Depuis l’été 2022, l’intervention des révolutionnaires dans les luttes de la classe ouvrière est devenue une perspective de plus en plus concrète du fait que, après trois à quatre décennies de profond recul de la combativité et de la conscience dans la classe, le prolétariat a finalement à nouveau redressé la tête. La résurgence des luttes, qui a commencé par l’« été du mécontentement » en Grande-Bretagne, a été suivie de grèves, de manifestations et de diverses protestations ouvrières dans nombre d’autres pays, dont les États-Unis1.
Le Parti Communiste International, l’une des organisations de la Gauche Communiste qui publie Il Partito Comunista, a relaté son intervention dans plusieurs grèves ouvrières ces dernières années aux États-Unis, parmi lesquelles celle de quelques 600 ouvriers municipaux du traitement des eaux qui a débuté le 3 février 2023 à Portland dans l’Oregon. Cette grève a été saluée par des expressions de solidarité des autres ouvriers municipaux, certains rejoignant même les piquets. Au cours de cette grève, Il Partito a publié un article et diffusé trois tracts dans lesquels il dénonce le capitalisme en tant que système dictatorial d’exploitation, et tirait la leçon que : « ce n’est qu’en unissant ses armes au-delà des secteurs et des frontières que la classe ouvrière pourra véritablement lutter pour mettre fin à sa condition d’exploitation dans le capitalisme.2 »
Dans les conditions actuelles de renouveau international et historiquement significatif des luttes, après des décennies de désorientation et d’isolement, se lancer dans une lutte est en soi déjà une victoire. C’est pourquoi il est certainement important de signaler, comme l’a fait Il Partito, que les travailleurs municipaux de Portland ont été capables de développer leur unité et leur solidarité en réponse à l’intimidation, à la criminalisation et aux menaces de la bourgeoisie3.
Mais les révolutionnaires ne peuvent s’en tenir là. Dans l’intervention avec la presse, les tracts ou autre, ils doivent mettre en avant des perspectives concrètes, comme appeler les ouvriers à étendre la lutte au-delà de leur propre secteur, en envoyant des délégations vers d’autres lieux de travail et bureaux. Comme l’un de nos récents articles le souligne, dès aujourd’hui les ouvriers doivent « lutter tous ensemble, en réagissant de façon unitaire et en évitant de s’enfermer dans des luttes locales, au sein de son entreprise ou de son secteur4».
Mais pour cela, pour renforcer la lutte, la question centrale que les révolutionnaires doivent clairement poser aux ouvriers est : qui est aux côtés de la lutte et qui est contre elle ? Et à ce propos, le PCI ne diffuse qu’un brouillard mystificateur.
Pour la Gauche communiste, le syndicalisme en tant que tel, c’est-à-dire non seulement les directions syndicales mais aussi les structures de base des syndicats, est devenu une arme de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Le syndicalisme, par définition une idéologie qui contraint la lutte dans les limites des lois économiques du capitalisme, est devenu anachronique dans le siècle des guerres et des révolutions, comme les révolutionnaires de la Première Guerre mondiale et la vague révolutionnaire qui a débuté en 1917 l’ont clairement montré. Les nouvelles conditions de l’ère actuelle nécessitent que les luttes aillent au-delà des particularismes du lieu de travail, de la région et de la nation, et prennent un caractère massif et politique. Parce que les syndicats n’ont plus aucune utilité pour la lutte ouvrière, la bourgeoisie a pu s’en emparer et les utiliser contre la tendance des luttes à l’auto-organisation et à l’extension. Dans une telle période, défendre les méthodes de lutte des syndicats comme un authentique moyen de développer la combativité dans la classe ouvrière n’est rien d’autre qu’une concession à l’idéologie bourgeoise, une forme d’opportunisme.
Confronté au problème des formes d’organisation que requiert la défense des conditions de vie de la classe ouvrière, qu’il les appelle syndicats de classe, réseaux ou coordinations, Il Partito défend une position opportuniste qu’il justifie comme suit : « depuis la fin du XIXe siècle, la soumission progressive des syndicats à l’idéologie bourgeoise, à la nation et aux États capitalistes5 » est une véritable tendance. Mais il n’explique pas comment il est possible que tous les syndicats ont été intégrés dans l’État capitaliste depuis les premières décennies du XXe siècle. Pour Il Partito, tout cela semble être une pure coïncidence, du fait qu’il n’explique pas que les conditions objectives ont fondamentalement changé depuis lors. Par contraste, il clame que les attaques économiques contre les ouvriers « mèneront à un renouveau des vieux syndicats libérés de l’idéologie bourgeoise » et « dirigés par le Parti communiste ». Ces syndicats seront même « un instrument puissant et indispensable pour le dépassement révolutionnaire du pouvoir bourgeois »6.
En d’autres termes : après la trahison des vieux syndicats, de nouveaux syndicats de classe vont émerger et, dans la bonne tradition bordiguiste, il est clair que, s’ils sont dirigés par un véritable Parti révolutionnaire, ils rempliront un rôle révolutionnaire. Mais ici il est nécessaire de sortir Il Partito de son rêve, vu que les conditions de la lutte révolutionnaire ont radicalement changé depuis le début du XXe siècle. Cela veut dire que la lutte ne peut plus du tout « être préparée à l’avance au niveau organisationnel, du fait que la lutte prolétarienne tend à aller au-delà de la lutte strictement économique pour devenir une lutte sociale, directement confrontée à l’État, qui se politise et demande la participation des masses de la classe. […] Le succès d’une grève ne dépend plus de fonds financiers collectés par les ouvriers, mais fondamentalement de leur capacité à étendre leur lutte.7 »
Et à cause de ces nouvelles conditions, les syndicats ne correspondent plus aux besoins de la lutte prolétarienne, et même le fait d’être dirigés par un Parti authentiquement révolutionnaire n’y changerait rien. La tentative de Il Partito de défendre l’existence d’organes permanents de lutte, au cours d’expressions ouvertes de lutte comme lors de périodes de leur absence, est de toute façon vouée à la faillite. Un renouveau des syndicats en tant qu’authentiques organisations de la classe ouvrière n’existe que dans l’imagination d’Il Partito, pour lequel le rôle du Parti dans la lutte non seulement est décisif, mais semble même être capable d’invoquer le pouvoir surnaturel d’adapter les syndicats aux besoins réels de la lutte ouvrière.
Le premier tract diffusé au cours d’une manifestation le dimanche 28 janvier était intitulé « Ouvriers municipaux de Portland : combattez pour la liberté de faire grève », une « liberté » attaquée par la proclamation de l’état d’urgence par la municipalité.
Avec la revendication de la « liberté de faire grève », ce tract a immédiatement mis les ouvriers sur la mauvaise voie. Au XIXe siècle, lorsque les syndicats étaient encore des organisations utiles de la classe ouvrière, dont le rôle était d’améliorer les conditions de vie et de travail au sein du capitalisme, une telle revendication était indubitablement correcte. Mais aujourd’hui, alors que les syndicats sont devenus une partie de l’État capitaliste, les ouvriers n’ont rien à gagner à soutenir le droit de faire grève. Une telle revendication en réalité n’est plus qu’un combat pour que les syndicats aient le contrôle des luttes ouvrières. La classe ouvrière n’a aucunement besoin de se battre pour la légalisation de ses propres grèves, parce que dans les conditions du capitalisme d’État totalitaire toute grève capable de créer un véritable rapport de force avec la bourgeoisie est par définition illégale. Le but de cette campagne pour le droit de grève est principalement de garantir que la lutte reste confinée aux étroites limites légales imposées par la politique bourgeoise et le contrôle syndical. Si la bourgeoisie garantit le droit de grève, le but en est d’abord de réduire les luttes ouvrières à d’inoffensives protestations, dans le but de faire pression sur l’un des « partenaires de négociations ».
Après la grève des travailleurs municipaux de Portland, les camarades de Il Partito ont, au printemps de cette année, « mis en place, en compagnie d’autres militants syndicaux, une coordination qu’ils ont appelée Class Struggle Action Network (CSAN), dont le but est l’unité des luttes ouvrières.8 » Ce CSAN est intervenu par exemple dans la grève des infirmières de juin dernier. Mais quelle est réellement la nature de ce CSAN ? Quelle pourrait être la perspective d’un tel réseau, « dont le but est d’unifier les luttes ouvrières »?
Ce CSAN n’est pas apparu en réaction à un besoin particulier des ouvriers de prendre la lutte dans leurs propres mains, pour envoyer des délégations massives aux autres travailleurs, pour organiser des assemblées générales ouvertes à tous les ouvriers ou pour tirer les leçons afin de préparer de nouvelles luttes. Rien de tout cela ; le Réseau a été créé complètement en-dehors de la dynamique concrète de la lutte par les camarades d’Il Partito, « inspirés par les mêmes principes et méthodes qui ont permis la création du Coodinamento Lavoratorie Lavoratrici Autoconvocati en Italie9 » au cours des années 80. Et sur le site web de ce Réseau10, on peut lire, et ce n’est pas un accident, un article d’Il Partito qui exprime clairement que le but est de travailler « à la renaissance des syndicats de classe ».
Comme nous l’avons souligné plus haut, les syndicats sont aujourd’hui des instruments de l’État bourgeois et toute renaissance sous la forme d’une organisation réellement prolétarienne est impossible. Ainsi, la politique d’Il Partito ne peut qu’enfermer les ouvriers combatifs dans une lutte vaine et décourageante. Dans ce contexte, le CSAN connaîtra le même destin que tout organe créé artificiellement : soit rester un appendice d’Il Partito11, soit devenir une expression radicale du syndicalisme bourgeois. Mais plus sûrement il disparaîtra après les tentatives d’Il Partito de le maintenir artificiellement en vie. Ainsi il pourra enterrer cet enfant mort-né en silence, sans qu’il soit nécessaire de tirer d’autres leçons de cette expérience.
Dans la grève des travailleurs municipaux, « des camarades ont participé aux piquets et aidé les ouvriers à les renforcer12 ». L’article sur l’intervention dans la lutte des infirmières ne parle que de l’intervention des « participants aux piquets de solidarité » du CSAN. Cela donne l’impression qu’il n’y a eu en fait aucune intervention d’Il Partito distincte et séparée du Réseau. Ainsi les camarades d’Il Partito ont participé sur une base individuelle aux piquets de grève en février aussi bien qu’en juin. Mais pourquoi ? Parce que les ouvriers ne peuvent prendre eux-mêmes cette tâche en main ? Ou les camarades qui y ont participé l’ont-ils fait en tant que délégués d’autres lieux de travail ? Les réponses à ces questions ne se trouvent pas dans les articles d’Il Partito. Fondamentalement, derrière l’intervention d’Il Partito, nous devons souligner une grosse ambiguïté sur le rôle de l’avant-garde révolutionnaire de la classe.
En premier lieu, la tâche de l’organisation politique de classe n’est pas d’aider la classe à renforcer un piquet de grève, de collecter de l’argent pour soutenir financièrement une grève, ni d’assumer d’autres tâches pratiques pour les ouvriers grévistes. Les ouvriers sont tout-à-fait capables de faire tout cela eux-mêmes, sans qu’on le fasse à leur place. Une organisation communiste a autre chose à faire, et ce n’est ni technique, ni matériel, mais essentiellement politique. La lutte de la classe ouvrière doit être renforcée par l’intervention politique organisée de l’organisation révolutionnaire.
En lien avec cette orientation d’être un facteur politique actif du développement de la conscience et de l’action autonome de la classe ouvrière, les organisations communistes doivent mettre en avant une analyse des conditions de la lutte de classe, lucide et dotée d’une méthode claire, afin d’être capables de dénoncer et combattre ces ennemis de la classe ouvrière que sont les syndicats. Il Partito, qui justifie de façon irresponsable la possibilité de réhabiliter le syndicalisme ou le combat à travers les syndicats, malgré des décennies de sabotage et d’enfermement des luttes par ces organes, ne peut dans ce cadre qu’affaiblir le combat de classe des ouvriers. Non seulement cette forme d’opportunisme sème la confusion, mais elle ne peut que mener les ouvriers dans une impasse.
Dennis, 15 novembre 2023
1 Lire notre tract : Grèves et manifestations aux Etats-Unis, en Espagne, en Grèce, en France… Comment développer et unir nos luttes ?, https://fr.internationalism.org/content/11186/greves-et-manifestations-a... [1]
3 Ibid.
6 Ibid
7 La lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent, Revue Internationale n°23, https://fr.internationalism.org/rinte23/proletariat.htm [5]
9 Ibid.
11 Le premier bulletin « syndicaliste de classe » du CSAN en octobre a déjà annoncé « la réunion mensuelle collectivement organisée du CSAN [qui] fonctionnera elle-même sur le modèle du centralisme démocratique ».
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La bourgeoisie a toujours pris le plus grand soin à dénaturer l’histoire du mouvement ouvrier et dépeindre ceux qui s’y sont illustrés sous des traits soit inoffensifs, soit repoussants. La bourgeoisie le sait autant que nous, et c’est pourquoi elle s’efforce encore par tous les moyens possibles de dénaturer ou masquer la transmission des combats des grands révolutionnaires du passé et des apports au mouvement ouvrier pour les effacer de la mémoire historique du prolétariat alors que l’une de ses armes fondamentales dans la continuité de son affrontement au capitalisme réside dans sa conscience de classe, qui se nourrit inévitablement de la théorie révolutionnaire, la théorie marxiste, comme des leçons et des expériences de ses combats. Aujourd’hui, un siècle après la mort de Lénine, on doit s’attendre de nouveau à des attaques idéologiques contre le grand révolutionnaire qu’il a été, contre tous ses apports aux combats du prolétariat : théoriques, organisationnels, stratégiques…
Si Marx est présenté comme un philosophe audacieux et quelque peu subversif, dont les apports prétendument surannés auraient cependant permis au capitalisme d’éviter ses pires travers, il ne peut en être de même pour Lénine. Lénine a participé et joué un grand rôle dans la plus grande expérience révolutionnaire du prolétariat, il a participé à un événement qui a fait trembler les bases du capitalisme. Cette expérience fondamentale et d’une très grande richesse en termes de leçons pour les combats futurs du prolétariat, Lénine en a laissé de grandes traces à travers ses nombreux écrits. Mais bien avant la révolution d’Octobre, Lénine avait contribué de façon déterminante à dessiner les contours de l’organisation du prolétariat tant sur le plan politique que stratégique. Il a mis en œuvre une méthode dans le débat, la réflexion et la construction théorique qui sont des armes essentielles pour les révolutionnaires aujourd’hui.
Tout ça, la bourgeoisie le sait aussi. Lénine n’était pas un « homme d’État » comme la bourgeoisie en produit tout le temps, mais bien un militant révolutionnaire engagé au sein de sa classe. C’est cela que la bourgeoisie cherche à cacher le plus, en présentant Lénine comme un homme autoritaire, décidant seul, écartant ses contradicteurs, appréciant la répression et la terreur au seul profit de ses intérêts personnels. De cette façon, la classe dominante peut tracer une ligne directe continue, un trait d’égalité entre Lénine et Staline qui aurait parachevé l’œuvre du premier en instaurant un système de terreur en URSS qui serait l’exact aboutissement des desseins personnels de Lénine.
Pour parvenir à cette conclusion, outre un flot permanent de mensonges éhontés, la bourgeoisie s’attarde sur les erreurs de Lénine en les isolant de tout le reste, et surtout du processus de débat et de clarification au sein duquel ces erreurs se posaient et pouvaient y être naturellement dépassées. Elle les isole aussi du contexte international de défaite du mouvement révolutionnaire mondial qui n’a pas permis à la révolution russe de continuer son œuvre et l’a fait reculer vers un capitalisme d’État singulier et placé sous la poigne de Staline.
Les gauchistes, trotskystes en tête, ne sont pas les derniers pour capitaliser leurs mystifications idéologiques sur les erreurs de Lénine, en particulier lorsqu’il s’est lourdement trompé et illusionné sur les luttes de libération nationale et sur les potentialités du prolétariat des pays de la périphérie du capitalisme (théorie du maillon faible). Les gauchistes ont instrumentalisé et instrumentalisent encore aujourd’hui ces erreurs pour déchaîner leur propagande bourgeoise belliciste pour pousser les prolétaires à devenir de la chair à canon dans les conflits impérialistes à travers leurs mots d’ordre nationalistes et de soutien d’un camp impérialiste contre un autre, totalement à l’opposé de la perspective révolutionnaire et internationaliste que défendait avec détermination Lénine. Même chose pour la fausse conception de Lénine sur les trusts et les grandes banques, selon laquelle la concentration du capital faciliterait la transition vers le communisme. Les gauchistes s’en sont emparés pour revendiquer les nationalisations des banques et grandes industries et promouvoir ainsi le capitalisme d’État comme un tremplin vers le communisme, quand ce n’était pas pour justifier leur argumentation mensongère que l’économie « soviétique » et la brutalité de l’exploitation en URSS n’étaient pas pour autant du capitalisme.
Mais Lénine ne peut absolument pas se résumer en le réduisant aux erreurs qu’il a commises. Il ne s’agit pas pour autant de les ignorer. D’abord parce que celles-ci apportent d’importantes leçons au mouvement ouvrier grâce à un examen critique. Mais aussi parce qu’il ne peut être question, face au portrait repoussant qu’en fait la bourgeoisie, d’ériger Lénine en leader parfait et omniscient.
Lénine était, en effet, un combattant de la classe ouvrière dont la ténacité, la perspicacité organisationnelle, la conviction et la méthode forcent le respect. Son influence sur le cours révolutionnaire au début du siècle dernier est indiscutable. Mais tout ceci se place dans un contexte, un mouvement, un combat, un débat international sans lesquels Lénine n’aurait rien pu faire, rien apporter au mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, tout comme Marx n’aurait pas pu agir et réaliser son œuvre immense au service du prolétariat ni apporter son engagement et son énergie militante à la construction d’une organisation prolétarienne internationale sans un contexte historique d’émergence politique de la classe ouvrière.
C’est seulement dans de telles conditions que les individualités révolutionnaires s’expriment et donnent le meilleur d’elles-mêmes. C’est dans des conditions historiques particulières que pendant toute sa courte vie, Lénine a construit et légué un apport fondamental pour l’ensemble du prolétariat, sur le plan organisationnel, politique, théorique et stratégique.
Loin d’être un intellectuel académique, Lénine était avant tout un militant révolutionnaire. L’exemple de la conférence de Zimmerwald (1) est frappant à ce niveau. Alors que Lénine a toujours été un défenseur acharné de l’internationalisme prolétarien, se positionnant à la pointe du combat contre la faillite de la deuxième Internationale qui entraînera le prolétariat dans la guerre en 1914, il se retrouvera à la pointe du combat pour faire vivre la flamme internationaliste alors que les canons se déchaînaient en Europe.
Mais la conférence de Zimmerwald ne regroupait pas que des internationalistes convaincus, on y trouvait aussi beaucoup de défenseurs d’illusions pacifistes qui affaiblissaient le projet de Lénine de combattre la folie nationaliste qui maintenaient le prolétariat sous une chape de plomb. Pourtant Lénine, au sein de la délégation bolchevique, saura comprendre que le seul moyen de lancer un appel d’espoir au prolétariat, à ce moment-là, nécessitait des compromis importants avec les autres tendances de la conférence.
Mais il continuera le combat, même après la Conférence, pour clarifier les questions en jeu en portant une critique résolue au pacifisme et aux illusions dangereuses qu’il véhiculait. Cette constance, cet acharnement à défendre ses positions tout en les renforçant par l’approfondissement théorique et la confrontation des arguments est au cœur d’une méthode qui doit inspirer tout militant révolutionnaire aujourd’hui.
Sur le plan organisationnel, Lénine a apporté une immense contribution militante lors des débats qui ont agité le deuxième congrès du Parti russe en 1903. (2) Il avait déjà esquissé les contours de sa position en 1902 dans Que faire ?, une brochure publiée comme contribution au débat au sein du parti dans lequel il s’opposait aux visions économistes qui se développaient, et promouvait au contraire une vision d’un parti révolutionnaire, c’est-à-dire une arme pour le prolétariat dans son assaut contre le capitalisme.
Mais c’est au cours de ce même deuxième congrès qu’il a su mener un combat déterminant et déterminé pour faire accepter sa vision du parti révolutionnaire au sein du POSDR : un parti de militants, animés par un esprit de combat, conscients de leur engagement et de leurs responsabilités dans la classe face à une conception laxiste de l’organisation révolutionnaire vue comme une somme, un agrégat de « sympathisants » et de contributeurs occasionnels, comme le défendaient les mencheviks. Ce combat sera donc aussi un moment de clarification de ce qu’est un militant dans un parti révolutionnaire : non pas le membre d’un groupe d’amis privilégiant la loyauté personnelle mais le membre d’une organisation dont les intérêts communs, expression d’une classe unie et solidaire, priment sur tout le reste. C’est ce combat qui a permis au mouvement ouvrier d’engager le dépassement de « l’esprit de cercle » vers « l’esprit de parti ».
Ces principes ont permis au parti bolchevik de jouer un rôle moteur dans le développement des luttes en Russie jusqu’à l’insurrection d’Octobre en s’organisant comme parti d’avant-garde, défendant les intérêts de la classe ouvrière et combattant toute intrusion d’idéologies étrangères en son sein. Ces principes, nous continuons à les défendre et à nous en revendiquer comme seul moyen de construire le parti de demain.
Dans son ouvrage Un pas en avant, deux pas en arrière, Lénine revient sur ce combat du deuxième congrès et démontre à chaque page la méthode qu’il a employée pour parvenir à clarifier ces questions : patience, ténacité, argumentation, conviction. Et non pas, comme la bourgeoisie voudrait nous le faire croire : autoritarisme, menace, exclusion. La quantité impressionnante d’écrits qu’a laissés Lénine suffit déjà à comprendre à quel point il défendait et faisait vivre le principe d’une argumentation patiente et déterminée comme seul moyen de faire avancer les idées révolutionnaires : convaincre plutôt qu’imposer.
Quatorze ans après le congrès de 1903, en avril 1917, Lénine revint d’exil et appliqua la même méthode pour amener son parti à clarifier les enjeux de la période. Les fameuses Thèses d’Avril (3) listeront en quelques lignes des arguments forts, clairs et convaincants pour éviter au parti bolchevik de s’enfermer dans la défense du gouvernement provisoire de nature bourgeoise et engager le combat pour une deuxième phase révolutionnaire.
Il ne s’agit pas d’un texte écrit par Lénine au nom du parti qui l’aurait d’emblée accepté tel quel, mais une contribution à un débat qui se déroulait dans le parti et par lequel Lénine cherche à convaincre la majorité. Dans ce texte, Lénine définit une stratégie basée sur le caractère minoritaire du parti au sein des masses, qui nécessite une discussion et une propagande patiente : « expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement ». Voilà ce que fut Lénine en réalité, que la bourgeoisie continue à dépeindre comme « autocrate et sanguinaire »…
Lénine ne cherchait jamais à imposer et toujours à convaincre. Pour cela, il devait développer des arguments solides et pour cela, il devait développer sa maîtrise de la théorie : pas pour sa culture personnelle mais pour mieux la transmettre à l’ensemble du parti et de la classe ouvrière comme une arme pour ses combats futurs. Une démarche qu’il résume lui-même : « il n’y a pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire » et qu’un ouvrage particulièrement important permet de comprendre de façon concrète : L’État et la révolution. (4) Alors que dans les Thèses d’Avril Lénine met en garde contre l’État issu de l’insurrection de février et met en avant la nécessité de construire une dynamique révolutionnaire résolument contre cet État, en septembre, il sent que le sujet devient de plus en plus crucial et s’engage dans la rédaction de ce texte pour développer une argumentation basée sur les acquis du marxisme sur la question de l’État. Ouvrage qu’il ne finira jamais puisque ce travail sera interrompu par l’insurrection d’Octobre.
Là encore, s’illustre la méthode de Lénine. La bourgeoisie aime mettre en avant des hommes présentés comme des leaders naturels dont l’autorité ne relève que de leur « génie », leur « flair ». Lénine au contraire doit sa capacité à convaincre à un profond engagement pour la cause qu’il défend. Plutôt que chercher à imposer son point de vue en profitant de son autorité au sein du parti ou en manigançant en coulisses, il se plonge dans les travaux du mouvement ouvrier sur la question de l’État pour approfondir le sujet et mieux argumenter en faveur de la rupture avec l’idée sociale-démocrate de simplement s’emparer de l’appareil d’État existant pour faire ressortir la nécessité impérieuse de le détruire.
Un révolutionnaire ne peut « découvrir » la bonne stratégie par son seul génie, mais par une compréhension profonde des enjeux de la situation et du rapport de forces entre les classes. Cela s’illustre de façon exemplaire en juillet 1917. (5) Alors qu’en avril, le parti bolchevik lançait le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets » pour orienter la classe ouvrière contre l’État bourgeois issu de la révolution de février, en juillet à Petrograd, le prolétariat commençait à s’opposer de façon massive au pouvoir démocratique. La bourgeoisie fit alors ce qu’elle sait faire le mieux : elle tendit un piège au prolétariat en cherchant à provoquer une insurrection prématurée qui lui aurait permis de déchaîner une répression sans limites, en particulier contre les bolcheviks.
La réussite d’une telle entreprise aurait sans doute compromis de façon déterminante la dynamique révolutionnaire en Russie et la révolution d’Octobre n’aurait sans doute pas eu lieu. À ce moment-là, le rôle du parti bolchevik a été fondamental pour expliquer à la classe ouvrière que le moment n’était pas venu de mener l’assaut, et qu’ailleurs qu’à Petrograd, le prolétariat n’était pas prêt et serait décimé.
Pour parvenir à la clarté sur les mots d’ordre à mettre en avant à tel ou tel moment déterminé, il fallait être capable de comprendre de façon profonde où en était le rapport de force entre les deux classes déterminantes de la société mais il fallait aussi avoir la confiance du prolétariat au moment où celui-ci, à Petrograd, ne jurait que par le renversement du gouvernement. Cette confiance n’était pas acquise par la force, la menace ou un quelconque artifice « démocratique », mais par la capacité à orienter la classe de façon claire, profonde, argumentée. Le rôle de Lénine dans ces événements a sans doute été crucial, mais ce sont ses années de combat incessant et patient, depuis la fondation du parti moderne du prolétariat en 1903 jusqu’à ces journées de juillet en passant par Zimmerwald, par les Thèses d’Avril 1917, qui ont permis au parti bolchevik d’assumer le rôle qui devait être le sien dans chaque période et ainsi être reconnu par l’ensemble du prolétariat comme le véritable phare de la révolution communiste.
La bourgeoisie pourra toujours dépeindre Lénine comme un stratège avide de pouvoir, un homme orgueilleux ne souffrant ni la contestation, ni la reconnaissance de ses erreurs, elle pourra toujours réécrire l’histoire du prolétariat russe et de sa révolution sous cet éclairage, la vie et l’œuvre de Lénine sont un démenti constant de ces manœuvres idéologiques grossières. Pour tous les révolutionnaires d’aujourd’hui et de demain, la profondeur de son engagement, la rigueur dans son application de la théorie et de la méthode marxistes, la confiance inaltérable qu’il en tire dans la capacité de sa classe à conduire l’humanité vers le communisme font de Lénine, un siècle après sa mort, un exemple d’une infinie richesse de ce que doit être un militant communiste.
GD, janvier 2024
1 Cf. « Zimmerwald (1915-1917) : de la guerre à la révolution [11] », Revue Internationale n° 44 (1986).
2 Le but de cet article n’est pas de revenir sur les détails de ce combat, nous renvoyons nos lecteurs à l’article que nous avons écrit à ce sujet : « Histoire du mouvement ouvrier. 1903-1904 : La naissance du bolchevisme » Partie [12] 1, Partie [13] 2 et Partie [14] 3, Revue internationale 116, 117 et 118.
3 Cf. dans notre brochure sur Octobre 1917 : « Les “Thèses d’avril”, phare de la révolution prolétarienne [15] ».
4 Cf. « “L’État et la Révolution », une vérification éclatante du marxisme [16] », Revue Internationale n° 91 (1997).
5 Cf. dans notre brochure sur Octobre 1917 : « Les journées de Juillet, le parti déjoue une provocation de la bourgeoisie [17] ».
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 17 février 2024 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [24]) ou dans la rubrique « nous contacter [25] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Comme nous l'avons écrit dans notre deuxième article sur la "Semaine d'action de Prague"[1], différents groupes ont tenté de dresser un bilan de ce qui s'est passé lors de l'événement de Prague, une tentative de rassembler les opposants à la guerre impérialiste de nombreux pays différents. Dans cet article, nous examinerons la contribution de la Communist Workers Organisation [2] (dans un article ultérieur, nous traiterons des perspectives après la Semaine d'action de Prague).
L'article de la CWO présente son point de vue selon lequel la crise pousse le capitalisme vers une nouvelle guerre mondiale visant à dévaloriser le capital. Nous ne développerons pas ici nos désaccords avec cette approche de la situation mondiale actuelle et de la dynamique actuelle des guerres impérialistes. Mais nous voulons réagir à la manière dont la CWO traite une expérience historique clé du mouvement ouvrier - la conférence de Zimmerwald de 1915, qui a été la première tentative majeure des internationalistes de tous les camps belligérants de se réunir et de lancer un appel contre la guerre impérialiste. La CWO semble minimiser l'importance de cet événement en insistant sur le fait qu'il s'inscrit dans le cadre de l'échec général de la gauche révolutionnaire de la Deuxième Internationale à rompre à temps avec la social-démocratie : "même l'exemple de la gauche de Zimmerwald qui s'est réunie bien après le début de la guerre", disent-ils, n'est pas un exemple à imiter. Oui, il est vrai que la gauche internationale a attendu trop longtemps pour commencer un travail de fraction organisé contre l'opportunisme croissant de la Deuxième Internationale dans la période précédant la guerre, et ce retard a rendu difficile une réponse internationale face au déclenchement de la guerre et à la trahison de toute l'aile opportuniste de la social-démocratie après 1914. Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas tirer de leçons de l'expérience de la gauche de Zimmerwald. Au contraire, l'attitude des bolcheviks et d'autres à Zimmerwald - à la fois en reconnaissant l'importance de participer à la Conférence et en s'opposant avec intransigeance aux erreurs centristes et pacifistes de la majorité de ses participants - nous fournit un exemple clair quant à la façon de répondre à des événements tels que la Semaine d'Action de Prague. En d'autres termes, la nécessité d'être présent à un tel événement, d'une part, et, d'autre part, d'intervenir avec une critique claire de toutes ses confusions et insuffisances. Ceci est particulièrement vrai si l'on considère que certaines des forces politiques clés de la Semaine d'action, en particulier le groupe Tridni Valka, rejettent tout simplement toute l'expérience de Zimmerwald comme n'étant rien d'autre qu'un carnaval pacifiste[3]. En même temps, la leçon que la CWO tire de Zimmerwald - la nécessité de se regrouper le plus tôt et le plus largement possible, avant que la guerre ne soit déclarée - les conduit à une approche totalement dépourvue d'esprit critique à l'égard des éléments avec lesquels ils tentent de se regrouper. Nous y reviendrons.
Comme la plupart des autres comptes rendus, l'article de la CWO commence par souligner que "du point de vue de l'organisation, ce fut un désastre (c'est nous qui soulignons). Les participants peuvent ne pas être d'accord sur les responsabilités, mais le fait est que certains événements n'ont pas eu lieu du tout, que d'autres ont été peu fréquentés, que des personnes s'étaient vu promettre un logement et qu'elles n'en ont pas eu, et que finalement, le vendredi, le lieu du congrès a été annulé. En l'absence de toute communication de la part des organisateurs, une cinquantaine de participants se sont réunis et ont organisé leur propre congrès. Les discussions se sont poursuivies pendant de nombreuses heures et, bien que les organisateurs initiaux aient fini par trouver un autre lieu, le congrès auto-organisé avait déjà prévu de se tenir le lendemain. Le samedi, deux événements distincts ont donc eu lieu : le congrès officiel et le congrès auto-organisé (bien que certains participants aient visité les deux au cours de la journée).[4]
Nous ne pouvons qu'être d'accord sur le fait qu'il s'agissait d'un désastre au niveau de l'organisation, mais le compte-rendu de la CWO ne va pas plus loin dans l'analyse des raisons de ce désastre. Il ne s'agit pas ici de blâmer, mais de rechercher les raisons politiques de l'échec. Comme nous avons tenté de le montrer dans notre premier article sur Prague[5] , une telle enquête ne peut éviter une critique de l'approche activiste et anti-organisationnelle de la majorité des participants - un problème enraciné dans les conceptions anarchistes et exacerbé par les divers efforts visant à exclure la Gauche communiste des débats.
La question de l'organisation est une question politique à part entière, mais le compte rendu de la CWO semble restreindre le "point de vue politique" aux conceptions plus générales des différents participants. Néanmoins, il a tout à fait raison lorsqu'il souligne qu'à ce niveau, "le véritable clivage qui est apparu était entre les militants qui cherchaient des solutions immédiates sur la façon d'arrêter la guerre, et ceux qui avaient une orientation de lutte de classe, qui avaient une perspective à plus long terme et comprenaient que les guerres, en tant que produit du système capitaliste, ne peuvent être arrêtées que par la lutte massive des travailleurs".
C'est précisément ce que nous avons dit dans nos propres articles sur Prague. Cependant, là encore, il manque quelque chose dans le compte-rendu de la CWO. Comme nous l'avons souligné dans notre premier article, en proposant cette approche générale, "on a pu constater qu'il y avait une convergence entre les interventions de la TCI et du CCI, dont les délégations se sont rencontrées plus d'une fois pour comparer leurs notes sur l'évolution de la discussion".
L'article de la CWO affirme que l'un des aspects positifs de l'événement de Prague a été les nombreux contacts et discussions informelles qui ont eu lieu en marge des réunions principales, et nous sommes d'accord avec cela. Mais ce qu'ils évitent de dire, c'est qu'au sein de l'assemblée "auto-organisée" elle-même, leur délégation a pu, pour la première fois depuis de nombreuses années, travailler de manière constructive avec le CCI, et que cela est dû en grande partie au fait que, malgré de nombreux désaccords, nous partageons la tradition du marxisme et de la Gauche communiste, ce qui a permis aux deux organisations d'offrir une véritable alternative à l'activisme stérile qui domine dans la majorité de ce milieu. Ainsi, dans les interventions des deux organisations à Prague, l'accent a été mis sur la primauté d'un débat sérieux sur la situation mondiale par rapport à une fixation immédiate sur "ce que nous pouvons faire aujourd'hui" ; une insistance sur le rôle central de la lutte des travailleurs dans le développement de toute opposition réelle à la guerre impérialiste, et une affirmation que seul le renversement du capitalisme par la classe ouvrière peut mettre fin à la spirale mortelle de la guerre et de la destruction qui s'est installée dans le capitalisme décadent.
Nous ne pensons pas que le CWO souffre ici d'un simple trou de mémoire. Il s'agit plutôt d'une pratique adoptée par la CWO/TCI et ses précurseurs depuis longtemps : une politique du "tout le monde sauf le CCI". Cette attitude était déjà visible dans l'approche du Partito Comunista Internazionalista en 1943-1955 - l'organisation d'où la TCI tire ses origines. Comme nous l'avons montré dans plusieurs articles, le PCInt a été, dès sa création, opportuniste dans son intervention auprès des groupes partisans en Italie et auprès d'un certain nombre d'éléments qu'il a laissé entrer dans le Parti sans demander aucun compte de leurs déviations passées et même de leurs trahisons : c'est le cas de Vercesi, ancien militant de la fraction italienne qui s'était engagé dans le frontisme antifasciste pendant la guerre, ou des éléments qui s'étaient détachés de la Fraction pour combattre dans les milices du POUM en Espagne. Et cet opportunisme s'accompagne d'une approche sectaire à l'égard de ceux qui portaient une critique de gauche au PCInt, à savoir la Gauche communiste de France, avec laquelle celui-ci refusait toute discussion. Même approche de la part de Battaglia Comunista (l'affilié italien de la TCI) et de la CWO dans le sabotage des conférences de la Gauche communiste à la fin des années 1970 - dans le triste sillage duquel Battaglia et la CWO, s'étant effectivement débarrassés du CCI, ont organisé une "nouvelle" conférence avec un groupe de staliniens iraniens[6] . Un exemple clair d'opportunisme vers la droite, vers même l'aile gauche du capitalisme, et de sectarisme vers la gauche du camp prolétarien, le CCI.
Aujourd'hui, cette politique se poursuit par le refus systématique du travail en commun entre les principaux groupes de la gauche communiste au profit de la recherche d'alliances avec toutes sortes d'éléments – depuis des anarchistes jusqu'à ceux qui, à notre avis, sont de faux communistes de gauche qui ne peuvent jouer qu'un rôle destructeur à l'égard du milieu prolétarien authentique. L'exemple le plus évident de ces derniers est le "Groupe International de la Gauche Communiste", un groupe qui n'est pas seulement une formation parasite, dont la raison d'être est de calomnier le CCI, et qui s'est activement engagé dans le déballage public de la vie interne du CCI[7] , et c'est pourtant avec ce groupe que la TCI a formé son groupe No War But the Class War en France). Le choix de la TCI de rejeter les propositions du CCI pour un appel commun de la Gauche Communiste contre les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, et, à la place, d'opter pour une sorte de "front large" via les groupes "Pas de guerre mais la guerre de classe", n'est que la dernière itération de cette approche .[8]
Avant la réunion de Prague, la CWO a écrit aux organisateurs pour leur suggérer que les huit critères qu'ils avaient proposés pour la participation à la conférence et pour le travail internationaliste commun pourraient à l'avenir facilement être fusionnés avec les cinq points fondamentaux qui définissent les comités "No War But the Class War" (Pas de guerre sauf la guerre de classe)[9]. Il serait utile que la CWO, dans son bilan de la conférence, évalue ce qu'il est advenu de cette proposition.
Pour notre part, nous pensons que ce qui s'est passé à Prague a apporté une réfutation pratique de toute la méthode qui sous-tend l'initiative de NWBCW. Tout d'abord, cela n'a pas persuadé les organisateurs de revenir sur leur refus d'inviter la Gauche communiste à la conférence "officielle", comme cela avait été initialement avancé dans une interview radio avec le comité d'organisation[10] et pleinement confirmé dans le compte-rendu de l'événement rédigé par le groupe Tridni Valka (qui a certainement eu une influence clé sur le comité d'organisation officiel, même s'il affirme qu'il n'en faisait pas lui-même partie)[11] . Comme le montre l'article de Tridni Valka, l'hostilité envers la Gauche communiste dans certaines parties du mouvement anarchiste est très profonde. Ce n'est pas quelque chose qui peut être surmonté en formant des fronts amorphes avec les anarchistes. Au contraire, c'est là le moyen garanti d'éviter un débat réel et approfondi, lequel prendra nécessairement la forme d'une lutte politique patiente et implacable visant à aller aux racines de la divergence entre le marxisme et l'anarchisme. Rien n'indique que la TCI s'engage dans une telle confrontation avec les groupes avec lesquels elle s'est associée dans les commissions du NWBCW.
Deuxièmement, le déroulement des événements de Prague a été une véritable démonstration, d'une part, qu'il ne peut incomber à la Gauche communiste d'"organiser" le mouvement anarchiste fragmenté, politiquement hétérogène et souvent chaotique. Oui, il faut être présent dans ses rassemblements pour plaider pour une cohérence à la fois politique et organisationnelle, mais la tentative d'englober un tel milieu dans des groupes ou des comités permanents ne peut qu'aboutir au sabotage du travail de la Gauche communiste. D'un autre côté, les modestes débuts du travail commun entre la TCI et le CCI à Prague confirment l'opinion du CCI selon laquelle le meilleur point de départ pour que la Gauche communiste ait un impact dans la recherche plus large mais encore très confuse de positions internationalistes est un effort uni basé sur des principes très clairement partagés.
Amos
[2] Initiatives internationalistes contre la guerre et le capitalisme [28] sur le site de la TCI, Organisation affiliée en Grande-Bretagne à la Tendance Communiste Internationaliste.
[3] Ibid note 1.
[4] Ibid note 2.
[6] Lire la troisième conférence des groupes de la gauche communiste [30], International Review 22, et Les conférences internationales de la Gauche Communiste (1976-1980) - Leçons d'une expérience pour le milieu prolétarien [31], Revue internationale 122)
[7] Voir le dernier exploit GIGC : Nouvel acte de mouchardage du GIGC [32] : Appel à la solidarité révolutionnaire et à la défense des principes prolétariens [32]
[8] La “Tendance Communiste Internationaliste” et l’initiative “No War But the Class War”: un bluff opportuniste qui affaiblit la Gauche communiste [33]
[10] Interview with the Organising committee of the Action Week [35] publié à l'origine dans le magazine Transmitter,
[11] [AW2024] Report from Prague [36]. Nous y avons répondu dans notre deuxième article sur la Semaine d'action de Prague (note de bas de page 1).
Depuis le début de l’année, les agriculteurs se mobilisent contre la baisse de leurs revenus. Parti d’Allemagne suite à la suppression des subventions sur le diesel agricole, le mouvement touche désormais la France, la Belgique et les Pays-Bas, et commence à se propager à toute l’Europe. Les agriculteurs sont vent debout contre les taxes et les normes environnementales.
Les plus petits producteurs, étranglés par les prix d’achat de l’industrie agro-alimentaire et la politique de concentration des exploitations sont plongés de longue date dans une pauvreté parfois extrême. Mais avec l’accélération de la crise et la flambée des coûts de production, les conséquences du dérèglement climatiques et du conflit en Ukraine, la situation s’est encore fortement aggravée, au point que même les propriétaires d’exploitations moyennes sombrent à leur tour dans la misère. Des milliers de paysans vivent ainsi un quotidien de privation et d’anxiété qui pousse même nombre d’entre eux au suicide.
Si personne ne peut rester insensible face à la détresse d’une partie du monde agricole, il est aussi de la responsabilité des organisations révolutionnaires de le dire clairement : oui, les petits paysans souffrent énormément de la crise ! Oui, leur colère est immense ! Mais ce mouvement ne se situe pas sur le terrain de la classe ouvrière et ne peut tracer aucune perspective pour son combat. Pire, la bourgeoisie instrumentalise la colère des paysans pour mener une véritable attaque idéologique contre le prolétariat !
Depuis que les travailleurs en Grande-Bretagne ont ouvert la voie à l’été 2022, les mobilisations ouvrières n’ont cessé de se multiplier face aux coups de butoir de la crise : d’abord en France, puis aux États-Unis, au Canada, en Suède et en Finlande récemment. Actuellement, l’Europe connaît une série de mobilisations ouvrières : en Allemagne, les cheminots se sont engagés dans une grève massive, suivis par les pilotes de lignes de la Lufthansa ; la plus grande grève de l’histoire d’Irlande du Nord a éclaté en janvier ; en Espagne et en Italie, les mobilisations se poursuivent dans les transports, tout comme dans le métro de Londres ou le secteur de la métallurgie en Turquie. La plupart de ces luttes sont d’une ampleur jamais vue depuis trois ou quatre décennies. Partout, les grèves et les manifestations éclatent, avec un développement balbutiant mais inédit de la solidarité entre les secteurs, voire par-delà les frontières…
Comment réagit la bourgeoisie face à ces événements historiques ? Par un immense silence médiatique ! Un véritable black-out ! En revanche, il n’aura fallu, initialement, que quelques sporadiques mobilisations paysannes pour que la presse internationale et toutes les cliques politiciennes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, se jettent sur l’événement et fasse aussitôt monter la pression pour tenter de mieux occulter tout le reste.
Des petits paysans aux propriétaires de grandes exploitations modernes, bien que directement en concurrence, tous se sont retrouvés, avec la sainte onction des médias, autour des mêmes idoles sacrées : la défense de leur propriété privée et de la nation !
Ni les petits paysans ni les petits patrons ne sont porteurs d’un quelconque avenir face à la crise insoluble du capitalisme. Bien au contraire ! Leurs intérêts sont intimement liés à ceux du capitalisme, même si celui-ci, particulièrement sous l’effet de la crise, tend à faire disparaître les exploitations les plus fragiles et à plonger dans la misère une masse croissante d’entre eux. Aux yeux des paysans pauvres, le salut réside dans la défense désespérée de leur exploitation. Et, face à la férocité de la concurrence internationale, face aux très faibles coûts de la production asiatique, africaine ou sud-américaine, leur survie ne dépend que de la défense de « l’agriculture nationale ». Toutes les revendications des agriculteurs, contre « les charges », contre « les impôts », contre « les normes de Bruxelles », toutes ont pour point commun la préservation de leur propriété, petite ou grande, et la protection des frontières contre les importations étrangères. En Roumanie ou en Pologne, par exemple, les agriculteurs dénoncent la « concurrence déloyale » de l’Ukraine, accusée de brader le prix des céréales. En Europe de l’Ouest, ce sont les traités de libre échange qui sont pris pour cible, ainsi que les poids lourds et les marchandises venus de l’étranger. Et tout cela, avec le drapeau national brandit fièrement et des discours infâmes sur le « vrai travail », « l’égoïsme des consommateurs » et des « urbains » ! Voilà pourquoi, les gouvernements et les politiciens de tout bord, si promptes à dénoncer le moindre feu de poubelle et faire pleuvoir les coups de matraques quand la classe ouvrière est en lutte, se sont précipités au chevet de la « colère légitime ».
La situation est néanmoins très préoccupante pour la bourgeoisie européenne. La crise du capitalisme ne va pas cesser. La petite-bourgeoisie et des petits patrons vont sombrer toujours plus nombreux dans la misère. Les révoltes des petits propriétaires acculés ne peuvent que se multiplier à l’avenir et contribuer à accroître le chaos dans lequel plonge la société capitaliste. Cette réalité se constate déjà à travers les destructions aveugles ou les tentatives « d’affamer » les villes.
Surtout, ce mouvement nourrit très clairement le discours des partis d’extrême-droites partout en Europe. Dans les prochaines années, plusieurs pays pourraient basculer dans le populisme et la bourgeoisie sait parfaitement qu’un triomphe de l’extrême-droite aux prochaines élections européennes contribuerait à renforcer davantage la perte de contrôle de la bourgeoisie sur la société, à effriter sa capacité à maintenir l’ordre et assurer la cohésion de la nation.
En France, là où le mouvement semble le plus radical, l’État cherche par tous les moyens à contenir la colère des agriculteurs, alors que l’atmosphère sociale est particulièrement tendue. Les forces de l’ordre sont ainsi priées d’éviter les affrontements et le gouvernement multiplie les « annonces », y compris les plus ignobles (emploi accru de la main d’œuvre étrangère sous-payée, arrêt de la moindre politique en faveur de l’environnement…). En Allemagne, pour ne pas jeter de l’huile sur le feu, Scholz a dû reculer en partie sur le prix du gazole agricole, tout comme l’Union européenne sur les normes environnementales.
Après la révolte, en 2013, des petits patrons bretons en « bonnets rouges », (1) puis le mouvement interclassiste des « gilets jaunes » (2) partout en France, c’est désormais l’Europe entière qui est touché par une poussée de violence de la petite-bourgeoisie sans aucune autre perspective que de mettre la pagaille. Le mouvement des agriculteurs représente donc bel et bien un pas supplémentaire dans la désagrégation du monde capitaliste. Mais, comme de nombreuses expressions de la crise de son système, la bourgeoisie instrumentalise le mouvement des agriculteurs contre la classe ouvrière.
Alors que la classe ouvrière reprend massivement le chemin de la lutte partout dans le monde, la bourgeoisie tente de saper le mûrissement de sa conscience, de pourrir sa réflexion sur son identité, sa solidarité et ses méthodes de lutte, en instrumentalisant la mobilisation des paysans. Et pour ce faire, elle peut, encore et toujours, compter sur ses syndicats et ses partis de gauche, trotskistes et staliniens en tête.
La CGT française a ainsi rapidement appelé les ouvriers à rejoindre le mouvement, tandis les trotskistes de Révolution Permanente titraient vaillamment : « Les agriculteurs terrorisent le gouvernement, le mouvement ouvrier doit profiter de la brèche ». Allons bon ! Si la bourgeoisie craint la dynamique de chaos social contenu dans ce mouvement, qui peut croire qu’une petite minorité de la population, attachée à la propriété privée, pourraient effrayer l’État et son énorme appareil de répression ?
Le mouvement des « bonnets rouges » ou celui des « gilets jaunes » ont illustré à eux seuls la capacité de la bourgeoisie à instrumentaliser et stimuler une « peur » bien calculée pour crédibiliser un gros mensonge contre la classe ouvrière : vos manifestations massives et le baratin de vos assemblées générales ne servent à rien ! Ainsi on voudrait nous faire croire que la bourgeoisie ne craint rien de plus que les blocages et les actions coups de poing minoritaires. Rien n’est plus faux ! Et cela tombe bien, car ces méthodes sont typiquement celles qu’utilisent les syndicats pour diviser et déverser la colère des ouvriers dans des actions parfaitement stériles. Les actes de destruction aveugle ne sapent en rien les fondements du capitalisme et ne contribuent pas à préparer son renversement. Ils sont comme des piqûres d’insectes sur la peau d’un éléphant justifiant toujours plus de répression.
Mais la bourgeoisie ne se contente pas de saboter la réflexion du prolétariat sur les moyens de sa lutte, elle cherche aussi à faire reculer le sentiment qui commence à se développer à travers ses mobilisations, celui d’appartenir à une même classe, victimes des mêmes attaques et contrainte de se battre unie et solidaire. Les partis de gauche s’empressent donc de refourguer leur vielle camelote frelatée sur la « convergence » des luttes du « petit peuple » contre les « riches ».
À propos des manifestations en Allemagne, les trotskistes italiens de La Voce delle Lotte ont ainsi pu écrire que « des actions paysannes massives et des grèves de cheminots ont lieu simultanément. Une alliance entre ces deux secteurs stratégiques aurait une énorme force de frappe ». Toujours les mêmes balivernes ! Ces traditionnels appels à la « convergence » n’ont pour finalité que de noyer la lutte de la classe ouvrière dans la révolte « populaire ».
Malgré tout, la bourgeoisie est confrontée à une grande méfiance des ouvriers à l’égard d’un mouvement peu réprimé (contrairement aux manifestations ouvrières) et qui flirte avec l’extrême-droite et des discours très réactionnaires. Les syndicats et la gauche ont donc dû s’employer à toute sorte de contorsions pour prendre quelques distances avec le mouvement, tout en cherchant à pousser les prolétaires à « s’engouffrer dans la brèche » à travers des grèves en ordre dispersé, corporation par corporation.
La mobilisation des agriculteurs ne peut en aucune façon être un tremplin pour la lutte de la classe ouvrière. Au contraire, les prolétaires qui se laisseraient embarquer derrière les mots d’ordre et les méthodes des agriculteurs, dilués dans des couches sociales fondamentalement opposées à toute perspective révolutionnaire, ne pourraient que subir impuissants la pression du nationalisme et de toutes les idéologies réactionnaires charriées par ce mouvement.
La responsabilité des révolutionnaires envers la classe ouvrière s’exprime inlassablement dans la mise en lumière des pièges qui jalonnent tout son combat et qui, hélas, vont le jalonner encore longtemps. Avec l’approfondissement de la crise, de nombreuses couches sociales, non exploiteuses mais non révolutionnaires, vont être amenées, comme les agriculteurs aujourd’hui, à se révolter, sans avoir la capacité d’offrir une véritable perspective politique à la société. Sur ce terrain stérile, le prolétariat ne peut être que perdant. Seule, la défense de son autonomie de classe exploitée et révolutionnaire peut lui permettre d’élargir toujours plus sa lutte et d’agréger, à terme, d’autres couches à son propre combat contre le capitalisme.
EG, 31 janvier 2024
1 « Les bonnets rouges : une attaque idéologique contre la conscience ouvrière [41] », Révolution internationale n° 444 (2014).
2 « Bilan du mouvement des “gilets jaunes”: Un mouvement interclassiste, une entrave à la lutte de classe [42] », Supplément à Révolution internationale n° 478 (2019).
Nous publions ici notre réponse à un message de "Initiative antimilitariste"[1], un réseau principalement basé en Europe de l'Est, qui s'inscrit dans une remise en cause plus large de la logique guerrière du capitalisme à la suite des guerres en Ukraine et au Moyen-Orient. Toute une série de groupes, dont la plupart s'identifient à la tradition anarchiste, ont publié des déclarations et appelé à des conférences pour discuter de "ce qu'il faut faire" face aux perspectives de plus en plus catastrophiques ouvertes par ces guerres.
Nous nous félicitons que le blog de l'AMI ait publié un certain nombre d'articles du CCI sur la guerre et l'internationalisme, notamment une interview de Marc Chirik sur les révolutionnaires face à la Seconde Guerre mondiale, et un article montrant les profondes divergences que la guerre en Ukraine a révélées au sein de la "famille" anarchiste, entre ceux qui cherchent à adopter une position internationaliste claire et ceux qui prônent ouvertement la défense de l'État ukrainien[2]. Dans notre réponse, nous encourageons l'AMI à développer davantage les discussions en cours dans ses rangs, tout en plaidant pour la nécessité de développer une analyse globale qui situe ces guerres dans un contexte historique et mondial. Seule cette analyse peut nous permettre de comprendre les perspectives offertes par le système capitaliste, et surtout les possibilités réelles de lutte de classe et d'intervention des révolutionnaires face à la guerre impérialiste. Sans une telle analyse, il est facile de tomber dans un activisme stérile qui ne peut que déboucher sur la démoralisation étant donné son inévitable incapacité à produire des résultats immédiats.
Chers camarades,
Désolés pour le retard de notre réponse.
Vous avez mentionné dans votre dernière correspondance que vous discutez des questions suivantes :
Nous aimerions vous soumettre quelques points clés pour contribuer à vos débats.
Nous avons publié plusieurs articles d'analyse de la situation - au cas où vous ne les auriez pas vus, nous avons mis les liens à la fin de ce texte.
À partir de ces articles, nous pouvons souligner quelques questions.
La dernière guerre au Moyen-Orient - qui se déroule en même temps que la guerre en Ukraine (laquelle va entrer dans sa troisième année) et les tensions croissantes dans le Caucase, les Balkans et ailleurs - ne peut être déconnectée de la confrontation mondiale entre les États-Unis et la Chine.
Mais, alors que les États-Unis ont été confrontés à plusieurs fiascos au Moyen-Orient (Irak-Syrie-Afghanistan) et ont décidé de concentrer leurs forces pour empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale - ce qui signifie détrôner les États-Unis - la dernière escalade au Moyen-Orient est en quelque sorte une guerre "non désirée" pour les États-Unis.
En particulier, la position des États-Unis au Moyen-Orient a été affaiblie par la façon dont Israël a procédé (en imposant l'exode le plus important jamais réalisé de la population de Gaza et en exerçant des représailles brutales par le biais d'une politique de la terre brûlée).
Par ailleurs, les États-Unis ont entraîné la Russie dans la guerre en Ukraine. La Russie a essayé de reconquérir ses positions perdues à l'époque de l'existence des deux blocs - elle ne peut le faire que militairement - comme elle l'a déjà montré en soutenant farouchement le régime syrien. Cette guerre entre l'Ukraine et la Russie pose aujourd'hui des difficultés croissantes - parce qu'elle est devenue une guerre stagnante et que le soutien à l'Ukraine est devenu de plus en plus impopulaire aux États-Unis.
La montée en puissance de la Chine ne s'est pas faite uniquement grâce à son énorme croissance économique. Elle s'est toujours accompagnée d'une stratégie à long terme de modernisation et d'expansion de son armée, et ses projets de "Route de la soie" révèlent l'ampleur de ses ambitions, tout comme sa volonté d'intégrer Taïwan à la Chine et sa politique de renforcement de sa présence dans la mer de Chine méridionale, toutes choses auxquelles les pays occidentaux se sont opposés. L'Union Européenne, les États-Unis et l'Inde ont adopté l'un après l'autre des projets visant à contrecarrer la Route de la soie.
Nous pouvons constater une aggravation des tensions à l'échelle mondiale, qui engloutissent de plus en plus de pays, et la dernière guerre au Moyen-Orient montre également que les États-Unis perdent de plus en plus le contrôle de leur gendarme (Israël) dans la région. Avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre froide et des nombreuses guerres par procuration qui ont suivi, le militarisme est devenu le mode de survie du système et un véritable cancer qui en ronge le cœur.
Cette dynamique à elle seule montre déjà que nous ne pourrons pas éradiquer le cancer du militarisme si le système n'est pas vaincu.
Dans le même temps, lorsque les principaux politiciens et "experts" se réunissent à Dubaï pour la conférence COP 28, ils montrent que la classe dirigeante est incapable et largement réticente à prendre les mesures nécessaires pour protéger la planète. Laisser le destin de notre planète entre les mains de la classe capitaliste, c'est signer l'arrêt de mort de l'humanité, une raison supplémentaire et urgente de dépasser le système capitaliste.
Nous ne reviendrons pas sur les effets de la crise économique, de la famine, de l'exode massif des réfugiés que nous constatons sur tous les continents, qui sont autant d'expressions de la même impasse dans laquelle le système a conduit l'humanité.
En bref : il n'est pas possible de comprendre ce qui se passe si nous ne regardons qu'un seul aspect, mais nous devons voir la totalité et l'interconnexion entre les différentes composantes destructrices.
Comment voyez-vous ce lien et cette évolution globale à l'échelle mondiale ? Pouvons-nous comprendre les événements dans un pays en les isolant du reste, ou devons-nous les situer dans un cadre global ?
Quelle est votre analyse ? Quels débats avez-vous entre vous à ce sujet ?
Comment voyez-vous ce lien et cette évolution mondiale ? Peut-on comprendre les événements d'un pays en les isolant des autres, ou faut-il les replacer dans un cadre global ?
Nous avons également remarqué que si plusieurs groupes ont réussi à prendre une position claire sur la guerre entre l'Ukraine et la Russie, rejetant le soutien aux deux parties, une position internationaliste claire comme de l'eau de roche contre la guerre au Moyen-Orient a été évitée ou beaucoup plus difficile à prendre pour certains groupes. L'une des raisons est que de nombreux groupes s'accrochent encore à l'idée qu'il pourrait y avoir quelque chose de progressiste derrière la formation d'un État palestinien. Nous défendons la position de la gauche communiste qui, dans la continuité de la défense de l'internationalisme à l'époque de la Première Guerre mondiale, a également défendu l'internationalisme à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale et contre les soi-disant luttes de libération nationale. Le soutien à la formation de tout nouvel État dans ce que la Troisième Internationale a appelé "l'époque des guerres et des révolutions" est une idée totalement réactionnaire, qui ne fait qu'encourager de nouvelles guerres ; nous devons nous prononcer pour l'abolition de tous les États. La survie de la planète - de l'humanité - ne peut être assurée par davantage d'États, mais exige précisément l'abolition de tous les États et du nationalisme.
C'était la tradition de la Gauche Communiste de France et de Marc Chirik, dont vous avez publié récemment l'interview.
Nous aimerions pouvoir faire quelque chose d'immédiat contre la guerre. Notre indignation et notre révolte face aux actes de barbarie en Ukraine ou au Proche-Orient nous poussent à vouloir pouvoir arrêter la machine de guerre tout de suite !
Mais nous devons comprendre que l'indignation ne suffit pas et qu'il n'est pas réaliste d'attendre de la classe ouvrière qu'elle prenne des mesures immédiates, décisives et efficaces contre la guerre sur une base à court terme. Pour pouvoir mettre fin à cette guerre et à toutes les autres, il ne faut rien de moins que renverser le système !
Pour comprendre l'ampleur réelle du défi et la solution nécessaire, il faut revenir à l'histoire.
Il est vrai que les insurrections et les révolutions de la classe ouvrière en 1905 ou pendant la Première Guerre mondiale sont nées d'une réaction contre la guerre. Mais les conditions de la Première Guerre mondiale et celles d'aujourd'hui sont très différentes. Lors de la Première Guerre mondiale, des millions de soldats ont été mobilisés au cœur du capital, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Les armes utilisées pendant la Première Guerre mondiale étaient des canons, de plus en plus de chars, ainsi que des raids aériens et des armes chimiques (gaz). Mais dans les tranchées, les combats se déroulaient toujours "fusil contre fusil". La guerre s'est "enracinée", a stagné, et il y avait encore la possibilité d'un contact direct (cris entre les tranchées). Au bout d'un certain temps, il pouvait donc y avoir une fraternisation dans les tranchées.
Tout cela n'est plus le cas aujourd'hui. Les armes (balles, missiles, drones, bombes, avions, etc.) peuvent voyager sur de longues distances, de sorte que les soldats ne voient même pas l'ennemi.
