Depuis l’été 2022, l’intervention des révolutionnaires dans les luttes de la classe ouvrière est devenue une perspective de plus en plus concrète du fait que, après trois à quatre décennies de profond recul de la combativité et de la conscience dans la classe, le prolétariat a finalement à nouveau redressé la tête. La résurgence des luttes, qui a commencé par l’« été du mécontentement » en Grande-Bretagne, a été suivie de grèves, de manifestations et de diverses protestations ouvrières dans nombre d’autres pays, dont les États-Unis1.
Le Parti Communiste International, l’une des organisations de la Gauche Communiste qui publie Il Partito Comunista, a relaté son intervention dans plusieurs grèves ouvrières ces dernières années aux États-Unis, parmi lesquelles celle de quelques 600 ouvriers municipaux du traitement des eaux qui a débuté le 3 février 2023 à Portland dans l’Oregon. Cette grève a été saluée par des expressions de solidarité des autres ouvriers municipaux, certains rejoignant même les piquets. Au cours de cette grève, Il Partito a publié un article et diffusé trois tracts dans lesquels il dénonce le capitalisme en tant que système dictatorial d’exploitation, et tirait la leçon que : « ce n’est qu’en unissant ses armes au-delà des secteurs et des frontières que la classe ouvrière pourra véritablement lutter pour mettre fin à sa condition d’exploitation dans le capitalisme.2 »
Dans les conditions actuelles de renouveau international et historiquement significatif des luttes, après des décennies de désorientation et d’isolement, se lancer dans une lutte est en soi déjà une victoire. C’est pourquoi il est certainement important de signaler, comme l’a fait Il Partito, que les travailleurs municipaux de Portland ont été capables de développer leur unité et leur solidarité en réponse à l’intimidation, à la criminalisation et aux menaces de la bourgeoisie3.
Mais les révolutionnaires ne peuvent s’en tenir là. Dans l’intervention avec la presse, les tracts ou autre, ils doivent mettre en avant des perspectives concrètes, comme appeler les ouvriers à étendre la lutte au-delà de leur propre secteur, en envoyant des délégations vers d’autres lieux de travail et bureaux. Comme l’un de nos récents articles le souligne, dès aujourd’hui les ouvriers doivent « lutter tous ensemble, en réagissant de façon unitaire et en évitant de s’enfermer dans des luttes locales, au sein de son entreprise ou de son secteur4».
Mais pour cela, pour renforcer la lutte, la question centrale que les révolutionnaires doivent clairement poser aux ouvriers est : qui est aux côtés de la lutte et qui est contre elle ? Et à ce propos, le PCI ne diffuse qu’un brouillard mystificateur.
Pour la Gauche communiste, le syndicalisme en tant que tel, c’est-à-dire non seulement les directions syndicales mais aussi les structures de base des syndicats, est devenu une arme de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Le syndicalisme, par définition une idéologie qui contraint la lutte dans les limites des lois économiques du capitalisme, est devenu anachronique dans le siècle des guerres et des révolutions, comme les révolutionnaires de la Première Guerre mondiale et la vague révolutionnaire qui a débuté en 1917 l’ont clairement montré. Les nouvelles conditions de l’ère actuelle nécessitent que les luttes aillent au-delà des particularismes du lieu de travail, de la région et de la nation, et prennent un caractère massif et politique. Parce que les syndicats n’ont plus aucune utilité pour la lutte ouvrière, la bourgeoisie a pu s’en emparer et les utiliser contre la tendance des luttes à l’auto-organisation et à l’extension. Dans une telle période, défendre les méthodes de lutte des syndicats comme un authentique moyen de développer la combativité dans la classe ouvrière n’est rien d’autre qu’une concession à l’idéologie bourgeoise, une forme d’opportunisme.
Confronté au problème des formes d’organisation que requiert la défense des conditions de vie de la classe ouvrière, qu’il les appelle syndicats de classe, réseaux ou coordinations, Il Partito défend une position opportuniste qu’il justifie comme suit : « depuis la fin du XIXe siècle, la soumission progressive des syndicats à l’idéologie bourgeoise, à la nation et aux États capitalistes5 » est une véritable tendance. Mais il n’explique pas comment il est possible que tous les syndicats ont été intégrés dans l’État capitaliste depuis les premières décennies du XXe siècle. Pour Il Partito, tout cela semble être une pure coïncidence, du fait qu’il n’explique pas que les conditions objectives ont fondamentalement changé depuis lors. Par contraste, il clame que les attaques économiques contre les ouvriers « mèneront à un renouveau des vieux syndicats libérés de l’idéologie bourgeoise » et « dirigés par le Parti communiste ». Ces syndicats seront même « un instrument puissant et indispensable pour le dépassement révolutionnaire du pouvoir bourgeois »6.
En d’autres termes : après la trahison des vieux syndicats, de nouveaux syndicats de classe vont émerger et, dans la bonne tradition bordiguiste, il est clair que, s’ils sont dirigés par un véritable Parti révolutionnaire, ils rempliront un rôle révolutionnaire. Mais ici il est nécessaire de sortir Il Partito de son rêve, vu que les conditions de la lutte révolutionnaire ont radicalement changé depuis le début du XXe siècle. Cela veut dire que la lutte ne peut plus du tout « être préparée à l’avance au niveau organisationnel, du fait que la lutte prolétarienne tend à aller au-delà de la lutte strictement économique pour devenir une lutte sociale, directement confrontée à l’État, qui se politise et demande la participation des masses de la classe. […] Le succès d’une grève ne dépend plus de fonds financiers collectés par les ouvriers, mais fondamentalement de leur capacité à étendre leur lutte.7 »
Et à cause de ces nouvelles conditions, les syndicats ne correspondent plus aux besoins de la lutte prolétarienne, et même le fait d’être dirigés par un Parti authentiquement révolutionnaire n’y changerait rien. La tentative de Il Partito de défendre l’existence d’organes permanents de lutte, au cours d’expressions ouvertes de lutte comme lors de périodes de leur absence, est de toute façon vouée à la faillite. Un renouveau des syndicats en tant qu’authentiques organisations de la classe ouvrière n’existe que dans l’imagination d’Il Partito, pour lequel le rôle du Parti dans la lutte non seulement est décisif, mais semble même être capable d’invoquer le pouvoir surnaturel d’adapter les syndicats aux besoins réels de la lutte ouvrière.
Le premier tract diffusé au cours d’une manifestation le dimanche 28 janvier était intitulé « Ouvriers municipaux de Portland : combattez pour la liberté de faire grève », une « liberté » attaquée par la proclamation de l’état d’urgence par la municipalité.
Avec la revendication de la « liberté de faire grève », ce tract a immédiatement mis les ouvriers sur la mauvaise voie. Au XIXe siècle, lorsque les syndicats étaient encore des organisations utiles de la classe ouvrière, dont le rôle était d’améliorer les conditions de vie et de travail au sein du capitalisme, une telle revendication était indubitablement correcte. Mais aujourd’hui, alors que les syndicats sont devenus une partie de l’État capitaliste, les ouvriers n’ont rien à gagner à soutenir le droit de faire grève. Une telle revendication en réalité n’est plus qu’un combat pour que les syndicats aient le contrôle des luttes ouvrières. La classe ouvrière n’a aucunement besoin de se battre pour la légalisation de ses propres grèves, parce que dans les conditions du capitalisme d’État totalitaire toute grève capable de créer un véritable rapport de force avec la bourgeoisie est par définition illégale. Le but de cette campagne pour le droit de grève est principalement de garantir que la lutte reste confinée aux étroites limites légales imposées par la politique bourgeoise et le contrôle syndical. Si la bourgeoisie garantit le droit de grève, le but en est d’abord de réduire les luttes ouvrières à d’inoffensives protestations, dans le but de faire pression sur l’un des « partenaires de négociations ».
Après la grève des travailleurs municipaux de Portland, les camarades de Il Partito ont, au printemps de cette année, « mis en place, en compagnie d’autres militants syndicaux, une coordination qu’ils ont appelée Class Struggle Action Network (CSAN), dont le but est l’unité des luttes ouvrières.8 » Ce CSAN est intervenu par exemple dans la grève des infirmières de juin dernier. Mais quelle est réellement la nature de ce CSAN ? Quelle pourrait être la perspective d’un tel réseau, « dont le but est d’unifier les luttes ouvrières »?
Ce CSAN n’est pas apparu en réaction à un besoin particulier des ouvriers de prendre la lutte dans leurs propres mains, pour envoyer des délégations massives aux autres travailleurs, pour organiser des assemblées générales ouvertes à tous les ouvriers ou pour tirer les leçons afin de préparer de nouvelles luttes. Rien de tout cela ; le Réseau a été créé complètement en-dehors de la dynamique concrète de la lutte par les camarades d’Il Partito, « inspirés par les mêmes principes et méthodes qui ont permis la création du Coodinamento Lavoratorie Lavoratrici Autoconvocati en Italie9 » au cours des années 80. Et sur le site web de ce Réseau10, on peut lire, et ce n’est pas un accident, un article d’Il Partito qui exprime clairement que le but est de travailler « à la renaissance des syndicats de classe ».
Comme nous l’avons souligné plus haut, les syndicats sont aujourd’hui des instruments de l’État bourgeois et toute renaissance sous la forme d’une organisation réellement prolétarienne est impossible. Ainsi, la politique d’Il Partito ne peut qu’enfermer les ouvriers combatifs dans une lutte vaine et décourageante. Dans ce contexte, le CSAN connaîtra le même destin que tout organe créé artificiellement : soit rester un appendice d’Il Partito11, soit devenir une expression radicale du syndicalisme bourgeois. Mais plus sûrement il disparaîtra après les tentatives d’Il Partito de le maintenir artificiellement en vie. Ainsi il pourra enterrer cet enfant mort-né en silence, sans qu’il soit nécessaire de tirer d’autres leçons de cette expérience.
Dans la grève des travailleurs municipaux, « des camarades ont participé aux piquets et aidé les ouvriers à les renforcer12 ». L’article sur l’intervention dans la lutte des infirmières ne parle que de l’intervention des « participants aux piquets de solidarité » du CSAN. Cela donne l’impression qu’il n’y a eu en fait aucune intervention d’Il Partito distincte et séparée du Réseau. Ainsi les camarades d’Il Partito ont participé sur une base individuelle aux piquets de grève en février aussi bien qu’en juin. Mais pourquoi ? Parce que les ouvriers ne peuvent prendre eux-mêmes cette tâche en main ? Ou les camarades qui y ont participé l’ont-ils fait en tant que délégués d’autres lieux de travail ? Les réponses à ces questions ne se trouvent pas dans les articles d’Il Partito. Fondamentalement, derrière l’intervention d’Il Partito, nous devons souligner une grosse ambiguïté sur le rôle de l’avant-garde révolutionnaire de la classe.
En premier lieu, la tâche de l’organisation politique de classe n’est pas d’aider la classe à renforcer un piquet de grève, de collecter de l’argent pour soutenir financièrement une grève, ni d’assumer d’autres tâches pratiques pour les ouvriers grévistes. Les ouvriers sont tout-à-fait capables de faire tout cela eux-mêmes, sans qu’on le fasse à leur place. Une organisation communiste a autre chose à faire, et ce n’est ni technique, ni matériel, mais essentiellement politique. La lutte de la classe ouvrière doit être renforcée par l’intervention politique organisée de l’organisation révolutionnaire.
En lien avec cette orientation d’être un facteur politique actif du développement de la conscience et de l’action autonome de la classe ouvrière, les organisations communistes doivent mettre en avant une analyse des conditions de la lutte de classe, lucide et dotée d’une méthode claire, afin d’être capables de dénoncer et combattre ces ennemis de la classe ouvrière que sont les syndicats. Il Partito, qui justifie de façon irresponsable la possibilité de réhabiliter le syndicalisme ou le combat à travers les syndicats, malgré des décennies de sabotage et d’enfermement des luttes par ces organes, ne peut dans ce cadre qu’affaiblir le combat de classe des ouvriers. Non seulement cette forme d’opportunisme sème la confusion, mais elle ne peut que mener les ouvriers dans une impasse.
Dennis, 15 novembre 2023
1 Lire notre tract : Grèves et manifestations aux Etats-Unis, en Espagne, en Grèce, en France… Comment développer et unir nos luttes ?, https://fr.internationalism.org/content/11186/greves-et-manifestations-a... [1]
3 Ibid.
6 Ibid
7 La lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent, Revue Internationale n°23, https://fr.internationalism.org/rinte23/proletariat.htm [5]
9 Ibid.
11 Le premier bulletin « syndicaliste de classe » du CSAN en octobre a déjà annoncé « la réunion mensuelle collectivement organisée du CSAN [qui] fonctionnera elle-même sur le modèle du centralisme démocratique ».
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La bourgeoisie a toujours pris le plus grand soin à dénaturer l’histoire du mouvement ouvrier et dépeindre ceux qui s’y sont illustrés sous des traits soit inoffensifs, soit repoussants. La bourgeoisie le sait autant que nous, et c’est pourquoi elle s’efforce encore par tous les moyens possibles de dénaturer ou masquer la transmission des combats des grands révolutionnaires du passé et des apports au mouvement ouvrier pour les effacer de la mémoire historique du prolétariat alors que l’une de ses armes fondamentales dans la continuité de son affrontement au capitalisme réside dans sa conscience de classe, qui se nourrit inévitablement de la théorie révolutionnaire, la théorie marxiste, comme des leçons et des expériences de ses combats. Aujourd’hui, un siècle après la mort de Lénine, on doit s’attendre de nouveau à des attaques idéologiques contre le grand révolutionnaire qu’il a été, contre tous ses apports aux combats du prolétariat : théoriques, organisationnels, stratégiques…
Si Marx est présenté comme un philosophe audacieux et quelque peu subversif, dont les apports prétendument surannés auraient cependant permis au capitalisme d’éviter ses pires travers, il ne peut en être de même pour Lénine. Lénine a participé et joué un grand rôle dans la plus grande expérience révolutionnaire du prolétariat, il a participé à un événement qui a fait trembler les bases du capitalisme. Cette expérience fondamentale et d’une très grande richesse en termes de leçons pour les combats futurs du prolétariat, Lénine en a laissé de grandes traces à travers ses nombreux écrits. Mais bien avant la révolution d’Octobre, Lénine avait contribué de façon déterminante à dessiner les contours de l’organisation du prolétariat tant sur le plan politique que stratégique. Il a mis en œuvre une méthode dans le débat, la réflexion et la construction théorique qui sont des armes essentielles pour les révolutionnaires aujourd’hui.
Tout ça, la bourgeoisie le sait aussi. Lénine n’était pas un « homme d’État » comme la bourgeoisie en produit tout le temps, mais bien un militant révolutionnaire engagé au sein de sa classe. C’est cela que la bourgeoisie cherche à cacher le plus, en présentant Lénine comme un homme autoritaire, décidant seul, écartant ses contradicteurs, appréciant la répression et la terreur au seul profit de ses intérêts personnels. De cette façon, la classe dominante peut tracer une ligne directe continue, un trait d’égalité entre Lénine et Staline qui aurait parachevé l’œuvre du premier en instaurant un système de terreur en URSS qui serait l’exact aboutissement des desseins personnels de Lénine.
Pour parvenir à cette conclusion, outre un flot permanent de mensonges éhontés, la bourgeoisie s’attarde sur les erreurs de Lénine en les isolant de tout le reste, et surtout du processus de débat et de clarification au sein duquel ces erreurs se posaient et pouvaient y être naturellement dépassées. Elle les isole aussi du contexte international de défaite du mouvement révolutionnaire mondial qui n’a pas permis à la révolution russe de continuer son œuvre et l’a fait reculer vers un capitalisme d’État singulier et placé sous la poigne de Staline.
Les gauchistes, trotskystes en tête, ne sont pas les derniers pour capitaliser leurs mystifications idéologiques sur les erreurs de Lénine, en particulier lorsqu’il s’est lourdement trompé et illusionné sur les luttes de libération nationale et sur les potentialités du prolétariat des pays de la périphérie du capitalisme (théorie du maillon faible). Les gauchistes ont instrumentalisé et instrumentalisent encore aujourd’hui ces erreurs pour déchaîner leur propagande bourgeoise belliciste pour pousser les prolétaires à devenir de la chair à canon dans les conflits impérialistes à travers leurs mots d’ordre nationalistes et de soutien d’un camp impérialiste contre un autre, totalement à l’opposé de la perspective révolutionnaire et internationaliste que défendait avec détermination Lénine. Même chose pour la fausse conception de Lénine sur les trusts et les grandes banques, selon laquelle la concentration du capital faciliterait la transition vers le communisme. Les gauchistes s’en sont emparés pour revendiquer les nationalisations des banques et grandes industries et promouvoir ainsi le capitalisme d’État comme un tremplin vers le communisme, quand ce n’était pas pour justifier leur argumentation mensongère que l’économie « soviétique » et la brutalité de l’exploitation en URSS n’étaient pas pour autant du capitalisme.
Mais Lénine ne peut absolument pas se résumer en le réduisant aux erreurs qu’il a commises. Il ne s’agit pas pour autant de les ignorer. D’abord parce que celles-ci apportent d’importantes leçons au mouvement ouvrier grâce à un examen critique. Mais aussi parce qu’il ne peut être question, face au portrait repoussant qu’en fait la bourgeoisie, d’ériger Lénine en leader parfait et omniscient.
Lénine était, en effet, un combattant de la classe ouvrière dont la ténacité, la perspicacité organisationnelle, la conviction et la méthode forcent le respect. Son influence sur le cours révolutionnaire au début du siècle dernier est indiscutable. Mais tout ceci se place dans un contexte, un mouvement, un combat, un débat international sans lesquels Lénine n’aurait rien pu faire, rien apporter au mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, tout comme Marx n’aurait pas pu agir et réaliser son œuvre immense au service du prolétariat ni apporter son engagement et son énergie militante à la construction d’une organisation prolétarienne internationale sans un contexte historique d’émergence politique de la classe ouvrière.
C’est seulement dans de telles conditions que les individualités révolutionnaires s’expriment et donnent le meilleur d’elles-mêmes. C’est dans des conditions historiques particulières que pendant toute sa courte vie, Lénine a construit et légué un apport fondamental pour l’ensemble du prolétariat, sur le plan organisationnel, politique, théorique et stratégique.
Loin d’être un intellectuel académique, Lénine était avant tout un militant révolutionnaire. L’exemple de la conférence de Zimmerwald (1) est frappant à ce niveau. Alors que Lénine a toujours été un défenseur acharné de l’internationalisme prolétarien, se positionnant à la pointe du combat contre la faillite de la deuxième Internationale qui entraînera le prolétariat dans la guerre en 1914, il se retrouvera à la pointe du combat pour faire vivre la flamme internationaliste alors que les canons se déchaînaient en Europe.
Mais la conférence de Zimmerwald ne regroupait pas que des internationalistes convaincus, on y trouvait aussi beaucoup de défenseurs d’illusions pacifistes qui affaiblissaient le projet de Lénine de combattre la folie nationaliste qui maintenaient le prolétariat sous une chape de plomb. Pourtant Lénine, au sein de la délégation bolchevique, saura comprendre que le seul moyen de lancer un appel d’espoir au prolétariat, à ce moment-là, nécessitait des compromis importants avec les autres tendances de la conférence.
Mais il continuera le combat, même après la Conférence, pour clarifier les questions en jeu en portant une critique résolue au pacifisme et aux illusions dangereuses qu’il véhiculait. Cette constance, cet acharnement à défendre ses positions tout en les renforçant par l’approfondissement théorique et la confrontation des arguments est au cœur d’une méthode qui doit inspirer tout militant révolutionnaire aujourd’hui.
Sur le plan organisationnel, Lénine a apporté une immense contribution militante lors des débats qui ont agité le deuxième congrès du Parti russe en 1903. (2) Il avait déjà esquissé les contours de sa position en 1902 dans Que faire ?, une brochure publiée comme contribution au débat au sein du parti dans lequel il s’opposait aux visions économistes qui se développaient, et promouvait au contraire une vision d’un parti révolutionnaire, c’est-à-dire une arme pour le prolétariat dans son assaut contre le capitalisme.
Mais c’est au cours de ce même deuxième congrès qu’il a su mener un combat déterminant et déterminé pour faire accepter sa vision du parti révolutionnaire au sein du POSDR : un parti de militants, animés par un esprit de combat, conscients de leur engagement et de leurs responsabilités dans la classe face à une conception laxiste de l’organisation révolutionnaire vue comme une somme, un agrégat de « sympathisants » et de contributeurs occasionnels, comme le défendaient les mencheviks. Ce combat sera donc aussi un moment de clarification de ce qu’est un militant dans un parti révolutionnaire : non pas le membre d’un groupe d’amis privilégiant la loyauté personnelle mais le membre d’une organisation dont les intérêts communs, expression d’une classe unie et solidaire, priment sur tout le reste. C’est ce combat qui a permis au mouvement ouvrier d’engager le dépassement de « l’esprit de cercle » vers « l’esprit de parti ».
Ces principes ont permis au parti bolchevik de jouer un rôle moteur dans le développement des luttes en Russie jusqu’à l’insurrection d’Octobre en s’organisant comme parti d’avant-garde, défendant les intérêts de la classe ouvrière et combattant toute intrusion d’idéologies étrangères en son sein. Ces principes, nous continuons à les défendre et à nous en revendiquer comme seul moyen de construire le parti de demain.
