La responsabilité écrasante qui incombe à la Chine en ce qui concerne l’éclosion du covid-19 et surtout son expansion vertigineuse, qui a provoqué la pandémie planétaire actuelle, a largement été mise en évidence par l’ensemble des médias. Cependant, le nombre restreint de morts et l’absence de larges vagues de contagions dans le pays - du moins selon les données officielles -, ainsi que le fait que la Chine soit la seule grande puissance à ne pas avoir annoncé de récession économique en 2020 (+2% du PIB) ont mené de nombreux observateurs à présenter la Chine comme la grande gagnante de la crise du Covid-19 sur l’échiquier du rapport de force entre les principales puissances impérialistes.
Il est vrai que depuis le début des années 1980, en ouvrant son économie au bloc US, la Chine a largement profité de la mondialisation de l’économie et de l’implosion du bloc soviétique pour effectuer en trente ans une ascension fulgurante sur le plan économique et impérialiste, qui en a fait le challenger le plus important pour les États-Unis. Aujourd’hui pourtant, la prise en charge de la pandémie, la gestion de l’économie et l’expansion de sa zone d’influence engendrent d’importantes difficultés pour la bourgeoisie chinoise. La crise du Covid-19 accentue fortement les confrontations entre factions au sein de son appareil politique et exacerbe les tensions entre requins impérialistes en Extrême-Orient.
En misant depuis le début sur l’immunité collective avant d’ouvrir le pays, la Chine applique en attendant une politique de lock-down drastique dans des villes et des régions entières, chaque fois que des infections sont identifiées, ce qui entrave lourdement les activités économiques et commerciales : ainsi, la fermeture du port de Yantian, le troisième port de conteneurs du Monde en mai 2021, a conduit au blocage de centaines de milliers de conteneurs (comme les grands peuvent porter jusqu’à 20/30.000 milles conteneurs) et de centaines de navires pendant des mois, désorganisant totalement le trafic maritime mondial. En réalité, le moindre surgissement d’infections, même limité à quelques cas, est appréhendé comme un danger majeur : récemment encore des lock-down drastiques ont été décrétés dans 27 villes et 18 provinces (août ’21), à Xiamen, une ville de 5 millions (septembre ’21) et depuis septembre, des infections sont signalées dans la moitié des provinces et dans la ville de Shanghai.
Par ailleurs, la campagne de vaccination massive pour atteindre l’immunité collective a poussé certaines provinces et villes chinoises à imposer des sanctions financières à ceux qui se méfient et évitent la vaccination. Cependant, face aux nombreuses protestations sur les réseaux sociaux chinois, le gouvernement central a bloqué ce genre de mesures, qui tendaient à "mettre en péril la cohésion nationale". Mais le revers le plus sérieux est sans nul doute les données convergentes sur l’efficacité limitée des vaccins chinois, observée dans divers pays qui les utilisent, comme par exemple au Chili : "Au total, la campagne de vaccination chilienne –importante avec 62 % de la population vaccinée actuellement– ne semble avoir aucun impact notable sur la proportion de décès" (H. Testard, "Covid-19 : la vaccination décolle en Asie mais les doutes augmentent sur les vaccins chinois", Asialyst, 21.07.21). Les autorités sanitaires chinoises préconisaient même d’importer des doses de Pfizer ou Moderna afin de pallier l’inefficacité de leurs propres vaccins.
La gestion extrêmement lourde et peu efficiente de la pandémie par le capitalisme d’État chinois a été illustrée en novembre dernier par l’appel du Ministère du Commerce conviant la population chinoise à stocker chez soi des rations d’urgence.
La forte croissance que la Chine connaît depuis quarante ans -même si la progression ralentissait déjà la dernière décennie- semble arriver à son terme. Les experts s’attendent à une croissance du PIB chinois inférieure à 5% en 2021, contre 7% en moyenne sur la dernière décennie et plus de 10% lors de la décennie précédente. Divers facteurs mettent en évidence les difficultés actuelles de l’économie chinoise.
Il y a d’abord le danger d’éclatement de la bulle immobilière chinoise : Evergrande, le numéro deux de l’immobilier en Chine, se retrouve aujourd’hui écrasé par quelque 300 milliards d’euros de dettes, à elles seules 2% du PIB du pays. D’autres promoteurs sont quasiment en défaut de paiement, tels Fantasia Holdings ou Sinic Holdings, et le secteur de l’immobilier, qui représente 25% de l’économie chinoise, a généré une dette publique et privée colossale qui se chiffre en milliers de milliards de dollars. Le crash d’Evergrande n‘est que la première séquence d’un effondrement global à venir de ce secteur. Aujourd’hui les logements vides sont tellement nombreux qu’on pourrait héberger 90 millions de personnes. Certes, l’effondrement immédiat du secteur sera évité dans la mesure où les autorités chinoises n’ont d’autre choix que de limiter les dégâts du naufrage au risque sinon d’un impact très sévère sur le secteur financier : "(…) il n’y aura pas d’effet boule de neige comme en 2008 [aux USA], parce que le gouvernement chinois peut arrêter la machine, estime Andy Xie, économiste indépendant, ancien de Morgan Stanley en Chine, cité par Le Monde. Je pense qu’avec Anbang [groupe d’assurance, NDLR] et HNA [Hainan Airlines], on a de bons exemples de ce qui peut se produire : il y aura un comité rassemblant autour d’une table l’entreprise, les créditeurs et les autorités, qui va décider quels actifs vendre, lesquels restructurer et, à la fin, combien d’argent il reste et qui peut perdre des fonds". (P.-A. Donnet, "Chute d’Evergrande en Chine : la fin de l’argent facile", Asialyst, 25.09.21). De nombreux autres secteurs sont aussi dans le rouge : fin 2020, la dette globale des entreprises chinoises représentait 160 % du PIB du pays, contre 80 % environ pour celle des sociétés américaines et les investissements "toxiques" des gouvernements locaux représenteraient aujourd’hui, selon des analystes de Goldman Sachs, à eux seuls 53 000 milliards de yuans, soit une somme qui représente 52 % du PIB chinois. L’éclatement de la bulle immobilière risque non seulement de contaminer d’autres secteurs de l’économie mais aussi d’engendrer une instabilité sociale (près de 3 millions d’emplois directs et indirects liés à Evergrande), la grande crainte du Parti Communiste Chinois (PCC).
Ensuite, les coupures énergétiques se sont multipliées depuis l’été 2021 : elles sont la conséquence d’un approvisionnement en charbon défaillant, causé entre autres par les inondations records dans la province du Shaanxi (produisant à elle seule 30% du combustible dans tout le pays), et aussi par le durcissement de la réglementation anti-pollution décidée par Xi. Les secteurs de la sidérurgie, de l’aluminium et du ciment souffrent déjà dans plusieurs régions de la limitation de l’offre d’électricité. Cette pénurie a réduit d’environ 7 % les capacités de production d’aluminium et de 29 % celles de ciment (chiffres de Morgan Stanley) et le papier et le verre pourraient être les prochains secteurs touchés. Ces coupures freinent désormais la croissance économique de l’ensemble du pays. Mais la situation est encore plus grave qu’il n’y paraît à première vue. « En effet, cette pénurie d’électricité se répercute désormais sur le marché résidentiel dans certaines régions du Nord-Est. La province du Liaoning a ainsi étendu les coupures de courant du secteur industriel à des réseaux résidentiels » (P.-A. Donnet, « Chine : comment la grave pénurie d’électricité menace l’économie », Asialyst, 30.09.21).
Enfin, la pénurie énergétique mais aussi les lock-down découlant des infections Covid affectent la production dans les industries de diverses régions de Chine, ce qui, à son tour, accroît l’ampleur des ruptures des chaînes d’approvisionnement, déjà hypertendues, au niveau national et mondial, d’autant plus que les chaines de fabrication dans de nombreux secteurs sont confrontées à une pénurie aigüe de semi-conducteurs.
Les données récentes confirment l’essoufflement de la croissance économique, qui va de pair avec une baisse de la consommation intérieure, une chute des revenus des ménages et une baisse des salaires.
Le déploiement de la "nouvelle route de la soie" rencontre des difficultés croissantes à cause du poids financier de la crise du Covid en Chine, mais aussi à cause des difficultés économiques des "partenaires", asphyxiés par la pression de la dette, ou encore de leur réticences de plus en plus manifestes face aux "ingérences" chinoises.
À cause en particulier de la crise du Covid, l’endettement de divers pays « partenaires » atteint des niveaux pharamineux et ceux-ci se retrouvent dans l’incapacité de payer les intérêts des prêts chinois. Des pays comme le Sri Lanka, le Bangladesh (dette extérieure +125% dernière décennie, le Kirghizstan, le Pakistan (20 milliards de $ de prêts bilatéraux octroyés par la Chine), le Monténégro, et divers pays africains, ont demandé à la Chine de restructurer, de retarder ou d'annuler carrément le paiement des remboursements qui sont dus cette année.
D’autre part, une méfiance croissante se manifeste dans divers pays envers les agissements de la Chine (non-ratification du traité commercial entre la Chine et l’Union Européenne, distanciation du Cambodge, des Philippines ou de l’Indonésie), à laquelle il faut ajouter une pression antichinoise exercée par les États-Unis (en Amérique latine envers des pays comme le Panama, l’Équateur et le Chili). Enfin, le chaos produit par la décomposition a pour conséquence de déstabiliser certains pays clés de la "nouvelle route" ; c’est le cas par exemple de l’Éthiopie, qui s’enfonce dans une terrible guerre civile entre le gouvernement central éthiopien et la région du Tigray, alors que le pays, présenté comme un pôle de stabilité et le "nouvel atelier du monde", constituait un point d’appui pour le "Belt and Road Project" en Afrique du Nord-Est, avec une base militaire chinoise à Djibouti.
Bref, il ne faut pas s’étonner qu’en 2020, il y a eu un effondrement de la valeur financière des investissements injectés dans le projet "Nouvelle route de la soie" (-64%), alors que la Chine a prêté plus de 461 milliards de dollars depuis 2013.
L’ensemble de ces difficultés attisent les tensions au sein de la bourgeoisie chinoise, même si, du fait de la structure politique capitaliste d’État de type stalinien, elles ne se manifestent pas de la même manière qu’aux USA ou en France par exemple.
Sous Deng Xiao Ping le capitalisme d’État de type stalinien chinois, sous le couvert d’une politique de "créer des riches pour partager leur richesse", a établi des zones "libres" (autour de Hong Kong, Macao, etc.) afin de développer un capitalisme de type "libre marché" permettant l’entrée de capitaux internationaux et favorisant aussi un secteur capitaliste privé. Avec l’effondrement du bloc de l’Est et la "globalisation" de l’économie dans les années 90, ce dernier s’y est développé de manière exponentielle, même si le secteur public sous le contrôle direct de l’État représente toujours 30% de l’économie. Comment la structure rigide et répressive de l’État stalinien et du parti unique a-t-elle prise en charge cette "ouverture" au capitalisme privé ? Dès les années 1990, le parti a intégré massivement des entrepreneurs et des chefs d’entreprises privées. "Au début des années 2000, le président d’alors, M. Jiang Zemin avait levé l’interdiction de recruter des entrepreneurs du secteur privé, vus jusque-là comme des ennemis de classe, (…). Les hommes et les femmes d’affaires ainsi sélectionnés deviennent membre de l’élite politique, ce qui leur garantit que leurs entreprises soient, au moins partiellement, protégées de cadres aux tendances prédatrices" ("Que reste-t-il du communisme en Chine ?", Le monde diplomatique 68, juillet 2021). Aujourd’hui, professionnels et managers diplômés du supérieur constituent 50% des adhérents du PCC.
