2eme conférence internationale des groupes de la GAUCHE COMMUNISTE

Dans la première quinzaine de Novembre s'est réunie à Paris la deuxième Conférence des groupes communistes en continuation de la première qui a eu lieu sur l'initiative de Parti Communiste Internationaliste (Battaglia Communista) en Mai 1977 à Milan. Il n'est pas dans notre Intention de donner, dans le cadre de cet article, un compte-rendu détaillé des débats. Celui-ci fera l'ob­jet d'une brochure spéciale qui paraîtra prochai­nement en anglais, français, et italien afin de permettre à tous les militants révolutionnaires de suivre l'effort de clarification au travers de la confrontation des groupes qui ont partici­pé à cette conférence. Plus modestement, nous nous proposons dans cet article, de dégager â grands traits, la signification importante à nos yeux de la tenue d'une telle conférence, tout particulièrement dans la situation actuelle et répondre en même temps à l'attitude très négati­ve que certains groupes ont jugé bon d'adopter à rencontre de cette conférence.

Tout d'abord nous devons souligner que cette deuxième conférence a été mieux préparée, mieux organisée que la première, et cela aussi bien du point de vue politique quforgan1sat1one1. Ainsi 1'Invitation a été faite sur la base de critères politiques précis. L'Invitation s'adressait à tous les groupes qui :

1)  Se réclament et défendent les principes fon­damentaux qui ont présidé à la Révolution prolétarienne d'Octobre 1917 et à la constitution de la Troisième Internationale de 1919 et qui a partir de ces principes entendent soumettre à la critique constructive les positions politiques et la pratique élaborée et énoncée par l'IC à la lumière de l'expérience.

2)  Rejettent sans la moindre réserve toute pré­tendue existence dans le monde de pays à régime socialiste ou de gouvernement ouvrier, même avec le qualificatif de "dégénéré". Rejettent toute distinction de classe à établir entre les pays du bloc de l'Est ou de la Chine avec les pays du bloc de l'Ouest et dénoncent comme contre-révo­lutionnaire tout appel à la défense de ces pays.

3)  Dénoncent les P.S. et les P.C. et leurs aco­lytes comme des partis du capital.

4)  Rejettent catégoriquement l'idéologie de l’ « antifascisme », établissant une frontière de classe entre le fascisme et la démocratie en appelant les ouvriers à défendre ou à soutenir la démocratie contre le fascisme.

5)  Proclament la nécessité pour les communistes d'oeuvrer pour la reconstruction du Parti, arme indispensable pour la victoire de la Révolution Prolétarienne.

Un simple énoncé de ces critères fait comprendre à tout ouvrier qu'il ne s'agit pas d'un ramassis de toutes les "bonnes volontés" mais de groupes authentiquement communistes se démarquant nettement de toute la faune gauchiste : maoïstes, trotskystes, modernistes, et autres conseil listes bêlants "anti-parti".

Ces critères, certes insuffisants pour établir une plate-forme politique pour un regroupement sont par contre parfaitement suffisants pour savoir avec qui on discute et dans quel cadre, afin que la discussion soit réellement fructueuse et constitue un point positif.

D'autre part et en amélioration de la première con­férence, l'ordre du jour des débats a été établi, longtemps avant la conférence elle-même, permettant ainsi aux groupes de présenter leurs points de vue dans des textes écrits â l'avance, rendant plus clairs les débats à la Conférence. L'ordre du jour était le suivant :

-  1) L'évolution de la crise et les perspectives qu'elle ouvre pour la lutte de la classe ouvrière.

-  2) La position des communistes face aux mouve­ments dits de "libération nationale".

-  3) Les tâches des révolutionnaires dans la pério­de présente.

Un tel ordre du jour démontre que la conférence n'avait rien de commun avec ces colloques académi­ques de singes savants, de sociologues et économis­tes se gargarisant de "théorie" dans l'abstrait. C'est une préoccupation militante qui présidait à la conférence, cherchant à dégager une plus grande compréhension de la situation mondiale actuelle, de la crise dans laquelle est plongé le capitalis­me mondial et ses perspectives du point de vue de classe du prolétariat, ainsi que les tâches qui en découlent pour les groupes révolutionnaires au sein de la classe.

C'est dans le cadre de ces critères et dans un sou­ci militant qu'ont été invités une douzaine de groupes de divers pays. La  plupart    ont répondu favorablement à cette initiative, même si certains n'ont pu à la dernière minute et pour des raisons diverses y assister. Ce fut le cas d'"Arbetarmakt" de Suède, d'HORCIAM de France et "Il Leninista" d'Italie. On doit cependant noter que quatre grou­pes ont refusé toute participation. Ce sont le Spartacusbond" de Hollande, le P.I.C. de France et les deux « partis » communiste international (PCI " Pogramme"  et PCI "Il Partito Communista") d'Ita­lie.