Dans son ouvrage Un pas en avant, deux pas en arrière, Lénine revient sur ce combat du deuxième congrès et démontre à chaque page la méthode qu’il a employée pour parvenir à clarifier ces questions : patience, ténacité, argumentation, conviction. Et non pas, comme la bourgeoisie voudrait nous le faire croire : autoritarisme, menace, exclusion. La quantité impressionnante d’écrits qu’a laissés Lénine suffit déjà à comprendre à quel point il défendait et faisait vivre le principe d’une argumentation patiente et déterminée comme seul moyen de faire avancer les idées révolutionnaires : convaincre plutôt qu’imposer.
Quatorze ans après le congrès de 1903, en avril 1917, Lénine revint d’exil et appliqua la même méthode pour amener son parti à clarifier les enjeux de la période. Les fameuses Thèses d’Avril (3) listeront en quelques lignes des arguments forts, clairs et convaincants pour éviter au parti bolchevik de s’enfermer dans la défense du gouvernement provisoire de nature bourgeoise et engager le combat pour une deuxième phase révolutionnaire.
Il ne s’agit pas d’un texte écrit par Lénine au nom du parti qui l’aurait d’emblée accepté tel quel, mais une contribution à un débat qui se déroulait dans le parti et par lequel Lénine cherche à convaincre la majorité. Dans ce texte, Lénine définit une stratégie basée sur le caractère minoritaire du parti au sein des masses, qui nécessite une discussion et une propagande patiente : « expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement ». Voilà ce que fut Lénine en réalité, que la bourgeoisie continue à dépeindre comme « autocrate et sanguinaire »…
Lénine ne cherchait jamais à imposer et toujours à convaincre. Pour cela, il devait développer des arguments solides et pour cela, il devait développer sa maîtrise de la théorie : pas pour sa culture personnelle mais pour mieux la transmettre à l’ensemble du parti et de la classe ouvrière comme une arme pour ses combats futurs. Une démarche qu’il résume lui-même : « il n’y a pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire » et qu’un ouvrage particulièrement important permet de comprendre de façon concrète : L’État et la révolution. (4) Alors que dans les Thèses d’Avril Lénine met en garde contre l’État issu de l’insurrection de février et met en avant la nécessité de construire une dynamique révolutionnaire résolument contre cet État, en septembre, il sent que le sujet devient de plus en plus crucial et s’engage dans la rédaction de ce texte pour développer une argumentation basée sur les acquis du marxisme sur la question de l’État. Ouvrage qu’il ne finira jamais puisque ce travail sera interrompu par l’insurrection d’Octobre.
Là encore, s’illustre la méthode de Lénine. La bourgeoisie aime mettre en avant des hommes présentés comme des leaders naturels dont l’autorité ne relève que de leur « génie », leur « flair ». Lénine au contraire doit sa capacité à convaincre à un profond engagement pour la cause qu’il défend. Plutôt que chercher à imposer son point de vue en profitant de son autorité au sein du parti ou en manigançant en coulisses, il se plonge dans les travaux du mouvement ouvrier sur la question de l’État pour approfondir le sujet et mieux argumenter en faveur de la rupture avec l’idée sociale-démocrate de simplement s’emparer de l’appareil d’État existant pour faire ressortir la nécessité impérieuse de le détruire.
Un révolutionnaire ne peut « découvrir » la bonne stratégie par son seul génie, mais par une compréhension profonde des enjeux de la situation et du rapport de forces entre les classes. Cela s’illustre de façon exemplaire en juillet 1917. (5) Alors qu’en avril, le parti bolchevik lançait le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets » pour orienter la classe ouvrière contre l’État bourgeois issu de la révolution de février, en juillet à Petrograd, le prolétariat commençait à s’opposer de façon massive au pouvoir démocratique. La bourgeoisie fit alors ce qu’elle sait faire le mieux : elle tendit un piège au prolétariat en cherchant à provoquer une insurrection prématurée qui lui aurait permis de déchaîner une répression sans limites, en particulier contre les bolcheviks.
La réussite d’une telle entreprise aurait sans doute compromis de façon déterminante la dynamique révolutionnaire en Russie et la révolution d’Octobre n’aurait sans doute pas eu lieu. À ce moment-là, le rôle du parti bolchevik a été fondamental pour expliquer à la classe ouvrière que le moment n’était pas venu de mener l’assaut, et qu’ailleurs qu’à Petrograd, le prolétariat n’était pas prêt et serait décimé.
Pour parvenir à la clarté sur les mots d’ordre à mettre en avant à tel ou tel moment déterminé, il fallait être capable de comprendre de façon profonde où en était le rapport de force entre les deux classes déterminantes de la société mais il fallait aussi avoir la confiance du prolétariat au moment où celui-ci, à Petrograd, ne jurait que par le renversement du gouvernement. Cette confiance n’était pas acquise par la force, la menace ou un quelconque artifice « démocratique », mais par la capacité à orienter la classe de façon claire, profonde, argumentée. Le rôle de Lénine dans ces événements a sans doute été crucial, mais ce sont ses années de combat incessant et patient, depuis la fondation du parti moderne du prolétariat en 1903 jusqu’à ces journées de juillet en passant par Zimmerwald, par les Thèses d’Avril 1917, qui ont permis au parti bolchevik d’assumer le rôle qui devait être le sien dans chaque période et ainsi être reconnu par l’ensemble du prolétariat comme le véritable phare de la révolution communiste.
La bourgeoisie pourra toujours dépeindre Lénine comme un stratège avide de pouvoir, un homme orgueilleux ne souffrant ni la contestation, ni la reconnaissance de ses erreurs, elle pourra toujours réécrire l’histoire du prolétariat russe et de sa révolution sous cet éclairage, la vie et l’œuvre de Lénine sont un démenti constant de ces manœuvres idéologiques grossières. Pour tous les révolutionnaires d’aujourd’hui et de demain, la profondeur de son engagement, la rigueur dans son application de la théorie et de la méthode marxistes, la confiance inaltérable qu’il en tire dans la capacité de sa classe à conduire l’humanité vers le communisme font de Lénine, un siècle après sa mort, un exemple d’une infinie richesse de ce que doit être un militant communiste.
GD, janvier 2024
1 Cf. « Zimmerwald (1915-1917) : de la guerre à la révolution [11] », Revue Internationale n° 44 (1986).
2 Le but de cet article n’est pas de revenir sur les détails de ce combat, nous renvoyons nos lecteurs à l’article que nous avons écrit à ce sujet : « Histoire du mouvement ouvrier. 1903-1904 : La naissance du bolchevisme » Partie [12] 1, Partie [13] 2 et Partie [14] 3, Revue internationale 116, 117 et 118.
3 Cf. dans notre brochure sur Octobre 1917 : « Les “Thèses d’avril”, phare de la révolution prolétarienne [15] ».
4 Cf. « “L’État et la Révolution », une vérification éclatante du marxisme [16] », Revue Internationale n° 91 (1997).
5 Cf. dans notre brochure sur Octobre 1917 : « Les journées de Juillet, le parti déjoue une provocation de la bourgeoisie [17] ».
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 17 février 2024 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [24]) ou dans la rubrique « nous contacter [25] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Depuis le début de l’année, les agriculteurs se mobilisent contre la baisse de leurs revenus. Parti d’Allemagne suite à la suppression des subventions sur le diesel agricole, le mouvement touche désormais la France, la Belgique et les Pays-Bas, et commence à se propager à toute l’Europe. Les agriculteurs sont vent debout contre les taxes et les normes environnementales.
Les plus petits producteurs, étranglés par les prix d’achat de l’industrie agro-alimentaire et la politique de concentration des exploitations sont plongés de longue date dans une pauvreté parfois extrême. Mais avec l’accélération de la crise et la flambée des coûts de production, les conséquences du dérèglement climatiques et du conflit en Ukraine, la situation s’est encore fortement aggravée, au point que même les propriétaires d’exploitations moyennes sombrent à leur tour dans la misère. Des milliers de paysans vivent ainsi un quotidien de privation et d’anxiété qui pousse même nombre d’entre eux au suicide.
Si personne ne peut rester insensible face à la détresse d’une partie du monde agricole, il est aussi de la responsabilité des organisations révolutionnaires de le dire clairement : oui, les petits paysans souffrent énormément de la crise ! Oui, leur colère est immense ! Mais ce mouvement ne se situe pas sur le terrain de la classe ouvrière et ne peut tracer aucune perspective pour son combat. Pire, la bourgeoisie instrumentalise la colère des paysans pour mener une véritable attaque idéologique contre le prolétariat !
Depuis que les travailleurs en Grande-Bretagne ont ouvert la voie à l’été 2022, les mobilisations ouvrières n’ont cessé de se multiplier face aux coups de butoir de la crise : d’abord en France, puis aux États-Unis, au Canada, en Suède et en Finlande récemment. Actuellement, l’Europe connaît une série de mobilisations ouvrières : en Allemagne, les cheminots se sont engagés dans une grève massive, suivis par les pilotes de lignes de la Lufthansa ; la plus grande grève de l’histoire d’Irlande du Nord a éclaté en janvier ; en Espagne et en Italie, les mobilisations se poursuivent dans les transports, tout comme dans le métro de Londres ou le secteur de la métallurgie en Turquie. La plupart de ces luttes sont d’une ampleur jamais vue depuis trois ou quatre décennies. Partout, les grèves et les manifestations éclatent, avec un développement balbutiant mais inédit de la solidarité entre les secteurs, voire par-delà les frontières…
Comment réagit la bourgeoisie face à ces événements historiques ? Par un immense silence médiatique ! Un véritable black-out ! En revanche, il n’aura fallu, initialement, que quelques sporadiques mobilisations paysannes pour que la presse internationale et toutes les cliques politiciennes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, se jettent sur l’événement et fasse aussitôt monter la pression pour tenter de mieux occulter tout le reste.
Des petits paysans aux propriétaires de grandes exploitations modernes, bien que directement en concurrence, tous se sont retrouvés, avec la sainte onction des médias, autour des mêmes idoles sacrées : la défense de leur propriété privée et de la nation !
Ni les petits paysans ni les petits patrons ne sont porteurs d’un quelconque avenir face à la crise insoluble du capitalisme. Bien au contraire ! Leurs intérêts sont intimement liés à ceux du capitalisme, même si celui-ci, particulièrement sous l’effet de la crise, tend à faire disparaître les exploitations les plus fragiles et à plonger dans la misère une masse croissante d’entre eux. Aux yeux des paysans pauvres, le salut réside dans la défense désespérée de leur exploitation. Et, face à la férocité de la concurrence internationale, face aux très faibles coûts de la production asiatique, africaine ou sud-américaine, leur survie ne dépend que de la défense de « l’agriculture nationale ». Toutes les revendications des agriculteurs, contre « les charges », contre « les impôts », contre « les normes de Bruxelles », toutes ont pour point commun la préservation de leur propriété, petite ou grande, et la protection des frontières contre les importations étrangères. En Roumanie ou en Pologne, par exemple, les agriculteurs dénoncent la « concurrence déloyale » de l’Ukraine, accusée de brader le prix des céréales. En Europe de l’Ouest, ce sont les traités de libre échange qui sont pris pour cible, ainsi que les poids lourds et les marchandises venus de l’étranger. Et tout cela, avec le drapeau national brandit fièrement et des discours infâmes sur le « vrai travail », « l’égoïsme des consommateurs » et des « urbains » ! Voilà pourquoi, les gouvernements et les politiciens de tout bord, si promptes à dénoncer le moindre feu de poubelle et faire pleuvoir les coups de matraques quand la classe ouvrière est en lutte, se sont précipités au chevet de la « colère légitime ».
La situation est néanmoins très préoccupante pour la bourgeoisie européenne. La crise du capitalisme ne va pas cesser. La petite-bourgeoisie et des petits patrons vont sombrer toujours plus nombreux dans la misère. Les révoltes des petits propriétaires acculés ne peuvent que se multiplier à l’avenir et contribuer à accroître le chaos dans lequel plonge la société capitaliste. Cette réalité se constate déjà à travers les destructions aveugles ou les tentatives « d’affamer » les villes.
Surtout, ce mouvement nourrit très clairement le discours des partis d’extrême-droites partout en Europe. Dans les prochaines années, plusieurs pays pourraient basculer dans le populisme et la bourgeoisie sait parfaitement qu’un triomphe de l’extrême-droite aux prochaines élections européennes contribuerait à renforcer davantage la perte de contrôle de la bourgeoisie sur la société, à effriter sa capacité à maintenir l’ordre et assurer la cohésion de la nation.
En France, là où le mouvement semble le plus radical, l’État cherche par tous les moyens à contenir la colère des agriculteurs, alors que l’atmosphère sociale est particulièrement tendue. Les forces de l’ordre sont ainsi priées d’éviter les affrontements et le gouvernement multiplie les « annonces », y compris les plus ignobles (emploi accru de la main d’œuvre étrangère sous-payée, arrêt de la moindre politique en faveur de l’environnement…). En Allemagne, pour ne pas jeter de l’huile sur le feu, Scholz a dû reculer en partie sur le prix du gazole agricole, tout comme l’Union européenne sur les normes environnementales.
Après la révolte, en 2013, des petits patrons bretons en « bonnets rouges », (1) puis le mouvement interclassiste des « gilets jaunes » (2) partout en France, c’est désormais l’Europe entière qui est touché par une poussée de violence de la petite-bourgeoisie sans aucune autre perspective que de mettre la pagaille. Le mouvement des agriculteurs représente donc bel et bien un pas supplémentaire dans la désagrégation du monde capitaliste. Mais, comme de nombreuses expressions de la crise de son système, la bourgeoisie instrumentalise le mouvement des agriculteurs contre la classe ouvrière.
Alors que la classe ouvrière reprend massivement le chemin de la lutte partout dans le monde, la bourgeoisie tente de saper le mûrissement de sa conscience, de pourrir sa réflexion sur son identité, sa solidarité et ses méthodes de lutte, en instrumentalisant la mobilisation des paysans. Et pour ce faire, elle peut, encore et toujours, compter sur ses syndicats et ses partis de gauche, trotskistes et staliniens en tête.
La CGT française a ainsi rapidement appelé les ouvriers à rejoindre le mouvement, tandis les trotskistes de Révolution Permanente titraient vaillamment : « Les agriculteurs terrorisent le gouvernement, le mouvement ouvrier doit profiter de la brèche ». Allons bon ! Si la bourgeoisie craint la dynamique de chaos social contenu dans ce mouvement, qui peut croire qu’une petite minorité de la population, attachée à la propriété privée, pourraient effrayer l’État et son énorme appareil de répression ?
Le mouvement des « bonnets rouges » ou celui des « gilets jaunes » ont illustré à eux seuls la capacité de la bourgeoisie à instrumentaliser et stimuler une « peur » bien calculée pour crédibiliser un gros mensonge contre la classe ouvrière : vos manifestations massives et le baratin de vos assemblées générales ne servent à rien ! Ainsi on voudrait nous faire croire que la bourgeoisie ne craint rien de plus que les blocages et les actions coups de poing minoritaires. Rien n’est plus faux ! Et cela tombe bien, car ces méthodes sont typiquement celles qu’utilisent les syndicats pour diviser et déverser la colère des ouvriers dans des actions parfaitement stériles. Les actes de destruction aveugle ne sapent en rien les fondements du capitalisme et ne contribuent pas à préparer son renversement. Ils sont comme des piqûres d’insectes sur la peau d’un éléphant justifiant toujours plus de répression.
Mais la bourgeoisie ne se contente pas de saboter la réflexion du prolétariat sur les moyens de sa lutte, elle cherche aussi à faire reculer le sentiment qui commence à se développer à travers ses mobilisations, celui d’appartenir à une même classe, victimes des mêmes attaques et contrainte de se battre unie et solidaire. Les partis de gauche s’empressent donc de refourguer leur vielle camelote frelatée sur la « convergence » des luttes du « petit peuple » contre les « riches ».
À propos des manifestations en Allemagne, les trotskistes italiens de La Voce delle Lotte ont ainsi pu écrire que « des actions paysannes massives et des grèves de cheminots ont lieu simultanément. Une alliance entre ces deux secteurs stratégiques aurait une énorme force de frappe ». Toujours les mêmes balivernes ! Ces traditionnels appels à la « convergence » n’ont pour finalité que de noyer la lutte de la classe ouvrière dans la révolte « populaire ».
Malgré tout, la bourgeoisie est confrontée à une grande méfiance des ouvriers à l’égard d’un mouvement peu réprimé (contrairement aux manifestations ouvrières) et qui flirte avec l’extrême-droite et des discours très réactionnaires. Les syndicats et la gauche ont donc dû s’employer à toute sorte de contorsions pour prendre quelques distances avec le mouvement, tout en cherchant à pousser les prolétaires à « s’engouffrer dans la brèche » à travers des grèves en ordre dispersé, corporation par corporation.
La mobilisation des agriculteurs ne peut en aucune façon être un tremplin pour la lutte de la classe ouvrière. Au contraire, les prolétaires qui se laisseraient embarquer derrière les mots d’ordre et les méthodes des agriculteurs, dilués dans des couches sociales fondamentalement opposées à toute perspective révolutionnaire, ne pourraient que subir impuissants la pression du nationalisme et de toutes les idéologies réactionnaires charriées par ce mouvement.
La responsabilité des révolutionnaires envers la classe ouvrière s’exprime inlassablement dans la mise en lumière des pièges qui jalonnent tout son combat et qui, hélas, vont le jalonner encore longtemps. Avec l’approfondissement de la crise, de nombreuses couches sociales, non exploiteuses mais non révolutionnaires, vont être amenées, comme les agriculteurs aujourd’hui, à se révolter, sans avoir la capacité d’offrir une véritable perspective politique à la société. Sur ce terrain stérile, le prolétariat ne peut être que perdant. Seule, la défense de son autonomie de classe exploitée et révolutionnaire peut lui permettre d’élargir toujours plus sa lutte et d’agréger, à terme, d’autres couches à son propre combat contre le capitalisme.
EG, 31 janvier 2024
1 « Les bonnets rouges : une attaque idéologique contre la conscience ouvrière [27] », Révolution internationale n° 444 (2014).
2 « Bilan du mouvement des “gilets jaunes”: Un mouvement interclassiste, une entrave à la lutte de classe [28] », Supplément à Révolution internationale n° 478 (2019).
Nous publions ici notre réponse à un message de "Initiative antimilitariste"[1], un réseau principalement basé en Europe de l'Est, qui s'inscrit dans une remise en cause plus large de la logique guerrière du capitalisme à la suite des guerres en Ukraine et au Moyen-Orient. Toute une série de groupes, dont la plupart s'identifient à la tradition anarchiste, ont publié des déclarations et appelé à des conférences pour discuter de "ce qu'il faut faire" face aux perspectives de plus en plus catastrophiques ouvertes par ces guerres.
Nous nous félicitons que le blog de l'AMI ait publié un certain nombre d'articles du CCI sur la guerre et l'internationalisme, notamment une interview de Marc Chirik sur les révolutionnaires face à la Seconde Guerre mondiale, et un article montrant les profondes divergences que la guerre en Ukraine a révélées au sein de la "famille" anarchiste, entre ceux qui cherchent à adopter une position internationaliste claire et ceux qui prônent ouvertement la défense de l'État ukrainien[2]. Dans notre réponse, nous encourageons l'AMI à développer davantage les discussions en cours dans ses rangs, tout en plaidant pour la nécessité de développer une analyse globale qui situe ces guerres dans un contexte historique et mondial. Seule cette analyse peut nous permettre de comprendre les perspectives offertes par le système capitaliste, et surtout les possibilités réelles de lutte de classe et d'intervention des révolutionnaires face à la guerre impérialiste. Sans une telle analyse, il est facile de tomber dans un activisme stérile qui ne peut que déboucher sur la démoralisation étant donné son inévitable incapacité à produire des résultats immédiats.
Chers camarades,
Désolés pour le retard de notre réponse.
Vous avez mentionné dans votre dernière correspondance que vous discutez des questions suivantes :
Nous aimerions vous soumettre quelques points clés pour contribuer à vos débats.
Nous avons publié plusieurs articles d'analyse de la situation - au cas où vous ne les auriez pas vus, nous avons mis les liens à la fin de ce texte.
À partir de ces articles, nous pouvons souligner quelques questions.
La dernière guerre au Moyen-Orient - qui se déroule en même temps que la guerre en Ukraine (laquelle va entrer dans sa troisième année) et les tensions croissantes dans le Caucase, les Balkans et ailleurs - ne peut être déconnectée de la confrontation mondiale entre les États-Unis et la Chine.
Mais, alors que les États-Unis ont été confrontés à plusieurs fiascos au Moyen-Orient (Irak-Syrie-Afghanistan) et ont décidé de concentrer leurs forces pour empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale - ce qui signifie détrôner les États-Unis - la dernière escalade au Moyen-Orient est en quelque sorte une guerre "non désirée" pour les États-Unis.
En particulier, la position des États-Unis au Moyen-Orient a été affaiblie par la façon dont Israël a procédé (en imposant l'exode le plus important jamais réalisé de la population de Gaza et en exerçant des représailles brutales par le biais d'une politique de la terre brûlée).
Par ailleurs, les États-Unis ont entraîné la Russie dans la guerre en Ukraine. La Russie a essayé de reconquérir ses positions perdues à l'époque de l'existence des deux blocs - elle ne peut le faire que militairement - comme elle l'a déjà montré en soutenant farouchement le régime syrien. Cette guerre entre l'Ukraine et la Russie pose aujourd'hui des difficultés croissantes - parce qu'elle est devenue une guerre stagnante et que le soutien à l'Ukraine est devenu de plus en plus impopulaire aux États-Unis.