Les oppositions entre les différentes fractions s’exprimeront donc non seulement au sein des structures étatiques mais au sein même du PCC. Depuis plusieurs années (cf. déjà le "Rapport sur les tensions impérialistes pour le 20e Congrès du CCI", Revue Internationale 152, 2013), les tensions croissent entre différentes factions au sein de la bourgeoisie chinoise[1], en particulier entre celles plus liées aux secteurs capitalistes privés, dépendant des échanges et des investissements internationaux, et celles liées aux structures et au contrôle financier étatiques au niveau régional ou national, celles qui prônent une ouverture au commerce mondial et celles qui avancent une politique plus dogmatique ou nationaliste. La "campagne contre la corruption", engagée par le président Xi, a impliqué des saisies spectaculaires de fortunes gigantesques amassées par des membres de divers clans, tandis que le "tournant à gauche", impliquait moins de pragmatisme économique et plus de dogmatisme et de nationalisme ; leur résultat a surtout été d’intensifier les tensions et l’instabilité politiques ces dernières années : en témoignent "les tensions persistantes entre le premier ministre Li Keqiang et le président Xi Jinping sur la relance économique, tout comme la " nouvelle position" de la Chine sur la scène internationale". (A. Payette, "Chine : à Beidaihe, l'"université d'été" du Parti, les tensions internes à fleur de peau", Asialyst, 06.09.20), les critiques explicites envers Xi qui apparaissent régulièrement (dernièrement l’essai "alerte virale" publié par un professeur réputé de droit constitutionnel à l'Université Qinghua à Pékin et prédisant la fin de Xi), les tensions entre Xi et les généraux dirigeant l’armée populaire, visés en particulier par la campagne anti-corruption ou encore les interventions de l’appareil d’État envers des entrepreneurs trop "flamboyants" et critiques envers le contrôle étatique (Jack Ma et Ant Financial, Alibaba). Certaines faillites (HNA, Evergrande) pourraient d’ailleurs avoir un rapport avec les luttes entre cliques au sein du parti, dans le cadre par exemple de la campagne cynique pour "protéger les citoyens des excès de la "classe capitaliste" (sic)".
Bref, la bourgeoisie chinoise, comme les autres bourgeoisies, est confrontée à des difficultés économiques croissantes liées à la crise historique du mode de production capitaliste, au chaos issu de la décomposition du système et à l’exacerbation des tensions internes entre factions au sein du PCC, qu’elle tente par tous les moyens de contenir au sein de ses structures capitalistes d’État désuètes.
Par ailleurs, la situation est tout aussi délicate pour la bourgeoisie chinoise sur le plan international, d’abord à cause de la politique agressive des USA, mais aussi par les tensions croissantes avec d’autres puissances asiatiques majeures, telles l’Inde et le Japon, intensifiées par le chaos et le chacun pour soi de cette période de décomposition.
La politique "America First", mise en œuvre par Trump à partir de 2017, a essentiellement mené sur le plan impérialiste à une polarisation croissante et une agressivité accentuée envers la Chine, de plus en plus identifiée par la bourgeoisie US comme le danger principal. Les USA ont fait le choix stratégique de concentrer leurs forces sur la confrontation militaire et technologique avec la Chine, en vue de maintenir et même d’accentuer leur suprématie, de défendre leur position de gang dominant face aux rivaux (la Chine et accessoirement la Russie) qui menacent le plus directement son hégémonie. La politique de l’administration Biden s’inscrit pleinement dans cette orientation ; elle a non seulement maintenu les mesures agressives économiques contre la Chine, mises en œuvre par Trump, mais elle a surtout accentué la pression par une politique agressive :
La Chine a réagi furieusement à ces pressions politiques et militaires, particulièrement à celles en mer de Chine autour de Taïwan : organisation de manœuvres navales et aériennes massives et menaçantes autour de l’île, publication d’études alarmistes, qui rapportent un risque de guerre "qui n’a jamais été aussi élevé" avec Taïwan, ou de plans d’attaque surprise contre Taïwan, qui conduirait à une défaite totale des forces armées de l’île.
Les tensions sont tout aussi fortes avec d’autres puissances asiatiques : elles sont à leur comble avec l’Inde, sa grande rivale en Asie, à laquelle des incidents militaires sérieux l’ont opposé dans le Ladakh pendant l’été 2020 ; elles s’exacerbent également avec le Japon, dont le nouveau premier ministre Fumio Kishida, pour la première fois depuis 1945, veut "envisager toutes les options, y compris celle [pour le Japon] de posséder des capacités d’attaques de bases ennemies, de continuer le renforcement de la puissance militaire japonaise autant qu’il sera nécessaire" (P.-A. Donnet, "Les relations entre la Chine et le Japon se détériorent à grande vitesse", Asialyst, 01.12.21). Ces pays gardent cependant une certaine distance envers les USA (et n’ont pas adhéré au pacte militaire de l’AUKUS), la frilosité de l’Inde s’expliquant par ses propres ambitions impérialistes, celle du Japon, par le fait d’être écartelé entre d’une part la crainte du renforcement militaire de la Chine et d’autre part leurs liens industriels et commerciaux considérables avec ce pays (la Chine est le plus grand partenaire commercial du Japon qui a exporté pour plus de 141 milliards de dollars vers ce pays en 2020, comparé à 118 milliards de dollars exportés vers les Etats-Unis (cf. Id.)).
Le chaos et le chacun pour soi produits par la décomposition accentuent pour la Chine aussi le caractère imprédictible de la situation, comme l’illustre l’exemple de l’Afghanistan. L’absence de centralisation du pouvoir Taliban, la myriade de courants et de groupes aux aspirations les plus diverses qui composent le mouvement et les accords conclus avec les chefs de guerre locaux pour investir rapidement l’ensemble du pays font que le chaos et l’imprédictibilité caractérisent la situation, comme les attentats récents visant la minorité Hazara le démontrent. Cela ne peut qu’intensifier l’intervention des différents impérialismes (la Russie, l’Inde, l’Iran, …) mais aussi l’imprévisibilité de la situation, donc aussi le chaos ambiant. Pour la Chine, ce chaos rend toute politique cohérente et à long terme dans le pays aléatoire. Par ailleurs, la présence des Talibans aux frontières de la Chine constitue un danger potentiel sérieux pour les infiltrations islamistes en Chine (cf. la situation dans le Sin-Kiang), surtout que les "frères" pakistanais des Talibans (les TTP, cousins des ISK) sont engagés dans une campagne d’attentats contre les chantiers de la "nouvelle route de la soie", ayant déjà entraîné la mort d’une dizaine de "coopérants" chinois. Afin de contrer le danger en Afghanistan, la Chine tend à s'implanter dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale (Turkménistan, Tadjikistan et Ouzbékistan). Mais ces républiques font traditionnellement partie de la zone d’influence russe, ce qui augmente le danger de confrontation avec cet "allié stratégique", auquel de toute façon ses intérêts à long terme (la "nouvelle route de la soie") l’opposent fondamentalement.
La Chine est donc non seulement directement impactée par l’approfondissement du pourrissement du capitalisme, elle est un puissant facteur actif de celui-ci, comme son implication dans la crise du Covid, l’essoufflement de son économie ou les affrontements internes au sein de sa bourgeoisie le démontrent amplement.
Son effort spectaculaire pour tenter de compenser son retard sur le plan militaire par rapport aux Etats-Unis est en particulier un facteur important dans l’accélération de la course aux armements, en particulier sur le continent asiatique qui connaît une hausse significative des dépenses militaires : l'inversion du poids respectif de l'Asie et de l'Europe entre 2000 et 2018 sur ce plan est spectaculaire : en 2000, l'Europe et l'Asie représentent respectivement 27 % et 18 % des dépenses de défense mondiales. En 2018, ces rapports sont inversés, l'Asie en représente 28 % et l'Europe 20 % (données du Sipri). Ainsi par exemple, le budget militaire japonais atteindra un niveau jamais vu depuis 1945 avec plus de 53,2 milliards de dollars pour 2021, une hausse de 15% comparée à la même période de 2020 (cf. P.-A. Donnet, "Les relations entre la Chine et le Japon se détériorent à grande vitesse", Asialyst 01.12.21). L’armement massif des États accroît sensiblement le danger de confrontation entre puissances asiatiques majeures ou les tensions avec les USA, qui sont prééminentes, même si elles n’induisent pas une tendance à la formation de blocs impérialistes dans la mesure où ni les USA aujourd’hui et encore moins la Chine n’arrivent à mobiliser les autres puissances derrière leurs ambitions impérialistes et à imposer de manière durable son leadership à d’autres pays. Cela n’a toutefois rien de rassurant : "Dans le même temps, les "massacres d'innombrables petites guerres" prolifèrent également, alors que le capitalisme, dans sa phase finale, plonge dans un chacun-pour-soi impérialiste de plus en plus irrationnel" (Résolution situation internationale du 24ième Congrès du CCI [1], point 11, Revue Internationale 167).
La Chine ne ressort donc nullement de la crise du Covid-19 comme le "rempart de la stabilité mondiale" ni comme le phare qui indiquerait le chemin de la sortie de crise au capitalisme mondial. "La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de la décomposition. (…) [et] a été mise en œuvre par un appareil politique inflexible qui n'a pu éviter le sort du stalinisme dans le bloc russe que par une combinaison de terreur d'État, une exploitation impitoyable de la force de travail qui soumet des centaines de millions de travailleurs à un état permanent de travailleur migrant et de croissance économique frénétique dont les fondations semblent maintenant de plus en plus fragiles. Le contrôle totalitaire sur l’ensemble du corps social, le durcissement répressif auxquels se livre la fraction stalinienne de Xi Jinping ne représentent pas une expression de force mais au contraire une manifestation de faiblesse de l’État, dont la cohésion est mise en péril par l’existence de forces centrifuges au sein de la société et d’importantes luttes de cliques au sein de la classe dominante" (Résolution situation internationale du 24ième Congrès du CCI, point 9, Revue Internationale 167). Elle apparaît au contraire comme une gigantesque "bombe à retardement" annonçant une effroyable spirale de barbarie pour la planète si la classe ouvrière ne met pas fin au pourrissement sur pied de ce système décadent[2].
R. Havannais / 20.12.21
[1] La littérature sur le PCC énumère par exemple la faction Qinghua (ex étudiants de l’université polytechnique Qinghua à Pékin, tels l’ex-président Hu Jintao et le premier ministre Li Keqiang), aux origines plus modestes et d’orientation plutôt réformatrice, la faction des "princes rouges", issue de familles de la Nomenklatura du PCC (Xi Jinping) et dirigeant la majorité des grands groupes publics ou semi-publics, ou encore la « clique » de Shanghai (Jiang Zemin), orientée vers l’ouverture et les réformes économiques.