Il n'est pas sans Intérêt d'examiner de plus près les arguments avancés par chacun de ces groupes et les vraies motivations qui ont décidé leur refus. Pour le "Spartacusbond" de Hollande, la chose est simple : le groupe Spartacus est contre toute idée de Parti. Le seul mot de Parti lui fait hérisser les cheveux. C'est en vain que ce groupe, né le lendemain de la deuxième guerre, prétend se récla­mer de la tradition et comme continuité de la gauche communiste hollandaise et allemande dont il est une pâle caricature. C'est tout au plus de l'Otto Rhule assaisonné de Sneevliet  qu'il pourrait se réclamer, mais certainement pas de Gorter et de Pannekoek qui eux n'ont jamais nié le principe de la nécessité d'un Parti communis­te. Spartacus s'avère être la fin sénile du Cou­rant Communiste Conseilliste devenu une petite secte, repliée sur elle-même, isolée et s'isolant chaque jour plus du mouvement ouvrier international. Son refus ne fait que montrer l'épuise­ment définitif du courant conseilliste pur, se confondant et s'Intégrant chaque jour plus avec le marais gauchiste. C'est une triste fin d'une évolution Irréversible produit d'une trop lon­gue période de contre-révolution.

De différente façon se présente l'attitude du P.I.C. Après avoir donné son accord de principe pour la première conférence de Milan, il revient sur sa décision à la veille de celle-ci, esti­mant que dans les circonstances présentes, cela serait un "dialogue de sourds". Pour la deuxième conférence, il fonde ainsi son refus de princi­pe : refus de participer à des conférences "Bordigo-Léninistes". Là aussi, nous assistons à une évolution précise. Quand, il y a quelques cinq ou six ans, les quelques camarades qui ont quitté Révolution Internationale pour constituer le groupe "Pour une Intervention Communiste" fon­daient leur séparation sur le reproche d'une In­tervention insuffisante de la part de R.I. En mettant de côté l'activisme verbal du P.I.C qui l'a conduit à toutes sortes de "conférences" et de "campagnes" (sic!) plus artificielles les unes que les autres, il reste évident aujourd'hui ce   que nous avons toujours affirmé : que le vrai débat n'était pas "intervention ou non Interven­tion" mais bien "de quel type d'intervention, sur quel terrain, et à côte de qui". Ainsi le P.I.C. qui se livre de temps à autre à des "con­férences" avec toutes sortes de groupes et d'é­léments anarchisants ou des groupes "autonomes" plus que fantomatiques et qui se terminent à chaque fois en queue de poisson, est vraiment bien placé pour parler de "dialogue de sourds" quand il s'agit de discussions entre des grou­pes vraiment communistes. Ceci n'est pas tout. Revenu de ses tentatives malheureuses de cons­tituer un courant anti-CCI avec "Revolutionary Perspectives", "Workers Voice", et le "RWG" (ces deux derniers disparus depuis dans la na­ture sans laisser de traces), le P.I.C., quel­que peu refroidi pour ce qui concerne les grou­pes de la gauche communiste, s'est rabattu sur les éléments de la gauche socialiste et parti­cipait au groupe initiateur qui a relancé la vieille revue socialiste de gauche "Spartacus", sous la haute direction de son fondateur René Lefeuvre. Dans cette revue, où s'étalent à lon­gueur de pages la glorification de l'armée ré­publicaine de la guerre d'Espagne de 36-39, les hauts faits de "l'anti-fascisme" promoteur actif de la deuxième boucherie mondiale, les hommages chaleureux de Marceau Pivert, du PSOP (le PSU d'avant-guerre), du POUM, les louanges et sou­venirs attendrissants de l'action héroïque trotskyste dans la Résistance durant la guerre, le PIC se trouve à son aise et fait partie de la rédaction. Ses narines délicates qui ne saurai­ent supporter l'odeur horrible des "Bordigo-Léninistes" se dilatent voluptueusement à l'encens parfumé du Socialisme de gauche et de 1'anti-autoritarisme. Dans cette basse-cour de la So­cial Démocratie ([1]) on PICore tout à son aise et on peut même s'offrir de temps à autre le plaisir de faire des critiques "radicales" et de jouer "l'enfant terrible" ultra-révolution­naire. Il est vrai que "Spartacus" est une revue très ouverte, très large. Mais le fait d'être large est loin d'être toujours une qualité ! Ce qui fait l'unité, le ciment de l'équipe de "Spartacus", c'est l’antibolchevisme tripal qu'il confond volontairement et sournoisement avec le stalinisme. Les socialistes de "gauche" n'ont jamais attendu le stalinisme pour déni­grer les bolcheviks, les Lénine et combattre au nom "du socialisme démocratique" la révolu­tion d'Octobre et le communisme. Au nom de l’antibolchevisme, les socialistes de gauche ont toujours été la queue misérable de la Social -Démocratie, des Scheidemann-Noske, des Turati et des Blum. Cela ne gêne pas le PIC de marcher et de collaborer avec eux. Ce n'est pas dans l'arsenal et la continuité de la Gauche Com­muniste que le PIC va chercher sa critique con­tre telle ou telle position des bolcheviks et de Lénine, mais dans les poubelles des consulats tsaristes et de Kerenski ou encore en PICorant sur le fumier de la gauche socialiste. Dans sa fougue antibolchevik, le PIC oublie que, quel­les que puissent être nos divergences avec les bolcheviks, elles ne peuvent changer notre ju­gement sur la social-démocratie, qu'elle soit de droite ou de gauche, car ce qui sépare les communistes de la social-démocratie est ce fos­sé infranchissable : l'appartenance à deux classes mortellement ennemies : les communis­tes appartenant au prolétariat, la social-démocratie à la bourgeoisie. Ne serait-ce que cette leçon, nous la devons entièrement à Lé­nine et au parti bolchevik. Ce n'est donc pas par hasard, mais pour avoir oublié cette leçon, que le PIC peut, des creux des colonnes de Spar­tacus où il a fait sa niche douillette, refuser de se déranger pour discuter avec les "bordigo-léninistes". On peut se demander si c'est son "anti-léninisme" viscéral qui fait s'approcher le PIC de la gauche socialiste ou, au contrai­re, si c'est son rapprochement du socialisme de gauche et du gauchisme qui le rend si farou­chement antibolchevik ? Ou encore les deux à la fois ? Une chose reste certaine : c'est que le PIC se trouve sur un point situé quelque part entre les socialistes de gauche et Lénine, c'est-à-dire violemment antibolchévik (radica­lisme en paroles) en collaboration avec les socialistes de gauche (opportunisme dans la pratique).