La montée en puissance de la Chine ne s'est pas faite uniquement grâce à son énorme croissance économique. Elle s'est toujours accompagnée d'une stratégie à long terme de modernisation et d'expansion de son armée, et ses projets de "Route de la soie" révèlent l'ampleur de ses ambitions, tout comme sa volonté d'intégrer Taïwan à la Chine et sa politique de renforcement de sa présence dans la mer de Chine méridionale, toutes choses auxquelles les pays occidentaux se sont opposés. L'Union Européenne, les États-Unis et l'Inde ont adopté l'un après l'autre des projets visant à contrecarrer la Route de la soie.
Nous pouvons constater une aggravation des tensions à l'échelle mondiale, qui engloutissent de plus en plus de pays, et la dernière guerre au Moyen-Orient montre également que les États-Unis perdent de plus en plus le contrôle de leur gendarme (Israël) dans la région. Avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre froide et des nombreuses guerres par procuration qui ont suivi, le militarisme est devenu le mode de survie du système et un véritable cancer qui en ronge le cœur.
Cette dynamique à elle seule montre déjà que nous ne pourrons pas éradiquer le cancer du militarisme si le système n'est pas vaincu.
Dans le même temps, lorsque les principaux politiciens et "experts" se réunissent à Dubaï pour la conférence COP 28, ils montrent que la classe dirigeante est incapable et largement réticente à prendre les mesures nécessaires pour protéger la planète. Laisser le destin de notre planète entre les mains de la classe capitaliste, c'est signer l'arrêt de mort de l'humanité, une raison supplémentaire et urgente de dépasser le système capitaliste.
Nous ne reviendrons pas sur les effets de la crise économique, de la famine, de l'exode massif des réfugiés que nous constatons sur tous les continents, qui sont autant d'expressions de la même impasse dans laquelle le système a conduit l'humanité.
En bref : il n'est pas possible de comprendre ce qui se passe si nous ne regardons qu'un seul aspect, mais nous devons voir la totalité et l'interconnexion entre les différentes composantes destructrices.
Comment voyez-vous ce lien et cette évolution globale à l'échelle mondiale ? Pouvons-nous comprendre les événements dans un pays en les isolant du reste, ou devons-nous les situer dans un cadre global ?
Quelle est votre analyse ? Quels débats avez-vous entre vous à ce sujet ?
Comment voyez-vous ce lien et cette évolution mondiale ? Peut-on comprendre les événements d'un pays en les isolant des autres, ou faut-il les replacer dans un cadre global ?
Nous avons également remarqué que si plusieurs groupes ont réussi à prendre une position claire sur la guerre entre l'Ukraine et la Russie, rejetant le soutien aux deux parties, une position internationaliste claire comme de l'eau de roche contre la guerre au Moyen-Orient a été évitée ou beaucoup plus difficile à prendre pour certains groupes. L'une des raisons est que de nombreux groupes s'accrochent encore à l'idée qu'il pourrait y avoir quelque chose de progressiste derrière la formation d'un État palestinien. Nous défendons la position de la gauche communiste qui, dans la continuité de la défense de l'internationalisme à l'époque de la Première Guerre mondiale, a également défendu l'internationalisme à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale et contre les soi-disant luttes de libération nationale. Le soutien à la formation de tout nouvel État dans ce que la Troisième Internationale a appelé "l'époque des guerres et des révolutions" est une idée totalement réactionnaire, qui ne fait qu'encourager de nouvelles guerres ; nous devons nous prononcer pour l'abolition de tous les États. La survie de la planète - de l'humanité - ne peut être assurée par davantage d'États, mais exige précisément l'abolition de tous les États et du nationalisme.
C'était la tradition de la Gauche Communiste de France et de Marc Chirik, dont vous avez publié récemment l'interview.
Nous aimerions pouvoir faire quelque chose d'immédiat contre la guerre. Notre indignation et notre révolte face aux actes de barbarie en Ukraine ou au Proche-Orient nous poussent à vouloir pouvoir arrêter la machine de guerre tout de suite !
Mais nous devons comprendre que l'indignation ne suffit pas et qu'il n'est pas réaliste d'attendre de la classe ouvrière qu'elle prenne des mesures immédiates, décisives et efficaces contre la guerre sur une base à court terme. Pour pouvoir mettre fin à cette guerre et à toutes les autres, il ne faut rien de moins que renverser le système !
Pour comprendre l'ampleur réelle du défi et la solution nécessaire, il faut revenir à l'histoire.
Il est vrai que les insurrections et les révolutions de la classe ouvrière en 1905 ou pendant la Première Guerre mondiale sont nées d'une réaction contre la guerre. Mais les conditions de la Première Guerre mondiale et celles d'aujourd'hui sont très différentes. Lors de la Première Guerre mondiale, des millions de soldats ont été mobilisés au cœur du capital, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Les armes utilisées pendant la Première Guerre mondiale étaient des canons, de plus en plus de chars, ainsi que des raids aériens et des armes chimiques (gaz). Mais dans les tranchées, les combats se déroulaient toujours "fusil contre fusil". La guerre s'est "enracinée", a stagné, et il y avait encore la possibilité d'un contact direct (cris entre les tranchées). Au bout d'un certain temps, il pouvait donc y avoir une fraternisation dans les tranchées.
Tout cela n'est plus le cas aujourd'hui. Les armes (balles, missiles, drones, bombes, avions, etc.) peuvent voyager sur de longues distances, de sorte que les soldats ne voient même pas l'ennemi.
Lors de la Première Guerre mondiale, les soldats se sont mobilisés massivement au bout d'un certain temps - et pas seulement par désertion. À partir de 1915, les protestations se multiplient dans les rues et les usines, car la guerre est synonyme d'intensification du travail, de militarisation, de "paix sociale" imposée dans les usines et, surtout, de famine. Liebknecht réunit 60 000 ouvriers sur la place de Potsdam, et de plus en plus de manifestations de rue et de grèves sauvages éclatent - le nombre élevé de femmes enrôlées dans les usines jouant également un rôle important. L'ensemble du front militaire et du front intérieur se désagrège. En Russie, les ouvriers commencent à se battre contre les officiers et à fraterniser ; les nombreux paysans qui ont été enrôlés de force réagissent également contre la guerre. Le facteur humain/social joue un rôle essentiel dans la machinerie de guerre. D'août 1914 à février 1917, puis octobre 1917, trois années de massacres se sont écoulées, et même la révolution en Russie n'a pas encore pu arrêter la guerre sur les autres fronts. Ce n'est qu'en novembre 1918, avec l'éclatement de la révolution en Allemagne, que les choses ont pris un tournant décisif pour mettre fin à la guerre mondiale. Les soldats et les marines de Kiel avaient reçu l'ordre de livrer la "dernière bataille" contre l'Angleterre, mais les marins ont compris que cela signifierait leur mort. Les soldats ont donc dû se battre directement pour leur vie, pour leur survie. La combinaison d'un début de fraternisation sur le front militaire et de l'éclatement des luttes sur le front intérieur a forcé la bourgeoisie allemande à réagir.
Ces conditions ne sont plus réunies aujourd'hui. De plus en plus de soldats sont recrutés en Ukraine et en Russie, et il n'y a pas encore eu de réaction significative contre la guerre - même s'il y a eu un exode massif d'hommes d'Ukraine et bien plus encore de Russie pour échapper au recrutement forcé. Une résistance ouverte et massive contre la guerre en Russie reste à venir. Pour l'instant, il semble qu'il n'y ait pas encore de pénurie alimentaire majeure, ni d'effondrement de l'économie. C'est une spécificité de la situation en Russie que l'économie ait été si fortement dépendante des approvisionnements en pétrole et en gaz, de sorte que les sanctions de l'Occident / des États-Unis ont forcé la Russie à vendre davantage à d'autres pays - ce qui a aidé la Russie à gagner du temps et a aidé le régime de Poutine à éviter d'imposer une attaque économique massive à la classe ouvrière. Mais ce "gain de temps" ne durera probablement pas éternellement et la réaction de la classe ouvrière en Russie, qui serait un facteur clé pour s'opposer à la guerre, reste un facteur inconnu et imprévisible. La classe ouvrière ukrainienne est encore plus confrontée à un nationalisme omniprésent. Toute résistance à la guerre risque d'être écrasée par le régime de Zelensky.
C'est pourquoi nous devons nous tourner vers la classe ouvrière de l'Ouest. Parce que la classe ouvrière occidentale ne peut pas être mobilisée directement pour la guerre - la plupart des travailleurs refuseraient de sacrifier leur vie pour la guerre - et parce que les pays de l'OTAN ont soigneusement évité d'envoyer des troupes sur le terrain parce qu'ils savent que la classe ouvrière et peut-être d'autres parties de la population occidentale ne soutiendraient pas une telle démarche. Ainsi, l'Occident a surtout fourni tout l'arsenal nécessaire à la prolongation de la guerre.
Paradoxalement, les réactions du parti républicain aux États-Unis sont très révélatrices. Ils s'opposent de plus en plus à la poursuite du financement de la guerre en Ukraine, car ils estiment que cela se ferait au détriment de l'économie américaine. Ils estiment également que la classe ouvrière n'est pas disposée à sacrifier ses vies, à souffrir de la faim, etc. pour la guerre en Ukraine.
Un autre facteur doit être pris en considération. En Russie, en octobre 1917, la classe ouvrière est parvenue à renverser une bourgeoisie relativement faible et encore isolée à l'époque. La contre-offensive des Blancs, avec la guerre civile, n'a commencé qu'un an plus tard.
Mais la bourgeoisie allemande était beaucoup plus expérimentée et plus puissante et elle a pu mettre fin à la guerre "du jour au lendemain", en novembre 1918, lorsque les marins de Kiel ont commencé à se déplacer et que les soldats et les conseils ouvriers ont commencé à se mettre en place, empruntant la voie de la révolution russe.
Le prolétariat allemand était donc confronté à une bourgeoisie beaucoup plus rusée et intelligente, qui a obtenu le soutien des autres bourgeoisies dès que le prolétariat a commencé à relever la tête en Allemagne.
Aujourd'hui, la classe ouvrière est confrontée à une classe capitaliste de plus en plus pourrie et décomposée, mais malgré sa pourriture, elle est plus déterminée que jamais à unir ses forces si son ennemi mortel, la classe ouvrière, relève la tête. Et ils peuvent aussi compter sur les syndicats, les partis de gauche, etc. pour saboter les luttes des travailleurs. Il ne faut donc pas s'attendre à une dynamique immédiate de radicalisation des luttes contre la guerre.
Où se trouve la clé ?
La clé est toujours entre les mains de la classe ouvrière.
Nous pensons que les travailleurs de Grande-Bretagne, de France et, plus récemment, des États-Unis ont commencé à en apporter la preuve. Parce que poussés par l'inflation ou d'autres fortes attaques, les travailleurs de nombreux pays ont commencé à se lever et à rompre une période de plusieurs décennies de passivité et de désorientation face au déroulement des événements. C'est pourquoi nous parlons de "rupture"[3].
Et nous pensons que cette capacité de la classe ouvrière à défendre ses intérêts économiques est la PRÉCONDITION au développement de sa force, de sa confiance en soi, par laquelle la classe peut se reconnaître et comprendre clairement qu'il y a deux classes qui s'opposent l'une à l'autre.
En ce sens, les luttes économiques défensives sont absolument nécessaires. C'est au cours de ces luttes économiques que les travailleurs doivent apprendre à prendre les luttes en main (ce qu'ils n'ont pas fait depuis longtemps), qu'ils doivent réapprendre à identifier leurs véritables ennemis (s'agit-il des migrants, des réfugiés - comme le prétendent tous les populistes et la droite - ou de ceux qui les exploitent ?) et leurs frères et sœurs de classe qui peuvent développer une solidarité de classe en s'unissant et en prenant en charge les luttes eux-mêmes.
Et c'est à travers les luttes économiques défensives que les travailleurs doivent réapprendre à découvrir que la racine des problèmes sont bien plus profondément enracinés dans le système et ne sont pas la faute de quelque banquier pourri et cupide (comme le Mouvement Occupy de 2011 a essayé de nous le faire croire), et aussi que toutes les autres menaces à la survie de l'humanité sont fondamentalement enracinées dans le système. Ce processus de politisation a donc besoin du véritable "feu de la lutte des classes", mais les discussions en cours dans les différentes couches de la classe peuvent être propulsées et catalysées par ces luttes ouvertes.
Rosa Luxemburg a insisté en novembre/décembre 1918 sur le fait qu'il était indispensable que la pression exercée par les usines et les luttes économiques soit beaucoup plus forte, une fois que la "révolution des soldats" s'était essoufflée avec la décision de la bourgeoisie de mettre fin à la guerre.
Telle est la dynamique de la lutte des classes depuis 1905, lorsqu'il est devenu évident que les luttes politiques et économiques devaient se fondre en un seul et même courant - la grève de masse.
En se rassemblant en tant que classe et en luttant pour ses intérêts économiques, la classe ouvrière peut également bloquer l'influence destructrice de toutes sortes de facteurs de division tels que les questions "identitaires" (autour de la race, du sexe, etc.). En étant forcée, par ses luttes économiques, de rechercher la solidarité de tous les autres travailleurs pour s'opposer à l'État et être plus forte que la classe capitaliste par l'extension et l'unification des luttes, la classe ouvrière peut jouer le rôle d'un aimant dans la société, en offrant une perspective à tous ceux qui sont opprimés par le capital - non pas en se dissolvant dans une masse anonyme d'individus, mais en agissant comme une force unie contre la classe dirigeante.
Si nous insistons sur la nécessité pour la classe de développer ses luttes économiques, ce n'est pas que nous fuyons notre responsabilité vis-à-vis de la guerre. Mais c'est la seule façon de développer une réponse efficace. Croire qu'une solution immédiate peut être trouvée par une sorte d'"Action" minoritaire est une impasse, et finira par démoraliser ceux qui y participent.
Il est indispensable de comprendre, comme le soulignait Pannekoek dans son célèbre livre Révolution mondiale et tactique communiste de 1920, que la révolution prolétarienne est la première révolution de l'histoire qui dépende entièrement de l'action collective, consciente et massive de la classe ouvrière. Elle ne peut compter sur aucune autre force que sa propre force - sa conscience et sa solidarité, sa capacité d'unification.
Créer des illusions sur une issue facile et rapide est trompeur et démoralisant. C'est pourquoi nous avons rejeté le projet de la Tendance Communiste Internationaliste de créer des comités contre la guerre. Selon nous, ces comités rendent confus le rôle essentiellement politique que les organisations révolutionnaires doivent jouer face aux guerres impérialistes. Nous avons écrit plusieurs articles à ce sujet.[4]
Peu après la guerre, nous avons également pris position sur cette question dans un article intitulé "Militarisme et décomposition", que nous citons ici :
"Par le passé nous avons fait la critique du mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire". Ce mot d'ordre mis en avant au cours de la Première Guerre mondiale, notamment par Lénine, se basait sur une préoccupation fondamentalement internationaliste : la dénonciation des mensonges colportés par les social-chauvins affirmant qu'il était nécessaire que leur pays remporte préalablement la victoire pour permettre aux prolétaires de ce pays de s'engager dans le combat pour le socialisme. Face à ces mensonges, les internationalistes ont mis en relief que ce n'était pas la victoire d'un pays qui favorisait le combat des prolétaires de ce pays contre leur bourgeoisie mais au contraire sa défaite (comme l'avaient illustré les exemples de la Commune de Paris après la défaite face à la Prusse et de la Révolution de 1905 suite à la débâcle de la Russie face au Japon). Par la suite, ce mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" a été interprété comme le souhait par le prolétariat de chaque pays de voir sa propre bourgeoisie être défaite afin de favoriser le combat pour le renversement de celle-ci ce qui, évidemment, tourne le dos à un véritable internationalisme. En réalité, Lénine lui-même (qui en 1905 avait salué la défaite de la Russie face au Japon) a surtout mis en avant le mot d'ordre de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" qui constituait une concrétisation de l'amendement que, en compagnie de Rosa Luxemburg et de Martov, il avait présenté et fait adopter au Congrès de Stuttgart de l'Internationale Socialiste en 1907 : "Au cas où la guerre éclaterait néanmoins [les partis socialistes] ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste.
La révolution en Russie de 1917 a constitué une concrétisation éclatante du mot d'ordre "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" : les prolétaires ont retourné contre leurs exploiteurs les armes que ces derniers leur avaient confiées pour massacrer leurs frères de classe des autres pays. Cela-dit, comme on l'a vu plus haut, même s'il n'est pas exclu que des soldats puissent encore retourner leurs armes contre leurs officiers (pendant la Guerre du Vietnam, il est arrivé que des soldats américains tuent "par accident" des supérieurs hiérarchiques), de tels faits ne pourraient être que d'ampleur très limitée et ne pourraient constituer en aucune façon la base d'une offensive révolutionnaire. C'est pour cette raison que, dans notre propagande, il convient de ne pas mettre en avant non seulement le mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" mais aussi celui de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile".
Plus généralement, il est de la responsabilité des groupes de la Gauche communiste de faire le bilan du positionnement des révolutionnaires face à la guerre dans le passé en mettant en évidence ce qui reste valable (la défense des principes internationalistes) et ce qui ne l'est plus (les mots d'ordre "tactiques"). En ce sens, si le mot d'ordre de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" ne peut dorénavant constituer une perspective réaliste, il convient en revanche de souligner la validité de l'amendement adopté au Congrès de Stuttgart en 1907 et particulièrement l'idée que les révolutionnaires "ont le devoir d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste". Ce mot d'ordre n'est évidemment pas réalisable dans l'immédiat compte-tenu de la situation de faiblesse actuelle du prolétariat, mais il reste un poteau indicateur pour l'intervention des communistes dans la classe."[5] "
Quant à ce que cela signifie pour le rôle des révolutionnaires, qui sont nécessairement une petite minorité, nous avons essayé de le développer dans notre Déclaration commune contre la guerre en Ukraine et dans notre Appel aux groupes de la Gauche communiste, que vous avez peut-être vus.[6]
Nous serions heureux que vous nous fassiez part des discussions dans vos rangs et nous sommes bien sûr désireux de discuter avec vous directement. Si vous avez des documents que vous nous recommandez de lire, n'hésitez pas à nous les envoyer.
J'espère que nous pourrons bientôt mettre en place un échange direct.
Dans l'attente de votre réponse... et encore une fois désolé pour cette réponse tardive.
Salutations communistes
Le CCI (10 / 12 / 2023)
Spirale d’atrocités au Moyen-Orient : la terrifiante réalité de la décomposition du capitalisme [33]
[2] Le mouvement révolutionnaire et la seconde guerre mondiale: interview de Marc Chirik, 1985 [35]; Entre l'internationalisme et "la défense de la nation". L'article de AMI, "Antimilitarisme anarchiste et mythes sur la guerre en Ukraine [36]" est une réponse très claire aux arguments des " anarcho-défensiste".
[3] Voir notre article La lutte est devant nous! [37]
[4] Par exemple, La “Tendance Communiste Internationaliste” et l’initiative “No War But the Class War”: un bluff opportuniste qui affaiblit la Gauche communiste [38].
[6] Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukraine [40] ; Appel de la Gauche communiste [41] (Guerre au Moyen Orient)
Le jeudi 18 janvier a eu lieu la plus grande grève de l’histoire de l’Irlande du Nord. (1) Malgré des conditions glaciales et des températures souvent en dessous de zéro, 170 000 travailleurs étaient mobilisés, des membres de seize syndicats, représentants 80 % du secteur public. Des marches et des rassemblements ont eu lieu dans les villes des six comtés, malgré toutes les divisions sectorielles qui ont affecté la classe ouvrière d’Irlande du Nord. Il y avait des piquets de grève devant les écoles et les hôpitaux, les gares et les dépôts municipaux, ainsi que dans de nombreux autres bâtiments publics. Presque toutes les écoles et établissements d’enseignement supérieur ont été fermés. Tous les transports publics ont été arrêtés. Le lendemain, vendredi 19, des centaines d’employés des transports, d’agents de nettoyage, d’assistants de classe et de conducteurs de véhicules de sablage, étaient en grève pour une deuxième journée.
En apparence, la raison de la grève (et l’explication donnée par les partis de gauche, de droite et du centre) tient uniquement au statut de l’Irlande du Nord. Au cours des deux dernières années, depuis les élections de 2022 au cours desquelles le Sinn Fein a remporté le plus de sièges, le Parti unioniste démocrate (DUP) a fait en sorte à ce qu’il n’y ait ni Assemblée ni Exécutif. Pour cette raison, toutes les revendications salariales dans le secteur public ont été déclarées impossibles car, selon le gouvernement britannique, seul le « gouvernement dévolu d’Irlande du Nord » peut autoriser des augmentations de salaire. En décembre, les conservateurs (Tories) ont proposé 600 millions de livres sterling pour les salaires du secteur public, le tout dans le cadre d’un programme de 3,3 milliards de livres sterling, mais à condition de mettre fin au blocage des Institutions.