[2] Un facteur supplémentaire et récent de cette menace a été révélé avec le risque de propagation du variant Omicron en Chine. En effet, beaucoup plus transmissible que les variants précédents, il est susceptible de mettre en défaut la stratégie chinoise de "zéro Covid-19" reposant sur des mesures drastiques de confinement. Et ceci alors même que des études récentes convergent vers le diagnostic d'une efficacité médiocre des deux principaux vaccins utilisés en Chine. En fonction de l'ampleur que pourraient prendre des suspensions de l'activité (localisés à une ou plusieurs villes, une région, …) qui en découleraient, il est facile d'entrevoir les conséquences possibles de celles-ci en Chine même, et aussi mondialement. (Actualisation du 31/12/2021)
– Les caractéristiques historiques de la lutte des classes en France (partie 1) [3]
– Les caractéristiques historiques de la lutte des classes en France (partie 2) [4]
– Les caractéristiques historiques de la lutte des classes en France (Partie 3 [5])
– Les caractéristiques historiques de la lutte des classes en France (partie 4) [6]
Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le samedi 15 janvier 2022 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [11]) ou dans la rubrique “nous contacter” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
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Dans tous les pays, dans tous les secteurs, la classe ouvrière subit une dégradation insoutenable de ses conditions de vie et de travail. Tous les gouvernements qu’ils soient de droite ou de gauche, traditionnels ou populistes, attaquent sans relâche. Les attaques pleuvent sous le poids de l’aggravation de la crise économique mondiale.
Malgré la crainte d’une crise sanitaire oppressante, la classe ouvrière commence à réagir. Ces derniers mois, aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée, en Espagne ou en France, des luttes se sont engagées. Certes, il ne s’agit pas de mouvements massifs : les grèves et les manifestations sont encore trop maigres, trop éparses. Pourtant la bourgeoisie les surveille comme le lait sur le feu, consciente de l’ampleur de la colère qui gronde.
Comment faire face aux attaques portées par la bourgeoisie ? Rester isolé et divisé, chacun dans « son » entreprise, dans « son » secteur d’activité ? C’est à coup sûr être impuissant ! Alors comment développer une lutte unie et massive ?
Les prix flambent, particulièrement ceux des denrées de première nécessité : l’alimentaire, l’énergie, les transports... L’inflation de 2021 dépasse déjà celle enregistrée après la crise financière de 2008. Aux États-Unis, elle s’élève à 6,8 %, le niveau le plus élevé depuis 40 ans. En Europe, ces derniers mois, le coût de l’énergie a bondi de 26 % ! Derrière ces chiffres, ce sont concrètement de plus en plus de personnes en difficulté pour se nourrir, se loger, se chauffer, se déplacer. Les prix mondiaux des denrées alimentaires ont augmenté de 28 %, menaçant directement de malnutrition près d’un milliard de personnes dans les pays les plus pauvres, surtout en Afrique et en Asie.
L’aggravation de la crise économique mondiale signifie une concurrence de plus en plus acharnée entre les États. Pour maintenir les profits, la réponse est toujours la même, partout, dans tous les secteurs, dans le privé comme dans le public : réduction des effectifs, augmentation des cadences de travail, restriction des budgets, y compris sur le matériel lié à la sécurité des salariés. En janvier, en France, les enseignants sont descendus massivement dans la rue pour protester contre leurs conditions de travail indignes. Eux aussi vivent l’enfer capitaliste au quotidien à cause du manque de moyens et de personnel. Dans les manifestations, une idée profondément juste s’est affichée sur les pancartes : « Ce qui nous arrive remonte bien avant le Covid ! »
Le sort infligé aux travailleurs du secteur de la santé le montre parfaitement. La pandémie n’a fait que mettre en lumière la pénurie de médecins, d’aides-soignants, d’infirmiers, de lits, de masques, de blouses, d’oxygène… de tout ! Le chaos et l’épuisement qui règnent dans les hôpitaux depuis le début de la pandémie n’est rien d’autre que la conséquence des coupes claires menées par tous les gouvernements, dans tous les pays, depuis des décennies. À tel point que l’OMS est obligée, dans son dernier rapport, de tirer la sonnette d’alarme : « Plus de la moitié des besoins sont non satisfaits. Il manque dans le monde 900 000 sages-femmes et 6 millions d’infirmiers et infirmières. […] Cette pénurie préexistante s’est exacerbée avec la pandémie et la pression qui repose sur ces effectifs surmenés ». Dans de nombreux pays pauvres, une large partie de la population n’a même pas pu avoir accès aux vaccins pour l’unique raison que le capitalisme est basé sur la recherche du profit.
Alors, oui, « ce qui nous arrive remonte bien avant le Covid » ! La pandémie est le produit du capitalisme moribond dont elle aggrave la crise insurmontable. Non seulement ce système a fait la preuve de son impuissance et de sa désorganisation face à une pandémie qui a déjà fait plus de dix millions de morts, particulièrement parmi les exploités et les plus pauvres, mais il va continuer à dégrader nos conditions d’existence et de travail, il va continuer à licencier, à pressurer, à précariser, à appauvrir. Sous le poids de ses contradictions, il ne peut que continuer à être happé dans des guerres impérialistes interminables, à provoquer de nouvelles catastrophes écologiques, sources de chaos, de conflits, de misère et de nouvelles pandémies plus graves encore. Ce système d’exploitation n’a plus d’avenir à offrir à l’humanité, autre que la souffrance et la misère.
Seule la lutte de la classe ouvrière est porteuse d’une autre perspective, celle du communisme : une société sans classe, sans nations, sans guerres, où toutes les formes d’oppression seront abolies. La seule perspective, c’est la révolution communiste mondiale !
En 2020, partout dans le monde, une chape de plomb s’est abattue avec les confinements à répétition, les hospitalisations d’urgence et les millions de morts. Après le regain de combativité qui s’était exprimé dans plusieurs pays au cours de l’année 2019, particulièrement lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, les luttes ouvrières ont subi un coup d’arrêt brutal. Mais, aujourd’hui, de nouveau, la colère gronde et la combativité frémit :
– Aux États-Unis, une série de grèves a touché des groupes industriels comme Kellog’s, John Deere, PepsiCo, mais aussi le secteur de la santé et des cliniques privées, comme à New York.
– En Iran, cet été, des ouvriers de plus de 70 sites du secteur pétrolier se sont mis en grève contre les bas salaires et la cherté de la vie. Du jamais vu depuis 42 ans !
– En Corée, les syndicats ont dû organiser une grève générale pour la protection sociale, contre la précarité et les inégalités.
– En Italie, il y a eu de nombreuses journées d’action contre les licenciements et la suppression du salaire minimum.
– En Allemagne, le syndicat des services publics s’est senti obligé, face à la montée de la mobilisation, de brandir la menace de grèves pour tenter d’obtenir l’augmentation des salaires.
– En Espagne, à Cadix, les ouvriers de la métallurgie se sont mobilisés contre une diminution de salaire de 200 euros par mois en moyenne. Les employés de la fonction publique en Catalogne ont manifesté contre le recours intolérable aux emplois d’intérim (plus de 300 000 travailleurs de l’État ont des emplois précaires). Des luttes ont eu lieu dans les chemins de fer de Majorque, chez Vestas, à Unicaja, chez les métallurgistes d’Alicante, dans différents hôpitaux, chaque fois contre des licenciements.
– En France, un même mécontentement s’est exprimé par des grèves ou des manifestations dans le secteur des transports, chez les éboueurs, les cheminots et les enseignants.
Toutes ces luttes sont importantes car elles révèlent que la classe ouvrière n’est pas prête à accepter tous les sacrifices que la bourgeoisie tente de lui imposer. Mais il faut aussi reconnaître les faiblesses de notre classe. Toutes ces actions sont contrôlées par les syndicats qui, partout, divisent et isolent les prolétaires autour de revendications corporatistes, encadrent et sabotent les luttes. À Cadix, les syndicats ont cherché à enfermer les travailleurs en lutte dans le piège localiste d’un « mouvement citoyen » pour « sauver Cadix », comme si les intérêts de la classe ouvrière résidaient dans la défense d’intérêts régionaux ou nationaux et pas dans le lien avec leurs sœurs et frères de classe par-delà les secteurs et les frontières ! Les travailleurs rencontrent encore des difficultés pour s’organiser eux-mêmes, pour prendre en main l’organisation des luttes, pour se regrouper en assemblées générales souveraines, pour lutter contre les divisions que nous imposent les syndicats.
Un danger supplémentaire guette aussi la classe ouvrière, celui de renoncer à défendre ses revendications de classe en adhérant à des mouvements qui n’ont rien à voir avec ses intérêts et ses méthodes de lutte. On a pu observer de tels mouvements avec les « gilets jaunes » en France, ou, plus récemment, en Chine, lors de l’effondrement du géant de l’immobilier Evergrande (symbole spectaculaire de la réalité d’une Chine surendettée) qui a surtout provoqué la protestation des petits propriétaires spoliés. Au Kazakhstan, les grèves massives dans le secteur de l’énergie ont finalement été détournées vers une révolte « populaire » sans perspective, piégée dans des conflits entre cliques bourgeoises qui aspirent au pouvoir. Chaque fois que les ouvriers se diluent dans le « peuple » en tant que « citoyens », réclamant à l’État bourgeois de bien vouloir « changer les choses », ils se condamnent à l’impuissance.
Afin de nous préparer à lutter, nous devons, partout où nous le pouvons, nous rassembler pour débattre et tirer les leçons des luttes passées. Il est vital de mettre en avant les méthodes de lutte qui ont fait la force de la classe ouvrière et lui ont permis, à certains moments de son histoire, de faire vaciller la bourgeoisie et son système :
– la recherche du soutien et de la solidarité au-delà de « son » entreprise, de « son » secteur d’activité, de « sa » ville, de « sa » région, de « son » pays ;
– la discussion la plus large possible sur les besoins de la lutte, quels que soient l’entreprise, le secteur d’activité ou le pays ;
– l’organisation autonome de la lutte, à travers des assemblées générales notamment, sans en laisser le contrôle aux syndicats, ni à aucun autre organe d’encadrement de la bourgeoisie.
L’autonomie de la lutte, l’unité et la solidarité sont les jalons indispensables à la préparation des luttes de demain !
Courant communiste international, janvier 2022
Début janvier, le Kazakhstan a été le théâtre de manifestations et d’émeutes violentes suite à la libéralisation du prix du gaz, ressource majeure pour la vie économique du pays et le quotidien de la population. L’augmentation du prix du gaz s’est ajoutée à celle des denrées alimentaires et de nombreux produits de base, générant une immense colère.
Face à cette dégradation considérable des conditions de vie, la classe ouvrière a, dans un premier temps, été aux avant-postes. Dans de nombreux centres ouvriers industriels, miniers ou gaziers, des grèves se sont déclenchées pour exiger des augmentations de salaires. La riposte sociale s’est répandue comme une traînée de poudre dans l’ensemble du pays, avec des manifestations massives qui se sont confrontées immédiatement aux forces de répression, voyant d’ailleurs un certain nombre de policiers changer de camp et rejoindre les manifestants.
