États-Unis. De même pour les attentats de Londres en 2005. Dans l'attentat de Peshawar, il s'agissait de faire pression sur les militaires pakistanais en massacrant leurs enfants. Mais dans le cas de l'attentat de Paris du 7 janvier, il n'y a pas le moindre "objectif militaire", même illusoire, de cet ordre. On a assassiné les dessinateurs de Charlie Hebdo et leurs collègues pour "venger le prophète" dont ce journal avait publié des caricatures. Et cela, non pas dans un pays ravagé par la guerre ou soumis à l'obscurantisme religieux, mais dans la France "démocratique, laïque et républicaine".
La haine et le nihilisme sont toujours un moteur essentiel dans l'action des terroristes, et particulièrement de ceux qui font délibérément le sacrifice de leur vie pour tuer le plus massivement possible. Mais cette haine qui transforme des êtres humains en machines à tuer froidement, sans la moindre considération pour les innocents qu'ils assassinent, a pour cible principale ces autres "machines à tuer" que sont les États. Rien de ça le 7 janvier à Paris : la haine obscurantiste et le désir fanatique de vengeance sont ici à l'état pur. Sa cible est l'autre, celui qui ne pense pas comme moi, et surtout celui qui pense parce que moi j'ai décidé de ne plus penser, c'est-à-dire d'exercer cette faculté propre à l'espèce humaine.
C'est pour cette raison que la tuerie du 7 janvier a provoqué un tel impact. D'une certaine façon, on est confronté à l'impensable : comment des cerveaux humains, pourtant éduqués dans un pays "civilisé", ont-ils pu formuler un tel projet barbare et absurde qui ressemble à celui des nazis les plus fanatiques brûlant les livres et exterminant les juifs ?
Et le pire n'est pas encore là. Le pire, c'est que l'acte extrême des frères Kouachi, d'Amedy Coulibaly et de leurs éventuels complices n'est que la pointe émergée d'un iceberg, de toute une mouvance qui prospère de plus en plus dans les banlieues pauvres, une mouvance qui s'est exprimée lorsqu'un certain nombre de jeunes ont exprimé l'idée que "Charlie Hebdo l'avait bien cherché en insultant le prophète", et que l'assassinat des dessinateurs était quelque chose de "normal".
C'est là aussi une manifestation de l'avancée de la barbarie, de la décomposition au sein de nos sociétés "civilisées". Cette plongée d'une partie de la jeunesse, et pas seulement celle issue de l'immigration, dans la haine et l'obscurantisme religieux est un symptôme, parmi beaucoup d'autres mais particulièrement significatif de la crise extrême, du pourrissement de la société capitaliste.
Aujourd'hui, un peu partout (en Europe aussi et particulièrement en France), de nombreux jeunes sans avenir, au parcours chaotique, humiliés par des échecs successifs, par la misère culturelle et sociale, deviennent les proies faciles des recruteurs sans scrupules (souvent liés à des États ou expressions politiques comme Daesh) qui drainent dans leurs réseaux ces paumés aux conversions aussi inattendues que soudaines, les transformant en des tueurs à gages potentiels ou en chair à canon pour le "djihad". Avec l'absence de perspective propre à la crise actuelle du capitalisme, une crise économique mais aussi sociale, morale et culturelle, avec le pourrissement sur pied de la société qui sue la mort et la destruction par tous les pores, la vie de bon nombre de ces jeunes est devenue à leurs propres yeux sans objet et sans valeur. Elle prend souvent et très rapidement la coloration religieuse d'une soumission aveugle et fanatisée qui inspire toutes sortes de comportements irrationnels et extrêmes, barbares, alimentés par un nihilisme suicidaire puissant. L'horreur de la société capitaliste en décomposition, qui a fabriqué ailleurs des enfants soldats en masse (par exemples en Ouganda, au Congo ou au Tchad particulièrement depuis le début des années 1990), génère maintenant au cœur même de l'Europe de jeunes psychopathes, tueurs professionnels au sang-froid, totalement désensibilisés et capable du pire sans même attendre une rétribution pour cela. Bref, cette société capitaliste en putréfaction, laissée à sa propre dynamique morbide et barbare, ne peut qu'entraîner progressivement toute l'humanité vers le chaos sanglant, la folie meurtrière et la mort. Comme le montre le terrorisme, elle ne cesse de fabriquer toujours plus nombreux des individus totalement désespérés, broyés et capables des pires atrocités ; fondamentalement ces terroristes, elle les façonne à son image. Si de tels "monstres" existent c'est parce que la société capitaliste est devenue "monstrueuse". Et si tous les jeunes qui sont affectés par cette dérive obscurantiste et nihiliste ne s'enrôlent pas dans le "Djihad", le fait que beaucoup d'entre eux considèrent comme des "héros" ou des "justiciers" ceux qui ont franchi ce pas constitue bien une preuve du caractère de plus en plus massif du désespoir et de la barbarie qui envahit la société.
Mais la barbarie du monde capitaliste actuel ne s'exprime pas seulement dans ces actes terroristes et la sympathie qu'ils rencontrent dans une partie de la jeunesse. Elle s'exprime aussi dans l'ignoble récupération que la bourgeoise est en train de faire de ces drames.
Au moment où nous écrivons cet article, le monde capitaliste, avec à sa tête les principaux dirigeants "démocratiques", s'apprête à accomplir une des opérations les plus sordides dont il a le secret. A Paris, le dimanche 11 janvier, se sont donné rendez-vous pour une immense manifestation de rue, autour du Président Hollande et de tous les dirigeants politiques du pays, toutes couleurs confondues, Angela Merkel, David Camerone, les chefs de gouvernement d'Espagne, d'Italie et de bien d'autres pays d'Europe, mais aussi le Roi de Jordanie, Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, et Benyamin Netanyahou, Premier ministre d'Israël.5
Alors que des centaines de milliers de personnes descendaient spontanément dans la rue, le soir du 7 janvier, les politiciens, à commencer par François Hollande, et les médias français ont commencé leur campagne : "c'est la liberté de la presse et la démocratie qui sont visées", "il faut se mobiliser et s'unir pour défendre ces valeurs de notre république". De plus en plus, dans les rassemblements qui ont suivi ceux du 7 janvier, on a pu entendre l’hymne national français, la "Marseillaise", dont le refrain dit : "Qu'un sang impur abreuve nos sillons !". "Unité nationale", "défense de la démocratie", voilà les messages que la classe dominante veut faire entrer dans les têtes, c'est-à-dire les mots d'ordre qui ont justifié l'embrigadement et le massacre de dizaines de millions de prolétaires dans les deux guerres mondiales du XXe siècle. Hollande l'a d'ailleurs bien dit dans son premier discours : en envoyant l'armée en Afrique, notamment au Mali, la France a déjà engagé le combat contre le terrorisme (tout comme Bush avait expliqué que l'intervention militaire américaine en 2003 en Irak avait le même objectif). Les intérêts impérialistes de la bourgeoisie française n'ont évidemment rien à voir avec ces interventions !
Pauvres Cabu, Charb, Tignous, Wolinski ! Des fanatiques islamistes les ont tués une première fois. Il fallait qu'ils soient tués une deuxième fois par tous ces représentants et "fan" de la "démocratie" bourgeoise, tous ces chefs d'État et de gouvernement d'un système mondial pourrissant qui est le principal responsable de la barbarie qui envahit la société humaine : le capitalisme. Des dirigeants politiques qui n'hésitent pas à employer eux-aussi la terreur, les assassinats, les représailles contre des populations civiles quand il s'agit de défendre les intérêts de ce système et de sa classe dominante, la bourgeoisie.
La fin de la barbarie dont les tueries de Paris de janvier 2015 sont l'expression, ne pourra certainement pas venir de l'action de ceux qui sont les principaux défenseurs et garants du système économique qui engendre cette barbarie. Elle ne pourra résulter que du renversement de ce système par le prolétariat mondial, c'est-à-dire par la classe qui produit de façon associée l'essentiel des richesses de la société, et de son remplacement par une véritable communauté humaine universelle non plus basée sur le profit, la concurrence et l'exploitation de l'homme par l'homme mais basée sur l'abolition de ces vestiges de la préhistoire humaine. Une société basée sur "une association où le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous"6, la société communiste.
RI (11/01/2014)
Dessin de Wolinski de l’année 1968. Les ouvriers appellent à la révolution, le responsable syndical répond : "Vous êtes fous !
1 Depuis des années déjà, ces dessinateurs recevaient régulièrement des menaces de mort.
2 Wolinski le soixante-huitard n'avait-il pas ensuite collaboré à « l'Huma » pendant plusieurs années ? Lui-même avait d'ailleurs écrit : "Nous avons fait mai 68 pour ne pas devenir ce que nous sommes devenus"
3 Au XIXe siècle, de petites minorités révoltées contre l’État y avaient recours, comme les populistes en Russie et comme certains anarchistes en France ou en Espagne. Ces actions violentes stériles ont toujours été utilisées par la bourgeoise contre le mouvement ouvrier pour justifier la répression et des "lois scélérates".
4 Lire notre article sur notre site : Pearl Harbor 1941, les 'Twin Towers' 2001 : le machiavélisme de la bourgeoisie. (https://fr.internationalism.org/french/rint/108_machiavel.htm [483]).
5 L’appel à ce rassemblement "d’Union nationale" est unanime de la part des syndicats et des partis politiques (seul le Front national n’en sera pas) mais aussi de la part des médias. Même le journal sportif L’Équipe appelle à manifester !
6 Marx, Le Manifeste communiste, 1848
La bourgeoisie a coutume de nous présenter sous les jours les plus favorables la situation du capitalisme mondial en s’appuyant sur les résultats économiques de l’Asie du Sud-Est, qui sont effectivement positifs et semblent témoigner de la bonne santé économique de cette région. Il en découle évidemment d’après la propagande de la classe dominante que, si l’économie des vieilles puissances capitalistes bat quelque peu de l’aile, le capitalisme comme un tout a encore un futur : il est en Asie. La dernière démonstration de cette affirmation est l’annonce que la production de la Chine dépasse désormais en valeur celle des États-Unis 1.
L’autre message que la bourgeoisie veut faire passer aux exploités des vieilles économies développées, c’est que les apparents succès des économies du Sud-Est asiatique sont avant tout dus au fait que la classe ouvrière de ces pays accepte de travailler plus. Le message est clair : tant que les prolétaires d’Europe ou des États-Unis défendront aussi égoïstement leurs “intérêts personnels” face à la collectivité, l’économie de leurs pays stagnera ou régressera. La bourgeoisie essaie de nous faire croire que les conditions d’exploitation infernales qui règnent en Asie du Sud-est sont acceptées, voire souhaitées par les prolétaires d’Asie, et même qu’elles sont indispensables à la prospérité commune !
En réalité, l’Asie du Sud-Est n’est aucunement épargnée par la crise historique du capitalisme, elle en est même une expression. Les taux de croissance de l’économie chinoise correspondent en effet à un véritable cancer économique, le développement d’une tumeur qui ne fait que pomper l’énergie vitale du corps social comme un tout pour exister. Sans la crise de surproduction et l’absolue nécessité dans laquelle se trouve la bourgeoisie de rétablir des marges de profit en trouvant une main-d’œuvre particulièrement bon marché et acceptant des conditions de travail infernales, il n’y aurait jamais eu de développement de l’économie chinoise, laquelle ne constitue en aucune façon une expansion du marché mondial ou une porte de sortie de la crise historique du capitalisme. L’économie chinoise s’est contentée de siphonner les productions industrielles de nombreux pays développés pour les poursuivre en rétablissant un taux de profit acceptable, du fait d’une moindre mécanisation et de l’emploi massif d’une main-d’œuvre sous-payée. Ce qui nous rappelle au passage que ce n’est pas sur les machines que le capital fait du profit, mais à travers l’exploitation de la force de travail.
De plus, un certain nombre d’économistes se posent non seulement des questions sur la réalité d’une croissance chinoise essentiellement tirée par des investissements d’État dans le bâtiment et un endettement massif, mais aussi sur la réalité des chiffres avancés par le National Bureau of Statistics of China (le bureau national de statistiques chinois). Des économistes bourgeois aussi reconnus qu’Olivier Delamarche ou Patrick Artus mettent ouvertement en doute dans la presse spécialisée les chiffres de la croissance du PIB chinois, qui ne sont aucunement corroborés par une croissance équivalente de la consommation d’énergie et de matières premières, ou de la demande intérieure qui stagne. En d’autres termes : non seulement l’économie chinoise est dopée par des investissements à perte et une production en partie sans perspectives immédiates de vente, mais les chiffres mêmes de production fournis par l’État chinois sont falsifiés ! De fait, il semble que si l’économie chinoise tousse, le thermomètre n’indiquerait que la moitié de la fièvre réelle !
Le chômage de masse est l’une des marques les plus spectaculaires et révélatrices de la décadence du système capitaliste à l’échelle mondiale. Or, ce fléau endémique frappe aussi la plupart des pays asiatiques, particulièrement chez les jeunes. D’après le Forum économique mondial, il y aurait 357,7 millions de jeunes travailleurs au chômage dans le monde et 62 % se trouveraient en Asie du Sud et de l’Est 2.
En Inde, 10 millions de jeunes par an arrivent sur le marché du travail, 1 million rien qu’en Indonésie. Le chômage des jeunes entre 15 et 24 ans est estimé à 20 % en Indonésie, 9,4 % en Inde, 10,1 % au Myanmar et 13,6 % aux Philippines. Et ces chiffres, de l’aveu même d’économistes bourgeois, sous-estiment totalement la réalité du phénomène puisqu’ils ne prennent pas en compte les jeunes sous-employés dans les pays à bas revenus. La Chine, notamment, a bien un taux de chômage officiel particulièrement bas (4,1 %, chiffre stable depuis plusieurs années), mais il ne prend aucunement en compte les jeunes ruraux dans un pays où l’émigration intérieure vers l’exploitation forcenée des usines de la côte est la seule option permettant d’échapper quelque peu à une misère encore plus noire. Le caractère désespéré de cette émigration massive des jeunes ruraux vers les bagnes industriels de Shanghai, de Shenzhen ou de Pékin, montre assez que les chiffres officiels ne rendent pas compte de la réalité d’une misère terrible et d’un sous-emploi massif.
Au total, ce sont officiellement 14,2 % des jeunes qui sont au chômage en Asie du Sud et de l’Est, chiffre au-dessus de celui qui est retenu pour l’ensemble du globe qui n’est “que” de 13,1 %. Pour une région qui se porterait économiquement mieux que le reste du monde, il est quand même curieux que le chômage des jeunes y soit plus élevé qu’ailleurs !
Tandis que la bourgeoisie constate que des efforts ont été faits dans ces pays pour élever le niveau de qualification de la jeunesse, elle est parfaitement consciente du potentiel de frustration qui existe chez ces jeunes, encouragés à faire des études et de ce fait appâtés par des salaires potentiellement plus élevés, et constatant à la fin de leurs études qu’il n’y a tout simplement pas assez de travail pour eux. En Chine, si les besoins de main-d’œuvre non-qualifiée sont toujours importants, l’intégration des jeunes devient de plus en plus problématique car, au lieu de rester quelques années à travailler en usine en acceptant des conditions de travail à nulle autre comparable en termes de précarité et de brutalité pour retourner ensuite dans leur région rurale d’origine, totalement épuisés, la jeune génération paysanne commence à massivement envisager de s’installer en ville et de garder son travail dans l’industrie, mais les conditions de travail “à la chinoise” sont évidemment dans ce contexte insupportables. En Chine, la jeune génération demande des métiers plus qualifiés, mieux payés, avec plus de droits et de protection sociale, ce que bien évidemment le patronat peine un peu à accorder. Les derniers conflits du travail sont considérés par les observateurs de la réalité chinoise comme d’une qualité différente de ceux que l’on avait vus se développer auparavant : la jeune génération chinoise refuse de plus en plus les conditions de travail imposées à leurs aînés. Or les fondements du succès de “l’atelier du monde” se trouvaient justement dans cette exploitation forcenée de cette main d’œuvre à bas coût.
La bourgeoisie est particulièrement consciente de la contradiction qui existe dans le fait d’instruire des millions de jeunes, de les former de mieux en mieux pour répondre à l’élévation croissante du niveau technique requis pour intégrer le marché du travail, et en même temps de ne pas pouvoir leur proposer de travail au niveau de leurs qualifications, alors même que ces jeunes ont souvent sacrifié des années de leur vie dans la perspective d’un travail plus qualifié, mieux rémunéré, leur offrant des perspectives d’avenir plus intéressantes que celles qu’ont pu avoir leurs parents, espéraient-ils. La bourgeoisie, par l’intermédiaire du coordinateur de l’emploi des jeunes pour l’Asie au sein de l’Organisation internationale du travail, le reconnaît sans ambages : “beaucoup de jeunes en Asie font face au même problème : survivre. Lorsque dans de nombreux pays il n’existe pas la protection d’une sécurité sociale, ils ne peuvent rien faire d’autre que survivre. Cela perpétue un cycle de travail informel et de pauvreté. La grande majorité des travailleurs en Asie se trouve dans le secteur informel”. Nous sommes ici bien loin du futur radieux que nous vante la bourgeoisie en nous parlant de la “croissance” en Asie…
Si l’on écoute la bourgeoisie, les jeunes travailleurs qui ont la “chance” d’avoir un travail et sortiraient donc de la situation de misère à laquelle leurs parents ont été condamnés, accepteraient les conditions de travail et de salaires en vigueur dans les “ateliers du monde asiatique”, que ce soit en Chine, en Indonésie, en Inde ou au Bangladesh. Ils le feraient parce que ce serait une façon d’assurer leur propre futur. Ces assertions sont absolument démenties par les faits : non seulement les conditions d’exploitation terribles qui existent dans ces pays sont contestées par la classe ouvrière sur place, mais les ouvriers d’Asie acceptent de plus en plus mal d’être sous-payés, voire pas payés du tout par des patrons qui sont souvent des escrocs et dans une société marquée par la hausse continue des prix des produits de première nécessité, du logement et des transports.
La concentration d’usines et d’ouvriers dans des villes géantes pose évidemment la possibilité pour les ouvriers de constater l’unification de leurs conditions de vie et de travail, la possibilité de résister à l’exploitation féroce dont ils sont victimes. Il y a eu ces derniers temps des mouvements de grèves géants en Chine, comme en avril dernier où 40 000 ouvriers de l’usine de chaussures de sport Yue Yuen à Dongguan ont fait grève pendant 12 jours pour obtenir le paiement par le patron de la totalité des cotisations sociales, mais aussi des retraites et des arriérés de salaire. En réaction, l’État chinois, comme dans le cas de l’entreprise Yue Yuen, souffle le froid et le chaud, en lançant ses chiens de garde policiers contre les “meneurs” tout en poussant la direction de l’entreprise à accepter certaines revendications des grévistes : privée de syndicats et autres “amortisseurs sociaux”, la Chine ne peut se permettre d’affronter trop directement la colère ouvrière et en même temps, ces concessions aux luttes ouvrières peuvent pousser les investisseurs étrangers à déménager de Chine pour d’autres cieux. Dans le cas de l’usine Yue Yuen, la firme Adidas, cliente de l’usine, a d’ores et déjà annoncé ne plus vouloir travailler avec elle.
D’après Reuters, le nombre de grèves en Chine avait pour les premiers mois de l’année 2014 augmenté d’un tiers sur un an. Début décembre, ce sont les instituteurs de la région de Harbin qui se sont mis en grève pour des augmentations de salaires 3 et le paiement de leurs cotisations retraites par l’État. L’importance de la question des cotisations-retraites doit être soulignée : c’est leur avenir que les prolétaires chinois défendent à travers cette revendication.
Mais les prolétaires chinois ne sont pas les seuls à lutter : une grève des employés de banque pour leurs salaires a touché le Bangladesh en mars 2014. Une autre grève dans le secteur bancaire menace en Inde, toujours pour une question de salaires ; un million d’ouvriers ont cessé le travail et manifesté dans toute l’Indonésie pour obtenir de meilleurs salaires. Tous ces mouvements montrent à l’évidence qu’en Asie, malgré ce que la bourgeoisie nous dit, les ouvriers ne sont pas plus résignés à se laisser surexploiter qu’ailleurs.
La classe ouvrière d’Asie, qui a jusqu’ici connu une expansion numérique représentant une manière d’échapper à la misère noire de la paysannerie pauvre, va devoir gagner en expérience, en maturité. Elle va elle aussi, après une expansion rapide, connaître encore davantage de chômage : la surproduction mondiale ne peut être stoppée et surtout pas par une demande aussi faible que celle des pays émergents d’Asie. Les grèves qui se sont déroulées en Asie en 2014 nous montrent à la fois le potentiel de combativité d’une classe ouvrière qui vit dans des dictatures plus ou moins féroces, mais aussi tout le chemin que ces ouvriers tout neufs ont à faire politiquement pour comprendre les pièges que leur tend la bourgeoisie : la revendication d’un “syndicalisme libre”, que l’on retrouve derrière tous les mouvements de grève en Asie, est l’expression d’une illusion très profonde non seulement sur la possibilité d’un syndicalisme qui défende réellement les intérêts des exploités, mais aussi sur la possibilité d’un État démocratique “juste”, sans corruption, sans répression policière brutale, d’une démocratie qui prendrait à cœur les revendications ouvrières et permettrait de les satisfaire dans le sens d’une plus grande justice sociale.
C’est pourquoi sera toujours fondamental l’apport du prolétariat des grands pays développés – et il faut bien souligner ce que nous appelons prolétariat, c’est-à-dire l’ensemble des salariés qui ne touchent que le prix de leur force de travail pour salaire, qu’ils soient du secteur privé ou du secteur public, de l’industrie ou du secteur des services comme les employés des hôpitaux, des banques, de l’énergie ou de l’éducation – qui a une expérience de deux siècles de luttes, l’expérience des pièges idéologiques et des manœuvres les plus sophistiqués et machiavéliques du syndicalisme “libre” et de l’État démocratique bourgeois. Cette expérience manque cruellement dans la majeure partie des pays d’Asie où ne sont tolérés que des syndicats ouvertement inféodés à l’État, lequel ne tolère pas les élections “pluralistes”. Il faut souligner que l’émergence de cette classe ouvrière asiatique plus éduquée, combative et qui s’ouvre sur le monde du fait de la mondialisation des échanges est une excellente chose pour le combat de la classe ouvrière mondiale, mais en même temps que l’expérience et la conscience de la classe ouvrière des vieux pays développés sera fondamentale dans le développement du combat de classe vers le communisme. Pour l’instant, d’ailleurs, dans pratiquement tous les pays asiatiques émergents, la classe ouvrière reste minoritaire dans la population totale. Ce n’est pas le cas dans les vieux pays développés.
Le fléau du chômage de masse qui commence à poindre le bout de son nez inquiète beaucoup la bourgeoisie qui voit en Asie aussi toute perspective d’un futur capitaliste radieux s’estomper ; en Asie comme ailleurs, le capitalisme n’a que la misère, le chômage ou la surexploitation à proposer. Plus le temps passera, et plus les prolétaires d’Asie se rapprocheront de leurs frères de classe des vieux pays développés dans un combat commun pour renverser le vieux monde capitaliste.
TH, décembre 2014
1 Libération du 8 décembre 2014
2 Tous les chiffres sur cette question du chômage en Asie sont tirés du China Daily Asia Weekly du 24 au 30 octobre 2014.
3 La radio nationale chinoise a rapporté qu’un instituteur comptant 25 ans d’ancienneté gagnait l’équivalent de moins de 400 $ par mois.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par World Revolution, organe de presse du cci en Grande-Bretagne.
Un “grand débat” sur l’immigration agite la planète. Il consiste la plupart du temps en arguments sur la façon de la limiter. L’immigration est présentée comme néfaste pour les économies vulnérables, érodant la culture des pays et aggravant nos conditions de vies. Contre ces arguments, il y a ceux qui affirment que l’économie tire toujours un bénéfice net des nouveaux arrivants, que la diversité culturelle est enrichissante et que les pays les plus attractifs ont la responsabilité d’accueillir ceux qui fuient la persécution, la pauvreté et la guerre.
Chaque jour la presse s’étale sur ce thème. Aux États-Unis, le président Obama propose de renforcer la sécurité aux frontières tout en présentant un projet de citoyenneté pour les immigrants sans papiers. Au Royaume-Uni, le Premier ministre Cameron expose les grandes lignes de nouvelles restrictions et des moyens de dissuader les émigrants potentiels. Le gouvernement australien, dans les pas de ses prédécesseurs travaillistes, a adopté des mesures de protection de ses frontières aussi sévères que coûteuses et inhumaines. En Suisse, un référendum a rejeté des mesures proposées pour réduire drastiquement l’immigration ; les opposants à ces restrictions argumentant que cela serait mauvais pour... l’économie. En Méditerranée, il y a régulièrement des annonces de sauvetages et de naufrages de réfugiés et d’émigrants sur des bateaux en route pour l’Italie et la Grèce. Amnesty International a critiqué la réponse “pitoyable” des pays les plus riches à l’accueil de millions de réfugiés fuyant les conflits en Syrie.
D’odieuses campagnes idéologiques de la bourgeoisie sont dominées par l’idée d’une menace étrangère et de la nécessité de renforcer les frontières et de dissuader les envahisseurs. En tant que forme de nationalisme, elles mettent en avant l’idée d’un patrimoine national qui risque de s’appauvrir, de subir des influences étrangères et un affaiblissement culturel. Depuis Aube Dorée, ouvertement nazie, en Grèce, jusqu’à la montée du Parti de l’Indépendance du Royaume-Uni en Grande Bretagne, et à la résurgence du Front National en France, il y a toute une série de partis populistes de droite qui expriment des idées racistes, xénophobes d’une manière qui n’était jusqu’à récemment pas considérée comme “respectables”. En retour, les libéraux et la gauche y opposent hypocritement un arsenal juridique (interdits et droits limités pour ces partis, criminalisation de la discrimination raciale) et leur propre version du nationalisme.
Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse a été couvert internationalement et beaucoup de ceux qui soutenaient la séparation de l’Écosse le faisaient sur la base de l’autodétermination nationale. Au cours du siècle passé, cela s’est avéré n’être qu’une version de gauche du même poison nationaliste. Les bourgeoisies mondiales ont envié la bourgeoisie anglaise, capable d’organiser cette “confrontation démocratique” entre variétés différentes du même nationalisme.
En admettant qu’“une certaine xénophobie” avait marqué le “débat” sur l’immigration, le maire de Londres disait que “tous les êtres humains sont en proie à ce sentiment… cela fait partie de la nature humaine. Cela ne veut pas dire que les gens sont mauvais, ok ?”. S’il s’agit d’une remarque au pied levé, elle propage insidieusement le message que la classe dominante veut nous faire ingurgiter : avoir des préjugés est supposé être “naturel”. Le mensonge répugnant est précisément celui-ci : nous serions nés, naturellement, avec la méfiance à l’égard de tout ce qui est différent ou ne nous est pas familier.
En réalité, alors qu’il y a eu des périodes dans lesquelles l’immigration a été activement encouragée par l’État capitaliste 1 (et même aujourd’hui ceux qui ont “du talent” ou “travaillent dur” sont les bienvenus partout), la concurrence entre capitaux nationaux dans sa phase actuelle de décadence a poussé la classe capitaliste à intensifier les campagnes habituelles contre les étrangers. Quelques fois, cela prend la forme particulièrement hypocrite d’un “débat” sur l’immigration, quelques fois de racisme flagrant, et d’autres fois celle de la menace que représenteraient d’autres religions. Les arguments mis en avant pour valoriser les bénéfices de l’immigration sont eux aussi cyniquement basés sur la défense de l’économie nationale : les immigrants ne sont pas un fardeau, ils ont une valeur pour l’économie capitaliste.
Un autre aspect de la campagne de la bourgeoisie est le tour de passe-passe sur l’ethnicité. Tout en dénonçant le nationalisme de l’État capitaliste et ceux qui le soutiennent, certains encouragent les gens à se réfugier dans les groupes ethniques. Dans la pratique, beaucoup de recensements statistiques nationaux ont des questions qui portent sur les aspects ethniques.
L’antiracisme est un autre phénomène que la bourgeoisie utilise contre le développement de la conscience de classe. L’antiracisme demande constamment à l’État de freiner le racisme, de s’attaquer aux racistes et de faire respecter la justice. C’est ce qu’on voit aux États-Unis dans les protestations contre le meurtre d’une personne noire par des flics blancs. On en appelle toujours à la justice, oubliant ou voulant faire oublier par là que l’État est en réalité l’appareil de la classe dominante et qu’il n’y a que la classe ouvrière unie qui peut l’affronter et le détruire. Un exemple classique de la réalité de l’antiracisme d’État fut le gouvernement travailliste anglais à la fin des années 1960. Les gens qui connaissent cette période pensent à Enoch Powell 2 et à son discours sur des “fleuves de sang” en 1968, prophétisant un conflit ethnique. En réalité, le gouvernement travailliste était arrivé au pouvoir en 1964 avec un manifeste engagé qui disait que “le nombre d’immigrants qui entrent au Royaume Uni doit être limité” (et il a montré ce que ça voulait dire en 1968 avec des restrictions draconiennes à l’égard des Kenyans originaires d’Asie qui fuyaient les persécutions 3. Un autre engagement du manifeste de 1964 était de “légiférer contre la discrimination et la provocation raciale dans les lieux publics” qui a conduit à la Loi sur les relations entre les races en 1965 et à la formation d’un Bureau des relations entre les races (devenu par la suite la Commission pour l’égalité des races). L’État pouvait dire qu’il s’était engagé à traiter le racisme, alors qu’en même temps, il menait des politiques racistes contre différents groupes d’immigrants qui essayaient de s’installer au Royaume-Uni. L’État pouvait avoir le beurre et l’argent du beurre.
L’idée que la xénophobie serait quelque chose de naturel va à l’encontre de l’expérience réelle de l’humanité. Si on examine les dizaines de milliers d’années de la société de chasseurs-cueilleurs, avant le développement de l’agriculture et de la société de classe, il est clair que les rapports basés sur la solidarité mutuelle ont été à la base de la survie dans la communauté communiste primitive. De plus, l’humanité n’aurait pas dépassé le stade de la horde si les communautés particulières n’avaient pas développé des relations “exogamiques” avec d’autres groupes humains.
Mais alors qu’un instinct social est au cœur de ce qui fait de nous des humains, la fragmentation de l’humanité, l’aliénation, l’individualisme et le nationalisme alimentés par le système capitaliste ont mis en avant d’autres aspects de la personnalité humaine. Les marxistes ont montré à juste titre de quoi le capitalisme est responsable : un système d’exploitation qui a conduit aux guerres impérialistes et aux génocides. Mais, tout en voyant les révoltes, les rébellions et les révolutions contre la domination de la classe capitaliste, nous devons aussi reconnaître le poids du conformisme, de l’obéissance et de l’acceptation du capitalisme et de ses idéologies. Les campagnes de propagande sur l’immigration ont un impact ; les gens croient souvent qu’il y a une menace qui doit être affrontée, et “l’étranger” parmi nous est souvent le premier bouc-émissaire à qui l’on attribue la responsabilité de nos conditions misérables.
La classe ouvrière est souvent profondément divisée par ces préjugés et ces idéologies. Mais cela ne doit pas porter atteinte à sa nature historique unique. C’est une classe exploitée par le capitalisme et qui subit le poids de l’idéologie capitaliste. C’est aussi une classe révolutionnaire avec la capacité de renverser le capitalisme et de développer de nouveaux rapports de production basés sur la solidarité. La révolution de la classe ouvrière n’est pas seulement une révolte provoquée par les privations et la répression ; si elle doit réussir, elle doit avoir une conscience du monde que nous devons quitter et le projet du communisme. En tant que telle, la vision de la classe ouvrière n’est pas seulement une critique de la société, c’est aussi une vision morale, dans laquelle les besoins immédiats de parties de la classe sont subordonnés à un but historique. Le racisme bourgeois classique tout autant que l’antiracisme de la gauche bourgeoise crée des illusions et provoque des divisions au sein de la classe ouvrière. Pour que la classe ouvrière fasse une révolution, elle a besoin d’une unité qui vient d’une conscience de ses intérêts communs au niveau international. Contre le racisme, le nationalisme et la xénophobie, la classe ouvrière offre la perspective du communisme, une société basée sur l’association, pas sur le renforcement de la séparation.
Car, 6 décembre 2014
1 Pour un article de fond sur beaucoup d’aspects de la question de l’immigration, voir sur notre site Internet : “L’immigration et le mouvement ouvrier”.
2 Politicien britannique connu pour ses positions contre l’immigration.
3 Jusqu’en 1962 tout citoyen d’un pays du Commonwealth avait le droit d’entrer en Grande-Bretagne sans restrictions. A partir de 1962, ce droit fut de plus en plus limité : en 1968 le gouvernement travailliste de l’époque réagit à un premier exode de personnes d’origine indienne habitant au Kenya mais détenteurs de passeports britanniques, qui fuyaient la persécution qui les visait, en limitant le droit d’habiter en Grande-Bretagne aux personnes ayant une “connexion proche” avec le pays. Dans les faits, on inventa une catégorie de citoyens britanniques ayant le droit d’habiter… nulle part. Le Commonwealth Immigration Act fut encore renforcé en 1971 pour faire face à un nouvel exode, cette fois d’Indiens ougandais fuyant les persécutions d’Idi Amin Dada
La section du CCI en France a tenu récemment son XXIe Congrès qui s’est déroulé en deux sessions. La première, consacrée aux débats sur les problèmes organisationnels de la plus vieille section du CCI, s’est tenue au cours de notre Conférence internationale extraordinaire en mai dernier 1. La seconde session de ce Congrès, était consacrée à deux questions :
1) L’analyse du rapport de forces entre les classes dans la situation sociale en France à partir de l’examen critique de nos difficultés d’analyse dans le mouvement contre la réforme des retraites de l’automne 2010. Les débats sur cette question ont donné lieu à l’adoption par le Congrès de la “Résolution sur la situation sociale en France” disponible sur notre site Internet et que nous publierons dans le prochain numéro de ce journal.
2) La défense de l’organisation face aux attaques pogromistes et de nature policière (alimentées par certains réseaux sociaux, blogs et sites internet) dont nous sommes la cible comme principal courant de la Gauche communiste, organisées à l’échelle internationale.
Comme le met en évidence l’article que le CCI a publié sur sa troisième Conférence internationale extraordinaire, “La nouvelle de notre disparition est grandement exagérée”, la section du CCI en France a été l’épicentre de la crise “intellectuelle et morale” que l’organisation a traversée. Cette crise (qui n’avait pas été identifiée à l’époque) a émergé au grand jour lors de la discussion de la Résolution d’activités du XX Congrès de RI qui insistait sur la nécessité de la culture marxiste de la théorie et mettait en évidence les faiblesses de la section en France et du CCI sur ce plan dans nos débats internes. Le diagnostic de “danger de sclérose” et de “fossilisation”, voire de “dégénérescence organisationnelle”mis en avant dans cette Résolution d’activité avait provoqué une levée de boucliers de la part d’un cercle affinitaire de militants (avec des attaques personnelles dirigées contre une camarade qui avait défendu et soutenu cette orientation de l’organe central du CCI). Des démarches émotionnelles et totalement irrationnelles ont émergé, animées par une forte tendance à la personnalisation des questions politiques (avec l’idée absurde que cette Résolution d’activités “visait” certains jeunes militants qui ont des difficultés à lire des textes théoriques). Face à cette situation aberrante et de crise ouverte, l’organe central de la section en France a mené un combat politique visant au redressement de cette section après qu’il a identifié la nature de cette crise. Parmi les faiblesses de la section en France, l’organisation a identifié le manque de discussion et de débat approfondi sur l’esprit de cercle 2. Du fait de la prédominance du bon sens commun, de la “religion de la vie quotidienne” et de la méfiance inhérente à l’esprit de cercle et de clan, ce texte d’orientation adopté lors de la crise de 1993 avait été interprété à tort par certains militants comme une arme contre tel ou tel individu (ou “copain” de l’époque) alors qu’il s’agissait d’une question politique qui avait été discutée dans le mouvement ouvrier (en particulier au sein de la Première Internationale et au sein du Parti ouvrier social-démocrate de Russie en 1903).
Ce manque de culture de la théorie allait nécessairement de pair avec des démarches émotionnelles et des conceptions affinitaires, familialistes de l’organisation (conçue comme un groupe de copains ou une grande famille, unie par des liens affectifs et non par des principes politiques communs). La résurgence de la mentalité pogromiste du clan qui allait fonder la FICCI (et dont l’apothéose a été la constitution d’un “groupe politique” de nature policière : le “GIGC”) trouve ses racines dans l’absence de discussion théorique sur un texte d’orientation soumis à la discussion après la crise de 2001 : “Le pogromisme et la barbarie capitaliste”. L’idée répandue à l’époque était celle d’un “retour à la normale”, au fonctionnement routinier de l’organisation, avec l’illusion que le “mal” avait été éradiqué avec l’exclusion des membres de la FICCI après qu'ils se soient conduits comme des mouchards. Se répandait également l'idée qu’il n’était pas nécessaire de se “prendre la tête” à discuter du pogromisme comme phénomène du capitalisme décadent qui, avec la décomposition de la société bourgeoise, tend à envahir toutes les sphères de la vie sociale (non seulement dans les guerres impérialistes, comme on l’a vu en Ukraine, mais également chez les jeunes dans les banlieues, dans les établissements scolaires, et même sur les lieux de travail).
Le XXI congrès de la section en France devait donc prendre un caractère de congrès extraordinaire. Il s’agissait pour cette section de tirer le bilan du travail de son organe central et du combat qu’il a mené ces deux dernières années pour mettre en évidence les conceptions affinitaires et familialistes de l’organisation qui existaient encore dans la section en France et qui sont le terreau le plus fertile pour le développement de la mentalité pogromiste (à travers l’esprit de vendetta familiale ou de bande de copains).
Tous les militants de la section se sont inscrits activement dans les débats pour soutenir et saluer le travail de l’organe central qui a permis d’éviter que cette crise intellectuelle et morale ne débouche sur une explosion de la section ou sur la constitution d’un nouveau groupe parasitaire (avec comme principale motivation la défense de son orgueil blessé ou celui de ses “amis”, ce que Lénine appelait “l’anarchisme de grand seigneur”). L’attachement au CCI comme corps politique, la volonté de comprendre et de réfléchir aux causes profondes des graves dérives dans lesquelles ont été embarqués certains camarades, la loyauté à l’organisation et la volonté de ne pas capituler face à la “main invisible du Capital” (selon l’expression d’Adam Smith) ont permis aux militants de la section en France de s’engager pleinement dans les orientations du XXee Congrès de RI, notamment l’importance fondamentale du travail d’assimilation du marxisme et d’élaboration théorique des organisations révolutionnaires. Pour pouvoir surmonter cette crise intellectuelle et morale dans la section en France, le seul antidote était de développer une véritable culture marxiste de la théorie contre l’idéologie de la classe dominante, contre l’aliénation et la réification où, dans la société capitaliste, les rapports entre les hommes prennent la forme de rapports entre les choses.
Une des faiblesses du Congrès a été de n’avoir pu mener une discussion de fond sur les deux conceptions de l’organisation qui coexistaient depuis de longues années dans la plus vieille section du CCI, et qui sont de façon récurrentes la source de clivage et de fractures : une conception “familialiste” affinitaire, de groupe d’amis où les positions politiques des militants sont motivées par des loyautés ou des sympathies personnelles, et une conception où c’est l’adhésion des militants aux mêmes principes organisationnels qui constitue le ciment de l’organisation.
Si ces deux années de crise ouverte qui ont frappé la section RI ne se sont pas soldées par une nouvelle scission parasitaire, c’est aussi grâce à la capacité de l’organe central de la section en France à impulser, animer la vie de la section et à mettre en application les orientations du XXe Congrès, notamment en organisant des journées d’études et de discussions pour combattre le danger de sclérose, de perte des acquis du CCI, et développer cette culture marxiste de la théorie au sein de l’organisation et chez tous les militants. Ceci afin de combattre la paresse intellectuelle, le dilettantisme, la perte du goût pour la lecture et pour la théorie de même que la persistance de conceptions hiérarchiques, élitistes consistant à considérer que le travail de réflexion théorique est l’affaire de “spécialistes”. La section en France a ainsi organisé plusieurs journées d’études ces deux dernières années sur différents thèmes en lien avec les problèmes organisationnels qui ont émergé de nouveau de façon encore plus dangereuse que par le passé :
– la conception de l’“individu” chez Marx, de l’“association” et du travail associé contre la conception stalinienne du “collectif” anonyme ;
– le Congrès du POSDR de 1903 : l’esprit de cercle comme manifestation de l’idéologie de la petite-bourgeoisie dans l’ancienne rédaction de l’Iskra et les divergences entre Lénine et Martov sur le paragraphe 1 des Statuts du POSDR ;
– le Livre I du Capital et notamment la question du fétichisme de la marchandise, de la “forme valeur”, les concepts marxistes de réification et d’aliénation dans l’analyse de la marchandise en lien avec nos difficultés organisationnelles récurrentes ;
– l’histoire des Statuts des organisations du mouvement ouvrier depuis la Ligue des Communistes ;
– la dernière journée d’études de RI (qui s’est tenue après le XXIe Congrès, en présence de la délégation internationale présente à ce Congrès) a porté sur un aspect des “Thèses sur la morale” (soumises au débat international par l’organe central du CCI) : la “révolution exogamique” dans l’histoire de la civilisation humaine et le principe “endogamique” du pogromisme (mis en évidence, par exemple, par les lois antisémites du régime nazi).
La crise qui a secoué la section en France et dont l’onde de choc s’est répercutée dans l’ensemble du CCI a été une crise salutaire : elle aura permis de faire émerger une question fondamentale du marxisme et du mouvement ouvrier qui n’avait jusqu’à présent jamais pu être abordée de façon théorique par le CCI : la “dimension intellectuelle et morale” de la lutte du prolétariat.
La “nouvelle” de notre disparition annoncée triomphalement par l’“Appel” pogromiste et djihadiste du “GIGC” est donc grandement exagérée.
La session du Congrès consacrée à l’analyse du rapport de forces entre les classes s’est donnée comme objectif de comprendre les causes profondes du calme social depuis le mouvement contre la réforme des retraites de l’automne 2010 et les erreurs d’analyses de la section en France. Ces erreurs se sont reflétées dans certains articles de notre presse que nous avons dû passer au crible de la critique. En réalité, la crise organisationnelle était déjà potentiellement contenue dans la perte de la boussole de la méthode du marxisme, la perte de nos acquis théoriques pour analyser la dynamique de la lutte de classe. L’impatience, l’immédiatisme et la perte de vue de la fonction de l’organisation se sont manifestés par des tendances activistes dans l’intervention dans les luttes immédiates au détriment des discussions approfondies sur les mouvements sociaux. Le Congrès a mis en évidence que le mouvement de l’automne 2010 contre la réforme des retraites était en réalité une manœuvre de la bourgeoisie qui a su remettre en selle ses syndicats pour infliger une défaite cuisante à la classe ouvrière et faire passer ses attaques économiques.
Le calme social depuis plus de quatre ans révèle que le prolétariat en France n’a pas encore digéré cette défaite. Pour comprendre cette manœuvre de la bourgeoisie et l’ampleur de la défaite de 2010, le Congrès a mis en évidence que notre impatience nous a fait oublier le b.a.ba du marxisme : tant que ne s’est pas encore ouverte une période révolutionnaire, une situation de “double pouvoir”, c’est toujours la classe dominante qui est à l’offensive, la classe exploitée ne pouvant que développer des luttes défensives, de résistance aux attaques qu’elle subit. Pour comprendre comment la bourgeoisie a pu mener des attaques économiques, politiques et idéologiques contre la classe ouvrière en France, le Congrès de RI a dû prendre du recul sur les événements immédiats et réexaminer la dynamique de la lutte de classe depuis le “tournant” de 2003 en la resituant dans le cadre historique et international déterminé par l’effondrement du bloc de l’Est et des campagnes idéologiques sur la “faillite du communisme”, la “fin de la lutte de classe” et la "disparition du prolétariat" comme seule force sociale capable de changer le monde.
Ce “tournant” de 2003, marqué par la recherche de la solidarité dans la lutte et entre les générations, avait révélé que la classe ouvrière en France comme à l’échelle internationale était en train de retrouver le chemin de la lutte après le coup de massue et le profond recul qu’elle a subis avec l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes soi-disant “communistes”. Ainsi, en 2006, la lutte des étudiants contre le CPE, qui a surpris la bourgeoisie, menaçait de s'étendre aux autres générations et aux salariés actifs, obligeant de ce fait la bourgeoisie à retirer son projet à cause des risques réels de développement d'une solidarité plus affirmée et du risque de contagion à l'ensemble des salariés. C'est pour cela que dès 2007, la bourgeoisie est passée à la contre-offensive, elle ne pouvait tolérer cette défaite et se devait d'essayer d'en effacer toute trace : l’attaque des régimes spéciaux a en effet été orchestrée pour tenter de s'attaquer spécifiquement à cette dynamique de solidarité en cours au sein de la classe ouvrière.
Les débats du Congrès ont également mis en évidence que la section en France a été victime de la campagne des médias bourgeois sur la “crise financière” de 2008 destinée à semer un “vent de panique” dans l’ensemble de la société et notamment au sein de la classe ouvrière afin de lui faire accepter les sacrifices en lui faisant croire qu’il s’agit d’une crise du “système financier” (qu’on peut assainir par des réformes) et non pas une nouvelle secousse de la faillite historique d’un système mondial basé sur la production de marchandises et sur l’exploitation de la force de travail des prolétaires.
Ce “vent de panique” qui a touché également le CCI et particulièrement sa section en France a nécessité que le Congrès remette les pendules à l’heure, notamment en se réappropriant notre analyse sur le “machiavélisme” de la bourgeoisie, sa capacité à utiliser ses médias aux ordres comme moyen d’intoxication idéologique destiné à obscurcir la conscience des masses exploitées. La conscience étant la principale arme du prolétariat pour le renversement du capitalisme et l’édification d’une nouvelle société, il est normal que la classe dominante cherche en permanence à désarmer son ennemi mortel par des campagnes idéologiques et médiatiques.
Le Congrès a fait le constat que la désorientation de la section en France, et ses tendances activistes dans les luttes immédiates au détriment de notre activité sur le long terme comportait le danger d’entraîner l’organisation dans de dangereuses aventures en particulier en tombant dans le piège de l’“ouvriérisme” et du “gauchisme radical”. Comme nous l’avions souvent mis en évidence, l’immédiatisme est la voie royale vers l’opportunisme et le révisionnisme, vers l’abandon des principes prolétariens.
Le Congrès a souligné que la perte de vue de la méthode et des acquis du marxisme dans l’analyse de la lutte de classe est liée à une sous-estimation :
– de la nécessité pour les organisations révolutionnaires d’étudier le fonctionnement du capitalisme et la vie politique de la classe dominante ;
– des difficultés du prolétariat à retrouver son identité de classe révolutionnaire dans le contexte historique ouvert par l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes staliniens ;
– de la capacité de la bourgeoisie à garder le contrôle de la situation aussi bien sur le plan économique que sur le plan politique malgré la décomposition sociale de son système.
La Résolution sur la situation sociale en France, adoptée par le Congrès, ne pouvait intégrer et développer toutes les questions abordées dans les débats qui devront se poursuivre dans l’organisation (en particulier celle du renforcement des mesures de capitalisme d’État qui ne concerne pas seulement la situation en France).
Le rapport présenté au Congrès sur la question de la défense de l’organisation visait à synthétiser l’expérience du CCI et de sa section en France face aux méthodes de destruction de l’organisation qui avaient été identifiées par notre camarade MC, membre fondateur du CCI, notamment lors de la crise de 1981 et qui a nécessité une opération de récupération de notre matériel volé par la “tendance Chénier” (machines à écrire, ronéo, etc.). Face aux tergiversations et aux résistances petites-bourgeoises qui existaient à l’époque dans RI (et notamment dans la section de Paris), c’est sur l’organe central de la section en France que MC a dû s’appuyer pour que l’organisation puisse récupérer son matériel et par la suite dénoncer publiquement les mœurs de voyou de cette prétendue “tendance” (avec un communiqué sur l’exclusion de Chénier afin de mettre en garde et protéger les autres groupes du milieu politique prolétarien contre les agissements de cet élément trouble).
L’organisation révolutionnaire étant un corps étranger à la société bourgeoise, Marx disait du prolétariat : “c'est une classe de la société civile qui n'est pas une classe de la société civile, c'est un ordre qui est la dissolution de tous les ordres”. Il voulait dire par là que le prolétaire ne peut jamais réellement trouver sa place dans la société bourgeoise. Le prolétariat et la bourgeoisie sont deux classes antagoniques. C'est pourquoi, comme organisation du prolétariat, il n’était pas question, évidemment, d’aller porter plainte au commissariat de police (qui nous aurait ri au nez !). Ce matériel volé n’était pas la propriété privée d’un individu mais appartenait à un groupe politique et avait été acheté avec l’argent des cotisations des militants. C’était donc un devoir, basé sur un principe moral prolétarien, de le récupérer afin de ne pas tolérer les mœurs de gangsters et de la voyoucratie au sein d’une organisation communiste.
Les débats du Congrès se sont développés essentiellement autour d’une question centrale : pourquoi l’organisation révolutionnaire est-elle un corps étranger à la société bourgeoise ? Les militants qui s’engagent dans une organisation communiste doivent assumer leur engagement en rompant radicalement avec les mœurs de la société bourgeoise et de toutes ses couches sociales sans devenir historique (notamment la petite-bourgeoisie et le lumpen). C’est justement parce que l’organisation révolutionnaire, bien que vivant au sein du capitalisme, est un corps étranger à ce système que la classe dominante et ses serviteurs les plus zélés cherchent en permanence à la détruire. C’est aussi pour cela que les organisations communistes sont toujours mises sous surveillance par les services spécialisés de l’État capitaliste pour leurs idées “extrémistes” (y compris évidemment par les patrouilles de décryptage informatique). Et dès qu’elle le peut, la classe dominante ou certains de ses secteurs (qui ne sont pas forcément liés directement à l’appareil d’État et aux services de police officiels) cherchent aussi à les infiltrer, comme l’a révélé toute l’histoire du mouvement ouvrier. Seuls les opportunistes et les conciliateurs de tout bord (qui vénèrent la démocratie bourgeoise comme les enfants de chœur vénèrent le bon Dieu) s’imaginent que, sous prétexte que nos idées sont très minoritaires dans la société et n’ont aucune influence dans les masses exploitées, l’appareil de répression de l’État bourgeois se moque royalement de cette petite “secte” d’illuminés qui “voient des ennemis partout” avec sa “théorie du complot”.
Les débats du Congrès ont mis en évidence que, pour continuer à défendre ce corps étranger au capitalisme qu’est l’organisation révolutionnaire, celle-ci doit lutter contre le localisme et faire vivre son unité internationale face aux attaques visant soit à la détruire, soit à constituer un “cordon sanitaire” autour d’elle pour empêcher que de nouveaux éléments à la recherche d’une perspective de classe puissent s’en approcher.
Nous savons que les campagnes de calomnie contre le CCI ne vont pas cesser, même si elles peuvent momentanément être mises en sourdine. Ce sont les méthodes classiques de la classe dominante contre le mouvement révolutionnaire depuis que Marx a mis en évidence que le prolétariat est le fossoyeur du capitalisme. Depuis les calomnies de Herr Vogt (un agent de Napoléon III) contre Marx jusqu’aux appels au pogrom contre les spartakistes qui ont culminé dans l’assassinat lâche et bestial de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, l’histoire a démontré que la répression des organisations révolutionnaires a toujours été préparée par la calomnie. La haine que suscite le CCI (dans un petit milieu philistin animé par une “amicale d’anciens combattants du CCI” recyclés), c’est la haine de la bourgeoisie pour le mouvement révolutionnaire du prolétariat, celle des Thiers, Mac Mahon et Galliffet face à la Commune de Paris, celles des Noske, Ebert et Scheidemann face à la menace d’extension de la Révolution russe en Allemagne.
Face au déchaînement d’une mentalité pogromiste contre l’organisation, le XXIe Congrès de RI a dégagé une orientation claire de défense de l’organisation dans le cadre de la dimension “intellectuelle et morale” de la lutte du prolétariat.
“La classe ouvrière seule, comme l’a dit Engels, a conservé le sens et l’intérêt de la théorie. La soif de savoir qui tient la classe ouvrière est l’un des phénomènes intellectuels les plus importants du temps présent. Au point de vue moral, la lutte ouvrière renouvellera la culture de la société” (Rosa Luxemburg, “Arrêt et progrès du marxisme”, 1903).
Révolution internationale
1 Voir notre article “Conférence internationale extraordinaire du CCI: la “nouvelle” de notre disparition est grandement exagérée !”, Revue internationale no 153, et sur notre site web.
2 “La question du fonctionnement de l’organisation dans le CCI”, Revue internationale no 109, développe amplement notre analyse de la question des clans et du clanisme.
Nous publions ci-dessous la courte prise de position que nous a adressée un sympathisant du CCI choqué par le comportement de petit-bourgeois des individus, tel Philippe Bourrinet (sur le parcours et les agissements duquel nous consacrons un article disponible sur le site internet du CCI), qui s’imaginent pouvoir faire main basse sur les productions du mouvement ouvrier sous prétexte qu’ils se sont déjà vendus eux-mêmes corps et âme à la classe dominante. Nous saluons vivement le soutien qui nous est apporté par le camarade dans sa lettre. L’indignation morale et la solidarité sont au cœur de ce courrier et sont les meilleures armes du prolétariat dans son combat pour le communisme.
RI, décembre 2014
On assiste aujourd’hui à une montée des intellectuels de tous bords qui commencent à parler de Marx et Engels et de la Gauche communiste ; ils écrivent notre histoire et ils viennent nous la vendre avec les droits d’auteurs et la propriété privée intellectuelle, la pire forme de propriété.
Nous tenons à préciser, tout d’abord, que Marx, Engels, Rosa, Lénine, Trotski, Bordiga, Gorter, Mattick, Pannekoek… et les autres militants de la Gauche communiste, n’ont jamais été des intellectuels : c’étaient des “militants communistes”.
Nous ne sommes pas contre la théorie, nous sommes pour la théorie, produite par des militants, au sein d’un parti ou d’une organisation communiste.
Nous sommes pour l’adhésion des intellectuels aux organisations communistes et aux partis communistes mais, à ce moment-là, ils cessent d’être des “intellectuels” et ils deviennent des “militants communistes”.
Ce qu’ils vont écrire au sein de l’organisation ou du parti n’est plus leur propriété mais la propriété du prolétariat.
Leurs œuvres sont une œuvre collective impersonnelle, en dehors de toute propriété privée intellectuelle, la pire forme de propriété.
Quand les foules quittèrent Jean-Baptiste pour suivre Jésus, Jean-Baptiste avait dit : “Il est temps que je disparaisse dans l’ombre et que Jésus vienne prendre sa place sur le devant de la scène”. Jean-Baptiste savait qu’il était un simple intendant, gérant des biens du propriétaire pendant son absence mais prêt à lui céder la place dès son retour.
Il est de même pour les anciens militants de la Gauche communiste et ceux d’aujourd’hui. Ils ne sont que des simples intendants, gérant un patrimoine du prolétariat pendant son absence.
Ils avaient la garde des biens du prolétariat pendant un certain temps afin d’accomplir sa révolution.
Les militants de la Gauche communiste ne sont pas propriétaires et maîtres de toutes ces expériences qui leurs ont été confiées par le prolétariat pour un dessein précis.
Les anciens militants de la Gauche communiste et ceux d’aujourd’hui ne sont pas appelés à assumer une position importante, ils ont seulement un patrimoine à sauvegarder et à diffuser car il ne leur appartient pas. C’est ça leur vraie responsabilité et la valeur de leur mission.
Ils sont les administrateurs des expériences que le prolétariat leur a confiées en attendant son retour. Ils n’ont aucun droit d’auteur à réclamer, sinon nous appellerons Marx, Engels, Rosa, Lénine, Bordiga, Trotski, Gorter, Mattick, Pannekoek, etc., pour réclamer les droits d’auteurs.
R.
Depuis qu’Olivier Besancenot n’est plus le candidat emblématique du NPA aux élections présidentielles, il semble aspirer à de “nobles” fonctions au sein de l’appareil politique de la bourgeoisie, celles de “tête pensante” et de “vulgarisateur” d’un marxisme contrefait et paralysant. Ce n’est pas la première fois que le champion médiatique de la prétendue “gauche radicale” prend la plume, mais avec cet ouvrage, il s’attaque à une question primordiale dans le processus de prise de conscience de la classe ouvrière : la lutte des classes.
Pour le marxisme, le prolétariat est avant tout une classe révolutionnaire, en lutte, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une lutte pour l’abolition du capitalisme et l’avènement d’une société sans classe ni frontière ; une société qui, nous sommes contraints de le préciser tant le mot brille par son absence dans le texte de Besancenot, porte le nom de communisme. Cette classe est riche d’une histoire de luttes sociales, mais aussi et surtout, puisque le combat historique du prolétariat pour arracher l’humanité à sa préhistoire ne se réduit pas, loin s’en faut, à une bataille pour du pain et un toit, à une expérience de luttes théoriques et politiques. Cette expérience acquise par de nombreuses générations de prolétaires, faite de combats acharnés, de réflexion et de révolutions, prouve combien la classe ouvrière a réellement les moyens de remplir sa mission historique, d’abolir le capitalisme en détruisant ses États, et ce, à l’échelle internationale.
Si Besancenot s’entoure d’un verbiage qui se veut radical et dans la continuité du mouvement ouvrier, son texte s’inscrit en réalité dans celle de la gauche mystificatrice du capital, dont l’unique objectif est celui de maintenir le prolétariat dans des impasses politiques pour le conduire à la défaite et assurer le triomphe des possédants. Cette accusation est grave et semble excessive tant est répété le mensonge selon lequel “la gauche de la gauche” défendrait les intérêts de la classe ouvrière. Pourtant le dernier livre de Besancenot confirme, à tous les égards, la validité de cette analyse.
La première partie de l’ouvrage prétend identifier la classe ennemie du prolétariat : la bourgeoisie. Ceci étant, l’auteur avance une définition bien particulière de celle-ci. Apparemment, la “lutte de classes au xxie siècle” prend la forme d’une “conjuration des inégaux” 1. Ainsi, le leader du NPA n’a de cesse de dénoncer la “classe des riches”, ce “petit monde”, cette “oligarchie” composée de “quelques familles” qui dirigent le système capitaliste au moyen, notamment, de “la dictature des banques”. En effet, le cœur de cette “conjuration” se trouverait dans les grandes fortunes industrielles et surtout dans le milieu financier où quelques dynasties s’auto-reproduisent et “traversent les époques en résistant aux aléas de l’histoire et aux évolutions du capitalisme lui-même” sans en faire profiter les autres.
C’est cette resucée des “200 familles” 2 qu’Olivier Besancenot désigne comme des profiteurs de crise et les véritables maîtres du système. La manœuvre idéologique est éculée : il s’agit de désigner, afin de ménager le système comme un tout, une partie seulement de la classe dominante (parfois choquante de cynisme) censée “tirer les ficelles” dans l’ombre et produire les crises par une sorte d’égoïsme. C’est ainsi que toute la bourgeoisie, gauche et droite confondues, expliqua la crise de 2008 ; la mise à l’index de l’égoïsme des banquiers et de la folie des spéculateurs, que l’État bourgeois se proposait bien entendu de “réguler”, détournait le regard et la réflexion du vrai coupable : les rapports sociaux capitalistes devenus obsolètes, l’existence même du salariat et du capital.
En réalité, derrière la dénonciation d’une partie spécifique de la bourgeoisie, il s’agit surtout d’enchaîner la classe ouvrière à l’État bourgeois. En défenseur radical… de la classe dominante, l’auteur ne met jamais en question l’État en tant que tel mais seulement la façon dont il est géré. Selon Besancenot, la rapacité de quelques familles fortunées et la dictature des banques ne pourraient exister sans la complicité d’un État aux ordres qui détourne l’argent des impôts pour renflouer les pertes sèches du système bancaire au lieu de financer les services publics, qui ordonne aux CRS de pourchasser les ouvriers et jamais les patrons, qui exclut les “classes populaires” des bancs de l’Assemblée nationale… Autrement dit, ce que Besancenot propose n’est rien d’autre que de “lutter” pour mieux gérer l’État, pour que celui-ci soit gouverné de façon prétendument plus juste, plus équitable, plus humaine. Si Besancenot était le marxiste qu’il prétend être, il ne se présenterait nullement comme le défenseur inconditionnel d’un illusoire État soucieux de l’intérêt public contre l’avidité des patrons et des banquiers. Il appellerait au contraire à l’abolition de l’État.
Dans L’État et la révolution, Lénine affirme à raison que l’État est “le produit et la manifestation de ce fait que les contradictions de classes sont inconciliables”. Il est historiquement l’instrument des classes dominantes pour contenir les antagonismes de classe dans les limites de l’ordre social existant et assurer la répression des classes exploitées et des révolutionnaires. Il est l’outil indispensable de la conservation sociale. L’expérience de la Commune de Paris avait déjà permis à Marx et Engels de corriger leur conception à ce sujet. La lutte du prolétariat parisien avait démontré que “la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte” 3. Désormais, la classe ouvrière devrait s’efforcer de briser et démolir l’État en s’attaquant à cette machine bureaucratique et militaire.
Avec la période de décadence, dans laquelle nous baignons depuis plus d’un siècle, le capitalisme est marqué par le renforcement inouï d’une tendance universelle : celle du capitalisme d’État. Son emprise totalitaire a fini par aspirer l’ensemble de la vie sociale, transformant ce dernier en un véritable rouleau compresseur pour une exploitation implacable. Aussi, loin d’être un “jouet” entre les mains de la bourgeoisie, l’État est devenu au contraire le fer de lance à abattre de l’exploitation.
Il faut également souligner que le rôle “redistributif” que Besancenot veut donner à l’État se situe entièrement sur le terrain pourri du nationalisme. Ce n’est nullement par hasard ou par “oubli” que l’internationalisme n’est évoqué nulle part dans le livre alors que ce principe est précisément la pierre de touche de tout le mouvement ouvrier et des révolutionnaires. Besancenot se fait en revanche le porte-voix d’une conception du monde indissolublement liée à sa vision purement bourgeoise de la société dont le périmètre est depuis toujours circonscrit à celui de la nation. Si, en d’autres occasions, sur les plateaux de la télévision bourgeoise, par exemple, ou dans d’autres ouvrages déjà publiés, Besancenot évoque avec hypocrisie “l’internationalisme”, c’est pour l’accommoder à la sauce nauséabonde d’une “fédération des peuples ou des nations” et de “l’Europe sociale”. Le prétendu “internationalisme” de Besancenot et du NPA consiste d’ailleurs à toujours choisir, lors d’un conflit armé, un camp impérialiste contre l’autre et/ou la fraction d’une bourgeoisie nationale contre une autre, au nom de la “défense des peuples opprimés”, ou de la “libération nationale”, ou encore du “moindre mal”.
Besancenot et le NPA proposent à ce titre une tactique qui se trouve à l’opposé de la démarche des révolutionnaires marxistes : “En fonctionnant du haut vers le bas, dans le sens inverse d’une démocratie réelle, notre représentation publique ne nous présente pas et assure la domination de la classe des puissants. Elle soustrait la “démocratie” du contrôle populaire en même temps qu’elle l’offre aux milieux financiers”. Traduisez : notre système marche sur la tête, le NPA se propose de le remettre d’aplomb par un contrôle de l’État basé sur une “démocratie réelle” débarrassée des “abus” et des excès de la classe dominante.
Mais l’État démocratique n’est ni “neutre” ni “au-dessus des classes”. Il est au contraire l’expression la plus achevée et la plus sournoise de la dictature du capital sur la société. L’État, qu’il soit démocratique ou dictatorial, reste un appareil marqué par sa nature de classe, une machine qui n’existe que pour l’exploitation d’une classe par une autre. Comme l’écrit Lénine dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky : “Plus la démocratie est développée et plus elle est près, en cas de divergence politique profonde et dangereuse pour la bourgeoisie, du massacre ou de la guerre civile. (…) Dans l’État bourgeois le plus démocratique, les masses opprimées se heurtent constamment à la contradiction criante entre l’égalité nominale proclamée par la démocratie des capitalistes et les milliers de restrictions et de subterfuges réels qui font des prolétaires des esclaves salariés.” L’invocation permanente de la démocratie à toutes les sauces, de l’extrême droite à l’extrême gauche de la bourgeoisie, est l’arme la plus insidieuse pour maintenir le prolétariat dans l’exploitation en le détournant de ses propres armes politiques et de ses buts.
Dans sa lutte contre la bourgeoisie, le prolétariat doit s’organiser de façon autonome et unitaire en forgeant ses propres armes politiques, telles que les assemblées générales et les conseils ouvriers. Les luttes prolétariennes portent en elles un immense bouleversement social, culturel, intellectuel et humain. Mais contre cette perspective révolutionnaire, cette exigence d’unité internationale et de rupture avec tous les organes politiques et idéologiques de la bourgeoisie, Besancenot fait l’apologie des luttes parcellaires qui divisent le prolétariat et le réduisent à l’impuissance dans le seul cadre de l’ordre social existant : “la lutte pour la défense de l’égalité des droits contre un système qui perpétue des discriminations raciales, sexistes ou sexuelles, fait forcément partie du champ d’intervention de la classe des exploités et des opprimés, sauf à la rendre borgne, voire aveugle. (…) Notre combat a besoin d’intégrer la diversité ; il ne fléchit pas avec elle, il se dévitalise au contraire lorsqu’il l’ignore. Accepter les déclinaisons diverses de la lutte, ce n’est pas accepter son éclatement, c’est tenter de l’unifier dans un même sens, contre un adversaire commun et vers une direction commune.” La décadence du capitalisme, accentuée par sa phase ultime de décomposition, dégrade tous les types de rapports humains. Cependant, faire croire qu’il est possible de les changer en organisant des luttes spécifiques sur des problèmes parcellaires tels que le racisme, la condition féminine, la pollution, la sexualité et les autres aspects de la vie quotidienne est un mensonge. Si la lutte contre les rapports sociaux capitalistes contient en elle la lutte contre ces aspects spécifiques de la société capitaliste, la réciproque est fausse.
Pour conduire ces luttes parcellaires, Besancenot enfonce d’ailleurs le clou en plaçant toute sa confiance dans un mouvement syndical prétendument plus “démocratique, unitaire et radical”. Mais ces véritables fossoyeurs professionnels de la lutte ne servent qu’à encadrer la classe ouvrière, à la diviser en corporations, branches ou entreprises, en la livrant pieds et poings liés à la bourgeoisie au nom de la légalité juridique et des prétendus “droits acquis”.
Dans la même logique, les organes autonomes et unitaires du prolétariat que sont les assemblées souveraines et ouvertes à tous, ne sont pas une seule fois mentionnés. Même lorsqu’il est fait référence au mouvement des Indignés en Espagne, Besancenot se garde bien d’évoquer les assemblées ouvrières en son sein. Pourtant, en 2011, ces lieux de débats et de décisions, malgré leurs nombreuses confusions et illusions, ont montré une nouvelle fois la capacité de la classe à s’auto-organiser aux dépens des syndicats et des “partis de gauche”. Ces assemblées ont permis de dessiner une ébauche des luttes à venir en tentant d’affermir la confiance et en posant la question de l’extension internationale de la lutte et de la solidarité ouvrière.
Bien des aspects restent encore à dénoncer dans cet ouvrage dont la publication n’aura finalement eu qu’un seul objectif : pourrir le champ de réflexion du lecteur sous prétexte de vulgarisation du marxisme et miner le terrain de sa prise de conscience pour mieux le désarmer politiquement, étouffer ses velléités de rejet du capitalisme et l’enchaîner, l’enfermer derrière les barbelés idéologiques de la gauche de la bourgeoisie.
AJ, 26/01/2015
1 Besancenot fait référence, en renversant le rapport, à la conjuration des Egaux menée par Gracchus Babeuf en 1796 qui, dans la dynamique de la Révolution française, appelait à l’instauration d’une société au sein de laquelle les moyens de production seraient mis en commun et où régnerait la “parfaite égalité” entre les individus.
2 Slogan démagogique lancé par le Parti radical dans les années 1930 pour désigner les actionnaires “tout-puissants” de la Banque de France puis repris par le Front populaire et l’extrême-droite, et relayé enfin par le parti stalinien.
3Marx, La Guerre civile en France, IIIe partie.
Selon les médias, le triomphe de Syriza en Grèce aurait rendu nerveuses les grandes puissances capitalistes. Cette tension exhibée pour la galerie, Syriza appartenant au même monde bourgeois, est surtout le produit de manœuvres délicates en vue de renégocier la dette grecque. Syriza fait bel et bien partie de ces mêmes puissances capitalistes parce qu’elle partage avec elles la défense de la nation, bannière derrière laquelle chaque capital national défend ses intérêts contre le prolétariat et contre ses rivaux impérialistes. Lors de son dernier meeting, juste avant de remporter les élections, Tsipras, le leader de Syriza, a très bien résumé la réalité de cette coalition : “A partir de lundi, nous en finirons avec l’humiliation nationale et avec les ordres venant de l’étranger.” Ce programme n’a rien à voir avec celui du prolétariat dont l’objectif est la constitution de la communauté humaine mondiale et dont la force d’impulsion est l’internationalisme. Aussi, le triomphe de Syriza n’est pas celui du “peuple”, mais celui du capital grec ; sa politique consistera à porter de nouvelles attaques contre l’ensemble des travailleurs au seul profit du capital national.
Les données de l’économie grecque sont édifiantes. Nous ne mentionnerons que deux chiffres : le revenu nominal des ménages a chuté de 25 % en 7 ans et les exportations, malgré l’énorme réduction des coûts salariaux, sont aujourd’hui 12 % plus basses qu’en 2007. L’état de ruine dans lequel se trouvent les installations olympiques, ce gaspillage gigantesque mis en place pour les JO de 2004, sont un symbole éloquent de la situation du pays.
Cependant, la crise dont souffre la Grèce n’est pas une crise locale due à la mauvaise gestion des gouvernements successifs, mais l’expression de l’impasse historique du mode de production capitaliste doublé d’une crise économique ouverte qui se prolonge depuis 1967 (presque un demi-siècle !), une crise dont celle des “subprimes” en 2007 a constitué un nouveau jalon, immédiatement renforcé par la grande panique financière de 2008 et la récession de 2009. Si les mesures adoptées par les grands pays capitalistes ont pu limiter les effets les plus désastreux de ces événements, elles n’ont nullement pu répondre au problème de fond de la surproduction généralisée dans laquelle le capitalisme s’enfonce depuis presque un siècle. La “solution” en question (une surdose encore plus forte d’endettement prise en charge directement par les États) n’a fait qu’aggraver la situation même si, momentanément, elle a servi de rustine.
Dès lors, “ce sont maintenant les États qui sont confrontés au poids de plus en plus écrasant de leur endettement, la “dette souveraine”, ce qui affecte encore plus leur capacité à intervenir pour relancer leurs économies nationales respectives à travers les déficits budgétaires” 1. Cette situation est devenue insoutenable pour “les pays de la zone Euro où l’économie était la plus fragile ou la plus dépendante des palliatifs illusoires mis en œuvre dans la période précédente, les PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne)” 2. En Grèce, la dette publique a atteint 180 % du PIB, le déficit public était de 12,7 % en 2013. Il s’agit là d’un fardeau qui enfonce l’économie dans un cercle vicieux : pour payer ne serait-ce que les intérêts de la dette, il faut contracter de nouvelles dettes et, en échange, imposer des mesures d’austérité draconiennes qui enfoncent encore plus l’économie, ce qui exige des doses encore plus fortes de dettes et des mesures d’austérité plus drastiques encore.
Le cercle vicieux dans lequel se trouve engluée l’économie grecque est le symbole même du cercle vicieux dans lequel s’enfonce tout le capitalisme mondial. “Cela ne veut pas dire cependant que nous allons revenir à une situation similaire à celle de 1929 et des années 1930. Il y a 70 ans, la bourgeoisie mondiale avait été prise complètement au dépourvu face à l’effondrement de son économie et les politiques qu’elle avait mises en œuvre, notamment le repli sur soi de chaque pays, n’avaient réussi qu’à exacerber les conséquences de la crise. L’évolution de la situation économique depuis les quatre dernières décennies a fait la preuve que, même si elle était évidemment incapable d’empêcher le capitalisme de s’enfoncer toujours plus dans la crise, la classe dominante avait la capacité de ralentir le rythme de cet enfoncement et de s’éviter une situation de panique généralisée comme ce fut le cas à partir du “mardi noir”, le 24 octobre 1929. Il existe une autre raison pour laquelle nous n’allons pas revivre une situation similaire à celle des années 1930. A cette époque, l’onde de choc de la crise, partie de la première puissance économique du monde, les États-Unis, s’était propagée principalement vers la seconde puissance mondiale, l’Allemagne” 3. Aujourd’hui, à la différence de cette époque, la bourgeoisie (grâce à un renforcement systématique du capitalisme d’État) a réussi à “organiser” l’économie mondiale afin que les effets de la crise retombent avec plus de force sur les pays les plus faibles et s’atténuent le plus possible pour les plus puissants. L’Allemagne et les États-Unis, qui furent en 1929 l’épicentre de la crise, sont aujourd’hui les pays qui s’en sortent le mieux et qui ont réussi à améliorer leur position face à leurs rivaux.
Cette politique permet au capitalisme dans son ensemble de résister à l’enfoncement dans la crise en privilégiant la défense de ses centres névralgiques. Elle est également un moyen pour mieux diviser le prolétariat. L’économie n’est en effet pas une machine aveugle qui fonctionne par elle-même et les nécessités de la lutte des classes ont une influence sur elle : “une des composantes majeures de l’évolution de la crise échappe au strict déterminisme économique et débouche sur le plan social, sur le rapport de forces entre les deux principales classes de la société, bourgeoisie et prolétariat” 4. En déplaçant les pires effets de la crise sur des pays plus faibles, la bourgeoisie se donne des moyens pour diviser le prolétariat. La gestion politique de la crise vise en particulier à mettre dans la tête des ouvriers grecs que leur situation dramatique est la conséquence du “bien-être” de leurs frères de classe d’Allemagne, et nullement l’expression de l’impasse dans lequel se trouve le capitalisme mondial. Inversement, l’apparente prospérité allemande dissimule aux travailleurs de ce pays la gravité de la situation, les rendant vulnérables aux “explications” selon lesquelles les menaces sur leur condition de vie “privilégiée” seraient dues à la “paresse” et à “l’irresponsabilité” de leurs frères grecs et, en général, aux vagues d’immigration qui frappent à leurs portes.
Cette gestion politique de la crise permet ainsi de déplacer la réflexion des prolétaires sur le terrain pourri du nationalisme en réduisant les problèmes à des difficultés propres à “leur pays” et avec des solutions à trouver “dans leur pays” alors qu’il s’agit d’un problème mondial qui ne peut avoir qu’une solution à l’échelle internationale. En Grèce, le chômage a officiellement atteint le taux intolérable de 27 % et les emplois publics, généralement à vie, ont été réduits de 900 000 à 656 000 ; un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, quelque 400 000 personnes ont abandonné les villes en migrant vers les campagnes dans des conditions précaires à la recherche désespérée d’une agriculture de subsistance. Le salaire minimum en Grèce a diminué de 200 € au cours des cinq dernières années, les pensions de retraite diminuent de 5 % par an… Mais tout cela est l’expression caricaturale d’une situation qui se développe à différents degrés dans tous les pays, mais semble n’être qu’un phénomène strictement limité à la Grèce et causé par des problèmes grecs. La bourgeoisie utilise cela pour créer un épais rideau de fumée rendant difficile la compréhension des tendances générales dominantes dans le capitalisme mondial.
Syriza est un produit de l’évolution de l’appareil politique de l’État grec et, à son tour, des tendances générales qui apparaissent dans les pays centraux du capitalisme. Tel que le marxisme l’a expliqué maintes fois, l’État est un organe exclusif du capital et un moyen d’exclusion ; il est toujours, sous les formes les plus démocratiques qui soient, l’expression de la dictature de la classe dominante sur toute la société et plus particulièrement sur le prolétariat. Dans la décadence du capitalisme, l’État devient totalitaire et cela s’exprime par une tendance vers le parti unique. Mais dans les pays les plus démocratiques et dotés d’un jeu électoral sophistiqué, cette tendance s’exprime par ce qu’on appelle le “bipartisme”. Deux partis, l’un plus incliné vers la droite, l’autre plus penché vers la gauche, échangent régulièrement leur rôle dans l’exercice du pouvoir. Ce schéma a fonctionné à la perfection depuis la Deuxième Guerre mondiale en Europe, en Amérique du Nord, etc.
Cependant, avec l’accélération sans répit de la crise et le poids de la décomposition, ce schéma a souffert d’une usure considérable. D’un côté, les partis “partenaires-rivaux” sont de plus en plus contraints d’assumer la gestion de la crise, ce qui les a irrémédiablement discrédités : chaque fois qu’ils occupent le gouvernement, ils adoptent des mesures d’austérité qui démentent les promesses faites quelques mois plus tôt lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Dans l’opposition, ils disent ce qu’ils ne feront jamais et quand ils sont au gouvernement, ils font ce qu’ils n’avaient jamais dit.
Par ailleurs, la décomposition du système capitaliste a entraîné dans les rangs des deux “grands partis” une dislocation croissante et une irresponsabilité de plus en plus manifeste dont l’expression la plus spectaculaire est une corruption qui bat tous les records et qui, pour chaque cas, est systématiquement dépassée en cupidité, cynisme et indécence. Les deux grands partis grecs traditionnels (la Nouvelle démocratie à droite et le PASOK à gauche) en sont une illustration particulièrement caricaturale. Non seulement (et c’est une marque de l’archaïsme du capital grec), ils sont dirigés par deux dynasties qui se succèdent à leur tête depuis plus de 70 ans, la famille Karamanlis pour la droite et le clan Papandreou pour la gauche, mais, avec un culot stupéfiant, les politiciens des deux partis s’en sont mis personnellement plein les poches en se partageant les fonds venant de l’Union européenne.
D’où vient donc Syriza ? Il s’agit d’une coalition, devenue parti en 2012 5, qui a récupéré des factions venant du stalinisme et de la social-démocratie, ingrédients auxquels elle a ajouté, pour se donner une saveur plus piquante, des groupes trotskistes, maoïstes et écologistes. Le noyau fondateur vient d’une scission importante du parti stalinien KKE, lequel, face à l’effondrement de l’URSS en 1989, déguisa les formules du “socialisme réel” sous un emballage “démocratique” plus adapté à l’habillement libéral du capitalisme d’État. Tsipras lui-même a fait carrière au sein de cette clique de rats qui ont abandonné le navire en perdition du stalinisme.
Syriza ressemble comme deux gouttes d’eau aux autres tentatives de renouvellement du schéma politique bipartite qui ont émergé dans d’autres pays comme l’Italie, par exemple, où le vieux modèle (basé sur la démocratie-chrétienne, laquelle, avec des soutiens sociaux-démocrates, fit pratiquement office de parti unique pendant 40 ans) fut remplacé par un autre avec, à droite, l’imprésentable Berlusconi et, côté gauche, la chaotique coalition dont la colonne vertébrale est l’ancien parti communiste reconverti en “parti démocratique”.
Il est d’ailleurs tout à fait significatif que Syriza ait trouvé comme associé à son gouvernement, Anel, un parti d’extrême-droite. L’alliance avec ce parti ultra-nationaliste n’a rien de contre-nature 6. Le nouveau ministre de la Défense, leader de ce parti, n’a pas stoppé l’ambitieux plan d’acquisition d’armements et de renforcement de l’armée mis en place par le gouvernement précédent et qui ne fait qu’aggraver l’austérité avec plus de force que les coupes programmées par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale, Fonds monétaire international). Cette attitude répond à la volonté des nouveaux gouvernants de jouer un rôle dans les trois régions du monde très sensibles dans l’affrontement impérialiste où la Grèce a une position stratégique : les Balkans, jamais vraiment pacifiés, l’Est européen avec la guerre en Ukraine et le Moyen-Orient en pleine effervescence guerrière. Le ministre a débuté son mandat par un voyage provocateur dans une île dont la propriété est disputée entre la Grèce et son voisin et rival turc.
Le partenaire de Syriza défend face aux immigrants une politique qui ressemble à s’y méprendre à celle du parti néo-nazi Aube dorée. Cette politique xénophobe et de chasse aux immigrés, présentés comme des intrus qui volent le travail des Grecs et leurs prestations sociales, poursuit deux objectifs.
D’un côté, il s’agit de faire tomber les travailleurs et, en général, les couches dites “populaires” dans cette idéologie dégradante qui consiste à chercher un bouc-émissaire personnifié dans les Noirs, les Arabes, les Slaves et tous ceux qui ont le malheur de ne pas être des Hellènes de souche. Mais, en plus, cela obéit à un calcul politique et économique : faire payer au prix le plus fort le rôle de gendarme que l’Union européenne a assigné aux pays (Grèce, Italie et Espagne) qui constituent la porte d’entrée de ces masses désespérées qui fuient la plus extrême des misères et les guerres interminables. Dans la lutte de gangsters qui se joue dans cet antre de voleurs qu’est l’U.E., le nouveau gouvernement grec sait parfaitement que la dureté de la politique envers les immigrés est un atout-maître pour toute négociation.
La défense de la nation est le patrimoine commun de tous les partis du capital quelle que soit la couleur politique qu’ils adoptent. Un des arguments le plus sinistres que partagent Syriza et Anel avec Aube Dorée est celui d’une “Grèce pour les Grecs”, la prétention fanatique de s’enfermer dans une supposée “communauté nationale” où l’on pourrait vivre décemment. C’est une utopie réactionnaire, mais c’est surtout une attaque frontale contre la conscience et la solidarité des ouvriers dont la plus grande force est justement celle de constituer une communauté où fusionnent et s’unifient des êtres de toutes races, religions ou nationalités.
Le nationalisme et la défense des intérêts du capital grec est le vrai programme de Syriza. Le programme de réformes structurelles est un simple effet d’annonce “pour la galerie” dont l’écriture est devenue de plus en plus floue et dont le contenu s’est amenuisé au fur et à mesure que Syriza se rapprochait du gouvernement. S’y retrouvent bien entendu les vieilles litanies usées typiques de la gauche du capital : des banques renationalisées, une remise en cause de quelques privatisations, un plan d’emploi garanti, quelques mesures d’urgence pour pallier à certaines situations de pauvreté extrême… et quelques bricoles supplémentaires du même acabit.
Ces mesures ont été utilisées des milliers de fois dans l’histoire du capitalisme et elles n’ont jamais contribué à améliorer les conditions de vie des travailleurs. Le capitalisme, même dans ses fractions les plus droitières, “socialise les banques” chaque fois qu’il y a danger. De Gaulle, Hitler, Franco et d’autres champions de la droite la plus extrême, ont créé des banques publiques. Bush, ancien président des États-Unis, lors de la crise de 2007-2008, prit des mesures pour que l’État saisisse des banques au point que feu le président vénézuélien Chavez finit par l’appeler : “camarade” et le compara, dans son délire, à Lénine.
En ce qui concerne la promesse d’un “plan d’emploi garanti” dont le montant s’est rétréci au fur et à mesure que Syriza avançait vers le pouvoir (de 300 000 nouveaux emplois on est passé à une promesse de seulement 15 000), nous pouvons mesurer le sérieux de la promesse du nouveau gouvernement au trébuchet de sa politique vis-à-vis des fonctionnaires : le programme d’évaluation établi par le gouvernement précédent qui envisageait des pertes de salaire, des rétrogradations à un poste inférieur et même la mise en place d’une “réserve de main d’œuvre”, ce qui n’est ni plus ni moins qu’un licenciement dissimulé et une mise au chômage, n’a pas été abrogé. Au contraire, le programme “s’appliquera de manière plus juste”, selon les mots du nouveau ministre, lequel, par ailleurs, a annoncé que les salaires dans le secteur public resteront gelés.
En ce qui concerne le paiement de la gigantesque dette grecque, Syriza a joué à l’accordéon. Pour capter l’attention des électeurs, ce parti a commencé par développer des propositions ultra-radicales. Mais pendant la campagne électorale, elle a progressivement modéré son discours, spécialement lorsque son triomphe s’est avéré plausible. Maintenant, installée au gouvernement, elle met encore plus d’eau dans son vin au point que le vin devient totalement incolore. Syriza est passée du rejet du paiement de la dette à un rééchelonnement de la dette, après une remise partielle et, finalement, elle propose un échange de la dette par des bons perpétuels et d’autres instruments d’“ingénierie financière” qui ressemblent au plan Brady qui, pendant les années 1980, fut mis en place par le gouvernement américain face à la dette de l’Argentine, un plan bien connu pour les graves attaques qu’il a entraînées contre les conditions de vie des travailleurs de ce pays.
Le prolétariat souffre dans la situation actuelle d’une perte d’identité en tant que classe, d’un fort manque de confiance en soi. A cette situation de profonde faiblesse qui ne pourra pas être simplement dépassée avec l’expérience d’une vague de luttes, répond, dans l’appareil politique du capital, l’émergence d’une série de “populismes de gauche” qui viennent compléter le travail des “populismes de droite”. Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, le Front de gauche en France, etc., profitent des difficultés de notre classe pour mettre systématiquement en avant le “peuple” et la “citoyenneté”, pour défendre sans complexe la nation définie comme “communauté de tous ceux qui sont nés sur le même territoire”…
Avec une telle propagande, ces gens-là ne profitent pas seulement, comme de vulgaires charognards, des difficultés du prolétariat, mais, en plus, ils jettent du sel sur les plaies en renforçant des barrières idéologiques qui rendent encore plus difficile la récupération de notre identité de classe et la confiance en nous-mêmes. Dénoncer les mensonges de ces nouveaux appareils anti-prolétariens en approfondissant les véritables positions de notre classe, voilà une des tâches que nous nous proposons de mener.
G., 15 février 2015.
1 “Résolution sur la situation internationale de notre XXe congrès international” (2013), Revue Internationale no 152.
2 Idem.
3 Idem.
4 Idem.
5 Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne se présentent comme les hérauts d’une “nouvelle politique” qui serait honnête, au service des “citoyens” et éloignée des manœuvres et de la politicaillerie de bas étage auxquelles nous a habitué la caste bipartite. La preuve que ces si “bonnes intentions” ne sont que tromperies est donnée par Syriza qui s’est enregistrée en tant que parti politique en 2012 pour bénéficier de la prime de 50 députés que la législation grecque octroie au parti arrivé en tête aux élections, un gain qu’on n’octroie pas à une coalition. Voilà un signe éloquent de la moralité de ces Messieurs de Syriza.
6 Depuis 2012, Syriza et Anel, à l’époque où tous les deux étaient dans l’opposition, ont largement collaboré en rejetant, au nom de “l’intérêt de la Grèce” les mesures de la Troïka.
La bourgeoisie a profité de la grande manifestation du 11 janvier dernier, suite aux attentats à Paris, pour nous marteler l’idée qu’il fallait “défendre la liberté d’expression”. Or, aujourd’hui, l’expression est totalement monopolisée par les medias de masse pour un matraquage permanent, un bourrage de crâne, un lavage de cerveau continuel en défense de la démocratie bourgeoise. Et Internet n’a fait que renforcer encore cette emprise, en permettant tout particulièrement de fliquer informatiquement et systématiquement tous ses utilisateurs.
Entièrement chapeauté par la réalité du capitalisme d’État, la “liberté d’expression” ou “de la presse” reste plus que jamais celle de la voix et de la propriété exclusive du capital. Une situation qui a toujours été dénoncée par les révolutionnaires. Nous publions, ci-contre quelques extraits dénonçant ce mensonge de “liberté de la presse” au temps de la Troisième Internationale (1919). Ces extraits, même s’ils peuvent paraître aujourd’hui un peu datés au regard de l’évolution des moyens de propagande, montrent clairement que la presse ne pouvait être que vendue au capital, au propre comme au figuré.
“La liberté de la presse est également une des grandes devises de la démocratie pure. Encore une fois, les ouvriers savent que les socialistes de tous les pays ont reconnu des millions de fois que cette liberté est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papier sont accaparés par les capitalistes, tant que subsiste le pouvoir du capital dans le monde entier avec d’autant plus de clarté, de netteté et de cynisme que le régime démocratique et républicain est plus développé, comme par exemple en Amérique. Afin de conquérir la véritable égalité et la vraie démocratie dans l’intérêt des travailleurs, des ouvriers et des paysans, il faut commencer par enlever au capital la faculté de louer les écrivains, d’acheter et de corrompre des journaux et des maisons d’édition, et pour cela il faut renverser le joug du capital, renverser les exploiteurs, briser leur résistance. Les capitalistes appellent liberté de la presse la faculté pour les riches de corrompre la presse, la faculté d’utiliser leurs richesses pour fabriquer et pour soutenir la soi-disant opinion publique. Les défenseurs de la “démocratie pure” sont en réalité une fois de plus des défenseurs du système vil et corrompu de la domination des riches sur l’instruction des masses ; ils sont ceux qui trompent le peuple et le détournent avec de belles phrases mensongères, de cette nécessité historique d’affranchir la presse de son assujettissement au capital.”
“Toutes les “libertés démocratiques” sont de caractère formel, purement déclaratif. Telle est, par exemple, «l’égalité démocratique de tous devant la loi». Cette “égalité” prend merveilleusement corps dans “l’égalité” formelle de l’ouvrier vendeur de sa force de travail, et de celui qui l’achète : le capitaliste. Egalité hypocrite, qui masque un asservissement de fait. En l’espèce, l’égalité est proclamée, mais au fond l’inégalité réelle, économique, fait de l’égalité formelle un fantôme. La liberté de la presse, etc., que la démocratie bourgeoise donne aux ouvriers ne vaut guère mieux. Elle est en l’occurrence proclamée, mais les ouvriers sont dans l’incapacité de l’exercer : le monopole de fait du papier, de l’imprimerie, des machines, etc., qu’exerce la classe des capitalistes, réduit pratiquement à néant la presse de la classe ouvrière. Cela rappelle les procédés de la censure américaine : souvent, “tout simplement”, elle interdit à la poste de les distribuer. De cette façon, la “liberté de la presse” formelle revient à l’étrangler totalement.”
Les 12 et 19 avril, deux embarcations de fortune surchargées de migrants fuyant la plus extrême des misères sombraient dans les profondeurs de la Méditerranée, emportant avec elles plus de 1200 vies. Ces tragédies sont récurrentes depuis plusieurs décennies : dans les années 1990, le détroit de Gibraltar, cette forteresse ultra-sécurisée, était déjà le tombeau de nombreux migrants. Depuis 2000, 22 000 personnes ont disparu en tentant de gagner l’Europe par la mer. Et depuis le drame de Lampedusa en 2013, où périrent 500 personnes, cette migration et ses conséquences fatales connaissent un accroissement sans précédent. Avec près de 220 000 traversées et 3500 morts, l’année 2014 a pulvérisé les “records” (sic !). En quatre mois, la mer a déjà emporté 1800 migrants depuis le 1er janvier 2015.
Ces dernières années, nous assistons à une sorte d’industrialisation de ce trafic d’êtres humains. Les témoignages sont parfois édifiants : camps de réfugiés, traversées de zones de conflits, pillages, bastonnades, viols, esclavage, etc. La brutalité et le cynisme des “passeurs” semblent n’avoir aucune limite. Et tout cela pour être accueillis en Europe dans des conditions indignes et, pour reprendre l’expression du chef de l’opération Triton censée “sauver” les migrants des flots, de “fardeau” !
Si des hommes sont prêts à endurer de telles épreuves, c’est que ce qu’ils fuient est pire encore. A l’origine de l’augmentation des flux migratoires, il y a les conditions d’existence insoutenables dans des régions de plus en plus nombreuses de la planète. Ces conditions ne sont pas nouvelles, mais elles s’aggravent à vue d’œil. La faim et la maladie frappent encore. Mais c’est surtout une société pourrissant sur pied que fuient ces milliers de personnes : la décomposition accélérée de l’Afrique et du Moyen-Orient, avec leurs conflits inextricables, leurs bandes armées maffieuses et fanatisées, l’insécurité permanente, le racket, le chômage de masse…
Les grandes puissances, poussées par la logique d’un capitalisme de plus en plus irrationnel et meurtrier à défendre leurs intérêts impérialistes par les moyens les plus sordides, ont une part de responsabilité majeure dans la situation épouvantable de nombreuses régions du monde. Le chaos libyen est à ce titre caricatural : les bombes occidentales ont remplacé un tyran par des milices désorganisées sans foi ni loi. Outre que cela illustre parfaitement l’unique perspective que le capitalisme est en mesure d’offrir à l’humanité, la dislocation du pays a favorisé l’implantation au grand jour de filières de “passeurs” sans scrupules et souvent liés à divers acteurs impérialistes : cliques maffieuses, djihadistes et même gouvernements autoproclamés en lutte les uns contre les autres qui relèvent souvent de la première ou de la seconde catégorie, voire d’un savant mélange des deux.
A l’image des migrants traversant la Méditerranée, le déracinement est inscrit dans l’histoire de la classe ouvrière. Dès les origines du capitalisme, une partie de la population rurale issue du Moyen-Âge fut arrachée à la terre pour constituer la première main-d’œuvre manufacturière. Souvent victimes d’expropriations brutales, ces parias du système féodal, trop nombreux pour que le Capital naissant puisse tous les absorber, étaient déjà traités en criminels : “La législation les traita en criminels volontaires ; elle supposa qu’il dépendait de leur libre arbitre de continuer à travailler comme par le passé et comme s’il n’était survenu aucun changement dans leur condition” (Karl Marx, Le Capital). Avec le développement du capitalisme, le besoin croissant de main-d’œuvre généra d’innombrables flux migratoires. Au xixe siècle, alors que le capitalisme prospérait, des millions de migrants prirent le chemin de l’exode pour remplir les usines. Avec le déclin historique du système, qui débute avec la Première Guerre mondiale en 1914, les déplacements de populations n’ont jamais cessé et se sont même accrus. Guerres impérialistes, crises économiques ou catastrophes climatiques, nombreuses sont les raisons d’espérer échapper à l’enfer.
Et avec la crise permanente du système, les immigrés se heurtent désormais au fait que le Capital est incapable d’absorber significativement plus de force de travail. Les obstacles administratifs, policiers et judiciaires se sont ainsi peu à peu multipliés pour empêcher les migrants d’atteindre le territoire des États les plus développés : limitation de la durée des séjours, expulsions par charters ou reconductions massives, harcèlements juridiques, traque policière, patrouilles navales et aériennes aux frontières, camps de détention, etc. Ainsi, alors que les États-Unis à la recherche d’une main-d’œuvre nombreuse furent, avant la Première Guerre mondiale, le symbole d’une terre d’asile, le territoire américain est aujourd’hui à ce point verrouillé qu’une gigantesque et meurtrière muraille se dresse à la frontière mexicaine. L’Europe n’a bien entendu pas échappé à cette dynamique. Dès les années 1980, les très démocratiques États européens ont commencé à déployer une armada de navires de guerre dans la Méditerranée et n’ont pas hésité à collaborer étroitement avec feu le “Guide de la Révolution”, Mouammar Kadhafi et ses estimables homologues, Sa Majesté le roi du Maroc et le Président à vie de l’Algérie, Abdelaziz Bouteflika, afin de repousser les migrants vers le désert, avec des méthodes d’une extrême cruauté. Tandis que la bourgeoisie abattait triomphalement le rideau de fer, d’autres “murs de la honte” s’érigeaient un peu partout aux frontières. L’hypocrisie de la liberté démocratique de circulation au sein de l’espace Schengen apparaît à ce titre explicitement. Quant à ceux qui réussissent finalement la traversée, c’est la traque, l’humiliation et des conditions de détention infâmes. En définitive, derrière leurs larmes de crocodiles, le cynisme des États n’a pas plus de limites que celui des “passeurs”.
Les naufrages d’embarcations de fortune sont tristement courants depuis des décennies, des migrants sont incarcérés comme des criminels, réduits en esclavage ou assassinés quotidiennement. L’explosion du nombre de victimes en Méditerranée ne date pas non plus du mois dernier. Alors pourquoi un tel emballement médiatique, maintenant ?
Cela répond à une logique d’intoxication idéologique qui mobilise l’ensemble des fractions de la bourgeoisie. En effet, parallèlement à la transformation des États en forteresses, s’est enracinée une idéologie anti-immigrés nauséabonde, cherchant à rendre responsables les “étrangers” des effets de la crise et à les présenter comme des hordes de délinquants troublant la tranquillité publique. Ces campagnes parfois hystériques sont d’une idiotie abyssale et visent à diviser le prolétariat en lui faisant prendre fait et cause pour les intérêts de la Nation, c’est-à-dire ceux de la classe dominante, sur la base d’un formatage pernicieux des esprits selon lequel la division de l’humanité en nations serait normale, naturelle et éternelle. D’ailleurs, l’hypocrisie du filtrage entre “bons” et “mauvais” immigrés répond entièrement à cette logique, sont jugés “bons” ceux qui peuvent être utiles à l’économie nationale, les autres seraient des nuisibles ou des fardeaux à écarter.
Mais, comme en témoignent les élans de solidarité des ouvriers d’Italie à l’endroit des migrants atteignant finalement les côtes siciliennes, de nombreux prolétaires s’indignent du sort que la bourgeoisie réserve aux immigrés. Et quoi de mieux pour encadrer et canaliser cette indignation dans des impasses que des experts patentés en la matière : la gauche de l’appareil politique bourgeois ? A nouveau, les prétendus “amis du peuple” profitent de l’indignation généralisée pour jeter la classe ouvrière, pieds et poings liés, dans la gueule de l’État capitaliste. Les ONG, ces véritables éclaireurs impérialistes, n’ont ainsi pas eu de mots assez durs pour exiger plus de lois répressives et plus de “moyens” militaires aux États mêmes qui planifient depuis des années la tuerie, tout cela au nom des “Droits de l’Homme” et de la dignité humaine. Après le coup de la “guerre humanitaire” en Afrique, voici celui du “contrôle charitable des frontières” ! Quelle infâme hypocrisie ! En France, l’inénarrable organisation trotskiste Lutte ouvrière s’illustre ainsi à nouveau dans son article, “L’Europe capitaliste condamne à mort les migrants” () : “En réduisant le nombre et la portée des patrouilles, les dirigeants de l’UE ont fait le choix de laisser mourir ceux qui tenteraient la traversée. C’est de la non-assistance à personne en danger. Les dix-huit navires et les deux hélicoptères, qui ont été envoyés sur les lieux du drame mais après le naufrage, rajoutent à l’ignominie.” En un mot, ce parti bourgeois, prétendument marxiste, réclame lui-aussi plus de navires de guerre pour “sauver” les migrants. Ainsi, la bourgeoisie instrumentalise aussi l’hécatombe pour renforcer les moyens de répression contre les migrants avec l’augmentation et la sophistication des moyens de l’Agence Frontex chargée de coordonner le déploiement militaire aux frontières de l’Europe et les opérations anti-immigrés sur le territoire : flicage à grande échelle, fichage, rafles et charters ; la bourgeoisie semble avoir tout organisé pour “porter assistance” aux migrants. Des frappes aériennes en Libye ont même été envisagées ! Derrière cela, la bourgeoisie cherche aussi à renforcer davantage le climat anxiogène et menaçant qu’elle entretient soigneusement pour faciliter l’application des mesures répressives qui se multiplient partout dans le monde contre la classe ouvrière.
Truth Martini, 5 mai 2015
() Editorial de l’hebdomadaire Lutte ouvrière no 2438, 24 avril 2015.
“En Syrie, chaque jour qui passe apporte son nouveau lot de massacres. Ce pays a rejoint les terrains des guerres impérialistes au Moyen-Orient. Après la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan et la Libye, voici maintenant venu le temps de la Syrie. Malheureusement, cette situation pose immédiatement une question particulièrement inquiétante. Que va-t-il se passer dans la période à venir ? En effet, le Proche et le Moyen-Orient dans leur ensemble paraissent au bord d’un embrasement dont on voit difficilement l’aboutissement. Derrière la guerre en Syrie, c’est l’Iran qui attise aujourd’hui toutes les peurs et les appétits impérialistes, mais tous les principaux brigands impérialistes sont également préparés à défendre leurs intérêts dans la région. Celle-ci est sur le pied de guerre, une guerre dont les conséquences dramatiques seraient irrationnelles et destructrices pour le système capitaliste lui-même.”
C’est ainsi que débutait l’article de la Revue internationale no 149, “La menace d’un cataclysme impérialiste au Moyen-Orient”, écrit il y a presque trois ans. La situation n’a fait qu’empirer depuis et la menace d’une conflagration généralisée est encore plus grande.
Cela fait cinq ans maintenant que la guerre impérialiste ravage la Syrie dans laquelle sont impliquées les grandes puissances – États-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie – ainsi que des puissances régionales comme l’Iran, l’Arabie saoudite, la Jordanie, Israël, etc. Aucune issue n’apparaît à ce conflit. Au contraire, la guerre et l’instabilité s’étendent. En particulier, l’État islamique et son Califat, cette expression particulière de l’irrationalité et de la décomposition capitalistes, se renforcent. A Tikrit, à Mossoul, à Raqqa et d’autres régions encore, l’État islamique s’étend. Fin mars, les forces djihadistes d’al-Nosra ont pris la deuxième capitale provinciale de Syrie, Idleb, seulement quelques jours après que dans le Sud, al-Nosra, avec l’aide d’interventions militaires israéliennes qui, de facto, travaillent avec les djihadistes, a pris l’ancienne capitale arabo-romaine de Bosra dans la région de Deraa. Le même type de coopération a été observé dans l’immense camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk près de Damas où al-Nosra a fait le lit de l’avancée meurtrière de l’État islamique dans une enclave, déjà soumise à deux ans de siège et de famine, qui se présente elle-même comme un microcosme de la décomposition générale.
Mais ce type d’alliance est fragile ; la tendance est même à des coalitions impérialistes de plus en plus éphémères. Ainsi à Yarmouk, les résistances à toute coopération avec les djihadistes sont très fortes. Et ces alliances au sein des différentes fractions sunnites sont elles-mêmes contingentes et périlleuses du fait que beaucoup de fractions sunnites se haïssent entre elles, encore plus qu’elles ne haïssent les chiites. A Yarmouk, une bataille sur trois ou quatre fronts est en train d’éclater ; des forces palestiniennes pro-Assad y sont impliquées ainsi que le groupe djihadiste sunnite anti-régime de Aqnaf Beit al-Maqdis (le Conseil Shura moudjahidine des environs de Jerusalem – également actif dans la péninsule du Sinaï) qui est haï à la fois par l’État islamique et par al-Nosra.
L’État islamique a aussi étendu son influence sur l’Afrique du Nord dans les régions de Libye déstabilisées par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France et dans la péninsule toujours instable du Sinaï, malgré l’intervention dans ces deux zones du régime militaire égyptien. Tout cela a des conséquences pour de nouvelles attaques terroristes en Europe et au-delà. L’instabilité et l’armement libyens, le chômage massif dans toute la région et l’idéologie religieuse irrationnelle issue du délitement général de la société capitaliste a ouvert un boulevard aux groupes liés à al-Qaïda, Boko-Haram au Nigéria et al-Shabaab au Kenya, qui répandent la terreur et la guerre à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières. Les pays qui subissent cela sont la Somalie, le Sud-Soudan (où des troupes chinoises sont présentes), le Cameroun (dont les forces spéciales entraînées par Israël sont mobilisées pour combattre) et le Tchad (dont les forces spéciales anti-terroristes basées à Fort Carson, Colorado, travaillent avec des formateurs britanniques et les forces spéciales françaises). Les forces de l’impérialisme français ont été augmentées avant et après les attentats de Paris, attentats qu’on dit inspirés par al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA).
Les conséquences de la montée du djihadisme constituent une spirale de violence et de destruction sans précédent au Moyen-Orient et en Afrique. Pour reprendre à l’État islamique la ville syrienne frontalière de Kobani, par exemple, où les combats se poursuivent encore aujourd’hui dans les villages avoisinants, les puissances occidentales et les combattants kurdes ont bombardé la ville et l’ont totalement détruite ; et c’est la même chose qui semble avoir lieu à Tikrit en Irak. À la politique de terre brûlée et à la terreur de l’État islamique répondent la terre brûlée et la terreur de l’Occident et de ses alliés. La dévastation de toute la région dépasse l’entendement et tandis que les démocrates de Grande-Bretagne, des États-Unis et de France ainsi que le repaire de bandits des Nations Unies dénoncent hypocritement la destruction par l’État islamique des anciens sites historiques et culturels, leurs propres avions ne sont pas moins destructeurs.
Malgré les bombardements qui le visent, l’État islamique constitue une force énorme et une menace qui s’étend. Patrick Cockburn, célèbre journaliste du The Independant, écrit : “L’État islamique ne va pas exploser du fait du mécontentement populaire qui s’accroît à l’intérieur de ses frontières. Ses ennemis peuvent railler ses prétentions d’être un État véritable mais, en ce qui concerne sa capacité à enrôler des troupes, à augmenter les impôts et à imposer sa variante brutale d’Islam, il est plus fort que ses nombreux voisins régionaux” (). L’exemple de Tikrit montre à quel point il est difficile de déloger l’État islamique. Dans cette ville, quelques centaines de djihadistes ont tenu tête à l’assaut coordonné de milliers de forces spéciales irakiennes et de milices chiites pendant des semaines et bien que Bagdad ait annoncé avoir repris Tikrit (), l’État islamique en contrôle toujours des parties ainsi que les provinces bien plus grandes d’Anbar et de Ninive. Pire ! L’assaut semble même avoir provoqué des problèmes entre le gouvernement irakien, les États-Unis et les milices chiites soutenues par l’Iran, l’issue étant une augmentation de frappes aériennes américaines et un soutien de facto aux forces iraniennes. Ces relations de coopération entre l’Amérique et l’Iran soulèvent une grande consternation et de grandes craintes parmi les anciens alliés de l’ex-bloc de l’Ouest, en particulier en Arabie saoudite et en Israël.
Un rapprochement a commencé à s’opérer durant la guerre menée par l’État islamique en Irak et en Syrie car la montée de l’État islamique a posé à la politique guerrière des États-Unis un dilemme encore plus grand. Si le régime d’Assad avait été vaincu, la route de Damas aurait été ouverte pour l’État islamique. Récemment, le directeur de la CIA, John Brennan, l’a reconnu explicitement quand il a déclaré qu’il ne voulait pas que le gouvernement d’Assad s’effondre (), des paroles auxquelles, quelques jours plus tard, le secrétaire d’État John Kerry a fait écho lors des discussions en vue d’un accord sur le nucléaire avec les officiels iraniens.
Les tensions entre les États-Unis et Israël, avec la clique de Netanyahou en particulier, ont émergé publiquement. Les Israéliens se sentent affaiblis et vulnérables du fait de ce que certains politiciens israéliens appellent la politique américaine de “Pivot vers la Perse” (après la politique appelée Pivot to Asia). Assad ou l’État islamique, la peste ou le choléra, tel est l’insoluble dilemme auquel la politique étrangère américaine est confrontée.
Si Israël s’inquiète du rapprochement irano-américain – une coopération qui existait en réalité jusqu’à la fin des années 1970 lorsque le Shah d’Iran était le gendarme de la région au service de la Grande-Bretagne et des États-Unis – l’Arabie saoudite aussi est préoccupée et c’est ce qui en premier lieu l’a poussée dans l’aventure actuelle au Yémen. La “révolution” islamique de 1979 qui a renversé le Shah, constituait une menace pour l’Arabie saoudite, avec ses “appels aux opprimés” – arme de l’impérialisme iranien pour gagner l’avantage sur ses rivaux locaux. Depuis cette époque, l’Iran a perdu les faveurs de l’Occident et, en même temps et indépendamment, le régime d’Arabie saoudite a développé une ligne dure d’islam wahhabite afin de promouvoir et d’encourager les sentiments et les activités anti-chiites extrémistes (). L’Etat saoudien, préoccupé par la possibilité que l’Iran devienne une puissance nucléaire, a clairement exprimé ses propres aspirations au nucléaire.
Un autre facteur qui joue en faveur d’un “axe” américano-iranien – dont nous sommes encore loin, même si un accord est obtenu sur la capacité nucléaire iranienne – est que ce serait, pour la Russie, principal allié de l’Iran et supporter d’Assad, un sérieux revers. La Russie serait repoussée à l’intérieur de ses territoires, encerclée et comprimée. Ce qui ferait de l’Europe un lieu encore plus dangereux car la menace d’un impérialisme russe cherchant à rompre cet encerclement augmenterait à long terme.
Même par rapport à ce qui est habituel au Moyen-Orient – les conflits entre communautés religieuses, la destruction gratuite, les machinations et les guerres impérialistes constantes et croissantes – l’attaque menée par l’Arabie saoudite au Yémen en mars dernier atteint de nouveaux sommets d’absurdité : l’Arabie saoudite dirige une coalition musulmane sunnite de dix nations comprenant le Pakistan, un pays non-arabe et disposant de l’arme nucléaire, pour attaquer le Yémen. Les gangsters locaux, comme les Emirats arabes unis, le Koweït et le Qatar sont impliqués mais, également, le dictateur égyptien al-Sissi ainsi que la clique génocidaire du Soudan d’el-Béchir. Tous ces despotes sont soutenus par les États-Unis et la Grande-Bretagne qui ont offert à la coalition un soutien “en logistique et en renseignements”. La force de cette coalition n’est toutefois pas claire, étant donné que le Sultanat d’Oman a refusé de s’y joindre, que le Qatar est hésitant et qu’apparemment, le Pakistan l’a finalement quittée. Difficulté supplémentaire, le Yémen, étant donné sa situation géographique, est une autre sorte d’Afghanistan comme les forces impérialistes britanniques, égyptiennes et autres l’ont appris à leurs dépens dans le passé. Le Yémen est le pays le plus pauvre du monde arabe. On estime à dix millions le nombre d’enfants au bord de la malnutrition ; la pauvreté et la corruption y sont rampantes. Ce pays qui n’a pas connu de conflits ethniques graves dans son histoire, a été sucé jusqu’à la moelle par d’autres puissances impérialistes et les guerres dans les dernières années, et cela est bien parti pour continuer. En septembre dernier, le président Obama a qualifié une opération de drone américain sur le territoire de “succès anti-terroriste”, et même de “modèle” () du genre. Le Yémen et sa population qui souffre depuis longtemps, vont subir une nouvelle série de tensions et de destructions qui ne feront, selon toute probabilité, que renforcer la position d’al-Qaïda et de l’État islamique dans la péninsule arabique.
Les rebelles Houthis qui se renforcent en ce moment au Yémen viennent de la secte zaïdiste – branche obscure de l’islam chiite du clan al-Houthi au nord où cette population vit depuis mille ans. Ils sont nés au début des années 1990 en tant que mouvement évangéliste pacifique, appelé “la Jeunesse croyante”. Comme beaucoup d’autres, ce mouvement s’est radicalisé à la suite de l’invasion occidentale de l’Irak en 2003. L’Iran l’appelle la révolution “Ansarullah” et a certainement fourni une assistance mais à la très petite échelle de la situation de la région. Les Houthis ne sont pas de simples marionnettes de Téhéran. Ils avaient auparavant battu les forces gouvernementales américaines et le président Saleh, soutenu par l’Arabie saoudite ainsi que les troupes d’AQPA. Le président Saleh a démissionné en 2012, et lui, son fils et cent mille de ses soldats soutiennent maintenant l’avancée houthie, une avancée qui a été facilitée par le désespoir et la méfiance envers les autorités. Le nouveau président yéménite Hadi, soutenu par l’Arabie saoudite et l’Occident, a fui l’avancée houthie sur Aden où sont restées certaines forces qui lui sont favorables, et on rapporte qu’il serait actuellement à Ryad. L’affiliation sunnite de Hadi est hors-la-loi en Arabie saoudite, ce qui constitue un autre élément de cette situation alambiquée. Les ambassades ont été fermées et les troupes américaines ont aussi fui les Houthis. Les Houthis avancent, ayant ramassé du matériel militaire abandonné par l’armée américaine évalué à un demi-milliard de dollars. Autre facteur d’instabilité : l’alliance du président Saleh avec les Houthis est très fragile, certaines de ses troupes se sont ralliées à l’Arabie saoudite et ont fui les bombardements de leurs quartiers. Cela indique que le retournement de cette armée contre les Houthis est possible, si elle se réorientait vers l’Arabie saoudite et vers ses anciens soutiens occidentaux.
Certains journalistes () spécialistes du Moyen-Orient ont souligné la complexité ainsi que les dangers de la guerre qui se déroule au Yémen. Ils la qualifient de “multidimensionnelle”, ce qui est une description claire de la déliquescence à l’œuvre.
Il y a les Houthis, bien armés maintenant, non grâce à l’Iran mais grâce aux États-Unis ; d’AQPA – qui est mortellement efficace dans cette région contre des cibles occidentales et locales depuis 15 ans, l’État islamique qui a annoncé l’ouverture de sa branche yéménite l’an dernier et a commandité l’attentat d’une mosquée le 21 mars, tuant plus de cent chiites houthis ; les forces sunnites-croupion déclinantes soutenues par l’Arabie saoudite et la côte occidentale du pays qui est en partie dominée par des pirates et des seigneurs de guerre. Et c’est dans cet enfer, que l’Arabie saoudite, bien armée par l’Occident, veut mener des bombardements et envoyer des forces d’invasion ! L’Arabie saoudite est apparemment en train de mobiliser 150 000 soldats et prépare son artillerie pour attaquer le Yémen. Les dimensions militaire, économique et géostratégique du conflit au Yémen ne sont pas ignorées par les journalistes : d’un côté, il y a la mer Rouge et le canal de Suez, de l’autre le golfe d’Aden et le détroit de Bab-el-Mandeb, et c’est une autre raison pour laquelle le Yémen est un enjeu si important dans l’arène impérialiste. L’aviation saoudienne a commencé à bombarder le Yémen, frappant inévitablement les camps de réfugiés et les régions civiles. L’Arabie saoudite s’inquiète également pour sa propre population et la stabilité de son régime avec l’approfondissement général de la crise : il est notoire que près de la moitié de l’armée saoudienne est composée de tribus yéménites.
L’Arabie saoudite a appelé ses plans de guerre yéménites “Opération Tempête décisive”, en écho au nom de “Tempête du désert” donné à l’opération américaine en Irak en 1991 qui avait entraîné, entre autres, le massacre de soldats et de civils irakiens sur la fameuse “Autoroute de la mort” vers Bassorah. L’Iran n’appréciera pas l’implication de l’Arabie saoudite et est consciente de l’appel que celle-ci avait adressé à l’Amérique – révélé par Wikileaks en novembre 2010 – “il faut couper la tête du serpent” iranien (selon l’Agence Reuters du 29/11/2010). Qu’il y ait ou non un rapprochement entre les États-Unis et l’Iran, les tensions et la guerre dans cette région ne peuvent que s’exacerber. C’est le futur que le capitalisme réserve à cette région et, en fin de compte, au monde entier.
D’après World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne, 15 avril 2015
() 20/03/2015.
() The Guardian, 1/04/2015.
() Middle East Eye, 14/03/2015.
() Il est clair que les puissances impérialistes de la région et, évidemment, les divers gangs armés sunnites et chiites ont joué un rôle de premier plan en suscitant les divisons sunnites/chiites qui étaient bien moins importantes dans le passé. Mais l’exacerbation de ces divisions sont aussi une production “spontanée” de la décomposition, d’une société dans laquelle tous les liens sociaux se dissolvent et sont remplacés par une atmosphère fétide de pourrissement.
() Le Sunday Telegraph a récemment publié un article sur un rapport des Nations Unies montrant qu’en 2011, le président Saleh, tout en étant soutenu par l’Occident et l’Arabie saoudite, avait rencontré des représentants de haut rang de l’AQPA et leur avait accordé un asile sûr dans le sud du pays où ils ne seraient pas inquiétés par les mouvements de ses troupes. Cela est typique des rapports et combinaisons machiavéliques dans la décomposition du capitalisme. Comme ses compères du même acabit, Saleh et sa clique ont aussi escroqué des milliards de dollars.
() Voir par exemple les articles de Nussalbah Younis dans The Oberver du 29/03/2015 et de Robert Fisk dans The Independant du 28/03/2015.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un tract diffusé par nos camarades du Pérou en janvier dernier contre une nouvelle loi sur l’emploi des jeunes qui permet au gouvernement, comme dans de nombreux autres pays, de faciliter le recrutement de jeunes prolétaires en les payant le moins possible. Cette attaque a provoqué une forte mobilisation qui s’est traduite par cinq manifestations à Lima et en province. Le mouvement a permis que se développent des discussions et des assemblées dans la rue avant d’être rapidement récupéré par les gauchistes et d’autres organisations bourgeoises (1.
Camarades, la scélérate “loi Pulpin” sur l’emploi des jeunes est un pas de plus dans la politique de l’Etat et de la bourgeoisie pour faire payer aux travailleurs la chute des bénéfices et la récession de l’économie. Avec les mesures de “relance” du président Humala et la bande des députés, on veut nous faire payer les pots cassés de la crise mondiale du capitalisme qui a éclaté en 2008 et dont les vagues ont frappé de plein fouet le Pérou et d’autres pays latino-américains (Brésil, Chili, Argentine, Venezuela).
Et comme cela s’est produit aux Etats-Unis, en Europe, au Japon ou en Chine, la formule appliquée est toujours la même : attaquer les conditions de vie des ouvriers, facilitant les licenciements massifs, le gel des salaires, l’augmentation des cadences, les heures supplémentaires non payées et maintenant le recrutement d’une main-d’œuvre jeune et bon marché.
Mais il ne faut pas croire que cette offensive vient à peine de commencer. Elle provient de tous les gouvernements passés. Ce gouvernement a commencé en 2012 à attaquer les enseignants avec la loi sur l’enseignement à laquelle on a répondu par un mois de grève, finalement sabotée et vendue par le syndicat SUTEP et le parti Patria Roja (). Ont suivi la réforme sur la santé ciblée contre le secteur médical et infirmier et la nouvelle loi sur l’université principalement dirigée contre les étudiants. Aujourd’hui sous la forte pression accrue de la crise économique, l’Etat a abaissé les impôts au profit des capitalistes (670 000 entreprises en ont bénéficié !) avec le coup de main donné par les députés qui ont voté les lois qui favorisent encore plus les licenciements. Comme nous le voyons, l’offensive anti-ouvrière marche à plein régime et nous devons sortir dans la rue pour nous y opposer.
Comme nous l’avons dit plus haut, les lois contre les travailleurs peuvent seulement s’expliquer dans le cadre d’une crise du capitalisme mondial. Le capitalisme est un système entré en décadence il y a un siècle et depuis les années 1980, il est entré dans sa phase terminale de décomposition avec les pires manifestations que nous pouvons voir aujourd’hui : phénomène de bandes, insécurité des quartiers, narcotrafic, augmentation des agressions et de la criminalité, actes terroristes politiques ou religieux, catastrophes pour l’environnement, meurtres de masse (comme les 43 étudiants massacrés au Mexique), guerres impérialistes (Syrie, Irak, Ukraine), corruption généralisée. Le capitalisme, dans sa phase de décomposition, représente le règne absolu de l’amoralité dont le poids idéologique contamine même les rangs de la classe ouvrière. Mais nous, les prolétaires, sommes les seuls qui pouvons changer cette situation avec notre vision morale de la lutte et de la solidarité de classe.
Nous sommes (ou serons) tous des esclaves salariés
A toi qui dois lutter de manière associée, nous te disons que la “dignité dans le travail” ou le “je ne veux pas être exploité” est impossible à l’intérieur du système capitaliste pour la simple raison que tout travail en échange d’une rémunération ou d’un salaire repose sur une exploitation et que toute exploitation est une atteinte à la dignité. Parce que le travail salarié signifie l’extorsion d’une plus-value au profit des chefs d’entreprise ; parce que le capitaliste est un vampire qui suce le sang et aspire la sueur des travailleurs. Dans ce système, notre force de travail est transformée en une simple marchandise de plus qui s’achète ou se vend au prix du marché au gré des capitalistes. Nous, les travailleurs, jeunes ou non, sommes en conséquence obligés et contraints par nécessité de consacrer 8 ou 10 heures par jour au travail, ou même davantage. Comment cela s’appelle-t-il ? De l’esclavage salarié !
Attention : quand nous parlons de capitalistes ou de chefs d’entreprise, nous ne nous référons pas seulement aux patrons des grandes entreprises et des usines regroupés dans les organismes patronaux comme la CONFIEP ou l’ADEX mais aussi aux entreprises du secteur public ou nationalisées qui n’appartiennent nullement au peuple comme on nous le raconte et toutes les autres PME : boutiques, galeries, ateliers, restaurants, bureaux, imprimeries, boulangeries, collèges, cliniques et bien d’autres partout où il y a un chef d’entreprise et des travailleurs à son service, il y a exploitation !
Cette fameuse “loi Pulpin” est une façon de faire prospérer le chef d’entreprise avec ton travail et tes droits réduits le plus possible mais qui cherche en même temps à te faire plier à la discipline de l’esclavage salarié, à te faire entrer dans la tête que travailler au profit de quelqu’un d’autre, qu’être exploité, doit être considéré comme une chose “normale”. Le “Nous devons tous travailler” fait partie intégrante de la morale et du bon sens commun inculqués dans le cerveau des gens par la bourgeoisie et son Etat depuis l’école. Et quand, en tant que travailleurs qui subissons la rigueur et cette exploitation, nous brisons cette “normalité” avec des grèves ou des manifestations, alors l’Etat et la démocratie se mobilisent tous avec leurs gestionnaires successifs (Fujiimori, Garcia, Toledo, Humala et tous ceux à venir) pour lâcher leurs meutes des forces de répression en faisant usage de leurs bâtons, de leurs balles ou de leur prison contre les “révoltés”.
L’Etat et les capitalistes jouent leur jeu pour nous maintenir divisés (les “jeunes” contre les “vieux”, les ouvriers de base contre les ingénieurs ou les techniciens hautement spécialisés, les cols bleus contre les cols blancs). Nous devons briser le carcan du localisme, de l’isolement et de la lutte chacun de son côté par entreprise, corporation ou secteur. Nous devons coordonner nos luttes avec tous ceux qui se battent comme nous. Les récentes grèves à Antamina (), à la SERPOST (employés de la poste), dans ESSALUD (le secteur de la santé), dans le secteur bancaire, ne font-elles pas partie de nos luttes ? N’en font-elles pas aussi partie les récentes mobilisations aux Etats-Unis, en Belgique ou en Italie contre les mesures d’austérité et les licenciements ? Bien sûr que si ! Parce que nous sommes une classe mondiale, notre lutte dépasse le cadre des frontières, elle est internationale.
Nous devons nous mobiliser mais aussi nous devons nous réunir, nous connaître, parler entre nous, discuter et débattre des moyens de la lutte entre tous sans en laisser les rênes à une camarilla qui prend les décisions dans notre dos. Formons des assemblées de lutte ouvertes à tous les exploités pour réfléchir et faire un bilan quotidien de la situation et donnons-nous les moyens pour faire appliquer nos propres décisions,.
Ouvriers, étudiants, retraités, sans emplois, saisonniers, nous avons tous quelque chose à dire et à apporter à la lutte.
Camarades, commençons à forger l’unité des exploités en rupture avec les divisions imposées et faisons reculer ce système inhumain. Prenons conscience une fois pour toutes que nous appartenons à la classe des prolétaires, à une armée d’esclaves obligée de vendre sa force de travail. Nous ne sommes pas des machines au travail, “du capital humain” comme aiment le dire les économistes à la solde de la bourgeoisie.
Non ! Nous sommes une classe historique qui a derrière elle une expérience de 150 ans de luttes et qui porte un projet de libération pour toute l’humanité exploitée ! Nous formons la communauté humaine mondiale.
Assurons la continuité de ceux qui nous ont précédés et luttons aussi pour une société différente organisée par les travailleurs du monde entier dans laquelle n’existera plus d’exploitation, ni de classes sociales ni de frontières et dans laquelle la socialisation de la production à l’échelle mondiale, où la satisfaction des besoins de l’humanité seront primordiaux et où le travail serait une activité humaine pour le bénéfice de tous.
Le capitalisme est aujourd’hui un système décadent dont l’enfoncement dans la dynamique de décomposition nous entraîne vers une barbarie généralisée, vers un désastre écologique et accélère le processus d’extinction de notre propre espèce. Organisons-nous dès maintenant et unissons notre lutte avec les travailleurs du monde entier pour en finir avec cet ordre insupportable de souffrance et de misère.
Révolution mondiale ou destruction de toute l’humanité !
Prolétaires de tous les pays, unissons-nous !
Internacionalismo Perú, 21 janvier 2015
1) Pour nos lecteurs lisant l’espagnol, voir l’article tirant le bilan de cette mobilisation : “Balance de las movilizaciones contra la Ley de Empleo Juvenil”.
() Le SUTEP est le syndicat unitaire des travailleurs du pays dont plusieurs dirigeants viennent du maoïsme. Patria Roja est un parti politique stalinien dérivé du Parti communiste péruvien. Ils entretiennent entre eux des liens étroits.
() Antamina est une mine à ciel ouvert située dans la région d’Ancash dans le nord du pays le long de l’Océan Pacifique, sur les contreforts de la chaîne andine, où les mineurs extraient principalement du cuivre et du zinc et où, en novembre et décembre 2014, 1700 mineurs avaient entamé une longue grève pour réclamer une amélioration de leurs conditions de travail.
Absent du livre précédent de l’auteur cubain Léonardo Padura (), l’ex-inspecteur Conde est de retour dans Hérétiques (). Cet anti-héros est le prototype du latino-américain macho qui cache sous ses dehors revêches une profonde sensibilité. Ses espoirs perdus et ses illusions tenaces donnent à ce personnage une sorte de crédibilité pour dénoncer les souffrances de ceux qui vivent à Cuba. Les passages sur la réalité vécue sur cette île constituent indéniablement l’une des grandes forces du récit : “Il regarda au loin, au-delà des maisons et des immeubles couronnés d’antennes, de pigeonniers où séchaient des draps si usés qu’ils en étaient presque transparents” (). Mais ce livre est aussi et surtout un hommage aux esprits libres qui se dressent contre l’oppression sans craindre d’être rejeté par leur famille, leur communauté, la société. Cette nouvelle enquête menée par Conde, la recherche d’un tableau de Rembrandt, est en effet l’occasion d’un voyage extraordinaire dans le temps et l’espace, de La Havane à Amsterdam en passant par Miami, du castrisme à l’Inquisition en passant par le nazisme, à la rencontre de personnages tous différents mais tous hérétiques à leur manière. Léonardo Padura use de sa maestria pour faire ressentir le courage, la volonté, l’impérieuse attirance pour la vérité et la révulsion pour le mensonge et les carcans sociaux qui animent tous ses hérétiques. Autant de valeurs morales indispensables à cultiver pour résister au conformisme mortifère de ce monde inhumain.
Cuba, 1939. Un enfant de 8 ans regarde plein d’espoir et d’angoisse un paquebot planté au milieu du port de la Havane. A son bord, son père, sa mère et sa sœur attendent l’autorisation de poser pieds à terre. En vain. Ils n’en descendront jamais et mourront quelques années plus tard dans les chambres à gaz en Allemagne. Il s’agit d’une histoire vraie, celle du Saint-Louis. Le 13 mai 1939, ce paquebot quitta le port de Hambourg avec 937 Juifs à son bord. Quelques mois auparavant, en novembre 1938, avait lieu le pogrom de la Nuit de Cristal durant laquelle une centaine de Juifs étaient assassinés et des milliers déportés vers les premiers camps de concentration. Les 937 Juifs du Saint-Louis, au prix de toutes leurs économies, croyaient donc en quittant Hambourg réussir à fuir l’horreur des massacres nazis. Mais l’espoir de ces migrants allait bientôt être déçu. Le navire passa de port en port. À Cuba, aux États-Unis et au Canada, partout ces passagers étaient rejetés. Finalement, presque personne ne descendra de ce navire. Ils seront renvoyés vers l’Europe et vers la mort. Cet épisode historique en rappelle un autre, celui de Joël Brand qui, en pleine guerre mondiale, avait reçu d’Himmler l’ordre d’échanger avec les alliés plusieurs milliers de Juifs contre l’envoi de camions (). Cette occasion inespérée de sauver de nombreuses vies humaines fut elle-aussi refusée obstinément par les adversaires d’Hitler, Churchill en tête.
La force du récit de Léonardo Padura est de faire vivre cet événement tragique à travers les yeux d’un enfant tout en faisant ressentir que se joue aussi la grande Histoire, que cet enfant et sa famille sont le symbole de la barbarie antisémite, tout comme ce paquebot est symbolique de l’hypocrisie et de l’inhumanité de toutes les nations.
Cette famille juive est banale. Le père ne rêve que d’une chose : “être transparent”. Et pourtant ils subiront les foudres de la haine. L’auteur met ici en évidence que leur seul tort est d’être Juifs. Rien d’autre. Ce paquebot condamné à errer, à être rejeté de port en port puis à revenir à son point de départ, transporte 937 personnes à l’image de cette famille : elles-aussi n’ont commis comme seul crime que d’être juives et seront pour cela rejetées de toute part. Pour elles toutes, pour tous les Juifs, la planète est devenue sans visa. Pourquoi cette haine ? Quelles sont les racines de cet antisémitisme mondial ? Léonardo Padura n’a pas la prétention de répondre de manière exhaustive à cette énigme mais il semble dessiner deux pistes au moins à la réflexion. “Pourquoi le fait de croire en un Dieu et de suivre ses commandements de ne pas tuer, ni voler, ni convoiter, pouvait faire de l’histoire des Juifs un enchaînement de martyres” (), fait-il se demander à l’un de ses personnages ; ce faisant, l’auteur suggère que les hautes valeurs morales de la religion juive et les règles qui en découlent constituent l’une des sources de la haine antisémite. Quant à la seconde raison, elle n’est pas affirmée mais ressort plutôt de l’ensemble du récit telle une image impressionniste : toutes les nations rejettent ce “peuple” parce qu’il n’est justement attaché à aucune nation. La vindicte, les persécutions, les pogroms dirigés contre les Juifs remontent certes à une époque bien antérieure, en fait quand le christianisme a étendu sa domination sur une bonne partie du monde (alors que l’Islam reconnaît au moins aux yeux des chrétiens dans le Christ un prophète) mais ils prennent une toute autre ampleur à partir du xvii siècle avec l’essor du capitalisme naissant. Dans le monde capitaliste, découpé par les frontières et divisé en nations devant chacune être considérée par ses habitants respectifs comme la mère-patrie, celle pour qui chacun doit retrousser ses manches, se serrer la ceinture et verser son sang selon les circonstances, être apatride est déjà en soi une hérésie (). Et pour les hérétiques, l’Histoire a maintes fois démontré que le bûcher est la fin la plus commune.
Léonardo Padura nous transporte ensuite dans l’Amsterdam du xvii siècle à la rencontre de deux hérétiques, Rembrandt et l’un de ses disciples, un jeune Juif. Au fil des pages, l’impression est saisissante : nous sommes réellement là, avec “le maître”, dans son atelier, au milieu des huiles, des couleurs et des senteurs.
Amsterdam vit alors sa période la plus florissante. Les Juifs séfarades contribuent à cette richesse orgueilleuse qui ne cesse de croître depuis l’indépendance gagnée sur l’occupant espagnol. Rembrandt (1606-1669) y connaît la fortune et la gloire. Il profite des largesses des commerçants, des bourgeois et des princes qui lui commandent des tableaux toujours plus onéreux. Mais il est surtout le fruit de ce vent de liberté qui flotte sur la ville alors que la féodalité est en train de se fissurer face au développement du commerce. Par là même, il est entraîné toujours plus loin dans la remise en cause des règles établies, tout comme son voisin, Baruch Spinoza, persécuté pour ses idées révolutionnaires, excommunié en 1656 par la communauté juive d’Amsterdam et banni de sa propre famille.
Sa manière de baigner ses tableaux de lumière – en prolongeant et dépassant les recherches sur le clair-obscur de Caravage ou les effets d’ombre et de lumière de Georges de La Tour () –, son utilisation nouvelle de la matière, l’importance accordé au regard “miroir de l’âme”, la représentation réaliste de la chair humaine, avec ses imperfections, ses Christs incarnés tel un homme ordinaire, tout devait finir par heurter le conformisme des commanditaires de Rembrandt. Les dettes s’accumulent, on l’accuse de mener une vie dissolue. En 1656, Rembrandt est exproprié. Rembrandt est l’anti-Rubens. Lui peint l’Homme tel qu’il est et non des êtres idéalisés, tout en muscles et en graisse, pour flatter les rêves de puissance des dominants. L’insubordination de l’un s’oppose à la soumission intéressée de l’autre. Mais il faut dire aussi qu’entre Rubens et Rembrandt, l’époque est en train de changer sous la houlette du capitalisme naissant, évolution que fondamentalement “le maître” refuse. Voici ce que Léonardo Padura fait ainsi dire à Rembrandt : “Dans cette ville où tout le monde fait du commerce, nous sommes en train d’inventer quelque chose : le commerce de la peinture. Nous travaillons pour vendre à de nouveaux clients avec des goûts nouveaux. Sais-tu qui est le meilleur acheteur des tableaux de Vermeer de Delft ? Eh bien, c’est un boulanger enrichi. Un mécène vendeur de gâteaux, et pas un évêque ou un comte... ! Et pour avoir l’argent de ceux qui se font appeler les bourgeois, qu’ils soient boulangers, banquiers, armateurs ou marchands de tulipes, la peinture a dû évoluer pour satisfaire les goûts d’hommes qui n’ont jamais mis un pied à l’université. C’est pour cela qu’est apparue la spécialisation : il y a ceux qui peignent des scènes champêtres et qui les vendent bien, alors va pour les scènes champêtres ; même chose pour ceux qui peignent des batailles, des marines, des natures mortes, des portraits... Nous avons inventé la représentation commerciale : chacun doit avoir la sienne et la cultiver pour en recueillir les fruits sur le marché comme n’importe quel commerçant. Mon problème, […] c’est que je ne m’inscris pas dans ce genre de spécialisation, et que je ne cherche pas à ce que ma peinture soit brillante et harmonieuse comme ils le veulent maintenant... Ce qui m’intéresse, c’est de représenter la nature, y compris celle de l’homme, y compris celle de Dieu, et non pas de respecter les canons ; j’aime peindre ce que j’éprouve, comme je l’éprouve”. A la recherche de la nature humaine, Rembrandt passera sa vie à essayer de représenter au mieux le regard, ce miroir de l’âme.
Quant à son jeune élève juif, son destin est plus tragique encore. Passionné par la peinture et les portraits, il doit se cacher pour apprendre son art puisque sa communauté rejette toute forme de représentation comme idolâtrie. Malgré les pressions et le danger croissant, il refuse de renoncer à ce qui est pour lui sa raison de vivre. Il sera pour cela condamné à fuir vers la Pologne. Il y mourra, seul et démuni, lors de pogroms particulièrement meurtriers et barbares.
“Hérétiques ordinaires” est un oxymore. Et pourtant telle est bien la sensation qui se dégage de la galerie de personnages que dessine la plume de Léonardo Padura.
Ici, un Juif de Cuba qui devient peu à peu “plus sceptique, mécréant, irrespectueux, rebelle devant un supposé dessein divin si débordant de cruauté”. Ailleurs, un ex-flic qui continue de croire à la justice mais vomit le système judiciaire et politique et tous les mensonges étatiques. Là, un autre Juif, parti de Cuba pour les États-Unis et qui vit de l’art de peindre, défiant lui aussi, comme l’élève de Rembrandt quelques trois siècles auparavant, l’interdiction juive de l’idolâtrie. Là encore toutes ces familles et amis cubains coupés en deux, une partie à Cuba et une autre aux États-Unis, qui continuent malgré tout de s’aimer et de se soutenir, défiant ainsi l’autorité de l’Etat cubain selon lequel celui qui vit de l’autre côté de la mer est un traître à la solde de l’impérialisme yankee. “L’Homme Nouveau ne pouvait avoir de relations fraternelles qu’avec ceux qui partageaient son idéologie. Un père aux États-Unis, c’était comme une maladie contagieuse. Il fallait tuer la mémoire du père, de la mère, du frère, s’ils n’habitaient pas à Cuba.”1 Là, enfin, toute une jeunesse désabusée qui se replie sur elle-même face à un monde qu’elle rejette. Léonardo Padura décrit admirablement l’état d’esprit de ces diverses tribus urbaines de La Havane, les gothiques, les freaks, les métalleux, les emos, à la fois révoltées par ce monde sans issue mais aussi incapables de percevoir une quelconque alternative. Il s’agit de l’un des faits les plus marquants de ce livre : les jeunes hérétiques d’aujourd’hui qui étouffent dans les carcans et les mensonges de la société cubaine sont très différents de ceux de l’Amsterdam du xvii siècle ou même du Cuba des années 1960-1970 ; ils n’ont aucune illusion mais aussi aucun espoir, ils sombrent dans le nihilisme et retournent leur colère contre eux-mêmes en se scarifiant et en s’automutilant. L’héroïne emo de Léonardo Padura finira ainsi par se suicider. Ce no-future est particulièrement significatif de la période que l’humanité traverse aujourd’hui : la conscience que le capitalisme est moribond et barbare est très largement partagée, mais plus répandu encore est le manque de confiance et de perspectives de tous ces hérétiques pour changer le monde ().
On peut désormais en être convaincu : Padura fait partie des grands écrivains contemporains. Il pratique cette sorte de littérature qui provoque toujours une tristesse ou une joie subtile et, sans y prendre garde, nous relie au grand combat universel pour l’émancipation de l’humanité. C’est au fond ce que déclarait Vincent Van Gogh, avec les mots de son époque. Dessinateur débutant installé au milieu des mineurs dans ce Borinage (Belgique) où dominait la misère, il écrivit à son frère Théo : “Je ne connais pas encore de meilleure définition de “l’art” que celle-ci : l’art, c’est l’homme ajouté à la nature ‒ la nature, la réalité, la vérité, dont l’artiste fait ressortir le sens, l’interprétation, le caractère, qu’il exprime, qu’il démêle, qu’il libère, qu’il éclaircit” (). Ce n’est ainsi pas un hasard si tous les hérétiques choisis par Padura sont des artistes.
Comme ses détracteurs aux ordres du pouvoir, Leonardo Padura en appelle donc à l’art de l’écriture, la littérature, et il proteste : “Parce que vous êtes un écrivain cubain, on vous assaille de questions politiques.” Il vaut mieux pour lui ne parler politique qu’entre les lignes et il en parle très bien, y compris de l’impérialisme américain et de tous les impérialismes, comme celui de Cuba qui fit la guerre en Angola pour payer sa dette à l’impérialisme russe.
Padura sait aussi nous amener dans le registre de l’absurde, typique de l’univers des pays du “socialisme réel” et de sa théorie de “L’Homme Nouveau.”. La description objective de ces souffrances, toujours niées (ou relativisées) par les partisans du stalinisme dans le monde, débouche forcément sur la révélation ‒ jamais énoncée explicitement par l’auteur ‒ que la prétendue révolution de Guevara et de Castro (comme celle de Mao) n’était communiste que de nom, qu’elle était tout “simplement” nationaliste et le produit des affrontements entre cliques bourgeoises. Il n’est pas étonnant que l’auteur ait dû recourir à ce procédé : il est interdit sous peine de prison, de critiquer le régime au pouvoir à Cuba. Les écrivains officiels du castrisme et leurs amis ne s’y sont pas trompés. Le sociologue argentin Atilio Boron rageait ainsi : “Celui qui n’est pas disposé à parler de l’impérialisme devrait se réduire au silence à l’heure d’émettre une opinion sur la réalité cubaine.” Pour l’écrivain Guillermo Rodriguez Rivera, Padura n’est “absolument pas représentatif de la réalité cubaine”, et il le dénonce comme l’un des dissidents qui “dépendent économiquement de certaines institutions qui les soutiennent et politiquement de certains pouvoirs” (). La sacro-sainte police politique cubaine sait sur qui compter pour réduire au silence les hérétiques.
Les pogroms que décrit l’auteur tout au long de son livre existent encore aujourd’hui. Ils ont pris pour cible au cours de l’histoire les Juifs, les Roms, les homosexuels, les malades mentaux, les communards, les spartakistes, les opposants à Staline, etc. Dans L’Homme qui aimait les chiens, Leonardo Padura écrit justement sur l’assassinat de Trotski commandité par Staline. La Gauche communiste eut, elle-aussi, son contingent de persécutés traqués par la Guépéou dans les années 1920-1945, cette Gauche communiste dont le Courant communiste international est l’un des héritiers. Sans oublier ceux qui se consacraient à la science, dont beaucoup ont fini eux-aussi sur des bûchers. Dans Dialectique de la nature, Engels rappelait que “Calvin a fait brûler Servet au moment où il était sur le point de découvrir la circulation du sang, et cela en le mettant à griller tout vif pendant deux heures” ().
Léonardo Padura décrit de façon extrêmement poignante quelques uns de ces moments dramatiques de notre Histoire. Son apprenti peintre de Rembrandt s’entend ainsi raconter par son grand-père l’exécution massive des Juifs quelques années avant leur expulsion d’Espagne – le tribunal de l’Inquisition avait alors condamné sept cent Juifs à mourir sur le bûcher. Ce jeune homme ne pourra plus se défaire de cette image : “Le sang du condamné bouillait pendant plusieurs minutes avant qu’il ne perde connaissance et meurt asphyxié par la fumée” (). L’insistance de l’auteur cubain à décrire, et même à nous faire ressentir toute l’horreur des pogroms, vise à nous empêcher d’oublier combien il est important de refuser les carcans étroits et bornés de ce système moribond et de chercher à comprendre le monde fou dans lequel nous vivons, il nous rappelle aussi combien agir ainsi, rechercher la vérité, implique un grand courage, le courage d’affronter la répression, mais peut-être plus encore celui d’affronter la désapprobation sociale et l’exclusion.
Shaun & Bitzer
() Voir notre article consacré à ce livre, L’Homme qui aimait les chiens, dans Révolution internationale no 437, novembre 2012.
() Paris, éd. Métailié, 2014.
() P. 529.
() Cf. Alexander Weissberg, La mission de Joel Brand, Paris, éd. Les Nuits rouges, 2014.
() P. 72.
() Ce qui était aussi le cas des Tziganes à cette époque, appelés Roms aujourd’hui.
() William Turner se considérera comme un disciple de Rembrandt et cherchera à aller encore plus loin en faisant de la lumière le sujet même de ses tableaux. Dans le film récent, Monsieur Turner, on le voit revenir d’Amsterdam où il a étudié avec passion la technique de la lumière chez Rembrandt.
1) P. 112.
() Se sentir comme étranger à ce monde capitaliste déliquescent, être indigné par le traitement infligé à l’humanité, est une réaction saine face à ce système étouffant et moribond. Mais alors, un nouveau piège, tout aussi mortel, se dresse : celui de la réaction individuelle, de l’isolement, de l’impuissance et, au bout du chemin, de la mort. La dimension véritablement révolutionnaire capable de bouleverser le monde existant et d’abolir la déshumanisation grandissante des conditions d’existence ne peut être acquise que par une classe sociale non seulement exploitée et dont les intérêts s’opposent diamétralement à ceux de ses exploiteurs mais aussi capable d’imposer une transformation universelle en travaillant au quotidien de manière associée et en pouvant agir de façon solidaire, unie et internationalement. C’est ce qu’ont compris lumineusement Marx et Engels dès la création précisément de l’Association internationale des travailleurs. Se reconnaître en la classe ouvrière, en son histoire, son expérience, son avenir, en sa capacité à débattre et à se soutenir, telle est la voie qui mène de l’indignation à l’espérance, telle est la voie, la seule, qui peut mener à retrouver confiance en soi, dans les autres, dans l’humanité.
() Cité dans David Haziot, Van Gogh, Paris, éd. Gallimard, Coll. Folio Biographies, 2007, p. 110.
() Cité par Le Monde du 24 octobre 2014.
() Friedrich Engels, Dialectique de la nature, Paris, Éditions sociales, 1975. Miguel Servet (1511-1553) est un médecin espagnol qui a fait d’importantes découvertes sur la circulation du sang.
() Page 373.
“À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante” (Marx et Engels, L’Idéologie allemande).
“Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante” (Marx et Engels, Le Manifeste du Parti communiste).
La peur de l’autre, le sentiment d’isolement, l’individualisme et la haine se répandent aujourd’hui comme un poison dans les veines de la société. Cette déliquescence sociale est l’une des manifestations de l’entrée, depuis la fin des années 1980, du capitalisme dans la phase historique ultime de sa décadence : la décomposition. Ce repli généralisé est probablement la plus grande cause de souffrance humaine : face à la crise économique mondiale et ses conséquences, face à la barbarie guerrière et ses horreurs, l’absence de solidarité, la dissolution des rapports sociaux (justement propres à cette société en décomposition) engendrent résignation, crainte et désespoir. Il n’y a rien de pire que de se sentir seul et atomisé.
En réponse, se répand un simulacre de solidarité entretenue par la classe dominante, celle du repli sur la famille, le clan, la communauté culturelle, ethnique ou religieuse, la région, la nation, la “race”, autant d’entités en concurrence, voire en guerre, contre “l’autre” : l’autre famille, clan, communauté, culture, ethnie, religion, région, nation ou “race”. Les causes de cette dynamique marquée par la peur de l’avenir, le no future, sont multiples évidemment.1
Dans ce numéro, nous avons choisi de mettre particulièrement en évidence que l’une des causes essentielles de cette dynamique mortifère est l’action volontaire, consciente et calculée de la bourgeoisie. Son idéologie, sa propagande, ses discours et ses médias aux ordres sont au service d’un objectif caractéristique des classes exploiteuses : “Diviser pour mieux régner”. Il ne faut donc surtout pas sous-estimer les capacités de notre ennemi de classe. La bourgeoisie, en particulier sa partie la plus éduquée et consciente, celle qui se regroupe et s’organise au sein des États, est la classe dominante la plus sournoise et machiavélique de l’Histoire. Elle sait parfaitement que la force du prolétariat réside dans sa capacité à être uni et solidaire. Et puisque “l’un des plus vieux principes de la stratégie militaire est la nécessité de saper la confiance et l’unité de l’armée ennemie”, “la bourgeoisie a toujours compris la nécessité de combattre ces qualités dans le prolétariat”.2 Et en ce début d’été 2015, le battage propagandiste est particulièrement bruyant et... nauséabond.
En Grèce, la classe ouvrière subit les pires affres de la crise économique mondiale. Parallèlement, la bourgeoisie, et ce à l’échelle internationale, exploite la faiblesse actuelle de la combativité et de la conscience ouvrières en n’ayant de cesse de monter les “peuples” les uns contre les autres. Les ailes d’extrême-gauche et d’extrême-droite de l’échiquier politique bourgeois désignent comme responsables de tous les maux le diktat européen, la troïka UE/BCE/FMI et les “tortionnaires allemands” ; leurs discours est ultra-nationaliste, ils en appellent à la révolte du “peuple grec”, du “peuple français”, “espagnol”... En Grèce, la victoire du non au référendum a ainsi été fêtée par des manifestations brandissant massivement le drapeau national grec. Par la voix de ses fractions de gauche, du centre et de droite, cette même classe dominante change de discours et de boucs-émissaires tout en gardant la même logique nationaliste en désignant “l’irresponsabilité traditionnelle des Grecs” et en prétendant que les “contribuables européens” vont devoir payer l’addition du “laxisme” et de “l’égoïsme” helléniques.
Au-delà des difficultés économiques réelles et insolubles à long terme du capitalisme mondial, le cirque médiatique du compte à rebours de la dette grecque, tout comme le référendum de Tsipras, sont eux aussi des pièges idéologiques qui participent à crédibiliser cette propagande. Il s’agit d’ailleurs d’une des forces de la bourgeoisie : parvenir à utiliser ses propres difficultés, sa crise, ses guerres, ses catastrophes, son pourrissement contre son plus grand ennemi, la classe ouvrière.
L’instrumentalisation des actes terroristes les plus barbares en est l’une des meilleures illustrations. Quand les djihadistes abattent, massacrent, découpent, guillotinent et pulvérisent aux quatre coins du globe de pauvres innocents, les médias procèdent à un matraquage destiné à terroriser et exploiter les réactions émotionnelles ainsi suscitées. Les discours politiques utilisent en effet ces actes horribles pour leurs propres intérêts en tournant en boucle autour de la “guerre des civilisations”, de la “nécessaire surveillance et répression”, etc. Ceci, afin de justifier les guerres impérialistes à l’extérieur des frontières et le flicage de la classe ouvrière à l’intérieur.3
Grands événements internationaux ou petits faits divers locaux, partout, la classe dominante occupe le terrain en distillant sa propagande, en suscitant peur, division et méfiance ; son principal souci est d’éviter que les prolétaires pensent par eux-mêmes et discutent entre eux.
En France, le gouvernement socialiste est passé maître dans cet art de désigner telle ou telle partie de la population pour focaliser sur elle toute l’attention et les haines : Roms, homosexuels, chauffeurs clandestins de taxis... les diversions se succèdent et se ressemblent. La politique de Hollande tient en un mot : bouc-émissarisation. Dans les entreprises, ce sont les syndicats qui prennent magistralement le relais de cette même politique d’atomisation. En effet, quand de rares salariés commencent à se poser des questions et à vouloir lutter pour leur dignité, alors les syndicats entrent en scène pour isoler ces luttes dans le carcan corporatiste, sectoriel ou régionaliste tandis que les médias dénoncent, eux, le prétendu “égoïsme” des salariés en lutte. Telle a été par exemple la manœuvre dont ont été victimes les salariés des Hôpitaux de Paris tout au long du mois de juin.4
Pas une dimension de la vie quotidienne n’échappe aux coups de boutoirs idéologiques de la bourgeoisie. Dernier exemple en date, le festival de Cannes et le triomphe du film La loi du marché [494]. Quand un réalisateur et ses acteurs portés par des valeurs humanistes et voulant dénoncer l’esclavage salarié, mais involontairement influencés par l’ambiance et l’idéologie dominante, tombent dans le piège de l’apologie de la révolte individuelle et désespérée, la bourgeoisie s’empresse de braquer sur eux tous ses projecteurs, les applaudit à tout rompre et leur attribue des prix.
Au fond, toute cette énergie déployée par la bourgeoisie et ses États montre aussi une chose : elle connaît la force du prolétariat, elle sait qu’il est son ennemi mortel, un ennemi potentiellement capable de bouleverser la société de fond en comble. Elle a conscience qu’il est une classe portée par la capacité à s’unir, à se solidariser, à s’organiser collectivement et à se battre pour le futur de toute l’humanité. Confiance du prolétariat en lui-même et dans le futur, voilà ce que s’échine à défaire en permanence la bourgeoisie et ses campagnes ! Car au fond, c’est elle qui a le plus peur, peur de la fin de son monde et de ses privilèges.
Il est donc essentiel de ne pas se laisser faire, de se rappeler qui est réellement le prolétariat, ce qu’il est capable de réaliser par sa lutte historique :
“Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, des mouvements de minorités au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité”.
“À la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement pour tous” (Manifeste Communiste, 1848).
Il n’y a pas de combat plus noble et passionnant.
Claire, 4 juillet 2015
1 Ne pouvant analyser ici de façon exhaustive l’ensemble de ces causes, nous renvoyons nos lecteurs à trois articles fondamentaux de notre organisation disponibles sur notre site Web : "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme [265]", Texte d'orientation, 2001 : La confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat, 1ère partie [495], et A l'aube du 21e siècle...pourquoi le prolétariat n'a pas encore renverse le capitalisme (I) [496]
2 In "La confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat” (CCI, 2003).
3 Lire notre article sur les attentats de la fin juin dans ce numéro.
4 Lire notre article sur les dernières grèves en France
Il y a 70 ans, le 6 août 1945 à Hiroshima, plus d’une centaine de milliers d’habitants fut atrocement pulvérisée, prise comme cible dans la démonstration grandeur nature de la nouvelle force nucléaire américaine. Selon les chiffres officiels, près de 70 000 personnes périssaient sur le coup et des dizaines de milliers d’autres allaient connaître le même sort dans les jours qui suivirent.1 Trois jours plus tard, le 9 août, c’est au-dessus de Nagasaki qu’une deuxième bombe nucléaire explose, faisant un nombre de victimes tout aussi terrifiant. La barbarie et la souffrance que les populations japonaises ont connues sont à peine concevables.
Ainsi, comme nous pouvions l’écrire en 2005, à l’occasion du 50 anniversaire de cet événement : “Pour justifier un tel crime et répondre au choc légitime provoqué par l’horreur des effets de la bombe, Truman, le président américain qui ordonna l’holocauste nucléaire, ainsi que son complice Winston Churchill répandirent une fable aussi cynique que mensongère. À les en croire, l’emploi de l’arme atomique aurait épargné la vie d’environ un million de vies humaines, pertes qu’aurait selon eux nécessairement entraîné l’invasion du Japon par les troupes US. En somme, malgré les apparences, les bombes qui ont ravagé Hiroshima et Nagasaki et qui continuent encore cinquante ans après à dispenser la mort, seraient des bombes pacifistes ! Or, ce mensonge particulièrement odieux est totalement démenti par de nombreuses études historiques émanant de la bourgeoisie elle-même.”
Lorsqu’on examine la situation militaire du Japon au moment où l’Allemagne capitule, on constate que celui-ci est déjà presque vaincu. L’aviation, arme essentielle de la Seconde Guerre mondiale, y est exsangue, réduite à un petit nombre d’appareils généralement pilotés par une poignée d’adolescents aussi fanatisés qu’inexpérimentés. La marine, tant marchande que militaire, est pratiquement détruite. La défense antiaérienne n’est plus qu’une gigantesque passoire, ce qui explique que les B29 aient pu se livrer à des milliers de raids durant tout le printemps 1945 sans pratiquement essuyer de pertes. Et cela, c’est Churchill lui-même qui le souligne dans le tome 12 de ses mémoires !
Une étude des services secrets américains de 1945, publiée par le New York Times en 1989, révèle que : “Conscient de la défaite, l’empereur du Japon avait décidé dès le 20 juin 1945 de cesser toute hostilité et d’entamer à partir du 11 juillet des pourparlers en vue de la cessation des hostilités”.2 Et puisque dans la société capitaliste le cynisme et le mépris n’ont ni limite ni frontière, on ne saurait manquer de rappeler que les survivants des explosions, les “hibakusha”, n’ont été reconnus comme victimes par l’État qu’à partir des années 20003 !
Concernant les objectifs réels de ces bombardements, voici ce que nous écrivions en 1995 :
“À l’opposé des tombereaux de mensonges colportés depuis 1945 sur la prétendue victoire de la Démocratie synonyme de paix, la seconde boucherie mondiale est à peine terminée que se dessine déjà la nouvelle ligne d’affrontements impérialistes qui va ensanglanter la planète. De la même façon que dans le traité de Versailles de 1919 était inscrite l’inéluctabilité d’une nouvelle guerre mondiale, Yalta contenait la fracture impérialiste majeure entre le grand vainqueur de 1945, les États-Unis, et son challenger russe. Puissance économique mineure, la Russie peut accéder, grâce à la Seconde Guerre mondiale, à un rang impérialiste de dimension mondiale, ce qui ne peut que menacer la superpuissance américaine. Dès le printemps 1945, l’URSS utilise sa force militaire pour se constituer un bloc dans l’Est de l’Europe. Yalta n’avait fait que sanctionner le rapport de forces existant entre les principaux requins impérialistes qui étaient sortis vainqueurs du plus grand carnage de l’histoire. Ce qu’un rapport de forces avait instauré, un autre pouvait le défaire. Ainsi, à l’été 1945, la véritable question qui se pose à l’État américain n’est pas de faire capituler le Japon le plus vite possible comme on nous l’enseigne dans les manuels scolaires, mais bien de s’opposer et de contenir la poussée impérialiste du “grand allié russe” !”
C’est sur ce fond de tensions impérialistes exacerbées que débutera, en réalité avant 1945, une véritable course à l’armement nucléaire. Une grande puissance capitaliste digne de ce nom ne pouvait maintenir son rang sur la scène impérialiste et être prise au sérieux par ses rivales qu’en montrant qu’elle possédait ou, mieux encore, qu’elle maîtrisait l’arme nucléaire. Ceci est particulièrement vrai pour les pays “têtes de bloc” que constituaient alors les États-Unis et l’URSS. Rangés derrière l’un ou l’autre, les autres grandes puissances n’avaient qu’à emboîter le pas. Dès 1949, les Russes procèdent aux essais de leur propre bombe. En 1952, c’est au tour des Britanniques. En 1960, la très française “Gerboise bleue” montre à son tour sa puissance nucléaire à Reggane, dans le Sahara algérien. Durant toute cette période, on peut sans exagérer parler de centaines d’essais nucléaires, avec des conséquences sur l’environnement (et parfois sur les populations alentours) que les États se gardent bien d’ébruiter. Outre une course folle entre les États-Unis et l’URSS pour déployer une quantité toujours plus grande de ce type d’armes, des recherches sont menées sans relâche pour accroître leur pouvoir de destruction. Si les bombes d’août 1945 ont été un moment d’intense cruauté dans l’histoire de la barbarie capitaliste, elles sont loin de constituer le point culminant du potentiel destructeur des armes existantes. La barbarie capitaliste n’a pas de limite ! Comme si les centaines de milliers de morts de Hiroshima et Nagasaki n’étaient qu’un avant-goût de ce que le capitalisme décadent était capable de produire, les Américains passèrent à la vitesse supérieure en 1952 avec l’explosion de “Ivy Mike”, la fameuse bombe H d’une puissance de 10,4 mégatonnes, soit six cent fois celle de la bombe d’Hiroshima ! Dans le tableau, on ne peut oublier la “Tsar Bomba” que les Russes firent exploser au-dessus de l’archipel de Nouvelle-Zemble (Arctique russe) en 1961. Sa puissance de plus de 50 mégatonnes vitrifia littéralement le sol sur un rayon de 25 km et détruisit des maisons de bois à des centaines de kilomètres. L’armée fut satisfaite à l’idée que la chaleur du rayonnement produit puisse provoquer des brûlures au troisième degré dans un rayon de plus de 100 km. D’un point de vue formel, les grandes puissances nucléaires que sont les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et la France signèrent un pacte de non-prolifération (TNP) en 1968. Ce pacte, sensé freiner la prolifération des armes nucléaires, n’aura qu’un impact très limité. Il est tout aussi hypocrite que les accords de Kyoto contre le réchauffement climatique ! Depuis l’entrée en vigueur du TNP en 1970, il faut ajouter à la liste des pays détenteurs de la bombe : l’Inde, la Chine, le Pakistan, la Corée du Nord, Israël. Plus une liste de pays dont la possession ou non de l’arme fait polémique au sein des différentes fractions de la bourgeoisie. L’Iran, bien entendu, mais également le Brésil soupçonné de développer un programme nucléaire,4 l’Arabie Saoudite, la Syrie dont le réacteur de recherche à Damas fait parler de lui. Bref, il est clair que la “non-prolifération” n’est qu’un vœu pieux essentiellement destiné à masquer la sordide réalité des trafics de matières fissibles. Dans un système basé sur la concurrence et les rapports de forces, l’idée d’un retour à la raison ne peut être qu’une pure mystification. Depuis la fin de la Guerre froide et l’éclatement des blocs en 1990, l’instabilité militaire gagne progressivement toutes les zones de la planète. La situation internationale nous le montre largement au quotidien. C’est un véritable processus de décomposition qui génère toujours plus de barbarie et d’irrationalité. C’est dans ce cadre-là qu’il faut replacer l’annonce de Poutine du 16 juin dernier, selon laquelle “la Russie allait renforcer son arsenal nucléaire avec le déploiement de plus de quarante nouveaux missiles intercontinentaux d’ici à la fin de l’année (...) Cette annonce a été faite sur fond d’aggravation des tensions entre la Russie et les États-Unis, dont les projets de déploiement d’armes lourdes en Europe dévoilés par le New York Times ont provoqué la colère de Moscou”.5 A la veille du 70 anniversaire de l’holocauste nucléaire, une telle déclaration est tout à fait significative de la dynamique putréfiée dans laquelle s’enfonce la société capitaliste.
La classe ouvrière, la seule classe porteuse d’une perspective pour l’avenir de l’humanité, est donc aussi la seule classe capable de mettre un terme à la barbarie guerrière des puissances impérialistes. Le prolétariat ne doit pas se laisser impressionner par l’horreur dont la classe capitaliste est capable et il ne doit pas rester paralysé face aux attaques de cette dernière. Il est vrai que l’atrocité des événements d’août 1945 et de la guerre en général a de quoi faire peur. Et pour cause ! Dans le jeu trouble de la concurrence capitaliste, la bourgeoisie a toujours la volonté d’écraser ses rivaux. Le seul véritable frein à la barbarie est le niveau de conscience de la classe révolutionnaire et sa capacité à s’indigner devant l’horreur d’une société qui se décompose.
Rappelons enfin que l’été 2015 est aussi l’anniversaire, beaucoup plus discret dans les médias bourgeois, des 110 ans de la mutinerie du cuirassé Potemkine (le 27 juin 1905), où les marins russes scandalisés par le mépris des officiers à leur égard et excédés par la guerre avec le Japon allaient tourner leurs armes contre eux et prendre fait et cause pour ce qui fut un des moments héroïques de l’histoire du mouvement ouvrier.6 Ce ne sont pas des larmes de désespoir, mais bien l’indignation et la combativité qui portent en elles la perspective d’une réflexion pour construire la société communiste.
Tim, 2 juillet 2015
1 Au Japon, le “mémorial pour la paix” évoque le chiffre de 140 000 victimes pour Hiroshima.
2 Le Monde diplomatique, août 1990. Pour de plus amples développement dans la dénonciation de cette fable cynique, nous invitons nos lecteurs à lire l’article : 50 ans après : Hiroshima, Nagasaki, ou les mensonges de la bourgeoisie [500], dans la Revue internationale no83.
3 Auparavant, ces victimes ne bénéficiaient donc d’aucune aide de l’État. “En mai 2005, il y avait 266 598 hibakusha reconnus par le gouvernement japonais” (d’après un article du Japan Times du 15 mars 2006, repris sur Wikipédia [501]).
4 Lula signe un accord en 2008 avec l’Argentine pour le développement conjoint d’un programme nucléaire qui n’écarte pas un volet militaire.
5 Le Monde, 16/06/2015.
6 Il est important de rappeler que c’est également le mouvement ouvrier, avec la vague révolutionnaire de 1917, qui mis fin à la première boucherie mondiale du début du XXe siècle.
5 717 900 ! Tel est le chiffre officiel du nombre de chômeurs en France (DOM compris) pour la fin mai 2015. La barre des 6 millions va bientôt être atteinte ! Gouvernement après gouvernement, la crise économique s’aggrave et le chômage augmente inexorablement. Quant à ceux qui trouvent encore à vendre leur force de travail, à être exploités pour vivre, les conditions de réalisation de la corvée quotidienne sont de plus en plus insoutenables. D’un côté, le gel des salaires, la réduction des effectifs, la pression croissante au nom de la “rentabilité”, la précarisation pour soi ou ses collègues… touchent tous les secteurs, privés comme publics. Mais au fond, cela n’est pas le plus grave, le plus pénible. Ce qui est réellement insupportable est l’ambiance délétère, l’individualisme, la mise en concurrence, les guerres de clans, les ragots au sein même des rangs salariés. Cette atmosphère fait que chacun ressent le fardeau de l’exploitation plus durement encore, sans trouver le réconfort vivifiant de la solidarité, de l’entraide et de la combativité dans le regard de ses collègues qui émanent des luttes ouvrières. Cette atmosphère nauséabonde, le gouvernement et les syndicats œuvrent sans relâche pour la promouvoir et l’entretenir.
En matière d’attaques anti-ouvrières et d’austérité, sous le masque hypocrite des “réformes”, la gauche a pu acquérir une solide expérience, en particulier durant les années Mitterrand où elle avait su insuffler ce qu’on avait appelé à l’époque la “rigueur” : c’est-à-dire planifier et orchestrer tout un ensemble de mesures et d’attaques brutales qui ont plongé les salariés dans l’insécurité, le chômage massif et la précarité. Bon nombre des nouveaux barons qui font partie du sérail actuel, comme Fabius et bien d’autres, étaient déjà aux commandes. Ainsi, contrairement à l’image entretenue par les médias durant tout un temps d’un Hollande trop “mou” et “indécis” (souvenons-nous de l’image du “Flamby” colportée par les caricaturistes), la réalité est au contraire celle d’un responsable méthodique soucieux de la compétitivité du capital national, de la productivité du travail, capable de faire passer les mesures de flexibilité (comme par exemple la loi Macron), une dégradation des conditions de travail que Sarkozy lui-même aurait rêvé d’imposer mais qu’il n’aurait pu mettre en place sans risquer une forte mobilisation sociale. Hollande y parvient très bien, c’est d’ailleurs ce qui fait dire à des syndicalistes très médiatisés comme l’ex-urgentiste P. Pelloux, devenu aussi le Monsieur Charlie-hebdo après les derniers attentats à Paris : “nous avons un très grand président” ! Sous son autorité en effet, le gouvernement prend soin de planifier ses attaques, paquets par paquets, secteur par secteur, tout en polarisant à chaque fois l’attention sur une partie particulière de la population ou sur un “problème de société” tout à fait secondaire, ou encore sur des “scandales” liés à des personnalités. Mouvement monté en épingle des “bonnets rouges”, bouc-émissarisation des Roms, focalisation sur les homosexuels... et aujourd’hui mise à l’index des chauffeurs clandestins de taxis. Et chaque fois, après avoir provoqué et agité, ce gouvernement se drape cyniquement et sans vergogne des vertus du héros de la “justice”, du “droit” et de la “cohésion sociale”.
Main dans la main avec le gouvernement, les syndicats participent activement à la division et au pourrissement social. Partout où, face à des attaques insupportables, une volonté de se battre se fait jour, ils interviennent pour isoler la lutte, l’enfermer dans la boîte, l’entreprise, le secteur, la région,... poussent aux revendications spécifiques et encouragent aux actions stériles. Il ne s’agit pas de maladresses, ni de trahison des “centrales syndicales” mais de la fonction même du syndicalisme : encadrer socialement la classe ouvrière de “l’intérieur” afin que surtout les salariés ne réfléchissent pas et ne s’organisent pas par eux-mêmes.
Des exemples de cet émiettement de la lutte ? Prenons pour exemple les seuls derniers quinze jours de juin. Le 14 juin, grève à la raffinerie de La Mède, près de Marseille, à l’appel de la CGT. Le 17 juin, grève à la RATP à l’appel de la CGT, FO et SUD. Le 18 juin, grève à la Bourse de Paris contre une vague de licenciements à l’appel de la CGT et de la CFDT. Le 23 juin, grève des marins d’Eurotunnel à l’appel du Syndicat maritime Nord. Le 25 juin, grève des cheminots à l’appel de la CGT. Les 25 et 26 juin, grève des enseignants des collèges de l’Académie de Lille à l’appel principalement de la FSU et de la CGT. Les 2 et 3 juillet, appel à la grève des contrôleurs aériens à l’appel de la SNCTA et de FO… Et cette liste de grèves orchestrées volontairement sous la houlette syndicale sans aucun lien entre elles est très loin d’être complète. Compte-tenu de l’ampleur de la dégradation continue des conditions de vie et de travail, la colère est forcément très grande dans les rangs ouvriers. Et partout, dans tous les secteurs, toutes les branches, des conflits larvés ou plus ouverts sont présents. Et partout aussi règnent l’isolement et la division que les syndicats orchestrent et planifient savamment. Voici un autre exemple criant, il s’agit des premières lignes d’un article du quotidien régional Sud-Ouest du 29 mai : “Les poubelles qui s’accumulent dans les rues et les lettres dans les centres de tri, les cantines sans cantinières et les transports en commun au ralenti : les mouvements de mécontentement se cristallisent ces jours-ci à Bordeaux. Ce vendredi matin, alors que les employés de Kéolis allaient se réunir, de leur côté, les agents de Bordeaux Métropole investissaient le hall et le parvis de l’Hôtel de Région où devait se discuter le ‘schéma de mutualisation’. De leur côté, écoles et cantines suivaient le mouvement national de grève de la fonction publique.”
“De leur côté”… Tout est là, dans ces trois petits mots... : “de leur côté”. Les syndicats sont passés maîtres dans l’art de diviser. Alors que nous sommes tous touchés, que la seule façon de faire face et d’être fiers de nous-mêmes, dignes, c’est de nous unir, de nous montrer solidaires les uns pour les autres dans la lutte, les syndicats n’ont de cesse de mettre en avant des attaques prétendument “spécifiques”.
Le mouvement syndical de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) est de ce point de vue édifiant. “Les RTT, c’est pour souffler”, “Touche pas à nos RTT !”, “Retrait du plan Hirsch !”… Tous les hôpitaux de Paris ont inscrit ces slogans en gros sur leurs façades. Pendant un mois, de la mi-mai à la mi-juin, l’AP-HP a connu un mouvement de grèves et de manifestations marqué par une forte mobilisation. Il faut dire que les travailleurs de ce secteur, déjà confrontés à des conditions d’exploitation extrêmes, ont dû faire face à une énième attaque inique. Le projet porté par Martin Hirsch, actuel directeur général de l’AP-HP, implique de réduire le temps de travail moyen par jour à 7 heures maximum tout en maintenant la même charge de travail par salarié. Autrement dit, sous couvert d’un “assouplissement des 35 heures”, il s’agit pour l’État de payer moins d’heures pour une quantité de travail constante ; aux salariés de se débrouiller pour “bien faire leur travail” en intensifiant leurs efforts, en ne prenant plus aucune pause, en dépassant toujours plus largement leurs horaires, etc. L’objectif affiché est d’économiser 20 millions d’euros par an. Parallèlement, en ce printemps 2015, Paris a été touché par deux autres vagues de mobilisations : celle des crèches et celle des piscines et infrastructures sportives. Dans les crèches, le manque d’effectif est devenu si dramatique que la santé des salariés surmenés et la sécurité des enfants sont menacées. Depuis le début de l’année, il y a déjà eu quatre journées d’action. Quant aux piscines, la maire de Paris a dû faire face au conflit le plus long qu’ait connu ce secteur : la colère face aux payes misérables des salaires étant très importante. Il n’y a pourtant eu aucune convergence entre ces luttes menées simultanément sur la même ville, parfois dans la même rue. Au contraire, le mouvement le plus important, celui de l’AP-HP, a été poussé vers une fausse radicalisation à travers un enfermement ultra-corporatiste et régionaliste. L’idée était de neutraliser le noyau central du secteur hospitalier pour faire passer l’attaque sur l’ensemble des hôpitaux ensuite. Jamais les syndicats ne proposeront aux grévistes d’aller à la rencontre des autres secteurs (pourtant les grandes concentrations de salariés ne manquent pas dans la capitale), au contraire ils ont orchestré des actions isolées et bidons comme des défilés sous les fenêtres de Monsieur Hirsch !
Les médias relayant allégrement ce mouvement stérile, c’est toute la classe ouvrière qui est touchée par ce type de manœuvre.
Autre exemple significatif, le mouvement de protestation des syndicats de l’Éducation nationale contre la réforme des collèges. L’idée que cette réforme va renforcer “la lutte contre les inégalités” est évidemment un mensonge. L’objectif réel n’est ni plus ni moins que de faire des économies en supprimant des postes et des heures de cours et en réorganisant, sous couvert d’un verbiage pédagogique prétentieux servant d’alibi, tout le travail des équipes d’enseignants de façon à augmenter considérablement et insidieusement leur productivité. Tout cela induira une augmentation des réunions et de la paperasse supplémentaire, permettra des pressions individuelles accrues, un flicage renforcé et une mise en concurrence sournoise entre disciplines et même entre collègues. Le but est de rendre les enseignants plus corvéables, de renforcer leur flexibilité tout en les habituant aux “valeurs” du management et du marketing. Voilà le secret de cette réforme ! Or, que font les syndicats ? Ils s’efforcent de la faire passer en catimini et de glisser systématiquement de façon insidieuse que les salariés sont bien “demandeurs” et qu’ils sont “pour le principe de la réforme”. Ainsi, par exemple, le SNES parle d’un “rendez-vous attendu par les personnels”. Mais pour faire passer la pilule, les syndicats sont obligés d’ajouter un “oui mais” : celui de la possibilité d’adopter un contenu prétendument “différent”. L’essentiel est là, faire accepter de manière scélérate le principe de la réforme (faire des économies) en modifiant éventuellement légèrement l’emballage. Pour ce faire, ils agissent aussi directement sur le terrain en enfermant les plus combatifs sur le seul secteur de l’éducation par des manifestations totalement isolées des salariés des autres secteurs. Toute démarche de lutte collective est écartée au profit de propositions stériles et démoralisantes comme “boycotter les corrections du brevet des collèges” ou autres singeries qui ne peuvent qu’enfermer dans le corporatisme et servir à discréditer les enseignants.
Les difficultés aujourd’hui présentes au sein de notre classe le seront pour longtemps encore. Mais les perspectives de dépassement de ces difficultés sont elles aussi réelles du fait de l’enfoncement du système capitaliste dans une crise historique sans issue. Cette dynamique, dont le cœur sera la réflexion collective et le développement de la conscience, passera nécessairement par la confrontation aux réalités du capitalisme d’État : ses pièges idéologiques (de la droite comme de la gauche ; de l’extrême-droite comme de l’extrême-gauche) et les manœuvres de sabotage des luttes par les syndicats. Alors, l’individualisme, la mise en concurrence, l’esprit délétère que tente de nous imposer en permanence la bourgeoisie feront place à la solidarité, l’entraide, la confiance mutuelle, la combativité. Tout ce qui caractérise notre classe quand elle lutte pour l’avenir, le sien et celui de l’humanité.
Cerise, 6 juillet 2015
Le feuilleton à suspense qui dure au moins depuis le dernier cycle des négociations lancées en février dernier occulte en partie une situation économique catastrophique et des conditions de vies devenues dramatiques pour les prolétaires en Grèce. La paupérisation brutale, le chômage de masse et la chute vertigineuse des salaires et des retraites, les retards et les menaces de non-versement, le délabrement brutal des hôpitaux, l’effondrement des soins et des services, le rationnement drastique des derniers médicaments disponibles, la multiplication des suicides et des dépressions, la tension nerveuse, la clochardisation rampante et même la faim suite à la fermeture des banques et au rationnement, tout cela alimente une toile de fond terrible, celle d’un enfoncement du capitalisme dans sa phase ultime de décomposition. Sur fond de crise économique chronique, où pour la première fois un État occidental se retrouve en défaut de paiement, nous assistons à l’exploitation de cet événement transformé de manière indécente en un grand spectacle théâtral aux multiples rebondissements. Nous sommes une énième fois “tenus en haleine” avec cette fameuse “dette grecque” où les rivalités des grandes puissances à son propos se déchaînent et où chaque capital tente de défendre au mieux ses sordides intérêts nationaux. Toutes les chaînes de télévision se sont appliquées à faire durer le suspense autour du “Grexit” jusqu’au moment fatidique, celui de l’heure symbolique qui autrefois effrayait les enfants, celui ou la grande horloge allait sonner minuit : le mardi 30 juin. Et après ? La fée Carabosse grecque allait-elle se transformer en citrouille ? Non ! Le FMI “apprenait” qu’il ne serait pas remboursé des 1,5 milliards d’euros que devait lui verser l’État grec. Un secret de Polichinelle ! Pour pimenter le tout, il fallait aussi la magie d’un autre suspense, celui du référendum initié par le gouvernement Tsipras : les Grecs allaient-ils voter oui ou non ?
Finalement, c’est le non qui l’a emporté dimanche 5 juillet, après une série de sondages soigneusement mis en scène juste avant le scrutin.
Contrairement aux exagérations d’un “vent de panique” parfois évoqué par certains médias pour tenter d’effrayer les populations afin de mieux les asservir et porter les attaques, celle d’une trajectoire possible vers un “terrain inconnu pour la Grèce”, la réalité est plutôt celle d’une dégradation de l’économie grecque déjà exsangue depuis des années, aggravée par les mesures anti-ouvrières du gouvernement Syriza lui-même. Le résultat du référendum ne change donc rien à cela. C’est pour cette raison que le jeu des négociations engagées sur fond de crise entre d’un côté, le FMI, les instances politiques de l’UE, la BCE et de l’autre, le gouvernement grec défendant lui aussi ses intérêts nationaux, relève d’un bras de fer entre voyous qu’accompagne tout un manège politico-médiatique qui dépasse le scénario strictement limité de l’économie. Face à la gravité de la situation, la bourgeoisie a déjà été amenée à s’adapter et à s’organiser en anticipant les difficultés économiques de la Grèce et de la zone euro, comme elle avait été amenée à faire face aux secousses et aux conséquences de la précédente crise financière et bancaire dite des subprimes en 2008. Elle avait su réagir de manière concertée afin d’éviter les pires conséquences de la dégringolade des cours de la bourse. En prenant des mesures au niveau des États et des banques centrales (Banque centrale européenne ou la Banque fédérale américaine), elle soutint les marchés et évita l’assèchement trop brutal des liquidités. De fait, la situation de la Grèce reste parfaitement connue et suivie. Il est évident que les banques (notamment la BCE) et les États ont très largement anticipé pour s’organiser, prendre des mesures face aux difficultés de la Grèce. Tsipras ne voit d’ailleurs dans le résultat du non pas tant une rupture que “le renforcement de notre pouvoir de négociation”.
Le déclin historique du capitalisme a généré depuis un siècle maintenant une tendance universelle au capitalisme d’État, poussant ce dernier à devenir un acteur central au cœur de l’économie. Cette tendance initiée à la fois par les nécessités de faire face aux contradictions croissantes du système et aux besoins de mobilisation pour la guerre totale, s’est accentuée fortement suite au grand krach boursier de 1929 et n’a jamais cessé depuis. Toute une expérience s’est accumulée par la mise en place du keynésianisme et s’est perfectionnée au fur et à mesure des épreuves et des grands soubresauts économiques du xxe siècle. Depuis les années 1980-1990 et la “mondialisation”, des mécanismes toujours plus complexes à l’œuvre et toutes sortes de tricheries avec la loi de la valeur, de palliatifs, ont permis aux États capitalistes les plus puissants de ralentir les effets les plus désastreux de la crise économique et surtout de reporter ses effets les plus dévastateurs sur les États capitalistes rivaux les plus faibles. En quelque sorte, la Grèce est déjà une première périphérie au sein de l’UE. Elle se situe aux marges sud de l’Europe et présente toutes les faiblesses qu’exploitent paradoxalement et de manière hypocrite les États-requins qui se penchent à son chevet. Bien avant le cas de la Grèce, le FMI lui-même avait déjà dû faire face à d’autres situations catastrophiques, comme ce fut le cas au début des années 2000 en Argentine. Ajoutons cependant que le cas de la Grèce, pour préoccupant qu’il soit, ne représente en réalité que 1,8 % du PIB de la zone euro, ce qui limite d’autant les “risques de contagion”. Les banques privées se sont largement délestées par ailleurs de la “dette grecque” au profit de la BCE et des principaux acteurs publics que sont les États. Tout ceci montre que l’enjeu essentiel de la mise en scène possède bien aussi une dimension politique.
La principale raison de toute la mascarade médiatique exploitant la gravité de la situation est essentiellement de vouloir mystifier le prolétariat, enfumer les consciences, notamment pour tenter de masquer la nature bourgeoise et nationaliste de Syriza et du gouvernement Tsipras. C’est aussi pour accréditer l’idée d’une possible “alternative” crédible de la “gauche radicale” qui émerge progressivement en Europe (comme Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, le NPA et le Front de gauche en France, etc.). Cela, face à des partis socialistes jugés “traîtres” abandonnant les “valeurs de la gauche”. Le but essentiel est aussi naturellement de faire passer la pilule de l’austérité et des attaques pour tous les ouvriers, et pas seulement en Grèce ! Exposer ainsi au pouvoir une fraction aussi “radicale” que l’extrême gauche de l’appareil politique bourgeois ne peut que porter un discrédit aux idéologies gauchistes nécessaires à l’encadrement politique du prolétariat. D’autant plus que ces idéologies sont relativement affaiblies depuis l’effondrement du mur de Berlin en raison de leur soutien, plusieurs décennies durant, aux régimes staliniens (certes de manière “critique”, mais non moins zélée). Toute la mise en scène, exprimant au passage les points de vue des protagonistes de la négociation en proie à quelques divergences et rivalités politiques bien réelles, n’en a pas moins constitué un soutien pour préserver l’image de gauche radicale de Syriza. Même si cela paraît paradoxal, l’attitude des uns et des autres n’a fait que conforter l’image “d’intransigeance” du gouvernement grec et valoriser sa volonté de “refuser les diktats de Bruxelles” qui se trouvent confortés par la victoire du non. La position très ferme de la Chancelière Angela Merkel, celle du FMI et la volonté de maintenir des négociations plus ouvertes de la part des instances européennes avec une attitude plus “compréhensive” du président Hollande, plus “ouvert à gauche” à l’égard de la Grèce tout en restant “ferme”, permettent en fin de compte de présenter le gouvernement Syriza comme “fidèle au peuple”, refusant de manière catégorique “l’austérité”. In fine, Syriza et Tsipras sont confirmés comme des “héros” et “victimes” de l’ex-Troïka, instance assimilée aux “méchants capitalistes”.1 Ainsi, malgré les attaques brutales et croissantes menées directement par l’État grec, ces dernières apparaissent comme imposées par “l’extérieur”. Le gouvernement grec qui réprime et pressure les prolétaires comme jamais, ce vrai bourreau à la tête de l’État bourgeois, retrouve là un statut de véritable “combattant” tenant tête aux “capitalistes” pour soi-disant atténuer la “souffrance du peuple grec”. Finalement, Syriza, confortée par ce coup de pouce et son “soutien populaire”, bénéficie toujours d’une image “ouvrière”. Et cette mystification est d’autant plus efficace qu’elle est très largement relayée et appuyée par les gauchistes de tous poils en Europe qui applaudissent la victoire du non pour mieux étayer leur discours sur une prétendue alternative possible à l’austérité : “Depuis le 25 janvier 2015 et la victoire électorale de Syriza en Grèce, la troïka UE-BCE-FMI use d’une brutalité inouïe pour faire capituler le gouvernement Tsipras, pour que le choix populaire d’en finir avec l’austérité soit bafoué”2.
Il s’agit en fait d’un véritable piège idéologique qui est en train de se déployer à l’échelle de l’Europe.
Une autre conséquence majeure de toutes ces manipulations idéologiques, c’est l’accentuation des divisions au sein de la classe ouvrière. Tout d’abord, en présentant les prolétaires grecs comme des parias et victimes “à part”, dont le sort est “étranger” aux autres “nantis” en Europe, les médias cherchent à couper les prolétaires grecs de leurs frères de classe. Seuls les ouvriers grecs auraient en fin de compte une “raison valable” de lutter, bien que, par “sagesse”, il leur est grandement recommandé d’accepter de faire les “sacrifices nécessaires” pour “sortir de la crise”. Cette perversion est d’autant plus forte qu’elle s’accompagne d’une dénaturation complète de la solidarité par les gauchistes qui l’ont réduite au simple soutien électoral en faveur du non : “Il faut des mobilisations de solidarité massives, pour que la confiance augmente, pour que le Non gagne en Grèce” (ibid). Telle est la “solidarité” des gauchistes : ni plus ni moins qu’un soutien au gouvernement grec qui défend ses sordides intérêts capitalistes nationaux ! Enfin, par cette idéologie démocratique encadrant et motivant le référendum, les divisions au sein même du prolétariat grec se sont renforcées avec le clivage oui/non, même si le non l’emporte avec une nette majorité.
En fin de compte, comme nous le disions dans un de nos articles précédents, “Que les gauchistes décrivent Syriza comme une sorte d’alternative au capitalisme est totalement frauduleux. Juste avant les élections, un groupe de dix-huit économistes distingués (incluant deux lauréats du Prix Nobel et un ancien membre du Comité de politique monétaire d’Angleterre) a écrit au Financial Times en approuvant des aspects de la politique économique de Syriza (…) Comme le fait remarquer un commentaire sur le site du magazine The New Statesman : “le programme de Syriza (…), c’est de la macro-économie classique. Le parti Syriza a simplement l’intention d’appliquer ce que les manuels suggèrent.” Et donc, suivant les manuels, Syriza a négocié avec les créanciers européens de la Grèce, en premier lieu pour prolonger le plan de sauvetage et ses conditions (...)”.3
Syriza et les gauchistes qui les défendent, la fameuse troïka et consorts, les médias qui les mettent en scène, tous vont continuer leurs mystifications après ce référendum. Ils appartiennent au même monde. Leur monde est celui du capitalisme décadent. Ils sont les commissaires politiques défenseurs de l’État, d’un ordre bourgeois au service de l’exploitation la plus brutale.
WH, 6 juillet 2015
1 L’ex-ministre Varoufakis a même accusé les créanciers d’Athènes de “terrorisme” ! En démissionnant au lendemain du référendum malgré la victoire du “non”, il permet à l’appareil politique de préserver une aile gauche qui, face aux inévitables nouvelles mesures d’austérité du gouvernement Tsipras, pourra faire valoir sa “véritable” radicalité.
Pendant la période d’ascendance du capitalisme, le mouvement ouvrier a appuyé de manière critique le combat de la bourgeoisie contre la religion et le clergé tout en conservant son autonomie de classe. La revendication de la séparation de l’Église et de l’État ainsi que la liberté individuelle du culte ont longtemps été au programme des organisations révolutionnaires du xixe siècle.
Mais en devenant un acquis dans la majeure partie des pays centraux du capitalisme, la laïcité s’est transformée en une arme de mystification aux mains de la bourgeoisie. Cet article vise à souligner l’importance de cette question au sein du mouvement révolutionnaire, mais aussi à montrer l’usage qu’en fait la bourgeoisie pour semer la confusion et la division dans les rangs de la classe ouvrière.
“L’Eglise catholique pouvait être supportée par la société féodale (…) mais elle ne pouvait être tolérée par la démocratie bourgeoise dont les membres égaux devant la fortune et la loi, mais divisés par des intérêts, sont entre eux en perpétuelle guerre industrielle et commerciale et veulent toujours avoir le droit de critiquer les autorités constituées et de les rendre responsables de leurs malchances économiques”.1
Dans la société féodale, l’Église fait corps avec la société toute entière et constitue un rouage de la domination. Rosa Luxemburg a su identifier cette spécificité des structures féodales :
“Dans une monarchie, l’Église, monarchique par essence, comme doctrine autoritaire, entre dans le mécanisme de l’État sans en détruire l’harmonie ; c’est un simple appui, c’est la servante et l’instrument du monarchisme. En ce sens, elle ne constitue pas un pouvoir politique indépendant”.2
Ainsi, la bourgeoisie devait écarter le clergé de l’appareil d’État pour s’émanciper des carcans de l’ancienne société. Le premier assaut de la bourgeoisie fut la Révolution anglaise de 1648 : “à partir de ce moment-là, la bourgeoisie devint un élément modeste, mais officiellement reconnu, des classes dominantes de l’Angleterre, ayant avec les autres fractions un intérêt commun au maintien de la sujétion de la grande masse ouvrière de la nation”.3 Les marchands et manufacturiers anglais soucieux de maintenir leurs ouvriers dans la soumission et l’ignorance découvrirent “les avantages que l’on pouvait tirer de la religion pour agir sur l’esprit de ses inférieurs naturels (…) et pour les rendre dociles aux ordres des maîtres. (…) Bref, la bourgeoisie anglaise avait à prendre sa part dans l’oppression des classes inférieures, de la grande masse productrice de la nation, et un de ses instruments d’oppression fut l’influence de la religion” (idem).
Pour plusieurs raisons, l’offensive de la bourgeoisie anglaise se caractérisait par un penchant religieux :
En revanche, un siècle plus tard, l’instauration de la jeune république bourgeoise des États-Unis d’Amérique affirma la séparation de l’Église et de l’État ainsi que la liberté du culte au sein d’une société quasiment vierge de toute tradition féodale.
La question se posa avec beaucoup plus d’acuité lors de la Révolution française de 1789. En effet, l’inflexibilité de la noblesse et du clergé face à l’affirmation de la bourgeoisie déboucha sur une transformation radicale de la société.4 Friedrich Engels considère qu’elle fut le premier soulèvement de la bourgeoisie qui “rejeta totalement l’accoutrement religieux et livra toutes ses batailles sur le terrain ouvertement politique. (…) La Révolution française fut une rupture complète avec les traditions du passé”.5
Mais 1789 démontre aussi toute l’ambivalence de la bourgeoisie à l’égard de la religion et du clergé. Dans un premier temps, la bourgeoisie souhaita mettre au pas le pouvoir clérical sans le supprimer. Le 12 juillet 1790 fut proclamée la Constitution Civile du clergé. Les membres de l’Église continuaient à être rémunérés par l’État mais étaient choisis par le corps électoral et devaient prêter serment sur la constitution devant des officiers municipaux. La bourgeoisie modérée, favorable au maintien d’une monarchie parlementaire, avait trouvé un compromis salutaire. L’instauration de la République modifia la situation en cela que l’Église et l’État bourgeois républicain sont incompatibles : “adversaire par essence des principes fondamentaux de la République (nomination à l’élection de toutes les autorités de l’État et souveraineté du peuple), étrangère aux pouvoirs bourgeois, d’origine purement profane, portée par son propre esprit et par les liens personnels qui la rattachent à l’aristocratie, à revêtir un caractère féodal, survivance d’un passé monarchique, l’Église catholique devait naturellement, comme organe de l’État, tendre dans la république bourgeoise à l’indépendance politique. La lutte contre le cléricalisme est comme un fil rouge que l’on retrouve au cours de toute l’histoire de la république bourgeoise en France”.6
Dès lors, après le 10 août 1792, la Commune de Paris mit en application les premières mesures anticléricales. La politique de déchristianisation connaît son apogée dans l’an II de la République sous l’impulsion des sans-culottes qui exprimaient les revendications des artisans, des boutiquiers et d’une minorité ouvrière. Cette offensive populaire contre l’un des maîtres de l’ordre féodal prit des formes très radicales : fermeture des Églises, persécutions et massacres de clercs, instauration d’un culte de la Raison reposant sur l’athéisme. Le Comité central des sociétés populaires proposa de supprimer la subvention des cultes par l’État. Mais ces agitations populaires portaient atteinte au bon déroulement de la révolution. La Convention et le Comité de Salut public s’opposèrent à la déchristianisation. Voici ce que pouvait dire Robespierre au club des Jacobins le 28 novembre 1793 : “Nous déjouerons dans leurs marches contre-révolutionnaires ces hommes qui n’ont eu d’autre mérite que celui de se parer d’un zèle anti-religieux... Oui, tous ces hommes faux sont criminels, et nous les punirons malgré leur apparent patriotisme.”
Par la suite, la Convention enveloppa les acquis révolutionnaires d’un voile mystique par l’instauration du culte de “l’Être suprême”. Ce culte déiste visait à développer le civisme et la morale républicaine et ainsi ramener les couches populaires dans la modération. Un calendrier de fêtes républicaines se substitua aux fêtes catholiques. La bourgeoisie réussit à calmer l’ardeur populaire tout en instaurant un État laïque conforme à ses intérêts économiques et idéologiques. Le régime de séparation de l’Église et de l’État fut réglementé le 21 février 1795 : la République ne salarie aucun culte, la loi ne reconnaît aucun ministre, toute manifestation publique, tout signe extérieur sont interdits.7 La laïcité fut ancrée dans la loi dans les années qui suivirent. “À la fin de la période, la baisse de l’influence et du prestige de l’Église catholique était indéniable ; elle se marquait par la misère et la désorganisation d’un clergé divisé, par le recul de la pratique religieuse et les progrès de l’incroyance dans les classes populaires. L’Église et la Révolution, inconciliables sur le plan doctrinal, demeuraient ennemies” (idem).
L’État garantissait la liberté individuelle de la croyance. Tout en étant incapable de dissoudre complètement l’esprit religieux au sein de la société, il prenait rapidement le choix de s’en accommoder en sachant que la religion pouvait être utile pour anesthésier au moins en partie la population. La “religion civique” devenait le credo de la nouvelle classe dominante.
Avec la stabilisation du processus révolutionnaire, les acquis de 1793 furent donc en partie balayés sous l’Empire : “le besoin de stabilisation sociale, l’attachement de la majeure partie de la nation à la religion traditionnelle rendent compte cependant de la rapidité de la restauration religieuse sous le Consulat.8 Mais, concevant la religion comme un moyen de soumission sociale et l’Église comme un instrument de gouvernement (…) Bonaparte subordonna étroitement l’Église à l’État”.9
Avec l’Empire, le clergé devint un allié aux mains de la bourgeoisie ayant pour fonction de développer une propagande de la soumission, de la souffrance, de la culpabilité et de la résignation. Ainsi, la bourgeoisie a compris très vite l’utilité que pouvait détenir la religion et son administration pour briser l’élan de la classe ouvrière. Le Concordat entre l’Empire et la papauté instaure un système dans lequel le clergé est financé par l’État et se retrouve en totale harmonie avec celui-ci. Cette relation s’affermit au moment du retour de la monarchie en France entre 1815 et 1848.
Face à l’émergence du prolétariat sur la scène politique, la classe dominante rejeta son matérialisme et embrassa plus nettement l’esprit religieux : “Les ouvriers de France et d’Allemagne étaient devenus des révoltés. Ils étaient complètement contaminés par le socialisme ; et pour de bonnes raisons : ils n’avaient pas de préjugés sur la légalité des moyens permettant de conquérir le pouvoir. (…) Il ne restait aux bourgeoisies française et allemande, comme dernière ressource, qu’à jeter tout doucement par-dessus bord leur libre pensée, ainsi que le jeune homme, à l’heure du mal de mer, jette à l’eau le cigare avec lequel il se pavanait en s’embarquant : l’un après l’autre, les esprits forts adoptèrent les dehors de la piété, parlèrent avec respect de l’Église, de ses dogmes et de ses rites et en observèrent eux-mêmes le minimum qu’il était impossible d’éviter. La bourgeoisie française fit maigre le vendredi et les bourgeois allemands écoutèrent religieusement le dimanche les interminables sermons protestants. Ils s’étaient fourvoyés avec leur matérialisme. Malheureusement pour eux, ils ne firent cette découverte qu’après avoir travaillé de leur mieux à détruire la religion pour toujours” (idem).
Ainsi, la bourgeoisie n’est pas allée au bout de son entreprise de destruction du pouvoir religieux. Bien au contraire, elle s’est appropriée ce pouvoir. Ce recours à la religion devint plus pressant lors du premier véritable assaut du prolétariat lors des journées de juin 1848. La bourgeoisie répondit par la répression mais aussi par la propagande. Dès lors, le clergé fut utilisé pour distiller au sein du prolétariat les idées de résignation et de soumission afin de saper sa combativité et sa conscience. Le 18 juin 1848, Adolphe Thiers10 écrivait dans l’Écho des instituteurs : “Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, je demande que l’action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme : jouis…”
L’Église avait pris parti contre la classe ouvrière en 1848, elle fit de même en 1851 en soutenant le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Là encore, il s’agissait clairement de porter un coup au mouvement révolutionnaire. Des adeptes du catholicisme libéral comme Montalembert le revendiquaient ouvertement : “l’acte du 2 décembre a mis en déroute tous les révolutionnaires, tous les socialistes, tous les bandits de la France et de l’Europe (…) voter contre Louis-Napoléon, c’est donner raison à la révolution socialiste”.11
Dans le monde capitaliste d’alors, le clergé était l’allié indéfectible de la bourgeoisie. Il devint une arme pour tenter de freiner l’élan de la classe ouvrière porteuse d’une nouvelle perspective, celle d’abolir le régime capitaliste et toutes les forces utiles à la conservation de l’ordre social. Le discours religieux avait pour objectif d’endormir la conscience du prolétariat et de la réconcilier avec la réalité misérable dans laquelle devaient vivre tous les exploités. C’est ce que Marx condense dans ce célèbre passage de la Critique de la Philosophie du droit de Hegel : “La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. Elle est l’opium du peuple.”
Ce penchant bourgeois à diffuser l’esprit religieux dans la société n’est pas seulement une offensive stratégique contre la classe ouvrière. Cela s’explique aussi par le fait que cette classe n’est qu’imparfaitement matérialiste. En son sein, réside un fort idéalisme, compte-tenu de son rôle historique limité. En définitive, la bourgeoisie garde une vision largement mystique du monde. Elle s’est émancipée de la religion dans le domaine de la connaissance de la nature par utilitarisme, en vue du développement de la production capitaliste. De par sa nature de classe exploiteuse, la bourgeoisie ne pouvait pas atteindre le même niveau de matérialisme dans les sciences sociales. Les scientifiques et les savants bourgeois étaient incapables de percer les mystères de l’évolution sociale. Paul Lafargue, qui s’est beaucoup intéressé à ce sujet, met bien en évidence cette contradiction : “Même si les savants étaient parvenus à créer dans les milieux bourgeois la conviction que les phénomènes du monde naturel obéissent à la loi de nécessité, de sorte que déterminés par ceux qui les précèdent, ils déterminent ceux qui les suivent, il resterait encore à démontrer que les phénomènes du monde social sont, eux aussi, soumis à la loi de la nécessité. Mais les économistes, les philosophes, les moralistes, les historiens, les sociologues et les politiciens, qui étudient les sociétés humaines et qui, même, ont la prétention de les diriger, ne sont pas parvenus et ne pouvaient pas parvenir à faire naître la conviction que les phénomènes sociaux relèvent de la loi de nécessité, comme les phénomènes naturels ; et c’est parce qu’ils n’ont pu établir cette conviction que la croyance en Dieu est une nécessité pour les cerveaux bourgeois, même les plus cultivés”.12 La science bourgeoise ne pouvait remettre en cause l’élément idéologique servant à légitimer l’exploitation des prolétaires au sein de la société capitaliste. Ce faisant, la classe ouvrière se devait de réagir en donnant ses propres réponses.
(A suivre)
Joffrey
1 Paul Lafargue, Le déterminisme économique de Karl Marx, 1909.
2 Rosa Luxemburg, “Enquête sur l’anticléricalisme et le socialisme”, Le Mouvement socialiste, janvier 1903.
3 F. Engels, Socialisme utopique, socialisme scientifique, Editions sociales, 1973.
4 Contrairement à la noblesse anglaise qui a su faire des compromis et s’intégrer à l’ordre bourgeois.
5 F. Engels, op. cit.
6 Rosa Luxemburg, “Enquête sur le cléricalisme”, janvier 1903.
7 Albert Soboul, Histoire de la Révolution française, Gallimard, 1962.
8 Régime politique qui succède au Directoire et issu du coup d’État du 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte.
9 F. Engels, op. cit.
10 Républicain conservateur, président de la République française à partir d’août 1871. Auparavant, il fut le leader des Versaillais et l’un des instigateurs de la féroce et sanglante répression de la Commune de Paris.
11 L’Univers, 12 décembre 1851.
12 Paul Lafargue, op. cit., dans le chapitre “Origines économiques de la croyance en Dieu chez le bourgeois”.
Cinq mois après la tuerie de Charlie hebdo, Yassin Salhi, après la mise en scène répugnante de l’exécution de son patron, tentait de faire exploser une usine en Isère en fonçant avec son véhicule dans des bonbonnes de gaz. Le même jour, sur une plage de la station balnéaire tunisienne de Sousse, un terroriste abattait froidement 39 touristes (deux mois plus tôt, le musée du Bardo, dans la banlieue de Tunis, était déjà le théâtre d’un massacre similaire). Au même instant, une troisième attaque terroriste faisait 27 victimes et plus de 200 blessés dans une mosquée de Koweït-City. Quelques jours plus tard, des attaques à la voiture piégée étaient menées simultanément contre cinq positions de l’armée égyptienne dans le nord du Sinaï. Plusieurs attaques analogues ont eu lieu en Arabie saoudite et au Yémen, ces dernières semaines. Si l’attentat en Isère semble relever de l’initiative spontanée d’un individu vaguement en rapport avec la mouvance djihadiste (Salhi ayant envoyé une photographie de son odieux “exploit” à un certain Yunes-Sébastien qui a rejoint les rangs de l’État islamique en 2014), les massacres de Sousse et du Koweït ont immédiatement été revendiqués par l’État islamique qui sème la terreur dans plusieurs pays arabes.
Cette vague d’attentats s’inscrit dans la continuité de la période qui s’est ouverte avec ceux du 11 septembre 2001, à New York. La spectaculaire attaque du World Trade Center annonçait alors un enfoncement croissant dans la barbarie. Les récentes tueries de Charlie Hebdo et du supermarché cacher exprimaient quant à elles un pas de plus dans l’irrationalité : il ne s’agissait même pas de représailles ou de pression sur ces autres “machines à tuer” que sont les États, mais de “venger le prophète” pour des dessins ! Si l’attentat en Isère, aussi révoltant que puisse être une exécution à ce point macabre, est loin d’avoir l’ampleur symbolique des attaques de janvier 2015, il n’est pas moins vrai qu’il se situe également dans la continuité de ces derniers ; les motivations djihadistes se mêlant visiblement aux contentieux personnels et à une frustration profonde.1
Mais ce que symbolisent également ces derniers événements, c’est la fréquence accrue et même la banalisation d’une telle barbarie : dans certains pays, comme l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan ou la Libye, le terrorisme fait presque chaque jour des victimes. Désormais, après les récents attentats en France et au Danemark, il faut s’attendre de l’aveu même de la bourgeoisie, à une recrudescence des attaques terroristes dans les pays centraux du capitalisme. Même si tout cela est forcément utilisé contre la classe ouvrière dans une perspective policière et idéologique, il ne s’agit pas que de mots pour justifier la logique d’un flicage totalitaire. La situation commence à devenir véritablement incontrôlable bien au-delà des frontières où le terrorisme était jusque-là le plus souvent circonscrit.
Cette situation est encore aggravée par le fait que ces attentats, bien que sous l’égide de l’État islamique, ne semblent pas réellement coordonnés. Même s’il y a derrière des réseaux plus ou moins lâches, il s’agit visiblement d’actes individuels ou de groupes isolés qui ont pu surgir spontanément. Ainsi, à la racine de ces actes, il y a clairement l’abrutissement intellectuel et moral, l’obscurantisme, les délires fanatiques et la haine aveugle qui gangrènent la société capitaliste en décomposition. Comme nous l’écrivions dans notre article sur les attentats de Paris, Attentats sanglants à Paris: le terrorisme, une manifestation de la putréfaction de la société bourgeoise [526]: “Aujourd’hui, un peu partout (en Europe aussi et particulièrement en France), de nombreux jeunes sans avenir, au parcours chaotique, humiliés par des échecs successifs, par la misère culturelle et sociale, deviennent les proies faciles des recruteurs sans scrupules (souvent liés à des États ou expressions politiques comme Daesh) qui drainent dans leurs réseaux ces paumés aux conversions aussi inattendues que soudaines, les transformant en des tueurs à gages potentiels ou en chair à canon pour le ‘djihad’. Avec l’absence de perspective propre à la crise actuelle du capitalisme, une crise économique mais aussi sociale, morale et culturelle, avec le pourrissement sur pied de la société qui sue la mort et la destruction par tous les pores, la vie de bon nombre de ces jeunes est devenue à leurs propres yeux sans objet et sans valeur. Elle prend souvent et très rapidement la coloration religieuse d’une soumission aveugle et fanatisée qui inspire toutes sortes de comportements irrationnels et extrêmes, barbares, alimentés par un nihilisme suicidaire puissant. L’horreur de la société capitaliste en décomposition, qui a fabriqué ailleurs des enfants soldats en masse (par exemples en Ouganda, au Congo ou au Tchad particulièrement depuis le début des années 1990), génère maintenant au cœur même de l’Europe de jeunes psychopathes, tueurs professionnels au sang-froid, totalement désensibilisés et capable du pire sans même attendre une rétribution pour cela. Bref, cette société capitaliste en putréfaction, laissée à sa propre dynamique morbide et barbare, ne peut qu’entraîner progressivement toute l’humanité vers le chaos sanglant, la folie meurtrière et la mort. Comme le montre le terrorisme, elle ne cesse de fabriquer toujours plus nombreux des individus totalement désespérés, broyés et capables des pires atrocités ; fondamentalement ces terroristes, elle les façonne à son image. Si de tels ‘monstres’ existent c’est parce que la société capitaliste est devenue “monstrueuse”. Et si tous les jeunes qui sont affectés par cette dérive obscurantiste et nihiliste ne s’enrôlent pas dans le “djihad”, le fait que beaucoup d’entre eux considèrent comme des “héros” ou des “justiciers” ceux qui ont franchi ce pas constitue bien une preuve du caractère de plus en plus massif du désespoir et de la barbarie qui envahit la société”. Car, en effet, la montée en puissance du fanatisme religieux comme celle des populismes, les innombrables massacres perpétrés par des bandes armées fanatisées et mafieuses telles que l’État islamique, Boko Haram, AQMI et consorts, comme la fuite en avant guerrière et incontrôlable des grandes puissances impérialistes, tout cela est l’expression, avec bien d’autres manifestations, du pourrissement sur pied de la société capitaliste, de l’incapacité objective de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective conjuguée aux immenses difficultés que rencontre la classe ouvrière à défendre ouvertement la sienne.
Après les attentats de janvier 2015, les rassemblements gigantesques de solidarité étaient aussitôt récupérés par l’État sous le patronage des “valeurs républicaines” afin de mieux justifier les opérations militaires de l’impérialisme français et les mesures de flicage, tout cela au nom de la “liberté d’expression” et de la “sécurité des Français”. L’exécution perpétrée par Salhi et l’attaque de Sousse, où les touristes occidentaux étaient visés, ont pareillement été l’occasion d’une instrumentalisation sans vergogne par le gouvernement “socialiste”.
Alors que l’intense propagande autour de “l’esprit du 11 janvier”, où le Parti socialiste fit applaudir les forces de répression et vanta “l’unité nationale”, n’a pas complètement levé toute résistance face à l’offensive sécuritaire du gouvernement, l’attentat en Isère permettait de nouveau une même instrumentalisation à des fins idéologiques. Après le déploiement massif et ultra-médiatisé des forces de l’ordre et de l’armée dans les rues, la loi sur le renseignement devait fournir une légitimation “démocratique” au renforcement des mécanismes de surveillance que l’État utilise depuis de nombreuses années. Le critique démocratique ronronnait tranquillement avec, d’un côté, les défenseurs inconditionnels de la loi, de l’autre, ceux qui réclamaient un cadre juridique prétendument plus contraignant afin de protéger les “libertés individuelles”. Seulement, comme la loi sur le renseignement prévoit entre autres choses de prévenir “les atteintes à la forme républicaine des Institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou de la reconstitution de groupements dissous”, ou encore la défense “des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la France”, le projet est apparu pour ce qu’il est : la légalisation de la surveillance généralisée et la criminalisation de toute expression de lutte contre la dictature capitaliste. Avec l’attentat de Yassin Salhi, la bourgeoisie a ainsi pu alimenter un peu plus le climat d’anxiété et de suspicion pour faire unanimement acclamer sa loi “difficile mais nécessaire” en jouant sur les émotions.
Cependant, c’est surtout sur le plan impérialiste que la bourgeoisie exploite à fond cette série d’attentats. Paré des hypocrites vertus démocratiques et civilisationnelles, le gouvernement a trouvé une nouvelle occasion à exploiter pour justifier un engagement guerrier plus marqué dans le monde. Que la France ait armé bien des groupes terroristes, qu’elle ait un rôle actif dans les nombreux conflits qui ont plongé la planète dans le chaos et le sang, tout cela est honteusement dissimulé. Ne reste que “la défense de la civilisation contre la sauvagerie terroriste”, c’est-à-dire la défense d’une abominable machine à tuer contre une autre. Ainsi, alors que l’État français s’implique militairement au Moyen-orient, il n’est pas anodin que le Premier ministre socialiste, Manuel Valls, ait repris la théorie des “faucons néo-conservateurs” américains selon laquelle nous assisterions au “choc des civilisations”. Ce mensonge éhonté vise à préparer les esprits aux aventures guerrières présentes et futures, mais en plus, il permet de façon plus immédiate de diviser davantage les ouvriers, en favorisant les replis communautaristes (bref, en stigmatisant ceux qui appartiennent à “l’autre civilisation à combattre”).
Il n’y a aucune illusion à se faire : au nom de la “lutte contre le terrorisme”, l’impérialisme français prépare la répression et sèmera encore la mort dans de nombreuses régions du monde. Seule la classe ouvrière internationale, en jetant tout son poids et sa volonté révolutionnaire dans la balance, pourra offrir une réelle perspective pour l’humanité.
S.W., 4 juillet 2015
1 Et pourtant, ceux qui commettent ces atrocités, ces humains et non ces “monstres” comme se plaisent à les nommer les médias, ont besoin d’être dans un état second pour appuyer sur la détente, comme lors d’un suicide. La mère du gamin-terroriste qui a frappé en Tunisie a ainsi parlé d’un véritable lavage de cerveau qui a poussé son fils à commettre le plus horrible. Un récent reportage sur France 5 soulignait que la plupart de ces meurtriers étaient sous l’emprise d’une drogue appelée “captalon” (ou “pilule de Daesh”). Il s’agit d’une sorte de “pare-balle chimique” qui permet d’aller au combat comme lobotomisé et en se sentant invincible.
Quelques faits suffisent à illustrer l’horreur de la situation actuelle des migrants :
– le 27 août, la découverte, en Autriche, à proximité de la frontière hongroise, de 71 corps (dont 8 femmes et 4 enfants) en état de décomposition avancée, enfermés dans un camion abandonné en bordure d’autoroute ;
– quelques jours après, le corps d’un garçonnet de trois ans, noyé en même temps que sa mère et son frère, gisait sur une plage de Bodrum en Turquie.
Il s’agissait dans les deux cas de migrants venus de Syrie fuyant l’horreur de quatre années de guerre. Ce phénomène des réfugiés, marqué par une mondialisation inédite, dépasse aujourd’hui en ampleur les exodes des heures les plus sombres du xxe siècle.
Une chose doit cependant attirer l’attention et poser question : les médias ne cherchent pas à dissimuler l’horreur insoutenable de la situation. Au contraire, ils l’étalent en “Une” des journaux et multiplient les images chocs, comme celle de ce jeune garçonnet de trois ans. Pourquoi ?
En fait, la bourgeoisie exploite, pour sa propagande, à la fois la barbarie dont elle est elle-même responsable et le sentiment d’indignation que cela suscite, tout comme les élans de solidarité spontanée entre les travailleurs (locaux et migrants) qui ont commencé à se développer ces derniers mois en plusieurs points d’Europe. Il s’agit non seulement de briser dans l’œuf toute possibilité de réflexion autonome, mais aussi de nourrir de façon insidieuse les idéologies nationalistes afin de pourrir les consciences. Aux yeux de la classe dominante, livrés à eux-mêmes, les travailleurs agissent “d’une curieuse façon”, voire de manière “irresponsable” : ils se serrent les coudes, s’entraident et se soutiennent. Ainsi, malgré le matraquage idéologique permanent et face aux pressions bourgeoises en tout genre, bien souvent, lorsque des prolétaires sont en contact direct avec les réfugiés, ils leur apportent de quoi survivre (boisson, nourriture, couvertures…) et les hébergent parfois. De tels exemples de solidarité se sont ainsi manifestés aussi bien à Lampedusa en Italie qu’à Calais en France ou dans plusieurs villes en Allemagne et en Autriche. Par exemple, à l’arrivée des trains de réfugiés, enfin libérés de leur séquestration par l’État hongrois, les migrants exténués ont été accueillis par des milliers de gens qui sont venus apporter réconfort et soutien matériel. Des cheminots autrichiens ont même proposé des heures supplémentaires gratuites pour transporter les réfugiés vers l’Allemagne. A Paris, des milliers de gens ont manifesté samedi 5 septembre pour protester contre le traitement des réfugiés. On pouvait lire des slogans comme : “Nous sommes tous des enfants de migrants”.
Sentant une réaction importante et internationale de solidarité portée par la population civile, alors que les États ne faisaient que retenir et terroriser les réfugiés, la classe dominante a dû finalement réagir. La bourgeoisie a été un peu partout contrainte de modifier son discours anti-immigrés de ces dernières années et de s’adapter. En Allemagne, le volte-face de la bourgeoisie lui a permis de renforcer son image politique de démocratie “très avancée” et de mieux conjurer les fantômes du passé face à ses concurrents qui ne manquaient jamais une occasion de les évoquer naguère. C’est d’ailleurs le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale qui explique la plus grande sensibilité du prolétariat en Allemagne face à la question des migrants et de la solidarité nécessaire. Les autorités allemandes ont ainsi dû suspendre l’application du règlement de Dublin qui prévoyait l’expulsion des demandeurs d’asile. Aux yeux des migrants et du monde, Merkel est devenue la “championne de l’ouverture” et l’Allemagne un “modèle d’humanité”. En Grande-Bretagne, Cameron a dû modifier son discours “intransigeant”, tout comme les pires tabloïds qui, peu avant, comparaient les migrants à des “cafards”. Pour la bourgeoisie, un des enjeux importants était de réagir et masquer le fait qu’il existe bien deux logiques totalement antagoniques qui s’affrontent : l’exclusion et le “chacun pour soi” de la concurrence capitaliste ou la solidarité prolétarienne ; l’enfoncement dans la barbarie de ce système mortifère ou l’affirmation d’une classe porteuse du futur épanouissement de l’humanité. La bourgeoisie ne pouvait faire autrement que de répondre aux vrais sentiments d’indignation et de solidarité qui se manifestent dans les pays centraux.
La situation n’est pas totalement nouvelle. En 2012, le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) comptabilisait déjà 45,2 millions de “déplacés” et tirait la sonnette d’alarme face à l’ampleur de la catastrophe humanitaire. En 2013, ils étaient 51,2 millions sur la planète à fuir l’horreur sous toutes ses formes. Le seuil des 50 millions était alors franchi pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale ! Le HCR explique cette terrible dynamique par “la multiplication de nouvelles crises” et “la persistance des vieilles crises qui semblent ne jamais vouloir mourir”. Résultat, l’année 2015 est en train de marquer un nouveau record : 60 millions de réfugiés pour la seule Europe. Depuis janvier, les demandes d’asile ont explosé, en augmentation de 78 %. En Allemagne, selon le ministre de l’Intérieur, les demandes d’asile sont quatre fois plus nombreuses que l’an dernier, atteignant le chiffre record de 800 000. La Macédoine a déclaré l’état d’urgence et a fermé un moment ses frontières. Officiellement, plus de 2800 exilés, hommes, femmes et enfants, se sont noyés en Méditerranée ces derniers mois. En Asie, le phénomène est tout aussi massif. Par exemple, un nombre croissant de personnes originaires du Myanmar fuient la répression et tentent désespérément d’atteindre d’autres pays d’Asie du Sud-Est. En Amérique latine, le niveau de criminalité et la pauvreté sont tels que des centaines de milliers de personnes cherchent refuge aux États-Unis pour survivre. Un train de marchandises qui traverse tout le Mexique du sud au nord surnommé “La Bête” se charge ainsi régulièrement de milliers de migrants. Ils courent non seulement le risque de tomber du toit des wagons ou d’être renversés dans les tunnels mais aussi de subir l’assaut des autorités, et sont encore davantage à la merci des narcotrafiquants ou de bandits qui les rançonnent, les violent, les livrent à des réseaux de prostitution et la plupart du temps les tuent. Et, pour ceux qui ont la chance d’en réchapper, tout le long de la frontière américaine se dresse un “mur”, des barbelés et des miradors que des gardes armés jusqu’aux dents surveillent en permanence pour leur tirer dessus comme des lapins !
En fait, l’attitude hypocrite des États démocratiques, au langage civilisé, s’accommode très bien des pires discours xénophobes alimentant des sentiments de peur chez les uns, d’impuissance chez les autres, paralysant la réflexion chez tous. Cette propagande de caniveau cherche en effet à casser tout élan de solidarité en soulignant l’impossibilité d’accueillir ces “trop nombreux migrants”, la seule solution présentée étant alors de les bloquer dès le départ afin de leur éviter charitablement les dangers du périple, quand elle n’encourage pas directement des réactions d’auto-défense et légitime les mesures de “protection efficaces” contre cette “invasion”. Ce battage vise donc à détourner les esprits de la compréhension des causes réelles de ce phénomène.
Désormais, des zones entières de la planète sont dévastées et sont devenues inhabitables. C’est particulièrement le cas pour la ceinture allant de l’Ukraine jusqu’à l’Afrique, en passant par le Moyen-Orient. Dans certaines de ces zones de guerre, c’est plus de la moitié de la population qui est en fuite et qui s’entasse dans de gigantesques camps, en proie aux passeurs sans scrupule, véritable trafic organisé à échelle industrielle. La cause réelle de cet enfer, c’est le pourrissement de ce système mondial fait d’exploitation et de guerres : celui du capitalisme décadent. L’ampleur du phénomène des réfugiés est aujourd’hui une claire expression de la déliquescence de la société capitaliste qui voit se multiplier les conflits, les pogroms et les violences de toutes sortes, la paupérisation grandissante liée à la crise économique et aux désastres écologiques. Bien entendu, les guerres, les crises et la pollution sont des phénomènes anciens. Toute guerre, par exemple, signifiait déjà que des gens devaient fuir pour sauver leur peau. Cependant, la portée et l’intensité de ces phénomènes n’ont fait que s’amplifier, alimentant une spirale infernale de barbarie et de destructions. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le nombre de réfugiés était resté relativement limité. Avec cette dernière, ont commencé les déplacements massifs : “réinstallations”, “transferts de populations” etc. Cette spirale de guerres et de destructions a pris ensuite une autre dimension lors de la Seconde Guerre mondiale, avec un nombre de réfugiés et de déplacés inédit. Ensuite, pendant la Guerre froide, les multiples conflits entre les deux blocs Est-Ouest, par puissances interposées, ont généré à leur tour une quantité importante de réfugiés, tout comme les grandes famines subsahariennes des années 1970 et 1980. Mais depuis l’effondrement du bloc de l’Est en 1990, une véritable boîte de Pandore s’est ouverte. En effet, l’opposition des blocs impérialistes Est-Ouest imposait un certain ordre et une certaine discipline : la plupart des nations obéissaient aux ordres de leur tête de bloc respective, les États-Unis ou la Russie. Les guerres de cette période ont ainsi été inhumaines et meurtrières, mais aussi “classiques” et “ordonnées”. Depuis que l’URSS s’est effondrée, l’instabilité et le développement du chaos ont progressivement engendré une multiplication des conflits locaux, marqués par l’instabilité des alliances et l’aspect sans fin et sans issue des combats, entraînant la désagrégation d’États, favorisant la montée des seigneurs de guerre et autres aventuriers mafieux, la dislocation de tout tissu social... Et les contradictions entre les puissances impérialistes (marquées par la montée du chacun pour soi, chaque nation jouant sa propre carte impérialiste et ce, d’ailleurs, avec des objectifs de plus en plus à courte-vue) ont conduit ces dernières à des interventions militaires d’une régularité croissante, voire aujourd’hui permanente. Les grandes puissances soutiennent chacune telle ou telle clique mafieuse, tel ou tel seigneur de la guerre, tel ou tel groupe fanatique dans la défense toujours plus irrationnelle de leurs intérêts impérialistes. Ce qui domine désormais la société capitaliste, c’est la désagrégation de régions entières où peuvent s’épanouir les expressions les plus criantes de la décomposition sociale : zones géographiques entièrement aux mains de narcotrafiquants, surgissement de l’État islamique avec ses exactions barbares, etc.
Principaux responsables de la désagrégation sociale, écologique et militaire du monde, ces États sont en même temps devenus de vraies “forteresses”. Dans un contexte de crise et de chômage massif, les mesures sécuritaires se sont en effet renforcées de manière drastique et les États se sont littéralement “bunkerisés”. Seuls les migrants les plus qualifiés sont acceptés pour être exploités, pour baisser les coûts de la force de travail et être utilisés pour diviser le prolétariat. La majorité des réfugiés et migrants, celle des “indésirables”, des affamés sans ressource, est cyniquement priée de bien vouloir rester chez elle pour y mourir sans gêner quiconque. Les États du Nord les chassent, littéralement, comme par exemple cet été encore en France près de la “jungle” de Calais, le long du tunnel sous la Manche (voir notre article sur ce site [532]). La société industrielle gangrenée par la crise économique de surproduction ne peut plus offrir de perspectives. Au lieu de s’ouvrir, elle se ferme littéralement ; les États barricadent leurs frontières, électrifient et multiplient les clôtures, construisent toujours plus de murs. Durant la Guerre froide, du temps du mur de Berlin, il existait une quinzaine de murs pour défendre les frontières. Aujourd’hui, c’est plus d’une soixantaine qui sont dressés ou en construction. Du “mur de l’apartheid” construit par Israël face aux Palestiniens, en passant par la barrière aux 4000 kilomètres de barbelés séparant l’Inde et le Bangladesh, les États sont en proie à une véritable paranoïa sécuritaire. En Europe, le front méditerranéen est lui-même garni de murs et de barrières. Durant le mois de juillet dernier, le gouvernement hongrois entamait la construction d’une nouvelle barrière haute de quatre mètres. Quant à l’espace Schengen en Europe, au travail de l’agence Frontex ou le dispositif Triton, leur efficacité militaro-industrielle est redoutable ; une flotte permanente de navires de surveillance et de guerre empêche les réfugiés de traverser la Méditerranée. Un dispositif similaire est mis en place le long des côtes australiennes. Tous ces obstacles augmentent ainsi très fortement la mortalité des migrants, condamnés à prendre de plus en plus de risques pour passer.
D’un côté, l’État bourgeois se barricade. Il alimente au maximum les discours catastrophistes des fractions populistes les plus xénophobes, attise toujours plus les haines, les peurs et les divisions. Face aux conditions de vie dégradées, les parties les plus faibles du prolétariat subissent cette propagande nationaliste et xénophobe de plein fouet. Les protestations, les attaques physiques ou incendies criminels contre des maisons de réfugiés par des gens d’extrême-droite ont été signalés dans de nombreux pays. Les réfugiés deviennent la cible de campagnes contre les “étrangers”, contre ceux qui “menacent nos conditions de vie”. L’État légitime ainsi ses actions de “protection” : organiser les internements dans les camps de rétention (plus de 400 en Europe), soutenir les pires tortionnaires pour contrôler et parquer les populations, assurer les déportations et aujourd’hui les reconduites aux frontières...
De l’autre, le même État bourgeois se paye le luxe d’une feinte indignation par la voix de ses politiciens, parle de “défi moral” face à la tragédie, se présente comme le garant de la “civilisation”, portant soi-disant “assistance” et favorisant au mieux “l’accueil des migrants”. Bref, l’État bourgeois, ce sinistre criminel, se drape de la vertu du sauveur.
Mais tant que durera le capitalisme, aucune solution réelle ne sera possible pour les réfugiés et les migrants. Si nous ne nous battons pas contre ce système, si nous n’allons pas à la racine du problème de façon critique, notre indignation et notre solidarité ne pourront dépasser le stade du réflexe du premier secours, ce profond et noble sentiment humain sera même ensuite récupéré par la bourgeoisie comme une simple action de charité, avec flonflons et caméras, noyé par l’esprit nauséabond d’un nationalisme insidieux. Nous devons donc essayer de comprendre, aller à la racine du problème pour pouvoir offrir un point de vue critique et révolutionnaire. Le prolétariat se doit de développer une telle réflexion critique sur ces questions.
Dans nos prochains articles, nous reviendrons plus en profondeur sur ce problème historique.
WH, 5 septembre 2015
Après quatre années de guerre en Syrie et environ un an après l’établissement du “Califat” de l’État islamique (EI), un nouveau virage de la Turquie, pleinement soutenue par les forces de l’OTAN, se manifeste par son entrée en guerre, abandonnant ses précédents alliés djihadistes et faisant feu sur ses “partenaires de paix” kurdes. Jusqu’à présent, la Turquie a, pour le moins, été extrêmement tolérante envers les forces djihadistes, leur permettant de traverser ses frontières pour combattre son ennemi, le régime d’Assad en Syrie. Les chefs de l’EI ont été vus se pavanant ouvertement autour de villes et de lieux de villégiatures turcs. Ses combattants blessés ont reçu des soins hospitaliers et ont été renvoyés sur les champs de bataille (tout comme le fait Israël pour al-Nosra (1) ; quant aux flics turcs ayant arrêté des membres de haut rang de l’EI, ils ont eux-mêmes été jetés en prison. De plus, en revenant quelques années en arrière, des rapports crédibles ont indiqué que, avec l’aide des services secrets turcs (le MIT), des avions chargés par la CIA de djihadistes et d’armes lourdes en provenance de Libye ont atterri en Turquie et ont traversé la frontière syrienne pour combattre les troupes d’Assad et ses alliés du Hezbollah. Bien que tout ceci ne fasse que rarement surface, il ne fait aucun doute que cela a causé des tensions considérables au sein de l’OTAN, dont la Turquie est membre et a grandement tendu les relations turco-américaines, même si les agences américaines ont aussi été impliquées dans le soutien aux djihadistes. Un certain nombre de questions sont posées par le nouveau front turc : pourquoi actuellement ce virage de la part de la Turquie ? Qu’est-ce que cela signifie pour le “processus de paix” turco-kurde et ses deux années de “cessez-le-feu” ? Y a-t-il des éléments au sein des forces du nationalisme kurde qui représentent d’une manière ou d’une autre les intérêts de la classe ouvrière ? Cette évolution mènera-t-elle à une quelconque espèce de pause ou d’atténuation dans la descente de toute la région dans l’instabilité et la guerre ?
Le 20 juillet, une attaque suicide à la bombe à Suruç, proche de la frontière turco-syrienne, a tué 32 jeunes activistes et blessé plusieurs autres travaillant pour, ou en liaison avec, le groupe gauchiste Fédération des associations de jeunesse socialistes. Le kamikaze, un Kurde partisan du djihad, a été rapidement identifié par le MIT, et il est tout à fait possible que les services secrets turcs eux-mêmes aient été impliqués dans l’attentat. Ils ont des antécédents en la matière (Reyhanli, 2013), et bien que la question “à qui profite le crime ?” ne fonctionne pas toujours, elle est efficace dans la plupart des cas. Et il ne fait aucun doute que, quelles que soient les personnes impliquées dans cet acte, la clique dirigeante de l’AKP du président Recip Erdogan a utilisé les attentats dans le but de renforcer sa position interne et la défense des intérêts impérialistes turcs tels qu’elle les voit. L’AKP d’Erdogan, comme tout gang nationaliste, essaie de protéger ses propres intérêts au sein de l’État ; mais il semble grandement avoir le soutien de l’armée turque et des services secrets, tous deux vitaux pour la pérennité de sa position au pouvoir. Clairement, l’EI n’est pas un allié fiable. Les discussions entre l’État turc et l’administration américaine sur une confrontation sérieuse avec un EI en expansion ont commencé peu après les élections turques en juin, suite au choc de la perte de sa majorité absolue par l’AKP et la montée du Parti démocratique des peuples (le HDP) pro-kurde, qui a obtenu 13 % des suffrages et semblait avoir le vent en poupe. D’autres tensions se sont accrues dans le parti d’Erdogan, de même que dans l’armée turque, alors qu’ils voyaient l’armée kurde de l’YPG) (2 (les “Unités de protection du peuple”, la branche armée du PYD) (3 et du PKK parmi l’organisation byzantine des forces nationalistes kurdes) agir en tant que plus proche alliée des États-Unis dans ses attaques contre l’EI. C’est probablement une combinaison de ces deux éléments (les problèmes électoraux de l’AKP à l’intérieur ainsi que la montée de l’YPG et le renforcement de ses positions le long de la frontière turco-syrienne) qui a focalisé les esprits turcs et qui les ont orientés vers une sorte d’entente avec les États-Unis sur la mise à disposition de leurs bases aériennes pour les chasseurs-bombardiers et les drones de combat américains, en particulier la base aérienne d’Incirlik, dans le but de poursuivre les missions de bombardement de l’EI en Syrie.
Dans les jours qui ont suivi l’attentat de Suruç, les chasseurs-bombardiers et l’artillerie turcs ont frappé une ou deux positions de l’EI et un grand nombre de positions du PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan) en Turquie, dans le nord de l’Irak, ainsi que des positions de l’YPG à la frontière syrienne (BBC World News, 03/08/2015). La férocité des attaques turques contre les Kurdes et leur disproportion comparée aux attaques contre l’EI, montrent les intentions réelles de l’AKP. La situation d’ensemble est celle d’un véritable guêpier et exprime le pourrissement des relations internationales et l’affaiblissement de l’impérialisme américain : un membre de l’OTAN soutient ouvertement le Califat de l’EI, des éléments d’une organisation kurde étiquetée comme terroriste sont les plus proches alliés des Américains dans le combat contre l’EI, les forces djihadistes en croissance continue prennent pour la énième fois le dessus sur des forces entraînées et équipées par les États-Unis, la Turquie permet la libre circulation de l’EI des deux côtés de la frontière avec la Syrie ici, tandis que la Turquie et les “conseillers” américains entraînent des forces anti-EI ailleurs dans le pays. Ajoutons à cela les divergences et les tensions entre les nombreuses et variées factions kurdes – entre autres, le PKK, l’YPG et le gouvernement du Kurdistan irakien de Massoud Barzani en Irak du nord. La complète absurdité de la situation d’ensemble est aujourd’hui la caractéristique principale de la plupart des conflits impérialistes.
Comme tout “cessez-le-feu” ou “processus de paix” capitaliste, celui entre l’État turc et le PKK kurde ne sont que des moments de pause dans l’intensification de la guerre impérialiste et l’accroissement de la violence. Ceci a été confirmé par le fait que, juste après les attentats de Suruç, les autorités turques n’ont arrêté qu’une poignée de combattants de l’EI et n’ont lancé que quelques assauts aériens contre les positions de l’EI, alors que leurs attaques contre les intérêts kurdes et la répression générale consécutive contre la population ont été d’une bien plus grande ampleur. Quelques jours seulement après les attentats de Suruç, des hélicoptères militaires turcs ont appliqué la politique de la terre brûlée dans les zones kurdes bastions du PKK au sud de la Turquie, brûlant les cultures, le bétail et les maisons, tout en installant des postes de contrôle militaires et arrêtant quiconque considéré comme suspect (The Times, 05/08/2015). De leur côté, les forces du nationalisme kurde ont immédiatement lancé des attaques contre l’armée turque. Celles-ci incluent des actions de sabotage qui ont tué au moins un cheminot turc dans la province orientale de Kars (Agence AP, 31/07/2015). Et comme n’importe quelle action de “résistance”, ce genre d’attaques est intrinsèquement clivant et provoque des représailles générales sur la population kurde. Sous couvert d’une attaque contre l’EI, l’objectif réel des autorités turques est une attaque contre les intérêts kurdes dont elles attendent, entre autres, un possible renforcement du nationalisme turc et un accroissement des chances d’obtenir une probable majorité AKP en cas de nouvelles élections, donnant ainsi un mandat ouvert à la clique dirigeante. En tout cas, la dernière chose que l’État turc souhaite pour le long terme est la proclamation d’un nouvel État kurde, qui s’avérerait être un autre “Califat” ethnique, une autre abomination nationaliste, une autre structure étatique particulière, expression de la décomposition ambiante dans la région. Les clans ethniques et religieux ont certes leurs propres spécificités, mais ils ont en commun l’essentiel : celui d’être des entités capitalistes écrasant les intérêts de la classe ouvrière. Et cela s’applique de manière générale, bien au-delà du Moyen-Orient, dans l’ensemble du monde capitaliste. Regardons le dernier État-nation du capitalisme, la République du Soudan du Sud, qui a obtenu son indépendance en 2011. Le gang local, qui le dirige, a été soutenu et mis en place avec soutien, renseignement, assistance militaire et financement considérables de la part des principaux pays occidentaux et s’est presque immédiatement et brutalement effondré dans la guerre, les luttes intestines, la corruption et le gangstérisme.
Il existe des implications majeures de ces derniers événements pour l’OTAN. La Turquie possède la deuxième plus grande armée de l’OTAN, forte de 700 000 hommes ; son virage contre le “terrorisme”, l’EI et le PKK, a été salué par les forces dominées par les États-Unis qui ont conscience de l’aide que peut apporter la Turquie, non seulement en mettant à disposition ses bases mais aussi en libérant la zone contrôlée par l’EI entre la frontière turque et Alep en Syrie (), tout en affaiblissant l’influence kurde le long de la frontière. La Turquie agit ici en relative position de force en négociant avec les États-Unis, ces derniers étant à court d’options. L’OTAN, malgré quelques divergences et doutes en son sein, a fortement salué la décision de la Turquie lors d’une rencontre extraordinaire à Bruxelles le 28 juillet. En dépit de quelques paroles mitigées demandant de laisser les Kurdes tranquilles, paroles par la suite complètement ignorées par Ankara, le Secrétaire général de l’OTAN a résumé l’opinion des ambassadeurs de la réunion du 28 : “Nous sommes tous unis dans la condamnation du terrorisme, en solidarité avec la Turquie” (Jens Stoltenberg, The Independent, 29/07/2015). La contrepartie immédiate pour la Turquie pourrait très bien être l’obtention de plus de missiles Patriot, de renseignements et d’assistance logistique de la part des États-Unis. Une autre concession à prévoir de la part des États-Unis, après des résistances de la part de ces derniers pendant un temps, concession qui pourrait faire monter l’AKP, serait l’établissement d’une “zone de sécurité”, d’une “zone tampon” le long de la frontière turco-syrienne qui est actuellement largement contrôlée par l’YPG. Le territoire effectivement proposé scinderait en deux le territoire tenu par l’YPG et serait entièrement occupé par l’armée turque. Ce serait de facto une zone d’exclusion aérienne. Cela représenterait une invasion de la Syrie et une nouvelle escalade de la guerre ainsi qu’un possible tremplin pour d’autres “activités” turques en Syrie. À partir de cette potentielle annexion de territoire syrien (en réalité il n’existe plus de pays dénommé “Syrie”), il serait possible de lancer d’autres attaques, bien que ce ne soit pas à prévoir dans l’immédiat.
Tout comme les coopératives ouvrières et les usines autogérées qui, même avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent échapper aux lois de la production capitaliste, les “luttes” de libération nationale tombent immédiatement dans la gueule de l’impérialisme ; aussi, tout mouvement nationaliste, proto-nationaliste ou ethnique ne peut qu’assumer les fonctions d’un État capitaliste. Et cela s’applique notamment au changement de cap “libertaire” du PKK et à ses idées d’une fédéralisation de “mini-États”, représentatives non d’une certaine cohérence mais, au contraire, du processus capitaliste global de dislocation et de fractionnement. En tant que tel, ce ne peut être que préjudiciable à toute expression indépendante de la classe ouvrière.
Sur le site web “libcom”, dans un fil sur la Turquie, un partisan des Kurdes ethniques, un certain Kurremkarmerruk, met en question l’existence d’une quelconque revendication ou quoi que ce soit d’autre en faveur d’un État de la part du mouvement de libération kurde. Nous nous sommes déjà penchés sur la question des nouveaux États dans un contexte plus large. Mais à la fin des années 1980, le PKK a évolué d’une prétendue “orientation prolétarienne” (par cette expression, le nationalisme kurde entendait un mode d’organisation de type stalinien), d’un modèle “d’État national avec son propre gouvernement”, vers une forme de “vie sociale communautaire avec la liberté pour les femmes”. Laissons de côté la prédation sexuelle des femmes répandue dans le PKK ; cette “liberté pour les femmes” récemment mise en avant s’exprime largement à travers leur “égalité” en tant que chair à canon et leur intégration aux troupes kurdes dans la guerre impérialiste. Les nouveaux concepts de “communautarisation dans laquelle l’individu est prépondérant” au sein d’une fédération et d’”anti-autoritarisme” revendiqué par les Kurdes ne sont rien qu’une autre forme de rapports capitalistes teintée d’anarchisme – parfaitement compatible avec un mouvement de libération nationale ou ethnique. Il n’y a absolument rien ici qui mette en question la société de classes ou la guerre impérialiste ; au contraire, tous deux sont renforcés par les désirs nationalistes kurdes d’une place dans le concert de la “communauté internationale”. Depuis la Première Guerre mondiale, le nationalisme et l’ethnicité ont fait des Kurdes les pions et la chair à canon de vastes enjeux impérialistes. Ce cadre ethnique n’a vraiment rien à voir avec le marxisme, ni avec aucune composante du mouvement ouvrier. Le PKK repose sur la terreur, notamment envers sa propre population. Il repose sur l’exclusion ethnique et a souvent joué un rôle sur l’échiquier impérialiste. Comme beaucoup de mouvements de “libération nationale”, il a été complètement déstabilisé, tant matériellement qu’idéologiquement, par l’effondrement du stalinisme à la fin des années 1980 ; et rien de tout cela n’a changé, étant donné que la composante “socialiste” YPG a été, jusque très récemment, le plus proche allié de l’impérialisme américain dans la région. Par le passé, les intérêts ethniques kurdes ont été utilisés par la Russie, la Syrie, l’Iran, l’Irak, l’Arménie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Grèce. Ils ont également adopté et développé les valeurs capitalistes de démocratie et de pacifisme. Tout mouvement nationaliste ou ethnique, même, ou tout particulièrement, “fédéralisé”, est essentiellement et fondamentalement une organisation étatique travaillant au sein du capitalisme et de ses forces impérialistes. La défense de l’ethnicité kurde, comme n’importe quelle autre, est basée sur l’exclusion. Quels que soient les mystifications et le langage gauchistes, la “patrie commune”, une structure entièrement capitaliste, reste l’objectif de l’ethnicité kurde.
Il semble maintenant que la clique Erdogan/AKP, avec l’armée derrière elle, en a eu assez de la montée “pacifique et démocratique” des Kurdes au sein de la “communauté internationale” (c’est-à-dire de l’échiquier impérialiste), et a décidé de passer à l’offensive contre elle tout en renforçant la position de son parti au sein de l’État. Et les forces kurdes à leur tour présenteront cela comme une attaque contre leurs soi-disant “principes socialistes” et iront plus avant dans leur “guerre d’auto-défense”, agissant ainsi en tant que facteur de division supplémentaire dans la classe ouvrière.
Pour la classe ouvrière des pays capitalistes majeurs de la région et d’ailleurs, la généralisation de cette guerre et les manifestations de celle-ci sont une grande source d’inquiétude, notamment à cause de l’implication de leur “propre” État et de l’expansion du militarisme en général. La situation d’ensemble, pour les populations locales et environnantes du Moyen-Orient, c’est la sombre certitude de plus de guerre, de violences, de chaos et d’instabilité. L’EI étend son Califat et des forces similaires lui font face, alors qu’à un autre niveau, l’affaiblissement de l’impérialisme américain persiste et c’est ce qui a permis à la Turquie de prendre cette attitude nouvelle et agressive. En premier lieu, c’était une faiblesse des États-Unis de devoir compter sur les forces kurdes, une situation qui, jusqu’à un certain point, a précipité ce stade présent de la crise. Et dans l’immédiat, les attaques turques contre les Kurdes ne peuvent qu’affaiblir le combat contre l’EI. Il existe de plus grands dangers encore. Après une année de bombardements de la part de la coalition jusqu’en juillet dernier, avec 5000 frappes aériennes, 17 000 bombes lâchées et au moins des centaines de civils tués à ajouter au carnage ainsi qu’un EI relativement indemne et davantage enraciné, Obama a maintenant autorisé une couverture aérienne complète pour ses forces terrestres en Syrie (World Socialist Website, 04/08/2015). Le problème pour les Américains est que les forces terrestres sur lesquelles ils peuvent compter en Syrie sont actuellement inexistantes. L’autre complication à cet égard est que le régime d’Assad possède un système de missiles de défense aérienne, de fabrication russe, très sophistiqué.
Dans ce mélange détonant d’irrationalité, de rivalités interethniques et religieuses supervisées par l’impérialisme et le développement du chacun pour soi, l’affaiblissement de l’influence et du rayonnement des États-Unis a contribué à forcer ces derniers à conclure un accord nucléaire avec l’Iran qui a aussi de bien plus lourdes conséquences et implications. L’accord aura un réel impact sur la Turquie, les autres puissances régionales, la Russie et bien d’autres. Nous reviendrons ultérieurement sur les composantes de l’accord irano-américain et ses implications.
World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne, 8 août 2015
1) En octobre dernier, l’analyste du Moyen-Orient Ehud Yaari a relaté les relations entre Israël et al-Nosra.
2) La page Wikipedia de l’YPG décrit un autoportrait tout en rose imprégné de “socialisme” et de tolérance. Ces mots mielleux sont démentis par sa cohérence ethnique et son “nettoyage” militaire des zones arabes, comme la ville de Tal Abyad où 50 000 personnes ont été expulsées par l’avancée militaire de l’YPG en juin de cette année et ont maintenant rejoint les millions de réfugiés devenus sans logis à cause de la guerre.
L’YPG est clairement membre d’une armée impérialiste et, en tant que tel, le “nettoyage ethnique” fait partie de son boulot.
3) Comme pour la guerre en Ukraine, de nombreux éléments de l’anarchisme soutenant l’YPG et la prétendue “Révolution du Rojava” montrent leur soutien ouvert à la guerre impérialiste.
() L’espoir particulier de forces “indépendantes” entraînées par les États-Unis se chargeant de cela a déjà souffert d’un autre revers : les combattants d’une force anti-Assad non-djihadiste basée en Turquie et entraînée par les États-Unis, la Division 30, ont été enlevés par les forces d’al-Nosra (The Independent, 31/07/2015). Nul doute qu’ils seront livrés à l’EI, qu’ils seront interrogés, torturés, et que leur sort est scellé.
La banalisation des conditions inhumaines vécues par les migrants avait fini par faire disparaître les “jungles” de Calais des colonnes de la presse française. Mais cet été, les voilà revenues à la “Une” de l’actualité. Alors que l’Europe dresse sur ses côtes sud des murs qu’elle espère infranchissables pour repousser les nombreux demandeurs d’asile qui viennent y chercher refuge, sur les côtes nord de l’espace Schengen, l’Angleterre tente elle aussi de repousser les migrants, attirés par “l’Eldorado” britannique. L’Angleterre a en effet l’atout d’offrir des conditions plus aisées qu’ailleurs pour le développement de l’emploi illégal et l’exploitation sans limites des immigrés clandestins.
Le dernier obstacle pour entrer dans ce “paradis”, c’est la Manche, qu’il faut franchir caché dans des camions, dans les soutes des ferries ou à pied dans le tunnel ferroviaire, avec peu d’espoir de réussite et beaucoup de risques d’y laisser la vie. Ils sont 1500 à 2000 à tenter chaque nuit de pénétrer sur le site du tunnel, repoussés par 470 policiers et 200 gardiens privés embauchés par la société qui gère Eurotunnel. Après des échecs successifs, ces misérables repartent dans la “new jungle”, un campement de fortune situé à deux heures et demi de marche. La “new jungle” regroupe les précédents campements médiatiquement démantelés. Elle a un peu plus éloigné les réfugiés des lieux stratégiques pour passer en Angleterre : les zones de fret, près du port et surtout, du tunnel. Désormais, trois à cinq mille migrants s’entassent dans des tentes et dans des abris construits avec les “kits cabane” (du bois et de la toile) fournis par les associations humanitaires à qui l’État délègue la gestion de la survie et des fragiles équilibres de cette communauté de désespérés.
Pourquoi ce soudain regain de publicité ? Partant par milliers à l’assaut de la Manche par le tunnel ferroviaire, de nombreux migrants sont refoulés et pour ceux qui franchissent les barrières de barbelés qui s’accumulent (jusqu’à quatre rangées à certains endroits), le pire finit par arriver. Les morts par électrocution, par étouffement dans une valise (sic), ou écrasés par les camions de fret ont rappelé à beaucoup que la région de Calais reste un lieu où la “misère du monde” – que craignait tant Michel Rocard 1 – s’accumule dans des conditions particulièrement horribles.
On pourrait ainsi croire que la mort violente de dizaines de migrants dans des conditions atroces est la cause de cette récente médiatisation mais il n’en est rien. La tragédie du tunnel n’est en fait qu’un prétexte pour relancer et exploiter une intense campagne d’intoxication idéologique.
Ce battage vise à semer la peur de l’autre, “de l’étranger” pour, finalement, ligoter les ouvriers aux intérêts du capital national. L’État et sa presse cherchent à diffuser l’image effrayante et menaçante de ses rues “envahies” de mendiants en haillons susceptibles “d’agresser” ou de “voler les honnêtes citoyens”, pour créer un climat d’insécurité et susciter des réflexes de xénophobie qui n’est qu’une tentative de semer la division au sein du prolétariat. Récemment, le directeur du port de Calais saluait avec émotion, dans une interview sur Europe 1, la “patience des Calaisiens” face à une “invasion des rues de la Ville-aux-Bourgeois” 2.
Mais cette opposition des “sauvages” contre les “civilisés”, au nom d’une prétendue défense des “citoyens” contre “les envahisseurs étrangers” s’inscrit dans une campagne idéologique plus large, à l’échelle nationale et internationale. La xénophobie, la méfiance, la peur et finalement le rejet de l’étranger sont un poison idéologique violent que la bourgeoisie sait toujours très bien manipuler. Ces campagnes ne cessent ainsi d’être alimentées sur un ton alarmant, une marée humaine risquant prétendument de déferler en Europe et causer les pires tourments, comme si les effets de la crise historique du capitalisme étaient la faute de ces migrants fuyant la misère et la guerre. C’est aussi une manière de réduire la classe ouvrière des “pays riches” à l’impuissance avec l’idée que les conditions d’existence pourraient être pires si elle ne se résigne pas à défendre les intérêts nationaux face aux migrants.
La peur du “misérable” que la bourgeoisie cherche à introduire dans les consciences 3 se double par ailleurs de la colère contre l’étranger d’Outre-Manche : on s’en prend à cette perfide Albion qui ne joue pas le jeu de la “coopération internationale”, cet Anglais qui refuse de “prendre sa part” à la gestion du phénomène. Finalement, tout cela serait aussi de sa faute et de son égoïsme. Cette misère serait plus tolérable s’il acceptait lui aussi d’assumer un peu plus équitablement cette “invasion barbare”.
En occultant les causes de ce drame aussi bien que les situations inhumaines qu’il provoque au quotidien, la bourgeoisie se dédouane et dédouane complètement son système, en faisant porter la responsabilité de la situation sur des questions “techniques”, en réduisant le problème migratoire à ses lois répressives. Mais son cynisme va plus loin. Dans son hypocrisie, elle cherche à montrer sa “bonne volonté humanitaire” en “organisant” l’hébergement des candidats au passage dans des locaux réaffectés pour l’occasion et pour les moins chanceux, dans la “new jungle”. Et d’un autre côté, elle exalte le sentiment nationaliste dans les populations, non seulement locales mais aussi à l’échelle nationale et internationale pour empêcher la réflexion sur les causes de tout cela et remettre en question l’incurie et la barbarie d’un système qui fait que des centaines de milliers de personnes n’ont pas d’autre choix que de partir de chez elles et s’embarquer dans une aventure dangereuse à l’issue le plus souvent dramatique.
Exemple frappant : contrainte de dérouler les barbelés et de planter des vigiles tout autour, obligée de faire ralentir ou arrêter les trains pendant que les cadavres sont évacués, la société Eurotunnel présente la facture et réclame son dû à l’État français : 9,7 millions d’euros de perte d’exploitation pour le premier semestre 2015. Au milieu de cette cohue, la logique primaire du capitalisme se fait toujours entendre et nous rappelle au final que c’est elle qui est au cœur du problème.
GD, 13 août 2015
1 Michel Rocard, alors Premier ministre, avait déclaré dans l’émission 7/7 d’Anne Sinclair sur TF1 : “je pense que nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde, que la France doit rester ce qu’elle est : une terre d’asile politique …), mais pas plus.” Ses déclarations plus nuancées un an plus tard devant la CIMAISE, ajoutant que la France devait “prendre sa part”, lui auront permis de sauver la face, mais le fond de sa pensée, traduisant celui de la bourgeoisie tout entière, avait déjà été publiquement exposé.
2 Evocation patriotique d’un épisode de la guerre de Cent Ans en 1347 où, suite à l’invasion des troupes anglaises et après dix mois de siège, des notables de la ville se sont livrés au roi d’Angleterre afin de préserver la cité de la destruction. Cet épisode a été illustré par une sculpture célèbre de Rodin qui trône au centre de la ville.
3 Face à cette campagne cherchant à saper les fondements de la solidarité ouvrière, on a vu, selon plusieurs sources, se manifester des élans spontanés parmi la population locale, hors des actions caritatives des ONG, pour fournir aux migrants de l’eau, de la nourriture, des couvertures...
Nous publions une prise de position sur la lutte récente des travailleurs techniciens de Movistar. Cette prise de position est le résultat d’un large débat entre des camarades proches du CCI. Ce débat a commencé par la contribution d’un camarade, qui constitue la trame de cet article, à laquelle se sont ajoutés d’autres apports pour la rédaction du texte final.
Les luttes immédiates en défense des conditions de vie des prolétaires constituent l’un des facteurs du processus de formation de la conscience, de la solidarité, de l’unité et de la détermination du prolétariat. Les révolutionnaires sont très attentifs à ces luttes en y participant dans la mesure de leurs moyens. Ils les soutiennent avec la plus grande énergie et ne dédaignent jamais les améliorations économiques qui pourraient être obtenues parce qu’elles sont nécessaires à la survie quotidienne des travailleurs et parce qu’elles sont la concrétisation du courage et de l’esprit d’initiative des prolétaires pour faire valoir leurs besoins face au capital, parce qu’elles sont une déclaration de guerre contre la logique marchande et nationale du capital.
Cette logique nous dit qu’il faut se sacrifier sur l’autel des impératifs de l’accumulation capitaliste et, par conséquent, qu’il faut travailler davantage, être moins payés, accepter les licenciements, le durcissement de conditions de travail, la perte d’allocations sociales et ainsi de suite, pour que les profits capitalistes prospèrent et, surtout, pour que la nation –qu’elle soit espagnole, grecque, allemande ou catalane– soit respectée dans le concert international et que son "label de qualité" soit "reconnu".
Contre une telle logique, en luttant pour la défense de leurs conditions de vie, les prolétaires mettent en avant implicitement que la vie humaine n’est pas là pour la production –cela, c’est la logique du capital– mais que la production de valeurs d’usage fait partie de la vie humaine –ce qui est la logique de la nouvelle société communiste que le prolétariat porte en lui.1
Mais rester limité à une telle réponse implicite n’est pas suffisant puisque la plupart de ces luttes n’obtiennent pas de résultats. Leur principal apport, ce sont les leçons –souvent négatives– en lien avec la lutte historique pour une nouvelle société. Aussi, il faut considérer ces luttes de façon critique pour pouvoir développer et approfondir les acquis théoriques, organisationnels et moraux du prolétariat.
La grève est le terrain traditionnel du départ de la prise de conscience des prolétaires sur la réalité de leur classe, parce qu’il met à nu tous les éléments de la lutte de classe et les intérêts diamétralement opposés qu’elle sous-tend : la lutte contre les attaques économiques du capital, la perception, ou du moins l’intuition immédiate du fait que tous les travailleurs salariés doivent se défendre et, tôt ou tard, entamer un combat contre le rapport social imposé par la production capitaliste.
Mais quel est le sens essentiel d’une grève ? Naguère, lors de la phase ascendante d’un capitalisme qui avait tout un monde à conquérir, on pouvait obtenir des améliorations économiques réelles et plus ou moins durables pour les prolétaires. Mais, même à cette époque-là, les révolutionnaires d’alors insistaient sur la nécessité de comprendre ce que les grèves signifiaient vraiment, ce qu’elles apprennent aux prolétaires, toutes les questions qu’elles soulèvent, l’expérience qu’elles donnent de se battre ensemble et tout le renforcement de la conscience politique qu’elles représentent. Aujourd’hui, dans un mode de production en décomposition, il y a peu de marge pour une amélioration réelle et durable de la situation des prolétaires, pour ne pas dire aucune. Si les révolutionnaires défendent la grève auto-organisée, c’est parce qu’elle met en œuvre les meilleures conditions pour la construction de liens de solidarité et de confiance entre ouvriers, et parce qu’aucune autre action ne les pousse autant au débat de masse, à l’organisation d’assemblées massives dans lesquelles chaque aspect de cette société est soumis au crible de la critique et de la discussion.
Il ne s’agit donc pas de défendre la grève comme étant une action "nuisible" en soi pour tel ou tel capitaliste ni parce qu’il faudrait entraver la production et empêcher les capitalistes de se remplir les poches, quoi qu’il en coûte. Pour nous, ce qui est primordial, c’est le débat, les assemblées en tant que moyen politiquement indépendant de l’Etat et du capital, le fait que la grève pousse en avant les prolétaires, pour que ceux-ci prennent en mains leur lutte, rompent avec leur atomisation individuelle et renouent avec leurs méthodes de lutte historiques en dehors de l’influence de la politique bourgeoise d’Etat.
La grève fait partie de l’ensemble des moyens dont dispose la lutte de classe prolétarienne. Elle combine la lutte économique, la lutte politique et la lutte idéologique, formant toutes les trois une unité qui nourrit la conscience prolétarienne.
La grève à durée indéterminée, que les travailleurs techniciens de Movistar ont menée, a connu deux versants presque depuis son début : le plus négatif a été, d’après ce que nous en connaissons, que la grève a été appelée par les syndicats Commissions ouvrières (CCOO) et l’UGT, ce qui a pu imprimer dans sa dynamique une forte tendance au corporatisme très présent dans cette grève.
Cependant, son versant le plus encourageant et prometteur a été l’effort notoire de la part des travailleurs de faire des assemblées en dehors et séparées de ces grandes centrales syndicales, de s’auto-organiser pour tenter d’aller de l’avant. C’est pour cela que nous pouvons affirmer que la lutte a eu, pendant toute une période, une véritable perspective de lutte prolétarienne auto-organisée et avec un certain potentiel.
Ces assemblées expriment, en premier lieu, un effort d’unification existant au sein de la classe ouvrière, en deuxième lieu, une tentative de prendre en main la lutte en se bagarrant pour l’arracher des mains des organisations de l’État capitaliste qui, en la contrôlant, ne peuvent que l’amener à la défaite. En troisième lieu, cela préfigure un nouveau mode d’organisation sociale – le communisme – basé sur la décision associée de l’humanité libérée de toute forme d’exploitation. Nous avons pu voir que de telles assemblées générales constituaient un des éléments vitaux et dynamiques les plus saillants lors du mouvement des Indignés et aussi dans la lutte à Gamonal.2
Toute lutte doit être considérée dans son contexte historique et international, parce que, sinon, on les regarderait avec les lorgnettes déformantes de l’empirisme et de l’immédiatisme, ce qui nous empêcherait d’en tirer la meilleure part. Ainsi, il faut prendre en compte que la lutte chez Movistar se produit à un moment historique de grande faiblesse du prolétariat avec une perte de son identité de classe, qui se caractérise par un grand manque de confiance en lui-même comme force sociale indépendante.
Cette lutte s’inscrit dans une suite de luttes qui, malgré ce qu’elles apportent, se trouvent bien en-deçà de ce que la gravité de la situation imposée par le capitalisme exigerait. Ces dernières années, il y a eu seulement d’un côté des mouvements de grève d’une certaine importance dans des entreprises dans les Asturies (2012), au Bangladesh, en Chine, en Afrique du Sud, au Vietnam, ou plus récemment en Turquie. D’un autre côté, il y a eu des occupations de places publiques ou des assemblées massives notamment dans le mouvement anti-CPE en France (2006) et lors du mouvement des Indignés en Espagne (2011), également au cours d’exemples plus récents mais avec des échos internationaux plus faibles au Brésil et en Turquie (2013) ou au Pérou (2015).3
Les forces politiques et syndicales de la bourgeoisie dans leur volonté de diviser et de contrer les prolétaires en lutte opposent ces deux types de mouvement, alors que, même avec leurs différences, ils sont inspirées par une unité profonde. C’est dans cette unité, et plus spécialement dans l’effort d’auto-organisation que s’inscrit la lutte de Movistar.
Nous avons vu ainsi des tentatives de solidarité. Il existe un fort sentiment de solidarité parmi les travailleurs... mais qui ne va pas plus loin comme expression de classe, autrement dit, une solidarité “extérieure” des travailleurs des autres secteurs, qui n’est pas vécue comme faisant partie d’un même mouvement de lutte, mais comme un soutien de sympathie (qui est toujours sincèrement bien accueilli) ; il y a donc un manque important de conscience d’appartenir à une même classe mondiale luttant pour les mêmes intérêts. Les gauchistes, qui dans leur verbiage empruntent volontiers le langage des prolétaires, favorisent cette vision biaisée en mettant en avant “l’action immédiate” en faisant appel au bon vieux “sens commun” qui prétend qu’il ne faut s’occuper que de ce qui est “urgent”, dans le sens le plus étroitement mesquin du terme.
La lutte elle-même a fait néanmoins ressortir un effort remarquable d’une unification encore plus louable dans le cas de Movistar, s’agissant d’une entreprise où les travailleurs techniciens travaillent dans une grande atomisation, sans concentration dans des centres de travail, avec des effectifs fragmentés et beaucoup d’entre eux n’apparaissent pas, y compris sur le terrain juridique, en qualité de travailleurs “pour le compte de quelqu’un d’autre”, mais sont faussement considérés comme “des travailleurs indépendants” (4).
Mais la lutte a montré que le piège principal était le corporatisme, en cherchant à résister d’une manière isolée et désespérée : c’est ce qui est arrivé aux travailleurs de Coca-Cola mais aussi à ceux de Panrico. Il y a une réaction contre les grandes centrales syndicales lorsqu’on les voit se pointer, mais cette réaction ne permet pas forcement de dépasser la logique syndicale. Il y a eu et il y a toujours une forte tendance dans les luttes à ne pas chercher explicitement l’unification, l’extension et le débat dans les assemblées, mais à se retrancher et à résister dans l’entreprise ou dans le secteur de production jusqu’à l’obtention d’un verdict judiciaire ou d’un hypothétique accord favorable.
Ces réactions qui poussent à s’enfermer chacun dans son trou, son secteur, son entreprise ou sa corporation, ont plusieurs causes. La première est claire, on vient de l’évoquer : la perte de l’identité de classe qui alimente un sentiment de vide, de ne pas savoir à qui l’on doit s’adresser pour chercher la solidarité, une volonté de s’accrocher désespérément au prétendu refuge protecteur de l’espace réduit et prétendument “proche” de l’entreprise, de la corporation, des “copains de boulot”...
Cela porte le sceau d’une situation historique que nous avons caractérisée comme celle de la décomposition du capitalisme, qui marque tous les composants de la société d’une tendance dangereuse à la dislocation, au chacun pour soi, a la dispersion. Comme nous le disons dans nos “Thèses sur la décomposition” : “le “chacun pour soi”, la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité et son remplacement par la pornographie, le sport commercialisé et médiatisé, les rassemblements de masse de jeunes dans une hystérie collective en guise de chanson et de danse, sinistre substitut d’une solidarité et de liens sociaux complètement absents. Toutes ces manifestations de la putréfaction sociale qui aujourd’hui, à une échelle inconnue dans l’histoire, envahissent tous les pores de la société humaine, ne savent exprimer qu’une chose : non seulement la dislocation de la société bourgeoise, mais encore l’anéantissement de tout principe de vie collective au sein d’une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective, même à court terme, même la plus illusoire".5” .
Voilà un terrain favorable à la pénétration des tendances et des organisations syndicalistes et gauchistes, toujours prêtes à ramener les luttes ouvrières vers la “zone sécurisée” de la légalité bourgeoisie, “pour leur propre bien” ou “pour la lutte” en tant que pure abstraction. Dans un climat d’isolement, de manque de réflexion, d’absence de débats et de contacts entre grévistes et travailleurs d’autres secteurs, la logique syndicale et réformiste trouve son bouillon de culture qui ouvre la voie aux organisations qui ne cherchent qu’à encadrer les ouvriers et à s’attirer leur vote.
Ces organisations disent qu’elles défendent les ouvriers, mais nous avons pu voir, avec Syriza par exemple, ce qu’elles font lorsqu’elles assument des responsabilités gouvernementales. Mais il faut aussi comprendre leur nature lorsqu’elles ne sont pas au gouvernement, quand elles n’arrêtent pas de pousser à rechercher des solutions auprès des organismes légaux des exploiteurs, de l’État, à surtout ne pas apprendre, ne pas réfléchir, ne pas débattre dans le feu de l’expérience de lutte, mais à confier la solution du conflit aux forces qui représentent le mode de production qui a provoqué et provoque tous les jours et partout ces mêmes conflits. Un exemple significatif, c’est celui de la tendance trotskiste “El Militante’’ qui applaudissait à tout rompre le fait que les ouvriers de Coca-Cola aient mis fin à la lutte en faisant appel à la Cour de cassation pour exiger la suspension de la fermeture de l’usine de Fuenlabrada, en lançant des slogans tels que “Faire appliquer la justice dans les tribunaux’’.
Dans le cas de Movistar, la suspension de la grève en faveur “d’autres formes de lutte” veut dire que la lutte s’arrête. Depuis quelques semaines déjà, on sentait jusqu’à quel point la perte de volonté d’unification et d’extension de la lutte faisait des ravages en son sein, avec l’entrée sur scène de “nouveaux protagonistes’’ tels que Cayo Lara, leader de Izquierda Unida, ou de Pablo Iglesias, de Podemos, qu’un groupe de travailleurs, certes réduit, a cherché à écarter avec des interpellations ironiques de “Président’’ à son égard lors d’un de ses discours dans une des manifestations des grévistes.
Il est évident que les luttes actuelles requièrent des éléments-clé, dont on a parlé, mais qui sont encore bien lointains : ce qui apparaît presque intuitivement (la solidarité et l’auto-organisation) exige une plus grande élaboration pour approfondir ce qui est essentiel : l’identité de classe, la conscience de classe (historique et internationale), l’extension de la lutte, qui nous aident à avancer vers la réappropriation de la théorie révolutionnaire par les masses elles-mêmes.
L’intervention contre tous les efforts pour crédibiliser l’État bourgeois auprès des ouvriers est une exigence première, contre sa démocratie et ses organes de représentation qui servent à venir à bout des conflits entre les travailleurs et leurs exploiteurs, contre les conceptions syndicalistes, ouvertement réformistes propres d’un temps révolu et dépassé, et que les organisations gauchistes instillent chez les ouvriers continuellement, particulièrement pernicieuses dans les pays où la bourgeoisie a su se doter d’un appareil démocratique bien huilé, avec une longue et profonde expérience politique face à des situations comme celle de ces luttes. Et, dans la mesure du possible, la nécessaire intervention des révolutionnaires dans ces grèves et leur participation en tant que facteur actif dans la prise de conscience et dans ce combat contre les conceptions réformistes et leurs représentants, démocratiques ou pas, à la solde de l’État, qui auront toujours une influence et une présence dans les luttes du prolétariat, étant elles-mêmes un facteur actif dans le sens contraire, celui de la désagrégation, de la dislocation et de la démoralisation, physique ou idéologique.
Il est important d’élaborer des critiques, des bilans et de les faire connaître dans les luttes en exprimant notre solidarité, non pas comme des groupes extérieurs, mais comme faisant partie d’une même classe qui lutte. Il est important d’être présents dans ces luttes parce qu’elles expriment la réalité vivante de la lutte de classe dans son niveau immédiat, elles nous apportent des éléments pour l’approfondissement du travail théorique à accomplir, elles nous aident à mettre en rapport les luttes immédiates avec la lutte révolutionnaire et à mettre en avant la perspective historique de notre classe.
AP, organe de presse du CCI en Espagne, 23 juillet 2015
1 Il va sans dire, mais c’est mieux en le disant, que le communisme n’a rien à voir avec la société capitaliste d’État et d’encasernement qui a régné sous l’ancienne URSS et qui, aujourd’hui, continue à régenter des pays faisant régner l’exploitation capitaliste tels que la Corée du Nord, Cuba ou la Chine.
2 https://fr.internationalism.org/icconline/201406/9097/assembl-es-et-solidarit-piliers-force-lutte-du-quartier-ouvrier-gamonal-burgos [534]
3 Sur toutes ces luttes et mouvements mentionnés ici, vous pouvez trouver des analyses sur notre site : https://fr.internationalism.org [535]
4 Pour les lecteurs hors de l’Espagne, il faut savoir que dans ce pays il y a des ouvriers prétendument “à leur compte” qui travaillent pour une entreprise. On les considère légalement comme "indépendants" et même comme de "petits entrepreneurs" : ce sont des ouvriers qui font des travaux typiques d’un ouvrier salarié mais chacun dans son coin et qui, en tant que techniciens hautement qualifiés, sont amenés à gérer plus "librement" et de manière faussement "autonome" leur emploi du temps et leur travail. Cette situation légale et sociale qui favorise une catégorisation sociologique confuse est significative d’une tendance idéologique qui pousse de façon générale les prolétaires à la perte de vue de leur identité de classe.
5 Revue Internationale n°107 [265], 4e trim. 2001.
Nous publions ci-dessous la réaction, traduite de l’espagnol, d’un de nos contacts qui exprime bien l’indignation et la colère que tous les prolétaires et les révolutionnaires doivent ressentir face aux explosions de produits toxiques qui ont récemment entraîné la mort ou intoxiqué des centaines d’ouvriers en Chine (où une autre explosion, le 23 août, dans une usine de produits chimiques, cette fois dans le sud du pays, près de la ville de Zibo, a allongé la liste des victimes : un mort et 9 blessés supplémentaires) et qui constituent bel et bien comme le dit notre sympathisant un assassinat odieux perpétré par le système capitaliste en phase de décomposition. Cette dénonciation est d’autant plus nécessaire que cet événement tragique vient alimenter une campagne idéologique pointant du doigt la responsabilité des seules autorités chinoises, comme ce fut le cas naguère, polarisant sur l’archaïsme et la vétusté des infrastructures, l’incurie et la négligence des “régimes des pays de l’Est” lors de la catastrophe de Tchernobyl de sinistre mémoire. C’est là-aussi compter sur “l’oubli des masses” en tentant d’évacuer le fait que les témoignages implacables des catastrophes intimement liées à la folie du capitalisme et à son avidité insatiable de profits jalonnent les drames de pays situés au cœur même du système capitaliste, de Fukushima à l’usine AZF de Toulouse en passant par Seveso ou Three Mile Island. Oui, dans leurs luttes et par leur détermination à se battre contre lui, les prolétaires doivent “apprendre de tout” et “ne rien oublier”…
Le 12 août dernier, à 22 h 50 se déclarait un petit incendie dans des entrepôts du quartier de Bihai, dans la ville portuaire de Tianjin, en Chine. Quelques pompiers se sont rendus sur les lieux. Une quarantaine de minutes plus tard, on enregistrait une terrifiante explosion, équivalente à celle de 3 tonnes de TNT et quelques secondes après, une autre explosion brutale équivalant cette fois à 21 tonnes de TNT qui a pu être observée même par les satellites qui tournent autour de la terre.
Pourquoi une explosion si terrible s’est-elle produite ? Ces entrepôts n’étaient pas des entrepôts quelconques, il s’agissait d’entrepôts où étaient stockés des produits dangereux abritant plus de trois mille tonnes de produits potentiellement nuisibles pour l’être humain. Tout cela étant situé dans une zone industrielle où, bien entendu, ne vivent seulement que des ouvriers.
Vraisemblablement, le carbure de calcium stocké là a pu provoquer une réaction de mélange détonant avec l’eau qu’ont déversé les pompiers qui essayaient d’éteindre l’incendie, le transformant ainsi en acétylène explosif. Une explosion de cet acétylène aurait été un détonateur suffisant pour une réaction en chaîne sur les autres produits stockés, provoquant une explosion beaucoup plus forte. Pour le moment, le bilan provisoire établi est de 114 morts et, initialement, 720 personnes ont été admises dans les hôpitaux. Il faut ajouter que l’entrepôt recelait 700 tonnes de cyanure de soude, une substance hautement toxique pour l’être humain qui s’est répandue et a contaminé toute la zone.
Mais bien au-delà des chiffres, des causes techniques de la catastrophe, des événements et des faits, une chose est soigneusement cachée : c’est la logique inhumaine du capital qui porte là un nouveau coup à la classe ouvrière et qu’elle paie de son sang, c’est un nouvel outrage contre toute l’humanité qui continue à vivre sur cette planète. En 1915, dans sa brochure L’ennemi est dans notre propre pays, le révolutionnaire Karl Liebknecht disait déjà : “Les ennemis du peuple comptent sur l’oubli des masses mais nous, nous combattons leur spéculation avec le mot d’ordre suivant : apprendre de tout, ne rien oublier, ne rien pardonner !”
Cette consigne reste aujourd’hui pleinement valide. Pourquoi des entrepôts de cette nature existent-ils, si ce n’est à cause de la nécessité de réduire les coûts de production de l’accumulation capitaliste ? Pourquoi des ouvriers sont-ils obligés de vivre à côté de ces monstrueuses bombes potentielles si ce n’est pour rentabiliser au maximum l’espace où entasser une population exploitable et sacrifiable à merci sur l’autel du Moloch capitaliste ?
Dans sa phase de décomposition, le capitalisme perd le peu de capacité de contrôle et de fonctionnement “raisonnable” qui lui restait. C’est pour cela qu’on envoie des pompiers éteindre un incendie avec des lances à eau dans un entrepôt rempli de substances ne pouvant que réagir avec violence à son contact.
Ainsi, le capitalisme a perdu à la fois ses lieux de stockage, ses infrastructures industrielles mais aussi s’est arrêtée l’activité d’un port par lequel transitaient 40 % des véhicules importés, le géant de l’entreprise minière BHP Billiton a dû suspendre toute son activité portuaire, Renault y a perdu 1500 voitures et Hyundai 4000, Toyota et John Deere ont été contraints d’interrompre leur production, il y a 17 000 bâtiments endommagés, etc. La folie capitaliste de l’accumulation s’est retournée comme un gigantesque boomerang et le capitalisme démontre chaque fois davantage son incapacité de perpétuer son mode de production.
Mais si la bourgeoisie a perdu dans cette catastrophe, provoquée par le propre monstre sanguinaire qu’elle chevauche, ceux qui ont perdu le plus, ce sont les prolétaires. Qu’est-ce que représente toute la production industrielle de Toyota, John Deere et BHP Billiton par rapport à la vie d’un seul prolétaire ? Avec tous les ouvriers qui se sont retrouvés sans foyer et, même pire, avec les ouvriers que l’infâme gouvernement chinois cherche à reloger dans un périmètre complètement contaminé par le cyanure ? Rien !
Face à cette dure réalité, face à ces humiliations continuelles de la part de la bourgeoisie et du gouvernement chinois ont surgi quelques faibles protestations. Mais ce sont des protestations plongées dans le bourbier du démocratisme et de la légalité qui mettent en avant qu’on ne connaissait pas la nature des produits stockés alors qu’on aurait dû la connaître, qu’ils étaient trop proches, ne respectant pas les normes de sécurité prévues par la loi…
Il reste encore à s’élever en Chine une véritable voix prolétarienne, une voix qui dise clairement : non à l’assassinat de nos frères de classe, non à ces conditions de vie, une vie asservie et humiliante dans des villes-usines et non à la logique immonde du capital !
Il reste à s’élever, en résumé, une voix qui parle de ce qui reste d’humain dans l’homme. Pourtant, nous voulons, nous devons être cette voix qui proclame : “Apprendre de tout, ne rien oublier ! Ne rien pardonner ! Tianjin est un assassinat !”
Comunero, 24 aoùt 2015
Et si le temps n’existait pas ?, le titre du livre 1 du physicien Carlo Rovelli 2 pose une question qui peut sembler de prime abord fort étrange, voire absurde. Chaque jour, l’homme perçoit, éprouve même, le temps qui passe. Les horloges, les réveils et les montres omniprésents et égrenant les secondes. Le train que l’on voit partir depuis le quai, tout essoufflé, plié en deux et les mains sur les hanches. Les enfants qui grandissent. Ou les rides aux coins des yeux. Tout, absolument tout, semble justifier sans discussion possible l’existence implacable du temps et de ses effets.
Vraiment ? Pour celui qui voyage peu, la terre ne semble-t-elle pas plate, ornée de quelques bosses et creux ? L’idée d’une terre ronde avec “dessous” des gens qui marchent “la tête en bas” sans “tomber”, n’est-elle pas également contraire à l’intuition ? Et que dire de cette terre qui tourne autour du soleil alors que nous voyons tous et chaque jour, le soleil se “lever” à l’est et se “coucher” à l’ouest ?
L’histoire de la science a confirmé ce que les philosophes grecs avaient déjà compris il y a plus de 2500 ans : nos sens peuvent nous tromper ; il est nécessaire d’aller au-delà de la perception sensible immédiate pour accéder à la vérité. Alors peut-être l’hypothèse de Carlo Rovelli vaut-elle la peine d’être considérée sérieusement. Pour quelles raisons ce scientifique affirme-t-il que le temps n’est fondamentalement qu’une illusion ?
Depuis Einstein, l’humanité sait qu’il y a un hic au tic-tac de nos pendules : le temps est relatif. Il ne s’écoule pas partout de la même manière. Plus la vitesse de déplacement est grande ou la gravité forte, plus l’écoulement du temps ralentit. Le film à très grand succès de Christopher Nolan sorti en 2014, Interstellar, a justement mis au centre de son histoire cette découverte scientifique : les protagonistes vieillissent différemment selon qu’ils sont sur terre ou qu’ils voyagent dans l’espace ou qu’ils s’installent sur telle ou telle autre planète pourvue d’une gravité différente. Le héros, un cosmonaute envoyé dans l’espace en début de film, retrouvera ainsi à la fin de l’aventure sa fille restée sur terre sous les traits d’une très vieille dame, alors que lui-même n’a vécu que quelques mois. S’il s’agit là de science-fiction, il est néanmoins exact et vérifié expérimentalement que le temps est effectivement relatif. Par exemple : si deux horloges atomiques (les plus précises à l’heure actuelle) sont déclenchées simultanément, puis que l’une reste sur la terre ferme alors que l’autre part faire un tour en avion afin de s’éloigner de 10 km de la masse de la terre et de sa gravité, alors les cadrans indiqueront deux résultats différents, celle qui s’est momentanément éloignée aura “vécu” moins longtemps de quelques milliardièmes de secondes que son homologue.
Le temps n’est donc pas ce tic-tac régulier, immuable et implacable. Mais Carlo Rovelli va plus loin encore en avançant l’hypothèse que le temps en réalité n’existe pas : “... nous ne mesurons jamais le temps lui-même. Nous mesurons toujours des variables physiques A, B, C… (oscillations, battements, et bien d’autres choses), et nous comparons toujours une variable avec une autre. Et pourtant, il est utile d’imaginer qu’il existe une variable t, le “vrai temps”, que nous ne pouvons jamais mesurer, mais qui se trouve derrière toute chose. [...] Plutôt que de tout rapporter au “temps”, abstrait et absolu, ce qui était un “truc” inventé par Newton, on peut décrire chaque variable en fonction de l’état des autres variables […]. Tout comme l’espace, le temps devient une notion relationnelle. Il n’exprime qu’une relation entre les différents états des choses.” Et donc : “L’espace et le temps usuel vont tout simplement disparaître du cadre de la physique de base, de la même façon que la notion de “centre de l’Univers” a disparu de l’image scientifique du monde” (pp. 100 à 103). Le temps n’existerait pas fondamentalement, mais proviendrait d’une illusion due à notre connaissance ou à notre perception limitée de l’Univers : “... le temps est un effet de notre ignorance des détails du monde. Si nous connaissions parfaitement tous les détails du monde, nous n’aurions pas la sensation de l’écoulement du temps.” (pp. 104-105).
Autrement dit, l’Univers est constitué d’interactions permanentes, d’une série infiniment complexe de causes et d’effets. A modifie B qui modifie à son tour C mais aussi peut-être A lui-même, etc. Ainsi l’Univers est en mouvement, se modifie sans cesse et ce sont ces changements, ces interactions que nous percevons. Seulement, notre existence se déroulant avec peu de variables fondamentales, toujours sur terre ou à proximité et à des vitesses extrêmement modestes comparées à celle de la lumière, toutes ces interactions nous apparaissent comme dictées selon une composante physique de l’Univers que l’homme a appelé “le temps”. A notre échelle, le tic-tac de la pendule est imperturbable ; nous ne percevons jamais les différences de quelques milliardièmes de seconde qui peuvent intervenir ici ou là sur terre selon notre vitesse de déplacement ou notre altitude. Newton lui-même a intégré cette notion “temps” comme une composante fondamentale de l’ensemble de sa physique. Seulement, ce que nous dit Carlo Rovelli, c’est que, lorsque nous observons le pendule de l’horloge se balancer, nous avons l’illusion d’observer l’écoulement de “secondes” alors que nous ne faisons que mesurer un enchaînement d’interactions au sein du mécanisme de l’horloge. Et c’est pourquoi la physique moderne peut se passer intégralement de la notion “temps” au sein de ses équations : “au lieu de prédire la position d’un objet qui tombe “au bout de cinq secondes”, nous pouvons prédire sa chute “après cinq oscillations du pendule”. La différence est faible en pratique, mais grande d’un point de vue conceptuel, car cette démarche nous libère de toute contrainte sur les formes possibles de l’espace-temps” (p. 115).
Il n’est ni de la compétence de l’auteur de cet article ni du rôle d’une organisation révolutionnaire comme le CCI de valider ou d’invalider une hypothèse en cours de débat dans le monde scientifique. En revanche, au-delà de l’intérêt nécessaire pour les avancées de la pensée en général, la méthode et l’approche de la science qui sous-tendent ces avancées sont aussi une base nécessaire à assimiler pour essayer de comprendre le monde et la société. Le temps existe-t-il ? Nous ne pouvons trancher mais la démarche de Carlo Rovelli est une source d’inspiration pour la réflexion. Car il y apparaît un trésor bien plus grand que le résultat de ses recherches, à savoir le chemin qui l’y a mené : une pensée en mouvement.
De la conception d’un univers en constante évolution constitué d’une série d’interactions d’une infinie complexité découle une vision dynamique de la science et de la vérité. Si l’Univers est en mouvement, pour le comprendre, la pensée doit l’être aussi : “Avec la science, j’ai découvert un mode de pensée qui d’abord établit des règles pour comprendre le monde, puis devient capable de modifier ces mêmes règles. Cette liberté, dans la poursuite de la connaissance, me fascinait. Poussé par ma curiosité, et peut-être par ce que Frederico Cesi, ami de Galilée et visionnaire de la science moderne, appelait “le désir naturel de savoir”, je me suis retrouvé, presque sans m’en rendre compte, immergé dans des problèmes de physique théorique” (p. 5). Carlo Rovelli s’inscrit donc en faux contre une vision figée de la science, qui établirait des vérités absolues et éternelles. Au contraire, pour lui, “... la pensée scientifique est consciente de notre ignorance. Je dirais même que la pensée scientifique est la conscience même de notre grande ignorance et donc de la nature dynamique de la connaissance. C’est le doute et non pas la certitude qui nous fait avancer. C’est là, bien sûr, l’héritage profond de Descartes. Nous devons faire confiance à la science non parce qu’elle offre des certitudes mais parce qu’elle n’en a pas” (pp. 70-71).
Carlo Rovelli nous montre ainsi que l’évolution de la pensée scientifique est absolument opposée à l’approche scientiste du xix siècle. Celle-ci a cru à une évolution continue jusqu’à la connaissance complète des lois de l’Univers. Ainsi dans la deuxième moitié du xixee siècle, la plupart des scientifiques pensaient que toutes les lois fondamentales de la nature avaient été, pour l’essentiel, découvertes. Il ne restait plus qu’à déterminer quelques constantes universelles pour faire le tour définitivement des sciences physiques. Deux théories fondamentales vont balayer de fond en comble ce bel édifice presque parfait à peine cinq ans après le tournant du siècle : la théorie de la relativité restreinte (complétée par celle de la relativité générale) d’Einstein et celle de la mécanique quantique encore plus profonde en termes de remise en cause de l’appréhension du monde. Ainsi Carlo Rovelli nous montre que la méthode scientifique commence toujours par prendre en compte puis remettre en cause les bases des anciennes théories pour en élaborer de nouvelles, plus larges, plus profondes et plus générales. Les avancées permises par les nouvelles théories permettent un progrès. Ce dernier nous amène dans un nouveau contexte qui devient lui-même contradictoire dans son développement. Ainsi la mécanique quantique et la relativité générale ont ouvert la possibilité de mieux comprendre la dynamique de l’Univers inaccessible à la physique classique, cette dernière ne pouvant décrire qu’un état stable et définitif. Mais ces deux grandes théories n’ont pas apporté pour autant, elles non plus, un point final à l’histoire de la physique ni une réponse totale et définitive aux mystères de l’Univers. Bien au contraire. De nouvelles contradictions sont apparues : “La mécanique quantique, qui décrit très bien les choses microscopiques, a bouleversé profondément ce que nous savons de la matière. La relativité générale, qui explique très bien la force de la gravité, a transformé radicalement ce que nous savons du Temps et de l’Espace. […] Or, ces deux théories mènent à deux manières très différentes de décrire le monde, qui apparaissent incompatibles. Chacune des deux semble écrite comme si l’autre n’existait pas. Nous sommes dans une situation de schizophrénie, avec des explications morcelées et intrinsèquement inconsistantes. Au point que nous ne savons plus ce que sont l’Espace, le Temps et la Matière. […] Il faut, d’une façon ou d’une autre, réconcilier les deux théories. Cette mission est le problème central de la gravitation quantique” (pp. 10-13). Et gageons que si la théorie de la gravitation quantique atteint un jour sa mission historique, que s’offre ainsi à l’humanité la possibilité de comprendre “la fin de la vie d’un trou noir ou les premiers moments de la vie de l’Univers” (p. 11), alors de nouvelles questions émergeront à la conscience humaine. Et c’est justement l’existence même de ces contradictions infinies qui ont mené Carlo Rovelli à sa passion pour la science, cette immense et perpétuelle énigme : “Je pense que c’est précisément dans la découverte des limites des représentations scientifiques du monde que se révèle la force de la pensée scientifique. Celle-ci n’est pas dans les “expériences”, ni dans les “mathématiques”, ni dans une “méthode”. Elle est dans la capacité propre de la pensée scientifique à se remettre toujours en cause. Douter de ses propres affirmations. N’avoir pas peur de nier ses propres croyances, même les plus certaines. Le cœur de la science est le changement” (pp. 56-57).
Mais cette approche relative de la vérité et de la science ne signifie nullement que Carlo Rovelli tombe dans le relativisme. Bien au contraire. Il montre dans quelles aberrations mène le relativisme en prenant l’exemple des États-Unis où le créationnisme fait d’énormes dégâts, en particulier dans l’enseignement : “Ces visions déformées de la science ont pour conséquences une diminution de son aura et la pensée irrationnelle gagne du terrain… Aux États-Unis par exemple (le Kansas “rural” mais aussi la très civilisée Californie), les enseignants n’ont pas le droit de parler correctement de l’évolution à l’école. Les lois qui interdisent d’enseigner les résultats de Darwin sont justifiées par le relativisme culturel : on sait que la science se trompe, et donc une connaissance scientifique n’est pas plus défendable qu’une connaissance biblique. Interrogé récemment sur ce sujet, un candidat à la présidence des États-Unis a déclaré “qu’il ne savait pas si les êtres humains ont vraiment des “ancêtres communs””. Sait-il seulement si c’est la terre qui tourne autour du soleil ou le soleil qui tourne autour de la terre ?” (pp. 53-54).
Plus généralement : “L’obsession scientifique de remettre toute vérité en question ne mène pas au scepticisme, ni au nihilisme, ni à un relativisme radical. La science est une pratique de la chute des absolus qui ne tombe pas dans le relativisme total ou le nihilisme. Elle est l’acceptation intellectuelle du fait que les connaissances évoluent. Le fait que la vérité puisse toujours être interrogée n’implique pas que l’on ne puisse pas se mettre d’accord. En fait la science est le processus même par lequel on arrive à se mettre d’accord” (p. 71).
(A suivre)
Ginette, juillet 2015
1 Voir aussi notre article sur le précédent livre de Carlo Rovelli, Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique, disponible sur notre site Internet.
2 Carlo Rovelli est le principal auteur, avec Lee Smolin, de la théorie de la gravitation quantique à boucles.
Nous publions ci-dessous le courrier d’une camarade proche du CCI à propos de l’article que nous avons rédigé sur le film de Stéphan Brizé, La loi du marché, suivi de notre réponse.
Je voudrais dire que je ne suis pas d’accord avec “les limites idéologiques desquelles en dépit de ses qualités, le film ne peut pas s’extirper”, que vous y voyez.
Parler de limites idéologiques, c’est postuler une volonté de confiner la classe ouvrière dans l’individualisme et le chacun pour soi ainsi que d’enterrer la lutte de classe et marteler que le projet de la classe ouvrière appartient à un passé révolu et relève d’un rêve inaccessible. Pour moi, il n’y a rien de tout cela dans le film.