En réponse, le DUP a accusé le secrétaire nord-irlandais Chris Heaton-Harris d’avoir tenté de les faire chanter, affirmant que l’argent devrait quand même être remis. Pendant ce temps, le Sinn Fein a affirmé que les travailleurs ne pourront être satisfaits que si l’Assemblée et l’Exécutif sont réactivés. Lors des rassemblements du 18 janvier, les dirigeants syndicaux étaient divisés entre blâmer le DUP ou le gouvernement britannique, ou les deux. Même si les syndicats étaient tous d’accord sur le fait que l’argent était là, la réalité est que les travailleurs luttent contre un système qui ne peut pas satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.
Bien que la grève ait été largement contrôlée par les syndicats et que les différentes fractions de la classe dirigeante profitent certainement du chaos politique en Irlande du Nord pour tenter d’entraîner les travailleurs derrière leurs querelles, ce mouvement ne sort pas de nulle part. En décembre, des grèves ont eu lieu dans tout le réseau de transport, bus et trains, durant quatre jours différents. Avant cela, en novembre, il y avait eu des grèves dans le secteur des transports et dans le personnel scolaire. Il est vrai que ces mouvements étaient également contrôlés par les syndicats, mais cela montre qu’il existe un réel mécontentement à l’égard des rémunérations des travailleurs. En Grande-Bretagne, il y a eu au moins quelques hausses de salaires, mais le gel des salaires en Irlande du Nord a encore aggravé la situation et les travailleurs ne peuvent plus supporter les effets de la « crise du coût de la vie ». Les luttes ont été engagées en raison d’une réelle détérioration des conditions matérielles des travailleurs, attaqués dans tous les pays. En cela, les luttes des travailleurs d’Irlande du Nord se situent dans la lignée de celles en Grande-Bretagne à partir de 2022, et des mouvements ultérieurs en France, aux États-Unis, au Canada et en Scandinavie. Elles expriment une rupture avec la passivité des trente années précédentes, et témoignent du potentiel de luttes plus approfondies dans le futur : celui du lien entre la classe ouvrière en Irlande, en Grande-Bretagne continentale et en Europe.
Car, 24 janvier 2024
1 Cela exclut évidemment l’action loyaliste imposée par les paramilitaires du Conseil des travailleurs d’Ulster en 1974 qui n’était pas une grève ouvrière… et n’était pas dirigée par un « conseil des travailleurs ».
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 23 mars 2024 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [24]) ou dans la rubrique « nous contacter [25] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Face aux nouvelles calomnies du GIGC[1] en réaction à l'article de défense de notre plateforme[2], nous avons jugé que nous ne pouvions pas les laisser sans réponse, même si cela implique de retarder la sortie d'autres articles planifiés et également dédiés à la défense de notre organisation.
Le GIGC présente nos articles dénonçant ses critiques mensongères, ses déformations, ses omissions par rapport à notre plate-forme comme un moyen de faire diversion face aux questionnements des militants du CCI et même de contacts au sein du milieu politique prolétarien, par rapport à la supposée dérive politique de notre organisation.
Il commence par disqualifier notre dernier congrès international, mais « dans le vague », en évitant d'être concret et précis, marquant un mépris vis-à-vis de ses travaux sans bien sûr se risquer à en faire une critique politique. Ainsi, il conclut que ce congrès était "Empêtré dans des contradictions théorico-politiques d’ordre idéaliste", que ses travaux "ne représentaient pas d’enjeu particulier pour le camp prolétarien" et ne font qu'exprimer "la marginalisation croissante de notre organisation". À propos de quel document en particulier ? C’est un mystère sur lequel le GIGC reste muet, mais on imagine sans peine qu'il s'agit du rapport sur la "décomposition de la société" dont une partie, "La méthode marxiste, outil indispensable pour comprendre le monde actuel", inclut une réponse argumentée aux critiques de notre "prétendu idéalisme". Évidemment, l’objectif du GIGC n’a jamais été de combattre politiquement nos prétendues "contradictions théorico-politiques d’ordre idéaliste"[3], dans la mesure où la confrontation politique ne l’intéresse pas. La prétendue « critique théorique » du GIGC consiste en une succession de phrases ronflantes sans aucun argument ou preuve qui vise uniquement à nous dénigrer. Dans cette sale besogne, il n’innove pas, il ne fait que suivre la méthode de « débat » des gauchistes ou celle d’un maitre du parasitisme politique, Bakounine, qui adressait au conseil général de l’AIT, les admonitions et accusations les plus bruyantes en vue de cacher ses propres agissements sournois.
Il répand des insinuations sur la vie interne du CCI. Sans aucun élément à l'appui, le GIGC décrète que nos 6 articles de dénonciation de ses méthodes seraient destinés à obliger nos "militants à taire leurs doutes sur les positions, analyses et la dynamique politiques de l'organisation". Au-delà du fait que c'est très méprisant pour tous les militants du CCI, il s'agit d'une tentative supplémentaire d’instiller le venin de la méfiance au sein du milieu politique prolétarien vis-à-vis de "l'organisation stalinienne" que nous serions. À ce propos, nous invitons nos lecteurs à parcourir notre presse afin d'évaluer la manière dont le CCI a toujours rendu compte dans ses colonnes de ses discussions et débats internes, y compris sur les questions organisationnelles. L’attaque « théorique » se double ici d'une attaque « organisationnelle ». Dans sa furie dénigrante - la seule raison d’être du GIGC - il lui faut à tout prix faire apparaitre le CCI de la façon la plus repoussante possible.
Il tente également d’instiller le doute parmi nos contacts en prétendant que le CCI se sert du prétexte des attaques du GIGC pour ne pas répondre "aux questions que les contacts et jeunes militants se rapprochant de la Gauche communiste lui présentent sur les positions des autres groupes, dont la TCI et le GIGC tout particulièrement". Pour information, nous n'avons pas été confrontés à une masse de questions sur les positions du GIGC, même pas une seule en réalité. Mais surtout, nous n’escamotons aucune question ou critique émanant des groupes du milieu politique prolétarien et leurs sympathisants. Néanmoins, si des contacts nous avaient sollicités à propos du GIGC, nous n'aurions pas manqué de leur faire une description circonstanciée des violations de nos statuts et des actes de mouchardage de la FICCI (Fraction Interne du CCI), laquelle trouve aujourd'hui sa continuité dans le GIGC au moyen de changements « programmatiques » qui ne modifient rien à la réalité et l'essence de ce groupe. Rappelons à ce propos qu'à nos yeux, le GIGC, pour être un groupe policier[4], ne fait pas partie du milieu politique prolétarien et encore moins de la Gauche communiste[5].
Le GIGC prétend enfin que le CCI introduirait la division et le sectarisme au sein du camp prolétarien. Toute notre pratique illustre tout le contraire : nous sommes pour une confrontation politique fraternelle mais sans concessions des divergences en sein du milieu politique prolétarien et pour un travail en commun chaque fois que possible, …. Mais tout cela ne peut ni ne doit éluder la nécessaire défense de ce même milieu, notamment à travers le combat contre les mouchards, les aventuriers et les agents de l’État. Nous incitons les lecteurs qui auraient des doutes sur cette question à se référer à l'histoire même du mouvement ouvrier, notamment les combats passés engagés par les révolutionnaires pour exposer les corps parasites en leur sein, comme l'Alliance de Bakounine au sein de l'Association Internationale des Travailleurs, les agents de l'État comme Vogt (auquel Marx a dédié un an de travail sur un livre le démasquant)[6], les aventuriers comme Lassalle et Schweitzer dans la social-démocratie Allemande[7]. Nous nous situons dans cette tradition en dénonçant la FICCI et son avorton, le GIGC [8].
Si le GIGC essaie ici de faire passer la défense intransigeante du milieu prolétarien pour une politique sectaire de division, c'est fondamentalement pour tenter de se blanchir en tant que mouchards, qui n’ont pas hésité à apporter leur soutien à l'indéfendable aventurier Gaizka[9]. Nous appelons à ce propos à la lecture d'un article récent rendant compte de discussions avec la TCI à propos de la question suivante : "un aventurier doit-il être exposé publiquement ?" [10].
- Selon le GIGC, le CCI esquiverait les critiques à sa plateforme : "Face à notre critique sur tel ou tel point de la plateforme, le CCI nous renvoie aussi à d’autres articles pour établir nos "mensonges et calomnies" (…) Il ne défend pas le point de la plateforme en question, ni ne l’explicite, mais se réfère à un autre texte". Mensonge aisément vérifiable : dans notre article ainsi critiqué[11] par le GIGC,[12] à propos du parlement et du parlementarisme, nous avons effectivement indiqué avoir publié les Thèses de Lénine sur la démocratie. En quoi ceci constitue-t-il la preuve d'une esquive de la critique, vu que, dans le même article, contrairement aux affirmations du GIGC, nous rappelions, citation à l'appui, ce que dit effectivement notre plateforme et qui invalide le reproche de conseillisme qui lui est faite[13]. Nous ajoutions à cette citation du point concerné de notre plate-forme le commentaire suivant : « Ainsi l'idée que ce point de notre plateforme ne prend pas en compte la fonction du Parlement dans la nouvelle période relève de cette démarche, "calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose" (F. Bacon), quelle que soit l'inconsistance de la calomnie ». Pourtant, dans son article suivant, le GIGC[14] reprend exactement la même critique à l'encontre du même point de notre plateforme avec les mêmes "arguments". Un simple copier-coller ! A l’évidence, la calomnie n'exclut pas le gâtisme !
- Une "preuve" du conseillisme du CCI fabriquée de toute pièce. Pour le GIGC, notre plateforme comprendrait « la thèse centrale de l’économisme et du conseillisme » qui "réduit le rôle du parti à un simple conseiller ou éclaireur de la classe" que "Lénine combattit à raison dans Que faire et que le CCI dut à son tour combattre en son sein dans les années 1980". Le GIGC exhibe, telle un trophée, la preuve accablante de notre conseillisme qui se cacherait derrière la citation suivante : "La conscience de la classe se forge à travers ses luttes, elle se fraye un chemin difficile à travers ses succès et ses défaites". On peut prouver ce que l’on veut avec une phrase sortie de tout contexte. Or bien évidemment, cette phrase n’est pas isolée mais doit être replacée dans le contexte du point concerné de la plateforme :
Bref, il s’agit donc ici d’un collage maladroit, d'un montage malhonnête et d’une nouvelle arnaque du GIGC. Le CCI un menteur ? un examen concret de la réalité l'infirme et elle confirme que le GIGC est un faussaire.
- Selon une autre accusation du GIGC nous mentirions lorsque que nous disons ne nous être jamais considérés comme étant un parti (ou un parti en miniature). Le GIGC pointe vers deux citations du CCI où figure l'expression "squelette du futur parti" et qui sont censées illustrer un tel mensonge de notre part. D’abord, le rapport avec les accusations de conseillisme avancées jusqu’alors dans l’article du GIGC, est curieux, puisqu’en quelque sorte, on accuse à présent le CCI exactement du contraire, c’est-à-dire de se considérer dès à présent comme le parti. En fait, il ne faut pas chercher de cohérence politique, puisque, comme nous le soulignons depuis le début, le but recherché n'est autre que de calomnier et de mettre en doute notre honnêteté politique.
Ici , le GIGC identifie, pour les besoins d'une nouvelle entourloupe, rien de moins que "le squelette de l'organisation" avec "l'organisation dans son ensemble". En politique, comme en anatomie, rien n'est plus absurde. Se considérer comme le "squelette du futur parti" ne peut en rien signifier se considérer comme le "parti", ni même comme le "parti en miniature".
Par ailleurs, un examen sur notre site web de tous les passages de nos textes où figure la formulation « le squelette du futur parti » nous montre que l’expression fut avancée pendant une brève période, mais clairement remise en cause par la suite :
En résumé, Les textes cités établissent clairement que le CCI ne s'est jamais considéré comme un parti, mais qu’il se considère comme un groupe politique ayant une "fonction similaire à celle d'une fraction", chargé d'œuvrer à la fondation du futur parti, tout en constituant un pont vers celui-ci[15]. En conclusion, nous avons, là encore, une nouvelle confirmation que le GIGC agit comme un faussaire, mais les ficelles qu'il utilise sont de plus en plus grosses.
- Le GIGC à la rescousse du syndicalisme : nous dénonçons avant tout le GIGC en tant que corps parasite politique et groupe de voyous qui tente de se faire passer pour une organisation de la Gauche communiste tout en centrant sur son action destructrice et calomniatrice contre cette Gauche communiste. Cela ne nous dispense pas de mettre en évidence certaines de ses positions qui appuient sournoisement celles de l'extrême gauche du capital, notamment sur la question syndicale.
Que signifie réellement cette idée, défendue par le GIGC et critiquée dans notre article précédent, selon laquelle le passage des syndicats dans le camp bourgeoisie a été "le produit d’un rapport de forces entre classes" se jouant au sein de ces organes ?
Notre dernier article rejette cette vision en montrant qu'elle revient à défendre qu’ "il existe la possibilité pour la classe ouvrière de maintenir les syndicats en tant qu'arme de sa lutte au moyen d'un combat engagé en leur sein" ! Face au ferme rejet d'une telle méthode d'analyse propre au gauchisme, le GIGC évacue le problème[16] en accordant à chacun le droit de penser ce qu'il veut : "Pour notre part, aucune indignation, ni scandale au mensonge ou à la calomnie ici. Le CCI et d’autres ont tout à fait le droit de penser cela et nous sommes prêts à en débattre." En fait, sa nouvelle théorie sur la question syndicale se marie comme cul et chemise avec sa dépréciation de la contribution de la révolution allemande, qui a précisément mis en évidence le caractère bourgeois des syndicats dans la période de décadence du capitalisme. Cette position du GIGC est une contribution supplémentaire à la confusion politique.
Le GIGC range son article « L’impasse politique du Courant Communiste International [49] (septembre 23) » dans la rubrique de son site intitulée "Lutte contre l'opportunisme", considérant par là-même que, tant notre plateforme que notre organisation, sont opportunistes. Pourtant à l'époque où il s'appelait FICCI, ses membres se prétendaient être les meilleurs défenseurs de la plateforme du CCI, dont le CCI « opportuniste » n’était plus capable d’assumer la défense. Mais voilà que notre plateforme est devenue opportuniste aux yeux du GIGC ! Une incohérence de plus du GIGC, qui ne doit pas masquer que, malgré toutes ses contradictions, il existe une cohérence à sa politique : peu lui importe la plateforme qu'il fait mine de défendre ou qu'il attaque ouvertement, l'essentiel est d’arriver à calomnier et décrédibiliser le CCI.
En conclusion de son texte il déclare que « la confrontation des différentes positions et leur clarification méritent mieux que les insultes et autres dénégations stupides du CCI ». Mais l’ensemble des points traités précédemment réfutent les « contributions à la clarification » dont il s’enorgueillit dans son dernier texte (comme tous les précédents). D’ailleurs, le problème fondamental avec le GIGC ne réside pas dans ses « contributions » politiques ou dans sa critique de celles du CCI, mais se situe fondamentalement dans le fait qu’il constitue un parasite politique au sein du milieu politique prolétarien. Ses prétendus arguments sont des subterfuges ou des mensonges visant à semer le trouble dans ce milieu et à calomnier ses organisations. Mais à force de fourberies il se prend les pieds dans le tapis et alors, pour se tirer d’affaire, il en appelle au débat !
CCI, 30 décembre 2023
[Retour à la série : Le parasitisme politique n'est pas un mythe, le GIGC en est une dangereuse expression [50]]
[1] À travers l'article L’impasse politique du Courant Communiste International [49] (septembre 23)
[2] La pseudo-"critique" de la plateforme du CCI par le GIGC - Un simulacre d’analyse pour discréditer le CCI et sa filiation politique (la Gauche communiste) [51] (août 23)
[3] La citation suivante de notre rapport ne pouvait pourtant pas manquer de susciter la réflexion et le sens du combat politique de tout marxiste conséquent : "Pour ceux qui nous traitent "d'idéalistes", c'est un véritable scandale que d'affirmer qu'un facteur d'ordre idéologique, l'absence d'un projet dans la société, puisse impacter de façon majeure la vie de celle-ci. En réalité, ils font la preuve que le matérialisme dont ils se revendiquent n'est autre qu'un matérialisme vulgaire déjà critiqué en son temps par Marx, notamment dans les Thèses sur Feuerbach. Dans leur vision, les forces productives se développent de manière autonome. Et le développement des forces productives est seul à dicter les changements dans les rapports de production et les rapports entre les classes."
[4] Lire à ce propos Questions d'organisation I : la première internationale et la lutte contre le sectarisme [52] ; II : la lutte de la première internationale contre l' « alliance » de Bakounine [53] ; III : le congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique [54] ; IV : la lutte du marxisme contre l'aventurisme politique [55].
[5] Il importe à ce sujet de relever comment le GIGC tente d'invalider la qualification que nous en faisons, un groupe policier, en invoquant le fait que certains de ses membres n'ont jamais appartenu à la FICCI (voir note de bas de page 5 de l'article du GIGC). Que certaines positions politiques aient changé, que des nouveaux membres soient arrivés, la raison d'être de la FICCI n'a pas changé pour autant, car elle est toujours portée par les éléments exclus de notre organisation notamment pour avoir publié un document interne de 114 pages, reproduisant de nombreux extraits des réunions de notre organe central international, avec la mention des noms des militants, soi-disant pour étayer leurs accusations contre le CCI. Ce document qui livrait consciemment à la police des informations sensibles permettant de favoriser le travail de celle-ci, démontrait en réalité, leur haine contre notre organisation.
Qu'est-ce qui change avec le GIGC ? : "À peine né, ce petit avorton dénommé “Groupe international de la Gauche communiste” lance son cri primal en déchaînant une propagande hystérique contre le CCI, comme en témoigne le placard publicitaire affiché sur son site Web : “Une nouvelle (ultime ?) crise interne dans le CCI !” accompagné bien sûr d’un “Appel au camp prolétarien et aux militants du CCI”. Ce prétendu “Groupe international de la Gauche communiste” sonne le tocsin et crie à tue-tête qu’il est en possession des Bulletins internes du CCI. En exhibant leur trophée de guerre et en faisant un tel tintamarre, le message que ces mouchards patentés cherchent à faire passer est très clair : il y a une “taupe” dans le CCI qui travaille main dans la main avec l’ex-FICCI ! C’est clairement un travail policier n’ayant pas d’autre objectif que de semer la suspicion généralisée, le trouble et la zizanie au sein de notre organisation. Ce sont les mêmes méthodes qu’avait utilisées le Guépéou, la police politique de Staline, pour détruire de l’intérieur le mouvement trotskiste des années 1930" (Communiqué à nos lecteurs: le CCI attaqué par une nouvelle officine de l’État bourgeois [56].)
[6] Voir El caso Vogt: el combate de los revolucionários contra la calumnia I [57] et El caso Vogt: el combate de los revolucionários contra la calumnia II [58]
[7] Lassalle et Schweitzer: la lutte contre les aventuriers politiques dans le mouvement ouvrier [59].
[8] Voir note 5.
[9] Lire notre articles L'aventurier Gaizka a les défenseurs qu'il mérite : les voyous du GIGC [60]. (février 2021)
[11] La pseudo "critique" de la plateforme du CCI par le GIGC - Un simulacre d’analyse pour discréditer le CCI et sa filiation politique (la Gauche communiste)
[12] Dans "Prise de position sur la plateforme du Courant Communiste International [62]". Révolution ou guerre n° 18. Mai 2021.
[13] La plateforme du CCI ne se limite pas à invoquer "la seule impossibilité de réforme dans la décadence" pour fonder le fait que le parlement ne pouvait plus être utilisé par le prolétariat. En effet, elle dit : "La seule fonction qu'il [le parlement] puisse assumer, et qui explique son maintien en vie, est une fonction de mystification. Dès lors, prend fin toute possibilité, pour le prolétariat, de l'utiliser de quelque façon que ce soit. En effet, il ne peut conquérir des réformes devenues impossibles à travers un organe qui a perdu toute fonction politique effective. À l'heure où sa tâche fondamentale réside dans la destruction de l'ensemble des institutions étatiques bourgeoises et donc du Parlement, où il se doit d'établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société bourgeoise, sa participation aux institutions parlementaires et électorales aboutit, quelles que soient les intentions affirmées par ceux qui la préconisent, à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes" (point 8 de la plateforme du CCI. La mystification parlementaire et électorale)."
[14] L’impasse politique du Courant Communiste International [49] (septembre 23) Révolution ou guerre n° 25, rubrique "Lutte contre l'opportunisme".
[15] Rapport sur le rôle du CCI en tant que "Fraction" [63], Revue internationale 156
[16] À travers l'article L’impasse politique du Courant Communiste International [49] (septembre 23)
Le 27 janvier, le CCI a tenu une réunion publique à Madrid, en présentiel et en ligne, sur la contribution de Bilan à la lutte pour le parti mondial du prolétariat. Ce n’était pas un appel à discussion dans le vide, car nous avons pu constater qu’il existe un intérêt pour Bilan dans le milieu politique qui s’était déjà exprimé auparavant à deux reprises à Madrid.
Les organisations communistes d’aujourd’hui ne sont rien sans leur pleine inscription dans la continuité historique critique des organisations communistes du passé. Nous revendiquons deux maillons de cette continuité : Bilan et Internationalisme.(1) Comme nous le disions dans l’annonce de la réunion publique : « le prolétariat a besoin de son parti mondial et pour le former, lorsque ses luttes atteindront une force internationale massive, sa base sera la Gauche communiste dont nous nous réclamons […] La réunion publique que nous proposons vise à susciter un débat afin de dresser un bilan critique de la contribution de Bilan, pour apprécier là où Bilan est pleinement valable, là où il faut le critiquer, là où il faut aller plus loin. Ses forces, ses erreurs, son expérience organisationnelle et théorique sont des matériaux indispensables à la lutte des révolutionnaires d’aujourd’hui ».