La réalité d’un mécontentement ouvrier au Kazakhstan n’est pas nouvelle : déjà en 2011, à Janaozen, région riche en ressources pétrolières, quatorze ouvriers d’un site grévistes avaient été tués lors de la répression d’une manifestation contre les conditions de travail et les bas salaires. Le mouvement s’était ensuite étendu à la grande ville d’Aktau, sur les bords de la mer Caspienne, avant de se propager dans le reste du pays.
Ces dernières semaines, la répression s’est révélée encore plus féroce. Des dizaines, sinon des centaines de manifestants, sont tombés sous les balles des forces de l’ordre. Le pouvoir en place, avec à sa tête le président Tokaïev, n’a pas fait dans la dentelle, appelant même à la rescousse l’armée russe pour mater la rébellion « terroriste », annonçant ouvertement avoir « donné l’ordre de tirer pour tuer sans avertissement ».
Les ouvriers sont donc présents dans cette situation sociale dégradée. Mais ont-ils su, dans cette confrontation avec le pouvoir, développer leur lutte sur un véritable terrain de classe, comme force autonome ? Les violences dans la rue sont-elles l’expression de la lutte de la classe ouvrière ou celle d’une violence populaire, d’un mécontentement général de la population dans laquelle la classe ouvrière est diluée ?
Très rapidement, les revendications initiales contre l’inflation ont été détournées vers des revendications démocratiques, contre la corruption, contre le régime en place, avec des émeutes anti-Tokaïev dans la plupart des grandes villes du pays. Cette révolte populaire, dans laquelle les ouvriers se mêlaient à la petite-bourgeoisie (les commerçants étranglés par les prix, les professions libérales anti-Tokaïev, etc.), s’est ainsi très aisément faite instrumentaliser pour servir de masse de manœuvre dans un conflit entre cliques bourgeoises kazakhes, utilisées par le clan de l’ancien président Nazarbaïev.
Malgré les grèves ouvrières bien réelles, le prolétariat de ce pays n’a pas d’expérience majeure de lutte autonome, soumis en permanence à une chape de plomb dictatoriale et de fortes illusions démocratiques, nationalistes, et parfois religieuses. Il s’est ainsi facilement laissé entraîner sur un terrain bourgeois où il ne peut pas défendre ses propres intérêts de classe, ses propres revendications et, au contraire, ne peut qu’être noyé, utilisé, soumis à des intérêts bourgeois qui lui sont totalement étrangers.
Au Kazakhstan, la dénonciation par le pouvoir des « terroristes » internationaux ou de « bandits » prêts à toutes les exactions lors des manifestations, cachait mal les rivalités internes qui font rage au sein de la bourgeoisie et dont le prolétariat fait les frais dans sa chair, aujourd’hui encore. L’ex-président Nazarbaïev qui avait démissionné en 2019 mais gardait la main mise sur l’ensemble du pays, particulièrement sur ses forces de répression comme le Comité national de sécurité (KNB), a clairement utilisé et manipulé les manifestations pour réagir aux ambitions du nouveau président Tokaïev qui veut accroître son influence dans le pays et s’émanciper du clan Nazarbaïev qui l’avait installé au pouvoir. Nazarbaïev a mobilisé ses partisans au sein même de la police et de l’armée, son « armée privée »(1) pour fragiliser le pouvoir de Tokaïev. C’est ainsi que des policiers ont reçu l’ordre de laisser se développer le chaos, au point que même certains ont rejoint les rangs des manifestants pour tenter d’affaiblir le camp adverse, ce qui explique également les assauts contre les bâtiments gouvernementaux ou l’aéroport d’Almaty. La clique du président Tokaïev a bien évidemment réagi : le directeur du KNB limogé, arrêté et emprisonné, arrestation de Karim Massimov, très proche de Nazarbaïev, ancien premier ministre, ancien chef des services de renseignements, pour suspicion de haute trahison. C’est la claire confirmation d’un panier de crabes entre bourgeois où tous les coups sont permis, où les ouvriers servent de chair à canon pour la clique adverse.
Concrètement, nous sommes loin d’une situation où les forces de répression bourgeoises s’effondreraient, faisant vaciller le pouvoir bourgeois pour rejoindre le prolétariat en passe de renverser l’État capitaliste ! Au contraire, il ne s’agit ni plus ni moins que des ambitions d’un clan bourgeois contre un autre ! Aujourd’hui, même si le clan Tokaïev a pu reprendre le contrôle de la situation sur un monceau de cadavres, d’exécutions sommaires, de milliers de blessés et de multiples arrestations, rien n’est réglé dans le fond, ni au Kazakhstan ni dans toute la région où les tensions impérialistes sont multiples et grandissantes.
Dans cette situation de décomposition politique, Tokaïev n’avait pas d’autre choix que de demander de l’aide à l’extérieur, particulièrement à l’OTSC,(2) cache-sexe de l’impérialisme russe enclin à renouer avec sa domination d’antan et qui a d’ailleurs réagi immédiatement par l’envoi de matériel et d’un contingent de 3 000 hommes pour soutenir la répression. L’OTSC envoyant quant à elle une centaine d’hommes seulement, expression de la défiance des autres États de ce « partenariat » à l’égard de Moscou. En intervenant directement, qui plus est à la demande de Tokaïev, l’impérialisme russe ne cache pas ses prétentions de vouloir défendre son influence sur des zones constituant l’ex-territoire de l’URSS alors que celles-ci sont désormais, comme au Kazakhstan, l’objet d’un « partenariat stratégique » avec les États-Unis dès la chute de l’URSS et convoitées avec insistance par la Turquie (membre de l’OTAN), et surtout, plus récemment, la Chine.
La Chine s’est ainsi félicité de cette répression et du rétablissement de l’ordre kazakh ! Pékin a, en effet, besoin du régime kazakh, maillon important de son programme d’investissement international des « routes de la soie », et donc besoin du calme social et de la paix des tombes, quitte à être pour l’instant sur la même longueur d’onde que Moscou. Pékin a également besoin du soutien, au moins implicite, du régime kazakh à sa politique répressive à l’égard des musulmans (Ouïgours) du Xinjiang.
Quant à l’Union européenne (UE) et aux États-Unis, soi-disant « très meurtris du fait qu’il y ait eu autant de victimes », ils appellent chacun à une « résolution pacifique » de cette crise, condamnant les violences de manière platonique et hypocrite. Si les grandes puissances « démocratiques » réagissent si platoniquement, c’est que le Kazakhstan ne semble pas être une cible prioritaire des prétentions impérialistes américaines. Par ailleurs, au sein de l’UE des clivages importants existent à propos de l’attitude à adopter envers la Russie.
Au bout du compte, les intérêts impérialistes rivaux restent l’ADN de ce capitalisme pourrissant, la priorité pour tous ces requins barbares, fourbissant tous leurs armes pour les épisodes de confrontations à venir : ils ont tous leur part de responsabilité dans les massacres et sont directement les sources majeures du chaos en cours.
Si la classe ouvrière au Kazakhstan a tenté d’exprimer sa colère, à cause de la faiblesse de sa conscience, de son manque d’expérience, elle n’a pas su résister et encore moins représenter un obstacle aux luttes d’influence et aux affrontements entre cliques rivales au sein de la bourgeoisie kazakhe, comme face aux rivalités entre tous les requins impérialistes qu’ils soient russes, turcs, chinois, européens ou américains. Malgré la répression sauvage et le bain de sang, la colère ouvrière n’a évidemment pas disparu et de nouveaux épisodes de contestation face à la crise et à la répression sont à prévoir.
Mais en l’état actuel, en dépit des mouvements de grèves importants, ces moments de confrontation directe avec les forces de répression ne sont pas un tremplin pour le développement de sa propre lutte autonome et la défense de ses propres intérêts. Elle a, au contraire, tout à perdre dans un tel bourbier où ses revendications économiques sont stérilisées par les revendications démocratiques, nationalistes, utilisées par les factions bourgeoises prêtes à toutes les infamies. Ces illusions démocratiques sont, d’ailleurs, un piège qui reste à venir dans la mesure où les forces d’opposition nationales à visage « démocratique » ne sont en rien structurées et cherchent une visibilité et une crédibilité pour la suite, comme c’est le cas en Biélorussie.
La classe ouvrière kazakhe, seule, est hélas très exposée et vulnérable à ce type de pression idéologique. Même s’il n’en a pas actuellement la force, seul le prolétariat des pays centraux, ayant une expérience éprouvée de telles confrontations comme des mystifications nationalistes et démocratiques, peut montrer le chemin permettant aux ouvriers de se battre sur un terrain propice à la remise en cause de l’exploitation capitaliste et non pas se laisser happer par des mots d’ordre n’ayant pas d’autres logiques que la conservation de l’ordre social. Le devenir des luttes ouvrières qui commencent à se manifester partout dans le monde, passe par l’impulsion nécessaire de la lutte ouvrière dans les pays centraux.
Stopio, 20 janvier 2022
1 Selon tous les commentateurs bourgeois de la presse internationale.
2 Conglomérat politico-militaire de puissances impérialistes régionales (Biélorussie, Arménie, Kazakhstan Tadjikistan, Kirghizistan et Russie).
Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le samedi 12 février 2022 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [11]) ou dans la rubrique “nous contacter [21]” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
La publication de l’enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, a remis sur le devant de la scène médiatique le traitement barbare auquel sont soumises d’innombrables personnes âgées dans les maisons de retraite. Bien sûr, la bourgeoisie, gouvernement en tête, a feint la stupéfaction : Comment ? On maltraite les vieux dans les EHPAD ? C’est une « révélation » fracassante ! Alors, branle-bas de combat ! Convocation du directeur chez la ministre de l’Autonomie ! Indignation gouvernementale ! Enquêtes administratives !…
Quel cynisme ! Quelle ignominie de la part de tous ces faux indignés ! Ce n’est pourtant pas la première fois que de tels scandales éclatent. Si ces récentes publications ont le mérite de remettre sur le tapis des pratiques choquantes à grande échelle, elles n’ont de « révélations » que le nom. Il suffisait d’écouter, parmi tant d’autres, le cri de détresse du personnel de la maison de retraite des Opalines à Foucherans dans le Jura, en grève pendant cent jours, en 2017 ! Ou la colère des aides-soignants lors de la grève nationale de 2018 ! Ou les alertes répétées des familles restées lettres mortes pendant des années ! Il suffit de prêter l’oreille à l’angoisse des anciens redoutant l’heure fatidique où, faute de solutions, il faudra bien quitter la maison et rejoindre un EHPAD. La stupéfaction indignée de la bourgeoisie n’est qu’une triste farce car tout le monde sait pertinemment comment sont traitées les personnes âgées dans la plupart des établissements !