Lors de la Première Guerre mondiale, les soldats se sont mobilisés massivement au bout d'un certain temps - et pas seulement par désertion. À partir de 1915, les protestations se multiplient dans les rues et les usines, car la guerre est synonyme d'intensification du travail, de militarisation, de "paix sociale" imposée dans les usines et, surtout, de famine. Liebknecht réunit 60 000 ouvriers sur la place de Potsdam, et de plus en plus de manifestations de rue et de grèves sauvages éclatent - le nombre élevé de femmes enrôlées dans les usines jouant également un rôle important. L'ensemble du front militaire et du front intérieur se désagrège. En Russie, les ouvriers commencent à se battre contre les officiers et à fraterniser ; les nombreux paysans qui ont été enrôlés de force réagissent également contre la guerre. Le facteur humain/social joue un rôle essentiel dans la machinerie de guerre. D'août 1914 à février 1917, puis octobre 1917, trois années de massacres se sont écoulées, et même la révolution en Russie n'a pas encore pu arrêter la guerre sur les autres fronts. Ce n'est qu'en novembre 1918, avec l'éclatement de la révolution en Allemagne, que les choses ont pris un tournant décisif pour mettre fin à la guerre mondiale. Les soldats et les marines de Kiel avaient reçu l'ordre de livrer la "dernière bataille" contre l'Angleterre, mais les marins ont compris que cela signifierait leur mort. Les soldats ont donc dû se battre directement pour leur vie, pour leur survie. La combinaison d'un début de fraternisation sur le front militaire et de l'éclatement des luttes sur le front intérieur a forcé la bourgeoisie allemande à réagir.
Ces conditions ne sont plus réunies aujourd'hui. De plus en plus de soldats sont recrutés en Ukraine et en Russie, et il n'y a pas encore eu de réaction significative contre la guerre - même s'il y a eu un exode massif d'hommes d'Ukraine et bien plus encore de Russie pour échapper au recrutement forcé. Une résistance ouverte et massive contre la guerre en Russie reste à venir. Pour l'instant, il semble qu'il n'y ait pas encore de pénurie alimentaire majeure, ni d'effondrement de l'économie. C'est une spécificité de la situation en Russie que l'économie ait été si fortement dépendante des approvisionnements en pétrole et en gaz, de sorte que les sanctions de l'Occident / des États-Unis ont forcé la Russie à vendre davantage à d'autres pays - ce qui a aidé la Russie à gagner du temps et a aidé le régime de Poutine à éviter d'imposer une attaque économique massive à la classe ouvrière. Mais ce "gain de temps" ne durera probablement pas éternellement et la réaction de la classe ouvrière en Russie, qui serait un facteur clé pour s'opposer à la guerre, reste un facteur inconnu et imprévisible. La classe ouvrière ukrainienne est encore plus confrontée à un nationalisme omniprésent. Toute résistance à la guerre risque d'être écrasée par le régime de Zelensky.
C'est pourquoi nous devons nous tourner vers la classe ouvrière de l'Ouest. Parce que la classe ouvrière occidentale ne peut pas être mobilisée directement pour la guerre - la plupart des travailleurs refuseraient de sacrifier leur vie pour la guerre - et parce que les pays de l'OTAN ont soigneusement évité d'envoyer des troupes sur le terrain parce qu'ils savent que la classe ouvrière et peut-être d'autres parties de la population occidentale ne soutiendraient pas une telle démarche. Ainsi, l'Occident a surtout fourni tout l'arsenal nécessaire à la prolongation de la guerre.
Paradoxalement, les réactions du parti républicain aux États-Unis sont très révélatrices. Ils s'opposent de plus en plus à la poursuite du financement de la guerre en Ukraine, car ils estiment que cela se ferait au détriment de l'économie américaine. Ils estiment également que la classe ouvrière n'est pas disposée à sacrifier ses vies, à souffrir de la faim, etc. pour la guerre en Ukraine.
Un autre facteur doit être pris en considération. En Russie, en octobre 1917, la classe ouvrière est parvenue à renverser une bourgeoisie relativement faible et encore isolée à l'époque. La contre-offensive des Blancs, avec la guerre civile, n'a commencé qu'un an plus tard.
Mais la bourgeoisie allemande était beaucoup plus expérimentée et plus puissante et elle a pu mettre fin à la guerre "du jour au lendemain", en novembre 1918, lorsque les marins de Kiel ont commencé à se déplacer et que les soldats et les conseils ouvriers ont commencé à se mettre en place, empruntant la voie de la révolution russe.
Le prolétariat allemand était donc confronté à une bourgeoisie beaucoup plus rusée et intelligente, qui a obtenu le soutien des autres bourgeoisies dès que le prolétariat a commencé à relever la tête en Allemagne.
Aujourd'hui, la classe ouvrière est confrontée à une classe capitaliste de plus en plus pourrie et décomposée, mais malgré sa pourriture, elle est plus déterminée que jamais à unir ses forces si son ennemi mortel, la classe ouvrière, relève la tête. Et ils peuvent aussi compter sur les syndicats, les partis de gauche, etc. pour saboter les luttes des travailleurs. Il ne faut donc pas s'attendre à une dynamique immédiate de radicalisation des luttes contre la guerre.
Où se trouve la clé ?
La clé est toujours entre les mains de la classe ouvrière.
Nous pensons que les travailleurs de Grande-Bretagne, de France et, plus récemment, des États-Unis ont commencé à en apporter la preuve. Parce que poussés par l'inflation ou d'autres fortes attaques, les travailleurs de nombreux pays ont commencé à se lever et à rompre une période de plusieurs décennies de passivité et de désorientation face au déroulement des événements. C'est pourquoi nous parlons de "rupture"[3].
Et nous pensons que cette capacité de la classe ouvrière à défendre ses intérêts économiques est la PRÉCONDITION au développement de sa force, de sa confiance en soi, par laquelle la classe peut se reconnaître et comprendre clairement qu'il y a deux classes qui s'opposent l'une à l'autre.
En ce sens, les luttes économiques défensives sont absolument nécessaires. C'est au cours de ces luttes économiques que les travailleurs doivent apprendre à prendre les luttes en main (ce qu'ils n'ont pas fait depuis longtemps), qu'ils doivent réapprendre à identifier leurs véritables ennemis (s'agit-il des migrants, des réfugiés - comme le prétendent tous les populistes et la droite - ou de ceux qui les exploitent ?) et leurs frères et sœurs de classe qui peuvent développer une solidarité de classe en s'unissant et en prenant en charge les luttes eux-mêmes.
Et c'est à travers les luttes économiques défensives que les travailleurs doivent réapprendre à découvrir que la racine des problèmes sont bien plus profondément enracinés dans le système et ne sont pas la faute de quelque banquier pourri et cupide (comme le Mouvement Occupy de 2011 a essayé de nous le faire croire), et aussi que toutes les autres menaces à la survie de l'humanité sont fondamentalement enracinées dans le système. Ce processus de politisation a donc besoin du véritable "feu de la lutte des classes", mais les discussions en cours dans les différentes couches de la classe peuvent être propulsées et catalysées par ces luttes ouvertes.
Rosa Luxemburg a insisté en novembre/décembre 1918 sur le fait qu'il était indispensable que la pression exercée par les usines et les luttes économiques soit beaucoup plus forte, une fois que la "révolution des soldats" s'était essoufflée avec la décision de la bourgeoisie de mettre fin à la guerre.
Telle est la dynamique de la lutte des classes depuis 1905, lorsqu'il est devenu évident que les luttes politiques et économiques devaient se fondre en un seul et même courant - la grève de masse.
En se rassemblant en tant que classe et en luttant pour ses intérêts économiques, la classe ouvrière peut également bloquer l'influence destructrice de toutes sortes de facteurs de division tels que les questions "identitaires" (autour de la race, du sexe, etc.). En étant forcée, par ses luttes économiques, de rechercher la solidarité de tous les autres travailleurs pour s'opposer à l'État et être plus forte que la classe capitaliste par l'extension et l'unification des luttes, la classe ouvrière peut jouer le rôle d'un aimant dans la société, en offrant une perspective à tous ceux qui sont opprimés par le capital - non pas en se dissolvant dans une masse anonyme d'individus, mais en agissant comme une force unie contre la classe dirigeante.
Si nous insistons sur la nécessité pour la classe de développer ses luttes économiques, ce n'est pas que nous fuyons notre responsabilité vis-à-vis de la guerre. Mais c'est la seule façon de développer une réponse efficace. Croire qu'une solution immédiate peut être trouvée par une sorte d'"Action" minoritaire est une impasse, et finira par démoraliser ceux qui y participent.
Il est indispensable de comprendre, comme le soulignait Pannekoek dans son célèbre livre Révolution mondiale et tactique communiste de 1920, que la révolution prolétarienne est la première révolution de l'histoire qui dépende entièrement de l'action collective, consciente et massive de la classe ouvrière. Elle ne peut compter sur aucune autre force que sa propre force - sa conscience et sa solidarité, sa capacité d'unification.
Créer des illusions sur une issue facile et rapide est trompeur et démoralisant. C'est pourquoi nous avons rejeté le projet de la Tendance Communiste Internationaliste de créer des comités contre la guerre. Selon nous, ces comités rendent confus le rôle essentiellement politique que les organisations révolutionnaires doivent jouer face aux guerres impérialistes. Nous avons écrit plusieurs articles à ce sujet.[4]
Peu après la guerre, nous avons également pris position sur cette question dans un article intitulé "Militarisme et décomposition", que nous citons ici :
"Par le passé nous avons fait la critique du mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire". Ce mot d'ordre mis en avant au cours de la Première Guerre mondiale, notamment par Lénine, se basait sur une préoccupation fondamentalement internationaliste : la dénonciation des mensonges colportés par les social-chauvins affirmant qu'il était nécessaire que leur pays remporte préalablement la victoire pour permettre aux prolétaires de ce pays de s'engager dans le combat pour le socialisme. Face à ces mensonges, les internationalistes ont mis en relief que ce n'était pas la victoire d'un pays qui favorisait le combat des prolétaires de ce pays contre leur bourgeoisie mais au contraire sa défaite (comme l'avaient illustré les exemples de la Commune de Paris après la défaite face à la Prusse et de la Révolution de 1905 suite à la débâcle de la Russie face au Japon). Par la suite, ce mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" a été interprété comme le souhait par le prolétariat de chaque pays de voir sa propre bourgeoisie être défaite afin de favoriser le combat pour le renversement de celle-ci ce qui, évidemment, tourne le dos à un véritable internationalisme. En réalité, Lénine lui-même (qui en 1905 avait salué la défaite de la Russie face au Japon) a surtout mis en avant le mot d'ordre de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" qui constituait une concrétisation de l'amendement que, en compagnie de Rosa Luxemburg et de Martov, il avait présenté et fait adopter au Congrès de Stuttgart de l'Internationale Socialiste en 1907 : "Au cas où la guerre éclaterait néanmoins [les partis socialistes] ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste.
La révolution en Russie de 1917 a constitué une concrétisation éclatante du mot d'ordre "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" : les prolétaires ont retourné contre leurs exploiteurs les armes que ces derniers leur avaient confiées pour massacrer leurs frères de classe des autres pays. Cela-dit, comme on l'a vu plus haut, même s'il n'est pas exclu que des soldats puissent encore retourner leurs armes contre leurs officiers (pendant la Guerre du Vietnam, il est arrivé que des soldats américains tuent "par accident" des supérieurs hiérarchiques), de tels faits ne pourraient être que d'ampleur très limitée et ne pourraient constituer en aucune façon la base d'une offensive révolutionnaire. C'est pour cette raison que, dans notre propagande, il convient de ne pas mettre en avant non seulement le mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" mais aussi celui de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile".
Plus généralement, il est de la responsabilité des groupes de la Gauche communiste de faire le bilan du positionnement des révolutionnaires face à la guerre dans le passé en mettant en évidence ce qui reste valable (la défense des principes internationalistes) et ce qui ne l'est plus (les mots d'ordre "tactiques"). En ce sens, si le mot d'ordre de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" ne peut dorénavant constituer une perspective réaliste, il convient en revanche de souligner la validité de l'amendement adopté au Congrès de Stuttgart en 1907 et particulièrement l'idée que les révolutionnaires "ont le devoir d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste". Ce mot d'ordre n'est évidemment pas réalisable dans l'immédiat compte-tenu de la situation de faiblesse actuelle du prolétariat, mais il reste un poteau indicateur pour l'intervention des communistes dans la classe."[5] "
Quant à ce que cela signifie pour le rôle des révolutionnaires, qui sont nécessairement une petite minorité, nous avons essayé de le développer dans notre Déclaration commune contre la guerre en Ukraine et dans notre Appel aux groupes de la Gauche communiste, que vous avez peut-être vus.[6]
Nous serions heureux que vous nous fassiez part des discussions dans vos rangs et nous sommes bien sûr désireux de discuter avec vous directement. Si vous avez des documents que vous nous recommandez de lire, n'hésitez pas à nous les envoyer.
J'espère que nous pourrons bientôt mettre en place un échange direct.
Dans l'attente de votre réponse... et encore une fois désolé pour cette réponse tardive.
Salutations communistes
Le CCI (10 / 12 / 2023)
Spirale d’atrocités au Moyen-Orient : la terrifiante réalité de la décomposition du capitalisme [47]
[2] Le mouvement révolutionnaire et la seconde guerre mondiale: interview de Marc Chirik, 1985 [49]; Entre l'internationalisme et "la défense de la nation". L'article de AMI, "Antimilitarisme anarchiste et mythes sur la guerre en Ukraine [50]" est une réponse très claire aux arguments des " anarcho-défensiste".
[3] Voir notre article La lutte est devant nous! [51]
[4] Par exemple, La “Tendance Communiste Internationaliste” et l’initiative “No War But the Class War”: un bluff opportuniste qui affaiblit la Gauche communiste [33].
[6] Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukraine [53] ; Appel de la Gauche communiste [54] (Guerre au Moyen Orient)
Le jeudi 18 janvier a eu lieu la plus grande grève de l’histoire de l’Irlande du Nord. (1) Malgré des conditions glaciales et des températures souvent en dessous de zéro, 170 000 travailleurs étaient mobilisés, des membres de seize syndicats, représentants 80 % du secteur public. Des marches et des rassemblements ont eu lieu dans les villes des six comtés, malgré toutes les divisions sectorielles qui ont affecté la classe ouvrière d’Irlande du Nord. Il y avait des piquets de grève devant les écoles et les hôpitaux, les gares et les dépôts municipaux, ainsi que dans de nombreux autres bâtiments publics. Presque toutes les écoles et établissements d’enseignement supérieur ont été fermés. Tous les transports publics ont été arrêtés. Le lendemain, vendredi 19, des centaines d’employés des transports, d’agents de nettoyage, d’assistants de classe et de conducteurs de véhicules de sablage, étaient en grève pour une deuxième journée.
En apparence, la raison de la grève (et l’explication donnée par les partis de gauche, de droite et du centre) tient uniquement au statut de l’Irlande du Nord. Au cours des deux dernières années, depuis les élections de 2022 au cours desquelles le Sinn Fein a remporté le plus de sièges, le Parti unioniste démocrate (DUP) a fait en sorte à ce qu’il n’y ait ni Assemblée ni Exécutif. Pour cette raison, toutes les revendications salariales dans le secteur public ont été déclarées impossibles car, selon le gouvernement britannique, seul le « gouvernement dévolu d’Irlande du Nord » peut autoriser des augmentations de salaire. En décembre, les conservateurs (Tories) ont proposé 600 millions de livres sterling pour les salaires du secteur public, le tout dans le cadre d’un programme de 3,3 milliards de livres sterling, mais à condition de mettre fin au blocage des Institutions.
En réponse, le DUP a accusé le secrétaire nord-irlandais Chris Heaton-Harris d’avoir tenté de les faire chanter, affirmant que l’argent devrait quand même être remis. Pendant ce temps, le Sinn Fein a affirmé que les travailleurs ne pourront être satisfaits que si l’Assemblée et l’Exécutif sont réactivés. Lors des rassemblements du 18 janvier, les dirigeants syndicaux étaient divisés entre blâmer le DUP ou le gouvernement britannique, ou les deux. Même si les syndicats étaient tous d’accord sur le fait que l’argent était là, la réalité est que les travailleurs luttent contre un système qui ne peut pas satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.
Bien que la grève ait été largement contrôlée par les syndicats et que les différentes fractions de la classe dirigeante profitent certainement du chaos politique en Irlande du Nord pour tenter d’entraîner les travailleurs derrière leurs querelles, ce mouvement ne sort pas de nulle part. En décembre, des grèves ont eu lieu dans tout le réseau de transport, bus et trains, durant quatre jours différents. Avant cela, en novembre, il y avait eu des grèves dans le secteur des transports et dans le personnel scolaire. Il est vrai que ces mouvements étaient également contrôlés par les syndicats, mais cela montre qu’il existe un réel mécontentement à l’égard des rémunérations des travailleurs. En Grande-Bretagne, il y a eu au moins quelques hausses de salaires, mais le gel des salaires en Irlande du Nord a encore aggravé la situation et les travailleurs ne peuvent plus supporter les effets de la « crise du coût de la vie ». Les luttes ont été engagées en raison d’une réelle détérioration des conditions matérielles des travailleurs, attaqués dans tous les pays. En cela, les luttes des travailleurs d’Irlande du Nord se situent dans la lignée de celles en Grande-Bretagne à partir de 2022, et des mouvements ultérieurs en France, aux États-Unis, au Canada et en Scandinavie. Elles expriment une rupture avec la passivité des trente années précédentes, et témoignent du potentiel de luttes plus approfondies dans le futur : celui du lien entre la classe ouvrière en Irlande, en Grande-Bretagne continentale et en Europe.
Car, 24 janvier 2024
1 Cela exclut évidemment l’action loyaliste imposée par les paramilitaires du Conseil des travailleurs d’Ulster en 1974 qui n’était pas une grève ouvrière… et n’était pas dirigée par un « conseil des travailleurs ».
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 23 mars 2024 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [24]) ou dans la rubrique « nous contacter [25] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Face aux nouvelles calomnies du GIGC[1] en réaction à l'article de défense de notre plateforme[2], nous avons jugé que nous ne pouvions pas les laisser sans réponse, même si cela implique de retarder la sortie d'autres articles planifiés et également dédiés à la défense de notre organisation.
Le GIGC présente nos articles dénonçant ses critiques mensongères, ses déformations, ses omissions par rapport à notre plate-forme comme un moyen de faire diversion face aux questionnements des militants du CCI et même de contacts au sein du milieu politique prolétarien, par rapport à la supposée dérive politique de notre organisation.
Il commence par disqualifier notre dernier congrès international, mais « dans le vague », en évitant d'être concret et précis, marquant un mépris vis-à-vis de ses travaux sans bien sûr se risquer à en faire une critique politique. Ainsi, il conclut que ce congrès était "Empêtré dans des contradictions théorico-politiques d’ordre idéaliste", que ses travaux "ne représentaient pas d’enjeu particulier pour le camp prolétarien" et ne font qu'exprimer "la marginalisation croissante de notre organisation". À propos de quel document en particulier ? C’est un mystère sur lequel le GIGC reste muet, mais on imagine sans peine qu'il s'agit du rapport sur la "décomposition de la société" dont une partie, "La méthode marxiste, outil indispensable pour comprendre le monde actuel", inclut une réponse argumentée aux critiques de notre "prétendu idéalisme". Évidemment, l’objectif du GIGC n’a jamais été de combattre politiquement nos prétendues "contradictions théorico-politiques d’ordre idéaliste"[3], dans la mesure où la confrontation politique ne l’intéresse pas. La prétendue « critique théorique » du GIGC consiste en une succession de phrases ronflantes sans aucun argument ou preuve qui vise uniquement à nous dénigrer. Dans cette sale besogne, il n’innove pas, il ne fait que suivre la méthode de « débat » des gauchistes ou celle d’un maitre du parasitisme politique, Bakounine, qui adressait au conseil général de l’AIT, les admonitions et accusations les plus bruyantes en vue de cacher ses propres agissements sournois.
Il répand des insinuations sur la vie interne du CCI. Sans aucun élément à l'appui, le GIGC décrète que nos 6 articles de dénonciation de ses méthodes seraient destinés à obliger nos "militants à taire leurs doutes sur les positions, analyses et la dynamique politiques de l'organisation". Au-delà du fait que c'est très méprisant pour tous les militants du CCI, il s'agit d'une tentative supplémentaire d’instiller le venin de la méfiance au sein du milieu politique prolétarien vis-à-vis de "l'organisation stalinienne" que nous serions. À ce propos, nous invitons nos lecteurs à parcourir notre presse afin d'évaluer la manière dont le CCI a toujours rendu compte dans ses colonnes de ses discussions et débats internes, y compris sur les questions organisationnelles. L’attaque « théorique » se double ici d'une attaque « organisationnelle ». Dans sa furie dénigrante - la seule raison d’être du GIGC - il lui faut à tout prix faire apparaitre le CCI de la façon la plus repoussante possible.
Il tente également d’instiller le doute parmi nos contacts en prétendant que le CCI se sert du prétexte des attaques du GIGC pour ne pas répondre "aux questions que les contacts et jeunes militants se rapprochant de la Gauche communiste lui présentent sur les positions des autres groupes, dont la TCI et le GIGC tout particulièrement". Pour information, nous n'avons pas été confrontés à une masse de questions sur les positions du GIGC, même pas une seule en réalité. Mais surtout, nous n’escamotons aucune question ou critique émanant des groupes du milieu politique prolétarien et leurs sympathisants. Néanmoins, si des contacts nous avaient sollicités à propos du GIGC, nous n'aurions pas manqué de leur faire une description circonstanciée des violations de nos statuts et des actes de mouchardage de la FICCI (Fraction Interne du CCI), laquelle trouve aujourd'hui sa continuité dans le GIGC au moyen de changements « programmatiques » qui ne modifient rien à la réalité et l'essence de ce groupe. Rappelons à ce propos qu'à nos yeux, le GIGC, pour être un groupe policier[4], ne fait pas partie du milieu politique prolétarien et encore moins de la Gauche communiste[5].
Le GIGC prétend enfin que le CCI introduirait la division et le sectarisme au sein du camp prolétarien. Toute notre pratique illustre tout le contraire : nous sommes pour une confrontation politique fraternelle mais sans concessions des divergences en sein du milieu politique prolétarien et pour un travail en commun chaque fois que possible, …. Mais tout cela ne peut ni ne doit éluder la nécessaire défense de ce même milieu, notamment à travers le combat contre les mouchards, les aventuriers et les agents de l’État. Nous incitons les lecteurs qui auraient des doutes sur cette question à se référer à l'histoire même du mouvement ouvrier, notamment les combats passés engagés par les révolutionnaires pour exposer les corps parasites en leur sein, comme l'Alliance de Bakounine au sein de l'Association Internationale des Travailleurs, les agents de l'État comme Vogt (auquel Marx a dédié un an de travail sur un livre le démasquant)[6], les aventuriers comme Lassalle et Schweitzer dans la social-démocratie Allemande[7]. Nous nous situons dans cette tradition en dénonçant la FICCI et son avorton, le GIGC [8].
Si le GIGC essaie ici de faire passer la défense intransigeante du milieu prolétarien pour une politique sectaire de division, c'est fondamentalement pour tenter de se blanchir en tant que mouchards, qui n’ont pas hésité à apporter leur soutien à l'indéfendable aventurier Gaizka[9]. Nous appelons à ce propos à la lecture d'un article récent rendant compte de discussions avec la TCI à propos de la question suivante : "un aventurier doit-il être exposé publiquement ?" [10].
- Selon le GIGC, le CCI esquiverait les critiques à sa plateforme : "Face à notre critique sur tel ou tel point de la plateforme, le CCI nous renvoie aussi à d’autres articles pour établir nos "mensonges et calomnies" (…) Il ne défend pas le point de la plateforme en question, ni ne l’explicite, mais se réfère à un autre texte". Mensonge aisément vérifiable : dans notre article ainsi critiqué[11] par le GIGC,[12] à propos du parlement et du parlementarisme, nous avons effectivement indiqué avoir publié les Thèses de Lénine sur la démocratie. En quoi ceci constitue-t-il la preuve d'une esquive de la critique, vu que, dans le même article, contrairement aux affirmations du GIGC, nous rappelions, citation à l'appui, ce que dit effectivement notre plateforme et qui invalide le reproche de conseillisme qui lui est faite[13]. Nous ajoutions à cette citation du point concerné de notre plate-forme le commentaire suivant : « Ainsi l'idée que ce point de notre plateforme ne prend pas en compte la fonction du Parlement dans la nouvelle période relève de cette démarche, "calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose" (F. Bacon), quelle que soit l'inconsistance de la calomnie ». Pourtant, dans son article suivant, le GIGC[14] reprend exactement la même critique à l'encontre du même point de notre plateforme avec les mêmes "arguments". Un simple copier-coller ! A l’évidence, la calomnie n'exclut pas le gâtisme !
- Une "preuve" du conseillisme du CCI fabriquée de toute pièce. Pour le GIGC, notre plateforme comprendrait « la thèse centrale de l’économisme et du conseillisme » qui "réduit le rôle du parti à un simple conseiller ou éclaireur de la classe" que "Lénine combattit à raison dans Que faire et que le CCI dut à son tour combattre en son sein dans les années 1980". Le GIGC exhibe, telle un trophée, la preuve accablante de notre conseillisme qui se cacherait derrière la citation suivante : "La conscience de la classe se forge à travers ses luttes, elle se fraye un chemin difficile à travers ses succès et ses défaites". On peut prouver ce que l’on veut avec une phrase sortie de tout contexte. Or bien évidemment, cette phrase n’est pas isolée mais doit être replacée dans le contexte du point concerné de la plateforme :
Bref, il s’agit donc ici d’un collage maladroit, d'un montage malhonnête et d’une nouvelle arnaque du GIGC. Le CCI un menteur ? un examen concret de la réalité l'infirme et elle confirme que le GIGC est un faussaire.
- Selon une autre accusation du GIGC nous mentirions lorsque que nous disons ne nous être jamais considérés comme étant un parti (ou un parti en miniature). Le GIGC pointe vers deux citations du CCI où figure l'expression "squelette du futur parti" et qui sont censées illustrer un tel mensonge de notre part. D’abord, le rapport avec les accusations de conseillisme avancées jusqu’alors dans l’article du GIGC, est curieux, puisqu’en quelque sorte, on accuse à présent le CCI exactement du contraire, c’est-à-dire de se considérer dès à présent comme le parti. En fait, il ne faut pas chercher de cohérence politique, puisque, comme nous le soulignons depuis le début, le but recherché n'est autre que de calomnier et de mettre en doute notre honnêteté politique.
Ici , le GIGC identifie, pour les besoins d'une nouvelle entourloupe, rien de moins que "le squelette de l'organisation" avec "l'organisation dans son ensemble". En politique, comme en anatomie, rien n'est plus absurde. Se considérer comme le "squelette du futur parti" ne peut en rien signifier se considérer comme le "parti", ni même comme le "parti en miniature".
Par ailleurs, un examen sur notre site web de tous les passages de nos textes où figure la formulation « le squelette du futur parti » nous montre que l’expression fut avancée pendant une brève période, mais clairement remise en cause par la suite :
En résumé, Les textes cités établissent clairement que le CCI ne s'est jamais considéré comme un parti, mais qu’il se considère comme un groupe politique ayant une "fonction similaire à celle d'une fraction", chargé d'œuvrer à la fondation du futur parti, tout en constituant un pont vers celui-ci[15]. En conclusion, nous avons, là encore, une nouvelle confirmation que le GIGC agit comme un faussaire, mais les ficelles qu'il utilise sont de plus en plus grosses.
- Le GIGC à la rescousse du syndicalisme : nous dénonçons avant tout le GIGC en tant que corps parasite politique et groupe de voyous qui tente de se faire passer pour une organisation de la Gauche communiste tout en centrant sur son action destructrice et calomniatrice contre cette Gauche communiste. Cela ne nous dispense pas de mettre en évidence certaines de ses positions qui appuient sournoisement celles de l'extrême gauche du capital, notamment sur la question syndicale.
Que signifie réellement cette idée, défendue par le GIGC et critiquée dans notre article précédent, selon laquelle le passage des syndicats dans le camp bourgeoisie a été "le produit d’un rapport de forces entre classes" se jouant au sein de ces organes ?
Notre dernier article rejette cette vision en montrant qu'elle revient à défendre qu’ "il existe la possibilité pour la classe ouvrière de maintenir les syndicats en tant qu'arme de sa lutte au moyen d'un combat engagé en leur sein" ! Face au ferme rejet d'une telle méthode d'analyse propre au gauchisme, le GIGC évacue le problème[16] en accordant à chacun le droit de penser ce qu'il veut : "Pour notre part, aucune indignation, ni scandale au mensonge ou à la calomnie ici. Le CCI et d’autres ont tout à fait le droit de penser cela et nous sommes prêts à en débattre." En fait, sa nouvelle théorie sur la question syndicale se marie comme cul et chemise avec sa dépréciation de la contribution de la révolution allemande, qui a précisément mis en évidence le caractère bourgeois des syndicats dans la période de décadence du capitalisme. Cette position du GIGC est une contribution supplémentaire à la confusion politique.
Le GIGC range son article « L’impasse politique du Courant Communiste International [62] (septembre 23) » dans la rubrique de son site intitulée "Lutte contre l'opportunisme", considérant par là-même que, tant notre plateforme que notre organisation, sont opportunistes. Pourtant à l'époque où il s'appelait FICCI, ses membres se prétendaient être les meilleurs défenseurs de la plateforme du CCI, dont le CCI « opportuniste » n’était plus capable d’assumer la défense. Mais voilà que notre plateforme est devenue opportuniste aux yeux du GIGC ! Une incohérence de plus du GIGC, qui ne doit pas masquer que, malgré toutes ses contradictions, il existe une cohérence à sa politique : peu lui importe la plateforme qu'il fait mine de défendre ou qu'il attaque ouvertement, l'essentiel est d’arriver à calomnier et décrédibiliser le CCI.
En conclusion de son texte il déclare que « la confrontation des différentes positions et leur clarification méritent mieux que les insultes et autres dénégations stupides du CCI ». Mais l’ensemble des points traités précédemment réfutent les « contributions à la clarification » dont il s’enorgueillit dans son dernier texte (comme tous les précédents). D’ailleurs, le problème fondamental avec le GIGC ne réside pas dans ses « contributions » politiques ou dans sa critique de celles du CCI, mais se situe fondamentalement dans le fait qu’il constitue un parasite politique au sein du milieu politique prolétarien. Ses prétendus arguments sont des subterfuges ou des mensonges visant à semer le trouble dans ce milieu et à calomnier ses organisations. Mais à force de fourberies il se prend les pieds dans le tapis et alors, pour se tirer d’affaire, il en appelle au débat !
CCI, 30 décembre 2023
[Retour à la série : Le parasitisme politique n'est pas un mythe, le GIGC en est une dangereuse expression [63]]
[1] À travers l'article L’impasse politique du Courant Communiste International [62] (septembre 23)
[2] La pseudo-"critique" de la plateforme du CCI par le GIGC - Un simulacre d’analyse pour discréditer le CCI et sa filiation politique (la Gauche communiste) [64] (août 23)
[3] La citation suivante de notre rapport ne pouvait pourtant pas manquer de susciter la réflexion et le sens du combat politique de tout marxiste conséquent : "Pour ceux qui nous traitent "d'idéalistes", c'est un véritable scandale que d'affirmer qu'un facteur d'ordre idéologique, l'absence d'un projet dans la société, puisse impacter de façon majeure la vie de celle-ci. En réalité, ils font la preuve que le matérialisme dont ils se revendiquent n'est autre qu'un matérialisme vulgaire déjà critiqué en son temps par Marx, notamment dans les Thèses sur Feuerbach. Dans leur vision, les forces productives se développent de manière autonome. Et le développement des forces productives est seul à dicter les changements dans les rapports de production et les rapports entre les classes."
[4] Lire à ce propos Questions d'organisation I : la première internationale et la lutte contre le sectarisme [65] ; II : la lutte de la première internationale contre l' « alliance » de Bakounine [66] ; III : le congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique [67] ; IV : la lutte du marxisme contre l'aventurisme politique [68].
[5] Il importe à ce sujet de relever comment le GIGC tente d'invalider la qualification que nous en faisons, un groupe policier, en invoquant le fait que certains de ses membres n'ont jamais appartenu à la FICCI (voir note de bas de page 5 de l'article du GIGC). Que certaines positions politiques aient changé, que des nouveaux membres soient arrivés, la raison d'être de la FICCI n'a pas changé pour autant, car elle est toujours portée par les éléments exclus de notre organisation notamment pour avoir publié un document interne de 114 pages, reproduisant de nombreux extraits des réunions de notre organe central international, avec la mention des noms des militants, soi-disant pour étayer leurs accusations contre le CCI. Ce document qui livrait consciemment à la police des informations sensibles permettant de favoriser le travail de celle-ci, démontrait en réalité, leur haine contre notre organisation.
Qu'est-ce qui change avec le GIGC ? : "À peine né, ce petit avorton dénommé “Groupe international de la Gauche communiste” lance son cri primal en déchaînant une propagande hystérique contre le CCI, comme en témoigne le placard publicitaire affiché sur son site Web : “Une nouvelle (ultime ?) crise interne dans le CCI !” accompagné bien sûr d’un “Appel au camp prolétarien et aux militants du CCI”. Ce prétendu “Groupe international de la Gauche communiste” sonne le tocsin et crie à tue-tête qu’il est en possession des Bulletins internes du CCI. En exhibant leur trophée de guerre et en faisant un tel tintamarre, le message que ces mouchards patentés cherchent à faire passer est très clair : il y a une “taupe” dans le CCI qui travaille main dans la main avec l’ex-FICCI ! C’est clairement un travail policier n’ayant pas d’autre objectif que de semer la suspicion généralisée, le trouble et la zizanie au sein de notre organisation. Ce sont les mêmes méthodes qu’avait utilisées le Guépéou, la police politique de Staline, pour détruire de l’intérieur le mouvement trotskiste des années 1930" (Communiqué à nos lecteurs: le CCI attaqué par une nouvelle officine de l’État bourgeois [69].)
[6] Voir El caso Vogt: el combate de los revolucionários contra la calumnia I [70] et El caso Vogt: el combate de los revolucionários contra la calumnia II [71]
[7] Lassalle et Schweitzer: la lutte contre les aventuriers politiques dans le mouvement ouvrier [72].
[8] Voir note 5.
[9] Lire notre articles L'aventurier Gaizka a les défenseurs qu'il mérite : les voyous du GIGC [73]. (février 2021)
[11] La pseudo "critique" de la plateforme du CCI par le GIGC - Un simulacre d’analyse pour discréditer le CCI et sa filiation politique (la Gauche communiste)
[12] Dans "Prise de position sur la plateforme du Courant Communiste International [75]". Révolution ou guerre n° 18. Mai 2021.
[13] La plateforme du CCI ne se limite pas à invoquer "la seule impossibilité de réforme dans la décadence" pour fonder le fait que le parlement ne pouvait plus être utilisé par le prolétariat. En effet, elle dit : "La seule fonction qu'il [le parlement] puisse assumer, et qui explique son maintien en vie, est une fonction de mystification. Dès lors, prend fin toute possibilité, pour le prolétariat, de l'utiliser de quelque façon que ce soit. En effet, il ne peut conquérir des réformes devenues impossibles à travers un organe qui a perdu toute fonction politique effective. À l'heure où sa tâche fondamentale réside dans la destruction de l'ensemble des institutions étatiques bourgeoises et donc du Parlement, où il se doit d'établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société bourgeoise, sa participation aux institutions parlementaires et électorales aboutit, quelles que soient les intentions affirmées par ceux qui la préconisent, à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes" (point 8 de la plateforme du CCI. La mystification parlementaire et électorale)."
[14] L’impasse politique du Courant Communiste International [62] (septembre 23) Révolution ou guerre n° 25, rubrique "Lutte contre l'opportunisme".
[15] Rapport sur le rôle du CCI en tant que "Fraction" [76], Revue internationale 156
[16] À travers l'article L’impasse politique du Courant Communiste International [62] (septembre 23)
Le 27 janvier, le CCI a tenu une réunion publique à Madrid, en présentiel et en ligne, sur la contribution de Bilan à la lutte pour le parti mondial du prolétariat. Ce n’était pas un appel à discussion dans le vide, car nous avons pu constater qu’il existe un intérêt pour Bilan dans le milieu politique qui s’était déjà exprimé auparavant à deux reprises à Madrid.
Les organisations communistes d’aujourd’hui ne sont rien sans leur pleine inscription dans la continuité historique critique des organisations communistes du passé. Nous revendiquons deux maillons de cette continuité : Bilan et Internationalisme.(1) Comme nous le disions dans l’annonce de la réunion publique : « le prolétariat a besoin de son parti mondial et pour le former, lorsque ses luttes atteindront une force internationale massive, sa base sera la Gauche communiste dont nous nous réclamons […] La réunion publique que nous proposons vise à susciter un débat afin de dresser un bilan critique de la contribution de Bilan, pour apprécier là où Bilan est pleinement valable, là où il faut le critiquer, là où il faut aller plus loin. Ses forces, ses erreurs, son expérience organisationnelle et théorique sont des matériaux indispensables à la lutte des révolutionnaires d’aujourd’hui ».
Nous invitons les lecteurs à poursuivre le débat par des contributions ou en participant aux réunions publiques et permanences du CCI.
Un participant a engagé le débat en déclarant que le marxisme est quelque chose de dogmatique, d’immuable. Pour lui, le marxisme ne doit pas prendre en compte l’évolution de la situation historique mais doit rester figé et bloqué sur des positions affirmées dès les origines du marxisme. Il s’est lui-même qualifié à cet égard de « sclérosé » et même de « trapézoïde » et est allé jusqu’à dire que seuls les morts changent. Les participants sur place et ceux qui ont participé par Internet ont avancés les arguments suivants contre ce point de vue :
– Dans le marxisme il y a des positions de base et des principes qui ne changent pas et ne changeront pas : que la lutte des classes est le moteur de l’histoire, que la lutte de classe du prolétariat est la seule qui puisse mener au communisme, que chaque mode de production, et donc aussi le capitalisme, connaît une époque ascendante et une époque de décadence, que la destruction du capitalisme est nécessaire pour construire le communisme, que la constitution d’un parti mondial est indispensable pour le prolétariat, que le marxisme joue un rôle moteur dans le développement de la conscience de classe, etc.
– Cependant, à partir de ces fondations qui constituent son socle, le marxisme se développe en répondant aux nouveaux problèmes posés par l’évolution du capitalisme et de la lutte de classe, mais aussi en corrigeant les éventuelles erreurs, insuffisances ou limitations liées à chaque époque historique. Cette approche est fondamentale en science, mais elle est plus vitale encore pour le prolétariat qui doit, en tant que classe à la fois exploitée et révolutionnaire, développer son combat pour le communisme en se frayant un chemin à travers d’innombrables erreurs et faiblesses, en tirant les leçons de ses luttes et de ses défaites, en critiquant impitoyablement ses erreurs. Il doit d’autant plus développer son combat en s’appuyant sur une démarche pleinement consciente qu’il ne possède rien d’autre que sa force de travail et qu’il ne peut, contrairement aux classes historiques du passé, développer son projet sans détruire de fond en comble le capitalisme comme extirper les racines de toutes les sociétés d’exploitation.
– Cela s’applique également à ses organisations révolutionnaires, qui doivent être capables d’analyser de manière critique les positions antérieures et leurs propres positions. Ainsi, Marx et Engels ont corrigé en 1872, à la lumière de l’expérience de la Commune de Paris, l’idée que l’État devait être repris tel qu’il était à la classe dominante pour mettre en avant la nouvelle leçon historique qui venait d’être si chèrement acquise par le prolétariat : la nécessité absolue de détruire l’État bourgeois antérieur. Lénine, dans les Thèses d’avril, a mis en avant la nécessité de modifier le programme du parti en y intégrant la position de la nature mondiale et socialiste de la révolution et de la prise du pouvoir par les soviets.
C’est une grave irresponsabilité que de rester dogmatiquement accroché à des positions qui ne sont plus valables. Les partis sociaux-démocrates n’ont voulu appréhender ni la décadence du capitalisme, ni les conséquences qui en découlaient : la fin de la possibilité d'arracher par la lutte à ce système d’exploitation des améliorations et des réformes durables, ni la nature de la guerre impérialiste, ni la grève de masse, etc. Cela les a menés à la trahison. L’Opposition de Gauche de Trotsky s’est dogmatiquement cramponnée à la défense inconditionnelle du programme des 4 premiers congrès de l'IC, ce qui l'ont plongée dans l'opportunisme, et ne s’est jamais rattachée à une démarche critique de la vague révolutionnaire de 1917-1924. Finalement, après la mort de Trotsky, le trotskisme a trahi l’internationalisme prolétarien en soutenant un des camps impérialistes en présence au moment de la Seconde Guerre mondiale et est passé ainsi dans le camp bourgeois.
Une organisation prolétarienne qui n’est pas capable d’une évaluation critique impitoyable de sa propre trajectoire et de celle des organisations précédentes du mouvement ouvrier est condamnée à périr ou à trahir. Bilan nous donne la méthode d’une telle évaluation critique dans l’article « Vers une Internationale deux et trois quarts ? » (Bilan n° 1, novembre 1933) en réponse à l’Opposition de Gauche de Trotsky : « À chaque période historique de la formation du prolétariat en tant que classe, la croissance des objectifs du Parti devient évidente. La Ligue des communistes marchait avec une fraction de la bourgeoisie. La première internationale ébauchera les premières organisations de classe du prolétariat. La Deuxième Internationale fondera les partis politiques et les syndicats de masse des travailleurs. La Troisième Internationale réalisera la victoire du prolétariat en Russie.
À chaque période, nous verrons que la possibilité de former un parti est déterminée sur la base des expériences précédentes et des nouveaux problèmes qui se sont posés au prolétariat. La Première Internationale n’aurait jamais pu être fondée en collaboration avec la bourgeoisie radicale. La Deuxième Internationale n’aurait pas pu être fondée sans la notion de la nécessité de regrouper les forces prolétariennes dans des organisations de classe. La Troisième Internationale n’aurait pas pu être fondée en collaboration avec les forces agissant au sein du prolétariat pour le conduire non pas à l’insurrection et à la prise du pouvoir, mais à la réforme graduelle de l’État capitaliste. À chaque époque, le prolétariat peut s’organiser en classe, et le parti peut se fonder sur les deux éléments suivants :
1. la conscience de la position la plus avancée que le prolétariat doit occuper, l’intelligence des nouvelles voies à emprunter.
2. La délimitation croissante des forces qui peuvent agir en faveur de la révolution prolétarienne ».
Ce travail ne se fait pas en partant de zéro, en prenant pour référence les nouveaux développements isolés, ou en examinant les erreurs possibles sans les confronter aux positions antérieures. Il se fait sur la base d’un examen critique rigoureux des positions antérieures, en voyant ce qui est valable, ce qui est insuffisant ou dépassé, et ce qui est erroné, nécessitant l’élaboration d’une nouvelle position. Un participant, attiré par le miroir aux alouettes des théorisations sur « l’invariance du programme communiste », a proposé d’adapter le marxisme aux théories modernes du comportement humain et de la psychologie, en le combinant avec les nouvelles découvertes scientifiques. Cependant, la méthode marxiste n’opère pas un « changement de position », ni ne s’adapte à des idées apparemment nouvelles, mais procède à un développement et à une confrontation rigoureuse de la réalité avec son propre cadre de départ, ce qui l’enrichit et l’emmène beaucoup plus loin.
Le participant qui se disait « invariant » a qualifié l’écrasement de Kronstadt de « victoire du prolétariat » et justifiait la répression de Kronstadt en disant que le parti doit imposer sa dictature à la classe. Cette position nous a paru être une monstruosité et nous l’avons mise en avant de la façon suivante, avec le soutien et la participation active de plusieurs autres intervenants. La classe ouvrière n’est pas une masse informe à laquelle il faudrait donner des coups de pied ou de trique pour la faire avancer et la « libérer ». Il est évident que derrière cette défense aveugle de la répression de Kronstadt se cache une vision totalement erronée du parti du prolétariat et de sa relation avec la classe. Le parti prolétarien n’est pas, comme les partis bourgeois, un candidat au pouvoir d’État, un parti d’État. Sa fonction ne peut être d’administrer l’État, ce qui altérera inévitablement son rapport à la classe en un rapport de force, alors que son apport consiste à l’orienter politiquement. En devenant un administrateur de l’État, le parti changera imperceptiblement de rôle pour devenir un parti de fonctionnaires, avec tout ce que cela implique comme tendance à la bureaucratisation. Le cas des bolcheviks est tout à fait exemplaire à cet égard.
Selon un point de vue de « bon sens » logique qui survit dans certaines parties du milieu prolétarien : « le parti étant la partie la plus consciente de la classe, la classe doit lui faire confiance, de sorte que c’est le parti qui naturellement et automatiquement prend le pouvoir et l’exerce ». Cependant, « le parti communiste est une partie de la classe, un organisme que, dans son mouvement, la classe engendre et se donne pour le développement de sa lutte historique jusqu’à la victoire, c’est-à-dire jusqu’à la transformation radicale de l’organisation et des rapports sociaux pour fonder une société qui réalise l’unité de la communauté humaine mondiale ». (2) Si le parti s’identifie à l’État, non seulement il nie le rôle historique du prolétariat dans son ensemble au profit d’une conception bourgeoise de la direction de la société, mais il nie aussi son rôle spécifique indispensable au sein du prolétariat pour pousser avec méthode, bec et ongles, le développement de la conscience du prolétariat, non pas dans un sens conservateur, mais dans la perspective de la révolution et du passage au communisme.
De plus, Bilan, tout en agissant avec plus de prudence et de circonspection sur d’autres questions, avait une position très claire dans sa défense des principes prolétariens pour s’opposer fermement au recours à la violence dans le règlement des problèmes et des différends pouvant surgir au sein même de notre classe : « Il peut y avoir une circonstance dans laquelle une partie du prolétariat – et nous accordons qu’elle peut même avoir été prisonnière involontaire des manœuvres de l’ennemi – peut en venir à combattre l’État prolétarien. Comment faire face à cette situation, en partant de la question de principe que le socialisme ne peut pas être imposé par la force ou la violence au prolétariat ? Il valait mieux perdre Kronstadt que de la conserver du point de vue géographique, car, sur le fond, une telle victoire pouvait avoir plus d’un résultat : altérer les bases mêmes, la substance de l’action menée par le prolétariat ». (3)
La révolution mondiale connaîtra de nombreux épisodes compliqués mais pour défendre son orientation et son développement, elle devra défendre fermement les principes fondamentaux dans les actions du prolétariat. L’un d’entre eux est immuable et invariable : il ne peut et ne doit jamais y avoir de rapports de violence au sein de la classe ouvrière, à plus forte raison en agissant en son nom pour exercer et justifier une répression contre une partie d’entre elle, à plus forte raison lorsque celle-ci représente une tentative de défendre la révolution. L’écrasement de Kronstadt a accéléré l’engagement dans la voie menant vers la dégénérescence et la défaite de la révolution en Russie et vers la destruction de la substance prolétarienne détériorée du parti bolchevik.
D’autres discussions très intéressantes et polémiques ont eu lieu, et pas seulement à propos des positions supposées « invariantes ». Nous avons insisté sur la différence substantielle entre la méthode organisationnelle, théorique et historique de Bilan par rapport à celle de l’Opposition de Gauche de Trotsky : (4)
- Bilan est resté fidèle au principe de la lutte contre la déformation des principes par l'idéologie bourgeoise. Alors que l'Opposition de gauche se réclamait des Congrès de l'IC qui théorisaient l'opportunisme et faisaient le lit du stalinisme, les fractions de Gauche firent la critique de toutes ces théorisations opportunistes qui se sont manifestées et développées à partir du Deuxième Congrès. Elles ont mené une patiente lutte polémique pour tenter de convaincre le maximum de forces militantes enfermées dans le cadre opportuniste des “tactiques” de l'Opposition de Gauche.
- Bilan a été capable de faire une critique profonde et rigoureuse, qui lui a permis de tirer des leçons sur des positions erronées de l’IC qui ont ensuite conduit cette dernière à la trahison, comme la tactique de Front unique, la défense des luttes de libération nationale, la lutte démocratique, les milices partisanes... lui permettant de préserver la défense de positions révolutionnaires dans la classe pour l'avenir, dans la lignée des positions défendues par la Gauche communiste.
– Son analyse du rapport de forces entre les classes a été vitale pour déterminer la fonction des organisations révolutionnaires lors de cette période, par opposition à « l’influence permanente sur les masses » que l’Opposition cherchait à gagner à tout prix.
Il existe également des différences substantielles entre la conception de Bilan et celle du KAPD allemand, bien que toutes deux s'inscrivent dans le cadre des positions défendues par la Gauche communiste. Le KAPD, et c’était sa très grande faiblesse, ne s’appuyait pas sur une analyse historique, il rejetait même la continuité du lien révolutionnaire de ses positions avec la révolution d'octobre et négligeait totalement la question organisationnelle. En d’autres termes, c’est Bilan qui nous a légué sa vision du travail politique et organisationnel EN TANT QUE FRACTION : « La fraction est l’organe qui permet la continuité de l’intervention communiste dans la classe, même dans les périodes les plus sombres où cette intervention n’a pas d’écho immédiat. Toute l’histoire des fractions de la Gauche communiste le démontre amplement. À côté de la revue théorique “Bilan”, la fraction italienne publiait un périodique en italien, “Prometeo”, dont le tirage en France était supérieur à celui des trotskistes français, pourtant si adeptes du militantisme ». (5) De même, la Fraction a pour rôle essentiel de poser les bases de la construction du futur parti mondial prolétarien et d’être en mesure d’analyser les mesures concrètes à prendre et le moment où il est nécessaire de commencer à lutter pour la formation directe de celui-ci.
Dans le cadre du travail conçu comme celui d’une fraction, tel que le défendait Bilan, la discussion des réunions publiques doit avoir une orientation MILITANTE et ne pas rester un rassemblement où chacun émet sa propre « opinion », sans parvenir à aucun résultat. Cela a été interprété de la part du participant autodéclaré "sclérosé" comme une manifestation de sectarisme du CCI, un mode de discussion et de recrutement sur une base sectaire et, sous ce prétexte, il s'est opposé aux conclusions tirées et a quitté la réunion en trombe avant de les avoir entendues, entraînant après lui le compagnon avec lequel il était arrivé. (6)
Une réunion prolétarienne doit pouvoir tirer des conclusions qui comprennent le rappel des points d’accord et des points de désaccord dans la discussion, délimitant ainsi consciemment où elle est arrivée ou encore les questions abordées sur lesquelles il y a eu des avancées dans la clarification, et établissant un pont vers d’autres discussions à venir. Dans ce sens, nous avons insisté auprès des deux fuyards pour qu'ils restent afin de présenter leurs éventuels désaccords avec les conclusions. Nous n'avons malheureusement pas réussi à les convaincre car, apparemment, leur goût pour l’éclectisme informel est aussi un principe inamovible !
CCI, février 2024
1Nous nous sommes félicités en particulier de la publication en espagnol de onze numéros de Bilan : « La continuidad histórica, una lucha indispensable y permanente para las organizaciones revolucionarias [88] », publié sur le site du CCI em espagnol (2023).
2 « El partido desfigurado: la concepción bordiguista [89] » Revista internacional nº 23 (1980) et « El Partido y sus lazos con la clase [90] », Revista internacional nº 35 (1983).
3 « La question de l’État », Octobre n°2 (1938).
4 « ¿Cuáles son las diferencias entre la Izquierda Comunista y la IVª Internacional? [91] », publié sur le site du CCI (2007).
5 « La relación entre Fracción y Partido en la tradición marxista II – La Izquierda comunista internacional, 1937-1952 » [92]Revista internacional n.º 61 [92].
6 Il est clair qu’ils ont également oublié le principe de la Gauche communiste de lutter jusqu’au bout au sein du milieu prolétarien afin d’en tirer le plus de clarté et d’enseignements possibles. Nous trouvons très étrange qu’ils revendiquent une continuité avec Bilan, alors qu’il aurait été beaucoup plus cohérent et productif pour la lutte de notre classe qu’ils expriment ouvertement leurs désaccords évidents avec Bilan. Au lieu de cela, ils ont préféré éviter la confrontation des arguments.
Sans un parti révolutionnaire, il ne peut y avoir de révolution réussie. Le combat pour le parti révolutionnaire se pose toujours à un niveau international et historique, découlant de la position du prolétariat en tant que classe exploitée à l’échelle internationale et classe révolutionnaire. Mais il est également important d’examiner les conditions spécifiques (à la fois historiques et géographiques) dans lesquelles cette lutte a lieu. Depuis longtemps, les révolutionnaires en Grande-Bretagne sont ainsi confrontés à la faiblesse de la tradition marxiste et à la force des illusions réformistes. Ces particularités ont rendu la lutte pour le parti de classe dans ce pays particulièrement ardue.
La formation du parti de demain repose, en partie, sur la capacité des révolutionnaires d’aujourd’hui à tirer un maximum de leçons de l’expérience du mouvement ouvrier. C’est pourquoi, la série d’articles (initialement publiée dans World Revolution d’octobre 1996 à septembre 2000) que nous rassemblons ci-dessous vise à fournir un cadre pour comprendre les difficultés qui se sont exprimées dans le combat pour le parti de classe au sein du prolétariat en Grande-Bretagne. D’autant que ce dernier possède une longue histoire, et fait partie des plus expérimentés et combatifs, comme le confirment les nombreux mouvements de grève de ces dernières années et qui ont marqué le premier pas d’une véritable reprise internationale de la lutte de classe. Après 40 ans d’atonie, le prolétariat britannique, comme ses frères de classe ailleurs dans le monde, devra poursuivre son combat et se réapproprier les leçons des expériences du passé pour construire le futur parti mondial indispensable à la lutte révolutionnaire.
CCI, 4 mars 2024
Dans le Manifeste inaugural de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) de 1864, Marx écrivait à propos du parti et de la classe ouvrière : « Il est un élément de succès que ce parti possède : il a le nombre. Mais le nombre ne pèse dans la balance que s’il est uni par l’association et guidé par la connaissance ». Il résumait ainsi les conditions fondamentales du succès de la lutte du prolétariat. La tâche principale de la classe ouvrière était énoncée tout aussi succinctement : « La conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe ouvrière ».
Dès son origine, le prolétariat a, en effet, lutté pour défendre ses intérêts, d’abord par des actions dispersées, puis en prenant de plus en plus conscience de sa force par la combinaison de l’action des syndicats et des organisations politiques. Telle fut sa première tâche et l’objectif fondamental de l’AIT, au sein de laquelle prirent place de nombreuses organisations variées et opposées. (1)
À la fin du XIXe siècle, une situation très différente se présenta : l’économie se développait avec une vigueur jamais vue auparavant et la bourgeoisie s’enrichissait. Cette situation tendait à favoriser la lutte du prolétariat et celui-ci vit de réelles améliorations de ses conditions de vie et de ses droits politiques : « Le prolétariat s’affirme comme force sociale dans la société, même en dehors des moments de lutte ouverte. Il y a toute une vie ouvrière au sein de la société : il y a les syndicats (qui sont des “écoles de communisme”), mais il y a aussi des clubs ouvriers où on parle de politique, il y des “universités ouvrières” où l’on apprend aussi bien le marxisme qu’à lire et écrire, (Rosa Luxembourg et Pannekoek furent enseignants dans la social-démocratie allemande), il y a des chansons ouvrières, des fêtes ouvrières où l’on chante, danse et parle du communisme ». (2)
Les partis sociaux-démocrates et les syndicats étaient « les produits et les instruments des combats de cette période ». La social-démocratie « n’a fait que développer et organiser un mouvement réel qui existait bien avant elle, et s’est développé indépendamment d’elle ». (3) Ainsi, l’activité des partis sociaux-démocrates ne constituait nullement une concession à la bourgeoisie (même si des tendances réformistes apparaissaient) mais plutôt l’activité politique nécessaire au prolétariat dans cette étape de sa lutte et du développement du capitalisme alors ascendant. En pratique, la stratégie de la classe ouvrière s’exprimait dans le concept des programmes « minimum » et « maximum », dont Rosa Luxemburg expliquait ainsi le lien : « Selon la conception courante du parti, le prolétariat parvient, par l’expérience de la lutte syndicale et politique, à la conviction de l’impossibilité de transformer de fond en comble sa situation au moyen de cette lutte et de l’inéluctabilité d’une conquête du pouvoir ». (4)
Dans quelle mesure la situation qui existait en Grande-Bretagne s’inscrivait-elle dans le cadre que nous venons d’esquisser ?
La position de la Grande-Bretagne en tant que premier pays industriel lui a donné un avantage économique qui a duré plusieurs décennies. Cette situation en a également fait le berceau du mouvement ouvrier à travers, notamment, ce que Marx et Engels ont décrit comme le premier parti politique de la classe ouvrière : le chartisme. Les chartistes représentaient la première tentative consciente de la classe ouvrière de s’affirmer sur le terrain politique. Ils considéraient la lutte pour le suffrage universel comme un moyen pour la classe ouvrière d’accéder au pouvoir, ce qui était une expression de l’immaturité de la lutte à ce stade. Le mouvement chartiste s’est éteint après 1848 et, si les syndicats sont restés forts en Grande-Bretagne, ils ont de plus en plus eu tendance à se tourner vers le réformisme et leur influence ne s’est pas répandue au-delà des ouvriers qualifiés. Aucune organisation politique indépendante n’est apparue pour prendre la place des chartistes. Le mouvement ouvrier est devenu, selon la célèbre phrase d’Engels, « la queue du “Grand parti libéral” », (5) ses dirigeants étant des « coquins » « à la solde de la bourgeoisie ». (6)
« Après les crises cycliques de croissance qui, presque tous les 10 ans, avaient frappé le système de 1825 à 1873, le capitalisme connaît jusqu’en 1900, près de 30 ans de prospérité quasi ininterrompue ». (7) Cependant, au cours de cette prospérité, des signes de changements majeurs dans l’économie apparaissent, notamment en Grande-Bretagne où un ralentissement de la croissance a entraîné des difficultés pour les capitalistes et des privations pour une partie de la classe ouvrière. Engels a retracé cette évolution en détail et a conclu que le monopole industriel de la Grande-Bretagne était en train de prendre fin, avec de graves conséquences pour la classe ouvrière.
Dans ce contexte, il percevait également le développement de conditions qui exigeaient que la classe ouvrière reprenne le travail de ses prédécesseurs chartistes : « La vérité est la suivante : pendant la période du monopole industriel de l’Angleterre, la classe ouvrière anglaise a, dans une certaine mesure, partagé les bénéfices du monopole. Ces bénéfices ont été très inégalement répartis. La minorité privilégiée a, certes, empoché le plus, mais même la grande masse a bénéficié au moins temporairement d’une part de temps à autre. Et c’est la raison pour laquelle, depuis l’extinction de l’owenisme, il n’y a pas eu de socialisme en Angleterre. Avec l’effondrement de ce monopole, la classe ouvrière anglaise perdra cette position privilégiée ; elle se retrouvera généralement (à l’exception de la minorité privilégiée et dirigeante) au même niveau que ses collègues étrangers. Et c’est la raison pour laquelle il y aura à nouveau des socialistes en Angleterre ». (8) Engels cherchait à éclairer ce renouveau par une série d’articles dans le Labour Standard, dans lesquels il défend l’importance des syndicats, mais montre aussi leurs limites et plaide pour la création d’un parti ouvrier indépendant. Dix ans plus tard, après avoir assisté à la célébration du 1er mai à Londres, il déclare que « le 4 mai 1890, le prolétariat anglais, se réveillant de quarante ans d’hibernation, a rejoint le mouvement de sa classe ». (9)
La raison fondamentale de ce changement réside dans la résurgence de la lutte des classes, marquée notamment par une série de grèves victorieuses parmi les travailleurs non qualifiés. Ces grèves ont permis non seulement d’augmenter les salaires, mais aussi de réduire considérablement la durée de la journée de travail. Engels attache une importance particulière à la participation des ouvriers de l’East End de Londres à ces grèves : « Si ces hommes opprimés, la lie du prolétariat, ces hommes à tout faire, se battant tous les matins aux portes des docks pour être engagés, s’ils peuvent combiner et terrifier par leur résolution les puissantes compagnies de dockers, alors vraiment nous ne devons désespérer d’aucune partie de la classe ouvrière ». (10)
Les nouveaux syndicats créés par ces ouvriers pour mener leurs batailles étaient fortement influencés par des socialistes comme Eleanor Marx et Edward Aveling et par des membres de la Fédération sociale-démocrate comme Will Thorne et, en tant que tels, ils différaient nettement des anciens syndicats d’ouvriers qualifiés dont les dirigeants étaient encore liés au parti libéral.
Au début des années 1880, il n’existe aucune organisation révolutionnaire significative en Grande-Bretagne. Quelques survivants du chartisme et de l’owenisme continuent à se réunir, de petits groupes locaux de socialistes vont et viennent, tandis qu’à Londres, des révolutionnaires exilés d’Allemagne et d’Autriche se regroupent et parviennent même à publier un journal hebdomadaire : Freiheit.