Nous invitons les lecteurs à poursuivre le débat par des contributions ou en participant aux réunions publiques et permanences du CCI.
Un participant a engagé le débat en déclarant que le marxisme est quelque chose de dogmatique, d’immuable. Pour lui, le marxisme ne doit pas prendre en compte l’évolution de la situation historique mais doit rester figé et bloqué sur des positions affirmées dès les origines du marxisme. Il s’est lui-même qualifié à cet égard de « sclérosé » et même de « trapézoïde » et est allé jusqu’à dire que seuls les morts changent. Les participants sur place et ceux qui ont participé par Internet ont avancés les arguments suivants contre ce point de vue :
– Dans le marxisme il y a des positions de base et des principes qui ne changent pas et ne changeront pas : que la lutte des classes est le moteur de l’histoire, que la lutte de classe du prolétariat est la seule qui puisse mener au communisme, que chaque mode de production, et donc aussi le capitalisme, connaît une époque ascendante et une époque de décadence, que la destruction du capitalisme est nécessaire pour construire le communisme, que la constitution d’un parti mondial est indispensable pour le prolétariat, que le marxisme joue un rôle moteur dans le développement de la conscience de classe, etc.
– Cependant, à partir de ces fondations qui constituent son socle, le marxisme se développe en répondant aux nouveaux problèmes posés par l’évolution du capitalisme et de la lutte de classe, mais aussi en corrigeant les éventuelles erreurs, insuffisances ou limitations liées à chaque époque historique. Cette approche est fondamentale en science, mais elle est plus vitale encore pour le prolétariat qui doit, en tant que classe à la fois exploitée et révolutionnaire, développer son combat pour le communisme en se frayant un chemin à travers d’innombrables erreurs et faiblesses, en tirant les leçons de ses luttes et de ses défaites, en critiquant impitoyablement ses erreurs. Il doit d’autant plus développer son combat en s’appuyant sur une démarche pleinement consciente qu’il ne possède rien d’autre que sa force de travail et qu’il ne peut, contrairement aux classes historiques du passé, développer son projet sans détruire de fond en comble le capitalisme comme extirper les racines de toutes les sociétés d’exploitation.
– Cela s’applique également à ses organisations révolutionnaires, qui doivent être capables d’analyser de manière critique les positions antérieures et leurs propres positions. Ainsi, Marx et Engels ont corrigé en 1872, à la lumière de l’expérience de la Commune de Paris, l’idée que l’État devait être repris tel qu’il était à la classe dominante pour mettre en avant la nouvelle leçon historique qui venait d’être si chèrement acquise par le prolétariat : la nécessité absolue de détruire l’État bourgeois antérieur. Lénine, dans les Thèses d’avril, a mis en avant la nécessité de modifier le programme du parti en y intégrant la position de la nature mondiale et socialiste de la révolution et de la prise du pouvoir par les soviets.
C’est une grave irresponsabilité que de rester dogmatiquement accroché à des positions qui ne sont plus valables. Les partis sociaux-démocrates n’ont voulu appréhender ni la décadence du capitalisme, ni les conséquences qui en découlaient : la fin de la possibilité d'arracher par la lutte à ce système d’exploitation des améliorations et des réformes durables, ni la nature de la guerre impérialiste, ni la grève de masse, etc. Cela les a menés à la trahison. L’Opposition de Gauche de Trotsky s’est dogmatiquement cramponnée à la défense inconditionnelle du programme des 4 premiers congrès de l'IC, ce qui l'ont plongée dans l'opportunisme, et ne s’est jamais rattachée à une démarche critique de la vague révolutionnaire de 1917-1924. Finalement, après la mort de Trotsky, le trotskisme a trahi l’internationalisme prolétarien en soutenant un des camps impérialistes en présence au moment de la Seconde Guerre mondiale et est passé ainsi dans le camp bourgeois.
Une organisation prolétarienne qui n’est pas capable d’une évaluation critique impitoyable de sa propre trajectoire et de celle des organisations précédentes du mouvement ouvrier est condamnée à périr ou à trahir. Bilan nous donne la méthode d’une telle évaluation critique dans l’article « Vers une Internationale deux et trois quarts ? » (Bilan n° 1, novembre 1933) en réponse à l’Opposition de Gauche de Trotsky : « À chaque période historique de la formation du prolétariat en tant que classe, la croissance des objectifs du Parti devient évidente. La Ligue des communistes marchait avec une fraction de la bourgeoisie. La première internationale ébauchera les premières organisations de classe du prolétariat. La Deuxième Internationale fondera les partis politiques et les syndicats de masse des travailleurs. La Troisième Internationale réalisera la victoire du prolétariat en Russie.
À chaque période, nous verrons que la possibilité de former un parti est déterminée sur la base des expériences précédentes et des nouveaux problèmes qui se sont posés au prolétariat. La Première Internationale n’aurait jamais pu être fondée en collaboration avec la bourgeoisie radicale. La Deuxième Internationale n’aurait pas pu être fondée sans la notion de la nécessité de regrouper les forces prolétariennes dans des organisations de classe. La Troisième Internationale n’aurait pas pu être fondée en collaboration avec les forces agissant au sein du prolétariat pour le conduire non pas à l’insurrection et à la prise du pouvoir, mais à la réforme graduelle de l’État capitaliste. À chaque époque, le prolétariat peut s’organiser en classe, et le parti peut se fonder sur les deux éléments suivants :
1. la conscience de la position la plus avancée que le prolétariat doit occuper, l’intelligence des nouvelles voies à emprunter.
2. La délimitation croissante des forces qui peuvent agir en faveur de la révolution prolétarienne ».
Ce travail ne se fait pas en partant de zéro, en prenant pour référence les nouveaux développements isolés, ou en examinant les erreurs possibles sans les confronter aux positions antérieures. Il se fait sur la base d’un examen critique rigoureux des positions antérieures, en voyant ce qui est valable, ce qui est insuffisant ou dépassé, et ce qui est erroné, nécessitant l’élaboration d’une nouvelle position. Un participant, attiré par le miroir aux alouettes des théorisations sur « l’invariance du programme communiste », a proposé d’adapter le marxisme aux théories modernes du comportement humain et de la psychologie, en le combinant avec les nouvelles découvertes scientifiques. Cependant, la méthode marxiste n’opère pas un « changement de position », ni ne s’adapte à des idées apparemment nouvelles, mais procède à un développement et à une confrontation rigoureuse de la réalité avec son propre cadre de départ, ce qui l’enrichit et l’emmène beaucoup plus loin.
Le participant qui se disait « invariant » a qualifié l’écrasement de Kronstadt de « victoire du prolétariat » et justifiait la répression de Kronstadt en disant que le parti doit imposer sa dictature à la classe. Cette position nous a paru être une monstruosité et nous l’avons mise en avant de la façon suivante, avec le soutien et la participation active de plusieurs autres intervenants. La classe ouvrière n’est pas une masse informe à laquelle il faudrait donner des coups de pied ou de trique pour la faire avancer et la « libérer ». Il est évident que derrière cette défense aveugle de la répression de Kronstadt se cache une vision totalement erronée du parti du prolétariat et de sa relation avec la classe. Le parti prolétarien n’est pas, comme les partis bourgeois, un candidat au pouvoir d’État, un parti d’État. Sa fonction ne peut être d’administrer l’État, ce qui altérera inévitablement son rapport à la classe en un rapport de force, alors que son apport consiste à l’orienter politiquement. En devenant un administrateur de l’État, le parti changera imperceptiblement de rôle pour devenir un parti de fonctionnaires, avec tout ce que cela implique comme tendance à la bureaucratisation. Le cas des bolcheviks est tout à fait exemplaire à cet égard.
Selon un point de vue de « bon sens » logique qui survit dans certaines parties du milieu prolétarien : « le parti étant la partie la plus consciente de la classe, la classe doit lui faire confiance, de sorte que c’est le parti qui naturellement et automatiquement prend le pouvoir et l’exerce ». Cependant, « le parti communiste est une partie de la classe, un organisme que, dans son mouvement, la classe engendre et se donne pour le développement de sa lutte historique jusqu’à la victoire, c’est-à-dire jusqu’à la transformation radicale de l’organisation et des rapports sociaux pour fonder une société qui réalise l’unité de la communauté humaine mondiale ». (2) Si le parti s’identifie à l’État, non seulement il nie le rôle historique du prolétariat dans son ensemble au profit d’une conception bourgeoise de la direction de la société, mais il nie aussi son rôle spécifique indispensable au sein du prolétariat pour pousser avec méthode, bec et ongles, le développement de la conscience du prolétariat, non pas dans un sens conservateur, mais dans la perspective de la révolution et du passage au communisme.
De plus, Bilan, tout en agissant avec plus de prudence et de circonspection sur d’autres questions, avait une position très claire dans sa défense des principes prolétariens pour s’opposer fermement au recours à la violence dans le règlement des problèmes et des différends pouvant surgir au sein même de notre classe : « Il peut y avoir une circonstance dans laquelle une partie du prolétariat – et nous accordons qu’elle peut même avoir été prisonnière involontaire des manœuvres de l’ennemi – peut en venir à combattre l’État prolétarien. Comment faire face à cette situation, en partant de la question de principe que le socialisme ne peut pas être imposé par la force ou la violence au prolétariat ? Il valait mieux perdre Kronstadt que de la conserver du point de vue géographique, car, sur le fond, une telle victoire pouvait avoir plus d’un résultat : altérer les bases mêmes, la substance de l’action menée par le prolétariat ». (3)
La révolution mondiale connaîtra de nombreux épisodes compliqués mais pour défendre son orientation et son développement, elle devra défendre fermement les principes fondamentaux dans les actions du prolétariat. L’un d’entre eux est immuable et invariable : il ne peut et ne doit jamais y avoir de rapports de violence au sein de la classe ouvrière, à plus forte raison en agissant en son nom pour exercer et justifier une répression contre une partie d’entre elle, à plus forte raison lorsque celle-ci représente une tentative de défendre la révolution. L’écrasement de Kronstadt a accéléré l’engagement dans la voie menant vers la dégénérescence et la défaite de la révolution en Russie et vers la destruction de la substance prolétarienne détériorée du parti bolchevik.
D’autres discussions très intéressantes et polémiques ont eu lieu, et pas seulement à propos des positions supposées « invariantes ». Nous avons insisté sur la différence substantielle entre la méthode organisationnelle, théorique et historique de Bilan par rapport à celle de l’Opposition de Gauche de Trotsky : (4)
- Bilan est resté fidèle au principe de la lutte contre la déformation des principes par l'idéologie bourgeoise. Alors que l'Opposition de gauche se réclamait des Congrès de l'IC qui théorisaient l'opportunisme et faisaient le lit du stalinisme, les fractions de Gauche firent la critique de toutes ces théorisations opportunistes qui se sont manifestées et développées à partir du Deuxième Congrès. Elles ont mené une patiente lutte polémique pour tenter de convaincre le maximum de forces militantes enfermées dans le cadre opportuniste des “tactiques” de l'Opposition de Gauche.
- Bilan a été capable de faire une critique profonde et rigoureuse, qui lui a permis de tirer des leçons sur des positions erronées de l’IC qui ont ensuite conduit cette dernière à la trahison, comme la tactique de Front unique, la défense des luttes de libération nationale, la lutte démocratique, les milices partisanes... lui permettant de préserver la défense de positions révolutionnaires dans la classe pour l'avenir, dans la lignée des positions défendues par la Gauche communiste.
– Son analyse du rapport de forces entre les classes a été vitale pour déterminer la fonction des organisations révolutionnaires lors de cette période, par opposition à « l’influence permanente sur les masses » que l’Opposition cherchait à gagner à tout prix.
Il existe également des différences substantielles entre la conception de Bilan et celle du KAPD allemand, bien que toutes deux s'inscrivent dans le cadre des positions défendues par la Gauche communiste. Le KAPD, et c’était sa très grande faiblesse, ne s’appuyait pas sur une analyse historique, il rejetait même la continuité du lien révolutionnaire de ses positions avec la révolution d'octobre et négligeait totalement la question organisationnelle. En d’autres termes, c’est Bilan qui nous a légué sa vision du travail politique et organisationnel EN TANT QUE FRACTION : « La fraction est l’organe qui permet la continuité de l’intervention communiste dans la classe, même dans les périodes les plus sombres où cette intervention n’a pas d’écho immédiat. Toute l’histoire des fractions de la Gauche communiste le démontre amplement. À côté de la revue théorique “Bilan”, la fraction italienne publiait un périodique en italien, “Prometeo”, dont le tirage en France était supérieur à celui des trotskistes français, pourtant si adeptes du militantisme ». (5) De même, la Fraction a pour rôle essentiel de poser les bases de la construction du futur parti mondial prolétarien et d’être en mesure d’analyser les mesures concrètes à prendre et le moment où il est nécessaire de commencer à lutter pour la formation directe de celui-ci.
Dans le cadre du travail conçu comme celui d’une fraction, tel que le défendait Bilan, la discussion des réunions publiques doit avoir une orientation MILITANTE et ne pas rester un rassemblement où chacun émet sa propre « opinion », sans parvenir à aucun résultat. Cela a été interprété de la part du participant autodéclaré "sclérosé" comme une manifestation de sectarisme du CCI, un mode de discussion et de recrutement sur une base sectaire et, sous ce prétexte, il s'est opposé aux conclusions tirées et a quitté la réunion en trombe avant de les avoir entendues, entraînant après lui le compagnon avec lequel il était arrivé. (6)
Une réunion prolétarienne doit pouvoir tirer des conclusions qui comprennent le rappel des points d’accord et des points de désaccord dans la discussion, délimitant ainsi consciemment où elle est arrivée ou encore les questions abordées sur lesquelles il y a eu des avancées dans la clarification, et établissant un pont vers d’autres discussions à venir. Dans ce sens, nous avons insisté auprès des deux fuyards pour qu'ils restent afin de présenter leurs éventuels désaccords avec les conclusions. Nous n'avons malheureusement pas réussi à les convaincre car, apparemment, leur goût pour l’éclectisme informel est aussi un principe inamovible !
CCI, février 2024
1Nous nous sommes félicités en particulier de la publication en espagnol de onze numéros de Bilan : « La continuidad histórica, una lucha indispensable y permanente para las organizaciones revolucionarias [75] », publié sur le site du CCI em espagnol (2023).
2 « El partido desfigurado: la concepción bordiguista [76] » Revista internacional nº 23 (1980) et « El Partido y sus lazos con la clase [77] », Revista internacional nº 35 (1983).
3 « La question de l’État », Octobre n°2 (1938).
4 « ¿Cuáles son las diferencias entre la Izquierda Comunista y la IVª Internacional? [78] », publié sur le site du CCI (2007).
5 « La relación entre Fracción y Partido en la tradición marxista II – La Izquierda comunista internacional, 1937-1952 » [79]Revista internacional n.º 61 [79].
6 Il est clair qu’ils ont également oublié le principe de la Gauche communiste de lutter jusqu’au bout au sein du milieu prolétarien afin d’en tirer le plus de clarté et d’enseignements possibles. Nous trouvons très étrange qu’ils revendiquent une continuité avec Bilan, alors qu’il aurait été beaucoup plus cohérent et productif pour la lutte de notre classe qu’ils expriment ouvertement leurs désaccords évidents avec Bilan. Au lieu de cela, ils ont préféré éviter la confrontation des arguments.
Sans un parti révolutionnaire, il ne peut y avoir de révolution réussie. Le combat pour le parti révolutionnaire se pose toujours à un niveau international et historique, découlant de la position du prolétariat en tant que classe exploitée à l’échelle internationale et classe révolutionnaire. Mais il est également important d’examiner les conditions spécifiques (à la fois historiques et géographiques) dans lesquelles cette lutte a lieu. Depuis longtemps, les révolutionnaires en Grande-Bretagne sont ainsi confrontés à la faiblesse de la tradition marxiste et à la force des illusions réformistes. Ces particularités ont rendu la lutte pour le parti de classe dans ce pays particulièrement ardue.
La formation du parti de demain repose, en partie, sur la capacité des révolutionnaires d’aujourd’hui à tirer un maximum de leçons de l’expérience du mouvement ouvrier. C’est pourquoi, la série d’articles (initialement publiée dans World Revolution d’octobre 1996 à septembre 2000) que nous rassemblons ci-dessous vise à fournir un cadre pour comprendre les difficultés qui se sont exprimées dans le combat pour le parti de classe au sein du prolétariat en Grande-Bretagne. D’autant que ce dernier possède une longue histoire, et fait partie des plus expérimentés et combatifs, comme le confirment les nombreux mouvements de grève de ces dernières années et qui ont marqué le premier pas d’une véritable reprise internationale de la lutte de classe. Après 40 ans d’atonie, le prolétariat britannique, comme ses frères de classe ailleurs dans le monde, devra poursuivre son combat et se réapproprier les leçons des expériences du passé pour construire le futur parti mondial indispensable à la lutte révolutionnaire.
CCI, 4 mars 2024
Dans le Manifeste inaugural de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) de 1864, Marx écrivait à propos du parti et de la classe ouvrière : « Il est un élément de succès que ce parti possède : il a le nombre. Mais le nombre ne pèse dans la balance que s’il est uni par l’association et guidé par la connaissance ». Il résumait ainsi les conditions fondamentales du succès de la lutte du prolétariat. La tâche principale de la classe ouvrière était énoncée tout aussi succinctement : « La conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe ouvrière ».
Dès son origine, le prolétariat a, en effet, lutté pour défendre ses intérêts, d’abord par des actions dispersées, puis en prenant de plus en plus conscience de sa force par la combinaison de l’action des syndicats et des organisations politiques. Telle fut sa première tâche et l’objectif fondamental de l’AIT, au sein de laquelle prirent place de nombreuses organisations variées et opposées. (1)
À la fin du XIXe siècle, une situation très différente se présenta : l’économie se développait avec une vigueur jamais vue auparavant et la bourgeoisie s’enrichissait. Cette situation tendait à favoriser la lutte du prolétariat et celui-ci vit de réelles améliorations de ses conditions de vie et de ses droits politiques : « Le prolétariat s’affirme comme force sociale dans la société, même en dehors des moments de lutte ouverte. Il y a toute une vie ouvrière au sein de la société : il y a les syndicats (qui sont des “écoles de communisme”), mais il y a aussi des clubs ouvriers où on parle de politique, il y des “universités ouvrières” où l’on apprend aussi bien le marxisme qu’à lire et écrire, (Rosa Luxembourg et Pannekoek furent enseignants dans la social-démocratie allemande), il y a des chansons ouvrières, des fêtes ouvrières où l’on chante, danse et parle du communisme ». (2)
Les partis sociaux-démocrates et les syndicats étaient « les produits et les instruments des combats de cette période ». La social-démocratie « n’a fait que développer et organiser un mouvement réel qui existait bien avant elle, et s’est développé indépendamment d’elle ». (3) Ainsi, l’activité des partis sociaux-démocrates ne constituait nullement une concession à la bourgeoisie (même si des tendances réformistes apparaissaient) mais plutôt l’activité politique nécessaire au prolétariat dans cette étape de sa lutte et du développement du capitalisme alors ascendant. En pratique, la stratégie de la classe ouvrière s’exprimait dans le concept des programmes « minimum » et « maximum », dont Rosa Luxemburg expliquait ainsi le lien : « Selon la conception courante du parti, le prolétariat parvient, par l’expérience de la lutte syndicale et politique, à la conviction de l’impossibilité de transformer de fond en comble sa situation au moyen de cette lutte et de l’inéluctabilité d’une conquête du pouvoir ». (4)
Dans quelle mesure la situation qui existait en Grande-Bretagne s’inscrivait-elle dans le cadre que nous venons d’esquisser ?
La position de la Grande-Bretagne en tant que premier pays industriel lui a donné un avantage économique qui a duré plusieurs décennies. Cette situation en a également fait le berceau du mouvement ouvrier à travers, notamment, ce que Marx et Engels ont décrit comme le premier parti politique de la classe ouvrière : le chartisme. Les chartistes représentaient la première tentative consciente de la classe ouvrière de s’affirmer sur le terrain politique. Ils considéraient la lutte pour le suffrage universel comme un moyen pour la classe ouvrière d’accéder au pouvoir, ce qui était une expression de l’immaturité de la lutte à ce stade. Le mouvement chartiste s’est éteint après 1848 et, si les syndicats sont restés forts en Grande-Bretagne, ils ont de plus en plus eu tendance à se tourner vers le réformisme et leur influence ne s’est pas répandue au-delà des ouvriers qualifiés. Aucune organisation politique indépendante n’est apparue pour prendre la place des chartistes. Le mouvement ouvrier est devenu, selon la célèbre phrase d’Engels, « la queue du “Grand parti libéral” », (5) ses dirigeants étant des « coquins » « à la solde de la bourgeoisie ». (6)
« Après les crises cycliques de croissance qui, presque tous les 10 ans, avaient frappé le système de 1825 à 1873, le capitalisme connaît jusqu’en 1900, près de 30 ans de prospérité quasi ininterrompue ». (7) Cependant, au cours de cette prospérité, des signes de changements majeurs dans l’économie apparaissent, notamment en Grande-Bretagne où un ralentissement de la croissance a entraîné des difficultés pour les capitalistes et des privations pour une partie de la classe ouvrière. Engels a retracé cette évolution en détail et a conclu que le monopole industriel de la Grande-Bretagne était en train de prendre fin, avec de graves conséquences pour la classe ouvrière.