Ce n’est pas parce que le film ne débouche pas sur des débrayages qui s’étendent comme une traînée de poudre à toutes les grandes surfaces du groupe et des groupes équivalents et aux entreprises voisines géographiquement à partir de “la goutte d’eau qui fait déborder le vase” de la patience ouvrière, qu’il enterre la lutte de classe collective.
En creux, on voit justement la difficulté qui existe actuellement à s’unir, à communiquer, à exprimer sa colère et l’injustice subie ; dans le film, on ne voit pas le héros discuter avec ses collègues, on le voit subir l’atomisation, et on le voit “avoir des échanges” avec Pôle emploi, les syndicats, la banquière, les DRH, le supérieur hiérarchique… Le seul rapport qui est montré avec un pair est sur le terrain “marchand”, quand il essaie de vendre son mobil-home.
Après avoir vu le film, je pense finalement que le cinéma peut être un outil de prise de conscience de la réalité collectivement. À l’issue de la séance, des jeunes présents dans la salle ont dit ironiquement en s’adressant à tout le monde : “mais ça ne passe pas comme ça dans la réalité, ce n’est qu’une fiction !”
Il n’y a qu’un pas entre les sentiments d’indignation face à la réalité subie que suscite le film et le mûrissement de l’idée que cette situation qui nous est faite n’est pas inéluctable, on peut résister et dire : “non !” collectivement.
Il y a eu récemment un épisode de lutte importante qui a démarré à partir de la colère d’une salariée qui est partie en retraite sans bénéficier de la pension à laquelle elle avait droit. Je crois que c’était en Turquie, on pourrait suggérer au réalisateur du film de s’en inspirer pour sa prochaine œuvre…
L., 30 juin 2015
Nous tenons tout d’abord à saluer la démarche critique de la camarade. Le débat contradictoire est essentiel au développement de la conscience au sein de la classe. Aujourd’hui, les ouvriers conscients de cette nécessité sont encore trop peu nombreux. C’est pourquoi, l’exposition franche et constructive des divergences et questionnements est non seulement très positive mais s’inscrit aussi dans une démarche de responsabilité politique.
Nous tenons aussi à soutenir l’importance que la camarade donne à l’indignation. Refuser qu’une large partie de l’humanité soit réduite à l’état de rouages d’une machine correspond à un haut sentiment moral humain que porte en elle la classe ouvrière. Il s’agit non seulement d’une des bases sur lesquelles peut se développer un mouvement de lutte, mais également la perspective du communisme. Ce n’est nullement par hasard que le mouvement social né à la Puerta del Sol à Madrid en 2011 s’est donné pour nom : los Indignados. Et c’est justement parce que la bourgeoisie a parfaitement conscience de ce que peut engendrer l’indignation quand elle s’empare des masses qu’elle ne peut accepter de la laisser se développer sans son contrôle. En permanence, elle nous met sous les yeux les aspects les plus horribles et révoltants de son système afin de mieux orienter nos réactions et nos émotions vers des impasses. C’est exactement cette mécanique propagandiste qu’a illustré le battage médiatique autour du film de Stéphane Brizé.
Le film La loi du marché dénonce de manière saisissante le traitement inhumain infligé aux employés de la grande distribution. En cela, cette œuvre cinématographique soulève indéniablement une indignation forte et légitime. Alors pourquoi les médias de la bourgeoisie ont-ils fait tant de publicité pour ce film ? Pourquoi le “monde du cinéma” lui a-t-il décerné une palme (à Cannes) et l’a couvert de propos élogieux ? En fait, la camarade nous apporte elle-même la réponse : “En creux, on voit justement la difficulté qui existe actuellement à s’unir, à communiquer, à exprimer sa colère et l’injustice subie ; dans le film, on ne voit pas le héros discuter avec ses collègues, on le voit subir l’atomisation, et on le voit “avoir des échanges” avec Pôle emploi, les syndicats, la banquière, les DRH, le supérieur hiérarchique… Le seul rapport qui est montré avec un pair est sur le terrain “marchand”, quand il essaie de vendre son mobil-home.” Tout est là. Le film est le reflet des difficultés et des limites actuelles de notre classe : massivement, les ouvriers se sentent maltraités et éprouvent un véritable dégoût pour cette situation, mais ils éprouvent cela chacun dans leur coin, isolés et impuissants.
La conscience d’appartenir à une classe qui, unie, solidaire et organisée, représente une force gigantesque et historique, capable de renverser le capitalisme, s’est peu à peu éclipsée au fil des dernières décennies. La loi du marché constate ainsi l’impuissance de la classe ouvrière et le poids de l’individualisme ambiant. Il montre un héros qui “résiste”, un héros qui relève la tête et ose dire “non”, mais le “non” d’un individu isolé, le “non” d’un “citoyen humaniste” plus que d’un prolétaire. Son acte héroïque le renvoie à la case départ, dans le chômage et l’isolement, sans réelle opposition à la brutalité de l’exploitation capitaliste, ni perspective. Et c’est justement de son identité et de sa perspective que manque le prolétariat. Voilà pourquoi la bourgeoisie a braqué les projecteurs sur ce “héros” et qu’elle l’applaudit à tout rompre. Elle l’a utilisé et instrumentalisé pour alimenter sa propagande et attaquer une nouvelle fois la confiance que la classe ouvrière doit avoir en elle-même pour oser se dresser et lutter. Qu’un syndicaliste professionnel et particulièrement cynique ait pu tenir un rôle et se mouvoir dans ce film comme un poisson dans l’eau ne relève à ce titre pas non plus du hasard.
La camarade affirme que nous réduirions le film La loi du marché à “une volonté de confiner la classe ouvrière dans l’individualisme et le chacun pour soi ainsi que d’enterrer la lutte de classe.” L’article affirmait en fait que le film “va dans le sens de ce que se plaisent à marteler la bourgeoisie et ses politiciens qui profitent au maximum des faiblesses et des difficultés de la classe ouvrière aujourd’hui. C’est probablement là une des clefs permettant, au-delà de la valeur artistique du film et de la prestation de l’acteur, d’expliquer les raisons de sa promotion très médiatisée.” Ce que nous voulions dénoncer, c’est avant tout l’exploitation idéologique de ce film par la bourgeoisie, l’instrumentalisation de l’indignation d’un auteur, l’exploitation de ses préjugés, de sa vision limitée à l’individu, pour les retourner contre le prolétariat au moyen d’une intense promotion et d’un matraquage médiatique. L’article a effectivement le défaut de ne pas être suffisamment explicite de ce point de vue et la contribution de la camarade nous aura donc permis de le préciser ici davantage.
RI, 15 août 2015
Dans la première partie de cette série sur la laïcité, nous nous sommes attachés à montrer comment la bourgeoisie avait entretenu un rapport ambivalent à l’Église, d’abord en la combattant farouchement comme l’un des piliers à détruire du féodalisme, puis en la soutenant de plus en plus en tant qu’arme idéologique contre la classe ouvrière. Nous avions aussi souligné à quel point la religion était effectivement “l’opium du peuple”. L’appui du prolétariat à la bourgeoisie dans son combat contre l’Église a cependant contribué à entretenir une certaine ambiguïté et des confusions sur la question de la laïcité au sein du mouvement ouvrier. Dans cette deuxième partie, nous allons donc nous consacrer plus spécifiquement à la nature anti-ouvrière des fondements de la laïcité.
L’anticléricalisme ne s’illustre pas avec la même force selon les pays. Si la classe ouvrière anglaise ne se laisse pas réellement duper par ce piège, il en est autrement en France où l’héritage de la Révolution française influence encore fortement les ouvriers et les organisations révolutionnaires. Lors de l’insurrection de juillet 1830, les ouvriers parisiens se liguent avec la bourgeoisie libérale et saccagent l’archevêché et plusieurs églises, ce qui contraint les prêtres à se déguiser en civil 1. Mais cette réaction envers le clergé doit aussi se comprendre comme un instinct de classe nécessitant une maturation politique. En effet, l’identification de l’Église comme une arme de mystification utilisée par la classe dominante est un élément qui allait participer au développement de la conscience dans la classe durant la première partie du xix siècle 2. Au Moyen Âge, l’Église avait été l’ennemie de la classe bourgeoise révolutionnaire. Avec l’avènement de la société capitaliste, elle retourna sa veste et devint une alliée de la bourgeoisie. Kautsky a identifié les facteurs qui ont rendu possible une telle alliance 3 : “Les intérêts de la bourgeoisie et ceux de l’Église catholique se croisent de la façon la plus diverse. Ce résultat tient au rôle que joue cette dernière comme pouvoir organisé, grâce aux fonctions économiques qu’elle exerce, grâce à son caractère international et enfin à ses sympathies réactionnaires.” Ainsi, l’Église resta une puissance économique. De grand seigneur féodal elle se transforma en capitaliste à part entière.
Dans sa brochure intitulée Église et Socialisme, Rosa Luxemburg démontre que l’Église s’enrichit sur le dos de la classe ouvrière comme un propriétaire capitaliste : “L’Église catholique d’Autriche possédait, selon ses propres statistiques (en 1900), un capital de plus de 813 millions de couronnes, dont 300 millions en terres arables et en immeubles, 387 millions en obligations avec rente ; en outre, elle prêtait à usure la somme de 70 millions aux fabricants, hommes d’affaires, etc. Par ailleurs, le clergé continuait d’extorquer par tous les moyens l’argent de la classe travailleuse et notamment au moyen des messes, mariages, enterrements, baptêmes.”
Il ne faut pas non plus oublier que dans la plupart des pays capitalistes, l’Église touchait d’énormes sommes venues de l’État. C’était en particulier le cas en France où au début du xx siècle, “les appointements du clergé catholique s’élèvent jusqu’à 40 millions de francs par an” 4. Les immenses capitaux amassés par l’Église catholique durant tout le xix siècle (et jusqu’à aujourd’hui) sont le fruit du travail de la classe exploitée.
Ainsi, le rôle de l’Église s’est transformé depuis ses origines : “Mais tandis qu’alors l’Église catholique avait songé à porter secours au prolétariat romain par l’évangile du communisme, de la propriété commune, de l’égalité et de la fraternité, à l’époque capitaliste elle agit d’une tout autre façon. Elle se préoccupe avant tout de profiter de la misère du peuple pour attacher au travail la main-d’œuvre bon marché” 5.
Dès lors, le combat contre le clergé et la religion, parce qu’il fut un moment vecteur du développement de la conscience de classe, allait être instrumentalisé par la bourgeoisie contre le prolétariat. L’évolution de ce combat est le reflet d’un mouvement plus général où une maturité révolutionnaire au sein de laquelle le marxisme allait pouvoir démasquer les confusions entretenues par la classe dominante pouvait émerger.
Les premiers théoriciens socialistes dénoncèrent le rôle du clergé tout en entretenant des confusions sur la religion et notamment le christianisme. Ils percevaient le clergé comme une puissance exploiteuse tout en considérant que le message du Christ devait inspirer le prolétariat dans sa lutte révolutionnaire. Charles Fourier opposa au Dieu catholique de la souffrance un seigneur généreux ennemi de tout despotisme. Proudhon revendiqua son anticléricalisme tout en affirmant le caractère révolutionnaire et progressiste du christianisme primitif. Si ce constat était juste sur le plan historique, il ne pouvait sous cette forme renforcer la maturité politique de la classe ouvrière. Engels avait perçu cette faiblesse : “Il y a quelque chose de curieux, tandis que les sociologues anglais sont en général opposés au christianisme et ont à pâtir de tous les préjugés religieux d’un peuple réellement chrétien, les communistes français eux, alors qu’ils font partie d’une nation célèbre pour son incroyance, se trouvent être chrétiens. Un de leur axiomes favoris est que le “christianisme est le communisme”. C’est ce qu’ils s’efforcent de prouver par la Bible, par l’état communautaire dans lequel les premiers chrétiens sont dits avoir vécu…” Ces confusions, visibles dans le mouvement ouvrier international ne furent dépassées que par l’intervention critique de Karl Marx contre ces nouveaux prophètes, en particulier dans sa controverse avec Wilhlem Weitling. Ce dernier, fondateur de la Ligue des Justes, considéré par Engels comme “le fondateur du communisme allemand”, était un élément très influent du mouvement révolutionnaire. Voici en quels termes s’exprimait Marx à son égard : “La bourgeoisie, y compris philosophes et érudits, peut-elle nous présenter une œuvre semblable aux Garanties de l’harmonie et de la liberté de Weitling, concernant l’émancipation de la bourgeoisie, l’émancipation politique ?” Malgré sa combativité et son rejet de l’exploitation bourgeoise, Weitling développa une vision mystique et messianique de la révolution. Il en vint à considérer que la révolution communiste ne pourrait provenir que par l’agitation des déclassés et de tous les miséreux. Cette vision anarchisante fut vivement critiquée par Marx. Lors de la séance des Comités de Correspondance Communiste du 30 mars 1846, Marx rétorqua à Weitling que l’ignorance n’avait jamais servi à rien et que ce dernier avait sa place parmi les absurdes prophètes. Ce combat contre la vision religieuse du communisme se poursuivit par la critique à l’égard d’Hermann Kriege et de son journal fondé à New York et intitulé Der Volkstribun, dans lequel il développait une théorie du communisme comme une nouvelle religion. La circulaire contre Hermann Kriege fut adoptée à l’unanimité en mars 1846 à l’exception de Weitling au sein de la Ligue des Justes. Les communistes matérialistes s’attaquaient à une vision du prolétariat comme “objet biblico-mythologique”, comme “agneau de Dieu, portant les péchés du monde”.
Dans une Europe encore largement féodale, la religion devait être combattue et critiquée pour pouvoir critiquer la société et l’État bourgeois. C’est la tâche à laquelle s’attaqua Karl Marx afin de repousser l’esprit religieux au sein de la classe ouvrière : “L’émancipation politique du juif, du chrétien, de l’homme religieux en un mot, c’est l’émancipation de l’État du judaïsme, du christianisme, de la religion en général. Sous sa forme particulière, dans le mode spécial à son essence, comme État, l’État s’émancipe de la religion en s’émancipant de la religion d’État, c’est-à-dire en ne reconnaissant aucune religion, mais en s’affirmant purement et simplement comme État. S’émanciper politiquement de la religion, ce n’est pas s’émanciper d’une façon absolue et totale de la religion, parce que l’émancipation politique n’est pas le mode absolu et total de l’émancipation humaine” 6. Marx soulignait ainsi les limites de la revendication politique de la séparation de l’Église et de l’État ainsi que de l’adoption du caractère privée de la religion. Marx ne considérait pas ces principes comme des armes politiques permettant au prolétariat de s’émanciper des carcans conservateurs et ainsi, de poursuivre la critique de la société bourgeoise. Si Marx savait bien que ce combat ne pourrait être mené sans la collaboration de la bourgeoisie progressive, il importait surtout de permettre à la classe ouvrière d’adopter une position autonome vis-à-vis de la bourgeoisie.
Dans la deuxième moitié du xixsiècle, la pression religieuse s’intensifia, ce qui poussa les organisations révolutionnaires à prendre davantage en compte cette question. Le premier Congrès de l’AIT qui se tint à Genève rédigea une déclaration de principe stipulant que la religion “est une des manifestations de la conscience humaine, respectable comme toutes les autres, tant qu’elle reste chose intérieure, individuelle, intime (…) chacun pensera sur ce point, ce qu’il jugera convenable, à la condition de ne point faire intervenir “son Dieu” dans les rapports sociaux et de pratiquer la justice et la morale.” Le combat n’était pas orienté contre la religion en soi mais contre la polarisation sur les pouvoirs religieux. Le développement des forces productives avait déjà permis un net recul de l’esprit religieux au sein de la classe ouvrière. Les marxistes considéraient qu’une propagande antireligieuse s’avérait stérile et laissait courir un risque de division au sein de la classe. C’est pourquoi ils se sont opposés aux blanquistes et aux anarchistes qui voulaient faire apparaître le principe d’athéisme dans le programme des organisations révolutionnaires. Dans une période de pleine expansion du capitalisme, les marxistes tracèrent donc une trajectoire claire en ce qui concernait la question religieuse : la séparation de l’Église et de l’État et la conception de la religion comme une affaire privée non seulement n’étaient pas au centre du combat mais elles étaient utilisées contre la classe ouvrière.
Il est important de souligner que les revendications constitutives de la laïcité ne faisaient pas consensus au sein de la bourgeoisie. Seule l’opposition républicaine à l’Empire revendiquaient la séparation de l’Église et de l’État mais sans une véritable structuration. Ainsi, jusqu’à l’avènement de l’État bourgeois républicain (entre les années 1871-1880) la classe ouvrière devait faire face à toute la propagande de la bourgeoisie libérale. La loi de 1868 sur le droit de réunion permit une offensive bourgeoise développant des assemblées publiques dans lesquelles participaient aussi bien des bourgeois, petits-bourgeois et des ouvriers, dont des membres de l’AIT. Si ces réunions étaient des lieux où les ouvriers pouvaient exprimer leurs positions, elles restaient contrôlées par la bourgeoisie, sclérosées par l’influence de la petite-bourgeoisie. Cependant, le discours anticlérical était présent dans les luttes ouvrières à la fin des années 1860 et encore davantage dans toute la période qui suivit l’écrasement de la Commune, exprimant les difficultés et les confusions du moment. Dès lors, lorsqu’elle prit le pouvoir pour la première fois de son histoire, la classe ouvrière mit en pratique des principes qui exprimaient l’héritage des confusions du passé. En effet, la Commune de Paris, par le décret du 3 avril 1871 énonce :
“Art 1e er. – L’Église est séparée de l’État.
Art 2. – Le budget des cultes est supprimé.
Art 3. – Les biens dits de mainmorte, appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriétés nationales.
Art 4. -Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens, pour en constater la nature et les mettre à la disposition de la Nation.”
Dans les années qui suivirent, le SPD 7 et le Parti ouvrier français intégrèrent ces revendications dans leurs programmes, reprises ensuite au sein de la II Internationale.
Une question de principe : l’adhésion à l’anticléricalisme bourgeois ou l’autonomie du combat ?
L’accession au pouvoir de la bourgeoisie républicaine en France et dans une moindre mesure le Kulturkampf en Allemagne 8 permirent à la bourgeoisie libérale de mener sa politique de séparation de l’Église et de l’État. La légitimation de ces mesures était naturellement une attaque idéologique contre la classe ouvrière. Le discours anticlérical bourgeois avait vocation de faire de la laïcité une fin en soi, autrement dit, il s’agissait de détourner la classe ouvrière de son véritable objectif : la lutte contre le capitalisme. A partir de 1879 9, une séparation progressive s’effectua dans les domaines scolaire, judiciaire, militaire, hospitalier et privé. La campagne anticléricale fut renforcée par la lutte contre les congrégations. Rosa Luxemburg a souligné que ces mesures étaient avant tout des manœuvres contre la classe ouvrière : “L’incessante guérilla menée depuis des dizaines d’années contre la prêtraille est, pour les républicains bourgeois français, un des moyens les plus efficaces de détourner l’attention des classes laborieuses des questions sociales et d’énerver la lutte des classes, L’anticléricalisme est, en outre, restée la seule raison d’être du parti radical ; l’évolution de ces dernières trente années, l’essor pris par le socialisme a rendu vain tout son ancien programme. (…) Pour les partis bourgeois, la lutte contre l’Église n’est donc pas un moyen, mais une fin en soi ; on la mène de façon à n’atteindre jamais le but ; on compte l’éterniser et en faire une institution permanente. (…) La campagne, stérile à dessein, sans espoir, que les républicains bourgeois mènent depuis trente ans contre l’Église revêt un caractère particulier : ils s’obstinent à diviser artificiellement en deux questions différentes un problème qui, politiquement est un et indivisible ; ils séparent le clergé séculier du clergé régulier et portent des coups ridiculement impuissants aux congrégations qu’il est bien plus difficile d’atteindre, tandis que le nœud de la question est dans la réunion de l’Église et de l’État. Au lieu de trancher ces liens d’un seul coup par la suppression du budget des cultes et de toutes les fonctions administratives abandonnées au clergé, d’atteindre dans sa source l’existence des ordres religieux, on donne éternellement la chasse à des congrégations non autorisées. Au lieu de séparer l’Église de l’État, on cherche au contraire à rattacher les ordres à l’État. Tandis qu’on feint d’arracher l’école aux congrégations, on s’empresse d’enlever à ces tentatives toute efficacité politique en soutenant, en protégeant l’Église comme institution d’État” 10.
En soutenant activement le parti radical et le gouvernement, le courant réformiste, amené par le parti socialiste français, apporta un soutien actif à cette campagne idéologique menée par le gouvernement Combes (1902-1905). L’aile marxiste incarnée par le Parti ouvrier français de Jules Guesde considérait que les réformistes, en soutenant le gouvernement, faisait le jeu de la bourgeoisie et mettaient de côté la lutte de classes. Cette stratégie d’alliance provoqua des réactions chez les socialistes allemands : “Qu’ont donc les socialistes de France à se jeter dans l’anticléricalisme vulgaire ?” C’est dans ce contexte que Le Mouvement socialiste 11 lança une enquête internationale auprès des représentants des différents partis socialistes sur “l’anticléricalisme et le socialisme”. Il s’agissait surtout de se positionner sur la situation en France. Mais l’hétérogénéité des interventions, leur caractère trop général et l’incapacité de la plupart des intervenants à aller au-delà des positions programmatiques de l’Internationale Socialiste 12 n’ont pas permis d’apporter une réponse à la question posée. Les interventions de Bernstein ou de Bebel sont symptomatiques du routinisme, de la fossilisation de la pensée, de la perte d’esprit de combat dans le mouvement socialiste de l’époque. Si la contribution de Kautsky est d’une grande importance sur le plan historique, la tactique proposée repose sur la neutralité et souligne la position centriste du “pape du marxisme”. Seule Rosa Luxemburg a identifié la spécificité du combat des socialistes français en restant irrémédiablement sur le terrain de la lutte de classes : “Les socialistes sont précisément obligés de combattre l’Église, puissance antirépublicaine et réactionnaire, non pour participer à l’anticléricalisme bourgeois, mais pour s’en débarrasser. (…) Ainsi, ils ne doivent adopter ni la tactique de la démocratie socialiste allemande ni celle des radicaux français ; il leur faut à la fois faire front et contre la réaction de l’Église antirépublicaine et contre l’hypocrisie de l’anticléricalisme bourgeois” 14. Contrairement à l’hypothèse de Rosa, la séparation de l’Église et de l’État fut établie par la loi de 1905. Cette mesure a surtout marqué une étape supplémentaire dans l’affirmation de l’État bourgeois démocratique contre le mouvement ouvrier.
(A suivre)
Joffrey, 25 août 2015
1 Pierre Pierrard, L’Église et les ouvriers en France (1840-1940), Hachette, 1984.
2 Karl Kautsky fait du “cléricalisme capitaliste” l’apanage du clergé égulier. Alors que le clergé séculier détient une fonction beaucoup plus idéologique du fait de son incorporation dans l’État bourgeois.
3 Dans un précédent article, nous avons souligné les raisons internes à la bourgeoisie qui ont poussé celle-ci à utiliser le clergé et la religion pour préserver ses intérêts de classe.
4 R. Luxemburg, Église et socialisme, 1905.
5 Idem.
6 K. Marx, La question juive, 1843.
7 Le programme d’Erfurt du Parti Social-démocrate allemand adopté en 1891comporte le point suivant : “La religion déclarée chose privée. Suppression de toutes les dépenses faites au moyen des fonds publics pour des buts ecclésiastiques et religieux.
Les communautés ecclésiastiques et religieuses doivent être considérées comme des associations privées qui règlent leurs affaires en pleine indépendance.”
8 Combat entre l’Empire allemand appuyé par les libéraux et l’Eglise soutenue par le parti catholique (le Zentrum).
9 Date à laquelle les Républicains détiennent tous les rouages de l’Etat.
10 Rosa Luxemburg, “Réponse dans l’enquête internationale sur le socialisme et l’anticléricalisme”, Le Mouvement socialiste, 1903.
11 Revue fondée par l’anarcho-syndicaliste Hubert Lagardelle. Les grands théoriciens du socialisme international y collaborèrent.
12 Les paragraphes 6 et 7 du programme d’Erfurt.
13 Rosa Luxemburg, “Réponse dans l’enquête internationale sur le socialisme et l’anticléricalisme”, Le Mouvement socialiste, 1903.
Depuis la rédaction de cet éditorial, la situation n’a fait que s’aggraver pour les réfugiés toujours plus nombreux fuyant la spirale guerrière de zones dévastées. Alors que la Hongrie a totalement barré la route aux migrants depuis l’érection de son mur de barbelés, la nouvelle route empruntée vers la Slovénie s’avère une véritable catastrophe humaine. À son tour, la Slovénie cherche à endiguer le phénomène et entasse dans ses camps fermés des milliers de personnes dans des conditions dramatiques : sans aucune couverture, les gens dorment à même le sol, tentent de se chauffer en brûlant des plastiques toxiques. Depuis le 17 octobre, plus de 90 000 migrants ont transité par ce petit pays de l’UE. L’Autriche elle-même annonce sa volonté de dresser une clôture à la frontière slovène. Derrière le folklore du mini-sommet de l’Union européenne du 25 octobre à Bruxelles et les divisions bien réelles à propos des réfugiés, un point d’accord unanime transparaît au sein de la bourgeoisie : la nécessité de renforcer le flicage et de barricader, créer un nouveau mur et des camps en périphérie pour contenir “les indésirables”, ceux que bon nombre de ces mêmes États prétendent hypocritement vouloir accueillir. C’est ainsi qu’un véritable mur se met en place et qu’un vaste camp de 100 000 personnes est prévu en urgence dans les Balkans. Plus de 400 policiers seront sur le pied de guerre. En Grèce, le gouvernement de Tsipras lui-même participe à cette entreprise nauséabonde. Bref, les États capitalistes se blindent en même temps que sont attisés les populismes et la xénophobie. L’Allemagne durcit maintenant de façon drastique les conditions d’entrée sur son territoire et organise le refoulement à grande échelle de ceux qui sont taxés de “réfugiés économiques”. Plus que jamais, les paroles de Rosa Luxemburg expriment bien la réalité mortifère et barbare d’un capitalisme décadent dans sa phase de décomposition : “Rien n’est plus frappant aujourd’hui, rien n’a une importance plus décisive pour la vie politique et sociale actuelle que la contradiction entre ce fondement économique commun unissant chaque jour plus solidement et plus étroitement tous les peuples en une grande totalité et la superstructure politique des États qui cherche à diviser artificiellement les peuples, par les postes-frontières, les barrières douanières et le militarisme, en autant de fractions étrangères et hostiles les unes aux autres” (1.
L’existence de frontières comme autant de délimitations de la propriété privée est aussi vieille que l’existence de la propriété elle-même. Il n’y a tout simplement pas de propriété reconnue sans la démarcation et la défense de celle-ci. Avec l’avènement des grands empires tels que Rome ou la Chine, des remparts marquant les frontières ont été érigés : le Mur d’Hadrien, les Limes, la Grande Muraille de Chine. Ainsi, l’existence de telles frontières pour défendre un empire contre l’invasion de rivaux n’est pas nouvelle.
Toutefois, aussi longtemps que la planète ne fut pas entièrement “partagée” entre les principaux rivaux capitalistes, les frontières n’étaient pas très protégées et leur délimitation pouvait changer au gré des traités signés “à la table des négociations”. Par exemple, en 1884, à la Conférence de Berlin, les frontières de l’Afrique pouvaient encore être fixées à la règle sur une carte. Au début du xix)e siècle, un territoire aussi grand que l’Alaska fut vendu par le tsar de Russie aux États-Unis. Au tournant du xixe siècle, la frontière entre le Mexique et les États-Unis était à peine gardée. Et, au moment de la Première Guerre mondiale, les frontières en Europe n’étaient pas encore surveillées étroitement.
Ce n’est qu’au début du xxe siècle, une fois que le monde fut partagé entre les principaux rivaux capitalistes, que la défense des territoires devint un enjeu plus important. Même si la Première Guerre mondiale a vu de grandes batailles pour les territoires (comme la guerre de tranchées en Belgique et en France, avec leur terrible coût en vies humaines et en matériel), les frontières sont restées remarquablement “ouvertes” après la guerre. Les réparations imposées aux pays vaincus par le traité de Versailles étaient soit une perte relativement mineure de territoire (la Sarre allemande “abandonnée” à la France, ou les anciennes colonies allemandes qui ont changé de propriétaire), soit une compensation financière conséquente. Mais il n’y avait pas encore de partition de pays entiers, ni de fortification des frontières comme cela se produisit après la Seconde Guerre mondiale.
Avec l’intensification des rivalités impérialistes, la défense des frontières et des territoires a qualitativement changé. Une lutte acharnée pour chaque pouce de territoire s’est mise en place. Après la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre des pays furent divisés (l’Allemagne, la Corée, la Chine, le Vietnam, l’Inde et le Pakistan). Tous ont militarisé leurs frontières, les hérissant de mines, de clôtures, de murs, de gardes armés et de chiens. La formation de l’État d’Israël en 1948 a entraîné le déplacement de centaines de milliers de Palestiniens et la nécessité de se retrancher derrière les murs les plus sophistiqués. Le mur frontalier d’Israël est maintenant l’un des mieux gardés au monde et fait symboliquement figure de nouveau mur de Berlin… en quatre fois plus long et deux fois plus élevé (huit mètres) que cette icône haïe de la Guerre froide. En construction depuis 2002, il est prévu qu’il s’étende sur 709 km à travers la Cisjordanie. “Une série de dalles de béton, de “zones-tampons” en barbelés, de tranchées, de clôtures électrifiées, tours de guet, caméras vidéo à imagerie thermique, tours de tireurs d’élite, des points de contrôle militaire et des routes pour les véhicules de patrouille, ont démembré les villes du côté Ouest et les ont séparées de Jérusalem-Est occupée (…). Le mur a coûté plus de 2,6 milliards de dollars à ce jour, pendant que le coût annuel d’entretien est de 260 millions”. En somme, depuis la Première Guerre mondiale, tous les pays sont impérialistes et doivent obéir à la loi de défense de leurs intérêts au moyen du contrôle strict de leurs frontières.
La récente série de guerres à travers la planète a montré que bien des frontières ont été fortifiées en prévision de l’infiltration des forces ennemies, souvent des bandes de terroristes soutenus par différents États. Tout un système a été mis en place pour contrôler les personnes en attente d’un visa et des institutions de surveillance similaires au monde décrit dans le livre 1984 de George Orwell ont été développées, comme l’Autorité de la Sécurité intérieure aux États-Unis pour traquer d’éventuels ennemis et les empêcher d’entrer dans le pays.
Parallèlement, alors que la migration au xixe siècle n’avait pas été significativement entravée par une législation complexe et un système policier sophistiqué, au xxe siècle, les frontières ont acquis une deuxième fonction, en plus de la fonction militaire “traditionnelle” : empêcher l’entrée de la force de travail non nécessaire. Cela contraste avec la demande permanente de force de travail aux États-Unis à la fin du xixe siècle, véritable raison de l’appel : “Envoyez-nous vos pauvres, vos masses déshéritées.” Aujourd’hui, les États-Unis ont rejoint la course pour sceller leurs frontières méridionales contre les vagues de prolétaires d’Amérique latine qui fuient la pauvreté et la violence.
Dans les années 1960, un nouveau phénomène est apparu : beaucoup de pays, dominés par le bloc de l’Est, connaissaient une pénurie de main-d’œuvre, en particulier en Allemagne de l’Est. L’État est-allemand érigea le mur de Berlin afin d’empêcher sa force de travail de quitter le pays : le “nain économique” fermait ainsi ses frontières pour enfermer ses ouvriers à l’intérieur.
Aujourd’hui, les frontières exercent plus que jamais cette double fonction simultanément : en plus de la défense militaire classique du territoire, on construit les murs les plus sophistiqués afin d’empêcher les réfugiés d’entrer et de prévenir ou de filtrer les “migrants économiques” indésirables.
Ainsi, bien que le Rideau de fer ait été détruit en 1989, la fin de la confrontation entre les anciens blocs ne signifie pas l’avènement d’un monde sans frontières : au contraire !
“Entre 1947 et 1991, onze murs ont été construits, qui ont survécu à la Guerre froide (Afrique du Sud-Mozambique, Corée du Nord-Sud, Inde-Pakistan, Israël, Maroc-Sahara occidental, Zimbabwe-Zambie). Entre 1991 et 2001, sept murs ont été érigés : autour des enclaves de Ceuta et Melilla, entre les États-Unis et le Mexique, la Malaisie et la Thaïlande, le Koweït et l’Irak, l’Ouzbékistan, l’Afghanistan et le Kirghizistan. Depuis 2001, 22 murs sont sortis de terre : aux frontières de l’Arabie saoudite avec les Émirats Arabes Unis, l’Irak, l’Oman, le Qatar, le Yémen, entre la Birmanie et le Bangladesh, le Botswana et le Zimbabwe, entre Brunei et la Malaisie, la Chine et la Corée du Nord, l’Égypte et la Bande de Gaza, les Émirats Arabes Unis et l’Oman, l’Inde et le Bangladesh, la Birmanie et le Pakistan, l’Iran et le Pakistan, Israël et la Jordanie, la Jordanie et l’Irak, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, le Pakistan et l’Irak, la Thaïlande et la Malaisie, le Turkménistan et l’Ouzbékistan, Israël et l’Égypte” 2. Il existe environ deux cents pays dans le monde et 250 000 km de frontières les séparent : il s’agit d’une société retranchée ! 3
Cela démontre le caractère totalement irrationnel du système capitaliste. Alors que le capitalisme ne peut “prospérer” que s’il y a une libre circulation des marchandises et du travail, le mouvement lié au travail humain est soumis aux contrôles et aux obstacles les plus impitoyables. Cela signifie non seulement un niveau inédit de violence le long des frontières, mais aussi des coûts financiers démesurés. Le système de protection massive des frontières entre le Mexique et les États-Unis coûte une fortune : “Mais cela finit par revenir cher. On estime généralement que les inspections, les patrouilles, et les infrastructures coûtent aux contribuables entre 12 et 18 milliards de dollars par an. Cela représente une augmentation d’environ 50 % depuis le début des années 2000, selon le Journal, qui ajoute que les dépenses incluent “tout, depuis les clôtures jusqu’aux avions militaires, les navires, les drones, les équipements de surveillance, les tours pour les caméras infra-rouge et les centres de détention.” Plus généralement, le coût de la sécurité aux frontières a grimpé jusqu’à 90 milliards entre 2002 et 2011, révèle l’Associated Press. L’agence de presse rapporte que les dépenses annuelles peuvent aussi comprendre des chiens renifleurs de drogues (5400 dollars chacun) ou des troupes de la garde nationale (environ 91 000 dollars par soldat)” 4.
Quand on imagine le nombre total de gardes déployés tout au long des frontières mondiales et leur coût, tout cela est absurde. Cela montre aussi concrètement à quel point cette société gaspille ses ressources ! 5
Parallèlement aux contrôles frontaliers toujours plus sophistiqués, des “résidences sécurisés” se construisent partout, avec des clôtures et des systèmes de protection armée pour les privilégiés. Des quartiers entiers sont devenus des “zones interdites” aux non-résidents.
Mais les pays industrialisés ne sont pas seulement en train de devenir de vraies forteresses. Ils sont aussi les plus grands “agents de déportation” de la force de travail. Alors que le nombre total d’esclaves enlevés de force sur le continent africain est monté à environ 10 ou 20 millions entre 1445 et 1850, la politique de déportation menée par les pays industrialisés atteindra probablement le même nombre en un temps beaucoup plus court. Quelques exemples : plus de 5 millions d’immigrés “illégaux” ont été déportés des États-Unis (sous G.W. Bush, environ 2 millions, sous Clinton presque 900 000 et sous Obama plus de 2 millions). En Europe, les mesures sont de plus en plus draconiennes, et il y a environ 400 centres de détention pour les clandestins en attente d’expulsion. Le Mexique lui-même déporte 250 000 étrangers par an vers l’Amérique centrale. L’Arabie saoudite déporte plus d’un million de personnes qui vivent et travaillent illégalement dans le royaume.
Face à la récente vague de réfugiés fuyant les zones de guerre au Moyen-Orient (Afghanistan, Syrie, Afrique du Nord…), le système de protection des frontières a franchi un nouveau palier. Les autorités déploient encore plus de troupes et de matériel pour détenir et déporter les réfugiés. Plus d’un quart de siècle après “l’ouverture” du Rideau de fer, la Hongrie a fermé sa frontière avec du fil de fer barbelé pour empêcher “les miséreux” d’atteindre des “lieux plus sûrs” et elle a l’intention de mettre en place un autre rideau de fer le long de la frontière roumaine. Des mesures similaires sont prises dans d’autres pays européens. Les frontières précédemment “ouvertes” de l’espace Schengen sont maintenant contrôlées par la police des frontières : des “hotspots” (des centres de sélection des réfugiés doivent être mis en place en Grèce et en Italie, avec la possibilité de les renvoyer vers l’enfer d’où ils viennent). On étend également des avant-postes pour récupérer les réfugiés jusqu’en Afrique. Des dispositions sont prises pour mettre en place des contrôles aux frontières sur les routes de transit des réfugiés en Afrique.
Les images de longue marche des réfugiés et des milliers de réfugiés détenus ou repoussés sur les Balkans et ailleurs, abandonnés sans nourriture et sans abri, nous rappellent la façon dont la population juive a été traitée sous le régime nazi ou le destin des réfugiés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles montrent la continuité de la barbarie de ce système. Un siècle de réfugiés, de guerre, de camps, de déportations, de rideaux de fer, de migrations illégales et l’expulsion de ceux qui ont le culot de “venir seulement pour se remplir le ventre”.
Nous avons maintenant les murs les plus hauts et les plus longs de tous les temps pour empêcher les réfugiés de guerre et les migrants “économiques” désespérés d’entrer (mais ils ne pourront pas toujours endiguer le flot des victimes des effets combinés de la décomposition inexorable du capitalisme).
En créant une économie globale, le capitalisme a créé les conditions d’une communauté humaine mondiale. Mais son incapacité totale à réaliser celle-ci est illustrée aujourd’hui par la fortification internationale de ses frontières. Les appels bien intentionnés à “l’abolition des frontières” des groupes activistes sont donc entièrement utopiques. Les frontières ne pourront être abolies que par la révolution prolétarienne internationale qui démantèlera la prison inhumaine de l’État-nation.
Wold Revolution, organe de presse du CCI en GB, septembre 2015
1 Introduction à l’économie politique, dans les Œuvres complètes de Rosa Luxemburg, volume I, éd. Verso, Londres (2013), p. 121
2 dandurand.uqam.ca [537].
3 500 000 tonnes de fils de fer barbelés sont produites chaque année dans le monde, de quoi réaliser 8 millions de kilomètres de barbelés, soit 200 fois la circonférence de la terre.
4 www.fool.com [538].
5 Le montant des sommes que les réfugiés doivent payer aux trafiquants d’êtres humains a également atteint des chiffres astronomiques jamais vus.
Les “images choc” du comité central d’Air France du 5 octobre dernier, où deux membres de la direction fuyaient en catastrophe la colère des manifestants, le torse nu et la chemise déchirée, ont immédiatement fait le tour du monde. Tandis que le New York Times dénonçait “les manifestations de colère (…) lors desquelles des salariés ont pris en otage leur patron ou endommagé du matériel”, la Tribune de Genève titrait : “Le DRH d’Air France a failli se faire lyncher” et El Pais : “Rébellion à Air France !”. De son côté, The Guardian s’insurgeait contre cette “centaine de salariés [qui] sont entrés de force dans la réunion et ont arraché les chemises des dirigeants”. Les chaînes d’information continue multipliaient quant à elles les images de l’événement, commentant minute par minute, prise par prise, l’échappée des deux cadres agressés.
La bourgeoisie a ainsi profité de la situation pour faire passer un message très clair aux prolétaires du monde entier : la lutte de classe est une impasse et ne conduit qu’à des actions stériles et à la violence aveugle. Il n’y a donc rien d’hasardeux dans le fait que la presse bourgeoise internationale ait inscrit ces actes de violence dans la “longue tradition insurrectionnelle” française (Daily Mail). La bourgeoisie allemande, la plus expérimentée et la mieux organisée du monde, a condensé cette propagande à travers cette formule utilisée par le quotidien économique Handelblatt et publiée par Courrier international du 7 octobre : “En France, on sait faire la révolution, mais on ne sait pas réformer”. Il s’agit bien d’opposer la “révolution” et ses hordes de manifestants enragés à la “modernité” du “dialogue social” et de la “réforme négociée”. The Times était aussi explicite en qualifiant ces événements “d’efforts pour accompagner Air France dans le xxie siècle ayant tourné à la violence” dans un contexte où ces pratiques “n’ont rien d’exceptionnelles dans les relations au sein des entreprises françaises”. The Financial Times expliquait que la dureté des attaques prévues par le fameux “Plan B” était le résultat inéluctable de l’intransigeance des travailleurs les plus “radicaux” face à la “restructuration douce” 1 du projet prévu à l’origine par la direction d’Air France.
Lorsqu’il s’agit de faire passer des attaques et d’accroître l’exploitation des ouvriers, la bourgeoisie ne peut pas faire n’importe quoi, n’importe quand. Elle a constamment à l’esprit la menace historique que représente la classe ouvrière et sait que sa capacité à faire accepter au plus grand nombre les effets de la crise de son système sans réaction collective et sans trop susciter la réflexion est déterminée par le niveau de déboussolement politique des ouvriers, en particulier leur difficulté à rechercher l’unité et la solidarité. C’est précisément pour ces raisons que la presse bourgeoise a déchaîné cette campagne aux quatre coins du globe, qu’elle a utilisé contre tous les ouvriers ce que représente encore, de par ses expériences historiques de 1848, 1871 et 1968, le prolétariat en France.
L’évolution du conflit à Air France est ainsi marquée par cette double nécessité : d’une part, assurer le succès d’une attaque contre les conditions de travail et multiplier les licenciements dans un secteur historiquement combatif et, d’autre part, utiliser la situation pour mener une attaque idéologique contre toute la classe ouvrière. C’est ainsi que le conflit à Air France a débuté par la tentative très médiatisée de casser la solidarité entre le personnel navigant et le personnel au sol en stigmatisant les pilotes comme des privilégiés égoïstes 2. La bourgeoisie pratique la division de la classe ouvrière en permanence, pointant du doigt les prétendues “privilèges” de telle ou telle catégorie. Une fois les tensions exacerbées, il est toujours plus aisé de dévoyer les éléments les plus combatifs vers des actions de désespoir sans réflexion. Ce faisant, les syndicats les plus en vue peuvent se targuer d’apparaître comme des organisations combatives et déterminées. La bourgeoisie sait toujours utiliser l’état de faiblesse de la classe ouvrière pour faire passer ses attaques. En particulier, elle mise sur l’activisme, l’immédiatisme dans lesquels baigne la société, sur la volonté d’agir pour agir sans prendre le temps de réfléchir aux buts et aux moyens de la lutte. Elle dispose d’un avantage de taille qu’elle exploite en permanence : l’absence d’une réelle identité de classe au sein du prolétariat. Les ouvriers ne se reconnaissent plus aujourd’hui comme appartenant à une même classe sociale ayant les mêmes intérêts face à la bourgeoisie, porteuse de la perspective communiste. Ils se conçoivent comme appartenant à telle ou telle couche ou groupe sociologique, où chacun se débrouille avec la situation particulière de “son” entreprise ou de “sa” situation individuelle.
Cette mobilisation très forte de la bourgeoisie est cependant significative d’une certaine combativité, certes encore très timide, d’un besoin de solidarité dans la classe ouvrière qui avait été dénaturé lors de l’échec du mouvement contre la réforme des retraites en 2010. Depuis 2011 et la vagues des Indignés, la classe ouvrière était restée relativement atone face aux attaques et à l’explosion de la barbarie dans le monde. En France, la “gauche” au pouvoir, malgré un discrédit généralisé, a donc su remarquablement appliquer son programme d’austérité en divisant et dévoyant sans relâche vers des impasses la moindre expression de contestation : éparpillements des attaques (non moins réelles et brutales) contre tel ou tel secteur, telle ou telle profession, telle ou telle “niche”…, polarisation de l’attention sur les mouvements petit-bourgeois des “bonnets rouges”, des homophobes de la “manif pour tous”, des “chauffeurs de taxis en colère”, des “agriculteurs en colère”... Mais l’efficacité du procédé à ses limites ; sous les coups de boutoirs de la crise économique et des attaques gouvernementales, un changement d’état d’esprit commence à se manifester dans la classe exploitée depuis quelques mois, et cela aussi à l’échelle internationale. Telle est la réelle signification profonde des expressions de solidarité spontanée en Europe envers les migrants ou les tentatives d’auto-organisation dans la lutte des techniciens de Movistar 3 en Espagne. Cette question de la solidarité, déjà présente par exemple en France dans la mobilisation contre le CPE en 2006, est au cœur de la situation actuelle et sera déterminante dans les combats à venir de la classe ouvrière. Dans la lutte à Air France, ceci s’est exprimé par un certain rejet de la division orchestrée par l’État, ses syndicats et ses médias : “… la direction fait le pari de la division et nous jette en pâture (…), nous ne sommes pas les seuls à protester. Les hôtesses de l’air, les stewards ainsi que le personnel au sol sont aussi à bout” 4. Ces propos d’un pilote d’Air France sont représentatifs de l’état d’esprit d’une partie des travailleurs de la compagnie mais aussi de la classe ouvrière dans son ensemble qui ressent de plus en plus la division comme un piège et la solidarité comme un besoin.
La bourgeoisie en a bien conscience. La résistance aux mots d’ordre corporatistes a donc poussé ses syndicats, ses précieux auxiliaires du maintien de l’ordre capitaliste, à adapter leur tactique afin de redorer l’image de combativité de certains d’entre eux à travers un discours “anti-division” et un activisme faussement radical. Et ceci afin de mieux… diviser ! Il s’agissait en effet de scinder “l’opinion publique” autour d’un faux dilemme : syndicats “radicaux” ou “syndicats responsables” ? Autrement dit, lutte sectorielle, stérile et démoralisante ou négociation mortifère sur le terrain de la légalité bourgeoise ? C’est bien en s’appuyant sur cette fausse alternative que les principaux partis de la gauche “radicale”, tels le NPA et le Front de gauche, se sont exprimés sur les “débordements” des employés d’Air France en affirmant que dans le fond, ce n’est pas grand-chose face à la violence sociale à laquelle se confrontent chaque jour des millions de travailleurs. S’en tenir à cette seule affirmation n’est rien d’autre qu’une manipulation destinée à dévoyer les consciences : cela revient à mettre dos-à-dos, d’un côté, la direction d’Air France et, de manière plus large, l’ensemble de la bourgeoisie, avec toute la violence sociale qu’elle fait subir, et, de l’autre, la violence des ouvriers qui “s’emportent” et passent les limites politiquement correctes du “dialogue social”. En somme, l’extrême-gauche du capital met sournoisement dans le même sac des ouvriers excédés et leurs exploiteurs sans scrupule, insinuant que la classe ouvrière a pour seule perspective de lutte les méthodes de la bourgeoisie. Bien sûr, les choses ne sont pas dites comme tel. Mais si les partis de “gauche” s’emparent avec autant d’empressement de la question de la violence sociale et de la violence de classe, c’est pour dénaturer entièrement cette dernière et l’amener directement sur le terrain de l’idéologie bourgeoise. S’il est vrai que, face à la violence sociale imposée par le capitalisme, le prolétariat international devra répondre par une violence de classe ferme et déterminée, cela ne peut se concevoir que de manière organisée, massive et unitaire. Des actes désespérés de violence individuelle sont une impasse et le soutien que témoignent les divers partis de gauche est une pure mystification idéologique qui ne peut mener qu’à à la défaite.
Bien évidemment, l’État, à travers la voix de son Premier ministre Manuel Valls, s’est empressé de condamner ces actes de “voyous” : “Ces agissements sont l’œuvre de voyous. Il faudra des sanctions lourdes à l’égard de ceux qui se sont livrés à de tels actes.” Et, effectivement, de lourdes sanctions sont tombées contre les cinq “responsables” mis à pied avec suspension immédiate de leur salaire avant leur jugement le 2 décembre. Nul doute que les sanctions seront exemplaires, car la bourgeoisie cherche également par ce moyen à adresser un message d’intimidation à l’ensemble de la classe ouvrière sous forme d’avertissement explicite : toute expression de lutte en dehors du cadre légal sera sévèrement punie !
Face à l’intimidation de la classe dominante, la réponse du prolétariat passe, non pas par la division corporatiste et nationale, mais par le développement de son unité internationale, sa solidarité de classe et la défense de sa propre perspective historique : le communisme !
Luc, 3 novembre 2015
1 Chacun pourra apprécier les vertus du “dialogue social” et du syndicalisme “fort”, “responsable” et “obligatoire” à travers deux chiffres : 3500 suppressions de postes en 2012 chez Lufthansa, suppression d’un poste de personnel de cabine sur quinze sur les vols long-courriers en 2010, chez British Airways.
Lire par exemple le livre de Sofia Lichani, “Bienvenue à bord !” : “Vu comme c’est parti, Ryanair devient le modèle. Il impose ce modèle du low-cost, des contrats de trtavail précaires, c’est ce qu’on voit avec Air France : travailler plus”, explique en plateau l’ancienne hôtesse de l’air. Sofia Lichani revient également sur le contrat travail à ses débuts chez Ryanair : “J’avais un contrat irlandais donc pas les mêmes garanties d’emploi qu’à Air France, pas les mêmes salaires. Nous, on était payé uniquement lorsqu’on volait. On n’était pas payé pour les astreintes. Quand j’étais malade, je n’étais pas payée...”” Soir 3 du vendredi 16 octobre).
2 Voir notre article : “Conflit des pilotes à Air France : direction, gouvernement et syndicats, tous complices pour dénaturer la lutte !”, disponible sur notre site internet.
3 Voir notre article : “Contribution pour un bilan de la grève des techniciens de Movistar en Espagne”, également disponible sur notre site internet.
4 Témoignage recueilli par Le Nouvel Observateur (in “Air France : pilote, je suis exaspéré. La direction doit cesser de se moquer de nous”).
Pourquoi des millions de réfugiés fuient-ils la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et d’autres pays du Moyen-Orient, d’Asie centrale et d’Afrique ? La raison en est que la population est désespérée et cherche à échapper à un état de guerre permanent, à une spirale infernale de conflits meurtriers entre de multiples protagonistes comprenant les armées gouvernementales officielles et des gangs terroristes. La Syrie est l’expression la plus “avancée” de cette descente dans le chaos. Le gouvernement Assad, qui s’est montré prêt à bombarder la Syrie en ruines plutôt que de quitter le pouvoir, ne contrôle maintenant qu’environ 17 % du territoire. Des régions entières du nord et de l’est du pays sont sous le contrôle des djihadistes fanatiques de l’État islamique. D’autres espaces sont entre les mains de ce que les médias occidentaux appellent parfois les opposants “modérés”, mais qui sont eux-mêmes de plus en plus dominés par les forces djihadistes comme al-Nusra, filiale d’Al-Qaïda : les rebelles “laïques et démocratiques” de l’Armée syrienne libre, qui ont été ostensiblement soutenus par les États-Unis et la Grande-Bretagne, semblent avoir une influence de plus en plus marginale. Entre les forces anti-Assad, il existe un jeu sans fin d’alliances, de trahisons et de luttes armées.
Mais la situation en Syrie, comme pour les autres guerres dans la région, signifie aussi une confrontation entre les grandes puissances internationales, soumises à l’effet et aux conséquences de l’intervention directe des avions de guerre russes. Dès le début, la Russie a soutenu le régime d’Assad avec l’appui de ses “conseillers”. Aujourd’hui, ses propres combattants bombardent des cibles “terroristes” parce que le régime Assad a le dos au mur et qu’existe la menace que la base russe de Tartous, seul accès naval sur la Méditerranée pour la Russie, soit envahie par l’État islamique. Selon le point de vue de la Russie, toutes les forces d’opposition, y compris celles soutenues par les États-Unis, sont de nature terroristes et ses récentes frappes aériennes ont davantage atteint les rebelles que les djihadistes eux-mêmes. Les États-Unis, qui pourraient saluer l’aide russe et ses campagnes de bombardements contre les djihadistes en Syrie et en Irak, voient très clairement que l’objectif numéro un de la Russie n’est pas tant de battre l’État islamique que de soutenir Assad. Ces deux puissances agissent donc dans un même pays avec des intérêts opposés, même si elles ne s’affrontent pas directement. Quant à la France, elle vient également s’engager ouvertement par le biais de ses frappes aériennes. Si ces dernières peuvent se traduire par une efficacité immédiate et relative, elles ne font in fine qu’ajouter davantage de tensions et participent pleinement de la spirale infernale du chaos. Cela, tout comme l’action plus spectaculairement grossière de la Russie. Les actions de la Russie en Syrie marquent ainsi clairement une escalade, mais une escalade dans le chaos. Elles s’opposent aux possibilités envisagées par les autres grandes puissances d’aboutir pour leur compte à un règlement politique des quatre ans de guerre en Syrie et ainsi tout espoir d’endiguer la marée des réfugiés fuyant le pays. Comme après l’invasion américaine en Irak, les grandes puissances ne vont pas rétablir la stabilité dans la région, mais générer une instabilité accrue. Leur manque d’option politique ne va faire qu’ouvrir davantage la porte aux ambitions des puissances régionales. Au Yémen, par exemple, le gouvernement a été soutenu par le régime saoudien – qui a été à la lutte contre les rebelles soutenus par l’Iran et qui à son tour a envoyé des forces en Syrie pour soutenir Assad. Sur la frontière turco-syro-irakienne, la Turquie a utilisé le prétexte de la lutte contre Daesh pour intensifier ses attaques contre le PKK kurde. La Turquie soutient également le groupe Ahar al-Sham en Syrie, tandis que le Qatar et l’Arabie ont leurs propres protégés islamistes, dont certains ont également reçu le soutien de la CIA. Pendant des décennies après la Seconde Guerre mondiale, le monde a vécu sous la menace de destruction nucléaire par les deux blocs impérialistes contrôlés par les États-Unis et l’URSS. Cette “guerre froide” impliquait une certaine discipline, un certain ordre, la majorité des pays de moindre importance et les forces nationalistes devant obéir aux diktats de l’un ou l’autre bloc. L’effondrement du bloc russe au début des années 1990 a conduit à l’effritement rapide du bloc américain et les tentatives ultérieures des États-Unis pour imposer son ordre sur ces tendances centrifuges ont eu pour résultat de les accélérer.
Ses échecs en Afghanistan et en Irak sont une preuve claire de cela, surtout aujourd’hui où les talibans, chassés du pouvoir par l’invasion américaine de 2001, se renforcent en Afghanistan, où des régions entières de l’Irak s’effondrent au profit de l’État islamique ou tombent sous l’influence de l’Iran, qui n’est pas un ami des États-Unis en dépit des récentes tentatives de rapprochement. Après ces expériences très négatives, les États-Unis restent réticents à l’idée d’intervenir en envoyant ouvertement des “troupes au sol”. Mais la montée en puissance de l’État islamique les a contraints à recourir aux forces aériennes et à renforcer leur soutien aux combattants locaux comme le PKK (précédemment considéré comme un groupe terroriste) qui a prouvé son efficacité dans la lutte contre l’État islamique. Cette stratégie a aussi poussé la Turquie à faire monter les enchères dans sa guerre contre les Kurdes. L’intervention américaine en Syrie risque également de stimuler indirectement le régime d’Assad et les ambitions russes dans la région. Les contradictions s’amplifient sans qu’aucune solution n’apparaisse.
En somme, aucun “gendarme du monde” n’est en mesure de s’imposer. L’irrationalité de la guerre capitaliste est de plus en plus évidente : les guerres qui ravagent la planète apportent des bénéfices à court terme à une minorité de capitalistes et de gangsters, mais pèsent fortement sur le système et ne portent aucune perspective de réorganisation d’après-guerre et de reconstruction, comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, aucune des forces capitalistes, des puissants États-Unis au plus insignifiant seigneur de la guerre, ne peut se permettre de rester en dehors de cette plongée à corps perdu dans le militarisme et la guerre. Les impératifs sous-jacents de la concurrence capitaliste et impérialiste sont trop forts. Le coût financier d’une intervention militaire peut être exorbitant, mais rien n’est pire que de perdre du terrain au profit des rivaux. Et il y aura toujours des rivaux.
Pour la population de ces régions, le prix qu’elle paye, c’est celui de sa chair et de son sang, en nombre de civils bombardés, violés et décapités par les armées gouvernementales et les milices de l’opposition, en habitations en ruine, en siècles de patrimoine culturel et historique parti en fumée, dans le choix entre la famine dans des camps de réfugiés à la frontière des zones de guerre ou bien entreprendre le voyage périlleux pour l’Europe, vers un supposé “havre de sécurité”. Pour l’humanité dans son ensemble, il semble n’exister d’autre perspective que la propagation du chaos militaire à travers le monde, la fuite en avant vers un point de non-retour fatidique.
Mais ce point n’a pas encore été atteint. Si l’Europe apparaît encore comme un havre de paix pour les réfugiés du monde entier, ce n’est sûrement pas à cause de la bonté de la bourgeoisie européenne, mais parce que la classe ouvrière de ces pays est toujours une force sur laquelle il faut compter. La classe dominante n’est pas en mesure de la broyer au point de la plonger dans l’extrême pauvreté ou de la mobiliser pour la guerre comme ce fut le cas dans les années 1930 quand la bourgeoisie faisait face à une classe ouvrière vaincue. La situation en Syrie illustre la barbarie de la classe dominante lorsque la classe ouvrière est faible et incapable de résister à la brutalité de l’État. Le problème pour la classe ouvrière des pays centraux est qu’elle ne reconnaît plus sa propre force, n’a plus confiance dans sa capacité à riposter, elle n’a pas encore retrouvé de perspective indépendante capable d’offrir un avenir aux exploités et aux opprimés. Mais cette perspective, celle de la lutte de classe par-delà les frontières pour une nouvelle société, reste le seul véritable espoir pour l’humanité.
D’après World Revolution, organe de presse du CCI en GB, 4 octobre 2015
La population des pays de la périphérie du capitalisme est confrontée au drame des déportations, des déplacements, de la fuite des populations face à des conditions violentes et inhumaines, comme c’est le cas des réfugiés du Moyen-Orient qui fuient vers l’Europe à la recherche de meilleures conditions de vie, terrorisés par l’État islamique, l’État syrien et toutes les bandes armées en conflit. S’y ajoutent les grands déplacements des marées humaines venant d’Afrique et de l’Europe de l’Est. C’est aussi le drame qu’on est en train de vivre à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, où habitent depuis des années des milliers de réfugiés à cause du conflit à l’intérieur de la Colombie, entre l’État, la guérilla et les paramilitaires ; d’autres ont cherché au Venezuela de meilleures conditions de vie. Ils sont tous victimes d’un système capitaliste qui, depuis un siècle, est entré en décadence et sombre aujourd’hui dans la décomposition 1, en entraînant l’humanité dans la barbarie. Aujourd’hui, la population de la longue frontière colombo-vénézuélienne subit encore une fois les conséquences des conflits d’intérêts des classes dominantes des deux pays.
Le 21 août dernier, le président Nicolas Maduro a annoncé la fermeture de la frontière colombo-vénézuélienne 2, en décrétant l’état d’exception dans 10 municipalités de l’État de Tachira, étendu par la suite à 7 municipalités de l’État de Zulia et 3 de l’État d’Apure, toutes frontalières avec la Colombie 3. La raison donnée a été l’embuscade tendue contre trois militaires vénézuéliens et un civil qui réalisaient des opérations anti-contrebandes. Cette mesure a entraîné l’expulsion et la déportation de plus de 2000 Colombiens et la fuite d’autres milliers d’entre eux, provoquant une situation dramatique, parce que les militaires ont détruit dans la plupart des cas leurs habitations précaires, tout en leur interdisant d’emporter leurs affaires ; des familles ont été séparées et il y a eu des dénonciations pour les mauvais traitements et les extorsions par des militaires vénézuéliens. Le Procureur général de Colombie a menacé de saisir le Tribunal pénal international pour crime contre l’humanité contre le président Maduro. La ministre colombienne des Affaires étrangères, Ángela Holguín, a signalé que de telles mesures sont contradictoires avec les actions que le gouvernement vénézuélien a mises en place les années précédentes, lorsqu’il octroya des papiers d’identité à des milliers de Colombiens pour qu’ils puissent voter au Venezuela en faveur du régime chaviste, en leur promettant des maisons et des allocations sur le territoire vénézuélien, documents que ce régime considère maintenant comme illégaux.
Entre autres raisons que le gouvernement vénézuélien brandit pour justifier de telles mesures, il y a la contrebande d’essence et de produits alimentaires vers la Colombie ; et aussi l’approbation d’une résolution de la Banque de la République de Colombie qui favorise un lobby mafieux installé en Colombie qui fixe librement au marché noir les taux de change de la monnaie vénézuélienne (le bolivar) par rapport au dollar, poussant ainsi à la dévaluation de cette monnaie. Ces opérations de contrebande, unies à l’accaparement et à la revente d’aliments et d’autres produits à des prix spéculatifs 4, seraient à la base de ce que Maduro et son régime nomme la “guerre économique” qui est censée être la cause d’une grande partie de la pénurie et du désapprovisionnement dont souffre le pays. Par ailleurs, le gouvernement vénézuélien met en avant une augmentation d’agissements supposés des groupes paramilitaires colombiens pour planifier et exécuter des attentats et des assassinats sur des fonctionnaires vénézuéliens, sous la direction de l’ex-président colombien Álvaro Uribe en accord avec les États-Unis. C’est la quatrième fois en trois ans que Maduro a dénoncé des plans pour l’assassiner, et il affirme même que le dernier plan découvert a été planifié en toute connaissance de cause par le président colombien Juan M. Santos.
La réalité, c’est que les deux gouvernements connaissent parfaitement depuis des années les activités de contrebande, de racket (“cobro de vacuna”), de trafic de drogues, de prostitution et l’existence de bandes criminelles anciennes et nouvelles et de paramilitaires qui sévissent aussi bien en Colombie qu’au Venezuela. Les présidents Santos et Maduro agissent avec le cynisme et l’hypocrisie propres aux classes dominantes lorsqu’ils appellent à la “défense des Droits de l’homme” ou à la “protection de la vie des citoyens”, alors qu’ils essayent de tirer le plus grand profit politique de la situation, comme le font aussi les factions bourgeoises de l’opposition dans l’un comme l’autre des deux gouvernements. Ceux qui sont vraiment affectés par cette situation, ce sont les populations frontalières, des travailleurs pour la plupart d’entre eux, qui y habitent ou qui y sont de passage. Des milliers de personnes, autochtones ou immigrés, cherchent à survivre au milieu des différentes mafias de la contrebande, des cartels de la drogue, de la guérilla et des paramilitaires, coincées dans une dynamique infernale de décomposition sociale qui s’exprime dans l’affrontement entre bandes criminelles qui opèrent dans la région, commandées par des fonctionnaires et des militaires des deux pays.
Cette situation met en évidence le drame vécu dans différentes zones frontalières partout dans le monde, avec l’émigration illégale, les réfugiés, la plupart d’entre eux victimes de la crise économique mondiale et d’une de ses conséquences principales, le chômage ; poussés par le besoin de survie, supportant des rythmes brutaux d’exploitation, tentant de fuir les guerres et les conflits politiques, harcelés par les autorités, des familles entières risquant leur vie. Le conflit en Syrie illustre le plus crûment cette réalité, avec environ 7 millions de réfugiés à cause de la guerre civile dans ce pays depuis 2011, où des millions de personnes fuient terrorisées et formant des caravanes humaines qui essayent de traverser les frontières des pays voisins et d’ailleurs, subissant la répression policière et les mauvais traitements des trafiquants d’êtres humains, les maladies, la mort souvent pour essayer d’arriver dans les pays de l’Union européenne. De la même manière, plus de 400 000 réfugiés par le conflit en Libye sont venus grossir les chiffres de presque 60 millions de réfugiés dans le monde, selon l’ACNUR (Agence de l’ONU pour les réfugiés). La situation à la frontière colombo-vénézuélienne illustre, quant à elle, le degré d’autonomie des mafias dirigées par des civils, des paramilitaires, des guérilleros, des troupes des armées, et le chaos résultant de la lutte à mort entre elles ; elle illustre également le fait que les gouvernements de droite comme de gauche des pays pauvres ou développés ne sont nullement intéressés du sort de leurs populations. Ils sont seulement intéressés par la défense de leurs intérêts de classe. Il s’agit là d’une réalité qui montre la décomposition des rapports capitalistes de production, l’impossibilité pour ce système d’offrir la moindre perspective de bien-être à l’humanité.
Les stratégies développées par la bourgeoisie chaviste pour essayer d’enrayer l’épuisement de son projet politique ont mis le pays dans une situation de détérioration économique et sociale accélérée. La recherche incessante d’un bouc-émissaire, d’un agresseur extérieur, sert à détourner l’attention de la gravité de la crise économique et de la responsabilité des hauts bureaucrates de l’État dans la corruption sans limites qui y sévit. La marge de manœuvre du chavisme s’est réduite au fur et à mesure que déclinait sa capacité à alimenter son populisme politique et idéologique. Selon des chiffres officieux, le PIB pourrait se réduire cette année entre 7 et 10 % ; le déficit public se situerait autour du 20 % du PIB (très supérieur à celui de la Grèce en 2009 qui est monté à 15 %). La baisse de prix du pétrole a obligé à freiner le flux de devises d’environ 60 %. Plusieurs bureaux de conseil calculent que l’inflation atteindra entre 150 et 200 % à la fin de 2015. D’après les données de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, appartenant à l’ONU), la pauvreté a augmenté de 25 % à 32 % entre 2012 et 2013. La baisse de la capacité à faire face aux dépenses courantes et à l’endettement est évidente ; à elle seule, la dette du Venezuela envers la Chine dépasse les 56 milliards de dollars. Des institutions financières alertent sur le danger d’hyperinflation et même de défaut de paiement pour 2016 (selon la Bank of America).
La situation n’est pas moins grave sur le plan social. Le Venezuela se retrouve au rang des pays aux niveaux les plus élevés d’insécurité et de violence criminelle 5. Le crime organisé a atteint une telle envergure qu’il tient la population soumise. Les agissements des “Collectifs bolivariens” 6 armés et protégés par le régime chaviste et des méga-bandes criminelles dépassent souvent en puissance de feu et d’organisation les forces de répression de l’État. Un réseau de corruption généralisé et bandes criminelles implique les différentes polices et des fonctionnaires de l’État ; le gouvernement a favorisé l’action de ces “Collectifs” et des populations lumpenisées dans la répression des manifestations, créant ainsi un monstre à mille têtes qui exige maintenant sa part de pouvoir, en échappant au contrôle de l’État.
C’est la population qui subit les conséquences de l’exacerbation de la crise économico-sociale, une population qui doit faire de longues files d’attente pendant des heures pour acquérir quelques aliments, moment où elle exprime son indignation et sa rage contre les déclarations du gouvernement qu’elle considère non seulement comme mensongères, mais aussi comme une sinistre plaisanterie vis-à-vis de la précarisation de ses conditions de vie. L’usure politique de Nicolas Maduro et du parti officiel (PSUV), selon différentes enquêtes, accumulent plus de 80 % de rejet. Et dans ce contexte, ils sont contraints d’affronter simultanément plusieurs situations : l’accroissement des contestations sociales, avec des saccages de commerces dans certaines villes et la perspective d’une révolte sociale, la défaite électorale et politique lors des élections parlementaires de décembre prochain, les plaçant face à la possibilité de perdre la majorité à l’Assemblée nationale, ce qui troublerait de façon significative le futur de la faction chaviste au sein de la classe dominante. Face à une telle situation, cette faction utilise tous les artifices et les subterfuges juridiques pour barrer la route aux factions bourgeoises d’opposition, lesquelles accusent le chavisme d’avoir créé un choc avec la fermeture de la frontière pour ainsi suspendre ou retarder les élections parlementaires.
D’un autre côté, le chavisme se retrouve dans une situation où il est de plus en plus affaibli dans le domaine géopolitique parce qu’il a de moins en moins de moyens pour financer son clientélisme populiste basé sur les ressources pétrolières, en plus de la dégradation de son image en tant qu’État capable de garantir un minimum de stabilité gouvernementale et sociale, de ne pas apparaître comme un facteur d’affrontement et d’instabilité dans la région. Les déclarations de l’ONU, de l’Union européenne, de parlements nationaux (celui de l’Espagne récemment), d’anciens présidents et politiciens au niveau régional et mondial sur des sujets tels que les prisonniers politiques, l’exposent de plus en plus aux attaques de ses opposants, minant ses alliances passées et affaiblissant la stratégie impérialiste de la bourgeoisie vénézuélienne dans la région. Un exemple de ceci a été l’échec de ses revendications territoriales face au Guyana, un pays bien plus petit géographiquement et plus faible économiquement.
Dans un tel contexte, Maduro et son gouvernement essayent de renforcer la crédibilité de l’argument d’une “attaque extérieure contre l’économie vénézuélienne”, en tentant de convaincre la population (les secteurs qui ont soutenu le chavisme surtout) de ceci : ce ne sont pas les politiques économiques du gouvernement (contrôle du change, des prix, affrontement avec le capital privé) qui ont exacerbé la crise, mais “l’obsession de la droite internationale” d’en finir avec le projet du “socialisme du xxi siècle”. Il décide alors de mettre en place une campagne d’affrontement avec la Colombie, pour essayer de polariser la population, en utilisant le nationalisme et la “défense de la patrie”. La gravité de la crise socio-économique et la détermination de la bourgeoisie chaviste à se maintenir au pouvoir l’amènent à cette fuite en avant.
De son côté, le gouvernement colombien justifie ses revendications grâce aux violations des “droits de l’homme” vis-à-vis des réfugiés par les exactions du gouvernement vénézuélien. Mais le fait réel, c’est que tout cela le met dans une situation qui dessert les factions de la bourgeoisie colombienne qui soutiennent le président Santos pour les élections régionales et locales d’octobre 2015, parce que ce sont les forces qui soutiennent l’ancien président Álvaro Uribe qui tirent le plus grand profit politique du conflit frontalier faisant apparaître Santos comme un faible et un incapable pour affronter la “dictature vénézuélienne”.
Le conflit colombo-vénézuélien illustre de la plus claire des façons le fait que pour la bourgeoisie, quelles que soient ses tendances, de gauche ou de droite, d’un pays ou de l’autre, ce qui compte ce sont ses répugnants intérêts de classe, se moquant complètement des souffrances de la population. Nous, les travailleurs, devons rejeter cette exacerbation nationaliste et patriotarde promue par les bourgeoisies vénézuélienne et colombienne. Le prolétariat, dans des moments forts de son histoire, a su se dresser face au chaos nationaliste en défendant l’internationalisme prolétarien qui se fonde sur la nature internationale d’une classe qui a entre ses mains la possibilité de détruire le régime capitaliste et construire une nouvelle société communiste. L’établissement de l’État-Nation fut l’instrument principal de la bourgeoisie mondiale pour développer le capitalisme et instaurer l’exploitation des salariés : c’est la plate-forme sur laquelle la bourgeoisie structure la concurrence et règle ses conflits. Aussi, tel que les marxistes l’ont toujours défendu, le prolétariat n’a pas de patrie à défendre ; la lutte pour son émancipation se fait en dehors des intérêts de classe de la bourgeoisie. Par ailleurs, les relations capitalistes de production (celles que défendent Santos et Maduro) ne sont en rien humaines ; bien au contraire elles sont devenues antihumaines, niant aux êtres humains toute possibilité future de bien-être, condamnant les travailleurs et le reste des couches sociales à vivre dans une société dans laquelle ils ne possèdent pas le moindre contrôle de leur vie, soumis à l’exploitation, aux guerres, à une vie de misère.
La “défense des Droits de l’homme” n’est qu’une fumisterie utilisée par toutes les bourgeoisies, pour semer l’illusion selon laquelle l’État serait une entité capable de protéger l’intégrité et le bien-être des personnes. Nous, les travailleurs et leurs minorités révolutionnaires, devons développer une profonde réflexion et mener un débat politique qui permette de transformer l’indignation que nous ressentons et exprimons un jour après l’autre contre le chaos, la précarité et la barbarie auxquels le système nous soumet, en un renforcement de notre conscience de classe, en une plus grande compréhension de la nécessité de développer une lutte unie et internationale, qui permette d’intégrer les autres couches non-exploiteuses dans la tâche historique de démolir les relations capitalistes de production, seule possibilité pour construire une société véritablement humaine.
Internacionalismo, organe de presse du CCI au Venezuela, 20 septembre 2015
1 Voir nos thèses sur “La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme”, Revue Internationale no 62 (1990).
2 Qui s’étend sur plus de 2200 km.
3 Cet état d’exception a été décrété pour 60 jours renouvelables.
4 Ces produits sont revendus en Colombie de 10 à 100 fois plus chers. Selon les dires d’un journaliste pro-chaviste français en poste à Caracas dont les propos sont relayés sur le Web par une association tiers-mondiste (www.lecalj.com [541]), “un jerrican d’essence qui coûte un bolivar au Venezuela est revendu 15 000 bolivars et même 60 000 depuis la fermeture de la frontière et un litre de lait qui coûte 200 bolivars est revendu 14 000 bolivars en Colombie.”
5 Sur ce sujet, on peut lire notre article en espagnol “Incremento de la violencia delictiva en Venezuela – Expresión del drama de la descomposición del capitalismo”.
6 Milices composées de civils fortement armés, utilisées pour maintenir l’ordre du régime et assurer la répression.
On ne compte plus le nombre de fois où le mot “solidarité” est écrit depuis cet été dans les journaux, dit à la radio, prononcé le regard triste à la télévision... à propos du “drame des migrants”. La légitime indignation ressentie dans la population pour ces milliers de personnes perdues sur les côtes européennes, quand elles ne périssent pas avant de les atteindre, trouve là son écho médiatique qui relaie les gesticulations – pardon, les “efforts” – de la classe politique européenne pour les “accueillir dignement” et leur offrir un “avenir”. Au milieu de ce brouhaha, l’extrême-gauche fait entendre sa voix en relayant de son côté toutes les initiatives locales pour les soutenir et en saluer le caractère solidaire.
Le NPA comme les groupes anarchistes (CNT, FA, etc.), n’ont aussi que le mot “solidarité” à la bouche. Ils dénoncent l’hypocrisie et le cynisme de la classe dominante qui, il y a encore quelques mois, ne voulait pas voir un réfugié sur son sol et qui maintenant organise leur accueil au nom d’une “solidarité” inscrite dans les “valeurs de la démocratie et de la République”. On ne pouvait attendre moins de l’extrême-gauche qu’elle démasque la contradiction entre les intérêts de la classe dominante et son engagement à dépenser des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros pour loger, nourrir, équiper, former, éduquer les personnes accueillies sur son sol. On aurait été surpris qu’elle prenne pour argent comptant les discours émus de solidarité de Merkel ou de Hollande. Elle aurait bien été la seule !
Mais il ne faut pas se leurrer, cette dénonciation n’a de radicale que le nom. Elle cache en vérité un dessein tout autre que celui de l’éveil des consciences sur l’incapacité du capitalisme à offrir un avenir à ces réfugiés comme au reste de l’humanité.
Car que propose-t-elle ? Quelle solidarité oppose-t-elle à celle de l’ogre offrant un chocolat chaud aux enfants perdus dans la forêt pour mieux se les offrir en repas ?
C’est à ce moment précis qu’on tombe de notre chaise. Sur le site du NPA on peut ainsi découvrir la conception de la solidarité du mouvement trotskiste : “La solidarité, c’est-à-dire le combat pour l’ouverture des frontières et la liberté de circulation et d’installation est le seul antidote contre le poison raciste et xénophobe”. Bon sang, mais c’est bien sûr ! Il n’y a qu’à voir comment l’Union européenne, avec la disparition des postes frontières, la libre circulation et d’installation des ressortissants et des travailleurs, a mis fin aux nationalismes français, allemand ou anglais, comment désormais les Européens de l’espace Schengen nagent dans le bonheur et fraternisent dans une unité prospère et pacifique ! Ce n’est pas seulement nous qui tombons de notre chaise, c’est Trotski qui se retourne dans sa tombe !
La bourgeoisie n’a pas attendu le NPA pour ouvrir ses frontières, elle le fait déjà partout où elle y a un intérêt avec tous les contrôles nécessaires pour limiter les effets à ces intérêts et jamais cette ouverture des frontières n’a allégé en quoi que ce soit la défense des intérêts nationaux et la promotion du nationalisme. Bien au contraire, la bourgeoisie a toujours tourné le dos au protectionnisme pour mieux profiter des marchés du voisin et écraser sa concurrence. Seules quelques fractions extrémistes de la classe dominante croient encore que la fermeture des frontières constituerait une solution à la crise et renforcerait la puissance économique et impérialiste nationale.
Nous ne voulons pas croire que le NPA soit aussi limité que cela dans ses analyses. Il n’est pas concevable pour ce digne héritier de la LCR qui a donné à la bourgeoisie de si brillants éléments, économistes, politiques, stratèges... Non, si le NPA veut orienter la solidarité vers ces combats stériles et surtout idéologiquement dangereux pour la conscience de la classe ouvrière, c’est de façon totalement délibérée, pour nourrir l’espoir que le capitalisme peut, contre quelques aménagements qui peuvent paraître radicaux à première vue, être compatible avec la solidarité que beaucoup d’ouvriers ressentent au fond d’eux-mêmes comme une exigence. Ces ouvriers ne doivent surtout pas prendre conscience que combattre pour la solidarité implique combattre le capitalisme, s’attaquer aux racines même de ce système d’exploitation décadent. Le NPA indique volontairement une autre voie, ou plus précisément une impasse : celle de l’aménagement des règles et lois du capitalisme en prétendant que “bien géré”, il pourrait être plus humain. Dans le même article, le NPA conclut ainsi sur un appel au : “contrôle des travailleurs et de la population sur l’économie”. Cette vieille rengaine gauchiste est toujours là et toujours pour les mêmes raisons : laisser entendre de façon assez explicite que le capitalisme est en soi vertueux, à condition que ceux qui dirigent ne tirent pas la couverture à eux et pour cela, un “contrôle des travailleurs” (et de la population, jugent-ils utile de rajouter...) fera parfaitement l’affaire.
Du côté de bon nombre d’anarchistes, le discours est peu ou prou le même. Ainsi, la Fédération anarchiste, dans un article au titre évocateur (“Liberté de circulation et d’installation – Personne n’est illégal”), reprend-elle les mêmes axes d’intervention que le NPA en ajoutant des idées aussi affligeantes que “notre soutien doit aller vers les réfugié-e-s afin de les accueillir dans de bonnes conditions. C’est-à-dire sans les flics ! Il faut pouvoir les héberger, leur trouver de quoi s’installer et vivre dignement. Ne pas les parquer dans des cités miséreuses mais bien les accepter dans nos vies, dans nos quartiers, dans nos écoles. Et éviter qu’ils ne tombent entre les mains de patrons peu scrupuleux qui les exploiteraient”. C’est vrai qu’à l’issue de leur terrible périple, ne manquerait plus qu’ils atterrissent dans un monde où les ouvriers sont encadrés par des flics, sont parqués dans des cités miséreuses et se retrouvent exploités par des patrons peu scrupuleux. Et il est bien connu qu’un patron “scrupuleux” n’exploite pas ses employés...
De qui se moque-t-on ? Heureusement que nous n’avions pas eu le temps de remonter sur nos chaises, ça nous évite une chute de plus. À qui s’adresse la FA dans ce texte ? À chacun d’entre nous ? Mais qui a le pouvoir individuellement d’écarter les flics, ouvrir les maisons vides et des classes dans les écoles ? À l’État ? Dans ce cas, nous retrouvons exactement le même discours que le NPA : un capitalisme sans “patrons peu scrupuleux” et dirigeants mal intentionnés ne mènerait pas à ce désastre humain.
Bien plus grave que ces déclarations qui nagent dans le ridicule achevé, les sites et journaux de l’extrême-gauche en général laissent la plus grande place à la promotion d’initiatives locales, manifestations, recueils de dons, distributions de nourritures, etc., en reléguant, quand elle existe, l’analyse au second plan (et quelle analyse !). Ce qui peut paraître au premier regard comme une initiative louable pour donner plus d’écho aux bonnes volontés qui se développent poussées par l’indignation, est en fait une manœuvre répugnante. Elle maintient chaque élan de solidarité séparé des autres, elle stérilise l’inestimable instinct prolétarien de solidarité en le limitant à ces initiatives louables mais sans fin tant les besoins sont immenses et aboutit par laisser mourir ces bonnes volontés dans l’épuisement et le découragement. Quand les seuls mots d’ordre auxquels se raccrocher pour donner un sens plus large et plus politique à son action locale et immédiate sont “ouverture des frontières”, “libre circulation”, “des papiers pour tous” ou “dehors les flics”... comment trouver le lien entre toutes ces initiatives ? Comment les relier à un combat plus grand, plus large, plus historique, qui permette à la fois de comprendre d’où vient le problème qu’on essaie de combattre à son niveau et où se trouve sa véritable solution ?
Agissant en remparts idéologiques au profit de la bourgeoisie, l’extrême-gauche exploite à nouveau et sans scrupule la misère humaine et défend la légitimité du capitalisme. Ce ne sont pas seulement les flics qu’il faut éloigner des migrants, mais aussi tous ces prétendus défenseurs de la solidarité qui, au final, font le même boulot : défendre le système capitaliste !
GD, 23 octobre 2015
Vingt morts et deux disparus, maisons de retraite, parkings, tunnels, terrains de camping transformés en pièges mortels, des véhicules emportés jusqu’à la mer par la force des flots, 70 000 foyers privés d’électricité, des dégâts matériels estimés à 600 millions d’euros, tel est le bilan des inondations meurtrières qui ont frappé le sud-est de la France les 3 et 4 octobre, deux jours durant lesquels des pluies diluviennes équivalant à 10 % des précipitations annuelles sont tombées, entraînant notamment la crue du fleuve côtier de la Brague.
Les causes de cette catastrophe sont connues : d’un côté, le réchauffement climatique global occasionné par le mode de production capitaliste entraîne la multiplication et l’intensification d’événements météorologiques auparavant plus rares ou moins violents ; de l’autre, la spéculation immobilière et la cupidité de la bourgeoisie, des entrepreneurs du bâtiment aux élus locaux, débouchent sur le bétonnage d’espaces naturels ou agricoles (limitant ainsi l’absorption de l’eau par les sols et facilitant la circulation en surface de cette même eau) et la construction effrénée de bâtiments, y compris en zones inondables.
Ce genre de catastrophe, qui comme on peut le voir n’a de “naturelle” que le nom, ne constitue évidemment pas un cas isolé dans ce monde capitaliste gouverné par la recherche effrénée du profit, comme l’illustre la tragique actualité de ces derniers mois.
• En mai, dans le nord-ouest de la Colombie, un événement climatique similaire a provoqué un glissement de terrain, submergeant des villages de boue, de rochers et d’arbres déracinés, causant la mort d’au moins 61 personnes et faisant 37 blessés.
• En septembre, le typhon qui a frappé le Japon ainsi que les pluies record et les inondations consécutives ont fait au moins 2 morts et plusieurs disparus et nécessité l’évacuation de plus de 100 000 personnes. Le site de la centrale nucléaire de Fukushima a lui aussi été inondé, ce qui s’est traduit une nouvelle fois par la fuite de centaines de tonnes d’eau contaminée dans l’océan Pacifique.
• Début octobre, à une quinzaine de kilomètres de la capitale du Guatemala, un autre glissement de terrain a recouvert une centaine de maisons et fait 191 victimes et 150 disparus. Et ce alors même que “la Coordinadora nacional para la reducción de desastres (Conred) a fait parvenir un rapport aux autorités municipales pour prévenir d’un risque imminent en décembre 2014. “L’endroit du désastre était entouré de rouge”, affirme le Secrétaire exécutif de la Conred, Alejandro Maldonado, fils du président intérimaire du Guatemala. (…) Dans son rapport de 2014, la Conred relevait que le Rio Pinula provoquait une érosion sur les terres et les maisons de ses rives. Elle recommandait de reloger la communauté dans un endroit plus protégé.”
L’augmentation tant du nombre de ces catastrophes capitalistes pseudo-naturelles que du nombre de victimes ces dernières années ne fait plus aucun doute et peut dorénavant être statistiquement étudié.
“Entre 1994 et 2013, EM-DAT 1 a recensé 6873 catastrophes naturelles dans le monde, qui ont coûté 1,35 million de vies soit presque 68 000 vies en moyenne chaque année. En outre, 218 millions de personnes en moyenne ont été touchées par des catastrophes naturelles chaque année durant cette période de 20 ans.
La fréquence des catastrophes géophysiques (séismes, tsunamis, éruptions volcaniques et mouvements de masse rocheuse) est restée dans l’ensemble constante durant cette période, mais une hausse soutenue des événements liés au climat (principalement les inondations et les tempêtes) tire nettement à la hausse le nombre total d’événements. Depuis l’an 2000, EM-DAT a recensé une moyenne de 341 catastrophes liées au climat par année, une hausse de 44 % par rapport à la moyenne des années 1994-2000 et de bien plus du double du niveau de 1980-1989.
Du point de vue de l’analyse des catastrophes, la croissance de la population et les modèles de développement économique sont plus importants que le changement climatique ou les variations météorologiques cycliques pour ce qui est de l’explication de cette tendance à la hausse. Aujourd’hui, non seulement il y a plus de personnes en danger qu’il n’y en avait il y a 50 ans, mais les constructions dans des plaines inondables, des zones sismiques et d’autres régions à haut risque accroissent aussi la probabilité qu’un risque naturel habituel devienne une catastrophe majeure. (…)
Alors que les catastrophes sont devenues plus fréquentes durant les 20 dernières années, le nombre moyen de personnes touchées est tombé de 1 sur 23 pour la période 1994-2003 à 1 sur 39 pour la période 2004-2013. Ceci s’explique en partie par la croissance de population, mais le nombre de personnes touchées a également diminué en termes absolus.
Les taux de mortalité, en revanche, ont augmenté durant la même période, atteignant une moyenne de plus de 99 700 morts par an entre 2004 et 2013. Ceci reflète en partie les immenses pertes en vies humaines lors de trois grandes catastrophes (le tsunami asiatique de 2004, le cyclone Nargis de 2008 et le séisme haïtien de 2010). Cependant, la tendance reste à la hausse même en excluant ces trois événements des statistiques.
L’analyse des données d’EM-DAT montre également comment les niveaux de revenus impactent le nombre de morts lors de catastrophes. En moyenne, plus de trois fois plus de personnes meurent par catastrophe dans les pays à faible revenu (332 morts) que dans les nations à haut revenu (105 morts). (...) Pris ensemble, les pays à haut revenu enregistrent 56 % des catastrophes mais 32 % des pertes humaines, alors que les pays à faible revenu enregistrent 44 % des catastrophes mais 68 % des morts. Ceci démontre que les niveaux de développement économique, plus que l’exposition aux risques en soi, sont des déterminants majeurs de la mortalité” 2.
Cependant, même si le nombre de catastrophes augmente année après année sur toute la planète, toutes les classes sociales de la société ne sont pas logées à la même enseigne. Au niveau mondial, ce sont d’abord et avant tout les classes non-exploiteuses de la société, en particulier la paysannerie pauvre et le prolétariat, qui en sont les premières victimes ; des habitations englouties du Guatemala aux maisons de retraite submergées de la Côte d’Azur française, ce sont bien les membres des classes non-exploiteuses, et en particulier du prolétariat qu’on loge principalement dans les zones à risques, et c’est pourquoi ces classes sociales payent le plus lourd tribut à ces catastrophes capitalistes, tant en nombre de morts que de réfugiés.
Et c’est justement parce que ces catastrophes ne sont nullement naturelles mais bel et bien capitalistes que les appels à la responsabilité envers les représentants de la bourgeoisie, tant au niveau international au sujet du réchauffement climatique qu’au niveau local quant à l’hyper-urbanisation anarchique, ne peuvent aboutir qu’au dédouanement du seul et unique responsable de ces tragédies : le capitalisme.
“Le capitalisme n’est pas innocent non plus des catastrophes dites “naturelles”. Sans ignorer l’existence de forces de la nature qui échappent à l’action humaine, le marxisme montre que bien des cataclysmes ont été indirectement provoqués ou aggravés par des causes sociales. (...) Non seulement la civilisation bourgeoise peut provoquer directement ces catastrophes par sa soif de profit et par l’influence prédominante de l’affairisme sur la machine administrative (...), mais elle se révèle incapable d’organiser une protection efficace dans la mesure où la prévention n’est pas une activité rentable. (…) S’il est vrai que le potentiel industriel et économique du monde capitaliste s’accroît et ne s’infléchit pas, il est tout aussi vrai que plus grande est sa force, pires sont les conditions de vie des masses humaines face aux cataclysmes naturels et historiques” 3.
DM, 25 octobre 2015
1EM-DAT est la base internationale de données sur les situations d’urgence.
2Centre de recherches sur l’épidémiologie des désastres, Université catholique de Louvain, The human cost of natural disasters, 2015, A global perspective.
3Amadeo Bordiga, Espèce humaine et Croûte terrestre ; Petite Bibliothèque Payot,1978.
Dans la première partie [544] de cet article, nous nous étions attachés à souligner que, pour comprendre que le temps n’était qu’une illusion, Carlo Rovelli avait avant tout une vision dynamique de la science et de la nature. Dans cette seconde partie sera mise en évidence l’une des conséquences de cette approche : la nécessité du débat comme moteur du mouvement de la pensée.
Pour “se mettre d’accord”, pour que nos connaissances aient une “nature dynamique”, il est impératif que les hypothèses se confrontent, qu’un débat d’idées dans le seul but de faire progresser la vérité anime l’ensemble des sciences.
C’est pourquoi tout au long de son livre, Rovelli fustige tous les scientifiques qui sabotent ce débat, préférant défendre leurs intérêts particuliers, en ne partageant pas leurs travaux et hypothèses, en concevant la recherche comme un terrain de course vers la renommée individuelle, en étant animés par l’esprit de concurrence, avec toutes les bassesses, la mauvaise foi et autres procédés déloyaux que cela implique : “Le monde de la science, comme j’ai pu le découvrir ensuite avec tristesse, y compris à mes dépens, n’a rien à voir avec un conte de fée. Les cas de vol d’idées d’autrui sont permanents. Beaucoup de chercheurs sont extrêmement soucieux d’arriver à être les premiers à formuler des idées, quitte à les souffler aux autres avant que ceux-ci ne parviennent à les publier, ou à réécrire l’histoire de manière à s’attribuer les étapes les plus importantes. Cela génère un climat de méfiance et de suspicion qui rend la vie amère et entrave gravement les progrès de la recherche. J’en connais beaucoup qui refuseront de parler à qui que ce soit des idées sur lesquelles ils sont en train de travailler avant de les avoir publiées” (p. 44).
La démarche de Carlo Rovelli est toute différente. Lui qui, étudiant en Italie dans les années 1970, s’est d’abord révolté contre les injustices de cette société avant de prendre conscience, comme une très large partie de sa génération, que la révolution n’était pas encore à l’ordre du jour, a choisi de ne pas abdiquer, de ne pas renoncer à ses rêves, mais d’investir ses aspirations aux changements dans la science : “Pendant mes études universitaires à Bologne, ma confusion et mon conflit avec le monde adulte ont rejoint le parcours commun d’une grande partie de ma génération. (…) C’était une époque où l’on vivait de rêves. (…) Avec deux de ces amis, nous avons rédigé un livre qui raconte cette rébellion étudiante italienne de la fin des années soixante-dix. Mais rapidement les rêves de révolution ont été étouffés et l’ordre a repris le dessus. On ne change pas le monde si facilement. A mi-chemin de mes études universitaires, je me suis retrouvé encore plus perdu qu’avant, avec le sentiment amer que ces rêves partagés par la moitié de la planète étaient déjà en train de s’évanouir. (…) Rejoindre la course à l’ascension sociale, faire carrière, gagner de l’argent et grappiller des miettes de pouvoir, tout cela me semblait bien trop triste. (…) La recherche scientifique est alors venue à ma rencontre – j’ai vu en elle un espace de liberté illimité, ainsi qu’une aventure aussi ancienne qu’extraordinaire. (…) Aussi, au moment où mon rêve de bâtir un monde nouveau s’est heurté à la dure réalité, je suis tombé amoureux de la science. (…) La science a été pour moi un compromis qui me permettait de ne pas renoncer à mon désir de changement et d’aventure, de maintenir ma liberté de penser et d’être qui je suis, tout en minimisant les conflits que cela impliquerait avec le monde autour de moi. Au contraire, je faisais quelque chose que le monde appréciait” (pp. 2-6). Chez Carlo Rovelli, l’esprit subversif, le désir de changement et la science s’entremêlent ainsi constamment : “Tandis que j’écrivais avec mes amis mon livre sur la révolution étudiante (livre que la police n’a pas aimé et qui m’a valu un passage à tabac dans le commissariat de police de Vérone : “Dis-nous les noms de tes amis communistes !”), je m’immergeais de plus en plus dans l’étude de l’espace et du temps” (p. 30). (...) “Chaque pas en avant dans la compréhension scientifique du monde est aussi une subversion. La pensée scientifique a donc toujours quelque chose de subversif, de révolutionnaire” (p. 138).
Ce qui attire particulièrement Carlo Rovelli est la dimension internationale et cosmopolite de la “communauté” scientifique, se mettant parfois à rêver d’une association mondiale, désintéressée et s’enrichissant des différences : à l’Impérial Collège de Londres, “... j’ai rencontré pour la première fois le monde coloré et international des chercheurs de physique théorique : des jeunes en costume-cravate se mêlaient avec le plus grand naturel à des chercheurs aux pieds nus et aux longs cheveux sortant de bandeaux colorés ; toutes les langues et toutes les physionomies de monde se croisaient, et l’on y percevait une espèce de joie de la différence, dans le partage d’un même respect de l’intelligence” (p. 34).
Pourtant, les îlots paradisiaques ne peuvent exister dans ce capitalisme barbare. Si elle révèle une profonde aspiration pour un monde réellement humain, uni et solidaire, cette vision est idéaliste, comme le reconnaît Carlo Rovelli lui-même dans son livre.
Et donc, pour porter la connaissance de la vérité plus loin, il prône le débat ouvert et franc, la confrontation saine, désintéressée des hypothèses :
“Galilée et Newton, Faraday et Maxwell, Heisenberg, Dirac et Einstein, pour ne citer que les exemples les plus importants, se sont nourris de philosophie, et n’auraient jamais pu accomplir les sauts conceptuels immenses qu’ils ont accomplis s’ils n’avaient eu aussi une éducation philosophique.” Effectivement. Et Carlo Rovelli lui-même a une approche de la science fortement “nourrie de philosophie”. C’est pourquoi il n’a pas adopté une vision statique pour comprendre le monde tel qu’il est (comme s’il examinait une photo) mais, au contraire, il a adopté une vision en mouvement pour comprendre le monde tel qu’il devient. La première approche voit les choses exister indépendamment les unes des autres, pour elles-mêmes et pour toujours ; il s’agit là de l’une des sources du mysticisme. La seconde voit les choses en termes de relations contradictoires, donc dans leur dynamique et leur devenir, ce qui ouvre la voie à la dialectique.
Carlo Rovelli tente d’user de cette même méthode pour comprendre aussi la société humaine. En racontant au début du livre sa jeunesse, sa révolte face aux injustices de cette société, en s’affirmant “révolutionnaire”, il démontre qu’il ne croit pas en un capitalisme éternel. “Mon adolescence fut de plus en plus une période de révolte. Je ne me reconnaissais pas dans les valeurs exprimées autour de moi. (…) Le monde que je voyais autour de moi était très différent de celui qui m’aurait semblé juste et beau. (…) Nous voulions changer le monde, le rendre meilleur” (pp. 2 et 3). Nous ne partageons pas les propositions politiques concrètes que Carlo Rovelli avance ensuite dans son livre. D’ailleurs, sur ce plan et comme il l’avoue lui-même, Carlo Rovelli tente d’explorer quelques pistes pour évoluer vers un monde plus humain non pas en s’appuyant sur une rigoureuse démarche scientifique mais selon ses “rêves” et ses “fantasmes” (p. 146) )(2. Mais cela n’enlève rien à l’importance de ses recherches et de ses apports. User de la méthode scientifique pour comprendre l’homme et son organisation sociale est certainement ce qu’il y a de plus ardu ; toute réflexion sur la science, son histoire et sa méthode est donc pour cette raison aussi un bien extrêmement précieux. Voilà ce que nous dit à ce sujet Anton Pannekoek, astronome, astrophysicien et militant de la Gauche communiste de Hollande (1873-1960) : “La science naturelle est considérée avec justesse comme le champ dans lequel la pensée humaine, à travers une série continue de triomphes, a développé le plus puissamment ses formes de conception logique... Au contraire, à l’autre extrême, se trouve le vaste champ des actions et des rapports humains dans lequel l’utilisation d’outils ne joue pas un rôle immédiat, et qui agit dans une distance lointaine, en tant que phénomène profondément inconnu et invisible. Là, la pensée et l’action sont plus déterminées par la passion et les impulsions, par l’arbitraire et l’improvisation, par la tradition et la croyance ; là, aucune logique méthodologique ne mène à la certitude de la connaissance (...) Le contraste qui apparaît ici, entre d’un côté la perfection et de l’autre l’imperfection, signifie que l’homme contrôle les forces de la nature ou va de plus en plus y parvenir, mais qu’il ne contrôle pas encore les forces de volonté et de passion qui sont en lui. Là où il a arrêté d’avancer, peut-être même régressé, c’est au niveau du manque évident de contrôle sur sa propre “nature” (Tilney). Il est clair que c’est la raison pour laquelle la société est encore si loin derrière la science. Potentiellement, l’homme a la maîtrise sur la nature. Mais il ne possède pas encore la maîtrise sur sa propre nature” )(3. Et là n’est pas la seule raison de la difficulté à comprendre l’âme humaine et la société, s’ajoute la pression idéologique permanente pour justifier le statu quo, le monde tel qu’il est. Le capitalisme a besoin du progrès scientifique pour le développement de son économie et l’encourage donc dans une certaine mesure (dans une “certaine mesure” seulement car la recherche n’échappe pas à l’esprit borné de la concurrence et de l’intérêt particulier). Mais l’avancée de la pensée en ce qui concerne l’homme et sa vie sociale rentre immédiatement et frontalement en conflit avec les intérêts de ce système d’exploitation, particulièrement depuis que celui-ci est devenu décadent, obsolète et que l’intérêt de l’humanité exige sa disparition et son dépassement. Ainsi, la science de l’homme est sans cesse contenue par l’idéologie dominante qui tente de lui imposer ses propres repaires. C’est aussi pourquoi l’humanité a besoin de chercheurs et de scientifiques comme Carlo Rovelli, car ils lui fourbissent les armes de la critique, leurs travaux constituant une partie des flammes du feu de Prométhée. Cet ouvrage (comme le précédent) participe au développement d’une connaissance indispensable de l’histoire de la science et de la philosophie et permet donc non pas seulement de passer du bon “temps” mais aussi de nourrir la réflexion critique et révolutionnaire.
Ginette, juillet 2015
1 Souligné par nous.
2 Les “rêves”, comme la démarche artistique et nombre d’autres aspects de l’activité et de la pensée humaine, font partie intégrante des sources d’inspiration de ceux qui veulent changer le monde. Mais ils ne peuvent être à la fois le point de départ et le point d’arrivée de la conscience révolutionnaire ; ils doivent et peuvent s’intégrer et entrer en résonance avec la démarche scientifique. C’est alors que les rêves deviennent possibles.
3 Anton Pannekoek, Anthropogenesis, A study in Origin of Man, 1944. Traduit de l’anglais par nous et déjà cité dans notre article “Marxisme et Éthique”.
Notre camarade Bernadette nous a quittés le mercredi 7 octobre, à l’issue d’une longue et douloureuse maladie : un cancer pulmonaire. Bernadette était née le 25 novembre 1949 dans le Sud-Est de la France. Son père était ouvrier mécanicien d’usine dans la métallurgie et sa mère n’avait pas d’activité salariée car elle a dû s’occuper de ses 8 enfants. C’est dire si les conditions de vie de la famille étaient modestes. C’était une authentique famille ouvrière. La réalité de la condition ouvrière, Bernadette en avait fait directement l’expérience dès son plus jeune âge. Très jeune, également, elle était animée d’une ardente passion intellectuelle, d’un désir de comprendre le monde et la société actuelle. Elle était attirée par la littérature et avait une passion pour la lecture en général. Après sa scolarité au lycée, elle est entrée à l’université de Toulouse où elle a obtenu une maîtrise de linguistique et de lettres. Puis elle a été embauchée comme employée de bureau au ministère de l’Éducation nationale.
Elle était encore étudiante quand elle a rencontré par hasard un militant du CCI, au milieu des années 1970. Celui-ci, voyant les préoccupations qui animaient Bernadette, lui a fait lire le Manifeste communiste. Ce fut pour elle une sorte de “révélation” : pour la première fois, elle trouvait une réponse claire et cohérente aux questions qu’elle se posait : “c’est ça, c’est exactement ça”, voilà comment elle exprimait 40 ans après ce qu’elle avait ressenti à la lecture de ce texte. La lecture des textes du CCI, dont elle a voulu prendre connaissance par la suite, lui a fait une impression semblable. Immédiatement, elle a été convaincue que le CCI (à la différence d’autres groupes qui se proclamaient révolutionnaires et même communistes, comme les maoïstes et les trotskistes) qu’elle avait aussi rencontrés, était un véritable héritier de la tradition marxiste. Une fois engagée dans les rangs du CCI en 1976, Bernadette n’a jamais dévié de sa conviction que le militantisme révolutionnaire, la construction de l’organisation révolutionnaire et du CCI en particulier, était un facteur absolument essentiel de la libération de la classe ouvrière.
C’est comme militante du CCI que Bernadette était présente à notre Deuxième congrès international.
Bernadette a apporté sa contribution à la vie du CCI à plusieurs niveaux. Elle avait une perception aiguë de la situation internationale, des manœuvres de la bourgeoisie et des avancées et des reflux de la lutte de classe, ses capacités rédactionnelles, sa bonne maîtrise du français, l’ont amenée à travailler dans le Comité de rédaction de la section du CCI en France. Elle était aussi experte dans l’explication très simple de nos idées au niveau le plus basique, “dans la rue”, mais aussi auprès des personnes qu’elle était amenée à rencontrer comme par exemple les ambulanciers qui, chaque semaine, la conduisaient à l’hôpital pour ses séances de chimiothérapie et qui nous ont dit : “Bernadette n’a pas un caractère facile, mais elle est sacrément intéressante quand on discute avec elle.” De même, dans les manifestations, elle sidérait les autres camarades qui diffusaient avec elle par le nombre de publications qu’elle réussissait à vendre, car elle savait accrocher en trouvant les mots et le ton pour convaincre les manifestants qu’il valait la peine de lire notre presse. Mais sa plus grande qualité, indiscutablement, était sa compréhension des principes organisationnels du CCI, et en particulier de la défense de notre organisation face à toutes les attaques et les calomnies contre le CCI. Bernadette a toujours été pleinement convaincue que l’organisation révolutionnaire est un corps étranger au capitalisme. C’est aussi pour cela qu’elle était intransigeante quant au respect des Statuts du CCI et notamment sur les questions concernant les mesures de sécurité de l’organisation.
Bernadette était une des camarades de la “vieille génération” parmi les plus ouvertes à s’approprier l’expérience politique du camarade MC, notre lien vivant avec les fractions communistes du passé. Bien que parfaitement capable de poser ses questionnements et d’affirmer ses désaccords avec MC, elle tournait résolument le dos à l’idéologie petite-bourgeoise de la contestation des “vieux” qui était une des faiblesses particulière du mouvement estudiantin de Mai 68. C’est pour cela, entre autres choses, que notre camarade MC avait la plus grande estime politique pour Bernadette. Ce qu’elle a appris de MC, c’était une compréhension de l’importance centrale de la défense de l’organisation en tant que question politique à part entière, et de la nécessité de l’adhésion à des principes rigoureux (en fait à une morale prolétarienne) dans les rapports des militants à l’organisation et des militants entre eux.
Bernadette avait milité dans plusieurs sections du CCI : Toulouse, Paris, Londres, Tours, Marseille et elle a aussi travaillé en lien étroit avec la section du CCI en Suisse pendant plusieurs années. Elle s’est toujours considérée d’abord et avant tout comme militante non pas de telle ou telle section locale mais du CCI comme organisation internationale. Les camarades des sections du CCI en Suisse et en Grande-Bretagne ont pu témoigner de sa capacité à combattre le localisme, l’esprit “bougnat maître chez soi” en ouvrant en permanence une fenêtre sur le CCI en tant qu’organisation internationale.
Comme tous les êtres humains et tous les militants, Bernadette avait évidemment des défauts qui pouvaient parfois exaspérer certains camarades. Par exemple quand ses facultés de critique semblaient échapper au contrôle et fonctionner comme une mitrailleuse, faisant feu dans toutes les directions, montrant en cela son tempérament fougueux et passionné.
Ses défauts étaient aussi ses qualités. Son entêtement, sa détermination trempée dans l’acier (qui a conduit les médecins qui se sont occupés d’elle à la décrire comme une “force de la nature”) l’ont rendue extrêmement tenace dans son combat contre le cancer qui a fini par l’emporter. Pendant les deux dernières années de sa vie, Bernadette a étonné le corps médical en restant en vie plus longtemps qu’il ne l’avait cru possible, et avec toute sa conscience, sa capacité de réflexion et sa volonté de comprendre. Elle luttait aussi contre la maladie non seulement pour continuer son combat militant mais aussi pour profiter du plus beau cadeau que son fils lui ait offert : sa petite-fille. La naissance de sa petite-fille, l’attachement que celle-ci avait pour sa grand-mère et la joie de vivre qu’elle lui procurait, a énormément aidé Bernadette à supporter les affres de sa maladie...
Bernadette n’a jamais conçu son militantisme comme quelque chose de strictement politique au “sens commun” du terme. Elle manifestait dans d’autres domaines de sa vie la même passion et le même engagement que dans sa vie militante. Elle avait choisi le nom de “Flora” comme nom de militante dans le CCI, du fait de son amour pour les fleurs et la nature et également parce qu’elle appréciait beaucoup les livres de Flora Tristan. Bernadette avait une sensibilité d’artiste : elle aimait la peinture, la littérature, la poésie. Elle était également très douée dans l’art culinaire qu’elle aimait partager avec les camarades du CCI et ses amis personnels qu’elle accueillait toujours avec beaucoup de générosité et de chaleur. Bernadette avait le sens du beau qui se reflétait dans la façon dont elle avait aménagé avec beaucoup de goût l’espace où elle vivait et également dans les cadeaux qu’elle choisissait pour sa famille, ses amis et ses camarades.
Tout au long de cette terrible maladie qui l’a emportée, Bernadette a gardé sa passion de la lecture et cela lui a permis de supporter la douleur du cancer et les traitements très lourds qui lui étaient administrés. Elle a continué jusqu’à la fin de sa vie à relire les classiques du mouvement ouvrier, Marx et Rosa Luxemburg en particulier. Elle s’est efforcée, tant que cela lui était possible, d’assimiler les textes théoriques et les contributions que généraient les débats internes dans le CCI, en prenant position (même brièvement) à chaque fois que ses forces le lui permettaient.
Bernadette avait un sens très profond de la solidarité. Alors qu’elle même souffrait du cancer et qu’elle se savait condamnée, elle continuait à se préoccuper de la santé de tous les camarades, en donnant même à certains d’entre eux des conseils, en les exhortant à faire des examens et à ne pas négliger leur santé. Aussi, ce n’était qu’un juste retour des choses que les camarades de toutes les sections du CCI se soient mobilisés pour lui apporter leur solidarité tout au long de sa maladie, en lui écrivant, en lui rendant visite, en l’aidant et lui apportant tout le soutien dont elle avait besoin pour partir dans la plus grande sérénité.
Bernadette n’avait pas peur de sa propre mort, même si elle aimait passionnément la vie. Elle savait que chaque être humain est un maillon de la longue chaîne de l’humanité et que ceux qui restent vont continuer le combat. Elle avait donné des directives anticipées aux médecins qui se sont occupés d’elle : elle a voulu partir dans la dignité physique, intellectuelle et morale en refusant tout “acharnement thérapeutique.” Elle a souhaité finir ses jours paisiblement, entourée par ses camarades de combat, et par l’affection que lui ont témoigné son fils et de sa petite fille. Sa volonté a été respectée. Bernadette nous a quittés avec toute sa conscience. Trois semaines avant son décès, elle s’efforçait encore de lire les journaux et de suivre la situation internationale. C’est parce qu’elle vivait dans sa chair les souffrances du prolétariat qu’elle a pu dire au médecin chargé du protocole de sa fin de vie : “Il faut arrêter ma douleur et il faut mettre fin à la barbarie du capitalisme !”.
Jusqu’au bout, Bernadette aura fait preuve d’un courage, d’une combativité et d’une lucidité exemplaires. C’était réellement une “force de la nature”. Et cette force, elle l’avait puisée dans la profondeur de sa conviction militante, dans son dévouement à la cause du prolétariat et dans sa loyauté inébranlable envers le CCI. À son fils, à sa petite-fille, à sa nièce et à l’ensemble de sa famille, le CCI adresse toute sa sympathie et sa solidarité.
CCI, 15 octobre 2015
“Les changements climatiques représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète (…). Ils nécessitent donc la coopération la plus large possible de tous les pays ainsi que leur participation dans le cadre d’une riposte internationale efficace et appropriée, en vue d’accélérer la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre (…)” 1. L’accord “historique” trouvé “à la dernière minute” ne mâche pas ses mots : la planète est en danger, l’heure de la réaction internationale a sonné ! Et le Premier ministre anglais d’affirmer : “Cet accord sur le changement climatique est significatif. Nos petits-enfants sauront que nous avons fait notre devoir pour garantir l’avenir de notre planète”. Évidemment, la réalité est toute autre…
Il est vrai que par le passé, les “décideurs” ont parfois pu se mettre d’accord ponctuellement. L’accord de Montréal en 1987 avait, par exemple, acté l’arrêt de l’utilisation des gaz fluorés stables et surtout peu coûteux qui avaient provoqué un trou dans la couche d’ozone. Cette décision fut efficace puisque, aujourd’hui, la couche d’ozone s’est renforcée.
La bourgeoisie a intérêt à avoir sous la main des ouvriers suffisamment en bonne santé pour être capables de travailler et de se reproduire ; comme elle a intérêt à avoir une nature sous contrôle qui peut lui livrer ses “marchandises” (matières premières, etc.) et ne surtout pas représenter un “surcoût inutile” (de par la multiplication des tempêtes et autres catastrophes 2). Accessoirement, la bourgeoisie elle aussi subit, même si souvent dans une bien moindre mesure, l’impact de la pollution, du réchauffement climatique 3… Pour toutes ces raisons, la classe dominante aurait intérêt à lutter réellement contre sa tendance à détruire l’environnement. Elle y parvient parfois ponctuellement, comme pour les gaz détruisant l’ozone. Nous pourrions également citer les grands travaux d’assainissement de la Tamise à Londres qui furent entrepris au xix siècle, alors que l’économie capitaliste était florissante et en pleine ascension, pour faire face à une épidémie de choléra devenue incontrôlable.
Seulement, de tels exemples sont rares pour une raison simple : la nature même du capitalisme est d’exploiter la force de travail comme la nature. Pour ce système, tout est objet, la vie sous toutes ses formes est méprisée, voire niée. Seul le profit compte pour lui. Cette course aux profits qui piétine tout sur son passage, sous les pieds de laquelle l’herbe ne repousse pas, est d’autant plus folle que les participants sont tous animés du même esprit de concurrence. “Exploite ou crève”, telle est l’impitoyable loi du Capital. C’est pourquoi l’histoire de ces sommets et conférences internationales sur le climat est dominée par des vœux pieux et des échecs lamentables.
Ainsi, à Berlin, en 1995, les États fixaient déjà “pour chaque pays ou région des objectifs chiffrés en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de réductions correspondantes à atteindre”. Vingt ans après (vingt “COP” plus tard !) nous en sommes aux mêmes objectifs. A Copenhague en 2009, les États-Unis et la Chine avaient obtenu que leurs objectifs de réduction soient non contraignants.
Et cette fois alors ? Quel est le résultat concret de cet “accord historique” de Paris ? Eh bien, des jours et des nuits de “concertations” ont permis d’écrire un texte… “non contraignant”. Car au fond, chaque bourgeoisie nationale sait parfaitement que l’ensemble de l’infrastructure de son pays va inexorablement continuer à augmenter la production de gaz à effet de serre. La logique du capital est implacable. Juste un exemple. Au niveau des transports, l’augmentation des émissions de carbone ne peut que croître : “selon les professionnels, le trafic aérien de passagers devrait doubler, le fret aérien tripler et le trafic maritime de conteneurs quadrupler d’ici à 2030” 4. Cela, sans polluer ? Pendant la conférence même, la circulation automobile a été arrêtée à Pékin : “Le 1 décembre était un jour d’‘airpocalypse’ à Pékin. La nuit en pleine journée. Et des données plutôt alarmantes : un indice de la qualité de l’air (AQI) de 619 et un taux de particules fines de 680 microgrammes par mètre cube, soit près de 30 fois plus que le seuil maximal recommandé par l’OMS…” (le Monde du 2/12/2015). Le réchauffement climatique à cause de l’émission de CO² est aujourd’hui mis en exergue par la bourgeoisie mais la destruction de la planète est beaucoup plus globale : déforestation, pillage des océans, disparition massive d’espèces, poisons de toutes sortes dans l’eau et dans l’air, bétonnage, etc. Ainsi, alors que nous écrivons ces lignes, une gigantesque fuite sur une exploitation gazière au large de la Californie déverse entre 30 et 58 tonnes de méthane par heure, et ce depuis le 23 octobre !
Il faut être clair : au-delà d’éventuelles mesures et avancées technologiques qui permettront peut-être de faire face à telle ou telle partie du problème, l’état général de la planète ne va cesser de se dégrader. Pire, le capitalisme en décadence va détruire l’environnement de manière de plus en plus massive, en particulier par la guerre, jusqu’à mettre en péril toute forme de vie… s’il n’est pas renversé à temps.
La réalité n’est pas celle proférée dans les beaux discours de tous ceux qui se sont auto-congratulés d’avoir “garanti l’avenir de la planète” pour leurs “petits-enfants”. Non ! La réalité, c’est la situation toujours plus dramatique que vivent des parties croissantes de l’humanité. La pénurie des ressources planétaires pousse déjà à l’exode des millions d’hommes, femmes et enfants. Dans toute la Corne de l’Afrique et autour de l’Himalaya, l’eau potable est de plus en plus rare. Surtout, cette “crise écologique” va aussi entraîner une compétition militaire exacerbée. Comme le pétrole aujourd’hui, l’eau devient un enjeu géostratégique majeur, source de nouvelles tensions et de nouvelles guerres impérialistes. Ce qui détruira un peu plus la planète et accentuera encore le réchauffement climatique. L’engrenage infernal et destructeur du capitalisme apparaît-là crûment.
D’ailleurs, la bourgeoisie voit même dans cette catastrophe quelques “opportunités”. La fonte des glaces aux pôles, sur la toundra (au nord de la Russie) ne va-t-elle pas faciliter l’accès à de nouvelles ressources naturelles exploitables ? L’exploitation du gaz de schiste représente un autre exemple des contradictions insolubles dans lesquelles le capitalisme s’enfonce : d’un coté le gaz de schiste tend à diminuer l’émission de gaz à effet de serre, de l’autre, il pollue les sols comme jamais et engendre des déstabilisations géopolitiques à travers le monde susceptibles de déclencher de nouveaux conflits armés. Il est vrai que les principaux dirigeants des pays industrialisés se sont mis d’accord pour ne pas se disputer les ressources du sous-sol de l’Antarctique lors de l’accord de Madrid en 1991. Mais ces mêmes dirigeants se disputent déjà les ressources de l’Arctique. La perspective n’est pas à la “coopération internationale et désintéressée” pour “sauver la planète” mais bien à la lutte de tous contre tous pour accaparer les ressources. Avec l’aggravation inexorable de la crise économique mondiale, cette lutte se fera toujours plus acharnée et ravageuse.
Le capital détruit l’environnement, parce qu’il doit croître pour croître ; la seule réponse est donc de supprimer le principe même de l’accumulation capitaliste, de produire non pas pour le profit, mais pour satisfaire les besoins humains. Le capital ravage les ressources du monde parce qu’il est divisé en unités nationales concurrentes, parce qu’il est fondamentalement anarchique et produit sans penser au futur ; la seule solution consiste par conséquent dans l’abolition de l’Etat national, la mise en commun de toutes les ressources naturelles et humaines de la terre, et l’établissement de ce que Bordiga appelait “un plan de vie pour l’espèce humaine”. Bref, le problème ne peut être résolu que par une classe ouvrière consciente du besoin de révolutionner les bases mêmes de la vie sociale, détenant les instruments politiques pour assurer la transition vers la société communiste. “À chaque pas il nous est rappelé, qu’en aucune façon, nous ne régnons sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme quelqu’un étant en dehors de la nature, mais que nous, avec notre chair, notre sang et notre cerveau, appartenons à la nature, existons en son sein, et que toute notre supériorité consiste dans le fait que nous avons l’avantage sur toutes les autres créatures d’être capables d’apprendre ses lois et de les appliquer correctement” (Engels).
Organisé à l’échelle mondiale, amenant dans son sillage toutes les masses opprimées du monde, le prolétariat international peut et doit mettre en oeuvre la création d’un univers où une abondance matérielle sans précédent ne compromettra pas l’équilibre de l’environnement naturel, où l’une sera la condition de l’autre ; un monde où l’homme, enfin libéré de la domination du travail et de la pénurie, pourra commencer à jouir de la planète sans la détruire. C’est cela sûrement le monde que Marx a entrevu, à travers l’épais brouillard d’exploitation et de pollution dans lequel la civilisation capitaliste a plongé la terre, quand il prévoyait, dans les Manuscrits de 1844, une société qui exprimerait “l’unité de l’être de l’homme avec la nature – la véritable résurrection de la nature, la naturalisation de l’homme et l’humanisation de la nature enfin accomplies”.
Révolution communiste ou destruction de l’humanité et de la planète. Socialisme ou barbarie.
LD, 9 janvier 2016
1 Texte de la Convention-cadre sur les changements climatiques (Framework Convention on Climate Change).
2 “Des membres de l’Initiative du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) pour les institutions financières – partenariat unique en son genre entre le PNUE et 295 banques et compagnies d’assurance et d’investissement – affirment que les conséquences économiques des catastrophes naturelles induites par le changement climatique pourraient ruiner les marchés boursiers et les places financières du monde”.
3 Depuis le Moyen-Age, les quartiers chics de la région parisienne sont situés à l’Ouest alors que les quartiers “populaires” sont à l’Est, pour la simple raison que les vents dominants vont de l’Ouest vers l’Est et que les odeurs suivent.
4 Revue Nature Climate Change. Pour rappel : le trafic maritime représente 90 % du trafic mondial (8,2 milliards de tonnes en 2011) !
Avec près de 28 % des voix au premier tour des élections régionales, le Front national, principale formation d’extrême-droite en France, a réalisé un score historiquement élevé, l’autorisant à se présenter comme “le premier parti de France”. Si le Parti socialiste et le parti de droite, Les Républicains, ont pu écarter les candidats d’extrême-droite des présidences de deux grandes régions 1 convoitées par le Front national, ce dernier améliorait encore son score au soir du second tour, cumulant 6 820 477 suffrages. Ce résultat confirme la montée en puissance inexorable du parti d’extrême-droite depuis 2010, élections après élections.
Ces résultats, loin d’être une “exception culturelle” française, s’inscrivent dans une montée en puissance depuis plusieurs années du populisme à travers le monde. Aux États-Unis, le succès fulgurant du candidat du Parti républicain Donald Trump et du Tea Party en sont une expression caricaturale. Le favori des sondages multiplie les déclarations aussi démagogiques que provocatrices et stupides. En Europe, l’extrême-droite a déjà participé, au gré des alliances parlementaires, au gouvernement en Italie ou en Autriche. Le populisme de “gauche” progresse également avec les succès électoraux de Syriza en Grèce et son allié d’extrême-droite, Anel, et, plus récemment, de Podemos en Espagne. Il peut paraître étonnant de qualifier de “populistes” des partis qui semblent si différents au premier abord. Pourtant, le Front national de Marine Le Pen et Podemos de Pablo Iglesias Turrión sont tous l’expression de la phase de décomposition du capitalisme qui marque de son empreinte la vie politique bourgeoise.
L’incapacité actuelle des deux classes fondamentales et antagonistes, que sont la bourgeoisie et le prolétariat, à mettre en avant leur propre perspective (guerre mondiale ou révolution) a engendré une situation de “blocage momentané” et de pourrissement sur pied de la société. Si la décomposition touche l’ensemble des classes sociales, ses effets affectent en premier lieu la classe dominante et son appareil politique. Comme l’a toujours défendu le marxisme, l’État est l’organe exclusif de la bourgeoisie. Même sous ses formes les plus démocratiques, il est toujours l’expression de la dictature de la classe dominante sur le reste de la société. Avec la décadence du capitalisme, l’État a eu la mainmise sur l’ensemble de la vie sociale et cela s’est exprimé, dans les pays dotés d’un jeu électoral sophistiqué, par l’émergence du “bipartisme” (deux partis échangent régulièrement leur rôle dans l’exercice du pouvoir) où l’exécutif conserve un rôle prépondérant. Ce schéma a parfaitement fonctionné depuis la Seconde Guerre mondiale dans tous les pays démocratiques d’Europe, d’Amérique du Nord, etc.
Cependant, avec l’accélération sans répit de la crise et le poids de la décomposition, le bipartisme a souffert d’une usure considérable. Les partis de gouvernement, en particulier ceux de “gauche”, censément “protecteurs” et champions de la “répartition des richesses”, sont de plus en plus contraints d’assumer la gestion de la crise et les cures d’austérité contraires aux promesses faites plus tôt dans l’opposition.
Par ailleurs, la décomposition du système capitaliste a engendré dans les rangs des partis de gouvernement des comportements de plus en plus irresponsables du point de vue des besoins politiques de l’appareil étatique, une perte du “sens de l’État”. Des fractions toujours plus larges de la bourgeoise ne voient plus, dans l’immédiat, que leurs propres intérêts de clique et perdent de vue les intérêts généraux de la classe dominante. Cette situation se caractérise aussi par la difficulté croissante à contrôler le jeu politique des différentes composantes rivales de la bourgeoisie, notamment au moment des élections.
L’évolution du paysage politique français s’inscrit pleinement dans cette dynamique où la droite française a longtemps souffert de ses archaïsmes et se retrouve historiquement affaiblie et très divisée. Ces tares congénitales, renforcées par le développement du chacun pour soi, typique de la période de décomposition, ont ressurgi avec la défaite du président Nicolas Sarkozy en 2012 où François Fillon et Jean-François Copé se sont déchirés pour prendre le leadership de la droite. Sur les ruines de l’UMP, devenue “les Républicains”, Nicolas Sarkozy et l’ancien Premier ministre Alain Juppé ont à nouveau déterré la hache de guerre dans le cadre de la “campagne pour les primaires de la droite” en vue de désigner le prochain candidat à l’élection présidentielle. Leur affrontement déjà violent pourrait bien annihiler les chances de la droite pour revenir au pouvoir aux prochaines présidentielles de 2017, tant le pouvoir de nuisance du futur perdant semble important.
Au-delà des ambitions personnelles exacerbées et des rivalités de cliques, les clivages de la droite s’articulent aussi autour de la stratégie à adopter face au Front national. Ces dernières années, le clan Sarkozy a ouvertement “flirté” avec les positions de l’extrême-droite au moyen de discours plus musclés et de postures démagogiques, en contradiction flagrante avec les intérêts du capital national, afin d’endiguer la montée en puissance du Front national et de glaner au passage quelques voix supplémentaires 2. Mais le décalage entre les discours démagogiques du clan Sarkozy et la pratique du pouvoir n’a fait que renforcer l’extrême-droite et diviser un peu plus la droite gouvernementale. Cette situation contraint le Parti socialiste, déjà décrédibilisé en tant que parti de “gauche” par les années Mitterrand et Jospin, à s’user encore au pouvoir en le condamnant à assumer seul les attaques contre la classe ouvrière. Du point de vue de la bourgeoisie, cela pose problème pour l’encadrement idéologique, d’autant qu’aucune force politique conséquente, aucun Podemos français, n’a pu véritablement émerger à la gauche du Parti socialiste pour assurer ce rôle. Face à une droite embourbée dans ses divisions et une gauche appliquant un programme de rigueur encore plus brutal que celui de Nicolas Sarkozy, le Front national a eu tout loisir de prospérer en dénonçant le système “UMPS” 3.
La dynamique de la décomposition est également au cœur des formes idéologiques que prend le populisme. Historiquement, il est une expression d’un manque de perspective qui favorise les idéologies de la petite-bourgeoisie, classe intermédiaire sans cesse menacée par l’évolution du capitalisme. Cette classe sans principes, indépendamment des formes qu’ont pu revêtir ses expressions politiques (anarchisme, boulangisme, poujadisme, le Parti socialiste révolutionnaire en Russie…) a constamment et invariablement cherché à dissoudre les classes dans le grand fourre-tout du “peuple”. Avec la décomposition et l’absence de perspective, ces pires expressions idéologiques étriquées, prisonnières des peurs et de l’immédiat, se répandent toujours plus, poussant des millions de personnes à trouver refuge dans les bras du populisme de droite ou de gauche. L’idéologie bourgeoise décomposée pèse de tout son poids sur la société, notamment sur une partie de la classe ouvrière qui, victime de sa perte d’identité et des campagnes de propagande destinées à la déboussoler, n’arrive pas pour le moment à affirmer sa perspective révolutionnaire. Contrairement à ce que ressasse la presse bourgeoise, le Front national n’est pas “le nouveau parti des ouvriers”. L’idéologie du Front national est celle de la petite-bourgeoisie 4 qui se répand d’autant plus facilement que l’avenir semble aux yeux de beaucoup d’ouvriers totalement bouché, que le manque de confiance dans le futur, en eux-mêmes et dans les autres s’enracine.
Mais si la montée en puissance du populisme déstabilise le jeu politique de la bourgeoisie, cette dernière sait très bien retourner ce produit de la décomposition contre la classe ouvrière.
Le rôle institutionnel croissant des populistes dans la machine étatique ne représente nullement un danger pour la classe dominante dans son ensemble. Les fractions populistes véhiculent, certes, des programmes en complet décalage avec les besoins objectifs du capital national, tant au niveau de la gestion de l’économie que des conceptions impérialistes. L’extrême-droite rencontre, certes, des difficultés pour comprendre les enjeux centraux de l’encadrement idéologique de la classe ouvrière. C’est notamment pour ces raisons que la classe dominante ne souhaite pas laisser ses fractions populistes disposer du pouvoir, préférant muscler le discours des partis traditionnels de la droite ou créer de toute pièce des oppositions “de gauche” 5. Néanmoins, partout où l’extrême-droite a eu l’occasion de participer à la gestion de l’État, les éléments programmatiques les plus en contradiction avec les intérêts nationaux ont été soigneusement enterrés. En 1995, par exemple, le Mouvement social italien, parti alors ouvertement néo-fasciste de Gianfranco Fini, adopta un programme pro-européen de centre-droit afin de se maintenir dans le gouvernement de Silvio Berlusconi, tandis que la Ligue du Nord, tout en conservant son verbiage populiste, enterra rapidement son programme indépendantiste. La même logique s’imposa, en Autriche, à Jörg Haider, contraint d’assouplir ses positions et d’adopter un programme plus “responsable”, tout comme elle s’impose encore aujourd’hui à la coalition indépendantiste flamande (Vlaamsblok) en Belgique. Quant à la “gauche radicale”, Syriza et le gouvernement d’Alexis Tsipras, loués par les gauchistes de tout poil, ont déjà fait la démonstration pratique de leur appartenance à la classe dominante en ensevelissant les ouvriers en Grèce sous un déluge de mesures d’austérité et de discours ultra-nationalistes. Derrière ces partis de gauche “tout neufs” se dissimulent en fait bien souvent le visage sinistre du stalinisme et son nationalisme outrancier.
En réalité, la principale crainte de la bourgeoisie réside dans le fait qu’en donnant aux populistes des responsabilités institutionnelles, l’instrumentalisation idéologique de ces courants s’amenuise. En France, depuis les années 1980, la bourgeoisie instrumentalise en effet le vote d’extrême-droite afin de pousser les “citoyens” aux urnes au nom de la “défense de l’État démocratique” bourgeois et du “danger fasciste” 6. Ce véritable piège continue à servir le Parti socialiste et son image de “dernier rempart de la République”. Les tentatives d’intrusion institutionnelle du Front national et la “lepénisation” forcée de l’aile droite des Républicains pourrait lui faire perdre son aura de parti repoussoir, laissant ce terrain à des groupuscules radicaux et ultra-violents mais sans potentiel électoral.
Quant aux populistes de gauche, tout comme les partis gauchistes historiques (mais avec un corpus idéologique d’une rare pauvreté), leur rôle consiste avant tout à encadrer les expressions de mécontentement sur le terrain pourri du réformisme et de la défense de l’État. Ils sont les rabatteurs du “citoyennisme” et de la “vraie démocratie”. L’entrée au gouvernement de ces fractions représente donc à la fois un dernier recours et un problème d’encadrement idéologique dans la mesure où, comme l’illustre très bien Syriza, elles doivent se plier aux exigences du capitalisme d’État et ainsi perdre leur crédibilité en matière de radicalité.
Si bien des ouvriers ont conscience que l’avenir n’appartient pas aux partis traditionnels, le populisme est tout autant une impasse. La classe dominante retourne toujours les expressions de la décomposition contre le prolétariat. Il lui faut donc résister pour ne pas se laisser duper par les campagnes médiatiques et idéologiques. Il doit absolument prendre conscience qu’il représente la perspective du communisme, que lui seul est porteur d’avenir.
EG, 4 janvier 2016
1 Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Provence-Alpes-Côte d’Azur.
2 La “droitisation” d’une partie des Républicains n’est pas seulement tactique. Les provocations de la “droite décomplexée” et, dernièrement, les déclarations racistes de Nadine Morano expriment aussi la pénétration de visions de plus en plus irrationnelles au sein même des partis de gouvernement.
3 Contraction de UMP (ancien acronyme du parti de droite) et PS (Parti socialiste) utilisée par l’extrême-droite pour renvoyer dos-à-dos les deux grands partis de gouvernement accusés d’appliquer le même programme et de faire preuve de “laxisme” en matière migratoire.
4 La petite-bourgeoisie constitue historiquement le gros de l’électorat frontiste.
5 C’est ainsi qu’émerge au sein du Parti socialiste, les “frondeurs”, ce groupe de parlementaires prétendument plus soucieux du sort des ouvriers.
6 Pour une analyse plus approfondie sur la réalité du “danger fasciste” et son instrumentalisation, nous invitons les lecteurs à lire notre brochure, Fascisme et démocratie.
“Le marxisme ne peut se concilier avec le nationalisme, celui-ci serait-il le “plus juste”, “le plus pur” et d’une “facture plus raffinée et civilisée”” (Lénine, Remarques sur la question nationale).
Les vagues d’attentats qui ont frappé la région parisienne en 2015 ont été l’occasion pour la bourgeoisie française et mondiale d’encourager les peurs pour mieux légitimer les guerres impérialistes et présenter l’État et la nation comme les garants de la sécurité de tous, voire comme le nec plus ultra de la solidarité. Après les attentats du 13 novembre, un appel répugnant a ainsi été lancé à l’échelle internationale pour accrocher aux fenêtres le drapeau tricolore et entonner la Marseillaise, ces deux “symboles” entachés du sang des victimes de l’impérialisme français.
Le nouveau coup de clairon patriotique donné par François Hollande le soir du 31 décembre a donc une résonance toute particulière :
“Mes chers compatriotes, (...) nous venons de vivre une année terrible. (…) Mais, malgré le drame, la France n’a pas cédé. (...) Face à la haine, elle a montré la force de ses valeurs. Celles de la République. Françaises, Français, je suis fier de vous. (…) En cet instant, je salue la bravoure de nos soldats, de nos policiers, de nos gendarmes. (…) Mais je vous dois la vérité, nous n’en avons pas terminé avec le terrorisme. (...) Aussi, mon premier devoir, c’est de vous protéger. Vous protéger, c’est agir à la racine du mal : en Syrie, en Irak. C’est pourquoi, nous avons intensifié nos frappes contre Daesh. (...) Vous protéger, c’est agir ici sur notre sol. Au soir des attentats, j’ai (...) instauré l’état d’urgence. (…) J’ai d’abord décidé de renforcer les effectifs et les moyens de la police, de la justice, du renseignement et des armées. (…) Françaises, Français, les événements que nous avons vécus nous l’ont confirmé : nous sommes habités par un sentiment que nous partageons tous. Ce sentiment, c’est l’amour de la patrie. La patrie, c’est le fil invisible qui nous relie tous, (…) C’est ainsi que la France sortira plus grande avec cette belle idée de nous faire réussir tous ensemble. (...)”. Joignant le geste à la parole en ce début 2016 et ne reculant devant aucune récupération honteuse, le gouvernement socialiste a organisé à l’occasion de “l’anniversaire” des attentats contre Charlie hebdo un véritable hommage national 1.
Quelle est la portée d’une telle propagande nationaliste sur la classe ouvrière ? Apparemment, cet impact a été limité. En France, il n’y a eu, par exemple, que très peu de drapeaux réellement étendus aux fenêtres. Et les cris va-t-en-guerre de la bourgeoisie, même au nom de “l’anti-terrorisme”, n’engendrent ni enthousiasme ni réelle adhésion en faveur des bombardements au Moyen-Orient. Mais l’idéologie nationaliste et patriotique est bien plus pernicieuse, son poison bien plus subtil.
Le Président “socialiste”, comme d’ailleurs son Premier ministre Manuel Valls, dévoilent ainsi dans leurs discours le caractère éminemment belliciste et la nature fondamentalement guerrière du patriotisme. Il y a ainsi un lien direct entre la capacité du PS de faire croire, d’une part, à un patriotisme “ouvert”, “respectueux des autres nations et cultures”, à un patriotisme basé sur “la solidarité nationale et la confiance mutuelle” ou tout autre baratin de la même veine et, d’autre part, l’intensification sous ce gouvernement “socialiste” des menées guerrières et des interventions militaires de la France : en Afrique ou au Moyen-Orient. Les partis sociaux-démocrates en général ont été depuis 1914 les meilleurs et les plus efficaces propagandistes de la guerre en direction des classes exploitées. Le nationalisme ou le patriotisme “soft”, cela n’existe pas et n’exprime avant tout que la logique va-t-en guerre et militariste de la défense du capital national. L’“union nationale”, l’“union sacrée” que les politiciens prônent par-delà la division en classes sociales, le ralliement de tous derrière le drapeau et l’hymne national mène inévitablement et imparablement à la guerre et aux massacres impérialistes. Le nationalisme, le patriotisme et leurs dérivés, la xénophobie et le chauvinisme, constituent les maillons d’une même chaîne, d’un engrenage qui révèle la nature viscéralement concurrentielle, militariste, barbare et meurtrière du capitalisme et de ses divisions nationales. C’est bien le patriotisme qui est le terreau permettant de cultiver et de nourrir ensuite la haine “de l’étranger”, de “l’ennemi à abattre”, qui pousse vers l’exaltation exacerbée du “sentiment national”. Tous les rituels et les parades militaires, toutes les cérémonies de commémorations nationales de la bourgeoisie se drapent et se vautrent dans un tel patriotisme que les poilus de 1914 dénonçaient comme étant du “bourrage de crâne”. Le patriotisme constitue d’ailleurs une justification classique et particulièrement hypocrite de la guerre entre les bourgeoisies nationales, présentée comme “purement défensive” ou “en défense d’une noble cause” pour embrigader idéologiquement et enrôler physiquement au bout du compte les populations en général et les prolétaires en particulier comme chair à canon. Ce patriotisme fait toujours porter le chapeau à une autre nation, à une autre entité désignée comme “l’agresseur” ou constituant une “menace pour la démocratie, la liberté, etc.” On l’a vu lors des deux boucheries mondiales du xx siècle mais aussi lors des prétendues luttes de “libération nationale”, et on le voit encore aujourd’hui dans la prolifération des conflits, des bombardements, des attentats et des affrontements qui ensanglantent la planète. Le patriotisme ne peut agir que comme un conditionnement idéologique pour pourrir les consciences, asservir les cerveaux à la défense du capital national et comme un poison mortel pour le prolétariat.
Le capitalisme divise l’humanité en nations concurrentes. Et l’ensemble de la vie sociale subit le joug de ce morcellement mortifère. Le patriotisme et le nationalisme agissent comme des œillères, ils restreignent la vue et la pensée ; ils poussent aussi à la confrontation guerrière ; ils engendrent la peur, voire la haine de l’étranger ; surtout ils attachent les exploités à leurs exploiteurs en leur faisant croire qu’ils représentent une seule et même communauté d’intérêts ; ils annihilent la nécessaire solidarité internationale des travailleurs les mettant en concurrence les uns contre les autres. L’idéologie nationaliste sert les intérêts de la classe dominante, la bourgeoisie. Car c’est bien son monde à elle qui est fracturé en nations concurrentes, c’est bien au sein des frontières nationales que se développe la domination de la classe capitaliste sur le prolétariat. “Les prolétaires n’ont pas de patrie !” Leur force a pour source la solidarité internationale, comme l’exprime ce cri de ralliement qui s’étale sur tous les textes du mouvement ouvrier depuis 1848 : “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”. C’est en cela que le combat prolétarien représente un espoir pour toute l’humanité. Comme l’a magistralement exprimé Rosa Luxemburg dans son livre sur La question nationale et l’autonomie (1908-1909), le nationalisme porté par la bourgeoisie et l’internationalisme porté par le prolétariat se livrent en permanence un combat qui porte sur tous les aspects de la vie de la société humaine :
“Dans chaque nation, il y a des classes aux intérêts et aux “droits” antagonistes. Il n’y a littéralement aucun domaine social, des conditions matérielles les plus frustes aux plus subtiles des conditions morales, où les classes possédantes et le prolétariat conscient adoptent la même attitude, où ils se présentent comme un “peuple” indifférencié. Dans le domaine des rapports économiques, les classes bourgeoises défendent pied à pied les intérêts de l’exploitation, le prolétariat ceux du travail. Dans le domaine des rapports juridiques, la propriété est la pierre angulaire de la société bourgeoise ; l’intérêt du prolétariat, en revanche, exige que ceux qui n’ont rien soient émancipés de la domination de la propriété. Dans le domaine de la juridiction, la société bourgeoise représente la “justice” de classe, la justice des repus et des dominants ; le prolétariat défend l’humanité et le principe qui consiste à tenir compte des influences sociales sur l’individu. Dans les relations internationales, la bourgeoisie représente une politique de guerre et d’annexions, dans la phase actuelle du système, la politique douanière et la guerre commerciale ; le prolétariat, en revanche, représente une politique de paix générale et de libre-échange. Dans le domaine de la sociologie et de la philosophie, les écoles bourgeoises et celle qui défend le point de vue du prolétariat sont en nette contradiction. Idéalisme, métaphysique, mysticisme, éclectisme sont représentatifs des classes possédantes et de leur vision du monde ; le prolétariat moderne a sa propre école, celle du matérialisme dialectique. Même dans le domaine des relations humaines prétendument universelles, de l’éthique, des opinions sur l’art, l’éducation : les intérêts, la vision du monde et les idéaux de la bourgeoisie d’une part, ceux du prolétariat conscient de l’autre constituent deux camps séparés l’un de l’autre par un abîme profond. (...) Le fondement historique des mouvements nationaux modernes de la bourgeoisie n’est rien d’autre que l’aspiration au pouvoir de classe, ces aspirations trouvant leur expression dans une forme sociale spécifique : l’État capitaliste moderne, qui est “national” en ce qu’il permet à la bourgeoisie d’une nationalité donnée d’exercer sa domination sur toute la population mélangée de l’État. (…) Du point de vue des intérêts du prolétariat, les choses sont bien différentes. (…) La mission historique de la bourgeoisie est la création d’un État ‘national’ moderne ; mais la tâche historique du prolétariat est d’abolir cet État, en ce qu’il est une forme politique du capitalisme dans laquelle lui-même émerge en tant que classe consciente afin d’établir le système socialiste.”
Il est aujourd’hui crucial de poursuivre cette réflexion théorique et profonde sur la question du nationalisme comme du patriotisme et ainsi de s’armer dans la lutte contre cette idéologie réactionnaire et suicidaire. Car la société est en train de peu à peu se décomposer ; l’individualisme, la peur de l’autre, le repli et la haine gagnent du terrain, y compris dans les rangs de la classe ouvrière. L’idéologie nationaliste est comme un poisson dans l’eau croupie de la décomposition du capitalisme.
C’est donc dans cet esprit de combat contre l’idéologie bourgeoise en général et, ici, contre son nationalisme en particulier que nous publions dans ce numéro de très larges extraits d’un livre fondamental du mouvement ouvrier sur la question nationale, celui d’Anton Pannekoek, Lutte de classe et nation (1912). De cette œuvre souffle le vent vivifiant de la conscience et de l’internationalisme prolétariens.
Javan, 10 janvier 2016
1 Le chœur de l’armée française est même allé jusqu’à entonner la Marseillaise. Rappelons qu’à son enterrement la famille de Charb avait refusé que soit joué l’hymne national et insisté pour que l’Internationale résonne, comme il l’avait toujours souhaité.
Nous publions ci-dessous la lettre de soutien de Internationalist Voice que nous avons reçu en hommage à la mémoire de notre camarade Bernadette disparue récemment. Nous tenons à souligner que nous sommes particulièrement sensibles à la solidarité qui nous est apportée, à ce témoignage qui exprime un des principes les plus nobles du combat de classe et a fortiori de celui qui doit animer les révolutionnaires. Nous partageons également la peine qui inévitablement affecte la classe ouvrière et ses combattants quand elle perd un des siens. Il s’agit bien, avec la disparition de notre camarade, d’une perte qui dépasse celle qui a été occasionnée pour le CCI. Nous ne pouvons donc que saluer et soutenir à notre tour les camarades qui poursuivent le même combat que le nôtre, celui que Bernadette avait mis au centre de sa vie, celui du communisme. Oui, nous devons le poursuivre avec la même passion et le même esprit de combat solidaire. C’est en effet, comme le soulignent les camarades, le “meilleur hommage qu’on puisse rendre à sa mémoire”.
CCI
À la mémoire de la camarade Bernadette !
C’est une grande tristesse que le cœur d’une internationaliste, celui de la camarade Bernadette, se soit arrêté et que le Courant communiste international ait perdu un de ses membres. Le silence d’un internationaliste qui a lutté contre la barbarie du capitalisme est non seulement une perte pour le CCI, mais aussi pour la classe ouvrière, la Gauche Communiste et tous les internationalistes.
Camarade Bernadette : sans aucun doute tu serais d’accord avec nous pour dire que la persistance des principes prolétariens auxquels tu as cru et de la lutte contre la barbarie de la société capitaliste que tu as combattue est le meilleur hommage à ta mémoire.
Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les camarades, la famille et tous les amis de Bernadette et notre détermination à poursuivre le travail révolutionnaire dans lequel elle croyait si passionnément.
Internationalist Voice, 28 novembre 2015
www.internationalist.tk [548]
Alors que la bourgeoisie cherche à réactiver le sentiment national, nous publions ci-dessous des extraits d’une œuvre classique de la gauche germano-hollandaise, une des plus claires avec “La question nationale et l’autonomie” de Rosa Luxemburg, sur cette question vitale pour le prolétariat.
Les nations modernes sont intégralement le produit de la société bourgeoise ; elles sont apparues avec la production des marchandises, c’est-à-dire avec le capitalisme et leurs agents sont les classes bourgeoises. La production bourgeoise et la circulation des marchandises ont besoin de vastes unités économiques, de grands domaines dont elles unissent les habitants en une communauté à administration étatique unifiée. Le capitalisme développé renforce sans cesse la puissance étatique centrale ; il accroît la cohésion de l’État et le démarque nettement par rapport aux autres États. L’État est l’organisation de combat de la bourgeoisie. Dans la mesure où l’économie de la bourgeoisie repose sur la concurrence, sur la lutte avec ses semblables, les associations dans lesquelles elle s’organise doivent nécessairement lutter entre elles : plus le pouvoir d’État est puissant, plus grands sont les avantages auxquels aspire sa bourgeoisie. (…) L’étendue de l’État national et son développement capitaliste font qu’une extrême diversité de classes et de populations y coexistent. (…) La concurrence est le fondement de l’existence des classes bourgeoises. (…) La nation en tant que communauté solidaire constitue pour ceux qui en font partie une clientèle, un marché, un domaine d’exploitation où ils disposent d’un avantage par rapport aux concurrents d’autres nations. (...) La nation se présente à nous comme une puissante réalité dont nous devons tenir compte dans notre lutte. (...) La nation est une entité économique, une communauté de travail, y compris entre ouvriers et capitalistes. Car le capital et le travail sont tous deux nécessaires et doivent se conjuguer pour que la production capitaliste puisse exister. C’est une communauté de travail de nature particulière ; dans cette communauté, le capital et le travail apparaissent comme des pôles antagonistes ; ils constituent une communauté de travail de la même manière que les animaux prédateurs et leurs proies constituent une communauté de vie. (...) Plus les ouvriers prennent conscience de leur situation et de l’exploitation, plus fréquemment ils luttent contre les patrons pour l’amélioration des conditions de travail, plus les relations entre les deux classes se transforment en inimitié et en lutte. Il y a tout aussi peu de communauté entre eux qu’il peut s’en créer entre deux peuples qu’oppose constamment un conflit de frontière. Et plus les ouvriers se rendent compte du développement social et plus le socialisme leur apparaît comme le but nécessaire de leur lutte, plus ils ressentent la domination de la classe des capitalistes comme une domination étrangère, et par ce mot, on se rend compte à quel point la communauté de caractère s’estompe. (...) Peut-on imaginer plus antagonistes que les orientations de la volonté de la bourgeoise et du prolétariat ? (...) Toutes les autres classes s’enthousiasment ensemble pour ce qui fait la grandeur et la puissance extérieure de leur État national – le prolétariat combat toutes les mesures qui y conduisent. Les classes bourgeoises parlent de la guerre contre d’autres États pour accroître leur propre pouvoir – le prolétariat pense à la manière d’empêcher la guerre ou de trouver dans la défaite de son propre gouvernement l’occasion de sa propre libération. (...) Le prolétariat n’a rien à voir avec ce besoin de concurrence des classes bourgeoises, avec leur volonté de constituer une nation. (...) Sous la domination du capitalisme, la nation ne peut jamais être pour eux [les prolétaires] synonyme de monopole de travail. Et ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’on entend parler, chez des ouvriers rétrogrades (...) d’un désir de restreindre l’immigration. (...) Dans la lutte pour de meilleures conditions de vie, pour le développement intellectuel, pour la culture, pour une existence plus digne, les autres classes de leur nation sont les ennemis jurés des ouvriers alors que leurs camarades de classe allophones sont leurs amis et leurs soutiens. La lutte de classe crée dans le prolétariat une communauté internationale d’intérêts. Il ne peut donc être question pour le prolétariat d’une volonté de se constituer en nation par rapport aux autres nations qui serait fondée sur les intérêts économiques, sur sa situation matérielle. (...) Entre les travailleurs et la bourgeoisie une communauté de culture ne peut exister que superficiellement, en apparence et de façon sporadique. Les travailleurs peuvent bien lire en partie les mêmes livres que la bourgeoisie, les mêmes classiques et les mêmes ouvrages d’histoire naturelle, il n’en résulte aucune communauté de culture. Les fondements de leur pensée et de leur vision du monde étant totalement divergents, les travailleurs lisent dans ces œuvres tout autre chose que la bourgeoisie. Comme on l’a démontré plus haut, la culture nationale n’est pas suspendue dans l’air ; elle est l’expression de l’histoire matérielle de la vie des classes dont l’essor a créé la nation. Ce que nous trouvons exprimé dans Schiller et dans Goethe ne sont pas des abstractions de l’imagination esthétique, mais les sentiments et les idéaux de la bourgeoisie dans sa jeunesse, son aspiration à la liberté et aux droits de l’homme, sa manière propre d’appréhender le monde et ses problèmes. L’ouvrier conscient d’aujourd’hui a d’autres sentiments, d’autres idéaux et une autre vision du monde. Lorsqu’il est question dans sa lecture de l’individualisme de Guillaume Tell ou des droits des hommes, éternels et imprescriptibles, éthérés, la mentalité qui s’y exprime n’est pas la sienne, qui doit sa maturité à une compréhension plus profonde de la société et qui sait que les droits de l’homme ne peuvent être acquis que par la lutte d’une organisation de masse. Il n’est pas insensible à la beauté de la littérature ancienne ; c’est précisément son jugement historique qui lui permet de comprendre les idéaux des générations précédentes à partir de leur système économique. Il est à même de ressentir la force de ceux-ci et ainsi d’apprécier la beauté des œuvres dans lesquelles ils ont trouvé leur plus parfaite expression. Car le beau est ce qui embrasse et représente le plus parfaitement l’universalité, l’essence et la substance la plus profonde d’une réalité. À cela vient s’ajouter que, en beaucoup de points, les sentiments de l’époque révolutionnaire bourgeoise suscitent en lui un puissant écho ; mais ce qui trouve en lui un écho n’en trouve justement pas auprès de la bourgeoisie moderne. Cela vaut encore davantage en ce qui concerne la littérature radicale et prolétarienne. De ce qui enthousiasme le prolétaire dans les œuvres de Heine et de Freiligrath la bourgeoisie ne veut rien savoir. La lecture par les deux classes de la littérature dont elles disposent en commun est totalement différente ; leurs idéaux sociaux et politiques sont diamétralement opposés, leurs visions du monde n’ont rien en commun. Cela est vrai dans une beaucoup plus large mesure encore en ce qui concerne l’histoire. Ce que dans l’histoire la bourgeoisie considère comme les souvenirs les plus sublimes de la nation ne suscite dans le prolétariat conscient que haine, aversion ou indifférence. Rien n’indique ici la possession d’une culture commune. Seules les sciences physiques et naturelles sont admirées et honorées par les deux classes. Leur contenu est identique pour toutes deux. Mais combien différente de l’attitude des classes bourgeoises est celle du travailleur qui a reconnu en elles le fondement de sa domination absolue de la nature comme de son sort dans la société socialiste à venir. Pour le travailleur, cette vision de la nature, cette conception de l’histoire, ce sentiment de la littérature ne sont pas des éléments d’une culture nationale à laquelle il participe, mais sont des éléments de sa culture socialiste. Le contenu intellectuel le plus essentiel, les pensées déterminantes, la véritable culture des sociaux-démocrates allemands ne plongent pas leurs racines dans Schiller et dans Goethe, mais dans Marx et dans Engels. Et cette culture, issue d’une compréhension socialiste lucide de l’histoire et de l’avenir de la société, de l’idéal socialiste d’une humanité libre et sans classe, ainsi que de l’éthique communautaire prolétarienne, et qui par-là s’oppose dans tous ses traits caractéristiques à la culture bourgeoise, est internationale. Quand bien même elle diffère d’un peuple à l’autre par des nuances - tout comme la manière de voir des prolétaires varie selon leurs conditions d’existence et la forme de l’économie, quand bien même elle est, surtout là où la lutte des classes est peu développée, fortement influencée par les antécédents historiques propres à la nation, le contenu essentiel de cette culture est partout le même. Sa forme, la langue dans laquelle elle s’exprime, est différente, mais toutes les autres différences, même nationales, sont de plus en plus réduites par le développement de la lutte des classes et la croissance du socialisme. En revanche, la séparation entre la culture de la bourgeoisie et celle du prolétariat s’accroît sans cesse. (...) Ce que nous appelons les effets culturels de la lutte des classes, l’acquisition par le travailleur d’une conscience de soi, du savoir et du désir de s’instruire, d’exigences intellectuelles élevées, n’a rien à voir avec une culture nationale bourgeoise, mais représente la croissance de la culture socialiste. (...) Évidemment, cela ne veut pas dire que la culture bourgeoise, elle aussi, ne continuera pas à régner encore longtemps et puissamment sur l’esprit des travailleurs. Trop d’influences en provenance de ce monde agissent sur le prolétariat, volontairement et involontairement ; non seulement l’école, l’Église et la presse bourgeoise, mais toutes les belles lettres et les ouvrages scientifiques pénétrés de la pensée bourgeoise. Mais c’est de plus en plus fréquemment et de manière sans cesse élargie que la vie même et l’expérience propre triomphe dans l’esprit des travailleurs de la vision bourgeoise du monde. Et il doit en être ainsi. Car dans la mesure où celle-ci s’empare des travailleurs, elle les rend moins capables de lutter ; sous son influence, les travailleurs sont remplis de respect à l’égard des forces dominantes, on leur inculque une pensée idéologique, leur conscience de classe lucide est obscurcie, ils sont dressés les uns contre les autres d’une nation à l’autre, se font disperser et sont donc affaiblis dans la lutte et dépossédés de leur confiance en eux-mêmes. Or notre objectif exige un genre humain fier, conscient de soi, audacieux dans ses pensées comme dans l’action. Et c’est pour cette raison que les exigences mêmes de la lutte délivrent les travailleurs de ces influences paralysantes de la culture bourgeoise. Il est donc inexact de dire que les travailleurs accèdent par leur lutte à une “communauté nationale de culture”. C’est la politique du prolétariat, la politique internationale de la lutte des classes, qui engendre en lui une nouvelle culture, internationale et socialiste. (...) La classe ouvrière n’est pas seulement un groupe d’hommes qui ont connu le même destin et ont par conséquent le même caractère. La lutte de classe soude le prolétariat en une communauté de destin. Le destin vécu en commun est la lutte menée en commun contre le même ennemi. (...) Des ouvriers de nationalités différentes sont confrontés au même patron. Ils doivent mener la lutte en tant qu’unité compacte, ils en connaissent les vicissitudes et les effets dans la plus étroite des communautés de destin. (...) [Et fondamentalement], c’est l’État qui est la véritable organisation solide de la bourgeoisie pour protéger ses intérêts. L’État protège la propriété, s’occupe de l’administration, aménage la flotte et l’armée, lève les impôts et contient les masses populaires. Les “nations” ou mieux encore : les organisations actives qui se présentent en leur nom, c’est-à-dire les partis bourgeois ne servent qu’à lutter pour conquérir une influence adéquate sur l’État, une participation au pouvoir de l’État. Pour la grande bourgeoise dont le domaine d’intérêts économiques embrasse tout l’État et va même au-delà, qui a besoin de privilèges directs, de douanes, de commandes et de protection à l’étranger, c’est un État assez vaste qui constitue la communauté naturelle d’intérêts (...) C’est pourquoi le centre de gravité de la lutte politique de la classe ouvrière se déplace de plus en plus vers l’État. (...) Le pouvoir d’État et tous les puissants moyens dont il dispose, est le fief des classes possédantes ; le prolétariat ne peut se libérer, ne peut éliminer le capitalisme qu’en battant d’abord cette organisation puissante. La conquête de l’hégémonie politique n’est pas seulement une lutte pour le pouvoir d’État mais une lutte contre le pouvoir d’État. La révolution sociale qui débouchera sur le socialisme consiste essentiellement à vaincre le pouvoir d’État par la puissance de l’organisation prolétarienne. [Et] là aussi, le caractère international du prolétariat ne cesse de se développer. Les ouvriers des différents pays s’empruntent théorie et tactique, méthodes de lutte et conceptions et les considèrent comme une affaire commune. Certes, c’était aussi le cas de la bourgeoisie montante ; dans leurs conceptions économiques et philosophiques générales, les Anglais, les Français, les Allemands se sont influencés mutuellement en profondeur par l’échange des idées. Mais il n’en est résulté aucune communauté car leur antagonisme économique les a conduits à s’organiser en nations hostiles les unes aux autres ; c’est justement la conquête par la bourgeoisie française de la liberté bourgeoise que la bourgeoisie anglaise avait depuis longtemps, qui provoqua les âpres guerres napoléoniennes. Un tel conflit d’intérêts est totalement absent dans le prolétariat et c’est pourquoi l’influence spirituelle réciproque qu’exerce la classe ouvrière des différents pays peut agir sans contrainte dans la constitution d’une communauté internationale de culture. Mais ce n’est pas à cela que se limite la communauté. Les luttes, les victoires et les défaites dans un pays ont de profondes conséquences sur la lutte de classe dans les autres pays. Les luttes que mènent nos camarades de classe à l’étranger contre leur bourgeoisie n’est pas seulement sur le plan des idées notre propre affaire mais aussi sur le plan matériel ; elles font partie de notre propre combat et nous les ressentons comme telles. (...) Le prolétariat de tous les pays se perçoit comme une armée unique, comme une grande union que seules des raisons pratiques – puisque la bourgeoisie est organisée en États et que par conséquent de nombreuses forteresses sont à prendre – contraignent à se scinder en plusieurs bataillons qui doivent combattre l’ennemi séparément. C’est aussi sous cette forme que notre presse nous relate les luttes à l’étranger : les grèves des dockers anglais, les élections en Belgique, les manifestations de rue de Budapest sont toutes l’affaire de notre grande organisation de classe. Ainsi, la lutte de classe internationale devient l’expérience commune des ouvriers de tous les pays. Dans cette conception du prolétariat se reflètent déjà les conditions de l’ordre social à venir, où les hommes ne connaîtront plus d’antagonismes étatiques. Avec le dépassement des organisations étatiques rigides de la bourgeoisie par la puissance organisationnelle des masses prolétariennes, l’État disparaît en tant que puissance de coercition et terrain de domination qui se délimite nettement par rapport à l’extérieur. Les organisations politiques revêtent une nouvelle fonction ; “le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses” dirait Engels dans l’Anti-Dühring. (...) La production mondiale organisée, transforme l’humanité future en une seule et unique communauté de destin. Pour les grandes réalisations qui les attendent, la conquête scientifique et technique de la terre entière et son aménagement en une demeure magnifique pour une race de seigneurs heureuse et fière de sa victoire et qui s’est rendue maître de la nature et de ses forces, pour ces grandes réalisations – que nous ne pouvons aujourd’hui qu’à peine imaginer – les frontières des États et des peuples sont trop étroites et trop restreintes. (...) Notre recherche a démontré que sous la domination du capitalisme avancé qui s’accompagne de la lutte des classes, le prolétariat ne saurait trouver aucune force constitutive de la nation. Il ne forme pas de communauté de destin avec les classes bourgeoises, ni une communauté d’intérêts matériels, ni une communauté qui serait celle de la culture intellectuelle. Les rudiments d’une telle communauté qui s’ébauchent au tout début du capitalisme disparaissent nécessairement avec le développement de la lutte des classes. Alors que dans les classes bourgeoises de puissantes forces économiques créent l’isolement national, un antagonisme national et toute l’idéologie nationale, elles font défaut dans le prolétariat. (...) La bourgeoisie trouve-t-elle un intérêt véritable à mettre un terme aux luttes nationales ? Bien au contraire... les antagonismes nationaux constituent un moyen excellent de diviser le prolétariat, de détourner son attention de la lutte des classes à l’aide des slogans idéologiques, et d’empêcher son unité de classe. De plus en plus, les aspirations instinctives des classes bourgeoises d’empêcher que le prolétariat devienne uni, lucide et puissant, constituent un élément majeur de la politique bourgeoise. Dans des pays comme l’Angleterre, la Hollande, les États-Unis et même l’Allemagne, nous observons que les luttes entre les deux grands partis bourgeois – il s’agit généralement d’un parti “libéral” et d’un parti “conservateur” ou “clérical” – se font d’autant plus acharnées, et les cris de combat d’autant plus stridents, que l’antagonisme réel de leurs intérêts décroît et que leur antagonisme consiste en des slogans idéologiques hérités du passé. (...) Ils ont compris instinctivement qu’il est impossible d’écraser le prolétariat par la simple force et qu’il est infiniment plus important de déconcerter et de diviser le prolétariat aux moyens des mots d’ordre idéologiques. (...) Le rôle joué (...) par les cris de combat : “Avec nous pour la chrétienté !”, “Avec nous pour la liberté de conscience”, [est de] détourner des questions sociales l’attention des ouvriers, (...) Notre politique et notre agitation ne peuvent porter que sur la nécessité de mener toujours et seulement la lutte de classe, d’éveiller la conscience de classe afin que les travailleurs grâce à une claire compréhension de la réalité, deviennent insensibles aux mots d’ordre du nationalisme.”
Anton Pannekoek, 1912
Avec sa réforme du Code du travail, le gouvernement socialiste mène une énième attaque contre les conditions de vie des travailleurs. Jour après jour, mesure après mesure, la précarité des salariés, des chômeurs et des retraités augmente lentement mais inexorablement. La gauche de la bourgeoisie profite ici de la faiblesse de notre classe ; elle sait que le prolétariat, empêtré dans de lourdes difficultés, est incapable d’opposer à ces attaques incessantes un grand mouvement de masse. Mais la bourgeoisie la plus clairvoyante sait aussi autre chose : la classe ouvrière n’a peut-être plus conscience qu’elle est capable de renverser le capitalisme et d’offrir une alternative à toute l’humanité, elle n’a peut-être plus conscience de sa propre force quand elle est unie et organisée, ni même qu’elle existe. Il n’en reste pas moins qu’elle existe, qu’elle a en elle une immense force potentielle et qu’elle est bel et bien en mesure de faire surgir la société communiste ! La bourgeoisie est intelligente, c’est même la classe dominante la plus intelligente de l’histoire. Elle tire des leçons et si cette histoire lui a bien appris une chose, c’est qu’elle ne doit surtout pas sous-estimer son ennemi mortel. C’est pourquoi le Parti socialiste, si habile et expérimenté contre la classe ouvrière, mène une politique intense pour désorienter et atomiser les travailleurs. Sa démarche est préventive. Il travaille sans relâche à entretenir et même à renforcer les faiblesses actuelles du prolétariat. Tel est le sens des grandes campagnes médiatiques de ces derniers mois.
Par exemple, les manifestations des taxis et des agriculteurs ont bénéficié d’une immense publicité. Pourquoi ? D’abord, l’ampleur du mécontentement à contenir est une réalité. Ceci dit, les blocages de taxis ou de tracteurs ne présentent pas une réelle menace pour l’ordre établi. C’est pour cette raison que les projecteurs ont pu être braqués sur les pneus qui brûlent, les autoroutes bloquées, les supermarchés dévastés : autant d’actions spectaculaires présentées comme radicales et... “efficaces”, puisque les portes des ministères se sont immédiatement ouvertes, elles aussi avec grand bruit. La grande distribution a été reçue par le Premier ministre et les fameux VTC, véhicules de tourisme avec chauffeurs, concurrents directs des taxis, ont été soumis à une réglementation beaucoup plus stricte.
Ce n’est pas exactement par hasard si, au même moment, les syndicats de fonctionnaires ont appelé à une journée de grève stérile sur la question des salaires. Le gouvernement a clamé haut et fort que d’augmentation, il n’en était pas question. Les médias en chœur ne se sont pas privés de souligner le contraste entre “l’impuissance” des “fonctionnaires en lutte” et la “relative réussite” des agriculteurs et des taxis. La bourgeoisie cherche ainsi à faire croire que la lutte efficace n’est pas celle des ouvriers, mais celle d’autres catégories sociales minoritaires et spectaculaires. Blocage et sabotage, tel serait le nec plus ultra du combat. En 2010-2011, lors du mouvement contre la réforme des retraites, la bourgeoisie française n’avait déjà eu de cesse de mettre en avant le blocage des raffineries prôné par les syndicats les plus “radicaux” et le risque de paralysie de l’économie qui en découlait prétendument (voir notre article : “Bilan du blocage des raffineries” 1). La classe dominante sait que ce type d’action est parfaitement inoffensif, comme des piqûres de moustique sur la peau d’un éléphant puisqu’elles participent à diviser, à épuiser et à isoler les éléments les plus combatifs de la majorité des travailleurs. Les méthodes réelles de lutte de la classe ouvrière sont l’exact opposé.
Les agriculteurs et autres chauffeurs de taxis n’ont pas d’avenir en dehors du capitalisme. Ils forment cette couche intermédiaire de la société qui n’appartient pas aux grands groupes, qui n’a pas les moyens d’investir et d’exploiter en masse mais qui pour autant n’appartient pas au rang des prolétaires qui n’ont, eux, que leur force de travail à vendre pour vivre. Ce sont de petits propriétaires, de quelques champs ou de leurs véhicules ou de tout autre capital relativement modeste, qui ne rêvent que d’une seule chose : prospérer, accroître leurs biens et “réussir”. Leur déception est d’autant plus grande quand, inexorablement, ils sont tour à tour broyés par le capital, sa concurrence effrénée et impitoyable comme par sa crise économique mondiale. De la déception à la frustration, de l’humiliation à la haine. Ces couches sociales qui s’apparentent plus ou moins à la petite-bourgeoisie sont incapables de mener des luttes qui remettent en cause le capitalisme. Au contraire, leurs actions coups de poings sont des cris qui reviennent à implorer la grande bourgeoisie de les respecter, voire de les protéger ou, plus exactement, de les réintégrer. Les petits propriétaires détenant leurs moyens de production se battent en regardant derrière eux. Ils tentent de résister à la force du capitalisme en se raccrochant à un passé idéalisé où ils gardaient une place plus importante au sein de l’économie. Finalement, pour eux, le salut vient du retour à ce passé mythifié.
La classe ouvrière, quant à elle, est porteuse d’une autre société et cela change tout. Son combat n’est pas une simple lutte de résistance tournée vers le passé ou des objectifs strictement immédiats, mais une lutte fortement marquée et inspirée par le futur. En inscrivant cette perspective dans chacune de ses luttes, elle s’éloigne inévitablement de la destruction et de la désorganisation pour aller vers le développement de la solidarité et de la prise en charge organisée et centralisée de ses luttes. La classe ouvrière ne porte pas dans ses combats la destruction aveugle, ni un quelconque blocage. Elle porte en elle le mouvement, la potentialité et la possibilité de construire une nouvelle société. Elle ne défend pas sa survie dans le capitalisme, elle lutte au contraire pour sa propre disparition en tant que classe, pour une société nécessitant d’unifier l’humanité. Les méthodes de lutte qu’elle emploie doivent être en cohérence avec ce but : favoriser l’unité et la solidarité la plus large possible de tous les secteurs de la classe ouvrière par des revendications communes, débattre en organisant des assemblées générales souveraines ou des cercles de discussion ou tout autre lieu de parole libre permettant la confrontation des idées. Ces méthodes de lutte, la bourgeoisie se doit de les disqualifier et de les combattre avec énergie, comme elle l’a toujours fait dans l’histoire, car elles contiennent en germe la remise en cause réellement radicale du capitalisme et de son mode de vie basé sur la concurrence de tous contre tous.
Les derniers événements judiciaires à propos des luttes à Goodyear sont éloquents de cette volonté constante de la bourgeoisie de décourager la majorité de la classe exploitée à lutter tout en poussant la minorité qui demeure malgré tout combative vers des impasses. Lors d’une grève contre la fermeture de leur usine, des ouvriers exaspérés sont encouragés par les syndicats à séquestrer les cadres de leur entreprise. Ces derniers finissent par renoncer aux plaintes qu’ils avaient initialement portées. Mais l’État ne l’entend pas de cette oreille et maintient les poursuites qui s’achèvent par une condamnation à de la prison ferme (peine aménageable). Le message est clair : lutter ne sert à rien. Pire, cela conduit au tribunal, puis en prison. Dans une situation où le prolétariat est victime de démoralisation et de déboussolement, de tels messages n’ont d’autre volonté que l’intimidation. Voilà pour la majorité poussée à la résignation.
Dans le même temps, ces condamnations permettent de faire croire que la bourgeoisie craint ce type d’actions-commando de séquestration, puisqu’elle les juge si sévèrement. Voilà pour la minorité combative, encouragée à se perdre dans le piège du corporatisme, de l’isolement et l’impasse d’actions coups de poing, aussi spectaculaires que stériles. Il y a même dans cette affaire politico-judiciaire une dimension encore plus sournoise et dangereuse : les syndicats (et en particulier à la CGT), ces chiens de garde du capitalisme, passent pour la partie la plus déterminée du prolétariat qu’il s’agirait de soutenir et suivre.
En fait, cette fausse alternative vise non seulement à diviser les ouvriers entre eux mais surtout à renforcer une attaque idéologique contre la conscience de tous les prolétaires en leur faisant croire que ce sont eux qui seraient l’expression d’une classe réduite soit à la résignation, soit à mener des combats désespérés et sans avenir.
Pourquoi la bourgeoisie s’évertue-t-elle tant à nous dresser un tableau si sombre ? Dans notre article publié page 4, “Podemos, des habits neufs au service de l’empereur capitaliste”, nous écrivons : “La spécificité de Podemos qui justifie le coup de pub que lui fait le capitalisme espagnol est que les troupes d’Iglesias (son leader) remplissent une mission spéciale, très importante pour la bourgeoisie aussi bien espagnole que mondiale, qui est celle d’effacer les empreintes du mouvement du 15 mai qui ont fait trembler les rues il y a quatre ans et demi.” “Effacer les empreintes”, cette formule résume parfaitement le but des campagnes et des manœuvres permanentes de la bourgeoisie. Le mouvement des Indignés de 2011 en Espagne, celui contre le CPE de 2006 en France, plus en arrière la grève de masse de 1980 en Pologne et en mai 1968 de nouveau en France, ou bien plus anciennement encore les vagues révolutionnaires de 1919-1921 en Allemagne et de 1917 en Russie, en remontant jusqu’à la Commune de Paris de 1871..., toutes ces expériences plus ou moins grandes, parfois gigantesques, sont autant “d’empreintes” inestimables que la bourgeoisie n’a de cesse de recouvrir de ses mensonges. Car la classe dominante craint que le prolétariat ne redécouvre ses empreintes, constate qu’il s’agit des pas d’un géant et surtout que ces empreintes sont celles qui peuvent potentiellement conduire, au bout d’un très long chemin, à la révolution mondiale !
GD, 26 février 2016
Nous publions ci-dessous la traduction d’une contribution d’un sympathisant du CCI sur la situation au Moyen-Orient. La version originale est disponible sur notre site en anglais [555].
Le militarisme et la guerre, expressions principales du mode de vie du capitalisme depuis environ un siècle, sont devenus les synonymes de la désintégration du système capitaliste et de la nécessité de le renverser. La guerre, dans cette période et dans l’avenir, est une question cruciale pour la classe ouvrière.
Dans la période ascendante du capitalisme, les guerres pouvaient encore être un facteur de progrès historique, conduisant à la création d’unités nationales viables et servant à étendre le mode de production capitaliste à l’échelle mondiale : « depuis la formation de l’armée des citoyens, de la Révolution française au Risorgimento italien, de la guerre d’Indépendance américaine à la Guerre Civile, la révolution bourgeoise a pris la forme de luttes de libération nationale contre les royaumes réactionnaires et les classes abandonnées par la féodalité (…) Ces luttes avaient pour principal but de détruire les superstructures politiques surannées de la féodalité, de balayer l’esprit de clocher et l’autosuffisance, qui empêchaient la marche vers l’unification du capitalisme.» (Brochure du CCI : Nation ou Classe) Comme Marx l’a écrit dans sa brochure à propos de la Commune de Paris, La Guerre Civile en France : « Le plus gros effort d’héroïsme dont la vieille société est encore capable est la guerre nationale.»
En revanche, la guerre d’aujourd’hui et depuis les cent dernières années ne peut jouer qu’un rôle réactionnaire et destructeur et menace maintenant l’existence même de l’humanité. La guerre devient un mode d’existence permanent pour tous les États-nations, qu’ils soient grands ou petits. Alors que chaque État ne dispose pas des mêmes moyens pour poursuivre la guerre, ils sont tous soumis à la même dynamique impérialiste. L’impasse du système économique oblige les nations, vieilles ou jeunes, à adopter une politique de capitalisme d’État, sous peine de mort ; et cette politique est mise en œuvre par les partis bourgeois, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Le capitalisme d’État constitue une défense raffinée de l’État-nation et une attaque permanente contre la classe ouvrière.
Dans la période ascendante du capitalisme, la guerre avait tendance à se payer elle-même, à la fois économiquement et politiquement, en brisant les barrières du développement capitaliste. Dans la phase de décadence, la guerre est une dangereuse absurdité, devenant de plus en plus séparée de toute justification économique. Il suffit de regarder les vingt-cinq dernières années de prétendue « guerre pour le pétrole » au Moyen-Orient pour s’apercevoir qu’il faudrait des siècles pour qu'elle soit rentable, et encore, à condition que la guerre cesse dès maintenant.
Consacrer une grande part des ressources nationales à la guerre et au militarisme est maintenant normal pour tout État, et c’est ce qui se passe depuis le début du XXe siècle ; cela s’est seulement intensifié aujourd’hui. Ce phénomène est directement lié à l’évolution historique du capitalisme : « La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire.»1 La position qu’on adopte sur la guerre impérialiste détermine de quel côté de la barrière de classe on se trouve ; soit l’on défend la domination du capital à travers la défense de la nation et du nationalisme (compatibles avec à la fois le trotskysme et l’anarchisme), soit l’on défend la classe ouvrière et l’internationalisme contre toute forme de nationalisme. Les « solutions » nationales, les identités nationales, la libération nationale, les « conflits » nationaux, la défense nationale : tout cela ne sert que les intérêts impérialistes, donc capitalistes. Ceux-ci sont diamétralement opposés aux intérêts de la classe ouvrière : la guerre de classe devra en finir avec l’impérialisme, ses frontières et ses États-nations.
En 1900, il y avait quarante nations indépendantes ; au début des années 1980, il y en avait presque 170. Aujourd’hui, il y en a 195. Le dernier État, le Soudan du Sud, reconnu et soutenu par la « communauté internationale », s’est immédiatement effondré dans la guerre, la famine, la maladie, la corruption, la loi des seigneurs de guerre, le gangstérisme : c’est une autre expression concrète de la décomposition du capitalisme et de l’obsolescence de l’État-nation. Les nouveaux États-nations des XXe et XXIe siècles ne sont pas l’expression d’une croissance de jeunesse, mais sont nés séniles et stériles, aussitôt empêtrés dans les rêts de l’impérialisme, avec leurs propres moyens de répression interne (ministère de l’Intérieur, services secrets et armée nationale) et de militarisme externe avec les pactes, les protocoles d’accords de défense mutuelle, l’implantation de conseillers et de bases militaires par les plus grandes puissances.
« [Aujourd’hui, la phrase nationale] ne sert plus qu’à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu’elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l’adhésion des masses populaires et de leur faire jouer leur rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes. »2 Depuis que Rosa Luxemburg a écrit ces lignes, il n’y a plus eu de révolution bourgeoise dans les pays sous-développés, mais seulement des luttes de cliques entre gangs bourgeois rivaux et leurs appuis impérialistes locaux et mondiaux. L’État militariste et la guerre deviennent le mode de survie pour l’ensemble du système comme pour chaque nation, chaque proto-État, toute expression nationaliste, chaque identité ethnique ou religieuse deviennent l’expression directe de l’impérialisme.
Regardons de plus près le rôle réactionnaire de l’État-nation à travers un bref aperçu de la situation au siècle dernier dans l’importante région du monde que constitue le Moyen Orient.
La nation capitaliste a été préservée, et même multipliée par quatre, tout au long des cent dernières années. Mais son programme démocratique bourgeois et sa tendance unificatrice sont morts et enterrés ; désormais ses « peuples » ne peuvent qu’être soumis à la répression ou mobilisés pour défendre les intérêts impérialistes comme chair à canon. « Pour compléter le tableau, les nouvelles nations surgissent avec un péché originel : ce sont des territoires incohérents, formés par un agrégat chaotique de différentes religions, économies, cultures. Leurs frontières sont pour le moins artificielles et incluent des minorités appartenant aux pays limitrophes ; tout cela ne peut que mener à la désagrégation et à des confrontations permanentes. »3
Cela est illustré par la multitude des nationalismes, des ethnies et des religions qui cohabitent au Moyen-Orient. Les trois religions principales sont ici démultipliées en en une myriade de sectes, avec des conflits internes et externes permanents : les Chiites, Sunnites, Maronites, Chrétiens orthodoxes et coptes, les Alaouites, etc. Il y a des minorités linguistiques importantes et de plus en plus de peuples sans terre : les Kurdes, les Arméniens, les Palestiniens et maintenant les Syriens.
La Première Guerre mondiale a vu l’effondrement de l’Empire Ottoman et de ses trésors, ainsi que l’effondrement de la position stratégique du Moyen-Orient (entre l’Est et l’Ouest, l’Europe et l’Afrique, le canal de Suez, le détroit des Dardanelles) qui suscitait la cupidité des grandes puissances. Même avant que le pétrole ne soit découvert dans cette région, et bien avant que l’on ne se rende compte de l’ampleur des réserves de pétrole, la Grande-Bretagne avait mobilisé 1,5 million d’hommes de troupes dans la région. Ayant résisté à la menace représentée par l’Allemagne et la Russie, et malgré les rivalités existant entre la Grande-Bretagne et la France, ces deux puissances ont donné leur forme aux pays de cette région : la Syrie, l’Irak, le Liban, la Transjordanie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, le « protectorat » Palestinien, les frontières de ces pays ont été dessinées par les deux pouvoirs impérialistes victorieux, chacun surveillant à la fois ses partenaires et les anciens rivaux du coin de l’œil. Ces « nations » absurdes sont devenues un terreau fertile pour une instabilité et des conflits ultérieurs, pas seulement à cause des rivalités entre grandes puissances mais aussi à cause de luttes régionales entre elles. Cela a souvent donné lieu à des déplacements massifs de populations, justifiés par la nécessité de former des entités nationales distinctes : en un mot, elles ont fertilisé le sol pour les pogroms, l’exclusion, la violence entre les religions et les sectes que nous sommes obligés de supporter aujourd’hui ; de plus, cette violence se répand et devient de plus en plus dangereuse : Sunnites contre Chiites, Juifs contre Musulmans, Chrétiens contre Musulmans et des sectes encore plus anciennes qui auparavant étaient laissées tranquilles, mais qui sont maintenant entraînées dans le maelstrom impérialiste. La région est devenue une fusion violente des régimes totalitaires, de conflits religieux, de terrorisme et de la loi des seigneurs de guerre, une preuve supplémentaire qu’il n’y a pas de solution à la barbarie capitaliste, à part la révolution communiste. Avec la Déclaration Balfour, en novembre 1917, l’Angleterre avait promis un soutien à l’installation d’une patrie juive en Palestine ; elle pensait l’utiliser en tant qu’alliée locale contre ses grands rivaux. C’est dans le cadre militariste de luttes sanglantes avec les dirigeants arabes que l’État sioniste est né.4 Les États-Unis, principal bénéficiaire de la Première Guerre mondiale, commencèrent à supplanter la Grande-Bretagne comme premier gendarme du monde et cela devint une évidence au Moyen-Orient.
La contre-révolution stalinienne des années 1920-30, aidée et encouragée par les puissances occidentales, a entraîné l’augmentation des machinations impérialistes au Moyen-Orient, jusqu’à et pendant la Deuxième Guerre mondiale. À cette période, les Turcs, les factions arabes et les sionistes oscillaient entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne ; la majorité choisit l’Allemagne. Cette région était importante pour les deux grandes puissances5, mais elle a été relativement épargnée par les destructions, dans la mesure où les champs de bataille principaux se trouvaient en Europe et dans le Pacifique. Dans l’ensemble, et la fin de la guerre devait le confirmer, la Grande-Bretagne et la France ont mené une guerre perdue d’avance au Moyen-Orient et ailleurs, car la hiérarchie impérialiste a été bousculée par l’émergence de la superpuissance américaine. Ceci fut encore renforcé par la création d’un État sioniste, qui a été fortement soutenu par les États-Unis (et aussi au début par la Russie), au détriment des intérêts nationaux britanniques. L’établissement de l’État-nation d’Israël a déterminé une nouvelle zone de conflits dont la naissance a entraîné la création d’un énorme et permanent problème de réfugiés, qui, en grossissant, a renforcé un état de siège militaire permanent. L’existence d’Israël est probablement l’un des exemples les plus frappants de la façon dont un pays formé dans la décadence capitaliste est encadré par la guerre, survit par la guerre et vit dans la peur constante de la guerre.
Un autre chapitre de l’impérialisme a été ouvert lorsque le Moyen-Orient est devenu un enjeu de la Guerre Froide entre les blocs américain et russe qui se sont consolidés après la Deuxième Guerre mondiale et ont effectué plusieurs interventions par l'engagement interposé de puissances militaires entre les deux grands. Ainsi, lors des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973, les deux blocs s’affrontaient d’une certaine façon par procuration ; les victoires écrasantes d’Israël ont considérablement réduit la capacité de l’URSS à maintenir les points d’appui qu’elle avait établis dans la région, en particulier en Égypte. Dans le même temps, déjà dans les années 1970 et au début des années 1980, on a pu voir les germes des conflits multipolaires et chaotiques qui ont caractérisé la période qui a suivi l’effondrement de l’URSS et de son bloc. Le renversement du Shah d’Iran en 1979 a entraîné la formation d’un régime qui a tendu à s’affranchir du contrôle des deux blocs. La tentative de la Russie de se renforcer en profitant du nouvel équilibre des forces dans la région, sa tentative d’occupation de l’Afghanistan en 1980, l’a entraînée dans une longue guerre d’usure qui a grandement contribué à l’effondrement de l’URSS. Au même moment, en favorisant le développement des Moudjahidines islamistes, incluant le noyau qui allait devenir Al Qaïda pour lutter contre l’occupation russe, les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Pakistan étaient en train de fabriquer un monstre qui leur mordrait bientôt la main. Pendant ce temps, l’impérialisme américain procédait au retrait de ses troupes du Liban, qu’il n’avait pas réussi à soustraire aux forces agissant comme mandataires de l’Iran et de la Syrie.
C’est durant cette période que l’on assiste au début de la perte de puissance des États-Unis, qui est à la fois une expression et une contribution à la décomposition ambiante d’aujourd’hui. Après l’effondrement du bloc russe, est venue la désintégration des alliances autour des États-Unis et le développement centrifuge du chacun pour soi des différentes nations. Les États-Unis ont réagi énergiquement à cette situation, tentant de rassembler leurs alliés en lançant la Guerre du Golfe de 1990-91, qui a abouti à la mort d’environ un demi-million d’Irakiens (alors que Saddam Hussein restait en place). Mais la réalité de cette tendance était trop forte et la domination américaine avait irrémédiablement vécu. Après le 11 septembre 2001, les néo-conservateurs évangéliques agissant pour le compte de l’impérialisme américain ont engagé de nouvelles guerres en Afghanistan et en Irak, prenant l’apparence d’une croisade contre l’Islam, attisant ainsi les flammes du fondamentalisme islamique.
Dans le film de 1979 réalisé par Francis Ford Coppola Apocalypse now, un colonel renégat américain demande au tueur à gages appointé par la CIA ce qu’il pense de ses méthodes ; l’assassin répond : « je ne vois aucune méthode. » Il n’y a pas de méthode dans les guerres d’aujourd’hui au Moyen-Orient, à l’exception d’un grand précepte : « faites ce que vous voulez ». Il n’y a aucune justification économique (des milliards de dollars sont partis en fumée juste pour les guerres d’Irak et d’Afghanistan), seulement une descente permanente dans la barbarie. Aussi fictif qu’il soit, le personnage du colonel Kurtz dans le film est le symbole de l’exportation de la guerre « du cœur des ténèbres », qui se trouve en fait dans les centres principaux du capital plutôt que dans les déserts du Moyen-Orient ou les jungles du Vietnam et du Congo.
En Syrie aujourd’hui, il y a une bonne centaine de groupes qui combattent le régime et se battent entre eux, tous plus ou moins téléguidés par des pouvoirs locaux ou plus importants. La nouvelle « nation », le prétendu califat de l’État islamique, avec son propre impérialisme, sa chair à canon, sa brutalité et son irrationalité, est à la fois une expression à part entière de la décadence du capitalisme et le reflet de toutes les grandes puissances qui, d’une façon ou d’une autre, l’ont créé. L’État islamique est actuellement en expansion partout dans le monde, gagnant de nouvelles filiales en Afrique, s’emparant de Boko Haram au Nigeria. L’État islamique est également en concurrence avec les Talibans en Afghanistan, qui eux-mêmes sont en danger dans la région de l’Helmand, qui a été si longtemps la base de l’armée britannique. Mais si l’État islamique était éliminé demain, il serait remplacé immédiatement par d’autres entités djihadistes, tels que Jahbat al-Nusra, une filiale de Al Qaïda. La « guerre contre le terrorisme » chapitre 2, comme pour le chapitre 1, ne fera qu’augmenter le terrorisme existant au Moyen-Orient avec son exportation au cœur du capitalisme.
L’une des caractéristiques du nombre grandissant de guerres au Moyen-Orient est la réémergence de la Russie sur le plan militaire, avec pour couverture idéologique les « valeurs » de la vieille nation russe. Pendant la Guerre Froide, la Russie a été expulsée de l’Égypte et du Moyen- Orient en général, car sa puissance avait décliné. Maintenant, la Russie est réapparue, non sous la forme d’une tête de bloc comme avant (elle a seulement quelques ex-républiques anémiques comme alliées) mais comme une force drapée dans la décomposition qui doit soutenir l’impérialisme pour son « identité » nationale. La faiblesse de la Russie est évidente dans ses tentatives désespérées pour installer des bases en Syrie, les plus importantes pour elle à l’extérieur de son territoire. Un autre facteur qui aura une incidence importante, y compris pour elle, est l’actuel rapprochement entre les États-Unis et l’Iran, lié à l’accord sur le nucléaire de 2015. Cet accord exprime aussi une faiblesse fondamentale de l’impérialisme américain et est la source de tensions importantes entre les États-Unis et leurs principaux alliés régionaux, Israël et l’Arabie Saoudite.
Quel que soit le côté où l’on regarde, le désordre impérialiste au Moyen-Orient devient de plus en plus impossible à démêler. Il existe aussi dans cette situation le positionnement de la Turquie, qui n’a pas hésité à verser de l’huile sur le feu de la guerre. Sa guerre contre les Kurdes n’aura pas de fin et par ses agissements, elle monte les uns contre les autres, les États-Unis, la Russie et l’Europe. Ses relations avec la Russie en particulier se sont refroidies après la destruction d’un avion de chasse russe, alors qu’elle a utilisé le grossier prétexte d’attaquer l’État islamique pour pilonner des bases Kurdes. Il y a la participation de l’Arabie Saoudite qui, bien que prétendument alliée des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a été un bailleur de fonds important pour différentes bandes islamistes dans la région, grâce à l’exportation non seulement de son idéologie wahhabite mais aussi des armes et de l’argent.
Aussi loin que les États-nations s’enfoncent dans la décadence, l’Arabie Saoudite est l’une des pires farces historiques qu’on puisse trouver.6 Minée par la chute des prix du baril d’or noir, qui a été encouragée par l’Iran (désignant le pétrole non comme un facteur d'ajustement économique mais comme une arme impérialiste) et craignant que la théocratie iranienne rivale ne redevienne le gendarme de la région après ses récents accords avec les États-Unis, le régime saoudien a porté un coup contre l’Iran avec l’exécution du célèbre imam chiite Sheikh Nimr al-Nimr, et d’autres décapitations qui ont été à peine mentionnées dans les médias occidentaux. Cette provocation planifiée contre l’Iran montre un certain désespoir et une faiblesse du régime saoudien ainsi qu'un danger que la situation ne dérape et devienne hors de contrôle. Les actions récentes du régime saoudien révèlent à nouveau les tendances centrifuges de chaque nation au chacun pour soi et la difficulté des grandes puissances, particulièrement des États-Unis, à les contenir. Une chose est certaine concernant l’épisode actuel de rivalité Iran/Irak : la perspective de l’aggravation de la guerre, des pogroms et du militarisme à travers la région, avec de multiples tensions et la précarité des alliances provisoires gagnant du terrain. Des accrochages étaient signalés plus loin en Égypte (que l’Arabie Saoudite a financés dans le cadre de son combat contre les Frères Musulmans) et tout cela ne pourra que s’aggraver.
L’État-nation du Liban a déjà été déchiré dans les années 1980 ; les tensions vont s’accroître maintenant et les conséquences de la rupture de cet État fragile seraient désastreuses, du moins pour Israël dont la guerre larvée avec les factions palestiniennes et le Hezbollah continuent.
Enfin, il faut mentionner le rôle grandissant de la Chine, même si ses principaux points de rivalités impérialistes (avec les États-Unis, le Japon et d’autres) se portent plutôt sur l’Extrême-Orient. Ayant émergé comme alliée subalterne de la Russie à la fin des années 1940 à 1950, la Chine a commencé à avoir un parcours indépendant dans les années 1960 (la « rupture sino-soviétique »), conduisant rapidement à une nouvelle entente avec les États-Unis. Mais, depuis les années 1990, la Chine est devenue le deuxième pouvoir économique mondial et cela a sérieusement élargi ses ambitions impérialistes, on le voit dans ses efforts pour pénétrer en Afrique. Pour le moment, elle a eu tendance à opérer aux côtés de l’impérialisme russe au Moyen-Orient, bloquant les tentatives américaines de discipliner la Syrie et l’Iran, mais son potentiel pour semer la panique dans l’équilibre mondial des puissances, accélérant ainsi la chute dans le chaos, reste dans une large mesure inexploité. Cela nous donne une preuve supplémentaire que le démarrage économique d’une ancienne colonie comme la Chine n’est plus désormais un facteur de progrès humain, mais apporte avec lui de nouvelles menaces de destructions, tant militaires qu’écologiques.
Nous avons commencé par étudier la nature réactionnaire de l’État-nation, autrefois expression du progrès, qui est maintenant devenue non seulement une entrave à l’avancée de l’humanité mais aussi une menace pour son existence même. L’éclatement virtuel des nations syrienne et irakienne, obligeant des millions de personnes à fuir la guerre et à éviter de se faire enrôler d’un côté ou d’un autre, la naissance de l’État islamique, le projet national de Jahbat al-Nusra, la défense patriotique du peuple kurde, tout cela sont des expressions de la décadence, de l’impérialisme qui n’a rien d’autre à offrir aux populations de ces régions que la misère et la mort. Il n’y a pas de solution à la décomposition du Moyen-Orient au sein du capitalisme. Face à cela, il est vital que le prolétariat maintienne et développe ses propres intérêts contre ceux de l’État-nation. La classe ouvrière dans les pays centraux du capitalisme détient les clés de la situation, compte-tenu de l’extrême faiblesse du prolétariat dans les zones en guerre. Et, bien que la bourgeoisie soumette la classe ouvrière des pays du cœur du capitalisme à un battage idéologique permanent autour des thèmes des réfugiés et du terrorisme, elle n’ose pas encore la mobiliser directement pour la guerre. Potentiellement, la classe ouvrière demeure la plus grande menace contre l’ordre capitaliste. Mais elle doit transformer ce potentiel en réalité si nous voulons éviter le désastre vers lequel nous courrons. Comprendre que les intérêts prolétariens sont internationaux, que l’État-nation n’est plus un cadre viable pour la vie humaine, sera une part essentielle de cette transformation.
Boxer, sympathisant du CCI (13 janvier 2016)
1 Brochure de Junius, la crise de la social-démocratie, 1915, Rosa Luxemburg. Ed. Les Amis de Spartacus, 1994, ch. VII, p. 127.
2 Idem, ch. VII, p. 128.
[3] Bilan de 70 années de luttes de libération nationales, 3
3 2ème partie : les nouvelles nations, Revue Internationale n° 69, pp. 20-21.
4 Voir les Notes sur le conflit impérialiste au Moyen-Orient 1ère partie, Revue Internationale n° 115, p. 21.
5 Voir les Notes sur le conflit impérialiste au Moyen-Orient 3ème partie, Revue Internationale n° 118, été 2004.
6 Nous reviendrons sur ce sujet dans un prochain article.
A en croire le bombardement médiatique que l’on nous assène ces derniers mois, nous serions à la veille d’un tremblement de terre qui chamboulerait de haut en bas le scénario traditionnel des trente dernières années selon lequel le Parti Populaire de droite (PP) et le parti socialiste (PSOE) se succèdent alternativement au pouvoir sans que personne n’y trouve à redire. Cet échiquier politique se verrait aujourd’hui perturbé par l’irruption de “forces émergentes”, et en particulier par la plus récente d’entre elles : Podemos. Mais Podemos ne représente rien de nouveau.
Son programme politique et son idéologie sont des classiques des régimes staliniens 1 défendus par les partis soi-disant communistes (en réalité furieusement anticommunistes) et leurs acolytes gauchistes de tout poil (trotskistes, syndicalistes de base, mouvements altermondialistes) 2 qui sont les principaux soutiens de cette pantomime de “politique nouvelle”. La spécificité de Podemos qui justifie le coup de pub que lui fait le capitalisme espagnol est que les troupes d’Iglesias (son leader) remplissent une mission spéciale, très importante pour la bourgeoisie aussi bien espagnole que mondiale, qui est celle d’effacer les empreintes du mouvement du 15 mai qui ont fait trembler les rues il y a quatre ans et demi.
Il y a 4 ans, de grandes foules ont occupé les rues et les places non seulement en Espagne mais également en Grèce, aux États-Unis, en Israël, etc. “Le mouvement d’indignation s’est étendu internationalement. Il a surgi en Espagne où le gouvernement socialiste avait mis en place un des premiers plans d’austérité et un des plus durs ; en Grèce, devenue le symbole de la crise économique mondiale à travers l’endettement ; aux États-Unis, temple du capitalisme mondial ; en Égypte et en Israël pays pourtant situés de chaque côté du front du pire conflit impérialiste et le plus enkysté, celui du Moyen-Orient” . Il y a eu des tentatives, encore très timides et embryonnaires, de solidarité internationale. “En Espagne, la solidarité avec les travailleurs de Grèce s’est exprimée aux cris de “Athènes tiens bon, Madrid se lève !”. Les grévistes d’Oakland (États-Unis, novembre 2011) proclamaient leur “solidarité avec les mouvements d’occupation au niveau mondial”. En Égypte, a été approuvée une Déclaration du Caire en soutien au mouvement aux États-Unis. En Israël, les Indignés ont crié “Netanyahou, Moubarak, El Assad, c’est la même chose” et ont pris contact avec des travailleurs palestiniens” 3.
L’internationalisme qui s’est exprimé spontanément même de façon embryonnaire dans les moments les plus forts du mouvement des Indignés est quelque chose de très dangereux pour la bourgeoisie qui justifie sa domination sur le prolétariat par l’existence d’une supposée communauté d’intérêts entre exploiteurs et exploités de chaque pays.
Ainsi, dès l’origine, Podemos s’est caractérisé par ce qu’ils appellent un discours “transversal”, c’est-à-dire s’adressant aussi bien aux “défavorisés” qu’aux chefs d’entreprises à qui ils n’ont cessé depuis lors d’envoyer des messages rassurants. Mais cette supposée communauté “transversale”, c’est aussi celle qu’invoque le parti frère de Podemos, le parti grec Syriza pour justifier son respect des exigences de la Communauté européenne, qui sous-tend une intensification des attaques contre les conditions de vie et de travail des travailleurs grecs. Au lieu de se solidariser envers les victimes, les Iglesias, Errejon et consorts ont été solidaires de leur bourreau Tsipras.
Dans cette escalade patriotique, les “podémistes” en sont arrivés à prendre des distances envers les propositions d’envoyer des soldats dans les zones occupées par l’État islamique en Syrie et en Irak en invoquant le fait “qu’ils pourraient se faire tuer”. Nous avons vu que, en opposition à leur appel initial d’envoyer des troupes dans les zones occupées par l’État islamique (en Syrie et en Irak), ils ont allégué ensuite que “des soldats espagnols pourraient se faire tuer”. “L’argument” de “l’homme au catogan” est massue, très efficace pour nous inoculer le poison du nationalisme, en nous proposant de nous enfermer dans le petit monde étroit et endogamique de la “nation espagnole”.
Qu’importe que des ouvriers et des paysans syriens ou irakiens se fassent massacrer ? Qu’importe que la population de Rakka, la “capitale” proclamée du bastion de l’État islamique, soit soumise à une triple terreur de ses “gouvernants islamistes”, des bombardements de la Russie, des États-Unis et de la France et aussi des milices d’El Assad ? Qu’importe que ces territoires se soient transformés en trou noir où il est devenu purement et simplement impossible de vivre ? Rien de tout cela ne devrait nous préoccuper, selon la “philosophie nationale” et patriotarde du sieur Iglesias ! La seule chose qui compte est qu’aucun “compatriote”, aucun ressortissant espagnol n’aille mourir là-bas !
C’est pour cette raison que les “podémistes” ont adhéré en tant qu’observateurs” au pacte anti-djihadiste signé à la fois par les parties prenantes de l’invasion de l’Irak (le Parti populaire), de l’invasion de l’Afghanistan (le PSOE) et par les aspirants à l’invasion de n’importe quel territoire qui se ferait sous la bannière du drapeau espagnol (le mouvement des citoyens). C’est pour cette raison que Podemos a promis à Rajoy tout le soutien nécessaire pour faire face aux attaques terroristes comme il l’a déjà fait pour les victimes lors du récent attentat au centre de Kaboul 4.
Un des mots d’ordre les plus repris par le mouvement du 15 mai a été “nos rêves ne rentrent pas dans vos urnes !” En effet, le mouvement des Indignés a surgi avec une forte tendance au rejet de la politique bourgeoise, des élections 5, etc. Dans les mouvements de 2011 a commencé à être mis en avant, avec encore beaucoup de faiblesses et d’hésitations, un fait qui, aujourd’hui, c’est-à-dire quatre ans après, nous paraît insolite : “Ces personnes-là, les travailleurs, les exploités, tous ceux qu’on dépeint comme des ratés indolents, des gens incapables d’initiative ou de faire quelque chose en commun, sont arrivés à s’unir, à partager, à créer et à briser la passivité étouffante qui nous condamne à la sinistre normalité quotidienne de ce système. (…) On a fait les premiers pas pour que surgisse une véritable politique de la majorité, éloignée du monde des intrigues, des mensonges et des manœuvres troubles qui est la caractéristique de la politique dominante. Une politique qui aborde tous les sujets qui nous touchent, pas seulement l’économie ou la politique, mais aussi l’environnement, l’éthique, la culture, l’éducation ou la santé” 6.
La politique bourgeoise préconise au contraire le repli sur soi de chacun d’entre nous, que chacun doit se considérer absurdement comme son propre maître en face des problèmes qui ont un caractère social et doit déléguer la recherche de leur solution à travers l’acte individuel du vote en faveur de politiciens professionnels, ce qui, à la longue, se traduit par une plus grande atomisation et une plus grande résignation.
L’évolution de la trajectoire de Podemos est très significative. À ses débuts et pour renforcer l’illusion d’une continuité avec le mouvement du 15 mai, ils ont reproduit et plagié le caractère formel des assemblées et des débats publics pour comprendre les causes de nos souffrances, les possibles alternatives à offrir, etc. Mais aujourd’hui, les prétendues “assemblées” de Podemos sont devenues une bagarre à couteaux tirés non dissimulée entre les différentes tendances concurrentes sur les listes électorales 7. Par ailleurs, les débats en sont aujourd’hui réduits à une approbation de la liste de recettes défendues comme simple programme électoral à géométrie variable, en fonction des besoins électoraux d’Iglesias et ceux de sa bande.
L’organisation du fonctionnement “interne” de Podemos n’est pas en contradiction avec sa fonction, comme voudraient nous le faire croire les représentants de l’aile la plus critique de cette formation. Elle est en réalité pleinement en conformité avec la mission assignée à ce parti par l’ensemble de la bourgeoisie : convaincre les travailleurs que tout mouvement de protestation, que toute remise en cause des réseaux de contrôle établis par l’État démocratique pour canaliser l’indignation – même dans sa forme domestiquée, inoffensive ou réduite à un simulacre – face au futur que nous réserve le capitalisme, est fatalement voué à mourir en finissant dans leurs filets. Il s’agit finalement de convaincre qu’il est inutile de penser pouvoir lutter contre le système, parce que le système capitaliste finit toujours par récupérer cette lutte dans une forme même plus caricaturale qu’à l’origine.
Le mouvement des Indignés en Espagne, tout comme celui qui a surgi les mois suivants aux États-Unis ou en Israël, ou encore comme d’autres expressions de la lassitude envers ce système capitaliste qui transforme les êtres humains en vulgaires marchandises, n’a pas réussi à dépasser le piège tendu par l’État bourgeois, et particulièrement par ses fractions les plus aptes au sabotage de tout mouvement de remise en cause du capitalisme. Cela ne veut pas dire que la possibilité d’une réflexion, d’une recherche pour tirer les leçons sur les causes de l’épuisement de ces mouvements, n’existe pas – même de façon latente – dans la dynamique de la situation actuelle. Les stimulants pour alimenter cette réflexion ne manquent pas. Le capitalisme s’enfonce chaque jour davantage dans l’abîme d’une misère croissante pour d’énormes masses de population, dans une multiplication de foyers de guerre et de terreur, dans un éparpillement de scénarios de catastrophes écologiques. La classe exploiteuse aura toujours besoin, et sera toujours prête à rémunérer grassement quiconque proclame à tous les coins de rue que le roi n’est pas nu, qu’il a seulement besoin de nouveaux habits, comme ceux qu’il porte déjà, que Podemos ou encore la “nouvelle gauche” en Grande-Bretagne sont prêts à lui tailler et confectionner sur mesures.
Paolo, 13 décembre 2015
(AP, organe du CCI en Espagne)
1 Comme nous l’avons déjà dénoncé dans notre précédent numéro d’Acción Proletaria. Voir notre article en espagnol [557].
2 De fait, une grande partie de la main d’œuvre de la formation “podémiste” est constituée par les militants de la dénommée “gauche anticapitaliste” formée à partir des débris des organisations gauchistes des années 1980 et de la énième scission “de gauche” du Parti “communiste” espagnol.
3 Extrait de notre tract diffusé internationalement sur le bilan des mouvements de 2011 : “De l’indignation à l’espoir”, publié sur notre site le 30 mars 2012.
http ://fr.internationalism.org/files/fr/tract_inter_2011.pdf [558]
4 Perpétré par les talibans dans le quartier diplomatique et dans lequel ont péri quatre policiers afghans et deux espagnols, à la suite duquel le gouvernement espagnol avait déclaré que c’était “une attaque contre l’Espagne”, NdT.
5 Ce n’est pas pour rien que les assemblées sur les places ont refusé avec défi de suivre l’appel à leur dissolution au cours de la “journée de réflexion” du 21 mai.
6 Extrait du tract international [558] du CCI déjà cité.
7 Des quelques 380 000 sympathisants que compte Podemos, seuls 15 % ont pris part aux primaires et à peine 4 % se sont mobilisés pour l’adoption de son programme électoral.
L’eau est vitale à la vie, à l’humanité. Les deux-tiers de la planète sont recouverts par l’eau. Et pourtant… l’eau potable devient une denrée rare, précieuse, y compris dans les zones urbaines les plus développées. Vivre ou survivre en buvant un simple verre d’eau n’est plus chose aisée ! Et là, point de sécheresse ou désertification climatique comme dans beaucoup de zones arides africaines ou australiennes. Non, seules les pollutions industrielles ou agricoles sont en cause.
Le scandale de l’eau polluée de Flint, une petite ville du Michigan aux États-Unis, en est le dernier exemple en date. Les faits : en 2014, pour réduire ses coûts, la municipalité de Flint, plutôt que de continuer de l’acheter à la ville de Detroit, a décidé de puiser son eau dans la rivière locale, à la qualité douteuse. Après la découverte d’une bactérie, les autorités municipales entament un traitement chimique qui finit par ronger les conduites en plomb du réseau de distribution. Pendant un an et demi, entre avril 2014 et l’automne 2015, les habitants de cette ville de 100 000 habitants majoritairement noirs et pauvres ont utilisé et consommé cette eau contaminée au plomb. Malgré les plaintes à répétition, sans résultat, 87 cas de légionellose sont constatés dont 10 mortels, des milliers d’enfants sont contaminés avec risques de dommages irréversibles sur le système nerveux.
Le scandale sanitaire qui suit contraint Barack Obama à décréter une situation d’urgence, le président affirmant lui-même, la main sur le cœur : “Si j’étais en charge d’une famille là-bas, je serais hors de moi à l’idée que la santé de mes enfants puisse être en danger”. La mobilisation politique alors déclenchée est presqu’un exemple d’unanimité ! Le gouverneur de l’État du Michigan et l’administration municipale de Flint sont accusés de négligence et d’avoir fermé les yeux sciemment pendant des mois. Les appels à la démission se multiplient, à l’image de celui lancé par l’une des figures de Flint, le réalisateur de cinéma Michael Moore : “Ce n’est pas seulement une crise de l’eau. C’est une crise raciale, une crise de la pauvreté”, lance le cinéaste, estimant qu’un tel scandale ne serait jamais arrivé dans une ville aisée et blanche du Michigan. Car Flint, ancien pôle industriel dans l’ombre de Détroit, a subi de plein fouet l’effondrement de l’industrie automobile, en particulier celles de General Motors (fondée à Flint en 1908). En un demi-siècle, Flint a perdu la moitié de ses habitants. Le taux de chômage y est aujourd’hui près de deux fois supérieur à la moyenne nationale et 40 % de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Alors, ça y est : tout est dit ! Les responsables de la crise de l’eau sont trouvés : ils sont racistes et profitent de la misère des laissés-pour-compte pour faire des économies sur leur dos ! Voilà les coupables, les “méchants” !
Est-ce aussi simple ? Que ces autorités locales ou régionales portent une lourde responsabilité, c’est une évidence. En bons gestionnaires capitalistes qu’ils sont, toutes ces administrations se doivent de rentabiliser leurs comptes face à la crise. Et elles n’ont souvent pas d’états d’âme en la matière ! Mais l’État américain, comme tous les États capitalistes, s’est refait une virginité à bon compte : “Les coupables doivent être punis et la situation doit revenir à la “normale””, “Plus jamais ça !”. Ces mêmes phrases-type ont déjà été entendues à chaque scandale financier, sanitaire ou écologique dans le monde depuis des années et des années, ou même lors de tel ou tel épisode barbare, guerrier, terroriste sur l’ensemble de la planète. De Bhopal à Fukushima, en passant par le sang contaminé, l’Amoco Cadiz, l’usine AZF et des milliers d’autres épisodes, il faut toujours jeter des coupables à la vindicte pour tenter de calmer l’indignation et empêcher toute réflexion sur les causes profondes de tels scandales.
En l’occurrence, l’État américain, Obama en tête, se permet d’apparaître comme garant de la salubrité publique face à tous les margoulins ou politiques avides de profit ! Ils seraient donc les champions de la moralité et les chevaliers blancs de la qualité de vie ? On croit rêver… ou plutôt cauchemarder ! Ce sont les États qui, les premiers, réduisent les budgets de fonctionnement, les budgets sociaux, instaurent les programmes d’austérité, réduisent les populations au chômage de masse et les font tomber dans la précarité permanente. Qu’à cela ne tienne : il faut un coupable à sacrifier et surtout éviter que les États et le système capitaliste comme un tout n’en soient rendus responsables !
Cette logique cache en fait l’essentiel et c’est le but de la manœuvre : derrière chaque scandale ou catastrophe, il y a effectivement souvent la recherche du profit. Mais le principe du profit n’est pas l’apanage de tel ou tel bourgeois malintentionné ou corrompu : c’est la logique permanente d’un système aux abois, barbare, d’une classe bourgeoise qui ne vit que de la concurrence, du profit. Ce sont ses lois implacables, inhérentes du capitalisme.
Engels déclarait en 1845 déjà : “Je n’ai jamais vu une classe si profondément immorale, si incurablement pourrie et intérieurement rongée d’égoïsme que la bourgeoisie anglaise, et j’entends par là surtout la bourgeoisie proprement dite (…) Avec une telle rapacité et une telle cupidité il est impossible qu’il existe un sentiment, une idée humaine qui ne soient souillés (…) toutes les conditions de vie sont évaluées au critère du bénéfice et tout ce qui ne procure pas d’argent est idiot, irréalisable, utopique (…)” 1.
Rien n’a fondamentalement changé depuis. Au contraire. Avec la décadence du capitalisme depuis près d’un siècle, sa décomposition sur pied jour après jour, la recherche du profit pousse à la guerre de tous contre tous, au niveau planétaire comme au simple niveau local. Le capitalisme, est une catastrophe permanente. Et, pour survivre, il doit trouver à chaque épisode spectaculaire et désastreux, un responsable particulier, un bouc émissaire : un “mauvais choix politique”, un dirigeant pourri”, une “erreur humaine”, le “climat”, le “hasard”, la “folie”... Les États bourgeois, États-Unis en tête, se dédouanent ainsi à bon compte pour préserver leur monde en putréfaction.
Soyons clairs : il n’est pas question pour nous de défendre une analyse “fataliste” de l’histoire où tout serait écrit d’avance, où chaque catastrophe serait annoncée, inéluctable et banalisée. C’est même exactement l’inverse ! C’est la bourgeoisie elle-même, avec toutes ses variantes idéologiques, qui défend la “fatalité” de l’existence du monde capitaliste en nous poussant à nous y résigner ; il suffirait d’un peu plus de “bonne volonté” individuelle ou de faire confiance à un État “réellement démocratique” pour atténuer les effets de ces catastrophes inévitables, pour rendre ce “sort” plus tolérable.
Les partis de la gauche de l’appareil politique bourgeois se sont ainsi fait les champions de la “solution démocratique”. Le parti démocrate au pouvoir et les mouvances de gauche l’ont répétés à l’unisson : avec un État sincèrement à l’écoute des besoins du “peuple” tout irait pour le mieux : finis les scandales ! Finies les guerres ! Finie l’exploitation ! Mais la raison d’être de l’État est précisément la préservation des intérêts du capital, dont les profits sont à l’origine des scandales sanitaires en tout genre. Avec la “démocratie renouvelée”, la gauche capitaliste n’aspire qu’à anesthésier la classe ouvrière pour la rendre docile et renforcer son impuissance.
Le scandale de Flint, après bien d’autres, est l’occasion d’une nouvelle instrumentalisation politicienne de la part des démocrates bourgeois. Leur monde nous indigne toujours davantage et nous refusons la logique de mort au quotidien qu’ils défendent, celle des marchands et du système capitaliste qui est lui-même la catastrophe permanente. C’est bien ce système qui doit être renversé, radicalement, à l’échelle mondiale. Malgré les préjugés et des apparences contraires, les difficultés et le sentiment d’impuissance qui domine, la classe laborieuse, comme le disait Engels, reste la seule classe sociale apte à le faire. L’affirmation de la force collective internationale du prolétariat a en effet fait la preuve par l’histoire qu’elle pouvait renverser l’ordre établi et s’attaquer à la dictature du capital.
Stopio, 21 février 2016
1 La situation de la classe laborieuse en Angleterre.
Rassemblant chaque soir quelques milliers de participants, notamment place de la République à Paris, le mouvement “Nuit debout” fait la Une de l’actualité depuis le 31 mars. S’y réunissent des personnes de tous horizons, des lycéens et des étudiants, des précaires et des travailleurs, des chômeurs et des retraités, dont le point commun est l’envie d’être ensemble, de discuter, de se serrer les coudes contre les adversités de ce système... La sincérité de nombreux participants est indéniable ; les injustices les indignent et ils aspirent au fond à un autre monde, plus solidaire et plus humain. Pourtant, Nuit debout ne développera en rien leur combat et leur conscience. Au contraire, ce mouvement les conduit dans l’impasse et renforce les visions les plus conformistes qui soient. Pire, Nuit debout permet même à des idées nauséabondes, telle la personnalisation des maux de la société sur quelques représentants du système (les banquiers, l’oligarchie...), de s’épanouir sans complexe. Nuit debout ne va ainsi pas seulement égarer tous ceux qui y participent sincèrement, mais représente dès à présent un nouveau coup porté par la bourgeoisie à la conscience de toute la classe ouvrière.
Le projet de la loi Travail symbolise à lui seul la nature bourgeoise et anti-ouvrière du Parti socialiste. Cette réforme, qui implique une très forte dégradation des conditions de vie, cherche à diviser toujours plus les salariés en les mettant en concurrence les uns contre les autres. Ce qui fonde ce projet, c’est la généralisation de la négociation “boîte par boîte”, pour la durée de travail, la rémunération, les licenciements…
Pour accompagner l’acceptation de cette nouvelle loi, les syndicats ont joué leur rôle habituel : ils ont crié au scandale, exigé la modification ou le retrait de certaines parties du texte initial et prétendu “faire pression” sur le gouvernement socialiste par l’organisation de multiples journées d’actions et de manifestations. Ces défilés syndicaux qui consistent à battre le pavé les uns derrière les autres, au bruit de la sono et de slogans rabâchés ad nauseam (“Les travailleurs sont dans la rue, El Khomri, t’es foutue”, “Grève, grève, grève générale ! Grève, grève, grève générale !”, etc.), sans pouvoir débattre et construire quoi que ce soit ensemble, n’ont pour seul effet que de démoraliser et véhiculer un sentiment d’impuissance.
En 2010 et 2011, face à la réforme des retraites, ces mêmes journées d’action syndicale s’étaient succédées les unes aux autres durant des mois, rassemblant souvent plusieurs millions de personnes, pour finalement laisser passer l’attaque et, pire, entraîner un épuisement moral qui pèse encore aujourd’hui très fortement sur toute la classe ouvrière.
Il y a en revanche aujourd’hui une différence notable par rapport aux mouvements 2010 et 2011 : le phénomène Nuit debout, qui bénéficie d’une couverture médiatique et politique d’une ampleur et d’une bienveillance rares pour un mouvement prétendument social et contestataire.
“Nuit debout : le camp des possibles” ou “Nuit debout, ranimons l’imaginaire citoyen” titre le journal Libération pour qui “Peu importe l’issue politique du mouvement Nuit debout... Et si, sur les places publiques et ailleurs, se fabriquait de manière balbutiante une politique plus digne et quotidienne ?”. Ce soutien est d’ailleurs aussi vrai à l’échelle internationale. De très nombreux médias à travers le monde font une véritable publicité aux assemblées générales de Nuit debout qui réinventeraient, selon eux, la politique et le monde. Certains hommes politiques de gauche et d’extrême-gauche, dont beaucoup sont allés y pointer le bout de leur nez, sont également dithyrambiques. Jean-Luc Mélenchon, cofondateur du Parti de gauche, s’est réjoui de ce rassemblement tout comme le secrétaire national du Parti communiste français, Pierre Laurent. Pour Julien Bayou (EELV), Nuit debout “est un exercice de démocratie radicalisée en temps réel”. Même Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate à la primaire de la droite, entend sur la place des slogans “intéressants”, comme, par exemple : “Nous ne sommes pas seulement des électeurs, nous sommes aussi des citoyens”. Le Président de la République en personne, François Hollande, y est allé de son petit salut : “Je trouve légitime que la jeunesse, aujourd’hui par rapport au monde tel qu’il est, même par rapport à la politique telle qu’elle est, veuille s’exprimer, veuille dire son mot. (…) Je ne vais pas me plaindre qu’une partie de la jeunesse veuille inventer le monde de demain...” Même son de cloche à l’international : “Ces mouvements sont des étincelles magnifiques au milieu d’un ciel obscur” pour Yanis Varoufakis, l’ancien ministre grec des Finances.
Que valent autant d’éloges de la part d’une partie des grands médias internationaux et des hommes politiques ? La réponse se trouve dans les deux textes fondateurs du mouvement. Le tract distribué par le collectif Convergence des luttes lors de la manifestation du 31 mars à Paris et qui a lancé le premier rassemblement sur la Place de la République affirme : “Nos gouvernants sont murés dans l’obsession de perpétuer un système à bout de souffle, au prix de “réformes” de plus en plus rétrogrades et toujours conformes à la logique du néolibéralisme à l’œuvre depuis 30 ans : tous les pouvoirs aux actionnaires et aux patrons, à ces privilégiés qui accaparent les richesses collectives. Ce système nous est imposé, gouvernement après gouvernement, au prix de multiples formes de déni de démocratie...”. Le manifeste est du même tonneau : “L’humain devrait être au cœur des préoccupations de nos dirigeants...”
L’orientation est très claire : il s’agit d’organiser un mouvement pour faire “pression” sur les “dirigeants” et les institutions étatiques afin de promouvoir un capitalisme plus démocratique et plus humain. C’est effectivement cette politique qui imprime de son sceau l’ensemble de la vie de Nuit debout. Il suffit d’observer les actions qui sortent du travail des commissions et des assemblées : “Apéro chez Valls” (quelques centaines de manifestants ont essayé d’aller prendre l’apéro chez le Premier ministre le 9 avril), manifestation vers l’Élysée (le 14 avril, à la suite d’une émission de télévision à laquelle participait François Hollande), occupation d’une agence BNP Paribas à Toulouse, pique-nique dans un hypermarché grenoblois, perturbation de la tenue du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté et des conseils municipaux de Clermont-Ferrand et de Poitiers, établissement d’une ZAD à Montpellier, occupation d’un MacDonald’s à Toulouse, tags sur les vitrines des banques, dépôt de poubelles devant les portes de certaines mairies de Paris, etc.
Les propositions les plus populaires lors des assemblées générales parisiennes sont toutes aussi révélatrices de cette orientation politique d’espérer quelques aménagements superficiels ou faussement radicaux du système capitalistes : manifeste pour une “démocratie écologique”, salaire à vie, revenu de base, baisse des hauts revenus, plein emploi, développement de l’agriculture biologique, meilleure reconnaissance des minorités, démocratie par tirage au sort, meilleur engagement de l’État pour l’enseignement scolaire, notamment en banlieue, prix libre, partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, etc.
Face aux syndicats, Marx écrivait déjà en 1865 dans Salaire, prix et profit : “Il leur faut effacer cette devise conservatrice ‘Un salaire équitable pour une journée équitable’, et inscrire le mot d’ordre révolutionnaire ‘Abolition du salariat !”. C’est précisément cette logique révolutionnaire à laquelle ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre du mouvement Nuit debout tournent volontairement le dos, engageant ceux qui s’y laissent prendre, en particulier dans les rangs des jeunes générations qui se posent des questions sur cette société, sur un terrain pourri : celui du réformisme et des urnes.
La plus emblématique des revendications est sans nul doute la volonté de faire pression pour une nouvelle Constitution établissant une “République sociale”. Ainsi selon l’économiste Frédéric Lordon, l’un des initiateurs de Nuit debout : “Le premier temps de la réappropriation, c’est bien la réécriture d’une Constitution (...). Qu’est-ce que la république sociale ? C’est la prise au sérieux de l’idée démocratique posée en toute généralité par 1789...” .
Tout est dit. L’objectif central de ceux qui ont lancé Nuit debout c’est de réaliser une “vraie démocratie” telle que la Révolution française de 1789 l’avait promis ; seulement ce qu’il y avait de révolutionnaire il y a de deux siècles et demi, à savoir instaurer le pouvoir politique de la bourgeoisie en France, dépasser le féodalisme par le développement du capitalisme, bâtir une nation... tout cela est aujourd’hui devenu irrémédiablement réactionnaire. Ce système d’exploitation est décadent, il ne s’agit plus de l’améliorer, car cela est devenu impossible, mais de le dépasser, de le mettre à bas par une révolution prolétarienne internationale. Ainsi, est semée l’illusion que l’État est un agent “neutre” de la société sur lequel il faudrait “faire pression” ou qu’il faudrait protéger des “actionnaires”, des “politiciens corrompus”, des “banquiers cupides”, de “l’oligarchie”. Alors qu’en réalité, l’État est le plus haut représentant de la classe dominante, le pire ennemi des exploités.
Surtout, il ne faudrait pas sous-estimer le danger que représente la focalisation sur les “banquiers”, “les actionnaires”, les “politiciens corrompus”. Ce procédé consistant à accuser telle ou telle fraction, telle ou telle personne à la place du système d’exploitation comme un tout n’a pas d’autre signification que la préservation des rapports sociaux capitalistes. Il remplace ainsi la lutte de classe, la lutte contre le capitalisme et pour un autre monde, par une haine ciblée et dirigée contre les personnes qu’il suffirait d’écarter du pouvoir pour que tous les maux de la société s’évanouissent comme par enchantement (1.
Nuit debout prétend reprendre le flambeau des mouvements de 2006 et 2011. Mais en réalité, il vise à travestir leur mémoire en déformant totalement ce qui avait fait la force du mouvement contre le CPE et celui des Indignados, en prônant la discussion citoyenniste et républicaine, en focalisant la réflexion sur comment rendre le capitalisme plus humain et plus démocratique.
En 2006 en France, les étudiants précaires ont débattu dans de véritables assemblées générales souveraines qui ont libéré la parole. Ils ont aussi eu le souci d’élargir le mouvement aux travailleurs, aux retraités 2 et aux chômeurs, d’abord en leur ouvrant leurs AG, en mettant en avant des revendications larges dépassant le simple cadre du CPE 3 et en laissant de côté toutes les requêtes spécifiquement estudiantines. Cinq ans plus tard, en 2011, c’est en Espagne avec le mouvement des Indignados, aux États-Unis et en Israël avec celui des Occupy, qu’à nouveau s’est fait jour le besoin vital de se rassembler et de discuter des maux de ce monde capitaliste qui nous impose sa dictature faite d’exploitation, d’exclusion et de souffrances. Cette fois, les assemblées n’eurent pas lieu dans des amphithéâtres mais dans la rue et sur les places 4.
Lors du mouvement des Indignados en Espagne, dans un contexte différent, les mêmes ficelles avaient été tirées qu’aujourd’hui avec Nuit debout. Les altermondialistes de la DRY (Démocratie réelle maintenant), et donc d’Attac, s’étaient dissimulés sous le masque de “l’apolitisme” pour mieux saboter toute possibilité de réelle discussion. Là-aussi, ils avaient focalisé toutes les énergies sur la “vie des commissions” au détriment des débats en assemblées générales et sur les “bons choix” à faire “dans les urnes” (Podemos étant l’aboutissement de cette démarche). Mais le mouvement social était alors un peu plus profond. De nombreux manifestants avaient eu la force politique de tenter de prendre l’organisation de la lutte en main ; et de véritables assemblées générales, avec débat et réflexion sur la société, s’étaient tenus en parallèle à celles de DRY avec un black-out complet des médias. Voici ce que nous écrivions alors : “Le dimanche 22, jour d’élections, a lieu une nouvelle tentative d’en finir avec les assemblées. DRY proclame que “les objectifs sont atteints” et que le mouvement doit s’achever. La riposte est unanime : “Nous ne sommes pas ici pour les élections !” Lundi 23 et mardi 24, tant en nombre de participants que par la richesse des débats, les assemblées atteignent leur point culminant. Les interventions, les mots d’ordre, les pancartes prolifèrent qui démontrent une profonde réflexion : “Où se trouve la gauche ? Au fond à droite !”, “Les urnes ne peuvent contenir nos rêves !”, “600 euros par mois, ça c’est de la violence !”, “Si vous ne nous laissez pas rêver, nous vous empêcheront de dormir !”, “Sans travail, sans logement, sans peur !”, “Ils ont trompé nos grands-parents, ils ont trompé nos enfants, qu’ils ne trompent pas nos petits-enfants !”. Ils démontrent aussi une conscience des perspectives : “Nous sommes le futur, le capitalisme c’est le passé !”, “Tout le pouvoir aux assemblées !”, “Il n’y a pas d’évolution sans révolution !”, “Le futur commence maintenant !”, “Tu crois encore que c’est une utopie ?” (…) Cependant, c’est surtout la manifestation à Madrid qui exprime le virage du 19 juin vers la perspective du futur. Elle est convoquée par un organisme directement lié à la classe ouvrière et né de ses minorités les plus actives. Le thème de ce rassemblement est “Marchons ensemble contre la crise et contre le capital”. Les revendications sont : “Non aux réductions de salaires et des pensions ; pour lutter contre le chômage : la lutte ouvrière, contre l’augmentation des prix, pour l’augmentation des salaires, pour l’augmentation des impôts de ceux qui gagnent le plus, en défense des services publics, contre les privatisations de la santé, de l’éducation... Vive l’unité de la classe ouvrière !”” 5.
Nous ne partageons pas chaque revendication des Indignados. Des faiblesses, des illusions sur la démocratie bourgeoise étaient également très présentes ; mais la dynamique du mouvement était animée par un souffle prolétarien, une critique profonde du système, de l’État, des élections, un combat contre les organisations de gauche et d’extrême-gauche qui déployaient toutes leurs forces politiques pour limiter la réflexion et la rabattre dans les limites de ce qui est acceptable par le capitalisme.
La faiblesse actuelle de notre classe n’a pas permis que se dégage une telle critique prolétarienne de Nuit debout ni donc de faire fructifier l’envie d’être ensemble, de se solidariser et de débattre qui pouvait animer une partie des participants. Surtout, la bourgeoisie a tiré les leçons des mouvements précédents, elle a beaucoup mieux préparé le terrain et l’encadrement, consciente de ses capacités de manœuvre compte-tenu de l’état de faiblesse actuelle du prolétariat. Aujourd’hui, ce sont ainsi Attac, le NPA, le Front de gauche et tous les adeptes du réformisme et d’une prétendue “vraie démocratie”, qui restent les maîtres d’œuvre des Nuits debout et qui profitent du déboussolement et du manque de perspective comme de l’incapacité des prolétaires à se reconnaître comme classe et à identifier leur intérêts de classe pour occuper le terrain social. Ces groupes agissent en réalité comme expression et force d’appoint du capitalisme.
Il faut être clair : Nuit debout n’a rien de spontané. C’est un mouvement mûrement réfléchi, préparé et organisé de longue date par des animateurs et défenseurs radicaux du capitalisme. Derrière ce mouvement prétendument “spontané” et “apolitique” se cachent des professionnels, des groupes de gauche et d’extrême-gauche qui mettent en avant “l’apolitisme” pour mieux contrôler le mouvement en coulisses. D’ailleurs, l’appel du 31 mars avait déjà pour le premier soir une dimension d’emblée professionnelle : “Au programme : animation, restauration, concerts, partage d’informations, Assemblée citoyenne permanente et plein de surprises”.
L’origine de Nuit debout est une rencontre publique organisée à la Bourse du travail de Paris, le 23 février 2016. Cette rencontre, baptisée : Leur faire peur, est motivée par les réactions enthousiastes du public au film de François Ruffin, Merci Patron !. La décision est prise d’occuper la Place de la République à l’issue de la manifestation du 31 mars. “Le collectif “de pilotage”, une quinzaine de personnes, réunit : Johanna Silva du journal Fakir, Loïc Canitrot, intermittent de la compagnie Jolie Môme, Leila Chaibi du Collectif Jeudi noir et adhérente du Parti de gauche, une syndicaliste d’Air France également au PG, un membre de l’association Les Engraineurs, ou encore un étudiant à Sciences Po, l’économiste atterré Thomas Coutrot et Nicolas Galepides de Sud-PTT (…). L’association Droit au logement offre son aide, notamment juridique et pratique, l’organisation altermondialiste Attac et l’union syndicale Solidaires se joignent également au collectif. C’est l’économiste Frédéric Lordon qui est sollicité par le collectif d’initiative pour ouvrir cette première nuit parisienne du 31 mars. [Son idée :] “Pour la république sociale”, (...) trouvera un écho dans les ateliers de réflexion sur l’écriture d’une nouvelle Constitution (Paris, Lyon...)”. Ces quelques lignes extraites de Wikipédia révèlent à quel point toutes les forces politiques officielles, syndicales et associatives de la gauche ont contribué à préparer en amont puis à prendre en charge le mouvement Nuit debout.
En particulier, qui est François Ruffin ? Rédacteur en chef du journal gauchiste Fakir, il est un proche du Front de gauche et de la CGT. Son objectif est de faire “pression sur l’État et ses représentants” ou, pour reprendre ses propres mots, “leur faire peur” (sic). Pour qu’un mouvement réussisse, selon lui, il faut que “le combat dans les rues et l’expression dans les urnes convergent”, comme en 1936 et “même en 1981”. C’est oublier volontairement un peu vite que 1936 a préparé l’embrigadement de la classe ouvrière dans la Seconde Guerre mondiale ; quant à 1981, ce prétendu “mouvement social” a permis au Parti socialiste d’arriver au pouvoir pour mener l’une des politiques les plus efficacement anti-ouvrières de ces dernières décennies ! Voilà la coulisse de Nuit debout : une entreprise grandement destinée à faire croire à tous ses participants de bonne foi et plein d’espoirs qu’ils luttent de manière efficace et radicale pour mieux les diriger vers les urnes et l’illusion que la société capitaliste peut-être plus humaine si on vote pour les “bons partis” 6.
Cette initiative de la gauche du PS et de l’extrême-gauche arrive à un moment extrêmement opportun pour la bourgeoisie : à un an des élections présidentielles, alors que le PS est très largement discrédité. Ce qui se joue à court et moyen terme, c’est en grande partie la capacité de la bourgeoisie à dégager une nouvelle gauche crédible devant la classe ouvrière, une gauche “radicale, alternative et démocratique”. Cette même dynamique se joue d’ailleurs de manière assez semblable dans de nombreux pays, avec Podemos en Espagne et Sanders aux États-Unis, par exemple. Il n’est pas du tout certain que cette partie de la manœuvre, son versant électoraliste, aboutisse à un succès pour la bourgeoisie, c’est-à-dire à une mobilisation dans les urnes, car la classe ouvrière est très profondément dégoûtée par l’ensemble des partis politiques. De même, la tentative de François Ruffin de rabattre les participants de Nuit debout vers les syndicats 7, en particulier la CGT, a jusque-là été un échec. Par contre, l’idéologie véhiculée par ce mouvement, le citoyennisme, qui dilue encore un peu plus l’identité de classe du prolétariat et la personnalisation au lieu du combat contre le système capitaliste, est un poison particulièrement efficace et dangereux pour l’avenir.
Nuit debout, plus encore qu’une énième manœuvre des forces de gauche et d’extrême-gauche de la bourgeoise, est le symbole des très grandes difficultés actuelles des ouvriers à se reconnaître comme une classe, comme une force sociale porteuse d’un avenir pour l’ensemble de l’humanité. Et ces difficultés ne sont pas ponctuelles : elles s’inscrivent dans un processus profond et historique de la société. Les graines plantées par des mouvements comme la lutte contre le CPE ou les Indignados qui ont été des expressions de besoins réels du prolétariat pour développer son combat sont aujourd’hui comme endormies dans un sol gelé. Quant aux mouvements plus anciens, ceux de la Commune de Paris ou de la révolution d’Octobre 1917, ils sont ensevelis pour l’instant sous des tonnes de mensonges et d’oublis.
Mais si l’atmosphère sociale se réchauffait, sous les coups de boutoir de la crise et de l’aggravation inévitable des attaques contre toutes nos conditions d’existence, alors quelques fleurs pourraient germer. Cette confiance en l’avenir se fonde sur la conscience que le prolétariat est une classe historique qui porte toujours en elle cet autre monde, libéré des rapports d’exploitation, nécessaire et possible pour l’humanité.
Germain, 15 mai 2016
1) Cette dénonciation de l’oligarchie est d’ailleurs très proche de la focalisation sur l’Establishment par Donald Trump aux États-Unis. Si les apparences sont différentes, il s’agit en réalité du même fond idéologique, celui de la personnalisation.
2) “Vieux croûtons, jeunes lardons, la même salade !” était l’une des pancartes ayant le plus grand succès.
3) À propos du CPE, lire sur notre site : “Salut aux jeunes générations de la classe ouvrière !”
4) Lire sur notre site notre : “Dossier spécial sur le mouvement des Indignés et des Occupy”.
5) Extraits de notre article publié sur le web : “La mobilisation des indignés en Espagne et ses répercussions dans le monde : un mouvement porteur d’avenir”.
6) Pour mieux comprendre la pensée de François Ruffin et les origines de Nuit debout, lire notre article dans ce même journal sur le film : Merci patron !.
7) “Je souhaite qu’on fasse un très gros 1er Mai, que la manifestation se termine à République et qu’on fasse un meeting avec les syndicats qui sont opposés à la loi travail.”
Il se peut que les récentes attaques terroristes en France et en Belgique sont une expression des difficultés rencontrées par l’État islamique dans la guerre en Irak et en Syrie, mais les attaques meurtrières soudaines sur la population des pays centraux du capitalisme sont rapidement en train de devenir une réalité quotidienne, tout comme elles le sont depuis plusieurs années en Syrie, en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, en Turquie, en Libye, au Nigeria, en Somalie, au Soudan et dans de nombreux autres pays pris dans la zone de guerre aujourd’hui en expansion. En somme, les terroristes ont “rapporté la guerre à la maison”, et même si Daech est en train d’être militairement affaibli dans l’aire de son “Califat”, il existe de nombreux signes montrant que l’influence de ce groupe ou d’autres similaires se répand en Afrique et ailleurs. C’est parce que les conditions qui engendrent le terrorisme moderne continuent de mûrir. Tout comme Al-Qaïda fut poussé à l’arrière-plan en tant qu’ “ennemi no 1” avec la montée de l’EI, de nouveaux gangs peuvent émerger, et pas nécessairement islamistes : il semblerait que les deux plus récentes atrocités commises en Turquie aient été réalisées par une tendance ou une ramification du “Parti des travailleurs du Kurdistan”.
Nous vivons dans une civilisation, le mode de production capitaliste, qui depuis longtemps a cessé d’être un facteur de progrès pour l’humanité, ses idéaux les plus élevés se sont révélés être complètement dégénérés et corrompus. Dès 1871, à la suite de la Commune de Paris, Marx nota la coopération des grands rivaux nationaux, la France et la Prusse, dans l’écrasement du soulèvement des exploités, et prédit qu’à l’avenir l’appel à la “guerre nationale” ne deviendrait rien de plus qu’une excuse hypocrite pour l’agression et le vol, en tout cas dans les zones capitalistes avancées. En 1915, dans sa Brochure de Junius, Rosa Luxemburg soutint que désormais, sur une planète dominée par d’immenses puissances impérialistes, la guerre nationale n’était partout qu’une couverture pour les appétits impérialistes. Les guerres mondiales et les conflits entre superpuissances qui dominèrent le xxe siècle lui ont donné entièrement raison.
Et depuis l’effondrement des blocs à la fin des années 1980, la guerre, l’expression la plus manifeste de la compétition et de la crise capitalistes, est devenue de plus en plus irrationnelle et chaotique, une situation soulignée par le carnage en Syrie, qui est en train d’être réduite à l’état de décombres par une foule d’armées et de milices qui à la fois se font la guerre entre elles et se disputent le soutien des nombreux vautours impérialistes survolant la région (les États-Unis, la Russie, la France, la Grande-Bretagne, l’Iran, l’Arabie saoudite...).
L’idéologie irrationnelle de l’État islamique est un clair produit de cette folie généralisée. Dans la période des blocs, l’opposition aux puissances impérialistes dominantes avait tendance à employer des formes plus classiques de nationalisme : l’idéologie de “libération nationale” dans laquelle le but était de développer de nouveaux États nations “indépendants”, souvent accompagnée d’un zeste de verbiage “socialiste” lié au soutien des impérialismes russe ou chinois. Dans une période où non seulement les blocs mais aussi les entités nationales elles-mêmes se fragmentent, le pseudo-universalisme de l’État islamique suscite un attrait plus étendu ; mais par-dessus tout, dans une période de l’histoire qui porte constamment la menace d’une fin de l’humanité, d’un effondrement dans la barbarie sous le poids de la guerre et des crises économique et écologique, une idéologie de l’apocalypse, du sacrifice de soi et du martyre, devient un véritable appât pour les éléments les plus marginalisés et brutalisés de la société bourgeoise. Ce n’est pas par hasard si la plupart du personnel recruté pour les attaques en France et en Belgique vient des rangs des petits délinquants qui ont pris le chemin du suicide et du massacre de masse.
Le terrorisme a toujours été une arme du désespoir, particulièrement des couches de la société qui souffrent de l’oppression de la société capitaliste et qui n’ont aucun avenir en son sein, du petit-bourgeois ruiné par le triomphe du grand capital. Mais le terrorisme du xixe siècle visait habituellement les symboles du vieux régime, les monarques et autres chefs d’État et ciblait rarement les rassemblements de citoyens ordinaires. Les terroristes d’aujourd’hui semblent essayer de se surpasser mutuellement en cruauté. La faction talibane qui a mené l’attaque le jour de Pâques dans un parc de Lahore au Pakistan a déclaré qu’elle “visait les chrétiens”. En réalité, elle visait une aire de jeux d’enfants. Pas seulement des chrétiens, mais des enfants chrétiens. Et peu importe finalement à ces vaillants apôtres de la Vraie Foi que la majorité des tués aient été de toutes façons musulmans. À Paris, des personnes aimant écouter de la musique rock, danser et prendre un verre ont été considérées comme méritant la mort dans le communiqué de l’EI glorifiant les attaques. Mais même ces putrides justifications “religieuses” ne peuvent être poussées bien loin. Frapper un métro ou un aéroport vise d’abord et avant tout à tuer un maximum de personnes. Le terrorisme aujourd’hui, de manière écrasante, n’est plus en rien l’expression d’une classe opprimée, bien que non-révolutionnaire, dans sa résistance contre le capitalisme. C’est un instrument pur et simple de la guerre impérialiste, d’un combat à mort entre régimes capitalistes.
Il est parfois affirmé, pour justifier les attaques-suicides perpétrées par des Palestiniens en Israël, par exemple, que la ceinture d’explosifs est le drone ou le bombardier du pauvre. Ceci est vrai uniquement si l’on reconnaît que le “pauvre” recruté pour la cause de Daech ou du Hamas ne combat pas en réalité pour les pauvres mais pour un groupe rival d’exploiteurs en état d’infériorité impérialiste, que ce soit un proto-État local ou de plus grandes puissances impérialistes qui les arment et les couvrent diplomatiquement ou idéologiquement. Et qu’il soit mené par des groupes semi-indépendants comme Daech, ou directement par les services secrets de pays comme la Syrie et l’Iran (comme ce fut le cas de nombre d’attaques sur des cibles européennes dans les années 1980), le terrorisme est devenu un complément utile de la politique étrangère de tout État ou aspirant à le devenir, essayant de se tailler un créneau sur l’arène mondiale.
Cela ne signifie pas que des actes de terrorisme ne sont pas également utilisés par des États plus respectables : les services secrets de pays démocratiques comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, sans oublier Israël, bien sûr, ont une longue tradition d’assassinats ciblés et même d’opérations sous fausse bannière, sous l’apparence de factions ouvertement terroristes. Mais retournons à la comparaison entre la ceinture d’explosifs et le chasseur-bombardier sophistiqué. Il est vrai que le modèle pour les terroristes est moins la liquidation habile de tel ou tel individu gênant par la CIA ou le Mossad que l’effarant pouvoir de destruction des canons et des avions d’armées établies, des armes qui peuvent pulvériser des villes entières en l’espace de quelques jours. La logique de la guerre impérialiste est le massacre systématique de populations entières ; et c’est quelque chose qui s’est visiblement accéléré ces cent dernières années, de la Première Guerre mondiale et ses combats principalement entre armées sur le champ de bataille, en passant par le nombre immense de civils arrosés de bombes ou exterminés dans les camps de la mort durant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à la potentielle menace d’annihilation du genre humain tout entier.
“Vos armées tuent nos enfants avec vos avions, nous vous rendons donc la monnaie de votre pièce en tuant vos enfants avec nos bombes”. C’est la justification des terroristes fréquemment entendue sur leurs vidéos antérieures ou postérieures à leurs atrocités. Encore une fois, ceci montre à quel point ils suivent fidèlement l’idéologie de l’impérialisme. Loin de s’en prendre aux réels responsables de la guerre et de la barbarie, la petite classe d’exploiteurs et leurs systèmes étatiques, leur haine est dirigée vers des populations entières de vastes régions du globe, qui deviennent toutes des cibles légitimes, et ils jouent ainsi leur rôle dans le renforcement de la fausse unité entre exploiteurs et exploités qui empêche tout ce système pourri de craquer. Et cette attitude consistant à diaboliser des pans entiers de l’humanité est en pleine adéquation avec la déshumanisation de groupes particuliers qui peuvent ensuite faire l’objet de pogroms et d’attentats à la bombe dans des zones d’opérations plus courantes : les hérétiques chiites, les chrétiens, les yazidis, les juifs, les Kurdes, les Turcs...
Cette idéologie de vengeance et de haine résonne le plus souvent dans le discours de la droite en Europe et en Amérique, qui tend aujourd’hui à voir tous les musulmans et l’islam lui-même comme représentant la vraie menace pour la paix et la sécurité, désigne chaque réfugié des zones déchirées par la guerre comme une potentielle “taupe” terroriste, justifiant ainsi les mesures les plus impitoyables d’expulsion et de répression à leur encontre. Cette sorte de bouc-émissarisation est un autre moyen de masquer les réels antagonismes de classes dans cette société : le capitalisme est en crise profonde et insoluble, mais ne cherchez pas à savoir comment le capitalisme fonctionne au bénéfice de quelques-uns et pour le malheur du plus grand nombre, faites porter le chapeau à une partie du plus grand nombre, pour l’empêcher ainsi de s’unir contre les quelques-uns. C’est un stratagème très ancien, mais la montée du populisme en Europe et en Amérique nous rappelle qu’il ne faut jamais le sous-estimer.
Mais l’expansion du terrorisme, de l’islamisme radical et de ses images en miroir islamophobe et populiste ne devraient pas nous masquer une autre vérité très importante : dans les pays du centre du capitalisme, la principale force de conservation du système est l’État démocratique. Et tout comme l’État démocratique ne répugne pas à utiliser des méthodes terroristes, directement ou indirectement, dans sa politique étrangère, il utilisera chaque attaque terroriste pour renforcer tous ses pouvoirs de contrôle social et de répression politique. En Belgique, dans les jours suivant les attaques de Bruxelles, les pouvoirs policiers de l’État ont été considérablement renforcés : une nouvelle loi a été mise en place, augmentant la possibilité de descentes de police et d’écoutes téléphoniques, introduisant un suivi plus rapproché des financements “douteux”. Comme toujours, il y a eu une présence particulièrement ostensible de la police et de l’armée dans les rues. Des leçons ont été tirées de l’attaque contre Charlie hebdo à Paris qui a initialement donné lieu à des rassemblements spontanés exprimant la colère et l’indignation, requérant un effort majeur des médias et des politiciens pour être sûrs que tout ceci serait contenu dans le cadre de l’unité nationale. Cette fois, il y a eu des appels clairs de la police pour que les gens restent chez eux. En somme, faisons confiance à l’État démocratique, la seule force qui puisse nous protéger contre cette horrible menace. Les médias, pendant ce temps, poussaient la population à s’habituer à cette nouvelle et quotidienne ambiance de peur. Bien sûr, il y a eu un grand débat sur l’apparente incompétence des services de sécurité belges, qui ont ignoré un certain nombre d’indices avant les attaques. Mais le résultat final des investigations sur de telles carences sera de trouver des moyens d’améliorer la surveillance et le contrôle de la population entière.
Accroître les pouvoirs de l’État policier peut être utilisé contre la population, et la classe ouvrière en particulier, face à toute future explosion sociale provoquée par la crise du système, tout comme les lois contre les groupes terroristes qui “méprisent la démocratie” peuvent être utilisées contre des groupes politiques authentiquement révolutionnaires qui mettent en question l’ensemble du système capitaliste. Mais par-dessus tout, de la même manière que les idéologies islamiste et/ou nationaliste des terroristes servent à enterrer les réels conflits de classes dans tous les pays, l’appel à l’unité nationale derrière l’État démocratique sert à empêcher les exploités et les opprimés de n’importe quel pays de reconnaître que leur seul avenir réside dans la solidarité avec leurs frères et sœurs de classe à travers le monde, et dans la lutte commune contre un ordre capitaliste en pleine putréfaction.
D’après WR, organe de presse
du CCI au Royaume-Uni
Il y a plus d’un mois, des vidéos ont été diffusées sur les réseaux sociaux montrant des comportements d’une cruauté sans nom au sein de certains abattoirs français. L’association L214 Éthique & Animaux a filmé en caméra cachée et diffusé sa vidéo montrant comment sont traités les animaux d’un abattoir près de Pau. Cette vidéo a été reprise par les réseaux sociaux et les principaux médias dès le 29 mars. Le traitement infligé aux animaux, les atrocités et sévices commis parfois directement par les employés sont insoutenables. Le personnel découpe les animaux encore vivants, les assommant parfois à coups de crochet. Certains poussent des animaux en leur assénant des coups d’aiguillon électrique sur la tête, on voit même un agneau écartelé vivant, pris entre deux crochets en l’absence de l’opérateur. Ce sont des images analogues qui avaient poussé à la fermeture de l’abattoir d’Alès en octobre 2015 et à sa suite l’abattoir du Vigan en février 2016.
Une telle banalisation de pratiques barbares ne saurait signifier qu’elles sont la simple conséquence du sadisme ou du manque de scrupule du personnel. Soumis à des cadences mécanisées infernales, poussés par la rentabilité dans un contexte ultra-concurrentiel, par la compression des effectifs, leurs gestes sont par nécessité expéditifs, provoquant des souffrances inimaginables aux animaux, mais aussi, d’une certaine manière, aux hommes qui doivent les abattre. Cette situation oblige en effet les personnels à se forger une carapace, à la désensibilisation forcée. La bestialité du personnel est avant tout celle du système capitaliste, celle de son pouvoir totalitaire. Les actes de sauvagerie, les plaisanteries et les rires d’employés qui les accompagnent parfois, en apparence totalement assumés, sont autant de mécanismes de défense face à des tâches quotidiennes institutionnalisées et imposées par la logique meurtrière du capital.
Au-delà des pratiques dénoncées, assez courantes, nous devons comprendre que la marque de fabrique de cette société capitaliste est la standardisation, la transformation par la violence de la qualité en quantité. Dans quel but ? La rentabilité, le sacrifice de la nature et de l’homme lui-même à cette seule fin. Tout ce qui ose résister à la quantification est éliminé, méticuleusement disqualifié et exclu.
La concurrence pousse aux élevages en batteries, à des complexes hors sol, au mépris des animaux sauvagement engraissés et bourrés d’antibiotiques 1. Les animaux sont systématiquement transformés en usine à viande, en véritable monstres. Les bovins des feed-lots (parcs d’engraissement), par exemple, sont non seulement entassés en masse dans des espaces ultra-réduits, mais déformés physiquement au point de présenter une hypertrophie musculaire. Les vaches laitières ont une espérance de vie très réduite du fait des traites intensives, cela, alors que la surproduction pousse en même temps les éleveurs en colère à épandre leur lait invendu dans les champs ! Les pollutions de ces élevages massifs sont un des fléaux majeurs, les animaux baignant dans leurs déjections avec des risques de maladies accrus.
Les mêmes méthodes d’élevages sont utilisées lors de la sélection des canards ou des oies pour la production du foie gras. On inflige à ces animaux des souffrances terribles et souvent inutiles. D’abord, on sélectionne les mâles car leur foie grossit plus vite et on demande au personnel de jeter les femelles dans des broyeurs pour les tuer. Certaines agonisent lentement dans des bacs mouroir. Le gavage lui-même “occasionne des lésions, des inflammations (œsophagites, entérites), et des infections (notamment des candidoses et des infections bactériennes)” 2. On pourrait continuer ainsi la description de cruautés tout aussi scandaleuses, par exemple sur les porcs ou les animaux domestiques. Mais il est clair que la réalité de cette violence ne se limite en rien aux actes sur les animaux. Elle ne fait que parachever une logique d’uniformisation industrielle totalitaire pour laquelle les animaux sont réduits à des marchandises, tout comme les producteurs à de la force de travail échangeable.
L’association déjà évoquée milite surtout pour l’application de l’article L 214 du Code rural reconnaissant les animaux comme êtres “sensibles” 3.
Même si nous pouvons le comprendre, le combat de cette association est voué à l’échec ou du moins ne peut provoquer que des changements très éphémères puisqu’il en appelle simplement à “appliquer la loi”. Les lois ne sont en réalité que des “cache-sexes” qui cherchent à nous faire croire que les réactions d’indignation des hommes politiques et leur soutien médiatique peuvent modifier sur le fond de telles pratiques liées fondamentalement à la logique bien réelle du capitalisme et du profit. C’est pourquoi, l’association L214, qui dénonce fort justement de nombreuses pratiques barbares lors d’abattage d’animaux, participe à la mystification sur la légalité bourgeoise lorsqu’elle en appelle aux “élus de la nation” pour “faire appliquer la loi”. Elle invite même les “citoyens” à faire pression sur “les personnalités politiques” : “Politique-animaux.fr se veut un outil au service des citoyens. Les ressources mises à leur disposition pourront les aider à interpeller les élus ou candidats, ainsi qu’à orienter leur vote lors des échéances électorales”.
Quand on voit la manière dont le capitalisme traite les êtres humains, les ouvriers dans les “unités de production” ou les migrants qui fuient les atrocités de la guerre et l’horreur de la faim, on voit mal comment le sort des animaux d’élevage pourrait le préoccuper. La réalité et le caractère éminemment mystificateur des “libertés publiques” et de “l’égalité entre les hommes” érigées en “Droits de l’homme” il y a plus de deux cents ans laissent déjà deviner à quel point le “droit animal” est voué à n’être qu’une coquille vide.
La mise à jour de pratiques alliant l’inhumanité de la production de marchandises et l’excès de cruautés jusqu’au sadisme dans l’abattage des animaux, si elle indigne, n’a pas d’autres finalité que mystifier les “citoyens” sur le terrain de l’ordre capitaliste à l’origine de ces horreurs. Le système a établi des règles hypocrites (des lois) contournées du fait de la logique économique de productivité et du contexte de guerre commerciale généralisée. Dans plusieurs sites de production de viande animale où des comportements barbares commis lors d’abattage d’animaux ont été signalés, au moins une partie de la viande produite avait acquis des labels de qualité (Label rouge et IGP) et, dans plusieurs cas, elle était certifiée bio. Ce qui devrait signifier, en principe, un maximum de précaution et de respect. Le directeur d’un abattoir donne pourtant une explication très limpide sur la raison de ces pratiques barbares lorsqu’il décrit les cadences de travail : “Il faut tuer 15 000 agneaux en quinze jours pour Pâques. Si on travaillait plus sereinement, ils ne commettraient pas ce type d’action” 4.
En fait, plus la barbarie se développe au sein de cette société, plus sont utilisés n’importe quel argument ou règlement pour en masquer les causes et continuer à vendre n’importe quel produit en tentant d’augmenter les profits. Pour cela, le marketing imagine de nouveaux “labels” qui visent à inciter le consommateur à acheter des produits d’une marque qui revendique une prétendue “éthique” ou “qualité supérieure”. Mais ces labels ne préservent pas de la réalité de la décadence en marche du système capitaliste. Comme le dit un expert, consultant en sécurité alimentaire, nous sommes là devant des images “révélatrices du fonctionnement standard des abattoirs en France [dans lesquels] les cas de maltraitance ou de négligence sont quotidiens” )(5.
En fait, on ne prend pas plus de précaution dans l’abattage d’animaux que lorsqu’on découpe du bois ou que l’on trie des pierres. Et il en va de même pour les êtres humains robotisés par les rapports sociaux et qui ne sont que de la force de travail à exploiter, des “choses”, plus exactement des marchandises qu’on achète et qu’on vend sur le marché du travail.
Le capital se fiche totalement des êtres humains et des animaux. Son organisation implacable n’a pas pour finalité la satisfaction des besoins humains. Elle ne répond qu’à la loi du marché et du profit. On prétend que la folie destructrice du capital serait le prix à payer pour nourrir les hommes. Ceci est faux. La réalité est que les industriels produisent de manière aveugle avec un objectif quasiment unique : vendre à tout prix la marchandise. Nourrir n’est donc qu’une simple conséquence dont se moque le système. Et en l’occurrence, il faudrait bien souvent plutôt parler d’empoisonnement (voir nos articles sur la malbouffe sur https ://fr.internationalism.org). C’est ce qui explique que cette logique totalitaire puisse aussi permettre que “toutes les cinq secondes un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Sur une planète qui regorge pourtant de richesses… Dans son état actuel, en effet, l’agriculture mondiale pourrait nourrir sans problèmes 12 milliards d’êtres humains, soit deux fois la population actuelle. Il n’existe donc à cet égard aucune fatalité. Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné” 6.
Rappelons aussi comment les gouvernements des pays européens viennent de marchander avec le gouvernement de Turquie l’acceptation ou le rejet des nouveaux migrants, traités comme du bétail qu’on parque et déplace sans aucune préoccupation de respect et de dignité. L’État capitaliste traite les êtres humains comme il traite les animaux et réciproquement.
Bien sûr, les bourgeois ne pratiquent pas eux-mêmes directement ces gestes horribles qu’ils commanditent et que bien souvent ils méprisent en prenant bien soin de les observer à distance. Jamais, pour la plupart, ils ne supporteraient de se salir les mains ! Ils disposent pour cela d’une masse d’exploités. Peu importe les conséquences sur les humains ou les animaux, ces “êtres sensibles” que le capital méprise et broie. Tout cela, Rosa Luxemburg le reconnaissait déjà et le dénonçait, il y a un siècle, affirmant par là-même son grand sens moral, comme en témoigne une de ses lettres (voir la republication de ce texte de Rosa Luxemburg ci-dessous). Elle savait se sentir proche d’un animal qui souffrait après avoir été battu violemment par un soldat parce qu’il n’arrivait pas à franchir un obstacle. Et elle était capable d’assimiler cette férocité aux actes barbares commis entre êtres humains en temps de guerre : “Et devant mes yeux, je vis passer la guerre dans toute sa splendeur...”.
Paco, 22 avril 2016
1 Ce qui favorise au passage la prolifération de bactéries résistantes et réduit l’efficacité des médicaments pour les hommes également.
2 “Des canetons broyés et mutilés pour produire du foie gras” (Le Monde, 21 décembre 2015).
3 “Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce” (Article L 214-1 du Code rural).
4 “Un abattoir du Pays basque fermé après la découverte d’actes de cruauté [563]” (Le Monde, 29 mars 2016).
5 “Actes de cruauté dans un abattoir du Gard certifié bio” (Le Monde, 23 février 2016).
6 Destruction massive – Géopolitique de la faim, 2011, Jean Ziegler (rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation entre 2000 et 2008).
Le film-documentaire Merci patron ! sorti en février 2016 connaît un grand succès en France avec plus de 300 000 entrées et un large relais dans les médias. Comment expliquer ce succès ? Le thème du film a évidemment attiré une partie de la population qui ne supporte plus la société dans laquelle nous vivons. Merci patron ! dénonce, avec dérision, la paupérisation de la classe ouvrière et la misère physique et psychologique dans laquelle la plonge le chômage de masse. Ainsi, il n’est pas surprenant qu’une partie des ouvriers se reconnaisse dans la dénonciation des conditions de vie que soulève ce documentaire. Merci patron ! exalte également un désir de combat, une volonté de ne pas se laisser faire face à la rapacité des capitalistes, mais sur un terrain où brille l’impuissance et l’absence de perspective. La volonté de s’opposer au patron est un aspect qui a sans doute séduit ceux qui se sont reconnus dans cette attitude de combat. Ainsi, d’une certaine façon, ce documentaire semble offrir un bol d’air frais dans une période où la classe ouvrière ne parvient pas réellement à faire entendre sa voix.
Ce film-documentaire est réalisé par le journaliste et membre fondateur du journal Fakir, François Ruffin. Ce dernier s’assume ouvertement comme un journaliste engagé, très critique sur le monde des médias en général. A l’image du journal Fakir, il se réclame indépendant politiquement mais ne cache pas ses sympathies pour le Front de gauche. Il se déclare même être un “compagnon de route” de cette formation politique.
Par ailleurs, François Ruffin ne se réclame pas de la classe ouvrière mais prétend plutôt appartenir “à la petite-bourgeoisie intellectuelle”. Ce qui selon lui, n’est pas un obstacle pour “entrer en contact avec une autre classe”. François Ruffin souhaite donc unir la classe ouvrière aux couches intermédiaires comme la petite-bourgeoisie, considérant celle-ci comme le moteur d’un changement social. Voici ce que le fondateur de Fakir répondait dans une interview accordée dernièrement au site Ballast : “Lénine disait : “Une situation pré-révolutionnaire éclate lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus, ceux d’en bas ne veulent plus et ceux du milieu basculent avec ceux d’en bas”. Il y a un gros travail à faire sur la classe intermédiaire pour la faire basculer avec ceux d’en bas. Sans prétention, j’estime que c’est sur ce point que je suis le meilleur. Faire une jonction de classes. Avec Merci patron !, j’ai fait un film transclasse”. François Ruffin a au moins le mérite d’exposer ouvertement ses buts politiques !
Il était important de revenir sur l’identité politique de François Ruffin et du journal Fakir pour bien comprendre que Merci patron ! draine un certain nombre de “tares” précisément apparentées aux couches intermédiaires de la société qui ne sont porteuses d’aucune perspective en mesure de changer réellement la société.
Dans ce film, François Ruffin se fait passer pour un “fan” de Bernard Arnault, le PDG du groupe LVMH. Il souhaite rétablir le dialogue entre les ex-salariés du groupe, licenciés suite à des délocalisations et le milliardaire français. Sur son parcours, il croise la route de Jocelyne et Serge Klur, deux anciens salariés d’une usine textile proche de Valenciennes, désormais au chômage, vivant avec trois euros par jours et sous le coup d’une expropriation. A la manière d’un super-héros qui n’a pas peur de se battre seul contre les “puissants”, François Ruffin s’engage à sauver la famille Klur en montant un stratagème contre Bernard Arnault.
Le premier miroir aux alouettes tendu par ce documentaire-fiction est de se polariser sur la figure de Bernard Arnault. Il s’agit en fait de réduire le mécanisme de l’exploitation capitaliste à des patrons véreux, sans dénoncer globalement le système, c’est-à-dire une forme de société basée sur un rapport social d’exploitation entre les salariés et les “patrons”. Cette façon de présenter les choses laisse la porte grande ouverte à l’idée qu’il puisse exister des patrons modèles se préoccupant davantage du bien-être de leurs employés que de l’augmentation des profits de leurs entreprises. D’ailleurs, la bourgeoisie utilise très souvent la légende du “bon” ou du “mauvais” patron en claironnant les prétendues vertus du réformisme social d’un Louis Gallois ou d’un Guillaume Pépy, deux PDG classés plutôt à gauche. En creux, le documentaire dissimule également que le fer-de-lance du capitalisme décadent n’est autre que l’État bourgeois et ses innombrables tentacules totalitaires qui s’enfoncent toujours plus profondément pour mieux contrôler tous les aspects de la vie sociale et... économique. Merci patron ! laisse donc planer l’idée que la classe ouvrière pourrait détenir de meilleures conditions de vie si le “droit patronal” était mieux “régulé” et si le capitalisme était “moralisé” ou “humanisé”. Cette posture franchement réformiste nie la validité d’un conflit d’intérêts irrémédiable dans la société capitaliste entre les salariés et les détenteurs des moyens de production. Rien d’étonnant pour un François Ruffin qui doute, à juste titre, “d’être réellement un révolutionnaire” et qui se reconnaît davantage dans le portrait que dresse à son égard le sociologue libertaire Jean-Pierre Garnier, à savoir “un réformiste allant jusqu’au bout de ses idées plutôt qu’un révolutionnaire en peau de lapin”.
Afin de sauver la famille Klur, Ruffin se fait passer pour leurs fils, et fait savoir au groupe LVMH que “ses parents” souhaitent faire connaître leur situation à différents médias, au journal Fakir et même au président de la République afin qu’elle soit rendue publique. Le chantage porte ses fruits puisque LVMH accepte de recouvrir les dettes de la famille et offre un CDI à Serge Klur dans un magasin Carrefour appartenant à Bernard Arnault. Même si ce combat semble partir d’un sentiment apparemment légitime, les méthodes employées (le chantage, la manipulation, l’intimidation) sont totalement étrangères à la classe ouvrière. Celle-ci lutte ouvertement et unie pour un seul et même objectif : la destruction du capitalisme. Elle ne se reconnaît en rien dans ces méthodes indignes, manœuvrières et dénuées de franchise animées par la simple révolte individuelle.
Enfin, ce film est une caricature de la façon dont la gauche du capital dépeint la classe ouvrière, à savoir des individus atomisés, soumis, sans courage, nageant en plein désespoir, incapables de s’indigner face à leur condition de vie insoutenable. Pour preuve, ce passage où Serge Klur se dit prêt à accepter tout boulot que pourrait lui donner Bernard Arnault pour 1500 euros.
François Ruffin nous dépeint en définitive une classe ouvrière prête à se prostituer qui ne peut se défendre sans l’aide des syndicats et des couches intellectuelles “éclairées”. S’il est vrai que les salariés ont aujourd’hui beaucoup de mal à se considérer en tant que classe exploitée, cela ne signifie pas que l’indignation, le combat uni par-delà les frontières, l’aspiration à une société sans exploitation ni guerre, autrement dit le potentiel politique qu’a démontré la classe au cours de son histoire ait à jamais disparu. Le but historique de la lutte du prolétariat n’est pas la défense de salaires “justes” mais d’abolir définitivement toute forme d’exploitation. Ce documentaire ignore autant qu’il dissout complètement cet héritage.
Il est significatif que ce documentaire ait trouvé un écho au sein du mouvement Nuit debout (dans lequel François Ruffin et des individus de son acabit jouent un rôle de premier plan) où la multitude des revendications individuelles parvient à prendre le pas sur l’affirmation pourtant nécessaire d’un objectif commun et unifié propre à la classe ouvrière et finit par noyer cet objectif.
Paul, 3 mai 2016
Les arguments de chaque camp dans le référendum pour le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union Européenne sont d’une grande bêtise. Tous font des déclarations extravagantes sur les avantages de rester ou de quitter l’UE tout en avertissant des dangers de la politique du camp adverse dans une pantomime perpétuelle à base de : “Oh non, ce n’est pas ça !” ou de : “Oh oui, ça l’est !”.
Cependant il est clair dès le départ qu’il ne peut y avoir qu’un seul gagnant : la classe dirigeante capitaliste britannique. On nous a demandé de considérer la question sous l’angle et la préoccupation de l’intérêt supérieur de la Grande-Bretagne : “Qu’est-ce qui est le mieux pour la Grande-Bretagne ?” L’emploi, les prix, les prestations sociales, les pensions, le revenu familial, les perspectives pour les grandes et petites entreprises, la sécurité, l’immigration, la souveraineté, le terrorisme… et tout ce à quoi on peut penser, tout devrait être examiné à l’aune de l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE. Or “ce qui est le mieux pour le capitalisme britannique”, dès qu’il est considéré dans un contexte international, signifie “ce qui est le mieux pour l’impérialisme britannique”.
Le fait que les ouvriers sont exploités par la classe capitaliste implique que leurs intérêts ne sont pas du tout les mêmes. Beaucoup de groupes et de partis, prétendant parler au nom de la classe ouvrière, donnent des recommandations sur comment voter. Le Parti travailliste dit que le fait de rester dans l’UE garantit des emplois, de l’investissement et une “protection sociale”. Beaucoup de gauchistes font campagne contre l’adhésion à l’Union Européenne, au motif que l’Europe des patrons est contre les nationalisations, impose l’austérité et attaque les droits des travailleurs. En réalité, l’une des principales attaques contre la classe ouvrière en Grande-Bretagne aujourd’hui, réside précisément dans la propagande autour du referendum et dans les illusions semées sur le processus démocratique et l’Union européenne que tous les discours mensongers de la bourgeoisie essaient de répandre.
Ce qui est approuvé par ceux qui veulent sortir et ceux qui veulent rester (ce qui profitera aux entreprises britanniques, ce qui sera bon pour l’État capitaliste britannique) est la base commune d’une campagne idéologique qui ne peut avoir comme effet que de désorienter davantage une classe ouvrière qui ne sait déjà pas où sont ses propres intérêts et dans quelle mesure elle a la capacité de changer la société. Cependant, cette campagne n’est pas que du cirque (bien qu’il y ait beaucoup de cela), dans la mesure où elle exprime et a exprimé depuis des décennies, de réelles divergences au sein de la classe dominante sur l’adhésion à l’UE.
La fraction dominante de la bourgeoisie britannique voit des avantages à faire partie de l’Union Européenne sur le plan économique, impérialiste et social. Les grandes entreprises du FTSE100, la majorité de l’industrie manufacturière, les grandes banques et autres institutions financières, les corporations multinationales, beaucoup de collectivités locales, des organismes représentant les hommes de loi et les scientifiques, tous reconnaissent l’importance d’accéder à un marché européen de 500 millions de personnes. Les affaires possibles avec l’UE, le fait que les échanges de l’Europe avec le reste du monde représentent 20 % des importations et exportations mondiales, l’attraction qu’exerce l’UE sur les autres pays pour les investissements est une nécessité pour le Royaume-Uni dans le cadre de sa stratégie impérialiste. A l’extérieur, les principales fractions de plusieurs grands pays capitalistes savent aussi que leur intérêt va dans le sens d’un maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE. En Europe même, les dirigeants allemands, français, espagnols et suédois se sont exprimés en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE.
En dehors de l’Europe, il est significatif que le président des États-Unis, Obama, fasse partie de ceux qui soutiennent le maintien du Royaume-Uni dans l’Europe. La question des rapports entre les États-Unis et la Grande-Bretagne n’est pas simple. Pendant la période des deux blocs impérialistes dirigés par les Etats-Unis et l’URSS, l’Angleterre était un membre à part entière du bloc de l’Ouest, un allié loyal de l’Amérique. C’est durant cette période que furent fondés les précurseurs de l’Union européenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier et son successeur, la Communauté économique européenne, qui faisaient aussi partie du bloc impérialiste dirigé par les États-Unis. Mais, avec l’effondrement du bloc de l’Est et la dissolution du bloc de l’Ouest qui en a été la conséquence, les intérêts impérialistes et économiques du capitalisme britannique se sont déplacés. Au niveau impérialiste, la Grande-Bretagne a essayé de suivre une voie indépendante tout en gardant des alliances avec d’autres puissances quand la situation l’exigeait. Au niveau économique, près de la moitié du commerce anglais s’effectue avec l’Europe, alors que 20 % des exportations sont dirigés vers les États-Unis. Dans un article publié dans WR no 353 en 2012, Pourquoi le capitalisme britannique a besoin de l’Europe, nous disions que “l’examen du marché international britannique montre que ses intérêts économiques se focalisent sur l’Europe et les États-Unis. Ceci aide à comprendre les actions de la classe dominante britannique ces dernières années (…). D’un côté, ce serait une erreur de voir une relation mécanique entre les intérêts économiques et impérialistes de la Grande-Bretagne, d’un autre côté, ce serait aussi une erreur de n’y voir aucun lien. L’analyse de la dimension économique révèle quelques-uns des fondements de la stratégie de la Grande-Bretagne dans le maintien de la position d’équilibre entre l’UE et les États-Unis.” Pour l’Oncle Sam, le Royaume-Uni est toujours un cheval de Troie en Europe, un moyen potentiel d’empêcher l’Allemagne de menacer la puissance américaine. Pour le Royaume-Uni, l’Allemagne est un partenaire commercial important, mais aussi un rival impérialiste potentiel.
Mais qu’en est-il de ceux qui font campagne pour sortir de l’UE ? Qui sont-ils ? Que représentent-ils ? Sur le plan économique, on a entendu les gestionnaires des fonds spéculatifs privilégier la sortie de l’UE ainsi qu’en général, les petits patrons et les responsables des petites et moyennes entreprises. S’il n’y avait rien d’autre à considérer, leur position serait facile à expliquer. La loi actuelle profite aux fonds spéculatifs, mais ces catégories sont naturellement enclines à se plaindre de toute forme de régulation qui entrave leur quête de profit. Quant à la taille des petites entreprises, elle ne pourrait bien être que la conséquence d’un manque de compétitivité mais cela ne les empêche pas d’en blâmer l’UE, le gouvernement anglais, les collectivités locales ou encore les pratiques des plus grosses entreprises. Tout peut être la cible de leur frustration, alors qu’en réalité, elles souffrent tout simplement des lois du marché.
Cependant, sur le plan politique, les fractions de la bourgeoisie qui soutiennent le Brexit sont remarquables par leur diversité et ne sont pas de manière évidente liées à un groupe ou à des couches sociales en particulier. On y retrouve les partis d’extrême-droite de l’UKIP au BNP, les eurosceptiques du Parti conservateur, et à gauche, un panel de staliniens et de trotskistes. Voici un rassemblement très disparate doté d’un large éventail de rhétorique et d’hypocrisie. Quand on voit un Michael Gove ou un Duncan Smith (qui sont au gouvernement depuis 2010 et appartiennent à un parti qui a été au pouvoir pendant 60 ans au cours des 100 dernières années) oser brandir des banderoles clamant : “Reprenons le contrôle !”, on a là un exemple édifiant du double langage de ces fonctionnaires blanchis de longue date sous le harnais de l’appareil d’État capitaliste. Cependant, les fractions favorables au “Brexit” ont autre chose en commun : c’est leur attachement à la rhétorique du populisme, se donner l’air d’être contre “l’ordre établi”, évoquant la nostalgie d’un passé mythique, jouant les perpétuels va-t’en guerre contre une menace extérieure. Dans une période de décomposition sociale croissante, le populisme est un phénomène en vogue. Aux États-Unis, il y a le Tea Party et Donald Trump, en Allemagne AFD et Pegida, en France le Front national et, à gauche, il y a Podemos en Espagne et Syriza en Grèce. Plus près de nous, lors des élections générales au Royaume-Uni de 2015, la campagne populiste du Parti national écossais fut la cause de la déroute de presque tous les députés travaillistes écossais.
Nous avons l’exemple de l’union de deux politiciens populistes lors d’un meeting anti-UE, lorsque Nigel Farage de l’UKIP (extrême-droite) a présenté Georges Galloway du Respect Party comme “l’un des plus grands orateurs de ce pays” et comme “une figure imposante de la gauche de l’appareil politique britannique”. Galloway a expliqué de son côté : “Nous ne sommes pas des amis ni du même bord mais nous défendons une cause commune. Comme Churchill et Staline…” La comparaison est limpide… Galloway voit le rapprochement entre la gauche et la droite classique comme une alliance impérialiste dans une guerre dont les enjeux sont la mort et la destruction à une grande échelle. Il n’a pas tort. Mais Farage et Galloway représentent eux-aussi les forces de guerre impérialiste et la destruction, au même titre que toutes les autres fractions de la classe dominante. Le problème le plus immédiat posée par la montée du populisme est celui-ci : alors que c’est de toute évidence un phénomène qui peut être utilisé par la bourgeoisie, le danger existe que ce phénomène échappe au contrôle des principaux partis politiques et constitue une entrave aux manœuvres politiques habituelles de la bourgeoisie.
Nous n’avons pas l’intention de spéculer sur les résultats du référendum à venir. Il est difficile de savoir quelles fractions de la bourgeoisie tireraient un bénéfice de la sortie de l’UE dans la mesure où cette sortie poserait un grave problème au capitalisme britannique. Mais la bourgeoisie britannique est la plus expérimentée du monde et sera certainement capable d’assumer une victoire du maintien dans l’UE de même qu’elle sera capable de s’adapter à tout autre résultat.
Ce qui est important pour la classe ouvrière, c’est de voir que la campagne autour du référendum sur l’UE est entièrement sur le terrain de la classe dominante. Il n’y a pas à choisir entre les deux propositions, dans la mesure où les deux commencent et finissent par la continuation du capitalisme britannique et de ses exigences impérialistes.
Pour la classe ouvrière, les possibilités d’un changement social ne résident pas dans un processus électoral et démocratique du capitalisme. Parce que, pour être efficace, la lutte de la classe ouvrière doit être consciente. A ce stade, lorsque les ouvriers gardent quelque idée sur leur identité de classe, ils sont en mesure de résister à la propagande de toutes les fractions de la bourgeoisie. Il y a quarante ans, en 1975, il y a déjà eu un referendum sur l’adhésion à l’UE. Comme aujourd’hui, il y a eu un accord entre les principales fractions des partis les plus importants, mais là aussi, on avait pu voir dans le camp du “non”, le rapprochement entre le champion de l’extrême-droite, Enoch Powell et le représentant de l’aile la plus à gauche des travaillistes, Tony Benn. A cette époque, la campagne pour ou contre l’adhésion à l’UE faisait partie des tâches du Parti travailliste au pouvoir, essayant de convaincre les ouvriers qu’ils avaient intérêt à se prononcer et à laisser leurs luttes de côté et à mettre leurs espoirs dans le suivi des consignes d’un parti de gauche. Aujourd’hui, la classe ouvrière ne lutte pas du tout au même niveau que dans les années 1970 et 1980, mais toujours avec la perspective d’un monde basé sur des relations de solidarité et non plus sur l’exploitation, elle a toujours le potentiel pour transformer la société.
CAR, 9 avril 2016
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la démobilisation et le désastre des destructions dues aux affrontements impérialistes généraient un monde de ruines et de désolation. En mai 1945, 40 millions de personnes étaient déplacées ou réfugiées en Europe. A cela, il fallait ajouter les 11,3 millions de travailleurs qui avaient été enrôlés de force par l'Allemagne durant la guerre. Dans les autres grandes régions du monde, l'affaiblissement des puissances coloniales conduisait à une instabilité et de nouveaux conflits, notamment en Asie et en Afrique, entraînant au fil du temps des millions de migrants. Tous ces déplacements de populations provoquèrent de terribles souffrances et de nombreux morts.
Sur les ruines encore fumantes de ce conflit mondial, suite aux conférences de Yalta (février 1945) et de Potsdam (juillet 1945), le « rideau de fer » qui s'abattait entre les ex-alliés (les grandes puissances occidentales derrière les États-Unis d'un côté et l'URSS de l'autre) poussait des millions de gens à fuir les haines et la vengeance. Le repartage du monde en zones d'influence dominées par les vainqueurs et leurs alliés, Etats-Unis et Grande-Bretagne d'un côté, URSS de l'autre, la nouvelle ligne des affrontements inter-impérialistes était tracée. A peine la guerre était-elle terminée que s'enclenchait la confrontation entre le bloc de l'Ouest emmené par les Etats-Unis et le bloc de l'Est sous la houlette de l'URSS. Les mois qui suivirent la fin de la guerre furent marqués par les expulsions de 13 millions d'Allemands des pays de l'Est et par l'exil de plus d'un million de Russes, Ukrainiens, Biélorusses, Polonais et Baltes, tous fuyant les régimes staliniens. En fin de compte, « Entre 9 et 13 millions périrent comme résultat de la politique de l'impérialisme allié entre 1945 et 1950. Ce monstrueux génocide eut trois sources principales :
– d'abord, parmi les 13,3 millions d'Allemands d'origine qui furent expulsés des régions orientales (...), cette épuration ethnique fut si inhumaine que seuls 7,3 millions arrivèrent à destination, derrière les nouvelles frontières allemandes de l'après-guerre ; le reste ‘disparut’ dans les circonstances les plus horribles ;
– ensuite, parmi les prisonniers de guerre allemands qui moururent à cause des conditions de famine et de maladie dans les camps alliés – entre 1,5 et 2 millions ;
– enfin, parmi la population en général qui n'avait que des rations de 1000 calories par jour ne garantissant qu'une lente famine et la maladie – 5,7 millions en moururent. »1
Un grand nombre de rescapés juifs ne savaient pas où aller du fait du regain de l'antisémitisme, notamment en Pologne (où éclataient de nouveaux pogroms, comme celui de Kielce en 1946) et en Europe centrale. Les frontières des pays démocratiques de l'Ouest leurs avaient été fermées. Les Juifs ne furent souvent hébergés que dans des camps. En 1947, certains avaient cherché à rejoindre la Palestine pour trouver une issue face à l'hostilité à l'Est et au rejet à l'Ouest. Ils le firent contraints, de façon illégale à l'époque et furent arraisonnés par les Britanniques pour être aussitôt internés à Chypre. Le but était alors de dissuader et contrôler ces populations pour maintenir l'ordre capitaliste. C'est à la même période que le nombre des détenus dans les camps du Goulag explosait en URSS. Entre 1946 et 1950, les effectifs doublèrent pour atteindre plus de deux millions de prisonniers. Un grand nombre de réfugiés et migrants, ou "déplacés", finissaient dans ces camps pour y mourir. Ce nouveau monde de la Guerre froide façonné par les « vainqueurs de la liberté » avait généré de nouvelles fractures, de brutales divisions coupant tragiquement les populations les unes des autres, provoquant les exils forcés.
L'Allemagne avait été divisée sur le plan impérialiste. Et pour éviter les migrations et le flux de ses populations vers l'Ouest, la RDA avait dû construire en 1961 le « mur de la honte ». D'autres Etats comme la Corée ou le Vietnam furent également coupés en deux par le « rideau de fer ». La guerre de Corée, entre 1950 et 1953, avait séparé une population désormais prisonnière de deux nouveaux camps ennemis. Cette guerre fit disparaître près de 2 millions de civils et provoqua une migration de 5 millions de réfugiés. Durant toute la période qui s'était ouverte jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989, de nombreuses populations furent contraintes de fuir les incessants conflits locaux de la Guerre froide. Au sein de chaque bloc, les déplacements nombreux étaient souvent un enjeu politique direct entre les deux grandes puissances américaine et russe. Ainsi, dès la répression des soulèvements de Berlin-Est en 1953 et de Budapest en 1956 par l'armée rouge, toute une propagande allait alimenter les discours idéologiques des deux camps rivaux à propos des 200 000 réfugiés qui s'étaient rendus en Autriche et en Allemagne. Toutes les guerres qui avaient été alimentées ensuite par ces deux grands blocs militaires Est-Ouest continuaient de faire l'objet d'un grand nombre de victimes qu'exploitait systématiquement la propagande de chaque camp opposé.
Ces clivages brutaux, liés à la Guerre froide, se poursuivirent dans les années 1950 avec les mouvements de décolonisation qui allaient alimenter des migrations et diviser davantage le prolétariat. Depuis les débuts de la période de décolonisation et surtout les années 1980, où les conflits de la Guerre froide se sont intensifiés et exacerbés, les prétendues « luttes de libération nationale » (en Afrique, en Asie, en Amérique latine ou au Moyen-Orient) ont été très meurtrières. Relayés à la périphérie géographique des grandes puissances capitalistes, ces conflits avaient pu donner l'illusion d'une « ère de paix » en Europe alors que s'ouvraient des plaies durables et que des déplacements forcés pour les nombreux migrants étaient autant de tragédies apparaissant comme « lointaines » (sauf naturellement pour les anciens colons venus de ces contrées et les nations directement touchées). En Afrique, depuis la fin de l'ère coloniale, les guerres ont été très nombreuses, parmi les plus meurtrières au monde. Tout au long de ces conflits, les grandes puissances comme la Grande-Bretagne ou la France (qui faisait alors office de « gendarme de l'Afrique » pour le compte du bloc occidental face à l'URSS) étaient largement impliquées militairement sur le terrain où la logique des blocs Est/Ouest prévalait. A peine le Soudan avait-il gagné son indépendance en 1956 qu'une terrible guerre civile allait par exemple impliquer les puissances coloniales et être ainsi instrumentalisée entre les blocs, faisant au moins 2 millions de morts et plus de 500 000 réfugiés (obligés de trouver asile dans les pays voisins). L'instabilité et la guerre s'installèrent de manière durable. La terrible guerre du Biafra générant famines et épidémies fit au moins 2 millions de morts et autant de réfugiés. Entre 1960 et 65, la guerre civile dans l'ex-Congo belge et la présence de mercenaires fit de très nombreuses victimes et de nombreux déplacés. On pourrait multiplier les exemples, comme celui de l'Angola qui avait été ravagée par la guerre depuis les premiers soulèvements de sa population à Luanda en 1961. Après son indépendance en 1975, de nombreuses années de guerres opposaient les forces du MPLA au pouvoir (Mouvement de Libération de l'Angola, soutenu par Moscou) et les rebelles de l'UNITA (soutenus par l'Afrique du Sud et les Etats-Unis) : pas moins d’un million de morts et 4 millions de déplacés parmi lesquels un demi-million de réfugiés aboutirent dans des camps. C'est de manière permanente que les coups de forces multiples sur ce continent déstabilisaient des régions entières, comme l'Afrique de l'Ouest ou la région stratégique des Grands lacs. On pourrait tout autant prendre des exemples en Amérique centrale, en Asie, avec les phénomènes de guérillas meurtrières. L'intervention soviétique en Afghanistan en 1979 marquait une accélération de cette spirale infernale conduisant à l'exode de 6 millions de personnes, la plus grande population de réfugiés au monde.
Les nouveaux Etats ou nations qui émergeaient suite aux grands déplacements étaient le produit direct des clivages impérialistes et de la misère, le fruit du nationalisme, des expulsions et de l'exclusion. Bref, un pur produit du climat de guerre et de crise permanente généré par le capitalisme décadent. La formation de ces nouveaux États était une impasse qui ne pouvait aboutir qu'à alimenter les tensions destructrices. C'est ainsi que la partition de l'Inde, dès 1947, puis la création du Bangladesh ensuite, contraignirent plus de 15 millions de personnes à se déplacer sur le sous-continent indien. La fondation de l’État d'Israël, en 1948, véritable forteresse assiégée, fut également un exemple significatif. Ce nouvel État, passant de 750 000 habitants à 1,9 millions en 1960, avait entraîné dès sa naissance une spirale infernale de guerres interminables et provoqué l'installation de camps de réfugiés palestiniens un peu partout. Dès 1948, 800 000 Palestiniens furent ainsi déplacés de force et la bande de Gaza devint peu à peu un immense camp à ciel ouvert. Les camps de réfugiés palestiniens de Beyrouth, Damas, Amman, se transformèrent peu à peu en quartiers de banlieue de ces capitales.
Les problèmes similaires des réfugiés et migrants s'exprimaient largement sur l'ensemble de la planète. En Chine, des millions de personnes avaient été déplacées elles-aussi, victimes des massacres de la féroce oppression japonaise pendant la guerre. Après la victoire des troupes maoïstes en 1949, quelques 2,2 millions de Chinois s'enfuirent de Taïwan pour la Chine et 1 million s'orientèrent vers Hong-Kong. La Chine s'isolait par la suite dans une relative autarcie pour tenter de combler son retard économique. Au début des années 1960, elle entreprit alors une industrialisation forcée et lança la politique du « Grand bond en avant ». Elle enfermait ainsi ses populations locales dans l'enfer nationaliste du travail en prévenant toute tentative de migration. Cette politique brutale de déracinement et de répression pratiquée depuis l'ère Mao multiplia les camps de concentration (laogai). Les famines et la répression provoquèrent pas moins de 30 millions de morts en tout. Plus récemment, dans les années 1990, l'urbanisation massive de ce pays arrachait de la terre pas moins de 90 millions de paysans. D'autres crises frappèrent en Asie, comme la guerre civile au Pakistan et la fuite des Bengalis en 1971. De même, la prise de Saïgon en 1975 (par un régime de type stalinien) provoqua l'exode de millions de réfugiés, les « boat-people ». Plus de 200 000 d'entre eux périrent.2 Suivait le terrible génocide des Khmers rouges au Cambodge faisant 2 millions de morts : les réfugiés étant les rares rescapés.
Les réfugiés ont toujours été des monnaies d'échange permettant les pires chantages politiques, la justification pour des interventions militaires par puissances interposées, l'utilisation parfois comme "boucliers humains". Il est difficile d'évaluer le nombre de victimes qui ont fait les frais des affrontements de la Guerre froide et d'en donner un chiffre précis, mais « L'ancien Secrétaire d’État à la Défense de Kennedy et de Johnson, Robert McNamara, a dressé en 1991 devant une conférence de la Banque mondiale un tableau des pertes enregistrées sur chaque théâtre d'opérations dont le total dépasse les quarante millions ».3 Le nouvel après-guerre n'avait donc fait qu'ouvrir une nouvelle période de barbarie, qu’accroître davantage les divisions au sein des populations et de la classe ouvrière, semer la mort et la désolation. En militarisant davantage les frontières, les États exerçaient un contrôle globalement supérieur et plus violent sur des populations sorties exsangues de la Seconde Guerre mondiale.
Aux débuts de cette guerre froide, toutes les migrations ne furent pas seulement provoquées par les conflits guerriers ou par des facteurs de nature politique. Les pays d'Europe qui avaient en grande partie été dévastés par la guerre avaient besoin d'une reconstruction rapide. Ces besoins de reconstruction devaient combler également une baisse de la croissance démographique (10 à 30% des hommes avaient été tués ou blessés durant la guerre). Le facteur économique et démographique jouait donc un rôle important dans le phénomène des migrations. Partout, il fallait une main d'œuvre disponible, à faible coût.