En 1881, une réunion de divers groupes radicaux aboutit à la fondation de la Fédération démocratique sous la direction de Henry Meyers Hyndman, qui se considérait comme un socialiste. La Fédération s’élargit progressivement et attire de nouveaux membres, tels que William Morris, Edward Aveling, Eleanor Marx et Ernest Belfort Box, qui cherchent à la faire évoluer vers le socialisme. En 1884, ces efforts aboutissent à ce que la Fédération soit rebaptisée « Social Democratic Federation » (SDF).
Le programme de la fédération appelle à « la socialisation des moyens de production, de distribution et d’échange, qui seront contrôlés par un État démocratique dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté, et l’émancipation complète du travail de la domination du capitalisme et de la propriété foncière, avec l’établissement de l’égalité sociale et économique entre les sexes ». (11) Des points particuliers exigeaient des réformes sur le temps de travail, dans l’emploi des enfants, en faveur d’une éducation gratuite et pour une armée citoyenne. Un journal hebdomadaire, Justice, est lancé et des réunions publiques hebdomadaires sont organisées. Engels considérait cette formation comme opportuniste, lancé sans préparation financière ou littéraire suffisante et écrit par des gens « qui prennent en main la tâche d’instruire le monde sur des sujets dont ils sont eux-mêmes ignorants ». (12) Engels reprochait surtout à la SDF de ne pas comprendre la classe ouvrière ou de ne pas avoir de relations avec elle. Ceci est illustré par l’attitude d’Hyndman à l’égard des syndicats et des grèves que ce dernier décrit comme « différentes formes d’agitation liées à l’ignorance de la classe ouvrière, ou des révoltes désespérées contre une oppression supportable [qui] ne servent qu’à resserrer plus fermement sur leurs membres, les chaînes peut-être un peu dorées de l’esclavage économique ». (13) Le fait qu’il n’y ait aucune reconnaissance du rôle des syndicats dans le développement de la conscience et de l’auto-organisation de la classe ouvrière, qu’Engels avait exposé dans les articles du Labour Standard, reflète de la part d’Hyndman une conception de la classe ouvrière comme une masse inerte qui pouvait réagir aux événements mais qui avait besoin de la direction de leaders (comme lui) pour réaliser quelque chose de constructif. Cela devait être accompli par la propagande et, surtout, par la participation aux élections.
Si d’autres socialistes de l’époque partagent son schématisme, les efforts d’Hyndman pour manipuler le mouvement ouvrier afin de favoriser sa propre carrière et, surtout, de se faire une place dans l’histoire en tant que « père du socialisme britannique », ont fait de lui un aventurier.
Hyndman avait auparavant été un entrepreneur, se lançant dans le journalisme en Australie, le tourisme en Polynésie et la spéculation financière en Amérique. Au début de l’année 1880, il se trouve en Grande-Bretagne, à la recherche d’un point d’ancrage dans la politique. Il fait la promotion d’un renouveau radical du Parti conservateur auprès du Premier ministre Disraeli et se présente en tant que Tory indépendant aux élections de mars de la même année, au cours desquelles il déclare son opposition à l’autonomie irlandaise, son soutien aux colonies et à une augmentation des effectifs de la marine. (14) Il s’est finalement « converti » au marxisme après avoir lu Le Capital de Marx lors d’un voyage en Amérique suite à l’échec de ces efforts. À son retour, il cherche à rencontrer Marx et, selon les mots de ce dernier, « s’est introduit chez moi ». (15) Lors de la fondation de la SDF, la plateforme programmatique de l’organisation (intitulée « L’Angleterre pour tous » et rédigée par Hyndman) fut distribuée à tous les participants. De grandes parties de ce texte ont été extraites du Capital à l’insu de Marx et sans son consentement, et contiennent des erreurs et des imprécisions. Face aux critiques de Marx, Hyndman s’excusa au motif que « les Anglais n’aiment pas à apprendre chez les étrangers » et que « beaucoup ont horreur du socialisme », ou encore que « le nom de Marx est exécré ». (16) Repoussé par Marx, Hyndman tente d’amadouer Engels, mais ce dernier refuse tout contact tant que la situation avec Marx n’est pas réglée et reste par la suite très critique envers Hyndman.
Cette attitude est souvent présentée comme une animosité personnelle, découlant de la défense de son ami par Engels. En réalité, elle découle d’une analyse politique que Marx et Engels partageaient. Marx résume son point de vue dans la lettre à Sorge que nous avons déjà citée : « Tous ces aimables écrivains de la classe moyenne […] ne pensent qu’à s’enrichir, se faire un nom ou acquérir une influence politique le plus rapidement en se faisant les chantres d’une pensée nouvelle qu’ils ont pu acquérir par une quelconque aubaine favorable. Ce type m’a fait perdre beaucoup de temps par des virées nocturnes où il apprenait de la façon la plus simple qui soit ». Dans les années qui suivirent, Engels, avec l’avantage d’une connaissance plus approfondie, a pu identifier Hyndman assez précisément comme un carriériste et un aventurier. (17)
Dès le début, des tensions apparurent au sein de la SDF causées en grande partie par l’attitude dictatoriale d’Hyndman, mais aussi du fait de différents politiques dont, en particulier, l’accent exclusif attribué au travail dans le Parlement et au nationalisme persistant d’Hyndman.
Les tensions se transformèrent par la suite en lutte ouverte lorsque les manœuvres d’Hyndman en Écosse furent découvertes. Celles-ci comprenaient des tentatives de diffamation à l’encontre d’Andreas Scheu, l’un des adversaires les plus implacables d’Hyndman, et l’envoi de lettres au nom de l’exécutif du parti, non approuvées par ce dernier et qui allaient même à l’encontre de ses décisions. Hyndman fit également circuler des rumeurs selon lesquelles Eleanor Marx et Laura Lafargue (deux des filles de Karl Marx) avaient comploté contre lui. Lors d’une réunion de l’exécutif, les preuves contre Hyndman furent présentées et une motion de censure fut adoptée de peu. La courte majorité, qui comprenait Morris, Aveling, Eleanor Marx et Bax, démissionna alors de l’exécutif pour former la Ligue socialiste : « puisqu’il nous semble impossible de guérir cette discorde, nous […] pensons qu’il est préférable dans l’intérêt du socialisme de cesser d’appartenir au conseil ». (18) Pour Engels, deux autres raisons ont poussé la majorité à cette décision : la possibilité que Hyndman revienne sur ce vote lors d’une conférence ultérieure en la remplissant de délégués fictifs et le fait « que toute la Fédération n’était, après tout, pas mieux qu’un racket ».
Cependant, la conséquence fut que Hyndman resta en sécurité au sein de l’exécutif et continua à contrôler le journal et toutes les branches de la SDF.
Dès le départ, cette situation plaça la Ligue socialiste dans une position de faiblesse, mais permis néanmoins une avancée significative par rapport à la SDF dans un certain nombre de domaines :
– elle rejetait tout nationalisme et chauvinisme, déclarant fermement la nécessité de l’internationalisme : « La Ligue socialiste […] vise à la réalisation d’un socialisme révolutionnaire complet, et sait bien que cela ne pourra jamais se produire dans un pays sans l’aide des travailleurs de toutes les civilisations » ; (19)
– elle défendait la participation active, consciente, de la classe ouvrière à la révolution : « Le mécontentement ne suffit pas […]. Les mécontents doivent savoir ce qu’ils visent. [Cela] doit être, non pas une révolution ignorante, mais une révolution intelligente » ; (20)
– elle adopte une vision plus réaliste du travail à accomplir, en publiant son journal, The Commonweal, de façon mensuelle plutôt qu’hebdomadaire : « Ils vont enfin opérer modestement et conformément à leurs capacités, et ne pas continuer à prétendre que le prolétariat anglais doit instantanément sauter dès que la trompette est sonnée par quelques littérateurs convertis au socialisme ». (21)
Cependant, la Ligue était également marquée par des faiblesses importantes, qui provenaient essentiellement de son incapacité à lier la lutte pour la révolution aux intérêts immédiats de la classe ouvrière. C’était déjà le cas avec la SDF, mais la Ligue socialiste alla encore plus loin, rejetant finalement toutes les réformes, en particulier la participation aux élections, au nom d’une révolution pure et simple. Si on peut attribuer en partie cela au dégoût des fondateurs face aux manœuvres de Hyndman, cela reflète plus fondamentalement leur isolement et leur manque de compréhension de la classe ouvrière. Engels le souligne lorsqu’il décrit Aveling, Bax et Morris comme « trois hommes aussi peu pratiques, deux poètes et un philosophe, qu’il est possible de trouver ». (22)
La deuxième partie de cette série examinera le développement de la SDF et de la Ligue socialiste à la fin des années 1880 et leur relation avec le mouvement ouvrier au sens large.
Publié pour la première fois dans World Revolution n° 198 (octobre 1996).
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1Cf. « La Première Internationale et la lutte contre le sectarisme [65] », Revue internationale n° 84 (1996).
2« Comprendre la décadence du capitalisme (partie 3) : la nature de la social-démocratie [104] », Revue internationale n° 50, (1987).
3Ibid.
4Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou Révolution (1898-1899).
5Marx et Engels « Un parti des travailleurs », Collected works vol. 24 (traduit par nous).
6Marx et Engels « Engels à Sorge » et « Engels à Wilhelm Liebknecht », Collected works vol. 45 (traduit par nous).
7« Comprendre la décadence du capitalisme (partie 3) : la nature de la social-démocratie [104] », Revue internationale n° 50, (1987).
8Marx et Engels « L’Angleterre en 1845 et en 1885 », Collected works vol. 26 (traduit par nous).
9Marx et Engels « Le 4 mai à Londres », Collected works vol. 27 (traduit par nous).
10Marx et Engels « À propos de la grève des dockers de Londres », Collected works vol. 26 (traduit par nous).
11Traduit par nous.
12Marx et Engels « Engels à Laura Lafargue, février 1884 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
13Cité dans F.J. Gould, Hyndman : Prophet of Socialism (traduit par nous).
14« The special heritage of our working class », cité par E.P. Thompson, in William Morris : Romantic to Revolutionary (traduit par nous).
15Marx et Engels « Marx à Sorge, décembre 1881 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
16Marx et Engels « Marx à Hyndman, juillet 1881 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
17Marx et Engels « Engels à Bernstein, décembre 1884 », Collected works vol. 47.
18Cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
19« Manifesto of the Socialist League », cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
20William Morris, cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
21Marx et Engels « Engels à Bernstein, décembre 1884 », Collected works vol. 47 (traduit par nous).
22Ibid. (traduit par nous).
Dans la première partie de cette série d’articles [106], nous avons examiné le renouveau progressif du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne au début des années 1880. Nous avons cherché à le situer à la fois dans le contexte général du développement du mouvement prolétarien international et dans les conditions spécifiques prévalant en Grande-Bretagne. Les conditions objectives d’un tel renouveau, comme l’a montré Engels, se sont développées au cours des années 1880 et se sont manifestées par une recrudescence de la lutte de classe, en particulier vers la fin de la décennie.
Cependant, le développement des conditions subjectives (la création d’une organisation prolétarienne capable de rallier et de diriger la classe ouvrière) s’avéra beaucoup plus difficile. Notre article a retracé l’émergence de la Fédération sociale-démocrate (Social Democratic Federation – SDF) en 1884 sous la direction de l’aventurier Hyndman et a montré comment il a manœuvré pour asseoir sa position et défaire ceux qui s’opposaient à son règne dictatorial et à ses positions chauvines. Nous avons conclu cette première partie par la scission de William Morris, Belfort Bax, Eleanor Marx et Edward Aveling qui fondèrent la Ligue socialiste fin 1884.
Nous reviendrons sur l’évolution de la Ligue socialiste dans une prochaine partie, mais dans le présent article, nous examinerons de plus près la méthode de la SDF dans la seconde moitié des années 1880 et montrerons comment, sous la direction de Hyndman, elle a œuvré à maintes reprises contre le développement du mouvement ouvrier, en renforçant les tendances au sectarisme et à l’isolement en discréditant le socialisme aux yeux de la classe ouvrière.
Pour comprendre le rôle joué par la SDF et la faction de Hyndman en particulier, il faut commencer par examiner le type d’organisation dont le prolétariat avait besoin pour se défendre et faire avancer ses intérêts à la fin du XIXe siècle. C’est sur la base de ces critères que le rôle de la SDF doit être évalué.
Le développement rapide du capitalisme à cette époque a confronté le prolétariat à une bourgeoisie qui tend à devenir plus forte et plus unifiée. Pour lutter efficacement, la classe ouvrière devait répondre de la même manière, en forgeant un instrument avec une base programmatique et organisationnelle claire, qui reconnaissait le lien entre les luttes immédiates de la classe et son objectif à long terme et qui, de manière cruciale, se voyait comme faisant partie d’un mouvement international.
Les partis sociaux-démocrates et, surtout, la Deuxième Internationale, ont été la réponse du prolétariat. Ces organisations n’ont pas été imposées depuis l’extérieur de la classe, comme la bourgeoisie aime à le prétendre, mais « n’ont fait que développer et organiser un mouvement réel qui existait bien avant elle et s’était développé indépendamment d’elle. Pour le prolétariat la question était (comme aujourd’hui) toujours la même : comment combattre la situation d’exploitation dans laquelle il se trouve ». (1) La social-démocratie était une arme créée par le prolétariat pour mener à bien ses luttes. Elle a marqué un progrès crucial par rapport au passé de par son adhésion au marxisme et son rejet de l’anarchisme, par sa défense du cadre unitaire et politique de l’organisation de la classe et par l’établissement des programmes minimum et maximum.
Ces acquis ne sont pas nés spontanément mais ont été le fruit de luttes déterminées et prolongées au sein du mouvement ouvrier, dans lesquelles la responsabilité principale a incombé à plusieurs reprises à l’aile gauche du mouvement, d’abord pour obtenir des avancées et ensuite pour les défendre contre la tendance au compromis et au réformisme stimulée par le développement apparemment illimité du capitalisme et les réformes que ce développement rendait possibles.
Les élections britanniques de 1885 sont les premières à avoir lieu depuis la réforme de 1884 qui, bien que n’allant pas jusqu’au suffrage universel, a considérablement étendu le corps électoral et, selon Engels, a rendu probable l’élection d’un certain nombre de dirigeants ouvriers officiels avec le soutien des libéraux. Engels pensait que cela favoriserait le développement du mouvement ouvrier indépendant puisque ces dirigeants « se montreraient rapidement pour ce qu’ils sont ». (2)
La SDF présente trois candidats, deux à Londres et un à Nottingham. Les dépenses de ceux de Londres sont payées par les Tories (Parti conservateur), suite à un accord conclu par la clique de Hyndman dans le dos de l’organe du SDF. Les candidats ont été délibérément placés dans des circonscriptions libérales fortes où ils étaient voués à l’échec et, le jour du scrutin, ils n’ont obtenu que 59 voix à eux deux. Lorsque la nouvelle de l’accord s’est répandue, la presse libérale a monté une campagne virulente, dénonçant la SDF pour avoir accepté « l’or des Tories » et pour avoir fait leur sale boulot. Hyndman et ses partisans ont prétendu qu’il importait peu de savoir à qui ils prenaient de l’argent, mais dans une lettre à Bernstein, Engels expose clairement les conséquences de l’action de Hyndman : « Hyndman, cependant, savait que prendre l’argent des Tories n’entraînerait rien de moins qu’une ruine morale irréparable pour les socialistes aux yeux de la seule et unique classe dont ils pouvaient tirer des recrues, à savoir les grandes masses ouvrières radicales ». (3) Par conséquent, l’emprise des libéraux sur la classe ouvrière fut renforcée et la création d’une organisation indépendante fut repoussée.
La critique d’Engels, mais pas son analyse, est partagée par la Ligue socialiste, dont l’exécutif adopte une résolution déclarant « que cette réunion considère avec indignation l’action de certains membres de la Fédération sociale-démocrate qui trafiquent l’honneur du Parti socialiste, et qu’elle désire exprimer sa sympathie avec la section de la Fédération qui rejette les tactiques de la bande peu recommandable concernée par les récentes procédures ». (4) Un membre éminent de la Ligue, Adreas Scheu, a condamné Hyndman comme étant « un agent payé par les Tories (ou les libéraux-réactionnaires) dans le but de discréditer le socialisme auprès des masses ». (5)
Au sein même de la SDF, comme le note la résolution de la Ligue, les critiques sont également vives. L’un des candidats a affirmé ignorer cette information et écrit à la presse pour dénoncer l’accord ainsi que « les hommes de la classe moyenne de notre mouvement ». (6) L’opposition est particulièrement forte, parmi les sections provinciales et, suite à l’échec d’une tentative de censure de Hyndman lors d’une réunion à Londres, un grand nombre de militants démissionnent, dont la totalité des sections de Bristol et Nottingham.
Sous l’influence de Hyndman, et malgré la présence de nombreux syndicalistes, la SDF adopte une attitude très critique, voire hostile, à l’égard des syndicats, affirmant aux travailleurs que les grèves sont futiles : « Il n’y a rien dans les grèves elles-mêmes, qu’il s’agisse d’une augmentation des salaires pour tous, ou de l’adoption d’un salaire minimum pour les catégories de travailleurs les plus modestes dans n’importe quel secteur d’activité, qui puisse émanciper les ouvriers sans propriétés ou les rendre moins dépendants de la classe des possédants et des patrons… ». (7) En revanche, la SDF encourage les rassemblements et les manifestations de chômeurs qui ont assisté à des discours révolutionnaires et ont été incités à adopter des résolutions irréalistes.
Peu après le scandale de l’or des Tories, la SDF a appelé à une manifestation de chômeurs à Trafalgar Square, officiellement en opposition à un rassemblement des Tories sur le « commerce équitable » au même endroit. En réalité, selon Karl Kautsky qui a observé l’affaire, la manifestation de la SDF était principalement composée d’éléments du lumpenprolétariat, tandis que la plupart des véritables travailleurs se trouvaient à l’autre réunion. Après un certain nombre de discours « révolutionnaires », la SDF conduit sa manifestation vers Hyde Park et alors qu’ils traversent les rues cossues de Pall Mall et Picadilly, des émeutes éclatent, des vitrines sont brisées et des magasins saccagés. La SDF et, dans une moindre mesure la Ligue socialiste, considèrent l’émeute comme positive. Pour la SDF, elle permet de sauver ses accréditations « révolutionnaires » après le discrédit du scandale de l’or des Tories, tandis que Morris observe que « toute opposition à la loi et à l’ordre nous est utile ». Une fois de plus, c’est Engels qui en saisit les véritables implications : « L’absence de la police montre que le tapage était voulu, mais que Hyndman et Cie soient tombés dans le piège est impardonnable et les marque finalement non seulement comme des imbéciles impuissants, mais aussi comme des scélérats. Ils voulaient laver le déshonneur de leurs manœuvres électorales et maintenant ils ont fait un tort irréparable au mouvement actuel ». (8) Dans une lettre à Bebel, il condamne la SDF qui cherche à devancer le développement réel du mouvement ouvrier et la compare aux anarchistes. Les procès pour sédition qui s’ensuivirent contre Hyndman et d’autres ne furent pas sérieusement poursuivis et n’aboutirent finalement à rien, mais ils contribuèrent grandement à améliorer la réputation de Hyndman parmi les socialistes et les radicaux.
Tout au long de l’année 1886 et de l’hiver 1887, la SDF continue d’orchestrer des marches et des manifestations de chômeurs. Celles-ci ont souvent lieu en dehors de Londres et sont bien organisées. En l’absence de toute alternative, la SDF commence à jouer un rôle de premier plan au sein de certains pans de la classe ouvrière.
Au cours de la première partie de l’année, Engels se félicite du manque d’impact de la SDF et de la Ligue socialiste sur la classe ouvrière, mais au fur et à mesure que l’année passe, il reconnaît un changement de la situation. En août, il écrit à Bebel : « La Fédération sociale-démocrate a au moins un programme et une certaine discipline, mais aucun soutien de la part des masses ». Un mois plus tard, il reconnaît que Hyndman a renforcé sa position et en novembre, il affirme que « grâce à la stupidité de tous ses rivaux et adversaires, la Fédération sociale-démocrate commence à devenir une puissance ». (9) Cela se traduit par de nouvelles manifestations de chômeurs à Trafalgar Square au cours de ce même mois, qui cette fois se déroulent dans le calme. Le gouvernement leur donne à nouveau un coup de pouce en menaçant d’abord d’empêcher les manifestations par la force, puis en faisant machine arrière. Engels voyait dans ces développements les débuts d’un mouvement en Grande-Bretagne, mais il prenait soin de préciser ce qu’il entendait par là : « La Fédération sociale-démocrate commence à avoir une certaine puissance, car les masses n’ont absolument aucune autre organisation à laquelle se rallier. Les faits doivent donc être rapportés de manière impartiale, en particulier le fait le plus important de tous, à savoir qu’un mouvement ouvrier véritablement socialiste a vu le jour ici. Mais il faut faire très attention à faire la distinction entre les masses et leurs dirigeants temporaires ». (10) En bref, Engels voyait le développement du mouvement se faire en dépit des manœuvres de Hyndman.
Malgré la rhétorique « révolutionnaire » brûlante des discours de Hyndman, la SDF s’est alliée au niveau international avec l’aile réformiste du mouvement ouvrier, puisque l’aile révolutionnaire était résolument marxiste. En particulier, la SDF travaille avec les Possibilistes en France, qui défendent le « socialisme municipal » contre le programme marxiste du Parti Ouvrier Français. En mars 1886, Justice publiait un article qui décrivait les Possibilistes comme la principale organisation socialiste en France, ignorant la création d’un groupe ouvrier à la Chambre des Députés quelques mois auparavant.
L’hostilité de Hyndman à la création d’un mouvement marxiste de la classe ouvrière et sa défense efficace des intérêts de la bourgeoisie, atteignent un point culminant lorsqu’il tente de saboter la fondation de la Deuxième Internationale. Il a été aidé en cela par les Possibilistes français qui, après avoir divisé le mouvement ouvrier en France, espéraient faire de même au niveau international.
En octobre 1887, le congrès du Parti social-démocrate allemand (SPD) a adopté une résolution appelant à un congrès international : « Mais comme à peu près à la même époque les syndicats avaient convoqué le congrès de Londres, le parti allemand était prêt à abandonner son congrès, à condition qu’il soit autorisé à y participer – simplement à y participer ! », cependant « Les conditions de participation formulées par le comité syndical ont abouti à l’exclusion de tous les délégués allemands ». (11) Paul Brousse, le leader des Possibilistes, assiste avec d’autres à la conférence et obtient leur soutien sur leur proposition d’organiser un congrès international en 1889, qui exclurait les autres partis ouvriers français.
Malgré cela, le SPD et Engels maintiennent dans un premier temps leurs efforts pour obtenir un congrès international unique. Une conférence à La Haye en février 1889 propose les conditions d’un congrès unique mais est boycottée par les Possibilistes (tandis qu’Engels critique le fait de ne pas avoir invité la SDF). Les Possibilistes lancent alors des invitations à leur congrès tandis que Hyndman attaque publiquement la Conférence de La Haye comme « une sorte de caucus privé » qui répéterait « les misérables intrigues qui ont brisé l’ancienne internationale ». (12) Ces calomnies ont rendu clairs les enjeux de la situation et la conduite à suivre pour Engels, comme il l’écrit dans une lettre à Sorge en juin : « C’est à nouveau la vieille scission de l’ Internationale qui apparaît ici au grand jour, la vieille bataille de La Haye. Les adversaires sont les mêmes, mais la bannière des anarchistes a été remplacée par la bannière des Possibilistes […] Et la tactique est exactement la même. Le manifeste de la Fédération sociale-démocrate, manifestement écrit par Brousse, est une nouvelle édition de la circulaire Sonvillier » (13) (Correspondance choisie).
Engels milite maintenant avec détermination pour un congrès séparé, s’efforçant de gagner les dirigeants du SPD et de transmettre les leçons acquises avec tant de difficultés dans la lutte contre Bakounine au sein de la Première Internationale. En juillet, les congrès marxiste et possibiliste se tiennent à Paris. Le premier réunit 400 délégués de 20 pays, tandis que le second regroupe un ensemble disparate de syndicalistes (dont un certain nombre ont été attirés par le congrès marxiste), de Possibilistes, de la clique de Hyndman et d’anarchistes unis uniquement par leur opposition au marxisme. Le congrès marxiste a réussi à résister aux tentatives des anarchistes de le perturber et a fait en sorte que la Deuxième Internationale soit fondée sur les avancées organisationnelles réalisées par la Première.
Défait au niveau international, Hyndman n’en poursuit pas moins son offensive contre l’unité du mouvement ouvrier en s’efforçant de le diviser en Grande-Bretagne. Cependant, alors que dans le passé il avait souvent pu dominer les mouvements isolés et fragiles des travailleurs, il va maintenant à l’encontre de la marée montante d’un mouvement qui prend de la force à l’intérieur du pays et s’inspire de l’étranger.
Parmi un certain nombre de résolutions adoptées par le congrès fondateur de la Deuxième Internationale, l’une d’entre elles appelait à des manifestations ouvrières internationales le 1er mai. Cette résolution a été soutenue avec enthousiasme par le syndicat Gas Workers and General Labourers qui, grâce à une lutte victorieuse pour obtenir la journée de huit heures pour les ouvriers du gaz, contenait quelque 100 000 membres. Eleanor Marx et Edward Aveling avaient travaillé activement avec le syndicat et leur réussite était telle qu’Hyndman a jugé nécessaire de les calomnier publiquement en les accusant de recevoir de l’argent du syndicat. Le syndicat appelle désormais à une manifestation de masse à Hyde Park, qui ne se tiendra pas le 1er mai mais le dimanche 4, car cela permettra à un plus grand nombre de travailleurs d’y assister. Le London Trade's Council, qui regroupe les vieux syndicalistes conservateurs qui excluent les ouvriers non qualifiés, s’y oppose. Il fait cause commune avec la SDF et cherche à devancer l’appel des ouvriers du gaz en réservant Hyde Park pour le 4 dans le but d’empêcher une manifestation dominée par la classe ouvrière radicale et les marxistes. Cependant, Aveling fait pression sur les autorités pour qu’elles autorisent la manifestation originale, de sorte que le 4 mai, deux manifestations rivales ont lieu. Le résultat est une nouvelle défaite pour Hyndman et ses alliés. Engels, qui a assisté aux manifestations, a rédigé un compte-rendu saisissant qui met clairement en évidence la signification de l’événement : « D’un côté, nous trouvons des ouvriers conservateurs, dont l’horizon ne s’étend pas au-delà du système du travail salarié, et à côté d’eux une secte socialiste faible mais avide de pouvoir ; de l’autre côté, la grande majorité des ouvriers qui avaient récemment rejoint le mouvement et qui ne veulent plus avoir affaire au manchesterisme (14) des vieux syndicats, préférant gagner eux-mêmes leur émancipation complète, avec des alliés de leur choix, et non avec ceux imposés par une minuscule clique socialiste […] Les petits-enfants des vieux Chartistes montent en première ligne. Depuis huit ans, les larges masses sont passées à l’action, tantôt ici, tantôt là. Des groupes socialistes sont apparus, mais aucun n’a pu dépasser les limites d’une secte ; agitateurs et chefs de parti en puissance, simples spéculateurs et carriéristes parmi eux, ils sont restés des officiers sans armée… Le formidable mouvement des masses mettra fin à toutes ces petites sectes et à tous ces petits groupements en absorbant les hommes et en montrant aux dirigeants la place qui leur revient ». (15) Comme pour confirmer ce dernier point, Engels note que trois sections entières de la SDF ont participé à la manifestation marxiste, plutôt qu’à celle organisée par leurs chefs.
L’analyse d’Engels sur les sectes socialistes se confirme dans le cas de la SDF. Depuis sa formation et jusqu’aux dernières années des années 1880, la SDF a maintenu sa position de plus grande organisation socialiste en Grande-Bretagne et a ainsi pu se placer à la tête du mouvement ouvrier lorsque celui-ci a commencé à se développer. C’est à cette époque que les manœuvres de Hyndman étaient largement couronnées de succès, à la fois pour maintenir sa propre domination et pour s’assurer que le mouvement restait suffisamment petit pour qu’il puisse le manipuler. C’est pourquoi il a permis au scandale de l’or des Tories de discréditer le socialisme aux yeux des masses ouvrières et c’est pourquoi il a préféré diriger les marches des chômeurs plutôt que de participer au syndicalisme et aux grèves.
La montée d’un mouvement ouvrier de masse a inévitablement commencé à affaiblir la position de Hyndman et l’établissement de la Seconde Internationale sur une base marxiste a été un sérieux revers, non seulement pour Hyndman mais pour tous ceux qui, comme lui, ont prospéré sur la faiblesse et la division du prolétariat. La manifestation du 1er mai n’a pas seulement exprimé la croissance du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne, elle a également témoigné de la nature internationale du prolétariat, puisque la victoire de 1889 au niveau international a ouvert la voie à la victoire de 1890 au niveau national.
Ces défaites ne signifient pas la fin pour Hyndman, au contraire, il continue à travailler contre l’unité du mouvement ouvrier, notamment en cherchant à introduire le poison du nationalisme dans le mouvement socialiste en menant une campagne contre le « militarisme Hohenzollen » et pour un renforcement de la marine britannique, sur laquel nous reviendrons plus tard. Par-dessus tout, l’héritage durable de la domination de Hyndman sur la SDF fut d’inculquer une attitude puriste, « révolutionnaire », parmi les générations successives de militants de la classe ouvrière, y compris parmi ceux qui s’opposaient à Hyndman. Le mouvement révolutionnaire britannique était en proie à la confusion et même à l’opposition au syndicalisme et à l’obtention de réformes immédiates, ce qui a contribué à une situation où les programmes minimum et maximum de la classe ouvrière étaient incarnés dans des organisations séparées et opposées, au grand détriment des deux, et entraînant l’affaiblissement à long terme du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne.
Comment alors comprendre Hyndman et la SDF ? Dans la première partie, nous avons identifié Hyndman comme un aventurier qui a fait passer son intérêt personnel avant le mouvement qu’il prétendait soutenir. En fait, ses actions allaient au-delà de cela puisqu’elles coïncidaient objectivement avec les objectifs de la bourgeoisie qui, à maintes reprises, a cherché à détruire le mouvement révolutionnaire de l’intérieur. De plus, ses contacts avec la bourgeoisie, depuis sa rencontre avec Disraeli en 1880 jusqu’à l’accord avec les Tories en 1885, posent des questions sur sa relation avec l’État. Si nous ne sommes pas en mesure de donner une réponse définitive aujourd’hui, nous pouvons noter qu’à plus d’une reprise, ses contemporains l’ont accusé d’être un agent de la bourgeoisie. Engels, pour sa part, a montré qu’Hyndman se situait dans la continuité de Bakounine et qu’au-delà de leurs différences, ils étaient unis dans la haine du marxisme et l’opposition au développement d’un mouvement révolutionnaire basé sur les principes de centralisation et d’internationalisme. Tous deux étaient des parasites du mouvement ouvrier, opposant leur autorité dictatoriale, fondée sur les affinités, le sectarisme et les intrigues, au fonctionnement collectif et formalisé du prolétariat. Tout comme Engels s’est inspiré de l’expérience de la Première Internationale (16) pour armer la Deuxième, les révolutionnaires d’aujourd’hui doivent à nouveau tirer les leçons du passé pour mener la bataille permanente contre le parasitisme politique et tous ceux qui veulent détruire l’organisation révolutionnaire.
Si nous avons identifié Hyndman comme étant opposé à l’avancement du prolétariat et hostile au marxisme, qu’en est-il de la Fédération dans son ensemble ? Peut-elle être considérée comme une organisation prolétarienne ? La réponse est oui et c’est Engels qui nous donne les raisons d’une telle réponse : notamment dans son insistance à distinguer entre la direction et le corps de l’organisation et, plus généralement, dans son analyse de la manière dont la dynamique de la classe ouvrière peut s’emparer des organisations et les transformer. C’est pourquoi il conseille à Bernstein, à la fin de l’année 1887, de traiter la SDF autrement qu’auparavant, et pourquoi, dans une lettre à Sorge, il critique ceux qui ne regardent que la surface et ne voient « que confusion et querelles personnelles » alors que « sous la surface, le mouvement continue [et] embrasse des sections de plus en plus larges ».
Bien que les origines de la SDF se situent dans une pléthore de groupements essentiellement non-prolétariens et qu’elle n’ait jamais dépassé le stade de la secte, ce serait une grave erreur de ne voir que cela. En dépit de ses origines, la SDF était une organisation socialiste et, en de nombreux points, fermement marxiste, même si la direction était tout aussi fermement hostile au marxisme. La vie prolétarienne au sein de la SDF s’exprimait dans la collaboration des membres, surtout en dehors de Londres, avec d’autres socialistes et dans leur participation à la vie et aux luttes de la classe. La contradiction au sein de l’organisation se traduisait par une opposition récurrente à Hyndman, par la formation et le départ régulier de minorités de gauche. C’est à cette opposition et notamment à l’une de ses expressions les plus significatives, la Ligue socialiste, que nous nous intéresserons dans la prochaine partie de cette série.
North, WR n° 205, juin 1997
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1 « Continuité des organisations politiques du prolétariat : La nature de classe de la social-démocratie », Revue internationale n° 50.
2 Engels, lettre à Bebel (octobre 1885).
3 Ibid.
4 Lee et Archbold, Social-Democracy in Britain (1935).
5 Thompson, William Morris : Romantic to Revolutionary (1955).
6 Engels, lettre à Paul Lafargue (octobre 1885).
8 Engels à Laura Lafargue, Œuvres complètes Vol.47
9 Idem
10 Engels à Herman Schluter, Œuvres complètes, vol. 47
11 Engels/Bernstein L’Internationale ouvrière de 1889 /
12 The life of Eleanor Marx, 1855-1898 : a socialist tragedy, Tsuzuki (1967)
13 La circulaire Sonvillier était une attaque de l’Alliance de Bakounine contre la Première Internationale. Voir Revue internationale n°85 « La 1ère Internationale contre l’Alliance de Bakounine ».
14 Le « Manchesterisme des vieux syndicats » est une référence à leur adhésion aux politiques de « libre-échange » d’un groupe d’économistes bourgeois.
15 Œuvres complètes, Vol. 47
16 Pour en savoir plus sur le combat au sein de la Première Internationale, voir les articles dans les Revues Internationales n° 84, 85, 87 et 88.
Tout au long de l’histoire de la Fédération sociale-démocrate (Social Democratic Federation, SDF), une opposition s’est constamment formée contre les politiques et les pratiques de la clique dirigeante de Hyndman (voir la deuxième partie de cette série [107]). Parfois, cela s’est traduit par la démission de membres isolés : tout au long de son histoire, plusieurs milliers de membres sont passés par la SDF et il est clair que beaucoup d’entre eux ont tout simplement été perdus pour la cause ouvrière. Dans d’autres cas, des factions de gauche organisées ont émergé et ont été soit expulsées, soit sont parties fonder de nouvelles organisations. Dans les années 1880, la Ligue socialiste et la moins connue Union socialiste (Socialist Union, SU), ont été créées, tandis que dans les premières années du XXe siècle, le Parti socialiste de Grande-Bretagne (Socialist Party of Great Britain, SPGB) et le Parti socialiste travailliste (Socialist Labour Party, SLP) ont vu le jour. Ces scissions sont souvent présentées comme la conséquence de conflits de personnalité dûs à la conduite dictatoriale de Hyndman mais, en réalité, elles répondaient aux besoins du mouvement ouvrier de l’époque. Ainsi, si nous avons caractérisé ces organisations comme l’aile gauche du mouvement, cela n’implique pas qu’elles étaient simplement plus « radicales » que la SDF. Dans les années 1880, la tâche prioritaire était de dépasser le sectarisme étroit de la SDF et de construire un mouvement ouvrier de masse. L’Union socialiste, qui a scissionné après le scandale de l’or des Tories, (1) a mis l’accent sur les moyens constitutionnels, en particulier le Parlement, pour y parvenir. Dans les années 1900, la tâche principale était devenue la lutte contre la croissance de l’opportunisme au sein de la Deuxième Internationale, le Parti socialiste de Grande-Bretagne et le Parti socialiste travailliste défendant tous deux la nécessité du renversement du capitalisme par la révolution contre les illusions du réformisme. Si toutes ces organisations présentaient de sérieuses faiblesses et confusions, il est néanmoins essentiel de saisir la dynamique qui les sous-tendait. Une telle compréhension montre clairement que le mouvement ouvrier en Grande-Bretagne n’était pas quelque chose de particulier à ce pays, le produit de son histoire « spécifique » comme on nous le répéte si souvent, mais qu’il s’inscrivait irréfutablement dans le mouvement ouvrier international. En Allemagne, en France et en Russie, il est possible de retracer la même lutte fondamentale pour dépasser d’abord la phase des sectes et des cercles, pour ensuite défendre la nature marxiste et révolutionnaire du mouvement ouvrier contre l’opportunisme et le réformisme. Un examen de l’histoire de la Ligue socialiste, qui est au centre de cette troisième partie de notre série, des luttes qui ont eu lieu en son sein et de son effondrement final, confirme cette analyse.
En août 1885, quelques mois après la fondation de la Ligue socialiste, Engels écrit à Kautsky : « Après les élections […], les conditions en faveur de l’émergence d’un mouvement socialiste s’élargiront et se consolideront. C’est pourquoi je suis heureux de constater que le mouvement hyndmanien ne prendra sérieusement racine nulle part et que le mouvement simple, maladroit, merveilleusement gaffeur, mais sincère de la Ligue socialiste gagne lentement mais apparemment sûrement du terrain ». (2). Au début de l’année suivante, dans une lettre à Sorge, après avoir critiqué les manœuvres électorales de la SDF, il conclut « mais s’il s’avère possible d’éduquer au sein de la Ligue socialiste un noyau ayant une compréhension des questions théoriques, des progrès considérables auront été faits vers l’éruption, qui ne saurait tarder, d’un véritable mouvement de masse ». (3) Cette compréhension du potentiel découlant de l’évolution des conditions objectives est la raison fondamentale pour laquelle Engels a apporté son soutien à la création de la Ligue socialiste, en donnant des conseils à Morris, Bax et les Avelings, en aidant à rédiger leur projet de plateforme programmatique et en contribuant à un article dans Commonweal, le journal de la Ligue. Dans ce dernier, il soulignait que c’était la détérioration de la situation économique en Grande-Bretagne qui jetterait les bases de la renaissance du socialisme, le message implicite étant que les socialistes devaient accompagner ce processus, en marchant aux côtés des travailleurs et en cherchant à les pousser vers l’avant, plutôt que de chercher à imposer une doctrine pure de l’extérieur.
Cette stratégie était clairement exposée dans le projet de plateforme, rédigé par Eleanor Marx et Edward Aveling avec les conseils d’Engels, qui prévoiyait la participation aux élections et le soutien aux syndicats ainsi qu’aux autres organismes socialistes. L’objectif primordial était de « former un parti travailliste socialiste national et international ». (4) Cet objectif fut adopté par le conseil provisoire, formé immédiatement après la scission, mais ensuite renversé, avec le soutien de Morris, lors de la première conférence de la Ligue en juillet 1885 en faveur d’une position anti-électorale.
Dans un certain nombre de domaines, la Ligue a fait des progrès importants. Au niveau programmatique, le Manifeste de la Ligue socialiste mettait l’accent sur le renversement révolutionnaire de la société par un prolétariat conscient de constituer une classe, rejetant « certains plans incomplets de réforme sociale », et déclarant fermement son internationalisme : « pour nous, il n’y a pas de nations, uniquement des masses disparates de travailleurs et d’amis, dont les sympathies mutuelles sont contrôlées ou perverties par des groupes de patrons et d’escrocs dont l’intérêt est d’attiser les rivalités et les haines entre les habitants de différents pays ». Au niveau de l’organisation, et en contraste direct avec la SDF, le journal de la Ligue était considéré comme exprimant les opinions de l’organisation et demeurant sous le contrôle : « Le rédacteur en chef et le sous-rédacteur en chef [Morris et Edward Aveling respectivement] agissent en tant que délégués de la Ligue socialiste, et sous son contrôle direct : toute erreur de principe, par conséquent, et toute déclaration erronée sur les objectifs ou les tactiques de la Ligue, sont susceptibles d’être corrigées par cet organisme ». (5) De façon plus générale, la Ligue a adopté une approche marxiste de l’histoire. On le voit très clairement dans la série « Socialism from the Root up », écrite conjointement par Morris et Bax, et publiée dans le Commonweal entre mai 1886 et mai 1888. La majeure partie de la série est consacrée à une exposition du « socialisme scientifique », comprenant un résumé de l’analyse économique du Capital.
Cependant, les faiblesses qui ont joué un rôle important dans la dissolution finale de la Ligue étaient aussi présentes. Sur le plan programmatique, elle ne parvient pas à saisir le lien entre la lutte pour les réformes immédiates et l’objectif de la révolution, rejetant tous les palliatifs, et en particulier la participation aux élections, en faveur de « la réalisation d’un socialisme révolutionnaire complet ». Sur le plan organisationnel, malgré l’existence d’un conseil exécutif et la tenue de conférences annuelles, la structure était très informelle, les sections conservant un haut degré d’autonomie.
Le résultat est que la Ligue se tint à l’écart des luttes des travailleurs. Si elle prêchait l’importance d’une grève générale, elle ne parvenait pas à saisir le réel potentiel des grèves qui se déroulaient sous son nez, se contentant d’un tract passe-partout qui disait aux ouvriers qu’une grève portant uniquement sur les salaires « sera inutile comme moyen d’améliorer de façon permanente votre condition et constituera une perte de temps et d’énergie, et entraînera entre-temps une grande quantité de souffrances pour vous-mêmes, vos femmes et vos familles ». (6) Une approche similaire a été adoptée à l’égard de la lutte électorale, avec un autre tract passe-partout appelant simplement les ouvriers à ne pas y participer. En conséquence, la Ligue accordait la plus grande importance à l’éducation, Morris affirmant que « l’éducation vers la révolution me semble exprimer en trois mots ce que doit être notre politique ». (7) Les membres de la Ligue ont consacré leurs efforts à la propagation des idées, par voie orale et écrite, participant aux luttes pour la liberté d’expression qui ont marqué le milieu des années 1880, faisant souvent preuve d’un courage, d’un engagement et d’une abnégation extraordinaires pour la cause, mais ne répondant toutefois pas au mouvement ouvrier qui se développait autour d’eux, même lorsque les travailleurs montraient leur volonté d’évoluer vers le socialisme, comme lors des grèves des mineurs en Écosse en 1887, lorsque les ouvriers participaient à des réunions par dizaines de milliers.
L’isolement de la Ligue de la vie réelle de la classe ouvrière, malgré la sincérité et les efforts de ses membres, provenait de son incapacité à saisir les tâches de l’époque et à construire une organisation capable de les réaliser. Cet échec n’était pas inévitable mais était, fondamentalement, le résultat de la lutte entre les factions marxistes et anarchistes au sein de la Ligue.
Ces factions étaient présentes dès le début. Les anarchistes étaient dirigés par Joseph Lane et Frank Kitz, issus du milieu ultra-radical londonien à la fin des années 1870, qui fondèrent la Labour Emancipation League (LEL) en 1881. Son programme associe diverses revendications classiques des radicaux à celles des chartistes, ainsi que des appels à la collectivisation des moyens de production, tandis que son activité, qui se concentre sur sa base dans l’East End de Londres, prévoiyait de lancer un appel à la grève des loyers. La même année, à l’invitation de Hyndman, elle participa à la conférence qui allait fonder la Fédération démocratique, ancêtre de la SDF, cherchant à « les doter du programme le plus avancé que nous puissions leur imposer ». (8) La LEL s’affilia à la SDF, mais n’y adhèra pas afin de conserver son « autonomie ». Elle prit peu part aux activités de la SDF jusqu’à la scission de 1884, où elle se rangea du côté des sécessionnistes, bien qu’elle ait été invitée à participer à la réunion décisive par Hyndman qui, vraisemblablement, pensait pouvoir compter sur elle une seconde fois. Par la suite, la LEL s’est affiliée à la Ligue. Cette fois, ses membres allaient jouer un rôle beaucoup plus important, Lane et Kitz prenant d’abord place au conseil provisoire puis au conseil exécutif, où ils formèrent le noyau autour duquel la faction anarchiste se développa au sein de la Ligue.
La faction marxiste, qui comprenait Bax, Aveling, Morris et Eleanor Marx, subit son premier revers avec le rejet du projet de plateforme, bien qu’une proposition de Lane visant à transformer la Ligue en une fédération de sections indépendantes ait été rejetée. La plupart d’entre eux, en particulier Morris, ont complètement sous-estimé le danger que représentaient les anarchistes et ont ouvert la porte à leur influence destructrice. Seule Eleanor Marx saisit le danger, écrivant à sa sœur Laura peu après la création de la Ligue : « les anarchistes seront ici notre principale difficulté. Nous en avons beaucoup dans notre Conseil, et peu à peu, ce sera l’enfer. Ni Morris, ni Bax, ni aucun des nôtres ne sait vraiment ce que sont ces anarchistes : jusqu’à ce qu’on le sache, il sera difficile de les combattre ; d’autant plus que beaucoup de nos membres anglais recrutés par les anarchistes étrangers (dont je soupçonne la moitié d’être des agents de police) sont incontestablement les meilleurs hommes que nous ayons ».(9) Ses prédictions se sont rapidement vérifiées. En avril 1886, Engels écrivait à Laura Lafargue : « Ici, tout est embrouillé. Bax et Morris s’enfoncent de plus en plus dans les mains de quelques phraseurs anarchistes, et écrivent des sottises avec une intensité croissante ». (10) En mai, Aveling démissionna de son poste de sous-rédacteur du Commonweal (Bax le remplaça) et peu après, Eleanor Marx cessa d’écrire sa colonne « Notes internationales ». En août, Engels note que « la Ligue traverse une crise ».(11)
La lutte atteignit son paroxysme lors de la troisième conférence en 1887 lorsque les marxistes cherchèrent à renverser la politique anti-électorale et sectaire de la Ligue. La résolution principale, proposée par Mahon, réitèra essentiellement la stratégie du projet de plateforme. Il est possible qu’Engels ait aidé à rédiger cette résolution car, malgré ses réserves sur la capacité de la Ligue, il voyait que le développement d’un large mouvement ouvrier en Grande-Bretagne était imminent. Pendant la préparation de la conférence, les anarchistes mobilisèrent activement leurs forces, tandis que les marxistes restèrent silencieux et inactifs. Lors de la conférence, Morris joua un rôle décisif, cherchant d’abord à repousser la prise de décision, puis se rangeant derrière les anarchistes pour rejeter la résolution marxiste et réaffirmer la politique d’abstention. Par la suite, les marxistes ont tenté de travailler comme une fraction au sein de la Ligue, s’établissant dans la section de Bloomsbury et, paradoxalement, dans la section de Hoxton de la Labour Emancipation League, dans laquelle ils étaient désormais majoritaires. Ce travail semble avoir été mal fait (les anarchistes le présentant comme un complot visant à organiser un « coup d’État » au sein de la Ligue) et, lors de la quatrième conférence, la tentative de changer la politique de la Ligue se solda non seulement par une défaite, mais par l’expulsion de la section de Bloomsbury et la désaffiliation de la LEL de Hoxton. Désormais, la Ligue était aux mains des anarchistes.
Morris, bien que se déclarant fermement marxiste et opposé à l’anarchisme, continuait de sous-estimer la menace que représentaient les anarchistes. Lors de la conférence fondatrice de la Seconde Internationale, il se joignit aux autres membres de la délégation de la Ligue pour protester contre la façon dont on avait traité la tentative des anarchistes de perturber la réunion. Il révèla également sa mauvaise compréhension de la question de l’organisation dans son rapport sur le congrès, lorsqu’il conclut que « de tels rassemblements ne sont pas propices à la bonne gestion des affaires et leur véritable utilité est leur caractère démonstratif, et […] il est préférable de les encadrer en tant que tels ». (12) Ce n’est qu’en 1890 qu’il rompit définitivement avec la Ligue et ce n’est que dans les quelques années qui lui restaient à vivre qu’il commença à saisir la dynamique du mouvement.
Les anarchistes ont progressivement réduit la Ligue à néant, cherchant à se surpasser dans des postures radicales, utilisant Commonweal pour prôner le terrorisme et l’assassinat tout en brisant les sections. Si à ce stade, la présence d’espions de la police et d’agents provocateurs devint évidente (même pour les anarchistes), la période décisive était celle de l’affrontement entre marxistes et anarchistes. Le potentiel de la Ligue à ses débuts a fait en sorte que l’État lui accorde une attention particulière. Nous avons déjà vu qu’Eleanor Marx soupçonnait la présence d’agents de police parmi les anarchistes étrangers mais, étant donné l’expérience de l’État britannique, il est impossible d’exclure la probabilité que parmi les anarchistes autochtones se trouvaient également quelques agents d’État.
La dégénérescence de la Ligue socialiste, comme les manœuvres de la SDF avant elle, a incité d’importantes minorités à tenter de dépasser leurs propres limites. Cela prit diverses formes. Les sections de la Ligue, en particulier celles situées en province, développèrent des liens avec d’autres organismes socialistes locales, dont la SDF, ainsi qu’avec les syndicats. Par exemple, en 1888, les sections d’Écosse ont soutenu la formation du Scottish Labour Party. Mahon, à un moment donné secrétaire de la Ligue et pilier des antiparlementaires, changea de position et quitta la Ligue pour fonder la Northern Socialist Federation et travailler avec la Scottish Land et la Labour League, deux organisations soutenant la participation aux élections et aux syndicats. Cependant, comme nous le verrons plus loin dans cette série, de nombreux militants, dans leur empressement à rompre avec le sectarisme, ont fait le chemin inverse et ont eu tendance à considérer le parlement comme la seule voie vers le socialisme, succombant ainsi aux arguments du réformisme et de l’opportunisme. Encore une fois, cette tendance découlait de la situation objective, où l’expansion continue du capitalisme permettait au mouvement ouvrier d’arracher des concessions à la bourgeoisie.
La promesse de la Ligue socialiste n’a pas été tenue. Elle n’a pas réussi à remplir les tâches qui lui étaient dévolues. Cependant, en cours de route, à travers la lutte pour transmettre le message à la classe et à travers la confrontation avec les anarchistes, un nombre significatif de militants a commencé à comprendre pourquoi et comment faire partie du mouvement de masse. La grande faiblesse était qu’en cours de route, beaucoup de temps et d’énergie avaient été gaspillés. Pendant que les socialistes s’étaient enfermés dans leurs sectes, le mouvement de la classe ouvrière en Grande-Bretagne commençait à se développer et à les laisser sur le carreau. Cela signifiait que les éléments non socialistes et antisocialistes, avec l’aide de l’État, avaient un poids disproportionné au sein du nouveau mouvement. Dans la prochaine partie de notre série, nous examinerons de plus près les débuts de ce mouvement, en prélude à l’examen de la place et du rôle du Parti travailliste indépendant.
North, World Revolution n° 208, octobre 1997
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1La SDF avait présenté aux élections des candidats à Londres et à Nottingham dont les dépenses avaient été payées par le parti Tory suite à un accord conclu par la clique de Hyndman dans le dos de l’organisation. Ces candidatures étaient délibérément situées dans des circonscriptions libérales pour affaiblir ces derniers. Lorsque la nouvelle de l’accord fut divulguée, la presse libérale a lancé une campagne virulente dénonçant la SDF pour avoir accepté « l’or des Tories » et pour avoir fait le sale boulot du parti conservateur. Dans une lettre à Bernstein, Engels expliqua les conséquences de l’action de Hyndman : « Hyndman, cependant, savait que prendre de l’argent aux conservateurs n’entraînerait rien de moins qu’une ruine morale irréparable pour les socialistes aux yeux de la seule et unique classe dans laquelle ils pourraient recruter, à savoir les grandes masses ouvrières radicales ». Finalement, l’emprise des libéraux sur la classe ouvrière s’est renforcée et la création d’une organisation révolutionnaire indépendante a été retardée.
2Engels, Œuvres complètes Vol.47, p.320-1.
3Ibid, p.394
4Thompson, William Morris : Romantic to Revolutionary (1955).
5Introduction au Commonweal n° 1.
6Thompson, William Morris : Romantic to Revolutionary (1955).
7« Our Policy », Commonweal n° 14.
8Quail, The Slow Burning Fuse : The Lost History of the British Anarchists (2019).
9Tsuzuki, The life of Eleanor Marx, 1855-1898 : a socialist tragedy (1967).
10Engels, Œuvres complètes, Vol.47, p.438
11Engels à Bebel, Collected Works Vol 47.
12« Bilan du Congrès de Paris II », Commonweal n° 186.
Nous publions ci-dessous le second bulletin de discussion suite à la Déclaration commune contre la guerre de plusieurs groupes de la Gauche communiste. Ce positionnement et le débat international sont d'une grande importance face à une question aussi cruciale que celle de la défense de l'internationalisme prolétarien défendu traditionnellement par la Gauche communiste. Du fait de cette importance, ce document sera également traduit ultérieurement et publié dans une version française sur notre site.
- Communist Left discussion bulletin n°2 [109]
Enfin, des résistants « communistes » (entendez par là : « stalinien ») font leur entrée au Panthéon ! Durant tout le mois de février, dans tous les médias, on a parlé que de cela en boucle et célébré « l’Union sacrée » autour de la tombe du « héros ». Pour les députés de gauche qui défendaient ce dossier depuis 2010, c’est la consécration : « un grand moment de consensus » selon le porte-parole de l’Élysée, une « juste réparation mémorielle » d’après le député PCF, Pierre Dharréville. Le gouvernement Macron se gargarise : c’est par lui que sera faite la reconnaissance officielle des hauts faits d’armes et du « soutien à la France » par des combattants du Parti communiste français. La droite et la gauche du capital se sont retrouvés main dans la main pour célébrer le « héros ».
Comme à chaque panthéonisation, le choix du panthéonisé n’est pas dû au hasard des convictions du Président en place. Non, ces campagnes idéologiques savamment orchestrées servent toujours les intérêts idéologiques de l’État bourgeois : la bourgeoisie renforce le bourrage de crâne nationaliste en martelant une propagande valorisant la défense de la « démocratie » et l’esprit de sacrifice « pour la Patrie »… Porter aux nues ce résistant mort pour la défense de la liberté capitaliste alors qu’il luttait contre le fascisme permet de jouer sur la corde sensible de l’héroïsme et de l’abnégation.
Macron peut aussi compter sur les célébrations autour du cercueil de Manouchian pour l’aider à discréditer le RN tout en tentant de rassembler un peu l’électorat autour de lui. Effectivement, le parti populiste de Marine Le Pen ne cesse de monter dans les sondages, tout comme bon nombres de partis populiste en Europe et dans le monde. Et c’est pourquoi Macron l’attaque sur un de ses points faibles : son histoire. La question centrale de cet événement est d’ailleurs très vite devenue : est-ce que, oui ou non, le RN, compte-tenu de son passé, doit participer à la cérémonie ? La panthéonisation s’inscrit dans toute une série de manœuvres visant à renforcer la propagande contre les partis populistes, comme on a pu le voir récemment en Allemagne avec les immenses manifestations contre le « fascisme ». (1)
Toute cette campagne puante n’a fondamentalement qu’un seul but mensonger : celui de faire rentrer dans la tête des ouvriers que l’on peut être « communiste et patriote », que l’on peut être « communiste et participer de son plein gré à la guerre ».
Le PCF, auquel a pleinement adhéré Manouchian, avait trahi depuis bien longtemps le camp prolétarien en passant à la contre-révolution stalinienne. En août 1936, il proclamait à propos de la guerre en Espagne : « Notre parti frère a prouvé à maintes reprises que la lutte actuelle en Espagne ne se déroule pas entre capitalisme et socialisme, mais entre fascisme et démocratie » (sic !) « Dans un pays comme l’Espagne […], la classe ouvrière et tout le peuple ont […] comme seule tâche possible […] non pas de réaliser la révolution socialiste, mais de défendre, de consolider et de développer la révolution bourgeoise démocratique ». (2)
Le PCF s’est prostitué au capital en amenant les ouvriers à s’enrôler dans la guerre, au service d’un bloc militaire capitaliste, au travers une campagne idéologique anti-fasciste assourdissante. En 1939, après la signature du Pacte Germano-Soviétique, le même PCF, obéissant à la même logique d’intérêts impérialistes, a changé de camps appelant « à la fraternisation avec les prolétaires d’Allemagne ». Tout cela, pour retourner sa veste une nouvelle fois après la déclaration de guerre de l’Allemagne à l’URSS qui elle-même s’est retrouvée du « bon côté », celui des Alliés…
C’est toute cette vilenie que symbolise Manouchian, ce « héros » du capital, instrumentalisé aujourd’hui par l’État : un digne représentant de la trahison du PCF en même temps qu’un pur produit du lavage de cerveau engendré par sa propagande de masse.
Refusons cette sinistre propagande patriotarde et cette nouvelle communion théâtralisée derrière le drapeau tricolore. Rappelons-nous que « les prolétaires n’ont pas de patrie » !
B.E., 25 mars 2024
1 Voir à ce propos : « Comment la classe dominante exploite la décomposition de la société contre la classe ouvrière ? [112] » publié sur le site web du CCI.
2 Voir notre brochure : Comment le PCF est passé au service du capital [113].
Faisant écho aux 800 civils et 300 soldats israéliens tués lors du raid du Hamas en Israël le 7 octobre dernier, un nouveau déchaînement de barbarie vient ajouter 150 morts et 300 blessés fauchés par balles, certains égorgés au couteau, par un commando de l’État islamique (EI) lors de l’assaut d’un concert rock, le 25 mars, en périphérie de Moscou. Entre ce deux événements tragiques, les horreurs de l’offensive israélienne à Gaza et l’intensification de la guerre sanglante entre la Russie et l’Ukraine n’en finissaient plus d’emporter des innocents dans la tombe et raser des villes entières : la première est responsable de plus de 32 000 morts, dont plus de 13 000 enfants. Et la combinaison mortifère entre la poursuite des bombardements, l’aggravation de la famine et la diffusion des épidémies au sein d’une population littéralement à bout de souffle, ne peut que fortement alourdir bilan. Le deuxième, l’intensification de la guerre en Ukraine, est venue alourdir le bilan de deux ans du conflit ukrainien qui atteint maintenant le chiffre effrayant des 500 000 morts au moins dans les deux camps, sans compter les victimes civiles, les ruines et la désolation qui constituent désormais l’environnement d’une partie de l’Ukraine et qui menace aussi la ville russe de Belgorod régulièrement bombardée par l’artillerie ukrainienne, mais aussi Moscou elle-même et une large partie de la Russie.
Les guerres inhérentes du capitalisme décadent ne sont plus, depuis l’effondrement du bloc de l’Est et la dissolution de celui de l’ouest en 1990, canalisées au niveau mondial à travers les tensions entre deux blocs impérialistes rivaux plus ou moins disciplinés, mais obéissent de plus en plus à la logique du chacun pour soi, au chaos généralisé. L’évolution de la situation mondiale vient fournir une concrétisation caricaturale de cette tendance dans la mesure où un pays, la Russie, est maintenant en guerre avec deux adversaires qui n’ont passé aucune alliance entre eux, respectivement l’Ukraine et l’État Islamique.
Car derrière la monstruosité de l’attentat de Moscou, c’est toute la gravité de la situation mondiale qui transparaît. En incitant la Russie à envahir l’Ukraine afin qu’elle s’affaiblisse dans ce conflit, les États-Unis ne souhaitaient pas provoquer son effondrement, avec tous les immenses risques qu’une dislocation de ce pays comporte. Pourtant, c’est aujourd’hui un risque sérieux.
L’EI, le boucher de l’attentat dans la banlieue de Moscou, est lui aussi emblématique de la tendance au chaos généralisé. De plus en plus, de sinistres milices prennent part aux conflits impérialistes en cherchant à imposer leur loi par la terreur et s’entre-tuent elles-mêmes parfois, toujours sous la bannière de l’intégrisme religieux à l’image d’Al Qaïda, du Hezbollah,…
L’État islamique au Khorassan (l’EI-K), qui a revendiqué l’attaque à Moscou, est une branche afghane du groupe terroriste. Elle a diffusé un message de revendication, accompagné d’une vidéo montrant les quatre assaillants en action. Nul doute possible quant à la signification de cet acte barbare qui est aussi un acte de guerre et n’est pas sans antécédents en Russie. Le 31 décembre 2018, un immeuble d’une ville de l’Oural explosait déjà, tuant 39 personnes. Quelques heures plus tard, la ville était le théâtre d’un affrontement armé. L’EI-K avait récemment fait la démonstration de ses capacités « militaires » puisqu’il est l’origine de l’attaque perpétrée en Iran, le 3 janvier, qui avait fait près de quatre-vingt-dix morts. Ses membres, qui mènent des attaques particulièrement brutales en Afghanistan, contre des écoles de filles ou des hôpitaux, sont même aujourd’hui en lutte ouverte avec les talibans.