Dans ce contexte, il percevait également le développement de conditions qui exigeaient que la classe ouvrière reprenne le travail de ses prédécesseurs chartistes : « La vérité est la suivante : pendant la période du monopole industriel de l’Angleterre, la classe ouvrière anglaise a, dans une certaine mesure, partagé les bénéfices du monopole. Ces bénéfices ont été très inégalement répartis. La minorité privilégiée a, certes, empoché le plus, mais même la grande masse a bénéficié au moins temporairement d’une part de temps à autre. Et c’est la raison pour laquelle, depuis l’extinction de l’owenisme, il n’y a pas eu de socialisme en Angleterre. Avec l’effondrement de ce monopole, la classe ouvrière anglaise perdra cette position privilégiée ; elle se retrouvera généralement (à l’exception de la minorité privilégiée et dirigeante) au même niveau que ses collègues étrangers. Et c’est la raison pour laquelle il y aura à nouveau des socialistes en Angleterre ». (8) Engels cherchait à éclairer ce renouveau par une série d’articles dans le Labour Standard, dans lesquels il défend l’importance des syndicats, mais montre aussi leurs limites et plaide pour la création d’un parti ouvrier indépendant. Dix ans plus tard, après avoir assisté à la célébration du 1er mai à Londres, il déclare que « le 4 mai 1890, le prolétariat anglais, se réveillant de quarante ans d’hibernation, a rejoint le mouvement de sa classe ». (9)
La raison fondamentale de ce changement réside dans la résurgence de la lutte des classes, marquée notamment par une série de grèves victorieuses parmi les travailleurs non qualifiés. Ces grèves ont permis non seulement d’augmenter les salaires, mais aussi de réduire considérablement la durée de la journée de travail. Engels attache une importance particulière à la participation des ouvriers de l’East End de Londres à ces grèves : « Si ces hommes opprimés, la lie du prolétariat, ces hommes à tout faire, se battant tous les matins aux portes des docks pour être engagés, s’ils peuvent combiner et terrifier par leur résolution les puissantes compagnies de dockers, alors vraiment nous ne devons désespérer d’aucune partie de la classe ouvrière ». (10)
Les nouveaux syndicats créés par ces ouvriers pour mener leurs batailles étaient fortement influencés par des socialistes comme Eleanor Marx et Edward Aveling et par des membres de la Fédération sociale-démocrate comme Will Thorne et, en tant que tels, ils différaient nettement des anciens syndicats d’ouvriers qualifiés dont les dirigeants étaient encore liés au parti libéral.
Au début des années 1880, il n’existe aucune organisation révolutionnaire significative en Grande-Bretagne. Quelques survivants du chartisme et de l’owenisme continuent à se réunir, de petits groupes locaux de socialistes vont et viennent, tandis qu’à Londres, des révolutionnaires exilés d’Allemagne et d’Autriche se regroupent et parviennent même à publier un journal hebdomadaire : Freiheit.
En 1881, une réunion de divers groupes radicaux aboutit à la fondation de la Fédération démocratique sous la direction de Henry Meyers Hyndman, qui se considérait comme un socialiste. La Fédération s’élargit progressivement et attire de nouveaux membres, tels que William Morris, Edward Aveling, Eleanor Marx et Ernest Belfort Box, qui cherchent à la faire évoluer vers le socialisme. En 1884, ces efforts aboutissent à ce que la Fédération soit rebaptisée « Social Democratic Federation » (SDF).
Le programme de la fédération appelle à « la socialisation des moyens de production, de distribution et d’échange, qui seront contrôlés par un État démocratique dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté, et l’émancipation complète du travail de la domination du capitalisme et de la propriété foncière, avec l’établissement de l’égalité sociale et économique entre les sexes ». (11) Des points particuliers exigeaient des réformes sur le temps de travail, dans l’emploi des enfants, en faveur d’une éducation gratuite et pour une armée citoyenne. Un journal hebdomadaire, Justice, est lancé et des réunions publiques hebdomadaires sont organisées. Engels considérait cette formation comme opportuniste, lancé sans préparation financière ou littéraire suffisante et écrit par des gens « qui prennent en main la tâche d’instruire le monde sur des sujets dont ils sont eux-mêmes ignorants ». (12) Engels reprochait surtout à la SDF de ne pas comprendre la classe ouvrière ou de ne pas avoir de relations avec elle. Ceci est illustré par l’attitude d’Hyndman à l’égard des syndicats et des grèves que ce dernier décrit comme « différentes formes d’agitation liées à l’ignorance de la classe ouvrière, ou des révoltes désespérées contre une oppression supportable [qui] ne servent qu’à resserrer plus fermement sur leurs membres, les chaînes peut-être un peu dorées de l’esclavage économique ». (13) Le fait qu’il n’y ait aucune reconnaissance du rôle des syndicats dans le développement de la conscience et de l’auto-organisation de la classe ouvrière, qu’Engels avait exposé dans les articles du Labour Standard, reflète de la part d’Hyndman une conception de la classe ouvrière comme une masse inerte qui pouvait réagir aux événements mais qui avait besoin de la direction de leaders (comme lui) pour réaliser quelque chose de constructif. Cela devait être accompli par la propagande et, surtout, par la participation aux élections.
Si d’autres socialistes de l’époque partagent son schématisme, les efforts d’Hyndman pour manipuler le mouvement ouvrier afin de favoriser sa propre carrière et, surtout, de se faire une place dans l’histoire en tant que « père du socialisme britannique », ont fait de lui un aventurier.
Hyndman avait auparavant été un entrepreneur, se lançant dans le journalisme en Australie, le tourisme en Polynésie et la spéculation financière en Amérique. Au début de l’année 1880, il se trouve en Grande-Bretagne, à la recherche d’un point d’ancrage dans la politique. Il fait la promotion d’un renouveau radical du Parti conservateur auprès du Premier ministre Disraeli et se présente en tant que Tory indépendant aux élections de mars de la même année, au cours desquelles il déclare son opposition à l’autonomie irlandaise, son soutien aux colonies et à une augmentation des effectifs de la marine. (14) Il s’est finalement « converti » au marxisme après avoir lu Le Capital de Marx lors d’un voyage en Amérique suite à l’échec de ces efforts. À son retour, il cherche à rencontrer Marx et, selon les mots de ce dernier, « s’est introduit chez moi ». (15) Lors de la fondation de la SDF, la plateforme programmatique de l’organisation (intitulée « L’Angleterre pour tous » et rédigée par Hyndman) fut distribuée à tous les participants. De grandes parties de ce texte ont été extraites du Capital à l’insu de Marx et sans son consentement, et contiennent des erreurs et des imprécisions. Face aux critiques de Marx, Hyndman s’excusa au motif que « les Anglais n’aiment pas à apprendre chez les étrangers » et que « beaucoup ont horreur du socialisme », ou encore que « le nom de Marx est exécré ». (16) Repoussé par Marx, Hyndman tente d’amadouer Engels, mais ce dernier refuse tout contact tant que la situation avec Marx n’est pas réglée et reste par la suite très critique envers Hyndman.
Cette attitude est souvent présentée comme une animosité personnelle, découlant de la défense de son ami par Engels. En réalité, elle découle d’une analyse politique que Marx et Engels partageaient. Marx résume son point de vue dans la lettre à Sorge que nous avons déjà citée : « Tous ces aimables écrivains de la classe moyenne […] ne pensent qu’à s’enrichir, se faire un nom ou acquérir une influence politique le plus rapidement en se faisant les chantres d’une pensée nouvelle qu’ils ont pu acquérir par une quelconque aubaine favorable. Ce type m’a fait perdre beaucoup de temps par des virées nocturnes où il apprenait de la façon la plus simple qui soit ». Dans les années qui suivirent, Engels, avec l’avantage d’une connaissance plus approfondie, a pu identifier Hyndman assez précisément comme un carriériste et un aventurier. (17)
Dès le début, des tensions apparurent au sein de la SDF causées en grande partie par l’attitude dictatoriale d’Hyndman, mais aussi du fait de différents politiques dont, en particulier, l’accent exclusif attribué au travail dans le Parlement et au nationalisme persistant d’Hyndman.
Les tensions se transformèrent par la suite en lutte ouverte lorsque les manœuvres d’Hyndman en Écosse furent découvertes. Celles-ci comprenaient des tentatives de diffamation à l’encontre d’Andreas Scheu, l’un des adversaires les plus implacables d’Hyndman, et l’envoi de lettres au nom de l’exécutif du parti, non approuvées par ce dernier et qui allaient même à l’encontre de ses décisions. Hyndman fit également circuler des rumeurs selon lesquelles Eleanor Marx et Laura Lafargue (deux des filles de Karl Marx) avaient comploté contre lui. Lors d’une réunion de l’exécutif, les preuves contre Hyndman furent présentées et une motion de censure fut adoptée de peu. La courte majorité, qui comprenait Morris, Aveling, Eleanor Marx et Bax, démissionna alors de l’exécutif pour former la Ligue socialiste : « puisqu’il nous semble impossible de guérir cette discorde, nous […] pensons qu’il est préférable dans l’intérêt du socialisme de cesser d’appartenir au conseil ». (18) Pour Engels, deux autres raisons ont poussé la majorité à cette décision : la possibilité que Hyndman revienne sur ce vote lors d’une conférence ultérieure en la remplissant de délégués fictifs et le fait « que toute la Fédération n’était, après tout, pas mieux qu’un racket ».
Cependant, la conséquence fut que Hyndman resta en sécurité au sein de l’exécutif et continua à contrôler le journal et toutes les branches de la SDF.
Dès le départ, cette situation plaça la Ligue socialiste dans une position de faiblesse, mais permis néanmoins une avancée significative par rapport à la SDF dans un certain nombre de domaines :
– elle rejetait tout nationalisme et chauvinisme, déclarant fermement la nécessité de l’internationalisme : « La Ligue socialiste […] vise à la réalisation d’un socialisme révolutionnaire complet, et sait bien que cela ne pourra jamais se produire dans un pays sans l’aide des travailleurs de toutes les civilisations » ; (19)
– elle défendait la participation active, consciente, de la classe ouvrière à la révolution : « Le mécontentement ne suffit pas […]. Les mécontents doivent savoir ce qu’ils visent. [Cela] doit être, non pas une révolution ignorante, mais une révolution intelligente » ; (20)
– elle adopte une vision plus réaliste du travail à accomplir, en publiant son journal, The Commonweal, de façon mensuelle plutôt qu’hebdomadaire : « Ils vont enfin opérer modestement et conformément à leurs capacités, et ne pas continuer à prétendre que le prolétariat anglais doit instantanément sauter dès que la trompette est sonnée par quelques littérateurs convertis au socialisme ». (21)
Cependant, la Ligue était également marquée par des faiblesses importantes, qui provenaient essentiellement de son incapacité à lier la lutte pour la révolution aux intérêts immédiats de la classe ouvrière. C’était déjà le cas avec la SDF, mais la Ligue socialiste alla encore plus loin, rejetant finalement toutes les réformes, en particulier la participation aux élections, au nom d’une révolution pure et simple. Si on peut attribuer en partie cela au dégoût des fondateurs face aux manœuvres de Hyndman, cela reflète plus fondamentalement leur isolement et leur manque de compréhension de la classe ouvrière. Engels le souligne lorsqu’il décrit Aveling, Bax et Morris comme « trois hommes aussi peu pratiques, deux poètes et un philosophe, qu’il est possible de trouver ». (22)
La deuxième partie de cette série examinera le développement de la SDF et de la Ligue socialiste à la fin des années 1880 et leur relation avec le mouvement ouvrier au sens large.
Publié pour la première fois dans World Revolution n° 198 (octobre 1996).
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1Cf. « La Première Internationale et la lutte contre le sectarisme [52] », Revue internationale n° 84 (1996).
2« Comprendre la décadence du capitalisme (partie 3) : la nature de la social-démocratie [91] », Revue internationale n° 50, (1987).
3Ibid.
4Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou Révolution (1898-1899).
5Marx et Engels « Un parti des travailleurs », Collected works vol. 24 (traduit par nous).
6Marx et Engels « Engels à Sorge » et « Engels à Wilhelm Liebknecht », Collected works vol. 45 (traduit par nous).
7« Comprendre la décadence du capitalisme (partie 3) : la nature de la social-démocratie [91] », Revue internationale n° 50, (1987).
8Marx et Engels « L’Angleterre en 1845 et en 1885 », Collected works vol. 26 (traduit par nous).
9Marx et Engels « Le 4 mai à Londres », Collected works vol. 27 (traduit par nous).
10Marx et Engels « À propos de la grève des dockers de Londres », Collected works vol. 26 (traduit par nous).
11Traduit par nous.
12Marx et Engels « Engels à Laura Lafargue, février 1884 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
13Cité dans F.J. Gould, Hyndman : Prophet of Socialism (traduit par nous).
14« The special heritage of our working class », cité par E.P. Thompson, in William Morris : Romantic to Revolutionary (traduit par nous).
15Marx et Engels « Marx à Sorge, décembre 1881 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
16Marx et Engels « Marx à Hyndman, juillet 1881 », Collected works vol. 46 (traduit par nous).
17Marx et Engels « Engels à Bernstein, décembre 1884 », Collected works vol. 47.
18Cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
19« Manifesto of the Socialist League », cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
20William Morris, cité par Thompson, op.cit (traduit par nous).
21Marx et Engels « Engels à Bernstein, décembre 1884 », Collected works vol. 47 (traduit par nous).
22Ibid. (traduit par nous).
Nous publions ci-dessous le second bulletin de discussion suite à la Déclaration commune contre la guerre de plusieurs groupes de la Gauche communiste. Ce positionnement et le débat international sont d'une grande importance face à une question aussi cruciale que celle de la défense de l'internationalisme prolétarien défendu traditionnellement par la Gauche communiste. Du fait de cette importance, ce document sera également traduit ultérieurement et publié dans une version française sur notre site.
- Communist Left discussion bulletin n°2 [93]
Enfin, des résistants « communistes » (entendez par là : « stalinien ») font leur entrée au Panthéon ! Durant tout le mois de février, dans tous les médias, on a parlé que de cela en boucle et célébré « l’Union sacrée » autour de la tombe du « héros ». Pour les députés de gauche qui défendaient ce dossier depuis 2010, c’est la consécration : « un grand moment de consensus » selon le porte-parole de l’Élysée, une « juste réparation mémorielle » d’après le député PCF, Pierre Dharréville. Le gouvernement Macron se gargarise : c’est par lui que sera faite la reconnaissance officielle des hauts faits d’armes et du « soutien à la France » par des combattants du Parti communiste français. La droite et la gauche du capital se sont retrouvés main dans la main pour célébrer le « héros ».
Comme à chaque panthéonisation, le choix du panthéonisé n’est pas dû au hasard des convictions du Président en place. Non, ces campagnes idéologiques savamment orchestrées servent toujours les intérêts idéologiques de l’État bourgeois : la bourgeoisie renforce le bourrage de crâne nationaliste en martelant une propagande valorisant la défense de la « démocratie » et l’esprit de sacrifice « pour la Patrie »… Porter aux nues ce résistant mort pour la défense de la liberté capitaliste alors qu’il luttait contre le fascisme permet de jouer sur la corde sensible de l’héroïsme et de l’abnégation.
Macron peut aussi compter sur les célébrations autour du cercueil de Manouchian pour l’aider à discréditer le RN tout en tentant de rassembler un peu l’électorat autour de lui. Effectivement, le parti populiste de Marine Le Pen ne cesse de monter dans les sondages, tout comme bon nombres de partis populiste en Europe et dans le monde. Et c’est pourquoi Macron l’attaque sur un de ses points faibles : son histoire. La question centrale de cet événement est d’ailleurs très vite devenue : est-ce que, oui ou non, le RN, compte-tenu de son passé, doit participer à la cérémonie ? La panthéonisation s’inscrit dans toute une série de manœuvres visant à renforcer la propagande contre les partis populistes, comme on a pu le voir récemment en Allemagne avec les immenses manifestations contre le « fascisme ». (1)
Toute cette campagne puante n’a fondamentalement qu’un seul but mensonger : celui de faire rentrer dans la tête des ouvriers que l’on peut être « communiste et patriote », que l’on peut être « communiste et participer de son plein gré à la guerre ».
Le PCF, auquel a pleinement adhéré Manouchian, avait trahi depuis bien longtemps le camp prolétarien en passant à la contre-révolution stalinienne. En août 1936, il proclamait à propos de la guerre en Espagne : « Notre parti frère a prouvé à maintes reprises que la lutte actuelle en Espagne ne se déroule pas entre capitalisme et socialisme, mais entre fascisme et démocratie » (sic !) « Dans un pays comme l’Espagne […], la classe ouvrière et tout le peuple ont […] comme seule tâche possible […] non pas de réaliser la révolution socialiste, mais de défendre, de consolider et de développer la révolution bourgeoise démocratique ». (2)
Le PCF s’est prostitué au capital en amenant les ouvriers à s’enrôler dans la guerre, au service d’un bloc militaire capitaliste, au travers une campagne idéologique anti-fasciste assourdissante. En 1939, après la signature du Pacte Germano-Soviétique, le même PCF, obéissant à la même logique d’intérêts impérialistes, a changé de camps appelant « à la fraternisation avec les prolétaires d’Allemagne ». Tout cela, pour retourner sa veste une nouvelle fois après la déclaration de guerre de l’Allemagne à l’URSS qui elle-même s’est retrouvée du « bon côté », celui des Alliés…
C’est toute cette vilenie que symbolise Manouchian, ce « héros » du capital, instrumentalisé aujourd’hui par l’État : un digne représentant de la trahison du PCF en même temps qu’un pur produit du lavage de cerveau engendré par sa propagande de masse.
Refusons cette sinistre propagande patriotarde et cette nouvelle communion théâtralisée derrière le drapeau tricolore. Rappelons-nous que « les prolétaires n’ont pas de patrie » !
B.E., 25 mars 2024
1 Voir à ce propos : « Comment la classe dominante exploite la décomposition de la société contre la classe ouvrière ? [96] » publié sur le site web du CCI.
2 Voir notre brochure : Comment le PCF est passé au service du capital [97].
Faisant écho aux 800 civils et 300 soldats israéliens tués lors du raid du Hamas en Israël le 7 octobre dernier, un nouveau déchaînement de barbarie vient ajouter 150 morts et 300 blessés fauchés par balles, certains égorgés au couteau, par un commando de l’État islamique (EI) lors de l’assaut d’un concert rock, le 25 mars, en périphérie de Moscou. Entre ce deux événements tragiques, les horreurs de l’offensive israélienne à Gaza et l’intensification de la guerre sanglante entre la Russie et l’Ukraine n’en finissaient plus d’emporter des innocents dans la tombe et raser des villes entières : la première est responsable de plus de 32 000 morts, dont plus de 13 000 enfants. Et la combinaison mortifère entre la poursuite des bombardements, l’aggravation de la famine et la diffusion des épidémies au sein d’une population littéralement à bout de souffle, ne peut que fortement alourdir bilan. Le deuxième, l’intensification de la guerre en Ukraine, est venue alourdir le bilan de deux ans du conflit ukrainien qui atteint maintenant le chiffre effrayant des 500 000 morts au moins dans les deux camps, sans compter les victimes civiles, les ruines et la désolation qui constituent désormais l’environnement d’une partie de l’Ukraine et qui menace aussi la ville russe de Belgorod régulièrement bombardée par l’artillerie ukrainienne, mais aussi Moscou elle-même et une large partie de la Russie.
Les guerres inhérentes du capitalisme décadent ne sont plus, depuis l’effondrement du bloc de l’Est et la dissolution de celui de l’ouest en 1990, canalisées au niveau mondial à travers les tensions entre deux blocs impérialistes rivaux plus ou moins disciplinés, mais obéissent de plus en plus à la logique du chacun pour soi, au chaos généralisé. L’évolution de la situation mondiale vient fournir une concrétisation caricaturale de cette tendance dans la mesure où un pays, la Russie, est maintenant en guerre avec deux adversaires qui n’ont passé aucune alliance entre eux, respectivement l’Ukraine et l’État Islamique.
Car derrière la monstruosité de l’attentat de Moscou, c’est toute la gravité de la situation mondiale qui transparaît. En incitant la Russie à envahir l’Ukraine afin qu’elle s’affaiblisse dans ce conflit, les États-Unis ne souhaitaient pas provoquer son effondrement, avec tous les immenses risques qu’une dislocation de ce pays comporte. Pourtant, c’est aujourd’hui un risque sérieux.