C'est pour cela que l'Allemagne de l'Est avait été obligée de construire un mur pour arrêter la fuite de sa population (3,8 millions avaient déjà franchi la frontière vers l'Ouest). Les ex-puissances coloniales favorisaient l'immigration, en premier lieu des pays de l'Europe du Sud (Portugal, Espagne, Italie, Grèce...). Au départ, bon nombre de ces migrants arrivaient légalement mais aussi clandestinement grâce à des rabatteurs et des passeurs souvent organisés. Le besoin de main-d’œuvre permettait alors aux autorités de l'époque de fermer les yeux en favorisant ces migrations irrégulières. Entre 1945 et 1974, bon nombre de Portugais et d'Espagnols fuyaient ainsi les régimes de Franco et de Salazar. Jusqu'au début des années 1960, les Italiens étaient recrutés en France, venant d'abord du nord de l'Italie et ensuite du sud, jusqu'à la Sicile. Puis ce fut un peu plus tard au tour des ex-colonies d'Asie et d'Afrique de fournir de nouveaux contingents pour une main-d’œuvre docile et bon marché. En France, par exemple, entre 1950 et 1960, le nombre de Maghrébins est passé de 50 000 à 500 000. Des foyers de travailleurs migrants étaient alors construits par l'Etat où ils étaient maintenus à l'écart de la population. Cette main-d’œuvre étrangère était en effet jugée « à risque », ce qui permettait de justifier sa marginalisation. Mais cela n'empêchait pas de les embaucher à bas prix pour des travaux pénibles, sachant qu'on pouvait les renvoyer du jour au lendemain. L'exploitation forcenée et sans scrupules autorisait même un turn over très important, bien supérieur à la moyenne pour ces ouvriers fraichement arrivés, notamment dans les industries chimiques et métallurgiques. Pour répondre aux besoins de l'activité, entre 1950 et 1973, près de 10 millions de personnes émigraient vers l'Europe de l'Ouest.4
Cette situation allait inévitablement être exploitée par la bourgeoisie afin de diviser les ouvriers et de les monter les uns contre les autres, de générer la concurrence et la méfiance de part et d'autre. Avec la reprise des luttes ouvrières en 1968 et les vagues de luttes qui suivirent, ces facteurs de divisions allaient alimenter les nombreuses manœuvres de divisions par les syndicats et les discours idéologiques clivants de la bourgeoisie. D'un côté étaient encouragés les préjugés raciaux et xénophobes ; de l'autre, la lutte de classe était en partie détournée par l'antiracisme, utilisé souvent comme dérivatif aux revendications ouvrières. Au fur et à mesure, le poison s'était installé et les étrangers devenaient « indésirables », étaient présentés comme des « assistés » et des « profiteurs », presque des « privilégiés ». Tout cela allait permettre de favoriser les idéologies populistes facilitant les expulsions qui se sont multipliées par charters entiers depuis les années 1980.
WH (avril 2016)
Dans le prochain et dernier article de cette série, nous aborderons le sujet des migrants des années 1980 à la période actuelle marquée par la phase ultime de décomposition du système capitaliste.
1 Voir : fr.internationalism.org/rinte95/berlin1948.htm
2 Source : HCR (Haut-commissariat aux Réfugiés).
3 D'après André Fontaine, La Tache rouge. Le roman de la Guerre froide, Editions La Martinière, 2004.
4 Source : www.coe.int/en/web/history-teaching [565]
“En outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas” (Le Manifeste communiste, 1848).
Le capitalisme, le système d’exploitation qui domine toute la planète, ne peut se maintenir par la seule force et la violence. Il ne peut se passer de la puissance de l’idéologie – la production sans fin d’idées qui renversent le rapport à la réalité pour faire croire aux exploités qu’ils ont tout intérêt à soutenir ceux qui les exploitent. Il y a exactement cent ans, des centaines de milliers d’ouvriers en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne ont payé de leur vie la croyance à ce grand mensonge de la classe dominante : les ouvriers doivent “se battre pour leur pays”, ce qui veut dire tout simplement se battre et mourir pour les intérêts de la classe dominante.
Les massacres horribles de la Première Guerre mondiale ont démontré une fois pour toutes que le nationalisme est l’ennemi idéologique le plus mortel de la classe ouvrière.
Aujourd’hui, après des décennies d’attaques contre les conditions de vie, le démantèlement de pans entiers de l’industrie et l’exode massif de populations entières, après des décennies de crise économique et de programmes d’austérité, et aussi après toute une série de luttes défaites, la classe ouvrière est soumise à un déversement de poison nationaliste sous la forme des campagnes populistes de Trump aux États-Unis, de Le Pen en France, des “pro-Brexit” en Grande-Bretagne et de divers politiciens dans beaucoup d’autres pays. Ces campagnes s’appuient ouvertement sur une colère et une désorientation réelles au sein de la classe ouvrière, sur une frustration croissante à cause du manque d’emplois, de logements, de soins et sur des sentiments très répandus d’impuissance face à la globalisation et aux puissances impersonnelles du capital. Ces campagnes cherchent surtout à empêcher les ouvriers de se mettre à réfléchir de façon critique sur les véritables origines de tous ces problèmes. Au contraire, la fonction du populisme est de contrer toute tentative pour comprendre un système social complexe et apparemment mystérieux qui gouverne nos vies, de proposer une solution beaucoup plus simple : trouver quelqu’un sur qui rejeter la faute.
C’est la faute aux “élites”, hurlent-ils : les banquiers cupides, les politiciens corrompus, les bureaucrates qui dirigent l’Union européenne dans l’ombre et nous étouffent avec des règlements et la paperasserie. Tous ces personnages font certes bel et bien partie de la classe dominante et jouent leur rôle dans l’augmentation de l’exploitation et la destruction des emplois. Mais l’idée selon laquelle “c’est la faute aux élites” ne provient pas de la conscience de classe, elle en est au contraire un complet dévoiement. On peut démonter la supercherie en posant la question : qui sont ceux qui veulent nous vendre ce nouvel “anti-élitisme” ? Il suffit de voir Donald Trump, les dirigeants de la campagne du Brexit ou les médias qui les soutiennent, pour constater que cette espèce d’anti-élitisme est l’œuvre d’une autre partie de l’élite elle-même. Dans les années 1930, les nazis se sont servis d’une escroquerie analogue, prenant comme boucs-émissaires une supposée “élite internationale de financiers juifs”, sur qui ils rejetaient toute la responsabilité des effets dévastateurs de la crise économique mondiale, afin d’attirer les ouvriers derrière une fraction de la classe dominante qui prétendait défendre les “véritables intérêts de l’économie nationale”. Josef Goebbels, le ministre de la propagande nazie, a dit une fois que “plus un mensonge est gros, plus il a de chances d’être cru”. Et quand des politiciens de l’acabit du milliardaire Trump prétendent défendre “le petit peuple” contre l’élite, il s’agit là d’un mensonge digne de la propagande de Goebbels lui-même.
Mais cette nouvelle campagne nationaliste ne vise pas seulement une fraction parmi les riches, elle cible surtout les couches les plus opprimées de la classe ouvrière elle-même, les victimes les plus immédiates de la crise économique capitaliste, de la barbarie impérialiste et de la destruction de l’environnement. Elle vise notamment la masse des migrants économiques et des réfugiés, poussés vers les pays capitalistes centraux, à la recherche d’un refuge face à la pauvreté et aux tueries de masse. Une autre solution “simple” est proposée par les populistes : si on pouvait les empêcher de venir, si on pouvait les “mettre dehors”, les ouvriers “natifs” auraient plus de chances de trouver un emploi et un logement. Mais ce bon sens commun apparent cache le fait que le chômage et le manque de logements sont les produits du fonctionnement du système capitaliste mondial, des “forces du marché” qui ne peuvent être bloquées par des murs ou des gardes-frontières. En réalité, les migrants et les réfugiés sont les victimes du capitalisme au même titre que les prolétaires des vieilles régions industrielles réduits au chômage par les fermetures d’usines ou les délocalisations qui transfèrent la production de l’autre côté du monde où la main-d’œuvre est moins chère.
Face à un système d’exploitation qui est par nature planétaire, les exploités ne peuvent se défendre qu’en s’unissant au-delà et contre toutes les divisions nationales, en forgeant une puissance internationale face à la puissance internationale du capital. La tactique qui consiste à diviser pour mieux régner, utilisée par tous les partis et toutes les factions capitalistes, poussée à l’extrême par les populistes, va directement à l’encontre de ce besoin. Quand une partie de la classe ouvrière se laisse convaincre de rejeter la responsabilité de ses problèmes sur d’autres ouvriers, quand elle pense que ses intérêts sont défendus par des partis qui exigent des mesures fortes contre l’immigration, elle abandonne toute possibilité de se défendre et elle affaiblit la capacité de résistance de la classe ouvrière dans son ensemble.
Derrière la rhétorique anti-immigrés des populistes existe une vraie menace de violence et de pogrom. Dans des pays comme la Grèce ou la Hongrie, la haine toxique des “étrangers”, la montée de l’islamophobie et l’antisémitisme ont engendré des groupements carrément fascistes qui sont prêts à terroriser, à assassiner les migrants et les réfugiés : Aube dorée en Grèce, Jobbik en Hongrie, etc., la liste serait encore longue. Depuis la victoire du Brexit en Grande-Bretagne, nous avons assisté à une recrudescence d’attaques, de menaces et d’insultes racistes et xénophobes, par exemple contre les Polonais et autres immigrants de l’UE, ainsi qu’à l’encontre des Noirs et des Asiatiques. Les courants les plus ouvertement racistes sentent ainsi que le moment est venu de faire davantage entendre leur propagande nauséabonde.
Mais l’exemple de la Grande-Bretagne montre qu’il existe également une fausse alternative au populisme qui “reste”1 prisonnière de l’idéologie capitaliste. La situation politique chaotique créée par la victoire du Brexit (que nous analyserons dans un autre article), la menace croissante à l’encontre des ouvriers immigrés, ont poussé beaucoup de gens bien intentionnés à voter pour le remain et à participer, suite au référendum, à des manifestations importantes en faveur de l’UE. Nous avons même vu des anarchistes paniqués face aux expressions ouvertes de racisme encouragées par la campagne pour le Brexit, oublier leur opposition aux élections capitalistes pour finalement voter en faveur du remain.
Voter ou manifester en faveur de l’UE est une autre façon de rester ligoté par la classe dominante. L’UE n’est pas une œuvre charitable mais bien une alliance capitaliste qui impose l’austérité sans merci à la classe ouvrière, comme on peut le voir clairement à travers les exigences imposées aux ouvriers grecs (cela en contrepartie de fonds par l’UE à l’économie grecque en faillite). L’UE n’est certainement pas un gentil protecteur des migrants et des réfugiés. Elle est en faveur de la libre circulation de la main-d’œuvre lorsque cela convient à la rentabilité et elle est tout autant capable de construire des murs de barbelés quand les réfugiés et les migrants sont trop nombreux pour ses besoins, négocie des arrangements sordides pour renvoyer ces réfugiés dont elle ne peut se servir vers les camps dont ils essaient de s’échapper – comme elle l’a fait par son accord récent avec la Turquie.
La division entre les pro et anti-UE va au-delà de la division politique traditionnelle bourgeoise entre gauche et droite. La campagne pour rester (remain) dans l’UE a été menée par une fraction du Parti conservateur et soutenue officiellement par une majorité des Travaillistes et par le SNP2 en Écosse. La gauche était également divisée entre les pro et anti-UE. Corbyn3 défendait le remain, mais son point de vue idéologique trouve ses origines chez les Travaillistes traditionnels partisans d’une “Grande-Bretagne socialiste”, c’est-à-dire d’un îlot de capitalisme d’État autarcique. Il était évident qu’il soutenait la campagne pour Rester avec peu d’enthousiasme. Ses supporters dans le Socialist Workers’ Party4 et autres groupes semblables soutenaient le “Left Exit” (sortie à gauche), un reflet caricatural du camp Brexit. Cette tour de Babel des nationalismes, qu’ils soient pro ou anti-UE, crée un brouillard idéologique de sorte qu’il en émerge seulement les intérêts de la Grande-Bretagne et ceux du système existant.
Et tous les groupes et partis capitalistes rendent le brouillard encore plus épais en répandant leurs mensonges sur la “démocratie”, l’idée que les élections capitalistes peuvent vraiment exprimer “la volonté du peuple”. Un élément clé dans la campagne pour “Sortir” (Leave) était l’idée de “reprendre le contrôle de notre pays” des mains des bureaucrates étrangers – un pays qui pour l’immense majorité n’a jamais été “à eux” parce qu’il appartient et est contrôlé par une petite minorité qui utilise les institutions démocratiques pour assurer sa domination. Finalement, indépendamment du vainqueur des élections, la classe ouvrière sera toujours exclue du pouvoir et exploitée. L’isoloir démocratique n’est pas – comme la “gauche” le prétend souvent – un moyen pour que la classe ouvrière puisse exprimer sa conscience, même de façon défensive. Les référendums, en particulier, ont depuis toujours été un moyen de mobiliser les forces les plus réactionnaires de la société, ce qui était déjà évident sous le régime dictatorial de Louis-Napoléon Bonaparte en France au xixe siècle. Pour toutes ces raisons et malgré les convulsions politiques créées par le vote en faveur du Brexit, le référendum est un “succès” pour la démocratie bourgeoise présentée comme le seul modèle possible de débat politique.
Face à un système mondial qui semble déterminé à transformer chaque pays en bunker où seuls les patriotes sont dignes de survie, certains groupes ont défendu le slogan : “À bas les frontières !” (“No borders”). C’est un objectif louable, mais pour se débarrasser des frontières, il faut se débarrasser des États-nations. Et pour se débarrasser de l’État, il faut se débarrasser des rapports sociaux capitalistes qu’il protège. Tout cela nécessite une révolution mondiale des exploités qui établiront une nouvelle forme de pouvoir politique qui démantèlera l’État bourgeois et remplacera la production capitaliste soumise à la loi du profit par la production communiste visant à satisfaire les besoins universels de l’humanité.
Ce but semble infiniment éloigné aujourd’hui, la décomposition progressive de la société capitaliste – surtout sa tendance à emporter la classe ouvrière dans sa propre chute matérielle et sa déchéance morale – contient le danger que cette perspective soit définitivement perdue. Pourtant, cela reste le seul espoir pour l’avenir de l’humanité et il ne s’agit pas de l’attendre passivement comme on attendrait le Jugement dernier. Les graines de la révolution se trouvent dans le renouveau de la lutte de classe, retrouvant le chemin de la résistance contre les attaques de droite et de gauche, dans les mouvements sociaux contre l’austérité, la répression et la guerre ; dans la lutte pour la solidarité avec tous les exploités et les exclus, dans la défense des ouvriers “étrangers” contre les commandos xénophobes et les pogroms. C’est la seule lutte qui puisse ranimer la perspective d’une communauté mondiale.
Alors que devons-nous faire, nous communistes, en tant que minorité de la classe ouvrière qui reste convaincus que la perspective d’une communauté mondiale humaine est possible ? Nous devons reconnaître que dans la situation actuelle nous nageons totalement à contre-courant. Comme les fractions révolutionnaires du passé qui ont résisté face à la marée de la réaction et de la contre-révolution, nous devons rejeter tout ce qui compromet nos principes révolutionnaires issus de décennies d’expérience de la classe ouvrière. Nous devons insister sur le fait qu’il ne peut y avoir aucun soutien en faveur d’un État capitaliste ou une alliance d’États, aucune concession à l’idéologie nationaliste, aucune illusion sur le fait que la démocratie capitaliste nous offrirait le moyen de nous défendre contre le capitalisme. Nous refusons de participer aux campagnes capitalistes d’un côté ou de l’autre, précisément parce que nous avons la responsabilité de participer à la lutte de classes. D’autant plus que la lutte de la classe ouvrière doit être indépendante de toutes les forces du capitalisme qui cherchent à la dévoyer ou l’embrigader. Face à l’immense confusion et au désarroi qui règne actuellement dans notre classe, nous devons engager un effort théorique sérieux pour comprendre un monde qui devient de plus en plus compliqué et imprévisible. Le travail théorique ne signifie pas s’abstraire de la lutte de classe, il aide à préparer le moment où, comme le disait Marx, la théorie devient une force matérielle en se saisissant des masses.
Amos, 9 juillet 2016
1 En anglais, remains, un jeu de mots sur le slogan “Remain” de ceux qui menaient campagne pour le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’UE.
2 Parti nationaliste écossais.
3 Jeremy Corbyn, dirigeant du Parti travailliste.
4 Le plus important groupement trotskiste en Grande-Bretagne, qui joue un rôle dans la politique bourgeoise similaire à celui de Lutte ouvrière en France.
“L’épreuve de force” ! La “guerre d’usure” ! La “montée des tensions” ! Telles sont les expressions consacrées dans les médias depuis plusieurs semaines pour caractériser l’affrontement supposé entre le gouvernement français et les syndicats à propos de la loi “El Khomri”. La confrontation est spectaculaire, médiatisée, pleine de rebondissements. Elle a même été jusqu’au point où le gouvernement a, pendant quelques heures, interdit une manifestation syndicale avant de se dédire et l’autoriser : du jamais vu depuis plus de cinquante ans !
Un réel mécontentement s’est exprimé et s’exprime encore face à cette attaque contre les conditions de travail de l’ensemble de la classe ouvrière. Ce mécontentement a donné lieu à une combativité et une mobilisation relativement importantes lors de certaines journées d’action. Pourtant, cette combativité, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, n’a pas embrasé la majorité des salariés. Malgré les images de barrages, de pneus enflammés sur les routes, les grèves sont très souvent restées minoritaires et rien n’a été dans le sens de dynamiser et développer la confiance, l’unité et la conscience dans les rangs ouvriers. Au contraire ! “Les défilés syndicaux qui consistent à battre le pavé les uns derrière les autres, au bruit de la sono et de slogans rabâchés ad nauseam, sans pouvoir débattre et construire quoi que ce soit ensemble, n’ont pour seul effet que de démoraliser et véhiculer un sentiment d’impuissance” (1). Il en est de même pour les questionnements de nombreux salariés, de jeunes lycéens, étudiants et chômeurs qui sentent bien que l’omniprésence syndicale et les journées d’action sans lendemain ne vont pas dans le sens de la lutte. Mais ils n’ont pas aujourd’hui la capacité de remettre en cause cette chape de plomb ni de développer une critique collective et ouverte. Même le mouvement Nuit debout, censé offrir un “espace” de réflexion plus profonde, “les conduit dans l’impasse et renforce les visions les plus conformistes qui soient. Pire, Nuit debout permet même à des idées nauséabondes, telle la personnalisation des maux de la société sur quelques représentants du système (les banquiers, l’oligarchie...), de s’épanouir sans complexe” (2). Souvent, parmi les plus jeunes, certains sont tentés de s’illusionner sur une “guerre de classe”, un avant-goût de “grand soir”, un “Mai 68”, une mobilisation ouvrière telle qu’on ne l’a pas vu depuis des années. Mais le gouvernement n’est pas prêt à reculer sous la pression de la rue comme en 2006 lors de la lutte contre le CPE. Même si la cohérence est loin d’être effective au sein du pouvoir gouvernemental socialiste, dans un premier temps du moins, gouvernement et syndicats, CGT en tête, ont largement mis en scène la confrontation sociale, l’ensemble de la classe ouvrière se trouvant manipulé pour renforcer sa désorientation actuelle.
La “radicalisation” de la CGT, à la pointe de la contestation, a été grandissante. Pendant plusieurs mois, le mouvement social ne s’est pas calmé et chacun des acteurs syndicaux et gouvernementaux a alimenté à sa façon cette “confrontation” : la CGT par des blocages de raffineries, de centrales nucléaires, des barrages routiers, des grèves à répétition dans les transports en commun, dans le secteur public, dans les secteurs de l’énergie. Le gouvernement, particulièrement Manuel Valls, a multiplié les mises en demeure, les déclarations provocatrices jusqu’à cette décision momentanée, mais stupéfiante, d’interdire une manifestation syndicale à Paris. Tout cela sur fond de violences des “casseurs”, médiatisées et instrumentalisées à l’extrême. La tension aurait ainsi été à son comble et le pays à feu et à sang. Quasiment l’état de guerre… si l’on en croit la bourgeoisie et sa presse qui ne manquent pas une occasion d’employer ce vocabulaire guerrier et de tout dramatiser au point que cela en devient surréaliste si l’on prend la peine de quitter son écran de télévision et de regarder la réalité en face.
Le paroxysme de la confrontation a, nous dit-on, été atteint lors des opérations de “blocage de l’économie”, en particulier des raffineries et des ports pétroliers. Bloquer les raffineries serait, comme en 2010 contre la loi sur les retraites, l’arme ultime face à la bourgeoisie, une manière de “taper là où ça fait mal”. Or, non seulement la réalité de la paralysie du secteur pétrolier a été plus faible qu’en 2010, mais cela a constitué un puissant facteur de division au sein de la classe ouvrière. D’un côté, les secteurs les plus combatifs se sont trouvés enfermés derrière des barrières dérisoires, coupés du reste de leur classe, à la merci de la répression policière ; de l’autre, des ouvriers mécontents mais dans l’expectative, peu impliqués dans un mouvement social qui leur échappe complètement et qui sont parfois exaspérés par des grèves à répétition dans les transports, par des blocages qui les pénalisent en priorité.
La CGT et l’ensemble des syndicats dits “combatifs” ne sont pas soudainement devenus “révolutionnaires”, pas plus qu’ils ne se battent pour la défense des intérêts ouvriers. Avec la décadence du système capitaliste, les syndicats, dont la raison d’être originelle (l’aménagement de l’exploitation capitaliste) est profondément conservatrice, sont devenus un rouage essentiel de l’appareil étatique qui a pour objectif d’enfermer la classe ouvrière sur le terrain de la négociation afin de saboter les luttes et la conscience ouvrière, d’étouffer toute perspective révolutionnaire. Le rôle fondamental des syndicats, depuis près d’un siècle et leur passage dans le camp bourgeois, c’est la division et le cloisonnement des luttes pour saper tout mouvement de masse susceptible de remettre en cause l’ordre capitaliste (3). Le radicalisme actuel des syndicats leur sert donc à faire oublier leur complicité directe dans les attaques portées depuis des décennies par le gouvernement socialiste et leur gestion de l’exploitation dans les entreprises et les administrations.
La complicité des syndicats et du gouvernement n’empêche pas les luttes d’influence et la confrontation entre cliques. La volonté du gouvernement de recrédibiliser l’appareil syndical passait aussi par une remise au pas de l’hégémonie de la CGT dans le paysage syndical français, au profit de syndicats plus “tolérants”, plus “gestionnaires” comme la CFDT. L’article 2 de la loi Travail visant à faire passer les accords d’entreprise avant les accords de branche aboutirait surtout à voir le “fonds de commerce” financier et le pouvoir syndical de la CGT s’étioler au bénéfice d’autres syndicats dits “réformistes”, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises qui sont majoritaires en France. Voilà quel est le sens de la radicalité de la CGT : préserver son leadership syndical au sein de l’État et maintenir sa position dans l’appareil d’exploitation !
Du point de vue des intérêts de la classe ouvrière, la CGT est tout sauf radicale. Alors que notre classe tire sa force de sa capacité à s’unir, à étendre ses luttes par-delà les frontières corporatistes et nationales, chacun se doit de défiler derrière “son” syndicat catégoriel, avec “sa” chasuble bien visible, “ses” mots d’ordre et “ses” banderoles spécifiques. “Tous ensemble” peut-être, mais dans la limite de sa propre boutique syndicale. Rien à voir avec une recherche d’extension de la lutte, de propositions pour entraîner tous les secteurs à se battre ensemble, comme ce fut le cas en 2006 pendant plusieurs semaines.
De la même manière, les assemblées qui devraient être le poumon de la lutte laissent place à des simulacres réunissant une minorité de salariés, où les syndicats décident de tout, où sont entérinées des décisions d’appareils prises à l’avance. Rien à voir avec des AG ouvertes à tous, jeunes ou vieux, sans considération d’appartenance professionnelle, syndicale ou politique, des AG où sont élus les comités de grève, où doit se discuter ouvertement la conduite de la lutte, son extension, pour établir un rapport de force avec l’État. La lutte anti-CPE de 2006, dont l’État et ses syndicats veulent nous faire oublier les enseignements, fut exemplaire à ce niveau et décrédibilisa ouvertement les pratiques syndicales.
Ce partage du travail de la part des agents de l’État, gouvernementaux et syndicaux, a pour but de profiter au maximum de la faiblesse de la classe ouvrière pour faire passer les attaques, la manipuler, la diviser et en définitive la démoraliser, tout en lui faisant prendre des vessies pour des lanternes : au bout du compte, il faut arriver à lui faire croire que seuls des syndicats combatifs comme la CGT ou FO sont capables de tenir tête à un gouvernement arrogant, pire que la droite, et sont susceptibles de faire gagner les revendications ouvrières. Sans eux, rien ne serait possible.
C’est pourquoi la classe ouvrière se doit de faire l’analyse la plus profonde et lucide de ce mouvement social pour pouvoir reconnaître ses ennemis et préparer les véritables luttes du futur.
Stopio, 24 juin 2016
1) “Quelle est la véritable nature du mouvement Nuit debout ?”, RI no 458.
2) Idem.
() Voir notre brochure, Les syndicats contre la classe ouvrière.
Le 24 mars dernier, une scène filmée par un téléphone portable faisait le tour des réseaux sociaux et des journaux télévisés : trois policiers saisissaient un lycéen à terre et tandis que le jeune garçon se relevait, un policier le frappait d’un violent coup de poing au visage. Il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres. La répression policière a en effet été féroce tout au long de ce mouvement contre la loi El Khomri. Et cela, avec la bénédiction d’un gouvernement prétendument “socialiste” qui, depuis plusieurs mois, a instauré un climat ultra-sécuritaire. Chaque manifestation, chaque blocage de lycée, d’université ou de raffinerie, ont été le théâtre de la brutalité des forces de l’ordre. C’est surtout la jeune génération qui a fait les frais des interpellations musclées, des passages à tabac et des provocations en tout genre, comme s’il fallait marquer dès le plus jeune âge les enfants d’ouvriers du sceau de la force et de l’ordre bourgeois.
L’État avait d’ailleurs très bien préparé le terrain de la répression. Comme nous l’écrivions dans nos articles sur les attentats de Paris de janvier et de novembre 2015, le renforcement inouï du quadrillage policier et la mise en place de l’État d’urgence ont été de formidables leviers pour créer une situation, tant sur le plan matériel qu’idéologique, où la répression et les provocations policières peuvent s’exercer plus facilement, notamment en exploitant le phénomène des “casseurs” qui servent en grande partie d’alibi à l’action des flics.
L’État et ses forces de répression sont le produit des contradictions de classes inconciliables et l’instrument de l’exploitation des opprimés au service exclusif de la bourgeoisie. Comment “l’ordre” est-il maintenu ? “Pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’“ordre” ; et ce pouvoir, né de la société mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État”. Mais “Ce pouvoir, en quoi consiste-t-il principalement ? En des détachements spéciaux d’hommes armés, disposant de prisons, etc. (…) L’armée permanente et la police sont les principaux instruments de la force du pouvoir d’État” (1). Ainsi, la réalité de la violence policière n’est ni nouvelle, ni un accident de l’Histoire ou le produit d’une réalisation imparfaite de la démocratie ; elle est une claire expression de la nature profondément oppressive de l’État. La classe dominante a ainsi toujours été extraordinairement brutale face à toute expression de remise en cause de son ordre social. À chaque poussée du prolétariat, la bourgeoisie a tenté de l’ensevelir sous un déluge de fer et de feu. C’est ainsi que sur les pavés mêmes où la police matraque aujourd’hui la jeunesse ouvrière, les armées versaillaises noyaient, en 1871, la Commune de Paris dans le sang.
Dès les origines du mouvement ouvrier, les organisations révolutionnaires ont été confrontées non seulement à la violence de l’État mais à la question même du recours à la violence dans les rangs du prolétariat. Les actions violentes, en elles-mêmes, n’ont jamais été perçues comme une expression de la force politique du mouvement, mais étaient considérées dans un cadre et un contexte historique plus généraux. Même quand elles s’expriment contre les forces de l’ordre, les actions violentes, pas moins que les réponses individuelles, contiennent le danger de saper l’unité de la classe ouvrière. Ceci ne signifie pas pour autant que le mouvement des travailleurs soit “pacifiste”. Il utilise forcément une certaine forme de violence : celle de la lutte de classe contre l’État bourgeois. Mais il s’agit là d’une violence d’une autre nature, libératrice, celle qui accompagne une démarche consciente qui n’a rien à voir avec la violence et la brutalité des classes dominantes dont le pouvoir n’est assuré que par la terreur et l’oppression. Ainsi, l’expérience d’un prolétariat, qui se constituait alors peu à peu en classe distincte, organisée et consciente, a permis de progressivement lutter contre les tentations immédiates de violence aveugle qui furent une des caractéristiques des premières émeutes ouvrières. Par exemple, au xviie siècle, de nombreux ouvriers, un peu partout en Europe, s’étaient soulevés très violemment contre l’introduction de machines à tisser en les détruisant. Ces actes violents, exclusivement contre les machines, étaient le produit du manque d’expérience et d’organisation propre à l’enfance du mouvement ouvrier. Comme le soulignait Marx : “il faut du temps et de l’expérience avant que les ouvriers, ayant appris à distinguer entre la machine et son emploi capitaliste, dirigent leurs attaques non contre le moyen matériel de production, mais contre son mode social d’exploitation” (2).
En revanche, les expressions politiques cédant à la violence aveugle qui ont émergé au cours du xxe siècle sous des formes diverses et caricaturales, particulièrement après 1968, par exemple en Italie, inspirant les idéologies de type “opéraïstes”,3 ou en Allemagne de l’Ouest, sous de multiples tendances “autonomes”, ne faisaient qu’exprimer l’absence de réflexion et d’orientation sur les moyens nécessaires pour un projet politique contre le capitalisme. À Berlin, par exemple, depuis les années 1980, le Premier mai est devenu le moment ritualisé d’affrontements sans lendemain entre la police et toutes sortes de “casseurs” qui cherchent encore aujourd’hui la confrontation avec les flics, saccagent des magasins et des voitures, identifiant faussement cela avec l’idée de “faire la révolution”.
Les forces “autonomes” d’aujourd’hui, de plus en plus assimilées à celles des “terroristes” par l’État, traduisent l’impuissance et le vide politique laissé actuellement par la grande faiblesse d’une classe ouvrière qui, si elle a pu sortir de plusieurs décennies de contre-révolution stalinienne traumatisante, ne parvient pas encore à se reconnaître comme une classe sociale, à affirmer ses authentiques moyens de lutte et a fortiori sa perspective communiste. Déboussolée, sans orientation, manquant totalement de confiance en ses propres forces, le prolétariat ne parvient pas à reconnaître son identité propre et encore moins sa force historique. Il laisse donc le champ libre à toute l’impatience d’une jeunesse exaspérée, privée du legs de l’expérience politique et momentanément privée de son futur.
C’est ce qui explique en grande partie l’attrait relatif aux yeux de certains jeunes pour les méthodes “autonomes” et “insurrectionnalistes”, ou le succès des théories fumeuses comme celles de la brochure L’insurrection qui vient,4 publiée en 2007 par un certain “Comité invisible”. On peut notamment y lire : “L’offensive visant à libérer le territoire de son occupation policière est déjà engagée, et peut compter sur les inépuisables réserves de ressentiment que ces forces ont réunies contre elles. Les “mouvements sociaux” eux-mêmes sont peu à peu gagnés par l’émeute”. Ce type de discours que partagent peu ou prou bon nombre d’autonomes regroupés sous diverses bannières protéiformes (Black Blocs, défenseurs de “zones autonomes” et certains antifascistes) les propulse de plus en plus sur les devants de la scène sociale. Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes qui subissent la violence sociale du capitalisme, la précarité et le chômage, expriment leur colère et leur exaspération par la révolte, parfois de manière violente. Leur ras-le-bol les conduit facilement à affronter les forces de l’ordre lors des manifestations. Une partie de ces jeunes s’expose ainsi aux influences et agissements de “casseurs” ou de ces groupes se revendiquant comme “autonomes” qui se singularisent par des actes stériles tels que dégradations, saccages de vitrine, etc., qui peuvent malheureusement fasciner les plus désespérés.
Il ne s’agit nullement de mettre sur un pied d’égalité, comme s’y emploie sans vergogne la presse bourgeoise, la violence de l’État, par l’entremise de policiers suréquipés, et celle de quelques manifestants souvent armés de projectiles dérisoires, comme si la première était la conséquence “légitime” de la seconde. Mais le problème de cette violence stérile, de ces rixes avec la police, c’est que l’État les instrumentalise totalement à son profit. Ainsi, le gouvernement a volontairement poussé tous ces “casseurs” et autres “autonomes” dans une souricière tout en cherchant à “démontrer par les faits” à l’ensemble des prolétaires que la violence et la révolte conduisent inévitablement au chaos. La dégradation de l’hôpital Necker à Paris en est une parfaite illustration : le 14 juin, la police chargeait avec une rare violence une manifestation qui passait aux abords d’un hôpital pour enfants. Des groupes de casseurs, probablement excités par des agents provocateurs infiltrés,5 ont fini par s’en prendre à quelques vitrines de l’hôpital sous l’œil tout à coup passif et satisfait de plusieurs compagnies de CRS. Le soir-même, la presse bourgeoise faisait évidement ses choux gras de l’événement et des déclarations scandalisées du gouvernement qui n’a pas raté l’occasion d’opposer les “radicaux” aux enfants malades. La bourgeoisie polarise ainsi l’attention sur les éléments les plus radicaux à la marge de toute une jeunesse meurtrie, victimes eux-mêmes de l’ordre bourgeois, pour justifier la brutalité de la répression policière. Pour mieux présenter l’État et ses institutions comme les ultimes remparts face à ceux qui menacent “l’ordre public” et la démocratie, les média exhibent les violences et les destructions symboliques des “casseurs”. Cela a également pour effet de diviser les manifestants, de générer de la méfiance au sein de la classe ouvrière et surtout d’étouffer, par l’amalgame, la moindre idée de solidarité et de perspective révolutionnaire. Ainsi, loin d’ébranler le système, ces phénomènes permettent à la bourgeoisie d’exploiter leurs actions pour imprimer sa volonté de discréditer toute forme de lutte contre l’État mais surtout de mieux déformer la perspective révolutionnaire. Les manifestations de violence actuelles sont à la fois le reflet d’une faiblesse de la lutte de classe et le produit d’une décomposition sociale que l’État et son gouvernement utilisent en s’appuyant sur la désorientation de notre classe, pour développer une ambiance pouvant donner libre cours à des comportements propres aux couches sociales sans avenir, frustrées et incapables d’opposer à la barbarie du capitalisme d’autre perspective que la rage aveugle et nihiliste. Les actes de minorités révoltées (telle que l’agression au cocktail Molotov, le 18 mai dernier, de deux policiers dans leur véhicule, en marge d’un rassemblement totalement téléguidé par l’État pour dénoncer la “haine anti-flics”) expriment un certain désespoir et sont animés par un esprit de haine et de vengeance. Ces jeunes tombent ainsi dans un piège, celui de la spirale d’un déchaînement de violence aveugle.
Tout au long de son existence comme à travers son expérience, le mouvement ouvrier a démontré que la construction et la manifestation d’un véritable rapport de forces avec son ennemi de classe s’engage sur un tout autre chemin et avec des méthodes radicalement à l’opposé. Pour ne prendre que quelques exemples : durant l’été 1980 en Pologne, face aux menaces de répression, les ouvriers s’étaient immédiatement mobilisés massivement par-delà les secteurs dans les villes de Gdansk, Gdynia et Sopot, faisant reculer le gouvernement. Lorsque l’État menaçait d’intervenir militairement pour réprimer, les ouvriers de Lublin, solidaires, menacèrent à leur tour de paralyser les transports, les chemins de fers qui reliaient les casernes russes en RDA au reste de l’Union soviétique. L’État polonais avait fini par reculer. Face aux répressions passées des années 1970 et 1976, la réponse ouvrière n’avait pas été celle de la vengeance, de la violence, mais celle du souvenir et de la solidarité.6 Plus récemment en France, dans un contexte différent, au moment de la lutte contre le CPE en 2006, la jeunesse prolétarisée des universités avait pris en main ses luttes en organisant des assemblées générales ouvertes à tous pour étendre le mouvement. Le gouvernement Villepin, craignant l’extension, dut reculer. En 2011, lors du mouvement des Indignés en Espagne, les gens s’étaient réunis dans des assemblées de rue pour discuter, échanger leur expérience et ainsi forger une commune volonté de lutte. La bourgeoisie espagnole a tenté de casser cette dynamique en provoquant des affrontements avec la police et en déchaînant des campagnes médiatiques sur les “casseurs”. Mais la force et la confiance accumulées dans les assemblées ouvertes ont permis au prolétariat de répondre par des manifestations massives, en particulier à Barcelone où des milliers de personnes ont plusieurs fois su résister courageusement aux attaques policières.
Ainsi, ce n’est pas la violence en soi, l’esprit de revanche, l’action coup-de-poing minoritaire et isolée qui crée la puissance d’un mouvement face à l’État capitaliste mais au contraire une dynamique d’actions conscientes dans la perspective de son renversement et de sa destruction.
La force de notre classe réside donc précisément dans sa capacité à opposer à la provocation policière sa massivité et sa conscience.
Le pourrissement sur pied du capitalisme, générant une tendance à la fragmentation du tissu social et dévalorisant tout effort de pensée et de réflexion cohérente, poussant à “l’action pour l’action” et aux solutions simples et immédiates,7 alimentées par un ras-le-bol et des rancœurs accumulées, un esprit de revanche, favorisent l’élan de groupuscules qui agissent d’autant plus facilement qu’ils sont eux aussi la proie choisie des provocations et manipulations policières. Les éléments les plus violents sont souvent le produit décomposé d’individus issus des couches petites-bourgeoises ou d’une intelligentsia parfois déclassée, connaissant une révolte exacerbée face à la barbarie du système capitaliste. Sans avenir, leurs actions marquées par l’individualisme, l’aveuglement de la haine et l’impatience, sont les expressions d’impulsions immédiates, souvent sans véritable but à atteindre. On retrouve ainsi les mêmes racines nihilistes qui poussent par exemple les jeunes qui partent pour le djihad et certains de ces “autonomes” vers la violence pure, la fascination pour la casse et les destructions. Ce n’est donc pas un hasard si les autorités utilisent et laissent délibérément entrer ces “casseurs” dans les manifestations, aidés en cela par les supplétifs de la police que sont les “gros bras” qui composent le service d’ordre syndical, notamment celui de la CGT, pour pourrir toute expression de lutte.
Cette réalité sociale correspond bien aujourd’hui à une situation où l’État se sent suffisamment fort pour porter ses attaques brutales contre la classe ouvrière tout en pouvant disqualifier toute idée de perspective révolutionnaire. La bourgeoisie utilise les violences et les saccages pour faire peur et recrédibiliser en partie l’action syndicale, pour rabattre “faute de mieux” certains ouvriers combatifs vers les syndicats qui, malgré la méfiance dont ils font l’objet, apparaissent comme les seuls capables “d’organiser et mener la lutte”. Une telle situation ne fait qu’affaiblir les consciences en redorant le blason de ces saboteurs de la lutte, accentuer l’exposition à la répression, renforcer la terreur étatique par la surveillance et le flicage.
Un authentique mouvement de la classe ouvrière n’a rien à voir avec ces fausses alternatives à l’encadrement des syndicats officiels, aux violences “émeutières” qui ne font que conduire ceux qui veulent vraiment lutter, notamment les jeunes présents dans les manifestations, vers le néant politique et la répression. Ce qui, a contrario, caractérise la nature du combat ouvrier, c’est la solidarité, la recherche de l’unité dans la lutte, la volonté de combattre le plus massivement possible contre l’exploitation capitaliste. L’essence de ce combat est celle de l’unification des luttes, celle d’un point de vue international faisant l’union de tous, chômeurs, actifs, jeunes, vieux, retraités, etc., une forte mobilisation capable de rallier toutes les autres couches de la société victimes des souffrances générées par le système. Cela, afin de créer un véritable rapport de force capable de faire reculer la bourgeoise et ses attaques et de retenir le bras de la répression de l’appareil d’État. C’est bien cette mobilisation en grand nombre, avec une réelle prise en main par les ouvriers eux-mêmes, générant une autonomie de classe basée sur la confiance, qui peut seule avoir la capacité de faire reculer l’État et la bourgeoisie. L’arme principale de cette lutte est avant tout son caractère solidaire et massif, son unité et sa conscience, sa volonté de faire la clarté maximale sur les moyens et les buts du combat. C’est pour cela que la classe ouvrière ne recherche pas d’emblée à utiliser la violence pour créer un rapport de forces face à la classe dominante, mais s’appuie d’abord sur son nombre et son unité.
La lutte du prolétariat n’a rien à voir avec les escarmouches et les heurts filmés par les journalistes. Loin des impasses et de l’instrumentalisation auxquelles nous assistons, son combat historique et international repose au contraire sur son action consciente et massive. Elle incarne un vaste projet dont la dimension culturelle et morale contient en germe l’émancipation de toute l’humanité. Comme classe exploitée, le prolétariat n’a aucun privilège à défendre et que des chaînes à perdre. C’est pour cela, par exemple, que dans la programme de la Ligue spartakiste, rédigé par Rosa Luxemburg, le point 3 énonce que : “pour atteindre ses buts, la révolution prolétarienne n’a pas besoin de terreur ; elle hait et méprise l’assassinat des hommes. Elle n’a pas besoin de ces moyens de lutte, car elle ne combat pas des individus mais des institutions”. Le projet d’épanouissement social de tous et de chacun, par son esprit de solidarité et de lutte collective, préfigure la véritable communauté humaine mondiale du futur. Sa lutte n’est pas celle d’un état-major qui dirige du sommet à la base mais prend la forme d’une résistance consciente, faite d’initiatives multiples et créatrices : “La grève de masse (…) voit tantôt la vague du mouvement envahir tout l’Empire, tantôt se diviser en un réseau infini de minces ruisseaux ; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades – toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l’une sur l’autre c’est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants” (8). Cet élan vivant, libérateur, s’exprimant par la grève de masse puis les conseils ouvriers devant mener à l’insurrection, est une des conditions de la prise du pouvoir à l’échelle internationale. Pour l’instant, cette perspective n’est pas à la portée du prolétariat qui est bien trop faible. Bien que non défait, il n’a pas la force suffisante pour s’affirmer et a besoin d’abord de prendre conscience de lui-même, de renouer avec sa propre expérience et son histoire. La révolution n’a rien d’immédiat et d’inéluctable. Un long et difficile chemin, chaotique, semé d’embûches, reste encore à parcourir. Un véritable bouleversement des esprits doit encore s’opérer en profondeur avant de pouvoir imaginer l’affirmation d’une perspective révolutionnaire.
EG-WH, 26 juin 2016
1) Lénine, L’État et la révolution.
2) Marx, Le Capital, livre I.
3 L’opéraïsme est un courant “ouvriériste” apparu en 1961 [574] autour de la revue Quaderni Rossi. Mario Tronti et [575]Toni Negri [576] en étaient les principaux théoriciens. En 1969 [577], le courant opéraïste se divisa en deux organisations rivales : Potere Operaio [578] et Lotta Continua [579]. À partir de 1972 [580], les opéraïstes s’engagèrent dans le mouvement autonome prônant les émeutes et les actions violentes dites “exemplaires”.
4 Cette brochure se serait vendue à plus de 40 000 exemplaires.
5 Comme ce fut, par exemple, le cas pour les policiers démasqués en Espagne par les manifestants eux-mêmes lors du mouvement des Indignés en 2011. En France, l’infiltration des manifestations par des policiers de la BAC chargés d’exciter les foules est de notoriété publique.
6 Les ouvriers avaient parmi leurs revendications demandé un monument pour commémorer leurs morts, les victimes de la répression sanglante des mouvements précédents en 1970-71 et en 1976.
7 À l’image des slogans entonnés : “Nous devons détester la police” ou “Tous les flics sont des bâtards”.
8) R. Luxemburg, Grève de masse, Parti et Syndicats.
Lorsque 52 % des votants au référendum en Grande-Bretagne sur le maintien du pays dans l’Union européenne ont choisi la porte de sortie, ceci n’était pas un événement isolé mais un exemple supplémentaire du poids grandissant de populisme. Cela se voit aux États-Unis dans le soutien à Donald Trump dans la bataille pour la présidence du pays, en Allemagne avec l’apparition de forces politiques à la droite des Démocrates chrétiens (Pegida et Alternative für Deutschland), aux dernières élections présidentielles en Autriche où les Sociaux-démocrates comme les Démocrates chrétiens ont été dépassés par la concurrence entre les Verts et la droite populiste, en France, avec la montée en puissance continue du Front national, en Italie, avec le mouvement Cinq Étoiles ou encore à travers les gouvernements actuels en Pologne et en Hongrie.
Le populisme n’est pas un acteur de plus dans le jeu politique entre partis de gauche et de droite ; il doit son existence à un mécontentement très répandu qui ne trouve aucun autre moyen de s’exprimer. Il se place entièrement sur le terrain bourgeois et s’appuie sur un rejet des élites et de l’immigration, comme sur une méfiance envers les promesses et l’austérité de la gauche et de la droite, exprimant ainsi une perte de confiance à l’égard des institutions de la société et l’incapacité de reconnaître l’alternative révolutionnaire de la classe ouvrière.
Dans nos “Thèses sur la décomposition” publiées en 1990, nous parlions déjà de “... cette tendance générale à la perte de contrôle par la bourgeoisie de la conduite de sa politique”, et “la perte du contrôle sur sa propre stratégie politique”. Bien que l’utilisation de la démocratie ait été un outil et une idéologie très efficaces pour la classe capitaliste, lui permettant de maintenir son contrôle de la situation politique, la montée du populisme traduit la tendance latente à ce qu’émergent de plus en plus de difficultés pour la classe capitaliste.
A un certain niveau, la montée du populisme renforce la démocratie : les mécontents se rallient aux partis populistes, alors que d’autres s’y opposent farouchement. Cependant, le vote en Grande-Bretagne pour “Sortir” (Leave) de l’Union européenne nous rappelle les difficultés que le populisme peut engendrer pour le contrôle politique de la bourgeoisie. La classe dominante utilise la démocratie pour essayer de légitimer son règne, mais le populisme mine ses tentatives de maintenir cette légitimité. Le populisme pose des problèmes à l’ensemble de la bourgeoisie parce que son développement provoque des bouleversements imprévisibles du “bon fonctionnement de la démocratie”.
Nous avons souvent, à juste titre, souligné que la bourgeoisie britannique est la plus expérimentée au monde, capable de manœuvrer sur les plans diplomatique, politique, et électoral à tel point que les autres États capitalistes de toute la planète l’envient. Or, le vote pour le Brexit remet en cause ces capacités.
Bien que le capitalisme au Royaume-Uni ait une longue tradition de l’utilisation des élections, il n’a que rarement eu recours à des référendums. Après celui pour l’adhésion à la CEE (le prédécesseur de l’Union européenne actuelle) en 1975 et mis à part des référendums locaux en Irlande du Nord, au Pays de Galles et en Écosse, avant cette année, il n’y avait eu que celui sur la modification du système de vote parlementaire en 2011. Éviter les référendums est une politique sage pour la bourgeoisie, puisqu’il y a toujours le danger que le vote soit utilisé comme moyen de protestation à propos de n’importe quoi. En fait, la mise en place de ce référendum sur le Brexit par David Cameron était une immense erreur de calcul compte tenu de la croissance du populisme. Loin d’être limité à une bataille avec l’UKIP1 et les Conservateurs eurosceptiques, des gens de toute obédience politique étaient attirés dans la bagarre. Ceci explique aussi la faiblesse de la campagne pour “Rester” (Remain) dans l’UE qui présentait des arguments de bon sens et des considérations rationnelles (du point de vue capitaliste), alors que la campagne “Sortir” a fait appel, avec davantage de succès, aux émotions irrationnelles.
Les “Brexitistes” ont personnalisé le débat en ciblant les riches Cameron et Osborne2 qui ne comprenaient pas les soucis des gens ordinaires ; en disant que les gens en avaient marre des experts, et qu’ils devaient faire confiance à leurs pulsions tout en pointant l’immigration comme un problème, aggravé de surcroît par l’appartenance à l’UE. Ils ont aussi promis 350 millions de Livres supplémentaires par semaine pour le NHS,3 disant après coup qu’il s’agissait d’une “erreur”. Face à cela, la campagne “Rester” appuyait ses arguments sur le besoin de continuer de profiter de l’appartenance à l’UE, affichait les analyses d’une armée d’économistes et relayait les témoignages de nombreux hommes d’affaires reconnaissant l’importance de l’UE. Lorsque la campagne “Rester” parlait de l’immigration, elle était d’accord avec les “Brexitistes” pour dire que c’était un problème mais insistait sur le fait que le cadre de l’UE offrait la meilleure garantie pour limiter l’arrivée de gens à la recherche d’un emploi ou tout simplement venant sauver leur peau.
Après le référendum, il n’y aura pas de “retour à la normale”. Aucun parti n’avait prévu de plan en cas de victoire du Leave. Quoi qu’il arrive, ce seront ceux qui souffrent déjà qui souffriront le plus. Alors qu’Osborne annonçait rapidement une baisse de l’impôt sur les entreprises afin d’attirer les investisseurs en Grande-Bretagne, il est clair que c’est la classe ouvrière qui subira les pires attaques. Sur le plan économique, il y a eu beaucoup de spéculations sur ce qui va se passer désormais. Comment le capitalisme peut-il au mieux défendre ses intérêts ? Comment les pays de l’UE peuvent le mieux se défendre contre les dommages collatéraux du résultat du référendum ? Les répercutions sont évidemment internationales. Bien sûr, il y aura des tentatives d’en limiter l’impact sur l’UE. Les dangers d’une contagion du Brexit vers d’autres pays sont réels. Une sortie complète de la Grande-Bretagne pourrait renforcer ces forces centrifuges.
Une autre perspective est le renforcement des tendances séparatistes. Suite au vote écossais largement majoritaire pour “Rester” et aux élections parlementaires de 2015 à l’issue desquelles presque tous les députés écossais appartenaient au SNP,4 il existe la possibilité d’une perte de contrôle encore plus grande au point même de mettre en danger l’unité du Royaume-Uni. La situation est différente en Irlande du Nord, mais là aussi la majorité était pour “Rester”, ce qui pourrait créer des difficultés supplémentaires pour le Royaume-Uni.
Sur le plan politique, il y aura de nouvelles alliances et il n’y a aucune garantie que nous verrons un retour à la division classique entre la Gauche et la Droite. Les choses ne vont pas se calmer si facilement après toutes les luttes intestines au sein du Parti conservateur. Le gouvernement conservateur était profondément divisé par la campagne et suite au référendum la bagarre entre Gove5 et Johnson6 a révélé encore plus de divisions dans le camp du Brexit. Des deux candidates pour la direction du Parti conservateur, Theresa May7 était du côté “Rester” mais dit maintenant que “Brexit veut dire Brexit” alors qu’ Andrea Leadsom déclarait en 2013 qu’une sortie de l’Europe “serait une catastrophe pour notre économie”, mais elle a rejoint la campagne pour “Sortir” en 2016.8
La situation au sein du Parti travailliste reflète bien les difficultés politiques auxquelles est confrontée la bourgeoisie. Ce parti n’est pas au gouvernement, mais son rôle dans l’opposition est important et il doit se préparer pour l’avenir lorsque la classe ouvrière se mettra à bouger. Il y a un fossé entre les députés travaillistes qui ne soutiennent pas Corbyn en tant que dirigeant, et les militants du parti qui l’ont élu.9 Les syndicats, quant à eux, ne sont pas unis, mais ils joueront un rôle dans la situation et pas forcément dans le sens de la stabilité.
Le résultat du référendum en Grande-Bretagne est un fait majeur qui inquiète la bourgeoisie des autres pays. Si la bourgeoisie britannique, droite et gauche confondues, a du mal à maîtriser le populisme, alors ce sera pareil dans tous les États. Si la démocratie est un des principaux moyens pour contenir et dévoyer les poussées de la classe ouvrière et d’autres couches sociales, la force du populisme montre que le contrôle du processus démocratique par la bourgeoisie a ses limites et ne suit pas toujours la volonté de ses fractions les plus éclairées.
Une des raisons de la montée du populisme est la faiblesse de la classe ouvrière sur le plan de ses luttes, de sa conscience et de la compréhension de sa propre identité. Si la classe ouvrière se reconnaissait comme étant capable de présenter une alternative au capitalisme, ce serait un facteur déterminant dans la perspective de l’édification d’une réelle communauté humaine. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.
En plus de cela, beaucoup d’ouvriers se sont laissés berner par le populisme, trompés par l’idée que “le peuple” doit se dresser contre “les élites”. Il est significatif que les ouvriers ont eu plus tendance à voter “Sortir” dans les vieilles régions industrielles qui ont été les plus appauvries et négligées. Le Parti travailliste a pensé que le soutien des ouvriers dans ces régions lui était acquis, mais bien que la majorité de l’électorat travailliste ait voté pour “Rester”, une minorité significative a voté dans le sens inverse. Ce sont ces secteurs de la classe ouvrière qui ont le plus souffert des politiques “néo-libérales” qui ont démantelé des pans entiers d’industrie dans les anciens pays centraux du capitalisme, qui ont transformé le marché du logement en une arène de spéculation débridée,10 et qui ensuite ont proposé l’austérité comme le seul remède permettant d’éviter une désintégration du système financier international.
Face à ces attaques, souvent présentées comme les agissements d’une sorte “d’internationale” capitaliste, il n’est pas étonnant que de larges secteurs de la classe ouvrière ressentent une réelle colère contre les élites, qui en elle-même ne mène nullement à un développement de la conscience de classe. L’attraction exercée par des démagogues populistes est due au fait qu’ils proposent concrètement des cibles faciles sur lesquelles rejeter la faute : l’UE, une élite de la métropole londonienne, les immigrés, les étrangers, etc. Le capitalisme génère une perception abstraite et déformée de la réalité, ce qui explique que les populistes peuvent changer de cible comme ils changent de chemise : les réglementations de l’UE, le terrorisme islamiste, la globalisation, les riches parasitaires... Le populisme représente un danger pour la classe ouvrière car il n’a pas besoin d’être cohérent pour être efficace. C’est un défi majeur pour les révolutionnaires d’analyser la signification de tout ce phénomène et nous ne faisons qu’entamer ce travail.
Le référendum en Grande-Bretagne, à la fois sa campagne et son résultat, n’est qu’une expression d’une situation mouvante, directement influencée par la montée du populisme. C’est un problème qui ne peut qu’empirer tant que le prolétariat ne comprendra pas son rôle historique en tant que classe exploitée ayant la capacité de renverser le capitalisme et de mettre en place une communauté humaine mondiale.
Car, 9 juillet 2016
1 United Kingdom Independence Party, un parti de droite britannique fondé essentiellement sur un programme de sortie de l’UE.
2 Ministre des Finances du gouvernement Cameron.
3 National Health Service (services de santé).
4 Scottish National Party (Parti nationaliste écossais).
5 Michael Gove, ministre de la Justice dans le gouvernement Cameron.
6 Boris Johnson, ancien maire de Londres jusqu’aux dernières élections municipales.
7 Secrétaire d’État à l’Intérieur dans le gouvernement Cameron
8 Depuis que cet article a été écrit, Gove et Leadsom se sont retirés de la course, laissant Theresa May comme nouveau dirigeant du Parti conservateur. Selon la constitution britannique elle devient donc automatiquement Premier ministre.
9 Les dirigeants du Parti travailliste sont élus selon un système qui inclut les voix des membres des syndicats affiliés au Parti ainsi que celles des militants ayant rejoint le Parti individuellement. Jeremy Corbyn était élu suite à la défaite de son prédécesseur Ed Milliband dans les élections parlementaires de 2015. Fortement marqué à gauche, il a reçu le soutien en particulier d’un grand nombre de jeunes qui venaient tout juste de s’inscrire au Parti.
10 Ceci se réfère notamment à la politique introduite par Thatcher, qui donnait aux locataires des HLM appartenant aux municipalités, le droit d’acheter leur logement.
Au mois de mai dernier, une partie de l’Europe a été marquée par de fortes précipitations. Ces intempéries ont touché essentiellement l’Allemagne, la France, la Belgique et une partie de l’Europe centrale, faisant au moins dix-neuf morts et causant d’importants dégâts matériels d’un montant de près d’un milliard d’euros.
Au début du mois de juin, lors d’un Conseil des ministres, le Premier ministre Manuel Valls et son ministre de l’Intérieur ont salué “l’intervention des services de l’État, totalement mobilisés pour venir en aide aux populations sinistrées” avant de mettre en œuvre une prétendue “solidarité” en débloquant “plusieurs millions d’euros” visant à aider les personnes “sans ressources ayant tout perdu”. On voit ici toute l’hypocrisie et le cynisme du gouvernement qui prétend racheter le malheur et le désarroi de ces populations qui, du jour au lendemain, perdent leur maison, leur voiture, leurs biens de première nécessité, mais surtout leurs amis ou des membres de leur famille. Car ce gouvernement a voulu nous faire croire que cette “catastrophe” a été maîtrisée, que les victimes ont bien été prises en charge, ce qui aurait permis de limiter le nombre de disparus. Mais dix-neuf morts dans des inondations touchant l’une des zones les plus développées du monde, c’est dix-neuf morts de trop !
Alors que les puissances capitalistes, comme la France ou l’Allemagne, sont capables de déployer des moyens technologiques inouïs dans le domaine militaire par exemple, elles ne voient aucun intérêt à prendre des mesures durables pour éviter de telles catastrophes, dès lors que ce n’est pas rentable. En Allemagne, où ces inondations ont fait le plus de morts (onze au total), les experts soulignent l’archaïsme des infrastructures berlinoises et la mise en œuvre d’un programme de protection rendue compliquée par des conflits d’intérêts entre les différents acteurs.1 Ce seul exemple montre le côté suicidaire de ce système, incapable de voir ce qui est bénéfique au développement de l’humanité.
Bien entendu, on ne peut pas rendre le capitalisme totalement responsable de la météo d’autant plus que le réchauffement climatique ne semble pas avoir joué un rôle primordial dans ces intempéries. En revanche, cet événement démontre une nouvelle fois “l’incapacité de la civilisation bourgeoise à organiser une protection efficace dans la mesure où la prévention n’est pas une activité rentable” (2). Le désintérêt du capitalisme envers tout ce qui ne génère pas du profit rend la société extrêmement vulnérable et démunie face à ce genre de catastrophes, beaucoup plus sociales que naturelles.
L’une des grandes tendances historiques du capitalisme réside dans l’urbanisation du monde. Désormais, des millions de personnes s’agglutinent dans de grandes agglomérations pour servir de main-d’œuvre. Cette concentration nécessite la construction effrénée de bâtiments et d’infrastructures (parking, lotissements, zones commerciales et industrielles, routes, zones de loisirs). Dès lors, cette “bétonisation” anarchique provoque l’imperméabilité des sols et accentue le ruissellement, ce qui accroît le débit de l’eau. La “canalisation” de certains fleuves, comme la Seine par exemple, ne permet plus au tissu végétal d’absorber les quantités d’eau qui peuvent tomber en quelques jours. Ce phénomène est aggravé par l’irresponsabilité des promoteurs immobiliers et des autorités publiques qui, obnubilés par les gains financiers, ne cessent d’ériger des logements, y compris sur des zones inondables, sans se soucier le moins du monde des répercussions que cela peut entraîner sur les populations.
Dans un précédent article,3 nous insistions sur la multiplication de ces catastrophes pseudo-naturelles ainsi que sur l’augmentation du nombre de victimes. Entre 1994 et 2013, environ 6800 catastrophes naturelles ont coûté la vie à 1,35 millions de personnes.
Si la fréquence des phénomènes géophysiques (séismes, éruptions volcaniques, tsunami, etc.) reste constante, celle des catastrophes liées au climat (inondations, tempêtes) ne cesse d’augmenter.4 Le GIEC5 souligne que l’augmentation de ces précipitations extrêmes et des inondations est causée en grande partie par le dérèglement climatique. L’actualité de ces dernières semaines voit ces assertions se vérifier. Le 23 juin, au moins 26 personnes ont trouvé la mort en Virginie-Occidentale. Quelques jours avant, au moins 22 personnes périssaient dans le centre de la Chine et près de 200 000 personnes ont dû être déplacées. Le séisme qui a dévasté l’Équateur en avril dernier a fait 646 morts et plus de 26 000 personnes sans logements.6 Ces quelques exemples montrent la contradiction de plus en plus flagrante entre la société capitaliste et la nature. Désormais incapable de favoriser le progrès général de l’humanité, la bourgeoisie gère ces catastrophes à la fois avec cynisme et impuissance.
Pour le moment, la classe ouvrière encaisse ces chocs avec fatalisme et désarroi. Son incapacité à identifier le vrai responsable de ces drames à répétition l’empêche de s’indigner et de transformer ces épreuves en un élan de combativité contre la société bourgeoise. Pourtant, la survie du capitalisme en décomposition ne peut rendre ces drames que plus fréquents et meurtriers et encourager la plongée de l’humanité dans le chaos. Seule l’instauration d’une société où le travail sera tourné vers les propres besoins de la communauté humaine mondiale pourra permettre un pas supplémentaire dans le développement de l’humanité, en harmonie avec la nature.
FP, 1er juillet 2016
1 “L’Allemagne face aux difficultés de prévenir les inondations”, La Croix, 2 juin 2016.
2) Amedeo Bordiga, Espèce humaine et croûte terrestre, Petite bibliothèque Payot, 1978.
3 “Intempéries, tremblements de terre, inondations... catastrophes “naturelles” ? Non, catastrophes capitalistes !”, Révolution internationale no 455.
4 D’après l’EM-DAT (la base internationale de données sur les situations d’urgence).
5 Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat.
6 Voir à ce sujet l’article écrit par nos camarades en Equateur sur notre site en espagnol [587] dont la traduction en français paraîtra prochainement également sur notre site.
Juin et juillet 2016 resteront comme des mois sanglants ayant plongé la population vivant en Occident dans la peur. Le 12 juin, 49 personnes sont abattues dans un club gay d’Orlando en Floride. Le lendemain, le 13, un policier et sa compagne sont assassinés près de Paris, par un homme ayant prêté allégeance à l’État islamique (EI). Le 14 juillet, un homme fonce au volant d’un camion dans la foule à Nice, tuant 84 personnes, dont plusieurs enfants, et faisant plus de 330 blessés. L’attaque est revendiquée par l’EI. Le 18 juillet, en Allemagne, un jeune de 17 ans blesse cinq personnes, dont deux grièvement, dans un train régional, en les attaquant à la hache et au couteau. L’EI revendique l’attaque. Le 22 juillet éclate une fusillade dans un centre commercial de Munich. Dix personnes perdent la vie. Là aussi le tireur est très jeune (18 ans). Le 24 juillet, nouvelle attaque à la machette en Allemagne. Un jeune de 21 ans tue une femme dans un restaurant de Reutlingen et s’enfuit en courant, blessant d’autres personnes sur son passage. Le 24 juillet, un réfugié syrien de 27 ans se fait exploser dans le centre d’Ansbach, à proximité d’un festival de musique en plein air. Le 26 juillet, près de Rouen, un prêtre est égorgé au nom de Daesh lors d’une prise d’otage dans une église.
Au cœur même des grandes nations capitalistes, la barbarie vient donc de prendre une ampleur insoutenable. Dans un monde déliquescent, où des pans de plus en plus larges du globe plongent dans le trafic, la guerre et le terrorisme 1, l’Europe était présentée comme un havre de paix depuis 1945. Il s’agissait donc de protéger au mieux la forteresse, à coups de murs et de barbelés, de la barbarie “étrangère” c’est-à-dire, en réalité, des effets des affrontements meurtriers dans lesquels les armées et les bombes des grandes puissances démocratiques sont particulièrement actives. Mais l’horreur revient aujourd’hui frapper comme un boomerang le cœur historique du capitalisme. Non seulement les conflits mondiaux pénètrent les murailles de Schengen, mais la violence accumulée et intériorisée par toute une partie de la population “locale” explose. Ainsi, en cette période estivale, particulièrement en Allemagne, symbole de la stabilité et de la prospérité, l’atmosphère est devenue étouffante. La description du politologue allemand Joachim Krause est à ce titre édifiante 2 : “On a pu observer vendredi [lors de la tuerie de Munich] à quel point règne une ambiance de peur. Quand la population a appris qu’un attentat avait eu lieu dans un centre commercial dans le nord-ouest de Munich, des scènes de panique se sont produites sur des places du centre-ville, c’est-à-dire à plusieurs kilomètres du lieu du crime. A Karlsplatz, des gens se sont enfuis en masse à cause d’une prétendue fusillade. Dans la grande brasserie Hofbräuhaus, des gens ont fui par les fenêtres, car la rumeur courait qu’un terroriste islamiste était entré dans l’établissement.”
Ce climat de panique est à l’évidence le fruit de la politique délibérée de l’état-major de Daesh, assoiffé de vengeance 3. L’EI vise à déstabiliser ses ennemis impérialistes en terrorisant les populations. Mais la liste des actes violents de juin et juillet révèle un problème bien plus ample et profond. Aucune de ces tueries n’a été commise par un soldat de Daesh surentraîné. Non. Loin de là. Des jeunes gens à peine sortis de l’enfance et se sentant exclus. Un père de famille violent et vivant très mal son divorce. Un réfugié que l’État refuse de régulariser. Leurs trajectoires et origines sont diverses : certains sont nés et ont grandi en Europe, d’autres au Moyen-Orient ou en Orient. Presque tous sont “radicalisés” depuis peu et sans réel lien direct avec l’EI autre que quelques vidéos sur internet. Quand les crimes n’ont tout simplement aucun rapport avec le djihadisme, comme la fusillade de Munich menée par un sympathisant de l’extrême-droite, fasciné par Hitler, ou cette attaque à la machette dans le restaurant de Reutlingen qualifiée finalement de crime passionnel. La propagande haineuse djihadiste n’explique donc pas tout ; au contraire, le succès de son influence est lui-même le produit d’une situation nauséabonde bien plus grave et historique. Quelle force destructrice et meurtrière pousse donc ces individus aux motivations apparemment si différentes à passer à l’acte ? Et pourquoi maintenant ? Que nous dit toute cette barbarie de l’évolution de l’ensemble de la société à l’échelle mondiale ?
Ces jeunes meurtriers ne sont pas des monstres. Ce sont des êtres humains qui commettent des actes monstrueux. Ils ont été enfantés par une société mondiale malade, agonisante. Leur haine et leur ivresse meurtrière ont d’abord été intériorisées sous la terreur permanente que font régner les rapports sociaux capitalistes, puis ont été libérées sous la pression de ce même système en explosant, générant une série d’actes ignobles.
En effet, le capitalisme est une société intrinsèquement basée sur la terreur. L’exploitation est inconcevable sans violence, organiquement inséparables l’une de l’autre. Autant la violence peut être conçue hors des rapports d’exploitation, autant ces derniers ne sont réalisables qu’avec et par une violence coercitive. Mais le capitalisme est aussi depuis plus d’un siècle un système décadent 4. Ne pouvant plus offrir de réel avenir à l’humanité, il maintient son existence par le recours de plus en plus systématique et direct à cette violence tant sur le plan idéologique et psychologique que physique. L’éclatement de la Première Guerre mondiale et de sa boucherie en août 1914 en sont une image saisissante. Ainsi, la violence, combinée à l’exploitation, acquiert dès lors une qualité toute nouvelle et particulière. Elle n’est plus un fait accidentel ou secondaire, mais devient un état constant à tous les niveaux de la vie sociale. “Elle imprègne tous les rapports, pénètre dans tous les pores du corps social, tant sur le plan général que sur celui dit personnel. Partant de l’exploitation et des besoins de soumettre la classe travailleuse, la violence s’impose de façon massive dans toutes les relations entre les différentes classes et couches de la société, entre les pays industrialisés et les pays sous-développés, entre les pays industrialisés eux-mêmes, entre l’homme et la femme, entre les parents et les enfants, entre les maîtres et les élèves, entre les individus, entre les gouvernants et les gouvernés ; elle se spécialise, se structure, se concentre en un corps distinct : l’État, avec ses armées permanentes, sa police, ses prisons, ses lois, ses fonctionnaires et tortionnaires et tend à s’élever au-dessus de la société et la dominer. Pour les besoins d’assurer l’exploitation de l’homme par l’homme, la violence devient la première activité de la société pour laquelle la société dépense une partie chaque fois plus grande de ses ressources économiques et culturelles. La violence est élevée à l’état de culte, à l’état d’art, à l’état de science. Une science appliquée, non seulement à l’art militaire, à la technique des armements, mais à tous les domaines, à tous les niveaux, à l’organisation des camps de concentration, aux installations de chambres à gaz, à l’art de l’extermination rapide et massive de populations entières, à la création de véritables universités de la torture scientifique, psychologique, où se qualifient une pléiade de tortionnaires diplômés et patentés. Une société qui, non seulement “dégouline de boue et de sang par tous ses pores” comme le constatait Marx, mais qui ne peut plus vivre ni respirer un seul instant hors d’une atmosphère empoisonnée et empestée de cadavres, de mort, de destruction, de massacre, de souffrance et de torture. Dans une telle société, la violence ayant atteint cette Nième puissance, change de qualité, elle devient la Terreur” 5. Autrement dit, le capitalisme porte en lui la terreur comme la nuée porte l’orage 6.
Tous ces actes barbares commis ces dernières semaines sont la négation même de la vie, de la vie des autres comme de la sienne. Mais l’idéologie de Daesh comme celle de l’extrême-droite au nom desquelles ces attentats ont été commis ne sont qu’une caricature sanglante de l’absence de valeur accordée à la vie par le capitalisme tout entier.
Les guerres menées partout par les grands États en sont la preuve la plus flagrante. Comme le contraste entre la richesse opulente accumulée entre quelques mains et la misère qui entraîne parfois la faim et la mort de millions d’âmes. Comme ces médicaments rassemblant les plus hautes connaissances humaines sans pouvoir être distribués au nom du profit. Comme ces marchandises choyées, éclairées, chauffées ou refroidies selon les besoins, quand des millions d’êtres vivent dans le plus simple dénuement. Dans le film de Charlie Chaplin Les Temps modernes, il y a cette scène mythique durant laquelle Charlot est maltraité par un robot-fou programmé pour le laver, l’habiller et le nourrir afin de le préparer le plus efficacement et rapidement possible pour aller travailler à l’usine. Il s’agit là d’une critique humoristique mais aussi féroce du monde capitaliste dans son ensemble, pas seulement de ses usines ; car c’est bien au quotidien, sous tous les aspects de la vie, que l’homme est traité comme un objet. Nous ne vivons plus selon nos besoins corporels, psychiques et sociaux. Tout est rythmé, organisé, pensé selon les besoins du capital. L’exploitation capitaliste demande toujours plus à l’humanité de se nier elle-même pour s’incorporer à la machine.
Cette robotisation de l’homme entraîne l’exclusion de ceux qui ne peuvent s’adapter à ce rythme avilissant et infernal. En découlent la marginalisation, l’humiliation, un sentiment d’infériorité et bien d’autres grandes souffrances encore renforcées par la stigmatisation de ces “inadaptés” par l’État, par la répression des forces de polices ou des prétendus organismes “sociaux”. Se trouve certainement là l’une des racines profondes de la haine et de l’esprit de vengeance suicidaire.
La terreur et la négation de la valeur de toute vie, voilà sur quel terreau capitaliste grandissent ces individus qui deviennent terroristes.
Parfois écrasés matériellement, sans aucun avenir devant eux, végétant dans un présent aux horizons complètement bouchés, piétinant dans une médiocrité quotidienne, ces individus sont dans leur désespoir la proie facile à toutes les mystifications les plus sanglantes (Daesh, pogromistes, racistes, Ku Klux Klan, bandes fascistes, gangsters et mercenaires de tout acabit, etc.). Dans cette violence, ils trouvent “la compensation d’une dignité illusoire à leur déchéance réelle que le développement du capitalisme accroît de jour en jour. C’est l’héroïsme de la lâcheté, le courage des poltrons, la gloire de la médiocrité sordide. C’est dans ces rangs que le capitalisme, après les avoir réduites à la déchéance extrême, trouve une réserve inépuisable pour le recrutement de ses héros de la terreur” 7.
L’attentat du 14 juillet à Nice révèle ainsi ce qui se cache derrière tous les autres : la haine et la soif de meurtre d’individus écrasés. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, l’homme qui a tué avec un camion des dizaines de personnes à Nice, est décrit par ses proches comme ultra-violent, souffrant de “crises” au cours desquelles il “cassait tout”. Son ex-femme l’a quitté notamment pour cette agressivité. Mais pour percuter ainsi volontairement et durant plusieurs minutes hommes, femmes et enfants, il faut encore bien plus : une véritable désintégration psychique. Dans un tel acte, tous les interdits fondamentaux de la société humaine sont comme pulvérisés. Cet homme a intériorisé toute la violence du capitalisme en la subissant, puis l’a extériorisé dans une explosion destructrice. De tels tueurs de masse existent déjà depuis plusieurs décennies aux États-Unis. Les hécatombes dans les collèges et les universités américaines font régulièrement la une de l’actualité ; chaque fois les tireurs sont des jeunes se sentant exclus et marginalisés par le système scolaire, stigmatisés par leurs camarades et professeurs. L’idéologie de Daesh n’est donc en rien la cause première de ces actes barbares. C’est bien parce que le système avait d’abord produit ces individus broyés et assoiffés de vengeance que ceux-ci sont attirés par les discours haineux et irrationnels de l’EI, sont fascinés par les armes. Et c’est à ce stade que l’EI joue un rôle considérable : il permet à ces individus de légitimer leur barbarie. Il leur fait croire qu’ils peuvent venger leur vie ratée et réussir leur mort. Il libère les pires pulsions meurtrières enfantées par la société.
Cette succession d’actes barbares est d’autant plus traumatisante pour la population que de plus en plus nombreux sont les victimes réfugiées et les anciens combattants (des soldats officiels des armées démocratiques aux mercenaires intervenant pour des boites privés, en passant par tous ces jeunes partis pour Daesh, Al Qaïda, Aqmi...) et qui tous reviennent broyés, marqués par le syndrome du stress post traumatique. Cette partie de la population, confrontée à des lésions psychiques et enfermée dans les pires cauchemars, subit la violence de tous ces attentats comme les répétions atroces de ses souvenirs. La spirale est ici infernale : car ces victimes peuvent être emportées par la peur, la haine et les comportements les plus irrationnels et donc générer à leur tour d’autres souffrances et traumatismes.
La multiplication de tels attentats, le fait qu’un pays comme l’Allemagne soit à son tour touché, que les terroristes soient souvent issus de l’Europe elle-même en dit long sur l’aggravation considérable de la situation sociale internationale. Les raisons en sont nombreuses :
• Les conflits impérialistes de l’après septembre 2001, de l’Afghanistan à l’Irak, ont déstabilisé des régions entières du globe, particulièrement le Moyen-Orient. Ces guerres ont attisé les haines et l’esprit de vengeance 8.
• La crise économique mondiale de 2007/2008 a entraîné bien plus que de la pauvreté : elle a engendré une immense vague d’inquiétude sur l’avenir ; elle a rendu le monde apparemment plus incompréhensible encore avec ses faillites bancaires et ses krachs boursiers. Elle a ruiné des millions d’épargnants qui ont perdu toute confiance dans la monnaie qui est, sous le capitalisme, l’un des plus forts liens sociaux qui unit la société... Bref, cette crise économique a rendu la planète plus incertaine de son avenir, elle a engendré une plus grande peur des uns envers les autres.
• Le “Printemps arabe”, présenté comme une vague de révolutions, en 2010 et 2011, a été suivi par une augmentation considérable des tensions sociales, des régimes de tortures et par l’horreur de la guerre civile. L’impression est donc que la lutte sociale massive ne peut déboucher que sur plus de chaos, que l’avenir ne peut donc qu’empirer pour tous.
• Les groupes terroristes ont prospéré, engendrés par la guerre et entretenus par les sordides jeux d’alliances, de soutien et d’instrumentalisation des grandes puissances 9.
• Fuyant cette barbarie allant du Mali à l’Afghanistan, en passant par le Soudan et même le sud de la Turquie, des millions d’êtres humains tentent de fuir, mois après mois, pour survivre. Ils deviennent alors des “réfugiés”, qui partout sont parqués et souvent rejetés. Ces arrivées se produisant en même temps que l’aggravation de la crise économique et de la montée du terrorisme, la xénophobie s’est elle-aussi accrue.
• Et surtout, par dessus tout, alors que le capitalisme avance dans son obsolescence et que les liens sociaux le suivent en se décomposant, la classe ouvrière ne parvient pas pour l’instant à offrir à l’humanité une autre perspective. Incapable de développer sa combativité et sa conscience, son souffle de solidarité et de fraternité internationales, elle est le grand absent de la situation mondiale.
Cette convergence de facteurs, et sûrement d’autres, explique l’aggravation de la situation sociale mondiale. La peur, la haine et la violence se propagent aujourd’hui comme une gangrène. Et chaque nouvelle explosion, chaque nouvel attentat, nourrit à son tour cette dynamique suicidaire. L’esprit de vengeance se développe de toute part. Le racisme, la bouc-émissarisation du musulman, participent à ce cercle vicieux infernal. Telle est d’ailleurs la stratégie de Daesh : si la population musulmane est persécutée, les candidats au djihad seront encore plus nombreux.
Le danger de cette putréfaction actuelle de toute la société n’est pas à sous-estimer : menée jusqu’à son terme, elle pousse toute l’humanité vers sa destruction.
Fondamentalement, la bourgeoisie n’a aucune solution réelle à proposer à cette situation dramatique. Il est vrai que ses fractions les plus intelligentes prônent un discours de tolérance et d’accueil pour limiter l’extension des haines et éviter que la situation ne devienne incontrôlable, comme la bourgeoisie au pouvoir en Allemagne, Merkel en tête. Plus nombreuses sont les fractions à instrumentaliser les peurs et les haines, jouant là aux apprentis sorciers, comme le font la droite et une grande partie de la gauche en France.
Concrètement, les réponses les plus répandues sont de mener une guerre plus féroce et meurtrière encore au Moyen-Orient, de monter des barbelés plus épais et hauts partout autour de l’Europe et de l’Amérique du Nord, et de fliquer (pardon “sécuriser”) l’ensemble de la société, en surveillant toute la population en permanence et en armant toujours plus la police. Autrement dit, plus de terreur et de haine encore, partout, tout le temps.
Mais bien plus fondamentalement encore, la bourgeoisie n’a aucune solution réelle à offrir car son objectif est de maintenir son système, le capitalisme, alors que c’est lui, comme un tout, qui est obsolète, décadent et la cause de tous ces maux. Son monde est divisé en nations concurrentes, en classes exploitées et exploiteuses, l’activité y est mise en mouvement dans l’intérêt de l’économie et du profit et non de la satisfaction des besoins humains, autant d’obstacles qui engendrent aujourd’hui la décadence et le pourrissement sur pied de la société. Et cela, aucun gouvernement au monde, dictatorial ou démocratique, de droite ou de gauche, ne le remettra en cause. Au contraire, tous défendront ce système tel qu’il est, quitte à en faire agoniser l’humanité dans d’horribles souffrances.
Le seul contrepoison à cette dérive barbare réside dans le développement massif et conscient des luttes prolétariennes qui seules peuvent offrir aux individus écrasés une véritable identité, l’identité de classe, une véritable communauté, celle des exploités et non celle des “croyants”, une véritable solidarité, celle qui se développe dans la lutte contre l’exploitation entre travailleurs et chômeurs de toutes races, nationalités et religions, un véritable ennemi à combattre et terrasser, non pas le juif ou le prêtre catholique ou le musulman ou le rom ou le chômeur ou le réfugié, ni même le banquier, mais le système capitaliste. Des luttes ouvrières qui, en se développant dans tous les pays, devront de plus en plus comprendre et prendre en charge la seule perspective qui puisse sauver l’humanité de la barbarie : le renversement du capitalisme et l’instauration de la société communiste.
Camille, 3 août 2016
1 Deux exemples seulement. Le 28 juin, 47 personnes sont tuées dans un triple attentat suicide à l’aéroport international Atatürk d’Istanbul. Le 23 juillet, à Kaboul en Afghanistan, un attentat-suicide fait 80 morts et 231 blessés.
2 Professeur de politique internationale à la Christian Albrechts Universität de Kiel et directeur de l’Institut politique de la sécurité.
3 Une grande partie de cet état-major est constitué par exemple d’anciens généraux du régime de Sadam Hussein mis à bas par l’armée américaine en 2003. Lire notre article sur les attentats de novembre 2015 sur notre site Internet : “Attentats à Paris : à bas le terrorisme ! à bas la guerre ! à bas le capitalisme !”.
4 À lire sur notre site : “Qu’est-ce que la décadence ?”.
5 Extrait de Terreur, terrorisme et violence de classe, disponible sur notre site Internet.
6 Inspiré de Jaurès écrivant face à la Première Guerre mondiale : “Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage”.
7 Terreur, terrorisme et violence de classe.
8 “En menant toutes ces guerres, en semant la mort et la désolation, en imposant la terreur des bombes et en attisant la haine au nom de la “légitime défense”, en soutenant tel ou tel régime assassin, selon les circonstances, en ne proposant aucun autre avenir que toujours plus de conflits, et tout cela pour défendre leurs seuls sordides intérêts impérialistes, les grandes puissances sont les premières responsables de la barbarie mondiale, y compris celle de Daesh. En cela, lorsque ce prétendu “État islamique” a pour sainte trinité le viol, le vol et la répression sanglante, lorsqu’il détruit toute culture (la même haine de la culture que le régime nazi), lorsqu’il vend des femmes et des enfants, parfois pour leurs organes, il n’est rien d’autre qu’une forme particulièrement caricaturale, sans artifice ni fard, de la barbarie capitaliste dont sont capables tous les États du monde, toutes les nations, petites ou grandes” (in “Attentats à Paris : à bas le terrorisme ! à bas la guerre ! à bas le capitalisme !”).
9 “L’EI est composé des fractions les plus radicales du sunnisme et a donc pour ennemi premier la grande nation du chiisme : l’Iran. C’est pourquoi tous les ennemis de l’Iran (l’Arabie saoudite, les États-Unis, Israël, le Qatar, le Koweït…) ont tous soutenu politiquement, financièrement et parfois militairement Daesh. La Turquie a, elle-aussi, appuyé l’État islamique afin de s’en servir contre les Kurdes. Cette alliance de circonstance et hétéroclite montre que les différences religieuses ne sont pas le réel ferment de ce conflit : ce sont bien les enjeux impérialistes et les intérêts nationaux capitalistes qui déterminent avant tout les lignes de clivages et transforment les blessures du passé en haine moderne” (idem).
La tentative de coup d’État des 15 et 16 juillet a été, selon les mots du président turc Erdogan, « un cadeau du Ciel ». Il ajoutait que l’« épuration » continuerait et que « le virus serait éradiqué », c’est-à-dire les « terroristes » traqués où qu’ils se trouvent. Cette purge, qui rappelle celles des staliniens avec ses listes de noms déjà préparées, a en effet été menée avec force. La guerre contre les Kurdes dans le Sud-est de la Turquie s’est également immédiatement intensifiée.
Sans spéculer sur l'implication éventuelle de services secrets étrangers ni sur leur anticipation des événements, il semble que la tentative de coup d’État a impliqué une large partie des hauts gradés de l’armée turque, celles que la BBC a appelées, alors que le coup d’État échouait, « les garants du sécularisme et de l’État laïc en Turquie ». Ce putsch pour éjecter Erdogan et son AKP était selon toute probabilité bien plus profondément et largement ancré dans la société qu’un simple mouvement « guleniste »1, quoique les alliances et liens entre les différentes factions dans l’ombre et tendances diverses au sein de l’État turc sont d’une complexité réellement byzantine. Par exemple, les Gulenistes sont depuis longtemps accusés d’être impliqués dans une énorme conspirations, un véritable « État dans l’État » appelée Ergenekon2, laquelle suppose-t-on aurait été mise en place dans les années 1990 en tant que garant des traditions laïques turques. Traditionnellement les principaux opposants du parti islamiste modéré d’Erdogan, l’AKP, ne sont pas les Gulenistes, mais les factions kémalistes3 au sein de l’armée et de la société civile. Ce coup d’État n'est cependant pas une nouvelle confrontation entre les islamistes de l’AKP et les kémalistes laïcs – bien sûr, à l’annonce du coup d’État, le principal parti kémaliste, le CHP, s’est rallié au gouvernement dans un grand élan de solidarité nationale. En réalité, de complexes rivalités religieuses sont ici à l’œuvre : entre les Sunnites et les Alevis hétérodoxes, entre la vision d’Erdogan sur l’Islam sunnite et celle des Gulenistes. Mais pour l’heure, Erdogan et l’AKP ont renforcé leur emprise totalitaire sur l’État turc, à l’aide d’un État d’urgence de trois mois qui rend possible de gouverner par décret dans une atmosphère de peur et de surveillance étatique renforcée…
Pour l’instant, (d’après la chaîne CNN, le 9 août dernier), 22 000 personnes sont détenues et 16 000 autres ont été arrêtées sur des accusations précises, y compris des milliers de militaires, dont presque un tiers des généraux et amiraux turcs. Des centaines de journalistes ont été aussi arrêtés, emprisonnés, perquisitionnés ou licenciés ainsi que des milliers de personnes, pour beaucoup interdites de voyage à l’étranger. En tout 68 000 personnes ont été licenciées ou suspendues et 2000 institutions ont été fermées. L’État d’urgence s’est traduit par de nombreux cas de tortures, de brimades, de bastonnade et de privation de nourriture, parmi les emprisonnés.
Dans le propre cercle des collaborateurs d’Erdogan, des arrestations ont eu lieu et la Garde présidentielle a été dissoute. Environ 250 soldats et civils ont été tués du côté gouvernemental lors de la tentative de coup d’État ainsi qu’un nombre indéterminé de tués, sciemment ou non, du côté des putschistes. Des douzaines de chasseurs-bombardiers, d’hélicoptères, des centaines de blindés et trois bateaux ont été utilisées lors de la tentative de putsch. D’après certains rapports, Erdogan aurait échappé in extremis à la mort suite à des avertissements de la Russie.
De nombreux « suspects » gradés de l’armée sont « en fuite » (BBC, 10 août 2016), y compris l’adjoint du chef d’état-major de commandement et de contrôle de l’OTAN, l’amiral Mustafa Urgurlu. Plus important encore, beaucoup d’exclus, de suspects et même ceux qui veulent simplement garder la tête baissée vont chercher à se venger et espérer riposter à un autre niveau. Au-delà du renforcement à court terme de l’État, les divisions se sont exacerbées et l’émasculation de l’armée pourrait conduire dans une certaine mesure au même genre de bévues commises par les États-Unis et le premier ministre Malaki en Irak après la chute de Saddam Hussein qui avait créé un vide dans la sécurité, lequel avait en parti mené à l’émergence de l’État islamique. La situation en Turquie est imprévisible, mais dans un pays de 80 millions d’habitants avec une armée de 600 000 hommes, la situation actuelle ne peut mener qu’à l’affaiblissement du pays et à une instabilité grandissante.
Cela fait plusieurs années que la Turquie est citée en exemple comme une îlot de stabilité économique, voire en plein essor, et un exemple d’Islam démocratique et modéré, au milieu de l’océan de problèmes du Proche-Orient. Bien sûr, en tant qu’État, la Turquie possède une implantation historique plus solide que beaucoup de ses voisins déchirés par la guerre, que ce soit la Syrie ou l’Irak. Mais le fait est que la Turquie a beaucoup de points communs avec la Syrie et l’Irak, tant du point de vue de la diversité ethnique que des divisions sectaires.
La force de l’AKP d’Erdogan a résidé dans les mesures qui ont été prises au niveau économique, quand le niveau de vie a connu une hausse dans beaucoup de campagnes et dans les quartiers urbains pauvres. Des emplois ont été créés en empruntant d’énormes sommes pour que l’État investisse et mène divers projets. En même temps, Erdogan a profité de la réémergence de l’Islam pour poursuivre une forme modérée de fondamentalisme, afin de développer l’image d’une « nouvelle Turquie », en montrant sa force et sa capacité à être un leader potentiel du monde sunnite.
Derrière le conflit traditionnel entre l’islamisme et le nationalisme séculier, il y a un autre élément religieux. Le système kémaliste séculier en place était vu comme favorisant indirectement la minorité chiite alevie aux dépends de la majorité sunnite, vu que la forme alévie de l’Islam semble plus adaptée au monde moderne. À ce niveau, il y a une certaine ressemblance entre l’ancien système kémaliste en Turquie et le régime d’Assad qui régnait sur une majorité sunnite alors qu’il était largement composé de membres d’une autre secte chiite, les Alaouites.4 L’actuelle guerre en Syrie entre les Alaouites et les Sunnites ne peut qu’affecter et accentuer les rivalités religieuses et culturelles avec des éléments comparables à ceux que l’on trouve en Turquie. À l’annonce du coup d’État, par exemple, il a été fait état d’attaques de type pogromiste contre les maisons et les boutiques des Alevis.
La Turquie d’aujourd’hui n’est plus le même pays que lors du précédent coup d’État militaire en 1980, dont la justification était le désordre grandissant généré par les conflits entre les factions politiques de gauche et de droite, ou même qu’il y a dix ans quand l’AKP a pris le pouvoir. Du fait du boom économique, qui semble aujourd’hui tirer vers sa fin, un prolétariat moderne et une nouvelle élite de spécialistes et d’intellectuels sont apparus dans les grandes villes. Une grande partie de ces éléments ne se sentent pas attirés par « l’islamisation ». C’est une situation dangereuse qui se fait jour, dans la mesure où le putsch émanant de vieilles élites nationales (dans la mesure où elles y ont pris part) aura provoqué la haine et la soif de vengeance des soutiens de l’AKP. D’un autre côté, Erdogan doit prendre au sérieux l’avertissement que cette tentative de coup d’État représente. S’il va trop loin dans son « contre-coup d’État », il peut prendre le risque de provoquer une guerre civile et un conflit ouvert sous la forme de révoltes armées et de nouvelles formes de terrorisme – même si la résistance de ces forces a pour l’instant été maîtrisée.
Aujourd’hui, alors que le pays est en train de basculer d’un état de « miracle économique » à un autre que la banque Morgan Stanley appelle les « cinq fragiles »5, bien plus risqué du fait d’une productivité et d’une croissance faibles liées aux coûts du travail, à l’inflation et à l’endettement qui augmentent, le résultat d’une instabilité économique grandissante pourrait être dramatique : effondrement du tourisme, émigration de la nouvelle génération d’ouvriers qualifiés, etc.
Qui plus est, la bourgeoisie turque a une longue tradition d’« exclusion », tradition sur laquelle la Turquie moderne est née : le génocide des Arméniens, le massacre des Grecs et l’opposition continuelle à toute possibilité d’existence d’un État kurde. La vision de l’AKP pour qui tout opposant est un ennemi qui doit être réprimé possède une longue tradition en Turquie.
Depuis l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, la Turquie a été durement touchée par les tendances centrifuges qui se sont déchaînées. L’affaissement des blocs impérialistes américain et russe a permis à la Turquie a développer ses propres ambitions, se posant comme leader régional des régimes sunnites. Le régime Erdogan s’est brouillé avec Israël, a renforcé ses liens avec le Hamas et a qualifié d’« illégitime » le gouvernement égyptien d’Al Sissi qui s’est débarrassé des Frères musulmans. Ses relations avec la Russie, qui ont l’air de se réchauffer après le coup d’État et la rencontre entre Erdogan et Poutine le 9 août à Saint-Petersbourg, sont compliquées et fluctuantes. Dans la situation actuelle, la Turquie peut rejeter l’Occident du fait de ses liens avec la Russie, la Chine -et l’Iran, et elle aspire à jouer sa propre carte au Proche-Orient.
Le pire cauchemar de la bourgeoisie turque serait l’établissement d’un État kurde. Ici, les Occidentaux sont face à un dilemme : dans leur guerre contre l’État Islamique (EI), ils se servent des Kurdes comme chair à canon en leur fournissant des armes, une couverture aérienne et des « conseillers ». De tels développements ne peuvent que renforcer le nationalisme kurde et ses ambitions d’établir un État « indépendant », quand bien même les nationalistes kurdes sont eux-mêmes divisés en de multiples factions différentes. Par rapport à la question kurde, les intérêts sont fortement opposés, entre les Etats-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne d’un côté, et la Turquie de l’autre. Erdogan était proche du régime d’Assad avant la guerre, et depuis qu’elle a éclaté, ils ont tous deux utilisé les forces de l’EI pour les avantages qu’ils en retiraient respectivement. Assad a également utilisé le PKK kurde pour les mêmes raisons. Mais après cinq ans de guerre et l’intervention de la Russie (et d’autres puissances) aux côtés d’Assad, il y a des signes montrant que le gouvernement d’Ankara considère qu’il faut laisser Assad au pouvoir en faisant une sorte de compromis avec lui. Ni Assad, ni la Turquie n’ont intérêt à ce qu’émerge un État kurde, ou tout type de région autonome kurde le long de leurs frontières. Des pourparlers ont eu lieu depuis environ un an entre les représentants alaouites d’Assad à Damas et des représentants du Parti de la nation turque6, auxquels ont participé des membres des services secrets turcs, dans le but, entre autres, de faire cesser le soutien militaire de la Turquie aux ennemis d’Assad. Ces « interlocuteurs » turcs n’ont pas été touchés par la répression dans l’atmosphère post-coup d’État, ce qui suggère que ces pourparlers vont continuer. Dans ce cas, cela se fera aux dépends des Occidentaux et de leurs « alliés » kurdes7.Il est significatif qu’Erdogan, chef État d’un pays membre de l’OTAN, ait accusé les autres gouvernements membres de l’OTAN, et en particulier les États-Unis, d’avoir soutenu le putsch, alors qu’en même temps, il remerciait la Russie de l’avoir prévenu des préparatifs du coup d’État. Plus concrètement, cela pose question sur l’utilisation de la base aérienne d’Inçirlik : jusqu’ici elle était considérée comme une base de l’OTAN, mais Erdogan a annoncé qu’il ne s’opposerait pas à ce que la Russie l’utilise pour ses opérations contre l’EI. Ces développements, ce jeu de marchandage et de chantage, sont un nouveau signe de la grandissante fragilité des alliances impérialistes dans la région.
Sir Richard Dearlove, ex-patron du MI6 britannique, a comparé l’accord entre la Turquie et l’UE sur les réfugiés à « stocker de l’essence à côté d’un feu » (Belfast Telegraph du 15 mai 2016). La Turquie va utiliser ces millions de réfugiés comme futurs éléments de chantage contre l’UE (qu’Erdogan a qualifiée de « club de chrétiens »). Il a déjà menacé d’annuler cet accord et les Européens ont été contraints d’essayer de l’apaiser. L’actuelle purge et la chasse aux opposants signifient qu’à plus de 2 millions de Syriens et autres migrants, pourraient s’ajouter des Turcs fuyant leur pays et venant aggraver la crise générale des réfugiés.
Du fait que le système est dans une décadence qui s’accélère, la tendance à l’instabilité et au chaos ne peut qu’être dominante à une échelle historique. Mais cela veut dire que la classe dominante est impuissante face à cela, et qu’il n’y a aucune contre-tendance. Nous l’avons vu, par exemple, en Grande-Bretagne à la suite du désastreux résultat du référendum sur l’UE : la classe dominante a très vite réagi face au très sérieux danger de fractures en son sein, et a réorganisé ses cartes gouvernementales d’une façon particulièrement adroite de façon à présenter une réponse unique à la crise du Brexit. Et nous pouvons discerner de semblables tendances en Turquie. Gulenistes et Kemalistes ont collaboré au coup d’État, le fait pour les Gulenistes d’avoir été choisis comme cibles étant significatif. À la suite du putsch, Erdogan a de plus en plus rappelé l’héritage d’Atatürk et plutôt joué la carte du nationalisme turc que de l’islamisme. Cela pourrait signifier une importante tentative de se concilier les Kemalistes, autant que les Alevis et d’autres factions bourgeoises, derrière l’option d’un leader autocratique agissant selon les désirs de la nation turque (inspiré en quelque sorte par le modèle de Poutine en Russie).
L’actuel culte d’Erdogan mis en avant au cours de manifestations de rue massivement médiatisées pourrait être un élément d’une stratégie de construction d’une nouvelle unité au sein de la classe dominante turque. D’un autre côté, les images officielles montrant un soutien massif à Erdogan et à l’AKP ne doivent pas être prises pour argent comptant… Pour l’instant, il est le vainqueur, il a écrasé les cliques rivales, mais le projet de régime autoritaire mis en avant par Erdogan a des limites. L’une des forces d’Erdogan et de son parti était une économie forte, mais nous avons vu que cette phase touche à sa fin. Jamais il n’a été aussi populaire que le claironnait la propagande ; les manifestations anti-gouvernementales que l’on a vues à différents endroits en 2013, provoquées par les protestations autour du Park Taksim sur la place Gezi8, ont montré l’existence d’un rejet largement répandu des forces de police particulièrement au sein d’une jeunesse éduquée et urbaine. Et il reste un profond ressentiment au sein de l’armée directement vis-à-vis d’Erdogan et de son parti. Il y a tout juste un an, les ministres de l’AKP devaient affronter les insultes publiques et le ridicule face à des hauts gradés de l’armée lors des funérailles de soldats tués en opération contre le PKK kurde. Le gouvernement d’Erdogan a répondu à cette humiliation publique – qui a eu lieu au cours de ce qui devait être une vitrine de la propagande étatique – en demandant aux médias d’arrêter leur couverture de ces funérailles (le Times, 31 août 2015). Les militaires ont publiquement répondu en appelant les soldats tués des « martyrs » et en disant publiquement que la tension militaire contre le PKK n’était qu’une façon de renforcer la position électorale de l’AKP contre le Parti Démocratique du Peuple (HDP) pro-kurde.
Pour le moment, la clique d’Erdogan a renforcé sa position et a réussi à récupérer le contrôle des affaires contre les putschistes, mais sa capacité de contrôle social est incertaine, avec des conséquences aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Turquie.
Boxer, 15 août 2016
1Fetullah Gülen, un ex-allié d’Erdogan maintenant en exil aux États-Unis, possède pratiquement un empire qui contrôle de nombreuses institutions et des actifs estimés à 50 milliards de dollars. Le mouvement guleniste (ou Hizmet) dispose de 80 millions de fidèles dans le monde et a ouvertement soutenu les Clinton et le parti démocrate. Son islamisme apparaît plus fondamentaliste que celui de l’AKP. Les Gülenistes, qui sont anti-kemalistes, ont été capables de faire pénétrer certains de leurs éléments au sein de l’État turc du fait de leur alliance avec Erdogan et l’AKP entre 2002 et 2011. Cependant, leur structure très sectaire a progressivement été considérée par Erdogan comme une menace envers son autorité.
2 Ergenekon est le nom d'un réseau criminel turc composé de militants d’extrême- droite ainsi que de la gauche républicaine, d'officiers de l'armée et de la gendarmerie, de magistrats, de mafieux, d'universitaires et de journalistes. Son procès pour « conspiration contre l'État » et contre l'AKP avait donné lieu à 300 arrestations entre juin 2007 à novembre 2009 et l'inculpation de 194 personnes pour des motifs divers : conspirations, tentatives d'assassinat ou de meurtres contre des journalistes, organisation d'escadrons de la mort contre le PKK Kurde... De nombreuses caches d'armes avaient alors été découvertes, ainsi que des plans d'attentats, ce qui a amené à considérer Ergenekon comme une sorte de « contre-guérilla », une espèce de Gladio (réseau « anticommuniste » de l'OTAN pendant la guerre froide) « à la Turque », avec une orientation anti-occidentale et anti-européenne.
3Les Kémalistes sont des nationalistes laïcs qui se réclament de la tradition de Kemal Atatürk, le fondateur de l’État turc moderne dans les années 1920.
4Les Alevis et les Alaouites ne sont pas la même secte, bien que leurs noms fassent tous deux référence à Ali, le gendre de Mahomet et le personnage-clé de la branche chiite de l’Islam. Il y a des différences ethniques entre la majeure partie de leurs adhérents.
5 Outre la Turquie, il s’agit du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Indonésie et de l’Inde.
6Le Parti de la Nation (YP) est un petit parti conservateur de droite fondé en 2002.
7Le 29 août, les Etats-Unis ont sévèrement condamné les nouveaux combats entre l’armée turque et les combattants kurdes dans le nord de la Syrie. Par le passé, la Turquie avait utilisé une offensive contre l’EI (qui avait délogé l’EI de la ville de Jarabulus) comme moyen de lancer une escalade militaire contre les Kurdes, et ce conflit est aujourdhui complètement inversé sur le théâtre d’opération syrien.
8Sur ces manifestations, lire https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201307/8012/mo... [591]
Alors que le gouvernement français a récemment prolongé l’état d’urgence jusqu’en 2017, qu’une ambiance de suspicion et de peur pèse lourdement sur une population encore sous le choc de multiples actes terroristes, une polémique, venant renforcer de façon très démagogique l’actuelle campagne anti-islam, a fait la une de la presse nationale, et même internationale, durant l’été : le port du burkini par quelques dizaines de femmes sur les plages. Cette tenue rétrograde a mobilisé l’ensemble de la classe politique, des maires de stations balnéaires aux plus éminentes autorités de l’État, la plupart, de droite comme de gauche, n’hésitant pas à plonger les deux bras dans la pire des fanges idéologiques.
Au début du mois d’août, l’association islamiste des Sœurs marseillaises, initiatrices de loisirs et d’entraide (tout un programme !), “avait privatisé un centre aquatique pour y faire venir des femmes musulmanes le 10 septembre prochain. Les consignes préconisaient le port du burkini” 1. Il n’en fallait pas plus à l’extrême-droite pour faire étalage de la paranoïa dont elle est porteuse et dénoncer, avec des mots à peine voilés, “l’invasion musulmane du pays”. Sous la pression des élus locaux, qui ne voulaient surtout pas apparaître “laxistes” dans cette région où le populisme et la xénophobie sont bien implantés, la “journée burkini” fut rapidement annulée.
Mais le 12 août, le maire de Cannes soufflait à nouveau sur les braises en interdisant par arrêté le port du burkini sur ses plages au motif de garantir l’ordre public. Plusieurs maires de la région, de Corse et du Nord-Pas-de-Calais, souvent issus de la faction la plus droitière et démagogique du parti de droite (Les Républicains – LR) ont adopté dans la foulée les mêmes types d’arrêtés. En réalité, en instrumentalisant le port du burkini, la bourgeoisie française poursuit sa campagne récurrente sur l’Islam 2 visant à pourrir les consciences, à diviser les populations en accentuant la propagande nationaliste.
Dans un contexte de tendance à la dislocation croissante du corps social, dans lequel la classe ouvrière ne parvient pour le moment pas à défendre une perspective révolutionnaire, le communautarisme, et toutes les tendances irrationnelles au repli sur soi se renforcent. Cette dynamique alimente les peurs, les incompréhensions, les préjugés xénophobes et raciaux, voire la haine aveugle et obsessionnelle d’une partie des “autochtones” envers les “étrangers”, et inversement.
C’est dans ce contexte qu’une rixe éclatait le 14 août dernier dans une crique de Sisco, en Corse, entre trois familles de musulmans, qui d’après les autorités voulaient “privatiser la plage”, et une partie de la population locale. L’altercation, dont les circonstances restent encore très floues, déclenchait dès le lendemain une manifestation de 500 excités à Bastia aux cris identitaires de : “On est chez nous !” Ce type d’événement n’est malheureusement pas nouveau : déjà, en 2015, Ajaccio avait connu plusieurs journées de manifestations ouvertement xénophobes, avec destruction publique de livres par le feu (dont le Coran), provocations et mise à sac de boutiques arabes.
Ceci illustre la réalité du danger d’installation et de banalisation de la mentalité de pogrom au cœur même du capitalisme. Les difficultés actuelles de la classe ouvrière, même si elle n’a pas entièrement perdu sa capacité de résistance, sa capacité à renouer avec sa propre alternative révolutionnaire, tendent en effet à miner l’espérance en un monde meilleur dans l’esprit de nombreux prolétaires. Faute, pour le moment, de comprendre la nature réelle des rapports sociaux capitalistes et ce qu’ils contiennent de contradictions inextricables, faute de réelle perspective, le danger est de vouloir trouver des boucs émissaires aux “malheurs du monde”. Cette démarche réactionnaire, préconisant le retour chimérique à un “ordre ancien” où les rapports sociaux étaient prétendument plus “harmonieux” et “équitables”, perçoit les immigrés et les éléments les plus fragilisés par la crise comme les principaux responsables de cette illusion perdue et comme des fauteurs de troubles.
La xénophobie n’est pas un phénomène inédit dans l’histoire, loin s’en faut. Mais ce qui caractérise aujourd’hui l’évolution des mentalités dans le capitalisme, c’est une forte tendance à la libération brutale des plus bas instincts, par la parole et par les actes. Le danger de substituer la recherche de boucs émissaires à la destruction physique et mentale de victimes expiatoires est bien réel.
Si pour la bourgeoisie, la montée en puissance du populisme trouble son jeu électoral et peut contrarier ses véritables orientations politiques (rejet de l’Union européenne, de la monnaie unique, etc.), elle parvient néanmoins à instrumentaliser les idéologies les plus rétrogrades et nauséabondes pour réaffirmer sa domination. C’est ainsi qu’avec la polémique sur le burkini, l’État n’hésite pas à alimenter un faux-débat et les divisions au moyen d’une campagne médiatique hystérique. Pour ou contre l’interdiction du burkini, défenseurs du “droit des femmes” ou de la “liberté de conscience outragée”, de la droite à la gauche de l’appareil politique bourgeois, tous entretiennent la confusion dans la tête des ouvriers. Ce jeu dangereux avec le populisme ne peut, à terme, que renforcer sa dynamique. Mais tout en avivant les flammes de la haine, l’État peut, d’un autre côté, se présenter à bon frais comme le garant de la démocratie et de l’unité nationale. La classe ouvrière n’a rien à gagner en prenant partie sur ce terrain pourri et piégé de bout en bout par le nationalisme.
L’apparition du burkini sur les plages est un phénomène encore très limité 3, mais il est aussi un signe tangible, comme l’essor spectaculaire des produits halal et du port du voile ces dernières années, de la montée en puissance de l’obscurantisme religieux qui, loin de “donner du sens à la vie”, est “tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple” 4.
Ces tenues sont de véritables camisoles de force contre les femmes, souvent victimes consentantes de leur propre prison vestimentaire et surtout idéologique. Le consentement à la soumission, dont les femmes voilées sont loin d’avoir le monopole, est une expression directe de l’aliénation généralisée et totalitaire que fait subir la société capitaliste à l’humanité, une intériorisation des rapports sociaux de domination. Alors que les sciences et technologies se développent de façon inouïe, les rapports sociaux de production enferment l’humanité dans la pire sauvagerie et l’aliénation. A ce titre, le burkini et les images aberrantes de Fantômas déambulant à la plage ou dans les rues aussi bien que l’humiliation publique qu’elles subissent face à des policiers en armes les faisant apparaître comme des “criminelles” à l’égard des lois démocratiques sont une caricature de discrimination entre les sexes que la “civilisation” dont s’enorgueillit la classe dominante est incapable d’abolir. Il suffit d’observer également comment la “libération des femmes” après 1968 n’a fait que renforcer de manière très insidieuse les rapports de domination machistes au quotidien. La transformation des êtres humains en marchandises pour le travail salarié, le fait que des hommes et femmes deviennent de simples “kleenex” au travail, deviennent de la chair à canon, des objets sexuels, des faire-valoir publicitaires ou des porte-manteaux anorexiques de luxe pour la mode, tout cela n’a rien à envier au scandale du burkini. L’obtention ou la conservation de “droits” et d’autres formes d’idéologies hypocrites, comme les “libertés”, les “valeurs républicaines” et “droits de l’homme” sont en réalité complètement illusoires dans la société capitaliste. Ses véritables principes, ses “vraies valeurs”, ce sont la terreur, l’exploitation et la barbarie.
WH-EG, 30 août 2016
1 La Voix du Nord, le 5 août 2016.
2 Quand il ne s’agit pas du burkini, les médias s’emballent pour le niqab, la burqa ou des phénomènes plus répandus comme les produits halal ou la construction de mosquées.
3 A l’heure où nous écrivons ces lignes, une trentaine de femmes seulement ont été verbalisées durant l’été, la plupart ayant fait leur sortie en burkini suite à la médiatisation du “phénomène”.
4 Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843.
Au début du mois d’août, juste avant les jeux Olympiques au Brésil est sorti un film : La couleur de la victoire. Ce film retrace une partie de la vie de l’athlète noir américain Jesse Owens qui remportera 3 médailles d’or individuelle sur 100 et 200 mètres, au saut en longueur et une médaille d’or sur le relais 4x100, aux jeux Olympiques de Berlin en 1936.
Le film débute alors que Jesse Owens commençait à faire parler de lui dans le milieu universitaire en gagnant toutes les courses auxquelles il participait. Conscient de ses capacités, il intègre une université où un entraîneur renommé lui apprendra toutes les techniques de la course et le préparera aux jeux Olympiques de Berlin. Le film montre bien comment Jesse Owen a subi la ségrégation présente aux États-Unis vis-à-vis des Noirs, tant dans la vie de tous les jours que dans la vie universitaire. Ceci dit, aidé de son entraîneur, celui-ci parviendra à faire abstraction de cette situation et, grâce à ses victoires et à ses records, à retourner le public en sa faveur.
Le film montre également les conflits politiques qui existaient au sein du Comité olympique des États-Unis autour de la participation américaine aux JO de Berlin. Pour une partie de la bourgeoisie, la participation aux JO était importante : elle devait faire oublier les affres de la crise de 1929 et surtout renforcer l’idéologie nationaliste afin de mieux embrigader la classe ouvrière pour la Seconde Guerre mondiale qui s’annonçait 1. Pour convaincre la fraction bourgeoise qui n’était pas favorable à la participation, gênée par l’utilisation qu’Hitler allait faire des JO de Berlin à des fins de propagande nazie, un membre du comité olympique américain était envoyé à Berlin. La bourgeoisie allemande, consciente de l’importance que représentent ces Jeux pour montrer sa force politique et impérialiste, n’hésitera pas à accepter d’enlever les affiches antisémites qui se trouvaient sur les murs de Berlin pour répondre aux exigences américaines. La bourgeoisie allemande pour être sûre d’avoir l’accord des États-Unis ira jusqu’à corrompre le membre du comité américain. A son retour, Avery Brundage, par son discours sur les bienfaits du sport et de l’olympisme, parvint à convaincre ceux qui voulaient boycotter les JO de Berlin. Il fallait maintenant convaincre Jesse Owens lui-même d’y participer.
Pour la bourgeoisie américaine, il était important que Jesse Owens soit présent et ceci pour différentes raisons. Détenteur de plusieurs records du monde, il avait de fortes chances de gagner. De plus, Owens, grâce à ses victoires, jouissait d’une certaine notoriété au sein de la population américaine et s’attirait la sympathie de la classe ouvrière dont il faisait partie. Tous les ingrédients étaient réunis pour provoquer une émotion collective forte sur cet événement, pour “dépasser les clivages de couleurs et de classes”, c’est-à-dire pour entraîner les esprits dans l’union nationale. Malgré quelques pressions de la communauté noire qui feront un peu hésiter Owens, celui-ci, par goût de la compétition mais aussi pour ce que représentent les JO pour un athlète comme marque et couronnement d’une carrière sportive, donnera son accord. Pour que celui-ci soit mis dans les meilleures dispositions pour gagner, mais surtout pour donner une bonne image de la bourgeoisie américaine, celle-ci n’hésitera pas, à l’occasion de ces Jeux, à dissimuler tout ce qui pouvait rappeler la ségrégation que subissaient les Noirs. C’est ainsi qu’Owens fut surpris que les Blancs et les Noirs puissent manger ensemble, à la même table et dormir dans le même établissement.
Les Jeux de 1936 furent certainement les premiers Jeux où l’on assista à une véritable guerre de propagande entre États et notamment entre les États-Unis et l’Allemagne. Le contexte de l’approche de la Seconde Guerre mondiale l’explique. Toute la technologie cinématographique avancée de l’époque fut mobilisée pour donner une image de la puissance de l’Allemagne et du régime nazi. Il en sera de même pour la “démocratie” américaine. Toutes les courses d’Owens furent retransmises en direct à la radio. Owens ne réalisait pas qu’il n’était qu’un instrument entre les mains de la bourgeoisie américaine, agissant pour la défense de ses seuls intérêts idéologiques nationaux, qu’il servait de symbole et d’image à sa propagande, ou s’il le réalisait, cela lui importait peu. Ne comptait pour lui que la compétition, mais comprise de manière communautaire, fraternelle. D’ailleurs, au nom de cette fraternité entre sportifs, il nouera une amitié avec le sauteur en longueur allemand (Luz Long), son principal concurrent dans cette discipline. Celui-ci n’hésitera pas à aider Owens à trouver ses marques lors de cette épreuve, n’hésitera pas à lui serrer la main et à s’exposer avec lui bras-dessus, bras-dessous à la fin de cette compétition, au grand dépit d’Hitler. Ce rapprochement entre les deux athlètes, outre l’aspect de respect sportif, s’explique aussi par le fait qu’Owens subissait la ségrégation et que l’athlète allemand n’était pas d’accord avec la politique antisémite et raciste du régime nazi. Cette fraternité affichée avec Owens vaudra d’ailleurs ensuite à Luz Long de partir en première ligne dès le début de la guerre sur le front russe.
Depuis, la propagande s’est amplifiée au centuple. Tous les responsables de la propagande de l’époque étaient de petits joueurs au vu de ce que vont développer par la suite aussi bien la bourgeoisie stalinienne que la bourgeoisie démocratique. Aujourd’hui, à l’ère du chacun pour soi suite à la disparition des blocs Est-Ouest, la propagande a pris une dimension plus fortement nationaliste. C’est ainsi que chaque victoire lors des épreuves des JO voit l’athlète faire un tour d’honneur avec le drapeau national sur les épaules. A chaque médaille d’or gagnée, l’hymne national résonne et tourne en boucle sur tous les médias 2.
Les sanctions disciplinaires contre tout athlète critiquant le régime de son pays n’a pas été le propre des régimes nazi ou stalinien. Aux jeux Olympiques de Mexico en 1968, les sprinters noirs américains Tommie Smith et John Carlos qui finiront respectivement premier et troisième du 200 mètres seront exclus de l’équipe américaine pour avoir tendu le poing avec un gant noir lors des hymnes. Par la suite, les deux athlètes seront exclus à vie des jeux Olympiques. Toutes les compétitions internationales ressemblent désormais à une mission-commando pour chaque équipe nationale qui rappelle fortement les missions militaire en temps de guerre. Tout comportement suspect d’un athlète vis-à-vis des “valeurs de la nation” (ne pas chanter l’hymne national, par exemple) est sanctionné sévèrement ou donné en pâture à la vindicte populaire et souvent les deux.
Vu que la bourgeoisie américaine avait tout fait pour que les succès d’Owens soient retentissants pour servir ses intérêts, celui-ci sera célébré comme un héros à son “retour au pays”. La bourgeoisie démocratique américaine ne pouvait pas réemployer immédiatement les lois ségrégationnistes à l’encontre d’Owens. Par contre, une fois l’euphorie nationaliste et médiatique retombée, Owens se verra, lors des réceptions officielles, interdit d’accès par l’entrée principale. Il sera obligé d’emprunter les portes de service. De même, le président des États-Unis Roosevelt, refusera de lui serrer la main tout comme Hitler lors des JO. Tout ceci démontre bien que les soi-disant “grandes démocraties” n’ont rien à envier au régime nazi.
Ce film cherche à montrer que la prétendue “fraternité sportive” peut et permet de dépasser les divisions entre races et entre nations. Il participe en ce sens à développer l’idéologie humaniste qui est une utopie purement mystificatrice dans une société divisée en classes aux intérêts antagonistes. Il a malgré tout le mérite de nous rappeler, sans doute aux détriment des préjugés et du message idéologique volontairement colporté par le réalisateur, qu’en 1936, les mensonges et l’hypocrisie de la propagande démocratique n’avaient rien à envier au nazisme, comme par la suite, elles n’auront rien à envier au stalinisme. Toutes ont pour dénominateur commun d’être des expressions d’un même système : le capitalisme.
Cealzo, 16 août 2016
1 Voir notre article concernant Pearl Harbor : “Pearl Harbor 1941, les Twin Towers 2001 : le machiavélisme de la bourgeoisie”, Revue internationale no 108, 1er trimestre 2002.
2 Voir notre série sur “l’Histoire du sport” (RI nos 437 à 440, de novembre 2012 à avril 2013).
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article rédigé par la section du CCI aux Philippines suite à l’élection de Rodrigo Duterte à la tête de l’État.
En août 2015, dans notre article : “Boycottons les élections, le point de vue marxiste à l’époque du capitalisme décadent”, nous écrivions : “L’échec du régime Aquino n’est pas dû seulement à la personne du sénateur Benigno Aquino et au Parti libéral. Bien avant le règne de la faction actuelle, le système capitaliste aux Philippines était déjà en faillite. De concert avec la pourriture de l’administration actuelle, l’opposition dirigée par le concurrent le plus fort de la présidence, le vice-président Jojimar Binay, a des relents de corruption et de cupidité. C’est la preuve que l’opposition et l’administration sont également corrompues ; chacune dénonce les scandales de ses rivaux politiques. Nous n’avons pas besoin des “radicaux” et des “progressistes” du Parlement pour constater la décadence du capitalisme. Un effet négatif du capitalisme décadent dans sa phase de décomposition est la montée du désespoir et l’absence de perspective notamment parmi les masses pauvres. Un indicateur de cela est la “lumpen-prolétarisation” de parties entières de la classe laborieuse, entraînant une augmentation du nombre de suicides, le développement d’une culture pourrie chez les jeunes et de la criminalité. Tous ces éléments sont des manifestations du mécontentement croissant des masses à l’égard du système actuel, mais elles ne savent pas quoi faire pour remédier à cette situation. En d’autres termes, il y a un malaise croissant mais pas de perspective pour l’avenir. Voilà pourquoi la tendance au “chacun pour soi” et au “chacun contre tous” influence fortement une fraction significative de la classe ouvrière. Mais le pire effet de l’absence de perspective, la démoralisation, est l’espoir fallacieux en un homme fort, miraculeux, un dictateur éclairé, qui empêcherait la majorité de la population de sombrer dans la pauvreté. Cela n’est pas très différent de la croyance en un dieu tout-puissant qui descendrait sur terre pour sauver ceux qui ont foi en lui et punirait les autres. La classe qui est principalement à l’origine de cette illusion est la petite-bourgeoisie.” Globalement, les faits ont confirmé nos analyses.
Les différents “analystes politiques” ont admis que les votes pour Rodrigo Duterte sont des votes contre les défaillances de l’administration de B.S. Aquino. Ce qu’ils n’ont pas dit et ne veulent pas dire, c’est que la haine et le mécontentement du peuple se porte contre le système bourgeois démocratique comme un tout, croyant avoir éliminé la dictature de Marcos Senior en 1986. Au cours des trente dernières années, les échecs et la corruption des institutions démocratiques ont été révélés et se sont montrés de même nature que la dictature de Marcos. Ils estiment que la situation actuelle est pire que du temps de la dictature de Marcos senior.
Duterte a déclaré qu’il était un “socialiste” et un “gauchiste”. Il s’est vanté de devenir le premier président philippin de gauche. Presque toutes les fractions de gauche aux Philippines approuvent et soutiennent ce régime. L’avant-garde de ce soutien est le parti communiste maoïste des Philippines et ses institutions juridiques 1.
Quel que soit le “socialisme” de Duterte, ce n’est certainement pas un socialisme ou un marxisme scientifique. C’est évidemment une autre branche de socialisme bourgeois qui va décevoir les masses et raviver les mensonges de la bourgeoisie au sujet du socialisme et du communisme : le “socialisme” de Duterte est du capitalisme d’État 2. Sur la base des déclarations de Duterte avant et pendant sa campagne électorale, il apparaît que l’objectif de la plate-forme gouvernementale concerne les intérêts de la classe capitaliste, pas ceux des masses laborieuses. En lien avec cela, il a menacé de mort les militants ouvriers qui appelleraient à la grève sous son mandat.
Pire, Duterte utilise le langage (et le comportement) d’un chef de gang de truands et utilise l’intimidation. Ceci est une expression du fait qu’il voit le gouvernement comme une grande mafia dont il serait le parrain. Sa vague politique de fédéralisme prétend s’appuyer sur la reconnaissance que l’apport des pouvoirs locaux serait plus important que celui du gouvernement national ; la réalité est que la pouvoir central favorise l’autonomie des mafias locales dans leurs propres territoires.
Pour les ouvriers communistes révolutionnaires, le régime Duterte est un défenseur enragé du capitalisme national 3 mais reste totalement dépendant des investissements du capital étranger.
La promesse “audacieuse” de Duterte de faire cesser la corruption, la criminalité et le trafic de stupéfiants au cours des trois à six premiers mois de sa présidence a exercé une forte attraction sur les électeurs. Cela a eu un fort impact sur les capitalistes et la classe moyenne, qui sont les premières cibles du crime organisé. Les capitalistes aspirent à un cadre paisible pour assurer leur prospérité. C’est pourquoi, pour les capitalistes, les grèves ouvrières sont une expression du chaos aussi bien que la peste de la criminalité.
Le nouveau gouvernement ne peut pas résoudre les problèmes du chômage massif, des bas salaires et de la précarisation croissante. Au sein d’une crise de surproduction qui s’aggrave, le principal souci des capitalistes est d’avoir un avantage concurrentiel sur leurs rivaux, dans un marché mondial saturé. Réduire le coût de la force de travail par le biais des licenciements et des contrats précaires est la seule façon pour eux de rendre leurs marchandises moins chères que celles de leurs concurrents. Essentiellement, la solution du régime est de renforcer le contrôle de l’État sur la vie de la société et d’obliger la population à respecter strictement les lois et la politique de l’État par le biais de la propagande et de la répression.
Dans le cadre du nouveau régime, les luttes de factions au sein de la classe dominante s’amplifieront au fur et à mesure de l’aggravation de la crise du système. En apparence, la plupart des politiciens élus des autres partis, particulièrement ceux du Parti libéral du prédécesseur de Duterte, le régime Aquino, font maintenant allégeance au nouveau gouvernement. Mais dans le fond, chaque faction a son propre programme qu’elle veut faire valoir en vertu de la nouvelle administration. De plus, à l’intérieur du camp Duterte, existent plusieurs factions rivales qui intriguent pour obtenir des avantages et de bons postes : la faction maoïste pro-Duterte, la faction anti CPP-NPA, les seigneurs de la guerre de Mindanao-Visayas, ceux de Luzon, particulièrement le groupe autour de Cayetano, candidat à la vice-présidence de Duterte.
Nous avons aussi écrit, dans notre article : “Appel à ne pas voter…” : “Si Duterte se présente aux élections présidentielles de 2016 et que la classe dominante aux Philippines décide que le pays a besoin d’un dictateur, comme à l’époque de Marcos, pour tenter de sauver le capitalisme moribond aux Philippines et condamner les masses pauvres à la peur et à la soumission au gouvernement, il vaincra sûrement. En fin de compte, la classe capitaliste (locale comme étrangère) n’est pas concernée par la gestion de l’État philippin : le plus important pour elle est d’accumuler du profit.” Il y a certainement des indices montrant que Duterte est un individu psychologiquement perturbé qui rêve de devenir un dictateur tout puissant. Mais la question de savoir s’il va gouverner comme un dictateur ou comme un bourgeois libéral dépend de la décision finale de la classe dominante (locale et internationale) et de la solidité du soutien de l’AFP/PNP et même de la faction maoïste qui lui est favorable.
Pour nous, ce qui est important, c’est d’analyser et de comprendre en tant que communistes pourquoi une fraction importante de la population est prête à accepter Duterte comme dictateur et “parrain”. Cette analyse est cruciale car, dans les autres pays, particulièrement en Europe et aux États-Unis, les personnalités ultra-conservatrices qui ont recours à un franc-parler et à l’intimidation (comme Donald Trump) gagnent en popularité. De même, un nombre significatif de jeunes sont attirés par la violence et le fanatisme de Daech-EI.
Pour comprendre la popularité phénoménale de Rodrigo Duterte et de Ferdinand Marcos Junior, le fils du dictateur précédent, il est nécessaire d’avoir une vision mondiale. Globalement, cela fait plus de trente ans que la décomposition capitaliste infecte la conscience de la population. Cette infection englobe de nombreux domaines : l’économie, la politique, la culture-idéologie. La popularité de Duterte et de Marcos Junior est un indicateur de l’impuissance, du désespoir et d’un manque de perspective ; elle montre également la perte de confiance dans l’unité de la classe ouvrière et dans les luttes des masses laborieuses. En conséquence, on assiste à la recherche d’un sauveur au lieu de la recherche d’une identité de classe.
Le contexte et le caractère insoluble de la crise du capitalisme s’expriment par l’aggravation de la pauvreté, le chaos croissant, la propagation des guerres, la dévastation de l’environnement, les scandales et la corruption des gouvernements. Mais un facteur majeur contribue également à la décomposition : c’est l’absence d’un mouvement fort de la classe ouvrière depuis plus de vingt ans aux Philippines. Les combats militants à l’époque de la dictature de Marcos Junior ont été dévoyés et sabotés par le gauchisme, vers la guérilla et l’électoralisme. En raison de la forte influence du nationalisme, le mouvement ouvrier aux Philippines est isolé des luttes internationales de la classe ouvrière.
Depuis près de cinquante ans, les masses laborieuses philippines subissent à la fois la guérilla maoïste et la faillite des promesses de réformes de toutes les factions de la classe dirigeante installée au Malacañang Palace (la résidence présidentielle). De plus, la militarisation à la campagne des rebelles armés et de l’État a entraîné une dislocation massive qui génère un accroissement de la paupérisation des populations pauvres et inemployées venant grossir les bidonvilles insalubres et saturés des villes. Cette situation est exploitée par les syndicats du crime. C’est pourquoi, la criminalité liée au trafic de stupéfiants, aux cambriolages, aux enlèvements et aux vols de voitures, augmente chaque année. Les règlements de comptes, les tueries, les viols et autres formes de violence sont des événements banals dans les villes et de plus en plus, les auteurs comme les victimes sont des jeunes, voire des enfants.
Comme un nombre significatif de policiers sont les protecteurs des syndicats, l’État lui-même est devenu incapable de contrôler les crimes et la violence. Même si les premiers à être affectés par la montée de la criminalité – particulièrement les vols et les enlèvements – sont les riches, les pauvres portent aussi le fardeau de ces crimes, car la plupart des “soldats” ou chair à canon de ces syndicats du crime sont recrutés au sein de la population affamée et sans emploi.
Il y a un sentiment largement répandu d’impuissance parmi les Philippins. Étant atomisés et isolés, ils se demandent qui peut les protéger. Derrière cette réflexion, se trouve l’attente que l’État doit les protéger. Mais l’État les abandonne. L’impuissance et l’atomisation créent une aspiration à l’apparition d’un sauveur, une personne ou un groupe de personnes qui pourraient les sauver de leur misère ; cette aspiration est plus forte que la somme de la population atomisée. Le prétendu sauveur devrait contrôler le gouvernement puisque seul le gouvernement est censé les protéger.
Cette impuissance est un terrain fertile pour la recherche d’un bouc-émissaire et la personnalisation. Le fait de trouver un responsable à la cause de leur misère, comme les fonctionnaires gouvernementaux corrompus et les criminels, la perte de perspectives et le sentiment grandissant d’impuissance ont dopé la popularité de Duterte et de Marcos Junior. La popularité de ces personnages est un produit de la pourriture du système, non l’expression du développement de la conscience politique des masses. Cette pourriture a été également une raison de la popularité d’Hitler et de Mussolini avant la Seconde Guerre mondiale.
Comme la tendance à la recherche d’un bouc-émissaire et à la personnalisation grandit, le nombre de personnes qui sont favorables à l’élimination physique, par tous les moyens, des fonctionnaires corrompus et des criminels, augmente aussi. Ils applaudissent chaque fois qu’ils entendent Duterte déclarer : “Tuez-les tous !”.
Il est plus difficile pour nous de lutter contre les effets de la société en décomposition dans le cadre de la situation politique actuelle. Néanmoins, nous ne sommes pas seuls et isolés pour lutter. Nous faisons partie d’un mouvement de résistance ouvrière internationale qui a surgi depuis 1968. La classe ouvrière internationale, malgré les difficultés à retrouver sa propre identité de classe indépendante, lutte toujours contre les attaques du capitalisme décadent.
Nous ne pouvons envisager un avenir favorable qu’en rejetant toute forme de nationalisme. Nous ne pouvons pas appréhender la lutte de classe si nous nous contentons de porter notre regard sur la seule “situation nationale”. Nous ne devons pas oublier que, depuis 2006, nos frères de classe en Europe, au Moyen-Orient et aux États-Unis, ont lutté contre la décomposition à travers des mouvements de solidarité (mouvement anti-CPE en France, des Indignados en Espagne, la lutte de classe en Grèce, le mouvement Occupy aux États-Unis). Nous devons également nous rappeler que des centaines de milliers de nos frères de classe en Chine ont lancé des grèves généralisées.
Nous devons persévérer dans la clarification théorique, le renforcement organisationnel et les interventions militantes pour préparer les futures luttes à un niveau international. Nous ne sommes pas nationalistes comme les différentes fractions gauchistes : nous sommes des prolétaires internationalistes.
Rappelons le dernier paragraphe du Manifeste du parti communiste : “Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils déclarent ouvertement que leurs objectifs ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent devant la Révolution communiste ! Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner !”
Internasyonalismo, juin 2016
1 Malgré la “protestation” initiale des maoïstes contre le programme économique néo-libéral en huit points du régime, ils sont tous unis dans le soutien au “boucher” Duterte. Pour preuve : il y a des représentants maoïstes au sein du cabinet Duterte.
2 Les régimes comme ceux de Chine, du Vietnam, de Cuba, qui prétendent être des pays “socialistes” sont également des versions du capitalisme d’État. Même les régimes capitalistes barbares d’Hitler (le nazisme), de Saddam Hussein et d’Assad, ont déclaré sans vergogne être “socialistes”. Aujourd’hui, une majorité de la population philippine croit encore que le Parti “communiste” des Philippines est une organisation communiste.
3 Pas fondamentalement différent du programme du CPP (Communist Philippine Party)-NPA (New People’s Army) pro-maoïste.
Les discussions autour du projet de loi sur le “mariage pour tous” en 2013 en France ont suscité beaucoup d’émoi, de postures, de grandiloquence et de sottises, et plus encore lorsque les “études de genre” furent brandies comme un argument décisif par un camp ou par l’autre. Puis les controverses passionnées, changeant d’objet, prirent un tour dramatique lorsque des milliers de réfugiés, chassés de chez eux par la misère et la guerre, vinrent frapper aux portes des pays développés, et lorsque se firent entendre les rafales de kalachnikov destinées à anéantir, à Paris des jeunes pour leur mode de vie, à Orlando des jeunes pour leur orientation sexuelle. La gauche, la droite, l’extrême-droite et l’extrême-gauche, toutes les familles de l’appareil politique de la bourgeoisie s’étripèrent sur la scène du théâtre médiatique – entre elles et à l’intérieur de chacune –, proclamant “je suis Charlie” ou encore “je ne suis pas Charlie”, redoublant de démagogie pour ne pas être en reste face à la concurrence.
Abandonnons le théâtre de la politique officielle et revenons aux questions de fond posées par le racisme et la xénophobie, le sexisme et l’homophobie, par toutes ces conduites sociales qui relèvent de l’aliénation humaine et qui peuvent aller jusqu’au meurtre. Comment expliquer un tel déchaînement de violence sociale, comment comprendre les préjugés qui en forment la base et qui semblent provenir d’un âge obscur et révolu ? Comment, face à ce type de problèmes, se prémunir contre la pensée idéologique que le système bourgeois diffuse abondamment pour masquer la réalité et accentuer les divisions qui affaiblissent son ennemi historique, la classe des prolétaires ?
Bien entendu, on peut deviner la cause profonde de ces phénomènes. Dans une société divisée en classes antagoniques, fondée sur l’exploitation de l’homme par l’homme et où la marchandise s’est imposée comme un tyran sur tous les plans de l’existence, y compris les plus intimes, une société enfin où l’État, ce monstre froid, domine et surveille chaque individu, il n’est pas étonnant que la violence sociale soit extrêmement élevée. Dans ce type de société, l’Autre, l’individu qui nous fait face, est d’emblée ressenti comme suspect, comme un danger potentiel, au mieux comme un concurrent, au pire comme un ennemi. Il est stigmatisé pour mille raisons, parce qu’il n’a pas la même couleur de peau, le même sexe, la même culture, la même religion, la même nationalité, la même orientation sexuelle. Ainsi, les multiples facettes de la concurrence qui se trouve à la base de la société capitaliste provoquent régulièrement la paupérisation, les guerres, les génocides, mais aussi, à une autre échelle, le stress, l’agressivité, le harcèlement et la souffrance psychologique, la mentalité pogromiste, la superstition, le nihilisme, la dissolution des liens sociaux les plus élémentaires 1.
Mais cette explication reste générale et ne suffit pas ; il faut encore identifier la dynamique qui génère ces préjugés et les actes qu’ils prétendent justifier, expliquer sa survivance et ses causes immédiates et lointaines. C’est une question qui concerne au plus haut point la classe ouvrière. Tout d’abord parce que, dans ses luttes, elle est sans cesse confrontée à la nécessité de rassembler ses forces, de se battre pour conquérir son unité. Le combat pour rejeter ou neutraliser les préjugés qui divisent ses forces, comme le racisme, le sexisme ou le chauvinisme par exemple, est indispensable et il n’est pas gagné d’avance. Ensuite parce que la perspective révolutionnaire portée par le prolétariat s’assigne comme but la construction d’une société sans classes, sans frontières nationales, c’est-à-dire la création d’une communauté humaine enfin unifiée à l’échelle mondiale. Cela veut dire que la révolution prolétarienne entend clore et conclure toute une période de l’histoire humaine où, depuis les premiers regroupements, mélanges et alliances au sein des sociétés primitives jusqu’aux luttes du xixe siècle pour l’unité nationale, chaque palier dans le développement de la productivité du travail a conduit à une révolution des rapports de production et à un élargissement de l’échelle de la société.
Si le prolétariat, en tant que classe historique dotée du projet communiste, en tant que représentant par excellence du principe actif de la solidarité, est déjà poussé par la pratique à dépasser ces divisions, le racisme, le sexisme ou la xénophobie restent pour lui un problème réel qui touche au facteur subjectif de la révolution. Les conditions objectives ne suffisent pas ; pour que la révolution soit victorieuse il faut encore que la classe soit en mesure subjectivement de mener jusqu’au bout sa tâche historique, qu’elle soit en mesure d’acquérir dans le cours même de son mouvement la capacité de s’unifier et de s’organiser, une volonté, une combativité et une conscience suffisamment développées, une profondeur théorique, une morale suffisamment ancrée, et, du côté de la minorité communiste, une réelle aptitude à donner des orientations politiques claires et convaincantes, et à se constituer en parti mondial dès que les conditions de la lutte de classe le permettent.
Le petit livre de Patrick Tort, Sexe, race et culture, peut nous aider à mieux comprendre ces questions et constituer un réel stimulant pour la réflexion des ouvriers les plus conscients. On connaît la rigueur scientifique de cet auteur 2, qui ne rend pas toujours aisée la lecture de ses livres, mais la volonté de rendre accessible à tous ce type de problématiques est clairement revendiquée ici. Conçu sous la forme d’un entretien, le livre est composé de deux parties : la première aborde la question du racisme et prend position sur la décision, prise récemment en France par plusieurs institutions étatiques ou scientifiques, d’abandonner l’utilisation du mot “race” ; la seconde aborde la question du sexisme et tente de définir les rapports entre le sexe et le “genre”. Toutes ces questions se trouvent au carrefour de la biologie et des sciences sociales, et ne peuvent trouver un début de clarification sans une critique des conceptions dominantes sur la “nature humaine”, sans une critique de la vieille opposition figée entre “nature” et “culture”.
Ici l’apport de Darwin est considérable. Dans le champ qui est le sien, la science du vivant, Darwin propose toute une série d’outils théoriques et une démarche scientifique qui permettent de construire une vision matérialiste du passage de la nature à la culture, du règne animal au monde social de l’Homme. Patrick Tort est à l’échelle internationale l’un des meilleurs connaisseurs de Darwin, dont il publie actuellement les œuvres complètes en français aux éditions Slatkine (Genève) et Champion (Paris). La publication du monumental Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, dirigée par lui, a permis de mettre à la disposition de tous un instrument inestimable. À travers la notion d’effet réversif de l’évolution, notamment, il a fortement contribué à rendre intelligible ce qui dans l’œuvre anthropologique de Darwin avait été occulté en raison de son contenu subversif 3. Ce combat reste d’actualité car on trouve encore des résistances devant les avancées fondamentales permises par Darwin. Il y a ceux qui, pour éviter les questions de fond, feignent la surprise : “Qu’est-ce que vous lui trouvez donc à ce Darwin ? S’agit-il d’un nouveau culte rendu à un scientifique à la mode ?” 4. Il y a ceux que Patrick Tort appelle les “jubilateurs précoces” qui, oubliant que Darwin n’était pas socialiste, qu’il était un homme de son temps et donc qu’il partageait une part de ses préjugés, agitent une citation, soigneusement isolée, comme un trophée censé disqualifier l’ensemble et la logique de l’œuvre 5.
Bien entendu, nous ne sommes pas forcément d’accord avec toutes les positions politiques induites par le texte de Patrick Tort. L’essentiel est ici de s’appuyer sur les apports de différentes disciplines scientifiques pour donner plus de chair, plus de clarté à des notions que, pour la plupart, le marxisme a depuis longtemps intégrées à son patrimoine théorique. Les grandes qualités de cet auteur, outre une méthode matérialiste rigoureuse, sont sa capacité de croiser les différentes disciplines, sa critique des idées reçues et du bon sens commun, produits aussi bien, selon sa terminologie, par “la droite libérale” que par “l’idéologie progressiste dominante”, ce qui le conduit à se tenir à l’écart du capharnaüm des médias, ces “grands appareils d’influence”.
L’apport fondamental de l’anthropologie de Darwin consiste dans une description cohérente et matérialiste de l’émergence de l’espèce humaine à travers le mécanisme de la sélection naturelle, qui permet aux individus présentant une variation avantageuse d’avoir une descendance plus adaptée et plus nombreuse. Sur le fond, le processus est le même pour toutes les espèces. Dans la lutte pour l’existence les moins aptes sont éliminés, ce qui aboutit, lorsque certaines conditions sont réunies, à la transformation des espèces par sélection prolongée des variations avantageuses, et à l’apparition de nouvelles espèces. Ce qui est transmis à la descendance, dans le cas des animaux supérieurs 6, ce sont non seulement les variations biologiques avantageuses, mais également les instincts sociaux, le sentiment de sympathie et l’altruisme, qui servent eux-mêmes d’amplificateurs au développement des capacités rationnelles et des sentiments moraux. Ce qui se passe avec l’Homme, c’est précisément que le développement de la sympathie et de l’altruisme vient contredire l’élimination des plus faibles et s’y oppose. La protection des faibles, l’assistance envers les déshérités, la sympathie à l’égard de l’étranger qui nous apparaît comme semblable malgré les différences dans la culture et dans l’apparence extérieure, ainsi que toutes les institutions sociales chargées de les encourager, Darwin appelle cela la civilisation. Tort en rappelle brièvement le contenu :
“Par la voie des instincts sociaux (et de leurs conséquences sur le développement des capacités rationnelles et morales), la sélection naturelle sélectionne la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. C’est la formule simplifiée et courante de ce que j’ai nommé l’effet réversif” (p. 21). C’est une conception parfaitement matérialiste et dialectique. Un renversement s’est opéré dans le cas de l’apparition de l’Homme, qui de plus en plus adapte son milieu à ses besoins au lieu de s’adapter à lui, et se libère ainsi de l’emprise éliminatoire de la sélection naturelle : au début du processus c’est l’élimination des faibles qui prédomine ; puis, au cours d’une inversion progressive, c’est la protection des faibles qui finit par s’imposer, marque éminente de la solidarité du groupe. L’erreur originelle de la sociobiologie consiste à concevoir la société humaine comme une collection d’organismes en lutte ; elle postule donc une continuité simple entre le biologique (réduit à une hypothétique concurrence des gènes) et le social. Ce n’est pas le cas chez Darwin. Il y a bien chez lui une continuité, mais c’est une continuité réversive. En effet, le renversement que nous venons de décrire produit non pas une rupture entre le biologique et le social mais un effet de rupture. Cette notion permet de comprendre selon Tort l’autonomie théorique des sciences de l’homme et de la société, tout en maintenant la continuité matérielle entre nature et culture. C’est un rejet de tout dualisme, de toute opposition figée entre l’inné et l’acquis, entre nature et culture.
Les découvertes de Darwin, auxquelles on ajoutera l’effet réversif comme clé indispensable de compréhension de l’œuvre elle-même, représentent un véritable bouleversement de nos conceptions scientifiques sur l’apparition de la société humaine. En remettant en cause les certitudes anciennes (le fixisme) et l’apparente stabilité du monde vivant, et en adoptant la perspective de sa généalogie réelle, Darwin ouvrait des horizons nouveaux. C’est le même type de bouleversement qu’avait provoqué Anaximandre dans l’Antiquité grecque lorsqu’il remit en cause la conception dominante selon laquelle notre planète devait forcément reposer sur quelque chose. En réalité, affirmait-il, la Terre flotte dans le ciel et dans ce sens il n’y ni haut ni bas. En changeant simplement le regard porté sur la réalité sensible, Anaximandre ouvrait la voie à la découverte de la Terre comme une sphère – où les personnes qui vivent aux antipodes ne marchent pas la tête en bas – et à toutes les avancées scientifiques qui en découlent 7.
Les conséquences des découvertes de Darwin sont rappelées par Patrick Tort :
• La sélection naturelle n’est plus, à ce stade de l’évolution, la force principale qui gouverne le devenir des groupes humains ;
• “Autrement dit, si l’évolution a précédé l’histoire, l’histoire aujourd’hui gouverne l’évolution” (p. 19).
• “Il faut du biologique pour faire du social, mais d’une part le social ne saurait se réduire au biologique, et d’autre part c’est le social qui, du point de vue de l’Homme acteur et juge de son évolution, produit la vérité du biologique dans les capacités qu’à travers lui le biologique se révèle apte à dévoiler” (p. 17).
• Comme il existe une continuité (réversive) entre nature et culture, et comme “l’Homme historique n’a pas pour autant cessé d’être un organisme, l’évolution englobe ou inclut l’histoire” (p. 18).
Nous n’allons pas reproduire toute la fameuse citation du chapitre IV de La Filiation de l’Homme, mais seulement deux phrases qui sont fondamentales pour comprendre l’importance des conclusions de Darwin à propos de l’Homme parvenu au stade présent de la “civilisation” : “Une fois ce point atteint, il n’y a plus qu’une barrière artificielle pour empêcher ses sympathies de s’étendre aux hommes de toutes les nations et de toutes les races. Il est vrai que si ces hommes sont séparés de lui par de grandes différences d’apparence extérieure ou d’habitudes, l’expérience malheureusement nous montre combien le temps est long avant que nous les regardions comme nos semblables” (texte cité par Tort p. 23).
En lisant L’Autobiographie 8, que Darwin réservait uniquement à ses proches, on pourra constater qu’il avait parfaitement conscience de la nature révolutionnaire de ses découvertes, notamment du fait qu’elles remettaient en cause la croyance en Dieu, lui-même étant devenu athée. Mais il faisait preuve d’une extrême prudence pour éviter que, dans l’Angleterre victorienne si puritaine et religieuse, son œuvre ne fût mise à l’index. On retrouve dans ce passage la même vision profonde et révolutionnaire du devenir humain : les frontières nationales sont pour lui des barrières artificielles que la civilisation devra franchir et abolir. Sans être communiste, sans même envisager explicitement la destruction des frontières nationales, Darwin inclut de fait dans sa vision l’hypothèse d’une disparition du cadre national. Dans son esprit, la civilisation n’est pas un état de fait, elle est un mouvement constant et douloureux (“le temps est long avant…”), un processus continu de dépassement, qui, une fois atteinte l’unification de l’humanité, doit se poursuivre par le développement du sentiment de sympathie envers tous les êtres sensibles, c’est-à-dire au-delà de la seule espèce humaine.
Rapprochant la perspective forgée par Darwin et celle forgée par Marx, nous estimons quant à nous que c’est sur les épaules du prolétariat et de sa solidarité reconstituée que repose la lourde tâche de renverser la civilisation bourgeoise pour permettre le libre développement de la civilisation humaine.
Une autre conséquence importante est la façon dont nous pouvons concevoir la fameuse “nature humaine”. Nous connaissons l’erreur des socialistes utopiques. Malgré tous leurs mérites, ils étaient dans l’incapacité, du fait de l’époque qui était la leur, de définir quelles étaient les prémisses qui, dans la société bourgeoise, permettraient de bouleverser les rapports sociaux et de construire une société communiste. Il fallait donc inventer de toute pièce une société idéale qui soit conforme à la nature humaine comprise comme un critère absolu. Ce faisant, les socialistes utopiques reprenaient la vision dominante de leur temps, une vision idéaliste largement répandue encore aujourd’hui, selon laquelle la nature humaine est immuable et éternelle. Le problème, répond Marx, c’est que la nature humaine se modifie constamment au cours de l’histoire. En même temps que l’homme transforme la nature extérieure, il transforme sa propre nature.
La conception défendue par Darwin sur les rapports entre nature et culture nous permet d’aller encore plus loin qu’une simple vision abstraite d’une nature humaine éphémère, fluide. Il existe une continuité entre le biologique et le culturel, ce qui implique l’existence d’un noyau constant dans la nature humaine qui est un produit de toute l’évolution. Marx partageait cette vision. C’est ce qui ressort notamment de ce passage du Capital où il répond à l’utilitarisme de Jérémie Bentham : “Pour savoir, par exemple, ce qui est utile à un chien, il faut étudier la nature canine, mais on ne saurait déduire cette nature elle-même du principe d’utilité. Si l’on veut faire de ce principe le critérium suprême des mouvements et des rapports humains, il s’agit d’abord d’approfondir la nature humaine en général et d’en saisir ensuite les modifications propres à chaque époque historique” 9.
Même si les racines profondes de la nature humaine ont été reconnues, l’erreur d’interprétation commise par les socialistes utopiques reste encore dominante aujourd’hui. Patrick Tort met bien en évidence sa nature : “L’erreur n’est pas d’affirmer l’existence d’une “nature” dans l’être humain, mais de la penser toujours sur le mode d’un héritage tout-puissant qui le gouvernerait suivant l’intangible loi d’un déterminisme univoque et subi” (p. 83). Ce déterminisme univoque et subi est le propre du matérialisme mécaniste. Le matérialisme moderne, quant à lui, ajoute une détermination active comme l’avait bien compris Épicure avec sa théorie du clinamen. Dès sa thèse de doctorat, Différence de la philosophie naturelle chez Démocrite et chez Épicure, Marx avait reconnu cet apport considérable d’Épicure qui dépassait le réductionnisme présent dans l’atomisme de Leucippe et Démocrite et qui introduisait la liberté dans la matière. Cette liberté signifie qu’au sein de la nature rien n’est prédestiné, comme le prétendrait un déterminisme absolu, et il y a une place pour la spontanéité des agents. Elle signifie que pour les organismes qui ont acquis une certaine autonomie, “à l’instant t, je puis décider d’un acte, d’un acte contraire ou d’un non-acte sans le devoir à un ‘programme’” (p. 83).
Ce matérialisme actif – et non plus passif et subi –, défendu par Patrick Tort, conduit à cette définition qui devrait s’inscrire dans toutes les mémoires : “la “nature humaine” est l’incalculable somme de tous les possibles de l’humanité. Ou encore, sur un mode délibérément existentialiste : la “nature humaine”, c’est ce qui est entre nos mains” (p. 86).
Nous avons vu plus haut que la persistance du racisme, du sexisme et de la xénophobie sont les produits d’une société divisée en classes. Il est important de garder cela à l’esprit car il est ainsi possible de comprendre pourquoi la lutte du prolétariat, parce qu’elle est la seule qui puisse conduire à l’abolition des classes, inclut la lutte contre ces différents phénomènes. Alors que l’inverse est faux. Dès que l’antiracisme ou le féminisme prétendent mener une lutte autonome ils deviennent rapidement une arme contre la classe ouvrière et prennent leur place au sein de l’idéologie dominante. Il en est de même avec le pacifisme qui, lorsqu’il n’est pas explicitement relié à la lutte révolutionnaire du prolétariat contre le capitalisme en tant que système social, se transforme en une dangereuse mystification.
Mais il s’agit de problèmes réels pour le prolétariat et nous devons, avec Tort, affiner l’analyse. La xénophobie n’est pas simplement un rejet de l’autre chez qui l’on ne verrait que des traits de caractère totalement différents. C’est flagrant dans le cas du racisme, mais cela peut et doit s’expliquer autrement : “Le racisme est le rejet, sur un être que l’on extériorise, de ce que l’on hait le plus en soi” (p. 22). Fondamentalement, ce qui est rejeté chez l’autre, ce n’est pas le différent, c’est ce que l’on souhaite bannir de soi. “Dans sa version la plus extrême, le racisme doit donc se définir moins comme le simpliste “rejet de l’autre” que comme la négation du semblable dans le semblable à travers la fabrication d’un “autre” fantasmé comme vil et menaçant” (p. 23).
La personne ou la population visée ne représente pas un inconnu menaçant ; elle est considérée comme une menace parce qu’elle est précisément une partie de nous-mêmes, cette partie que nous considérons comme méprisable. Comme le dit Patrick Tort rappelant que juifs et chrétiens allemands vivaient ensemble depuis plus de seize siècles, c’est le plus proche semblable qui est ainsi la victime qu’il faut anéantir. Dans l’Ancien Testament, “Le rituel du “bouc émissaire” est un rituel expiatoire, qui en tant que tel extériorise la partie coupable de soi et la voue au démon et au néant symbolique du désert” (p. 28). Nous savons que la société bourgeoise a été très souvent le théâtre de pogroms ou de génocides et que la classe dominante en porte entièrement la responsabilité. Mais il faut élargir la compréhension et ne pas s’arrêter aux manifestations spectaculaires de ces phénomènes. Il faut percevoir à quel point la recherche d’un bouc émissaire et la mentalité pogromiste, avec la violence extrême qu’elles contiennent, sont ancrées dans le sol de la société capitaliste, où elles trouvent toujours de quoi se nourrir.
Si on relit le passage de La Filiation de l’Homme cité plus haut, on comprend mieux ce que veut souligner Darwin avec ces mots : “le temps est long avant que nous les regardions comme nos semblables”. Le principe même de la civilisation est le processus du développement de la sympathie c’est-à-dire de la reconnaissance du semblable dans l’autre. Comme la civilisation est le produit de la sélection naturelle avant d’en inverser la marche, le processus d’élimination de l’élimination (l’effet réversif selon Tort) est toujours en cours, et un retour en arrière est toujours périodiquement possible. Mais ce que nous avons dit plus haut interdit qu’on puisse parler d’une “nature humaine” encore primitive. “L’anthropologie influencée par Darwin n’a cessé d’user métaphoriquement d’un concept biologique pour interpréter, au sein de la civilisation, la réapparition des comportements ancestraux qui renvoient l’humain à ses origines animales : ce concept c’est celui du retour atavique, malheureusement inflationnel et galvaudé dans la psychiatrie héréditariste française du xixe siècle et dans l’anthropologie criminelle italienne qui s’en inspira, mais qui est néanmoins utile pour penser ce qui en nous demeure, à travers de possibles réaffleurements, la manifestation d’une ancestralité éminemment persistante” (p. 27).
L’argument le plus utilisé pour combattre le racisme consiste à expliquer que ce qui apparaît comme de grandes différences dans l’apparence extérieure des êtres humains est objectivement négligeable lorsqu’on se place aux niveaux génétique et moléculaire. On sait très peu de chose sur la “race”, car elle nomme en fait une pseudo-réalité, et ce que l’on en sait paraît suffire pour conclure à son inexistence. Il est donc ridicule d’être raciste. Cet argument est totalement inopérant, répond Patrick Tort. Si la recherche scientifique affirmait demain, grâce à de nouvelles découvertes, que les “races” existent biologiquement, est-ce que cela justifierait le racisme pour autant ? La faille de cet argument vient du fait que le racisme s’adresse à des phénotypes 10 (biologiques et culturels) et non à des génotypes 11 ; à des individus entiers avec leurs caractères observables et non à des molécules. Il est alors facile pour le conservatisme identitaire (Alain de Benoist, Zemmour, Le Pen) et pour tous les racistes d’en appeler au bon sens : les races sont une évidence que tout le monde peut voir, il suffit de comparer un Scandinave et un Indien.
Il est certain que l’utilisation non scientifique qui a été faite du mot “race” disqualifie totalement son usage et nous oblige tout au moins à l’encadrer de guillemets. Mais en réalité, les “races” existent bien, en tant qu’elles correspondent aux “variétés” qui distinguent des subdivisions identifiables au sein d’une espèce. Certes, c’est une notion très difficile à délimiter, elle n’est pas homogène, elle reste floue tout comme – et plus encore que – la notion d’espèce, parce que le vivant évolue sans cesse sous l’effet des variations incessantes et de la modification du milieu. Ainsi les espèces ne sont pas des entités pérennes mais des groupes que la classification range sous des catégories. Elles existent néanmoins. Darwin a montré que les espèces sont en transformation permanente, mais qu’il est possible, en même temps, de les distinguer car elles correspondent à une stabilisation – certes relative et temporaire si l’on se place à l’échelle des temps géologiques – imposée par la présence des autres espèces en compétition avec elles dans la lutte pour l’existence et par les besoins mêmes de la classification. Il y a, sous la régularité des formes spécifiques, une combinaison efficace par rapport à un milieu donné et à une niche écologique qui explique que les individus d’une même espèce se ressemblent. “Même s’il est entendu que dans l’histoire de la science des organismes, les divisions classificatoires n’ont qu’une valeur temporaire et technique, il y a encore un sens naturaliste à dire qu’il y a une seule espèce humaine, et que cette espèce, comme à peu près toutes les espèces biologiques, comprend des variétés. Dans la tradition naturaliste, “race” est un synonyme de “variété”” (p. 33).
Le racisme est un phénomène social, c’est au niveau social qu’il faut y répondre. De ce point de vue le passé colonial continue d’avoir des conséquences nuisibles et le prolétariat devra combattre fermement “une idéologie qui convertit des caractéristiques d’humains en signes d’infériorité native et permanente, ainsi qu’en menace pour d’autres humains” (p. 41).
La problématique est globalement la même pour la question du sexisme. Le sexe est une réalité biologique, mais le “genre” est quant à lui une réalité culturellement construite, et donc un devenir, un possible, qui reste ouvert. L’attitude radicale de certaines féministes ou de certaines “études de genre” qui veulent “dénaturaliser” le sexe est aussi stupide que celle consistant à nier la réalité des différences interraciales visibles. Le combat pour l’égalité sociale des hommes et des femmes, qui n’aboutira jamais dans le capitalisme, le combat pour la sympathie envers l’altérité, c’est-à-dire pour la reconnaissance de l’autre comme semblable malgré toutes les différences culturelles − tous ces combats sont au cœur de l’anthropologie de Darwin. L’éthique prolétarienne porte en elle tout cet héritage. C’est pourquoi la lutte pour le communisme n’est pas l’œuvre d’individus robotisés et indifférenciés et n’a rien à voir avec une négation des différentes cultures humaines, elle se définit comme l’unification dans la diversité, l’inclusion de l’autre au sein d’une association, d’une communauté qui a besoin de la richesse de toutes les cultures 12.
La critique du dualisme et l’exigence d’une continuité réversive entre nature et culture, entre biologie et société, nous a conduits à une définition rigoureuse de la nature humaine et à reprendre la notion darwinienne de civilisation comme processus toujours inachevé. Quelles conséquences pour la lutte révolutionnaire ? Au sein du capitalisme, cette lutte est avant tout une lutte pour l’émancipation du prolétariat, même si elle porte en elle l’émancipation de toute l’humanité. Le prolétariat doit se préparer à une guerre civile particulièrement difficile face à une bourgeoisie qui n’acceptera jamais de céder son pouvoir. Cependant ce n’est pas principalement par la force des armes que le prolétariat emportera la décision. L’essentiel de sa force tient dans sa capacité d’organisation, dans sa conscience de classe et surtout dans son aptitude d’une part à conquérir son unité, d’autre part à entraîner derrière lui toute la masse des couches non-exploiteuses, ou, au moins, à les neutraliser dans les périodes d’indécision sur l’issue du combat. Ce processus d’unification, d’intégration, va-t-il s’opérer automatiquement sous prétexte que l’Homme est un être social et que la nature humaine contient cet avantage évolutif représenté par la généralisation du sentiment de sympathie ? Bien sûr que non ! Mais les résultats et la démarche scientifiques exposés dans le livre de Patrick Tort confirment la vision marxiste de l’importance du facteur subjectif pour le prolétariat, en particulier de la conscience, des mentalités et plus globalement de la culture. Ils confirment la validité du combat de la Gauche communiste contre le fatalisme de la social-démocratie dégénérescente qui défendait la position opportuniste d’un passage graduel, automatique et pacifique du capitalisme au socialisme. Ils confirment que le devenir de l’humanité, c’est ce qui est entre les mains du prolétariat.
Avrom Elberg
1 Sur la nature de la violence au sein de la société bourgeoise, voir notre article, “Terreur, terrorisme et violence de classe”. Revue internationale, no 14, 3e trimestre 1978, ou notre site.
2 Voir les démonstrations qu’il en fait tout au long des 1000 pages de Qu’est-ce que le matérialisme ?, Paris, Belin, 2016. Il s’agit du dernier livre de Patrick Tort dont nous recommandons la lecture à ceux qui voudraient approfondir toutes les questions traitées ici.
3 Nous avons présenté le travail de cet auteur et la notion d’effet réversif de l’évolution dans l’article : “À propos du livre de Patrick Tort, L’Effet Darwin, Une conception matérialiste des origines de la morale et de la civilisation”. Voir Révolution internationale, no 400, avril 2009, ou notre site.
4 Sur France Culture, Jean Gayon, philosophe spécialisé en histoire des sciences et en épistémologie, ne craint pas la banalité en déclarant à propos de Darwin que “ce n’est ni Jésus, ni Marx” (La Marche des Sciences, émission du 4 février 2016 consacrée à “Darwin, sous les feux de l’actualité”).
5 Le Parti communiste international qui publie en France Le Prolétaire appartient incontestablement au club des “jubilateurs précoces”. On pourra le vérifier en lisant sa revue Programme communiste, no 102, février 2014. Dans une polémique visant le CCI, ce groupe, aveuglé par la légende d’un Darwin malthusien, réalise un véritable tour de force en confondant non seulement Darwin et le darwinisme social de Spencer, mais dans le même élan Darwin et la sociobiologie.
6 Par “animaux supérieurs” on entend traditionnellement en histoire naturelle les vertébrés homéothermes (c’est-à-dire à température constante), comme les oiseaux et les mammifères.
7 Voir notre article, “À propos du livre de Carlo Rovelli, Anaximandre de Millet. La place de la science dans l’histoire humaine”. Révolution internationale, no 422, mai 2011, ou notre site.
8 Charles Darwin, L’Autobiographie, Paris, éd. du Seuil, coll. Science ouverte, 2008.
9 K. Marx, Le Capital, Livre premier, septième section, chapitre XXIV : “Transformation de la plus-value en capital, V. – Le prétendu fonds de travail” (labour-fund), note (b), dans Œuvres, tome I, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1963, p. 1117.
10 Phénotypes : en génétique, l’ensemble des caractères observables d’un individu.
11 Génotype : ensemble des gènes d’un individu.
12 La vision prolétarienne de la richesse des cultures, considérées comme un facteur positif dans le combat pour l’unité dans la lutte – en opposition totale avec le multiculturalisme et le communautarisme bourgeois qui reproduisent l’idéologie identitaire – est développé, avec de nombreux exemples historiques, dans notre article, “L’immigration et le mouvement ouvrier”, Revue internationale, no 140, 1er trimestre 2010, ou notre site.
La liste des crimes contre l’humanité du siècle précédent a souvent porté des noms de ville : Guernica, Coventry, Dresde, Hiroshima, Sarajevo... Aujourd’hui la cité historique d’Alep en Syrie, l’une des plus anciennes cités au monde toujours habitées, rejoint la liste. En 1915, Rosa Luxemburg, qui défiait la vague de nationalisme qui submergeait alors l’Allemagne au début de la guerre, reconnaissait que ce conflit ravageant toute l’Europe avait ouvert une nouvelle époque de l’histoire du capitalisme, une époque où l’impitoyable compétition bâtie par ce système plaçait l’humanité devant le choix : socialisme ou barbarie. Cette guerre, écrivait-elle, avec ses massacres d’êtres humains à une échelle industrielle, était une claire illustration de ce que signifie réellement la barbarie. Mais la Première Guerre mondiale n’était que le début et la barbarie du capitalisme a rapidement atteint de nouveaux sommets. Cette guerre a pris fin grâce à la résistance de la classe ouvrière en Russie, en Allemagne et ailleurs, du fait de mutineries, de grèves et d’insurrections qui, un court moment, ont véritablement menacé l’existence de l’ordre mondial capitaliste. Mais ces mouvements ont été isolés et vaincus ; et avec la défaite de la classe ouvrière, qui est le seul véritable obstacle aux menées guerrières du capitalisme, les horreurs des conflits impérialistes ont pris une nouvelle dimension. La première guerre impérialiste était encore, à l’instar des guerres du xixe siècle, un conflit de champs de bataille. L’échelle de la tuerie, proportionnellement à l’étourdissant développement technologique des décennies qui ont mené à la guerre, fut un choc même pour les politiciens et les chefs militaires qui avaient tablé sur un conflit court, décisif, “terminé pour Noël”. Toutefois, dans les guerres qui ont suivi, les principales victimes n’étaient plus les soldats en uniforme, mais les populations civiles. Le bombardement par les aviations allemande et italienne de la ville de Guernica en Espagne, événement immortalisé par Picasso et ses figures torturées de femmes et d’enfants, donne le ton. Au début, le fait de cibler délibérément des civils depuis les airs fut un nouveau choc, quelque chose qui n’avait pas de précédent, un acte que seuls les régimes nazis ou fascistes d’Hitler et Mussolini pouvaient perpétrer. Mais la Guerre d’Espagne ne fut que le prodrome d’une Seconde Guerre mondiale qui a triplé le nombre de morts de la Première et dont l’immense majorité des victimes furent des civils. Les deux camps ont utilisé la tactique du “tapis de bombes” pour écraser des villes, détruire les infrastructures, démoraliser la population et, du fait que la bourgeoisie avait toujours peur d’un possible soulèvement de la classe ouvrière contre la guerre, pour éliminer tout danger prolétarien. De plus en plus, de telles tactiques n’ont plus été dénoncées comme des crimes, mais soutenues comme le meilleur moyen de mettre fin au conflit et d’empêcher de nouveaux massacres et ce avant tout par le camp démocratique. L’incinération d’Hiroshima et de Nagasaki par la toute nouvelle bombe atomique fut justifiée exactement dans ces termes.
Aujourd’hui, lorsque les dirigeants du monde démocratique condamnent le régime d’Assad en Syrie et son allié russe pour leur implacable et systématique massacre de la population civile d’Alep et d’autres villes, nous ne devons pas oublier qu’ils sont porteurs de ce qui est maintenant devenu une tradition établie de la guerre capitaliste. La destruction délibérée d’hôpitaux et d’autres infrastructures-clé comme le système de distribution d’eau, le blocage et même le bombardement de convois d’aide : tout cela fait partie de la guerre de siège moderne, ce sont des tactiques militaires apprises non seulement de la précédente génération de “dictateurs”, mais aussi de démocrates militaristes comme “Bomber” Harris 1 et Winston Churchill.
Cela ne veut pas dire que ce qui se passe à Alep n’a rien d’exceptionnel. La “guerre civile” en Syrie a commencé en 2011 comme une expression des “printemps arabes”, par la révolte d’une population excédée par la brutalité du régime Assad. Mais Assad a appris de la chute de ses collègues dictateurs en Égypte et en Tunisie et il a répondu par une meurtrière puissance de feu aux manifestations. La détermination du régime à survivre et à perpétuer ses privilèges s’est montrée sans bornes. Pour rester au pouvoir, Assad s’est montré prêt à dévaster des villes entières, à assassiner ou expulser des millions de ses propres citoyens. Il y a là un élément de la vengeance du tyran contre tous ceux qui ont osé rejeter sa férule, un plongeon dans une spirale de destructions qui ne laissera rien ou pratiquement rien à diriger. En ce sens, le calcul froidement rationnel derrière les bombardements de terreur des cités syriennes “rebelles” est devenu un nouveau symbole de l’irrationalité grandissante de la guerre capitaliste. Mais la folie de cette guerre ne se limite pas à la Syrie. Faisant suite à l’assassinat massif de manifestants désarmés, des défections dans l’armée syrienne ont donné naissance à une opposition armée bourgeoise, ce qui a rapidement transformé la révolte initiale en un conflit militaire entre camps capitalistes ; cela a permis à un certain nombre de forces impérialistes locales ou plus globales d’intervenir pour leurs propres intérêts sordides. Les divisions ethniques et religieuses qui ont aggravé le conflit en Syrie ont été exploitées par les puissances régionales pour leurs propres desseins. L’Iran, qui se targue d’être le leader mondial des musulmans chiites, soutient Assad et son régime “alaouite” et mène directement une intervention militaire par l’intermédiaire des milices du Hezbollah libanais. Les États musulmans sunnites comme l’Arabie saoudite et le Qatar ont armé les nombreux gangs islamistes qui cherchent à supplanter les rebelles “modérés”, y compris l’État islamique. La Turquie, souvent sous le prétexte d’éliminer l’État islamique, a utilisé ce conflit pour intensifier son affrontement avec les forces kurdes qui ont considérablement progressé dans le nord de la Syrie. Mais dans ce conflit où s’affrontent trois, quatre, peut-être même cinq camps différents, les principales puissances du monde ont elles aussi joué leur rôle. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont appelé Assad à se démettre et ont directement soutenu l’opposition armée au régime, autant les “modérés” que les islamistes, par Arabie saoudite et Qatar interposés. Lorsque l’EI, comme Al Qaïda avant lui, a commencé à mordre la main qui le nourrissait et s’est imposé comme une force nouvelle et incontrôlable en Syrie et en Irak, nombre de politiciens occidentaux ont reconsidéré leur position, avançant qu’Assad est aujourd’hui un “moindre mal” par rapport à l’EI. Obama a menacé le régime Assad d’une intervention militaire en déclarant que l’utilisation d’armes chimiques contre des civils était une ligne rouge à ne pas franchir. Cette menace s’est révélée creuse et, conséquemment, Washington et Westminster ont débattu de comment intervenir contre l’EI sans indirectement remettre Assad en selle. La réponse de Washington, pour indécise qu’elle soit, n’est que le résultat d’un long processus de déclin de l’hégémonie américaine dans le monde, résumée avant tout par les désastreuses interventions en Afghanistan et en Irak provoquées par les attaques terroristes du 11 septembre 2001 à Washington et New York. La “guerre contre le terrorisme”, déchaînée par l’administration Bush, n’a abouti qu’à provoquer le chaos au Proche-Orient, en faisant du terrorisme islamiste une force plus importante qu’elle ne l’avait jamais été avant l’effondrement des Tours jumelles. La guerre en Irak s’est révélée être particulièrement impopulaire aux États-Unis et même le va-t-en-guerre Donald Trump explique aujourd’hui qu’elle a été un désastre. Les États-Unis sont aujourd’hui plus que réticents à se laisser entraîner dans un nouveau bourbier au Proche-Orient.
L’impérialisme ayant horreur du vide, les hésitations des États-Unis ont permis la résurrection de la Russie en lui offrant une chance de réaffirmer sa présence dans une région dont elle avait été largement expulsée à la fin de la guerre froide. La Syrie est le dernier endroit du Proche-Orient où la Russie peut s’accrocher à travers ses bases militaires, et son soutien au régime Assad a été permanent. Mais après s’être embarquée dans une politique de récupération de son empire perdu dans la région de l’ex-URSS (via la guerre en Géorgie et en Ukraine), la Russie de Poutine joue maintenant à accroître son statut de puissance mondiale en intervenant directement dans le conflit syrien. Le prétexte initial était la volonté de riposter face à l’EI qui gagnait du terrain en Irak et en Syrie, menaçant même la seule implantation permanente de la Russie en Méditerranée, la base navale de Tartous. Dans la mesure où elle était posée comme une réponse à l’EI, l’intervention russe était relativement soutenue par les États-Unis. À la suite des atrocités commises par l’EI à Paris, la France était même prête à mener des opérations conjointes avec les forces russes en Syrie. Mais l’impérialisme russe a montré fort peu d’intérêt à attaquer les bases de l’EI et beaucoup plus d’intérêt à raffermir le régime d’Assad qui donnait de sérieux signes d’effondrement. En appelant terroristes tous les opposants à Assad, il est devenu une force majeure de l’assaut menée par Assad contre les bastions rebelles, retournant le cours de la guerre en sa faveur. La réponse de l’impérialisme russe dans le conflit en Syrie est la plus simple qui soit, entièrement en accord avec les méthodes d’Assad, déjà appliquées à Grozny en 1999-2000 en réponse au mouvement nationaliste tchétchène : réduire les villes en cendres et le problème de la rébellion est réglé. L’impérialisme russe ne fait pas mystère de ses ambitions au Proche-Orient. “Tout au long du week-end qui marquait le premier anniversaire de l’intervention russe en Syrie, les médias d’État étaient remplis d’audacieuses déclarations telles que : “la Russie a prouvé qu’elle reste incontestablement une superpuissance”, ou : “la Russie est devenue le principal acteur dans cette région… tandis que les États-Unis ont perdu leur statut de premier violon”” . L’assaut sur Alep, qui a atteint de nouveaux degrés tout de suite après l’échec du cessez-le-feu négocié par les États-Unis, a visiblement aiguisé les tensions entre les bourgeoisies russe et américaine.
Réagissant à l’accusation d’avoir commis des crimes de guerre en Syrie (ce qui est indubitablement vrai), la Russie s’est retirée des négociations de paix sur la Syrie, ainsi que de tout processus visant à réduire les stocks américains et russes de plutonium, Poutine conditionnant la reprise des pourparlers aux conditions les plus irréalistes, comprenant la fin des sanctions contre la Russie et une réduction substantielle des troupes de l’OTAN concentrées en Europe de l’Est.
Face à cette politique de plus en plus brutale du régime de Poutine, en Russie comme vis-à-vis de l’extérieur, avec son idéologie nationaliste réactionnaire, sa propagande ouvertement mensongère, il n’a pas été bien compliqué pour les puissances démocratiques occidentales de prendre une posture “moralement élevée”. Mais nous avons déjà vu que l’utilisation par la Russie des bombardements de terreur en Syrie possède déjà une longue histoire à l’Ouest. Et l’hypocrisie des États démocratiques s’applique toujours à leur récent comportement 2. La condamnation de la Russie par les États-Unis pour la destruction d’Alep et d’autres villes ne peut effacer le souvenir des bombardements de Bagdad en 2003 ou le siège de Falloujah en 2004, qui ont mené des milliers de civils irakiens à la mort, quand bien même les missiles américains sont supposés être “plus précis” que leurs équivalents russes et donc n’avoir visé que des cibles purement militaires. Cela ne masque pas non plus ce que la Grande-Bretagne a fait au Yémen, où elle a fourni aux Saoudiens les armes permettant d’intervenir dans cette sanglante “guerre civile”. Un récent article du Guardian a révélé que plus d’un million d’enfants yéménites sont menacés par la famine, conséquence directe du blocus saoudien et des bombardements visant les zones tenues par les rebelles houtistes. Mais l’hypocrisie occidentale a atteint son sommet avec les millions de Syriens qui ont été contraints de s’enfuir pour sauver leurs vies et qui aujourd’hui souffrent de malnutrition sévère dans des camps de réfugiés sous-équipés en Turquie, en Jordanie ou au Liban ; ou bien, s’ils essaient de rejoindre un “havre de paix” en Europe de l’Ouest, ils tombent aux mains d’impitoyables trafiquants d’hommes qui les poussent à traverser la Méditerranée au péril de leur vie sur des rafiots incapables de naviguer. L’Union européenne s’est montrée incapable de s’occuper correctement de ce que Cameron lui-même a qualifié d’“essaim” de réfugiés venus de Syrie ou d’autres conflits du Proche-Orient ou d’Afrique. Et tandis que certains gouvernements, comme celui d’Allemagne, brandissaient leur “politique de bienvenue” à ceux qu’ils espèrent bien pouvoir exploiter comme main-d’œuvre, murs et barbelés se déploient dans toute l’Europe. De plus en plus de gouvernements et de partis européens s’adaptent ou adoptent carrément une politique d’exclusion ou de bouc-émissaire ouvertement mise en avant par les courants politiques populistes. Nous assistons aujourd’hui aux sinistres échos des massacres de juifs des années 1930 et 1940, lorsque les démocraties se lavaient les mains des persécutions et des assassinats nazis, et faisaient en même temps tout pour fermer leurs frontières aux victimes tout en n’accueillant qu’un nombre symbolique de réfugiés juifs 3. Double langage et hypocrisie sur la Syrie ne se limitent pas aux partis de gouvernement. La majorité des partis “de gauche” a une longue histoire de soutien à la Russie, à l’Iran, au Hezbollah et au régime baasiste en Syrie, dont ils disent pour se justifier qu’ils “combattent l’impérialisme”, ce qui signifie évidemment pour eux uniquement les impérialismes américain, israélien ou d’autres pays occidentaux. La coalition “Stop the war” en Angleterre, par exemple (dans laquelle Jeremy Corbyn a joué plusieurs années un rôle dirigeant) va organiser des manifestations massives contre l’incursion militaire israélienne au Liban et à Gaza, avec des slogans comme “Nous sommes tous le Hezbollah”. On ne verra jamais ces gens organiser des manifestations équivalentes pour dénoncer les actions d’Assad ou de la Russie en Syrie, lesquelles ne sont pas qu’un miroir de ce qu’a fait le militarisme israélien, mais l’a surpassé de beaucoup en nombre de tués et en destructions. D’autres organisations activistes optent pour un soutien aux actions militaires des Américains et de l’Occident. Le groupe Avaaz, qui s’est spécialisé dans des campagnes massives sur Internet et des pétitions, et qui était opposé à l’invasion de l’Irak par les États-Unis, nous dit aujourd’hui que la seule manière de protéger les enfants d’Alep est d’en appeler à Obama, Erdogan, Hollande et May pour renforcer la zone d’exclusion aérienne dans le nord de la Syrie. D’une manière ou d’une autre, on nous demande de soutenir un camp ou un autre dans ce qui est devenu un conflit impérialiste global.
Pour les révolutionnaires, il est essentiel de défendre le principe de l’internationalisme contre toute boucherie impérialiste. Cela signifie conserver une indépendance politique vis-à-vis de tous les États et milices de proto-États, et soutenir la lutte des exploités dans tous les pays contre leur propre bourgeoisie. Ce principe ne dépend aucunement du fait que les exploités se trouvent en lutte ouverte ou pas. C’est un poteau indicateur pour le futur qui ne doit jamais être perdu de vue. En 1914, les internationalistes qui se sont opposés à la guerre n’étaient qu’une toute petite minorité, mais ils ont opiniâtrement défendu les positions de classe alors que tant d’anciens camarades se ralliaient à l’effort de guerre de leur propre bourgeoisie, ce qui fut absolument essentiel à l’émergence d’une lutte prolétarienne massive contre la guerre deux ou trois ans après. En Syrie, il est absolument évident que le prolétariat est absent de la scène. C’est le reflet de la faiblesse numérique et politique de la classe ouvrière syrienne qui a été incapable de se soulever contre le régime Assad et ses différents opposants bourgeois. Mais nous pouvons dire que le sort de la Syrie et du “Printemps arabe” comme un tout résume parfaitement la situation historique à laquelle se confronte la classe ouvrière mondiale. Le capitalisme est dans un état avancé de décadence et n’a pas d’autre futur à offrir à l’humanité que la répression et la guerre. Telle a été la réponse de la classe dominante aux différentes révoltes qui ont balayé l’Afrique du Nord et le Proche-Orient en 2011. Mais cela n’a été possible uniquement parce que la classe ouvrière était incapable de prendre la tête de ces révoltes, incapable de proposer un but et une perspective différents des illusions démocratiques qui dominaient ces mouvements sociaux. Et cela a été un échec non seulement de la classe ouvrière d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, mais aussi de la classe ouvrière des pays centraux du capitalisme, laquelle a une tradition révolutionnaire plus profondément ancrée et une plus longue expérience de confrontation avec les obstacles de la démocratie bourgeoise. Ce sont ces bataillons de la classe qui sont les mieux placés pour faire revivre la perspective de la révolution prolétarienne. Ce n’est pas seulement un vœu pieux. Le Printemps arabe a servi d’inspiration aux luttes dans les pays centraux, notamment au mouvement des Indignados en Espagne, mouvement qui a été plus loin en 2011 qu’Occupy et d’autres réactions similaires dans le monde pour poser de sérieuses questions sur le futur du capitalisme tout en s’interrogeant sur les moyens pour lutter contre lui 4. Mais ce ne fut qu’un aperçu du possible, un petit signe que, malgré l’avancée continue de la barbarie capitaliste, l’alternative prolétarienne est toujours vivante.
Amos, 8 septembre 2016
1 Le maréchal qui commandait les forces aériennes anglaises de bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale et à ce titre principal organisateur de la destruction des villes allemandes par la Royal Air Force.
2 Les bombardements aériens meurtriers par les forces de la coalition internationale sur Mossoul au nord de l’Irak et leur recrudescence actuelle sont une autre preuve accablante que cette politique de terreur sur les populations est pratiquée par toutes les puissances.
3 Il ne s’agit pas de dénigrer les efforts sincères des centaines de volontaires qui en Europe ont essayé d’offrir une aide aux réfugiés, ou bien sûr le travail réellement héroïque des médecins, personnels de soin et sauveteurs qui se battent pour sauver des vies dans les plus terribles conditions à Alep ou dans d’autres villes assiégées. Très souvent, ces efforts ont débuté par des initiatives spontanées que les gouvernements et autres forces officielles cherchent très vite à faire passer sous leur propre contrôle.
4 Lire notre article : “Le mouvement du 15 Mai (15-M) cinq ans après [598]”.
“L’idéal inépuisable de l’espérance humaniste, de la révolution”. Ces mots ont été prononcés le 6 mars 2013 par Jean-Luc Mélenchon, à propos du président vénézuélien Hugo Chavez, au lendemain de sa mort. Depuis longtemps, celui qui était à l’époque le coprésident du Parti de gauche manifeste une profonde admiration pour Chavez et ne cache pas son ambition de devenir lui-même cet homme providentiel redonnant espoir aux masses pauvres et tenant tête aux grandes puissances ; et peut-être d’avoir sa statue un jour sur une grande place parisienne… Le discours qu’il prononce ce jour-là avec une émotion réelle, ne peut être plus clair : “Chavez a été la pointe avancée d’un processus large dans l’Amérique latine qui a ouvert un nouveau cycle pour notre siècle, celui de la victoire des révolutions citoyennes. (…) Il n’a pas seulement fait progresser la condition humaine des Vénézuéliens, il a fait progresser d’une manière considérable la démocratie”.
Évidemment quand on voit dans quel état se dépêtre le Venezuela aujourd’hui, on se demande comment on peut faire de ce pays un modèle de “révolution socialiste”. Car le Venezuela “bolivarien” n’est finalement pas loin de cumuler toutes les caractéristiques d’une république bananière, avec une bonne dose de vernis stalinien par dessus !
Pendant les quatorze ans de son “règne”, ponctué par trois élections plus ou moins contestées, Chavez a clamé un bilan exceptionnel, largement relayé par tous les “révolutionnaires” du monde, avec parmi les plus fameux, Mélenchon donc, mais aussi l’ex-président iranien Mahmoud Ahmadinejad. De sacrées références. Ainsi, sous sa présidence, le Venezuela serait passé de pays sous-développé au statut de champion de la croissance, de la lutte contre la pauvreté, de la scolarisation et donc, de la démocratie. Quatrième puissance sud-américaine en terme de PIB par habitant, un revenu par habitant supérieur à la moyenne du sous-continent sud-américain, le Venezuela affiche une espérance de vie au-dessus de 74 ans quand elle peine à dépasser 50 ans dans les pays sous-développés.
Seule petite ombre au tableau : la criminalité n’aura cessé d’augmenter de l’arrivée de Chavez au pouvoir jusqu’à sa mort, faisant de Caracas la ville la plus dangereuse du monde avec 122 homicides pour 100 000 habitants en 2012. Avec 4 850 000 habitants recensés, cela fait donc plus de 5900 personnes tuées par homicide en une seule année, dans une seule ville !
Mais ce bilan “honorable” repose uniquement sur la rente pétrolière. Le Venezuela est en effet le onzième producteur au monde et fondateur de l’OPEP. Le pétrole et le gaz naturel représentent 95 % des exportations du pays. Le Venezuela ne produit rien d’autre. Il tire ses revenus de ses seuls hydrocarbures et doit importer tout le reste. Chavez a su sans aucun doute profiter de cette manne à l’heure où les cours du pétrole se sont littéralement envolés tout au long de ses trois mandats. Quand il arrive au pouvoir en 1999, le baril de Brent est à $ 12,76. A sa mort en 2013, il est à $ 108,56. Près de neuf fois plus. En bon père du peuple, il n’oublie pas d’en faire profiter une partie de sa clientèle, acquise à sa cause depuis qu’il a exalté dans ses discours enflammés la ferveur nationaliste à travers l’érection de Simon Bolivar en héros national (c’est lui, la huitième étoile rajoutée en 2006 au drapeau national) et résumé son programme et ses actions par deux mots lourds de signification : “révolution socialiste”.
Mais la France, c’est bien connu, n’a pas de pétrole. Et quant aux idées, ce ne sont pas celles que Mélenchon emprunterait à Chavez qui vont “révolutionner” quoi que ce soit. Il suffit de voir ce qui se passe au Venezuela quand le cours du pétrole repasse sous la barre des 50 dollars et qu’il ne reste donc que les idées pour continuer le projet “socialiste” du défunt Chavez. Faute de devises suffisantes, le pays ne peut en effet plus importer d’aliments et de médicaments. La pénurie est dramatique et permanente, près de 80 % des produits de base manquent. Les queues s’allongent devant les magasins vides et les moyens manquent pour soigner les malades. Les barrios de Caracas, qui accueillent 60 % de la population de la ville, voient leurs conditions de vie s’aggraver chaque jour. La voilà donc, cette “révolution socialiste”, quand les caisses se vident de leurs pétrodollars.
Il ne reste même plus à Mélenchon le loisir de vanter la “vraie” démocratie du Venezuela en prenant pour exemple la possibilité de renverser un président par un référendum d’initiative populaire. Car c’est très exactement ce qui est en train de se passer. Le désespoir et la colère des affamés sont désormais récupérés par une opposition, majoritaire au parlement depuis 2015, qui souhaite en profiter pour destituer le successeur de Chavez, Maduro, qui poursuit le même programme sans avoir hérité du charisme de son maître... ni du cours du Brent à plus de 100 dollars.
Mais en bon président “socialiste” attaché à la démocratie, Maduro use de tous les stratagèmes pour contrer son opposition : rejet des signatures par une commission toute acquise au pouvoir présidentiel, purge des fonctionnaires convaincus d’avoir apporté leur signature, menaces de sanctions contre les grévistes, etc.
Le modèle vénézuélien a décidément peu de choses à présenter pour soulever l’enthousiasme des prolétaires du monde entier. Tout au plus peut-il, à l’heure de la normalisation des relations entre Cuba et les États-Unis, servir de dernière illustration vivante (mais moribonde) de la variante stalinienne du capitalisme d’État qui a largement contribué depuis près d’un siècle à asservir la classe ouvrière et à enfoncer la planète dans le chaos de la misère et de la guerre. Ce grand mensonge du xxe siècle doit toujours être dénoncé.
Jules, 26 octobre 2016
L’élection présidentielle gabonaise du 27 août dernier n’a pas dérogé à une longue tradition sanguinaire. Alors qu’Ali Bongo, comme naguère son père pendant 40 ans, se proclamait vainqueur d’un scrutin truqué, des émeutes prenant l’allure d’une guerre civile éclataient dans tout le pays, aussitôt réprimées par la police et l’armée. Une grande partie des masses pauvres, utilisée comme chair à canon, excitée pour cela et instrumentalisée par la clique de Jean Ping, adversaire de Bongo, a une nouvelle fois chèrement payé le prix de ce règlement de comptes entre des fractions bourgeoises en lutte pour le contrôle de l’État et son système de corruption généralisée. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les chiffres sont encore incertains et manipulés de toutes parts, mais plusieurs sources font état de cinq à sept morts et plus de 1100 arrestations !
À la différence de l’élection de 1990, où l’armée française vint directement réprimer les émeutiers pour sauver le trône vacillant de son pion Omar Bongo, et celle de 2009 où “l’héritier” bénéficia du soutien actif de son “ami” Sarkozy 1, les récents troubles politiques s’inscrivent dans un contexte bien plus délicat pour l’impérialisme français du fait d’une aggravation internationale de la crise économique et l’expansion d’un chaos impérialiste incontrôlable en Afrique.
Depuis l’indépendance du Gabon en 1960, l’économie du pays repose presque uniquement sur l’exploitation de son riche sol par des entreprises essentiellement françaises : bois précieux, uranium et surtout pétrole, secteur représentant pas moins de 40 % des recettes de l’État, sont les principales sources de richesse du pays. En dépit de la promesse faite par Ali Bongo, après le décès de son père en 2009, de mettre fin au pillage systématique des deniers publics, l’élite au pouvoir (au premier rang de laquelle se trouve la large famille Bongo elle-même, maîtresses présidentielles incluses 2), a continué à s’enrichir sans vergogne en captant une très large partie des ressources de l’État. Ali Bongo a ainsi hérité de son père, sans rien y changer, d’un système très sophistiqué de corruption et de redistribution officieuse au moyen d’enveloppes soigneusement réparties entre les ethnies, les régions et les nécessités de maintien de la paix sociale.
Mais cette corruption massive a toujours empêché l’État d’opérer une mutation de l’économie pour limiter sa dépendance aux matières premières. La diminution des stocks de pétrole gabonais et la chute du prix du baril à partir de 2014 ont approfondi les effets de la crise économique mondiale, obligeant État et entreprises à limiter leurs investissements. La population, vivant dans des conditions déjà difficiles, a subi de plein fouet l’explosion du chômage, notamment à Port-Gentil, capitale économique du pays, où la colère contre la clique de Bongo est immense. Depuis le début de l’année, les manifestations s’y sont multipliées. À la violence sociale s’est ainsi ajoutée celle d’une police particulièrement brutale et expéditive.
Ce contexte explique l’ampleur de la mobilisation des partisans de Jean Ping. Toute cette exaspération accumulée, Jean Ping a su la canaliser à son seul profit vers l’impasse démocratique. En réalité, l’opposition à Ali Bongo n’est rien d’autre qu’une clique issue du régime Bongo lui-même et ses largesses ; elle n’a pas d’autre objectif que renverser le pouvoir en place et s’approprier les opaques rentes pétrolières ! Le parcours de Jean Ping est à ce titre très significatif. Le prétendu pourfendeur de la corruption d’État est un pur produit de la dynastie Bongo ; il fut ministre pendant 20 ans ( !), profitant de son mariage avec la sœur aînée de l’actuel président (elle-même ancien membre du gouvernement). De sa toute aussi longue carrière de diplomate, Jean Ping a d’ailleurs tiré une importante leçon : l’élection se joue pour l’essentiel... à Paris. Il a ainsi multiplié les démarches auprès du gouvernement français avant l’élection, espérant son soutien par la promesse de chasser la “légion étrangère de nouveaux collaborateurs entourant le chef de l’État” 3, c’est-à-dire les entrepreneurs américains, chinois ou africains dont s’entoure Ali Bongo pour tenter de s’affranchir de la tutelle française. Comme partout ailleurs, la classe ouvrière habitant le Gabon n’a donc strictement rien à attendre de ce pathétique cirque électoral. Bien au contraire ! Les hommes tombés sous les balles des forces de répression, emportés par une indignation légitime et des espoirs parfaitement illusoires dans l’alternance politique, sont morts au seul bénéfice d’une bande tout aussi corrompue que celle au pouvoir, une clique prête à instrumentaliser une foule en colère et à lui faire verser son sang pour goûter elle aussi à l’ivresse du pouvoir, aux voitures de luxe et aux hôtels particuliers parisiens 4 !
Alors que l’influence française sur ses anciennes colonies se réduit depuis plusieurs décennies à peau de chagrin, le Gabon a fait figure d’élève exemplaire de la “Françafrique” jusqu’aux années 2010. Dès les années 1960, Jacques Foccart, le “Monsieur Afrique” du gaullisme, avait fait de l’ancienne province d’Afrique-Équatoriale française la pierre angulaire de la politique française sur le continent, en s’appuyant sur des barbouzes telles que le sulfureux Bob Denard qui fut “instructeur” de la garde présidentielle d’Omar Bongo. Si l’implantation d’entreprises hexagonales au cœur de l’appareil productif gabonais est aujourd’hui encore une réalité confirmée par la présence de 14 000 ressortissants français, les liens qui unissent les deux pays dépassaient largement la seule sphère économique. Les affaires louches (scandales autour d’Elf-Aquitaine ou dans l’immobilier, etc.) sont de notoriété publique mais le principal intérêt du Gabon pour l’État français résidait dans la place qu’il occupe encore aujourd’hui au cœur de son dispositif impérialiste. En plus de la base militaire stratégique que la France occupe à Libreville, le Gabon est lui-même un facteur de relative stabilité dans la région. Il est intervenu, par exemple, lors de la crise ivoirienne de 2010 ou, plus récemment, en Centrafrique.
La montée en puissance du “chacun pour soi” dans le monde, suite à la disparition des blocs issus de la guerre froide, a rapidement entamé le crédit de la France en tant que “gendarme de l’Afrique”, comme en témoigne un mémo diplomatique révélé par Wikileaks : “Les Français accueillent favorablement l’extension de la présence américaine en Afrique comme moyen de contrebalancer l’expansion régionale de la Chine” 5.
Dans ce véritable panier de crabes impérialistes, où petites et grandes puissances s’enfoncent dans une spirale meurtrière sans fin, la situation est devenue hors de tout contrôle : des régions entières sont soumises à la loi des seigneurs de guerre et de bandes mafieuses, de nombreux États sont très affaiblis au point que certains ont carrément perdu le contrôle d’une partie de leur pays, les conflits s’enlisent sous l’œil avide des grands charognards impérialistes... Bien que le Gabon soit encore loin de connaître le niveau d’instabilité du Centrafrique ou du nord du Mali, le pays n’échappe pas aux forces centrifuges du capitalisme et à la logique du tous contre tous.
C’est dans ce contexte qu’Ali Bongo cherche aujourd’hui à jouer plus ouvertement sa propre carte, au détriment de l’ex-puissance coloniale. Il a ainsi facilité l’implantation d’entreprises étrangères, notamment issues des pays asiatiques comme la Chine et la Corée, afin de limiter l’influence française sur le pays. Il s’est même payé le luxe d’une vaine tentative de redressement fiscal contre Total, le géant français du pétrole dans le pays depuis 1956.
Cette crispation dans les relations franco-gabonaises s’est encore accentuée avec l’arrivée au pouvoir du parti socialiste en 2012. Omar Bongo était un fidèle produit du gaullisme. Il a financièrement soutenu de Gaulle et ses héritiers, notamment par l’entremise de réseaux mafieux et l’envoi de “mallettes” au profit du parti gaulliste. D’après plusieurs sources, de l’argent aurait même continué à circuler au profit de Nicolas Sarkozy 6.
En dépit des fortes tensions entre le Parti socialiste et Ali Bongo 7, le gouvernement français s’est montré hésitant, voire impuissant face à la situation politique au Gabon. La France y possède encore d’importants intérêts économiques et militaires qu’il ne s’agirait pas de menacer. Prise dans ses propres contradictions, la bourgeoisie française s’est montrée incapable de défendre une orientation cohérente, encore moins de s’imposer en garant de la stabilité de la région.
Toutes les conditions sont donc réunies pour que le tourbillon du chaos mondial et africain ébranle la stabilité d’un des pays les plus puissants du continent, et de l’ensemble de la région. Le récent appel à la “résistance active” de Jean Ping ne va certainement pas enrayer l’impasse dans laquelle s’enfonce le Gabon, pas plus que le prétendu “dialogue” prôné par la bande de requins impérialistes nommée “communauté internationale”.
L’Afrique nous montre une nouvelle fois le chemin dans lequel nous conduit le capitalisme décadent, celui de la barbarie !
E.-G., 16 octobre 2016
1 Cf. “Au Gabon, une élection pour préserver les intérêts de la Françafrique [602]”, RI no 405 (octobre 2009)
2 Les innombrables maîtresses de l’élite étatique constituent un réseau à la fois significatif de la dépravation de la classe dirigeante et central dans le dispositif politique. À titre d’exemple, Marie-Madeleine Mborantsuo, ancienne maîtresse d’Omar Bongo, occupe le poste stratégique de présidente de la Cour constitutionnelle gabonaise, notamment chargée d’assurer la validité des élections...
3 “Gabon : les électeurs votent pour une présidentielle sous haute tension”, Le Figaro, 26 août 2016.
4 La famille Bongo est actuellement poursuivie par la justice française dans le cadre d’enquêtes sur des “biens mal acquis” suite à l’acquisition frauduleuse de plusieurs résidences et de voitures de luxe. La dimension politique de ces mesures, dans le cadre de tensions croissantes entre le gouvernement français et Ali Bongo, ne fait aucun doute.
5 Cité par Le Monde du 4 décembre 2010 : “Wikileaks : le reflux de la France en Afrique”.
6 Voir par exemple l’ouvrage de Xavier Harel : Le scandale des biens mal acquis.
7 Plusieurs propriétés ont été récemment saisies à Paris dans le cadre de l’affaire des “biens mal acquis”. Par ailleurs, d’après l’ouvrage de Frédéric Ploquin, Les gangsters et la République, Manuel Valls, l’actuel Premier ministre français, aurait tenté de faire tomber Bernard Squarcini, ancien directeur du renseignement de Nicolas Sarkozy et le mafieux Michel Tomi, tous deux soupçonnés de servir d’intermédiaires entre Libreville et l’UMP.
Il fut un temps où le Front national en France, avec à sa tête Jean-Marie Le Pen, agglomérait un public hétéroclite, quelque peu marginal, souvent nostalgique d’une époque révolue, comme d’anciens combattants de l’Algérie française, et une frange de jeunes et moins jeunes, anti-staliniens primaires, prêts à en découdre avec le moindre gauchiste ou démocrate patenté. Les meetings du FN étaient l’occasion pour Le Pen de haranguer quelques centaines de commerçants ou artisans radicaux, des petits bourgeois étudiants encadrés par quelques jeunes nazillons au crâne rasé et rangers de circonstance qui n’hésitaient pas à tendre le bras à la mode hitlérienne pour saluer les discours du “borgne”.
La petite foule de paumés des meetings frontistes a aujourd’hui laissé place à des milliers de personnes, toutes plus convenables et honnêtes les unes que les autres, venant en partie du milieu ouvrier, en famille parfois. Plus grand-chose à voir avec le public outrancier d’hier. Entre-temps, le FN est devenu le premier parti de France sur le plan électoral. Arrivé en tête de plusieurs élections intermédiaires, le parti de Marine Le Pen préoccupe aujourd’hui grandement la bourgeoisie française, cette dernière tenant pour acquis que l’extrême-droite accédera très probablement au second tour de la prochaine élection présidentielle avec un score historique.
La montée en puissance du populisme, loin d’être une exception française, se nourrit des tendances les plus décomposées d’une société capitaliste empêtrée dans une crise généralisée et face à laquelle le prolétariat est pour le moment incapable de défendre une perspective révolutionnaire. De cette situation de blocage historique de la société, les tréfonds de la morale bourgeoise s’épanouissent à la lumière crue des idéologies les plus réactionnaires, haineuses et revanchardes. Marine Le Pen s’est certes affranchie des excès du père (quoique !), a lissé son discours en faisant un plaidoyer pour les laissés-pour-compte de la crise et du chômage. Elle s’est fait une image plus vertueuse et plus intègre et n’a pas de mots assez durs contre les politiciens de droite et de gauche qui se sont succédés au pouvoir pour faire payer la crise aux plus faibles. Mais la marque de fabrique de ce Parti reste pourtant la même : la xénophobie à tous crins, le racisme maintenant presque ordinaire, les réponses simplistes et démagogiques. “On est chez nous !”, entend-on désormais sans complexe dans certaines manifestations ouvertement xénophobes, amplifiées par les récents actes terroristes islamistes ou la délinquance ordinaire dans les cités gangrenées par la drogue et le désœuvrement.
Si le FN a subjugué ces “citoyens intègres”, tous écœurés de l’incapacité de l’État depuis des années à résoudre les problèmes de leur quotidien, exaspérés de voir les promesses de droite ou de gauche “trahies” par une classe politique de plus en plus corrompue, il l’a fait sur la base d’un discours ignoble selon lequel la survie de certains doit se faire aux dépens des autres : l’intérêt national avant tout, les étrangers peuvent bien crever chez eux ! Cette conception du monde “naturellement” divisé en nations concurrentes est profondément ancrée dans l’idéologie bourgeoise, mais le fait de revendiquer cela en se débarrassant sans aucun complexe de toute l’hypocrisie humaniste qui a longtemps édulcoré le nationalisme et le militarisme représente un pas significatif dans le processus de dissolution de la société : la barbarie en bandoulière, l’immoralité en étendard !
Cette possibilité de voir arriver le FN au pouvoir inquiète beaucoup l’ensemble de la bourgeoisie, tant son programme économique, social et politique demeure inadapté et irresponsable du point de vue des intérêts du capital national. Mais la classe dominante est loin d’être homogène face au phénomène :
• une partie de la grande bourgeoisie tente de “surfer sur la vague” du populisme, d’abord parce qu’elle pense pouvoir juguler sa montée en puissance en adoptant son discours. Nicolas Sarkozy a ainsi théorisé dès 2007 l’idée de “siphonner les voix du FN”. Mais cette “droite décomplexée” est aussi prête à tout pour défendre ses intérêts de clique en se souciant de moins en moins des intérêts généraux de l’État. En adoptant l’argumentaire du FN, elle a néanmoins normalisé et rendu “acceptable” un discours xénophobe auprès d’électeurs qui, préférant l’original à la copie, ont fini par renforcer le FN.
• Une autre partie de la bourgeoisie plus lucide ou consciente du danger, comme Alain Juppé ou le Parti socialiste, a préféré garder ses distances et maintenir les principes de l’“idéal républicain” démocratique et européen, à leurs yeux seuls garants d’une politique économique et sociale cohérente face à la crise et aux risques sociaux.
Mais cette défense de l’État les désigne aussi comme ceux par qui le mal arrive, “l’establishment” qui désire poursuivre comme avant et qui méprise “le peuple”. En effet, si le soutien d’une partie de la classe ouvrière au FN est si fort, c’est qu’à ses yeux la classe politique, de gauche et de droite, ayant tenu les rênes du pouvoir depuis tant et tant d’années, s’est décrédibilisée profondément. Ces partis ont assumé la désindustrialisation, le chômage, les attaques depuis près de 40 ans. C’est donc cet “establishment” qu’il faut en priorité rejeter par les urnes et mener au pouvoir les grandes gueules qui disent vouloir “donner un grand coup de balai”.
Pour la bourgeoisie et l’État, quelles que soient les orientations adoptées, la réponse au populisme n’aura pas l’effet escompté. C’est une dynamique de fond qui ne peut que se poursuivre sur le terrain de la décomposition sociale. Surtout, le populisme est un poison qui aggrave les difficultés politiques de la classe ouvrière, en pourrissant la conscience des plus fragilisés sur le terrain de la xénophobie, mais aussi en renforçant le piège démocratiste au nom de la défense des “valeurs républicaines” contre le “fascisme”.
Quelles sont les causes profondes du développement du populiste dans le monde ? Vers quoi mène-t-il ? Quelle différence et ressemblance avec le fascisme des années 1930 ? Quelle force dans la société peut endiguer ce phénomène ? C’est à toutes ces questions légitimes que plusieurs articles de ce numéro de RI tentent de répondre.
Stopio, 28 octobre, 2015
Lorsqu’on pose des questions à un lycéen sur la Révolution russe de 1917, il répondra sans doute qu’il s’agissait d’un coup d’État bolchevique, que l’expérience, malgré les bonnes intentions des protagonistes, a fini en cauchemar : la dictature soviétique, le goulag, etc.
Et si on lui demande ensuite ce qui est arrivé le 15 mai 2011, il est possible qu’il réponde qu’il s’agit-là d’un mouvement pour une “démocratie véritable” et qu’il est très lié au parti politique Podemos 1.
Quiconque recherche la vérité ne se contentera pas de ces réponses simplistes qui n’ont rien à voir avec ce qui s’est réellement passé, imprégnées du “bon sens commun”, de l’enseignement déformé qu’on subit et du matraquage des “moyens de communications”, bref, de l’idéologie dominante de cette société.
Il est vrai que le prolétariat se trouve actuellement dans une situation de profonde faiblesse. Mais l’histoire de la société est celle de la lutte des classes et l’État capitaliste sait parfaitement que le prolétariat pourrait reprendre sa lutte. C’est pour cela qu’il l’attaque sur ses flancs les plus sensibles : l’un de ceux-ci est sa mémoire historique. La bourgeoisie a un très grand intérêt à détruire cette mémoire en réécrivant les expériences passées de notre classe. C’est comme si elle formatait un disque dur en y installant un système opérationnel radicalement opposé.
La réécriture la plus intelligente est celle qui se fait en tirant profit des faiblesses réelles et des erreurs des mouvements prolétariens. Ceux-ci traînent toujours un important magma d’erreurs qui permettront a posteriori leur réécriture dans un sens diamétralement opposé à ce qu’ils recherchaient.
Marx, en commentant la différence entre la lutte de la bourgeoisie et celle du prolétariat, met en avant le fait qu’alors que “les révolutions bourgeoises, comme celles du xviiie siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, (…) les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du xixe siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts” 2.
C’est ainsi que, pour le prolétariat, “le chemin pénible de sa libération n’est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d’erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l’atteindra s’il sait s’instruire de ses propres erreurs. Pour le mouvement prolétarien, l’autocritique, une autocritique sans merci, cruelle, allant jusqu’au fond des choses, c’est l’air, la lumière sans lesquels il ne peut vivre” 3. Il ne s’agit pas dans cet article de faire une analyse critique de la révolution de 1917 4. Nous n’allons faire qu’un petit récapitulatif du mouvement des Indignés de 2011, le 15-M 5. Cette réécriture, se basant surtout sur ses difficultés et ses aspects les plus faibles, nous allons commencer par ceux-ci.
Après la longue nuit de la contre-révolution qui écrasa la révolution de 1917, le prolétariat reprit sa lutte en 1968. Mais cette renaissance ne parvint pas à se politiser dans un sens révolutionnaire. En 1989, la chute des régimes prétendument “communistes” entraînait un recul important dans la conscience et la combativité dont les effets sont toujours présents aujourd’hui 6.
A partir de 2003, les luttes reprirent de l’élan, mais elles concernaient surtout les nouvelles générations de la classe ouvrière (étudiants, chômeurs, précaires), alors que les travailleurs des grands centres industriels restaient passifs et que leurs luttes demeuraient sporadiques (la peur du chômage étant un élément central d’une telle inhibition). Il n’y eu pas de mobilisation unifiée et massive de la classe ouvrière, mais seulement d’une partie, la plus jeune. La révolte de la jeunesse en Grèce (2008), les mouvements en Tunisie et en Égypte (2011), ont à ce titre été les expressions d’une vague de fond dont les points culminants ont été la lutte contre CPE en France (2006) et le 15 M 7.
Malgré les aspects positifs et prometteurs (nous en parlerons plus loin), ces mouvements eurent lieu dans un contexte de perte d’identité de la classe ouvrière et de manque de confiance en ses propres forces. La perte d’identité signifie que la grande majorité de ceux qui participent aux luttes ne se reconnaissent pas comme faisant partie de la classe ouvrière, ils se voient plutôt comme des citoyens. Même en se disant “ceux d’en bas”, en affirmant être traités comme des “deuxième classe”, ils ne brisent pas le cordon ombilical avec la dite “communauté nationale” car, “même si le slogan “Nous sommes 99 % face à 1 %”, si populaire dans les mouvements d’occupation aux États-Unis, révèle un début de compréhension du fait que la société est cruellement divisée en classes, la majorité des participants dans ces mouvements se voyaient eux-mêmes comme des “citoyens de base” qui veulent être reconnus dans une société de “citoyens libres et égaux”” 8. Cela empêche de voir le fait que “la société est divisée en classes, une classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien et une classe exploitée, le prolétariat, qui produit tout et possède de moins en moins. Le moteur de l’évolution sociale n’est pas le jeu démocratique de “la décision d’une majorité de citoyens” (ce jeu est plutôt le masque qui couvre et légitime la dictature de la classe dominante) mais la lutte de classe” 9. Il y a donc deux faiblesses fondamentales au sein du mouvement du 15-M qui se renforcent mutuellement et qui permettent leur actuelle falsification : la plupart de ses protagonistes se concevaient comme des citoyens et aspiraient à un “renouveau du jeu démocratique”.
À cause de cela, le mouvement, malgré ses débuts prometteurs, ne s’est pas articulé “autour de la lutte de la principale classe exploitée qui produit collectivement l’essentiel des richesses et assure le fonctionnement de la vie sociale : les usines, les hôpitaux, les écoles, les universités, les ports, les travaux, la poste...” 10, mais il a fini par se diluer dans une protestation impuissante de “citoyens indignés”. Malgré quelques timides tentatives d’extension aux centres de travail, cela fut un échec, le mouvement restant de plus en plus limité aux places. Malgré les sympathies qu’il avait suscitées, il perdit de plus en plus de force jusqu’à être réduit à une minorité de plus en plus désespérément activiste.
En plus, la difficulté à se reconnaître comme classe fut renforcée par le manque de confiance en ses propres forces, ce qui a donné un poids démesuré aux couches de la petite bourgeoisie radicalisée qui se sont jointes au mouvement en renforçant la confusion, l’inter-classisme et la croyance dans les pires formulations de la politique bourgeoise, telles que “la fin du bipartisme”, “la lutte contre la corruption”, etc.
Ces couches sociales ont fortement contaminé le mouvement avec cette idéologie qui réduit le capitalisme “à une poignée de “méchants” (des financiers sans scrupules, des dictateurs sans pitié) alors que c’est un réseau complexe de rapports sociaux qui doit être attaqué dans sa totalité et non pas se disperser en poursuivant ses expressions multiples et variées (les finances, la spéculation, la corruption des pouvoirs politico-économiques)” 11.
Malgré quelques réponses solidaires basées sur l’action massive contre la violence policière, c’est la “lutte” conçue comme pression pacifique et citoyenne sur les institutions capitalistes qui amena le mouvement très facilement vers l’impasse.
Comme l’affirme notre section en France 12, “Nuit debout n’a rien de spontané. C’est un mouvement mûrement réfléchi, préparé et organisé de longue date par des animateurs et défenseurs radicaux du capitalisme. Derrière ce mouvement prétendument “spontané” et “apolitique” se cachent des professionnels, des groupes de gauche et d’extrême-gauche qui mettent en avant “l’apolitisme” pour mieux contrôler le mouvement en coulisses.”
Le but de ce montage est celui d’encadrer la protestation sociale sur le terrain de la ““pression” sur les “dirigeants” et les institutions étatiques afin de promouvoir un capitalisme plus démocratique et plus humain” 13, car, comme le dit un tract du collectif qui l’anime, Convergence des luttes : “L’humain devrait être au cœur des préoccupations de nos dirigeants...” Ce joli “vœux pieux” ne fait que transmettre l’utopie réactionnaire de gouvernants qui s’occuperaient des êtres humains, ce qui sert à occulter que la seule chose dont ils s’occupent, ce sont des nécessités et des problèmes du capital. Demander à l’État de défendre les intérêts des exploités c’est comme demander à un voleur de s’occuper de notre maison.
Les revendications mises en avant dans Nuit debout sont toutes allées dans le sens de semer l’illusion qu’un capitalisme qui nous dépouille de plus en plus de tout pourrait nous offrir encore quelque chose. On exige un “revenu de base universel”, une alimentation plus saine, un plus grand budget pour l’éducation et bien d’autres “reformes” qui se retrouvent systématiquement dans le catalogue des promesses électorales qui ne se réalisent jamais.
La revendication la plus “ambitieuse” que mettent en avant les promoteurs de Nuit debout est celle de la “république sociale” qui consisterait à “revenir aux idéaux révolutionnaires de 1789” lorsque la bourgeoisie a démoli le pouvoir féodal au cri de “Liberté, Égalité et Fraternité”. On essaye de nous vendre l’utopie réactionnaire de la réalisation “d’une “vraie démocratie” telle que la Révolution française de 1789 l’avait promis ; seulement ce qu’il y avait de révolutionnaire il y a deux siècles et demi, à savoir instaurer le pouvoir politique de la bourgeoisie en France, dépasser le féodalisme par le développement du capitalisme, bâtir une nation... tout cela est aujourd’hui devenu irrémédiablement réactionnaire. Ce système d’exploitation est décadent, il ne s’agit plus de l’améliorer, cela est devenu impossible, mais de le dépasser, de le mettre à bas par une révolution prolétarienne internationale. Ainsi, est semée l’illusion que l’État est un agent “neutre” de la société sur lequel il faudrait “faire pression” ou qu’il faudrait protéger des “actionnaires”, des “politiciens corrompus”, des “banquiers cupides”, de “l’oligarchie”” 14.
Le vrai antagonisme, celui entre le capital et le prolétariat, est remplacé par un “antagonisme” imaginaire entre, d’un côté, une minorité supposée de corrompus, de financiers et de politiciens véreux et de l’autre côté de la barricade, une immense majorité où pourraient rentrer les bons politiciens, les capitalistes entrepreneurs, les militaires, le peuple et tous les citoyens… Le prolétariat est dévoyé de son terrain de la lutte de classe vers le scénario d’un affrontement de “tous les citoyens” contre la poignée fantomatique des méchants d’un film.
Plus encore, de la même façon que le populisme de Trump ou du FN met tous les maux sur le compte de personnes et non pas sur les rapports sociaux de production, les “radicaux” de Nuit debout mettent en avant un projet bien répugnant : la personnalisation. Ceux-là proposent comme bouc émissaire les migrants, ceux-ci proposent quelques banquiers ou quelques politicards. C’est la même logique réactionnaire : les problèmes du monde seraient réglés en éliminant quelques personnes désignées comme étant la cause de tous les maux.
Nous avons vu la réécriture, le formatage du disque dur proposé par les promoteurs dans l’ombre du mouvement Nuit debout. Mais, alors, que reste-t-il du mouvement 15 M ? Que peut-on retenir pour les luttes futures ?
Nous reprenons ici ce que nous disions dans notre tract international de bilan du mouvement des Indignados, d’Occupy et d’autres :
“Les assemblées massives sont la concrétisation du slogan de la Première Internationale (1864) : “L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou elle ne sera pas”. Elles s’inscrivent dans la continuité de la tradition du mouvement ouvrier qui démarre avec la Commune de Paris et prend son expression la plus élevée en Russie en 1905 et en 1917, se poursuivant en 1918 en Allemagne, 1919 et 1956 en Hongrie, 1980 en Pologne.
“Les assemblées générales et les conseils ouvriers sont les formes distinctives de l’organisation de la lutte du prolétariat et le noyau d’une nouvelle organisation de la société.
“Des assemblées pour s’unir massivement et commencer à briser les chaînes qui nous accrochent à l’esclavage salarié : l’atomisation, le chacun pour soi, l’enfermement dans le ghetto du secteur ou de la catégorie sociale.
“Des assemblées pour réfléchir, discuter et décider, devenir collectivement responsables de ce qui est décidé, en participant tous, autant dans la décision que dans l’exécution de ce qui a été décidé.
“Des assemblées pour construire la confiance mutuelle, l’empathie, la solidarité, qui ne sont pas seulement indispensables pour mener en avant la lutte mais qui seront aussi les piliers d’une société future sans classes ni exploitation” 15.
Les futures assemblées devront se renforcer avec un bilan critique des faiblesses apparues :
– elles ne se sont étendues que très minoritairement vers les lieux de travail, les quartiers, les chômeurs… Si le noyau central des assemblées doit être l’assemblée générale de ville, en prenant les places et les bâtiments, il doit se nourrir de l’activité d’un large réseau d’assemblées dans les usines et lieux de travail principalement.
– les commissions (de coordination, culture, activités etc.) doivent être sous le contrôle strict de l’assemblée générale devant laquelle elles doivent rendre des comptes scrupuleusement. Il faut éviter ce qui est arrivé lors du 15-M où les commissions sont devenues des instruments de contrôle et de sabotage des assemblées manipulées par des groupes en coulisse tel que DRY (Democracia Real Ya) 16.
La société capitaliste dégouline par tous ses pores de “la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité et son remplacement par la pornographie”, c’est-à-dire, “l’anéantissement de tout principe de vie collective au sein d’une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective” 17. Un témoignage barbare de cette décomposition sociale est la haine envers les migrants encouragée par le populisme, qui a obtenu un triomphe spectaculaire avec le récent Brexit en Grande-Bretagne.
Face à tout cela, le mouvement 15 M (comme Occupy) a semé une première graine : “il y a eu des manifestations à Madrid pour exiger la libération des détenus ou empêcher que la police arrête des migrants ; des actions massives contre les expulsions de domicile en Espagne, en Grèce ou aux États-Unis ; à Oakland “l’assemblée des grévistes a décidé l’envoi de piquets de grève ou l’occupation de n’importe quelle entreprise ou école qui sanctionne des employés ou des élèves d’une quelconque manière parce qu’ils auraient participé à la grève générale du 2 novembre”. On a pu vivre des moments, certes encore très épisodiques, où n’importe qui pouvait se sentir protégé et défendu par ses semblables, ce qui est en fort contraste avec ce qui est jugé “normal” dans cette société, autrement dit le sentiment angoissant d’être sans défense et vulnérable.”
Cette forteresse pourrait être emportée par la puissance de la vague populiste actuelle (soutenue en fait par ses prétendus “antagonistes” de l’État démocratique). La solidarité prolétarienne doit encore acquérir des racines solides 18.
La société actuelle nous condamne à l’inertie du travail, à la consommation, à la reproduction des modèles à succès qui entraînent des milliers d’échecs, la répétition de stéréotypes aliénants qui ne font qu’amplifier, ânonner l’idéologie dominante. Face à cela, autant de fausses réponses enfoncent encore plus dans la putréfaction sociale et morale, se font jour “la profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite, y inclus de la part de certains milieux “scientifiques” et qui prennent dans les médias une place prépondérante notamment dans des publicités abrutissantes, des émissions décervelantes ; l’envahissement de ces mêmes médias par le spectacle de la violence, de l’horreur, du sang, des massacres, y compris dans les émissions et magazines destinés aux enfants ; la nullité et la vénalité de toutes les productions “artistiques”, de la littérature, de la musique, de la peinture, de l’architecture qui ne savent exprimer que l’angoisse, le désespoir, l’éclatement de la pensée, le néant” 19.
Contre ces deux pôles de l’aliénation capitaliste, dans les mouvements comme le 15-M ou Occupy “des milliers de personnes ont commencé à rechercher une culture populaire authentique, construite par elles-mêmes, en essayant de forger ses propres valeurs, de manière critique et indépendante. Dans ces rassemblements, on a parlé de la crise et de ses causes, du rôle des banques, etc. On y a parlé de révolution, même si dans cette marmite on a versé beaucoup de liquides différents, parfois disparates ; on y a parlé de démocratie et de dictature, le tout synthétisé dans le slogan de ce distique aux deux strophes complémentaires : ‘‘Ils l’appellent démocratie mais ce n’est pas le cas !, “C’est une dictature mais ça ne se voit pas !”. On a fait les premiers pas pour que surgisse une véritable politique de la majorité, éloignée du monde des intrigues, des mensonges et des manœuvres troubles qui est la caractéristique de la politique dominante. Une politique qui aborde tous les sujets qui nous touchent, pas seulement l’économie ou la politique, mais aussi l’environnement, l’éthique, la culture, l’éducation ou la santé.”20
L’importance de cet effort, même timide et lesté par des faiblesses démocratistes et des approximations petites-bourgeoises, est évidente. Tout mouvement révolutionnaire du prolétariat ne peut que s’appuyer sur un débat de masse, sur un mouvement culturel basé sur la discussion libre et indépendante.
La Révolution russe de 1917 a eu comme colonne vertébrale le débat et la culture massive. John Reed rappelle que “la soif d’instruction, si longtemps réprimée, avec la révolution prit la forme d’un véritable délire. Du seul Institut Smolny, pendant les six premiers mois, sortaient chaque jour des trains et des voitures chargés de littérature pour saturer le pays. La Russie, insatiable, absorbait toute matière imprimée comme le sable chaud absorbe de l’eau. Et ce n’était point des fables, de l’histoire falsifiée, de la religion diluée et des romans corrupteurs à bon marché – mais les théories sociales et économiques, de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol et Gorki” 21.
Le prolétariat est une classe internationale avec les mêmes intérêts dans tous les pays. Les ouvriers n’ont pas de patrie et le nationalisme (sous toutes ses variantes) est la tombe de toute perspective possible de libération de l’humanité.
Le capitalisme actuel est pris d’assaut par une contradiction : d’un côté, l’économie est de plus en plus mondiale, la production est de plus en plus entremêlée et interdépendante. Mais, d’un autre côté, tous les États sont impérialistes et les conflits guerriers deviennent de plus en plus destructeurs ; l’environnement se détériore à cause de la barrière infranchissable que tous les capitaux nationaux érigent, en commençant par les plus puissants, les Etats-Unis et la Chine. Face à l’internationalisation patente de la vie économique, sociale et culturelle, se dresse un repli aveugle et irrationnel de prétendues communautés nationales, raciales, religieuses…
Ces contradictions ne pourront être dépassées que par la lutte historique du prolétariat. Le prolétariat est la classe de l’association mondiale. Il produit par-delà les frontières, lui-même est une classe de migrants, un creuset de races, de religions, de cultures. Aucune production, depuis un bâtiment jusqu’à une fraiseuse, ne peut être réalisée par une communauté isolée d’ouvriers enfermée dans un cadre national, encore moins local. La production a besoin de matières premières, de transports, de machines, qui circulent mondialement. Elle ne peut être réalisée que par des ouvriers instruits dans une culture universelle, dans les échanges incessants à une échelle internationale. Internet n’est pas seulement un instrument culturel, mais, surtout un moyen sans lequel la production capitaliste actuelle serait impossible.
En exprimant encore vaguement ces réalités et ce qu’elles peuvent signifier pour la lutte prolétarienne, en 2011, “le mouvement d’indignation s’est étendu internationalement. Il a surgi en Espagne où le gouvernement socialiste avait mis en place un des premiers plans d’austérité et un des plus durs ; en Grèce, devenue le symbole de la crise économique mondiale à travers l’endettement, aux États-Unis, temple du capitalisme mondial, en Égypte et en Israël pays pourtant situés de chaque côté du front du pire conflit impérialiste et le plus enkysté, celui du Moyen Orient.
“La conscience du fait qu’il s’agit d’un mouvement global commence à se développer, malgré le boulet destructeur du nationalisme (présence de drapeaux nationaux lors des manifestations en Grèce, en Égypte ou aux États-Unis). En Espagne, la solidarité avec les travailleurs de Grèce s’est exprimée aux cris de “Athènes tiens bon, Madrid se lève !” Les grévistes d’Oakland (États-Unis, novembre 2011) proclamaient leur “solidarité avec les mouvements d’occupation au niveau mondial”. En Égypte a été approuvée une Déclaration du Caire en soutien au mouvement aux États-Unis. En Israël, les Indignés ont crié “Netanyahou, Moubarak, Assad, c’est la même chose” et ont pris contact avec des travailleurs palestiniens” 22.
Aujourd’hui, cinq ans après, ces acquis semblent avoir disparu sous des tombereaux de terre. Ceci est l’expression d’un trait indissociable des luttes prolétariennes mis en relief dans la citation de Marx cité au début de cet article : elles “paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d’elles”.
Il existe, cependant, une tâche vitale que doivent mener les minorités avancées du prolétariat : tirer les leçons, les inscrire dans un cadre théorique marxiste en développement. Voilà la tâche à laquelle nous appelons tous les camarades intéressés et engagés : “En menant un débat le plus large possible, sans restriction ni entrave aucune, pour préparer consciemment de nouveaux mouvements, nous pourrons faire devenir réalité une autre société, différente du capitalisme”.
Acción Proletaria, section du CCI en Espagne, 6 juillet 2016
1 Alors que le rôle de Podemos fut de neutraliser et faire dérailler tout ce qu’il y avait d’authentiquement révolutionnaire dans le mouvement des Indignés, ce que nous avons montré dans l’article “Podemos : des habits neufs au service de l’empereur capitaliste”.
2 Karl Marx, Le 18 brumaire de L. Bonaparte.
3 Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie.
4 Voir notre brochure Octobre 1917, début de la révolution mondiale [605].
5 Nous avons beaucoup écrit sur cette expérience dans laquelle participèrent activement nos militants, non seulement de la section d’Espagne, mais aussi d’ailleurs. Les 3 documents, entre autres, qui résument notre position sont :
– “Mouvement des indignés en Espagne, Grèce et Israël : de l’indignation à la préparation des combats de classe [607]” ;
– “2011 : de l’indignation à l’espoir [284]”.
Voir aussi notre “dossier spécial [608]”.
6 Voir : “Effondrement du bloc de l’Est : des difficultés accrues pour le prolétariat [609]” (1990).
7 Des échos plus faibles de ces mouvements ont eu lieu en 2012 au Canada, au Brésil et en Turquie, en 2014 à Burgos, en 2015 au Pérou.
8 Extrait de notre tract international [284] cité plus haut.
9 Idem.
10 Idem.
11 Idem.
12 Voir : “Quelle est la véritable nature du mouvement Nuit debout ? [610]”
13 Idem.
14 Idem.
15 Tract international du CCI [284] déjà cité.
16 Voir : “Le mouvement citoyen “Democracia Real Ya !” : une dictature sur les assemblées massives [611]”.
17 Voir : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste (mai 1990). Ce texte expose notre analyse sur la période historique actuelle, une période qui se caractérise par la continuité d’un capitalisme caduc et décadent que le prolétariat n’a pas encore réussi à éradiquer de la planète.
18 Voir notre texte d’orientation : “Confiance et Solidarité [495]”.
19 “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [265]” (mai 1990).
20 Tract international [284].
21 John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde.
22 Tract international [284]
Au crépuscule de l’ancienne Rome, les empereurs fous étaient davantage la règle que l’exception. Peu d’historiens doutent désormais que c’était le signe de la décrépitude générale de l’Empire. Aujourd’hui, un clown effrayant a été fait roi de l’État le plus puissant du monde, et pourtant personne ne semble comprendre que c’est le signe que la civilisation capitaliste a également atteint un stade avancé de décadence. Le surgissement du populisme dans les épicentres du système, qui nous a apporté en un court laps de temps à la fois le Brexit et la victoire de Donald Trump, exprime le fait que la classe dominante est en train de perdre le contrôle de la machine politique qu’elle a durant des décennies utilisée pour contrôler la tendance naturelle du capitalisme à son propre effondrement. Nous assistons à une énorme crise politique, produite par la décomposition qui s’accélère de tout l’ordre social, du fait de la complète incapacité de la classe dominante à offrir à l’humanité une quelconque perspective pour le futur. Mais le populisme est aussi un produit de l’incapacité du prolétariat, la classe exploitée, à mettre en avant une alternative révolutionnaire, avec pour résultat qu’il existe un grave danger d’être entraîné dans une réaction basée sur la rage impuissante, la peur, la transformation de minorités en boucs émissaires, et l’illusoire recherche d’un retour à un passé qui n’a jamais vraiment existé. Cette analyse des racines du populisme en tant que phénomène global est développée plus profondément dans notre article : “Contribution sur le problème du populisme”, et nous encourageons tous nos lecteurs à examiner le cadre qu’offre ce texte, ainsi que notre réponse initiale au résultat du Brexit et à l’émergence de la candidature Trump : “Brexit, Trump : des revers pour la bourgeoisie qui ne présagent rien de bon pour le prolétariat”. Ces deux textes sont parus dans la Revue internationale no 157.
Nous avons également publié un article de notre sympathisant américain Henk (article disponible sur le site internet du CCI) : “Trump ou Clinton : aucun des deux n’est un bon choix, ni pour la bourgeoisie, ni pour le prolétariat”. Cet article écrit début octobre examinait les efforts frénétiques des fractions les plus “responsables” de la bourgeoisie américaine, aussi bien démocrates que républicaines, pour empêcher Trump d’accéder à la Maison Blanche 1. Ces efforts ont évidemment échoué, et l’une des causes les plus immédiates de cet échec restera l’incroyable intervention du directeur du FBI, James Comey, juste au moment où Clinton semblait prendre l’avantage dans les sondages. Le FBI, le véritable cœur de l’appareil d’État américain, a lourdement obéré les chances de Clinton de l’emporter en annonçant qu’elle pourrait faire l’objet d’une enquête criminelle du FBI, lequel menait des investigations sur l’usage qu’elle avait fait d’un serveur de mail privé, ce qui allait à l’encontre des principes les plus élémentaires de la sécurité de l’État. Une semaine plus tard, Comey tentait de revenir en arrière en annonçant qu’il n’y avait rien de bien fâcheux dans les éléments que le FBI avait examinés. Mais le mal était fait, et le FBI apportait une contribution majeure à la campagne de Trump, dont les soutiens ont chanté à tue-tête le slogan : “Enfermez-la” 2. L’intervention du FBI n’est qu’une nouvelle expression de la croissante perte de contrôle politique de l’appareil d’État central.
L’article “Trump ou Clinton” commence par réaffirmer clairement la position communiste sur la démocratie bourgeoise et les élections dans la période historique que nous vivons : elles ne sont qu’une gigantesque escroquerie qui n’offre aucun choix pour la classe ouvrière. Peut-être est-ce au cours de cette élection que l’absence de choix a été la plus remarquable, un combat entre le bateleur Trump, arrogant, ouvertement raciste et misogyne, et Clinton qui personnifie l’ordre “néo-libéral”, la forme dominante de capitalisme d’État qui règne depuis trois décennies. Confrontée à un choix entre la peste et le choléra, une part importante de l’électorat, comme c’est toujours le cas dans les élections américaines, n’est pas allée voter du tout ; une estimation initiale de la participation donnait un chiffre d’un peu plus de 54 %, en-dessous de celui de 2012 malgré toutes les pressions pour aller voter. En même temps, beaucoup de ceux qui étaient critiques vis-à-vis des deux camps, notamment de celui de Trump, ont voulu voter Hillary pour choisir le moindre mal. Nous savons quant à nous que s’abstenir d’aller voter aux élections bourgeoises juste parce qu’on n’a aucune illusion sur le choix proposé n’est que le début de la sagesse : il est essentiel, bien que ce soit très difficile lorsque la classe n’agit pas en tant que classe, de montrer qu’il existe une autre façon d’organiser la société, et qu’elle passe par la destruction de l’État capitaliste. Et dans cette période post-électorale, ce rejet de la politique et de l’ordre social existants, cette insistance sur la nécessité pour la classe ouvrière de se battre pour ses intérêts propres en dehors et contre la prison que constitue l’État bourgeois, ne sont pas moins pertinents, parce que beaucoup iront plus loin que le simple réflexe anti-Trump, qui n’est qu’une sorte d’antifascisme revu et corrigé (3 et ne pourra à terme que s’aligner sur l’une ou l’autre faction “démocratique” de la bourgeoisie, très probablement avec celles qui parleront le plus de classe ouvrière et de socialisme, comme Bernie Sanders l’a fait au cours des primaires démocrates 4.
Il n’est pas ici question d’analyser en détail les motifs et la composition sociale de l’électorat de Trump. Il n’y a aucun doute que la misogynie, la rhétorique anti-femmes qui a été si centrale dans sa campagne, a joué un rôle et devrait faire l’objet d’une étude particulière, notamment en tant qu’élément du “retour du masculin” en réaction aux changements sociaux et idéologiques dans les relations de genres au cours de la dernière décennie. De la même façon, nous avons assisté à un sinistre développement du racisme et de la xénophobie dans tous les pays centraux du capitalisme, et cela a joué un rôle clé dans la campagne de Trump. Il existe cependant des éléments particuliers au racisme aux États-Unis qui doivent être analysés : à court terme, la réaction à la présidence d’Obama et la version américaine de la “crise des migrants”, à long terme tout l’héritage de l’esclavagisme et de la ségrégation. Au vu des premiers résultats électoraux, on peut entrevoir la longue histoire de la division raciale aux États-Unis dans le fait que le vote pro-Trump était très largement blanc (même s’il a mobilisé un nombre très significatif d’Hispaniques) alors qu’autour de 88 % des électeurs noirs ont choisi le camp Clinton. Nous reviendrons sur ces questions dans de futurs articles.
Mais ainsi que nous le disons dans notre contribution sur le populisme, nous pensons que l’élément peut-être le plus important de la victoire de Trump a été la rage contre l’“élite” néo-libérale, elle-même identifiée à la globalisation et à la financiarisation de l’économie, des processus macro-économiques qui ont enrichi une petite minorité aux dépends de la majorité, et avant tout aux dépends de la classe ouvrière des vieilles industries manufacturières et minières. “Globalisation” a signifié démantèlement des industries manufacturières et leur transfert vers des pays comme la Chine où la main-d’œuvre est beaucoup moins chère et le profit par conséquent bien plus élevé. Cela a également signifié la “liberté de circulation du travail”, ce qui pour le capitalisme est un autre moyen de faire baisser les coûts de la main-d’œuvre à travers la migration des pays “pauvres” vers les pays “riches”. La financiarisation a signifié pour la majorité la domination de lois du marché toujours plus mystérieuses dans la vie économique. Plus concrètement cela a signifié le krach de 2008 qui a ruiné tant d’investisseurs et d’aspirants propriétaires.
Encore une fois, il faudrait des études statistiques plus détaillées, mais il apparaît que la base électorale de la campagne de Trump était le soutien de blancs peu éduqués et notamment d’ouvriers de la “Rust Belt”, les nouveaux déserts industriels qui ont voté Trump pour protester contre l’ordre politique établi, personnifié par la soi-disant “élite libérale métropolitaine”. Beaucoup de ces mêmes ouvriers ou régions avaient voté pour Obama lors des précédentes élections, et ont soutenu Bernie Sanders lors des primaires démocrates. Leur vote était avant tout un vote contre ; contre l’inégalité de plus en plus grande, contre un système dont ils considèrent qu’il les a privés, eux et leurs enfants, de tout futur. Mais cette opposition avait surtout pour arrière-plan l’absence totale de tout mouvement réel de la classe ouvrière, et elle a donc nourri la vision populiste qui reproche aux élites d’avoir vendu le pays à des investisseurs étrangers, d’avoir donné des privilèges particuliers aux migrants, aux réfugiés et aux minorités ethniques, aux dépends de la classe ouvrière “native”, et aux ouvrières aux dépends des ouvriers masculins. Les éléments racistes et misogynes du trumpisme marchent main dans la main avec les attaques rhétoriques contre les “élites”.
Nous n’allons pas spéculer sur ce que sera la présidence Trump ou quelle politique il va essayer de mener. Ce qui caractérise Trump avant tout est son imprévisibilité, il ne sera donc pas facile de prévoir les conséquences de son règne. Cependant, si Trump pouvait raconter tout et son contraire à tout bout de champ sans que cela ne semble aucunement affecter ses soutiens, ce qui a marché pendant la campagne risque de ne pas fonctionner aussi bien une fois aux affaires. Ainsi Trump s’est-il présenté lui-même comme l’archétype du self-made-man, et il parle de libérer le businessman américain de la bureaucratie, mais il a aussi parlé d’un programme massif de restauration des infrastructures dans les centres-villes, de constructions de routes, d’écoles et d’hôpitaux, et de revitalisation de l’industrie des carburants fossiles en abolissant les limites imposées par la protection environnementale, et tout cela implique une intervention lourde de l’État capitaliste dans l’économie. Il s’est engagé à expulser des millions d’immigrants illégaux, alors même qu’une grande part de l’économie américaine dépend de cette main-d’œuvre bon marché. En matière de politique étrangère, il a combiné le langage de l’isolationnisme et du retrait (par exemple en menaçant de réduire l’engagement américain dans l’OTAN) à celui de l’interventionnisme, comme lorsqu’il menaçait de “bombarder le diabolique État islamique”, tout en promettant d’augmenter les budgets militaires.
Ce qui semble certain, c’est que la présidence de Trump sera marquée par des conflits, aussi bien au sein de la classe dominante qu’entre l’État et la société. Il est vrai que le discours de victoire de Trump était un modèle de réconciliation : il sera le “président de tous les Américains”. Et Obama, avant de le recevoir à la Maison Blanche, a expliqué qu’il souhaitait que la transition soit la plus douce possible. De plus, le fait qu’il y a maintenant une large majorité républicaine au Sénat et au Congrès peut signifier, si l’establishment républicain réussit à dépasser sa profonde antipathie envers Trump, qu’il sera capable d’avoir leur soutien pour un certain nombre de décisions, même si les plus démagogiques pourraient bien être mises en attente. Mais les signes de tensions et d’éclats futurs ne sont pas difficiles à voir. Une partie de la hiérarchie militaire, par exemple, est très hostile à certaines options de politique étrangère, si Trump persiste dans son scepticisme envers l’OTAN, ou s’il traduit son admiration de Poutine en tentatives de saper les efforts américains pour contrer la dangereuse résurgence de l’impérialisme russe en Europe de l’Est ou au Proche-Orient. Certaines de ses options de politique intérieure pourraient bien entraîner une opposition de l’appareil sécuritaire, de la bureaucratie fédérale et de certaines parties de la grande bourgeoisie, lesquels pourraient décider de s’assurer que Trump ne les mène pas au suicide. Entre-temps, la disparition politique de la “dynastie Clinton” permettra à de nouvelles oppositions d’émerger, et entraînera peut-être des scissions au sein du Parti démocrate, avec l’émergence probable d’une aile gauche autour de personnalités comme Bernie Sanders qui vont chercher à capitaliser sur l’atmosphère d’hostilité envers l’establishment économique et politique.
Au niveau social, si la Grande-Bretagne de l’après-Brexit peut donner un aperçu, nous verrons probablement une sinistre floraison de xénophobie “populaire” et de groupes ouvertement racistes qui vont se sentir encouragés à réaliser leurs fantasmes de violence et de domination ; en même temps, la répression policière contre les minorités ethniques pourrait bien atteindre de nouveaux sommets. Et si Trump commence sérieusement à réaliser sont programme d’emprisonnement et d’expulsion des “illégaux”, cela pourrait provoquer des résistances de rues, en continuité avec des mouvements que nous avons vus se développer ces dernières années à la suite des meurtres de Noirs par la police. De même, depuis que le résultat de l’élection a été proclamé, on a vu toute une série de manifestations de colère dans différentes villes à travers tous les États-Unis, auxquelles ont participé des jeunes absolument écœurés par la perspective d’un gouvernement mené par Trump.
Au niveau international, la victoire de Trump ressemble, comme il l’a dit lui-même, à un “Brexit plus plus plus”. Elle a déjà donné une impressionnante impulsion aux partis populistes de droite en Europe occidentale, déjà au Front national en France alors que se profilent les élections présidentielles de 2017. Ces partis veulent se retirer des organisations multilatérales du commerce et mettre en place un protectionnisme économique. Les déclarations les plus agressives de Trump ont été dirigées contre la compétition économique chinoise, et cela peut signifier que nous sommes embarqués dans une guerre économique, ce qui, comme dans les années 30, contracterait encore un marché mondial déjà saturé. Le modèle néo-libéral a bien servi le capitalisme mondial au cours des deux dernières décennies, mais il approche maintenant de ses limites, et ce qui nous attend ensuite est porteur du danger que la tendance au “chacun pour soi” que nous avons vue se développer au niveau impérialiste ne soit transférée à la sphère économique, où jusqu’à présent elle a été plus ou moins tenue en échec. Trump a ainsi déclaré que le réchauffement climatique est un mensonge inventé par les Chinois pour soutenir leur exportations, et qu’il a l’intention de dénoncer tous les accords internationaux actuels sur le changement climatique. Nous savons déjà combien ces accords sont limités, mais les ruiner signifierait nous plonger encore plus profondément dans le désastre écologique mondial qui s’annonce.
Nous le répétons : Trump symbolise une bourgeoisie qui a véritablement perdu toute perspective pour la société actuelle. Sa vanité et son narcissisme ne signifient pas qu’il soit lui-même fou, mais il personnifie la folie d’un système qui a usé toutes ses options, sauf celle de la guerre mondiale. Malgré sa décadence, la classe dominante depuis un siècle a été capable d’utiliser ses propres appareils politique et militaire – en d’autres termes, son intervention consciente en tant que classe – pour empêcher une complète perte de contrôle, un dernier effort face à la tendance inhérente au capitalisme de se précipiter vers le chaos. Nous allons maintenant montrer les limites de ce contrôle, même s’il ne faut pas sous-estimer la capacité de notre ennemi de trouver de nouvelles solutions temporaires. Le problème pour notre classe est que l’évidente banqueroute de la bourgeoisie à tous les niveaux – économique, politique, moral – ne génère pas, à l’exception du tout petit groupe de révolutionnaires, de critique révolutionnaire du système, mais est plutôt dévoyée dans la rage et le poison de la division dans nos rangs. Cela entraîne une sérieuse menace pour la possibilité future de remplacer le capitalisme par une société humaine.
Cependant, l’une des raisons pour lesquelles la guerre mondiale n’est pas possible aujourd’hui, malgré la sévérité de la crise du capitalisme, est que la classe ouvrière n’a pas été défaite dans des combats ouverts et porte toujours des capacités intactes de résistance, ainsi que nous l’avons vu au cours de différents mouvements de masse au cours de la dernière décennie, comme la lutte des étudiants français en 2006 contre le CPE ou la révolte des Indignados en Espagne en 2011, ou encore le mouvement des Occupy aux Etats-Unis la même année. En Amérique, on peut distinguer les hérauts de cette résistance dans les manifestations contre les meurtres commis par la police et dans les manifestations anti-Trump qui ont suivi son élection, même si ces mouvements n’ont pas pris de réel caractère de classe et sont très vulnérables à la récupération par des politiciens professionnels de gauche, par différentes catégories de nationalistes ou par l’idéologie démocratique. Pour que la classe ouvrière puisse dépasser à la fois la menace populiste et la fausse alternative offerte par l’aile gauche du capital, il faut quelque chose de plus profond, un mouvement d’indépendance prolétarienne qui soit capable de se comprendre lui-même comme mouvement politique et qui puisse se réapproprier les traditions communistes de notre classe. Ce n’est pas pour l’immédiat, mais les révolutionnaires ont aujourd’hui un rôle à jouer pour préparer un tel mouvement, avant tout en combattant pour la clarté politique et théorique qui peut éclairer le chemin à travers le brouillard de l’idéologie capitaliste sous toutes ses formes.
Amos, 13 novembre 2016
1 Un exemple pour montrer à quel point l’opposition républicaine à Trump est développée : l’ancien président George W. Bush lui-même, pourtant pas vraiment membre de la gauche du parti, a annoncé qu’il voterait blanc plutôt que Trump.
2 Lock her up en anglais.
3 Notre rejet de la politique d’alliances “antifascistes” avec quelque secteur de la classe dominante que ce soit est un héritage de la Gauche communiste d’Italie, qui a très correctement compris que l’antifascisme n’était qu’un moyen d’embrigader la classe ouvrière dans la guerre. Lire : “Antifascisme : une expression de confusion”, un texte de la revue Bilan republié dans la Revue internationale no 101.
4 Pour aller plus loin sur Sanders, lire l’article : “Trump ou Clinton”.
Le 19 décembre dernier, un terroriste fonçait en camion sur une foule déambulant au marché de Noël de Berlin, causant 12 morts et environ 50 blessés. Le conducteur, Anis Amri, un jeune migrant embrigadé par l’État islamique (EI), était abattu quatre jours plus tard par la police milanaise.
Ce carnage n’est évidemment pas sans rappeler l’horreur de l’attentat de Nice et confirme le fait que les attaques sanguinaires deviennent une réalité quotidienne et sordide pour les populations des principales puissances capitalistes, comme elles le sont depuis plusieurs années dans de nombreuses autres régions du monde 1. Ces derniers jours, la vie de dizaines de personnes a aussi été fauchée en Turquie et en Irak. En 2016, on dénombre pas moins de quatre attentats et attaques revendiqués par l’EI rien qu’en Allemagne ; l’organisation terroriste cherchait visiblement à frapper un grand coup au cœur de la première puissance européenne, symbole d’une certaine stabilité et prospérité. La barbarie d’un monde capitaliste putréfié, où des régions entières pataugent dans les trafics les plus glauques, les guerres les plus sales et la terreur permanente, se répand désormais dans une Europe jusqu’alors présentée comme un “havre de paix” depuis 1945. Non seulement le chaos impérialiste mondial, auquel les bourgeoisies occidentales contribuent grandement, frappe à présent le cœur historique du capitalisme, mais nous assistons également à l’explosion de la violence accumulée et intériorisée par une partie de la population locale, comme l’ont attesté les précédents attentats en France ou en Belgique, par exemple.
Cet effroyable événement pourrait, par ailleurs, être un facteur supplémentaire de fragilisation de l’appareil politique allemand. En campagne pour, selon toute vraisemblance, conserver la chancellerie fédérale, Angela Merkel est néanmoins contestée jusque dans son propre camp pour sa politique d’accueil des migrants en 2015. Le parti populiste Alternative für Deutschland (AfD) et les factions les plus droitières de la coalition autour de la CDU ont cherché à se renforcer en brandissant le parcours de migrant d’Anis Amri qui confirmerait, selon eux, que des djihadistes se sont bel et bien infiltrés dans les flux migratoires et représenteraient un danger pour le pays. Au-delà des frontières allemandes, l’attentat pourrait contribuer à déstabiliser un peu plus le jeu démocratique des États européens, d’autant plus que le terroriste a pu tranquillement circuler dans plusieurs pays avant d’être abattu.
L’acte barbare perpétré par Anis Amri exprime ainsi par bien des aspects la déliquescence du capitalisme que la bourgeoisie a néanmoins su exploiter pour renforcer l’encadrement totalitaire de la population et justifier la fuite en avant militariste, mal nommée “lutte contre le terrorisme”.
Derrière les élans de solidarité hypocrite des chefs d’État du monde entier, l’attentat du 19 décembre a surtout permis de justifier partout le renforcement de la surveillance généralisée de la population et de l’appareil répressif. Alors que le terroriste n’était pas encore arrêté, la presse du monde entier n’a ainsi pas trouvé de mots assez durs pour incriminer les “failles de l’antiterrorisme allemand”, dénonçant, pêle-mêle, la faible présence de la police dans les rues de Berlin, l’inertie des services de renseignement ou les défaillances de la coopération internationale en la matière. Il est vrai que le traumatisme du nazisme et des méthodes de la Stasi contraint la police à une certaine discrétion, mais l’Allemagne compte, comme ses voisins européens, plusieurs centaines de milliers de policiers et dépenses des dizaines de milliards d’euros pour maintenir l’ordre et assurer la “sécurité nationale”. Les services secrets connaissaient d’ailleurs parfaitement la menace que représentait Anis Amri, déjà fiché et surveillé.
La méfiance de la population en Allemagne sur les mesures sécuritaires n’a néanmoins pas suffi à empêcher l’État d’instrumentaliser l’émotion et les peurs. Angela Merkel déclarait ainsi : “Nous allons à présent examiner de manière intensive ce qui doit être changé dans l’arsenal des mesures dont dispose l’État”. Aussitôt, au nom de “la défense de notre mode de vie et de nos libertés”, les forces de l’ordre étaient massivement déployées dans tout le pays sous l’œil des caméras des journaux de télévision du monde entier.
Le renforcement spectaculaire des services de renseignement et de la surveillance généralisée était également mis ouvertement à l’ordre du jour. Initiée par les États-Unis et leur Patriot Act, suite aux attentats du 11 septembre 2001, la mise en place de dispositifs sécuritaires exceptionnels a fait école dans l’ensemble des grandes démocraties. Ces mesures, qui font souvent passer la Stasi ou le KGB pour une bande d’amateurs, n’ont finalement jamais freiné le développement du terrorisme. En réalité, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une expansion du contrôle totalitaire de l’État confronté au pourrissement sur pied de la société où n’importe quel paumé peut se transformer en boucher, n’importe quelle bande de supporters en horde ultra-violente, n’importe quelle frustration littéralement exploser dans les lieux publics.
Toutefois, si le renforcement sécuritaire ne répond aujourd’hui à aucune menace révolutionnaire immédiate, il n’en constitue pas moins un coup porté à l’avenir de la classe ouvrière. A terme, outre leur banalisation dans les esprits, ces mesures auront pour effet d’intimider, criminaliser et réprimer toute expression sérieuse de remise en cause des rapports sociaux capitalistes, et même toute forme de révolte contre la dégradation toujours plus insoutenable des conditions de vie.
Les gouvernements des grandes puissances ont par ailleurs profité des attentats pour rajouter une couche sur la prétendue nécessité d’intervenir militairement contre l’EI au nom de la “protection de la population”.
Quel grossier mensonge ! Les grandes puissances impérialistes jouent elles-mêmes un rôle absolument central dans la descente de la planète dans l’enfer guerrier permanent ; elles instrumentalisent n’importe quel seigneur de guerre pour la défense de leurs intérêts impérialistes (comme en Syrie où au moment des “révolutions arabes” les puissances occidentales ont soutenu ou armé des groupes islamistes opposants), sont prêtes à s’adjoindre les services du premier groupuscule fondamentaliste venu, et il faudrait soutenir leur “croisade contre le terrorisme” parce qu’elles n’ont rien d’autre à offrir que la fuite en avant guerrière pour tenter vainement de freiner la dynamique chaotique qu’elles ont largement contribué à créer ? Les ancêtres de Al-Qaïda, qui vient de se prendre une raclée par l’armée russe à Alep, n’étaient-ils pas des alliés choyés par les États-Unis dans leur lutte contre l’URSS ? L’EI n’a-t-il pas émergé grâce au soutien actif de l’Arabie saoudite à qui la France n’a pas hésité à vendre armes et avions de guerre pour 10 milliards ? En réalité, la bourgeoisie n’ignore pas que toutes les interventions militaires “contre le terrorisme” continueront à engendrer plus de chaos, plus de terroristes et de bigots fanatiques. Elles sont prises au piège d’un machine infernale, celle de la logique meurtrière du capitalisme, que seule la révolution prolétarienne pourra briser !
EG, 3 janvier 2016
1 Pour mieux comprendre le contexte dans lequel s’inscrit cette vague d’attentats au cœur des grandes puissances capitalistes, nous conseillons la lecture des articles suivants :
Le 25 novembre dernier, Fidel Castro, le dictateur aux cinquante années de pouvoir, le dernier héraut du stalinisme, disparaissait à l’âge de 90 ans. Malgré des tonalités différentes, les hommages des représentants des principales puissances capitalistes, d’Obama à Poutine, de Hollande à Assad, montrent à quel point le champion du stalinisme caribéen fut un agent actif de la bourgeoisie contre le prolétariat mondial durant des décennies. Les hommages les plus élogieux sont bien évidemment venus de la gauche du capital. A commencer par Jean-Luc Mélenchon qui le 26 novembre au soir, devant la statue de Simón Bolivar, s’est laissé aller à une apologie sans bornes de l’ancien dictateur, louant le “défenseur des opprimés”, soulignant les prouesses des médecins cubains auprès des peuples américains, mais passant sous silence les milliers de victimes et de persécutés ayant péri dans les prisons de l’île pour avoir dit ou écrit un mot de travers ou pour avoir eut le “malheur” d’avoir une orientation sexuelle “déviante” comme le raconta Reynaldo Arenas dans son ouvrage : Avant la nuit. Le leader de “la France insoumise” réduit ces faits à de simples “erreurs” et masque le macabre derrière un lyrisme de bas étage : “Fidel ! Fidel ! Mais qu’est-ce qui s’est passé avec Fidel ? Demain était une promesse. Fidel ! Fidel ! L’épée de Bolivar marche dans le ciel.” La classe dominante a toujours su reconnaître la valeur de ses chiens de garde. D’un autre côté, le futur président américain Donald Trump a “condamné” “le dictateur brutal qui a opprimé son peuple” et s’est engagé “à faire tout” pour libérer le peuple cubain. Pure hypocrisie dans la bouche d’un homme qui n’a que faire du sort des Cubains. En réalité, Trump n’a fait que s’opposer à la ligne politique de l’administration Obama tout en restant indécis sur la position qu’il adoptera sur la question cubaine, même si pour le moment, il s’est dit hostile à la levée de l’embargo commercial.
Même mort, Castro n’en finit pas de servir la falsification de la révolution et du communisme sous les traits du capitalisme d’État stalinien. Derrière les hommages plus ou moins bienveillants, les médias et le monde politique en profitent pour enfoncer le clou et drainer une nouvelle fois l’idée du caractère illusoire de la perspective révolutionnaire et du communisme. Car, prétend la bourgeoisie, tous les régimes apparus au xxe siècle en Russie et dans une partie de l’Est de l’Europe, en Chine ou bien encore à Cuba à partir de 1961, et qui, comme chacun sait, ont maintenu dans l’oppression des millions de personnes, prouveraient l’incapacité des hommes à dépasser l’exploitation et la domination d’une classe sociale sur une autre. La disparition de Fidel Castro serait donc une confirmation de la mort de ce “communisme” après la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’URSS en 1991. Au cours des années 1990, la bourgeoisie nous avait déjà servi la même soupe en claironnant la fin de l’histoire et la marche triomphale de l’humanité vers la démocratie et l’économie de marché. Bref, le bonheur à l’état pur ! Il va sans dire que l’histoire récente est venue bousculer quelque peu cet optimisme.
La bourgeoisie sait pertinemment que le régime castriste ne fut en rien communiste, que les classes sociales n’ont pas été abolies, que les moyens de production n’ont jamais été aux mains des producteurs mais ont servi à enrichir et entretenir une cour d’apparatchiks aux ordres du lider máximo, à la table duquel rien ne manquait à l’inverse de celle des habitants de Cuba. Comme l’URSS ou la République populaire de Chine en leur temps, Cuba reste un régime où les moyens de production sont concentrés presque totalement entre les mains de l’État. Ainsi, la “révolution” cubaine n’a jamais mis fin à la loi de la valeur ni à l’exploitation salariale. De même, Castro n’a jamais eu la volonté d’abolir l’État bourgeois. Au contraire, il l’a utilisé pour maintenir sa clique au pouvoir. Ainsi, derrière le mythe de “l’État ouvrier” se cache la réalité du capitalisme d’État, cette tendance propre à la décadence capitaliste identifiée au début du xxe siècle par d’authentiques révolutionnaires et qui n’a cessée de s’affirmer par la suite.
En réalité, le parcours de Fidel Castro n’a rien à voir avec le mouvement révolutionnaire. Fils illégitime d’un riche propriétaire terrien, il suivit une scolarité religieuse chez les maristes puis chez les jésuites et obtint les doctorats de droit et de sciences sociales en 1950. Durant ces années, il devient membre de la Fédération des étudiants de l’université, le syndicat gérant l’établissement. Puis en 1947, il adhéra au parti du peuple cubain, un parti ouvertement nationaliste. Il entama ensuite une carrière d’aventurier politique et de putschiste : tentative de renversement du dictateur Trujillo en Équateur en 1948, attaque de la caserne de la Moncada, le 26 juillet 1953, après s’être vu refuser le recours en justice qu’il avait déposé contre Batista pour viol de la Constitution. Après presque deux ans de prison, il est libéré et s’exile au Mexique où il rencontre Ernesto Guevara. Il part ensuite aux États-Unis où il récolte des fonds et crée le Mouvement du 26 juillet (M26). Il débarque à Cuba en décembre 1956 avec 82 hommes et engage une lutte armée contre le régime de Batista. Ce dernier était soutenu par les États-Unis, soucieux pour leurs intérêts commerciaux sur l’île et qui considéraient que le danger que pouvait faire peser le M26 sur le contrôle de cette région était maigre. Après trois ans de guérilla, Castro et ses partisans prennent le pouvoir au nom du “peuple cubain” sans que celui-ci n’ait joué un véritable rôle dans cette prétendue révolution. D’ailleurs, le Mouvement du 26 juillet ne s’est jamais revendiqué du marxisme et de la révolution communiste. Cette clique d’aventuriers agissait au nom du nationalisme et en cela, ils ne luttaient guère pour l’émancipation des travailleurs mais uniquement contre une dictature répressive et corrompue, étroitement liée à la mafia américaine et qui n’avait fait qu’accroître les inégalités sociales. En cela, le M26 ne mettait pas en péril la viabilité de l’État cubain mais visait uniquement à le remodeler sous une apparence plus “démocratique”.
Ainsi, le putsch castriste se distingue nettement de la prise du palais d’Hiver en Octobre 1917 en Russie qui eut au sein des soviets l’assentiment et l’adhésion de milliers d’ouvriers impliqués dans le combat révolutionnaire qui, dépassant le cadre de la Russie, se considéraient comme un premier assaut de la révolution à l’échelle mondiale. C’est une légère différence que les idéologues bourgeois ne jugent pas utile de souligner lorsqu’ils font de la “révolution cubaine” un héritage du mouvement ouvrier. Ainsi, même si quelques éléments du mouvement du 26 juillet se revendiquaient, comme Guevara, d’un prétendu marxisme, la grande majorité, à commencer par Castro lui-même, en était ouvertement très éloignée. D’ailleurs, une fois au pouvoir, Castro reçut l’aide des États-Unis qui, voyant en lui un “humaniste”, ne semblait pas au départ gêner leurs prétentions impérialistes sur l’île cubaine. Les relations furent de courte durée puisque Castro refusa de mettre l’île sous perfusion américaine. Mais dans un contexte de renforcement des blocs, toute véritable indépendance d’un pays tiers était impossible. Très rapidement, Castro dû se ranger dans le camp soviétique afin de s’assurer un appui économique et militaire. La conversion de l’État au socialisme et l’adhésion soudaine au “marxisme-léninisme” consacrait en fait le mécanisme d’absorption de chaque État par l’un des deux camps impérialistes. C’est ainsi que Fidel Castro devint un chef stalinien parmi tant d’autres à cette époque.
La légende de Castro se forgea avec la guerre froide. Depuis les années 1950, le stalinisme se présentait comme le bloc “progressiste” et “anti-impérialiste” en soutenant les “luttes de libération nationale”, prétendu passage direct vers le socialisme. En réalité, il s’agissait d’affirmer une politique strictement impérialiste. Ainsi, dès 1961-1962, Cuba devient un pion de l’URSS dans le jeu impérialiste qui opposait les deux blocs. En échange d’une aide économique et d’une reconnaissance diplomatique en Amérique centrale et du sud, Cuba servit de sergent et d’ambassadeur impérialiste de l’URSS en Afrique. Des contingents cubains furent enrôlés en Éthiopie, au Mozambique, au Yémen, en Zambie et surtout en Angola ou près de 40 000 soldats cubains assurèrent l’arrivée au pouvoir du MPLA et l’instauration d’un régime pro-soviétique. Pendant que Castro devenait le héraut de la lutte anti-impérialiste, l’URSS continuait à placer sous son aile une partie de l’Afrique.
Mais le mythe de Castro ne serait peut-être pas ce qu’il est sans la figure tutélaire d’Ernesto Guevara. Ce dernier est très souvent présenté comme un révolutionnaire, un internationaliste et un marxiste. En réalité, sa trajectoire est assez proche de son acolyte cubain. Même si Ernesto Guevara a pu se montrer critique ou distant vis-à-vis de l’URSS (au profit de la Chine maoïste), il n’en demeure pas moins qu’à travers ses épopées guerrières, le “Che” a toujours servi non pas l’internationalisme mais “l’anti-impérialisme” américain. Dans le monde bipolaire de la guerre froide, cela ne pouvait que l’amener à défendre les intérêts du camp soviétique. En effet, l’action politique du “Che” n’allait pas plus loin que la lutte à mort contre l’Amérique, ce qui ne pouvait que l’amener à théoriser la lutte nationale comme nec plus ultra du combat révolutionnaire. Lors de son fameux message à la Tricontinentale 1, il fit de la libération nationale “l’élément fondamental” de la lutte contre l’impérialisme. Or, depuis le début de la guerre froide, l’histoire nous a prouvé que ces mouvements, dans différents pays sous-développés, n’ont servi à rien d’autre qu’à la passation du pouvoir d’une clique bourgeoise à une autre. L’impérialisme est une nécessité vitale pour chaque État, petit ou grand. Ainsi, sa négation réside dans la lutte internationale contre le capitalisme dans son ensemble. A ce jour, aucune autre force sociale que le prolétariat conscient de ses buts n’a la potentialité de réaliser cette énorme tâche.
Les aficionados du lider máximo n’ont pas hésité à saluer les “bienfaits” du régime pour la population cubaine, une population qui serait bien soignée et bien éduquée. Certes, les services médicaux ont été un des piliers de la politique du régime et les médecins et infirmiers de l’île sont connus pour leur savoir-faire en la matière. De même, Cuba présente l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés du monde. Mais, en fait, derrière ces “avancées” se cache la réalité d’une population qui vit toujours dans la terreur et la pauvreté. Jusqu’en 1990, le pays recevait des subventions de l’URSS. La chute de la puissance protectrice et le blocus américain ont montré la supercherie de “l’économie socialiste planifiée”. Sans son argent de poche, le régime dût faire face à de gros problèmes budgétaires qu’il fit peser sur la population par la hausse des impôts et la restriction en biens alimentaires. Aujourd’hui, le livret de fourniture mensuel se résume à cinq œufs, 460 grammes de haricots, 2 kilos de sucre, 225 grammes d’huile, 450 grammes de poulet, 3 kilos de riz, 115 grammes de café, un paquet de pâtes et 225 grammes de “viande” de soja. Cela ne cesse de diminuer et tout autre approvisionnement s’effectue au marché noir. Voilà à quoi en est réduit le régime : contraindre drastiquement ses exploités à la pénurie alimentaire et à la débrouille (pour ceux qui peuvent échanger en dollars) afin ne pas perdre la face.
En fait, l’économie cubaine est fortement dépendante du tourisme, du pétrole vénézuélien et des subsides envoyés par les exilés cubains. Par ailleurs, la production de canne à sucre, principal secteur d’exportation, connaît une crise sans précédent. On voit bien là que les espoirs de “l’économie socialiste” sont loin d’avoir tenus leurs promesses et l’impasse de l’économie cubaine ne fait que le confirmer. Le successeur de Fidel Castro (son frère Raúl) a amorcé une libéralisation progressive de l’économie du pays. Mais cela ne peut qu’encourager la corruption, déjà prégnante dans plusieurs secteurs de l’État, ainsi que le développement d’un “capitalisme sauvage” qui soumettra la classe ouvrière à des conditions de travail et d’existence encore plus difficiles.
Le régime cubain doit gérer la succession de Castro face à une population jeune qui s’identifie peu à “l’héritage socialiste”. Raúl Castro a annoncé qu’il quitterait le pouvoir en 2018 et prévoit de mettre aux commandes Miguel Díaz-Canel qui incarne la jeune génération. Face au risque de naufrage économique, la bourgeoisie cubaine ne peut faire que s’ouvrir au marché mondial et alléger le poids de l’État dans le marché interne. Mais sur le long terme, cela pourrait amener à remettre en cause des décennies de propagande et prendre le risque de mettre en péril le “régime socialiste” à parti unique.
Joffrey, 1er décembre 2016
1 La Conférence de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine eut lieu du 3 au 15 janvier 1966 à La Havane. Elle incarne le fameux mouvement tiers-mondiste. Mais les différentes décisions prises lors de cette conférence ne visaient qu’à soutenir le camp soviétique en désignant l’impérialisme américain comme le principal ennemi.
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article de notre section en Espagne, disponible sur notre site en version originale [619].
PSOE signifie Parti socialiste ouvrier espagnol, mais ce parti n’a plus rien d’ouvrier ni de socialiste. C’est un parti de l’aile gauche du capital. Comme nous le disions lors du mouvement du 15-M (le mouvement des Indignés né le 15 mai 2011) : “PSOE et PP, c’est la même merde” ou “Entre les roses et les mouettes 1 on nous prend pour des gens bêtes”. Nous partageons cet effort de prise de conscience que des milliers de jeunes ouvriers ont exprimé sur les places et dans les rues. Le PSOE est un parti essentiel pour le capital espagnol ; en 40 années de démocratie, il a été plus de la moitié du temps à la tête du gouvernement. Le PSOE est responsable des attaques féroces que les travailleurs ont subies contre leurs conditions de vie pendant le long gouvernement de Felipe Gonzalez (1982-1996) et qui, entre autres souffrances, entraînèrent la destruction d’un million d’emplois. De la même manière, le gouvernement de Zapatero (2004-2011) entama la lourde et cruelle politique de coupes budgétaires sur tous les plans que l’actuel gouvernement [de droite] a poursuivit avec encore plus d’acharnement.
Ces derniers temps, la crise du PSOE est au centre de la scène politique. Il perd des voix à la pelle, ses dirigeants se déchirent dans une bagarre à mort, son Secrétaire général, Pedro Sanchez, a démissionné, ce qui l’a amené à perdre son siège de député… (…)
Le PSOE est un parti très expérimenté. Tout au long de son histoire, il a dû affronter de profondes divisions en son sein, qui n’ont pas entravé son unité ni sa capacité à rendre de grands services au capital espagnol. Dans les temps proches, il a pu supporter avec habilité le choc frontal entre Alfonso Guerra et Felipe Gonzalez ou entre Borrell et Almunia. Le PSOE a donc une grande capacité pour gérer ses différentes fractions, autant pour mettre en avant des alternatives différentes pour le capital espagnol et ainsi mystifier le prolétariat que, plus prosaïquement, pour régler des conflits d’intérêt.
Ce savoir-faire du PSOE n’est pas dû à ses mérites particuliers, il le partage avec les autres partis socialistes. Le PS français semblait sur le point de disparaître dans les années 1960 mais, avec Mitterrand, il a su se redresser et conquérir le pouvoir de 1981 à 1995. Entre 2007 et 2011, il a aussi traversé une forte crise qui aurait pu, selon certains, creuser sa tombe, mais en 2012 il a repris le pouvoir avec Hollande.
Dans beaucoup de pays, les partis socialistes constituent la colonne vertébrale de l’État. Ils sont plus capables que d’autres partis de comprendre les intérêts communs de leur capital national et ils sont les plus aptes à contrôler les impulsions particulières de leurs différentes fractions.
Aussi ne doit-on pas négliger tout cela lorsqu’il s’agit d’analyser la fracture la plus récente au sein du PSOE, qui a produit des spectacles lamentables comme celui du Comité fédéral du 1er octobre 2. Nous sommes là face à une crise très grave, sans doute la pire des quarante dernières années, mais il faut aussi tenir compte de la capacité de résistance dont dispose l’appareil socialiste.
Une des analyses fondamentales que nous défendons et qui concerne toute la société mondiale, est celle de la décomposition du capitalisme. En 1990 nous avons publié les “Thèses sur la décomposition” que nous pensons être toujours pleinement valables. Nous n’allons pas les expliquer ici. Nous insisterons simplement sur le fait que la décomposition est un processus général qui affecte l’ensemble des rapports sociaux capitalistes ainsi que la vie politique au sein de ce système.
On ne peut pas se contenter de parler de décomposition en général, nous devons aussi nous efforcer de comprendre lesquels de ses effets concrets jouent un rôle dans la situation politique du capital espagnol et plus concrètement du PSOE. Ceci nous amène à approfondir les points no 9 et 10 des “Thèses”, qui mettent en avant “la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique”, ce qui se traduit, d’un côté, par un désordre croissant dans la cohésion et le fonctionnement des différents partis bourgeois, tiraillés par des tendances centrifuges et la mise en avant d’intérêts de faction. Et, d’un autre côté, par la difficulté pour piloter correctement les mécanismes électoraux ; plus globalement, de tout le jeu politique que la bourgeoisie n’arrive pas toujours à faire correspondre à ce dont elle a besoin 3.
Le spectacle d’intrigues, de chocs frontaux, de défis et de rebellions en abondance que le PSOE nous offre dernièrement peut s’expliquer en grande partie par trois phénomènes qui donnent une idée de l’impact de la décomposition capitaliste sur les partis bourgeois : la fragmentation des partis secoués par de puissantes tendances centrifuges ; l’assaut du parti par toute sorte d’aventuriers politiques ; l’appel à un “pouvoir de la base” par des politiciens ambitieux qui l’utilisent comme levier dans la lutte fractionnelle contre leurs adversaires.
En premier lieu, le PSOE souffre aujourd’hui d’un processus évident de balkanisation, chaque baron régional devient non seulement maître de son fief (échappant ainsi de plus en plus à la discipline imposée par le sommet du parti), mais, en outre, veut se payer le luxe de devenir un agent actif dans la recomposition de la politique nationale.
Ceci est vraiment du jamais vu. Dans les années 1930, face à la prolifération de tendances centrifuges, surtout en Catalogne, le PSOE fut en mesure de mettre en place une cohésion ferme contre ces dernières. Du temps de Gonzalez, les barons régionaux obéissaient avec discipline à ce qui était dicté par l’appareil et au-delà de quelques velléités localistes, il ne leur passait même pas par la tête l’idée de mener une politique propre. C’est ce que Guerra expliquait très graphiquement avec sa sentence : “celui qui bouge n’apparaîtra pas sur la photo”.
C’est Zapatero qui a commencé à jouer avec le feu, en faisant un pacte avec le PSC (le parti en Catalogne) vers le “catalanisme politique” qui n’a fait que nourrir les tendances centrifuges régionales. La direction nationale, avec pas mal de difficultés, réussit cependant à les contenir en remplaçant les petits chefs trop ambitieux comme Chaves (en Andalousie) et Rodriguez Ibarra (Estrémadure) ou en les propulsant vers le haut, comme avec Bono (Castille-La Manche).
Aujourd’hui, chaque fédération régionale du PSOE est entre les mains d’un “baron” qui fait ce qui lui plaît sur son domaine, conditionnant la politique centrale avec des alliances, des chantages et des manœuvres en tout genre. L’emprise de la baronne andalouse (Susana Diaz) et de ses alliés est écrasante et cette mainmise n’est pas menée avec une vision nationale unitaire mais comme une somme d’alliances régionales. (...)
Un deuxième facteur de dislocation et de désordre est le poids de l’aventurisme politique dans le parti. En général, les partis socialistes sont capables d’élire comme secrétaire général des politiciens obéissant aveuglement aux impératifs de l’appareil, même si, bien entendu, ces élus ont leurs propres aspirations. Mais cela a commencé à changer avec les exemples de Blair en Grande-Bretagne et de Schroeder en Allemagne, des outsiders qui se sont emparés du commandement en imposant leur charisme et en déstabilisant l’appareil en plaçant leurs affidés. Le même phénomène est flagrant du côté de la droite : Trump a échappé au contrôle du parti républicain, soulignant ainsi l’impuissance de ses dirigeants traditionnels.
Ce phénomène s’est aussi manifesté en Espagne avec Zapatero, lequel, aidé par une bande d’inconnus hors du noyau central de la vieille garde, surent le hisser au sommet en écartant Bono, choisi par le parti, lequel n’était pas non plus très fiable à cause de ses propres ambitions localistes.
Et cela vient de se répéter avec Pedro Sanchez. Celui-ci n’était pas du tout connu, pas seulement sur la scène politique, mais même au sein de son propre parti. Sanchez réussit à se présenter au secrétariat général du PSOE comme un “homme de paille” pour Susana Diaz et la vieille garde. Dans une espèce de jeu de coquins, tous ont cru qu’il allait être facilement manipulable. Mais dès qu’il a pris les rênes, il a commencé à jouer ses propres cartes, en déclenchant des tensions autant au niveau des leaders régionaux que du noyau central.
Le fait que, d’abord Zapatero et Sanchez par la suite, arrivent à s’imposer contre l’appareil par des coups de main habiles, de façon improvisée et sans la moindre orientation politique propre (si ce n’est celle de se maintenir au pouvoir à tout prix) est révélateur du degré de fracture et de désorientation qui règne au sein des partis socialistes. Autant l’incapacité de l’appareil lui-même que le poids de ces arrivistes portent tous deux la marque de la décomposition.
Sanchez a introduit un troisième élément de perturbation de la politique et d’organisation du parti.
Malgré son anarchie apparente (il y a toujours des “familles” et des “tendances” qui se chamaillent), le PSOE (comme la plupart des partis socialistes) a fonctionné comme un engrenage bien huilé depuis le sommet jusqu’au groupement local le plus éloigné. Sanchez a mis en place un précédent très dangereux qui pourrait avoir des conséquences bien fâcheuses. Pendant deux ans, il s’est consacré à un travail presque clandestin de visites aux regroupements de base de tout le territoire national, de telle sorte que cette “mobilisation de la base” a été le fondement de son pouvoir au sein du parti et le moyen qu’il a employé à répétition pour faire du chantage à ses rivaux. Le problème c’est qu’une telle structure de pouvoir est très dangereuse parce qu’elle modifie en profondeur l’équilibre d’un appareil qui impose une subordination rigoureuse du syndicat (UGT) et des regroupements locaux aux impératifs du centre. Avec Sanchez, ce sont trois structures de pouvoir qui mettent en péril de tous les côtés la fragile cohésion du parti : le groupe de la vieille garde (Gonzalez et Rubalcaba), les baronnies régionales (avec Diaz à leur tête) et “le pouvoir de la base”, nouveau facteur d’anarchie.
Qu’est-ce que tout cela montre ? L’expression au sein du PSOE de phénomènes de plus en plus généralisés dans la société : le chacun pour soi, la prédominance de l’intérêt particulier sur l’intérêt général, l’enfermement endogamique dans des particularismes locaux, raciaux, de bande, etc. Cela se concrétise dans les partis politiques bourgeois par la rupture de la soumission aveugle aux impératifs du centre. Une telle tendance rend difficile pour les partis leur travail de gestion et de défense de l’intérêt national du capital, en semant encore plus de chaos et de désordre dans la vie politique et sociale.
Le PSOE, comme l’ensemble des partis socialistes, a souffert d’une profonde usure. La cause en est l’engagement sans faille de ce parti dans l’application des mesures anti-ouvrières brutales dont nous avons parlé plus haut. Le mouvement du 15-M montra une prise de conscience de ce fait, en dénonçant le PSOE comme parti “du régime” complément indispensable du PP. Le PSOE a perdu des milliers de voix et cette saignée est particulièrement forte dans les villes : il a perdu 55% du vote urbain. Chez les jeunes aussi, lors des dernières élections, il est arrivé à peine à obtenir le vote de 4% des nouveaux électeurs. Un deuxième facteur de cette usure est le fait que les socialistes, malgré leur souplesse, sont trop reliés aux politiques keynésiennes classiques, ce qu’on pourrait appeler la “deuxième phase historique de capitalisme d’État” (1930-80) 4, caractérisée par le protectionnisme du marché national et les politiques “sociales”. Le passage, depuis les années 1980, à ce qu’on peut appeler “troisième phase du capitalisme d’État”, qui se définit, d’une façon schématique, par la “libéralisation” et la “globalisation”, les a pris à contre-pied et cela a été difficile pour eux de justifier la suite implacable des attaques que ces orientations impliquent en psalmodiant des discours truffés de mesures de “politique sociale ou sociétale”. Cela les a piégés dans un dilemme avec une solution plus que difficile qui leur a fait perdre de leur influence. D’un autre côté, les socialistes ne peuvent pas renoncer au contrôle de la classe ouvrière (étant responsables des syndicats les plus importants), ce qui les oblige à maintenir un discours de “politique sociale” en lien avec le keynésianisme. Et ce sont, en même temps, des partis de gouvernement, indispensables dans le bipartisme des pays démocratiques. Ils risquent de manquer de cohérence dans leur discours, autant pour gouverner que pour être dans l’opposition.
(...) Le PSOE occupe deux espaces difficilement compatibles. C’est un parti avec des responsabilités gouvernementales, mais, en même temps, il doit ‘‘être la voix de ceux qui n’en ont pas”. S’il renonce à celle-ci et se consacre exclusivement à la gestion gouvernementale en apparaissant comme le canal des intérêts économiques du capital, il se place sur un terrain où la droite gagnera toujours. Mais si, pour défendre son deuxième espace, qui est vital pour lui, il essaye d’ouvrir les portes à certaines rengaines populistes du genre de celles utilisées par Podemos, avec un certain succès 5, il va à l’encontre de l’intérêt général de la bourgeoisie espagnole qui cherche à barrer le plus possible le passage aux populismes qui frappent aujourd’hui des pays centraux comme le Royaume-Uni ou les États-Unis. Iglesias, leader de Podemos, et sa suite ont une habilité certaine dans le maniement des thèmes populistes, mais il n’est pas évident que ce soit le cas pour Sanchez et les siens, ce qui l’amène à créer des problèmes graves au sein du PSOE.
Pendant plus d’un demi-siècle, les principales démocraties ont organisé la tendance au parti unique, qui est le propre du capitalisme d’État, par le biais du bipartisme, en tenant les commandes à tour de rôle, avec un parti penchant vers la droite et l’autre vers la gauche.
Le mécanisme bipartite est très usé un peu partout. Ce n’est pas le lieu ici de faire une analyse des causes de cette usure, mais ce qui est certain c’est que, ces dernières années, la bourgeoisie espagnole a mis en route une opération politique pour affronter la crise du bipartisme. Un facteur qui sans doute a influencé cette mise en route est la prise de conscience que le 15-M a exprimée et qui avait amené à une critique très dure du PSOE.
Cette opération politique consistait à faire émerger, à partir de pratiquement rien, deux partis, l’un à droite, Ciudadanos, et l’autre à gauche, Podemos 6, appelés à renouveler l’appareil politique, peut-être en servant d’aiguillon aux deux de toujours, peut-être pour les remplacer s’il le fallait. Mais l’opération n’a pas eu le succès escompté et est en train de causer des ravages importants. Ceci met en évidence le fait que les manœuvres d’ingénierie politique et électorale ne sont pas si faciles que cela en ces temps de décomposition.
Les élections de décembre 2015 n’ont pas produit l’option souhaitée. Il a fallu les répéter en juin 2016. Celles-ci n’ont pas produit non plus le résultat qu’on en attendait et, qui plus est, elles menaçaient d’affaiblir tous les partis, excepté le PP, un parti que pourtant on essayait de “reformer” en se débarrassant du fardeau d’une corruption qui a atteint des niveaux infamants. Au contraire, si on avait continué à répéter les élections, le PP aurait pu obtenir une écrasante majorité absolue.
En fait, le ravage le plus important a été la crise du PSOE. Le résultat électoral de juin a mis uniquement sur ses épaules la responsabilité “d’assurer la gouvernabilité du pays” en livrant le pouvoir au PP. Cela signifie lancer un missile sur un PSOE déjà très affaibli pour toutes les raisons que nous avons mis en avant.
(…) La “rénovation du bipartisme” est en train de finir en fiasco pour le capital espagnol. Elle a fini par poser un sérieux problème au sein de PSOE. Le problème du bipartisme s’est même aggravé, de sorte que sa prétendue rénovation n’a pas servi à endiguer un populisme qui, probablement, tôt ou tard, va en tirer bénéfice.
Il est difficile de savoir comment vont répondre à cet échec le capital espagnol et le PSOE lui-même. Il ne s’agit pas pour nous de faire de prédictions ou des spéculations hasardeuses, mais de partager l’analyse que nous venons d’exposer pour aider à comprendre la situation. Ceci dit, il nous parait nécessaire de rappeler que la bourgeoisie n’est pas seulement victime des effets de la décomposition, mais qu’elle est aussi capable d’y opposer des contre-tendances. Comme nous les disions au début de cet article, l’expérience accumulée par le PSOE en est une.
L’usure du bipartisme est en partie due au développement de la lutte de classe depuis 1968. Cependant, l’incapacité du prolétariat pour avancer dans la politisation de sa lutte a engendré l’un des thèmes le plus importants que le populisme de droite utilise : l’idée d’une caste politique, corrompue et qui ne jouerait que pour ses propres intérêts. Voilà une vision superficielle qui n’a rien de prolétarien et qui est radicalement réactionnaire.
D’abord parce qu’une telle idée n’analyse pas ce qui se passe en termes historiques et globaux, mais sous le prisme mesquin d’une sociologie de groupes isolés, considérés en tant que tels : la “classe politique”, “l’oligarchie financière”, les “immigrants”… Une telle absolutisation démoniaque des catégories sociales abstraites s’est déjà vue dans le fascisme et le stalinisme, expressions extrêmes de la dégénérescence de la pensée capitaliste.
Ensuite, parce qu’elle n’en recherche pas les causes dans les rapports sociaux de production : elle ne recherche que des coupables en personnalisant et en fabriquant des boucs émissaires. Et c’est ainsi que le chômage et la misère seraient dus à cette caste politique et à ces sinistres financiers, et aux émigrants et autres minorités “indésirables”.
Enfin, une telle analyse ne met pas en cause, bien au contraire, l’intérêt de la nation et de l’État, mais fait tout pour les défendre avec encore plus de ferveur patriotarde contre ces forces obscures “d’en haut” et “d’en bas”.
Ces postulats idéologiques, sont certes gênants pour la politique globale de la bourgeoisie, mais sont surtout extrêmement nuisibles pour le prolétariat. La première racine de la crise du bipartisme a été prolétarienne, mais dans le contexte de la décomposition elle possède un élément dominant réactionnaire et très dangereux pour le prolétariat. Ce ne sera que lorsque celui-ci commencera à mettre en avant son alternative, qu’il pourra se greffer à nouveau sur cette racine initiale en la développant.
C.Mir, 9 novembre 2016
1 La rose est le symbole du PSOE et la mouette celui du PP (parti de droite).
2 Lors de ce comité, Pedro Sanchez, mis en minorité, a quitté la tête du Parti socialiste espagnol [NdT].
3 Dans les pays à démocratie consolidée, les secteurs dominants du capital national arrivent, en général, à faire que le “vote citoyen” décide ce qu’ils veulent. Tout cela est le fait d’une manipulation très sophistiquée et parfaitement organisée par les enquêtes et sondages divers, par le découpage variable des districts électoraux, les scandales sortis à propos, les déclarations des uns et des autres, les interventions “opportunes” des “prescripteurs” de ce qu’on appelle “l’opinion publique”, etc. Ceci, qu’on nomme le “jeu politicien”, devient de plus en plus difficile à manipuler de la part de la bourgeoisie : les résultats du Brexit au Royaume-Uni en sont un exemple éloquent.
4 Dans sa décadence, le capitalisme survit grâce à l’intervention omniprésente de l’État, aussi bien dans sa forme dite “libérale” (qui combine la bureaucratie étatique avec la grande bourgeoisie classique) que sous la forme totalement étatisée (celle qu’on nomme, avec ce grand mensonge du siècle, “socialisme” quand ce n’est pas… “communisme”). Voir le point IV de notre plateforme : https ://fr.internationalism.org/plateforme [620]
5 Il nous parait important de clarifier le fait que Podemos n’est pas un parti populiste. C’est un parti avec une indéniable responsabilité capitaliste qui sait utiliser certains thèmes du populisme pour sa politique globale.
6 Podemos a été fondé en 2014 en s’appuyant sur la structure squelettique d’un groupuscule gauchiste (Izquierda Anticapitalista, Gauche anticapitaliste) et quelques restes rancis et dispersés du 15-M. En un temps record de deux ans, Podemos a obtenu 70 députés. De son côté, Ciudadanos a été propulsé depuis sa structure limitée à la Catalogne à un développement partout en Espagne en une année à peine.
Ces derniers mois, des scènes incroyables et révoltantes se sont déroulées dans toutes les écoles de France. Tous les élèves (ceux de maternelle également, même si sous la forme “soft” de “jeux” en apparence inoffensifs et anodins) ont dû subir la simulation d’une attaque terroriste. Et le sadisme a dépassé toutes les bornes. Face à l’intrusion d’assaillants imaginaires, les enfants ont été systématiquement séparés en deux groupes : ceux qui parvenaient à s’échapper et ceux qui devaient s’enfermer et attendre. Ces derniers, cachés de quelques minutes à plusieurs heures, par exemple sous des tables, devaient faire silence. Ceux qui faisaient du bruit étaient alors accusés d’être responsables de faire repérer leurs camarades et donc potentiellement de leur mort. Dans certains établissements, le GIGN et les hélicoptères ont même été déployés pour faire plus vrai ! Comble de l’horreur, à la fin de ces exercices “Attentats-Intrusion”, un bilan humain fictif était à chaque fois dressé, le nombre d’enseignants et élèves otages tués variant selon l’imaginaire malades des autorités organisatrices.
Il ne s’agit nullement de dérapages locaux, mais d’une campagne pensée à l’échelle nationale. Le document commun du ministère de l’Intérieur et de l’Éducation nommé : Sécurité des écoles, des collèges et des lycées, en est une preuve affligeante. En voici quelques lignes, mais l’ensemble est de la même eau croupie : “Dans nos écoles, nos collèges et nos lycées, des familles nous confient leurs enfants, des femmes et des hommes travaillent quotidiennement. Leur sécurité à tous constitue un impératif majeur pour le Gouvernement et une priorité pour toute la communauté éducative. Nous devons la vérité aux Français. Nous n’avons donc cessé de le dire, et nous le rappelons encore aujourd’hui : le niveau de menace terroriste est très élevé. Les événements tragiques auxquels notre pays a dû faire face au cours des derniers mois en témoignent. (…) Savoir réagir, c’est former et informer. C’est favoriser l’acquisition d’une culture commune de gestion des risques. Savoir réagir, cela s’apprend. Cela passe par des exercices adaptés à l’âge des élèves, pour les préparer au mieux aux situations de crise. (…) Cette nouvelle culture de la sécurité change notre quotidien, y compris à l’école. Ces nouveaux gestes, ces contrôles, cette vigilance de chaque instant peuvent parfois paraître contraignants. Ils sont cependant absolument nécessaires. (…) La vigilance de tous, y compris de la part des parents d’élèves, est indispensable : (…) il est demandé à chacun de signaler tout comportement ou objet suspect. (…) Comment développer une culture commune de la sécurité ? La menace terroriste impose un renforcement des mesures de sécurité dans les écoles et les établissements scolaires. La mise en place de ces mesures nécessite la coopération de l’ensemble des membres de la communauté éducative. La sécurité et la vigilance sont l’affaire de tous. (…) Toute l’école n’a pas la même conduite à tenir puisqu’elle dépend de la situation vécue : une partie peut s’échapper, l’autre se cacher-s’enfermer.”
L’objectif du gouvernement par ce type de campagne est très clair : que les élèves, les parents et les enseignants se surveillent, qu’ils aient peur et se dénoncent les uns les autres. Pourquoi ? Dans son roman d’anticipation 1984, George Orwell faisait tenir à ses protagonistes cet échange :
“– Comment un homme s’assure-t-il de son pouvoir sur un autre, Winston ?
Winston réfléchit :
– En le faisant souffrir répondit-il.
– Exactement. En le faisant souffrir. L’obéissance ne suffit pas. Comment, s’il ne souffre pas, peut-on être certain qu’il obéit, non à sa volonté, mais à la vôtre ? Le pouvoir est d’infliger des souffrances et des humiliations. Le pouvoir est de déchirer l’esprit humain en morceaux que l’on rassemble ensuite sous de nouvelles formes que l’on a choisies. Commencez vous à voir quelle sorte de monde nous créons ? C’est exactement l’opposé des stupides utopies hédonistes qu’avaient imaginées les anciens réformateurs. Un monde de crainte, de trahison, de tourment. Un monde d’écraseurs et d’écrasés, un monde qui, au fur et à mesure qu’il s’affinera, deviendra plus impitoyable. Le progrès dans notre monde sera le progrès vers plus de souffrance. L’ancienne civilisation prétendait être fondée sur l’amour et la justice, la nôtre est fondée sur la haine. Dans notre monde, il n’y aura pas d’autres émotions que la crainte, la rage, le triomphe et l’humiliation. Nous détruirons tout le reste, tout” 1. Par ces lignes, sont soulignées magistralement deux idées centrales :
– l’un des principaux piliers de la domination d’une classe sur l’ensemble de la société est la terreur d’État.
– cette terreur ne fait que croître quand le système n’a plus de réel avenir à offrir à l’humanité.