Partout, dans le privé comme dans le public, la politique des directions est, dans le fond, similaire : réduction drastique des coûts, y compris pour la bureaucratie d’État dans les établissements publics, obsédée par les chiffres de ses tableurs Excel, rentabilité et profits coût que coût dans les établissements privés. Partout, des contrats précaires pour ajuster le personnel en fonction du taux d’occupation des chambres, le manque chronique de matériel basique (gants, papier toilette…), bas salaires et formations insuffisantes. Tout cela ne peut que générer de la souffrance au travail pour les employés et de la maltraitance pour les « résidents ». Les salariés subissent non seulement une exploitation féroce et une course à la rentabilité les contraignant à traiter les personnes agées comme de la marchandise (sous peine de perdre leur boulot), mais ils sont aussi régulièrement culpabilisés par des directions qui, pour se dédouaner à l’annonce du moindre scandale, n’hésitent pas à pointer les « besoins en formation » (en langage clair : l’incompétence du personnel !). Devoir traiter de façon si indigne des personnes vulnérables qu’on côtoie au quotidien et avec qui on noue, forcément, des liens affectifs, c’est aussi une immense souffrance psychique : « On sait bien qu’on n’habille pas bien, qu’on ne lave pas bien. Faire face aux familles sachant ça, c’est dur », disait déjà une aide-soignante lors de la grève de 2018. (1)
Quant à la « clientèle » (parce qu’il ne s’agit, finalement, que de cela !), les conditions d’existence sont tout bonnement révoltantes. Les sous-effectifs se traduisent par des toilettes bâclées et irrégulières parce que le temps dont dispose le personnel pour des personnes dépendantes est souvent de moins de dix minutes, par des petits vieux dormant parfois dans leurs urines parce que les deux aides-soignantes de nuit sont débordées et que les « résidents » n’osent pas déranger, ou par des assistances au moment des repas de cinq à six personnes en même temps, voire plus… La maltraitance est parfois cauchemardesque : les cas de malnutrition ou de déshydratation, voire de brutalisation physique, sont nombreux. Des témoignages ont même rapporté que des personnes âgées tombées au sol n’étaient pas relevées pendant des heures et que d’autres, en pleine crise de démence, étaient enfermées dans leur chambre, comme en prison. Les 390 pages du livre de Victor Castanet sont pleines de scènes plus ignobles les unes que les autres.
Pour le capitalisme, les vieux, comme les handicapés, les marginaux ou les clochards, ne sont que des bouches inutiles à nourrir, des improductifs aux yeux de l’État et des patrons, des « assistés », tout juste bons à se faire « plumer » par des rapaces comme ceux du groupe Orpea. Dans les sociétés du passé, les anciens étaient respectés parce que leur expérience était un trésor à transmettre aux générations futures. Dans le monde sans lendemain de la bourgeoisie, la « personne dépendante », si elle veut survivre, doit être solvable, parce que les maisons de retraite, au même titre que n’importe quelle entreprise, doivent faire l’objet d’un « retour sur investissement ». Pour ce faire, tous les moyens sont bons pour rogner sur les coûts et employer un minimum de personnel.
Mais toute la campagne médiatique et la fausse indignation du gouvernement contre le « cynisme pur » de ce « groupe privé » n’est qu’une tartuferie ! D’abord parce que l’État finance grassement ce juteux business et qu’il est censé assurer un contrôle, via les Agences régionales de santé notamment, d’une inefficacité criante : il faut dire que les effectifs d’inspecteurs n’ont cessé de fondre d’année en année.
Mais, surtout, dans les maisons de retraite publiques, la situation n’est pas meilleure ! Partout, les mêmes coupes budgétaires et les mêmes suppressions de poste ont engendré la même maltraitance et la même souffrance au travail. Contrairement aux balivernes des gauchistes, défenseurs zélés de l’État « social », ce dernier n’échappe pas à la logique capitaliste de la rentabilité. Face à la concurrence sans limite entre nations, il doit aussi assurer la rentabilité maximum dans ses services, minimiser les coûts et maximiser l’exploitation. Pour l’État, le bien être des vieux, surtout ceux de la classe ouvrière, ne sont pas un investissement profitable mais une charge insoutenable. Dans un contexte de décomposition des rapports sociaux qui fondent toute vie en société, même le plus simple vernis « morale » n’a plus prise : si l’État accepte de « prendre en charge la dépendance », c’est parce que s’occuper à plein temps de personnes âgées est un frein à l’exploitation de leurs enfants qui doivent, par contre, assurer l’énorme charge financière. Le soi-disant « État providence », « garant » de la « solidarité », n’est qu’un mythe ! Dans la réalité, c’est le plus féroce et le plus cynique de tous les patrons !
En polarisant à nouveau la responsabilité des violences dont sont victimes les personnes âgées sur tel ou tel « groupe privé », sur tel ou tel directeur crapuleux, sur tel ou tel « manquement dans les contrôles », la bourgeoisie et ses médias cherchent, encore une fois, à détourner l’indignation du prolétariat du terrain de la réflexion sur les racines de cette barbarie. La violence dans les rapports sociaux et la maltraitance dans les maisons de retraite sont non seulement à l’image de la barbarie du capitalisme, mais elles en sont également le produit direct.
EG, 5 février 2022
1« Chez Orpea, la fin de vie se paye au prix fort », Mediapart (29 janvier 2018). Signalons que l’article date de 2018 et concernait déjà le groupe Orpea aujourd’hui mis sur le banc des accusés.
Dans la première partie de l’article [26], nous avons mis en évidence que ce sont les fondements économiques qui déterminent la composition de la classe ouvrière, fondements économiques sur lesquelles la bourgeoisie tente de mettre un voile en opérant un tour de passe-passe idéologique visant à faire croire que la classe ouvrière n’existe plus. Cette base économique détermine les oppositions de classe et, donc, la lutte de classe. Cette deuxième partie vise à répondre aux courriers de la camarade Pomme au sujet du rapport de force entre les classes. Rappelons d’abord la façon dont la camarade expose le problème dans son courrier (1) : « le matérialisme dialectique permet de comprendre que l’histoire des hommes repose sur une dynamique, un processus fruit des antagonismes de classes et que ces classes se définissent, donc, dans et uniquement dans ce rapport de force ».
Plus loin, la camarade rajoute : « La frontière de classe se réalise et se pense dans la lutte : quels sont les mouvements, les discours et les prises de position qui correspondent aux nécessités révolutionnaires du prolétariat et de ce fait apparaît qui appartient au prolétariat ou non. […] Le prolétariat en tant que classe n’existe qu’au sein de la lutte, non dans le sens où il n’existerait que dans les périodes de mouvements ouvriers, mais que son existence ne peut se penser que dans le rapport de force qui l’oppose à la bourgeoisie ».
La vision développée par la camarade l’amène à défendre une vision schématique du processus de développement de la conscience de classe et du combat pour la perspective révolutionnaire. Si les luttes en tant que telles en sont un des creusets, elles n’en forment pas le seul terrain. Pour la camarade, ce combat semble se réduire essentiellement à une réaction à son exploitation. Mais c’est perdre de vue que ce combat, portant en lui la perspective révolutionnaire, repose avant toute chose sur une vision historique.
C’est sur la base de la défense de ses intérêts économiques que le prolétariat pourra retrouver son identité de classe, condition indispensable pour développer son combat révolutionnaire et intégrer toutes les oppressions générées par le capitalisme. Contrairement aux classes révolutionnaires du passé, la classe ouvrière ne peut pas construire son projet de société au sein de l’ancienne société, le communisme étant la négation de l’exploitation et de la propriété privée des moyens de production qui permet cette exploitation. C’est un immense défi pour la classe révolutionnaire, car il s’agit de libérer l’humanité des chaînes de l’exploitation, ce dont aucune des classes révolutionnaires précédentes (comme la bourgeoisie contre le système féodal) n’a jamais été porteuse. Or, le chemin qui mène à son émancipation est semée d’obstacles dressées par la bourgeoisie qui tente d’entraver le combat révolutionnaire de la classe ouvrière en exploitant ses illusions, son manque de confiance en elle. Une telle dynamique n’est pas linéaire, mais plutôt en dents de scie, avec des phases d’avancée et des phases de reflux, déterminant ainsi le rapport de force entre les classes. Comme le prolétariat est une classe exploitée au sein de la société bourgeoise, il subit tout le poids des idées dominantes qui sont celles de la classe dominante et en même temps, étant au cœur des contradictions du capitalisme, il est amené à s’opposer à lui et à se projeter dans l’avenir. C’est cette caractéristique du prolétariat qui donne à sa lutte un caractère heurté, où chaque période de reflux permet cependant de tirer les leçons de ses expériences afin d’enrichir la conscience de la classe ouvrière.
Rappelons que Marx et Engels ne sont pas les « inventeurs » de la lutte de classes, ce phénomène avait déjà été mis en évidence par des penseurs bourgeois avant eux. En revanche, leur apport théorique réside dans le fait que cette lutte de classe porte en elle un projet de société radicalement opposé au capitalisme : le communisme. Tant que les conditions matérielles n’étaient pas réunies, le développement des forces productives restant insuffisant et la classe porteuse de ce projet pas encore totalement constituée, le communisme ne pouvait être qu’une « belle idée ». Le développement de l’exploitation capitaliste et les premiers conflits entre bourgeois et prolétaires sécrétèrent au sein de la classe ouvrière les premières esquisses d’un programme communiste, présentées de façon rudimentaire certes, mais qui font partie du patrimoine du prolétariat, comme la conjuration des Égaux et les écrits de Babeuf sous la Révolution Française de 1789. Chaque grande étape des luttes ouvrières apporta des améliorations et une clarification de ce projet : les insurrections de 1848, la Commune de Paris en 1871, la grève de masse en Russie de 1905, la vague révolutionnaire de 1917-1923. Toutes ces expériences sont le fruit d’un combat dans lequel évolue la conscience, les leçons restant inscrites dans la mémoire historique du prolétariat. C’est la traduction pratique de ce que disaient Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste : le capitalisme a créé son propre fossoyeur. Ses seules armes sont sa conscience et son organisation, son unité grandissante au-delà de toute division de sexe, de race, de religion et de nation. La révolution communiste sera donc le produit historique du combat titanesque entre la bourgeoisie et le prolétariat et non le produit d’un simple rapport de force saisi à un moment donné de manière abstraite, en dehors de tout contexte et sans avoir au préalable analysé où en est la lutte de classe, dans quel contexte historique elle évolue, où en est le prolétariat, quelle est la stratégie de la bourgeoisie… Pour le dire plus simplement, nous ne pouvons pas analyser le rapport de force entre les classes si nous ne le remettons pas dans un cadre historique. La condition nécessaire pour que ce projet aboutisse étant que la classe qui en est porteuse en soit consciente.