Pas le moins cocasse de cette histoire est l'article de critique publié par la "Jeune Tau­pe" à l'égard du groupe "Combat Communiste". Dans cet article, le PIC "gronde" "Combat Commu­niste" de leur non-rupture totale avec les trotskystes et leur rappellent à cette occa­sion (une fois n'est pas péché mortel) : "Comme le disait Lénine à Zimmerwald par rapport aux sociaux-démocrates, c'est-à-dire (que ces derniers) étaient hors du camp du prolétariat et donc dans celui de la bourgeoisie. Si on est tant soit peu conséquent, on ne peut pas les considérer comme des camarades dans l'erreur et à plus forte raison militer a leurs côtés". ([2]) (souligné par nous). Le PIC n'est donc pas complètement amnésique -même s’il est un peu faible de la tête. Quand il s'agit d'admonester "Combat Communiste", il se rappelle bien que : "pour lui (Lénine) les sociaux-démocrates étalient des ennemis de classe avec lesquels il ap­pelait à rompre. Ainsi la Troisième Interna­tionale se constituera en opposition aux tentatives de reconstitution de la deuxième Inter­nationale-.." ([3]). Excellente mémoire ! Mais à croire que le PIC ne se regarde jamais dans la glace. A moins, à moins que ... ce qu'il consi­dère comme indispensable : la rupture avec le trotskisme, devienne moins évidente lorsqu'il s'a­git de collaborer avec la gauche socialiste. Nous serons encore d'accord avec la conclusion de l'article cité : "Les années qui viennent et qui devraient voir le prolétariat ressurgir sur la scène de l'histoire comme sujet de son propre devenir ne toléreront pas la moindre confusion théorique. Ce qui est aujourd'hui inconsistance et fantaisie deviendra demain danger mortel et théorie contre-révolutionnaire. C'est maintenant qu'il faut se prononcer clairement, qu'il faut choisir son camp." ([4]). Exactement ! C'est tout à fait exact !    Faut-il conclure que le PIC, en refusant de venir à la Conférence de crainte d'être contaminé par les "Bordigo-Léninistes" et en restant tranquillement dans les rangs de Spartacus, a déjà choisi son camp ? Le proche avenir nous le dira.

Pour ce qui concerne les deux PCI bordiguistes, ils n'ont pas daigné faire savoir directement leur refus mais se sont contentés de publier chacun un article dans leur presse, plus déni­grant et persiflant l'un que l'autre. Quand on se dit Parti Communiste International, on gar­de son rang et on ne se rabaisse pas à répondre â d'autres qui ne sont que de simples groupes On a sa dignité a sauvegarder que diable, même si on n'est en réalité qu'un petit groupe, lui-même divisé et subdivisé en quelques trois [ou quatre partis communiste! Internationaux, qui s'ignorent entre eux !