En effet, quel futur promet le capitalisme quand les enfants de trois ans sont dressés à ramper sous les tables et à avoir peur de l’étranger, de l’autre, de tous les autres ? Aucun. Seulement la barbarie.
Maurice, 15 décembre 2016
1 Ed. Folio, trad. Amelie Audiberti.
Suite à l’agression des participants à la réunion publique du 28 octobre au local de l’association Mille bâbords à Marseille (1) par une bande de fanatiques se réclamant du racialisme, le CCI tient à apporter toute sa solidarité.
Voici les faits relatés par les agressés eux-mêmes : “Vendredi 28 octobre se tenait sur Marseille, dans le local militant Mille bâbords, une réunion publique autour du texte “Jusqu’ici tout va bien ?” (2). La discussion n’avait pas encore commencé lorsqu’un groupe d’une trentaine de personne a fait irruption dans le lieu. Ce groupe entendait empêcher la discussion prévue (…). Après l’encerclement de l’assistance sous forme de happening, dans un simulacre de nasse, des cris et slogans divers ont fusé : “Notre race existe”, “Ce débat n’aura pas lieu”, “Pas l’histoire vous ne referez”, “Votre avis on s’en fout”, “Regardez vos privilèges”, (…) Aux insultes ont succédé les boules puantes, et des coups répétés, dont certains au visage avec arme, des chaises ont été jetées sur l’assistance, les tables ont été systématiquement jetées au sol, y compris sur une personne en béquille, du gaz lacrymogène a été répandu dans le local et des personnes ont été gazées au visage (yeux et bouche). Les tables de presse, la bibliothèque de Mille bâbords ont été saccagées, des revues et des livres jetés et piétinés. Et pour terminer, ils ont défoncés la vitrine du local. (…) Malgré cette attaque, une intéressante discussion a finalement pu se tenir, comme ce sera le cas partout et à chaque fois que cela s’avérera nécessaire. Face à ces actes extrêmement graves, dont le but avoué est d’empêcher toute discussion critique sur le racialisme, chacun, politiquement et pratiquement, est appelé à prendre ses responsabilités. N’hésitez pas à contacter Mille bâbords pour leur apporter tout votre soutien (3). Des organisateurs et des participants à la soirée” (in “Marseille : Descente racialiste à Mille bâbords. Tentative de mise à sac, coups, gazage et vitrine détruite”).
Les agresseurs ont durant l’attaque distribué un tract intitulé “Anti-racialistes et anti-racialisatrices, stay et protect your home” 4 dans lequel ils crachaient toute leur haine : “Anti-racialisateurs et anti-racialisatrices vous n’aurez jamais la parole, vous n’aurez jamais notre écoute parce que : le capitalisme se fonde sur le pillage, l’esclavage et le colonialisme. “L’abolition de l’esclavage” et les “décolonisations” n’ont pas démoli le racisme structurel et ses répercussions pour le moins d’actualité. Les privilèges des pays occidentaux impérialistes demeurent à un niveau international. Nous refusons votre vision européano-centrée et réactionnaire de la lutte des classes. Il vous suffirait de sortir de votre entre-soi confortable pour voir la réalité dans les rues de Marseille. Nous refusons votre course à l’opprimé et votre incapacité à reconnaître vos privilèges de petits gauchistes blancs de classe moyenne. Nous n’avons pas de temps à perdre avec les négationnistes. Nous saboterons toutes vos initiatives. Nous revendiquons notre autodétermination, notre émancipation, notre libération par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Nous n’avons pas besoin de votre validation quant aux termes que nous utilisons pour définir qui nous sommes, ce que nous sommes et ce pour quoi nous luttons. En somme on vous chie dessus bande de racistes réactionnaires négationnistes néo-colons... Finalement il va vous falloir assumer : vous n’êtes qu’un des bras armé (de vos claviers) de la république laïcarde qui nous fait gerber !” 5.
Durant les jours qui avaient précédé cette réunion, de nombreux appels à casser du “gouaire” 6 avaient été lancés sur les réseaux sociaux. Il s’agit donc d’un acte prémédité et concerté.
Ces agresseurs appartiennent à un courant particulier du racialisme principalement représenté par le Mouvement des indigènes de la République, dont Houria Bouteldja est l’une des personnalités la plus visible. Le titre de son dernier livre résume à lui seul l’axe central de ce courant de non-pensée : Les Blancs, les juifs et nous. Un ouvrage immonde qui tente de nier la lutte des classes pour la remplacer par une guerre des races (“Je vous le concède volontiers, vous n’avez pas choisi d’être Blancs. Vous n’êtes pas vraiment coupables. Juste responsables” affirme ainsi Madame Bouteldja.). Nous reprenons à notre compte cette idée défendue dans le texte publié sur le site de Mille babords “Jusqu’ici tout va bien ?” : “le racialisme ne peut mener qu’à la guerre de tous contre tous”. Ceci d’autant plus que “la guerre de tous contre tous” est déjà une réalité et que la violence ne fait que s’accroître. Dans ce sens, il est nécessaire de s’y préparer et important d’en débattre.
Pourquoi les participants lors de cette réunion à Mille babords ont-ils été la cible de ce déchaînement de haine et de violence ? Simplement pour ce qu’ils représentent, un effort pour comprendre le monde capitaliste et son évolution, pour se rassembler, débattre et s’organiser, pour participer au développement de la conscience et se réapproprier l’histoire du prolétariat 7, son identité, son combat pour l’émancipation de toute l’humanité. Dans la période actuelle difficile, de telles tentatives sont rares et précieuses.
Alors que l’atonie, la division, l’atomisation et le désespoir exercent un poids dans la société, ceux qui se sont rassemblés ce 28 octobre dans le local de Mille bâbords et qui ont maintenu le débat malgré les coups, eux qui n’ont pas cédé aux provocations, à la peur, aux intimidations et à la répression, révèlent par leur courage et leur ténacité la véritable nature profonde de la classe ouvrière, une classe associée, désintéressée et solidaire.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si une partie de ceux qui gravitent autour ou à l’intérieur de l’association Mille bâbords est issue du mouvement des étudiants contre le CPE de 2006, car ce mouvement avait justement réussi à organiser de véritables débats dans des assemblées générales ouvertes et à mettre au cœur de sa dynamique la question de la solidarité de la classe ouvrière tout entière, de tous les secteurs, de toutes les générations, de tous les quartiers, de toutes les origines, de toutes les couleurs ! A l’époque de ce mouvement contre le CPE, la bourgeoisie avait réagi par la violence policière organisée de l’État et en laissant de jeunes “casseurs” agresser les étudiants dans les manifestations.
Aujourd’hui, les racialistes aussi se chargent de ce sale boulot. Les éléments qui luttent pour le débat ouvert et qui font l’effort de se rassembler et réfléchir ensemble, ont été, ce 28 octobre, la proie d’une attaque haineuse qui préfigure bel et bien les dangers croissants et le caractère protéiforme de la répression bourgeoise. Car oui cette agression planifiée est un acte de répression. La violence et la haine abjectes de ce commando de racialistes, leur promotion de la “lutte des races” comme leur volonté de détruire tout lieu de débat réel révèlent leur no-future, l’idéologie du nihilisme des couches sociales qui ne portent aucun avenir pour l’humanité. Ils sont un pur produit de la décomposition de la société et in fine ils apportent leur petite contribution à la dynamique morbide du capitalisme. Certains de ces éléments n’hésiteront pas à assouvir leur pulsions criminelles par des meurtres si le contexte leur est favorable et si l’occasion se présente.
Aux victimes de ces actes de violences inadmissibles, nous tenons à témoigner notre soutien et toute notre solidarité. Le débat est d’une importance vitale pour le combat révolutionnaire et il est impératif de défendre tout lieu de débat prolétarien !
Le CCI, 4 décembre 2016
1) Sur son site, l’association Mille bâbords située à Marseille se présente ainsi : “Mille bâbords est une médiathèque alternative, un lieu dédié à la promotion et à la connaissance des différents mouvements de luttes sociales. C’est un lieu ouvert, où le public peut se rencontrer, se mettre au courant, découvrir et échanger, sur des pratiques, des interrogations, des points de vues, [...] et voire passer à l’action... Partant du constat d’un manque d’espaces pour que les mouvements sociaux puissent, dans leur diversité, échanger entre eux, et avec un large public, nous avons créé ce lieu, telle une vitrine animée des idées alternatives à une société trop barbare...”.
2) https ://tuttovabene.noblogs.org/ [621] Ce texte dénonce le racialisme comme un poison idéologique nauséabond.
3) Contact : batlarace chez riseup.net.
4) Reste et protège ta maison.
6) Terme raciste anti-Blanc signifiant “porc”.
7) Un débat a récemment eu lieu sur Le Manifeste du Parti communiste de 1848 et un autre sur la Révolution russe est prévu dans les mois à venir.
Après la poussée de l’extrême-droite en Autriche, le vote du Brexit au Royaume-Uni, la victoire de Donald Trump aux États-Unis et celle, probable, de Geert Wilders aux Pays-Bas, la France pourrait être la prochaine grande puissance à voir un mouvement populiste aux portes du pouvoir, au moins en mesure d’ébranler sérieusement la mécanique électorale. Si les fractions politiques les plus lucides de la bourgeoisie, de droite ou de gauche, sont loin de rester les bras croisés face à ce risque pour les intérêts objectifs de l’État et de la classe dominante, le scénario d’une victoire de Marine Le Pen à la prochaine élection présidentielle est pris suffisamment au sérieux pour mobiliser les chancelleries européennes et affoler les marchés financiers. Un tel événement, au cœur du moteur européen, présenterait un très grand danger pour le futur de l’Union et serait, bien plus que le Brexit, un désastre pour l’Allemagne et toutes les bourgeoisies pro-européennes, menaçant potentiellement l’équilibre impérialiste du centre historique du capitalisme.
Comme nous l’avons déjà souligné dans nos précédents articles sur le sujet 1, l’enracinement du populisme en Europe et aux États-Unis résulte, en premier lieu, de l’affaiblissement historique des partis de gouvernement traditionnels, discrédités par des décennies d’attaques à répétition contre les conditions de vie et de travail, par l’existence insupportable d’un chômage de masse chronique, par le cynisme, l’hypocrisie et la corruption de nombreuses sphères politiques et économiques, et in fine par leur impuissance à faire miroiter aux masses exploitées l’illusoire espérance d’un futur meilleur. Face à une classe ouvrière pour le moment impuissante à défendre sa perspective révolutionnaire et à représenter un danger tangible pour la société capitaliste, l’indiscipline et le chacun pour soi, tant au niveau international que dans les rapports entre les différentes cliques politiques des bourgeoisies nationales, tend à gagner du terrain. Les exemples de ce phénomène sont légion, mais les épisodes de véritables batailles de chiffonniers entre de Villepin et Sarkozy qui, lors de l’affaire Clearstream en 2004, avait promis à son adversaire de le suspendre “sur un crochet de boucher”, ou, en 2012, la rivalité sans merci entre Copé et Fillon pour s’emparer de la présidence du parti de droite, illustrent bien la réalité et les dangers qu’un tel processus fait peser sur la vie politique.
L’autre facteur essentiel pour comprendre la poussée populiste réside dans les faiblesses politiques actuelles de la classe ouvrière, notamment son immense difficulté à elle-même s’identifier comme la seule classe sociale en mesure de renverser l’ordre capitaliste. Face aux attaques incessantes portées par la bourgeoisie, il existe au sein du prolétariat et des couches petites-bourgeoises un véritable sentiment de révolte. Mais, faute de réelle perspective politique prolétarienne, le mécontentement ne peut s’exprimer sur le terrain de la lutte de classe. Aux yeux désabusés de beaucoup de ceux qui ressentent un profond ras-le-bol, le seul exutoire possible semble se réduire au repli sur soi et au rejet de toute forme d’engagement politique, ou bien au soutien de partis qui se sont toujours (et frauduleusement) présentés contre le “système”, marginalisés et stigmatisés par la sphère politico-médiatique tant honnie, et prêts à “purger” la société des “élites” et de “l’étranger”, en réalité un magma idéologique informe et démagogique dans lequel s’entremêlent recherche de boucs-émissaires, frustrations sociales et désespoir.
Tous ces éléments se traduisent par des difficultés croissantes de l’appareil d’État à mettre en œuvre des stratégies lui permettant d’asseoir à sa tête les partis les plus adaptés aux besoins du capital. C’est ainsi qu’une personnalité aussi irresponsable et incompétente que Donald Trump a pu s’emparer de la Maison-Blanche contre à peu près tout ce que la classe politique américaine, les médias et le show-business comptent d’un tant soit peu rationnel.
Aucune force populiste n’a démenti son entière sujétion au “système”, ni sa détermination à défendre, à sa manière, les intérêts de la classe dominante. Pourtant, la montée en puissance de ces mouvances représente un sérieux problème pour la bourgeoisie. La défense du capital national dans la période de décadence ouverte en 1914 s’est jusqu’ici traduite par un resserrement strict des différentes sensibilités politiques autour du pouvoir exécutif et des intérêts communs des différentes fractions de la bourgeoisie au détriment des intérêts particuliers de tel ou tel parti ou clique. Depuis 1945, l’artifice du pluralisme démocratique était globalement assuré par un véritable verrouillage du pouvoir exécutif au moyen d’un jeu d’alternance des partis de gauche et de droite les plus responsables. Les mouvances populistes plus récentes ont, au contraire, des démarches totalement irrationnelles et obscurantistes. Sans claire vision des intérêts objectifs de leur classe et sans réelles compétences, elles risquent à tout moment de semer la pagaille au sommet de l’État et d’entraver sa bonne gestion, comme semble le démontrer chaque jour la catastrophique présidence de Donald Trump.
En France, le Front national (FN) est pour beaucoup l’incarnation des laissés-pour-compte. Si son programme incohérent n’est pas forcément toujours pris au sérieux par ses propres électeurs, il se présente comme une sorte d’ultime recours pour “faire bouger les choses”. Ceci, d’autant plus facilement qu’il a jusqu’à présent pour particularité avantageuse de ne pas avoir été associé à la gestion de l’État. Depuis les années 1980, où le président socialiste, François Mitterrand, avait transformé un insignifiant rassemblement de vieux pétainistes, de petits boutiquiers poujadistes, d’anciens partisans de l’Algérie française et de jeunes skinheads paumés en machine à faire perdre la droite, le FN n’a jamais cessé de progresser sur le plan électoral. L’instrumentalisation mitterrandienne a peu à peu échappé à son créateur, au point que, si le jeu politique qui se poursuit encore aujourd’hui permet à la classe dominante de réactiver régulièrement les campagnes antifascistes destinées à redorer l’image de la république bourgeoise et ses valeurs démocratiques, l’accident du 21 avril 2002 l’a contraint à mener une politique active d’affaiblissement du FN.
Une partie de la droite française, avec à sa tête Nicolas Sarkozy, reprit ainsi à son compte les thèmes et le langage de l’extrême-droite, réduisant, en 2007, la base électorale de Jean-Marie Le Pen à la portion congrue (10,44 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle). Mais l’usure rapide de la “droite décomplexée” au pouvoir et, surtout, l’approfondissement de la décomposition du tissu social et politique (en particulier le ralliement de nombreux anciens électeurs du parti stalinien séduits par le patriotisme outrancier du FN) ont permis à Marine Le Pen, la fille du vieux leader frontiste, d’obtenir un score historique à la présidentielle suivante (17,90 %).
C’est aux élections régionales de 2015 que la bourgeoisie française a réellement pris conscience de l’ampleur du danger que représente le FN, devenu le “premier parti de France” avec plus de 27 % des voix, pour la bonne gestion de ses affaires. Elle a réagi en activant à nouveau, mais avec beaucoup plus de difficultés qu’en 2002, la tactique du “front républicain” ; le Parti socialiste (PS) retira ses listes en faveur de la droite dans deux régions importantes qui risquaient de tomber entre les mains du FN. Mais la victoire du “front républicain” n’a été qu’une parade ponctuelle face à l’inexorable croissance du populisme. Malgré toutes les armes médiatiques ou juridiques que les différentes fractions de la bourgeoisie peuvent utiliser, Marine Le Pen sait que son parti à bel et bien une possibilité d’entrer à l’Élysée.
Le danger que représente désormais le FN pour les intérêts objectifs de la classe dominante accroît les difficultés d’une bourgeoisie qui a déjà fort à faire avec une situation économique qui se dégrade d’année en année. La combativité du prolétariat jusqu’au milieu des années 1980, les archaïsmes de la droite gaulliste et la place que le stalinisme a occupée durant toute une période dans l’appareil d’État entravent encore aujourd’hui la bourgeoisie française qui a hérité d’une énorme bureaucratie et a toujours eu du mal à moderniser ses structures économiques en engageant, dans de bonnes conditions, les réformes nécessaires aux intérêts de son capital national, contrairement à ses concurrents immédiats, l’Allemagne ou le Royaume-Uni.
L’arrivée en 2012 de François Hollande au pouvoir correspondait clairement à cette nécessaire évolution du capital français, le PS représentant, comme dans de nombreux autres pays, la fraction la plus intelligente de la bourgeoisie et donc la plus à même de mener les attaques sur le plan économique mais aussi idéologique. Néanmoins, la mesure phare de la présidence de Hollande, la réforme du Code du travail avec l’adoption de la “loi El Khomri”, devait l’affaiblir et renforcer la résistance d’un certain nombre de secteurs de la bourgeoisie très attachés à l’interventionnisme étatique et au keynésianisme. Alors que le PS, en particulier son aile social-démocrate, a longtemps assumé le combat contre l’extrême-droite, l’impossibilité de maintenir Hollande au pouvoir et l’affaiblissement du Premier ministre Valls ont rendu sa stratégie caduque.
La droite comptait quant à elle s’appuyer sur une personnalité relativement consensuelle et drapée d’une aura d’homme d’État. Mais la candidature Juppé à la primaire de la droite fut en échec et, contre toute attente, Fillon, l’incarnation de la droite conservatrice “la plus bête du monde”, l’emportait à la faveur d’une autre forme de “révolte électorale” en jouant lui-aussi la carte de l’homme honni des médias. Dès le départ, le nouveau candidat a très mal géré sa victoire, évinçant les sarkozystes de la tête du parti, ne transigeant en rien sur la virulence de son programme que son propre camp qualifie de “radical” et affichant une sympathie déconcertante envers Poutine, en contradiction flagrante avec les orientations impérialistes de l’État français. Le risque étant grand de voir Marine Le Pen l’emporter au second tour de la présidentielle face à une personnalité aussi iconoclaste ; le naufrage de sa candidature, suite à la révélation de ses malversations, semble avoir permis à la bourgeoisie de l’écarter de la course à l’Élysée.
La déconfiture de la droite, le retrait de la candidature de François Hollande et la victoire à la primaire du PS de Benoit Hamon, estampillé “frondeur” et “radical”, ont ouvert la voie au candidat “indépendant”, Emmanuel Macron, présenté comme un homme neuf et peu mêlé aux intrigues politiciennes. En quittant le gouvernement socialiste en 2016, Macron a fini par s’imposer, au gré des événements, comme une alternative crédible aux yeux d’une partie des éléments les plus lucides de la bourgeoisie pour endiguer le populisme. Dans ce qui ressemble de plus en plus à une coalition gauche, centre et droite, un peu comme en Allemagne depuis 2013 avec le cabinet Merkel III, le clan Hollande, une partie significative du centre-droit et même de la droite, tout comme le MEDEF et plusieurs personnalités issues des milieux économiques et intellectuels (Martin Bouygues, Alain Minc, Jacques Attali, etc.) semblent miser tactiquement sur l’ancien banquier d’affaires pour contrer le FN, même si la victoire éventuelle d’un homme sans véritable ancrage dans l’appareil d’État, donc dépendant des sphères aux visions parfois très divergentes qui le soutiennent, ne serait pas sans poser, d’une part, la question de sa capacité à gérer convenablement les affaires de l’État et, d’autre part, celle du risque de voir la dynamique du chacun pour soi s’amplifier davantage.
Sans préjuger du résultat de la prochaine élection, tant la situation semble instable, il apparaît que la bourgeoisie a pleinement conscience que le cirque électoral s’organisant autour de l’alternance des partis traditionnels, la social-démocratie et des conservateurs, est usé et rejeté. Elle cherche donc à s’adapter en tentant de renouveler ses têtes d’affiche avec des personnalités qui prétendent faire de la politique “autrement” et ne pas tremper dans les magouilles d’appareils. Mais cette stratégie, susceptible de fonctionner un certain temps, risque de subir à son tour l’usure rapide du pouvoir et de favoriser les mouvances les plus irrationnelles.
EG, 28 février 2017
1 Voir, notamment “Contribution sur le problème du populisme [624]”, Revue internationale, no 157.
Ces derniers mois ont vu la parution d’études scientifiques alarmistes quant à la destruction accrue de l’environnement, parmi lesquelles celles concernant la menace d’extinctions massives de primates et l’accélération de la fonte des glaces arctiques.
Selon une vaste étude publiée par trente et un primatologues internationaux et portant sur les 504 espèces de primates non-humains recensées sur la planète, “les scientifiques estiment que 60 % des espèces de singes sont en danger d’extinction en raison d’activités humaines, et 75 % des populations accusent déjà un déclin. Quatre espèces de grands singes sur six ne sont plus qu’à un pas de la disparition, selon la dernière mise à jour de l’UICN [Union internationale pour la conservation de la nature], en septembre 2016. [...] En cause, des menaces multiples, dont le poids n’a cessé de s’accroître au fil des années, et qui souvent s’additionnent. Les habitats des singes disparaissent ainsi sous la pression de l’agriculture (qui affecte 76 % des espèces), de l’exploitation forestière (60 %), de l’élevage (31 %), de la construction routière et ferroviaire, des forages pétroliers et gaziers et de l’exploitation minière (de 2 % à 13 %). De plus, la chasse et le braconnage touchent directement 60 % des espèces. A quoi il faut encore ajouter des périls émergents, tels que la pollution et le changement climatique. […] Les primatologues ont, de la même façon, quantifié l’impact des autres activités humaines sur nos parents quadrupèdes. Les chiffres donnent le tournis. L’expansion de l’agriculture industrialisée, de l’exploitation forestière, des mines ou de l’extraction d’hydrocarbures devrait accroître les routes et réseaux de transport de 25 millions de kilomètres d’ici à 2050 dans les zones de forêt tropicale” 1. Si les pressions exercées sur les primates, notamment la déforestation accélérée à l’échelle planétaire, ne cessent pas rapidement, des extinctions massives d’espèces sont ainsi à prévoir d’ici 25 à 50 ans.
Ces mêmes pressions, auxquelles il faut ajouter la dissémination et la prolifération d’espèces invasives, ne se limitent d’ailleurs pas aux seuls singes mais s’exercent aussi sur l’ensemble du monde vivant. “Les populations de vertébrés ont ainsi chuté de 58 % entre 1970 et 2012 […] Si rien ne change, ces populations pourraient avoir diminué en moyenne des deux tiers (67 %) d’ici à 2020, en l’espace d’un demi-siècle seulement” 2. Une autre étude prenant en compte 82 954 espèces animales et végétales révèle ainsi que 29 % d’entre elles sont aujourd’hui menacées.
Les déforestations massives menaçant directement les primates portent aussi une grande part de responsabilité dans le phénomène actuel de réchauffement climatique, s’ajoutant aux effets de la consommation massive d’énergie fossile productrice de gaz à effet de serre. L’exploitation effrénée des hydrocarbures par les entreprises et les États au mépris de l’environnement, de la santé et de la vie humaine est édifiante de la logique capitaliste de profit et des choix industriels des États défendant dans une concurrence exacerbée leurs intérêts nationaux par tous les moyens. Un seul exemple parmi tant d’autres : la politique du “tout diesel” de l’État français qui s’est intensifiée depuis les années 1980 pour favoriser les constructeurs nationaux. Deux voitures sur trois roulent au gazole (62 % en 2013 contre 7 % en 1979) alors qu’il est avéré que les cancers et les maladies respiratoires provoqués par cette pollution aux particules fines sont directement responsables de 386 000 décès prématurés par an dans le pays.
Alors que 2016 a enregistré le troisième record annuel consécutif de chaleur de l’histoire récente de la Terre, la fonte des glaces de la planète s’accélère, notamment aux pôles. En Arctique, à la fin de l’été 2016, la surface mesurée de la banquise était inférieure de plus de moitié à celle mesurée dans les années 1950 ; l’automne suivant, la température de l’air y a atteint – 5 °C, soit 20 °C au-dessus de la température habituellement relevée en cette saison. “Ces hausses de températures ont aussi pour conséquence de faire fondre la calotte glaciaire, c’est-à-dire la couche de glace accumulée sur de la terre. Et de faire monter le niveau des océans. Ces bouleversements thermiques affectent aussi la circulation de l’eau dans l’océan Atlantique et, par conduction, dans les océans Pacifique et Indien. Selon un rapport publié fin novembre par l’Institut de l’environnement de Stockholm sur la résilience dans l’Arctique, ce changement de régime modifierait les températures océaniques à l’échelle mondiale et le climat d’une manière considérable et brutale”” 3.
Outre la calotte glaciaire, en Sibérie, c’est la fonte du pergélisol qui s’avère lourde de menaces. Libérées par le dégel, des bactéries mortelles d’anthrax ont engendré durant l’été 2016 une épidémie pour la première fois depuis 75 ans dans cette région, entraînant la mort d’un enfant de 12 ans et l’infection de 23 autres personnes, et nécessitant le déploiement sur place de l’armée russe afin de circonscrire l’épidémie. La menace, loin de se limiter à l’anthrax, pourrait prendre la forme d’un resurgissement de maladies aujourd’hui disparues comme la variole, ou de l’apparition de nouvelles maladies encore inconnues dues au réveil et à la dissémination de virus géants découverts ces dernières années dans des dépouilles congelées de mammouths.
Ajoutons à ce tableau déjà bien sombre que le réchauffement de l’Arctique amplifie le relargage par les mers et les sols de cette région d’un puissant gaz à effet de serre, le méthane, qui à son tour accélère le processus de réchauffement climatique…
La destruction de l’environnement à l’échelle mondiale a certes pour origine l’action de l’être humain sur la nature. Partant de ce constat, chaque nouvelle étude sur le sujet est immanquablement suivie d’appels à notre prise de conscience et de responsabilité afin que cessent ces graves atteintes aux écosystèmes mondiaux, sous-entendant par-là que tout ceci ne serait que la conséquence de la “folie des hommes”.
L’inconvénient de cette vision des choses est qu’elle élude complètement l’origine commune à tous les facteurs actifs dans la destruction de l’environnement : la recherche effrénée de profit caractéristique du mode de production capitaliste. Outre le fait que pour le capitalisme les ressources naturelles représentent un “don gratuit”, “Le capital abhorre l’absence de profit ou un profit minime, comme la nature a horreur du vide. Que le profit soit convenable, et le capital devient courageux : 10 % d’assurés, et on peut l’employer partout ; 20 %, il s’échauffe ; 50 %, il est d’une témérité folle ; à 100 %, il foule aux pieds toutes les lois humaines ; 300 %, et il n’est pas de crime qu’il n’ose commettre, même au risque de la potence” 4. La soi-disant “folie des hommes” se révèle n’être que la folie du capital et sa soif insatiable de profit maximal. A cette logique implacable à laquelle sont soumis tous les États s’ajoute le cynisme des gouvernements relayé par tous les médias de la bourgeoisie qui cherchent à nous culpabiliser en posant ces problématiques sous l’angle des comportements ou des initiatives individuelles, appelant systématiquement à la “bonne volonté de chacun” pour empêcher la prise de conscience nécessaire de la nature destructrice du système capitaliste.
D’ailleurs, très tôt dans son histoire, le capitalisme a eu un impact majeur sur l’environnement planétaire. Dès le xvie siècle, suivant la découverte de l’Amérique et mû par la “soif sacrilège de l’or”, le capitalisme originaire d’Europe entame sa conquête du globe ; c’est de cette période que date le premier bouleversement d’origine humaine de l’environnement naturel à l’échelle mondiale, concomitant au génocide amérindien. “L’arrivée des Européens dans les Caraïbes en 1492 et la conquête des Amériques a mené au plus grand bouleversement de populations depuis les 13 000 dernières années et au premier réseau commercial global reliant l’Europe, l’Afrique, la Chine et les Amériques, provoquant le mélange de biotopes auparavant séparés [...] Le nouveau monde exporte le maïs, les pommes de terre, le cacao et l’ancien envoie le blé et la canne à sucre. Le cheval, la vache, la chèvre et le cochon débarquent aux Amériques. C’est une réorganisation radicale de la vie sur terre. […] Surtout, les Européens amènent avec eux des microbes inconnus dans le nouveau monde. Résultat : les Américains passent de 54 millions en 1492 à 6 millions en 1650 ! Faute de bras, 65 millions d’hectares de terres agricoles sont abandonnées à la forêt et aux landes. Toute cette végétation stocke le CO2 atmosphérique, réduisant le phénomène d’effet de serre et provoquant un petit âge glaciaire” 5.
Une étape qualitative dans la capacité de nuisance environnementale du capitalisme est atteinte avec la révolution industrielle au xixe siècle, qui marque l’apogée de ce mode de production. Car “en faisant connaître un bond prodigieux aux forces productives, le capitalisme a également provoqué un bond de même échelle aux nuisances qui en résultent et qui affectent maintenant l’ensemble du globe terrestre, le capital ayant conquis ce dernier dans sa totalité. Mais là n’est pas l’explication la plus fondamentale puisque le développement des forces productives n’est pas en soi nécessairement significatif de l’absence de maîtrise de celles-ci. Ce qui, en effet, est essentiellement en cause, c’est la manière dont ces forces productives sont utilisées et gérées par la société. Or justement, le capitalisme se présente comme l’aboutissement d’un processus historique qui consacre le règne de la marchandise, un système de production universelle de marchandises où tout est à vendre. Si la société est plongée dans le chaos par la domination des rapports marchands, qui n’implique pas seulement le strict phénomène de la pollution mais également l’appauvrissement accéléré des ressources de la planète, la vulnérabilité croissante aux calamités dites “naturelles”, etc., c’est pour un ensemble de raisons qui peuvent être résumées de la sorte :
– la division du travail et, plus encore, la production sous le règne de l’argent et du capital divisent l’humanité en une infinité d’unités en concurrence ;
– la finalité n’est pas la production de valeurs d’usage, mais, à travers celles-ci, la production de valeurs d’échange qu’il faut vendre à tout prix, quelles qu’en soient les conséquences pour l’humanité et la planète, de manière à pouvoir faire du profit” 6.
Avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence au xxe siècle, la perspective d’une destruction irréversible de l’environnement mondial, pouvant à terme rendre la planète hostile à la vie humaine, est désormais envisageable. Jour après jour, les subtils équilibres écologiques de la planète, produits de plus de 3,5 milliards d’années d’évolution, sont un peu plus attaqués par la folie destructrice du capital. Ainsi, selon l’étude publiée par une équipe de 22 chercheurs dans la revue scientifique Nature du 7 juin 2012, “nous approchons à grands pas d’un effondrement imminent et irréversible des écosystèmes, dont les civilisations humaines dépendent. S’ils s’effondrent, notre destin est plus qu’incertain. Parmi les chercheurs, certains avouent être “terrifiés” par leurs conclusions” 7. Autrement dit, le sort que le capitalisme réserve à nos plus proches parents biologiques que sont les singes pourrait n’être que le prodrome de ce qu’il réserverait à l’humanité s’il n’était pas renversé.
Car le seul moyen d’empêcher le capitalisme de continuer à détruire l’environnement planétaire consiste précisément en son renversement révolutionnaire à l’échelle mondiale par l’unique force sociale en mesure de le faire de par sa place dans la société, le prolétariat, et son remplacement par une société mue non par la soif insatiable de profit mais par la satisfaction des besoins humains, dans le respect de la nature et de la vie : le communisme.
DM, 25 février 2017
1 “Les singes pourraient disparaître d’ici vingt-cinq ans à cinquante ans [626]”, Le Monde, 18 janvier 2017.
2 “Plus de la moitié des vertébrés ont disparu en quarante ans [627]”, Le Monde, 27 octobre 2016.
3 “Climat : ainsi fond, fond, fond l’Arctique [628]”, Libération, 9 janvier 2017.
4 T. J. Dunning, cité par Karl Marx dans Le Capital, livre Premier, huitième section, chapitre XXXI : “Genèse du capitaliste industriel”.
5 “Le début de l’Anthropocène remonte à la découverte de l’Amérique [629]”, Science et Avenir, 18 mars 2015.
6 Citation tirée de notre série d’articles “Le monde à la veille d’une catastrophe environnementale”, (I) [630] et (II) [631], Revue internationale nos 135 et 139.
7 “La Terre voit venir le changement d’ère [632]”, Libération, 9 août 2012.
L’image a fait le “buzz” quelques jours sur internet. Alors qu’il s’imagine en terrain conquis en allant – en lever de rideau de son meeting du 26 janvier au soir – à la rencontre de cheminots manifestant à Périgueux contre la suppression de leurs emplois, Jean-Luc Mélenchon se fait interpeller plusieurs fois par des ouvriers refusant la récupération politique de leur mouvement. La dernière invective, évoquant l’absence de respect pour les ouvriers de tous les responsables politiques, de droite comme de gauche, fait sortir le leader de l’autoproclamée “France insoumise” de ses rails : “J’use ma vie à vous défendre ! J’use ma vie !”, faisant de lui… l’autoproclamé défenseur de la classe ouvrière.
Ne nous emballons pas : en fait, le parcours et les positions de Mélenchon font totalement pencher la balance vers une véritable défense du capital national et de sa bourgeoisie.
Né à Tanger d’un père receveur des PTT et d’une mère institutrice, il s’installe en France à 11 ans, dans le Jura. A 17 ans, il est l’un des meneurs du mouvement de son lycée en mai 68 et navigue dans les eaux trotskistes (lambertistes) pendant ses années d’études de philosophie et les débuts de sa carrière d’enseignant et de journaliste.
Puis, comme beaucoup de ses camarades de l’époque, il ne tarde pas à prendre ses distances avec le lambertisme et ne cherche pas à résister aux sirènes d’un Parti socialiste qui, depuis que François Mitterrand en a pris les rênes, rassemble de plus en plus de mouvements et militants de gauche attirés par la perspective de l’exercice des responsabilités démocratiques.
Fini l’espoir du “Grand soir”, place maintenant à l’ambition du pouvoir. A tout juste 25 ans, Mélenchon adhère au PS qu’il ne quittera que 32 ans plus tard, en 2008. Il est élu conseiller général de l’Essonne en 1985 (dont il devient président délégué en 1998), sénateur en 1986 et en 2004, il est nommé ministre délégué en 2000 et pendant deux ans dans le gouvernement de Jospin, avant de devenir député européen en 2009. Une belle carrière politique qui rend difficile de légitimer une proximité avec le monde ouvrier quand on a posé ses fesses aussi longtemps sur le velours des hémicycles et des institutions de la bourgeoisie.
Mais le passé est le passé, nous dira-t-on. Aujourd’hui, Mélenchon n’est plus qu’un “simple” député européen et son projet politique est libéré des contraintes d’un grand parti. En 2008 en effet, Mélenchon claque la porte du parti à la rose et fonde son propre mouvement, le Parti de gauche, avec l’ambition assumée de “rassembler la gauche” et qui lui permet d’obtenir un mandat au parlement européen. En guise de rassemblement, il parviendra à attirer derrière son panache une partie majoritaire d’un PCF touchant le fond des sondages et des résultats électoraux. Du Parti de gauche à la France insoumise en passant par le Front de gauche, Mélenchon a peaufiné son image et lustré son discours. Et pour bien marquer la nouveauté de ses idées, il emprunte à d’autres “troisièmes hommes” le fameux concept de “sixième République”. Jusqu’à rajouter, il y a peu, le “dégagisme” à la française, un néologisme assez mal défini et censé traduire une radicalité massive et populaire (mais surtout démagogique) dont il se proclame lui-même le leader.
Nouvelles ses idées ? Pas vraiment. En fait, il s’agit d’un amas plutôt hétéroclite résultant d’une collecte d’à-peu-près toutes les idées des “anti” et des “sans” de par le monde et qui au final ne forment qu’une resucée de vieux projets politiques qui ont à un moment ou un autre trouvé une place dans un programme politique étiqueté “de gauche” ou “radical” depuis les années 1970. Mais que pouvait-on attendre d’un pur produit de la bourgeoisie, rompu aux méthodes des partis bourgeois et dont le rêve absolu consiste en… une nouvelle constitution ?
On ne pourrait pas commencer le catalogue de ses promesses par autre chose que la refondation du partage des richesses. Vieille revendication de gauche s’il en est. Mais peut-être que notre grand leader populaire voit les choses de façon beaucoup plus radicale : expropriation des capitalistes ? Répartition des richesses à chacun selon ses besoins ? En fait, Mélenchon propose simplement une réforme fiscale et une revalorisation du SMIC. Avec de telles propositions, Mélenchon ne bouleverse pas l’ordre des choses mais, et c’est le plus important pour lui, il s’assure le soutien de la vieille garde gauchiste et stalinienne qui depuis des décennies et à chaque échéance électorale promet de “faire payer les riches”.
Autre mesure centrale dans son programme, l’indépendance économique et politique de la France. Car ne nous y trompons pas, l’internationalisme autoproclamé de Mélenchon n’est que grossier mensonge ! La défense des travailleurs oui, mais des travailleurs français ! La révolution oui, mais la révolution française ! En 2015, il n’hésitait pas à déclarer sur France 3 que “le drapeau tricolore et la Marseillaise sont des symboles révolutionnaires” et confiait en octobre 2016 à un journaliste de RTL qu’il envisageait de ne plus chanter l’Internationale à la fin de ses meetings. Finalement il chante les deux…
Ce qui peut sembler symbolique est au contraire la manifestation de son profond attachement à la nation bourgeoise, qu’il vénère comme tout bourgeois qui se respecte. Son discours sur le contrôle de l’immigration, “le travailleur détaché, qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place” 1, son ironique rejet de “ceux pour qui il est normal que tout le monde puisse s’établir où il veut, quand il veut. Comme si passeports, visas et frontières n’existaient pas” 2 démontre s’il en était besoin que le projet politique de Mélenchon n’est certainement pas en opposition avec les règles du système, en particulier le caractère central de la nation capitaliste qui encadre l’exploitation de la force de travail.
De même, dans une vision très gaullienne, Mélenchon promet de revoir tous les traités européens et tous les traités de libre-échange pour mieux défendre l’intérêt de la France.
Mélenchon promet aussi plus de “démocratie participative” : une assemblée constituante qui pourrait être en partie formée de “citoyens” tirés au sort, des élus révocables en cours de mandat et un recours au référendum plus fréquent. Des propositions communes à tous les candidats “anti-système” qui draguent ouvertement les nombreux déçus des partis traditionnels. Il ratisse ainsi le plus largement possible en donnant le change à tous les “sans” et les “anti”. Mais pas une seule de ses mesures ne remet en cause l’essentiel : l’exploitation capitaliste. Le vieil argument déjà utilisé par les staliniens et les trotskistes depuis la nuit des temps, selon lequel imposer une répartition plus juste des richesses est en soi une remise en cause du capitalisme, ne tient pas. Le système capitaliste ne peut pas être remis en cause si ce qui le fonde ne l’est pas, c’est-à-dire si le salariat, le profit, la nation et l’État sont non seulement maintenus mais confortés à travers des mesures qui visent à en faire les piliers de la société : revalorisation des salaires pour dynamiser la consommation, imposition plus progressive, démocratie participative et “préférence nationale”.
Le discours peut-être contestataire, conspuant les élites et les “ultra-riches”, il ne peut cacher la réalité : Mélenchon est un pur produit du système capitaliste qu’il prétend rejeter et son radicalisme n’est que le résultat d’une stratégie globale de la bourgeoisie pour faire en sorte que le terrain politique soit le plus possible occupé. En gesticulant sur la gauche du PS, Mélenchon flatte son ego de “leader” en pensant à ses maîtres (Castro, Chavez 3... d’emblématiques apôtres du nationalisme !) et cherche à ramasser derrière des propositions rebattues et inoffensives le maximum de ceux qui tentent de s’interroger sur la perspective que le capitalisme nous propose. Ce n’est pas en comptant sur le genre de propositions avancées par Mélenchon, pas plus que celles de n’importe quel autre candidat, que le prolétariat pourra faire triompher sa propre perspective.
GD, 1er février 2017
1 Déclaration en juillet 2016 au Parlement européen.
2 Le choix de l’insoumission, livre d’entretiens avec Marc Endeweld, journaliste à Marianne, éditions du Seuil, 2016.
3 Voir dans RI no 461 notre article : “Mélenchon, un apôtre du modèle stalinien [633]”.
Toute une campagne médiatique s’est déployée il y a peu de temps autour de la scandaleuse affaire Théo, ce jeune homme interpellé violemment par la police le 2 février à Aulnay-sous-Bois, et sodomisé avec la matraque d’un des policiers. A en croire l’IGPN en charge de l’enquête interne de la police : il s’agissait d’un “accident”, un coup de matraque “malencontreux”… mais en aucun cas d’un viol ! Bref, la faute à “pas de chance”. Une telle hypocrisie ne vient que rajouter à l’ignominie de l’agression elle-même.
Au vu des témoignages, ce jeune homme se serait opposé au contrôle musclé d’un groupe de jeunes par des policiers qui se seraient alors retournés contre lui. Nous savons combien les contrôles et interpellations policières ne se font jamais dans la dentelle : mépris, insultes racistes et humiliations en tout genre sont souvent au rendez-vous. Mais une telle violence dans une simple interpellation témoigne de la banalisation des répressions musclées.
Cette agression a logiquement abouti à une indignation légitime qui a pris la forme de messages de soutien, de témoignages, de rassemblements, mais aussi de confrontations violentes avec les flics. Tout ceci, la classe politique ne pouvait l’ignorer : du président Hollande se rendant au chevet de Théo à la secrétaire d’État à l’Aide aux victimes traitant ces policiers de “délinquants”, en passant par le maire de Nice, Christian Estrosi, parlant de “flics voyous” : tous s’y sont mis pour condamner cette “bavure”.
Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Derrière leur prétendue “solidarité” envers Théo, l’objectif était avant tout de désamorcer les explosions émeutières et les flambées de colère (sur lesquelles a pesé d’ailleurs un certain black-out) pouvant à leur tour entraîner d’autres dérapages. Il s’agissait de préserver l’image de l’État et d’une institution policière mise à mal et de préserver le “bon déroulement” de la campagne électorale déjà largement éclaboussée par d’autres scandales. Mélenchon, soi-disant plus radical que les autres, y allait de son couplet pour défendre l’image des institutions bourgeoise en déclarant que “L’affaire Théo est le scandale de trop : la police doit être républicaine” (sic).
En revanche, l’indignation chez les jeunes lycéens, mobilisés dans la rue et les lycées contre les violences policières au quotidien, est un sincère cri de colère qui n’a aujourd’hui, hélas, pas les moyens d’éviter l’impasse que représente la confrontation directe avec les flics. Ces jeunes dénoncent pourtant, à travers leur mobilisation, les discours officiels selon lesquels il n’y aurait que de simples “brebis galeuses” au sein d’une police essentiellement “au service de la démocratie et du peuple”, nous “protégeant du terrorisme et des attentats”, au point de nous inciter à les applaudir lors des “manifs citoyennes” après les attentats contre Charlie Hebdo !
Mais les faits sont têtus : il ne fait pas bon d’être noir ou d’origine maghrébine et habitant un quartier populaire. Une récente enquête publique confirme d’ailleurs que les contrôles d’identité sont effectivement très ciblés : les jeunes de 18 à 25 ans sont contrôlés sept fois plus que les autres personnes, 80 % des jeunes hommes “perçus comme Noirs ou Arabes” disent avoir été contrôlés ces cinq dernières années, huit sur dix ont été fouillés, sans parler du tutoiement très fréquent, des insultes ou brutalités en tout genre. En clair, le viol de Théo n’est que l’expression spectaculaire et brutale des stigmatisations et de la répression policière permanente. Cette violence policière est en réalité celle de l’État. Un État qui impose son ordre derrière le masque hypocrite de la démocratie et de la république par la force au quotidien, n’en déplaise à Mélenchon qui clame qu’“une autre police est possible”, en tout cas “une autre république”, faute d’un autre monde. Lénine disait déjà contre ce type de discours que “l’État, c’est l’organisation de la violence destinée à mater une certaine classe”. Et c’est encore et toujours le cas aujourd’hui.
La récupération de ce mouvement de colère a commencé tout de suite : d’abord en jetant le doute sur la moralité de Théo et sa famille, sur la véracité des faits, en stigmatisant bien sûr les “casseurs” de tous poils qui ne cherchent qu’à se “payer du flic” lors de chaque manif. Ensuite, pour relancer la campagne électorale elle-même, sur le terrain de la sécurité et du retour à une “police de proximité” qui permettrait de “renouer du lien avec les jeunes”. Comme si chez les jeunes, l’enjeu était une simple question de “communication” en lieu et place d’une véritable perspective de vie, professionnelle et sociale, que le capitalisme ne peut leur offrir.
La “police de proximité” n’est qu’un cache-sexe de circonstance que Sarkozy a d’ailleurs jeté aux orties, il y a quelques années, en déclarant aux flics en 2003 : “la police n’est pas là pour organiser des tournois sportifs, mais pour arrêter des délinquants, vous n’êtes pas des travailleurs sociaux.” Le programme est donc respecté à la lettre, y compris par la gauche au pouvoir. Et cette gauche, si prompte pourtant à s’indigner aujourd’hui, a toujours été capable, dès les années 1980, de “s’adapter” dans la rue en réactivant, par exemple, ses fameuses brigades de police motorisées, dites “voltigeurs”, à l’origine de la mort de Malik Oussekine lors des manifestations étudiantes de 1986 et réapparues dernièrement en 2016 lors des manifestations contre la loi El Khomri.
Comme quoi, il n’y a aucune illusion à se faire sur la bourgeoisie et sa violence institutionnalisée, il y a d’un côté ses beaux discours, la main sur le cœur, et de l’autre, ses actes qui prouvent le contraire. Nous n’avons rien à attendre d’autre de l’État que la terreur, la répression, l’ordre des exploiteurs au quotidien.
Stopio, 2 mars 2017
Élection après élection, gouvernement après gouvernement, depuis des décennies, aux belles promesses d’un avenir meilleur succède une situation sociale toujours plus rude. Et pourtant, les 23 avril et 7 mai prochains, environ 35 millions de Français vont se rendre une nouvelle fois aux urnes pour élire le futur Président de la République. Pourquoi ? Une large partie de ces “citoyens” vont, sans grand enthousiasme, essayer “d’éviter le pire” et de “défendre les acquis démocratiques”, en éprouvant alors la sensation d’avoir accompli leur devoir.
L’extrême-gauche et la gauche se différencient de la droite et de l’extrême-droite tout particulièrement par l’humanisme de leur discours. La solidarité, l’accueil et le partage sont autant de valeurs qui leur sont attribuées. Cette image est d’autant plus tenace qu’est ancré dans les mémoires le passé glorieux de ses partis et militants. La figure de Jean Jaurès, par exemple, entraîne aujourd’hui encore un véritable élan de sympathie. Ainsi, malgré l’expérience de la gauche au pouvoir qui partout dans le monde depuis des décennies rime avec austérité 1, par millions, des ouvriers (salariés, chômeurs, retraités, étudiants précaires) vont régulièrement voter, sans véritable enthousiasme, sans croire à l’embellie, simplement pour éviter le pire, la droite arrogante, sexiste et souvent raciste, et l’extrême droite haineuse. Ce fut ainsi le “Tout sauf Sarkozy !” qui, en tout premier lieu, donna la victoire au socialiste François Hollande en 2007. Seulement, cette illusion d’éviter ainsi le pire ne tient pas face à la véracité des faits historiques. En voici quelques-uns parmi une liste interminable. “Je pense qu’il y a trop d’arrivées, d’immigration qui ne devrait pas être là. (…) On les fait parler français, et puis arrive un autre groupe, et il faut tout recommencer. Ça ne s’arrête jamais (…). Donc, il faut à un moment que ça s’arrête.” Le Pen ? Non… Hollande ! 2. Et de joindre le geste à la parole : expulsions, reconduites et blocages à la frontière records, démantèlement de la jungle de Calais et de multiples camps de Roms, traques d’enfants jusque dans les écoles (dont l’affaire Léonarda)3... Autre exemple : sous Hollande, les expulsions locatives ont bondi de plus de 35 % ! Et contrairement à ceux qui prétendent que Hollande a trahi la gauche, sa politique s’inscrit au contraire en parfaite continuité avec l’œuvre de ses prédécesseurs. Les lois de 1998 et 2000 de la socialiste Aubry sur les 35 heures étaient un masque pour généraliser la flexibilité du travail. C’est le socialiste Rocard qui a publié en 1991 le “livre blanc” sur les retraites, véritable bible de tous les gouvernements de droite comme de gauche depuis lors pour justifier la perpétuelle dégradation du niveau des pensions. C’est le même gouvernement qui a institué la Contribution Sociale Généralisée au nom de la “solidarité nationale”. C’est un ministre “communiste” qui a introduit en 1983 le paiement obligatoire d’un forfait hospitalier. La gauche plus sociale et humaine ? Souvenons-nous que c’est Mitterrand qui affichait le pire des cynismes dans sa défense des intérêts de l’impérialisme français en Afrique quand il déclarait, après avoir poussé au déclenchement des massacres au Rwanda en 1994 : “Les génocides dans ces coins-là, ça n’a pas tellement d’importance.” Là encore, Hollande a marché dans les pas (de bottes) de ses illustres prédécesseurs en armant l’Arabie saoudite qui, ces derniers mois, assassine, décapite et lapide la population au Yémen. Et que dire face aux 20 millions de personnes menacées actuellement de mourir de faim en Afrique de l’Est principalement à cause des guerres sordides auxquelles les États-Unis d’Obama et la France de Hollande ont grandement participé ? Décidément non, la gauche n’est pas un “moindre mal”. Ses discours prétendument humanistes ne servent qu’à ensevelir sous un tombereau de mensonges et d’hypocrisie la même barbarie capitaliste que celle de la droite.
Si, de l’extrême-droite à l’extrême- gauche, les différents gouvernements à travers la planète et depuis un siècle ont démontré maintes et maintes fois l’inhumanité de leur politique, demeure une idée chevillée au corps et à l’esprit de chaque “citoyen” : voter c’est défendre et faire vivre la démocratie. Your voice, your vote. Ta voix, ton vote. Ce message est omniprésent. Mais qu’en est-il de la réalité du pouvoir de ce petit bout de papier nommé bulletin de vote ?
La démocratie est une mystification car elle présuppose une humanité unifiée, telle qu’elle n’a jamais existé, que ce soit au cours des dernières 5000 années de société de classes ou durant la société primitive, divisée en tribus et en clans. La cohésion sociale, tout au long de l’Histoire, a été assurée par le pouvoir de la classe dominante et de sa machine d’État, au détriment de la masse impuissante des exploités et des opprimés. Dans une de ses premières expressions, le pouvoir d’État a pris la forme sophistiquée de la démocratie, comme dans la Grèce antique, d’où le mot est originaire. La Cité-État athénienne a pu adopter cette forme de gouvernement grâce à l’accroissement de la richesse apportée par un afflux d’esclaves, en lien avec le pillage impérialiste des pays voisins. Le demos, c’est-à-dire le peuple, de la démocratie grecque, ce n’était pas l’ensemble de la population, mais uniquement les citoyens habitant la polis. La masse des esclaves, qui représentait la majorité de la société, ainsi que les femmes et les étrangers, n’avaient pas droit à la citoyenneté. La démocratie, dans la Grèce antique, c’était l’arme de l’État au bénéfice des propriétaires d’esclaves. La démocratie bourgeoise, par essence, n’en est pas tellement différente. Les régimes parlementaires bourgeois du xixe siècle, excluent ouvertement du droit de vote la classe ouvrière par le régime censitaire (il faut être propriétaire pour pouvoir voter). Et quand le suffrage universel est octroyé à l’ensemble de la société, il reste encore à la bourgeoisie de nombreux moyens pour exclure la classe ouvrière de ses affaires politiques : les nombreux liens qui unissent les partis politiques à la bourgeoisie et à l’État, le système de suffrage direct, qui atomise les classes en des individus isolés et prétendument égaux, le contrôle des médias, et donc des campagnes électorales, par l’État, etc. C’est la raison pour laquelle aucune élection organisée par un État démocratique ne donna jamais une majorité aux Partis des classes exploitées. Bien au contraire ! Pendant la Commune de Paris, par exemple, l’Assemblée nationale élue en 1871 fut surnommée : “la Chambre introuvable”, en référence à la Chambre royaliste de 1815, tant la bourgeoisie n’aurait pu rêver meilleur résultat pour ses intérêts, alors même que Paris et une partie de la France étaient emportées par le torrent révolutionnaire.
La démocratie, quelle que soit la période historique où elle a surgi, a toujours été une méthode de gouvernement assurant la domination violente de la minorité sur la majorité, et non l’inverse, comme son nom le laisse croire. Elle n’a jamais été, et ne pourra jamais être un moyen d’autorégulation et de contrôle par l’ensemble de la société. La démocratie est l’organisation politique la plus sophistiquée d’une classe pour dominer la société :
• Elle permet de façon plus efficace et durable, de résoudre les différends au sein de la classe dominante et d’atténuer les luttes pour le pouvoir.
• Elle donne aux masses exploitées la meilleure illusion que les exploiteurs et l’État dirigent dans l’intérêt de l’ensemble de la population.
• Elle donne aussi aux exploités l’illusion qu’ils peuvent, au moins théoriquement, réaliser leurs intérêts au moyen de l’État tel qu’il existe, sans avoir besoin de le renverser.
• Enfin, pour ce qui concerne le futur, face à la menace que représente le prolétariat révolutionnaire, la démocratie répond au besoin de la bourgeoisie de proposer un avenir mythique et idéal qui ne nécessite pas le renversement de l’ordre établi concrètement. Si la “vraie” démocratie n’a jamais existé nulle part, ce serait, dit la bourgeoisie, parce que l’Homme, cette conception philosophique abstraite, hors du temps et de l’Histoire, n’a pas suffisamment essayé de la mettre en œuvre.
Ce n’est donc pas un hasard si les grandes démocraties sont les plus anciens pays capitalistes, là où la bourgeoisie comme le prolétariat ont tous deux une longue expérience de luttes. Plus la classe ouvrière est forte, plus sa conscience et son organisation sont développées, plus la bourgeoisie a besoin de son arme politique la plus efficace. Si l’arrivée de Hitler au pouvoir fut possible, démocratiquement d’ailleurs et soutenu par tous les grands industriels d’Allemagne, lors des élections de 1933, c’est justement que la classe ouvrière avait été préalablement écrasée physiquement et idéologiquement par la social-démocratie allemande pendant la vague révolutionnaire de 1918-1919. Ce n’est pas le délaissement des urnes par les “citoyens” qui a engendré l’arrivée du nazisme au pouvoir mais la défaite dans le sang de la classe ouvrière, vaincue militairement et politiquement par la très démocratique social-démocratie !
La bourgeoisie fait croire que sa bataille la plus importante et la plus longue sera toujours celle de “la démocratie contre la dictature”. Ainsi, la principale justification de l’impérialisme des Alliés au cours de la Seconde Guerre mondiale contre le fascisme, c’est la lutte de la démocratie contre la dictature. Des millions d’êtres humains sont massacrés au nom de la démocratie. Après 1945, la démocratie est le principal thème mobilisateur de la Guerre froide menée contre le bloc impérialiste stalinien par le bloc dirigé par les États-Unis. Des pays entiers ont été ravagés au nom de la lutte contre l’expansion du totalitarisme. Après 1989, l’effondrement du bloc de l’URSS marque le début de toute une série d’aventures militaires colossales menées par les États-Unis pour maintenir leur hégémonie mondiale, sous la bannière de la démocratie et des droits de l’Homme, contre les dictateurs fous (guerre du Golfe, intervention en Yougoslavie) ou contre les terroristes démoniaques (guerre en Afghanistan). Ainsi, durant les conflits impérialistes qui ont ravagé la planète depuis plus d’un siècle, la force des “démocraties libérales” a constamment été de faire croire aux prolétaires qui servaient de chair à canon, qu’en se battant pour la démocratie, ce n’était pas les intérêts d’une fraction capitaliste qu’ils défendaient, mais un idéal de liberté face à la barbarie de systèmes dictatoriaux. Et c’est sans honte, avec le cynisme qui les caractérise, que ces mêmes démocraties ne se sont jamais gênées pour soutenir, utiliser ou même mettre en place telle ou telle dictature lorsque cela correspond à leurs besoins stratégiques. Les exemples ne manquent pas : ainsi les États-Unis en Amérique latine ou bien la France dans la plupart de ses ex-colonies africaines. Cette bataille éternelle de la démocratie contre la dictature est donc un mythe idéologique. Le capitalisme dans son ensemble, quel que soit son masque et son organisation politique, est une dictature, un système d’une minorité privilégiée exploitant l’écrasante majorité de l’humanité.
Il peut rester encore une raison qui pousse, malgré tout, à aller voter : le suffrage universel a été arraché de haute lutte, à travers des combats souvent sanglants, par la classe ouvrière au XIXe siècle : en Angleterre, avec le mouvement chartiste, en Allemagne entre 1848-49, en Belgique et les immenses grèves de 1893, 1902 et 1913... En France, ce n’est qu’après le bain de sang de la Commune de Paris en 1871 que les travailleurs ont obtenu définitivement le suffrage universel. Cette revendication se trouve même dans Le Manifeste communiste écrit par Marx et Engels en 1848. Mais se pose alors une question : pourquoi cette même bourgeoisie qui, au siècle dernier, réprimait violemment les ouvriers qui demandaient le suffrage universel, fait tant d’efforts aujourd’hui pour que le maximum d’entre eux aillent voter ? Pourquoi ces publicités payées par l’État et martelant : “Votez, votez, votez !” sur toutes les chaînes de télévision, dans la presse et les manuels scolaires ? Pourquoi sur tous les plateaux télés, les “abstentionnistes” sont culpabilisés et désignés comme des citoyens irresponsables mettant en péril la démocratie ? Pourquoi cette différence flagrante entre le xixe siècle et les xxe et xxie siècles ? Pour répondre, il est nécessaire de distinguer deux époques du capitalisme : l’ascendance et la décadence. Au xixe siècle, le capitalisme connaît sa phase d’apogée. La production capitaliste se développe à pas de géant. C’est dans cette période de prospérité que la bourgeoisie assoit sa domination politique sur l’ensemble de la société et élimine le pouvoir de l’ancienne classe régnante : la noblesse. Le suffrage universel et le parlement constituent un des moyens les plus importants de lutte de la fraction radicale de la bourgeoisie contre la noblesse et contre les fractions rétrogrades de celle-là. A ce titre, la démocratie bourgeoise et son idéologie libérale représentent une prodigieuse avancée historique par rapport à l’obscurantisme religieux de la société féodale. La lutte que mène le prolétariat, durant cette période, est directement conditionnée par cette situation du capitalisme. En l’absence de crise mortelle de celui-ci, la révolution socialiste n’est pas à l’ordre du jour. Pour le prolétariat, il est question de renforcer alors son unité et sa conscience en combattant pour des réformes durables, pour tenter d’améliorer ses conditions de vie attaquées en permanence. Les syndicats et les partis parlementaires lui permettant de se regrouper indépendamment des partis bourgeois et démocratiques et de faire pression sur l’ordre existant, au besoin en faisant tactiquement alliance avec des fractions radicales de la bourgeoisie, sont les moyens qu’il se donne pour l’obtention de réformes. Le parlement étant le lieu où les différentes fractions de la bourgeoisie s’unissent ou s’affrontent pour gouverner la société, le prolétariat se doit d’y participer, sous conditions, pour tenter d’infléchir son action dans le sens de la défense de ses intérêts. Avec le xxe siècle, le capitalisme entre dans une nouvelle phase : celle de son déclin historique. Le partage du monde est terminé entre les grandes puissances. Chacune d’entre-elles ne peut s’approprier de nouveaux marchés qu’au détriment des autres. Avec l’agonie du capitalisme s’ouvre, comme dit l’Internationale communiste, “l’ère des guerres et des révolutions”. D’un côté, la Première Guerre mondiale éclate. De l’autre, en Russie (1905 et 1917), en Allemagne (1918-1923), en Hongrie (1919), en Italie (1920), le prolétariat fait trembler le vieux monde par une vague révolutionnaire internationale. Pour faire face à ses difficultés croissantes, le capital est contraint de renforcer constamment le pouvoir de son État. De plus en plus, l’État tend à se rendre maître de l’ensemble de la vie sociale en premier lieu dans le domaine économique. Cette évolution du rôle de l’État s’accompagne d’un affaiblissement du rôle du législatif en faveur de l’exécutif. Plus concrètement, comme le dit le deuxième congrès de l’Internationale communiste : “Le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement et définitivement sorti du Parlement”. Aujourd’hui, en France, comme ailleurs, il est patent que l’Assemblée nationale n’a plus aucun pouvoir, c’est tout au plus une chambre d’enregistrement : la grande majorité (80 %) des lois qu’elle vote est présentée par le gouvernement et une fois votée cette loi doit être promulguée par le Président de la République et, pour prendre effet, doit encore attendre que soit signé le décret d’application par ce même Président. Ce dernier peut d’ailleurs se passer carrément du parlement pour légiférer en ayant recours aux ordonnances ou encore, en France, à l’aide de l’article 16 de la constitution qui lui octroie les pleins pouvoirs. Ce rôle insignifiant du Parlement se traduit par une participation ridicule des députés à ses séances : la plupart du temps, ils ne sont pas plus d’une vingtaine à suivre ses débats, alors qu’il était, au xixe siècle, le lieu de luttes âpres et enflammées, et de discours parfois brillants, comme ceux de Jean Jaurès en France ou de Karl Liebknecht en Allemagne.
En même temps que s’amenuise la fonction politique effective du parlement, la fonction mystificatrice grandit et la bourgeoisie ne s’y trompe pas qui, dès 1917 en Russie et 1919 en Allemagne, brandit l’assemblée constituante contre la révolution prolétarienne et ses conseils ouvriers. Désormais, la démocratie parlementaire sera le meilleur moyen dont disposera la bourgeoisie pour domestiquer le prolétariat.
La bourgeoisie exerce le pouvoir non dans son ensemble mais en le déléguant à une fraction minoritaire en son sein, regroupée dans les partis politiques. Cela est valable aussi bien dans les démocraties (concurrence entre plusieurs partis) que dans les régimes totalitaires fascistes ou staliniens (parti unique). Ce pouvoir d’une minorité de spécialistes de la politique n’est pas seulement le reflet de la position minoritaire de la bourgeoisie au sein de la société ; il est également nécessaire pour préserver les intérêts généraux du capital national face aux intérêts divergents et concurrents des différentes fractions de cette bourgeoisie. Ce mode de pouvoir par délégation est donc inhérent à la société bourgeoise et se reflète dans chacune de ses institutions et principalement dans le suffrage universel. Celui-ci est même le moyen privilégié par lequel “la population”, en fait la bourgeoise, “confie” le pouvoir à un ou plusieurs partis politiques. Pour l’action révolutionnaire du prolétariat, ce n’est pas à une délégation minoritaire de la classe que revient le rôle d’agir et de prendre le pouvoir mais à l’ensemble de la classe. C’est là la condition indispensable du succès de tout mouvement prolétarien. Le suffrage universel ne peut donc, de quelque façon que ce soit, servir de cadre pour l’engagement révolutionnaire du prolétariat contre l’ordre existant. Loin de favoriser la mobilisation et l’initiative des plus larges masses, il tend au contraire à maintenir leurs illusions et leur passivité. Mai 68, la plus grande grève depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a débouché un mois après sur la plus grande victoire électorale que la droite ait connue en France. La raison de ce décalage réside dans le fait que l’élection d’un député se trouve dans une sphère totalement différente de celle de la lutte de classe. Cette dernière est une action collective, solidaire, où l’ouvrier est accompagné d’autres ouvriers, où les hésitations des uns sont emportées par la résolution des autres, où les intérêts en cause ne sont pas particuliers mais ceux d’une classe. Par contre, le vote fait appel à une notion totalement abstraite, en dehors de cette réalité d’un rapport de forces permanent entre deux classes sociales aux intérêts diamétralement opposés : le citoyen, qui se retrouve seul dans l’isoloir face à un choix pour quelque chose d’extérieur à sa vie quotidienne. C’est le terrain idéal pour la bourgeoisie, celui où la combativité ouvrière n’a aucune possibilité de se manifester réellement. Ce n’est pas par hasard que celle-là fait tant d’efforts pour faire voter. Les résultats électoraux sont justement le terrain où ne s’exprime pas du tout la combativité des masses ouvrières. Au contraire, en France par exemple, la proposition par certains candidats d’une VIe République et d’une nouvelle Constitution pousse à enfermer le raisonnement de l’individu-citoyen dans le cadre étroit des frontières nationales et de la reproduction des rapports sociaux mortifères de concurrence et d’exploitation capitalistes.
La réponse aux contradictions de ce système et aux souffrances croissantes qu’il engendre ne peut être apportée que par la dimension internationale de la lutte du prolétariat et sa pratique mondiale de la solidarité. Afin de libérer la société des conséquences destructrices de la production capitaliste, le communisme doit abolir les classes et la propriété privée, ce qui entraîne un dépérissement de l’État et de la démocratie : “on oublie constamment que la suppression de l’État est aussi la suppression de la démocratie, que l’extinction de l’État est l’extinction de la démocratie. Une telle assertion paraît, à première vue, des plus étranges et inintelligibles ; peut-être certains craindront-ils que nous souhaitions l’avènement d’un ordre social où ne serait pas observé le principe de la soumission de la minorité à la majorité ; car enfin, la démocratie n’est-elle pas la reconnaissance de ce principe ? Non. La démocratie et la soumission de la minorité à la majorité ne sont pas des choses identiques. La démocratie, c’est un État reconnaissant la soumission de la minorité à la majorité ; autrement dit, c’est une organisation destinée à assurer l’exercice systématique de la violence par une classe contre une autre, par une partie de la population contre l’autre partie. Nous nous assignons comme but final la suppression de l’État, c’est-à-dire de toute violence organisée et systématique, de toute violence exercée sur les hommes en général. Nous n’attendons pas l’avènement d’un ordre social où le principe de soumission de la minorité à la majorité ne serait pas observé. Mais, aspirant au socialisme, nous sommes convaincus que dans son évolution il aboutira au communisme et que, par suite, disparaîtra toute nécessité de recourir en général à la violence contre les hommes, toute nécessité de la soumission d’un homme à un autre, d’une partie de la population à une autre ; car les hommes s’habitueront à observer les conditions de la vies élémentaire en société, sans violence et sans soumission.” (Lénine, L’État et la Révolution). La démocratie ne signifiera plus rien dans une société communiste qui aura remplacé le gouvernement des gens et la gestion capitaliste par “l’administration des choses”, dans un monde qui, contrairement au capitalisme, s’accommode et profite de la diversité des besoins et des capacités des individus.
Sandrine, 3 mars 2017
1 Sur le passage des partis socialistes dans le camp bourgeois dans les années 1910 et celui des partis communistes dans les années 1930, lire nos brochures disponibles sur notre site internet.
2 Propos tenus aux journalistes Davet et Lhomme, le 23 juillet 2014.
3 La gauche du capital a une longue expérience de traitement inhumain et barbare des immigrés. L’ensemble de la social-démocratie européenne a, par exemple, soutenu les décisions “courageuses” du gouvernement socialiste espagnol de Zapatero qui en 2005 avait donné l’ordre de tirer sur les migrants, d’en abandonner dans le désert au Sud d’Oujda, de lancer des coups de filet massifs dans les villes marocaines, de multiplier les vols charter de rapatriement vers le Mali et le Sénégal avec des hommes et des femmes entassés dans des autobus de la mort vers le désert du Sahara. Et il ne s’agit pas là d’une spécialité de la gauche démocratique européenne. Aux États-Unis, si l’annonce de Trump d’expulser sous sa présidence entre 2,5 et 3 millions d’immigrés clandestins a fait scandale, le très populaire Obama a fait expulser en catimini, entre 2009 et 2015, 2,5 millions de “clandestins” !
Les très importantes manifestations qui ont eu lieu depuis janvier en Roumanie contre une réforme du Code pénal menée par le gouvernement social-démocrate pour alléger les peines encourues dans les cas de corruption, proposer une amnistie totale dans les cas de corruption de moins de 200 000 lei (45 000 €) et amnistier d’anciens élus actuellement détenus, sont sans précédent dans ce pays depuis celles qui ont abouti à la déchéance du régime Ceaucescu en 1989. Cet ensemble de lois était en fait taillé “sur mesure” pour amnistier dans les faits, Liviu Dragnea, le président du parti social-démocrate (PSD) au pouvoir, accusé de malversations et d’emplois fictifs portant sur une somme de 100 000 lei.
Le gouvernement a tenté de faire passer ce texte en force par une ordonnance d’urgence dans la nuit du 31 janvier et une heure plus tard, le texte était publié au Journal officiel ! La réponse a été une indignation qui n’a fait qu’enfler le nombre de manifestants : dimanche 22 janvier, 30 000 personnes au moins défilaient à Bucarest, 20 000 dans les autres grandes villes du pays. Le 2 février, 150 000 personnes manifestaient à Bucarest. Le 5 février, c’est presque un demi-million de Roumains qui se trouvaient dans la rue à travers tout le pays, 250 000 rien qu’à Bucarest. “La Roumanie connaît les plus importantes manifestations de masse de son histoire”, titrait Die Welt, le 6 février. Les manifestants ont bravé un thermomètre indiquant – 10 °C. Beaucoup de jeunes de province sont venus manifester dans la capitale en profitant de la gratuité des transports en commun pour les étudiants récemment votée par le gouvernement ! Dans au moins 20 autres villes du pays, il y a eu des manifestations, ce qui montre l’étendue du mécontentement face aux mesures gouvernementales.
Le mépris du gouvernement et du PSD au pouvoir n’a fait qu’accentuer l’indignation des manifestants, Liviu Dragnea qualifiant à la télévision de “Bullshit” ce qui se passait à Bucarest et le Premier ministre Grindeanu affirmant qu’il n’y avait aucune raison pour que le gouvernement démissionne. La question n’est pourtant pas sans enjeu pour la Roumanie, qui souhaite intégrer l’espace Schengen et ne le peut pas pour l’instant du fait d’un rapport défavorable de l’UE sur la corruption dans le pays.
Cependant, le 2 février, le ministre délégué pour le Milieu des affaires démissionnait. Le 8 février, le principal artisan du décret, le ministre de la Justice Florin Iordache, démissionnait à son tour. Le pouvoir ne pouvait que lâcher du lest pour déminer le mécontentement de la population, ce qui s’est avéré insuffisant : le 5 février, le gouvernement retirait les ordonnances incriminées.
En 1990, dans ses Thèses sur la décomposition, le CCI écrivait : “Mais les manifestations de l’absence totale de perspectives de la société actuelle sont encore plus évidentes sur le plan politique et idéologique. Ainsi :l’incroyable corruption qui croît et prospère dans l’appareil politique, le déferlement de scandales dans la plupart des pays tels le Japon (où il devient de plus en plus difficile de distinguer l’appareil gouvernemental du milieu des gangsters), l’Espagne (où c’est le bras droit du chef du gouvernement socialiste qui, aujourd’hui, est directement en cause), la Belgique, l’Italie, la France (où les députés décident de s’amnistier eux-mêmes pour leurs turpitudes).” La situation de corruption généralisée et impudente que l’on voit en Roumanie n’a en effet rien d’une exception ! Cette multiplication des phénomènes de corruption est une caractéristique de la période de décomposition que connaît la société capitaliste toute entière, et ce n’est donc pas un phénomène lié aux tares particulières de politiciens particulièrement sans scrupules. La corruption est constitutive de la société capitaliste, et la décomposition de ladite société, en exacerbant “la débandade générale au sein même de l’appareil étatique, la perte du contrôle sur sa propre stratégie politique, […] constitue […], en réalité, la caricature […] d’un phénomène beaucoup plus général affectant l’ensemble de la bourgeoisie mondiale, un phénomène propre à la phase de décomposition” (Thèses sur la décomposition). La bourgeoisie ayant de plus en plus de mal de fédérer ses propres composantes autour d’un projet politique commun, il est logique que de plus en plus de ses membres ne cherchent qu’à trouver leur intérêt personnel dans les affaires de l’État, et rien d’autre !
Cependant, le phénomène de la décomposition de la société capitaliste ne touche pas que la classe dominante, et les manifestations que nous voyons aujourd’hui en Roumanie et ailleurs nous le montrent clairement. Ces manifestations provoquées par une indignation parfaitement légitime contre la corruption habituelle des politiciens dans un pays où le salaire moyen est d’un peu plus de 300 € mensuels ont été une réaction de colère face à une classe politique pourrie. Il faut cependant constater que ces manifestations ont connu des expressions totalement anti-prolétariennes, religieuses, voire purement nationalistes. Le Président de la république Ihoannis avait rejoint la manifestation du 22 janvier, et les manifestants du 5 février à Bucarest ont chanté l’hymne national, ceux de Timisoara ou de Iasi ont entonné en chœur le “notre Père”. À Ploiesti, 3000 manifestants se sont agenouillés devant le siège du PSD pour implorer le gouvernement de retirer son texte. L’un des principaux slogans des manifestations était : “Dragnea, n’oublie pas : Laura t’attend !”. Laura Codruta Kövesi est la cheffe du parquet national anticorruption (DNA). Que les manifestants mettent leurs espoirs de lutte contre les politiciens corrompus dans une des émanations judiciaires de l’État roumain n’est pas la moindre des contradictions de ce mouvement !
Les revendications des manifestants roumains ne demandaient sur le fond rien de plus que le rétablissement du “dialogue démocratique” ; ainsi que le disait un manifestant, le problème pour lui est que les politiciens “ne veulent pas parler au peuple et établir un dialogue”. En fait, le hiatus entre la vie de politicien corrompu et celle de simple citoyen devient si grotesque qu’il en est devenu insupportable pour une grande partie de la population. Mais pour l’instant la classe ouvrière ne voit pas sa perspective propre, et la bourgeoisie peut facilement la faire adhérer à la revendication de “rétablir la démocratie” pour “rapprocher les élus du peuple”. Ce sont de très classiques revendications populistes, et elles n’ont en tout cas rien de révolutionnaire.
Nous voyons aujourd’hui beaucoup de manifestations très importantes à travers le monde : en Corée du Sud contre la corruption de la présidente Park et de sa “gourou” personnelle, en Angleterre contre le Brexit, aux États-Unis contre la politique de Donald Trump, au Brésil contre les scandales Petrobras et Odebrecht… Ces manifestations ont des points communs très forts avec ce qui se passe en Roumanie, une indignation partagée contre les agissements de certains politiciens corrompus ou partisans de mesures dont les manifestants ne veulent pas entendre parler (comme la rupture nationaliste du Brexit, ou les décrets anti-immigration de Trump), une exaspération face à la situation économique qui se dégrade alors que des politiciens piochent allègrement dans les finances étatiques, une volonté de peser politiquement contre les gouvernants, mais aussi de demander aux politiciens “d’écouter” les citoyens et de se conformer fondamentalement à une certaine morale, notamment en faisant la “transparence” sur leurs actes et leurs finances.
Mais derrière ces expressions confuses d’indignation (tout à fait compréhensibles et respectables par ailleurs), il faut se demander quelle perspective il y a pour le prolétariat. Et là, le pot aux roses se dévoile assez vite : dans un article du 4 février 2017, le journal Le Monde nous le dit très clairement : “[…] ce vol organisé par les dépositaires du pouvoir non seulement soustrait des revenus aux gens honnêtes et à l’économie mais, par son mode de fonctionnement, mine la démocratie et la confiance politique.” Ce genre de revendication est pleinement acceptable, non seulement par les fractions bourgeoises les plus susceptibles d’arriver au pouvoir, mais surtout par les fractions populistes les plus réactionnaires, qui demandent ouvertement que les “corrompus” et les “profiteurs” de l’État “dégagent” ; n’est-ce pas le slogan de Trump qui, pendant sa campagne électorale, promettait de “faire le ménage” à Washington ?
Lorsque le prolétariat se laisse embarquer sur ce terrain, il est totalement impuissant. Or ce que l’on voit pour l’instant dans ces mouvements, partout dans le monde, c’est que le prolétariat se retrouve noyé dans un mouvement pour… combattre les effets les plus visibles de la décomposition sociale, qui touche effectivement la bourgeoisie et est à l’origine du développement du populisme dans certaines de ses fractions. Ce n’est aucunement une perspective émancipatrice pour la classe ouvrière, qui doit combattre son ennemi de toujours : la bourgeoisie en tant que classe exploiteuse et dominante, et les rapports de production capitalistes.
Aujourd’hui, la décomposition qui frappe la bourgeoisie et provoque toujours plus de corruption des élus, une idéologie de “retour en arrière” toujours plus réactionnaire, empêche la classe ouvrière de voir où sont ses intérêts réels. Ce n’est qu’en retrouvant le chemin de la lutte de classe, contre la dégradation de ses conditions de vie et de travail, que la classe ouvrière retrouvera son identité et son véritable combat.
Sven, 22 février 2017
Au début du xxe siècle, au cours de ses plus grandes luttes, le prolétariat s’est donné une nouvelle forme d’organisation adaptée à sa tâche révolutionnaire : les conseils ouvriers (ou soviets).
Les conseils ouvriers se caractérisent par :
– leur constitution sur la base des assemblées générales ouvrières ;
– l’élection et la révocabilité à tout moment des délégués, l’unité entre la prise de décision et l’application de cette décision (non séparation entre “législatif” et “exécutif” ) ;
– leur regroupement et centralisation non sur des bases professionnelles ou industrielles mais sur des bases territoriales (ce ne sont pas les typographes ou les travailleurs du textile qui se regroupent comme dans les syndicats, mais les travailleurs d’une entreprise, d’un quartier, d’une ville, d’une région, etc.).
Cette forme spécifique d’organisation de la classe ouvrière est directement adaptée aux tâches qui attendent le prolétariat dans la révolution.
En premier lieu, il s’agit d’une organisation générale de la classe, regroupant l’ensemble des travailleurs. Auparavant, toutes les formes d’organisations ayant existé, y compris les syndicats, ne regroupaient qu’une partie de la classe. Si cela était suffisant pour que le prolétariat puisse exercer une pression sur le capitalisme afin de défendre au mieux ses intérêts dans le système, c’est seulement en s’organisant en totalité que la classe est en mesure d’accomplir sa tâche historique de destruction du système capitaliste et d’instauration du communisme. Si l’action et le pouvoir d’une partie de la bourgeoisie (ses partis politiques) était possible et même nécessaire dans l’accomplissement de sa révolution, c’est que cette classe elle-même ne constituait qu’une partie infime de la population, qu’elle était une classe exploiteuse, et que par ailleurs, seule une minorité d’elle-même pouvait se hisser au-dessus des conflits d’intérêts qui l’ont toujours traversée du fait des rivalités économiques existant entre ses divers secteurs. Par contre, tant du fait qu’il n’existe pas d’antagonismes ni de rivalités au sein du prolétariat que du fait que la société qu’il est appelé à instaurer abolit toute exploitation et toute division en classes, que le mouvement qu’il conduit est “celui de l’immense majorité au bénéfice de l’immense majorité” (Le Manifeste communiste), seule son organisation générale est en mesure d’accomplir cette tâche historique.
En deuxième lieu, l’élection et la révocabilité à tout moment des différentes charges, expriment le caractère éminemment dynamique du processus révolutionnaire, le perpétuel bouleversement tant de la société que celui qui traverse la classe elle-même, notamment dans le développement de sa conscience : ceux qui avaient été nommés pour telle ou telle tâche, ou parce que leurs positions correspondaient à tel niveau de conscience de la classe ne sont plus nécessairement à leur place lorsque surgissent de nouvelles tâches ou que ce niveau de conscience a évolué. Elles expriment également le rejet par la classe en action de toute spécialisation définitive, de toute division en son sein entre “masses et chefs”, la fonction essentielle de ces derniers (les éléments les plus avancés de la classe ) étant justement de tout faire pour que disparaissent les conditions qui ont provoqué leur apparition : l’hétérogénéité du niveau de conscience dans la classe. Si dans les syndicats, même quand ils étaient encore des organes de la classe ouvrière, il pouvait exister des fonctionnaires permanents, c’était dû au fait que ces organes de défense des intérêts ouvriers dans la société capitaliste portaient en eux certaines des caractéristiques de cette société. De même qu’il utilisait des instruments spécifiquement bourgeois comme le suffrage universel et le Parlement, le prolétariat reproduisait en son propre sein certains traits de son ennemi bourgeois tant qu’il cohabitait avec lui et que l’heure de sa destruction n’avait pas encore sonné. La forme d’organisation statique des syndicats exprimait le mode de lutte de la classe ouvrière lorsque la révolution n’était pas encore possible. La forme d’organisation dynamique des conseils ouvriers est à l’image de la tâche qui est enfin à l’ordre du jour : la révolution communiste. De même, l’unité entre la prise de décision et son application exprime ce même rejet de la part de la classe révolutionnaire de toute spécialisation institutionnalisée, elle traduit le fait que c’est toute la classe qui non seulement prend les décisions essentielles qui la concernent mais aussi participe à l’action de transformation de la société.
En troisième lieu, l’organisation sur une base territoriale et non plus professionnelle ou industrielle exprime la nature différente des tâches prolétariennes. Lorsqu’il s’agissait de faire pression sur un patron ou sur un syndicat patronal en vue d’une augmentation des salaires ou de meilleures conditions de travail, l’organisation par métier ou par branche industrielle avait un sens. Même une organisation aussi archaïque que celle du métier permettait une réelle efficacité des travailleurs contre l’exploitation ; notamment, elle empêchait les patrons de faire appel à d’autres ouvriers d’une profession lorsque certains étaient en grève. La solidarité entre typographes, cigariers ou doreurs sur bronze était un embryon d’une réelle solidarité de classe, une étape dans l’unification de la classe ouvrière en même temps qu’elle pouvait faire reculer les patrons. Même si pesaient sur elle les distinctions et divisions propres à l’économie capitaliste, l’organisation syndicale était donc un moyen réel de lutte dans le système. Par contre, lorsqu’il s’agira non plus de faire reculer tel ou tel secteur du capitalisme, mais de s’affronter à lui en totalité, de le détruire et d’instaurer une autre société, l’organisation spécifique des typographes ou des ouvriers du caoutchouc ne saurait avoir le moindre sens. Pour prendre en main l’ensemble de la société, c’est sur une base territoriale que s’organise la classe ouvrière même si les assemblées de base se tiennent au niveau des entreprises.
Une telle tendance existe déjà à l’heure actuelle dans les luttes de résistance contre l’exploitation qui, loin de se donner une forme syndicale, rejettent cette forme pour s’organiser en assemblées générales souveraines, nommer des comités de grève élus et révocables, briser le carcan professionnel ou industriel pour s’étendre au niveau territorial.
D’une part, cette tendance exprime le fait que, dans sa période de décadence, le capitalisme prenant une forme de plus en plus étatique, l’ancienne distinction entre luttes politiques (qui étaient l’apanage des partis ouvriers du passé) et luttes économiques (dont les syndicats avaient la responsabilité) a aujourd’hui de moins en moins de sens : toute lutte économique sérieuse devient politique en s’affrontant à l’Etat : soit à ses policiers, soit à ses représentants dans l’usine, les syndicats. D’autre part, elle indique la signification profonde des luttes présentes comme préparatifs des affrontements décisifs de la période révolutionnaire : même si c’est un aiguillon économique (la crise, l’aggravation intolérable de l’exploitation) qui jette les ouvriers dans ces affrontements, les tâches qui se présentent à eux sont éminemment politiques : attaque frontale et armée contre l’Etat bourgeois, instauration de la dictature du prolétariat.
La Révolution russe et ses conseils ouvriers il y a un siècle sont toujours une source d’inspiration pour la société actuelle. Lire, débattre et tirer les leçons de cette gigantesque expérience du prolétariat est une absolue nécessité pour l’avenir.
CCI
Le nouveau président de la République est enfin élu, cet homme prétendument “nouveau” et “hors système” : Emmanuel Macron.
Celui-ci promet de “changer” la France et de “réunir tous les Français” dans une nouvelle concorde nationale et fraternelle. Il promet de relancer l’économie française et se veut l’homme du renouveau européen, d’une zone euro plus démocratique et économiquement dynamique. Autant d’enjeux de nature exclusivement bourgeoise. C’est sans conteste la classe bourgeoise qui seule peut se réjouir des résultats et ce sont toujours ses propres représentants qui gagnent les élections. Il n’y a là rien de nouveau. La démocratie est l’idéologie derrière laquelle se cache la dictature du capitalisme, son État totalitaire et sa domination sur la société. Depuis plus d’un siècle, le terrain électoral est un piège mystificateur puissant contre le prolétariat. Les élections bourgeoises sont en effet un des moments privilégiés pour la classe dominante afin de se donner des gouvernements conformes à la défense de ses intérêts, tout en développant de manière intensive et concentrée l’idéologie démocratique servant à masquer sa cupidité et la dictature du système capitaliste. À travers celles-ci, elle tente de faire croire que c’est la majorité de la population qui gouverne et décide. Ceci est l’exact contraire de la réalité. La démocratie est bien la dictature la plus idéologiquement sophistiquée permettant à la minorité exploiteuse de dominer la majorité de la population et, au premier rang de celle-ci, le prolétariat. Elle efface les antagonismes d’intérêts de classes pourtant irréconciliables. Elle transforme le prolétariat révolutionnaire en une somme d’individus, de “citoyens-électeurs” isolés, atomisés et impuissants 1.
C’est un fait évident, la bourgeoisie française dans ses secteurs les plus responsables du point de vue de ses intérêts objectifs était très inquiète de la possibilité de l’arrivée du FN au pouvoir, ce parti bourgeois et défenseur lui-aussi de l’intérêt national mais totalement irrationnel et irresponsable. À ce niveau, Angela Merkel, la chancelière allemande, et son tristement célèbre ministre de l’Économie, le sieur Schlaube, étaient également très préoccupés. Ils n’ont donc pas ménagé leur soutien très actif à la candidature Macron. Merkel ne déclarait-elle pas pendant l’entre deux tours du scrutin français : “Je n’ai aucun doute sur le fait qu’Emmanuel Macron, s’il est élu, ce que je souhaite, sera un président fort” ? Sans oublier l’ancien président américain Obama et la Commission européenne qui n’ont pas arrêté de mener campagne pour soutenir eux-aussi cette candidature. De fait, la bourgeoisie française misait sur deux candidats jugés les plus aptes à gérer au mieux les affaires du capitalisme national, tout en pouvant faire face au FN : messieurs Juppé et Macron. Cependant, la candidature Juppé était dès le départ fort compromise. Celui-ci, ancien Premier ministre, membre d’un parti rejeté par la majorité des français (Les Républicains) et au lourd passé d’homme d’appareil, représentait un fort risque d’échec. Ce que les primaires de la droite ont amplement confirmé avec la victoire surprise de François Fillon. En réalité, des secteurs croissants de la bourgeoisie travaillaient déjà de plus en plus ouvertement à la réussite de “l’homme nouveau” Macron. Le soutien actif du Président sortant, François Hollande, est rapidement devenu un secret de polichinelle. Il en allait de même pour un certain nombre de ténors au sein du Parti socialiste en pleine déconfiture. Ce phénomène était aussi présent au sein de la droite elle aussi en pleine crise. Soutenue par de nombreux milieux d’affaires (financiers et industriels), relayée par les médias, BFM en tête, la campagne était outrancière, mais efficace ! Il fallait promouvoir Macron à tout prix ! Pourquoi une telle volonté, une telle détermination de la part des partis les plus responsables de la bourgeoisie occidentale et française ? Sûrement pas pour défendre l’intérêt du prolétariat ! En vérité, toute cette partie de la classe dominante avait peur de voir le FN accéder au pouvoir et il lui fallait absolument donner l’illusion d’un “renouvellement”.
La bourgeoisie est sans contestation possible la classe exploiteuse la plus intelligente de l’histoire. En tant que classe, elle ne peut jamais perdre totalement de vue où sont ses intérêts et comment les défendre. L’histoire du capitalisme est là pour le démontrer, que ce soit face au prolétariat révolutionnaire ou dans la défense de ses propres intérêts économiques et impérialistes. À ce titre, la montée du populisme dans la plupart des pays occidentaux ne pouvait que l’alarmer et l’inquiéter. Cette grande inquiétude, s’est transformée en préoccupation permanente et prioritaire avec la victoire du Brexit en Grande-Bretagne et celle de Trump aux Etats-Unis. Il ne s’agissait pas là de phénomènes ayant eu lieu dans de petits pays, faibles et secondaires. Deux des bourgeoisies les plus puissantes du monde avaient été incapables d’empêcher la victoire électorale du populisme. L’alarme était non seulement déclenchée mais elle sonnait maintenant en permanence et de manière stridente, d’autant qu’elle menaçait de faire voler en éclats l’Union européenne. Cela ne devait pas se reproduire en France, lieu d’existence d’une puissante formation populiste alors que ce populisme sape les fondements idéologiques mystificateurs avec lesquels la bourgeoisie maintient encore une certaine cohésion sociale (les “Droits de l’homme”, le progrès universel, etc.). Ce parti bourgeois (le FN), rétrograde et irrationnel, est incapable d’encadrer idéologiquement la société en procédant par “exclusion”, en proclamant ouvertement que le monde est en train de sombrer et qu’il faut sauver sa nation et ses ressortissants de souche au détriment du reste de la planète.
Ce qui inquiète en premier lieu les fractions de la bourgeoisie les plus lucides, c’est l’inaptitude de ces partis populistes à défendre de manière efficace et cohérente les intérêts généraux du capital national. La proposition d’un référendum de Marine Le Pen pour sortir de l’Union européenne ou se défaire de l’euro en est une expression très claire. Les partis populistes se caractérisent par une incapacité à savoir quelle politique ils doivent mener, un jour proposant une chose et le lendemain son contraire ; et cela est vrai tant en matière économique, qu’impérialiste. Empêcher le FN d’arriver au pouvoir en France était d’autant prioritaire qu’il était également nécessaire de montrer à la face du monde que la victoire du Brexit et de Trump n’étaient pas les produits d’un phénomène irréversible. Le résultat des élections en France vient de le démontrer de même que le soulagement de bon nombre de grandes chancelleries. C’est en ce sens que ces élections, malgré la fragilité historique de la bourgeoisie, sont une réussite pour celle-ci non seulement en France mais également sur un plan international et particulièrement en Europe.
La nécessité d’une réaction de la bourgeoisie face à la montée du populisme trouve ses causes premières dans le lent processus d’affaiblissement historique qu’elle subit, y compris dans les principaux pays occidentaux. À la racine de ce processus historiquement irréversible se trouve l’approfondissement de la décomposition du système capitaliste. Cela se traduit notamment par une difficulté croissante à développer une politique sur le long terme, à garantir la cohésion suffisante pour la défense des intérêts nationaux au-delà des intérêts de cliques, de coteries ou de rivalités personnelles. Cette dynamique affecte en premier lieu les partis traditionnels qui sont à la tête des États bourgeois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En France, ce sont les partis de la droite traditionnelle et le PS qui sont particulièrement touchés, au point d’être en situation de marginalisation. Une très grande majorité de la population ne veut plus de ces partis. À la tête de la France depuis des décennies, ils n’ont fait que, chacun leur tour, développer une austérité et une précarité croissante sans offrir aucune perspective d’avenir un tant soit peu crédible. Gangrenés par les affaires, les pires bagarres de clans et rivalités d’ego, ils ont suscité dégoût et rejet massif. Ils ont fait le lit d’un populisme toujours plus présent et renforcé. Cet affaiblissement des partis les plus responsables et les plus expérimentés de la bourgeoisie nationale est une réalité qui s’impose ainsi à toute la classe bourgeoise et qui peut avoir de graves conséquences, comme nous le voyons aujourd’hui aux Etats-Unis. Or, de nouvelles attaques de la classe ouvrière doivent être mises en œuvre le plus rapidement possible. Face à ces enjeux, à la gravité et à l’urgence, les partis traditionnels complètement discrédités ne pouvaient plus assumer aussi facilement leurs tâches. Ils n’auraient été qu’un facteur accélérateur du processus d’affaiblissement historique de la bourgeoisie. Même si rien n’assure encore que les élections législatives du mois de juin prochain donneront une majorité solide à Macron, avec l’immense campagne de sympathie pro-Macron, c’est à la poursuite de cette réaction politique que s’est attelée maintenant une grande partie de la bourgeoisie française et allemande, au-delà de leur concurrence économique et impérialiste bien réelles.
La bourgeoisie met en place au mieux de ses possibilités actuelles les moyens les plus opérants possibles pour mener une attaque sans précèdent des conditions de vie et de travail. C’est ce que Macron vient de répéter à la face de l’Europe toute entière dans sa récente conférence de presse à Berlin : “Je suis là pour réformer profondément et rapidement la France. Je tiendrai mes promesses de campagne”. Le prolétariat est une nouvelle fois prévenu. Macron va agir, légiférer frontalement et sans retenue. Il propose ainsi de prendre sans tarder une série de mesures dont les prolétaires en tête vont payer les frais, et cela dès cet été, pendant qu’une partie des ouvriers ne sont pas sur leur lieu de travail aux côtés de leurs frères de classe.
Le maître-mot en la matière est flexibilité généralisée, l’objectif étant de pousser beaucoup plus loin encore la loi El Khomri : imposer, sur chaque lieu de travail, le niveau de salaire, de temps de travail réel et de conditions de licenciements au nom de la compétitivité. C’est le renforcement féroce de l’exploitation que prépare ainsi Macron. Mais cela n’est pas suffisant. L’assurance-chômage va également en prendre un sale coup. La hausse de la CSG et le flicage renforcé des chômeurs sont au programme. Quant aux retraites, “les sommes cotisées individuellement détermineront le niveau de pension de chacun”. Ceci est très clair : il faudra travailler plus longtemps pour des retraites encore plus misérables, avec disparition des quelques garanties encore existantes. Et Macron se propose également de supprimer les régimes spéciaux. C’est sa politique pour “réduire”, comme il le dit en paraphrasant l’ancien président Chirac, la “fracture sociale” ! Précarisation et appauvrissement généralisés pour ceux qui travaillent, les chômeurs, les jeunes et les retraités. C’est toute la classe ouvrière qui va ainsi très violemment être attaquée par l’État capitaliste français.
Il est clair que les élections ne sont qu’une arme entre les mains de la bourgeoisie. Hier, Hollande et Sarkozy, aujourd’hui, Macron… Mais pour le prolétariat, il n’y a là aucune autre perspective que davantage d’exploitation et de dégradation de ses conditions de vie. La bourgeoisie n’accorde aucune dignité au prolétariat, pas plus qu’à la vie humaine. Seuls comptent sa domination et son profit. Pour cela, Macron peut compter sur d’autres fractions de la bourgeoisie nationale. Mélenchon et son mouvement ont déjà participé activement à renforcer l’idéologie démocratique et républicaine. Dans le futur, ils auront probablement un rôle encore plus important à jouer contre la lutte du prolétariat. Mélenchon, ce vieux routier de l’appareil d’État bourgeois le sait pertinemment ! Comme le savent également les gauchistes et les syndicats, CGT et FO en tête, puisqu’ils préparent déjà ce qu’ils appellent un “troisième tour social”, c’est-à-dire rejouer pleinement leur rôle d’encadrement des luttes pour les saboter et les dévoyer hors du terrain de classe.
Pour une partie de la classe ouvrière, une erreur grave serait de penser pouvoir contester l’ordre capitaliste et remettre en cause ce déferlement prévu d’attaques en tombant dans les bras d’une révolte réactionnaire et populiste, dressant les ouvriers les uns contre les autres. Tout aussi dangereux serait le soutien aux “forces démocratiques” de l’anti-populisme. Des jeunes peu nombreux dans la rue criaient au lendemain du premier tour : “Ni Marine, ni Macron, ni patrie, ni patron !” Aussi confus que puisse être ce slogan et malgré la grande difficulté dans laquelle se trouve le prolétariat aujourd’hui du point de vue de sa combativité et de sa conscience, un tel slogan, porté par quelques jeunes, exprime en germe l’idée de la lutte de classe et la nécessité d’affirmer la perspective d’une autre société. La révolution communiste reste la seule possibilité réaliste pour construire enfin une société réellement humaine, sans classes sociales et sans exploitation. Pour cela, il faudra s’affronter de manière consciente à la bourgeoise, son État et sa démocratie.
Philippe, 19 mai 2017
1 Voir “Élections et démocratie : l’avenir de l’humanité ne passe pas par les urnes”, Révolution internationale, no 463.
Après avoir remplacé David Cameron comme Premier ministre britannique, Theresa May a déclaré : “Brexit veut dire Brexit”. Elle a répété ce mantra sous plusieurs formes, pendant les mois qui ont suivi. Cela n’a pas aidé à comprendre dans quelle direction la politique gouvernementale britannique allait s’orienter mais a plutôt contribué à entretenir les incertitudes.
La classe dominante britannique ne s’attendait pas à la victoire du “oui” au Brexit. Dans les mois qui ont suivi, il est devenu évident qu’il n’y avait pas de plan en vue de cette éventualité. Le gouvernement Cameron n’avait pris aucune disposition en ce sens. Ceux qui ont fait campagne pour quitter l’Union européenne sont revenus avec des slogans tels que “350 millions de livres de plus par semaine pour la NHS” mais n’ont pas proposé de mesures concrètes. La bourgeoisie britannique a en partie perdu le contrôle de son appareil politique et a cherché des stratégies pour limiter les dégâts sur l’économie, pour stabiliser une situation qui entraîne, surtout depuis l’arrivée du président Trump aux États-Unis, le développement rapide de perturbations et d’incertitudes.
Le Livre blanc de février 2017 du gouvernement utilise près de 25 000 mots pour essayer de résoudre un torrent de contradictions. Dans un discours de janvier, Theresa May a déclaré : “le peuple britannique (…) a voté pour façonner un avenir meilleur.” Le but du Livre blanc est de préparer la voie pour une “sortie de l’UE douce et bénéfique pour les deux parties” et “éviter une rupture traumatisante”. Il reste à voir dans quelle mesure cet avenir sera effectivement “radieux”.
On peut y lire que “nous ne chercherons pas à être des membres du Marché unique, mais nous poursuivrons au contraire un nouveau partenariat stratégique avec l’UE, incluant un accord de libre-échange et un nouvel accord douanier.” Ainsi, le Royaume-Uni va quitter le Marché unique et trouver un compromis avec les 27 pays restants. Pour quitter l’UE, l’accord de seulement 20 pays sur 28 est requis, alors qu’un accord commercial nécessite l’accord des 27 États de l’UE. En ce qui concerne le commerce, le gouvernement pense qu’ “un système basé sur des règles internationales est fondamental pour soutenir le libre-échange et prévenir le protectionnisme”. Néanmoins, pour la Grande-Bretagne, pour qui les États-Unis sont le plus grand marché d’exportation, la présidence de Trump n’est pas, dans le cadre de rapport d’État à État, une perspective réjouissante, car ce pays semble aller dans une direction protectionniste en mettant en avant “L’Amérique d’abord” et en renégociant les accords commerciaux. Dans le même sens, l’Institut des études fiscales a suggéré que la perte de marchés aurait un énorme impact sur l’économie britannique bien que les contributions au budget européen vont cesser.
Theresa May propose une alternative au Marché unique : “si nous étions exclus du Marché unique, nous serions libres de changer les bases du modèle économique britannique.” Le chancelier de l’Échiquier, Philip Hammond, s’adressant à Welt am Sonntag du 15 janvier 2017, a déclaré : “Si nous n’avons pas l’accès au Marché européen, si nous en sommes exclus, si la Grande-Bretagne doit quitter l’Union sans accord sur l’accès aux marchés, nous pourrions subir des dommages économiques au moins sur le court terme. Dans ce cas, nous pourrions être obligés de changer notre modèle pour retrouver de la compétitivité. Et vous pouvez être sûrs que nous ferons tout ce que nous avons à faire.” La proposition de “faire quelque chose de différent” a été accueillie avec beaucoup de réserve. Est-ce que le Royaume-Uni va devenir un paradis fiscal ? Va-t-il s’enferrer dans une guerre commerciale et tarifaire ? Il y a vraiment beaucoup de possibilités, dont la moindre n’est pas de susciter au Royaume-Uni un renouveau de la production manufacturière, en dépit de vagues promesses en ce sens.
Une des raisons pour lesquelles l’accès du Royaume-Uni au Marché unique paraît impossible à beaucoup de commentateurs est qu’il impliquerait une liberté de circulation pour les citoyens de l’UE. Theresa May a déclaré : “Nous voulons garantir les droits des citoyens européens qui vivent déjà en Grand-Bretagne” ; mais, en même temps, son gouvernement se prépare à utiliser ces trois millions de personnes comme monnaie d’échange. Liam Fox a présenté les émigrés européens en Grande-Bretagne comme “les cartes maîtresses” dans les négociations sur le Brexit. Un document issu d’une fuite du Comité pour les affaires légales du Parlement européen révèle qu’il pourrait y avoir un retour de boomerang de la part de l’UE.
Les contradictions dans la position du gouvernement reflètent la situation inconfortable dans laquelle se trouve le capitalisme britannique. “Nous allons reprendre le contrôle de nos lois”, clame Theresa May, mais, en même temps, “alors que nous adoptons le corps de la loi européenne dans nos règles internes, nous nous assurerons que les droits des travailleurs seront pleinement respectés.” Le but est de prendre tout ce qui est “bénéfique” dans l’UE tout en gardant les avantages de l’indépendance. La bourgeoisie britannique utilisera toutes les manœuvres possibles et rendra l’Europe responsable des éventuelles difficultés. Mais elle ne part pas en position de force.
La bourgeoisie britannique s’est historiquement fait remarquer par la capacité de son appareil politique à défendre les intérêts du capital national. Le résultat du referendum a montré une perte de cohésion croissante au sein de la classe dominante, mais il a également montré sa capacité à s’adapter aux difficultés. La démonstration en a été faite après le referendum, avec le “choix” évident de Theresa May comme chef du Parti conservateur pour résoudre une crise gouvernementale temporaire. De même, les batailles légales et parlementaires ultérieures et le rôle des media doivent être appréhendés dans ce contexte. Le procès intenté contre le gouvernement, pour l’empêcher d’agir seul et conserver un rôle pour le Parlement, a provoqué une vague de colère chez les media populistes contre les juges de la cour d’appel : le Daily Mail les a présentés comme “ennemis du peuple”, alors que les media libéraux défendaient “l’indépendance du pouvoir judiciaire”.
Mais ce que l’on considérait comme une “crise constitutionnelle” s’est rapidement estompé. Lorsque l’appel du gouvernement à la Cour suprême a également été rejeté, il y a eu beaucoup moins d’hystérie. La Chambre des communes a fait son travail en entérinant les propositions de l’exécutif, malgré le fait que la majorité des membres du Parlement aurait préféré rester dans l’UE. Le Parti travailliste a été particulièrement utile. Jérémy Corbyn a imposé aux membres du Parlement l’obligation absolue de soutenir les étapes de la législation pour le Brexit. Corbyn a été loyalement soutenu par les trotskistes du Socialist Worker du 9 février 2017 : “Il a avec raison insisté pour que les députés travaillistes votent en faveur d’un projet de loi ouvrant le processus de sortie de l’UE”.
Ailleurs au Parlement, une source gouvernementale a déclaré : “Si les lords ne veulent pas affronter un appel public appelant à leur abolition, ils doivent se soumettre et protéger la démocratie, et accepter ce projet de loi.” Le secrétaire au Brexit, David Davis a appelé ses pairs à “faire leur devoir patriotique”. Les menaces à l’encontre de la Chambre des lords, de la part du Parti conservateur, sont la preuve des divisions qui existent au sein de la bourgeoisie, même si, à un niveau plus profond, elle est unie en tant que partie d’une classe capitaliste d’État.
Malgré toutes les déclarations de “liberté pour le Royaume-Uni”, en janvier 2017, la visite de Theresa May aux États-Unis et en Turquie a montré la réalité de la position de l’impérialisme britannique. Elle a tendu la main à Donald Trump et essayé de grappiller tout ce qui était possible. La prétendue “relation spéciale” entre les États-Unis et la Grande-Bretagne a toujours été en réalité au bénéfice des premiers et il semble peu probable que ce déséquilibre soit corrigé dans un avenir proche. En Turquie, Theresa May a “adressé un sévère avertissement au président turc Recep Tayyip Erdogan concernant le respect des droits de l’Homme hier, alors qu’elle s’apprêtait à signer un contrat de 100 millions de livres pour un marché d’avions de combat dont le 10 Downing Street espère qu’il permettra à la Grande-Bretagne de devenir le principal partenaire de défense Turque” (The Guardian du 28 /01 /17).
Voilà le visage international que montre actuellement la bourgeoisie anglaise. Les perspectives en dehors de l’UE sont incertaines, elle tente désespérément de recevoir des miettes de l’impérialisme américain, les perspectives pour son secteur financier ne sont pas assurées, mais, au moins, elle peut compter sur la vente d’armes à un pays en conflit. Un document gouvernemental divulgué a donné la liste des industries prioritaires pour les pourparlers sur le Brexit. Parmi les hautes priorités figurent l’aérospatiale, le transport aérien, les services financiers, les transports terrestres (transport ferroviaire exclu), les assurances et les infrastructures bancaires et commerciales. Les priorités inférieures comprennent l’acier, le pétrole et le gaz, les télécommunications, les services postaux et environnementaux, l’eau, les services médicaux et l’éducation. Dans les coulisses se prennent les décisions concernant quels secteurs peuvent survivre ou être sacrifiés et quels secteurs ont besoin d’un soutien plus conséquent.
Dans le Telegraph du 11 février 2017, le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ne sous-estime pas la capacité de la bourgeoisie anglaise à intriguer et conspirer : “les Anglais vont tenter sans trop d’effort de diviser les 27 États-membres restants.” Et le gouvernement anglais est en position de repli, car comme le dit May : “pour la Grande-Bretagne, pas d’accord du tout vaut mieux qu’un mauvais accord.” Telle est la position d’un “Brexit dur” auquel la bourgeoisie anglaise semble se rallier. L’impitoyable détermination de la bourgeoisie anglaise ne faiblit pas mais sa capacité à fonctionner de façon cohérente dans une période de décomposition croissante s’est abaissée.
Les problèmes auxquels la classe ouvrière doit faire face en Grande-Bretagne font écho à ceux qu’elle rencontre internationalement. En 1989, les transitions dans les régimes d’Europe de l’Est se sont faites sous les yeux d’une classe ouvrière spectatrice, qui n’a joué aucun rôle indépendant. Au cours des deux dernières années, nous avons assisté au développement du terrorisme aux portes de l’Europe de l’Ouest, au referendum sur l’Europe, à l’élection de Donald Trump et à la résurgence du Front national de Marine Le Pen. Là non plus, la classe ouvrière n’a pas été un facteur actif dans cette situation, malgré les changements énormes et le mécontentement de la population contre les élites. La bourgeoisie va tenter d’utiliser la décomposition de son système contre la classe ouvrière, que ce soit par la promotion de l’option populiste ou par des campagnes et des confrontations anti-populistes. Mais, alors que la bourgeoisie défend une société en déclin, la classe ouvrière, elle, a la capacité de créer de nouvelles relations sociales basées sur la solidarité et non sur l’exploitation et le nihilisme.
Car, 15 février 2015
(D’après World Revolution, organe de presse du CCI au Royaume-Uni)
La manifestation du 28 mars dernier en Guyane a rassemblé plus de 10 000 personnes dans les deux principales villes, Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni (40 000 selon les organisateurs), sur une population de 250 000 habitants à l’appel des 37 syndicats qui composent l’Union guyanaise des travailleurs (UGT). C’est la mobilisation la plus massive de l’histoire de ce territoire, au lendemain du déclenchement d’une grève générale illimitée appelée par ces mêmes syndicats. Quel sens donner à cette grève ? Quelles sont les perspectives de ce mouvement ?
Ce mouvement traduit un énorme ras-le-bol, un sentiment d’être méprisé dans un contexte où la grande majorité de la population guyanaise s’enfonce dans une misère et une pauvreté effroyables. Il existe un contraste effarant entre la haute technologie développée au centre spatial de Kourou et le sort des villages voisins totalement privés d’éclairage public et même d’eau potable : “la fusée décolle mais, nous, on n’a pas de lumière” proclamait un habitant de la région. Il témoigne aussi d’un écart énorme entre la métropole de la cinquième puissance mondiale et ce département où 50 % de la population a moins de 25 ans mais où 40 % des jeunes quittent le système scolaire sans aucun diplôme, où sévit aussi le chômage (dont le taux officiel est de 22 %), où le taux de suicide est entre dix et vingt fois supérieur à celui de l’hexagone (en particulier au sein de la population d’origine amérindienne), la vie chère (avec des prix en moyenne 40 % plus élevés qu’en métropole), la terrible pénurie sanitaire (délabrement des structures hospitalières et médicales) et l’insécurité face à la criminalité (42 meurtres en un an), la délinquance, et la présence de gangs mafieux (comme dans toute l’Amérique latine) qui traduisent le niveau saisissant de la décomposition de la situation sociale.
Depuis près de 50 ans, les exaspérations et les frustrations se sont accumulées face aux promesses non tenues des “politiques” (seulement en “visite” lors de tournées électorales) et des élus locaux qui ont débouché sur cette explosion générale de mécontentement ; mais cette explosion ne doit pas masquer le caractère fondamentalement interclassiste du mouvement où les réelles revendications ouvrières (réclamant de nouveaux établissements pour l’éducation et la santé, des transports scolaires gratuits, un accès au soin pour tous, etc.) sont noyées ou dévoyées sur un terrain totalement nationaliste au nom de “la défense des intérêts du peuple guyanais” (1). Pourquoi ce mouvement est-il si fortement médiatisé ?
D’une part, justement parce qu’il est embarqué sur le terrain idéologiquement pourri de la mobilisation citoyenne et “populaire” à travers des collectifs “Pou Lagwiyann dékolé” (Pour le décollage de la Guyane) qui ont mené, à la place des élus “qui ont perdu leur légitimité”, les négociations avec les ministres représentants du gouvernement (dont la ministre des Outremers, Ercika Bareigts, qui s’est publiquement excusée devant “le peuple guyanais” et les “500 frères contre la délinquance”. Le mouvement des “500 frères” est d’ailleurs très actif dans les collectifs et n’est autre qu’une milice encagoulée composée en bonne partie de policiers et de personnel de sociétés de sécurité appuyée par le MEDEF (syndicat patronal) local. Ils ont imposé leurs méthodes musclées de commandos et d’actions “coups de poing” obligeant les commerçants à fermer leurs rideaux, le blocage des routes et de l’approvisionnement des stations-services, l’occupation du centre spatial de Kourou, etc. Les “500 frères” et d’autres collectifs similaires, des “Toukans” au “Trop Violans”, mettent constamment en avant les revendications en faveurs de plus de forces de police et de tribunaux mais réclament aussi des mesures franchement xénophobes tels que le démantèlement des squats et l’expulsion des détenus étrangers vers leurs pays d’origine, ou carrément le renvoi de la main-d’œuvre immigrée venant du Brésil, du Surinam ou de Haïti, peuplant de nombreux bidonvilles et assimilée à des délinquants.
Ce battage médiatique a plusieurs buts :
– mettre en avant le dialogue démocratique “à visage découvert”, avec la présence des médias dans les négociations pour donner du crédit à “la pression du peuple guyanais” afin de réclamer… la “protection de l’État français” 2 ;
– faire apparaître le “soutien populaire” de “collectifs citoyens” qui n’ont d’autre objectif que d’empêcher le mouvement de s’exprimer sur un terrain de classe ;
– mettre en avant ses méthodes de lutte en les présentant comme les seuls moyens possibles (l’action déterminée d’une minorité) de “faire bouger les choses” ou déjà “de se faire entendre”, méthodes qui n’ont rien à voir avec celles de la classe ouvrière dans ses luttes 3 ;
– renforcer cet interclassisme à travers le caractère identitaire et nationaliste de la “lutte du peuple guyanais” au nom des “droits démocratiques” en soulignant ses “propres” revendications éducatives, culturelles, “droits” des peuples autochtones (intégrer l’histoire du territoire ou les langues maternelles dans l’éducation, par exemple). Il faut rappeler les impasses des mouvements précédents dans les territoires d’outremer où l’aspect nationaliste et indépendantiste avait pris le dessus à travers l’encadrement syndical du LKP en Guadeloupe en 2009, les divisions interethniques en Martinique en 2010 ou encore à Mayotte en 2011 ;
– servir de repoussoir pour renvoyer une image et un sentiment d’impuissance qui ne peut que renforcer le déboussolement général actuel de la classe ouvrière et ses difficultés à s’affirmer sur son terrain autonome de classe.
À aucun moment, les prolétaires guyanais n’ont été capables d’affirmer la nécessité ni de dégager le besoin d’une telle autonomie et de se battre sur un terrain d’intérêts de classe. Ils n’ont pas su tirer les leçons des mouvements similaires des travailleurs d’outremer des années passées et inscrire leur lutte dans un cadre global et internationaliste. Ce faisant, malgré toute leur colère et leur détermination affichée, ils se condamnent à tomber dans tous les pièges et les illusions (lutte “citoyenne” et “démocratique” des collectifs, “lutte du peuple” enfermé dans le carcan du nationalisme) tendus par la bourgeoisie qui ne peut les conduire que dans une impasse. Cette incapacité reflète toute la faiblesse et les difficultés actuelles de l’ensemble de la classe ouvrière à retrouver et affirmer son identité de classe.
Wim, 13 avril 2017
1) Le caractère interclassiste ressort clairement du cahier de revendications (de 400 pages) du collectif “Pour que la Guyane décolle” (voir le site Internet du collectif sur nougonkasa.fr) qui, à côté de revendications à caractère “social” (volets éducation et formation, santé…) glisse pêle-mêle des propositions réclamant davantage de moyens répressifs face au problème de l’insécurité (plus de police et de tribunaux) ou une plus grande libéralisation en faveur du patronat local, lui permettant notamment de légaliser de juteux trafics de drogue et d’or avec le Brésil voisin, sans oublier le thème particulier des “peuples autochtones”.
2) Alors que le gouvernement à l’issue des négociations n’a accepté qu’un déblocage d’un peu plus d’un milliard d’euros sur les quelque 3 milliards réclamés par les collectifs (en accordant une large part aux demandes de crédits “sécuritaires” ou patronales), ceux-ci ont alors décidé de poursuite le mouvement déjà engagé dans une impasse mais “lâché” par le patronat, en large partie satisfait des “concessions” du gouvernement métropolitain.
3) À la rescousse de ce fourvoiement, les gauchistes apportent leur petite pierre, en vantant comme un “modèle de lutte à suivre” sa prétendue “radicalité” et “combativité” qui vont de “Vive la lutte des travailleurs guyanais !” (LO) au “Soutien au peuple guyanais !” du NPA de Poutou, en passant par “La Guyane au bord de la révolution sociale” (Voix des Travailleurs).
Depuis fin 2016, une grande partie de la population de l’Afrique de l’Est est touchée par une grave famine qui s’abat impitoyablement sur des millions de personnes. Au Soudan du Sud, ce nouvel État qui a proclamé son indépendance en 2011 et n’a connu depuis que la guerre civile, pas moins de 4,9 millions de personnes (soit 42 % de la population !) a besoin d’une aide alimentaire urgente. Selon l’ONG Action contre la faim, 4,4 millions de personnes sont également directement menacées au Nigeria, tout comme la moitié de la population en Somalie (6,2 millions de personnes). Pour compléter ce tableau (loin d’être exhaustif), au Moyen-Orient, plus de 14 millions de Yéménites sont actuellement en situation “d’insécurité alimentaire”. Concrètement, la vie de ces millions d’êtres humains, sur qui la faim s’abat sans discernement d’âge ou de sexe, se résume à l’épouvantable et permanente angoisse de ne pouvoir trouver ni eau (rarement potable) ni nourriture.
La faible médiatisation de ce drame gigantesque a de quoi surprendre 1). Cette fois, on est bien loin des images du ministre Kouchner débarquant sur une plage somalienne, pieds nus et sac de riz sur l’épaule, caméras de télé braquées sur lui. Aucun appel à la mobilisation générale comme lorsqu’un tsunami dévasta l’Asie du Sud-est en 2004. Cette fois, comme la plupart du temps, les populations peuvent crever dans leur coin, en silence et loin des caméras.
En fait, contrairement aux exemples qui suivent, les États n’ont nullement besoin d’un alibi humanitaire pour couvrir une opération militaire imminente ou la conquête de juteux marchés en Afrique de l’Est :
• En 1914, l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes préfigurait déjà une longue liste d’instrumentalisation de la détresse des populations civiles. Sur la base d’un rapport-bidon commissionné par la Grande-Bretagne (le Rapport Bryce), artistes et organisations humanitaires (la Croix-Rouge, notamment) véhiculèrent une série de fables sur les atrocités de l’armée allemande : le Boche était ainsi accusé de viols de masse, de tortures et de mutilations. Les troupes commirent évidemment des exactions. Mais, à l’époque, les prétendues révélations sur les comportements des soldats n’étaient fondées sur aucun témoignage : elles furent inventées de toutes pièces et largement exagérées.
• Mais le cynisme humanitaire de la bourgeoisie prit une toute autre dimension après la Seconde Guerre mondiale. La guerre du Biafra entre 1967 et 1970 représente à ce titre un véritable tournant dans cette instrumentalisation. La presse déploya des moyens exceptionnels pour médiatiser la famine qui frappait le pays et dénoncer les atrocités, réelles ou inventées, de l’armée nigériane. Voici ce que déclarait Jacques Foccart, l’homme de la Françafrique, à ce propos : “Les journalistes ont découvert la grande misère des Biafrais. C’est un bon sujet. L’opinion s’émeut et le public en demande plus. Nous facilitions bien sûr le transport des reporters et des équipes de télévision par des avions militaires jusqu’à Libreville et, de là, par les réseaux qui desservent le Biafra” 2. Les images insoutenables d’enfants au ventre ballonné par la dénutrition et de réfugiés affamés déclenchèrent une vague de solidarité internationale que l’État français canalisa sur le terrain de l’aide humanitaire en évacuant sans scrupules sa responsabilité majeure dans le conflit. C’est à cette occasion qu’émergèrent le concept insidieux de “droit d’ingérence” et ses panégyristes, Kouchner en tête. En dénonçant le prétendu génocide perpétré par le pouvoir nigérian, le fondateur de Médecins sans frontières apporta son soutien aux sécessionnistes alors appuyés par la France dans une guerre civile qui allait provoquer plus d’un million de morts. Un pont aérien transportant officiellement des vivres fut mis en place. Mais ce pont humanitaire servait surtout à dissimuler l’envoi d’armes et de mercenaires au gouvernement du Biafra..., ce qui aggrava davantage la situation.
• En novembre 1992, la mise en scène, déjà évoquée plus haut, assurée par l’ineffable Kouchner en Somalie avait été précédée par une intense campagne médiatique allant jusqu’à mobiliser massivement les enfants et les enseignants dans les 74 000 écoles françaises pour que chaque élève apporte en classe un kilo de riz. Cela allait permettre à l’ONU d’officialiser le fameux “droit d’ingérence” et surtout de préparer directement l’envoi des troupes dans le cadre de l’opération militaire Restore Hope, supervisée par les Etats-Unis.
• En 1984-1985, l’instrumentalisation de l’humanitarisme prit d’ailleurs un tour industriel écœurant. L’Éthiopie était alors touchée par une famine qui fit plusieurs centaines de milliers de victimes. En déclenchant partout dans le monde d’immenses campagnes caritatives, les grandes puissances purent se livrer à une rivalité sans merci pour la défense de leurs sordides intérêts impérialistes. Mais de plus, alors même que les concerts et les succès musicaux, comme We Are The World aux États-Unis, passaient en boucle à la radio ou à la télévision, l’aide alimentaire était, avec la complicité des États donateurs, détournée pour financer l’achat d’armes de guerre ! Et pendant ce temps, au Lesotho, la population mourait de faim dans l’indifférence...
• Entre avril 1991 et fin 1996, au lendemain de la guerre du Golfe, “l’aide humanitaire” servit encore de puissante arme de propagande guerrière et fut le prétexte tout trouvé pour couvrir les opérations militaires d’envergure Provide Comfort I et II des Etats-Unis et de leurs alliés au nord de l’Irak, sous prétexte “d’aider” et “protéger” les populations kurdes contre l’armée irakienne.
Nous pourrions multiplier les exemples tant de l’instrumentalisation des crises humanitaires que de l’indifférence coupable, voire complice, dont fait preuve la bourgeoisie. Mentionnons néanmoins un exemple récent particulièrement significatif. En 2010, un séisme frappait Haïti, causant 230 000 morts, et dévastant une partie du pays, dont la capitale, Port-au-Prince. Un déferlement impérialiste s’abattit aussitôt sur l’île. Sous couvert d’urgence humanitaire qu’une énorme campagne médiatique avait préparée 3, chaque État, rangé en ordre de bataille derrière ses 10 000 ONG ( !) et ses milliers de soldats, essaya d’y arracher des occasions d’affaires et une influence politique accrue. Comme pour chaque catastrophe, beaucoup d’États avaient promis une aide financière afin de faciliter leurs ambitions. Mais les différentes bourgeoisies nationales utilisèrent en réalité les 12 milliards promis comme monnaie d’échange pour défendre leurs intérêts particuliers. Une infime fraction des sommes annoncées, qui servit essentiellement à “arroser” la bourgeoisie locale, fut effectivement injectée dans le pays dont la population subit encore aujourd’hui les conséquences du séisme 4.
Aujourd’hui les rares reportages consacrés à la famine au Sud Soudan sont destinés à susciter un sentiment de fatalité et d’impuissance, soit en invoquant simplement la sécheresse ou le dérèglement climatique (comme au Sahel), soit la terreur que font régner les affrontements entre bandes armées locales (comme au Darfour ou en Somalie) en masquant l’intérêt impérialiste à géométrie variable des grandes puissances dans leur aide humanitaire. Que l’on assiste à l’enfoncement des populations dans une détresse oubliée ou à l’exploitation de cette situation par des lamentations tapageuses et cyniques, en réalité, l’objectif idéologique reste celui de détourner de la prise de conscience que la responsabilité majeure de cette situation incombe aux lois du système capitaliste basées sur les rapines et le profit, celles d’un système miné par ses contradictions insurmontables qui plonge l’humanité dans un engrenage de plus en plus dramatique et meurtrier dans sa phase de décomposition.
La seule classe en mesure de faire vivre une authentique solidarité désintéressée, c’est le prolétariat. Tant que les lois du profit et de la concurrence capitaliste domineront ce monde, tant que la classe ouvrière n’y opposera pas son unité et sa solidarité, le chaos, la famine et la barbarie engendrés par le système capitaliste ne cesseront de s’étendre.
Marius, 11 mai 2017
1 En dehors de quelques articles ou reportages publiés en février et mars 2017, et de quelques autres exclusivement sur le Yémen, la presse ne dit presque plus un mot sur ces situations de famine.
2 Foccart parle, T. 1, p. 346, cité par François-Xavier Verschave dans : La Françafrique, le plus long scandale de la République.
3 La classe ouvrière donna sans compter aux ONG qui se constituèrent alors un gigantesque pactole... qui n’arriva jamais aux victimes.
4 Les soldats de l’ONU apportèrent par ailleurs dans leur bagages le choléra qui, comme au Yémen actuellement, se répandit comme une traînée de poudre au milieu des camps de réfugiés et des décombres.
Dans son numéro no 519 (mars-avril-mai 2016), Le Prolétaire, organe de presse du Parti communiste international (PCI) a fait la critique de notre article : “Attentats à Paris, à bas le terrorisme ! À bas la guerre ! À bas le capitalisme !” (1) Le PCI considérant que nous sommes “superficiels” et “impressionnistes”, ironise sur le fait que le “CCI est choqué” par les attentats, d’où le titre de l’article emprunté à la romancière Amélie Nothomb, Stupeur et tremblements. En fait, Le Prolétaire confond ici l’indignation prolétarienne face à la barbarie avec ce qu’il imagine être de la sensiblerie petite-bourgeoise ou du pacifisme. Avant de répondre à ces critiques et indépendamment des désaccords que nous pouvons avoir avec cette organisation, nous tenons d’abord à soutenir son initiative polémique. Les polémiques au sein du milieu révolutionnaire ont toujours été la sève vivifiante du combat révolutionnaire. Trop peu fréquentes aujourd’hui, elles sont d’autant plus précieuses, notamment entre les organisations qui défendent les principes de la Gauche communiste. De telles entreprises sont indispensables à la clarification. Elles doivent permettre une confrontation des positions politiques pour alimenter la réflexion en faveur de l’indispensable élaboration théorique nécessaire à l’orientation du prolétariat et de ses minorités en recherche de cohérence des positions révolutionnaires.
Nous ne pouvons malheureusement pas répondre ici à toutes les questions soulevées dans ce texte. Selon nous, un point apparaît prioritaire, du fait notamment qu’il est en débat chez des éléments proches du PCI : la question nationale 2. En effet, à la lecture de l’article du Prolétaire, il apparaît qu’au sein même du milieu de sympathisants qui gravitent autour des positions “bordiguistes” existe un questionnement mettant en jeux la question de la nation et de l’internationalisme. Nous apprenons ainsi qu’un participant à une réunion du PCI, et d’autres éléments par ailleurs, se sont sérieusement posés la question de savoir s’il fallait ou non “condamner” Daech, en vertu du “principe de la lutte anti-impérialiste” ! Cette problématique est reformulée ainsi par Le Prolétaire : “Faudrait-il en conclure que l’EI représenterait une force bourgeoise anti-impérialiste, une force qui, en secouant le statu quo, travaillerait sans le vouloir en faveur de la future révolution prolétarienne par l’accentuation du chaos et l’affaiblissement de l’impérialisme dans la région ? Une force qu’il faudrait donc plus ou moins soutenir en dépit de sa brutalité et de ses sinistres traits réactionnaires ?” La réponse du Prolétaire à propos d’un tel soutien (ou, comme le PCI l’écrit, ce “plus ou moins soutien”) est négative. Elle montre que les camarades du PCI se placent du point de vue de la classe ouvrière. On peut, par ailleurs, observer que leur approche sur la question nationale n’est plus tout à fait appliquée de la même manière que durant les années 1980, lorsqu’ils mettaient en avant la possibilité “d’une lutte de libération du peuple palestinien”.
Mais quelle est l’argumentation du Prolétaire aujourd’hui ? Voici une première affirmation : “En raison de l’absence de toute force prolétarienne, l’EI, ainsi que les autres formations armées, “modérées” ou radicales, ont été la réponse contre-révolutionnaire bourgeoise –et non moyenâgeuse ou tribale– à l’ébranlement des équilibres nationaux et régional. L’EI ne lutte pas pour étendre le chaos et affaiblir l’ordre bourgeois, mais pour restaurer à son profit ce dernier (...)”. Les camarades du PCI parlent à juste titre de “l’absence de toute force prolétarienne”. Mais dans le passage d’un autre article du même numéro, en réponse à ces mêmes sympathisants, Le Prolétaire ajoute ceci : “Daech est un ennemi des prolétaires, d’abord des prolétaires de Syrie et d’Irak, puis des prolétaires des pays impérialistes (souligné par nous). Avant de faire des attentats en Europe, il avait fait des attentats en Irak et ailleurs. Avant de faire des attentats en Irak et ailleurs, il avait réprimé les prolétaires dans les régions qu’il contrôle (cas des prolétaires de la voirie à Mossoul qui avaient fait une action de revendication sur leurs conditions de travail et qui pour cette raison ont été exécutés par Daech)”. Un problème majeur réside selon nous dans la formulation évoquant les prolétaires “des pays impérialistes”. Les camarades présupposent, en effet, que certains pays ne seraient pas impérialistes aujourd’hui. Nous ne partageons absolument pas ce point de vue. Le PCI poursuit dans le même extrait en affirmant ceci : “Les prolétaires doivent lutter contre toutes les oppressions nationales, pour l’autodétermination et la liberté de séparation de tous les peuples opprimés ou colonisés (souligné par nous) ; non pas parce que leur idéal est la création d’États bourgeois, mais parce que, pour que puissent s’unir les prolétaires des pays dominants et les prolétaires des pays dominés, les premiers doivent démontrer dans les faits qu’ils ne sont pas solidaires de l’oppression qu’exerce “leur” bourgeoisie et “leur” État, mais qu’ils la combattent au contraire non seulement en paroles mais si possible en pratique. C’est le seul moyen pour que la proposition qu’ils font aux prolétaires des pays dominés, de s’unir sur des bases de classe anti-bourgeoises, puisse être comprise”. Cette position du Prolétaire, qui diffère des élucubrations nationalistes des gauchistes, n’en demeure pas moins dangereuse et très ambiguë depuis ses prémisses. Elle sépare initialement les prolétaires des pays “dominants” de ceux des pays “dominés” et reste enfermée dans la problématique des “oppressions nationales”. Mais, pourrait-on nous rétorquer, cette position du Prolétaire, n’était-elle pas héritée de la tradition du mouvement ouvrier du passé ?
Ce fût en effet le cas jusqu’à ce que les conditions historiques changent radicalement et que l’expérience de luttes nouvelles ne remettent en cause les pratiques devenues inappropriées pour le combat ouvrier. Lors de son Premier congrès en mars 1919, l’Internationale communiste (IC) reconnaissait que le capitalisme était dans sa phase de déclin et faisait ainsi référence au besoin d’une lutte internationale du prolétariat. Le Manifeste de l’Internationale aux prolétaires du monde entier, commençait par reconnaître que “l’État national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l’expansion des forces productives” (3. Dans la même logique, il était souligné que “seule la révolution prolétarienne peut garantir aux petits peuples une existence libre, car elle libérera les forces productives de tous les pays des tenailles serrées par les États nationaux”. Le prolétariat ne pouvait donc s’affranchir que dans le cadre d’une lutte mondiale, dans un même mouvement d’ensemble, unitaire, comprenant les bastions des grandes métropoles. Comme le disait Lénine, “les faits sont têtus”. La tactique qui avait été adoptée par les bolcheviks, pensant pouvoir malgré tout réaliser l’extension de la révolution mondiale en s’appuyant sur le vieux principe de la libération nationale fut un terrible fiasco, précipitant le prolétariat vers l’écrasement et la défaite. Les exemples sont nombreux. En Finlande, la bourgeoisie locale “libérée” profita du “cadeau” des bolcheviks pour écraser l’insurrection ouvrière en janvier 1918. Dans les pays baltes, la même année, la “libération nationale” permettait à la bourgeoisie britannique d’écraser tranquillement la révolution sous les tirs des canons de la marine !
Les apports critiques les plus fertiles sur la question nationale furent élaborés très tôt et avec beaucoup de lucidité par Rosa Luxemburg : “Les bolcheviks eux-mêmes ont aggravé les difficultés objectives de la situation par le mot d’ordre dont ils ont fait le fer de lance de leur politique, le droit des nations à l’autodétermination ou, plus exactement, par ce qui se cache, en fait, derrière cette phraséologie : la ruine de la Russie en tant qu’État... défenseur de l’indépendance nationale même jusqu’au séparatisme, Lénine et ses amis pensaient manifestement faire ainsi de la Finlande, de l’Ukraine (...) autant de fidèles alliés de la Révolution russe. Mais nous avons assisté au spectacle inverse : l’un après l’autre, ces “nations” ont utilisé la liberté qu’on venait de leur offrir pour s’allier en ennemies mortelles de la révolution russe à l’impérialisme allemand et pour transporter sous sa protection même le drapeau de la contre-révolution” (4.
Malgré quelques éléments de clarté sur le sujet au moment du premier congrès de l’Internationale communiste, les défaites ouvrières successives et la montée de l’opportunisme allaient engloutir les efforts fragiles et favoriser la régression théorique. La lucide critique de Rosa Luxemburg ne sera reprise que de façon très minoritaire par une partie de la Gauche italienne, notamment Bilan, une position dont Internationalisme a hérité et que défend aujourd’hui le CCI. Depuis l’épisode de la vague révolutionnaire des années 1920 et la défaite qui a conduit à la terrible période de contre-révolution stalinienne, aucune prétendue lutte de libération nationale n’a pu produire autre chose que des massacres et des embrigadements derrière les nations et puissances impérialistes rivales. Ce qui s’était révélé à l’époque de Lénine comme une erreur tragique s’est confirmé par la suite de manière éclatante par des crimes sanglants. Depuis la Première Guerre mondiale et avec le déclin historique du système capitaliste, toutes les nations, grandes ou petites, sont devenues en réalité des maillons d’une chaîne impérialiste plongeant le monde dans une guerre permanente. À chaque fois, les manœuvres impérialistes sont à l’œuvre, quelle que soit la nation considérée et le prolétariat n’est alors que l’otage de la prétendue “libération” contre une autre fraction bourgeoise, opposé à ses frères de classe sacrifiés. Ce fut le cas par exemple au Soudan qui, après son indépendance en 1956, allait connaître une terrible guerre civile instrumentalisée par les blocs impérialistes de l’Est comme de l’Ouest faisant au moins deux millions de morts. En Angola, après les premiers soulèvements à Luanda en 1961 et l’indépendance en 1975, des années de guerres opposaient les forces du MPLA au pouvoir (Mouvement populaire de libération de l’Angola, soutenu par l’URSS) et les rebelles de l’UNITA (soutenus par l’Afrique du Sud et les États-Unis). Le bilan de cette “lutte de libération” était proche d’un million de morts. La décolonisation et le contexte de Guerre froide ne feront qu’illustrer cela de manière systématique, les prolétaires n’étant que de la chair à canon derrière les drapeaux nationaux.
Si Le Prolétaire ne soutient pas Daech, s’il a pu évoluer sur la question nationale, il n’en conserve pas moins certaines confusions qui l’avaient conduit par le passé à abandonner ponctuellement la position de l’internationalisme prolétarien en soutenant, même si ce fut de manière critique, les forces capitalistes de l’Organisation de libération de la Palestine. C’est ce que montre ce passage rédigé à l’époque : “Par son impact dans les masses arabes, la lutte contre Israël constitue un formidable levier dans la lutte sociale et révolutionnaire” (5. Le cadre de la lutte de libération nationale, qui ne pouvait que l’amener au fiasco politique, était ainsi théorisé par Le Prolétaire : “Le marxisme intransigeant, lui, reconnaît, même là où l’intervention autonome du prolétariat n’a pu ou ne peut encore se produire, même si ces révolutions n’ont pu dépasser un horizon national et démocratique, la valeur authentiquement révolutionnaire de bouleversements aussi gigantesques que ceux qui se sont produits en Orient au cours des 60 dernières années, et qu’il serait vain d’ignorer sous prétexte qu’ils n’ont pas conduit au socialisme” (6. L’abandon ponctuel de la position de classe internationaliste à propos du conflit israélo-palestinien allait provoquer une grave crise au sein du PCI conduisant à sa dislocation avec El Oumami sur la base d’un positionnement ouvertement nationaliste arabe que nous dénoncions justement à l’époque : “Pour El Oumami, 1’“union sacrée juive” fait disparaître les antagonismes de classe à l’intérieur d’Israël. Inutile donc de faire des appels au prolétariat d’Israël. C’est exactement le “peuple allemand, peuple maudit” des staliniens pendant la Seconde guerre mondiale. Et quand, au cours d’une manifestation OLP-Solidarité, aux cris de “Sabra et Chatila, vengeance !”, El Oumami se vante d’avoir “capturé un sioniste qui a reçu une terrible raclée”, on est au niveau de “à chacun son boche” du PCF à la fin de la Seconde guerre. El Oumami se joint aux rangs de la bourgeoisie au niveau du chauvinisme le plus abject” (7. La prise de position opportuniste du Prolétaire sur le conflit israélo-palestinien dans les années 1980 est une concession ouverte à l’idéologie gauchiste nationaliste. En soutenant de façon critique la lutte des Palestiniens face à Israël, en les coupant ainsi de leurs frères de classe israéliens sous prétexte de leur allégeance à la bourgeoisie israélienne, Le Prolétaire participait à entériner la division et abandonnait tout principe de solidarité de classe.
Aujourd’hui, Le Prolétaire n’utilise pas la même argumentation que par le passé mais semble évoluer davantage par empirisme. Si le PCI ne sombre pas dans la catastrophe en refusant très nettement tout soutien à Daech, il n’en reste pas moins prisonnier de conceptions encore dangereuses et confuses pour la classe ouvrière, en particulier dans un contexte où le nationalisme reprend quelques couleurs du fait de la propagande étatique et des puissantes campagnes populistes en cours. Les raisons qui se trouvent à la racine du maintien de telles confusions sont liées au terrible fardeau de la contre-révolution stalinienne. Le capitalisme d’État en URSS avait ainsi dénaturé l’expérience de la vague révolutionnaire des années 1920 en exploitant ses pires erreurs pour écraser le prolétariat. Au nom de “l’autodétermination”, du “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”, de la “libération nationale des peuples opprimés”, l’État stalinien avait su profiter des erreurs de Lénine pour les pervertir et en faire un dogme éternel qui allait malheureusement conduire certains révolutionnaires, comme ceux du PCI, à tirer de leur côté de fausses leçons en reprenant à leur compte d’anciennes erreurs perçues comme des “vérités révolutionnaires”.
Or, les faits plus récents, depuis les boucheries impérialistes de la Guerre froide, n’ont fait que confirmer encore les positions de Rosa Luxemburg. Maintenir les confusions concernant “l’autodétermination des peuples” est, à notre avis, largement responsable des positions aberrantes qui persistent encore aujourd’hui et qui poussent certains éléments à poser la question aberrante de savoir si Daech doit être appuyé et soutenu par les révolutionnaires dans une lutte soi-disant “anti-impérialiste”. Depuis la disparition du bloc de l’Est, les prétendues luttes de libération nationale n’ont fait qu’alimenter le chaos mondial. C’est ce dont témoigne la naissance des mini-États nés de la dislocation de l’ex-empire stalinien, générant des avortons qui ne savent faire autre chose que propager les miasmes du nationalisme. C’est ce que nous avons pu voir avec l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et la guerre qui s’en est suivie entre les nouvelles nations “libérées”, ce que nous avons pu voir aussi lors du conflit en Tchétchénie (où la ville de Grozny avait été réduite en cendres) ainsi que lors du conflit dans l’enclave ethnique du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan faisant de nombreuses victimes et des milliers de réfugiés au début des années 1990. Une telle logique s’étend également à toutes les fractions bourgeoises sans possession de territoire, les seigneurs de guerre ou autres terroristes qui incarnent l’idéologie nationaliste et la barbarie capitaliste.
Dans son article, le PCI critique également une formule utilisée par notre article, celle de l’idée d’un “pas qualitatif avec les attentats de Paris”. Il faut reconnaître que cette formulation a été critiquée en notre sein et elle peut faire l’objet d’un débat. Mais pas pour les raisons qu’en donne Le Prolétaire qui évoque nos “oublis” des “années de plomb en Italie dans les années soixante-dix”, celle des événements “contre les manifestants algériens tués par la police en 1961”, “les hécatombes dans les pays de l’Est”, etc. En fait, notre formulation, certes critiquable, voulait simplement signifier que ces attentats traduisent une aggravation de la situation chaotique au niveau mondial, ce qui est très différent de l’idée d’une “perte de mémoire” de notre part. En revanche, critiquer nos prétendus “oublis” révèle que, pour les camarades du Prolétaire, ces attentats sont à mettre sur le même plan que ceux perpétrés dans les années 1970 et que les événements du temps de la Guerre froide. En quelque sorte, il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil. Cette tendance du Prolétaire à ne pas voir la dynamique réelle de l’impérialisme est liée à une vision figée de l’histoire, persistant à nier la réalité d’une phase de décadence du système capitaliste et de son évolution. En défendant le même principe de “libération nationale” alors que des décennies d’expérience, et les défaites ouvrières qui l’accompagnent, ont démontré sa dangerosité, Le Prolétaire persiste et s’avère difficilement capable de prendre en compte la réalité historique dans le cadre d’une démarche vivante et dialectique. Il ne fait qu’interpréter les événements selon le même dogme immuable, une conception nettement sclérosée, fossilisée de l’histoire et des leçons à tirer pour l’avenir du mouvement ouvrier, qui font que ses positions et analyses se trouvent parfois en décalage avec la réalité et même en opposition avec les besoins de la lutte de classe.
Qu’une organisation de la Gauche communiste soit amenée, ne serait-ce qu’à formuler la question d’un soutien éventuel à Daech vis-à-vis de ses sympathisants ou contacts, ne peut en effet que provoquer “stupeurs et tremblements”. Une telle confusion politique signifie la perte de vue de ce qui fait la vraie force du prolétariat : sa solidarité, son unité internationale et sa conscience de classe.
Contrairement à ce que prétend Le Prolétaire, la classe ouvrière, quelles que soient les conditions, ne doit pas se défendre dans un cadre “national”. Et c’est d’autant plus valable et évident pour celui issue de l’idée fumeuse et archaïque d’un prétendu “grand califat”. Ne possédant que sa force de travail et privé de toute forme de propriété, le prolétariat n’a pas d’intérêts spécifiques autre que son projet révolutionnaire, par-delà les frontières nationales. Son intérêt commun est celui de son organisation et celui du développement de sa conscience. Et parce qu’ils possèdent cela en commun, les prolétaires du monde entier peuvent s’unir grâce à un ciment puissant : celui de la solidarité. Cette solidarité n’est pas une sorte d’idéal ou d’utopie, elle est une force matérielle grâce à laquelle le prolétariat international peut défendre ses intérêts de classe et donc son projet révolutionnaire universel.
RI, mars 2017
1) “Le CCI et les attentats : stupeurs et tremblements”, Le Prolétaire no 519.
2) Parmi d’autres questions importantes (comme notre prétendu pacifisme, le rapport de force entre les classes, etc.) que nous ne pouvons traiter dans le cadre de cet article, on pourra noter celle de la phase de décomposition, situation inédite de la vie du système capitaliste et cadre d’analyse de la période historique, aujourd’hui essentiel pour orienter les activités des révolutionnaires.
3) Manifestes, thèses et résolutions des Quatre premiers congrès mondiaux de l'Internationale Communiste – 1919-1923, fac-similé François Maspéro.
4) Rosa Luxemburg, La Révolution russe.
5) Le Prolétaire no 370 (mars-avril 1983).
6) Le Prolétaire no 164 (7 au 27 janvier 1974).
7) Revue Internationale no 32, “Le Parti communiste international (Programme Communiste) à ses origines, tel qu’il prétend être, tel qu’il est [642]”.
Les quelques lignes extraites de cet ouvrage d’un témoin de la révolution, Victor Serge, constituent un cinglant démenti à l’idéologie en vogue martelée ad nauseam cent ans après par tous les médias selon laquelle Octobre 1917 n’aurait été qu’un vulgaire « coup d’État » perpétré par Lénine et une poignée de bolcheviks.
On était au 6 octobre. La Conférence démocratique, succédané d’un parlement de la révolution, montée par les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, s’était ouverte à Moscou à la mi-septembre. Les grèves l’en avaient chassée, les garçons d’hôtel et de restaurant refusant de servir ses membres. Elle s’était transférée à Petrograd. Elle délibérait maintenant sous la protection de marins choisis parmi les plus sûrs. Et les baïonnettes de ses gardes frémissaient au passage d’un tribun bolchevik : “Quand nous en servirons-nous enfin ?”
Cet état d’esprit était général dans la flotte. Quinze jours avant le 25 octobre, les marins de l’escadre de la Baltique, alors en rade de Helsingfors, exigeaient que l’on ne perdît plus de temps et que l’insurrection “sanctifiât la destruction, qui nous semblait inévitable, de la flotte par les Allemands”. Ils consentaient à périr : mais pour la révolution. Le Soviet de Cronstadt refusait, depuis le 15 mai, de reconnaître le gouvernement provisoire. Après les événements de juillet, les commissaires chargés par Kérenski de procéder à bord des vaisseaux à l’arrestation des “meneurs bolcheviks” n’y avaient obtenu que cette réponse laconique : “Des meneurs, nous en sommes tous !” C’était vrai. La masse avait alors d’innombrables meneurs.
Des délégués des tranchées venaient tenir au Soviet de Petrograd un langage comminatoire : “Jusques à quand durera cette situation intenable ? Les soldats nous ont mandatés pour vous l’annoncer : si des démarches énergiques ne sont pas tentées d’ici au 1er novembre, les tranchées se videront, l’armée tout entière rentrera. Vous nous oubliez ! Si vous ne trouvez pas d’issue à la situation, nous viendrons chasser nous-mêmes nos ennemis, à coups de baïonnette – mais vous vous en irez avec eux !” Telle était, relate Trotski, la voix du front.
Au début d’octobre, l’insurrection naissait partout, spontanément ; les troubles agraires s’étendaient au pays entier. “Les provinces de Toula, Tambov, Riazan, Kalouga se sont soulevées. Les paysans, qui attendaient de la révolution la paix et la terre, déçus, s’insurgent, saisissent les récoltes des propriétaires fonciers, brûlent leurs résidences. Le gouvernement Kérensky réprime lorsqu’il en a la force. Heureusement, ses forces sont restreintes.” “Écraser l’insurrection paysanne, l’avertit Lénine, ce serait tuer la révolution.” Dans les Soviets des villes et les armées, les bolcheviks, naguère encore en minorité, deviennent majorité. Aux élections des doumas (municipalités) de Moscou, ils obtiennent 199 337 suffrages sur 387 262 votants. Il y a sur 710 élus, 350 bolcheviks, 184 cadets, 104 socialistes-révolutionnaires, 31 mencheviks et 41 divers. En cette veille de guerre civile, les partis modérés, moyens, s’effondrent, les partis extrêmes grandissent. Tandis que les mencheviks perdent toute influence réelle et que le Parti socialiste-révolutionnaire, parti gouvernemental, qui paraissait peu de temps auparavant disposer d’une immense influence, passe au troisième plan, les constitutionnels démocrates, cadets, partis de la bourgeoisie, viennent s’aligner, renforcés, en face des révolutionnaires. Aux élections précédentes, en juin, socialistes-révolutionnaires et mencheviks avaient obtenu 70 % des suffrages exprimés ; ils tombent à 18 %. Sur 17 000 soldats consultés, 14 000 votent pour les bolcheviks.
Les soviets se transforment. Citadelles des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires, ils se bolchevisent. De nouvelles majorités s’y forment. Le 31 août à Petrograd et le 6 septembre à Moscou, les motions bolchevistes présentées aux soviets obtiennent pour la première fois des majorités. Le 8 septembre, les bureaux menchevistes socialistes-révolutionnaires des deux soviets démissionnent. Le 25 septembre, Trotski est élu président du Soviet de Petrograd. Noguine est porté à la présidence du Soviet de Moscou. Le 20 septembre, le Soviet de Tachkent prend officiellement le pouvoir. Les troupes du gouvernement provisoire le lui reprennent. Le 27 septembre, le Soviet de Reval décide en principe la transmission de tous les pouvoirs aux soviets. Peu de jours avant la révolution d’Octobre, l’artil1erie démocratique de Kérensky tire sur le Soviet insurgé de Kalouga.
Soulignons ici un fait peu connu. À Kazan, l’insurrection d’Octobre triompha avant même d’avoir été déclenchée à Petrograd. Un des acteurs des événements de Kazan a relaté ce dialogue entre militants : “– Mais qu’eussiez-vous fait si les soviets n’avaient pas pris le pouvoir à Petrograd ? – Il nous était impossible de renoncer au pouvoir ; la garnison ne l’eût pas toléré. – Mais Moscou vous eût écrasés ! – Non. Vous avez tort de le croire. Moscou n’aurait pu venir à bout des 40 000 soldats de Kazan.”
Dans l’immense pays, les masses tout entières des classes laborieuses, paysans, ouvriers, soldats vont à la révolution. Montée élémentaire, irrésistible, d’une puissance comparable à celle de l’océan. (...)
Les masses ont des millions de visages ; elles ne sont point homogènes ; elles sont dominées par des intérêts de classe, divers et contradictoires ; elles ne parviennent à la conscience véritable (sans laquelle aucune action féconde n’est possible) que par l’organisation. Les masses soulevées de la Russie de 1917 s’élèvent à la nette conscience de l’action nécessaire, des moyens, des objectifs à atteindre, par l’organe du Parti bolchevique. Ce n’est pas une théorie, c’est l’énoncé d’un fait. Les rapports entre le Parti, la classe ouvrière, les masses laborieuses nous apparaissent ici avec un relief admirable. Ce que veulent confusément les marins de Cronstadt, les soldats de Kazan, les ouvriers de Petrograd, d’Ivanovo-Voznessensk, de Moscou, de partout, les paysans saccageant les demeures seigneuriales, ce qu’ils veulent tous, sans avoir la possibilité d’exprimer nettement leurs aspirations, de les confronter avec les possibilités économiques et politiques, de s’assigner les fins les plus rationnelles, de choisir les moyens les plus propres de les atteindre, de choisir le moment le plus favorable à l’action, de s’entendre d’un bout à l’autre du pays, de s’informer les uns les autres, de se discipliner, de coordonner leur effort innombrable, de constituer, en un mot, une force uniquement intelligente, instruite, volontaire, prodigieuse, ce qu’ils veulent tous, le Parti l’exprime en termes clairs, et le fait. Le Parti leur révèle ce qu’ils pensent. Le Parti est le lien qui les unit entre eux, d’un bout à l’autre du pays. Le Parti est leur conscience, leur intelligence, leur organisation.
Quand les artilleurs des cuirassés de la Baltique, anxieux du danger suspendu sur la révolution, cherchent une voie, l’agitateur bolchevik est là qui la leur montre. Il n’en est pas d’autre, c’est l’évidence. Quand des soldats dans la tranchée veulent exprimer leur volonté d’en finir avec la tuerie, ils élisent au comité du bataillon les candidats du Parti bolchevique. Quand des paysans, las des atermoiements de “leur Parti” socialiste-révolutionnaire, se demandent s’il n’est pas temps d’agir enfin eux-mêmes, la voix de Lénine leur parvient : “Prends la terre, paysan !” Quand les ouvriers sentent 1’intrigue contre-révolutionnaire les environner de toutes parts, la Pravda leur apporte les mots d’ordre qu’ils pressentaient et qui sont aussi ceux de la nécessité révolutionnaire. Devant le placard bolchevique, les passants de la rue miséreuse, attroupés, s’exclament : “Mais c’est ça !” C’est ça. Cette voix est la leur.
C’est pourquoi la marche des masses à la révolution se traduit par un grand fait politique : les bolcheviks, petite minorité révolutionnaire en mars, deviennent en septembre-octobre le parti de la majorité. Distinguer entre les masses et le Parti devient impossible. Ce n’est qu’un flot. Sans doute y a-t-il bien, parmi les foules, d’autres révolutionnaires épars, socialistes-révolutionnaires de gauche (les plus nombreux), anarchistes, maximalistes, qui veulent aussi la révolution : poignée d’hommes emportés par les événements. Meneurs menés. Combien leur conscience des réalités est confuse, nous le verrons par maints traits. Les bolcheviks, eux, grâce à leur juste intelligence théorique du dynamisme des événements, s’identifient à la fois aux masses laborieuses et à la nécessité historique. “Les communistes n’ont pas d’intérêts distincts de ceux du prolétariat tout entier”, est-il écrit dans le Manifeste de Marx et d’Engels. Combien cette phrase écrite en 1847 nous apparaît maintenant juste !
Depuis les émeutes de juillet, le Parti, qui vient de traverser une période d’illégalité et de persécution, n’est que toléré. Il se forme en colonne d’assaut. À ses membres, il demande de l’abnégation, de la passion et de la discipline : il ne leur procure en revanche que la satisfaction de servir le prolétariat. Voyez pourtant grandir ses effectifs. Il comptait, en avril, 72 organisations, fortes de 80 000 membres. Fin juillet, ses effectifs atteignent 200 000 affiliés, groupés dans 162 organisations.
Victor Serge, 1930
Pour le centenaire de la Révolution russe, de nouvelles publications et émissions s’emparent de ce sujet sensible. Tout un flot de propagande se déverse donc à nouveau (1 pour dénaturer les heures héroïques de cet événement grandiose qui fut un des plus importants du xxe siècle, du moins un des plus riches d’enseignements pour le prolétariat mondial. Parmi le foisonnement de l’offre, l’émission TV de la chaîne Arte proposait un titre alléchant : “Lénine, une autre histoire de la Révolution russe” (2. Selon les journalistes du journal Le Monde, “cette évocation est une formidable relecture de l’année 1917 déprise des fables qui l’ont maquillée au fil du temps et au gré des idéologies”. La propagande bourgeoise a toujours véhiculée une “autre histoire de la Révolution” pour mieux enterrer sa véritable histoire, en faisant parler les images à travers des commentaires mensongers plaqués sur des documents d’archives et des films muets. Arte, la chaîne “culturelle” était aussi au rendez-vous de la campagne antibolchevique et anti-léniniste.
Avec de nombreux documents d’archives que nous avons peu l’habitude de voir, l’émission nous plonge dans une sorte de cours d’histoire a priori revisité. Le ton professoral des commentaires cherche d’entrée à instaurer l’autorité des “spécialistes”, maniant l’anaphore (“Ça ne s’est pas passé comme ça...”) et parfois l’ironie feutrée. Par exemple, au moment de prononcer le titre du journal des bolcheviks, la Pravda (la Vérité), on perçoit nettement cette antiphrase ou le téléspectateur est amené à entendre que la Pravda, dans l’esprit du “spécialiste”, n’est que mensonges.
L’émission, centrée sur la personnalité de Lénine procède régulièrement et très habilement par oppositions d’images, par antithèses “pédagogiques” dans l’intention de salir une nouvelle fois le combattant qu’était Lénine. Ainsi, d’un côté, on évoque l’exilé en Suisse, totalement “absent” de la scène, avec un plan fixe de la ville de Zurich paisible, le tout accompagné de commentaires et d’une petite musique légère où, en fin de compte, rien ne se passe. Lénine est présenté comme une sorte de planqué totalement à côté de l’histoire. Loin de toute réalité, l’exil est schématiquement réduit aux seuls privilèges des “intellectuels” (sous-entendu déconnectés des masses) et aux “gens aisés”. Cette insistance sociologique qui se base sur une part de réalité n’a d’autre objectif que de souligner le fait que les “masses” sont totalement étrangères aux révolutionnaires. La dimension politique et combative est à peine suggérée, le caractère militant, la dimension réelle du combat de Lénine est occultée, ses polémiques sont totalement passées sous silence. Par net contraste, les plans sur la situation en Russie exposent les événements du terrain, accompagnés d’un montage d’images plus dynamiques. Cette opposition volontairement construite de façon antithétique cherche de manière évidente à disqualifier d’entrée le combat de Lénine qui très rapidement apparaît sous les traits d’un imposteur. Et d’ailleurs, le retour sur sa famille et son enfance, l’évocation de ses anciens combats et, surtout, l’exécution de son frère après sa participation à un attentat contre le tsar, serviront de support à une explication unilatérale consistant à affirmer que Lénine avait comme motivation exclusive pour son engagement révolutionnaire une “soif de vengeance” contre l’aristocratie. N’a-t-il pas dit, comme le rappelle le commentateur de ce documentaire : “ils me le paieront” ?
Dans ce cadre, le marxisme n’est qu’un simple adjuvant devant permettre d’assurer son “pouvoir personnel”. La réalité est aux antipodes de telles calomnies. La démarche désintéressée et solidaire de Lénine, son sens du combat révolutionnaire pour la cause du socialisme ont été la matrice reconnue par tous ses camarades de lutte, par les ouvriers eux-mêmes et, au-delà des polémiques, par toutes les grandes figures du mouvement ouvrier de l’époque et confirmée par la réalité des faits. L’émission, pourtant très documentée, n’a évidemment aucun témoignage disponible dans ce sens. Pourtant, dans sa Révolution russe, Rosa Luxemburg n’hésite pas à affirmer : “Tout ce qu’un parti peut apporter, en un moment historique, en fait de courage, d’énergie, de compréhension révolutionnaire et de conséquence, les Lénine, Trotski et leurs camarades l’ont réalisé pleinement. L’honneur et la capacité d’action révolutionnaire, qui ont fait à tel point défaut à la social-démocratie, c’est chez eux qu’on les a trouvés. En ce sens, leur insurrection d’Octobre n’a pas sauvé seulement la Révolution russe, mais aussi l’honneur du socialisme international.”
Construite de manière chronologique, l’émission évoque 1905, puis les grands événements qui jalonnent les journées de février 1917 pour souligner que les bolcheviks sont politiquement en dehors du coup et ne comprennent absolument rien à la situation. Partant d’une réalité ou les bolcheviks étaient effectivement minoritaires au départ, la plupart en prison, le parti pris est de souligner que Lénine est non seulement souvent “absent”, mais qu’il “navigue à vue” et se retrouve en permanence “ballotté par les événements”. La seule qualité de ce grand révolutionnaire se résumerait uniquement à l’art de la manipulation.
Face à cela, Trotski rétablit la réalité de la démarche de Lénine : “La principale force de Lénine consistait en ceci qu’il comprenait la logique interne du mouvement et réglait d’après elle sa politique. Il n’imposait pas son plan aux masses. Il aidait les masses à concevoir et à réaliser leurs propres plans” (3.
Le procédé de l’antithèse, cher à l’émission d’Arte, se poursuit avec le portrait croisé de Lénine et de Kerenski. Là encore, le seul personnage “digne de l’histoire” est Kerenski, véritablement encensé sans pudeur. Kerenski est présenté comme l’incarnation du mouvement des masses aux aspirations prétendument démocratiques. On insiste sur l’accueil qu’il fait aux ouvriers “crasseux” et “sentant la sueur”, les soldats excédés qui l’acclament, sa soi-disant légitimité. Kerenski est présenté comme le grand démocrate qui fait le trait d’union entre le conseil ouvrier, le palais Tauride et la Douma. La réalité, c’est qu’il œuvre pour la réaction, comme le montre sa démarche vis-à-vis de l’ambassadeur américain : “Nous ferons en sorte que les soviets meurent de mort naturelle. Le centre de gravité de la vie politique se déplacera progressivement des soviets vers les nouveaux organes démocratiques de représentation autonome” (4. Tout est dit.
Le commentaire qui occulte tout cela peut ainsi se permettre de présenter le quartier industriel de Vyborg et les 400 000 prolétaires comme spontanément animés d’une même aspiration démocratique et non d’un combat historique révolutionnaire contre le système capitaliste. Les initiatives ouvrières sont bien évoquées, comme par exemple l’extraordinaire traversée de la Neva gelée, à la barbe des troupes réactionnaires, des flics et des autorités postées sur le pont Alexandre II. Mais elles apparaissent comme purement contingentes, sous couvert du simple chaos lié au gré des événements, sans considération aucune pour la dimension consciente et politique des masses ouvrières. De la même manière, le Conseil ouvrier de Petrograd est frauduleusement assimilé à une sorte de parlement populaire et non à ce qu’il représente réellement : un organe de lutte ou se mène le véritable combat politique du prolétariat. Sous prétexte d’une “pluralité” de courants politiques et d’influences bourgeoises et petites bourgeoises durant cette période, le commentateur s’autorise à réduire le soviet à une simple représentation démocratique 5.
Les journées de février sont présentées frauduleusement comme le point culminant de la révolution, alors qu’il n’existait en réalité qu’un double pouvoir : d’un côté celui des conseils, de l’autre celui du gouvernement provisoire, sans issue décisive. La suite des événements, jusqu’à octobre, apparaît comme une sorte de dépossession des conseils par les bolcheviks. En réalité, c’est l’inverse. Ils luttaient contre la réaction qui œuvrait derrière le masque pseudo-révolutionnaire de la gauche démocratique pour tenter d’abuser et de tromper les conseils : “Là où un ministre bourgeois n’aurait pu se présenter pour assurer la défense du gouvernement, devant les ouvriers révolutionnaires ou dans les soviets, on voyait paraître (ou plutôt la bourgeoisie y envoyait) un ministre “socialiste” (Skobélev, Tsérétéli, Tchernov ou d’autres encore) qui œuvrait en conscience au profit de la bourgeoise, suait sang et eau pour défendre le ministère, blanchissait les capitalistes, bernait le peuple en répétant des promesses, des promesses et des promesses, et en lui recommandant d’attendre, d’attendre, d’attendre et d’attendre” (6.
Les événements de février 1917, tout comme ceux de 1905, sont naturellement évoqués en lien avec la lutte du prolétariat contre la guerre. Mais tout le contexte international de la lutte de classe durant l’année 1917 est soigneusement occulté, comme si “l’irruption des masses” en Russie n’était qu’un simple accident lié au particularisme d’un “pays arriéré”. Rien sur la réalité des mutineries et des mouvements de fraternisation des soldats sur tous les fronts, rien sur les grèves un peu partout et la fermentation à l’arrière, sur le fait que débute en réalité une véritable vague révolutionnaire internationale du prolétariat.
L’opposition radicale entre la bourgeoisie, le gouvernement provisoire désirant poursuivre la guerre à tout prix, et les révolutionnaires bolcheviks, Lénine en tête, refusant la boucherie impérialiste, est relayé au second plan et noyé sous le flot des commentaires falsificateurs. Les autres grands faits marquants de la Révolution restent soumis à la même intoxication idéologique : disqualifier les bolcheviks et surtout Lénine. La rigueur même de Lénine et son respect rigoureux des décisions prises au cours des congrès, (comme par exemple en 1903 face à ceux qui refusaient de se soumettre aux décisions votées et à la fronde des Menchéviks7 est calomniée, les commentaires présentant Lénine comme dogmatique et dictateur. Rien n’est plus mensonger ! Pire, Lénine aurait été, selon le commentateur, quelqu’un qui “aura passé toute sa vie à exclure et à diviser”. Ce commentaire arrive à l’occasion du testament de Lénine lorsque ce dernier, sur son lit de mort, demande à ses camarades du Parti bolchevik d’écarter Staline du Comité central du fait de sa cruauté. Comme par enchantement, le commentateur ne dit pas un mot du testament de Lénine, tout simplement parce qu’il contient la preuve qu’il n’y avait aucune “continuité” entre Lénine et Staline. Le mensonge par omission fait partie intégrante du procédé de toutes les campagnes d’intoxication idéologique contre Lénine et la révolution russe. Lénine a toujours été l’artisan patient d’un combat unitaire, défendant “l’esprit de parti” contre tous les opportunistes, contre les “cercles” qui tendaient à refuser l’unité des révolutionnaires en fragmentant d’autant les énergies, affaiblissant les efforts en faveur de la lutte prolétarienne internationale. Ce fut tout le sens de son combat et l’apport de ses Thèses d’Avril. Face à tous les sycophantes et à ceux qui cherchaient à collaborer et à s’accommoder de la classe dominante, des miasmes conservateurs de la démocratie bourgeoise, face à tous les opportunistes, Lénine, en effet, ne courbait pas l’échine et se montrait intransigeant. Il se refusait très justement à toute concession face à l’ennemi de classe, face aux exploiteurs et donc, n’acceptait pas le capitalisme. Bien entendu, le reflux de la vague révolutionnaire et l’encerclement par les troupes de l’Entente, le poids de visions erronées héritées du passé social-démocrate allaient conduire à une situation absolument tragique 8.
En réalité, ce qui dérange les réalisateurs de cette émission, c’est avant tout le fait que Lénine ne soit pas un patriote et qu’il refuse l’union sacrée en souhaitant même, suprême transgression, “la défaite de son propre pays” ! Refuser “l’union sacrée” provoque en effet des “divisions” au sein de la “nation” et une opposition de classe : cela, nous ne le nions pas. À toutes les étapes fondamentales du récit des événements, le commentaire maintient la même ligne officielle faisant passer la moindre erreur pour une trahison !
Durant les journées de juillet, la terrible contre-offensive réactionnaire, la chasse aux bolcheviks ou les masses sont “exposées aux coups” (Trotski), sont l’occasion de souligner que Lénine est “absent”, ou “bafouille” autour de bolcheviks en “panique”. La réalité est que le Parti bolchevik a bien au contraire compris les pièges de la réaction et a pris position contre l’insurrection et la prise du pouvoir qui était prématurée en juillet (les soldats n’étant pas suffisamment solidaires des ouvriers et la situation de la province en retard politiquement sur Petrograd). Dans d’autres circonstances, comme dans une de ses interventions au soviet, Lénine est tellement incompris que son prétendu “délire politique” inquiète sa propre compagne Kroupskaïa “craignant pour sa santé mentale”. Ignoble ! Ainsi, le stress liés à la situation tendue, le surmenage, se transforment aux yeux de nos “experts” en une véritable pathologie mentale. La prétendue “compétition” de Lénine entre les soviets et les bolcheviks, sa volonté de faire main basse sur les conseils et “le pouvoir qui lui monte à la tête”... tout cela relève des mêmes interprétations mensongères. Si les bolcheviks parviennent à déjouer le putsch du général Kornilov au mois d’août, regroupés et retranchés autour du conseil ouvrier à Smolny, c’est finalement pour nous suggérer quasi explicitement que Lénine est in fine lui-même une sorte de “Kornilov” qui a fini par réussir son coup en octobre. Cela, après avoir quitté “sa cabane” à Helsinki et avoir mis en œuvre le sabotage de la démocratie. Le IIe Congrès des soviets devient un simple enjeux démocratique et Lénine un “obsédé de l’insurrection” cherchant de façon insatiable à assouvir à tous prix, encore une fois, son “appétit du pouvoir”. L’argument massue étant que Lénine n’a pas attendu le IIe Congrès des soviets avant d’appeler à la prise du pouvoir, et donc que la révolution aurait été confisquée aux masses prolétariennes. Ce qui est faux : ce n’est pas le dictateur Lénine, ni le Comité central du Parti bolchevik, mais le Comité militaire révolutionnaire (CMR) élu par le soviet de Petrograd qui a appelé à l’insurrection d’Octobre. Et nos “historiens” bourgeois le savent très bien !
Toute la question de la prise du pouvoir d’Octobre, de la décision même de l’insurrection, sont présentés de façon classique par la propagande officielle comme un vulgaire “coup d’État” mené par le CMR totalement contrôlé en sous-main par une poignée de bolcheviks et l’ineffable dictateur Lénine. Ce qu’oublie de dire l’émission, c’est que le CMR est réellement sous le contrôle du soviet de Petrograd. Il s’agirait, aux dire même du commentateur, d’une simple “opération de police” opposée à l’image qu’en donne le film du célèbre cinéaste Eisenstein. Et là encore, l’émission pourtant très bien documentée, s’inspirant de témoignages et sources diverses, se garde bien d’évoquer le point de vue de Trotski qui clarifie les choses : “II n’y eut presque point de manifestations, de combats de rue, de barricades de tout ce que l’on entend d’ordinaire par “insurrection”. La révolution n’avait pas besoin de résoudre un problème déjà résolu. La saisie de l’appareil gouvernemental pouvait être effectuée d’après un plan, avec l’aide de détachements armés relativement peu nombreux, partant d’un centre unique (...) Le calme dans les rues, en octobre, l’absence de foules, l’inexistence de combats donnaient aux adversaires des motifs de parler de la conspiration d’une minorité insignifiante, de l’aventure d’une poignée de bolcheviks. (...) En réalité, les bolcheviks pouvaient ramener au dernier moment la lutte pour le pouvoir à un “complot”, non point parce qu’ils étaient une petite minorité, mais au contraire parce qu’ils avaient derrière eux, dans les quartiers ouvriers et les casernes, une écrasante majorité, fortement groupée, organisée, disciplinée” (9.
De même, le témoignage vivant du journaliste américain John Reed, qui a assisté aux “dix jours qui ébranlèrent le monde”, est totalement occulté : “C’est ainsi, dans le fracas de l’artillerie, dans l’obscurité, au milieu des haines, de la peur et de l’audace la plus téméraire, que naquit la nouvelle Russie (…). Pareils à un fleuve noir emplissant toute la rue, sans chants ni rires, nous passions sous l’Arche Rouge (…). De l’autre côté de l’Arche, nous priment le pas de course, nous baissant et nous faisant aussi petits que possible, puis, nous rassemblant derrière le piédestal de la colonne d’Alexandre (…). Après être restés quelques minutes massée derrière la colonne, la troupe, qui se composait de quelques centaines d’hommes, retrouva son calme et, sans nouveaux ordres, d’elle-même, repartit en avant. Grâce à la lumière qui tombait des fenêtres du Palais d’hiver, j’avais réussi à distinguer que les deux ou trois cents premiers étaient des gardes rouges, parmi lesquels étaient disséminés seulement quelques soldats (…). Un soldat et un garde rouge apparurent dans la porte, écartant la foule : ils étaient suivis d’autres gardes, baïonnette au canon, escortant une demi-douzaine de civils qui avançaient l’un derrière l’autre. C’était les membres du Gouvernement provisoire (…). Nous sortîmes dans la nuit glacée, toute frémissante et bruissante de troupes invisibles, sillonnées de patrouilles (…). Sous nos pieds, le trottoir était jonché de débris de stuc de la corniche du Palais qui avait reçu deux obus du croiseur Aurora. C’était les seuls dégâts causés par le bombardement. Il était trois heures du matin. Sur la Nevski, tous les becs de gaz étaient de nouveau allumés ; le canon de trois Apouces avait été enlevé et seuls les gardes rouges et les soldats accroupis autour des feux rappelaient encore la guerre (…). À Smolny, des bureaux du Comité militaire révolutionnaire semblaient jaillir des éclairs, comme d’une dynamo travaillant à trop grande puissance” (10.
Selon l’émission d’Arte, le soviet à Smolny n’est que pure forme dans la mesure ou le pouvoir est “confisqué” par le “parti unique” et le méchant Lénine. Une sorte de fracture se serait consolidée après la mise en place des commissaires du peuple.
Par un tour de passe-passe dont les médias aux ordres de la classe bourgeoise ont le secret, l’émission d’Arte se termine par des commentaires sur le chaos sanglant engendré par la Révolution d’octobre et qui aurait provoqué l’effondrement définitif du “communisme” en 1989. La matraquage idéologique est encore utilisé à outrance mais, aujourd’hui, avec un objectif particulièrement pernicieux : Oui, il y a bien eu une révolution prolétarienne en Russie mais ce que voulaient ces masses prolétariennes, c’était la démocratie, une démocratie parlementaire comme dans les pays occidentaux, avec sa mystification du “pouvoir du peuple” par le suffrage universel.
Mensonge ! Ce que voulaient les masses prolétariennes, c’était la fin de la guerre de 1914-18. Et seul Lénine et le Parti bolchevik avait ce “programme” révolutionnaire et permettait au prolétariat de prendre en main sa destinée. C’est grâce à Octobre que la Révolution russe et le “bolchevisme” ont mis fin à la boucherie mondiale. Cette vérité historique, nos commentateurs, professeurs d’“histoire” et autres chantres de la démocratie bourgeoise, se gardent bien de la mentionner. Comme le disait Goebbels, chef de la propagande nazie en Allemagne : “Un mensonge énorme porte avec lui une force qui éloigne le doute”. Et dans l’art de la propagande et de la falsification de l’histoire, les idéologues patentés de l’État démocratique n’ont pas grand chose à envier aux “lavages de cerveaux” des régimes nazi ou stalinien.
WH, 13 février 2017
1) Si la propagande est permanente et prend des formes différentes, elle a connu des pics fiévreux, comme au moment de la prise du pouvoir par les bolcheviks, parfois durant la guerre froide, mais aussi et surtout au moment et après l’effondrement de l’URSS durant les années 1990. Voir notre brochure : Octobre 1917 début de la révolution mondiale : les masses ouvrières prennent leur destin en main [605].
2) Émission du vendredi 3 mars, avec la participation de l’historien Marc Ferro, spécialiste de la Russie et de l’URSS. Ce véritable porte-parole de l’histoire officielle n’a cessé d’entretenir et de colporter doctement le plus grand mensonge de l’histoire assimilant le stalinisme au communisme.
3) Trotski, Histoire de la Révolution russe, Tome I, chapitre “Le réarmement du Parti”.
4) John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde.
5) Le fait d’insister sur La Marseillaise reprise par les manifestants, sans en préciser les raisons ni l’état d’esprit réel des masses, le fait de souligner l’obtention du droit de vote des femmes sous le gouvernement provisoire, tout laisse croire, en fin de compte a une simple révolution bourgeoise et purement démocratique.
6) Lénine : Les enseignements de la révolution, point VI.
7) Lire la brochure de Lénine, Un pas en avant deux pas en arrière.
8) Nous n’avons jamais nié les erreurs commises par le Parti bolchevik, ni sa dégénérescence et sa transformation en colonne vertébrale de l’odieuse dictature stalinienne. Le rôle du Parti bolchevik ainsi que la critique implacable de ses erreurs et sa dégénérescence ont été analysés dans différents articles de notre Revue internationale :
–“La dégénérescence de la Révolution russe” et “Les leçons de Kronstadt” (no 3) ;
• “La défense du caractère prolétarien de la Révolution d’Octobre” (nos 12 et 13).
La raison essentielle de la dégénérescence des partis et organisations politiques du prolétariat résidait dans le poids de l’idéologie bourgeoise dans leurs rangs, qui créait constamment des tendances à l’opportunisme et au centrisme (voir “Résolution sur le centrisme et l’opportunisme”, Revue internationale no 44).
9) Trotski, op. cit.
10) John Reed, op. cit.
C’est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections. Puisqu’il s’agit de “choisir” quelle sera la meilleure équipe dirigeante pour gérer la nation au sein de l’arène mondiale. Et cette fois-ci, la bourgeoisie française a particulièrement bien réussi son coup : une campagne démocratique assourdissante faisant croire au “renouveau”, une majorité gouvernementale d’ores et déjà attelée à justifier les “nécessaires sacrifices” pour “moderniser et dynamiser l’économie française, un Président triomphant et plébiscité internationalement, Emmanuel Macron, armé d’un “nouveau parti” 1, “La République en marche !” et d’une majorité absolue au Parlement... Bref, la bourgeoisie française peut se féliciter et se targuer d’un renforcement de son dispositif étatique sur le plan politique et idéologique.
Cette réussite de la bourgeoisie française est d’autant plus retentissante que, presque partout, les autres bourgeoisies nationales sont en difficulté, gangrenées par leurs partis populistes dont la capacité à gérer efficacement et rationnellement l’intérêt du Capital est plus que douteuse. Pour preuves : la victoire du Brexit dans le plus vieux pays capitaliste du monde, la Grande-Bretagne et l’élection de Trump à la tête du plus puissant d’entre-eux. En France, le risque de l’arrivée au pouvoir du Front National devenait donc une préoccupation majeure pour les fractions les plus lucides de la bourgeoisie des pays occidentaux, en particulier face aux dangers d’éclatement de l’Europe, de remise en cause de sa monnaie, de ses institutions dont la France comme l’Allemagne constituent le cœur.
La tendance au rejet massif des partis traditionnels qui avaient gouverné pendant des décennies, l’indifférence croissante par rapport au jeu des institutions démocratiques bourgeoises devenaient un réel problème pour la classe dominante, pour sa capacité à défendre au mieux ses propres intérêts nationaux. Il s’agissait de mettre à l’écart les vieux politiciens usés et discrédités. La machine à propagande de la bourgeoisie a marché à plein régime : il fallait aussi que la bourgeoisie fasse apparaître un homme fringant et “moderne”, en apparence “neuf” et providentiel, ancien ministre mais sans “casseroles” politiques ou personnelles trop marquantes, disposant d’un nouveau parti au-dessus des “vieux clivages”, pouvant racoler à gauche comme à droite, ouvertement pro-européen, pratiquant une parité entre hommes et femmes... En d’autres termes : un “ravalement de façade” qui masque le fait qu’il ne peut qu’imposer les mêmes conditions de domination capitaliste aux exploités et à l’ensemble de la société. C’était aussi l’entame, essentielle pour ses besoins, d’une remise en ordre de marche de son appareil d’État grippé.
En réalité, l’idéologie démocratique n’est qu’une expression de la domination totalitaire du capital sur la société. La théorie selon laquelle les réformes de la machine et des institutions de l’État démocratique moderne permettraient une adaptation à la défense de tous les citoyens par les citoyens eux-mêmes est une fiction mystificatrice. Tant que la société est basée sur l’existence de classes aux intérêts radicalement antagoniques dont l’une exploite l’autre, la démocratie de l’État s’impose comme l’expression d’une domination de classe 2. La citoyenneté n’est qu’une abstraction mensongère cherchant à camoufler la réalité des conflits de classes. Participer aux élections, c’est se transformer en un citoyen impuissant livré pieds et poings liés à la propagande et aux discours officiels, aux intérêts et aux manipulations de la bourgeoisie.
Il est vrai que le taux d’abstention aux élections législatives est encore plus élevé que celui déjà significativement haut atteint au moment de l’élection présidentielle. A cela s’ajoute les non-inscrits et les votes blancs. Ce phénomène exprime certes une méfiance croissante envers les institutions bourgeoises. D’élections en élections, de désillusions en désillusions envers les politiques menées par les différents gouvernements, une partie importante du prolétariat a tout simplement boycotté ces élections. Et sur ce plan, le phénomène Macron n’a pas eu d’effet significatif. Toutefois, si cette réalité inquiète la bourgeoisie, elle ne constitue pas pour autant en soi un atout pour le prolétariat. La passivité, le repli, l’indifférence parfois à l’égard de la politique sont avant tout le produit d’un manque de perspective qui génère une impuissance, elle-même exploitée par la bourgeoisie pour tenter de culpabiliser les ouvriers et pourrir leur conscience. Se borner à refuser le cirque électoral n’est nullement une solution. Cela doit nécessairement s’accompagner d’une démarche consciente, d’une critique radicale de la société capitaliste, d’une action sur un terrain de classe.
Le nouveau gouvernement, malgré les inquiétudes qu’il suscite déjà, peut maintenant se prévaloir de la légitimité des urnes pour passer à l’offensive contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Le gouvernement Macron a immédiatement lancé une politique parfaitement adaptée aux intérêts du capital français. Ceci est particulièrement spectaculaire sur le plan impérialiste et guerrier. La politique de la France en Afrique, comme au Mali par exemple, a été immédiatement soutenue et confirmée, sa participation à la guerre en Syrie et en Irak renforcée. Il semble même que Macron soit prêt à reconnaître le boucher Assad au nom de la realpolitik.
Quant à la relance du couple franco-allemand dans une situation de crise de l’Union européenne, elle se traduit pour l’heure par la tentative de renforcer le rôle de la France en Europe. La volonté affichée de Macron de redynamiser l’appareil politique de l’État français grâce à l’aura qu’il possède actuellement au niveau international, se heurte déjà à l’opposition de Merkel qui, si elle a été le soutien le plus actif de Macron durant toute sa campagne et si son élection a rassuré la bourgeoisie allemande n’est pour autant pas prête à accepter le pied d’égalité et le co-leadership entre les deux pays au sein de l’UE. Pour le moment, les seules mesures prises d’un commun accord consistent à renforcer davantage l’austérité en Grèce et la politique anti-migrants aux frontières de l’Europe...
Mais ce n’est pas seulement dans ces domaines que l’arrivée au pouvoir de Macron implique une évolution importante de la situation. Les médias bourgeois et la nouvelle majorité clament à tue-tête que le capitalisme français n’est pas assez compétitif, malgré les attaques précédentes et la loi El Khomri. Ces réformes, dans la bouche de la bourgeoisie, nous en connaissons le prix. Cela veut dire plus de taxes, un démantèlement accéléré de la protection sociale, plus d’austérité, plus de précarité, plus de flexibilité, plus d’exploitation. Après avoir prétendu faire du “nouveau”, le gouvernement Macron a déjà entrepris de ramener brutalement les exploités à la réalité de l’intensification de la dégradation de leurs conditions d’existence. C’est bien une paupérisation et une précarisation sans fin qui est programmée. Des attaques massives sont déjà annoncées et seront prises notamment au cours des vacances d’été.
L’importance prise par le mouvement La France insoumise, avec son leader charismatique Mélenchon et l’appui éventuel de nouveaux mouvements comme celui de Benoît Hamon, viennent renforcer cette capacité à faire passer les attaques en apportant leur caution “critique” et de prétendue “opposition”, témoignant d’un redéploiement des forces politique les plus éclairées au sein du capitalisme d’État. Mélenchon vient ainsi de prétendre qu’il apporterait à l’Assemblée nationale les revendications de la rue. Tout comme les syndicats qui eux aussi renforcent leur encadrement anti-ouvrier sur les lieux de travail.
S’il y a une leçon que la victoire de Macron nous donne à retenir, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer la capacité de la bourgeoisie à faire face aux aléas de la crise, à ses difficultés politiques. Le renforcement de l’exécutif par Macron, la réorganisation de l’État à laquelle nous assistons sont autant d’armes dans les mains de la bourgeoisie contre le combat historique du prolétariat.
Même si le prolétariat n’a pas pour le moment la force de réagir du fait de son incapacité à se reconnaître comme force politique réelle, ayant une identité propre, celle d’une classe révolutionnaire en mesure de défendre une alternative au capitalisme, il lui faudra réagir et s’opposer à ce capitalisme pourrissant en renouant tout d’abord avec l’expérience de ses luttes. Même s’il n’est pas en mesure, dans la période actuelle, de s’élever sur son terrain de classe et de lutte pour s’opposer à la dégradation de ses conditions de vie, le combat de classe s’imposera à lui, comme cela s’est fait tout au long de l’histoire du capitalisme. Rappelons-nous qu’il y a 100 ans, le prolétariat a su prendre l’initiative de remettre en cause le système capitaliste avec la volonté de le renverser à l’échelle mondiale. Octobre 1917 en Russie, comme première étape d’une vaste vague révolutionnaire internationale, démontre que le prolétariat est historiquement capable de porter des assauts contre le capitalisme avec une démarche consciente et montre à la classe ouvrière d’aujourd’hui que la révolution est non seulement nécessaire mais possible. La réappropriation de cette mémoire est indispensable. Quoi qu’en disent les médias bourgeois, l’avenir de l’humanité n’appartient pas à des politiciens comme Macron et ceux de sa classe, pas plus qu’aux élections et autres assemblées parlementaires. L’avenir appartient en réalité à la lutte historique du prolétariat, au pouvoir des conseils ouvriers et au communisme. La révolution en Russie a été capable de mettre fin à la guerre impérialiste de 1914-1918 avant d’être finalement vaincue dans les années 1920. Mais elle reste un phare qui doit guider la lutte de classe dans la nuit du capitalisme. Tous ceux qui, au sein de la classe prolétarienne, cherchent à rejeter le système capitaliste et aspirent à transformer le monde radicalement doivent s’inscrire dès maintenant dans la perspective d’un combat de classe.
Pour cela, même si c’est difficile, il est nécessaire de se regrouper, de se rencontrer pour débattre et clarifier les immenses questions qui se posent à notre classe. La démarche consciente et la solidarité sont toujours une nécessité vitale pour le prolétariat afin de combattre toutes formes d’illusions démocratiques et s’armer politiquement en vue de résister aux attaques inévitables que ce gouvernement, comme les précédents, va asséner.
Stephan, 8 juillet 2017
1 Créé sous sa houlette un an à peine avant l’élection présidentielle.
2 Voir notre article “Élections et démocratie: l’avenir de l’humanité ne passe pas par les urnes [650]”, Révolution internationale n° 463.
Les survivants de l’incendie de la tour Grenfell, ceux qui vivent dans son ombre, ceux qui partout ailleurs vivent dans des tours similaires, ceux qui sont venus manifester leur solidarité, dont la colère les a menés jusqu’à occuper la mairie de Kensington et à marcher sur Downing Street, tous ceux-là étaient parfaitement clairs sur le fait que cette horreur n’est pas une “tragédie” abstraite, et encore moins un acte de Dieu, mais comme le disait une bannière de fortune, “un crime contre les pauvres”, une question de classe rendue d’autant plus évidente par le fait que le Royal Borough de Kensington et Chelsea représentent typiquement l’obscène contraste de richesse qui est la marque de ce système social, le résumant sous la forme très visible et tangible de la “question du logement”.
Bien avant le déclenchement de l’incendie, un groupe d’action de résidents avait averti de l’état dangereux de la tour Grenfell, mais ces avertissements avaient été systématiquement ignorés par le conseil municipal et son agent, le Kensington and Chelsea Tenant Management Organisation. Cela fait longtemps que l’on soupçonne que le revêtement qui est suspecté d’être la principale cause de la rapide propagation de l’incendie n’avait pas été installé pour le bien-être des résidents de la tour, mais pour en améliorer l’aspect extérieur par égard pour les riches habitants du quartier. Encore une fois, il est bien connu que tout ce quartier est infesté par cette nouvelle génération de propriétaires terriens non résidents qui, poussés par la manie de la bourgeoisie anglaise d’encourager l’investissement étranger, achètent des bâtiments extrêmement chers et dans beaucoup de cas ne se soucient même pas de les louer, les laissant vides pour purement et simplement spéculer dessus. Et bien entendu, la spéculation sur les logements, encouragée par l’État, a été un élément central du krach de 2008, un désastre économique dont le résultat net a été d’élargir encore un peu plus l’énorme fossé entre ceux qui sont riches et ceux qui ne le sont pas. Aujourd’hui acheter une maison coûte cher, particulièrement à Londres qui reste la pièce maîtresse d’une économie de casino reposant sur la dette.
La profondeur et l’étendue de l’indignation provoquée par une telle politique ont été à ce point que les media appartenant à ceux qui sont en haut de l’échelle de la richesse, et contrôlés par eux, n’ont pas eu trop le choix et ont dû emboîter le pas de toute cette rage. Quelques-uns des tabloïds pro-Brexit ont cherché à rendre les règlements de l’UE responsables de l’incendie, mais ont dû faire machine arrière assez vite face à la colère populaire (mais seulement lorsqu’il est apparu que le genre de revêtement utilisé pour “régénérer” Grenfell est interdit dans un pays comme l’Allemagne). Un journal, pourtant pas précisément réputé pour son radicalisme, le Metro de Londres, a affiché en gros titre : “Arrêtez les assassins !”, présenté non comme une citation, mais comme une demande, basée cependant sur la rhétorique du député de Tottenham David Lammy qui a été l’un des premiers à décrire l’incendie comme “un homicide involontaire d’entreprise”. Et tout le monde, à l’exception d’une petite minorité de trolls internet racistes, a évité tout mot désobligeant sur le fait que la majorité des victimes non seulement étaient pauvres, mais étaient des migrants et même des réfugiés. Les nombreuses expressions de solidarité que nous avons vues au lendemain de l’incendie, les dons de nourriture, de vêtements, de couvertures, d’hébergement, de travail dans les centres d’urgence, sont venus des gens sur place, de tous les milieux ethniques et religieux, ne conditionnant aucunement leur aide à l’histoire personnelle des victimes.
Les manifestants ont parfaitement raison d’exiger des réponses sur les causes de cet incendie, de faire pression sur l’État pour qu’il accorde une assistance d’urgence pour les reloger dans le même quartier, certains d’entre eux ont déjà fait référence à la douloureuse expérience des déplacés de l’ouragan Katrina, qui a été utilisé pour procéder à une sorte de nettoyage de classe et ethnique dans les quartiers “désirables” de la Nouvelle-Orléans. De façon tout à fait compréhensible, ceux qui vivent dans les autres grands ensembles veulent un bilan de sécurité et des améliorations dans ce domaine aussi rapidement que possible. Mais il faut absolument examiner les causes profondes de cette catastrophe, pour comprendre que l’inégalité qui en a été si souvent désignée comme un élément-clé est enracinée dans la structure fondamentale de l’actuelle société. C’est particulièrement important parce qu’une grande partie de la colère que tout le monde ressent est dirigée contre des individus et institutions particuliers (Theresa May parce qu’elle a eu peur du contact direct avec les résidents de Grenfell, le conseil municipal ou le KCTMO) plutôt que contre le mode de production qui engendre de tels désastres depuis ses propres entrailles. Si ce point manque, la porte reste ouverte à toutes les illusions sur des solutions capitalistes alternatives, en particulier celles que propose l’aile gauche du capital. Nous avons déjà vu Corbyn à nouveau prendre la tête de la course au jeu de la popularité devant May du fait de sa réponse plus sensible et “terre à terre” aux résidents de Grenfell, notamment son plaidoyer pour des solutions apparemment radicales, comme la “réquisition” de maisons vides pour offrir un logement à ceux qui ont été déplacés 1.
Voici comment Marx définissait le problème, en se concentrant particulièrement sur l’impitoyable chasse au profit dans le processus de production :
“Comme l’ouvrier consacre au procès de production la majeure partie de sa vie, les conditions de la production s’identifient en grande partie avec les conditions de son existence. Toute économie réalisée sur ces dernières doit se traduire par une hausse du taux du profit, absolument comme le surmenage, la transformation du travailleur en bête de somme sont, ainsi que nous l’avons montré précédemment, une méthode d’activer la production de la plus-value. L’économie sur les conditions d’existence des ouvriers se réalise par : l’entassement d’un grand nombre d’hommes dans des salles étroites et malsaines, ce que dans la langue des capitalistes on appelle l’épargne des installations ; l’accumulation, dans ces mêmes salles, de machines dangereuses, sans appareils protecteurs contre les accidents ; l’absence de mesures de précaution dans les industries malsaines et dangereuses, comme les mines par exemple. (Nous ne pensons naturellement pas aux installations qui auraient pour but de rendre le procès de production humain, agréable ou seulement supportable, et qui, aux yeux de tout bon capitaliste, constitueraient un gaspillage sans but et insensé)”.
Mais cette tendance à réduire l’espace, à négliger les mesures de sécurité et à tailler dans les coûts de production afin d’augmenter le taux de profit ne s’applique pas moins à la construction de logements destinés à la classe exploitée. Dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845), Engels décrivait avec beaucoup de minutie la surpopulation, la crasse, la pollution et le délabrement des maisons et des rues hâtivement construites pour loger les ouvriers d’usine de Manchester et d’autres cités ; dans La question du logement (1872), il soulignait que ces conditions déclenchaient inévitablement des épidémies :
“Les germes du choléra, du typhus, de la fièvre typhoïde, de la variole et autres maladies dévastatrices se répandent dans l’air pestilentiel et les eaux polluées de ces quartiers ouvriers ; ils n’y meurent presque jamais complètement, se développent dès que les circonstances sont favorables et provoquent des épidémies, qui alors se propagent au-delà de leurs foyers jusque dans les quartiers plus aérés et plus sains, habités par Messieurs les capitalistes. Ceux-ci ne peuvent impunément se permettre de favoriser dans la classe ouvrière des épidémies dont ils subiraient les conséquences ; l’ange exterminateur sévit parmi eux avec aussi peu de ménagements que chez les travailleurs”.
Il est bien connu que la construction du réseau d’égouts de Londres au xixe siècle, un travail d’ingénierie titanesque qui a grandement réduit l’impact du choléra et qui est toujours en fonction aujourd’hui, n’a connu une forte impulsion qu’après la “Grande puanteur” de 1858 qui provenait de la Tamise polluée et qui s’attaquait aux narines des politiciens de Westminster. Les luttes et les revendications ouvrières pour de meilleurs logements ont bien entendu été un facteur pour décider la bourgeoisie à démolir les bidonvilles et à offrir des constructions plus sûres et salubres à ses esclaves salariés. Pour se protéger lui-même des maladies et aussi pour faire cesser la décimation de sa force de travail, le capital a été contraint d’introduire ces améliorations, d’autant que de substantiels profits pouvaient être faits en investissant dans la construction et la propriété. Mais comme Engels l’a noté, même à cette époque de réformes conséquentes, rendues possibles par un mode de production en pleine ascendance, le capitalisme avait tendance à simplement déplacer les bidonvilles d’une zone à une autre. Dans La question du logement, Engels montre comment cela se passe dans la région de Manchester. A notre époque, marquée par la spirale de décadence du système capitaliste à un niveau mondial, le déplacement s’est de façon évidente produit des pays capitalistes “avancés” vers les immenses bidonvilles qui entourent tant de grandes cités de ce que l’on appelle le “Tiers-Monde”.
C’est pourquoi, en rejetant l’utopie proudhonienne (ultérieurement actualisée par le projet de Thatcher que chacun construise son propre logement social, ce qui a considérablement exacerbé le problème du logement) où chaque ouvrier possède sa propre petite maison, Engels insistait :
“Et aussi longtemps que subsistera le mode de production capitaliste, ce sera folie de vouloir résoudre isolément la question du logement ou toute autre question sociale concernant le sort de l’ouvrier. La solution réside dans l’abolition de ce mode de production, dans l’appropriation par la classe ouvrière elle-même de tous les moyens de production et d’existence” 2.
La révolution prolétarienne en Russie en 1917 a donné un aperçu de ce que, à son stade initial, cette “appropriation” pourrait signifier ; palais et manoirs des riches ont été expropriés pour y loger les familles les plus pauvres. Dans le Londres actuel, à côté des palais et manoirs qui existent, la vertigineuse augmentation des constructions spéculatives lors des dernières décennies nous laisse un énorme lot de tours de prestige, dont une partie n’est habitée que par quelques riches résidents, une autre n’est occupée que par toutes sortes d’activités commerciales parasitaires, et la plus grande partie reste tout simplement invendue et inutilisée. Mais leurs systèmes anti-incendie sont certainement bien meilleurs que ceux de Grenfell. Ce type d’immeubles est l’argument principal pour faire de l’expropriation une solution immédiate au scandale des sans-logis et des logements sous-équipés.
Mais Engels, comme Marx, penchait pour un programme bien plus radical que simplement s’emparer des logements existants. A nouveau, en rejetant les fantaisies proudhoniennes de retour à l’industrie artisanale, Engels pointait le rôle progressiste joué par les grandes cités qui rassemblent des masses de prolétaires capables d’agir ensemble et ainsi de défier l’ordre capitaliste. Et, à nouveau, il insistait sur l’idée que le futur communiste en finirait avec la brutale séparation entre villes et campagnes et que cela signifierait le démantèlement des grandes cités – un projet d’autant plus grandiose à l’époque actuelle que les méga-cités boursouflées d’aujourd’hui font ressembler les grandes villes que connaissait Engels à de paisibles bourgades.
“On avoue donc que la solution bourgeoise de la question du logement a fait faillite : elle s’est heurtée à l’opposition entre la ville et la campagne. Et nous voici arrivés au cœur même de la question ; elle ne pourra être résolue que si la société est assez profondément transformée pour qu’elle puisse s’attaquer à la suppression de cette opposition, poussée à l’extrême dans la société capitaliste d’aujourd’hui. Bien éloignée de pouvoir supprimer cette opposition, elle la rend au contraire chaque jour plus aiguë. Les premiers socialistes utopiques modernes, Owen et Fourier, l’avaient déjà parfaitement reconnu. Dans leurs constructions modèles, l’opposition entre la ville et la campagne n’existe plus. Il se produit donc le contraire de ce qu’affirme M. Sax : ce n’est pas la solution de la question du logement qui résout du même coup la question sociale, mais bien la solution de la question sociale, c’est-à-dire l’abolition du mode de production capitaliste, qui rendra possible celle de la question du logement. Vouloir résoudre cette dernière avec le maintien des grandes villes modernes est une absurdité. Ces grandes villes modernes ne seront supprimées que par l’abolition du mode de production capitaliste et quand ce processus sera en train, il s’agira alors de tout autre chose que de procurer à chaque travailleur une maisonnette qui lui appartienne en propre” 3.
Dans la lignée de cette tradition radicale, le communiste de Gauche italien Amadeo Bordiga a écrit un texte en réponse à l’engouement de l’après Seconde Guerre pour les grands ensembles et les gratte-ciels, une mode revenue en force ces dernières années malgré une série de désastres et malgré l’évidence que vivre dans un grand ensemble exacerbe l’atomisation de la vie urbaine et génère toutes sortes de difficultés sociales et psychologiques. Pour Bordiga, les grands ensembles sont un symbole puissant de la tendance du capitalisme à entasser le plus possible d’êtres humains dans un espace aussi limité que possible, et il n’a pas de mots assez durs pour les architectes “brutalistes” qui en chantaient les louanges 4. “Verticalisme, tel est le nom de cette doctrine difforme ; le capitalisme est verticaliste”.
Le communisme, au contraire, serait horizontal. Plus loin, dans le même article, il explique ce qu’il veut dire par là :
“Quand, après avoir écrasé par la force cette dictature chaque jour plus obscène, il sera possible de subordonner chaque solution et chaque plan à l’amélioration des conditions du travail vivant, en façonnant dans ce but ce qui est du travail mort, le capital constant, l’infrastructure que l’espèce homme a donnée au cours des siècles et continue de donner à la croûte terrestre, alors le verticalisme brut des monstres de ciment sera ridiculisé et supprimé, et dans les immenses étendues d’espace horizontal, les villes géantes une fois dégonflées, la force et l’intelligence de l’animal-homme tendront progressivement à rendre uniformes sur les terres habitables la densité de la vie et celle du travail ; et ces forces seront désormais en harmonie, et non plus farouchement ennemies comme dans la civilisation difforme d’aujourd’hui, où elles ne sont réunies que par le spectre de la servitude et de la faim.”
Amos, 18 juin
1 Dans la vision capitaliste d’État de Corbyn, la réquisition de bâtiments n’est pas le résultat d’une auto-initiative de la classe ouvrière, mais une mesure légale prise par l’État, la même chose que réquisitionner des bâtiments en temps de guerre.
2 La question du logement [651].
3 Idem.
4 Amadeo Bordiga était architecte de formation.
L’attentat à la bombe contre un concert d’Adriana Grande au Manchester Arena, avec un dispositif rempli d’écrous et de boulons devait tuer ou blesser un grand nombre de jeunes. L’État islamique, dans une déclaration, se vante de ce qu’ “un soldat du califat a été capable de déposer un engin explosif au milieu d’un rassemblement d’Infidèles”, car il a revendiqué “la légitimité de terroriser” les descendants des Croisés dans “une salle de concert indécent”, comme une vengeance contre “leurs violations (par les Infidèles) des terres de l’Islam”.
Ces “Croisés” étaient généralement des jeunes de 14 ou 16 ans. Une des victimes était une petite fille de 8 ans. A l’heure actuelle, il y a 22 morts (parmi lesquels dix avaient moins de 20 ans) et 116 blessés.
De même que la tuerie de masse de novembre 2015 au théâtre du Bataclan à Paris (où 89 personnes ont été tuées), cet attentat visait délibérément des jeunes gens et même des enfants à Manchester. Aujourd’hui, il est de plus en plus évident que ce ne sont pas seulement les adultes mais aussi les enfants qui sont pris dans l’engrenage des conflits impérialistes et pas seulement en Syrie, en Libye, au Yémen, mais aussi à Manchester, Londres, Paris et Nice. Les révolutionnaires condamnent sans équivoque ces actes de terreur, qu’ils soient perpétrés par les plus grandes forces militaires dans le monde ou qu’ils soient le fait d’un conducteur de camion isolé ou d’un kamikaze.
De plus, nous pouvons nous attendre à toujours plus d’expressions du terrorisme en Europe, dans la mesure où des forces militaires (comme Daech), confrontées à des revers militaires en Syrie, déclenchent de nouvelles attaques. Cela fait partie de la logique de l’impérialisme aujourd’hui, dans laquelle terreur et terrorisme font partie intégrante de l’arsenal impérialiste.
Bien que le service de sécurité du M15 ait dit qu’il allait revoir ses procédures, parce que le terroriste de Manchester était dans leur collimateur, l’attentat de Manchester a donné l’opportunité à l’État de durcir le niveau de sécurité et d’ajouter des troupes armées dans les rues aux côtés d’une police renforcée. Les politiciens, qui étaient en pleine campagne électorale générale, se sont unis pour déclarer leurs intentions de “protéger” le peuple britannique, de défendre les “valeurs démocratiques” et ont affirmé qu’ils ne céderaient jamais au terrorisme. Les Tories ont insinué que Jeremy Corbyn, le dirigeant travailliste, n’avait pas été intransigeant sur les questions de sécurité et de terrorisme. Corbyn a riposté en critiquant les Tories sur la suppression de 37 000 postes dans la police et les services de sécurité. Il a affirmé qu’il dépenserait des millions de livres pour développer les services de sécurité et embaucher davantage de policiers et de garde-frontière, montrant par là sa continuité avec les dirigeants du Labour depuis plus de cent ans de militarisme et de répression d’État.
A travers le monde entier, des figures importantes, de Trump à Poutine, ont ajouté leur voix au concert anti-terroriste. Ils ont tous condamné le fait de tuer des enfants comme une expression de la barbarie. L’hypocrisie de ces gangsters impérialistes ne connaît pas de limites. Combien d’enfants ont été tués lors de l’invasion de l’Irak en 2003 ? Une campagne basée sur l’utilisation d’une puissance démesurée et la mise en scène de cette force ont tué un nombre incalculable de personnes, à tel point que les États-Unis et la Grande-Bretagne n’avaient aucun intérêt à les dénombrer. Là, les États-Unis et leurs alliés pouvaient semer la terreur avec des bombes mortelles beaucoup plus sophistiquées que l’arsenal d’un kamikaze solitaire.
Aujourd’hui, de vastes zones ont été détruites par la guerre impérialiste dans des endroits tels que la Syrie, où les protégés des pouvoirs impérialistes, incluant les États-Unis, la Russie, l’Iran, la Turquie et l’Arabie Saoudite parmi d’autres, ne manifestent aucun remord dans le fait de tuer et de mutiler des milliers de personnes, que ce soit à l’appui de la Syrie d’Assad ou dans les multiples milices des nombreuses oppositions.
Nous ne devons pas oublier l’hypocrisie de l’État britannique, après son intervention militaire en Libye, aux côtés de la France, qui a laissé le pays dans un état de chaos et de guerre civile – la famille du kamikaze de Manchester est originaire de Libye. Il semble que son père ait travaillé d’abord dans l’appareil de sécurité de Kadhafi et plus tard, dans une filiale d’Al-Qaïda – ce dernier a à la fois usé l’Intelligence britannique et a été abusé par elle.
Pour donner un autre exemple de l’hypocrisie de nos dirigeants, il suffit de regarder les dernières ventes d’armes par les États-Unis à l’Arabie Saoudite (110 milliards de dollars livrables immédiatement et 350 milliards dans les dix ans). Ce contrat a été annulé par Trump au moment où le bombardement saoudien des rebelles houthis au Yémen continuait et visait particulièrement les hôpitaux et utilisait des bombes à fragmentation contre les civils.
Comme partout ailleurs face aux attaques ou aux désastres, l’humanité des résidents de Manchester a brillé dans le noir de l’attentat. Les hôtels ont ouvert leurs portes aux victimes, les chauffeurs de taxi ont assuré des transports gratuits, les hôpitaux ont levé les restrictions d’accueil, les gens ont ouvert leurs maisons, offert des tasse de thé et de café, les passants se sont arrêtés pour aider. Cependant, dans les conversations, dans les entrevues télévisées, il y avait beaucoup de confusion sur où va la société. Est-ce que cela va toujours être comme cela ? Peut-on trouver une solution ? Les slogans “Manchester ne perdra pas” ou “le terrorisme ne parviendra jamais à nous diviser” ne sont pas des réponses satisfaisantes.
La guerre et le terrorisme existent partout dans le monde. Mais le rôle des grandes nations capitalistes dans cette barbarie est bien souvent occulté. La période de “paix” qui a suivi la Seconde Guerre mondiale était en réalité une période de guerres locales entretenues en sous-main par les blocs impérialismes de l’Ouest et de l’Est qui défendaient leurs positions par procuration. Pourtant, l’équilibre des forces entre les deux blocs a créé une certaine stabilité dans les relations internationales pendant la Guerre Froide, avec la règle de l’assistance mutuelle de destruction. Avec la fin du Bloc de l’Est en 1989, le monde s’est retrouvé sens dessus-dessous. La stabilité relative qui avait accompagné l’existence des deux blocs s’est trouvée désintégrée et on a commencé à voir la multiplication de crises et de guerres de plus en plus porteuses de chaos. Cette période est la période de décomposition du système capitaliste. La “guerre contre le terrorisme” actuelle et la prolifération des groupes terroristes trouvent leurs racines dans le conflit meurtrier entre les impérialismes américain et russe en Afghanistan. Après l’invasion russe en décembre 1979, les Américains et leurs alliés ont envoyé et soutenu les moudjahidines, en tant que combattants délégués. Les talibans et Al-Qaïda se sont développés au sein des moudjahidines. Ainsi, les groupes terroristes actuels ne constituent pas un quelconque bizarre anachronisme du passé, même s’ils se revendiquent du fondamentalisme religieux, mais ils sont une partie intrinsèque du capitalisme actuel et des conflits impérialistes porteurs de chaos. Un nouveau pas a été franchi après le 11 septembre 2001 : l’invasion d’abord de l’Afghanistan puis de l’Irak a entraîné la déstabilisation de pans entiers du globe, en particulier au Moyen-Orient et a favorisé l’émergence de forces telles que l’auto-proclamé “État islamique”. Les groupes terroristes ont proliféré, créés par la guerre, maintenus en vie par des alliances sordides et la manipulation des grandes puissances. Toutes ces guerres ont mis sur les routes des vagues de réfugiés fuyant les zones de conflits et risquant leur vie pour gagner des endroits relativement protégés en Europe, aux États-Unis et dans d’autres pays riches. A ces réfugiés, se sont ajoutés ceux qui fuyaient la répression consécutive à l’échec du “Printemps arabe” ou la guerre en Syrie ; des réfugiés économiques ont également été jetés sur les routes. Ces personnes, victimes du capitalisme, sont utilisées par les politiciens comme boucs émissaires des exactions des groupes terroristes, qui les rendent également responsables de la chute du niveau de vie depuis les dix dernières années. En réalité, celui-ci est dû à la crise économique de 2007-2008, qui a vu une énorme instabilité du monde économique avec des effondrements boursiers et des faillites bancaires. Cette crise a ruiné des millions d’épargnants et a sapé la confiance dans l’argent (qui, sous le capitalisme, assure la cohésion du tissu social). Cela a généré une crainte et une méfiance énormes entre les gens ainsi qu’une peur de l’avenir. “Face à cette barbarie, dans une zone géographique étendue, du Mali à l’Afghanistan, en passant par la Somalie et jusqu’à la pointe sud de la Turquie, des millions d’êtres humains, mois après mois, ont été forcés de fuir pour seulement rester en vie. Ils sont devenus des “ réfugiés”, qui sont, soit parqués dans des camps, soit raccompagnés à la frontière. Ils arrivent au moment où la crise économique s’aggrave, et au moment où les actes terroristes s’intensifient, ce qui exacerbe fortement la xénophobie. Et, par-dessus tout, alors que le capitalisme s’enfonce dans la décomposition et la désintégration des liens sociaux, la classe ouvrière est incapable d’offrir à l’humanité une autre perspective. Incapable de développer sa conscience et son esprit combatif, son sens de la solidarité internationale et de la fraternité, elle est absente pour l’instant, comme classe, de la situation mondiale” 1. Le danger de cette putréfaction ne doit pas être sous-estimé : si on laisse le capitalisme continuer sur sa lancée, il entraînera l’humanité tout entière dans la destruction. La seule réponse possible est le développement des luttes de la classe ouvrière, et avec elles, de la solidarité qui est une part importante de ces luttes. Cela commence avec le questionnement de la société telle qu’elle est actuellement aussi bien qu’avec la lutte pour nous défendre contre le capitalisme et son État, et non avec des doléances auprès de l’État pour lui demander de bien vouloir nous défendre contre les effets les plus néfastes de la décomposition du capitalisme.
Mx, 29 mai
1 Lire sur le site internet du CCI : “Attentats en France, Allemagne, États-Unis... Le capitalisme porte en lui la terreur comme la nuée porte l’orage [616]” (août 2016), Révolution internationale n° 460.
En mai 1981, lors de son investiture, François Mitterrand rendait un hommage hypocrite et mensonger à Jean Jaurès, suggérant par-là une filiation du Parti socialiste (PS), qui nous gouverne et nous exploite depuis plusieurs décennies, avec la Deuxième Internationale de l’époque, et spécialement sa “section française”, la SFIO1, dans laquelle ont combattu d’authentiques militants ouvriers de la trempe des Jean Jaurès, Jules Guesde, Paul Lafargue ou l’ancien communard Édouard Vaillant. Aujourd’hui encore, les Hollande, Valls, Royal, Hamon et consorts, tous ces politiciens bourgeois cyniques et hypocrites, se réclament de cet héritage socialiste.
La série que nous débutons avec ce premier article a pour objectif de mieux faire connaître les origines souvent ignorées de ce parti initialement prolétarien afin de mieux mettre en évidence le processus qui le mena ensuite à la trahison et à devenir même un rouage incontournable de l’appareil d’État français. Nous retracerons les grandes étapes de cette évolution, depuis l’élaboration du programme d’inspiration marxiste du POF2 entre 1879 et 1882, la constitution d’un parti socialiste unifié en 1905 et la scission au congrès de Tours en 1920, qui clôtura l’histoire de la SFIO en tant que parti de la classe ouvrière, en passant évidemment par la trahison du principe fondamental de l’internationalisme prolétarien en 1914 avec le vote des crédits de guerre.
Afin de comprendre les étapes de la construction du parti socialiste en France, processus long, chaotique et laborieux, il est nécessaire de revenir sur les conditions très particulières qui ont fortement marqué sa naissance.
La construction d’un parti socialiste unifié en France ne s’est en effet réalisé qu’en mai 19053 et portait alors le poids du lourd héritage de la révolution bourgeoise de 1789 et les effets de l’écrasement de la Commune de Paris en mai 1871. Ce double héritage a pesé négativement sur les épaules du prolétariat et du mouvement ouvrier en France, notamment sur son avant-garde révolutionnaire : il a non seulement affecté la conscience ouvrière et généré des confusions théoriques importantes, mais il a également produit des faiblesses et des fragilités récurrentes que le mouvement ouvrier n’a jamais pu totalement surmonter dans ce pays.
Pourtant, à travers trois événements majeurs qui devaient rayonner sur le mouvement ouvrier international (les révolutions de 1789 et 1793, les journées de juin 1848 et la Commune de 1871) s’était forgé en moins d’un siècle un élément exceptionnel et unique de force et d’assurance, une expérience insurrectionnelle et une tradition combative hors pair.
Les faiblesses et déformations politiques du mouvement ouvrier en France étaient fortement liées aux aléas de l’histoire de la nation française, particulièrement à une tendance de la plupart des anarchistes, mais aussi parmi de très nombreux socialistes français, à se considérer comme les héritiers de la révolution bourgeoise de 1789. Les références à l’expérience française de 1789, aux armées révolutionnaires de 1792 et à la lutte du “peuple français” contre “l’envahisseur allemand” réactionnaire étaient permanentes dans la défense de leur point de vue révolutionnaire. Cette démarche tintée de jacobinisme introduisait en fait une vision nationale de la révolution en opposition avec la nature et le principe essentiel de l’internationalisme prolétarien.
Cette identification révolutionnaire à la révolution bourgeoise venait du fait que le “petit peuple” (les sans-culottes) avait amplement pris part à la lame de fond révolutionnaire de 1789-1793 contre la morgue et l’arrogance de la monarchie et de l’aristocratie. Ces manifestations insurrectionnelles ont largement occulté l’antagonisme de classe entre bourgeoisie et prolétariat, masquant la confiscation totale du pouvoir par la bourgeoisie. Les pionniers du mouvement socialiste en France allaient ainsi la négliger, voire perdre totalement de vue cette notion d’intérêts distincts, et devenus irréconciliables, avec ceux de la bourgeoisie.
Plusieurs facteurs contenus dans la référence à la révolution de 1789-1793 intervenaient pour expliquer un tel oubli :
- Le poids de la vision d’une bourgeoisie progressiste et éclairée, une vision intellectuelle théorisée par les philosophes des Lumières et marquée par les illusions d’une possible alliance avec cette dernière contre le retour de la monarchie et du bonapartisme ;
- Le rayonnement et l’aura de la révolution de 1789-1793 sur le mouvement ouvrier en général et en France en particulier. Cette fierté se cristallisera sous la forme d’une conception jacobine de la révolution qui va de pair avec un poids du nationalisme, du patriotisme et du républicanisme, avec la vision que la monarchie s’appuie sur les régimes réactionnaires des autres pays et complote son retour au pouvoir avec l’aide de l’étranger.
C’est en réalité d’abord et avant tout le grand soulèvement de juin 1848 à Paris qui permit de vérifier la réalité du prolétariat tel qu’il est défini dans le Manifeste du Parti communiste : une force politique indépendante irrévocablement opposée à la domination du capital. On est saisi par le contraste de la méthode de Marx et Engels qui furent en mesure de tirer les leçons fondamentales des précieuses expériences de juin 1848 et de la Commune de 1871 pour aider la social-démocratie allemande à former un parti socialiste et une nouvelle Internationale sur des bases politiques solides, tandis que les socialistes français s’exaltaient et s’enivraient avec orgueil de leur passé national, s’embourbant dans le patriotisme et faisant ainsi le lit de leur futur social-chauvinisme.
La méthode critique de Marx lui fit ainsi tirer de toutes autres leçons des événements de 1871. Car si la Commune a pu reprendre à son propre compte les principes de la révolution bourgeoise de 1789, ce n’est certainement pas pour leur donner le même contenu. Ainsi, loin d’avoir été un mouvement pour la défense de la patrie contre l’ennemi extérieur, c’est bien pour se défendre contre l’ennemi intérieur, contre “sa” propre bourgeoisie représentée par le gouvernement de Versailles, que le prolétariat parisien refusa de remettre les armes à ses exploiteurs et instaura la Commune. Pour les ouvriers de la Commune, “Liberté, Égalité, Fraternité” signifiait l’abolition de l’esclavage salarié, de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la société divisée en classes. Cette perspective d’un autre monde qu’annonçait déjà la Commune, on la retrouve justement dans le mode d’organisation de la vie sociale que la classe ouvrière a été capable d’instaurer pendant deux mois. Car ce sont bien les mesures économiques et politiques impulsées par le prolétariat parisien qui confèrent à ce mouvement sa véritable nature de classe, et non les mots d’ordre du passé dont il se réclamait.4
Mais la leçon essentielle de la Commune de Paris tirée par Marx dans La Guerre civile en France est celle-ci : “la classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle quelle la machine d’État et la faire fonctionner pour son propre compte. Car l’instrument politique de son asservissement ne peut servir d’instrument politique de son émancipation”. Et dans Les Luttes de classes en France, écrit en 1850, on trouvait déjà : “la nouvelle révolution française sera obligée de quitter aussitôt le terrain national et de conquérir le terrain européen, le seul où pourra l’emporter la révolution sociale”.
Les courants socialistes français, même les plus radicaux qui se réclamaient pourtant du marxisme, ignoraient au contraire ces leçons rapidement oubliées ou mal assimilées. Le 23 janvier 1893, Guesde et Lafargue, au nom du POF, lançaient ainsi un appel “aux travailleurs de France”, formule qui résume déjà le degré de confusion qu’ils semaient au sein du prolétariat : “On ne cesse pas d’être patriote en entrant dans la voie internationale qui s’impose au complet épanouissement de l’humanité, pas plus qu’on ne cessait à la fin du siècle dernier d’être Provençal, Bourguignon, Flamand ou Breton, en devenant Français. Les internationalistes peuvent se dire, au contraire, les seuls patriotes parce qu’ils sont les seuls à se rendre compte des conditions agrandies dans lesquelles peuvent et doivent être assurés l’avenir et la grandeur de la patrie, de toutes les patries, d’antagoniques devenus solidaires. (…) Les socialistes français sont encore patriotes à un autre point de vue et pour d’autres raisons : parce que la France a été dans le passé et est destinée à être dès maintenant un des facteurs les plus importants de l’évolution sociale de notre espèce. Nous voulons donc – et ne pouvons pas ne pas vouloir – une France grande et forte, capable de défendre sa République contre les monarchies coalisées et capable de protéger son prochain “89 ouvrier” contre une coalition, au moins éventuelle, de l’Europe capitaliste”. Cette rhétorique non seulement masque et dénature le caractère bourgeois du nationalisme et du patriotisme mais elle véhicule dans sa confusion extrême un poison mortel qui aura des conséquences tragiques : la trahison de l’internationalisme prolétarien par les socialistes dans la guerre de 1914 ! On mesure l’ampleur du fossé que même les plus déterminés des socialistes français ont creusé avec l’internationalisme prolétarien et avec le principe fondamental du marxisme : “les ouvriers n’ont pas de patrie”. On retrouve la même confusion et cette ambiguïté fondamentale dans le texte de Lafargue de 1906 censé dénoncer le “patriotisme de la bourgeoisie” qui au lieu de proclamer que “les patriotes sont les ennemis des ouvriers” entreprend de démontrer qu’ils sont en même temps “les alliés des ennemis de la France”…
La confusion, la perte de vue et même l’oubli des leçons fondamentales par les socialistes français traduisaient une incompréhension fondamentale du marxisme, en particulier dans le POF, aile révolutionnaire pourtant la plus avancée du socialisme français, qui s’en revendiquait ouvertement.5
Le prolétariat français, comme classe révolutionnaire, fut littéralement décapité par l’écrasement de la Commune de Paris et pareille épreuve ne pouvait que lui laisser une empreinte indélébile. Après les événements de la Commune de Paris, une terrible répression s’abattit sur les mouvements socialistes. Il y eu entre 20 000 et 30 000 morts, plus de 38 500 fugitifs ou exilés et autant d’arrestations. Puis vinrent les arrestations en masse, les exécutions de prisonniers pour l’exemple, les déportations au bagne et les placements de plusieurs centaines d’enfants dans des maisons de correction. Parmi les personnes arrêtées, 78 % étaient des ouvriers, 84 % d’entre-deux furent déportés dans les plus lointaines contrées de l’empire colonial français.
Or, le poids de l’écrasement, de la répression et de l’ampleur de la défaite du prolétariat fut complètement sous-estimé. Avec l’écrasement de la Commune, qui a conduit à la disparition de la Première Internationale après 1872, la bourgeoisie est parvenue à infliger une défaite aux ouvriers du monde entier. Et cette défaite fut particulièrement cuisante pour la classe ouvrière en France, puisqu’elle cessa dès-lors d’être aux avant-postes de la lutte du prolétariat mondial.
Dès 1872, seul l’immédiatisme et l’activisme stérile se manifestèrent. Les ouvriers se réorganisèrent aussitôt en chambre syndicale. Le 28 mai 1872, Jean Barberet, un ouvrier bijoutier devenu journaliste, proche du leader républicain Gambetta, créa le Cercle de l’Union syndicale ouvrière, à partir du regroupement de 23 associations ouvrières. Finalement, le Cercle fut dissous par la police le 22 octobre de la même année, et Barberet emboîta le pas de la politique républicaine de Gambetta l’année suivante en prônant un socialisme républicain et réformiste. En octobre 1876, c’est encore sous l’influence de Barberet que se tint à Paris le premier Congrès ouvrier de France, marqué par l’esprit du mouvement des coopératives et du mutualisme proudhonien. À Londres, les exilés, notamment les amis de Blanqui, s’organisèrent également. Jules Guesde, journaliste condamné pour avoir défendu la Commune, pris néanmoins une orientation nettement plus influencée par le marxisme que les autres partis.
Aux lendemains de la défaite, l’éparpillement et les influences diverses dans le mouvement ouvrier, en grande partie masquées et surmontées par le soulèvement et la constitution de la Commune, se révélèrent au grand jour malgré les efforts pour construire une unité organisationnelle par l’éclatement et les divisions des différents courants socialistes.
Une structure socialiste unitaire fut pourtant créée en 1878 sous l’impulsion de Guesde et du courant marxiste : la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France (FPTSF). Mais les congrès de 1880 et 1881 virent s’affirmer la désunion des socialistes. À partir de 1882, ils créèrent plusieurs partis.
Les Guesdistes étaient alors de loin le courant le plus déterminé et le plus solide. La FPTSF, formée en parti au Congrès de Lyon en 1878, décida l’année suivante, au congrès de Marseille, d’élaborer un “programme électoral minimum” qui fut en fait dicté par Marx à Guesde. Cette influence marqua notamment ses considérants qui stipulent que ce programme passe par la “propriété collective et ne peut sortir que de l’action révolutionnaire de la classe productive (ou prolétariat) organisée en parti politique distinct”. Ce programme fut confirmé en congrès national au Havre en 1880. Guesde, Lafargue et Deville, furent les principaux animateurs de ce parti qui devint le Parti ouvrier en 1882 puis le Parti ouvrier français en 1893. Le parti se battit non seulement pour des réformes mais aussi pour la conquête du pouvoir politique par les prolétaires. Cette organisation directement inspirée par le marxisme devient d’ailleurs la fraction socialiste la plus nombreuse en France. De 2000 membres du POF en 1889, ce chiffre bondit à 20 000 en 1902, avant de régresser les années suivantes face aux succès du courant réformiste. Dans les années qui suivirent 1880, près du tiers des 200 syndicats corporatistes parisiens adhérèrent au Parti ouvrier. En 1890, le congrès de Lille fit un devoir de chaque militant d’entrer dans la Chambre syndicale de sa corporation.
Cependant, l’existence de ce courant marxiste, lui-même affecté de faiblesses et de confusions politiques, a été contrecarrée par plusieurs scissions dues notamment à de sérieuses influences politiques néfastes. Ainsi, les Possibilistes de Paul Brousse qui fondèrent en 1882 la Fédération des travailleurs socialistes de France (FTSF) subissaient l’influence réformiste du mutualisme fédéraliste et anarchisant proudhonien. Ils affirmaient la nécessité de “fractionner le but idéal socialiste en plusieurs étapes sérieuses, immédiatiser en quelque sorte quelques-unes des revendications pour les rendre enfin possibles”. Leur programme fit une place importante à la conquête des institutions, particulièrement des municipalités et à une alliance avec le parti républicain radical bourgeois. Les Allemanistes de Jean Allemane qui formèrent en 1890 le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) s’inspiraient dans leur vision fédéraliste d’un syndicalisme autogestionnaire et d’un réformisme municipal. Quant au Comité révolutionnaire central d’Édouard Vaillant (CRC) créé en 1881 qui devient en 1889 le Parti socialiste révolutionnaire (PSR), il mit en avant la vision blanquiste selon laquelle une petite minorité conspirative bien organisée pourrait effectuer des actions révolutionnaires pour entraîner à sa suite la masse du peuple.
Mais ce furent les illusions réformistes et parlementaristes qui constituèrent le plus lourd handicap du socialisme en France. Elles furent la base du programme des socialistes indépendants comme Jaurès et Millerand qui, au nom de la solidarité républicaine, prônaient une politique d’alliance et de compromis avec la bourgeoisie radicale. Ce courant a pris une influence croissante jusqu’à créer en 1898 la Confédération des Socialistes indépendants, qui fusionna en 1902 avec la FTSF de Brousse pour créer le Parti socialiste français.
Lors du banquet de Saint-Mandé, le 30 mai 1896, Millerand fit un discours qui servit de charte à toutes les tendances réformistes, appelant à l’unité de tous les socialistes autour des trois points suivants :
- substitution progressive de la propriété capitaliste par la propriété sociale ;
- conquête des pouvoirs publics par le suffrage universel ;
- nécessité de ne pas sacrifier la patrie à l’internationalisme.
Ce type de faiblesses et d’abandon des principes prolétariens étaient également à l’œuvre dans la plupart des pays occidentaux les plus développés où se développaient ouvertement le réformisme et le parlementarisme sur la base de la prospérité économique du capitalisme d’alors et du développement du suffrage universel. En Allemagne, par exemple, Bernstein propageait un révisionnisme qui considérait qu’il ne s’agissait plus de renverser le capitalisme par une révolution internationale mais de conquérir graduellement et pacifiquement le pouvoir, y compris au moyen d’alliances avec les partis progressistes de la bourgeoisie. En France, l’ensemble des courants ouvriers furent également marqués par une tendance plus ou moins forte au réformisme. Après quelques succès électoraux aux municipales de 1892 et aux législatives de 1893, plusieurs membres du POF, oubliant leur programme et l’objectif révolutionnaire, finirent même par prôner le réformisme, affirmant que le socialisme pouvaient être atteint par la voie électorale. Au poids du réformisme s’ajoutaient en outre les influences de la tradition artisanale et corporatiste portées par les déformations proudhoniennes et par la fédération jurassienne de Bakounine, traduisant le poids de l’anarchisme en général, mais aussi le poids du populisme boulangiste qui sévit dans le mouvement ouvrier en France, en particulier au sein du blanquisme. En 1889, les deux-tiers des députés boulangistes venaient de la gauche et de l’extrême gauche.
Paul Lafargue écrivit à ce titre : “La crise boulangiste a ruiné le parti radical ; les ouvriers, lassés d’attendre les réformes qui s’éloignaient à mesure que les radicaux arrivaient au pouvoir, dégoûtés de leurs chefs qui ne prenaient les ministères que pour faire pire que les opportunistes, se débandèrent ; les uns passèrent au boulangisme, c’était le grand nombre, ce furent eux qui constituèrent sa force et son danger : les autres s’enrôlèrent dans le socialisme”.
Toutes ces faiblesses expliquent en grande partie les difficultés de constitution d’un parti socialiste unitaire ainsi que ses tares idéologiques congénitales :
- une sous-estimation, voire un mépris pour les luttes économiques. Guesde impose au sein du POF une politique purement opportuniste envers les syndicats qu’il étouffe en subordonnant totalement ceux-ci aux visées électorales et parlementaires du parti et en les réduisant à une masse de manœuvre utilitaire, en particulier dans la CGT, ce qui eut un effet repoussoir en faveur du syndicalisme révolutionnaire, alimenta leur hostilité envers le parti et les poussa dans de nombreux cas dans les bras de l’anarchisme ;
- de nombreuses et fortes confusions sur l’action politique qui favoriseront l’entretien des divisions, handicaperont lourdement les tentatives d’unification du parti et l’armeront mal face à l’infiltration de l’idéologie bourgeoise et la collaboration de classe ;
- la faiblesse relative de l’implantation du marxisme dans le mouvement ouvrier en France, la mauvaise assimilation, les déformations sous une forme vulgarisée et simplifiée par Guesde, Lafargue ou Deville, présentés comme des théoriciens du marxisme. C’est dans une lettre à Lafargue que Marx décocha sa boutade à l’encontre des socialistes français “moi, je ne suis pas marxiste” et Engels lui-même s’opposa à la traduction en allemand des brochures de Deville : Le résumé du Capital, ou Aperçu sur le socialisme scientifique qu’il voyait comme une catastrophe, dont les erreurs et le simplisme vulgarisateur sèmeraient la confusion et le ridicule. Ainsi, Guesde professait comme marxiste l’absurde thèse lassalienne sur “la loi d’airain des salaires”, fermement combattue par Marx et qui consiste à dire que du fait de la concurrence entre ouvriers pour vendre leur force de travail, les salaires ne feront que diminuer et qu’ils devront avec leur famille toujours se contenter du minimum vital sans aucune considération de l’existence de la lutte de classes.
La popularité du blanquisme et de ses “combattants héroïques de la Commune” véhicula une grande confusion dans les moyens de la lutte et imprégna l’organisation révolutionnaire d’un état d’esprit conspiratif et putschiste. Engels, dans un article paru dans Der Volksstaat, le 26 juin 1874, se livra à une critique impitoyable mais profondément juste d’un Programme des Communeux marqué par l’immédiatisme, l’esprit de conspiration, plein de déclarations grandiloquentes et creuses, écrit peu de temps avant et signé à Londres par 33 blanquistes émigrés (dont Vaillant et Eudes).
Malgré tous ses défauts, le POF de Guesde, Lafargue et Deville a joué un rôle déterminant dans la naissance et l’impulsion d’une organisation d’inspiration marxiste en France qui fut la colonne vertébrale de l’introduction et de l’implantation du socialisme.
De même, le fait qu’Édouard Vaillant et ses amis blanquistes se soient ralliés au POF et à l’aile gauche du socialisme et ont lutté pour la constitution unitaire d’un parti socialiste démontre que le blanquisme fut capable d’évoluer ; la conversion de Jaurès lui-même au socialisme aurait été selon plusieurs sources le fruit d’une nuit de discussion avec Guesde à Toulouse le 27 mars 1892.
Nous reviendrons dans un deuxième article de manière plus détaillée sur la position des socialistes français face à deux épreuves qui vont conduire à l’échec les tentatives d’unification des courants socialistes : l’Affaire Dreyfus et le “cas Millerand”. Ces événements ont été l’occasion d’une confrontation entre deux grandes tendances, où chaque camp a montré des faiblesses idéologiques et politiques marquées par l’opportunisme mais aussi des éclairs de lucidité qui montrent qu’une dynamique du débat et une certaine clarification des idées et du programme socialiste fut possible. Nous verrons également comment le succès de l’unification du parti socialiste fut acquis grâce à l’aide déterminante du SPD allemand, de Rosa Luxemburg et de la IIe Internationale.
Wim, 10 mars 2017
1 Section française de l’internationale ouvrière.
2 Parti ouvrier français.
3 Une année charnière pour le mouvement ouvrier international marquée par une vague révolutionnaire en Russie.
4 Voir notre article "La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat [653]", Révolution internationale n° 423.
5 Malgré ses tares et ses confusions, le mouvement ouvrier et le courant socialiste en France représentait, comme le soulignait Marx, un des trois piliers du socialisme scientifique international. Sur la tombe de Lafargue en 1911, Lénine saluait d’ailleurs sa conviction révolutionnaire, sa fidélité au prolétariat et l’immense énergie qu’il avait déployée tout au long de sa vie. L’œuvre de Lafargue est encore très précieuse aujourd’hui pour les générations futures qui auront encore à puiser ou à redécouvrir la force et l’originalité de ses écrits, notamment son pamphlet, Le Droit à la paresse, qui s’élève vigoureusement contre l’idéologie du travail inculquée par la morale bourgeoise pour défendre ses conditions d’exploitation, dénonçant par avance un encensement qui sera repris et érigé en modèle plus tard par les partis staliniens
En septembre 1867, un groupe de Fenians (nationalistes irlandais), membres de l’Irish Republican Brotherhood (Fraternité républicaine irlandaise), fit sauter le mur de la prison de Clerkenwell à Londres pour tenter de libérer un autre membre de l’organisation. L’explosion, qui ne permit d’ailleurs pas de libérer le prisonnier, causa l’effondrement d’un pâté de maisons ouvrières à proximité, tuant 12 personnes et blessant plus d’une centaine de résidents.
A cette époque, Karl Marx et d’autres révolutionnaires soutenaient la cause de l’indépendance irlandaise, en particulier parce qu’ils la considéraient comme une condition préalable essentielle pour briser les liens entre la classe ouvrière en Grande-Bretagne et leur propre classe dirigeante, qui utilisait alors sa domination sur l’Irlande pour créer parmi les travailleurs anglais l’illusion d’être privilégiés, et ainsi les séparer de leurs frères et sœurs de classe irlandais.
Néanmoins, Marx a réagi avec colère à l’action des Fenians. Dans une lettre à Engels, il écrivait : “Le dernier exploit des Fenians à Clerkenwell est une affaire complètement stupide. Les masses londoniennes, qui ont fait preuve d’une grande sympathie à l’égard de la cause irlandaise, en seront furieuses, et cela les conduira directement dans les bras du parti au gouvernement. On ne peut pas attendre des prolétaires de Londres qu’ils acceptent de se faire exploser en l’honneur des émissaires des Fenians. Il y a toujours une sorte de fatalité à propos d’un tel secret, une sorte de conspiration mélodramatique” 1.
La colère de Marx était d’autant plus grande que, peu de temps avant l’explosion de Clerkenwell, de nombreux ouvriers anglais avaient participé à des manifestations en solidarité avec cinq Fenians exécutés par le gouvernement britannique en Irlande.
Dans cette courte citation de Marx, il y a un pertinent résumé de deux des principales raisons pour lesquelles les communistes ont toujours rejeté le terrorisme : le fait qu’il remplace l’action massive et auto-organisée de la classe ouvrière par des conspirations de petites prétendues élites ; et le fait que, par ailleurs, quelles que soient les intentions de ceux qui effectuent de tels actes, leur seul résultat est de remettre l’indépendance de la classe ouvrière entre les mains du gouvernement et de la classe dirigeante.
Beaucoup de choses ont changé depuis que Marx a écrit ces mots. Le soutien aux mouvements d’indépendance nationale, qui avait du sens à une époque où le capitalisme n’avait pas encore épuisé son rôle progressiste, s’est, à partir de la Première Guerre mondiale, inextricablement transformé en soutien d’un camp impérialiste contre un autre. Pour Marx, le terrorisme était une méthode erronée utilisée par un mouvement national qui méritait qu’on le soutienne. A notre époque, alors que seule la révolution prolétarienne peut offrir une voie à suivre pour l’humanité, les mouvements nationaux sont eux-mêmes devenus réactionnaires. Liées aux interminables conflits impérialistes qui affligent l’humanité, les tactiques terroristes reflètent de plus en plus le pourrissement brutal qui caractérise la guerre aujourd’hui. Alors que les groupes terroristes visaient jadis principalement des symboles et des figures de la classe dirigeante (à l’image du groupe russe Volonté du Peuple qui assassina le tsar Alexandre II en 1881), la plupart des terroristes d’aujourd’hui traduisent la logique des États qui mènent la guerre impérialiste en utilisant les attentats et les meurtres aveugles (tels que les bombardements aériens aveugles de populations entières), visant une population qui est accusée des crimes des gouvernements qui les dirigent.
Selon les pseudo-révolutionnaires de gauche d’aujourd’hui 2, derrière les slogans religieux des terroristes d’Al-Qaïda ou de l’EI, nous assisterions à la même vieille lutte contre l’oppression nationale que celle que les Fenians avaient engagée dans le passé, et les marxistes devraient soutenir aujourd’hui de tels mouvements, même s’ils doivent se distancier de leur idéologie religieuse et de leurs méthodes terroristes. Mais comme Lénine l’avait déclaré en réponse aux sociaux-démocrates qui ont utilisé les écrits de Marx pour justifier leur participation à la Première Guerre mondiale impérialiste : “Invoquer aujourd’hui l’attitude de Marx à l’égard des guerres de l’époque de la bourgeoisie progressive et oublier les paroles de Marx : “Les ouvriers n’ont pas de patrie”, paroles qui se rapportent justement à l’époque de la bourgeoisie réactionnaire qui a fait son temps, à l’époque de la révolution socialiste, c’est déformer cyniquement la pensée de Marx et substituer au point de vue socialiste le point de vue bourgeois” 3. Les moyens meurtriers qu’utilisent des groupes comme l’EI et leurs sympathisants sont entièrement compatibles avec leurs objectifs ; lesquels ne consistent pas à renverser l’oppression, mais à substituer une forme d’oppression à une autre, et chercher à “gagner” à tout prix la bataille horrible qui oppose un ensemble de puissances impérialistes à un autre (comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, par exemple) qui les soutient. Et leur idéal “ultime” (le califat mondial) même s’il est aussi irréalisable que le “Reich de 1000 ans” d’Hitler, n’en est pas moins une entreprise impérialiste, exigeant des mesures bien éprouvées de rapines et de conquête.
Marx avait souligné que l’action des Fenians à Londres entraînerait une rupture entre le mouvement ouvrier en Grande-Bretagne et la lutte pour l’indépendance irlandaise. Cela créerait entre les travailleurs anglais et irlandais des divisions qui ne pouvaient que bénéficier à la classe dirigeante. Aujourd’hui, les terroristes islamistes ne cachent pas le fait que leur objectif est précisément de créer des divisions à travers les atrocités qu’ils pratiquent : la plupart des actions initiales de l’EI en Irak ont ciblé la population musulmane chiite, qu’il considère comme hérétique, dans le but de provoquer sectarisme et guerre civile. La même logique est à l’œuvre en ce qui concerne les attentats terroristes de Londres ou de Manchester : renforcer le fossé entre les musulmans et les non-croyants, les kâfirs (ceux qui rejettent l’islam) et donc hâter le déclenchement du djihad dans les pays centraux. C’est un témoignage supplémentaire que même le terrorisme peut dégénérer dans une société qui elle-même se décompose.
Outre l’extrême-droite ouvertement raciste, qui, comme les djihadistes, souhaite une sorte de “guerre raciale” dans les rues, la principale réaction des gouvernements et des politiciens aux attentats terroristes en Europe consiste à brandir le drapeau national et à proclamer que “les terroristes ne nous diviseront pas”. Ils parlent ainsi de solidarité et d’unité contre la haine et la division. Mais du point de vue de la classe ouvrière, il s’agit là d’une fausse solidarité, le même type de solidarité avec nos propres exploiteurs qui établissent un lien entre les travailleurs et les efforts de guerre patriotiques de l’État impérialiste. Et, en effet, de tels appels à “l’unité nationale” ne sont souvent qu’un prélude à la mobilisation pour la guerre, comme ce fut le cas après la destruction des Twin Towers à New-York en 2001, avec l’invasion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak. C’est ce dont Marx avait parlé en évoquant les travailleurs poussés dans les bras du parti gouvernemental. Dans une atmosphère de peur et d’insécurité, lorsque l’on est confrontés à la perspective de massacres au hasard des rues, des bars ou des salles de concert, la réponse compréhensible de ceux qui sont menacés par de telles attaques est d’exiger la protection de l’État et de ses forces de police. Suite aux récentes atrocités à Manchester et à Londres, la question de la sécurité a été un enjeu majeur lors de la récente campagne électorale du Royaume-Uni, les Tories soupçonnant le travailliste Corbyn d’être trop laxiste face au terrorisme, et Corbyn accusant May de réduire le nombre de policiers.
Face aux terroristes d’un côté et à l’État capitaliste de l’autre, la position prolétarienne est de rejeter les deux, de se battre pour les intérêts de la classe ouvrière et ses exigences. La classe ouvrière a un besoin profond de s’organiser de manière indépendante, d’organiser sa défense contre la répression de l’État et les provocations terroristes. Mais compte-tenu de l’actuelle faiblesse de la classe ouvrière aujourd’hui, cette nécessité reste en perspective. Il existe une tendance chez de nombreux travailleurs à ne pas voir d’autre alternative que de rechercher la protection de l’État, alors qu’un autre petit nombre de prolétaires défavorisés peuvent être attirés vers l’idéologie putréfiée du djihadisme. Et ces deux tendances compromettent activement le potentiel de la classe ouvrière à prendre conscience d’elle-même et à s’auto-organiser. Ainsi, toute attaque terroriste et toute campagne de “solidarité” parrainée par l’État en réponse à celle-ci doivent être considérées comme des coups contre la conscience de classe et, finalement, comme des coups contre la promesse d’une société fondée sur une véritable solidarité humaine.
Amos, 12 juin 2017
1) Extrait de K. Marx et F. Engels, Ireland and the irish question (en anglais), Moscou, 1971, p. 150.
2) Voir par exemple : www.marxists.org/history/etol/writers/jenkins/2006/xx/terrorism.html [654], extrait du journal International Socialism, du groupe trotskiste anglais SWP, printemps 2006.
3) Lénine, Le socialisme et la guerre [655], 1915.
En complément de notre article sur les journées de juillet 1917, nous republions ci-dessous des extraits du chapitre que consacre Trotski à cet épisode dans son Histoire de la Révolution russe. De notre point de vue, ces passages présentent un intérêt majeur : la nécessité de la transmission des acquis pour les générations présentes et futures de tirer les leçons de l’expérience du mouvement ouvrier dans les plus hauts moments de son combat. Mais surtout, ils mettent l’accent sur la nécessité primordiale pour les révolutionnaires d’analyser avec la plus grande lucidité quel est le rapport de forces réel entre les classes à un moment, dans une situation donnés et d’évaluer selon des critères précis le degré global de maturité et de conscience atteint par le prolétariat dans son combat.
"Dans une proclamation issue des deux comités exécutifs au sujet des journées de juillet, les conciliateurs en appelèrent avec indignation aux ouvriers et aux soldats contre les manifestants qui, prétendaient-ils, “ont essayé d’imposer par la force des armes leur volonté à vos élus.” (…) En se concentrant autour du Palais de Tauride, les masses criaient aux oreilles du comité exécutif la phrase même qu’un anonyme ouvrier avait servie à Tchernov en lui tendant un poing rude : “Prends le pouvoir quand on te le donne.” Comme réponse, les conciliateurs appelèrent les cosaques. Messieurs les démocrates préféraient ouvrir la guerre civile contre le peuple plutôt que de prendre le pouvoir sans effusion de sang. Les gardes blancs furent les premiers à tirer. Mais l’atmosphère politique de la guerre civile fut créée par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires.
Se heurtant à la résistance armée de l’organe même auquel ils voulaient remettre le pouvoir, les ouvriers et les soldats perdirent conscience de leur but. Du puissant mouvement des masses, l’axe politique se trouva arraché. La campagne de juillet se réduisit à une manifestation partiellement effectuée avec les moyens d’une insurrection armée. On peut dire tout aussi bien que ce fut une demi-insurrection pour un but qui n’admettait pas d’autres méthodes qu’une manifestation. (…)
Quand, à l’aube du 5 juillet, les troupes “fidèles” pénétrèrent dans l’édifice du Palais de Tauride, leur commandant fit savoir que son détachement se subordonnait intégralement et sans réserve au Comité exécutif central. Pas un mot sur le gouvernement ! Mais les rebelles, eux aussi, consentaient à se soumettre au comité exécutif en tant que pouvoir. Même les troupes appelées du front se mettaient entièrement à la disposition du Comité exécutif. De quelle utilité, dans ce cas, avait été le sang versé ? (…)
Si paradoxal que soit le régime de février, que les conciliateurs décoraient d’ailleurs d’hiéroglyphes marxistes et populistes, les véritables rapports de classes sont suffisamment transparents. Il faut seulement ne pas perdre de vue la nature hybride des partis conciliateurs. Les petits-bourgeois instruits s’appuyaient sur les ouvriers et les bourgeois, mais fraternisaient avec les propriétaires de noble condition et les gros fabricants de sucre. En s’insérant dans le système soviétique, à travers lequel les revendications de la base s’élevaient jusqu’à l’État officiel, le comité exécutif servait aussi de paravent politique à la bourgeoisie. Les classes possédantes se “soumettaient” au comité exécutif dans la mesure où il poussait le pouvoir de leur côté. Les masses se soumettaient au comité exécutif dans la mesure où elles espéraient qu’il deviendrait l’organe de la domination des ouvriers et des paysans. Au Palais de Tauride s’entrecroisaient des tendances de classes contraires, dont l’une et l’autre se couvraient du nom du comité exécutif : l’une par manque de compréhension et par crédulité, l’autre par froid calcul. Or, dans la lutte, il ne s’agissait ni plus ni moins que de savoir qui gouvernerait le pays : la bourgeoisie ou le prolétariat ?
Mais, si les conciliateurs ne voulaient pas prendre le pouvoir, et si la bourgeoisie n’avait pas assez de force pour le détenir, peut-être, en juillet, les bolcheviks pouvaient-ils se saisir du gouvernail ? (…) On pouvait s’emparer de l’autorité même en certains points de la province. En ce cas, le parti bolchevique avait-il raison de renoncer à la prise du pouvoir ? Ne pouvait-il pas, s’étant fortifié dans la capitale et dans quelques régions industrielles, étendre ensuite sa domination à tout le pays ? La question est d’importance.
Rien ne contribua, à la fin de la guerre, au triomphe de l’impérialisme et de la réaction en Europe autant que les quelques mois si courts du “kerenskisme” qui exténuèrent la Russie révolutionnaire et causèrent un préjudice incalculable à son autorité morale aux yeux des armées belligérantes et des masses laborieuses de l’Europe, qui espéraient de la révolution une parole nouvelle. Si les bolcheviks avaient réduit de quatre mois - formidable laps de temps ! - les douleurs de l’accouchement de l’insurrection prolétarienne, ils se seraient trouvés devant un pays moins épuisé, l’autorité de la révolution en Europe eût été moins compromise. Cela n’eût pas seulement donné aux soviets d’énormes avantages dans la conduite des pourparlers avec l’Allemagne, cela aurait exercé une très grosse influence sur la marche de la guerre et de la paix en Europe. La perspective était trop séduisante ! Et, cependant, la direction du parti avait absolument raison de ne pas s’engager dans la voie de l’insurrection armée.
Prendre le pouvoir ne suffit pas. Il faut le garder. Quand, en octobre, les bolcheviks estimèrent que leur heure avait sonné, la période la plus difficile pour eux survint après la prise du pouvoir. Il fallut la plus haute tension des forces de la classe ouvrière pour résister aux innombrables attaques des ennemis. En juillet, cette disposition à une lutte intrépide n’existait pas encore, même chez les ouvriers de Petrograd. Ayant la possibilité de prendre le pouvoir, ils le proposaient cependant au comité exécutif. Le prolétariat de la capitale qui, en son écrasante majorité, était déjà porté vers les bolcheviks, n’avait pas encore coupé le cordon ombilical qui le reliait aux conciliateurs. Il y avait encore pas mal d’illusions en ce sens que, par la parole et par une manifestation, l’on pourrait arriver à tout ; qu’en intimidant les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, l’on pourrait les stimuler à suivre une politique commune avec les bolcheviks.
Même l’avant-garde de la classe ne se rendait pas clairement compte des voies par lesquelles on peut arriver au pouvoir. Lénine écrivait bientôt : “La réelle faute de notre parti, pendant les journées des 3-4 juillet, révélée à présent par les événements, était seulement en ceci... que le parti croyait encore possible un développement pacifique des transformations politiques au moyen d’un changement de politique dans les Soviets, tandis qu’en réalité les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires s’étaient déjà tellement fourvoyés et liés par leur entente avec la bourgeoisie, et celle-ci était devenue tellement contre-révolutionnaire qu’il ne pouvait plus être question d’un développement pacifique quelconque.”
Si le prolétariat n’était politiquement pas homogène ni suffisamment résolu, il en était de même et d’autant plus de l’armée paysanne. Par sa conduite pendant les journées des 3-4 juillet, la garnison avait créé l’absolue possibilité pour les bolcheviks de prendre le pouvoir. Mais il y avait pourtant dans les effectifs de la garnison des contingents neutres qui, déjà vers le soir du 4 juillet, penchèrent résolument vers les partis patriotes. Le 5 juillet, les régiments neutres se rangent du côté du comité exécutif, tandis que les régiments enclins au bolchevisme s’efforcent de prendre une teinte de neutralité. Cela rendait les mains libres aux autorités beaucoup plus que l’arrivée tardive des troupes du front. Si les bolcheviks, par un excès d’ardeur, s’étaient saisis du pouvoir le 4 juillet, la garnison de Petrograd non seulement ne l’aurait pas conservé, mais elle aurait empêché les ouvriers de le maintenir dans le cas inévitable d’un coup porté du dehors.
Moins favorable encore se présentait la situation dans l’armée sur le front. La lutte pour la paix et la terre, surtout depuis l’offensive de juin, la rendait extrêmement accessible aux mots d’ordre des bolcheviks. Mais ce que l’on appelle le bolchevisme “élémentaire” chez les soldats ne s’identifiait nullement dans leur confiance avec un parti déterminé, avec son comité central et ses leaders, les lettres de soldats de cette époque traduisent très clairement cet état d’esprit de l’armée. (…) Un extrême degré d’irritation contre les sphères supérieures qui les dupent se joint dans ces lignes à un aveu d’impuissance : “Nous, on comprend mal les partis.”
Contre la guerre et le corps des officiers, l’armée était en révolte continue, utilisant à ce propos des mots d’ordre du vocabulaire bolchevique. Mais quant à se mettre en insurrection pour transmettre le pouvoir au parti bolchevique, l’armée n’y était pas encore prête, loin de là. Les contingents sûrs, destinés à écraser Petrograd, furent prélevés par le gouvernement sur les troupes les plus proches de la capitale, sans résistance active des autres effectifs, et ils furent transportés par échelons sans aucune résistance des cheminots. Mécontente, rebelle, facilement inflammable, l’armée restait politiquement amorphe ; dans sa composition, il y avait trop peu de solides noyaux bolcheviques capables de donner une direction uniforme aux pensées et aux actes de l’inconsistante masse des soldats.
D’autre part, les conciliateurs, pour opposer le front à Petrograd et aux ruraux de l’arrière, utilisaient, non sans succès, l’arme empoisonnée dont la réaction, en mars, avait vainement tenté de se servir contre les soviets. Les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks disaient aux soldats du front : la garnison de Petrograd, sous l’influence des bolcheviks, ne vient pas vous faire la relève ; les ouvriers ne veulent pas travailler pour les besoins du front ; si les paysans écoutent les bolcheviks et s’emparent tout de suite de la terre, il ne restera rien pour les combattants. Les soldats avaient encore besoin d’une expérience supplémentaire pour comprendre si le gouvernement préservait la terre au bénéfice des combattants ou bien des propriétaires.
Entre Petrograd et l’armée du front se plaçait la province. Sa réaction devant les événements de juillet peut en elle-même servir de très important critère a posteriori dans la question de savoir si les bolcheviks eurent raison en juillet d’éluder la lutte immédiate pour la conquête du pouvoir. Déjà à Moscou, le pouls de la révolution battait bien plus faiblement qu’à Petrograd (...)"
Léon Trotski 1
1 Histoire de la Révolution russe, T. I, extraits du chapitre “Les bolcheviks pouvaient-ils prendre le pouvoir en juillet ? [657]”, pp. 78 à 83 - coll. Points, Ed. du Seuil.
Les événements de juillet 1917 à Petrograd, connus sous le nom des “journées de Juillet”, représentent un des épisodes les plus marquants de la Révolution russe. En effet, au cœur de l’effervescence ouvrière de ce début juillet 1917, il revint au Parti bolchevique d’avoir su éviter que le processus révolutionnaire en cours n’accouche d’une tragique défaite suite à un affrontement prématuré provoqué par les forces bourgeoises. Les enseignements que l’on peut tirer encore aujourd’hui de ces événements sont fondamentaux pour la lutte du prolétariat sur le chemin qui conduit à son émancipation.
L’insurrection de février avait conduit à une situation de double pouvoir : celui de la classe ouvrière, organisée dans ses soviets de députés ouvriers et soldats, et celui de la bourgeoisie représenté par le gouvernement provisoire et qui était soutenu par les “conciliateurs” mencheviks et socialistes-révolutionnaires, notamment au sein du Comité exécutif élu par les soviets 1. Cette situation de double pouvoir devenait, au fur et à mesure du développement de la révolution, proprement intenable.
Illusionnés et endormis au départ par les promesses jamais tenues des démagogues mencheviks et sociaux-démocrates sur la paix, la “solution du problème agraire”, l’application de la journée de huit heures, etc., les ouvriers, en particulier ceux de Petrograd, commençaient à se rendre compte que l’Exécutif des Soviets ne répondait en rien à leurs revendications et exigences. Ils percevaient qu’au contraire il servait de paravent au gouvernement provisoire pour réaliser ses objectifs, à savoir, en tout premier lieu, le rétablissement de l’ordre à l’arrière et au front pour pouvoir poursuivre la guerre impérialiste. La classe ouvrière, dans son bastion le plus radical de Petrograd, se sentait de plus en plus dupée, bernée, trahie par ceux-là même à qui elle avait confié la direction de ses Conseils. Bien qu’encore confusément, l’avant-garde ouvrière tendait à se poser la vraie question : qui exerce réellement le pouvoir, la bourgeoisie ou le prolétariat ? La radicalisation ouvrière et la prise de conscience plus affirmée des enjeux va s’effectuer dès la mi-avril, suite à une note provocatrice du ministre libéral Milioukov réaffirmant l’engagement de la Russie avec les alliés dans la continuation de la guerre impérialiste. Déjà meurtris par les privations de toutes sortes, les ouvriers et les soldats répondent immédiatement par des manifestations spontanées, des assemblées massives dans les quartiers et les usines. Le 20 avril, une gigantesque manifestation impose la démission de Milioukov. La bourgeoisie doit reculer (provisoirement) dans ses plans guerriers. Les bolcheviks sont très actifs au sein de ce bouillonnement prolétarien et leur influence s’accroît au sein des masses ouvrières. La radicalisation du prolétariat s’opère autour du mot d’ordre mis en avant par Lénine dans ses Thèses d’avril, “Tout le pouvoir aux soviets” qui, au cours des mois de mai et juin, devient l’aspiration des larges masses ouvrières. Tout au long du mois de mai, le parti bolchevique apparaît de plus en plus comme le seul parti réellement engagé aux côtés des ouvriers. Une activité frénétique d’organisation a lieu dans tous les coins de la Russie, signe de la fermentation révolutionnaire. Tout le travail d’explication et d’engagement des bolcheviks pour le pouvoir des soviets se concrétise d’ailleurs à la Conférence des ouvriers industriels de Petrograd puisque cette fraction du prolétariat, la plus combative, leur donne la majorité dans les comités d’usines, fin mai. Le mois de juin connaît une intense agitation politique culminant de façon spectaculaire le 18 dans une gigantesque manifestation. Appelée à l’origine par les mencheviks pour soutenir le gouvernement provisoire, qui vient de décider une nouvelle offensive militaire, et l’Exécutif du Soviet de Petrograd qu’ils dominent encore, elle se retourne contre les “conciliateurs”. En effet, la manifestation reprend dans son immense majorité les mots d’ordre bolcheviques : “A bas l’offensive !”, “A bas les dix ministres capitalistes !”, “Tout le pouvoir aux soviets !”
Alors que les nouvelles de l’échec de l’offensive militaire atteignent la capitale, attisant le feu révolutionnaire, elles ne sont pas encore parvenues dans le reste de ce pays gigantesque. Pour faire face à une situation très tendue, la bourgeoisie entreprend de provoquer une révolte prématurée à Petrograd, d’y écraser les ouvriers et les bolcheviks, puis de faire endosser la responsabilité de l’échec de l’offensive militaire au prolétariat de la capitale qui aurait donné “un coup de poignard dans le dos” à ceux qui sont au front.
Une telle manœuvre est permise par le fait que les conditions de la révolution ne sont pas encore mûres. Bien que montant partout dans le pays chez les ouvriers et les soldats, le mécontentement n’atteint néanmoins pas, et de loin, la profondeur et l’homogénéité qui existe à Petrograd. Les paysans ont encore confiance dans le gouvernement provisoire. Chez les ouvriers eux-mêmes, y compris ceux de Petrograd, l’idée qui domine n’est pas celle de prendre le pouvoir mais bien d’obliger, à travers une action de force, les dirigeants “socialistes” à “le prendre réellement”. Il était certain qu’avec la révolution écrasée à Petrograd et le Parti bolchevique décimé, le prolétariat en Russie ainsi décapité serait bientôt vaincu dans son ensemble.
Petrograd est en effervescence. Les mitrailleurs qui, avec les marins de Cronstadt, constituent une aile avancée de la révolution dans l’armée, veulent agir immédiatement. Les ouvriers en grève font la tournée des régiments et les invitent à sortir dans la rue et à tenir des meetings. Dans ce contexte, un certain nombre de mesures prises “à point nommé” par la bourgeoisie suffisent alors à déclencher la révolte dans la capitale. Ainsi, le parti cadet prend la décision de retirer ses quatre ministres du gouvernement “provisoire” dans le but de relancer, parmi les ouvriers et les soldats, la revendication du pouvoir immédiat aux Soviets. En effet, le refus des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires du mot d’ordre “Tout le pouvoir aux soviets !”, fondé jusqu’alors par eux-mêmes par la soi-disant nécessité de collaborer avec les représentants de la “bourgeoisie démocratique” n’a désormais plus de sens. Là-dessus, parmi d’autres provocations, le gouvernement menace de transférer immédiatement les régiments révolutionnaires combatifs de la capitale au front. En quelques heures, le prolétariat de toute la ville se soulève, s’arme et se rassemble autour du mot d’ordre “Tout le pouvoir aux soviets !”.
C’est d’ailleurs dès la manifestation du 18 juin que les bolcheviks avaient déjà mis publiquement en garde les ouvriers contre une action prématurée. Estimant qu’il ne serait pas possible d’arrêter le mouvement, ils décidèrent de se mettre à sa tête en l’appuyant, mais en conférant à la manifestation armée de 500 000 ouvriers et soldats un “caractère pacifique et organisé”. Le soir même, les ouvriers se rendent compte de l’impasse momentanée de la situation, liée à l’impossibilité immédiate de la prise du pouvoir. Le lendemain, suivant les consignes bolcheviques, ils restent chez eux. C’est alors qu’arrivent à Petrograd les troupes “fraîches” venues épauler la bourgeoisie et ses acolytes mencheviks et socialistes-révolutionnaires. Afin de les “vacciner” d’emblée contre le bolchevisme, elles sont accueillies par les coups de fusils de provocateurs armés par la bourgeoisie, mais présentés comme étant des bolcheviks. Commence alors la répression. La chasse aux bolcheviks est ouverte. Elle est placée par la bourgeoisie sous le signe d’une campagne les accusant d’être des agents allemands afin de monter les troupes contre les ouvriers. Il en résulte que Lénine et d’autres dirigeants bolcheviques sont obligés de se cacher, alors que Trotski et d’autres sont arrêtés. “Le coup porté en juillet aux masses et au parti fut très grave. Mais ce coup n’était pas décisif. On compta les victimes par dizaines, mais non point par dizaines de milliers. La classe ouvrière sortit de l’épreuve non décapitée et non exsangue. Elle conserva intégralement ses cadres de combat, et ces cadres avaient beaucoup appris.”
Contre les campagnes actuelles de la bourgeoisie qui présentent la révolution d’Octobre 17 comme un complot bolchevique contre la “jeune démocratie” instaurée par la révolution de février, et contre les partis également démocratiques qu’elle a portés au pouvoir, cadets, socialistes-révolutionnaires et mencheviks, les événements de juillet se chargent eux-mêmes de démentir cette thèse. Ils montrent clairement que les comploteurs ont été ces mêmes partis démocrates, en collaboration avec les autres secteurs réactionnaires de la classe politique russe, et avec la bourgeoisie des pays impérialistes alliés de la Russie, pour tenter d’infliger une saignée décisive au prolétariat.
Juillet 1917 a aussi montré que le prolétariat doit se méfier par dessus tout des partis anciennement ouvriers qui ont trahi, et donc surmonter ses illusions vis-à-vis d’eux. Une telle illusion pesait encore fortement sur la classe ouvrière pendant les journées de juillet. Mais cette expérience a clarifié définitivement que les mencheviks et les socialistes révolutionnaires étaient irrévocablement passés à la contre-révolution. Dès la mi-juillet, Lénine tire clairement cette leçon : “Après le 4 juillet, la bourgeoisie contre-révolutionnaire, marchant avec les monarchistes et les Cent-noirs, s’est adjoint, en partie par l’intimidation, les petits-bourgeois socialistes-révolutionnaires et mencheviks et a confié le pouvoir d’État effectif aux Cavaignac, à la clique militaire qui fusille les récalcitrants sur le front et massacre les bolcheviks à Petrograd” 2.
L’histoire montre qu’une tactique redoutable de la bourgeoisie contre le mouvement de la classe ouvrière consiste à provoquer des confrontations prématurées. En 1919 et 1921 en Allemagne, le résultat fut une répression sanglante du prolétariat. Si la révolution russe est le seul grand exemple où la classe ouvrière a été capable d’éviter un tel piège et une défaite sanglante, c’est surtout parce que le parti de classe bolchevique a pu remplir son rôle décisif d’avant-garde, de direction politique de la classe.
Le Parti bolchevique est convaincu qu’il est de sa responsabilité d’analyser en permanence le rapport de force entre les deux classes ennemies, pour être capable d’intervenir correctement à chaque moment du développement de la lutte. Il sait qu’il est impératif d’étudier la nature, la stratégie et la tactique de la classe ennemie pour identifier, comprendre et faire face à ses manœuvres. Il est imprégné de la compréhension marxiste que la prise du pouvoir révolutionnaire est une sorte d’art ou de science et est parfaitement conscient qu’une insurrection inopportune est aussi fatale que l’échec d’une prise de pouvoir tentée au bon moment. La profonde confiance du parti dans le prolétariat et dans le marxisme, sa capacité à se baser sur la force qu’ils représentent historiquement, lui permettent de s’opposer fermement aux illusions dans la classe ouvrière. Elles lui permettent encore de repousser la pression des anarchistes et “interprètes occasionnels de l’indignation des masses” comme les nomme Trotski 3 qui, guidés par leur impatience petite-bourgeoise, excitent les masses en vue de l’action immédiate.
Mais ce qui fut également décisif dans ces journées de juillet, c’est la profonde confiance des ouvriers russes dans leur parti de classe, permettant à ce dernier d’intervenir en leur sein et même d’assumer son rôle de direction, bien qu’il était clair pour tout le monde qu’il ne partageait ni leurs buts immédiats ni leurs illusions.
Les bolcheviks firent face à la répression qui débute le 5 juillet, sans aucune illusion sur la démocratie et en se battant pied à pied contre les calomnies dont ils étaient la cible. Aujourd’hui, cent ans plus tard, la bourgeoisie qui n’a pas changé de nature, mais au contraire est encore plus expérimentée et cynique, mène avec la même “logique” contre la Gauche communiste une campagne similaire à celle déployée en juillet 1917 contre les bolcheviks. En juillet 1917, elle essaie de faire croire que les bolcheviks, refusant de soutenir l’Entente, sont nécessairement du côté allemand ! Aujourd’hui, elle tente d’accréditer l’idée que, si la Gauche communiste a refusé de soutenir le camp impérialiste “antifasciste” dans la Seconde Guerre mondiale, c’est parce qu’elle et ses successeurs actuels, sont du côté nazi. Aujourd’hui, les révolutionnaires, qui tendent à sous-estimer la signification de telles campagnes à leur encontre qui ne font que préparer de futurs pogroms, ont encore beaucoup à apprendre de l’expérience des bolcheviks qui, après les journées de juillet, ont remué ciel et terre pour défendre leur réputation au sein de la classe ouvrière.
Durant ces journées décisives, l’action du parti bolchevique permit à la révolution montante de surmonter les pièges tendus par la bourgeoisie. Elle n’a rien à voir avec l’exécution d’un plan préconçu par un état-major extérieur à la classe ouvrière, comme a coutume d’en parler la bourgeoisie à propos de la révolution d’Octobre. Elle est au contraire l’œuvre d’une émanation vivante de la classe ouvrière. En effet, trois mois auparavant, le parti bolchevique ne comprenant pas que la révolution de février mettait à l’ordre du jour la prise du pouvoir en Russie par la classe ouvrière, se trouvait dans une situation de profond désarroi devant la situation. Après s’être doté d’une orientation claire, il fut par contre capable, en s’appuyant sur son expérience propre et celle de tout le mouvement ouvrier, de se hisser à la hauteur de ses responsabilités en assumant la direction politique du combat.
KB
2) Lénine, “A propos des mots d’ordre [660]”, Œuvres complètes, tome 25.
3) Trotski, Histoire de la Révolution russe [657].
Un panorama de la situation internationale montre l’accentuation de la barbarie et du chaos mondial. La série impressionnante d’attentats durant cet été, frappant de nouveau le cœur du monde capitaliste, ajoutée à la guerre au Moyen-Orient, en sont des illustrations tragiques.
Quelles que soient les cliques au pouvoir et leurs mesures sécuritaires, elles étalent leur impuissance et la vacuité de leurs promesses lorsqu’elles prétendent vouloir améliorer notre quotidien et notre sécurité. En réalité, leurs conduites sont totalement dictées par des objectifs inverses : assurer l’exploitation maximale du travail salarié en temps de crise et défendre des intérêts impérialistes où les civils sont otages de quadrillages militaires et policiers. Tout ceci confirme l’impasse historique d’une classe dominante bourgeoise à bout de course, soufflant la peste et le choléra pour maintenir ses privilèges et son mode de production obsolète. Au quotidien, la corruption, l’aggravation des tensions entre fractions et cliques bourgeoises, la spirale de la violence, le chômage massif et la paupérisation sont les œuvres majeures d’une crise économique chronique, expression d’un mode de production capitaliste dont l’agonie prolongée menace aujourd’hui l’espèce humaine. Malgré les tentatives désespérées de la part de la classe dominante pour faire émerger des fractions plus lucides, responsables et présentables, comme ce fut le cas en France avec la tentative cependant réussie de mettre au pouvoir un Macron, le discrédit politique des partis traditionnels et les personnalités en panne d’inspiration conduisent le plus souvent les moins aptes à la “gouvernance” pour défendre les intérêts supérieurs du capital : incapacité d’entreprendre de réelles politiques globales et cohérentes, d’avoir une vision en profondeur sur le long terme (autre que celle du profit et de la rentabilité immédiate). Ce phénomène est alimenté par le “populisme”, un produit de la décomposition capitaliste qui s’est enkysté insidieusement dans la société. Dans plusieurs pays, la classe dominante en vient de ce fait à perdre graduellement le contrôle des rouages politiques qu’elle a durant des décennies utilisé pour tenter de freiner les effets politiques les plus néfastes et délétères du capitalisme en faillite. L’État et les fractions les plus conscientes de la bourgeoisie tentent bien de réagir, ponctuellement avec quelques succès, comme on vient de le souligner pour le cas Macron, mais ceci ne fait que retarder ou ralentir ce processus, sans vraiment pouvoir l’enrayer définitivement. Ce dernier s’aggrave au contraire en détériorant la situation. Et en effet, depuis le Brexit et l’élection de Trump, les incertitudes, les revirements et l’imprévisibilité la plus totale n’ont fait que donner un coup de fouet à la dynamique du “chacun pour soi” et à la barbarie croissante. Un peu partout dans le monde, les hommes politiques, au centre des grandes décisions, tendent à exprimer la part la plus sombre de leur personnalité. On observe un Poutine manipulateur et paranoïaque, tout comme Érdogan en Turquie est adepte du culte de la personnalité, un Maduro jusqu’au-boutiste prêt à tout “brûler” au Venezuela, s’agrippant coûte que coûte au pouvoir, un Duterte dirigeant les “escadrons de la mort” et prêt à tuer n’importe quel opposant et à s’en vanter ouvertement, un Kim-Jong-Un, colérique et provocateur, véritable psychopathe..., la liste est trop longue pour continuer. Le plus frappant, c’est surtout qu’au cœur même de grandes nations, notamment de la première puissance mondiale, les États-Unis, on trouve des personnalités comme par exemple un Trump, totalement narcissique, pétri lui aussi de brutalité et d’imprévisibilité. En Grande-Bretagne, les volte-face de Theresa May rendent l’avenir de l’UE très incertain. Comment expliquer la simultanéité de ces profils, aussi multiples que tristement semblables, auparavant l’apanage de quelques “républiques bananières” ?
Tout cela n’est pas le fruit, selon nous, d’un simple hasard, mais un produit de la période historique actuelle. La phase ultime de décomposition du mode de production capitaliste marque l’histoire et la personnalité des hommes de son empreinte. Elle exprime leurs limites en dictant presque leurs actes, ceux de l’impuissance marquée par le sceau de l’aveuglement, de l’irresponsabilité, de l’immoralité et quasiment une soif de répression et de terreur, en se déclarant prêts à faire couler le sang... Parmi les réflexions les plus remarquables du mouvement ouvrier sur la question des portraits politiques, on peut se remémorer les écrits de Trotski : “certains traits de ressemblance sont, naturellement, dus au hasard et n’ont, dans l’histoire, qu’un intérêt anecdotique. Infiniment plus importants sont les traits greffés ou directement imposés par de toutes puissantes circonstances, qui jettent une vive lumière sur les rapports réciproques de l’individu et des facteurs objectifs de l’histoire.”1 Exprimant tout en finesse par un cadre théorique les portraits et les destins croisés du tsar Nicolas II de Russie et du roi Louis XVI en France, Trotski a su parfaitement dépeindre les marques du déclin historique sur ces célèbres figures de l’aristocratie : “Louis et Nicolas étaient les derniers rejetons de dynasties dont la vie fut orageuse. En l’un et l’autre, un certain équilibre, du calme, de la “gaieté” aux minutes difficiles exprimaient l’indigence de leurs forces intimes de gens bien éduqués, la faiblesse de leur détente nerveuse, la misère de leurs ressources spirituelles. Moralement castrats, tous deux, absolument dénués d’imagination et de faculté créatrice, n’eurent que tout juste assez d’intelligence pour sentir leur trivialité et ils nourrissaient une hostilité jalouse à l’égard de tout ce qui est talentueux et considérable. Tous deux se défendirent contre l’invasion d’idées nouvelles et la montée de forces ennemies. L’irrésolution, l’hypocrisie, la fausseté furent en tous deux l’expression non point tant d’une faiblesse personnelle que d’une complète impossibilité de se maintenir sur des positions héritées.”2 Et il ajoute ceci : “les déboires de Nicolas comme ceux de Louis provenaient, non de leur horoscope personnel, mais de l’horoscope historique d’une monarchie de caste bureaucratique. Tous deux étaient, avant tout, les rejetons de l’absolutisme.” Avec la phase de décomposition du capitalisme, on atteint une dimension supplémentaire car les deux dernières classes fondamentales de l’histoire : la bourgeoisie et le prolétariat, dans leur confrontation réciproque, ne parviennent pas pour l’instant à affirmer une perspective ouverte au sein de la société, à donner un sens visible pour notre futur. Notre époque trouve aussi ses “rejetons”, des Louis XVI et des Nicolas II à foison presque plus caricaturaux... Porteurs d’idéologies de plus en plus marquées par la décomposition et du fait de l’absence d’une alternative révolutionnaire pour l’instant, les dirigeants bourgeois ne nous offrent que l’odeur de la terre brûlée. La société est comme bloquée, enfermant l’humanité dans la prison tragique de l’immédiat, plongeant ainsi le monde dans la le chacun pour soi, la rapine, le chaos et la barbarie croissante.
Depuis l’élection de Trump, la situation mondiale s’est fortement dégradée. De par le contexte historique particulier, les actes d’un tel personnage, inspirés par ses vues étriquées de dirigeant d’entreprise despote et mégalomane, animé par une sorte de révolte sournoise, obscurantiste et paradoxalement “anti-élite” qui s’était déjà installée comme référent au sein de la société civile, le pousse à rompre avec les traditions et les codes d’un ordre établi de plus en plus rejeté.
On peut en illustrer les conséquences. On a vu la politique américaine de Trump mettre de l’huile sur le feu en entrant dans le jeu des surenchères militaires avec la Corée du Nord, soulignant en arrière-plan un réel bras de fer de plus en plus tendu et dangereux avec la Chine et d’autres puissances asiatiques. Autre exemple significatif parmi tant d’autres, la conduite de Trump au Moyen-Orient, remettant en cause la politique traditionnelle des États-Unis par des revirements diplomatiques brutaux, notamment contre l’Iran, jetant aussi de l’huile sur le feu de cette poudrière. Du coup, les États-Unis, puissance déclinante, apparaissent encore moins “fiables”, d’autant qu’ils sont eux-mêmes aspirés par la dynamique des tensions militaires, poussés à faire usage des armes sans pouvoir freiner la spirale de guerre. Il en est ainsi à Mossoul, où la guerre entre la coalition et Daesh se soldent par 40000 morts civils, annoncés en catimini par les média, sans qu’une alternative visible au chaos et aux cendres n’apparaisse pour cette région. Alors que le but affiché était de “lutter contre le terrorisme”, le résultat a été contraire : une vague d’attentats accrue, ponctuée par exemple par les tragiques événements de Barcelone et par la recrudescence d’un flux de réfugiés tentant de fuir la guerre et la misère au péril de leur vie. Ces derniers sont, soit refoulés vers des camps, soit livrés à la mort en Méditerranée. L’absence totale de vision politique, l’enlisement dans une logique de guerre ne font que généraliser la violence et les mécanismes de vengeances, diffuser les métastases du terrorisme, diluer et généraliser l’influence de l’idéologie djihadiste vers des zones géographiques plus larges et étendues, comme en Afghanistan.
Ces tensions au Moyen-Orient, porteuses de guerre, ne sont pas uniques. Dans le même sens, les annonces de Trump d’une possible intervention militaire américaine au Venezuela n’ont fait que durcir la position de Maduro au lieu d’apaiser la situation, ce dernier instrumentalisant cette menace américaine pour justifier sa politique. Sur le plan de la politique intérieure aux États-Unis, les déclarations et les actes politiques de Trump n’ont fait que s’accumuler, là aussi, aiguisant les tensions et le discrédit gouvernemental, par exemple les sympathies affichées par le président envers les activistes les plus racistes de l’extrême-droite après les récents incidents de Charlottesville, en Virginie. Tout ceci n’a fait qu’exacerber les tensions au sein même de l’État, ce qui affaiblit d’autant l’image des États-Unis et surtout de son chef dans le monde.
Mais ces tensions politiques et militaires aggravées ne sont pas les seules expressions de l’impasse historique dans laquelle nous plongent le capital et ses dirigeants corrompus. Les décisions prises alimentent aussi la guerre commerciale. Le renforcement du protectionnisme et du “chacun pour soi” économique, malgré une sonnette d’alarme comme celle de la crise financière de 2008, la politique de fermeture exclusive “America First”, ne peut que plonger davantage le monde dans la crise globale, le chômage massif et la misère sociale. La guerre commerciale exacerbée génère en plus des désastres écologiques. Les déclarations de Trump, dépassant les plus audacieuses revendications des lobbies du pétrole, révélant sa froide désinvolture vis-à-vis du réchauffement climatique, ironisant sur les accords de Paris (COP 21) qui avaient pourtant permis à la bourgeoisie de s’acheter une bonne conscience, traduisent bien la folie du capital. Malgré les beaux discours “green washing” dont nous ont abreuvés les média, la réalité du système capitaliste plonge le monde dans un environnement de plus en plus dégradé.
Bref, ce que nous pouvons observer, c’est que les superstructures idéologiques de la société bourgeoise, qui sont affectées par la réalité et l’impasse du mode de production capitaliste en décomposition, agissent elles-mêmes comme forces matérielles de destruction. L’absence de perspective qui affecte la société constitue une lourde entrave pour la seule classe potentiellement capable d’opposer une véritable alternative révolutionnaire, le prolétariat. Le fait de sa perte d’identité de classe et de la propagande cherchant à dénaturer et attaquer son combat révolutionnaire, oblige le milieu politique prolétarien et une organisation révolutionnaire comme le CCI à un très grand esprit de responsabilité. Parce qu’elle est porteuse d’un programme et dotée d’une expérience liée à celle de toute l’histoire du mouvement ouvrier, l’organisation révolutionnaire est indispensable pour favoriser la réflexion et permettre à la classe ouvrière de renouer avec son passé, en particulier celui de la vague de luttes internationales des années 1920, notamment le combat des bolcheviks qui a permis la victoire de l’Octobre rouge. Au moment du centenaire de la Révolution de 1917 en Russie, il s’agit de renouer avec les leçons fondamentales de cette expérience irremplaçable. C’est en s’appropriant ce passé de façon critique, avec un esprit de combat, que le prolétariat pourra préparer à nouveau un futur digne de la communauté humaine mondiale. C’est en combattant pour cette perspective que les révolutionnaires doivent se donner les moyens de défendre les principes du communisme : une société sans classe et sans exploitation.
WH, 28 août 2017
1 Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, Tome 1.
2Idem.
Après trois mois d'élaboration, le gouvernement a dévoilé, le 31 août dernier, ses ordonnances visant à réformer le Code du travail. Vis-à-vis de ses concurrents directs, le capitalisme français souffre encore de n'avoir pas su complètement libéraliser le marché du travail à l'image des réformes des lois Hartz en Allemagne ou celles de Blair au Royaume-Uni. Sans se hisser à la hauteur des enjeux et des annonces (Macron devant pulvériser les archaïsmes, libérer les énergies et révolutionner le rapport entre les employeurs et leurs “collaborateurs”), cette énième réforme n'en constitue pas moins une avancée majeure dans la précarisation et la dégradation des conditions de travail, dans la continuité directe de la loi El Khomri adoptée par le gouvernement prétendument socialiste de François Hollande.
Désormais les salariés pourront être mis à la porte de leur entreprise sans aucune véritable justification et avec des indemnités plafonnées, y compris en cas de licenciement abusif ! De la même façon, les licenciements économiques de masse sont considérablement facilités pour les multinationales souhaitant liquider leur filiale sur le territoire français.
Mais que la classe ouvrière ne s'estime pas quitte de nouvelles attaques ; après les salariés du privé, le “Président jupitérien” Macron a promis les pires tourments aux fonctionnaires, aux retraités, aux chômeurs... Déjà durant l'été, le gouvernement, affichant son arrogance, diminuait les aides pour le paiement des loyers des plus démunis tout en réduisant de trois quarts les recettes de l’impôt de solidarité sur la fortune. On ne pouvait adresser message plus explicite !
Les effets délétères de toutes ces mesures sur les conditions de travail et les salaires ne se feront évidemment pas attendre : si la menace de licenciement plane sur toutes les têtes, comment s'opposer aux exigences que la direction pourra imposer dans le cadre du “renforcement du dialogue social” prévus par les ordonnances ? En faisant confiance aux syndicats ? Sûrement pas !
Un incroyable ballet syndical aux portes des ministères a précédé la publication des ordonnances, les “négociations avec les partenaires sociaux” s'étalant sur plus de cinquante réunions officielles en moins de trois mois ! Fallait-il autant de négociations, pendant lesquelles les syndicats ont, affirment-ils, fait preuve de la plus grande fermeté et d'une vigilance de tous les instants, pour aboutir à l’une des pires attaques économiques que l’État français ait jamais porté à la classe ouvrière ces quarante dernières années ? Le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Jean-Caude Mailly, s'est d'ailleurs ouvertement félicité de la méthode avec laquelle syndicats et gouvernement ont organisé, main dans la main, la précarisation généralisée des travailleurs : “Il y a eu un vrai dialogue social", ajoutant, les yeux pleins d'étoiles : “Ce n’est pas une négociation juridiquement, c’est une concertation. Mais cela ressemblait beaucoup à une négociation.”1
Les syndicats ont donc pu négocier avec Macron-Jupiter et s'en frappent le ventre de satisfaction ! Même le soi-disant contestataire, Philippe Martinez (CGT), n'est en désaccord qu'à… “99%” ! Quel est donc ce point d'accord décisif ? Qu'a donc remporté le prolétariat par la grâce de la négociation syndicale en échange de ses “sacrifices” ? Seulement la possibilité pour un salarié syndiqué ou qui souhaite l’être d’obtenir des formations renforcées ! C'est une nouvelle victoire sur le long chemin du renforcement de la bureaucratie syndicale et surtout... un arbre qui cache mal la forêt.
En effet, ces négociations de pacotille se sont surtout résumées à un partage en bonne et due forme de la gestion syndicale de l'exploitation : contrairement aux annonces initiales du gouvernement qui prévoyait de privilégier les négociations par entreprise, FO a obtenu un renforcement significatif des prérogatives des branches professionnelles, c'est-à-dire à l'échelon où ce syndicat est en position de force... En conséquence : “Force ouvrière a décidé “à l’unanimité” de ne pas participer à la journée d’action prévue le 12 septembre (…). Pourtant, en 2016, FO faisait partie du front syndical contre la loi El Khomri, qui assouplissait les règles du droit du travail dans une moindre mesure. Mais de cette loi travail, “on n’a jamais pu discuter (…), là, on est dans une situation différente", a assuré M. Mailly.”2 Quelle hypocrisie !
Quant à la manifestation prévue le 12 septembre par la “radicale” CGT, elle ne relève ni plus ni moins que d'une classique manœuvre de division par un partage des tâches entre les syndicats “responsables et réformistes” et les syndicats “contestataires et radicaux”, ainsi qu'une manière d'encadrer et d'épuiser les quelques ouvriers les plus combatifs. La CGT a pour intention d'utiliser la manifestation du 12 septembre comme le marqueur d'un échec cuisant ; non seulement la presse annonce déjà, sous couvert de confidences faites au sein de la centrale, que la “journée d'action” risque de n'être qu'un baroud d'honneur, mais la CGT subit encore la concurrence opportune d'une manifestation organisée par le nationaliste hystérique de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à laquelle la centrale appelle presque ouvertement à ne pas participer : “Le secrétaire général de la CGT s’est clairement démarqué de La France insoumise, qu’il n’a pas citée, par rapport à sa manifestation du 23 septembre. (…) Alors que Jean-Luc Mélenchon est soupçonné d’empiéter sur le terrain syndical, M. Martinez lui a décoché une flèche : “C’est bien de souligner l’indépendance de la CGT vis-à-vis des partis politiques.”"3
Derrière les slogans et les positionnements de façade, l'intégration des syndicats à l'appareil d’État, c'est-à-dire à ce qui est devenu le centre hypertrophié et totalitaire de la classe dominante, est aujourd'hui moins masquée idéologiquement du fait des faiblesses actuelles de la classe ouvrière. En d'autres termes, ils sont officiellement associés à la gestion de l'économie nationale et à l'exploitation salariale à tous les niveaux : ils siègent dans les tribunaux du travail de l'État, dans les instances “paritaires” au sein des entreprises et de toutes les administrations, au sein des instances stratégiques de plus haut niveaux, etc. Cette réalité est le produit de leur intégration à l’État depuis l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence. Désormais, le capital n'a strictement plus aucune véritable réforme durable positive à accorder à la classe ouvrière, il doit survivre à la concurrence extrême entre nations en portant toujours davantage d'attaques, ce que la bourgeoisie nomme officiellement “s'adapter au monde qui change”... Du fait de la crise chronique et de l'impasse historique du capitalisme, le syndicalisme a ainsi totalement perdu sa fonction traditionnelle de défense des intérêts des travailleurs en devenant un instrument de répression pur et simple, un outil privilégié de la réaction pour assurer un véritable contrôle social et un sabotage des luttes ouvrières.
Alors que faire ? Comment lutter ? Si la confrontation directe avec les syndicats est nécessaire pour mener à la révolution, il est clair que le prolétariat aura un chemin encore bien long à parcourir avant de pouvoir mettre en avant sa propre perspective et assurer un haut niveau de combativité et de conscience. Le discrédit des centrales syndicales est certes immense, comme en atteste, parmi d'autres exemples, la très faible participation aux élections professionnelles, du moins là où elles ne sont pas rendues obligatoires. Mais la distance entre la méfiance et la capacité de notre classe à développer une lutte unie et autonome, fondée sur les formes prolétariennes de la lutte, les assemblées ouvertes et souveraines, est gigantesque. Face à des “citoyens” atomisés, les syndicats ont les mains libres pour encadrer les rares luttes dispersées, voire les déclencher préventivement. Inversement, face à l'absence de perspective pour le futur, la capacité du prolétariat à imaginer d'autres formes de lutte que celles prônées par le syndicalisme reste très faible.
Dans ce contexte, la tâche essentielle des éléments les plus conscients de la véritable nature du système capitaliste, de son État et ses organes syndicaux, est de contribuer, partout où cela est possible, par la discussion et la clarification politique, au développement de la confiance et de la solidarité nécessaires à la lutte de la classe ouvrière pour le communisme. Se réapproprier les leçons du mouvement ouvrier et des luttes passées, approfondir la compréhension des rapports existant entre les classes et du rôle historique du prolétariat, c'est forger les armes politiques indispensables aux combats de demain !
EG, 5 septembre 2017
1 Le Monde du 23 août 2017 : Réforme du code du travail : les syndicats “vigilants” avant la dernière phase de consultation.
2 Le Monde.fr du 30 août 2017 : Réforme du code du travail : Force ouvrière ne manifestera pas.
3 Le Monde du 30 août 2017 : La CGT souhaite installer le mouvement de contestation dans la durée.
La poussière du mur de Berlin n’était pas encore totalement retombée qu’à l’été 1990, l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein allait donner lieu à la première guerre du Golfe. Les États-Unis étaient parvenus par cette intervention à prendre de court l’ensemble de ses alliés et à les aligner derrière lui pour la “défense du droit international”. Cela, avant que ceux-ci ne puissent profiter de l’ouverture offerte par la disparition de l’ennemi oriental commun pour remettre en cause un statut de leader hérité de l'ancien bloc occidental.
En effet, la disparition de l’URSS signait la fin inévitable d’un ordre mondial structuré en deux blocs, chacun bien rangé derrière un chef à la puissance de feu supérieure, à qui revenait d’assurer la protection de ses alliés mais qui dans le même temps récoltait les bénéfices de son leadership. Dès l’implosion du camp soviétique, les discours de victoire sur la démocratie et la liberté ont envahi tout l’espace disponible. En prenant les armes contre Saddam Hussein, les États-Unis voulaient montrer que leur rôle de leader et responsable de la paix mondiale n’avait pas faibli et qu'aucune partie du monde ne devait se soustraire à un “nouvel ordre mondial” désormais marqué par les “valeurs” du “pays des libertés”.
Ce coup de force était absolument nécessaire pour que les États-Unis préservent leur autorité et que ce brutal rebattage des cartes ne conduise à une poussée incontrôlable des velléités locales. C’est ainsi que dès la fin de l’année 1990 nous étions en mesure d’écrire que “l'invasion du Koweït par l'Irak résulte fondamentalement de la nouvelle situation historique ouverte par l'effondrement du bloc de l'Est. Elle est aussi une manifestation de la décomposition croissante qui touche le système capitaliste. Le gigantesque déploiement de forces armées des grandes puissances, essentiellement des États-Unis à vrai dire, révèle, pour sa part, la préoccupation croissante de ces dernières à l'égard du désordre qui s'étend de plus en plus. Mais, à terme, les réactions des grandes puissances ne pourront donner que le résultat inverse de celui attendu, se transformant en un facteur supplémentaire de déstabilisation et de désordre. A terme, elles ne peuvent qu'accélérer encore la chute dans le chaos et y entraîner l'humanité entière”.1
L’ère de paix qu’on nous promettait alors commençait dans une guerre brutale et sanglante. Le mensonge ne faisait que commencer car plus un seul jour depuis n’allait être dépourvu d’un déchaînement de violence armée, en particulier dans cette région du monde hautement stratégique.