La rivalité entre l’EI-K et Moscou est la conséquence d’une fragilisation de la Russie à ses frontières qui a permis l’infiltration du groupe terroriste dans les ex-Républiques soviétiques d’Asie centrale (Kirghizie, Ouzbékistan, Kazakhstan et Tadjikistan dont sont originaires les auteurs de l’attentat) et de certaines républiques autonomes de la Fédération de Russie elle-même. Le rapprochement entre Moscou et les talibans s’explique ainsi par le besoin de la Russie de défendre son influence dans la région. Mais cela signifie pour la Russie l’ouverture d’un deuxième front militaire dans une situation où elle s’épuise dans une guerre interminable en Ukraine.
La manière dont Poutine a géré l’attentat terroriste à Moscou ne peut qu’entraîner un affaiblissement de sa crédibilité. Sa réaction première consistant à en attribuer la responsabilité directe ou indirecte à l’Ukraine a été grotesque alors que tout désignait l’EI comme responsable, les États-Unis ayant précédemment alerté différents pays, dont la Russie, possiblement ciblés par des attentats terroristes. Lorsqu’il a réalisé son erreur, Poutine en a rajouté dans le grotesque en déclarant que le doute continuait d’exister quant au commanditaire de l’attentat. C’est alors que la revendication de l’attentat par l’EI lui a cloué le bec. Il ne pouvait faire autre chose que profil bas, d’autant moins qu’il existait un précédent venant étayer la vraisemblance de l’alerte transmise par les services de renseignement américains.
En effet, cette attaque terroriste pouvait d’autant moins constituer une surprise pour le Kremlin que « Vladimir Poutine s’alarmait déjà, le 15 octobre 2021, “des ambitions et des forces du groupe djihadiste État islamique en Afghanistan”, soulignant “l’expérience de combat” acquise par ses membres en Irak et en Syrie ». Poutine, s’interrogeant sur la capacité des talibans afghans à vaincre ces groupes armés, estimait alors que « les chefs de l’EI préparent des plans pour étendre leur influence dans les pays d’Asie centrale et des régions russes en attisant les conflits ethno-confessionnels et la haine religieuse ». (1) Qui plus est, l’EI-K avait déjà organisé un attentat contre l’ambassade de Russie à Kaboul en septembre 2022. Poutine vient ainsi de commettre un énorme faux pas, qui ne passera certainement pas inaperçu, au moment où il lance une campagne de conscription de printemps, appelant 150 000 personnes au service militaire obligatoire, en gros : une campagne de réquisition de la chair à canon pour la guerre. Ce faux pas ne peut que miner son autorité et sa légitimité face à ses rivaux.
Alors que la guerre affaiblit toujours un peu plus l’autorité du Kremlin, les risques d’une dislocation pure et simple de la fédération de Russie s’accroissent. Au premier rang des conséquences d’une telle dislocation se trouve la dissémination de l’arsenal nucléaire entre différents seigneurs de guerres aux menées non contrôlables. Cela représenterait aussi une formidable fuite en avant dans le chaos, au cœur d’une région particulièrement stratégique pour l’économie mondiale (matière première, transport…). Ainsi, loin de profiter à un belligérant quelconque ce nouveau foyer de guerre est porteur de conséquences dramatique considérables pour toute une partie du monde.
Fern, 3 avril 2024
1 « Attentat près de Moscou : l’Asie centrale, nouvelle tête de pont de l’organisation État islamique », Le Monde (25 mars 2024).
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 27 avril 2024 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [24]) ou dans la rubrique « nous contacter [25] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Selon les commentateurs bourgeois, un raz-de-marée politique a eu lieu aux Pays-Bas en novembre. Les élections ont failli donner à l’ensemble des partis une majorité absolue, et le PVV de Geert Wilders est devenu de loin le plus grand parti. Un certain nombre de partis traditionnels, piliers du système politique pendant des décennies, ont vu leurs sièges au parlement réduits de moitié, comme les chrétiens-démocrates, ou ont survécu grâce à la formation d’un cartel comme dans le cas des sociaux-démocrates du PvdA dans un cartel avec la Gauche Verte. Dans un précédent article, nous posions la question de la situation politique aux Pays-Bas après les élections : un « nouvel élan » ou encore plus de chaos et d’instabilité ? Il est désormais certain que c’est cette dernière qui dominera de plus en plus la scène politique aux Pays-Bas dans la période à venir.
Ce n’est pas la première fois aux Pays-Bas qu’un parti populiste réalise des gains aussi importants. En 2002, la liste Pim Fortuyn l’avait déjà fait, suivie en 2010 par le PVV de Wilders, en 2019 par le Forum pour la démocratie de Thierry Baudet, et lors des élections sénatoriales de 2023 par le Boer Burger Beweging (Mouvement Paysan Citoyen). Mais en novembre 2023, le populisme a réussi à conquérir une position de premier plan sans précédent dans la politique néerlandaise.
En l’absence de l’ancien Premier ministre Mark Rutte, qui avait réussi à neutraliser les précédentes explosions populistes, Wilders a habilement joué sur le mécontentement face à l’austérité existante en émaillant sa propagande d’une campagne ouvertement raciste anti-immigrés pour « faire passer les Néerlandais en première position ». « Nous devons reprendre le contrôle de nos frontières, de notre argent et de nos lois. Nous devons également reprendre notre souveraineté nationale. Nous devons reconquérir les Pays-Bas »[1]. Il s’agit clairement d’une politique de bouc émissaire : les migrants à la recherche d’un logement sont accusés d’être responsables de la pénurie de logements. La gauche qui défend les mesures climatiques est accusée d’être responsable de la hausse du coût de la vie. L’élite politique (qui se « remplissent les poches ») est accusée d’être responsable de la perte de l’identité néerlandaise. C’est ce cocktail démagogique avec lequel le PVV a réussi à attirer près d’un quart des Néerlandais.
Bien que les Pays-Bas aient été l’un des premiers pays occidentaux où le populisme a pu acquérir une influence majeure, il ne s’agit pas d’un phénomène typiquement néerlandais. Le populisme s’est déjà fait remarquer par des victoires électorales retentissantes ou des participations gouvernementales dans différents pays : en Europe il y a eu la participation gouvernementale du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue du Nord en Italie, ou le « mouvement » pour le Brexit et la clique dirigeante autour de Boris Johnson au sein du parti conservateur en Grande-Bretagne. En Amérique du Sud, il faut pointer la montée en puissance, d’abord de Bolsenaro au Brésil et actuellement de MileÏ en Argentine. Aux États-Unis, le populisme menace à travers la candidature de Trump pour le Parti républicain dans le cadre de l’élection présidentielle de novembre.
Le populisme, qui a le vent en poupe depuis le début du XXIe siècle :
- « n’est pas, bien sûr, le résultat d’une volonté politique consciente de la part des secteurs dirigeants de la bourgeoisie ». Au contraire, elle confirme la tendance à « une perte croissante de contrôle de la classe dominante sur son appareil politique »[2] ;
- s’accompagne d’une « perte fondamentale de confiance dans les 'élites' (...) parce qu’ils sont incapables de rétablir la santé de l’économie, de mettre fin à l’augmentation constante du chômage et de la misère ». Cependant, cette révolte contre les dirigeants politiques n’aboutit en rien à « une perspective alternative au capitalisme »[3].
Le populisme est une expression typique de la pourriture sur pied du capitalisme, une réaction à l’accumulation de problèmes qui ne sont pas vraiment abordés par les partis politiques établis, ce qui conduit à des difficultés croissantes. Tous ces problèmes non résolus alimentent à la fois les contradictions internes entre les fractions bourgeoises et la rébellion de la petite bourgeoisie, et c’est là le terreau du comportement vandaliste des tendances populistes.
Tant que la classe ouvrière ne parviendra pas par le développement de ses luttes à imposer de manière décisive son alternative révolutionnaire à la décomposition capitaliste, les courants populistes continueront à dominer l’agenda politique. Caractérisés par l’absence d’une vision de l’avenir de la société et la tendance à se tourner vers le passé pour chercher des boucs émissaires qu’ils peuvent tenir pour responsables de l’évolution catastrophique actuelle, ces populistes déstabiliseront de plus en plus, avec leurs positions irrationnelles, la scène politique bourgeoise.
Dans les années 1990, le système politique néerlandais reposait essentiellement sur 3 ou 4 partis centraux : le CDA chrétien-démocrate, le PvdA socialiste, le VVD et D66 tous deux libéraux. Ces dernières années, il est devenu une mosaïque en constant changement avec un nombre croissant de partis dissidents. Non seulement les députés passent régulièrement d’un parti à l’autre, mais le nombre de partis augmente également régulièrement au cours d’une législature, car des députés quittent leur parti et continuent de siéger comme « faction indépendante ». C’est le résultat, d’une part, de contradictions au sein de la bourgeoisie néerlandaise qui remontent plus clairement à la surface, et d’autre part, d’un mécontentement général à l’égard de la gouvernance des partis traditionnels, qui se traduit par l’émergence de partis qui se profilent autour d’un thème spécifique.
Les contradictions au sein de la bourgeoisie concernant l’emprise croissante de l’UE sur la politique néerlandaise deviennent de plus en plus évidentes à travers l’opposition :
- à ce qui est considéré comme une perte de souveraineté au profit d’un « super-État européen » non démocratique et bureaucratique ; les Pays-Bas ont voté contre l’introduction d’une constitution européenne lors d’un référendum en 2005 ;
- à l’accord d’association avec l’Ukraine en 2016 ; les Pays-Bas ont été le seul pays de l’UE à rejeter l’accord en raison de leur opposition à la prise de décision « antidémocratique » de Bruxelles et pour éviter que la corruption ukrainienne ne déferle sur l’Europe ;
- par les partis populistes à toute participation à une armée européenne et certains s’opposent même à une coopération accrue dans le domaine militaire avec un pays comme l’Allemagne.
En 2024, le Parlement est "occupé" par un éventail de partis populistes, plus ou moins importants, dont les positions convergent quant à leur aversion pour la loi européenne sur la préservation de la nature, leur aversion pour la politique migratoire européenne, pour les livraisons d’armes à l’Ukraine, mais aussi quant à leur opposition à l’UE et l’OTAN. En outre, chacun de ces partis a également son propre thème de prédilection politique : pour le PVV, c'est "moins de Marocains", pour le NSC " à bas les magouilles politiques de l’ombre", et pour le BBB "contre les diktats de La Haye".
Les élections de novembre dernier ont rendu la situation extrêmement compliquée pour la bourgeoisie néerlandaise, en particulier en ce qui concerne l’UE. En effet, avec un ou deux partis populistes au gouvernement, ce qui semble inévitable, un fort vent anti-UE va inévitablement souffler. Ici et là, on parle même d’une « sortie » des Pays-Bas de l’UE (un « Nexit »). Bien qu’il ne mène probablement pas aussi loin que le Brexit, ce vent anti-UE exercera une forte pression sur la position des Pays-Bas au sein de l’UE. Si les différents partis populistes ne font pas confiance aux « l’élites » établies, cela ne signifie pas automatiquement qu’ils se font mutuellement confiance, bien au contraire. Lors des négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement, la méfiance mutuelle était déjà nettement présente. L’instabilité du système politique aux Pays-Bas et l’impact de ceci sur la politique à l’égard de l’Europe dans son ensemble menacent de prendre des proportions inquiétantes pour la bourgeoisie.
Le populisme est une expression typique de la phase de décomposition du capitalisme, du chacun pour soi, des frictions croissantes au sein de la bourgeoisie, qui réduisent de plus en plus la capacité de cette dernière à formuler une réponse cohérente aux différentes manifestations de la crise. Mais la bourgeoisie est assez intelligente pour utiliser les effets négatifs de la décomposition contre son plus grand ennemi : la classe ouvrière. Elle utilise ainsi le phénomène populiste pour créer une contradiction fictive et promouvoir massivement l'anti-populisme :
- D’un côté, les partis populistes imposent leur discours en utilisant « des allégations, des accusations et la diabolisation de l’autre » (Sigrid Kaag du parti de centre-gauche D'66). Ce faisant, ils utilisent une forme de démagogie à l’encontre de l’ordre politique existant et des ‘élites’ politiques dirigeantes, ils dénigrent les mesures prises, ce qui est sans nul doute salué par une partie de la population néerlandaise. Dans le même temps, les partis populistes parviennent également à séduire une partie de la population, non seulement par des mesures irréalistes telles que la fermeture des frontières aux migrants, mais aussi par des mesures « sociales » tout aussi fallacieuses en faveur des "vrais Néerlandais", telles que l’abaissement de l’âge de la retraite, une augmentation du salaire minimum ou une baisse des primes de santé ;
- D’autre part, les organisations de gauche attisent le feu en présentant le populisme comme le plus grand danger qui nous menace. Non seulement l’ultra-gauche, mais même la propagande sociale-démocrate assimile plus ou moins le populisme au totalitarisme, au racisme ou même au fascisme. Frans Timmermans, le candidat de gauche au poste de Premier ministre, s’est immédiatement exclamé après la victoire électorale du PVV : « L’heure est venue pour nous de défendre la démocratie ! ». Aussi, les anti-populistes maintiennent un refus catégorique, pour des "raisons de principe", de participer à une coalition gouvernementale avec le PVV.
Tout comme le Royaume-Uni était divisé il y a quelques années en un camp pro et anti-Brexit, les Pays-Bas sont actuellement divisés en un camp pro-Wilders et un camp anti-Wilders. En attisant cette opposition, la bourgeoisie tente d'attirer une partie de la classe ouvrière derrière elle dans des actions allant de blocages de nouveaux centres pour demandeurs d'asile à des manifestations contre des rassemblements de populistes, qui visent toutes à miner la lutte sur le terrain de classe et à mobiliser les travailleurs sur les objectifs de l'un ou l'autre camp bourgeois.
Quel que soit le camp au pouvoir, les attaques contre les revenus et les conditions de vie des travailleurs se poursuivront sans relâche car elles sont le résultat des ondes de choc militaires, économiques et environnementales qui secouent les fondations du système capitaliste. Les travailleurs doivent donc continuer à mener la bataille sur le terrain où ils peuvent, en toute indépendance, développer pleinement leur force. En suivant l'exemple des travailleurs du Royaume-Uni qui, malgré des années de campagne assourdissante sur le Brexit entre "Remainers" et "Leavers", ont tout de même développé une lutte unie d'un an contre les effets de la crise du "coût de la vie" à partir de l'été 2022. Aux Pays-Bas également, la classe ouvrière a montré il y a un an qu'elle avait la volonté et la capacité de s'opposer aux mesures désastreuses de la bourgeoisie[4]. En s'inscrivant dans la dynamique des luttes ouvrières internationales de l’année écoulée au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, elle peut s’inscrire dans une résistance internationale contre ce système obsolète et moribond, qui va de catastrophe en catastrophe.
Dennis / 2024.04.05
Les guerres mondiales du XXe siècle ont montré que le capitalisme était devenu un système social totalement obsolète. Elles ont été suivies d’une « guerre froide » entre deux blocs impérialistes, au cours de laquelle les conflits par procuration ont tué autant de personnes que les guerres mondiales. L’ancien système des blocs s’est effondré dans les années 1990, mais les guerres impérialistes n’ont pas disparu. Elles sont simplement devenues plus chaotiques et imprévisibles. Parmi les nombreuses guerres qui ravagent la planète aujourd’hui, le carnage en Ukraine et au Moyen-Orient sont les preuves les plus évidentes (aux côtés d’une crise écologique que le système ne peut pas à résoudre) que le déclin du capitalisme a atteint sa phase terminale, menaçant même la survie de l’espèce humaine.
Afin de discuter de ces questions, le CCI organise des réunions publiques, partout où il est présent, en France et dans le monde. Ces réunions seront l’occasion de débattre du contexte historique de la guerre au Moyen-Orient et de faire valoir que la seule réponse possible à la guerre est la défense intransigeante de l’internationalisme contre toutes les fausses réponses offertes par ceux qui défendent l’une ou l’autre forme de nationalisme, et contre tous les États et gouvernements capitalistes, d’Israël à l’Iran et au Hamas, de la Russie à l’Ukraine, des États-Unis à la Chine. Toutes leurs guerres sont des guerres impérialistes génocidaires, et la seule puissance sur terre qui peut mettre fin au cauchemar du capitalisme en décomposition est la classe ouvrière internationale.
Ces réunions sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.
– Toulouse : samedi 25 mai à 14h, Salle Thierry PREVOT, 3 rue Escoussières Arnaud Bernard 31000 Accès métro ligne B - station métro Jeanne d’Arc. (ATTENTION : changement d'adresse)
– Paris : samedi 25 mai à 15h, CICP, 21ter rue Voltaire, 75011 Paris, métro « Rue des Boulets »
– Nantes : samedi 25 mai à 15h, Salle de la Fraternité, 3 rue de l’Amiral Duchaffault (quartier Mellinet, station tramway Duchaffault, ligne 1)
– Bruxelles: samedi 25 mai à 14h, Pianofabriek, rue du Fort 35, 1060 St Gilles
– Marseille : samedi 1er juin à 15h, Mille Babords. 61 Rue Consolat. Métro « Réformés ».
– Lille : samedi 8 juin à 15h, café les Sarrasins, 52 rue des Sarrasins (métro Gambetta).
– Lyon : samedi 22 juin à 15h, CCO La rayonne, 28 rue Alfred du Musset, 69110 Villeurbanne, métro ligne A « Vaulx-en-Velin La soie ».
L’épouvantable offensive israélienne sur la bande de Gaza a emporté, en quelques mois, des dizaines de milliers de vies dans un torrent furieux de barbarie. Des civils innocents, des gosses et des vieillards meurent par milliers, écrasés sous les bombes ou froidement abattus par la soldatesque israélienne. À l’horreur des balles, il faut encore ajouter les victimes de la faim, de la soif, des maladies, des traumatismes… La bande de Gaza est un charnier à ciel ouvert, une immense ruine symbole de tout ce que le capitalisme a désormais à offrir à l’humanité. Ce qui se passe à Gaza est une monstruosité !
Comment ne pas être écœuré par le cynisme de Netanyahou et sa clique de religieux fanatiques, par le nihilisme froid des assassins de Tsahal ? Comment ne pas s’emporter quand la moindre expression d’indignation est aussitôt qualifiée « d’antisémitisme » par des éditorialistes de bas étage et les propagandistes de Tel Aviv ? Forcément, les images de l’horreur et les témoignages des survivants ne peuvent que glacer le sang. Même au sein de la population israélienne, pourtant traumatisée par les crimes ignobles du 7 octobre et soumise au rouleau compresseur de la propagande belliciste, l’indignation est palpable. Les rassemblements de soutien aux Palestiniens se multiplient dans le monde : à Paris, à Londres et, surtout, aux États-Unis où les campus universitaires sont le théâtre de mobilisations particulièrement étendues.
L’indignation est on ne peut plus sincère, mais les révolutionnaires ont la responsabilité de le dire haut et fort : ces manifestations ne se situent, ni de près ni de loin, sur le terrain de la classe ouvrière. Elles représentent au contraire un piège mortel pour le prolétariat !
« Cessez-le-feu immédiat ! », « Paix en Palestine ! », « Accord international ! », « Deux nations en paix ! »… Les appels à la « paix » se sont multipliés ces dernières semaines dans les manifestations et les tribunes. Une partie des organisations de la gauche du capital (les trotskistes, les staliniens et toutes les variantes de la gauche "radicale" comme LFI en France), n’ont que le mot « paix » à la bouche.
C’est une pure mystification ! Les ouvriers ne doivent se faire aucune illusion sur une prétendue paix, ni au Proche-Orient ni ailleurs, pas plus que sur une quelconque solution de la « communauté internationale », de l’ONU, du Tribunal international ou de n’importe quel autre repaire de brigands capitalistes. Malgré tous les accords et toutes les conférences de paix, toutes les promesses et les résolutions de l’ONU, le conflit israélo-palestinien dure depuis plus de 70 ans et n’est pas près de cesser. Ces dernières années, à l’image de toutes les guerres impérialistes, ce conflit n’a fait que s’amplifier, gagner en violence et en atrocité. Avec les récentes exactions du Hamas et de Tsahal, la barbarie a pris un visage encore plus monstrueux et délirant, dans une logique de terre brûlée jusqu’au-boutiste qui montre que le capitalisme ne peut rien offrir d’autre que la mort et les destructions.
Alors, à la question : « la paix peut-elle régner dans la société capitaliste ? », nous répondons catégoriquement : non ! Les révolutionnaires du début du XXe siècle avaient déjà clairement mis en évidence que, depuis 1914, la guerre impérialiste est devenue le mode de vie du capitalisme décadent, le résultat inéluctable de sa crise historique. Et parce que la bourgeoisie n’a aucune solution à la spirale infernale de la crise, il faut le dire très clairement : le chaos et les destructions ne peuvent que se répandre et s’amplifier à Gaza comme à Kiev et partout dans le monde ! La guerre à Gaza menace d’ailleurs d’embraser toute la région.
Mais au-delà de l’impasse que représentent les appels à la paix sous le joug du capitalisme, le pacifisme demeure une mystification dangereuse pour la classe ouvrière. Non seulement cette idéologie n’a jamais empêché une guerre, mais il les a au contraire toujours préparées. Déjà en 1914, la social-démocratie, en posant le problème de la guerre sous l’angle du pacifisme, avait justifié sa participation au conflit au nom de la lutte contre les « fauteurs de guerre » du camp d’en-face et le choix du « moindre mal ». C’est parce qu’on avait imprégné la société de l’idée que le capitalisme pouvait exister sans guerre que la bourgeoisie a pu assimiler le « militarisme allemand », pour les uns, et l’« impérialisme russe », pour les autres, au camp de ceux qui voulaient attenter à la « paix » et qu’« il fallait combattre ». Le pacifisme depuis lors, de la Seconde Guerre mondiale à la guerre en Irak, en passant par les innombrables conflits de la guerre froide, n’a été qu’une succession de complicité éhontée avec tel ou tel impérialisme contre les « fauteurs de guerre » afin de mieux dédouaner le système capitaliste.
La guerre à Gaza n’échappe en rien à cette logique. Instrumentalisant le dégoût légitime que suscitent les massacres à Gaza, la gauche « pacifiste » appelle sans détour à soutenir un camp contre un autre, celui de la « nation palestinienne » victime du « colonialisme israélien », en affirmant, la main sur le cœur : « Nous défendons les droits du “peuple palestinien”, pas le Hamas ». C’est rapidement oublier que « le droit du peuple palestinien » n’est qu’une formule hypocrite destinée à dissimuler ce qu’il faut bien appeler l’État de Gaza, une façon sournoise de défendre une nation contre une autre. Une bande de Gaza « libérée » ne signifierait rien d’autre que consolider l’odieux régime du Hamas ou de toute autre faction de la bourgeoisie palestinienne, de tous ceux qui n’ont jamais hésité à réprimer dans le sang la moindre expression de colère, comme en 2019 lorsque le Hamas, qui vit en véritable prédateur sur le dos de la population gazaouie, a maté avec une brutalité inouïe des manifestants exaspérés par la misère. Les intérêts des prolétaires en Palestine, en Israël ou dans n’importe quel autre pays du monde ne se confondent en rien avec ceux de leur bourgeoisie et la terreur de leur État !
Les organisations trotskistes, particulièrement présentes dans les universités, ne s’embarrassent même plus du verbiage hypocrite du pacifisme pour alimenter la sale propagande belliciste de la bourgeoisie. Sans aucune vergogne, elles appellent à soutenir la « résistance du Hamas ». Au nom des « luttes de libération nationale contre l’impérialisme » (frauduleusement présentée comme une position des bolcheviks sur la question nationale), elles cherchent à mobiliser la jeunesse sur le terrain pourri du soutien à la bourgeoisie palestinienne, avec des relents d’antisémitisme à peine voilés, comme nous avons pu l’entendre dans les universités : « À l’université de Columbia, à New York, des manifestants ont été filmés en train de scander : “[…] Brûlez Tel-Aviv [...] Oui, Hamas, nous t’aimons. Nous soutenons aussi tes roquettes”. Un autre s’écrie : “Nous ne voulons pas de deux États, nous voulons tout le territoire”. Dans la même veine, certains étudiants ne se contentent plus de scander “Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre”, ils brandissent désormais des pancartes en arabe. Le problème, c’est qu’il est écrit : “De l’eau à l’eau, la Palestine sera arabe”, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de Juifs du Jourdain à la mer Méditerranée ». (1)
Les organisations trotskistes ont une longue tradition de soutien à un camp bourgeois dans la guerre (Vietnam, Congo, Irak…), d’abord au service des intérêts du bloc de l’Est pendant la guerre froide, (2) puis en faveur de toute expression d’anti-américanisme.
Le conflit israélo-palestinien demeure toutefois un leitmotiv de l’indignation sélective du trotskisme. Hier, la « cause palestinienne » était un prétexte pour soutenir les intérêts de l’URSS dans la région face aux États-Unis. Aujourd’hui, ces organisations instrumentalisent la guerre à Gaza en faveur de l’Iran, du Hezbollah et des « rebelles » Houtis face au même « impérialisme américain » et son allié israélien. L’internationalisme revendiqué du trotskisme, c’est l’Internationale des crapules !
Contrairement à tous les mensonges des partis de gauche du capital, les guerres sont toujours des affrontements entre des nations concurrentes, entre des bourgeoisies rivales. Toujours ! Jamais une guerre n’est menée au profit des exploités ! Ils en sont au contraire les premières victimes.
Partout, les ouvriers doivent refuser de prendre parti pour un camp bourgeois contre un autre. La solidarité des ouvriers ne va ni à la Palestine ni à Israël, ni à l’Ukraine ni à la Russie, ni à aucune nation ! Leur solidarité, ils la réservent à leurs frères de classe vivant en Israël et en Palestine, en Ukraine et en Russie, aux exploités du monde entier ! L’histoire a montré que la seule véritable réponse aux guerres que déchaîne le capitalisme, c’est la révolution prolétarienne internationale. En 1918, grâce à un immense élan révolutionnaire dans toute l’Europe, débuté en Russie un an plus tôt, la bourgeoisie a été contrainte de stopper l’une des plus grandes boucheries de l’histoire.
Certes, nous sommes aujourd’hui encore loin de cette perspective. Pour la classe ouvrière, il est difficile d’entrevoir une solidarité concrète et encore moins de s’opposer directement à la guerre et ses horreurs. Cependant, à travers la série inédite de luttes ouvrières qui frappent de nombreux pays depuis deux ans, en Grande-Bretagne, en France, aux États-Unis, en Allemagne encore récemment, le prolétariat montre qu’il n’est pas prêt à accepter tous les sacrifices. Il est tout à fait capable de se battre massivement, si ce n’est directement contre la guerre et le militarisme, contre les attaques brutales exigées par la bourgeoisie pour alimenter son arsenal de mort, contre les conséquences de la guerre sur nos conditions d’existence, contre l’inflation et les coupes budgétaires. Ces luttes sont le creuset dans lequel la classe ouvrière pourra pleinement renouer avec ses expériences passées et ses méthodes de luttes, retrouver son identité et développer sa solidarité internationale. Elle pourra alors politiser son combat, tracer un chemin en offrant la seule perspective et issue possible : celle du renversement du capitalisme par la révolution communiste.
EG, 30 avril 2024
1 « Most Jews and Palestinians want peace. Extremists, narcissists and other “allies” only block the way [131] », The Guadian (26 avril 2024).
2 Estimant que leur nation respective (la France, le Royaume-Uni, l’Italie…) avait tout intérêt à rejoindre le bloc dirigé par la prétendue « patrie du socialisme dégénérescente »…
La situation d’un certain nombre de pays d’Amérique centrale constitue une caricature de l’enlisement de la société dans la putréfaction du monde capitaliste. Le cas le plus extrême étant certainement celui d’Haïti qui traverse des crises incessantes, toutes plus tragiques les unes que les autres.
La violence et la brutalité se sont fortement intensifiées au cours des derniers mois, en plus de conditions de vie terriblement misérables entraînant l’exode massif de dizaines de milliers d’Haïtiens et la poursuite accélérée de leur émigration. Depuis la fin février, les événements qui se succèdent provoquent l’effroi et donnent le vertige : des prisons ont été prises d’assaut, provoquant l’évasion de plusieurs milliers de détenus, des hôpitaux et des commissariats ont été attaqués par des bandes criminelles… La « crise humanitaire » s’aggrave, la disette et la faim s’intensifient, le choléra a fait son retour, 3334 personnes en 2023 ont été tuées et 1787 autres enlevées, victimes des gangs qui font régner la terreur. Ces gangs contrôlent désormais 80 % de la capitale et les routes alentour, ainsi que le port. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 362 000 personnes, dont la moitié sont des enfants, sont actuellement déplacées en Haïti.
Ce ne sont pas seulement les gangs qui font régner la terreur, mais aussi les milices armées et recrutées par les pouvoirs successifs comme forces d’appoint pour réprimer les révoltes populaires contre la corruption et la misère, en plus de leurs activités mafieuses. Ainsi une manifestation en 2018 contre la vie chère et la corruption a conduit à réprimer sauvagement une « mobilisation populaire » (qui réclamait des poursuites judiciaires contre Jovenel Moïse, l'ancien Président assassiné en 2021) à la Saline, un bidonville de Port-au-Prince. À cette occasion, 71 personnes ont été assassinées et mutilées, des femmes violées, des corps brûlés. L’un des auteurs du massacre, Jimmy Cherizier, alias « Barbecue », doit son surnom à ce forfait ignoble, une pratique largement connue de la « communauté internationale » qui vise à répandre la terreur et la "paix sociale", celle des cimetières au profit de la bourgeoisie et des gangs.
Un rapport de l’ONU cité dans Le Monde pointe les collusions politiques, criminelles et leur terreau : une « situation d’oligopole sur les importations » et « contrôlée par un groupe relativement restreint de familles puissantes, qui mettent leurs intérêts commerciaux concurrents au-dessus de tout ». Les gangs, souligne le rapport, sont « instrumentalisés par l’élite politique et économique ainsi que par de hauts fonctionnaires ». « Le siphonnage des ressources publiques témoigne de la corruption endémique » avec un sabotage délibéré du système judiciaire. L’impunité est totale. Mais le rapport, a priori audacieux, se garde bien de citer les exactions de l’ex-président Moïse, ni l’impopularité du premier ministre démissionnaire Ariel Henry, au bilan catastrophique et qui a bénéficié d’un soutien inconditionnel de la « communauté internationale ».
Cela n’est pas nouveau car Haïti, premier pays affranchi d’une puissance coloniale (la France) en 1804, est depuis des décennies la proie d’affrontements entre gangs rivaux qui font régner la terreur sur tout le pays. Après la succession des juntes militaires suite à l’occupation américaine entre 1915 et 1934, les tristement célèbres milices des « tontons Macoutes » (à la solde du pouvoir sans partage de la famille Duvalier entre 1957 et 1986) ont été remplacées, lors du « rétablissement d’un régime démocratique », par des luttes sanglantes entre bandes et clans rivaux pour la conquête du pouvoir. Les vagues de massacres et la terreur que font régner les criminels sont permanentes depuis 2004, enfonçant toujours davantage le pays le plus pauvre de tout l’hémisphère nord dans une misère effroyable (plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et souffre d’insécurité alimentaire chronique).
Cette situation est encore aggravée par les ravages d’effroyables et dévastatrices "catastrophes naturelles" dont le tremblement de terre de 2010 qui a fait plus de 300 000 morts. Le pays est devenu une des zones les plus vulnérables aux dérèglements climatiques particulièrement meurtriers (succession de cyclones, d’ouragans ou de sécheresses) avec une écrasante majorité de la population plongée dans des conditions de vie totalement insalubres, favorisant le retour d’épidémies, elles aussi mortelles, comme le choléra, sous le regard complice des puissances tutélaires comme la France et des États-Unis qui soutiennent envers et contre tout les factions bourgeoises locales susceptibles d’assurer un semblant de stabilité politique.
Le très contesté premier ministre a dû démissionner, lâché par les États-Unis, sous la pression, notamment, des bandes armées, dont l’une est dirigée par « Barbecue », promettant l’intensification de la guerre civile en cas de refus. Un conseil présidentiel de transition est en passe d’être nommé depuis la Jamaïque sous la houlette des États-Unis pour choisir un nouveau premier ministre mais déjà les gangs ont déclaré qu’ils n’accepteront aucun accord venant de l’étranger. Les États-Unis, cette fois, ne veulent pas déployer leurs propres forces sur place et s’en remettent à la promesse d’arrivée de policiers kényans pour maintenir l’ordre.
Pour un chercheur haïtien, « Barbecue, un ancien policier, est le Frankenstein qui s’est libéré de son maître » et considère que les gangs « sont plus puissants que le pouvoir politique et les forces de l’ordre » et finalement ont « décidé de s’autonomiser ». En fait, ces comportements abjects sont un pur produit de la putréfaction du capitalisme tel qu’il peut s’exprimer dans la périphérie du capitalisme. Ces quarante dernières années, la vie politique d’Haïti a été bousculée par des coups d’État, des ingérences étrangères, l’insurrection de l’armée et des farces électorales, une instabilité politique qui a « précipité [Haïti] dans le chaos ». Cette situation caricaturale montre sur quoi débouche, à terme, la perte de contrôle de la bourgeoisie sur son appareil politique.
Cette situation est, en effet, loin d’être unique. Le même chaos existe dans d’autres parties du monde : en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans un nombre croissant de pays africains. Certains pays qui n’en étaient pas encore à ce stade voient la menace désormais se préciser. C’est, par exemple, le cas en Équateur présenté jusqu’alors comme un « havre de paix » en Amérique latine. La bourgeoisie et son appareil d’État sont confrontés à un processus de fragmentation accéléré. Ils sont totalement impliqués et compromis dans le narcotrafic qui occupe désormais une place prépondérante dans l’économie nationale. En 2023, la montée spectaculaire de la violence s’est traduite par une augmentation des homicides de 800 % ! L’Équateur est devenu la plaque tournante du trafic de drogue. Les « groupes de délinquance organisée » sont en lien avec diverses mafias concurrentes pour assurer le contrôle du trafic : cartels mexicains, gangs péruviens ou colombiens, bandes mafieuses d’origine albanaise, russe, chinoise ou encore italienne. L’État est très largement gangrené par la corruption et lui-même lié aux plus puissants groupes agroalimentaires du pays également impliqués dans le narcotrafic. La dernière tentative de contrôle du narcotrafic s’est traduite par une flambée inédite de violences au début de l’année 2024, avec des affrontements de rues entre l’armée et les groupes de délinquance organisée, par des prises d’otages de journalistes d’une chaîne de télévision publique, par l’évasion de deux chefs de gangs, par de multiples mutineries dans les prisons aux mains des gangs et une répression brutale ne faisant qu’exacerber les tensions. La militarisation de la société s’est traduite pour la classe ouvrière par une hausse de 15 % de la TVA. La vague de protestations qui a suivi a été durement réprimée par le nouveau gouvernement de Daniel Oboa.
La gangstérisation est de plus en plus endémique au sein d'États comme le Honduras, le Guatemala, le Salvador ou le Mexique, dont les gouvernements successifs nagent depuis des années dans la corruption généralisée. Les gangs y font régner la terreur, contraignant les populations à des exodes massifs dont témoignent les flux incessants de caravanes de migrants qui tentent de gagner par tous les moyens les États-Unis. Cette même situation caractérise depuis des années des pays d’Afrique de l'Est comme la Somalie ou le Soudan ou encore la Libye. Mais ce phénomène de bandes armées et de milices paramilitaires incontrôlables, en lutte pour le pouvoir et le contrôle de territoires, tend à se propager également dans la partie occidentale du continent, qu’elles soient inspirées par le fanatisme religieux (Boko Haram, Al Shaabab, AMQI,…) ou animées par de stricts intérêts mafieux.
La gangstérisation des États, l’instabilité et le chaos, les foyers croissants de conflits impérialistes meurtriers, les multiplications d’attentats terroristes font peser la menace d’un enfoncement de parties de plus en plus larges de l’humanité dans un océan sans fond de barbarie, de misère, de chaos et d’irrationalité.
T. Tor, 5 avril 2024
À l’occasion de la 30ème commémoration du génocide Rwandais, le 7 avril dernier, la « France », nous dit-on, aurait fait une « avancée » en « reconnaissant ses responsabilités » à propos du massacre de plus de 800 000 personnes.
Voici exactement ce qu'elle a reconnu : « En voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle [la France] restait de fait aux côtés d’un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu’elle cherchait précisément à l’éviter ». Le compte n'y est pas messieurs les défenseurs des intérêts du capital français. Si, aujourd'hui, vous admettez une demi-vérité quant à l'action de vos prédécesseurs aux côtés d'un régime génocidaire, c'est pour tenter de dissimuler l'autre moitié de cette vérité : Ils étaient sur place pour servir les intérêts du capital français et non pas pour éviter un génocide. Ils y ont même pris part pour défendre la présence de la France au Rwanda contre les intérêts opposés de rivaux impérialistes, les États-Unis en l'occurrence.
Mais il ne faut pas s'y méprendre, les rivaux d'alors de la France au Rwanda ne valaient pas mieux qu'elle. De même qu'aujourd'hui, les complices ou acteurs directs des conflits qui ensanglantent la planète, pourvoyeurs de chair à canon et massacreurs des populations portent une responsabilité énorme dans la généralisation de la barbarie guerrière.
Afin de contrer l’immense propagande et le lavage de cerveau en cours, nous renvoyons le lecteur à un article que nous avions écrit à l’époque des faits pour dénoncer le rôle de l’impérialisme français dans le génocide au Rwanda :
"Rwanda : Les rivalités franco-américaines sont responsables de l'horreur" [Rwanda, Yémen, Bosnie, Corée : derrière les mensonges de « paix », la barbarie capitaliste [138]] – Revue internationale 78.
Café De Zure, Dageraadplaats 4, 2180 Anvers
Le CCI organise une permanence le 22 juin de 14H00 à 17H00 à Anvers à l’adresse suivante : Café De Zure, Dageraadplaats 4, 2180 Antwerpen.
Contrairement à une réunion publique où le sujet est déterminé et présenté par le CCI, lors d’une permanence, il est possible d’exposer et de discuter de sujets de ton propre choix ensemble avec le CCI et d’autres participants.
Les sujets peuvent être tirés de l'actualité, mais aussi des leçons tirées des périodes historiques de lutte des classes : guerre, crise climatique, crise économique, populisme, élections, sens des luttes ouvrières aujourd'hui, quelle perspective pour le capitalisme ? etc.
Afin de préparer cette permanence au mieux, nous te demandons de nous prévenir à l'avance par email des sujets sur lesquels tu veux discuter : soit via le formulaire de contact, soit via [email protected] [141].
Fraternellement
Le CCI
Le 13 mai au soir, la Nouvelle-Calédonie s’est embrasée. Point de départ : la réforme constitutionnelle du corps électoral qui va affaiblir le poids électoral des forces politiques autochtones kanaks. La mobilisation d’une partie de la population, activement soutenue et même poussée par les organisations indépendantistes, s’est rapidement transformée en émeutes sanglantes où au moins sept personnes ont déjà perdu la vie.
Si la colère de la population exprime un véritable ras-le-bol face à l’exclusion sociale, à la misère, au racisme chronique et aux humiliations quotidiennes, le terrain nationaliste de « l’indépendance de la Kanaky » est une pure mystification, et même un piège pour la classe ouvrière en Nouvelle-Calédonie, comme en métropole. Il n’y a donc rien de hasardeux à voir les organisations bourgeoises de gauche et d’extrême-gauche soutenir l’indépendance au nom de leur idéologie frelatée du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » : il n’existe aucune perspective prolétarienne sur ce terrain nationaliste où se confrontent surtout les intérêts impérialistes dans cette région du monde.
Le mécontentement social en Nouvelle-Calédonie, immédiatement instrumentalisé sur le terrain du nationalisme, rappelle bien évidemment l’épisode sanglant de l’assaut de la grotte d’Ouvéa en 1988. En pleine campagne électorale présidentielle, les confrontations entre indépendantistes et forces de l’ordre avaient donné prétexte à une hystérie nationaliste et un brin raciste pour le maintien de l’ordre républicain suite à la « sauvagerie » de l’attaque d’un poste de gendarmerie et une prise d’otages par des militants indépendantistes. L’intérêt impérialiste français pour ces îles du Pacifique, même s’il n’était pas menacé ouvertement, ne pouvait être remis en cause ou affaibli. La bourgeoisie avait bien fait valoir l’ « honneur » du drapeau et l’élan « civilisateur » de l’État dans une répression sans filtre et sanglante.
Même si le vernis humaniste du PS de Mitterrand avait donné l’illusion, par la suite, de mieux tenir compte du « peuple kanak », bien évidemment, la plupart des « indigènes » ont continué à porter le fardeau de la misère. Depuis, l’aggravation phénoménale de leurs conditions de vie et leur haine pour l’État français n’ont cessé d’être instrumentalisé par la bourgeoisie kanake pour tenter d’avancer ses pions en direction de l’indépendance.
La violence de la crise actuelle est ainsi bien supérieure à celle de 1984-1988. Les affrontements de l’époque, déjà spectaculaires et sanglantes, s’étaient limités à des confrontations entre petits colons et clans kanaks, avec des attaques ciblées sur les gendarmeries. Nouméa avait été très peu touchée. Tel n’est pas le cas aujourd’hui : incendies de magasins, d’entreprises, d’écoles, de maisons, pillages au cœur des zones urbaines, barrages pour s’opposer aux forces de l’ordre dépêchées par centaines du continent, comme aux milices caldoches issues d’une petite-bourgeoisie néocoloniale, milices qui n’hésitent pas à tirer pour tuer.
Cette flambée de violence est clairement l’expression du chaos généré par une société capitaliste en putréfaction qui n’a plus rien à offrir à l’humanité. Mais ces explosions sociales ne constituent en rien le terreau d’une lutte prolétarienne avec des revendications de classe autonome offrant réflexion, perspective et dynamique de prise en main de la lutte. Face à la paupérisation extrême, face à l’absence de perspective, partout dans le monde, les violences aveugles se multiplient, souvent perpétrées par des jeunes qui n’ont plus aucune confiance en l’avenir, embourbés dans le désespoir et la marginalisation. Cela reste le terrain du nihilisme et d’émeutes désespérées largement instrumentalisée par toutes les forces bourgeoises pour nourrir leurs appétits impérialistes.
Avec sa proposition de loi « consolidant » le corps électoral, l’État français a la volonté de resserrer les boulons et assurer une cohérence politique sur le territoire néo-calédonien, en limitant les velléités indépendantistes croissantes susceptibles de fragiliser sa stratégie impérialiste dans la région. Le Pacifique est en effet devenu une région stratégique majeure dans les rivalités croissantes entre les grandes puissances, particulièrement autour de la confrontation entre les États-Unis et la Chine. La France cherche ainsi à maintenir sa place sur l’échiquier indo-pacifique déjà mise à mal par les accords de coopération militaire AUKUS (Australie, Royaume-Uni et États-Unis) dont elle s’est fait piteusement éjecter. La Nouvelle-Calédonie demeurer à ce titre un atout impérialiste, et la perte de ce territoire serait un revers de premier ordre. Mais toute la politique du gouvernement Macron tend à balayer tout ce que la bourgeoisie avait patiemment mis en place depuis la fin des années 1980 pour apaiser les confrontations et les tensions sur ces territoires. Il ouvre à nouveau une boîte de Pandore où les factions bourgeoises, particulièrement celles de l’indépendantisme kanak, veulent à nouveau jouer leurs cartes.
Pour les organisations indépendantistes kanakes, les appels à la mobilisation n’ont absolument pas pour objectif de défendre les intérêts ouvriers, mais faire valoir leurs propres intérêts nationalistes en surffant sur la fragilisation de l’impérialisme français dans la région. Et pour ce faire, la bourgeoisie kanake n’a aucun scrupule à s’acoquiner avec les multiples concurrents impérialistes de la France : l’impérialisme russe, d’abord, via ses offensives numériques, notamment sur les réseaux sociaux, pour faire payer à la France son rôle en Ukraine ; mais aussi la Chine impliquée dans la déstabilisation de la position de la France dans une région clé du Pacifique Sud ainsi que par ses mines de nickel... En accueillant les dirigeants indépendantistes kanakes et de Polynésie française pour une conférence sur le « droit à la décolonisation », même l’Azerbaïdjan s’est invitée dans la crise en Nouvelle-Calédonie : une manière de faire payer à la France son positionnement pro-arménien lors de la reprise du Haut-Karabakh.
La bourgeoisie française s’inquiète d’ailleurs de l’onde de choc qui pourrait toucher la Polynésie, Mayotte ou la Réunion, zones excentrées du territoire français, en proie à des situations similaires. Face à ce risque, elle ne peut qu’affirmer avec la pire brutalité que l’impérialisme tricolore ne tergiversera pas en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs.
Avec ses forces politiques de gauche et d’extrême gauche, la bourgeoisie, hypocrite au possible, entretient cependant des illusions indépendantistes. Face au gouvernement garant de « l’unité nationale », la gauche promeut la « conciliation » et l’extrême-gauche applaudit une mobilisation soi-disant « révolutionnaire ». Sous toutes leurs variantes plus ou moins radicales, les partis de gauche multiplient les appels à la solidarité, à la mobilisation sur le terrain pourri du nationalisme et du « droit des peuples » pour pousser des milliers de prolétaires à s’entre-déchirer au seul profit des factions bourgeoises. Mais leurs mots d’ordre mensongers ne s’adressent pas qu’à la population locale, il s’agit surtout faire de « l’indépendance de la Kanaky » (comme de la « résistance palestinienne ») une arme idéologique contre la conscience de l’ensemble de la classe ouvrière.
Pour l’organisation trotskiste Révolution Permanente, le terrain nationaliste est ouvertement assumé et devient un drapeau pour la lutte : « Plus que jamais, la lutte et les revendications du peuple kanak doivent résonner jusque dans l’hexagone, où ces derniers jours ont vu un véritable sursaut dans la mobilisation contre la complicité de l’impérialisme français avec le génocide commis par Israël en Palestine. Cette lutte doit s’allier à la lutte contre la situation coloniale en Kanaky. La lutte pour une véritable auto-détermination doit aussi passer par la dénonciation de cette répression coloniale ».
Pour le NPA-l’Anticapitaliste, même revendication nationaliste : « Le droit international pose clairement le droit à l’auto-détemination du peuple kanak, et l’ONU, sur la base de l’article XI de sa Charte, rappelle chaque année que la Kanaky est classé comme territoire à décoloniser. L’enjeu est plus fort que jamais d’exprimer en France notre solidarité avec le peuple de Kanaky, c’est-à-dire la reprise du processus de décolonisation ». Outre défendre bec et ongles cette revendication bourgeoise du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », le NPA n’hésite même pas, encore une fois, à en appeler au « droit » bourgeois du panier de crabes de l’ONU, pour faire valoir des revendications nationales.
Pour l’organisation trotskiste Lutte Ouvrière et ses appels plus subtils à « renverser l’ordre capitaliste et l’impérialisme », la logique reste au bout du compte la même : s’indigner comme les autres forces gauchistes face à « cette réforme, votée par un parlement réuni à plus de 17 000 kilomètres des premiers concernés, [qui] vise à rendre les Kanaks minoritaires dans leur propre pays ». Comme le signale le NPA, le nationalisme de l’extrême gauche n’est en aucun cas une nouveauté : « Les militantEs de notre courant ont largement porté la solidarité anticoloniale auprès des Kanak, notamment dans les années 1980, au point que Jean-Marie Tjibaou, en visite à Paris en 1987, rencontre le bureau politique de la LCR et intervient lors la fête de Lutte Ouvrière à notre initiative ».
Toutes ces organisations d’extrême gauche sont ainsi depuis longtemps déjà, les rabatteurs les plus radicaux de la bourgeoisie pour dévoyer la colère et la réflexion ouvrières sur le terrain nationaliste. Pour ces faux-amis de la classe ouvrière, il s’agit systématiquement de choisir un camp impérialiste contre un autre. En aucun cas, ce choix ne doit être celui de la classe ouvrière, ni en Nouvelle-Calédonie ni ailleurs ! Aujourd’hui, se battre sur le terrain « indépendantiste », c’est prendre le risque de crever sous les balles des flics, celles de milices « citoyennes », sans renforcer d’un iota la perspective de la lutte prolétarienne internationale, seule à même d’en finir avec la barbarie capitaliste.
Stopio, 30 mai 2024
La défense intransigeante de l’internationalisme face à la guerre impérialiste est un devoir fondamental pour une organisation communiste. Les révolutionnaires doivent être capables de naviguer à contre-courant de la propagande bourgeoise visant à entraîner le prolétariat derrière tel ou tel impérialisme. C’est particulièrement le cas face au déferlement de l’hystérie nationaliste et militariste qui entoure la guerre au Moyen-Orient.
Dans le précédent numéro de World Revolution (WR), nous avions mis en garde contre le danger des concessions de l’Anarchist Communist Group (ACG) qui se rangeait derrière la bourgeoisie palestinienne. Dans un premier temps, nous avions salué le fait que l’ACG défende une position internationaliste en dénonçant les deux camps dans cette guerre. (1) Mais par la suite, nous avions pointé du doigt ses concessions au concept de « libération » des travailleurs palestiniens : « la position défendue par l’ACG dans cet article est très pernicieuse car, à première vue, elle semble effectivement défendre l’internationalisme prolétarien. Mais ce n’est qu’une apparence. Car si on le lit attentivement, c’est le contraire qui se révèle. L’article ne défend pas directement et ouvertement le nationalisme palestinien, mais sa logique, tout son raisonnement, va dans ce sens. Il s’agit, en vérité, d’un exposé très sophistiqué de l’idéologie de la libération nationale ». (2)
Cette défense « sophistiquée » du nationalisme est désormais moins subtile. Dans un article plus récent, (3) contrairement à leur précédent écrit, l’ACG ne dénonce pas clairement la guerre comme étant impérialiste, ni les liens entre les groupes de « résistance » palestiniens et les différentes puissances impérialistes. Au contraire, l’article présente l’État israélien comme le seul responsable de cette guerre. L’ACG déclare bien que : « nous savons pertinemment quel sang coulerait à flots : celui des “déjà dépossédés”, de ceux qui sont toujours les plus grandes victimes des guerres inter-impérialistes, du colonialisme et de l’exploitation : celui de la classe ouvrière ». Mais sans une déclaration claire sur la nature impérialiste des deux camps, cette déclaration reste au mieux ambiguë. Elle ne met certainement pas en garde la classe ouvrière contre le danger de se ranger derrière l’un ou l’autre camp.
Le Hamas a délibérément provoqué l’impérialisme israélien par son massacre dans le sud d’Israël le 7 octobre en adoptant une stratégie de terre brûlée suicidaire visant à saper les relations que développe l’État israélien avec certains autres États du Moyen-Orient. Le Hamas savait parfaitement que son attaque déclencherait un bain de sang. Cependant, pour l’ACG (dans cet article au moins) comme pour la gauche du capital, l’État israélien est l’ennemi. Le Hamas est silencieusement déchargé de son rôle terroriste dans ce cauchemar !
La contradiction entre cet article et le précédent n’est pas expliquée. Cet abandon apparent de l’internationalisme conduit le « radicalement » anti-étatique, anti-autoritaire et anti-impérialiste ACG à étrangement exiger que les autres États impérialistes s’allient à la « colère des gens ordinaires ». « Israël est capable de faire cela [faire la guerre] parce que, malgré toute la colère et l’opposition que ses actions génocidaires suscitent parmi les gens ordinaires, il n’y a pas, jusqu’à présent, d’alliés parmi les États-nations du monde, malgré le dépôt par l’Afrique du Sud d’une plainte pour génocide contre Israël auprès de la Cour internationale de justice, qui pourraient intervenir de manière significative en leur nom ». Quelle intervention l’ACG pense-t-il que ces « États-nations » devraient faire ?
Un indice est donné dans la phrase suivante : « L’Iran et ses alliés du Hezbollah se sont abstenus de s’engager à fond, malgré les provocations d’Israël, parce qu’ils connaissent les conséquences d’une escalade ». L’ACG pense-t-il que ces deux camps impérialistes devraient s’engager « à fond » dans une guerre contre Israël ? Qu’impliquerait un tel engagement si ce n’est une intervention militaire, c’est-à-dire le massacre des ouvriers en Israël, qu’ils soient ou non enrôlés dans Tsahal ? Les camarades de l’ACG doivent vraiment clarifier ce qu’ils veulent dire. Peut-être que le prolétariat devrait désormais soutenir l’impérialisme américain, qui a tenté de freiner l’offensive meurtrière d’Israël à Gaza ?
Afin de poursuivre son soutien à la libération du prolétariat palestinien face à l’oppresseur israélien, l’ACG préconise également que les travailleurs participent au mouvement ouvertement pro-palestinien et gauchiste Workers' for a Free Palestine, qui appelle à « mettre fin aux ventes d’armes à Israël et à ce que le gouvernement britannique soutienne un cessez-le-feu permanent ». Cela signifie-t-il que l’État capitaliste et sa façade démocratique ne sont plus l’ennemi du prolétariat ? Le prolétariat doit-il se mettre à genoux et supplier l’impérialisme britannique de soutenir un accord de paix ? On ne peut que supposer que l’ACG se réjouit du soutien actuel de l’impérialisme britannique à un cessez-le-feu. Un soutien qui dépend bien évidemment de ce que l’impérialisme britannique estime être le mieux pour ses intérêts nationaux.
L’intérêt national de l’État britannique consiste également à saper la confiance renouvelée et croissante du prolétariat en lui-même. En 2022, au beau milieu de la guerre en Ukraine, le prolétariat britannique a placé ses intérêts de classe au premier plan en élevant ses revendications de classe à travers une série de grèves. Cela a replacé la classe sur le terrain social, après des décennies d’enlisement dans la démoralisation, une perte de vision d’elle-même en tant que classe ayant la force de défendre ses propres intérêts. La classe dominante a voulu décourager davantage le prolétariat en lui donnant un sentiment d’impuissance face à la guerre en Ukraine. Ça n’a pas fonctionné. L’accélération de la crise économique, en partie due à la guerre, a fait remonter à la surface un profond mécontentement.
La bourgeoisie britannique, tout comme le reste de la classe dominante mondiale, a cependant utilisé la guerre à Gaza pour tenter de générer d’importantes divisions au sein de la classe. Semaine après semaine, la bourgeoisie a fait tout son possible pour promouvoir et autoriser les manifestations nationalistes pro-palestiniennes qui ont mobilisé des centaines de milliers de personnes. Les attaques incessantes des médias contre l’antisémitisme et la nature pro-Hamas de ces manifestations ont cherché à accroître les divisions au sein de la classe.
Au lieu d’avertir le prolétariat face au danger des défilés nationalistes, l’ACG les présente comme quelque chose de positif : « Les manifestations à travers le monde se poursuivent avec des centaines de milliers de personnes dans les rues chaque week-end dans les villes et les villages, grands et petits. Dans de nombreux endroits, les manifestations sont devenues plus furieuses, plus désespérées, alors que les forces armées israéliennes continuent d’assassiner en toute impunité ».
En lisant cet article, on se demande si l’ACG défend toujours ses propres objectifs et principes, qui incluent le rejet du nationalisme : « Nous rejetons toutes les formes de nationalisme, car elles ne servent qu’à redéfinir les divisions au sein de la classe ouvrière internationale. La classe ouvrière n’a pas de pays et les frontières nationales doivent être éliminées ».
Les travailleurs n’ont pas de pays mais l’ACG voit quelque chose de positif dans les manifestations contre le terrorisme d’État israélien et est donc en faveur d’une « Palestine libre ». Si l’ACG prenait au sérieux l’élimination des frontières nationales, elle s’opposerait de toutes ses forces à ce slogan.
Le CCI ne se réjouit pas de voir ses avertissements contre les concessions de l’ACG sur la « libération nationale », ainsi qu’au gauchisme, confirmés de manière aussi flagrante. C’est précisément la raison pour laquelle nous avons cherché à dénoncer ces concessions et à avertir les camarades de l’ACG, tout comme ceux qui sont influencés par ce groupe, des dangers auxquels ils sont confrontés.
L’ACG est à la croisée des chemins. Soit il commence à résister à l’influence croissante du gauchisme sur lui, ce qui implique de s’attaquer à sa source sous-jacente : son rejet du marxisme et de son avant-garde contemporaine, la tradition de la gauche communiste. Autrement, il s’engouffrera de plus en plus dans la brèche du gauchisme.
Phil, avril 2024
1« Positions internationalistes contre la guerre [146] », Internationalisme n° 379 (2023).
2« L’Anarchist Communist Group et la guerre à Gaza : Les ambiguïtés de l’internationalisme anarchiste [147] », Révolution internationale n° 500 (2024)
3Voir en anglais « Jackdaw for revolutionary anarchism n°16 [148] », Anarchist Communist Group.
80 ans jour pour jour après le débarquement sur les plages normandes, l’État français célèbre en grande pompe cet événement et lui offre une place de choix au centre de toutes les attentions. Sur toutes les chaînes, dans tous les médias, on ne parle plus que de cela. « Sans ces héros, nous serions encore allemands », avons-nous pu entendre à longueur de journée. « Nous avons un rôle de transmission et de mémoire ». Et Macron de rajouter : « Soyons dignes de ceux qui débarquèrent ici »… avant d’enchaîner sur le soutien infaillible de la France à l’Ukraine : « Votre présence, Monsieur le président d’Ukraine, dit tout cela. Merci au peuple ukrainien, à sa bravoure, à son goût de la liberté. Nous sommes là et nous ne faiblirons pas. Quand guette l’anesthésie et l’amnésie, quand s’endorment les consciences, c’est cet élan intact qui nous entraîne, sans crainte. Voilà pourquoi nous sommes ici ». Tout est dit : voilà pourquoi autant de battage médiatique : célébrons la fin de la plus grande boucherie qu’ait connu l’humanité pour mieux embrigader derrière un autre conflit barbare et meurtrier !
C’est pourquoi nous remettons en avant une série d’articles publiée en 2006 qui dénonçait déjà la propagande mensongère de la bourgeoisie à propos de la Seconde Guerre mondiale et qui sont totalement d’actualité. Tous les chefs d’États présents aux commémorations du D-Day sont tous de l’espèce des grands vautours impérialistes qui alimentent le militarisme et le chaos dans le monde. Tous contribuent froidement à entretenir le conflit en Ukraine et à nourrir une vaste campagne idéologique belliciste face à Poutine, au nom de la « paix ». Cette commémoration n’est qu’une nouvelle propagande détestable destinée à marteler qu’il faudrait accepter les « sacrifices » et « mourir pour la patrie ».
Loin d’apporter la paix à l’humanité, la « victoire de la démocratie sur le fascisme » n’a été qu’un prélude, à la guerre permanente que se livrent toutes les nations, petites ou grandes, au quatre coins de la planète. Le véritable responsable de la Seconde Guerre mondiale, des horreurs du nazisme, des crimes des « alliés » et des guerres innombrables qui ont suivi depuis, c’est le capitalisme !
– Les commémorations de 1944 : 50 ans de mensonges impérialistes (1er partie) [152]
– Les commémorations de 1944 : 50 ans de mensonges impérialistes (2e partie) [153]
La coterie lepeniste n’avait pas encore consommé son triomphe aux élections européennes que le Président Macron annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation d’élections législatives dans la foulée. La rumeur d’une dissolution bruissait depuis plusieurs semaines, mais la nouvelle n’a pas manqué d’inquiéter les chancelleries européennes dans un contexte de montée du populisme en Europe et dans le monde. Après Orbán en Hongrie et Meloni en Italie, alors que l’extrême droite est au plus haut en Allemagne et que le clown Farage est en passe de torpiller le Parti conservateur au Royaume-Uni, Macron, tel un joueur de poker, a « balancé sa grenade dégoupillée », offrant au Rassemblement national (RN) l’occasion d’accéder au pouvoir en France.
Alors que se dessine l’hypothèse d’un gouvernement populiste, le RN s’est empressé de ranger au placard son discours « social » et ses positions les plus radicales sur l’Europe pour tenter de rassurer l’appareil d’État, le patronat et les « partenaires européens ». Pour mener des attaques contre nos conditions de vie, le gouvernement de Bardella ne faiblira pas !
Mais cela ne suffira pas à conjurer l’amateurisme crasse des cadres du RN, les outrances racistes et notoirement rétrogrades de ce parti fondé par la lie de l’extrême droite, tout comme le risque de flambées de violence une fois le résultat connu (1) et l’instabilité politique qui s’installera durablement sur le pays. Et ce d’autant plus que les fractions populistes de la bourgeoisie ont non seulement maintes fois prouvé leur incapacité à défendre efficacement le capital national (comme Trump aux États-Unis ou les partisans du Brexit en Grande-Bretagne), mais sont aussi particulièrement inadaptées pour conduire habilement les « réformes » contre la classe ouvrière. Pour la bourgeoisie, le RN au pouvoir représentera une accélération considérable du chaos social et une onde de choc affaiblissant la France, et par conséquent l’Europe, dans l’arène mondiale.