Provenant, après la mort de Bordiga, d'une scission obscure avec l'organisation de Programma, le groupe de Florence, dans la stricte tradi­tion du bordiguisme où il ne saurait exister dans tout l'univers qu'un seul Parti, s'est tout simplement auto-proclamé "Parti Communis­te International". Ce grand "Parti Internatio­nal" de Florence est donc tout indiqué pour vilipender les "misères des faiseurs de Parti". ([5]). Comment rassurer ces gens ombrageux que personne dans la Conférence n'en voulait à ce     qu'ils considèrent être leur bien exclusif. Personne dans la Conférence ne posait le pro­blème d'une constitution immédiate du Parti, même pas celui de la constitution d'une orga­nisation unifiée et cela pour la simple rai­son que tous   les groupes étaient parfaitement conscients de l'immaturité d'un tel projet. Ce n'est rien comprendre au problème du Parti de classe, que de penser qu'il se décrète par la simple volonté de quelques militants et dans n'importe quelles conditions. Cette conception volontariste et idéaliste du Parti qui se dé­crête n'importe quand, indépendamment de l'é­tat et du développement de la lutte de classe n'a rien â faire avec la réalité qui fait que le Parti est un organisme vivant de la classe qui ne surgit et se développe que quand les conditions sont données pour qu'il puisse as­sumer effectivement les tâches qui sont les siennes. Les jongleries bordiguistes sur le Parti formel et le Parti historique ne servent qu'à couvrir leur ignorance totale de la diffé­rence entre les fractions ou groupes et le Par­ti, et par là même leur incompréhension de la formation effective du Parti.

La conception qu'on a de la nature et la fonc­tion du Parti est une question qui a soulevé le plus de débats passionnés dans l'histoire du mouvement marxiste. Il suffit de rappeler les divergences qui opposèrent Rosa Luxem­bourg et Lénine, le Parti bolchevik et la Gau­che Allemande, la fraction de Bordiga à l'In­ternationale Communiste, et la fraction Italien­ne de Bilan au PCI reconstitué a la fin de la deuxième guerre. Elle reste encore aujourd'hui un sujet de discussions et de précisions au sein du mouvement des Communistes de Gauche. Libre à des groupes dans une ville provinciale quel­conque, de se proclamer un beau jour "Parti unique et mondial", aucune loi ne peut les em­pêcher de le faire. Mais de là qu'il le soit réellement, et d'y croire, relève d'une douce mégalomanie. Mais pour le courant bordiguiste, il ne saurait être question de mettre en discus­sion leur conception du Parti unique et mono­lithique, qui prend le pouvoir et exerce sa dictature au nom du prolétariat, même à l'encontre de la volonté de la classe. Car, menace "Il Partito" : "Qui s'oppose à cette conception ou n'accepte pas cette discipline programmati­que et organisationnelle se trouve en dehors du camp de la Gauche". Inutile de dire que cette conception est très loin d'être celle de Marx et Engels qui ne s'amusaient pas à se proclamer a tout bout de champ le "Parti", ni a celle d'une Rosa Luxembourg, ni même celle de Lénine, ni celle de Bilan, ni celle de la Gauche Italien­ne en général; elle appartient, mais strictement, en propre au bordiguisme. Et que cela soit dit sans crainte d'être excommuniés, elle n'est pas non plus la nôtre.

On comprend que les bordiguistes évitent toute discussion avec d'autres groupes communistes et la confrontation de leurs positions avec eux. Ils ne discutent pas déjà entre eux (centralis­me organique oblige). Car aucune secte ne sau­rait mettre en question les dogmes de sa bible invariante. Leur seule dispute est pour savoir qui d'entre leurs nombreux partis sera l'unique, reconnu universellement comme tel. Ces disputes ressemblent étrangement a celles de cette mai­son d'aliénés où chacun se prend pour le vrai, l'Unique Napoléon !

Le dernier rejeton de 1'avant-dernière scission des bordiguistes : le Parti florentin, n'est pas le moins farouche. Offensé qu'on ait osé 1'inviter à la Conférence, il jette comme une foudre son avertissement : "Les missionnaires de l'unification, groupes politiques de diver­ses traditions tendent "nolens-vo1ens" à cons­tituer une organisation politique objective­ment contre la Gauche et la Révolution". Passons sur les "missionnaires", qui se veut être blessant, et répétons une fois de plus que jamais la Conférence ne posait comme objec­tif la discussion sur l'unification. Il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut entendre. L'heure n'a pas encore sonné pour l'unifica­tion dans un seul Parti des différents groupes communistes qui existent aujourd'hui. Mais l'heure, pensons-nous, a largement sonné pour que les groupes communistes sortent de leur isolement hivernal qui n'a que trop longtemps duré. Pendant cette période qui a duré cinq décennies, la contre-révolution a eu raison non seulement de la classe, mais inévitable­ment aussi du mouvement communiste internatio­nal qui a été réduit à sa plus simple expression. Peu de groupes de la Gauche Communiste ont résisté et survécu à cette avalanche. Et ceux qui ont réussi à survivre ont été pro­fondément marqués par ce repli général qui a développé chez eux un réflexe d'isolement, un renfermement sur eux-mêmes et un esprit de secte.