Loin de réduire la planète à un ensemble discipliné derrière l’autorité d’un chef reconnu, cette première guerre du Golfe a marqué le début d’un lent déclin de la puissance américaine. Les “alliés” européens ont eu tôt fait de reprendre leurs distances avant même la fin du conflit, mettant de l’huile sur le feu en poussant à la constitution de puissances locales alliées face en particulier à l’Arabie Saoudite appuyée solidement par les Américains.
Dix ans plus tard, le chaos s’est amplifié, les États-Unis sont débordés et peinent de plus en plus à rassembler derrière eux. Nous résumions alors la situation ainsi au printemps 2001 lors de notre 14e congrès international : “la fragmentation des vieux blocs, dans leur structure et leur discipline, a libéré des rivalités entre nations à une échelle sans précédent, résultant en un combat de plus en plus chaotique de chacun pour soi, des plus grandes puissances mondiales jusqu'aux plus minables seigneurs de la guerre locaux. Ceci a pris la forme d'un nombre de plus en plus grand de guerres locales et régionales, autour desquelles les grandes puissances continuent d'avancer leurs pions à leur avantage. (...) Tout au long de la dernière décennie, la supériorité militaire des États-Unis s'est montrée complètement incapable d'arrêter le développement centrifuge des rivalités inter-impérialistes. Au lieu du nouvel ordre mondial dirigé par les États-Unis, que lui avait promis son père, le nouveau président Bush est confronté à un désordre militaire croissant, avec une prolifération de guerres sur toute la planète.”2
Dans une telle situation, le recours aux solutions politiques devient de plus en plus difficile à mettre en œuvre et les armes resteront seules à porter les ambitions des puissances impérialistes, qu’elles soient grandes ou petites, en particulier dans cette région du monde à la fois carrefour stratégique sur le plan géographique entre l’Orient et l’Occident et immense réserve de pétrole et de gaz à une époque où la pénurie des hydrocarbures est encore attendue à l’horizon de quelques décennies.
Dans ce contexte, l’attentat du World Trade Center à New York en septembre 2001 est un acte de guerre fondateur d’une période d’enfoncement sans précédent de destructions militaires sans lendemain. Les États-unis iront en représailles s’embourber en Afghanistan en transformant en champ de ruines un pays déjà laminé et peu après, se lanceront dans cette lamentable aventure qu’aura été la deuxième guerre du Golfe, conduisant à l’implosion de l’Irak en un champ de bataille permanent.
Est-ce que les États-Unis, en multipliant les démonstrations de force, auront réussi à imposer leur autorité au reste du monde ? Bien au contraire, la situation leur échappe totalement, leur doctrine “zéro morts” n’est qu’un lointain souvenir(3) et les trois mille milliards de dollars qu’on estime avoir coûté cette guerre n’auront conduit qu’à multiplier les insurrections et le chaos. Les tensions régionales ne cessent d’augmenter, avec souvent l’Arabie Saoudite en tête, contre l’Iran, contre le Qatar.
L’Irak est, comme l’Afghanistan avant lui, réduit de plus en plus à un quasi-champ de dévastation. Alors que le focus est mis dans les médias occidentaux sur le recul de Daesh, rien n’est dit sur ce que cette guerre laisse derrière elle : des régions entières exsangues, des ruines écroulées sur des monceaux de cadavres et des villes (ou ce qu’il en reste) laissées à l’appétit de cliques locales qui finissent par leurs propres affrontements à y supprimer tout espoir de vie.3
La guerre civile en Syrie ne semble pas pouvoir trouver d’autre issue qu’un massacre généralisé. De plus en plus de zones du pays prennent, en bonne partie, le chemin de ce qu’est devenu l’Irak aujourd’hui. Au fur et à mesure que la menace islamiste est “contenue”, les alliances locales se délitent et les tensions se déplacent.
Au Yémen, les affrontements se multiplient, affamant et plongeant la population dans la misère et le dénuement.
Les tensions en Turquie, au Liban ou en Israël font légitimement craindre une extension des conflits armés dans la région, pourtant déjà très enflammée.
Les États-Unis ont-ils réussi à mettre fin au terrorisme, dont il faut rappeler que c’était le principal objectif de ces interventions ? La menace terroriste (et le passage à l’acte) au quotidien partout dans le monde apporte une réponse définitive à la question. Tous les jours ou presque, une terrasse de café, une salle de concert ou un arrêt de bus dans le monde subit l’explosion d’un “martyr” terroriste. Rien que sur les derniers mois, les attentats terroristes dans le monde se comptent par dizaines : les derniers attentats de Barcelone, en Finlande ou en Russie, au Burkina Faso, en Afghanistan et au Nigeria, pour ce qui est du seul mois d’août, en témoignent. En Juillet, ce fut l’Allemagne, l’Egypte, Israël, la Syrie… En juin, les Philippines, le Royaume-Uni, l’Australie, l’Iran, la Colombie, le France, la Belgique, les États-Unis, le Pakistan, le Mali, Israël, le Nigeria… En mai, encore le Royaume-Uni, l’Indonésie… Sans compter naturellement les attentats presque hebdomadaires en Irak ou Syrie qui font à chaque fois des dizaines de tués. La liste n’en finit pas.
L’embrasement du Moyen-Orient illustre le monde capitaliste décomposé, où le chacun pour soi domine, que ce soit localement par l’affrontement de cliques à la détermination morbide ou plus globalement par le reflet des affrontements entre les grandes puissances défendant leurs intérêts au mépris de toute logique, ne serait-ce qu’économique ! Au delà des massacres et des morts innocentes, c’est l’irrationalité absolue de ces guerres qui stupéfie : même s’il y a du pétrole sous ces terres, y en a-t-il assez pour “rentabiliser” les milliers de milliards qui sont dépensés dans ces affrontements sans fin ? Y a-t-il un seul argument capable de rendre rationnel une telle dévastation ?
N’allons donc pas croire que ce chaos meurtrier restera limité à cette région du monde, que si le Moyen-Orient est davantage touché, c’est uniquement par son caractère stratégique. Car une caractéristique essentielle de la décomposition, c’est que la situation est déterminée par un engrenage guerrier. Les tensions sont sans fin, la course sans limite. Les États s’effondrent et se délitent en multiples cliques rivales. Apparaissent alors des forces de plus en plus incontrôlables, opportunistes et imprégnées de la folie meurtrière de ce monde en chute libre. Cette spirale guerrière, avec ses répercussions toujours plus fortes, jusque dans le cœur du capitalisme, c’est le seul avenir que ce système nous réserve : celui de son autodestruction.
Aucune puissance capitaliste, aussi forte soit-elle, aussi déterminée soit-elle, ne peut enrayer cette spirale de mort car celle-ci est inscrite de façon indélébile dans son histoire et déclin. Seule la classe ouvrière porte une autre perspective, qu’elle devra imposer par sa lutte : la perspective du communisme. Sans l’intervention du prolétariat sur la scène de l’histoire, le capitalisme finira à coup sûr par anéantir l’humanité et réduire la Terre à un vaste désert fumant.
Delix, 8 septembre 2017
1 Golfe persique : le capitalisme, c’est la guerre, Revue Internationale n° 63, 4e trimestre 1990.
2 Résolution sur la situation internationale du 14e congrès du CCI, Revue Internationale n° 106, 3e trimestre 2001.
3 Plus de 4 000 GI’s ont trouvé la mort entre 2003 et 2008 dans le conflit.
La mécanisation de la production et l’affermissement de la lutte de classes amenèrent la bourgeoisie à saisir tous les avantages qu’elle pouvait tirer de l’imposition d’une éducation ouvrière organisée par l’État.
La mise en œuvre de “l’école pour tous” est généralement considérée comme la réussite des projets humanistes et philanthropiques de la bourgeoisie libérale et républicaine, soucieuse d’offrir au peuple une culture et une instruction. Si cette analyse contient une part de vérité, elle reste néanmoins à la surface des choses.
La scolarisation constante et progressive des couches exploitées, en particulier des enfants d’ouvriers, découla inexorablement du développement de la production mécanisée. D’ailleurs, sous l’ère de la production manufacturière, alors que les fabricants avaient besoin d’une force de travail considérable, la scolarisation des jeunes ouvriers n’était pas à l’ordre du jour. Elle le devint avec la complexification de la production et la nécessité d’une force de travail beaucoup mieux formée. Mais aussi, lorsque l’atrophie intellectuelle et physique de la jeunesse, occasionnée par l’âpreté des cadences de travail, commença à préoccuper la classe dominante elle-même.
En Angleterre, l’État tenta d’imposer aux patrons l’obligation de scolariser les jeunes ouvriers. Dans un premier temps, ils balayèrent d’un revers de main cette mesure que l’État lui-même ne pouvait encore assumer. Cette situation ridicule est rapportée en 1857 dans un document officiel : “Le législateur seul est à blâmer, parce qu’il a promulgué une loi menteuse qui, sous l’apparence de pourvoir à l’éducation des enfants, ne renferme en réalité aucun article de nature à assurer la réalisation du but proclamé. Il ne détermine rien, sinon que les enfants doivent être tenus enfermés un certain nombre d’heures – trois – par jour entre les quatre murs d’un local baptisé école, et que les employeurs de ces enfants auront à réclamer un certificat de scolarité chaque semaine d’une personne qui le signera à titre de maître ou de maîtresse d’école.”1
En fait, la bourgeoisie anglaise, auréolée de sa toute puissance, fut très hésitante dans ce domaine et prit un peu trop à la légère l’encadrement idéologique du prolétariat, considérant que la morale religieuse suffisait à le détourner de ses désirs de révolte. L’archaïsme de cette éducation ne fit pas long feu et n’eut aucun résultat. Engels railla cet échec en soulignant que l’État lui-même désavouait cette entreprise : “De l’aveu de toutes les autorités, en particulier de la Commission sur l’emploi des enfants, les écoles ne contribuent à peu près en rien à la moralité de la classe laborieuse. La bourgeoisie anglaise est si impitoyable, si stupide et si bornée dans son égoïsme, qu’elle ne se donne pas même la peine d’inculquer aux ouvriers la morale actuelle, que la bourgeoisie s’est pourtant confectionnée dans son propre intérêt et pour sa propre défense !”
Mais l’éducation sous l’ère industrielle n’eut pas seulement vocation à forger de bons producteurs. Devant le danger que commençait à faire peser la classe ouvrière sur la société capitaliste, l’école devint également un instrument utilisé pour mystifier la réalité. En France, dans les années qui suivirent la Commune de Paris, la diffusion de l’instruction républicaine et de la morale citoyenne se fit d’abord et avant tout dans les écoles. Il s’agissait d’éloigner la jeunesse de ce “spectre qui hantait l’Europe” et ôter toute réalité à l’existence de classes sociales aux intérêts antagoniques. Jules Ferry n’avait pas d’autres idées en tête lorsqu’il fit promulguer les lois instaurant l’école gratuite, laïque et obligatoire. L’ancien préfet de Paris, l’un des responsables du massacre de milliers d’ouvriers durant la Semaine sanglante, fut le maître d’œuvre d’un système éducatif où la diffusion du savoir, le développement de l’esprit critique et l’épanouissement personnel restent écrasés par la fonction idéologique de l’école. Ce que les responsables politiques n’osent guère affirmer aujourd’hui, Ferry le claironnait avec autorité du haut de la tribune de l’Assemblée Nationale :
“Non, certes, l’État n’est point docteur en mathématiques, docteur en lettres ni en chimie. (…) S’il lui convient de rétribuer des professeurs, ce n’est pas pour créer ni répandre des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe de l’éducation : il s’en occupe pour y maintenir une certaine morale d’État, une certaine doctrine d’État, indispensable à sa conservation”.2
Traumatisée par la grande insurrection ouvrière de 1871, la bourgeoisie française considérait l’école républicaine comme un vaccin qui pourrait la prémunir d’un nouvel assaut du prolétariat. Dès lors, l’idéologie républicaine, érigée en “morale d’État”, serait ce voile mystificateur qui donnerait au professeur la capacité “d’exercer cet apostolat de la science, de la droiture et de la vérité, qu’il faut opposer résolument, de toutes parts, à cet autre apostolat, à cette rhétorique violente et mensongère, (…) cette utopie criminelle et rétrograde qu’ils appellent la guerre de classe !”3
Face à la démonstration de créativité et d’auto-organisation du prolétariat au cours des trois mois que dura la Commune, la bourgeoisie comprit une bonne fois pour toutes qu’elle ne pouvait plus laisser la classe ouvrière s’éduquer toute seule.
Au tournant du XXe siècle, le durcissement des tensions impérialistes, la militarisation de la société et la marche forcée vers la guerre donnent à l’école une nouvelle dimension : propager le sentiment patriotique, distiller dès l’enfance la toute-puissance de sa propre nation et la méfiance voire la haine de la nation concurrente. Il s’agit de forger des “citoyens-soldats” en inculquant le sens du sacrifice, l’amour d’une patrie qui rayonne dans le monde entier par sa prétendue “œuvre civilisatrice” au sein des colonies. L’Angleterre et la France furent les championnes de ce credo qui ne résistait pourtant pas à la véritable attitude de ces deux puissances dans le monde colonial. Comment l’école a-t-elle été utilisée pour mettre en œuvre cela ? En France, dans les années qui précèdent la guerre, la marche militaire, le maniement des armes et les exercices de tirs sont instaurés dans les écoles et les lycées. Sur la carte de France affichée sur le mur de la salle de classe, une tâche violette attire l’attention des élèves. Il s’agit “des territoires perdus” de l’Alsace et de la Lorraine, clairement mis en évidence afin de stimuler l’esprit de revanche des futurs soldats. Cette propagande patriotique et démocratique ne désemplit guère avec la chute du capitalisme dans sa décadence. Alors que l’État prend une place toujours plus importante dans chaque domaine de la société, l’éducation nationale continue à jouer ce rôle idéologique en apparence plus “soft” aujourd’hui. Or, dans les collèges et les lycées, cette “morale d’État” jalonne la scolarité des adolescents dans de nombreux pays. En France, cela se concrétise par le “culte” des idoles ou icônes républicaines comme le drapeau, la Marianne, la Marseillaise, la laïcité ainsi que par la multiplication de manifestations annexes aux enseignements (comme la journée citoyenne, la journée de la laïcité, la visite des tribunaux...). Derrière le mensonge de l’acquisition “d’un esprit critique et d’une culture de l’engagement”(9) se cache la volonté de faire de la citoyenneté quelque chose de naturel, un horizon indépassable qui cherche à briser la capacité des futurs producteurs à lutter contre la société bourgeoise.
Mais le vice va bien plus loin. De plus en plus, l’école participe à l’instrumentalisation des effets de la décomposition sociale en attisant un climat de terreur. Par exemple, les simulations d’attaques terroristes rendues obligatoires dans tous les établissements scolaires visent à accoutumer les plus jeunes à vivre dans un climat de peur permanente où l’État serait le seul défenseur.
Ce dernier est aussi présenté comme le repoussoir de toutes les idées nauséabondes sécrétées par la société bourgeoise à travers l’action de sa justice. Les programmes scolaires martèlent aux élèves que les discriminations comme le racisme, la xénophobie ou le sexisme sont des actes punis par la loi mais se gardent bien de pousser les élèves à se questionner sur les causes profondes de ces phénomènes ; qui sont ni plus ni moins à chercher dans les fondements de cette société qui pourrit sur pied.4
Dans un de ses principaux ouvrages, Surveiller et punir, Michel Foucault a démontré la transformation qui s’est opérée au cours des XVIIe et XVIIIe siècles dans la manière de discipliner le corps et l’esprit. L’enfermement devient une nouvelle méthode de contrôle, de mesure et de dressage des individus dans un objectif bien précis, rendre à la fois docile et utile : “est docile un corps qui peut être soumis, qui peut être utilisé, qui peut être transformé et perfectionné.” L’école devient un établissement disciplinaire parmi d’autres. Un endroit clos où la vie est rythmée par un emploi du temps précis, des règles strictes, des sanctions ou des punitions en cas de manquement, une place spécifique (mais variable) à l’intérieur d’un rang :5
“Le “rang” au XVIIIe siècle, commence à définir la grande forme de répartition des individus dans l’ordre scolaire : rangées d’élèves dans la classe, les couloirs, les cours ; rang attribué à chacun à propos de chaque tâche et de chaque épreuve ; rang qu’il obtient de semaine en semaine, de mois en mois, d’années en années, alignement des classes d’âge les unes à la suite des autres (…) Et dans cet ensemble d’alignements obligatoires, chaque élève selon son âge, ses performances, sa conduite, occupe tantôt un rang, tantôt un autre ; il se déplace sans cesse sur ces séries de cases. (…) En assignant des places individuelles, il a rendu possible le contrôle de chacun et le travail simultané de tous. Il a organisé une nouvelle économie du temps d’apprentissage. Il a fait fonctionner l’espace scolaire comme une machine à apprendre, mais aussi à surveiller, à hiérarchiser, à récompenser.”(10)
L’école c’est aussi l’endroit où l’on apprend à se tenir d’une manière particulière. L’écolier doit intégrer une posture unique du corps : une manière de se tenir sur sa chaise, une manière d’écrire, une manière de se comporter dans la salle de classe (ne pas bouger, ne pas parler, ne pas se retourner). Le “temps de la classe”, c’est le temps de toutes les privations. Dans le même esprit que la prison, elle sert à corriger ce qui aux yeux de la société bourgeoise apparaît comme une déviance. Donner au corps une docilité allant de soi, une normalisation afin d’éduquer les futures forces de travail à produire sans “sortir du rang” ! Dès lors, l’individu doit devenir son propre censeur.
Comme l’affirmait Marx et Engels dès 1848 dans le Manifeste communiste, la société bourgeoise “ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble des conditions sociales”. Dès lors, la production ne cesse de se complexifier et nécessite de reproduire une force de travail toujours plus qualifiée. Seul l’État est capable de prendre en charge cette tâche dans une société où les contradictions des rapports sociaux de production ne cessent de s’amplifier. En 2011, le coût moyen d’un élève de primaire au sein des pays de l’OCDE s’élève à 8296 dollars par an, ce coût moyen est de 9280 dollars pour un élève du secondaire et de 13 958 dollars pour un étudiant. Ainsi, l’État s’adapte aux besoins du capital et lui fournit une main d’œuvre suffisamment éduquée et formée pour poursuivre la production et l’accumulation. Ce n’est pas un hasard si, en France, la programmation informatique fait désormais partie des programmes de mathématiques.
En fait, en tant “qu’atelier” qui contribue en partie à la reproduction de la force de travail, l’école est déjà un lieu de spécialisation et de concurrence. De manière générale, l’évaluation de l’élève sert à identifier sa place potentielle dans le système de production. D’ailleurs, le développement de l’évaluation par compétences (héritée de la logique d’entreprise) ne vise qu’à individualiser l’élève en ciblant de manière extrêmement précise le domaine dans lequel il peut être le plus utile. Toujours dans Surveiller et punir, Michel Foucault avait explicité cela : “L’examen comme fixation à la fois rituelle et “scientifique” des différences individuelles, comme épinglage de chacun à sa propre singularité indique bien l’apparition d’une modalité nouvelle de pouvoir où chacun reçoit pour statut sa propre individualité, et où il est statutairement lié aux traits, aux mesures, aux écarts, aux “notes” qui le caractérisent et font de lui, de toute façon, un “cas.””
De cette façon, l’État sélectionne et oriente les jeunes gens en fonction de leurs compétences potentielles dans la production mais aussi de leur capacité à supporter la prison scolaire.
Il appartient au sens commun d’opposer classe ouvrière et culture. Déjà dans les romans de Zola apparaît cette peinture de l’ouvrier ignare, alcoolique et dépressif de nature. En réalité, la classe ouvrière a démontré à de multiples reprises que l’aspiration à la culture et au savoir fait partie du combat qu’elle mène contre la société bourgeoise. Durant toute la période d’ascendance du capitalisme, elle tenta d’offrir à sa jeunesse une éducation indépendante bien qu’elle s’en vit dépossédée par l’État dans le dernier quart du XIXe siècle comme nous l’avons montré précédemment.
Dans La formation de la classe ouvrière en Angleterre, E.P Thompson décrit ces communautés de tisserands qui, au temps du domestic system, arrivaient à consacrer du temps pour se détendre et s’éduquer et où “chaque district de tisserands possédait ses poètes, biologistes, mathématiciens, musiciens, géologues, botanistes...”
Quand ce modèle de vie traditionnel fut détruit par la production manufacturière, le désir d’éducation s’exprima chez les travailleurs d’usine avec la prolifération des sociétés d’entraide, des clubs, des réseaux de bibliothèques. La classe ouvrière comprit très vite que sa lutte pour l’émancipation de l’humanité l’obligeait à se forger ses propres organisations, ses propres organes de propagande, sa propre analyse du monde. C’est à travers les discussions, les polémiques et sa presse qu’elle améliora ses connaissances, sa capacité de réflexion et la cohérence de sa pensée. Davantage que pour toutes les autres classes révolutionnaires, la théorie est une arme indispensable pour la classe ouvrière.
La compréhension profonde de la réalité est un corollaire indispensable à sa capacité à la transformer. Marx considérait avec beaucoup de sérieux cette dimension éducative et culturelle en participant lui-même à des conférences. Comme le rappelle Engels, “pour la victoire ultime des principes énoncés dans le Manifeste, Marx se fiait uniquement au développement intellectuel de la classe ouvrière, tel qu’il devait résulter nécessairement de l’action et de la discussion commune”.
De la Ligue des Communistes en 1847 au Programme d’Erfurt de la Social-Démocratie allemande en 1891, la revendication pour une éducation libre et accessible à tous fit partie des programmes des organisations révolutionnaires. Non comme une fin en soi mais parce qu’“un prolétariat éduqué ne serait pas disposé à rester dans des conditions d’oppression”, comme le disait Engels.
Au cours de ses luttes, le prolétariat fut aussi capable d’expérimenter de nouvelles mesures éducatives et ainsi se montrer à l’avant-garde dans ce domaine comme les Communards mais surtout les ouvriers de Russie dès 1919. Si dans un premier temps, il s’agissait de pallier l’arriération du pays, à long terme, l’école devait participer à l’abolition complète de la division de la société en classes. L’école “du travail unifié” élaborée dans l’ABC du communisme se proposait de rompre la séparation entre l’éducation mentale et le travail productif : “Les premières activités d’un enfant prennent la forme du jeu ; le jeu doit se transformer graduellement en travail, par une transition imperceptible, de sorte que l’enfant apprend dès son plus jeune âge à regarder le travail non comme une nécessité désagréable ou une punition, mais comme une expression naturelle et spontanée de ses facultés. Le travail doit être un besoin, comme le besoin de manger ou de boire ; ceci doit être instillé et développé dans l’école communiste.” En Russie, ces jalons ont été écrasés dans l’œuf par la contre-révolution mais ils demeurent encore valables aujourd’hui. Leur application dépendra de la capacité du prolétariat à vaincre la bourgeoisie et à détruire l’État afin que l’éducation ne soit plus l’organe de la conservation sociale mais celui de l’émancipation de chacun.
Najek, 3 septembre 2017
1 Jean Vial, Histoire de l’éducation.
2 Ibid.
3 Les premières traces de ce lieu clos sont attestées en Mésopotamie et sont étroitement liées à l’apparition de l’écriture et son appropriation par la classe dominante.
4 H-I Marrou, Histoire de l’éducation dans l’antiquité.
5 Jean Vial, Op. Cit.
6 Cité par F. Engels dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre.
7 Discours de Jules Ferry à la Chambre des députés le 26 juin 1879.
8 Discours à la Sorbonne de Jules Ferry, lors de la séance d’ouverture des cours de formation des professeurs, le 20 novembre 1892.
() Présentation du “parcours citoyen” de l’école primaire au lycée. Site Eduscol, organe du ministère de l’Éducation nationale.
() M. Foucault, Surveiller et punir.
En juin 2017 s’est tenu comme chaque année le diplôme national du brevet. Et cette fois encore l’épreuve “d’enseignement moral et civique” a défrayé la chronique. Il faut dire que l’État ne rate jamais l’occasion d’y étaler sans retenue sa propagande puisque, après tout, cette discipline a été créée tout spécialement pour cela. Cette année donc, sous le titre : Les grands principes de la Défense nationale, a été demandé aux élèves de 3e : “Vous avez été choisi(e) pour représenter la France au prochain sommet de l’Union européenne. Vous êtes chargé(e) de réaliser une note pour présenter une mission des militaires français sur le territoire national ou à l’étranger.
Montrez en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union européenne.” Voilà. Sobre et efficace. Tu as 15 ans et tu veux ton brevet des collèges, alors écris tout le bien que tu penses de l’armée française et des guerres qu’elle mène à travers le monde... en quelques lignes.
Rappelons simplement qu’au moment où ces enfants étaient sommés de se comporter en bons citoyens français en chantant les louanges des valeurs guerrières de la République, deux faits particulièrement barbares s’étalaient dans les colonnes des journaux :
- le soutien de plus en plus notoire de l’État français au gouvernement génocidaire rwandais en 1994 (environ 1 million de morts) ;
- l’utilisation par la coalition internationale en Irak et en Syrie d’armes incendiaires très meurtrières, les obus au phosphore.
Finalement, ce qu’affirme cette épreuve du brevet des collèges est tout à fait exact, effectivement “l’armée française est au service des valeurs de la République” : le nationalisme, l’exploitation, la concurrence économique et guerrière, l’impérialisme, la barbarie.
“Le SNES-FSU a pris connaissance avec effarement de l’exercice d’enseignement moral et civique (EMC) du Diplôme National du brevet sur lequel ont dû composer les élèves de 3e de série générale en métropole et ne peut que s’en indigner, tant sur le fond que sur la forme. (…) Il s’agit encore une fois de glorifier notre armée, sans demander aux élèves de faire preuve de recul ni du moindre esprit critique, contrairement aux objectifs affichés de l’EMC... Il s’agit bien de propagande, qui entretient la confusion entre l’UE et ses institutions, la République française et “ses valeurs” et qui oblige les candidat(e)s à défendre une opinion partisane”. Cette déclaration du 3 juillet du premier syndicat du secondaire, la FSU, semble en apparence une réaction indignée et légitime. Mais le diable se cache souvent dans les détails. Car au fond, que réclame là la FSU ? Un bon “enseignement moral et civique”, un enseignement développant “l’esprit critique”, pour former des citoyens responsables. Il s’agit là aussi d’un véritable poison idéologique. Tout comme l’impérialisme, qu’on le baptise “guerre humanitaire” ou pas, engendre forcément l’horreur et la mort, l’éducation “à la citoyenneté”, “l’instruction civique”, avec ou sans “esprit critique”, borne l’horizon de la pensée et de la réflexion des élèves en les façonnant inexorablement dans le moule des intérêts de la Nation et du capital. C’est d’ailleurs là la force des bourgeoisies les plus expérimentées et sophistiquées, ne pas imposer par la terreur policière brute un mode unique de pensée mais de favoriser un ensemble de débats d’idées “contradictoires” qui toutes s’inscrivent in fine dans le cadre de l’intérêt du système capitaliste et de ses nations respectives.
C’est ce lien inextricable entre la citoyenneté et l’idéologie bourgeoise, dont le nationalisme fait partie intégrante, que la FSU tente de dissimuler derrière ses hypocrites cris d’orfraies clamant son “effarement” et sa prétendue défense de “l’esprit critique”. Ainsi, entre mille exemples, voici un extrait du Bulletin officiel n°26 du 30 juin 2016 qui fonde tout particulièrement “les valeurs” de tout “l’enseignement moral et civique” que ce syndicat tente de défendre : “Les ministres de la Défense, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, (...) déclarent que la compréhension des notions essentielles de défense et de sécurité nationale est indispensable au futur citoyen comme au responsable économique, culturel, social ou environnemental. L’engagement formulé en 1982 par Charles Hernu et Alain Savary, dans le premier protocole “défense éducation nationale”, reste pleinement d’actualité : “La mission de l’éducation nationale est, d’assurer sous la conduite des maîtres et des professeurs, une éducation globale visant à former des futurs citoyens responsables, prêts à contribuer au développement et au rayonnement de leur pays.” (...) L’enseignement de défense et de sécurité nationale, conçu en lien avec la formation à la citoyenneté, est centré sur la défense militaire, qui lui confère sens et visibilité, et concerne l’ensemble des disciplines. Il permet aux élèves de :
- percevoir concrètement les intérêts vitaux ou nécessités stratégiques de la Nation, à travers la présence ou les interventions militaires qu’ils justifient ;
- comprendre le cadre démocratique de l’usage de la force et de l’exercice de la mission de défense dans l’État républicain ;
- appréhender les valeurs inhérentes au métier militaire, à partir de l’étude des aspects techniques. La formation à la citoyenneté et le sens de l’engagement, qui participent au développement de la résilience nationale, figurent dans la définition du “socle commun de connaissances, de compétences et de culture”. (...) Afin d’accroître la portée et l’efficacité de l’enseignement de défense, première étape du “parcours de citoyenneté”, les signataires du présent protocole s’accordent sur la nécessité de sensibiliser aux notions de défense et de sécurité nationale, de façon cohérente et continue, de l’école primaire à l’enseignement supérieur.”
La bourgeoisie est la classe dominante la plus intelligente de l’histoire. Si elle ne se prive pas de la terreur pour maintenir et assurer l’exploitation des ouvriers, l’hypocrisie, la manipulation et le mensonge en sont des piliers tout aussi importants et efficaces. La démocratie, la citoyenneté, le civisme font partie intégrante de l’arsenal idéologique destiné au maintien de l’ordre capitaliste.
Charles, 30 juillet 2017
Nous attirons l’attention de nos lecteurs sur la parution prochaine sur notre site internet d’une prise de position, réalisée dans des conditions très difficiles par la section du CCI au Venezuela, qui cherche à alerter internationalement l’ensemble des prolétaires sur la situation dramatique dans laquelle est plongée la population en général et le prolétariat en particulier de ce pays, pris en otages et exposés à la répression, dans les rivalités sanglantes de cliques bourgeoises.
Comme le soulignent nos camarades d’Internacionalismo dans cet article, les éléments majeurs de cette tragédie sont :
Les salaires ouvriers réduits, leurs prestations sociales amputées ; l’aggravation de la pénurie et du manque d’approvisionnement en nourriture, médicaments et produits de bases dont souffre la population depuis plusieurs années.
A cette situation s’ajoutent plus de 120 morts à ce jour, des milliers de blessés et de détenus, résultats de l’affrontement entre les cliques rivales du capital vénézuélien dans leur lutte pour le pouvoir.
Le désespoir de la population est tel que le nombre de personnes cherchant les moyens de fuir le pays a fortement augmenté. L’augmentation des tensions politiques et l’accentuation de la crise économique menacent de créer une vague de réfugiés semblable à celle produite par les exodes de populations en provenance de Syrie, d’Afghanistan ou de certains pays africains fuyant la barbarie guerrière ou la misère.
Le régime instauré par Chavez est une nouvelle preuve que ni la gauche, ni la droite, ni les secteurs les plus radicaux ne représentent une quelconque issue à l’exploitation et à la barbarie capitaliste, tous doivent être rejetés et combattus consciemment par le prolétariat et les minorités de la classe qui luttent contre l’ordre existant.
Le “socialisme du XXIe siècle” et la prétendue “révolution bolivarienne” n’ont rien à voir avec le socialisme. Il s’agit d’un mouvement patriotique et nationaliste de style stalinien alors que les défenseurs conséquents du socialisme défendent avant tout, à la suite du Manifeste Communiste de 1848, le principe que “les prolétaires n’ont pas de patrie”.
La difficile et dangereuse situation que vit le Venezuela est l’expression de la décomposition du système capitaliste comme un tout, qui s’exprime dans ce pays de manière caricaturale.
L’unique voie de sortie de la situation qui se vit au Venezuela est entre les mains de la classe ouvrière, qui à travers son combat, sa conscience politique, son union et sa solidarité au niveau local comme international, peut canaliser l’indignation et la rage des masses désespérées de la population.
C’est une réalité qu’à l’heure actuelle le prolétariat mondial n’a pas la force de freiner l’avancée de cette barbarie. Cependant, il existe une immense masse de la population qui ne croit plus aux “sorties de crise”. C’est uniquement le prolétariat qui à travers sa lutte consciente et sa solidarité internationale de classe peut arrêter ce drame.
Pour cela, il est urgent que comme minorités révolutionnaires de la classe ouvrière, nous intervenions dans le sens du développement de la conscience et de notre identité de classe : “Ni “socialisme du XXIe siècle”, ni démocratie, ni populisme de droite du style Trump, le prolétariat doit chercher sa propre perspective hors du capitalisme en reprenant le chemin de ses luttes sur son propre terrain de classe.”
Des mouvements de grève ont été déclenchés cet été par les aides-soignants des maisons de retraite dans différents départements : à Brest ou Carhaix, Domme, Bruz et Chateaugiron, Romorantin, Buxy et, en région parisienne, à Argenteuil, à Chatenay-Malabry. Un cas a marqué particulièrement ce mouvement, celui de la maison de retraite des Opalines à Foucherans dans le Jura, un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ayant duré plus de cent jours, la plus longue grève en France dans ce secteur.
Ce qui a surtout déclenché ces différentes grèves, ce sont tant les conditions de travail déplorables des salariés que les conditions de vie indignes des pensionnaires, un mouvement de révolte contre les exigences où il est demandé au personnel de prendre en charge des personnes souvent en souffrance, sans pouvoir prendre le temps de développer de veritables relations empathiques : “trouver la bonne distance, ne pas s’attacher”, recommandent les formateurs. Ceci, alors que les personnes âgées et les soignants développent nécessairement des sentiments vis-à-vis de ceux qui deviennent comme des “proches”.
Soumis à la pression de la direction, l'arme de la culpabilité est exploitée pour accélérer les cadences et tenter de justifier l’injustifiable, par exemple demander aux soignants d’effectuer en “quinze minutes, la toilette, l’habillement, le petit déjeuner et la prise des médicaments”. Les sous-effectifs se traduisent par des toilettes non-faites ou bâclées, l'assistance au repas de cinq à six résidents en même temps, la douche hebdomadaire (sic !) reportée, etc. Tout ceci, par manque de moyens humains et matériels, au détriment des résidents bien sûr, mais aussi de la santé des aides-soignants, eux-mêmes au bord de l’épuisement. Une fatigue physique, nerveuse et morale qui devient insupportable (le jour du départ du mouvement aux “Opalines”, plusieurs d’entre-eux se sont mises à pleurer au moment du changement d’équipe : “c’était un matin comme les autres (…) mais sans doute un matin de trop”, comme l’a écrit dans un article Florence Aubenas.1
Beaucoup de nos politiciens saluent régulièrement avec zèle le travail du personnel de santé et en particulier celui des infirmiers, des aides-soignants, etc… Pourtant tous ces dirigeants savent très bien que “le secteur compte plus d’accidents et de maladies professionnelles que le BTP”. Quel cynisme ! Suite à des grèves dans les hôpitaux publics, voilà ce que disait déjà un ancien Président de la République, François Mitterrand : “Je dirai même que l'une des revendications les plus justes des infirmières, c'est de demander l'accroissement de leur nombre. On manque d'infirmières. Il faut donc en recruter. Le travail qui revient à celles qui sont là est souvent écrasant, les occupe de jour et de nuit. On dit infirmières, on pourrait dire aussi infirmiers et aides-soignants ; c'est un personnel particulièrement exposé auquel on demande beaucoup, auquel on demande souvent trop.” Vingt-cinq ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée. On mesure là toute l'hypocrisie de la bourgeoisie. Dans de nombreux cas, les maisons de retraite publiques ont été privatisées, l’Etat-patron se désengageant pour diminuer ses dépenses et tenter de vendre des services pour trouver de l’argent frais. En fait, lorsque nous écoutons ce que disent les aides-soignants en grève, c’est une partie de “nos vieux” qu'on livre à l'abandon. Alors que, dans de nombreuses sociétés passées, les anciens étaient respectés et soignés comme les autres membres de la communauté (voire mieux et avec plus d’attention), considérant à juste titre qu’ils pouvaient transmettre le savoir, ils deviennent aujourd'hui de véritables parias sans droit à la parole. Leur expérience de la vie est méprisée par une société où seul le profit et la rentabilité immédiate ont voix au chapitre.
Pour pouvoir survivre, le résident doit être solvable, avoir les moyens de payer avec sa retraite. Si cela ne suffit pas, il a l’obligation d’utiliser ses économies, de vendre ses biens et s’en servir pour payer la différence. Seuls ceux qui ne peuvent pas payer du tout reçoivent différentes allocations de misère. Depuis de nombreuses années, investisseurs ou organismes d’investissement placent de l'argent dans les maisons de retraite ou dans les cliniques au même titre que n’importe qu’elle entreprise susceptible d'être rentable. Ils achètent ainsi des parts dans différentes maisons de retraite ou autres organismes de gestion. Il faut donc que le capital investi génère davantage de capital, plus qu'un “retour sur investissement”.
Dans chaque lieu où les aides-soignants ont fait grève, il y avait bien sûr des marques de soutien de la part des personnes concernées, les résidents, mais aussi de la part de la population à travers une aide matérielle (collectes, produits alimentaires, présence physique aux piquets de grève, etc…). Mais les autres salariés de ces maisons de retraite n’avaient pas la force de rejoindre le mouvement, moins encore les travailleurs des autres secteurs implantés autour et qui pourtant subissent, in fine, la même exploitation et ses conséquences toujours inhumaines. Même s’ils ont pu manifester leur accord avec les revendications des aides-soignants, ils ne se sont pas solidarisés de façon active avec eux : c'est-à-dire qu’ils n’ont pas créé un mouvement de solidarité en rejoignant la grève et en arrêtant le travail eux-aussi. Cette lutte est restée, malheureusement, corporatiste et très isolée. Avec l’idée que ceux sont “NOS” problèmes d’aide-soignants de maison de retraite, qu'il faut lutter pour “NOS” conditions de travail, pour “NOS” revendications. Et même si le reste du personnel des maisons de retraite s’était mis en grève, cela n’aurait pas permis d’éviter le piège du corporatisme. Pour être réellement victorieux, un mouvement doit s'étendre et créer un rapport de force. Dans le contexte actuel de faiblesse de la conscience de la classe ouvrière, un tel niveau de prise en charge du combat n'était pas immédiatement réalisable. Mais cela ne doit pas pousser à la résignation. Au contraire, nous savons qu'il est nécessaire de réfléchir plus largement aux conditions qui permettent de créer une dynamique de lutte : comme le fait d’envoyer des délégations massives aux portes des entreprises, appeler à la solidarité active par la lutte. Appeler à se mettre en grève en soutien et élargir les revendications unitaires. Car ce n'est que par la généralisation rapide d’une lutte que nous pouvons être efficaces, prendre conscience de notre force, préparer les luttes futures et faire reculer, même momentanément, les directions ou l’État pour nous permettre de retrouver notre dignité d’ouvriers. Bref, il est nécessaire de renouer avec l'expérience des luttes du mouvement ouvrier, nécessaire de prendre conscience que nous appartenons à une même classe sociale, le prolétariat, porteur d'un futur, d'une autre société.
Ce ne sont pas les deux embauches et la création d’un “observatoire du bien-être des personnels des Ehpad” à l’Ehpad de Foucherans qui permettent “une victoire sur toute la ligne” comme l’a proclamé L’Humanité2 ou “une fin de grève victorieuse” comme l’annonce LO.3 Quand on connaît l’ensemble des revendications non satisfaites, il faut traiter avec le plus grand mépris ceux qui parlent de “victoire” des aides-soignants qui, eux, vont se retrouver exactement face aux mêmes conditions de travail qu’avant leurs cent jours de grève, voire pire.
Bien sûr, si nous reconnaissons que ces ouvriers viennent de connaître une défaite, cela ne nous empêche pas d’abord de saluer leur lutte. Comme nous l’avons dit, le déclenchement de ce mouvement était au départ pour la défense de la dignité humaine, une réaction d’indignation contre ce que le capitalisme cherche à imposer à tous les prolétaires : des conditions de travail inhumaines, des cadences infernales. C’est aussi pour ces raisons d’indignité et du fait du caractère sensible et scandaleux de cette affaire que l’on a si peu entendu parler de ce mouvement dans les médias. Comme a pu titrer cyniquement France-Info : La France n'aime pas ses vieux ! L'exploitation rime bien avec inhumanité et avec rejet de ceux qui ne peuvent plus servir directement l’appareil de production. Les “vieux”, en effet, ne sont pour le capital que des bouches inutiles à nourrir, deviennent des "charges inacceptables" qu'il faut dépouiller au maximum jusqu'à ce qu’ils crèvent.
A l’avenir, il faudra encore et encore rejeter l’immoralité que cherche à nous faire accepter la bourgeoisie. Nous devons retrouver notre dignité, renouer avec notre identité de classe par la lutte. Seuls le combat et la lutte pourront offrir une réelle perspective politique à cette société d'exploitation qui ne mène qu'à la désolation, à la misère et à la destruction.
Joffrey, 5 septembre 2017
1Le Monde du 18 juillet 2017 : “On ne les met pas au lit, on les jette” : enquête sur le quotidien d’une maison de retraite.
2L’Humanité du 28 juillet 2017 : Maison de retraite : 117 jours de grève et une victoire sur toute la ligne.
3Lutte Ouvrière du 2 août 2017 : Opalines de Foucherans : fin de grève victorieuse !
Dans nos discussions, surtout avec de jeunes éléments, nous entendons fréquemment “C’est vrai que ça va très mal, qu’il y a de plus en plus de misère et de guerre, que nos conditions de vie se dégradent, que l’avenir de la planète est menacée. Il faut faire quelque chose, mais quoi ? Une révolution ? Alors ça, c’est de l’utopie, c’est impossible !”. C’est la grande différence entre mai 1968 et aujourd’hui. En 1968, l’idée de révolution était partout présente alors que la crise commençait juste à frapper à nouveau. Aujourd’hui, le constat de la faillite du capitalisme est devenu général mais il existe par contre un grand scepticisme quant à la possibilité de changer le monde. Les termes de communisme, de lutte de classe, résonnent comme un rêve d’un autre temps. Parler de classe ouvrière et de bourgeoisie serait même dépassé.
Or, il existe dans les faits, dans l’histoire, une réponse à ces doutes. Il y a 100 ans, le prolétariat a apporté la preuve, par ses actes, qu’on pouvait changer le monde. La révolution d’Octobre 1917 en Russie, la plus grandiose action des masses exploitées à ce jour, a en effet montré que la révolution n’est pas seulement nécessaire mais qu’elle est aussi possible !
La classe dominante déverse un flot continuel de mensonges sur cet épisode. Les ouvrages comme la Fin d’une illusion ou le Livre noir du communisme ne font que reprendre à leur compte une propagande circulant déjà à l’époque : la révolution n’aurait été qu’un “putsch” des bolcheviks, Lénine aurait été un agent de l’impérialisme allemand, etc. Les bourgeois conçoivent les révolutions ouvrières comme un acte de démence collective, un chaos effrayant qui finit épouvantablement.1 L’idéologie bourgeoise ne peut pas admettre que les exploités puissent agir pour leur propre compte. L’action collective, solidaire et consciente de la majorité travailleuse, est une notion que la pensée bourgeoise considère comme une utopie anti-naturelle.
Pourtant, n’en déplaise à nos exploiteurs, la réalité c’est bien qu’en 1917, la classe ouvrière a su se dresser collectivement et consciemment contre ce système inhumain. Elle a démontré que les ouvriers n’étaient pas des bêtes de somme, juste bons à obéir et à travailler. Au contraire, ces événements révolutionnaires ont révélé les capacités grandioses et souvent même insoupçonnées du prolétariat en libérant un torrent d’énergie créatrice et une prodigieuse dynamique de bouleversement collectif des consciences. John Reed résume ainsi cette vie bouillonnante et intense des prolétaires au cours de l’année 1917 :
“La Russie tout entière apprenait à lire ; elle lisait de la politique, de l’économie, de l’histoire, car le peuple avait besoin de savoir. (...) La soif d’instruction si longtemps refrénée devint avec la révolution un véritable délire. Du seul Institut Smolny sortirent chaque jour, pendant les six premiers mois, des tonnes de littérature, qui par tombereaux et par wagons allaient saturer le pays. (...) Et quel rôle jouait la parole ! On tenait des meetings dans les tranchées, sur les places des villages, dans les fabriques. Quel admirable spectacle que les 40 000 ouvriers de Poutilov allant écouter des orateurs social-démocrates, socialistes-révolutionnaires, anarchistes et autres, également attentifs à tous et indifférents à la longueur des discours pendant des mois, à Pétrograd et dans toute la Russie, chaque coin de rue fut une tribune publique. Dans les trains, dans les tramways, partout jaillissait à l’improviste la discussion. (...) Dans tous les meetings, la proposition de limiter le temps de parole était régulièrement repoussée ; chacun pouvait librement exprimer la pensée qui était en lui.”2 La “démocratie” bourgeoise parle beaucoup de “liberté d’expression” quand l’expérience nous dit que tout en elle, est manipulation, théâtre et lavage de cerveau. L’authentique liberté d’expression est celle que conquièrent les masses ouvrières dans leur action révolutionnaire :
“Dans chaque usine, dans chaque atelier, dans chaque compagnie, dans chaque café, dans chaque canton, même dans les bourgades désertes, la pensée révolutionnaire réalisait un travail silencieux et moléculaire. Partout surgissaient des interprètes des événements, des ouvriers à qui on pouvait demander la vérité sur ce qui s’était passé et de qui on pouvait attendre les mots d’ordre nécessaires. (...) Ces éléments d’expérience, de critique d’initiative, d’abnégation, se développaient dans les masses et constituaient la mécanique interne inaccessible au regard superficiel, cependant décisive, du mouvement révolutionnaire comme processus conscient.”3
Cette capacité de la classe ouvrière à rentrer en lutte collectivement et consciemment n’est pas un miracle soudain, elle est le fruit de nombreuses luttes et d’une longue réflexion souterraine. Marx comparait souvent la classe ouvrière à une vielle taupe creusant lentement son chemin pour surgir plus loin à l’air libre de façon soudaine et impromptue. A travers l’insurrection d’Octobre 1917, apparaît la marque des expériences de la Commune de Paris de 1871 et de la révolution de 1905, des batailles politiques de la Ligue des communistes, des Première et IIe Internationales, de la gauche de Zimmerwald, des Spartakistes en Allemagne et du Parti bolchevik en Russie. La Révolution russe est certes une réponse à la guerre, à la faim et à la barbarie du tsarisme moribond, mais c’est aussi et surtout une réponse consciente, guidée par la continuité historique et mondiale du mouvement prolétarien. Concrètement, les ouvriers russes ont vécu avant l’insurrection victorieuse les grandes luttes de 1898, 1902, la Révolution de 1905 et les batailles de 1912-14.
“Il était nécessaire de compter non avec une quelconque masse, mais avec la masse des ouvriers de Pétrograd et des ouvriers russes en général, qui avaient vécu l’expérience de la Révolution de 1905, l’insurrection de Moscou du mois de décembre de la même année, et il était nécessaire qu’au sein de cette masse, il y eut des ouvriers qui avaient réfléchi sur l’expérience de 1905, qui avaient assimilé la perspective de la révolution, qui s’étaient penchés une douzaine de fois sur la question de l’armée.”4
C’est ainsi qu’Octobre 17 fut le point culminant d’un long processus de prise de conscience des masses ouvrières aboutissant, à la veille de l’insurrection, à une atmosphère profondément fraternelle dans les rangs ouvriers. Cette ambiance est perceptible, presque palpable dans ces quelques lignes de Trotski : “Les masses ressentaient le besoin de se tenir serrées, chacun voulait se contrôler lui-même à travers les autres, et tous, d’un esprit attentif et tendu, cherchaient à voir comment une seule et même pensée se développait dans leur conscience avec ses diverses nuances et caractéristiques. (...) Des mois de vie politique fébrile (...) avaient éduqué des centaines et des milliers d’autodidactes. (...) La masse ne tolérait déjà plus dans son milieu les hésitants, ceux qui doutent, les neutres. Elle s’efforçait de s’emparer de tous, de les attirer, de les convaincre, de les conquérir. Les usines conjointement avec les régiments envoyaient des délégués au front. Les tranchées se liaient avec les ouvriers et les paysans du plus proche arrière-front. Dans les villes de cette zone avaient lieu d’innombrables meetings, conciliabules, conférences, dans lesquels les soldats et les matelots combinaient leur action avec celle des ouvriers et des paysans.”5
Grâce à cette effervescence de débats, les ouvriers purent ainsi effectivement gagner à leur cause les soldats et les paysans. La révolution de 1917 correspond à l’être même du prolétariat, classe exploitée et révolutionnaire à la fois qui ne peut se libérer que si elle est capable d’agir de manière collective et consciente. La lutte révolutionnaire du prolétariat constitue l’unique espoir de libération pour toutes les masses exploitées. La politique bourgeoise est toujours au profit d’une minorité de la société. A l’inverse, la politique du prolétariat ne poursuit pas un bénéfice particulier mais celui de toute l’humanité. “La classe exploitée et opprimée (le prolétariat) ne peut plus se libérer de la classe qui l’exploite et l’opprime (la bourgeoisie), sans libérer en même temps et à tout jamais, la société entière de l’exploitation, de l’oppression et des luttes de classes.”(6
Cette effervescence de discussion, cette soif d’action et de réflexion collective s’est matérialisée très concrètement à travers les soviets (ou conseils ouvriers), permettant aux ouvriers de s’organiser et de lutter comme une classe unie et solidaire.
La journée du 22 octobre, appelée par le Soviet de Petrograd, scella définitivement l’insurrection : des meetings et des assemblées se tinrent dans tous les quartiers, dans toutes les usines, et ils furent massivement d’accord : “A bas Kerenski !”7, “Tout le pouvoir aux Soviets !”. Ce ne furent pas seulement les bolcheviks, mais tout le prolétariat de Petrograd qui décida et exécuta l’insurrection. Ce fut un acte gigantesque dans lequel les ouvriers, les employés, les soldats, de nombreux cosaques, des femmes, des enfants, marquèrent ouvertement leur engagement.
“L’insurrection fut décidée, pour ainsi dire, pour une date fixée : le 25 octobre. Elle ne fut pas fixée par une réunion secrète, mais ouvertement et publiquement, et la révolution triomphante eut lieu précisément le 25 octobre (6 novembre dans le calendrier russe) comme il était prévu d’avance. L’histoire universelle a connu un grand nombre de révoltes et de révolutions : mais nous y chercherions en vain une autre insurrection d’une classe opprimée qui ait été fixée à l’avance et publiquement, pour une date annoncée, et qui ait été accomplie victorieusement, le jour annoncé. En ce sens et en de nombreux autres, la révolution de novembre est unique et incomparable.”8
Dans toute la Russie, bien au delà de Petrograd, une infinité de soviets locaux appelaient à la prise du pouvoir ou le prenaient effectivement, faisant triompher partout l’insurrection. Le parti bolchevik savait parfaitement que la révolution n’était l’affaire ni du seul parti ni des seuls ouvriers de Petrograd mais du prolétariat tout entier. Les événements ont prouvé que Lénine et Trotski avaient raison de mettre en avant que les soviets, dès leur surgissement spontané dans les grèves de masse de 1905, représentaient la “forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat”. En 1917, cette organisation unitaire de l’ensemble de la classe en lutte joua, à travers la généralisation d’assemblées souveraines et sa centralisation par délégués éligibles et révocables à tout moment, un rôle politique essentiel et déterminant dans la prise de pouvoir, alors que les syndicats n’y jouèrent aucun rôle.
Aux côtés des soviets, une autre forme d’organisation de la classe ouvrière joua un rôle fondamental et même vital pour la victoire de l’insurrection : le parti bolchevik. Si les soviets permirent à toute la classe ouvrière de lutter collectivement, le parti (représentant quant à lui la fraction la plus consciente et déterminée) eut pour rôle de participer activement au combat, de favoriser le développement le plus large et profond de la conscience et d’orienter de façon décisive (par des mots d’ordre) l’activité de la classe. Ce sont les masses qui prennent le pouvoir, ce sont les soviets qui assurent l’organisation mais le parti de classe est une arme indispensable à la lutte. En juillet 1917, c’est le parti qui épargnait à la classe une défaite décisive.9 En octobre 1917, c’est encore lui qui mit la classe sur le chemin du pouvoir. Par contre, la révolution d’octobre a montré de façon vivante que le parti ne peut et ne doit pas remplacer les soviets : s’il est indispensable que le parti assume la direction politique autant dans la lutte pour le pouvoir que dans la dictature du prolétariat, ce n’est pas sa tâche de prendre le pouvoir. Celui-ci doit rester dans les mains non d’une minorité (aussi consciente et dévouée soit-elle) mais de toute la classe ouvrière à travers le seul organisme qui la représente comme un tout : les soviets. Sur ce point, la révolution russe fut une douloureuse expérience puisque le parti étouffa peu à peu la vie et l’effervescence des conseils ouvriers. Mais sur cette question, ni Lénine et les autres bolcheviks, ni les Spartakistes en Allemagne n’étaient complètement clairs en 1917 et ils ne pouvaient pas l’être. Il ne faut pas oublier qu’octobre 1917 est la première expérience pour la classe ouvrière d’une insurrection victorieuse à l’échelle de tout un pays !
“La Révolution russe n’est qu’un détachement de l’armée socialiste mondiale, et le succès et le triomphe de la révolution que nous avons accomplie dépendent de l’action de cette armée. C’est un fait que personne parmi nous n’oublie (...). Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et prémisse fondamentale, l’intervention unie des ouvriers du monde entier” (Lénine, 23 juillet 1918).
Pour les bolcheviks, il était clair que la Révolution russe n’était que le premier acte de la révolution internationale. L’insurrection d’octobre 1917 constituait de fait le poste le plus avancé d’une vague révolutionnaire mondiale, le prolétariat livrant des combats titanesques qui ont failli venir réellement à bout du capitalisme. En 1917, il renverse le pouvoir bourgeois en Russie. Entre 1918 et 1923, il mène de multiples assauts dans le principal pays européen, l’Allemagne. Rapidement, cette vague révolutionnaire se répercute dans toutes les parties du monde. Partout où il existe une classe ouvrière développée, les prolétaires se dressent et se battent contre leurs exploiteurs : de l’Italie au Canada, de la Hongrie à la Chine.
Cette unité et cet élan de la classe ouvrière à l’échelle internationale ne sont pas apparus par hasard. Ce sentiment commun d’appartenir partout à la même classe et au même combat correspond à l’être même du prolétariat. Quel que soit le pays, la classe ouvrière est sous le même joug de l’exploitation, a en face d’elle la même classe dominante et le même système d’exploitation. Cette classe d’exploitée forme une chaîne traversant les continents, chaque victoire ou défaite de l’une de ses parties touche inexorablement l’ensemble. C’est pourquoi la théorie communiste a placé depuis ses origines l’internationalisme prolétarien, la solidarité de tous les ouvriers du monde, à la tête de ses principes. “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous”, tel était le mot d’ordre du Manifeste communiste rédigé par Marx et Engels. Ce même manifeste affirmait clairement que “les prolétaires n’ont pas de patrie”. La révolution du prolétariat, qui seule peut mettre fin à l’exploitation capitaliste et à toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme, ne peut avoir lieu qu’à l’échelle internationale. C’est bien cette réalité qui était exprimée avec force dès 1847 : “La révolution communiste (...) ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés (...). Elle exercera également sur tous les autres pays du globe une répercussion considérable et elle transformera complètement et accélérera le cours de leur développement. Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel.”10
La dimension internationale de la vague révolutionnaire des années 1910-1920 prouve que l’internationalisme prolétarien n’est pas un beau et grand principe abstrait mais qu’il est au contraire une réalité réelle et tangible. Face au nationalisme sanguinaire et viscéral des bourgeoisies se vautrant dans la barbarie de la Première Guerre mondiale, la classe ouvrière a opposé sa lutte et sa solidarité internationale. “Il n’y a pas de socialisme en dehors de la solidarité internationale du prolétariat”, tel était le message fort et clair des tracts circulant dans les usines en Allemagne.11 La victoire de l’insurrection d’octobre 1917 puis la menace de l’extension de la révolution en Allemagne a contraint les bourgeoisies à mettre un terme à la première boucherie mondiale, à cet ignoble bain de sang. En effet, la classe dominante a dû faire taire ses antagonismes impérialistes qui la déchiraient depuis quatre années afin d’opposer un front uni et endiguer la vague révolutionnaire.
La vague révolutionnaire du siècle dernier a été le point culminant atteint par l’humanité jusqu’à ce jour. Au nationalisme et à la guerre, à l’exploitation et à la misère du monde capitaliste, le prolétariat a su ouvrir une autre perspective, sa perspective : l’internationalisme et la solidarité de toutes les masses opprimées. La vague d’Octobre 17 a ainsi prouvé la force de la classe ouvrière. Pour la première fois, une classe exploitée a eu le courage et la capacité de saisir le pouvoir des mains des exploiteurs et d’inaugurer la révolution prolétarienne mondiale ! Même si la révolution devait être bientôt défaite, à Berlin, à Budapest et à Turin et bien que le prolétariat russe et mondial ait dû payer cette défaite d’un prix terrible (les horreurs de la contre-révolution stalinienne, une deuxième guerre mondiale et toute la barbarie qui n’a cessé depuis), la bourgeoisie n’a toujours pas été capable d’effacer complètement de la mémoire ouvrière cet événement exaltant et ses leçons. L’ampleur des falsifications de la bourgeoisie sur Octobre 17 est à la mesure des frayeurs qu’elle a éprouvées. La mémoire d’octobre est là pour rappeler au prolétariat que le destin de l’humanité repose entre ses mains et qu’il est capable d’accomplir cette tâche grandiose. La révolution internationale représente plus que jamais l’avenir !
Pascale
1 Le dessin animé de Don Bluth et Gary Goldman nommé Anastasia qui présente la Révolution russe comme un coup de Raspoutine ayant jeté un sort maléfique et démoniaque au peuple russe en est une caricature très grossière mais aussi très révélatrice !
2 John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde.
3 Trotski, Histoire de la Révolution russe, chap. “Regroupement dans les masses”.
4 Trotski, Ibid., chap. “Le paradoxe de la révolution de février”.
5 Trotski, Ibid., chap. “La sortie du pré-parlement”.
6 Engels, “Préface de 1883” au Manifeste communiste.
7 Chef du gouvernement provisoire bourgeois formé depuis Février.
8 Trotski, La Révolution de novembre.
9 Lire notre article : Les journées de juillet : le rôle indispensable du parti.
10 F. Engels, Principes du communisme.
11 Formule de Rosa Luxemburg dans La crise de la sociale-démocratie, reprise par de très nombreux tracts spartakistes.
En Espagne, le prolétariat est aujourd’hui piégé dans un faux choix mortel : nationalisme espagnol ou nationalisme catalan. Il y a tout juste 6 ans, lors du mouvement des Indignés en 2011, de Madrid à Barcelone, les assemblées n’étaient pas couvertes de drapeaux patriotiques. Au contraire ! Les débats étaient traversés d’un sentiment international, d’une ouverture sur le monde, d’une préoccupation pour l’avenir de toute l’humanité, d’une volonté d’étendre une seule et même lutte par-delà les frontières. Les événements actuels en Espagne sont donc la marque d’une profonde régression de la conscience ouvrière, du repli, de la peur et de la division. C’est un coup porté au prolétariat dans tous les pays. Face à cette dynamique dangereuse, il est impératif de réaffirmer que les prolétaires n’ont pas de patrie ! Ni l’Espagne, ni la Catalogne ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! C’est ce qu’a fait Acción Prolétaria, section du CCI en Espagne, en diffusant dès le lendemain du référendum du 1er octobre le tract dont nous publions la traduction ci-dessous.
Le 1er octobre dernier, les masses populaires conduites par les indépendantistes catalans à la farce du référendum ont été brutalement frappées par la répression du gouvernement espagnol. Les fractions rivales se sont drapées dans le manteau de la démocratie pour mieux justifier, pour les unes, la répression et, pour les autres, le vote. Les catalanistes se sont présentés comme les victimes de la répression pour mettre en avant leur revendication d’indépendance. Le gouvernement Rajoy a justifié sa barbarie répressive au nom de la défense de la Constitution et des droits démocratiques de tous les Espagnols. Les partis “neutres” (Podemos, le parti d’Ada Colau(1), etc.) ont invoqué la démocratie pour s’en prendre à Rajoy et le sommer de “trouver une solution” au conflit catalan.
Nous voulons dénoncer ce piège créé par la lutte entre fractions du capital qui pousse à choisir entre, d’un côté, l’escroquerie d’un référendum truqué et, de l’autre, la répression brutale du gouvernement espagnol. Des deux côtés, c’est la classe ouvrière et tous les exploités qui en sont les victimes.
Tous nous présentent la démocratie comme le Bien suprême. Cependant, ils veulent nous faire oublier que derrière le masque de la démocratie se cache l’État totalitaire. Tout autant que les régimes militaires ou de Parti unique, l’État démocratique est la dictature exclusive du capital qui impose au nom du vote populaire ses intérêts et ses visées contre l’intérêt de tous les exploités et de tous les opprimés.
Pendant la Première Guerre mondiale, avec ses 20 millions de morts, toutes les puissances ont justifié leur barbarie au nom de la défense de la démocratie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, bien que le camp nazi des vaincus ait installé un régime de terreur qui s’appuyait sur des idéologies ouvertement réactionnaires comme “la suprématie de la race aryenne”, le camp des vainqueurs qui rassemblait non seulement les puissances démocratiques mais aussi le brutal régime stalinien de l’URSS s’est paré des atours de la démocratie pour justifier sa participation à une barbarie qui s’est soldée par 60 millions de morts, y compris l’utilisation directe de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki. C’est au nom de la défense de la démocratie que la République espagnole a également réussi à embrigader ouvriers et paysans dans le terrible massacre qu’a représenté la guerre civile de 1936 entre les deux fractions de la bourgeoisie (républicaine et franquiste) qui a fait un million de morts.
C’est au nom de la démocratie, en utilisant le régime constitutionnel de 1978 que tous, les franquistes à la façade ravalée comme les champions de la démocratie, nous ont imposé une dégradation inexorable de nos conditions de vie et de travail qui nous a conduits à la situation actuelle où l’emploi stable a été remplacé par la précarité généralisée. A cette dégradation ont contribué aussi bien les dirigeants nationalistes catalans que les dirigeants nationalistes espagnols. Souvenons-nous que le gouvernement autonome d’Artur Mas en 2011-2012 fut le pionnier des coupes claires taillées dans le secteur de la santé, de l’éducation, dans les allocations chômage, etc., et que ces mesures ont été ensuite généralisées à toute l’Espagne par le gouvernement Rajoy !
Dirigeants espagnols comme catalans ont les mains tâchées du sang de leur répression des luttes ouvrières. La démocratie a débuté dans l’Espagne postfranquiste avec la mort de cinq ouvriers au cours de la grève massive de Vitoria en 1976. Sous le gouvernement “socialiste” de Felipe Gonzalez, trois ouvriers furent assassinés au cours de luttes à Gijon, Bilbao et Reinosa. Le gouvernement autonome catalan d’Artur Mas a déchaîné une brutale répression contre les assemblées générales des Indignados faisant cent blessés. Auparavant, en 1934, ses actuels partenaires de l’ERC(2) avaient organisé une milice (les Escamots) spécialisée dans la torture des militants ouvriers.
Et tous se permettent d’enfreindre leurs propres règles démocratiques qu’ils proclament être leur idéal. On a vu la fraction catalaniste imposer de force grâce à un traficotage parlementaire sa procédure pour l’indépendance avec ses urnes bourrées, remplies jusqu’à ras bord de bulletins en faveur du “oui”.
Au nom de la sacro-sainte démocratie se livre une guerre à mort autour d’un autre pilier de la domination capitaliste : la Nation. La Nation n’est pas le regroupement “fraternel” de tous ceux nés sur un même territoire, mais elle est la propriété privée de l’ensemble des capitalistes d’un pays qui organisent à travers l’État l’exploitation et l’oppression de tous leurs assujettis. Les aspirants à une nouvelle “mère patrie”, les indépendantistes catalans, se présentent comme des victimes de la barbarie de leurs rivaux et prétendent que “Madrid nous vole” pour mobiliser de la chair à canon au nom de la “défense d’une véritable démocratie”. Leur “véritable démocratie” consiste dans l’exclusion de ceux qui ne sont pas en communion avec leurs objectifs. Le harcèlement de ceux qui ne vont pas voter, les fichages et les heurts vis-à-vis des non-adeptes de leur cause, le chantage moral envers ceux qui, simplement, veulent garder un esprit critique. Dans toutes les zones sous leur coupe, ils ont imposé la dictature de leurs associations “citoyennes” et, avec les armes de l’insulte, de la calomnie, de l’ostracisme, du harcèlement, du contrôle, ils essaient “d’homogénéiser” la population autour de la Catalogne. Avec un culot chaque fois plus insolent, les groupes indépendantistes déploient des méthodes nazies et théorisent la “pureté” de la “race catalane”.
De leur côté, les démocrates nationalistes espagnols ne sont pas en reste. La haine contre les catalans, la manœuvre de déplacement du siège de grandes entreprises hors de la Catalogne, les mobilisations soi-disant “spontanées” en faveur des forces de répression encouragées par le cri barbare : “Allez-y, on se les fait !” qui rappelle le sinistre : “Allez l’ETA(3), tuez-les !” des nationalistes basques, l’appel à accrocher aux fenêtres des drapeaux sang et or aux couleurs de l’Espagne, tout cela montre le déchaînement de la bête fauve de sinistre mémoire qui, avec le franquisme, a servi de levier pour installer un régime de terreur.
Ce que les deux bandes rivales partagent, c’est l’exclusion et la xénophobie, ainsi toutes deux se rejoignent dans une même haine du migrant, le même mépris envers les travailleurs arabes, latino-américains ou asiatiques, avec leurs slogans répugnants : “ils nous enlèvent le pain de la bouche”, “ils volent nos emplois”, “ils allongent les queues aux portes des services de Santé”, etc., alors que c’est la crise du capitalisme et l’incapacité de ses États, que ce soit celui de l’Espagne ou de la Généralité de Catalogne, qui sont responsables de la dégradation des conditions de vie de tous et qui poussent des milliers de jeunes vers une nouvelle vague d’émigration qui rappelle celle des années 1950-1960, à l’époque franquiste.
Au milieu de cette sauvage confrontation, les “neutres” du parti Podemos et du parti d’Ana Colau tentent de nous faire croire que la démocratie avec son fameux “droit de décider par nous-mêmes” serait le remède qui permettrait la négociation et une “issue citoyenne”. Dans ce concert d’illusions dont on nous berce, est apparue une initiative : “Parlons ensemble” qui veut mettre de côté les deux drapeaux nationaux (celui de l’Espagne et celui de la Catalogne) pour lever le “drapeau blanc” du dialogue et de la démocratie.
Le prolétariat et tous les exploités ne peuvent pas se faire d’illusions. Le conflit qui a germé en Catalogne est du même acabit que les conflits populistes et aventuristes qui ont amené au Brexit en Grande-Bretagne ou à l’intronisation d’un fou irresponsable, Trump, à la tête de la première puissance mondiale. C’est l’expression de la dégénérescence et de la décomposition qui provoque l’aggravation d’une crise, non seulement économique mais également politique au sein des différents États capitalistes.
Pour le capitalisme actuel “tout va bien dans le meilleur des mondes”, “nous allons sortir de la crise”, grâce aux “progrès technologiques” et au dynamisme mondial. Mais, sous cette couche superficielle de vernis brillant, ce qui mûrit souterrainement avec chaque fois plus de force, c’est la violence des contradictions du capitalisme, la guerre impérialiste, la destruction de l’environnement, la barbarie morale, les tendances centrifuges au chacun pour soi sur lesquelles s’appuient (en même temps qu’ils la nourrissent de plus belle) la prolifération de conceptions et d’actions xénophobes, d’exclusions endogamiques.
Ce volcan sur lequel nous dansons est entré en éruption à maintes reprises, comme récemment en Extrême-Orient avec le danger de guerre entre la Corée du Nord et les États-Unis, mais il se manifeste aussi à travers le conflit catalan. Sous une forme apparemment civilisée et démocratique, entrecoupée de prétendues “négociations” et de “trêves”, la situation va en se dégradant progressivement et fait courir le risque de s’enkyster et de devenir insoluble, ce qui ne peut qu’engendrer des tensions chaque fois plus brutales. Même, si jusqu’à présent, il n’y a pas eu de morts, le danger encouru est chaque fois plus grand. Un climat social de fracture, d’affrontements violents et d’intimidation est en train de s’enraciner dans toute la société, non seulement en Catalogne, mais dans toute l’Espagne. D’ores et déjà, est en train de croître le nombre de personnes qui, ne pouvant plus supporter leur situation, abandonnent leurs amis, leurs enfants, leur travail…
Ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux, c’est ce que, face à la barbarie de la Première Guerre mondiale, en 1915, décrivait la révolutionnaire Rosa Luxemburg de manière profonde et prophétique : “Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”.(4)
Le danger pour le prolétariat et pour le futur de l’humanité, c’est de rester coincé dans cette atmosphère suffocante générée par l’imbroglio catalan qui pousse à ce que les sentiments, les aspirations, les réflexions ne gravitent plus autour de : quel futur est possible pour l’humanité ? Quelle réponse donner à la précarité et aux salaires de misère ? Quelle issue existe face la dégradation générale des conditions de vie ? Mais, au contraire, cela polarise l’attention sur le choix entre l’Espagne et la Catalogne, sur la Constitution, sur le droit à l’autodétermination, sur la nation,... c’est-à-dire sur les facteurs qui ont précisément contribué à nous mener dans la situation actuelle et qui menacent de les porter à leur paroxysme.
Nous sommes conscients de l’état de faiblesse que traverse aujourd’hui le prolétariat, cependant cela ne nous empêche pas de reconnaître que c’est seulement de sa lutte autonome comme classe que peut émerger une solution. La contribution à cette orientation exige de s’opposer aujourd’hui à la mobilisation en faveur de la démocratie, au faux choix entre Espagne et Catalogne, au terrain national. La lutte du prolétariat et l’avenir de l’humanité ne peuvent être réglés seulement qu’en dehors et contre ces terrains pourris que sont la démocratie et la Nation.
CCI, 9 octobre 2017
1) Maire de Barcelone depuis mai 2015, Ada Colau a été élue à la tête d’une coalition Barcelona en Comú (BC) rassemblant divers “mouvements citoyens” catalans (Esquerra Unida i Alternativa, y compris le Parti Communiste Catalan, Verts, Democratia Real Ya !, entre autres) se présentant comme défenseur des droits sociaux, de la démocratie et des intérêts de la Catalogne.
2) Ezquerra Republicana de Catalunya (Gauche républicaine de Catalogne).
3) Euskadi Ta Askatasuna : branche armée du nationalisme basque, responsable d’attentats terroristes, d’assassinats, d’enlèvements, de séquestrations qui ont fait plus de 800 morts, civils comme militaires depuis les années 1960. En contrepartie, l’État central a créé les Groupes antiterroristes de libération (GAL), auteurs de nombreux attentats et assassinats entre 1983 et 1987 dont certains visaient à provoquer la terreur contre des civils et qui avaient pour but d’éradiquer les militants (ou supposé tels) d’ETA.
4) La Crise de la Social-démocratie – Brochure de Junius, chapitre 1 : Socialisme ou barbarie ?
Si le XXème siècle a été le plus barbare de l’histoire, avec ses deux Guerres mondiales et son cortège de conflits faisant de la guerre impérialiste une réalité permanente et débouchant sur l’ère terrifiante de l’arme atomique, le nouveau siècle prolonge ce sinistre héritage de nouvelles souffrances.
Dans ce contexte général de terreur et de barbarie, la nouvelle polarisation autour de l’arme atomique nord-coréenne, l’escalade des provocations et des insultes incarnées par le duel de personnalités politiques grotesques, Trump et Kim Jong-un, semblant interpréter une sorte de comédie ridicule dont l’improvisation expose les populations civiles au risque toujours possible d’un dérapage nucléaire, constituent les éléments formant la loupe grossissante de ce vers quoi nous conduit le monde capitaliste : la destruction de l’humanité.
Que ce soit en Corée ou en Europe occidentale, indépendamment des cliques au pouvoir ou de la personnalité des dirigeants, c’est exactement le même système économique, le même mode de production qui est à l’œuvre au sein des États.1 Partout, il ne fait que générer les pires maux : misère et pauvreté, précarité, exploitation forcenée, chômage massif, désastres écologiques et massacres en tous genres. Partout dans le monde, les populations civiles et en particulier les prolétaires sont exposés à l’insécurité croissante du monde. Si, en Corée du Nord et en Asie, la peur de la menace nucléaire est plus palpable au niveau local, en Europe occidentale, comme c’est le cas dans d’autres régions du monde déjà en guerre, le terrorisme est devenu une menace permanente qui dresse son épée de Damoclès au-dessus de chacune de nos têtes. Comme toujours, c’est encore le prolétariat qui est l’otage de la classe dominante et qui fait les frais de son système et de sa terreur, de l’irrationalité de son engrenage guerrier. Si le système économique est partout identique, il exploite une même classe sociale au niveau international. Ainsi, dans les deux Corées, en Asie ou ailleurs, qu’ils soient réfugiés, sur le chemin de l’exil ou dans leur lieu d’exploitation, tous nos frères de classe sont attaqués en permanence et subissent un sort qui nous est finalement commun. C’est cette condition d’exploités au niveau international qui fait la réalité de notre unité, au-delà des divisions et des frontières nationales qui ont été dressées par la bourgeoisie et son histoire, au-delà des murs et des barbelés qu’elle continue de dresser entre les uns et les autres, entre frères de classe.
Il est vital de lutter fermement pour défendre l’unité du prolétariat en permanence attaquée, développer ses seules armes : la solidarité et la conscience de classe. C’est en cela, par exemple, que nous nous sentons pleinement solidaires de la déclaration internationaliste des camarades de Corée du Sud que nous publions dans ce numéro (voir page 4). Même si nous ne partageons pas tout ce qu’ils écrivent, notre premier devoir est de les soutenir pour défendre ce combat commun, celui d’une même classe. Ceci est d’autant plus important que la pression du nationalisme qui s’exerce partout dans le monde est particulièrement forte dans les pays de la périphérie du capitalisme. La déclaration des camarades en Corée du Sud est à ce titre d’autant plus courageuse. Ce danger du nationalisme, répétons-le, est une véritable menace pour la classe ouvrière, y compris en Europe occidentale où les divisions et pressions nationales s’exacerbent également, même si cela n’est pas au même niveau et sur le même plan. Ainsi, au sein même des États les plus faibles de la zone euro, par exemple, la gangrène de la fragmentation régionaliste s’installe progressivement et le poison du nationalisme croît. Si cela se vérifie de manière spectaculaire en Catalogne (voir notre article ci-dessous), on retrouve ces mêmes tendances centrifuges plus insidieuses ou embryonnaires, expressions de la phase de décomposition du capitalisme, en Italie, avec le cas des consultations sur l’autonomie régionale en Vénétie ou en Lombardie.
Ce que nous enseigne l’histoire, comme toute l’expérience du mouvement ouvrier, c’est que la seule force capable de s’opposer à cette barbarie, c’est la solidarité et l’unité du prolétariat en lutte. Durant la Première Guerre mondiale, par exemple, le ras-le-bol et le rejet de la boucherie poussèrent le prolétariat à la rébellion, à fraterniser un peu partout sur les fronts, montrant ainsi la réalité de sa force sociale et historique, sa capacité à développer sa solidarité et son unité par-delà les frontières. Et c’est ce qui poussera les bourgeoisies rivales de l’époque à mettre fin à la guerre pour lutter contre la “menace bolchevique” et la vague révolutionnaire qui déferla en Europe notamment, dont le point le plus élevé sera la prise du pouvoir en Octobre 1917 en Russie au terme d’un combat révolutionnaire héroïque (voir notre Manifeste page 8) qui fera trembler la bourgeoisie du monde entier jusqu’au milieu des années 1920. La lutte du prolétariat était bel et bien dirigée contre le système et sa guerre et non simplement contre les seuls excès du commandement militaire : “quant à la thèse officielle des hommes politiques, comme des historiens aux ordres, affirmant que les révoltes de 1917 étaient dirigées contre un commandement incompétent, elle a du mal à résister au fait que c’est dans les deux camps et sur la plupart des fronts qu’elles se sont produites : faut-il croire que la Première Guerre mondiale n’a été conduite que par des incapables ? Qui plus est, ces révoltes se sont produites alors que dans les autres pays on commençait à avoir des nouvelles de la révolution de février en Russie.2 En fait, ce que la bourgeoisie essaie de masquer, c’est le contenu prolétarien indiscutable des mutineries et le fait que la seule véritable opposition à la guerre ne peut provenir que de la classe ouvrière”.3
Aujourd’hui, les organisations révolutionnaires ont la responsabilité majeure de s’appuyer sur les leçons du passé et de comprendre les enjeux de la période historique pour permettre une véritable riposte contre le système d’exploitation et ses terribles menaces. Face aux attaques massives et aux destructions en cours, la seule réponse possible, il n’y en a pas d’autre, c’est d’engager une lutte consciente, solidaire et déterminée pour défendre nos conditions de vie et le futur de nos enfants. Si ce combat doit bien être celui de toute la classe ouvrière mondiale, revient aux prolétaires des pays centraux du capitalisme, d’Europe occidentale notamment, à travers leur expérience historique du combat prolétarien comme des pièges tendus par la bourgeoisie, la responsabilité de montrer le chemin de ce combat vital. Les révolutionnaires se doivent de lutter pour cela, avec un même objectif, celui de défendre le programme politique du prolétariat et le mot d’ordre plus actuel et nécessaire que jamais du Manifeste communiste : “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous” !
WH, 24 octobre 2017
1 La Corée du Nord, pays prétendument “communiste”, n’est d’ailleurs que la caricature extrême du capitalisme d’État de type stalinien
2 Suite aux mutineries de l’armée française, une dizaine de milliers de soldats russes qui combattaient sur le front occidental aux côtés des soldats français ont été retirés du front et isolés jusqu’à la fin de la guerre dans le camp de La Courtine. Il ne fallait pas que l’enthousiasme qu’ils manifestaient pour la révolution qui se développait dans leur pays vienne contaminer les soldats français.
31918 - 1919 : la révolution prolétarienne met fin à la guerre impérialiste, Revue Internationale n°96, 1er trimestre 1999.
Les différents courants socialistes en France vont se retrouver confrontés à deux épreuves majeures à la fin du XIXe siècle qui vont les diviser profondément, comme l’ensemble du mouvement ouvrier, et qui constitueront dans ce pays les principaux obstacles à leur unification organisationnelle recherchée par la Deuxième Internationale : l’Affaire Dreyfus et l’entrée du député socialiste Millerand dans le gouvernement.
L’Affaire Dreyfus a profondément divisé la bourgeoisie française pendant douze ans entre “dreyfusards” et “antidreyfusards”. La condamnation, fin 1894, du capitaine Dreyfus accusé d’espionnage était un complot judiciaire manigancé par le haut état-major et le ministère de la Guerre dans un contexte particulièrement propice à l’antisémitisme et à la haine de l’Empire allemand, suite à l’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1871. L’affaire rencontra au départ un écho limité, avant qu’en 1898 l’acquittement du véritable coupable et la publication d’un pamphlet dreyfusard par Emile Zola, J’accuse, provoquent une succession de crises politiques et sociales. L’affaire révéla les clivages de la France de la Troisième République, où l’opposition entre les deux camps suscita de très violentes polémiques nationalistes et antisémites, diffusées par une presse influente. Elle ne s’acheva véritablement qu’en 1906, par un arrêt de la Cour de Cassation qui innocenta et réhabilita définitivement Dreyfus.
Mais cet événement affecta également les rangs des socialistes. Avec raison, Jaurès se lança (et lança les socialistes) dans la défense de Dreyfus au nom de la défense des valeurs intellectuelles et morales du prolétariat : “[Le Parti socialiste] défend non seulement les intérêts matériels et immédiats de la classe ouvrière dans la société capitaliste, mais aussi et surtout ses intérêts généraux et permanents, ses intérêts sociaux, politiques et moraux. Il veut son émancipation intégrale. Il l’élève au-dessus de sa condition de classe exploitée pour lui conquérir celle d’une classe d’avant-garde, d’une classe révolutionnaire”.
Alors que Jaurès soutint que le parti devait se mobiliser pour la défense de Dreyfus et y engager l’ensemble du prolétariat contre l’aile la plus réactionnaire de la bourgeoisie, Guesde et le POF, après avoir un temps soutenu Jaurès contre la droite du parti soucieuse de ne pas perdre des députés aux élections suivantes, finit par prôner la neutralité du prolétariat et du parti en affirmant que ce n’était pas l’affaire du prolétariat de soutenir un camp contre l’autre mais celle de la bourgeoisie, que ni l’un ni l’autre n’ont à s’engager et ont tout à perdre sur un terrain étranger à la classe ouvrière. Guesde entreprit un long combat polémique contre les positions de Jaurès : “La lutte de classe (…) doit être (…) la règle de nos agissements. (…) C’est le terrain exclusif sur lequel nous nous plaçons. (…) Nous ne pouvons reconnaître à la bourgeoisie, lorsqu’une injustice frappe un des siens, le droit de s’adresser au prolétariat, de lui demander de cesser d’être lui-même, de combattre son propre combat, pour se mettre à la remorque des dirigeants les plus compromettants et les plus compromis”.1
Mais cette polémique pris rapidement de l’ampleur et une autre dimension à travers le développement et les implications du “cas” Millerand, encore beaucoup plus sérieuses et déterminantes pour les socialistes. Dès le lendemain de l’entrée individuelle du député socialiste Millerand (qui deviendra par la suite président de la République de 1920 à 1924) dans le gouvernement de Waldeck-Rousseau en juin 1899, aux côtés d’un des pires massacreurs de la Commune, le général de Galliffet. Guesde, Lafargue et Vaillant furent parmi les signataires d’un manifeste adressé aux ouvriers : “Le Parti socialiste, parti de classe, ne saurait devenir, sous peine de suicide, un parti ministériel. Il n’a pas à partager le pouvoir avec la bourgeoisie, dans les mains de laquelle l’État ne peut être qu’un instrument de conservation et d’oppression sociale. (…) Parti d’opposition nous sommes, parti d’opposition, nous devons rester, n’envoyant les nôtres dans les Parlements et autres assemblées électives qu’à l’état d’ennemis, pour combattre la classe ennemie et ses divers représentants politiques”. Guesde défendit avec passion l’idée d’un lien entre le positionnement dans l’Affaire Dreyfus et la complaisance du parti envers le “ministérialisme” de Millerand en affirmant qu’il y avait une continuité dans la dérive : “Pour une œuvre de justice et de réparation individuelle, il s’est mêlé à la classe ennemie, et le voilà maintenant entraîné à faire gouvernement commun avec cette classe”, et insista sur le fait que l’“unité socialiste (...) serait brisée à tout jamais le jour où (...) vous subordonneriez votre action à un morceau de la classe ennemie, qui ne saurait se joindre à nous que pour nous arracher à notre véritable et nécessaire champ de bataille. La Révolution qui vous incombe n’est possible que dans la mesure où vous resterez vous-mêmes, classe contre classe, ne connaissant pas et ne voulant pas connaître les divisions qui peuvent exister dans le monde capitaliste”.
Rosa Luxemburg critiqua, sans toutefois les désigner, l’erreur de méthode dans la position de Guesde et du POF qui, au nom des principes, poussait le prolétariat à se désintéresser de ce qui se passait au sein de la bourgeoisie et des rapports de forces qui pouvaient exister entre ses fractions. Elle affirma par rapport à l’attitude du parti vis-à-vis de l’Affaire Dreyfus que “Jaurès avait raison”. Mais elle soutint également les prises de position de Guesde et du POF pour condamner la complaisance et la dérive dangereuse de Jaurès et d’une grande partie du courant socialiste envers l’entrée de Millerand au sein d’un gouvernement bourgeois. Comme le souligne Rosa Luxemburg le danger majeur d’une telle participation était qu’elle engageait la responsabilité des socialistes dans les agissements de ce gouvernement. La participation d’un socialiste au gouvernement encouragea finalement davantage la bourgeoisie à agir de la manière la plus brutale contre les ouvriers en grève et à recourir en toute occasion à la force armée.
La détermination de Guesde à défendre le point de vue révolutionnaire dans le parti face au cas Millerand permit un ressaisissement du POF lui aussi infecté par le réformisme et le révisionnisme. Mais la confrontation entre Jaurès et ses alliés, d’un côté, et les partisans de Guesde déboucha sur une fracture qui compromit la dynamique unitaire des socialistes français recherchée par la Deuxième Internationale. Cette division éclata au premier congrès de 1899 à Paris qui devait rassembler toutes les tendances en vue d’un regroupement ; en fait ce congrès houleux a cristallisé une rupture profonde induite par les positionnements antagoniques pris à l’occasion de l’affaire Millerand.
Cette division politique profonde au sein du parti français conduisit à mettre la question de la participation d’un socialiste au gouvernement au cœur du congrès international en septembre 1900 à Paris, salle Wagram, où Guesde et le POF tentèrent de faire condamner l’initiative de Millerand et les positions des “ministérialistes” défendues notamment par Jaurès. La Deuxième Internationale vota une motion proposée par Kautsky qui condamnait l’initiative de Millerand car non dictée par une tactique discutée et mandatée par le parti. Elle refusait néanmoins d’y voir une question de principe.
Cependant, malgré la motion du Congrès, les partisans de Jaurès restaient toujours alliés aux partis bourgeois et continuèrent à soutenir le gouvernement dit “du Bloc des gauches” pour une prétendue “défense” de la République. En devenant un parti qui soutenait toujours et partout la politique du gouvernement, les jaurésistes votèrent des dépenses sans cesse accrues pour la marine et l’armée et financées quasi exclusivement par les impôts indirects pesant de tout leur poids sur les épaules des couches sociales les plus pauvres. Pris dans cet engrenage, les partisans de Jaurès durent également soutenir l’alliance franco-russe, en tant que prétendue “garantie” de la paix européenne. C’est alors que tous les socialistes révolutionnaires, Guesde en tête, ayant compris le danger d’une pareille trahison des principes du socialisme, rompirent leur alliance avec les partisans de Jaurès. Quelque temps après, les blanquistes dirigés par Vaillant firent de même et, en commun avec les guesdistes, créèrent le Parti socialiste de France. Ils déclarèrent une lutte sans merci aux fondateurs du Parti socialiste français dirigé par Jaurès et Millerand.
Cependant, la question se retrouva posée au congrès d’Amsterdam de l’Internationale socialiste en 1904. Après un réquisitoire contre la politique de Jaurès, Guesde fit adopter une résolution qui n’était en fait rien de plus qu’une traduction de celle adoptée l’année précédente par le SPD2 à Dresde, condamnant “les tactiques révisionnistes [dont le résultat] ferait qu’à la place d’un parti travaillant pour la transformation la plus rapide possible de la société bourgeoise existante en un ordre social socialiste, c’est-à-dire révolutionnaire dans le meilleur sens du terme, le parti deviendrait un parti se contentant de réformer la société bourgeoise”. C’était une condamnation explicite de l’entrée de Millerand dans le gouvernement et implicite du réformisme du Parti socialiste français de Jaurès. La politique de participation socialiste à un gouvernement bourgeois fut nettement condamnée par l’Internationale et Millerand exclu du parti. Les positions de soutien de Jaurès à ce gouvernement furent aussi sévèrement critiquées.
Mais, malgré les lourdes accusations formulées contre Jaurès, l’Internationale socialiste poussa à la réconciliation des socialistes français ; elle visait avant tout à rétablir une dynamique d’unification au sein du parti socialiste en France et son secrétaire, Vandervelde, poussa Jaurès et Guesde à se serrer la main et à collaborer activement à cette dynamique d’unification.
La pression et l’aide déterminante du SPD et de l’Internationale parvint ainsi à convaincre Jaurès de la nécessité de cette unification au point qu’il en devint la figure centrale et l’artisan principal. Elle parvint également à convaincre la composante révolutionnaire la plus conséquente du parti français de s’intégrer à cette dynamique d’unification. Sans ce soutien, cette unification n’aurait certainement pas abouti en mai 1905.
Rosa Luxemburg, en fournit un résumé et un commentaire pertinent dans l’article : L’unification des socialistes français, où elle rendit hommage au combat du Parti Socialiste de France en rappelant que “le Parti socialiste de France (formé par des guesdistes et des blanquistes) ne s’est jamais laissé abuser par une quelconque phraséologie démocratique ou nationaliste ; il est toujours demeuré en opposition absolue envers les gouvernements bourgeois et républicains en France”.
Cependant, ce succès contenait dès l’origine des faiblesses et des limites qui n’avaient pas été prises en compte et qui allaient s’avérer catastrophiques pour le mouvement ouvrier non seulement en France mais aussi pour la Deuxième internationale et, au sein de celle-ci, pour le parti le plus puissant, le SPD. Ces faiblesses congénitales allaient les conduire à la dégénérescence et finalement à la trahison d’août 1914. Quelles étaient ces faiblesses ?
En premier lieu, le poids d’une vision fédéraliste et non pas centralisée dans la Deuxième Internationale qui enfermait chaque parti dans un cadre d’action national donnant prise aux dérives nationalistes. Du fait même que le capital existe divisé en nations, les luttes pour la conquête des réformes (lorsqu’elles étaient possibles) n’avaient pas besoin du terrain international pour aboutir. Ce n’est pas 1e capital mondial qui décidait d’accorder telle ou telle amélioration au prolétariat de telle ou telle nation. C’est dans chaque pays, et dans sa lutte contre sa propre bourgeoisie nationale, que les travailleurs parvenaient à imposer leurs revendications. La Deuxième Internationale, qui correspondait à la période de stabilité des grandes puissances industrielles, souffrait inévitablement de l’enfermement des luttes prolétariennes dans le cadre des réformes. En fait, l’Internationale socialiste marquait, sur le terrain de 1’internationalisme, un recul par rapport à l’AIT. Le parlementarisme, le syndicalisme, la constitution des grands partis de masse, en somme, toute l’orientation du mouvement ouvrier vers des luttes pour des réformes, ont contribué à fractionner le mouvement ouvrier mondial suivant les frontières nationales. La trahison de la Deuxième Internationale en 1914 fut la pire conséquence de trente ans d’enfermement des luttes ouvrières dans les cadres nationaux. Il est d’ailleurs frappant de voir que pas un seul socialiste français ne salua, ne se référa ni même ne releva l’importance historique et internationale de la révolution de 1905 en Russie. Dans le parti, on continua au contraire à se focaliser sur la situation en France et à se gargariser avec le “modèle” de la révolution française.
Par ailleurs, entre 1889 et 1900, l’Internationale n’existait que pendant les sessions des congrès. Le reste du temps, elle n’était pas grand-chose de plus qu’un réseau de relations personnelles entre les différents dirigeants, sans réseau formel de correspondance. Mais même après qu’un Bureau socialiste international (BSI) fut constitué au Congrès de 1900, sa capacité d’action était limitée : le BSI était un simple organisme de coordination dont le rôle se réduisait en grande partie à organiser les congrès et à servir de médiateur dans les conflits ayant lieu entre les partis socialistes ou au sein de ceux-ci. Bien que l’aile gauche de l’Internationale (autour de Lénine et de Luxemburg en particulier) ait considéré les résolutions des congrès comme de véritables engagements, le BSI n’avait aucun pouvoir pour les faire respecter ; il n’avait pas de possibilité de mener une action indépendante des partis socialistes de chaque pays.
Ensuite, le souci permanent d’unité du mouvement socialiste, au départ pleinement justifié par le fait qu’il existait une unité d’intérêts au sein du prolétariat, du fait qu’il y avait un seul prolétariat dans chaque pays, ayant les mêmes intérêts de classe, allait se révéler à double tranchant. Si la Deuxième Internationale était profondément dévouée à l’unité des différents partis socialistes, les efforts qu’elle a concentrés pour cette unité et sa préservation se sont effectués au détriment direct de la défense intransigeante de la clarté et des principes des positions et de l’action révolutionnaires. Cette attitude favorisait au contraire, une position de compromis, de conciliation entre toutes les tendances qui ouvrait la voie (et même leur servait de justificatif) à toutes les dérives opportunistes.
Enfin, cette unification était marquée par les manifestations grandissantes du poids des illusions réformistes, des attitudes opportunistes et conciliatrices, s’appuyant sur les progrès électoraux des partis socialistes et sur ceux du syndicalisme, avec la vision de plus en plus théorisée du caractère inéluctable du socialisme et de la conquête parlementaire, et non plus révolutionnaire, du pouvoir. Cette illusion était particulièrement forte au sein du SPD qui était réellement devenu un parti de masse (plus d’un million de membres à la veille de 1914). Cette croissance numérique donnait l’illusion d’une grande force. Mais, alors que la direction du SPD, aveuglée par le succès électoral, avait axé ses activités sur les élections législatives, le parti perdait de vue l’objectif même du mouvement ouvrier. Ainsi, la montée du courant opportuniste et révisionniste, qui était apparu le plus clairement dans le plus grand parti de la Deuxième Internationale, signifiait que la vie prolétarienne, la combativité et l’indignation morale avaient disparu du SPD, du moins dans les rangs de sa direction et de sa bureaucratie.
Tous ces facteurs rejaillissaient au sein de l’Internationale, ouvrant la voie à l’abandon progressif de ses principes et à leur trahison. Le parti socialiste en France n’y a pas échappé.
Le parti unifié en France fut ainsi très vite confronté à une nouvelle crise face à la question syndicale : les erreurs, le sectarisme et l’opportunisme des guesdistes joueront un rôle tout aussi important que le poids des tendances réformistes et des compromissions avec des fractions bourgeoises ou avec l’appareil d’État, ce qui va enfermer le syndicalisme dans le corporatisme et faciliter à son tour son intégration dans l’appareil d’État. C’est ce que nous développerons dans le prochain article de cette série.
Wim, 30 mars 2017
1 Jules Guesde, Discours en réponse à Jaurès sur “Les deux méthodes”.
2 Sozialdemokratische Partei Deutschlands, Parti social-démocrate d’Allemagne (fondé en 1875 sous le nom de SAP, renommé SPD en 1890).
Sur le plan des attaques contre la classe ouvrière, le quinquennat Macron est bien lancé. La rentrée se caractérise par une concrétisation tous azimuts des annonces de “réforme” qui ont émaillé l’été. Le décor se singularise par une inquiétante hausse de la CSG (la contribution sociale généralisée, une cotisation sociale créée par la gauche qui taxe uniformément tout type de revenus) dont la compensation promise est plus que fumeuse et reste encore à ce jour à l’état de promesse : baisse des cotisations salariales pour les uns, baisse de la taxe d’habitation pour les autres... Le Premier ministre Philippe le dit lui-même : quand vous ferez les comptes, vous verrez que vous y gagnez. Après tout les promesses n’engagent que ceux qui les croient. En réalité la classe ouvrière se trouve être une fois encore la cible d’attaques frontales, en étant en plus pointée du doigt comme un repaire de “privilégiés” comme les retraités, les fonctionnaires, etc.
Au milieu de ce décor, l’action principale est évidemment jouée par les ordonnances sur le travail. Après la loi El Khomri, l’année dernière, les ordonnances Macron enfoncent un peu plus le clou. Chaque nouvelle loi a toujours eu comme objectif principal de renforcer la productivité, diminuer le coût du travail pour les employeurs, aggraver les conditions de travail, étendre et généraliser la précarité. La bourgeoisie doit chaque fois adapter les conditions d’exploitation du prolétariat pour maintenir sa place face à une concurrence internationale féroce. Aucune réforme ne peut donc améliorer les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, mais les rend chaque fois pires et plus insupportables !
Cependant, jusqu’à maintenant, la bourgeoisie faisait passer la pilule en donnant le change, sous la forme d’une mesure bien médiatisée et présentée comme favorable aux travailleurs, comme un factice durcissement des conditions de licenciement. Par ailleurs, le principe dit “de faveur” était censé protéger les ouvriers des ardeurs démesurées de leurs patrons en interdisant à un accord ou une convention d’entreprise d’introduire une clause moins favorable que les dispositions du Code du travail. Tout ceci n’était que poudre aux yeux, avec un double objectif : présenter l’État et ses lois comme étant du côté des ouvriers face aux patrons sans morale et mettre en avant le travail prétendument indispensable des appareils syndicaux pour porter les revendications ouvrières et obtenir des contreparties inatteignables sans eux.
Mais aujourd’hui, même la poudre aux yeux s’est envolée. La dernière loi à se présenter comme favorable aux travailleurs était sans doute la loi Aubry sur les 35 heures, et on sait quels dégâts sur l’emploi et les conditions de travail elle a généré. La loi El Khomri n’a pas présenté de mesures faussement avantageuses au prolétariat, bien au contraire. Tout au plus a-t-elle “reculé” sur certaines des attaques les plus dures. Aujourd’hui les contreparties ne sont plus possibles et les reculs sont de courte durée.
Les ordonnances de Macron suivent la même logique : en n’allant pas aussi loin que ce qui était annoncé, elles donnent l’impression que l’État est à l’écoute des revendications syndicales. Mais dans le même temps, il introduit dans la loi les fameux “reculs” du gouvernement précédent et poursuit les attaques dans une logique d’ensemble qui consiste à déplacer la régulation de la relation capital-travail vers les organisations syndicales et patronales, c’est-à-dire à alléger le poids très lourd de l’État français qui face à la concurrence des États capitalistes européens et mondiaux, constitue une entrave pour la compétitivité du capital national.
La classe ouvrière n’a pas grand’ chose pour se rassurer dans ces ordonnances et cette inquiétude conduit à un certain mécontentement face à ce qui se présente comme un nouveau lot de sacrifices sans contreparties, même illusoires, même temporaires. Surtout que d’autres attaques sont déjà annoncées : réforme de l’assurance-chômage, unification (comprendre : alignement par le bas) des régimes de retraite, extension de la précarité, etc.
La question de savoir comment s’opposer à cette brutalité se pose et la bourgeoisie le sait parfaitement. Elle tend des pièges idéologiques pour éviter tout développement d’une quelconque réflexion sur la véritable nature de ces attaques et donc sur le seul moyen d’y faire face. Le premier d’entre eux se matérialise dans l’holographique Mélenchon qui entend fédérer toute la colère ouvrière derrière sa bannière de la France insoumise. Mais cette bannière a des reflets tricolores et ce nationalisme clairement revendiqué, la classe ouvrière doit le fuir. Mélenchon est un pur produit de la bourgeoisie qui a fait carrière dans les hautes sphères de l’État et continue de défendre le modèle républicain avec sa VIème République. Un modèle imprégné de son admiration ouverte pour Hugo Chavez, l’ex-dirigeant vénézuélien qui aura acheté la paix sociale à coups de pétrodollars et rendu son pays exsangue économiquement et en proie à la corruption généralisée.1 Mais surtout Mélenchon défend l’idée d’un État “juste”, illusion qu’il faut absolument rejeter et combattre.
Revenant d’exil en avril 1917 en plein cœur du bouillonnement qui allait conduire à l’insurrection d’Octobre, Lénine combattit l’aile opportuniste du parti bolchevique en publiant ses fameuses Thèses d’Avril qui contiennent une leçon vivante et fondamentale pour la classe ouvrière : aucun soutien ne peut être apporté à un État ou un gouvernement bourgeois, ni aucune pression ne peut être exercée sur lui pour qu’il change, dans la mesure où cet État ne peut en aucun cas aller contre sa nature qui consiste à défendre les intérêts de la classe dominante. Lénine écrit dans la troisième thèse : “aucun soutien au gouvernement provisoire ; démontrer le caractère entièrement mensonger de toutes ses promesses, notamment de celles qui concernent la renonciation aux annexions. Le démasquer au lieu d’ “exiger” - ce qui est inadmissible, car c’est semer des illusions - que ce gouvernement, gouvernement de capitalistes, cesse d’être impérialiste”. L’histoire lui donnera tragiquement raison : le gouvernement provisoire défendra la démocratie bourgeoise par les armes, la continuation de la participation à la Guerre mondiale, la terreur et le mensonge.
Aujourd’hui, la bourgeoisie a bien retenu cette leçon et elle tente à nouveau de semer les mêmes illusions sous la houlette d’un démagogue fort en gueule qui se présente comme un défenseur de la cause ouvrière pour enfermer le prolétariat dans une démarche sans issue : la “pression” sur l’État pour “exiger” des réformes “plus justes”. Ce qui était inadmissible de la part d’un parti ouvrier en 1917 est aujourd’hui un clair empoisonnement idéologique de la bourgeoisie pour mieux faire passer ses attaques.
Au-delà de l’encadrement idéologique, Mélenchon pousse aussi les ouvriers dans les bras des forces d’encadrement “physique” du capital : les syndicats. Même s’il se montre critique à leur égard, en reconnaissant leur rôle sur le terrain purement économique, il tend à séparer dans l’esprit de la classe ouvrière l’unité nécessaire entre les luttes revendicatives et leurs dimensions politiques. Il s’agit d’une réelle attaque contre la conscience ouvrière, d’un piège insidieux mais bien réel. Les syndicats mentent sur leur véritable nature. Parfaitement intégrés à l’État, ils “négocient” les réformes sur le terrain économique, c’est-à-dire sur le terrain des rapports de production existants, et demandent, pour ce faire, l’appui des ouvriers. Une démarche qui favorise l’impuissance et la docilité face à des attaques qui apparaissent alors comme inéluctables, voire “nécessaires” pour “l’économie nationale”, les “emplois français” face à la concurrence internationale. Ils lient le destin de la classe ouvrière à celui du capital national alors que tout les oppose. Au lieu de dresser un prolétariat uni face à l’État capitaliste, ils divisent les ouvriers entre secteurs aux revendications particulières. En obtenant des contreparties, en “faisant reculer le gouvernement”, ils se drapent du costume de dernier rempart contre l’avidité sans limite des patrons et d’ultimes défenseurs d’un État prétendument au service de tous. Ils permettent ainsi aux principales attaques de passer tout en préparant les prochaines. Cela, d’autant plus que Mélenchon et la nébuleuse gauchisante qui gravite autour de la France insoumise encadrent de leur côté toute expression politique, dénaturent le moindre questionnement qui existe de manière embryonnaire, notamment au sein d’une partie de la jeunesse ouvrière.
Le prolétariat ne pourra tirer aucune force des mouvements politiques “de gauche” ou des actions syndicales. Bien au contraire : en suivant ces “leaders”, leur programme et leurs mots d’ordre, en déléguant la défense de leurs intérêts aux syndicats et aux politiciens, les ouvriers s’engouffrent dans une impasse : “exiger” d’un gouvernement capitaliste qu’il “renonce” à la défense de ses intérêts pour répondre aux revendications ouvrières. Or, les intérêts de la bourgeoisie et du prolétariat sont diamétralement opposés et ne sont en aucune façon compatibles. Tout appui, tout soutien à une fraction de la bourgeoisie est un affaiblissement politique pour le prolétariat, une attaque idéologique contre sa conscience de classe.
Aujourd’hui, les conditions sont extrêmement difficiles pour la classe ouvrière. L’avancée du capitalisme dans sa phase de décomposition conduit au développement du chacun pour soi, l’évolution du travail et ses managers atomisent les ouvriers et la crise économique accroît la concurrence entre eux pour trouver un emploi. Dans ces conditions, trouver une identité de classe, une identité d’intérêt et démasquer la nature de classe bourgeoise, de l’État et de ses officines pseudo-ouvrières relève forcément d’un processus qui ne pourra qu’être difficile, long et tortueux. Pourtant, il n’y a pas d’autre issue. La classe ouvrière devra nécessairement retrouver le chemin des luttes massives pour retrouver son identité et développer sa conscience, pour comprendre la nature réelle du monde capitaliste et reconnaître les pièges qui lui sont tendus et les faux-amis qui lui sont proposés, pour enfin faire émerger la perspective communiste. Pour cela, il est important de renouer avec son passé, les leçons des grands combats contre le capitalisme, ses leçons tactiques et théoriques. Dans l’histoire, les ouvriers se sont déjà confrontés à leurs ennemis de classe, ils ont déjà expérimenté l’incompatibilité de leurs revendications avec les exigences inexorables de la logique capitaliste. Ils ont déjà démasqué la vraie nature de l’État bourgeois.
Cent ans après la révolution russe de 1917, plus grande expérience révolutionnaire du prolétariat, devant l’état du monde empêtré dans la violence, le chaos, la barbarie guerrière et la misère, et face aux attaques toujours plus fortes portées par la bourgeoisie pour survivre à sa crise, la classe ouvrière doit parvenir à comprendre que la connaissance et les leçons à tirer de sa propre histoire ne sont nullement un passe-temps intellectuel mais constituent au contraire, face à l’enfoncement dans des conditions d’existence et d’exploitation de plus en plus intolérables, face à un monde au bord d’un gouffre qui menace l’avenir de l’humanité, un recours nécessaire où il puisera les forces de forger ses armes pour l’assaut futur qu’il devra porter contre le capitalisme.
GD, 24 octobre 2017
1 Voir notamment nos articles : Mélenchon, un apôtre du modèle stalinien (Révolution Internationale n°461 - novembre décembre 2016) et Jean-Luc Mélenchon, un serviteur de la nation et du capital (Révolution Internationale n°463 - mars avril 2017).
“Harvey”, “Irma”, “Maria”, trois ouragans majeurs en l’espace d’un peu plus d’un mois ont touché des îles de la mer des Caraïbes et plusieurs États du territoire des États-Unis ; ces ouragans sont qualifiés de majeurs parce que le vent dépasse 180 km/h et qu’ont lieu des précipitations considérables qui impliquent la dévastation de tous les bâtiments qui n’ont pas été conçus pour leur résister et des territoires qui n’ont pas été protégés contre la montée des eaux. Ces trois ouragans (dont le cœur n’est passé sur aucune grande ville contrairement à Katrina en 2005 qui avait touché de plein fouet la Nouvelle-Orléans) ont entrainé la mort d’au moins 150 personnes et ont provoqué des dégâts considérables : 95 % des bâtiments de l’île franco-néerlandaise de Saint-Martin étaient rendus inutilisables après le passage “d’Irma” et après le passage de “Maria”, l’île américaine de Porto Rico (3,4 millions d’habitants) s’est retrouvée sans eau, sans électricité et avec des moyens de communication détruits. Les îles de Barbuda et la Dominique sont complètement détruites.
Aujourd’hui, si l’on sait que les ouragans tropicaux font partie de la dynamique des masses d’air océaniques, l’ensemble des grands instituts d’observation et d’études du climat affirment que c’est le réchauffement climatique qui explique le nombre toujours plus important d’ouragans majeurs (aux États-Unis, les trois ouragans les plus coûteux de l’histoire ont eu lieu en une décennie) de même qu’il explique la force croissante des ouragans les plus violents. Ainsi, “Irma” est l’un des ouragans les plus violents que la Terre ait connu, à tel point que les spécialistes pensent qu’il faudrait ajouter des degrés à l’échelle de Saffir-Simpson qui mesure la force des ouragans de 1 à 5, et que la quantité d’eau qui est tombée sur Houston lors du passage d’Harvey est la plus forte enregistrée en un laps de temps aussi court dans l’histoire des États-Unis.
L’ensemble des organismes de recherche et les autorités politiques qui reconnaissent l’influence du réchauffement climatique sur la violence des ouragans affirment en même temps que ce réchauffement climatique est dû “aux activités humaines” rendant ainsi responsables de cette évolution catastrophique tous les hommes, tant les exploités que la classe dominante. Ces messieurs occultent ainsi le fait que dans le capitalisme, c’est la production et le profit qui orientent les activités humaines et que cette tendance destructrice est d’autant plus impérative en période de crise économique.
L’affirmation selon laquelle ce seraient les activités humaines en général qui seraient la cause du réchauffement climatique et de ses conséquences est d’autant plus odieuse que les populations les plus touchées par les ouragans sont particulièrement les plus démunies. Quand les îles des Caraïbes ne sont pas des destinations particulièrement prisées par le tourisme, ce sont des territoires qui ont beaucoup de caractéristiques des pays sous-développés, que ces îles soient indépendantes ou qu’elles appartiennent à un pays développé. Ses habitants ont le plus souvent un revenu très bas (46 % de la population de Porto Rico vit en dessous du seuil de pauvreté) et 28 % de la partie française de l’île de Saint-Martin est au chômage. Les habitants de ces territoires n’ont donc pas pu construire des habitations résistantes à des phénomènes météorologiques aussi extrêmes et les États auxquels ces territoires appartiennent ne les ont évidemment pas aidés à construire des habitations plus solides, même s’ils savent depuis bien longtemps que ces îles sont sur le passage habituel d’ouragans majeurs. La recherche d’économies permet également de comprendre que non seulement des brèches se soient formées dans des digues à proximité de Houston (quatrième ville des États-Unis), mais que des bassins de retenue construits pour contenir l’eau en cas d’inondations se soient révélés trop petits et ont débordé, répandant dans des lieux habités des eaux nauséabondes.
En fait, et c’est bien la preuve d’une dynamique générale qui est celle du capitalisme, on retrouve la même réalité sordide, avec les conséquences du tremblement de terre dans le centre du Mexique. Mexico a été touché dans le passé par de nombreux tremblements de terre (dont un en 1985 qui a fait plus de 10 000 morts) mais pas plus avant 1985 que depuis cette date, les normes antisismiques de construction n’ont été respectées, y compris dans les bâtiments publics comme ces quinze écoles qui se sont effondrées. C’est au sein de l’une d’elles que l’on a vu sur toutes les télévisions du monde des dizaines d’enfants ensevelis. Cet odieux spectacle a été instrumentalisé par la propagande pour mettre en évidence la manière dont les secours sont mis en œuvre.
En réalité, contrairement à tout le battage médiatique mettant en avant les secours, ces derniers se révèlent toujours lents et en retard. Les raisons qui expliquent cette lenteur sont les mêmes que celles qui expliquent l’absence de mesures de prévention tant par rapport aux ouragans qu’aux tremblements de terre. Alors que, sur le terrain de la catastrophe, beaucoup de personnes sont terrorisées par ce qu’elles ont vécu, qu’elles sont hébétées, se retrouvant quelquefois avec leurs enfants au milieu d’un champ de ruines, les secours ne sont intervenus et encore très progressivement qu’au bout de plusieurs jours ! Quelle est la raison d’une telle lenteur ? Les phrases et attitudes méprisantes de Trump par rapport aux victimes de Houston et Porto Rico (il a affirmé que l’île n’avait pas connu de véritable catastrophe et qu’elle avait grevé le budget fédéral) représente à peine une caricature de l’attitude de la classe dominante et de ses États. En effet, les problèmes de compétitivité du capital national et de défense nationale sont à ses yeux infiniment bien plus importants que le fait de sauver des vies humaines. Si le fait d’installer des secours avant la catastrophe a traversé l’idée d’une quelconque autorité, le fait de les acheminer à temps était impossible parce qu’il n’y avait pas de bâtiment assez solide où ils auraient pu être cantonnés, comme ce fut le cas dans la partie française de l’île Saint-Martin ! La lenteur et la faiblesse des secours ont été encore plus significatives après les tremblements de terre au centre et au sud du Mexique, alors que, dans ce cas, aucune difficulté géographique n’existe qui puisse expliquer cette lenteur. En fait, que ce soit au Mexique, dans les îles des Caraïbes, les premiers secours ont été apportés par les habitants eux-mêmes, poussés par leur solidarité, à la mesure de ce qu’ils pouvaient faire.
Une grande partie de la bourgeoisie est consciente des problèmes environnementaux, notamment du réchauffement climatique. Elle ne peut rester les bras croisés sans craindre le coût catastrophique que ce réchauffement climatique annonce et qu’elle sera obligée de ponctionner sur les prolétaires. De même, il est clair que tant le coût considérable de la reconstruction après le passage des ouragans (aux 200 milliards après les ouragans “Harvey” et “Irma” pour les États-Unis, il faut rajouter le coût de la reconstruction après le passage de “Maria”) que la pollution des villes chinoises qui sont un handicap pour les capacités de travail des ouvriers constituent de réels soucis pour la bourgeoisie. Mais, en dehors de la prise de mesures ponctuelles comme la diminution de consommation de charbon dans certaines régions en Chine, le coût que représenteraient des mesures réellement susceptibles d’inverser le réchauffement climatique est impossible du fait qu’elles ne sont pas rentables. Les grandes déclarations ou accords comme la COP21 ne sont, pour l’essentiel, qu’un jeu diplomatique où chaque bourgeoisie essaie de renforcer avec cynisme son influence. Il est tout à fait significatif que l’émission de gaz carbonique, principal gaz à effet de serre, ait continué à augmenter au même rythme en 2016 que dans les années précédentes et que la déforestation de l’Amazonie s’est accélérée cette même année ! Seul le communisme, parce qu’il est un système de production pour les besoins humains et non pour l’obtention du profit pourra prendre les mesures capables d’inverser la terrible crise écologique qui menace l’humanité.
En fait, ce que nous ont montré les différentes fractions de la bourgeoisie par leurs réactions aux dévastations provoquées par les ouragans, est à l’image des charognards et leur utilisation du désastre n’est là que pour renforcer leur propre crédibilité. C’est évidemment le cas de Trump tout comme de Macron qui vont s’exhiber dans les zones sinistrées.
Vitaz, 26 octobre 2017
Nous publions ci-dessous une déclaration du groupe Perspective Communiste Internationale (Corée du Sud) au sujet des tensions impérialistes dans la péninsule coréenne.
Nous avons quelques critiques à faire sur cette déclaration, en particulier son insistance sur l’installation des THAAD (Terminal High Altitude Area Defence, programme de défense antimissile), qui pourrait suggérer l’idée que la classe ouvrière défendrait ses intérêts en luttant contre l’installation de ce nouveau système de défense. Ce n’est pas en faisant campagne contre telle ou telle arme de guerre particulière que la classe ouvrière peut développer sa conscience. La tâche des révolutionnaires est de démontrer l’impasse de l’ensemble du système capitaliste, en participant aux luttes qui correspondent à des revendications de classe, qui peuvent permettre de déchirer le voile d’illusion de “l’unité nationale” et développer une réelle solidarité avec les travailleurs des autres pays.
Néanmoins, nous reconnaissons la voix de la classe ouvrière internationale dans cette déclaration : une voix qui dénonce les impérialistes de toute la classe capitaliste (y compris ceux qui sont censés être “communistes”). Ainsi, nous sommes solidaires, sans réserve, des camarades de la PCI et de tous ceux qui luttent pour un réel internationalisme dans cette région.
Nous condamnons le gouvernement Moon Jae-In et les États-Unis pour le déploiement des THAAD. Suppression des THAAD ! Lutte contre l’État capitaliste ! Lutte contre les gouvernements capitalistes et la menace de guerre impérialiste !
Le 7 septembre, le gouvernement de Moon Jae-In et les États-Unis ont déployé de manière coercitive le programme THAAD sur Sungju-gun Sogong-ri en dépit de l’opposition de la majorité des Coréens, y compris les résidents. Le déploiement du THAAD en Corée du Sud ne contribue pas à la résolution des problèmes liés à l’utilisation de l’arme nucléaire en Corée du Nord et à la paix en Asie du Sud-Est. C’est juste un simulacre de recherche de sécurité. Le THAAD n’est pas seulement un programme qui accroît la menace de guerre de la part des États-Unis, c’est aussi un plan qui place la Corée du Sud en première ligne de la guerre impérialiste.
Nous confirmons à nouveau que le but du développement de l’armement nucléaire en Corée du Nord est le massacre génocidaire de la population civile, en particulier de la classe ouvrière, nonobstant les déclarations de la Corée du Nord sur la nécessité de protéger son régime. En outre, nous n’oublierons jamais que la seule force qui ait jamais utilisé l’arme nucléaire pour massacrer des populations civiles indistinctement est l’Impérialisme américain. L’Histoire a montré que les deux régimes, qui sont différents dans la péninsule coréenne, sont les mêmes en termes d’exploitation de la classe ouvrière et sont ses pires ennemis. Les travailleurs ne doivent choisir aucun des deux.
La montée des tensions en Asie du Sud-Est montre les tendances destructrices du capitalisme. Cependant, les conflits récents montrent que le danger pour l’humanité est plus important qu’avant. Cette fois, il y a un affrontement croissant entre de nombreuses forces. Les États-Unis, la Chine et le Japon, autant que la Corée du Nord, sont en train d’intensifier la course aux armements.
Deux guerres mondiales, la guerre de Corée et de nombreuses autres guerres ont meurtri irrémédiablement la classe ouvrière. Aujourd’hui, la classe ouvrière ne doit pas se laisser entraîner dans le cercle vicieux mortel du capitalisme. Seule, la classe ouvrière peut sauver l’humanité de la barbarie. A cette fin, elle doit échapper aux sirènes du nationalisme et du militarisme. La seule solution est que les travailleurs de la Corée du Sud et du Nord luttent ensemble contre leur propre classe dominante.
Le déploiement des THAAD du gouvernement Moon, qui prétend travailler à la dénucléarisation de la péninsule coréenne, ne contribuerait pas à empêcher le développement de l’arme nucléaire en Corée du Nord, mais ne ferait que mettre de l’huile sur le feu de la confrontation militaire comprenant la compétition pour l’arme nucléaire. La décision d’ajouter et de déployer le THAAD montre également l’hypocrisie et l’incompétence du gouvernement Moon qui affirme poursuivre une politique de paix, un processus démocratique et une diplomatie indépendante. C’est une expression politique de la nature de classe du gouvernement actuel qui sert les intérêts des classes impérialistes et dirigeantes.
Contre le gouvernement Moon Jae-In, qui a commis des crimes aussi monstrueux que ceux du gouvernement Park Geun-hae, moins de quatre mois après la victoire aux élections présidentielles,
La classe ouvrière doit rompre avec le “rêve de Moon Jae-In”, qui consiste à prétendre nettoyer le mal accumulé et à améliorer le régime. La classe ouvrière doit refuser de former un front uni et de coopérer avec le gouvernement Moon. La classe ouvrière doit lutter contre le déploiement des THAAD, ainsi que contre le gouvernement capitaliste et la menace de guerre en Corée.
1. Nous nous opposons à la fois aux menaces de l’impérialisme américain et de ses alliés contre la Corée du Nord (menaces de guerre, campagnes de sécurité) et au développement par la Corée du Nord de l’arme nucléaire contre eux.
2. L’Impérialisme américain, qui a déjà assassiné des civils avec l’arme nucléaire, et la Corée du Nord, avec ses armes nucléaires, qui sont dirigées vers une autre guerre, sont les plus grands dangers pour la classe ouvrière. La classe ouvrière s’oppose à toutes les armes nucléaires.
3. Nous ne pouvons faire confiance à aucune “politique de paix” des pays capitalistes et impérialistes qui revendiquent la paix d’un côté, tout en favorisant la recherche dans le secteur de l’armement et la menace de guerre dans l’intérêt de leur propre régime capitaliste.
4. Nous déclarons que seule la lutte internationale de la classe ouvrière et la révolution prolétarienne peuvent mettre fin à la menace de la barbarie, de la guerre impérialiste et de la destruction nucléaire menaçant l’humanité sous le capitalisme.
5. Suppression du THAAD ! Lutte contre les gouvernements capitalistes et leur menace de guerre impérialiste au delà des frontières de tous les États capitalistes.
Les travailleurs n’ont pas de pays à défendre ! Travailleurs de tous les pays, unissez-vous !
Perspective Communiste Internationale, 7 septembre 2017
Voilà un film qui surprend par l’apparente réhabilitation qu’il fait du personnage. Surprenant car en choisissant de traiter cinq années de la vie de Marx, peut-être les plus déterminantes, celles qui s’étalent de 1843 à 1848, Raoul Peck souhaite rompre avec l’image trop caricaturale du génie solitaire agissant en dehors du monde ouvrier. Mais y parvient-il réellement ? Indéniablement, l’angle avec lequel Raoul Peck aborde la vie de Marx corrige quelque peu l’idée selon laquelle Marx et Engels seraient les inventeurs de notions abstraites telles que “lutte de classes”, “révolution” ou “communisme”... Ce film montre, bien que parfois de façon trop caricaturale, comment ces deux hommes, qui vont jouer un rôle déterminant pour le mouvement révolutionnaire, ont été gagnés à une cause née bien avant eux, dans les entrailles du prolétariat des pays les plus industrialisés du XIXème siècle. En cela, nous pensons que la vision de Peck se distingue ouvertement de celle des intellectuels les plus déchaînés qui s’attellent à démontrer, non sans une grande malhonnêteté, que les travaux de Marx portent en eux les germes de la tragédie stalinienne.1 Pour autant, ce film ne rompt pas totalement avec l’image du personnage providentiel ce qui altère considérablement la tentative de mettre en valeur la dimension militante et encore actuelle du personnage ainsi que le rôle décisif que devra jouer le prolétariat dans la transformation de la société.
A juste titre, une place importante est accordée à la rencontre déterminante et à la complicité inaltérable de Karl Marx et Friedrich Engels, ce fils d’industriel en rupture de ban, qui sensibilisa le jeune Marx aux potentialités politiques du monde ouvrier et à l’importance de l’économie politique. Il faut cependant déplorer le manque de subtilité de cette rencontre où la froideur des présentations dans le salon d’Arnold Ruge fait soudainement place aux déclarations de fascination lors d’une nuit de libations et de parties d’échec où les deux hommes arrivent à un accord parfait et Marx de complimenter Engels pour lui avoir ouvert les yeux, énonçant, soudainement, dans un fort état d’ébriété, la célèbre phrase : “les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit désormais de le transformer”. Paradoxalement, c’est une scène centrale puisqu’elle annonce toute la vision qui sera faite du personnage par la suite. Un Marx ni philosophe, ni historien, ni économiste mais un militant du mouvement révolutionnaire s’adressant aux ouvriers dans des meetings, polémiquant avec Proudhon et son réformisme petit-bourgeois ou avec Weitling et son idéalisme christique. Par ailleurs, les affres de la vie militante ne sont pas négligées. Si la répression est dépeinte d’une manière quelque peu légère où Karl et Friedrich en profitent pour jouer au chat et à la souris avec la police dans les faubourgs de Paris, les désagréments et les traumatismes de l’exil, de la pauvreté, sont montrés dans leur réalité crue. Ces moments mettent plutôt en valeur l’expression et le renforcement des liens d’amitié et d’amour mais aussi ceux engendrés par la passion militante. Raoul Peck reproduit donc tout un milieu révolutionnaire à Paris d’abord, à Bruxelles et à Londres ensuite. Mais malgré tout, ces scènes offrent une image excessivement personnalisée des débats et de la clarification dans le milieu révolutionnaire de l’époque. Par exemple, Raoul Peck semble vouloir attribuer uniquement à Marx le discrédit subi par Weitling au sein de la Ligue des Justes alors que les premiers à remettre en cause, non sans embarras, les visées idéalistes et messianiques de ce dernier sont Schapper2 et une grande majorité des ouvriers de l’Association des ouvriers allemands de Londres. Nous savons que Marx a suivi avec beaucoup d’attention cette polémique puisqu’elle révélait une rupture entre le communisme sentimental et le communisme scientifique que lui-même prônait. A travers la création de comités de correspondance, l’Association de Londres se rapprocha des conceptions de Marx sur la direction à donner à l’évolution du mouvement et par conséquent s’éloignait des conceptions de Weitling. Ainsi, la discussion virulente du Comité de Correspondance de Bruxelles du 30 mars 1846 relatée dans le film, finit de consommer une rupture déjà bien entamée. En fait, le réalisateur reste prisonnier de la vision démocratique du débat et de l’action politique car l’attention est régulièrement portée sur la joute théorique entre des meneurs, des chefs charismatiques, ce qui cache l’essentiel, à savoir l’effervescence théorique et la réflexion collective, complexe, qui caractérisait déjà le mouvement ouvrier à cette époque. Cette confusion prend toute sa dimension dans la manière dont est traité le rapport entre Marx et la Ligue des Justes. Nous sentons que Raoul Peck souhaite mettre en évidence le fait que Marx et Engels aient compris que le salut de l’humanité réside dans le rôle historique qu’est portée à jouer la classe ouvrière. Ces derniers comprenaient aussi qu’il était nécessaire de se détacher de tout idéalisme, de paroles éthérées, illusoires et utopiques sur les fins et les moyens de parvenir à un stade supérieur de la société humaine. La classe ouvrière avait besoin d’une théorie pratique pour comprendre le monde qui l’avait engendré et pour se persuader que sa situation n’était pas intangible mais transitoire. Donner au prolétariat une théorie révolutionnaire et le convaincre de la nécessité d’une telle démarche, c’est ce que le film essaie de mettre en lumière avec une certaine fidélité nous semble-t-il. Pour autant, la manière dont est appréhendé le rapprochement entre Marx et la Ligue des Justes entretient la vision d’un Marx prompt aux intrigues, un Marx ambitieux et jouant de sa stature intellectuelle pour renverser la majorité de l’avant-garde révolutionnaire de l’époque de son côté. En effet, Marx et Engels semblent vouloir séduire les dirigeants de la Ligue, ils font des pieds et des mains pour entrer en contact avec celle-ci, n’hésitent pas à exagérer leur proximité avec Proudhon afin de laisser planer la possibilité de développer des ramifications de comités de correspondance jusque dans l’Est de la France... Contrairement au flou que fait planer le film sur cet événement, c’est la Ligue, sous l’égide de son porte-parole Joseph Moll, qui invita Marx à adhérer. Comme le relatent Boris Nicolaïevski et Otto Maenchen-Helfen dans leur Vie de Karl Marx, “il leur déclara que ses camarades se rendaient compte de la justesse des conceptions de Marx, et qu’ils comprenaient la nécessité de se libérer des anciennes traditions et des formes de la conspiration. Marx et Engels étaient invités à collaborer à l’orientation théorique nouvelle et à la réorganisation”. Cependant, Marx hésitait à accepter, doutant toujours de la réelle volonté de la Ligue à se réorganiser et à jeter à la poubelle ses anciennes conceptions conspiratrices et utopistes. Mais “Moll lui déclara que précisément son adhésion et celle d’Engels étaient indispensables, si la Ligue devait réellement être libérée de tout ce qu’elle comportait de périmé. Surmontant ses scrupules, Marx s’affilia en février 1847”.
Si, en effet, le poids des personnalités était assez fort dans le mouvement ouvrier du XIXème siècle, le film, en isolant l’apport théorique de Marx et Engels, donne finalement l’impression que ce mouvement dépendait exclusivement de personnalités de génie. Cela se vérifie dans le déroulement du congrès de la Ligue des Justes du 1er juin 1847, où d’ailleurs Marx n’assista pas ; officiellement par manque d’argent mais vraisemblablement il souhaitait attendre les décisions du congrès avant d’adhérer de manière définitive à la Ligue. Cette scène est d’ailleurs extrêmement caricaturale car elle présente le déroulement du congrès comme un combat de personnes où semble prévaloir une minorité de militants “d’élite” soutenue ou contestée par les applaudissements et les cris de la grande majorité qui reste dans la passivité. En réalité, il s’agit ici d’une vision déformée du déroulement d’un congrès dans une organisation révolutionnaire.
Malgré l’âpreté de leur condition de vie, les ouvriers politisés attachaient beaucoup d’importance à l’instruction et l’approfondissement des questions politiques à travers la lecture de brochures notamment. Ainsi, les congrès n’étaient pas des sortes de joutes oratoires où chaque camp avait son champion mais le moment fondamental de la vie d’une organisation révolutionnaire avec de longs débats où chaque militant prenait place dans l’expression et la confrontation des positions quelle que soit la capacité théorique de chacun. Dans sa Contribution à l’histoire de la Ligue des Communistes, Engels transmet la réalité studieuse des premiers congrès révolutionnaires du prolétariat. “Au deuxième congrès, qui se tint fin novembre et début décembre de la même année [1847], Marx fut, lui aussi, présent, et dans un débat assez long – la durée du congrès fut de dix jours au moins –, il défendit la nouvelle théorie”.3
En somme, il ne s’agit pas ici de nier le rôle déterminant de Marx et Engels dans l’évolution du mouvement révolutionnaire mais de replacer leur trajectoire dans le milieu prolétarien et de souligner que leur contribution inestimable n’aurait pu exister sans ce grand mouvement de fond toujours actuel qui fait de la classe ouvrière le sujet actif de l’histoire. La caricature que nous fournit le réalisateur voile cette réalité et met l’accent sur la place prépondérante des individualités et de leur rôle providentiel.
L’art n’a pas vocation à servir une cause politique. Cependant, le contenu et la forme d’une œuvre peuvent être amenés à délivrer un message. Si nous soulignons la manière avec laquelle Raoul Peck essaye d’exhumer Marx du cimetière de l’histoire, la manière dont il relate certains moments de sa vie tend à travestir et déformer les enseignements politiques que l’on peut en tirer.4 Et c’est ce que nous tenions à corriger dans cet article
DL, 28 octobre 2017
1 C’est ce qu’on a pu entendre en substance dans l’émission 28 minutes sur Arte lors d’un numéro consacré à Octobre 1917.
2 En tant que porte-parole de l’Association des ouvriers allemands de Londres.
3 Friedrich Engels, Contribution à l’histoire de la Ligue des Communistes.
4 Toutes les œuvres artistiques sont influencées, souvent inconsciemment, par l’idéologie de la classe dominante d’une époque. On le voit très bien à la fin du film où une succession d’images en accéléré est supposée donner une vision des dévastations produites par le capitalisme mais où en réalité tous les amalgames sont possibles, en particulier entre le stalinisme (Che Guevara, Mao, Mandela,...) et le marxisme, alors que Staline fut le bourreau des communistes authentiques qui avaient suivi la démarche de Marx. C’est l’odeur de ce poison subtilement distillé qu’a reconnu le PCF ; c’est pourquoi ce parti stalinien n’a pas tari d’éloges publicitaires pour ce film.
En 2017 ont eu lieu la première greffe d’un visage, la découverte d’un squelette d’homo sapiens au Maroc vieux d’environ 315 000 ans, l’observation d’une exo-planète (Ross 128 b) susceptible d’abriter la vie et bien d’autres prouesses scientifiques et techniques. Ces nouvelles connaissances témoignent des extraordinaires capacités de notre espèce. Chacun de ces progrès est le fruit de la curiosité et de la recherche de la vérité mais surtout de l’association toujours plus grande du travail manuel et intellectuel de toute l’humanité. Si un chirurgien, un paléontologue ou un astronome peuvent aboutir à de telles trouvailles merveilleuses, c’est qu’ils s’appuient sur des siècles de connaissances accumulées. Plus encore, ils se nourrissent des débats qui ont lieu aux quatre coins du monde et ils usent d’outils résultant de la collaboration de centaines de disciplines et de millions de personnes. Matières premières, usines, laboratoires, robots, routes, avions... la liste des moyens mobilisés sur terre pour construire un seul télescope est infinie. Voilà quelle humanité révèle une nouvelle fois toutes les découvertes de 2017 : une humanité reliée mondialement, un intérêt commun et international, un seul tissu socio-économique aux liens chaque année plus complexes et resserrés.
Mais 2017 c’est aussi, dès le 1er janvier, 39 personnes qui meurent dans une discothèque à Istanbul en Turquie, victimes d’un attentat. 57 à Bagdad en Irak le lendemain, 48 à Azaz en Syrie le 7 janvier. Puis : Gao, Parachinar, Québec, Kaboul, Londres, Saint-Pétersbourg, Barcelone... Le terrorisme a frappé presque chaque jour. La guerre a continué elle-aussi à ravager des pans entiers de la planète. Le Moyen-Orient, tout particulièrement, est devenu une zone de désastres et de souffrances. La population y subit l’impact sanglant de toutes les tensions impérialistes mondiales : seigneurs locaux, puissances régionales, grandes puissances, tous y défendent leurs sordides intérêts à coups de balles et de bombes. Peut-être, le plus frappant dans cette dynamique morbide est le comportement de plus en plus irrationnel de ses protagonistes. L’obscurantisme de l’État islamique et la dimension suicidaire de son projet n’est qu’une caricature extrême de ce qui, au fond, alimente depuis plusieurs décennies la guerre, comme l’est le terrifiant gonflage de torse de Trump et Kim jong-un qui, s’ils ne se menaçaient pas d’apocalypse nucléaire réciproque, serait purement grotesque.
Cette folle barbarie pousse des millions d’êtres sur les routes et les mers. Et si l’Union européenne a vu les arrivées de migrants divisée par deux en 2017, c’est le seul résultat d’une politique anti-immigrés de plus en plus féroce et meurtrière. Barbelés aux frontières, camps de réfugiés, bateaux traquant les migrants d’un côté, militaires armés dans les rues, vidéosurveillance omniprésente, extension continuelle du pouvoir des flics de l’autre, partout l’État policier se renforce, puisant sa légitimité dans la peur.
Peur, repli sur soi, irrationalité... le terreau est fertile pour des mouvements politiques nauséabonds. Le populisme et les indépendantismes sont de ceux-là. Alors qu’en 2011, le mouvement des Indignados en Espagne était porté par un certain sentiment internationaliste (“De la place Tahrir du Caire à la Puerta del Sol de Madrid” était l’un des premiers slogans des Indignés faisant du “Printemps arabe” une source d’inspiration ; et aucun drapeau ni nationaux ni régionaux n’étaient brandis dans les manifestations), 2017 a été marquée par une flambée de l’indépendantisme catalan, révélateur d’une dynamique de repli régionaliste et nationaliste qui s’exprime à travers le monde. Quant au populisme, il engrange les plus bas instincts humains en dirigeant la colère et les frustrations non pas contre un système, le capitalisme, mais contre une poignée d’hommes, “les élites” ou “l’esablishment” (pour reprendre le mot préféré du président américain actuel). D’ailleurs, qu’un tel individu, Trump, soit parvenu à la tête de la première puissance mondiale en dit long sur l’état de déliquescence de ce monde. Même du point de vue de l’intérêt de la bourgeoisie américaine, ses bouffonneries, son inconséquence et sa nature incontrôlable sont un véritable handicap.
Fondamentalement, ce qui explique cette décomposition du tissu social, cette atomisation des individus comme la progression continuelle de l’irrationalité, est l’absence de perspectives. Le capitalisme décadent ne peut offrir à l’humanité que toujours plus de misère et de guerre. Mais même sur ce terrain impérialiste, il ne parvient plus à structurer la société en nations fortes et regroupées en blocs, disciplinées, qui marchent ensemble vers un projet commun : la Guerre mondiale, comme ce fut le cas de 1914 à 1968. De l’autre côté, depuis la fin des années 1980, le rêve qu’un autre monde est possible... la classe ouvrière n’y croit plus. Elle n’a pas vraiment conscience qu’elle existe et semble même avoir oublié son histoire et n’a pas conscience de sa force. Elle ne parvient pas à être la conscience qui guide l’ensemble de l’humanité vers un monde fait de solidarité, de réflexion, de débats comme expressions du combat de classe. Un monde qui tourne non pour le profit mais pour la satisfaction des besoins humains. Sans cette perspective, le no future ne peut que s’imposer et avec lui tous les replis et toutes les haines.
Pourtant, salariés, chômeurs, étudiants précaires, retraités, du public ou du privé, sur un robot d’une usine ou derrière un écran d’ordinateur, toutes ces composantes de la classe ouvrière existent bel et bien encore. Elle n’a même jamais été aussi nombreuse, reliée internationalement et éduquée. C’est elle qui détient les clefs de l’avenir. La classe dominante le sait, elle qui a passé l’année 2017 à dénaturer la signification de la révolution prolétarienne en Russie à l’occasion de son centenaire avec un tombereau de mensonges et falsifications afin de dissimuler que se cache là une source d’expériences précieuses, d’inspiration, de courage et de confiance pour le prolétariat mondial. Qui a, par exemple, arrêté la boucherie de la Première Guerre mondiale ? La vague révolutionnaire internationale !
Non, la classe ouvrière n’a pas disparu ! L’avenir appartient à ses luttes et à son combat historique. D’ailleurs, tel un symbole, la fin de l’année 2017 a été marquée par des manifestations massives en Iran (comme d’ailleurs en Tunisie en ce début d’année 2018) contre la hausse de prix des denrées de première nécessité, dans un pays en guerre et habitué à des répressions sanglantes, rappelant ainsi le courage des opprimés. Cela met aussi face à ses responsabilités le prolétariat des pays centraux, particulièrement en Europe, qui est constitué de travailleurs venant du monde entier, continuellement depuis deux siècles. Ce prolétariat, hautement éduqué et très dense, porte surtout en lui une très longue expérience politique des pièges les plus sophistiqués tendus par la bourgeoisie, ses syndicats, ses organisations de gauche, sa démocratie, etc... C’est lui qui peut et donc qui doit développer le plus largement et profondément sa conscience et son auto-organisation. Pour cela, il doit renouer avec son histoire, retrouver son identité de classe, reprendre conscience de son existence et prendre confiance en sa force collective.
L’humanité est devant cette seule alternative : haine de l’autre ou solidarité, nation ou classe, militarisme ou révolution, barbarie ou socialisme. “Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”
Horam, janvier 2018
Le 28 décembre dernier, les premières étincelles d’un mouvement rappelant ceux du “Printemps Arabe”, commençait à secouer le territoire iranien. A ce mouvement qui s’essouffle, au moment où nous écrivons ces lignes, font aussi écho d’autres expressions de colère contre la détérioration des conditions de vie, comme au Maroc et surtout en Tunisie.
L’Iran est un pays aux fortes ambitions impérialistes, dont les dépenses militaires dans toute la région du Moyen-Orient se sont nettement accrues.(1) Dans le contexte d’attentes déçues suite à l’accord sur le nucléaire, la crise économique et l’austérité aggravée par la corruption et les sanctions internationales ont plongé la majeure partie de la population dans la précarité et la misère. Depuis des mois, des retraités, chômeurs (28 % des jeunes), enseignants, ouvriers qui n’avaient pas été payé, manifestaient déjà leur grogne. Finalement, la hausse de 50 % de l’essence et des produits alimentaires de première nécessité, comme, par exemple, le doublement du prix des œufs,(2) allait mettre le feu aux poudres. Le mouvement, dans un pays en guerre à la population prétendument “soumise”, a fait irruption depuis Machhad (seconde ville du pays au nord-est) et s’est propagé, touchant la capitale Téhéran, faisant immédiatement tache d’huile sur l’ensemble des principaux pôles urbains : au nord vers Racht et au sud du pays en direction de Chabahar. Dans toutes les foules mobilisées refusant la politique de l’État, la classe ouvrière était présente, même si plutôt diluée dans le reste des manifestants : des ouvriers d’usine, enseignants, bon nombre de chômeurs, énormément de jeunes sans emploi, étaient bien présents, ainsi que de nombreux étudiants. Fait significatif, beaucoup de femmes se sont également mobilisées. Pour autant, malgré une présence combative et un grand courage, la classe ouvrière n’a pas été en mesure de donner une réelle orientation à cette lutte, n’a pu s’affirmer de manière totalement autonome comme réelle force politique.(3) Certes, malgré le poids d’illusions démocratiques et les faiblesses politiques, la bourgeoisie s’inquiétait du fait même de cette explosion de colère “sans leader”. Le grand “guide suprême” Ali Khamenei se murait ainsi au début dans un silence assourdissant et le président Rohani apparaissait bien plus prudent que ferme, le gouvernement annonçant même que la hausse des carburants serait finalement annulée ! Il est vrai que les symboles du pouvoir politique et religieux étaient rapidement pris pour cibles et incendiés : banques, bâtiments publiques, centre religieux et notamment des sièges de Bassidj (milices islamiques du régime). Des heurts violents avec la police conduisaient à de nombreuses arrestations, souvent de jeunes, des dizaines de morts côté manifestants étaient à déplorer. Peu à peu, le ton des autorités s’est affermi tout comme sa riposte. Les “violences” et “actes illégaux” des “meneurs” et “fauteurs de troubles” allaient être “sévèrement punis” annonçait Rohani et Khamenei accusait directement les manifestants d’être des “ennemis de l’Iran”.(4) Comptant laisser pourrir la situation et préparer le terrain de la répression, avec la bénédiction de tous les grands États démocratiques qui cherchent à tirer leur épingle du jeu, le gouvernement pouvait profiter du manque de perspective pour appuyer des contre-manifestations en soutien au régime et son ayatollah. Ces contre-manifestants scandaient “mort à l’Amérique”, “mort à Israël” à la face des “séditieux”. Un tel sursaut patriotique permettait au chef de l’État de jouer sur les divisions et sur le chantage : “Nous ou le chaos.”(5)
Le mouvement populaire spontané auquel nous avons pu assister est le plus important depuis l’année 2009 où une crise sociale, “le mouvement vert”, menaçait d’entraîner les prolétaires derrière l’une ou l’autre des cliques bourgeoises en concurrence. A l’époque, nous écrivions : “Face au camp corrompu et sanguinaire Ahmadinedjad, nous trouvons des gens qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau ! Eux aussi sont clairement pour une République islamiste et pour la poursuite de la fabrication de l’arme atomique iranienne. Tous ces gens se ressemblent car ils défendent tous leurs propres intérêts nationalistes et personnels”. Aujourd’hui, bien plus qu’en 2009, le mouvement a été une réelle expression des exploités et des déshérités eux-mêmes, sans que la classe ouvrière n’ait été capable de jouer pour autant un véritable rôle d’orientation en dehors de quelques minorités très isolées. Bien que des luttes ouvrières en Iran se soient développées et intégrées au combat du prolétariat mondial depuis la fin des années 1960, notamment dans les secteurs clé de l’industrie du pétrole, des transports, de l’enseignement etc., ces luttes ont toujours été trop faibles pour aller au-delà du peu d’impact qu’elles avaient eu à leur sommet en 1978-79, ces dernières ne réussissant qu’à provoquer la chute du Shah. Les faiblesses politiques du prolétariat étaient alors mises à profit par toute une horde de fanatiques religieux et l’ayatollah Khomeiny, appuyés à l’occasion par des staliniens au nationalisme viscéral. Les combats de classes se firent ensuite de plus en plus rares, fortement réprimés après cette “révolution islamique”. Bon nombre d’ouvriers combatifs étaient exécutés sous ce régime des mollahs lors des grèves qui allaient suivre. Les prolétaires allaient même souffrir en plus d’une terrible guerre opposant l’Iran à l’Irak de 1980 à 1988 et qui fit plus d’un million de morts.
Depuis lors, si quelques luttes ont tout de même pu se développer malgré tout, comme durant l’année 2007 où aux 100 000 enseignants se sont joints des milliers d’ouvriers d’usines en signe de solidarité, la faiblesse de la classe ouvrière sur l’ensemble du champ social est restée une donnée essentielle de la situation. Une telle difficulté ne pouvait qu’être exploitée par la classe dominante maintenant une chape de plomb, celle d’un régime où l’État avait fusionné avec les groupes religieux et le pouvoir des mollahs. Cette absence relative d’un prolétariat conscient, marqué par des préjugés nationalistes et des illusions démocratiques, ouvrait la porte aux pires effets de la décomposition sociale et du militarisme.
Malgré la très forte combativité et le fait que les revendications en Iran se soient portées sur le terrain de revendications économiques propices à la lutte prolétarienne, le combat mené s’est essoufflé faute d’unité politique, d’affirmation d’une réelle identité et perspective de classe. De plus, les ouvriers sont confrontés en permanence aux luttes entre fractions bourgeoises rivales dont les manœuvres constituent un très grand danger pour le prolétariat qui risque de se laisser happer ou prendre en otage par l’une ou l’autre de ces cliques. Non seulement ces difficultés faisaient déjà obstacle, mais les conditions objectives liée à l’isolement de l’Iran s’ajoutaient à cela en favorisant la répression. Entouré de pays en guerre, sans possibilité pour les ouvriers de pouvoir espérer la solidarité des prolétaires des pays qui l’entourent, où le nationalisme pèse aussi de manière importante, ces luttes en Iran étaient fortement soumises à des entraves. C’est en cela que les faiblesses du prolétariat en Iran sont avant tout celles du prolétariat mondial.
Ainsi, le principal handicap de ces dernières luttes reste avant tout l’incapacité du prolétariat international, y compris là où il est le plus concentré et expérimenté, c’est-à-dire en Europe occidentale, à se concevoir comme une classe capable d’offrir une perspective à tous les combats. Celui qui s’est mené en Iran doit être un encouragement, une leçon permettant de voir le potentiel que peuvent receler les revendications ouvrières sur le terrain économique. Lutter contre l’austérité, se battre pour la défense de nos conditions de vie est une nécessité. Telle est la première leçon essentielle ! La seconde est que la véritable solidarité, la seule qui puisse être apportée par le prolétariat mondial à ses frères de classe en Iran reste celle de la prise en charge consciente d’une résistance et d’un combat contre l’austérité et contre le système capitaliste.
WH, 5 janvier 2018
1) Alors que l’Iran a souffert de sanctions imposées par les États-Unis, elle a versé d’énormes sommes d’argent dans la guerre au Yémen, en soutenant le Hezbollah, le régime d’Assad et ses bandes armées opérant au niveau international, et, bien sûr, l’armement contre l’Arabie Saoudite. Tout cela alimentant l’austérité aux dépens de la population.
2) Au point qu’on a parlé d’une “révolution des œufs”.
3) Cela, bien que des minorités parmi les étudiants se soient distinguées, notamment à Téhéran et dans d’autres villes, s’opposant nettement à des slogans réactionnaires du type “ni Gaza, ni Liban, je mourrai seulement pour l’Iran”, prônant un authentique internationalisme prolétarien : “De Gaza à l’Iran, à bas les exploiteurs”. De même, ces éléments défendaient le principe des “conseils ouvriers”, refusant également de se laisser entraîner derrière une clique bourgeoise, qu’elle soit “réformiste” ou “fondamentaliste”. Face à ce danger ressenti, les autorités ont arrêté bon nombre d’entre eux, ciblant plus particulièrement les étudiants (voir le forum libcom en anglais).
4) Derrière ces manifestants “ennemis”, les États-Unis et les monarchies du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite, étaient visés. Sur les réseaux sociaux comme Twitter, la plupart des hashtags qui appelaient à manifester venaient en effet d’Arabie Saoudite. De même, l’Organisation des moudjahidine, opposée au régime iranien (basée à Paris et proche des Saoudiens) soutenait les manifestants. Mais le mouvement est bien parti de l’intérieur de l’Iran. Bien entendu, tant Trump par ses provocations que les autres puissances étrangères rivales ne pouvaient que souhaiter l’affaiblissement de l’Iran. Pour le régime iranien, ce mouvement constitue bel et bien un caillou dans sa chaussure.
5) En évoquant la tragédie qui a suivi les mouvements d’opposition en Syrie et la situation de guerre en Irak, le chef de l’État n’avait pas d’autre but que de menacer les manifestants en insinuant l’idée que leur mouvement pourrait provoquer un chaos similaire.
Il y a un peu plus d’un an, la classe bourgeoise lançait une campagne idéologique à l’encontre des Panama papers. Elle constituait, à grand renfort de publicité, des listes noires et grises de paradis fiscaux. A l’entendre, elle venait de redécouvrir des circuits opaques et des lieux géographiques échappant à toute légalité par lesquels circulaient des masses énormes de capitaux. De fait, c’est un air que le prolétariat avait déjà entendu après la phase de crise aiguë en 2008-2009.
Mais voilà que tout semble recommencer ! Une nouvelle campagne idéologique est lancée. Tous les médias bourgeois sont sollicités. Cette fois-ci, il s’agit de dénoncer les Paradise papers. Des personnalités de tous bords sont épinglées : hommes politiques et d’affaires, stars du spectacle ou du sport. La reine Élisabeth II, elle-même, n’échappe pas au scandale. La bourgeoisie, ses médias, bon nombre de ses États semblent infectés à nouveau d’un virus particulièrement actif : celui de la “recherche de la vérité”, de la “moralité” et de “l’équité”.
Les États et leurs médias crient à l’injustice : certains riches ne veulent pas payer les impôts qu’ils doivent à la collectivité nationale et à l’État ! Même les plus grandes sociétés mondiales tenteraient de s’y soustraire ! Cela serait du vol pur et simple ! Le peuple serait lésé, lui qui paye intégralement ses impôts, alors qu’il a le plus souvent des salaires lui permettant juste de vivre !...
Dans ce domaine, la gauche du capitalisme a son rôle à jouer. En France, c’est le parti de Mélenchon, La France Insoumise (LFI), qui crie le plus fort et se déclare scandalisée. Leur mot d’ordre est simple : “il faut faire payer les riches et non pas les pauvres !”. Tous les partis gauchistes sont sur le même créneau : le NPA et Lutte Ouvrière y vont aussi de leur couplet. Si l’État “faisait son travail”, tout cela “n’existerait pas”. Il y aurait plus d’argent pour les hôpitaux, les écoles, les collectivités et tous les autres services publics. De fait, ces déclarations ne sont pas très éloignées de celles tenues par le gouvernement lui-même. Tout cela ressemble fort à ce qui se passe dans tous les pays capitalistes développés de la planète. Cela, même si pour certains l’accent porte sur le fait que cela voudrait dire une baisse des impôts pour les petits salaires, ou pour les entreprises qui pourraient ainsi investir et embaucher.
Il est un fait vérifié mille fois dans l’histoire du capitalisme, c’est qu’il ne faut jamais croire la bourgeoisie et ses médias. Que se cache-t-il derrière ce concert assourdissant, clamant à tue-tête que les tricheurs et les voleurs seront pourchassés et punis ? Que les riches paieront ce qu’ils doivent et que personne n’échappera à “l’égalité devant l’impôt” ? Quelle est la réalité derrière toutes ces déclarations tapageuses ? Finalement, que représentent réellement les paradis fiscaux ?
Un paradis fiscal est un pays, une partie de celui-ci, ou un organisme où l’argent vient en toute impunité, et le plus souvent en toute légalité, se mettre à l’abri. On n’y paye pas ou peu d’impôts et on n’y est pas regardant sur la provenance de ces capitaux investis. Il existe ainsi des milliers de paradis fiscaux dans le monde. Et ceux-ci ne se trouvent pas qu’au sein d’îles plus ou moins exotiques, telles que les îles Anglo-normandes, les îles Vierges ou les Bermudes. Ils ne se résument pas non plus aux petits États que l’on entend cités régulièrement à la télévision ou dans les journaux, comme par exemple le Luxembourg, Malte ou l’Irlande. En réalité, le premier paradis fiscal au monde est la City, la place financière située au cœur de Londres et de la Grande-Bretagne. Elle est la première place financière européenne qui est au centre d’une toile d’araignée où rayonnent des paradis fiscaux offshore. Autrement dit, des capitaux circulant dans des circuits parallèles de paradis fiscaux viennent en dernière instance s’y investir. Les plus grandes banques mondiales (par exemple la banque HSBC) et leurs succursales de l’ombre (les Back banques), les fonds d’investissements, les plus grandes entreprises mondiales y font circuler une grande part de leurs capitaux. L’argent de la drogue, de la prostitution, des ventes d’armes, tout cet argent coule à flots. Nous sommes bien loin de ce que les médias prennent comme bouc-émissaires pour cacher la réalité, comme tel ou tel artiste connu allant cacher ses fonds en Suisse ! Il s’agit d’un système géré par les États eux-mêmes. Une des caractéristiques essentielles du capitalisme décadent réside en effet dans la concentration nationale du capital entre les mains de l’État qui devient l’entité autour de laquelle chaque capital national organise son combat, tant contre le prolétariat que contre les autres capitaux nationaux. Les États ne sont pas les simples “instruments dupés par les multinationales” échappant aux décisions et à la réalité des marchés financiers tels qu’on nous les présente. Au contraire, ils sont les principaux protagonistes sur ces marchés avec les banques et les entreprises qu’ils contrôlent eux-mêmes, en dernière instance. En effet, au-dessus des banques ou multinationales pourtant très puissantes, l’autorité publique nationale des États, malgré les apparences souvent trompeuses, prime toujours. Les multinationales ou entreprises comme Exxon, General Motors ou Apple, indépendamment des prises de participation à leur capital, sont toujours étroitement liées par de multiples réseaux à l’État : avec des achats publics, des financements ou investissements, des nominations de directeurs, etc. En effet, “contrairement à une opinion souvent avancée, en impulsant des projets véritablement innovants, les organismes publics (banques publiques d’investissement et autres) n’évincent pas des banques ou des entreprises privées. Elles font ce que ces dernières ne font pas, ne peuvent pas faire. Loin d’être victimes d’un quelconque effet d’éviction, les entreprises privées ne peuvent pas se développer si l’État ne leur prépare pas le terrain en amont, en procédant aux investissements, notamment en recherche fondamentale, qu’elles ne peuvent pas faire ni financièrement, ni “stratégiquement””.(1) Pour un État, les grandes multinationales qui lui sont liées représentent bien souvent un secteur stratégique de l’économie nationale. Cela ne signifie en rien que les intérêts privés de ces entreprises ou de banques coïncident toujours exactement avec ceux de l’État. La recherche “d’optimisation fiscale” et/ou “la fraude aux impôts” en sont des illustrations très courantes. Sur les marchés financiers et boursiers des titres, l’autorité des États reste prépondérante. Par exemple, la fusion Euronext des Bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam dépend ouvertement des autorités publiques financières, comme celles de l’Autorité des marchés financiers en France ou l’Autorité Européenne des valeurs mobilières. Ces organismes d’État surveillent, contrôlent et peuvent même sanctionner. Là aussi, les intérêts des opérateurs peuvent très bien se heurter aux intérêts de l’État, mais sans échapper pour autant complètement à son contrôle.1
En dépit des efforts de réglementation, les États ont permis le développement exponentiel de ce qu’on appelle le marché de “gré à gré”,(2) rendant paradoxalement les activités et les opérateurs de plus en plus opaques. Ce marché parallèle est surtout réservé aux très gros investisseurs (justement ceux qui sont étroitement liés à des États) dont les échanges peuvent se chiffrer en milliards d’euros. Plus de 50 % de ces transactions, en grande partie douteuses, se font sur les places financières de la City ou de Wall Street. Et les acteurs, au départ, ne sont pas d’illustres inconnus : JP Morgan Chase, Goldman Sachs, Barclays Capital, etc. Il faut ajouter que les acteurs les plus importants sont aussi les banques centrales elles-mêmes, telles la BCE ou la FED.
Si les paradis fiscaux exotiques sont montrés du doigt, la Banque Mondiale souligne cependant que “les systèmes financiers des pays en développement ont moins de profondeur et sont d’un accès plus limité que ceux des pays développés”. Bref, l’essentiel de la fraude fiscale ou “optimisation fiscale” des grands conglomérats, derrière une myriade de sociétés-écran, se fait en réalité “à domicile”. Tous les États encouragent eux-mêmes le offshore en leur sein ! De fait, tous les grands États, tous les grands pays ont de facto sous leur dépendance des paradis fiscaux qui leur permettent d’attirer des devises et des investissements étrangers, ainsi que d’éviter une trop grande fuite de capitaux nationaux vers des paradis fiscaux que d’autres États contrôlent davantage, où qui restent pour le moment plus ou moins en marge de leur propre contrôle. Ainsi, la France a son propre paradis fiscal de prédilection avec la Principauté de Monaco. On peut citer les îles Anglo-normandes pour la Grande-Bretagne, les Bahamas ou l’État du Delaware pour les États-Unis, le Liechtenstein pour l’Autriche ou l’Allemagne. Sur ce plan, la liste est sans fin ! Mais plus que cela encore, les États ont leurs propres fonds d’investissements destinés directement à ces circuits parallèles. Le 11 novembre dernier, le Ministre des finances belge Johan Owerdeveldt déclarait qu’il s’engageait à éviter qu’à l’avenir l’État ne soutienne les investissements dans les paradis fiscaux par l’entremise de la société belge d’investissement tenue à 64 % par l’État. Évidemment, tout ceci est pure hypocrisie et mensonge de circonstance ou manœuvre de façade. Ces discours de théâtre foisonnent depuis des décennies sans que rien ne change. Et pour cause ! Depuis les années 1980, la prolifération des paradis fiscaux est devenue un phénomène de très grande ampleur. Ceux-ci n’auraient jamais pu se développer ainsi et prendre une importance majeure dans l’économie mondiale si, sous la houlette directe des grands États, il n’y avait pas eu une déréglementation de la finance orchestrée et décidée par eux-mêmes. Le capital financier allait prendre dès cette époque des proportions gigantesques et se répandre à l’échelle de la planète, ce type de capital étant devenu nécessaire à la poursuite de l’accumulation capitaliste pour les États eux-mêmes. La recherche de profits toujours plus importants et d’investissements croissants exigeaient cette évolution de la politique du capitalisme d’État à l’échelle de la planète. Ce processus allait être à la racine de la possibilité et de la nécessité de développer de par le monde cet ensemble de paradis fiscaux drainant une grande part des liquidités. C’est ainsi que le site de Business Bourse du 18 novembre pouvait écrire : “les mal nommés paradis fiscaux fonctionnent comme des bordels du capitalisme. On y fait des affaires sales, qui ne peuvent être reconnues publiquement, mais qui sont indispensables au fonctionnement du système. Comme les maisons closes dans la société traditionnelle”. Les Paradise papers comme les Panama papers auraient été dépistés et rendus publics par un consortium de journalistes d’investigations, appartenant à 96 des plus grands journaux de la planète. Les plus importants titres de la presse bourgeoise occidentale en font partie. Pour ce qui concerne le France, c’est au journal Le Monde que ce travail échoit. La presse bourgeoise semble en chasse. Mais là-aussi les chefs d’orchestre ne sont personne d’autre que les États capitalistes. Toutes cette presse d’investigation est en réalité le relais et l’exécutant consentant des politiques orientées dans le seul intérêt des économies nationales et de leurs États en présentant ces États comme des garants de la justice sociale et des “victimes” des “gangsters financiers”, des “banques véreuses”...
Les paradis fiscaux ont pris un poids économique majeur dans la réalité du commerce mondial. Les deux tiers des hedge funds (fonds d’investissement spéculatifs) seraient domiciliés dans les paradis fiscaux jouant un rôle de premier plan au niveau des investissements dans la production et dans le secteur financier. Plus de 40 % des profits des grandes sociétés et entreprises mondiales atterrissent dans les paradis fiscaux. Déjà, en 2008, juste après la crise ouverte, 35 % des flux financiers transitaient par ces canaux offshore. Mais, plus parlant encore, 55 % du commerce international dépendait directement de ces flux de capitaux. Ceci alors que, depuis cette époque, cette masse de liquidité n’a fait qu’augmenter de manière exponentielle.
Se pose alors une question : pourquoi les États capitalistes orchestrent-ils maintenant ce grand déballage médiatique ? Il est un fait aujourd’hui publiquement connu, celui de l’endettement global des nations capitalistes et de leurs États. Certes, tous ne sont pas logés à la même enseigne. L’Allemagne, par exemple, est un pays qui fait relativement exception. Mais les États-Unis, le Japon, les pays d’Europe, tous connaissent un déficit public vertigineux. En la matière, la Chine est devenue un modèle du genre. Si l’économie capitaliste a aujourd’hui un besoin impérieux des paradis fiscaux, les États capitalistes ont, pour ce qui les concerne, un besoin vital d’argent. Le financement des banques centrales dans ce domaine ne pouvant pour le moment à lui-seul soutenir la dette des États, ceux-ci ont donc besoin de faire entrer dans leurs caisses un maximum d’impôts, au moment même où une grande partie de ceux-ci leur échappent par l’entremise des paradis fiscaux. En juillet 2012, la fondation “indépendante” Réseau pour la justice fiscale, publiait une étude sur les paradis fiscaux et sur l’évasion fiscale chiffrée autour de 25 500 milliards d’euros, soit plus que la somme du PIB des États-Unis et du Japon réunis. Ceci au moment même où chaque grand État doit augmenter ses dépenses militaires et d’armement, tant les guerres impérialistes s’étendent à la surface du globe. Tout en devant également gérer un chômage de masse et une explosion de la pauvreté. Si chaque État tente par tous les moyens de réduire autant qu’il le peut ce qui est versé à cette partie du prolétariat rejeté de manière croissante du monde du travail, cela s’accompagne également d’un flicage renforcé de celui-ci et de toute la population qui coûte de plus en plus cher à la bourgeoisie. De fait, derrière la campagne idéologique internationale menée par la bourgeoisie sur ces fameux Paradise papers, se cache surtout une concurrence fiscale et financière féroce. Il s’agit d’empêcher autant que possible que d’autres États attirent dans des paradis fiscaux qui relèvent de leur sphère d’influence, des sièges sociaux de grandes entreprises qui échapperaient ainsi à tout paiement d’impôt dans les pays où ils réalisent réellement leurs profits. C’est donc dans chaque pays que le capitalisme d’État doit toujours plus se renforcer dans une véritable guerre financière. Derrière ces fameuses “découvertes” dans des enquêtes prétendument “indépendantes” de tous les grands journaux bourgeois, ce sont les exigences du capitalisme en crise qui s’expriment et s’imposent ainsi à lui. Outre le besoin de trouver des liquidités et faire face à la fraude fiscale, les États capitalistes cherchent surtout à mieux contrôler les différents acteurs sous leur coupe, notamment via la réglementation du monde opaque de la sphère financière. C’est déjà ce qui avait été tenté depuis longtemps par de grands organismes internationaux, notamment au milieu ces années 1990 : “À la suite du sommet du Groupe des Sept qui s’est tenu à Halifax en 1995, une série d’initiatives visant un meilleur fonctionnement des marchés financiers ont été lancées, en grande partie sous les auspices du Fonds Monétaire International et de la Banque des Règlements Internationaux. Celles-ci ont pour but d’améliorer la transparence et le mode de divulgation des données financières et économiques, de renforcer la surveillance des systèmes financiers nationaux et internationaux, de mettre en place des mécanismes de soutien pour les périodes de crise et de fournir de la formation dans le domaine de la supervision du secteur financier”(3). Malgré les mesures prises, la réalité de la crise économique, les visions à court terme et les politiques irresponsables de certains opérateurs privés ou même publics, la tendance au chacun pour soi ont accru les dangers de fragmentation du commerce et de l’économie mondiale. Les scandales à répétitions, des Panama papers aux Paradise papers, fortement médiatisés, servent à souligner la nécessité de ce besoin d’emprise plus complète de la part des États, cette volonté de “mettre au pas” les plus indisciplinés qui agissent dans l’ombre au détriment des conditions permettant l’accumulation capitaliste selon les besoins des grands parrains que sont les États. Comme le montre toute l’histoire des efforts fragiles et complexes effectués pour tenter d’encadrer la finance, les paradis fiscaux gardent leur utilité et ne sont pas prêts de disparaître. Mais l’État se doit de rester le grand maître des voyous, garder le monopole de toute une masse croissante de capitaux qui risquent de lui échapper davantage s’il n’agit pas en conséquence. Cela, d’autant plus que la corruption, les “affaires” et ce que la bourgeoise appelle pudiquement les “conflits d’intérêts” tendent à se généraliser davantage et à miner les intérêts supérieurs de l’État. Le comble de l’hypocrisie reste bien entendu celle des leaders politiques, à la tête des États ou des gouvernements, qui, en même temps, sont souvent les premiers fraudeurs fiscaux, du moins de grands spécialistes de “l’optimisation fiscale” ! Parmi les révélations des Paradise papers, n’oublions pas tous ces sinistres faux-jetons de politiciens épinglés qui s’avèrent souvent les défenseurs les plus zélés de l’austérité et les plus ardents promoteurs des réformes anti-ouvrières.(4)
Le capitalisme en crise sème les paradis fiscaux et les tentatives pour les réglementer. Comme il sème de plus en plus le chômage, la précarité et la pauvreté. Toute cette dégradation de la vie du prolétariat n’a rien à voir avec l’existence ou non de paradis fiscaux ou de l’exode de la fiscalité. C’est de l’intérêt du capitalisme à exploiter avec profit la classe ouvrière dont il est question. Un ouvrier qui ne rapporte plus au capital est une marchandise inutile, qu’il faut entretenir au plus bas prix, pour acheter la paix sociale. C’est une bouche inutile pour le capitalisme et la masse des sans-travail augmente inexorablement. Au niveau atteint par l’endettement des États aujourd’hui, une entrée d’argent supplémentaire par l’impôt ne pourrait en aucun cas permettre d’enrayer les difficultés croissantes en matière budgétaire. Seule une baisse des dépenses de ce que la bourgeoisie appelle cyniquement les “dépenses sociales” est à l’ordre du jour. Derrière toute idée d’une prétendue moralisation du capitalisme, d’une lutte contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale, se cache un avenir non avouable que réserve ce système en crise : la poursuite de la détérioration de l’ensemble des conditions de vie de tous les prolétaires.
Stephan, 28 décembre 2017
1) L’État conserve un rôle majeur dans l’innovation, Le Monde.fr du 27 janvier 2014.
2) Sur un marché de gré à gré, les transactions sont conclues directement entre le vendeur et l’acheteur, sans verser de commission à la Bourse dans laquelle s’effectue la transaction.
3) La mondialisation des marchés financiers et la politique monétaire, discours de Gordon Thiessen, ancien gouverneur de la Banque du Canada.
4) Quelques noms révélés liés aux Panama et Paradise papers :
- Le secrétaire américain au Commerce, proche de Donald Trump ;
- L’ex-trésorier des Tories, Michael Ashcroft ;
- Le Premier ministre islandais Gunlausson ;
- Au Brésil, les ministres de l’Économie et de l’Agriculture, Henrique Meirelles et Blairo Maggi ;
- Le président argentin, Mauricio Macri ;
- Un proche du Premier ministre canadien, Justin Trudeau ;
- Ian Cameron (le père de David Cameron) ;
- De nombreux oligarques russes et proches du Kremlin ;
- L’avocat d’affaires Arnaud Claude, associé de l’ex-président de la République au sein du cabinet Claude & Sarkozy...
La presse a publié récemment l’histoire de propriétaires d’une papeterie vosgienne (fermée depuis trois ans après cinq siècles d’activité) ayant saboté les machines susceptibles d’être rachetées par des concurrents lors de ventes aux enchères. Le matériel principal, les rouleaux de la machine à papier, ont été percés afin qu’aucun concurrent ne puisse les utiliser.
Après la fermeture de l’usine, qui avait laissé 162 personnes sur le carreau en janvier 2014, d’anciens salariés s’étaient battus en justice, mais en vain, pour reprendre l’usine : le propriétaire du site, le groupe finlandais UPM, avait refusé de la leur céder pour trois millions d’euro, en exigeant dix après être revenu sur la promesse de laisser l’usine aux salariés licenciés pour un euro symbolique. L’ancienne direction osa déclarer : “Si nous fermons l’usine, c’est pour réduire les surcapacités. Pas pour la retrouver ailleurs, et que sa production revienne en France inonder le marché !” L’ignominie est flagrante et spectaculaire de la part de “patrons-voyous” prêts à pratiquer la politique de la terre brûlée pour ne pas avoir de concurrence et préserver leurs profits. Hélas, elle n’est absolument pas exceptionnelle. C’est l’expression même du fonctionnement capitaliste : la rentabilité et le profit commandent. Pour cela, tous les coups sont permis !
Après avoir mis sur la paille des centaines d’ouvriers pour préserver les profits de l’entreprise, le matériel lui-même est détruit pour ne plus pouvoir servir à quiconque, sans états d’âme sur le gaspillage technologique et humain que cette destruction reflète, et encore moins sur l’impact moral, émotionnel, social engendré par la destruction de ces machines sur les salariés actuels ou retraités. Ignorés et même méprisés le travail humain, les efforts, les histoires, les savoir-faire symbolisés par ces machines. Pur gaspillage parce que cet acte n’a rien à voir avec un besoin de remplacement naturel de machines usées. Non, il faut les détruire, de manière violente et brutale pour la seule loi du profit, au nom de la lutte contre la concurrence étrangère. Une expression aboutie de ce qu’on appelle le “patriotisme économique” ! Outre ces opérations de sabotage indissolublement liées à cette nature concurrentielle du capitalisme, le fonctionnement et la logique capitalistes sont toujours au prix d’un gaspillage que l’on retrouve partout et pour d’autres motifs, notamment commerciaux. Mille exemples viennent à l’esprit : l’obsolescence programmée pour nombre de produits de consommation courante (ordinateurs, frigidaires, machines à laver le linge ou la vaisselle, téléphones, imprimantes, etc.) est devenue systématique dans d’innombrables secteurs économiques qui se livrent une véritable guerre commerciale face à un marché de plus en plus saturé. Et que penser de la destruction de 1,3 milliards de tonnes de produits alimentaires chaque année(1) (lait, céréales…), soit 1/3 de la production mondiale ( !), pour maintenir les cours boursiers alors que des centaines de millions de personnes crèvent la faim, ou du gaspillage de travaux de recherche, technologiques et médicales, mis en concurrence au lieu d’être pleinement associés ? Les exemples de gaspillage sont infinis. Cette logique ne traduit en rien une perspective de développement de l’humanité, de l’activité pour répondre aux besoins humains, mais exactement l’inverse. Elle traduit l’irrationalité et l’immoralité du monde capitaliste.
Les ouvriers se sont particulièrement indignés de ce sabotage, pas tant parce qu’ils avaient encore l’illusion de pouvoir reprendre une activité avec ces machines, mais parce que ce sabotage va bien au-delà des machines elles-mêmes : c’est un manque de respect, une offense à la dignité pour tous ceux qui ont travaillé là, depuis cinq siècles. Le respect de ce que représentent ces machines pour l’activité prolétarienne, fait toute la différence entre le point de vue du travail et celui du capital. Les valeurs du capital, sa conception du travail salarié, du processus productif pour réaliser un profit, et de l’être humain tout simplement n’ont rien à voir avec les valeurs que peut exprimer la classe ouvrière. Certains argueront qu’il est arrivé que des ouvriers menacent de détruire ou même détruisent leur usine. C’est vrai. Mais la bourgeoisie, tout au long de son histoire, a détruit sciemment et sans vergogne d’innombrables machines de production, en particulier pendant les guerres, alors que le sabotage par les ouvriers eux-mêmes n’a jamais exprimé autre chose que le désespoir ponctuel de prolétaires atomisés et l’absence de perspective dans des circonstances bien particulières : “De tels actes sont fondamentalement des expressions du mécontentement et du désespoir, surtout fréquents dans les périodes de reflux pendant lesquelles ils ne peuvent en aucune façon servir de détonateur et qui tendent, dans un moment de reprise, à s’intégrer et à être dépassés dans un mouvement collectif et plus conscient”(2). De fait, le sabotage et la destruction aveugle sont surtout l’émanation stérile des classes sans avenir.
Depuis les origines de l’humanité, le travail exprime la réponse au besoin de se nourrir, de s’habiller, de se loger mais aussi de se faire plaisir, de stimuler l’esprit, le goût de la découverte et du savoir. Il représente de manière fondamentale la possibilité et la réalité de créer quelque chose avec ses mains, avec sa tête, en transformant la matière, en y prenant plaisir. Il y a chez l’homme, une tendance naturelle au travail bien fait, à accomplir et réaliser au mieux un ouvrage et nul ne prend plaisir à mal faire son travail.
Il a fallu des siècles à l’humanité pour acquérir des compétences, des techniques sans lesquelles les plus beaux produits, les plus pointus et les plus efficaces, les plus géniaux, tous les chefs-d’œuvre artistiques, n’existeraient pas. Ces techniques et ces compétences sont au cœur de tous les métiers de l’art, de la culture, de l’industrie, de l’agriculture. Apprendre, transmettre ces secrets de fabrication demandent intelligence, patience, persévérance et sont sources de plaisir, de fierté souvent.
Si l’homme aime faire du bon travail, comment donc peut-il mal travailler ? Si bâcler son travail le fait souffrir, pourquoi le fait-il ? Tout simplement parce qu’une société d’exploitation, le capitalisme en l’occurrence, est aux commandes. Ses lois de fonctionnement pour obtenir un profit au détriment des besoins humains, impliquent la concurrence mortelle, la rentabilité exigée, les cadences imposées qui en découlent, la séparation du travail manuel et intellectuel, l’aliénation du travail vivant à la machine et souvent la destruction du corps, de la vitalité et plus encore de la créativité des exploités. Les ouvriers ont alors le sentiment d’être eux-mêmes un instrument, une chose, un rouage programmé au service de l’ogre capitaliste. L’image de Charlie Chaplin coincé dans la machine du film : Les Temps modernes, en est tout un symbole.
L’outil, la machine, fruit de toute l’évolution technologique, de l’expérience et de la richesse du travail humain, conçue par l’homme, permet aujourd’hui de produire de manière beaucoup plus rapide, efficace et systématique. Ce travail, bien qu’aliénant et destructeur, s’est aussi construit au fil des générations dans le cadre d’une activité humaine faite d’efforts collectifs et d’expériences partagées. Alors, quand un patron sabote, détruit un outil de production, une machine, c’est comme s’il détruisait également cette somme d’expériences, de travail associé et d’efforts communs. Après le licenciement, cette destruction ressemble à une double peine pour les ouvriers de cette papeterie.
Le savoir-faire, le respect pour la matière transformée, dans la maîtrise du geste et de l’outil, se sont transmis de générations en générations. De l’artisanat à la manufacture, de la manufacture à l’usine. Cette production est devenue une collaboration en équipes de plus en plus ample, un travail associé qui nécessite certes que chaque ouvrier fasse du bon travail, mais surtout que ces ouvriers travaillent ensemble et dans le même sens, celui de l’intérêt commun. Même dans le cadre du capitalisme, de la division du travail à outrance, des cadences infernales, chaque ouvrier a pourtant plus de plaisir à contribuer à la réalisation collective qu’à garder “jalousement” sa compétence personnelle, son succès personnel. Bien usiner un boulon, avoir un plan aux bonnes côtes, élaborer un logiciel, avoir un diagnostic sûr à l’accueil des urgences de l’hôpital,… tout cela n’a de sens que si cela participe d’une construction plus globale. Et c’est généralement une réelle fierté que d’y avoir participé.
C’est effectivement cette caractéristique de la classe ouvrière, comme classe associée dans une activité commune, intégrant les compétences de chacun, qui en fait la classe permettant d’entrevoir un futur à l’humanité libérée de l’exploitation, du salariat, du profit, pour en arriver enfin à la seule satisfaction des besoins humains. Face à la décadence du capitalisme, à la dégradation des condition de travail, nombre de philosophes, sociologues ou même managers peuvent se gargariser à bon compte sur la nécessité, en soi, d’en revenir à un travail bien fait, apprendre le bon geste et le maîtriser. Ils peuvent développer leurs incantations sur la bonne utilisation et la bonne maintenance de la machine, pour “diminuer les accidents du travail et les risques psychosociaux”, la nécessité d’une “meilleure réorganisation du travail”, la réalité du capitalisme est faite de souffrances au travail dans un monde totalitaire où règne la loi de la marchandise. Tout cela révèle une immense hypocrisie, ravivée au quotidien par les impératifs de fonctionnement du capital.
Le concept de “patrons-voyous”, aussi juste soit-il par rapport à des comportements réels, fait référence à tout un tas de méfaits. Cela va de la fraude fiscale, du délit d’initié, de la discrimination à l’embauche, aux manquements à la sécurité, aux licenciements abusifs, au harcèlement, aux paiements tardifs des salaires, etc. Cette “hiérarchisation” des fautes permet de s’indigner des méfaits les plus spectaculaires de la voyoucratie capitaliste et de banaliser des procédures infectes, permanentes, qui touchent globalement à l’exploitation elle-même, à la confrontation avec la classe ouvrière, collectivement ou individuellement.
Et surtout, en suivant cette logique de dénonciation, en les pointant du doigt, de tels ou tels “patrons-voyous”, on devrait en déduire qu’il existerait des “patrons-honnêtes”, propres sur eux et “réglos” avec les employés. En somme, il existerait une exploitation “humaine et équitable”, un capitalisme “éthique” en quelque sorte. Rien n’est plus faux ! Quotidiennement, dans les entreprises, des plus grandes au plus petites, dans les administrations, le secteur public, la classe ouvrière vit tous les jours la réalité de l’exploitation, la course à la rentabilité, la précarisation croissante. Que le patron soit “voyou” ou “honnête” n’est pas la question. Tous les patrons sont des exploiteurs. Il ne peut en être autrement. Ce sont les lois du capital. Le chômage de masse lui-même exprime cette inhumanité du capital au même titre qu’un capitaliste saboteur vosgien. Le capitalisme exhale la destruction et la “voyoucratie” par tous ses pores. C’est le plus grand voyou d’aujourd’hui : immoral, cynique et hypocrite. Il faut le renverser et le remplacer par une société sans classe, sans salariat, une société ou le travail, l’activité humaine ne sera plus synonyme d’exploitation mais de plaisir et créativité.
Stopio, 11 décembre 2017
1) Le Monde.fr, le 16 octobre 2014.
2) Terreur, terrorisme et violence de classe, Revue Internationale n° 14 et 15.
Le vandalisme dont ont fait preuve les “patrons-voyous” des Vosges n’est pas un fait isolé mais appartient à une longue tradition capitaliste.(1) L’année 1917 en est un exemple concret particulièrement significatif.
Cette année-là, outre la rage et la vengeance contre l’audace politique des exploités, la classe dominante s’est livrée à ce qui relevait d’actes de guerre contre son ennemi prolétarien, visant à générer désordres, chômage et même famines, dans le but de discréditer la révolution. Les révolutionnaires ont dénoncé avec indignation la brutalité de ces pratiques de sabotage et de destructions, en particulier venant des plus hypocrites : les démocrates, notamment les politiciens “socialistes” usurpateurs du gouvernement provisoire, encensés aujourd’hui par la propagande officielle.(2) Victor Serge s’indignait ainsi très justement : ““Tous les moyens sont bons !” Ce n’était pas des mots. La démocratie contre-révolutionnaire recourait, en grand, à une arme impitoyable, du reste contraire aux usages de la guerre : au sabotage systématique de toutes les entreprises d’intérêt général (ravitaillement, services publics, etc.) La guerre des classes, dès son début, brisait le moule conventionnel du droit de la guerre”.(3)
Sous la plume de Léon Trotski, qui s’appuie lui-même sur le témoignage de John Reed, nous voyons que les sabotages obéissaient à une vaste entreprise contre-révolutionnaire, quasiment planifiée. Au-delà de cette dimension politique essentielle, nous voulons souligner l’indignation morale partagée à propos de la réalité d’odieux scandales révélés. L’ironie mordante de Trotski, lorsqu’il évoque le “courage” des industriels, donne une vigueur supplémentaire à ce qui constitue, selon nous, un véritable réquisitoire :
“L’affaiblissement, en juillet, des positions du prolétariat rendit courage aux industriels. Un congrès des treize plus importantes organisations d’entreprises, et dans ce nombre des établissements bancaires, créa un comité de défense de l’industrie qui se chargea de la direction des lock-out et en général de toute la politique d’offensive contre la révolution. (...) Le défaitisme économique constituait le principal instrument des entrepreneurs contre la dualité de pouvoir dans les usines. A la conférence des comités de fabriques et d’usines, dans la première quinzaine d’août, l’on dénonça en détail la politique nocive des industriels, tendant à désorganiser et à arrêter la production. Outre des manigances financières, on appliquait largement le recel des matériaux, la fermeture des ateliers de fabrication d’instruments ou de réparation, etc. Sur le sabotage mené par les entrepreneurs, d’éclatants témoignages sont donnés par John Reed qui, en qualité de correspondant américain, avait accès dans les cercles les plus divers, obtenait des informations confidentielles des agents diplomatiques de l’Entente et pouvait écouter les francs aveux des politiciens russes bourgeois. Le secrétaire de la section pétersbourgeoise du parti cadet (écrit Reed) me disait que la décomposition de l’économie faisait partie de la campagne menée pour discréditer la révolution. Un diplomate allié dont j’ai promis sur parole de ne pas révéler le nom, confirmait le fait sur la base de ses informations personnelles. Je connais des charbonnages près de Kharkov qui furent incendiés ou noyés par les propriétaires. Je connais des manufactures textiles de la région moscovite où les ingénieurs, en abandonnant le travail, mettaient les machines hors d’état. Je connais des employés de la voie ferrée que les ouvriers surprirent à détériorer les locomotives. Telle était l’atroce réalité économique. Elle répondait non point aux illusions des conciliateurs, non point à la politique de coalition, mais à la préparation du soulèvement kornilovien”.(4)
1) Dans la toute première enfance du mouvement ouvrier, des révoltes d’ouvriers ont conduit parfois à des destructions de machines, notamment en Angleterre (les Luddistes). Mais ces actes avaient une toute autre nature. Ponctuels et limités, ils exprimaient un cri de révolte contre le bagne industriel ; surtout ils étaient la marque de l’immaturité du mouvement ouvrier naissant.
2) Lire notre article à propos de l’émission diffusée par Arte sur la révolution russe : la bourgeoisie récupère la révolution démocratique de Février 1917 pour falsifier la Révolution d’Octobre.
3) Victor Serge, L’an I de la révolution russe.
4) Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, Tome II. Sur la tentative de putsch réactionnaire du général Kornilov, lire notre brochure : Octobre 1917 début de la révolution mondiale.
p { margin-bottom: 0.21cm; }a.sdfootnoteanc { font-size: 57%; } A peine le Parti socialiste était-il péniblement unifié en France que le mouvement ouvrier était traversé par une nouvelle crise provoquant une profonde fracture en son sein : le divorce entre le parti et les syndicats.
La Charte syndicale issue du Congrès d’Amiens en 1906 officialisa la séparation complète entre le PS et les syndicats, entre l’action politique et l’action revendicative. Elle proclamait solennellement : “En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérales n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale”. Cette “indépendance” traduisait une méfiance qui visait à prendre des distances par rapport au gouvernement “socialiste-bourgeois” de Millerand et Waldeck-Rousseau. mais elle exprimait également une méfiance profonde envers les partis politiques, particulièrement envers les guesdistes.
Cette orientation était le résultat de plusieurs facteurs importants :
– Le poids de l’anarchisme dans la société française hérité de la faiblesse du prolétariat industriel, du poids de l’artisanat et de la petite industrie marqué, comme lors de la Commune, par l’idéologie petite-bourgeoise proudhonienne ou bakouniniste. Le syndicalisme, avec sa structure fédéraliste et corporatiste, servait précisément de refuge de prédilection aux anarchistes, exclus de l’Internationale et fragilisés par les “lois scélérates” de 1896 prises à leur encontre après une série d’attentats. Le syndicat était par ailleurs un terreau fertile pour développer l’activisme et l’immédiatisme profondément ancrés dans leurs conceptions ;
– Le développement du syndicalisme, et le syndicalisme révolutionnaire en particulier, était aussi une réponse face à la collaboration de classe défendue par la droite du PS et sa politique de plus en plus opportuniste de votes de confiance aux ministères bourgeois. A cet égard, même si l’aile réformiste du parti, à l’image de Jaurès, adopta une attitude nettement plus conciliante et conciliatrice que celle des guesdistes envers l’action syndicale, elle suscita une même attitude de méfiance et de rejet de la part des syndicalistes révolutionnaires ;
– Les guesdistes portent également une lourde responsabilité dans le développement du rejet du combat politique par les syndicats. Trente ans de relations conflictuelles et de tensions ont poussé beaucoup de syndicalistes combatifs à se détourner de la lutte politique et à se réfugier sur le terrain du syndicalisme révolutionnaire.
Si le POF, lors de son Congrès de fondation en 1879 à Marseille, considérait encore que “l’appropriation collective de tous les instruments de travail et force de production doit être poursuivie par tous les moyens possibles”, il allait rapidement affirmer que le syndicat ne pouvait être qu’un appendice du parti. La base théorique des maladresses guesdistes sur le terrain syndical apparaissait avec clarté au Congrès de Lille en 1890 : il fallait adhérer aux syndicats, disaient-ils, “pour y répandre l’idée socialiste et y recruter des adhérents au programme et à la politique du Parti”. Fréquemment, dans les départements, les fonctions de direction politique et syndicale étaient assurées par les mêmes personnes et leurs Congrès étaient confondus. De même, la Fédération des Syndicats créée en 1886 par les guesdistes ne faisait que vivoter lorsque ces derniers se retirèrent en 1894 après une tentative manquée pour imposer leurs vues.
Surtout, même si de nombreux guesdistes surent apparaître dans les années 1880-90 comme de vrais animateurs des grèves, leur tendance de plus en plus prononcée à abandonner le terrain des grèves et des luttes revendicatives au profit du terrain électoral suscita un sentiment de méfiance, d’opposition, voire d’hostilité à leur égard qui fut le terreau du syndicalisme révolutionnaire pour la lutte de classe. Il est difficile de dissocier les erreurs politiques de Guesde et ses nombreuses confusions théoriques dans l’assimilation des principes et la défense du marxisme de son attitude dogmatique, sectaire et cassante envers l’action syndicale, ainsi que de ses dérives opportunistes de plus en plus marquées. Ces attitudes toujours plus ambiguës par rapport aux grèves(1) sont à mettre en parallèle avec un enfermement chaque fois plus prononcé dans la sphère électoraliste et parlementaire. Ainsi, en 1896, Guesde s’opposa totalement au Congrès de Londres qui, sous l’influence de l’Internationale, chercha à créer un regroupement syndical à l’échelle internationale, déclarant qu’il ne pouvait s’agir d’un Congrès syndical mais d’un Congrès socialiste : “L’action corporatiste se cantonne sur le terrain bourgeois, elle n’est pas forcément socialiste. (…) Ce n’est pas de l’action corporatiste qu’il faut attendre la prise de possession des moyens de production. Il faut d’abord prendre le gouvernement qui monte la garde autour de la classe capitaliste. Ailleurs, il y a mystification ; plus : il y a trahison”. Au départ, cette réaction semble justifiée dans le cadre de la critique des limites du corporatisme et du syndicalisme mais ses positions l’amènent à se centrer sur le terrain électoral, et surtout à alimenter ses confusions sur la prise du pouvoir où il est incapable de tirer les mêmes enseignements que Marx de l’écrasement de la Commune : il ne s’agit en effet pas de s’emparer de l’État bourgeois mais de le détruire. Ceci, combiné avec la vision jacobine et patriotarde (évoquée dans un précédent article), allait l’entraîner inexorablement vers la participation comme ministre d’un gouvernement bourgeois et aux trahisons qu’il pensait dénoncer et traquer.
Les guesdistes prenaient également résolument position contre le principe de la grève générale qui, sous l’influence des anarchistes, fut adoptée à une large majorité au Congrès de Nantes en 1894,(2) ce qui provoqua une scission des guesdistes et l’abandon définitif du terrain syndical sur lequel ils avaient perdu tout contrôle. Guesde et ses partisans partaient d’un point de vue juste : la notion de grève générale conçue à la fois comme une “recette anarchiste” et comme un but en soi, un moyen d’“exproprier les capitalistes”, revenait à faire, dans la tradition anarchiste, l’impasse sur l’État bourgeois. Le guesdisme mettait au contraire en avant la notion de “conquête politique du pouvoir” nécessaire pour le prolétariat. Mais à leurs préoccupations et arguments justifiés se mêlait une vision sectaire et confuse conjuguée à de lourdes erreurs de méthode, finissant par négliger puis nier le rôle de la lutte revendicative comme facteur essentiel de l’action prolétarienne. Guesdistes et anarchistes se rejoignaient d’ailleurs dans l’adhésion, plus ou moins explicite et consciente à la “loi d’airain des salaires” de Lassalle. Cela permet de comprendre comment les guesdistes sont passés d’interventions brutales et de revendications maximalistes dans les mouvements revendicatifs à une politique d’abandon de l’intervention.
On est bien loin de l’attitude de Rosa Luxemburg qui, tout en rappelant la lutte des marxistes depuis Engels contre la vision abstraite de la grève générale, ne se contenta pas de défendre dogmatiquement cette position classique et comprit que les conditions pour poser le problème avaient évolué en 25 ans. Elle su ainsi discerner dans la révolution russe de 1905 un phénomène nouveau qui démontrait concrètement comment, dans la pratique du mouvement révolutionnaire pouvait être dépassée la fausse opposition entre luttes revendicatives et luttes politiques : la grève de masse(3). L’attitude des guesdistes n’a au contraire fait que pousser les syndicats à se jeter dans les bras soit de l’anarchisme, soit du réformisme et de la collaboration de classe.
Tous ces éléments n’ont fait qu’alimenter un climat de méfiance et d’incompréhension réciproque et cela n’a abouti qu’à affaiblir, diviser et désunir profondément le mouvement ouvrier. A ce niveau, le syndicalisme a pu s’orienter vers le syndicalisme révolutionnaire qui fut alors une réponse prolétarienne face à l’opportunisme du parti : “Le syndicalisme révolutionnaire a été le résultat direct et inévitable de l’opportunisme, du réformisme et du crétinisme parlementaire”(4). Mais ce fut aussi une réponse partielle et schématique, incapable de saisir dans toute sa complexité la période charnière du début du XXème siècle et ce fut une réaction elle aussi fortement entachée d’opportunisme(5). Il fut ainsi à la fois l’expression et un facteur actif de l’influence de l’idéologie anarchisante prônant la méfiance systématique envers toute organisation politique du prolétariat, voire même une théorisation de “l’anti-partidisme”. Comme le disait Trotsky : “Le syndicalisme révolutionnaire s’efforçait de donner une expansion aux besoins de l’époque révolutionnaire qui approchait. Mais des erreurs politiques fondamentales (celles même de l’anarchisme) rendaient impossible la création d’un solide noyau révolutionnaire, bien soudé idéologiquement et capable de résister effectivement aux tendances patriotiques et réformistes”(6).
Cela a poussé parti et syndicats à persévérer et s’enfoncer dans leurs dérives, dans une même pratique opportuniste alimentée par leurs confusions politiques et déformations idéologiques. Leurs incompréhensions et leurs erreurs ont développé les travers, les faiblesses vers lesquels ils tendaient “naturellement” pour parvenir, finalement, dans leur immense majorité, aux mêmes trahisons.
On ne peut pas passer sous silence dans cette dérive tragique, le rôle négatif de la direction prise par la IIème Internationale sous l’emprise de ses dérives opportunistes, notamment au sein de la social-démocratie allemande. Il faut noter l’influence très importante des thèses révisionnistes de Bernstein sur le comportement pratique de Millerand et sa décision d’entrer dans le gouvernement bourgeois de Waldeck-Rousseau. Mais l’attitude affinitaire de Kautsky pour protéger son “ami” Bernstein des attaques de la gauche révolutionnaire du parti et les critiques envers le routinisme du parti, la censure qui a prévalu dans le parti contre la brochure de Rosa Luxemburg, l’odieuse campagne diffamatoire et le tombereau de calomnies qui ont été déversées sur elle et la gauche, traduisaient, au nom de la défense de l’orthodoxie et de l’unité du parti, avant tout la perte, l’abandon de l’esprit de combat et des valeurs morales qui ont joué un rôle central déterminant dans son évolution et sa trahison ultérieure.
Il faut brièvement évoquer ici comment le syndicalisme naissant en France a évolué vers le syndicalisme révolutionnaire, ainsi que ses forces et ses faiblesses. Alors qu’une loi de mars 1872 frappait encore de prison l’affiliation à toute association ayant pour but “de provoquer à la suspension du travail, à l’abolition du droit de propriété, de la famille, de la religion ou du libre exercice des culte”, en 1876 fut organisé à Paris un Congrès rassemblant 151 organisations représentant des métiers ou des professions : l’accent fut mis sur l’association coopérative, sur l’apprentissage et l’enseignement professionnel. Mais le Congrès était encore réticent sur le recours à la grève. Les premiers regroupements syndicaux avant la création des Bourses de Travail et de la CGT n’avaient souvent qu’une vie éphémère. Les Bourses du travail n’avaient d’ailleurs rien de révolutionnaires car leur projet était conçu à l’origine comme un simple bureau de placement des ouvriers, assuré par les syndicats. Mais les années 1878 à 1882 furent marquées par une poussée importante des grèves dures, notamment dans les régions les plus industrialisées. Sous cette pression, à l’attachement aux conceptions anciennes s’opposa un nouveau mouvement syndical témoignant d’un renouvellement par la base des organisations ouvrières. Sous l’impulsion de l’anarchiste Pelloutier, les Bourses se regroupèrent en Fédération dont il devint, en 1892, le premier secrétaire. Ces Bourses étaient devenues des lieux de réunion mais elle furent aussi, au moyen des conférences et des cours du soir, un des premiers supports de l’éducation ouvrière.
De 1892 à 1902, les Bourses du travail se développèrent rapidement. Leur succès, aussi lié au progrès de la syndicalisation parallèle au sein de la CGT créé en 1894, était dû au fait qu’elles étaient considérées comme des expressions et des organisations unitaires de la classe ouvrière. Au Congrès de Montpellier, en 1902, après la mort de Pelloutier, la fédération des Bourses du travail s’effaça et ses organisations s’intégrèrent à la CGT.
Le courant syndicaliste-révolutionnaire était déjà majoritaire dans les Bourses du travail qui se sont développées non dans le cadre de l’usine ou de la corporation mais sur une base géographique et en concentrant toutes les énergies d’une région. Une organisation locale comme la Bourse permettait d’animer une vie prolétarienne d’autant plus féconde qu’elle facilitait le dépassement des limites corporatistes, catégorielles ou sectorielles. Même, si sa structuration était fédérative, cela n’excluait pas une certaine volonté de centralisation.
Cela dit, l’influence très forte de l’anarchisme dans la CGT s’exerçait également à travers deux autres principes idéologiques adoptés par le syndicat : d’une part, comme on l’a vu plus haut, par le recours à la “grève générale”. D’autre part, la théorisation du recours à l’action directe était sous-tendue par un rejet de toute forme d’orientation politique : “L’action directe signifie que la classe ouvrière, en réaction contre le milieu actuel, n’attend rien des hommes, des puissances et des forces extérieures à elle, mais qu’elle crée ses propres conditions de lutte et puise en soi les moyens d’action”. Elle était censée s’opposer à la fois au patronat et à l’État. En même temps, l’action directe avait un aspect positif en ce qu’elle se caractérisait par une double opposition : opposition à l’action parlementaire, opposition à l’État et aux gouvernements opportunistes et radicaux qui tentaient d’assujettir par la législation le mouvement ouvrier. Dans le syndicalisme révolutionnaire, se manifestait une combativité forte et réelle, une volonté de lutte sur un terrain de classe, qui se traduisit par un nombre important de grèves et une influence prépondérante sur le mouvement ouvrier en France. Ce qui poussait les ouvriers vers les syndicats, c’était le cantonnement de l’activité du Parti socialiste sur le terrain électoraliste alors que pour beaucoup d’ouvriers, l’action syndicale représentait la manifestation la plus tangible de l’unité de la classe ouvrière et la vitalité de la lutte de classe.
Il faut aussi souligner les premières tentatives du gouvernement bourgeois de contrôler les syndicats. Dès 1884, les syndicats sont devenus des associations légales. D’emblée, le gouvernement développa une alternance continuelle d’utilisation de la carotte et du bâton à leur égard. Il multiplia les tentatives de division avec une main tendue aux éléments réformistes dans les syndicats et organisa en même temps une répression féroce des grèves et des syndicalistes révolutionnaires. Mais la CGT fut alors capable de déjouer certaines manœuvres gouvernementales. Ainsi, le Congrès de la CGT de 1901 refusa de donner son aval aux organismes de collaboration de classe comme les Conseils du Travail : “L’antagonisme des intérêts étant la base de toute société capitaliste, les ouvriers doivent rester unis, et s’éduquer sur leur propre terrain de classe exploitée”. Et ce fut un véritable complot du gouvernement dirigé contre la CGT en octobre 1908 après les tragédies de Draveil et Villeneuve Saint-Georges (plusieurs morts) qui incita le syndicat à déclencher cette fameuse grève générale à contre-courant et sans préparation, lui infligeant un cuisant échec : plusieurs des principaux dirigeants de la CGT furent arrêtés dont le secrétaire Griffuelhes. Ce dernier, fut injustement accusé de mauvaise gestion des caisses du syndicat et fut contraint de démissionner de son poste en 1909. Après cela, la direction de la CGT s’enfoncera dans un opportunisme de plus en plus caractérisé. Avec l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicat intégrèrent définitivement l’appareil d’État, faisant de ces organes originairement prolétarien, parmi les pires chiens de garde de la classe dominante.
L’idéologie bourgeoise et le réformisme exercèrent donc une pression à la fois au sein du PS et dans le mouvement syndical en s’appuyant sur leurs faiblesses pour diffuser le poison de l’opportunisme. Cela se concrétisa de manière dramatique par rapport à la question de la guerre, enjeu crucial qui constituera le quatrième et dernier volet de cette série d’article.
Wim, 3 décembre 2017
1) “Le socialisme ne pousse pas aux grèves, il ne les provoque pas, parce que, même là où elles peuvent aboutir, elles laissent subsister pour les travailleurs, leurs conditions de prolétaires ou de salariés”.
2) Les anarchistes firent adopter (contre les guesdistes) la grève générale comme principe d’action syndicale au sein de la CGT dès 1894 auquel se rallient des syndicalistes purement réformistes ou des opportunistes comme Aristide Briand.
3) Cf. Grève de masse, parti et syndicat, de Rosa Luxemburg. (1906)
4) Lénine dans une préface à la brochure de Voinov (Lunacharsky) sur l’attitude du parti envers les syndicats. (1907)
5) Voir notre article : Ce qui distingue le mouvement syndicaliste révolutionnaire, publié dans la Revue Internationale n° 118, 3ème trimestre 2004.
6) Pour le 2ème Congrès Mondial, in Le Mouvement communiste en France.
Dans le n° 523 de son journal Le Prolétaire daté de février/mars/avril 2017, le Parti communiste international (PCI) a publié un article : Populisme, vous avez dit populisme ?, dans lequel il aborde ce phénomène et sa montée en puissance actuelle et, sur la base de cette analyse, dans un second temps, entreprend une critique des analyses et des positions du CCI sur cette question. La première partie de notre réponse à cette polémique va se centrer sur les éléments d’analyse apportés par le PCI lui-même pour évaluer sa capacité d’expliquer le phénomène du populisme.
Le PCI se situe, il faut d’abord le reconnaître, par ses positions, dans la défense d’un point de vue de classe. Il démontre ainsi qu’il se situe toujours dans le camp du prolétariat et qu’il défend globalement les positions de la Gauche communiste.
Les camarades du PCI font justement remarquer :
– que les autres partis de la bourgeoisie instrumentalisent idéologiquement le populisme afin de rabattre les prolétaires sur le terrain électoral autour de la mystification de la “défense de la démocratie”. Nous sommes donc d’accord avec le PCI sur le fait que la fausse opposition entre populisme et anti-populisme est un piège idéologique dont se sert la bourgeoisie.
– que le plus grand danger pour la classe ouvrière n’est pas l’extrême-droite mais la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie : “(Le populisme) ne peut cependant pas remplacer le rôle contre-révolutionnaire infiniment plus puissant qu’a joué le réformisme classique (qualificatif donné par le PCI aux partis de gauche), solidement implanté dans la classe ouvrière, et de ce fait en mesure de la paralyser” et ces camarades sont assez clairs sur l’antifascisme, ce qui les démarque complètement des positions de l’extrême-gauche du capital. Ils ont ainsi dénoncé sans ambiguïté l’appel à voter Chirac en 2002 et lors des dernières élections, ils ont une nouvelle fois dénoncé la mystification électorale et démocratique.(1)
Le Prolétaire souligne aussi justement que la démagogie n’est nullement le propre du populisme, de même que les promesses électorales. Nous partageons indiscutablement le même terrain prolétarien.
Mais quelle est l’analyse du populisme avancée par le PCI ? Avant tout, il nous assure qu’il est de nature petite-bourgeoise. Pour cela, il s’appuie sur une citation de Marx tirée du 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte : “il ne faudrait pas s’imaginer platement que la petite bourgeoisie a pour principe de vouloir faire triompher un intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire que les conditions particulières de sa libération sont les conditions générales en dehors desquelles la société moderne ne peut être sauvée ni la lutte des classes évitée”. Cette caractérisation générale de la petite bourgeoisie reste parfaitement juste mais quel rapport, quel lien cela a-t-il avec le milliardaire Trump ? Avec les tenants du Brexit ? On n’en a aucune idée… Cela n’explique rien quant à la situation actuelle.
Le seul élément historique qu’il donne est sa référence au populisme russe du XIXème siècle. Là-encore, on ne voit pas du tout le rapport du populisme russe au XIXème siècle (les rapports entre la petite bourgeoisie intellectuelle et la paysannerie, les méthodes de cette petite bourgeoisie de l’époque orientées sur l’action individuelle et le terrorisme) avec le populisme actuel, sauf qu’au lieu de se référer à Trump, au Tea Party et aux courants d’extrême-droite actuels (le FN et d’autres fractions populistes d’extrême-droite en Europe), le PCI nous parle de populisme “en général”. Cela, en rejetant indistinctement et pêle-mêle dans la même poubelle “petit-bourgeoise” le populisme d’extrême-droite (Trump, Le Pen et les partisans du Brexit) ou encore les propagandistes zélés de la mystification démocratique bourgeoise (DRY ou les altermondialistes) avec d’authentiques réactions de classe aux questionnements prolétariens, certes encore influencées par des illusions sur la démocratie telles qu’elles se sont manifestées dans les mouvements d’Occupy ou des Indignados…
Que peut-on tirer d’une telle confusion qui affirme que le populisme équivaut seulement à la petite bourgeoisie et se contente de plaquer schématiquement cette grille d’analyse sur la réalité en cherchant à traquer tout ce qu’ils pensent relever de l’idéologie petite-bourgeoise ? Rien ! Sinon qu’il traduit une absence totale d’analyse du phénomène du populisme et de son évolution historique pour comprendre à quoi il correspond dans la situation actuelle.
En lui substituant à l’analyse du phénomène populiste un placage de schémas tout faits, Le Prolétaire en arrive à des aberrations et des affirmations stupides, complètement déconnectées de la réalité : notamment quand il évoque l’existence d’une “aristocratie ouvrière” pour expliquer l’influence des thèmes populistes dans les rangs ouvriers. Cette “théorisation” faite par Engels, suivi par Lénine, était déjà une erreur en leur temps car elle visait à expliquer la propagation de l’idéologie bourgeoise (et non pas spécifiquement petite-bourgeoise) dans les rangs ouvriers. Par ailleurs, les ouvriers plus formés qui travaillent avec des meilleures conditions de vie et de salaire ne sont pas du tout ceux qui peuvent être les plus sensibles à l’idéologie populiste actuelle. Dans la réalité, ce sont au contraire ceux qui sont touchés de plein fouet par la crise et le chômage, comme dans les régions les plus sinistrées et ravagées (l’ex- bassin minier du Nord ou l’ancien bastion de la sidérurgie en Lorraine, là où le FN a fait une percée électorale), qui sont les plus perméables à l’idéologie et aux thèmes du populisme. La réalité contredit directement la thèse absurde du PCI sur le poids d’une “aristocratie ouvrière” dans la question du populisme aujourd’hui.(2)
Le Prolétaire voit ainsi le populisme comme une sorte de réaction rationnelle et mécanique de défense des couches petites-bourgeoises, de ses intérêts économiques particuliers, globalement compatible ou assimilable avec les intérêts du capital national. Cela l’amène à escamoter le problème, à le traiter complètement par-dessus la jambe. Le texte s’évertue même à montrer que le populisme ne pose pas le moindre problème à la bourgeoisie en utilisant comme critère un constat empirique, photographique à titre de “preuve” : ainsi, ils se réfèrent au fait que, juste après l’élection de Trump a été enregistrée une hausse record de la bourse de Wall Street (sur le même modèle, il avance comme argument-massue la réaction de la bourse de Londres après le référendum sur le Brexit pour affirmer que “les dirigeants de la bourgeoisie britannique ne pensent pas du tout que cette rupture est pour eux un grave problème”), en reprenant de façon schématique une vision erronée et dépassée du XIXème siècle, comme si les grandes orientations de la bourgeoisie se jouaient à la bourse alors que la bourse est le domaine par excellence d’une vision au jour le jour, à court terme, guidée par des intérêts de profits immédiats des capitalistes. C’est d’ailleurs pour cela que la classe dominante ne s’en remet pas à ce type d’institution mais fait dépendre son orientation des intérêts généraux de son État, de son administration, de ses “planifications”. En réalité, si l’élection de Trump a été immédiatement suivie d’une hausse boursière à Wall Street, c’est parce que ce dernier avait simplement annoncé qu’il allait réduire les impôts sur les sociétés, ce qui ne pouvait que recevoir un accueil favorable des actionnaires.
Un autre raisonnement développé par l’article ne tient pas davantage la route : Trump servirait en définitive les intérêts de toute la bourgeoisie, avec l’argument qu’il n’y a jamais eu autant de milliardaires dans un même gouvernement. Que le gouvernement Trump soit bourré de capitalistes les plus riches, et qu’il soit de nature capitaliste, cela ne fait aucun doute. Cela ne signifie pas pour autant qu’il garantit de servir au mieux les intérêts généraux du système capitaliste. On peut supposer que le PCI pense également que le Brexit servirait, en définitive, les intérêts du capital britannique. Mais on ne voit vraiment pas en quoi il le renforce et le PCI ne nous dit pas ce qui peut bien étayer cette affirmation.
Il est important de déceler ce que le PCI ne dit pas et les questions qu’il ne pose pas. Quelle est la stratégie poursuivie par la bourgeoisie américaine avec l’élection de Trump ? Quel est l’intérêt pour la bourgeoisie britannique d’avoir réalisé le Brexit ? Cela lui permet-elle d’avoir une force plus grande pour défendre ses intérêts économiques et impérialistes dans l’arène de la concurrence mondiale ? Le PCI ne dit rien de cela et n’apporte pas la moindre argumentation sérieuse là-dessus. Le PCI a certes raison d’affirmer que le nationalisme est, vu la concurrence entre États, un moyen privilégié pour chercher à resserrer les rangs derrière la défense du capital national, mais cela n’apporte aucune explication ni aucun cadre pour comprendre le phénomène du populisme et encore moins son développement actuel. Cela le rend inapte à rendre compte de nombreux phénomènes de la société actuelle et d’analyser leur évolution.
L’article du PCI est obligé de reconnaître du bout des lèvres que le populisme gêne ou inquiète une partie de la bourgeoisie mais il n’explique pas pourquoi quand il dit que “Sans doute quelques-unes de ses déclarations à l’emporte-pièce ont pu faire lever les sourcils parmi certains secteurs capitalistes : la menace de frapper les importations de taxes élevées serait un coup sévère pour nombre d’industries qui ont délocalisé une partie de leur production ou pour le secteur de la grande distribution. Mais on peut parier que les capitalistes à la tête de puissants groupes d’intérêts sauront le faire comprendre à leur collègue Trump.” De même que le PCI est obligé de reconnaître que les programmes des populistes “entrent sur certains points en contradiction avec les intérêts des grands groupes capitalistes les plus internationalisés”. Mais il voit cela comme un épiphénomène sans conséquences et il part du présupposé explicite que la bourgeoisie saura toujours utiliser ces contradictions pour en tirer profit et les surmonter. Il est clair que l’élection et la politique de Trump un an plus tard vont dans un sens totalement opposé aux prévisions du PCI selon laquelle la bourgeoisie saura faire entendre raison et mettre au pas les prétentions de Trump. A l’heure actuelle, une grande partie de la bourgeoisie américaine est plongée dans le désarroi et plusieurs secteurs, y compris dans son propre camp, essaie de trouver le moyen de le destituer ou tout autre recours pour le démettre de ses fonctions présidentielles. On assiste depuis un an à un discrédit croissant, à une dénonciation du manque de sérieux, de la politique erratique, incohérente et désordonnée menée par la première puissance mondiale au niveau international. Par exemple, la reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël constitue, parmi d’autres, une illustration flagrante d’une politique internationale à l’emporte-pièce qui ne fait que jeter de l’huile sur le feu et qu’attiser la recrudescence d’une violence incontrôlée au Moyen-Orient. On assiste de même à un blocage des programmes et à une accumulation de contradictions sur les dossiers traités par l’administration Trump (y compris la remise en cause de “l’Obamacare”, le grand cheval de bataille de Trump), la valse incessante de destitutions et de changements de hauts fonctionnaires pour ne prendre que quelques exemples. En Grande-Bretagne, le Brexit pose depuis un an de graves problèmes à la santé du capital national, en particulier en affaiblissant et sapant considérablement sa puissance du fait de la fuite des capitaux internationaux qu’il provoque. Cela, alors que ce qui a toujours constitué le point fort de l’économie britannique était le secteur financier. Face à une succession d’échecs et d’initiatives contradictoires pour parvenir à un accord avec l’UE, Theresa May est de plus en plus fragilisée, ouvertement accusée par ses pairs d’incompétence, de manque de préparation et de confusion.
Cela ne signifie pas pour autant que la venue de Trump au pouvoir, pas plus que le triomphe du Brexit, vont porter des coups fatals au capitalisme, pas plus que cela n’empêchera les États-Unis ou la Grande-Bretagne de rester des États et des puissances impérialistes dominantes. Cela n’empêchera pas non plus la bourgeoisie d’essayer de canaliser les problèmes liés aux décisions populistes, et même d’utiliser et d’exploiter les manifestations ou les conséquences du poids du populisme pour pousser à un pourrissement idéologique dans les consciences et pour les diffuser au maximum dans les crânes des prolétaires, comme le poison du nationalisme ou celui de la défense de la démocratie. Mais le PCI, en se focalisant sur l’utilisation idéologique du populisme par la bourgeoisie (il est vrai que celle-ci ne se prive pas de retourner ces éléments contre le prolétariat) passe totalement à côté des problèmes posés par la dynamique générale que porte le capitalisme, du sens de cette évolution historique, celle de l’accumulation et de l’exacerbation des contradictions (y compris au sein de la bourgeoisie elle-même) et de l’enlisement de la société dans la barbarie, dont le populisme dans sa forme actuelle est l’une des manifestations les plus significatives. Par là-même, il sous-estime complètement les menaces, les dangers et les pièges (nationalisme, canalisation sur la fausse opposition populisme / antipopulisme, populisme ou démocratie), la désorientation et le déboussolement accrus, qui pèse sur l’identité de classe du prolétariat.
Les conséquences de la mise en œuvre de programmes et de politiques populistes au gouvernement sont totalement niées et ignorées suite à l’élection de Trump et au référendum sur le Brexit, comme si la bourgeoisie de ces deux puissances, bien que parmi les plus puissantes et expérimentées du monde, était immunisée et que les politiques menées et les orientations économiques prises depuis ces événements ne faisait courir aucun risque de conséquences désastreuses pour le capital national et mondial. L’exemple récent de la situation en Allemagne au lendemain des élections législatives et l’entrée pour la première fois au parlement du parti d’extrême-droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) avec 87 sièges et 13,5 % des votes confirme encore une fois la tendance historique du développement du populisme. Ce phénomène en Allemagne est particulièrement fort dans les anciens bastions industriels, en particulier de l’ex-RDA, ce qui ne correspond pas à la vision très réductrice et fausse avancée jusqu’ici par le PCI.
Au lieu d’analyser et d’expliquer la montée, le développement et la dynamique du phénomène populiste, le PCI s’obstine à dire qu’il n’y a dans le phénomène actuel du populisme “rien de nouveau sous le soleil”. Il n’a ainsi aucun cadre d’analyse. Pour lui, la question et la montée du populisme est quasiment une invention des médias, un simple instrument de propagande. Le populisme ne serait rien d’autre, comme il le dit au début de son article, qu’ “une orientation politique qui nie la division de la société en classes sociales” uniquement destiné “à faire perdre au prolétariat ses orientations de classe”. Ce qui est extrêmement réducteur et revient à dire que la montée en puissance du populisme correspondrait seulement à une manœuvre, montée et orchestrée de toutes pièces par la bourgeoisie contre la classe ouvrière.
Le PCI plutôt que d’expliquer un phénomène qu’il ne comprend pas, nie sa réalité et donne vraiment l’impression qu’il n’y a pas de réelles contradictions au sein de la bourgeoisie, comme si la bourgeoisie était une simple somme, un agrégat d’intérêts différents : des patrons, des actionnaires, des États, différents partis et candidats… Il y a chez lui la vision d’une bourgeoisie toute puissante, omnisciente et sans contradictions internes qui mettrait en avant telle ou telle carte en fonction de ses besoins et exclusivement dirigée contre la classe ouvrière, ce qui permettrait ainsi de détourner son mécontentement. Ce qui est paradoxal car en même temps qu’il met en avant ce besoin de mystification, le PCI reconnaît que la menace que fait peser la classe ouvrière sur la bourgeoisie est actuellement à un niveau très faible. Le problème, c’est que le PCI cherche à faire rentrer au chausse-pied non seulement le populisme mais aussi les situations nationales, comme leur évolution, dans un moule préétabli, dans des schémas tout faits, figés et “invariants” (comme il le revendique) sans parvenir à intégrer le moindre cadre d’analyse ni à saisir la réalité d’un mouvement. Il y a une incapacité du PCI à se livrer à une analyse lucide de la réalité.
Pourquoi attachons-nous une telle importance à la nécessité de comprendre au mieux le phénomène du populisme ? Parce que, dans ce débat où les divergences pourraient être prises pour la manifestation d’une simple querelle un peu byzantine ou une bataille inspirée par un esprit de défense de sa chapelle, chacun prêchant pour sa paroisse, une discussion de Café du Commerce ou un débat académique entre “cénacles intellectuels”, il s’agit en fait pour les organisations révolutionnaires de dégager avec quelle méthode on peut parvenir à la vision la plus claire et au plus haut degré de conscience des enjeux, de la dynamique et de l’évolution du capitalisme pour armer au mieux le prolétariat dans son combat de classe.
(A suivre…)
CB, 28 décembre 2017
1) Nous renvoyons le lecteur à leur article : Bilan des élections présidentielles : recomposition du théâtre politique bourgeois pour mieux défendre le capitalisme, Le Prolétaire, n° 524, mai-juin 2017.
2) Voir notre article : L’aristocratie ouvrière : une théorie sociologique pour diviser la classe ouvrière, dans la Revue internationale, n° 25 (1981).
D’un côté, des guerres incessantes et meurtrières, des bombardements qui ravagent des régions entières et donnent lieu à des massacres effroyables de populations. De l’autre, des barbelés, des murs, des bateaux chasseurs de migrants et des camps qui attendent les dizaines de milliers de personnes et leurs familles qui tentent de fuir les tueries, la destruction de leurs foyers, la misère et la famine.
La Ghouta orientale en Syrie, à l’Est de Damas, est à nouveau un épicentre des conflits meurtriers sévissant sur la planète. Comme d’autres, notamment au Moyen-Orient, ce conflit porte la marque d’intérêts et d’antagonismes impérialistes où domine le “chacun pour soi”. Une guerre faite de massacre, une guerre de tous contre tous impliquant à des degrés divers les grandes puissances et des États régionaux aux ambitions agressives.(1) Ce conflit porte donc les stigmates de l’enfoncement dans la barbarie guerrière, celles des contradictions insolubles et de l’impasse du système capitaliste tout entier.
Plus au nord, apportant sa sinistre contribution à cette situation de chaos guerrier, à la multiplication de massacres de civils et d’exodes massifs de populations, l’opération “Rameau d’olivier” lancée le 20 janvier par l’armée turque et ses bombardiers contre l’enclave d’Afrin, dans la province d’Alep, où sont retranchés des combattants kurdes de l’YPG (qui ont reçu, eux, le renfort de miliciens pro-Assad), se traduit par une nouvelle extension des zones de combat dans le pays. En plus des rivalités entre fractions et gangs locaux, les puissances impérialistes viennent, comme dans un panier de crabes, s’agglutiner et se piétiner davantage. Le pourrissement sur pied du capitalisme ne sème ainsi que toujours plus la mort et la désolation, ce qu’exprime le comportement sanguinaire des différents protagonistes, qu’il s’agisse des troupes d’Assad et ses alliés de circonstance, de ses adversaires “oppositionnels”, de Daech ou des grandes puissances démocratiques.
Quant à la nouvelle offensive de l’armée syrienne, appuyée par les milices chiites soutenues par l’Iran et l’aviation russe, contre une région occupée par Daech et diverses factions djihadistes en rébellion contre le régime d’Assad, elle a donné lieu à un concert de protestations toutes plus hypocrites les unes que les autres. Cette fausse indignation des médias occidentaux, des prétendues ONG et de la soi-disant “communauté internationale” face à ces attaques perpétrées avec le recours systématique à l’arme chimique (que la coalition internationale utilise d’ailleurs également sans vergogne) (2) n’a d’égale que l’inefficacité des résolutions votées par l’ONU, tant contre l’usage de ces gaz que pour la protection des populations civiles ou le respect des trêves. Cela démontre une fois de plus le total manque de crédibilité et la défiance à éprouver à l’égard de ce “repaire de brigands”, comme le disait déjà Lénine, que constituent les institutions de la fameuse “communauté internationale”. Ce n’est pas une première en Syrie : depuis au moins 2012, les armes chimiques ont été régulièrement utilisées lors des bombardements aériens, notamment au cours des batailles dans la région d’Alep et de Homs puis à Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017. Elles sont aussi massivement utilisées dans la Ghouta orientale depuis mars 2013, en particulier lors du raid du 21 août de la même année qui fit près de 2 000 morts. Le bilan des pertes de vies humaines n’a cessé de croître avec les bombardements à répétition des hôpitaux supposés servir de refuges aux forces rebelles ou les destructions systématiques des habitations. Déjà entre 2013 et octobre 2017, on recensait 18 000 morts (dont au moins 13 000 civils parmi lesquels 5 000 enfants environ !), auxquels il faut ajouter 50 000 blessés. Entre le 18 et le 28 février 2018, la dernière offensive aérienne s’est soldée (officiellement) par plus de 780 morts supplémentaires dont au moins 170 enfants. Tout cela, sans compter les victimes innombrables, aujourd’hui passées sous silence, de la pénurie de vivres qui sévit dans cette région sinistrée depuis 2017. Le régime d’Assad vient de lancer une offensive terrestre dans la Ghouta qui promet d’être tout aussi barbare et meurtrière.
Cette situation ne peut qu’accentuer un autre phénomène amplifié par la phase de décomposition du capitalisme : la déportation ou l’exode massif de populations fuyant les massacres et la misère au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique latine. Des masses de pauvres gens affluent vers les États les plus riches, à la recherche désespérée d’une terre d’asile, notamment en Europe ou aux États-Unis. Or, aucun de ces États n’a de véritable solution devant l’afflux de migrants sinon chercher coûte que coûte à les bloquer, les parquer, à les rejeter sans ménagement en les renvoyant à la mort, à édifier des murs et des barbelés. Les gouvernements occidentaux n’ont d’ailleurs de cesse de distiller la peur de l’étranger, réprimant même sévèrement ceux qui tendent la main aux migrants et essaient de les aider.
Le cynisme des États concernés, notamment européens, n’a pas de limites. La Turquie, moyennant des aides économiques et financières, est chargée de bloquer le passage des migrants vers la Grèce en les parquant dans des camps de réfugiés aux conditions inhumaines. Derrière cet accord se joue un vrai marchandage d’êtres humains avec un tri au compte-gouttes entre ceux qui pourront rejoindre un pays européen et ceux, l’immense majorité, qui restent dans les camps. Cela non plus n’est pas nouveau. Il faut se souvenir, par exemple, du cynisme et de l’hypocrisie du gouvernement “socialiste” de Zapatero en Espagne. En 2005 dans les enclaves de Ceuta et Melilla, en plus d’avoir dressé à sa frontière une triple rangée de barbelés où beaucoup de migrants sont venus s’empaler tandis que d’autres étaient impitoyablement mitraillés (selon toutes probabilités, par ses forces démocratiques), ce gouvernement avait sous-traité à l’État marocain, jouant une nouvelle fois le rôle du “méchant” de service, la livraison de migrants dans des autobus de la mort, abandonnés en plein désert saharien. Toutes les bourgeoisies occidentales (gouvernement espagnol compris !), pourtant commanditaires au nom des accords de Schengen, avaient alors hypocritement orchestré une intense campagne médiatique contre cette “intolérable violation flagrante des Droits de l’Homme”. Les derniers “contrats” de ce style, passés aujourd’hui avec la Turquie, et hier, plus discrètement conclus avec la Libye, ont eu des conséquences immédiates sur les trajets des migrants vers les pays européens.
Tous les médias ont répercuté, en affichant bien sûr leur immense satisfaction, la diminution de près d’un tiers du nombre de migrants illégaux ayant débarqué sur les côtes italiennes en 2017. En fait, “l’UE a choisi d’arrêter le flux des migrants à la source au lieu de continuer à ouvrir des centres d’accueil en Italie et en Grèce, le choix de cette stratégie semble très discutable moralement”, avouait le Courrier international dans son n° 1414. En dépit du “bon” chiffre italien, l’Espagne a connu un accroissement significatif des arrivées par mer en 2017, si bien qu’une nouvelle prison construite à Malaga est désormais utilisée comme centre de rétention.
Un reportage de CNN montrant des migrants vendus aux enchères comme esclaves en Libye a provoqué des réactions d’indignation à l’échelle internationale, nous dit aussi la presse. Mais celle-ci, généralement, ne s’appesantit guère sur les accords et les mesures adoptées par l’UE et la Libye qui ont contribué à créer cette situation. Le même article du Courrier International précise ainsi : “Le 3 février 2017, les 28 se sont accordés sur une “déclaration” appuyant l’accord conclu la veille par l’Italie avec le gouvernement libyen de Faiez Sarraj. Le principe est le même que celui du pacte UE-Turquie conclu 2 ans plus tôt : l’Europe fournit notamment des fonds, de l’entraînement et du matériel aux garde-côtes libyens, qui, en échange, interceptent les bateaux de migrants et conduisent ces derniers dans des centres de rétention en Libye (…) Les organisations de défense des droits de l’homme et la presse ont dénoncé très tôt les limites de ce plan en s’interrogeant sur la capacité du gouvernement Sarraj (qui n’est que l’une des forces rivales en présence en Libye) à le mettre en œuvre et sur les conséquences qu’aurait ce plan pour les migrants, dont on savait déjà qu’ils subissaient des traitements inhumains sur le sol libyen”. Les préoccupations des “organisations de défense des droits de l’Homme” ne sont que de la poudre aux yeux, exactement du même tonneau que la couverture prétendument humanitaire hypocritement affichée par le gouvernement espagnol en 2005. Ces gesticulations ne servent qu’à masquer les accords cyniques et répressifs qui ont permis que s’entassent d’ores et déjà 700 000 migrants africains dans des camps de fortune en Libye.
Au-delà des accords et des dispositifs visant à barrer plus efficacement la route des migrants, il est clair que l’accumulation des guerres régionales, des massacres, des famines, de la misère, du délitement du tissu social aux quatre coins du monde, ne peut que faire croître dramatiquement le phénomène des réfugiés.(3)
La crise du système capitaliste est indiscutablement au cœur de la vague historique de migrations à laquelle nous assistons. Face à la barbarie de son système, la bourgeoisie n’a rien d’autre à proposer que toujours plus de chaos, d’exclusion et de divisions... et cela, au nom de la défense des “intérêts nationaux”, vocable idéologique destiné à dissimuler les froids calculs, concurrentiels et sanguinaires du capital.
Pourtant, les frontières n’existent pas entre les exploités et les prolétaires n’ont pas de patrie. La classe ouvrière a toujours été une classe d’immigrés, partout contrainte de vendre sa force de travail, d’un pays à l’autre, de la campagne à la ville, d’un territoire à l’autre. Classe d’immigrés, elle est aussi une classe d’exploités. Elle ne peut résister à la barbarie capitaliste qu’en s’appuyant sur la seule force dont elle dispose : son unité internationale, dont la conscience et la solidarité sont le ciment. Face aux campagnes xénophobes et anxiogènes de la bourgeoisie, les prolétaires en Europe comme dans tous les pays développés doivent prendre conscience que les migrants sont des victimes du capitalisme et des politiques cyniques des États. Ce sont leurs frères de classe qui sont bombardés, meurent dans des massacres guerriers ou sont enfermés dans des camps de concentration à ciel ouvert.
L’affirmation nécessaire et possible de leur solidarité passe ainsi d’abord et surtout par le développement de la lutte de classe, la résistance face aux attaques et à la barbarie du capitalisme. Derrière la question des migrants se pose la perspective de l’unité internationale du combat révolutionnaire contre le système capitaliste. Aujourd’hui encore, le prolétariat demeure la seule classe révolutionnaire, la seule force sociale capable de mettre fin aux contradictions historiques d’un système à bout de souffle, d’abattre les frontières nationales et l’exploitation de l’homme par l’homme, d’édifier un monde sans classe, sans misère et sans guerres : le communisme !
PA, 3 mars 2018
1 Nous ne faisons que l’évoquer ici mais nous reviendrons dans un article ultérieur sur cet aspect éclaté de la situation impérialiste en Syrie qui est une autre manifestation de la décomposition sociale actuelle.
2 En Irak et en Syrie, les obus au phosphore de la coalition internationale dans le viseur, LCI (15 juin 2017).
3 Voir notre série : Migrants et réfugiés : victimes du capitalisme, parties I à IV, Révolution internationale (2015 et 2016.)
En ce qui concerne la Turquie, nous pouvons voir quelques changements importants (...). Erdogan a fait des efforts pour réduire le conflit avec les Kurdes en faisant des concessions minimales en 2004-2005, suite à un accord avec le PKK. Cela l’a aidé à “préserver” la Turquie de toute confrontation militaire avec les Kurdes pendant plusieurs années. Cette démarche tactique d’Erdogan contrastait fortement avec des décennies de politique très déterminée des régimes kémalistes qui avaient pratiqué une tolérance zéro vis-à-vis du nationalisme kurde. Malgré des intermèdes réguliers de concessions aux Kurdes, tous les partis turcs se sont toujours distingués par leur ferme position anti-kurde, par leur accord sur la nécessité d’une répression féroce contre les aspirations kurdes. Le calcul d’Erdogan avec ces concessions limitées a bien fonctionné un certain temps. En 2012, à la suite de négociations avec le PKK, ce dernier a abandonné sa revendication d’un Kurdistan autonome. Mais la guerre en Syrie et les ambitions d’Erdogan pour une “Grande Turquie” avec un nouvel empereur à sa tête, ont contrecarré ses plans. Le fait que le parti kurde HDP obtienne 13 % aux élections et entre au Parlement a renforcé la crédibilité et la légitimité du parlementarisme en Turquie. Dans le même temps, le projet d’Erdogan d’attribuer plus de pouvoir au président a été empêché par le HDP après les élections de juin 2015. La soif de vengeance d’Erdogan et sa détermination à réduire la résistance kurde tant en Turquie qu’en Syrie et en Irak ont fait qu’il a commencé à déclarer que beaucoup de députés du HDP et de dirigeants du parti kurde étaient des terroristes. Une nouvelle offensive militaire contre le PKK a commencé dans le sud-est de la Turquie avec l’occupation, le bombardement et la déportation de populations kurdes de la région. Ainsi, la guerre en Syrie et en Irak a débouché sur une guerre avec deux fronts en Turquie : les attaques terroristes de l’EI et l’intensification des combats entre l’armée turque et le PKK.
L’histoire du siècle dernier montre que, dans leur obsession de vouloir contenir les revendications kurdes pour l’indépendance, tous les régimes turcs, indépendamment de leurs différences, qu’ils soient laïcs ou islamistes, qu’ils soient dirigés par un gouvernement militaire ou civil, ont attaqué et déplacé les Kurdes, tant en Turquie qu’en Syrie ou en Irak. Et tous les régimes turcs sont prêts à entrer en conflit avec n’importe quel autre pays, peu importe à quel point ils ont été proches de lui par le passé.
Lorsqu’il est devenu évident que l’EI serait défait et expulsé du nord et de l’ouest de l’Irak, les nationalistes kurdes ont annoncé un referendum sur l’indépendance pour 2017, ce qui a provoqué une levée de boucliers de tous les États contre ce projet.(1)
La réaction de Bagdad a été immédiate : envoi de troupes pour boucler la zone, destruction des champs pétroliers détenus par les Kurdes et reconquête de Kirkouk.
La réponse de Téhéran a été d’offrir un soutien politique, économique et militaire à Bagdad. Vu que le territoire kurde en Irak et en Syrie constitue une “ligne de vie” pour la logistique iranienne, par laquelle elle fournit des armes, des troupes et beaucoup d’autres choses au Hezbollah libanais, c’est pour l’Iran un “lien terrestre” crucial qui conditionne sa capacité à défendre les positions stratégiques vitales de ses alliés sur les côtes méditerranéennes. Plus l’Iran étend son influence vers l’ouest, plus le territoire kurde acquiert d’importance pour lui. Compte tenu de l’intensification des tensions autour du Liban entre l’Arabie saoudite et l’Iran, la route de transit kurde est d’autant plus stratégique pour Téhéran. Étant menacé par l’administration Trump au sujet de l’accord sur le nucléaire, Téhéran est d’autant plus désireux de tirer des avantages de la position affaiblie de Bagdad.
En réaction, les États-Unis ont déclaré leur opposition à un État kurde séparé, sachant qu’un tel État accélérerait la fragmentation de l’Irak, le pays qu’ils ont “libéré” en 2003, et qu’ils ont toujours besoin des combattants peshmergas comme chair à canon (même si c’est dans une moindre mesure). Mais la contre-offensive irakienne contre les Kurdes a également renforcé la position de l’Iran, principal ennemi des États-Unis, vis-à-vis de Bagdad. Les peshmergas ont été très utiles à la coalition dirigée par les États-Unis dans leur empressement à repousser l’EI, mais ils contrarient les intérêts des États-Unis en réclamant leur propre État.(2) Les factions kurdes au pouvoir dans le nord de l’Irak ne peuvent survivre sans l’aide américaine, mais si les États-Unis diminuaient ou retiraient leur soutien, cela les rendrait encore moins fiables et plus imprévisibles pour leurs alliés kurdes.
Pour les États-Unis et les autres pays occidentaux, les Kurdes irakiens et syriens sont devenus plus ou moins “superflus” après leurs efforts sanglants mais décisifs pour aider à affaiblir l’EI. Cependant, depuis le renforcement des liens entre la Russie et la Turquie, les États-Unis et d’autres puissances occidentales voudront peut-être garder la carte kurde dans leur manche pour pouvoir faire pression sur l’imprévisible régime d’Erdogan.(3)
La Turquie a déjà menacé d’occuper complètement le nord de l’Irak si les Kurdes persistent dans leur proclamation d’indépendance. Elle a menacé de bloquer les pipelines et le transport routier du pétrole dans le nord de l’Irak via la Turquie, coupant toutes les ressources financières des zones kurdes. Moscou, qui a pris beaucoup de poids à Bagdad au détriment des États-Unis, a également exprimé son opposition. A la suite des vives réactions de Bagdad et d’autres pays, les nationalistes kurdes semblent pour le moment avoir fait marche arrière et les divisions en leur sein se sont plus que jamais aggravées.
Comme l’a montré l’expérience historique, le front commun actuel de tous les pays de la région avec les “gros calibres” (États-Unis, Russie) ne durera pas longtemps. A peine les forces kurdes seront-elles affaiblies (ou même massacrées, comme par le passé) que les divisions au sein du front anti-kurde vont s’aggraver. L’unité des régimes au pouvoir dans les pays limitrophes ne trouve pas son origine dans quelque haine viscérale des Kurdes comme peuple, mais exprime l’incapacité du système à permettre l’existence de davantage d’États. Elle exprime l’impasse de tout un système et cela ne peut conduire qu’à plus de conflits.
L’histoire des Kurdes au cours du siècle dernier montre qu’ils ont été utilisés comme des pions sur l’échiquier impérialiste, manipulés par tous les régimes régionaux et occidentaux contre leurs rivaux respectifs. Plus de cent ans d’ambitions nationalistes kurdes montrent que toutes les factions kurdes nationalistes étaient prêtes à servir d’outil dans l’intérêt de ces régimes. Sans les conséquences de l’échec de la politique américaine visant à contenir le chaos au Proche-Orient, les Kurdes n’auraient pas été en mesure de revendiquer leur indépendance avec tant de détermination au cours de la période récente.
Le démantèlement de l’ancien Empire ottoman en différentes entités et l’empêchement d’un État kurde séparé a atteint un nouveau stade, dans lequel deux pays (l’Irak et la Syrie) sont confrontés à des tendances séparatistes et même à un éclatement. L’Irak est déchiré par la guerre depuis 1980, c’est-à-dire depuis près de quarante ans. L’Iran est engagé depuis 1980 dans des affrontements militaires avec tous ses voisins, en particulier l’Irak et l’Arabie saoudite et plus loin, Israël. Devenu un requin régional, l’Iran a étendu son influence vers une coopération plus étroite avec la Russie dans leur défense commune du régime d’Assad en Syrie. Bien sûr, l’Afghanistan est pris dans l’engrenage de la guerre depuis 1979.
Pendant ce temps-là, on voit les nationalistes kurdes réclamer une fois de plus un morceau de territoire, au milieu de tous ces champs de bataille et de ces cimetières.
Nous ne sommes cependant pas juste face à une répétition des conflits précédents. Le nombre de requins (de plus en plus petits et de plus en plus grands) a considérablement augmenté. Les États-Unis affaiblis font face à une présence plus directe des troupes russes dans la région ; les troupes américaines sont actives en Syrie, Irak et Afghanistan ; même si les États-Unis ont dû admettre que leur intervention dans ces pays s’est soldée par un fiasco, et que chaque candidat à la présidentielle a promis un retrait des troupes, en réalité, ils cachent la portée de leur engagement réel et ont dû accroître leur présence. Particulièrement significative est la présence de la Turquie sur différents fronts, sa présence directe en Syrie, en Irak, au Qatar, avec des conflits d’intérêts vis-à-vis des Russes et des Américains sur le sol syrien.
Maintenant qu’il devient clair que l’EI n’est plus une force qui mobilise une sorte de front uni temporaire, comme dans toutes les spirales de guerre précédentes, une fois que l’ennemi commun est affaibli ou décimé, la tendance au chacun-pour-soi, la guerre de chacun contre tous, vont reprendre de plus belle.
De la même manière que la formation de nouveaux États comme Israël n’a été possible que par le déplacement de la population locale palestinienne, conduisant à la formation de gigantesques camps de réfugiés et à des accrochages militaires répétés, la formation d’un État séparé kurde ne pourrait pas avoir un autre destin. Pour la population kurde déplacée, massacrée, réprimée, il ne peut y avoir d’autre issue que l’abolition de toutes les frontières et de tous les États.
Le Proche-Orient a été le berceau de la civilisation humaine. Aujourd’hui, il met en évidence la tendance à son effondrement. Ce n’est pas en luttant pour de nouvelles nations que l’humanité sera libérée de cette menace, mais en luttant pour que l’État-nation devienne une chose du passé.
Aucune faction du nationalisme kurde n’a jamais été progressiste ; aucune n’a jamais mérité le soutien des ouvriers, des paysans pauvres ou des vrais communistes. Et pourtant, la lutte nationaliste kurde continue à être présentée comme quelque chose de compatible avec la révolution prolétarienne. La représentation des Kurdes audacieux et égalitaires décrite dans certains médias a attiré un nombre significatif d’anarchistes à soutenir directement la guerre impérialiste. La lutte de libération nationale kurde était réactionnaire dans les années 1920, tout comme celle de la Turquie et toutes les autres. L’époque de la bourgeoisie progressiste est révolue depuis longtemps et l’impérialisme, particulièrement les principaux impérialismes, domine le globe, et nulle part davantage qu’au Proche-Orient. Ce fut l’une des grandes erreurs et régression qui ont conduit les bolcheviks à soutenir les luttes de libération nationale, lesquelles étaient à l’époque comme maintenant hostiles aux intérêts de la classe ouvrière.
Cela signifie que les exploités au sein de la population kurde, ouvriers et paysans pauvres, n’ont rien à gagner à se mobiliser derrière les nationalistes. Pour eux plus que jamais, les ouvriers n’ont pas de patrie.
Enver, novembre 2017
1 Seul Israël a annoncé publiquement son soutien à l’indépendance kurde, sachant qu’une telle déclaration affaiblira ses ennemis, en particulier l’Iran et son influence en Irak...
2 Dans les années 1960, l’armée américaine a secrètement soutenu le Shah d’Iran pour réprimer une rébellion kurde, selon l’histoire officielle de l’US Air Force.
3 La décision d’arrêter les livraisons d’armes aux YPG kurdes pourrait exprimer une concession americaine à Erdogan aujourd’hui... afin de le faire chanter demain.
Le scandale Lactalis a éclaté lorsque plusieurs cas de salmonellose (1) ont été détectés chez des nourrissons suite à la consommation de produits fabriqués par ce groupe, un des leaders mondiaux des produits laitiers. Le 11 janvier, on annonçait pas moins de 37 cas de contaminations en France, d’autres ayant été recensés en Espagne, en Grèce , etc., et bon nombre d’enfants risquant des complications sévères devaient être hospitalisés. Les enquêtes diligentées en décembre par le ministère de la Santé et celles des services vétérinaires départementaux (DDCSPP) et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirmaient cette contamination industrielle, notamment celle de l’usine Lactalis à Craon (Mayenne).
Bon nombre de témoignages de parents et de consommateurs en colère ont révélé que tous les acteurs étaient mouillés dans l’affaire : le groupe Lactalis qui a tardé et traîné les pieds pour retirer les lots incriminés afin de ne pas fragiliser sa compétitivité, la grande distribution qui a continué à commercialiser dans ses rayons les produits potentiellement contaminés à la salmonelle, malgré les rappels successifs, pour ne pas subir de pertes financières, l’État qui s’est présenté comme le grand “justicier” après une période d’inertie jugée coupable. Avant que l’affaire n’éclate au grand jour, le ministère de l’Agriculture niait en effet avoir été mis au courant de tests positifs alors que l’entreprise soulignait au contraire que “toutes ces analyses ont été transmises aux autorités compétentes dès le début”. Les services sanitaires de l’État jugeaient pourtant en septembre que le niveau d’hygiène était “très satisfaisant” alors que l’entreprise avait elle-même décelé des traces de salmonelle lors d’un contrôle interne, peu de temps auparavant, au mois d’août.
Dans une émission sur la chaîne de télévision France 2, le 13 janvier dernier, un ancien salarié témoignait aussi : “On est nombreux dans le service à n’être absolument pas surpris de ce qui se passe aujourd’hui. Quand vous voyez des tamis au sol, quand vous voyez des brosses qui finissent au sol ou qui côtoient toutes les poussières d’une semaine de production et dont on se sert pour nettoyer l’intérieur des tuyaux... Effectivement, il ne faut pas être surpris qu’on puisse contaminer un circuit de poudre”. Il ajoute surtout ceci : “la priorité était clairement la production”.
Comme le souligne un avocat, Me. Bouzrou, cité par Le monde.fr : “Force est de constater que les fonctionnaires de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Mayenne n’ont volontairement pas effectué de contrôles sur la production de lait infantile”. Priorité à la production, au marché, au profit ! Pour l’ensemble des principaux acteurs, les nourrissons ne représentent qu’une cible commerciale chiffrée, les jeunes enfants contaminés devenant même des obstacles gênants pour l’image de l’entreprise. Dans “les eaux glacées du calcul égoïste” (2) leur santé, les industriels, politiciens et autres marchands s’en fichent comme d’une guigne ! Cette cynique indifférence est tellement visible qu’un conseiller en communication, Guillaume Foucault, s’en est même offusqué : “Vous noterez aussi qu’à la première question qui lui est posée, le président de Lactalis, ce fameux milliardaire, oublie juste une chose : c’est d’avoir un peu de sentiment, d’être un peu dans le pathos”. Bref, les vrais professionnels de la com’, eux au moins, savent qu’il faut faire semblant !
Bien entendu, au-delà des froids calculs des uns et des autres, comme lors de tous les scandales sanitaires auxquels nous sommes de plus en plus confrontés, tout est orchestré pour désigner “le” ou “les” coupables, bien souvent des lampistes et/ou des acteurs subalternes, certes sans scrupules, mais qui servent d’autant plus aisément de boucs émissaires ! Outre les médias et les institutions qui engagent les victimes dans cette logique de recherche de “coupables” pour les “faire payer”, le grand artisan de cette manœuvre est l’État lui-même, cherchant toujours à éviter la question centrale, celle de la répétition du phénomène et de ce qui en est la source : le système capitaliste et sa logique de profit.
A chaque fois, la logique barbare purement marchande et les pratiques de l’État bourgeois qui l’incarnent sont très soigneusement épargnées. Systématiquement, la loi du profit est préservée et l’attention détournée vers des symboles : tel “industriel sans foi ni loi”, tel “banquier véreux”, tel “politicien corrompu” ou tel “haut fonctionnaire magouilleur”, c’est-à-dire sur les symptômes et non la véritable cause.
Concernant Lactalis, le coupable idéal est très rapidement identifié : son “PDG milliardaire” avec sa “culture du secret” a servi de catalyseur idéal permettant de détourner l’attention de tout l’engrenage capitaliste qui a permis un tel scandale. De même, les enseignes de la grande distribution servaient aussi de coupables tout désignés. Cette fois encore, ce ne pouvait évidemment pas être la faute du capitalisme, la véritable maladie qu’il ne faut surtout pas mettre sous les yeux des prolétaires, mais quelques “brebis galeuses” faciles à identifier et à désigner à la vindicte. Tous les médias et l’État lui-même se sont montrés de zélés accusateurs, comme si ce dernier était “extérieur” à l’affaire. C’est ainsi que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, parlait avec sévérité d’un “manquement” et annonçait que “la Justice n’épargnera personne”.
Pourtant, si le lien n’est pas toujours direct ou apparent aux premiers abords, l’État et le gouvernement sont toujours au cœur des décisions qui poussent vers la logique du profit et la concurrence maximale avec pour conséquences des scandales à répétition. La réalité est que “le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière”.(3) C’est donc hypocritement que l’État et ses politiciens interviennent de nouveau comme “justiciers”, eux qui, de manière chronique , s’autorisent les pires exactions qu’ils attribuent généralement aux autres.
D’ailleurs, rappelons-nous le scandale du sang contaminé dans les années 1980 où les laboratoires, de manière consciente et avec la bénédiction du gouvernement de l’époque, faisaient inoculer du sang non chauffé et donc empoisonné dans les veines de centaines de personnes par pur souci d’économie. De même, si on se penche sur le scandale du Mediator, on retrouve toutes les accointances qui unissaient les laboratoires pharmaceutiques et des partis politiques impliquant des personnalités au sein de l’appareil d’État. A l’époque, la polarisation s’opérait exclusivement sur les dirigeants du laboratoire Servier dont des organisations gauchistes comme LO martelaient qu’ils avaient “un porte-monnaie à la place du cœur”. Mais aussi cupides qu’aient été ces industriels, ils n’étaient en réalité que de cyniques créatures produites et intégrées aux rouages de la logique marchande, celle d’un système barbare qu’il faut absolument détruire. Telle est le principal enseignement politique de cette sinistre affaire pour le prolétariat.
WH, 30 janvier 2018
1 La bactérie salmonelle peut provoquer des gastro-entérites et des complications très graves chez le nourrisson.
2 Expression employée dans le Manifeste du Parti communiste (1848).
3 Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels (1848).
Depuis sa nomination au poste de président le 15 février dernier, le nouveau leader de l’Afrique du Sud est largement plébiscité par les médias. Il faut dire que son prédécesseur, Jacob Zuma, se traîne une impressionnante série de casseroles qui devenait difficilement supportable pour l’image de la bourgeoisie elle-même et entravait la gestion de l’État.
Ex-syndicaliste et figure de la lutte anti-apartheid, Cyril Ramaphosa est un baron de l’ANC, le Parti au pouvoir depuis 1994. Avant son retour dans les affaires politiques, cet ancien leader du Syndicat national des mines (le NUM, dont il occupe le poste de secrétaire général en 1982) fit un passage remarqué dans les milieux d’affaires, qui lui permit de devenir une des plus grosses fortunes du continent. Il siège déjà au conseil d’administration de la mine de Marikana en 2012 lorsque la grève éclate et use de ses relations pour faire intervenir les forces de l’ordre. Bilan : la police tire sans sommation faisant 34 morts parmi les mineurs. Blanchi par une commission d’enquête, il a présenté depuis ses excuses. A peine arrivé au pouvoir, Ramaphosa a présenté un plan d’austérité comme l’Afrique du Sud en a peu connu depuis la fin de l’apartheid, en particulier marqué par une hausse de la TVA et de diverses taxes. Voilà comment cet ex-syndicaliste entend engager l’Afrique du Sud dans une “ère nouvelle”.
Ramaphosa serait-il un traître ? Aurait-il renoncé à ses “idéaux” ? En réalité, la trajectoire de cet individu illustre bien que, depuis plus d’un siècle, les syndicats ont cessé d’être un outil de lutte aux mains des ouvriers. En entrant en décadence, le système capitaliste a cessé d’être en mesure d’accorder des réformes véritables en faveur de la classe ouvrière. Ayant perdu toute possibilité d’exercer leur fonction de défenseur des intérêts économiques du prolétariat dans un contexte historique où seul l’abolition du salariat, et donc leur propre disparition, est à l’ordre du jour, les syndicats sont devenus, comme condition de leur propre survie, les défenseurs acharnés du système, s’intégrant entièrement à l’appareil d’État.(1)
De nombreux exemples illustrent la réalité de l’assimilation des syndicats à l’État bourgeois. En Pologne, lors des luttes massives d’août 1980, de nombreuses usines se mirent en grève en portant des revendications unitaires, entre autres contre l’augmentation des prix et pour des augmentations de salaire. La solidarité inter-secteurs comme la prise en charge de l’organisation de la lutte et son contrôle par les ouvriers eux-mêmes furent des éléments-clés de la force et de l’extension du mouvement à tout le pays, avec quelques craintes de la part de la bourgeoisie russe en particulier, que le mouvement ne s’étende aux pays voisins de l’ex-bloc de l’Est. Pour la bourgeoisie, il s’agissait donc d’empêcher l’extension du mouvement par tous les moyens. Pour ce faire, elle misa sur une figure reconnue des ouvriers dans les luttes précédentes, notamment dans les chantiers navals en 1970 et 1976. A la tête d’une nouvelle structure d’encadrement syndical, Solidarnosc, qui s’est rapidement substitué aux comités inter-usines, Lech Walesa parcourut alors le pays comme “pompier volant” (souvent avec un hélicoptère de l’armée) pour presser les ouvriers de cesser les grèves, affirmant que “la société veut de l’ordre maintenant. Nous devons apprendre à négocier plutôt qu’à lutter”. Solidarnosc devint alors ouvertement un partenaire du gouvernement, tentant même de pousser les ouvriers à renoncer à huit samedis libres pour aider le pays à surmonter la crise. Ce sabotage du mouvement des luttes massives en Pologne en août 1980 contre sa dynamique d’extension et d’auto-organisation et sa défense des intérêts de l’économie nationale ont ainsi ouvert la voie à la répression en 1981 du général Jaruzelski auquel Walesa a succédé en accédant à la présidence de la Pologne, concrétisant la pleine intégration de son syndicat à l’État. Tout cela lui a d’ailleurs valu la reconnaissance de la bourgeoisie internationale en lui décernant le prix Nobel de la Paix en 1983.
De l’autre côté de la planète, à la même période, l’ex-président du syndicat de la métallurgie au Brésil faisait ses armes au sein de différentes instances de l’État. Il s’agissait d’un certain Lula Da Silva. Si Lula est aujourd’hui sous les feux des projecteurs, ce n’est pas pour “ses bons services rendus à la nation” ni pour avoir participé à la création du Parti des travailleurs (PT) en 1980. Il croule aujourd’hui sous les dossiers du scandale de Pétrobras, pour corruption et blanchiment d’argent, s’accrochant obstinément à une bouée de sauvetage : les prochaines élections présidentielles. Cet ancien leader syndical s’est notamment distingué par les attaques de ses “réformes”, et la brutalité dont il a fait preuve pour réprimer les mouvements de lutte dont celui des contrôleurs aériens en 2007 : “Quelques jours après la grève, le gouvernement a déclaré illégal l’accord signé par ses propres représentants et les grévistes, accord qui donnait satisfaction aux revendications. Dans un violent discours adressé à la presse et à la population, le Président Lula a accusé les contrôleurs d’être des “irresponsables” et des “traîtres”, pour n’avoir pas respecté les institutions et la hiérarchie militaire. (…) Ce discours a ouvert la voie de la répression, renforçant la volonté des organes militaires de punir, y compris d’incarcérer, les éléments les plus combatifs”.(2)
En France, on peut citer les Chérèque, père et fils. Jacques Chérèque, le père, ancien OS de la métallurgie qui fut leader de la CFTC et CFDT, avant de se rapprocher du prétendu socialisme de Michel Rocard et accéder ainsi au poste de préfet (en 1984) puis à celui de ministre délégué à l’aménagement du territoire en 1988 ; il n’a cessé d’être dans toutes les années 1970 et 1990 l’un des acteurs clés du démantèlement de la sidérurgie en Lorraine, responsable du licenciement et de la mise au chômage de dizaines de milliers d’ouvriers. Son fils, François, céda la direction de la CFDT en 2012 pour devenir inspecteur à l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales).
Au mois de mai dernier, nous avons vu le gouvernement intégrer d’anciens syndicalistes à des postes spécialement créés pour l’occasion : ainsi, Stéphane Lardy, ex-cadre de FO entre au cabinet du ministère du travail lui aussi comme inspecteur à l’IGAS, sans doute pour mettre en œuvre la réforme du travail, la réforme de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle, de la retraite, etc. Ou encore Thierry Lepaon, l’ancien secrétaire général de la CGT qui, sur fond de révélation de dépenses suspectes (3) est placé à la tête de l’Agence de la langue française pour la cohésion sociale. Fonction rémunérée, mais déjà prise en charge de manière bénévole par la présidente d’une agence déjà existante, l’ANLCI, dont l’objectif affiché est identique.
La classe ouvrière n’a rien à attendre de tous les ex-syndicalistes qui passent à une carrière politique, pas plus du nouveau président d’Afrique du Sud que de ses prédécesseurs, qui n’ont fait, au final, que gravir les échelons de la bureaucratie étatique à l’intérieur d’un de ses organes : les syndicats. Ce que viennent illustrer ces quelques exemples, c’est avant tout que les syndicats ne sont pas uniquement des outils efficaces au service de l’encadrement des luttes ouvrières et de la répression, ils représentent aussi un vivier de cadres politiques au service du pouvoir d’État, une source d’éléments capables de défendre avec le plus grand zèle le camp auquel ils appartiennent : celui des exploiteurs.
Marius, 23 février 2018
1 Voir notre brochure : Les syndicats contre la classe ouvrière.
2 Brésil : les contrôleurs aériens en grève, Révolution internationale n° 380, juin 2007.
3 Concernant la rénovation de son bureau et de son appartement de fonction, son indemnité de mutation entre la Basse-Normandie et Montreuil (d’après Médiapart : Le gouvernement recase des syndicalistes de FO et de la CGT (18 avril 2016).
Le 28 octobre 2016, une réunion organisée dans les locaux de l’association marseillaise Mille Bâbords pour discuter d’un texte sur le racialisme, Jusqu’ici tout va bien ? [674], était interrompue par l’intrusion d’une trentaine de personnes se réclamant du “racialisme” et se proclamant “racisées”. Nous renvoyons au récit d’un participant(1) pour plus de détails et une excellente description des faits.
Le choix du lieu comme l’intitulé de la réunion montraient clairement une volonté de discussion, de clarification, de débat ; il existe depuis quelques temps des éléments au sein de l’association Mille Bâbords qui cherchent à discuter des positions révolutionnaires et ce avec une ouverture politique. La réunion, comme le montre le point d’interrogation dans le titre du texte en discussion, ne demandait qu’à débattre. Il est d’autant plus scandaleux que cette volonté de discussion dans un cadre pacifique se soit heurtée à une clique maniant de préférence la rhétorique de la matraque et de la bombe lacrymogène, qui n’est absolument pas venue pour discuter mais pour interdire toute discussion. Le fait qu’il n’y a pas eu de résistance violente de la part des participants à la discussion a quelque peu désarmé les auteurs de l’assaut : ils étaient bien seuls dans leur “rage” politique stérile et réactionnaire. Cette agression, toute proportion gardée au vu du contexte, peut être comparée à celle des fascistes ou des staliniens qui dans les années 1930 ne cherchaient qu’à casser les réunions de leurs opposants. Il s’agissait clairement d’une tentative de pogrom contre des camarades défendant la lutte de classe et la clarification comme moyen de la lutte politique. Cela le CCI l’a condamnée sans ambiguïté.(2) Ajoutons que le fait de venir pour casser une réunion de discussion ne démontre qu'une chose : ils n'ont rien à raconter ! Du reste, le caractère pitoyable des participants à cette agression ressort clairement du témoignage déjà cité : la plupart d’entre eux ne savaient même pas ce qu’ils faisaient là !
Houria Bouteldja a sorti en 2016 un ouvrage qui a fait un peu de bruit médiatique, Les Blancs, les Juifs et nous, qui condense en fait toute l’idéologie des “racisés” et notamment celle du Parti des indigènes de la République (PIR), telle qu’on a pu l’entendre développée dans divers entretiens par son auteure – laquelle est par ailleurs la porte-parole du PIR. L’ensemble du livre tourne autour de l’idée que les descendants d’immigrés en France, du fait de leurs origines, seraient victimes d’un “racisme institutionnel”, lequel aboutirait à véritablement constituer des “rapports sociaux racistes”. Les “premiers concernés” donc seraient “racisés”, autrement dit on leur appliquerait directement le concept de “race” du fait de leurs origines et ils subiraient de ce fait une oppression d’essence différente et notablement pire que les prolétaires “blancs”, qui en fait trouveraient leur compte dans l’affaire puisqu’ils ne se trouveraient pas tout en bas de l’échelle sociale et toucheraient même un “salaire de la blanchité”, une sorte d’avantage naturel lié à leur statut de “blanc”. Il y aurait donc une complicité objective entre prolétaires “blancs” et bourgeoisie, complicité qui trouverait sa transcription au niveau impérialiste par le soutien (ou du moins l’incapacité à s’opposer) des prolétaires blancs à la politique impérialiste de leur État. D’où le soutien des “racisés” aux nations et aux “peuples” du Tiers-monde qui s’opposent aux États “blancs” et aux luttes de décolonisation (Bouteldja, par exemple, soutient très clairement l’indépendance de l’Algérie, le PIR est un fervent défenseur du nationalisme palestinien) et de libération nationale.
Le “racialisme” se targue d’être l’expression des “premiers concernés”, c’est-à-dire de tous ceux qui subissent quotidiennement le racisme, et cette expression, dès qu’elle est contestée, apparaît niée alors qu’elle serait indéniable.
Il est clair que le racisme existe dans le capitalisme, comme produit de l’esclavage, de l’exploitation et de la concurrence ; cependant, pour le racialisme, le racisme n’est pas la conséquence de l'exploitation liée au système, il en devient la cause même. La base de l'exploitation ne serait donc plus l'opposition capital/Travail, mais celle entre la "race blanche dominatrice" et les autres de couleur. En fin de compte, une vision totalement symétrique à celle de idéologie d'extrême-droite des suprémacistes blancs, que l'on peut trouver, par exemple, en Amérique du Nord. Dans le même ordre d’idée, d’autre part, les “racisés” militent pour des réunions en “non-mixité”, dans le but que les “premiers concernés” puissent parler eux-mêmes et sans obstacle de leur “oppression”. Le modèle de cette conception est le féminisme, où les réunions interdites aux hommes permettraient aux femmes de parler plus librement de leurs problèmes.
Un certain nombre de groupes politiques ont pris, directement ou pas, fait et cause pour ces thèses “racialistes” ; le plus éminent est le NPA qui défend les idées principales de cette mouvance, à travers son soutien à “l’antiracisme” et aux luttes en “non-mixité”, “qui font partie des outils de prise de conscience et d’émancipation collective”(3), “la non-mixité choisie et temporaire est une stratégie de résistance politique à des dominations structurelles telles que le racisme ou le sexisme”.
Le groupe Alternative Libertaire (AL) a publié en 2013 un texte intitulé : Non-mixité : un outil d’émancipation, qui rejoint les mêmes thématiques au travers du féminisme. On est bien en face de la même logique de division en groupes “concernés”, que l’on retrouve dans d’autres articles [675] d'AL. Il n’est de toute façon guère étonnant de retrouver des groupes comme le NPA et AL dans le cousinage idéologique du “racialisme” : ils ont toujours cultivé l’art d’entraîner la classe ouvrière (seule classe révolutionnaire dans le capitalisme) sur des terrains interclassistes et des luttes parcellaires, c’est-à-dire la défense de groupes particuliers ayant soi-disant des intérêts propres et insolubles dans le combat prolétarien. Le féminisme, comme l’antiracisme, comme la défense des “jeunes” n’ont d’autre horizon que la défense de l'État démocratique, comme si la logique de classe propre au capitalisme ne traversait pas ces groupes particuliers. Le capitalisme est un système d’exploitation ; il divise l’humanité en classes et en nations, il s’appuie sur des rapports sociaux de production fait de concurrence et de recherche de profit, il jette les individus les uns contre les autres. De-là naissent mille haines, mille horreurs insoutenables : les pauvres sont méprisés et ghettoïsés, les femmes sont les prolétaires des hommes, les noirs sont traités comme des esclaves, les vieux sont parqués dans des mouroirs, les handicapés sont considérés comme d’inutiles sous-hommes,... La liste de ces atrocités est sans fin et chacune d’entre-elles doit susciter l’indignation et l’envie d’abattre ce vieux monde, chacune peut être la source d’une réflexion plus ample sur les racines profondes de cette barbarie généralisée. La lutte prolétarienne est le combat des opprimés unis et solidaires contre tous les affres du capitalisme, une lutte pour l’émancipation non pas de tel ou tel groupe particulier mais de toute l’humanité. C’est l’exact opposé du racialisme qui isole l’une des horreurs (réelle) de ce monde pour en faire une lutte particulière ; pire même, elle enferme ses victimes dans une lutte contre tous les autres, une lutte des noirs contre les blancs. Cette idéologie, loin de combattre le capitalisme, perpétue en réalité ce système et ses horreurs ! Elle n’est que la caricature de toutes les positions inter-classistes de la mouvance gauchiste. Le PIR a ainsi été fondé par Sadri Khiari, dirigeant tunisien de la IVe Internationale, réfugié en France depuis 2003 ; la filiation de l’idéologie “racialiste” avec l’extrême-Gauche trotskyste et anarchiste est donc claire ; Khiari a développé le concept de “races sociales” contre la classique conception de lutte de classe basée sur les rapports sociaux de production. Il s’agit de transformer une des bases politiques du mouvement prolétarien (la lutte de classe) en une idéologie de la division : chacun dans son coin, on se défendrait mieux ! Voilà qui, dans la période que nous connaissons aujourd’hui, en rejoint pleinement les plus visibles manifestations conservatrices : le repli sur soi, sur la famille, sur la religion, sur l’“identité”, sur le “local”, le “chacun pour soi”. Toutes sont des expressions de la période de sénilité sociale du capitalisme que nous vivons. Et vu la nature de l'intervention des “racisés” contre le local de Mille Bâbords et la réunion qui s’y tenait, nous pouvons même parler d'une mentalité de pogrom !
Ce “chacun pour soi” est en totale contradiction avec l’histoire de la lutte de classe et du combat du prolétariat pour la défense de ses intérêts et son émancipation. La classe ouvrière dans son ensemble n’avait pas à la fin du XIXe siècle des conditions de vie et de travail différentes de celles des esclaves, bien au contraire : elles étaient, pourrait-on dire, pires, notamment aux États-Unis, où au tournant du XXe siècle l’usine tuait pratiquement les ouvriers. Prolétaires noirs et blancs se retrouvaient côte à côte dans la lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail, malgré les obstacles : l’État, les autorités et lois locales, le syndicalisme de collaboration personnifié par l’AFL, tous s’opposaient aux luttes unissant les ouvriers sans distinction de condition ou de couleur de peau. Mais un syndicat de lutte comme les IWW admettait tous les ouvriers et ouvrières, sans distinction. On comprend aisément quel outil de division représentait pour la bourgeoisie la séparation des sexes et des “races” : “L’IWW prenait son slogan, “Un seul grand syndicat”, très au sérieux. Les femmes, les étrangers et les travailleurs noirs, c’est-à-dire les travailleurs les moins qualifiés, étaient intégrés lorsqu’un syndicat IWW se créait dans une mine ou une usine. Lorsque la confrérie des Travailleurs du bois fut créée en Louisiane et qu’elle invita Bill Haywood à prendre la parole (en 1912, peu après la victoire des grévistes à Lawrence), celui-ci fut surpris de constater l’absence de Noirs dans l’assemblée. On lui répondit que la loi de Louisiane interdisait la mixité raciale dans les réunions. Haywood s’adressa alors en ces termes à la convention : “Vous travaillez ensemble dans les usines. Parfois un Noir et un Blanc se mettent ensemble pour abattre un même arbre. Aujourd’hui, vous vous êtes constitués en convention pour discuter des conditions dans lesquelles vous travaillez. (…) Pourquoi ne pas admettre cette réalité et inviter les Noirs à cette convention ? Si cela va à l’encontre de la loi, c’est justement le moment de la briser”.(4)
Or voilà que le “racialisme”, au lieu de combattre ces divisions, non seulement les entérine, mais prétend leur donner un fondement : les “rapports sociaux de races”. On retrouve donc là une très vieille tactique de la bourgeoisie pour empêcher l’unité de la classe ouvrière, le fondement de sa force, détruire sa capacité à établir un rapport de force contre la classe dominante et à remettre sa domination en question. Et on voit que le mouvement ouvrier, depuis bien longtemps, s’est opposé à cette stratégie de division.
Le livre de Bouteldja tire une partie de ses formules et de son inspiration de l’héritage de Malcolm X. Cet Américain a toujours défendu une vision politique fondamentalement anti-ouvrière : son soutien à la religion (musulmane en l’occurrence) en atteste, tout comme sa défense de l’idée que les “Noirs” doivent s’organiser indépendamment des “Blancs”. À côté de cette référence, et sans le dire explicitement, ce livre tire beaucoup de sa substance du Stalinisme. On le voit à travers son soutien aux luttes de libération nationale et au nationalisme tiers-mondiste, notamment le soutien à l’indépendance de l’Algérie et de la Palestine, repris de Frantz Fanon, à travers une vision de l’impérialisme qui n’est jamais clairement expliquée mais n’a rien à voir avec celle développée par le marxisme, et est une très classique vision stalinienne selon laquelle l’impérialisme, c’est d’abord les États-Unis et ensuite Israël. Mais on le voit aussi parce que les thèses développées dans ce livre trouvent leur source dans la IIIe Internationale stalinisée, qui défendait déjà en 1929 une certaine forme d’apartheid, mais à l’envers : la “République Noire”. “Dans le reste du monde, l’un des partis les plus secoués est le Parti communiste d’Afrique du Sud, où l’élimination de la vieille direction de Sidney Bunting, un Blanc, champion de toujours de l’africanisation, se fait au nom de… l’africanisation ! A la fin de 1929, l’exécutif de la Comintern exige la dissolution de la LAR (League of American Rights) qui regroupe les organisations noires pour la défense de l’égalité des droits et interdit au CPSA [Communist Party of South Africa] tout contact avec l’ANC [African National Congress, organisation de défense des droits des Noirs]. Boukharine et le dirigeant noir d’Afrique du Sud La Guma se mettent d’accord pour établir que le but immédiat de la lutte révolutionnaire en Afrique du Sud doit être la création d’une “république noire, indépendante et démocratique”. Cette position n’a guère que des adversaires dans le CPSA, même chez les Noirs. (…) Dans son travail Le Communisme et le nationalisme noir, George Padmore, au lendemain de sa rupture, déchaîne toutes les ressources de son ironie contre ce projet, sorti, dit-il, de l’imagination de Kuusinen et également patronné par Boukharine, d’une “République noire” en Amérique du Nord, dans la ceinture noire qui va de la Virginie occidentale au Texas, avec l’espoir de satisfaire ainsi ce “sionisme noir” qui avait répondu avec enthousiasme aux promesses de Marcus Garvey pour le “retour à l’Afrique”. Les meilleurs militants noirs, assure-t-il, ont été exclus pour s’être opposés à cette revendication d’une “réserve indigène”, un Bantouland avant la lettre. Cette proposition d’apartheid revendiquée par les victimes, rapidement retirée, a eu, selon Padmore, le temps de provoquer l’effondrement durable du PC en Afrique du Sud”.(5) Comme on le voit, les idées de Bouteldja d’“ indépendance nationale” sur la base des “premiers concernés” et des “racisés” ont une longue histoire, mais leur source d'inspiration n’est rien d’autre que la contre-révolution stalinienne !
Le concept de “races sociales” mis en avant par le “racialisme”, outre qu’il fait appel à une vision proprement bourgeoise de la “race” qui n’a absolument rien de scientifique et n’est qu’une division artificielle de l’humanité, essaie de nous faire croire que le racisme générerait une oppression spécifique de ceux qui en seraient victimes. Cette “oppression” n’est pas clairement identifiable, et en tout état de cause on ne voit pas pourquoi elle ne s’appliquerait pas à TOUS les membres de ladite “race sociale”, dont une partie (les bourgeois “noirs”) ne sont ni exploités, ni opprimés !
A côté de cela, Bouteldja fait dans son livre montre d’un mépris affiché pour les “prolos blancs”, qui bénéficieraient du “privilège” d’être “blancs” : “Vous avez peur mais vous tenez à votre confort. C’est là votre dilemme. Vous ne voulez pas renoncer à l’infinité des privilèges de la domination coloniale. Vos privilèges sont matériels, statutaires, institutionnels, politiques, symboliques. A niveau social équivalant, il vaut toujours mieux être blanc”. “Qu’est-ce qui pourrait vous faire renoncer à la défense de vos intérêts de race qui vous consolent de votre déclassement et grâce auxquels vous avez la satisfaction de (nous) dominer ?” Outre que visiblement Bouteldja ne s’adresse en fait qu’à la petite-bourgeoisie, qui a en effet très peur du “déclassement” (ce qui n’est pas le cas de la classe ouvrière, qui est déjà en bas de l’échelle du monde capitaliste) on ne saurait être plus clair sur l’idée que les ouvriers “blancs” profiteraient de l’oppression de leurs frères de classe “noirs”. On peut effectivement toujours trouver plus opprimé que soi, mais cela ne change rien à ce qu’écrivait Marx dans le Manifeste Communiste : “A mesure que grandit la bourgeoisie, c'est-à-dire le capital, se développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail et qui n'en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme un autre ; ils sont exposés, par conséquent, à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. (…) Les intérêts, les conditions d'existence au sein du prolétariat, s'égalisent de plus en plus, à mesure que la machine efface toute différence dans le travail et réduit presque partout le salaire à un niveau également bas.” Ce n’est pas la couleur qui détermine l’exploitation, mais bel et bien la place qu’on occupe dans les rapports de production capitalistes. Pour le Capital, l’enjeu est toujours de payer le capital variable (la main-d’œuvre) le moins cher possible, puisque c’est là-dessus qu’il réalise son profit. Et s’il peut utiliser la couleur de peau, le sexe, le handicap, la jeunesse, l’inexpérience, n’importe quel moyen quel qu’il soit pour payer un prolétaire moins cher qu’un autre, il le fera. Il n’y a pas que les Noirs et les immigrés qui sont discriminés par le Capital : il y a aussi les jeunes, les vieux, les handicapés, les femmes, les illettrés, les non-diplômés, les pauvres, les chômeurs, bref, tous ceux qui sont isolés et n’ont donc pas les moyens de se défendre face aux capitalistes et à l’État. Ce qui fera reculer la bourgeoisie, c’est l’unité des prolétaires contre ces divisions, ce que les exploités ont toujours compris : “Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs. Cette union est facilitée par l'accroissement des moyens de communication qui sont créés par une grande industrie et qui permettent aux ouvriers de localités différentes de prendre contact. Or, il suffit de cette prise de contact pour centraliser les nombreuses luttes locales, qui partout revêtent le même caractère, en une lutte nationale, en une lutte de classes”.(6)
Sven, 9 décembre 2017
2 Voir notre communiqué : Communiqué de solidarité face à la violence haineuse des racialistes fanatiques.
3 Racisme d’État : la preuve par Jean-Michel Blanquer [677]. (NPA)
4 Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours.
5 Pierre Broué, Histoire de l’Internationale Communiste.
6 Karl Marx, Manifeste Communiste.
Le 3 janvier, Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi “anti-fake news” afin de lutter contre la prolifération d’informations délibérément fausses sur le Web. Le but est double : renforcer toujours plus la mainmise de l’État sur l’information, tout en faisant croire que celui-ci est neutre, objectif, garant de la vérité. Voilà la plus grande fake new qui soit !
Derrière leurs cris faussement scandalisés et leurs prétendues critiques, la gauche et l’extrême gauche cachent le même mensonge, la même défense de l’État et du capitalisme. Pour le Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon : “On peut (...) entendre le président quand il pointe du doigt que d’une façon générale, le délabrement moral de l’information dite de “service public” est un problème grave pour la dignité des citoyens qui le financent. (…) On ne peut que le rejoindre quand il parle de ceux qui ne visent qu’à salir à n’importe quel prix dans le but de faire marcher la pompe à clic qui est surtout une pompe à fric. (...) La plupart des médias privés, audiovisuels ou papier appartiennent à quelques grands groupes de presse, eux-mêmes possédés par un petit nombre d’actionnaires qui sont aussi propriétaires des plus grandes entreprises du CAC 40. (…) Emmanuel Macron a raison : il y a un problème pour la démocratie avec la sphère médiatique. Nous avons proposé pour y remédier de créer un “conseil de déontologie des médias””. Voilà le message du Front de gauche : les grands médias mentent à cause du CAC 40 et l’État doit agir. Pour le NPA : “La propagation de “fausses informations” est le symptôme d'une distorsion du débat public provoquée par la surveillance économique des grandes plateformes (…) C'est le modèle économique des grands réseaux sociaux qui, de lui-même, favorise la propagation (gratuite) d'informations qui distordent le débat public, dont les fake news (…) La qualité du débat public exige un espace neutre, où le tissu des opinions n'est pas déchiré par des considérations marchandes”. Bref, le même discours : les fake news sont le produit des grands groupes économiques, il faut se battre pour “un espace neutre” et protégé des “considérations marchandes”. Quant à Lutte Ouvrière, l’organisation classée officiellement la plus à gauche sur l’échiquier politique de la bourgeoisie, elle proclame : “Le monde de l’information, sur Internet ou pas, est plein de fausses nouvelles et de demi-mensonges, à commencer par ceux que propagent les gouvernements comme celui de Macron. Pour les travailleurs et la population, mieux vaut s’exercer à discerner par eux-mêmes le vrai du faux que de se fier à des vérités établies par le pouvoir ou ses proches”. Voilà une plus grande radicalité... apparemment. Car à y regarder de plus près, ce n’est toujours pas l’État qui ment, mais “les gouvernements comme celui de Macron”. Autrement dit, l’État (et même le capitalisme) peut être honnête et humain si les gouvernements sont d’extrême gauche. Les ouvriers qui ont vécu sous le stalinisme, le castrisme, le chavisme, etc... pourront apprécier pour en avoir fait l’expérience amère, le goût de ces régimes pour la vérité !
Les révolutionnaires communistes ont toujours mis en évidence, depuis l’expérience de la Commune de Paris de 1871, le rôle non pas neutre et objectif mais au contraire viscéralement anti-prolétarien de l’État : “L’État moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble” (F. Engels en 1878, dans son Anti-Duhring).
Pour asseoir cette domination de la bourgeoisie sur le prolétariat, l’État n’use pas seulement de la terreur qu’il inspire par ses forces de répression (armée, police, justice) mais aussi de sa capacité à mentir et manipuler. “La manipulation habile et consciente des habitudes et des opinions des masses est une composante majeure de la société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme secret de la société constituent un gouvernement invisible qui est la véritable puissance dirigeante de notre société”. (Edward Bernays, Propaganda, 1928). Ceci est d’autant plus vrai depuis 1914. La Première Guerre mondiale a en effet marqué le moment où l’État capitaliste a pris pour la première fois le contrôle massif et totalitaire de l’information, à travers la propagande et la censure, dans un but unique : la victoire dans la guerre totale. Lorsque George Orwell écrivit 1984 en 1948 (d’où son titre), il imaginait un avenir dans lequel tous les citoyens auraient l’obligation d’installer chez eux un écran au moyen duquel ils seraient tous soumis à la propagande étatique : soixante-dix ans plus tard, les gens achètent eux-mêmes leurs télévisions, ordinateurs et smartphones et se divertissent de leur propre chef avec des produits dont la sophistication éclipse le Ministère de la Vérité (1) de Big Brother.
Les fake news étatiques sont ainsi légions. Parfois de simples mots sont même immédiatement associés à d’immenses mensonges d’État : Tchernobyl, le Rainbow Warrior, les armes chimiques en Irak, etc. Mais il ne s’agit là que des scandales les plus connus et médiatiques. La propagande de tous les États est en réalité bien plus quotidienne, subtile et donc insidieuse. Leurs fausses nouvelles incessantes entrent dans les têtes et distordent notre capacité à comprendre le monde.
Plus profondément : le capitalisme est une société d’exploitation, comme l’esclavagisme et le féodalisme avant lui. Mais sa légitimité ne repose pas sur un ordre divin, elle se fonde sur un autre mensonge : celui que les hommes sont libres et égaux. L’État a pour rôle de maintenir cette exploitation et donc ce mensonge, d’où sa prétendue neutralité.
Un problème demeure : la propagation des fausses nouvelles sur le Web, souvent invraisemblables et pourtant partagées et propagées par des millions de clics sur les réseaux sociaux, est une réalité. Pourquoi ?
En fait, le capitalisme est un système social en décomposition. Il n’a aucun avenir à offrir à l’humanité. Face à lui, le prolétariat a les plus grandes peines à développer sa lutte et sa conscience, il est encore très loin de pouvoir incarner un espoir aux yeux des masses. En un mot, l’espoir d’un autre monde est aujourd’hui en sommeil. Privée de perceptive, de futur, l’humanité plonge dans le nihilisme, la peur de l’avenir et de l’autre, le repli sur soi, et donc dans l’irrationnel.(2) Voilà ce que représente la prolifération des fake news : l’aggravation de l’obscurantisme sur le terreau fertile du capitalisme décadent et décomposé.
Le développement de la lutte révolutionnaire est le seul remède. Seul le prolétariat a un autre monde à offrir à l’humanité. Ce combat, il le mènera justement en cherchant la vérité, en se dressant contre les mensonges de la bourgeoisie et de ses États. Ce n’est pas un hasard si le journal du Parti bolchevique s’appelait justement la Pravda (la Vérité). “Le prolétariat n’a pas besoin d’illusions morales et il déteste l’hypocrisie. Son intérêt est de débarrasser la morale de toutes les illusions et de tous les préjugés. En tant que première classe de la société ayant une compréhension scientifique de celle-ci, le prolétariat est le seul qui puisse faire valoir cette haute préoccupation de la morale qu’est la vérité. Face au capitalisme le but du prolétariat est de faire apparaître la vérité comme le moyen indispensable de sa propre libération”.(3)
Sosso, 14 février 2018
1 Au travers de ce ministère imaginé, George Orwell souligne que plus un État parle de vérité, plus il ment.
2 Pour comprendre les racines de ce phénomène, nous renvoyons nos lecteurs à nos thèses : La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme (disponible sur notre site Internet).
3 Marxisme et Éthique (Débat interne au CCI).
Nous publions ci-dessous le courrier d’un lecteur qui nous a écrit pour défendre la nature prolétarienne de la révolution en Russie, soutenir notre Manifeste sur Octobre 1917 et engager le débat sur de multiples questions cruciales pour l’avenir. Cette démarche militante, nous la saluons fort chaleureusement, tout comme cet effort pour clarifier des questions politiques indispensables ; tous nos lecteurs sont invités à participer à ce débat par leurs contributions, écrites ou orales.
“J’ai lu ce Manifeste [du CCI sur la Révolution Russe] plusieurs fois. Je suis tout à fait d’accord avec le texte, mais je voudrais ajouter ceci à mon avis : en effet, la révolution russe reste l’événement le plus important de l’histoire mondiale. C’est une expérience historique. Le prolétariat est la seule classe qui peut faire une révolution dans le monde entier. En 2017, beaucoup ont oublié l’Internationale et la Révolution russe. Nous nous souvenons de l’histoire et savons qu’avec la montée du prolétariat, des organisations surgiront. Si le prolétariat se souvient peu de son passé, il ne s’est pas oublié lui-même, ni qui il est.
Le prolétariat mène sa lutte depuis la première Internationale. Cette lutte ne cesse pas d’exister chez tous les travailleurs. C’est une lutte de classe. Même si la classe ouvrière oublie ses valeurs historiques, nous révolutionnaires, nous préserverons toute l’expérience du passé. A l’heure décisive, les révolutionnaires viendront à la rescousse. Car nous faisons partie du prolétariat, nous faisons partie de la lutte.
A propos du paragraphe : Le capitalisme s’est survécu, je voudrais ajouter qu’il n’y a pas assez d’explications concernant les marchés et débouchés. Il était nécessaire de faire des ajouts pour étendre plus largement le sujet et expliquer les raisons de la décadence et la phase de décomposition.
Le passé a montré que la défaite de la révolution prolétarienne a entraîné les conséquences suivantes : les camps en Russie, la terreur, le nazisme en Allemagne, le fascisme en Italie. Je crois qu’il est impossible de gagner sans utiliser la force matérielle contre le capitalisme. Marx a écrit à ce sujet dans son ouvrage : Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1844) : “la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle”.
J’avais encore une question : pourquoi, après la défaite de la révolution, le fascisme ou le nazisme ne sont-ils pas survenus en Russie ? A mon avis : Staline était au départ membre du parti bolchevique. Plus tard, il l’a utilisé à ses propres fins. Ou il n’y avait pas d’autre issue, que de transformer tout en mensonge : le vrai devint le mensonge, et le mensonge le vrai.
En défense d’Octobre, pour la première fois dans l’histoire, l’humanité a essayé de transformer complètement le monde. La révolution russe (avec sa continuation en Allemagne, en Hongrie, etc.) est la seule révolution d’une telle expérience de toute la période de décadence du capitalisme. Il y a eu des erreurs : le parti s’est emparé de tout le rôle de la révolution, la répression des matelots de Cronstadt. C’est l’une des principales erreurs. En effet, le parti est nécessaire au prolétariat pour le guider dans la bonne direction. Le passé nous en a donné l’expérience.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Salutation fraternelle.”
Dans le cadre de ces colonnes, il n’est pas possible de répondre à l’ensemble des questions soulevées, mais nous tenions à souligner et soutenir plusieurs idées essentielles exprimées dans ce courrier :
– En tout premier lieu, il faut saluer le ton militant, la volonté de se battre et de ne pas céder à la résignation et à l’atonie que peut générer la situation sociale, alors que la classe ouvrière connaît de réelles difficultés pour mener son combat : “nous faisons partie du prolétariat, nous faisons partie de la lutte”. La démarche de ce courrier évite ainsi les principaux écueils qui ne mènent qu’à la capitulation : céder à l’activisme ou, au contraire, au repli sur soi. En défendant l’importance du militantisme et du combat de classe, ce courrier exprime aussi son soutien et sa confiance envers les organisations révolutionnaires : “Nous nous souvenons de l’histoire et savons qu’avec la montée du prolétariat, des organisations surgiront”. Avec cette ferme volonté de participer au combat en considérant que les organisations révolutionnaires constituent bel et bien un pont indispensable vers le futur, une nécessité qu’il faut absolument défendre, le camarade valide ainsi totalement le besoin de réflexion théorique et de réappropriation politique comme des activités essentielles pour le développement de la conscience de classe et l’orientation du combat en vue de la création du futur parti mondial. Un tel état d’esprit, extrêmement positif, s’inscrit parfaitement dans la tradition du combat historique du prolétariat pour défendre son unité et sa conscience.
– Le prolétariat est aujourd’hui la seule classe révolutionnaire. Dans un contexte où la classe ouvrière rencontre d’immenses difficultés à s’identifier elle-même comme classe, sans cesse diluée et réduite à l’impuissance dans le grand bain inter-classiste du “peuple” et des “citoyens”, il est nécessaire de défendre le fait qu’elle demeure la seule classe capable de transformer le monde, d’abattre les rapports sociaux d’exploitation et les frontières qui ne produisent plus que la misère et la guerre.
– La révolution d’Octobre 1917 a bien été une expérience irremplaçable des masses exploitées pour tenter de détruire l’ordre capitaliste. En réaction à la barbarie guerrière, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une classe exploitée prenait en main sa destinée et tentait de construire une nouvelle société, le communisme. Cet assaut révolutionnaire mondial constitue pour le prolétariat une source d’enseignement considérable en vue de la préparation aux futurs affrontements révolutionnaires.
– Comme l’a démontrée la vague révolutionnaire débutée en 1917, la révolution est vouée à l’échec sans s’étendre au niveau international et sans parti révolutionnaire, avant-garde la plus consciente de la classe, déterminé à défendre bec et ongles les principes politiques du prolétariat. Cela est d’autant plus remarquable que la propagande de la bourgeoisie, identifiant à la fois le communisme au stalinisme et le parti bolchevik à une clique putschiste, est permanente et insidieuse.
Le camarade se demande, par ailleurs, si le Manifeste du CCI sur la révolution d’Octobre 1917 n’aurait pas dû plus insister sur les raisons de la période de décadence et de sa phase actuelle de décomposition. Cette préoccupation est parfaitement légitime mais le Manifeste avait d’abord vocation à défendre la mémoire du mouvement ouvrier. Néanmoins, il est exact que certaines notions historiques ou questions théoriques simplement énoncées dans notre texte nécessitent peut-être d’être explicitées. Cela fait justement partie du travail d’appropriation et d’approfondissement nécessaire à la classe ouvrière.(1)
Ce courrier s’inscrit pleinement dans le processus de réflexion indispensable qui est mené pour tenter d’armer le prolétariat sur le plan théorique, l’arme théorique étant en elle-même une “force matérielle”.
RI, 9 mars 2018
1 Nous renvoyons à ce titre nos lecteurs à nos Thèses : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, ainsi qu’à notre série d’articles parut dans la Revue internationale : Comprendre la décadence du capitalisme.
Au-delà de sa phraséologie anti-guerre, face à l’épreuve du conflit mondial qui vient, le Parti socialiste étale son opportunisme qui débouchera sur la trahison de l’internationalisme prolétarien en août 1914.
La propagande nationaliste et chauvine de l’époque avait largement pénétré les rangs des ouvriers, nourrie parfois par l’utilisation de travailleurs étrangers pour briser les luttes. Entre 1887 et 1889, une partie du mouvement ouvrier était influencée par les idées populistes et chauvines du général Boulanger.(1) L’affaire Dreyfus en 1898 alimenta à nouveau une poussée nationaliste et divisa le mouvement ouvrier. Les menaces de guerre allaient encore aggraver la situation.
Il faut s’interroger sur le cas de Guesde, qui incarnait “le socialisme fait homme” pour beaucoup de militants de l’époque : comment s’est-il converti, a-t-il abandonné ses convictions d’hostilité envers tout compromis avec les forces bourgeoises pour se reconvertir en fervent patriotard puis en ministrable entre 1914 et 1916 ? Ce n’est pas un cas isolé, puisque d’autres socialistes de la IIème Internationale, beaucoup plus solidement et théoriquement armés comme Plekhanov ou Kautsky, ont également succombé à la trahison. Si la politique sectaire et autoritaire qu’il a constamment mené vis-à-vis des syndicats, sa vision de plus en plus opportuniste de la lutte politique et parlementaire, sa conception figée et schématique de la révolution s’accompagnaient d’un patriotisme dont il ne s’est jamais départi, c’est que pour lui “la guerre est mère de révolution” (selon la formule de l’ex-blanquiste Édouard Vaillant dès 1902, lui aussi devenu un fervent patriote après l’assassinat de Jaurès). Son “modèle” pour affirmer que la guerre accoucherait d’une révolution sociale était le jacobinisme de la révolution bourgeoise française et non le marxisme dont il n’a jamais compris la question centrale de l’internationalisme prolétarien. Il a toujours hautement revendiqué ce patriotisme et on peut citer des extraits de son Appel aux travailleurs français dès 1883 : “l’internationalisme n’est ni l’abaissement, ni le sacrifice de la patrie”. Il dira bientôt : “Si la France est attaquée, il ne faut pas la désarmer, ni la livrer” et s’exclamera même ultérieurement : “On ne peut plus dire aux ouvriers et paysans qu’ils n’ont plus de patrie” ou encore “La France n’aura pas de plus ardents défenseurs que les socialistes du mouvement ouvrier”. Face à cela, Jaurès est le seul à proclamer encore son fameux “Guerre à la guerre !” et la CGT est aussi la seule organisation ouvrière à réclamer des actions coordonnées internationalement contre la guerre.