La poussée de populisme dans le monde n’est donc pas le produit de manœuvres bien orchestrées de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, (2) comme le répètent à l’envi les partis de gauche selon qui le « bloc bourgeois » préférerait se jeter dans les bras de l’extrême droite plutôt que dans les leurs. En réalité, aux États-Unis comme en Europe, le populisme est avant tout un pur produit de la profonde décomposition de la société capitaliste.
Les contradictions du système ont atteint un degré si inextricable que la bourgeoisie est désormais incapable de faire face à la crise et au chaos croissant : la précarité généralisée et le chômage de masse, la guerre sur tous les continents, les catastrophes environnementales ou industrielles à répétition, les millions de migrants jetés sur les routes, l’effondrement des systèmes de santé et de l’école, la dégradation continue des conditions de travail, le désespoir, la peur de l’avenir… La classe dominante n’a, aux yeux de tous, plus la moindre perspective à offrir à la société, si ce n’est tenter de « sauver les meubles » au jour le jour. C’est ce contexte de crise et de sauve-qui-peut qui a permis au populisme de prospérer, de promouvoir son idéologie nauséabonde et irrationnelle, de désigner des boucs émissaires à la vindicte, d’encourager le repli identitaire… (3)
Alors une question se pose : faut-il aller voter pour barrer la route au racisme éhonté du RN, à son autoritarisme franc du collier et aux promesses d’attaques tous azimuts contre la classe ouvrière, particulièrement les prolétaires issus de l’immigration ? Que Macron réussisse son pari, que le RN ou le « Nouveau Front populaire » (NFP) remportent les élections ou qu’aucune majorité ne s’impose, la crise du capitalisme ne disparaîtra pas. Quelle que soit la clique bourgeoise au pouvoir, de gauche ou de droite, radicale ou modérée, elle ne fera qu’accentuer les attaques contre nos conditions de vie. Le prolétariat n’a rien à défendre, ni à gagner en participant au cirque électoral ! (4)
Le NFP prétend porter un programme de « rupture », mais cette coalition fera comme a toujours fait la gauche depuis un siècle et dans tous les pays : défendre les intérêts du capital national, faire payer la crise aux exploités. La gauche, y compris quand elle se prétend « radicale », a toujours été le bras armé de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. En Grèce, Tsípras et son gouvernement « de rupture » ont mené la pire des politiques d’austérité pendant plus de trois ans. La gauche « radicale » espagnole, main dans la main avec le PSOE, a attaqué sans relâche les conditions de vie des travailleurs, des chômeurs, des retraités… Mélenchon, l’ancien apparatchik du Parti socialiste, et sa clique de staliniens repentis ne dérogeront pas à la règle. D’ailleurs, le NFP a déjà promis d’apporter sa contribution au massacre en Ukraine en envoyant des milliards d’euros d’armes et de munitions. Comme Macron ou le Front populaire de Léon Blum, ils exigeront demain des « sacrifices » pour financer la guerre et les sordides intérêts impérialistes de la France !
Il n’y a également aucune illusion à se faire quant au sort des réfugiés avec la gauche au pouvoir : ils pourchasseront impitoyablement les migrants et les laisseront croupir dans des camps de rétention ou se noyer par milliers dans la Méditerranée, comme ils l’ont toujours fait ! Si la marine grecque est aujourd’hui à la pointe de l’ignominie, elle le doit notamment à l’œuvre du « radical » Tsípras (encore lui !) qui n’a pas hésité à signer des accords migratoires ignobles avec la Turquie et fut un artisan zélé de ce véritable « camp de la mort » qu’était celui de Mória. Faut-il encore documenter l’hystérie anti-réfugiés du Parti socialiste en France ou la xénophobie à peine voilée du PCF de Marchais ou de Roussel ? Faut-il rappeler l’abominable « politique migratoire » de la gauche en Espagne ? Le racisme et la xénophobie, les barbelés anti-migrants et les camps de rétention sont loin d’être l’apanage de la seule extrême droite !
Comme en Allemagne avec les récentes manifestations contre l’AfD, la gauche et les syndicats français ont tenté de rejouer les mobilisations démocratiques de 2002, lorsque le FN s’était hissé au second tour de l’élection présidentielle. Il n’y aurait pas d’autre choix que de se mobiliser, non pas en tant qu’ouvriers en lutte, mais dans les urnes, en tant que « citoyens », pour défendre la « démocratie » et barrer la route au « fascisme ». (5)
L’évocation, la larme à l’œil, du « Front populaire » de 1936 s’inscrit pleinement dans cette campagne de propagande. Car le Front populaire, aujourd’hui comme hier, c’est la négation-même du prolétariat. Après la défaite de la vague révolutionnaire débutée en Russie en 1917, le prolétariat est vaincu. En Allemagne, la révolution de 1918-1919 a été écrasée dans le sang. La contre-révolution stalinienne a fauché les révolutionnaires et totalement désorienté la classe ouvrière. C’est sur les cendres de la défaite que la bourgeoisie française pousse au pouvoir Léon Blum et sa coalition avec pour objectif de préparer la guerre. Et c’est au nom de la défense de la démocratie que le Front populaire (qui enfermait déjà les réfugiés espagnols dans des camps de concentration à ciel ouvert) a enchaîné des millions de prolétaires au drapeau de l’antifascisme, militarisant les usines et préparant les esprits au massacre. Son « œuvre » a conduit dans la tombe des millions d’ouvriers pendant la Seconde Guerre mondiale pour une cause, celle de la défense de la nation, qui n’était pas la leur. (6)
La situation historique a bien changé depuis : le prolétariat n’est pas vaincu et n’est pas prêt à se faire trouer la peau pour la défense du drapeau national. Bien au contraire ! Face aux « sacrifices » exigés par « l’économie de guerre » et la concurrence internationale, le prolétariat relève la tête. Depuis deux ans, les luttes massives se multiplient : Royaume-Uni, France, États-Unis, Allemagne, Canada, Finlande… Partout, le prolétariat se bat et commence à retrouver sa combativité, ses réflexes de solidarité, son identité.
Aujourd’hui, la menace que fait peser la propagande antifasciste sur le prolétariat n’est pas l’embrigadement massif dans la guerre, mais la perte de son identité de classe renaissante, condition de son unité et de sa réflexion pour retrouver le chemin de la révolution, de la destruction de l’État bourgeois qu’il soit « démocratique » ou « autoritaire ».
C’est pour cette raison que la bourgeoisie s’est empressée de jeter le discrédit sur « les ouvriers », prétendument réactionnaires et xénophobes, censés voter massivement pour le RN. (7) Cet odieux mensonge n’a pas d’autre objectif que de diviser le prolétariat et marteler l’idée que la classe ouvrière n’est porteuse d’aucun avenir.
Mais la bourgeoisie peut aussi compter sur son nouvel instrument de mystification, le Nouveau Front populaire, pour semer des illusions sur la « démocratie » et les élections, sur la « répartition des richesses », sur un capitalisme plus « écologique », plus « inclusif », plus « juste »… Sous les fenêtres des bureaux où se réunissaient les caciques du NFP pour se partager les circonscriptions, des manifestants, tout de même un peu méfiants vis-à-vis de ces belles promesses, scandaient : « Ne nous trahissez pas ! ». La seule chose que ce Front prétendument populaire ne trahira pas, c’est sa classe : la bourgeoisie !
L’avenir de la société ne se jouera pas dans les urnes mais par la lutte du prolétariat. Le seul moyen de combattre le populisme et l’extrême droite, c’est de lutter contre le capitalisme, contre l’État bourgeois et sa démocratie, contre tous les gouvernements. De droite ou de gauche, « autoritaire » ou « démocratique », « rétrograde » ou « humaniste », la bourgeoisie n’a qu’un seul programme : toujours plus de misère et de précarité, de guerre et de barbarie !
EG, 21 juin 2024
1 Les services de renseignement craignent non seulement des émeutes dans les banlieues et des débordements dans les manifestations « antifascistes », mais aussi les violences racistes de groupuscules d’ultradroite qui pourraient se sentir les ailes pousser avec l’arrivée de Bardella au pouvoir.
2 Même si les partis de droite comme de gauche ont pu, un temps, instrumentaliser l’ex-Front national. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que c’est le Parti socialiste, membre du « Nouveau Front populaire », qui a contribué à l’émergence du Front national dans les années 1980. À l’époque, le président Mitterrand avait orchestré la médiatisation du parti de Jean-Marie Le Pen pour mettre des bâtons dans les roues de la droite. (cf. « Au RN, un autre anniversaire : celui du coup de pouce de Mitterrand [155] », Libération (5 octobre 2022).
3 Sur les racines de la montée en puissance du populisme, voir : « Rapport sur la vie politique de la bourgeoisie : Comment la bourgeoisie s’organise [156] », Revue internationale n° 172 (décembre 2023).
4 Cf. notre brochure : Les élections, un piège pour la classe ouvrière [157].
5 La montée du populisme n’est pas celle du fascisme : Hitler et Mussolini ont conquis le pouvoir parce qu’ils représentaient, face à un prolétariat vaincu et écrasé, l’option la mieux adaptée aux capitaux allemand et italien pour préparer la guerre mondiale, seule « solution » de la bourgeoisie à la crise. Aujourd’hui, même si les illusions sur l’État démocratique ont pris du plomb dans l’aile, la bourgeoisie a toujours besoin de cette mystification pour affronter la classe ouvrière.
6 Cf. notre brochure : Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital [158]. Là aussi, il n’est pas inutile de rappeler que : 1. c’est la démocratie qui a fait le lit du fascisme ; 2. si le régime hitlérien a fait la démonstration d’une barbarie effroyable et inégalée, les Alliés n’étaient pas en reste et ont fait preuve, pendant la guerre, d’une indifférence à l’égard du sort des Juifs qui s’est parfois muée en complicité pure et simple.
7 Sans surprise, les savantes analyses de la bourgeoisie sont un grossier mensonge. D’abord, la classe ouvrière ne se réduit pas à la catégorie socio-professionnelle des travailleurs industriels : contrairement à un « employé » de commerce ou une sage-femme (« profession intermédiaire »), un « chef d’équipe » sur une ligne de production ne fait pas partie de la classe ouvrière. Par ailleurs, même en ne tenant compte que de la catégorie des « ouvriers », c’est l’abstention qui arrive largement en tête !
Après avoir rétabli la réalité de notre plateforme calomniée par le GIGC (Défense de la plateforme du CCI : les nouveaux mensonges du GIGC [168]), c'est à présent le contenu de notre intervention face à la guerre que nous devons défendre face aux élucubrations diffamatoires du GIGC attribuant au CCI les démarches ou analyses politiques suivantes : "dissimulation du danger de guerre", "Un internationalisme abstrait et intemporel, basé simplement sur les sentiments et la morale", "l'introduction de l’idéalisme bourgeois dans la doctrine révolutionnaire du prolétariat", …
Selon le GIGC, le CCI adopterait face à la guerre une approche qui "ne peut qu’ouvrir la voie à une sorte de pacifisme moral puisqu’elle n’enracine pas l’internationalisme sur le terrain très matériel de la relation dialectique entre le processus même de la guerre impérialiste et celui de la lutte des classes, qui se synthétise dans l’alternative "révolution prolétarienne internationale ou de la guerre impérialiste généralisée", révolution ou guerre."[1]
En quoi cela s'applique-t-il à notre intervention ? Pas un mot ! Du bluff, une contre-vérité enrobée dans une phrase ronflante pour éblouir les suiveurs du GIGC, s'il en est.
À l'inverse de ce que veut faire passer le GIGC, la politique du CCI face à la guerre est parfaitement ancrée dans le contexte de la situation mondiale actuelle et orientée par la perspective de la nécessité de renversement du capitalisme par le prolétariat :
Quant aux "alertes" du GIGC du type "Au nom de la Décomposition, le CCI n’a-t-il pas écarté définitivement toute perspective de troisième guerre mondiale"[3], elles sont destinées à semer le doute sur la détermination de notre organisation à assumer ses responsabilités face au danger de guerre.
Pour le CCI, cette déclaration témoigne du fait que, "face à l’accélération du conflit impérialiste en Europe, les organisations politiques basées sur l’héritage de la Gauche communiste continuent à brandir la bannière d’un internationalisme prolétarien cohérent et de fournir un point de référence à ceux qui défendent les principes de la classe ouvrière".[4]
Cette initiative, qui visiblement dérange le GIGC, l'amène à balancer tout ce qui lui passe par la tête, sans même le moindre souci de vraisemblance, pour la dénigrer. Aveuglé par sa haine du CCI, il "tire dans le tas" en direction des différents groupes signataires, sans même se soucier des positions réelles des uns et des autres ni du contenu réel de la déclaration, tous étant coupables à ses yeux d'avoir signé une prise de position commune avec le CCI. Ainsi, pour le GIGC, "L’initiative des groupes révolutionnaires que nous qualifierions d’opportunistes, à savoir le CCI et Internationalist Voice, que l’Institut Onorato Damen a rejoint, met en avant la permanence de la guerre impérialiste sous le capitalisme et nie la réalité en cours d’une consolidation des blocs impérialistes …. " [5]
Gros mensonge du GIGC : la Déclaration commune de groupes de la Gauche communistes [53] n'évoque ni les blocs impérialistes, ni l'idée d'une quelconque "permanence de la guerre impérialiste sous le capitalisme". Nous invitons nos lecteurs à s'en rendre compte par eux-mêmes.
Le GIGC rebondit sur son propre mensonge pour, cette fois, agiter l'épouvantail de "la théorie de la décomposition du capitalisme", défendue seulement par le CCI et qui constituerait, selon les termes du GIGC, "le cheval de Troie du CCI par lequel il introduit l’idéalisme bourgeois dans la doctrine révolutionnaire du prolétariat"[6]. Il en rajoute une couche avec cette idée que les conceptions du CCI aboutissent à "une situation dans laquelle l’histoire est au point mort", dans la mesure où "ce n'est plus la lutte entre les classes en conflit dans la société mais plutôt l’effet de la Décomposition sur la société dans son ensemble qui est le facteur déterminant du développement historique."
Notre intention n'est pas ici de convaincre un interlocuteur du camp prolétarien, puisque le GIGC n'en est pas un, mais nous nous devons de rétablir la vérité face aux distorsions que ces parasites font subir à notre analyse de la décomposition, tout comme ils l'ont fait avec le contenu de notre plateforme politique[7]. Que dit réellement le CCI et de quels dangers alerte-t-il ? : "Dans une telle situation où les deux classes fondamentales et antagoniques de la société s'affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive [La guerre pour la bourgeoisie, la révolution pour le prolétariat], l'histoire ne saurait pourtant s'arrêter. Encore moins que pour les autres modes de production qui l'ont précédé, il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale. Alors que les contradictions du capitalisme en crise ne font que s'aggraver, l'incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l'ensemble de la société et l'incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l'immédiat ne peuvent que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société."[8] Quand le CCI écrit "l'histoire ne saurait s'arrêter", "il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale", le GIGC nous prête l'idée que "l’histoire est au point mort "! On connait l'expression, "qui veut tuer son chien l'accuse de la rage". Elle collerait tout à fait à cette situation si n'est que l'enragé ici n'est pas le CCI, mais bien le GIGC !
Contrairement aux hallucinations de "l'enragé GIGC", "l’histoire ne peut pas être au point mort". En effet, tant que la classe ouvrière constitue une force dans la société, la révolution communiste demeure une possibilité à l'ordre du jour ; l'autre terme de l'alternative étant destruction de l'humanité, comme conséquence soit de la guerre mondiale, soit de l'enfoncement irréversible dans la décomposition. Pour qu'une guerre mondiale puisse avoir lieu il faudrait que deux blocs impérialistes se constituent, ce qui n'est pas actuellement à l'ordre du jour et possiblement ne le sera jamais. Par contre l'enlisement irréversible dans la décomposition est une menace beaucoup plus tangible, en cours de réalisation, et tout aussi catastrophique mais probablement plus terrible encore que la guerre mondiale.
En déconsidérant le CCI et en agitant l'épouvantail de sa "douteuse théorie de la décomposition", le but du GIGC était d'enfoncer un coin entre notre organisation et les autres groupes participant à l'appel, et ainsi d'entraver la possibilité qu'une telle démarche commune puisse être réitérée à un niveau supérieur.
Ainsi, pour le GIGC : "il est curieux, voire ironique, de voir le CCI qui rejette tout danger de guerre impérialiste généralisée, appeler à un nouveau Zimmerwald."[9]
Le CCI n'a jamais appelé à un nouveau Zimmerwald en tant que tel. Pour nous "l'importance réelle et durable de Zimmerwald réside dans le développement d'une ligne internationaliste intransigeante au sein d'une petite minorité appelée la Gauche de Zimmerwald. Cette dernière reconnaissait que la Première Guerre mondiale n'était que le début d'une période historique entière dominée par la guerre impérialiste qui nécessiterait un programme maximal pour la classe ouvrière : guerre civile, renversement des régimes bourgeois, dictature du prolétariat avec une nouvelle Internationale communiste pour remplacer la 2e Internationale chauvine en faillite."[10] Dans et à travers ce débat, Lénine et ceux qui l’entouraient ont forgé un noyau qui allait devenir l’embryon de l’Internationale communiste.
La situation actuelle et ses perspectives -même si elles ne s'énoncent pas en termes de Troisième guerre mondiale entre deux blocs impérialistes constitués- sont suffisamment dramatiques pour justifier une mobilisation de l'avant-garde politique du prolétariat pour préparer les conditions de surgissement du futur parti de la révolution communiste.
Ce n'est pas ainsi que le conçoit le GIGC. Sa logique de groupe parasitaire et policier[11] le conduit à apporter sa petite contribution au sabotage d'un tel projet en balançant les mesquineries qui lui vont si bien et les affabulations qui font partie de sa panoplie politique. Ainsi, il dévoile la prétendue "face cachée" de notre démarche pour une prise de position commune de la Gauche communiste face à la guerre en Ukraine :
a) "Outre le fait que cela lui [le CCI] servirait pour tenter d’exclure les soi-disant parasites d’une telle initiative, en premier lieu notre groupe, accepter son terrain lui permettrait d’imposer son rejet de la perspective et du danger de guerre impérialiste au nom d’une unité artificielle de la conférence. (…) N’est-ce pas précisément ce que l’Istituto O. Damen a dû accepter de fait".
Notre commentaire : Le contenu de la déclaration commune, pas plus d'ailleurs que nos propres positions, ne contient aucune formulation évoquant un quelconque rejet par le CCI de la réalité et de l'aggravation des tensions impérialistes. C'est l'inverse qui est vrai.
b) "Ainsi, dans une telle conférence aujourd’hui, le CCI jouerait le rôle que les centristes kautskistes ont joué au sein des conférences Zimmerwald-Kienthal et bloquerait les internationalistes conséquents d’aujourd’hui, ceux qui placent leur action face à la dynamique et aux étapes vers la guerre impérialiste généralisée."
Notre commentaire : Il va de soi que le GIGC se place dans la catégorie des "internationalistes conséquents d’aujourd’hui". Compte tenu de ce qui précède et si la question n'était pas aussi grave, nous aurions plutôt placé le GIGC dans la catégorie des "comiques indécrottables".
Néanmoins, concernant ce groupe, nous retenons cette caractérisation au sein de notre article "La lutte contre la guerre impérialiste ne peut être menée qu'avec les positions de la gauche communiste [169]", dans la partie "Un rappel des états de service du groupe FICCI / GIGC".
"La coterie parasitaire, un mélange chaotique de groupes et de personnalités, utilise un rabâchage indigeste des positions de la Gauche communiste pour attaquer la Gauche communiste réelle, la falsifier et la dénigrer."[12]
CCI, juin 2024
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[Retour à la série : Le parasitisme politique n'est pas un mythe, le GIGC en est une dangereuse expression [63]]
[1] Sur les différentes prises de position des groupes révolutionnaires depuis l’invasion de l’Ukraine : la question du danger de la guerre impérialiste généralisée [170] (révolution ou guerre 21, juin 2022)
[3] 24e congrès du CCI : la barque de la Décomposition prend l’eau [172]. Révolution ou Guerre n° 20
[4] Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukrain [53]e
[5] Sur les différentes prises de position des groupes révolutionnaires depuis l’invasion de l’Ukraine : la question du danger de la guerre impérialiste généralisée [170] - La prise de position conjointe de groupes de la Gauche communiste.
[6] Sur les différentes prises de position des groupes révolutionnaires depuis l’invasion de l’Ukraine : la question du danger de la guerre impérialiste généralisée [170] - La prise de position conjointe de groupes de la Gauche communiste (CCI).
[7] Lire à ce propos THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [173]
[9] Sur les différentes prises de position des groupes révolutionnaires depuis l’invasion de l’Ukraine : la question du danger de la guerre impérialiste généralisée [170] (révolution ou guerre 21, juin 2022)
[11] Dans l'article Les fondements marxistes de la notion de parasitisme politique et le combat contre ce fléau [175], lire "La FICCI (ancêtre du GIGC), une forme extrême de regroupement parasitaire".
En Europe, aux États-Unis et un peu partout dans le monde, les formations populistes ou plus traditionnelles d’extrême droite rencontrent des succès électoraux qui semblaient encore inconcevables une décennie auparavant. Cela s’est clairement exprimé lors les élections européennes de juin 2024 : le Rassemblement national (RN) en France, Alternative für Deutschland (AfD – Alternative pour l’Allemagne) ou Fratelli d’Italia (Fdl – Frères d’Italie) ont obtenu des scores impressionnants. En Grande-Bretagne, le Reform UK de Nigel Farage (principal promoteur du Brexit) pourrait absorber de larges pans d'électeurs du Parti conservateur, le plus ancien et expérimenté parti politique de la bourgeoisie. En France, le RN de Marine Le Pen devrait arriver en tête des prochaines élections législatives décrétées en catastrophe par le président Macron et pourrait potentiellement accéder pour la première fois au pouvoir. Et ceci dans un contexte où Trump a survolé les primaires du Parti républicain, surclassé un Biden de plus en plus gâteux lors de leur dernier débat et menace sérieusement de reprendre la Maison-Blanche en novembre prochain…
Les élections européennes ont confirmé la réalité d’un processus de fragilisation qui frappe l’ensemble des appareils politiques de la bourgeoisie dans le monde, non seulement dans les pays de la périphérie du capitalisme, les plus fragiles, des États les plus en vue d’Amérique latine comme le Mexique, le Brésil ou l’Argentine, mais également dans le cœur du capitalisme, celui des grandes puissances démocratiques de l’ouest de l’Europe et des États-Unis.
Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à l’aube des années 1990, malgré un contexte d’approfondissement continuel de la crise économique, la bourgeoisie avait maintenu une certaine stabilité dans le paysage politique, dominé la plupart du temps par le bipartisme, des alternances ou des coalitions solides, comme c’était le cas, par exemple, en Allemagne (SPD et CDU), en Grande-Bretagne avec les Tories et le Labour, aux États-Unis avec les Démocrates et les Républicains, ou en France et en Espagne avec l’opposition de partis de gauche et de droite. En Italie, la principale force politique garantissant la stabilité de l’État durant toute cette période était la Démocratie chrétienne. Cela permettait de dégager des majorités parlementaires relativement stables dans un cadre institutionnel apparemment bien huilé.
Cependant, dès la fin des années 1980, le capitalisme décadent entrait progressivement dans une nouvelle phase historique, celle de sa décomposition. L’implosion du bloc « soviétique » et le pourrissement sur pied croissant du système allaient accroître les tensions au sein des diverses bourgeoisies nationales et affecter de plus en plus leur appareil politique. L’approfondissement de la crise et l’absence de plus en plus évidente de perspectives, y compris pour certains secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, a rogné de plus en plus la « crédibilité démocratique » des partis traditionnels et a fait surgir un peu partout, dès le début du XXIe siècle, des mouvements populistes dénonçant les « magouilles des élites au pouvoir », conjuguée à une montée en puissance de l’abstention et d’une volatilité électorale croissante.
Progressivement, le contrôle de la bourgeoisie sur son système politique a commencé à montrer des failles. En France, après les « cohabitations forcées », la mise en avant de Macron pour contrer la montée du Front national a mené à l’effondrement du Parti socialiste discrédité, et à la fragmentation du parti de droite. Au Royaume-Uni, la bourgeoisie a tenté de récupérer le mouvement populiste en faveur du Brexit à travers le Parti conservateur, ce qui a conduit à sa fragmentation actuelle. En Italie, la Démocratie chrétienne s’est effondrée elle aussi, laissant la place à de nouvelles formations comme Forza Italia (avec à sa tête déjà un leader populiste, Berlusconi), puis à une kyrielle de mouvements populistes et d’extrême-droite à la tête de l’État (le Mouvement 5 Étoiles, la Lega de Salvini, Fratelli d’Italia). Aux Pays-Bas, trois des quatre partis de la majorité parlementaire sont d’inspiration populiste. Aux États-Unis, depuis Bush junior et son administration, des tendances populistes minent de plus en plus fortement le Parti républicain (comme celle du Tea Party, par exemple) et ont mené à la mainmise du populiste Trump sur ce parti.
Avec l’accélération de la décomposition ces dernières années, notamment depuis la pandémie de Covid-19, la vague populiste contraint de plus en plus d’États, à composer avec des fractions bourgeoises marqués par l’irrationalité, la versatilité et l’imprévisibilité. Le populisme est ainsi l’expression la plus caricaturale d’une société de plus en plus marquée par la décomposition du mode de production capitaliste.
La montée du populisme n’est pas, à ce titre, le résultat d’une manœuvre délibérée de la classe dominante. (1) L’effervescence au sein des fractions les plus « rationnelles » de la bourgeoisie face à la percée de ces organisations exprime leur réelle inquiétude. Bien que le populisme soit fondamentalement « l’un des leurs » et que ses discours xénophobes et rétrogrades sont, en vérité, un concentré puant de l’idéologie de la classe bourgeoise (individualisme, nationalisme, domination par la violence…), l’accès des partis populistes et de leurs dirigeants totalement irrationnels et incompétents aux commandes des États ne peut que compliquer davantage la gestion des intérêts de chaque capital national et aggraver le chaos qui se répand déjà partout sur la planète.
La montée du populisme dans plusieurs pays confirme ce que le CCI avait déjà analysé dans les Thèses consacrées à l’analyse de la période historique de la décomposition et dans lesquelles nous soulignions « la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. À la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l’infrastructure de la société. […] L’absence d’une perspective (exceptée celle de “sauver les meubles” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut ». (2)
Cette avancée inévitable de la décomposition capitaliste explique aussi l’échec des mesures prises par les partis traditionnels de la bourgeoisie pour stopper la montée du populisme. (3) Ainsi, la bourgeoisie britannique a tenté de réorienter le désastre du « Brexit » en remplaçant Boris Johnson et Liz Truss par un premier ministre plus responsable, Rishi Sunak en 2022. Mais le « fiable » Sunak a réagi à la défaite aux élections municipales en avançant les élections législatives, ce que de nombreux analystes ont qualifié de « suicide politique » pour les « tories », autrefois l’emblème de la bourgeoisie la plus intelligente et la plus expérimentée du monde. On peut en dire autant d’un Macron, soutenu depuis des années par toutes les forces politiques de la bourgeoisie française (y compris la gauche qui a voté pour lui, rappelons-le, avec une « pince à linge sur le nez » pour empêcher l’arrivée au pouvoir de Le Pen) et qui, en dissolvant précipitamment l’Assemblée nationale, ouvre potentiellement la voie au RN et, quoi qu’il arrive, à l’imprévisible et au chaos. Cette politique de terre brûlée s’oppose complètement aux intérêts des factions qui se veulent les plus responsables au sein de l’appareil politique, comme en témoignent les divisions au sein des partis de droite et la constitution hâtive d’un Nouveau Front Populaire de gauche au parcours incertain. Enfin, aux États-Unis, l’éviction de Trump en 2020 n’a pas aidé le Parti républicain à trouver un autre candidat plus « prévisible ». Le Parti démocrate n’a pas non plus su comment réagir et doit miser aujourd’hui sur un Biden de plus de 81 ans pour stopper Trump.
Que les dirigeants des principaux États capitalistes s’abandonnent aux coups de poker, dans des aventures irresponsables aux résultats imprévisibles, dans lesquels les intérêts particuliers de chaque clique, voire de chaque individu, priment sur ceux de la bourgeoisie dans son ensemble et des intérêts globaux de chaque capital national, est révélateur du manque de perspective, de la prédominance du « chacun pour soi ».
Les conséquences de cette dynamique de perte de contrôle seront nécessairement une accélération importante du chaos et de l’instabilité mondiale. Si la première élection de Trump avait déjà marqué un accroissement de l’instabilité dans les rapports impérialistes, sa réélection signifierait une accélération considérable du chaos impérialiste mondial en reconsidérant, par exemple, le soutien américain envers l’Ukraine ou en soutenant sans réserve la politique de terre brûlée de Netanyahou à Gaza. Le retour de Trump aux affaires aggraverait encore la déstabilisation des Institutions et, plus généralement, la fragmentation du tissu social à l’image de ce qu’a représenté l’assaut du Capitole en janvier 2021. L’aggravation de la crise économique est aussi à prévoir avec l’accentuation du protectionnisme non seulement envers la Chine mais aussi envers l’Europe.
L’impact serait important aussi sur l’Union européenne (UE), déchirée elle aussi par des tensions croissantes autour de la guerre en Ukraine ou du conflit à Gaza, comme on peut le voir en particulier entre la France et l’Allemagne au sujet de l’envoi de troupes sur le sol ukrainien. Ces tensions risquent de croître avec la montée en puissance des forces populistes, qui tendent à être moins hostiles envers le régime de Poutine et moins enclines au soutien financier et militaire à l’Ukraine. Par ailleurs, la politique d’austérité économique de l’UE (limitation des déficits budgétaires, de l’endettement…) s’oppose également au protectionnisme économique et social, prôné par les populistes au nom de la « souveraineté nationale ».
Quelles que soient les difficultés que rencontrent les différentes bourgeoisies pour garder le contrôle sur leur appareil politique, elles tentent par tous les moyens de les exploiter pour contrer le développement des luttes ouvrières, pour contrer la réflexion au sein du prolétariat et empêcher ainsi le développement de la conscience en son sein. Pour ce faire, elle peut compter sur la gauche qui déploie tout son arsenal idéologique et avance de fausses alternatives. En Angleterre, le Parti travailliste se présente comme l’alternative « responsable » pour enrayer le désordre provoqué par la gestion irresponsable du Brexit par les gouvernements conservateurs successifs. En France, face à la décision imprévisible de Macron d’organiser des élections, la grande majorité des forces bourgeoises de la gauche traditionnelle et plus radicale s’est unie au sein d’un « nouveau front populaire » pour s’opposer à l’avènement de l’extrême-droite. En exploitant les oppositions entre secteurs de la bourgeoisie face à la montée du populisme et de l’extrême droite, elle tente de détourner le prolétariat du seul combat qui puisse mener à la libération de l’humanité à travers le renversement du système capitaliste, et à promouvoir de fausses perspectives : la défense de la démocratie. (4) Alors que le vote mobilise les ouvriers comme des « citoyens » atomisés, la gauche présente les résultats électoraux comme un reflet de l’état de conscience de la classe. La bourgeoisie exhibe souvent des cartes montrant la croissance du vote populiste dans les quartiers ouvriers afin de marteler que la classe ouvrière serait la cause de la montée du populisme, qu’elle serait une foule d’ignares sans avenir. Elle sème aussi la division entre les travailleurs « racisés » qui seraient les victimes des travailleurs « blancs privilégiés ».
Il est donc clair que les difficultés politiques accrues pour la bourgeoise ne signifient nullement une opportunité pour le prolétariat de les mettre à profit pour développer son propre combat. Cette situation n’occasionnera nullement un renforcement automatique de la classe ouvrière. C’est au contraire une opportunité utilisée et exploitée idéologiquement par la classe dominante.
Le prolétariat a besoin de politiser ses luttes, mais pas dans le sens prôné par la gauche du capital, en s’engageant dans la défense de la « démocratie » bourgeoise. Il doit au contraire refuser les élections et se battre sur son propre terrain de classe, contre toutes les fractions et expressions du monde capitaliste qui menacent de nous condamner à la destruction et à la barbarie.
Valerio, 1er juillet 2024
1 Cf. « Comment la bourgeoisie s’organise [156] », Revue internationale n° 172 (2024).
2 « La décomposition, phase ultime de la décadence (1991) [173] », Revue internationale n°107 (2001).
4 Cf. notre brochure : Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital [158].
Les élections parlementaires (Lok Sabha) en Inde se sont tenues d’avril à juin dernier. Le prolétariat, comme partout ailleurs, n’avait rien à attendre de ces échéances dont l’issue ne fait que déterminer quelle fraction de la bourgeoisie va assurer sa domination sur la société et sur les ouvriers qu’elle exploite. Ces élections se sont tenues dans un contexte où le capitalisme en déclin plonge toujours davantage l’humanité dans le chaos du fait d’une accélération de sa décomposition sociale, générant des crises multiples (guerre, crise économique, sociale, écologique, climatique…) qui se conjuguent et se renforcent mutuellement, alimentant un tourbillon toujours plus destructeur. En Inde comme ailleurs : « la classe dirigeante est de plus en plus divisée en cliques et en clans, chacun faisant passer ses propres intérêts avant les besoins du capital national. Cette situation fait que la bourgeoisie a de plus en plus de mal à se comporter comme une classe unifiée et à garder le contrôle global de son appareil politique. La montée du populisme au cours de la dernière décennie est le produit le plus clair de cette tendance : les partis populistes incarnent l’irrationalité et le « no future » du capitalisme, en promulguant les théories conspirationnistes les plus absurdes et une rhétorique de plus en plus violente à l’encontre de « l’establishment » politique. Les factions les plus « “responsables” de la classe dirigeante s’inquiètent de la montée du populisme parce que leurs comportements et leurs politiques sont en contradiction directe avec ce qu’il reste du consensus traditionnel de la politique bourgeoise ».1
Les élections en Inde traduisent et confirment ces difficultés croissantes pour la classe dominante. En effet, les différents mandats de la faction Modi traduisaient déjà depuis ses débuts la confusion entre les intérêts de l’État indien et ceux d’une poignée d’oligarques issus principalement d’une même région, l’État du Gujarat (à l’ouest du sous-continent). Héraut de l’idéologie nationaliste hindoue, au discours à la fois martial et messianique, Narendra Modi reste le porteur d’une vieille tradition qui combattait déjà la vision unitaire et territoriale de la « nation indienne » incarnée par Gandhi (assassiné d’ailleurs en 1948 par un membre issu de cette mouvance hindouiste politique et religieuse radicalisée). À l’instar de Trump, une partie de la campagne de Modi s’était appuyée sur le slogan « rendre à l’Inde sa grandeur »2, faisant référence à l’histoire prétendument glorieuse de la culture hindoue avant qu’elle ne soit colonisée et détruite par les envahisseurs musulmans et chrétiens. Selon ce récit, même après l’indépendance de l’Inde en 1947, la population hindoue avait été freinée par les « élites corrompues » du Congrès national indien (INC).
Modi prétend que la civilisation hindoue est supérieure à toute autre civilisation et qu’elle devrait revendiquer et défendre un statut plus conforme à ses ambitions dans le monde. Modi accompagne ses délires politiques d’un véritable clientélisme et bon nombre de ceux qui avaient intérêt à propulser son idéologie et son parti aux premières loges s’en sont mis plein les poches, à l’image des milliardaires, tels l’ineffable Akshmi Mittal, Mukesh Ambani ou encore Gautam Adani, qui se retrouve par exemple à la tête d’un véritable conglomérat évalué en bourse à près de 240 milliards de dollars, et dont la fortune personnelle a augmenté de 230 % depuis l’arrivée au pouvoir de Modi en 2014 ! Les élections n’ont fait, naturellement, que conforter ces états de faits au détriment des intérêts de l’ensemble de l’État indien.
Au niveau politique, le résultat de ces nouvelles élections parlementaires, loin de marquer une stabilisation de la stucture politique, confirment les difficultés croissantes et une fragilisation du gouvernement, soumis à un discrédit grandissant. Les sondages à la sortie des urnes, prévoyaient une grande victoire du Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi. Mais c’est le contraire qui s’est produit : le BJP a perdu 63 sièges. Cependant, la NDA, l’alliance dirigée par le BJP, a quand même obtenu la majorité absolue (293 des 543 sièges). En conséquence, pour la première fois, Narendra Modi devra gouverner avec une coalition qui s’avère très complexe à mettre en œuvre, car le BJP va désormais être dépendant de ses alliés, entre autres le Telugu Desam Party (TDP) et le Janata Dal (United) (JDU).3 Le poids croissant du chacun pour soi, de dirigeants ambitieux et de forces centrifuges feront que les négociations pour les futurs postes gouvernementaux de la coalition risquent d’être longues et très difficiles. Bon nombre de mesures très controversées que souhaitait prendre le BJP, comme la redistribution du nombre de sièges parlementaires par État, s’annonce désormais très difficile avec un risque de fortes tensions. Toute tentative de conciliation au sein de la coalition se fera nécessairement au détriment d’une autre composante. Ainsi, le risque est grand de voir l’affirmation d’une plus grande autonomie des composantes, notamment de la droite, avec l’organisation paranationaliste hindoue RSS jouant davantage sur son profil paramilitaire menaçant inspiré par les groupuscules violents et radicaux de l’extrême droite en Europe.4
Ainsi affaibli, âgé de 73 ans, le Premier ministre Modi risque donc d’être exposé à de nombreux problèmes, en dépit du mythe « d’invincibilité » qu’il avait voulu construire et de ses ambitions démesurées. L’Inde, comme pour les autres grands pays de la planète, devient de plus en plus instable et difficile à gouverner.
Si les faiblesses croissantes de la bourgeoisie indienne touchent son jeu politique et le rendent plus fragile, cela ne saurait signifier pour autant que le prolétariat pourrait en tirer un quelconque bénéfice. C’est même l’inverse, au vu des mystifications démocratiques renforcées. Les élections du printemps 2024 ont été présentées à la fois par le président du Parti du Congrès, Mallikarjun Kharge comme « une victoire du public et une victoire pour la démocratie », par le Premier ministre Modi comme « la victoire de la plus grande démocratie du monde », mais aussi par Rahul Gandhi comme un effort extraordinaire dans lequel « vous êtes tous venus voter pour la défense de la démocratie et de la constitution » de même que par le Deccan Chronicle5 comme « un témoignage de la résilience de la démocratie indienne ». Toute la bourgeoisie n’est que trop heureuse de jouer à l’unisson de cette mystification démocratique contre la classe ouvrière qui repose sur l’idée que la démocratie est progressiste, qu’elle est un remède à tous les malheurs en affirmant que les très mauvaises conditions de vie de la majorité de la population indienne peuvent être améliorées en élisant un autre gouvernement. De plus, cette idéologie s’accompagne d’une forte propagande nationaliste. Bien entendu, tous les partis bourgeois promettent que les choses iront mieux s’ils sont élus, mais cela est totalement impossible dans les conditions historiques actuelle du capitalisme. Toutes les promesses de prospérité et de libertés démocratiques sont des mensonges cherchant à masquer la dictature du capital et sa faillite. D’ailleurs, malgré un taux de croissance économique annuel moyen de 8 %, les travailleurs souffrent toujours davantage d’années d’exploitation et d’une pauvreté effroyable. Le gouvernement exige pourtant que les travailleurs serrent encore davantage les dents et acceptent encore de nouvelles attaques. Modi demande aux travailleurs du BJP de « faire également des sacrifices pour le pays ». Il mène aussi une croisade religieuse, divisant les travailleurs, favorisant un repli ethnique opposant hindous, chrétiens, sikhs et musulmans. Ces derniers sont présentés comme la cinquième colonne en Inde. Le Cachemire et le Jammu, où vivent presque exclusivement des musulmans, sont soumis à une sorte de loi martiale. Dans le reste du pays, les musulmans, qui représentent 15 % de la population, sont pourchassés par les suprémacistes hindous. Du point de vue des intérêts de la bourgeoisie dans son ensemble, une telle politique est complètement irrationnelle, car au lieu de renforcer la cohésion de la nation, l’une des fonctions principales de l’État, elle l’affaiblit en alimentant un désordre meurtrier.
Contrairement à une personnalité comme Indira Gandhi, qui n’à jamais avancé le projet de faire de l’Inde une « nation hindoue » Modi s’appuie sur de nombreuses milices de terrain en semant partout la terreur. Ainsi, non seulement son gouvernement ne parvient pas à apporter la prospérité et le développement promis, mais il apporte également davantage d’instabilité : sa politique élargit les fissures et accroît les tensions dans la société. En 2023, 428 incidents ont été enregistrés dans 23 États, notamment des intimidations communautaires, des violences envers les vaches sacrées et des lynchages.6 La Cour suprême indienne a signalé à juste titre que la violence des fondamentalistes hindous était en train de devenir « la nouvelle norme ». L’Inde est en train de devenir une poudrière sociale de plus en plus dangereuse, comme l’a affirmé l’évaluation statistique des risques 2023-24, révélant que l’Inde se classe au cinquième rang des pays les plus à risque de massacres parmi les 166 répertoriés.
Face à cette situation catastrophique et aux menaces liées à l’instabilité croissante, seule les travailleurs qui font partie de la classe ouvrière internationale sont capables d’avancer une alternative Au cours des cinq dernières années, les travailleurs de différents secteurs ont mené une lutte sur leur propre terrain : dans le secteur de la santé, des transports, dans l’automobile, dans les différents secteurs agricoles, parmi les employés des banques publiques, ainsi que les travailleurs du textile. Il y a même eu trois grèves à l’échelle de l’Inde où les travailleurs hindous et musulmans se sont battus côte à côte. Mais la classe ouvrière en Inde est isolée et n’a pas la conscience de classe et l’expérience de la classe ouvrière d’Europe occidentale ou des États-Unis. Le poison de la campagne idéologique bourgeoise en cours martelant le slogan « les hindous d’abord » (et tous les autres ensuite) et la propagande démocratique qui l’accompagne constituent un obstacle à la reconquête de son identité de classe. Néanmoins, les travailleurs indiens ont montré qu’ils sont capables malgré les campagnes bourgeoises nauséabondes de lutter contre la détérioration de leurs revenus, non pas en termes de religion, de caste ou d’appartenance ethnique, mais en tant que classe dont les intérêts sont partout les mêmes : l’opposé de ceux de la classe exploiteuse, et qui possède la capacité de développer ses luttes à l’échelle mondiale pour la destruction du système capitaliste
D/WH
1Lire sur notre site l’article : La gauche du capital ne peut pas sauver ce système à l’agonie.
2Modi n’a probablement pas formellement prononcé ce slogan, mais c’est le discours de son parti, le BJP.
3Respectivement : les partis du nouveau ministre en chef de l’État fédéral de l’Andhra Pradesh, N. Chandrababu Naidu et celui du ministre en chef chef de l’État fédéral du Bihar Nitish Kumar.
4Il s’agit du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) (“organisation patriotique nationale”, une organisation paramilitaire de nationalistes hindous au riche palmarès d’émeutes sanglantes et meurtrières.
5Quotidien indien de langue anglaise.
6Voir : Rising Tide of Hate [181] : India's Decade of Increasing Communal Violence and Discrimination [181], 6 juin 2024.
Avec la publication du dernier texte du camarade Steinklopfer, et la réponse qui suit ici, nous poursuivons, avec un peu de retard, le débat interne sur la situation mondiale et ses perspectives auquel on peut accéder dans un dossier de contributions remontant au 23e congrès du CCI en 2019[1] . Le premier échange de ce débat, sous le titre "Débat interne au sein du CCI sur la situation internationale", publié en août 2020, exposait les principales divergences, entre l'organisation et les camarades en désaccord, autour de l'évolution des antagonismes impérialistes et du rapport de force entre les classes, le camarade Steinklopfer discernant une tendance marquée à la formation de nouveaux blocs impérialistes et à une Guerre mondiale, sur la base d'une évaluation différente de celle du CCI concernant les défaites subies par la classe ouvrière dans les années 1980 et la capacité de cette dernière à entraver la marche vers la guerre mondiale. Mais il abordait également les causes sous-jacentes et les conséquences ultimes de la phase de décomposition.
À travers les deux textes suivants, "Explication des amendements du camarade Steinklopfer rejetés par le Congrès" et "Réponse au camarade Steinklopfer -août 2022", le débat a approfondi notre compréhension de la décomposition ; pour l'organisation, les positions développées par Steinklopfer tendaient à remettre en cause ce concept théorique, même si le camarade prétendait le défendre encore. En mai 2022, nous avons publié une contribution du camarade Ferdinand, qui avait voté pour les amendements proposés par le camarade Steinklopfer. Cet article portait sur l'approche du CCI concernant l'émergence de la Chine en tant que puissance mondiale, et la réponse de l'organisation, "Réponse à Ferdinand", était pour une grande partie destinée à répondre à ce que Ferdinand considérait comme notre sous-estimation de ce développement historique indubitablement important, un développement qui est à nouveau au cœur de la dernière contribution de Steinklopfer et de notre réponse. Dans les deux réponses du CCI, nous avons soutenu que, malgré certaines erreurs initiales, notre reconnaissance de l'importance historique de l'essor de la Chine est claire, la différence portant sur la façon dont nous l'interprétons dans le contexte de la phase terminale du capitalisme.
Nous invitons nos lecteurs à revenir sur ces articles afin de suivre les principaux fils du débat, qui a des implications très concrètes sur notre capacité à analyser les dangers réels auxquels sont confrontés la classe ouvrière et l'ensemble de l'humanité, et à comprendre pleinement à la fois le rôle de la classe ouvrière en tant que pôle alternatif à la barbarie capitaliste et la fonction de l'organisation révolutionnaire dans les conditions actuelles de la lutte prolétarienne.
Il est toujours plus évident que la civilisation capitaliste est à bout de souffle et qu’elle menace de plus en plus la survie de l’humanité. Les fractions les plus intelligentes de la classe dominante le reconnaissent déjà à travers leur notion de «polycrise» mettant en lien les pandémies, l’effondrement économique et écologique ainsi que la prolifération de guerres et de tensions militaires[2] . Pour les différentes composantes du milieu révolutionnaire marxiste, qui ont depuis plus d’un siècle maintenant mis en lumière l’alternative "socialisme ou barbarie", le glissement vers la barbarie devient de plus en plus concret. Mais il existe des divergences importantes entre les organisations de la gauche communiste concernant la forme et la trajectoire précises de ce glissement aujourd'hui, et donc sur les dangers les plus urgents auxquels sont confrontés la classe ouvrière et l'humanité dans son ensemble. La majorité de ces groupes affirment que nous assistons à la formation d'alliances ou de blocs impérialistes stables dominés par un leader incontesté, et donc à une trajectoire définie vers une nouvelle guerre mondiale. Cela implique également que la classe dirigeante a désormais la capacité de mobiliser la classe ouvrière -à l'échelle mondiale- pour l'enrôler dans l'effort de guerre de ces hypothétiques blocs concurrents. En particulier, tant l'organisation que les camarades en désaccord acceptent l'idée que le conflit impérialiste primordial sur la planète oppose les États-Unis à son nouveau challenger, la Chine, et que, surtout depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, il existe un danger croissant d'affrontements militaires non seulement entre des États impérialistes secondaires ou tertiaires, mais aussi entre les grandes puissances elles-mêmes. Nous pouvons également noter que le débat a clarifié certaines interprétations erronées de notre application du concept de décomposition. Par exemple, comme le note le camarade Steinklopfer dans son texte le plus récent : "Une autre clarification est la réponse qu'il apporte à ma critique selon laquelle le CCI considère désormais le "chacun contre tous" impérialiste comme une sorte de deuxième explication principale à l'entrée du capitalisme en décomposition. L'article explique que le CCI considère ce chacun contre tous comme un facteur contributif et non comme une cause de la décomposition. Je l'ai compris maintenant camarades, vous n'entendrez plus cette critique de ma part".
Néanmoins, il reste des désaccords fondamentaux entre les deux points de vue, concernant les implications de la tendance au "chacun pour soi" dans les relations impérialistes, et la capacité de la bourgeoisie à mobiliser la classe ouvrière pour la guerre. Et comme nous essaierons de le montrer à nouveau dans cet article, les positions adoptées par Steinklopfer dans sa contribution la plus récente tendent encore à remettre en cause les fondements de la notion de décomposition du CCI.
Pour Steinklopfer, le changement le plus important survenu depuis 1990 est l'émergence de la Chine en tant que véritable challenger des États-Unis. Comme il le dit dans sa dernière contribution :
Comme nous le disons dans notre actualisation de "Militarisme et décomposition (mai 2022) [52] –Revue internationale 168), lorsque nous avons analysé les possibilités de formation de nouveaux blocs impérialistes en 1990, nous n'avons pas pris en compte la montée en puissance de la Chine sur le plan économique et impérialiste. Il s'agit certainement d'une évolution d'une importance énorme et il ne fait aucun doute que, contrairement aux candidats que nous avions envisagés à l'époque (l'Allemagne et le Japon), la Chine s'est révélée être un challenger plus crédible à la domination mondiale des États-Unis. Malgré leurs profondes divisions, toutes les principales factions de la bourgeoisie américaine reconnaissent la nécessité de bloquer l'ascension de la Chine et, au moins depuis l'administration Obama, ont élaboré une stratégie d'encerclement de la Chine par le biais d'alliances militaires telles qu'AUKUS et la Quad, d'une pression économique croissante et de la tentative d'affaiblir l'"ami" militaire le plus puissant de la Chine, la Russie, en l'entourant de pays membres de l'OTAN et en la poussant à riposter en Ukraine. La Chine a elle aussi sa stratégie pour atteindre l'hégémonie mondiale, en renforçant sa puissance économique sur une longue période, en élargissant sa présence commerciale (et militaire) grâce à la construction des "nouvelles routes de la soie", et en se préparant ainsi aux confrontations impérialistes plus directes du futur.
Cependant, la réalité de cette "bipolarisation" entre les États-Unis et la Chine, et l'existence réelle de ces stratégies impérialistes à plus long terme, ne signifient pas que nous serions maintenant beaucoup plus avancés vers la constitution de nouveaux blocs impérialistes que nous ne l'étions en 1990. Certes, la Chine constitue maintenant un concurrent sérieux pour le rôle de leader du bloc, mais en même temps, s'est également renforcée la contre-tendance du chacun pour soi au niveau des relations internationales, et au sein des bourgeoisies nationales. L'imprévisibilité de la vie politique de la classe dirigeante américaine en est un signe clair. Une victoire de Trump lors des prochaines élections mettrait à mal la stratégie de l'administration actuelle vis-à-vis de la Chine en adoptant une attitude beaucoup plus conciliante à l'égard de la Russie, contrairement aux efforts actuels des États-Unis pour faire pression sur la Russie et affaiblir sa capacité à agir en tant qu'allié militaire sérieux de la Chine.
Trump donnerait également les coudées franches à Israël pour poursuivre sa politique de la terre brûlée au Moyen-Orient, ce qui ne peut avoir pour résultat que d'intensifier l'instabilité et la barbarie dans toute la région ; et l'attitude du "payez ou sinon", de Trump à l'égard des pays de l'OTAN, réduirait à néant les efforts de Biden pour ramener l'OTAN dans le giron militaire américain. Mais même si Biden gagne, cela n'améliorera pas substantiellement la capacité des États-Unis à imposer leur volonté à Israël ou à discipliner leurs "alliés" en Europe, où de puissantes forces centrifuges sont en gestation. Si la guerre en Ukraine, à première vue, semblait se conformer au modèle de deux camps clairement définis, typique de la période 1945-89, la guerre au Moyen-Orient et l'attaque terroriste IS-K à Moscou, exprimant une nouvelle menace aux frontières asiatiques de la Russie, ont notamment mis en lumière la nature véritablement chaotique des conflits inter-impérialistes d'aujourd'hui.
De leur côté, les rêves de la Chine de forger une alliance solide contre les États-Unis se heurtent également à des obstacles importants. La période de son "miracle économique" touche à sa fin sous le poids d'une vaste accumulation de dettes ; ces faiblesses économiques, associées à l'instabilité croissante au Moyen-Orient et ailleurs, menacent l'avenir de l'ensemble de son projet de "route de la soie" ; alors que dans le même temps, la puissance économique incontestable de la Chine rend tous ses voisins et alliés potentiels, y compris la Russie, extrêmement méfiants à l'idée de se soumettre à une nouvelle forme de domination chinoise.[3]
Bien entendu, plus les États-Unis intensifieront leur encerclement de la Chine, plus cette dernière sera poussée à se venger, notamment en envahissant Taïwan, ce qui provoquerait nécessairement une réponse militaire de la part des États-Unis, avec des risques d'escalade nucléaire non moins importants et peut-être même plus importants que ceux qui sont actuellement inscrits dans la guerre en Ukraine. Le camarade Steinklopfer se félicite que la réponse précédente qui lui a été adressée reconnaisse "que le danger de conflits atomiques incontrôlés est plus grand que pendant la guerre froide - et que ce danger continue de croître". Mais pour nous, de telles catastrophes incontrôlées sont profondément ancrées dans le processus même du chacun pour soi, du chaos impérialiste croissant, et sont donc tout à fait compatibles avec l'analyse théorique de la décomposition. Pour Steinklopfer, en revanche, la formation de blocs et une marche "contrôlée" vers la guerre mondiale ne contredisent pas la théorie de la décomposition :
Mais notre position sur la possibilité de nouveaux blocs (développée non pas tant dans les Thèses sur la décomposition que dans le texte d'orientation Militarisme et décomposition (octobre 1990) [52], publié en octobre 1990 ) ne se limitait pas au truisme selon lequel les blocs sont, en dernière analyse, le produit de la concurrence capitaliste, mais soutenait qu'en plus de l'absence d'un véritable candidat pour un nouveau leader, le désordre croissant de la nouvelle phase constituait lui-même une contre-tendance à la formation de nouveaux blocs. Dans la nouvelle période, citant le fait que "les tendances centrifuges entre tous les États, suite à l'exacerbation des antagonismes nationaux, ne peuvent qu'être accentuées", il poursuit :
En quelques années, comme indiqué précédemment, nous avions conclu que, loin de maintenir un minimum d'ordre, le recours croissant des États-Unis à la force militaire, surtout en Afghanistan et en Irak, était devenu un facteur principal d'extension et d'intensification du désordre, et ce bien avant l'accélération marquée de la décomposition et du chaos dans les années 2020.
Nous pouvons ajouter qu'il est sûrement significatif que le camarade Steinklopfer ne mentionne pas le fait que l'événement fondateur qui a permis de parler de la décomposition comme d'une phase qualitativement nouvelle dans la vie du capitalisme était précisément l'effondrement d'un bloc impérialiste entier sans guerre mondiale - une expression profonde du processus de "désintégration intérieure" (pour reprendre le terme utilisé pour définir la nouvelle époque de décadence lors du congrès fondateur du Comintern en 1919) qui s'est imposée dans la phase finale de cette époque.
Ce que les Thèses sur la décomposition montrent clairement, et nous le répétons, c'est que la société se putréfie, se désagrège, parce qu'aucune des deux classes n'est capable d'offrir une perspective pour le futur ; et pour la classe dirigeante, il s'agit de la capacité d'unir la société derrière cette perspective, comme ce fut le cas pendant les années de la contre-révolution, lorsque la classe ouvrière avait subi une défaite frontale et historique. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous examinerons la situation du prolétariat mondial aujourd'hui, mais nous devons d'abord examiner une question qui contribue davantage à la surestimation par le camarade de la capacité de la bourgeoisie à maintenir son contrôle sur la société : la question de l'écologie, de la destruction capitaliste de la nature.
Dans l'Idéologie allemande de 1845 -alors que le capitalisme avançait vers son zénith- Marx et Engels prévoyaient déjà que "Dans le développement des forces productives, il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation qui ne peuvent être que néfastes dans le cadre des rapports existants et ne sont plus des forces productives, mais des forces destructrices (le machinisme et l'argent)". Dans leur impatience de voir la révolution prolétarienne, ils considéraient ce changement de qualité comme plus ou moins imminent. Ils ont rapidement tiré les leçons des révolutions de 1848 et conclu que le capitalisme avait encore du temps devant lui avant que sa crise historique n'ouvre la porte à la révolution communiste ; mais Marx en particulier est revenu sur cette question vers la fin de sa vie, dans ses recherches sur les anciennes formes communautaires et les problèmes croissants du "métabolisme" de l'homme avec la nature, se demandant -face à la nécessité de répondre aux questions posées par les révolutionnaires en Russie- s'il serait nécessaire que chaque pays passe par les feux du développement capitaliste, avec toutes ses conséquences destructrices, avant qu'une révolution mondiale ne devienne une possibilité réelle. Là encore, la conquête effective du globe par l'impérialisme dans la dernière partie du XIXe siècle a montré que le processus de destruction brutale des formes précapitalistes et de pillage des ressources naturelles était inéluctable. Mais cette course effrénée n'a fait qu'accélérer le moment où le capitalisme a plongé dans son époque de "désintégration intérieure", signalée par le déclenchement de la Première Guerre mondiale, lorsque la révolution s'est présentée non seulement comme possible mais comme une nécessité si l'humanité voulait éviter une régression catastrophique.
Contre de nombreuses interprétations erronées, le CCI a toujours insisté sur le fait que la décadence du capitalisme ne signifie pas un arrêt du développement des forces productives, et peut même inclure un développement prodigieux dans certaines branches de la production. Cependant, précisément parce que la survie continue du capitalisme a été un fardeau sur le dos de l'humanité qui devient de plus en plus lourd au fil des décennies, nous voyons de plus en plus les forces productives du capital se transformer en forces destructrices. L'expression la plus évidente de ce changement est le développement du cancer du militarisme -une économie de guerre permanente pour répondre aux besoins d'une guerre impérialiste quasi-permanente. Ceci est classiquement illustré par l'avènement des armes nucléaires, dans lesquelles les progrès les plus profonds de la science ont été rassemblés pour produire des armes qui pourraient facilement détruire toute vie sur Terre, une sinistre réalisation des mots de Marx dans son discours à l'anniversaire du Journal du Peuple, en avril 1856 : "L'humanité acquiert la maîtrise de la nature, mais, en même temps, l'homme devient l'esclave des hommes et de sa propre infamie. La pure lumière de la science elle-même semble avoir besoin, pour resplendir, du contraste de l'ignorance. Toutes nos découvertes et tout notre progrès ont pour résultat, semble-t-il, de doter les forces matérielles d'une vie intelligente et de ravaler l'homme au niveau d'une simple force matérielle."[4]
Autre exemple frappant : le développement spectaculaire de l'informatique, d'internet et de l'intelligence artificielle. Potentiellement un moyen de raccourcir la journée de travail et de supprimer les travaux répétitifs et épuisants, le capital décadent s'est emparé de l'ordinateur et d'Internet pour brouiller la distinction entre vie professionnelle et vie privée, pour licencier massivement, pour diffuser les intoxications idéologiques les plus pernicieuses, tandis que la généralisation de l'intelligence artificielle -même si ses dangers potentiels peuvent être délibérément exagérés pour cacher des dangers plus imminents résultant de la production capitaliste- apparaît désormais non seulement comme une menace pour l'emploi, mais comme un moyen potentiel de remplacement et de destruction de l'espèce humaine.
Dans la réponse du camarade Steinklopfer, en revanche, le côté destructeur du "développement des forces productives" du capitalisme semble être gravement sous-estimé. Ainsi, pour lui, la transformation de millions de paysans en ouvriers par le miracle économique chinois, accompagnée de l'urbanisation frénétique de tout le pays, ne semble être qu'un gain pour la future révolution prolétarienne : "Au cours des 30 dernières années, c'est jusqu'à un demi-milliard de paysans en Chine qui ont été prolétarisés, ce qui constitue de loin le développement numérique le plus massif du prolétariat dans l'histoire du capitalisme. De plus, ce nouveau prolétariat gigantesque est, dans une large mesure, très habile, éduqué et inventif. Quel gain pour les capacités productives de l'humanité ! Quel potentiel surtout pour l'avenir !"
La classe ouvrière mondiale, en avançant vers la révolution, exploitera certainement le potentiel de ces nouvelles masses prolétariennes. Mais Steinklopfer ne mentionne pas le fait que l'industrialisation et l'urbanisation rapides de la Chine au cours des dernières décennies ont également été un facteur d'accélération de la crise écologique mondiale, y compris la gestation de pandémies comme l'explosion du Covid 19. Comme l'expliquent les "Thèses sur la décomposition", la prolongation de la vie du capital dans la phase de décomposition ne doit absolument pas être considérée comme une condition préalable nécessaire à la révolution prolétarienne mondiale. Au contraire, elles insistent sur le fait que la décomposition est essentiellement un facteur négatif dans le développement de la conscience de classe prolétarienne, tandis que la "mondialisation" du capital alimentée par la dette au cours des dernières décennies menace avant tout de saper les bases naturelles d'une future société communiste. Une fois de plus, nous pensons qu'il s'agit là d'une preuve supplémentaire que Steinklopfer, bien qu'il prétende être d'accord avec les thèses sur la décomposition, s'y oppose en réalité au niveau le plus essentiel.