Un autre réflexe était la fuite en avant, fai­re bonne figure contre mauvais sort et qui se traduisait dans cette construction artificiel­le des Partis, dont les trotskystes se sont rendus maîtres avant la seconde guerre, et que les bordiguistes ont repris après ceux-ci, en dépassant les premiers et, à leur habitude, en le poussant à l'absurde. Dans ces condi­tions, la constitution du Parti bordiguiste devenait une marche à contre sens de la réalité et ne pouvait qu'accuser échec sur échec. Autant le développement de la lutte de classe est un puissant facteur d'un processus d'homo­généisation dans la classe, et donc aussi celui de l'organisation des communistes. Le Parti autant une période de réaction et de contre-révolution est un facteur d'un processus d’ato­misation dans la classe et de dispersion de l'organisation des communistes . Le Parti bor­diguiste ne pouvait échapper à cette loi, d'où un processus de scissions incessantes dans ses rangs.

On sait que Bordiga était plus réservé quant à l'opportunité de la constitution immédiate du Parti. Il en était de même de Vercesi, qui deux ans après, mettait cette constitution carrément en question, en accord avec la critique que lui-même a développée dix ans avant dans Bilan, à l’encontre de la démarche de Trotsky. Mais au moins chez Trotsky, la constitution du Parti est une conclusion correcte, fondée sur une ana­lyse erronée de la situation. Trotsky voyait dans la France du Front Populaire et dans la guerre civile en Espagne le "début d'une montée révolutionnaire", ce qui impliquait la nécessité de la constitution Immédiate du Parti. Le Parti bordiguiste ne peut même pas invoquer une fausse analyse. C'est pourquoi, il a développé une théo­rie aberrante qui fait que la constitution du Parti est complètement détachée de tout lien avec la situation réelle de la lutte du proléta­riat. Même chez Bordiga, dans sa conception py­ramidale du Parti, ce dernier tout en haut de la pyramide repose néanmoins sur la base de la classe dont il est le produit direct. Par contre dans la dialectique des bordiguistes d'aujourd' hui, le Parti reste suspendu, comme dans une lé­vitation, en l'air, complètement détaché du mou­vement réel de la classe; il peut se constituer même si la classe subit les pires conditions de la défaite et de la démoralisation, il lui suf­fit pour cela de sa connaissance théorique et de sa volonté. Tournant ainsi le dos à toute l'histoire du mouvement ouvrier, faisant fi de ses enseignements et chaque petit groupe bordi­guiste se proclamant pour son propre compte le Parti Mondial Unique Reconstitué; il n'est pas étonnant qu'ils ne comprennent absolument pas ce que signifie une période de remontée de la lutte de classe et le processus qu'elle impli­que nécessairement, de la tendance au regroupe­ment des révolutionnaires. Ainsi les bordiguis­tes continuent à marcher à contre-sens. Hier, ils levaient le pied quand les marches des­cendaient, aujourd'hui ils le baissent quand elles sont ascendantes. Il y a une vingtaine d'années, ils lançaient dans le désert des ap­pels au regroupement des révolutionnaires. Au­jourd'hui quand de telles possibilités apparais­sent, ils ne   cessent de les dénigrer et de s'enfermer, eux et leur "dignité" dans leur cocon et dans l'isolement. Toute idée de discussion entre révolutionnaires est pour eux pur blasphème sans parler déjà de regroupement qui leur paraît ne pouvoir jamais être autre chose que "constituer une organisation politique objectivement contre la gauche et la révolution". Faut-il penser qu' ils ignorent   à ce point l'histoire, réelle et non critique du mouvement révolutionnaire? La constitution de la Ligue des Communistes, de la première, de la deuxième et de la troisième Internationale, de tous les partis ouvriers, ne se sont-elles pas faites au travers de ren­contres, de discussions, entre des groupes éparpillés dans un mouvement de convergence vers une unité politique et organisationnelle? N'était-ce pas le processus préconisé par 1'ancienne Iskra de Lénine de sortir de l'éparpillement de Cercles afin de donner naissance au Parti Russe ? La constitution (tardive) du PC d'Italie à Livourne a-t-elle suivi une au­tre vole ? Et la reconstruction précipitée du PCI à la fin de la seconde guerre n'était-elle pas elle aussi l'oeuvre de rencontres de plu­sieurs groupes ?