Dans sa contribution, la camarade nous dit : « Je souscris à cette description qui pose clairement la place occupée par le prolétariat dans les rapports de production (elle est une classe exploitée) et qui détermine le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière ». Or, le fait d’être une classe exploitée ne suffit pas pour être une classe révolutionnaire. Dans le capitalisme, au niveau mondial, il existe des paysans pauvres exploités par des États, des banques ou des usuriers qui prélèvent, sur le fruit de leur travail, des impôts, ou des intérêts sur des dettes contractées pour pouvoir subsister. Comme nous le disons dans la Revue Internationale n° 73 : « En réalité, dans la mesure où l’abolition de l’exploitation se confond, pour l’essentiel, avec l’abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d’exploitation, c’est-à-dire le prolétariat, est en mesure de porter un projet révolutionnaire. Seule la classe exploitée au sein des rapports de production capitalistes, produit du développement de ces rapports de production, est capable de se doter d’une perspective de dépassement de ces derniers. » Dans ce même article, il est indiqué : « le capital a concentré la classe ouvrière dans des unités de production géantes, qui n’ont rien à voir avec ce qui pouvait exister du temps de Marx. En outre, ces unités de production sont elles-mêmes, en général, concentrées au cœur ou à proximité de villes de plus en plus peuplées. Ce regroupement de la classe ouvrière, tant dans ses lieux d’habitation que de travail, constitue une force sans pareil dès lors qu’elle sait le mettre à profit, en particulier par le développement de sa lutte collective et de sa solidarité. Une des forces essentielles du prolétariat est sa capacité de prise de conscience. Toutes les classes, et particulièrement les classes révolutionnaires, se sont données une forme de conscience. Mais celle-ci ne pouvait être que mystifiée, soit que le projet mis en avant ne puisse aboutir (cas de la guerre des paysans en Allemagne, par exemple), soit que la classe révolutionnaire se trouve obligée de mentir, de masquer la réalité à ceux qu’elle voulait entraîner dans son action mais qu’elle allait continuer à exploiter (cas de la révolution bourgeoise avec ses slogans “Liberté, Égalité, Fraternité”). N’ayant, comme classe exploitée et porteuse d’un projet révolutionnaire qui abolira toute exploitation, à masquer ni aux autres classes, ni à lui-même, les objectifs et les buts ultimes de son action, le prolétariat peut développer, au cours de son combat historique, une conscience libre de toute mystification. De ce fait, celle-ci peut s’élever à un niveau de très loin supérieur à celui qu’a jamais pu atteindre la classe ennemie, la bourgeoisie. Et c’est bien cette capacité de prise de conscience qui constitue, avec son organisation en classe, la force déterminante du prolétariat ».
La camarade nous dit « la frontière de classe se réalise et se pense dans la lutte » et précise par la suite : « quels sont les mouvements, les discours et les prises de position qui correspondent aux nécessités révolutionnaires du prolétariat et de ce fait apparaît qui appartient au prolétariat ou non ». Contrairement à ce que dit la camarade, les frontières de classe ne se définissent pas au cours de la lutte, elles sont le produit historique du combat de classe. Si la classe, à chaque fois qu’elle lutte, devait ré-expérimenter les leçons que nous a léguées son combat historique, son combat révolutionnaire s’en trouverait affaibli et son but historique risquerait de ne pas se réaliser. Prenons l’exemple des syndicats, auxquels la classe doit se confronter pour développer son combat. Les leçons tirées de l’histoire de la lutte de classes nous permettent d’affirmer que cela fait plus d’un siècle qu’ils sont passés avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie, devenant ainsi un organe de l’État bourgeois visant à saboter, voire réprimer toute action autonome de la classe ouvrière. Or, comme on peut le voir dans les dernières luttes, et même si nous remontons encore plus loin, lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, durant l’hiver 2019/2020, la classe a laissé les syndicats organiser sa lutte, en raison de son manque de confiance en elle et de la faiblesse de sa conscience de classe, la rendant vulnérable à l’égard des mystifications et des illusions véhiculés par ces ennemis de classe que constituent les syndicats. Il revient aux organisations révolutionnaires, qui sont la mémoire de toutes ces expériences du passé, qui, dans une continuité historique, et en fonction de l’évolution du combat de classe, ont la responsabilité d’intervenir afin de pousser le prolétariat à développer sa lutte et montrer quels sont les obstacles qui l’entravent. En se focalisant uniquement sur les ressorts des luttes ouvrières, la camarade semble largement sous-estimer l’importance fondamentale du rôle des révolutionnaires, une telle vision l’amenant à occulter le fait que la conscience est une force matérielle agissante, intégrant dans les moments présents les leçons du passé dans la perspective du futur. Les organisations révolutionnaires sont le produit de tout l’effort que fait la classe pour son émancipation. C’est la classe qui leur confie la tâche d’être un élément agissant en son sein afin qu’elle développe sa conscience et ainsi réaliser sa tâche historique, abattre le capitalisme et libérer l’humanité de toute exploitation.
Comme nous l’avons toujours défendu : « l’intervention des révolutionnaires ne représente rien d’autre que la tentative pour le prolétariat d’arriver à la conscience de ses intérêts véritables en vue de dépasser la simple constatation empirique des phénomènes particuliers, en cherchant la relation avec ses principes généraux tirés de son expérience historique. Parce que la mise en avant incessante des frontières de classe, la clarification théorique de plus en plus profonde des buts historiques du prolétariat ne concrétisent en fin de compte que la nécessité pour celui-ci d’avoir pleinement conscience de sa pratique, l’existence des organisations révolutionnaires est bien le produit de cette nécessité. Parce que cette prise de conscience précède et complète à la fois la prise du pouvoir du prolétariat par les conseils ouvriers, elle annonce un mode de production où les hommes, enfin maîtres des forces productives, développeront celles-ci en pleine conscience pour que s’achève le règne de la nécessité et que commence celui de la liberté ». (2)
André, 20 janvier 2022
1 De très larges extraits du courrier ont été publiés dans Révolution internationale n°491 ainsi que sur notre site web.
Un blog qui se nomme Barbaria dénonce le capitalisme et sa variante stalinienne, les syndicats et la gauche du capital, le féminisme et les luttes partielles, il s’élève contre la démocratie et le patriarcat, parle de lutte prolétarienne, prétend défendre le communisme comme alternative au capitalisme. Cependant, il nie la lutte de classe du prolétariat, il présente comme une « révolution » ce qui est plutôt la plongée dans la barbarie et, tout en se gargarisant de phrases remplies « de revendications de la Gauche communiste », cache soigneusement l’existence des groupes de la Gauche communiste.
La « lutte des classes » que Barbaria nous présente et le « prolétariat » dont il nous parle n’ont rien à voir avec la véritable lutte des classes et le véritable prolétariat. Barbaria nous explique : « Lorsque les tisserands lyonnais prennent les armes en 1831, la bourgeoisie a une mémoire de classe. Elle s’est souvenue des invasions de ces peuples primitifs qui ont assailli l’Empire romain et qu’ils appelaient barbares, parce que leur langue ressemblait à du bruit. Les tisserands de Lyon ne parlaient pas non plus une langue que la bourgeoisie pouvait comprendre. Dans la lutte séculaire entre la civilisation et la barbarie, la révolution s’exprime dans une langue qui n’est pas celle des maîtres, une langue que l’Empire de la civilisation ne peut atteindre. Chaque fois que les classes exploitées se sont soulevées dans l’histoire, elles ont apporté avec elles la même barbarie, la même communauté humaine contre l’exploitation. Barbaria est un lieu de mémoire. C’est là qu’est conservée l’histoire millénaire de notre classe, des communautés primitives à la communauté humaine mondiale ». (1)
Cette vision fait disparaître le prolétariat, dilué dans toutes les classes exploitées de l’histoire. Si le prolétariat est solidaire avec elles et intègre le meilleur de leur lutte, le prolétariat est différent en ce qu’il n’est pas seulement la classe exploitée sous le capitalisme, mais il est aussi la classe révolutionnaire. Les esclaves et les serfs n’ont pas pu mettre fin à l’exploitation, mais le prolétariat est la première classe exploitée de l’histoire qui a la capacité et la conscience pour mettre fin au capitalisme et créer une nouvelle société, le communisme.
Dans le cadre des débats au sein de la Ligue des communistes, Engels a écrit Les principes du communisme, (2) où il a montré pourquoi le prolétariat est différent des esclaves et des serfs et où, dans cette différence, réside sa nature révolutionnaire. Barbaria laisse tout cela de côté et soutient que les révoltes interclassistes, les « mouvements sociaux » tels que les « gilets jaunes » ou les manifestations au Chili ou en Équateur en 2019, seraient l’expression de la lutte des classes : « Une réalité faussement comprise tente de nous faire croire que nous vivons dans un monde sans révolutions ni révoltes. Il suffit de regarder de la Roumanie à l’Albanie, de l’Algérie à l’Irak, de la Bolivie à l’Équateur, de l’Argentine à Oaxaca, pour voir l’intensité des révoltes et des révolutions qui ont balayé la surface de la terre au cours des 25 dernières années, sans parler de l’intense processus de lutte de classe qui s’est déroulé en 2011 dans le monde arabe, au moment même où de nombreux sociaux-démocrates avaient annoncé la fin des révolutions […] L’avenir immédiat sera donc celui d’une intense lutte de classe. C’est un phénomène que l’on observe déjà depuis quelques mois dans des régions comme la Chine, l’Iran, l’Irak, le Kurdistan, Haïti… Et plus récemment, il a touché aussi la France avec le mouvement des ‘gilets jaunes’, la Hongrie ou la Tunisie ».
Aujourd’hui, le prolétariat souffre cruellement de la perte de son identité de classe, du manque de confiance en ses propres forces, Barbaria panse cette plaie en vendant comme « lutte des classes » la mobilisation interclassiste et nationaliste des « gilets jaunes » qui chantaient La Marseillaise et arboraient le drapeau tricolore avec lequel la Commune de Paris a été écrasée. (3)
Barbaria parle de « révolution ». Le changement de régime à Cuba en 1959 aux mains du castrisme nous a été vendu comme une « révolution ». L’éviction de Trump de la présidence américaine aurait été une « révolution citoyenne ». Les trotskystes transforment toute agitation dans un pays exotique en « révolution ». Barbaria apporte sa contribution à cette entreprise semant la confusion en nous parlant, comme nous l’avons déjà vu, de « révoltes et révolutions » en Irak (?), en Haïti (??), au Kurdistan (???), en Chine (????), chez les « gilets jaunes » (?????)…
Les émeutes et les convulsions que Barbaria amalgame sous le nom de « révoltes et révolutions » sont très différentes les unes des autres. Cependant, elles ont un point commun : elles n’ont rien à voir avec la lutte du prolétariat. Certaines sont des révoltes désespérées et nihilistes, d’autres sont des mouvements clairement bourgeois, d’autres des affrontements impérialistes. En Chine, par exemple, nous connaissons la rébellion nationaliste des Ouïghours ou le mouvement démocratique à Hong Kong. Quant au Kurdistan, Barbaria fait-il référence au mouvement guerrier et nationaliste du Rojava tant vanté par les anarchistes ? (4)
Mais en quoi consiste la révolution prolétarienne pour Barbaria ? Dans un texte intitulé « 11 points sur Marx », on peut trouver des choses très générales, formellement correctes, sur l’abolition des relations de production capitalistes, la dictature du prolétariat, la destruction de l’État, etc. Cependant, lorsqu’il s’agit d’être concret, nous trouvons des déclarations comme celle-ci : « La réponse de ces communes, comme celle de Puerto Resistancia, est une démonstration de la capacité de notre classe à construire des relations sociales en dehors de celles imposées par le capital et ses États, où, en même temps que les conditions matérielles de vie sont réorganisées, une révolution des valeurs et des relations humaines a lieu. Le monde n’est plus inversé, comme c’est le cas sous le capitalisme, et les besoins sociaux ont la priorité sur tout autre critère (comme l’accumulation illimitée de capital) dans les décisions que prennent les communes sur l’utilisation des ressources disponibles et les efforts qui sont consacrés à leur réalisation. Tout est chamboulé. Ainsi, par exemple, une militante des luttes environnementales, qui avait jusqu’alors besoin d’une escorte face aux multiples menaces et assassinats des paramilitaires, se promène désormais librement, sans crainte, parmi ses voisins. La mobilisation prolétarienne lui a rendu sa sécurité, elle a stoppé la violence du capital dans les espaces où notre classe a imposé sa logique de vie (contre la logique de mort du capital). » (5)
De ce passage, on peut tirer une série de conclusions :
– les relations sociales pourraient être construites en dehors de celles imposées par le capital, au sein même du capitalisme ;
– il y aurait une « révolution dans les valeurs et les relations humaines » (sic !) ;
– au sein du capitalisme, « on pourrait faire en sorte que les besoins humains aient la priorité sur l’accumulation capitaliste" !