Une autre preuve de la sous-estimation de la question écologique par Steinklopfer se trouve dans ce passage : "Bien que nous ne devions certainement pas sous-estimer les dangers gigantesques découlant de la relation destructrice du capitalisme avec la nature (dont la guerre impérialiste est une partie essentielle), il est tout à fait possible que la société bourgeoise -par ses manipulations technologiques et autres- puisse repousser l'extinction de notre espèce par des crises environnementales pour les 50 ou cent prochaines années (au prix d'une barbarie innommable, par exemple d'éventuels génocides contre les mouvements de réfugiés climatiques".
Dans cette optique, la destruction de la nature semble agir en quelque sorte "en parallèle" à la poussée guerrière, même si le camarade reconnaît que la guerre impérialiste en fait partie. Mais ce qui a été souligné par le CCI, en particulier depuis le début de la présente décennie, c'est l'interaction croissante entre la crise écologique et la guerre impérialiste : une démonstration lucide en est fournie par le coût écologique des guerres actuelles en Ukraine et au Moyen-Orient (augmentation rapide des émissions toxiques, menace de destruction de l'agriculture et de famine, danger de pollution nucléaire et d'autres formes de pollution, réduction des mesures "vertes" prévues par les gouvernements occidentaux afin de dédier plus de ressources à la guerre, etc.). Simultanément, l'épuisement des ressources naturelles et la course à l'exploitation des sources d'énergie restantes ne peuvent qu'exacerber la concurrence nationale et donc militaire. Nous pouvons également ajouter qu'un certain nombre d'études scientifiques ont montré que les "solutions technologiques" proposées par le capitalisme pour lutter contre le changement climatique (telles que l'injection massive de dioxyde de soufre dans la haute atmosphère terrestre afin d'épaissir artificiellement la couche de particules d'aérosols réfléchissant la lumière, ou l'idée de la bioénergie avec capture et stockage du carbone - BECCS) sont plus que susceptibles d'exacerber le problème à plus ou moins long terme.[5]
Nous avons déjà évoqué l'incapacité de la bourgeoisie à mobiliser la classe ouvrière des pays capitalistes centraux en vue d'une guerre mondiale. À un premier niveau, cela s'exprime par la résistance continue de la classe ouvrière aux tentatives de la bourgeoisie de réduire le niveau de vie dans "l'intérêt national", c'est-à-dire les intérêts impérialistes de l'État-nation. Mais le problème auquel est confrontée la bourgeoisie est également d'ordre idéologique. Pour rassembler différents pays autour d'un bloc impérialiste, il faut un ciment idéologique unificateur, comme l'antifascisme et la défense de la démocratie dans les années 30 et 40. À cette "idéologie de bloc" globale ont rapidement succédé, à la fin des années 40 et au cours des décennies suivantes, les fables de l'"antitotalitarisme" à l'Ouest et de la "défense de la patrie socialiste" à l'Est, bien qu'il faille dire que la capacité de la classe dirigeante de l'Ouest à changer d'ennemi, de l'Allemagne nazie à la Russie stalinienne, et à s'en tirer, n'aurait pas été possible si la contre-révolution n'avait pas encore battu son plein. En tant que force unificatrice, elle n'avait pas le pouvoir de l'antifascisme, car l'influence de l'idéologie stalinienne sur la classe ouvrière en Occident était encore forte à cette époque. Quoi qu'il en soit, l'un des signes que la période contre-révolutionnaire touchait à sa fin dans les années 1960 était la tendance de la classe ouvrière à se détacher de certains des principaux thèmes de l'idéologie bourgeoise. L'une des expressions de ce phénomène a été le développement de ce que l'on appelle le "syndrome du Vietnam" aux États-Unis, un aveu ouvert de l'incapacité de la classe dirigeante à poursuivre la mobilisation directe de la jeunesse prolétarienne au nom de l'"endiguement du communisme".
En cette période de décomposition, il est évident que la classe dirigeante des pays centraux manque sérieusement d'une idéologie qui pourrait servir à convaincre la classe ouvrière qu'il vaut la peine et qu'il est nécessaire de se sacrifier sur les autels de la guerre impérialiste. La "guerre contre la terreur", conçue expressément aux États-Unis pour remplacer l'anticommunisme comme justification de la guerre, s'est soldée par les fiascos de l'Afghanistan et de l'Irak et a donné naissance à encore plus de formes de terrorisme, comme l'État islamique. Il est vrai que l'appel à défendre la démocratie contre les "autocraties" en Russie, en Chine, en Iran et en Corée du Nord a été ressorti de la naphtaline, mais étant donné l'extrême scepticisme à l'égard du "processus démocratique" dans les pays avancés, il y a encore du chemin à parcourir avant qu'une nouvelle croisade pour la démocratie puisse être utilisée par la bourgeoisie pour huiler les rouages de la machine de guerre ; et bien que ce scepticisme soit en grande partie pris en main par les forces du populisme plutôt que par une critique prolétarienne de la démocratie, le populisme lui-même n'est pas plus efficace en tant qu'idéologie de guerre, car il est un produit direct de la décomposition et des fractures de la classe dirigeante qui en résultent ; et il ne peut s'alimenter qu'en attisant davantage ces divisions, réelles ou imaginaires (guerres culturelles, dénonciation des élites, transformation des immigrés en bouc-émissaires, etc.) Il n'est pas chargé de guider les grands États-nations dans un effort de guerre (ce qui n'exclut pas, bien sûr, le recours à des actes de guerre hautement "irresponsables" lorsqu'il s'empare des rênes du gouvernement).
Nous pourrions ajouter que le leader potentiel d'un nouveau bloc -la Chine- est beaucoup trop dépendant de sa méthode de gouvernement soit par la répression flagrante, soit par la pression économique, tout en manquant de la force idéologique nécessaire pour attirer d'autres forces mondiales dans son orbite. Ce que les commentateurs bourgeois aiment appeler le "capitalisme léniniste" est beaucoup moins efficace à ce niveau que les proclamations "socialistes" et "anti-impérialistes" de l'ex-URSS ou de la Chine elle-même sous Mao.
Ce sont des problèmes réels pour la bourgeoisie d'aujourd'hui, mais ils brillent par leur absence dans les arguments de Steinklopfer.
La réponse du camarade Steinklopfer aborde bien sûr la question des défaites subies par la classe ouvrière en évaluant la capacité de la classe dirigeante à entrer en guerre. Il expose sa position dans la deuxième partie de sa réponse (point 4) :
En réalité, l'organisation n'a pas découvert l'idée de défaites il y a quelques années lorsque la réponse précédente à Steinklopfer a été écrite, et elle pensait que le simple fait de parler de défaites était "défaitiste", elle devrait se critiquer pour cela. Comme nous l'avons dit dans la réponse précédente, le CCI a toujours adhéré à cette citation de Rosa Luxemburg : "la révolution est la seule forme de "guerre" -et c'est une autre loi particulière de l'histoire- dans laquelle la victoire finale ne peut être préparée que par une série de "défaites"" ("L'ordre règne à Berlin", 1919). Dans les années 1980, par exemple, nous avons écrit sur la grave défaite de la grève de masse en Pologne et de la grève des mineurs en Grande-Bretagne. La résolution sur le rapport de forces entre les classes du 23e congrès explique clairement que cette dernière s'inscrivait dans une contre-offensive globale de la classe dominante qui, avec les effets croissants de la décomposition sur la classe ouvrière, explique son incapacité à faire avancer la troisième vague de luttes depuis 1968, ce qui a certainement exacerbé l'énorme impact des campagnes idéologiques autour de l'effondrement du bloc de l'Est en 1989.
La question qui nous oppose ici n'est pas de savoir si l'on parle ou non de défaites, mais de la nature, de la qualité de ces défaites. Pour nous, la notion même de décomposition est fondée sur l'argument selon lequel la classe des pays avancés, à aucun moment depuis les années 80, n'avait subi une défaite frontale, historique, comparable à ce qu'elle avait vécu dans les années 20, 30 et 40. C'est pourquoi nous avons parlé d'une impasse et non d'une victoire de la bourgeoisie. C'est pourquoi nous soutenons toujours que les conditions préalables à la mobilisation de la classe pour une guerre mondiale restent les mêmes. Selon nous, la preuve de cette absence de défaite historique et de la capacité continue du prolétariat à répondre à la crise capitaliste est fournie par la rupture de la lutte des classes qui se poursuit depuis les mobilisations du prolétariat en Grande-Bretagne à l'été 2022 et qui n'a pas faibli. Le camarade Steinklopfer ne mentionne pas ces événements historiquement importants dans son texte. Il est vrai que celui-ci a été écrit en septembre 2022, avant que la reprise des luttes ne soit confirmée par l'éclosion de mouvements dans d'autres pays (notamment en France) mais, même à l'automne 2022, il aurait été possible de faire une évaluation préliminaire du mouvement en Grande-Bretagne et de l'analyse qu'en fait l'organisation - plus particulièrement de notre insistance sur le fait que ces luttes marquent le début de la récupération de la perte de l'identité de classe mentionnée dans la réponse de Steinklopfer.
Dans les deux parties de la réponse du camarade Steinklopfer, figurent deux points sur la question spécifique de la conscience de classe. Dans la première partie, il reprend nos critiques à son idée selon laquelle, au lieu d'assister à une "maturation souterraine" de la conscience de classe, nous vivons en réalité un processus de "régression souterraine".
Pour commencer, la réponse du camarade fait fausse route lorsqu'il demande "la maturation souterraine est-elle toujours un processus linéaire et accumulatif" ? Nous n'avons jamais parlé de la maturation de la conscience dans la classe, qu'elle soit ouverte ou cachée, au grand jour ou souterraine, comme d'un processus linéaire qui doit toujours aller de l'avant. Ce que nous avons dit depuis que nous avons commencé à utiliser cette idée dans les années 1980, c'est que, même dans les périodes où stagne la conscience dans la classe, la conscience de classe, la conscience communiste, peut s'approfondir et progresser grâce aux activités théoriques des révolutionnaires, comme elle l'a fait dans les années 1930 par exemple grâce au travail des fractions de gauche. En même temps, nous avons soutenu qu'un tel processus de maturation ne se limite pas à la réflexion et à l'élaboration des organisations politiques, mais peut aussi se développer à une échelle beaucoup plus large, surtout dans les périodes où la classe ouvrière n'a pas été écrasée par la contre-révolution. À notre avis, les mouvements de grève actuels témoignent précisément d'un tel processus, qui n'est pas seulement une réponse aux attaques immédiates auxquelles la classe est confrontée, mais la manifestation d'un mécontentement qui s'est accumulé pendant des années ("trop c'est trop"), et qui a également donné des signes d'une réapparition de la mémoire ouvrière, comme dans les références aux luttes de 1968 et de 2006 dans le mouvement en France. Parallèlement à cela, on voit apparaître des éléments plus directement politisés à la recherche de positions claires, notamment autour du problème de l'internationalisme. Tels sont les fruits d'une véritable croissance souterraine et les révolutionnaires commettraient une grave erreur en ne les remarquant pas. Enfin, s'il est vrai qu'une partie de la gauche communiste "régresse" dans l'opportunisme ou reste paralysée par des formules dépassées, nous ne pensons pas que le CCI lui-même soit victime d'une telle stagnation ou d'un tel retour en arrière, même si le combat contre l'influence de l'idéologie dominante est nécessairement permanent pour toutes les organisations révolutionnaires.
Le deuxième point concerne le lien entre les différentes dimensions de la lutte des classes : économique, politique et théorique.
Bien qu'affirmant l'unité de ces trois dimensions, nous pensons que le camarade persiste en fait à isoler l'économique des aspects politiques et théoriques. Les luttes du prolétariat ne sont pas restées sur le plan purement économique après les jours grisants de mai-juin 68 à Paris. Le côté inévitablement politique de tout mouvement de grève digne de ce nom était déjà affirmé par Marx et Engels dans la période ascendante, mais c'est encore plus vrai à l'époque de la décadence où la tendance de la lutte est de se heurter au pouvoir de l'État. Les travailleurs polonais de 1976 et 1980 le savaient parfaitement, tout comme les mineurs britanniques en 1972,74 et 84. Le problème, bien sûr, est que la possibilité de pousser plus loin cette politisation implicite a été et continue d'être entravée par la domination idéologique de la bourgeoisie, activement imposée par les forces chargées de maintenir la lutte des classes sous contrôle, en particulier les syndicats et les partis de gauche. Mais il n'en reste pas moins que la nécessité de développer une vision plus large et plus profonde de l'orientation de la lutte des classes, en la reliant à l'ensemble de l'avenir de l'humanité, nécessite le stimulus de la crise économique et la volonté des travailleurs de se battre sur leur propre terrain. Cette approche a déjà été mise en avant dans les parties finales des Thèses sur la décomposition, et est confirmée une fois de plus par le renouveau actuel des luttes de classe qui font les premiers pas vers la récupération de l'identité de classe, en trouvant une voie à travers le brouillard de confusion créé par le populisme, la politique identitaire et les mobilisations interclassistes. Et le combat pour faire avancer la dimension politique et théorique de ces mouvements revient plus spécifiquement à l'organisation révolutionnaire. D'autre part, la tendance à séparer la dimension économique de la dimension politique de la lutte des classes, que nous pouvons encore discerner dans le texte de Steinklopfer, a toujours été le premier pas vers la vision moderniste qui voit la classe ouvrière piégée dans sa résistance purement économique, voire pleinement intégrée à la société bourgeoise. En même temps, à part souligner la nécessité pour l'organisation révolutionnaire de développer ses armes théoriques (ce que personne ne désapprouve en soi), l'ensemble des implications pour notre activité militante - défense et construction de l'organisation, intervention dans la lutte des classes -reste inexploré dans les contributions de Steinklopfer et Ferdinand, et devrait être approfondi dans la discussion si on veut qu'elle avance.
Amos, avril 2024
[1] Dossier: Internal debate on the world situation [185], ICC Online.
[2] See Update of the Theses on Decomposition (2023) [186], International Review 170
[3] Steinklopfer n'est pas d'accord pour dire que les États-Unis ont poussé la Russie à envahir l'Ukraine parce qu'une telle tactique contient le risque d'une escalade nucléaire. Mais de tels risques n'ont jamais empêché le bloc occidental de s'engager dans la même stratégie d'encerclement et de provocation contre l'URSS pendant la guerre froide -une stratégie que les États-Unis considèrent comme un grand succès, puisqu'elle a conduit à l'effondrement de l'"Empire du Mal" sans conflit militaire mondial. Comme Steinklopfer le dit lui-même, "le monde est entre les mains d'imbéciles" , tout à fait prêts à risquer l'avenir de l'humanité pour défendre leurs intérêts impérialistes.
[4] Les révolutions de 1848 et le prolétariat [187]. K. Marx.
[5] Voir par exemple la critique des solutions technologiques proposées par Jason Hickel, dans "Less is More, How Degrowth will save the world", 2020. Hickel critique également de façon convaincante les idées du "Green New Deal" de la gauche. Mais les théoriciens de la "décroissance" - y compris le "communisme de la décroissance" de Kohei Saito - restent encore dans l'horizon du capitalisme, comme nous visons à le montrer dans un prochain article.
La montée du populisme est un produit direct de la décomposition du capitalisme et a créé de profondes divisions au sein de la classe dirigeante. Aux États-Unis, le Parti démocrate semble paralysé dans ses efforts pour empêcher Trump de revenir à la présidence, une issue qui accélérerait le glissement vers le chaos tant aux États-Unis qu’à l’échelle internationale. En France et en Grande-Bretagne, l’histoire est un peu différente, avec Macron et le « Nouveau Front populaire » qui s’allient pour bloquer l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national, et le Labour qui écrase un parti Tory profondément gangrené par le populisme. Malgré cela, les forces du populisme et de l’extrême droite continuent de croître sur le terreau d’une société en décomposition.
La CCI organisera une réunion publique internationale en ligne pour discuter de cette situation parce que nous pensons qu’il est vital :
– d’analyser et comprendre les conflits entre les différentes factions de l’ennemi de classe
– Dénoncer les principales attaques idéologiques qui accompagnent ces événements, notamment la « défense de la démocratie contre le fascisme "
– Dégager les véritables intérêts de la classe ouvrière face à ces mystifications : ne pas se fier aux urnes ou à l’élection au parlement de partis qui prétendent parler en son nom, mais se défendre par une lutte collective et indépendante, en jetant les bases d’une confrontation politique avec l’ensemble du système capitaliste.
La réunion se tiendra le samedi 20 juillet entre 15h et 18h (heure française).
Si vous souhaitez participer, veuillez nous envoyer un courriel à l’adresse suivante : [email protected] [197]
Les prochaines olympiades qui se dérouleront à Paris du 26 juillet au 11 août, suivies des jeux paralympiques du 28 août au 8 septembre ne semblent pas s’engager sous les meilleurs auspices. Dans un contexte de guerre en Europe et de fortes tensions géopolitiques, de crise économique et d’incertitudes politiques, ces Jeux ont du mal à enthousiasmer les foules. Aux tracasseries ordinaires des Parisiens exposés aux désagréments des préparatifs depuis des mois, il faut ajouter l’énorme hausse des tarifs des transports urbains et, surtout, la véritable « chasse aux pauvres » qui s’est emparée de la capitale.
Afin de pas ternir « l’image de la France » et le grand spectacle programmé aux abords de la Seine, la bourgeoisie a expulsé sans ménagement les « indésirables ». On assiste ainsi à un « déplacement massif et forcé des populations fortement précarisées. Depuis 2021-2022, on a constaté une hausse de 40 % des expulsions des lieux informels (squats, bidonvilles, campements de tentes…) situés à proximité des sites olympiques à Paris et Saint-Denis ainsi que des 25 espaces d’animations en marge des compétitions, dispersés dans la capitale. Sont concernés des personnes migrantes, des mineurs non accompagnés, les sans-abri ou encore les travailleuses du sexe ». (1) Pour l’État, seul compte son image sur la scène internationale !
Le nombre des expulsés s’est même accéléré brutalement à l’approche des échéances olympiques. La « chasse aux pauvres » a conduit à l’ouverture des hypocritement nommés « sas d’accueil temporaires » en régions (Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Besançon, Rouen, Orléans, etc.). En catimini, des cars se succèdent pour déplacer les indésirables vers ces lieux volontairement excentrés. Finalement, bon nombre d’entre eux se retrouvent de nouveau à la rue… mais loin de la « fête du sport » !
Cette entreprise barbare et inhumaine est étroitement liée à une obsession sécuritaire qui conduit aussi l’État à accroître, de manière inouïe, son dispositif de surveillance et de répression. À mesure que s’exacerbe la crise du système capitaliste et les tensions sociales qui l’accompagnent, ce type de manifestations, JO ou autres grandes compétitions internationales, conduisent les forces de répression à quadriller l’espace, déployer des moyens aux proportions inédites, ouvertement totalitaires.
Déjà lors des précédents JO en Europe, ceux de Londres en 2012, le dispositif de sécurité s’apparentait à une véritable opération militaire : « on a compté 12 000 policiers en service et 13 500 militaires disponibles, c’est-à-dire plus que les troupes anglaises déployées en Afghanistan (9500 soldats) ! Plus que les 20 000 soldats de la Wehrmacht à Munich en 1936 ! A cela, on doit ajouter encore 13 300 agents de sécurité privés ! Un dispositif ultra-rapide de missile sol-air avait carrément été installé sur un immeuble, dans une zone densément peuplée, près du principal site olympique pour parachever le bouclier antiaérien ». (2)
Les moyens déployés pour ces nouvelles olympiades seront cependant largement supérieurs. Les besoins journaliers en agents de sécurité ont été estimés de 22 000 à 32 000 et il est même question de mobiliser l’armée ! Mais le caractère inédit est l’usage de la vidéo-surveillance algorithmique, autrement dit, l’exploitation de l’intelligence artificielle pour une surveillance policière hors normes. Cela, avec près de 15 000 vidéo-caméras. (3) Ces caméras sont capables d’analyser les comportements des individus et même potentiellement de collecter des données biométriques. Nul doute que ces dispositifs vont être pérennisés après les JO, comme après à chaque mise en œuvre « exceptionnelle », préparant ainsi à terme l’officialisation de la reconnaissance faciale (pour l’instant pratiquée mais non autorisée). Ce que la Chine a réalisé pour fliquer sa population fait pâlir d’envie tous les États « démocratiques ». D’ailleurs, cette technologie très intrusive a déjà été testée en France dans bon nombre de villes : l’exemple le plus connu étant celui de la ville de Nice.
Nulle illusion à se faire, ces dispositifs « testés » ont clairement pour but de s’installer et anticipent déjà tout mouvement de contestation sociale. Les JO sont une aubaine pour préparer la répression des futures luttes ouvrières !
Bien entendu, face aux inquiétudes et critiques, la bourgeoisie a prétendu que ces JO étaient bénéfiques pour l’emploi et pour l’économie. La réalité est beaucoup moins reluisante. Si certaines bonnes affaires permettent à des entreprises de s’en mettre plein les poches, une grande partie de l’activité correspond à la mobilisation de secteurs improductifs, sans compter les scandales de corruptions qui ont déjà commencé à éclater. Une grande partie de l’activité sera d’ailleurs générée par du travail gratuit, celui des 45 000 bénévoles employés durant toute la durée des JO. Comme à l’habitude, on verra bien fleurir tout un tas de slogans publicitaires et les spectateurs seront soumis au traditionnel matraquage publicitaire. Mais l’emploi réel ne sera ni pérennisé ni à la hauteur des espérances.
Contrairement à l’idée d’un possible « coup de fouet » pour l’économie, il ne faudra compter que sur « des bénéfices économiques très limités, voire nuls à moyen terme […] aucun impact macroéconomique significatif n’est attendu ». (4) En général, les JO ont plutôt plombé les économies à défaut de les booster. L’exemple des Jeux de Rio est à cet égard assez significatif : outre les scandaleux déplacements forcés de populations et une empreinte carbone négative, avec en plus quelques scandales financiers, le bilan de ces Jeux de Rio s’est soldé par un déficit abyssal (équivalant à 130 millions d’euros).
Alors quel est l’intérêt des JO ? La vision partagée par toute la bourgeoisie peut se résumer à cette intervention de Christophe Lepetit, responsable des études économiques au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) : « On n’accueille pas un événement sportif pour générer de la croissance économique, mais pour des raisons géopolitiques et sociales, pour le positionnement de la France à l’international ». Que doit-on entendre par « raisons géopolitiques et sociales » ? Rien d’autre qu’une propagande nationaliste visant à renforcer le sentiment d’appartenance à une « patrie ». Mais à travers l’exaltation et les effusions nationalistes apparemment « inoffensives » et « joyeuses », à travers la célébration de « l’unité » et de la « grandeur » nationales, la bourgeoisie tente surtout de valoriser l’adhésion à ses propres intérêts économiques et impérialistes, comme aux sacrifices qu’ils exigent. D’où cette énième cérémonie grandiose. « La mise en scène sportive à des fins de propagande, contrairement à ce que laisse entendre l’histoire officielle, n’est pas une particularité du nazisme ou du stalinisme, mais une pratique généralisée à tous les pays. Il suffit de se rappeler les protocoles et les fastes d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin en 2008 ou de Londres en 2012, ou encore de l’entrée des équipes nationales de football au moment des grandes rencontres, pour s’en convaincre. Les grands shows sportifs permettent de provoquer de fortes émotions collectives guidant facilement les esprits vers un univers de codes et de symboles nationaux […]. Souvent accompagnées de musiques militaires, les compétitions internationales sont systématiquement précédées ou clôturées par les hymnes : “Ces rapports sont ceux de confrontations de toutes sortes où le prestige national est en jeu ; le rituel sportif est donc à ce niveau un rituel de la confrontation entre nations”. Dans ces brefs moments d’unions sacrées, les classes sociales sont “fondues”, niées, les spectateurs ouvertement appelés à se lever et à chanter les yeux fixés sur le drapeau national ou sur l’équipe qui l’incarne par ses couleurs ». (5)
C’est, en réalité, pour ces raisons surtout idéologiques que les JO sont organisés, avec pour objectif de favoriser le poison nationaliste et pour le pays organisateur, de « tenir son rang international ». En l’occurrence pour l’État français, l’occasion de soigner son image de leader européen au sein du couple franco-allemand flageolant et faire oublier momentanément son recul militaire et politique sur la scène impérialiste, suite aux déboires en Afrique et aux nombreuses pressions subies dans le Pacifique. Ces Jeux ont également pour objectif de marginaliser et isoler davantage la Russie en exerçant une pression politique à son encontre.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le grand battage médiatique, hormis le ridicule suivi du parcours de la flamme olympique, n’a pas encore réellement commencé (J-15). Mais nul doute qu’un énorme battage patriotique sera au rendez-vous. Face à cette nouvelle campagne idéologique, dans un contexte ou le militarisme est omniprésent, nous ne pouvons que rappeler les mots de Rosa Luxemburg au moment de la Grande Guerre, lors des premières hécatombes sanglantes : « Les intérêts nationaux ne sont qu’une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l’impérialisme ». (6) Il s’agit bien d’un des objectifs majeurs de ces Jeux !
WH, 11 juillet 2024
1 « Pour les JO, on expulse en masse migrants, travailleuses du sexe, sans-abri… », Reporterre (26 juin 2024).
2 « Le sport dans le capitalisme décadent (de 1914 à nos jours) (Histoire du sport dans le ca [198]pitalisme, [198] partie II) [198] », dans Révolution internationale n° 438 (2012).
3 Selon Katia Roux, d’Amnesty International-France, cette surveillance automatisée « n’a jamais démontré son efficacité contre la criminalité et le terrorisme, alors que ses conséquences sur les libertés fondamentales, elles, sont avérées ».
4 « Les Jeux olympiques, un gouffre financier pour la France ? », Euractiv (10 mai 2024).
5 « Le sport dans le capitalisme décadent (de 1914 à nos jours) (Histoire du sport dans le capitalisme, partie II) [198] », dans Révolution internationale n° 438 (2012).
6 Brochure de Junius (1915).
Quelques jours après la tentative d’assassinat contre Donald Trump qui a coûté la vie à l’un de ses supporters, il est encore trop tôt pour déterminer le mobile exact du tireur et les raisons de la défaillance du service chargé de la protection de l’ex-Président. L’attaque a cependant bouleversé la campagne électorale en permettant au camp Républicain de faire un pas supplémentaire vers la victoire. Touché à l’oreille, le visage en sang et le poing levé, presque miraculé, la réaction bravache de Trump, déjà favori des sondages, contraste clairement avec les signes perceptibles de gâtisme de son adversaire Démocrate. Quoi qu’il en soit, cet événement est une nouvelle manifestation de l’instabilité croissante au sein de la bourgeoisie américaine.
Les États-Unis ont une longue tradition d’assassinats politiques qui ont atteint par quatre fois le plus haut sommet de l’État. Mais, après le meurtre de la députée britannique Jo Cox en pleine campagne du Brexit en 2016, après la tentative d’assassinat qui a ciblé Bolsonaro au Brésil en 2018, après le meurtre de l’ancien Premier ministre japonais Shinzō Abe en 2022, après la tentative d’assassinat du premier ministre slovaque Robert Fico en mai 2024 ou l’agression dont a été victime en pleine rue la première ministre danoise Mette Frederiksen en juin dernier, cette nouvelle attaque s’inscrit dans un contexte de violences et de tensions politiques exacerbées de par le monde. Partout, la terreur et le terrorisme se banalisent et marquent peu à peu de leur empreinte les rapports politiques de la bourgeoisie : menaces, insultes, xénophobie décomplexée, violence des groupuscules d’extrême droite, implication des gangs dans les processus électoraux, règlement de compte entre cliques bourgeoises, coups de force… ce chaos rampant, qui était jusque-là contenu dans les pays les plus fragilisés d’Amérique latine ou d’Afrique, commence, toute proportion gardée, à devenir la norme dans les principales puissances du capitalisme.
Aux États-Unis, alors que les institutions « démocratiques » ont notamment pour rôle de garantir l’unité de l’État, leurs difficultés croissantes à contenir et à confiner la violence des rapports entre fractions bourgeoises rivales témoignent d’une véritable gradation des tensions. L’atmosphère de violence est à son comble. Trump lui-même n’a cessé, depuis son départ de la Maison-Blanche et sa tentative avortée de sédition contre le Capitole, de jeter de l’huile sur le feu, remettant en cause les résultats des élections, refusant de reconnaître sa défaite, promettant d’abattre son bras vengeur sur les « traîtres », les « menteurs », les « corrompus ». Il n’a cessé d’hystériser le « débat public », de raconter bobard sur bobard, de chauffer à blanc ses partisans… L’ex-Président s’est révélé être un maillon essentiel d’une véritable chaîne de violence qui déborde de tous les pores de la société et qui a fini par se retourner contre lui.
Qu’un personnage à ce point irresponsable et grotesque ait pu balayer tout ce qu’il y avait d’un tant soit peu capable d’assurer efficacement la gestion de l’État bourgeois au sein du parti Républicain, qu’il ait seulement pu se présenter à la présidentielle sans rencontrer de sérieuses difficultés, ni politiques, ni même juridiques (malgré les nombreuses tentatives de ses adversaires), est en soi le signe éclatant de l’impuissance et de l’instabilité profonde dans laquelle s’enfonce l’appareil politique américain.
Mais si Trump est bel et bien le porte-voix de toute une atmosphère de violences sociales et politiques, un facteur actif de déstabilisation, il n’est que l’expression caricaturale de la dynamique dans laquelle s’enfonce toute la bourgeoisie. Car le camp Démocrate, bien qu’un peu plus soucieux de freiner ce processus, contribue tout autant à l’instabilité mondiale.
Certes, après la politique incohérente et imprédictible de l’administration Trump, Biden s’est montré plus efficace pour défendre les intérêts de la bourgeoisie américaine, mais à quel prix ? Alors que les guerres en Afghanistan et en Irak, qui avaient pour objectif de freiner le déclin du leadership américain en s’imposant comme « gendarme du monde », avaient mené à un fiasco évident et exacerbé le chaos au Moyen-Orient et dans le monde, Biden a poussé la Russie à intervenir en Ukraine. (1)
Ce massacre à grande échelle s’enlise semaine après semaine et semble ne pas avoir de fin. Avec l’explosion de l’inflation et le renforcement de la crise mondiale, avec l’accroissement des tensions impérialistes et l’approfondissement considérable de l’économie de guerre sur tous les continents, le conflit en Ukraine n’a fait qu’engendrer toujours plus de déstabilisation à une échelle plus vaste encore, y compris aux États-Unis.
Biden a parallèlement renforcé les tensions avec la Chine dans tout le Pacifique, faisant planer le risque d’une confrontation directe. La guerre à Gaza, que le Président américain n’est pas parvenu à contrôler et à contenir, a également considérablement accentué le déclin de la puissance américaine, ce qui engendrera tôt ou tard une réaction des États-Unis d’une barbarie encore plus démesurée.
Et voilà désormais le locataire de la Maison-Blanche réduit à tenter de s’accrocher pitoyablement au pouvoir, alors qu’une grande partie de son camp le pousse ouvertement à se retirer ! Mais par qui remplacer Biden ? Les Démocrates sont divisés et discrédités, à peine capables de s’entendre sur un remplaçant. Tous sont déjà prêts à s’écharper. Même la vice-Présidente Harris, la seule à pouvoir s’imposer, est très impopulaire au sein même de son propre camp. Entre Trump, Biden, Harris… il ne reste à la bourgeoisie américaine que de mauvaises options, signe de sa grande fragilité.
Autre signe des tensions extrêmes entre les camps Républicain et Démocrate, Trump n’était pas sorti de l’hôpital, qu’ils s’accusaient mutuellement, avec beaucoup de véhémence, d’être responsables de l’attaque. Trump et Biden, tout de même conscients de la situation explosive, ont momentanément tenté d’apaiser ce climat incendiaire au nom de l’unité nationale… avant que ne se déverse à nouveau un torrent de fake-news et d’accusations sans fondement.
Mais la division entre les partis bourgeois, les luttes intestines acharnées en leur sein, les coups de poker permanents, les rivalités d’égos, les coups de poignards, les stratégies de terre brûlée, tout cela est loin d’être l’apanage de la seule bourgeoisie américaine. La campagne électorale en Amérique fait bien sûr écho à la situation de nombreux États en Europe ou ailleurs, dont la France est le dernier exemple éclatant. Le capitalisme pourrit sur pied et cela a des conséquences sur tous les plans (impérialistes, sociaux, économiques, environnementaux…), entraînant les appareils politiques de la bourgeoisie dans une logique de sauve-qui-peut et une spirale inéluctable d’instabilité où chaque clique bourgeoise tente tant bien que mal de tirer la couverture à soi… même au détriment des intérêts généraux de la bourgeoisie.
Malgré les difficultés croissantes de la bourgeoisie à contrôler son propre appareil politique, elle sait encore parfaitement utiliser la mystification démocratique pour réduire la classe ouvrière à l’impuissance. Alors que le prolétariat doit développer son combat contre l’État bourgeois la bourgeoisie nous enferme, à travers les élections, dans de faux dilemmes : quel parti serait le plus apte à assurer la gestion de l’État bourgeois ? Alors que le prolétariat doit chercher à s’organiser en classe autonome, les élections réduisent les ouvriers à l’état d’électeurs-citoyens, tout juste bons à choisir, sous la pression du rouleau compresseur de la propagande, quelle clique bourgeoise sera chargée d’organiser leur exploitation.
Il n’y a donc rien à attendre des prochaines élections. Si Biden (ou son remplaçant) devait finalement l’emporter, la politique belliciste de l’Administration Biden et tout le chaos mondial qu’elle a engendré s’intensifieront davantage pour maintenir coût que coût le rang des États-Unis dans l’arène mondiale. Si Trump confirmait en novembre les prédictions de victoire, la politique déstabilisatrice et erratique de son premier mandat reviendrait avec plus de force et d’irrationalité. Son colistier, J.D. Vance, s’adresse plus directement à la classe ouvrière et l’exploitation démagogique de sa propre histoire personnelle de victime oubliée de l’Amérique rurale et désindustrialisée lui permet de renforcer son camp et son influence en misant sur les « indécis » pour les convaincre d’une prétendue « nouvelle voie » possible derrière son mentor miraculé.
Que Trump ou Biden l’emporte, la crise historique dans laquelle s’enfonce le capitalisme ne disparaîtra pas, les attaques continueront à pleuvoir et la violence aveugle ne cessera pas de se déchaîner.
Face à la décomposition du monde capitaliste, la classe ouvrière et son projet révolutionnaire représentent la seule véritable alternative. Alors que les guerres, les catastrophes ou la propagande viennent sans cesse heurter ses luttes et sa réflexion, depuis deux ans, le prolétariat renoue partout avec sa combativité et commence peu à peu à retrouver la conscience d’être une seule et même classe. Partout, de petites minorités émergent et réfléchissent sur la nature du capitalisme, sur les causes de la guerre et sur la perspective révolutionnaire. Avec toutes ses élections, la bourgeoisie cherche à briser cette combativité et cette maturation, elle cherche à empêcher toute politisation des luttes. Malgré les promesses (évidemment, jamais tenues) d’un capitalisme plus « juste », plus « écologique », plus « pacifique », malgré la culpabilisation féroce de « ceux qui ne barrent pas la route au fascisme » dans les urnes, ne nous y trompons pas : les élections sont bel et bien un piège pour la classe ouvrière !
EG, 19 juillet 2024.
1 Washington avait pour objectif d’affaiblir la Russie de sorte qu’elle ne puisse constituer une alliée de poids de la Chine dans l’éventualité d’un conflit dirigé contre cette dernière. Il s’agit donc d’isoler un peu plus la Chine tout en portant un coup à son économie et sa stratégie impérialiste en coupant ses « nouvelles routes de la soie » à travers l’Europe de l’Est.
Le Groupe international de la Gauche communiste (GIGC) vient, une nouvelle fois, de moucharder. Dans son dernier bulletin, sous le titre « Contre l’individualisme et l’esprit de cercle 2.0 des années 2020 », on peut lire : « la pratique des réunions par vidéo tend malheureusement à se substituer aux réunions physiques. Nous n’avons rien, bien au contraire, contre l’organisation de réunions vidéo entre camarades isolés, surtout au niveau international, qui ne peuvent pas se réunir sur le même lieu. Par contre, le fait que les militants tendent à ne plus faire l’effort, à considérer même comme superflu, de se déplacer et de participer à des réunions physiques, en présentiel comme disent les managers dans les entreprises, est une régression par rapport à un acquis et un principe d’organisation du mouvement ouvrier ». Et ce passage de renvoyer à une note de bas de page : « Nous savons, par exemple, que le CCI ne tient plus de réunions locales, même lorsqu’il a plusieurs membres dans la même ville. Il tient des réunions “transversales”, “réunissant” des membres de différents endroits, donc isolés de leurs camarades avec qui ils sont censés intervenir en cas de luttes ouvrières ou autres, mais restant confortablement chez eux. Les critères pour dispatcher les membres dans telle ou telle réseau vidéo ne peuvent qu’être arbitraires et personnalisés. Un remake moderne de la bolchevisation zinoviéviste des partis communistes au début des années 1920, qui avait substitué les réunions par section territoriale ou locale par la création des cellules d’entreprise et que la Gauche d’Italie avait dénoncé avec force ».
Voilà le GIGC en train d’informer publiquement l’État et toutes les polices du monde de comment le CCI organise ses réunions internes ! C’est la raison d’être de ce groupe : surveiller le CCI pour divulguer sur son site internet le maximum d’informations sur notre organisation et ses militants.
Pour rappel, le GIGC ou son ancêtre la prétendue « Fraction Interne du CCI » (FICCI) (1) ont déjà divulgué publiquement :
- la date où devait se tenir une conférence de notre section au Mexique en présence de militants venus d’autres pays. Cet acte répugnant, consistant à faciliter le travail de répression de l’État bourgeois, est d’autant plus ignoble que ses membres savaient pertinemment que certains de nos camarades au Mexique avaient déjà, dans le passé, été victimes de la répression et que certains avaient été contraints de fuir leur pays d’origine.
- les véritables initiales d’un de nos camarades avec la précision qu’il était l’auteur de tel ou tel texte compte tenu de « son style » (ce qui est une indication intéressante pour les services de police).
- et même, régulièrement, des extraits de nos bulletins internes !
Mais le lecteur attentif aura peut-être noté deux petits mots sous la plume du GIGC qui sont, en fait, directement inspirés des techniques de flics : « nous savons »…
« Nous savons, par exemple, que le CCI… ». Ici, ce groupe atteint des sommets de cynisme. Il veut nous montrer qu’il sait, qu’il sait ce qui se passe dans le CCI, qu’il sait parce qu’il a un informateur, un indic, une taupe. Ce faisant, il veut jeter la suspicion dans nos rangs, distiller le poison de la méfiance.
Depuis sa naissance, chaque fois que le GIGC parvient à glaner dans les égouts un « scoop » sur la vie interne du CCI, il le claironne à tue-tête. En 2014, dès son deuxième, numéro le GIGC publiait ainsi des extraits de nos bulletins, en se vantant d’exploiter là une « fuite » (selon leur propre terme). Comble de la manipulation, il soulignait même dans une note de bas de page : « Nous nous sommes engagés à ne pas divulguer publiquement comment et par qui nous avions reçu les bulletins internes du CCI. Néanmoins, nous pouvons assurer que la “source” est hors de tout soupçon d’appartenance à des services policiers ou autres ».
Dans son dernier bulletin, le GIGC poursuit son œuvre, toujours à travers une note de bas de page : « les bulletins internes du CCI contiennent de nombreuses contributions sur le sujet. Il serait certainement utile de les rassembler et de les publier un jour ».
Victor Serge dans son livre Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, met clairement en évidence que la diffusion du soupçon et de la calomnie est l’arme privilégié de l’État bourgeois pour détruire les organisations révolutionnaires : « la confiance en le parti est le ciment de toute force révolutionnaire […] Les ennemis de l’action, les lâches, les bien installés, les opportunistes ramassent volontiers leurs armes dans les égouts ! Le soupçon et la calomnie leur servent à discréditer les révolutionnaires […]. Ce mal (le soupçon entre nous) ne peut être circonscrit que par un grand effort de volonté ». Le GIGC use exactement des mêmes méthodes que celles du Guépéou, la police politique de Staline, pour détruire de l’intérieur le mouvement trotskiste des années 1930. Le CCI ne tombera pas dans ce piège.
Mais en agissant de la sorte, le GIGC ne s’attaque pas seulement à notre organisation. Il encourage le développement des mœurs de voyous et de mouchards, il brise le tabou de la délation, il gangrène tout le milieu prolétarien. Pire, le GIGC commet tous ces crimes au nom de la Gauche communiste ! C’est pourquoi nous appelons toutes les organisations révolutionnaires, toutes les minorités, tous les individus voulant sincèrement défendre la révolution prolétarienne et ses principes, à dénoncer publiquement ces actes de mouchardage.
Seule la plus grande fermeté politique sur les principes, la plus solide solidarité entre révolutionnaires, peut constituer une digue face à ces immondices.
CCI
1 Le GIGC est né en 2013 de la fusion de cette fameuse FICCI d’avec le groupe Klasbatalo de Montréal.
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 31 août 2024 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [24]) ou dans la rubrique « nous contacter [25] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
L’abbé Pierre décédé en 2007 est aujourd’hui accusé de plusieurs agressions sexuelles. Elles font suite à un premier témoignage en 2023 « faisant état d’une agression sexuelle commise par l’abbé Pierre sur une femme » et qui était adressé à Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé-Pierre. Depuis l’enquête diligentée par Emmaüs a permis de recueillir les récits de sept victimes donc l’une mineure pour des faits s’étalant de 1970 à 2005 : « Ces révélations bouleversent nos structures, au sein desquelles la figure de l’abbé Pierre occupe une place majeure », a réagi le mouvement Emmaüs dans un communiqué. Le « choc » est immense dans la société, tant le personnage, longtemps « personnalité préférée des Français », et son association ont bénéficié d’un large soutien au fil des décennies, des médias et des politiciens de gauche comme de droite. Emmaüs n’a pas été dans le déni (cette fois-ci !). Ce changement de posture suit celui de l’Église laquelle a dû faire face, au niveau mondial, à de très nombreux scandales. Mais ce changement ne s’explique pas par une empathie toute chrétienne envers les victimes avérées ou potentielles pour des affaires souvent couvertes ou étouffées par la hiérarchie (parfois impliquée elle-même) pendant des décennies mais plus sûrement par le choc de confiance à l’intérieur de l’Église comme à l’extérieur et la volonté de freiner l’hémorragie des fidèles.
La sacralisation de l’Abbé Pierre est aujourd’hui fortement écornée par ses comportements ignobles et le silence de son entourage et de l’Église. (1) Il ne faut cependant pas oublier que sa figure du « saint homme » a aussi été l’instrument de toute une idéologie de fausse solidarité basé sur l’exploitation sociale de la misère. Le mouvement Emmaüs rassemble aujourd’hui plus de 30 000 personnes (bénévoles, compagnes et compagnons, salariés et salariés en insertion) dans toute la France. Il est également présent dans 37 pays du monde. Les communautés connaissent nombre de conflits sociaux : pour les travailleurs et parmi les plus fragiles, les sans-papiers (délivrable sous condition suivant l’avis du directeur au bout de trois ans !), c’est 40 heures par semaine et de 150 à 300 € par mois. Des communautés qui connaissent une multiplication des grèves comme dans le Nord en 2023. Martin Hirsch, un temps président d’Emmaüs, puis nommé au gouvernement, a concocté à ces travailleurs un statut particulier (OACAS) car il n’en avait aucun mais qui les exclut du droit de travail classique : « En excluant les compagnons du droit du travail, ce statut OACAS les prive surtout de la possibilité d’avoir recours aux Prud’hommes en cas de conflit avec un responsable. Il les prive également du salaire minimum légal, ainsi que d’un contrat de travail, d’où les expulsions sans préavis. “Avec ce texte, on a tout simplement légalisé l’esclavage”, se désole Victor, un ancien bénévole ». (2)
L’association du « saint homme » est une entreprise d’exploitation capitaliste profitant d’une main d’œuvre fragile avec l’alibi de l’insertion. Toute entreprise de ce type tient objectivement un rôle d’encadrement des travailleurs les plus pauvres et, en dénaturant la solidarité, en éloignant les exploités de la véritable solidarité de classe, elle joue un rôle d’amortisseur de la colère sociale comme beaucoup d’association de ce type face à la crise capitaliste. Dès lors, on comprend le soutien du monde politique, de la bourgeoisie en général, et de l’État. Loin de lutter contre les conséquences et encore moins les causes de la misère et contre toutes les formes d’exclusion comme le prétend sa charte, Emmaüs en vit et la perpétue, elle en est le produit. Emmaüs est bien une claire expression de la violence sociale institutionnalisée.
ETH, 3 août 2024
1 De cette série de témoignage ressort « une forme de sidération lors des faits » une forme d’emprise alimentée par le statut de l’abbé Pierre et une forme d’idolâtrie : « J’ai l’habitude de me défendre. Mais là, c’était Dieu. Comment vous faites quand c’est Dieu qui vous fait ça ? ».
2 « Emmaüs : Certaines communautés sont des zones de non-droit », Reporterre (28 juin 2022).
Dans la Russie des tsars, comme en Europe occidentale au Moyen-âge, tout commençait souvent par une folle rumeur : les Juifs avaient sacrifié l’un de nos enfants lors d’un rituels diaboliques. De sinistres groupes politiques, les « Cent noirs », incitaient les couches les plus misérables de la population à attaquer un autre groupe de pauvres, les Juifs des ghettos, pour les violer, les piller et les tuer. La police officielle restait le plus souvent inactive. C’était le pogrom.
Les choses ont beaucoup changé depuis… mais pas complètement. Dans le Royaume-Uni de 2024, de folles rumeurs circulent sur l’identité du jeune homme détraqué qui a perpétré un véritable massacre d’enfants à Southport. Et une foule déchaînée, souvent composée de personnes issues des couches les plus défavorisées de la population, s’en est prise à d’autres groupes, parfois encore plus désespérés.
Cette fois-ci, cependant, la cible principale n’est pas les Juifs, mais les musulmans et les demandeurs d’asile. Parmi les forces politiques qui alimentent la violence, on trouve les adorateurs traditionnels des nazis, qui voient toujours la main de la « juiverie mondiale » derrière chaque problème social et politique. Mais nombre d’entre eux, comme la vedette d’extrême droite Tommy Robinson, ont compris que l’islamophobie rapporte beaucoup plus aujourd’hui, et prétendent même être les meilleurs défenseurs des Juifs face à la menace islamiste. Et l’esprit du pogrom perdure…
Mais ce qui perdure par dessus tout, c’est la volonté de la bourgeoisie de « diviser pour mieux régner » : diviser tous les exploités et les opprimés pour mieux les affaiblir, les empêcher de voir que la véritable cause de leur misère n’est pas une catégorie particulière des exploités et des opprimés, mais le système social de leurs exploiteurs. C’est ce système, le capitalisme mondial, qui est responsable à la fois des guerres et de la destruction écologique qui a jeté sur les routes de l’exil un nombre de réfugiés sans précédent. C’est ce même système qui est responsable de la crise économique et de l’austérité qui réduit partout le niveau de vie et l’accès aux produits de première nécessité.
Autre différence majeure avec la Russie de la fin du XIXe siècle : ces « émeutes raciales » sont le produit d’un capitalisme obsolète depuis plus d’un siècle et qui se dirige aujourd’hui vers un effondrement chaotique. Les violences récentes en Grande-Bretagne sont l’expression de ce chaos, d’une perte de contrôle croissante de la part de la classe dirigeante sur la situation sociale.
Les factions les plus « responsables » de la classe dirigeante ne veulent pas de ce désordre dans les rues. L’une des principales raisons pour lesquelles le parti travailliste est arrivé au pouvoir était de « rétablir l’ordre » au niveau politique après le bordel créé par un parti conservateur profondément infecté par le vandalisme politique du populisme. D’où la réaction très ferme du gouvernement, qui a menacé les émeutiers de recourir à « toute la force de la loi » et a prévu de constituer une « armée permanente » de policiers formés pour faire face aux désordres. Aujourd’hui, la police ne reste pas inactive face aux pillages et aux destructions perpétrés par l’extrême droite. Au contraire, elle se présente comme un défenseur résolu des mosquées et des hôtels hébergeant des demandeurs d’asile, et elle arrête en masse les émeutiers d’extrême droite, tandis que les tribunaux les condamnent dans les jours qui suivent leur arrestation.
Cela signifie-t-il que le parti travailliste et la police sont désormais de véritables amis de la classe ouvrière ? Pas du tout ! Alors que le capitalisme est train de s’enfoncer dans la crise, la bourgeoisie sait que le plus grand danger auquel elle est confrontée, c’est la classe ouvrière internationale, c’est le risque de la voir prendre conscience qu’elle est une force sociale qui a la capacité non seulement de résister à l’exploitation capitaliste, mais aussi de renverser le système tout entier. C’est pourquoi nos dirigeants sont parfaitement disposés à utiliser la désintégration de leur propre société pour entraver le développement d’une véritable conscience de classe :
– en intensifiant leurs campagnes permanentes autour de la « défense de la démocratie contre le fascisme », qui est déjà un thème central des élections en Europe, en France et aux États-Unis, et qui vise à entraîner les travailleurs dans l’impasse que sont les urnes et dans l’idée qu’ils devraient soutenir une faction de la classe dirigeante contre l’autre.
– En renforçant l’appareil répressif de l’État tout en « démocratisant » l’image de la police. Aujourd’hui, cet appareil peut être dirigé contre la « voyoucratie d’extrême droite », mais demain, il peut être et sera utilisé contre les luttes de la classe ouvrière. N’oublions pas comment la police a été utilisée comme une « armée permanente » contre la lutte des mineurs en 1984-85. C’est la même police avec la même fonction : protéger l’ordre capitaliste.
– En détournant l’attention de la politique d’austérité que le gouvernement travailliste commence déjà à mettre en œuvre. Dès ses premiers jours au pouvoir, le gouvernement travailliste, qui a opportunément découvert dans les compte de l’État un « déficit abyssal » dissimulé, a annoncé des mesures qui laissent présager de futures attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière : refus de supprimer la politique qui limite les allocations familiales à deux enfants, suppression des allocations de chauffage pour les retraités, sauf pour les couches les plus pauvres…
Il ne faut pas oublier que l’extrême droite et les populistes ne sont pas les seuls à s’en prendre aux immigrés. La « One Nation Tory » Theresa May était chargée de créer « une atmosphère hostile aux immigrants illégaux » sous le gouvernement Cameron, tandis que la principale critique des travaillistes à l’égard des gadgets des Tories, comme le programme pour le Rwanda, a été qu’il n’était pas rentable. Aux États-Unis, malgré toute la grandiloquence de Trump contre l'’« invasion étrangère », les administrations démocrates sous Obama et Biden n’ont pas été moins impitoyables en procédant à des déportations massives. Toutes les fractions de la bourgeoisie défendent l’économie et les frontières nationales qui, dans la lutte brutale de tous contre tous sur le marché mondial, sont de plus en plus organisées autour d’une sorte d’État forteresse pour empêcher les importations et la main-d’œuvre « étrangères » d’entrer.
En réponse au déchaînement des émeutes, la classe ouvrière et la population dans son ensemble ont manifesté une indignation et un sentiment de révolte considérables. La volonté de l’extrême droite d’instrumentaliser les meurtres de Southport comme prétexte pour attaquer les minorités ethniques et les migrants a été accueillie avec le dégoût qu’elle méritait par ceux qui ont été le plus directement touchés par les meurtres. Il y a eu un certain nombre de gestes de soutien envers les principales cibles de la violence, comme à Southport même où les résidents locaux se sont rassemblés pour réparer les dommages causés à la mosquée frappée par les émeutiers. Le 7 août, face à la menace de nouvelles attaques contre les centres d’aide aux immigrés dans tous les pays, des milliers de personnes sont descendues dans la rue à Londres, Manchester, Liverpool, Newcastle, Bristol, Brighton et ailleurs pour empêcher le saccage des centres (dans la plupart des cas, les menaces n’ont pas abouti et l’extrême droite ne s’est pas manifestée).
Mais il ne faut pas se faire d’illusions. Ces réactions compréhensibles ont été immédiatement instrumentalisées par la machine de propagande du capitalisme pour présenter l’image d’une « vraie Grande-Bretagne » respectueuse de la loi, tolérante et multiculturelle. Suite aux mobilisations du 7 août, la quasi-totalité de la presse, de gauche comme de droite, s’est engouffrée dans cette propagande. Le plus révélateur est peut-être le titre du 8 août du Daily Mail, un journal de droite qui a joué un rôle central dans la campagne de peur contre les immigrés clandestins. Sa première page présentait une photo de la manifestation de Walthamstow (peut-être la plus importante du pays) et titrait : « Les manifestants contre la haine ont affronté les voyous ».
En dehors des grands médias, l’extrême gauche du capital, les trotskistes en particulier, ont joué un rôle clé en appelant à ces mobilisations et en essayant de créer de nouvelles versions du front populaire. En bref, ils ont fourni une couverture de gauche à la campagne de défense de la démocratie contre le fascisme.
La classe ouvrière ne peut se défendre et résister aux attaques contre n’importe laquelle de ses fractions, qu’elle soit « indigène » ou « immigrée », qu’en se battant sur son propre terrain, celui de la lutte contre la dégradation de ses conditions de vie exigée par le capitalisme en crise, une lutte qui a les mêmes objectifs et les mêmes intérêts dans tous les pays. La classe ouvrière britannique doit se débarrasser de nombreux fardeaux du passé, en particulier le poids hérité de l’apogée impériale de la Grande-Bretagne.
Mais nous ne devons pas oublier que la Grande-Bretagne a été le lieu de naissance du premier parti ouvrier indépendant, les Chartistes, puis de la Première Internationale en collaboration avec les travailleurs français. En 2022, ce sont les travailleurs britanniques qui ont joué un rôle central dans la renaissance des mouvements de classe après des décennies de résignation. Leur slogan était « trop c’est trop », un slogan que l’extrême droite a essayé de voler. Mais en 2022, ce slogan, repris par les travailleurs en France et ailleurs, ne signifiait pas « trop d’étrangers » mais « trop d’austérité », « trop d’inflation », « trop d’attaques ».
En 1905, face aux grèves de masse dans tout l’empire russe, le régime tsariste a répondu par son stratagème habituel : attiser les pogroms pour briser l’unité des travailleurs et dresser les paysans contre eux. À l’époque, les travailleurs avaient créé leurs propres organisations indépendantes, les soviets, et l’une de leurs fonctions était d’organiser la défense armée des quartiers juifs menacés par les émeutiers. Aujourd’hui, les travailleurs ne disposent pas de telles organisations indépendantes. Mais le développement futur de la lutte des classes devra recréer des organes d’auto-organisation de masse qui peuvent non seulement défendre la classe contre toutes les attaques du capital, mais aussi mener une offensive politique visant à renverser l’ensemble du système.
Amos, 9 août 2024
Au cours des derniers mois, les médias du monde entier (qui sont détenus, contrôlés et dictés par la classe capitaliste) ont été préoccupés par les cirques électoraux qui se sont déroulés en France, en Grande-Bretagne, ainsi que dans le reste du monde comme au Venezuela, en Iran et en Inde, et maintenant de plus en plus aux États-Unis.
Le thème dominant de la propagande sur les mascarades électorales a été la défense de la façade démocratique du régime capitaliste. Une façade conçue pour cacher la réalité d’une crise économique insoluble, le carnage de la guerre impérialiste, la paupérisation de la classe ouvrière, la destruction de l’environnement, la persécution des réfugiés… C’est la feuille de vigne démocratique qui masque la dictature du capital, quel que soit le parti qui accède au pouvoir dans l’État bourgeois, qu’il soit de droite, de gauche ou du centre, « fasciste » ou « antifasciste ».
On demande à la classe ouvrière de faire un faux choix entre l’un ou l’autre gouvernement capitaliste, tel ou tel parti ou dirigeant et, de plus en plus aujourd’hui, d’opter entre ceux qui prétendent respecter les protocoles démocratiques établis de l’État bourgeois et ceux qui, comme la droite populiste, traitent ces procédures avec un mépris assumé, plutôt qu’avec le mépris dissimulé des partis démocratiques libéraux.
Venez discuter et débattre de l’alternative politique que la Gauche communiste propose pour la classe ouvrière dans les réunions publiques du CCI.
Paris : le 5 octobre à 15H00 au CICP (21ter rue Voltaire, 75011, métro « rue des boulets »).
Marseille : le 5 octobre à 15H00, local Mille Bâbords (61 Rue Consolat, métro « Réformés »).
Nantes : le 5 octobre, à 15H00, salle de l’Égalité (6 boulevard Léon Jouhaux, tramway ligne 1 vers F. Mitterrand, station « Égalité »).
Toulouse : le 5 octobre à 14H00, 3 rue Escoussières (quartier Arnaud-Bernard), Accès métro ligne B - station Jeanne d’Arc.
Lyon : le 19 octobre à 15H00, au CCO 28 rue Alfred de Musset . Villeurbanne. Salle des jeunes ouvrières. Métro A arrêt Vaulx - en - Velin la Soie.
Courant communiste international à :
Tendance communiste internationaliste
PCI (Programma Comunista)
PCI (Il Comunista)
PCI (Il Partito Comunista)
Istituto Onorato Damen
Internationalist Voice
et au groupe Perspective communiste internationaliste (Corée)
Chers camarades,
Nous vous joignons une proposition d’appel de la Gauche communiste contre l’énorme campagne internationale de la bourgeoisie en défense de la « démocratie » contre le populisme et l’extrême droite. Tous les groupes de la Gauche communiste, malgré leurs différences, sont issus de la seule tradition politique qui a rejeté les faux choix gouvernementaux que la bourgeoisie utilise pour dissimuler sa dictature permanente et détourner la classe ouvrière de son terrain de lutte. Il est vital que ces groupes produisent aujourd’hui une déclaration commune qui constitue un point de référence pour la défense des intérêts politiques et de la lutte du prolétariat, et qui représente une alternative claire aux mensonges hypocrites de la classe ennemie.
Merci de répondre rapidement à cette lettre et à cette proposition. Notez que les formulations de l’appel proposé peuvent être discutées et modifiées dans le cadre de sa délimitation de classe.
Dans l’attente d’une réponse de votre part.
Salutations communistes
CCI, 30 août 2024
Au cours des derniers mois, les médias du monde entier (qui sont contrôlés et aux ordres de la classe capitaliste) se sont polarisés sur le carnaval électoral qui s’est déroulé en France, puis en Grande-Bretagne, et dans le reste du monde comme au Venezuela, en Iran et en Inde, et maintenant de plus en plus aux États-Unis.
Le thème dominant de la propagande électorale est la défense de la façade démocratique des gouvernements au service de la domination capitaliste. Une façade conçue pour cacher la réalité de la guerre impérialiste, de la paupérisation de la classe ouvrière, de la destruction de l’environnement, de la persécution des réfugiés. C’est la feuille de vigne démocratique qui masque la dictature du capital, quel que soit le parti (de droite, de gauche ou du centre) qui accède au pouvoir politique dans l’État bourgeois.
On demande à la classe ouvrière de faire de faux choix entre un gouvernement capitaliste ou un autre, entre tel ou tel parti ou dirigeant, et, de plus en plus aujourd’hui, d’opter pour ceux qui prétendent respecter les règles démocratiques de l’État bourgeois, contre ceux qui, comme la droite populiste, les traitent avec un mépris ouvert, plutôt que dissimulé comme le font les partis démocratiques.
Cependant, au lieu de choisir qui va l’exploiter et la réprimer pendant plusieurs années, la classe ouvrière doit défendre ses propres intérêts de classe en matière de salaires et de conditions de vie et chercher à conquérir son propre pouvoir politique – des objectifs que le tapage autour de la démocratie est destiné à dévoyer et à faire apparaître comme impossibles.
Quels que soient les résultats des élections, dans ces pays et dans d’autres, la même dictature capitaliste du militarisme et de la pauvreté subsistera et s’aggravera. En Grande-Bretagne, pour prendre un exemple, où le Parti travailliste de centre gauche vient de remplacer un gouvernement Tory influencé par le populisme, le nouveau premier ministre n’a pas perdu de temps pour renforcer l’implication de la bourgeoisie britannique dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine et pour maintenir et accentuer les attaques contre la classe ouvrière afin de contribuer à financer ses entreprises impérialistes.