Le PCI de Florence termine son article en se plaignant : "il est pénible de devoir assis­ter périodiquement à ces misères". Au fond il a raison; il est largement servi par sa propre misère pour que cela lui suffise.

Peu différent -quant au fond de l'argumentation - est l'article, réponse du deuxième PCI, celui de Programma. Ce qui le distingue essentiellement est sa grossièreté. Le titre de l'article "La Lutte entre Fottenti et Fottuti " (littérale­ment entre "enculeurs et encules") montre déjà la "hauteur" où se place le PCI Programma  hauteur   vraiment peu accessible à d'autres. Faut-il croire que Programma est à tel point imprégné de moeurs staliniennes qu'il ne peut concevoir la confrontation de positions entre révolutionnaires que dans les termes de "violeurs" et "violés" ? Pour Programma aucune discussion n'est possi­ble entre des groupes qui se réclament et se si­tuent sur le terrain du communisme, surtout pas entre ces groupes. On peut à la rigueur, marcher avec les trotskystes et autres maoïstes dans un Comité -fantôme- de soldats, ou encore signer avec les mêmes et autres gauchistes des tracts com­muns pour "la défense des ouvriers immigrés", mais jamais envisager la discussion avec d'au­tres groupes communistes, même pas entre les nom­breux partis bordiguistes. Ici, ne peut régner qu'un rapport de forces, si on ne peut les dé­truire, alors ignorer jusqu'à leur existence ! Viol ou impuissance, telle est l'unique alterna­tive dans laquelle Programma voudrait enfermer le mouvement communiste et les rapports entre les groupes. N'ayant pas d'autre vision, il la voit partout , et l'attribue volontiers aux autres. Une Conférence internationale des grou­pes communistes ne peut, à ses yeux, être autre chose, et avoir un autre objectif que celui de débaucher quelques éléments d'un autre groupe. Et si Programma n'est pas venu, ce n'est certes pas par manque de désir de "violer" mais parce qu'il craignait d'être impuissant. En vain Programma débite-t-il un chapelet de sarcasmes contre les critères qui servaient de cadre pour les Invitations des groupes. Aurait-il préféré l'absence de tout critère ? Ou aurait-il voulu d'autres critères, et lesquels s’il vous plaît ? Les critères qui ont été établis vi­saient à délimiter un cadre permettant une dis­cussion   des groupes qui se réclament de la Gau­che communiste, éliminant les tendances anarchisantes, trotskystes, maoïstes et autres gauchis­tes. Ces critères constituent un tout organique, et on ne peut pas les séparer les uns des autres comme se plait  à le faire Programma. Ils ne prétendent pas être une plateforme pour une uni­fication, mais plus modestement, un cadre, pour savoir avec qui, et dans quelle orientation on mène la discussion. Mais pour Programma, on ne peut discuter qu'avec soi-même. Par crainte d'être im­puissant dans une confrontation des positions avec d'autres groupes communistes, Programa se réfugie dans le "plaisir solitaire". C'est la virilité d'une secte et l'unique moyen de sa sa­tisfaction.

De sa grosse voix, Programma fait de sévères re­montrances contre ceux qui mettent en question "le mode par lequel le parti bolchevik... a posé le rapport entre parti communiste et classe ouvrière". Quoiqu'en pense Programma, ce "mode" n'est pas un tabou intouchable et peut être dis­cuté, comme il l'a toujours été dans le mouvement communiste, et ce "mode" n'a certainement rien gagné par la caricature outrée qu'en ont fait les bordiguistes. Et quand Programma s'écrie : "Oui, l'Internationale a rompu avec la social-démocratie, mais elle a rompu auparavant avec toutes les versions infantiles, spontanéistes, anti-parti, illuministes, et du point de vue idéologique, bourgeoises" elle arrange l'histoire à sa convenance. Les groupes invités au premier Congrès et qui vont fonder la Troisième Internationale sont infiniment plus hétéroclites que Programma ne prétend. Nous trouvons dans ce Con­grès depuis les anarcho-syndicalistes jusqu'aux Gauches socialistes à peine dégrossies. Les seuls point précis dans ce manque de cohésion et confusion sont : 1) la rupture avec la social-démocratie et 2) le soutien à la révolution d'Octobre. Ce n’est qu'après que commencent les ruptures, et il est vrai qu'elles sont essentiel­lement dirigées contre la Gauche (même pas tou­jours cohérente} alors qu'on ouvre toute gran­de la porte aux opportunistes et autres gauches socio-démocrates. Depuis quand les bordiguistes se sont-ils mis à exalter et à applaudir à cet­te orientation dé dégénérescence opportuniste de l'Internationale Communiste ? Les thèses du second Congrès sur le parlementarisme révolutionnaire, sur la conquête des syndicats, sur la question nationale et coloniale, la politique de conférences avec la seconde et l'Internationale 2 1/2 sont autant de pas marquants de cette involution de l'Internationale Communiste. Voilà l'orientation que les bordiguistes glorifient aujourd'hui depuis qu'ils se sont proclamés le nouveau Parti Communiste International. N'est-ce pas cela "se moquer véritablement de ses pro­pres adhérents "comme le dit si bien l'article de Programa ?