Au moment du congrès de Stuttgart de la IIème Internationale en 1907, 60 000 personnes manifestèrent contre le danger de guerre et à la suite de la motion présentée par l’écossais Keir Hardie et Édouard Vaillant, Bebel y proposa une résolution contre la guerre mais sans évoquer le fait que le militarisme et la guerre faisaient partie intégrante du système capitaliste. Ce qui amena Rosa Luxemburg et Lénine à déposer un amendement qui portait la marque d’un internationalisme intransigeant : “Au cas où la guerre éclaterait, les représentants de la classe ouvrière ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser immédiatement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste”. La résolution et l’amendement furent finalement approuvés par le congrès mais cela restera une déclaration purement verbale. La dérive fut rapide : Jaurès et Vaillant préconisèrent encore l’insurrection et la grève ouvrière mais uniquement “en cas de guerre offensive”. Si le Congrès de l’Internationale à Copenhague en 1910, mis en avant certains moyens pour l’empêcher comme la grève générale, l’agitation et l’action politique et si la délégation franco-britannique proposa encore une grève générale dans l’industrie d’armements et le secteur des transports, la délégation allemande s‘y opposa dans un état d’esprit légaliste très significatif de sa gangrène opportuniste : pour que les partis socialistes ne “soient pas mis hors-la-loi”. Elle fut de plus en plus vue comme une fatalité inévitable. Les tensions guerrières entre la France et l’Allemagne au Maroc (Tanger en 1905, Agadir en 1911) ne suscitèrent que peu de réactions au sein du Parti socialiste comme au sein du parti allemand et de l’Internationale. Au congrès de Bâle en 1912, en pleine guerre des Balkans, s’incrusta l’idée que la guerre n’était pas si catastrophique car de la guerre pouvait surgir la révolution. Sa résolution stipulait ainsi “que les gouvernements n’oublient pas que la guerre franco-allemande donna naissance à l’insurrection révolutionnaire de la Commune de Paris”, ce qui allait amener la plupart des socialistes à la soutenir directement par la suite. En Allemagne, le Parti socialiste se refusa à toute action pour ne pas compromettre son avenir électoral. Seul Karl Liebknecht défendit fermement la nécessité d’une lutte active contre la menace guerrière mais il fut accusé “de haute trahison” pour avoir publié sa brochure Militarisme et anti-militarisme et fut condamné en octobre 1907 à 18 mois de prison.
Au sein du Parti socialiste, entre 1911 et 1913, après le congrès du Havre, Édouard Dolléans dans son Histoire du mouvement ouvrier constate qu’ “il n’y a plus chez les militants ni chez les chefs du parti, cette flamme d’action, cet enthousiasme, cet esprit de sacrifice de l’époque passée. La guerre exerce déjà préventivement ses effets corrupteurs”. La guerre démoralisa les énergies comme si elle était déjà là, dissolvant les volontés, rompant les élans. En quelque sorte, le suicide de Paul et Laura Lafargue en 1911 marqua symboliquement la fin d’une période pour le Parti socialiste.
Au sein du mouvement syndicaliste, cependant, tous les syndicats révolutionnaires étaient d’accord sur un “antimilitarisme corporatif” : l’armée était perçue par eux comme le suprême rempart de la bourgeoisie, le “chien de garde” du capitalisme, et d’ailleurs le gouvernement l’utilisait constamment dans la répression des grèves ouvrières ; il s’agissait donc d’empêcher que le bourrage de crâne et l’atmosphère de la caserne ne détournent les jeunes du syndicalisme ; la CGT pris une part active à la propagande dans l’armée pour inciter les jeunes soldats du contingent à ne pas faire usage de leurs armes contre les ouvriers grévistes.
En 1896, dans son message aux organisations allemandes, la Fédération des Bourses du Travail mettait en avant “la lutte contre le patriotisme”. Il serait néanmoins excessif de prendre les déclarations des congrès syndicaux sur l’armée comme le reflet de l’opinion dans la CGT. Par exemple, la résolution présentée par Yvetot au congrès d’Amiens, qui parlait d’intensifier la propagande antimilitariste et antipatriotique ne recueillit qu’une très faible majorité, et d’autres interventions (Luquet, Merrheim) furent nettement plus en retrait. Mais cette action n’est pas à minimiser et, inlassablement, la bourgeoisie dénonçait cette orientation anti-nationale et feignait de se désoler de voir la CGT s’éloigner de l’intérêt national à cause de la prétendue furie d’une poignée d’excités.
Parallèlement à leur action dans l’armée, les syndicalistes se préoccupèrent d’assurer des liaisons prolétariennes internationales pour les grèves et contre la guerre. En 1901, lors d’un premier projet de loi sur les retraites, la CGT se déclara “hostile à tout projet qui ne serait pas applicable aux étrangers résidant en France”. En 1902, au moment des tensions avec l’Angleterre, des cégétistes allèrent à Londres demander la solidarité des travailleurs du Royaume-Uni par-dessus les frontières. Après celle des typographes en 1889, d’autres fédérations internationales furent d’ailleurs crées dans la métallurgie (1904), le textile (1906), le bâtiment (1910). En pleine menace de guerre franco-allemande après Tanger, ce furent des mineurs allemands qui répondirent et vinrent à l’appel des syndicats français pour tenter de sauver les emmurés de Courrières. Les caisses de grèves internationales, comme celle des typographes en 1906, permirent de prolonger des mouvements. En 1903, la CGT organisa dans les ports, une solidarité avec les dockers hollandais en grève. En avril 1906, un meeting CGT se tint à Paris pour organiser la participation des travailleurs étrangers à la lutte pour les 8 heures, “considérant que les frontières n’existent que par la volonté de ceux qui ont intérêt à diviser les travailleurs pour les exploiter plus facilement”. A son congrès de Marseille en 1908 et alors que ses principaux dirigeants sont en prison, la CGT préconisait la grève générale contre la guerre : “Le congrès déclare qu’il faut, du point de vue international, faire l’instruction des travailleurs, afin qu’en cas de guerre entre puissances, les travailleurs répondent à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire”. Cependant, le tableau était loin d’être idyllique : certaines fédérations envoyèrent même des délégués au ministre Millerand pour obtenir l’arrêt de l’immigration.
Sur le plan international, la CGT fut à l’origine de plusieurs tentatives d’actions concertées. Elle voulut demander au congrès d’Amsterdam de 1905 qu’on inscrive à l’ordre du jour non seulement la journée de huit heures et la grève générale mais aussi la question de l’antimilitarisme. Elle proposait, en cas de menace de guerre, d’entrer directement en rapport avec les syndicats du pays “adverse”. Le secrétaire des syndicats allemands, Legien, s’y refusa, et ce refus réitéré amena d’ailleurs le bureau de la CGT à suspendre ses rapports avec le bureau international. En janvier 1906, Griffuelhes vint à Berlin pour préparer une action internationale contre la guerre, mais Bebel imposait comme préalable une entente entre le PS et la CGT ; Griffuelhes repartit amer et dépité. En 1912 encore, appelés par la CGT à organiser dans chaque pays une manifestation simultanée contre la guerre, les syndicats allemands et autrichiens se dérobèrent sous prétexte qu’une telle manifestation, de caractère politique, était du ressort du parti et non des syndicats, argument qu’ils utilisèrent régulièrement pour éviter tout débat de fond sur ces questions. Incontestablement, les obstacles rencontrés au sein de la IIème Internationale, gangrenée par l’idéologie réformiste, le parlementarisme, l’opportunisme, le fédéralisme et surtout le nationalisme ne purent que renforcer la CGT dans l’idée que rien ne pouvait venir des partis socialistes ni surtout de la direction du syndicat orientée par le parti. Comme le souligne Rosmer : “Syndicalistes révolutionnaires et socialistes des partis de la IIème Internationale suivaient deux voies différentes. Même les démonstrations communes organisées contre le danger de guerre quand la menace s’en précisait, ne pouvaient faire disparaître les divergences qui les opposaient ; elles les atténuaient à peine”. Les syndicalistes révolutionnaires ignoraient ou dénonçaient les opérations parlementaires du Parti socialiste dont les dirigeants ne leur inspiraient aucune confiance. Seuls, sans doute, les socialistes russes échappaient à cette condamnation générale.
Mais la CGT aussi bien que le PS était partie prenante de cette dérive opportuniste et s’impliquait de plus en plus dans une démarche patriotarde. Même s’il existait bien l’idée que la solidarité nationale ne peut exister car il ne peut y avoir de solidarité entre exploiteurs et exploités, l’idée d’une supériorité de la qualité révolutionnaire du mouvement ouvrier français ne pouvait que renforcer dans le syndicat les réactions chauvines. Ce fut aussi un poison employé pour entraîner la CGT dans l’union sacrée d’août 1914. Rosmer nota lucidement que “la préparation de la guerre était beaucoup mieux menée que l’action contre la menace de guerre par la direction confédérale de la CGT et la gagnait de vitesse”.
Le 27 juillet 1914, à l’appel de la CGT, une foule importante manifesta à Paris son opposition à la guerre qui vient ; il y eu des manifestations identiques en province (Lyon, Limoges...). Parallèlement, au congrès extraordinaire du Parti socialiste en juillet 1914, Jaurès préconisa “la grève générale ouvrière simultanément et internationalement organisée” pour prévenir et empêcher la guerre ; il s’efforça de faire adopter cette position par les autres partis socialistes européens. Le 28 juillet, la SFIO publia encore un manifeste déclarant “A bas la guerre ! Vive la république sociale !” Mais Jaurès était assassiné le 31 juillet. Dès lors, les événements s'accélérèrent et la machine de guerre fut lancée à pleine vitesse le 28 août 1914. Le 2 août, le futur dirigeant stalinien, Marcel Cachin, osait se réclamer de Jaurès pour ratifier la position chauvine et la trahison du Parti socialiste : “Il faut accomplir maintenant, comme le proclamait Jaurès, notre devoir envers la patrie. Nous promettons de faire à la fois tous nos devoirs de Français et de socialistes fidèles à l’Internationale” et Édouard Vaillant renchérit : “En présence de l’agression, les socialistes accompliront tous leur devoir pour la patrie” ; le 4 août, sur la tombe même de Jaurès, lors de son enterrement, le secrétaire général de la CGT, Jouhaux, déclara à son tour : “Acculés à la lutte, nous nous levons pour repousser l’envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de civilisation et d’idéologie généreuse que nous a légué l’histoire”. Le même jour, les socialistes votèrent les crédits de guerre et le 26 août, ils adhérèrent au pacte gouvernemental d’Union sacrée. Plusieurs socialistes comme Guesde et Vaillant acceptèrent d’entrer dans le gouvernement. En effet, à la quasi-unanimité, l’opinion publique ouvrière, influencée par la propagande nationaliste, admit la thèse officielle selon laquelle la guerre était une guerre juste.
Car après l’assassinat de Jaurès, ce ne fut pas seulement Guesde et Vaillant qui sombrèrent mais tout l’appareil du Parti socialiste et une majeure partie de la CGT qui s’engagèrent dans la guerre patriotique et la participation au gouvernement malgré la présence de Trotsky en France qui trouva dans le syndicaliste Alfred Rosmer un autre défenseur de l’internationalisme. Les militants ouvriers de la CGT, dans leur majorité, se rallièrent à la guerre ; seuls quelques minoritaires regroupés soit autour de Merrheim soit du journal de Monatte, La Vie ouvrière, fondé en 1909, manifestèrent publiquement leur désaccord. Cela amena Monatte, avant d’être mobilisé, à démissionner du comité confédéral de la CGT.
Rosmer et Monatte tentèrent de créer une minorité internationaliste. Dans les rangs socialistes, seuls quelques-uns maintinrent une opposition à la guerre, comme Fernand Loriot au sein du pacifiste Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI) ou Charles Rappoport.
Comme devait le déclarer Lénine en 1916 dans sa brochure L’opportunisme et la faillite de la IIème Internationale : “Le contenu politique de l’opportunisme et celui du social-chauvinisme sont identiques : collaboration des classes, renonciation à la dictature du prolétariat, à l’action révolutionnaire, reconnaissance sans réserve de la légalité bourgeoise, manque de confiance en le prolétariat, confiance en la bourgeoisie”.
Si la trahison de l’internationalisme prolétarien signa l’arrêt de mort de la IIème Internationale dans tous les pays, l’opportunisme se cristallisa en Allemagne sur le vote au Reichstag des crédits de guerre qui constituait un premier verrou que la bourgeoisie devait faire sauter pour que le déclenchement de la guerre soit possible. En France, c’est sous la forme du patriotisme, au nom de “la défense de la patrie en danger” que la gauche du Parti socialiste exprima toute ses faiblesses et ses tares alors que la bourgeoisie parvint à faire sauter le second et ultime verrou, le dernier rempart contre la guerre, avec l’assassinat de Jaurès.
La conférence de Zimmerwald près de Berne en septembre 1915, première réaction prolétarienne face au carnage de la première boucherie mondiale, rassembla 37 délégués de 12 pays européens auxquels seuls participèrent, côté français, Merrheim, de la fédération CGT de la métallurgie, et Bourderon, militant socialiste et dirigeant de la fédération CGT des tonneliers. La majorité pacifiste des délégués (dont les Français) souhaitait que la conférence serve uniquement à affirmer la volonté de défendre l’idéal internationaliste et de l’opposition à la “guerre impérialiste”. Cependant, une minorité, la “gauche de Zimmerwald”, menée en particulier par Lénine, soulignait que la capitulation des dirigeants socialistes de la IIème internationale devant le nationalisme et la guerre constituait une trahison totale des principes prolétariens. Pour Lénine, l'échec tragique de la IIème internationale rendait indispensable la fondation d’une nouvelle Internationale et de nouveaux partis, en rupture totale avec les sociaux-démocrates ayant participé à l’union sacrée. Toutefois, cette minorité de gauche voyait dans les résultats de la conférence, c’est-à-dire la réaffirmation de l’internationalisme, un “premier pas” pour la reconstruction du mouvement socialiste sur des bases nouvelles. La deuxième Conférence internationale à Kienthal en mars 1916, marqua une rupture avec le courant et la phraséologie pacifistes.
Ce combat pour sauver l’organisation prolétarienne ne passait pas par la refondation immédiate de nouveaux partis. Seuls Lénine et Zinoviev avaient compris la nécessité d’une rupture nette de programme orientée vers cette construction future, position qu’ils défendirent dans leur brochure Contre le courant.
Par ailleurs, un courant réclamant l’arrêt de la guerre se développa en France, renforcé par les échecs militaires de l’été 1916. En 1917, des compagnies se mutinèrent. L’économie nationale, réorganisée pour la guerre, fit largement appel à la main-d’œuvre féminine ; les revendications “à travail égal, salaire égal” apparurent. Les “munitionnettes” remplacèrent les hommes dans les usines de guerre. Elles firent grève pour les salaires stimulées par les événements révolutionnaires en Russie.
En France, l’enthousiasme était grand pour la Révolution russe qui nourrissait d’espoirs nouveaux les prolétaires ; l’image qui est donnée d’une République des conseils des travailleurs annonçait le dépérissement de l’État attendu de tous les révolutionnaires. À l’aube de 1919, après que les gouvernements alliés aient remporté une victoire chèrement acquise, le prolétariat d’Europe tenta d’entraîner une révolution mondiale, mais les tentatives en Allemagne et en Hongrie notamment furent écrasées. En 1919, à l’initiative des bolcheviks russes, au pouvoir depuis 1917, et en raison de la “faillite de la IIème Internationale” se constitua l’Internationale communiste. En 1919 et 1920, un courant se constitua au sein du Parti socialiste en France pour adhérer à cette IIIème Internationale ; les discussions au congrès de Tours de décembre 1920 portaient sur les conditions d’adhésion. Le Parti socialiste éclata : les majoritaires constituèrent la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) qui deviendra le Parti communiste français et les minoritaires continuèrent la SFIO qui deviendra le Parti socialiste, toujours affilié à la IIème Internationale, mais désormais pleinement intégré à l’appareil d’État de la bourgeoisie. Après la guerre et la fondation de la IIIème Internationale, la scission du Congrès de Tours et la formation du Parti communiste marquèrent la mort définitive du Parti socialiste comme parti prolétarien (y compris ceux qui se réclameront ensuite d’une prétendue “gauche socialiste” dans la SFIO). Mais ce tout nouveau Parti communiste, sous l’égide de l’Internationale communiste ne fut pas en mesure de se doter d’une orientation programmatique suffisamment claire pour écarter les pratiques opportunistes du passé et laissa pénétrer en son sein nombre d’anciens patriotards. La SFIC continua ainsi à payer un tribut qui pèsera lourd : l’absence d’une véritable Gauche marxiste en France.
Wim, 10 février 2018
1 Ce militaire ultra-belliqueux, ancien acteur de la répression de la Commune puis à la tête de plusieurs corps expéditionnaires dans les colonies, de la Kabylie à la Cochinchine, partisan de la guerre immédiate avec l’Allemagne, rassemble de nombreux électeurs mécontents autour de la Ligue des patriotes. Au sein du mouvement ouvrier, une partie importante des blanquistes ou le polémiste Rochefort, ancien communard, font partie de ses soutiens. Après l’avortement du coup d’Etat prôné par ses partisans, il devra finalement s’exiler.
D’Emmanuel Macron à Daniel Cohn-Bendit, du Figaro à Marianne, de BFM TV à Radio France, de l’extrême droite à l’extrême gauche, en le honnissant ou en le célébrant, tous à leur façon commémorent les cinquante ans de Mai 68 en le couvrant d’un tombereau de mensonges.
Personne ne peut nier que Mai 68 s’inscrit dans une dynamique internationale. Mais en focalisant l’attention sur la nuit du 22 mars à Nanterre, l’éloquence “vivifiante” de Cohn Bendit, le paternalisme étouffant de De Gaulle, le choc entre “la nouvelle et la vieille France”… cette dimension internationale est volontairement passée au second plan pour faire finalement de Mai 68 une “spécificité française”. En réalité, la vague de contestation étudiante commence dès 1964, à l’Université de Berkeley en Californie avec pour revendication le droit de parole, la fin de la ségrégation raciale et l’arrêt de la guerre au Viêt-Nam. Cette vague se propage au Japon à partir de 1965, en Grande-Bretagne fin 1967, en Italie, en Espagne, en Allemagne, au Brésil, en Turquie et au Mexique début 1968. Mais surtout, Mai 68 appartient au mouvement ouvrier international. La vague de grèves qui commença en France en 1967 et atteint son paroxysme en Mai 68 va ainsi secouer le monde jusqu’en 1974 : le fameux Cordobazo argentin, “l’automne chaud” italien en 1969, l’Espagne et la Pologne en 1971, en passant par la Belgique et la Grande-Bretagne en 1972, la Scandinavie, l’Allemagne…
Le caractère prolétarien de Mai 68 est souvent masqué par la mise en avant du mouvement étudiant. La version la plus sophistiquée et sournoise de cette mystification étant évidemment celle émanant des gauchistes et des syndicats : “La force de Mai 68 c’est la convergence des étudiants et des ouvriers !” Mensonges ! Si Mai 68 a dynamisé la lutte partout dans le monde, c’est justement parce que la classe ouvrière ne s’est pas mise à la remorque du mouvement mais, au contraire, en est devenue la force motrice.
Le mouvement étudiant des années 1960 était de nature petite-bourgeoise, un des aspects les plus clairs étant la volonté de “changer la vie tout de suite”. A l’époque, il n’y avait pas de menace majeure de précarité à la fin des études. Le mouvement étudiant qui débute en 1964 se développe dans une période de prospérité. Mais, à partir de 1967, la situation économique se détériore sérieusement, ce qui pousse le prolétariat à entrer en lutte. Dès le début 1967, se produisent des affrontements importants à Bordeaux (à l’usine d’aviation Dassault), à Besançon et dans la région lyonnaise (grève avec occupation à Rhodia, grève à Berliet), dans les mines de Lorraine, dans les chantiers navals de Saint-Nazaire, à Caen,… Ces grèves préfigurent ce qui va se passer à partir du milieu du mois de mai 1968 dans tout le pays. On ne peut pas dire que l’orage ait éclaté dans un ciel d’azur. Entre le 22 mars et le 13 mai 1968, la répression féroce des étudiants mobilise de manière croissante la classe ouvrière portée par ses élans instinctifs de solidarité. Le 14 mai, à Nantes, de jeunes ouvriers lancent un mouvement de grève. Le 15 mai le mouvement gagne l’usine Renault de Cléon, en Normandie ainsi que deux autres usines de la région. Le 16 mai, les autres usines Renault entrent dans le mouvement : drapeau rouge sur Flins, Sandouville et le Mans. L’entrée de Renault-Billancourt dans la lutte est alors un signal : c’est la plus grande usine de France (35 000 travailleurs) et depuis longtemps, existe un adage : “Quand Renault éternue, la France s’enrhume”. Le 17 mai la grève commence à toucher toute la France. C’est un mouvement totalement spontané. Partout, les jeunes ouvriers sont devant. Il n’y a pas de revendications précises : c’est un ras le bol qui s’exprime. Le 18 mai, il y a un million de travailleurs en grève à midi. Le 22 mai, il y en a huit millions. C’est alors la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Tous les secteurs sont concernés : industrie, transports, énergie, postes et télécommunications, enseignement, administrations, médias, laboratoires de recherche, etc. Au cours de cette période, les facultés occupées, certains bâtiments publics comme le Théâtre de l’Odéon à Paris, les rues, les lieux de travail deviennent des lieux de discussion politique permanente. “On se parle et on s’écoute” devient un slogan.
Réduite frauduleusement à sa dimension “étudiante”, Mai 68 est présenté comme le symbole de la libération sexuelle et des femmes.
Les grands mouvements de lutte du prolétariat ont toujours mis en avant la question de la femme. Lors de la Commune de Paris en 1871, de la grève de masse de 1905 et de la révolution en 1917 en Russie, les femmes ouvrières jouèrent un rôle inestimable. Mais ce que vante la petite-bourgeoisie estudiantine de 1968 est une toute autre chose, c’est la libération “maintenant et tout de suite” dans le capitalisme, c’est la libération de l’humanité par la libération sexuelle et non comme le produit d’un long combat contre le système d’exploitation capitaliste. Bref, c’est l’abandon de toute forme de réflexion susceptible de remettre réellement en cause les racines de l’ordre établit, c’est la négation du processus même de grève, d’auto-organisation et de discussion de la classe ouvrière en France durant ces quelques semaines de mai. L’importance pour la bourgeoisie mondiale de réduire Mai 68 à un soutien-gorge qui brûle est donc évidente.
Aujourd’hui, avec la grève des cheminots en France, syndicats et organisations de gauche prétendent qu’une autre grève générale est possible. Comme en Mai 68 les syndicats seraient en train d’organiser la “convergence des luttes” face à la politique de Macron. Mensonges ! (1) La classe ouvrière est entrée spontanément en lutte en Mai 68, sans mots d’ordre ni appels syndicaux. Ceux-ci n’ont fait que courir après le mouvement, pour mieux le saboter. Le dessin ci-dessous de Siné, de mai 1968, est très explicite sur ce que ressentait alors la classe ouvrière face au sale travail des syndicats :
Les accords de Grenelle que gauche et syndicats célèbrent comme LA grande victoire de 68 sont au contraire l’aboutissement du travail main dans la main du gouvernement et des syndicats pour arrêter le mouvement dans la défaite. Ces accords actent en effet une élévation du pouvoir d’achat bien moindre que celle des années précédentes. Fait caché aujourd’hui, les ouvriers ressentent d’ailleurs immédiatement ces accords comme une gifle : venu les présenter à Renault-Billancourt le matin du 27 mai, Séguy, secrétaire général de la CGT, se fait abondamment siffler, et les cartes syndicales sont déchirées. Le 30 mai, De Gaulle annonce la dissolution de l’Assemblée nationale, la tenue d’élections fin juin et appelle à ouvrir des négociations branche par branche. Les syndicats se précipitent sur cette opportunité permettant de remettre au travail les secteurs (tel EDF-GDF) où les propositions patronales vont au-delà des accords de Grenelle. Ils renforcent cette pression en faveur de la reprise par toutes sortes de manœuvres comme la falsification des votes, les mensonges sur de prétendues “reprises”, l’intimidation au nom de la lutte contre les “provocateurs gauchistes”. Un de leurs grands arguments est qu’il faut reprendre le travail afin que les élections, sensées “compléter la victoire ouvrière”, puissent se dérouler normalement.
Mai 68 est présenté comme un mouvement de la période de prospérité. Autrement dit, d’un autre temps, du passé. Encore une fois, rien n’est plus faux ! A partir de 1967, la situation économique mondiale commence à se détériorer, ouvrant la période de crise permanente que nous connaissons depuis lors et confirmant ainsi que le capitalisme est un système décadent qu’il faut abattre. Mai 68 a confirmé que le prolétariat était la classe révolutionnaire, qu’elle avait la force de s’auto-organiser, de développer sa conscience par le débat en assemblées générales autonomes, de se dresser contre l’ordre établit et de le faire trembler. Mai 68 marque surtout la fin de 40 ans de contre-révolution stalinienne ! C’est le signe le plus clair du retour sur la scène mondiale du prolétariat en lutte. Il faut bien soupeser l’importance de cet événement : Mai 68 et la vague de luttes qui se développe ensuite dans de nombreux pays va signifier que la classe ouvrière n’est plus prête à accepter tous les sacrifices dans l’intérêt du Capital, et encore moins le sacrifice de sa vie. C’est ceci, et rien d’autre, qui va empêcher l’affrontement des blocs de l’Est et de l’Ouest de dégénérer en Troisième Guerre mondiale ! Depuis, le développement du mouvement prolétarien a rencontré bien des difficultés. L’idée que la “révolution est possible mais pas forcément nécessaire” a fait place à celle que “la révolution est absolument nécessaire mais est devenue impossible”. Le prolétariat a perdu confiance en lui. Mais justement, la réalité de la force prolétarienne de Mai 68 doit être une source d’inspiration pour le futur. La bourgeoisie, elle, le sait, voilà pourquoi elle la couvre d’autant de mensonges !
Bmc, 28 avril 2018
1) Pour notre analyse du mouvement actuel, qui est un piège tendu à la classe ouvrière, nous renvoyons nos lecteurs à notre article [679] sur ce site.
Depuis quelques semaines, le mouvement de lutte à la SNCF tient le haut du pavé de l’actualité nationale. Les perturbations dans les transports, particulièrement en Île-de-France, nous sont présentées comme les conséquences d’un mouvement social d’une très grande ampleur, “du jamais vu depuis 1995”. L’offensive médiatique autour de la grève “perlée” des cheminots, appelés à faire grève deux jours sur cinq jusqu’au mois de juin, n’a pas fait dans la demi-mesure. Chaque jour qui passe est l’occasion de nous commenter la situation : nombre de trains en circulation, taux de grévistes le matin, taux de grévistes l’après-midi, dette de la SNCF, déclarations de tel syndicat, de tel député, de tel ministre… En réalité, il ne s’agit ni plus ni moins que de la mise en scène d’une fausse confrontation entre la CGT et Macron : “Bras de fer entre le gouvernement et la CGT !”, titrent les uns ; “La bataille de l’opinion est engagée !”, selon les autres ; “Qui l’emportera ?”. Il s’agit, bien sûr, de faire passer au mieux l’attaque contre les cheminots. Mais ce faux bras de fer est surtout une attaque contre l’ensemble de la classe ouvrière, une attaque qui va bien au-delà des seules questions économiques et des conditions de vie immédiates, une attaque qui prépare les coups à venir et vise à davantage fragiliser politiquement une classe ouvrière déjà affaiblie. Contrairement à ce que peuvent nous raconter les partis de la gauche du capital, NPA, France insoumise et consorts, contrairement à ce que répètent à tue-tête les syndicats, la classe ouvrière n’est aujourd’hui pas en position de force, ni susceptible de faire plier le gouvernement. Au contraire, tout est mis en œuvre pour dénaturer la lutte, l’isoler, la rendre impopulaire et donner, face aux attaques, un sentiment d’impuissance à l’ensemble des prolétaires.
Derrière l’attaque contre un secteur prétendument privilégié de la classe ouvrière, la dégradation des conditions de vie de tous est bien à l’ordre du jour. En ce moment, et depuis plusieurs mois, tous les travailleurs subissent les assauts répétés du gouvernement et du patronat. Que ce soit au niveau des salaires, les contrats de travail, des pensions, des allocations chômage, des taxes, de l’augmentation de certains prix comme l’essence ou les transports, le gouvernement assume totalement ces attaques au nom de “l’intérêt supérieur de la nation”. Son credo est de rendre plus compétitive l’économie nationale en “assouplissant” le marché du travail.
L’État montre d’ailleurs l’exemple en aggravant la précarité et en dégradant les conditions de travail de ses propres salariés : suppression de dizaines de milliers de postes dans la fonction publique, dans les hôpitaux, les écoles, les impôts, suppression des contrats aidés… Dans le secteur privé, les licenciements massifs pleuvent comme à Carrefour. Des dizaines de milliers de suppressions d’emplois sont annoncées pour les mois à venir : plans sociaux, fermetures, liquidations, licenciements partout. Les quelques chiffres déjà connus font froid dans le dos : RSI de 5 à 6 000 postes en moins ; SFR : 5 000 ; EDF : 4 000 cette année et 10 000 sur 3 ans ; BPCE : 3 600 ; Banque de France : 3 400 ; les prestataires de service de SFR : 3 000 ; Air France : de 3 à 5 000 ; Areva : 2 700 ; BNP : 2 à 3 000 ; Alstom : 2 à 3 000 ; Société Générale : 2 500 ; Office Dépôt : 1 900 ; Veolia : de 572 à 1 550 ; Michelin :1 500 ; Engie : 1 500 ; IBM : 1 200 ; Croix-Rouge : environ 1 000 ; fermeture de 100 magasins et plusieurs centaines FNAC et Darty… la liste est encore très longue !
Si face à ce torrent d’attaques, notamment destinées à rattraper le retard pris par le capital français sur ses concurrents étrangers, le mécontentement est bien réel et s’exprime parfois dans des grèves localisées (passées la plupart du temps sous silence), il ne se traduit pas mécaniquement par une forte combativité de l’ensemble de la classe, encore moins par une tentative significative de prise en main des luttes. Au contraire, l’expectative, le sentiment d’impuissance, le découragement et l’isolement corporatiste dominent. Les grèves dans les EHPAD, à Carrefour ou à Air France ont peut-être été les plus visibles avec celles de la SNCF, mais elles aussi sont restées enfermées dans “leur” entreprise, soigneusement isolées les unes des autres par les syndicats qui ne cessent d’appeler à la création d’un illusoire “rapport de force” pour “négocier les revendications” dans telles ou telles entreprise, branche ou administration. Même si l’impression veut être donnée que la mobilisation est un peu plus offensive à la SNCF ou dans certaines universités, le constat reste le même. La journée de manifestation du 22 mars, organisée par les syndicats, a ainsi été une nouvelle concrétisation des difficultés de la classe ouvrière. Les cortèges, totalement encadrés par les syndicats, CGT en tête, où la jeune génération était souvent très faible, étaient sans vie et plutôt minces.
Dans les universités, les syndicats s’emploient à isoler et diviser les étudiants par le blocage des locaux dans lesquels s’enferment de jeunes ouvriers souvent combatifs. Cela a permis au gouvernement de faire intervenir les flics ou les nervis dans plusieurs facs pour semer la terreur et pousser les minorités plus ou moins politisées dans une confrontation stérile avec les forces de l’ordre. Surtout, il s’agit de faire oublier les leçons du mouvement de 2006 contre le Contrat Première Embauche (CPE) qui fit reculer le gouvernement pour la dernière fois en France : l’extension et l’auto-organisation des luttes sur un terrain de classe sont les meilleures armes du prolétariat. Tout cela exprimait (de façon très embryonnaire) la tendance historique du mouvement ouvrier à l’action révolutionnaire à travers son unité et sa solidarité. Plutôt que de défendre la nécessaire unité du prolétariat, les syndicats enferment les étudiants dans leurs locaux, les isolent et les soumettent pieds et poings liés à la répression.
La lutte à la SNCF nous est vendue comme le mouvement social de la décennie, celui qui fera date après celui de 1995. Nous allions voir ce que nous allions voir. Qu’en est-il en réalité ? Même si la mobilisation des cheminots est relativement importante depuis fin mars et encore aujourd’hui dans les dernières journées de grève, elle est loin d’être massive. Au contraire, la grève “perlée” proposée par les syndicats comme la “recette” efficace pour faire durer longtemps le mouvement et faire perdre le moins d’argent possible aux grévistes est rapidement devenue minoritaire chez les cheminots à cause, en partie, des nouveaux calculs pour la prise en compte des jours de grève qui ont fortement amputé les salaires, mais, surtout, parce qu’ils sentent, au fond, que l’organisation de cette lutte n’est pas entre leurs mains et qu’elle n’a pas d’avenir. Cette mobilisation exprime une expectative permettant aux syndicats un encadrement total : tout est déjà prévu, aucun besoin de débattre dans des assemblées générales, aucun besoin de réfléchir et prendre ensemble les décisions, aucun besoin de s’auto-organiser ; il suffit de suivre les syndicats sur le chemin tout tracé par leurs soins vers… la défaite et la démoralisation.
La bourgeoisie utilise sciemment une stratégie maintes fois éprouvée en attaquant un secteur clé de notre classe pour nous infliger une défaite généralisée. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la SNCF a toujours été un secteur combatif et pesant sur la dynamique de la lutte de classe. En 1986, le mouvement de lutte à la SNCF, haut moment de lutte des années 1980, avait pris forme CONTRE l’expression classique syndicale. La CGT avait carrément dû organiser dans les premiers jours de la grève des “piquets de travail” contre les grévistes qui étaient partis en lutte hors des clous syndicaux. Il avait fallu déployer toute une stratégie autour du “syndicalisme de base”, l’enfermement sournois dans le corporatisme au nom-même de l’extension des luttes (en imposant l’extension totale de la lutte au sein de la SNCF avant d’aller voir ailleurs) pour mettre un terme à ce mouvement qui dura plusieurs semaines.
“En 1995, l’objectif essentiel de la manœuvre était de permettre aux syndicats discrédités par leurs actions de sabotage ouvert des luttes ouvrières tout au long des années 1980, de reprendre pied et de pouvoir revenir sur le devant de la scène sociale pour assumer plus efficacement leur fonction d’encadrement des ouvriers. Dans ce but, la bourgeoisie qui, à travers le plan Juppé, mettait en place une série d’attaques frontales sur la sécurité concernant l’ensemble de la classe ouvrière, a cristallisé l’attention sur la mobilisation derrière les cheminots contre l’attaque spécifique de leur régime spécial des retraites. Elle a fait une large publicité à la lutte de ce secteur, le plus combatif mais aussi un des plus corporatistes, désigné comme le phare de la lutte, derrière lequel les syndicats avaient mobilisé massivement, sous leur contrôle, le secteur public. Le retrait, programmé à l’avance, de l’attaque spécifique visant les cheminots a permis aux syndicats de crier “victoire” en semant l’illusion que “tous ensemble”, avec les syndicats, les ouvriers avaient fait reculer le gouvernement. Par la suite, sous les gouvernements successifs de gauche comme de droite, la bourgeoisie a pu aggraver sans être inquiétée les mesures du plan Juppé sur la sécurité sociale. Ce n’est pas un hasard non plus si la lutte des cheminots français était ensuite mise en avant comme modèle de lutte à l’échelle internationale et son exemple exploité par d’autres bourgeoisies, notamment en Allemagne et en Belgique pour entraîner les prolétaires le plus massivement possible derrière les actions syndicales.
Au printemps 2003, au milieu de l’attaque générale sur les retraites visant déjà prioritairement la fonction publique, le gouvernement rajoutait une couche supplémentaire d’attaques sur un secteur particulier, celui de l’Education nationale, avec un projet de délocalisation spécifique concernant les personnels ATOS. Cela constituait une véritable provocation alors que les travailleurs de l’enseignement manifestaient déjà depuis des mois un mécontentement croissant suite à la détérioration sensible de leurs conditions de travail au cours des dernières années. Le but essentiel de cette attaque spécifique était d’empêcher le développement d’une lutte massive de tous les secteurs contre la réforme des retraites. Rapidement, les luttes des personnels de l’enseignement sont apparues comme le fer de lance de la mobilisation ouvrière. Mais en leur sein, les syndicats n’ont cessé de mettre en avant les revendications spécifiques contre la délocalisation, dans lesquelles le reste de la classe ouvrière ne pouvait se reconnaître, qui ont pris le pas sur la question des retraites et fait passer celle-ci au second plan. Cette entreprise a non seulement permis au gouvernement de faire passer l’attaque sur les retraites mais d’entraîner le secteur enseignant, isolé et divisé, poussé par une partie de ces mêmes syndicats vers des actions radicales et impopulaires de boycott d’examens de fin d’année, dans une défaite la plus amère et cuisante possible, notamment à travers le non paiement des journées de grève”. (1)
Lors de ces mouvements de lutte, la bourgeoisie était donc à la manœuvre avec une stratégie simple, mais terriblement efficace : porter deux attaques en même temps, l’une dirigée contre les conditions de vie de l’ensemble de la classe ouvrière ; l’autre contre un secteur plus particulier du prolétariat pour créer un écran de fumée. Ce secteur particulier, étant alors plus combatif, fut poussé à mener une lutte “dure”, en demeurant néanmoins seul et impuissant, ce qui ressemble étrangement à la situation actuelle : une classe ouvrière qui partout voit ses conditions de vie et de travail se dégrader et le long mouvement de grève syndical, lancé à grands renforts médiatiques, d’un secteur particulier coupé du reste de la classe. Car le discours syndical actuel est évidemment un mensonge : selon eux, en refusant la privatisation et la réforme de leur statut, les cheminots seraient la véritable force de frappe contre toutes les attaques actuelles et à venir, un rempart pour la sauvegarde d’un “modèle social” dans lequel l’État “juste” serait le garant et le protecteur des “droits des salariés”. C’est comme cela que la solidarité des autres ouvriers serait censée s’exercer : en soutenant depuis les tribunes, comme des supporteurs, les cheminots en lutte.
L’hypocrite appel à la “convergence” des luttes est également l’expression d’une fausse radicalité et d’une fausse unité. En apparence, il s’agit de répondre à la nécessaire unification des luttes. En apparence seulement, car ce que proposent les syndicats n’est rien d’autre qu’une juxtaposition de revendications sectorielles où chacun fait grève pour ses “propres intérêts”.
Les syndicats “alternatifs”, comme Solidaire ou la CNT, sont par ailleurs là pour tenter d’encadrer la jeune génération ouvrière. Solidaire s’est ainsi particulièrement fait remarquer en s’opposant à la stratégie de la “grève perlée” et en proposant une “grève dure” sans interruption. Il s’agit évidemment d’encadrer et d’épuiser toujours et encore les ouvriers les plus combatifs dans des actions coup de poing, ultra-minoritaires, faussement radicales, et vouées à l’échec.
De la SNCF aux facultés en passant par Air France ou les luttes des éboueurs, dans les transports urbains comme à Rouen et Toulouse, les luttes sont menées par les syndicats dont le but est de nous entraîner à la défaite. Est-ce à dire que les perspectives de lutte sont définitivement closes ? Bien évidemment, non. Face à la persistance des attaques, produits de la crise historique du système capitaliste, la bourgeoisie aura, à plus long terme, plus de difficultés pour contenir le mécontentement dans l’impuissance. Comme on le voit, la bourgeoisie prépare le terrain à son avantage en prévision des luttes futures qui ne peuvent que surgir.
Il est clair également que la bourgeoisie tente de stériliser tout un questionnement, une maturation dans les rangs ouvriers. Sur ce plan, l’objectif n’est pas encore gagné ! La classe ouvrière en France a un poids et une expérience que la bourgeoisie n’a jamais sous-estimés. C’est en conséquence qu’elle déploie de telles stratégies face à son ennemi de classe, qu’elle sait encore capable de défendre la perspective révolutionnaire. Partout dans le monde, à l’occasion de mouvements de luttes ou par besoin spontané de comprendre la situation, des petites minorités se réunissent pour discuter, réfléchir sur comment lutter, pour tirer les leçons de l’expérience des luttes passées, comprendre la nature du capitalisme, le communisme… La “vielle taupe”, expression que Marx utilisait pour désigner la conscience de classe, poursuit son chemin souterrain.
Stopio, 15 avril 2018
1) Décembre 1995, printemps 2003 : les leçons des défaites sont une arme pour les luttes futures, Révolution internationale n° 348 (juillet-août 2004).
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“Que faire de 1917 ?”, c’est la question que pose Olivier Besancenot en titre de son dernier livre. Le porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) s’ingénie habilement à jouer le marchand de sable toujours prompt à endormir le prolétariat dans les draps de l’interclassisme et de la démocratie.
Ce “révolutionnaire” officiel des médias et de la bourgeoisie s’est ici fixé l’objectif de jouer les redresseurs de torts en réhabilitant le personnage principal de cette histoire : “le peuple russe”, “ce héros oublié qui s’est dressé, il y a cent ans, contre le tsarisme et contre la guerre, et qui s’est auto-organisé à travers une multitude de conseils populaires”. A lire ces quelques lignes, figurant dans l’introduction du livre, on comprend très vite, et le contraire eut été étonnant, que cette prétendue “contre-histoire de la révolution russe” ne se démarque en rien de l’histoire officielle et mensongère dispensée depuis des décennies par des cénacles d’historiens s’acharnant à nier le caractère spécifiquement prolétarien de la révolution d’Octobre 1917. Comme à son habitude, sournoisement, la gauche du capital, travestit les leçons que le prolétariat d’aujourd’hui pourrait tirer de l’un des événements les plus glorieux de l’histoire de la classe ouvrière et de ses luttes.
Ainsi, tout au long de cet essai, l’action de la classe ouvrière en Russie est noyée dans les méandres du peuple russe. En effet, ce dernier aurait été “le véritable acteur de cette période”, composé “de millions de mains invisibles, populaires et besogneuses”. Ce centenaire serait l’occasion “de se mettre dans les pas de cette plèbe anonyme qui se constitua sciemment en peuple souverain et en classe sociale assumée”. Pour finir, sur la réduction de la révolution d’Octobre à une confrontation entre “les classes populaires” et la classe dominante. Comme on l’aura compris, cette référence à l’initiative populaire ne quitte pas l’argumentation du leader de la gauche radicale. Ici, la classe ouvrière est enfouie sous un amas de couches sociales, faisant de la révolution d’Octobre un mouvement informe et insaisissable où le prolétariat ne semble pas avoir joué un rôle particulier et déterminant. Au contraire, pour Besancenot, ce mouvement serait donc l’alliance concertée des ouvriers, des paysans et de toutes les couches non-exploiteuses de la société qui aurait sonné le glas du tsarisme et creusé les sillons d’une société nouvelle. En réalité, la révolution d’Octobre représente, à ce jour, la tentative d’émancipation de l’humanité la plus poussée parce que la classe ouvrière, consciente de ses potentialités, a pu s’affirmer de manière autonome et a su se placer à l’avant-garde de toutes les autres couches sociales exploitées. En centrant sa lutte sur l’arrêt de la guerre impérialiste, en créant des soviets comme organisation de tous les exploités, en cherchant à remettre en cause la propriété privée des moyens de production et la loi de la valeur, le prolétariat a su affirmer ses propres revendications, son propre être historique et ainsi, il a pu se rallier les autres couches non exploiteuses. En véritable agent de la conservation sociale, la gauche du capital préfère célébrer un mouvement mensongèrement interclassiste et faire oublier que seul le prolétariat peut jouer un rôle déterminant dans l’émancipation de l’humanité.
Par ailleurs, bien que Besancenot s’en défende, l’événement n’est pas du tout replacé dans le contexte international et sa portée, en tant que point culminant de la vague révolutionnaire mondiale, est très largement masquée. Par conséquent, en enfermant la classe ouvrière à l’intérieur du “peuple russe”, en négligeant la dimension mondiale d’Octobre 1917, ce livre porte un coup à l’internationalisme qui reste encore aujourd’hui le principe phare qui permettra de guider le prolétariat sur la route de la révolution mondiale.
Après avoir célébré le peuple russe, Besancenot entreprend de réduire l’ensemble des luttes du mouvement ouvrier et tout particulièrement la révolution d’Octobre 1917 à un combat en faveur de la démocratie. Octobre n’exprimerait pas autre chose, tout comme la Commune de Paris qui est réduite à un “type inédit de démocratie conciliant contrôle direct à la base et suffrage universel”. Du début à la fin du livre, la révolution d’Octobre se voit attribuer le même label à travers plusieurs qualificatifs fallacieux : “démocratie nouvelle”, “foyer de la démocratie”, “démocratie politique différente”… En falsifiant complètement le but que s’est fixée la classe ouvrière mondiale à partir de 1917, la prise du pouvoir international et la destruction du capitalisme, ce livre leurre et stérilise le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière d’aujourd’hui. La révolution d’Octobre n’avait pas vocation à améliorer les institutions de la démocratie bourgeoise. Au contraire, elle tenta d’arracher les racines de la société bourgeoise en appelant à l’abolition des classes sociales et de l’État ainsi qu’à la socialisation des moyens de production. La démocratie, elle, en particulier sous sa forme de “gauche”, prétendument “socialiste” fut le chien sanglant de la bourgeoisie contre le prolétariat en lutte en Allemagne et a fait le lit de la contre-révolution mondiale ; c’est par exemple sous le masque de la démocratie que Noske (ministre de la défense et membre du SPD), Ebert (chancelier en 1918 et membre du SPD) et Scheidemann (chancelier à partir de février 1919 et membre du SPD) et, avec eux, toute la social-démocratie au pouvoir orchestrèrent la répression féroce de la vague révolutionnaire de 1918-1923 en Allemagne, avec l’assassinat de milliers d’ouvriers, notamment des spartakistes Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht en janvier 1919.
L’un des grands apports de la Gauche communiste d’Italie est d’avoir levé le voile sur cette forme de gouvernement dont le fondement est basé sur le mensonge selon lequel toutes les classes et les couches sociales auraient tout à gagner à participer au jeu électoral où l’équilibre entre la majorité et la minorité serait enfin trouvé. Comme l’a énoncé la fraction de la Gauche italienne, “la démocratie, en tant que forme de vie sociale, représentait une forme plus avancée seulement quand le capitalisme ne s’était pas encore emparé du pouvoir, c’est-à-dire lorsqu’il représentait lui-même une classe révolutionnaire. Dans la situation actuelle au contraire, où le capitalisme est au poste de commandement de l’économie mondiale, la démocratie ne représente aucunement un pas en avant pour le prolétariat, au contraire, elle apparaît comme une ressource immédiate que l’ennemi manœuvre contre la révolution communiste”. (1)
En bon porte-parole du NPA, Besancenot exploite et déforme lui au contraire les errances théoriques de Trotsky et l’opportunisme congénital du courant trotskiste. Il joue à merveille son rôle d’agent de la bourgeoisie qui, derrière un langage et des mots d’ordre en apparence radicaux, ne fait que mystifier un prolétariat incapable pour le moment d’entrevoir la perspective dont il est porteur.
Besancenot brouille les cartes sur les causes de la contre-révolution
Après avoir réduit la révolution de 1917 à un mouvement populaire et démocratique, le leader gauchiste s’interroge sur les causes de la dégénérescence et les moyens de parvenir à une “démocratie intégrale”. Bien que le rôle contre-révolutionnaire des grandes puissances impérialistes soit évoqué, il faut malgré tout constater que le livre lui attribue un rôle secondaire et néglige cet aspect. Or, la bourgeoisie mondiale a joué un rôle actif dans la répression de la Révolution et dans son isolement. Besancenot préfère se focaliser sur la “contre-révolution bureaucratique”, fruit du “communisme de guerre” et d’une lente dépossession des organes du pouvoir dans les mains du prolétariat au profit du Parti et de sa fusion dans l’État. En insistant sur la dérive bureaucratique de la Révolution, Besancenot ne fait pas seulement qu’inverser la cause et l’effet, il sous-estime volontairement l’action déterminée des principales puissances mondiales de l’époque afin d’éviter à tout prix que la Révolution ne s’étende dans leurs propres pays. Si les erreurs des bolcheviks ont joué leur rôle, c’est avant tout dû à l’échec de l’action internationale du prolétariat. Comme nous le mettions en évidence dans notre article, La dégénérescence de la Révolution russe, dans la Revue Internationale n° 3 : “Du fait de l’impossibilité du socialisme dans un seul pays, la question de la dégénérescence de la révolution russe est avant tout une question de défaite internationale du prolétariat. La contre révolution a triomphé en Europe avant de pénétrer totalement le contexte russe “de l’intérieur”. Ceci ne doit pas, répétons – le, “excuser” les erreurs de la révolution russe ou du parti bolchevik. (…) Les marxistes n’ont rien à faire “d’excuser” ou de ne pas “excuser” l’histoire. Leur tâche est d’expliquer pourquoi ces événements ont eu lieu et d’en tirer des leçons pour la lutte prolétarienne à venir”. Ne nous trompons pas. Le ver n’était pas dans le fruit en 1917. L’ennemi se trouvait à l’extérieur du camp prolétarien. Le cordon sanitaire tendu par la France, l’Angleterre, l’Allemagne, les États-Unis et d’autres pays européens a été le point de départ de la dégénérescence de la Révolution et sa confiscation entre les mains d’une bureaucratie qui a su finir le travail ! Et le développement de la bureaucratie stalinienne, ce fut en fait la reprise en main du pouvoir par la bourgeoisie elle-même ! Omettre toute cette dimension de la contre-révolution ne peut que désarmer la classe ouvrière en la rendant incapable d’identifier son véritable ennemi.
L’escamotage des leçons de la dégénérescence se poursuit lorsqu’il s’agit d’aborder le rôle du parti. Comme on l’a vu, les erreurs de celui-ci ne sont pas véritablement replacées dans le contexte de l’isolement. Derrière l’apparente sympathie à son égard, Besancenot n’hésite pas à faire planer l’idée que l’autoritarisme y fut très tôt en germe. Il fait notamment référence à la critique de Trotsky en 1903 qui apparentait Lénine à Robespierre et la présente comme visionnaire avec le recul. Si pour Besancenot, “1917 nous enseigne qu’aucune organisation politique, à elle seule, ne peut prétendre incarner la classe révolutionnaire”, c’est d’abord et avant tout pour semer la suspicion et la méfiance envers les organisations révolutionnaires. Car s’il est indispensable de tirer les leçons des erreurs du parti bolchevique, il en est tout autant de retenir les moments où ce dernier a su guider le prolétariat et le prémunir des pièges de la bourgeoisie (en avril 1917, lors des journées de juillet ou encore au moment de l’insurrection) quand les autres passaient dans le camp ennemi. (2)
Quelles formes d’organisation de la classe a légué Octobre 17 ? Quelle leçon retenir sur la prise du pouvoir ? Sur ces questions, le livre dévoie une fois encore les enseignements que le prolétariat doit retenir pour la victoire de la révolution. Prônant “l’autogestion de la société” par des organisations de forme soviets ou apparentées dans lesquels se retrouvent “des partis, des syndicats, des organisations du mouvement social, féministe, écologique ou les collectifs de quartier”, ce livre appelle la classe ouvrière à lutter main dans la main avec les différentes organisations de la classe dominante. En réalité, comme en Russie en 1917, les futurs conseils ouvriers seront aussi des lieux où il s’agira de mener une lutte politique contre toutes les organisations et les éléments qui freineront la lutte du prolétariat, ceux qui, comme Besancenot, agissent comme un cheval de Troie de la classe dominante en s’immisçant dans les rangs ouvriers afin de stériliser le combat.
Par ailleurs, à aucun moment, Besancenot n’affirme clairement les véritables buts de la révolution et de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire la destruction de l’État, l’abolition des classes sociales, des nations et l’instauration d’une société où les moyens de production seraient aux mains de la communauté tout entière. Non, au lieu de cela, il préfère prôner une forme de gouvernement populaire hétéroclite qui transformerait progressivement la société en s’accommodant de l’État et en mettant des garde-fous afin de se prémunir de la bureaucratisation : non-cumul des mandats, formation universelle pour éviter l’émergence de spécialistes, système de rotation. Autant de mystifications qui cachent une défense en règle du capitalisme d’État et du réformisme pour le compte de la société bourgeoise.
En ménageant savamment la chèvre et le chou, en adoptant un verbiage en apparence radical, en laissant un certain nombre de zones d’ombre, Besancenot mystifie complètement Octobre 1917 pour mieux désorienter la classe ouvrière d’aujourd’hui. Il escamote complètement le but que s’était fixé la classe ouvrière en Russie et les organes dont elle s’est dotée. Il tronque les relations entre le parti d’avant-garde et la classe elle-même qui s’auto-organise avec les soviets. Il instrumentalise la désorientation du prolétariat d’aujourd’hui pour lui proposer l’autogestion de la société capitaliste dans un paradis démocratique. Mais il se garde bien d’appeler à la destruction du système capitaliste, à l’abolition des classes sociales et de l’État. Tout cela reste, encore aujourd’hui, la tâche de la classe révolutionnaire.
Joffrey, 31 mars 2018
1) Sur les mots d’ordre démocratiques, Résolution de la commission exécutive de la Fraction de la Gauche italienne, Bulletin international de l’Opposition Communiste de gauche, n° 5, mars 1931.
2) Pour toutes ces questions voir notre brochure : Octobre 1917, début de la révolution mondiale.
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Dans le numéro précédent (RI n° 469), nous avons publié le courrier d’un lecteur [681] sur Octobre 1917 et notre réponse. Une lectrice, Leïla, a à son tour réagi à cet article en nous envoyant une lettre. Nous saluons chaleureusement cette initiative. Le débat prolétarien est une tradition du mouvement ouvrier, une tradition nécessaire à la clarification en vue de favoriser le développement de la conscience ouvrière. C’est d’ailleurs le sens de notre rubrique “courrier des lecteurs” que nous concevons comme une ouverture au débat, comme un moyen d’échange dans le cadre de la perspective révolutionnaire.
“Pourquoi, après la défaite de la révolution, le fascisme ou le nazisme ne sont-ils pas survenus en Russie ?”
Je remercie le lecteur d’avoir posé cette question : la réponse paraît évidente, mais quand on essaie de la formuler, c’est beaucoup plus difficile.
Je vais donc, à mon niveau, essayer de m’atteler à cette tâche, en tant que sympathisante de longue date du CCI, censée avoir un minimum de conscience ouvrière, de connaissances historiques et de convictions quant à l’avenir de l’humanité et à la nature de la classe ouvrière.
Il faut se placer dans le contexte historique et utiliser les armes du matérialisme dialectique pour comprendre ce qui se passe, l’enchaînement causal des faits.
Le fascisme, comme le nazisme ou le stalinisme, sont le produit du développement historique de chaque pays.
Le cadre dans lequel ces formes de la domination bourgeoise sont apparues est : la Décadence du mode de production capitaliste.
Chaque système de production, depuis les débuts de l’humanité, connaît plusieurs phases : naissance, apogée, décadence.
Le capitalisme n’échappe pas à cette règle et la dernière phase de son existence, la décadence, correspond au Capitalisme d’État.
Le Capitalisme est le mode de production le plus dynamique de l’Histoire : les forces productives se sont développées de manière exponentielle, les réseaux de transport se sont développés, surtout dans les pays centraux, permettant une circulation toujours plus rapide des marchandises.
Mais la caractéristique du capitalisme est de s’étendre toujours plus, de conquérir sans arrêt de nouveaux marchés, de vendre ses marchandises à des secteurs non capitalistes (colonies, paysannerie) pour réaliser le cycle de l’accumulation ; de par son histoire, l’Allemagne n’a pu construire un empire colonial où piller les ressources naturelles, exploiter une main d’œuvre peu chère et écouler ses marchandises : en effet, l’Allemagne n’existe comme nation que depuis 1870, alors que les pays centraux comme la France ou la Grande-Bretagne existent comme nations depuis beaucoup plus longtemps (de plus, ces deux empires ont des accès maritimes beaucoup plus importants qui leur ont permis de conquérir le monde). Les colonies de l’Allemagne se limitaient en 1918 à quatre ou cinq “pays” d’Afrique et pas les plus riches (Namibie, Cameroun, Togo, Tanganyika…). L’Allemagne est à l’origine de la guerre de 1914 car elle lutte pour sa survie, elle a besoin d’un repartage du gâteau colonial pour écouler ses marchandises et accumuler du capital. En 1918, l’Allemagne demande l’armistice, suite au début de la Révolution Allemande, qui rejoint la Révolution Russe en vue de la Révolution Mondiale. Malheureusement la révolution est écrasée dans le sang.
La classe ouvrière Allemande est vaincue, l’Allemagne est à terre, le traité de Versailles est un traité de pillage de l’Allemagne. La contre-révolution se développe du fait que la classe ouvrière est écrasée physiquement et moralement ; ses dirigeants (Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg) ont été assassinés par la Social-Démocratie. La famine, la maladie, le froid, la mort règnent ; c’est sur ce terreau que se développe le national-socialisme qui va devenir le nazisme. La propagande anti-sémite est un outil de la bourgeoisie pour désigner un coupable des conditions de vie atroces que supporte la population en général et la classe ouvrière en particulier. Cette propagande excite les sentiments les plus vils dans la population et la classe ouvrière désorientée. Cette propagande se double d’une campagne sur la “supériorité de la race aryenne”, qui détourne encore plus la classe ouvrière de son combat.
Hitler est porté au pouvoir par les grands industriels Allemands (Krupp, Thyssen, Flick, Bosch…), qui voient en lui un bon défenseur de leurs intérêts, capable de haranguer les foules et d’encourager les ouvriers à travailler dur dans les usines pour reconstruire l’outil industriel et guerrier. Jusqu’à la guerre, se développe une main-mise totale de l’État sur la population, avec incitation à la délation, militarisation de la société, emprisonnements, exactions, terreur, règne de l’arbitraire, jusqu’à la guerre.
En Italie, c’est un peu le même schéma : l’unité nationale a été réalisée tard (en 1861 Victor-Emmanuel II est proclamé roi de la péninsule moins Venise et Rome). L’Italie a très peu de colonies elle aussi (Érythrée Somalie…) L’industrialisation est récente et moins spectaculaire qu’en Allemagne. Mussolini (un journaliste, bon orateur et aventurier qui prend position contre la guerre en 1914 et soutient l’intervention par la suite) est intervenu pendant la guerre en tant que journaliste, pour défendre la neutralité de l’Italie dans la guerre ; puis, il crée son propre journal “il popolo d’Italia” dans lequel il écrit des articles exaltant le nationalisme. L’Italie fait cependant partie des pays vainqueurs de la Première Guerre Mondiale, même si elle n’a récolté que des miettes, alors qu’elle espérait plus. De 1919 à 1922, l’Italie est secouée par une crise sociale, économique et politique ; Mussolini se fait bien voir de la cofindustria, qui regroupe les grands industriels Italiens (Fiat, Pirelli, Olivetti, Edison …) en brisant violemment les grèves ouvrières avec ses escouades composées d’anciens soldats “d’élite” démobilisés après la guerre et désœuvrés. Ces escouades deviendront les “faisceaux d’action révolutionnaires”, le roi Victor Emmanuel II lui confie le gouvernement en 1924, il remplit son rôle de militarisation de la société en vue d’une prochaine guerre, la classe ouvrière étant battue et sans perspective après l’écrasement de la révolution et le développement de la contre-révolution en Russie.
En Russie, comme le dit très bien le camarade, “Staline était membre du Parti Bolchevique. Plus tard, il l’a utilisé à ses propres fins.” Staline était lui aussi, un aventurier sans scrupules, qui a saisi l’opportunité de jouer un rôle historique en profitant des faiblesses de la révolution russe. Le stalinisme est l’expression de la contre-révolution et du développement du capitalisme d’État en Russie, au nom de la classe ouvrière : comme le dit le camarade, “[tout] a été transformé en mensonge, le vrai devint le mensonge et le mensonge le vrai”.
Le camarade aurait pu aussi se poser la question : quelle était la forme de domination de la bourgeoisie en France et en Grande-Bretagne, après 1918 ?
La période de l’entre-deux guerres est une période de contre-révolution, “il est minuit dans le siècle”, le capitalisme d’État prend la forme d’une dictature ouverte de la bourgeoisie, avec militarisation de la société et préparation à la guerre.
Pour l’avenir, la classe ouvrière devra s’armer pour résister aux chants de sirènes démagogiques de la bourgeoisie : on constate que, pour finaliser sa victoire sur la classe ouvrière après “le début de la fin” de la période révolutionnaire après 1918, la bourgeoisie s’est emparée du langage de la classe ouvrière pour la tromper.
Ainsi, c’est au nom du national-socialisme que Hitler entame son ascension irrésistible vers le pouvoir absolu.
En Italie, Mussolini fait d’abord partie du Parti Socialiste Italien, il en est expulsé en novembre 1914 après avoir retourné sa veste en soutenant la participation de l’Italie à la guerre au nom du nationalisme ; il rejoint un conglomérat favorable à l’entrée de l’Italie dans le conflit, regroupant des anarchistes – partisans de la guerre pour hâter la révolution – et des réactionnaires nationalistes. Il crée les “Faisceaux d’action révolutionnaire” – les sinistres “Chemises Noires” – et le Parti National Fasciste en 1921.
En conclusion, fascisme, nazisme ou stalinisme ont été des expressions équivalentes de la dictature de la bourgeoisie en période de contre-révolution et de préparation à la guerre, dans les pays les plus industrialisés ; dans les trois formes de domination on voit se développer un contrôle absolu sur la population, l’ouverture de camps de concentration, la militarisation du travail, le développement de l’industrie de guerre.
Leïla, 28 mars 2018
De notre point de vue, la contribution de la camarade Leila constitue un panorama historique des événements qui ont conduit au fascisme, au nazisme et au stalinisme. Même si certains aspects peuvent nous paraître trop schématiques (pouvant conduire à des analyses erronées) et les situations juxtaposées, l’ensemble brasse toute une période inscrite, à juste titre, dans la phase de décadence du capitalisme.
Pour mesurer la portée de cette contribution, il faut se demander si elle répond à la question posée par le précédent courrier ? En partie assurément oui, mais des zones à explorer existent encore. Il y a bien une réponse formulée à l’issue de tout un effort de synthèse et qu’on retrouve plus particulièrement dans la conclusion : “fascisme, nazisme ou stalinisme ont été des expressions équivalentes (souligné par nous) de la dictature de la bourgeoisie en période de contre-révolution et de préparation à la guerre, dans les pays les plus industrialisés”. Il s’agit d’un point de vue général, mais qui, selon nous, doit être davantage précisé au vu des interrogations du premier courrier.
En effet, si les conditions historiques s’inscrivent bel et bien dans une globalité avec des caractéristiques permettant de dégager des éléments “d’équivalence”, pour reprendre l’idée de la camarade Leila, ceux-ci ne permettent pas pour autant de mettre en évidence la singularité du stalinisme par rapport aux autres formes totalitaires. En ce sens, en dépit de la richesse des éléments apportés, la réponse de Leila ne semble pas aller au bout du raisonnement, bien qu’elle ait évoqué certains éléments qui vont nous permettre justement de mettre l’accent sur les différences. Bien entendu, nous ne prétendons pas apporter “La” réponse dans cet article. L’objectif que nous nous fixons ici est plus modeste et consiste plutôt à souligner des aspects qui peuvent peut-être permettre d’aller plus loin dans cette réflexion. Donc, au-delà des aspects communs, que peut-on dégager du cas plus particulier de la Russie stalinienne ?
Il nous semble que le premier élément majeur dont il faut tenir compte est celui de la prise du pouvoir par le prolétariat en Russie. Contrairement à l’Allemagne où le mouvement a été totalement brisé lors de la commune de Berlin en janvier 1919 par une répression sanglante et contrairement aux grandes grèves des années 1920 en Italie qui ont été totalement réprimées avant la possibilité d’une prise du pouvoir, le prolétariat en Russie a été capable, a contrario, de prendre le pouvoir à l’issue d’une insurrection victorieuse. Cela n’est pas sans conséquence dans la façon dont la bourgeoisie a dû s’y prendre pour écraser le prolétariat. Non seulement la bourgeoise mondiale s’est liguée contre le prolétariat russe pour l’isoler et le réprimer, mais elle a aussi œuvré sur le terrain idéologique pour aboutir, grâce au stalinisme, au plus grand mensonge de l’histoire : l’assimilation du stalinisme au communisme. De ce point de vue, ni le nazisme ni le fascisme ne pouvaient couvrir la nécessité de dénaturer durablement la nature de la révolution russe et l’idée de communisme.
Le deuxième élément qu’on peut mettre en avant pour pousser plus loin la réflexion, c’est la forme même et la façon dont s’est exprimée la tendance universelle de la décadence qu’est le capitalisme d’État. Comme nous l’écrivions dans notre brochure L’effondrement du stalinisme : “dans les pays de l’Est, la forme particulière que prend le capitalisme d’État, se caractérise essentiellement par le degré extrême d’étatisation de leur économie. C’est sur cette caractéristique qu’a d’ailleurs reposé le mythe de leur nature “socialiste” distillé pendant des décennies par l’ensemble de la bourgeoisie mondiale, qu’elle soit de gauche ou de droite. L’étatisation de l’économie à l’Est n’est pas un acquis d’Octobre 1917, comme le prétendent les staliniens et les trotskystes de tous bords. C’est un produit monstrueux de la contre-révolution stalinienne (qui s’est imposée avec la défaite de la révolution russe) qui trouve sa source dans les circonstances historiques de la constitution de l’URSS. En effet, contrairement au reste du monde, le développement du capitalisme d’État en URSS n’est pas un produit direct de l’évolution “naturelle” du capitalisme dans la période de décadence”. Dans sa contribution, la camarade Leila évoque indirectement l’existence en Italie et en Allemagne de grands conglomérats industriels, l’existence d’un fort secteur privé au service de l’État. Tout cela induit nécessairement un encadrement institutionnel et juridique différent de celui qui pouvait être instauré en Russie.
En Russie, même s’il existait un capital très concentré dans les principales métropoles, comme pour les usines Poutilov de Pétrograd, par exemple, la situation était totalement différente, la bourgeoisie ayant été expropriée et l’ensemble de l’économie comprenant encore un secteur agricole très important et archaïque. L’expropriation brutale des moyens de production a donc conduit à une forme de centralisation étatique radicale extrême, cela afin de tenter de pallier aux retards accumulés, aux besoins de modernisation et d’orienter, plus tard, le capital russe de la nouvelle classe bourgeoise, la nomenkaltura, vers l’industrie lourde et la production d’armements en vue de la guerre. Naturellement, au nom du socialisme ! Cela, l’idéologie Nazie et celle du fascisme, malgré leur brutalité, n’auraient probablement pas pu le permettre avec autant de rapidité et d’efficacité.
Bien entendu, ces éléments que nous soumettons à la réflexion ne sont pas forcément les seuls aspects et méritent d’être eux-mêmes approfondis. Mais il nous semble que ces différents éléments permettent de souligner pourquoi en Russie la forme capitaliste d’État ne pouvait être strictement identique à celle du fascisme ou au nazisme.
RI, avril 2018
Dans cette seconde partie, nous répondrons aux principales critiques que nous adresse le PCI (Le Prolétaire) en opposant à leur démarche notre méthode et notre cadre d’analyse afin de dégager une compréhension claire des enjeux de la situation du combat du prolétariat.
Le rôle des révolutionnaires ne se limite pas à proclamer des principes prolétariens ; il consiste surtout à contribuer à la prise de conscience du prolétariat, à analyser et expliquer les rapports de force posés par la situation pour dégager les enjeux réels de la lutte. En d’autres termes, il s’agit, comme le préconisait Lénine de “faire une analyse politique concrète d’une situation concrète”. Les prolétaires qui essaient de comprendre la situation actuelle, qui cherchent à aller aux racines des problèmes, ne trouvent malheureusement pas dans les publications du PCI une explication satisfaisante du phénomène international et relativement massif du populisme mais des affirmations qui, de notre point de vue, alimentent la confusion. Or, le développement du phénomène populiste correspond à une situation concrète historiquement nouvelle qui reste à analyser et pour cela nous devons mener un débat avec rigueur et méthode à travers des polémiques. Mais pour pouvoir mener ce débat, absolument nécessaire et vital à l’intérieur du camp prolétarien, il faut d’abord distinguer et écarter ce qui relève du faux débat et de l’interprétation.
Le PCI nous prête l’idée que “les victoires de Trump ou des partisans du Brexit constituent des “revers” pour la démocratie” (1) en se référant à un article paru dans Révolution Internationale n°461. Nous ne devons absolument pas déduire de nos analyses que le populisme remettrait en cause et affaiblirait la démocratie bourgeoise et son État. Pour nous, toutes les fractions de la bourgeoisie sont réactionnaires ; le populisme, comme expression politique, appartient à la bourgeoisie et s’inscrit pleinement dans la défense des intérêts capitalistes. Les partis populistes sont des fractions bourgeoises, des parties de l’appareil capitaliste d’État totalitaire. Ce qu’ils répandent, c’est l’idéologie et le comportement bourgeois et petit-bourgeois, le nationalisme, le racisme, la xénophobie, l’autoritarisme, le conservatisme culturel. Ils catalysent les peurs, expriment la volonté de replis sur soi et un rejet des “élites”. Ceci dit, le populisme est un produit de la décomposition qui trouble le jeu politique avec pour conséquence une perte de contrôle croissante de l’appareil politique bourgeois sur le terrain électoral. Cela n’empêche pas la bourgeoisie d’exploiter autant que possible ce phénomène politique négatif pour la défense de ses intérêts pour tenter de le retourner contre le prolétariat en essayant justement de renforcer la mystification démocratique, en rappelant l’importance de “chaque vote”, en accusant l’absentéisme électoral de “faire le lit de l’extrême-droite”. Dans ce cadre, les partis traditionnels tentent eux-mêmes d’atténuer leur image impopulaire en essayant de se présenter malgré tout comme plus “humanistes” et plus “démocratiques” que les populistes. Un piège dangereux qui consiste à vouloir enfermer les ouvriers dans la fausse alternative : populisme ou défense de la démocratie.
Contrairement au CCI, le PCI rejette la notion de décadence du capitalisme, pourtant essentielle pour les marxistes, comme l’avaient compris les fondateurs de la IIIᵉ Internationale, qui inscrivaient en 1919 dans leur plateforme, après l’expérience de la Première Guerre mondiale et d’Octobre 1917 : “Une nouvelle période est née. Époque de désintégration du capitalisme, de son effondrement intérieur. Époque de la révolution communiste du prolétariat”. Alors qu’il y a plus d’un siècle, les bolcheviks et Rosa Luxemburg, notamment, affirmaient que la période historique ouverte par la Première Guerre mondiale est définitivement marquée par l’alternative : guerre ou révolution, socialisme ou barbarie, Le Prolétaire au contraire, sur la base de son interprétation “invariante” du Manifeste communiste de 1848 continue à répéter que les crises du capitalisme sont “cycliques” et ignore les implications de son entrée en décadence, en particulier vis-à-vis de la question de la guerre. Parce qu’il rejette la notion fondamentale de décadence du capitalisme, le PCI ne peut que manquer de clarté sur la nature des crises et des guerres impérialistes du XXᵉ siècle et donc manquer de clarté sur l’analyse de la situation actuelle et de son évolution vers la phase finale de l’agonie du capitalisme, la décomposition. (2)
Il n’est pas politiquement armé pour comprendre que la décomposition a été déterminée par une qualité nouvelle portée par les contradictions du capitalisme décadent et initialement “l’incapacité (…) des deux classes fondamentales et antagonistes, que sont la bourgeoisie et le prolétariat, à mettre en avant leur propre perspective (guerre mondiale ou révolution) engendrant une situation de “blocage momentané” et de pourrissement sur pied de la société”. Il l’interprète au contraire ironiquement sans en saisir la réelle nature : “Les prolétaires qui au quotidien voient leurs conditions d’exploitation s’aggraver et leurs conditions de vie se dégrader, seront heureux d’apprendre que leur classe est capable de bloquer la bourgeoisie et de l’empêcher de mettre en avant ses “perspectives””.
Le PCI interprète ce que nous disions quand il nous attribue l’idée de “blocage de la bourgeoisie par le prolétariat”, sans se pencher sérieusement sur le contenu politique que nous défendons réellement : toute la société se retrouve sans perspective affirmée d’une des deux classes fondamentales de la société. Elle se trouve donc privée de tout futur autre que l’exploitation immédiate générée par le capitalisme. Dans ce contexte, la bourgeoisie n’est plus en mesure d’offrir un horizon politique capable de mobiliser et de susciter une adhésion. Inversement, la classe ouvrière ne parvient pas à se reconnaître comme classe et ne joue aucun rôle véritablement décisif et suffisamment conscient. C’est cela qui a conduit à un blocage en terme de perspective. La phase de décomposition de la société capitaliste n’est nullement une “élucubration”, une “idée fumeuse”, “inventée” par le CCI. Marx lui-même au tout début du Manifeste communiste envisageait cette éventualité tirée de l’expérience historique de l’évolution des sociétés de classe quand il écrivait : “L’Histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot : oppresseurs et opprimés, se sont trouvés en constante opposition ; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt déguisée, tantôt ouverte, qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine des diverses classes en lutte”. Parmi les “diverses classe en lutte” aujourd’hui, il est bien question de la bourgeoise et du prolétariat ! Le marxisme a toujours posé en termes d’alternative, de manière non mécaniste, le dénouement de l’évolution historique. Aujourd’hui, avec les conditions actuelles : soit la classe révolutionnaire finira par s’imposer et ouvrira la voie vers le nouveau mode de production, le communisme, soit par incapacité ou défaite historique, la société capitaliste sombrera définitivement dans le chaos et la barbarie : ce serait alors la “ruine des diverses classes en lutte”.
Qu’est-ce qui détermine et explique la phase actuelle d’enfoncement du capitalisme décadent dans la décomposition de la société ? (3)
La bourgeoisie s’enlise dans une crise économique sans issue réduisant les prolétaires à subir toujours davantage la misère, la précarité, les attaques contre ses conditions de vie et l’exploitation. En même temps, elle a été incapable d’imposer sa propre “solution” à cette crise : une nouvelle Guerre mondiale. Entre 1968 et 1989, avec le resurgissement international du prolétariat sur la scène de l’histoire par le retour de ses luttes, elle ne pouvait embrigader le prolétariat dans la préparation d’un nouveau conflit mondial. Après 1989, avec la dissolution des deux blocs impérialistes née de l’effondrement du bloc de l’Est disparaissaient les conditions diplomatiques et militaires d’une nouvelle guerre mondiale : la bourgeoisie n’était plus en mesure de reconstituer de nouveaux blocs impérialistes.
Cependant, la disparition des blocs n’a pas mis fin aux conflits militaires. Au contraire, l’impérialisme n’a pas disparu ; il prend d’autres formes, où chaque État cherche à satisfaire ses propres intérêts ou appétits impérialistes contre les autres, aux dépens de la stabilité des alliances, où prédomine une tendance vers la guerre de tous contre tous et au déchaînement d’un chaos meurtrier et de la barbarie guerrière. Depuis lors, on assiste à la multiplication des conflits dans lesquels les grandes et moyennes puissances continuent de s’affronter par petits États, par bandes rivales armées ou même par ethnies interposées.
Mais la bourgeoisie ne peut plus non plus mobiliser le prolétariat dans un projet de société : le leurre du “nouvel ordre mondial de paix et de prospérité” promis par Bush père au lendemain de l’effondrement du bloc de l’Est a fait long feu.
De son côté, la classe ouvrière qui, bien que depuis 1968 et jusqu’à la fin des années 1980 a su développer des vagues de luttes de résistance face à la crise et aux attaques, a démontré qu’elle n’était pas prête dans les pays centraux à se sacrifier dans une guerre mondiale. Néanmoins, elle n’a pas réussi à politiser son combat de classe et à dégager une perspective consciente de révolution mondiale pour renverser le capitalisme à cause du poids énorme des années de contre-révolution et des illusions encore très fortes sur la nature prétendument ouvrière des partis de gauche et des syndicats. Contrairement à 1905 et 1917, elle a été incapable, notamment après août 1980 en Pologne, de s’affirmer sur un terrain politique, comme force de transformation révolutionnaire de la société et d’élever ses luttes de résistances à un combat politique international pour affirmer une perspective révolutionnaire.
La faillite des régimes staliniens, lors de l’effondrement brutal du bloc de l’Est a, par ailleurs, permis à la bourgeoisie de renforcer le plus grand mensonge du XXe siècle, l’identification du stalinisme au communisme, et d’alimenter une énorme campagne de matraquage idéologique pour proclamer la “faillite du marxisme” et la “mort du communisme”. C’est ce qui a conduit à l’idée qu’il ne reste plus aucune alternative à opposer au capitalisme. Cela explique les énormes difficultés que rencontre la classe ouvrière actuellement : la perte de son identité de classe, la perte de confiance en ses propres forces, la perte du sens de son combat, sa désorientation.
Ces difficultés ont permis, entre autres manifestations, le développement des idées populistes dans la société, y compris dans les rangs des ouvriers les plus fragilisés car le prolétariat est lui aussi affecté par l’ambiance délétère liée à la décomposition de la société bourgeoise et à la politique de la bourgeoisie.
Dans un contexte caractérisé par l’absence de toute perspective politique, la défiance envers tout ce qui relève de “la politique” s’accroît (tout comme le discrédit des partis traditionnels de la bourgeoisie) au profit de partis populistes prônant comme instrument majeur de propagande un prétendu rejet des “élites”. Cela débouche sur un sentiment répandu de no future et toutes sortes d’idéologies de repli sur soi, de retour vers des modèles réactionnaires archaïques ou nihilistes.
L’article du Prolétaire affirme : “l’orientation populiste est typiquement de nature petite-bourgeoise : la petite bourgeoisie, placée entre les deux classes fondamentales de la société, redoute la lutte entre ces deux classes, dans laquelle elle risque fort d’être broyée ; c’est pourquoi elle répugne à tout ce qui évoque la lutte de classe et ne jure que par “le peuple”, “l’unité populaire”, etc”. Pour le PCI, le populisme est, depuis ses origines, l’expression de la nature et de l’idéologie de la petite bourgeoisie et tout est dit. Il n’analyse pas le populisme comme une expression d’un monde capitaliste sans avenir, qui s’inscrit dans la dynamique de la période de décomposition. Si la montée actuelle du populisme a été alimentée par différents facteurs (la crise économique de 2008, l’impact de la guerre, du terrorisme et de la crise des réfugiés), elle apparaît surtout comme une expression concentrée de l’incapacité actuelle de l’une et l’autre classe majeures de la société d’offrir une perspective pour le futur à l’humanité.
Telle est la réalité globale à laquelle le prolétariat comme l’ensemble de la société sont confrontés. Il est important de voir comment la montée actuelle des faits antisociaux comme la faiblesse actuelle du prolétariat pour développer sa perspective révolutionnaire sont des aspects essentiels de la situation. Cela traduit un problème de fond dans la société qui n’est pas identique à celui de la période précédant les années 1990, encore moins à la simple nature petite-bourgeoise du populisme du XIXᵉ siècle.
Le PCI peut ne pas partager une telle analyse, mais il se doit alors de fournir un cadre général de compréhension alternative adapté à la période actuelle. Faire seulement de l’ironie dans sa critique est insuffisant.
A terme, si le prolétariat s’avérait incapable de retrouver le chemin de la lutte révolutionnaire, toute la société serait engloutie dans des désastres en tous genres : faillites, catastrophes écologiques, extension des guerres locales, enfoncement dans la barbarie, chaos social, famines… Tout ceci n’a rien d’une prophétie : il ne peut en être autrement pour la simple et bonne raison que la logique destructrice du capital et du profit, que l’on voit tous les jours à l’œuvre, est, elle, totalement irréversible. Le capitalisme, par nature, ne peut pas devenir “raisonnable” et s’enlise dans ses propres contradictions.
1. La lutte de classe du prolétariat n’est pas, comme le pense le PCI, “l’instrument” mécanique d’un “destin historique” absolument déterminé. Dans L’Idéologie allemande, Marx et Engels critiquent fortement une telle vision : “L’histoire n’est pas autre chose que la succession des différentes générations dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives qui lui sont transmis par toutes les générations précédentes ; de ce fait, chaque génération continue donc, d’une part, le mode d’activité qui lui est transmis, mais dans des circonstances radicalement transformées et, d’autre part, elle modifie les anciennes circonstances en se livrant à une activité radicalement différente ; ces faits on arrive à les dénaturer par la spéculation en faisant de l’histoire récente le but de l’histoire antérieure ; c’est ainsi par exemple qu’on prête à la découverte de l’Amérique cette fin : aider la Révolution française à éclater”.
2. Il ne faudrait pas pour autant en déduire que, parce qu’une partie de la classe ouvrière vote pour des partis populistes, le prolétariat serait devenu xénophobe ou foncièrement nationaliste. Comme nous l’avons souligné dans notre Résolution sur la lutte de classe internationale adoptée lors du XXIIe Congrès du CCI : “Beaucoup d’ouvriers qui, aujourd’hui, votent pour un candidat populiste peuvent, du jour au lendemain, se retrouver en lutte aux côtés de leurs frères de classe, et la même chose vaut pour les ouvriers entraînés dans des manifestations antipopulistes”.
Cependant, l’issue de la lutte n’a rien d’inéluctable, contrairement à la vision erronée qu’en tirait Bordiga : “est révolutionnaire (selon nous) celui pour qui la révolution est tout aussi certaine qu’un fait déjà advenu”. (4) Non, la révolution prolétarienne n’est pas écrite d’avance ! Personne d’autre ne peut la prendre en charge que l’action consciente du prolétariat par un véritable combat historique face à tous les obstacles et contre ceux que dresse la bourgeoisie qui se défend en déchargeant tout son venin et sa bestialité, comme le fait un animal blessé à l’agonie.
Face aux difficultés que rencontre le prolétariat, plus que jamais les révolutionnaires ont besoin de comprendre, analyser les enjeux et dénoncer au passage l’instrumentalisation idéologique que la bourgeoisie fait des tendances au délitement de la société actuelle pour mystifier et brouiller davantage les consciences.
Comprendre le populisme, c’est comprendre la décomposition, c’est-à-dire le danger qui pèse sur la classe ouvrière et sur toute l’humanité, les difficultés et les obstacles que nous devons affronter dans ce contexte pour mieux les combattre et s’armer face à eux. Malgré le poids du populisme et ses dangers, le prolétariat offre toujours la seule alternative possible au capitalisme et ses ressources sont intactes pour mener et développer ce combat.
CB, 26 mars 2018
1) Populisme, vous avez dit populisme ?, Le Prolétaire n°523, (févr.-mars-avr. 2017).
2) Nous renvoyons nos lecteurs à la polémique que nous avons déjà mené avec le PCI sur la question centrale de la décadence : Le rejet de la notion de décadence conduit à la démobilisation du prolétariat face à la guerre, Revue Internationale n°77 et 78, 2ᵉ et 3ᵉ trimestre 1994.
3) Nous renvoyons le lecteur à nos Thèses : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, écrites en mai 1990 et republiées dans la Revue Internationale n° 107, 4ᵉ trimestre 2001 comme à l’article Les racines marxistes de la notion de décomposition, Revue Internationale n°117, 2ᵉ trimestre 2004.
4) La Maladie infantile, condamnation des futurs renégats (sur la brochure de Lénine “La maladie infantile du communisme”), Il programma comunista n°19 (1960).
“On met un pognon de dingue dans les minima sociaux”. Cette petite phrase choc prononcée par Emmanuel Macron ne reflète pas seulement la morgue et l’inhumanité de ce grand bourgeois, elle résume surtout à elle seule la volonté de sa classe et de son État de précariser le prolétariat en France.
En multipliant les attaques contre les conditions de vie et de travail, il y a “la volonté du gouvernement de rendre plus compétitive l’économie française et “d’assouplir” le marché du travail. Au-delà de la suppression des dizaines de milliers de postes dans la fonction publique, les hôpitaux, les écoles, les services des impôts, la poursuite de la suppression des contrats aidés pendant toute l’année 2018, ce sont des dizaines de milliers de suppressions d’emplois qui restent au programme pour les mois à venir. À cela s’ajoutent les licenciements pour “motifs personnels” et disciplinaires (“faute”, inaptitude professionnelle, refus d’une modification substantielle du contrat de travail) ou par le biais des “ruptures conventionnelles” et un nombre indéterminé de suppressions d’emplois sous forme de “départs volontaires”. Il faut rajouter à cela les attaques contre le statut des cheminots et, par la suite, la mise en place de la réforme du statut de la fonction publique. Tout cela s’inscrit dans la continuité du démantèlement de l’État-providence qui se traduit aussi par des attaques contre les allocations chômage, contre les retraites, contre la sécurité sociale, les réductions des allocations logement et autres prestations familiales”. (1)
Mais il y a, plus encore, une volonté d’écraser idéologiquement les travailleurs. La bourgeoisie française est animée d’un esprit de revanche féroce. Depuis des décennies, elle rêve d’imposer une politique d’austérité comme la bourgeoisie anglaise sous Thatcher, sans y parvenir. Car, face à elle, se trouve le prolétariat parmi les plus combatifs et politisés du monde. La grève historique de Mai 1968, ou, plus récemment, la victoire du mouvement anti-CPE en 2006, en sont des exemples marquants. Alors, il n’est pas question pour la classe dominante de ne pas profiter au maximum des difficultés actuelles du prolétariat pour prendre sa revanche. La baisse de cinq euros pour l’aide au logement des plus pauvres, comme les déclarations contre les retraites prétendument trop élevées expriment un unique message : la bourgeoisie française, avec Macron à sa tête, est bien décidée à mener une politique de généralisation de la précarité.
La violence des forces de répression de l’État, qui ont évacué les facultés à coups de matraques, comme le quadrillage étouffant des manifestations par les CRS s’inscrivent dans cette volonté claire du gouvernement actuel. C’est d’ailleurs pourquoi les black blocs rendent involontairement un si précieux service à “l’État de droit” en fournissant un alibi en or à ses coups de matraques.
En essayant d’enfoncer ainsi la tête du prolétariat sous l’eau, l’objectif est de préparer le terrain à de nouvelles attaques économiques, toujours plus violentes.
Cela dit, même si la classe ouvrière est depuis plusieurs années marquée par l’apathie, la résignation, le manque d’espoir et de combativité, les coups actuels et à venir sont tels que la bourgeoisie française a parfaitement conscience que les travailleurs ne peuvent demeurer à terme sans réagir. C’est pourquoi les syndicats sont entrés en action, pour encadrer les luttes et parfaire la défaite.
Il y a en France, depuis des mois, une multitude de petites grèves, soigneusement isolées les unes des autres par les syndicats. Aucune assemblée générale commune, aucun mot d’ordre rassembleur. Cette situation a d’ailleurs commencé à questionner une partie des travailleurs ; c’est pourquoi, au mois de mai, les syndicats ont sorti de leur chapeau le simulacre de la “convergence” des manifestations où chaque corporation, chaque entreprise défilait avec “sa” banderole, “son” mot d’ordre, les unes derrières les autres, sans que jamais les travailleurs en lutte ne puissent discuter. La palme du sabotage revient à la “grève perlée” de la SNCF qui a permis d’épuiser les cheminots, pourtant au départ très combatifs, par une lutte longue, stérile, coupée des autres secteurs de la classe ouvrière, de plus en plus minoritaire au sein même de l’entreprise, le tout organisé sous-couvert d’assemblées générales dans lesquelles, en réalité, rien ne se décidait et où tout était ficelé d’avance.
Avec ce sale boulot des syndicats, la bourgeoisie française veut inoculer un profond sentiment d’impuissance aux travailleurs : la défaite des cheminots est celle de toute la classe ouvrière, leur démoralisation aussi. “Puisque eux, qui sont censés être particulièrement combatifs, ne parviennent pas à résister, aucun secteur ne le pourra… la lutte ne paie pas”, tel est le message lancé par la classe dominante.
La publicité médiatique faite autour de la “victoire” des soignants en grève de la faim à l’hôpital psychiatrique du Rouvray n’a pas d’autre but. Alors que la colère gronde dans tous les hôpitaux de France face à la situation catastrophique des conditions de travail et de soins, la mise en avant d’une victoire très localisée et ponctuelle, à la suite d’une longue grève de la faim, ne peut qu’elle aussi renforcer ce sentiment d’impuissance. Pour grappiller quelques miettes, il faudrait en arriver à cette extrémité inhumaine d’une grève de la faim que presque personne n’est prêt à assumer, même par désespoir total, sans compter que ce moyen isolé, et donc stérile, ne provoque aucune émotion dans la bourgeoisie qui n’y voit, au mieux, qu’une “petite gêne” pour ses intérêts sordides.
La bourgeoisie française va poursuivre sa politique d’austérité brutale au nom de la “compétitivité nationale”. La faiblesse de la combativité et de la conscience du prolétariat en France et dans le monde vont l’y encourager. Mais les derniers mouvements sociaux et les dernières grèves ont aussi montré qu’une partie des travailleurs recommencent à réfléchir, à chercher comment lutter, à douter des méthodes syndicales… Afin de préparer les futures luttes, il faut que ces éléments plus combatifs et conscients se regroupent pour discuter, tirer les leçons des dernières grèves, mais aussi essayent de se réapproprier les leçons des luttes du passé. L’expérience de notre classe est immense, il s’agit de la faire revivre.
“La question de la perspective est au cœur de la capacité du prolétariat à retrouver le chemin de luttes massives, autonomes et conscientes. Si de nombreux prolétaires ont bien compris que le système capitaliste ne peut leur offrir que toujours plus de privations, de précarité, de chômage, de misère et de souffrances, ils sont encore loin d’envisager la possibilité de le renverser. La classe ouvrière doit affronter de nombreux obstacles avant que de pouvoir envisager une telle perspective. (…) Elle doit surmonter un profond sentiment d’impuissance résultant de la perte de son identité de classe. (…) Les difficultés principales que doit affronter la prise de conscience du prolétariat sont et seront les manœuvres des “spécialistes” en sabotage que sont les syndicats et les gauchistes. Pour y faire face, l’expérience accumulée par le prolétariat durant les années 1970 et 1980 devra absolument être ravivée dans les mémoires. Cette capacité à politiser la lutte et à développer la conscience en récupérant les leçons de l’histoire du mouvement ouvrier est l’enjeu des futurs grands mouvements sociaux”. (2)
So, 13 juin 2018
1) Résolution sur la situation en France adoptée par Révolution internationale, section du CCI en France, lors de son dernier congrès, et disponnible sur notre site internet
2) Ibid.
Ce n’est certainement pas la première fois que la bourgeoisie italienne connaît une crise grave dans son appareil politique ayant un impact sur sa capacité à former un gouvernement, comme par exemple pour le gouvernement Monti en 2011 et le gouvernement Letta en 2013, qui ne durera que 10 mois. Cependant, la gestation troublée du gouvernement de coalition Ligue-5 Étoiles a pris une dimension et une signification politique particulièrement sérieuses qui pourraient même engendrer une crise constitutionnelle, avec la menace d’une demande de destitution de la part du chef de l’État du Mouvement 5 Étoiles (M5S) et des Frères d’Italie.
Après une campagne électorale caractérisée par un affrontement très dur entre les forces politiques en jeu, dans lequel chacun a déclaré qu’il n’accepterait jamais de gouverner avec d’autres, où les promesses les plus audacieuses au nom de la “défense des familles, des précaires, des jeunes” se sont épanouies, le résultat électoral a vu le triomphe du populisme, mais sans une majorité de gouvernement claire et une série de vetos croisés (la Ligue contre le Parti démocrate (PD), le PD contre la Ligue, du M5S contre Berlusconi, etc.). Après plusieurs tentatives de la part du président de la République démocrate-chrétien, Sergio Mattarella, distinguant, rejetant, revenant en arrière et négociant avec les parties concernées, il a finalement été possible de parvenir à un accord pour former un gouvernement, évitant le spectre d’un retour immédiat aux urnes, ce qui aurait été un autre problème pour la bourgeoisie italienne, à la fois parce qu’il aurait prolongé la situation de grande instabilité avec des répercussions économiques majeures, et parce que le résultat de ce nouveau vote n’était certainement pas prévisible et risquait seulement de reporter le problème. Comment expliquer cette tempête ?
Un premier problème important est que la bourgeoisie est confrontée au niveau international au développement du populisme et à son poids, comme aux effets de la décomposition, sur les partis politiques avec une tendance dominante au “chacun pour soi”. (1) Comme nous l’avons déjà fait valoir dans d’autres textes, (2) ce développement est la conséquence de la phase historique actuelle. De larges couches de la population, et surtout le prolétariat, connaissent quotidiennement les effets de l’aggravation de la crise : une augmentation de l’instabilité économique, de l’enfoncement dans la précarité et de l’insécurité sociale, dont il est extrêmement difficile de comprendre les causes. Cela génère beaucoup de colère mais aussi une perte profonde de repères, un sentiment d’impuissance et une peur de tout ce qui semble mettre encore plus en danger leur situation présente et future. De plus, les partis “historiques”, qui, en raison de leur expérience politique, ont représenté pour la bourgeoisie un instrument essentiel pour détourner et contenir le mécontentement dans le jeu de l’alternance démocratique, ont subi une forte érosion de leur crédit. En particulier, les partis sociaux-démocrates, historiquement considérés comme les défenseurs des travailleurs, ont longtemps dû assumer eux-mêmes toutes les mesures et réformes économiques qui ont sérieusement dégradé la situation de la classe ouvrière, révélant ainsi leur caractère anti-prolétarien. (
Comme nous l’avons dit à propos de la victoire du Brexit, “le populisme n’est pas un autre acteur dans les jeux entre les partis de gauche et de droite ; il existe à cause du mécontentement généralisé qui ne trouve aucun moyen de s’exprimer. Il est entièrement sur le terrain politique de la bourgeoisie, mais il est basée sur l’opposition aux élites et à l’establishment, sur l’aversion envers l’immigration, sur la méfiance envers les promesses de la gauche et l’austérité de la droite, qui expriment une perte de confiance dans les institutions de la société capitaliste, mais ne voient pas, pour l’instant, l’alternative révolutionnaire de la classe ouvrière”.(3)
De ce point de vue, ces forces, dans une certaine mesure, peuvent aussi rendre un service utile à la bourgeoisie parce qu’elles canalisent la colère et la méfiance sur le terrain démocratique et institutionnel. Comme Di Maio l’a affirmé ces jours-ci, c’est le M5S qui a ramené sur le terrain de la protestation démocratique et du vote la plupart de ceux qui s’en éloignaient parce qu’ils étaient dégoûtés, désillusionnés et en colère contre la classe politique et les institutions. Mais, contrairement aux partis “historiques” de la bourgeoisie (de droite comme de gauche) qui, malgré tout, conservent encore un certain sens de l’État, la vision des forces populistes se traduit par des politiques concrètes qui vont souvent à l’encontre des intérêts globaux de la bourgeoisie nationale, tant sur le plan économique et de la politique internationale que sur le plan idéologique de la défense de la démocratie et constituent pour cette raison un péril pour la cohérence et les intérêts politiques de la même classe dirigeante.
La présence du phénomène populiste et le discrédit des partis historiques expliquent aussi la difficulté croissante pour la bourgeoisie internationale et, en particulier en Italie, de contrôler le cirque électoral et de prédire son issue. Cette imprévisibilité s’est vue, par exemple, avec le Parti démocrate où Renzi, sur la base des 40,8 % obtenus lors des élections de 2014, s’est pris une claque avec le référendum sur la constitution en 2016 qui a anticipé l’effondrement actuel de sa formation politique. Dans le passé, l’électorat a maintenu une certaine fidélité aux partis traditionnels parce que cela correspondait aussi à des “idéaux politiques” et à des programmes qui, du moins en paroles, suggéraient des choix différents. La droite et la gauche du capital ont exprimé différentes options pour la gestion de la société ; l’électeur, quoique de façon critique, s’identifiait à l’un ou l’autre de ces partis. Aujourd’hui, cette distinction n’existe plus parce que la crise économique ne permet pas d’options alternatives globales. Tout parti ou coalition au pouvoir ne peut mener qu’une politique d’appauvrissement pour la grande majorité de la population, et ne peut lutter contre la détérioration des conditions de vie à d’autres niveaux (précarité, insécurité sociale, dégradation de l’environnement, etc). Le vote est donc donné à la force politique qui, à ce moment-là, semble être la “moins pire”, celle qui, peut-être, ne semble pas faire miroiter autant de fausses promesses ou celle qui répond le plus à ses doutes. Ce n’est pas un hasard si le cheval de bataille électoral gagnant du M5S a été le “revenu minimum de citoyenneté” et la promesse de réduction du coût de la vie, surtout dans le sud de l’Italie où la pauvreté, la précarité et le manque de perspectives pèsent dans la vie quotidienne de la majorité de la population. Pour la Ligue, cependant, c’est la sécurité, avec l’expulsion des migrants et davantage de policiers dans les rues, le droit à l’autodéfense et la flat tax qui avantage les petits et moyens entrepreneurs particulièrement présents dans le Nord.
Nous avons vu récemment un phénomène similaire avec les difficultés de la bourgeoisie anglaise à gérer les effets du Brexit, de la bourgeoisie américaine à contenir les politiques irresponsables de Trump, de la bourgeoisie allemande à former un gouvernement de coalition qui, bien qu’il doive inclure le CDU anti-européen, maintiendrait une politique interne et internationale conforme aux intérêts de l’État allemand. Ce n’est qu’en France, face au danger d’une éventuelle victoire de Marine Le Pen, que la bourgeoisie a pu trouver la solution Macron qui assurait la continuité des choix politiques nationaux et internationaux et qui, en même temps, se présentait comme “le renouveau”, “ni droite ni gauche”, répondant ainsi à la méfiance et au mécontentement croissants.
Cela explique aussi pourquoi, par rapport aux élections en Italie (dans la phase préélectorale et pendant la crise politique), il y a eu une forte préoccupation (en particulier de la part des pays européens) et toute la pression des personnalités influentes de l’UE et du monde des affaires, sur le fait que, quelle que soit la composition du nouveau gouvernement, cela ne devrait pas remettre en question les résultats obtenus par l’Italie grâce aux réformes mises en œuvre ces dernières années, avec la forte recommandation de ne pas changer de cap vers des politiques irréfléchies et irresponsables pour le capital italien qui créeraient une instabilité internationale.
Regardons maintenant de plus près la situation italienne pour comprendre une série d’étapes importantes dans la politique de la bourgeoisie nationale. Par exemple, pourquoi le président de la République, Mattarella, a-t-il refusé de signer la nomination de Savone comme ministre de l’Économie ? Pourquoi cette lutte acharnée sur un seul nom ? En réalité, Mattarella, qui représente la partie la plus responsable de la bourgeoisie nationale avec une vision plus large et à long terme des intérêts du capital national et des instruments nécessaires pour les défendre, s’est retrouvée à gérer une situation caractérisée par :
— la victoire électorale de deux forces qui, bien que de manières différentes, sont l’expression d’un populisme caractérisé par une forte irresponsabilité associée à l’absence d’expérience et de profondeur politique. Le M5S né avec le slogan “allez vous faire foutre !” dirigée contre “la caste les bouffons parlementaires et des malversations”, une fois au parlement a dû prendre un rôle plus modéré et institutionnel, mais il reste une force totalement dépourvue d’expérience dans la gestion de l’État et fortement caractérisée par une politique qui est basée sur les humeurs viscérales immédiates du “peuple” pour élargir son consensus et entrer dans les lieux du pouvoir. Cela signifie qu’il s’agit d’une force oscillante, sur laquelle il est difficile de s’appuyer dans une situation qui exige rigueur et responsabilité en prenant des mesures drastiques et impopulaires. Après tout, il suffit de voir la réaction infantile et irresponsable de Di Maio et Di Battista (en bonne compagnie avec Meloni) immédiatement après le rejet par Mattarella de leur proposition gouvernementale. Les menaces répétées de destitution exprimées dans divers entretiens et lors de la réunion de Naples, ainsi que les déclarations de la Ligue par la bouche de Salvini, ont alimenté sur le web un climat d’attaque contre les institutions et en particulier contre Mattarella et la plus haute fonction de l’État. Enfin, malgré les assurances actuelles, le M5S s’est toujours distingué contre l’ingérence de l’UE dans la politique économique de l’Italie et le retour à la monnaie nationale.
La Ligue, ayant déjà assumé des responsabilités gouvernementales avec Bossi dans le passé, se présente comme moins versatile et plus cohérente et (après avoir abandonné son caractère régionaliste) se présente comme une force nationale. Cependant, elle reste une force à forte connotation anti-européenne (“l’Italie ne doit pas être tenue en laisse par l’Allemagne”), russophile et xénophobe (“si j’allais au gouvernement, je commencerais par un grand coup de balai, fixer des règles pour armer et protéger les frontières des Alpes à la Sicile.”)(4)
Ces deux partis pourraient remettre en cause les choix d’alliances impérialistes de l’Italie, tous deux étant plus ou moins explicitement favorables à une “ouverture” à la Russie ;
– un programme gouvernemental (celui du contrat de gouvernement du M5S et de la Ligue) qui, derrière un torrent de mots, cache une incohérence totale sur certains choix cruciaux de la politique économique, comme l’emploi, tandis que sur d’autres, il propose des mesures telles que le revenu citoyen, la flat tax et l’abolition de la réforme Fornero sur les pensions, abolition qui non seulement n’ont aucun financement budgétaire, mais qui remettent dangereusement en question les résultats pauvres mais positifs du point de vue des intérêts du capital italien obtenus par l’État au cours des dernières années. Ce contrat, en outre, était associé à un ministre de l’Économie, Savone, qui, bien qu’il rassure aujourd’hui en affirmant ne pas vouloir proposer une sortie immédiate de l’UE, est un fervent anti-européen déclaré et aurait certainement pu mettre en place sa politique avec des problèmes évidents pour l’État italien au sein de l’Union ;
– un appareil politique fortement discrédité (le parti démocrate et Forza Italia de Silvio Berlusconi, cette dernière fraction de centre droit n’ayant gagné le pouvoir dans le passé qu’en tant que membre d’une coalition avec la Ligue et les Frères d’Italie), incapable de construire une véritable alternative aux forces populistes, également parce que déchiré par des affrontements et des divisions internes.
Tout cela dans un contexte où, au-delà des belles phrases sur la “défense des intérêts des Italiens”, chacun a essayé de défendre ses propres intérêts, de maintenir et de renforcer la place obtenue sur la scène politique au détriment des autres. Par exemple, dans le cas du refus du PD d’accepter le M5S, ce qui l’aurait probablement encore plus discrédité, ou de la Ligue, qui a joué au mieux son succès électoral tant dans la négociation avec le M5S qu’au sein de la coalition de centre-droit.
Compte tenu de ce cadre et de la priorité absolue de l’État italien d’assurer une relative stabilité dans son budget, de sa capacité de négociation durement acquise au sein de l’UE et de son respect pour les alliances impérialistes actuelles, il est clair que la structure de gouvernement prévue causait beaucoup d’inquiétude à la classe dirigeante. D’où le veto sur la nomination de Savona imposé par Mattarella qui a pleinement rempli le rôle conféré par la Constitution au président de la République en tant que garant de la défense des intérêts nationaux. En fait, Di Maio a raison quand, lors de la réunion de Fiumicino, il a dit : “Dans ce pays, vous pouvez être un criminel condamné, un condamné pour fraude fiscale,… vous pouvez avoir commis des crimes contre l’administration publique, vous pouvez être une personne faisant l’objet d’une enquête pour corruption et devenir ministre. Mais si vous avez critiqué l’Europe, vous ne pouvez même pas vous permettre d’être ministre de l’Économie”. En fait, c’est ainsi que cela fonctionne parce que, contrairement à ce que lui, Grillo, Salvini, Meloni, Travaglio et consorts veulent nous faire croire, la Constitution italienne, ainsi que celle de tout autre État, n’est rien de plus qu’un instrument entre les mains de la classe dirigeante pour contrôler et gérer sa domination de la meilleure manière possible sur la société, dans un cadre démocratique, pour la sauvegarde du capital national sur le plan économique et politique à l’échelle internationale.
Cependant, la bourgeoisie, aussi bien en Italie qu’en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, a aussi un autre problème : elle ne peut exclure de la formation du gouvernement les forces populistes qui remportent les élections parce que cela démolirait toute la mystification démocratique qui constitue l’arme la plus puissante de sa domination. D’où la tendance extrêmement prudente, patiente et d’attente de Mattarella dans sa tentative de former un gouvernement aussi fiable que possible, comme a essayé de le faire Angela Merkel en Allemagne. Le problème supplémentaire posé par la situation actuelle en Italie est qu’il n’y a pas eu ici la possibilité de rejoindre Salvini et Di Maio avec une troisième force à déployer. Ce n’est pas un hasard si la première tentative de Mattarella a été d’essayer de former un gouvernement de tout le centre-droit avec le M5S et donc la présence de Forza Italia, car, malgré tout le discrédit dont il a souffert, Berlusconi, dans son expérience du gouvernement, a néanmoins fait preuve de loyauté envers l’OTAN et l’UE, ce qui dans le gouvernement aurait donné un peu plus de garanties à la bourgeoisie.
Le gouvernement Conte, finalement constitué, conserve toute sa nature problématique et devra être maîtrisé. Mais la fermeté de Mattarella sur le ministère de l’Économie et sur le rôle institutionnel du président de la République ont au moins forcé le M5S et la Ligue à faire marche arrière par rapport aux attitudes de protestation irresponsables antérieures et à exprimer leur opinion explicite sur la position de l’Italie au niveau international.
Comme nous l’avons déjà dit, le programme de ce nouveau gouvernement n’a vraiment rien pour améliorer une situation dans laquelle l’augmentation de la pauvreté et de la précarité, le manque de perspectives, la dégradation sociale sont vécus de façon dramatique par l’écrasante majorité des exploités qui ne peuvent même plus vendre la seule chose qu’ils ont, leur force de travail, ou s’ils ont un emploi, c’est seulement dans des conditions d’esclavage qui souvent ne permettent même pas la survie. Les grandes mesures promises seraient le “revenu citoyen” et la flat tax. La première, déjà largement redimensionnée par rapport aux promesses pré-électorales, ne s’élève pas à beaucoup plus de 80 euros et implique des conditions de chantage croissantes : soit vous acceptez n’importe quel type de travail avec n’importe quel salaire, soit vous n’aurez plus rien. En fait, cela signifie que vous devez vivre avec 780 euros par mois, un chiffre qui ne couvre même pas le coût d’un loyer et d’un toit au-dessus de votre tête. La flat tax, pour sa part, n’enlève rien et n’ajoute rien pour les faibles revenus mais permet beaucoup d’épargne pour les revenus élevés. Paradoxalement, il favorise divers hommes d’affaire du genre Berlusconi, certainement pas les revenus salariaux. Il est certain que, à en juger par les premiers pas du gouvernement Conte, la consolidation des comptes publics et des politiques internationales ne peut se faire qu’aux dépens des travailleurs qui sont les producteurs de la richesse nationale.
Cependant, l’effet le plus lourd sur le prolétariat de toute cette farce électorale et des événements récents se situe au niveau idéologique.
Il ne fait aucun doute que les événements des derniers mois ont causé incrédulité et confusion, mais ils ont aussi discrédité et enlevé des illusions envers une classe politique divisée, hésitante dans ses choix politiques et incapable de faire face à une situation tragique. Il n’y a pas non plus de doute que cela donne lieu à une réflexion, à des questions et à une tentative de comprendre les raisons de tout cela, au-delà de la contingence de la formation de ce gouvernement. Mais ce processus de réflexion est entravé et dévié par toute une série de mystifications utilisées notamment par la Ligue et le M5S qui poussent les prolétaires à chercher la raison de leur souffrance dans tel ou tel mal particulier, telle ou telle institution, mais jamais dans le système économique capitaliste qui, fondé sur l’exploitation, la concurrence, la lutte entre États-nations, ne peut favoriser qu’une petite minorité dominante au détriment du reste de l’humanité. Ainsi, les réfugiés, les immigrants deviennent des boucs-émissaires, des “envahisseurs” contre lesquels il faudrait se protéger, la dépendance envers l’Allemagne porterait la responsabilité d’impôts accablants, de l’inondation de rentes viagères et de voitures bleues, ce qui ferait perdre des emplois, ce qui forcerait à vivre avec des salaires de misère et à priver la nouvelle génération de toute possibilité d’une vie décente.
Cependant, les mystifications les plus dommageables qui ont repris toute leur force au cours du dernier mois sont la défense de la démocratie et le nationalisme. Le Non à Savone de Mattarella a déclenché un chœur retentissant du M5S, de la Ligue, des Frères d’Italie et toute une série de représentants des médias comme Travaglio, selon lequel la démocratie serait piétinée, voulant empêcher les partis librement choisis par le “peuple souverain” de gouverner. Pour cette raison, Mattarella et ses compagnons seraient des marionnettes sous les ordres d’autres nations qui veulent dicter leur loi au “peuple” italien.
Cette campagne a eu un certain écho dans la population et aussi parmi le prolétariat, provoquant une division entre deux camps opposés : entre ceux qui ont défendu les institutions (représentés par Mattarella dans cette affaire) et ceux qui ont défendu la souveraineté du “peuple italien” contre l’ingérence d’États étrangers. Cette opposition n’est qu’apparente, car l’idée qui unit les deux positions est la défense de l’État démocratique en tant qu’expression des intérêts des “citoyens” d’une nation donnée qui décident de leur propre destin par le vote.
Mais, c’est précisément le poids de cette mystification qui empêche le développement d’une prise de conscience de la nature fondamentale de ce système et de son appareil de la part de la classe ouvrière. La démocratie porte en elle l’idée que la base de la société ne sont pas les classes mais l’individu et que l’individu, en tant que “citoyen”, ne peut agir qu’en déléguant à un groupe plus large (parti, union ou institution) la défense de ses intérêts. C’est ce qui conduit des millions de prolétaires à voter, à croire que tel ou tel parti peut changer quelque chose, malgré la désillusion croissante et le mépris envers les partis, malgré la colère face aux conditions de vie imposées et la conscience que la dignité même de l’être humain est piétinée dans cette société. Le nationalisme renforce cette idée en se présentant comme la seule sphère de défense de l’individu comme faisant partie d’un tout national, où nos intérêts d’exploités pourrait trouver un compromis avec ceux qui nous exploitent et nous oppriment, pour sauvegarder un minimum de sécurité face à un ennemi commun qui risquerait de remettre cela en question (que ce soit l’ingérence d’autres puissances ou l’afflux de migrants). Cela renforce encore la difficulté du prolétariat à se concevoir comme faisant partie d’une classe avec des intérêts distincts du reste de la société, une classe mondiale où des millions de travailleurs sont dans la même position et doivent se défendre contre les mêmes attaques du capital, qu’ils soient en Italie, en Allemagne, en Chine ou en Amérique. Les deux aspects de cette mystification tendent donc à maintenir les travailleurs attachés à l’État et à ses institutions mais, surtout, ils entravent la prise de conscience de la classe en tant que force sociale collective qui peut non seulement se défendre véritablement, mais aussi changer la société concrètement et radicalement.
Le populisme alimente fortement ces mystifications, qui sont les principales armes de la domination de la bourgeoisie. Ce n’est qu’en retrouvant cette identité de classe, d’une classe à la fois exploitée et révolutionnaire, que le prolétariat pourra se confronter au piège de la démocratie, de l’idéologie populiste, et, surtout, lutter à la racine contre le système capitaliste et ses conséquences néfastes pour l’humanité.
D’après Rivoluzione Internazionale, organe du CCI en Italie, 13 juin 2018
1) Voir nos Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, écrites en mai 1990 et republiées dans la Revue Internationale n° 107.
2) Contribution sur le problème du populisme et Résolution sur la situation internationale du XXIIe Congrès du CCI.
A bas la répression policière ! A bas la brutalité des forces de l’état capitaliste ! Le gouvernement n’y est pas allé de main morte dans la répression brutale des étudiants mobilisés contre la loi Vidal réformant l’accès aux études universitaires : Bordeaux, Montpellier, Lille, Nantes, Strasbourg, Nanterre, Paris, Grenoble, Metz, Nancy, Toulouse, et ailleurs, de début mars à fin avril, la liste des facultés où se sont enchaînées les interventions brutales des CRS “afin de libérer l’accès à l’ensemble des locaux universitaires” et de “procéder à l’évacuation des bâtiments occupés illégalement”, avec tabassages, hospitalisations, gardes à vue et poursuites judiciaires à la clef, est longue.
Le flicage croissant, avec un quadrillage de patrouilles de police et même de militaires sur les campus, le déploiement des CRS et l’usage de la force répressive dans l’enceinte des universités sont loin d’être une nouveauté, mais ce qui est inédit dans la situation actuelle depuis 1968, c’est la présence et le caractère systématique de l’intervention brutale de la police. Insultes, menaces et gestes de sauvagerie, tout était bon pour réprimer et intimider en vue de dissuader les grévistes de participer à la lutte. Cela correspond à la volonté arrogante affichée par le gouvernement actuel et les partis de l’ordre de plier les travailleurs et les futurs travailleurs, tous les exploités, aux nécessités de l’économie nationale et aux lois du capital. Les étudiants protestataires, tout comme les ouvriers qui défendent leurs conditions de vie ou de travail ou qui luttent contre la perte de leur emploi, ne sont, dans son esprit (et celui de la bourgeoisie), que des “fouteurs de bordel” qu’il s’agit de mettre au pas ou de mater en utilisant la force et la brutalité, (1) tout cela au nom de la légalité démocratique et de “l’État de droit” qui doit être rétabli “partout” et “en particulier dans les facultés” (Gérard Collomb).
Ce faisant, l’actuel gouvernement agit vis-à-vis des travailleurs et des étudiants en digne rejeton de la bourgeoisie française qui n’a jamais réussi à digérer Mai 68. Si Sarkozy avait rêvé tout haut d’en finir avec “l’esprit de Mai 68”, Macron se targue, lui, d’y parvenir en réutilisant et réhabilitant la matraque.
Le gouvernement Macron s’affirme en pouvoir à poigne, qui fait régner l’ordre, jusque dans la ZAD de Notre-Dame des Landes, un lieu où les scènes dignes des champs de bataille servent à semer la terreur. Un jeune a d’ailleurs eu la main arrachée suite à l’usage de véritables armes de guerre par l’État et ses sbires. La violence et la brutalité sont ainsi montées d’un cran, notamment avec les moyens accrus tels que la grenade offensive GLI-F4 qui est régulièrement mise en cause pour sa dangerosité. Le but est bien de terroriser et de paralyser le plus grand nombre et d’isoler ceux qui cherchent à s’opposer à la politique gouvernementale d’attaques présentes et à venir.
C’est, d’ailleurs, sur tous les plans que l’État blinde son arsenal répressif, en rendant permanent l’état d’urgence, ou avec la loi anti-radicalisation qui, loin de concerner uniquement le terrorisme, vise aussi explicitement tout ce qui est susceptible de mettre en cause la démocratie bourgeoise et son État, en particulier les mouvements de la classe ouvrière et ses minorités politiques.
En plus d’avoir été confrontés à l’arsenal classique des professionnels du sabotage des luttes (les syndicats) et de la répression policière, les étudiants en lutte contre la loi Vidal ont aussi dû faire face à la résurgence de provocations et d’intimidations venant de l’extrême droite. Mi-mars, selon l’AFP, “le lycée autogéré de Paris a été la cible de militants se revendiquant du GUD (un syndicat étudiant d’extrême droite connu pour sa violence), armés de barres de fer qui ont (…) agressé deux élèves”. Le 26 mars, “à Lille, une AG estudiantine a été perturbée à la faculté de droit par un petit groupe d’extrême droite”, selon Libération. Le 4 avril, “des échauffourées ont éclaté devant Tolbiac quand un groupe de jeunes casqués, armés de battes de base-ball, ont lancé des projectiles contre des étudiants et militants qui bloquent le site” (Europe 1). À Tours, le 17 avril, “une lycéenne a été agressée au couteau par trois hommes cagoulés (…) des agresseurs qui feraient partie des jeunesses royalistes” (Nouvelle République). Dans la situation historique actuelle et le contexte de volonté gouvernementale de “reprise en main” sociale, la racaille d’extrême droite, haineuse envers toute forme de remise en cause de la conservation sociale, se sent pousser des ailes. Mais surtout, l’État démocratique a toujours su, comme l’histoire en montre de nombreux exemples, encourager en sous-main, manipuler et mettre à profit, selon ses besoins, l’action de groupes qui peuvent former une force d’appoint ou même se spécialisent dans la répression des mouvements sociaux. (2) L’évacuation de la fac de Montpellier le 22 mars a révélé cette connivence : en effet, ce sont le doyen et au moins un complice, prof de la faculté de droit, qui ont organisé l’intrusion et l’intervention de nervis cagoulés armés de bâtons aux côtés des vigiles de la faculté pour expulser par la violence une AG d’étudiants. “La police qui est arrivée rapidement sur les lieux n’a pas procédé à l’arrestation des personnes cagoulées et armées de bouts de bois. Elle n’a pas pris leur identité. Mieux elle les a raccompagnées gentiment à l’extérieur pour qu’ils puissent rentrer tranquillement chez eux. Quel rôle la police a-t-elle vraiment joué dans cette affaire ? Quel rôle la préfecture a-t-elle joué ?” (3) Puis, avant que la vérité ne s’impose grâce aux preuves filmées postées sur les réseaux sociaux, les autorités n’ont reculé devant aucun mensonge pour étouffer et couvrir l’affaire, “la préfecture (parlant) de son côté “d’échauffourées entre étudiants” à l’intérieur de la faculté, précisant que la police était intervenue à l’extérieur dans le cadre d’un “trouble à l’ordre public” et pour prendre en charge trois blessés” (L’Obs). Afin de dissiper l’effet désastreux de l’évidence de la collusion entre les autorités et les milieux d’extrême droite, les deux hommes de paille de l’État ont (de bien mauvaise grâce) été mis en examen avec la promesse ministérielle de “suites judiciaires” et que “toute la lumière serait faite”. Voilà comment l’État joue les Monsieur Propre en confiant la basse besogne à ses sous-traitants avec la complicité bienveillante de la police et en faisant porter le chapeau aux sous-fifres en cas de hic !
Plus largement, les provocations de l’extrême droite ont fait pleinement partie de la stratégie répressive de l’État. Pour les AG d’étudiants, otages de la stratégie de division de la “convergence des luttes” des syndicats et des partis de gauche, de plus en plus isolées et minoritaires, privées de solidarité active du reste de la classe, les agressions dont, parallèlement, elles ont été victimes ont servi à les polariser sur la violence, le “danger fasciste” et à faire en sorte que le mouvement (en particulier à Paris) se réduise, ou paraisse se réduire, à un affrontement entre groupes d’extrême gauche et d’extrême droite. La première victime a été la lutte elle-même, peu à peu détournée de son but initial de riposter à une attaque étatique et de nécessaire réflexion sur les moyens pour y faire face. Finalement, le gouvernement est ainsi parvenu à désagréger, discréditer le mouvement et à trouver un prétexte pour légitimer la répression légale : “En ce moment, nous assistons à un retour d’une certaine extrême gauche et d’une certaine extrême droite, qui cherchent à en découdre”, a ajouté Vidal. “Le résultat, ce sont les échauffourées (à Tolbiac) qui heureusement ont été calmées par l’arrivée des forces de police intervenues rapidement” (Europe 1). Le mouvement pouvait ainsi être liquidé sous couvert de “nettoyer les facs” des “fauteurs de troubles professionnels de tout type” en se posant comme le défenseur du droit et des valeurs républicaines “contre les extrêmes”.
C’est dans la confrontation entre les classes que l’État démocratique bourgeois révèle son véritable visage et sa nature répressive. L’État démocratique n’est que l’instrument le plus efficace de la dictature de la bourgeoisie pour imposer et défendre son ordre social d’oppression et d’exploitation. Comme le montre sa pratique sur tous les plans, et, plus encore, quand il affronte le prolétariat, tous les moyens officiels et occultes sont bons et tous les coups sont permis contre son ennemi de classe, la limite entre légalité et illégalité n’existe pas.
La classe ouvrière se devra donc inévitablement, elle aussi, d’user de la violence contre cet ennemi de classe. Mais la nature de cette dernière sera radicalement différente, à l’opposé de la terreur d’État comme du vandalisme des blacks blocs. Elle ne sera pas celle d’une vengeance répressive ou aveugle ni favorable à la destruction en soi des biens matériels. Elle sera au contraire une violence libératrice, celle d’une force sociale massive et consciente, désireuse d’abolir l’ordre du capital pour mettre fin à l’exploitation. (4) Dans son mouvement d’émancipation contre un système, la classe ouvrière ne doit nourrir aucune illusion à l’égard de la bourgeoisie et son État. Il est et sera son ennemi le plus impitoyable.
Scott, 25 mai 2018
1) Une “démonstration de force” de cette ampleur n’a toutefois pu avoir lieu qu’en raison de la grande faiblesse du mouvement.
2) Voir nos articles dénonçant le rôle joué par les “racialistes” : Le racialisme : d’où vient-il et qui sert-il ?
3) Communiqué de l’intersyndicale.
4) Pour mieux comprendre notre position sur ce qu’est la violence de la classe ouvrière, lire notre article : Terreur, terrorisme et violence de classe, ainsi que le livre d’Engels : Le rôle de la violence dans l’histoire.
Manifestations, grèves, déclarations médiatiques… ces derniers mois, les syndicats se sont une nouvelle fois présentés comme les grands défenseurs des travailleurs face aux attaques du gouvernement. Mais, une nouvelle fois, ils ont en réalité œuvré à mener la classe ouvrière à la défaite.
Ainsi, quand les syndicats prônent la convergence des luttes, ils travaillent en fait à la division. Alors que la grève des cheminots bat son plein, les employés des catacombes de Paris vivent “leur plus long mouvement social de l’histoire de Paris-musées” (1) (selon la CGT) pour défendre leurs conditions de travail. Pourtant, jamais ces deux luttes, totalement sous l’emprise syndicale, ne seront amenées à combattre ensemble dans une assemblée générale commune.
Du côté des manifestations, c’est la même chose : les syndicats segmentent ! Il n’y a qu’à voir à quoi ressemblent les défilés. Le 19 avril, par exemple, lors de la manifestation de la “convergence” appelée par la CGT et Solidaires, les cortèges se succèdent, bien encadrés et séparés par entreprises, voire même encordés, sonos à fond et aucune AG à la suite… Chacun rentre vite chez soi, dans des bus syndicaux qui repartent toujours rapidement. Marcher ainsi les uns derrière les autres, sans échanger, sans discuter, sans décider, cela épuise et écœure en donnant un sentiment d’impuissance.
Lors des assemblées générales, ce n’est pas mieux. Elles sont théoriquement là pour que les ouvriers prennent leur lutte en main, mais les dés sont pipés. Il n’y a qu’à se pencher sur la grève des cheminots à Marseille lors de l’AG du 24 avril : les ouvriers sont sceptiques quant à l’efficacité de la grève perlée et déclarent “cette grève est à nous, il faut s’en emparer !” (2) Réponse de Gilbert Dhamelincourt, responsable FO de la région PACA, concernant les dates de grève : “rien n’empêche de changer le calendrier… mais il faut que ce soit décidé nationalement”. Autrement dit : vous pouvez avoir des idées, mais, au final, on doit suivre les décisions du syndicat ! D’ailleurs, M. Dhamelincourt, pour contrer l’idée d’AG souveraines, annonce “Moi, si on n’avait aucune AG et qu’on était à 70 % de grève, ça m’irait. La direction et les médias, ce qu’ils regardent, c’est si les trains roulent !” On ne peut être plus explicite... Quand les ouvriers arrivent aux AG syndicales, les décisions sont déjà prises. Elles ne sont que des mascarades pour mieux empêcher la classe ouvrière de prendre ses luttes en mains.
La solidarité ouvrière, elle, est tout autant dévoyée par cette force d’encadrement. “Faisons vivre la solidarité pour défendre les droits des travailleurs”, nous annonce la CGT. Mais il s’agit uniquement de solliciter une solidarité… financière ! Lorsque les syndicats appellent à une solidarité plus large concernant la grève des cheminots, ils appellent à la solidarité des “usagers” et non pas à la solidarité de classe. Ce jeu de substitution de vocabulaire permet de faire oublier le lien qui nous unit : notre appartenance à la classe ouvrière. Pire, il renforce la division, comme si nous n’avions rien de commun, comme si les rapports au sein de la classe exploitée se résumaient à un rapport d’opposition et d’intérêts entre les salariés et les usagers. D’ailleurs, les manœuvres syndicales annoncées pour faire durer coûte que coûte la grève perlée des cheminots durant l’été, alors que le combat est déjà perdu, n’a de sens que pour mieux diviser et épuiser : épuiser les éléments les plus combatifs et diviser la classe ouvrière entre ceux qui ont “le courage de se battre jusqu’au bout” et ceux qui ne peuvent plus supporter les pertes de salaire et surtout la démoralisation liée à la défaite.
La solidarité, l’unité et la force de la classe ouvrière se développent dans la lutte. De cela, une partie de la classe ouvrière en a conscience. Ainsi, les grévistes du PRCI de Marseille (les agents qui gèrent la circulation des trains) en avril ont pris l’initiative “d’aller voir en délégation les infirmiers de l’hôpital Nord pour discuter de ce qui (les) rassemble dans la lutte”. Seulement, là aussi les syndicats sont prompts à s’approprier le terme “extension” pour mieux l’étrangler : à la place d’un déplacement de tous les ouvriers d’une AG vers l’usine, l’hôpital, l’administration voisins, seuls les délégués syndicaux rendent visitent aux délégués syndicaux d’à-côté afin que tout ce joli monde affirme en chœur une belle et, surtout, très platonique “solidarité”.
Dans ces conditions, comment dépasser l’encadrement syndical ? Réapproprions-nous nos moyens de lutte, à commencer par les assemblées générales. Ne nous laissons pas enfermer dans des luttes corporatistes et sans lendemain qui épuisent, à l’image de la “grève perlée” des cheminots. Il ne faut avoir aucune illusion sur ce que sont les syndicats. Tout ce qu’ils mettent en œuvre, ils le font dans l’intérêt du capital, pas de la classe ouvrière !
Irène, 25 juin 2018
1) Fin de la grève pour les agents des catacombes, Le Figaro.fr, 18 juin 2016.
2) Les cheminots veulent casser la prévisibilité de la grève, Libération, 24 avril 2018.
1 200 “individus cagoulés et masqués”, vêtus de noir, cassant du mobilier urbain, des commerces et affrontant les forces de l’ordre : c’est l’image spectaculaire qui a marqué le défilé du 1er mai à Paris. Presse, personnalités politiques, syndicats, sociologues, chacun y a été de son analyse, de sa dénonciation de la violence, de sa tentative pour “comprendre” ces black blocs : “voyous” et “violence gratuite” pour les uns, “militants” et “tactique de lutte” contre le capitalisme pour les autres.
Ce mouvement n’est pas nouveau : l’origine des blacks blocs est à chercher à la fin des années 1980 où la police de Berlin-Ouest invente l’expression schwarze block (bloc noir) pour désigner certains manifestants d’extrême-gauche cagoulés et armés de bâtons, eux-mêmes s’inspirant du mouvement Autonomia, né en Italie dans les années 1960. Leurs actions spectaculaires se répètent en 1999, à Seattle contre la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; à Gênes, en juillet 2001, en se fondant dans des marches pacifiques d’opposants au G8 ; à Strasbourg, en 2009, en marge du 60e anniversaire de l’OTAN ; en octobre 2011, à Rome, lors de la journée mondiale des Indignés contre la crise et la finance mondiale ; en février 2014, aux côtés des opposants à l’aéroport de Notre-Dame des Landes ; en juillet 2017, à Hambourg, dans les manifs anti-G20 ; à l’occasion des manifestations contre la “loi travail” en France, cette même année...
La mouvance black blocs affirme s’opposer au capitalisme, aux gouvernements, aux forces policières et à la mondialisation, refusant les expressions politiques classiques de gauche ou d’extrême-gauche comme leurs slogans anarchisants l’expriment : “Marx attack !” “Sous les k-ways, la plage !” (en référence à Mai 68), “À bas la hess !” (la misère, en arabe). Selon eux, “casser, c’est récupérer l’argent que les multinationales volent au peuple. Faire payer les assurances, les agent(e)s de privatisations, les propriétaires lucratif(ve)s et tou(te)s ceux qui monopolisent les richesses, par les inégalités qu’ils instaurent”. (extrait de tract diffusé le 1er mai)
Les méthodes black blocs, les actions coups de poing ultra-minoritaires d’affrontement avec les forces de l’ordre et le vandalisme n’offrent, en réalité, aucune perspective réelle, aucune alternative à la société capitaliste. En cela, elles s’inscrivent pleinement dans une phase historique qui est celle de la décomposition du capitalisme, où l’action immédiate, nihiliste et destructrice prend le pas sur toute vision politique à long terme, basée sur une expérience historique, sur la prise en charge réellement consciente d’un projet révolutionnaire par les masses ouvrières. Casser, détruire, faire table rase du passé, tout cela est l’antithèse de la lutte du prolétariat pour un autre monde qui s’appuie au contraire de manière consciente sur l’histoire et le meilleur de l’expérience de toute l’humanité.
Ce mode d’action, ces aventures “grisantes” se veulent “héroïques et exemplaires”, méprisant les formes de lutte collectives du prolétariat. Ces révoltes, individualistes, volontaristes, impatientes ne sont que l’expression du poids des couches sociales petites bourgeoises sans avenir. Elles ne sont pas dirigées contre le système capitaliste mondial mais seulement contre des formes et des symboles les plus grossiers de ce système, en prenant l’aspect d’un règlement de comptes, de la vengeance de petites minorités frustrées et non celui d’un affrontement révolutionnaire d’une classe contre une autre.
Exploser un abribus, un fast food ou une vitrine de banque n’a jamais fragilisé le capitalisme, ni financièrement, ni idéologiquement. Cela sert encore moins à “récupérer l’argent volé des multinationales” : les prolétaires seront seulement davantage ponctionnés pour payer le mobilier urbain inutilement détruit et les hausses des assurances ! Les black blocs n’ont donc strictement aucun effet positif sur la lutte du prolétariat et, au contraire, ne servent qu’à faire naître les pires illusions parmi la jeune génération ouvrière sur la possibilité d’emprunter une prétendue autre voie, plus rapide, plus simple, que celle de la lutte de classe.
En réalité, les black blocs constituent même un terrain de prédilection pour les manigances des flics et de l’État. Leurs actions spectaculaires et violentes sont judicieusement exploitées par la classe dominante pour renforcer le flicage et la répression. Ces groupuscules sont d’ailleurs eux-mêmes régulièrement victimes d’infiltrations policières, de flics déguisés qui excitent encore plus ceux qui les entourent afin de faire le maximum de casse et contenir les colères dans des confrontations stériles. Pourquoi ? Parce que la bourgeoisie a parfaitement conscience que ce type d’action renforce son système, en faisant peur, en légitimant la répression, en dégoûtant de la lutte qui “ne sert qu’à casser et non à construire”, à diviser, et plus encore à empêcher de réfléchir aux besoins d’unité de la lutte prolétarienne.
Quand lors d’une fin de manifestation, au lieu de voir les ouvriers les plus combatifs et conscients se rassembler pour discuter, réfléchir, par exemple, sur le mouvement qui vient d’avoir lieu, sur la stérilité des actions proposées par les syndicats, sur comment créer des liens et poursuivre la réflexion dans des groupes de discussion pour agir, quand, au lieu de tout cela, l’État voit des manifestants fuyant les affrontements des CRS et des black blocs, il ne peut que se réjouir !
L’État n’hésite d’ailleurs pas à en rajouter dans le cynisme et la provocation par la voix de son ministre de l’intérieur, Collomb, qui a notamment accusé les prolétaires d’être “incapables” de “maîtriser” ces individus, de leur laisser le champ libre, poussant ainsi les manifestants à se ranger derrière les services d’ordres syndicaux, les gros bras cégétistes en tête.
L’action des black blocs contribue, par ailleurs, à accroître la confusion politique : hier présentés comme gauchistes, libertaires, anarchistes, altermondialistes, ils sont aujourd’hui catalogués comme une expression de “l’ultra-gauche”, expression qu’elle utilise également pour désigner la Gauche communiste. On sait combien l’État est friand des amalgames en tous genres pour mieux préparer la répression. Cela vaut pour aujourd’hui, avec le renforcement des dispositifs policiers et l’encadrement syndical des ouvriers pour les “protéger de la violence”, mais surtout pour l’avenir lorsque la lutte de classe viendra réellement fragiliser le pouvoir.
La “radicalité” des black blocs ne participe donc en rien au processus de maturation de la conscience prolétarienne pour la révolution. Son “programme” n’a rien de révolutionnaire, ni dans son action, ni dans ses slogans, ni dans ses buts. N’en déplaise aux néo-anarchistes qui estiment que “condamner les black blocs, c’est rejoindre le parti de l’ordre” (Dissidence, 15 juin 2007), ce sont bien les black blocs et leurs soutiens qui font le jeu du “parti de l’ordre” !
Les politologues, tout en constatant de manière cynique que “le black bloc met l’ambiance, et crée une convivialité dans la manifestation”, qu’ils “ne vont pas renverser le capitalisme. L’émeute peut être grisante, mais ce n’est pas une révolution...”, établissent de manière totalement artificielle une fausse continuité entre le mouvement des Indignés en Espagne, d’Occupy aux États-Unis et du Printemps arabe avec l’action aveugle des black blocs.
Quelle imposture ! Ces mouvements étaient animés au contraire par une réflexion et des discussions permanentes, par la fraternité lors de grands rassemblements. Il en a été de même lors de la lutte anti-CPE en France en 2006 lorsque la jeune génération étudiante a refusé la confrontation ouverte avec les flics, privilégiant la tenue d’assemblées générales, la discussion et la confrontation politiques, développant l’extension du mouvement dans des manifestations inter-générationnelles et ouvertes à tous : tout ce qui, en fin de compte, reprenait de manière encore balbutiante et parfois confuse les formes historiques de la lutte du prolétariat contre le capitalisme.
Le renversement du capitalisme passera par la lutte de classe, la prise en main de la lutte par le plus grand nombre ; une violence de classe d’une toute autre nature que celle des black blocs : massive et consciente, unitaire et organisée, émancipatrice. Elle s’affirmera avec la prise du pouvoir par les masses ouvrières pour une révolution à l’échelle planétaire.
Stopio, 18 juin 2018
Dans L’État et la Révolution, Lénine écrivait “Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser, pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de “consoler” les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire”. Effectivement, du vivant de Marx, la bourgeoisie a tout fait pour l’empêcher d’agir en le diabolisant, en le persécutant sans arrêt de son arsenal policier. (1) Après sa mort, elle a tout fait pour dénaturer son combat pour détruire le capitalisme et permettre l’avènement du communisme.
L’ensemble des publications, des émissions de radio ou de télévision, produites à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Marx, ne dérogent pas à la règle. De nombreux universitaires saluent désormais les apports de Marx à l’économie, à la philosophie ou à la sociologie, tout en le présentant comme un penseur “hors de la réalité”, totalement “dépassé” ou qui se serait complètement trompé sur le terrain politique. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’émousser son “tranchant révolutionnaire” de militant ! Un des arguments mis en avant aujourd’hui est le fait que Marx ne serait qu’un “penseur du XIXe siècle”, (2) son œuvre ne permettrait donc pas de comprendre l’évolution ultérieure des XXe et XXIe siècles. Une perspective révolutionnaire n’aurait donc, aujourd’hui, aucune validité. La classe ouvrière n’existerait d’ailleurs plus et son projet politique ne pourrait mener qu’à l’horreur stalinienne. Tout l’aspect politique de l’œuvre de Marx serait finalement à jeter aux poubelles de l’histoire.
Mais un volet plus subtil de cette propagande affirme qu’il faudrait piocher chez Marx, le Marx “actuel”, ce qui pourrait en fin de compte valider la défense de la démocratie, du libéralisme et la critique de l’aliénation. Au fond, il s’agirait de comprendre Marx, non comme le militant révolutionnaire qu’il était, mais comme un penseur dont certains aspects de l’œuvre permettraient de “comprendre” et d’améliorer un capitalisme qui, livré à lui-même, “non régulé” par le contrôle de l’État, engendrerait des inégalités et des crises économiques. Au sein de la bourgeoisie, la plupart préfèrent ainsi récupérer Marx en le présentant comme un “économiste de génie”, qui aurait pressenti les crises du capitalisme, qui aurait prédit la mondialisation, l’accroissement des inégalités, etc.
Parmi les thuriféraires de Marx, nombreux aussi sont ses soi-disant héritiers qui, depuis un siècle, des staliniens aux gauchistes, y compris les trotskistes, n’ont cessé, dans le même sens, de défigurer, de dénaturer, de salir le révolutionnaire Marx en le transformant, comme le dénonçait justement par avance Lénine, en icône quasi-religieuse, en le canonisant, en lui dressant des statues. Tout cela, pour présenter mensongèrement, comme du socialisme ou du communisme, la poursuite de la domination du capitalisme dans sa période de décadence, à travers une défense particulière et inconditionnelle de la forme prise par la contre-révolution, celle de la domination du capitalisme d’État selon le modèle édifié en URSS, dans les pays de l’ex-bloc de l’Est ou la Chine.
Avant tout, il est nécessaire de rappeler avec Engels que Marx était d’abord un révolutionnaire, c’est-à-dire un combattant. Son travail théorique est incompréhensible sans ce point de départ. Certains ont voulu faire de Marx un pur savant enfermé avec ses livres et coupé du monde, mais seul un militant révolutionnaire peut être marxiste. Dès sa participation au groupe des jeunes hégéliens à Berlin en 1842, la vie de Marx est un combat contre l’absolutisme prussien. Ce combat devient un combat pour le communisme lorsqu’il chercha à comprendre les causes de la misère d’une partie considérable de la société et qu’il ressentit avec les ouvriers parisiens les potentialités que recèle la classe ouvrière. C’est ce combat qui fit de lui un exilé, chassé d’un pays à l’autre, et qui le poussa dans une misère qui causa notamment la mort de son fils. Il est, à ce propos, véritablement obscène d’attribuer, comme l’a laissé entendre une émission d’Arte, la misère de Marx au fait que ni lui ni sa femme ne savaient gérer le budget familial parce qu’ils étaient originaires de couches sociales aisées. En réalité, tout imprégné de la solidarité prolétarienne, Marx usait régulièrement de ses faibles revenus pour les besoins de la cause révolutionnaire !
Par ailleurs, et contrairement à ce que dit Jonathan Sperber, Marx n’est pas un “journaliste”, mais un militant qui savait que le combat, d’abord contre la monarchie autoritaire prussienne, puis contre la bourgeoisie, exige un travail de propagande qu’il assumera dans La Gazette Rhénane, puis dans La Gazette allemande de Bruxelles et Les Annales franco-allemandes, enfin dans La Nouvelle Gazette Rhénane. Comme combattant, Marx s’investit dans le combat de la Ligue des Communistes et répondit à un mandat donné par la Ligue pour l’écriture d’un texte majeur du mouvement ouvrier le Manifeste du Parti communiste. C’est aussi parce qu’il est un lutteur (comme l’indique le titre de la biographie réalisée par Nicolaïveski et Maechen-Helfen) que la préoccupation du regroupement des révolutionnaires et de leur organisation sera au cœur de son activité. De la même manière, l’ensemble de son œuvre théorique a pour moteur le combat au sein de la classe ouvrière.
Marx a pu développer une immense élaboration théorique car il est parti du point de vue la classe ouvrière, classe n’ayant rien à défendre dans le capitalisme et n’ayant “à perdre que ses chaînes” par sa lutte contre son exploitation. C’est en partant de ce postulat qu’il a compris que ce combat contenait potentiellement la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme dans laquelle l’humanité se débat depuis l’apparition des classes sociales et que la libération de la classe ouvrière permettrait l’avènement de l’humanité réunifiée, c’est-à-dire dire du communisme. Lorsque Jacques Attali affirme que Marx est un “père fondateur de la démocratie moderne”, il n’est qu’un falsificateur au service de la bourgeoisie qui nous présente la société actuelle comme la meilleure qui soit. Le but de cette propagande est d’empêcher la classe ouvrière de comprendre que la seule perspective possible pour sortir de l’horreur du capitalisme agonisant est le communisme.
C’est aussi en partant des besoins de la classe ouvrière que Marx a établi une méthode scientifique, le matérialisme historique, permettant à la classe ouvrière d’orienter son combat. Cette méthode critique et dépasse la philosophie de Hegel, tout en remettant “sur ses pieds” ce qu’avait découvert ce dernier, à savoir que la transformation de la réalité est toujours un processus dialectique. Cette méthode lui a permis de tirer les leçons des grandes luttes de la classe ouvrière comme celles de 1848 et de la Commune de Paris. Sa transmission aux générations suivantes de révolutionnaires, comme à celles de la Gauche Communiste, a également permis de tirer les leçons de l’échec de la vague révolutionnaire de 1917. La démarche de Marx est vivante, c’est en examinant la réalité avec sa méthode et en la confrontant aux résultats obtenus que les révolutionnaires peuvent enrichir la théorie.
En partant du point de vue de la classe ouvrière, il a également pu saisir qu’il était essentiel de comprendre contre quoi la classe ouvrière se bat et ce qu’elle doit détruire pour se libérer de ses chaînes. Il s’est donc engagé dans l’étude des fondements économiques de la société pour en faire la critique. Cette étude lui a permis de montrer que le fondement du capitalisme est l’échange marchand et que c’est l’échange qui est à la base du rapport salarial, c’est-à-dire du rapport d’exploitation de l’homme par l’homme dans le capitalisme. Il est intéressant de comparer ce résultat fondamental avec ce qu’en fait Libération dans sa célébration de l’anniversaire de sa naissance : Karl Marx “montre que l’achat de la force de travail par le capitaliste pose un problème d’incertitude quant à la réalité de l’effort fourni par les salariés” ; en d’autres termes, si on pouvait mesurer le travail de l’ouvrier pour que son effort soit supportable, l’exploitation de l’homme par l’homme serait une bonne chose ; voilà un bon exemple de la façon dont Marx est utilisé pour justifier le capitalisme ! Cela, alors que pour Marx “l’achat de la force de travail” signifie “production de plus-value” et donc exploitation !
C’est aussi à travers l’aspect profondément militant de ses travaux théoriques que Marx a pu dégager, d’une part, que le capitalisme n’est pas éternel et que, comme les modes de production qui l’ont précédé, ce système rencontre des limites et entre historiquement en crise car “à un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une période de révolution sociale” (Contribution à une Critique de l’économie politique). D’autre part, Marx démontre que le capitalisme produit son propre fossoyeur, le prolétariat, qui est à la fois la dernière classe exploitée de l’histoire, dépossédée de tout et la seule classe sociale potentiellement révolutionnaire par la nature associée et solidaire de son travail, une classe qui, en s’unissant au-delà des frontières, est la seule force capable de renverser le capitalisme au niveau mondial pour établir une société sans classe et sans exploitation.
En fin de compte, les “grandes analyses” du XXe et du XXIe siècle qui prétendent, en restant à la surface des événements, soit que la pensée de Marx est dépassée, soit qu’elle est toujours d’actualité parce qu’elle serait “économiste”, celle d’un “précurseur génial” des théories altermondialistes actuelles pour “corriger les excès” du capitalisme, n’ont pour but que de masquer la nécessité de la lutte pour la révolution prolétarienne.
L’identification de la classe ouvrière comme le seul acteur ayant la possibilité de renverser le capitalisme et permettre l’avènement du communisme allait de pair, pour Karl Marx, avec la nécessité pour le prolétariat de s’organiser. Sur ce plan, comme sur les autres, la contribution de Marx est essentielle. Dès 1846, il s’investit dans un “comité de correspondance” afin de mettre en rapport des socialistes allemands, français et anglais parce que, selon ses propres mots, “au moment de l’action, il est certainement d’un grand intérêt, pour chacun, d’être instruit de l’état des affaires à l’étranger aussi bien que chez lui”. La nécessité de s’organiser va se concrétiser dans sa participation constante aux luttes pour la constitution et la défense d’une organisation révolutionnaire internationale au sein du prolétariat. La lutte pour le communisme et la plus profonde compréhension de ce que représentera cette lutte le poussera à mener le combat pour la transformation de la Ligue des Justes en Ligue des communistes en 1847, ainsi qu’à la clarification du rôle que cette organisation devait jouer au sein de la classe ouvrière. C’est parce qu’ils avaient une conscience aiguë de ce rôle que Marx et Engels défendront la nécessité d’un programme au sein de la Ligue des communistes, ce qui aboutira à l’écriture du Manifeste du Parti communiste en 1848.
La Ligue des communistes ne résistera pas aux coups de la répression après la défaite des révolutions de 1848. Mais dès que les luttes reprendront au début des années 1860, d’autres efforts d’organisation vont se manifester. Marx va s’investir, dès ses débuts, dans l’Association internationale des travailleurs (AIT) en 1864. Il aura un rôle majeur dans la rédaction de ses statuts et sera l’auteur de l’Adresse inaugurale. Sa conviction sur l’importance de l’AIT et sa clarté théorique vont faire de lui la personne centrale de l’organisation. Tant dans la Ligue des communistes que dans l’AIT, il mena une lutte déterminée pour que ces organisations assument leur fonction. Ses préoccupations théoriques n’ont jamais été séparées des besoins de la lutte. C’est pour ces raisons que, dans la Ligue, il s’exclamera face à Weitling “Jusqu’à présent, l’ignorance n’a servi à personne” parce que ce dernier prônait une vision utopiste et idéaliste du communisme. C’est aussi pour cela qu’il luttera au sein de l’AIT contre Mazzini qui voulait que l’organisation ait pour objectif la défense d’intérêts nationaux et contre Bakounine qui complotait pour prendre le contrôle de l’AIT et l’entraîner dans des aventures conspiratives se substituant à l’action de masse du prolétariat.
L’élaboration théorique réalisée par Marx est une formidable lumière éclairant la société bourgeoise tant au XIXe siècle que dans les deux siècles suivants. Mais si on considère cette élaboration uniquement comme “compréhension du monde” à l’instar de tous les pseudo-experts de la bourgeoisie qui célèbrent cette année sa naissance, son œuvre restera entourée d’un halo de mystère. Au contraire, alors que la bourgeoisie cultive le no future, la classe ouvrière doit se libérer de ses chaînes. Pour cela, elle doit non seulement se servir des découvertes théoriques de Marx, mais s’inspirer de sa vie de lutteur, de militant. Les moyens qu’il a su développer étaient toujours en plein accord avec le but même de la lutte prolétarienne “transformer” le monde !
Vitaz, 15 juin 2018
1) Ainsi, Engels a déclaré lors des funérailles de Marx “Marx était l’homme le plus haï et le plus calomnié de son temps. Les gouvernements absolutistes ou républicains l’ont déporté. Bourgeois, conservateurs ou démocrates se sont unis contre lui”.
2) Notamment dans la récente biographie de l’universitaire américain Jonathan Sperber, qui a bénéficié d’une large promotion dans les médias, précisément intitulée : Karl Marx, homme du XIXe siècle.
Il y a 170 ans, était publié le Manifeste du Parti communiste : “au congrès du Parti à Londres, en 1847, Marx et Engels furent chargés de mettre sur pied la publication d’un programme théorique et pratique complet. Rédigé en allemand, le manuscrit fut imprimé à Londres en janvier 1848, quelques semaines avant la révolution française du 24 février. Une traduction française parut peu avant l’insurrection parisienne de juin 1848” (Préface d’Engels à l’édition de 1888).
Depuis ce temps, on ne compte plus les publications ni les traductions de cet ouvrage, un des plus célèbre au monde. Aujourd’hui, avec le relatif regain d’intérêt qu’il suscite au sein de petites minorités combatives en recherche d’une perspective révolutionnaire, la propagande officielle de l’État bourgeois se doit de continuer à discréditer fortement l’idée du communisme faisant par contrecoup du Manifeste l’œuvre sinistre et tragique d’un passé sanglant révolu. En assimilant frauduleusement et mensongèrement la contre-révolution stalinienne à l’avènement d’un prétendu communisme qui aurait fait faillite, le Manifeste incarnerait donc un projet “obsolète”, voire “dangereux”. Finalement, comme aux yeux des pires réactionnaires du XIXe siècle, le Manifeste du Parti communiste reste encore aujourd’hui “l’œuvre du diable”.
Au sommet de la vague révolutionnaire mondiale des années 1917-1923, c’est-à-dire bien avant l’effondrement du bloc de l’Est et la prétendue mort du communisme, le Manifeste était déjà calomnié et combattu armes à la main par la classe dominante qui encerclait la Russie des soviets. À cette époque, le Manifeste restait pour les révolutionnaires plus que jamais une véritable boussole permettant de guider le prolétariat en vue du renversement du capitalisme pour son projet révolutionnaire mondial. Dans les conférences faites en 1922 par Riazanov sur la vie et l’activité de Marx et Engels, le Manifeste était considéré comme un pur produit d’un combat de la classe ouvrière. C’est ce que montre ce passage citant Engels lui-même : “les ouvriers se présentèrent et invitèrent Marx et Engels dans leur union ; Marx et Engels déclarèrent qu’ils n’y entreraient que lorsqu’on accepterait leur programme ; les ouvriers consentirent, organisèrent la Ligue des communistes et, immédiatement, chargèrent Marx et Engels d’écrire le Manifeste du Parti communiste”. Ce “consentement” ne fut pas l’objet d’un coup de tête, d’une faiblesse cédant à une “crise autoritaire” et encore moins d’une sorte de “coup de force” de la part de Marx et Engels. Il était au contraire l’objet d’une véritable maturation de la conscience ouvrière et fruit d’un long débat, un produit militant lié à l’activité organisée de la Ligue des communistes : “les débats durèrent plusieurs jours, et Marx eut beaucoup de peine à convaincre la majorité de la justesse du nouveau programme. Ce dernier fut adopté dans ses traits fondamentaux et le congrès chargea spécialement Marx d’écrire au nom de la Ligue des communiste non pas une profession de foi mais un Manifeste”. (1) Il est très important de bien souligner que le Manifeste était avant toutes choses un mandat que Marx et Engels avaient reçu du congrès en tant que militants et non une simple production écrite leur appartenant en propre. À ce titre, une lettre envoyée par le comité central au comité régional de Bruxelles, datée du 26 mars, sur la base d’une résolution adoptée le 24 janvier, devait, d’ailleurs, lui être transmise pour lui demander des comptes sur ses travaux. Marx risquait même des sanctions au cas où il n’assumerait à temps son mandat : “le comité central, par la présente, charge le comité régional de communiquer au citoyen Marx que, si le Manifeste du Parti communiste dont il a assumé la composition au dernier congrès n’est pas parvenue à Londres le 1er février de l’année courante, des mesures en conséquence seront prises contre lui. Au cas où le citoyen Marx n’accomplirait pas son travail, le comité central demandera son retour immédiat des documents mis à la disposition de Marx”.
Marx et Engels, nous le savons, a réussi à terminer son travail en temps et en heure. Parallèlement, Ils n’avaient cessé en amont d’agir dans le sens de développer l’unité du prolétariat en faisant également tout un travail organisationnel exemplaire dont le Manifeste lui-même est à la fois le produit et l’outil en permettant la poursuite : “Les historiens ne se sont pas rendu compte de ce travail d’organisation de Marx, dont ils ont fait un penseur de cabinet. Et ainsi, ils n’ont pas vu le rôle de Marx en tant qu’organisateur, ils n’ont pas vu un des côtés les plus intéressants de sa physionomie. Si l’on ne connaît pas le rôle que Marx (je souligne Marx et non Engels) jouait déjà vers 1846-47 comme dirigeant et inspirateur de tout ce travail d’organisation, il est impossible de comprendre le grand rôle qu’il jouera dans la suite comme organisateur de 1848-1849 et à l’époque de la Première Internationale”.
Tout ce travail militant, au service de l’unité et du combat du prolétariat, se retrouve dans les formulations même du Manifeste qui définit la position des communistes comme “avant-garde” et partie non séparée de la classe ouvrière : “les communistes ne forment pas un Parti distinct (…) ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat”. (2)
Les bolcheviques considéraient en leur temps eux-aussi que le Manifeste du Parti communiste constituait une véritable “boussole”. Voici ce que Lénine disait lui-même du Manifeste : “cette plaquette vaut des tomes : elle inspire et anime jusqu’à ce jour tout le prolétariat organisé et combattant du monde civilisé”. (3) La force théorique du Manifeste n’a été possible, au-delà du propre génie indéniable de Marx, que par le contexte lié à un moment décisif dans l’histoire de la lutte de classe, celui d’une période où le prolétariat commençait à se constituer comme classe indépendante de la société. Ce combat allait permettre au communisme lui-même de dépasserl’idéal abstrait élaboré par les utopistes pour devenir un mouvement social pratique basé sur une méthode scientifique, dialectique, celle du matérialisme historique. La tâche essentielle était alors d’élaborer la vraie nature du communisme, de la lutte de classe, et les moyens d’y parvenir pour atteindre ce but qui devait être formulé dans un programme. Il y a vingt ans, nous affirmions à propos du Manifeste : “il n’existe pas aujourd’hui de document qui trouble plus profondément la bourgeoisie que le Manifeste communiste, pour deux raisons. La première parce que sa démonstration du caractère historique temporaire du mode de production capitaliste, de la nature insoluble de ses contradictions internes que confirme la réalité présente, continue à hanter la classe dominante. La seconde, parce que le Manifeste, déjà à l’époque, a été précisément écrit pour dissiper les confusions de la classe ouvrière sur la nature du communisme”. (4) Le Manifeste est un véritable trésor pour le mouvement ouvrier. En “avance sur son temps”, il donne toutes les armes nécessaires pour combattre l’idéologie dominante aujourd’hui. Par exemple, la critique du socialisme “conservateur ou bourgeois” de l’époque, toute proportion gardée, s’applique tout à fait au stalinisme du XXe siècle et permet de comprendre ce que veut réellement dire l’abolition de la propriété privée : “(…) Par transformation des conditions de vie matérielles, ce socialisme n’entend nullement l’abolition des rapports de production bourgeois, qui ne peut être atteinte que par des moyens révolutionnaires ; il entend par là uniquement des réformes administratives, qui s’accomplissent sur la base même de ces rapports de production sans affecter, par conséquent, les rapports du capital et du travail salarié, et qui, dans le meilleur des cas, permettent à la bourgeoisie de diminuer les frais de sa domination et d’alléger le budget de l’État”. Bien au-delà de ces éléments critiques qu’il est possible d’utiliser comme une arme toujours actuelle, le Manifeste affirme par ailleurs plusieurs éléments essentiels qui restent pleinement valables pour orienter la lutte aujourd’hui :
– la première, c’est de démontrer la crise du système capitaliste, la réalité de la “surproduction”, le fait que le capitalisme et la société bourgeoise sont condamnés par l’histoire : “La société ne peut plus vivre sous la bourgeoisie ; c’est-à-dire que l’existence de la bourgeoisie et l’existence de la société sont devenues incompatibles”.
– le deuxième élément essentiel, alors que la bourgeoise ne cesse de dire mensongèrement que le prolétariat a “disparu” et que seules sont valables les réformes “démocratiques” bourgeoises, prétendument “pour le peuple”, le Manifeste dégage au contraire une perspective révolutionnaire en soulignant nettement ceci : “le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire”. Expression d’une classe universelle par nature à la fois exploitée et révolutionnaire, travaillant de manière associée et solidaire dans les rapports capitalistes de production, son combat s’inscrit et se développe non seulement par rapport à la nécessité mais aussi dans la capacité de mener à bien ce projet. Une des principales clarifications contenues dans le Manifeste réside dans le fait qu’il affirme beaucoup plus clairement qu’auparavant que l’émancipation de l’humanité est désormais dans les mains du prolétariat. Ce dernier doit inexorablement s’affronter à la bourgeoisie sans aucun compromis, il ne peut pas faire cause commune avec elle. Un aspect qui n’était pas si clair que ça jusqu’en 1848 et qui, d’ailleurs, ne l’a pas toujours été par la suite. Rappelons que le mot d’ordre de la Ligue des Justes (“Tous les hommes sont frères”) exprimait encore toute la confusion qui régnait dans le mouvement ouvrier. Le Manifeste affirme au contraire l’antagonisme irrémédiable entre le prolétariat et la bourgeoisie. En cela, il est en fait l’expression d’un pas décisif franchi dans la conscience de classe.
– le troisième porte sur la nature et le rôle des communistes qui doivent être “la fraction la plus résolue (…) qui entraîne toutes les autres : théoriquement ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien”.
– le dernier point, last but not the least, c’est l’affirmation par le Manifeste du caractère internationaliste du combat de classe : “les ouvriers n’ont pas de patrie” qui a toujours été et reste plus que jamais la pierre de touche de la défense des positions de classe, totalement à l’opposé du nationalisme de l’ennemi de classe. Le fait que le Manifeste se termine sur cet appel vibrant : “prolétaires de tous les pays unissez-vous !” en est l’expression la plus forte qui traduit la dimension intrinsèquement internationaliste du combat prolétarien et de la défense de son principe fondamental.
Nous pourrions souligner encore bien d’autres aspects importants déjà présents dans le Manifeste mais nous souhaitons conclure ce bref hommage militant en revenant à ses premières lignes, celle de la non moins célèbre formule elle aussi toujours actuelle selon nous : “Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme”. En effet, nous affirmons que malgré les difficultés qu’il connaît et traverse aujourd’hui, le prolétariat international garde toujours ses capacités et la force de pouvoir mettre à bas l’ordre capitaliste pour le remplacer par une société sans classe, sans guerre ni exploitation. Ce “spectre”, n’en déplaise aux bourgeois, est bel et bien encore et toujours présent !
WH, 3 juin 2018
1) Riazanov, Marx et Engels.
2) Marx et Engels, Manifeste du Parti communiste.
3) Lénine, Karl Marx et sa doctrine.
4) 1848 – Le manifeste communiste : une boussole indispensable pour l’avenir de l’humanité (Revue Internationale n° 93).
Nous tenons tout d’abord à saluer le courrier du camarade D. qui nous donne l’occasion de débattre et de clarifier des questions importantes pour le mouvement ouvrier. À travers les questions que le camarade soulève dans les extraits que nous publions de sa lettre au sujet de notre Manifeste sur la Révolution d’Octobre en Russie (disponible sur notre site web), nous souhaitons esquisser quelques éléments de réponse pour alimenter la réflexion. Beaucoup de sujets sont abordés et nous ne pouvons répondre à tous dans le cadre du présent article. Nous avons donc fait le choix d’aborder une question de fond posée par la lettre du camarade, celle du développement de la conscience de classe touchant au rapport entre le Parti et la classe.
En préambule, après avoir lu avec intérêt et attention ce Manifeste, je tiens à déclarer mon accord globalement avec les positions qui y sont défendues. Quant à l’opportunité de fournir l’effort de le rédiger, de l’imprimer et de le diffuser, elle est tout à fait justifiée. C’est avec ce genre de texte que l’on peut amener ceux qui se rapprochent des positions du prolétariat à se poser les bonnes questions en ce moment et essayer d’y apporter des réponses.
J’ai participé aux réunions publiques de Paris consacrées au centenaire de la révolution en Russie de 1917. Ces deux réunions m’ont laissé des impressions très différentes. La première dont on pouvait qualifier l’atmosphère de “bordigo-léniniste” avec l’approbation par un intervenant membre du CCI de la création et l’activité de la Tchéka. La seconde avec une tonalité beaucoup plus conseilliste avec l’insistance plusieurs fois répétée du mot d’ordre “tout le pouvoir aux soviets”. On retrouve dans le Manifeste aussi un peu cette double appréciation antagonique sur l’existence, pendant la période révolutionnaire, d’un seul ou de plusieurs partis intégralement dans le camp de la révolution et représentant l’intérêt du prolétariat.
On trouve dans le Manifeste une affirmation classique dans la presse du CCI que l’on pourrait qualifier de “léniniste” dans le sens des positions élaborées dans les années 1920-1930 par la Gauche italienne “Mais ce que le développement tumultueux de la conscience de classe entre février et octobre à certainement prouvé, c’était qu’une révolution prolétarienne ne peut réussir sans l’intervention déterminée et la direction politique apportées par un parti communiste” (souligné par moi).
On trouve par ailleurs une autre vision dans d’autres phrases du Manifeste, vision aussi familière dans le CCI et d’une certaine façon incompatible avec la précédente “L’insurrection d’Octobre fut, en réalité, le point culminant de tout ce processus de prolétarisation. Elle correspondait à une influence croissante des bolcheviques et d’autres groupes révolutionnaires au sein des soviets dans toute la Russie”. (souligné par moi).
Par contre la position suivante me semble tout à fait nouvelle dans l’appréciation du CCI de cette période. Je lis la presse du CCI depuis plus de 40 ans et n’ai pas souvenir d’une affirmation aussi nette “La Tchéka a rapidement échappé au contrôle des soviets, sa violence s’est dirigée très tôt surtout contre des sections dissidentes de la classe ouvrière”.
Cette nouvelle appréciation de l’intervention des différents courants politiques se réclamant du prolétariat pendant l’année 1917 et pendant la guerre civile ne me pose pas de problème car je suis d’accord avec ce point de vue. Je pense néanmoins nécessaire pour le CCI d’expliciter sa position soit la révolution se fait sous la direction d’un seul parti qui, d’une façon ou d’une autre, a éliminé tous ses concurrents ; soit elle se fait avec l’intervention active et acceptée par toutes les organisations de ce que le CCI a caractérisé comme le milieu prolétarien (…)
Pour ma part, je rejette la dictature du prolétariat conçue comme la dictature du parti sur l’État de transition puis la dictature de ce même État sur la “société civile” représentée par les conseils ouvriers, les conseils d’usines et les conseils de quartiers d’habitation. Je conclurai par mon accord avec les deux dernières citations du Manifeste “le rôle du parti prolétarien n’est pas d’exercer le pouvoir au nom de la classe ouvrière. En assumant le pouvoir politique, un parti prolétarien sacrifie immédiatement sa fonction principale, qui est d’être la voix critique la plus radicale au sein des organisations de masse de la classe ouvrière”. (Remarque les deux articles soulignés laissent entendre qu’il n’y a qu’un seul parti prolétarien dans la première phrase et plusieurs dans la deuxième phrase – toujours la même ambiguïté).
Dans le courrier que nous adresse le camarade, outre un soutien global à notre Manifeste sur la révolution d’Octobre 1917 en Russie, sont abordées des questions et des réflexions que nous jugeons très importantes, même si nous n’en partageons pas toujours le contenu. Bien que le camarade n’ait pas donné explicitement son point de vue sur une idée essentielle, celle du caractère indispensable du Parti comme condition incontournable de la victoire révolutionnaire du prolétariat, nous pensons qu’il est important de le réaffirmer avant toute chose comme le disait Lénine, “sans parti révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire”. Pour son combat de classe contre la bourgeoisie, le prolétariat ne possède comme arme essentielle que son unité et sa conscience. La force de son unité s’incarne essentiellement par la capacité qu’il a de pouvoir s’organiser non seulement pour se défendre face à l’exploitation, mais aussi et surtout pour pouvoir prétendre au renversement conscient de la société capitaliste. De par ses luttes, parce qu’elle est une classe révolutionnaire, la classe ouvrière sécrète nécessairement des organisations révolutionnaires. En ce sens, le parti n’est pas une entité qui se situe “en dehors” de la classe ouvrière, mais constitue une partie vitale d’elle-même et de son combat. “Le Parti communiste est une partie de la classe, un organisme que, dans son mouvement, elle sécrète et se donne pour le développement de sa lutte historique jusqu’à sa victoire, c’est-à-dire la transformation radicale de l’organisation et des rapports sociaux pour fonder une société qui réalise l’unité de la communauté humaine chacun pour tous et tous pour chacun”. (1)
Mais si la classe ouvrière est bien la classe révolutionnaire, elle est en même temps une classe exploitée. En ce sens, elle est soumise au poids constant de l’idéologie dominante, aux idéologies étrangères, notamment celles de la petite bourgeoisie. Le fait de s’organiser nécessite donc un véritable combat, une lutte politique, elle aussi permanente, pour pouvoir construire et défendre l’organisation face et contre la domination de la société capitaliste. Dans son développement, la conscience de classe n’est pas un processus monolithique, ni homogène et régulier mais sa dynamique est heurtée et contradictoire. Son but est de tendre vers la clarté et la vérité, car seule cette dernière est révolutionnaire et peut permettre une réelle unité et une homogénéité maximale pour la lutte. Par son rôle militant, le parti est un élément clé pour dynamiser ce processus. Pour le CCI, on ne peut donc opposer, comme le fait à tort le camarade, la nécessité d’un parti, l’effort pour sa construction et la possibilité qu’il puisse exister d’autres organisations. Il ne s’agit pas d’une “double appréciation antagonique” de notre part, mais d’une possibilité réelle, liée au caractère hétérogène du processus de prise de conscience. En ce sens, notre Manifeste est parfaitement en cohérence avec notre propre conception. Comme nous l’avons toujours défendu “Le Parti ne peut pas prétendre être le seul et exclusif porteur ou représentant de la conscience de la classe. Il n’est pas prédestiné à un tel monopole. La conscience de la classe est inhérente à la classe comme une totalité et dans sa totalité. Le Parti est l’organe privilégié de cette conscience et rien de plus. Cela n’implique pas qu’il soit infaillible, ni que parfois, à certains moments, il soit en deçà de la conscience prise par certains autres secteurs ou fractions de la classe. La classe ouvrière n’est pas homogène, mais tend à l’être. Il en est de même en ce qui concerne la conscience de classe qui tend à s’homogénéiser et à se généraliser. Il appartient au Parti, et c’est là une de ses principales fonctions, de contribuer consciemment à accélérer ce processus”. Un parti peut être traversé par différentes sensibilités en son sein et même coexister avec d’autres organisations. Tout cela signifie que ces entités devront se clarifier par le processus de la confrontation fraternelle des divergences en vue d’un combat qui se doit d’être le plus unitaire et efficace possible. Contrairement à la bourgeoisie, qui base son pouvoir sur la propriété privée et sur le capital en s’organisant comme telle de manière concurrente, le prolétariat ne possède que sa force de travail et n’a donc pas d’intérêts distincts ou séparés à défendre en son sein. Il forme une classe internationale qui se doit de se concevoir et s’organiser d’emblée à l’échelle universelle pour rompre les chaînes de l’exploitation liée au salariat.
Aussi, dans son raisonnement, le camarade ne semble pas prendre en compte ce qui fait l’unité d’un tel processus, même si ce dernier est hétérogène. Il oppose donc artificiellement deux choses qui font partie d’une même lutte globale :
– d’une part, la fonction du Parti communiste, “qui se constitue sur un programme général et composé de positions cohérentes montrant le but ultime du prolétariat, le communisme, et les moyens pour l’atteindre” dans une phase révolutionnaire.
– d’autre part, la maturation de la conscience au cours du processus révolutionnaire qui s’exprime par l’influence croissante, dans les rangs de la classe, des organisations qui sont restées fidèles au camp prolétarien.
En réalité, il s’agit d’un même processus vivant, devant tendre vers l’unité, mais qui se meut dans une dynamique contradictoire propre à la nature même de la lutte de classe.
Concernant nos réunions publiques, selon cette même logique, le camarade semble déceler une “contradiction” entre “l’approbation par un intervenant membre du CCI de la création et l’activité de la Tchéka” traduisant une “atmosphère bordigo-léniniste” et “une tonalité beaucoup plus conseilliste avec l’insistance plusieurs fois répétée du mot d’ordre “tout le pouvoir aux soviets””. Là encore, il est nécessaire de bien comprendre la réalité d’un processus et de prendre en compte les éléments de contextualisation de nos deux interventions
En fait, ces deux insistances soulignent deux aspects du combat qu’on ne peut séparer abstraitement de la réalité de la lutte de classe. Dans un contexte d’isolement et d’attaques de la part des troupes de l’Entente et de la bourgeoisie mondiale, dans un contexte d’encerclement par les armées blanches et autres forces de réaction, le souci de mise en place d’une Tchéka était parfaitement valable. Mais, il ne faut pas confondre ce point de départ avec ce qu’a pu devenir plus tard la Tchéka comme outil de répression au cours de la dégénérescence de la révolution et ensuite durant la contre-révolution. Du fait de l’amenuisement progressif de la vie politique dans les conseils ouvriers, du fait d’une perte de contrôle par la classe ouvrière sur la Tchéka, cet organe est devenu par la suite un instrument de répression au service de l’État. Il n’est donc pas contradictoire de souligner l’importance “du pouvoir des soviets” comme moyen de contrôle concernant la vie politique et des outils du type Tchéka, même si nous le faisons ici en réponse aux “impressions” du camarade qui fait ce rapprochement entre nos deux interventions en réunion publique alors qu’elles n’avaient pas le même objet et ne traitaient pas de la même question, par ailleurs, dans un tout autre contexte. Ainsi, les différentes “tonalités” du CCI prétendument “bordiguisantes” ou “conseillistes” relèvent davantage d’une conception propre au camarade qui tend à voir les organisations du prolétariat comme séparées, voire même étrangères à la vie de la classe. La conception du CCI ne repose en rien sur une sorte de compromis ou d’amalgame “bordigo-léniniste” et “conseilliste” mais correspond à une toute autre vision, celle d’une centralisation vivante et non pyramidale, unitaire, conforme à la nature du combat de la classe ouvrière. Pour nous, il ne saurait y avoir contradiction ou opposition entre l’affirmation de la “nécessité du parti” d’un côté et défendre “tout le pouvoir aux soviets”. L’un et l’autre sont des expressions d’un combat unitaire qui nécessite de bien comprendre le rapport existant entre les parties et le tout, celles du rapport entre le Parti et la classe dans un contexte déterminé “Il est impossible de supposer le triomphe final du prolétariat sans qu’il ait développé les organes qui lui sont indispensables notamment l’organisation générale unitaire de la classe groupant en son sein tous les ouvriers (les conseils ouvriers), et l’organisation politique – le Parti – qui se constitue sur un programme général et composé de positions cohérentes montrant le but ultime de 1a lutte du prolétariat, le communisme, et les moyens pour l’atteindre”. Parti et conseils, bien que distincts, sont donc liés et indispensables dans un même combat. À la fin de son courrier, le camarade souligne ceci “je rejette la dictature du prolétariat conçue comme la dictature du parti sur l’État de transition puis la dictature de ce même État sur la “société civile” représentée par les conseils ouvriers, les conseils d’usines et les conseils de quartiers d’habitation”. Ceci est parfaitement juste et nous partageons totalement ce point de vue. Mais avant de voir le Parti comme pouvant se transformer en un danger potentiel et possible lors de la période de dictature du prolétariat, il nous semble absolument vital de reconnaître au préalable son caractère indispensable comme outil privilégié du prolétariat pour sa victoire finale. Ne pas assumer cette démarche de défense de la nécessité du parti pour les révolutionnaires constituerait une faute politique impardonnable.
RI, 24 mai 2018
1) Toutes les citations suivantes proviennent de la Revue internationale n° 35.
La période estivale a toujours été un moment privilégié par la bourgeoisie pour profiter que beaucoup de prolétaires soient en vacances, décompressent, se “démobilisent”, pour fourbir ses armes, manœuvrer, faire passer en catimini telle ou telle mesure impopulaire, préparer et planifier avec les syndicats les attaques à venir. Cela bien sûr, dans la mesure où la situation politique et sociale reste relativement calme, permettant d’avoir les coudées franches pour une meilleure efficacité. Macron et son gouvernement ne boudaient d’ailleurs pas leur plaisir de pouvoir surfer sur l’euphorie Coupe du Monde de football et ses nouveaux champions hexagonaux auréolés. Pourtant, dès la mi-juillet, le ballon rond a rapidement été éclipsé par la sortie au grand jour d’affaires dont Macron se serait bien passées. La réalité du capitalisme a repris ses droits face aux illusions entretenues depuis près d’un an.
Une nouvelle énergie politique pour de nouveaux principes ? C’est avec ce slogan que Macron est arrivé au pouvoir, porté par un électorat dégoûté des mensonges, de la putréfaction des forces politiques classiques. Le nouveau gouvernement a tenté de faire vivre pendant la campagne électorale la perspective d’une démocratie “régénérée” et d’un pouvoir rajeuni, propre à faire évoluer la situation économique, politique et sociale, en freinant l’avancée populiste. On allait voir, paraît-il, des hommes et des femmes neufs, de nouveaux principes de fonctionnement, un pouvoir moralisé, assaini.
Que nenni ! L’affaire Benalla a été un révélateur spectaculaire d’un pouvoir macronien aux antipodes de l’image de fabrique qu’il s’était donné et avait asséné tout au long de la campagne électorale. Or, voilà que ressort la vidéo du conseiller personnel de Macron à la sécurité, Alexandre Benalla, en fait barbouze de l’ombre et technocrate d’État, s’offrant lors de la dernière manifestation du 1er mai à Paris, l’occasion de faire le coup de poing “incognito” au milieu de ses collègues flics, sur un couple de manifestants. Gonflé à l’adrénaline d’une baston facile (auxquelles, apparemment, il est habitué) lui permettant de se défouler et d’échapper un peu à l’ennui des bureaux élyséens, cette petite frappe, pardon, ce “serviteur de l’État”, a contribué à sa manière à faire tomber un peu plus le décor du nouveau pouvoir en place : les nouvelles pratiques républicaines et démocratiques du pouvoir bourgeois prétendument revisitées par Macron, restent les mêmes qu’auparavant : conseillers de l’ombre par dizaines dans les coulisses des ministères, pratiques cyniques et manœuvrières à tous les étages de l’État. La décomposition de ce monde capitaliste et de son pouvoir bourgeois s’exprime toujours autant. Pire : alors que l’affaire risquait de sortir sur la place publique, le pouvoir, ministre de l’Intérieur en tête, tentait d’étouffer ce scandale ; un sénateur allant même jusqu’à faire porter le chapeau au couple de manifestants, prétendument situation irrégulière. La victime devenait l’accusée ! Macron lui-même, loin de prendre du recul et tenter de désamorcer et dénoncer de telles pratiques de voyou, viendra défendre publiquement son nervi avec une arrogance singulière, exprimant la réalité de la méthode dont le pouvoir entend assurer l’ordre public, se dévoilant comme chef de clan prêt à en découdre pour défendre les siens attaqués par quelques concurrents du “calife”…
En effet, il y a fort à parier que les fuites en direction de la presse pour dévoiler l’affaire Benalla viennent directement de cliques au sein du propre camp macronien, frustrées d’être mises à l’écart et traitées de “godillots aux ordres du maître” et se vengeant de la façon la plus vile : délation, chausse-trappes et coups tordus !
Cela dit, il existe certainement une tentative d’autres partis pour exploiter ce scandale et saisir toutes les opportunités qui se présentent afin de tenter de reconstruire et faire émerger une véritable opposition capable de présenter, à terme, une alternative au gouvernement de Macron. Mais cela ne peut se faire du jour au lendemain et suppose un travail politique de fond, un plan et une stratégie que cette opposition, encore très divisée, est bien loin d’être capable de pouvoir élaborer.
Loin d’avoir rompu avec l’ancienne sphère politique bourgeoise et ses mœurs décomposées de factions en concurrence les unes avec les autres, le nouvel appareil d’État et son élite macronienne pataugent encore dans la boue et se déchirent entre cliques rivales dans la plus stricte continuité des pratiques bourgeoises précédentes, de droite comme de gauche. Alors que “Jupiter” veut s’affirmer comme l’homme providentiel méritant l’adoration de ceux qui ne vivent politiquement que par lui, les nouveaux venus, cette nouvelle clique bourgeoise inexpérimentée mais aux dents longues, se rebiffent et n’entendent surtout pas entamer leur “investissement” arriviste, nourrissant un panier de crabes qui se révèle au grand jour.
S’il y a démissions, remous, fronde (timide et vite remise à sa place) chez les ministres, les députés et les conseillers de LREM, ce n’est pas tant parce que Macron aurait “trahi” la cause, les principes et le programme affiché au départ, mais parce que les ficelles et les méthodes du pouvoir, l’arrogance, le copinage sont “dignes de l’Ancien Régime”, comme l’ont affirmé certains députés démissionnaires, des comportements visiblement propres à décrédibiliser ces nouvelles élites qui ne tiennent que par un seul homme, Macron.
Alors que ce dernier est fragilisé par une étiquette de “président des riches”, de “méprisant de la république”, dans la perspective de nouvelles attaques gouvernementales anti-sociales, une fraction de ce nouveau pouvoir voudrait mettre les formes pour gagner en efficacité et en crédibilité. La critique commence ainsi à émerger de plus en plus ouvertement, sur des sujets certes sensibles, mais socialement peu explosifs, comme celui de l’interdiction du Glyphosate ou de la mise en œuvre de la PMA. Hulot peut bien démissionner et déclarer ne pas vouloir “perdre son âme”, l’essentiel est sauf : la pression sur le gouvernement ne doit en effet en aucun cas entraver ses objectifs anti-ouvriers. Sur ce plan, toutes les cliques concurrentes de la bourgeoisie sont d’accord.
Ainsi, par exemple, alors que la nouvelle loi asile et immigration voudrait faire passer la période de rétention des étrangers en situation irrégulière de 45 jours à 90 jours et donner les moyens à l’État d’une répression et d’un contrôle plus efficace des migrants, les “frondeurs” ruent dans les brancards et réclament… 60 jours ! Cette attitude hypocrite, voulant se donner de grands airs de générosité, vient bien en fait valider une répression accrue et barbare de l’immigration.
Par ailleurs, concernant les aides sociales, Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, estimait, en mai, qu’ “il y en a trop et qu’elles sont des “trappes à l’inactivité””. Le Premier ministre lui-même est obligé de calmer le jeu. Plusieurs députés macronistes s’insurgent sur “l’erreur de méthode” alors que doit être présenté le prochain budget pour l’année à venir avec son lot de “réformes” et d’attaques dans tous les secteurs, particulièrement dans la fonction publique où 50 000 postes doivent disparaître. L’indignation d’apparence ne fait que traduire les intentions purement politiciennes des uns et des autres. Quant au fond de cette offensive et de l’attaque des conditions de vie de la classe ouvrière, silence radio… Pourtant, voici ce qui nous attend :
– un plan Santé qui veut “rationaliser” davantage les structures hospitalières et de santé pour une réduction “des dépenses inutiles” (sic) alors que la suppression de 16 000 lits hospitaliers sur trois ans est déjà en cours !
– Une “déconnexion” des pensions de retraites sur l’inflation, ce qui va paupériser davantage encore les retraités modestes déjà attaquées par une hausse majeure de la CSG. Mais d’une manière encore plus large, l’attaque générale sur les retraites va se poursuivre en nivelant les régimes par le bas, en individualisant les parcours, en réévaluant bientôt le calcul des points d’indice pour aboutir à des pensions de misère.
– Une réforme de l’administration fiscale, de l’éducation, de la politique du sport, de l’organisation territoriale des “services publics”, de la gestion des routes, etc. Avec en point de mire, la suppression de 20 000 postes en plus des 50 000 autres prévus dans la fonction publique territoriale.
– Un nouveau plan audiovisuel doit aboutir à 500 millions d’économies et à des suppressions de postes conséquentes, alors que la ministre de la Culture, dirigeante d’une maison d’édition, est rattrapée par une affaire immobilière, montrant encore une fois que les mœurs de ces “nouveaux” bourgeois n’ont rien à envier à la “vieille garde” de la bourgeoisie.
– Le plan ELAN pour le logement, lui, se propose de modifier la réglementation pour la construction de nouveaux logements. La modification, par exemple, des règles de la commande publique aboutira à la construction de logements au rabais et à l’émergence des nouveaux quartiers dégradés. Quant à la redynamisation de la politique HLM, les locataires dont les revenus sont supérieurs aux plafonds (en clair ceux qui ont la chance de travailler et de toucher un maigre salaire) devront payer un “surloyer”.
Toutes ces réformes planifiées, le gouvernement a bien l’intention de les mener, conforté par le caractère peu offensif de la classe ouvrière actuellement, comme a pu le montrer la lutte isolée à la SNCF. Si la bourgeoisie développe des attaques d’une telle ampleur, c’est aussi parce que l’État français doit poursuivre la modernisation de son appareil productif afin de soutenir sa compétitivité dans l’arène d’une guerre commerciale de plus en plus exacerbée et agressive face à ses concurrents, tant à l’échelle européenne que mondiale. Dans ce but, l’État doit absolument continuer à “dégraisser” son budget et ainsi faire baisser sa dette publique. Cela ne peut qu’avoir de profondes répercussions sur les conditions de vie de tous les prolétaires. Même si ce gouvernement a peu d’expérience sur la question sociale, la bourgeoisie reste vigilante et s’appuie encore avec confiance sur un encadrement syndical efficace, bien que ces derniers demeurent, eux-aussi, soumis à des luttes d’influence et de cliques en leur sein. Certains, comme FO par exemple, radicalisent déjà leur discours en vue des luttes prochaines afin de mieux stériliser toute forme de réflexion et de contestation dans la classe ouvrière.
De fait, avec Macron aux commandes, la réalité de l’exploitation capitaliste n’a pas changé et ne changera pas. Ce sera comme toujours de pire en pire ! Si sa crédibilité politique parait fragilisée actuellement par telle ou telle affaire qui dévoile les mœurs et la nature profondément bourgeoise de cette nouvelle clique au pouvoir, cela n’entravera en rien sa capacité à porter les coups contre nos conditions de vie et de travail.
La classe ouvrière devra riposter. Pour cela, il lui faudra prendre confiance en ses forces et ses ressources, renouer avec son passé de luttes et retrouver son identité de classe, car le prolétariat tout au long de son histoire, a su faire preuve à maintes reprises de sa capacité à s’opposer aux plans de la bourgeoisie, avec détermination et combativité. Il a su démontrer qu’il était la seule classe capable de poser une alternative à l’échelle internationale à la société capitaliste et à son système d’exploitation en donnant une perspective à l’humanité : le communisme.
Stopio, 3 septembre 2018
Nous publions ci-dessous le bilan d’un collectif d’ouvriers qui cherche à tirer les leçons de la lutte à la SNCF au printemps dernier, précédé des extraits de la lettre que nous avons adressée à ce collectif pour soutenir cette démarche à la fois profonde et combative. Il s’agit d’un événement très important, expression de la vie politique du prolétariat. Cette entreprise remarquable est la confirmation que se développe, malgré les grandes difficultés que traverse la classe, une maturation souterraine de la conscience animée, notamment par des minorités ouvrières. Nous saluons chaleureusement l’initiative de ces camarades, la qualité de leur réflexion engagée, leur volonté d’ouverture au débat, de combattre et résister face à l’exploitation capitaliste.
Camarades,
Nous avons pris connaissance de votre texte “Tirons les leçons de la grève à la SNCF” et nous voulons saluer cette prise de position que nous partageons sur l’essentiel. Cet effort pour se regrouper, pour discuter et réfléchir ensemble, et pour diffuser le bilan de la grève, est pour nous une expression caractéristique d’une classe, le prolétariat, qui, à l’échelle internationale, cherche à résister à l’exploitation capitaliste, à se donner les moyens pour renforcer ses luttes, et qui porte en elle une société débarrassée des classes, la société communiste. Le travail que vous avez réalisé est un moment très important dans le processus vers l’unité, l’auto-organisation et la conscience de classe.
Nous soutenons les leçons que vous tirez de la lutte des ouvriers de la SNCF au printemps dernier et les orientations que vous proposez pour les prochaines luttes. Nous soutenons en particulier :
– le rejet du corporatisme et la nécessité de l’extension de la lutte ;
– le rejet de la défense de l’entreprise, qu’elle soit sous contrôle de l’État national ou pas ;
– le rejet des orientations stériles comme l’affrontement systématique aux forces de répression, ou la prétendue “solidarité financière” qui visait à décourager l’entrée en lutte d’autres secteurs ;
– la nécessité des AG véritablement souveraines où il est possible de discuter et de prendre des décisions ;
– la condamnation des syndicats qui se sont efforcés en permanence de diviser la lutte, aussi bien les plus corporatistes que ceux qui défendaient le mot d’ordre trompeur de la “convergence des luttes”.
Votre dénonciation des syndicats est très concrète et montre clairement aux yeux de tous leur action négative dans les AG, les manifestations et les négociations avec le patron et l’État. Sur leur nature sociale, vous avez parfaitement raison de signaler que “le syndicat a un fonctionnement basé sur l’homogénéité de façade, une structure pyramidale à l’image de l’État”. Ceci s’explique, à notre avis, par le fait que l’ensemble des syndicats a été intégré à l’État dans tous les pays à l’époque de la Première Guerre mondiale qui marquait l’ouverture de la période de décadence du capitalisme. L’organisation de type syndical ne correspond plus aux nécessités de la lutte ouvrière aujourd’hui. Il nous semble très important de comprendre que, lorsqu’ils sabotent les luttes, les syndicats font leur boulot, quelle que soit la sincérité des ouvriers qui y adhèrent. Dans ce sens, nous aurions une critique à vous faire lorsque vous dénoncez “la stratégie syndicale” et non pas “les syndicats” en tant que tel. Peut-être aurons-nous l’occasion d’expliciter cette position du CCI devant vous.(1)
(…) En tant qu’organisation communiste, nous sommes intéressés à participer à vos discussions. Comme vous le dites, “l’urgence est de se regrouper pour discuter et exercer notre esprit critique”.
En attendant votre avis sur ces propositions, veuillez recevoir nos salutations fraternelles,
RI, section en France du CCI
***
Ce texte est la synthèse de discussions menées entre cheminots de la région de Nantes sur le mouvement de mars à juillet 2018. Issue d’échanges entre grévistes, elle se veut une contribution au bilan de cette lutte.
La longue période de grève perlée n’est pas encore terminée, mais le résultat est là. Déroute complète devant les plans gouvernementaux. Ce mouvement, qui se représentait comme le dernier verrou d’un secteur organisé, a subi une défaite sous le regard de tous les travailleurs. Même les responsables syndicaux se grattent la tête pour trouver des conquêtes à mettre à l’actif de la grève : des négociations avec le premier ministre plutôt qu’avec la ministre ; la reprise par l’État d’une partie de la dette de la SNCF, reprise déjà actée par le rapport Spinetta et rendue nécessaire par le changement de statut de l’entreprise en société anonyme (S.A.) Bref : on a gagné que dalle !
Alors un bilan, pour quoi faire ? Cette défaite d’une lutte ouvrière s’inscrit dans la suite impressionnante de revers qui nous est infligée par l’offensive capitaliste. Fort de son succès, le gouvernement va multiplier ses initiatives sur tous les plans (retraite, chômage, etc.) en mettant à profit le sentiment que résister est sans effet. Si l’on veut rompre avec ce sentiment, contribuer à ce que les luttes ouvrières se hissent à la hauteur de cette offensive débridée et retrouver les véritables forces du mouvement ouvrier, il faut un bilan sans concession. Bilan en positif comme en négatif qui doit nous servir pour continuer de militer en apprenant du passé.
On pourra nous dire : vous noircissez le tableau à parler de défaite, il n’y a qu’à voir les chiffres de participation à la grève pour se convaincre du contraire. Oui bien sûr, la base des grévistes a été souvent nombreuse. Mais cette réalité pose encore plus de problèmes. Comment, dans ces conditions de forte participation, arrive-t-on à une sortie de lutte sans qu’aucune concession, même la plus minime, n’ait été arrachée au gouvernement ? Nous sommes d’avis que la critique et l’auto-critique sont vitales pour tirer les leçons de ce mouvement.
Les points de vue développés ici reflètent une expérience locale et limitée. Nous sommes donc très intéressés à les approfondir à la lumière d’autres expériences de lutte (contact : [email protected] [689]). Il est bien possible qu’ailleurs la lutte ait pris des formes différentes. Enfin et surtout, nous voulons ouvrir la discussion dans l’intérêt de l’ensemble de notre classe sociale, sans nous limiter au cadre étroit d’une entreprise. Il n’y a pas de raccourci sur le chemin de l’organisation des ouvriers par les ouvriers eux-mêmes.
Le rapport Spinetta est publié le 15 février. Dans ses grandes lignes est déjà annoncé le contenu du plan gouvernemental : reprise de la dette, transformation de l’entreprise en S.A., mise en concurrence, suppression du statut, etc. Le gouvernement avance ouvertement.
De l’autre côté, c’est l’attentisme. Il faut attendre le 22 mars pour voir la première réaction organisée par les syndicats. Cette journée d’action à Paris est annoncée comme une démonstration de force et c’est le cas… en trompe l’œil. Plusieurs milliers de manifestants dans la rue, qui défilent en deux cortèges parallèles : cheminots d’un côté, salariés de la fonction publique de l’autre. Pour faire du bruit, on a fait du bruit ! Mais entre les fumigènes, les sonos, les pétards éclatés à la masse, difficile de s’entendre et de discuter. Déjà l’option choisie par les syndicats (CGT en tête) apparaît : montrer la force de la corporation organisée du haut vers le bas.
Pourtant des manifestations de la fonction publique ont lieu le même jour dans les différentes villes, à Nantes et ailleurs. On voit déjà que cette option tourne le dos à la recherche d’unité là où les travailleurs, localement, pourraient en maîtriser le développement.
Entre-temps est connu le calendrier de grèves : deux jours suivis de trois jours de reprise du travail. Notre première impression est négative : est-ce vraiment en étalant en longueur le mouvement qu’on va gagner ? Avec ce calendrier, on donne des billes à la SNCF pour la laisser s’organiser (pas de réservation TGV ouvertes les jours de grève, par exemple). On peut se rassurer en se disant que des moyens d’action différents peuvent se compléter et monter en puissance. Il resterait possible de déborder le calendrier intersyndical après les premières périodes de grève.
Des discussions sur les modalités de grève ont lieu, mais la grande majorité s’affirme pour. D’autres y sont favorables avec quelques nuances. Quelques-uns espèrent un mouvement puissant qui déborde le cadre fixé. L’argument principal de cette majorité, ce sont les difficultés à mobiliser. Mais dans l’ensemble il reste difficile de tirer les vers du nez des uns et des autres pour faire un bilan du 22 mars et des suites. Or il y aurait un grand besoin de débattre de l’action.
Participation forte à la grève visible dans les taux de grévistes, aux premières AG aussi (240, le 3 avril) mais rapidement la démobilisation et la routine s’installent.
L’alternance jours de grève / jours travaillés devient une routine, certains choisissent leurs jours en fonction de leurs besoins personnels, du week-end,… La participation oscille entre 60 et 150 grévistes aux AG, avec un rebond parfois à 200. Le train-train s’installe et se reproduit jusqu’au bout de cette période.
Il y a bien des discussions, des interrogations. Mais pourquoi le calendrier de l’intersyndicale CGT-UNSA-CFDT n’a jamais été débordé ?
– il est évident que la masse des grévistes n’a jamais été en position d’aller plus loin que ce cadre, qui s’est imposé sur tout autre initiative. Soyons directs : il manque la détermination chez bon nombre de se déplacer pour construire le mouvement,
– comment l’expliquer ? Les pertes de salaires ne peuvent sérieusement expliquer les freins à la combativité. Les menaces disciplinaires sont réelles, mais pas générales. On constate quelques fois un individualisme affirmé, on croise plus souvent le sentiment d’impuissance. “À quoi bon lutter puisque Macron veut aller jusqu’au bout ?” Ce manque de détermination, de liens actifs avec la grève, peuvent s’expliquer : éloignement du domicile du lieu de travail, des collectifs de travail, poids des restructurations successives, etc.
– mais les doutes sur les méthodes syndicales sont plus que justifiées. L’intérêt de l’AG comme assemblée de débat avait déjà été vidé de sa substance par les syndicats qui organisent le mouvement. On est assommés par la lecture de longs communiqués syndicaux tout faits. En revanche le débat sur place est inexistant. Seules quelques interventions plus “pêchues” rompent cette monotonie, mais ne remplacent pas le véritable débat. L’issue de l’assemblée est connue d’avance.
On a entendu cet argument ahurissant : les cheminots seront plus forts s’ils restent sur leurs revendications propres à la défense de la SNCF et du statut. Rien de plus faux ! L’intersyndicale a travaillé constamment dans une optique corporatiste en mettant en avant l’unité des cheminots (donc entre exécution, maîtrise et cadres), par l’épuisement du mouvement dans la fameuse “vot’action”, etc. Et elle parle au bout du compte d’une “lutte exemplaire” !
En avril, plusieurs mouvements ou grèves locales (Nantes métropole, EDF, étudiant-e-s) permettaient d’envisager une possible extension du mouvement. Cependant les luttes ou début de luttes resteront isolées entre elles, telle la journée d’action (22 mai) de la fonction publique décalée par rapport au préavis SNCF. Les syndicats de ENEDIS de leur côté lanceront une grève large à la toute fin du mouvement cheminot…
La manifestation du 14 avril a vu la succession de deux manifestations : la 1ère appelée par l’intersyndicale, la 2nde par les soutiens de la ZAD de NDDL. Sans être ridicule, la participation à la première est limitée et les cadres syndicaux sont exaspérés parce que le cortège cheminot est dépassé par d’autres éléments. Même si la manifestation reste assez solidaire pour le “deuxième tour”, seule une poignée de cheminots reste sur place. De toutes façons, la manifestation est arrêtée par les flics et stérilisée par les affrontements.
À la fin de la manif du 19 avril, nous avons été accueillis par les forces de l’ordre au bout du pont Anne de Bretagne par un petit jet de gaz lacrimo. Nous avons mis un peu de temps pour arriver à se rassembler devant les anciens chantiers Dubigeon. Plein de monde était déjà parti à cause de l’attente, des gaz et de la mise en place tardive du camion du syndicat pour que les gens prennent la parole. Les mêmes discours aussi longs, nous sommes restés à une centaine de personnes. Par la suite les flics ne sont plus intervenus et sont partis. Pour une manif interpro, c’était bien maigre !
Il faut bien remarquer le peu d’intérêt de la base porté aux autres luttes. Nous voyons peu de curiosité pour aller échanger avec d’autres sur des perspectives communes. Il est remarquable que malgré les nombreuses journées de grève, presque tous les rendez-vous aient lieu dans un rayon de 500 mètres autour de la gare. Des échanges auront lieu (intervention d’un représentant CGT de l’EDF, de groupes étudiant-e-s à plusieurs reprises, rencontre aux finances publiques) sans déboucher sur une quelconque mobilisation.
Chacun reste devant son lieu de travail plutôt que d’aller rechercher l’extension du mouvement. Ces initiatives attirent peu et manquent vraiment de combativité. On voit bien que des mots d’ordre séparés, chacun de son côté, ne sont pas un terrain favorable à la lutte collective.
La création d’une caisse de solidarité et la publicité qui lui est faite dans les médias accréditent l’idée que les cheminots serviraient de bouclier pour les autres travailleurs. Ceux-ci devraient soutenir les cheminots, non par leur propre action et leur lutte, mais par le don d’argent. La Tribune des cheminots (juillet-août 2018) valorise cette attitude de spectateur, pas d’acteur, en reproduisant des messages reçus de donateurs : “merci de vous battre pour vous et pour nous”, “ne lâchez rien, tenez bon”, etc. Les acteurs de cette caisse sont connus : des intellectuels de gauche qui trouvent là leur raison d’exister et les organisations syndicales. Si l’importance des dons témoigne d’une sincère solidarité à la base, la stratégie syndicale de grève longue et d’unité par délégation est une impasse pour l’avenir.
Il existe certes une petite minorité active composée de militants syndicaux ou politiques qui cherche à provoquer des convergences. Mais il ne lui appartient pas de créer des conditions que seul le mouvement des travailleurs peut développer, conditions qui manquent encore. Au printemps 2018, la dynamique du mouvement étudiant était localement assez importante et aurait pu être un terrain de convergences (on fait exception de la lutte à NDDL qui renvoie à une autre composition sociale, d’autres buts et donc d’autres développements). Or le mouvement des cheminots n’est jamais allé vers la solidarité agissante, et c’est par là que les grévistes ont perdu.
Les syndicats sont restés de bout en bout aux commandes de la lutte. Beaucoup de collègues sont critiques, sceptiques, ne se sentent pas représentés par les syndicats, mais ne sortent pas des habitudes de délégation. Nombreux sont les militants de la grève à être encartés ou à s’afficher avec un badge syndical (90 % à vue d’œil). Le rôle dirigeant de la CGT ne lui a jamais été disputé.
Le syndicat a un fonctionnement basé sur l’homogénéité de façade, une structure pyramidale à l’image de l’État. Les AG inter-services sont balisées au préalable par l’intersyndicale et les AG de syndiqués (elles-mêmes dirigées en amont).
SUD n’a pas joué un rôle plus positif : des interventions certes moins corporatistes, plus combatives, mais sa position sur le passage à la grève reconductible est restée très timorée. SUD est resté solidaire de l’intersyndicale et n’a pas cherché à transformer le mouvement dans le sens d’une organisation de la grève par les grévistes eux-mêmes. Ainsi l’enjeu n’est pas d’opposer un syndicat à un autre, mais de débattre d’une orientation sur le fond.
Le matériel syndical est abondant pour diffuser les consignes d’action et les explications techniques. Les syndicats ne manquent pas de propositions et d’inventivité, comme si Macron avait seulement fait de mauvais choix et que d’autres choix seraient à portée de main.
Il n’y a donc aucune explication véritable de la crise qui mène au démantèlement de l’ex-monopole SNCF. Il n’y a pas non plus de contenu positif pour les ouvriers (conditions de travail, nuit et travail décalé, mobilité imposée, salaires, etc.) La CGT défend au contraire le statut avec des droits comme contre-partie des devoirs du cheminot envers son entreprise.
Nous avons dégagé de ces expériences quelques leçons :
1°- Après la fin du calendrier initial (28 juin), la CGT lance de nouvelles journées, elle nous appelle à “continuer la lutte” dans le cadre de cette “mobilisation inédite”. Plutôt que d’appeler à de nouvelles actions qui ne peuvent que reproduire l’échec de celles auxquelles nous avons déjà participé, l’urgence est de se regrouper pour discuter et exercer notre esprit critique.
La classe ouvrière n’est pas épargnée par l’inculcation, dès le plus jeune âge, d’idées puantes : concurrence, chacun pour soi, nécessité d’écraser les autres pour s’en sortir. Face à toute cette pollution dans les têtes, la conscience de classe est notre première force. Cette conscience ne peut s’affirmer qu’en prenant le temps de débattre, de remettre en question les consignes, surtout quand elles viennent des syndicats qui prétendent être nos défenseurs. D’autres mouvements vont venir : il faudra se regrouper dès le début pour favoriser cet état d’esprit et éviter de se mettre à la traîne des événements,
2°- la situation actuelle est marquée par un mécontentement ouvrier général. Mais notre lutte n’a pas été prise en main par les grévistes eux-mêmes, elle n’a pas cherché à déborder le cadre traditionnel du syndicat et des mots d’ordre propres à la SNCF. Or la conscience véritable de la situation passe par des revendications communes aux ouvriers contre toutes les divisions d’entreprises, de régions, de secteurs, etc. puisque nous avons tous en commun d’être salariés (ou privés d’emploi) par le capital,
3°- au-delà de la résistance indispensable au gouvernement et au patronat, il faut donner à notre lutte un contenu beaucoup plus large et radical. Les ouvriers forment la classe qui par son travail est à l’origine du profit. C’est par notre travail que les Vinci, SNCF, Arcelor-Mittal, E. Leclerc, LU et autres capitalistes se battent dans la course au profit. Nous n’avons aucun devoir ou respect à observer pour les entreprises responsables de l’exploitation et la hiérarchie.
Le progrès technique ne doit plus servir à augmenter le chômage et la précarité. Il devrait servir au contraire à réduire drastiquement le temps de travail. Il devient clair que le système capitaliste s’enfonce dans la crise. Défendre nos conditions de vie doit donc déboucher sur une lutte contre ce système dans sa globalité. Nous ne voulons pas servir la machine à fric, mais nous en débarrasser.
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Un collectif d’ouvriers
1) On peut se référer également à notre presse, notamment à la Revue internationale n° 160 et à Révolution internationale n° 471 qui contient l’article : Mouvements sociaux en France. Quelles leçons tirer des dernières luttes ? [690]
A la veille du référendum du 1er octobre, nous avions déjà écrit (1) que pour comprendre ce qui se passe en Catalogne, il n’était pas nécessaire d’étudier l’histoire médiévale catalane, ni de s’imprégner des principes de la Constitution espagnole de 1978. Ce qui se passe en Catalogne s’explique essentiellement par des aspects qui affectent l’ensemble du capitalisme mondial dans la période que nous avons appelé sa décomposition généralisée,(2) dans laquelle, en l’absence de l’alternative révolutionnaire du prolétariat, les tendances au conflit et au chacun pour soi au sein de la classe dirigeante elle-même se multiplient.(3)
Comme nous l’avons dit dans l’article précité sur “l’imbroglio catalan”, les manifestations les plus éloquentes de ce processus de décomposition de la société capitaliste sont : l’irresponsabilité croissante des différentes forces de l’appareil politique de la bourgeoisie et le rôle croissant de ses secteurs les plus “indisciplinés” ; l’enracinement des conflits dans de véritables impasses où aucune des factions ne parvient à s’imposer aux autres ; et, enfin, dans le sillage de cette situation, la montée des tendances à la fragmentation sociale, la recherche de boucs émissaires contre qui décharger toute la colère irrationnelle, la frustration et la peur d’un avenir sombre dans une situation sociale qui pourrit de plus en plus.
Comme dans un récit de la Bible, on pourrait dire que Pujol a engendré Mas, lequel a engendré Puigdemont, lequel, en fuite, a engendré à son tour l’actuel président de la Généralité, Torra. Chacun d’eux pensait pouvoir tenir bien en laisse son successeur, mais les différents “héritiers” ont fini par imposer leur propre survie politique aux appareils politiques qui les ont portés au pouvoir, non pas à cause de leur clairvoyance politique ou de leur capacité à gérer les structures de l’État capitaliste, mais parce que toute leur politique s’est réduite à des fanfaronnades sans conséquences (comme la proclamation pendant quelques minutes de la “République catalane”), des camouflets et des défis (tels que les lois de “déconnexion” de l’État espagnol).(4)
Il faut ajouter qu’aux gesticulations de l’indépendantisme catalan, le nationalisme espagnol a répondu par la même escalade de surenchères. On peut dire qu’Aznar et Felipe González ont eux aussi engendré Rivera et sa Société Civile catalane, ainsi que ceux qui ont récemment défilé dans Barcelone en faveur de l’attachement à l’Espagne, entre autres, des personnalités de l’actuel gouvernement “socialiste”, comme le ministre Borrell lui-même.
Ce qui pousse ce carrousel chaotique de provocations par ceux qui, dans le passé, étaient des fractions “fiables” pour leurs confrères du capital national, c’est précisément l’avancée de la décomposition du système capitaliste dans son ensemble. Contrairement à la classe ouvrière, qui a des intérêts matériels communs dans le monde entier, la classe exploiteuse est fragmentée en une multitude d’intérêts particuliers opposés. Ce qui permet de contourner cette tendance innée à la concurrence et à l’explosion, c’est la peur d’un ennemi supérieur (une autre puissance nationale en cas de guerre impérialiste) et, surtout, d’un ennemi commun : la menace de la suppression de l’exploitation par la révolution prolétarienne mondiale. Étant donné que, dans le monde d’aujourd’hui, ces menaces (guerre mondiale ou révolution) n’apparaissent pas comme un risque perceptible pour de nombreuses fractions de la classe capitaliste, la perspective que nous avons exposée dans nos Thèses sur la décomposition se réalise d’une manière de plus en plus chaotique : “L’absence de la moindre perspective (si ce n’est de rapiécer l’économie) vers laquelle elle peut se mobiliser en tant que classe, et lorsque le prolétariat n’est pas encore une menace pour sa survie, conduit la classe dirigeante, et surtout son appareil politique, à une tendance à l’indiscipline croissante et au chacun pour soi”.
C’est précisément par l’État démocratique que la bourgeoisie des pays les plus développés parvient non seulement à dissimuler sa dictature de classe avec le masque de la “libre expression de la volonté populaire”, mais aussi à trouver les mécanismes pour aménager les intérêts des différentes factions.
Le gouvernement du PP (Parti Populaire de droite, au pouvoir à ce moment-là) a agi de façon particulièrement maladroite dans ce domaine. Il n’a pas eu d’autre réponse au défi catalaniste que le Code pénal, ce qui a donné aux indépendantistes l’auréole de martyrs. En outre, elle a créé un problème supplémentaire : le pouvoir judiciaire, plein d’ “ultras” espagnolistes, a eu tendance à devenir autonome et a traduit sa fonction répressive avec une rigueur disproportionnée, remplissant les prisons de “prisonniers politiques” et provoquant l’exil ostentatoire de Puigdemont et de ses acolytes, ce qui a créé un problème d’image démocratique au sein de l’Union européenne, que ce gouvernement n’arrête pas de mettre en avant avec beaucoup de soin devant les autres États.
Cette attitude irresponsable de la part d’une partie importante de l’appareil politique espagnol a offert aux gestionnaires catalans (tout aussi irresponsables) du Procés Constituent (5) un argument politique majeur, au nom de l’antifascisme. Ce n’est pas un hasard si, après la vague d’emprisonnements de conseillers (ministres) de la Generalitat ou la maladresse de la tentative d’extradition de Puigdemont, les indépendantistes catalans ont appelé à des mobilisations “transversales” sous prétexte qu’il ne s’agissait plus de défendre la nation mais de sauvegarder la démocratie. Ce n’est pas un hasard si la gauche, en particulier, (du PSOE à la CUP, y compris Podemos), mais aussi les syndicats espagnols (les Commissions ouvrières, sous influence stalinienne et l’UGT, proche du PSOE) ont pris part à ces mobilisations pour empêcher que l’argument de l’antifascisme, face auquel le prolétariat espagnol est si vulnérable,(6) ne soit monopolisé par le mouvement Procés Constituent avec l’usure que cela entraînerait pour cette mystification. En effet, quelques semaines après ces manifestations massives, Puigdemont a désigné Torra, connu pour ses propos xénophobes et suprémacistes contre les Espagnols, qui est un organisateur des hommages aux frères Badia (membres des tristement célèbres Escamots, ces milices paramilitaires de l’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) dans les années 1930, qui s’étaient particulièrement illustrés par leurs tortures cruelles infligées à des militants ouvriers et surtout des anarchistes), et l’un des principaux “facilitateurs” des contacts entre le nationalisme catalan et la Ligue du Nord italienne.
Mais on peut en dire autant des rangs des défenseurs du nationalisme espagnol. Pendant la transition démocratique, la bourgeoisie espagnole, parrainée par les principales démocraties du monde, a tenté de dissocier l’idée de nation espagnole de la vision dictatoriale et arriérée du régime franquiste. Pour cette raison, le concept de nation, qui est la base de la cohésion de la classe capitaliste de chaque pays et le mirage d’un soi-disant intérêt commun entre exploiteurs et exploités espagnols, ne peut être accaparée par une formation telle que Ciudadanos (le “mouvement citoyen”) qui fait de la lutte contre les “privilèges” des nationalistes indépendantistes la caractéristique essentielle de toute sa politique. Comme nous l’avons montré dans un autre article de notre organe de presse en espagnol, Accion Proletaria,(7) l’accusation contre la mauvaise orientation de la politique de Rajoy est, dans une large mesure, une opération de différents secteurs de la bourgeoisie espagnole pour empêcher le nationalisme espagnol de tomber exclusivement entre les mains de Rivera, qui n’a pas seulement le nom en commun avec le fondateur du fascisme espagnol (la Phalange, fondée par Primo de Rivera).
Quand on regarde ce qui s’est passé en Catalogne ces derniers mois, on a l’impression d’assister à l’un de ces jeux de société où, obstacle après obstacle, on revient à la ligne de départ. Après l’impasse de la proclamation “virtuelle” de la République catalane (qui était une proclamation et ne l’était pas en même temps), la bourgeoisie espagnole a décidé de supprimer l’autonomie catalane (une suppression également virtuelle parce qu’elle “supprimait” et en même temps “laissait agir”). La bourgeoisie misait sur le fait qu’en secouant les gobelets lors d’une nouvelle élection, les dés, également par pur hasard, apporteraient un résultat différent cette fois-ci. Mais cette “boucle” a ramené au Parlement catalan une majorité de partisans de l’indépendance, encore une fois incapable de la mettre en œuvre. Mais ils ne peuvent pas non plus revenir en arrière ! Ils ne peuvent même pas faire appel à la saga d’une défaite comme celle de 1939. Ils ne savent tout simplement pas comment faire évoluer la situation. Ils auraient besoin que l’ennemi hisse le drapeau blanc, mais pourquoi le ferait-il ? Les deux factions attendent que les adversaires abandonnent, mais n’ont rien pu faire pour s’imposer.
Tous deux ont cherché des alliés extérieurs sur lesquels s’appuyer pour obtenir un avantage. Rajoy a rendu public jour après jour le soutien de Merkel, Macron et de tous les dirigeants de l’UE et de l’ONU en faveur de “l’État de droit” espagnol et leur crainte que le fléau de l’indépendantisme ne s’étende également à leurs pays. Pour leur part, les indépendantistes catalans ont exploité le zèle répressif de l’État espagnol (autant les images des coups portés le 1er octobre que le zèle de la justice espagnole à poursuivre les dirigeants indépendantistes pour des délits difficilement homologables par d’autres démocraties européennes). La situation a dégénéré en une sorte de ras-le-bol et de détachement croissant des bourgeoisies européennes par rapport à l’imbroglio catalan qui a conduit à des situations de plus en plus inconfortables pour elles-mêmes. On laisse les choses en stand-by en attendant l’apparition d’une sortie viable.
Il semble que le nouveau gouvernement “socialiste” se soit vu confier la tâche de réorienter, de manière moins abrupte, la stratégie face au défi de l’indépendance, en offrant des “pistes d’atterrissage” aux secteurs du nationalisme catalan qui sont de plus en plus sceptiques quant à la viabilité du processus ou de pouvoir profiter de la paralysie actuelle qui, entre autres choses, les empêche de gérer les ressources de l’administration autonome catalane comme bon leur semble. Parmi ceux qui souhaitent se débarrasser des politiciens comme Puigdemont ou Torra, on trouve, même devant les juges de la Cour Suprême, de nombreux militants de l’ancienne Convergencia, ainsi que de l’ERC ou la grande majorité d’En Comú Podem, etc. Pour développer une telle stratégie, le PSOE a l’expérience de savoir diviser avec plus de finesse “l’ennemi” contrairement aux coups de bâton du PP et de Ciudadanos, lesquels ont servi de stimulant à l’unité, même à contrecœur, des différentes composantes du front de l’indépendance. Le PSOE bénéficie également du soutien indéfectible de l’ancien présentateur de télé autrefois connu sous le nom de “Fléau de la caste des puissants”, Pablo Iglesias et de son parti Podemos, devenus aujourd’hui des “entremetteurs” distingués du gouvernement du PSOE.
Il est trop tôt pour savoir si, sous le gouvernement de Pedro Sánchez, les différentes factions de la bourgeoisie pourront débloquer cette situation. Pour l’instant, ce que l’on peut dire, c’est qu’elles ont décrété une trêve, une sorte de “temps mort plus ou moins durable” afin de trouver quelque chose qui puisse leur fournir une issue de secours “honorable”. La première proposition de ce gouvernement a été de revenir sur ses pas à propos du Statut d’Autonomie approuvé par le Parlement espagnol en 2006 sous les auspices du précédent gouvernement du PSOE de Zapatero. Le problème est que ce statut, qui a déjà été contesté par le PP devant la Cour constitutionnelle, n’a même pas été approuvé par la majorité de la population de Catalogne. Mais la réalité sociale n’est pas comme du poisson congelé. Bien au contraire. Le tissu social est devenu de plus en plus pourri.
La première proposition de ce gouvernement a été de revenir au Statut d’Autonomie approuvé par le Parlement espagnol en 2006 sous les auspices du précédent gouvernement du PSOE de Zapatero. Le problème est que ce statut, qui a déjà été contesté par le PP devant la Cour constitutionnelle, n’a même pas été approuvé par la majorité de la population de Catalogne (8). Mais la réalité sociale n’est pas comme du poisson congelé. Bien au contraire. Le tissu social est devenu de plus en plus pourri.
Pendant que les politiciens de l’État bourgeois amusent la galerie avec leurs multiples réunions, leur rencontres, leurs propositions…, dans la rue, ce qui progresse, c’est la fracture sociale, non pas dans le sens de classe exploitée contre exploiteurs mais au sein de la population elle-même, entre voisins, entre collègues, etc. Nous avons vu récemment le chef de Ciudadanos désigner publiquement par leur nom les enseignants d’une école qui, de leur côté, avaient fait de la délation dans leur classe, en interpellant des enfants des gardes civils impliqués dans la répression du 1er octobre. Nous avons également vu des images de villes où les voitures des “espagnolistes” étaient bombées de peinture pour être désignées à la vindicte. Sur les plages, il y a des affrontements entre ceux qui plantent des croix jaunes pour revendiquer leur soutien aux prisonniers “politiques” indépendantistes (membres, par ailleurs, d’un gouvernement qui avait procédé à des milliers de licenciements, d’expulsions, de coupes dans les services de santé, etc.) et ceux qui démolissent ces croix, mais non pas parce que de tels prisonniers soient des ennemis de classe, mais parce qu’ils sont des ennemis de leur tribu ou de leur clan (les “unionistes” contre les indépendantistes).
Il y a une prolifération d’initiatives apparemment divertissantes et burlesques comme Tabarnia, sorte de pays imaginaire formé par les provinces de Tarragone et Barcelone, présidé par le bouffon Boadella qui engloberait la Catalogne soi-disant moderne (?), productive et fervente espagnoliste qui devrait se débarrasser de Tractoria, la Catalogne rurale arriérée, pleine d’atavisme nationaliste. Tabarnia et Tractoria ne sont pas des ressorts inoffensifs de comédie. Le clown italien, Beppe Grillo, avec son aura de railleur “anti-système” a été le coussin sur lequel le cul xénophobe de Salvini s’est assis.
Les nationalistes espagnols de Tabarnia partagent avec leurs rivaux catalans le même discours xénophobe et d’exclusion que Salvini distribue à jet continu avec l’aide des bouffons du Mouvement 5 étoiles. Les nationalistes espagnols de Tabarnia partagent avec leurs rivaux catalans le même discours xénophobe et d’exclusion que Salvini distribue à jet continu avec l’aide des bouffons du Mouvement 5 étoiles.
La logique de ces messieurs de Tabarnia est celle de sauvegarder l’État-providence pour les privilégiés de la “forteresse” européenne et américaine sans la “gaspiller” pour aider des centaines de millions d’autres êtres humains dans le Tiers monde. C’est la même discrimination criminelle que celle du cri : “l’Espagne nous vole” des nationalistes catalans qui protestent contre les subventions aux chômeurs d’Andalousie ou d’Estrémadure, ressources qui devraient servir à rendre encore plus de grandeur à la “prospère” Catalogne. C’est aussi la même logique qui encourage les CUP et leurs CDR à harceler les entreprises qui ne manifestent pas un enthousiasme débordant au sujet de l’indépendance, tout en assurant la paix sociale pour les entrepreneurs qui embrassent cette cause. Dans une vulgaire imitation de la devise de Trump, “America First”, les prétendus “anticapitalistes” (sic !) de la CUP proposent de consommer “catalan” comme résumé de leur proposition pour une économie durable et “socialiste”.
Tous ces gens comprennent quelque part que “le navire capitaliste est en train de couler” et qu’il faudrait jeter des millions d’êtres humains à la mer pour le sauver. Pour Salvini, ce sont les migrants, pour Tabarnía ce sont “ceux de la Catalogne profonde”, pour Puigdemont, la CUP et d’autres, ce seraient les Andalous, les Estrémaduriens et d’autres “espagnolistes fascistes”. Rien de ce qu’ils proposent n’est en dehors du système capitaliste. Ce que cela exprime, ce n’est surtout pas leur contribution à l’histoire de l’humanité (le développement des forces productives et d’abord et avant tout de la classe du travail associé : le prolétariat), mais le pourrissement et la dislocation.
Cette société pourrie doit être enterrée. Le fossoyeur ne peut être que le prolétariat. C’est le producteur associé mondial des principales richesses et services ; ses souffrances universelles concentrent les souffrances de toute l’humanité opprimée et font de lui le porteur d’une révolution universelle. Par ses propres conditions matérielles : être la classe exploitée de la société capitaliste et en même temps ne pas être divisée en intérêts particuliers, elle peut donner une issue non pas vers l’exclusion d’une partie de l’humanité mais vers le dépassement de toutes les divisions nationales, religieuses, culturelles, etc. Une solution, donc, pour tout le genre humain.
Cela fait maintenant 44 ans qu’eu lieu la grève de l’entreprise Laforsa dans le Bas Llobregat barcelonais, l’un des plus magnifiques épisodes de la solidarité ouvrière. A cette occasion, tous les travailleurs ont réagi à un licenciement disciplinaire d’un camarade avec un slogan qui parcourait les quartiers et les villes : “C’est nous tous ou personne”. L’entreprise a tenté de saboter cette solidarité en licenciant d’autres collègues ou en soudoyant d’autres avec des augmentations de salaire, des promotions, etc. Ce cri n’a résonné qu’avec plus de force “Ou tous ou aucun de nous”. Nous rappelons cet exemple en hommage à cette solidarité qui constitue la base de l’unité et des luttes des travailleurs. Si le pourrissement social, idéologique et moral du capitalisme finit par imposer l’idée que cette solidarité est une relique du passé, qu’elle est contre-productive pour notre survie, ou qu’elle doit être limitée à l’environnement local et immédiat, alors l’humanité sera condamnée.
Nous réitérons donc l’alerte avec laquelle nous avons conclu le tract (Le passé réactionnaire est dans la démocratie et la nation, l’avenir est dans le prolétariat) que nous avons distribué dans les jours qui ont suivi le 1er octobre 2017 : “Le danger pour le prolétariat et pour l’avenir de l’humanité est qu’il soit piégé dans cette atmosphère irrespirable qui se crée autour de l’imbroglio catalan : ses sentiments, aspirations et pensées, ne graviteraient plus autour de quel avenir pour l’humanité, sur les salaires de la misère ou sur quelle issue face à la dégradation générale des conditions de vie ; au contraire, ils seraient polarisés sur le choix entre l’Espagne et la Catalogne, sur la Constitution, sur le droit de décider, sur la nation…, c’est-à-dire, les facteurs qui ont contribué à la situation actuelle et menacent de la porter à son paroxysme”.
Valerio, le 23 juin 2018
1) Cf. L’imbroglio catalan montre l’aggravation de la décomposition capitaliste.
2) Lire nos Thèses sur : La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme, dans la Revue Internationale n° 107.
3) Dans la Résolution sur la situation internationale de notre dernier Congrès International, nous analysons les différentes expressions de ce processus.
4) On peut se demander : quel genre de “déconnexion” peuvent-ils faire alors que l’important déficit de l’administration régionale catalane oblige ses autorités à dépendre du fameux FLA (Fonds de liquidité régional), qui consiste en des prêts accordés par le gouvernement central espagnol, qui à son tour les quémande à l’Union européenne ?
5) Organisation indépendantiste se présentant comme un mouvement social sur la base essentielle de l’antifascisme créé en 2013 qui, avec deux autres fractions, la CUP et Som Alternativa, ont “élaboré” et signé en commun un manifeste sous forme de plateforme gouvernementale en 2017 pour soi-disant “construire une République sociale” en Catalogne.
6) En particulier depuis la guerre de 1936-39 (voir notre brochure : Franco y la república masacran al proletariado), mais aussi plus récemment avec la tromperie de la transition démocratique des années 1970.
7) Gobierno PSOE : ¿Qué hay detrás de la moción de censura ?
8 Avec une abstention dépassant 50 % et le vote contre (20 % des voix) prôné par ERC.
Ces derniers temps, la bande dessinée s’est emparée des vies de révolutionnaires illustres. Après Auguste Blanqui et Louise Michel, c’est au tour de Rosa Luxemburg et de Lénine d’avoir leur biographie sous forme de romans graphiques. Se plonger ainsi dans la vie mouvementée et passionnante de ces grandes figures du mouvement ouvrier n’est pas simplement un réel plaisir, c’est aussi une absolue nécessité. La classe ouvrière a perdu son identité, elle ne sait plus qu’elle existe et a perdu la mémoire de son passé. Ses luttes, ses organisations, sa capacité par exemple à mettre fin à la Première Guerre mondiale, tous ces trésors d’expériences, sources de confiance dans les capacités révolutionnaires du prolétariat et donc en l’avenir, sont aujourd’hui oubliés. Parcourir les dessins et les bulles d’une bande dessinée faisant revivre les événements de la Commune de Paris de 1871, la Révolution russe de 1917 ou les insurrections allemandes de 1919 est l’un des moyens de se réapproprier ce passé, de recouvrer la mémoire ouvrière. Le prisme de la biographie rend l’œuvre plus concrète, plus vivante. Il permet de comprendre et sentir la force qui animait ses révolutionnaires : leur dévouement à la cause prolétarienne, leur implication en tant que militant dans un mouvement organisé, leur courage face à la répression et, peut-être surtout, leur résistance face aux pressions idéologiques de la bourgeoisie, qui souvent s’incarnaient par une lutte à l’intérieur même des organisations révolutionnaires, pénétrées par cette idéologie de la classe dominante. Toutes ces bandes-dessinées montrent clairement que la vie des révolutionnaires est une vie de combats politiques incessants. Seulement toutes ces œuvres ne sont pas égales. Certaines, toujours critiquables et perfectibles, retracent honnêtement la trajectoire de leur personnage historique. D’autres, au contraire, font intégralement parti de la propagande, relayant en dessin les mensonges les plus éhontés dont la bourgeoisie a toujours accablé les révolutionnaires. Si la bande dessinée Rosa la rouge de Kate Evans fait partie de la première catégorie, indéniablement le Lénine de Denis Rodier et Marie Pierre Rey nourrit la seconde.
La bande-dessinée Rosa la rouge, aux traits si dynamiques, nous permet de plonger avec délice et intérêt dans les combats de Rosa Luxemburg. Kate Evans a le souci permanent de rester fidèle à la vie de son personnage, même si, pour les besoins du récit, il était indispensable d’établir une tension entre la réalité historique et la fiction. Comme l’exprime l’auteur elle-même, “parce qu’il est impossible de rendre pleinement compte d’une vie aussi riche que celle de Rosa en 179 pages, des événements mineurs ont été omis, des personnages secondaires ont été fusionnés et en quelques endroits la chronologie a été inversée pour souligner le caractère dramatique du récit”.
Cette BD retrace donc l’existence de la révolutionnaire depuis son enfance dans un petit village aux confins de la Pologne orientale jusqu’à son assassinat à Berlin en 1919 par les corps francs. Avec une grande sensibilité, Kate Evans entremêle la vie politique et la vie personnelle de cette combattante révolutionnaire et montre avec acuité à quel point le militantisme fut au cœur de son existence, une vie mise au service du combat pour l’émancipation de l’humanité. De manière générale, l’auteur ne relaye pas les préjugés qui collent à la peau de Rosa Luxemburg : la féministe ou encore la bonne démocrate pacifiste. Au fond, tout ce qui contribue à émousser le tranchant révolutionnaire de son œuvre, la rendant inoffensive et la présentant comme l’anti-modèle de Lénine et des bolcheviks.
A l’inverse, cette BD met en évidence le militantisme intransigeant et exemplaire de Rosa Luxemburg à travers des épisodes marquants de sa vie : sa lutte contre l’opportunisme au sein du SPD, sa participation active à la Révolution de 1905 dans l’Empire de Russie, ses appels répétés à ce que le prolétariat s’oppose à la Première Guerre mondiale au nom de l’internationalisme, son rôle prépondérant au sein du groupe Spartakus au cours de la Révolution allemande de 1919 pour faire triompher les principes communistes alors que le SPD jouait désormais le rôle de bourreau du prolétariat allemand. Une vie marquée donc par la détermination à défendre sans cesse les positions marxistes et révolutionnaires.
Sans l’élever au rang d’héroïne et encore moins de martyre, Kate Evans rend un vif hommage au courage dont a fait preuve cette combattante du prolétariat durant toute son existence ; calomniée, persécutée, enfermée à plusieurs reprises pour finir traquée et assassinée sous l’ordre de la social-démocratie dans une atmosphère de pogrom contre les spartakistes et ses principaux animateurs.(1)
Certes, il était impossible de traiter tous les grands moments du mouvement révolutionnaire auxquels Rosa Luxemburg a participé. Il est malgré tout regrettable que cette BD n’aborde pas véritablement la proximité politique qui l’unissait à Lénine et aux bolcheviks sur les grandes questions de principes. Ce qui n’empêchait pas les désaccords sur certains sujets. Signalons, par exemple, que le soutien indéfectible que porta Rosa à la Révolution d’Octobre n’est pas du tout traité dans cet ouvrage. De même, les masses prolétariennes sont absentes de la trame du récit alors qu’aux yeux de Rosa, elles doivent jouer un rôle déterminant au cours du processus révolutionnaire. (2)
Kate Evans semble ici prisonnière de son statut d’artiste, seule devant son œuvre, ne percevant la réalité qu’à travers le prisme des individus, elle montre sa difficulté à replacer Rosa Luxemburg dans le mouvement collectif de la classe ouvrière. C’est pourtant bien la classe ouvrière qui a gagné Rosa Luxemburg au communisme, c’est bien la lutte historique du prolétariat incarnée par ses organisations révolutionnaires qui a gagné Rosa Luxemburg au militantisme, et ce sont bien les grèves de masse en Pologne et en Russie de 1905, la révolution en Russie de 1917 et les insurrections en Allemagne de 1919 et 1920 qui ont imprégné Rosa Luxemburg. Elle était l’une des combattantes, particulièrement claire, consciente et importante, de la multitude d’ouvriers révolutionnaires regroupés en organisation et conseils au début du siècle dernier. Son œuvre et ses activités ne peuvent se comprendre qu’en étant intégrées aux combats de la classe ouvrières et aux débats animant la vie politique prolétarienne. La dernière double-page révèle ainsi les conséquences concrètes de ce manque et de ces confusions en laissant penser que toutes les luttes actuelles, quelle que soit leur nature, peuvent se réclamer du combat de Rosa. Or, pour cette dernière, seule la classe ouvrière, dernière classe révolutionnaire de l’histoire, peut mettre fin à toutes les formes d’oppressions qu’elles soient de sexe, de race, d’ethnie, etc. Car c’est en réalité l’exploitation capitaliste qui les alimente et les maintient en vie. Par ailleurs, la postface de l’album semble dire que les héritiers ou l’héritage de Rosa serait assuré par les trotskistes : “les partisans de Trotski, assurément beaucoup plus favorables, prirent fait et cause pour elle. De nombreux articles publiés dans leurs revues la présentaient comme une dirigeante illustre qui, si elle avait vécu, se serait certainement accordés avec Trotski et aurait appuyé ses orientations stratégiques. Ce dernier considérait comme une mission de dénoncer l’enthousiasme des jeunes militants socialistes “spontanéistes” qui se réclamaient de Luxemburg, mais qui se refusaient à croire au parti d’avant-garde. Il importait de dénoncer le déviationnisme de ces quasi anarchistes et la façon dont ils détournaient son héritage”. Aux vues des positions défendues par Rosa Luxemburg au moment de sa mort, il est difficilement soutenable d’affirmer qu’elle se serait placée aux côtés de Trotski et l’Opposition de Gauche et encore moins des organisations trotskistes qui se placent carrément dans le camp de la bourgeoisie. À contrario, la gauche germano-hollandaise, ces fameux “spontanéistes” dont parle la préface, a su se maintenir à l’intérieur du camp prolétarien en faisant preuve d’une grande clarté théorique sur des questions clés liées à l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence (le parlementarisme et les élections comme armes de la bourgeoisie, les syndicats comme organes intégrés à l’État bourgeois). L’auteur semble ici confondre la gauche germano-hollandaise (qui a toujours défendu la nécessité d’une avant-garde du prolétariat basée sur des positions communistes claires ayant pour tâche de les défendre et les diffuser) avec le conseillisme qui nie la nécessité d’un parti.
Malgré ces quelques critiques, nous ne pouvons que saluer une telle entreprise. Dans une période où les jeunes générations sont empoisonnées par la campagne anti-communiste voulant ranger la révolution aux magasins des accessoires poussiéreux, ce livre, extrêmement vivant, permet de cerner l’essentiel de la vie et l’œuvre de la militante que fut Rosa Luxemburg et de s’initier à l’histoire du mouvement révolutionnaire.
L, 27 juillet 2018
1) Face à la mutinerie des marins de Kiel, à la fin du mois d’octobre 1918, événement déclencheur de la révolution allemande, la direction du Parti social-démocrate va organiser la contre-révolution, une contre-révolution particulièrement violente et assassine. Friedrich Ebert, membre du SPD et premier président de la République allemande en 1918, dira ainsi qu’il hait “la révolution comme le péché”, tandis que Gustav Noske, lui aussi membre du SPD et ministre de la Défense en 1919 et 1920, crachera “s’il faut un chien sanglant, je serai celui-là”. C’est lui qui dirigera l’action des milices contre-révolutionnaires, les corps francs.
2) Lire par exemple son ouvrage : Grève de masse parti et syndicats.
Ces derniers temps, la bande dessinée s’est emparée des vies de révolutionnaires illustres. Après Auguste Blanqui et Louise Michel, c’est au tour de Rosa Luxemburg et de Lénine d’avoir leur biographie sous forme de romans graphiques. Se plonger ainsi dans la vie mouvementée et passionnante de ces grandes figures du mouvement ouvrier n’est pas simplement un réel plaisir, c’est aussi une absolue nécessité. La classe ouvrière a perdu son identité, elle ne sait plus qu’elle existe et a perdu la mémoire de son passé. Ses luttes, ses organisations, sa capacité par exemple à mettre fin à la Première Guerre mondiale, tous ces trésors d’expériences, sources de confiance dans les capacités révolutionnaires du prolétariat et donc en l’avenir, sont aujourd’hui oubliés. Parcourir les dessins et les bulles d’une bande dessinée faisant revivre les événements de la Commune de Paris de 1871, la Révolution russe de 1917 ou les insurrections allemandes de 1919 est l’un des moyens de se réapproprier ce passé, de recouvrer la mémoire ouvrière. Le prisme de la biographie rend l’œuvre plus concrète, plus vivante. Il permet de comprendre et sentir la force qui animait ses révolutionnaires : leur dévouement à la cause prolétarienne, leur implication en tant que militant dans un mouvement organisé, leur courage face à la répression et, peut-être surtout, leur résistance face aux pressions idéologiques de la bourgeoisie, qui souvent s’incarnaient par une lutte à l’intérieur même des organisations révolutionnaires, pénétrées par cette idéologie de la classe dominante. Toutes ces bandes-dessinées montrent clairement que la vie des révolutionnaires est une vie de combats politiques incessants. Seulement toutes ces œuvres ne sont pas égales. Certaines, toujours critiquables et perfectibles, retracent honnêtement la trajectoire de leur personnage historique. D’autres, au contraire, font intégralement parti de la propagande, relayant en dessin les mensonges les plus éhontés dont la bourgeoisie a toujours accablé les révolutionnaires. Si la bande dessinée Rosa la rouge de Kate Evans fait partie de la première catégorie, indéniablement le Lénine de Denis Rodier et Marie Pierre Rey nourrit la seconde.
Cette BD réalisée par Ozanam, Denis Rodier et Marie Pierre Rey est une nouvelle attaque contre la Révolution d’Octobre à travers des calomnies à l’égard de la personnalité de Lénine. Marie Pierre Rey, la conseillère scientifique de cet ouvrage, trouve une justification à cette énième imposture en invoquant l’ouverture des archives de l’URSS après 1991 qui aurait permis de mettre au jour le vrai visage de Lénine à savoir “l’un des dictateurs les plus intransigeants de la période contemporaine”. Pour cette dernière, cet album serait un modèle d’objectivité puisqu’il rendrait compte du parcours politique de Lénine “au plus près de la réalité”. Si de telles entreprises n’étaient pas aussi néfastes tout particulièrement pour les jeunes générations qui s’intéressent à la politique et à la perspective du communisme, on ne pourrait qu’ignorer un travail aussi ridicule et malhonnête. Or, les leçons et les enseignements que l’on peut tirer du parcours militant de Lénine sont précieux pour la classe ouvrière et il en va du devoir des organisations révolutionnaires de défendre l’honneur des grandes figures du mouvement ouvrier ayant joué un rôle inestimable dans l’œuvre révolutionnaire du prolétariat. Sous couvert d’une prétendue autorité scientifique, cet album adopte une démarche totalement différente puisqu’il dresse un portrait à charge de Lénine en sélectionnant des épisodes de sa vie le plus souvent détachés de tout contexte qui ne servent qu’une seule logique : celle de forger l’image d’un dictateur en puissance. Certes, raconter la vie d’un personnage sous le format BD impose nécessairement de faire des choix. Mais contrairement à ce que prétend Marie Pierre Rey, ces derniers n’ont pas été faits à partir d’une analyse minutieuse et contextualisée de la vie et l’œuvre de Lénine mais plutôt par la volonté de participer à l’entreprise de diabolisation du personnage. Un Lénine manipulateur, violent, autoritaire, mettant l’histoire au service de ses propres intérêts si l’on en croit la manière dont est rapporté le déroulement du deuxième congrès du POSDR en 1903 qui a vu la scission entre les mencheviks et les bolcheviks. On y voit Martov se lamentant sur un banc, rendant l’autoritarisme de Lénine responsable de l’échec de ce congrès. Rien n’est plus faux ! Lénine n’a jamais eu l’ambition de devenir le “chef” du parti. Son intransigeance et sa fermeté n’étaient pas dues à des velléités autoritaires mais exprimaient la volonté de défendre l’organisation des révolutionnaires et ses principes alors que certains autres ne se battaient plus pour le prolétariat mais pour leur propre reconnaissance personnelle au sein du parti, pour défendre leur bande de copains ou leur orgueil blessé. Les bolcheviks, eux, sont restés dévoués à la classe ouvrière sans mettre en avant leur ego. La rigueur militante dont a dû user Lénine au cours de ce congrès était motivée par la nécessité de créer un parti ouvrier unitaire et centralisé capable d’assumer ses responsabilités devant la classe.
Cet album enfonce davantage le clou lorsqu’il traite de la Révolution d’Octobre 1917. A la page 43, la façon dont la prise du Palais d’Hiver est rapportée est ni plus ni moins qu’une falsification. On y voit des membres du Comité militaire révolutionnaire ivres en train de vandaliser le Palais et assassiner les membres du gouvernement provisoire alors que les témoignages d’époque, comme celui de John Reed dans Dix jours qui ébranlèrent le monde, attestent que cette action s’est déroulée sans grande violence. Mais visiblement, les historiens à la solde de la bourgeoisie n’hésitent pas à transiger avec la rigueur scientifique quand il s’agit de ressortir le portrait du bolchevik “sanguinaire”, un “couteau entre les dents”. Et que dire de la toute fin de l’album où l’on voit un Lénine malade et convalescent, aigri et colérique en train de justifier la dictature et la terreur rouge sans le moindre remords ? Lénine et les bolcheviks ont défendu la dictature du prolétariat, c’est-à-dire la prise du pouvoir de la société par le prolétariat afin d’émanciper l’humanité toute entière. Tel était le but réel. Cette notion de dictature du prolétariat développée par Marx à la suite de la Commune de Paris est imposée par la lutte de classes et s’oppose à la terreur que la bourgeoisie déploie lorsque son monde est mis en péril.
Marie Pierre Rey, comme bon nombre de ses collègues, préfère se vautrer dans la malhonnêteté en présentant Lénine comme un autocrate qui aurait profité des événements de l’histoire afin d’instaurer son propre pouvoir. Voilà ce qu’elle peut écrire au sujet des soviets dans la postface de l’album : “les bolcheviks n’ont tenu qu’une place mineure dans la Révolution de 1905 qui les a surpris et déroutés par la place que les masses ouvrières y ont spontanément tenue. Pourtant, de cette révolution avortée, Lénine va tirer parti en retenant en particulier l’idée mobilisatrice de “Soviet” qu’il récupère pour son propre compte. Et dès avril 1917, le Soviet de Petrograd venant de se reconstituer, Lénine en appelle à son tour “au pouvoir des Soviets” mais à des Soviets bolchevisés, qu’il s’agira, par une intense propagande, de gagner à sa cause”. Que veut-on dire par là ? Que Lénine a manipulé les soviets pour servir ses propres intérêts ? Mensonge ! Alors qu’en 1914 la bourgeoisie plongeait le monde dans la barbarie, qu’ont fait les bolcheviks ? Contrairement à la social-démocratie, ils se sont placés à l’avant-garde du mouvement d’opposition à la guerre. En 1917, alors que toutes les fractions bourgeoises organisaient le blocus de la Russie, plongeant la population dans la famine, Lénine et les bolcheviks étaient du côté des ouvriers en lançant le mot d’ordre “tout le pouvoir aux soviets !” car ils étaient convaincus que les conseils ouvriers étaient “la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat” permettant à la classe ouvrière de s’auto-organiser dans le but de renverser la domination de la bourgeoisie. Contrairement aux insanités que déverse cet album, les bolcheviks n’ont jamais voulu s’emparer des soviets, seules les fractions de la bourgeoisie comme la social-démocratie ont entrepris leur sabotage afin de les vider de leur contenu révolutionnaire.
TH, 30 août 2018
L’été 2018 a encore été marqué par la multiplication, sur tous les continents, de catastrophes industrielles, d’incendies, comme celui du Musée national de Rio, et autres inondations meurtrières. Les victimes sont innombrables et le cynisme des autorités souvent écœurant. Pourtant, de catastrophes “naturelles” en “scandales”, le discours de la classe dominante et ses médias est toujours le même : soit la fatalité s’est abattue sur les populations, soit il faut chercher un coupable particulier, telle ou telle entreprise, tel ou tel gouvernement, tel ou tel manque de volonté politique. L’humanité a pourtant largement les moyens technologiques de se prémunir de la plupart des catastrophes. En réalité, derrière les négligences et les scandales particuliers, la loi du profit, inhérente au capitalisme, est toujours à l’œuvre. L’émoi autour de la démission du ministre français de l’écologie est à ce titre une mystification : la défense de l’environnement dans laquelle se drape Hulot n’est qu’une triste farce destinée à accréditer le mythe de la transition écologique, à faire croire que le capitalisme foncièrement destructeur, pilleur et sans aucune vision de l’avenir pourrait devenir plus “vert”.
Gênes, mardi 14 août, pont de Morandi : des centaines d’automobilistes sortent de leur véhicule et fuient l’inconcevable. Ils courent, à pied, enfants dans les bras, le long de l’autoroute : un morceau du pont vient de s’effondrer, entraînant dans sa chute 35 voitures et trois camions. Bilan : 43 morts, seize blessés. Rapidement, la stupeur a laissé place à la colère et une simple question : comment un viaduc autoroutier peut-il s’écrouler ainsi ? Comment personne n’a-t-il pu anticiper une telle tragédie ?
Au cours des premières heures qui suivirent, on nous parla de la foudre qui, frappant un pilier du pont, l’aurait fait s’effondrer par accident. Mais cette hypothèse peu crédible va très vite être éclipsée par les révélations successives sur le pont lui même : un pont réputé dangereux, vétuste, en perpétuelle rénovation pour pallier ses défauts de construction. Dès lors, ce fut la valse des déclarations accusatrices et défensives… une seule question demeure : qui sera le bouc-émissaire ? Qui paiera ? L’enjeu n’est pas la sécurité des personnes ; il est uniquement politique et économique.
D’un côté, la société gestionnaire du pont Autostrade per l’Italia (groupe Atlantia, contrôlé à 30 % par la famille Benetton) a affirmé cyniquement que le tronçon était analysé “à un rythme trimestriel en suivant les normes légales et avec des vérifications supplémentaires d’appareils hautement spécialisés” et que des “garanties adéquates sur l’état de l’infrastructure” avaient été émises, permettant de déterminer les interventions d’entretien nécessaires, “approuvées par le ministère des Infrastructures et des Transports”. De l’autre, le populiste Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur, va profiter de l’occasion pour accuser l’Europe d’être à l’origine du sinistre en empêchant l’Italie de gérer ses fonds monétaires comme elle l’entend. Giuseppe Conte, Premier ministre, va, quant à lui, déclarer la main sur le coeur “notre responsabilité est de mettre en place une réponse extraordinaire pour contrôler toutes les infrastructures” (1) tout en accusant la société Autostrade per l’Italia d’être la seule responsable. Alors que son mouvement politique s’est toujours opposé à la construction de La Gronda, bretelle de contournement autoroutier qui serait venue alléger le pont Morandi. En définitive, la recherche et la désignation de tel ou tel responsable ou coupable de négligence n’a pour seule fonction que de dédouaner le système capitaliste comme un tout et éviter les réflexions sur la logique du profit et de rentabilité à moindre coût qui ne tient aucun compte des risques humains.
En effet, tous connaissaient la dangerosité de ce pont. Tous savaient que les infrastructures en béton ne sont pas pérennes et nécessitent un suivi constant face à leur friabilité et leur oxydation. Tous avaient été maintes fois avertis. Ce viaduc au dessus de la ville a été conçu pour désengorger le centre de Gênes et surtout son port maritime. Construit en quatre ans dans les années 1960, il a la particularité d’alterner deux types de conceptions architecturales : “un viaduc constitué d’un tablier à poutres en béton armé de 484m de longueur” et “un viaduc multi-haubané de 618m de longueur” (c’est une des parties de ce dernier qui a cédé). Dès sa construction, des défauts de conceptions sont apparus. Entre autre, les vibrations du trafic ont mal été anticipées, entraînant des micro-fissures dans le béton qui elles-mêmes entraînent l’oxydation du fer qui devient fragile et, à terme, se rompt. L’accroissement du trafic autoroutier (25 millions de véhicules par an) n’a fait qu’augmenter ce phénomène. Depuis sa conception, 80 % de son prix a déjà été réinjecté pour son entretien et plusieurs spécialistes ont alerté sur son état et sa dangerosité, proposant de le reconstruire, éventualité refusée en 2009. En 2016, le professeur d’ingénierie à la faculté de Gênes Antonio Brencich a “en vain, invité les pouvoirs publics à démonter le pont Morandi et à en reconstruire un neuf”. En novembre 2017, le rapport d’audit des experts de l’École polytechnique mettait en doute la stabilité du pont : “les câbles de la portion du pont qui s’est effondrée réagissaient alors aux vibrations “d’une manière qui ne correspond pas totalement aux résultats attendus et [requerrait] des investigations approfondies”.”
Les responsables politiques veulent faire croire que c’est la faute à quelques entreprises malveillantes qui ne jureraient que par le profit. Mais tous sont liés par cette même logique du capital. Tous défendent les mêmes intérêts économiques et individualistes. Moins de quinze jours avant le drame, le ministre des Infrastructures a classé le projet de contournement de La Gronda parmi ceux qui pouvaient être annulés “si les bénéfices ne couvraient pas les coûts”.
D’ailleurs, ce scénario est le même partout ailleurs : des ponts s’écroulent, les vieux par manque d’entretien, les neufs par économie de matériaux :
- Miami, États-Unis, mars 2018 : effondrement d’un pont piéton tout neuf, six morts, une dizaine de blessés. La structure s’était fissurée quelques jours avant.
- Ouest du Kenya, juin 2017 : une partie du pont de Sigiri, alors en construction, tombe, 27 blessés. L’entreprise chinoise responsable du site est réputée pour la mauvaise qualité de ses matériaux.
- Province du Pendjab, Pakistan, juillet 2015 : effondrement d’un pont ferroviaire, 17 morts. Le réseau ferré datant de l’ère coloniale était peu entretenu.
- Port de Lianyungang, Chine de l’Est, février 2013 : effondrement d’un pont autoroutier, neuf morts. L’accident aurait été provoqué par l’explosion d’un camion transportant des feux d’artifice. Cela ne convainc pas la population.
- Île de Bornéo, Indonésie, novembre 2011 : effondrement d’un pont suspendu au-dessus du fleuve Mahakam, 36 morts. Les blocs qui ancraient les piliers du pont bougeaient chaque année de près de 18cm depuis 2001 !
- Minneapolis, Minnesota, États-Unis, août 2007 : chute d’un pont autoroutier dans le fleuve Mississippi, treize morts, plus de 150 blessés. Le pont était vieillissant mais ne présentait officiellement aucun risque.
- Montréal, Canada, septembre 2006 : le viaduc de la Concorde (pont autoroutier) s’écroule, cinq morts et six blessés. Une heure avant l’effondrement, des blocs se sont détachés et ont été signalés. Le pont avait été inspecté un an auparavant.
- Environs de Porto, Portugal, mars 2001 : effondrement d’un pont centenaire dans le fleuve Douro, 77 morts. Le maire de la commune avait à maintes reprises alerté les autorités quant à ce pont surexploité. Ainsi, comme on peut le constater, cette catastrophe n’a rien d’exceptionnel. Elle n’est qu’un désastre de plus qui rythme le quotidien du capitalisme.
En Italie, pas moins de 10 ponts se sont écroulés entre 2013 et 2018, toujours avec cette même recherche d’un coupable particulier. Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement des ponts : toutes les infrastructures sont concernées, à l’image des incendies dans les usines de recyclages qui ont eu lieu en France cet été.(2)
A la suite de la catastrophe, la colère des familles des victimes était bien présente. Un tel événement était annoncé et prévisible et c’est bien la logique capitaliste qui en est la véritable cause. Pour calmer les familles, le gouvernement, dans sa grande hypocrisie, a décrété une journée de deuil national en hommage aux victimes. 17 familles ont refusé d’y participer, dénonçant la responsabilité de l’État et sa cynique récupération politique. Roberto, père d’une des victime, a déclaré : “Mon fils a été assassiné” tandis qu’une mère de famille a “trouvé honteux le défilé des politiques”. Un autre parent a annoncé “mon fils ne deviendra pas un numéro dans le catalogue des morts provoquées par les manquements italiens, nous ne voulons pas une farce de funérailles”. Car effectivement, l’objectif de tous les acteurs (État, sociétés publiques, sociétés privées) n’est pas de comprendre pour faire mieux à l’avenir. L’objectif est de trouver un bouc-émissaire à ce désastre afin de masquer le visage du véritable coupable : le capital.
Élise, 1er septembre 2018
1) Émission “C dans l’air” du 15 août 2018.
2) Voir notre article ci-dessous.
Le 25 mai dernier, Harvey Weinstein, célèbre producteur de cinéma américain, sort menotté et encadré par deux policiers du commissariat où il s’est lui-même rendu. Conduit au tribunal, il en ressort mis en accusation pour viols et agressions sexuelles, libéré sous caution et placé sous contrôle judiciaire électronique en attendant son procès.
“L’affaire Weinstein” est désormais connue sur toute la planète depuis que le New York Times et le New Yorker ont publié, en octobre 2017, une enquête sur les nombreux abus sexuels du producteur hollywoodien, dénoncés par une douzaine de femmes. Depuis, la parole s’est libérée et ce sont des dizaines et des dizaines de femmes qui ont dénoncé les agressions et les crimes de nombreux hommes de pouvoir dans tous les secteurs : le cinéma, le monde des affaires, la politique, etc.
Au départ, la médiatisation de cette affaire a surtout servi de prétexte pour acculer Trump et tenter d’engager une procédure de destitution. Déjà, du temps de Bill Clinton, les abus sexuels dont certains se rendaient coupables avec un sentiment absolu d’impunité, du fait de leur position de pouvoir, avaient été utilisés pour affaiblir le président de l’époque dans la célèbre “affaire Lewinsky”.(1) En octobre 2017, lorsque l’affaire Weinstein éclate au grand jour, les comportements ignobles de ce triste sire ne sont qu’un secret de polichinelle dans les milieux culturels et intellectuels américains. En la médiatisant en sujet d’indignation populaire, la bourgeoisie américaine trouvait le moyen d’impliquer le président américain qui traîne déjà quelques casseroles (il a, entre autres méfaits, dû acheter le silence d’une actrice porno avant de se marier, après que celle-ci l’ait menacé de dévoiler leur relation). Mais Trump s’en est finalement sorti sans grande difficulté face à l’ampleur des comportements et des crimes que la médiatisation de l’affaire Weinstein a mis au grand jour.
En effet, la portée internationale de cette affaire révèle bien plus qu’une énième stratégie machiavélique de la bourgeoisie. Elle manifeste une réelle et profonde indignation face à la condition des femmes dans la société. Lors de la “journée de la femme” du 8 mars 2018, la participation était plus importante que les années précédentes, dans davantage de pays (des manifestations ont eu lieu en Turquie, en Russie, aux Philippines, en Inde, au Pakistan, en Suisse, en Corée du Sud, au Congo, en Côte d’Ivoire, etc.), avec des mots d’ordre plus déterminés. Jusqu’en Inde ou en Turquie, des manifestants se réunissent pour dénoncer des agressions et des viols contre des femmes.
Mais cette indignation légitime a rapidement été récupérée par la bourgeoisie à travers une campagne sur les réseaux sociaux orchestrée par le milieu médiatique et culturel où la victimisation systématique vis-à-vis des hommes, la délation et la culpabilisation sur le mode : “les hommes sont tous des porcs” constituaient le revers d’une même réalité ignoble. Il fallait s’y attendre, la bourgeoisie n’allait pas laisser la parole “se libérer” sans la déplacer sur un terrain de fausse opposition “hommes contre femmes”, “gentlemen contre gros porcs”, tout en exploitant au passage la fibre traditionnelle du puritanisme et de la pudibonderie.
Les prises de parole se multiplient, les gouvernements de plusieurs pays légifèrent ou prévoient de le faire, prétendant renforcer “l’égalité des sexes” par rapport, notamment, aux salaires ou la pénalisation des agressions et du harcèlement sexuel. La classe dominante ne peut rester silencieuse face aux réactions indignées, bien que cette profonde colère, pour le moment incapable de s’élever sur un terrain de classe, enfermée dans le cadre d’une lutte parcellaire et interclassiste, soit sans danger pour sa domination de classe. La bourgeoisie profite ainsi de la situation pour apporter une réponse dans le cadre des mystifications démocratiques, développant à peu de frais l’illusion que la discrimination n’aurait pas sa place au sein du capitalisme. Lorsque les prisons seront remplies d’hommes violents envers leur femme ou de “harceleurs de rue”, rien n’aura fondamentalement changé dans la société pour que ces comportements n’aient plus de base matérielle pour se développer ! La bourgeoisie sait bien que la pénalisation des comportements dégradants envers les femmes n’est qu’un cautère sur une jambe de bois et ça n’en rend ses gesticulations que plus détestables. En offrant la “protection de l’État” aux femmes, la bourgeoisie ne fait rien d’autre qu’enfermer la question dans le cadre démocratique bourgeois et la réduit à un traitement de comportements déviants.
C’est justement le piège dans lequel cette vague d’indignation légitime et réelle ne doit pas tomber. Si la femme est surexploitée, maltraitée, considérée comme l’esclave et l’objet sexuel de l’homme, ce n’est pas tant le produit d’une sorte de “dérive” ou d’une quelconque “régression” de la société que l’expression de sa véritable nature : oppressive et divisée en classes.
Le mouvement ouvrier n’aura pas mis longtemps à faire apparaître la condition spécifique de la femme dans la société capitaliste. En 1845, Engels écrit son édifiant ouvrage La Situation de la Classe laborieuse en Angleterre, dans lequel il décrit comment le capitalisme détruit la vie, la santé, l’avenir des enfants et le corps des femmes en les intégrant dans la production inhumaine des grandes manufactures et des mines. Il explique également comment le patron peut abuser à volonté de ses ouvrières par le simple pouvoir de vie et de mort qu’il a sur elles. Mais c’est surtout dans L’Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’État, qu’Engels démontre que la situation de subordination des femmes est profondément liée à la division de la société en classes sociales, à l’existence de la propriété privée et combien le combat historique du prolétariat est porteur d’une véritable émancipation des femmes. En s’appuyant sur les travaux de Lewis Morgan, Engels démontre en effet que l’apparition de la propriété privée a fait apparaître la famille comme première cellule économique des sociétés de classe. Dans cette famille, la femme est placée dans une position d’objet, propriété de l’homme et procréatrice des enfants qui hériteront du patrimoine du chef de famille.
De son côté, August Bebel, dans son ouvrage La Femme et le Socialisme, décrit comment les rapports capitalistes perpétuent la position de la femme en objet au service de l’homme. Dans le capitalisme, la femme reste la propriété de l’homme au point d’être réduite à une fonction d’outil au service du désir et des pulsions masculines. Bebel démontre ainsi comment, au bout de cette logique, la prostitution est nécessaire au bon fonctionnement de la société de classe.
Le marxisme a donc très tôt pu déterminer que la soumission de la femme à l’homme n’est pas de nature fondamentalement morale ou même physique, mais bien de nature matérielle et sociale. Dans leur développement, les forces productives ont amené l’humanité à quitter les formes sociales collectives du communisme primitif pour adopter une organisation fondée sur la propriété privée et la division en classes sociales. Le capitalisme en intégrant indifféremment hommes et femmes dans sa production conduit à supprimer en partie la division sexuelle du travail mais ses structures sociales maintiennent inéluctablement le cadre de soumission de la femme à l’homme, en particulier à travers le mariage et la famille.
Les comportements médiatisés aujourd’hui le confirment amplement. L’évolution sociale depuis Engels et Bebel, loin de donner une meilleure place à la femme dans la société, a entériné et pérennisé sa condition d’objet utilitaire. La femme est toujours objectivement considérée comme un être inférieur et, de ce fait, soumise à l’homme. Cette nature matérielle qui lui est dévolue conduit à une déshumanisation croissante de la femme et de ses rapports avec les hommes. La publicité, par exemple, traduit de façon brutale cette image de la femme comme objet sexuel soumis. La pornographie prend un poids croissant avec internet et véhicule auprès des plus jeunes une conception déshumanisée et réifiée des rapports entre les hommes et les femmes qui ne peut que banaliser les comportements dégradants, de harcèlement et de violence à caractère sexuel, et particulièrement dans le travail où les rapports de domination et de soumission sont plus visibles qu’ailleurs. Par ailleurs, les conditions de l’exploitation, le travail, qui ne fournit plus les conditions minimales d’une vie sociale, et la décomposition du tissu social produisent et accentuent une atomisation parfois extrême des individus qui les plonge bien souvent dans la solitude et la misère sexuelle.
Pourtant, la bourgeoisie a aussi développé une préoccupation pour la “question de la femme”. Les mouvements féministes ne datent pas d’aujourd’hui et ont régulièrement marqué l’histoire sociale du capitalisme. Après tout, les femmes bourgeoises ne souffrent-elles pas tout autant de la domination de leurs maris ? Cette réalité, le mouvement féministe l’inscrit dans une démarche de revendications interclassistes qui, d’une part ne peuvent qu’avoir une portée limitée dans le cadre des structures sociales existantes et, d’autre part, présentent un véritable danger pour le prolétariat car le féminisme, comme tous les mouvements interclassistes, masque et exclut le caractère conflictuel des rapports sociaux de classes (comme si les ouvrières avaient les mêmes intérêts économiques ou sociaux que les femmes issues de la bourgeoisie !). Il produit en plus une opposition qui semble indépassable sans l’intervention de l’État, garant de “l’égalité”, pour “contraindre les forts” à lâcher un peu de leurs avantages en “faveur des faibles”. Dans ce cadre, le combat féministe est censé faire pression sur l’État pour obtenir plus de droits et plus d’égalité. Diviser pour mieux régner, la recette fonctionne toujours !
À travers la compréhension profonde du lien qui relie étroitement la condition et l’exploitation de la femme à l’organisation de la société capitaliste, le mouvement ouvrier a su se distinguer très nettement et très clairement du mouvement féministe porté par une partie de la bourgeoisie qui milite pour que les femmes accèdent aux études, aux responsabilités et au droit de vote. Clara Zetkin et August Bebel, au sein de la Deuxième Internationale, Alexandra Kollontaï au sein du parti bolchevique, pour ne citer qu’eux, tous mettent en avant la responsabilité première du système capitaliste dans la condition féminine et donc l’importance de lier cette question à celle de la condition de la classe ouvrière, au combat des ouvrières et des ouvriers unis contre le capitalisme afin de construire une nouvelle société où hommes et femmes vivront libérés de leurs chaînes.
C’est d’ailleurs le mouvement ouvrier qui est à l’origine de la journée de la femme (alors appelée journée internationale de l’ouvrière) dont la première eut lieu le 28 février 1909 et qui se fixera ensuite le 8 mars en commémoration du 8 mars 1917, premier jour de la Révolution de février en Russie, quand les femmes se réunirent justement pour la journée internationale de l’ouvrière et engagèrent un même combat vers la chute du tsarisme.
La condition des femmes a-t-elle aujourd’hui changé depuis la situation décrite par Engels en 1845 ? Dans les pays développés, les femmes ont glané un certain nombre de droits : accès aux études, possibilité de voter… certaines dirigent même de grandes entreprises, voire de grands pays ! Mais leur condition, avec plus de subtilité et d’hypocrisie, reste à peu près la même. Si la femme n’est plus obligée de travailler jusqu’au jour de son accouchement comme Engels pouvait l’observer dans l’industrie anglaise, une femme au chômage est assurée d’y rester si elle est enceinte et l’embauche des jeunes femmes est entravée par le “risque de maternité”, bien connu des DRH. Certaines femmes (riches !) vont jusqu’à congeler leurs ovocytes pour faire carrière d’abord puis avoir des enfants ensuite, participant elles-mêmes ainsi à leur propre déshumanisation !
Tout comme au XIXe siècle et au début du XXe siècle, la classe ouvrière se retrouve donc fondamentalement face aux mêmes problématiques. Mais dans le passé, les partis ouvriers pouvaient développer ces questions et mettre en œuvre une éducation et une propagande qui avaient une réelle portée au sein de la classe ouvrière. Aujourd’hui, le prolétariat éprouve de grandes difficultés à percevoir son identité de classe, ce qui constitue une profonde entrave à la compréhension du caractère nécessairement révolutionnaire de sa lutte qui doit intégrer le changement radical de la condition féminine.
L’indignation du mouvement actuel face aux traitements injustes, humiliants et dégradants réservés aux femmes est révélatrice de l’incapacité viscérale du système capitaliste à permettre la moindre amélioration des conditions de vie des exploités. Bien au contraire et en complète opposition aux discours autour du progrès économique et social, ces conditions se dégradent et conduisent à une tendance continue à la dislocation du tissu social. Toutes les “catégories oppressées” (femmes, immigrés, homosexuels, telle ou telle race ou ethnie, etc.) qui se sentent brimées et rejetées, ne le sont nullement à cause de leur particularisme mais parce que le système capitaliste ne fonctionne que selon deux catégories d’êtres humains (les exploiteurs et les exploités) et ne repose que sur une seule caractéristique essentielle : la concurrence de tous contre tous qui pousse, sous la pression de la crise, et plus encore de la décomposition, à exclure toute forme de différence et à restreindre la solidarité en l’enfermant dans le cadre ghettoïsant de la défense parcellaire et uniformisée d’intérêts communautaires.
Ce qu’écrivait August Bebel dans La Femme et le Socialisme garde aujourd’hui une impressionnante actualité : “Quelle place doit prendre la femme dans notre organisme social afin de devenir dans la société humaine un membre complet, ayant les droits de tous, pouvant donner l’entière mesure de son activité, ayant la faculté de développer pleinement et dans toutes les directions ses forces et ses aptitudes ? C’est là une question qui se confond avec celle de savoir quelle forme, quelle organisation essentielle devra recevoir la société humaine pour substituer à l’oppression, à l’exploitation, au besoin et à la misère sous leurs milliers de formes, une humanité libre, une société en pleine santé tant au point de vue physique qu’au point de vue social. Ce que l’on nomme la question des femmes ne constitue donc qu’un côté de la question sociale générale. Celle-ci agite en ce moment toutes les têtes et tous les esprits ; mais la première ne peut trouver sa solution définitive qu’avec la seconde”.
GD, 2 juillet 2018
1) Voir aussi notre article lors du retentissant “scandale Strauss-Kahn”, en 2011, alors que celui-ci était président du FMI et pressenti comme candidat potentiel du Parti socialiste aux élections présidentielles en France : Affaire DSK : la femme est toujours le “prolétaire de l’homme”, Révolution Internationale n° 424.
Nous avons vu dans la première partie de cet article (voir RI n° 469) que les thèses racialistes véhiculées par le Parti des Indigènes de la République (PIR) et sa porte-parole, Houria Bouteldja, dans son livre : Les Blancs, les Juifs et nous, sont en fait de très vieilles idées combattues dès le XIXe siècle par le mouvement ouvrier et qui ne visent qu’à diviser les exploités sur une base raciale et nationaliste. Elles ont d’ailleurs été un des moyens utilisés pour staliniser les Partis communistes d’Afrique du Sud et des États-Unis. Il nous faut maintenant aborder plus spécifiquement ce qu’est le racialisme aujourd’hui, et définir quelle attitude avoir par rapport à ce courant d’idées qui progresse dans certains milieux politiques.
Quelle perspective nous offre Bouteldja, figure de proue du racialisme ? La fin de son livre prône une idée clé : “l’amour révolutionnaire”, autrement dit, un vieux précepte religieux qui ne diffère pas fondamentalement de celui véhiculé par le christianisme dès ses origines : “aimez-vous les uns les autres”... L’idéologie racialiste affirme que les “Blancs”, les “Juifs” et les “Racisés” doivent s’aimer tout en se reconnaissant comme opposés et séparés. Cet “amour” n’étant cependant possible qu’à la condition que tout le monde reconnaisse la vision politique des “racisés” comme étant la seule à défendre. Les propos qui suivent sont particulièrement clairs à ce sujet : “Alors l’appel des Indigènes dit : “Merde”. Il propose de partir sur des bases saines. C’est là que c’est un cadeau qu’on vous fait. Prenez-le : le discours ne vous plaît pas… mais prenez-le quand même ! Ce n’est pas grave, il faut que vous le preniez tel quel ! Ne discutez pas ! Là, on ne cherche plus à vous plaire ; vous le prenez tel quel et on se bat ensemble, sur nos bases à nous ; et si vous ne le prenez pas, demain, la société toute entière devra assumer pleinement le racisme anti-Blanc. Et ce sera toi, ce seront tes enfants qui subiront ça. Celui qui n’aura rien à se reprocher devra quand même assumer toute son histoire depuis 1830. N’importe quel Blanc, le plus antiraciste des antiracistes, le moins paternaliste des paternalistes, le plus sympa des sympas, devra subir comme les autres. Parce que, lorsqu’il n’y a plus de politique, il n’y a plus de détail, il n’y a plus que la haine. Et qui paiera pour tous ? Ce sera n’importe lequel, n’importe laquelle d’entre vous. C’est pour cela que c’est grave et que c’est dangereux ; si vous voulez sauver vos peaux, c’est maintenant”. Dans les faits, il s’agit ouvertement d’un véritable cri de guerre nationaliste et revanchard contre “les Blancs”, doublé d’un appel au pogrom contre tous ceux qui oseraient s’opposer à ce délire xénophobe et foncièrement raciste. “L’amour révolutionnaire” cache très mal ce qui est censé faire office de projet politique : la vengeance haineuse de véritables fanatiques ! (1)
Un produit de la décomposition sociale et idéologique du capitalisme
En fin de compte, tout le fiel déversé dans les propos haineux des racialistes traduit le no future généré par le capitalisme dans sa phase ultime de décomposition. Une véritable putréfaction idéologique qui ne fait que l’apologie de la destruction et de la violence. Aux yeux des racialistes, il ne subsiste que “la haine”. Une haine viscérale du prolétariat, en particulier des ouvriers “blancs” qui se seraient, selon les racialistes, “compromis” avec leurs maîtres colonisateurs. Expression de certaines couches petites bourgeoises et du lumpenprolétariat, la haine est un sentiment qui anime bon nombre de comportements extrêmes favorisés par la misère des déclassés et la décomposition sociale, dont la logique nihiliste s’exprime par des actes barbares de plus en plus courants : le terrorisme, par exemple, ou la propension à chercher parfois des boucs-émissaires dont l’élimination permettrait soi-disant de résoudre les problèmes engendrés par l’exploitation. Face à l’oppression, le racialisme n’offre qu’une impasse terrifiante, celle de la révolte aveugle, faite d’une volonté de vengeance paranoïaque. Une des caractéristiques majeures de cette mouvance barbare est le repli identitaire, le communautarisme érigé en principe de terreur face aux “Blancs” perçus comme des “ennemis” à abattre. Ces “Blancs”, sans distinction de classe, apparaissent comme les seuls “exploiteurs” possibles : “Au-dessus de moi, il y a les profiteurs blancs. Le peuple blanc, propriétaire de la France : prolétaires, fonctionnaires, classes moyennes. Mes oppresseurs. Ils sont les petits actionnaires de la vaste entreprise de spoliation du monde”.(2) Comment donc les “prolétaires, fonctionnaires, classes moyennes”, cette classe d’exploités déjà en bas de l’échelle sociale, qui ne fait rien d’autre que vendre sa force de travail et lutter contre l’exploitation, pourrait bien “oppresser” qui que ce soit ? Cette idée nauséabonde faisant du prolétariat occidental le coupable et complice de la bourgeoisie dans l’exploitation des prolétaires du tiers monde (ou des couches non-exploiteuses) est un ignoble mensonge utilisé pendant des décennies par les gauchistes afin de justifier les “luttes de libérations nationales”. Nous ne pouvons que dénoncer vigoureusement le caractère crapuleux de cet argument diviseur et longtemps véhiculé par les tiers-mondistes et certains maoïstes pour mobiliser le prolétariat dans des aventures meurtrières (qu’on se souvienne, pour prendre un exemple, des “guérillas” sanglantes des maoïstes du Sentier Lumineux au Pérou dans les années 1980). A contrario, la classe ouvrière se doit d’être unitaire pour affirmer son projet révolutionnaire et, donc, son combat universel et planétaire. Ce qui est très clair, c’est que l’idéologie “racialiste” ne se présente aucunement comme un instrument de libération des exploités ! On remarque également dans ses propos la marque de la mentalité petite bourgeoise, son refus de toute pensée globalisante et universelle, son hostilité ouverte et traditionnelle contre le prolétariat, contre ce qu’il incarne politiquement.
Cette mentalité s’exprime également dans l’obscurantisme nauséabond du racialisme parfaitement en phase avec “la profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite” (3) qui caractérisent la phase actuelle de décomposition. L’apologie de la religion,(4) musulmane en l’occurrence, n’est que l’expression idéologique du soutien de cette mouvance à l’ordre existant, à l’État, à la famille, à la société de classes et à la propriété. Si le combat de classe ne peut être celui d’un combat abstrait polarisé contre la religion, la classe ouvrière ne peut oublier que le clergé s’est toujours rangé du côté de la bourgeoisie face à son ennemi mortel, appuyant la répression, y participant même directement.(5) Il suffit de constater le rôle joué par le clergé musulman pour entretenir les masses dans l’arriération obscurantiste pour mesurer son caractère réactionnaire : le rôle des Frères musulmans dans la répression en Égypte ou en Tunisie lors du “printemps arabe” ou l’entretien du poids de l’illusion religieuse parmi les masses paysannes de ces pays suffisent pour comprendre à quel point la religion est une arme de domination bourgeoise. L’allégeance de Bouteldja et du PIR à la religion musulmane n’est donc qu’un clair soutien à la répression des mouvements sociaux dans ces régions, alimentant l’idée réactionnaire et petite bourgeoise du retour aux communautés religieuses du passé.
Né au début de ce siècle, le racialisme n’est, encore une fois, qu’un avatar décomposé d’idéologies gauchistes directement positionnées contre la classe ouvrière. Ainsi, dans la plus pure tradition des gauchistes, les racialistes rabattent sans vergogne les ouvriers vers les urnes et le terrain pourri des élections. Le programme du PIR le concrétise par l’appel à aller voter pour “faire entendre la voix des Indigènes” et entretiennent ainsi l’illusion démocratique que les élections pourraient servir à “exercer une pression sur les institutions représentatives et exécutives”, ce qui est évidemment un mensonge. (6) Loin de chercher à “défendre” quoi que ce soit outre leurs conceptions xénophobes, le PIR et les racialistes se préoccupent surtout de pousser ceux qui les écoutent à s’enfermer dans une logique réactionnaire en les jetant dans les bras de l’État bourgeois.
Mais l’emprunt le plus déterminant au gauchisme est celui du nationalisme, celui qu’ont pu entretenir pendant des décennies les organisations gauchistes autour du mythe des “luttes de libération nationale”. Le racialisme se réclame ainsi des “combats anti-colonialistes”, revendiquant le caractère prétendument “révolutionnaire” de la décolonisation, au moins dans sa version algérienne. Le PIR a, par exemple, salué la mémoire du “camarade” et “révolutionnaire” Henri Alleg, figure stalinienne de l’anti-colonialisme pour qui mourir pour l’indépendance de l’Algérie relevait du “devoir patriotique algérien et internationaliste”. Le PIR se revendique également clairement de Frantz Fanon, chantre de l’indépendance des colonies et du nationalisme. Le racialisme considère que les luttes d’indépendance nationale affaiblissent “l’impérialisme” et qu’elles permettent l’expression des “racisés” contre l’idéologie dominante des “Blancs”. C’est, d’ailleurs, dans ce cadre que le PIR et Bouteldja soutiennent encore bec et ongles la “lutte du peuple palestinien” contre le “sionisme” de l’État d’Israël. Bref, un véritable plaidoyer en faveur du nationalisme poussant automatiquement le prolétariat à faire le choix sanglant d’une nation contre une autre, au lieu du combat unitaire de la classe ouvrière et de l’internationalisme prolétarien.
La nation n’est pas un cadre dans lequel l’émancipation de la classe est possible. Dès 1847, la première organisation communiste, la Ligue des Communistes, changea sous l’impulsion de Marx son mot d’ordre “Tous les hommes sont frères” par “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !” Les prolétaires n’ont pas de patrie ! L’internationalisme est donc l’essence même de son combat et se trouve à la base de sa vision et de son action
politique, de son projet révolutionnaire orienté vers le futur. Le prolétariat ne peut pas avoir d’attache nationale particulière, parce que la nation est le cadre périmé du développement de la classe exploiteuse, la bourgeoisie, intimement liée au capitalisme et à son mode d’existence par essence concurrentiel. Autrement dit, défendre la nation signifie : défendre les intérêts du capital national, c’est-à-dire l’exploitation et la concurrence, le chacun pour soi, regarder vers le passé. Le racialisme oppose ainsi systématiquement les prolétaires “Blancs” à ceux issus des nations “décolonisées” pour les mener vers le néant.
Par ailleurs, en faisant des “racisés” le moteur du combat révolutionnaire, opposant la “lutte des races” à la lutte de classe, les racialistes accentuent profondément la méfiance et les préjugés au sein du prolétariat. Nous avons déjà évoqué, dans la première partie de cet article, la lutte des révolutionnaires américains contre les discriminations raciales dans les États-Unis de la ségrégation. Nous pouvons ajouter que les luttes en Afrique coloniale ont souvent mené les prolétaires africains et européens à lutter de concert comme lors de la grève des chemins de fer sénégalais de janvier 1925, grève victorieuse par ailleurs. Toutes ces luttes et leurs leçons contre la division de “races” générée par l’administration coloniale ont été balayées par le nationalisme lors de la décolonisation. Le racialisme, qui idolâtre cette décolonisation, participe donc à enterrer toutes ces expériences de luttes ouvrières dans les pays colonisés. Il en va de même dans les pays centraux du capitalisme où les ouvriers immigrés et autochtones se sont unis dans des luttes pour un même combat contre l’exploitation. Dans les années 1970 et 1980, les travailleurs immigrés étaient bien rassemblés aux côtés de leurs frères de classe “blancs” dans une même lutte. Ce fut le cas, par exemple, lors des grèves du secteur automobile (Renault), dans les transports, etc. On pourrait citer et multiplier les exemples, comme celui du soutien des ouvriers français solidaires des immigrés vivant dans le foyer Sanacotra en 1975. Tout cela, les racialistes veulent l’effacer des mémoires.
Mais le concept réactionnaire de “lutte des races” ne se contente pas d’accentuer les divisions et de brouiller la mémoire des expériences ouvrières. Il permet aussi et surtout de nier le rôle historique du combat de la classe ouvrière et s’oppose frontalement à son projet révolutionnaire. Les racialistes apportent ainsi leur petite pierre à toute la propagande bourgeoise visant à nous faire croire que la classe ouvrière a disparu et que son projet historique serait non seulement “rétrograde”, mais surtout “absurde” et “dangereux”. En cela, il est encore un auxiliaire de conservation de l’ordre existant, un appendice politique de la bourgeoisie et de son idéologie.
La société bourgeoise véhicule toutes formes d’oppressions de race, de genre, d’orientation sexuelle… et le racialisme participe à leur accentuation. Au-delà de toutes les divisions que veut lui imposer la bourgeoisie pour nourrir l’exploitation et sa domination, la classe ouvrière, elle, porte un véritable projet historique, une perspective mondiale : celle d’une société sans classes, sans frontières ni exploitation. Un projet qui l’oppose radicalement au racialisme qui n’a rien d’autre à offrir qu’une fuite en avant dans la barbarie capitaliste.
Sven, 13 juillet 2018
1) Ce véritable appel au pogrom raciste a déjà trouvé une expression matérielle claire dans l’attaque, par un groupe de “racisés”, du local marseillais Mille Babords, le 28 octobre 2016, lors d’une réunion autour d’un texte sur le racialisme : Jusqu’ici tout va bien. Là, il n’est plus question “d’amour révolutionnaire”, mais bel et bien de répression des efforts militants de discussion sur le “racialisme” et des conceptions politiques qui ne plaisent pas ! Le “racialisme”, loin des discours lénifiants et des appels à la défense des “racisés”, a clairement montré l’un de ses buts : la répression des organisations qui se réclament de la lutte de classe. En clair, c’est un auxiliaire de police de la bourgeoisie !
2) Les Blancs, les Juifs et nous (p. 26).
3) La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste (mai 1990).
4) “Seul le Tout-Puissant est éternel. Personne ne peut lui disputer le pouvoir. Seuls les vaniteux le croient”, Les Blancs, les Juifs et nous (p. 132).
5) Pendant la Commune de Paris, par exemple, un prêtre dénonça Eugène Varlin, délégué de l’Internationale, à un officier qui le fit exécuter.
6) Voir les Thèses sur la démocratie bourgeoise rédigées par Lénine pour le premier Congrès de la IIIe Internationale, et qui datent de… 1919 !
Macron tient ses promesses, des promesses martelées tout au long de sa campagne électorale, appliquées depuis sans vergogne et à un train d’enfer. Dès la rentrée, le gouvernement réaffirmait sa volonté d’adopter de nouvelles “réformes” promises par le candidat Macron. Seul bémol, ces promesses ne sont pas celles du “vent du renouveau” promis sur le plan politique ou social, celles de la croissance retrouvée, de la baisse spectaculaire du chômage et des impôts, de l’augmentation du pouvoir d’achat, d’un plus grand dynamisme dans la vie sociale et le fonctionnement de l’État. Les promesses appliquées sont celles qu’il a faites à la classe dominante et à l’État, celles d’assumer les réformes économiques et sociales nécessaires pour préserver les profits et la compétitivité du capital national.
L’arsenal engagé contre les conditions de vie de la classe ouvrière ne fait pas dans la dentelle : assurance chômage, réforme des retraites, santé, fonction publique, formation professionnelle, éducation, tout y passe avec un objectif clairement affiché : faire des économies, rentabiliser les services, précariser les revenus… Ces attaques engagées dès l’année dernière avec les ordonnances Macron réformant le Code du travail, la réforme de la SNCF, le “plan Santé”, la suppression des emplois aidés, l’augmentation de la CSG (la liste n’est pas exhaustive), doivent désormais passer à la vitesse supérieure. Le gouvernement entend bien les assumer frontalement contre tous les exploités, actifs, retraités ou en devenir, au nom du “renouveau”.
Si une partie de la classe ouvrière a pu s’illusionner un moment, non sur des lendemains qui chantent, mais sur au moins quelques bouffées d’oxygène dans la vie (sinon la survie) au quotidien, le principe de réalité a violemment repris ses droits. D’autant plus quand les comportements claniques et de malfrats (comme avec l’affaire Benalla) deviennent la toile de fond de la prétendue nouvelle pratique du pouvoir.
Entre les pratiques douteuses mises en lumière par l’affaire Benalla et la perte de crédit de l’image présidentielle voulue charismatique et providentielle, la situation aux plus hauts sommets de l’État s’est fortement dégradée. Cela s’est exprimé dans les sondages, bien sûr, mais surtout dans les propres rangs de LREM, particulièrement dans la garde rapprochée de Macron lui-même. Cette tourmente au cœur du pouvoir a révélé combien les appuis et “amis” du président, roublards en diable et pourtant bien naïfs, s’étaient illusionnés eux-mêmes sur la capacité de ce nouveau Président à bousculer les vieilles structures étatiques et politiques. Finalement, les habitudes “monarchiques” de la Ve République restent d’actualité, en plus outrancier qu’auparavant. De même, les soutiens que Macron s’était forgé comme autant de garanties au succès de sa démarche “rénovatrice”, auxquels il s’accrochait comme à des bouées pour justifier le bien-fondé de sa démarche, se sont révélés parfois véreux dès le départ ou se sont avérés des soutiens conditionnels qui, à la première occasion, fuient le navire avec précipitation pour ne pas sombrer avec le capitaine Macron. De Nicolas Hulot à Gérard Collomb en passant par Laura Flessel, ces pointures aux dents longues du show-business ou de la politique ont d’autres ambitions que d’apparaître comme de vulgaires pantins du pouvoir au risque de se retrouver eux-mêmes définitivement plombés sur la scène politique.
Surtout, ces démissions sont autant de signes que ces ministres ne veulent en aucun cas être associés à la manière de mener les nouvelles attaques sociales. Des pointures aux petits pieds, tout comme en son temps, le ministre du Travail, Rebsamen, n’avait pas voulu assumer la responsabilité de la Loi Travail, laissant la place au fusible Myriam El Khomri pour prendre en charge cette attaque cinglante, ces ministres démissionnaires préfèrent retrouver un statut de “Monsieur Propre” : règne sans partage sur une municipalité pour l’un, icône écologique pour l’autre, et assumer peut-être un rôle “oppositionnel” crédible face aux attaques à venir.
Un des rares organismes à applaudir la Macronie, pour l’instant, est le FMI qui accorde son satisfecit à l’élève Macron même si ce dernier “peut mieux faire”. En fidèle serviteur bourgeois, le Président se doit d’être exemplaire dans le maintien du cap de réformes drastiques. Les attaques vont donc se poursuivre et s’accélérer. Sur ce plan, on peut effectivement lui faire confiance. Mais à plus long terme, la bourgeoisie va être confrontée à un problème épineux qui pourrait avoir des effets préjudiciables sur les rouages de l’appareil politique : un pouvoir en place dont la popularité désastreuse est loin de s’améliorer, une opposition qui, pour le moment, est inexistante et le spectre du parti populiste qui, bien qu’étant lui même en difficulté, peut revenir sur le devant de la scène et rendre la situation encore plus compliquée qu’elle ne l’est.
Concernant les retraites : le gouvernement travaille à remettre à plat les 37 systèmes de retraites français, réforme sur laquelle tous les gouvernements précédents se sont cassés les dents et qui est censée être adoptée avant l’été 2019. Dans le collimateur : tous les régimes spéciaux, notamment ceux des fonctionnaires. Le sujet est extrêmement sensible et le gouvernement dit “vouloir se laisser le temps”… jusqu’à la fin 2018 ! C’est sans compter sur la baisse déjà adoptée des pensions de retraite puisque, si l’âge légal de départ ne change pas, le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein a déjà augmenté. Tout cela sans parler de la nouvelle hausse de la CSG affectant les pensions et de l’éventuelle baisse du point d’indice, aujourd’hui murmurée mais qui annonce la couleur. Pour ceux qui auraient réussi à cotiser pour une retraite complémentaire permettant de mettre un peu de beurre dans les épinards de leurs vieux jours, c’est carrément un malus de 10 % pendant trois ans sur cette complémentaire qui sera appliqué !
La réforme de la fonction publique ? Macron veut tenir ses promesses de suppression de 120 000 postes. Ce grand ménage est déjà engagé avec la suppression des emplois aidés. Le “dégraissage du mammouth” (dixit le ministre du PS, Claude Allègre, en son temps) doit se poursuivre dans tous les services de l’État, les collectivités territoriales, hormis les forces de répression, bien sûr, qui, elles, seront mises de plus en plus à contribution pour, nous dit-on, sécuriser la société et même l’école ! Il s’agit plus sûrement de nous faire entendre raison dans la rue et réprimer quand nous refusons l’inacceptable !
Si l’incitation aux départs volontaires ou l’aide à la reconversion dans la fonction publique sont de mise pour l’instant, le gouvernement ne cache pas pour autant sa plus vaste volonté de contractualiser l’ensemble de la fonction publique : à savoir la fin de la garantie de l’emploi pour tous les fonctionnaires et la rémunération “au mérite”. On pourra travailler pour l’État 5, 10 ou 15 ans et se retrouver à la rue dès la fin du contrat : la précarisation de l’emploi public tel que tous les gouvernements en ont rêvé.
Autres chantiers allant dans le sens d’une modernisation du capital national : la réforme de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’assurance-chômage. Tout doit être mis en œuvre pour permettre de mieux “aligner” les compétences des actifs et des jeunes avec les besoins en qualification des entreprises. En clair : ne cherche plus de travail, laisse le travail te choisir ! Tu ne trouves pas de boulot dans ta branche ? “Traverse la rue” (selon les propos mêmes de Macron) et trouve un job ailleurs. De cette flexibilité dépendra d’ailleurs le niveau de ton salaire ou de ton indemnisation par l’assurance-chômage. La créativité gouvernementale au service de l’emploi ? C’est carrément une déclaration de guerre ouverte faite à la classe ouvrière !
Au nom de la “modernisation”, en fait celle de l’exploitation, le capital a toujours su justifier l’injustifiable et précariser les conditions de vie du prolétariat pour une rentabilité maximum de l’appareil productif. L’État, loin d’être à la remorque du “grand patronat”, souvent présenté comme le “donneur d’ordres” pour asséner les attaques, est en réalité le maître d’œuvre qui impose ses diktats économiques et sociaux à l’ensemble de la société et qui, pour ce faire, montre l’exemple.
Le prétendu Plan “anti-pauvreté” ? Pour cause de Coupe du monde de football, la réforme fut repoussée à cet automne. Il ne fallait pas gâcher la fête ! En effet, le sujet, lui aussi est sensible. Alors que Macron, des trémolos dans la voix, s’engageait en juillet à attaquer le “mal à la racine”, il déclare que “la stratégie de lutte contre la pauvreté ne se contentera pas de proposer une politique de redistribution classique et d’accompagnement social. Non pas de nouvelles aides, en solde de tout compte mais un accompagnement réel vers l’activité”. En clair, cela signifie qu’il ne s’agit plus d’entretenir et d’accorder des minima de survie aux pauvres sans emploi mais les inciter à “retrouver la vie active”, sous peine de suppression des aides sociales.
Outre l’attaque directe et frontale qu’ils sous-tendent, les propos de Macron sont une insulte faite aux prolétaires : non seulement ils sont rejetés par le capital, exploités jusqu’à l’os, mais également rendus coupables de leur situation et traités en parias. On retrouve chez Macron, avec des mots plus ampoulés, le même mépris et la même façon de leur cracher au visage que chez les chantres du populisme, comme Marine Le Pen, la même volonté de les rejeter et de les exclure en les désignant comme des “parasites” de la société et des “profiteurs”.
Nous pourrions poursuivre la liste de toutes les attaques en cours, celles sur les augmentations en série du prix de l’énergie, des transports, des contrôles techniques sur les véhicules, des assurances… tout cela au nom du combat écologique, de la santé, de la sécurité routière et de la solidarité. Ne pas y souscrire serait donc être irresponsable et égoïste. Après le mépris et l’hypocrisie, persiste toujours la logique de culpabilité.
Il en est de même vis-à-vis de la politique d’immigration, de la répression directe et du rejet planifié de tous ces prolétaires chassés par la guerre et la barbarie. Ils ont risqué leur peau mille fois avant d’arriver en Europe et la réponse du pouvoir, en France comme ailleurs, c’est : “dehors” ! La réforme gouvernementale sur ce plan est une variante subtile des différents “murs” contre l’immigration, administratifs ou physiques, que mettent en place tous les États. Que l’on ne s’avise pas de soutenir, accueillir, aider un de ces prolétaires exilés : cette solidarité est considérée comme un délit et réprimé comme tel ! Le gouvernement n’hésite donc pas à assumer des politiques ouvertement réactionnaires afin de ne pas laisser le champ libre au populisme.
Ces coups assénés aujourd’hui et demain ne sont pas acceptables et la colère va maintenant grandissante, au-delà d’un simple mécontentement passager.(1) On l’a vu au printemps avec le mouvement de lutte à la SNCF et l’attaque frontale contre le statut et les conditions de vie des cheminots. L’échec de la lutte, son isolement, le pourrissement de celle-ci entretenu sciemment par les syndicats et le pouvoir pendant de très longues semaines, n’a pas abouti à la démoralisation générale et au sentiment d’impuissance espérés par la bourgeoisie pour préparer les attaques en cours.