Quelles sont les forces politiques qui défendent réellement les intérêts de la classe ouvrière contre les attaques croissantes de la classe capitaliste ? Pas les héritiers des partis sociaux-démocrates qui ont vendu leur âme à la bourgeoisie pendant la Première Guerre mondiale et qui, avec les syndicats, ont mobilisé la classe ouvrière pour le massacre de plusieurs millions de personnes sous l’uniforme et dans les tranchées. Ni les derniers apologistes du régime « communiste » stalinien qui a sacrifié des dizaines de millions de travailleurs pour les intérêts impérialistes de la nation russe pendant la Seconde Guerre mondiale. Ni le trotskisme ou le courant anarchiste officiel qui, malgré quelques exceptions, ont apporté un soutien critique à l’un ou l’autre camp dans ce carnage impérialiste. Aujourd’hui, les descendants de ces dernières forces politiques se rangent, de manière « critique » derrière la démocratie bourgeoise libérale et de gauche contre la droite populiste pour contribuer à démobiliser la classe ouvrière.
Seule la Gauche communiste, bien que peu nombreuse, est restée fidèle à la lutte indépendante de la classe ouvrière au cours des cent dernières années. Lors de la vague révolutionnaire ouvrière de 1917-23, le courant politique dirigé par Amadeo Bordiga, qui dominait alors le Parti communiste italien, a rejeté le faux choix entre les partis fasciste et antifasciste qui avaient conjointement œuvré pour écraser violemment la poussée révolutionnaire de la classe ouvrière. Dans son texte « Le principe démocratique » de 1922, Bordiga a dénoncé la nature du mythe démocratique au service de l’exploitation capitaliste et du meurtre.
Dans les années 1930, la Gauche communiste a dénoncé les fractions de gauche et de droite de la bourgeoisie, fascistes ou antifascistes, qui préparaient le bain de sang impérialiste à venir. Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, seul ce courant a pu maintenir une position internationaliste, appelant à la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile par la classe ouvrière contre l’ensemble de la classe capitaliste dans chaque nation. La gauche communiste a refusé le choix macabre entre le carnage démocratique ou fasciste, entre les atrocités d’Auschwitz ou d’Hiroshima.
C’est pourquoi, aujourd’hui, face aux campagnes renouvelées supportant ces faux choix, tous en faveur des régimes capitalistes, destiné à aligner la classe ouvrière derrière la démocratie libérale, ou le populisme de droite, le fascisme ou l’antifascisme, les différentes expressions de la Gauche communiste, quelles que soient leurs différences politiques, ont décidé de lancer un appel commun à la classe ouvrière :
À BAS LA FRAUDE DE LA DÉMOCRATIE BOURGEOISE QUI DISSIMULE LA DICTATURE DU CAPITAL ET SON MILITARISME IMPÉRIALISTE !
CONTRE L’AUSTÉRITÉ DE LA DÉMOCRATIE CAPITALISTE ET L’INTÉRÊT NATIONAL, VIVE LA LUTTE DU PROLÉTARIAT INTERNATIONALE POUR LA DÉFENSE DE SES INTÉRÊTS DE CLASSE !
POUR LA RÉVOLUTION DE LA CLASSE OUVRIÈRE AFIN DE DÉPOSSÉDER LA BOURGEOISIE DU POUVOIR POLITIQUE, D’EXPROPRIER LA CLASSE CAPITALISTE ET DE METTRE FIN AUX CONFLITS FRATICIDES IMPOSÉS AU PROLÉTARIAT PAR LES ÉTATS-NATIONS CONCURRENTS !
Nous avons appris le décès, le jeudi 3 juillet, de Michel Olivier. Militant à partir de 1969 du groupe Révolution Internationale (qui deviendra en janvier 1975 la section du CCI en France), il est resté membre de notre organisation jusqu’à son exclusion en 2003. Durant trois décennies il a été un camarade estimé et apprécié, un militant réputé pour son dévouement et sa loyauté. Ses connaissances sur l’histoire du mouvement ouvrier international comme sur l’histoire de la France et de nombreux autres pays permettaient de nourrir les débats et la réflexion de tous. Plus marquant encore était son engagement entier à défendre l’organisation, à lutter contre l’individualisme, à se dresser contre l’esprit de cercle et le clanisme.
Ce n’est qu’au début des années 2000 que sa trajectoire prend une tout autre direction. Olivier va se fourvoyer, s’engager dans une impasse de laquelle il ne sera plus jamais capable de sortir. En compagnie d’autres militants, et en partie entraîné par eux, il va se lancer dans une campagne contre une militante, Louise, considérée comme « indigne » et même comme un « flic ». Une commission spéciale, après une investigation très sérieuse, a mis en évidence le caractère totalement infondé et absurde de ces accusations. Refusant d’accepter cette conclusion, les procureurs de cette camarade, lesquels, en réalité, n’avaient pas supporté des critiques politiques qu’elle avait portées contre les positions de certains d’entre eux, se sont engagés dans une démarche destructrice contre le CCI. Cette démarche était portée par l’orgueil blessé, la haine et la « solidarité de fer » envers les copains, et consistant d’abord en des réunions secrètes visant à « reprendre le contrôle de l’organisation » (1) puis en des violations répétées des statuts et en des provocations systématiques destinées à contraindre le CCI à prendre des sanctions aussitôt dénoncées comme un « étouffement des débats ».
Parmi les exploits de ce groupe de militants, qui a pris le nom de « Fraction Interne du CCI » (FICCI), il faut signaler encore des calomnies odieuses contre notre organisation transmises aux groupes de le Gauche communiste puis rendues publiques sans oublier le vol du matériel de notre organisation (moyens financiers, adresses des abonnés, archives). (2) Il faut noter que ces militants, et notamment Olivier, qui ont en permanence accusé le CCI de les bâillonner, « d’étouffer les débats », ont refusé de participer aux réunions (conférence extraordinaire, congrès) auxquelles ils étaient conviés pour présenter et défendre leurs positions face à tous les membres de notre organisation.
Mais si Olivier et ses amis ont finalement été exclus du CCI, ce n’est pas à cause de tous ces manquements organisationnels mais bien parce qu’ils se sont comportés comme des mouchards en publiant sur leur site web des informations favorisant le travail de la police. (3) En prenant cette décision, le CCI n’a fait que mettre en pratique ce principe fondamental, vital, du mouvement ouvrier : pas de mouchard dans les rangs de la classe ouvrière, pas de mouchard au sein de ses organisations révolutionnaires ! (4)
Comment expliquer une trajectoire politique si tragique et déshonorante de la part d’Olivier ? Comment un militant dévoué et sincère durant des décennies a pu ainsi dériver pour finir par se vautrer dans les comportements les plus crasses et indignes ? Il est arrivé à Olivier ce qui est arrivé à beaucoup d’autres révolutionnaires avant lui : par affinitarisme, par loyauté envers ses amis, il a choisi de partir à la dérive avec eux plutôt que de rester fidèle aux principes prolétariens. L’exemple le plus célèbre d’une telle trajectoire est celui de Martov. Militant estimé de tout le POSDR (l’organisation révolutionnaire russe du début du siècle dernier), il n’a pas supporté de voir ses amis Axelrod, Potressov et Zassoulitch critiqués lors du congrès de 1903 pour leur manque total d’implication dans la vie du journal du Parti, l’Iskra (ce qui était pourtant leur mandat) et moins encore la proposition de Lénine de modifier la composition du comité de réaction en conséquence (c’est-à-dire, sans eux). « Solidaire » de ses amis « victimes », Martov fit alors le choix de défendre les intérêts de son cercle plutôt que ceux du Parti. Cette bifurcation va l’emmener très loin dans la calomnie contre Lénine et les Bolcheviks. Cela dit, jamais Martov ne commettra comme la FICCI des actes de mouchardage !
En 2001, lors de l’une de nos dernières discussions avec lui, quand il était encore militant, Olivier avait été convaincu par nos arguments lui montrant son erreur (au sujet des calomnies qu’il participait à répandre sur notre camarade Louise). Mais au moment de partir, il avait conclu par : « vous avez raison, mais quand je vais retourner avec les autres, je ne pourrais pas résister, je les suivrais, je le sais ». La messe était dite…
Ces dernières années, il avait tenu parfois à certains éléments gravitant autour de lui comme du CCI un discours de demi-aveu, reconnaissant ses « erreurs » qu’il jugeait « anciennes ». Mais il a finalement été incapable de maintenir ces propos en public, peut-être par orgueil, peut-être encore et toujours par fidélité avec son principal comparse qui, lui, continue aujourd’hui encore cette même politique systématique de mouchardage par la voix du GIGC (Groupe International de la Gauche Communiste, nouveau nom de la FICCI) : Juan.
Mais, plus que tout, ce qui explique à quel point Olivier a pu aller loin dans la dérive, et ensuite être incapable d’en revenir, c’est le manque de fermeté du milieu politique prolétarien. Loin de dénoncer tous ces agissements, les groupes de la Gauche communistes les ont ignorés. Pire, certains ont même adopté envers eux une attitude des plus complaisantes. Il n’y avait donc pas de digue.
Évidemment, sur le site du GIGC (l’ex-FICCI), Juan a utilisé la mort d’Oliver pour poursuivre son œuvre, sa tentative de destruction du CCI dans laquelle il l’aura finalement entraîné jusqu’au bout. Son texte répète une fois encore le mensonge qu’Olivier et toute la bande furent les victimes des « manœuvres de coulisse et des manipulations psychologiques [...] par ceux qui, dans l’ombre, voulaient éliminer la “vieille garde” du CCI ». Et pour bien jouer sur la corde sensible, afin d’éviter toute réflexion réelle sur les faits, l’article de Juan finit par une vibrante tirade : « Nous fûmes tous frappés et affectés par nos exclusions et surtout les conditions scandaleuses de celles-ci tout comme par nos dénonciations publiques par le CCI. Michel sans doute plus que tout autre ». Ici, sous la plume volontairement sentimentaliste de Juan, ce qui devient scandaleux n’est pas le mouchardage mais sa dénonciation ! (5)
Comme il fallait s’y attendre, ce texte a été relayé par d’autres groupes et éléments dont une des principales vocations est de couvrir de boue le CCI. C’est ainsi qu’on retrouve le texte de Juan sur le blog Pantopolis géré par le « docteur » Philippe Bourrinet dont nous avons déjà souligné les mensonges et l’imposture animés par sa haine obsessionnelle envers le CCI. (6)
Beaucoup plus étonnant, et beaucoup plus grave, est de constater qu’un groupe authentique de la Gauche communiste, de notre courant historique, ait pu lui aussi participer à cette campagne de calomnie.
La TCI (Tendance Communiste Internationaliste) a en effet publié dans toutes ses langues un article en « Mémoire de notre camarade Olivier » qui ose affirmer sans rougir : « À vingt ans, il s’était rapproché des positions de la Gauche communiste internationale, née dans les années 1920, et participé à la fondation du Courant communiste international (CCI). Grâce à son talent et son dévouement, il a joué un rôle actif et dirigeant jusqu’à ce que, au début des années 2000, lui et d’autres camarades soient mis à la porte ou forcés de partir, en subissant des accusations infamantes autant qu’infondées. En réalité, comme toujours dans ces cas-là, les calomnies contre Olivier et d’autres camarades visaient à discréditer ces critiques politiquement gênants, qui ne partageaient pas et s’opposaient à la nouvelle orientation prise par l’organisation qu’ils avaient contribué à créer. D’autres camarades auraient été si profondément démoralisés et déçus de ces attaques qu’ils en auraient abandonné le militantisme révolutionnaire. Mais Olivier, parmi quelques rares autres, a conservé son énergie. Après avoir participé pendant une courte période à l’activité de la Fraction Interne du CCI (FICCI), il s’est engagé avec la Tendance Communiste Internationaliste ». Une note de bas de page enfonce le clou : « Pour un historique plus détaillé et d’autres aspects de la vie d’Olivier, nous renvoyons les lecteurs à l’article signé par le camarade Juan pour le GIGC, qui a en commun avec lui une partie de son parcours politique ainsi que des rapports d’amitié ».
Ici, un court rappel s’impose. Dès 2002, face aux agissements de Juan et d’Olivier, et de toute la bande, nous n’avons cessé de demander au BIPR (l’ancêtre de la TCI) d’étudier cette affaire, de prendre position, en lui fournissant toutes les preuves des actes réels de cette FICCI. Pendant des années, le BIPR (puis la TCI) a refusé systématiquement notre demande, argumentant : « ce sont vos affaires, nous ne prendrons pas position ». Puis, les années passant, et devant l’amoncellement de preuves flagrantes, la TCI a changé son argument pour justifier de ne rien voir, de ne rien entendre, de ne rien dire : « C’est une vieille histoire ».
Quand la TCI a collaboré avec Juan et le GIGC pour former un « comité » NWBCW (No War But the Class War) sur Paris et que nous avons dénoncé publiquement la présence de ces mouchards, la TCI a répété « ce sont de vieilles histoires ».
Quand la TCI a intégré Olivier comme militant et que, lors de l’une de ses réunions publiques, nous lui avons publiquement demandé des comptes sur la présence de ce mouchard dans ses rangs, la TCI a répété « ce sont de vieilles histoires ».
Et voilà qu’au pire des moments, lorsque la tristesse et l’émotion d’un décès surviennent, la TCI (toujours sourde et aveugle aux preuves) retrouve soudain l’usage de la parole pour se joindre au chœur des calomnies du GIGC et de Juan !
La TCI a la mémoire courte. Son prédécesseur, le BIPR avait adopté un comportement similaire en 2004, lorsqu’un individu vivant en Argentine, le Citoyen B, avait créé un site web pour monter une fable de toutes pièces dans le seul but de salir la réputation du CCI. Le BIPR avait alors fait de la publicité à cet individu louche et à tous ses mensonges grossiers, n’hésitant pas à republier en plusieurs langues les accusations les plus folles et saugrenues de ce Monsieur. Quand nous avions fait la preuve irréfutable de la supercherie, le BIPR avait discrètement retiré de son site toute trace de ses méfaits, afin de ne pas être ridicule trop longtemps. (7) Mais ses militants n’ont malheureusement tiré aucune leçon de cette histoire honteuse. Pire encore, aux calomnies du GIGC, la TCI en rajoute une couche. Quand la TCI comprendra-t-elle que le copinage avec des éléments comme Juan, dont la raison de vivre est de vomir sa haine contre le CCI, est une insulte aux principes de la Gauche communiste, que la calomnie et le mensonge ne peuvent, en aucune façon, servir la cause de la révolution communiste ? (8)
Un point devrait particulièrement faire réfléchir la TCI. Son article et celui du GIGC ont tous deux été republiés par l’extrême-gauche du capital, par exemple en France sur le site Matière et révolution du groupe trotskiste La Voix des Travailleurs.
Pourquoi des organisations gauchistes se font-elles ainsi le relais de l’hommage à Olivier et les calomnies contre le CCI par le GIGC et la TCI ? Parce que les défenseurs de la bourgeoisie sont toujours intéressés à calomnier les organisations révolutionnaires, à colporter les mensonges qui les salissent. Tout dénigrement d’un groupe de la Gauche communiste est pour eux une aubaine.
Il en avait été de même lors du combat de la Première Internationale (l’AIT) contre les manœuvres de l’Alliance de Bakounine en 1872. Toutes les calomnies et insinuations diffusées par les partisans de l’Alliance avaient été immédiatement reprises dans les organes de presse bourgeois :
- « Remarquons en passant que le Times, ce Léviathan de la presse capitaliste, le Progrès (de Lyon), journal de la bourgeoisie libérale, et le Journal de Genève, journal ultra-révolutionnaire, accablèrent la Conférence des mêmes reproches et se servaient presque des mêmes termes que les citoyens Malon et Lefrançais. » (Les prétendues scissions dans l’Internationale, Marx et Engels, 1872).
- « Toute la presse libérale et celle de la police se trouva ouvertement à ses côtés [de l’Alliance] ; dans sa diffamation personnelle du Conseil général, elle fut soutenue par les soi-disant réformateurs de tous les pays. » (Appendice au Rapport publié par ordre du Congrès international de La Haye, 1872).
La presse et les politiciens bourgeois déclarèrent que le combat contre le bakouninisme n’était pas une lutte pour des principes mais une lutte sordide pour le pouvoir au sein de l’Internationale. Ainsi, Marx était censé avoir éliminé son rival Bakounine au travers d’une campagne de mensonges. Exactement les mêmes mots que ceux employés par la TCI ! « Comme toujours dans ces cas-là, les calomnies contre Olivier et d’autres camarades visaient à discréditer ces critiques politiquement gênants, qui ne partageaient pas et s’opposaient à la nouvelle orientation prise par l’organisation ». Non, camarades ! Le combat qu’a mené, mène et mènera le CCI est celui de la défense des principes du mouvement ouvrier contre les comportements indignes : contre le vol, contre la calomnie, contre le mouchardage. Comme le firent Marx, Engels et l’AIT avant nous. Comme le firent Lénine et les Bolcheviks. Rosa Luxemburg et les Spartakistes. Tous nos prédécesseurs !
Que les mouchards poursuivent leur œuvre, que les parasites les rejoignent, que la gauche de la bourgeoisie en profite… tout cela est dans l’ordre des choses. Ils profitent ici tous de la triste trajectoire d’Olivier, militant sincère devenu acteur d’une politique désastreuse et haineuse. Mais qu’un groupe comme la TCI, représentant de la Gauche communiste, devant normalement porter des principes historiques du mouvement ouvrier, puisse se vautrer à ce point dans les égouts est une infamie, un coup de poignard dans le dos du CCI et de celui de toute la Gauche communiste.
CCI, 21 septembre 2024
1 Les termes entre guillemets figurent dans les procès-verbaux de ces réunions tombés « par accident » entre les mains du CCI.
2 À l’occasion du décès d’Olivier, un long article a été publié par Gieller sur son blog « Le prolétariat universel ». Étant proches, il s’adresse à lui dans une sorte de lettre-hommage qu’il lui tend dans la mort (en le prénommant affectueusement Gaston pour sa prétendue nature gaffeuse). On peut notamment y lire : « L’argent que possède le CCI te tourmentait avec quelques autres qui se posaient la question de comment le récupérer. [...] Gaston tu fis la proposition au PDG de Smolny, Éric, de leur “demander de l’argent [au CCI] pour publier Bilan et les laisser faire une postface, ce qu’ils refuseront. Ainsi Éric aura le beau rôle et on pourra rire pour voir ce que fera le CCI”.
Avec ma réplique j’avais été très méchant avec toi : “pire tu imagines une ‘négo’ dans l’espoir de vraiment tuer la secte, ‘négo’ glauque : co-publier Bilan avec l’argent de celle-ci dans l’espoir de remettre en selle le magouilleur individualiste Éric, grand seigneur vexé d’avoir été chatouillé en politique ! [...]”.
Et pourtant on t’avait servi de gardes du corps ! Lorsque l’orga lui avait intimé de rendre les archives, tu avais acquiescé puis tu avais fait appel à notre compagnie de vigiles amateurs. On était cinq costauds au premier étage (dont je tais les noms) pour te soutenir au cas où cela tournerait mal. Depuis la fenêtre on vit arriver les cinq membres de l’organe central déjà tous blanchis sous le harnais… organisationnel. Par après, Gaston remonta les marches en riant : “je les ai bien baisés, je ne leur ai remis que de la merde, j’ai gardé les archives importantes” ».
Une phrase de l’article de Gieller résume le sens réel de toute l’activité politique d’Olivier depuis 2002 (ainsi que de celle de ces comparses, d’ailleurs), quand il cite ce qu’Olivier lui avait explicitement formulé : « il faut maintenant que le CCI disparaisse et vite ». Et nous pourrions ajouter : « par tous les moyens ».
3 Nous avons démontré dans notre presse la nature policière des agissements des membres de la FICCI et explicité la façon dont le CCI a réagi à ces agissements. Voir notamment les articles : « Défense de l’organisation : les méthodes policières de la “FICCI” [207], « XV [208]e Congrès du CCI : Renforcer l’organisation face aux enjeux de la période » et « Les réunions publiques du CCI interdites aux mouchards [209] ». Nous encourageons nos lecteurs, et particulièrement ceux qui pourraient être sceptiques face à nos affirmations, à lire ces articles qui établissent, avec de nombreuses preuves irréfutables, la véracité de nos accusations contre la FICCI et aussi que nous avons laissé à ses membres toute possibilité de se défendre avant leur exclusion.
4 Voir à ce sujet notre article : « Le combat des organisations révolutionnaires contre la provocation et la calomnie [210] »
5 Rappelons au passage que ce Juan « affecté » n’a pas hésité à frapper à coups de poing au visage l’un de nos camarades, ou que lui et Olivier ont soutenu Pédoncule, l’un de leurs comparses d’alors, quand celui-ci a menacé un militant du CCI de l’égorger au couteau s’il le croisait seul dans une rue.
6 Voir notre article : « Conférence-débat à Marseille sur la Gauche communiste : le Docteur Bourrinet, un faussaire qui se prétend historien [211] »
7 Voir à ce sujet « Lettre ouverte du CCI aux militants du BIPR (Décembre 2004) [212]"
8 Comble de la farce, lors de la dernière réunion publique de la TCI à Londres, lorsque nous avons demandé en fin de discussion comment ils avaient pu publier de tels mensonges contre nous, la TCI nous a répondu qu’il était indigne d’utiliser un décès pour parler d’une telle chose ! Nous avons dû leur rappeler sobrement que… c’était eux qui faisaient cette chose.
La classe ouvrière n'a pas à choisir entre Trump et Harris, entre les Républicains et les Démocrates. Quel que soit le vainqueur, la classe ouvrière sera soumise aux attaques brutales contre ses conditions de vie exigées par la crise économique et le développement de l'économie de guerre. Quel que soit le vainqueur, les travailleurs seront confrontés à la nécessité de se défendre en tant que classe contre ces attaques.
Mais cela ne signifie pas que nous pouvons ignorer la campagne électorale et ses conséquences. Elles révèlent que les divisions au sein de la bourgeoisie américaine, la classe dirigeante de ce qui reste le pays le plus puissant du monde, sont de plus en plus aiguës et violentes. Les États-Unis sont devenus l'épicentre de la décomposition du système capitaliste mondial et, quel que soit le président qui sortira des urnes le 5 novembre, l'élection servira à exacerber encore plus ces divisions, avec de graves conséquences à la fois aux États-Unis et sur la scène mondiale.
Les révolutionnaires ont donc pour tâche non seulement de dénoncer la fraude de la démocratie bourgeoise, mais aussi d'analyser les implications mondiales de l'élection américaine, de les placer dans un cadre cohérent qui nous permettra de comprendre comment la fragmentation de la classe dirigeante américaine est un facteur actif de la seule perspective que la bourgeoisie peut offrir à l'humanité : une plongée accélérée dans la destruction et le chaos.
Nous invitons tous ceux qui veulent lutter pour un avenir différent à participer à cette réunion, le 16 novembre 2024 à 15h.
La langue principale de la réunion sera l'anglais, mais nous aurons la possibilité de traduire sur place dans d'autres langues. Si vous souhaitez participer, écrivez-nous à [email protected] [197], en indiquant si vous pouvez suivre et contribuer en anglais ou en précisant dans quelle autre langue vous auriez besoin de le faire.
Partout, la bourgeoisie fait pleuvoir les licenciements, multiplie les coupes budgétaires drastiques, comprime les salaires sous les coups de l’inflation, précarise et exploite toujours plus. Et les attaques ne sont pas près de s’arrêter ! La crise du capitalisme est insoluble et considérablement aggravée par les guerres et le chaos qui se répandent partout, à l’image des conflits très meurtriers en Ukraine ou au Proche-Orient. Pour financer les massacres, la bourgeoisie ne cesse d’accroître ses folles dépenses militaires et d’exiger toujours plus de sacrifices aux exploités. La classe ouvrière est encore incapable de se dresser directement contre ces conflits, mais elle n’est pas prête à accepter les attaques sans réagir.
À la fin du mois d’août, alors que la hausse des prix continue de peser lourdement, les travailleurs du fret ferroviaire au Canada ont tenté d’entrer en lutte. Qualifié d’« inédit » par son ampleur, ce mouvement avorté a rassemblé près de 10 000 ouvriers dans un pays où le droit de grève est encadré par un dispositif réglementaire extrêmement draconien. Le gouvernement a aussitôt interdit toute grève au nom de la sauvegarde de l’économie nationale, ordonnant de nouvelles négociations entre les compagnies ferroviaires et le principal syndicat du secteur, les Teamsters Canada. Il n’en fallait pas plus à ce dernier pour étouffer le mouvement dans l’œuf en promettant que la décision gouvernementale serait contestée… devant les tribunaux ! En clair, le syndicat a habilement réduit les ouvriers à l’impuissance en renvoyant la lutte aux calendes grecques. Comme l’a si bien expliqué le directeur des relations publiques du syndicat : « Nous, on veut négocier. Nos membres veulent travailler, ils aiment ça, opérer des trains au Canada ». La bourgeoisie ne pouvait trouver meilleur chien de garde…
Un mois plus tard, près de 50 000 dockers de 36 ports des États-Unis, ainsi que ceux du port de Montréal, se lançaient à leur tour dans une grève de plusieurs jours. Un mouvement d’une telle ampleur est lui aussi inédit depuis 1977. En pleine campagne électorale, l’administration Biden s’est empressée de jouer les médiateurs en affichant un « soutien » hypocrite aux dockers. Avec la complicité du gouvernement, les syndicats ont pu stopper le mouvement en faisant prévaloir un « accord de principe sur les salaires » qui sera négocié… au mois de janvier 2025.
Après des arrêts de travail partiels depuis avril, 15 000 travailleurs de 25 grands hôtels américains se sont mis en grève le 1er septembre (fête du travail aux États-Unis), réclamant de meilleurs salaires, une réduction de la charge de travail et l’annulation des suppressions de postes. Les 700 travailleurs du Hilton San Diego ont même mené une grève de 38 jours, la plus longue grève hôtelière de l’histoire de San Diego.
Les travailleurs de l’automobile continuent aussi de se battre, particulièrement dans les usines du groupe Stellantis. En 2023, les ouvriers de Ford, de General Motors et de Stellantis avaient tenté d’unir leurs luttes au niveau national et même au-delà, avec des ouvriers au Canada. Bien sûr, les syndicats avaient circonscrit la lutte au seul secteur de l’automobile. Mais ce phénomène exprimait la volonté des travailleurs de ne pas rester seul dans leur coin, de ne pas s’enfermer dans l’usine, et s’était traduit par un immense élan de sympathie de la classe ouvrière. Depuis, les syndicats ont réussi un minutieux travail de division des luttes à l’échelle de l’usine, enfermant les ouvriers dans la défense de telle ou telle ligne de production menacée de fermeture.
En Italie aussi, fin octobre, 20 000 salariés du groupe automobile Stellantis ont manifesté à Rome contre la fermeture de plusieurs usines Fiat. Le mouvement a également été qualifié de « grève historique comme il n’y en a pas eu depuis plus de quarante ans ». Mais, là encore, les syndicats ont fait leur possible pour réduire les ouvriers à l’impuissance. Alors que Stellantis licenciait au même moment 2 400 employés dans ses usines de Detroit (États-Unis), les syndicats italiens appelaient à une unique journée de grève avec des mots d’ordre nationalistes autour de la marque Fiat, cet « emblème de l’Italie ».
Mais c’est surtout le mouvement dans les usines de Boeing qui a le plus marqué les esprits. Depuis plus d’un mois, 33 000 ouvriers réclament des augmentations de salaire et le rétablissement de leur régime de retraite. Comme au Canada, les ouvriers en lutte sont accusés d’hypothéquer, par égoïsme, l’avenir de ce « fleuron » de l’industrie américaine et de menacer les emplois des sous-traitants. L’avionneur a même cyniquement menacé de licencier 17 000 employés pour effacer « l’ardoise à plusieurs milliards de dollars » imputable aux grévistes. Là encore, les syndicats cherchent à cloisonner la lutte à la seule entreprise Boeing, enfermant les ouvriers dans une grève dure mais très isolée.
Alors que le prolétariat aux États-Unis et au Canada se montre particulièrement combatif depuis deux ans face à la dégradation considérable de ses conditions de vie, les syndicats ont dû « radicaliser » leur discours et se présentent comme les plus déterminés dans la lutte. Mais derrière leur prétendue volonté d’arracher des augmentations de salaire, ils cherchent surtout à renforcer leur rôle d’encadrement pour mieux saboter toute mobilisation. Partout où des luttes éclatent, les syndicats s’emploient à isoler et diviser la classe, à priver les ouvriers de leur principale force : leur unité. Ils enferment les travailleurs dans leur secteur d’activité, dans leur entreprise, dans leur service. Partout, ils cherchent à couper les grévistes de la solidarité active de leurs frères de classe dans la lutte. Cette division corporatiste est un véritable poison, car lorsque nous nous battons chacun dans notre coin, nous perdons tous dans notre coin !
Ces luttes se déroulent dans un contexte extrêmement difficile pour la classe ouvrière. Le capitalisme se décompose sur pied, toutes les structures sociales pourrissent, la violence et l’irrationalité explosent à des niveaux inégalés, fracturant toujours plus la société. Tous les pays, à commencer par les plus fragiles, sont touchés par ce processus. Mais les États-Unis sont aujourd’hui, parmi les pays développés, celui qui est le plus impacté par la putréfaction de la société capitaliste. ([1) Le pays est ravagé, des ghettos les plus miséreux au plus haut sommet de l’État, par le populisme, par la violence, par le trafic de drogue, par les théories du complot les plus délirantes… Le succès des théories de l’extrême droite libertarienne, prônant la débrouille individuelle, la haine de toute démarche collective, le malthusianisme le plus bête, est un symptôme affligeant de ce processus.
Dans ce contexte, le développement de la lutte de classe ne peut en aucun cas prendre la forme d’une montée en puissance homogène et linéaire de la conscience de classe et de la nécessité du communisme. Au contraire, avec l’accélération des phénomènes de la décomposition, la classe ouvrière va sans arrêt se trouver confrontée à des obstacles, à des événements catastrophiques, à la pourriture idéologique de la bourgeoisie. La forme que va prendre la lutte et le développement de la conscience de classe sera nécessairement heurtée, difficile, fluctuante. L’irruption du Covid en 2020, la guerre en Ukraine deux ans plus tard ou les massacres à Gaza ont suffisamment illustré cette réalité. La bourgeoisie tirera profit, comme elle l’a toujours fait, de chaque manifestation de la décomposition pour les retourner aussitôt contre le prolétariat.
C’est d’ailleurs précisément ce qu’elle fait avec la guerre au Proche-Orient, en tentant de détourner le prolétariat de son terrain de classe, en poussant les ouvriers à défendre un camp impérialiste contre un autre. Avec une multitude de manifestations pro-palestiniennes et la création de réseaux de « solidarité », elle a cyniquement instrumentalisé le dégoût que provoquent les massacres pour mobiliser des milliers d’ouvriers sur le terrain du nationalisme.(2) C’est la réponse de la bourgeoisie à la maturation qui commence à s’opérer dans les entrailles de la classe ouvrière. Durant les grèves de 2023 dans le secteur automobile, le sentiment d’être une classe internationale a commencé à poindre. On a pu observer la même dynamique lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, lorsque les travailleurs du Mobilier national se sont mobilisés en solidarité avec les grévistes en Grande-Bretagne. Bien que ces expressions de solidarité soient restées à l’état embryonnaire, la bourgeoisie a parfaitement conscience du danger que représente une telle dynamique. Toute la bourgeoisie s’est mobilisée pour enfoncer de la bouillie nationaliste dans le crâne des ouvriers car ces réflexes de solidarité contiennent en germe la défense de l’internationalisme prolétarien.
Avec l’instabilité croissante de son appareil politique dont le populisme est un des symptômes les plus spectaculaires, la bourgeoisie tente encore d’enfoncer un coin dans la maturation de la conscience de classe. Les grèves aux États-Unis se déroulent dans un contexte électoral assourdissant. Les Démocrates ne cessent d’appeler à barrer la route au populisme dans les urnes, à revitaliser les institutions de « la démocratie américaine » face au danger du « fascisme ». Les ouvriers en grève sont sans arrêt accusés d’affaiblir le camp Démocrate et de faire le jeu du trumpisme. En Italie, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir a également suscité toute une campagne en faveur de la démocratie bourgeoise.
Avec les promesses mensongères de la gauche américaine ou européenne sur la « taxation les riches » ou la « réforme en profondeur des droits des travailleurs », comme avec les discours « progressistes » sur les « droits » des minorités, la bourgeoisie s’emploie partout à semer des illusions sur la capacité de l’État bourgeois à organiser une société plus « juste ». Non, la bourgeoisie ne rétablira pas une économie florissante ! Non, la bourgeoisie ne protégera pas les Noirs ou les Arabes de ses flics et de ses patrons racistes ! À travers ces boniments, il ne s’agit ni plus ni moins que de pourrir la réflexion des ouvriers et de les détourner des luttes, la seule voie capable d’offrir une véritablement alternative à la crise historique du capitalisme et à toutes les horreurs qu’elle charrie.
Malgré tous ces obstacles, la classe lutte massivement. Du point de vue du matérialiste vulgaire, les grèves actuelles ne sont que des luttes corporatistes, dépolitisées, dirigées et conduites dans des impasses par les syndicats. Mais en prenant un recul historique et international, malgré le carcan corporatiste imposé par les syndicats, malgré toutes les faiblesses et illusions bien réelles qui pèsent sur les travailleurs, ces mouvements s’inscrivent dans la continuité de la rupture que nous observons depuis bientôt trois ans. Depuis « l’été de la colère » qui a secoué le Royaume-Uni en 2022 pendant plusieurs mois, la classe ouvrière n’a cessé inlassablement de résister aux attaques de la bourgeoisie. En France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Finlande, aux Pays-Bas, en Grèce, aux États-Unis, au Canada, en Corée… Le monde n’avait pas connu une telle vague de luttes massives et simultanées dans autant de pays ni sur une si longue période depuis trois décennies.
Alors que la classe a perdu, depuis trente ans, la conscience d’elle-même, de son identité, elle recommence petit à petit à se concevoir comme une force sociale, à retrouver quelques réflexes de solidarité. Mieux, comme le CCI a pu le documenter, les ouvriers recommencent à se réapproprier les leçons des luttes passées, tentent de renouer avec l’expérience de leur classe : comme avec la lutte contre le CPE ou Mai 68 en France, avec le Cordobazo en Argentine, ou la lutte des mineurs en Grande-Bretagne en 1984.
Depuis les années 1980, les luttes ouvrières avaient pratiquement disparu du paysage nord-américain. Avec l’effondrement de l’URSS, les prolétaires aux États-Unis ont subi un matraquage idéologique aussi intense que pendant la guerre froide sur la « victoire du capitalisme contre le (prétendu) communisme ». Les luttes ouvrières ont été jetées sans ménagement dans les poubelles de l’histoire. Dans un pays gangrené par la violence et le populisme, où même Kamala Harris est suspectée d’être « communiste » et de vouloir « faire comme Lénine », le seul fait d’oser à nouveau se mettre massivement en grève, de poser la question de la solidarité et de s’appeler « travailleurs », témoigne d’un changement en profondeur dans les entrailles de la classe ouvrière du monde entier.
La solidarité qui s’est exprimée dans tous les mouvements sociaux depuis 2022 montre que la classe ouvrière, quand elle lutte, parvient non seulement à résister à la putréfaction sociale, mais aussi qu’elle amorce l’ébauche d’un antidote, la promesse d’un autre monde : la fraternité prolétarienne. Sa lutte est l’antithèse de la guerre et du tous contre tous dans laquelle nous enfonce la décomposition.
EG, 28 octobre 2024
[1] Ils représentent aussi un foyer majeur d’instabilité dans le monde. Lire à ce propos : « Résolution sur la situation internationale (décembre 2023) [213] », Revue Internationale n° 171 (2023).
[2] Cf.« Manifestations pro-palestiniennes dans le monde : Choisir un camp contre un autre, c’est toujours choisir la barbarie capitaliste [214] », publié sur le site web du CCI (2024).
En revenant sur les expériences historiques des luttes du prolétariat en Argentine depuis le Cordobazo en 1969 jusqu’aux difficultés actuelles qu’elles traversent, l’objectif de l’article est de mettre en évidence la nécessité pour le mouvement ouvrier de tirer les leçons du passé pour pouvoir inscrire et développer son combat au niveau international dans l’avenir. Cela n’est possible qu’en se rattachant non seulement aux moments forts du développement de ces luttes mais en développant en même temps une réflexion critique consciente sur pourquoi depuis le milieu des années 1970, ces luttes ont systématiquement été conduites dans des impasses en les laissant aux mains des forces capitalistes chargées de les encadrer tout en suscitant toujours davantage un sentiment d’échec et d’impuissance au sein de la classe. Cela démontre au contraire que la classe ouvrière a pleinement la capacité de surmonter le découragement et de développer les luttes sur son propre terrain de lutte de classe qui est la seule voie possible pour pouvoir résister aux attaques de la bourgeoisie.
Les travailleurs argentins subissent aujourd'hui une dégradation aiguë de leurs conditions de vie. Les mesures mises en œuvre par Milei ne cessent d’accroître le chômage et de diminuer les salaires, conduisant de larges masses prolétariennes à un processus de paupérisation, le pourcentage de pauvres bondissant en quelques mois de 45 % à 57 % de la population. En effet, le plan de choc concerté avec la plupart des gouverneurs de province baptisé «Ley de bases» (lois de base) a imposé des mesures d’austérité drastiques : suppression des aides sociales, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation ; coupes drastiques dans les budgets sociaux - impliquant en particulier des licenciements massifs dans le secteur public (entre 50 et 60 000 effectués jusqu’alors avec en vue la suppression de 200 000 postes de travail en un an ; gel des salaires et des retraites … - tout cela au nom de la lutte contre l’inflation et accompagné d’un renforcement de l’arsenal répressif de l’État. Dans les premiers jours du gouvernement Milei, face à une nouvelle escalade d’attaques contre les travailleurs aggravant leurs conditions de vie déjà très dégradées, d'importantes manifestations spontanées ont eu lieu, mais la structure syndicale et l'appareil de gauche du capital ont réussi à piéger le mécontentement et la volonté de lutte des travailleurs, empêchant que ce mécontentement ne se transforme en une force consciente et organisée.
Chaque fois que la combativité des travailleurs cherche à s'exprimer, elle trouve face à elle un ensemble d’obstacles dressés par la bourgeoisie qui déploie toutes ses forces d’encadrement de la classe ouvrière : syndicats, partis de gauche, péronistes, gauchistes, piqueteros, … C'est pourquoi les prolétaires doivent se pencher sur leurs luttes passées, afin d'en tirer les leçons, en identifiant les expériences positives, mais aussi en réfléchissant sur les erreurs et les expériences négatives, car cela permettra de préparer leurs prochaines luttes en étant capables de reconnaître et déjouer les pièges tendus par la bourgeoisie.
La tradition de lutte ouvrière en Argentine s'est affirmée entre les dernières décennies du 19e siècle et le premier quart du 20e siècle, avec l’industrialisation rapide du pays et la croissance du prolétariat au sein de la société. Cependant, l’impact de la défaite de la vague révolutionnaire mondiale de 1917-23 a plongé l’ensemble de la classe ouvrière au niveau mondial dans une longue période de contre-révolution. En Argentine, cette période de contre-révolution a pris la forme particulière d’un gouvernement comme celui de Péron « démocratiquement » élu mais en réalité dirigé par l’armée, fortement marqué comme ailleurs par le besoin de mesures de contrôle de l’État à la fois sur l’économie nationale et sur l’ensemble de la vie sociale, qui sont des caractéristiques propres à la période de la décadence du capitalisme[1]. Mais de telles mesures ont été badigeonnées d’une coloration « sociale », supposée reposer sur les syndicats et la mainmise du péronisme sur les « couches populaires » de la nation. Celui-ci s’est imposé à travers une succession de coups d’État fomentés tantôt par des militaires, tantôt par des civils permettant un encadrement renforcé de la classe ouvrière.
C’est suite à une période de 40 années de contre-révolution que, à la fin des années 1960, le retour sur la scène du prolétariat mondial se manifestait dans la reprise internationale de la lutte de classe à travers le formidable mouvement de luttes et de grèves de Mai 68 en France suivi par « l’automne chaud » en Italie en 1969. Une manifestation significative et majeure de cette dynamique en Argentine fut le Cordobazo[2] en mai 1969. Cette dynamique se propageait alors en opposition complète aux méthodes de lutte, mensongèrement présentées par les organisations gauchistes comme « socialistes », « communistes » ou « guerilleristes » relevant toutes de « luttes » au sein même du camp bourgeois[3]. Il est ainsi nécessaire et prioritaire que le prolétariat de ce pays se réapproprie cette expérience de lutte, en vue de pouvoir à nouveau se mobiliser solidairement et massivement face aux attaques de la bourgeoisie. Avec le Cordobazo, il s'agissait réellement de mobilisations ouvrières massives qui, bien qu'appelées par les grandes centrales syndicales pour éviter que les ouvriers n'en prennent eux-mêmes l'initiative et le contrôle, ont été capables d’exprimer une grande détermination, une forte combativité dans la lutte et des tendances à l’extension du mouvement, de faire surgir des assemblées dans les rues et sur les barricades, passant outre aux consignes syndicales pour faire cesser le mouvement. En dépit des pièges tendus par la bourgeoisie et son appareil d’encadrement syndical, mais aussi de ses illusions, ce mouvement a constitué un vigoureux et très clair encouragement à la lutte de classe internationale, permettant au prolétariat de prendre confiance en sa propre force, en sa lutte hors du cadre corporatiste dans lequel les syndicats voulaient l’enfermer, en sa solidarité de classe, notamment pour résister avec courage à la féroce répression étatique d’un gouvernement militaire. Ainsi, la mobilisation et les grèves se sont maintenues ou développées dans de nombreux secteurs en Argentine presque tout au long de l’année 1970.
Il est également nécessaire de revenir sur les manifestations de la dernière décennie du 20e siècle et des premières années du 21e siècle, en particulier pour dénoncer l’impasse du mouvement des « piqueteros »[4] (appelés à l'époque les « nouveaux sujets sociaux») et des « comedores populares » (soupes populaires) [5], en tant que fausses expressions de la lutte prolétarienne que la bourgeoisie continue de présenter, à travers ses structures syndicales et tout son appareil politique de gauche, comme les modèles que les travailleurs devraient suivre dans leurs luttes actuelles. Les idéologues bourgeois tentent de masquer que, depuis le Cordobazo, ce sont les forces syndicales et l’aile gauche du capital qui se sont constamment employées à saboter, dévoyer et étouffer la combativité ouvrière pour éviter l’émergence d’une formidable énergie prolétarienne telle qu’elle s’était manifestée lors du Cordobazo en effrayant l’ensemble de la bourgeoisie. En effet, parmi d'autres obstacles, figure le poison idéologique nationaliste contenu dans le credo anti-impérialiste exploité surtout par la gauche du capital, comme par les diverses fractions des défenseurs du péronisme qui est constamment utilisé pour détourner la colère des travailleurs en l’orientant contre la mainmise de capitaux d’entreprises d’« origine étrangère » sur le sol national. L’arme principale de l'État contre la conscience s’est appuyée sur la gauche et le renforcement de la structure syndicale.
Au niveau de l’encadrement syndical, il s’est surtout agi, face au discrédit de la CGT officielle profondément liée au péronisme, de s’appuyer sur la CGT-A[6], qui a joué un rôle important dans la récupération par la bourgeoisie des grèves massives du Cordobazo. La ruse du retour de Perón, avec la complicité de la gauche, a quant à elle été le produit d'une négociation entre différents secteurs bourgeois pour soumettre les travailleurs. Elle a été utilisée aussi bien par le Front Justicialiste de Libération d’obédience péroniste que par les autres partis politiques pour entraîner les travailleurs dans le cirque électoral démocratique de 1973[7]. C'est ainsi que s'est ancrée l’illusion que les travailleurs n'ont que l'option des urnes et de la démocratie pour sortir de la misère.
Au cours des années 1990, à la fin du 20e siècle, la masse des chômeurs a augmenté (générée par les politiques d’austérité de Menem, également d’origine péroniste), ainsi que le mécontentement, représentant ainsi un potentiel croissant de la lutte qui a été phagocyté par des secteurs prétendument plus radicaux du péronisme. Cette forme de mobilisation autour d’initiatives stériles telles que les barrages ou blocages de routes, a d'abord été promue et encouragée par des secteurs du parti justicialiste péroniste, notamment Hilda Duhalde[8]. Afin de gagner la sympathie des chômeurs et garantir leur affiliation ultérieure au parti justicialiste, celui-ci leur avait offert des subventions et de la nourriture pour leurs familles. Différentes organisations de gauche ou gauchistes ont réactivé ces « piqueteros » , notamment lors de la « crise du corralito » qui marquait l’effondrement économique et financier du pays fin 2001. Derrière des slogans totalement étrangers aux intérêts des exploités, comme la défense des entreprises nationalisées ou encore la promotion d’actions minoritaires, allant du pillage des magasins à la mise en autogestion d’usines devant fermer, les piqueteros ont ainsi réussi à circonscrire, encadrer, contrôler et dévoyer le mécontentement des travailleurs sans emploi ou précaires. Aujourd’hui encore, différentes organisations gauchistes se sont regroupées au sein du Mouvement des chômeurs (MTD) pour se disputer et se partager le contrôle du « mouvement piquetero » à travers, à nouveau, comme l’avaient fait les péronistes, la distribution gratuite de nourriture et la création de centres de soupe populaire pour attirer les chômeurs dans leurs filets.
Ces formes de regroupement, bien qu'elles puissent paraître exprimer la solidarité et la prise de décision au moyen d'assemblées, elles représentent en réalité la négation de l'unification consciente, de la discussion et de la réflexion collective, et sont finalement le moyen par lequel la bourgeoisie a contrôlé les mobilisations des chômeurs. Le piège était si efficace que tout l'appareil de gauche et d’extrême gauche du capital, dans toutes ses composantes, des fractions péronistes jusqu’aux groupes gauchistes en passant par les organisations syndicales « alternatives » ou radicales, comme la CTA[9], l'ont utilisé pour mener à bien leur travail d’encadrement et manipulation. De cette manière, ils exploitaient la misère grandissante des travailleurs, leurs difficultés matérielles, leurs réels besoins matériels d’aide pour dévoyer et encadrer la combativité en empêchant toute initiative des prolétaires pour mener la lutte sur leur terrain de classe.
Face à la violente crise économique et financière de décembre 2001, les ouvriers avaient réagi vigoureusement et fait preuve d’une forte combativité face aux attaques et à la détérioration brutale de leurs conditions de vie. Mais la classe ouvrière s’est alors fait totalement piéger par le mouvement des piqueteros isolant les chômeurs du reste de leur classe et par les manifestations interclassistes, du style des « cacerolazos », voir sur un terrain purement nationaliste et bourgeois.
L’an dernier encore, d’importants mouvements de grève ont eu lieu, notamment sur les docks et dans les services portuaires, dans le secteur de l’enseignement, des employés des transports publics et même chez les médecins. Mais cette fois-ci, tout le travail de sape et les pièges tendus sur le terrain par les syndicats conjugués au durcissement de l’appareil répressif du gouvernement (comme au temps de la dictature militaire, son évoqués avec insistance des cas de « disparitions » après des arrestations lors des manifestations), ont abouti à un large sentiment de démoralisation au sein de la classe ouvrière du pays.
Ici encore, partie intégrante de l'appareil politique de contrôle du prolétariat, les syndicats, se partageant le travail, manœuvrent en vue de diviser les prolétaires de manière à ce qu’ils ne parviennent pas à unifier leur mécontentement, ni exprimer leur solidarité dans la lutte. Bref, il s’agit de décourager, d’empêcher ou de saboter toute tentative et initiative des ouvriers de prendre en mains leur lutte, de s'organiser contre la division imposée par la bourgeoisie et que les syndicats reproduisent en se divisant eux-mêmes en corporations, entreprises ou secteurs... et cette division du travail, la gauche du capital se charge de lui donner une légitimité en se présentant, au même titre que les syndicats, comme les véritables représentants des travailleurs.
Dans le contexte d’une économie nationale au bord de la faillite depuis des années, de taux d’inflation vertigineux et où la crise frappe très brutalement les travailleurs, les syndicats de la CGT ou de la CTA et les partis « d’opposition » liés à la gauche du capital ont un rôle fondamental de rempart du capital contre la lutte de classe. Dans cette entreprise, leur action est renforcée par la politique des organisations gauchistes qui, tout en feignant de se méfier des syndicats comme des partis de gauche, allant jusqu’à faire semblant de vouloir les combattre tout en semant des illusions quant à la possibilité de les regagner à la cause du prolétariat en leur «mettant la pression ». Ce n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle manœuvre pour tenter de les recrédibiliser.
Ces derniers temps, face à l'escalade des attaques du gouvernement Milei, cette chorégraphie grotesque s’est mise en place pas à pas. Ainsi, la CGT feint hypocritement l’indignation et lance des appels à la mobilisation de tel ou tel secteur face aux mesures décrétées par le gouvernement, voire même à des manifestations massives, comme le 9 mai 2024 pour « défendre l’économie nationale ». Les trotskistes d'Izquierda Socialista (IS) et du Partido Obrero (PO) demandent « que la CGT garantisse le succès de la grève du 9 mai... ». La manœuvre atteint ainsi son objectif : redonner du crédit à la CGT et lui permettre ainsi de détourner le mécontentement des travailleurs vers la défense pure et simple de l'économie nationale, en imposant le slogan chauvin « la patrie n'est pas à vendre ». Cela démontre clairement, une fois de plus, que la CGT et tout l'appareil de gauche qui la soutient sont des instruments de défense du capital national dont la fonction essentielle est de saboter une lutte qui se déroulait sur un terrain de classe, d’affaiblir la classe ouvrière face aux attaques qu’elle subit et finalement de faire passer de nouvelles attaques.
Une autre officine gauchiste, le Mouvement des Travailleurs Socialistes (MTS) complète la manœuvre, tout en prétendant permettre aux travailleurs de s’affranchir du contrôle de la CGT sur leurs luttes, il les appelle à créer et rejoindre une autre structure syndicale, présentée différente de l’autre uniquement par le fait de revendiquer « un syndicalisme de combat ».
Il est aujourd’hui fondamental, pour le développement de la lutte en Argentine sur un terrain de classe, que, dans les discussions, dans les assemblées, soit dénoncé le lien existant entre, d'une part, les coups brutaux portés à leurs conditions de vie par la bourgeoisie au sein d’une énième crise économique et, d'autre part, tout l’arsenal de l’État qui a été mis en place pour pousser à la polarisation entre le soutien à Milei et l’opposition à son gouvernement, en vue d'affaiblir toute riposte de la classe ouvrière prenant pour cible le clown Milei à la place de l'État capitaliste avec ses syndicats, ses politiciens, ses forces de répression, etc. L’arrogance de Milei est en réalité celle de la bourgeoisie dans son ensemble qui s’attaque impitoyablement et férocement aux conditions de vie des travailleurs
Cette stratégie a fonctionné jusqu’à aujourd’hui, les travailleurs attendant le moment où le péronisme et l’énorme structure syndicale, qu’ils considèrent toujours comme étant de leur côté, répondront aux attaques.
La classe ouvrière en Argentine doit absolument tirer les leçons de ses défaites, et cet article se veut une contribution militante pour permettre aux ouvriers de dépasser la démoralisation actuelle, en comprenant que le sentiment d’impuissance et d’échec qui la sous-tend ne vient pas du fait que toute lutte est vouée à la défaite mais que les défaites de ces dernières décennies, en particulier les plus récentes d’entre elles, sont imputables à une soumission aux directives dictées par tous ceux qui se font passer pour des défenseurs de la classe mais n’ont pas cessé de saboter, faire capoter, dévoyer toute tentative de lutte ouvrière pour résister à des attaques de plus en plus insoutenables. Cette situation n’est pas inéluctable, au contraire, la classe ouvrière ne doit pas se décourager mais au contraire prendre confiance en ses propres forces car le développement de ses luttes sur son terrain de classe est la seule voie possible pour combattre et à terme renverser le capitalisme. Même si cela peut paraître aujourd’hui comme quelque chose de presque irréalisable, bien que déjà réalisé dans le passé, les prolétaires doivent se donner tous les moyens pour garder le contrôle de leur lutte et décider eux-mêmes des actions à mener.
Un besoin fondamental est l’autonomie de la classe ouvrière, la confiance dans sa capacité à prendre sa lutte en main. Et pour cela, comme dans les autres pays, ils doivent se méfier du partage des tâches entre la droite et la gauche où la première assume ouvertement les attaques et la seconde fait semblant de défendre les travailleurs pour les empêcher de suivre leur propre voie. En particulier, il faut comprendre que la gauche, les structures syndicales sous toutes ses formes et le gauchisme dans toutes ses variantes, ne sont pas des organes de la lutte des travailleurs mais au contraire des ennemis de classe et des serviteurs de l’État capitaliste. Il ne faut pas s’illusionner sur le fait qu’ils vont appeler à la lutte contre la bourgeoisie et, surtout, il faut se méfier quand ils appellent à la mobilisation parce qu’ils le font quand ils savent que le mécontentement et la combativité grandissent pour les faire dérailler dans des impasses. Le péronisme, en particulier, reste un rempart de l’État bourgeois parce qu’il jouit encore d’une grande sympathie auprès des travailleurs qui, par exemple se plaignent de ne pas suffisamment appeler à la mobilisation. Lorsqu’ils le feront, c’est qu’ils chercheront à dévoyer les luttes prolétariennes vers des impasses.
Elle doit prendre conscience que sa lutte n’est pas une spécificité argentine mais qu’au contraire elle est une expression d’une dynamique mondiale du développement de la résistance de la classe ouvrière aux attaques du capitalisme dans tous les pays dont l’expression significative récente d'un renouveau de la lutte de classe avait été la lutte des ouvriers au Royaume-Uni au cours de l’été 2022. À ce propos, le CCI écrivait dans un tract international produit il y a un an :
« Nous devons dire que trop, c’est trop ! Pas seulement nous, mais l’ensemble de la classe ouvrière de ce pays doit dire, à un moment donné, que trop, c’est trop ! » (Littlejohn, chef de maintenance dans les métiers spécialisés à l’usine d’emboutissage Ford de Buffalo aux États-Unis).
Cet ouvrier américain résume en une phrase ce qui est en train de mûrir dans la conscience de toute la classe ouvrière dans tous les pays. Il y a un an, éclatait « L’été de la colère » au Royaume-Uni. En scandant « Enough is enough !» (« trop, c’est trop ! »), les travailleurs britanniques sonnaient la reprise de combat après plus de trente ans d’atonie et de résignation.
Cet appel a été entendu au-delà des frontières. De la Grèce au Mexique, contre la même dégradation insupportable de nos conditions de vie et de travail, les grèves et les manifestations se sont développées durant toute la fin de l’année 2022 et le début de l’année 2023.
Au milieu de l’hiver, en France, un pas supplémentaire a été franchi : les prolétaires ont repris cette idée qu’ « à un moment donné, ça suffit ! ». Mais au lieu de multiplier les luttes locales et corporatistes, isolées les unes des autres, ils ont su se rassembler par millions dans la rue. À la nécessaire combativité s’ajoutait donc la force de la massivité. Et maintenant, c’est aux États-Unis que les travailleurs tentent de porter un peu plus loin le flambeau de la lutte. »
Alors que la reprise des luttes en Grande-Bretagne en 2022 a marqué une rupture avec le climat de passivité et de résignation qui avait suivi les campagnes mensongères de la bourgeoisie à la fin des années 1980 sur la faillite de la perspective communiste et la fin de la lutte de classe, le regain de combativité du prolétariat à l’échelle internationale a été confirmé à travers des mobilisations importantes en France et d’autres pays d’Europe occidentale comme aux États-Unis ou au Canada. Le mot d’ordre « ça suffit ! » a été repris partout, montrant la détermination à s’opposer aux mêmes attaques de plus en plus brutales et intolérables aux conditions de vie et de travail, comme aux baisses de salaire ou aux projets de licenciements que toutes les bourgeoisies nationales tentent d’imposer.
C’est en se réappropriant les expériences passées, en Argentine et dans le monde, que la classe ouvrière de ce pays comme ailleurs, pourra retrouver peu à peu sa confiance en elle et son identité de classe. C'est à travers ses luttes futures qu'elle pourra développer la conscience de la nécessité de renverser le capitalisme et abolir l’exploitation au niveau mondial
RR/T-W, Mai 2024
[1]. Lire notre article : Argentin [220]a El peroni [220]s [220]mo, un arma de la [220]burguesía contra la [220] clase obrera- parte 1 , ICC Online février 2022. Con Perón en el exilio o encumbrado en el gobierno, el peronismo golpea al proletariado en Argentina (Parte II) [221]
[2]. Lire notre article : Le Cordobazo argentin (mai 1969): maillon d’une chaîne de mobilisations ouvrières à travers le monde [222],
ICC Online, novembre 2019.
[3]. Lire par exemple notre article : Che Guevara : mythe et réalité (à propos de courriers d'un lecteur) [223] (Révolution Internationale n° 384, novembre 2007).
[4] Lire : Desde Argentina: Contribución sobre la naturaleza de clase del movimiento piquetero (I), Acción Proletaria n°177, 2006 [224].Par rapport au rôle de “l’union des piqueteros” dans le sabotage des mobilisations actuelles, voir également l’article : Argentina: la crisis golpea a los trabajadores con inflación, precariedad y miseria [225], ICC On line, mars 2023
[6] CGT- A: CGT de los Argentinos, scission animée par Raimundo Ongaro en rupture avec la ligne pro-péroniste du syndicat CGT, rapidement dissoute dès le retour au pouvoir de Péron en 1974.
[7] Voir l’article Con Perón en el exilio o encumbrado en el gobierno, el peronismo golpea al proletariado en Argentina (Parte II) [221], ICC On line juin 2023
[8] Femme de l’ex-président du pays lui-aussi péroniste Eduardo Duhalde entre 2002 et 2003, également responsable de la répression sanglante du mouvement piquetero en juin 2002, qui était auparavant vice-président sous le gouvernement Menem. Son épouse est aujourd’hui encore sénatrice.
[9] CTA : Central de los Trabajadores Argentinos.
Les journaux du monde entier ont diffusé les images et informations relatives aux morts emportés par les eaux et ensevelis sous la boue et les glissements de terrain, ainsi qu'aux nombreux autres disparus. Les cadavres s'échouent sur les plages ; de nombreux villages n'ont ni nourriture ni eau potable ; l'eau stagnant depuis une semaine avec des cadavres d'animaux et de personnes, commence à produire des infections avec des risques d'épidémies. Livrée à elle-même, à la limite de la survie, la situation de la population bloquée rappelle parfois celle de Gaza, les bombardements et la guerre en moins. Et tout cela se passe dans la troisième ville d'Espagne, dans un pays de l'Union européenne au cœur du capitalisme. Qu'il s'agisse de guerres ou de catastrophes écologiques, le capitalisme condamne l'humanité à l'extermination.
La DANA[1] qui s'est déchaînée le 30 octobre dans la région de Valence a provoqué des inondations qui ont causé plus de 200 morts, chiffre qui montera en flèche lorsque les corps des quelques 2000 disparus auront été retrouvés. À cela s'ajoute la dévastation de milliers de logements, de routes, de voies ferrées, de moyens de télécommunications, etc., affectant des centaines de milliers de personnes et dont la remise en état prendra des mois. Il s'agit sans aucun doute de l'une des plus grandes catastrophes humanitaires de l'histoire de l'Espagne, du même type que celles qui se sont produites dans les pays du centre de l'Europe, comme les inondations de 2021 en Allemagne, à Bonn, où, malgré la tradition de discipline et d'organisation de l'État, la population a été abandonnée de la même manière ; ou bien comme l'ouragan Katrina[Jl2] aux États-Unis, à la Nouvelle-Orléans. Mais contrairement à ce que disent les porte-parole de la droite, il ne s'agit pas d'une catastrophe « naturelle » imprévisible. Ce n'est pas non plus, comme le proclame la gauche du capital, la conséquence d'une «gestion néolibérale» incompétente. Cette catastrophe est en définitive le résultat d'un système social qui sacrifie la vie des travailleurs et la planète entière aux exigences de la production et de l'accumulation capitalistes.
Accumulant les catastrophes depuis des décennies (changement climatique, urbanisation sauvage, exploitation irrationnelle des ressources en eau, négligences dans l'entretien des infrastructures, etc.[2]), ce système est également entré dans sa phase terminale de décomposition, où toutes ces dévastations sont accélérées et amplifiées par d'autres manifestations de la décadence capitaliste telles que les guerres, les crises économiques, etc. dans un tourbillon[3] infernal qui débouche inévitablement dans la catastrophe. Face à cela, l'attitude de la classe dirigeante relève d'une irresponsabilité croissante dans la gestion de son propre système, privilégiant la défense des intérêts de chaque faction, ce qui accentue encore le désastre.