Programma nous fait violemment grief d'être "des anti-parti". Pure invention bordiguiste qui con­tient autant de vérités que cette autre affirma­tion (du PIC par exemple) qui nous traite de "bordigo-léninistes". Aucun des groupes présents à la Conférence ne mettait en question la néces­sité du Parti. Ce qui est en question est : quel type de Parti , quelle est sa fonction et quels sont et doivent être les rapports entre le Parti et la classe. Il n'est absolument pas vrai que le premier congrès de l'IC ni les 21 conditions aient donné une réponse complète et définitive à ces questions. L'histoire de l'IC, l'expérience de la révolution russe et leur dé­générescence posent aujourd'hui, avec la remon­tée des luttes du prolétariat, devant les révo­lutionnaires la tâche impérieuse de répondre d'une façon plus précise à ces questions. La conception bordiguiste d'un Parti infaillible, omni conscient et tout puissant nous semble rele­ver bien plus d'une vision religieuse que du marxisme. Chez les bordiguistes, à l'instar de la religion monothéiste des hébreux, tous les rapports se trouvent inversés. Tout marche sur la tête. Dieu (le Parti) n'est pas un produit de la conscience humaine, mais c'est Jéhovah (le Parti) qui choisit son peuple (sa classe). Le Parti n'est plus une manifestation d'un mou­vement historique de la classe, mais c'est le Parti gqi fait que la classe existe. Ce n'est pas Dieu à l'image de l'homme mais c'est l'homme qui est à l'image de Dieu. On comprend alors que dans la Bible (Proqramma) un tel Dieu unique (Parti) ne parle pas à son peuple, mais "ordon­ne, exige et commande" à tout moment. C'est un dieu jaloux de ses prérogatives. Il peut s'il le veut, accorder tout à son peuple, le paradis et l'Immortalité, mais il n'admettra jamais que l'homme puisse manger les fruits de l'arbre de la connaissance. La conscience, toute la cons­cience est le monopole exclusif du Parti. C'est pour cela que ce dieu (Parti) exige la pleine confiance , l'absolue reconnaissance, la totale soumission à sa toute puissance, et pour le moindre doute ou mise en question, il deviendra le dieu sévère de la rancune, de la punition et de la vengeance ("jusqu'à la dixième génération") d'un Cronstadt que les bordiguistes revendiquent pour hier et pour demain. Ce dieu terrifiant -de la terreur rouge- voilà le modèle du Parti bordiguiste et c'est ce type de Parti que nous rejetons.

Le bordiguisme n'a pas construit le parti inter­national. C'est une mythologie qu'il a inventée : le mythe –parti. Son Parti réel n'a pas grande consistance, mais le mythe -parti- est d'au­tant plus consistant. Ce qui avant tout carac­térise ce parti-mythe, c'est son plus profond mépris de la classe à qui on dénie toute cons­cience et toute capacité de prise de conscience. Et cette conception mythologique du Parti, du Parti-épouvantai1 est devenue aujourd'hui une entrave réelle à l'effort nécessaire pour la construction du Parti communiste mondial de demain. C'est sincèrement, sans aucun esprit de polémique que nous pensons et disons, que les groupes bordiguistes se trouvent aujourd'hui à la croisée des chemins : ou ils s'engagent hon­nêtement, sans esprit de "fottenti et fottuti" sans ostracisme, dans la vole de confrontation et de discussion dans le mouvement communiste révolutionnaire renaissant, ou ils se condamnent à l'isolement et à se convertir sans retour en une petite secte sclérosée et impuissante.