L’EI, le boucher de l’attentat dans la banlieue de Moscou, est lui aussi emblématique de la tendance au chaos généralisé. De plus en plus, de sinistres milices prennent part aux conflits impérialistes en cherchant à imposer leur loi par la terreur et s’entre-tuent elles-mêmes parfois, toujours sous la bannière de l’intégrisme religieux à l’image d’Al Qaïda, du Hezbollah,…
L’État islamique au Khorassan (l’EI-K), qui a revendiqué l’attaque à Moscou, est une branche afghane du groupe terroriste. Elle a diffusé un message de revendication, accompagné d’une vidéo montrant les quatre assaillants en action. Nul doute possible quant à la signification de cet acte barbare qui est aussi un acte de guerre et n’est pas sans antécédents en Russie. Le 31 décembre 2018, un immeuble d’une ville de l’Oural explosait déjà, tuant 39 personnes. Quelques heures plus tard, la ville était le théâtre d’un affrontement armé. L’EI-K avait récemment fait la démonstration de ses capacités « militaires » puisqu’il est l’origine de l’attaque perpétrée en Iran, le 3 janvier, qui avait fait près de quatre-vingt-dix morts. Ses membres, qui mènent des attaques particulièrement brutales en Afghanistan, contre des écoles de filles ou des hôpitaux, sont même aujourd’hui en lutte ouverte avec les talibans.
La rivalité entre l’EI-K et Moscou est la conséquence d’une fragilisation de la Russie à ses frontières qui a permis l’infiltration du groupe terroriste dans les ex-Républiques soviétiques d’Asie centrale (Kirghizie, Ouzbékistan, Kazakhstan et Tadjikistan dont sont originaires les auteurs de l’attentat) et de certaines républiques autonomes de la Fédération de Russie elle-même. Le rapprochement entre Moscou et les talibans s’explique ainsi par le besoin de la Russie de défendre son influence dans la région. Mais cela signifie pour la Russie l’ouverture d’un deuxième front militaire dans une situation où elle s’épuise dans une guerre interminable en Ukraine.
La manière dont Poutine a géré l’attentat terroriste à Moscou ne peut qu’entraîner un affaiblissement de sa crédibilité. Sa réaction première consistant à en attribuer la responsabilité directe ou indirecte à l’Ukraine a été grotesque alors que tout désignait l’EI comme responsable, les États-Unis ayant précédemment alerté différents pays, dont la Russie, possiblement ciblés par des attentats terroristes. Lorsqu’il a réalisé son erreur, Poutine en a rajouté dans le grotesque en déclarant que le doute continuait d’exister quant au commanditaire de l’attentat. C’est alors que la revendication de l’attentat par l’EI lui a cloué le bec. Il ne pouvait faire autre chose que profil bas, d’autant moins qu’il existait un précédent venant étayer la vraisemblance de l’alerte transmise par les services de renseignement américains.
En effet, cette attaque terroriste pouvait d’autant moins constituer une surprise pour le Kremlin que « Vladimir Poutine s’alarmait déjà, le 15 octobre 2021, “des ambitions et des forces du groupe djihadiste État islamique en Afghanistan”, soulignant “l’expérience de combat” acquise par ses membres en Irak et en Syrie ». Poutine, s’interrogeant sur la capacité des talibans afghans à vaincre ces groupes armés, estimait alors que « les chefs de l’EI préparent des plans pour étendre leur influence dans les pays d’Asie centrale et des régions russes en attisant les conflits ethno-confessionnels et la haine religieuse ». (1) Qui plus est, l’EI-K avait déjà organisé un attentat contre l’ambassade de Russie à Kaboul en septembre 2022. Poutine vient ainsi de commettre un énorme faux pas, qui ne passera certainement pas inaperçu, au moment où il lance une campagne de conscription de printemps, appelant 150 000 personnes au service militaire obligatoire, en gros : une campagne de réquisition de la chair à canon pour la guerre. Ce faux pas ne peut que miner son autorité et sa légitimité face à ses rivaux.
Alors que la guerre affaiblit toujours un peu plus l’autorité du Kremlin, les risques d’une dislocation pure et simple de la fédération de Russie s’accroissent. Au premier rang des conséquences d’une telle dislocation se trouve la dissémination de l’arsenal nucléaire entre différents seigneurs de guerres aux menées non contrôlables. Cela représenterait aussi une formidable fuite en avant dans le chaos, au cœur d’une région particulièrement stratégique pour l’économie mondiale (matière première, transport…). Ainsi, loin de profiter à un belligérant quelconque ce nouveau foyer de guerre est porteur de conséquences dramatique considérables pour toute une partie du monde.
Fern, 3 avril 2024
1 « Attentat près de Moscou : l’Asie centrale, nouvelle tête de pont de l’organisation État islamique », Le Monde (25 mars 2024).
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 27 avril 2024 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [24]) ou dans la rubrique « nous contacter [25] » de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Selon les commentateurs bourgeois, un raz-de-marée politique a eu lieu aux Pays-Bas en novembre. Les élections ont failli donner à l’ensemble des partis une majorité absolue, et le PVV de Geert Wilders est devenu de loin le plus grand parti. Un certain nombre de partis traditionnels, piliers du système politique pendant des décennies, ont vu leurs sièges au parlement réduits de moitié, comme les chrétiens-démocrates, ou ont survécu grâce à la formation d’un cartel comme dans le cas des sociaux-démocrates du PvdA dans un cartel avec la Gauche Verte. Dans un précédent article, nous posions la question de la situation politique aux Pays-Bas après les élections : un « nouvel élan » ou encore plus de chaos et d’instabilité ? Il est désormais certain que c’est cette dernière qui dominera de plus en plus la scène politique aux Pays-Bas dans la période à venir.
Ce n’est pas la première fois aux Pays-Bas qu’un parti populiste réalise des gains aussi importants. En 2002, la liste Pim Fortuyn l’avait déjà fait, suivie en 2010 par le PVV de Wilders, en 2019 par le Forum pour la démocratie de Thierry Baudet, et lors des élections sénatoriales de 2023 par le Boer Burger Beweging (Mouvement Paysan Citoyen). Mais en novembre 2023, le populisme a réussi à conquérir une position de premier plan sans précédent dans la politique néerlandaise.
En l’absence de l’ancien Premier ministre Mark Rutte, qui avait réussi à neutraliser les précédentes explosions populistes, Wilders a habilement joué sur le mécontentement face à l’austérité existante en émaillant sa propagande d’une campagne ouvertement raciste anti-immigrés pour « faire passer les Néerlandais en première position ». « Nous devons reprendre le contrôle de nos frontières, de notre argent et de nos lois. Nous devons également reprendre notre souveraineté nationale. Nous devons reconquérir les Pays-Bas »[1]. Il s’agit clairement d’une politique de bouc émissaire : les migrants à la recherche d’un logement sont accusés d’être responsables de la pénurie de logements. La gauche qui défend les mesures climatiques est accusée d’être responsable de la hausse du coût de la vie. L’élite politique (qui se « remplissent les poches ») est accusée d’être responsable de la perte de l’identité néerlandaise. C’est ce cocktail démagogique avec lequel le PVV a réussi à attirer près d’un quart des Néerlandais.
Bien que les Pays-Bas aient été l’un des premiers pays occidentaux où le populisme a pu acquérir une influence majeure, il ne s’agit pas d’un phénomène typiquement néerlandais. Le populisme s’est déjà fait remarquer par des victoires électorales retentissantes ou des participations gouvernementales dans différents pays : en Europe il y a eu la participation gouvernementale du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue du Nord en Italie, ou le « mouvement » pour le Brexit et la clique dirigeante autour de Boris Johnson au sein du parti conservateur en Grande-Bretagne. En Amérique du Sud, il faut pointer la montée en puissance, d’abord de Bolsenaro au Brésil et actuellement de MileÏ en Argentine. Aux États-Unis, le populisme menace à travers la candidature de Trump pour le Parti républicain dans le cadre de l’élection présidentielle de novembre.
Le populisme, qui a le vent en poupe depuis le début du XXIe siècle :
- « n’est pas, bien sûr, le résultat d’une volonté politique consciente de la part des secteurs dirigeants de la bourgeoisie ». Au contraire, elle confirme la tendance à « une perte croissante de contrôle de la classe dominante sur son appareil politique »[2] ;
- s’accompagne d’une « perte fondamentale de confiance dans les 'élites' (...) parce qu’ils sont incapables de rétablir la santé de l’économie, de mettre fin à l’augmentation constante du chômage et de la misère ». Cependant, cette révolte contre les dirigeants politiques n’aboutit en rien à « une perspective alternative au capitalisme »[3].
Le populisme est une expression typique de la pourriture sur pied du capitalisme, une réaction à l’accumulation de problèmes qui ne sont pas vraiment abordés par les partis politiques établis, ce qui conduit à des difficultés croissantes. Tous ces problèmes non résolus alimentent à la fois les contradictions internes entre les fractions bourgeoises et la rébellion de la petite bourgeoisie, et c’est là le terreau du comportement vandaliste des tendances populistes.
Tant que la classe ouvrière ne parviendra pas par le développement de ses luttes à imposer de manière décisive son alternative révolutionnaire à la décomposition capitaliste, les courants populistes continueront à dominer l’agenda politique. Caractérisés par l’absence d’une vision de l’avenir de la société et la tendance à se tourner vers le passé pour chercher des boucs émissaires qu’ils peuvent tenir pour responsables de l’évolution catastrophique actuelle, ces populistes déstabiliseront de plus en plus, avec leurs positions irrationnelles, la scène politique bourgeoise.
Dans les années 1990, le système politique néerlandais reposait essentiellement sur 3 ou 4 partis centraux : le CDA chrétien-démocrate, le PvdA socialiste, le VVD et D66 tous deux libéraux. Ces dernières années, il est devenu une mosaïque en constant changement avec un nombre croissant de partis dissidents. Non seulement les députés passent régulièrement d’un parti à l’autre, mais le nombre de partis augmente également régulièrement au cours d’une législature, car des députés quittent leur parti et continuent de siéger comme « faction indépendante ». C’est le résultat, d’une part, de contradictions au sein de la bourgeoisie néerlandaise qui remontent plus clairement à la surface, et d’autre part, d’un mécontentement général à l’égard de la gouvernance des partis traditionnels, qui se traduit par l’émergence de partis qui se profilent autour d’un thème spécifique.
Les contradictions au sein de la bourgeoisie concernant l’emprise croissante de l’UE sur la politique néerlandaise deviennent de plus en plus évidentes à travers l’opposition :
- à ce qui est considéré comme une perte de souveraineté au profit d’un « super-État européen » non démocratique et bureaucratique ; les Pays-Bas ont voté contre l’introduction d’une constitution européenne lors d’un référendum en 2005 ;
- à l’accord d’association avec l’Ukraine en 2016 ; les Pays-Bas ont été le seul pays de l’UE à rejeter l’accord en raison de leur opposition à la prise de décision « antidémocratique » de Bruxelles et pour éviter que la corruption ukrainienne ne déferle sur l’Europe ;
- par les partis populistes à toute participation à une armée européenne et certains s’opposent même à une coopération accrue dans le domaine militaire avec un pays comme l’Allemagne.
En 2024, le Parlement est "occupé" par un éventail de partis populistes, plus ou moins importants, dont les positions convergent quant à leur aversion pour la loi européenne sur la préservation de la nature, leur aversion pour la politique migratoire européenne, pour les livraisons d’armes à l’Ukraine, mais aussi quant à leur opposition à l’UE et l’OTAN. En outre, chacun de ces partis a également son propre thème de prédilection politique : pour le PVV, c'est "moins de Marocains", pour le NSC " à bas les magouilles politiques de l’ombre", et pour le BBB "contre les diktats de La Haye".
Les élections de novembre dernier ont rendu la situation extrêmement compliquée pour la bourgeoisie néerlandaise, en particulier en ce qui concerne l’UE. En effet, avec un ou deux partis populistes au gouvernement, ce qui semble inévitable, un fort vent anti-UE va inévitablement souffler. Ici et là, on parle même d’une « sortie » des Pays-Bas de l’UE (un « Nexit »). Bien qu’il ne mène probablement pas aussi loin que le Brexit, ce vent anti-UE exercera une forte pression sur la position des Pays-Bas au sein de l’UE. Si les différents partis populistes ne font pas confiance aux « l’élites » établies, cela ne signifie pas automatiquement qu’ils se font mutuellement confiance, bien au contraire. Lors des négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement, la méfiance mutuelle était déjà nettement présente. L’instabilité du système politique aux Pays-Bas et l’impact de ceci sur la politique à l’égard de l’Europe dans son ensemble menacent de prendre des proportions inquiétantes pour la bourgeoisie.
Le populisme est une expression typique de la phase de décomposition du capitalisme, du chacun pour soi, des frictions croissantes au sein de la bourgeoisie, qui réduisent de plus en plus la capacité de cette dernière à formuler une réponse cohérente aux différentes manifestations de la crise. Mais la bourgeoisie est assez intelligente pour utiliser les effets négatifs de la décomposition contre son plus grand ennemi : la classe ouvrière. Elle utilise ainsi le phénomène populiste pour créer une contradiction fictive et promouvoir massivement l'anti-populisme :
- D’un côté, les partis populistes imposent leur discours en utilisant « des allégations, des accusations et la diabolisation de l’autre » (Sigrid Kaag du parti de centre-gauche D'66). Ce faisant, ils utilisent une forme de démagogie à l’encontre de l’ordre politique existant et des ‘élites’ politiques dirigeantes, ils dénigrent les mesures prises, ce qui est sans nul doute salué par une partie de la population néerlandaise. Dans le même temps, les partis populistes parviennent également à séduire une partie de la population, non seulement par des mesures irréalistes telles que la fermeture des frontières aux migrants, mais aussi par des mesures « sociales » tout aussi fallacieuses en faveur des "vrais Néerlandais", telles que l’abaissement de l’âge de la retraite, une augmentation du salaire minimum ou une baisse des primes de santé ;
- D’autre part, les organisations de gauche attisent le feu en présentant le populisme comme le plus grand danger qui nous menace. Non seulement l’ultra-gauche, mais même la propagande sociale-démocrate assimile plus ou moins le populisme au totalitarisme, au racisme ou même au fascisme. Frans Timmermans, le candidat de gauche au poste de Premier ministre, s’est immédiatement exclamé après la victoire électorale du PVV : « L’heure est venue pour nous de défendre la démocratie ! ». Aussi, les anti-populistes maintiennent un refus catégorique, pour des "raisons de principe", de participer à une coalition gouvernementale avec le PVV.
Tout comme le Royaume-Uni était divisé il y a quelques années en un camp pro et anti-Brexit, les Pays-Bas sont actuellement divisés en un camp pro-Wilders et un camp anti-Wilders. En attisant cette opposition, la bourgeoisie tente d'attirer une partie de la classe ouvrière derrière elle dans des actions allant de blocages de nouveaux centres pour demandeurs d'asile à des manifestations contre des rassemblements de populistes, qui visent toutes à miner la lutte sur le terrain de classe et à mobiliser les travailleurs sur les objectifs de l'un ou l'autre camp bourgeois.
Quel que soit le camp au pouvoir, les attaques contre les revenus et les conditions de vie des travailleurs se poursuivront sans relâche car elles sont le résultat des ondes de choc militaires, économiques et environnementales qui secouent les fondations du système capitaliste. Les travailleurs doivent donc continuer à mener la bataille sur le terrain où ils peuvent, en toute indépendance, développer pleinement leur force. En suivant l'exemple des travailleurs du Royaume-Uni qui, malgré des années de campagne assourdissante sur le Brexit entre "Remainers" et "Leavers", ont tout de même développé une lutte unie d'un an contre les effets de la crise du "coût de la vie" à partir de l'été 2022. Aux Pays-Bas également, la classe ouvrière a montré il y a un an qu'elle avait la volonté et la capacité de s'opposer aux mesures désastreuses de la bourgeoisie[4]. En s'inscrivant dans la dynamique des luttes ouvrières internationales de l’année écoulée au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, elle peut s’inscrire dans une résistance internationale contre ce système obsolète et moribond, qui va de catastrophe en catastrophe.
Dennis / 2024.04.05
Les guerres mondiales du XXe siècle ont montré que le capitalisme était devenu un système social totalement obsolète. Elles ont été suivies d’une « guerre froide » entre deux blocs impérialistes, au cours de laquelle les conflits par procuration ont tué autant de personnes que les guerres mondiales. L’ancien système des blocs s’est effondré dans les années 1990, mais les guerres impérialistes n’ont pas disparu. Elles sont simplement devenues plus chaotiques et imprévisibles. Parmi les nombreuses guerres qui ravagent la planète aujourd’hui, le carnage en Ukraine et au Moyen-Orient sont les preuves les plus évidentes (aux côtés d’une crise écologique que le système ne peut pas à résoudre) que le déclin du capitalisme a atteint sa phase terminale, menaçant même la survie de l’espèce humaine.
Afin de discuter de ces questions, le CCI organise des réunions publiques, partout où il est présent, en France et dans le monde. Ces réunions seront l’occasion de débattre du contexte historique de la guerre au Moyen-Orient et de faire valoir que la seule réponse possible à la guerre est la défense intransigeante de l’internationalisme contre toutes les fausses réponses offertes par ceux qui défendent l’une ou l’autre forme de nationalisme, et contre tous les États et gouvernements capitalistes, d’Israël à l’Iran et au Hamas, de la Russie à l’Ukraine, des États-Unis à la Chine. Toutes leurs guerres sont des guerres impérialistes génocidaires, et la seule puissance sur terre qui peut mettre fin au cauchemar du capitalisme en décomposition est la classe ouvrière internationale.
Ces réunions sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.
– Toulouse : samedi 25 mai à 14h, Salle Rancy 10, rue Jean-Rancy, Accès métro ligne B - station métro Jeanne d’Arc.
– Paris : samedi 25 mai à 15h, CICP, 21ter rue Voltaire, 75011 Paris, métro « Rue des Boulets »
– Nantes : samedi 25 mai à 15h, Salle de la Fraternité, 3 rue de l’Amiral Duchaffault (quartier Mellinet, station tramway Duchaffault, ligne 1)
– Bruxelles: samedi 25 mai à 14h, Pianofabriek, rue du Fort 35, 1060 St Gilles
– Marseille : samedi 1er juin à 15h, Mille Babords. 61 Rue Consolat. Métro « Réformés ».
– Lille : samedi 8 juin (le lieu et l’heure seront communiqués prochainement).
– Lyon : samedi 22 juin à 15h, CCO La rayonne, 28 rue Alfred du Musset, 69110 Villeurbanne, métro ligne A « Vaulx-en-Velin La soie ».
L’épouvantable offensive israélienne sur la bande de Gaza a emporté, en quelques mois, des dizaines de milliers de vies dans un torrent furieux de barbarie. Des civils innocents, des gosses et des vieillards meurent par milliers, écrasés sous les bombes ou froidement abattus par la soldatesque israélienne. À l’horreur des balles, il faut encore ajouter les victimes de la faim, de la soif, des maladies, des traumatismes… La bande de Gaza est un charnier à ciel ouvert, une immense ruine symbole de tout ce que le capitalisme a désormais à offrir à l’humanité. Ce qui se passe à Gaza est une monstruosité !
Comment ne pas être écœuré par le cynisme de Netanyahou et sa clique de religieux fanatiques, par le nihilisme froid des assassins de Tsahal ? Comment ne pas s’emporter quand la moindre expression d’indignation est aussitôt qualifiée « d’antisémitisme » par des éditorialistes de bas étage et les propagandistes de Tel Aviv ? Forcément, les images de l’horreur et les témoignages des survivants ne peuvent que glacer le sang. Même au sein de la population israélienne, pourtant traumatisée par les crimes ignobles du 7 octobre et soumise au rouleau compresseur de la propagande belliciste, l’indignation est palpable. Les rassemblements de soutien aux Palestiniens se multiplient dans le monde : à Paris, à Londres et, surtout, aux États-Unis où les campus universitaires sont le théâtre de mobilisations particulièrement étendues.
L’indignation est on ne peut plus sincère, mais les révolutionnaires ont la responsabilité de le dire haut et fort : ces manifestations ne se situent, ni de près ni de loin, sur le terrain de la classe ouvrière. Elles représentent au contraire un piège mortel pour le prolétariat !
« Cessez-le-feu immédiat ! », « Paix en Palestine ! », « Accord international ! », « Deux nations en paix ! »… Les appels à la « paix » se sont multipliés ces dernières semaines dans les manifestations et les tribunes. Une partie des organisations de la gauche du capital (les trotskiste, les staliniens et toutes les variantes de la gauche "radicale" comme LFI en France), n’ont que le mot « paix » à la bouche.
C’est une pure mystification ! Les ouvriers ne doivent se faire aucune illusion sur une prétendue paix, ni au Proche-Orient ni ailleurs, pas plus que sur une quelconque solution de la « communauté internationale », de l’ONU, du Tribunal international ou de n’importe quel autre repaire de brigands capitalistes. Malgré tous les accords et toutes les conférences de paix, toutes les promesses et les résolutions de l’ONU, le conflit israélo-palestinien dure depuis plus de 70 ans et n’est pas près de cesser. Ces dernières années, à l’image de toutes les guerres impérialistes, ce conflit n’a fait que s’amplifier, gagner en violence et en atrocité. Avec les récentes exactions du Hamas et de Tsahal, la barbarie a pris un visage encore plus monstrueux et délirant, dans une logique de terre brûlée jusqu’au-boutiste qui montre que le capitalisme ne peut rien offrir d’autre que la mort et les destructions.
Alors, à la question : « la paix peut-elle régner dans la société capitaliste ? », nous répondons catégoriquement : non ! Les révolutionnaires du début du XXe siècle avaient déjà clairement mis en évidence que, depuis 1914, la guerre impérialiste est devenue le mode de vie du capitalisme décadent, le résultat inéluctable de sa crise historique. Et parce que la bourgeoisie n’a aucune solution à la spirale infernale de la crise, il faut le dire très clairement : le chaos et les destructions ne peuvent que se répandre et s’amplifier à Gaza comme à Kiev et partout dans le monde ! La guerre à Gaza menace d’ailleurs d’embraser toute la région.