Une grande partie des victimes étaient des travailleurs, contraints par les patrons et les cadres à rester dans les lieux de travail. Chez FORD, les équipes du soir et de la nuit n'ont pas été libérées au moment des inondations et 700 personnes ont dû dormir dans l'usine sans pouvoir communiquer avec leur famille. Dans la zone industrielle de Ribarroja, plus de 1 000 travailleurs ont été secourus le lendemain. Autre « souricière », les centres commerciaux (IKEA, Bonaire de Torrent) où les horaires d'ouverture ont été maintenus et où les employés eux-mêmes ont dû secourir les clients et les usagers. Dans les usines d'Inditex, les travailleurs n'ont pas entendu les alertes parce qu'ils n'ont pas le droit d'avoir avec eux leur téléphone portable et que les managers ne leur ont rien dit... On sait aussi que cette alerte a été lancée par les autorités locales, plusieurs heures après les alertes rouges de la météo et les premières inondations en amont. La discipline du salariat et la santé des entreprises priment sur toute considération pour la vie et la santé des travailleurs. C'est la véritable loi du capitalisme.
La situation rappelle, à une autre échelle, la pandémie de COVID il y a quatre ans. Là aussi, on a dit que l'origine était « naturelle » et on s'est retranché derrière le sempiternel «qui aurait pu prédire une chose pareille?» Mais même à cette époque, nous avons souligné qu'il s'agissait d'une catastrophe annoncée en raison de l'aggravation du désastre environnemental mondial. Et que la société disposait de la technologie et des connaissances nécessaires pour anticiper et prévenir ses ravages, mais que ces ressources sont détournées au profit de l'accumulation capitaliste et de la guerre. Il est navrant et scandaleux qu'à l'heure où les armées disposent de moyens cybernétiques pour faire exploser à distance un téléphone portable, ou des drones sont capables d'espionner au centimètre près, que lors des inondations de Valence les lignes téléphoniques se soient immédiatement effondrées, y compris pour les appels d'urgence et que ceux qui devaient se déplacer cette nuit-là ont dû le faire pratiquement à l'aveugle, sans aucune information, sur des routes et des voies ferrées littéralement saturées, ou s'engager sur des routes secondaires sans savoir si elles étaient inondées ou non.
Le cauchemar ne s'est pas arrêté avec la fin des pluies. Le lendemain matin, les gens se sont retrouvés à chercher des survivants, à récupérer ce qu'ils pouvaient dans les maisons dévastées etc., pratiquement sans aucune aide, ni nourriture, ni eau potable, ni électricité, ni téléphone, avec des infrastructures routières emportées, sans moyens de secours adaptés (hélicoptères, bulldozers, etc.). C'est pourquoi le cynisme et les larmes de crocodile des gouvernants -régionaux et nationaux- qui sont apparus à plusieurs reprises devant les caméras de télévision sont encore plus répugnants avec les messages rituels de « solidarité » et les promesses qu'« ils ne laisseront pas les victimes seules » (!), alors qu'ils savaient parfaitement qu'ils abandonnaient la population à son sort.
Le fait qu'ils se soient également consacrés à se blâmer et à se tirer dans les pattes montre qu'en cette époque de décomposition capitaliste, les politiques étatiques dites traditionnelles cèdent la place à l'irresponsabilité et au «chacun pour soi». Le gouvernement régional (du PP) a en effet fait preuve de négligence, mais aussi d'arrogance et de provocation (par exemple, en essayant d'expulser les volontaires ou en les chargeant de nettoyer les centres commerciaux, en renvoyant chez eux les parents qui recherchaient les disparus). Mais le gouvernement «ultra-progressiste» de Sánchez et Sumar n'est pas en reste. Il a mis des jours à déployer des moyens d'intervention en personnel, sous prétexte qu'ils n'avaient pas été «officiellement» demandés par le gouvernement régional. De deux choses l'une. Soit il a laissé le PP «mijoter dans son jus» malgré le coût humain que cela représente, soit il se cache derrière des subtilités administratives pour masquer sa propre négligence. Des gouvernements comme en France et dans l'UE ont annoncé leur volonté d'aider, mais ne l'ont pas fait parce que le gouvernement Sánchez n'en a pas fait la «demande» nécessaire.
L'État démocratique se présente comme le garant du bien-être social, comme le moyen pour la population de «se défendre» contre les abus de l'exploitation capitaliste, alors qu'il est en réalité son défenseur le plus énergique[4]. Lorsque les protestations contre le maintien forcé au travail ont commencé à émerger la nuit de l'inondation, la «pseudo-communiste» Yolanda Díaz (également vice-présidente du gouvernement et ministre du travail) est sortie pour déclarer que la loi permettait soi-disant aux travailleurs de quitter leur emploi lorsque leur vie était en danger, mais qu'elle en «appelait» à la responsabilité des employeurs (?). Imputer le choix d'une telle décision aux travailleurs[5] dans une période caractérisée par la précarité de l'emploi relève d'un sarcasme insultant ; de même lorsque le gouvernement appelle les propriétaires à être «compréhensifs» à l'égard des locataires et à freiner la crise du logement.
L'inondation a également suscité un élan de solidarité spontané et généreux, qui a été retransmis par les télévisions du monde entier. Cette solidarité initiale a été interrompue par les autorités craignant une perte de contrôle de la situation du fait de l'indignation de la population des voisins qui se rassemblaient ; elle a ensuite été manipulée, prenant la forme d'un « soutien régionaliste des Valenciens », au son de l'hymne régional. En dehors de la confrontation et de la solidarité de classe, elle était condamnée à devenir un soutien populaire et interclassiste, du type «seul le peuple peut sauver le peuple». Mais croire que le «salut» est possible sans éradiquer le capitalisme, ses désastres, ses guerres et sa misère de la surface de la terre est une illusion fatale. La seule façon de sortir de ce sinistre avenir est de canaliser l'indignation et la rage produites par tous ces désastres dans la lutte des classes, la lutte des exploités de tous les pays contre les exploiteurs. Au fur et à mesure que le prolétariat retrouvera son identité de classe, les travailleurs seront en mesure de soutenir, en la maintenant sur un terrain de classe, la défense de l'ensemble de la population non exploiteuse, créant ainsi un rapport de force contre l'État bourgeois.
Valerio (2 novembre 2024)
[1] Acronyme de "depresion aislada en niveles alto", ou dépression isolée à niveau élevé
[2] Voir une analyse de cette succession de catastrophes climatiques par exemple dans notre récent article en espagnol sur la sécheresse, Sequía en España: el capitalismo no puede mitigar, ni adaptarse, solo destruir [236]
[3] Nous expliquons ce que nous entendons par cet «effet tourbillon» dans notre résolution sur la situation internationale [237] de décembre 2023.
[4] Le roi Felipe VI a déclaré, après la visite mouvementée à la zone zéro, que l'État devait être présent à tous les niveaux, et nous avons effectivement vu comment il a pris en charge la défense de la propriété privée, réprimant les assauts des supermarchés à la recherche de nourriture, interdisant les actes spontanés de solidarité, protégeant les autorités... Et abandonnant la population à son sort.
[5] Légalement, les syndicats peuvent aussi évacuer les lieux de travail en cas de risques professionnels. Il s'est pas avéré qu'ils ne l'ont pas fait dans tous les cas, ce qui illustre qu'ils sont eux aussi alignés sur l'État capitaliste.
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 14 décembre 2024 à 14h30.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [24]) ou dans la rubrique « nous contacter [25] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
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Trump retrouve donc la Maison-Blanche, auréolé d’une victoire écrasante à l’élection présidentielle. Aux yeux de ses supporters, il est un invincible héros américain, celui qui a survécu à tous les obstacles : aux « élections truquées », à « l’inquisition judiciaire », à l’hostilité de « l’establishment » et même… aux balles ! L’image d’un Trump miraculé, l’oreille en sang, le poing levé, après qu’un tir l’a frôlé, restera dans les annales. Mais derrière l’admiration qu’a suscitée sa réaction, cet attentat est surtout l’expression la plus spectaculaire d’une campagne électorale qui a atteint des sommets de violence, de haine et d’irrationalité. Cette campagne hors norme, vomissant le fric et saturée d’obscénités, tout comme sa conclusion, la victoire d’un milliardaire mégalomane et stupide, est à l’image de l’abyme dans lequel s’enfonce la société bourgeoise.
Trump a tout d’un sale type : il est d’une vulgarité sans borne, menteur et cynique, aussi raciste et misogyne qu’homophobe. La presse internationale a glosé durant toute la campagne sur les dangers que son retour aux affaires fait peser tant sur les institutions « démocratiques » que sur les minorités, le climat ou les relations internationales : « Le monde retient son souffle » (Die Zeit), « Cauchemar américain » (L’Humanité), « Comment le monde survivra-t-il à Trump ? » (Público), « Une débâcle morale » (El País)…
Alors fallait-il préférer Harris, choisir le camp d’un prétendu « moindre mal » pour barrer la route au populisme ? C’est ce que s’est employée à faire croire la bourgeoisie. Le nouveau Président des États-Unis s’est trouvé, pendant plusieurs mois, au cœur d’une propagande mondiale contre le populisme. (1) La « souriante » Kamala Harris n’a cessé d’en appeler à la défense de la « démocratie américaine », qualifiant son adversaire de « fasciste ». Même son ancien chef d’état-major n’a pas hésité à le décrire comme un « dictateur en puissance ». La victoire du milliardaire n’a fait qu’alimenter cette campagne mystificatrice en faveur de la « démocratie » bourgeoise.
Beaucoup d’électeurs se sont rendus au bureau de vote en pensant : « Les Démocrates nous en ont fait baver pendant quatre ans, mais ce ne sera malgré tout pas aussi catastrophique que Trump à la Maison-Blanche ». Cette idée, c’est celle que la bourgeoisie a toujours cherché à mettre dans la tête des ouvriers pour les pousser vers les urnes. Mais dans le capitalisme décadent, les élections sont une mascarade, un faux choix qui n’a plus d’autre fonction que d’entraver la réflexion de la classe ouvrière sur ses buts historiques et les moyens d’y parvenir.
Les élections aux États-Unis n’échappent pas à cette réalité. Si Trump a gagné aussi largement, c’est d’abord parce que les Démocrates sont détestés. Contrairement à l’image véhiculée d’une « vague Républicaine », Trump n’a pas suscité d’adhésion massive. Le nombre de ses électeurs est resté relativement stable par rapport à la précédente élection de 2020. C’est surtout la vice-Présidente Harris qui, signe du discrédit des Démocrates, a essuyé une débâcle en perdant pas moins de 10 millions d’électeurs en quatre ans. Et pour cause ! L’administration Biden a mené des attaques féroces contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, d’abord par l’inflation qui a fait exploser le prix de l’alimentation, de l’essence et des logements. Par une énorme vague de licenciements et de précarisation, ensuite, qui ont fini par pousser les travailleurs à lutter massivement. (2) Sur l’immigration, Biden et Harris, qui avaient été élus en promettant une politique « plus humaine », n’ont cessé de durcir les conditions d’entrée sur le territoire américain, allant jusqu’à fermer la frontière avec le Mexique et interdire sans ménagement aux migrants ne serait-ce que seulement demander l'asile. Sur le plan international, le militarisme forcené de Biden, le financement dispendieux des massacres en Ukraine et le soutien à peine critique aux exactions de l’armée israélienne ont aussi ulcéré les électeurs.
La candidature d’Harris ne pouvait susciter d’illusion, comme on a pu l’observer par le passé avec Obama et, dans une moindre mesure, avec Biden. Le prolétariat n’a rien à attendre des élections ou du pouvoir bourgeois en place : ce n’est pas telle ou telle clique au pouvoir qui « gère mal les affaires », c’est le système capitaliste qui s’enfonce dans la crise et sa faillite historique. Démocrates ou Républicains, tous continueront d’exploiter sans ménagement la classe ouvrière et à répandre la misère à mesure que la crise s’approfondit, tous continueront d’imposer la féroce dictature de l’État bourgeois et à écraser partout dans le monde des innocents sous les bombes !
Les fractions les plus responsables de l’appareil d’État américain (la plupart des médias et des hauts-fonctionnaires, le commandement militaire, la faction la plus modérée du parti Républicain…) ont cependant fait leur possible pour empêcher le retour de Trump et son clan à la Maison-Blanche. La cascade de procès, les avertissements de la quasi-totalité des experts dans tous les domaines et même l’acharnement des médias à ridiculiser le candidat n’ont pas suffi à stopper sa course vers le pouvoir. L’élection de Trump est un véritable camouflet, le signe que la bourgeoisie perd de plus en plus le contrôle sur son jeu électoral et ne parvient plus à empêcher un trublion irresponsable d’accéder aux plus hautes fonctions de l’État.
La réalité de la montée en puissance du populisme n’est pas nouvelle : l’adoption du Brexit en 2016, suivie la même année de la victoire surprise de Trump en ont été les premiers signes les plus spectaculaires. Mais l’approfondissement de la crise du capitalisme et l’impuissance croissante des États à maîtriser la situation, que ce soit sur les plans géostratégique, économique, environnemental ou social, n’ont fait que renforcer l’instabilité politique à travers le monde : parlements écartelés, populisme, tensions entre les cliques bourgeoises, instabilité gouvernementale… Ces phénomènes témoignent d’un processus de délitement qui opère désormais au cœur des États les plus puissants de la planète. Cette tendance a permis à un fou furieux comme Milei de se hisser à la tête de l’État argentin ou de voir les populistes arriver au pouvoir dans plusieurs pays européens, là où la bourgeoisie est la plus expérimentée au monde.
La victoire de Trump s’inscrit dans ce processus mais marque aussi un pas supplémentaire significatif. Si Trump est rejeté par une large partie de l’appareil d’État, c’est avant tout parce que son programme et ses méthodes risquent non seulement de nuire aux intérêts de l’impérialisme américain dans le monde, mais aussi d’accroître davantage les difficultés de l’État à assurer le semblant de cohésion sociale nécessaire au fonctionnement du capital national. Pendant la campagne, Trump a multiplié les discours incendiaires, ravivant comme jamais l’esprit revanchard de ses partisans, menaçant même les institutions « démocratiques » dont la bourgeoisie a tant besoin pour encadrer idéologiquement la classe ouvrière. Il n’a cessé d’alimenter les discours les plus rétrogrades et haineux, faisant planer le risque d’émeutes s’il n’était pas élu. Cela, sans jamais se soucier des conséquences que ses propos pouvaient avoir sur le tissu social. L’extrême violence de cette campagne, dont les Démocrates sont aussi responsables à bien des égards, approfondira sans aucun doute les divisions dans la population américaine et ne pourra qu’accroître encore et encore la violence d’une société déjà très fragmentée. Mais Trump, dans une logique de terre brûlée qui caractérise de plus en plus le système capitaliste, était prêt à tout pour l’emporter.
En 2016, comme la victoire de Trump était relativement inattendue, y compris de lui-même, la bourgeoisie américaine avait pu baliser le terrain en plaçant au gouvernement et dans l’administration des personnalités capables de freiner les décisions les plus délirantes du milliardaire. Ceux que Trump a, par la suite, qualifié de « traîtres », avaient, par exemple, pu empêcher l’abrogation du système de protection sociale (Obamacare) ou le bombardement de l’Iran. Lorsque la pandémie de Covid avait éclaté, son vice-Président, Mike Pence, avait aussi pu assurer la gestion de la crise en dépit d’un Trump qui pensait qu’il suffisait « d’injecter du désinfectant dans les poumons » pour soigner la maladie… C’est ce même Pence qui a fini par désavouer publiquement Trump en assurant la transition de pouvoir avec Biden alors que des émeutiers marchaient sur le Capitole. Désormais, même si l’état-major de l’armée demeure très hostile à Trump et fera encore son possible pour temporiser ses pires décisions, le clan du nouveau Président s’est préparé en écartant les « traîtres » et s’apprête à gouverner seul contre tous, laissant entrevoir un mandat encore plus chaotique que le précédent.
Durant la campagne, Trump s’est présenté en homme de « paix », affirmant qu’il mettrait fin au conflit ukrainien « en 24 heures ». Son goût pour la paix s’arrête visiblement aux frontières de l’Ukraine puisque, dans le même temps, il a apporté un soutien inconditionnel aux massacres perpétrés par l’État hébreu et s’est montré très virulent à l’égard de l’Iran. En réalité, nul ne sait vraiment ce que fera (ou pourra faire) Trump en Ukraine, au Proche-Orient, en Asie, en Europe ou avec l’OTAN tant il s’est toujours montré versatile et capricieux.
En revanche, son retour va marquer une accélération sans précédent de l’instabilité et du chaos dans le monde. Au Proche-Orient, Netanyahou s’imagine déjà, avec la victoire Trump, les mains plus libres que jamais depuis le début du conflit à Gaza. Israël pourrait chercher à atteindre ses objectifs stratégiques (destruction du Hezbollah, du Hamas, guerre avec l’Iran, etc.) de façon beaucoup plus frontale, répandant davantage la barbarie dans toute la région.
En Ukraine, après la politique de soutien plus ou moins mesuré de Biden, le conflit risque de prendre un tour plus dramatique encore. À la différence du Moyen-Orient, la politique des États-Unis en Ukraine relève d’une stratégie savamment mise en place pour affaiblir la Russie et son alliance avec la Chine, et resserrer les liens des États européens autour de l’Otan. Trump pourrait remettre en cause cette stratégie et affaiblir d’autant plus le leadership américain. Que Trump décide de lâcher Kiev ou de « punir » Poutine, les massacres vont inéluctablement s’aggraver et peut-être s’étendre au-delà de l’Ukraine.
Mais c’est surtout vers la Chine que se tournent les regards. Le conflit entre les États-Unis et la Chine est au centre de la situation mondiale et le nouveau Président pourrait multiplier les provocations, poussant la Chine à réagir avec fermeté ou, tout au contraire, mettre la pression sur ses alliés japonais ou coréens qui ont d’ores et déjà exprimé leurs inquiétudes. Et tout cela sur fond de guerres commerciales aggravées et de protectionnisme dont les principales institutions financières dénoncent les conséquences désastreuses sur l’économie mondiale.
L’imprévisibilité de Trump ne peut donc que considérablement renforcer la tendance au chacun pour soi, poussant toutes les puissances, petites ou grandes, à profiter du « repli » du gendarme américain pour jouer leur propre carte dans une immense confusion et un chaos accrus. Même les « alliés » de l’Amérique cherchent déjà plus ouvertement à s’éloigner de Washington en privilégiant des solutions nationales, tant sur le plan économique que militaire. Le Président français, à peine Trump assuré de l’emporter, a aussitôt appelé les États de l’Union européenne à « défendre » leurs « intérêts » face aux États-Unis et à la Chine…
Dans un contexte de crise économique, alors que le prolétariat retrouve sa combativité à l’échelle internationale et redécouvre peu à peu son identité de classe, la clique de Trump n’est, aux yeux de la bourgeoisie américaine, clairement pas la plus adaptée pour gérer la lutte de classe et faire passer les attaques dont le capital à besoin. Entre ses menaces ouvertes de répression contre les grévistes et son partenariat cauchemardesque avec un type aussi ouvertement anti-ouvrier qu’Elon Musk, les déclarations à l’emporte-pièce du milliardaire lors des récentes grèves aux États-Unis (Boeing, dockers, hôtellerie, automobile…) font présager du pire et ne peuvent qu’inquiéter la bourgeoisie. La promesse de Trump de se venger des fonctionnaires d’État qu’il considère comme ses ennemis, en licenciant 400 000 d’entre eux, augure également de troubles après les élections.
Mais il serait erroné de penser que le retour de Trump à la Maison-Blanche pourra favoriser la lutte de classe. Au contraire, cela va constituer un véritable choc. La politique assumée de division entre les ethnies, entre les urbains et les campagnards, entre les diplômés et les non-diplômés, toute la violence et la haine que la campagne électorale a charriée et sur lesquelles Trump continuera de surfer, contre les Noirs, contre les immigrés, contre les homosexuels ou les transgenres, tous les délires irrationnels des évangéliques et autres théoriciens du complot, tout le fatras de la décomposition, en somme, va peser encore plus fortement sur les ouvriers, créer des divisions profondes, voire des affrontements politiques violents en faveur des cliques populistes ou anti-populistes.
L’administration Trump pourra, sans conteste, compter sur les factions de gauche de la bourgeoisie, à commencer par les « socialistes » pour instiller le poison de la division et assurer l’encadrement des luttes. Après avoir fait campagne pour les deux Clinton, Obama, Biden et Harris, Bernie Sanders accuse sans sourciller les Démocrates d’avoir « abandonné la classe ouvrière », comme si ce parti, à la tête de l’État américain depuis le XIXe siècle, militariste et assassin en masse de prolétaires, avait un quelconque rapport avec la classe ouvrière ! Sa comparse en boniments, Ocasio-Cortez, a, dès sa réélection à la Chambre des représentants, promis de faire son possible pour diviser la classe ouvrière en « communautés » : « Notre campagne ne se résume pas à gagner des voix, elle vise à nous donner les moyens de construire des communautés plus fortes ».
Mais la classe ouvrière a la force de retrouver le chemin de la lutte malgré ces nouveaux obstacles. Alors que la campagne battait son plein et malgré les accusations infâmes de faire le jeu du populisme, les ouvriers continuaient de se battre contre l’austérité et les licenciements. Malgré l’isolement imposé par les syndicats, malgré la gigantesque propagande démocratiste, malgré le poids des divisions, ils ont montré que la lutte est la seule réponse à la crise du capitalisme.
Surtout, les travailleurs aux États-Unis ne sont pas seuls ! Ces grèves s’inscrivent dans un contexte de combativité internationale et de réflexion accrue qui durent depuis l’été 2022, lorsque les ouvriers en Grande-Bretagne, après des décennies de résignation, ont poussé un cri de colère, « Enough is enough ! », qui résonne et résonnera encore dans les entrailles de la classe ouvrière !
EG, 9 novembre 2024
1« Élections aux États-Unis, vague populiste dans le monde… L’avenir de l’humanité ne passe pas par les urnes, mais par la lutte de classe ! [242] », Révolution internationale n° 502 (2024).
2« Grèves aux États-Unis, au Canada, en Italie… Depuis trois ans, la classe ouvrière se bat contre l’austérité ! [243] », publié sur le site du CCI (2024).
Le bilan des guerres en cours est terrible. En Ukraine, le nombre de morts et de blessés dépasse déjà le million, avec des territoires et villes entièrement rasés, comme dans la ville de Marioupol entièrement rayée de la carte ! Au Moyen-Orient, avec la fuite en avant à Gaza aboutissant à un véritable génocide. Là aussi tout a été rasé, les territoires laminés resteront en friche pendant des décennies. À cela, s’ajoutent encore les confrontations connexes et meurtrières, comme au Liban, en mer Rouge, au Yémen ou, plus récemment en Syrie. Et d’autres menaces plus graves s’accumulent et risquent d’éclater, notamment entre la Chine et Taïwan.
Nous assistons depuis l’été dernier à une véritable escalade, à l’intensification partout des combats et des massacres. Depuis le début du conflit en Ukraine et bientôt trois années de guerre extrêmement violente, l’armée ukrainienne a fini par réaliser une incursion sur le sol russe, dans la région de Koursk. Dans l’Est de l’Ukraine, l’armée russe semble encore progresser au prix de très lourdes pertes. Des gamins sont envoyés sans vergogne à l’abattoir. Avec l’appui de soldats nord-coréens, mais aussi Sri Lankais, Houtis, etc., le conflit prend une autre dimension, plus périlleuse, entraînant dans son sillage davantage d’États ou de groupes militaires, même si les renforts enregistrés ne font que traduire les difficultés et la pénurie dont souffre la Russie.
Au Moyen-Orient, après deux années de guerre, le conflit s’est également intensifié, déjà plus de 44 000 morts à Gaza, dont une majorité de civils, 1700 israéliens avec quelques ressortissants étrangers et des otages, puis l’ouverture d’un nouveau front qui s’est étendu brutalement au Liban, où le centre de Beyrouth s’est rapidement retrouvé sous les bombes (plus de 3000 morts civils). À ce macabre décompte, il faut encore ajouter une foule de blessés et de déplacés.
Récemment encore, c’est en Syrie que des groupes islamistes, profitant de l’impuissance de la Russie (alliée à Bachar el-Assad) et des bombardements réguliers d’Israël dans le pays, ont lancé une offensive sur la ville d’Alep. Cette nouvelle flambée de violence, tirant opportunément parti du désordre au Moyen-Orient, représente non seulement une expansion supplémentaire du chaos mais pourrait aussi avoir à son tour des conséquences meurtrières encore plus graves.
Ces conflits se sont donc encore envenimés, notamment depuis les élections américaines où Biden a été contraint de soutenir avec gêne le jusqu’auboutisme forcené de Netanyahou ; il a aussi été poussé récemment à autoriser l’usage par l’Ukraine de missiles de plus longue portée, pouvant atteindre en profondeur des cibles dans un rayon de 300 kilomètres sur le sol russe. Depuis, très rapidement, les premiers tirs ukrainiens de missiles américains ATACMS ont fait écho à l’usage plus intense des drones et missiles à fragmentation de la part de la Russie (faisant de nombreuses victimes civiles), mais aussi de nombreux bombardements visant à priver le pays d’électricité pour l’hiver. Surtout, l’envoi symbolique d’un missile de portée intermédiaire, capable de transporter des ogives nucléaires, témoigne d’une volonté croissante du Kremlin de provoquer et intimider les puissances occidentales. L’apprenti sorcier qu’est Poutine vient d’ailleurs de modifier en conséquence la doctrine russe de l’emploi de l’arme atomique.
Pendant ce temps, paradoxalement, viennent de s’ouvrir au Moyen-Orient les voies d’une négociation qui fait suite à un cessez-le-feu accepté par Netanyahou à propos du Liban. Et si la situation n’en est pas là pour l’Ukraine au moment où nous écrivons, si Poutine « ne semble pas prêt à négocier », des voix s’élèvent pour souligner qu’il est peut-être maintenant « possible d’envisager une paix juste ».1
Les grandes puissances impérialistes et les belligérants seraient-ils devenus « raisonnables », plus enclins à « rétablir la paix » ? Nullement ! Depuis toujours, et plus particulièrement depuis la Première Guerre mondiale, le marxisme a toujours affirmé que « le capitalisme, c’est la guerre ». Un temps de « paix » n’est autre qu’un moment de préparation à la guerre impérialiste, le produit d’un rapport de force politique et militaire. Comme le soulignait Lénine, « plus les capitalistes parlent de paix, plus ils préparent la guerre ». Si aujourd’hui un fragile cessez-le-feu a été signé par Netanyahou, c’est avant tout dans l’espoir d’avoir le soutien de Trump pour capitaliser sur un plan politique ses exactions en territoire palestinien et mieux se positionner face aux prétentions régionales de l’Iran.
La nomination au poste de secrétaire d’État à la défense aux états-Unis de l’ancien vétéran Pete Hegseth va d’ailleurs dans le sens des espoirs de Netanyahou. Animateur vedette de la chaîne de télévision conservatrice Fox News, Hegseth, conservateur évangélique pur et dur, se présente comme un « défenseur d’Israël », un partisan du « sionisme » qui a applaudi des deux mains la décision de déménager l’ambassade américaine à Jérusalem comme capitale de l’État Hébreux. Ce futur ministre soutient naturellement Netanyahou face aux pressions de la justice internationale, d’autant plus aisément qu’il avait déjà plaidé en faveur de soldats américains accusés de crimes de guerre ! Il s’était fait aussi le porte-voix de ceux qui souhaitaient « bombarder l’Iran » au prétexte de « ses caches d’armes »…
En Ukraine, chaque camp tente également d’anticiper la réaction de Washington et essaye au maximum de marquer des points sur le terrain, de façon à pouvoir négocier en position de force. D’un côté la pression désespérée du Kremlin par les bombardements aveugles, la menace nucléaire, de l’autre, en Ukraine, la détermination à utiliser la conquête fragile de la région russe de Koursk comme « monnaie d’échange ». Une chose est certaine, quelle que soit la politique décidée par Trump, elle ne pourra qu’alimenter les mêmes appétits et vengeances.
Il en va de même pour les puissances européennes, prises dans la dynamique du chacun pour soi et confrontées aux initiatives de partenaires de plus en plus audacieux, comme lors de la rencontre entre le chancelier Olaf Scholz et Vladimir Poutine, mais aussi par la relance de discours franco-britanniques sur la possibilité d’envoyer des troupes en Ukraine « pour maintenir la paix », alors que l’Allemagne n’y est pas favorable pour l’instant. Tout un ensemble de sujets de discordes empoisonne des relations de plus en plus tendues, tant face à la Russie et à la guerre en Ukraine (Hongrie pro-russe) qu’au Moyen-Orient (question de l’État palestinien) et même les rapports avec l’OTAN, la place de la défense européenne, le développement de l’économie de guerre… L’incertitude des résultats des élections américaines puis la victoire de Trump qui s’était engagé à « résoudre le conflit ukrainien en 24 heures », ne pouvaient que conduire à souffler davantage sur les braises de la guerre. D’ici le 20 janvier, date d’intronisation de Donald Trump, nul ne sait, en effet, ce qu’il peut envisager tant le nouveau Président américain s’avère capricieux, versatile, imprévisible.
Les tensions de plus en plus importantes vont donc se poursuivre, peut-être aussi sous la forme de discours de « paix ». Cette dynamique de chaos impérialiste, marquée par les tensions majeures entre toutes les puissances du globe, au premier rang desquels la Chine et les états-Unis, ne peut que s’amplifier et s’étendre, même s’il est possible qu’une trêve en marque momentanément le tempo. Mais la guerre ne pourra disparaître. « Il n’y a pas d’autre issue pour le capitalisme, dans sa tentative de maintenir en place les différentes parties d’un corps ayant tendance à se démembrer, que d’imposer la main de fer de la force des armes. Et les moyens mêmes qu’il utilise pour contenir un chaos de plus en plus sanglant sont un facteur d’aggravation considérable de la barbarie guerrière dans laquelle le capitalisme a sombré ».2 Désormais, chaque État impérialiste applique de plus en plus, pour défendre ses intérêts stratégiques, la politique de la « terre brûlée », semant le chaos et la destruction, même dans les aires d’influence des « alliés » les plus proches et à fortiori des rivaux. Laissé à sa propre dynamique, le système capitaliste menace la survie même de l’humanité.
Reconnaître l’obsolescence du capitalisme ne signifie pas pour autant céder au fatalisme. Au contraire ! Au sein de la société bourgeoise, il existe une force antagonique capable de mettre à bas ce système : la lutte massive et internationale du prolétariat. Même si ce dernier est aujourd’hui encore affaibli, incapable de se dresser directement contre la guerre, son potentiel reste intact. Même s’il ne tend que progressivement à s’exprimer à travers un lent processus de prise de conscience, fragile et heurté, encore moléculaire et souterrain, il représente pour l’avenir une force sociale de transformation radicale. Les révolutionnaires se doivent de mettre en évidence cette réalité porteuse d’avenir : « Face à toutes les guerres actuelles ou en gestation, la classe ouvrière n’a aucun camp à choisir et partout elle doit défendre avec acharnement l’étendard de l’internationalisme prolétarien. Pendant toute une période, la classe ouvrière ne sera pas en mesure de se dresser contre la guerre. Par contre, la lutte de classe contre l’exploitation va revêtir une importance accrue car elle pousse le prolétariat à politiser son combat ».3
WH, 30 novembre 2024.
1 Propos du secrétaire de l’ONU, Antonio Guterres
2 « Militarisme et décomposition », Revue internationale n° 64 (1991).
3 « Face au chaos et à la barbarie, les responsabilités des révolutionnaires », Revue international n° 172 (2024).
Les médias prodiguent aujourd’hui les images des horreurs du régime de Bachar al Assad (comme celles de la sinistre prison de Saydnaya), tout en se réjouissant des célébrations de la population pour la «fin du cauchemar». Mais le soulagement après la fin de ce régime de terreur n’est qu’une vaine illusion. La vérité est que la population (tant en Syrie que dans le reste du monde) est victime d’une nouvelle et criminelle tromperie, d’une nouvelle démonstration de l’hypocrisie frauduleuse de la classe dominante : faire croire que la terreur, la guerre et le la misère étaient uniquement de la responsabilité d’Assad, un «fou» qu’il fallait arrêter pour rétablir la paix et la stabilité.
En réalité, tous les impérialismes, des plus petites puissances de la région aux grandes puissances mondiales, ont trempé sans vergogne dans les atrocités du régime : n’oublions pas comment Obama, «prix Nobel de la Paix», a détourné le regard, en 2013, lorsque Bachar Al Assad bombardait ou utilisait des gaz toxiques contre sa population ; ou comment bien des puissances «démocratiques», qui se félicitent aujourd’hui de la «chute du tyran», se sont accommodées de la famille Assad pendant des décennies, voire en ont été les complices patentés, pour défendre leurs sordides intérêts dans la région. Ces mêmes grandes « démocraties » mentent à nouveau éhontément lorsqu’elles cherchent à blanchir les nouveaux dirigeants du pays, qualifiés il y a encore quelques années de « terroristes » : ces « modérés », aptes à trouver une issue « pacifique », ne sont qu’un ramassis d’islamistes et d’égorgeurs issus des rangs d’Al Qaida ou de Daesh !
Il y a un an, lorsque le conflit éclatait à Gaza, nous avons distribué un tract dans lequel nous dénoncions l’extension de la barbarie que préparaient déjà ces massacres : "L’attaque du Hamas comme la riposte d’Israël ont un point commun : la politique de la terre brûlée. Le massacre terroriste d’hier et le tapis de bombes d’aujourd’hui ne peuvent mener à aucune victoire réelle et durable. Cette guerre est en train de plonger le Moyen-Orient dans une ère de déstabilisation et d’affrontements. Si Israël continue de raser Gaza et d’ensevelir ses habitants sous les décombres, il y a le risque que la Cisjordanie s’enflamme à son tour, que le Hezbollah entraîne le Liban dans la guerre, que l’Iran finisse par trop s’en mêler (…) Si la concurrence économique et guerrière entre la Chine et les États-Unis est de plus en plus brutale et oppressante, les autres nations ne se plient pas aux ordres de l’un ou l’autre de ces deux mastodontes, elles jouent leur propre partition, dans le désordre, l’imprévisibilité et la cacophonie. La Russie a attaqué l’Ukraine contre l’avis chinois. Israël écrase Gaza contre l’avis américain. Ces deux conflits incarnent le danger qui menace de mort toute l’humanité : la multiplication des guerres dont le seul but est de déstabiliser ou détruire l’adversaire ; une chaîne sans fin d’exactions irrationnelles et nihilistes ; un chacun pour soi, synonyme de chaos incontrôlable" (Massacres et guerres en Israël, à Gaza, en Ukraine, en Azerbaïdjan… Le capitalisme sème la mort! Comment l’en empêcher? [46] (Tract international, 7 novembre 2023)
L’offensive éclair des djihadistes est un acte de pur opportunisme tirant profit de la situation de chaos croissant dans la région : Assad et son régime corrompu jusqu’à la moelle ne tenaient plus qu’à un fil depuis que l’armée russe, enlisée en Ukraine, n’était plus en mesure de le soutenir, et que le Hezbollah, empêtré dans sa guerre avec Israël, avait abandonné ses positions en Syrie. Dans le chaos de la barbarie croissante en Syrie, cette coalition de milices hétéroclites a pu foncer sur Damas sans rencontrer beaucoup de résistance. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui en Syrie, comme hier au Liban et en Ukraine, c’est bien à la propagation et à l’amplification de ces guerres de terre brûlée dans lesquelles aucun des adversaires n’obtient une position solide, une influence durable ou une alliance stable, mais alimente au contraire une fuite en avant inexorable dans le chaos.
Qui peut prétendre avoir remporté une victoire solide ? Le nouveau régime syrien doit d’ores et déjà affronter une situation de fragmentation et de déchirement qui n’est pas sans rappeler la Libye post-Kadhafi. La chute du régime Assad est aussi un revers de premier ordre pour l’Iran qui perd là un précieux allié alors que le Hamas et le Hezbollah sont exsangues, mais aussi pour la Russie qui pourrait voir disparaître ses précieuses bases militaires sur la Méditerranée en même temps que sa crédibilité à défendre ses alliés... Même ceux qui, comme Israël ou des États-Unis, pourraient se réjouir de voir arriver de nouveaux maîtres plus conciliants à Damas, en ont une confiance plus que relative, comme en témoignent les bombardements israéliens pour détruire les arsenaux et éviter qu’ils ne tombent entre les mains du nouveau régime. La Turquie, qui apparaît comme le principal bénéficiaire de la chute d’Assad, sait aussi qu’elle va devoir affronter un soutien accru des États-Unis aux Kurdes, et une situation encore plus chaotique à ses frontières. La «chute du tyran» ne promet rien d’autres que toujours plus de guerre et de chaos !
Le chaos, la terreur et les massacres, s’ils sont bien l’œuvre des dirigeants de ce monde, de la bourgeoisie tant autoritaire que démocrate, répondent surtout à la logique propre au capitalisme décadent. Le capitalisme, c’est la concurrence de tous contre tous, c’est le pillage et la guerre ! Le fait que cette guerre s’étende aujourd’hui à de plus en plus de régions du globe, qu’elle occasionne des dévastations insensées et des massacres de masse, est l’expression de l’impasse historique dans lequel se trouve le système capitaliste. À l’occasion de la guerre à Gaza nous écrivions ainsi : «Quelles que soient les mesures adoptées, la dynamique de déstabilisation est inévitable. Il s’agit donc fondamentalement d’une nouvelle étape significative dans l’accélération du chaos mondial […] Cette tendance à l’irrationalité stratégique, aux visions à court terme, à l’instabilité des alliances et au chacun pour soi n’est pas une politique arbitraire de tel ou tel État ni le produit de la simple stupidité de telle ou telle faction bourgeoise au pouvoir. C’est une conséquence des conditions historiques, celles de la décomposition du capitalisme, auxquelles sont confrontés tous les États. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, cette tendance historique et le poids du militarisme dans la société se sont profondément approfondis. La guerre de Gaza confirme à quel point la guerre impérialiste est désormais le principal facteur déstabilisateur de la société capitaliste. Produit des contradictions du capitalisme, le souffle de la guerre alimente à son tour le feu de ces mêmes contradictions, augmentant, sous le poids du militarisme, la crise économique, le désastre environnemental, le démembrement de la société»[1].
Conséquence de cette décomposition de la société capitaliste, nous avons vu émerger des phénomènes tels que des exodes massifs de réfugiés, comme celui déclenché par la guerre en Syrie en 2015 avec près de 15 millions de personnes déplacées (7 millions en Syrie même, 3 en Turquie, environ 1 million entre l’Allemagne et la Suède). Nous dénoncions alors[2] que les hypocrites «Welcome refugees» de la bourgeoisie ne signifiaient pas une reconversion des exploiteurs à la solidarité mais plutôt une tentative de contenir les explosions du chaos en profitant d’une main d’œuvre à bas prix. Ces mêmes bienfaiteurs poussent aujourd’hui les réfugiés à rentrer dans l’enfer que demeure la Syrie, parce que «le régime oppressif n’existe plus» et que «le pays se dirige vers le rétablissement de la normalité démocratique». Cynisme dégoûtant de ces «démocraties» qui mettent en pratique la politique prônée par les partis populistes et l’extrême droite dont ils prétendent se démarquer. L’alternative à la destruction de l’humanité qu’implique la survie du capitalisme, c’est la solidarité internationale de classe, une solidarité de lutte, de combat contre le capitalisme mondial.
Valerio, 13 décembre 2024 (Version modifiée le 24.12.2024. Nous remercions Internationalist Voice pour les précisions suggérées).
[1] « Spirale d’atrocités au Moyen-Orient: la terrifiante réalité de la décomposition du capitalisme [47] », Revue internationale n° 171, (janvier 2024).
Le 16 novembre, le CCI a tenu une Réunion publique en ligne sur le thème « Les implications mondiales des élections américaines ». En plus des militants du CCI, plusieurs dizaines de personnes ont participé à cette discussion, réparties sur quatre continents et une quinzaine de pays. Des traductions simultanées en anglais, en espagnol et en français ont permis à tous de suivre ces échanges qui ont duré un peu plus de trois heures. Nous avons publié un premier bilan de cette rencontre ici : « Un débat international pour comprendre la situation mondiale et préparer l’avenir [252] ».
Depuis, nous avons reçu de nombreux courriers, certains pour saluer cette réunion, d’autres pour prolonger le débat ou poser de nouvelles questions, témoignant ainsi de la dynamique lancée par cette rencontre enthousiasmante.
Parmi ces lettres, il y en a aussi une signée Blake qui fait un bilan plus négatif de cette réunion internationale et propose de faire autrement, de tenir d’autres types de réunions. C’est à cette critique, fraternelle et argumentée, que nous avons voulu répondre en premier.
Nous publions donc ci-dessous ce courrier puis notre réponse.
Bonjour,
Quelques commentaires sur la réunion publique de samedi dernier.
Je n’ai pas trop à dire sur le contenu proprement dit, je suis d’accord avec la position mise en avant par l’organisation, essentiellement que l’élection de Trump est un signe et un facteur aggravant de la poursuite de la décomposition.
Je voudrais surtout faire des commentaires sur l’organisation de la réunion. Il est très difficile de gérer un grand nombre de personnes en ligne. Toutes les réunions en ligne auxquelles j’ai participé avec un grand nombre de personnes ne sont pas conçues pour la discussion. En général, elles servent à donner des informations et les discussions se déroulent dans des forums/groupes beaucoup plus restreints.
Tout d’abord, il y a constamment des problèmes techniques (la menace d’effacer le pad, les gens qui n’éteignent pas les micros, les problèmes de connexion, etc.) Par ailleurs, en ce qui concerne la discussion, j’ai l’impression qu’il y a très peu de « discussion » à proprement parler lorsqu’il y a autant de monde. La plupart des camarades interviennent une fois, pour exposer leur point de vue, et il y a donc peu de dialogue et d’approfondissement (c’est mon sentiment, et la raison pour laquelle je ne suis pas intervenu dans la réunion). Quelques camarades ont posé des questions (par exemple JC sur la « rationalité »), mais il n’y a pas de discussion de la part des autres, et à la place vous avez « la réponse de l’organisation » (qui est évidemment importante à avoir, mais cela ressemble alors à une relation élève-professeur).
Un autre point négatif (pour moi) était d’avoir des camarades parlant d’autres langues. Si vous ne pouvez pas parler/comprendre, vous avez tendance à vous déconnecter et à attendre que la personne ait cessé de parler, ce qui nuit à la concentration. C’était une bonne idée de traduire ces interventions non anglaises et de les remettre rapidement dans le bloc-notes, mais : (a) certaines traductions étaient médiocres (sans surprise, Google translate n’a pas rattrapé notre vocabulaire quelque peu spécialisé) et (b) pendant que je lisais la dernière intervention, l’intervention suivante était en cours, ce qui fait qu’il est difficile de suivre et de se tenir au courant.
Malgré l’avantage d’avoir des voix différentes et de donner un sentiment d’internationalisme, je pense que cela ne fonctionne pas vraiment pour une réunion publique en ligne (ce qui est très différent, par exemple, d’une réunion publique en face à face où vous pouvez avoir une traduction en direct…).
Une proposition d’organisation de la réunion :
1. présentation à tout le monde (20 minutes),
2. l’assemblée est divisée en groupes linguistiques, qui peuvent alors discuter librement (disons 1 heure),
3. Une pause – au cours de laquelle les discussions / questions / thèmes principaux, etc. sont rassemblés (10 minutes).
4. Suivi d’un plénum avec une discussion de l’ensemble du groupe (1 heure).
Cette méthode présente plusieurs avantages :
1. Des groupes plus petits = une gestion plus facile.
2. Il s’agit toujours d’une réunion internationale (présentation et discussion en plénum), mais les limites de la réunion en ligne sont réduites.
3. Certains camarades sont intimidés par un grand nombre de personnes ou par leur connaissance de la langue (par exemple, les camarades japonais ou australiens) (1) et peuvent donc être davantage encouragés à prendre la parole. (Par ailleurs, pensez-vous que le fait de dire constamment que vous voulez que les « nouveaux camarades/participants » s’expriment fait réellement le travail que vous voulez qu’il fasse ? Le fait de « haranguer » constamment les gens pour qu’ils prennent la parole (c’est ainsi que je l’ai perçu) ne produit généralement pas beaucoup de réactions, personnellement je n’ai pas remarqué que davantage de personnes participaient. Vous disposez d’un plus grand nombre de moyens de communication en ligne, vous devriez donc envisager de les utiliser. Par exemple, pourquoi ne pas demander aux participants, s’ils ne veulent pas parler, d’écrire un court paragraphe de ce qu’ils pensent dans la boîte de dialogue, qui peut ensuite être lu ? Je peux pratiquement vous garantir que vous obtiendrez plus de réponses de cette manière…)
4. Des groupes plus petits, ce qui signifie généralement que chaque personne dispose d’un peu plus de temps pour s’exprimer (vous pouvez insister sur la « limite de 5 minutes » pendant la séance plénière principale).
5. Enfin, il est possible d’éliminer les répétitions et les idées de base dans le petit groupe, ce qui devrait permettre d’avoir une discussion de plus haut niveau lors de la session du groupe entier. […]
Si vous souhaitez en discuter plus avant, n’hésitez pas à me contacter.
Fraternellement,
Blake
Tout d’abord, nous voulons saluer fortement cette lettre. Par ses critiques et ses propositions, le camarade participe ici à la réflexion collective, dans le but de perfectionner l’organisation des débats, de favoriser la confrontation des arguments et le processus de clarification.
D’autant plus que le camarade Blake a raison : si dans le bilan que nous avons publié sur notre site, nous nous sommes contentés de dire (pour des raisons de sécurité) que « plusieurs dizaines de personnes ont participé, réparties sur quatre continents et une quinzaine de pays », il y avait réellement beaucoup de monde.
Compte-tenu de cette affluence, tous les participants n’ont pas pu intervenir lors des débats, et il n’a pas été possible pour une même personne d’intervenir plusieurs fois. Comme l’écrit Blake, ces contraintes empêchent en partie l’approfondissement des questions en jeu, elles limitent les échanges qui se répondent les uns les autres.
Et le camarade a encore raison quand il pointe les difficultés techniques liées à une réunion internationale, en ligne, en plusieurs langues, ce qui implique de traduire en direct, de jongler avec différents pads, de se discipliner pour couper son micro quand ce n’est pas son tour de parler, etc.
Pour toutes ces raisons, le CCI organise aussi d’autres types de réunions : des réunions en ligne par langues, avec des effectifs plus réduits, des réunions dans les villes où l’on se rassemble physiquement, des permanences aussi qui n’ont pas de sujet défini à l’avance et où chaque participant peut proposer un point à discuter (d’actualité, d’histoire, de théorie…). Il est indéniable que lors de ces réunions se développent des échanges nourris qui permettent l’argumentation et la contre-argumentation, l’évolution des positions… Toutes ces discussions sont annoncées sur notre site internet dans la rubrique « agenda [253] ».
Dans ce spectre, les réunions internationales en ligne ont un rôle particulier, et même crucial. Commençons par le plus évident. Des camarades sont isolés, parfois seuls : se retrouver dan une réunion où d’autres camarades, en plusieurs langues, depuis plusieurs pays, brûlent de la même flamme pour la révolution, cherchent à comprendre l’évolution du monde et comment participer au développement de la conscience ouvrière est un moment enthousiasmant, revigorant.
Cette dimension internationale n’est pas seulement bonne pour le moral, elle l’est aussi et surtout pour la réflexion. Dans le capitalisme en décomposition, où règnent de plus en plus le repli, la peur de l’autre, l’enfermement de la pensée dans le local et le maintenant, il est absolument vital pour les minorités du monde de rompre l’isolement, de se lier, d’élaborer ensemble, dans toutes les langues, pour développer la vision la plus large et la plus profonde. Lors de la réunion du 16 novembre qui nous réunissait pour comprendre ensemble « Les implications mondiales des élections américaines », les différentes interventions des participants prononcées au quatre coins du globe ont permis de croiser les informations et les analyses, de se nourrir des sensibilités et des expériences différentes. Peut-être Blake l’a remarqué, mais les interventions des camarades en langue française portaient une confiance dans le prolétariat et ses luttes futures plus affirmée, ce qui est probablement en partie lié à la combativité et à l’expérience de la classe ouvrière en France. Tous les participants n’ont pas pu intervenir, c’est vrai. Mais tenir à dire « son » mot est-il le réellement le plus important ? Nous pensons qu’au contraire savoir écouter, s’enrichir de la pensée des autres est aussi un moment déterminant de la dynamique d’un débat et du processus de clarification collective. Lors de cette réunion de trois heures, les militants du CCI ne sont intervenus que trois fois, afin de laisser le maximum de temps à tous les autres camarades mais aussi pour mieux écouter, mieux cerner les différentes positions, les nuances et les désaccords en jeu2.
Il y a là-dessous, quelque chose de plus profond encore, ressentir ensemble que « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! » Le combat de notre classe est mondial, la révolution communiste sera internationale, cet internationalisme n’est pas simplement un sentiment, un élan, il est aussi concret, réel, une force sociale et politique déterminante.
Passons maintenant à l’organisation concrète de cette réunion. Le camarade met en avant les problèmes de micro et de pads, la difficulté à rester concentré lorsque le débat se fait en plusieurs langues… Tout cela est exact, et justement cela signifie que nous devons apprendre. Nous avons reçu de nombreux courriers de la part de participants nous posant des questions pour savoir comment mieux maîtriser leur ordinateur, sur tel ou tel aspect technique, pour la prochaine fois. Là encore, ce petit exemple concret révèle quelque chose de beaucoup plus profond : cette réunion en plusieurs langues et les prochaines à venir sont un moment d’apprentissage, pour s’habituer à se rassembler nombreux, à s’organiser pour maîtriser nos débats, pour renforcer nos liens à l’échelle internationale. C’est une réunion toute entière dirigée vers l’avenir !
Car, de quoi devra nécessairement être fait le futur de la lutte de classe pour parvenir à renverser le capitalisme par une révolution mondiale ? Avec le développement de la combativité, de la conscience, des minorités révolutionnaires, nos réunions devront rassembler de plus en plus de monde, en provenance de plus en plus de pays. Aujourd’hui, se rassembler à plusieurs dizaines de participants, en trois langues, n’est qu’un avant-goût de ce que nous devrons organiser dans l’avenir. Tant sur le plan technique que dans la gestion des débats, tous les participants doivent accumuler de l’expérience pour que les minorités révolutionnaires, à l’échelle internationale, soient à la hauteur de leurs responsabilités dans la classe et pour la classe.
Une telle activité militante doit tous nous enthousiasmer ! Alors, à la prochaine !
CCI, 8 décembre 2024
1Pour des raisons de sécurité, nous avons modifié les pays désignés dans le courrier du camarade. Les révolutionnaires font d’ores et déjà face à une répression féroce dans de nombreuses régions du monde.
2 Le camarade Blake parle dans sa lettre d’un débat fait surtout de questions des participants et de réponses du CCI, affirmant que cela donne une impression de rapport « maître/élèves ». Le peu d’interventions du CCI (seulement trois en trois heures, rappelons-le) et la dynamique de la discussion où chaque intervenant a répondu aux autres, affirmé ses accords et désaccords, nous semble démentir cette impression. Mais il y a une autre question sous-jacente : les réunions des organisations révolutionnaires ne sont pas un moment où chacun doit avoir « son » intervention, « son » expression libre. Non, ces débats visent la clarification, la confrontation des positions, dans le but de participer au développement de la conscience vers la révolution. Les groupes révolutionnaires ont donc à y défendre leur position, leur clarté, leur cohérence.
Le 14 décembre 2024, Mayotte a été le sujet d’un désastre d’une ampleur inimaginable. Le cyclone Chido a été un des événements les plus destructeurs qu’ait connu l’île. Ce dernier a provoqué plus de 30 morts, des milliers de blessés, et a détruit une grosse partie des infrastructures et des logements, en particulier les bidonvilles, laissant des centaines de milliers de personnes sans abris. Les camps de réfugiés font face à des crises sanitaires terribles. Les habitants doivent faire face à des pénuries d’eau, les réseaux de distribution ayant été endommagés, et de nourriture, tandis que l’approvisionnement promis par l’État peine à arriver. Le seul hôpital de l’île a été fortement endommagé, empêchant la prise en charge de très nombreuses personnes dans le besoin. Tout cela a favorisé l’exacerbation des tensions sociales déjà très fortes et qui menacent d’exploser.
Face à la situation, la bourgeoisie fait preuve d’un cynisme absolu. Loin d’assumer les conséquences de ses propres politiques, elle cherche à rejeter la faute sur les plus précaires. L’ensemble de la bourgeoisie insiste sur la « nécessité de régler le problème migratoire à Mayotte », prétendant que les dégâts liés au cyclone seraient la faute des immigrés construisant illégalement des bidonvilles. En réalité, la situation est connue depuis bien longtemps. De nombreux rapports et études font état de la vulnérabilité de la population, de la précarité généralisée et du chômage de masse, de l’importance de l’économie informelle, des conditions de vie très rudes, et de l’accès difficile aux ressources. D’autant plus pour les migrants vivant dans des conditions d’autant plus précaires, dans des bidonvilles, sur des terrains à risque, et dont l’accès aux ressources et aux soins est difficile. Les infrastructures manquent d’investissement et sont incapables de supporter la rapide croissance de la population. Malgré cela, la bourgeoisie n’a rien fait pour préparer à l’éventualité d’une catastrophe naturelle. Il n’y a pas de plan d’urgence, peu de sensibilisation auprès de la population, et les infrastructures ne sont pas construites de sorte à résister aux aléas climatiques. Il est donc peu étonnant que cette catastrophe ait pris une telle ampleur.
Mais l’État se fiche bien des victimes de ce cyclone. Pour la bourgeoisie française, Mayotte est, comme la Nouvelle-Calédonie, avant tout une position stratégique. Située au carrefour de grandes routes commerciales mondiales, Mayotte permet à la France d’assurer le contrôle du Canal du Mozambique, une des principales routes maritimes mondiales, et par lequel circule pétrole, gaz, et autres marchandises entre l’Asie, l’Afrique, et l’Europe. Le contrôle de cette zone fournit aussi à la France une excellente position diplomatique avec les États voisins, notamment Madagascar, et lui permet d’assurer une forte influence dans l’Océan Indien, surtout depuis que la concurrence pour l’influence dans cette région devient plus difficile avec la présence croissante de la Chine et de l’Inde. C’est pour cette raison que la France dépense sans compter des fortunes pour garder une base militaire là-bas. Quitte à devoir traîner un « boulet social » dont elle ne s’occupe de toute façon pas.
Cette tragédie illustre la barbarie dans laquelle s’enlise le mode de production capitaliste. La sévérité de la crise qui touche Mayotte et l’enchevêtrement des facteurs qui lui ont donné cette intensité sont symptomatiques de la profonde décomposition dans laquelle le capitalisme se trouve. Le dérèglement climatique, la misère de la population et les conditions de vie indécentes, le délabrement des services publics, ne peuvent qu’amplifier ces catastrophes. Et face à elles, la reconstruction n’en sera que plus longue et anarchique, aggravant d’autant plus la situation. L’État aura bien du mal à mobiliser un budget, des lois et des entreprises, pour une reconstruction qui sera de toute façon limitée, probablement bien plus coûteuse et plus longue que prévue. La situation est relativement similaire à celle de la reconstruction d’Haïti où la timide mobilisation de moyens après le tremblement de terre de 2010 n’a pas empêché de faire sombrer le pays dans le chaos La pauvreté endémique et les tensions sociales ont fortement influencé la montée des gangs et de la violence. Si la situation à Mayotte n’est pas aussi apocalyptique, elle demeure néanmoins très difficile et il faut tout de même s’attendre à une forte montée de la violence de la part de petits groupes.
Tout cela illustre la réalité d’un « effet tourbillon » dans lequel chaque facteur de la décomposition alimente, accélère, et amplifie les autres. On ne saurait prendre cet événement pour lui-même quand déjà en novembre 2024, des inondations à Valence ont causé d’énormes dégâts matériels et pertes humaines. L’enchaînement de ces tragédies exceptionnelles montre une forte tendance à la perte de contrôle de la bourgeoisie, qui est de moins en moins apte à faire face et à anticiper les problèmes générés par les ondes de chocs provoqués par son mode de production putréfié.
Les conditions qui ont donné lieu à ces tragédies continuent de s’amplifier sous l’effet de la crise, et on peut observer que ce qui tenait hier de l’exceptionnel, se normalise aujourd’hui, avec des effets qui seront encore plus désastreux demain tant que perdurera le système capitaliste.
Cam., 28 décembre 2024
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/content/11186/greves-et-manifestations-aux-etats-unis-espagne-grece-france-comment-developper-et
[2] https://www.international-communist-party.org/English/TheCPart/TCP_051.htm#3
[3] https://fr.internationalism.org/content/11190/bilan-lintervention-du-cci-luttes-ouvrieres-a-travers-monde
[4] https://www.international-communist-party.org/English/TheCPart/TCP_004.htm#Questions
[5] https://fr.internationalism.org/rinte23/proletariat.htm
[6] https://www.international-communist-party.org/Partito/Parti422.htm#PortlandRete
[7] https://class-struggle-action.net
[8] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme
[9] https://twitter.com/CCI_Officiel
[10] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/interventions
[11] https://fr.internationalism.org/rinte44/zimmer.htm
[12] https://fr.internationalism.org/french/rint/116_1903.htm
[13] https://fr.internationalism.org/french/rint/117_1903.htm
[14] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/200407/535/1903-1904-naissance-du-bolchevisme-iii-polemique-entre-lenine-et-ros
[15] https://fr.internationalism.org/revorusse/chap2a.htm
[16] https://fr.internationalism.org/french/rint91/communisme.htm
[17] https://fr.internationalism.org/revorusse/chap2b.htm
[18] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[19] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/1903-fondation-du-parti-bolchevique
[20] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/3e-internationale-linternationale-communiste-ic
[21] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/mouvement-zimmerwald
[22] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/troisieme-internationale
[23] https://fr.internationalism.org/tag/30/528/lenine
[24] mailto:[email protected]
[25] https://fr.internationalism.org/contact
[26] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/permanences
[27] https://en.internationalism.org/content/17558/prague-action-week-some-lessons-and-some-replies-slander
[28] https://www.leftcom.org/en/articles/2024-08-13/internationalist-initiatives-against-war-and-capitalism
[29] https://fr.internationalism.org/content/11378/action-week-a-prague-lactivisme-obstacle-a-clarification-politique
[30] https://en.internationalism.org/ir/22/third-left-communist-conference
[31] https://fr.internationalism.org/rint/122_conf
[32] https://fr.internationalism.org/content/11393/nouvel-acte-mouchardage-du-gigc-appel-a-solidarite-revolutionnaire-et-a-defense-des
[33] https://fr.internationalism.org/content/11168/tendance-communiste-internationaliste-et-linitiative-no-war-but-the-class-war-bluff
[34] https://www.leftcom.org/en/articles/2024-05-01/to-the-internationalists-attending-the-prague-week-of-action
[35] https://actionweek.noblogs.org/interview-with-the-organising-committee-of-the-action-week/
[36] https://libcom.org/article/aw2024-report-prague
[37] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/polemique
[38] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/tci-bipr
[39] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/communist-workers-organisation
[40] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anarchisme-modernisme
[41] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201312/8832/bonnets-rouges-attaque-ideologique-contre-conscience-ouvriere
[42] https://fr.internationalism.org/content/9960/bilan-du-mouvement-des-gilets-jaunes-mouvement-interclassiste-entrave-a-lutte-classe
[43] https://fr.internationalism.org/tag/5/35/europe
[44] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/mobilisation-des-agriculteurs-europe
[45] https://fr.internationalism.org/content/10874/capitalisme-mene-a-destruction-lhumanite-seule-revolution-mondiale-du-proletariat-peut
[46] https://fr.internationalism.org/content/11224/massacres-et-guerres-israel-a-gaza-ukraine-azerbaidjan-capitalisme-seme-mort-comment
[47] https://fr.internationalism.org/content/11288/spirale-datrocites-au-moyen-orient-terrifiante-realite-decomposition-du-capitalisme
[48] https://antimilitarismus.noblogs.org/english/
[49] https://antimilitarismus.noblogs.org/post/2023/08/29/the-revolutionary-movement-and-the-second-world-war-interview-with-marc-chirik-1985/
[50] https://antimilitarismus.noblogs.org/post/2022/09/13/antimilitarisme-anarchiste-et-mythes-sur-la-guerre-en-ukraine/
[51] https://fr.internationalism.org/content/11088/lutte-devant-nous
[52] https://fr.internationalism.org/content/10785/militarisme-et-decomposition-mai-2022
[53] https://fr.internationalism.org/content/10735/declaration-commune-groupes-gauche-communiste-internationale-guerre-ukraine
[54] https://fr.internationalism.org/content/11198/appel-gauche-communiste
[55] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne
[56] https://fr.internationalism.org/tag/5/44/irlande
[57] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reprise-internationale-lutte-classe
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