La Conférence devait encore connaître un de ces coups de théâtre du fait du comportement étrange du groupe "FOR". Celui-ci, après avoir donné sa pleine adhésion à la première conféren­ce de Milan, et son accord pour la réunion de la seconde, en contribuant par des textes de discussions, s'est rétracté à l'ouverture de celle-ci sous prétexte de ne pas être d'accord avec le premier point à l'ordre du jour, à savoir sur l'évolution de la crise et ses pers­pectives. Le "FOR" développe la thèse que le capitalisme n'est pas en crise économiquement. La crise actuelle n'est qu'une crise conjonctu­relle, comme le capitalisme a connu et surmonté tout au long de son histoire. Elle n'ouvre de ce fait aucune perspective nouvelle, surtout pas une reprise de luttes du prolétariat, mais plutôt le contraire. Par contre, le "FOR" pro­fesse une thèse de "crise de la civilisation" totalement indépendante de la situation économi­que. On retrouve dans cette thèse les relents du modernisme, héritage du situationnisme. Nous n'ouvrirons pas ici un débat pour démontrer que pour des marxistes il paraît absurde de par­ler de décadence et d'effondrement d'une socié­té historique, en se basant uniquement sur des manifestations super structurelles et culturelles sans se référer à sa structure économique, en affirmant même, que cette structure -fondamenta­le   de toute société- ne connaît que son renfor­cement et son plus grand épanouissement. C'est là une démarche qui se rapproche plus des diva­gations d'un Marcuse qu'à la pensée de Marx. Aussi le "FOR" fonde-t-il l'activité révolution­naire moins sur un déterminisme économique objectif que sur un volontarisme subjectif, qui est l'apanage de tous les groupes contestatai­res. Mais devons-nous nous demander : ces aber­rations sont-elles la raison fondamentale qui a dicté le "FOR" à se retirer de la Conféren­ce ? Non certainement pas. Dans son refus de participer à la Conférence, et en se retirant de ce débat, se manifestait avant tout l'esprit de chapelle, de chacun chez soi, esprit qui imprè­gne encore si fortement les groupes se réclamant du communisme de Gauche, et qui ne sera surmonté qu'avec le développement de la lutte de classe du prolétariat et par la prise de conscience des groupes révolutionnaires.

Rompre avec cet esprit d'isolement et de repli sur soi, héritage de cinquante années de contre-révolution, montrer la nécessité et la possibi­lité d'établir des contacts et des discussions entre les groupes révolutionnaires, était ce qu'il y avait de plus positif dans les travaux de la Conférence. Si à Milan, nous n'étions que deux groupes, dans cette deuxième Conférence à Paris, ce sont cinq  groupes de plusieurs pays qui ont participé au débat, et cela constitue à nos yeux un pas très important et qu'il faudrait poursuivre. Il n'est pas sorti de la Conférence une hypothétique unification, ni un Parti éphémère, parce que la Conférence ne le posait pas comme un objectif immédiat. La Conférence n'a même pas donné lieu à des résolutions communes. Elle a pu constater l'existence de nombreuses divergences réelles, et encore plus nombreuses des incompréhensions, des malentendus qui existent dans le milieu révolutionnaire. En aucune sorte, cela ne doit nous décourager car nous n'avons ja­mais semé les illusions sur une unité de vue et de position qui seraient déjà existantes. Cette unité de vue elle-même, ne saurait tomber du ciel. Elle ne peut être le fruit que d'une longue pé­riode de discussions, de confrontations entre les groupes révolutionnaires dans un cours de montée de la lutte du prolétariat. Elle dépend donc éga­lement de la capacité et de la volonté des groupes de rompre avec l'esprit de secte, de savoir s'en­gager et persévérer dans le difficile chemin et dans l'effort vers le regroupement des révolution­naires.

Les débats de la Conférence -qu'on lira dans la prochaine publication des procès-verbaux- a mon­tré bien des insuffisances, des lacunes et des confusions, aussi bien dans les analyses que dans la perspective. Mais elle a démontré aussi, que les rencontres et la discussion peuvent déboucher vers des résultats positifs même si très limités. Elle a démontré ce qu'Engels ne cessait de répé­ter, que c'est de la discussion que Marx et lui, attendaient le développement ultérieur du mouve­ment ouvrier.

La Conférence a dégagé une volonté unanime de pour­suivre cet effort, de préparer et mieux préparer de nouvelles conférences et de les élargir à d'au­tres groupes se réclamant du communisme de Gauche, entrant dans le cadre des critères établis. C'est là une tentative bien limitée et nous sommes cons­cients que, comme telle, elle n'offre pas de ga­rantie certaine de la réussite. D'ailleurs, l'his­toire nous enseigne qu'il n'existe pas de garantie absolue. Mais ce dont nous sommes convaincus, c'est qu'il n'existe pas d'autre vole qui mène au nécessaire regroupement des révolutionnaires, pour l'indispensable constitution du Parti Commu­niste mondial, arme du triomphe de la révolution prolétarienne. Dans cette voie, le CCI entend s'engager sans réserves, de toute sa conviction et de toute sa volonté.

M.C.



[1] "Car il n'est aucune continuité organisationnelle ou programmatique dont un révolutionnaire non fossilisé puisse (aujourd'hui) se réclamer". (Jeune Taupe n°23, p. 10). "Aucune continuité", proclame le PIC, c'est pourquoi il est "tombé tout chaud, tout rôti" contre les mamelles ava­chies de la Gauche Socialiste;

[2] Article "Combat Communiste" (Jeune Taupe, n°23)

[3] Idem

[4] Idem

[5] Titre de l'article paru dans "Il Partito Comunista" n°48, août 1978,

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