Mais au-delà de l’impasse que représentent les appels à la paix sous le joug du capitalisme, le pacifisme demeure une mystification dangereuse pour la classe ouvrière. Non seulement cette idéologie n’a jamais empêché une guerre, mais il les a au contraire toujours préparées. Déjà en 1914, la social-démocratie, en posant le problème de la guerre sous l’angle du pacifisme, avait justifié sa participation au conflit au nom de la lutte contre les « fauteurs de guerre » du camp d’en-face et le choix du « moindre mal ». C’est parce qu’on avait imprégné la société de l’idée que le capitalisme pouvait exister sans guerre que la bourgeoisie a pu assimiler le « militarisme allemand », pour les uns, et l’« impérialisme russe », pour les autres, au camp de ceux qui voulaient attenter à la « paix » et qu’« il fallait combattre ». Le pacifisme depuis lors, de la Seconde Guerre mondiale à la guerre en Irak, en passant par les innombrables conflits de la guerre froide, n’a été qu’une succession de complicité éhontée avec tel ou tel impérialisme contre les « fauteurs de guerre » afin de mieux dédouaner le système capitaliste.
La guerre à Gaza n’échappe en rien à cette logique. Instrumentalisant le dégoût légitime que suscitent les massacres à Gaza, la gauche « pacifiste » appelle sans détour à soutenir un camp contre un autre, celui de la « nation palestinienne » victime du « colonialisme israélien », en affirmant, la main sur le cœur : « Nous défendons les droits du “peuple palestinien”, pas le Hamas ». C’est rapidement oublier que « le droit du peuple palestinien » n’est qu’une formule hypocrite destinée à dissimuler ce qu’il faut bien appeler l’État de Gaza, une façon sournoise de défendre une nation contre une autre. Une bande de Gaza « libérée » ne signifierait rien d’autre que consolider l’odieux régime du Hamas ou de toute autre faction de la bourgeoisie palestinienne, de tous ceux qui n’ont jamais hésité à réprimer dans le sang la moindre expression de colère, comme en 2019 lorsque le Hamas, qui vit en véritable prédateur sur le dos de la population gazaouie, a maté avec une brutalité inouïe des manifestants exaspérés par la misère. Les intérêts des prolétaires en Palestine, en Israël ou dans n’importe quel autre pays du monde ne se confondent en rien avec ceux de leur bourgeoisie et la terreur de leur État !
Les organisations trotskistes, particulièrement présentes dans les universités, ne s’embarrassent même plus du verbiage hypocrite du pacifisme pour alimenter la sale propagande belliciste de la bourgeoisie. Sans aucune vergogne, elles appellent à soutenir la « résistance du Hamas ». Au nom des « luttes de libération nationale contre l’impérialisme » (frauduleusement présentée comme une position des bolcheviks sur la question nationale), elles cherchent à mobiliser la jeunesse sur le terrain pourri du soutien à la bourgeoisie palestinienne, avec des relents d’antisémitisme à peine voilés, comme nous avons pu l’entendre dans les universités : « À l’université de Columbia, à New York, des manifestants ont été filmés en train de scander : “[…] Brûlez Tel-Aviv [...] Oui, Hamas, nous t’aimons. Nous soutenons aussi tes roquettes”. Un autre s’écrie : “Nous ne voulons pas de deux États, nous voulons tout le territoire”. Dans la même veine, certains étudiants ne se contentent plus de scander “Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre”, ils brandissent désormais des pancartes en arabe. Le problème, c’est qu’il est écrit : “De l’eau à l’eau, la Palestine sera arabe”, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de Juifs du Jourdain à la mer Méditerranée ». (1)
Les organisations trotskistes ont une longue tradition de soutien à un camp bourgeois dans la guerre (Vietnam, Congo, Irak…), d’abord au service des intérêts du bloc de l’Est pendant la guerre froide, (2) puis en faveur de toute expression d’anti-américanisme.
Le conflit israélo-palestinien demeure toutefois un leitmotiv de l’indignation sélective du trotskisme. Hier, la « cause palestinienne » était un prétexte pour soutenir les intérêts de l’URSS dans la région face aux États-Unis. Aujourd’hui, ces organisations instrumentalisent la guerre à Gaza en faveur de l’Iran, du Hezbollah et des « rebelles » Houtis face au même « impérialisme américain » et son allié israélien. L’internationalisme revendiqué du trotskisme, c’est l’Internationale des crapules !
Contrairement à tous les mensonges des partis de gauche du capital, les guerres sont toujours des affrontements entre des nations concurrentes, entre des bourgeoisies rivales. Toujours ! Jamais une guerre n’est menée au profit des exploités ! Ils en sont au contraire les premières victimes.
Partout, les ouvriers doivent refuser de prendre parti pour un camp bourgeois contre un autre. La solidarité des ouvriers ne va ni à la Palestine ni à Israël, ni à l’Ukraine ni à la Russie, ni à aucune nation ! Leur solidarité, ils la réservent à leurs frères de classe vivant en Israël et en Palestine, en Ukraine et en Russie, aux exploités du monde entier ! L’histoire a montré que la seule véritable réponse aux guerres que déchaîne le capitalisme, c’est la révolution prolétarienne internationale. En 1918, grâce à un immense élan révolutionnaire dans toute l’Europe, débuté en Russie un an plus tôt, la bourgeoisie a été contrainte de stopper l’une des plus grandes boucheries de l’histoire.
Certes, nous sommes aujourd’hui encore loin de cette perspective. Pour la classe ouvrière, il est difficile d’entrevoir une solidarité concrète et encore moins de s’opposer directement à la guerre et ses horreurs. Cependant, à travers la série inédite de luttes ouvrières qui frappent de nombreux pays depuis deux ans, en Grande-Bretagne, en France, aux États-Unis, en Allemagne encore récemment, le prolétariat montre qu’il n’est pas prêt à accepter tous les sacrifices. Il est tout à fait capable de se battre massivement, si ce n’est directement contre la guerre et le militarisme, contre les attaques brutales exigées par la bourgeoisie pour alimenter son arsenal de mort, contre les conséquences de la guerre sur nos conditions d’existence, contre l’inflation et les coupes budgétaires. Ces luttes sont le creuset dans lequel la classe ouvrière pourra pleinement renouer avec ses expériences passées et ses méthodes de luttes, retrouver son identité et développer sa solidarité internationale. Elle pourra alors politiser son combat, tracer un chemin en offrant la seule perspective et issue possible : celle du renversement du capitalisme par la révolution communiste.
EG, 30 avril 2024
1 « Most Jews and Palestinians want peace. Extremists, narcissists and other “allies” only block the way [115] », The Guadian (26 avril 2024).
2 Estimant que leur nation respective (la France, le Royaume-Uni, l’Italie…) avait tout intérêt à rejoindre le bloc dirigé par la prétendue « patrie du socialisme dégénérescente »…
La situation d’un certain nombre de pays, d’Amérique centrale constitue une caricature de l’enlisement de la société dans la putréfaction du monde capitaliste. Le cas le plus extrême étant certainement celui d’Haïti qui traverse des crises incessantes et de tout genre, toutes plus tragiques les unes que les autres.
La violence et la brutalité se sont fortement intensifiées au cours des derniers mois, en plus de conditions de vie terriblement misérables entraînant l’exode massif de dizaines de milliers d’Haïtiens et la poursuite accélérée de leur émigration. Depuis la fin février, les événements qui se succèdent provoquent l’effroi et donnent le vertige. Des prisons ont été prises d’assaut, provoquant l’évasion de plusieurs milliers de détenus, des hôpitaux et des commissariats ont été attaqués par des bandes… La « crise humanitaire » s’aggrave, la disette et la faim s’intensifient, le choléra a fait son retour. 3334 personnes en 2023 ont été tuées et 1787 autres enlevées avec 1000 morts en janvier dernier, victimes des gangs qui font régner la terreur. Les bandes criminelles contrôlent désormais 80 % de la capitale et les routes alentour, ainsi que le port. Selon l’organisation internationale pour les migrations, 362 000 personnes dont la moitié sont des enfants, sont actuellement déplacés en Haïti.
Ce ne sont pas seulement les gangs qui font régner la terreur, comme on l’entend habituellement, mais aussi des milices armées qui sont recrutées et mises sur pied par les pouvoirs successifs comme forces d’appoint pour réprimer les révoltes populaires contre la corruption et la misère, en plus de leurs activités mafieuses. Ainsi une manifestation en 2018 contre la vie chère et la prédation du pouvoir a conduit à réprimer sauvagement une « mobilisation populaire » (qui réclamait des poursuites judiciaires contre Javel Moise, blanchi par ailleurs) à la Saline, un bidonville de Port-au-Prince. À cette occasion, 71 personnes ont été assassinées et mutilées, des femmes violées, des corps brûlés. L’un des auteurs du massacre, Jimmy Cherizier, alias « Barbecue », doit son surnom a ce forfait ignoble. Une pratique qui vise à répandre la terreur et obtenir la paix sociale qui est, en fait, celle des cimetières au profit de la bourgeoisie et des gangs dominants. Une pratique largement connue de la « communauté internationale » et de l’ONU qui, hormis des déclarations de bonnes intentions, ne fait rien.
Ainsi un rapport de l’ONU cité dans Le Monde pointe bien les collusions politiques, criminelles et leur terreau : une « situation d’oligopole sur les importations » et « contrôlée par un groupe relativement restreint de familles puissantes, qui mettent leurs intérêts commerciaux concurrents au-dessus de tout ». Les gangs, souligne le rapport, sont « instrumentalisés par l’élite politique et économique ainsi que par de hauts fonctionnaires ». « Le siphonnage des ressources publiques témoigne de la corruption endémique » avec un sabotage délibéré du système judiciaire. L’impunité est totale. Mais le rapport, a priori audacieux, se garde bien de citer les exactions de l’ex-président Javel Moise, assassiné en 2021, ni l’impopularité du premier ministre démissionnaire Ariel Henry, au bilan catastrophique et qui a bénéficié d’un soutien inconditionnel de la « communauté internationale » qui se cache derrière les délais interminables des enquêtes…
Cela n’est pas nouveau car la population haïtienne, premier pays affranchi d’une puissance coloniale, la France, dès 1804 est depuis des décennies la proie d’affrontements entre gangs rivaux qui font régner la terreur sur tout le pays. Après la succession de plusieurs juntes militaires suite à l’occupation américaine entre 1915 et 1934, les tristement célèbres milices des « tontons Macoutes » (à la solde du pouvoir sans partage de la famille Duvalier entre 1957 et 1986) ont été remplacées, lors du « rétablissement d’un régime démocratique », par des luttes sanglantes entre bandes et clans rivaux pour la conquête du pouvoir. Les vagues de massacres et la terreur que font régner les criminelles sont devenues permanentes depuis 2004, enfonçant toujours davantage le pays le plus pauvre de tout l’hémisphère occidental dans une misère effroyable (plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et souffre d’insécurité alimentaire chronique).
Cette situation est encore aggravée par les ravages d’effroyables et dévastatrices catastrophes récurrentes dont le tremblement de terre de 2010 qui a fait plus de 300 000 morts. Le pays est devenu une des zones les plus vulnérables aux dérèglements climatiques particulièrement meurtriers (succession de cyclones, d’ouragans ou de sécheresse) avec une écrasante majorité de la population plongée dans une misère extrême et des conditions de vie totalement insalubres, favorisant le retour d’épidémies, elles aussi mortelles, comme le choléra, sous le regard atone et complice des puissances tutélaires comme la France, ancienne puissance colonisatrice, et des États-Unis, ancien occupant qui soutiennent envers et contre tout les factions bourgeoises locales susceptibles d’assumer un semblant de stabilité politique.
Le très contesté premier ministre a démissionné sous des pressions diverses, lâché par les États-Unis… mais sous la pression aussi de celles des bandes armées, dont l’une est dirigée par « Barbecue », promettant l’intensification de la guerre civile en cas de refus. Le premier ministre a démissionné et un conseil présidentiel de transition est en passe d’être nommé depuis la Jamaïque sous la houlette des États-Unis pour choisir un nouveau premier ministre mais déjà les gangs ont déclaré qu’ils n’accepteront aucun accord venant de l’étranger. Les États-Unis cette fois ne veulent pas déployer leurs propres forces sur place et s’en remettent à la promesse d’arrivée de policiers kényans pour maintenir l’ordre mais celui-ci n’existe depuis longtemps que dans les discours.
Pour un chercheur haïtien, « Barbecue, un ancien policier, est le Frankenstein qui s’est libéré de son maître » et considère que les gangs « sont plus puissants que le pouvoir politique et les forces de l’ordre » et finalement ont « décidé de s’autonomiser ». En fait, on peut dire que ce type d’alliance et de comportement abject fasciné par la richesse est un pur produit de la putréfaction du capitalisme tel qu’il peut s’exprimer dans la périphérie du capitalisme. Ces quarante dernières années, la vie politique d’Haïti a été bousculée par des coups d’État, des ingérences étrangères, l’insurrection de l’armée et des farces électorales, une instabilité politique qui l’a « précipité dans le chaos ». Cela donne une idée caricaturale de ce que représente, à terme, la perte de contrôle de la bourgeoisie sur son appareil politique.
Tout ceci est d’abord la conséquence de la crise économique et d’un mode de production en décomposition qui génère l’incurie de fractions de la classe dominante, s’entre-déchirant et alimentant des tensions accrues par le jeu politique des grandes puissances. Cette situation, loin d’être unique connaît des manifestations semblables dans d’autres parties du monde, comme c’est le cas en Amérique centrale, en Amérique du Sud, et aussi un nombre croissant de pays sur le continent africain. Certains pays qui n’en étaient pas encore à ce stade voient la menace désormais se préciser. C’est, par exemple, le cas en Équateur présenté jusqu’alors comme un « havre de paix » en Amérique latine où la bourgeoisie et son appareil d’État sont confrontés à un processus de fragmentation accéléré, se trouvant totalement impliqués et compromis dans le narcotrafic et sa place prépondérante pour l’économie nationale. Déjà en 2023, la montée spectaculaire de la violence s’est traduite par une augmentation des homicides de 800 % (!) par rapport à l’année précédente, soit 7800 assassinats, touchant 46 habitants sur 100 000. En effet, l’Équateur est devenu la plaque tournante des exportations liées au trafic de drogue et ses « groupes de délinquance organisée » sont en lien avec diverses mafias concurrentes pour en assurer le contrôle (cartels mexicains comme ceux de Jalisco ou de Sinaloa, mais aussi des gangs péruviens ou colombiens liés au pays fournisseurs ainsi que d’autres bandes mafieuses d’origine albanaise, russe, chinoise ou encore italienne). L’État, étant déjà très largement gangrené par la corruption et lui-même lié au plus puissant groupe agroalimentaire du pays également impliqué dans le narcotrafic, sa tentative de reprise en main du contrôle du narcotrafic s’est traduite par une flambée inédite de violences au début de l’année 2024, dans des affrontements de rues entre l’armée et les groupes de délinquance organisée, par des prises d’otages de journalistes d’une chaîne de télévision publique, par l’évasion de deux chefs de gangs, par de multiples mutineries dans les prisons aux mains des gangs et une répression brutale ne faisant qu’exacerber les tensions et les contradictions sociales à un niveau supérieur. La militarisation de la société s’est traduite pour la classe ouvrière par une hausse de 15 % de la TVA qui a entraîné une forte hausse des prix de consommation courante. La vague de protestations qui a suivi a été durement réprimée par le nouveau gouvernement de Daniel Oboa.
On pourrait multiplier les exemples où ces situations conduisent à une gangstérisation croissante devenant de plus en plus endémique des États comme au Honduras, au Guatemala ou au Salvador où les gangs font régner la terreur sur les populations, les contraignant à des exodes massifs (les flux incessants de caravanes de migrants qui tentent de gagner par tous les moyens les États-Unis à travers le Mexique) et dont les gouvernements successifs nagent depuis des années dans la corruption généralisée. Au Mexique lui-même, les gangs contrôlent des régions entières du pays.
Cette même situation caractérise depuis des années des pays d’Afrique de l’Est comme la Somalie ou le Soudan ou encore la Libye, pour s’en tenir aux États les plus caricaturaux. Mais ce phénomène de bandes armées ou de milices paramilitaires incontrôlables, en lutte pour le pouvoir et le contrôle de territoires, tend à se propager également dans la partie occidentale du continent, qu’elles soient des troupes mercenaires manipulées par telle ou telle puissance, inspirées par le fanatisme religieux (Boko Haram, Al Shaabab, AMQI,…) ou animées par de stricts intérêts mafieux.
Cela sans compter sur l’arrivée ou le retour au pouvoir de fractions populistes de la bourgeoisie totalement irresponsables qui participent de la même dynamique générale et exprime la même putréfaction du monde capitaliste. Il en va de même de la tendance à la prolifération des attentats aveugles, instrumentalisés par tous les camps, qui frappent les populations comme à Moscou.
La gangstérisation des États, l’instabilité et le chaos, les foyers croissants de conflits impérialistes meurtriers, les multiplications d’attentats terroristes font peser la menace d’un enfoncement de parties de plus en plus larges de l’humanité dans un océan sans fond de barbarie, de misère, de chaos et d’irrationalité. Pour grave et dramatique qu’elle soit, cette situation qui menace la société et même l’humanité n’est, cependant, pas une fatalité. Une solution existe, celle du développement de la lutte de la classe ouvrière mondiale, seule classe capable d’ouvrir la perspective de transformation de fond en comble des rapports sociaux et d’éradiquer les rapports d’exploitation par le renversement du capitalisme.
T. Tor, 5 avril 2024
Liens
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[3] https://fr.internationalism.org/content/11190/bilan-lintervention-du-cci-luttes-ouvrieres-a-travers-monde
[4] https://www.international-communist-party.org/English/TheCPart/TCP_004.htm#Questions
[5] https://fr.internationalism.org/rinte23/proletariat.htm
[6] https://www.international-communist-party.org/Partito/Parti422.htm#PortlandRete
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[11] https://fr.internationalism.org/rinte44/zimmer.htm
[12] https://fr.internationalism.org/french/rint/116_1903.htm
[13] https://fr.internationalism.org/french/rint/117_1903.htm
[14] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/200407/535/1903-1904-naissance-du-bolchevisme-iii-polemique-entre-lenine-et-ros
[15] https://fr.internationalism.org/revorusse/chap2a.htm
[16] https://fr.internationalism.org/french/rint91/communisme.htm
[17] https://fr.internationalism.org/revorusse/chap2b.htm
[18] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
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[33] https://fr.internationalism.org/content/11288/spirale-datrocites-au-moyen-orient-terrifiante-realite-decomposition-du-capitalisme
[34] https://antimilitarismus.noblogs.org/english/
[35] https://antimilitarismus.noblogs.org/post/2023/08/29/the-revolutionary-movement-and-the-second-world-war-interview-with-marc-chirik-1985/
[36] https://antimilitarismus.noblogs.org/post/2022/09/13/antimilitarisme-anarchiste-et-mythes-sur-la-guerre-en-ukraine/
[37] https://fr.internationalism.org/content/11088/lutte-devant-nous
[38] https://fr.internationalism.org/content/11168/tendance-communiste-internationaliste-et-linitiative-no-war-but-the-class-war-bluff
[39] https://fr.internationalism.org/content/10785/militarisme-et-decomposition-mai-2022
[40] https://fr.internationalism.org/content/10735/declaration-commune-groupes-gauche-communiste-internationale-guerre-ukraine
[41] https://fr.internationalism.org/content/11198/appel-gauche-communiste
[42] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne
[43] https://fr.internationalism.org/tag/5/44/irlande
[44] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reprise-internationale-lutte-classe
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[49] http://www.igcl.org/L-impasse-politique-du-Courant
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[54] https://fr.internationalism.org/rinte87/parasitisme.htm
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[59] https://fr.internationalism.org/content/9996/lassalle-et-schweitzer-lutte-contre-aventuriers-politiques-mouvement-ouvrier
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[62] http://igcl.org/Prise-de-position-sur-la-671
[63] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201601/9305/rapport-role-du-cci-tant-fraction
[64] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/defense-lorganisation
[65] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/marx
[66] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/feuerbach
[67] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/bakounine
[68] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/lassalle
[69] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/schweitzer
[70] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/gaizka
[71] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/vogt
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[74] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/ficci-gigcigcl
[75] https://es.internationalism.org/content/5008/la-continuidad-historica-una-lucha-indispensable-y-permanente-para-las-organizaciones
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[80] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[81] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/gauche-italienne
[82] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
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[85] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/utopistes
[86] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/ligue-communiste
[87] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/premiere-internationale
[88] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/seconde-internationale
[89] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/parti-et-fraction
[90] https://fr.internationalism.org/content/11324/combat-parti-classe-grande-bretagne-1848-1914
[91] https://fr.internationalism.org/french/rinte50/decadence.htm
[92] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/combat-parti-classe-grande-bretagne
[93] https://en.internationalism.org/content/17399/communist-left-discussion-bulletin-no2
[94] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/debat
[95] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/correspondance-dautres-groupes
[96] https://fr.internationalism.org/content/11315/comment-classe-dominante-exploite-decomposition-societe-contre-classe-ouvriere
[97] https://fr.internationalism.org/brochures/pcf-embr
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