La colère ouvrière est bien présente même si elle s’exprime difficilement ; souvent de manière éparpillée et isolée. Ce fut le cas lors de la journée d’action du 9 octobre où le besoin de lutter s’est fait sentir, mais où l’expectative sur la manière de procéder a abouti à défiler sagement derrière les syndicats, sans remise en cause générale du cloisonnement de la lutte, sans possibilité réelle de discuter des perspectives.
Quelques minorités d’ouvriers, comme le collectif ouvrier de Nantes,(2) et sûrement quelques autres, tentent de réfléchir, en tirant le bilan de la lutte SNCF, par exemple, en refusant la “fatalité” de l’échec, refusant le sabotage syndical et tentant de poser des questions plus larges pour la lutte, pour la transformation de la société. Ces minorités expriment de façon embryonnaire les potentialités de lutte de la classe ouvrière qui réagit encore avec difficulté mais ne veut plus baisser la tête.
La bourgeoisie le sait pertinemment et n’a en aucun cas déclaré forfait. Au contraire, elle a tiré le bilan des confrontations passées avec la classe ouvrière, elle connaît ses points faibles et son manque de confiance en elle. La bourgeoisie peut s’appuyer sur les maîtres du sabotage que sont les syndicats, même s’ils sont aussi en partie plus ou moins discrédités, pour encadrer le mécontentement ouvrier et l’orienter vers des actions stériles, isolées, les user jusqu’à la démoralisation pour que les attaques de plein fouet puissent passer. Les syndicats ont su jouer le jeu de la fragmentation en appelant à différentes journées de grève, corporation par corporation. La grève dans l’Éducation nationale du 12 novembre a ouvert le bal, témoignant de cette manœuvre visant à renforcer le désarroi.
Retrouver la confiance dans nos forces, avoir la capacité de dépasser les divisions, savoir refuser les sabotages syndicaux, se regrouper pour réfléchir sur la lutte, tout cela est une nécessité. Derrière le mécontentement qui se renforce, la lente et difficile maturation de la conscience reste autant marquée par la fragilité que semée d’embûches. Mais la patience et la lucidité restent les principales vertus des révolutionnaires.
Stopio, 16 novembre 2018
1) À l’heure où nous mettons sous presse, la mobilisation des “gilets jaunes”, initiée sur les réseaux sociaux, s’apprête à mener des actions de blocage, le samedi 17 novembre, notamment contre la flambée des prix du carburant. Ce mouvement apparaît comme l’expression d’une immense colère de la population. Mais par son caractère protéiforme, il est déjà comparé à une sorte de “jacquerie” du même genre que la mobilisation des “bonnets rouges” en Bretagne. Par son “apolitisme” affiché et ses appels à la “mobilisation citoyenne”, largement relayés par les médias, ce mouvement se situe non pas sur le terrain de la lutte de la classe ouvrière mais sur celui sur de l’inter-classisme et de l’idéologie petite-bourgeoise. La présence d’ouvriers en son sein se fait davantage sur la base d’initiatives individuelles d’ “automobilistes excédés” que sur celle de prolétaires conscients, capables d’imposer un combat de classe autonome. De ce fait, ce mouvement est non seulement sujet à toutes formes de récupérations politiques, mais il apparaît comme une nébuleuse confuse dans laquelle la petite-bourgeoisie est souvent à l’initiative et marque de son idéologie bon nombre d’actions et de revendications. Même si Macron et le gouvernement semblent préoccupés par les questions de sécurité et si la bourgeoisie s’inquiète des difficultés pour encadrer cette colère qui navigue à vue, la classe ouvrière est la seule force sociale capable de faire reculer l’État. Face aux offensives anti-ouvrières, seul le prolétariat peut en effet offrir une réelle perspective.
2) Lire : “Lutte des ouvriers de la SNCF: un collectif d’ouvriers tire le bilan”, RI n° 472.
En 2008, la crise financière qui a frappé de plein fouet les États-Unis, avec les faillites en cascade de plusieurs banques, a plongé subitement des millions de prolétaires dans la misère. Parmi les principaux acteurs emblématiques du secteur bancaire, Lehman Brothers, un des grands piliers du système économique américain, a brusquement fait faillite provoquant la panique dans tout le système bancaire international dont elle était un des acteurs de premier plan.
Grâce aux prêts accordés aux établissements bancaires par la banque d’investissement Lehman Brothers, ces dernières avaient octroyé des crédits immobiliers hypothécaires à taux variables (les subprimes) à des ménages précaires. Ces ouvriers, parmi les plus pauvres des États-Unis, se sont fait arnaquer en croyant que ces crédits à long terme allaient leur permettre d’acheter leur maison. En réalité, les taux étaient “intéressants” tant que le prix de l’immobilier était en hausse. Les nouveaux propriétaires potentiels pouvaient ainsi revendre leur bien immobilier en faisant une plus-value permettant de rembourser leur emprunt s’ils ne pouvaient plus payer leur créance. Mais fin 2006-début 2007, le marché de l’immobilier s’effondre aux États-Unis. Les taux de crédit variables des subprimes augmentent et les ouvriers ne peuvent plus rembourser. Les banques prêteuses ont alors voulu récupérer les maisons hypothéquées et se sont lancées, sans aucun état d’âme, dans une gigantesque et sordide opération de saisies immobilières. Ce sont 7,5 millions de familles ouvrières qui ont été, du jour au lendemain, brutalement jetées à la rue, expulsées de leur logement, parfois manu militari avec l’aide de la police. Tandis que ces familles se sont retrouvées sans toit, obligées pour certaines de dormir dans des abris de fortune ou de se faire héberger, la plupart des maisons saisies pour être revendues n’ont trouvé aucun acquéreur.
Il est clair que ces ouvriers se sont fait tout simplement escroquer en croyant naïvement pouvoir accéder à la propriété grâce aux crédits “intéressants” qu’on leur a fait miroiter. La plupart d’entre eux ne savaient d’ailleurs même pas ce que les banques leur avaient fait signer ! Ces familles ouvrières ont été ainsi directement victimes des requins capitalistes du “monde de la finance”, un secteur particulièrement pourri et corrompu de la classe dominante.
L’État américain n’a évidemment rien fait pour empêcher cette catastrophe humaine. Au contraire, c’est de façon délibérée qu’il a laissé Lehman Brothers mettre la clef sous la porte. L’État américain porte donc une responsabilité de premier plan dans la plongée de millions de prolétaires dans la misère et le dénuement aggravé par l’explosion de la “bulle immobilière”.
Si la banque centrale américaine a décidé de laisser couler Lehman Brothers (alors qu’elle a soutenu d’autres banques au bord de la faillite), c’est parce que la première puissance mondiale voulait faire un exemple et tirer la sonnette d’alarme afin que toute la bourgeoise des principaux États industrialisés se mobilise pour sauver le système financier international, le spectre d’un krach boursier identique, voire pire que celui de 1929 étant à l’horizon. Les principales banques européennes ont également investi dans les subprimes, croyant faire des placements juteux. Après la faillite de Lehman Brothers, la secousse a immédiatement touché les autres grands pays industrialisés. Dès le départ, la menace d’autres faillites et l’annonce d’un possible “effet domino” ont accompagné l’explosion de la bulle immobilière. Pour endiguer le risque de faillites en chaîne ; les États et les banques centrales, en Europe comme aux États-Unis, ont été obligés de mettre en place des plans de sauvetage d’urgence. En Grande-Bretagne, le gouvernement nationalise immédiatement certaines banques, notamment Northern Rock. En France et en Allemagne, l’État décide d’injecter une masse colossale de liquidités dans les caisses des grandes banques pour éviter la banqueroute et l’effondrement du système financier mondial. Mais ces mesures d’urgence ont eu comme conséquence, en creusant davantage l’endettement des États, d’aggraver le chômage et la précarité. Les cures d’austérité déployées par la classe dominante pour tenter d’atténuer quelque peu le déficit des États se sont rapidement faites sentir dans les pays les plus vulnérables tels que la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et progressivement dans l’ensemble des pays développés de la planète.
Aujourd’hui, alors que la menace d’une nouvelle secousse financière plane de nouveau sur le monde, les médias ont repris une propagande sournoise autour de l’anniversaire des dix ans de la faillite de Lehman Brothers. Au nom du “sauvetage” de l’économie mondiale, les États ont désigné des coupables idéaux en faisant peser la responsabilité de la crise sur le “monde de la finance”, incarné par les “traders” et les “patrons voyous”. Tout cela afin d’innocenter le système capitaliste dans son ensemble.
En exploitant efficacement les nationalisations et le rôle des banques centrales dans le renflouement des caisses de celles menacées par la faillite, la bourgeoisie en a profité pour mener une offensive idéologique présentant l’État comme le régulateur des “excès” de la finance et le protecteur des petits épargnants. C’est justement grâce au rôle de l’État présenté comme le “sauveur de l’économie mondiale” que les gouvernements de tout poil ont pu justifier, en partie, la nécessité de pressurer davantage les salariés afin d’accroître la compétitivité des économies nationales sur le marché mondial et réduire la dette de leur État respectif.
Contrairement aux mensonges qui ont alimenté et alimentent encore les discours officiels, ce n’est pas la crise financière de 2008 qui a initié le train des “réformes” qui n’ont fait que dégrader les conditions de vie des prolétaires en remettant en cause de prétendus acquis sociaux. Si les grandes “réformes” et les attaques massives contre les conditions de vie et de travail se sont fortement aggravées partout dans le monde après cette dramatique secousse de 2008, elles étaient déjà en cours depuis des décennies. Toutes ont été orchestrées par les États et leurs gouvernements, de droite comme de gauche, qui se sont succédés sans bien sûr parvenir à résoudre la crise.(1)
On comprend donc mieux la propagande idéologique déchaînée en 2008 qui avait pour but de donner une explication frauduleuse en faisant passer le symptôme de la crise financière pour la maladie, celle de la crise historique de l’économie capitaliste. Depuis le retour de la crise ouverte du capitalisme à la fin des années 1960, des rechutes de plus en plus profondes sont venues ponctuer la vie sociale. À chaque fois, la bourgeoisie a su trouver des justifications et des boucs émissaires. En 1973, c’était la faute du “choc pétrolier” ! À l’époque, les fauteurs de troubles étaient ces pays du Golfe et leurs princes roulant sur l’or. En 1987, 1998, 2001 et 2008, ce fut au tour de la finance et des banquiers d’être pointés du doigt. Mais jamais ces campagnes idéologiques ne furent aussi intenses qu’en 2008. Ainsi, on a pu entendre toute sorte de discours fallacieux sur la nécessité d’assainir le système bancaire, de “moraliser” les banques en sanctionnant les spéculateurs véreux et les banquiers “irresponsables”, tel le PDG de Lehman Brothers, présenté par les médias comme “l’homme le plus détesté de l’Amérique”.
Aux dires même de tous les responsables bourgeois, de tous les “spécialistes” de l’économie, la crise de 2008 est la plus grave qu’ait connu le système capitaliste depuis la grande dépression qui a débuté en 1929. Cependant, les explications qu’ils donnent ne permettent évidemment pas de comprendre la véritable signification de ces convulsions et la perspective qu’elles annoncent pour l’ensemble de la société et notamment pour la classe ouvrière.
Aujourd’hui, ce qui est occulté par l’ensemble des “spécialistes” de l’économie, c’est la crise de surproduction de ce système, son incapacité à vendre la masse des marchandises qu’il produit. Bien sûr, il n’y a pas surproduction par rapport aux besoins réels de l’humanité (que le capitalisme est incapable de satisfaire), mais surproduction par rapport aux marchés solvables, en moyens de paiement pour cette production. Les discours officiels se focalisent sur la crise financière, sur la seule faillite des banques, mais en réalité, ce que les thuriféraires bourgeois appellent “l’économie réelle” (par opposition à “l’économie fictive”) est illustrée par le fait que chaque jour on annonce des fermetures d’usine, des licenciements massifs, des faillites d’entreprise.
Lors de la crise de 2008, la chute du commerce mondial a révélé l’incapacité pour les entreprises de trouver des acheteurs pour écouler leur production. Ainsi, ce n’est pas la crise “financière” (et encore moins la faillite de Lehman Brothers) qui était à l’origine de la récession ouverte en 2008. Bien au contraire, cette crise financière n’a fait que révéler que la fuite en avant dans l’endettement, comme palliatif à la surproduction ne pouvait se poursuivre indéfiniment. Tôt ou tard, “l’économie réelle” se venge, c’est-à-dire que ce qui est à la base des contradictions du capitalisme (l’incapacité des entreprises à vendre la totalité des marchandises produites), revient au-devant de la scène. Cette crise de surproduction n’est pas une simple conséquence de la crise “financière” comme essaient de le faire croire la plupart des “spécialistes” bourgeois. C’est dans les rouages mêmes de l’économie capitaliste qu’elle réside, comme l’a mis en évidence le marxisme depuis un siècle et demi.
Comme le disaient Marx et Engels dans le “Manifeste du Parti communiste” de 1848, la société est devenue trop riche ! Le capitalisme produit beaucoup trop de marchandises alors que les marchés solvables se contractent de plus en plus, comme en témoigne la guerre commerciale acharnée entre les États-Unis et l’Europe, qui doivent en plus affronter la compétitivité des marchandises chinoises.
Aujourd’hui le capitalisme est asphyxié par le poids faramineux de l’endettement. En même temps, il ne peut se maintenir, de façon artificielle, que grâce au crédit. La seule “solution” que la bourgeoisie est capable de mettre en œuvre est… une nouvelle fuite en avant dans le cercle vicieux de l’endettement. Avec le développement de la spéculation, ce mode de production, basé sur la recherche du profit, ressemble de plus en plus à une économie de casino. Le remède consistant à injecter des liquidités dans les caisses des principales banques ne peut, en réalité, qu’aggraver le mal, notamment en accentuant la crise de la dette souveraine des États.
Dix ans après le séisme de 2008, et malgré les plans de sauvetage d’urgence du système financier, malgré une certaine “reprise” apparente et très fragile des taux de croissance en 2012-2013, l’inquiétude saisit à nouveau la classe bourgeoise. Les dix années de cure d’austérité n’ont rien changé sur le fond. Les États restent surendettés et les banques centrales gavées d’actifs plus que douteux. La croissance mondiale ralentit à nouveau. Tous les acteurs prennent de plus en plus de risques. Depuis le milieu de l’année 2018, les médias et les discours des économistes bourgeois tirent la sonnette d’alarme et redoutent une situation identique, voire pire, que celle de 2008. En développant ces discours alarmistes, et ces campagnes sur les dérives du monde de la finance, la bourgeoisie cherche à terroriser et paralyser la classe ouvrière derrière la défense de l’ “État sauveur”. Pour ne pas entraver les “plans de sauvetage” (illusoires !) du système financier, les prolétaires sont évidemment appelés à se serrer encore la ceinture, à accepter de nouveaux sacrifices sur leur pouvoir d’achat.
Face à la barbarie du capitalisme, révélée notamment en 2008 par le scandale des millions d’expulsions d’ouvriers de leur logement dans le pays le plus riche du monde, le prolétariat n’aura pas d’autre choix que de reprendre partout le combat pour la défense de ses conditions de vie et contre l’ordre social de ses exploiteurs. Il devra comprendre pour cela que loin d’être un “protecteur neutre”, qui lutte contre les dérives spéculatives des traders, l’État bourgeois est avant tout un organe de répression et de conservation de tous les méfaits du capitalisme. La faillite des banques et des entreprises ne fait que révéler la faillite du mode de production capitaliste qui n’a aucun avenir à offrir à l’humanité. La seule solution à la crise, c’est le renversement de ce système et la destruction de l’État par la classe qui produit toutes les richesses de la société : la classe ouvrière mondiale.
Sonia, 17 novembre 2018
1) C’est d’ailleurs cela qui explique en partie le fort discrédit des partis politiques traditionnels aux yeux de la classe ouvrière. Aux États-Unis, c’est le rejet de l’establishment, en particulier dans les régions industrielles sinistrées, qui a poussé une grande partie de la classe ouvrière à voter pour Trump.
Pour compter ses soutiens dans sa campagne au poste de secrétaire général de Force ouvrière (FO), Pascal Pavageau a établi, avec ses collaborateurs, un fichier recensant les délégués et responsables locaux du syndicat. Le document les divise en fonction de leur capacité à appuyer sa candidature ou, au contraire, à constituer une entrave à son accession au pouvoir suprême. Mais le fichier ne s’arrête pas là et fait figurer leur appartenance politique, leur orientation sexuelle, leur état de santé ou des appréciations plus triviales : “niais”, “bête”, “ordure”, voire, pour donner le change, “trop intelligent pour être au bureau confédéral”… un bureau visiblement porté en haute estime par l’aspirant au poste de secrétaire général.
Cette affaire a suscité un vrai scandale médiatique de la part d’un syndicat qui dénonce, en apparence, ces pratiques récurrentes et identiques à celles qui existent dans les entreprises ou les administrations comme la CPAM, certaines grandes écoles ou France Télévisions… des pratiques qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les ouvriers savent bien comment leur hiérarchie les surveille et les enferme dans des cases caricaturales et méprisantes, où les “alcooliques” côtoient les “homos” et où les “fainéants” sont opposés aux “bons petits soldats”. Le fichage, la catégorisation, la morgue avec laquelle on apprécie les subordonnés est une constante dans le fonctionnement de la bourgeoisie.
Les syndicats ne dérogent nullement à ces pratiques. Cette affaire n’a rien d’un quelconque abus ou d’une vulgaire anomalie. Le fichage et la surveillance ne sont en rien étrangers à l’esprit du syndicalisme et ne peuvent être réduits à l’esprit malsain d’un individu qui n’aurait rien à faire dans un syndicat. Ce n’est d’ailleurs pas parce que Pavageau a démissionné que le problème est parti avec lui. Cette affaire met au contraire en lumière le fonctionnement quotidien de ces organes de l’État bourgeois que sont les syndicats et des luttes intestines pour l’accession aux postes clés en leur sein. Finalement, les syndicats ne diffèrent en rien des entreprises capitalistes qu’ils prétendent dénoncer.
FO avait déjà été pointée du doigt au début des années 2000 et condamnée pour avoir surexploité le chauffeur du secrétaire général de l’époque, Blondel, au mépris de toutes les règles du Code du travail. “Faites ce que je dis mais pas ce que je fais” ! Les chauffeurs de Blondel avaient d’ailleurs été payés par la ville de Paris, sous Chirac, pendant plus de dix ans…, c’est dire l’indépendance des syndicats vis-à-vis de l’État !
Rappelons également le goût du luxe de Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT, lui aussi poussé à la démission en 2015 après avoir engagé des sommes faramineuses pour faire décorer son bureau à la mesure des efforts entrepris pour parvenir au sommet de la bureaucratie syndicale. Ce même goût du faste est d’ailleurs aussi à la mode au sein de FO puisque de récentes révélations ont mis en lumière le train de vie dispendieux de ses cadres dont les notes de frais et les salaires s’élèveraient à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme quoi, l’État sait se montrer reconnaissant envers ses serviteurs les plus zélés. Ne nous y trompons pas, les Mailly, Pavageau et consorts se moquent royalement de la misère des ouvriers et de leurs conditions d’exploitations insupportables. Les privilèges que se voient octroyer tous ces nouveaux nababs en disent long sur la place réelle qu’occupent les syndicats au sein de l’État.
Si scandale il y a, c’est dans le fait que les syndicats se présentent comme les défenseurs de la classe ouvrière contre le patronat, poussent des cris d’orfraie hypocrites dès que de tels méfaits sont mis en lumière. Les dirigeants syndicaux ne sont en réalité que des parvenus ayant les mêmes mœurs politiques que tous les patrons dans la gestion d’une entreprise ou d’une administration. Depuis la Première Guerre mondiale et l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicats ne sont plus des organismes de défense des intérêts économiques de la classe ouvrière, comme c’était le cas au XIXe siècle, à l’époque où le capitalisme était encore un système progressiste et où la bourgeoisie pouvait, sous la pression des ouvriers organisés en syndicats, améliorer les conditions de vie des exploités. Aujourd’hui, les syndicats sont devenus des organes d’encadrement bourgeois, parfaitement intégrés à l’appareil étatique… Ils sont associés partout à la gestion anti-ouvrière des organismes comme la Sécurité sociale, les Caisses de retraite, l’assurance chômage, etc. Ils sont impliqués dans tous les projets de la bourgeoisie touchant aux questions économiques et sociales, dans tous les rouages de l’administration et des entreprises, grandes ou petites. Ils sont ainsi l’objet d’enjeux de pouvoir et de concurrence acharnée comme n’importe quelle organisation bourgeoise, d’autant plus qu’ils sont assis sur un budget annuel global estimé à quatre milliards d’euros, (1) ce qui ne manque pas d’attirer les convoitises. La dernière affaire du fichier de Pavageau montre une fois de plus que le prolétariat ne peut plus compter sur les syndicats pour défendre ses intérêts, car rien ne pourra les faire dévier de leur tâche de force d’encadrement, de garde-chiourmes et d’étouffement de la classe ouvrière.
HD, 26 octobre 2018
1) Selon le rapport parlementaire Perruchot (2011).
Dans sa revue Lutte de classe n° 186, l’organisation trotskiste Lutte ouvrière (LO) a publié un long article intitulé “Bordiguisme et trotskisme” dans lequel elle stigmatise (en paraphrasant Lénine) la “maladie infantile” de la Gauche communiste : son “sectarisme”. D’après LO, ce serait cette “tare congénitale” de la Gauche communiste qui expliquerait qu’ “aujourd’hui, la Gauche communiste a éclaté entre différents petits groupes sans influence, sans avoir jamais vraiment réussi à essaimer en dehors de l’Italie”.
Dans son offensive contre la Gauche communiste, LO utilise, pour duper le lecteur, un stratagème parfaitement malhonnête consistant à réduire la Gauche communiste non seulement à la Gauche italienne, mais aux seules organisations du courant “bordiguiste”. On y apprend ainsi que la Gauche communiste d’Italie aurait été incapable de transmettre la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier du fait de son “ignorance des débats politiques qui ont traversé dans les années 1930 le mouvement communiste international. Mais les militants du courant bordiguiste, pour beaucoup, vivaient alors dans l’émigration (notamment en France) et avaient la possibilité de connaître ces débats et de se confronter au courant que représentait l’Opposition de gauche trotskiste, elle-même véritable héritière politique de la révolution russe et du léninisme. Mais leur choix fut justement de s’en isoler et de se replier sur leur sectarisme, sur une base nationale faite avant tout d’ignorance de ce qu’étaient les autres courants, à commencer par le courant trotskyste dont les positions n’ont été que bien peu connues en Italie. Une grande partie de ce qui a été la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier n’a ainsi, tout simplement, pas été transmise”.(1)
LO emploie comme argument massue pour démontrer le “sectarisme” de la Gauche communiste une citation de Trotsky à propos de la Gauche italienne dans les années 1930 : “La période préparatoire de propagande nous a donné des cadres sans lesquels nous n’aurions pu faire de pas en avant, mais en même temps elle a favorisé au sein de l’organisation, en tant qu’héritage, l’expression de conceptions très abstraites de la construction du parti révolutionnaire et de la nouvelle Internationale. Dans leur forme chimiquement pure, ces conceptions ont été exprimées de la façon la plus complète par cette secte morte que forment les bordiguistes, qui espèrent que l’avant-garde du prolétariat se convaincra toute seule, à travers la lecture d’une production théorique de difficile lecture, de la justesse de leurs positions et ainsi se retrouvera autour de leur secte”. En s’appuyant sur cette citation, LO fait ainsi passer, tout au long de son article, l’intransigeance de la Gauche italienne dans la défense des principes prolétariens, tant politiques qu’organisationnels, pour une attitude de “secte morte” (dixit Trotsky !).
Si le “sectarisme” signifie l’intransigeance impitoyable envers tous les partis et courants qui défendent les intérêts de la classe dominante contre le prolétariat, alors, oui, la Gauche communiste est “sectaire” comme étaient “sectaires” les spartakistes, les bolchéviks et toutes les petites minorités révolutionnaires qui ont combattu les sociaux-chauvins en 1914 et dénoncé la trahison des partis socialistes. En réalité, si LO ne voit dans l’intransigeance révolutionnaire de la Gauche communiste que du “sectarisme”, c’est parce que cette officine trotskiste appartient au camp de la bourgeoisie (même si ses militants sincères n’en ont pas conscience). C’est bien pour cela que LO, malgré la trahison des partis “socialistes” en 1914 et leur intégration définitive à l’appareil d’État bourgeois, n’a eu aucun scrupule à appeler les ouvriers à voter pour le candidat “socialiste” aux élections présidentielles non seulement en 1974 mais également en 1981 et en 2007. L’État bourgeois peut donc bien décerner à LO la palme d’or du “non sectarisme” pour ses bons et loyaux services contre la classe ouvrière.
Contrairement au trotskisme, la Fraction de la Gauche communiste d’Italie,(2) exclue par les staliniens du Parti communiste d’Italie, avait compris que le combat contre la dégénérescence de l’Internationale communiste, puis la contre-révolution triomphante, passait par la capacité des minorités révolutionnaires à tirer les leçons de la vague révolutionnaire débutée en Russie en 1917. En publiant Prometeo en italien et Bilan en français, la Fraction s’efforça de regrouper les maigres forces révolutionnaires de l’époque autour de la défense de principes prolétariens bafoués par le stalinisme.(3) Après l’échec de la vague révolutionnaire et la victoire de l’opportunisme au sein de l’Internationale communiste, il était impossible de créer immédiatement un nouveau Parti mondial du prolétariat. Il fallait tout d’abord tenter de redresser l’Internationale puis, après la trahison irrémédiable de tous les Partis communistes, construire un “pont” vers la constitution du prochain Parti révolutionnaire une fois la contre-révolution surmontée.(4)
À l’opposé, la notion d’Opposition (“loyale”, pourrait-on ajouter) revendiquée par Trotsky reflétait une énorme confusion sur la nature de la fraction stalinienne qui était censée (ou tout au moins une partie de celle-ci) pouvoir évoluer vers des positions révolutionnaires.(5) Cette confusion est la cause de toute la dérive opportuniste du courant de Trotsky durant les années 1930. Celui-ci, profitant de l’aura que lui conférait le rôle fondamental qu’il a joué dans la révolution russe, a entraîné les minorités révolutionnaires dans des impasses et des crises, jusqu’à la catastrophe qu’a représenté pour l’Opposition trotskiste la politique d’entrisme dans les partis sociaux-démocrates, alors que ces partis étaient passés dans le camp bourgeois en 1914 et n’avaient pas hésité à noyer dans le sang les soulèvements prolétariens (notamment en 1919 en Allemagne) au moment où l’extension internationale de la révolution russe était vitale pour la classe ouvrière.
LO préfère néanmoins colporter une critique douteuse et malhonnête de Rosmer, recyclée ensuite par Trotsky, selon laquelle la Gauche italienne aurait fait le “choix”, dans les années 1930, de “s’isoler et de se replier” sur sa “base nationale”. Le “courant bordiguiste” et ses “avatars” n’auraient jamais su sortir de leur dimension nationale italienne, ignorant et évitant “de se confronter au courant que représentait l’Opposition de gauche trotskiste”. On peut d’ores et déjà noter avec quel aplomb LO réduit la réaction prolétarienne contre le stalinisme à la seule Opposition trotskiste, faisant mine d’ignorer le rôle de la Fraction italienne et d’autres groupes exclus du parti stalinien à la fin des années 1920 et au début des années 1930. En réalité, la Gauche communiste italienne était loin d’ignorer les positions de l’Opposition trotskiste comme le prétend LO. Elle collabora loyalement aux travaux de l’Opposition et adhéra à son Secrétariat international, bien qu’elle refusât de s’impliquer dans la direction en l’absence d’une plateforme programmatique claire.
Il n’est, à ce titre, guère étonnant que l’article de LO se focalise entièrement sur “le bordiguisme”. En réduisant la Gauche communiste à sa seule composante “bordiguiste” en Italie, LO travestit la réalité et occulte délibérément l’existence de tout un mouvement international de résistance à la dégénérescence de l’Internationale communiste puis à la contre-révolution : celui d’une Gauche communiste qui existait en Allemagne, en Hollande, en Belgique et même en Russie et au Mexique. Une Gauche qui a su tirer, de façon beaucoup plus profonde que l’Opposition de Trotsky, les leçons de la défaite de la première vague révolutionnaire. La Gauche communiste a ainsi été capable de combattre sans ambiguïté la théorie stalinienne de la construction du “socialisme dans un seul pays”. Elle a su comprendre la nature contre-révolutionnaire de l’URSS où ne subsistaient aucun “acquis ouvriers”, contrairement aux affirmations de Trotsky, des “acquis” qu’il fallait “défendre” selon lui. La justesse de cette analyse s’est d’ailleurs pleinement confirmée avec la participation de l’URSS dans la seconde boucherie impérialiste de 1939-1945.
Alors que les trotskistes ont participé à la “Résistance” en appelant les prolétaires à prendre les armes contre “l’occupant nazi”, les militants de la Gauche communiste, quant à eux, ont appelé, quand ils le pouvaient et au péril de leur vie, non pas à la “collaboration avec les boches” mais à la fraternisation entre les prolétaires allemands en uniforme et ceux des pays “Alliés” du “camp démocratique”. Contrairement aux trotskistes, ils ont maintenu, à contre-courant, le vieux mot d’ordre du mouvement ouvrier : “Les Prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !” Ce n’est donc pas le courant issu de l’Opposition trotskiste, mais bien celui de la Gauche communiste, qui a su défendre la “tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier” ! (6)
En se focalisant sur le seul Bordiga et sa prétendue inexpérience des luttes qui n’eut “guère l’occasion de se corriger”, LO cherche également à maquiller la réalité en présentant les militants de la Gauche communiste comme une expression strictement intellectuelle et abstraite, celle de beaux-parleurs dans leur tour d’ivoire. En réalité, la Fraction, dont la contribution demeure parmi les plus précieuses de l’histoire du mouvement ouvrier du XXe siècle, était majoritairement composée d’ouvriers, qui avaient une expérience bien réelle des luttes et qui s’étaient confrontés âprement à la répression des staliniens et des fascistes (alors que la grande majorité des militants trotskistes de l’époque étaient des intellectuels ayant très peu d’expérience des luttes ouvrières, particulièrement en France).
L’article de LO dénature ainsi complètement la démarche profondément internationaliste (et non “sectaire” et “nationale”), de la Fraction italienne qui eut toujours le souci de participer à toutes les discussions et d’intervenir auprès des groupes prolétariens avec l’objectif de clarifier au maximum les questions politiques, sans jamais céder pour autant aux sirènes de l’unification opportuniste et précipitée des différentes tendances oppositionnelles de l’époque. Alors que ses membres étaient soit en prison soit, pour la plupart, exilés en France, la Fraction italienne chercha à participer de façon très fraternelle à la vie et aux débats de toutes les organisations rattachées à l’Opposition : avec l’opposition allemande dirigée par Landau, avec l’opposition espagnole dont le représentant, Andrés Nin, vivait à Berlin, avec la Ligue communiste de Naville et Rosmer. Elle eut également des relations étroites avec l’opposition belge, en particulier le groupe bruxellois de Hennaut.
Tout en reconnaissant l’héritage politique de cette immense figure de la révolution russe qu’était Trotsky, la Gauche italienne s’opposa à ses orientations opportunistes et ses confusions, notamment sur la question organisationnelle. Partisan “d’avancées pratiques” dans un cours historique orienté, comme l’avait très bien vu la Gauche italienne, vers une nouvelle guerre impérialiste mondiale, Trotsky multiplia les concessions opportunistes, voire les manœuvres auprès d’éléments confus et même d’aventuriers politiques (tel Molinier), afin de réunir autour de lui ce qui s’apparentait de plus en plus à un club de supporters dévoués.
L’intégration éclair de la Nouvelle opposition italienne (NOI) à l’Opposition internationale est, à ce titre, particulièrement significative des méthodes qu’employa Trotsky dans sa logique d’agglomération artificielle de groupes et de personnalités. À partir d’avril 1930, trois fonctionnaires du Parti communiste italien, après avoir exclu un mois plus tôt Bordiga pour “trotskisme”, quittèrent le Parti pour des motifs mineurs (en fait des querelles d’influences) et rejoignirent aussitôt l’Opposition sous l’appellation de NOI, sans que la Fraction soit même consultée. Trotsky manœuvrait déjà dans son dos pour créer ex nihilo une section italienne de l’Opposition plus docile, aboutissant à l’exclusion bureaucratique et sans aucun débat de la Fraction juste avant la conférence de l’Opposition en 1933.
Ce travail de sélection s’opéra partout où Trotsky rencontrait des obstacles pour faire de l’Opposition son instrument politique à lui : en France avec Rosmer ou le groupe de Gourget, en Belgique avec le groupe de Van Overstraeten, en Espagne avec celui de Nin ou en Allemagne avec le groupe de Landau. Si bien qu’à la conférence de 1933, l’Opposition, expurgée de ceux avec qui “la discussion (…) s’avéra difficile” (selon les mots de LO), n’apparaissait plus, en effet, que comme une organisation strictement trotskiste.
La multiplication des crises et des scissions au sein de l’Opposition confirma rapidement la justesse de la méthode de la Gauche italienne. Le patient et précieux combat de la Fraction, loin de réduire la Gauche à “l’impuissance” et aux “formules sans lien avec la réalité”, a permis, au contraire, que resurgissent et se maintiennent, encore aujourd’hui, d’authentiques courants révolutionnaires. La clarté et l’expérience acquises au sein de la Fraction italienne par Marc Chirik (MC) ont permis, sous son impulsion, que se forme pendant la Seconde Guerre mondiale la Fraction française de la Gauche communiste qui deviendra plus tard la Gauche communiste de France (GCF). Que ce soit au sein de l’Opposition ou dans la Gauche italienne, avec la GCF ou, plus tard, au sein du CCI, MC a toujours lutté contre toute démarche “sectaire” à l’intérieur d’un milieu politique internationaliste clairement délimité par des principes prolétariens. (7)
Bien que les énormes confusions de Trotsky sur la situation historique l’aient conduit à se fourvoyer dans la guerre d’Espagne en 1936 (qu’il analysait non comme les préparatifs pour la Seconde Guerre impérialiste mondiale à venir, mais comme les prémisses d’une nouvelle vague révolutionnaire) et à défendre l’antifascisme, il n’est pas allé jusqu’à la trahison ouverte avant son assassinat par les staliniens.
Trotsky a néanmoins légué à la plupart de ses émules des méthodes organisationnelles et un opportunisme politique qui furent la faille dans laquelle s’engouffra le courant dit “trotskiste” lors de la Seconde Guerre mondiale. À l’épreuve de la guerre et en dépit des questionnements de Trotsky lui-même, à la fin de sa vie, sur la nature impérialiste de l’URSS, le trotskisme rejeta le slogan des bolcheviks : “transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !”, lui préférant la guerre pour “la défense de la patrie soviétique”. Les trotskistes rejoignirent pour la plupart la “Résistance” et y furent très actifs, dénonçant même les militants internationalistes, ceux de la Gauche communiste, comme des “agents du fascisme”. Cette trahison de l’internationalisme prolétarien, au nom de l’antifascisme, de la défense de l’URSS et de ses prétendus “acquis ouvriers”, marqua le passage définitif du trotskisme dans le camp de la bourgeoisie.
C’est sur ce tas de fumier nationaliste que l’ancêtre de LO, le groupe de David Korner dit Barta, a vu le jour en 1939 en France. Lutte ouvrière colporte depuis longtemps une fable selon laquelle le groupe Barta aurait, à l’écart des autres groupes du mouvement trotskiste, “dénoncé les belligérants” et “appelé à la fraternité à la base” dans la plus stricte tradition internationaliste. Or, si la version proposée par LO de l’histoire de la Gauche communiste d’Italie est truffée d’amalgames, de falsifications et d’omissions mal intentionnées, la mythologie qu’elle répand sur ses propres origines relève de la pure fiction. Pendant la Guerre, Barta et son groupe jouèrent plutôt un mauvais tour à la classe ouvrière, comme en témoigne, parmi d’innombrables autres exemples, ce tract du 30 juin 1941 demandant aux travailleurs d’empêcher, “par tous les moyens, la machine de guerre impérialiste de fonctionner contre l’URSS”. Comme tous les autres groupes trotskistes, Barta appelait à “résister à Vichy et à l’impérialisme allemand (…). Dans les groupes de résistance, dans le maquis, exigez votre armement et l’élection démocratique des chefs par les membres des groupes”.(8) En bref, Barta appelait les ouvriers à participer au massacre, non pour la défense du camp impérialiste des Roosevelt et Churchill mais pour celle de l’impérialisme russe, pourtant allié des premiers (une contorsion d’équilibriste incohérente et intenable !).
Avec ce travail “historique” digne des photographies truquées et des contrefaçons staliniennes, il s’agit, en définitive pour LO, de prouver coûte que coûte que la “maladie infantile” qui frapperait la Gauche communiste, depuis les années 1920, demeure aujourd’hui “malheureusement persistante”, que son “sectarisme” est une sorte de tare congénitale propre aux organisations s’en réclamant, que les “avatars” du “bordiguisme” demeurent encore aujourd’hui des sectes d’illuminés, une bande de rigoristes académistes totalement déconnectés des luttes concrètes et qui réduisent “leur communisme à la répétition de formules et à des proclamations”.
LO attaque ainsi ouvertement le Parti communiste international (PCI) bordiguiste en s’appuyant sur une série d’amalgames et de déformations frauduleuses de l’histoire. Si la création du Parti communiste internationaliste (PCInt) en 1943, regroupant de nombreux militants issus de la Gauche communiste d’Italie, ne s’est pas faite sans confusions théoriques et organisationnelles, ce groupe doit à l’expérience de combat à laquelle il se rattache de s’être toujours maintenu sur un terrain de classe.(9) Contrairement au trotskisme, le courant bordiguiste était parfaitement clair sur la nature de l’URSS. Il n’a pas marché derrière les drapeaux de l’antifascisme (le PCI a clairement dénoncé cette mystification dans sa brochure : “Auschwitz ou le grand alibi”) et il a maintenu le flambeau de l’internationalisme face à la Seconde Guerre mondiale. Voilà ce qui distingue, pour l’essentiel, le “bordiguisme” du trotskisme, ce que l’article de LO se garde bien de signaler.
Mais au-delà du courant bordiguiste et du PCI, tout lecteur un tant soit peu attentif aura compris que LO cherche sciemment à discréditer ce qu’elle nomme les “différents petits groupes sans influence” de la Gauche communiste. Ce n’est pas la première fois que des plumitifs du courant trotskiste se mobilisent pour placer leurs coups bas et décrier la Gauche communiste, voire falsifier sa nature et sa véritable histoire. C’est ainsi que beaucoup d’ouvrages et de textes des trotskistes sur la période de l’entre-deux-guerres font souvent débuter l’histoire de l’Opposition à sa Conférence de février 1933, faisant opportunément l’impasse sur la période 1929-1932 et l’ensemble des courants oppositionnels. Dans le même style, que penser des Cahiers Léon Trotsky qui, dans leur numéro 29 (mars 1987) entièrement consacré à l’Opposition de gauche en Italie, ne mentionne la “Fraction bordiguiste” que de façon anecdotique au détour de deux phrases ?
De même, lorsque LO qualifie la Gauche communiste de courant d’ “ultragauche”, elle cherche à la noyer dans le magma de mouvances et de cénacles académiques petit-bourgeois, allant des réseaux “modernistes” aux “négationnistes de gauche” et tout un tas de groupuscules et d’individualités au langage pseudo-radical se réclamant frauduleusement du marxisme pour mieux le torpiller. LO assimile sciemment, d’un côté, des groupes qui nient le combat du prolétariat en ne se situant pas sur le terrain concret de la défense des positions et des principes de classe et, de l’autre, la Gauche communiste dont, prétendument, les “militants en arrivaient à voir dans toute intervention concrète dans les masses (…) une compromission inacceptable”.
Mais, pour le lecteur qui chercherait, en dépit de ces falsifications et amalgames, à en savoir plus sur ce qu’est réellement la Gauche communiste, LO promeut en “exception” à la règle le groupe Lotta comunista. Ainsi, l’auteur de l’article n’hésite pas à présenter ce sous-produit du gauchisme et de l’antifascisme, comme un héritier de la Gauche communiste d’Italie : “Aujourd’hui, la Gauche communiste a éclaté entre différents petits groupes sans influence, sans avoir jamais vraiment réussi à essaimer en dehors de l’Italie. Une exception est le groupe Lotta Comunista, qui a connu un certain développement numérique”. LO fait ici, de façon honteuse, la publicité d’un groupe qui n’est rattaché à la Gauche communiste ni par sa filiation, ni, et surtout, par ses positions politiques, en réalité bien plus proches du trotskisme. Issues de la “Résistance” à l’occupation des troupes allemandes en Italie, les positions de Lotta Comunista sont en tout point aux antipodes de celle de la Gauche communiste authentique. Alors que les militants de la Gauche communiste ont farouchement dénoncé l’embrigadement du prolétariat comme chair à canon derrière les drapeaux de l’antifascisme, ceux de Lotta Comunista (tout comme les trotskistes) ont contribué, en appelant à la résistance armée contre l’occupation allemande après la chute de Mussolini en 1943, à inoculer dans la classe ouvrière le poison du nationalisme et du chauvinisme. Puisant dans ses racines historiques, Lotta Comunista, sous un verbiage “radical”, n’a jamais rompu avec le nationalisme, comme en témoigne, pendant la “guerre froide”, sa défense des luttes de “libération nationale” que ce soit face à la guerre de Corée ou celle du Vietnam. C’est donc une pure imposture de LO que de présenter Lotta comunista comme un groupe de la Gauche communiste.(10)
Bien sûr, l’article de LO se garde bien de faire allusion à la principale “secte” “sans influence” de la Gauche communiste, le CCI, pourtant issu de la tradition de la Gauche italienne. Il est en effet bien difficile pour LO d’accuser ouvertement le CCI de “repli sectaire” et d’ “ignorance” des positions du trotskisme.(11) Notre organisation a toujours poussé au débat politique et théorique entre les groupes du milieu politique prolétarien, à la clarification de leurs divergences en vue de leur rapprochement, ainsi qu’à la solidarité face aux attaques et entreprises de démolissage dont ils sont l’objet. C’est cette démarche, tournant résolument le dos au repli sectaire dans sa propre chapelle, qui avait permis à MC, ex-militant de la Fraction italienne, d’apporter une contribution inestimable à la construction du CCI.
Bien que l’article de LO cible uniquement le courant bordiguiste, et particulièrement le PCI, nous ne sommes pas dupes. C’est avec la plus ferme intention de semer la confusion et de discréditer toutes les organisations se rattachant à la Gauche communiste que cette officine bourgeoise (qui n’a d’ “ouvrière” que le nom), multiplie les amalgames et les contrevérités tout au long de son pamphlet contre le “bordiguisme”.
Face aux falsifications de LO (et à la propagande de tous les valets du capital contre les “sectes mortes” de la Gauche communiste), nous réaffirmons que le mouvement ouvrier doit non pas à l’Opposition trotskiste, mais à la Gauche communiste, et notamment à la Fraction italienne, d’avoir forgé les armes qui permettent aujourd’hui aux nouvelles générations de révolutionnaires de lutter contre les mensonges de la classe dominante et ses partis d’extrême gauche. Tant par la profondeur de ses analyses que par sa démarche, la Gauche italienne fut, avec la revue Bilan, à la pointe des efforts du prolétariat pour développer, à l’échelle de l’histoire, la conscience des conditions de son combat révolutionnaire pour le renversement du capitalisme. C’est cette précieuse contribution historique, et les groupes de la Gauche communiste qui, malgré leurs faibles forces numériques, poursuivent aujourd’hui cet effort, que la croisade de LO cherche à balayer !
EG, 27 septembre 2018
1) “Bordiguisme et trotskisme”, Lutte de classe n° 186.
2) Lire notre livre : “La Gauche communiste d’Italie”.
3) Malgré cette période difficile, la Fraction italienne a continué d’intervenir au sein du prolétariat, ce qui a valu à ses militants d’être à plusieurs reprises violemment agressés par les sbires staliniens aux portes des usines.
4) Lire notre article de la Revue internationale n° 156 : “La notion de Fraction dans l’histoire du mouvement ouvrier”.
5) Lire notre article : “La classe non identifiée : la bureaucratie vue par Léon Trotsky” dans la Revue internationale n° 92.
6) Nous soutenons pleinement la réponse du PCI à ses détracteurs trotskistes, lorsqu’il affirme, dans son journal, Le Prolétaire n° 526, (nov.-déc. 2017), que : “LO écrit que “la principale responsabilité” de la non transmission de la tradition communiste révolutionnaire “incombe évidemment au stalinisme qui a tout fait pour écraser les autres tendances communistes”. Mais le stalinisme n’était pas une “tendance communiste” parmi d’autres, c’était l’expression de la contre-révolution !
Le fait que le trotskysme en général (et LO en particulier) ne s’en soit pas aperçu, le fait qu’il ait considéré les prétendus pays socialistes comme des pays non-capitalistes (alors qu’il s’agissait de capitalisme d’État, en outre particulièrement féroces contre les prolétaires) et leur système politique comme une bureaucratie défendant malgré tout ce caractère non capitaliste et jouant donc un rôle positif, ce fait est une démonstration supplémentaire qu’il est incapable de défendre et de transmettre les positions communistes. (…) sous la terrible pression d’une situation défavorable à la lutte révolutionnaire, il n’a pu assimiler et transmettre que les pires positions de Trotsky”.
7) Le courant bordiguiste, contrairement au CCI, a malheureusement toujours rejeté l’existence d’un milieu politique prolétarien clairement délimité par des frontières de classe. Nous avions publié dans le passé de nombreux articles polémiques avec les groupes du courant bordiguiste critiquant leur “sectarisme” qui avait conduit à l’échec des Conférences des groupes de la Gauche communiste à la fin des années 1970. Néanmoins, notre critique de cet esprit de chapelle, n’avait rien de commun avec l’attaque portée par l’article de LO contre le “sectarisme” du bordiguisme.
8) La Lutte de classes n° 24 du 6 février 1944.
9) Maffi et Bordiga se sont séparés du PCIint en 1952 pour former le Parti communiste international. Ce nouveau groupe, qui existe encore aujourd’hui et appartient au courant de la Gauche communiste, mérite bien, quant à lui, le qualificatif de “bordiguiste” puisqu’il s’est constitué essentiellement sur la base des positions politiques adoptées par Bordiga lors de son retour à l’activité politique après la Seconde Guerre mondiale.
10) Lire notre article : “Qui est vraiment Lotta comunista ?”, Révolution Internationale n° 417 (novembre 2010).
11) Lire notre brochure : “Le trotskisme contre la classe ouvrière”, de même que les nombreux articles publiés dans notre presse depuis un demi-siècle.
Dans le port de Marseille, on voit depuis quelques années des ferrys, ressemblant à de très grands immeubles, transporter des milliers de touristes à qui on propose une visite de bâtiments anciens très bien restaurés qui ont marqué les 2 600 ans d’histoire de la cité phocéenne. Mais ce mardi 5 novembre, c’est la partie abandonnée de cette même cité, à deux pas du Vieux Port, qui a été frappée par une tragédie : deux immeubles se sont effondrés dans la rue d’Aubagne en plein centre-ville, coûtant la vie à huit personnes et occasionnant de nombreux blessés.
À cause des risques imminents d’effondrement, l’écroulement d’un troisième immeuble a été provoqué par les marins-pompiers qui, par précaution, ont demandé à plusieurs habitants d’évacuer les bâtiments voisins. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 800 personnes ont été évacuées de 83 immeubles et prises en charge pour être relogées par les services sociaux. Cinq jours après le drame, pendant la marche blanche dénonçant les conditions de vie et l’apathie coupable des autorités locales, un balcon s’effondrait faisant trois blessés supplémentaires. Ces événements résument à eux seuls le vrai visage du capitalisme : l’exploitation commerciale de l’histoire de l’humanité fait face à l’abandon de l’habitat populaire et à l’intensification de la misère pour une large partie de la population.
Suite à la catastrophe, les politiciens de tous bords ont aussitôt dénoncé l’absence de mesures pour préserver la sécurité des habitants. De tels propos de la part de ceux qui sont au service d’une société basée sur le profit et la marchandisation de tout, y compris de la vie humaine, sont parfaitement hypocrites. Aujourd’hui, tous les politiciens enfilent leur costume de philanthrope et affirment vouloir lancer un grand plan de réhabilitation. Pourtant, le maire et les services de l’État sont directement responsables, comme le rappellent plusieurs rapports. Depuis de nombreuses années, si certains services cachaient la réalité, d’autres avaient alerté sur la situation déplorable des habitations. Comme le précisent de nombreux rapports, dont un de 2015, “48 % des immeubles [de ce quartier] sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé”. Plusieurs rapports ont suivi, sans que rien ne soit réalisé, sauf, dans certains cas, des ravalements de façade. Comment Gaudin et son équipe ne pouvaient-ils pas être informés ? Le cynisme de la bourgeoisie n’a pas de limite !
Afin de dissimuler la responsabilité du capitalisme et sa folle course au profit, les immeubles effondrés à Marseille, comme tous les bâtiments susceptibles de s’effondrer partout et à tout moment sur leurs habitants du fait de leur vétusté et de leur insalubrité, sont sobrement nommés : “habitats indignes”. Mais la vérité, comme la députée des Bouches-du-Rhône, Alexandra Louis, est obligée de le reconnaître, c’est qu’un marseillais sur dix met en jeu “sa santé, sa sécurité, voire sa vie du fait de ses conditions d’habitat” parce qu’il est, en effet, toujours intéressant pour un “marchand de sommeil” de profiter de la misère de ceux qui n’ont pas d’autre choix que de louer des logements à risque, parce que, dans un monde où la concurrence règne en maître, les budgets municipaux pour la rénovation des habitats de quelques insignifiants prolétaires trouveront toujours à mieux s’investir dans de juteux projets permettant à la commune de “tenir son rang”. En ce qui concerne les constructions de prestige, les financements ont ainsi été trouvé comme par magie, à l’image de la Tour CMA-CGM livrée en 2011 et la Tour Jean Nouvel que les touristes pourront photographier plusieurs fois car elle change de couleur en fonction de son ensoleillement. En somme, l’effondrement des immeubles dans le centre-ville de Marseille n’est rien de plus qu’une énième catastrophe “naturelle” du capitalisme !
Pour calmer le mécontentement et la colère des exploités qui subissent cette situation, la Justice désignera à coup sûr des “coupables”, de malheureux bouc-émissaires qui seront peut-être condamnés pour blessures et homicides involontaires. La chasse est déjà ouverte puisque la Justice, depuis quelques jours, procède à des perquisitions pour trouver les documents qui désignent tel ou tel service, tel ou tel employé qui n’auraient pas signalé l’état déplorable de très nombreux logements.
Bien sûr, on va nous dire que Marseille est une exception, que la ville compte 13 % de logements insalubres, contre “seulement” 6 % au niveau national. D’abord, cela signifie que des logements dangereux, il y en a dans d’autres villes ! Certains rapports parlent de 400 000 logements “indignes” ! C’est même le ministre de l’intérieur qui nous le dit : “Il n’existe pas ou très peu en France de villes anciennes qui ne connaissent pas ce type de fragilités”. En effet, la catastrophe de Marseille n’est pas un événement ponctuel, elle vient s’ajouter à une liste déjà longue d’accidents comme à Perpignan (2009), à Romans-sur-Isère (2016), à Montreuil (2011), à Elbeuf (2009)… occasionnant à chaque fois des accidents mortels.
Pour les mêmes raisons de rentabilité, nous avons vu récemment la Tour Grenfell (1) s’enflammer à Londres et le bâtiment d’une usine textile s’effondrer au Bengladesh avec les ouvriers à l’intérieur. Ces catastrophes ont frappé tous les continents : en Inde, en Chine, à Rio au Brésil, mais aussi à New York… sans oublier l’effondrement récent du pont à Gênes en Italie,(2) un pays qui a connu l’effondrement de dix ponts en cinq ans. En France, ces dernières semaines, de nombreux documentaires télévisés ont rappelé que de très nombreux ponts risquaient de s’effondrer ou étaient fragilisés (840 au total).
Si les catastrophes “naturelles” et industrielles, les effondrements d’immeubles ou d’infrastructures routières ont à première vue peu de lien apparent, ils ont en réalité en commun la même logique capitaliste, celle d’un monde où la course au profit et la rentabilité ne peuvent que primer sur la vie humaine.
Eng, 16 novembre 2018
1) “L’incendie de la Tour Grenfell : un crime du Capital”, RI n° 465.
2) “Effondrement du pont de Gênes en Italie : la loi du profit engendre les catastrophes !”, RI n° 472.
Pour la quatrième année consécutive, l’espérance de vie aux États-Unis est en baisse. “C’est la première fois que l’on voit une tendance à la baisse depuis la grande épidémie de grippe de 1918”, selon Robert Anderson, chef des statistiques de la mortalité au Centre national des statistiques de santé. En cause, le fléau des overdoses de drogues qui a tué environ 70 000 américains en 2017, signe d’un suicide collectif face à une société sans avenir, mais aussi une pauvreté dévastatrice, une pollution entraînant l’explosion des maladies respiratoires et du système nerveux central, une alimentation industrielle proche de l’empoisonnement de masse, un système de soin en déliquescence… Les États-Unis ne sont pas une exception, une grande partie des pays développés sont concernés. Toutes les études récentes soulignent “une baisse importante de l’espérance de vie dans douze pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)”.
Il s’agit d’un symbole de la dynamique mortifère du capitalisme. Alors que les connaissances scientifiques continuent de se développer, que les moyens techniques et technologiques croissent sans interruption, le capitalisme impose à l’humanité une division du monde en nations et en classes, des rapports sociaux de production basés sur l’exploitation, un enfermement de l’activité humaine dans la recherche du profit et la concurrence de tous contre tous. Ce système est aujourd’hui obsolète. Mais pour perdurer, il fait agoniser toute l’humanité.
En Amérique centrale et du sud, la misère et la violence sont telles que des milliers de personnes fuient, en se regroupant pour se protéger les uns les autres. Solidaires, ils forment des caravanes pour marcher sur des milliers de kilomètres depuis le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, le Costa Rica… traversant tout le Mexique vers les États-Unis, affrontant mille dangers. Ceux qui parviennent à la frontière américaine se heurtent à un mur, des barbelés, une armée autorisée à tirer, des miliciens fanatiques et assassins, puis… aux camps de rétention ! (1) En décembre, deux enfants de 7 et 8 ans sont morts de déshydratation au cœur des camps américains, dans les bras de leur père !
“On compte aujourd’hui soixante-dix à soixante-quinze murs construits ou annoncés dans le monde, les murs existants s’étalant sur environ 40 000 kilomètres”, affirme Élisabeth Vallet, une politologue canadienne de l’université du Québec à Montréal. Un monde fait de murs et de barbelés, voilà vers quoi mène cette société en putréfaction.
En France, face au développement de la pauvreté, une partie de la population a réagi pour crier sa colère. Le mouvement des “gilets jaunes” a rassemblé derrière une petite-bourgeoisie écrasée et excédée, quelques centaines de milliers de travailleurs précaires, chômeurs, retraités, mais aussi des artisans et des agriculteurs. Se rassemblant sur les ronds-points, aux péages des autoroutes, sur certains parkings, ils ont monté des tentes, fait des barbecues, etc. Ces derniers jours, entre Noël et le Nouvel An, était palpable, au sein de ces groupes éparpillés par poignées de quelques dizaines d’individus, le besoin d’être ensemble, de se réchauffer, de se serrer les coudes. Il y a là un point commun avec les caravanes de migrants d’Amérique centrale : la nécessité de s’agréger face à un monde en déliquescence. Seulement, sur ces ronds-points, il y avait aussi partout des drapeaux tricolores, des Marseillaises entonnées, des discussions enfermées dans la revendication du “référendum d’initiative citoyenne”, une peur voire un rejet des “migrants”. L’abrogation de la loi du “mariage pour tous”, permettant aux homosexuels de se marier depuis 2013, est même l’une des revendications les plus populaires parmi les “gilets jaunes”. En fait, ce mouvement souligne une nouvelle fois l’impasse de l’interclassisme. (2) Si le prolétariat ne développe pas son combat de façon autonome, avec ses méthodes de lutte (assemblées générales souveraines tout particulièrement), ses propres revendications sur le terrain économique face à la dégradation de ses conditions de vie et de travail et, in fine, sa perspective politique (le renversement du capitalisme et de ses États), toute la colère de la population sera vouée à se perdre dans des protestations au mieux stériles, au pire porteuses des stigmates les plus nauséabonds de cette société (le nationalisme, le racisme, l’homophobie, la violence aveugle…).
Le prolétariat mondial, et plus particulièrement celui d’Europe, porte donc sur ses épaules une lourde responsabilité. Car l’aggravation inexorable de la crise économique mondiale, les soubresauts à venir, (3) vont engendrer toujours plus de misère et de colère.
C’est au prolétariat que revient la tâche historique d’organiser et d’orienter la lutte des masses, c’est au prolétariat de renverser le capitalisme et d’ouvrir à toute l’humanité une autre perspective que celle du capitalisme décadent et barbare : une société sans classe ni nation, sans exploitation ni guerre. Pour cela, le prolétariat doit recouvrer la confiance en ses propres forces. Son histoire prouve qu’il en est capable. Il a déjà fait trembler la bourgeoisie maintes fois. (4) La mémoire de toute cette expérience est absolument vitale pour l’avenir. Car l’avenir appartient bel et bien à la lutte de classe !
Jacques, 4 janvier 2019
1) Lire dans ce journal notre article : “Migrations en Amérique Latine : Seul le prolétariat peut arrêter la barbarie du capitalisme en décomposition” [695]
2) Lire dans ce journal notre article sur le mouvement des “gilets jaunes” [696] ainsi que notre supplément [697] disponible sur le site Internet du CCI.
3) Lire dans ce journal notre article sur la crise économique [698].
4) Lire dans ce journal notre article sur l’héritage de Lénine, Luxemburg et Liebknecht [699].
Pas une semaine sans que les médias ne nous rapportent un scandale financier, industriel ou social, causé selon eux par l’influence des lobbies ; que l’on nous parle de Monsanto et de son glyphosate, de la réforme du copyright dans l’Union européenne (UE) sous la pression des GAFAM, (1) des implants médicaux prescrits sans normes ni contrôles, le problème posé est toujours le même : les États et les instances étatiques comme l’UE sont à la merci des lobbies, de puissants intérêts privés qui exercent une pression sur les démocraties. Non-élus, ne représentant qu’eux-mêmes, ces lobbies seraient donc “un problème de démocratie : qui a le pouvoir, qui gouverne ?”, comme le demandait hypocritement Nicolas Hulot.
Les lobbies ne sont pourtant qu’un signe extérieur de la concurrence généralisée qui est le principal moteur de la société capitaliste : “Là où la bourgeoisie est chez elle, la seule loi qui préside aux rapports économiques est celle de la libre concurrence”. (2) Cette dernière est l’élément qui a toujours fait du capitalisme un système social particulièrement dynamique. L’existence de différents groupes de pression, représentant des secteurs économiques ou directement des grandes entreprises, cherchant à influer sur des décisions qui représentent potentiellement d’énormes profits et la garantie d’exploiter des marchés lucratifs n’a rien de surprenant. Si, pour de ridicules considérations morales ou par incapacité, certains refusaient de se plier à cette règle, cela signifierait “pour le capitaliste individuel, (…) l’élimination de la lutte pour la concurrence, la mort économique”. (3) À tous les étages de la société capitaliste le lobbying est donc la règle, y compris au niveau des États.
Il est à ce titre tout à fait mensonger de présenter les États comme des entités neutres, qui seraient en fait harcelées par des lobbies défendant uniquement des intérêts particuliers. Présents à tous les niveaux de la sphère politique, les lobbies font partie de la défense de chaque Capital national, dont l’État est le garant. De fait, chaque État défend bec et ongles les principaux “champions” de son économie nationale. Lorsque Macron est allé en Inde au printemps dernier, c’est évidemment en y emmenant plusieurs chefs d’entreprise dont l’État défend les intérêts sur place. Selon Paris Match du 15 mars 2018 : “Tout au long de ces trois jours, le président français a multiplié les gestes et les déclarations d’amitié envers l’Inde. Son ambition ? Faire de la France la “porte d’entrée” du géant de l’Asie du Sud en Europe. Dans ce but, Emmanuel Macron compte bien profiter du Brexit pour chiper aux Anglais leur position historique de “partenaire privilégié”. La partie est loin d’être gagnée : pour l’instant, l’Hexagone est seulement le 18e client des Indiens, loin derrière les Allemands, les Britanniques et même les Belges. Qu’importe ! Emmanuel Macron y croit : “C’est le moment de la France.” Alors le chef de l’État a fait le forcing et abattu ses cartes. Lundi, avec Narendra Modi, il a inauguré à Mirzapur la plus grande centrale solaire d’Inde, construite par Engie”. Si Macron n’a pas réussi le même coup que Hollande en 2016, à savoir vendre 36 avions de combat Rafale à l’Inde, les sociétés Safran et General Electrics ont quand même, à l’occasion de cette visite d’État, conclu avec ce pays un contrat de vente de moteurs d’avion de 12 milliards de dollars. Cette visite du chef de l’État français ressemble donc furieusement à l’activité de n’importe quel lobby privé. Lorsqu’on voit de quelle façon chaque État est capable de défendre ses intérêts et ceux de ses entreprises nationales, on sait qu’à l’échelle du commerce international les lobbyistes les plus puissants et efficaces sont bien les États nationaux eux-mêmes.
Contrairement à l’idéologie bourgeoise présentant l’État comme un acteur neutre de la société, “au-dessus” des classes sociales, il demeure en réalité le principal administrateur du Capital national. Que ce soit par ses participations directes dans des entreprises importantes, son encadrement législatif, sa capacité à infléchir la politique financière, sa gestion de la main-d’œuvre à travers le niveau des salaires et des prestations sociales, sa capacité à contraindre les capitalistes individuels à accepter ses décisions prises dans le sens de la défense des intérêts nationaux, l’État demeure le principal administrateur de l’économie nationale.
Ce que les marxistes appellent le capitalisme d’État implique que la défense des intérêts nationaux passe aux mains de l’État. Avec l’entrée du système capitaliste dans sa phase de déclin historique, depuis la Première Guerre mondiale, cette tendance universelle s’est nettement renforcée. Non seulement l’État occupe “une place prépondérante au sein de l’économie nationale, en tant que principal client et employeur de celle-ci, mais il détient entre ses mains un ensemble de prérogatives qui lui en permettent le contrôle absolu : il est le principal pourvoyeur de crédit et c’est lui qui fixe le coût de tous les emprunts ; il édicte les règles de la concurrence entre les différents agents économiques au sein du pays et lui seul est en mesure de négocier de telles règles vis-à-vis des autres pays ; il est le vecteur obligé de l’obtention de gros contrats à l’export ; il détient les moyens de faire ou défaire des montages et rachats industriels et financiers ; il décide des nationalisations ou privatisations ; il fixe les impôts, gère le budget et édicte le code du travail, instrument au service du capital pour organiser l’exploitation et dont dépend la compétitivité du capital national”. (4) De fait, l’État gère les intérêts généraux du Capital national et épouse totalement ceux des fractions les plus fiables de la bourgeoisie. C’est donc lui qui établit le cadre dans lequel les lobbies agissent et dont ils ne sauraient s’affranchir.
Cette tendance totalitaire des États modernes est générale ; plus l’économie nationale connaît de difficultés, plus l’État capitaliste doit s’impliquer dans sa défense et sa gestion. Engels, au XIXe siècle, définissait l’État comme “le capitaliste collectif en idée”, (5) ce qui résume très clairement ce qu’il est en effet aujourd’hui. Que l’État soit un lobbyiste particulièrement puissant n’a donc rien d’étonnant : lui aussi, pour défendre ses intérêts et ceux de l’économie nationale, doit agir en coulisses et défendre ses intérêts de façon inavouable. Les multinationales ne sont absolument pas indépendantes des États qui les défendent, elles agissent aussi pour le compte du Capital national : quand Boeing ou Airbus rivalisent pour un marché, ils ont chacun leur État pour les soutenir. Toutes les ventes d’armes, de matériels dits “sensibles” parce que technologiquement évolués, tous les appels d’offres internationaux fonctionnent ainsi ; lorsque les industries anglaises de l’armement se trouvent prises en flagrant délit de ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, alors que ces armes servent en ce moment même à assassiner des civils dans la sale guerre du Yémen, il se trouve évidemment un tribunal britannique pour expliquer que ce massacre n’étant pas “une stratégie délibérée (…), la vente d’armes britanniques à l’Arabie Saoudite est donc légale et peut continuer”. (6) Macron a lui aussi refusé d’arrêter les ventes d’armes françaises à l’Arabie, pour lesquelles la France est en concurrence non seulement avec Londres, mais aussi avec Berlin.
Ce sont bien les États qui décident des transactions les plus importantes entre nations, depuis les ventes d’armes jusqu’à l’attribution des jeux olympiques ou de la Coupe du monde de football !
La question n’est cependant pas qu’économique, car si la bourgeoisie accepte très bien de fonctionner en groupes concurrents, ce n’est pas le cas de la classe ouvrière, et sur ce point, comme sur d’autres, la bourgeoisie utilise ses propres turpitudes pour brouiller la conscience de la classe ouvrière ; “la bourgeoisie essaie de nous rejouer le même air qu’au début des années 1990 où, en pleine récession, elle rejetait la responsabilité de celle-ci sur les fractions libérales jusque-là au pouvoir dans les plus grands pays industrialisés. Elle doit absolument trouver des thèmes de mystification présentant aux exploités une prétendue alternative, au sein du système, afin de limiter les possibilités de remise en question de celui-ci. Ainsi, afin d’éviter que l’aggravation de la crise et des attaques ne favorisent au sein de la classe ouvrière une remise en cause en profondeur du système, les fractions de gauche et d’extrême gauche de la bourgeoisie cherchent à intoxiquer la conscience des prolétaires en proclamant que des solutions sont possibles en redonnant notamment à l’État un rôle plus central que le libéralisme lui aurait prétendument confisqué. Or, c’est justement l’État lui-même, qu’il soit géré par des partis de droite ou de gauche, qui orchestre les attaques les plus massives depuis la fin des années soixante. C’est dans le but de masquer cette réalité qu’on tente aujourd’hui de raviver l’illusion que plus d’État, c’est, malgré tout, plus de justice et de social”. (7)
En se faisant passer pour une entité politiquement neutre dans la société, garante de la stabilité politique et du respect impartial des règles et des lois qui régissent l’ordre social, l’État cherche donc à se défausser de ses décisions les plus impopulaires auprès de la classe ouvrière. Pour cela les lobbies sont un bouc-émissaire rêvé : agissant dans l’ombre auprès des “représentants du peuple” élus démocratiquement, utilisant toutes les ressources de la persuasion, de la corruption et de la menace pour parvenir à leurs fins, les lobbies représentent en apparence une antithèse de l’ordre démocratique sous lequel la bourgeoisie nous présente son ordre social, ouvert, transparent et fruit de la “volonté populaire”. La classe dominante ne cesse de nous faire croire que l’État serait sous la coupe des lobbies, lesquels pourraient représenter une “menace pour l’ordre démocratique tout entier”. C’est le sens de la publicité constante que leur fait l’État à travers ses médias (d’Élise Lucet, avec son émission “Cash Investigation”, au journal satirique Le Canard enchaîné) : il faudrait aider nos élus à défendre la démocratie contre les lobbies ! De fait, il s’agit de pousser les “citoyens consommateurs” à défendre la démocratie, donc l’État bourgeois, face aux lobbies “anti-démocratiques”, de soutenir les élus du peuple contre les groupes de pression défendant des intérêts privés.
C’est d’ailleurs tout le sens du soutien des médias aux ONG, considérées comme de “bons” lobbies, face aux intérêts commerciaux et d’entreprises, qui seraient les “méchants”. ATTAC, par la plume de l’économiste Maxime Combes, nous en donne un exemple : “Dénoncer leurs poids [des lobbies] revient à dire que notre processus démocratique est pollué par des agents pathogènes qu’il faudrait a minima encadrer et contrôler pour éviter les abus”. (8)
Mais quand un acteur quelconque dénonce un scandale (par exemple celui, connu de longue date, d’importation dans l’UE de faux miel chinois), (9) c’est régulièrement l’État lui-même qui l’étouffe ou empêche qu’on y mette fin, tout simplement parce que l’État défend… le Capital national et pas les intérêts des consommateurs, qui sont majoritairement des ouvriers : “Donc l’industrie fait du lobby, paie des experts, et, au final, des lois sont faites sur mesure pour l’industrie. C’est un système de corruption organisé, qui est accepté par les politiques, voire encouragé, parce qu’il y a beaucoup de retombées financières”. (10)
L’idée que les lobbies seraient une anomalie, un “agent pathogène” pour reprendre l’expression de M. Combes, est absolument mensongère : produit de la concurrence, les lobbies sont un élément parfaitement normal du capitalisme et de son fonctionnement. Ils existent d’ailleurs depuis que le capitalisme est devenu dominant, il suffit de se souvenir de l’affaire Raffalovitch (11) autour des emprunts russes, des chèques du Canal de Panama ou du “lobby colonial” de l’Assemblée nationale pour s’en convaincre.
Lorsque la bourgeoisie incrimine les pressions de groupes privés sur la direction des affaires politiques et économiques, notamment le sacrifice des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière dont les lobbies feraient peu de cas, il s’agit de dédouaner l’État, mais aussi le capitalisme tout entier, de leur responsabilité dans la politique anti-ouvrière qui est menée dans tous les pays.
Cette responsabilité est totale : il est tout aussi impossible d’éradiquer les lobbies qui sont un produit du fonctionnement du capitalisme que de faire disparaître la concurrence du système capitaliste. Les lobbies, comme les “patrons-voyous” ou les politiciens corrompus, ne sont rien d’autre que le produit de la concurrence capitaliste. Du reste, les politiciens admettent sans trop de difficultés que les lobbies ont leur utilité : “Il ne faut pas non plus fantasmer sur des lobbies. Je considère qu’il est normal qu’il y ait des groupes de pression qui fassent entendre les intérêts privés (…), après, c’est le Parlement qui tranche en toute transparence”. (12)
Aussi, quand les directeurs de Greenpeace en France et en Allemagne nous expliquent dans l’article : “La France et l’Allemagne doivent montrer l’exemple et se libérer de l’emprise du lobby des multinationales” (13) que “c’est bien de cela dont il s’agit, créer une nouvelle Union européenne soucieuse avant tout de l’intérêt général des populations, plus solidaire envers toutes et tous et respectueuse de l’environnement. Une Europe plus accueillante et juste, moins au service des multinationales et du monde de la finance”, c’est pour nous faire oublier que les multinationales autant que les États sont d’abord et avant tout au service du capitalisme et qu’ils en observent les règles. Ce ne sont pas les multinationales qui créent l’exploitation ni même les États, mais ce sont eux qui en vivent.
Loin d’être une anomalie dans le capitalisme décadent, les lobbies en dévoilent au contraire et de la façon la plus crue tout le fonctionnement : engagés dans une compétition à mort du fait d’un marché mondial saturé, les États soutiennent des groupes d’influence qui leur sont favorables, ce qui leur permet aussi de masquer qu’ils sont les donneurs d’ordre et les principaux acteurs du lobbyisme.
Ce ne sont donc pas tels ou tels bourgeois qui détourneraient la démocratie à leurs propres fins en défendant leurs intérêts à travers les lobbies, c’est le système capitaliste comme un tout et la concurrence qu’il génère qui fabriquent les lobbies. Cela se retrouve à tous les niveaux des relations internationales et même au sein d’un État national où les bourgeois se livrent une concurrence féroce.
En définitive, les lobbies ne sont pas un phénomène dont on peut se débarrasser sans détruire le capitalisme ; il revient à la seule classe qui ne vit pas de la concurrence, mais qui la subit tous les jours et a donc intérêt à la détruire, d’en finir avec le capitalisme décadent qui ne génère que la misère, la destruction et la corruption.
Sven, 2 janvier 2019
1) Acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, les principales entreprises de taille mondiale, toutes américaines, développant leur activité à travers Internet.
2) Rosa Luxemburg, “Introduction à l’économie politique” (1907).
3) Rosa Luxemburg, “L’accumulation du capital” (1913).
4) “L’État, dernier rempart du capitalisme” [700], Révolution Internationale n° 339 (octobre 2003).
5) Friedrich Engels, “Anti-Dühring” (1878).
6) The Guardian, repris par le Courrier International (11 juillet 2017).
7) “L’État, dernier rempart du capitalisme” [700], Révolution internationale n° 339 (octobre 2003).
8) “Faire en sorte que les lobbies ne gagnent pas toujours à la fin”, Le Monde (30 mai 2018).
9) “Les grands industriels fabriquent des produits pollués, nocifs et le cachent”, Le Monde (2 janvier 2019).
10) Idem.
11) Arthur Raffalovitch est un économiste et diplomate russe qui a soudoyé des journalistes et des directeurs de médias français afin qu’ils publient des articles favorables au placement en France d’emprunts russes entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.
12) “Glyphosate : Stéphane Travert dément tout lien avec les lobbies après la fuite d’un amendement”, Le Monde (25 mai 2018). Travert est ancien Ministre de l’Agriculture et actuel député français.
13) Le Monde (13 juillet 2017).
Icône du cinéma et de la bande dessinée, Mickey, la petite souris créée par Walt Disney en 1928, fête ses 90 ans. C’est pendant la Grande Dépression que le personnage devient populaire aux États-Unis et dans le monde entier. Alors que la crise économique et le chômage de masse frappent la planète, Mickey, avec son optimisme à toute épreuve et ses traits attachants, divertit l’Amérique.
Dès son plus jeune âge, Mickey est exploité par l’industrie cinématographique : il n’a que 2 ans lorsque Walt Disney l’envoie sur les routes comme représentant commercial, contraint de vendre toute sorte de jouets, de livres, de tasses... Car la souris doit aussi son succès à la création du Mickey Mouse Club où se côtoient événements commerciaux et scoutisme. En 1932, plus d’un million d’enfants reçoivent leur carte de membres leur permettant d’obtenir “réductions” et “avantages” pour l’achat de produits dérivés.
Dès 1929, Disney cherche à faire de Mickey un soldat. Dans The Barnyard Battle, la souris interprète une jeune recrue de la guerre entre les souris et les chats coiffés d’un casque à pointe allemand. Heureusement, contrairement à d’autres personnages du studio, Mickey, trop gentil, ne s’engage pas dans la Seconde Guerre mondiale. Walt Disney lui préfère d’autres personnages plus brutaux pour ses films de propagande, notamment Donald Duck (qu’il ne faut pas confondre avec un autre Donald, bien que la ressemblance est frappante). Donald reçoit son avis d’incorporation en 1942 dans Donald Gets Drafted et devient soldat dans pas moins de neuf films ! La production des Mickey est stoppée la même année ; la petite souris est au chômage. C’est Minnie, sa fiancée, qui rapporte de quoi manger à la maison. Walt Disney l’oblige, en effet, à contribuer à l’effort de guerre dans Out of the Frying Pan Into the Firing Line, un film de propagande dans lequel elle apprend aux enfants à faire des munitions pour le front à partir d’huile de friture.
Après la Guerre, Mickey retrouve son emploi de VRP et devient, avec d’autres marques emblématiques, un symbole de la puissance économique et culturelle des États-Unis. Emblème de la Walt Disney Company, il est si efficace que le petit studio se métamorphose en colosse international du divertissement assis sur un chiffre d’affaires annuel de près de 60 milliards ! Dessins animés, films, livres, bandes dessinées, parcs d’attraction, vêtements, dentifrices... Mickey est partout, omniprésent jusque dans l’éducation des enfants.
Naturellement, les enfants, bercés dès le plus jeune âge par la souris aux grandes oreilles, rêvent tous de partager un peu de la féerie de l’univers de Mickey. Quoi de mieux alors que de visiter son “royaume enchanté”, celui de Disneyland, particulièrement pendant cette période de fêtes de fin d’année où le parc d’attraction se revêt d’un manteau blanc et chatoyant ? D’après le slogan, Disneyland est l’endroit “où la magie prend vie”... la magie du capitalisme surtout ! La direction du parc n’hésite pas à déguiser ses employés, embauchés avec des contrats ultra-précaires, en les faisant passer pour Mickey et ses amis. Derrière le déguisement, de vrais danseurs de 25 ou 30 ans, ayant rêvé de monter sur les planches, se retrouvent, contre un SMIC, sur le trottoir pour la parade.
La pauvre souris est, par ailleurs, mise à contribution pour soutirer le maximum de fric aux visiteurs. Entre le billet d’entrée, la nuit d’hôtel, les repas (il est interdit d’apporter sa nourriture et ses boissons) et les boutiques de souvenirs, la plupart des familles ouvrières sont contraintes d’économiser une année entière pour arpenter le “royaume enchanté” du Capital où tout est prétexte à amasser de l’argent. Quant aux enfants des familles les plus pauvres, la “magie de Noël” restera bien sûr inaccessible, à moins que “papy” et “mamie” profitent de la diminution de la CSG sur leur pension de retraite pour leur offrir un ticket.
Mickey, lui, malgré ses 90 ans, n’a pas encore droit à la retraite. Il paraît qu’avec sa période de chômage de longue durée dans les années 1940, il n’a pas encore suffisamment cotisé.
DL, 23 décembre 2018
Fin décembre 2018, le romancier israélien, Amos Oz, décédait à l’âge de 79 ans. En plus d’être un écrivain reconnu de romans relatant l’histoire troublée du nouvel État israélien, il était également un critique acerbe de la montée de sa politique militariste. En 1967, au milieu de l’euphorie qui a fait suite à la Guerre des Six Jours, Oz fut l’un des rares à avoir mis en garde contre l’influence de la corruption morale qu’entraînerait sur la société israélienne l’occupation de territoires en Palestine. Il a plaidé pour la fin immédiate de l’occupation et la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël. Ce point de vue a pu sembler radical pour la bourgeoisie de l’époque, mais il a été rapidement intégré dans l’opinion publique et a été au cœur des Accords de Camp David en 2000.
À l’ère du populisme débridé, cependant, même cette proposition qui apparait désormais “modérée” au yeux de la bourgeoisie semble totalement “utopique”. L’aile droite du gouvernement Netanyahou, qui a tout mis en œuvre pour empêcher tout pourparlers en vue de la formation d’un État palestinien, fait face à une pression croissante des personnes les plus à droite qui revendiquent ouvertement un “Grand Israël” (une solution à un État, qui entraînerait certainement la déportation en masse de la population palestinienne arabe). Cependant, le mouvement nationaliste palestinien est de plus en plus dominé par des factions islamistes qui ne veulent rien de moins que la destruction militaire de l’État sioniste, une solution qui entraînerait immanquablement la déportation massive d’une autre population : celle des Juifs israéliens.
Dans cette atmosphère de plus en plus toxique, nous ne pouvons que nous réjouir de la parution d’un article qui est l’une des rares expressions d’un point de vue véritablement internationaliste dans une zone du monde où le poids du nationalisme est extrêmement lourd. L’auteur de l’article épouse la position marxiste selon laquelle tous les conflits nationaux et les campagnes idéologiques, à l’époque du capitalisme en déclin, sont devenus réactionnaires, et n’hésite pas à soutenir que la seule façon de sortir du piège créé par l’impérialisme en Israël-Palestine est l’unification des ouvriers palestiniens et israéliens sur une base de classe, conduisant à une révolution prolétarienne contre tous les États bourgeois. Le camarade appelle à juste titre à la formation d’un Parti révolutionnaire qui défendrait cette perspective. Nous défendons que cela sera possible seulement dans le cadre d’un développement international de la lutte, dans lequel la classe ouvrière, surtout dans les principaux centres du capitalisme mondial, sera capable de se réapproprier son projet historique : l’instauration de la société communiste. De la même manière, il est plus que probable que toute unité durable entre les ouvriers israéliens et palestiniens ne sera possible que dans le contexte d’une reprise de la lutte de classe à l’échelle internationale, dans un mouvement qui sera capable de repousser les vagues de nationalisme et de xénophobie. Ces dernières années, ces vagues ont connu une montée en puissance, et particulièrement en Israël-Palestine, du fait de l’histoire particulière de cette région.
Cependant, l’apparition d’une minorité, même infime, proposant une alternative prolétarienne au Moyen-Orient constitue un lien extrêmement important pour l’avenir révolutionnaire, qui est toujours possible et plus que jamais nécessaire.
CCI
Les prochaines élections législatives en Israël, qui auront lieu en avril 2019, seront marquées par l’instabilité de l’État sioniste. La décision du Premier ministre, Benjamin Netanyahou, d’appeler à des élections anticipées montre l’impasse dans laquelle se trouve le gouvernement de Tel Aviv. Outre la décision attendue du procureur général israélien d’inculper Netanyahou pour corruption et fraude, le régime sioniste est aussi confronté à une terrible crise économique et politique.
Au niveau économique, la classe ouvrière subit une grave détérioration de ses conditions de vie et de sa capacité à supporter le coût de décennies d’occupation militaire. Le système de santé et d’éducation est sous-financé, le coût des produits de première nécessité et des services augmente sans arrêt et de nombreuses catégories parmi les travailleurs pauvres du pays sont incapables de faire face à leur situation économique précaire. De plus, 20 % des israéliens vivent dans la pauvreté et cette société est l’une des plus inégalitaires en Occident.
Sur le plan politique, Israël est mis au défi par les factions palestiniennes armées en Cisjordanie et à Gaza, qui résistent aux forces d’occupation israéliennes. La frontière sud est instable, suite aux incursions continuelles des militants islamiques du Hamas qui tentent de faire progresser la résistance armée près de la barrière de séparation ; les militants islamiques lancent des missiles contre la population israélienne dans le sud et creusent des tunnels afin d’attaquer l’armée. Sur la frontière nord, Israël mène des attaques contre les bases iraniennes des “Gardiens de la Révolution” en Syrie. De plus, une nouvelle guerre entre les forces israéliennes et le Hezbollah est plus que jamais imminente. Soutenu par l’administration américaine, Israël mène une politique agressive sur ses frontières pour faire tomber les islamistes à Gaza (l’enclave fait face à une situation humanitaire terrible, suite au blocus israélien) et chasse les miliciens iraniens hors de Syrie (de peur que ceux-ci n’aident le Hezbollah lors d’une future guerre).
La situation du régime israélien témoigne de son instabilité et de la crise en cours. En tant qu’État ségrégationniste, Israël cherche à maintenir les conditions dans lesquelles la classe ouvrière continuera à payer le prix pour l’occupation et l’agressivité militaire du pays, tout en acceptant la gestion capitaliste de l’économie par le gouvernement. La classe dominante israélienne, qui combat le mouvement nationaliste Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), est aidée pour cela par les populistes de droite et les dirigeants fascistes de l’étranger ; elle opprime les masses afin de préserver le projet de colonisation sioniste. Il y a beaucoup de travailleurs et de jeunes israéliens qui ne veulent pas accepter plus longtemps les conditions israéliennes d’oppression nationale et la cruelle exploitation capitaliste. Quelques-uns sont déjà mobilisés dans les partis d’opposition israéliens au gouvernement, même si ces partis sont au service des élites israéliennes.
Le système politique israélien est fragmenté et fragile. Les partis politiques de droite sont traditionnellement organisés autour du Likoud, dirigé par le Premier ministre, Netanyahou. Cependant, même au sein des partis de droite qui dirigent le pays, il y a des scissions et des crises. Alors que la plus importante faction politique à la Knesset est le Likoud, une formation ultra chauvine et néo-libérale qui s’est créée en 1973, il existe d’autres partis, plus petits que le Likoud, dont la politique est encore plus nationaliste et chauvine. Ces partis poursuivent des politiques dont le but est la constitution du “Grand Israël”, duquel les palestiniens seront chassés. La seule faction politique “centriste” qui ait rejoint la coalition de Netanyahou a été formée par d’anciens membres du Likoud. Cependant, cette faction a collaboré avec Netanyahou et la droite politique en poussant l’économie du pays dans un capitalisme extrême.
Les partis qui constituent l’opposition à Netanyahou ne sont pas homogènes en termes de politique et d’idéologie. Parmi eux, on trouve le Parti travailliste, auquel la plupart des israéliens ne font pas confiance, à cause de sa politique opportuniste et social-chauvine ; on trouve aussi le petit parti social-démocrate et sioniste Meretz, dont la base électorale politique est étroite. Les Palestiniens d’Israël sont représentés sur une liste commune de partis politiques nationaux dans laquelle le Parti Communiste stalinien joue un rôle central. Le problème de ce bloc de centre-gauchisant n’est pas juste son hétérogénéité sur le plan politique, mais réside dans le fait qu’aucun d’eux ne propose de perspective à la classe ouvrière israélienne ou palestinienne. Ni les factions pseudo-gauchistes sionistes, ni les partis arabes et communistes antisionistes ne proposent un moyen pour sortir des décennies d’occupation, de capitalisme brutal et de crise sociale permanente.
Cette situation est regrettable, mais compréhensible, dans la mesure où Israël, en tant qu’État conquérant, continue à coloniser les masses palestiniennes. Le problème de l’occupation israélienne joue un rôle central dans la politique du pays. Alors que la droite politique souhaite intensifier l’occupation et la colonisation, la pseudo-gauche politique met en avant la solution à deux États mort-nés dans laquelle une sorte de Bantoustan palestinien serait établi le long d’Israël. Alors qu’il existe un fort désir au sein des masses, de voir la fin de ce conflit sanglant, la droite prospère et répand son chauvinisme radical et son nationalisme empoisonné afin de diviser la classe ouvrière selon les frontières nationales. La pseudo-gauche ne suggère rien d’autre qu’une solution basée sur l’ordre impérialiste dans lequel le système capitaliste continuera à opprimer les masses et à les exploiter. En l’absence d’alternative à plus de cent ans de conflit sanglant, le nationalisme s’épanouit et le chauvinisme continue d’empêcher tout changement vers une réelle réconci liation entre les travailleurs israéliens et leurs homologues palestiniens.
La nouvelle tendance au sein de quelques cercles gauchistes est l’idée d’un État bi-national Israël/Palestine, État qui attribuerait l’ “auto-détermination” aux deux nations. Cette idée est en train de devenir populaire dans le milieu radical, car elle exprime son désespoir quant à la possibilité de construire deux États-nations indépendants en Palestine. Cependant, le slogan de l’ “auto-détermination” n’est pas satisfaisant : à l’époque de l’impérialisme et de la décadence du capitalisme, la revendication de l’auto-détermination implique l’établissement d’un régime bourgeois. Du point de vue de la classe ouvrière, l’idée de construire un État bourgeois est une impasse en termes de lutte de classe. Outre le fait qu’appeler à l’ “auto-détermination” à l’intérieur du capitalisme constitue une illusion risquée pour l’ordre bourgeois, il en résulte aussi une situation dans laquelle la classe ouvrière n’est pas différenciée de la bourgeoisie nationale. Dans cette situation, il y a un clivage dans la classe ouvrière, selon les frontières nationales. Les révolutionnaires, dans les pays où le prolétariat existe et est capable d’une action révolutionnaire, ne peuvent pas se satisfaire d’un appel à l’ “auto-détermination”.
De plus, défendre le “droit à l’auto-détermination” revient à proclamer que ce seul droit est opposé aux intérêts de la bourgeoisie nationale. Cette position contredit la réalité en Palestine, dans la mesure où les bourgeoisies ne peuvent bénéficier que d’une situation d’économie capitaliste unifiée dans un État. L’intérêt des prolétariats palestinien et israélien est de s’unifier selon une frontière de classe ; le nationalisme et l’appel réactionnaire à l’ “auto-détermination” constituent une arme dans les mains de la bourgeoisie nationale qui aspire à empêcher la classe ouvrière de réaliser le socialisme. À cela, il faut ajouter le fait que, à l’époque de l’impérialisme, la lutte pour l’indépendance nationale ne peut pas aboutir, dans la mesure où le capitalisme essaie de détruire les États-nations ainsi que leurs économies et de construire un marché mondial à travers le processus de colonisation. La démarche radicale consistant à vouloir retourner à une période où il était possible de construire des États-nations véritablement indépendants est utopique, voire réactionnaire.
Ainsi, l’appel à l’établissement d’un État palestinien au sein de l’ordre capitaliste est en fait un appel pour que la bourgeoisie construise un autre pays capitaliste dans lequel la classe ouvrière sera opprimée et incapable de défendre ses droits contre la classe dirigeante capitaliste. Il existe cependant une infime minorité, essentiellement des groupes trotskistes, qui appellent à la création d’un État socialiste en Palestine, un État-nation aux caractéristiques socialistes, fondé sur le droit des peuples “opprimés” à l’ “auto-détermination”, à savoir les palestiniens. Cette distinction entre “opprimés” et “oppresseurs” contredit le projet révolutionnaire qui vise à renforcer le pouvoir de la classe ouvrière. Cela brouille les différences de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie. L’unité des masses ne sera réalisée que sur la base de la révolution prolétarienne.
Quelle voie suivre ?
Il y a des appels parmi les gauchistes de telle ou telle chapelle à voter pour tel ou tel parti (les libéraux, les réformistes, les staliniens ou les trotskistes) afin d’empêcher la démocratie bourgeoise israélienne d’être écrasée par le fascisme. Cependant, cet appel reflète la croyance selon laquelle, à l’époque de l’impérialisme, la démocratie bourgeoise serait un véritable régime démocratique et non une pure illusion. Les masses souhaitent voir une démocratie et les fascistes veulent détruire les vestiges de la démocratie bourgeoise. Cependant, l’idée que le fascisme ne triomphera pas si les partis démocrates-libéraux bourgeois gagnent les élections législatives n’est pas seulement une illusion : c’est aussi une stratégie politique afin de réduire le pouvoir de la classe ouvrière en tant qu’agent révolutionnaire. Le fascisme doit être vaincu par les masses par une action révolutionnaire directe et indépendante, et non par ceux qui soutiennent le capitalisme ou le défendent.
Les partis de “gauche” actuels sur l’échiquier israélien ne sont pas différents des autres partis en Europe ou aux États-Unis, dans la mesure où ils défendent l’ordre capitaliste et diffusent des illusions concernant la possibilité de résoudre la question nationale au sein de l’ordre capitaliste. Ils défendent un ordre en décomposition, un ordre qui est en train d’agoniser. Ces partis ne peuvent pas rassembler les masses autour d’eux, car le prolétariat les méprise et ne fait pas confiance à leurs dirigeants et à leur programme. Le prolétariat a besoin de son propre Parti révolutionnaire, qui mettra en avant le programme communiste ; cependant, le jeu suggéré par certains réformistes et staliniens, à savoir la participation au parlement bourgeois et ainsi attendre que la révolution surgisse de nulle part, est faux et trompeur. La mystification de la démocratie bourgeoise découle d’une fausse analyse faite par ceux qui croient fermement dans des notions telles que la “citoyenneté”. En fait, dans une société de classes, la seule vraie démocratie, c’est-à-dire la loi du prolétariat, ne sera réalisée que par la révolution prolétarienne. Cette affirmation ne préjuge pas de la proximité (ou pas) de la révolution. Cependant les illusions dans le fait de travailler dans le parlement bourgeois ne permettront pas aux ouvriers de s’émanciper.
Le but de cette analyse n’est pas d’appeler les ouvriers en Israël/Palestine à gâcher leurs votes (1) mais plutôt à s’organiser en un Parti révolutionnaire unifié, basé sur un programme communiste. Le seul moyen de se débarrasser du capitalisme, du nationalisme et des guerres passe par la révolution. Les ouvriers n’ont pas de patrie et doivent donc s’unir pour construire une société communiste.”
DS, décembre 2018
1) Il s’agit ici d’une allusion au fait de vouloir rendre le bulletin de vote nul. Par exemple, en écrivant quelque chose dessus pour l’invalider (NdT).
La mesure phare de la “transition écologique” du gouvernement Macron, qui prévoyait l’augmentation des taxes sur le diesel, prétendument pour lutter contre la pollution aux particules fines, a déclenché un vent de colère dans toute la population. Avec cette énième attaque, la population a vu “jaune” et a exprimé son ras-le-bol de la précarité et de la pauvreté croissante en bloquant les ronds-points et les péages. Face à cela, quelle fut la première réponse de Macron ? Rien de moins que la culpabilisation cynique : “Les mêmes qui râlent sur la hausse du carburant, réclament aussi qu’on lutte contre la pollution de l’air parce que leurs enfants souffrent de maladies” ; “Vouloir traiter l’urgence sociale en renonçant à l’ambition écologique, c’est maintenir les Français dans une mauvaise situation”. Autrement dit, si les petites-gens préfèrent “regarder leur nombril” et leurs “fins de mois”, le gouvernement, lui, s’occupe avec son “grand cœur” de l’avenir de la planète et de l’humanité. Quelle ignoble hypocrisie !
La vérité, c’est que le capitalisme, les ravages du profit et le pillage industriel génèrent les catastrophes et la destruction de la planète. C’est ce système économique barbare qui fait que sept millions de personnes meurent tous les ans à cause de la pollution de l’air, notamment les particules fines (selon une étude de l’OMS publiée en 2018). Les émissions de CO2 contribuent au réchauffement climatique et entraîneront dans leur sillage une montée des eaux d’un mètre d’ici 100 ou 200 ans selon la NASA, des inondations de terres habitées ou agricoles (comme au Bangladesh ou au Pays-Bas), des phénomènes climatiques dévastateurs. Tout cela conduit à de véritables drames humains comme des déplacements de population, le développement des famines, l’éclosion des maladies, la disparition des forêts telles que l’Amazonie d’ici 2150 ou les forêts primaires brésiliennes d’ici 2070 ! Ces quelques exemples montrent bien que la bourgeoisie continue de régner en maître absolu, d’exploiter les hommes et la nature pour son seul profit. Si la classe ouvrière est incapable d’offrir une autre perspective, l’état de la planète va empirer au point de devenir invivable pour tous les grands mammifères, l’espèce humaine comprise.
La bourgeoisie a bien conscience qu’elle doit faire un minimum pour préserver notre environnement. Elle sait que le changement climatique est à terme une entrave à la production, que les dégâts provoqués coûtent chers, que les déplacements de population à venir vont être sources de conflits et de dépenses.
Incapable de limiter “la casse”, elle se console au mieux en tentant d’amuser la galerie avec ses COP 21, 22, 23 et COP 24. Mais justement, lors de ces réunions internationales au sommet, toute la nature destructrice du capitalisme ressort : chaque État y lutte âprement pour défendre l’intérêt de sa nation, les règlements écologiques deviennent des armes de guerres commerciales pour favoriser le développement de tel pays ou entraver celui de tel autre. Les États-Unis veulent limiter la pollution… chinoise. L’Europe… la pollution américaine, etc. À bas le diesel ! À bas le charbon ! À bas la déforestation ! À bas le nucléaire ! Selon que le principal concurrent exploite le pétrole, le charbon, le bois ou l’atome fissuré. Très loin d’une quelconque préoccupation écologique, ces négociations sont un autre moyen de maintenir les tensions impérialistes pour chaque grande puissance. L’avenir de la planète et de l’humanité n’a pas sa place ici. Hors des caméras ne reste que la défense des sordides intérêts nationaux. Un seul exemple : tous les gouvernements s’inquiètent du réchauffement climatique et de la fonte des pôles, et tous ces mêmes gouvernements en même temps fourbissent leurs armes, affûtent leurs arguments légaux et diplomatiques, appareillent leurs bateaux pour participer à la course à l’exploitation des nouvelles voies maritimes et aux nouvelles ressources “enfin” libérées des glaces.
La bourgeoisie française et son État ne font pas exception. Aujourd’hui, Macron se drape de vert pour justifier ses taxes. Il pointe du doigt les “gaulois réfractaires” et insensibles à l’avenir de la planète. Pendant ce temps, pour maintenir la compétitivité de l’agriculture française, des tonnes de glyphosate et autres désherbants, pesticides sont déversés partout. Et la “population égoïste” de développer cancer, troubles endocriniens et autres joyeusetés. Quid des grandes entreprises françaises : Total, L’Oréal, Danone pourtant parmi les plus grands pollueurs et empoisonneurs de la planète ? Sans parler de l’un des secteurs de pointe de la nation française : l’armement. Quoi de mieux pour l’humanité et la nature que de vendre à travers le monde mines, bombes, avions de guerre, quand ce n’est pas directement l’armée française qui déverse ses tapis de bombes au nom de la défense des valeurs démocratiques et du drapeau tricolore dans ses “missions de paix”.
Mais la bourgeoisie française pousse le vice encore plus loin. Même ses actes dits écologiques, officiellement pour financer la “transition” ne sont que pure escroquerie. Les recettes de la principale taxe écologique (TICPE ou taxe carbone) sont en réalité versées pour moitié dans le budget de l’État et il est impossible d’identifier ce qu’elles financent. Comme le rappelait le rapporteur de la commission des Finances du Sénat, le 7 novembre : “il n’est pas honnête de dire que la TICPE aidera les Français en matière de conversion énergétique”. Ainsi donc, même les euros volés sur le dos des plus pauvres au nom de la transition écologique n’iront pas… à la transition écologique ! Pire, dès la création de cette taxe, il était prévu qu’elle serve à financer le CICE, crédit d’impôts pour la compétitivité et l’emploi, à l’attention… des entreprises, y compris les plus polluantes. Décidément, oui, comme l’affirmait une banderole de la marche pour le climat du 8 décembre à Paris : “Fins du monde, fins de mois. Mêmes coupables, même combat”. Mais cela, à condition de bien comprendre que le vrai coupable est le capitalisme.
Près de trente ans après la signature du protocole de Kyoto, après vingt-quatre conférences des parties (COP), tous les indicateurs environnementaux sont au rouge. Les exploités ne doivent pas se faire berner : le sort de l’humanité et de son environnement est uniquement dans les mains de la classe ouvrière.
Elise, 6 janvier 2019
Les phénomènes migratoires qui se produisent actuellement dans différents pays d’Amérique latine, ainsi que dans d’autres parties du globe, sont le résultat direct de l’incapacité de la bourgeoisie, en tant que classe dominante, à garantir les conditions de vie de millions d’êtres humains sur la planète. Enfoncée jusqu’au cou dans le bourbier de la crise économique mondiale, elle ne peut rien faire d’autre que ce qui est dans sa nature de classe exploiteuse : plonger le prolétariat et les autres couches non exploiteuses de la société dans la souffrance et la misère, afin de maintenir à flot son système pourri.
En ce moment-même, des groupes de migrants du Honduras marchent en direction de Veracruz (au Mexique) et de la frontière des États-Unis, où ils seront accueillis par l’armée aux abords des dites frontières, cadeau de bienvenue de Trump. Les milliers de personnes qui viennent du Honduras et des autres pays d’Amérique centrale continuent leur traversée, fuyant la misère et la violence de leur pays natal, pour affronter de nouvelles formes de violence et de misère dans leur prochaine destination. Parce que personne n’échappe à la misère et à la violence que le capitalisme offre dans la phase la plus sévère de sa décadence, ce que nous appelons la décomposition.
Il en va de même pour les ouvriers du Nicaragua, du Venezuela, du Maroc, de la Syrie, de la Birmanie et d’autres pays du monde, qui se déplacent en masses désespérées et qui, plus qu’une émigration, est un exode à proprement parler, un phénomène social qui démontre l’aggravation de la décomposition dans divers endroits de la planète. (1)
Rien qu’en 2017, 68 millions de personnes dans le monde ont été forcées de fuir leur foyer, à cause des guerres et des conflits politiques, un phénomène qui s’était déjà produit lors de la Seconde Guerre mondiale. D’après des données du pacte de Marrakech” de l’ONU sur les migrations, le nombre de personnes en exode forcé au cours des dix dernières années s’élève désormais à 260 millions, ce qui représente 3,4 % de la population mondiale. Des pays comme la Syrie et l’Afghanistan comptent déjà plus de six millions de migrants, le Soudan du Sud et la Birmanie les comptent également par millions, et la guerre civile au Yémen a, quant à elle, déraciné plus de trois millions de personnes et fait quelque 10 000 morts. (2) Ce qui est à l’origine de cette diaspora qui cherche à fuir la misère, le chaos et la mort, c’est la barbarie sans fin que produit le système capitaliste.
Ces phénomènes migratoires sont l’expression de la déstabilisation de la bourgeoisie dans tous ces pays, où une grande partie de la population active tente d’échapper à la misère et au drame qu’elle affronte chaque jour. La violence et l’hyperinflation au Venezuela, la violence des Maras (3) et la pauvreté qui touche les travailleurs Honduriens sont des exemples de ce qui se passe au niveau social et politique dans ces pays. Leur bourgeoisie, ne pouvant pas imposer à l’ensemble de la société son dessein et ses intérêts sans rencontrer de difficultés, se retrouve ébranlée et agitée à tous les niveaux, dans un chaos politique qui se traduit souvent par des conflits d’intérêts entre les différentes factions de la bourgeoisie locale, la corruption généralisée et la violence.
Les États capitalistes, dans ces pays frappés par les crises et les dictatures politiques depuis plusieurs années, cherchent constamment à appauvrir les conditions de vie des ouvriers, attaquant les salaires et le niveau de vie. Ajouté à des politiques gouvernementales populistes de gauche et de droite ou bien à des dictatures militaires extrêmes, tout cela engendre un terrain propice à la bombe à retardement dont les exodes d’ouvriers, dont nous sommes témoins aujourd’hui, sont une des nombreuses manifestations. (4)
Bien que l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir au Brésil, après plusieurs gouvernements de gauche, se manifeste sur un autre plan (le gouvernement et l’appareil politique de la bourgeoisie), ce populiste de droite a réussi à combler le vide laissé par la corruption et l’échec des gouvernements précédents. La situation au Pérou montre également des niveaux de corruption sans précédents, ce qui a déstabilisé la bourgeoisie de ce pays.
Cette situation a immédiatement engendré des attaques envers la classe ouvrière, rendant les conditions de travail d’une grande partie de la population de plus en plus précaires, et aggravant la violence sous toutes ses formes. De même, en Équateur, la confrontation violente entre les autorités, les autochtones et les migrants vénézuéliens, a montré que la bourgeoisie équatorienne était incapable d’apporter une solution à ce problème. Dans la même veine, au Venezuela, continue de se développer une hyperinflation titanesque qui a déjà poussé 4 millions de personnes désespérées à fuir la faim et la violence de ce pays. Face à cela, les États n’ont pas d’autre choix que d’augmenter les restrictions d’accès à leur sol, qu’ils appellent “le contrôle aux frontières”.
À cela s’ajoute l’idéologie de la xénophobie qui commence à se développer, comme en Équateur et au Pérou. Cette idéologie, a plus ou moins été alimentée par les opinions populistes et de droite, provenant de groupes de citoyens et des fronts politiques. (5) Mais la xénophobie n’est pas associée à certains partis ou tendances politiques (elle n’est pas apparue avec Trump ou Bolsonaro par exemple), elle émane d’une forme d’aliénation produite par une société qui vit de l’exploitation du travail humain.
D’ailleurs, le Nicaragua, le Honduras et l’Amérique centrale connaissent le même sort. Des centaines de travailleurs et leurs familles fuient leur lieu d’origine, motivés par la peur et la faim imposées par les États de ces pays et par la violence de leurs pairs, les “Maras”, notamment la Mara Salvatrucha, (6) gangs criminels qui contrôlent les villes et rues de ces pays (et des autres pays) d’Amérique centrale. Dans certains cas, cette violence sans limites, qui se développe sur deux fronts, sert très bien les intérêts des factions les plus stables des bourgeoisies locales, tandis que dans d’autres, elle leur échappe totalement, accélérant l’effondrement de la société et forçant la classe ouvrière à s’échapper de ce cercle vicieux de la misère.
Alors que la décomposition sociale du capitalisme s’accélère, la classe ouvrière doit faire face à la peur, la faim et au désespoir. Les conditions de pauvreté qui ont touché, de manière historique, certaines couches de la classe ouvrière dans diverses régions du globe, comme en Amérique centrale, peuvent pousser une partie du prolétariat dans le désarroi à réagir de façon désespérée. Cependant, ce scénario ne doit pas nous tromper ; le prolétariat, même face à ces difficultés, n’a perdu ni sa combativité, ni sa capacité à développer sa conscience de classe révolutionnaire. Il est vrai que toute cette situation ceinturée par la décomposition engendre une tendance à l’effondrement de toutes les sociétés de la planète, menaçant d’entraîner la classe ouvrière et l’humanité toute entière dans un chaos total, de mort et de destruction. Dans ce contexte, seul le prolétariat est capable de devenir un référent politique pour le restant des couches non exploiteuses de la société, en proposant, sur une base autonome, solidaire et internationale, le dépassement des rapports de production capitalistes. Pour mener à bien cette mission historique, le prolétariat a besoin de son avant-garde, une organisation politique prolétarienne mondiale, composante de l’effort du prolétariat pour développer sa conscience politique, défendant constamment les intérêts de la classe ouvrière, et qui soit également capable de mettre en garde le prolétariat contre les dangers et les difficultés qu’il rencontre dans sa lutte pour se réaffirmer comme seule classe révolutionnaire et internationale. Cela afin d’agir de manière organisée et unie contre le bombardement idéologique permanent des serviteurs du capital, contre le terrorisme et la terreur que certaines factions de la bourgeoisie utilisent pour faire taire les tentatives de révolte des ouvriers.
En ce sens, le prolétariat ne doit pas succomber au chant des sirènes populiste de gauche ou de droite, ni tomber dans le défaitisme des classes moyennes démoralisées, ni dans la confusion et le piège tendu par certaines factions des bourgeoisies régionales, principalement vénézuéliennes, qui consiste à présenter l’origine de ces migrations ainsi que l’accentuation de la faim et de la pauvreté à laquelle il fait face, comme le résultat “de l’application du modèle communiste”. En réalité, c’est le capitalisme qui entraîne l’humanité dans sa chute, et face à lui, seul le prolétariat a la capacité, en tant que classe révolutionnaire, unie et internationale, de proposer une perspective concrète afin de s’extirper de ce bourbier en détruisant ce système de misère, d’exploitation et de mort.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la classe ouvrière immigrée, contrainte à un exode désespéré, est victime de la barbarie capitaliste, et que cette même barbarie attaque non seulement les migrants, mais aussi l’ensemble du prolétariat mondial ; en Amérique du Sud, en Europe, en Asie, etc. Ces exodes dont nous avons été témoins, du Maroc au Nicaragua, du Honduras au Venezuela, ne font que confirmer la barbarie dans laquelle le capitalisme nous entraîne, et témoignent ouvertement des coups portés aux conditions de vie des ouvriers autochtones et étrangers du monde entier. (7)
Dans d’autres pays d’Amérique latine comme au Brésil, en Colombie, en Équateur ou au Pérou, le rejet des migrants s’observe également, en raison d’une situation de crise économique et sociale qui, au milieu d’une compétition féroce pour la survie, provoque des réactions humaines instinctives telles que la peur de perdre son emploi, le nationalisme, donnant elles-mêmes naissance à des idéologies irrationnelles comme la xénophobie, dont les racines se trouvent dans la division de la société en classes, en nations, en cultures, et dans le fait que la force de travail est la seule et unique marchandise que l’ouvrier peut vendre au capital pour gagner sa vie.
Dans le même ordre d’idées, la bourgeoisie dite populiste des Trump, Salvini, Orban, Le Pen ou du petit nouveau Bolsonaro au Brésil, ainsi que la bourgeoisie dite démocratique, des Merkel, Sánchez, Macron, López, Vizcarra, Moreno, sont en réalité les faces d’une même pièce et représentent le même ennemi pour le prolétariat : la bourgeoisie. Les deux camps capitalistes se font appeler populistes, droite “civilisée” ou encore gauche “humaniste”, alors qu’ils sont le même ennemi de la classe ouvrière.
C’est pourquoi la crise migratoire massive est un symptôme de la décomposition sociale du capitalisme, tout comme l’effondrement systématique des sociétés de la planète et la barbarie sans fin sont des manifestations constantes de ce système pourri. Malgré le fait que beaucoup ont dû émigrer pour survivre, le prolétariat n’est pas vaincu. Il continue de résister aux attaques menées contre ses conditions de vie (au Venezuela, il y a eu près de 11 000 manifestations cette année), comme le font d’autres couches de la population, montrant ainsi son indignation sociale.
En ce sens, nous devons donc continuer à penser que l’unique manière d’échapper à cette terrible situation est la lutte déterminée, unie et internationale du prolétariat. Lui seul pourra guider les autres couches sociales et, de par sa nature de classe et de force sociale internationale, affirmer avant tout que la classe ouvrière, d’ici ou d’ailleurs, reste la même, soulignant ainsi la perspective réelle de surmonter la misère à l’échelle planétaire.
Internacionalismo, section du CCI au Pérou, 13 décembre 2018
1) Voir notre article en espagnol : “Marruecos : protesta contra la barbarie capitalista a los emigrantes” [701].
2) El Comercio (26 août 2018).
3) Les Maras sont des gangs mafieux principalement impliqués dans des affaires de stupéfiants et dans toute sorte d’activités illicites. Beaucoup sont essentiellement composées d’adolescents. Le meurtre d’innocents fait partie des différentes épreuves d’initiation de certaines Maras, notamment la MS13 (Mara Salvatrucha). (NdT)
4) Voir notre article : "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [265]".
5) Voir notre article en espagnol : “Para luchar contra el racismo hay que luchar contra el capitalismo” [702].
6) La Mara Salvatrucha, ou MS, ou encore MS13, est originaire de Los Angeles. Elle est présente dans certaines régions des États-Unis, du Canada, du Mexique, le nord de l’Amérique Centrale (le Guatemala, le Salvador, le Honduras), ainsi que dans le sud de l’Europe (en Italie et en Espagne)
7) Voir notre article : “Crise de l’émigration à la frontière hispano-marocaine : l’hypocrisie de la bourgeoisie démocratique” [703].
De nouveau, à la Une des journaux s’étale la crainte de nouvelles secousses économiques mondiales. “Bourse : les banques européennes signent leur pire performance depuis 2011”, “Le moteur cassé du commerce mondial”, “Les banques centrales peu armées en cas de nouveau choc”, “Crack boursier et crise économique seront-ils au menu de 2019 ?”, etc.
En clair, les conditions de vie et de travail de millions d’êtres humains aux quatre coins du monde vont encore empirer. Vagues de licenciements, réduction du nombre de fonctionnaires, diminution des aides sociales et allocations chômage, détérioration des soins médicaux, appauvrissement des retraités, explosion de la précarité, de la flexibilité et des cadences de travail… tel est le programme de la classe dominante pour les années à venir. En définitive, un scénario similaire à celui de la décennie passée, voire pire.
La seule vraie question est : quels nouveaux mensonges vont encore inventer la bourgeoise et les médias à sa botte pour cacher la réalité de la faillite de son système ?
En 2008, ils ont pointé du doigt l’irresponsabilité des banques et la cupidité des traders dont les plus grassement enrichis servirent de bouc-émissaires (certains furent même jetés en prison).
En 2008, ils ont usé et abusé des allégories pour présenter la crise économique comme un cataclysme naturel, hors de contrôle de l’activité humaine : tempête financière, tsunami bancaire… induisant l’idée d’impuissance face à la fatalité.
En 2008, ils ont poussé des cris d’orfraie face à la mondialisation dérégulée et aux paradis fiscaux. Ils ont juré la main sur le cœur que les États allaient reprendre sérieusement le contrôle de cette “économie de casino”.
En 2008, ils ont asséné que “nous vivions au-dessus de nos moyens”, que depuis 60 ans “nous” avons égoïstement accru la dette des États, en hypothéquant ainsi la vie de nos enfants et des nouvelles générations. Ils ont ainsi culpabilisé sans vergogne les salariés, les retraités, les chômeurs qui ont pourtant vu, décennie après décennie, leurs conditions de vie se dégrader.
En 2008, ils ont promis qu’en se serrant la ceinture aujourd’hui et en acceptant les “sacrifices nécessaires”, les lendemains seraient meilleurs. Ils ont justifié ainsi toutes les pires attaques.
Des mensonges et encore des mensonges !
Le capitalisme est basé sur un rapport social de production. Les lois économiques ne tombent pas du ciel. Les investissements, les flux de capitaux, les achats et ventes en bourses, les règles de concurrence, toute la vie économique est une activé humaine.
Le capitalisme est un système basé sur l’exploitation de la force de travail des prolétaires. C’est la bourgeoisie qui dicte ses lois et ses règles, à travers ses États, à son profit, dans le seul but d’accumuler du capital. C’est le prolétariat, en tant que classe, qui travaille pour produire les richesses et sur lequel la classe capitaliste extrait la plus-value, c’est-à-dire un sur-travail volé légalement par la bourgeoisie.
Le capitalisme est un système décadent. La Première Guerre mondiale en 1914 a signé la fin de sa période historique de prospérité. En effet, ce système a besoin d’être en expansion permanente pour vendre toujours plus de marchandises et éviter la surproduction sur le marché mondial. Or, la planète a des limites objectives. En deux siècles, le XVIIIe et le XIXe, le capitalisme a conquis, par la colonisation, tous les continents. Au début du XXe siècle, les principales grandes puissances du capitalisme, au cœur de la vieille Europe, finissaient de se partager le monde. Il n’y avait nulle part de nouvelles régions du monde à conquérir. La planète est aussitôt devenue un terrain d’affrontements entre les grandes puissances pour se disputer les parts de marché. Parce qu’elle était dépourvue de colonies, l’Allemagne a dû se lancer la première dans l’offensive guerrière, justement pour s’approprier les marchés des autres par la force des armes. Pour l’Allemagne, comme pour les autres puissances impérialistes, il s’agissait d’ “exporter ou périr” (selon le cri de guerre d’Hitler). Les deux guerres mondiales qu’a connu l’humanité étaient la conséquence de l’exacerbation de ces tensions commerciales et impérialistes.
Depuis, avec l’approfondissement de la crise historique du capitalisme, la guerre ravage la planète quotidiennement. Tous les États ont concentré dans leurs mains l’ensemble de la vie sociale et économique afin de se livrer la concurrence économique et militaire la plus effroyable sur l’arène mondiale. Cela, au nom de la “compétitivité” des marchandises. L’un des moyens utilisés est l’endettement. Pour soutenir leurs économies nationales, tous les États injectent donc des quantités d’argent de plus en plus astronomiques à coups de crédits, de taux d’intérêt bas, de dérégulations et autres montages financiers.
Voilà pourquoi, depuis 2008, la dette mondiale a encore gonflé démesurément. Selon le FMI, fin 2007, elle était de 184 000 milliards de dollars, soit 225 % du PIB mondial ! Sans compter toutes les dettes liées aux actifs pourris, aux shadow banking (1) et à toute l’économie souterraine qui, malgré les discours de renforcement des contrôles, ne cessent de se développer.
En fait, l’expansion de cette “finance de l’ombre” est particulièrement révélatrice de l’impasse dans laquelle s’enfonce inexorablement le capitalisme. Tous les G7, G8, G20 successifs se sont déclarés en guerre contre ces pratiques douteuses. L’absence de maîtrise des États sur cette partie de l’économie mondiale inquiète, en effet, toute la bourgeoisie. Mais en même temps, elle est le produit inévitable de la politique et de la concurrence entre les États : ils déversent de l’argent à coups de taux de crédits ultra-bas afin de soutenir artificiellement leurs économies nationales. À côté de cela, l’économie réelle est saturée de marchandises invendables, la surproduction est partout. Les investisseurs utilisent donc tous les moyens pour faire fructifier leur capital, y compris les plus spéculatifs : bourses officielles et paradis fiscaux. Les États eux-mêmes, pris dans une guerre commerciale implacable, sont au cœur de telles pratiques. Les plus grandes entreprises nationales s’y déploient avec leur bénédiction. Les États ferment en grande partie les yeux sur le blanchiment de l’argent issu de tous les marchés noirs (la prostitution, la drogue, mais aussi, par exemple en France, le travail au noir qui est le pilier de la compétitivité du secteur textile), quand ils n’y investissent pas directement.
La bourgeoisie n’a pas de solution à la crise insoluble de son système. Son marché artificiel de la dette ne résout rien. Au contraire, il prépare des explosions toujours plus violentes.
Aujourd’hui, la croissance de l’économie réelle mondiale et les échanges mondiaux ralentissent. La situation dans laquelle se trouve la Chine est particulièrement inquiétante : la consommation et la production industrielle sont en berne, le pays connaît la plus grosse bulle immobilière de son histoire, les conflits commerciaux avec les États-Unis s’exacerbent.
L’économie mondiale est truffée de ce type de champs de mines, tels, par exemple, les prêts accordés aux étudiants aux États-Unis que ces futurs travailleurs précaires seront incapables de rembourser, la dette privée (entreprises et ménages) américaine pharaonique (150 % du PIB), la menace d’un retour de l’inflation et donc le risque de resserrement monétaire des banques centrales ou les conséquences du Brexit, de la politique de plus en plus protectionniste de Trump, etc.
Le capitalisme va donc continuer de s’enfoncer inexorablement dans sa crise historique, avec des soubresauts toujours plus violents et dévastateurs pour l’humanité. La bourgeoisie va continuer de mentir pour cacher que c’est son système comme un tout qui est en faillite et non uniquement telle ou telle branche plus pourrie que les autres.
L’avenir économique et social que nous promet la bourgeoisie est donc sombre. Il ne faut pourtant pas voir dans la misère que la misère. Le capitalisme est un système obsolète, divisé en classes et en nations. Mais il a aussi engendré en son sein une classe exploitée mondiale et un marché mondial. Aujourd’hui, les prolétaires, grâce au travail associé, coopèrent à l’échelle mondiale pour produire la moindre marchandise, même un simple stylo. Ils forment une classe porteuse de solidarité et d’unité internationale face à une classe bourgeoise qui les exploite dans tous les pays du monde. La classe exploitée porte en elle la capacité de s’organiser mondialement pour abattre le capitalisme et briser les chaînes de son exploitation et les barbelés des frontières qui divisent toute l’humanité en nations.
À terme, l’aggravation de la crise économique et de la misère ne peut que pousser des millions de prolétaires à se battre pour défendre leurs conditions d’existence. C’est seulement quand la classe exploitée se mobilisera massivement sur son propre terrain, contre les empiétements du Capital, que les prolétaires pourront prendre conscience de leur identité de classe et d’être la seule force sociale capable d’en finir avec ce système d’exploitation basé sur la production de marchandises et sur le profit.
Pawel, 5 janvier 2019
1) Le shadow-banking ou finance de l’ombre est “la migration des activités vers le secteur non régulé” (Jean Tirole).
Nous publions ci-dessous de larges extraits du courrier d’un lecteur qui, tout en saluant la ligne directrice de notre tract sur le mouvement des “gilets jaunes”, critique également certaines de nos positions, en particulier l’idée selon laquelle rien de bon ne pouvait sortir de ce mouvement interclassiste pour le prolétariat. Ces questionnements touchent à des aspects extrêmement importants de la lutte du prolétariat : ce qu’est la classe ouvrière, son combat, sa perspective.
Ce n’est que par un débat large, ouvert et animé, que nous parviendrons à élaborer les réponses les plus profondes, à participer au développement de la conscience de classe du prolétariat, à nous emparer de l’arme de la théorie. Nous encourageons donc tous nos lecteurs à nous écrire, à formuler leurs critiques, leurs accords ou leurs questions, afin de nourrir un débat vital pour le prolétariat. C’est avec cet état d’esprit que nous accompagnons ce courrier de notre réponse.
“(…) J’ai parcouru différentes prises de position dont celles des différents groupes gauchistes qui voient ce mouvement comme une réédition de 68. Or la différence saute aux yeux, mais une telle comparaison justifie leur soutien débridé.
On peut reconnaître comme le fait votre tract que l’éclosion spontanée de ces blocages traduit des colères sociales très profondes. Colères très diverses sinon contradictoires, exprimant le caractère interclassiste et son expression citoyenne voire nationaliste. D’accord avec votre critique sur le fond.
Sur trois points il pourrait y avoir discussion :
– L’idée d’un piège tendu aux ouvriers. Quel sens donner à ce “piège” ? Un piège suppose une organisation qui le prépare, l’organise, etc. Or on ne voit rien de tout cela ici.
Il y a aussi dans le tract l’idée que la classe ouvrière est empêchée de lutter : “Tout ce joli monde, chacun avec son credo, occupe et quadrille le terrain social pour empêcher les ouvriers de se mobiliser massivement, de développer une lutte autonome, solidaire et unie contre les attaques de la bourgeoisie”. Les ouvriers sont-ils seulement “empêchés”, sans quoi ils lutteraient ouvertement sur leur terrain classiste ? Non, évidemment.
Il y a bien un mouvement social mélangé, dans lequel le rapport n’est pas à l’avantage de la classe ouvrière et laisse libre cours à d’autres couches pour soutenir leurs propres intérêts, ce qui n’est pas étonnant aujourd’hui. D’accord, dans ce sens, avec le passage : “les prolétaires veulent exprimer leur profonde colère mais ils ne savent pas comment lutter efficacement pour défendre leurs conditions d’existence face aux attaques croissantes de la bourgeoisie et son gouvernement”.
– Là encore, est-il possible de concevoir une lutte de classe autonome comme préalable à un mouvement conséquent ? La lutte de classe ne devient-elle pas autonome en se dégageant comme telle au cours du mouvement lui-même ?
– Même si je partage la critique du contenu et des méthodes, je resterais davantage ouvert sur la possibilité de leur évolution. [Vous avez] remarqué le caractère spontané dans le déclenchement de ces blocages, or certains affichent le souci de s’auto-organiser, de fonctionner par de vraies AG, etc. (…)”
À partir d’un constat commun sur le mouvement des “gilets jaunes” (1) caractérisé par des “colères très diverses sinon contradictoires, exprimant le caractère interclassiste et son expression citoyenne voire nationaliste”, ce courrier pose trois questions importantes.
Notre tract affirme que ce mouvement est un véritable piège pour les prolétaires. Mais pour le camarade “quel sens donner à ce “piège” ? Un piège suppose une organisation qui le prépare, l’organise, etc. Or, on ne voit rien de tout cela ici”. En effet, ce mouvement a été spontané. Une jeune auto-entrepreneuse de Seine-et-Marne a lancé sur les réseaux sociaux une pétition contre l’augmentation des taxes sur le gazole. Puis un chauffeur-routier du même département a appelé à bloquer les routes, affublé d’un gilet jaune. De clic en clic, ces deux cris de colère se sont propagés à très haut débit, témoignant d’un ras-le-bol généralisé dans la population.
Il ne s’agit donc pas d’un piège tendu par la bourgeoisie, son État, ses partis, ses syndicats ou ses médias, mais d’un mouvement qui, de par sa nature interclassiste, est en lui-même un piège pour les ouvriers. Car dans un mouvement interclassiste où les prolétaires (employés, étudiants, retraités, chômeurs…) sont dilués comme individus-citoyens au milieu de toutes les autres couches de la société (petite-bourgeoisie, paysannerie, artisanat…), dominent les aspirations sociales et les méthodes de lutte de toutes ces couches intermédiaires.
C’est pourquoi le point de départ du mouvement fut l’explosion de colère des chauffeurs routiers, des taxis et des patrons de PME face à l’augmentation des taxes sur le gazole venant pénaliser encore un peu plus leur entreprise. C’est pourquoi le moyen d’action privilégié fut l’occupation des ronds-points et des péages, puis de “la plus belle avenue du monde”, les Champs-Élysées, un gilet jaune fluo sur le dos, pour “se faire voir”, “se faire entendre” et surtout se faire “reconnaître”. C’est pourquoi le drapeau tricolore, La Marseillaise et les références à la Révolution française de 1789, ont été aussi omniprésents au milieu de ce cri du “Peuple de France”. Autant de méthodes qui n’expriment en rien une mobilisation de la classe ouvrière sur son propre terrain, remettant en cause l’exploitation du capitalisme à travers des revendications telles que la hausse des salaires, contre les licenciements, etc.
Par ailleurs, les méthodes de lutte de la classe ouvrière ne s’y sont jamais exprimées. L’absence de grèves dans différents secteurs de la classe ou bien d’assemblées générales, au sein desquelles les exploités débattent et réfléchissent sur leur lutte et les objectifs à lui donner, le confirme aisément.
Pire encore, le terrain pourri du populisme et de la xénophobie gangrène une large partie du mouvement. Ce sont ainsi exprimés certains aspects les plus nauséabonds de la période historique actuelle, comme les appels officiels à renforcer les lois anti-immigrés ou des exactions xénophobes. (2) Plus de 90 % des sympathisants du Rassemblement national de Marine Le Pen soutiennent les “gilets jaunes” et plus de 40 % affirment participer eux-mêmes au mouvement.
Voilà dans quelle nasse ont été pris tous ces prolétaires en gilet jaune. Oui, ce mouvement a été pour eux un véritable piège idéologique.
En quelques lignes ce courrier pose une question centrale : “Il y a aussi dans le tract l’idée que la classe ouvrière est empêchée de lutter (…). Les ouvriers sont-ils seulement “empêchés”, sans quoi ils lutteraient ouvertement sur leur terrain classiste ? Non, évidemment”. Quelles sont les causes des difficultés politiques actuelles de la classe ouvrière ? La réponse n’est pas dans une vision photographique du prolétariat d’aujourd’hui mais dans le film de son histoire. Nous ne pouvons donc répondre complètement ici, dans le cadre de cet article, à cette question complexe. (3) Nous voulons simplement marquer une insistance. Il ne faut pas sous-estimer le travail de sape permanent des syndicats dont le rôle spécifique depuis plus d’un siècle est justement le sabotage, sur les lieux de travail, des luttes et de la conscience.
Un seul exemple : quelques mois seulement avant le mouvement des “gilets jaunes”, les syndicats ont organisé la “grève perlée des cheminots”. Des milliers de travailleurs, particulièrement combatifs, ont enchaîné de nombreux jours de grève, complètement isolés, coupés des autres secteurs du prolétariat. Pourtant, au même moment, dans les EHPAD, à La Poste, dans les crèches, les hôpitaux, certaines usines, etc., des luttes se déroulaient également, chacune dans leur coin. Puis la CGT a lancé son appel à la “convergence des luttes”, simulacre d’unité consistant à défiler dans la rue, les uns derrière les autres, sous “son” mot d’ordre, “sa” corporation, “sa” boîte... et à repartir chacun chez soi sans assemblée générale commune, sans discussion, sans solidarité dans la lutte.
Ces mouvements syndicaux qui se répètent année après année, ont pour seule fonction de répandre le poison de la division, du désespoir, de l’impuissance. Alors, oui, le sabotage systématique de l’unité ouvrière par les syndicats est l’un des ingrédients majeurs de la faiblesse actuelle du prolétariat, faiblesse qui crée un terrain favorable à l’explosion de colères interclassistes et, donc, sans perspective.
En fait, la bourgeoisie exploite les faiblesses du prolétariat pour tenter de l’assommer davantage. En effet, la classe ouvrière traverse une période difficile. Depuis 1989 avec les campagnes sur l’effondrement du stalinisme identifié à la prétendue “faillite du communisme”, le prolétariat n’a pas été en mesure de retrouver son identité de classe et de se reconnaître en tant que classe révolutionnaire. Incapable d’esquisser les contours d’une société sans exploitation, la classe exploitée demeure très vulnérable mais surtout très passive sur le terrain de la lutte.
Si, à juste titre, de larges secteurs du prolétariat ne se sont pas reconnus dans la révolte populaire des “gilets jaunes”, ces secteurs centraux n’ont pour autant pas été en mesure de se mobiliser massivement et de façon solidaire et unie, pour riposter aux attaques du gouvernement sur leur propre terrain de classe et avec leurs propres méthodes de lutte.
Cependant, malgré ces difficultés, le prolétariat n’est pas battu. Compte tenu du mécontentement général et des attaques qui se profilent, les grandes masses prolétariennes peuvent très bien sortir de cette léthargie dans la période à venir. L’avenir appartient donc toujours à la lutte de classe.
“La lutte de classe ne devient-elle pas autonome en se dégageant comme telle au cours du mouvement lui-même ? Même si je partage la critique du contenu et des méthodes, je resterais davantage ouvert sur la possibilité de leur évolution. [Vous avez] remarqué le caractère spontané dans le déclenchement de ces blocages, or certains affichent le souci de s’auto-organiser, de fonctionner par de vraies AG, etc”.
Le mouvement des “gilets jaunes”, même parti sur de mauvaises bases, pouvait-il se transformer, devenir autre chose, une authentique lutte de la classe ouvrière ?
En faveur de cette thèse, il y a l’élargissement progressif des revendications, puisque le rejet de l’augmentation de la taxe sur le gazole est passé au second plan derrière une plus large protestation contre la pauvreté et pour le pouvoir d’achat. De plus, la sympathie de la population pour ce mouvement ne se dément pas. Si le mouvement n’a jamais été massif (environ 300 000 “gilets jaunes” au plus fort de la mobilisation) et que la majorité des prolétaires des grandes entreprises et de la fonction publique sont restés spectateurs, il n’en reste pas moins vrai qu’il jouit d’une belle cote de popularité.
Toujours à l’appui de cette thèse, il existe des précédents historiques. En voici seulement trois, mais pas des moindres : la Commune de Paris de 1871 a eu comme prémisse une explosion de colère en apparence nationaliste et anti-prussienne ; la grève de masse en Russie en 1905 a débuté sous des bannières religieuses, un pope (Gapone) à sa tête ; Mai 1968 en France a été initié par un mouvement d’étudiants qui étaient, à l’époque, souvent issus de la petite bourgeoisie. À chaque fois, la classe ouvrière s’est finalement portée à la tête de la lutte, avec ses propres méthodes, son organisation, sa force. Pour paraphraser notre lecteur, à chaque fois “la lutte de classe est devenue autonome en se dégageant comme telle au cours du mouvement lui-même”.
Alors, le mouvement des “gilets jaunes” aurait-il pu se transformer lui-aussi en autre chose, en une véritable lutte ouvrière ? En fait, le camarade apporte lui-même la réponse dans son courrier : “Il y a bien un mouvement social mélangé, dans lequel le rapport n’est pas à l’avantage de la classe ouvrière et laisse libre cours à d’autres couches pour soutenir leurs propres intérêts, ce qui n’est pas étonnant aujourd’hui”.
Mais pourquoi cela ? Parce que nous ne sommes pas en 1871, en 1905, ni même en 1968. En 1871, la Commune de Paris n’est pas une exception. Dans de très nombreuses régions d’Europe, particulièrement en France, la classe ouvrière est en lutte et plusieurs “Communes” éclatent. La grève de masse en Russie en 1905 est précédée de tout un processus profond de montée du combat prolétarien (de sa conscience et de son organisation), là aussi à l’échelle internationale, depuis les années 1890 (Rosa Luxemburg décrit magistralement ce processus dans son livre “Grève de masse, partis et syndicat”). Mai 68 survient après une année 1967 marquée par des grèves ouvrières très importantes, particulièrement dans les grandes villes de l’ouest de la France.
Aujourd’hui, nous ne voyons rien de tout cela. Comme nous l’avons dit plus haut, la classe ouvrière est empêtrée dans de grandes difficultés. Elle n’est même pas consciente de son existence en tant que classe antagonique à la classe bourgeoise et distincte des couches sociales intermédiaires (notamment la petite bourgeoisie). Elle a perdu la mémoire de son propre passé, et ne peut se référer à son immense expérience historique, dont elle a même honte puisque sans cesse la bourgeoisie assimile le mot “ouvrier” à une espèce “disparue” et le mot “communisme” à la barbarie du stalinisme.
Dans cette situation, le mouvement des “gilets jaunes” ne pouvait en aucune façon être une sorte de tremplin ou d’étincelle pour une authentique lutte de la classe ouvrière. Au contraire, les prolétaires embarqués derrière les mots d’ordre et les méthodes de la petite-bourgeoisie, noyés dans l’idéologie interclassiste de la citoyenneté, dilués dans toutes les autres couches sociales, ne pouvaient que subir de façon négative la pression du “démocratisme” bourgeois et du nationalisme.
Par conséquent, heureusement que la majorité de la classe ouvrière s’est contentée d’un soutien platonique et que les prolétaires n’ont pas participé en masse à ce mouvement sans perspective. Cette réticence révèle que, au-delà de sa sympathie pour une partie des revendications contre la pauvreté, la classe ouvrière a surtout été distante, circonspecte, dès le début, devant la focalisation contre les taxes et les méthodes utilisées (l’occupation de ronds-points), alertée et dégoûtée par le soutien immédiat de toute la droite et de l’extrême-droite.
Cette méfiance montre que, malgré ses difficultés à engager la lutte sur son propre terrain de classe, le prolétariat n’est pas écrasé, défait, ni embrigadé massivement dans les idées pourries de la petite bourgeoisie et du populisme xénophobe et anti-immigrés.
Il y a même eu ces dernières semaines, au milieu de ce marasme, de petites lueurs : les lycéens sont rentrés en lutte contre la réforme du bac (sans Marseillaise ni drapeaux tricolores), non pour eux-mêmes directement, mais en solidarité avec les futurs élèves qui vont connaître un enseignement au rabais. De même, les étudiants se sont mobilisés pour refuser la hausse des frais d’inscription dans les facs pour les étrangers en brandissant le slogan “Solidarité avec les immigrés”. La colère des jeunes générations scolarisées (et futurs prolétaires) est une réponse cinglante tant aux mesures gouvernementales iniques qu’aux revendications anti-immigrés des “gilets jaunes”. La solidarité est en effet le ciment et la force de la classe ouvrière.
Le prolétariat a perdu momentanément son identité de classe, il est coupé de son histoire et de son expérience. Mais il est toujours là, bien vivant. Au plus profond de lui-même, la réflexion sur l’absence de perspective de la société capitaliste se poursuit, notamment parmi les éléments les plus conscients et combatifs. Poussé par l’aggravation de la crise économique, au début sans avoir conscience de sa force, sans croire en sa possible unité et son auto-organisation, le prolétariat sera contraint d’engager le combat pour la défense de ses conditions d’existence. Le mouvement des “gilets jaunes” est un signe révélateur de la profondeur du mécontentement qui existe dans toute la classe exploitée et des potentialités de la lutte de classe à venir.
Face à la paralysie momentanée de la lutte de classe, les révolutionnaires doivent s’armer de patience, ne pas craindre l’isolement, les pluies de critiques et d’incompréhensions ; ils doivent démasquer tous les ennemis du prolétariat, tous les pièges idéologiques, toutes les impasses, afin de participer, à la hauteur de leurs faibles forces, au développement de la conscience au sein de la classe ouvrière. Ceci avec la conviction que seule la lutte de classe est capable d’ouvrir une perspective d’avenir pour l’humanité.
RI, 24 décembre 2018
1) “Face à la misère et à la dégradation de nos conditions de vie : Comment lutter pour faire reculer le gouvernement et le patronat ?” [704] (tract disponible sur notre site Internet).
2) “Thèses sur la période de décomposition” [265], Revue internationale n° 107 (2001).
3) “Quand la bourgeoisie fait croire au prolétariat qu’il n’existe pas” [705], Révolution Internationale n° 447 (2014) et “Pourquoi le prolétariat n’a pas encore renversé le capitalisme ?” [496], Revue Internationale n° 104 (2001).
En apparence, la situation sociale semble agitée. Les “gilets jaunes” ne désarment pas après plus de quatre mois de mobilisation. Les syndicats multiplient les grèves locales et les journées d’action. Certains appellent même à une “convergence des luttes”.
Indéniablement, la colère est immense au sein de la population. L’aggravation de la pauvreté et le chômage, la morgue et l’opulence des dirigeants, la violence étatique qui réprime les contestataires, les menaces incessantes d’une crise économique mondiale qui devrait encore s’aggraver ne peuvent que provoquer encore plus de grogne dans la population.
Pourtant, les expressions actuelles de cette colère légitime, notamment celle des “gilets jaunes”, n’inquiètent nullement la bourgeoisie. Bien au contraire, elle est parfaitement capable de les utiliser pour empêcher que resurgisse la lutte de classe du prolétariat
Le mouvement des “gilets jaunes” est d’une incroyable longévité. Certains ronds-points sont occupés en continu depuis fin novembre ! C’est dire la détermination qui anime ces quelques milliers “d’irréductibles”. Pourtant, ce jusqu’au-boutisme désespéré ne fait pas trembler la bourgeoisie française. Au contraire, la classe dominante exploite ce mouvement interclassiste sans perspective pour à la fois entretenir les illusions sur la possibilité d’un capitalisme plus juste et plus humain, car prétendument plus démocratique, et renforcer l’arsenal répressif de son “État de droit”.
La bourgeoisie a exploité au mieux LA revendication centrale des “gilets jaunes”, celle du Référendum d’initiative citoyenne (RIC), en lançant son “Grand débat national”. Elle entretient ainsi les illusions sur son système et sa démocratie en mettant dans toutes les têtes une fausse alternative : participer au “Grand débat” ou organiser ses propres discussions entre “gilets jaunes”. “Nous, on a organisé un vrai grand débat des “gilets jaunes” dans la salle municipale qu’on nous a prêtée” se félicite, par exemple, l’un des “gilets jaunes” des ronds-points de l’Yonne. En réalité, ces discussions organisées par le gouvernement ou par les “gilets jaunes” (dans des salles municipales prêtées… par les maires), sont les deux faces de la même médaille : opposées en apparence, elles forment un tout. Tous ces “Grands débats”, quels qu’ils soient, se fondent sur le souhait d’une “véritable démocratie”, c’est-à-dire d’une plus grande écoute, d’une meilleure prise en compte de la parole du “peuple” par les institutions démocratiques. Or, ce système “démocratique” n’est qu’une mystification masquant que tous les gouvernements sont les gestionnaires du capital national, où une classe minoritaire exploite les prolétaires.
Une partie des “gilets jaunes” a conscience de la vacuité de ces palabres ; eux veulent imposer leurs revendications par la force. Les images du prestigieux restaurant Le Fouquet’s incendié lors de l’ “acte XVIII” ont ainsi fait le tour du monde. Le samedi 16 mars, quelques centaines de “black blocs” et “gilets jaunes” émeutiers ont d’abord tenté, sans succès, de prendre d’assaut l’Arc de triomphe, comme le 1er décembre, puis ont saccagé l’avenue des Champs-Élysées et les rues avoisinantes, principalement en brûlant des kiosques et en brisant des vitrines pour attaquer les symboles du capitalisme. “C’est pire que le 1er décembre. Mais Macron ne veut rien entendre ! Jusqu’où va-t-il falloir aller pour qu’on nous écoute ?” témoigne une manifestante, qui vient d’être gazée, à un journaliste de Libération. En une phrase, cette dame a résumé à la perfection la situation. Ces “gilets jaunes” veulent être “écoutés”. Mais ils ne savent pas comment être “reconnus” et “entendus” autrement qu’en détruisant et en saccageant : “Écoutez-nous, sinon on brûle tout !” pourrait être leur devise.
Ce mouvement est un mélange d’illusions démocratiques, de désespoir absolu et de violence aveugle. Cette révolte du désespoir est donc également infestée par le nihilisme des “black blocs” qui prônent partout : “La France est une vitrine, moi un pavé”. À chaque manifestation, un tag revient d’ailleurs sur les murs : “Le peuple applaudit les casseurs”. Le “peuple” peut bien applaudir, ces actes de destruction ne sapent en rien les fondements du système, ils sont comme des piqûres d’insectes sur la peau d’un éléphant. Pire, ils permettent à la bourgeoisie et son gouvernement de légitimer le renforcement juridique et policier de son arsenal répressif à l’image de la “loi anti-casseurs” adoptée par le parlement.
Il est vrai que le 1er décembre, le chaos qui s’est répandu dans les rues de Paris a contraint Macron à distribuer quelques miettes (primes de fin d’année, etc.) pour faire croire qu’il avait entendu le “petit peuple” qui n’arrive plus à joindre les deux bouts, tout en restant déterminé à ne pas reculer sur une des proncipales revendications des “gilets jaunes” : le retour de l’Impôt sur la fortune (supprimé par le “Président des riches”).
Est-ce la preuve que seule la menace d’un Paris en flammes avec le slogan “On ne lâchera rien !” serait efficace ? Aucunement ! Début décembre, les images des forces de l’ordre incapables de neutraliser des centaines de casseurs dans les lieux les plus touristiques de la capitale ont fait le tour du monde. En réalité, il est apparu de plus en plus évident que le gouvernement Macron avait laissé faire les “black blocs”, quitte à laisser saccager les commerces de l’avenue des Champs-Élysées (ce sont les assurances qui payeront les réparations !).
Tout le monde s’attendait à ce que les “gilets jaunes” fassent un nouveau coup d’éclat lors de leur “Acte XVI” (à la date à laquelle devait prendre fin le “Grand débat”). Le mot d’ordre des leaders “radicaux” des “gilets jaunes” : “Marchons sur l’Élysée !”, avait en effet circulé sur tous les réseaux sociaux (Prescilla Ludovsky avait même réussi à passer à travers les mailles du filet pour se rendre devant le Ministère de l’Intérieur, place Beauvau !). C’est donc ce qui s’est passé, le samedi 16 mars, où les Champs-Élysées ont servi de champs de bataille entre les CRS et les “gilets jaunes”, et de terrain de jeu aux bandes de casseurs professionnels, sans que les forces de répression aient complètement perdu la maîtrise de la situation (contrairement au 1er décembre). Si le gouvernement et son Ministre de l’Intérieur avaient voulu protéger la plus belle avenue du monde, ils auraient parfaitement pu déployer leurs cars de flics, leurs cordons de CRS et même les blindés de la gendarmerie pour bloquer tous les accès. Il faut être particulièrement naïf pour imaginer que le gouvernement a été complètement dépassé par une situation “inattendue” !
Si Macron et sa clique du gouvernement ont laissé faire, c’est d’abord pour obliger les autres partis électoraux concurrents et “l’opinion publique” à resserrer les rangs autour de la défense de l’État républicain “menacé par le chaos” et les actes de destruction des casseurs déguisés en gilets jaunes ou en costume noir : la loi anti-casseurs ne devait plus être contestée. On a pu entendre Macron déclarer que “personne ne peut tolérer que la République soit attaquée au nom du droit de manifester”. Il fallait donc faire l’union nationale, contre le vandalisme avec “la plus grande fermeté”, et donc faire accepter à tout le “peuple” de France les mesures de renforcement de l’État policier contre tous ceux qui manifestent “illégalement” et veulent mettre “la République en danger”.
Face à la critique de l’incurie du gouvernement Macron à empêcher les émeutes et les pillages dans les beaux quartiers de Paris, la stratégie du gouvernement a été de trouver un bouc émissaire : le Préfet de Paris a servi de fusible !
L’hyper-médiatisation du mouvement des “gilets jaunes” depuis le mois de novembre a occupé tous les esprits. Depuis le début, ce mouvement fait la Une de l’actualité avec toutes sortes de débats politiques et autres polémiques entre les différentes cliques bourgeoises ; toutes sortes d’experts et autres spécialistes en “sociologie des mouvements sociaux” sont régulièrement invités sur les plateaux de télévision pour nous tenir en haleine sur l’issue de ce mouvement “inédit” et “original”. Une telle publicité pour les “gilets jaunes” permet d’amuser la galerie en faisant croire qu’il s’agit d’une forme moderne de la lutte de classe (alors qu’il s’agit d’une révolte désespérée et sans perspective de citoyens français en colère contre la politique de Macron !).
La bourgeoisie et son gouvernement tirent profit de la médiatisation à outrance de ce mouvement social pour semer la confusion au sein la classe ouvrière. En polarisant toute l’attention sur les actions spectaculaires des “gilets jaunes”, la classe dominante vise aussi à empêcher le prolétariat des grandes concentrations urbaines de se mobiliser sur son propre terrain de classe, de défendre ses propres intérêts de classe exploitée, et non pas d’être au coude à coude avec les petits patrons et les petits commerçants paupérisés par l’augmentation des taxes et qui réclament une plus grande “justice fiscale” en usant de méthodes qui ne sont absolument pas celles de la classe ouvrière.
Les salariés, les chômeurs, les précaires, les retraités n’ont plus conscience d’appartenir à une classe sociale totalement distincte de la petite-bourgeoisie, une classe exploitée qui est la seule force de la société capable de remettre en question de fond en comble le système capitaliste. Aujourd’hui, le prolétariat a perdu son identité de classe et la mémoire de ses grandes luttes révolutionnaires du passé que les campagnes de la bourgeoisie ont cherché à gommer ou à dénaturer. Les mouvements sociaux actuels sont l’expression de cette très grande difficulté du prolétariat à s’affirmer sur la scène sociale : malgré la colère profonde et générale face aux attaques incessantes de la bourgeoisie contre toutes les conditions de vie des travailleurs exploités, de nombreux prolétaires se sont mis à la remorque du mouvement citoyen, nationaliste et interclassiste des “gilets jaunes”, revendiquant maintenant “la nécessaire amélioration des institutions” et “la probité des dirigeants”.
Dans ce contexte, les syndicats en profitent pour se remettre en selle en occupant, eux aussi, le terrain social et en entrainant un maximum de prolétaires derrière leurs banderoles.
Ainsi, depuis plusieurs mois, ces organes de l’État bourgeois, spécialistes du sabotage des luttes, tentent de mobiliser la classe dans des journées de grèves sans lendemain et des manifestations bien encadrées où chaque secteur et chaque corporation sont scrupuleusement séparés les uns des autres. Le 28 mars, à Paris, les syndicats appelaient à pas moins de cinq rassemblements et mobilisations différentes, à des endroits et à des horaires différents. Dans les entreprises, là où les exploités n’en peuvent plus de la dégradation continuelle de leurs conditions de travail, là où le ras-le-bol est trop grand, les syndicats orchestrent des grèves isolées (donc impuissantes) et interminables afin d’épuiser la combativité des grévistes, les démoraliser et les amener à se dire que lutter ne sert à rien. Ce morcellement des luttes par entreprise et par corporation vise à saper toute unité de la classe ouvrière et ne fait qu’accroître le sentiment d’impuissance. Ainsi, par exemple, 150 postiers des Hauts-de-Seine, encadrés par Sud et la CGT, sont en grève depuis un an ! Tous seuls, dans leur coin, avec des revendications spécifiques à leur corporation.
Dans ce contexte, l’appel à la “convergence” entre le mouvement des “gilets jaunes” et les mobilisations syndicales ont pour but de noyer encore un peu plus la lutte de la classe ouvrière dans la révolte du “peuple”. Partout, on voit se multiplier des gilets de couleurs différentes, spécifique à chaque secteur ou corporation. Aux assisantes maternelles : le “gilet rose”, aux cégétistes : le “gilet rouge”, aux travailleurs indépendants des travaux publics : le “gilet orange”, aux enseignants (plus originaux) : le “stylo rouge” ! Non seulement, les syndicats divisent par secteur et par boîte, comme ils le font systématiquement depuis un siècle, mais, en plus, les ouvriers atomisés doivent maintenant se diluer dans le “peuple” et disparaître en tant que classe.
Les syndicats, CGT en tête, ont ainsi organisé un grand carnaval multicolore le 5 février dernier en appelant à une journée de “grève générale” contre la politique d’austérité de Macron et en appelant les “gilets jaunes” à faire converger leur lutte avec celle de tous les travailleurs et de tous les pauvres. Tous les cortèges de prolétaires en colère : ouvriers du secteur privé, de la fonction publique, retraites, chômeurs, étudiants, travailleurs immigrés… tous étaient bien encadrés pour défiler derrière les ballons et la sono de la CGT ! Cette manifestation balade a donné lieu, à Paris, à une véritable cacophonie où La Marseillaise et le drapeau tricolore des petits groupes de “gilets jaunes” faisaient écho à L’Internationale et aux drapeaux rouges ou noirs des trotskistes (du NPA et de LO) et des anarchistes (de la CNT) ! Pour couronner le tout, on a eu droit aux provocations policières des CRS matraquant sans vergogne des femmes et des retraités qui défilaient tranquillement vers la place de la Concorde où la manifestation a été rapidement dispersée par des jets de grenades lacrymogènes, sans que les dirigeants de la CGT n’émettent la moindre protestation ni pendant ni après cette journée de “grève générale” ! Faut-il croire que le parcours et la dispersion violente de cette manifestation ont été négociés entre la CGT et la Préfecture de police ?
“L’autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes de la société est la condition première de l’épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu’à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe” (Point 9 de la Plateforme du CCI).
La classe ouvrière est la classe révolutionnaire, elle seule porte une perspective pour toute l’humanité. Alors qu’aujourd’hui, elle éprouve de très grandes difficultés à imposer sa lutte en tant que classe autonome ayant des intérêts propres à défendre, plus que jamais il faut rappeler ce qu’écrivait Marx : “Il ne s’agit pas de savoir quel but tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se représente momentanément. Il s’agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu’il sera obligé historiquement de faire, conformément à cet être” (La Sainte Famille). Les journées insurrectionnelles de juin 1848 et la Commune de Paris en 1871, les luttes des années 1890 en Belgique, les combats révolutionnaires en Russie de 1905 et 1917 en Europe orientale, la révolution allemande de 1918, le mouvement prolétarien de Mai 1968 en France, de Pologne en 1980, etc., n’ont rien de commun avec le mouvement populaire, “radical” et jusqu’au-boutiste des “gilets jaunes”.
Si la classe ouvrière a momentanément perdu confiance dans ses potentialités révolutionnaires, à agir en tant que classe autonome, la bourgeoisie, elle, a parfaitement conscience que le prolétariat est le fossoyeur du capitalisme et qu’il n’a pas disparu. C’est pour cela que la classe dominante a tout intérêt à exploiter au maximum le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” contre la conscience du prolétariat. C’est pourquoi, depuis des mois, elle entretient la colère des “gilets jaunes” par des provocations policières et une répression destinée à mettre de l’huile sur le feu dans l’engrenage de la violence, tout en utilisant l’arme des syndicats pour saboter toute tentative des ouvriers de se mobiliser sur leur propre terrain de classe, avec leurs propres méthodes de lutte. La bourgeoisie fait tout pour que le prolétariat continue d’être amnésique. Elle fait tout pour gommer les antagonismes de classe en cherchant à diluer la classe ouvrière dans le “peuple”. Car elle sait que les attaques économiques toujours plus violentes contre les conditions de vie de la classe ouvrière risquent de faire resurgir la vraie lutte de classe !
Lio, 31 mars 2019
L’affrontement qui, depuis des années, oppose les fractions bourgeoises rivales de l’opposition et du chavisme au Venezuela a franchi un palier supplémentaire dès les premiers jours de 2019. Ceci dans le contexte d’un approfondissement sans précédent de la crise économique et sociale, dont le signe le plus évident est l’augmentation de la misère que vit une grande partie de la population, mais aussi dans le cadre d’un scénario où s’aiguise la rivalité entre les grandes puissances, rivalité dans laquelle la soi-disant “communauté internationale” joue également un rôle important, les uns en accordant ouvertement leur aide au régime de Nicolas Maduro, les autres en soutien à la proclamation de Juan Guaido comme président. Ce sont les États-Unis qui ont donné le ton, à travers leur reconnaissance de Guaido comme président du Venezuela, en déchaînant une stratégie plus appuyée et de grande ampleur pour écarter définitivement Nicolas Maduro du pouvoir. Cette menace n’exclue pas, comme l’ont avancé de hauts fonctionnaires et Donald Trump lui-même, une intervention militaire des États-Unis, utilisant comme alibi “l’aide humanitaire” à la population. Les réactions en soutien à Nicolas Maduro sont venues surtout de pays comme la Russie et la Chine, principaux alliés du chavisme. Nous ne pouvons pas exclure que les tensions impérialistes actuelles débouchent sur une guerre entre grandes puissances, chacune utilisant ses pions locaux (Maduro et Guaido) ; cependant, plus qu’une confrontation militaire directe entre les grandes puissances, le danger potentiel le plus important réside dans l’impasse que constituerait l’utilisation de la population en général et des travailleurs en particulier comme chair à canon dans une guerre entre gangs et au prix d’une encore plus grande effusion de sang. Les plus de 40 morts et la répression brutale (plus de 900 emprisonnements au cours des seules dernières semaines de janvier) ne représentent qu’un petit échantillon de cette réalité.
Avant cette escalade de la confrontation entre les fractions bourgeoises de droite et de gauche au Venezuela, qui va bien au-delà des frontières de ce pays, il est important et urgent d’appeler le prolétariat vénézuélien et mondial à comprendre le danger imminent d’un massacre dans ses rangs, à ne s’affilier à aucune des fractions du capital en présence, qu’elle vienne de l’intérieur comme de l’extérieur du pays, de se maintenir sur son terrain de classe et de rejeter cet engrenage infernal de chaos et de barbarie dans lequel s’enfonce la région, expression de la décomposition dans laquelle nous plonge le capitalisme. (1)
La mise sur le devant de la scène de Guaido ne surgit pas du néant ; sa propulsion soudaine dans l’arène politique a été minutieusement préparée par les États-Unis, avec l’appui des membres de l’opposition vénézuélienne dans le pays comme celui des membres de la prétendue communauté internationale (le Groupe de Lima en Amérique latine, à l’exception du Mexique) qui soutiennent la stratégie des États-Unis contre le régime de Maduro. L’attitude agressive et déterminée des États-Unis contre Maduro s’appuie et s’est notablement renforcée avec le triomphe électoral de Jair Bolsonaro au Brésil (dans lequel les États-Unis eux-mêmes ont pris une grande part). Ce n’est pas par hasard si la première déclaration commune avec Mike Pompeo (secrétaire d’État américain) lors de la cérémonie d’investiture de Bolsonaro concernait “la lutte contre le socialisme” et le rétablissement de la “démocratie” au Venezuela. De cette manière, le Venezuela s’est retrouvé encerclé sur ses frontières les plus importantes, à l’Ouest par la Colombie (principale alliée des États-Unis en Amérique du Sud) et au Sud par le Brésil. Plusieurs pays de l’Union européenne ont fini aussi par reconnaître la légitimité de Guaido, tout en essayant de développer leur propre intervention impérialiste à travers le soi-disant “Groupe de Contact” qui tente d’affaiblir l’action américaine.
Cette réaction énergique des États-Unis et de ses alliés dans la région profite en toile de fond de la situation créée par l’émigration de nombreux Vénézuéliens fuyant la misère et la barbarie imposées par le régime bourgeois de gauche du chavisme et qui s’est poursuivie sous Maduro (qui, selon les chiffres de l’ONU, s’est traduite par la migration de plus de quatre millions de personnes). L’opposition vénézuélienne s’est lancée dans cette offensive contre Maduro (la même opposition qui, à cause des conflits d’intérêts et du poids de la décomposition dans ses rangs, avait ouvert la voie de l’accession au pouvoir de l’aventurier Chavez en 1999) en utilisant les manifestations de colère que cela a suscité dans les rangs des ouvriers et de la population en général qui n’ont pas la force d’affronter de manière cohérente à la fois le régime chaviste et les secteurs bourgeois d’opposition à cause de la division créée par l’affrontement politique entre les fractions du capitalisme. (2)
Les secteurs de l’opposition, affaiblis par les conflits d’intérêts en leur sein, prétendent maintenant se rassembler derrière la personne de Guaido dans une autre aventure qui obtient un appui dans la population à cause du désespoir occasionné par la faim et la misère. L’action de la majorité de la bourgeoisie régionale et mondiale qui se positionne aujourd’hui contre Maduro met en évidence l’hypocrisie des classes exploiteuses parlant maintenant de respect des droits de l’homme, après avoir chanté les louanges d’un Chavez “défenseur des pauvres” qui aurait réussi à sortir “de la misère et de leur invisibilité” des millions de pauvres au Venezuela et aurait réparti les bénéfices dans la population grâce au prix élevé du pétrole alors qu’en fait il consolidait les fondations de la barbarie qui sévit aujourd’hui, enrichissant la classe des dirigeants militaires et civils qui défendent actuellement leurs privilèges en mettant le pays à feu et à sang. (3)
De son côté, le régime chaviste s’est proclamé “socialiste” et “révolutionnaire” alors qu’il a, en réalité, imposé au Venezuela un brutal régime de capitalisme d’État à outrance, du même style que les régimes dictatoriaux à Cuba, en Chine, en Corée du Nord ou les prétendus représentants du “socialisme arabe”. (4) Ce régime s’est proclamé en lutte contre le “néolibéralisme sauvage”, mais les effets de ce “socialisme” se sont révélés tout aussi dévastateurs pour la population : l’état d’extrême pauvreté touche 61,2 % de la population et 87 % des familles vivent avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté, plus de 10 % des enfants souffrent de dénutrition grave, entre cinq et six enfants sont morts, en moyenne, chaque semaine en 2017 pour cause de malnutrition ou de maladie, et, en 2017 et 2018, l’hyperinflation a dépassé 1 000 000 %, ce qui a pulvérisé les salaires. Non seulement la politique chaviste a éliminé pratiquement les conventions collectives mais en plus a instauré un régime de répression à l’intérieur des lieux de travail et des entreprises.
Ces modèles de gestion du capital comme celui du régime chaviste sont des régimes qui n’ont rien à voir avec le communisme pour lequel ont combattu Marx, Engels, Lénine, Rosa Luxemburg et tous ceux qui ont posé la nécessité d’en finir avec l’État bourgeois (que ce soit sous des gouvernements de droite ou de gauche) et avec les lois aveugles du mode de production capitaliste. Nous devons avoir présent à l’esprit que ni la gauche du capital ni les fractions de droite de la bourgeoisie ne peuvent trouver une issue à la crise du capitalisme dans cette phase de décomposition ; nous pouvons voir par exemple comment la droite en Argentine, après avoir supplanté les gouvernements de gauche des Kirchner, est désormais plongée dans une crise bien pire dont elle se décharge sur le dos des ouvriers. Il est en train de se passer la même chose avec le gouvernement de Bolsonaro au Brésil.
Le chavisme, et ses adorateurs gauchistes du monde entier, tout comme les différentes oppositions de centre ou de droite, ont hardiment essayé, en diffusant toutes sortes de mensonges et de confusions, de déformer l’héritage historique du marxisme et les leçons qu’ont laissées les luttes du mouvement ouvrier, quand ils ne cherchaient pas à l’effacer complètement, et cela aussi bien quand ils s’auto-proclament “marxistes” que quand ils identifient le “socialisme du XXIe siècle” au “communisme”. Tous ont essayé de maintenir leur domination de classe ; maintenant, c’est au tour de la droite ou du centre droit, en disant qu’il faut éradiquer le “communisme” en Amérique latine en l’identifiant au chavisme ou au castrisme.
Comme cela a déjà été évoqué, Guaido a été promu par les États-Unis qui cherchent à rétablir le contrôle le plus étroit sur son arrière-cour. La Chine, avec l’accroissement de son influence en Amérique latine et dans d’autres pays du monde au moyen notamment de son ambitieux programme appelé la “route de la soie”, prétend non seulement se tailler une part plus grande du marché mondial à sa portée mais encore aspire à une implantation stratégique impérialiste à l’échelle mondiale. À travers son extension sur le terrain économique, la Chine tente de tisser une toile impérialiste de dimension mondiale pour défaire le cordon sanitaire qui l’entoure depuis la période d’Obama aux États-Unis (Japon, Corée du Sud, Philippines, Inde, etc.). En ce sens, les alliances avec le Venezuela, l’Équateur, le Nicaragua, etc. revêtent beaucoup d’importance aux regard des ambitions impérialistes de la Chine. “L’opération Guaido” est une contre-attaque des États-Unis qui s’ajoute aux positions gagnées en Argentine et au Brésil et à la fidélité traditionnelle de l’alliance avec la Colombie.
Le premier pas de l’opération impérialiste des États-Unis est le déploiement d’une prétendue “aide humanitaire”. C’est le comble du cynisme et de l’hypocrisie que d’utiliser la faim, le manque de médicaments, la situation désespérée de millions de travailleurs et d’exploités au Venezuela pour mener la première phase de sa stratégie contre le régime de Maduro. Les camions qui apportent des aliments et des médicaments et qui sont stationnés sur le fameux pont aux petites boutiques dans la ville colombienne de Cucuta sont l’équivalent d’envois de missiles et d’avions porteurs de bombes. Avec eux, l’impérialisme américain tente de mettre dans une situation inconfortable son rival impérialiste chaviste : celle de rejeter la nourriture et les médicaments destinés à une population mourant de faim. Les deux protagonistes, américains comme chavistes, les partisans de Guaido comme ceux de Maduro, démontrent ainsi leur cynisme répugnant. Les premiers exploitent la faim parmi la population comme une arme de guerre, répétant la même opération déjà réalisée par Clinton en 1998-99 en Serbie où des tonnes d’aliments ont été balancées par des avions-porteurs pour affaiblir le régime adverse de Milosevic ou de la manœuvre similaire effectuée en Haïti en 2004. (5) Les seconds, avec Maduro à leur tête, rejetant l’aide démontrant ainsi ce qui est une évidence : ils se fichent complètement de la faim, du sort et des souffrances indicibles des populations.
Maduro va se cramponner le plus possible au pouvoir et, sans doute, la Chine et la Russie feront tout leur possible pour le soutenir. Jusqu’ici, l’armée et les forces de répression ont suivi en rangs serrés le chavisme. Ce qui est maintenant prévu, c’est d’affaiblir cette fidélité “inébranlable” de l’appareil militaro-policier envers Maduro. Pour mener à bien cette opération de déstabilisation, le danger d’affrontements armés se dessine à l’horizon. Étant donné la gravité des enjeux impérialistes et le degré élevé de décomposition idéologique, politique, économique et social qui s’est développé au Venezuela, il existe une réelle possibilité pour que la situation débouche même sur le déchaînement d’une guerre civile ou, du moins, dégénère en séries d’affrontements avec des bains de sang à répétition, ce qui provoquerait une spirale croissante de chaos et une multiplication de règlements de comptes en tout genre dans lesquels le pays comme toute la région peuvent finir par s’effondrer. La crainte de cette perspective est, par ailleurs, alimentée par les analyses de l’Observatoire vénézuélien de la Violence qui estime qu’il existe dans le pays huit millions d’armes à feu circulant illégalement. Il n’y a, en outre, pas de données précises sur le nombre d’armes entre les mains du crime organisé auquel il faut ajouter la menace du gouvernement chaviste de livrer 500 000 fusils à ses milices paramilitaires.
L’exode massif de la population vénézuélienne vers des pays de la région comme la Colombie, le Brésil, l’Argentine, le Chili, l’Équateur et le Pérou (avec des caravanes de marcheurs similaires à celles qui sillonnent les routes depuis le Honduras jusqu’aux États-Unis) constitue aussi un facteur de propagation du chaos. C’est un problème qu’il ne faut pas sous-estimer et auquel les bourgeoisies des pays les plus concernés répondent en lançant des campagnes racistes et xénophobes conçues comme des barrières contre la propagation du chaos. (6)
La crise du capitalisme est imparable, elle se nourrit jour après jour des propres contradictions du système. Pour cette raison, la sortie de la crise que subissent les exploités jusque dans leur chair sera seulement possible par l’union des prolétaires du Venezuela, de toute la région et du monde entier. Dans la phase actuelle de décomposition du capitalisme, il n’y a aucun pays du monde qui ne soit pas menacé de souffrir de la barbarie qui affecte aujourd’hui la vie quotidienne au Venezuela. Ni les populistes de gauche et de droite, ni les défenseurs du néo-libéralisme ne représentent une issue.
Les ouvriers au Venezuela doivent rejeter tout enrôlement dans les rangs des fractions en lutte pour le pouvoir, en rejetant les chants de sirène de la bourgeoisie d’opposition appelant les masses exploitées à rejoindre sa lutte ; de la même façon, ils ne doivent pas tomber dans les filets des partis, groupes ou syndicats de gauche ni dans ceux des gauchistes qui s’opposent au régime, comme ceux qui se réclament d’un soi-disant “chavisme sans Chavez” qui prétendent implanter leur propre interprétation bourgeoise de gauche d’un régime d’exploitation tout à fait semblable à celui de Maduro.
Nous avons vu qu’au Venezuela, il y a eu un grand nombre de protestations sous le régime chaviste. Pour la seule année 2018, 5 000 manifestations ont été comptabilisées (c’est-à-dire une moyenne de trente manifestations par jour), la majorité d’entre elles pour exiger des droits sociaux élémentaires comme de la nourriture, de l’eau, des services sociaux et de meilleurs salaires. Il faut signaler en particulier au cours de ces dernières années, les luttes des médecins et des infirmières qui ont non seulement osé défier les forces de répression de l’État, mais ont aussi montré une solidarité très typique d’une réaction de classe, en identifiant leurs intérêts avec ceux de leurs patients qui n’ont ni médicaments ni possibilité de soins et appelant à l’unité de leur lutte avec d’autres secteurs comme les enseignants et l’éducation. Cependant, ces luttes n’ont pas été épargnées par la pénétration des organisations syndicales et corporatistes afin de les contrôler et de les saboter, même s’il faut souligner le fait qu’il y avait une tendance à rejeter aussi bien le chavisme que les forces d’opposition pour tenter d’être plus autonomes dans leurs luttes. Les ouvriers doivent poursuivre leurs luttes contre le régime d’exploitation de la bourgeoisie sur leur propre terrain de classe. Dans ce combat, les ouvriers doivent essayer d’entraîner derrière eux les autres couches non exploiteuses de la société ; le prolétariat est la seule classe qui a la capacité de transformer l’indignation sociale en vrai programme politique de transformation sociale.
Les organisations révolutionnaires qui se réclament de la Gauche communiste, comme les minorités les plus politisées du Venezuela, de la région comme du monde entier doivent appeler au développement d’un mouvement sur les bases prolétariennes de la solidarité et de la lutte avec les masses exploitées comme celle du Venezuela dans n’importe quelle partie du globe. Le prolétariat mondial a une réponse à apporter face à cette perspective d’enfoncement dans la barbarie ; pour cela, il doit défendre bec et ongles son autonomie de classe, ce qui suppose le rejet de toutes les bandes bourgeoises rivales et l’affirmation de ses propres revendications en tant que classe ; la lutte pour l’unité de tous les ouvriers doit se construire autour du cri de ralliement : “D’ici ou d’ailleurs, partout, la même classe ouvrière !”
CCI, 12 février 2019
1) Pour comprendre, en profondeur et dans sa dimension historique, la notion de “décomposition du capitalisme”, lire nos “Thèses : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste”, Revue internationale n° 107 (4e trimestre 2001),
2) Voir notre article “Crise au Venezuela : Le prolétariat exposé à la misère, au chaos et à la répression capitaliste”
3) Voir notre article lors de la mort de Chavez en mars 2013 : “Le legs de Chavez à la bourgeoisie : un programme de défense du capital, une grande mystification pour les masses appauvries”.
4) Nous avons dénoncé à de nombreuses reprises le “grand mensonge” du XXe siècle, à savoir le prétendu “communisme” des pays comme l’URSS, la Chine, Cuba, la Corée du Nord, etc. Voir en particulier notre article repris d’Internationalisme, organe de la Gauche communiste de France (1946) et publié dans la Revue Internationale n° 131 (4e trimestre 2007) : “L’expérience russe : propriété privée et propriété collective”. On peut aussi renvoyer à notre article en espagnol : “Cinq questions sur le communisme”, et aussi en espagnol : “20 ans après la chute du stalinisme, l’URSS était-elle un capitalisme d’État ou un “État ouvrier dégénéré” ?”.
5) Voir notamment l’article : “Derrière les opérations “humanitaires”, les grandes puissances font la guerre”, Revue internationale n° 71, (4e trimestre 1992), et l’article en espagnol : “Haïti : Derrière l’aide humanitaire, l’hypocrisie bourgeoise et l’affrontement impérialiste”.
6) Lire notre article : “Migrations en Amérique latine : seul le prolétariat peut arrêter la barbarie du capitalisme en décomposition”, Révolution Internationale n° 474, (janvier-février 2019).
Dans son meeting du 24 février 2019, dans le nord de la France, la dirigeante du Rassemblement National a tenu des propos ignobles et mensongers sur le sort des migrants en France. Avec un aplomb sidérant, Marine Le Pen a prétendu qu’ “un migrant fraîchement débarqué peut toucher plus qu’un retraité ayant travaillé toute sa vie” ! Cette répugnante contrevérité accompagne l’idée que les migrants qui demandent aujourd’hui l’asile bénéficient non seulement d’une couverture de santé, comme la PUMA (Protection Universelle Maladie qui remplace depuis 2016 l’ancienne CMU de base), mais ont en plus des logements et transports gratuits. Ils cumuleraient, de surcroît, une “scandaleuse” et “gracieuse” allocation de survie.
Ces propos outranciers et nauséabonds, dont Jean-Marie Le Pen père n’aurait pas à rougir, ont été soigneusement démentis, chiffres à l’appui, par bon nombre de quotidiens qui ont aussi profité de cette “fake news” pour redorer l’image fortement ternie des médias. Il est évidemment complètement faux de prétendre que les migrants peuvent bénéficier de minima sociaux supérieurs à ceux des retraités les plus modestes. Comme le soulignent les “décodeurs” du journal Le Monde, les migrants ne constituent nullement une caste de “privilégiés” aux nombreux “avantages” (dont celui prétendu de l’Allocation de demandeurs d’Asile ou ADA). (1) Les montants des retraites les plus misérables représentent au moins le double de ce que peuvent espérer les migrants les mieux lotis.
Nul besoin de ces chiffres ou de “décodeurs” pour se rendre compte de la réalité misérable des migrants ! Madame Le Pen et sa clique de politiciens devraient se rendre une fois dans leur vie dans les quartiers pauvres de Paris ou à proximité de Calais pour mesurer l’absurdité insondable de propos dont le contenu ne va pas plus loin que le bout du nez de la pré-campagne électorale. Ils feraient bien de se rendre, par exemple, Porte de la Chapelle pour contempler le luxe des nombreuses tentes-igloos installées sous l’autoroute A1, ou Porte de Clignancourt, où, l’hiver, les migrants dormaient à même le sol en grelottant ! Les hébergements étant saturés, de nombreuses familles dorment dans la rue, parquées dans des conditions moins dignes que celles du bétail entassé en batterie. Mais elles doivent en plus endurer une répression policière quasi-quotidienne. Car, afin de “dissuader les installations” de fortunes, les flics s’appliquent à “déloger” ces pauvres gens, épuisés et sans ressources, en détruisant le peu qu’ils possèdent. Quel privilège pour ces misérables !
La réalité “décomplexée” de la politique migratoire des États démocratiques consiste, en effet, à utiliser ouvertement la maltraitance à des fins de “dissuasion”. À Calais déjà, du temps de la “jungle”, au nom du “ras-le-bol des riverains”, les politiciens applaudissaient des deux mains les brutalités des forces de l’ordre pour détruire les campements et chasser violemment les migrants. Plusieurs témoignages d’ONG et de migrants dénonçaient l’usage répété de “sprays au poivre” par les policiers, les gazages de nuit et le vol organisé des couvertures, des sacs de couchage, de chaussures, etc. Comme le souligne Démika N. (15 ans) à propos des gazages de nuit par les flics : “Vous ne voyez plus rien, vous ne vous rappelez plus de rien. Vous avez le sentiment qu’il vaudrait peut-être mieux vous tuer” (Témoignage recueilli par France Terre d’Asile).
Outre que l’attaque répugnante du Rassemblement National s’en prend ouvertement au “droit” d’asile (déjà ultra sélectif), les propos de Marine Le Pen constituent une sorte de clin d’œil à la composante populiste franchouillarde des “gilets jaunes”, pour les attirer vers les urnes et les encourager à voter aux élections européennes pour son parti politique au patronyme relooké. Profitant des relents xénophobes qui ont droit de cité dans le mouvement des “gilets jaunes”, le Rassemblement National espère au moins être au diapason de ceux qui avaient dénoncé aux autorités les migrants clandestins cachés dans un camion-citerne. (2)
En fin de compte, tout le discours nauséabond de Marine Le Pen s’inscrit dans les pratiques abjectes de l’État démocratique face aux migrants fuyant, toujours plus nombreux, la misère et la guerre : diviser la population, construire des murs, dresser des barbelés et réprimer brutalement. En multipliant les opérations de police et en bunkérisant les frontières, les migrants n’ont plus d’autre choix que de prendre de grands risques, notamment celui de couler à pic dans les eaux de la Méditerranée, pour rejoindre un illusoire Eldorado où ils seront parqués dans de nouveaux “camps de la honte”, réduits à la misère extrême et à l’exclusion.
Face aux calomnies que la bourgeoisie déverse sur tous ceux qui fuient la barbarie du capitalisme vers les supposées contrées dorées d’Occident, les ouvriers du monde entier doivent riposter et appeler à la solidarité de tous les exploités.
WH, 1er mars 2019
1) Pour prendre ce seul exemple, la majorité des migrants ne touche pas l’ADA, bon nombre en sont exclus. Même lorsqu’elle est versée, c’est-à-dire au compte goutte, cette aide est, selon Le Monde, “de 6,80 € par jour pour une personne seule, auxquels peuvent s’ajouter 7,40 € si aucune place d’hébergement ne lui a été proposée. Soit 440 € maximum par mois. En 2016, on dénombrait 76 100 bénéficiaires de cette aide, pour un coût total de 307,9 millions d’euros pour les finances publiques. À titre de comparaison, les huit principaux minima sociaux français représentaient environ 25 milliards d’euros la même année”.
2) Voir le supplément à Révolution Internationale n° 473 sur le mouvement des “gilets jaunes”.
Nous publions ci-dessous un tract (signé “Fil Rouge”) sur le mouvement des “gilets jaunes”. Rédigé par des camarades issus de la tradition dite “bordiguiste”, ce tract représente une des rares voix de classe qui s’est manifestée au sujet des “gilets jaunes”. Ce mouvement, en dépit de la sympathie qu’il a pu susciter dans la population, reste extrêmement dangereux pour la conscience de classe du prolétariat. Sans lien avec la pratique héritée du mouvement ouvrier, exprimant des idéologies étrangères au prolétariat, nous l’avions dès le départ qualifié de mouvement “interclassiste”. Un certain nombre de prolétaires, parmi les plus fragilisés et marginalisés, ont en effet été entraînés dans le sillage de la révolte de petits patrons indépendants et autres couches petites bourgeoises. Le contenu du tract, à juste titre, fait mention de cette réalité. Bien que nous ne partagions pas tous les points d’analyse du tract (par exemples les notions d’indifferentisme et de classe moyenne, idées que nous critiquons et dont nous sommes prêts à débattre ultérieurement), nous le soutenons pleinement pour le diagnostic politique qu’il établit sur la nature de ce mouvement et pour l’orientation qu’il est capable de donner, celle de la nécessaire autonomie du prolétariat. Comme le disent les camarades, “la tâche des marxistes est donc de réarmer le prolétariat de sa doctrine et préparer la mort historique du capitalisme, réfutant dans le même temps toute l’idéologie des classes moyennes”. Le tract souligne que “notre bataille est celle d’une classe qui s’affronte au capitalisme mondial, à un complexe industriel qui parcourt la planète et met en relation les salariés du monde entier. Ce défi ne peut être affronté que par l’internationalisme et certainement pas par le localisme”. Ceci s’inscrit dans une démarche qui est celle de la tradition de la Gauche communiste, tant par le rejet de l’interclassisme que par la défense de l’autonomie de classe.
RI, 15 février 2018
Les récentes mobilisations des gilets jaunes rendent visibles à la fois un processus de crise et une modification de l’équilibre social et constituent un exemple de l’érosion des “classes moyennes”. C’est un processus international produit de l’impérialisme et de la crise qui traverse le système capitaliste, basé sur les monopoles et la concurrence, et qui présente en France des caractéristiques particulières dues au “retard” historique du capitalisme français.
Dans les nations où la “révolution industrielle” s’est effectuée plus rapidement, comme l’Angleterre et l’Allemagne, le poids politique des classes moyennes a été bien plus marginal. En France, au contraire, ce sont la paysannerie, les artisans et la petite bourgeoisie qui furent les représentants sociaux des classes dirigeantes. De Napoléon jusqu’à nos jours, le pouvoir s’est appuyé sur ces couches sociales pour garantir sa stabilité basée sur le monde agricole et sur un réseau dense de villes de petite et moyenne dimension. Cette situation, ainsi que certaines conditions particulières du colonialisme français, expliquent pourquoi les principales métropoles se sont développées à la périphérie du pays. Le développement de métropoles à l’intérieur aurait détruit les équilibres de cette “France profonde”.
Sous la pression énorme de l’internationalisation de l’industrie et des flux financiers, ce bloc de classes se lézarde et finira par sauter. Les attaques du gouvernement Macron contre ces classes moyennes (en terme électoral, il se tire une balle dans le pied et avantage indirectement le Rassemblement National) est révélateur du processus de prolétarisation des classes moyennes pendant les périodes de turbulence économique du capitalisme.
D’un côté, le prolétariat, à travers l’automatisation de la production, le poids toujours plus grand de la finance, et par conséquent, l’augmentation du chômage, les coupes dans les budgets de la santé, de l’école et des services en général, se voit de plus en plus coupé du capital et de son État, d’un autre côté les classes moyennes doivent absorber le plat indigeste qui a suivi le banquet des soi-disant “Trente Glorieuses”. Et ce n’est pas un hasard si en Europe plusieurs gouvernements pensent réintroduire la conscription pour rétablir un lien entre eux et les citoyens en général et pour affronter les conflits internes et externes qui ne peuvent que se multiplier avec la crise.
Face à cette situation, les classes moyennes qui ont d’abord manifesté contre l’augmentation du prix des carburants en sont venues à la bataille contre la fiscalité et les taxes en général, tout en demandant à l’État français un renforcement du protectionnisme (contre les marchés internationaux). Un programme qui en France est réclamé aussi bien dans l’extrême-droite que dans l’extrême-gauche parlementaire.
La radicalité et la violence des manifestations (même si elles sont exagérées par les médias dans ce cas, notamment quand on fait la comparaison avec le nombre de manifestants comptabilisés lors du mouvement contre la Loi travail) sont des phénomènes endémiques des classes moyennes qui, lorsqu’elles sont attaquées, réagissent de manière schizophrénique, ne pouvant adopter un programme historique propre, et oscillant entre le parti de la bourgeoisie et celui du prolétariat.
Ce n’est pas un hasard si les mots d’ordre avancés sont anti-partis et anti-syndicats. Les bourgeois conséquents se servent eux de la politique (les partis) et utilisent les syndicats comme structure d’intégration de la classe salariée.
Il y a, inévitablement, au sein de ces mouvements “populaires”, des fractions du prolétariat, qui ne sont pas toutes liées à l’aristocratie ouvrière, poussées par les événements à participer à ces manifestations. La question des taxes sur les carburants, du coût des déplacements, sont des questions sociales qui se posent de manière transversale. Le poids politique du prolétariat dans ces mouvements est cependant dérisoire car la demande de défense des “privilèges” du passé est antagoniste avec sa nature qui, en tant que dernière des classes exploitées, a un programme historique d’abolition du système lui-même.
L’accusation récurrente faite aux révolutionnaires, à ceux qui défendent le programme communiste, est celle d’être des doctrinaires schématiques et donc d’être incapables de voir la diversité de la réalité, s’obstinant à séparer en deux, à la serpe, la société : d’un côté la bourgeoisie, de l’autre le prolétariat. A l’inverse, les démocrates rejettent les schémas dogmatiques de l’ “archéo-marxisme”, prétendant analyser la société suivant ses expressions multiformes et leur attribuer une valeur démocratique sinon de… progrès. Au sommet, se situeraient les grands propriétaires fonciers et les industriels les plus réactionnaires, partisans d’une réaction pré-bourgeoise. En dessous, la grande bourgeoisie industrielle et financière, conservatrice mais pas réactionnaire. En continuant à descendre l’échelle, on arrive aux classes moyennes qui, écrasées par les classes mentionnées précédemment, réclament la démocratie la plus large. Enfin, au plus bas étage, on trouve le prolétariat qui devrait s’allier, soit à la bourgeoisie en cas de danger ’d’involution autoritaire’, soit avec les classes moyennes lorsque des conquêtes démocratiques sont à réaliser, mais en ne lui reconnaissant jamais des buts propres en opposition à ceux de tout le corps social. Nous nous gardons bien de repousser l’accusation de schématisme doctrinaire, bien au contraire nous le revendiquons. Nous sommes schématiques en tant que nous nions aussi bien aux résidus de la classe des propriétaires fonciers ayant survécu à la révolution bourgeoise, qu’aux classes moyennes, la possibilité d’élaboration de buts historiques et d’un programme propre. Et nous le sommes en affirmant que le développement de la lutte de classe, et donc son issue historique seront déterminés par l’issue du choc entre bourgeoisie et prolétariat. Mais ceci n’empêche pas le parti prolétarien de reconnaître et d’analyser, à la lumière de la doctrine marxiste, l’existence d’autres classes que la bourgeoisie et le prolétariat, en particulier les classes moyennes, et d’élaborer un type d’actions tactiques à leur égard pour les attirer dans le camp de la lutte prolétarienne, sans pour autant concéder quoi que ce soit à leurs “exigences spécifiques” petites-bourgeoises. Et en se gardant tout au contraire du danger que leur idéologie hétéroclite ne s’instille au sein du parti prolétarien au risque de perdre sa physionomie de classe et l’empêcher de développer son rôle autonome. Car ce serait alors transférer ce rôle au grand capital qui est le représentant politique de ces classes moyennes.
La tâche des marxistes est donc de réarmer le prolétariat de sa doctrine et préparer la mort historique du capitalisme, réfutant dans le même temps toute l’idéologie des classes moyennes. La lutte ouverte et déclarée contre la mentalité et les préjugés petits-bourgeois ne veut absolument pas dire que nous donnons pour établi le fait que la petite bourgeoisie dans son ensemble se portera du côté du prolétariat, l’expérience historique nous ayant rendu plutôt pessimistes quant au choix que celle-ci effectuera lors du processus révolutionnaire. L’unique moyen pour attirer les classes moyennes petites bourgeoises du côté de la classe ouvrière est de combattre vaillamment leur idéologie et, sans attendre que notre propagande puisse avoir un large succès, expliquer que le capitalisme, inévitablement, les prolétarisera et qu’en conséquence, leur seule voie de salut est (non comme petits-bourgeois mais comme prolétaires de demain) d’appuyer la lutte pour l’émancipation du prolétariat, laquelle est aussi celle de l’espèce humaine. Ce qui caractérise principalement les classes moyennes, c’est leur indétermination, leur capacité à passer avec la plus grande facilité d’une position à son opposé. La très grande hétérogénéité de ces couches sociales les divise en trois parties du point de vue de leur destinée future : une partie disparaîtra sous le régime de production capitaliste lui-même ; une autre partie, du fait du caractère non homogène du développement capitaliste, survivra, au moins pour une certaine période, au sein du régime bourgeois ; une dernière se fondra dans la nouvelle organisation économique socialisée.
La défense du programme communiste se manifeste également dans le fait de refuser tout localisme, tout protectionnisme archaïque, de céder aux requêtes des classes moyennes et de l’aristocratie ouvrière qui, au nom de la défense des droits des travailleurs, face à la menace de la misère représentée par les travailleurs immigrés, demandent de manière plus ou moins voilée de nouvelles barrières. Notre bataille est celle d’une classe qui s’affronte au capitalisme mondial, à un complexe industriel qui parcourt la planète et met en relation les salariés du monde entier. Ce défi ne peut être affronté que par l’internationalisme et certainement pas par le localisme.
Face au mouvement actuel des gilets jaunes, nous ne sommes ni participants ni indifférents. La prolétarisation de nouvelles couches sociales est une loi du système capitaliste.
Cette prolétarisation ne doit pas pousser les communistes à défendre le “vieux monde” mais signifie au contraire saluer l’augmentation de l’armée prolétarienne dans sa lutte titanesque, bien qu’encore souterraine aujourd’hui, contre le monstre Capital. Ne pas accepter cette position, c’est succomber face à notre ennemi historique, le parti de la bourgeoisie, en donnant de la force, inconsciemment ou non, à de nouveaux mouvements réactionnaires de masse.
POUR L’AUTONOMIE PROLETARIENNE !
POUR LE PARTI DE CLASSE !
Le Fil Rouge
L’agression verbale contre le “philosophe” Alain Finkielkraut par un groupe de “gilets jaunes” lors de la manifestation du 16 février à Paris a donné lieu à une levée de boucliers générale de toute la classe politique et à une gigantesque campagne d’union nationale contre l’ignominie de l’antisémitisme.
Même Marine Le Pen (dont le père, fondateur du FN, avait affirmé que les chambres à gaz de la Shoah n’étaient qu’un “détail” de l’histoire !) a tenu à exprimer son soutien à Finkielkraut : “L’agression d’Alain Finkielkraut aujourd’hui est un acte détestable et choquant, qui illustre la tentative d’infiltration du mouvement des “gilets jaunes” par l’extrême-gauche (pourquoi pas l’extrême-droite alors, NDLR ?) antisémite”.
Alors que Finkielkraut lui-même déclarait sur LCI : “on ne m’a pas traité de sale juif. Et on ne m’a jamais traité de sale juif”, toute la classe politique, du RN au PCF, a néanmoins sauté sur l’événement pour surjouer l’indignation, exploiter l’incident en s’affichant en hérauts de la lutte contre l’antisémitisme et pour ériger Finkielkraut en martyr de la nouvelle “peste brune”.
Bien évidemment, personne ne peut ni soutenir ni “excuser” les propos répugnants de ces “gilets jaunes” pro-salafistes, qui ont permis de monter en épingle ce fait divers. “Barre-toi, sale sioniste de merde”, “Nous sommes le peuple”, “La France, elle est à nous”, “Rentre chez toi en Israël”, “Tu vas mourir”. Ces insultes ou menaces sont d’ailleurs de la même veine que les propos xénophobes proférés, au début du mouvement, par d’autres “gilets jaunes” qui avaient dénoncé à la gendarmerie des migrants clandestins cachés dans un camion-citerne : “c’est encore avec nos impôts qu’on va payer pour ces enculés !”.
Finkielkraut étant devenu une star nationale, il n’est pas inutile de rappeler son curriculum vitae politique. “Finkie” fait partie de ces anciens gauchistes soixante-huitards (principalement des maoïstes) qui ont retourné leur veste pour s’intégrer dans la société capitaliste comme idéologues patentés au service de la classe dominante. Au palmarès de cette intelligentsia qui a fait ses choux gras des décombres du mouvement de Mai 68, on trouve Daniel Cohn-Bendit (devenu président des “Verts” au Parlement européen), Bernard Kouchner (ex-ministre “socialiste”, puis du gouvernement Fillon), Serge July (grand patron de la médiasphère, dont le journal Libération était financé par le banquier Édouard de Rothschild) et la brochette des “nouveaux philosophes” : André Glucksmann (devenu un “fan” de Nicolas Sarkozy), BHL (dandy en chemise blanche des plateaux TV), Alain Finkielkraut (pédant candidat à l’Académie française)… Ces arrivistes, anciens adeptes du Petit Livre rouge de Mao, se sont reconvertis en défenseurs zélés de l’ordre capitaliste, d’abord en faisant leurs classes comme supporters du PS et de Mitterrand, puis en penchant vers la droite néolibérale avant d’apporter leurs voix à Émmanuel Macron aux dernières présidentielles. Dans une interview en juillet-août 1988, Finkielkraut expliquait dans Passages :
“J’avais l’impression que le fait d’être juif faisait de moi le porte-parole naturel des opprimés : les Black Panthers aux États-Unis, les peuples colonisés. Je croyais qu’il y avait a priori une sorte de fraternité des victimes de l’histoire.
– Je suppose que vous vous sentiez solidaire des Palestiniens ?
– Non, jamais”... No comment !
Parmi les ex-gauchistes de Mai 68, seul Guy Hocquenghem avait pu garder un minimum de dignité, comme en témoigne son pamphlet : Lettre ouverte à ceux qui sont passé du col Mao au Rotary. C’est en ces termes cinglants que Hocquenghem s’adressait en 1986, deux ans avant sa mort, à ses anciens camarades renégats : “Cher ex-contestataires, le retour de la droite ne vous rendra pas votre jeunesse. Mais c’est bien la gauche au pouvoir qui vous l’a fait perdre. Définitivement. Ce fut sous Mitterrand que vous vous êtes “normalisés” ; et sous Fabius que vous avez viré votre cuti. Pour devenir les néo-bourgeois des années 1980, les maos-gauchos-contestos crachant sur leur passé ont profité de l’hypocrisie nationale que fut le pouvoir socialiste. Sous lui, ils s’installèrent dans tous les fromages. Plus que personne, ils s’en goinfrèrent. Deux reniements ainsi se sont alliés : celui des “ex” de Mai 68 devenus conseillers ministériels, patrons de choc ou nouveaux guerriers en chambre, et celui du socialisme passé plus à droite que la droite. Votre apostasie servit d’aiguillon à celle de la gauche officielle”.
Toute cette clique d’anciens soixante-huitards repentis (dont le fonds de commerce a consisté d’abord à dénoncer le marxisme comme étant l’idéologie totalitaire du stalinisme et à faire un parallèle plus que douteux entre le nazisme et le marxisme) se sont particulièrement distingués par leur soutien à toutes les croisades impérialistes du camp “démocratique” pro-américain.
Les “nouveaux philosophes” BHL, Glucksmann et Finkielkraut, après avoir fustigé dans leurs jeunes années l’ “impérialisme yankee” pendant la guerre du Vietnam, n’ont eu aucun scrupule à soutenir ce même impérialisme dans la guerre du Golfe en 1991, au nom d’un combat “humanitaire” contre le dictateur Saddam Hussein. Ainsi, Alain Finkielkraut avait-il affirmé être “exaspéré par le pacifisme” et qualifié l’intervention militaire de la coalition pro-américaine contre l’Irak de “guerre moralement juste”. Une guerre “moralement juste” avec ses frappes aériennes intensives, expérimentant les bombes à effets de souffle qui retournaient les soldats irakiens comme des gants ? Une guerre “moralement juste” qui a provoqué plus de 100 000 morts parmi les soldats irakiens et autant dans la population civile victime des “dommages collatéraux” de l’opération “Tempête du désert” commanditée par Georges Bush ? Les discours bellicistes de Finkielkraut en disent long sur la “morale” nauséabonde de ce “nouveau philosophe”, tout comme son engagement, aux côtés de son ami BHL dans le soutien sans faille à l’intervention militaire occidentale en ex-Yougoslavie (toujours au nom de la même “juste” cause : l’hypocrite croisade “humanitaire” contre les dictateurs sanguinaires). Déjà, lors de la guerre du Kippour en 1973, le va-t’en guerre Finkielkraut avait été l’un des premiers “intellectuels” à soutenir l’État impérialiste d’Israël.
Finkielkraut s’offusque d’avoir été traité de “raciste” par les “gilets jaunes” qui l’ont agressé. Faut-il rappeler cette déclaration qu’il avait faite, au lendemain des émeutes des banlieues de l’automne 2005 : “Le problème est que la plupart de ces jeunes sont des Noirs ou des Arabes avec une identité musulmane. Regardez ! En France il y a aussi des immigrés dont la situation est difficile (des Chinois, des Vietnamiens, des Portugais) et ils ne prennent pas part aux émeutes. C’est pourquoi il est clair que cette révolte a un caractère ethnique et religieux” (Interview au quotidien israélien Haaretz, retranscrite par le journal Le Monde).
Cette sortie de Finkielkraut se situe, en réalité, dans la droite ligne des discours “sécuritaires” (de sinistre mémoire) de l’ex-Premier flic de France, Nicolas Sarkozy :
“Dès demain, on va nettoyer au Karcher la cité. On y mettra les effectifs nécessaires et le temps qu’il faudra, mais ça sera nettoyé !” (19 juin 2005, dans la “cité des 4 000” à La Courneuve, après la mort d’un enfant de 11 ans tué lors d’une rixe entre deux bandes rivales) ;
“Vous en avez assez de cette bande de racaille ? Eh bien, on va vous en débarrasser !” (25 octobre 2005, lors d’une visite de Sarkozy dans le quartier de la dalle d’Argenteuil).
Ce sont ces propos musclés de Sarkozy (dont la candidature à la Présidentielle de 2007 a été soutenue par André Glucksmann, un des meilleurs “potes” de Finkielkraut) qui avaient contribué à déclencher les émeutes des banlieues, en novembre 2005 (après la mort à Clichy-sous-Bois [708] de deux adolescents, électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police [709]).
Il n’est guère surprenant que Finkielkraut ait bénéficié du plein soutien de Nicolas Sarkozy face à l’opposition farouche de certains “Immortels” qui voulaient le virer de l’Académie française, estimant que cet homme de lettres était décidément un peu trop “réac” pour briguer un siège à la Coupole : “Que l’on ait pu si violemment s’opposer à la candidature à l’Académie française d’un de nos plus brillants intellectuels (…) est à pleurer de bêtise”. (Sarkozy, cité dans l’hebdomadaire Le Point).
Parmi les autres bavures verbales de ce “brillant intellectuel” et éminent tribun de la droite, on peut encore signaler ce persiflage à propos de l’équipe de France de football : “Les gens disent que l’équipe nationale française est admirée par tous parce qu’elle est black-blanc-beur. En fait, l’équipe de France est aujourd’hui black-black-black, ce qui provoque des ricanements dans toute l’Europe”.
Finkielkraut est aujourd’hui la figure emblématique de la mobilisation contre l’antisémitisme. Ses protestations indignées face aux injures le qualifiant de “raciste” ne sont que la feuille de vigne derrière laquelle se cache l’islamophobie (à peine voilée) de ce “brillant intellectuel” érigé en héros national depuis son agression du 16 février. C’est bien pour cela que Marine Le Pen lui a témoigné également sa “solidarité”.
Pour paraphraser Marx (qui avait stigmatisé la Misère de la philosophie du socialiste bourgeois Proudhon), on est en droit de s’écrier : misère de la “nouvelle philosophie” !
Ces nouveaux “philosophes”, arrivistes et anciens maos défroqués, ne sont que les dignes maîtres à penser de la bourgeoisie décadente. Leur idéologie nationaliste, sioniste et militariste n’a pas grand-chose à envier ni au fanatisme réactionnaire des islamistes, ni à l’islamophobie des troupes de choc du Rassemblement National.
Marianne, 1er mars 2019
Fin janvier 1939 avait lieu le premier grand exode de population en Europe occidentale, la retirada (la retraite) espagnole.
Près d’un demi-million d’espagnols, en grande partie des civils (dont des femmes, des enfants et des vieillards) fuyaient vers la frontière des Pyrénées. Une véritable tragédie pour une population déjà martyrisée par la guerre civile. Dès 1936, une première vague de 15 000 réfugiés s’était dirigée vers Hendaye suite à la prise du Pays basque et des Asturies par les troupes franquistes insurgées. Au cours de l’année 1937, une deuxième vague de 120 000 civils quittait le territoire espagnol à la fin de la campagne du Nord pour échapper aux massacres et à la misère. Mais l’ultime épisode de l’hiver 1939, avec la prise de la Catalogne et la chute de Barcelone, a provoqué un départ forcé et massif vers un nouvel enfer. Nombreux sont les témoignages de souffrances et d’angoisses liées à l’exode : “On était tous des réfugiés”, raconte Henri Melich, évoquant les bombardements, la longue attente à la frontière, les fouilles. “Jusqu’à ce qu’on arrive, on ne savait pas où on allait”. “On est venus avec une charrette, il y avait trois familles dedans, moi j’avais 13 ans, je marchais à côté de mon père”.
Comme pour Henri Melich, “les réfugiés se pressent à la frontière pour échapper à la vindicte des vainqueurs. Ils arrivent souvent à pied, à travers la montagne, malgré les rigueurs de l’hiver. Après avoir patienté plusieurs jours avant d’être autorisés à entrer sur le territoire, les femmes et les enfants sont dirigés vers des régions éloignées des Pyrénées et les hommes de moins de 50 ans sont conduits vers des camps improvisés à la hâte sur les plages du Roussillon. Les familles sont dispersées sur tout le territoire. Une dernière vague de réfugiés quitte le sud-est de l’Espagne fin mars et gagne l’Algérie par bateaux”. (1)
Les autorités françaises contrôlaient militairement, avec une brutalité inouïe, les différents points de passage. Un travail systématique d’identification et de fichage policier était effectué au préalable ; les soldats espagnols de l’armée “républicaine” étaient désarmés. Le long de la frontière s’est effectué, de manière expéditive, un semblant de ravitaillement et de vaccinations. La fatigue, la faim, le froid… Les réfugiés n’étaient pourtant qu’au début de leur calvaire ! Ils allaient découvrir l’abomination des camps, l’ignoble réalité de l’État “démocratique” français, sous le gouvernement du “républicain” Daladier.
Des camps de “recueils” comme à Amélie-les-Bains, Le Boulou, etc., ont reçu les premiers réfugiés hagards, épuisés, affamés et crevant de froid. Ils étaient également internés dans d’autres lieux “d’hébergement”, comme Rieucros (ouvert le 21 janvier 1939), officiellement qualifiés de “camps de concentration”. Le ministre Albert Sarraut affirmait ainsi à propos de ces camps d’ “accueil” : “le camp d’Argelès-sur-Mer ne sera pas un lieu pénitentiaire, mais un camp de concentration. Ce n’est pas la même chose”. (2)
Ces camps en France préfigurent l’univers concentrationnaire qui va se développer un peu partout en Europe durant et après la Seconde Guerre mondiale. En mars 1939 on comptait ainsi 90 000 réfugiés à Saint-Cyprien, 50 000 à Barcarès, 77 000 à Argelès, etc. Les nombreux camps de “concentration” du Roussillon s’organisaient ainsi : “trois côtés hérissés de barbelés, le quatrième ouvert sur la mer. Dans chaque camp, un endroit disciplinaire, avec un poteau auquel on attache les récalcitrants ; les motifs de châtiment sont variables : de l’accusation de faire de la politique au refus de saluer un gardien. Les conditions de vie sont déplorables : absence d’hygiène, malnutrition, promiscuité”. (3)
Les réfugiés étaient traités comme des “indésirables” et des “pestiférés”, particulièrement ceux suspectés de “troubler l’ordre public”, surtout les “révolutionnaires”. Des camps étaient spécialement aménagés pour les réfugiés politiques, comme celui de Septfonds, où ont été parqués de nombreux exilés se revendiquant communistes. Dans le camp du Vernet, ont été incarcérés des anarchistes (parmi lesquels les combattants de la colonne Durruti). Ces camps disciplinaires étaient de véritables horreurs. Arthur Koestler, par certains points, comparait le camp du Vernet à celui de Dachau en Allemagne. Il allait même jusqu’à affirmer que : “au point de vue de la nourriture, de l’installation et de l’hygiène, Le Vernet était en dessous d’un camp de concentration nazi”. (4)
Les premières semaines, après avoir franchi la frontière, tous les réfugiés étaient parqués derrière des barbelés qu’ils étaient forcés de dresser souvent eux-mêmes. On leur lançait du pain, il n’y avait pas de cantine. Ils n’avaient souvent rien à boire, excepté l’eau de mer. Sans abris, ils ont été obligés, comme à Argelès, de creuser des trous dans le sable dès le premier soir de leur arrivée sur le territoire français, pour pouvoir dormir et se protéger du froid. Parfois, leur lit de fortune devenait leur propre tombe. Très rapidement, leurs corps affaiblis étaient infestés de parasites et de maladies : aux punaises et à la gale, s’ajoutaient la tuberculose, la pneumonie, la dysenterie, la typhoïde, le paludisme, etc. Les secours sanitaires de la Croix-Rouge ont tardé à arriver. Selon l’historien B. Bennassar, entre 5 000 et 14 600 réfugiés espagnols seraient morts dans ces camps uniquement au cours des six premiers mois de l’exode ! La promiscuité, l’absence d’intimité et les humiliations étaient quotidiennes, tout comme les brimades et les punitions des gardes chiourmes de l’État français. La moindre révolte entraînait des représailles ignobles infligées par les militaires, les tirailleurs sénégalais ou les gendarmes. À Argelès, par exemple, les réfugiés récalcitrants étaient enfermés nus et on les empêchait de dormir la nuit. (5) Dans les camps à vocation disciplinaire, l’humiliation et les exactions étaient accompagnées d’une répression féroce contre les réfugiés suspectés d’être des militants de la classe ouvrière. Certains ont été enfermés dans des cellules insalubres et humides, comme au château de Collioure. Il n’était pas rare que des réfugiés politiques finissent par mourir sous les coups des sévices corporels et de la torture. Un rapporteur de la commission internationale d’aide aux enfants réfugiés décrivait le camp de Bois-Brûlé (dans le Loir-et-Cher) comme “l’un des pires” qu’il ait visités : “Environ 250 réfugiés étaient installés dans des baraques sales, dans lesquelles la température était proche de zéro (…) Le sol était maculé d’urine gelée”.
Carmen Martin, née Lazaro, venant de Saragosse, témoigne ainsi de son internement dans ce camp : “J’ai le souvenir qu’avec d’autres de nos compatriotes, nous avons été poussés dans des wagons à bestiaux. On a dit aux mères que nous allions nous diriger vers le camp de concentration du Bois-Brûlé. Dans ce train on nous vaccinait (avec des produits périmés !) et j’en ai été très malade. Nous avons donc attendu dans ce camp jusqu’en février 1940. Nous y avons souffert de froid car l’hiver fut très rude, et de malnutrition (un pain qui gelait dans la journée, pour sept personnes et une boîte de conserve contenant un bouillon chaud)”. Par ailleurs, bon nombre de réfugiés allaient être utilisés un peu partout comme main d’œuvre corvéable à merci, surexploitées, pour les besoins de l’économie de guerre de l’impérialisme français. Ce fut le cas, par exemple, dans les travaux agricoles au sud de la France ou dans les mines de charbon (notamment celles de Decazeville). Bon nombre furent par la suite enrôlés comme chair à canon dans la Résistance et dans l’armée française (notamment dans la Légion étrangère). (6) Les “échappés de l’enfer espagnol étaient transformés en soldats de l’impérialisme français”. (7) Tous ceux qui tentaient de revenir en Espagne ou étaient refoulés par les autorités françaises, risquaient de passer devant les pelotons d’exécution franquistes ! Parmi ceux qui sont restés en France, beaucoup ont été finalement déportés dans les camps nazis.
La sinistre réalité des camps de réfugiés espagnols en France, longtemps passée sous silence et méconnue, a donné lieu à un discours officiel mensonger tendant à opposer “l’humanité” du Front populaire, sa “générosité” à celle de la “dureté” d’une “droite conservatrice” sous le gouvernement de Daladier (qui était pour sa part “radical-socialiste”). Ainsi, la tradition française du prétendu “droit d’asile” et les “valeurs républicaines” n’auraient été bafouées que par quelques “années noires”. Pur mensonge ! La réalité des conditions abominables de survie de ces masses de réfugiés vient contredire cette sinistre fable. Elle dévoile la parfaite continuité entre les mesures de répression policières et les discours xénophobes. Cela, bien avant le Front populaire ! La méfiance et les préjugés obscurantistes envers ces “étrangers” considérés comme du bétail, était bien ancrée dans la population de leur “terre d’accueil”. Mais surtout, il fallait faire la chasse aux “indésirables” soupçonnés d’être venus sur le territoire français comme “fauteurs de troubles”. Les militants ouvriers étaient considérés et traités comme de véritables criminels. En témoignent ces propos du ministre de l’Intérieur Roger Salengro, déjà en 1936 : “il m’est signalé que des réfugiés espagnols sur notre territoire se livreraient à une active propagande anarchiste. J’ai l’honneur de vous prier de vouloir suivre très attentivement ces menées dont les auteurs devront faire l’objet d’une surveillance étroite à l’égard desquels vous voudrez bien prendre ou me proposer telle mesure d’éloignement que vous jugerez utile (…) Je précise à ce sujet que tout refoulement de ressortissant espagnol jugé indésirable en France en raison de ses agissements révolutionnaires ne pourra s’effectuer que par le poste frontière de Cerbère”. (8) C’est dans la même veine que son successeur Albert Sarraut (ministre du second gouvernement de Léon Blum avant que ce dernier ne démissionne en avril 1938), s’est distingué par ses discours musclés et ses diatribes xénophobes. C’est en ces termes que ce ministre radical-socialiste, inspiré par la paranoïa d’État et la haine des “communistes” et des anarchistes, qualifiait les réfugiés politiques espagnols : “l’élément trouble et louche de l’exode espagnol”, les “hors la loi”, “ces déchets d’humanité qui ont perdu tout sens moral et qui constitueraient un très grave danger pour nous si nous les conservions sur notre sol”. Ce sont des “détritus”. “Les instructions les plus sévères ont été données aux préfets, à tous les services de police sur le territoire pour fouiller tous les milieux et resserrer aussi étroitement que possible les mailles de la surveillance sur tous les cénacles étrangers. Tous les jours nous cherchons, nous raflons, nous épurons ; nos prisons en savent quelque chose”. (9)
Un tel zèle montre qu’avant la mise en place des camps et la chasse aux militants réfugiés de 1939, il était déjà difficile de passer entre les mailles de la répression. La propagande bourgeoise a pu s’appuyer sur les horreurs bien réelles du franquisme pour tenter de minimiser et d’occulter la propre responsabilité et les propres crimes du “camp démocratique” avant et pendant la Guerre. C’est pour cela, entre autres, que le sort des réfugiés espagnols est longtemps passé sous silence au profit de l’hyper médiatisation des camps nazis. En réalité, il n’y a pas de différence de nature entre ces deux régimes politiques, entre la barbarie fasciste, nazie ou franquiste et celle des États démocratiques. Ils sont tous un produit du même système capitaliste et expriment la même réalité de la société capitaliste décadente. Dans tous les cas, la démocratie reste le plus subtil des moyens de domination et de justification de la guerre et le meilleur moyen de masquer ses propres crimes.
Face aux traitements infligés à tous les réfugiés espagnols, à la répression et de la barbarie contre les civils, nous ne pouvons que rappeler la célèbre dénonciation de la guerre impérialiste par Rosa Luxemburg : “Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”. (10)
WH, 28 janvier 2019
1) “Réfugiés espagnols : quand la France choisissait l’infamie”, Libération (9 septembre 2015).
2) Geneviève Dreyfus-Armand, Émile Témime, Les Camps sur la plage, un exil espagnol. (Le “camp de concentration” est une appellation administrative des autorités françaises).
3) P.-J. Deschod, F. Huguenin, La République xénophobe (2001).
4) Cité et repris de Arthur Koestler, La lie de la terre (1947).
5) Selon le témoignage de la mère d’un militant du CCI, qui a été internée pendant onze mois à Argelès, la décision par le médecin du camp d’hospitaliser un enfant en bas âge équivalait à une condamnation à mort : les religieuses qui exerçaient le métier d’infirmière à l’hôpital de Perpignan n’apportaient aucun soin à ces “enfants de rouges” dont les parents étaient tous considérés comme des persécuteurs des membres de l’Église au cours de la guerre d’Espagne. Cette réalité a été confirmée par la propre mère de cette réfugiée qui a séjourné dans cet hôpital avec son bébé au début 1940. C’est pour cela qu’on pouvait assister près des barbelés à ces scènes insupportables de mères en pleurs essayant d’empêcher qu’on enlève leur enfant et qui étaient repoussées à coups de crosse par les gendarmes.
6) Les premiers chars alliés qui sont entrés dans Paris le 24 août 1944, ceux de la 9e Compagnie de la 2e DB de Leclerc, “la Nueve”, sont conduits par des réfugiés espagnols.
7) “Semailles d’un carnage impérialiste”, Communisme n° 23 (15 février 1939).
8) Circulaire du 3 novembre 1936 du ministre de l’Intérieur, Roger Salengro.
9) Séances du 10 et 14 mars 1939 à la Chambre des députés in La République xénophobe.
10) Rosa Luxemburg, Brochure de Junius (1915).
En novembre 2018, les deux principales organisations de la Gauche Communiste en Grande-Bretagne, le CCI et la Communist Workers Organisation (1), ont organisé des réunions publiques à Londres sur le centenaire de la révolution allemande. Il ressort nettement de ces deux réunions qu’il y a un consensus fondamental sur un certain nombre de points-clés de cette expérience :
— L’importance historique immense de la révolution allemande comme tournant dans la révolution mondiale, débutée en Russie, et les conséquences tragiques de sa défaite : l’isolement et la dégénérescence de la Révolution russe, puis le triomphe général de la contre-révolution sous des formes fascistes, staliniennes et démocratiques qui ont préparé le terrain de la Seconde Guerre mondiale ;
— La trahison irréversible des parties de la social-démocratie qui se sont ralliées à l’effort de guerre de la classe dominante, puis ont joué un rôle central dans le sabotage et la répression de la révolution qui a surgi en réaction au carnage. Dans tout futur assaut révolutionnaire, ce seront les factions de gauche de la bourgeoisie, les véritables héritiers de Noske, Scheidemann et des autres agents de la contre-révolution, qui seront utilisées par le capital comme dernier rempart contre le prolétariat.
— L’importance cruciale de la lutte pour un parti communiste afin de combattre les mensonges des sbires de la bourgeoisie et de proposer une alternative révolutionnaire claire et cohérente. Un tel parti ne peut être centralisé qu’à l’échelle mondiale puisque la révolution elle-même ne peut réussir que sur la scène mondiale. Comme l’a dit la CWO dans son article : L’importance de la révolution allemande : Réflexions sur la réunion publique CWO/TCI à Londres, le 17 novembre 2018 [711], “sans un noyau révolutionnaire de la classe ouvrière autour duquel un parti peut se construire, il n’y a pas la moindre chance que nous ressortions victorieux de cette lutte”.
Pourtant, il y a aussi des désaccords nets et précis entre nos deux organisations, qui sont apparus lors de la réunion publique de la CWO et qui ont été débattus la semaine suivante lors de la réunion du CCI, à laquelle a participé un membre de la CWO (2). Ces désaccords sont soulevés dans l’article de la CWO mentionné ci-dessus :
“Compte tenu de ce scénario, il était donc surprenant qu’un membre du Courant Communiste International (la seule autre organisation présente à la réunion) et dont les autres camarades avaient apporté des contributions positives à la discussion, avance qu’il aurait été prématuré pour le groupe internationaliste de quitter la Social-démocratie allemande en août 1914. Il a étonnamment soutenu qu’août 1914 n’était pas une trahison définitive du mouvement ouvrier international.
Il a ajouté que, le CCI et la TCI étant toutes deux issues de la tradition de la gauche communiste italienne, nous devrions reconnaître que c’était exactement comme les membres du Parti communiste italien (PCd'I) qui sont partis en exil dans les années 1920. Ils avaient vu le parti qu’ils avaient fondé être repris par les “centristes” comme Gramsci et Togliatti, avec le soutien de l’Internationale Communiste (même si la Gauche avait toujours le soutien de la majorité du PCd'I). Cependant, comme ils n’avaient aucune preuve évidente que cela signifiait que la Troisième Internationale avait définitivement et irrévocablement rompu avec la révolution internationale (étant donné les brusques changements de politique du Komintern, c’était une période de grande confusion), ils décidèrent de se former en une “fraction”. Le but de la Fraction était soit de persuader le Komintern de s’en tenir à l’internationalisme révolutionnaire, soit, si cela échouait et que l’Internationale faisait quelque chose qui montrait clairement qu’elle avait trahi la classe ouvrière, alors la fraction devrait former le noyau du nouveau parti. En fait, la Fraction décida en 1935 que le Komintern était passé de l’autre côté des barrières de classe (avec l’adoption du Front Populaire). Cependant, elle était alors divisée entre les partisans de Vercesi, qui soutenaient désormais que le parti ne pouvait être formé que dans des conditions où il pouvait gagner une masse de partisans (comme Luxemburg), et ceux qui voulaient commencer à le construire dans les années 1930. Le problème n’a jamais été résolu et la Fraction s’est effondrée en 1939.
Nous avons répondu que les cas de l’Allemagne en 1914 et des camarades italiens dans les années 1920 étaient tous deux différents. Comme le montre l’analyse précédente, le vote du SPD en faveur des crédits de guerre était une trahison claire et évidente de la cause de la classe ouvrière. Et ce jugement n’est pas le fruit d’un examen rétrospectif. Il y avait d’autres socialistes à l’époque (comme Lénine, mais pas seulement) qui le clamaient haut et fort. Il fallait une nouvelle bannière autour de laquelle la classe ouvrière révolutionnaire pourrait se rallier. Plus vite cette bannière serait levée, plus vite les révolutionnaires pourraient se mettre au travail afin de construire le mouvement qui, tôt ou tard, se sortirait de la guerre. Et le fait que l’Allemagne était un État fédéral imbibé de nationalisme rendit cette tâche d’autant plus urgente”.
Nous avons abondamment cité la CWO car nous voulions nous assurer que notre réponse tenait compte fidèlement de leurs points de vue. Mais, ce faisant, nous devrons faire ressortir certaines inexactitudes importantes dans le compte-rendu de la CWO, tant en ce qui concerne certains éléments historiques que dans notre propre compréhension de ceux-ci.
Tout d’abord, il est trompeur de dire que, pour le CCI, “Août 1914 ne signifiait pas la trahison définitive du mouvement ouvrier international”. Bien au contraire : la capitulation de la majorité des sociaux-démocrates, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement, était en effet une trahison incontestable de tout ce que la social-démocratie internationale avait défendu et voté lors des grands congrès internationaux. Cela a confirmé que la droite opportuniste de la social-démocratie contre laquelle des militants, comme Luxemburg, luttaient avec détermination bien avant la fin du XIXe siècle, avait franchi la frontière du camp ennemi, frontière pour laquelle il ne pouvait y avoir retour en arrière.
Ce que nous voulions souligner, cependant, c’est que la trahison d’une grande partie de l’organisation ne signifiait pas encore que l’ensemble du parti avait été intégré à l’État capitaliste, précisément parce que, contrairement à ce que disent certains anarchistes, la social-démocratie n’a pas toujours été bourgeoise. La trahison d’août 1914 a donné lieu à une énorme lutte au sein du parti, à un flot de réactions contre la trahison, souvent confuses et inadéquates, limitées par des conceptions centristes et pacifistes, mais exprimant toujours fondamentalement une réaction prolétarienne internationaliste contre la guerre. Les plus clairs, les plus déterminés et les plus célèbres d’entre eux étaient les spartakistes. Tant que cette lutte se poursuivait, tant que les différentes oppositions à la nouvelle ligne officielle pouvaient encore opérer au sein du parti, la question de la fraction, d’une lutte interne organisée pour “l’âme” du parti, jusqu’à la disparition des traîtres ou l’expulsion des internationalistes, était toujours pertinente (3).
Dans un texte de discussion interne sur la nature du centrisme, que nous avons publié en 2015, notre camarade Marc Chirik a donné un grand nombre d’exemples du mouvement d’opposition au sein du SPD après août 1914, tant au parlement que dans le parti dans son ensemble. L’expression la plus ferme de cette réaction a été donnée par le groupe autour de Luxemburg et Liebknecht, qui n’a pas attendu que la classe se mobilise massivement, mais qui, dès le premier jour de la guerre, a organisé sa résistance dans ce qui deviendra par la suite le Spartakusbund et a essayé de réunir les forces internationales autour du slogan “Ne laissez pas le Parti aux mains de traîtres”. Peu de temps après, il y eut la décision de nombreux députés de ne pas voter en faveur de crédits de guerre supplémentaires ; les résolutions de nombreuses branches locales du SPD pour que les dirigeants abandonnent la politique de l’Union sacrée ; la formation du “collectif de travail social-démocrate” qui constituerait plus tard le noyau du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, l’USPD ; la publication de tracts et de programmes, l’appel aux manifestations contre la guerre et en solidarité avec Karl Liebknecht pour son opposition intransigeante au militarisme de la classe dominante. Pour Marc, tout cela venait confirmer que : “ce qui n’est déjà pas valable pour une vie d’homme est une totale absurdité au niveau d’un mouvement historique, comme celui du prolétariat. Ici le passage de la vie à la mort ne se mesure pas en secondes, ni en minutes, mais en années. Ce n’est pas la même chose le moment où un parti ouvrier signe son arrêt de mort et sa mort effective, définitive. Cela est peut être difficile à comprendre pour un phraséologue radical, mais est tout à fait compréhensible pour un marxiste qui n’a pas l’habitude de quitter le bateau comme les rats dès que celui-ci commence à prendre l’eau. Les révolutionnaires savent ce que représente historiquement une organisation à qui la classe a donné le jour et, tant qu’il reste un souffle de vie, ils luttent pour la sauver, pour la garder à la classe.” (4)
Il est faux de dire que la situation des révolutionnaires allemands en 1914 était fondamentalement différente de celle des camarades de la Gauche italienne qui décidèrent de former une fraction afin de lutter contre la dégénérescence du Parti communiste italien durant les années 1920. Bien au contraire : dans les deux cas, il y avait un parti de plus en plus dominé par une faction ouvertement bourgeoise (les sociaux-chauvins au sein du SPD, les staliniens au sein du PC) et une opposition partagée entre un centre indécis et une gauche révolutionnaire qui a justement décidé, même si la situation tourne en défaveur de la classe, que c’est un devoir primordial de se battre aussi longtemps que possible pour les valeurs et le programme concret du parti tant que subsistera en lui une vie prolétarienne. En revanche, la façon dont la CWO a décrit la situation du SPD en 1914 ressemble étrangement à l’ancienne prise de position (essentiellement conseilliste) de cette dernière sur les bolcheviks et les partis communistes : qu’ils étaient déjà totalement bourgeois en 1921 et que quiconque pensait autrement était en quelque sorte complice de leurs futurs crimes.
Nous pourrions également reprendre la présentation extrêmement simpliste relatant l’histoire des débats au sein de la Fraction italienne jusqu’en 1939, mais il serait plus judicieux d’y revenir dans un article distinct étant donné que la CWO a récemment republié un article de Battaglia Comunista (5) sur la question des fractions et du parti, avec une longue introduction de la CWO exprimant de nombreuses critiques envers le CCI, pas seulement sur la question de la fraction et du parti, mais aussi sur notre analyse de la situation internationale.(6) Mais, l’un des points clés qui ressort à la fois de l’article de Battaglia Comunista et de sa nouvelle introduction est l’idée qu’une Fraction n’est pour ainsi dire qu’une sorte de cercle de discussions, ce qui montrerait son peu d’intérêt à intervenir dans la lutte des classes, comme la CWO le souligne à la fin de leur article sur la réunion publique : “Le moment n’est pas aux cercles de discussions ou aux fractions. Il est en revanche temps de constituer partout des noyaux de révolutionnaires et de converger vers la création d’un parti révolutionnaire, international et internationaliste en vue des inévitables conflits de classe à venir”.
Si, malgré ses nombreuses faiblesses, le groupe spartakiste jouait foncièrement le rôle d’une Fraction au sein du SPD, dont la longue dynamique de dégénérescence, suite au tournant décisif d’août 1914, allait s’accélérer de façon dramatique jusqu’à un point de rupture définitif, alors, le travail de fraction n’est clairement pas synonyme d’un enfermement au sein d’un débat purement théorique, loin de la réalité quotidienne de la lutte de classe et de la guerre. Au contraire, il ne fait aucun doute que les Spartakistes ont “hissé la bannière” de la lutte de classe contre la guerre. Au sein du SPD, le Spartakusbund avait sa propre structure organisationnelle, publiait son propre journal, diffusait de nombreux tracts et avait la capacité, avec certains des éléments les plus radicaux de la classe (notamment les “délégués révolutionnaires” ou “Obleute” des centres industriels), d’organiser des manifestations regroupant des milliers d’ouvriers. Cette structure organisationnelle distincte était une condition préalable à l’entrée des spartakistes au sein de l’USPD en avril 1917, presque trois ans après le début de la guerre, après l’expulsion massive de l’opposition au sein du SPD. La décision d’adhérer à l’USPD a été prise, comme l’a dit Liebknecht, “pour le pousser en avant, l’avoir à portée de notre fouet, en arracher les meilleurs éléments”. Comme Marc le souligne dans son texte : “Que cette stratégie fut valable à ce moment-là, c’est plus que douteux, mais une chose est claire : une telle question pouvait se poser pour Luxemburg et Liebknecht parce qu’ils considéraient, avec raison, l’USPD comme un mouvement centriste dans le prolétariat et non comme un parti de la bourgeoisie”. En somme, le travail de fraction des spartakistes se poursuivit, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur d’un parti plus large, comme force indépendante cherchant à créer les conditions pour qu’émerge un nouveau parti, débarrassé de ses éléments tant bourgeois que centristes, comme il se poursuivit au sein de la Gauche italienne après leur expulsion du parti, entre les années 1920 et les années 1930, même après le constat du passage à l’ennemi du PC.
Par conséquent, une partie de la critique de la CWO à l’égard des spartakistes, qui seraient restés trop longtemps dans l’ancien parti, est donc basée sur une idée fausse du rôle d’une fraction, comme étant un simple cercle de discussion et dont les activités sont, en un sens, opposées à la formation de groupes révolutionnaires préparant les bases du futur parti mondial. Au contraire : c’était précisément le concept de la Fraction tel qu’il a été élaboré par la Gauche italienne. La différence réside ailleurs : dans la reconnaissance (partagée par Luxemburg et la Gauche italienne) que la constitution d’un nouveau parti international n’était pas le produit de la seule volonté des révolutionnaires, mais dépendait d’un processus de maturation beaucoup plus large et profond au sein de la classe.
La présentation de la CWO à la réunion et l’article qui suit soulignent le contraste entre les spartakistes et les bolcheviks :
“Au début de l’année 1917, le nombre de bolcheviks en Russie n’était estimé qu’autour de 8 000 ou 10 000, mais ils étaient présents dans presque chaque ville ou village et, plus important encore, faisaient partie intégrante de la classe ouvrière. Ainsi, lorsque le mouvement révolutionnaire apparut, ils furent non seulement capables de prendre les devants, mais ils purent grandir en son sein. En février 1917, les ouvriers ont spontanément appelé au “pouvoir du soviet” (en mémoire de 1905), mais à l’été 1917, il était clair qu’un seul parti soutenait “tout le pouvoir aux soviets”, et ce parti comptait désormais 300 000 membres, selon la plupart des estimations”.
Il est certainement vrai que les bolcheviks étaient à l’avant-garde du mouvement révolutionnaire dans les années 1914-1919. Sur la question de la guerre, la délégation bolchevique à Zimmerwald a défendu une position bien plus rigoureuse que celle des spartakistes : elle a, avec les “radicaux de gauche” allemands, revendiqué le slogan “Transformer la guerre impérialiste en guerre civile”, alors que la délégation spartakiste montrait quant à elle une tendance à faire des concessions au pacifisme. Dans leur pratique concrète d’une situation révolutionnaire, les bolcheviks ont été capables d’analyser l’équilibre des forces entre les classes avec une grande lucidité, jouant ainsi un rôle clé aux moments décisifs : en juillet, lorsqu’il était nécessaire de faire abstraction des provocations de la bourgeoisie, qui cherchait à entraîner les ouvriers révolutionnaires dans un affrontement militaire prématuré ; en octobre, lorsque Lénine affirmait que les conditions pour une insurrection étaient mûres et qu’il était désormais vital d’attaquer avant qu’il ne soit trop tard. Tout cela contraste tragiquement avec le jeune Parti communiste allemand qui a commis l’erreur monumentale d’avoir mordu à l’hameçon de la bourgeoisie en janvier 1919 à Berlin, en grande partie parce que le leader spartakiste Liebknecht avait transgressé la discipline du parti en appelant à un soulèvement armé immédiat.
Cependant, la capacité des bolcheviks à jouer ce rôle ne peut se réduire à la seule notion d’être “ancrés” dans la classe. C’est surtout le fruit d’une longue lutte pour la clarté politique et organisationnelle au sein du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie, qui a permis aux bolcheviks d’appréhender les enjeux réels du soulèvement de février, même si cela a entraîné au sein du parti de fermes luttes visant à éliminer une forte tendance à soutenir la démocratie bourgeoise et la position “défensive” dans la guerre, tout cela était le but des débats autour des Thèses d’avril de Lénine (7). Le fait que les bolcheviks soient sortis de ce débat renforcés et plus déterminés que jamais à se battre en faveur du pouvoir aux soviets était le résultat de deux facteurs essentiels : d’une part, leur solidité organisationnelle, qui permit de maintenir l’unité du parti malgré les divergences très nettes qui apparurent en son sein tout au long du processus révolutionnaire ; d’autre part, le fait que, dès le début, leur programme politique, et cela même s’il n’était pas aussi clair qu’il le deviendrait après 1917, était toujours fondé sur le principe d’indépendance de la classe vis-à-vis de la bourgeoisie, par opposition à l’autre courant majoritaire de la social-démocratie russe, les mencheviks. Mais ce que tout cela souligne vraiment, c’est que dans les années qui s’écoulèrent entre la naissance du bolchevisme et l’éclatement de la révolution, les bolcheviks avaient eux-mêmes accompli les tâches les plus fondamentales d’une fraction révolutionnaire au sein du Parti russe et de la Deuxième Internationale.
La rigueur des bolcheviks sur les problèmes organisationnels et programmatiques était l’un des aspects de cette capacité à faire la transition de fraction jusqu’à parti ; l’autre étant la maturation rapide au sein du prolétariat russe dans son ensemble. C’était un prolétariat bien moins vulnérable aux illusions réformistes que ses frères et sœurs de classe d’Allemagne : tant au niveau de leurs conditions de vie que des conditions politiques imposées par le régime tsariste, leur lutte prit nécessairement un caractère explosif et révolutionnaire qui, dans un sens, révélait déjà les circonstances auxquelles la classe ouvrière serait confrontée dans les pays les plus avancés dans la période de décadence qui allait s’ouvrir. C’était un prolétariat qui, en grande partie privé de la possibilité de construire des organisations défensives de masse à l’intérieur de l’ancien système, donna naissance en 1905 à la forme organisationnelle des soviets et qui acquit un avant-goût d’une valeur inestimable de ce que faire une révolution signifie. Aussi, il ne faut pas oublier que le prolétariat russe avait face à lui une bourgeoisie affaiblie, alors que les ouvriers allemands seraient catapultés dans des luttes révolutionnaires contre une classe dominante toute-puissante, qui savait pouvoir compter sur le soutien du SPD, des syndicats, ainsi que des bourgeoisies de tous les pays. De ce point de vue, nous pouvons plus facilement comprendre pourquoi ce problème ne se réduit pas seulement à la présence physique de révolutionnaires au sein de la classe ouvrière, bien que cela soit important. Les sociaux-démocrates allemands étaient certainement très présents au sein de la classe ouvrière et dans tous les aspects de sa vie : économique, politique, et culturelle. Le problème était que cette influence au sein de la classe était de plus en plus orientée vers l’institutionnalisation et donc la neutralisation de la lutte des classes. La différence clé entre le SPD et les bolcheviks résida dans la capacité de ces derniers à maintenir et à développer l’autonomie de classe du prolétariat.
En fin de compte, pour vraiment saisir le contraste entre les bolcheviks et les spartakistes, pour aller au plus profond des problèmes rencontrés par la minorité communiste durant la vague révolutionnaire qui suivit 1917, nous devons prendre en compte les situations particulières relatives à chaque pays et les réintégrer dans une vision internationale plus globale. La Deuxième Internationale s’est en effet écroulée en 1914 : face à la trahison de la plus grande partie de ses composants nationaux, elle a tout simplement cessé d’exister. Cela a immédiatement posé la nécessité d’une nouvelle Internationale, même si les conditions de sa formation n’étaient pas encore réunies. La formation tardive de l’Internationale communiste (et les faiblesses programmatiques qui l’accompagnaient) devait être un handicap majeur non seulement pour la révolution allemande, mais aussi pour le pouvoir des soviets russes et toute la vague révolutionnaire. Nous y reviendrons dans d’autres articles. Nous avons fait valoir que le travail préalable des fractions de Gauche est indispensable à la formation du parti sur une base solide. Mais nous devons également reconnaître qu’au début du XXe siècle, alors que le danger de l’opportunisme au sein des partis sociaux-démocrates devenait de plus en plus évident, les fractions de Gauche s’opposant à la dérive de l’intégration au sein de la politique bourgeoise étaient entravées par la structure fédérale de la Deuxième Internationale. C’était une Internationale qui fonctionnait en grande partie comme une sorte de centre de coordination pour un ensemble de partis nationaux. Il y avait solidarité et coopération entre les différents courants de gauche (par exemple, lorsque Lénine et Luxemburg ont travaillé ensemble pour rédiger la résolution de Bâle contre la guerre au Congrès international de 1912), mais il n’y a jamais eu une fraction centralisée au niveau international qui puisse développer une politique cohérente dans tous les pays, une réponse unifiée à tous les changements dramatiques qui étaient provoqués par le passage du capitalisme à une époque de guerres et de révolutions.
Les groupes révolutionnaires d’aujourd’hui ne sont pas vraiment des fractions, au sens d’être des parties intégrantes d’un ancien parti ouvrier, mais ils ne seront pas capables de préparer le terrain du parti de demain s’ils échouent à comprendre ce que l’apport historique des fractions de gauche peut nous apporter.
Amos, 23 janvier 2019
(1) La CWO est l’affiliée anglaise de la Tendance communiste internationaliste ; un camarade de leur groupe allemand, le GIS, a également pris part à la réunion. Bien qu’il soit positif que les deux organisations reconnaissent l’importance historique de la révolution allemande, qui a tout de même mis fin à la Première Guerre mondiale et menacé pour un court instant d’étendre le pouvoir politique du prolétariat de la Russie à toute l’Europe de l’Ouest, c’était une marque de désunion de la part des mouvements révolutionnaires actuels d’organiser deux réunions distinctes sur le même thème, dans la même ville, et à moins d’une semaine d’intervalle. Le CCI a proposé la tenue d’une réunion commune afin d’éviter ce télescopage, mais notre demande a été refusée par la CWO pour des motifs qui nous paraissent obscurs. Cela contraste avec les réunions sur la Révolution russe tenues en 2017, où la CWO avait accepté de faire une présentation lors de notre journée de discussion à Londres [712]. Pour nous, le fait que les groupes de la Gauche Communiste soient plus ou moins seuls à préserver et à élaborer les leçons essentielles de la révolution en Allemagne est une raison suffisante pour qu’ils répondent de manière coordonnée aux distorsions idéologiques de cet événement mises en avant par l’ensemble des factions de la classe dominante (y compris son effacement virtuel dans les livres d’histoire) ;
(2) Ce désaccord a été l’objet principal de la discussion lors de la réunion publique organisée par la CWO. Ce point a de nouveau été central lors de la réunion du CCI, bien qu’il y ait également eu débat autour des questions posées par un camarade anarchiste internationaliste sur la nécessité d’un parti et sur la question de savoir si la centralisation correspondait aux besoins organisationnels de la classe ouvrière. Sur cette question de la nécessité de la centralisation comme expression de la tendance à l’unité, le camarade a dit plus tard qu’il trouvait nos arguments clairs et convaincants.
(3) Voir en particulier les articles sur la révolution allemande dans la Revue Internationale n° 81, 82 et 85.
(4) Voir notre article : “Conférence de Zimmerwald : les courants centristes dans les organisations politiques du prolétariat [713]”, Revue internationale n° 155.
(5) Publication du Parti communiste internationaliste, l’affilié italien à la Tendance communiste internationaliste.
(6) En attendant, les camarades peuvent se référer à une série d’articles que nous avons publié critiquant les visions de Battaglia Communista et de la CWO autour de la fraction dans les Revue internationale n° 59, 61,64, 65.
(7) Voir notre article “1917 : la révolution russe : les “Thèses d’avril”, phare de la révolution prolétarienne [714]”, Revue Internationale n° 89.
Multiplication des catastrophes climatiques, zones contaminées, destruction des forêts, coulées de boue rouge, pollution de l’atmosphère, disparition massive des espèces… Chaque jour, les catastrophes environnementales font les gros titres de l’actualité. Chacun de ces articles se conclut invariablement par un appel à la “détermination” des gouvernements pour sauver la planète ou à la responsabilité individuelle des “citoyens du monde” qui devraient correctement utiliser leur bulletin de vote. En bref : sauvez la planète avec l’État bourgeois ! Les récentes Marches pour le climat et les nombreuses mobilisations des jeunes n’ont pas dérogé à cette règle : si l’indignation des jeunes est palpable, l’absence totale de solution réelle aux problèmes environnementaux l’est également.
Il y a 170 ans, Friedrich Engels constatait déjà que l’industrie anglaise rendait l’environnement insalubre pour les ouvriers : “La mortalité élevée qui sévit parmi les enfants des ouvriers, et particulièrement des ouvriers d’usine, est une preuve suffisante de l’insalubrité à laquelle ils sont exposés durant leurs premières années. Ces causes agissent également sur les enfants qui survivent mais évidemment leurs effets sont alors un peu plus atténués que sur ceux qui en sont les victimes. Dans le cas le plus bénin, ils entraînent une prédisposition à la maladie ou un retard dans le développement et, par conséquent, une vigueur physique inférieure à la normale”. (1)
En même temps qu’elle permettait un développement des forces productives, l’industrie a généralisé, partout où elle est apparue, une pollution toujours plus toxique et dangereuse pour la santé : “Dans ces bassins industriels, les fumées charbonneuses deviennent une source majeure de pollution. (…) De nombreux voyageurs, enquêteurs sociaux et romanciers décrivent l’ampleur des pollutions occasionnées par les cheminées des usines. Parmi eux, dans son célèbre roman “Hard Times”, Charles Dickens évoque en 1854 le ciel de suie de Coketown, ville fictive miroir de Manchester, où l’on ne voit que “les monstrueux serpents de fumée” qui se traînent au-dessus de la ville”. (2)
Le principal responsable d’une pollution qui ne date pas d’hier est un système social qui produit pour accumuler du capital sans se préoccuper des conséquences sur l’environnement et les hommes : le capitalisme.
L’épisode du smog de Londres en 1952 (3) a montré jusqu’où pouvait aller la pollution atmosphérique causée par l’industrie et le chauffage domestique, mais aujourd’hui, ce sont toutes les grandes métropoles du monde qui sont menacées par ces phénomènes de plus en plus permanents, au premier rang desquelles se trouvent New Delhi et Pékin. (4) L’un des secteurs les plus pollueurs est le transport maritime, dont l’activité et les coûts dérisoires sont deux conditions vitales du fonctionnement de toute l’économie mondiale. La destruction de l’environnement, des forêts aux fonds marins, tout comme les catastrophes industrielles répondent à cette même logique de rentabilité et de surexploitation à bas coût.
Ce n’est pas un secteur particulier de l’activité humaine, mais la société capitaliste comme un tout qui pollue sans se soucier des conséquences pour le futur.
Aux ravages causés, depuis deux siècles, par l’exploitation irresponsable des ressources naturelles engendrant la souillure des milieux naturels et la disparition croissante d’espèces et d’écosystèmes, les diktats de l’économie capitaliste et la loi du marché rendent la planète exsangue et l’air, saturé de particules nocives, irrespirable.
La pollution atmosphérique, par ses effets cumulatifs, de l’aveu des scientifiques, est aujourd’hui apocalyptique. N’en déplaise aux milieux “climato-sceptiques”, soutenus par toute l’industrie chimique et pétrolière de la planète, les mesures scientifiques du recul des glaciers et banquises, de la hausse du niveau des océans vont toutes dans le même sens et ne laissent aucun doute sur la réalité du phénomène : du fait de l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère, la température moyenne de la Terre monte inexorablement, entraînant une série de phénomènes climatiques imprévisibles dont les conséquences sur les populations humaines sont d’ores et déjà dramatiques dans certaines régions.
Autrement dit : l’ère industrielle du système capitaliste est aujourd’hui en train de menacer la civilisation d’une lente mais inéluctable chute dans la destruction et le chaos. D’ores et déjà, certaines régions du monde sont invivables pour des communautés humaines du fait des effets du réchauffement climatique et de la destruction de l’environnement. D’après une étude de la Banque mondiale, l’aggravation des effets du changement climatique pourrait pousser plus de 140 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur propre pays d’ici 2050.
Cette sinistre réalité, masquée en grande partie par le fait que le problème serait lié à un simple “manque de volonté politique” et à “l’égoïsme des consommateurs” insuffisamment “éclairés”, engendre une inquiétude diffuse parfaitement compréhensible. À la question : “quel monde laisserons-nous à nos enfants ?”, il n’y a pas de réponse bien optimiste. Il est donc tout à fait logique que les principaux intéressés (les enfants et les jeunes) soient les premiers à s’inquiéter d’avoir à passer toute leur vie dans un environnement de plus en plus dégradé, avec des conséquences climatiques qui s’annoncent terrifiantes.
Dans ce cadre, les “marches pour le climat”, organisées avec force publicité et une grande couverture médiatique, ont cherché à répondre à cette inquiétude. Lorsqu’une jeune lycéenne suédoise a quitté son école pour manifester devant le parlement de Stockholm, elle a montré toute l’absence de futur qu’elle ressentait. Invitée à la COP 24, à l’ONU, pour défendre son action, Greta Thunberg fait désormais figure de porte-étendard d’une génération qui prendrait conscience que son avenir est singulièrement mis à mal par la pollution et les dérèglements climatiques qui en résultent.
En apparence, on aurait pu se réjouir d’une mobilisation internationale qui poserait des questions sur le futur que la société nous réserve. En réalité, c’est tout l’opposé. On constate en effet que cette mobilisation est encadrée et fortement encouragée par une large partie de la classe dominante : des ex-ministres écologistes français Cécile Duflot et Nicolas Hulot à L’Humanité et Lutte Ouvrière, de Greenpeace au Secours catholique, etc. En définitive, partout en Europe, toute la bourgeoisie de la droite à l’extrême-gauche a soit soutenu, soit appelé à participer à la “Marche du siècle”, comme ce fut le cas le 16 mars à Paris et un peu partout dans d’autres capitales ou grandes métropoles. En France, le syndicat SUD avait déjà appelé à la Marche du 8 décembre 2018, faisant en sus le lien entre climat et emploi : “agir pour le climat, c’est agir pour l’emploi !”, mettant en relation deux inquiétudes bien réelles de la jeunesse et appelant à la “grève scolaire” (à l’instar de Greta Thunberg) pour “l’urgence climatique”.
Là où ce syndicat dévoile son jeu habituel de division, c’est quand, dans son communiqué (“Pour un printemps climatique et social”), il nous explique que “face à l’inaction de leurs aîné(e)s, les collégien/(ne)s, lycéen/(ne)s et étudiant(e)s ont lancé un appel à la grève internationale pour le climat vendredi 15 mars”. Autrement dit, il entérine, comme le font la plupart des organisations bourgeoises, l’idée que si la Terre se réchauffe, c’est parce que les “aînés” n’ont “rien fait” pour l’empêcher. La jeune génération serait, elle, bien plus “responsable”, parce qu’elle “agit” : elle fait grève pour le climat !
En réalité, ce n’est ni une responsabilité particulière des “générations précédentes”, ni les comportements individuels “irresponsables” en matière d’environnement ni la “mauvaise volonté” des élus ou le “poids des lobbies” qui génèrent la catastrophe environnementale que nous voyons poindre. Elle est le produit du capitalisme miné par ses propres contradictions internes. Le fait que ce système soit basé sur la concurrence brutale, le chacun pour soi et le profit, obsédé par le moindre coût, sans que cette logique soit ouvertement remise en cause, pousse autant la vieille génération que la nouvelle à subir les lois implacables de ce même système barbare. Autrement dit, la classe dominante, toutes générations confondues, dédouane le système capitaliste en putréfaction en créant un rideau de fumée pour masquer sa responsabilité directe.
L’objectif est donc de pousser la population dans les bras du gardien de l’ordre dominant, l’État capitaliste, qui devrait être à l’écoute des citoyens et s’orienter vers une politique écologique, “responsable”, voire “anti-capitaliste”.
En fin de compte, cette attaque idéologique, bien que globale, se porte particulièrement sur la jeune génération elle-même, puisque le but est d’empêcher toute solidarité entre générations, et plus encore, de cacher à ses yeux le vrai responsable des désastres. En opposant ainsi les “aînés” à la “jeunesse”, derrière le slogan “on nous vole notre futur”, la propagande capitaliste officie en arrière-plan afin de “diviser pour mieux régner”.
Mais le syndicat SUD ne s’arrête pas là. Le but de cette mobilisation est selon lui très clair : “À l’appel de plus de 140 organisations, le 16 mars, nous marcherons ensemble pour exiger un changement de système de production et de consommation afin de limiter le réchauffement global à 1,5 °C. Pour cela, d’autres politiques publiques sont nécessaires qui associent les travailleurs et les travailleuses à la construction d’une société juste, solidaire et écologique qui réponde aux besoins sociaux et préserve les limites de la planète”. SUD nous demande donc d’exiger “d’autres politiques publiques”, et naturellement il s’adresse ici à l’État en lui demandant d’entendre la complainte de la jeunesse pour “une société juste, solidaire et écologique”.
Pour ce syndicat, comme pour tous les organisateurs de la “Marche du siècle”, la solution ne peut se trouver que dans l’État ; il faut juste qu’il écoute les citoyens. L’appel de Générations futures est encore plus clair : “Nous devons renouveler la démocratie et contraindre les décideurs et décideuses à protéger les intérêts de toutes et tous plutôt que ceux de quelques un(e)s. Nous devons répartir les richesses pour obtenir la justice sociale, afin de garantir une existence digne pour chacun(e)”. (5)
Quand Greta Thunberg se plante devant le parlement de Stockholm pour manifester, elle demande en fait aux élus de l’État capitaliste suédois de faire “leur travail” en pensant à la jeunesse et à son futur ! C’est donc globalement un appel à voter : quand on demande à “renouveler la démocratie” et à mettre en place “d’autres politiques publiques”, il n’y a pas d’autre choix que d’aller voter pour les “bons” candidats, ceux qui prendront au sérieux les aspirations “de la jeunesse”. C’est oublier que les États sont les protecteurs de leurs capitaux nationaux dont la recherche frénétique de l’accumulation les laisse totalement indifférents aux conséquences catastrophiques que celle-ci engendre sur le milieu naturel. Nous avons donc affaire, derrière la légitime inquiétude que génère le changement climatique, à son instrumentalisation par toute la bourgeoisie internationale dans le but de mobiliser les jeunes dans l’impasse électorale ! Comme l’abstention ne cesse de progresser parmi les jeunes générations, fruit d’un discrédit croissant des institutions démocratiques bourgeoises, on comprend très bien que la classe dominante cherche un moyen d’inverser cette tendance, et que l’utilisation de la peur du changement climatique lui donne cette opportunité.
Si le mouvement contre le réchauffement climatique vise principalement les jeunes lycéens et étudiants, c’est que, pour la bourgeoisie, la jeunesse représente une cible particulière. Dans tous les régimes totalitaires, les jeunes sont un enjeu fondamental, parce qu’ils sont prompts à se mobiliser, parce qu’ils ressentent très vivement toute menace sur le futur, parce qu’ils manquent d’expérience et sont donc plus facilement manipulables que les générations plus âgées.
La jeunesse est donc un enjeu, et dans les pays développés, la bourgeoisie veut en faire la “gardienne des principes démocratiques”. Que ce soit aux États-Unis avec le mouvement “anti-armes”, en Grande-Bretagne avec le mouvement “Extinction rebellion” ou en France à travers la “Marche du Siècle”, la bourgeoisie cherche d’abord à mobiliser les jeunes autour des thèmes démocratiques, et à les isoler des aînés. Cette jeunesse qui s’alarme à juste titre pour son futur se retrouve ici dans le piège démocratique qui vise à en faire des “citoyens responsables” et à empêcher les jeunes prolétaires de se mobiliser sur un terrain de classe : pourquoi en effet défendre ses conditions de vie et de travail quand c’est l’avenir de toute l’humanité qui est menacé ?
L’appel à soutenir la démocratie bourgeoise est bien entendu une complète mystification. Ce n’est pas en appelant “les jeunes” à se mobiliser sur le terrain électoral (en particulier au profit des partis écolos ou les partis de gauche), ce n’est pas non plus en replâtrant l’édifice étatique ou en obligeant les élus à faire “leur travail” que l’on risque de changer le futur qui prend forme aujourd’hui.
Lorsque la bourgeoisie elle-même se préoccupe de la question du réchauffement climatique, il faut bien constater que son souci essentiel est de sauvegarder les conditions de la poursuite de l’exploitation et non de sauvegarder l’environnement. La préoccupation de la bourgeoisie est d’abord et avant tout de produire des marchandises en extrayant de la plus-value par l’exploitation de la main-d’œuvre salariée. On sait déjà tout le profit qu’elle a pu tirer de l’engouement autour de l’alimentation “bio” ou du “veganisme”, qui polluerait moins et préserverait mieux l’environnement : les tarifs augmentant significativement dès que l’on achète de l’alimentation “bio”, la fracture entre riches qui se nourrissent plus sainement et pauvres condamnés à la “malbouffe” ne fait que s’élargir, avec toute la culpabilisation de ceux qui continuent à acheter de la nourriture industrielle, la moins chère évidemment !
Pire, la bourgeoisie verdit cyniquement sa stratégie industrielle pour justifier les attaques contre la classe ouvrière et renforcer la guerre économique. La pollution atmosphérique et le réchauffement climatique qui s’ensuivent étant en grande partie le produit de l’utilisation des moteurs thermiques, la bourgeoisie européenne a ainsi posé la question du remplacement des voitures utilisant ce mode de propulsion par des véhicules “non polluants”, électriques. C’est là une nouvelle escroquerie, car l’arrière-pensée qui se tapit derrière tout le scandale du “dieselgate” n’est pas et n’a jamais été le sort de l’humanité. Le gain pour les constructeurs pourrait au contraire être fort intéressant : selon certains scénarios, on pourrait ainsi, en Allemagne, réduire jusqu’à 16 % la main-d’œuvre de ce secteur industriel. Derrière le capitalisme prétendument “vert”, il y a surtout beaucoup à gagner, même si la course au lithium pour fabriquer les batteries aura des conséquences lourdes pour l’environnement. Les risques de pollution causés par les batteries, si elles brûlent ou sont en fin de vie, ne sont pas à prendre à la légère.
De la même façon, au nom de la “fiscalité écologique”, les taxes se multiplient partout dans le monde dans le cadre de la guerre commerciale entre les États, ou carrément sous la forme d’attaques directes contre la classe ouvrière. Là, comme ailleurs, l’écologie sert de masque à la course au profit et à faire accepter aux ouvriers les attaques au nom de la lutte contre la pollution. Ainsi, lorsque la nouvelle jeune égérie mondiale, Greta Thunberg, se fait écho de ce que la propagande lui martèle, à savoir qu’il faut abandonner notre “zone de confort” et donc faire des “sacrifices”, la pollution étant censée provenir du résultat de notre surconsommation, du gaspillage, bref, provenir du “comportement irresponsable de tous”, elle ne fait que justifier et donner des moyens supplémentaires aux discours idéologiques des États chargés de préparer les mesures anti-ouvrières à venir en créant non seulement un sentiment de culpabilité, mais en enfermant chacun dans la prison des “solutions” individuelles totalement stériles. Le système capitaliste produit comme s’il n’y avait aucune limite aux besoins, il produit parce qu’il a besoin de plus-value pour accumuler toujours plus de capital. C’est ainsi qu’il fonctionne, et vouloir le faire fonctionner autrement est une pure illusion. La seule possibilité d’agir efficacement, qui se présente aussi comme une nécessité vitale, c’est de le détruire afin de poser les bases d’une nouvelle société où le travail au sein de la société serait tourné vers les besoins de l’humanité sans entrer en contradiction avec la nature et notre environnement. Cela, seule la classe ouvrière peut le permettre par une révolution mondiale.
HD, 20 avril 2019
(1) Friedrich Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1844).
(2) François Jarrige et Thomas Le Roux, La contamination du monde (2017).
(3) Le 5 décembre 1952 et pendant cinq jours, un brouillard causé par un anticyclone se mêle aux fumées de charbon causant 12 000 décès.
(4) “De Londres à Delhi, comment le smog a migré vers l’Est”, Le Monde (17 novembre 2017).
(5) On peut encore signaler l’appel du Réseau Action Climat France : “Dans leur appel commun, les signataires demandent aux responsables du dérèglement climatique de prendre les mesures nécessaires pour limiter le réchauffement global à 1,5 °C, tout en garantissant une justice sociale”.
“Les manifestants, venus des quatre coins du pays, ont ainsi réussi à atteindre l’un de leurs objectifs, celui de faire entrer cette marche pour la “dignité” dans l’histoire. Cette foule monumentale semble aimer se trouver et danser au son youyou et des darboukas pour dénoncer, dans une euphorie collective, les dérives d’un “pouvoir assassin”, comme elle le crie sans relâche depuis le 22 février, date de la première grande mobilisation. (…) Dans le cortège, au milieu des centaines de milliers d’hommes qui ont submergé les rues d’Alger, les femmes de tous âges, de toutes classes et générations ont répondu présent, et sont venues bien plus nombreuses que les deux semaines précédentes. (…) De 11 h à 18 h, c’est un concentré de l’Algérie qui a défilé dans les boulevards qui serpentent à travers Alger : jeunes hommes, jeunes filles coiffées à la dernière mode, hadjas (anciens), cadres, employés, moudjahidines (anciens combattants), femmes enroulées dans un haïk, le vêtement traditionnel”. (Le Monde du 11 mars 2019).
Depuis le 22 février, des manifestations massives se déroulent, chaque vendredi en Algérie, réunissant des centaines de milliers de participants dans toutes les grandes villes du pays. Celles du 8 mars ont été particulièrement suivies avec une participation record de plus d’un million de personnes à Alger. Ce sont désormais des millions de personnes dans la rue chaque semaine, particulièrement les étudiants et les lycéens en grève.
Les raisons de cette immense colère sont nombreuses : la misère sous toutes ses formes, un taux de chômage de 11 % (officiellement) de la population active, de plus de 26 % chez les jeunes de 16-24 ans, le manque de logements, la répression, et peut-être surtout la généralisation de la corruption, à commencer par celle du clan familial de Bouteflika et de ses fidèles alliés le chef d’état-major de l’armée (Ahmed Gaîd Salah), le patron des patrons algériens (Ali Haddad), le secrétaire général du syndicat UGTA (Abdelmadjid Sidi-Saïd) et tout l’appareil historique du FLN. Ce sont tous ces gangsters qui se partagent l’essentiel des rentes pétro-gazières. Le clientélisme a été érigé en mode de gouvernance par Bouteflika, qui a organisé une gigantesque politique de redistribution de la manne financière (issue des hydrocarbures) pour arroser (inégalement) toutes les catégories sociales : anciens combattants, ménages, automobilistes, usagers de transports en commun, agriculteurs, débiteurs, locataires d’HLM, retraités, banquiers, entrepreneurs, etc. Il va sans dire que tous ces citoyens “arrosés” sont sollicités pour réélire le président ou ses partisans à chaque occasion.
Le mouvement semble être né sur les réseaux sociaux, sans lien apparent avec un parti, syndicat, groupe ou individus connus, en s’auto-organisant et en dirigeant ses propres manifestations, en y attirant progressivement des masses croissantes de la population. Le mouvement a également fait preuve de courage en bravant systématiquement l’interdiction de manifester, notamment dans la capitale, tout en se montrant calme et tranquille (ou “pacifique” selon les médias), refusant la confrontation physique avec les forces de l’ordre et toutes provocations pouvant faciliter la répression policière.
Pour autant, ce mouvement n’est pas de nature prolétarienne. Il est avant tout interclassiste : en son sein se rassemblent pêle-mêle aussi bien des ouvriers (actifs ou réduits au chômage) que nombre d’éléments de la petite-bourgeoisie (cadres, notables, avocats, commerçants, petits chefs d’entreprise…). Le résultat est que dominent les revendications sur le terrain de la bourgeoisie : démocratie, légalisme… La classe ouvrière est diluée, elle n’est pas à la tête de ce mouvement.
L’autre caractéristique majeure de ce mouvement est son contenu fortement nationaliste, illustré par la présence massive et permanente du “drapeau national algérien” dans toutes les manifestations. En clair, il est loin de penser à s’unir ou à manifester sa solidarité avec les prolétaires des autres pays. Pourtant, par exemple, depuis décembre, des mouvements au Soudan s’expriment aussi massivement contre le terrible plan d’austérité du gouvernement soudanais, dirigé par un autre vieux dictateur Omar Al-Bachir, qui vient d’ailleurs d’être “déposé” par l’armée dans l’espoir de “calmer” la colère de la rue.
De fait, au lieu de s’emparer du mot d’ordre “prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”, le mouvement social actuel préfère s’unir avec toutes les forces “démocratiques algériennes” (prétendument “non corrompues”). Sont en fait pratiquement dissoutes ou noyées, toutes les revendications véritablement prolétariennes contre le chômage massif, la dégradation des conditions de travail et de vie, etc. Au contraire, dominent les revendications “citoyennes” portées par la petite-bourgeoisie notamment dans le milieu étudiant où nombre de professeurs profitent des AG pour donner des cours sur la Constitution, les institutions et leur fonctionnement, ceci en vue de construire un “nouveau système plus démocratique”. De plus en plus des voix proposent même une issue à la “tunisienne”, c’est-à-dire l’instauration d’élections “libres et démocratiques”. Cette piste semble avoir les faveurs de la sphère de la bourgeoisie algérienne “éclairée”, des “gouvernements amis” de l’Algérie (notamment la France et l’UE) et de tous les autres pays qui redoutent d’être confrontés à de nouvelles vagues de migrants ou des incursions armées sur leur territoire (particulièrement les pays du Sahel).
Si certains médias parlent tantôt d’un “nouveau printemps arabe”, tantôt de “révolution”, en réalité, le mouvement d’Algérie s’inscrit surtout dans le sillage des plus grandes fragilités de la contestation de 2011/2012. L’actuel mouvement algérien prend quasi-exclusivement la forme de grandes manifestations, sans ou peu de grèves alors qu’en Tunisie et en Égypte, les manifestations s’accompagnaient d’importants mouvements de grèves touchant directement la production, les services publics et les transports. Pourtant, en 2011, le “printemps arabe” avait aussi débuté en Algérie, et même avec une extrême vigueur : “On oublie, mais le printemps arabe a commencé en janvier 2011 dans les grandes villes de l’Algérie presque en même temps qu’en Tunisie. Pour une fois, le mouvement a été national, n’épargnant aucune région, d’Alger à Annaba. Du 5 au 10 janvier la jeunesse a défilé, souvent derrière un drapeau tunisien, pour le pain et la dignité. (…) Un habitant de ces quartiers présent avoue sa surprise : “Je suis né ici, j’ai presque 50 ans et je n’ai jamais vu cela”. (…) Les autorités sont parvenues in extremis à contenir tant bien que mal les manifestations (…) en multipliant les promesses : les légumes secs ont été ajoutés aux douze produits alimentaires dont les prix sont réglementés et/subventionnés, les salaires relevés souvent jusqu’à 80 % avec dix-huit mois ou plus de rappel”. (Manière de voir, supplément du Monde diplomatique, mars 2012). À l’époque donc, le régime de Bouteflika était parvenu à étouffer le mécontentement.
Pendant longtemps, le pouvoir algérien a fait face aux mouvements sociaux avec les armes dites “de la carotte et du bâton”. La carotte, en puisant quelques miettes dans les caisses de l’État (grâce aux prix élevés de l’or noir). Le bâton, en réprimant violemment les mouvements sociaux. Il faut se rappeler que la “décennie noire” (une guerre civile qui s’est soldée par 200 000 morts) des années 1990-2000 après l’écrasement sanglant du mouvement de grèves et de manifestations de 1988 se traduisant par 500 morts dans les rangs des grévistes. Aujourd’hui, il n’y a plus de “carotte”. La situation économique est désastreuse, avec un prix du baril en chute libre et des caisses d’État dévalisées par le clan mafieux gouvernemental. Reste le “bâton”...
Dans toutes les couches de la société, l’heure est à la dislocation du grand clan de Bouteflika et aux règlements de comptes. Pour ce dernier, l’enjeu est énorme car c’est une question de vie ou de mort, pour lui-même et sa famille. En effet après sa démission, le président ne veut pas subir le même sort que ses congénères tunisien et égyptien, Ben Ali et Moubarak, “dégagés” par le “printemps arabe” de 2011, qui ont connu la prison (ou l’exil) et la confiscation de leurs biens (des dizaines de milliards de dollars pour chacun). On comprend mieux pourquoi Bouteflika s’accrochait coûte que coûte au pouvoir en misant sur le “pourrissement” du mouvement et le soutien du chef de l’armée qui a fini par le renverser en cherchant, lui aussi, à sauver sa tête. Dès lors, la question est de savoir si les militaires vont préférer taire leurs divergences claniques pour préserver leurs “intérêts communs” en réprimant le mouvement actuel avec cependant le risque de reproduire une “nouvelle décennie noire” ou soutenir la carte de la démocratie et du renouvellement avec toutes les incertitudes que cela comporte. Dans les deux cas, la classe ouvrière sera perdante : écrasée dans un bain de sang ou assommée par la propagande bourgeoise martelant les “vertus” de la “démocratie”, pour mieux maintenir son système d’exploitation.
Lors du premier “Printemps arabe” en 2011, nous écrivions : “C’est le prolétariat occidental, par son expérience et sa concentration, qui porte la responsabilité de donner une véritable perspective révolutionnaire. Les mouvements des Indignés en Espagne et des Occupy aux États-Unis et en Grande-Bretagne se sont explicitement référés à la continuité des soulèvements en Tunisie et en Égypte, à leur immense courage et leur incroyable détermination. Le cri poussé lors du “printemps arabe”, “Nous n’avons plus peur”, doit effectivement être source d’inspiration pour tout le prolétariat mondial. Mais c’est seulement le phare de l’affirmation des assemblées ouvrières, au cœur du capitalisme, dressées contre les attaques du capitalisme en crise qui peut offrir une alternative permettant réellement le renversement de ce monde d’exploitation qui nous plonge toujours plus profondément dans la misère et la barbarie. Il ne faut pas que la classe ouvrière minimise le poids réel dont elle dispose dans la société, de par sa place dans la production mais aussi et surtout dans ce qu’elle représente comme perspective pour toute la société et pour l’avenir du monde. En ce sens, si les ouvriers d’Égypte et de Tunisie ne doivent pas se laisser berner par les mirages de l’idéologie bourgeoise démocratique, il est de la responsabilité de ceux des pays centraux de leur montrer le chemin. C’est en Europe particulièrement que les prolétaires ont la plus longue expérience de confrontation à la démocratie bourgeoise et aux pièges les plus sophistiqués dont elle est capable. Ils se doivent donc de cueillir les fruits de cette expérience historique et d’élever bien plus haut qu’aujourd’hui leur conscience. En développant leurs propres luttes, en tant que classe révolutionnaire, ils briseront l’isolement actuel des luttes désespérées qui secouent nombre de régions à travers la planète et réaffirmeront la possibilité d’un nouveau monde pour toute l’humanité”.
Il en est de même aujourd’hui : un mouvement social dans lequel domine l’idéologie petite-bourgeoise et démocratique est une plaie pour l’ensemble du prolétariat mondial ; il indique l’exact opposé du chemin à prendre, celui de la lutte de la classe ouvrière, sur son terrain, ses grèves, ses assemblées générales, ses mots d’ordre. C’est au prolétariat d’Europe tout particulièrement que revient cette lourde tâche d’être le phare des exploités du monde.
Amina, avril 2019
Lorsque l’on parle de black blocs, nous avons immédiatement à l’esprit des images de casseurs encagoulés, entièrement vêtus de noir, qui n’hésitent pas à détruire tout ce qui peut symboliser le capitalisme. Ces groupes font désormais partie du paysage de nombreuses manifestations. Comme nous l’écrivions en 2018 : “L’origine des black blocs est à chercher à la fin des années 1980 où la police de Berlin-Ouest invente l’expression schwarze block (bloc noir) pour désigner certains manifestants d’extrême-gauche cagoulés et armés de bâtons, eux-mêmes s’inspirant du mouvement Autonomia, né en Italie dans les années 1960. Leurs actions spectaculaires se répètent en 1999, à Seattle contre la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; à Gênes, en juillet 2001, en se fondant dans des marches pacifiques d’opposants au G8 ; à Strasbourg, en 2009, en marge du 60e anniversaire de l’OTAN ; en octobre 2011, à Rome, lors de la journée mondiale des Indignés contre la crise et la finance mondiale ; en février 2014, aux côtés des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ; en juillet 2017, à Hambourg, dans les manifs anti-G20 ; à l’occasion des manifestations contre la “loi travail” en France, cette même année…” 1)
Avec le mouvement des “gilets jaunes” et ses scènes de violences hebdomadaires, les images spectaculaires des affrontements entre les black blocs et la police ont largement fait le tour des médias. D’autant plus que la partie la plus radicale des “gilets jaunes” s’est mise à les soutenir et à les applaudir, quand ils ne leur ont pas prêté main forte.
L’idéologie activiste est largement répandue dans les milieux anarchistes et gauchistes en général. Dans un texte sur les black blocs publié par deux anarchistes berlinois sur le site anarkhia.org, on peut lire ceci : “Aujourd’hui, sans avoir fait le recensement de toutes les nouvelles publications, il n’est pas anodin de voir un intérêt subit pour des personnages comme Blanqui, agitateur du XIXe siècle et apologue de l’émeute qui semblait depuis longtemps oublié, réédité récemment avec une nouvelle préface qui parvient à lui redonner son actualité. Cela sans mentionner le succès en librairie d’un texte évocateur au titre aussi suggestif que “L’insurrection qui vient”” et un peu plus bas, dans les lectures suggérées : “Maintenant, il faut des armes” d’Auguste Blanqui, republié par La Fabrique, une maison d’édition gauchiste. Comme on peut le voir, les black blocs se réfèrent aux premières heures du mouvement ouvrier en récupérant des figures comme celle d’Auguste Blanqui ; certes, un des promoteurs de l’action violente d’une minorité comme moteur de la lutte, mais dont la nature du combat est toute autre que celle de l’idéologie véhiculées par les black blocs.
Le courant blanquiste, malgré ses propres faiblesses, est en effet l’expression d’un réel effort de combat du prolétariat dans la première moitié du XIXe siècle pour se constituer en classe et affirmer la perspective communiste. Or, les black blocs n’ont strictement rien à voir avec cette tradition politique.
Pourquoi récupèrent-ils, aujourd’hui, l’héritage d’une des figures majeures des premières heures de la lutte du prolétariat contre le capital ? Alors que la bourgeoise cherche sans arrêt à discréditer l’arme théorique du prolétariat (notamment depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc de l’Est stalinien), la profonde hostilité des black blocs à l’égard du marxisme “autoritaire” explique leur attrait pour des figures comme Blanqui. Ce dernier n’a jamais véritablement adhéré à l’Association Internationale des Travailleurs qu’il percevait comme un lieu de “parlotte” et non comme un moyen d’action révolutionnaire. Blanqui voyait, en effet, l’action violente minoritaire comme le seul mode d’action capable de mobiliser le prolétariat pour renverser la société et construire le socialisme. Cela, à une époque où la classe ouvrière ne pouvait pas prendre le pouvoir du fait de son immaturité.
Politisé très tôt dans un contexte de lutte contre la monarchie (Charles X et Louis-Philippe), Blanqui militait au sein d’organisations secrètes, dans un tout autre contexte que celui d’aujourd’hui, et était souvent en première ligne lors de divers coups de force et complots. Évidemment, la répression lui fera passer de très nombreux séjours en prison au cours de sa vie, à tel point qu’il sera surnommé “l’enfermé”. Peut-être est-ce la force de ce qui en a fait un mythe qui fascine aujourd’hui tant nos radicaux encagoulés ? Malgré les échecs, malgré la répression, Blanqui garda une détermination et une combativité sans faille (jusque devant les juges qui l’accusent de tous les maux) et ce sont là des qualités essentielles qui ont sans doute contribué à sa popularité. À ce propos, Engels écrira même : “l’instinct révolutionnaire de Blanqui, sa résolution ne sont pas donnés à tout le monde”.
Blanqui fut donc un élément moteur et un leader reconnu dans de nombreux mouvements de lutte. C’est certainement cette qualité qui n’échappait pas à la bourgeoisie qui a poussé Thiers à remettre expressément Blanqui en prison à la veille de la Commune de Paris, le 17 mars 1871. En effet, tirant le bilan de la Commune dans La Guerre civile en France, Marx écrit “Le véritable meurtrier de l’archevêque Darboy, 2) c’est Thiers. La Commune, à maintes reprises, avait offert d’échanger l’archevêque et tout un tas de prêtres par-dessus le marché, contre le seul Blanqui, alors aux mains de Thiers. Thiers refusa obstinément. Il savait qu’avec Blanqui, il donnerait une tête à la Commune ; alors que c’est sous forme de cadavre que l’archevêque servirait au mieux ses desseins”. Bien entendu, le succès ou l’échec de la Commune de Paris n’était pas conditionnés par la seule présence de Blanqui. Mais il est probable que toute une série d’hésitations et d’erreurs aurait pu être évitée du fait de son expérience et de son crédit au sein du mouvement (par exemple, l’erreur de laisser partir librement le gouvernement de Thiers à Versailles…)
Ainsi, Blanqui était un véritable combattant de la classe ouvrière qui a apporté une contribution à la lutte révolutionnaire du prolétariat. Sa conception de l’insurrection, toujours orientée vers la prise du pouvoir de la classe ouvrière, n’a strictement rien à voir avec les bris de vitrines des magasins, les incendies de poubelles et la confrontation stérile avec les forces de répression pratiqués par les black blocs.
Face à la société capitaliste, Blanqui fut un des premiers à défendre la nécessité d’une dictature du prolétariat comme perspective de lutte révolutionnaire. Ce n’est pas le cas des black blocs, dont l’idéal petit-bourgeois fait au contraire la promotion de l’individu et du démocratisme libertaire sous autant de variantes qu’il existe de militants engagés dans ce mouvement hétéroclite “anti-autoritaire”. Un mouvement dont l’unité est seulement cimentée par une volonté de violence, d’affrontements avec la police et de destruction.
Dans un article de 1874, “Le programme des émigrés blanquistes de la Commune”, Engels écrit : “Blanqui est essentiellement un révolutionnaire politique ; il n’est socialiste que de sentiment, par sympathie pour les souffrances du peuple, mais il n’a pas de théorie socialiste ni de projets pratiques de transformation sociale. Dans son activité politique, il fut avant tout un “homme d’action” qui croyait qu’une petite minorité bien organisée pourrait, en essayant au bon moment d’effectuer un coup de main révolutionnaire, entraîner à sa suite, par quelques premiers succès la masse du peuple et réaliser ainsi une révolution victorieuse”.
Cette conception fondée sur des actions d’éclat d’une minorité déterminée perd de vue qu’il ne peut y avoir de réel renversement du capitalisme sans un mouvement massif et conscient du prolétariat. Cette adhésion à un projet politique ne peut se faire en quelques jours à la suite d’une action héroïque et à l’initiative de quelques-uns. Il s’agit, au contraire, d’un processus historique basé sur un combat qui est nécessairement long et parsemé d’embûches. Rien à voir, donc, avec l’activisme sans perspective des black blocs ou l’agitation stérile de quelques milliers de manifestants radicaux prêts à en découdre.
De plus, l’action révolutionnaire n’a surtout de sens que si elle se situe dès le départ dans une perspective de renversement du pouvoir à l’échelle mondiale. Cela suppose donc une compréhension précise du rapport de force entre les classes au niveau international, comme condition de la réussite du mouvement, une condition totalement étrangère à la façon de penser et à la pratique des black blocs qui agissent ponctuellement, avec des œillières localistes, au gré des événements internationaux.
Dans l’article cité plus haut, Engels poursuit : “Ces idées sur la marche des événements révolutionnaires sont nettement périmées, en tout cas pour le parti ouvrier allemand, et en France même elles ne peuvent séduire que les ouvriers les moins mûrs ou les plus impatients. Nous verrons également que, dans le programme en question, ces idées ont subi certaines restrictions. Mais nos blanquistes londoniens s’inspirent, eux aussi, du principe que les révolutions ne se font pas d’elles-mêmes ; qu’elles sont l’œuvre d’une minorité assez restreinte qui agit suivant un plan préétabli ; enfin, que cela va “commencer bientôt”, d’un moment à l’autre”. En effet, la conception blanquiste se caractérise par un fort poids de l’immédiatisme, c’est-à-dire une volonté de faire “bouger les masses” tout de suite, quel que soit le contexte.
Cette caractéristique qui constituait en réalité une grave faiblesse pour le mouvement ouvrier se retrouve aujourd’hui, sous des formes encore totalement étrangères à la classe ouvrière chez des groupes activistes petits-bourgeois comme les black blocs. Sans perspective claire et solide, le désespoir est fatalement au bout du chemin. Du fait de la perte de son identité de classe et de son incapacité momentanée à développer ses luttes, la classe ouvrière peut être influencée par ces moyens d’action certes spectaculaires mais totalement stériles et dangereux.
En effet, loin de faire effectivement “bouger les masses” ou même de provoquer un début de mobilisation, l’activisme “radical” des black blocs conduit à la négation même de la lutte du prolétariat. La véritable boussole des révolutionnaires n’est pas la recherche de la confrontation en soi, mais l’expérience pratique du mouvement ouvrier et les leçons historiques que l’on peut tirer de cette expérience pour développer un réel combat de classe.
L’histoire nous enseigne que ce qui fait la force du prolétariat, c’est sa massivité et sa capacité à s’unir au-delà des frontières nationales et du cadre étriqué du corporatisme syndical. Cela, par une démarche consciente qui se nourrit de la théorie révolutionnaire, théorie que méprisent souverainement les activistes de tout poil, en premier lieu les black blocs.
Il y a tout juste cent ans, la vague révolutionnaire mondiale débutée en Russie montra le chemin aux générations futures. Elle nous enseigne comment l’unité de la classe se construit dans la lutte au moyen des armes que sont les assemblées générales ouvertes, puis les conseils ouvriers, l’élection de délégués responsables et révocables, la recherche de la solidarité de classe et de l’extension des luttes par la grève de masse. Cela, les black blocs l’ignorent ou le voient comme quelque chose d’anecdotique, de limité, voire de “réformiste” ! Ils préfèrent foncer tête baissée dans “l’action” qu’ils cherchent à transformer en une sorte de “guérilla urbaine” censée “affaiblir l’État”. À la limite, seul compte le coup d’éclat lui-même, celui d’un pavé lancé contre les flics ou d’une grille arrachée.
La recherche de la confrontation systématique avec l’appareil de répression bourgeois est pourtant un piège stérile que la bourgeoisie n’a aucun mal à retourner contre notre classe. Cette violence aveugle et stérile fait pleinement le jeu de l’État bourgeois en lui donnant une justification au renforcement et au déchaînement de la répression, contribuant ainsi à la paralysie du prolétariat dans la peur. Elle permet également à la classe dominante d’instiller la confusion au sein de la classe ouvrière en assimilant ces agissements nihilistes à l’action “révolutionnaire” et aux méthodes de lutte de la classe ouvrière.
La violence et l’insurrection armée s’inscrivent pleinement dans la perspective révolutionnaire quand la question de la prise du pouvoir se pose. Mais la nature de cette violence insurrectionnelle du prolétariat est totalement différente des expressions de révolte désespérée et sans lendemain véhiculées par les black blocs. Car elle ne pourra être mise en œuvre que par une classe dont la force réelle réside dans le développement de sa conscience et du caractère associé, solidaire et organisé de son action. La violence de la classe ouvrière s’inscrit dans une perspective politique et historique émancipatrice, celle du renversement d’un système basé sur l’exploitation et la violence des rapports sociaux, pour l’édification d’un autre type de société, sans classes ni exploitation : le communisme.
Marius, 18 avril 2019
1 “Black blocs : la lutte prolétarienne n’a pas besoin de masque”, Révolution Internationale n° 471 (juillet-août 2018).
2 Darboy était l’archevêque de Paris au moment de la Commune. Il fut gardé comme otage (avec une soixantaine d’autres prisonniers) pour faire pression sur les Versaillais. Soumis à de multiples provocations et à une répression impitoyable, les fédérés exécutèrent les otages, ce qui servit de prétexte à Thiers pour finir d’écraser la Commune dans la barbarie la plus impitoyable et sanglante.
La police connaît depuis le début de l’année 2018 un taux de suicide record dans ses rangs. Selon l’information Service d’information et de communication de la police, 35 policiers se seraient donné la mort depuis le début de l’année 2018, un record à ce jour en France. Ce taux de suicide est supérieur de 35 % à celui qui sévit dans la population française en général.
Le prolétariat n’a pas pour habitude de se réjouir de la mort d’un être humain, même si celui-ci appartient aux forces de répression de l’État bourgeois. La classe ouvrière, seule classe révolutionnaire de la société, ne développe ni haine ni esprit de revanche. Elle est guidée par sa seule conscience qui contient à ce jour le plus haut point atteint par la morale humaine, c’est-à-dire par la morale prolétarienne. Par conséquent, la classe ouvrière exclut l’assassinat comme moyens de lutte. Certes, le prolétariat ne pourra pas faire l’économie de la violence de classe pour abattre la classe capitaliste, ses États et ses forces de répression. Mais l’histoire a montré que la classe des massacreurs, c’est justement la classe bourgeoise. Le sang des dizaines de milliers de fusillés, pendant les révolutions de 1848 et 1871 en France sont là pour le prouver. Comme l’ont été les massacres de masse en Allemagne et en Russie révolutionnaire par les armées capitalistes et les forces de la réaction des armées blanches russes. Sans oublier les pogroms de masse tout au long de l’histoire du capitalisme perpétrés par des fractions entières des couches petites-bourgeoises toujours aussi haineuses et souvent instrumentalisées par la classe bourgeoise elle-même.
Les policiers sont les citoyens de France les plus mal-aimés. Ils sont de ce point de vue l’exact opposé du corps des sapeurs-pompiers. Cela n’est pas dû au hasard. Bien avant le mouvement des “gilets jaunes”, tel était déjà le cas. La répression permanente de tous les mouvements sociaux et de grèves ne date pas d’aujourd’hui ! Mais depuis maintenant près de six mois que dure le mouvement des “gilets jaunes”, les bavures, les provocations et la répression ont pris des proportions rarement vues en France. Il n’y a qu’à lire à ce sujet le témoignage d’un CRS publié sur notre site en date du 19 mars dernier. La pression sur les forces de l’ordre par le gouvernement et la hiérarchie policière est totale. On ne compte plus les estropiés, les blessés, et les tabassages y compris sur des personnes qui ne manifestaient même pas ! Tout cela est perpétré par des policiers touchant des salaires misérables, malgré les primes récemment octroyées par le gouvernement ! Ce niveau de répression ordonné par l’État dans une situation d’épuisement des forces de l’ordre ne pouvait que pousser une petite minorité d’entre eux à s’interroger sur le sens du sale boulot qu’on leur demande d’effectuer. Les ordres donnés, semaine après semaine, de gazer, matraquer ou tirer sur les manifestants, y compris les plus vulnérables comme les personnes âgées ou des adolescents, ne peuvent que provoquer un profond désarroi, voire de la honte qui, conjugués à un lourd épuisement, provoquent de véritables “crises de conscience” et poussent même certains policiers à se donner la mort.
Les tags des casseurs en tout genre et autres black blocs, les “flics, suicidez-vous !” adressés aux policiers par des “gilets jaunes” décervelés sont tout simplement inacceptables. Ces slogans haineux, animés par le désir de se venger des bavures et de la répression violente ne sont d’ailleurs pas tombés dans les oreilles d’un sourd et ont même été largement exploités par les médias. Immédiatement et pendant des jours et des jours, ces slogans pourris ont tourné en boucle sur toutes les télévisions et ont fait la Une de tous les journaux. Bon nombre d’hommes politiques bourgeois se sont insurgés et se sont drapés d’une indignation hypocrite. Car c’est leur police qui ne fait là que son travail, celui qui consisterait à protéger les valeurs républicaines et la sacro-sainte propriété privée que l’on traiterait ainsi ! Macron, son gouvernement et son célébre ministre de l’Intérieur Castaner y sont tous allés de leurs petites larmes avec un seul mot à la bouche : il faut renforcer les moyens de notre police ainsi dénigrée et harcelée. Il faut davantage de policiers, davantage de gendarmes, de CRS, de flashballs et de blindés. La classe bourgeoise utilise donc cyniquement les comportements nihilistes d’une petite-bourgeoisie et d’un lumpen-prolétariat en voie de putréfaction pour tenter d’enchaîner la population et la classe ouvrière derrière son État et la défense de ses intérêts de classe. Voilà à quoi sert le désespoir des couches de la société en voie de décomposition, gagnées par la colère, l’impuissante et l’absence d’avenir. Face à la violence de la classe dominante, la petite-bourgeoisie réagit, elle aussi, de manière suicidaire. Tous les ouvriers qui seraient tentés de suivre ce chemin doivent savoir qu’il mène tout droit à l’impasse et à la répression étatique des luttes ouvrières.
Plus le capitalisme est en crise, plus il attaque les conditions de vie du prolétariat et plus il renforcera son appareil répressif. C’est à une violence concentrée, organisée, spécialisée, entretenue, en constant développement et perfectionnement auquel le prolétariat aura affaire. C’est pour cela que les révolutionnaires ont toujours affirmé que la prise du pouvoir par la classe ouvrière signifiera la suppression de tous les moyens de répression de masse propre aux États bourgeois. Comme la révolution en Russie en 1917 l’a montré, ce n’est que dans les moments où le prolétariat est en mesure de monter à l’assaut du pouvoir de la bourgeoisie que des parties entières des forces de répression peuvent rejoindre la révolution en marche. Tel était le sens de l’appel de Trotsky à cette époque aux forces de répression tsariste qu’étaient les cosaques. “La lutte du prolétariat, comme toute lutte sociale, est nécessairement violence mais la pratique de sa violence est aussi distincte de la violence des autres classes et couches comme sont distincts leur projet et leur but. Sa pratique, y compris la violence est l’action d’immense masses et non de petites minorités ; elle est libératrice. l’acte d’accouchement d’une société nouvelle harmonieuse et non la perpétuation d’un état de guerre permanent, chacun contre tous et tous contre chacun”.1 Elle est la négation vivante de tous ces appels au meurtre et au suicide collectif, porteur d’une idéologie totalement déshumanisée et barbare.
Kern, 15 mai 2019
1 “Résolution : Terrorisme, terreur et violence de classe”, Revue Internationale n° 15, 4e trimestre 1978.
Le 15 avril dernier, les images spectaculaires de Notre-Dame en flammes faisaient le tour du monde. Une vive émotion s’emparait de la planète : cette cathédrale est l’un des plus beaux et impressionnants chefs-d’œuvre de Paris, un joyau de l’architecture gothique dont la construction s’est étendue sur pas moins de deux siècles et qui inspira de nombreux artistes : Victor Hugo, bien sûr, mais aussi le cinéaste Jean Delannoy ou le chanteur libertaire Léo Ferré. Les flammes ont notamment emporté la flèche de la cathédrale, œuvre de Viollet-le-Duc, et l’impressionnante charpente en bois de chêne datant du XIIe et du début du XIIIe siècle. L’architecture sublime de Notre-Dame n’a rien à voir avec celle de la Basilique du Sacré-Cœur, ce pompeux chou à la crème bâti à la va vite au sommet de la butte Montmartre pour célébrer la répression de la Commune de Paris et exorciser “les malheurs qui désolent la France et les malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore” (1) (ceux d’une “odieuse” révolution prolétarienne !)
L’incendie n’était pas encore éteint que les politiciens, gouvernement en tête, se précipitaient sur le parvis de Notre-Dame (ou sur les plateaux de télévision), larme de crocodile à l’œil, pour réaliser, telle Esméralda, leur numéro de saltimbanques devant les caméras. “Demain, nous reconstruirons tout, pierre par pierre, poutre par poutre, ardoise par ardoise”, déclarait ainsi l’ancien porte-parole du gouvernement (et postulant à la mairie de Paris), Benjamin Griveaux. “Meurtrissure pour nous tous. Nous reconstruirons Notre-Dame”, s’élevait le flamboyant mathématicien (et postulant à la mairie de Paris), Cédric Villani. “Tous solidaires face à ce drame”, s’écriait l’eurodéputée (et, elle aussi, postulante à la mairie de Paris), Rachida Dati. Au même moment, la maire de Paris (et candidate à sa propre réélection), Anne Hidalgo, serrait dans ses bras le chef de l’État, Emmanuel Macron, venu, le visage sombre, jouer son petit numéro de père de la nation : “C’est la cathédrale de tous les Français, même de ceux qui n’y sont jamais venus”.
Sans surprise, la bourgeoisie et ses médias sont partis à la chasse aux boucs-émissaires : qui est LE responsable ? Qui a oublié d’éteindre son fer à souder ? Qui n’a pas vérifié telle ou telle installation électrique ? D’autres ont plus clairement dénoncé le flagrant manque de moyens en affirmant sournoisement que la préservation du patrimoine ne représente “que” 3 % des 10 milliards d’euros du budget du ministère de la Culture, sous-entendu : les artistes, les théâtres, les salles de concert (le “spectacle vivant” en langage technocratique) coûtent trop cher !
Mais derrière les fougueuses déclarations d’amour à Notre-Dame et la recherche de boucs-émissaires, la froide réalité du capitalisme s’impose encore et toujours. Pour maintenir compétitif le capital national, l’État opère des coupes budgétaires partout où cela est possible : éducation, hôpitaux, prestations sociales, culture… tout y passe ! Ainsi, à l’exception des monuments les plus visités (c’est-à-dire rentables et, d’ailleurs, victimes d’une sur-fréquentation causant des dommages évidents), Macron et consorts se soucient comme d’une guigne des “vieilles pierres” trop coûteuses en entretien. Depuis 2010, le déjà ridicule budget alloué à la préservation du patrimoine a ainsi diminué de 15 %. (2) Cette année, le gouvernement prévoyait de consacrer seulement 326 millions d’euros à la préservation et à la restauration de pas moins de 44 000 “monuments historiques”. Heureusement, le président jupitérien a confié au chroniqueur mondain reconverti en historien de pacotille, Stéphane Bern, la mission de sauver le “patrimoine des Français”. Une loterie et quelques polémiques plus tard, l’animateur de télévision levait 19 millions d’euros… une paille comparée aux besoins.
Le cas de l’Italie est encore plus révoltant. L’exceptionnel patrimoine de la péninsule est littéralement en train de tomber en ruines suite à des coupes budgétaires massives rendues nécessaires par la crise et l’accroissement de la compétition mondiale : le site archéologique de Pompéi est dans un état désolant, le Colisée de Rome commence à montrer de graves signes de fragilité, tout comme le musée des Offices à Florence. Les monuments qui ne se trouvent pas sur les autoroutes touristiques sont, eux, carrément laissés à l’abandon. L’incendie du musée national de Rio de Janeiro, le 2 septembre 2018, relève de la même incurie de l’État brésilien qui est directement responsable de la perte de la quasi-totalité des 20 millions d’objets que renfermait le bâtiment, dont un fossile humain de 12 000 ans.
L’ensemble des spécialistes qui se sont exprimés depuis l’incendie de Notre-Dame, historiens de l’art, conservateurs ou architectes du patrimoine ont tous fait état d’un manque cruel de moyens et d’une très inquiétante dégradation des monuments. Didier Rykner, rédacteur en chef de La Tribune de l’art, a ainsi dénoncé le laxisme des normes de sécurité sur les chantiers de monuments historiques : “Il y a déjà eu une série d’incendies de ce type. Les prescriptions pour les travaux sur monuments historiques étaient insuffisantes. (…) Un architecte du patrimoine m’a dit qu’on aurait pu éviter ça avec certaines mesures”. (3) En effet, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame est loin d’être un cas isolé : “J’ai visité, il y a quelque temps, l’église de la Madeleine. J’ai pris des photos de prises électriques dans tous les sens… ce n’est absolument pas aux normes. Demain, la Madeleine peut flamber”. En 2013, l’hôtel Lambert et ses décors peints du XVIIe siècle, situés non loin de la cathédrale, sur l’île Saint-Louis, étaient également partis en fumée pendant des travaux de rénovation. Plus récemment, le 17 mars dernier, un incendie frappait l’église Saint-Sulpice dans le VIe arrondissement de Paris. Maintenant, un nouveau “grand débat” est ouvert : Macron est-il réaliste quand il promet aux Français que “leur” cathédrale sera reconstruite “plus belle encore” d’ici cinq ans ? Faut-il reconstruire la charpente à l’identique en bois de chêne ou en béton ?, etc.
Quand il s’agit de faire la guerre, la bourgeoisie se moque bien du patrimoine. Bombardements, incendies, destructions volontaires… la classe dominante ne manque pas d’imagination pour pulvériser les “grands trésors du monde” (Trump).
Lorsque Macron affirme : “nous avons bâti des villes, des ports, des églises”, il oublie de préciser que ce fut aussi sur les cendres de ce qu’avaient érigé d’autres “peuples de bâtisseurs”. Ainsi par exemple, la capitale du Vietnam, Hanoï, qui regorgeait de pagodes millénaires d’une grande beauté, fut sauvagement saccagée par l’impérialisme colonial français à la fin du XIXe siècle avec la bénédiction de l’Église catholique : le monastère Bao Thien (qui datait du XIe siècle) et la pagode Bao An furent ainsi volontairement incendiés au nom de l’évangélisation de la population autochtone bouddhiste. Entre 1882 et 1886, sur les cendres du monastère Bao Thien, les colons édifièrent, sur le modèle de Notre-Dame, la très laide et imposante cathédrale Saint-Joseph, symbole de la France coloniale, le tout financé, ironie de l’histoire… par une loterie nationale ! Le monastère Bao Thien, c’était aussi huit siècles d’histoire ravagés par les flammes d’un incendie criminel de la République française qui occupait le Tonkin !