En bref, les « révoltes et révolutions » présentées par Barbaria prouveraient des idées telles que :
– le communisme peut déjà être créé au sein du capitalisme ;
– des « espaces libérés » pourraient être créés à partir de la répression de l’État capitaliste ;
– l’économie pourrait être changée sans avoir besoin de détruire le capitalisme…
En d’autres termes, la négation de tout ce qui est « théoriquement » affirmé dans les « 11 points sur Marx ».
Le passage sur la « commune de Puerto Resitancia » à Cali en Colombie présente comme des actes « révolutionnaires » des événements qui expriment l’éclatement de la société en fragments où de petites communautés se protègent désespérément, sans avenir, de la dislocation des relations sociales. Les couches sociales marginalisées, les prolétaires individuels, sont emportés dans le tourbillon de la décomposition et cela est glorifié par Barbaria comme « les lueurs annonciatrices d’une société nouvelle, les étincelles du communisme, les balbutiements, les débuts, de la constitution révolutionnaire d’une classe qui refuse de succomber aux côtés d’un capitalisme moribond ». Pour couronner le tout, Barbaria propose comme alternative de généraliser ce naufrage dans la barbarie à l’échelle mondiale : « Ce que nous voyons à travers l’expérience des communes de Cali ou de Medellin, ou dans les quartiers de Santiago du Chili, est encore insuffisant, ces nouvelles relations sociales ne peuvent s’imposer à la logique du capital qu’au niveau mondial ».
Barbaria revendique la « barbarie » ! Le prolétariat appartiendrait à « la lutte millénaire entre la civilisation et la barbarie », et sa lutte rappellerait les « barbares antiques qui ont pris Rome d’assaut ». Nous nous demandons si cette « revendication » relève de la plus effroyable confusion ou d’une volonté délibérée de présenter le glissement croissant du capitalisme vers la barbarie comme la « perspective révolutionnaire ». Les promoteurs propagandistes de Barbaria doivent l’expliquer.
Cependant, ce qui est très clair pour nous, c’est, tout d’abord, que la civilisation qui naît avec les modes de production esclavagiste, féodal, asiatique despotique et capitaliste, est la pire et la plus sophistiquée forme de barbarie parce qu’elle est institutionnalisée et sanctifiée dans l’État avec ses armées, sa police, ses prisons, ses tribunaux……
Deuxièmement, comme Engels l’avait annoncé en 1890, l’alternative qui se présente à l’humanité est la barbarie ou le communisme. Le visage de la barbarie se dessine de plus en plus rapidement aujourd’hui avec le Covid-19, le désastre écologique, les guerres impérialistes, le chaos croissant… Le tour de passe-passe de Barbaria consistant à inclure le prolétariat dans la « tradition des barbares » et nous montrer comme des « étapes vers la révolution », ce qui n’est rien d’autre que des manifestations de l’enfoncement dans la barbarie.
Barbaria parle beaucoup de la Gauche communiste, sur son blog, on trouve plusieurs articles : « Amadeo Bordiga, un dinosaure du communisme » (sic !) ; « Sur la fondation du PC d’Italie et de la Gauche communiste italienne » ; « Le passé de notre être » (6), etc.
Les camarades de Programa Comunista font une critique assez judicieuse de l’article sur Bordiga. (7) Ils dénoncent la manipulation de Barbaria qui détache Bordiga de la lutte des groupes de la Gauche communiste pour tenter de « définir un apport personnel de Bordiga qu’il s’approprie pour y construire sa propre théorie, sa vision particulière des problèmes qui ne peuvent être abordés, en termes marxistes, qu’à partir du travail anonyme et collectif de l’organe du parti ».
Les camarades du PCI soulignent que la biographie de Bordiga par Barbaria « est soigneusement découpée en 1929 et laisse de côté tout le travail que, depuis l’après-guerre, Bordiga et tant d’autres camarades ont fait pour restaurer le marxisme ».
Cette amputation est également évidente dans les autres textes de Barbaria qui parle de la Gauche communiste en Allemagne, en Russie, etc., mais seulement jusqu’à la fin des années 1920. Il parle de Bilan sans dire un mot de ses continuateurs, Internationalisme et le CCI. Nous ne trouvons pas la moindre trace des groupes actuels de la Gauche communiste, du CCI, de la TCI, de Programme communiste……
Nous n’allons pas spéculer sur les raisons de cet oubli, c’est à Barbaria de l’expliquer. Cependant, il y a une conclusion que tout lecteur peut tirer de cette absence : la Gauche communiste appartiendrait à un passé lointain, que l’on pourrait étudier comme un « fonds documentaire » dans lequel on pourrait puiser les interprétations qui conviennent à ses propres intérêts. La conséquence est évidente : le prolétariat est privé de sa principale force, la continuité historique critique de ses organisations communistes, le fil historique qui va de la Ligue des communistes aux petits groupes actuels de la Gauche communiste. La méthode de Barbaria consiste à faire disparaître ces derniers de l’horizon, en donnant à comprendre au prolétariat et à ses minorités révolutionnaires qu’il ne dispose pas de cet héritage historique fondamental. Cette amputation de la mémoire contre notre classe n’est pas nouvelle. On assiste ces derniers temps à des entreprises comme celle de Nuevo Curso qui ignore totalement les groupes de la Gauche communiste pour chercher à se faire passer comme « Gauche communiste », en se basant sur une resucée de positions du révolutionnaire Munis qui n’a pas réussi à rompre réellement avec le trotskysme. (8)
Il est possible que les promoteurs de Barbaria ne soient pas d’accord avec les positions que nous défendons au sein du CCI ou avec celles d’autres groupes actuels de la Gauche communiste. L’analyse que nous avons faite ci-dessus le démontre clairement. Comme pour n’importe quelle organisation qui a l’intention de prendre la Gauche communiste comme base de son activité organisée (alors que Barbaria laisse entendre que la Gauche communiste serait « le passé de son propre être »), ce que ce groupe devrait faire est de s’engager dans un débat large et profond avec les organisations qui aujourd’hui se réclament de la Gauche communiste. Si finalement, après un débat approfondi, il arrivait à la conclusion qu’elles défendent des positions erronées, la formation d’un nouveau groupe serait alors une contribution possible. Mais ce qui est malhonnête, c’est de parler de la Gauche communiste en laissant entendre qu’elle appartiendrait « au passé de l’être » de Barbaria, et, en même temps, d’ignorer totalement les groupes actuels de la Gauche communiste.
Nous pensons que la contribution que nous apportons doit être soumise à un débat critique et non ignorée. Nous nous en tenons à ce que la fraction Bilan signalait dans le premier numéro de sa revue (novembre 1933) : « Notre fraction revendique un long passé politique, une profonde tradition dans le mouvement italien et international ; un ensemble de positions politiques fondamentales. Mais il ne prétend pas s’appuyer sur ses précédents politiques pour exiger l’adhésion aux solutions qu’il préconise pour la situation actuelle. Au contraire, elle invite les révolutionnaires à soumettre à la vérification des événements les positions qu’elle défend aujourd’hui, ainsi que les positions politiques contenues dans ses documents de base ».
Acción Proletaria, organe du CCI en Espagne, 26 octobre 2021
1 « Qui sommes-nous ? » [29], Barbaria.net
2 F. Engels, Principes du communisme [30] (1847).
3 Voir notamment parmi autres articles que nous lui avons consacré :
– « Le tract d’intervention de la CCI sur le piège du mouvement des Gilets jaunes [31] »
4 Voir notre article : « Les anarchistes et l’impérialisme kurde [33] » en espagnol.
5 « Por qué lucha el proletariado en Colombia » [34], Barbaria.net.
6 Voir sur le site Barbaria.net :
– « Amadéo Bordiga, un dinosaurio del comunismo » [35]
– « Sobre la fundacion del PCDI y la izquierda comunista italiana » [36]
– « El pasado de nuestro ser » [37]
7 Voir l’article du Parti communiste international (PCI-Programme) en espagnol : « Grupo Barbaria, el bordiguismo a la carta » [38], El proletario n° 22 (janvier – avril 2021).
Comme à chaque élection présidentielle, toute l’artillerie électorale de l’État bourgeois est à l’œuvre pour rameuter la classe ouvrière vers les urnes. La bourgeoisie a besoin de cette mystification pour maintenir l’illusion que les choses peuvent changer en mieux dans le cadre de la société capitaliste, et assurer sa légitimité aux yeux des exploités.
Mais avec le discrédit croissant des partis traditionnels de gouvernement (PS et LR, en particulier), les élections ne font plus recette comme avant, renforçant l’hypothèse d’une forte abstention. C’est même un vrai casse-tête pour la bourgeoisie de rendre tout ce cirque crédible alors que sa faillite morale, politique, économique s’étale au grand jour.
Au-delà du spectacle mystificateur des élections, ce qui apparaît de plus en plus nettement, c’est l’indiscipline croissante des cliques bourgeoises dans le paysage politique, en France comme à l’échelle internationale. En effet, le poids de la décomposition sur l’ensemble de la société pousse les différentes cliques concurrentes à s’entre-déchirer de façon encore plus ostentatoire, à coups de trahisons, de volte-faces ou de ralliements opportunistes.
Le système des primaires, qui devait avoir un rôle régulateur et permettre que sorte du chapeau un candidat incontesté pour chacun des différents groupes politiques, n’a fait que contribuer à la débandade et montrer leur difficulté à résister aux pressions centrifuges de la décomposition. Il suffit de regarder ce qui s’est passé à droite, avec les LR, où la tentative de hold-up de Xavier Bertrand et l’intensité des luttes internes ont bien failli hypothéquer la capacité du « parti de l’ordre » à présenter une candidature unique.
Cette tendance au chacun pour soi, au carriérisme, à la lutte d’ego s’exprime aussi de manière éclatante à gauche. Les écologistes se sont livrés une bataille acharnée entre la tendance « social-démocrate » incarnée par Jadot et la « radicalité » sociétale affichée par Rousseau. Quant au Parti socialiste, le naufrage de la candidate Hidalgo suite à ses innombrables volte-faces, n’a fait que renforcer les luttes internes pour sauver les strapontins qui peuvent encore l’être aux élections législatives.