Il en fut de même de la destruction du vieux temple et de la cité aztèque de Tenochtitlan, rasés par les colonisateurs espagnols aux ordres d’Hernan Cortés [719], qui fit édifier une église, devenue cathédrale sous Charles Quint et n’ayant rien de comparable avec les chefs-d’œuvre de l’art gothique, roman ou baroque.
En 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés du camp démocratique bombardèrent la ville de Dresde, déversant sur une des plus belles cités d’Allemagne, la “Florence sur l’Elbe”, un torrent de fer et de feu. Dresde n’avait aucun intérêt stratégique sur le plan militaire et était même surnommée : la “ville-hôpital” avec ses 22 hôpitaux : près de 1 300 avions balancèrent des bombes incendiaires qui firent environ 35 000 victimes et anéantirent entièrement la vieille ville. La démocratie à l’œuvre contre le fascisme ! Il s’agissait surtout pour la bourgeoisie victorieuse de raser les grandes métropoles ouvrières de Hambourg comme de Dresde pour s’assurer qu’aucune tentative d’insurrection prolétarienne ne puisse surgir contre la barbarie guerrière (comme ce fut le cas en 1918 avec la révolution allemande).
D’après l’UNESCO, institution à qui le panier de crabes impérialistes onusien a confié la protection du “patrimoine mondial” : “la dégradation ou la disparition d’un bien du patrimoine culturel et naturel constitue un appauvrissement néfaste du patrimoine de tous les peuples du monde”. Quand, jour après jour, les “États membres” transforment le Moyen-Orient, de la Syrie au Yémen, en véritable champ de ruines, quand les grandes puissances démocratiques, États-Unis, France ou Royaume-Uni en tête, déversent chaque jour des tapis de bombes sur la planète, il y a de quoi vomir devant tant d’hypocrisie ! Personne ne s’étonnera donc que Trump, président de la première puissance impérialiste mondiale, préconise d’envoyer stupidement des “bombardiers d’eau” pour arroser Notre Dame ! (4)
“C’est à nous, les Françaises et les Français d’aujourd’hui, qu’il revient d’assurer cette grande continuité qui fait la nation française”, déclarait Macron le lendemain de l’incendie de la cathédrale. Pour assurer la “grande continuité qui fait la nation française”, le gouvernement appelait, le soir même de la catastrophe, à la “générosité des Français” et mettait en place une “collecte nationale”.
La bourgeoisie s’en est mis plein les poches pendant des années sans rien sécuriser, sans rien entretenir et n’a aucun scrupule à désormais racketter le “citoyen” et le petit contribuable, en lui demandant de mettre la main à la poche au nom de la sauvegarde du symbole de la nation française. Tout le “peuple” de France, bourgeois et prolétaires devrait désormais se rassembler autour de la reconstruction de la cathédrale, parce que c’est “notre destin” (Macron) ! Les grandes et richissimes familles bourgeoises ont d’ailleurs montré l’exemple en débordant de “générosité”, chacune se bousculant au portillon pour être parmi les premières à vouloir remplir la cagnotte et étaler son hypocrite “philanthropie”.
La bourgeoisie a su instrumentaliser l’émotion pour lancer une nauséabonde campagne d’union nationale où tout le peuple de France est appelé à partager les larmes des grenouilles de bénitier de l’Église catholique, des grands patrons de la bourgeoisie, de Sarkozy à Mélenchon et de tous les “élus” de droite comme de gauche. Lorsque Macron promet de rebâtir Notre-Dame, “et je veux que cela soit achevé d’ici cinq années”, il n’a qu’un seul objectif, pathétiquement chauvin : finir les travaux avant les Jeux olympiques de Paris pour soigner et astiquer “l’image de la France”.
La classe ouvrière ne peut fonder sa perspective révolutionnaire que sur la véritable préservation du patrimoine culturel, artistique et scientifique de l’humanité, un patrimoine que le capitalisme ne peut que continuer à détruire ou à laisser s’effondrer morceau par morceau. Pour le prolétariat, l’art n’est pas un marché juteux ou une pompe à touristes ; il aspire plutôt à bâtir la première culture universelle et vraiment humaine de l’Histoire, une culture où aucun monument, aucun chef-d’œuvre ne sera le symbole du prestige de telle ou telle nation. Car le but ultime de la lutte révolutionnaire du prolétariat contre le capitalisme est l’abolition des frontières et des États nationaux. Dans la société communiste du futur, les œuvres d’art seront toutes considérées comme des “merveilles du monde” et des symboles de la créativité et de la puissance de l’imagination propre à l’espèce humaine.
En hommage à ce grand artiste que fut Léon Tolstoï, Trotski écrivait d’ailleurs : “S’il ne sympathise pas avec nos buts révolutionnaires, nous savons que c’est parce que l’histoire lui a refusé toute compréhension de ses voies. Nous ne le condamnerons pas pour cela. Et nous admirerons toujours en lui non seulement le génie, qui vivra aussi longtemps que l’art lui-même, mais aussi le courage moral indomptable qui ne lui permit pas de rester au sein de son Église hypocrite, de sa Société et de son État, et qui le condamna à rester isolé parmi ses innombrables admirateurs”.
EG, 22 avril 2018
1Alexandre Legentil, l’un des initiateurs de l’édification du Sacré-Cœur, cité par Paul Lesourd, Montmartre (1973).
2“Quelle politique patrimoniale la France va-t-elle mener pour éviter que ne se répètent ces tragédies ? [720]”, Le Monde (19 avril 2019).
3“Pourquoi les historiens de l’art et spécialistes du patrimoine sont en colère [721]”, France Info (16 avril 2019).
4Trump est tellement idiot qu’il ne se doutait pas qu’un largage aérien de trombes d’eau sur Notre Dame aurait provoqué un choc thermique et entraîné l’effondrement de la structure de la cathédrale !
Matamoros est une ville de l’État de Tamaulipas, qui est considérée comme l’une des régions les plus dangereuses du Mexique. Elle est le théâtre d’affrontements incessants entre les gangs mafieux qui se querellent pour leurs zones de contrôle, semant la mort et la terreur. Les enlèvements, l’extorsion et les meurtres sont des phénomènes auxquels sont fréquemment confrontés les habitants de cette région, mais il en va de même pour les migrants, mexicains ou centraméricains, qui doivent traverser la zone pour atteindre les États-Unis. 1 Matamoros, bien qu’étant marquée par cet environnement effroyable, fait partie de la zone frontalière industrielle formée à la fin des années 1960, qui a pu être renforcée et étendue au milieu des années 1990 grâce à l’ALENA. 2 Rien que sur cette partie de la frontière, près de 200 maquiladoras, 3 qui ne sont plus de petites et moyennes usines comme dans les années 1970, ont été installées. Certaines d’entre elles sont de grandes entreprises implantées sur différents sites et ont un effectif pouvant atteindre deux mille ouvriers.
Dans ces usines, les ouvriers travaillent à des rythmes effrénés. Depuis 2002, leur temps de travail est passé de 40 heures à 48 heures par semaine, tout en maintenant des salaires quasi-bloqués depuis 15 ans, avec parfois des variations annuelles minimes. Cependant, afin de pouvoir maintenir les seuils de productivité et d’importants bénéfices, il faut impérativement entretenir une surveillance ainsi qu’un contrôle technique et politique au sein de l’usine par le biais de superviseurs et de contremaîtres, mais plus encore au travers de l’organisation syndicale. Une productivité élevée et de bas salaires (qui rivalisent avec ou égalent les maigres salaires des ouvriers chinois) sont la combinaison qui a permis à ces projets d’investissement de faire de gros profits, mais la présence vigilante des syndicats est essentielle pour assurer la soumission des ouvriers et la pérennité de cette situation.
Compte tenu du climat général à la frontière, du contrôle politique féroce imposé aux usines de Matamoros par les syndicats et la direction, il semblait peu probable qu’une réaction ouvrière voit le jour dans cette zone, et plus encore, qu’elle puisse exprimer une grande combativité et une forte capacité à créer des liens de solidarité. Tout cela montre que la classe ouvrière a un potentiel et des capacités de lutte toujours vivants, mais qu’elle ne parvient pas à prendre le contrôle de son combat. Le poids de la confusion et le manque de confiance en ses forces est néanmoins un problème qui a caractérisé les mobilisations.
L’appareil gauchiste du capital assure que ce qui s’est passé récemment à Matamoros était une “révolte ouvrière”, d’autres affirment qu’il s’agissait d’une attaque contre le Président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et de sa “quatrième transformation”, tandis que d’autres parlent d’une “grève sauvage de masse” Ces affirmations, en plus d’être fausses, sont trompeuses et attaquent directement les ouvriers : elles tendent un voile sur la réalité afin d’éviter que ces derniers puissent tirer les leçons de leurs luttes.
Le slogan qui a unifié et mobilisé les ouvriers pendant un peu plus d’un mois, et leur permettait de simplifier leur revendication, était “20-32” : augmentation de salaire de 20 %, et versement d’une prime de trente-deux mille pesos (1 660 dollars). Le principal élément déclencheur ayant alimenté le mécontentement et animé la lutte a donc été la dégradation des conditions de vie des ouvriers, mais le contrôle exercé par les syndicats a canalisé cette combativité. Dès le début des mobilisations, une méfiance à l’égard des syndicats s’est exprimée, mais à aucun moment les ouvriers ne sont parvenus à comprendre que les syndicats n’étaient plus des instruments dont ils pouvaient se servir afin de défendre leurs intérêts. C’est pourquoi ils se sont soumis à leurs pratiques, faisant toujours preuve d’indécision et d’une certaine naïveté. Au début, lorsque le mécontentement ouvrier commençait à s’étendre, ils ont cru possible de “faire pression” sur le “leader syndical” et de l’obliger à “prendre leur défense”. Puis, cette indécision s’est transformée en confusion généralisée lorsque les ouvriers ont considéré qu’il suffisait de recevoir des “conseils juridiques honnêtes” pour faire valoir leurs “droits”.
En plaçant leurs espoirs dans les lois et dans une avocate pour “défendre leur intérêts”, la mobilisation ouvrière s’est affaiblie et la confusion a gagné du terrain. En se sentant “protégés” par l’avocate, ils n’ont plus cherché à prendre le contrôle de leur lutte, ce qui souligne un grave problème auquel est actuellement confrontée la classe ouvrière : le manque de confiance en ses propres forces et son absence d’identité de classe.
Cette difficulté a conduit à ce que, malgré leur méfiance à l’égard des organisations syndicales, ils sont restés sous leur contrôle et sur leur terrain, celui qu’encadrent les lois du travail. Ce sont ces mêmes lois qui donnent du pouvoir aux syndicats, en tant que signataires de conventions collectives. En s’accrochant fermement aux directives syndicales, les ouvriers ont cédé le contrôle de la lutte au syndicat lui-même, en lui permettant de contenir le mécontentement, de museler la combativité, et d’imposer le respect des lois bourgeoises, empêchant ainsi la réalisation d’une véritable unification des forces ouvrières, qui s’organiserait hors du syndicat.
En réduisant la lutte au simple respect des lois, les ouvriers, même s’ils s’affichent dans la rue de manière unie et qu’ils tiennent des assemblées générales, au moment de faire face au patron, à l’État et au syndicat, agissent séparément, usine par usine et contrat par contrat. C’est ce que prévoit la législation bourgeoise, qui de cette manière, divise et isole les travailleurs. Au bout du compte, les lois sont faites pour soumettre les exploités.
Alors, est-il possible de lutter hors du syndicat, et au-dessus des lois ? La classe ouvrière, de par son histoire, a connu diverses expériences qui confirment cette possibilité. Par exemple, en août 1980, les ouvriers polonais ont organisé une grève de masse qu’ils contrôlaient véritablement. Ni le déclenchement de la grève, ni la construction de leurs organes unitaires de combat n’étaient conformes aux directives légales, mais ils ont réussi à étendre la mobilisation à tout le pays et à imposer une négociation publique avec le gouvernement. Le caractère massif des mobilisations et leur capacité d’organisation leur ont permis de créer une grande force capable de prévenir la répression. 4
Le mécanisme que l’État polonais a utilisé pour diviser et affaiblir les travailleurs a précisément été le même qu’emploient toutes les bourgeoisies du monde entier : les syndicats. Avec la création du syndicat Solidarność (dirigé par Lech Walesa), l’État a brisé l’organisation et l’unité des travailleurs, ce qui lui a permis d’enfin étendre la répression. Quelque temps plus tard, le leader syndicaliste, Lech Walesa, est nommé chef de l’État polonais.
Les ouvriers et particulièrement ceux de Matamoros doivent recouvrer leur capacité d’analyse ; l’expérience de la grève de masse en Pologne et de sa répression en est le meilleur exemple. Elle montre clairement que le syndicat est une organisation qui agit à l’encontre des ouvriers et qu’il ne suffit pas de s’en méfier : il est impératif de s’organiser en dehors de lui, et en dehors de son terrain de mobilisation.
La première grande leçon à tirer de la lutte des ouvriers des maquiladoras est que le syndicat est une arme de la bourgeoisie. 5 L’attitude éhontée des syndicats, en poussant les ouvriers à accepter une augmentation plus faible et à rejeter la prime, révèle de façon claire qu’ils ne sont désormais plus un instrument du prolétariat (comme c’était alors le cas au XIXe siècle). Les menaces et les agressions directes perpétrées par les Syndicats des travailleurs Journaliers et des Ouvriers Industriels et de l’Industrie Maquiladora (SJOIIM) et par le Syndicat industriel des travailleurs des usines de Maquiladoras et d’assemblage (SITPME) ont seulement confirmé ouvertement que les intérêts qu’ils défendent ne sont plus ceux des ouvriers. En opérant sous couverture dans les rangs prolétariens, ils se révèlent être des armes de la bourgeoisie, tels des loups déguisés en moutons.
Au cours des grèves, les syndicats ont agi en défendant les intérêts du patronat, c’est pourquoi la majorité des ouvriers, lors des mobilisations, ont fait part de leur rejet des dirigeants syndicaux, Juan Villafuerte et Jesús Mendoza, et que les cris “dehors les syndicats !” ont retenti sans cesse dans chaque usine et chaque manifestation. Ceci met en évidence le courage des ouvriers et la défiance envers les syndicats. Cependant, les ouvriers sont restés enfermés dans cette forme de bravoure et de combativité, sans réussir à la dépasser. Parce qu’ils n’ont pas confiance en leur propre force, au lieu de prendre le contrôle de la lutte, en s’organisant de façon unifiée en une structure qui les amènerait à rompre complètement avec la domination du syndicat et la division sur laquelle il joue, ils ont reproduit le même schéma : officiellement, ils ont cessé de suivre passivement la direction “traîtresse” du syndicat, pour suivre tout aussi passivement la “nouvelle direction” informelle, représentée par leur conseillère juridique, l’avocate Susana Prieto, qui a utilisé ses compétences de juriste 6 pour replacer la lutte de classe dans le cadre de la législation bourgeoise, et qui a suscité un espoir dans la création d’un syndicat “indépendant”, qui disputerait la convention collective aux anciennes organisations syndicales.
Le travail de confusion, de soumission et de contrôle que réalisent les syndicats n’est pas l’apanage de certains pays ou de certains syndicats, ils sont tous des armes de la bourgeoisie. Peut-on considérer qu’il existe une différence entre le SNTE et la CNTE ? 7 L’un utilise un langage traditionnel, tandis que l’autre a recours à des discours et des actions d’une apparente radicalité, alors que leur objectif est le même : la soumission et le contrôle des ouvriers.
Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement de AMLO encourage très discrètement la création d’organisations syndicales qui lui permettront d’utiliser et d’orienter le mécontentement des ouvriers vers un affrontement avec des anciennes organisations syndicales, principalement associées au Parti de la Révolution Institutionnelle (PRI, comme c’est le cas de la CTM, la CROM et la CROC). 8 López Obrador n’a pas seulement “sauvé” le chef mafieux du Syndicat mexicain des mineurs et des métallurgistes, Napoleón Gómez Urrutia (“Napito”) de son prétendu exil au Canada, où il vivait luxueusement depuis les deux derniers sexennats, pour faire de lui un sénateur, mais surtout pour que celui-ci façonne une “nouvelle fédération syndicale”. Quelques mois après son retour à Mexico, “Napito” a créé la Confédération Internationale des Travailleurs (CIT), englobant des syndicats qui se sont détachés de la CTM et de la CROC, et a également conclu des alliances avec des syndicats américains et canadiens, en particulier l’AFL-CIO et les Métallos. 9
Le président Lopez Obrador, lors de son discours du 14 février dernier, a affirmé que le gouvernement n’interviendrait pas dans la vie des syndicats. Il a néanmoins ajouté : “Nous ne pouvons pas empêcher les travailleurs ou les cadres de pouvoir, conformément à la loi, de demander la création d’un nouveau syndicat” (d’après le quotidien La Jornada). 10 C’est dans cette optique qu’apparaissent de “nouveaux” syndicats, avec ceux qui cherchent à affaiblir les anciens syndicats répondant aux intérêts de fractions bourgeoises différentes de celles qui gravitent désormais autour du nouveau gouvernement. C’est ainsi que des projets syndicaux “alternatifs” ont vu le jour au sein de l’IMSS, de la PEMEX et de l’UNAM. 11
Au XIXe siècle, les syndicats ont été un instrument important du combat et de l’unité des ouvriers. Le capitalisme lui-même, en développant les forces productives, a permis la mise en œuvre de réformes économiques et sociales améliorant les conditions de vie des travailleurs. Aujourd’hui, il est impossible pour le système capitaliste d’apporter des améliorations durables au sort des ouvriers. Cette situation a conduit les syndicats à perdre leur caractère prolétarien et à leur intégration dans l’État. C’est pourquoi à chaque lutte que mènent les travailleurs, ces derniers trouvent le syndicat en train d’essayer de contenir et de saboter la lutte, en assujettissant le mécontentement aux directives des lois bourgeoises, en créant des confusions et des craintes pour affaiblir la confiance et ainsi empêcher l’unité et l’extension de la lutte.
La mobilisation menée par les ouvriers des maquiladoras a sans aucun doute été un événement très combatif, mais elle n’a pas pu éviter que la majeure partie des ouvriers s’illusionnent sur les lois et le syndicat lui-même, car s’est étendu l’espoir confus selon lequel les lois, ainsi que les syndicats, s’ils sont dirigés “de manière honnête”, pourraient perdre leur nature anti-prolétarienne. Même la référence au décret de Lopez Obrador (“Décret sur les mesures d’incitation fiscale dans la région frontalière du Nord”) 12 pour montrer la “légalité” de l’augmentation salariale dans les maquiladoras, a permis de voir que la confusion est encore plus profonde, car elle nourrit l’espoir que le nouveau gouvernement puisse améliorer les conditions de vie des travailleurs. De plus, le gouvernement d’AMLO a profité de la mobilisation des travailleurs pour montrer à son partenaire nord-américain sa volonté de se conformer aux augmentations salariales dans les usines des secteurs automobiles et électroniques installées au Mexique, comme l’exige le gouvernement de Trump dans les accords ALENA 2.0 (ou rebaptisés USMCA, États-Unis-Mexique-Canada Agreement).
Il ne suffit pas de quantifier le nombre d’usines dans lesquelles le cahier des charges a été accepté pour faire le point sur les mobilisations. Cet aspect est important, mais il n’est pas suffisant. Pour avoir une vision plus large, il est nécessaire d’évaluer la force massive que les mobilisations ont pu unifier, mais il est surtout primordial de prendre en considération le niveau de conscience qui a été atteint et qui s’est exprimé au travers de formes organisationnelles que le mouvement a pu prendre. Par exemple, le manque de contrôle de la mobilisation par les travailleurs eux-mêmes et la dispersion à la fin de la plupart des grèves brisent les liens de solidarité et permettent que des représailles aient lieu. Selon les chiffres officiels, 5 000 ouvriers ont été licenciés pour avoir participé à la grève.
Pour résumer, les grèves ont permis à une combativité ouvrière, motivée par la dégradation de ses conditions de vie, de voir le jour, mais la bourgeoisie a rapidement soumis ces élans de courage, en entretenant le voile illusoire “du respect démocratique” des lois et en empêchant le développement de la conscience.
Plus grave encore, les problèmes qui se sont développés au cours de la mobilisation pourraient s’étendre et s’aggraver. Le manque de réflexion, et l’enthousiasme avec lequel les grèves ont été levées ont créé un environnement très propice au renouvellement des illusions dans les lois et dans les nouvelles organisations syndicales. La “conseillère juridique” des ouvriers a elle-même déclaré que durant la “seconde phase” du mouvement 20-32, ils s’orienteront vers la formation d’un syndicat “indépendant” qui concurrencera les anciennes organisations syndicales, et qui, en plus de cela, établira à Matamoros un cabinet d’avocats “honnêtes” pour “défendre” les ouvriers. Encore plus d’illusions et plus de confusion, c’est tout ce qui risque de se propager. La seule issue pour les ouvriers face à cette offensive est la lutte, en s’assurant d’en prendre le contrôle, et de réfléchir de manière approfondie sur la nature des syndicats et leur intégration à l’appareil d’Etat partout dans le monde.
Tatlin, avril 2019
Révolution Mundial, organe du CCI au Mexique
1 En 2010, a été faite une découverte macabre de 79 corps de migrants centraméricains. L’année suivante, en 2011, une fosse contenant environ 200 corps a été trouvée, bien que certaines sources ont déclaré qu’il y avait en réalité près de 500 cadavres.
2 ALENA : Accord de Libre-échange Nord-Américain signé par les États-Unis, le Canada, le Mexique, entré en vigueur en 1994 et renégocié par Trump dans l’ALENA 2.0.
3 Les maquiladoras, sont des usines de montage en zone franche qui assemblent des biens importés exemptés de droits de douane et destinés à être intégralement réexportés. Ce sont pour la plupart des usines de l’industrie textile ou des usines d’assemblages du secteur automobile. Elles servent aussi à retenir et à surexploiter une main-d’œuvre migrante latino-américaine à l’intérieur et tout le long de la zone frontalière mexicaine (NdT).
4 Sur l’expérience de la Pologne en 1980, voir “Grève de masse en Pologne 1980 : une nouvelle brèche s’est ouverte”, Revue Internationale n° 23 (4e trimestre 1980) et “Un an de luttes ouvrières en Pologne”, Revue Internationale n° 27 (4e trimestre 1981).
5 Voir notre brochure “Les syndicats contre la classe ouvrière”.
6 Nous n’avons pas l’intention de nous perdre en conjectures concernant “l’honnêteté” de l’avocate Susana Prieto. Le principe de sa profession l’amène à évoluer dans le cadre des lois bourgeoises. Le fait qu’elle maintienne une sympathie et un soutien (comme elle l’a elle-même déclaré) au gouvernement de López Obrador, la place sur un terrain clairement bourgeois.
7 SNTE : Syndicat National des Travailleurs de l’Éducation (syndicat officiel). CNTE : Centrale Nationale des Travailleurs de l’Éducation (syndicat “dissident”)
8 CTM : la Confédération de Travailleurs du Mexique, a été créée en 1936. CROM : la Confédération Régionale Ouvrière Mexicaine, fondée en 1918. CROC : la Confédération Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans, formée en 1952.
9 L’American Federation of Labor – Congress of Industrial Organizations, dite AFL-CIO, est la plus grande organisation et fédération syndicale des États-Unis, regroupant également des syndicats tel que les Métallos (United Steelworkers) du Canada dont “Napito” a une grande expérience de toutes les arcanes après y avoir exercé de hautes fonctions pendant 12 ans (entre 2006 et 2018) avant de rentrer au Mexique pour se faire élire sénateur sous l’étiquette du parti d’AMLO, Morena.
10 Il y a derrière cette illusion, une véritable lutte entre fractions bourgeoises pour le contrôle de l’appareil d’encadrement syndical, les syndicats traditionnels, largement discrédités, étant une courroie de transmission des anciens gouvernements (en particulier du PRI) alors que les “nouveaux” syndicats, dits “indépendants”, qui fleurissent aujourd’hui, sont plus ou moins ouvertement instrumentalisés par le nouveau gouvernement : pour gagner ce contrôle face à ses concurrents au sein de la bourgeoisie et parce qu’il est conscient de la nécessité et de l’urgence de recrédibiliser l’appareil syndical dont l’image est fortement ternie par l’implication de la plupart de ses dirigeants dans la corruption généralisée qui règne dans le pays, face aux attaques en préparation contre la classe ouvrière et ses luttes à venir (NdT).
11 IMSS : Institut Mexicain de la Sécurité Sociale. PEMEX : La première compagnie pétrolière mexicaine avec un rayonnement international. UNAM : Université nationale autonome du Mexique, considérée comme l’une des meilleures au monde.
12 Le 10 décembre 2018, le gouvernement de AMLO, a présenté un programme afin d’encourager l’emploi et l’investissement dans la zone frontalière. Leur objectif est de coopter une partie des migrants mexicains et centraméricains, dans le but de ralentir les flux migratoires vers les États-Unis.
Dernièrement, un fait-divers a discrètement fait les titres de quelques “petits” journaux et passant quasiment inaperçu dans les grands médias : le salaire de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, est gracieusement alimenté par une maternité déficitaire. Ce ponte syndical est, en effet, payé par la CGT-métallurgie, elle-même propriétaire de centres de réadaptation professionnelle et… d’une maternité dans le 12e arrondissement parisien à laquelle ce syndicat fait payer un loyer exorbitant (plus d’un million d’euros par an !), contribuant à mettre les comptes de la maternité dans le rouge et nécessitant, au bout du compte, la mise en œuvre d’un plan social.
À première vue, la CGT, propriétaire d’une maternité, ça peut surprendre, mais la réalité du fonctionnement de l’État bourgeois est implacable : derrière ce petit fait divers, toute la logique du fonctionnement des syndicats, en France comme ailleurs, est mis en lumière. En tant que force d’encadrement de la classe ouvrière, les syndicats sont pleinement intégrés à l’État bourgeois qui les finance en très grande partie. (1)
Mais ces larges subsides ne semblent pas suffire, il leur faut en plus mettre en œuvre tout un tas de magouilles pour, notamment, financer le train de vie dispendieux de leurs dirigeants. Pour ce faire, les moyens ne manquent pas : capital immobilier, placements, organismes et établissements à faire fructifier. En clair : des entreprises capitalistes à faire tourner, des salariés à exploiter… Ainsi, les syndicats eux-mêmes participent à l’extraction de la plus-value dans certaines entreprises qu’ils sont amenés à gérer directement, se nourrissant du surtravail et participant à l’exploitation pour garantir un train de vie et des locaux de choix. Cela, sur le dos des salariés qui payent l’addition.
Si certains ont pu imaginer que le syndicat, en tant que “bon” patron immobilier, fasse un geste social, “solidaire” envers les employés de sa maternité. Que nenni ! Impossible de baisser le loyer, explique-t-on à la CGT, car celui-ci “contribue au financement de plusieurs postes de permanents de la fédération pour l’activité syndicale” (sic !). La CGT est donc au service de l’emploi… mais de l’emploi de ses sbires et de sa nomenklatura ! Non contents d’avoir des boîtes à faire tourner, les syndicats (car la CGT n’est pas la seule) ont des permanents et toute une bureaucratie syndicale à entretenir afin de pouvoir assurer leur rôle de saboteurs des luttes, d’encadrement et de flicage de la classe ouvrière.
Ces diverses magouilles ou opérations capitalistes ne diffèrent en rien de celles des grandes entreprises ou de la bureaucratie étatique, avec leurs placements financiers, détournements de fonds, corruption, opacité des comptes… Les magouilles institutionnalisées ne sont en fait qu’un rouage du fonctionnement quotidien de ces organes de l’État.
Entre autres exemples, nous pouvons citer les frais de fonctionnement injustifiés du Comité d’entreprise d’Air France, d’EDF, de la SNCF, les 130 000 euros octroyés pour la rénovation de l’appartement de fonction de Thierry Lepaon, l’ancien secrétaire général de la CGT (un scandale qui obligea le syndicat à l’écarter et nommer… Martinez à sa place). (2)
Autres exemples encore plus outranciers de ces mœurs bourgeoises : selon un rapport de la Cour des Comptes, comme tous les bourgeois ou les Comités d’Entreprise des grands groupes, les syndicats et les “œuvres sociales” qu’ils contrôlent apprécient aussi la vie de château : château de Courcelle-sur-Yvette, dans l’Essonne, pour la CGT, devenu “Centre Benoit-Frachon”, château de Bierville, à Boissy-la-Rivière, non loin d’Étampes, pour la CFDT, où l’on discute retraites, temps de travail et épargne salariale à l’ombre d’un colombier du XIVe siècle. FO, quant à elle, forme ses stagiaires au cœur de la forêt de Compiègne, au château de la Brévière… On croit rêver !
Tout ça au service de quoi ? Officiellement, bien sûr, au service de la classe ouvrière, au service de sa lutte et de son émancipation, et contre les patrons. Les salariés licenciés de la maternité du 12e, comme tous ceux que le CGT exploite sans vergogne, apprécieront la bonne blague !
Mais l’indignation ne suffit pas. Dénoncer ces dérives et en appeler comme le font bon nombre de syndicalistes militants sincères, au retour d’un syndicalisme “propre”, “moral”, “éthique” et “solidaire”, vraiment au service de la lutte ouvrière, est une chimère qui cache l’essentiel. Ces magouilles et ces fastes, dignes des pires patrons, ne sont pas des dérapages ponctuels d’une poignée de dirigeants véreux, non ils sont la conséquence de ce que sont vraiment devenus les syndicats : des rouages de l’État, des structures aux mains de la bourgeoisie pour défendre son système d’exploitation en détruisant de l’intérieur des entreprises les tentatives de luttes ouvrières.
Depuis plus d’un siècle, les syndicats et le syndicalisme n’appartiennent plus à la classe ouvrière. (3) Ni dans leurs structures, ni dans leurs objectifs, ni dans leur fonctionnement.
Stopio, 26 avril 2019
(1) En 2016, les syndicats ont reçu 83 millions d’euros de la part de l’État via le fonds de financement du dialogue social, dont près de 19 millions d’euros pour la CGT. Les anciens dirigeants syndicaux sont également souvent intégrés, en marge des commissions parlementaires ou “groupes de travail”, en tant que “personnalités qualifiées”. C’est le cas de Bernard Thibault, ex-leader de la CGT, qui a participé en 2015, par exemple, à un “groupe de travail sur l’avenir des institutions” (tout un programme !) présidé par Claude Bartolone et Michel Winock.
(2) Dans la liste des “scandales” récents qui éclaboussent régulièrement les syndicats, on peut évoquer celui du fichage et de la surveillance étroite par FO de ses membres. Lire notre article : “Listing à FO,derrière le scandale, la logique du Capital !”, Révolution internationale n° 473 (nov.-déc. 2018).
(3) Voir notre brochure : “Les syndicats contre la classe ouvrière”.
Gaza, Liban, Syrie, Irak, Afghanistan, Yémen… la spirale infernale du chaos impérialiste ne cesse de plonger le Moyen-Orient dans la barbarie la plus profonde, concentrant sur cette région du monde ce que le capitalisme décadent a de plus ignoble. Après des décennies de déstabilisations, d’invasions, de guerres civiles et de toutes sortes de conflits meurtriers, c’est l’Iran qui se trouve à nouveau dans l’œil du cyclone. En 2015, sous l’ère Obama, l’Iran signait avec les membres du conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne, un accord visant à contrôler son programme nucléaire en échange d’une levée des sanctions économiques qui frappent le pays depuis des décennies. Soutenu par les “faucons” américains, le Premier ministre israélien et la monarchie saoudienne, Donald Trump n’a cependant cessé, depuis son arrivée au pouvoir, de dénoncer “le pire accord de l’histoire” avant d’annoncer, en mai 2018, que les États-Unis s’en retiraient définitivement. (1)
Depuis, les tensions et les provocations se sont multipliées de toute part. Les États-Unis ont ouvert le bal en rétablissant un embargo féroce. Un an plus tard, l’Iran menaçait de suspendre ses engagements en augmentant ses réserves d’uranium enrichi, déclenchant une nouvelle salve de sanctions. Quelques jours avant l’annonce de Téhéran, invoquant d’obscures “indications d’une menace crédible”, les États-Unis déployaient dans le Golfe persique le porte-avions USS Abraham Lincoln et plusieurs bombardiers. Selon le New York Times, le Pentagone prévoirait de mobiliser pas moins de 120 000 soldats supplémentaires au Moyen-Orient. L’USS Arlington et le système de défense aérienne Patriot ont déjà pris la route du détroit d’Ormuz où transite une part importante de la production pétrolière mondiale.
Le 13 juin, un mois après le sabotage de quatre navires dans les mêmes eaux, la pression montait à nouveau d’un cran, suite à l’attaque de deux tankers norvégien et japonais que Trump attribuait à l’Iran en dépit des dénégations de ces derniers. (2) Une semaine plus tard, l’Iran abattait un drone américain accusé d’avoir survolé le territoire iranien. Dénégation, cette fois, de Trump qui lançait aussitôt ses bombardiers avant de se raviser à la dernière minute. Et tout cela au milieu des invectives, des menaces et des déclarations belliqueuses ! (3)
De toute évidence, Trump, qui ne s’embarrasse même plus des mystifications de rigueur sur la guerre “propre” et “humanitaire”, joue la stratégie de ce qu’il a lui-même nommé : la “pression maximale”, l’armée américaine n’ayant pas intérêt à ouvrir un nouveau front. Mais force est de constater que tous les ingrédients d’un dérapage guerrier sont réunis : une stratégie qui a fait la preuve de son inefficacité face à la Corée du Nord, des troupes prêtes au combat des deux côtés de la frontière, des va-t-en-guerre cyniques au sommet de l’administration américaine comme de l’État iranien… La stratégie très audacieuse de la “pression maximale” est surtout celle du risque maximum de guerre !
Trump peut bien jouer les gros bras avec ses déclarations à l’emporte-pièce, ces tensions sont en réalité la manifestation très claire de l’affaiblissement historique du leadership américain. Lors de ses aventures militaires en Irak (1990 et 2003) et en Afghanistan (2001), l’Amérique a pu faire la démonstration de son incontestable supériorité militaire, mais elle a également fait étalage de son impuissance croissante à maintenir un minimum de stabilité dans la région et à obliger ses alliés de l’ancien bloc occidental à resserrer les rangs autour d’elle. Cet affaiblissement devait finalement déboucher sur l’incapacité des États-Unis à engager leurs forces terrestres en Syrie, laissant le champ libre à leurs rivaux régionaux, au premier chef desquels se trouvent la Russie mais également l’Iran.
Téhéran a ainsi pu s’ouvrir un véritable corridor militaire à travers l’Irak et la Syrie, jusqu’à son allié historique, le Hezbollah libanais, suscitant l’ire de son principal concurrent arabe dans la région, l’Arabie saoudite, et d’Israël qui a déjà mené des raids aériens contre les positions iraniennes en Syrie. De même, au Yémen, théâtre d’une guerre des plus atroces, l’Iran décrédibilise très sérieusement l’Arabie saoudite, principale puissance militaire de la région et pivot de la politique américaine au Moyen-Orient.
Dans ce contexte, l’ancien président Obama ne pouvait que se résigner à négocier un deal avec Téhéran : les États-Unis permettaient à Téhéran de se rebrancher à l’économie mondiale si l’État iranien acceptait de réfréner ses ambitions impérialistes, notamment par l’abandon de son programme nucléaire. Obama avait aussi derrière la tête une vieille stratégie de déstabilisation consistant à desserrer, par l’ouverture économique, l’emprise de la bourgeoisie locale sur sa population et susciter ensuite des révoltes pour renverser le régime en place.
Encore embourbés en Afghanistan, confrontés à des alliés européens qui traînent de plus en plus les pieds, les États-Unis sont désormais contraints de s’appuyer davantage sur leurs alliés régionaux pour mener à bien leur politique d’endiguement de l’Iran. C’est la raison pour laquelle Trump a récemment multiplié les gages de soutien en direction d’Israël et de l’Arabie saoudite : fourniture massive d’armes à l’Arabie saoudite dans sa guerre au Yémen, reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État hébreu, soutien de Trump au prince héritier saoudien après l’assassinat de l’opposant Jamal Khashoggi… Si les décisions musclées et spectaculaires de Trump répondent à des besoins tactiques immédiats, cette stratégie ne fera, de toute évidence, qu’accélérer davantage le processus de contestation du leadership américain, en général, et le chaos au Moyen-Orient, en particulier.
S’il est clair que la bourgeoisie américaine vise l’écroulement du régime des mollahs, elle demeure néanmoins divisée sur la manière de procéder. L’entourage de Trump est en partie constitué de va-t-en-guerre notoires voire, à l’image de son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, de cow-boys sans foi ni loi à la gâchette facile. Bolton s’était, en effet, déjà illustré par son ardeur en faveur de l’invasion de l’Irak sous la présidence de Bush junior. L’Iran et ses ambitions impérialistes sont désormais ses cibles. Voici ce que ce responsable de la politique étrangère américaine écrivait déjà en 2015 dans le New York Times : “La vérité qui dérange, c’est que seule l’action militaire (…) peut accomplir ce qui est nécessaire. (…) Les États-Unis pourraient faire un travail minutieux de destruction [des installations nucléaires iraniennes], mais seul Israël peut faire ce qui est nécessaire. Une telle action devrait s’accompagner d’un soutien vigoureux des États-Unis à l’opposition iranienne, en vue d’un changement de régime à Téhéran”. (4) On ne pourra pas reprocher à Bolton de ne pas avoir de la suite dans les idées, ni d’être un hypocrite ! Pas un mot, pas une once de compassion pour ceux qui se trouveront sous les bombes américaines et iraniennes.
Mais les ambiguïtés et décisions contradictoires de Trump, au-delà des gesticulations irréfléchies du personnage, s’expliquent aussi par le fait qu’une partie de la bourgeoisie américaine, plus consciente de l’affaiblissement des États-Unis, demeure attachée à la méthode plus habile d’Obama. Trois élus républicains de la Chambre des représentants, dont leur chef de file, Kevin McCarthy, ont ainsi dû signer un communiqué qui appelle le gouvernement, en chœur avec le parti démocrate, à réagir de manière plus “mesurée” face à l’Iran. Mais la “mesure” dont parlent ces politiciens bourgeois n’est évidemment qu’un synonyme de “contorsions” car les États-Unis se trouvent face à un dilemme insoluble : soit ils encouragent l’offensive de leurs rivaux en n’intervenant pas directement, soit ils alimentent encore plus la contestation et le chaos en déployant leurs troupes. Quoi qu’ils fassent, les États-Unis ne peuvent échapper, comme toutes les autres puissances impérialistes, à la logique et aux contradictions du militarisme.
Des grandes puissances aux groupuscules fanatiques, des puissances régionales aux richissimes pétro-monarchies, les vautours sont assoiffés de sang ! Uniquement préoccupés par la défense de leurs cupides intérêts impérialistes, ils ne se soucient guère des cadavres qui s’amoncellent, des innombrables réfugiés jetés sur les routes, des villes en ruine, des vies broyées par les bombes, la misère et la désolation. Tous ces fauteurs de guerre vomissent chaque jour les mots hypocrites de “paix”, de “négociation” ou de “stabilité”, mais la barbarie extrême qui s’enracine toujours davantage témoigne de la putréfaction de leur système : le capitalisme.
EG, 1er juillet 2019
1 Alléchés par l’aubaine d’un nouveau marché à conquérir, les autres pays signataires, y compris européens, ont tenté de maintenir l’accord avec l’Iran. En représailles, Trump a menacé de sanctionner les entreprises qui ne respecteraient pas le nouvel embargo américain, ce qui a sensiblement contenu les velléités européennes.
2 À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’origine de l’attaque est sujette à caution. Si l’Iran a parfaitement pu chercher à envoyer un message à Trump, vu la tradition de manipulation des grandes démocraties (comme en témoigne encore l’invention des “armes de destruction massive” irakiennes), il n’est pas à exclure que les États-Unis ou un de leurs alliés aient organisé un coup pour faire davantage monter la pression.
3 Les tensions ne cessent, encore aujourd’hui de croître : Téhéran vient d’annoncer avoir franchi le seuil de réserve d’uranium prévu par l’accord de 2015 et Israël a de nouveau bombardé des positions iraniennes en Syrie.
4 “To stop Iran’s bomb, bomb Iran”, The New York Times, (26 mars 2015). Traduit par nous.
Les élections européennes qui se sont tenues en mai ont ravivé le piège du cirque électoral et de la mystification démocratique sur un terrain que les prolétaires n’ont aucun intérêt à défendre. Elles ont aussi redessiné quelque peu le paysage du parlement européen. Si les conservateurs et les sociaux-démocrates restent les principales forces politiques à Bruxelles, il n’en demeure pas moins qu’ils ont subi un véritable revers en perdant respectivement 43 et 36 sièges. Comme on pouvait s’y attendre, les partis populistes voient leur nombre de sièges augmenter mais on est loin du raz-de-marée annoncé par les analystes en tous genres au cours des semaines ayant précédé l’élection ! La véritable “surprise” reste la percée des écologistes, glanant près de 30 sièges supplémentaires, alors que ce courant politique était un peu en difficulté sur l’échiquier politique bourgeois depuis quelques années.
Il n’aura échappé à personne que la bourgeoisie développe depuis plusieurs mois une intense campagne de propagande sur la question climatique (1) afin de mobiliser la classe ouvrière ainsi que la future jeunesse exploitée sur le terrain de l’écologie et de la défense de la démocratie. Cela pour détourner encore l’attention de la question centrale posée par la logique meurtrière et destructrice du système capitaliste.
Il n’est pas difficile d’entrevoir les effets de cette campagne lors de ces élections. D’une part, toutes les tendances politiques ont pu se réjouir de l’envolée du taux de participation en hausse de 9 points par rapport à 2014. Elles ont toutes applaudi ce score jamais vu pour des élections européennes et ont savouré la “victoire de l’Europe et de la démocratie” en martelant que ces Européennes consacraient la véritable souveraineté des peuples du vieux continent. Il semblerait que les jeunes générations se soient largement mobilisées pour venir aux urnes ce coup-ci. C’est une chose suffisamment rare pour être signalée, elles qui d’habitude sont pointées du doigt par tous les faiseurs de pensée de la bourgeoisie, accusées de négliger “leur devoir de citoyens” ! Pour ces élections, près de 40 % des 18-35 ans se sont déplacés selon l’institut de sondage Ipsos. C’est 14 points de plus que lors des élections de 2014. En France, près de 51 % des 18-35 ans sont allés voter, le plus gros score depuis 25 ans. Cette gonflée des urnes serait-elle due à une poussée subite “d’européophilie” de la part des jeunes générations ? Certainement pas ! Ces futurs exploités ont surtout été influencés par le mouvement Youth for climate et par son égérie Greta Thunberg qui préconisaient de faire pression sur la classe politique afin que cette dernière prenne des mesures énergiques contre le réchauffement climatique et la destruction de la planète. Comme nous l’avons affirmé en mars dernier au moment où cette mobilisation battait son plein : “Les manifestations se concentrent sur la réalisation de “conversations” avec des ministres, des parlementaires, des groupes de pression et des militants écologistes. Cela ne sert qu’à laver le visage de l’État démocratique et à se perdre dans le labyrinthe des lois et des politiques gouvernementales. Les tentatives de “dialogue” avec les porte-parole politiques ne débouchent que sur des promesses grandiloquentes qui ne résolvent rien”. (2)
Il ne fait pas de doute que la part significative des votes des 18-24 ans (28 %) et des 25-34 ans (25 %) en faveur d’Europe Ecologie Les Verts en France est une conséquence directe de toute cette grande mobilisation écologiste qui dure depuis des mois partout dans le monde, dans la rue et véhiculée par les médias. Face au discrédit des partis traditionnels et au peu d’engouement que soulèvent les nouvelles formations politiques, l’écologisme est un thème de mystification recyclé que la bourgeoisie a sorti de son chapeau afin de mobiliser la classe ouvrière sur le terrain électoral. Le capitalisme “vert”, soi-disant “moins prédateur” et “plus humain”, est une illusion totale qui ne vise qu’à dédouaner le capitalisme, un mode de production destructeur qui n’a plus rien à offrir à l’humanité si ce n’est de crever la gueule ouverte.
Dès le résultat des élections, les fractions les plus responsables du capital se sont également félicitées d’avoir su contenir la percée des formations populistes. Dans les semaines précédant les élections, la presse et les médias annonçaient sans ambages une déferlante populiste en passe de redéfinir l’équilibre des forces dans l’hémicycle bruxellois. Ces pronostics largement exagérés visaient à mobiliser les exploités sur le terrain de l’anti-populisme. La bourgeoisie exhortait les populations européennes à se rendre aux urnes pour défendre les institutions démocratiques en passe d’être mises en péril.
En fait, les résultats des formations populistes varient fortement selon les pays. Si la victoire de la Ligue en Italie et du Brexit party en Grande-Bretagne confirme la difficulté pour les fractions les plus responsables de ces pays de refouler le populisme au sein de l’appareil politique, il n’en est pas de même dans d’autres pays comme en France où le Rassemblement national n’a pas profité autant que prévu de la mobilisation des “gilets jaunes”. C’est également le cas en Autriche et en Allemagne où l’AfD n’est arrivé qu’en quatrième position. Par conséquent, si le populisme, comme phénomène, continue de progresser en Europe, les partis populistes, eux, sont globalement contenus. Ces élections montrent ainsi une certaine capacité de la bourgeoisie à pouvoir résister malgré tout à l’avancée du populisme. Cette fois-ci, en préparant habilement le terrain aux formations écologistes.
Le nouveau revers subi par les partis traditionnels dans plusieurs pays, la progression du populisme et la “surprise” écologiste dessinent un hémicycle européen en forme de mosaïque dans lequel on a du mal à voir se détacher une majorité parlementaire claire. Ces résultats confirment et renforcent donc la division qui règne entre les différentes bourgeoisies sur la politique de l’Union Européenne, l’antagonisme le plus aigu se situant entre les partis euro-sceptiques et les partis pro-européens. En effet, l’ancrage des fractions ultra-nationalistes favorables à la fermeture des frontières, accroît le chacun pour soi et les antagonismes politiques et économiques au sein de l’UE. Cette incapacité à mettre en œuvre une politique cohérente et coordonnée dans plusieurs domaines, affaiblit la capacité de l’UE à faire face à la concurrence venue d’Amérique ou d’Asie. Par exemple, si le Brexit est une catastrophe pour le Royaume-Uni, il affaiblit aussi fortement la puissance économique européenne.
Le morcèlement du parlement est aussi à l’origine de la foire d’empoigne qui s’est déroulée sous nos yeux au sujet de la nomination du futur président de la Commission européenne dont dépend également la nomination aux principaux autres postes importants de l’UE (présidence du conseil, chef de la diplomatie et de la sécurité, direction de la BCE, participation aux Sommets internationaux…). Le bras de fer auquel on a assisté ces dernières semaines au sujet de la candidature de Manfred Weber, le poulain d’Angela Merkel, témoigne des tensions qui s’instaurent sur le sujet entre les principaux leaders de l’Union européenne ; tous soucieux de défendre leur rang et de maintenir ou de renforcer leur influence en essayant de placer leur champion aux postes-clés.
Cet épisode a montré une nouvelle fois que le “couple franco-allemand” bat de l’aile puisque Emmanuel Macron était le principal opposant à ce qu’un proche d’Angela Merkel devienne le “chef” de l’UE. La volte-face de la présidente d’Outre-Rhin confirme l’affaiblissement de l’emprise de l’Allemagne au sein des 28, son leadership étant de plus en plus contesté par les principales puissances du continent, à commencer par la France. Les deux jours de négociations passés à Bruxelles sans le moindre résultat ont montré que l’Union européenne reste un terrain sur lequel les impérialismes européens s’expriment allègrement même si cela doit venir perturber momentanément les rouages de l’UE. Au final, les choses se sont réglées en catimini entre la France et l’Allemagne, ce qui a permis à Angela Merkel et à Emmanuel Macron de rappeler qui étaient les véritables leaders de l’Europe. Ursula von der Leyen, ministre de la défense du gouvernement Merkel est nommée présidente de la commission. En échange, la française Christine Lagarde, actuelle présidente du FMI, prendra les rênes de la BCE à compter de novembre. Ce coup de force, jetant aux orties le mode du spitzenkandidat, s’est attiré les foudres de la social-démocratie européenne et d’une partie du parlement qui élit son président en ce moment même.
Ainsi, ces luttes d’influence et ces tensions internes mettent une nouvelle fois en lumière que “l’unité européenne” n’est rien d’autre qu’un mythe. Si les bourgeoisies européennes ont de plus en plus besoin de coordonner leurs politiques pour faire face à la concurrence impérialiste extérieure et à la crise du capitalisme, cela ne met pas fin aux antagonismes au sein même de l’Europe qui, bien au contraire, ne font que se renforcer dans une Europe à 28 où chaque puissance, quel que soit son rang, veut défendre ses intérêts, les nouveaux entrants refusant de jouer les seconds couteaux.
Par conséquent, “l’idéal” de la “construction européenne” n’est en rien le signe d’un avenir meilleur mais une illusion entretenue par la classe dominante pour masquer la réalité du monde capitaliste suant par tous ses pores non seulement la concurrence acharnée entre États mais aussi le chaos, la misère et la mort que ce système sans avenir et enlisé dans ses contradictions porte dans ses entrailles.
Time, 3 juillet 2019
1 Voir à ce sujet notre article : “L’idéologie verte au service du capitalisme”, Révolution Internationale n° 476.
2 Tract international du CCI : “Le capitalisme menace la planète et la survie de l’humanité : seule la lutte mondiale du prolétariat peut mettre fin à cette menace”.
Ces dernières semaines, la situation catastrophique des hôpitaux est revenue sur le devant de la scène médiatique après le black-out qui frappait la mobilisation du personnel des urgences depuis mars.
Alors que la vague de grèves dans les services des urgences prend désormais de l’ampleur et touche plus d’une centaine d’établissements, le cri de colère du personnel hospitalier permet au gouvernement de justifier de manière cynique la “nécessité” et “l’urgence des réformes”. Ainsi, les attaques successives contre le secteur de la santé sont présentées non pas pour ce qu’elles sont, une dégradation continue des conditions de travail, mais comme une prétendue “solution nécessaire” pour dépasser les “blocages” et sortir de la “crise des hôpitaux” ! Pour la ministre de la santé, Agnès Buzyn, l’annonce, le 14 juin dernier, du déblocage par ordonnance de 70 millions d’euros pour les seuls services d’urgences cherche donc à donner du crédit à ce mensonge, à faire passer la pilule pour que soient passées, même si c’est aux forceps, les nouvelles attaques programmées par les “réformes”.
Cela fait bien longtemps que la situation ne cesse de se dégrader aussi bien dans les hôpitaux que dans les EHPAD et aucun gouvernement n’a de solution à proposer, si ce n’est de réduire toujours plus les dépenses au détriment de la santé du personnel et de celle des patients. (1) C’est bien là que se trouve le caractère ignoble et cynique du gouvernement et de toute la bourgeoise. À cela s’ajoutent les difficultés d’accès aux soins pour une part croissante du prolétariat. De plus en plus d’ouvriers ne peuvent plus se soigner correctement (manque de médecins, de spécialistes, rendez-vous pouvant parfois attendre une année) et se tournent également vers les urgences, rendant la situation encore plus tendue.
De plus en plus de personnes en difficulté, marginalisées, cumulant souvent les problèmes de santé se retrouvent, faute de mieux, contraintes de se tourner vers les services d’urgences. On ne compte plus les journées de grève et les actions pour dénoncer une situation intenable : manque d’effectifs pour faire face à l’afflux de patients, manque de moyens, suppression d’emplois, de lits, précarité, faibles salaires… la liste est longue ! Le ras-le-bol du personnel hospitalier est immense et l’attitude faussement bienveillante du gouvernement actuellement cache mal son mépris profond.
En mars dernier, l’agression du personnel soignant par des patients dans le service d’urgence d’un hôpital parisien était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Une des premières réponses du gouvernement consistait à mettre en avant la nécessité de “sécuriser” les hôpitaux tout en renforçant la pression sur les salariés, se moquant totalement de la surcharge de travail et de l’épuisement des travailleurs.
La grève s’est élargie à de nombreux établissements à travers le pays, notamment par le biais de collectifs, en particulier : “Inter-Urgences” créé fin mai, “Souffrance Infirmière”, “Infirmières Oubliées”, etc. En fait, il s’agit d’une forme de syndicalisme de base avec toutes ses illusions, le danger et les pièges que cela représente pour la lutte. 2) Ces prétendues “nouvelles formes de lutte” jouent exactement le même rôle que les centrales syndicales et exercent la même fonction, mais de façon plus crédible, à travers leur apparente radicalité, d’encadrement et de canalisation de la colère des éléments les plus combatifs dans la lutte en les poussant à s’enfermer dans le corporatisme et ainsi à s’isoler des autres secteurs et du reste de la classe ouvrière. Comme dans la plupart des secteurs de la fonction publique d’État, le corporatisme est traditionnellement très prégnant dans le milieu hospitalier. La classe dirigeante sait très bien utiliser cette faiblesse pour faire passer ses attaques. Aux urgences, cet isolement et ce cloisonnement corporatiste s’expriment de manière particulièrement caricaturale dans chaque hôpital puisqu’il n’y a aucune tentative des urgentistes d’aller trouver ne serait-ce que le personnel soignant des étages supérieurs pour tenter de les entraîner dans la lutte. De ce huis-clos, ne filtre pas le moindre écho d’assemblée générale ou de simples débats menés au sein du personnel. Seulement s’affichent les interventions publiques et dans les médias des représentants des collectifs.
Bien que le caractère prolétarien de ce mouvement des “blouses blanches” s’exprime par ses revendications (luttes pour les salaires, pour de meilleures conditions de travail, pour les emplois) au travers desquelles l’ensemble de la classe ouvrière peut se retrouver et s’exprimer massivement, son isolement tend au contraire à renforcer un sentiment d’impuissance et de découragement. Une telle situation a permis aux centrales syndicales, souvent en arrière-plan (mais avec des syndicalistes très présents et actifs au sein des collectifs) de se faire relativement discrets dans leur entreprise de “maintien de l’ordre” social.
Il est clair que face aux effets de la crise et de la décomposition de la société capitaliste, face à l’enfoncement dans la misère qui l’accompagne, les services d’urgences sont en première ligne. C’est pour cette raison que la bourgeoisie est d’autant plus préparée à faire face aux expressions de colère qu’elle sait inévitables. Évidemment, la colère des prolétaires en lutte s’est d’abord heurtée à l’opposition résolue du gouvernement et de l’administration hospitalière.
Après plus de deux mois de mobilisation sans réelle perspective et exaspérée par la situation, une équipe entière d’urgentistes s’est mise en arrêt-maladie. Cela s’est tout d’abord produit en Saône-et-Loire et dans le Jura, fin mai, puis début juin à l’hôpital Lariboisière à Paris. Cette décision ne pouvait répondre qu’à une situation devenue intenable. Il est significatif que la seule “solution” proposée aux équipes d’urgentistes soit l’arrêt de travail. Cette méthode est certes un réflexe de survie pour répondre à une situation devenue insupportable mais elle traduit surtout et reflète l’impasse de cette mobilisation, toute l’impuissance, le découragement et la démoralisation générés par l’isolement le plus complet. Ce que le gouvernement n’a d’ailleurs pas manqué d’exploiter avec sa ministre dénonçant “le manque de solidarité” du personnel face aux collègues alors contraints de travailler 18 heures d’affilée. Immédiatement, l’État a fait apparaître son visage au grand jour : “les deux préfectures ont par exemple fait intervenir les forces de l’ordre pour réquisitionner des médecins et des soignants, leur ordonnant de se rendre en poste aux urgences. À Lons-le-Saunier, la police avait sonné à la porte du personnel concerné… en pleine nuit”.
C’est probablement ce geste de “solidarité” calculée de l’État qui a contribué à amplifier la mobilisation dans les hôpitaux : pendant les deux premières semaines de juin, le nombre d’établissements mobilisés a pratiquement doublé. Le gouvernement a alors pu orchestrer et mettre en place sa manœuvre en faisant dès lors une large publicité à la grève des urgentistes dont le point d’orgue a été l’annonce par la ministre de son ordonnance de 70 millions d’euros, faisant croire que ces miettes représentaient un recul et une “victoire” des urgentistes. (3)
Pour exécuter cette manœuvre qui renforce encore la division des travailleurs entre eux, le gouvernement sait sur qui il peut compter : aussi bien sur les organisations syndicales qui tiennent traditionnellement leur rôle de chiens de garde du capital en favorisant systématiquement les conditions permettant d’isoler les salariés les uns des autres, que sur les collectifs qui assurent aujourd’hui cet isolement par les mêmes moyens et les mêmes méthodes. Le seul et indispensable moyen d’échapper à ce piège, et de pousser le gouvernement à reculer dans ses “réformes” comme lors de la mobilisation massive contre le CPE en 2006, serait, au lieu de se mobiliser comme l’entendent les syndicats, pour les “blouses blanches” comme pour n’importe quel autre secteur du prolétariat, d’aller chercher la solidarité des autres secteurs de la classe ouvrière en les appelant à se joindre à la lutte, d’organiser des assemblées générales ouvertes à tous dans cette perspective. La colère et la détermination d’un secteur particulier, aussi combatif soit-il, ne suffisent pas, en aucun cas. Or, aujourd’hui, la bourgeoisie sait parfaitement que le risque que cela se produise est faible tant la classe ouvrière est engluée dans des difficultés liées à se mobiliser massivement, à unifier ses luttes, à son sentiment d’impuissance face au manque de perspective. La bourgeoisie peut d’autant plus profiter de ces faiblesses et de l’enfermement de la colère dans les hôpitaux, que la période estivale est toujours propice aux attaques contre le prolétariat qui est démobilisé par la “période des vacances”. L’ordonnance vise donc à pourrir la situation jusqu’à l’été afin de permettre à la ministre et à son équipe de défendre et mettre en avant l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM). (4)
Si la bourgeoisie suit de près la situation dans les hôpitaux, c’est qu’elle est parfaitement consciente de son enjeu pour la préparation de la poursuite de ses attaques anti-ouvrières tous azimuts et qu’elle utilise pleinement les faiblesses de la classe ouvrière, en particulier celles des secteurs les plus perméables au poison du corporatisme comme celui des urgentistes. On le voit encore avec l’appel de l’intersyndicale CGT-FO-SUD à un rassemblement devant le ministère des finances, le 2 juillet, date initialement choisie par le collectif “Inter-Urgences” pour appeler à une manifestation nationale. Parce que le prolétariat n’arrive pas à se concevoir comme classe autonome, parce qu’il ne perçoit pas la dimension politique de son combat pour l’instant, ses efforts restent insuffisants et tendent même, finalement, à se retourner contre lui sous l’action malveillante de ses exploiteurs.
Tout cela ne signifie en rien que les luttes et les efforts entrepris soient vains. Au contraire ! Le chemin de la lutte de classe, long et tortueux, passe nécessairement par ce type d’expérience douloureuse et par la nécessaire réflexion sur les difficultés rencontrées. Ce n’est qu’en tirant les leçons de ce type d’expérience et en poursuivant sa volonté de combat que le prolétariat pourra prendre conscience de sa vraie nature : celle d’une classe sociale unie, mais aussi porteuse d’un projet révolutionnaire.
Marius, 19 juin 2019
1 On peut rappeler le cas d’une patiente retrouvée morte sur un brancard de l’hôpital Lariboisière à Paris, douze heures après son admission aux urgences, dans la nuit du 17 au 18 décembre dernier. À lire également : “Restrictions dans les hôpitaux : c’est l’État qui tue les malades !”, RI n° 397 (février 2009).
2 Ces collectifs ne sont pas sans rappeler, mais dans un tout autre contexte, les coordinations de la grève des infirmières en 1988. Voir notre brochure : “Octobre 1988, bilan de la lutte des infirmières : Les coordinations, nouvelle arme de la bourgeoisie”.
3 Précisons au passage que la générosité du gouvernement ne représente que 0,08 % du budget annuel des hôpitaux (82 milliards d’euros).
4 Pour 2019, un ONDAM à 2,5 % vise une économie de près de 700 millions d’euros (dix fois le montant de l’ordonnance annoncée !)
Les licenciements, les attaques économiques et les réformes qui s’annoncent pour les mois à venir sont particulièrement violents. Toute la classe ouvrière est concernée : travailleurs du public et du privé, retraités, chômeurs, immigrés ou étudiants précaires. Tous.
Le même discours cynique et répugnant accompagne toutes ces mesures politiques : “Nous avons consulté les Français”. Utilisant comme un tremplin les complaintes issues du mouvement des “gilets jaunes” pour plus de “démocratie participative”, la bourgeoisie française multiplie partout les “consultations”, les “enquêtes”, les “assemblées de citoyens”… pour faire croire que sa politique est l’émanation de la “volonté du peuple”. Macron et son gouvernement, forts de leur “Grand débat national”, n’ont ainsi que le mot “démocratie” à la bouche pour légitimer toutes leurs actions anti-ouvrières. Derrière ce qui n’est qu’une caution idéologique, voilà concrètement ce qui attend les prolétaires :
– Dans tous les secteurs, les plans de fermetures et de licenciements tombent. Dans la grande distribution : chez Conforama,1 900 salariés et 32 magasins vont disparaître d’ici 2020. Dans l’éducation : 38 centres de formation sur 110 et 1 541 emplois vont être supprimés. Dans l’industrie, la liste des usines en train d’être rayées de la carte est interminable : Danzer à Souvans (Jura), Naturéo à Liévin (Pas-de-Calais), Matrot à Noyers-Saint-Martin (Oise), etc. Dans le secteur public, l’objectif du gouvernement est de supprimer 120 000 postes d’ici 2022.
– Qui dit moins d’emplois, dit plus de chômeurs. Alors le gouvernement anticipe, avec une seule idée en tête : faire des économies. En durcissant les droits d’accès et en mettant en place un énième nouveau mode de calcul des indemnités, toujours plus restrictif et excluant, l’UNEDIC anticipe la réduction des allocations de 1,2 millions de personnes ! Et le gouvernement de mettre en avant que “74 % des personnes interrogées seraient favorables à la dégressivité des allocations”. Puisque on vous dit que c’est “démocratique” !
– Pour ceux qui ont un emploi, l’exploitation va devenir encore plus féroce. Dans le privé, la réforme du Code du travail et des prud’hommes se traduit par une dégradation continue des conditions de travail. Dans le secteur public, la précarité est croissante : explosion des CDD, déplacements forcés, corvéabilité à merci au nom de l’ “adaptabilité” et de la “proximité des services”. La réforme de la fonction publique va encore aggraver cette situation dégradée. Le gouvernement prévoit, par exemple, la création de 2 000 “Maisons France Services”, rassemblant de nombreux “services publics”… officiellement, afin de favoriser le “service de proximité”. En réalité, pour fermer le maximum de structures d’État, regroupées dans un seul lieu avec le minimum de salariés à pressurer.
– La jeunesse ouvrière n’est pas épargnée. À l’image de l’instauration de Parcoursup, qui a multiplié le nombre de jeunes dans des formations non souhaitées, au nom de la rentabilité et de l’efficacité, la réforme du bac n’a aujourd’hui pas d’autre objectif qu’un diktat bureaucratique en faveur de la réduction des dépenses. Et n’oublions pas l’énorme augmentation des droits d’inscriptions en faculté pour les étudiants étrangers qui va les frapper directement dès septembre.
– Mais un jour, les jeunes deviennent vieux et du point de vue capitaliste, un ouvrier à la retraite est un ouvrier “inutile”, à “charge”. Alors Macron et son gouvernement ont courageusement décidé de taper sur les “papys” et les “mamies”. En mettant en place un “système universel par points” et “la fin des régimes spéciaux”, le niveau des pensions va être considérablement réduit, notamment grâce à un système de malus qui frapperait tous les travailleurs “choisissant” de partir avant “l’âge d’équilibre”. Autrement dit, tout ceux qui, usés par des décennies d’exploitation inhumaine, seront contraints de partir avant 64 ans, dans un premier temps, (puis 65, 66, 67,…) recevront une misère pour survivre.
– Pour finir cette liste révoltante, la bourgeoisie française n’oublie pas de durcir les “conditions d’accueil” (sic !) des immigrés, là aussi pour qu’ils puissent être exploités sans vergogne en coûtant le moins cher possible à la “société française”. Ces mesures inhumaines, Macron et le gouvernement les légitiment elles-aussi grâce aux fruits de la consultation du “Grand débat” et même directement à travers l’exploitation de certaines revendications d’une partie des “gilets jaunes”. (1)
Aujourd’hui, les prolétaires sont en grande difficulté ; ils n’ont plus confiance en eux, en leur force en tant que classe unie et organisée. Quand la situation devient intenable, comme dans les urgences des hôpitaux et qu’ils sont contraints à se battre, les prolétaires le font isolés de leurs frères de classe, enfermés dans leur secteur et donc impuissants face à la bourgeoisie et son État. Il est clair que le mouvement des “gilets jaunes”, en diluant les travailleurs dans la population en général, comme autant de citoyens-individus, en mettant en avant le “Peuple”, en promouvant les revendications et les méthodes de la petite bourgeoisie aux abois, en alimentant l’illusoire aspiration à être “mieux écoutés” des puissants par une “démocratie plus directe”, a affaibli encore un peu plus les capacités du prolétariat à lutter et à répondre massivement aux attaques. La bourgeoisie l’a parfaitement perçu et elle profite de cette situation de désarroi pour mener des attaques tous azimuts. Seule la lutte des ouvriers unis et organisés en tant que classe permettra de faire face à cette politique toujours plus inhumaine.
Pawel, le 6 juillet 2019
1 Parmi les 42 revendications officielles du mouvement des “gilets jaunes”, on peut par exemple y lire : “Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine” ou encore : “Qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français (cours de langue française, cours d’histoire de France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours)”.
Le 28 juin 1919, dans la galerie des Glaces du palais de Versailles, deux émissaires allemands, escortés par des soldats alliés, étaient sommés de signer le traité de Versailles. Obligés de défiler devant des “gueules cassées”, ils ressemblaient davantage à des “prisonniers conduits là pour la lecture de leur sentence”, note un diplomate anglais. Le colonel House, membre de la délégation américaine, rapporte quant à lui qu’il s’agissait d’une “mise en scène très élaborée et calculée pour humilier l’ennemi au maximum”. (1) Cinq ans jour pour jour après l’assassinat de l’archiduc François-Joseph qui avait alors mis le feu aux poudres, ce traité réglait la fin d’un conflit où les vainqueurs imposaient leurs conditions drastiques aux vaincus.
Pour les journaux de l’époque, ce traité de “paix” devait soi-disant montrer à la face du monde que les grandes démocraties travaillaient désormais à la concorde et à la paix universelle. L’humanité ne revivrait plus jamais un tel carnage. Cette guerre devait être la “der des ders”.
Ce traité était le produit de la Conférence de Paris qui se déroula du 18 janvier au mois d’août 1919, au cours de laquelle les représentants des puissances de l’Entente (Royaume-Uni, France, États-Unis, Italie) réglèrent la fin de la guerre sans l’avis des puissances vaincues.
Dans le même temps, la vague révolutionnaire qui s’était formée en Russie en Octobre 1917 trouvait son point culminant avec la création de l’Internationale communiste en mars 1919. Dans ces conditions, comme nous le verrons, la Conférence de Paris fut également le quartier général de “la sainte alliance des capitalistes pour réprimer la révolution des ouvriers”. (2)
Dans La crise de la social-démocratie parue en 1916, Rosa Luxemburg affirmait que la victoire ou la défaite de l’un des deux camps ne mettrait pas fin aux tensions impérialistes et au militarisme. La dynamique de l’impérialisme entraînerait fatalement une nouvelle conflagration mondiale. L’histoire a pleinement confirmé les projections de Rosa Luxemburg. Ainsi, ce traité de Versailles ne réglait rien du tout, il était une réponse capitaliste à la guerre ; consistant à repartager le monde en lésant les vaincus (en tout premier lieu l’Allemagne), ce qui ne manquerait pas d’attiser leurs désirs de revanche.
L’Allemagne et les empires centraux furent déclarés seuls responsables des dégâts causés par le conflit. Par conséquent, outre le fait de devoir payer le coût des réparations, l’Allemagne se vit imposer des conditions drastiques qui la rendaient exsangue dans le jeu impérialiste. Cette ligne politique fut avant tout défendue par la France, représentée par Clemenceau, qui voyait là le moyen d’assurer sa suprématie sur le continent européen. À l’issue du traité, l’Allemagne perdait 15 % de son territoire et 10 % de sa population au profit de la France, du Danemark, de la Belgique et de la Pologne. Sur le plan militaire, ses effectifs et son armement étaient limités, la rive gauche du Rhin était démilitarisée, elle devait également livrer 5 000 canons, 25 000 avions ainsi que toute sa flotte. Son empire colonial lui était retiré et passait sous l’administration des puissances de l’Entente et du Japon. Les deux autres principaux protagonistes du traité, le Royaume-Uni représenté par son premier ministre Lloyd Georges, et les États-Unis dirigés par Wilson restaient plus réservés. Non qu’ils n’étaient pas intéressés à dépecer l’Allemagne pour renforcer leur puissance respective, mais plutôt parce qu’ils craignaient une trop grande expansion de la France sur le continent européen. Comble de l’ironie, le rapport de force se jouait avant tout entre les charognards de l’Entente qui se disputaient le cadavre allemand. Au final, c’est la “ligne dure”, défendue par la France, qui finit par s’imposer. Une ligne qui accrut l’irritation de l’Allemagne “et par là même, les probabilités d’une revanche, rendant nécessaire encore d’autres dispositions draconiennes”. (3) Dans ces conditions, “une paix carthaginoise était inévitable, pour autant qu’on a momentanément la puissance pour l’imposer”. (4) Ce que la bourgeoisie française s’avéra incapable de faire par la suite. Le traité avait placé l’Allemagne et les autres vaincus dans des conditions “qui rendaient matériellement impossible leur existence économique, les privaient de tous droits et les humiliaient”. (5) Ainsi se préparait le terrain d’une future guerre.
Avant que Wilson ne participe en personne à la conférence de Paris, jamais un président américain n’avait effectué un voyage sur le vieux continent pour des raisons politiques. Ce fait inédit révélait la volonté des États-Unis de s’affirmer comme une grande puissance impérialiste. Cette prétention s’appuyait sur des décennies de développement prodigieux du capitalisme aux États-Unis, devenus la deuxième puissance du monde après la guerre. Les quatorze points du président Wilson appelant à une paix juste et magnanime, à la prise en compte des volontés des peuples, à la liberté des mers, à la limitation du militarisme, n’avaient pas d’autre but, pour les États-Unis, que de concurrencer les grandes puissances européennes sur leur propre continent. Cependant, il était hors de question pour l’Angleterre de laisser les États-Unis mettre un pied en Europe. Première puissance mondiale, sa flotte militaire et commerciale lui permettait encore d’endiguer la poussée impérialiste américaine en Europe. C’est pour cette raison que Lloyd Georges repoussa les conditions de paix plus souples de Wilson. Comme le soulignait Trotsky lors du deuxième congrès de l’Internationale communiste : “Pendant la guerre, la lourde industrie américaine s’est dressée comme une colonne géante jusqu’aux cieux, et le capital américain a rejeté bien loin de lui la devise : l’Amérique aux Américains. Ou plutôt, nous dirons qu’il a modifié cette devise et qu’il a dit : non seulement l’Amérique aux Américains, mais le monde entier. C’est alors qu’il a envoyé l’apôtre Wilson avec son Nouveau Testament. Nous savons que Wilson n’a pas fait la commission. Mais la commission est toujours à faire, et l’oligarchie américaine est en train de faire ses comptes : notre flotte, se dit-elle, est plus faible que celle de la Grande-Bretagne de tant de tonnes, de tant de bouches de canons de tel ou tel calibre. Et le Département de la Marine américaine établit un nouveau programme, un programme qui doit, avant 1925, et quelques-uns disent encore plus tôt, en trois ans, rendre la flotte américaine incomparablement plus forte que celle de l’Angleterre”. Si ce coup-ci, la bourgeoisie américaine était obligée de faire un pas en arrière, elle n’abandonnait pas ses prétentions sur le vieux continent pour autant. Cet objectif passait inévitablement par son renforcement militaire.
Contrairement à la version officielle de l’histoire, l’armistice du 11 novembre 1918 n’était pas dû à la situation militaire inextricable dans laquelle se trouvait l’Allemagne, mais à l’éclatement du soulèvement ouvrier qui allait mener à la chute de l’Empire dirigé par Guillaume II. La révolution prolétarienne était désormais le plus grand danger qui pesait sur toutes les bourgeoisies du monde. Alors que les plus puissantes d’entre elles s’étaient entre-déchirées durant quatre années de guerre, elles faisaient désormais cause commune pour la survie du système capitaliste. Depuis 1918, les principales puissances européennes soutenaient financièrement et militairement les armées blanches de la contre-révolution en Russie. (6) C’est pour cela, par exemple, que la bourgeoisie française, alors qu’elle voulait désarmer totalement l’Allemagne, autorisa le gouvernement social-démocrate et les militaires à garder des canons dans Berlin pour massacrer les ouvriers insurgés. La Conférence de Paris débuta d’ailleurs juste après la Semaine sanglante, et c’est depuis les salons diplomatiques parisiens que Clemenceau pouvait dire que “le danger bolchevik est très grand à l’heure présente. (...) Si le bolchevisme, après s’être étendu à l’Allemagne, devait traverser l’Autriche et la Hongrie et gagner l’Italie, l’Europe aurait à faire face à un très grand danger. C’est pourquoi il faut faire quelque chose contre le bolchevisme”. Ce front commun n’empêchait pas pour autant que chaque grande puissance fasse valoir ses propres intérêts, y compris dans la question russe. Si la France excluait toute relation avec le pouvoir des Soviets, les États-Unis étaient favorables à organiser des pourparlers lors d’une grande conférence. Cette proposition n’allait pas sans arrière-pensées, puisque comme le pressentait Lénine, les États-Unis lorgnaient sur la Sibérie et le Sud de la Russie. Au final, la Russie des Soviets fut totalement exclue des négociations qui devaient mener à la signature du traité de Versailles. Les puissances de l’Entente visaient à l’isoler et à l’affaiblir en annexant ses territoires et en pillant ses richesses, afin d’empêcher toute extension de la révolution prolétarienne.
La création de la Société des Nations, prévue par le traité de Versailles, fut une force supplémentaire forgée contre la classe ouvrière. Les révolutionnaires de l’époque la dénoncèrent comme telle. Pour Lénine, il s’agissait d’un “repaire de brigands”, rien de plus. Cette “association générale des Nations” (d’après les quatorze points de Wilson) avait la prétention de garantir la paix dans le monde, de réguler le militarisme, de protéger les “États faibles” de la domination des grandes puissances et même d’œuvrer à l’indépendance des peuples colonisés. Derrière ces belles paroles, les puissances de l’Entente mettaient en œuvre une politique d’annexion de tous les vaincus. Si désormais ces dernières prônaient la paix, après s’être enivrées de chaos et d’horreur durant quatre ans, c’est que celle-ci était synonyme du maintien de leur suprématie.
Mais surtout, comme l’affirme le deuxième congrès de l’IC : “la constitution de la Ligue des Nations [fut] le meilleur moyen de troubler la conscience de la classe ouvrière. À la place du mot d’ordre d’une Internationale des républiques révolutionnaires ouvrières, on propose celui d’une Union internationale des prétendues démocraties, qui pourrait être atteint par la coalition du prolétariat avec les classes bourgeoises”. (7) Cette politique de désunion du prolétariat à l’heure de la révolution mondiale était soutenue et appuyée par les partis social-traîtres qui, réunis lors de la conférence de Berne, avaient reconnus la SDN. Une position ouvertement opportuniste que ne manqua pas de dénoncer l’Internationale communiste qui appelait les ouvriers du monde entier à “mener une guerre implacable contre l’idée de la Ligue des Nations de Wilson et protester contre l’entrée de leur pays dans cette ligne de pillage, d’exploitation et de contre-révolution”. (8)
Au bout du compte, ce traité de Versailles mécontenta tout le monde. Forme de compromis diplomatique, il imposait à chaque puissance de réfréner ses prétentions impérialistes. Pour l’Italie, il s’agissait d’une “victoire mutilée” après que ses prétentions sur l’Istrie et la Dalmatie se soient envolées. Aux États-Unis, le Sénat américain refusa de le ratifier, désavouant complètement la politique de Wilson. Même la bourgeoisie française n’était pas satisfaite déplorant le refus de créer un État tampon indépendant en Rhénanie ; ce qui vaudra à Clemenceau le surnom de “Perd-la-victoire” ! Mais pour l’Allemagne et les empires centraux, le traité qui leur était imposé était vécu comme une véritable humiliation dont les réactions n’allaient pas tarder à se faire attendre comme l’avait prévu déjà Rosa Luxemburg en 1916 dans la Brochure de Junius : “La victoire de l’Angleterre et de la France conduirait très vraisemblablement, pour l’Allemagne, à la perte d’une partie au moins de ses colonies et du territoire du Reich et, à coup sûr, à la faillite de la position de l’impérialisme allemand dans la politique mondiale. Et cela signifie le démembrement de l’Autriche-Hongrie et la liquidation de la Turquie. (...) Avec cette option aussi, la victoire conduirait donc à une nouvelle et fébrile course aux armements dans tous les États (avec bien entendu, l’Allemagne en tête) et par là, préparerait une ère de domination incontestée du militarisme et de la réaction dans toute l’Europe avec, à terme, une nouvelle Guerre mondiale”.
Vincent, 21 juin 2019
1 Pour la bourgeoisie française, c’était l’occasion d’effacer symboliquement l’humiliation subie après la défaite lors de la guerre franco-prussienne de 1870/71, lorsque l’Empire allemand fut proclamé dans cette même galerie des Glaces du château de Versailles.
2 “Résolution sur la politique de l’Entente” adoptée par le 1ᵉʳ Congrès de l’Internationale communiste.
3 Les conditions économiques de la paix, J.M Keynes (1920). Lors du deuxième congrès de l’IC, Lénine s’appuya beaucoup sur Les conditions économiques de la paix de J.M Keynes lorsqu’il présenta le “Rapport sur la situation internationale et les tâches fondamentales de l’IC”. Voici ce qu’il pouvait dire du futur maître à penser de la bourgeoisie mondiale : “Keynes a abouti à des conclusions qui sont plus incisives, plus concrètes et plus édifiantes que celles d’un révolutionnaire communiste, parce qu’elles sont celles d’un bourgeois authentique, d’un ennemi implacable du bolchevisme dont il se fait, en petit-bourgeois anglais, une image monstrueuse, bestiale et féroce”.
4 Ibid.
5 Lénine, cité dans Jean-Jacques Marie dans Lénine. La révolution permanente (2018).
6 Voir à ce sujet, “La bourgeoisie mondiale contre la révolution”, Revue Internationale n° 160 et n° 162.
7 “Résolution sur la politique de l’Entente” adoptée par le 2ᵉ congrès de l’Internationale communiste.
8 Ibid.
L’article ci-dessous est une introduction et une actualisation de la résolution sur la situation en Grande-Bretagne adoptée par la conférence territoriale de notre section au Royaume-Uni. Ce texte est disponible sur le site web du CCI.
Cette résolution, adoptée lors d’une conférence en janvier 2019, cherche à dégager les principales perspectives de la situation en Grande-Bretagne pour la période à venir. L’une des principales responsabilités d’une organisation révolutionnaire est de proposer la vision la plus cohérente possible des perspectives de la situation nationale. Cette tâche revêt d’autant plus d’importance que la situation sociale est dominée par une crise politique sans précédent de la classe dominante autour du Brexit, crise qui ne fera que s’accentuer dans la période à venir. Sans une compréhension des racines et des conséquences de cette tourmente, il est impossible d’en deviner les probables répercussions sur le prolétariat britannique et international dans les années à venir.
Le rôle de la résolution n’est pas de fournir une analyse détaillée des dynamiques à l’œuvre (ce qui est fait dans le rapport sur la situation nationale de cette même conférence), mais de poser un cadre théorique général et de ses implications. Dans le dernier numéro de World Revolution, nous avons publié la partie historique de ce rapport, à laquelle les lecteurs peuvent se référer.
Dans cette introduction, nous souhaitons donc examiner si la résolution a été vérifiée par les événements qui ont suivi depuis.
La résolution soutient que le Brexit est le produit de la combinaison du déclin séculaire de l’impérialisme britannique, des dissensions que cela a engendré au sein de la classe dominante, de l’aggravation de l’impact de la décomposition du capitalisme depuis la crise financière de 2008 et de la montée du populisme. La résolution démontre que la bourgeoisie est prise dans d'irréconciliables contradictions. Celles-ci ne se traduisent pas seulement par la montée du populisme, mais aussi par les divisions déjà existantes sur l’Europe au sein des principaux partis, divisions qui ont été poussées à un point tel qu’elles pourraient détruire l’appareil politique parlementaire, soigneusement construit, et qui a si bien servi la bourgeoisie britannique au cours des deux derniers siècles.
Cela s’est pleinement confirmé par la paralysie de la machine parlementaire aux cours des six derniers mois. Les deux principaux partis politiques ont été déchirés par des luttes de faction autour du Brexit. L’Accord de retrait du Royaume-Uni élaboré par l’Union Européenne (UE) et le gouvernement de May, visant à empêcher la Grande-Bretagne de s’effondrer une fois sortie de l’UE, a été sapé par l’incapacité des principales factions des deux partis à se mettre d’accord sur la manière de le mettre en œuvre. May n’a pas pu faire de compromis à cause de la pression exercée par les partisans d’un Brexit dur, tandis que Corbyn a été contraint par les divisions au sein du parti travailliste où des factions importantes demandent une union douanière ou un second référendum. Les pourparlers entre les deux partis représentaient le dernier espoir d’obtenir cet accord, mais ceux-ci étaient d’emblée condamnés car il était devenu évident que May allait être chassée du pouvoir par des factions du parti conservateur opposées à un accord avec les travaillistes. Ce qui fût en effet le cas lorsque May a annoncé sa démission le 7 juin. Aujourd’hui, cette paralysie a entraîné une bataille pour la direction du parti conservateur, avec en tête les partisans les plus enragés du Brexit, mais, quel que soit le résultat, cela ne résoudra pas l’impasse dans laquelle ils se trouvent.
Ce vide politique a engendré un nouveau regain de populisme, nourri par la colère et la frustration à l’encontre du parlement, incapable d’avancer sur le Brexit. Farage et ses partisans, bourgeois prospères, ont tiré avantage de ce vide en fondant le Parti du Brexit. Ce nouveau parti représente un sérieux danger pour les principales formations politiques. Il est le nouveau visage du populisme. Terminées, la véhémente rhétorique anti-immigration et les personnalités farfelues et aventurières qui ont rendu l’UKIP (UK Independance Party) intolérable pour beaucoup. Le nouveau parti est très rusé ; il mène une campagne sur internet très sophistiquée et se présente comme étant à la fois multiculturel et soutenu par des électeurs plus jeunes. Farage a fait grand cas de son rejet de l’islamophobie et du racisme croissants au sein d’UKIP. Ce stratagème, basé sur le fait d’être le seul parti capable de défendre le vote démocratique du “peuple”, constitue un véritable effort pour s’immiscer dans le jeu des principales formations politiques.
La popularité croissante du Parti du Brexit, cependant, pose problème. Le nouveau chef du parti conservateur ne voudra pas déclencher d’élections générales tant que le Brexit ne sera pas résolu, car, comme l’a dit un ancien collaborateur de Cameron, ils seraient “grillés”. Les travaillistes seraient également très réticents à se présenter à des élections parce que le Parti du Brexit s’efforce de se faire passer pour le parti des travailleurs.
Ainsi, trois ans après un référendum dont le but était de faire reculer le populisme, la classe dominante fait désormais face à un parti populiste revigoré et plus sophistiqué que jamais, exacerbant sa crise politique.
Comme le dit la résolution, cette crise menace l’identité territoriale de l’État britannique. L’élection d’un partisan intransigeant du Brexit à la tête du parti conservateur et/ou l’arrivée du Parti du Brexit au sein du Parlement ne feraient qu’empirer les tensions avec la fraction écossaise indépendantiste de la bourgeoisie.
L’impact de cette crise ne s’arrête pas aux frontières de l’Angleterre. Comme l’explique la résolution, le Brexit a contribué au renforcement du populisme en Europe ainsi qu’aux États-Unis. L’UE et les principales puissances européennes ont alors adopté une ligne très dure envers la bourgeoisie britannique. Cette stratégie a quelque peu payé : le chaos politique a suscité une peur réelle, même parmi les partis populistes et les gouvernements européens qui ont désormais abandonné ou tempéré leur demande de quitter l’UE. Cependant, l’extrême-droite populiste constitue toujours une menace sérieuse pour l’avenir de l’UE.
Les espoirs des partisans du Brexit en une Grande-Bretagne à nouveau “ouverte sur le monde” et capable de conclure des traités de libre-échange se heurtent déjà à la dure réalité. Le développement de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis a clairement montré que ces derniers, dans leur lutte de plus en plus acharnée contre la Chine, n’hésiteront pas à saper les intérêts de leurs anciens alliés. Le scandale qui a touché Huawei a vu la Chine menacer ses investissements en Grande-Bretagne si le gouvernement britannique devait céder aux pressions américaines visant à bannir l’entreprise de ses infrastructures.
Sa lutte avec la Chine pour la domination mondiale, ainsi que son intention de saper ses rivaux européens, signifient que les États-Unis ont peu d’intérêt à voir une Grande-Bretagne affaiblie par sa sortie de l’UE. Trump s’est montré fervent supporter du Brexit afin de porter un coup à l’UE, mais, une fois le Brexit mis en place, quel rôle pourra jouer la Grande-Bretagne pour les États-Unis ?
L’analyse de la résolution sur l’aggravation de la crise politique a donc été vérifiée par les événements. Sa mise en garde contre la menace que représente le populisme dans cette situation de crise était bien justifiée. L’émergence du Parti du Brexit est un autre facteur de chaos et d’instabilité, mettant encore plus en danger les efforts de l’État britannique pour garantir le bon déroulement du Brexit.
Pour la classe ouvrière, les conséquences de cette situation s’annoncent sombres. Le prolétariat n’a apporté presque aucune réponse à plus d’une décennie d’austérité. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de mécontentement, mais celui-ci n’a pas trouvé son expression dans la lutte de classe, à cause du profond manque de confiance en soi du prolétariat. Cette désorientation et cette démoralisation ont été exacerbées par le Brexit et la crise politique. Le soutien au populisme et sa promesse simpliste d’un avenir meilleur pour certaines parties du prolétariat est une expression de cette détresse et de ce désespoir. Cependant, derrière l’anti-populisme et sa défense de la démocratie ainsi que de l’État démocratique, se profile un danger encore plus grand pour le prolétariat. Aujourd’hui et dans la période à venir, le prolétariat aura du mal à éviter de se mobiliser derrières les différentes factions bourgeoises.
Mais la crise économique continuera de s’aggraver, et quelles que soient les factions bourgeoises au pouvoir, elles s’attaqueront toutes au prolétariat. C’est seulement dans la lutte contre ces attaques que la classe ouvrière pourra défendre ses intérêts. Ces luttes futures trouveront les mêmes réponses de la part des conservateurs, des travaillistes ou des populistes, parce qu’au bout du compte, ils sont tous les défenseurs du capitalisme.
World révolution,
section du CCI au Royaume-Uni
Au Grand Palais, à Paris, du 20 mars au 1er juillet 2019, s’exposent plus de 400 œuvres regroupées sous le titre alléchant de “Rouge : Art et utopie au pays des Soviets”.
Laissons parler la revue Télérama, ou plus exactement sa journaliste Yasmine Youssi, qui visiblement a été fortement impressionnée : “À partir de 1917, l’art envahit la vie (…). Soudain, les rues se sont couvertes d’affiches, les murs de pochoirs, les places de monuments (…). En témoignent les photos, tableaux, dessins, maquettes, affiches, livres, documents visuels, extraits de films, pièces de mobilier, de textiles signés des plus grands noms, mais aussi d’une flopée d’artistes rarement montrés en pareilles occasions”. Et de poursuivre avec le même enthousiasme : “Fusionner l’art et la vie. Riche de plusieurs centaines d’œuvres, “Rouge 1917-1953” plonge avec bonheur ses visiteurs au cœur de l’effervescence artistique russe au lendemain de la révolution bolchevique”. 1917 est un souffle dont la voile de l’art se gonfle. Voilà ce qu’il est effectivement possible de deviner au Grand Palais : peintures, sculptures, architectures, photographies, cinéma, design… Alexandre Rodtchenko, Kazimir Malevitch, Gustav Klutsis, Alexandre Deïneka, Sergueï Eisenstein, Varvara Stepanova… Avec la révolution, partout dans le monde, l’art part dans toutes les directions, une multitude de pistes nouvelles sont explorées, d’intenses débats agitent non seulement les milieux artistiques mais aussi les ouvriers. Ce vent nouveau artistique ne fut d’ailleurs pas limité à la seule Russie, comme en témoigne le développement du dadaïsme et de l’expressionnisme peu avant la révolution allemande ou celui du surréalisme en France.
Cette exposition ne se limite pas à la période révolutionnaire, elle se poursuit jusqu’en 1953 et la mort de Staline. Là encore, l’évolution du monde de l’art raconte l’Histoire : l’horreur de la contre-révolution incarnée par la victoire du stalinisme. Puisque, décidément, la plume de Yasmine Youssi est particulièrement acérée, poursuivons en sa compagnie notre lecture : “La prise des pleins pouvoirs par Staline, à partir de 1929, change la donne. C’est la fin des avant-gardes, et les différents groupes artistiques sont dissous. Pour le nouveau maître du Kremlin, la seule esthétique valable est celle du réalisme socialiste : une autre manière de nommer le réalisme russe du XIXe siècle, sauf qu’il se révèle encore plus kitsch et pompeux. Les œuvres qui s’en réclament réécrivent souvent l’histoire du pays. Tandis que les artistes qui firent les grandes heures de la révolution disparaissent peu à peu. Ils sont au mieux interdits d’exercer. Au pire, comme le metteur en scène Meyerhold, fusillés”. Comme les révolutionnaires d’Octobre 1917, la contre-révolution va signifier pour les artistes un choix morbide : refuser de se soumettre au pouvoir au prix de l’isolement, de la dépression, de la déportation, de l’exil, de la mort… ou se conformer en se reniant, en faisant de l’art un simple outil de propagande. Au fil de l’exposition, les œuvres deviennent ainsi de plus en plus grotesques et abjectes.
Seulement, l’histoire que nous content ces 400 œuvres est aussi accompagnée de commentaires et de silences, de citations et d’absences remarquables, autant de choix des exposants qui viennent orienter et, lâchons le mot, manipuler le visiteur.
Le ton est donné d’emblée : “Le coup d’État bolchevik plonge l’ancien Empire russe dans la guerre civile. Pour le nouveau pouvoir, il est crucial de mobiliser la population autour du projet porté par la révolution”. Cette exposition a beau se nommer “Rouge : Art et utopie au pays des Soviets”, pas un mot sur les Soviets (conseils ouvriers), sur la vie bouillonnante des assemblées générales permanentes, de la créativité des masses. Rien. Pas un mot de la réalité de la vie sociale de l’époque, des débats à tous les coins de rue.
Pour appuyer insidieusement la thèse que “le ver était dans le fruit”, que la propagande caricaturale et nauséabonde du stalinisme puise ses racines dans les premiers jours de la révolution (pardon, du “coup d’État”), toutes les œuvres sélectionnées sont présentées sous le seul prisme de l’art politique, de l’art d’État.
C’est ainsi que “Rouge : Art et utopie au pays des Soviets” fait, par exemple, disparaître l’utopie féerique d’un Chagall. Pas un tableau, pas une référence ! Pourtant, le génie de Chagall ne s’est jamais autant exprimé que pendant sa jeunesse dans la Russie révolutionnaire. “En 1914, le jeune homme, qui vit alors à Paris, rentre à Moscou pour épouser sa fiancée, Bella, et repartir avec elle. La guerre les coince. La Révolution russe éclate. En 1918, voilà Chagall, à 30 ans, propulsé à la tête d’une école d’art dans sa ville natale à Vitebsk. (…) “Je vivais comme dans un évanouissement”, écrira Chagall dans son autobiographie. Une extase quotidienne. C’est l’une de ces périodes miraculeuses qui ne durent qu’un ou deux printemps, au cours desquels tout est permis. Chagall, un juif, citoyen de seconde zone sous le tsarisme, est enfin libre, renouvelle le décor de sa ville. Tous ses tableaux sont marqués par son amour fou pour Bella : elle le porte comme une acrobate soutient l’artiste et ses verres de vin, qui trinque au sommet. Un ange veille sur le jeune couple. Il réalise de lui un autoportrait à la tête coupée, titré “N’importe où hors du monde”. C’est notre souffle qui est coupé devant tant d’audace”.(1)
Pas un mot non plus des débats enflammés entre les révolutionnaires sur l’art, pas une ligne des analyses profondément justes et flamboyantes de Léon Trotski. Il est vrai qu’une partie des artistes de l’époque s’était engagée dans la voie de la subordination à l’État. Mais l’activité artistique de l’époque ne se résumait pas à cela. C’est d’ailleurs ce qui poussa Trotski à rejeter la notion de “culture prolétarienne” et de subordination de l’art au Parti. En 1924, dans Littérature et Révolution, il écrivait : “L’art doit se frayer sa propre route par lui-même. Ses méthodes ne sont pas celles du marxisme. Si le Parti dirige le prolétariat, il ne dirige pas le processus historique. (…) L’art n’est pas un domaine où le Parti est appelé à commander. II protège, stimule, ne dirige qu’indirectement. Il accorde sa confiance aux groupes qui aspirent sincèrement à se rapprocher de la Révolution et encourage ainsi leur production artistique. Il ne peut pas se placer sur les positions d’un cercle littéraire. Il ne le peut pas et il ne le doit pas”.
Sans mention des débats des révolutionnaires sur l’art, sans Chagall, ni aucun tableau flamboyant d’aucun artiste, en focalisant tous les regards sur les affiches et les œuvres liées à la propagande politique, cette exposition fait entrer le visiteur dans les années 1930 comme en lui disant : “Voilà sur quoi inexorablement tout cela devait déboucher”. Là, comme par miracle, les explications et le contexte historique ne manquent plus. Si la vie des Soviets et tout le contexte historique de la vague révolutionnaire ont été tout bonnement effacés tels les personnages tombés en disgrâce sur les photographies truquées par le stalinisme, les crimes odieux, les procès de Moscou, les mensonges et le culte de la personnalité des années 1930 à 1950 sont étalés sur tous les murs : “La collectivisation forcée des campagnes est enclenchée, entraînant la “liquidation des koulaks (paysans propriétaires) en tant que classe”. Le premier plan quinquennal provoque une industrialisation à marche forcée ; les objectifs économiques deviennent des défis relevés grâce à l’ “émulation socialiste” entre “brigades de choc”. (…) Les “saboteurs” sont “démasqués” et jugés, tandis que la rhétorique du “complot” accapare l’espace public, amplement relayée par les arts visuels. Un vaste système concentrationnaire se met en place : le Goulag. En décembre 1934, l’assassinat de Sergueï Kirov, membre éminent du Politburo, ouvre la voie à une vague de répressions sans précédent. Les procès de Moscou (1936-1938) sont largement médiatisés. La “Grande Terreur” touche toutes les couches de la société et fait des millions de victimes”. Oui, le stalinisme a été d’une horreur insondable, mais il n’est en rien le continuateur d’Octobre 1917, il en est au contraire le fossoyeur !
Finalement, cette exposition donne involontairement une leçon pleine d’ironie : elle dénonce le burlesque et l’ignominie de la propagande mensongère du stalinisme, en utilisant les mêmes techniques de manipulation, les mêmes gommes et les mêmes ciseaux. En répétant, sous l’angle de l’art, le mensonge identifiant le stalinisme au communisme, elle s’inscrit dans les pas d’un autre Joseph, Goebbels, pour qui “un mensonge répété mille fois se transforme en vérité”.
Le visiteur attentif aura d’ailleurs remarqué, sur l’un des murs vers la fin du dédale, un petit aveu au passage d’une remarque discrète admettant que la propagande sous Staline ouvrait la voie à la propagande américaine pendant la Seconde Guerre mondiale qui utilisa les mêmes méthodes.
En effet, russe ou américaine, dictatoriale ou démocratique, fasciste ou socialiste, stalinienne ou libérale… sur les affiches ou dans les musées, la bourgeoisie falsifie l’Histoire !
Iskusstvo, 20 juin 2019
[1] “Quand Chagall était génial [731]”, Le Parisien (19 juin 2018).
Il y a 80 ans, prenait fin l’un des événements les plus importants du XXe siècle : la Guerre d’Espagne. Cet événement majeur a été au cœur de la situation mondiale dans les années 1930. Il a occupé le centre de l’actualité politique internationale pendant plusieurs années. Il a constitué un test décisif pour toutes les tendances politiques se réclamant du prolétariat et de la révolution. Par exemple, c’est en Espagne qu’on a vu à l’œuvre, pour la première fois en dehors de l’URSS, le stalinisme dans son rôle de bourreau du prolétariat. De même, c’est autour de la question espagnole que s’est opérée une décantation au sein des courants qui avaient lutté contre la dégénérescence et la trahison des partis communistes dans les années 1920, une décantation entre ceux qui allaient maintenir une position internationaliste lors de la Seconde Guerre mondiale et ceux qui se sont enrôlés dans celle-ci, comme le courant trotskiste, par exemple. Aujourd’hui encore, les événements de 1936-1939 en Espagne continuent d’être présents dans le positionnement et la propagande des courants qui se réclament de la révolution prolétarienne. C’est particulièrement le cas des différentes tendances de l’anarchisme et du trotskisme qui, au-delà de leurs divergences, sont toutes d’accord pour considérer qu’il y a eu une “révolution” en Espagne en 1936. Une révolution qui, d’après les anarchistes, serait allée bien plus loin que celle de 1917 en Russie du fait de la constitution des “collectivités” promues par la CNT, la centrale syndicale anarcho-syndicaliste. Une analyse qui à l’époque avait été rejetée par les différents courants de la Gauche communiste, par la Gauche italienne et aussi par la Gauche germano-hollandaise.
La première question à laquelle il nous faut donc répondre est celle-ci : a-t-on assisté à une révolution dans l’Espagne de 1936 ?
Avant de répondre à cette question, il faut évidemment se mettre d’accord sur ce qu’on entend par “révolution”. C’est un terme particulièrement galvaudé puisqu’il est revendiqué aussi bien par l’extrême-gauche (par exemple Mélenchon avec sa “Révolution citoyenne”) que par l’extrême-droite (la “Révolution nationale”). Macron lui-même avait intitulé, “Révolution”, le livre dans lequel il présentait son programme.
En fait, au-delà de toutes ses interprétations fantaisistes, ce terme “Révolution” qualifie dans l’histoire un changement violent de régime politique exprimant un bouleversement du rapport de forces entre les classes sociales au bénéfice de celles qui représentent un progrès pour la société. Ce fut le cas de la Révolution anglaise des années 1640 et de la Révolution française de 1789 qui, toutes les deux, se sont attaquées au pouvoir politique de l’aristocratie au bénéfice de la bourgeoisie.
Tout au long du XIXe siècle, les avancées politiques de la bourgeoisie au détriment de la noblesse constituaient des progrès pour la société. Et cela parce qu’à cette époque le capitalisme était un système en pleine prospérité, parti à la conquête du monde. Mais cette situation change radicalement au XXe siècle. Les puissances bourgeoises ont fini de se partager le monde. Toute nouvelle conquête, coloniale ou commerciale, se heurte au pré-carré d’une puissance rivale. On assiste alors à une montée du militarisme et à un déchaînement de tensions impérialistes qui aboutissent à la Première Guerre mondiale. C’est le signe que le capitalisme est devenu un système caduc et décadent. Les révolutions bourgeoises ne sont plus d’actualité. La seule révolution qui soit à l’ordre du jour est celle qui doit renverser le système capitaliste et instaurer une nouvelle société débarrassée de l’exploitation et des guerres, le communisme. Le sujet de cette révolution, c’est la classe des travailleurs salariés, producteurs de la plus grande partie de la richesse sociale, le prolétariat.
Il existe des différences fondamentales entre les révolutions bourgeoises et la révolution prolétarienne. Une révolution bourgeoise, c’est-à-dire la prise du pouvoir politique par les représentants de la classe bourgeoise d’un pays, constitue un aboutissement de toute une période historique au cours de laquelle la bourgeoisie a acquis un poids décisif dans la sphère économique grâce au développement du commerce et des techniques productives. La révolution politique, l’abolition des privilèges de la noblesse, constitue une étape importante (bien que non indispensable) dans la mainmise croissante de la bourgeoisie sur la société qui lui permet de faciliter et d’accélérer ce processus de mainmise.
La révolution prolétarienne ne se situe nullement à la fin du processus de transformation économique de la société mais au contraire au tout début. La bourgeoisie avait pu constituer des îlots d’économie bourgeoise dans la société féodale, les villes marchandes, les réseaux commerciaux, des îlots qui s’étaient étendus et renforcés progressivement. Rien de tel pour le prolétariat. Celui-ci ne pourra pas constituer des îlots de communisme au sein d’une économie mondiale dominée par le capitalisme et les rapports marchands. C’était le rêve des socialistes utopistes tels Fourier, Saint-Simon ou Owen. Mais, malgré toute leur bonne volonté et leurs analyses souvent profondes des contradictions du capitalisme, leurs rêves se sont heurtés et effondrés face à la réalité de la société capitaliste. En fait, la première étape de la révolution communiste consiste dans la prise du pouvoir politique par le prolétariat à l’échelle mondiale. C’est grâce à ce pouvoir politique que la classe révolutionnaire pourra transformer progressivement l’ensemble de l’économie en la socialisant, en abolissant la propriété privée des moyens de production ainsi que les échanges marchands.
Il existe encore deux autres différences fondamentales entre les révolutions bourgeoises et la révolution prolétarienne :
– Premièrement, alors que les révolutions bourgeoises ont eu lieu à des périodes différentes suivant les pays en fonction du développement économique de chacun d’eux (il s’écoule plus d’un siècle entre la révolution anglaise et la révolution française), la révolution prolétarienne doit se dérouler dans une même période historique. Si elle reste isolée dans un seul pays ou dans quelques pays, elle est condamnée à la défaite. C’est ce qu’on a vu avec l’exemple de la révolution russe de 1917.
– Deuxièmement, les révolutions bourgeoises, même extrêmement violentes, conservaient l’essentiel de l’appareil d’État de la société féodale (l’armée, la police, la justice, la bureaucratie). En fait, les révolutions bourgeoises consistaient en une modernisation, un perfectionnement de l’appareil d’État existant. C’était possible et nécessaire du fait que ce type de révolution signifiait que deux classes exploiteuses, la noblesse et la bourgeoisie, se succédaient à la tête de la société. Rien de tel avec la révolution prolétarienne. En aucune façon, le prolétariat, la classe exploitée spécifique de la société capitaliste, ne peut utiliser à son profit un appareil d’État conçu et organisé pour garantir cette exploitation, pour réprimer les luttes contre cette exploitation. La première des tâches du prolétariat lors de la révolution consiste à s’armer pour détruire de fond en comble l’appareil d’État et à mettre en place ses propres organes de pouvoir basés sur ses organisations unitaires de masse, avec des délégués élus révocables par les assemblées générales : les Conseils ouvriers.
Le 18 juillet 1936, face au coup d’État militaire contre le gouvernement de Front populaire, le prolétariat a pris les armes. Il a réussi à faire échouer dans la plupart des grandes villes l’entreprise criminelle dirigée par Franco et ses acolytes. A-t-il profité de cette situation, de sa position de force pour s’attaquer à l’État bourgeois ? Un État bourgeois qui, depuis l’instauration de la République en 1931, s’était déjà distingué dans la répression sanglante de la classe ouvrière, notamment aux Asturies en 1934 avec 3 000 morts. Absolument pas !
La riposte ouvrière était certes au départ une action de classe, empêchant le coup d’État de réussir. Mais, malheureusement, l’énergie ouvrière a été rapidement canalisée et récupérée idéologiquement derrière la bannière de l’État par la force mystificatrice de “l’antifascisme” du Front populaire. Loin de s’attaquer à l’État bourgeois et de le détruire, comme ce fut le cas en Octobre 1917 en Russie, les ouvriers ont été dévoyés et embrigadés dans la défense de l’État républicain. Dans cette tragédie, la CNT anarchiste, la centrale syndicale la plus puissante, a bel et bien joué un rôle moteur, en désarmant les ouvriers, en les poussant à abandonner le terrain de la lutte de classe pour capituler et le dévoyer en le livrant pieds et poings liés à l’État bourgeois. Au lieu de s’attaquer à l’État pour le détruire, comme ils ont toujours proclamé vouloir le faire, les anarchistes ont exercé des ministères, déclarant, comme l’a fait Federica Montseny, ministre anarchiste du gouvernement républicain : “Aujourd’hui, le gouvernement, en tant qu’instrument de contrôle des organes de l’État, a cessé d’être une force d’oppression contre la classe ouvrière, de même que l’État ne représente plus un organisme qui divise la société en classes. L’un et l’autre opprimeront même moins le peuple maintenant que des membres de la CNT y sont intervenus”. Les anarchistes, qui se proclament les meilleurs “ennemis de l’État”, ont donc pu, grâce à ce type de rhétorique, entraîner les ouvriers espagnols dans la défense pure et simple de l’État démocratique. La classe ouvrière était détournée de ses objectifs politiques propres pour soutenir la fraction “démocratique” contre la fraction “fasciste” de la bourgeoisie. On mesure là toute l’étendue de la faillite politique, morale, historique, de l’anarchisme. Politiquement dominant dans la péninsule ibérique, l’anarchisme a montré là sa totale incapacité à mener une politique de classe, d’émancipation de la classe ouvrière. Il a simplement abouti à pousser celle-ci vers la défense de la bourgeoisie démocratique, de l’État capitaliste. Mais la faillite de l’anarchisme ne s’arrête pas là. En prétendant mener la révolution en privilégiant “l’action locale” qui a mené aux “collectivisations” de 1936, il a en fait rendu un fier service à l’État bourgeois :
– d’une part, il a permis la réorganisation de l’économie espagnole au profit de l’effort de guerre de l’État républicain, c’est-à-dire du représentant de la bourgeoisie démocratique, contre la fraction “fasciste” de cette même bourgeoisie ;
– d’autre part, il a détourné le prolétariat d’une action politique globale au profit de cette gestion immédiate des unités de production, encore au profit de l’État et donc de la bourgeoisie. Contraints de s’occuper de la production au jour le jour, les ouvriers embrigadés dans les “collectivités” étaient amenés à se détourner de toute activité politique globale, au profit d’une gestion d’entreprises locales, sans liens entre elles, ni avec les besoins réels de la classe ouvrière.
Alors que le prolétariat était maître de la rue en juillet 1936, il a été soumis, en moins d’un an, par la coalition des forces politiques républicaines. Le 3 mai 1937, il a fait une dernière tentative pour s’opposer à cette soumission. Ce jour-là, les “Gardes d’Assaut”, unités policières du gouvernement de la Généralité de Catalogne, en fait des instruments des staliniens qui en avaient pris le contrôle, ont tenté d’occuper le central téléphonique de Barcelone entre les mains de la CNT. La partie la plus combative du prolétariat a répondu à cette provocation en s’emparant de la rue, en dressant des barricades, en partant en grève, une grève presque générale. Le prolétariat était bien mobilisé, disposait certes d’armes, mais restait cependant sans perspective. L’État démocratique était resté intact. Il était toujours présent et offensif, contrairement aux dires des anarchistes, et il n’avait aucunement renoncé à réprimer les tentatives de résistance prolétariennes. Alors que les troupes franquistes arrêtaient volontairement leur offensive sur le Front, les staliniens et le gouvernement républicain écrasaient ces mêmes ouvriers qui, en juillet 1936, avaient fait échouer le coup d’État fasciste. C’est à ce moment-là que Federica Montseny, la plus en vue des ministres anarchistes, a appelé les ouvriers à cesser le combat, à déposer les armes ! Ce fut donc un véritable coup de poignard dans le dos pour la classe ouvrière, une véritable trahison et une défaite cuisante. Voilà ce qu’écrivait à cette occasion la revue Bilan, la publication de la Gauche communiste italienne : “Le 19 juillet 1936, les prolétaires de Barcelone, AVEC LEURS POINGS NUS, écrasèrent l’attaque des bataillons de Franco, ARMES JUSQU’AUX DENTS. Le 4 mai 1937, ces mêmes prolétaires, MUNIS D’ARMES, laissent sur le pavé bien plus de victimes qu’en juillet, lorsqu’ils doivent repousser Franco et c’est le gouvernement antifasciste (comprenant jusqu’aux anarchistes et dont le POUM est indirectement solidaire) qui déchaîne la racaille des forces répressives contre les ouvriers”.
Dans la répression générale qui a suivi la défaite du soulèvement de mai 1937, les staliniens s’en sont donnés à cœur-joie pour procéder à l’élimination physique des “éléments gênants”. Ce fut le cas, par exemple, du militant anarchiste italien, Camilo Berneri, qui avait eu la lucidité et le courage de faire une critique en règle de la politique de la CNT et de l’action des ministres anarchistes dans une “Lettre ouverte à la camarade Federica Montseny”.
Dire que ce qui s’est passé en Espagne en 1936 était une révolution “supérieure” à celle qui a eu lieu en Russie en 1917 non seulement tourne totalement le dos à la réalité, mais constitue une attaque majeure contre la conscience du prolétariat en évacuant et en rejetant les expériences les plus précieuses de la révolution russe : notamment celles des Conseils ouvriers (les Soviets), de la destruction de l’État bourgeois et de l’internationalisme prolétarien, puisque cette révolution s’est conçue comme la première étape de la révolution mondiale et qu’elle a impulsé la constitution de l’Internationale communiste. Un internationalisme prolétarien qui, malgré ses affirmations, était bien étranger au mouvement anarchiste, comme on le verra plus loin.
Le premier élément qui nous permet d’affirmer que la Guerre d’Espagne n’a été qu’un prélude à la Seconde Guerre mondiale, et non une révolution sociale, c’est le caractère même des combats entre différentes fractions bourgeoises de l’État, républicains et fascistes, et entre nations. Le nationalisme de la CNT l’amènera d’ailleurs à appeler explicitement à la guerre mondiale pour sauver la “nation espagnole” : “L’Espagne libre fera son devoir. Face à cette attitude héroïque, que vont faire les démocraties ? Il y a lieu d’espérer que l’inévitable ne tardera pas longtemps à se produire. L’attitude provocatrice et grossière de l’Allemagne devient déjà insupportable. (…) Les uns et les autres savent que, finalement, les démocraties devront intervenir avec leurs escadres et avec leurs armées pour barrer le passage à ces hordes d’insensés…” (Solidaridad obrera, journal de la CNT, 6 janvier 1937, cité par Révolution prolétarienne n° 238, janvier 1937). Les deux factions bourgeoises en lutte ont immédiatement cherché à obtenir des soutiens extérieurs : non seulement, il y a eu une intervention militaire massive des États fascistes qui ont apporté une aviation et une armée blindée modernes aux franquistes, mais l’URSS, à travers des livraisons d’armes et ses “conseillers militaires”, s’est également impliquée dans le conflit. Il y a eu un soutien politique et médiatique énorme, partout dans le monde, pour un camp bourgeois ou pour l’autre. Par contre, aucune des grandes nations capitalistes n’avait soutenu la Révolution russe en 1917 ! Elles avaient toutes, au contraire, participé à l’isoler et à la combattre militairement, en essayant de l’écraser dans le sang.
Une des illustrations les plus spectaculaires du rôle de la guerre d’Espagne comme préparation de la Seconde Guerre mondiale est l’attitude de beaucoup de militants anarchistes par rapport à celle-ci. Ainsi, nombre d’entre eux se sont engagés dans la Résistance, c’est-à-dire l’organisation représentant le camp impérialiste anglo-américain sur le territoire français occupé par l’Allemagne. Certains se sont même engagés dans l’armée régulière française, notamment dans la Légion étrangère ou la 2e Division blindée du Général Leclerc, ce même Leclerc qui allait poursuivre sa carrière dans la guerre coloniale en Indochine. C’est ainsi que les premiers chars qui sont entrés dans Paris, le 24 août 1944, étaient conduits par des tankistes espagnols et arboraient le portrait de Durruti, dirigeant anarchiste commandant la célèbre “colonne Durruti”, mort devant Madrid en novembre 1936.
Tous ceux qui, tout en se réclamant de la révolution prolétarienne, ont pris fait et cause pour la République, pour le “camp démocratique”, l’ont fait en général au nom d’un “moindre mal” et contre le “péril fasciste”. Les anarchistes ont été les promoteurs de cette idéologie démocratique au nom de leurs principes “anti-autoritaires”. Selon eux, même s’ils admettent que la “démocratie” est une des expressions du capital, ils considèrent qu’elle constitue un “moindre mal” par rapport au fascisme parce que, évidemment, elle est moins autoritaire. C’est faire preuve d’une totale cécité ! La démocratie n’est pas un “moindre mal”. Au contraire ! C’est justement parce qu’elle est capable de créer plus d’illusions que les régimes fascistes ou autoritaires, qu’elle constitue une arme de prédilection de la bourgeoisie contre le prolétariat.
De plus, la démocratie n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de réprimer la classe ouvrière. Ce sont les “démocrates”, et même “social-démocrates”, Ebert et Noske, qui ont fait assassiner Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, ainsi que des milliers d’ouvriers, lors de la révolution allemande en 1919, provoquant un coup d’arrêt à l’extension de la révolution mondiale. À propos de la Seconde Guerre mondiale, les atrocités commises par le “camp fasciste” sont bien connues et médiatisées mais le “camp démocratique” n’a pas été en reste : ce n’est pas Hitler qui a envoyé deux bombes atomiques sur des populations civiles, c’est le “démocrate” Truman, président de la grande “démocratie” américaine.
Et si on revient sur le cas de la Guerre d’Espagne, on se doit de rappeler quel accueil la République française, championne des “droits de l’homme” et de la “Liberté-Égalité-Fraternité”, a réservé aux 400 000 réfugiés qui ont fui le territoire espagnol en hiver 1939 à la fin de la guerre civile. Pour la plupart d’entre eux, ils ont été parqués comme du bétail dans des camps de concentration entourés de barbelés, sous la garde armée des gendarmes de la démocratie française.
– Contrairement à ceux qui veulent enterrer le prolétariat et qui cherchent à discréditer son combat, à ceux qui pensent que la tradition de la Gauche communiste est “obsolète” ou une “vieillerie”, qu’il faudrait s’affranchir du passé révolutionnaire du prolétariat, que l’Espagne serait une expérience révolutionnaire “supérieure”, qu’il faudrait finalement oublier le passé pour “expérimenter autre chose”, nous affirmons que le combat ouvrier reste la seule issue pour l’avenir de l’humanité. Nous devons donc défendre impérativement la mémoire ouvrière et ses traditions de luttes. En particulier la nécessité de son autonomie de classe, de combattre de façon intransigeante pour ses propres intérêts, sur son terrain de classe, avec sa propre méthode de lutte, ses propres principes.
– Une révolution prolétarienne n’a rien à voir avec la lutte “antifasciste” et les événements en Espagne des années 1930. Elle doit se placer au contraire sur le terrain politique de la lutte ouvrière, consciente, basée sur la force politique des Conseils ouvriers. Le prolétariat doit conserver son auto-organisation, son indépendance politique vis-à-vis de toutes les fractions de la bourgeoisie, de toutes les idéologies qui lui sont étrangères. C’est ce que le prolétariat a été incapable de faire en Espagne puisque, au contraire, il s’est lié, et donc soumis, aux forces de gauche du capital !
– La Guerre d’Espagne montre aussi qu’il n’est pas possible de commencer à “construire une société nouvelle” au travers d’initiatives locales, sur le terrain économique, comme veulent le croire les anarchistes. La lutte de classe révolutionnaire est d’abord et avant tout un mouvement politique international et non limité à des réformes ou mesurettes économiques préalables (même par des “expérimentations” d’apparence très radicales). La Révolution prolétarienne, comme la Révolution russe nous l’a montré, doit avoir pour première tâche, une tâche politique : celle de la destruction de l’État bourgeois et de la prise du pouvoir par la classe ouvrière à l’échelle internationale. Sans cela, c’est fatalement l’isolement et la défaite.
– Enfin, l’idéologie démocratique est la plus dangereuse de toutes celles promues par l’ennemi de classe. C’est la plus pernicieuse, celle qui fait passer le loup capitaliste pour un agneau protecteur et “favorable” aux ouvriers. L’antifascisme a donc été l’arme parfaite en Espagne et ailleurs usée par les Fronts populaires pour envoyer les ouvriers se faire massacrer dans la guerre impérialiste. L’État et sa “démocratie”, comme expression hypocrite et pernicieuse du capital, reste notre ennemi. Le mythe démocratique est non seulement un masque de l’État et de la bourgeoisie pour cacher sa dictature, sa domination sociale et son exploitation, mais aussi et surtout, l’obstacle le plus puissant et le plus difficile à franchir pour le prolétariat. Les événements de 1936/37 en Espagne le montrent amplement et c’est un de leurs enseignements.
CCI, juin 2019
En dépit de moyens sophistiqués pour masquer la progression du chômage, les mauvaises nouvelles sur ce plan tombent brutalement un peu partout, même si paradoxalement, comme en France, on annonce une baisse des demandeurs d’emploi. Il devient cependant de plus en plus difficile de faire croire que tout cela n’est pas si grave.
Comme chaque année, la période estivale a une nouvelle fois été mise à profit par la classe dominante de tous les pays pour porter de sérieuses attaques contre les conditions d’exploitation et les conditions de vie des salariés.
Mais cette fois, c’est pire. Que ce soit en catimini ou au grand jour, accompagnées ou non d’une propagande anesthésiante, on ne compte plus le nombre de mesures et de réformes qui ont été partout programmées ou mises en œuvre par la bourgeoisie pour faire face à l’accélération de la crise économique.
Dans les pays émergents, la situation des prolétaires se dégrade très fortement. En Argentine, la crise du peso et l’inflation galopante sont en train de plonger le pays dans un scénario qui rappelle de manière encore plus dramatique la chute vertigineuse de 2001 avec son lot de misère accrue pour les prolétaires. 1 Au Brésil, les effets de la réforme du travail avec les pertes de salaires se font lourdement sentir tandis que le système des retraites est attaqué. En Turquie, un plan d’austérité est lancé. En avril on notait déjà une hausse des prix des produits alimentaires de 32 % !
En Europe, au cœur du capitalisme, la crise économique commence à frapper durement. En Allemagne, les plans de licenciement se multiplient. La Deutsche Bank a annoncé en juillet la suppression de 18 000 emplois, le plus grand “plan de restructuration” de son histoire (soit 20 % des effectifs). Autre signe inquiétant pour l’emploi, “les commandes de machines-outils, le fer de lance de l’économie, ont ainsi reculé de 22 % sur un an entre avril et juin”. 2 Mais les suppressions d’emploi s’étendent déjà à pratiquement tous les secteurs : la grande distribution (par exemple, la fusion de Karstadt et Kaufhof va entraîner la suppression de 2 600 postes de travail ; cela va toucher entre 4 000 et 5 000 personnes car de nombreux salariés sont à temps partiel), 5 600 chez T-Systems, filiale informatique de Deutsche Telekom, les assurances (700 emplois en moins chez Allianz), dans les conglomérats industriels : Thyssenkrupp (6 000 dans le monde dont 4 000 en Allemagne), Siemens (2700 dans le monde, 1400 en Allemagne), Bayer (12000 d’ici 2021), etc. Dans le secteur automobile, alors que le travail à temps partiel dans le secteur avait disparu depuis cinq ans, il revient en force et touche aujourd’hui 150 000 personnes. 3
Au Royaume-Uni, dans le contexte chaotique du Brexit, la situation s’aggrave également. Ainsi, le géant bancaire britannique HSBC prévoit un plan de restructuration avec la perte de 4 000 postes, sachant qu’il avait déjà annoncé 30 000 départs en 2011 ! Aux États-Unis, la guerre commerciale et la hausse des droits de douanes impactent déjà les entreprises de produits manufacturés : “Ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les raisons avancées par les employeurs pour justifier les suppressions d’emplois. Dans le dernier rapport de juillet, les droits de douane étaient l’une des principales raisons. En effet, 1 053 réductions ont été annoncées en un mois en raison des tarifs, pour un total de 1 430 cette année et contre 798 en 2018”. 4
En Inde, une source qui émane de l’industrie a déclaré à l’agence Reuters que les premières estimations suggèrent que les constructeurs automobiles, les fabricants de pièces détachées et les concessionnaires ont licencié environ 350 000 travailleurs depuis avril !
On pourrait encore multiplier les exemples. Pourtant, malgré toutes les annonces de suppressions d’emploi, les chiffres du chômage restent étrangement relativement stables un peu partout. L’explication est simple : tout procède d’un maquillage statistique sophistiqué et de nouveaux modes d’évaluation. Outre les chômeurs de plus en plus nombreux qui ne sont plus comptabilisés, le phénomène a été totalement dilué ces dernières années par une explosion de la précarité et la dégradation de la qualité des emplois. Dans tous les pays, les indemnités du chômage sont réduites en même temps que des emplois à rémunérations et horaires faibles ont été autorisés pour généraliser les “petits boulots”. Ce sont ces “politiques actives” qui permettent artificiellement d’augmenter le taux d’emploi sur le dos des prolétaires et de leur famille.
Ainsi, au Royaume-Uni, l’hyperflexibilité du marché du travail et “l’ubérisation” des emplois ont ainsi boosté les contrats “zéro heure” qui n’offrent aucune garantie en termes de temps de travail. Les employeurs sont libres de puiser, comme bon leur semble, en fonction de leur activité qui se dégrade et des carnets de commande en baisse. En Allemagne, nous l’avons vu, les réformes Harz de 2003-2005, qui avaient permis le développement de “mini-jobs” à 450 euros par mois, sont aujourd’hui en expansion. Dans bien d’autres pays, comme la Suède, les CDD à temps partiel, mal rémunérés, se sont fortement développés. Aux Pays-Bas, des contrats “zéro heure” et les “mini-jobs” à l’allemande sont en forte progression aussi. Au Portugal, les recibos verde et en France le statut des auto-entrepreneurs vont dans le même sens, celui d’accroître la précarité. Partout, pour ceux qui ont encore un CDI, les licenciements sont largement facilités. Aujourd’hui, ces mesures prises dès les années 1990, surtout après la crise de 2008, portent leurs fruits et progressent de plus en plus vite du fait de la crise. Pour limiter la baisse du profit, le capital ne cesse d’accroître l’exploitation de la force de travail, ce qui conduit à une forte dégradation des conditions d’existence de la classe ouvrière : les inégalités s’accroissent et la pauvreté ne cesse ainsi d’augmenter. 5
Cette forte progression s’est accentuée durant l’été. Ceci est en partie visible à travers notamment des mouvements de grèves qui ont touché quelques secteurs comme au sein de l’entreprise Amazon en Europe et aux États-Unis au cours du mois de juillet ou dans différentes compagnies aériennes de plusieurs pays (en Espagne ou en Italie, par exemple). Cela, en opposition au fort “dumping contractuel et salarial”.
Les conditions de travail deviennent donc de moins en moins supportables : “On a tellement de gens privés d’emploi qu’on accepte des conditions de travail délétères dans une dimension sacrificielle”. 6 La peur de perdre son emploi génère diverses pathologies et la terreur au travail provoque des suicides ou des dégâts irréparables : “Nous avons des cadres ‘sup’ dont le cerveau est définitivement abîmé et qui ne pourront jamais retravailler. C’est une usure prématurée de l’organisme due à son utilisation intensive et beaucoup trop folle”. 7 Bien entendu, si de plus en plus de travailleurs laissent leur santé au travail, il est aussi de plus en plus difficile de se soigner quand c’est encore possible ! Et ce ne sont pas les attaques sur le secteur hospitalier, notamment en France avec la réforme “Ma santé 2022” qui permettront d’inverser la tendance. 8
Contrairement aux années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale où la force de travail exsangue devait être remise sur pied pour la reconstruction en développant une “protection sociale”, la main-d’œuvre pléthorique d’aujourd’hui nécessitant un moindre coût pour la “compétitivité” n’exige plus ce “luxe” de maintenir une couverture sociale et de santé digne de ce nom.
D’autre part, la durée d’exploitation de la force de travail ne cesse d’être rallongée. Partout, les régimes de retraites sont violemment attaqués. L’âge de départ à la retraite est en recul partout et les pensions ne cessent de s’éroder. En Allemagne, l’âge de la retraite qui est de 65,5 ans va passer à 69 ans en 2027, au Danemark, l’âge de 65,5 ans va passer à 67 ans cette année et à 68 ans en 2030. Dans les pays nordiques, comme en Suède ou en Norvège, un système dit “flexible” va “encourager” les départs tardifs et c’est ce qui se profile aussi en France. Au Royaume-Uni, la loi encourage même à travailler jusqu’à 70 ans. Dans la pratique, les faibles pensions poussent de plus en plus les anciens à travailler. Aux États-Unis, des vieillards de plus de 80 ans se retrouvent ainsi encore en activité. Bien entendu, face à la nouvelle crise ouverte qui s’annonce, une chose est sûre, les prolétaires du monde entier vont voir leur situation se dégrader fortement et l’avenir ne pourra donc que s’assombrir.
Tout ceci s’est d’autant plus accentué que la situation globale de l’économie mondiale s’est encore dégradée : “Au plan économique, la situation du capitalisme est, depuis début 2018, marquée par un net ralentissement de la croissance mondiale (passée de 4 % en 2017 à 3,3 % en 2019), que la bourgeoisie prévoit comme durable et devant s’aggraver en 2019-20. Ce ralentissement s’est avéré plus rapide que prévu en 2018, le FMI ayant dû revoir à la baisse ses prévisions sur les deux prochaines années, et touche pratiquement simultanément les différentes parties du capitalisme : Chine, États-Unis, zone euro. En 2019, 70 % de l’économie mondiale ralentissent et particulièrement les pays “avancés”, (Allemagne, Royaume-Uni). Certains des pays émergents sont déjà en récession (Brésil, Argentine, Turquie) tandis que la Chine, en ralentissement depuis 2017 et avec une croissance évaluée à 6,2 % pour 2019 encaisse ses plus bas chiffres de croissance des trente dernières années”. 9
La période estivale confirme nettement et accentue cette tendance à l’enfoncement dans la crise. D’une part, les tensions commerciales se sont encore fortement accrues cet été entre la Chine et les États-Unis et d’autre part, les principaux indicateurs économiques restent bien au rouge. Au cœur de l’Europe, l’Allemagne est encore touchée de plein fouet par les effets d’un début de récession, ce qui confirme qu’elle est ainsi devenue le nouveau grand malade de l’Europe et bon nombre de spécialistes soulignent plus globalement la possibilité d’une grande secousse financière à venir, probablement encore plus grave que celle de 2008 du fait du niveau d’endettement record accumulé depuis et de la fragilisation des États sur ce plan. Comme nous le soulignons aussi dans notre résolution concernant la classe ouvrière : “ces nouvelles convulsions ne peuvent que se traduire par des attaques encore plus importantes contre ses conditions de vie et de travail sur tous les plans et dans le monde entier”. Même si tous les États qui portent des attaques ne le font pas à la même intensité ni au même rythme, tous doivent s’adapter dans un même sens aux conditions de la concurrence et à la réalité d’un marché toujours plus saturé du fait de la surproduction. Les États doivent également procéder à des coupes sèches dans leur budget afin de faire à tout prix des économies. 10 En fin de compte, c’est encore et toujours sur le dos des prolétaires que la classe dominante tente désespérément de freiner les effets du déclin historique de son propre mode de production et c’est toujours eux qui doivent payer la note !
Face aux attaques programmées et à venir, le prolétariat est fortement exposé aux coups. Cependant, tôt ou tard, il n’aura pas d’autre choix que de réagir et de mener la lutte de manière massive et déterminée. Mais pour cela, il devra d’une part développer les conditions pour une réflexion en profondeur afin de mieux comprendre la façon dont la bourgeoisie se prépare pour faire face à la lutte de classe et, d’autre part, tenter de cerner la façon de mener efficacement le combat de classe sur et en dehors des lieux de travail. Une telle exigence devra nécessairement revenir sur les leçons des mouvements prolétariens qui se sont déroulés par le passé, notamment durant les années 1980. Cela, pour prendre en compte les pièges et les mystifications orchestrées par l’ennemi de classe afin de mieux pouvoir les identifier à l’avenir et ne pas se laisser surprendre. Outre la nécessité de prendre conscience de sa force, de briser l’isolement en contrant la propagande démocratique de l’État et les agissements du syndicalisme, notamment sous ses formes les plus “radicales” et pernicieuses, le prolétariat devra rester toujours vigilant face aux dangers qui menacent l’autonomie de son combat. Il devra tout particulièrement lutter contre l’influence d’idéologies étrangères propres aux couches intermédiaires, notamment petites-bourgeoises qui sont facteur de dilution, risquant de noyer les prolétaires dans la masse indifférenciée d’une notion abstraite : celle de “peuple”. Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” en France, mêlant des prolétaires égarés aux couches petites-bourgeoises, est à cet égard un des exemples les plus significatifs des dangers croissants qui guettent le prolétariat. Loin d’être un modèle de lutte, ce mouvement monté en épingle en a été l’antithèse par son enfermement sur les valeurs démocratiques du capital et ses préjugés nationalistes, voire xénophobes. 11 A contrario, seules les méthodes de lutte du prolétariat, de la grève aux assemblées de masse, sont les conditions pour un combat réellement autonome et conscient, sur un véritable terrain de classe, qui pourront permettre l’affirmation d’une perspective révolutionnaire en vue de mettre fin aux rapports d’exploitation.
WH, 17 août 2019
1) Le peso argentin était à parité avec le dollar au début du siècle ; il ne vaut plus qu’environ 0,02 dollars aujourd’hui. La hausse des prix a été de 50 % sur les douze derniers mois. Le prêt de 57 milliards du FMI en 2018 n’a été consenti qu’en échange d’un plan de rigueur drastique et de sévères coupes budgétaires qui ont déjà provoqué cinq grèves générales depuis le début de l’année. Selon des statistiques reconnues, un tiers des Argentins vivraient déjà en dessous du seuil de pauvreté. (Source : “Argentine : la descente aux enfers de la troisième économie d’Amérique latine”, BFM Business du 13 août 2019).
2) “Allemagne : la croissance marque un coup d’arrêt”, L’Express (17 août 2019).
3) Sans compter le nouveau plan de Volkswagen qui prévoit de supprimer entre 5 000 et 7 000 emplois supplémentaires d’ici 2023 (plus de 30 000 depuis 2017) ou celui de Ford-Allemagne (5 000). En plus d’une réduction d’effectifs de 570 personnes, les contrats d’intérimaires ou à durée déterminée seront supprimés chez Mercedes-Benz.
4) “États-Unis : la guerre commerciale frappe l’emploi de plein fouet !”, Capital (14 août 2019).
5) Depuis 1982, les CDD ont doublé et l’intérim a été multiplié par cinq !
6) “Épuisement professionnel : un tiers des salariés sont en très grande souffrance au travail”, Europe 1 (1er mai 2019).
7) Idem.
8) Déjà en 2012, un tiers de la population a dû renoncer à des soins pour des raisons financières, soit 33 % de plus qu’en 2009 (selon le “baromètre santé et société” d’Europe Assistance-CSA).
9) “Résolution sur la situation internationale du 23e congrès du CCI” disponible sur notre site internet.
10) C’est particulièrement le cas de l’État français comme nous le montrons dans notre article sur les attaques en France : “La bourgeoisie profite des faiblesses du prolétariat pour l’attaquer plus fortement” disponible sur le site internet du CCI.
11) Voir “Bilan du mouvement des “gilets jaunes” : un mouvement interclassiste, une entrave à la lutte de classe”, supplément à Révolution internationale n° 478.
Cet été, les images de l’Amazonie en flammes ont fait le tour du monde. Cette forêt luxuriante, trésor unique de biodiversité et véritable “poumon vert de la planète”, a été consumée par plus de 40 000 incendies. L’ampleur de la catastrophe est telle que le cours du fleuve Amazone en est lui-même perturbé. Les scientifiques craignent que la baisse de son débit n’engendre des déséquilibres océaniques. 1
Face à ce désastre, les dirigeants de tous les pays ont réagi en multipliant les déclarations pour… mieux s’écharper par la suite dans une véritable foire d’empoigne. Le dernier G7, théâtre d’un affrontement entre l’État brésilien et l’État français, en est un exemple tragi-comique. La planète peut bien brûler, chaque nation capitaliste n’y voit qu’une occasion de porter des coups à ses concurrents dans l’arène économique mondiale, véritable métaphore d’un système en putréfaction.
La destruction par les flammes de l’Amazonie n’est pas un accident naturel ponctuel, ni le fruit d’une politique locale anormalement irresponsable. Elle est le symbole de ce que réserve le capitalisme à toute la planète, à toutes les espèces et à l’humanité.
Au cours de la seule année 2018, 12 millions d’hectares de canopées ont disparu de la surface de la terre, dont 3,6 millions de forêts tropicales humides. Le système traditionnel de “brûlage” de la forêt pour les cultures vivrières et l’auto-consommation des communautés rurales a cédé la place aux ravages de la déforestation massive et aux incendies à l’échelle industrielle.
Dans toute l’Amérique du Sud, les arbres sont brûlés pour faciliter la pénétration de l’exploitation minière et forestière, pour créer de nouveaux pâturages destinés à nourrir un bétail à faible coût, et pour produire massivement du soja et de l’huile de palme. Cette politique de destruction massive est menée dans tous les pays, quel que soit le parti au pouvoir.
Au Brésil, avant le populiste Bolsonaro, la même politique de déforestation sauvage était pratiquée sous les gouvernements successifs de Lula, Dilma Roussef et Temer. Au Paraguay, au Pérou ou en Bolivie, c’est le même désastre. Le “révolutionnaire” Evo Morales, figure emblématique de toutes les gauches radicales dans le monde, a baissé les contrôles environnementaux et accordé aux entreprises l’autorisation de détruire davantage la forêt. Depuis le début de l’année, 400 000 hectares d’arbres ont ainsi disparu en Bolivie dans la région de la Chiquitanía (20 000 incendies).
Au Venezuela, sous le règne du “socialiste du XXIe siècle” Nicolás Maduro, “l’Arc minier” engendre lui aussi des destructions d’ampleurs : cette vaste région subit une exploitation incontrôlée afin de favoriser l’extraction de l’or et d’autres métaux, ce qui permet aux dirigeants civils et militaires du chavisme de conserver un certain revenu au pouvoir. Depuis l’époque de Chavez, “l’Arc minier” est en effet placé sous le contrôle d’une camarilla militaire.
En Colombie, la guérilla “marxiste” de l’Armée de libération nationale (ELN) est également active dans l’exploitation des ressources minières. Avec la bénédiction du duo Chavez-Maduro, ces mafias, qui occupent des positions élevées dans leur gouvernement, exploitent (sur un territoire beaucoup plus vaste qu’au Brésil, en Équateur et au Pérou) les mines d’or, de diamants et de coltan. 2 Ces activités détruisent les végétaux, la faune et engendrent une pollution élevée des rivières.
Au Mexique, le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a également lancé de grands travaux qui vont encore un peu plus grignoter les surfaces boisées : le “train Maya” et la raffinerie Dos Bocas. “Le président a affirmé que pas un seul arbre ne serait abattu pour construire le “train maya”, ce qui semble improbable puisque la péninsule du Yucatán est presque entièrement recouverte d’une végétation tropicale très dense, sans parler des forêts du Chiapas. Les scientifiques évoquent une menace pour la biodiversité, et notamment pour l’immense population de jaguars du Yucatán”. 3
Le même constat peut être établi en Afrique et en Asie. En Angola, gouverné par le MPLA, 130 00 incendies ont déjà eu lieu cette année. En 2015, en Indonésie, les forêts tropicales de Bornéo et Sumatra ont été frappées par de gigantesques feux, principalement à cause de la généralisation des plantations de palmiers (pour obtenir l’huile destinée à la fabrication de biocarburant).
Même en Alaska et dans la zone arctique, les terres grillent. En Sibérie, en un an, 1,3 million d’hectares ont brûlé et des villes comme Novossibirsk ou Krasnoiarsk ont subi des nuages de fumée toxiques qui ont amené des milliers de personnes aux urgences.
En Europe, l’État français, par la bouche de son président, s’est fait donneur de leçon au monde. Lors du récent sommet du G7 à Biarritz, Macron a ainsi brandi la menace de mettre un terme aux accords UE-Mercosur 4 et a dénoncé à grands renforts de trompettes l’incurie du président brésilien, incapable d’éteindre le feu. Mais ces grandes envolées lyriques sont d’une hypocrisie et d’un cynisme sans nom. Rappelons que la France est un des acteurs majeurs de la pollution environnementale (notamment par l’usage massif de pesticides) et détruit également les écosystèmes par son agriculture intensive. Il s’agit également d’un pays amazonien, propriétaire de la seule forêt tropicale européenne : la Guyane française, qui est la deuxième plus vaste région de France. Si pour l’instant son projet criminel de faciliter l’implantation d’opérations minières des multinationales dans ce qu’on appelle la “Montagne d’Or” semble abandonné par le gouvernement du fait de “l’incompatibilité du projet actuel avec les exigences de protection de l’environnement”, le fait d’en programmer désormais “une évaluation complète” ne signifie pas son abandon total et définitif. D’ailleurs, “les récentes annonces n’ont aucune valeur légale tant qu’une demande faite par la société minière n’aura pas été déboutée par les services de l’État”. 5
Toujours est-il qu’un tel projet a bien été envisagé sachant qu’il entraînerait des quantités énormes de déchets toxiques (arsenic, cyanure, etc.). Si aujourd’hui Macron et son gouvernement affirment vouloir laisser tomber le projet afin de se montrer responsables et soucieux de la défense de l’environnement, rappelons qu’en août 2015, le ministre de l’économie Macron était prêt à “tout faire pour qu’un projet de cette envergure puisse voir le jour”.
Ces feux de forêts, qui n’ont donc rien de “naturels”, sont une véritable catastrophe pour la vie. Au-delà des destructions qu’ils causent directement, ils aggravent aussi le réchauffement climatique. Aujourd’hui, la fumée des incendies est responsable d’environ 25 % des émissions mondiales de gaz à “effet de serre”. 6 L’industrie agroalimentaire est aujourd’hui plus polluante que les compagnies pétrolières ! C’est un cercle vicieux : le réchauffement favorise les incendies, ce qui facilite la déforestation, qui à son tour permet la propagation des incendies, qui libèrent plus de carbone, ce qui accroît le réchauffement climatique, dans une spirale infernale.
La pollution de l’air (comme celle qu’on a évoquée en Sibérie ou celle qui a obscurci le ciel de São Paulo, 15 heures après les incendies) est une des principales causes des décès prématurés. Une étude récente de l’ONU estime que 8,8 millions de personnes meurent chaque année de cette pollution. Ce taux est comparativement plus élevé dans les pays les plus “développés”.
Le capitalisme tue. Il détruit la planète et assassine les êtres humains. Voilà la vérité toute crue ! La bourgeoisie veut faire croire à la classe ouvrière qu’un capitalisme plus vert et plus juste est possible, un capitalisme où l’Amazonie ne serait plus considérée comme une entreprise mais comme une “réserve environnementale”, où partout la nature et ses forêts seraient plus raisonnablement cultivées. Mensonges ! Le capitalisme est basé sur l’exploitation par une minorité d’une immense majorité, sur la division de l’humanité en classes, la transformation des ressources naturelles et des êtres humains en marchandises. Le capitalisme est un système dont le moteur est la recherche de profit et l’accumulation. Rien d’autre ! Sa seule autre motivation a pour objet de masquer son exploitation sauvage en la recouvrant d’un voile hypocrite, celui de l’idéologie démocratique. Le capitalisme divise l’humanité en nations prêtes à se livrer une compétition à mort (jusqu’à la guerre).
La planète entière doit cesser d’être prisonnière de la dictature de ce système ; la nature doit être libérée de sa condition de marchandise. Mais cela n’est possible qu’en établissant un nouvel ordre sur toute la planète : le communisme, issu de la révolution internationale de la classe ouvrière.
Valerio, 30 août 2019
1) Le fleuve Amazone représente 18 % des eaux douces déversées dans les océans.
2) Minerai très convoité formé par deux minéraux (colombite et tantalite), exploité pour sa grande résistance à la corrosion et notamment utilisé pour la fabrication de composants électroniques (téléphonie mobile) mais également dans l’aéronautique et particulièrement la fabrication des réacteurs.
3) “Au Mexique, le projet présidentiel de train maya sur la voie de la polémique”, France Info (7 mars 2019).
4) Le Marché commun du Sud a d’abord été formé par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, puis par le Venezuela (maintenant suspendu) et la Bolivie (cette dernière étant en voie d’adhésion).
5) “Montagne d’or : les paroles du gouvernement n’enterrent pas le projet”, Reporterre (19 juin 2019).
6) “Déforestation : anatomie d’un désastre annoncé”, Le Figaro (21 août 2017).
La formation d’un nouveau gouvernement à Londres sous la direction de Boris Johnson ne résout pas la crise politique et la lutte de pouvoir au sein de la classe dominante britannique, qui est devenue un facteur prépondérant dans la vie politique du pays depuis le référendum sur le Brexit en juin 2016. Au contraire : avec la désignation de Johnson par les conservateurs comme leur nouveau leader et Premier ministre, cette crise a atteint une nouvelle étape et la lutte de pouvoir, un nouveau degré d’intensité. La nouvelle phase de cette lutte de pouvoir n’est ni une lutte entre Johnson et ses soi-disant opposants modérés du parti conservateur, ni entre Johnson et l’opposition travailliste, ou avec le Premier ministre écossais, Nicola Sturgeon, fervente partisane du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Comme le journal du dimanche britannique The Observer et le quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung l’ont affirmé, l’opposant que Johnson et les conservateurs essayent principalement de neutraliser est “Mister Brexit” lui-même : Nigel Farage. Le calcul (ou le pari) de Johnson est d’ “assurer la livraison du Brexit” d’ici au 31 octobre, avec ou sans deal (“le faire ou mourir”) et si possible sans avoir, au préalable, recours à des élection s générales. Faute de quoi, afin de pouvoir “livrer” son Brexit, il risquerait d’avoir à former un gouvernement de coalition avec le nouveau Parti du Brexit de Farage. Ce dernier, outsider insouciant de la politique britannique, aurait ainsi un droit de regard direct sur la politique gouvernementale (ce que les soi-disant élites établies veulent éviter). D’autre part, si le Parlement actuel l’empêchait de livrer son Brexit à temps, comme promis, cela donnerait probablement un élan supplémentaire et considérable à la carrière politique comme aux ambitions de Farage. Le problème que cela pose à Johnson (au moment où ces lignes ont été rédigées) est qu’il n’est pas certain que le Parlement actuel accepte le deal (ou le no deal) qu’il est susceptible de présenter. Le Premier ministre pourrait également détourner l’attention du Parlement en le suspendant temporairement, par exemple. Cependant, certains de ses opposants ont d’ores et déjà déclaré que telle procédure serait considérée comme un coup d’État (en français dans le texte), un véritable putsch. En un mot : le désordre devient un bourbier. Cette situation est une expression claire de la fragmentation qu’engendre le capitalisme dans sa phase de déclin et du chacun pour soi à tous les niveaux : économique, militaire, social et politique. Les acteurs de ce processus, bien que n’étant pas passifs, sont largement conditionnés par celui-ci.
La situation politique (qui, pour l’instant, est pire que l’économique) va de mal en pis. La paralysie progressive de ces trois dernières années menace d’échapper à tout contrôle. Il est important de souligner que, dans ce contexte, si le nouveau Premier ministre mise tout sur un Brexit rapide et à n’importe quel prix, ce n’est pas parce qu’il pense que cette orientation va forcément dans l’intérêt du capitalisme britannique. En réalité, il est de notoriété publique que Johnson était loin d’être convaincu des bienfaits du Brexit au moment du référendum dont le résultat l’avait à la fois surpris et rempli d’une certaine consternation. La principale raison de son soutien au camp pro-Brexit semble avoir été son désir de construire sa propre base d’influence au sein du Parti conservateur afin de pouvoir défier son leader et Premier ministre d’alors : David Cameron. Coincé par la victoire du camp du Leave au référendum, il a rapidement réalisé que la mise en pratique de ce verdict serait une tâche ingrate. Il a donc momentanément renoncé (ou plutôt : reporté) à briguer la tête du parti, préférant laisser le sale boulot à quelqu’un comme Theresa May. La principale préoccupation de Johnson semble donc n’avoir jamais été le Brexit mais sa propre carrière politique. Trois années plus tard, il a réussi à se placer à la tête du parti et de l’État, ce qui nous éclaire sur les changements qui, depuis 2016, ont bouleversé l’équilibre des forces au sein de la classe dominante. Au moment du référendum, les deux camps qui s’opposaient alors étaient clairement dessinés, chacun derrière leur leader respectif : Cameron et Farage.
Farage était un arriviste, évoluant hors du parti et de l’appareil politique établi. Cameron, par contre, en plus d’être Premier ministre, avait beaucoup d’appuis au sein des instances dirigeantes. Ses soutiens provenaient de son propre parti, du Parti travailliste (le principal parti d’opposition), mais aussi des libéraux-démocrates et des nationalistes écossais, tous deux fervents partisans du maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE (Remain). Le résultat semblait donc, à première vue, acquis d’avance. Pourtant, plus la campagne de l’UKIP (Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni, extrême-droite) de Farage prenait de l’ampleur, plus les conservateurs (Johnson inclus) se mettaient à rejoindre les partisans du Brexit. Pour la plupart, ce n’était sans doute pas parce qu’ils avaient été convaincus par les arguments d’UKIP. Non pas qu’ils n’aient pas partagé le ressentiment de ce dernier à l’égard de l’Europe pour avoir poussé la Grande-Bretagne à tourner le dos à son ancien Empire mais leur principale motivation semble avoir été tactique : celle de couper l’herbe sous le pied de Farage et le détourner vers une voie de garage.
Mais les conservateurs ont fait une erreur de calcul et les partisans du Remain ont perdu. Ce qui, à son tour, a modifié l’équilibre des forces au sein de la politique bourgeoise britannique. Il suffit de rappeler que Theresa May (alias : “le Brexit signifie le Brexit”) 1 qui a succédé à Cameron, était à l’origine partisane du Remain, comme beaucoup de membres du Parti conservateur qui aujourd’hui se disent partisans d’un Brexit pur et dur. D’ailleurs, au sein du Parti conservateur, les partisans du Remain (les “hauts placés” comme Heseltine ou les députés actuels comme Dominic Grieve) passent un mauvais quart d’heure. Pour le moment, les partisans du Brexit ont plus ou moins pris les rênes du parti, mais surtout, ils ont fait main basse sur le gouvernement. En effet, l’un des architectes de la campagne du Brexit, Dominic Cummings, est désormais le conseiller principal du gouvernement.
Avant le référendum, il fallait choisir entre quitter ou bien rester au sein de l’Union européenne. Tant que c’était le cas, une majorité de la classe dominante était clairement en faveur de cette dernière option. Cependant, après le référendum, ce choix n’était désormais plus possible. Théoriquement, bien entendu, il serait toujours envisageable d’organiser un second référendum dans le but d’obtenir une majorité de voix en faveur du Remain. C’est une manœuvre bien délicate, cependant. En effet, il n’est absolument pas certain que l’issue serait cette fois différente et une telle tentative serait même périlleuse : elle risquerait d’aggraver les dissensions déjà existantes autour du Brexit ainsi que celles présentes au sein de la classe dominante. C’est pourquoi, parmi la classe exploiteuse, cette option n’est actuellement pas très populaire. Aujourd’hui, la dynamique est à un Brexit sans accord, même si, comme l’ont montré les élections européennes, il existe une polarisation entre le no-deal et le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Theresa May, lorsqu’elle était Premier ministre, a passé le plus clair de son temps à essayer de persuader la “classe politique” que son Brexit négocié devait être considéré comme un moindre mal. Sans succès. Du point de vue de la classe dominante, l’accord proposé par May est sans conteste beaucoup moins avantageux que le fait de rester dans l’UE. Un moindre mal ? Pour la plupart des responsables politiques et “faiseurs d’opinion” du pays, cette option n’en est absolument pas une. Pour eux, le Royaume-Uni devait encore suivre la politique de l’UE sur de nombreuses questions même sans avoir son mot à dire.
Ce dilemme a engendré une désorientation grandissante au sein de l’appareil d’État. Un des produits de cette désorientation est l’émergence de ce que l’on pourrait appeler les “hésitants”. Leur état d’esprit est mis en lumière par le discours et le comportement électoral de nombreux parlementaires : certains défendent une chose puis son contraire le lendemain, d’autres ne savent tout simplement pas quelle position adopter et semblent vouloir laisser leur indécision en l’état le plus longtemps possible. Impossible de deviner quel camp sera, au final, le leur.
Autre conséquence de cette désorientation : la cristallisation, au sein du Parti conservateur, d’une faction grandissante de partisans d’un véritable Brexit dur. “Véritable” car ils défendent le Brexit sans accord, non par opportunisme ou par considération tactique, mais parce qu’ils sont réellement d’accord avec Nigel Farage. Ce noyau dur se regroupe autour de personnes telles que Jacob Rees-Mogg, qui soutient qu’un no-deal est la meilleure chose qui puisse arriver. Ce groupe a indubitablement joué un rôle prépondérant dans la chute de May (après avoir maintes fois saboté ses tentatives pour que son deal soit accepté) et son remplacement par Johnson. Bien qu’il soit probablement encore minoritaire au sein du parti, il a l’avantage, par rapport aux autres conservateurs, de savoir exactement ce qu’il veut. De fait, leurs opposants au sein du parti sont fortement acculés à la défensive, leur rayon d’action étant limité par la crainte que leur vénérable Parti conservateur ne soit en danger existentiel. En effet, ils craignent que les partisans de la ligne dure, s’ils n’arrivent pas à leur fin, se rebellent et qu’ils rejoignent Farage d’une manière ou d’une autre. Scénarios possibles : une scission au sein du parti, ou son “détournement”, dans l’esprit de ce qu’a pu faire Trump avec le Parti républicain aux États-Unis.
Au moins, une chose ressort clairement : la soi-disant élite établie a sous-estimé le facteur du populisme politique en général et le rôle de Farage en particulier. Nous pouvons facilement convenir que le terme “populisme” n’est pas très précis et requiert d’être approfondi. Cela étant, le terme “populisme” lui-même contient déjà une part de vérité, comme l’illustre clairement la situation actuelle de la Grande-Bretagne. L’une des principales raisons du succès de Farage a été sa capacité à tirer parti du mécontentement populaire, à exacerber un ressentiment diffus et à manipuler les préjugés les plus répandus dans le but de contrer la propagande des factions dominantes de sa propre classe. La Grande-Bretagne était loin d’être le seul pays européen où la classe dirigeante, chaque fois qu’elle le pouvait, imputait à “Bruxelles” les effets de ses attaques contre sa “propre” population ouvrière. Cependant, en Grande-Bretagne, ce stratagème était systématiquement utilisé (sur une très longue période), avec une intensité et un degré d’hystérie qui ne se voyait quasi nulle part ailleurs.
De plus, cette politique a atteint un nouveau cap au début du siècle, lorsque certains pays de l’Europe de l’Est ont rejoint l’Union européenne. Une des conditions de leur intégration était que les États membres d’alors soient autorisés à limiter l’afflux de main-d’œuvre en provenance de l’Est pendant une phase de transition pouvant aller jusqu’à huit ans. Il s’agissait de faire en sorte que la pression à la baisse des salaires en Europe occidentale, que la concurrence de l’Est sur le marché du travail allait inévitablement exercer, puisse être introduite progressivement, afin d’éviter une aggravation trop brutale des tensions sociales. Trois pays seulement ont renoncé à ce mécanisme transitionnel : la Suède, l’Irlande et le Royaume-Uni. La principale raison, dans le cas de ce dernier, était évidente. Des pans entiers de l’industrie anglaise souffraient de la concurrence des entreprises allemandes qui bénéficiaient, entre autres, de salaires extrêmement bas grâce à la politique d’austérité de l’ “Agenda 2010”, mis en place par le gouvernement social-démocrate/vert de Gerhard Schröder. Face à cela, un afflux énorme de main-d’œuvre bon marché d’Europe de l’Est était exactement ce dont le capitalisme britannique avait besoin pour contrer cette offensive allemande. Au niveau de la politique du marché du travail, la mesure était un succès total. De nombreux ouvriers en Grande-Bretagne perdirent alors leur travail, remplacés par des “citoyens importés de l’Union européenne” qui se trouvaient dans une situation de détresse économique plus ou moins importante, obligés de travailler plus pour gagner moins. Ces derniers étaient non seulement “très motivés” (comme aime à le dire l’euphémisme capitaliste) mais nombre d’entre eux étaient également très qualifiés.
Cette politique n’a pas fait qu’aider à baisser les salaires réels. Cela a, au niveau social, entraîné une succession de mesures draconiennes, mieux décrite sous le terme : anarchie capitaliste. Presque rien n’avait été prévu pour faire face à l’afflux de centaines de milliers de nouveaux habitants. L’état déjà critique du logement, de la couverture médicale et des services publics tels que les transports et la santé, était désormais au bord de l’effondrement. Et ce, non seulement dans les environs de Londres, mais aussi dans des régions qui, jusqu’alors, étaient moins impactées par le flux migratoire des travailleurs européens. Afin d’illustrer l’ambiance qui régnait à cette époque, citons l’exemple du National Health Service de Londres, qui, au vu de la sur-affluence d’infirmières étrangères déjà compétentes, envisageait de ne plus en former.
Mais ce n’est pas tout. De manière plus ou moins unitaire, le gouvernement britannique et les médias démocratiques et pluralistes ont présenté cet afflux comme une chose que l’Union européenne avait imposé à la Grande-Bretagne et sur lequel Londres n’avait pas eu son mot à dire : un bel exemple de “fake news” ! Ainsi, lorsque Cameron commit l’erreur capitale d’organiser son référendum sur le maintien ou non de la Grande-Bretagne au sein de l’UE, Farage savait exactement ce qu’il faisait en plaçant “le contrôle de nos frontières” au centre de sa stratégie. En procédant ainsi, il fit d’une pierre deux coups : en dirigeant la frustration populaire contre ses propres rivaux bourgeois et, en même temps, en dressant les ouvriers les uns contre les autres, sapant ainsi la solidarité de la classe ouvrière. La seule différence, par rapport à ses homologues populistes en Europe tels que Salvini en Italie ou l’AfD (Alternative für Deutschland) en Allemagne, est qu’il s’est davantage mobilisé contre les migrants de l’Union européenne que contre les réfugiés.
Néanmoins, un second point a permis à Farage de prendre ses opposants politiques par surprise : le soutien de puissantes factions bourgeoises hors du Royaume-Uni. Beaucoup de choses ont été dites au sujet du rôle de la Russie dans la campagne sur le Brexit. Il est évident que Moscou avait un intérêt à ce que le camp de l’UKIP sorte gagnant du référendum et il a probablement fait tout ce qui était en son pouvoir pour influer sur le résultat. Cependant, il n’est un secret pour personne que la classe dominante britannique aime blâmer la Russie pour tout et n’importe quoi et a, en réalité, un intérêt direct à exagérer son rôle. Non, l’aide étrangère à laquelle nous faisons ici référence vient d’Outre-Atlantique. Ce n’est pas pour rien que les médias américains comparaient le référendum du Brexit à une sorte de répétition générale de la victoire de Trump aux élections présidentielles américaines de 2016. Ces deux événements furent, en grande partie, pris en main par les mêmes structures, telles que les algorithmes électoraux (aujourd’hui disparus) de la firme Cambridge Analytica appartenant au mathématicien et milliardaire américain Robert Mercer, ou l’empire médiatique de l’Australien Rupert Murdoch, fervent partisan de Trump.
Il y a, entre les factions bourgeoises dominantes américaines et britanniques, une longue tradition d’étroite collaboration et ce même sur les questions économiques. Tristement célèbre est le rôle majeur joué par les efforts combinés de Margaret Thatcher (Royaume-Uni) et Ronald Reagan (États-Unis) dans la mise en place d’un ordre économique mondial “néo-libéral”. Plus récemment, précisément face au référendum sur le Brexit, Barack Obama tentait de venir à la rescousse de David Cameron en mettant son poids politique et ses talents d’orateur de son côté. Mais à cette occasion (peut-être pour la première fois à une telle échelle), le soutien “officiel” de l’administration Obama au gouvernement britannique fut contrecarré par un autre soutien transatlantique, “non officiel” celui-ci : celui des futurs “trumpistes” aux partisans du Brexit. Cette dernière collaboration fut motivée par la conviction commune que, dans la phase historique actuelle, “le multilatéralisme”, qu’il se présente sous la forme de l’Union européenne ou, par exemple, sous celle de la Nouvelle route de la soie chinoise, est de plus en plus susceptible d’être utilisé comme bélier contre les intérêts de la plus grande puissance mondiale, les États-Unis, mais également contre ceux de l’ancien leader mondial, le Royaume-Uni. Par dessus-tout, ils soupçonnent des entités comme l’Union européenne d’être sujettes à la manipulation par des rivaux potentiels tels que la Chine et l’Allemagne. Ces deux dernières puissances, en particulier, sont considérées à Londres et à Washington comme profitant du marché unique de l’UE pour étendre leur influence au travers de toute l’Europe continentale. De ce point de vue, partagé par Trump et d’autres, dans un monde plus fragmenté et privé d’une grande partie de sa structure “multilatérale”, les États-Unis s’en sortiraient mieux, étant plus à même de s’imposer aux autres. Mais, d’après les partisans du Brexit, le Royaume-Uni pourrait également tirer avantage d’un (dés-)ordre unilatéral ou bilatéral grâce à son expérience historique, à ses connexions de longue date dans le monde entier et à son statut de puissance financière mondiale.
Dans ce contexte, l’objectif, à long terme, de la droite dure des partisans du Brexit ne saurait se limiter à la seule éviction du Royaume-Uni de l’Union européenne. Comme cela a été maintes et maintes fois dénoncé (déjà par Cameron lors de la campagne sur le référendum), dans un monde dans lequel la Grande-Bretagne coexiste avec l’UE, mais se trouve en dehors de celle-ci, Londres risque de se trouver considérablement désavantagé par rapport à l’UE. Pour cette raison, la droite dure des partisans du Brexit ne peut se satisfaire du retrait du Royaume-Uni de l’UE. Leur but ultime est de contribuer à l’effondrement de l’Union européenne, du moins sous sa forme actuelle. Le Brexit représente donc, à leurs yeux, un premier pas dans cette direction.
Il va de soi que cette stratégie est un pari des plus risqués. Pas étonnant que ce ne soit pas du tout ce que la classe politique traditionnelle voulait. C’est la situation historique mondiale objective (l’effondrement de l’ordre capitaliste existant) qui confère à ce projet improbable une certaine crédibilité.
Il n’est assurément pas passé inaperçu à Londres que, ces dernières années, l’Allemagne a pris d’importantes mesures dans le but d’affirmer ses ambitions de leader au sein de l’Union européenne. À cette fin, elle a notamment utilisé des moyens économiques. Elle a ainsi largement réussi à transformer l’Europe de l’Est en une sorte de chaîne de montage élargie de l’Europe de l’Ouest, mais surtout de l’industrie allemande. Elle a également profité de son rôle clé de garant de l’Euro (monnaie commune à la majorité des États membres de l’UE) pour imposer, au moins partiellement, ses politiques économiques en Europe du Sud. Ces mesures ont aidé, pendant quelque temps, à contrer les tendances centrifuges au sein de l’Union européenne.
Cependant, ces dernières années, de nombreux événements sont venus menacer cette cohésion. Comme nous l’avons abordé dans cet article, le Brexit ainsi que la politique de Trump représentent, dans une certaine mesure, une attaque contre l’UE. Au sein de l’Union européenne également, en Europe continentale, la cohésion déjà précaire s’est vue de plus en plus fragilisée : par la montée du populisme, par exemple, qui tend en général à être plus ou moins hostile envers Bruxelles, ou encore par le mécontentement croissant des autres États membres à l’égard de la politique économique allemande (dont les deux autres poids lourds que sont la France et, en particulier, l’Italie).
L’interaction entre ces différentes tendances et contre-tendances est compliquée et réserve toujours des surprises. En effet, les 27 pays membres restants de l’Union européenne se sont étonnés d’avoir jusqu’à présent réussi à serrer les rangs lors des négociations autour du Brexit, résistant, jusqu’ici, à toute tentative de Londres de les monter les uns contre les autres. De fait, les turbulences mondiales, comme le Brexit et en particulier l’explosion de guerres commerciales centrées, mais pas seulement, sur les deux géants américain et chinois, ont rappelé aux 27 les avantages de faire partie d’une même zone commerciale qui a un réel poids sur la scène économique mondiale. Cela vaut d’autant plus pour les petits pays membres de l’UE qui, en outre, sont privés des avantages économiques et politiques sur lesquels la bourgeoisie britannique peut au moins placer ses espoirs. De plus, un certain nombre de gouvernements populistes se sont rendu compte à quel point il pouvait être difficile de quitter l’UE, comme c’est le cas actuellement pour le Royaume-Uni, d’où la position intransigeante de l’UE sur la question.
Un autre facteur de la résilience actuelle de l’UE est la préoccupation de beaucoup de ses États membres face aux succès que la Russie rencontre ces dernières années. L’Allemagne, qui ne dispose pas d’un poids militaire suffisant pour s’imposer sur le continent européen, est donc obligée de développer des partenariats et de rechercher des intérêts communs pour accroître sa domination, face à cela, elle a mis au point une politique étrangère extrêmement hostile envers la Russie (avec qui elle pourrait également avoir des intérêts communs). Ce faisant, elle tente de relancer le fameux “moteur” franco-allemand et d’améliorer ses relations tendues avec la Pologne.
Il est évident que l’évolution de la crise politique à Londres sera influencée par des événements qui prendront place en Europe comme aux États-Unis. Les partisans radicaux du Brexit (comme Farage, Cummings, Rees-Mogg) n’ont pas d’autre choix que celui d’espérer la réélection de Trump en 2020. Mais que se passera-t-il s’il n’est pas réélu ? Et même si c’était le cas, comment les partisans du Brexit peuvent-ils être certains que l’homme dans le Bureau Ovale ne finira pas par penser que l’éclatement, pas seulement de l’Union européenne, mais aussi du Royaume-Uni serait dans l’intérêt des États-Unis ?
Le capitalisme a toujours été, dans un sens, un véritable jeu de hasard, une loterie et Londres est l’un de ses chefs-lieux. Aujourd’hui, avec un capitalisme en pleine phase de décomposition, c’est plus que jamais le cas. Un jeu dangereux au détriment de la stabilité et de l’avenir de l’humanité toute entière. Quand ce jeu de hasard devient-il une sorte de “roulette russe” ? Nous ne tenterons nullement de prédire quelle sera l’issue du jeu du “Brexit”. En revanche, ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que cette dernière ne sera certainement pas en faveur de la classe ouvrière britannique, ni de celle d’aucun autre pays.
Steinklopfer, 6 août 2019
1) Le surnom “Brexit means Brexit” a été donné à Theresa May par la presse britannique suite à la conférence de presse du 30 juin 2016 où elle annonçait sa candidature à la tête du Parti conservateur, déclarant : “Le Brexit signifie le Brexit et nous en ferons un succès” et s’opposant fermement à un second référendum. Theresa May a ensuite inlassablement répété et tenté d’appliquer ce mantra, “Brexit means Brexit”, jusqu’à sa démission. (Note du traducteur).
Le 6 avril 2019 s’est tenue à Marseille une réunion publique sur le centenaire de la fondation de l’Internationale communiste. Outre la présence de sympathisants du CCI, cette réunion a vu aussi la participation d’un camarade du PCI–Le Prolétaire et d’un camarade de Fil Rouge.
La présence de ces camarades du courant bordiguiste sur un des événements les plus importants de l’histoire du mouvement ouvrier était l’occasion de confronter nos positions car “pour pouvoir construire le futur parti mondial du prolétariat, sans lequel le renversement du capitalisme sera impossible, les minorités révolutionnaires doivent se regrouper, aujourd’hui comme dans le passé. Ils doivent clarifier leurs divergences par le débat, la confrontation des idées et des positions, la réflexion collective et la discussion la plus large possible. Ils doivent être capables de tirer les leçons du passé pour pouvoir comprendre la situation historique présente et permettre aux nouvelles générations d’ouvrir les portes de l’avenir”. 1
Ce sont les participants à cette réunion publique qui ont interpellé les organisations présentes pour qu’elles développent un débat ouvert dans le milieu politique prolétarien, car comme l’a dit une camarade : “il ne faut pas attendre de grands mouvements prolétariens pour le faire. Aujourd’hui nous sommes dans une situation de faiblesse de la classe, il y a un rouleau compresseur de l’idéologie bourgeoise avec le poids très fort de l’individualisme, un tel débat serait une réaction contre une telle pression”. Pour une autre camarade : “ce serait aussi un pôle d’attraction pour les minorités en recherche et notamment des jeunes. Attendre des grands mouvements du prolétariat contient le risque de reproduire la même erreur que l’IC à savoir qu’elle s’est constituée alors qu’il y avait beaucoup de points à clarifier, sur la question syndicale, le rôle du parti… et une des leçons que met en évidence la fondation de l’IC, c’est que toutes ces questions doivent faire l’objet de débats aujourd’hui”. Tous les participants étaient particulièrement intéressés à connaître les positions de la Gauche communiste, cerner où sont les points d’accord et les divergences. Un tel débat, dans sa dimension internationale, romprait avec l’atomisation des organisations prolétariennes et stimulerait la réflexion chez des éléments ou groupes intéressés par la politique révolutionnaire.
Bien évidemment, le CCI a régulièrement soutenu de tels appels et les groupes se réclamant de la Gauche communiste doivent aussi les entendre. Le CCI a toujours défendu le débat dans le milieu révolutionnaire, malheureusement cela a abouti, jusqu’à maintenant, à un échec, en particulier les Conférences initiées par Battaglia comunista (Parti communiste internationaliste) à la fin des années 1970. Pourquoi ? “C’est essentiellement l’incapacité du milieu dans son ensemble à surmonter le sectarisme qui a mené au blocage et finalement au sabotage des conférences. Dès le début, le CCI avait insisté pour que les conférences ne restent pas muettes, mais qu’elles publient, dans la mesure du possible, un minimum de déclarations communes, afin de préciser au reste du mouvement les points d’accords et de désaccords qui ont été atteints, mais aussi face à des événements internationaux majeurs (comme le mouvement de classe en Pologne ou l’invasion russe en Afghanistan) qu’elles fassent des déclarations publiques communes sur des questions qui étaient déjà des critères essentiels pour les conférences, comme l’opposition à une guerre impérialiste”. 2
Or, lors de cette réunion publique du CCI, nous avons vu les camarades du PCI et de Fil Rouge répondre à cet appel en développant une véritable confrontation des positions politiques. Il est évident que les groupes révolutionnaires présents sont absolument d’accord pour la création d’un parti mondial de la révolution. Une des premières leçons que la réunion a tiré, c’est qu’il ne faut pas commettre l’erreur de l’IC, l’union tardive des forces militantes du prolétariat alors que la vague internationale de luttes révolutionnaires connaissait ses premiers échecs graves, particulièrement en Allemagne en 1919, renforçant l’isolement de la révolution en Russie. Cela dit, le PCI et Fil Rouge ne tirent pas les mêmes leçons que le CCI, et cela a été l’occasion d’un débat très riche.
Comme il a été affirmé dans la discussion, les conditions dans lesquelles va se créer la future Internationale ouvrière seront différentes de celles qui ont prévalu à la fondation de la Troisième Internationale, il serait alors intéressant que le débat puisse se développer sur ce que sont ces conditions différentes, comme le disent les camarades. S’il existe une convergence entre les camarades bordiguistes et le CCI sur la nécessité de regrouper et d’unir les forces révolutionnaires à l’échelle internationale, il s’agit alors de clarifier sur quelles bases. Les camarades bordiguistes rejettent toute politique qui vise à une fusion des différents groupes, ce qui n’est bien sûr en aucune manière la conception du CCI. Cependant, c’est dans cette question (par quel processus ce regroupement doit se faire ?), qu’apparaissent de véritables divergences. Pour le CCI, ce processus ne peut se faire qu’à travers une confrontation des positions de chaque groupe, et ce alors que l’IC a laissé en friche toute une série de questions politiques nécessitant une clarification. En ce sens, pour qu’ait lieu cette confrontation, il est nécessaire de combattre le poids du sectarisme qui a prévalu dans le passé et qui continue à peser dans le milieu politique prolétarien, comme nous l’écrivons dans notre presse. Le CCI a rappelé que lors de la guerre impérialiste au Kosovo, en 1991, il avait lancé un appel aux groupes politiques prolétariens pour réagir à la barbarie bourgeoise en mettant en avant le mot d’ordre : “le prolétariat n’a pas de patrie, prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”, appel qui est resté lettre morte. Pourtant, c’est une des leçons que nous a légué le mouvement ouvrier avec la Conférence de Zimmerwald : alors qu’il existait de nombreuses divergences entre les participants, Zimmerwald a été une lumière pour le prolétariat mondial subissant la barbarie du capitalisme dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Cette Conférence a été le prélude à la création d’une nouvelle Internationale, alors que la Deuxième Internationale avait montré sa faillite en août 1914 en votant les crédits de guerre, entraînant le prolétariat dans la première boucherie impérialiste. Il ne s’agissait pas d’effacer les divergences politiques mais de défendre, face aux guerres impérialistes, un des principes prolétariens fondamental : l’internationalisme.
Cependant, le camarade de Fil Rouge a émis beaucoup de réserves sur les interventions de nos sympathisants et du CCI appelant à la clarification des divergences par la confrontation des positions de chaque groupe. Pour lui, les différentes organisations ont déjà dégagé des leçons et par conséquent un nouveau processus de clarification n’a pas lieu d’être. C’est pour cela que le camarade insiste sur l’idée de rejet de toute “fusion” des organisations prolétariennes et qu’un débat et une confrontation des positions ne sont pas nécessaires. Les deux camarades bordiguistes ont mis en avant ce que leur courant avait dégagé comme leçons : le rôle du parti, la dictature du prolétariat, la caractéristique de la Russie devant opérer une révolution double (comme le rappelait le camarade de Fil Rouge qui est la théorie de Marx en 1848 sur la “Révolution permanente”), ce qui a fait dire au camarade du PCI qu’il existe au sein de chaque pays des spécificités qu’il faut prendre en compte, ce qui était le cas justement de la révolution russe. Pour les camarades bordiguistes, le CCI a tiré d’autres leçons qui se rapprochent des positions conseillistes, notamment vis-à-vis de la question du parti et de la dictature du prolétariat. Nous avons rejeté une telle idée car il est indéniable que le CCI défend la nécessité d’un parti et de la dictature du prolétariat.
Or, ce sont justement sur toutes ces questions, en les élargissant à la question de l’émergence des Conseils ouvriers comme organes du pouvoir de la classe ouvrière, comme le disait Lénine, ou encore sur la question syndicale, que le processus de clarification doit avoir lieu. En ce sens, pour le CCI, toutes les leçons de l’IC, notamment, sur le changement de période historique du capitalisme, celui de la décadence, comme Rosa Luxemburg et Lénine l’avaient mis en évidence, n’ont pas été encore tirée en profondeur. Il reste en effet un gros travail à faire pour saisir les implications induites par la période de décadence en ce qui concerne l’intervention des révolutionnaires dans les luttes ouvrières. En fait, nous considérons qu’il faudrait aussi examiner plus en profondeur l’apport des différentes expressions de la Gauche communiste qui se sont battues contre la dégénérescence de l’IC.
Alors que les différentes organisations de la Gauche communiste devraient pouvoir s’engager dans un débat ouvert et fraternel dans ce sens, celle-ci demeure malheureusement encore aujourd’hui trop fragmentée.
Selon le camarade de Fil Rouge, “la situation de la classe ouvrière est catastrophique”. Un tel constat nécessite, de notre point de vue, grandement d’être discuté. Pour notre part, nous pensons qu’il faut débattre et fortement nuancer ce propos au regard de l’évolution des luttes et de la conscience de classe sur un plan plus historique. En effet, si les difficultés pour la classe ouvrière sont indéniables, nous ne pouvons pas pour autant les mettre sur le même plan que celles qu’a pu vivre la classe ouvrière durant la période de contre-révolution dans les années 1930. ll faudrait donc aller plus loin, comprendre pourquoi la classe ouvrière se retrouve dans une situation que nous qualifierions plutôt aujourd’hui de “grande faiblesse”. Tout cela nécessite bien une argumentation et un débat contradictoire pour permettre de nous inscrire dans un cadre général afin de prendre plus de recul et saisir de manière dynamique une perspective pour notre classe. Nous devons par exemple voir comment les leçons de l’IC et des groupes se réclamant de la Gauche communiste, comme Bilan par exemple, peuvent nous aider à nous orienter dans la situation complexe d’aujourd’hui. Un tel débat, vital pour le mouvement ouvrier et les organisations révolutionnaires, nécessite donc que les groupes se réclamant de la Gauche communiste se rassemblent pour des confrontations fraternelles, en développant les polémiques dans la presse et aussi par la discussion en organisant des réunions publiques face à la classe ouvrière. Cela, afin de créer un lieu de débat ouvert contre la propagande de la classe dominante. Cela est possible et nécessaire comme l’a montré la tenue de la réunion publique à Marseille sur la création de l’IC. En ce sens, la présence de la mouvance bordiguiste aux réunions publiques du CCI, qui est à saluer, montre que cette fragmentation des organisations de la Gauche communiste peut et doit être dépassée. Le CCI mettra toutes ses forces dans la bataille pour que se créent toutes les conditions pour une clarification politique dans le camp révolutionnaire.
André, 15 août 2019
1) “Centenaire de la fondation de l’IC : l’Internationale de l’action révolutionnaire ouvrière”, Révolution internationale n° 476 (mai-juin 2019).
2) Voir sur le site internet du CCI : “Il y a cinquante ans, Mai 68. La difficile évolution du milieu politique prolétarien”.
Après une longue période de manifestations en série et les pressions accrues de la rue, la cheffe de l’exécutif hongkongais, véritable bureaucrate et marionnette de Pékin, a fini, le 4 septembre dernier, par céder en retirant le projet de loi très contesté qui portait sur les extraditions (de soi-disant criminels) vers la Chine.
Depuis la rétrocession britannique de Hong Kong à l’empire du Milieu en 1997, l’étau chinois s’était progressivement resserré et les événements de ces derniers mois traduisent une des plus graves crises politiques ayant secoué cette place financière où vivent sept millions de personnes. En 2014, la dite “révolution des parapluies” avait déjà mobilisé les pro-démocratie mais s’était heurtée de plein fouet à l’inflexibilité du prédécesseur de la “Dame de fer” actuelle, Carrie Lam. Or, depuis le mois de juin, des mobilisations analogues semblent aboutir cette fois à un camouflet pour Pékin : le retrait de la loi sur les extraditions vers la Chine. Comment expliquer cela, alors que Pékin restait droit dans ses bottes jusqu’ici et avait déjà fait la preuve de ses talents pour réprimer très durement toutes contestations, en particulier celle de la place Tiananmen en 1989 ? D’ailleurs, la présence pressante de l’État chinois et de ses tortionnaires aux portes de l’“îlot” hongkongais ne fait que traduire l’intention de réprimer fortement les manifestants. La répression a déjà frappé les leaders les plus en vue et tous ceux que l’État chinois assimile volontiers à des “terroristes”. 1
À elles seules, les mobilisations de millions de personnes chaque fois plus déterminées (jugeant d’ailleurs que le geste de Carrie Lam “c’est trop peu et trop tard”) n’expliquent pas totalement le recul de Pékin. Ceci, d’autant plus que la relative autonomie de Hong Kong, en théorie jusqu’en 2047, reste sur le fond intolérable pour le parti unique stalinien qu’est le PCC. Ce qui change fondamentalement la donne, c’est le rapport de force entre les grandes puissances et la réalité d’un aiguisement des tensions impérialistes, notamment entre les États-Unis et la Chine. 2 Face aux ambitions impérialistes affichées par cette dernière et la réalité de sa montée en puissance, bouleversant les équilibres notamment par son gigantesque projet des “routes de la soie”, les États-Unis ont été amenés à riposter par une véritable offensive dont l’objectif est, en grande partie, d’endiguer ce nouvel adversaire de plus en plus gênant et dangereux. Outre l’aiguisement des tensions commerciales, cet été, et les pressions militaires américaines dans le golfe Persique, 3 les manifestations de Hong Kong constituent une arme de la déstabilisation supplémentaire contre la Chine. Pékin ne s’y trompe d’ailleurs pas puisqu’elle accuse ouvertement les manifestants de “collusion avec l’Occident” et affirme que “nous nous opposons fermement à toute force extérieure intervenant dans les affaires législatives de Hong Kong”. 4
L’affaire de la “fuite” des propos privés de Carrie Lam prétendant vouloir “démissionner” de son poste semble attester de la fameuse “collusion” que la Chine dénonce à l’encontre des “occidentaux”. Bien entendu, si les “occidentaux” tant incriminés par Pékin se sont rapidement “indignés” de la fameuse loi d’extradition vers la Chine (Trump le premier), ce n’est certainement pas parce que cette dernière serait “contraire aux droits de l’homme” et parce qu’elle est utilisée pour torturer ou enfermer tous ceux qui contestent l’ordre établi par Pékin, que ce soit des journalistes, des ONG et bien sûr les militants de tous poils. Non ! Tout ceci relève uniquement d’un pur opportunisme politique, pour des motivations exclusivement impérialistes. En réalité, l’État américain, ou d’autres “occidentaux” incriminés, n’ont que faire du sort des extradés, des prisonniers, des torturés par les sbires de l’État chinois. Souvenons-nous d’ailleurs qu’eux-mêmes utilisent volontiers les mêmes méthodes dans certaines circonstances (comme les pratiques barbares des soldats de l’armée américaine en Irak ou en Afghanistan, à une époque où les dirigeants occidentaux étaient pourtant un peu plus “présentables” qu’un Trump). 5 Ainsi, si les opposants de Hong Kong bénéficient de tant de sympathie et d’appuis (au moins idéologiques si ce n’est matériels) de la part des grandes puissances occidentales et de leurs dirigeants, c’est non seulement pour des raisons impérialistes, mais également parce qu’un tel mouvement est totalement inoffensif pour le système capitaliste et qu’il permet même de le préserver.
En effet, les manifestants de Hong Kong ne sont en rien l’expression d’un mouvement de classe révolutionnaire remettant en cause le capitalisme ; “Peu importe combien ils sont et peu importe combien d’ouvriers ont participé à ce mouvement, les protestations de rue ne sont pas une manifestation du combat de la classe ouvrière. À Hong Kong, le prolétariat n’est pas et n’a pas été présent dans la lutte en tant que classe autonome. Au contraire ; les ouvriers de Hong Kong ont été complètement submergés, noyés dans la masse des habitants”. 6 Un tel mouvement présente donc un grand danger pour la classe ouvrière en renforçant l’idéologie dominante, en réactivant le mythe démocratique contre la lutte et l’autonomie de classe du prolétariat.
Quand l’impérialisme souffle sur les braises de l’idéologie démocratique pour masquer ses sordides intérêts capitalistes, indépendamment de la suite et de l’issue des événements futurs, cela ne peut que porter davantage de confusions dans les têtes des ouvriers. Cela n’augure que de la barbarie, favorise l’exploitation, les tensions, les guerres et le chaos.
WH, 6 septembre 2019
1) Plus de 1 100 arrestations, l’usage massif des lacrymogènes et de canons à eau estampillés “démocratie française”.
2) Les porte-parole du mouvement soupçonnent le gouvernement d’avoir été poussé à réagir à l’approche de la rentrée du Sénat américain qui doit reprendre l’examen du Hong Kong Human Rights and Democracy Act qui, s’il était adopté, pourrait remettre en cause le statut particulier, fiscal et commercial, de Hong Kong vis-à-vis des États-Unis.
3) Les menaces de représailles envers l’Iran ont ainsi permis un contrôle plus serré du détroit d’Ormuz par les États-Unis au détriment des ambitions de la Chine dans cette région géostratégique vitale.
4) “Cinq questions sur la crise à Hong Kong”, France Info (10 juin 2019).
5) On peut prendre l’exemple du “waterboarding”, qui consiste à simuler une noyade. Des photos du Pentagone montraient “des pyramides de détenus nus, des prisonniers tenus en laisse, menacés par des chiens ou contraints de se masturber” (“États-Unis : le Pentagone publie des photos de sévices sur des prisonniers en Irak et en Afghanistan”, France 24 du 6 février 2016).
6) “Manifestations massives dans les rues de Hong Kong : les illusions démocratiques sont un piège dangereux pour le prolétariat”, à lire sur le site Internet du CCI.
De novembre 2018 à juin 2019, l’espace médiatique a été grandement occupé par le mouvement social des “gilets jaunes”. Contestation à la forme “inédite”, selon les experts, il s’agirait d’un nouveau modèle de lutte. Pour certains, il serait même mieux adapté à l’évolution de la société. Face à la crise de la “représentativité” des partis traditionnels et des syndicats, face aux excès de la mondialisation et du libéralisme, le “peuple” aurait trouvé ici le moyen de s’exprimer et de se faire entendre, de peser sur les grandes orientations politiques nationales, de dire non aux injustices, à la précarité et à la pauvreté grandissantes. Bref, la forme originale de ce mouvement devrait marquer de son empreinte l’avenir. Les syndicats appellent d’ailleurs à une future convergence des luttes entre le monde du travail et celui de cette nouvelle contestation sociale, promettant un nouveau “Front populaire”. Certaines organisations de gauche et d’extrême-gauche saluent même la créativité des manifestants en gilet. S’agit-il enfin d’une nouvelle forme efficace de lutte ouvrière ? En réalité, les “gilets jaunes” n’expriment en rien un combat de nature prolétarienne. Ils sont un mouvement interclassiste, une entrave à la lutte de classe. Ils noient les travailleurs qui s’y sont égarés dans la population en général, de manière indifférenciée, en dehors de toute considération de classe sociale, dilués dans un prétendu peuple. Les “gilets jaunes” distillent donc en cela le poison de l’idéologie de la petite bourgeoisie, fortement imprégnée de nationalisme et de xénophobie, bouffie de rêves de liberté… entrepreneuriale. Ce mouvement, sorte de fronde paradoxalement soumise au cadre institutionnel alimente les pires illusions démocratiques. Cela, comme si un capitalisme plus “juste” et plus “humain” pouvait en effet être possible à conditions d’améliorer les institutions républicaines. En réalité, tout montre que ce mouvement affaiblit la capacité des prolétaires à lutter comme une classe unie et organisée.
Le 27 janvier 2018, à Périgueux, en Dordogne, 250 personnes défilent pour demander le retrait de la nouvelle limitation kilométrique sur les routes à 80 km/h. Quelques-uns portent des “gilets jaunes” avec des slogans écrits dans le dos contre la vie chère, la hausse de la CSG et les taxes liées à l’automobile (péages, essence…). Ils bloquent aussi la circulation sur des ronds-points. Cette action appelée “Colère”, lancée sur les réseaux sociaux le 12 janvier par un maçon, Leandro Antonio Nogueira, reçoit immédiatement le soutien de Jean Lassalle et des proches de Marine Le Pen. Si la lutte contre la limitation de vitesse glisse rapidement vers la question plus large des taxes, c’est parce que les 80 km/h sont vus comme un prétexte pour multiplier les amendes et donc piquer de l’argent dans les poches des automobilistes. Selon le journal Libération, “cette question des 80 km/h était bien plus qu’un enjeu de sécurité routière, (…) le point de départ d’une potentielle jacquerie fiscale”. Ici apparaissent donc les balbutiements du mouvement des “gilets jaunes”. Comme l’affirme Nogueira : “Moi je ne voulais pas trop dire que c’est parti de Colère. Mais si vous regardez les “gilets jaunes”, ce sont souvent d’anciens coléreux. Dans certains départements, comme la Dordogne ou la Corrèze, tous les “gilets jaunes” sont des anciens de Colère”.
Le 29 mars 2018, l’appellation “Les gilets jaunes” apparaît pour la première fois dans les médias, lors d’une manifestation contre la ligne à grande vitesse Paris-Rennes.
Le 29 mai 2018, une auto-entrepreneuse, Priscillia Ludosky, lance une pétition en ligne pour réclamer une baisse des prix du carburant à la pompe. Le succès est fulgurant. Elle deviendra plus tard l’une des représentantes officielles du mouvement.
Le 10 octobre 2018, le chauffeur-routier Éric Drouet appelle, lui aussi sur Facebook, à manifester pour le 17 novembre : “Blocage national contre la hausse du carburant”. Son message est relayé sur tous les réseaux sociaux. Le 17 novembre, selon le gouvernement, 287 710 personnes, réparties sur 2 034 points, paralysent carrefours routiers, ronds-points, autoroutes, péages et parkings de supermarchés. Le mouvement des “gilets jaunes” est définitivement lancé. Une nouvelle grande journée d’action est programmée pour le 24 novembre, baptisée : “Acte 2 : toute la France à Paris”. L’objectif est de bloquer les lieux prestigieux et de pouvoir de la capitale : l’avenue des Champs-Élysées, la place de la Concorde, le Sénat et, surtout, l’Élysée. “Il faut mettre un coup de grâce et tous monter sur Paris par tous les moyens possibles (covoiturage, train, bus, etc). Paris, parce que c’est ici que se trouve le gouvernement ! Nous attendons tout le monde, camion, bus, taxis, VTC, agriculteurs, etc. Tout le monde !”, proclame ainsi Éric Drouet. Le soir-même, est lancé, toujours via Facebook, l’appel à une troisième journée d’action, prévue pour le samedi 1er décembre : “Acte 3 : Macron démissionne !”, en mettant en avant deux revendications “La hausse du pouvoir d’achat et l’annulation des taxes sur le carburant”.
Comment expliquer le succès de ces différents appels via Internet ? L’ampleur de cette mobilisation témoigne avant tout de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société. Hausse généralisée des taxes en tous genres, montée du chômage, systématisation des emplois précaires, y compris dans la Fonction publique, inflation touchant particulièrement les denrées de première nécessité, prix inabordables du logement… les raisons de la colère sont nombreuses. Cela dit, il faut mesurer la réelle ampleur de la mobilisation des ouvriers au sein de ce mouvement qui, même au plus haut, a rassemblé seulement quelques centaines de milliers de personnes tout au plus. Les gros bataillons de travailleurs ne se sont jamais réellement impliqués, ni sur les ronds-points, ni sur les Champs-Élysées, au-delà d’une platonique sympathie. Ce qui apparaît par contre clairement, c’est qu’à l’initiative de ce mouvement se trouvent des représentants de la petite bourgeoisie et leurs aspirations. Ce n’est pas un hasard si, parmi les huit porte-paroles des “gilets jaunes” désignés le 26 novembre, se compte une écrasante majorité de petits patrons ou d’autoentrepreneurs. Ce n’est pas par hasard si le meneur Éric Drouet en appelle en premier aux “camions, bus, taxis, VTC, agriculteurs”. Les “gilets jaunes” forment un mouvement interclassiste : y sont mélangées toutes les classes et couches exploitées et intermédiaires de la société ; et donc le la est donné par l’idéologie de la petite bourgeoisie.
La liste des 42 revendications des “gilets jaunes” établie le 29 novembre 2018 est révélatrice de cette nature interclassiste et du poids dominant de l’idéologie petite-bourgeoise. S’y trouvent ainsi pêle-mêle à la fois des revendications ouvrières sur les salaires et les retraites par exemple, mais aussi des requêtes nationalistes, localistes ou boutiquières sur l’économie des entreprises et les taxes, et même des réclamations xénophobes et nauséabondes sur l’immigration. En voici quelques extraits de cette liste sous forme de pot-pourri :
– “Zéro SDF : URGENT.
– SMIC à 1300 euros net.
– Favoriser les petits commerces des villages et centres-villes.
– Que les GROS (Macdo, Google, Amazon, Carrefour…) payent GROS et que les petits (artisans, TPE, PME) payent petit.
– Même système de sécurité social pour tous (y compris artisans et autoentrepreneurs).
– Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé (pas de retraite à points).
– Fin de la hausse des taxes sur le carburant.
– Pas de retraite en dessous de 1 200 euros.
– Protéger l’industrie française : interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c’est protéger notre savoir-faire et nos emplois.
– Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine.
– Qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir Français (cours de langue française, cours d’Histoire de la France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours).
– Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée”.
Oui, avec le mouvement des “gilets jaunes”, des milliers de travailleurs, chômeurs, retraités ont poussé un cri de colère légitime face à la pauvreté. Mais, cette colère diffuse est très facilement monopolisée, depuis les premiers jours, par les petits patrons qui ont initié ces manifestations et les principaux mots d’ordre, afin de faire pression sur le gouvernement et obtenir gain de cause : la baisse des taxes qui asphyxient leur entreprise. Tout le reste, leurs revendications pour soutenir l’économie française, durcir le contrôle des migrants, etc. constitue le fond du décor de leur idéologie de petits-bourgeois.1
À l’origine, le mode d’action principal des “gilets jaunes” consiste à opérer des liens virtuels sur les réseaux sociaux et à occuper quotidiennement les ronds-points, à réaliser des barrages filtrants. En quelques semaines, ces lieux de rassemblement deviennent des lieux de vie, des îlots de résistance avec campements et barbecues. Se retrouvent là des agriculteurs, des artisans, des petits patrons mécontents, pris à la gorge et surtout des travailleurs précaires. Le sentiment dominant est l’envie “d’être visible” et de se montrer, d’être ensemble. Le port du gilet jaune sert donc de ralliement pour “tenter d’exister”. Les “gilets jaunes” apostrophent les automobilistes qui, pour beaucoup, les soutiennent en les saluant et/ou klaxonnant. Sur chaque point de blocage, des drapeaux tricolores sont brandis, La Marseillaise est très régulièrement entonnée. Mais la stérilité de cette méthode de lutte apparaît très vite aux yeux de beaucoup, d’où la décision, à partir de la fin novembre, d’occuper chaque samedi les lieux symboliques des grandes villes françaises, tout spécialement les Champs-Élysées à Paris. Ce qui nourrit principalement l’immense colère des “gilets jaunes”, c’est “le sentiment d’être méprisés”, ignorés par les gouvernants, l’envie d’être entendus et reconnus par “ceux d’en haut”, ce qui explique cette volonté d’aller sur les Champs-Élysées, “la plus belle avenue du monde”, pour s’y faire “voir” et “entendre”.
Ces jours de la fin novembre et du début décembre 2018 vont alors être marqués par une confrontation extrêmement violente avec les forces de répression de l’État.
Le samedi 1er décembre, au Puy-en-Velay (Haute-Loire), des affrontements avec la police dégénèrent après que certains manifestants aient été gazés ; la préfecture est incendiée. Mais c’est surtout à Paris que les heurts sont les plus spectaculaires. L’arc de Triomphe est envahi et vandalisé, des voitures sont incendiées et quelques boutiques pillées. Ces images font le tour du monde. Le pouvoir en place semble ponctuellement débordé, incapable de maintenir l’ordre au sein de la capitale. L’écrasante majorité des partis politiques bourgeois exploitent la situation pour tenter d’affaiblir le président Macron ; ils le critiquent soit pour son incompétence à maintenir la sécurité, soit pour sa morgue et son indifférence aux souffrances du “peuple”. Il y a un danger réel pour lui de se retrouver trop isolé sur l’échiquier politique et d’avoir une image internationale dégradée quant à sa stature de chef d’État. Surtout que le parti La République en marche n’est pas encore suffisamment implanté dans le Moloch étatique et qu’il fonde sa stabilité, justement, en très grande partie sur son leader, “l’homme providentiel et jupitérien”, Macron. Le pouvoir en place va donc réagir avec force et répondre sur les deux plans, en brandissant carotte et bâton, enfin plus exactement une toute petite carotte et un énorme bâton. Le samedi 8 décembre, 264 personnes sont blessées, y compris grièvement (perte d’yeux ou de mains), notamment en raison de l’utilisation des flash-balls et de grenades de désencerclement, résultat très concret du changement de stratégie du ministre de l’Intérieur et de son ordre donné aux policiers d’aller au contact des manifestants. Dans la foulée, le 10 décembre 2018, le président Macron prononce une allocution télévisée dans laquelle il annonce plusieurs mesures afin de prouver qu’il a “entendu” “les souffrances du peuple”. Cela dit, malgré les 10 milliards d’annonce, les manifestants ont conscience qu’en réalité les conditions de vie vont continuer à se dégrader. La colère ne retombe pas et le mouvement se poursuit. Le 15 décembre, 69 000 membres des forces de l’ordre sont déployés sur le territoire (soit un ratio de 1 membre des forces de l’ordre pour 1 manifestant), dont 8 000 à Paris ; 179 personnes sont interpellées et 144 placées en garde à vue. Les images qui tournent alors sur toutes les chaînes de télévision, aux quatre coins du globe, sont très différentes de celles du samedi 1er décembre. Cette fois, les Champs-Élysées sont occupés par des tanks et des cordons de “robocops”. L’État, avec Macron à sa tête, réalise là une véritable démonstration de force et révèle clairement ce que sont les quelques voitures brûlées et vitrines cassées de la semaine précédente pour le système capitaliste : une piqûre d’insecte sur la peau d’un éléphant. L’Ordre règne à Paris.
Peu à peu, une revendication va supplanter toutes les autres : le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Il s’agit là d’un dispositif de “démocratie directe”. Avec le RIC, des citoyens réunissant un nombre de signatures fixé par la loi pourrait saisir la population par référendum sans que soit nécessaire l’accord du Parlement ni du président de la République. Les “gilets jaunes” souhaitent quatre modalités pour le RIC : pour voter une proposition de loi, pour abroger une loi votée par le Parlement ou un traité, pour modifier la Constitution (référendum constitutionnel) et pour révoquer un élu.
A partir de janvier 2019, ces trois lettres, RIC, apparaissent donc progressivement sur presque tous les dos des “gilets jaunes”. Or, cette espérance en un capitalisme plus démocratique n’est pas qu’une simple illusion, c’est surtout un véritable poison pour la classe ouvrière.
Comme nous l’écrivions dès 1978 : “Pour les idéologues bourgeois, l’État est l’émanation de la souveraineté populaire. La démocratie est la forme suprême de l’État, l’achèvement et la perfection de son être. Le marxisme y voit cependant tout autre chose. Dévoilant la division de la société en classes, il démontre qu’il ne saurait y avoir communauté d’intérêts entre exploités et exploiteurs. Par conséquent, l’État, loin de gérer un prétendu bien commun, n’est jamais qu’une trique aux mains de la classe exploiteuse. Cela reste vrai même si la démocratie étend son voile hypocrite sur les rapports de classe et ne laisse paraître que les “citoyens égaux et libres”. Derrière la liberté et l’égalité formelles, descend l’ombre du bâton dont la classe oppresseuse se sert pour assujettir la classe opprimée. (…) Les luttes prolétariennes trouvent alors sur leur chemin le mirage démocratique et parlementaire, destiné à les égarer, à ramollir ou écarter les assauts qu’elles portent à l’État bourgeois, à freiner ou disloquer leur élan, à les emporter sans force loin de leur but. Car si “l’appareil exécutif, militaire et politique de l’État bourgeois organise l’action directe contre la révolution prolétarienne, la démocratie représente pour lui un moyen de défense indirecte en répandant dans les masses l’illusion qu’elles peuvent réaliser leur émancipation par un processus pacifique” (thèses de la Gauche italienne, 1920). De ce moyen de défense indirecte, aucun État de la classe dominante ne peut durablement se passer sans chauffer à blanc les antagonismes sociaux”.
La démocratie est l’organisation politique la plus sophistiquée et efficace de la domination de la classe bourgeoise sur l’ensemble de la société, en particulier la classe qu’elle exploite, le prolétariat. Tel ou tel détail du fonctionnement démocratique, tel le RIC, ne peut s’inscrire que dans ce cadre. D’ailleurs, ce type de référendum existe déjà dans plus d’une quarantaine de pays dont la Suisse, l’Italie, la Slovénie, l’Uruguay et même l’Allemagne et les États-Unis, autant de coins de la planète où l’exploitation capitaliste comme la domination économique et politique de la bourgeoisie y sont toutes aussi présentes qu’en France. La démocratie est l’arme la plus affûtée du capitalisme, et avec son RIC, le mouvement des “gilets jaunes” permet au pouvoir en place de l’aiguiser un peu plus encore. C’est pourquoi Macron et son gouvernement sautent sur cette trop belle occasion en lançant le 15 janvier 2019 un “Grand débat national”. Durant trois mois (janvier, février et mars), un débat particulièrement pourri va ainsi occuper l’actualité et toutes les têtes : participer au “Grand débat” ou organiser ses propres discussions entre “gilets jaunes”. En réalité, ces discussions, qu’elles soient orchestrées par le gouvernement ou par les “gilets jaunes” (dans des salles municipales prêtées… par les maires), sont les deux faces de la même médaille : opposées en apparence, elles forment un tout. Tous ces grands et petits débats, quels qu’ils soient, se fondent sur le souhait d’une “véritable démocratie”, c’est-à-dire d’une plus grande écoute, d’une meilleure prise en compte de la parole du “peuple” par les institutions démocratiques. Or, répétons-le, ce système démocratique n’est qu’une mystification masquant que tous les gouvernements sont les gestionnaires de leur capital national respectif, les représentants d’une classe minoritaire exploitant la majorité : les prolétaires.
Une partie des “gilets jaunes” ont conscience de la vacuité de ces palabres ; eux veulent imposer leurs revendications par la force. Au lendemain même de la fin du “Grand débat national”, le samedi 16 mars, la colère éclate. Quelques centaines de Black blocs et “gilets jaunes” émeutiers tentent d’abord, sans succès, de prendre d’assaut l’Arc de triomphe, comme le 1er décembre, puis saccagent l’avenue des Champs-Élysées et les rues avoisinantes, principalement en brûlant des kiosques et en brisant des vitrines pour attaquer les “symboles du capitalisme”. Les images du prestigieux restaurant Le Fouquet’s incendié lors de cet “acte XVIII” font le tour du monde. Selon Le Monde : “de plus en plus de manifestants considèrent que la casse est le seul moyen de se faire entendre et de faire plier le gouvernement”. Cette révolte du désespoir est donc infestée de manière croissante par le nihilisme des Black blocs qui prônent partout : “La France est une vitrine, moi un pavé”. Un tag revient de plus en plus sur les murs : “Le peuple applaudit les casseurs”. Le “peuple” peut bien applaudir, ces actes de destruction ne sapent en rien les fondements du système. Pire, ils permettent à la bourgeoisie et son gouvernement de légitimer le renforcement juridique et policier de son arsenal répressif à l’image de la loi anti-casseurs adoptée par le parlement. Si le gouvernement et son Ministre de l’Intérieur avaient voulu protéger la plus belle avenue du monde, ils auraient parfaitement pu déployer leurs cars de flics, leurs cordons de CRS et même les blindés de la gendarmerie pour bloquer tous les accès, comme lors de leur démonstration de force du 15 décembre 2018. Il faut être particulièrement naïf pour imaginer que le gouvernement a été complètement dépassé par une situation inattendue. D’ailleurs, selon l’aveu même du secrétaire général de l’UNSA-Police, les forces de l’ordre étaient “en mesure d’intervenir” mais n’ont pas été “autorisées à le faire”. Si Macron et sa clique du gouvernement ont laissé faire ce samedi 16 mars, c’était d’abord pour obliger les autres partis électoraux concurrents et “l’opinion publique” à resserrer les rangs autour de la défense de l’État républicain “menacé par le chaos” et les actes de destruction des casseurs déguisés en “gilets jaunes” ou en costumes noirs : la loi anti-casseurs ne devait plus être contestée. On a pu entendre Macron déclarer que “personne ne peut tolérer que la République soit attaquée au nom du droit de manifester”. Il fallait faire “l’union nationale”, contre le vandalisme avec “la plus grande fermeté”, et faire accepter à tout le “peuple de France” les mesures de renforcement de l’État policier contre tous ceux qui manifestent “illégalement” et veulent mettre “la République en danger”.
Ainsi, le 20 mars, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, annonce tranquillement la mobilisation du dispositif Sentinelle, c’est-à-dire l’intervention de l’armée. Conséquence directe de cette répression étatique accrue et de ces déclarations gouvernementales musclées, le 23 mars, à Nice, Geneviève Legay, une “gilet jaune” militante d’Attac, âgée de 74 ans, est gravement blessée au cours d’une charge des forces de l’ordre. Elle devient le symbole des victimes des violences policières incessantes. Les images sur les réseaux sociaux de manifestants aux yeux crevés ou aux mains arrachées se multiplient.
La haine anti-flic grimpe alors encore d’un cran parmi les “gilets jaunes” les plus radicaux et le 20 avril, lors de la manifestation appelée “Ultimatum”, certains manifestants crient : “Suicidez-vous !” à l’encontre de policiers.
Quelles leçons tirer de ces mois de mobilisation de mars et avril ? Le gouvernement a utilisé de manière continue la violence policière comme pour souffler sur les braises. Tel était en effet son but, entretenir la colère et faire durer ce mouvement des “gilets jaunes” qui lui rendait tant de services pour mystifier le prolétariat :
– occupation de l’espace médiatique et de toutes les préoccupations sociales, permettant de passer totalement sous silence la multitude de petites grèves isolées à travers l’hexagone ;
– focalisation de la réflexion sur comment rendre la République française plus démocratique (avec le Grand débat de Macron ou avec le RIC des “gilets jaunes” ?) ;
– mise en avant des destructions du mobilier urbain par une minorité de “gilets jaunes” et de Blacks blocs afin de présenter toute lutte non-démocratique comme un “acte criminel”, une violence aveugle et ainsi légitimer le renforcement de l’arsenal répressif pour y faire face ;
– et, enfin, faire passer encore un peu plus la lutte ouvrière comme “ringarde” au profit de la novatrice contestation du “peuple français”, drapeaux tricolores brandis et Marseillaise entonnée.
Les syndicats et l’extension… du poison interclassiste
Le mouvement des “gilets jaunes” ne s’est pas développé seulement en dehors des structures syndicales, il s’est aussi positionné en grande partie contre. L’ampleur de ce mouvement interclassiste s’explique par la difficulté de la classe ouvrière à exprimer sa combativité du fait de toutes les manœuvres syndicales de sabotage des luttes (comme on l’a encore vu récemment avec la longue grève perlée à la SNCF). Ce mécontentement contre les syndicats qui existe au sein de la classe ouvrière a été récupéré par ceux qui ont lancé le mouvement. Ce que beaucoup de supporters du mouvement des “gilets jaunes” veulent faire passer, c’est que les méthodes de lutte des salariés (grève, assemblées générales souveraines et manifestations massives, comités de grève…) ne mènent à rien. Il faut donc faire confiance maintenant aux petits patrons (qui protestent contre les taxes et l’augmentation des impôts) pour trouver “d’autres méthodes de lutte” contre la vie chère, pour améliorer les institutions démocratiques et la représentativité, et rassembler tout le “peuple de France”.
Cela dit, les syndicats en ont profité pour tenter de limiter leur discrédit. Certainement pas en défendant les méthodes de luttes de la classe ouvrière, puisqu’ils passent leur temps à briser toute possibilité d’assemblée générale ouvrière, souveraine et autonome. Non, ils y parviennent en partie en tentant de coller à l’idée du “peuple” révolté. Tel est le sens des appels successifs à la “convergence” entre le mouvement des “gilets jaunes” et les mobilisations syndicales. Se sont ainsi multipliés les gilets de toutes couleurs, pour chaque secteur ou corporation. Aux assistantes maternelles : le “gilet rose”, aux cégétistes : le “gilet rouge”, aux travailleurs indépendants des travaux publics : le “gilet orange”, aux enseignants (plus originaux) : le “stylo rouge” ! Non seulement, les syndicats ont accentué les divisions dans des luttes déjà très fragmentées, éclatées par secteur et par boîte, comme ils le font systématiquement depuis un siècle, mais, en plus, les ouvriers atomisés ont été appelé à se diluer dans le “peuple” en gilet et disparaître en tant que classe. Les syndicats, CGT en tête, ont ainsi organisé de grands carnavals multicolores du mois de février au 1er mai. Ces manifestations ont donné lieu, à Paris, à de véritables cacophonies où La Marseillaise et le drapeau tricolore des “gilets jaunes” faisaient écho à L’Internationale et aux drapeaux rouges ou noirs des trotskistes (du NPA et de LO) et des anarchistes (de la CNT).
La présence, le 1er mai, en tête du cortège, de milliers de “gilets jaunes” et de quelques centaines de Black-blocs avec la bénédiction des syndicats, est venue parapher cette atomisation des travailleurs et la dilution des quelques ouvriers présents dans l’interclassisme.
Ce mouvement des “gilets jaunes” n’est, au mieux, rien de plus que la manifestation la plus visible et spectaculaire de l’énorme colère qui gronde au sein de la population et particulièrement dans toute la classe exploitée face à la vie chère et aux mesures d’austérité du gouvernement Macron. Il n’est, au mieux, rien d’autre qu’un signe annonciateur des futurs combats de classe du prolétariat. De nombreux ouvriers se sont mobilisés contre la pauvreté, les attaques économiques incessantes, le chômage, la précarité de l’emploi… Mais en rejoignant les “gilets jaunes”, ces ouvriers se sont momentanément égarés, ils se sont mis à la remorque d’un mouvement menant dans une impasse. C’est cette impasse qui permet aujourd’hui au gouvernement Macron de redoubler d’arrogance en continuant de plus belle à porter de nouvelles attaques.
La classe ouvrière traverse une période difficile. Depuis 1989, avec les campagnes sur l’effondrement du stalinisme identifié à la prétendue faillite du communisme, le prolétariat n’a pas été en mesure de retrouver son identité de classe et de se reconnaître en tant que classe et sujet révolutionnaire. Incapable d’esquisser les contours d’une société sans exploitation, la classe exploitée, manquant de confiance en ses forces, demeure très vulnérable et se sent impuissante sur le terrain de la lutte. La classe ouvrière n’est même pas consciente de son existence en tant que classe antagonique à la classe bourgeoise et distincte des couches sociales intermédiaires (notamment la petite bourgeoisie). Elle a perdu la mémoire de son propre passé, et ne parvient même pas se référer à son immense expérience historique, dont elle a même honte puisque sans cesse la bourgeoisie assimile le mot ouvrier à une espèce disparue et le mot communisme à la barbarie du stalinisme.
Cependant, malgré ces difficultés importantes, le prolétariat n’est pas battu. Compte tenu du mécontentement général et des attaques qui se profilent, les grandes masses prolétariennes peuvent très bien sortir de cette léthargie dans la période à venir. Certes, le prolétariat a perdu momentanément son identité de classe, il est coupé de son histoire et de son expérience. Mais il est toujours là, bien vivant. Il reste le fossoyeur du capitalisme. Au plus profond de lui-même, la réflexion sur l’absence de perspective de la société capitaliste se poursuit, notamment parmi les éléments les plus conscients et combatifs. Poussé par l’aggravation de la crise économique, au début sans avoir conscience de sa force, sans croire en sa possible unité et son auto-organisation, le prolétariat sera nécessairement contraint d’engager le combat pour la défense de ses conditions d’existence. Il faut rappeler ce qu’écrivait Marx : “Il ne s’agit pas de savoir quel but tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se représente momentanément. Il s’agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu’il sera obligé historiquement de faire, conformément à cet être” (La Sainte Famille). Les journées insurrectionnelles de juin 1848 et la Commune de Paris en 1871, les luttes des années 1890 en Belgique, les combats révolutionnaires en Russie de 1905 et 1917 en Europe orientale, la révolution allemande de 1918-1919, la nouvelle irruption du mouvement prolétarien de Mai 1968 en France et dans le monde après une longue période de contre-révolution, la grève de masse en Pologne de 1980, etc., n’ont rien de commun avec le mouvement populaire interclassiste, faussement radical et jusqu’au-boutiste des “gilets jaunes”. Quand le prolétariat développera sa lutte, ce seront les assemblées générales massives, souveraines et ouvertes à tout le monde qui seront au cœur du mouvement, des lieux où les prolétaires pourront ensemble s’organiser, réfléchir aux mots d’ordre unitaires, à l’avenir. Il n’y aura alors pas de place pour le nationalisme mais, au contraire, les cœurs vibreront pour la solidarité internationale et unitaire propres à la grève de masse car “les prolétaires n’ont pas de patrie”. Les ouvriers doivent refuser de chanter La Marseillaise et d’agiter le drapeau tricolore, ce drapeau des Versaillais qui ont assassiné 30 000 prolétaires lors de la Commune de Paris en 1871 !
Pour préparer cet avenir, tous ceux qui ont conscience de la nécessité de la lutte prolétarienne doivent essayer de se regrouper, discuter, tirer les leçons des derniers mouvements sociaux, se pencher à nouveau sur l’histoire du mouvement ouvrier et ne pas céder aux sirènes, en apparence radicales, des mobilisations citoyennes, populaires et interclassistes de la petite bourgeoisie !
“L’autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes et couches de la société est la condition première de l’épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu’à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe” (Plateforme du CCI).
L’avenir appartient toujours à la lutte de classe !
Révolution Internationale, 14 août 2019
1) C’est cette nature interclassiste du mouvement des “gilets jaunes” qui explique pourquoi Marine Le Pen a salué dès la première heure un “mouvement légitime” du “peuple français” ; pourquoi Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, a soutenu ce mouvement : “Il faut bloquer toute la France…), il faut que la population française dise à ce gouvernement : maintenant ça suffit !” ; pourquoi Laurent Wauquiez, alors président de Les Républicains a qualifié les “gilets jaunes” de “personnes dignes, déterminées, et qui demandent juste qu’on entende les difficultés de la France qui travaille” ; pourquoi le député Jean Lassalle, à la tête de Résistons, a été l’une des figures du mouvement et arboré son gilet jaune à l’Assemblée nationale comme dans la rue. Tout mouvement prolétarien, à contrario, est toujours soumis à un puissant réflexe de rejet et aux calomnies de la part de la classe dominante.
Le 27 octobre, des cheminots écrivaient dans un communiqué : “Nous agents grévistes du matériel au Technicentre de Châtillon, sur le réseau TGV Atlantique, avons cessé le travail massivement depuis lundi 21 octobre au soir, sans se concerter ou être encadrés par les syndicats. (…) Notre colère est réelle et profonde, nous sommes déterminés à nous battre jusqu’au bout de nos revendications, pour le respect et la dignité. Nous ne pouvons plus accepter de travailler avec des salaires proches du SMIC et gelés depuis 5 ans, en sous-effectif et avec des agents qui démissionnent de plus en plus. Nous avons honte de voir comment la SNCF joue avec la sécurité ou encore le confort des voyageurs, pour des questions de flexibilité et de rentabilité. (…) Les voyageurs (…) payent de plus en plus cher des trains, avec de moins en moins de service, des siéges vétustes, des rames parfois avec des toilettes condamnées, des portes bloquées, ou encore des climatisations HS en période de canicule. (…) Marre des réorganisations, des bas salaires, des suppressions d’emplois et des sous-effectifs ! Nous appelons l’ensemble des cheminots à relever la tête avec nous, car la situation aujourd’hui à Châtillon est en réalité le reflet d’une politique nationale. (…) Nous avons trop longtemps laissé faire sans rien dire, mais aujourd’hui au TATL nous disons stop à cette politique d’entreprise. Nous ne braderons pas notre dignité, notre sécurité, ni notre santé !”
Les mêmes conditions de travail dégradées et insoutenables sont le quotidien de tous les travailleurs, de toutes les corporations, de tous les secteurs, du privé comme du public. Il y a un an, les salariés des EPAHD criaient leur détresse face à la maltraitance des personnes âgées dont ils ont la charge et aux pressions qu’ils subissent pour être toujours plus rapides et rentables. Il y a quelques mois, les urgentistes dénonçaient les sous-effectifs, les cadences infernales, l’impossibilité de soigner dignement les blessés. Le mois de septembre 2019 a été marqué par le suicide d’une directrice d’école et sa lettre poignante, symboles de la souffrance au travail de tous les enseignants, croulant sous les tâches toujours plus nombreuses. Aucune partie de la classe ouvrière n’est épargnée. Partout, les salariés doivent être de plus en plus corvéables, flexibles, adaptables, précaires…
Et les réformes en cours annoncent un avenir plus dur encore. La chasse aux chômeurs et à leurs maigres allocations est ouverte. Les futurs retraités seront plus vieux et plus pauvres. À la réduction des effectifs de fonctionnaires et à la systématisation des CDD dans le public, font écho les vagues de licenciements et l’explosion de la précarité dans le privé.
Comme à la SNCF, la colère gronde et les grèves se multiplient. Ont ainsi arrêté le travail : les pilotes de Transavia, le 1er septembre, les agents des Finances publiques, le 16, et d’EDF, le 19, des laboratoires de biologie médicale, le 1er octobre en Bretagne, des écoles, le 8 octobre, en région parisienne, de Michelin à La Roche-sur-Yon, le lendemain, les éboueurs dans le Nord, le personnel des EPAHD en Indre-et-Loire, etc. En réalité, pas un jour ne passe sans que des travailleurs à bout se mettent en grève.
Seulement, toutes ces luttes, souvent peu médiatisées, demeurent isolées les unes des autres, enfermées à l’échelle locale et de leur corporation. Que dire, par exemple, de la mobilisation des urgentistes séparée de leurs collègues des autres services du même hôpital lui-même ? Les prolétaires ne parviennent pas, aujourd’hui, à lutter en tant que classe ; ils le font en tant que cheminots, urgentistes, électriciens, enseignants, pilotes, laborantins, etc. Tous touchés par les mêmes conditions de vie et de travail inacceptables, chaque salarié se bat pourtant pour des revendications qu’il croit spécifique à sa boîte, sa branche, son métier. La raison essentielle de ce morcellement est que les ouvriers ne se sentent plus appartenir à une classe, à une classe qui, unie et solidaire dans la lutte, représente la plus grande force sociale de la société. La bourgeoisie est parvenue à leur faire croire que la classe ouvrière n’existait plus, qu’ils n’étaient pas des ouvriers mais des cheminots, des urgentistes, des électriciens, des enseignants, des pilotes, des laborantins. Mieux encore, aux yeux de la classe dominante : des “citoyens”.
Diviser pour mieux régner est un vieil adage. Le gouvernement l’applique à la lettre. Les agents de la RATP seraient des égoïstes qui “gagnent plus de 3 000 euros à la retraite”, les fonctionnaires seraient des “privilégiés” pour qui sont comptabilisés les six derniers mois de carrière pour le calcul de leur retraite. Les navigants et les infirmières refuseraient la solidarité en voulant conserver leur régime “autonome”... Les mensonges et les prétextes pour opposer les travailleurs les uns contre les autres sont sans fin. Toute cette propagande n’existe que pour justifier, au nom de “l’équité” et de la “justice”, une attaque généralisée contre les travailleurs.
Ce discours médiatique et gouvernemental est accompagné sur le terrain d’une séparation systématique des luttes entre elles par les syndicats. En septembre et octobre, toute une série de journées d’action a ainsi été programmée en ordre dispersé : RATP, Trésor public, Éducation nationale, Ministère de la Justice, EDF, pompiers… à chaque secteur sa journée, ses mots d’ordre, sa lutte.
Un seul exemple symbolise le travail permanent des syndicats pour saper l’unité ouvrière : alors que le 13 septembre, ils organisaient une grande journée d’action à la RATP pour défendre son régime spécial, le 16 septembre, les syndicats faisaient sortir les infirmières, les libéraux, les navigants et les avocats dans la rue en opposant ces travailleurs à tous les autres : “Les avocats comme les professions libérales dans leur ensemble bénéficient de ce qui s’appelle un régime autonome, qu’il ne faut pas confondre avec les régimes spéciaux” ; “Nous ne sommes absolument pas opposés à une réforme des retraites. (…) Un régime universel (…) peut être acceptable. (…) En revanche, nous exigeons de conserver notre régime complémentaire” ; “On ne demande pas à la fourmi de donner à la cigale !”…
Seulement, cette division par les syndicats était par trop caricaturale. Ils prenaient le risque que la colère ne déborde et, surtout, d’être trop discrédités. En octobre, ils ont donc annoncé une grande journée de grève rassemblant tous les salariés pour le… 5 décembre ! Pourquoi une date si tardive ? Pourquoi ne pas battre le fer tant qu’il est chaud ? Pour le laisser refroidir, justement. Le secrétaire d’État aux Transports Jean-Baptiste Djebbari a lui-même craché le morceau, jeudi 31 octobre, comme le rapporte le journal Ouest-France : “Ça bouillonne dans les rangs de la SNCF et la grève contre la réforme des retraites se profile à l’horizon… Dans ce contexte, l’exécutif “a un mois pour (…) faire baisser la tension, pour répondre à des angoisses qui souvent sont légitimes et pour tracer le chemin pour la convergence de ces régimes spéciaux”. (…) “Nous avons pris l’engagement, à la RATP comme à la SNCF, d’étudier toutes les options, y compris celles qui sont portées par les syndicats” (…), faisant référence à la “loi du grand-père” selon laquelle seuls les nouveaux embauchés seraient concernés par la réforme”. Pour calmer le jeu, le gouvernement mise donc encore et toujours sur l’action syndicale et… la division, celle entre les générations ouvrières cette fois.
Les grèves spontanées des cheminots de la fin octobre montrent en partie la voie à suivre. À Châtillon, suite à l’annonce d’un plan de réorganisation du travail induisant, entre autres, une suppression de douze jours de congés, les agents du centre ont immédiatement arrêté le travail et déclaré la grève, sans attendre de consignes syndicales. Le plan a été retiré 24 heures plus tard. Quelques jours plus tôt, le 16 octobre, suite à une collision avec un convoi exceptionnel en Champagne-Ardenne, mettant en évidence la dangerosité de n’avoir qu’un seul agent (le conducteur) dans un train, les cheminots de la ligne avaient, eux aussi, refusé spontanément de maintenir les transports dans ces conditions. La contestation s’est étendue rapidement, dès le lendemain, aux lignes de l’Île-de-France. Le 17 au soir, les syndicats reprenaient le contrôle de la situation, en proclamant le droit de retrait au plan national pour les 18 et 19.
Ce n’est pas un hasard si ce sont les cheminots qui indiquent les premiers comment les travailleurs peuvent prendre en main leur lutte. C’est la conséquence à la fois de l’expérience et de la combativité historiques de ce secteur de la classe ouvrière en France, mais aussi de la réflexion qui mûrit depuis un an en son sein après l’amère défaite du long mouvement mené en 2018 par… les syndicats. Ils avaient alors enfermé les cheminots dans une lutte, seuls, isolés, jusqu’à l’épuisement de leur force.
Mais les difficultés et faiblesses sont encore nombreuses pour développer une lutte massive, unie et solidaire. Par exemple, ces cheminots grévistes sont demeurés cloîtrés au sein de la SNCF. Il n’y a pas eu d’assemblées générales autonomes décidant d’envoyer des délégations massives, voire toute l’assemblée, aux centres de travail le plus proche (un hôpital, une usine, une administration…) pour les entraîner dans la lutte, pour étendre géographiquement le mouvement, pour cultiver cette idée que les ouvriers ont tous les mêmes intérêts, qu’ils mènent la même lutte, que c’est unie et solidaire, au-delà des secteurs et des corporations, que la classe ouvrière est forte.
Cette étape est difficile. C’est un véritable cap. Elle implique de se reconnaître non plus comme cheminots, infirmiers, enseignants ou informaticiens, mais comme ouvriers. Pour la franchir, les ouvriers les plus conscients doivent diffuser l’idée que c’est possible, que l’histoire et l’expérience du mouvement ouvrier le prouvent, qu’en 1968 les travailleurs de France ou en 1980 ceux de Pologne l’ont fait, que le prolétariat est la principale force sociale de la société quand elle est unie, solidaire et organisée. Ces ouvriers doivent se regrouper, discuter, se réapproprier les leçons du passé, pour préparer l’avenir de la lutte de classe. Ces ouvriers, si peu nombreux soient-ils aujourd’hui, ont une grande responsabilité, celle de faire vivre la mémoire de l’immense expérience de lutte de la classe ouvrière.
Pawel, le 7 novembre 2019
Nous assistons depuis plusieurs semaines à l’émergence de nombreux mouvements sociaux dans plusieurs pays sur différents continents : Liban, Irak, Équateur, Bolivie, Haïti, Guinée, Algérie… Bien que ces mobilisations aient leurs particularités, elles expriment toutes une réaction de protestations et de colère face aux effets de la crise économique qui a connu un nouveau regain ces derniers mois. Nous traiterons prochainement sur notre site internet de ces mobilisations internationales de manière plus globale. En attendant, nous publions ci-dessous un article écrit par nos camarades en Amérique latine au sujet du mouvement social qui a lieu actuellement au Chili. Certaines analyses dressées dans cet article sont applicables à d’autres mobilisations actuelles. Tous ces mouvements, de par leur nature interclassiste et populaire, ainsi que par les illusions auxquelles ils sont prisonniers mènent fatalement à une impasse et constituent un piège pour le prolétariat mondial. Par conséquent, ils mettent en évidence la grande responsabilité qui incombe au prolétariat des pays centraux du capitalisme, le plus expérimenté, le plus aguerri aux pièges tendus par la bourgeoisie, et le seul capable de montrer la direction vers la lutte autonome de la classe ouvrière mondiale.
Ce qui se passe au Chili découle de la crise économique internationale qui se manifeste dans ce pays par le déficit budgétaire que l’État chilien traîne depuis plusieurs années. Des organismes tels que la Banque mondiale, le FMI et la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes indiquent une réduction progressive de la croissance au cours des trois ou quatre dernières années. En dépit des efforts déployés pour diversifier son économie, le Chili est essentiellement dépendant du cuivre dont le cours, en tant que manifestation de l’aggravation de la crise, a fortement chuté. Les mesures d’augmentation des tarifs du métro tentent de répondre à la situation de déficit de l’État chilien. À l’échelle mondiale, les premiers pas d’un important bouleversement économique sont en cours et, comme dans d’autres épisodes de la crise capitaliste, les pays les plus faibles sont les premiers touchés : le Brésil, la Turquie, l’Argentine, l’Équateur et maintenant le Chili.
L’idée que le Chili serait une “exception” en Amérique du Sud en raison de sa situation économique ou du prétendu “bien-être” de sa classe ouvrière est clairement démentie. Piñera a dû ravaler ses proclamations triomphalistes selon lesquelles “le Chili était une oasis de paix et de prospérité en Amérique du Sud”.
Ce qui apparaît derrière cet écran de fumée, c’est la moyenne des salaires à 368 €, la précarité généralisée, le coût disproportionné de la nourriture et des services, les graves lacunes en matière d’éducation et de santé, le système de retraite qui condamne les retraités à la pauvreté. Une réalité qui montre la dégradation croissante des conditions de vie de la classe ouvrière et de l’ensemble de la population.
Le gouvernement Piñera a sous-estimé le degré d’agitation sociale. Une attaque, apparemment anodine, provoquée par la hausse des tarifs du métro à Santiago, a déchaîné la colère générale. Cependant, la réponse ne s’est pas posée sur le terrain de classe du prolétariat, mais dans un autre contexte défavorable et dangereux pour lui : la révolte populaire et éventuellement favorisée par l’État, la violence minoritaire et l’action du lumpenproletariat.
Profitant de cette faiblesse de la riposte sociale, le gouvernement a lancé une répression brutale qui, selon les chiffres officiels, aurait fait 19 morts. L’état de siège est décrété depuis plus d’une semaine et le maintien de l’ordre a été confié à l’armée. Les tortures sont revenues comme dans les pires moments de Pinochet, démontrant que la démocratie et la dictature sont les deux faces du même État capitaliste. L’irruption du lumpenproletariat avec son vandalisme, les pillages, les incendies, la violence irrationnelle et minoritaire, typique de la décomposition capitaliste, (1) ont été utilisées par l’État pour justifier la répression, semer la peur dans la population et intimider le prolétariat, détournant ses tentatives de lutte vers le terrain de la violence nihiliste sans aucune perspective. (2)
Cependant, la bourgeoisie chilienne a compris que la brutalité répressive ne suffisait pas pour calmer le mécontentement. Pour cette raison, le gouvernement Piñera a fait son mea culpa, le président si arrogant a adopté une pose “humble”, a déclaré “comprendre” le “message du peuple”, a “provisoirement” retiré les mesures et a ouvert la porte à un “accord social”. Il faut traduire cela par : les attaques seront imposées par la “négociation”, autour d’une “table de dialogue” où les partis de l’opposition, les syndicats, les employeurs, tous ensemble “représenteront la Nation”.
Pourquoi ce changement d’attitude ? Parce que la répression n’est pas efficace si elle n’est pas accompagnée de la tromperie démocratique, du piège de l’unité nationale et de la dissolution du prolétariat dans la masse amorphe du “peuple”. L’attaque économique requise par la crise nécessite la répression, mais surtout une offensive politique.
Le prolétariat, bien que subissant une situation de faiblesse importante au Chili et dans le monde, reste la menace historique à l’exploitation et à la barbarie capitaliste. Par conséquent, celui du Chili, l’un des plus concentrés en Amérique du Sud, a une certaine expérience politique. Il a, par exemple, participé au mouvement de grève de masse en 1907 à Iquique (3) et a subi le terrible coup de la duperie d’Allende (1970-1973) qui a préparé le terrain à la dictature brutale de Pinochet (1973-1990).
L’offensive politique de la bourgeoisie a connu une première étape avec les mobilisations syndicales appelant à une “grève générale” plus d’une semaine plus tard. Quel cynisme ! Lorsque le gouvernement a adopté la mesure de hausse de prix du métro, les syndicats n’ont appelé à rien. Lorsque le gouvernement a déployé l’armée dans les rues, ils ont gardé un silence complice. Lorsque l’armée et les carabiniers sont intervenus, ils n’ont pas davantage bougé le petit doigt. Et maintenant, ils appellent à la “mobilisation”.
Lorsque les travailleurs doivent se battre, les syndicats les paralysent. Lorsque les travailleurs se lancent dans la bataille, les syndicats les bloquent. Et lorsque les travailleurs n’ont plus de forces ou sont désorientés, les syndicats appellent à “la lutte”. Les syndicats agissent toujours contre les travailleurs, aussi bien lorsqu’ils s’opposent à une grève spontanée que lorsqu’ils appellent à se battre alors les travailleurs sont faibles, confus ou divisés. Les syndicats démobilisent la mobilisation des prolétaires et ne se mobilisent que pour parvenir à une démobilisation plus forte encore.
Les groupes de gauche d’obédience trotskiste, stalinienne ou maoïste parachèvent le piège en proposant “une grève générale illimitée”, leur parodie “d’auto-organisation des travailleurs” où, au lieu d’assemblées et de comités de grève élus et révocables, ils mettent en place une “coordination” composée de syndicalistes et de groupes gauchistes. Son “alternative politique” est de “jeter Piñera dehors”. Pourquoi ? Pour le remplacer par une Michelle Bachelet qui, au cours de ses deux mandats, a fait la même chose ou pire ? Choisir une “assemblée constituante” ? Derrière leur radicalisme de façade et leurs discours au nom de la “classe ouvrière”, les gauchistes défendent le capitalisme parce qu’ils enferment les travailleurs sur le terrain de la défense de la démocratie et dans le cadre des méthodes de “luttes” syndicales.
La deuxième phase de l’offensive a été l’entrée sur la scène des partis d’opposition (la nouvelle majorité, le parti stalinien et le Front démocratique) qui ont appelé à la “négociation” et au “consensus” et qui ont salué comme une “victoire” les quelques miettes que Piñera a accordées. En liaison avec le gouvernement et l’armée, (4) la bourgeoisie chilienne s’est donnée un cadre pour porter un nouveau coup idéologique à la conscience du prolétariat, pour dissoudre toute tentative en son sein d’agir comme classe autonome, pour l’attacher au char de la Nation, l’accrocher aux idéologies de l’ennemi de classe, en particulier à la démocratie.
Des mobilisations importantes ont été organisées le week-end du 25 au 27 octobre avec les axes suivants :
– L’unité nationale : ainsi, lors de la manifestation de Santiago où un million de personnes se sont rassemblées, le slogan était : “Le Chili se réveille”. C’est-à-dire, qu’on affirme qu’il ne s’agissait pas d’une confrontation de classe mais d’une prétendue lutte de la “Nation entière” contre une minorité de corrompus et de voleurs. À l’époque d’Allende, le slogan était : “le peuple uni, jamais ne sera vaincu”. Nous devons nous rappeler contre cette mystification qui revient au goût du jour que “le prolétariat dilué dans le peuple et la nation toujours sera vaincu”.
– Réclamer une “nouvelle constitution”. Une “assemblée constituante” est revendiquée. C’est un piège crapuleux. En Espagne, en 1931, la “nouvelle constitution” affirmait que l’Espagne était une “République ouvrière”. C’est cette république qui a assassiné 1 500 personnes dans la répression des grèves ouvrières entre 1931 et 1933. En 1936, Staline proclamait pour l’URSS “la constitution la plus démocratique du monde”, en même temps qu’elle initiait les procès de Moscou où elle liquidait les derniers bolcheviks et intensifiait la terreur la plus féroce. La République de Weimar a réprimé la tentative de révolution prolétarienne en Allemagne (1918-1923) et a permis la montée légale d’Hitler et de la terreur nazie en 1933.
– L’orientation est de dissoudre le prolétariat dans la masse indistincte et manipulable du “peuple” où toutes les classes sociales “s’uniraient” dans le corps de la nation. Sur la place d’Italie de Santiago, une grande banderole indiquait “Pour la dignité de notre peuple, manifestez dans la rue sans crainte”. Le terme à la mode dans les médias chiliens est de parler de “mouvement transversal”. Ce mot signifie qu’il n’y aurait plus de lutte de classe, mais “un mouvement qui traverse toute la ville” dans lequel même les enfants des riches quartiers résidentiels de Santiago seraient inclus. Le président Piñera a publié ce tweet : “La marche massive, joyeuse et pacifique d’aujourd’hui, où les Chiliens demandent un Chili plus juste et plus équitable, ouvre de grandes voies pour l’avenir et donne de l’espoir. Nous avons tous entendu le message. Nous avons tous changé. Avec l’unité et l’aide de Dieu, nous ferons la route de ce Chili meilleur pour tous”. C’est le comble du cynisme ! Mais cela nous donne aussi la mesure de la manœuvre politique de la bourgeoisie. Même le responsable du métro de Santiago a affiché fièrement la photo de sa fille participant à la manifestation !
Nous dénonçons cette manœuvre politique de la bourgeoisie basée sur la démocratie. La démocratie est la forme la plus perverse et la plus retorse de la domination capitaliste. Au nom de la démocratie, les pires massacres contre les travailleurs ont été perpétrés. Pour se limiter au seul cas du Chili, il faut se souvenir que lors de la grève de masse d’Iquique en 1907, 200 travailleurs ont été tués rien qu’au cours du massacre dans l’école de Santa María. Le “champion de la démocratie”, Salvador Allende, a brutalement réprimé les luttes des mineurs contre la hausse des cadences et la baisse des salaires. “En mai-juin 1972, les mineurs se sont à nouveau mobilisés : 20 000 personnes se sont mises en grève dans les mines d’El Teniente et de Chuquicamata. Les mineurs d’El Teniente ont réclamé une augmentation de salaire de 40 %. Allende a placé les provinces de O’Higgins et de Santiago sous contrôle militaire, la paralysie d’El Teniente “menaçant sérieusement l’économie”. Les dirigeants “marxistes” de l’Union populaire ont expulsé les travailleurs et les ont remplacés par des briseurs de grèves. Cinq cents carabiniers ont attaqué les ouvriers à l’aide de gaz lacrymogène et de canons à eau. Quatre mille mineurs se sont rendus à Santiago pour manifester le 11 juin. La police les a chargés sauvagement. Le gouvernement a traité les mineurs comme des “agents du fascisme”. Le PC a organisé des défilés à Santiago contre les mineurs, appelant le gouvernement à faire preuve de fermeté”. (5)
Toutes les fractions de la bourgeoisie, et en particulier la gauche, ont resserré les rangs pour défendre l’État capitaliste “démocratique”. “En novembre 1970, Fidel Castro est venu au Chili pour cautionner les mesures anti-ouvrières d’Allende. Castro a réprimandé les mineurs, les traitant comme des agitateurs et des “démagogues”. À la mine de Chuquicamata, il a déclaré que “cent tonnes de moins par jour entraînent une perte de 36 millions de dollars par an”. (6)
Allende a envoyé l’armée réprimer les ouvriers, mais pire encore, lors d’un rassemblement devant le Palais de La Moneda, en juin 1972, il a fait applaudir Pinochet en le présentant comme “un militaire fidèle à la Constitution”.
Le rétablissement de la démocratie depuis 1990 n’a apporté aucune amélioration aux conditions de vie et de travail. Les différents présidents (d’Alwyn à Bachelet, en passant par Lagos ou le premier mandat de Piñera) ont préservé et renforcé la politique économique promue par l’École de Chicago qui a imposé la dictature de Pinochet. Ils n’ont pas du tout touché à un système de retraite qui condamne les retraités à recevoir une pension inférieure au salaire minimum, à continuer à travailler et à survivre avec de petits boulots jusqu’à 75 ans ou plus. Un système qui refuse toute pension future aux nombreux jeunes condamnés à des emplois précaires. Le Chili est aujourd’hui l’un des pays les plus inégalitaires au monde et l’inégalité s’est aggravée avec la démocratie : “Lorsque nous avons retrouvé la démocratie, le gouvernement militaire, qui avait également été mauvais en économie, a laissé un taux de pauvreté de 4,7 %. Aujourd’hui, notre PIB a plus que doublé, nous sommes plusieurs fois plus riches qu’alors. Mais le pourcentage de pauvres s’est élevé à 35 %”. (7)
La gauche agissant en tant que porte-parole privilégié de la bourgeoisie nous appelle à soutenir la démocratie et à considérer la dictature comme le mal suprême : comme si cette dictature avait le monopole de la répression et de la spoliation des travailleurs, sa devise étant “Non à la dictature, oui à la démocratie parlementaire”. Toute cette propagande fait beaucoup de dégâts dans la classe ouvrière, car elle lui fait croire qu’elle est “libre”, qu’elle peut “choisir”, qu’avec le vote elle aurait le “pouvoir” et surtout, elle atomise et individualise les travailleurs, où il s’agit d’effacer en eux tout sentiment de solidarité et d’unité en les poussant dans les eaux fangeuses d’un engrenage de la rivalité et du chacun pour soi, de “la loi du plus fort” et du “ôte-toi de là pour que je m’y mette”.
Les travailleurs et leurs minorités les plus conscientes doivent rejeter le piège tendu par la bourgeoisie et préparer méthodiquement le terrain pour l’émergence de véritables luttes ouvrières. Cette perspective est encore très lointaine et ne découlera pas d’une somme de processus dans chaque pays mais d’une dynamique internationale dans laquelle le rôle des grandes concentrations de main-d’œuvre expérimentée de l’Europe occidentale sera fondamental. (8)
La classe ouvrière au Chili et dans le monde entier doit se réapproprier les véritables méthodes de la lutte ouvrière qu’ont développé de nombreuses luttes à travers l’histoire (Mai 68 en France, 1980 en Pologne, le mouvement anti-CPE de 2006 en France, le mouvement des Indignés en Espagne en 2011). Ce sont des méthodes de lutte et d’organisation radicalement opposées à celles du syndicalisme :
– La grève massive que les travailleurs déclenchent par leur propre décision en dehors des voies légales et syndicales.
– Des assemblées générales ouvertes à tous les travailleurs, actifs et au chômage, à la retraite, aux étudiants, aux futurs travailleurs, aux émigrés comme aux natifs du pays, TOUS ENSEMBLE.
– L’extension directe des luttes à travers des délégations massives.
– La coordination et l’unification des luttes assurée par des comités élus et révocables.
Des conclusions claires s’imposent :
– Face aux attaques brutales telles que celles de l’Équateur ou du Chili, la réponse n’est pas la révolte populaire, le pillage ou la violence minoritaire, mais la lutte de classe autonome.
– La lutte doit être contrôlée par les travailleurs eux-mêmes contre le sabotage des syndicats.
– Contre la répression, les travailleurs doivent s’unir et se défendre par la solidarité et une réponse ferme et combative. Prolonger le combat et atteindre l’unité de la classe est la seule défense possible.
– Comme on l’a vu précédemment en Équateur et lors des révoltes au Chili, le drapeau national a été brandi. C’est le drapeau de l’exploitation, de la répression et de la guerre. C’est le drapeau du capital.
– Le capitalisme s’enfonce dans une crise mondiale qui causera toujours plus de misère et de souffrance et se joindra à de nouvelles guerres impérialistes et à une destruction accrue de l’environnement.
– Le problème est mondial et n’a pas de solution nationale. Il n’y a qu’une solution globale et cela ne peut être fait que par la lutte internationale des travailleurs.
Nous savons que cette perspective de combat va coûter cher. De nombreuses luttes, de nombreuses défaites, de nombreuses leçons douloureuses seront nécessaires. Cependant, nous avons les leçons de trois siècles d’expériences qui, élaborées par la théorie marxiste, nous donnent les moyens théoriques, organisationnels et politiques de contribuer à ce combat. L’organisation communiste internationale est l’organe qui défend cette continuité historique du prolétariat. Ses principes programmatiques, politiques, organisationnels et moraux sont la synthèse critique globale de cette expérience historique mondiale de trois siècles de lutte de classe. Construire l’organisation, la défendre, la renforcer, est la meilleure contribution au combat du prolétariat, aujourd’hui à contre-courant de toute cette campagne pour l’union nationale autour de la défense de la démocratie et demain en faveur de la renaissance de la lutte de classe internationale du prolétariat.
CCI, 1er novembre 2019
1) Voir : “La décomposition, phase ultime du capitalisme”, Revue internationale n° 107.
2) Le prolétariat a besoin de recourir à la violence de classe, mais celle-ci n’a rien à voir et s’oppose à la terreur de la bourgeoisie, au terrorisme de la petite bourgeoisie et au vandalisme sauvage du lumpen. Voir : “Terreur, terrorisme et violence de classe”, Revue internationale n°14 et la résolution à ce sujet dans la Revue internationale n° 15.
3) Voir, en espagnol sur notre site internet : “Le mouvement ouvrier au Chili au début du XXe siècle”.
4) Le chef de la Défense nationale, le militaire Iturriaga del Campo, a contredit le chef de l’État qui avait déclaré qu’il était “en guerre” en déclarant : “je suis un homme heureux, la vérité est que je ne suis en guerre avec personne”.
5) Voir : “Il y a 30 ans, la chute d’Allende : la dictature et la démocratie sont les deux visages de la barbarie capitaliste”, Révolution internationale n° 339.
6) Idem.
7) Voir en espagnol : “Crisis en Chile : es la desigualdad, estúpido” sur le site internet clarin.com.
8) Voir sur notre site la “Résolution sur le rapport de forces entre les classes” (2019) du 23e congrès international du CCI.
L’ancien président de la République Jacques Chirac est décédé et la classe ouvrière ne le pleurera pas. Il était prétendument un homme d’État exceptionnel qui marquera l’histoire, un homme au “charisme extraordinaire”, “proche du peuple”, “bon vivant”, “fidèle en amitié”, “défenseur de la paix” en 2002, “écolo d’avant-garde et éveilleur des consciences” en 2004. Que de mensonges ! Lui-même affirmait cyniquement en 1988 que “les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent”. Sa fidélité ne valait que pour les intérêts de sa classe, la bourgeoisie qui lui rend hommage aujourd’hui.
Pour le prolétariat, c’est une autre affaire : il a concrètement vécu dans sa chair toutes les activités de Chirac au service des intérêts bourgeois, contre les conditions de vie ouvrières, pendant plus de quarante ans. Alors oui, souvenons-nous…
Les débuts de la vie politique de Chirac heurtent d’ailleurs de plein fouet la lutte de la classe ouvrière en Mai 68. Face à une grève générale qui comptera jusqu’à 10 millions de grévistes, le pouvoir veut reprendre le contrôle des événements jugés de plus en plus dangereux. Pompidou, Premier ministre, confie le soin à son jeune secrétaire d’État à l’Emploi, Jacques Chirac, de secrètement prendre contact avec les syndicats, notamment la CGT pour négocier ce qui deviendra les Accords de Grenelle. Un journaliste (Guy Konopnicki) rapportera d’ailleurs une anecdote significative lors de la rencontre entre Jacques Chirac et Krasucki, numéro 2 de la CGT à l’époque : “Chirac faisait des bonds à chaque revendication… Dix millions de grévistes et l’envoyé du gouvernement qui s’agite sur sa chaise à chaque proposition. Il n’avait rien préparé. Pas une idée ! Il se figurait que la proclamation des Soviets était imminente, alors je lui ai dit qu’à notre avis, la prise du Palais d’hiver, ce n’était pas pour tout de suite”. La version de l’histoire est bien sûr toute autre quand Chirac prétend en 1977 que “la rencontre s’était déroulée dans une chambre de bonne, une sorte de planque clandestine”. Il se vantait même de s’y être rendu “avec un revolver dans la poche !” (sic). S’il a pu vendre un temps le journal du parti stalinien dans sa jeunesse et se donner l’illusion d’une activité sinon “prolétarienne”, du moins populaire, cela a toujours été en défense du capitalisme. Sa défense inflexible de l’État en 68 fut marquée par une détermination et une volonté de “rétablir l’ordre” le plus rapidement possible. Pompidou l’appelait d’ailleurs “mon bulldozer”.
S’il y a effectivement eu une constante chez Jacques Chirac, c’est bien pour attaquer la classe ouvrière. Après avoir gravi tous les échelons, ce “loup politique”, grand serviteur de l’État, s’est appliqué à attaquer la classe ouvrière dans la période qui s’ouvrait avec l’inflexion de la crise :
– Lors du mouvement social de 1995, un des plus massifs depuis 68 du fait d’une vaste manœuvre syndicale, Chirac fraîchement élu et son Premier ministre Juppé s’attaquent violemment aux régimes des retraites et à la sécurité sociale, signant ainsi le début d’attaques qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.
– Fin 2003, après un autre mouvement social d’ampleur, Chirac inaugure une nouvelle offensive contre les chômeurs et une nouvelle aggravation des conditions de vie : pression accrue sur les salaires avec l’augmentation de la CSG, plan de démantèlement du système de protection sociale, licenciements dans le secteur privé, suppressions d’emplois dans le secteur public, etc.
– En 2006, la mobilisation massive des étudiants en France contre les attaques économiques du gouvernement voulant faire passer coûte que coûte le “Contrat première embauche” (CPE), aboutit à faire reculer le gouvernement par une lutte exemplaire.
Avec cette nouvelle période, ouverte en 68 et la réapparition de la crise économique, la bourgeoisie française est consciente qu’elle doit se débarrasser de certains héritages archaïques du gaullisme et de son fonctionnement rigide, trop pyramidal. De plus, de façon chronique, la droite gaulliste, au lieu d’être le levier d’une politique cohérente au service des besoins supérieurs du capital français, s’avère n’être qu’un panier de crabes, de clans qui s’entre-déchirent, pire, un ramassis d’ambitions personnelles, où chaque chef de bande veut être calife à la place du calife. Chirac en est l’expression la plus aboutie ! Saboteur, traître à ses “amis”, opportuniste, arriviste… Chirac concentre tous les qualificatifs mais surtout les concrétise à merveille !
Clairement, Chirac n’a jamais fait l’unanimité au sein du camp gaulliste. Dès les années 1970, les gaullistes “historiques” s’insurgent contre cet arriviste. Chaban-Delmas, dont la candidature à la présidence de la république sera directement sabotée par Chirac au profit de Giscard d’Estaing, estime que “Chirac n’a découvert le gaullisme qu’en comptant les sièges de l’Assemblée”. De même, le ministre Robert Boulin, en 1974, qualifie son arrivée à la tête de l’UDR de “hold-up” et il n’est pas exclu que cette confrontation lui ait été facturée au prix fort : il sera en effet “suicidé” en 1979. Certains avancent que le Service d’action civique (SAC), officine gaulliste de barbouzes aurait commandité l’assassinat dans la crainte que Boulin ne dévoile le réseau de fausses factures participant au financement du RPR.
Pour autant, son appui à la fraction libérale de la bourgeoisie française, la plus à même d’être l’alternative cohérente au gaullisme déclinant, n’est que de circonstance. Dès 1976, il quitte son poste de Premier ministre avec fracas et dénonce dans la foulée le “parti de l’étranger”, c’est-à-dire l’UDF en accusant le parti de Valéry Giscard d’Estaing d’agir au nom de l’Europe et “contre les intérêts de la France” ! En 1995, c’est encore le clan autour de Chirac qui empêche la victoire de Balladur, alors que celui-ci représentait une possible transition permettant à la bourgeoisie française de se débarrasser des fractions gaullistes les plus rétrogrades et archaïques.
En 1997, la dissolution du parlement exigée par Chirac et l’organisation d’élections législatives anticipées échoue du fait que la majorité est de plus en plus discréditée par ses propres divisions. Cela, alors que le but était, dans un tel contexte, de resserrer l’équipe gouvernementale en vue d’accélérer les attaques anti-ouvrières (ce qui aurait pu également permettre au PS de se refaire une santé dans l’opposition).
En 2005, rebelote : en choisissant le référendum pour l’acceptation de la constitution européenne, Chirac prend le risque d’un “vote sanction”, alors qu’il aurait pu faire ratifier la constitution par voie parlementaire comme s’apprête à le faire la bourgeoisie en Allemagne. Le “Non” l’emporte.
Lors des élections présidentielles de 2002, Chirac sera élu massivement contre Le Pen. “Votez escroc, pas facho !” était le slogan repris massivement par les jeunes. Chirac était en effet caricaturé en “Super Menteur” tous les soirs dans une émission satirique à la télé et risquait d’être mis en examen s’il n’était pas réélu : ce n’était pas des casseroles que se trimballait Chirac mais une véritable batterie de cuisine !
La bourgeoisie est une classe de truands et de “ripoux” avec des mœurs de gangsters aux pratiques mafieuses. Les scandales n’ont cessé d’éclabousser les principaux partis bourgeois en France au cours de ces dernières décennies, à gauche comme à droite. Chirac n’a pas d’exclusivité en pratiques douteuses et clientélistes. Mais il atteint des sommets ! Difficile de faire un listing complet de toutes les affaires auxquelles Chirac est associé :
– Emplois fictifs de la Mairie de Paris : durant son bail à l’hôtel de ville (de 1977 à 1995), Chirac aura distribué les jobs comme on multiplie les pains : 699 “chargés de mission”, reflétant toute sa galaxie affective ou politique.
– L’ “affaire Karachi” : affaire politico-financière impliquant Chirac et Balladur et à l’origine de l’attentat du 8 mai 2002 dans cette ville du Pakistan.
– Affaire Elf : Elf-Gabon est devenue dans les années 1980-1990 la principale caisse noire de l’État français, au profit de chefs d’État africains (la politique impérialiste des réseaux Françafrique oblige !) et de plusieurs partis politiques français, dont le Parti socialiste et le RPR.
– L’affaire des HLM de la ville de Paris en 2006 : un marché de 2,2 milliards d’euros avec commissions destinées à alimenter, de façon occulte, les caisses du RPR. La cassette posthume de Jean-Claude Méry, faux facturier et membre du comité central du RPR, relatant les magouilles de Chirac sera envoyée… aux oubliettes !
– L’affaire de la rénovation des lycées d’Île-de-France entre 1988 et 1995 : un pactole de 24 milliards de francs, contre le reversement occulte de 200 millions à différents partis (tous, sauf le FN et les Verts).
L’ombre de Jacques Chirac plane également sur deux autres feuilletons judiciaires : l’affaire “Clearstream” et l’ “Angolagate”. Il n’est plus question de gros sous, mais de règlements de comptes en coulisses via un cabinet noir de l’Élysée consignant scrupuleusement les boules puantes visant les concurrents de droite comme de gauche.
La pourriture généralisée des mœurs de la classe dominante n’est qu’une des expressions de la décadence de ce système. L’avalanche des coups tordus et les affrontements sans merci témoignent de la violence exceptionnelle des règlements de compte entre les hommes et les clans rivaux au sommet de l’État. Cependant, les “affaires” à répétition du clan Chirac ont régulièrement discrédité l’État français sur la scène internationale, en particulier au sein de l’Europe.
Celui qu’on a fait passer pour le chef de file mondial de la cause “anti-guerre” en 2003, n’était en fait qu’un va-t-en-guerre de la pire espèce. Il l’a démontré à plusieurs occasions : au Kosovo en 1999, dans les bombardements sur la Serbie, en Afghanistan en 2001. Le refus de participation à la guerre en Irak en 2003 était une manière de prendre la tête d’une campagne dirigée directement contre les États-Unis. Le véritable objectif de ce vernis “anti-guerre”, c’était de pouvoir affirmer ses propres ambitions impérialistes en cherchant à contrecarrer la domination de l’impérialisme américain sur le Moyen-Orient.
Comble du cynisme, les puissances européennes avaient misé sur une guerre plus longue et meurtrière, sur davantage de résistance dans les populations ou l’armée de Saddam Hussein, sur un exode massif des populations et un grand nombre de réfugiés, espérant ainsi que les méthodes et le manque d’efficacité des États-Unis seraient discrédités.
Son “pacifisme” s’est concrétisé également dans la répression sanglante de la grotte d’Ouvéa. Le 5 mai 1988, sur l’île d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, des forces spéciales françaises et le GIGN prennent d’assaut une grotte dans laquelle des indépendantistes kanaks détiennent des gendarmes. Au terme de combats très violents, dix-neuf ravisseurs kanaks et deux militaires sont tués. À propos des kanaks, Chirac parlera de “la barbarie de ces hommes, si l’on peut les appeler ainsi”. Sans commentaire…
Le portrait de Chirac serait incomplet sans son mépris, sa xénophobie vis-à-vis des prolétaires étrangers. En 1991, sa “compassion” pour les braves Français qui doivent “supporter les bruits et les odeurs” de leurs voisins de palier “musulmans” ou “noirs”, “polygames” et “profiteurs” sera certes dénoncée, mais comme un travers circonstanciel : des mots prononcés “sous l’effet de l’alcool” mais “ne reflétant pas le personnage”. Pourtant Chirac ne faisait que confirmer ce qu’il disait quelque temps auparavant : “Plus on aura d’immigration, plus on aura d’insécurité. Ce n’est pas une question ethnique, mais notre immigration est une immigration bas de gamme. On va vers de graves conflits raciaux qui seront la conséquence du refus des Français d’être envahis par d’autres cultures. Toute race a l’instinct de se préserver”. Un discours clairement xénophobe !
D’ailleurs, c’est sous sa houlette de chef de gouvernement que sont inaugurées en octobre 1988, la politique d’expulsions massives et musclées (exécutées par son ministre de l’intérieur Pasqua) par charters entiers “d’immigrés clandestins” qui devait devenir un modèle repris par tous ses successeurs, des “socialistes” à Macron en passant par Sarkozy.
“Notre planète brûle !” La formule prononcée au Sommet de la Terre en 2002 a fait le tour du monde et nous est rappelée aujourd’hui. Chirac aurait été un précurseur en matière d’écologie. Foutaises ! On en rigolerait si le sujet n’était pas si dramatique : l’année de son élection, en 1995, il disait de l’écologie que c’était un “passe-temps pour amateurs de pâquerettes”. Il défendait d’ailleurs systématiquement une agriculture exportatrice et intensive utilisant massivement des pesticides et autres produits chimiques. La Charte de l’environnement, votée en 2005 et utilisée comme feuille de vigne, ne changeait donc rien à l’affaire !
En juin 1995, anniversaire des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, juste après son entrée à l’Élysée, Chirac annonce au son des trompettes la fin des essais nucléaires à Mururoa. Mais cela, après en avoir réalisé six supplémentaires, après 20 ans d’interruption ! De fait, il se souciait de la question écologique comme de sa première chemise.
Voilà donc “l’héritage” de cet “humaniste éclairé”. Loin d’être une grande lumière de la bourgeoisie, il fut un arriviste sans états d’âme, prêt à tout pour exister au sommet du pouvoir.
Stopio, 27 octobre 2019
Après 1945, le Royaume-Uni, affaibli par la guerre, dut faire face à sa reconstruction. Ses plus grandes colonies (l’Inde et le Pakistan) ayant obtenu leur indépendance, il ne lui était désormais plus possible d’y puiser des ouvriers corvéables à merci, comme cela avait été le cas lors de la Guerre mondiale de 1939-45.
Celui-ci se tourna donc vers ses colonies outre-Atlantique, les Antilles britanniques, où le taux de chômage était important, afin d’y importer la main-d’œuvre nécessaire à sa reconstruction.
Ainsi, “dès 1946, la Royal Commission on Population propose de faire venir une “population de remplacement” afin de renouveler la population britannique à moyen terme”. (1) Pour cela, le British Nationality Act de 1948 prévoyait l’octroi du statut de “citoyen du Royaume-Uni et des colonies” à toute personne née sur le territoire britannique ou dans une de ses colonies. Il s’agissait de disposer facilement et rapidement d’une main-d’œuvre peu coûteuse. Quelques mois plus tard, le navire Empire Windrush débarquait des Caraïbes avec une main-d’œuvre toute fraîche, prête à être exploitée par le capital national. Jusqu’en 1971, (2) près de 600 000 ouvriers, issus des anciennes colonies et attirés par les promesses d’emploi, de prospérité et de logement, émigrèrent au Royaume-Uni : c’est la “génération Windrush”.
D’emblée, les premiers ouvriers débarqués, alors sans-emploi, furent entassés dans des abris anti-aériens et ce sur leurs propres deniers ! Nombre d’entre eux furent employés par l’État lui-même (la poste, les hôpitaux ou encore les chemins de fer) pour des salaires dérisoires.
Le cas de la “génération Windrush” refit surface en 2010, lorsque Teresa May prit la tête du Home Office avec l’objectif de durcir la politique migratoire du pays. Celle qui déclarait en 2012, vouloir “instaurer en Grande-Bretagne un climat particulièrement hostile pour les migrants illégaux”, organisa dès son arrivée au ministère la destruction des tickets d’embarquement (3) prouvant que les travailleurs de la “génération Windrush” étaient arrivés au Royaume-Uni avant 1971, afin de lancer une chasse aux migrants devenus “illégaux”. Les employés du ministère eurent d’ailleurs pour ordre, en cas de demande de confirmation des dates d’arrivée sur le territoire par les migrants de la “génération Windrush”, de répondre qu’il n’existait pas de telles données.
Nombre de ces immigrés, ainsi que leurs descendants, furent alors dans l’incapacité de prouver que leur présence sur le territoire était “régulière”. Menacés d’expulsion, ils perdirent aussitôt leur emploi, l’accès aux soins et leur logement, puis furent expédiés dans des centres de détention, en attendant leur renvoi vers leur pays de naissance.
Le scandale éclate en novembre 2017, alors que May est devenue Premier ministre, et met momentanément un coup d’arrêt aux expulsions. Teresa May et Amber Rudd, la ministre de l’Intérieur (qui servira finalement de fusible et sera évincée) présentent leurs excuses en avril 2018 et promettent une compensation financière et une naturalisation d’office pour toute la “génération Windrush”.
Pourtant, la bourgeoisie continue encore aujourd’hui d’expulser ces ouvriers. En effet, malgré les promesses de May, et de toute la bourgeoisie britannique, une trentaine d’ouvriers ont encore été expulsés vers la Jamaïque en février dernier, alors que leurs demandes de régularisation étaient toujours à l’étude, et ce à cause de leur casier judiciaire.
En réalité, l’État a profité de tous ces événements pour mener sous deux angles d’attaque des campagnes nationalistes contre la classe ouvrière.
Dans un premier temps, de nombreuses campagnes xénophobes ont émergé, en lien avec la politique hostile et très offensive déclenchée par May à l’encontre des travailleurs caribéens et leurs descendants. Elle espérait en effet qu'un certain nombre d'immigrants “indésirables” et leurs descendants quitteraient “volontairement” le territoire britannique. Son “environnement hostile” est d’emblée mis sur pied grâce à la nouvelle loi sur l’immigration : pour travailler, louer un logement ou accéder à des prestations sociales et médicales, il faut désormais montrer ses papiers. Les propriétaires ont alors l’obligation de vérifier le statut migratoire de leurs potentiels locataires, sous peine de se voir infliger une amende et d’écoper de 5 ans de prison. Les médecins sont également incités à dénoncer les patients qui ne seraient pas en situation “régulière”. Le ministère de l’Intérieur utilise d’ailleurs les données du National Health Service pour traquer les “délinquants en matière d’immigration”, et ainsi, “empêcher que les personnes sans droit aux prestations et services y aient recours, et ce aux frais du contribuable britannique”, explique un porte-parole du gouvernement. Cette ambiance de terreur, conséquence de l’immonde campagne de May, est poussée à son paroxysme lors de la campagne officielle anti-immigrés, mise en œuvre en 2013 par le gouvernement tory, cultivant la suspicion en cherchant à induire et attiser la xénophobie au sein de la classe ouvrière. Le ministère de l’Intérieur avait en effet pour projet de faire circuler des camions publicitaires dans tout le pays avec un slogan qui n’était pas autre chose qu’un appel à la délation : “In the UK illegally ? Go home or Face arrest”, autrement dit : “En situation illégale au Royaume-Uni ? Rentrez chez vous, ou faites face à une arrestation”. Durant six semaines, mi 2013, plusieurs véhicules ont donc sillonné Londres et ses alentours, mais, loin de rencontrer le succès escompté, le gouvernement a dû renoncer à cette campagne.
Face à l’indignation qu’a suscitée cette ignoble politique, la bourgeoisie britannique s’est vue dans l’obligation de retourner sa veste et d’orienter différemment le débat sur l’immigration. C’est May, elle-même, qui a impulsé une campagne qui se voulait plus “humaine”, forme plus pernicieuse de campagne nationaliste. Après avoir mis à la rue et expulsé un certain nombre d’ouvriers “Windrush”, le gouvernement May a décidé d’instaurer un hypocrite Windrush Day qui sera l’ “occasion annuelle de se souvenir du travail acharné et du sacrifice de la génération Windrush”. Le Windrush Day, objet de multiples célébrations officielles, se voit également doté d’un fonds spécial de 500 000 livres sterling, dans le but proclamé de rendre justice à ces travailleurs qui “ont traversé l’océan pour construire un avenir pour eux-mêmes, pour leurs communautés et surtout pour le Royaume-Uni, le pays qui sera toujours le leur”. Alors que ce sont ces mêmes travailleurs qui aujourd’hui, continuent d’être menacés d’expulsion.
Ce scandale et cette nouvelle facette de la campagne nationaliste ont permis à la bourgeoisie britannique de diriger la classe ouvrière sur un terrain totalement pourri, en insinuant que les migrants se classent en deux catégories distinctes : ceux qui sont utiles (pour le capital), et ceux qui “profitent” indûment de la “générosité” de la nation.
La bourgeoisie a donc instrumentalisé l’indignation suscitée par la situation scandaleuse de la “génération Windrush”, occultant ainsi que ce même traitement est réservé à des millions de migrants dans le monde. Pendant que le gouvernement britannique légalise plus ou moins la situation des travailleurs qui “ont contribué à construire notre pays”, il laisse crever des Asiatiques dans des camions, contraints de prendre toujours plus de risques face aux murailles physiques et administratives que May et consorts ont dressées ! Sous ses airs hypocritement humanistes, la bourgeoisie cherche encore à diviser la classe ouvrière.
Que son discours soit ouvertement xénophobe ou prétendument plus humain, les frontières nationales de la bourgeoisie demeurent. Le gouvernement britannique peut bien instaurer son jour de commémoration, les morts continueront à s’échouer sur les barbelés comme sur les rivages. Seule la classe ouvrière, dans son combat pour le communisme, est en mesure de détruire ces frontières meurtrières en mettant fin au capitalisme.
Olive, 1er novembre 2019
1) “Royaume-Uni : il y a 70 ans, les débuts de la génération Windrush”, RFI (30 avril 2018).
2) À compter de 1971, le Royaume-Uni n’ayant plus besoin de ce type de main-d’œuvre, la loi migratoire évolue ; seuls les citoyens du Commonwealth résidant déjà au Royaume-Uni obtiennent le droit de rester sur le territoire britannique de manière permanente.
3) Aucun des travailleurs de la “génération Windrush” ne possédait de papier officiel attestant de leur nationalité, à l’exception des tickets d’embarquement détenus par le ministère de l’Intérieur.
Le 26 septembre à 2h40 du matin, Lubrizol, usine de produits chimiques classée Seveso, prend feu. Un épais nuage de fumées noires de 20 km de long envahit le ciel rouennais. À 7h00, les premières sirènes d’alertes à la population retentissent. 8h00, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, déclare sans sourciller : “Il n’y a pas d’éléments qui permettent de penser que les fumées seraient dangereuses”, comme si un incendie de 9050 tonnes de composés chimiques divers et variés pouvait être inoffensif ! Et le gouvernement de multiplier les fumisteries : “À ce stade, les mesures n’ont pas permis de voir des polluants préoccupants” (d’Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire !). “Nous sommes à un état habituel de la qualité de l’air à Rouen” (Pierre-André Durand, préfet de Seine Maritime) et de compléter quelques jours plus tard “ça ne veut pas dire que l’état de l’air habituel à Rouen est bon”… apprécions l’ironie de la déclaration !
Tandis que de nombreuses plaintes pour migraines, nausées, étourdissements (y compris au sein des forces de l’ordre que l’État lui-même n’a pas pris soin de protéger en les envoyant sans masque au plus fort de l’incendie), le Premier ministre Édouard Philippe (r)assure de nouveau : “Dès que [les analyses] seront réalisées, nous communiquerons l’ensemble des résultats. Je vous dis simplement ce que disent les analyses qui m’expliquent qu’elles ne sont pas nocives mais qu’elles sont gênantes”. Dans le même temps, un toxico-chimiste (le professeur André Picot) déclare : “les analyses livrées par la préfecture sont hors de propos”. Selon lui, “ce qui est recherché […] ce sont des produits classiques comme le dioxyde d’azote qu’émettent les moteurs diesel. Donc vous ne risquez pas de trouver des taux dans l’air différent de la normale. Il faudrait savoir exactement ce qui a brûlé au sein de l’entreprise”. (1) Il rajoutera plus tard que ce qui est bien plus préoccupant que la liste des composés qui ont brûlé, ce sont les réactions chimiques que peut provoquer le mélange de ces composés lors de l’incendie. D’autant plus que près de 80 tonnes de ces composés sont “sans papier”, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de “fiche d’identité fournie par Lubrizol”. (2)
Face à ce battage médiatique, les réactions dans la rue ne se font pas attendre. Des enseignants exercent leur droit de retrait. Des manifestations ont régulièrement lieu. Un mois après la catastrophe, les habitants sont toujours autant en colère face aux mensonges éhontés et aux faux-semblants de l’État.
Le 22 octobre, le patron de Lubrizol déclare toujours que ce qui a brûlé à Rouen n’est “pas plus toxique qu’un incendie de maison” ! Aujourd’hui, l’État parle d’indemnisations, de compensations pour les entreprises ou les agriculteurs ainsi que pour des habitants de certains quartiers ou communes. Mais le panache de fumée, s’il a duré moins de 24h de manière visible, s’est en réalité volatilisé plus haut dans l’atmosphère pour ensuite être dispersé par les vents jusqu’en… Belgique. Les retombées de cet incendie sont donc bien plus importantes que ce que le gouvernement nous laisse entendre. Lui se préoccupe des stocks de denrées du port de Rouen qui ont été impactées par les fumées, des pertes économiques, de la perte d’attractivité de la région… pas de la santé des personnes touchés par toutes les toxines et autres polluants.
Et ce n’est pas nouveau ! Ce sont bien les États et les patrons qui, main dans la main, œuvrent à obtenir toujours plus de profits en faisant fi des contraintes sécuritaires minimum. C’est l’État français qui a voté, en août 2018, la loi ESSOC (loi pour un État au Service d’une Société de Confiance) permettant la simplification des contrôles. Loi qui a directement permis au patron de Lubrizol, via l’autorisation du préfet, d’augmenter ses capacités de production (plus 1598 tonnes) et de stockage (plus 600 tonnes) dès janvier 2019, “en contournant le plus légalement du monde l’autorité environnementale, laquelle a pour mission de mener sur ce genre d’équipement des études de danger décisives”. (3) Ce sont les États qui, pour permettre l’accumulation, défendent par tous les moyens les intérêts du capital national et ce au détriment des exploités et de la planète. Et ce sont ces mêmes États qui jurent la main sur le cœur se préoccuper de l’écologie en jouant les mêmes rengaines à chaque nouvelle catastrophe depuis des décennies :
– 1976, Seveso en Italie, pollution chimique. Un nuage d’herbicide, contenant de la soude caustique et de la dioxine, s’est échappé durant vingt minutes d’un réacteur d’une usine chimique. Cette catastrophe a donné son nom à la directive “Seveso” (série de directives européennes qui imposent aux États membres de l’Union européenne d’identifier les sites industriels présentant des risques d’accidents majeurs).
– 1978, pollution du Love Canal, banlieue proche des chutes du Niagara aux États-Unis : 21 000 tonnes de produits toxiques sont découverts à proximité de l’usine Hooker Chemical. La zone est à l’heure actuelle toujours interdite !
– 1979, accident nucléaire de Three Mile Island aux États-Unis.
– 1984, explosion d’une usine de pesticides à Bhopal en Inde. Bilan : plusieurs milliers de morts, 300 000 malades et une zone d’habitation toujours sinistrée par la pollution des sols et de la nappe phréatique.
– 1986, explosion d’un réacteur nucléaire à Tchernobyl en ex-URSS : l’État ne pouvait plus entretenir l’infrastructure. Heureusement, la radioactivité n’a jamais franchi la barrière naturelle des Alpes ! (4)
– 2011, catastrophe nucléaire à Fukushima au Japon : les infrastructures construites sur une zone sismique n’ont pas résisté à un tremblement de terre. Aujourd’hui encore, aucune solution n’a été trouvée !
– 2015, Tianjin en Chine : explosion meurtrière d’entrepôts de stockage de produits chimiques : 114 morts, 720 blessés, 700 tonnes de cyanure de soude déversés, et une zone urbaine à l’heure actuelle toujours polluée. (5)
Sans compter les ravages engendrés par de nombreuses marées noires : en 1978 sur les côtes bretonnes, en 1989 en Alaska, en 1999 à nouveau sur les côtes bretonnes, en 2002 sur les côtes de la Galice en Espagne, en 2010 en Louisiane aux États-Unis…
Les beaux discours de la bourgeoisie sur l’environnement n’ont jamais rien changé et ne changeront jamais rien à la course au profit d’un capitalisme toujours plus moribond. Seule la révolution prolétarienne peut mettre un terme à ce cycle sans fin de catastrophes et faire vivre l’humanité en harmonie avec l’environnement car, comme l’écrivait Engels dans sa Dialectique de la nature : “les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement”.
Manon, 1er novembre 2019
1) “Incendie de l’usine Lubrizol : ‘Les analyses livrées par la préfecture sont hors de propos’”, Paris-Normandie (30 septembre 2019).
2) “La com’ toxique de l’État à Rouen”, Le canard enchaîné (9 septembre 2019).
3) “Une fumée, des fumeux”, Le canard enchaîné (2 octobre 2019).
4) “Après Tchernobyl, Fukushima… ce ne sont pas les atomes qui sont à craindre, mais le capitalisme”, Révolution internationale n° 422 (mai 2011).
5) “Explosion meurtrière de Tianjin (Chine) : apprendre de tout, ne rien oublier !”, Révolution internationale n° 454 (septembre-octobre 2001).
Il y a 90 ans, le krach boursier d’octobre 1929 qui annonçait la crise économique des années 1930 venait confirmer ce que la Première Guerre mondiale avait signifié, à savoir que le capitalisme était définitivement entré dans sa période de décadence. En quelques mois, des dizaines et des dizaines de millions de personnes allaient tomber dans un dénuement total. Bien-sûr, depuis cette période, la bourgeoisie a appris à atténuer la violence de la crise mais, malgré les leçons qu’elle a pu en tirer, cette crise n’a jamais été surmontée. Cela confirme que dans la période ouverte par la Première Guerre mondiale, les contradictions du capitalisme ne pouvaient qu’amener à la dégradation des conditions d’existence de la très grande majorité de l’humanité.
La crise de 1929 correspond, sans aucune ambiguïté, au diagnostic qu’avaient fait Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste au sujet des crises que connaissait déjà le capitalisme au XIXe siècle : “Une épidémie sociale éclate, qui, à toute autre époque, eût semblé absurde : l’épidémie de la surproduction”. Un tel diagnostic est d’autant plus vrai quand on se rend compte que la crise de 1929 n’a pas éclaté avec le krach boursier des 24 et 29 octobre 1929, mais que la situation du capital se dégradait avant ces dates dans de plus en plus de secteurs et de pays.
Ainsi, aux États-Unis, la production des secteurs de la construction et de l’automobile baissait depuis mars 1929, baisse qui s’est généralisée à l’ensemble de l’économie pendant l’été de la même année. Par ailleurs, l’activité économique en général était à la baisse dans les pays européens qui ont eux-mêmes connus le krach boursier avant les États-Unis ; dans ces conditions, la spéculation à la hausse à la bourse de New York ne pouvait que se heurter à la diminution des profits et finir par un krach.
Cette baisse de l’activité économique dans les pays centraux du capitalisme avait pour cause, d’une part, la surproduction mondiale des produits agricoles depuis le milieu des années 1920, ce qui impliquait une baisse de revenus dans l’agriculture et, d’autre part, la faiblesse persistante des salaires qui avaient augmenté beaucoup moins que la production dans l’ensemble des pays industrialisés. Une telle dynamique vérifie totalement la cause de la surproduction qu’avait identifiée Marx : “la raison ultime de toutes les crises réelles, c’est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses, face à la tendance de l’économie capitaliste de développer les forces productives, comme si elles n’avaient pour limites que le pouvoir de consommation absolu de la société”. (1)
Bien sûr, le krach boursier va amputer sévèrement les réserves du capital financier et provoquer la faillite de grandes banques comme la Bank of The United States, aggravant ainsi la surproduction car il devenait de plus en difficile de financer l’accumulation du capital. S’ensuivit une chute drastique de l’investissement venant surajouter une surproduction massive de biens de production à la tendance générale existant depuis plusieurs années. Cette dynamique a provoqué une accélération rapide de la chute de la production industrielle. Dans le même sens, du fait des relations financières et commerciales internationales, l’aggravation de la crise va être mondiale. Il faut signaler que c’est dans les deux pays les plus développés, à savoir les États-Unis et l’Allemagne, que la diminution de l’activité va être la plus profonde et la plus rapide.
Pourtant, pendant les premiers mois qui ont suivi le krach, la bourgeoisie et la plupart de ses économistes, aveuglés par l’idée que le système capitaliste est éternel, pensaient avec le président des États-Unis, Hoover, que “tout serait terminé en soixante jours” et que comme dans les crises du XIXe siècle, la reprise économique surviendrait spontanément. La violence de la crise a provoqué un profond désarroi au sein de la classe dominante mais, puisqu’il s’agissait d’abord de maintenir un minimum de profit, la réaction des entreprises a été de licencier massivement et de diminuer les salaires. Les États, quant à eux, malgré des hésitations, tentèrent de garder leur crédibilité financière en maintenant l’équilibre budgétaire par la diminution des dépenses publiques. C’est ainsi que fut menée aux États-Unis une politique de réduction de la masse monétaire et de hausse massive des impôts directs et indirects votée en juin 1932 ; en Allemagne, le chancelier Brüning, surnommé le chancelier de la faim, a augmenté les impôts, baissé les salaires des fonctionnaires de 10 % et les indemnités des chômeurs dès 1930 ; puis, dans ce même pays, des mesures encore plus dures furent prises contre les chômeurs en juin 1931 ; en France, dès 1933, les différents gouvernements baissèrent les dépenses publiques, les retraites et les salaires des fonctionnaires et en 1935 ces mêmes salaires furent amputés de 15 % puis de 10 %.
L’autre orientation adoptée par les États a été de protéger l’économie nationale par le protectionnisme : tous les pays ont emboîté le pas des États-Unis dont le Congrès avait voté, avant le krach d’octobre 1929, la loi Smoot-Hawley qui augmentait les droits de douane de 50 %. En fait, les années 1930 ont vu une véritable guerre commerciale et monétaire se développer entre les grandes puissances. En particulier, le flottement de la valeur de la Livre Sterling et sa dévaluation de plus de 30 % décidée en septembre 1931 ainsi que celle du dollar d’un montant de 40 % en 1933 montrent que chaque grande puissance, à l’image du Royaume-Uni et du Commonwealth qui décrètent la préférence impériale pour leur commerce extérieur, se repliait sur sa zone d’influence.
La mise en œuvre d’une telle politique révèle que la bourgeoisie n’avait pas compris que, contrairement à la période qui précède la Première Guerre mondiale, le capitalisme, qui était alors dans sa période ascendante, n’avait plus les moyens de juguler la surproduction vers laquelle poussent irrémédiablement ses contradictions. Dans cette période, les crises avaient débouché sur de nouvelles phases de croissance parce que le marché mondial était encore ouvert et permettait donc aux capitaux nationaux les plus modernes et dynamiques de trouver de nouveaux marchés qui permettaient de surmonter les problèmes cycliques de surproduction. Comme l’a montré Rosa Luxembourg, la Première Guerre mondiale était la manifestation du fait que le marché mondial était globalement partagé entre les grandes puissances et qu’il n’y avait plus assez de nouveaux marchés à conquérir. Ceci impliquait que l’issue de la crise ne pouvait être que la destruction du capitalisme par la classe ouvrière ou l’éclatement d’une nouvelle guerre mondiale. En conséquence, les politiques des États, inspirées par la situation du siècle précédent, dans les trois ou quatre premières années qui ont suivi le krach d’octobre 1929 n’ont même pas permis de diminuer l’impact de la surproduction ; au contraire, elles l’ont aggravé.
De fait, comme le dit l’économiste Kindleberger, ces années ont été “un glissement vers l’abîme”. Entre l’automne 1929 et le premier trimestre 1933, le PNB des États-Unis et de l’Allemagne a été divisé par deux, le niveau moyen des prix mondiaux a baissé de 32 %, le volume du commerce mondial a diminué de 25 %. Une telle dégradation de l’activité économique provoqua la chute des profits, ce qui explique qu’en 1932, l’investissement brut aux États-Unis était proche de zéro. En d’autres termes, beaucoup d’entreprises ne remplacèrent pas leurs machines usées. Comme l’avait dit Keynes, au-delà d’un certain niveau de baisse des prix et donc de pertes, les entreprises ne peuvent plus rembourser leurs dettes et les banques ne peuvent que s’effondrer ; et c’est bien ce qui s’est passé. Des grandes banques firent faillite dans tous les pays. Le 13 mai 1931, le KreditAnstaldt (2) était en cessation de paiements ; en juillet de la même année, la grande banque allemande Danatbank était aussi en situation de faillite et, du fait de la panique bancaire, toutes les banques allemandes fermèrent pendant trois jours ; aux États-Unis, au début 1932, le nombre de faillites bancaires était tel que Roosevelt, fraîchement élu Président, fut obligé de fermer l’ensemble du système bancaire (plus de 1 000 banques ne rouvriront jamais !).
Les conséquences pour la classe ouvrière furent terrifiantes : le chômage augmentait dans tous les pays : à la fin de 1932, le chômage atteignit au moins 25 % aux États-Unis (alors que, dans ce pays, il n’y a aucun secours pour les chômeurs) et 30 % en Allemagne. (3) Une grande partie des ouvriers travaillaient à temps partiel dans un total dénuement ; les allocations chômage furent diminuées en Allemagne et en Grande-Bretagne ; les files d’attente de gens hagards, presque en haillons, pour une soupe populaire, s’allongèrent, alors qu’étaient détruites des tonnes de marchandises invendables. Au Brésil, on en vint même à brûler les stocks de café dans les locomotives ! Enfin, les augmentations des impôts vinrent torpiller davantage une classe ouvrière paupérisée.
L’effondrement de l’économie mondiale a obligé la classe dominante et certains de ses experts à remettre en cause leurs vieux préceptes libéraux de non-intervention de l’État et du respect de l’équilibre budgétaire et à se rendre compte que la cause de la crise était la surproduction que la bourgeoisie a habilement rebaptisée, avec la théorie de Keynes, “insuffisance de la demande”.
Pour stopper l’effondrement du capital, il s’est d’abord agi pour les États de prendre en mains l’appareil productif, quelquefois directement, comme ce fut le cas en France pour le transport ferroviaire ou en Grande-Bretagne pour les transports londoniens ou le transport aérien. Mais surtout, cette prise en mains par l’État a consisté dans le fait de contraindre l’ensemble des entreprises, par la réglementation, d’adopter des gestions conformes aux intérêts du capital national : c’est cela le contenu du fameux New Deal du Président Roosevelt aux États-Unis ou du plan De Man en Belgique. Aux États-Unis, par le Banking Act, l’Administration américaine a créé un organisme d’assurance auquel les banques devaient adhérer pour recevoir des fonds de la Banque centrale (la FED). Une autre loi organisait le soutien des prix agricoles en proposant des indemnités aux agriculteurs s’ils réduisaient les surfaces cultivées. Dans l’industrie, le NIRA demandait aux branches industrielles de s’organiser (en Allemagne, ce furent les corporations qui en furent chargées) pour fixer des quotas de production et les prix de vente des entreprises ; par ailleurs, il accordait le droit aux syndicats de signer des conventions collectives, ce qui d’ailleurs permettait à ces derniers d’accroître leur emprise sur la classe ouvrière. De telles lois (que l’on retrouvait de manière analogue dans les autres pays comme en France sous le Front Populaire) n’ont pas amélioré les salaires puisque les prix augmentaient davantage. Pour diminuer la surproduction, ces lois visaient non seulement à réduire la production mais aussi à relancer la demande par le déficit budgétaire. C’est ainsi que le NIRA a organisé une politique de grands travaux publics comme l’assainissement de la vallée des Appalaches, la construction du Triborough Bridge à New York ou encore l’aménagement de nombreux barrages dans la vallée du Tennessee. On retrouve la même volonté en Allemagne dès 1932 avec la construction d’autoroutes, le creusement de canaux, l’assainissement de certaines zones géographiques. Accroître artificiellement la demande tout en renforçant le contrôle sur la classe ouvrière fut aussi l’objectif de la bourgeoisie britannique dans le fait de réintroduire des allocations de chômage, puis un régime de retraite et de stimuler la construction de logements.
Le développement de l’emprise de l’État sur le capital qui s’est mis en place de manière assez chaotique dans les années 1930 va avoir un grand avenir. Il va même être théorisé dans ce que l’on a appelé le keynésianisme. Le contrôle de l’ensemble du capital par l’État en utilisant toute une série de moyens (de la nationalisation au soutien par des organismes publics aux entreprises) va être de plus en plus systématique. L’endettement de plus en plus massif (impulsé par l’État) de toute l’économie, ainsi que la pratique de déficits publics vont continuellement se développer dans le but d’atténuer les effets de la surproduction. De même, la mise en place après la Seconde Guerre mondiale de “l’État providence”, prolongeant ce qui avait été fait dans les pays de l’Europe de l’Ouest dans les années 1930, va constituer un régulateur de la demande tout en étant un instrument de contrôle idéologique de la classe ouvrière. Comme cela s’est passé dans les années 1930, le déploiement de tous ces moyens va permettre à l’État d’étaler dans le temps les effets de la surproduction. Mais en aucun cas, la bourgeoisie ne peut résoudre la crise et surmonter réellement la surproduction.
Aujourd’hui, la crise du système capitaliste continue à s’approfondir, même si c’est à un rythme bien plus lent que dans les années 1930. Elle confirme que le capitalisme d’État n’est pas un moyen permettant de mettre fin à la surproduction, celle-ci étant inhérente au capitalisme. En fait, la réponse du capital à la crise est elle-même une expression de la sénilité du mode de production capitaliste qui ne cesse de s’affermir. Elle ne permet que la gestion en vue de limiter les effets de sa crise permanente : cela, au prix de contradictions de plus en plus aiguës et destructrices.
Vitaz, 8 octobre 2019
1) Marx, Le Capital chapitre XVII
2) Banque dans laquelle est concentré le capital financier autrichien.
3) Certaines statistiques publiées par la bourgeoisie donnent des chiffres beaucoup plus élevés.
Liens
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[3] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/michel-aglietta
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[5] http://www.humanite.fr/Entretien-avec-Hubert-Tison-secretaire-general-de-l-Association-des-professeurs-d
[6] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[7] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[8] https://www.liberation.fr/societe/0101607434-pour-en-finir-avec-un-management-panique
[9] https://fr.internationalism.org/tag/5/121/afghanistan
[10] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/barack-obama
[11] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/la_lutte_et_la_solidarite_ouvrieres_en_inde_face_aux_attaques_et_a_la_repression.html
[12] https://fr.internationalism.org/tag/5/61/inde
[13] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[14] https://fr.internationalism.org/Internationalisme/2009/343/le_darwinisme_social_une_ideologie_reactionnaire_du_capitalisme.html
[15] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A9ationnisme
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[23] https://fr.internationalism.org/content/seisme-haiti-etats-capitalistes-sont-tous-des-charognards
[24] http://www.scoopfmhaiti.com/actualites/760-haitiseisme--le-bilan-pourrait-setablir-a-plus-de-300000-morts
[25] http://www.metrofrance.com/info/haiti-un-nouvel-avion-empeche-d-aterrir/mjas!6dxN7Jb4I8pQ
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[27] https://fr.internationalism.org/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
[28] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/catastrophes
[29] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/haiti
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[31] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[32] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guadeloupe
[33] https://fr.internationalism.org/ri403/les_ouvriers_du_batiment_au_centre_de_la_lutte_en_angleterre.html
[34] https://fr.internationalism.org/tag/5/42/italie
[35] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/immigration
[36] https://www.rencontre12.eu/?article11934
[37] http://www.mico.over-blog.org
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[40] https://fr.internationalism.org/tag/5/229/algerie
[41] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/afrique
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[46] https://fr.internationalism.org/content/belgique-chez-opel-et-chez-ab-inbev-meme-combat-meme-sabotage-syndical
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[51] https://www.millebabords.org/spip.php?article13409
[52] https://fr.internationalism.org/ri397/manifestation_des_lyceens_a_lyon_des_provocations_policieres_pour_tenter_de_pourrir_le_mouvement.html
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[58] https://fr.internationalism.org/content/9723/turquie-solidarite-resistance-des-ouvriers-tekel-contre-gouvernement-et-syndicats
[59] https://fr.internationalism.org/ri409/en_haiti_l_humanitaire_comme_alibi.html
[60] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[61] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[62] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/anton-brenders
[63] https://fr.internationalism.org/files/fr/RI_411_0.pdf
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[76] https://fr.internationalism.org/ri412/reponses_a_quelques_questions_a_propos_des_syndicats.html
[77] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/question-syndicale
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[80] https://fr.internationalism.org/content/3514/debat-interne-au-cci-causes-prosperite-consecutive-a-seconde-guerre-mondiale-ii
[81] https://fr.internationalism.org/rint136/debat_interne_au_cci_les_causes_de_la_prosperite_consecutive_a_la_seconde_guerre_mondiale_3.html
[82] https://fr.internationalism.org/rint138/debat_interne_au_cci_les_causes_de_la_periode_de_prosperite_consecutive_a_la%20_seconde_guerregmondiale_4.html
[83] https://fr.internationalism.org/rint141/la_surproduction_chronique_une_entrave_insurmontable_a_l_accumulation_capitaliste.html
[84] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anti-globalisation
[85] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/leconomie
[86] https://fr.internationalism.org/tag/7/287/terrorisme
[87] https://fr.internationalism.org/tag/7/304/tensions-imperialistes
[88] https://fr.internationalism.org/ri409/le_suicide_et_la_souffrance_au_travail.html
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[93] https://www.spiegel.de/wissenschaft/natur/us-oelpest-schwere-sicherheitsmaengel-vor-explosion-der-oelplattform-a-694602.html
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[124] https://fr.internationalism.org/rint129/la_cnt_face_a_la_guerre_et_a_la_revolution.html
[125] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/correspondance-dautres-groupes
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[143] http://www.20minutes.fr/article/585711/Economie-Travailler-plus-et-renoncer-a-ses-RTT-permet-rarement-de-sauver-son-emploi.php
[144] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
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[687] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/ligue-communiste
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[689] mailto:[email protected]
[690] https://fr.internationalism.org/content/9724/mouvements-sociaux-france-quelles-lecons-tirer-des-dernieres-luttes
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