Face à cette situation d’éclatement de la gauche, la bourgeoisie qui s’est voulue innovante, moderne, au fait de l’évolution des « aspirations » de la société, s’est dotée d’un nouvel outil de propagande, présenté comme encore « plus démocratique » : la « primaire populaire » qui a réuni près de 400 000 participants (c’est-à-dire plus que les primaires LR, EELV et FI réunies). Les candidats étaient évalués à la « sauce démocratique » revisitée : du « très bien » au « passable ». Le résultat fût une pagaille sans nom entre les écuries en lice, accouchant d’une candidature qui a aussi pris la forme d’une tentative de hold-up, celle de la prétendue « égérie » de la gauche, Taubira, ex-ministre de Valls et de Hollande.
S’il semble que la gauche de gouvernement n’ait pas eu de véritable intention de jouer la « victoire » à la présidentielle, la bourgeoisie s’inquiète, malgré tout, de la disparition de structures fiables sur lesquelles elle a pu compter auparavant en tant que force d’encadrement et de mystification du prolétariat. Et ce n’est pas l’appui surprise opportuniste de Ségolène Royal à Mélanchon qui fera la différence !
À l’extrême droite, la nouvelle carte Zemmour vient encore entacher le sérieux de l’élection. Les scores annoncés des partis populistes posent problème au reste de la bourgeoisie, même si la « mise en orbite » médiatique de la candidature de Zemmour avait initialement comme fonction de diviser et affaiblir électoralement le camp de l’extrême droite.
La persistance de l’extrême droite et du populisme n’est pas un phénomène spécifique à la France. C’est même une expression de la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur la conduite de sa politique, contrainte de laisser se développer au sein de son appareil politique, des fractions totalement irrationnelles qui pourraient affaiblir la capacité à gérer au mieux les intérêts du capital national et accélérer la crise historique du capitalisme, comme on a pu le voir avec Trump aux États-Unis ou avec le Brexit au Royaume-Uni. Le populisme s’est ainsi implanté dans de nombreux pays : Autriche, Pologne, Danemark, Canada, Inde, Turquie, Tchéquie, Portugal, etc. Ces groupes prétendent et parviennent, petit à petit, à prendre leur place aux côtés des partis traditionnels, de même que l’ancrage et l’influence persistante du « trumpisme » aux États-Unis, malgré la défaite de Trump. Une partie de la classe ouvrière précarisée et atomisée se trouve ainsi happée par cette propagande qui se présente comme étant « anti-système » et ne s’est pas encore trop mouillée avec l’exercice du pouvoir.
La bourgeoisie essaie d’utiliser Zemmour au mieux de ses intérêts. Face au prétendu « péril fasciste », les prolétaires sont priés de se rendre aux urnes pour défendre l’État démocratique bourgeois. Il est vrai que la ficelle de l’anti-fascisme (ou de l’anti-populisme) n’est plus aussi efficace qu’auparavant, comme lorsque la bourgeoisie avait fait sortir la population dans les rues en 2002 pour protester contre l’accession de Le Pen-père au second tour de la présidentielle. Aujourd’hui, de nombreux « électeurs » ont bien compris que le RN était avant tout utilisé comme épouvantail au profit de partis « de gouvernement » dont la politique anti-migratoire et les représsions brutales n’ont rien à envier aux propositions des Le Pen.
Mais les outrances et les discours immondes de Zemmour facilitent grandement l’idéologie anti-fasciste. On a ainsi pu voir les partis et les médias de gauche affirmer que nous étions dans une période « pré-fasciste ». Les manifestations « contre le populisme » se sont également multipliées à chaque déplacement du candidat « Z ».
À ce petit jeu sordide, la bourgeoisie prend cependant des risques : Le Pen va finir par apparaître moins comme une candidate populiste que « démocratiquement acceptable », respectueuse des Institutions, ne faisant plus peur à personne.
Les élections sont une vraie arme de guerre contre la classe ouvrière consistant à entraver la capacité de celle-ci à prendre conscience qu’elle demeure la seule force sociale capable de combattre la barbarie capitaliste. Il s’agit de lui faire croire qu’elle fait partie d’une même « nation » constituée d’individus et de « catégories » diverses : les jeunes, les femmes, les retraités, les handicapés, les LGBT, les classes moyennes, etc., pour mieux lui faire oublier qu’elle est une classe exploitée par une autre et que son intérêt réside, non pas dans la perpétuation d’un capitalisme prétendument « mieux géré » et « plus humain », mais dans la destruction de ce système et de ses États !
Tous les appels à participer au cirque électoral ne font que renforcer le mensonge présentant les élections comme un véritable choix pour les exploités. Ils livrent individuellement les prolétaires à la propagande de la bourgeoisie : une classe sociale qui gagne toujours les élections. N’oublions pas que la « démocratie » est la forme la plus hypocrite de la domination de la bourgeoisie pour assurer l’exploitation capitaliste.
Toutes les fractions de la bourgeoisie sont également réactionnaires. Tous les soi-disant partis ouvriers, socialistes, communistes, les organisations gauchistes participent à cette mascarade électorale afin de contenir et détourner le prolétariat de son combat révolutionnaire.
Après les « marches pour le climat », EELV comme l’ensemble des partis de gauche, vont profiter d’un temps d’audience non négligeable pour distiller leurs fausses solutions (comme la « décroissance » ou la « taxation des pollueurs », par exemple). Le « vote de survie » pour le climat proposé par EELV tente de rameuter la jeunesse en direction des urnes, même si, pour le moment, il semblerait que leurs gesticulations soient infructueuses et ne paient pas vraiment électoralement parlant. Cela, sans jamais remettre en cause le système capitaliste.
Du côté de La France insoumise, et son chef Mélenchon, dont les colères théâtralisées animent les débats sur les plateaux de télévision, le discours pseudo-radical n’est qu’un poncif éculé de l’idéologie républicaine. Derrière les fables de la « redistribution des richesses », du « renouveau du service public » et de l’ « économie verte », Mélenchon et sa clique n’ont qu’un seul objectif : faire croire au « peuple » que son intérêt réside dans la défense de la République et de la nation !
Les organisations gauchistes (principalement le NPA et LO) ont également leur place réservée dans ce cirque électoral. Eux aussi participent pleinement à entretenir un double discours : d’un côté, il n’y a rien à attendre des élections, mais d’un autre, ils présentent systématiquement des candidats quand ils ne soutiennent pas ouvertement le PS comme ils ont pu le faire en appelant à voter Miterrand en 1981… C’est leur fonction mystificatrice, d’ailleurs, et pour ce qui est de leur participation aux élections bourgeoises en France, depuis de nombreuses décennies, les trotskistes jouent pleinement leur rôle de soutien à la bourgeoisie nationale comme rabatteurs visant à redonner crédit aux institutions. Renvoyer la lutte ouvrière à la participation à un scrutin revient à demander aux exploités de se livrer pieds et poings liés à leurs exploiteurs comme somme d’individus et non comme une classe combative.
Sans préjuger du résultat de la prochaine élection, tant la situation semble instable, il apparaît que la bourgeoisie a pleinement conscience que le cirque électoral s’organisant autour de l’alternance des partis traditionnels, la « social-démocratie » et des conservateurs, est usé et rejeté. La situation politique risque à l’avenir de devenir plus confuse, plus chaotique et imprévisible.
Pour l’heure, la grande préoccupation de la bourgeoisie est l’abstention : alors que l’incurie dont elle fait preuve dans la gestion du Covid et son incapacité à endiguer la crise sautent aux yeux, la bourgeoisie cherche à limiter l’abstention massive qui est annoncée face au sentiment de dégôut des exploités. La classe ouvrière sait faire les comptes des promesses non tenues, elle a accumulé une méfiance envers les élections bourgeoises, elle a partiellement assimilé, au fil de son expérience historique, le fait que ces élections ne peuvent absolument rien changer à ses conditions de vie, d’exploitation et qu’elles ne sont, en définitive, qu’un piège pour l’entretenir dans des illusions et de faux espoirs sur le futur. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit en mesure de rejeter clairement la mystification démocratique et avancer sur la voie de la remise en cause du système capitaliste. Pour cela, il lui faudra mener un combat, prendre en main ses luttes pour affirmer sa perspective révolutionnaire de manière consciente à l’échelle internationale.
Mathilde, février 2022
Démonstration de force de l’armée russe au moyen de « manœuvres » de grande ampleur le long des frontières ukrainiennes depuis janvier, annonces quasi journalières par les États-Unis d’une invasion russe imminente, envoi de troupes de l’OTAN dans les pays baltes et en Roumanie, ballet diplomatique intense « pour sauver la paix », campagne médiatique russe dénonçant l’hystérie occidentale et annonce du retour de troupes dans leurs cantonnements, ce qui est aussitôt démenti par les États-Unis et de l’OTAN, accrochages entre armée ukrainienne et séparatistes dans le Donbass : dans ce sabbat guerrier macabre entre bourgeoisies impérialistes, les intentions sont diverses et complexes, liées aux ambitions des divers protagonistes et à l’irrationalité caractérisant la période de décomposition. Cela n’en rend la situation que plus dangereuse et imprédictible : mais, quelle que soit l’issue concrète de la « crise ukrainienne », elle implique dès à présent une intensification appréciable de la militarisation, des tensions guerrières et des contradictions impérialistes en Europe.
Le battage hystérique des États-Unis dénonçant l’invasion russe imminente de l’Ukraine fait suite à un battage similaire orchestré par les États-Unis en automne 2021 concernant « l’invasion imminente » de Taiwan par la Chine. Confrontée à un déclin systématique du leadership américain, l’administration Biden mène une politique impérialiste qui consiste, dans le prolongement de l’orientation initiée par Trump, d’abord à concentrer ses moyens économiques, politiques mais aussi militaires contre l’ennemi principal, la Chine ; de ce point de vue, le positionnement intransigeant face aux visées russes accentue le signal donné à Pékin en automne 2021. Ensuite, en créant des « points chauds » dans le monde, Biden développe une politique de tension visant à convaincre les différentes puissances impérialistes jouant leurs propres cartes qu’elles ont tout intérêt à se positionner sous la protection du parrain dominant. Cette politique s’était cependant heurtée aux limites imposées par la décomposition et avait abouti à un succès mitigé dans le Pacifique face à la Chine avec la création de l’AUKUS, regroupant uniquement les pays anglophones « blancs » (États-Unis, Grande-Bretagne, Australie), tandis que le Japon, la Corée du Sud et l’Inde gardaient leur distance. Ce même type de politique est mené aujourd’hui envers la Russie pour ramener les pays européens sous l’obédience américaine au sein de l’OTAN : la propagande américaine dénonce continuellement l’invasion russe, tout en précisant cyniquement que les États-Unis n’interviendront pas militairement en Ukraine puisqu’ils n’ont pas d’engagement de défense envers ce pays, contrairement à ceux existant au sein de l’OTAN. Il s’agit là d’un message perfide destiné aux pays européens. Or, à côté de Boris Johnson qui se positionne, comme en Asie, comme le fidèle lieutenant des Américains, le ballet diplomatique récent vers Moscou, orchestré par Macron et Scholz, souligne combien les bourgeoisies allemande et française tentent par tous les moyens de préserver leurs intérêts impérialistes particuliers.
En même temps, Joe Biden espère redorer par cette politique de confrontation son blason fortement terni par la fuite des forces américaines d’Afghanistan et par ses échecs répétés au niveau de ses plans socio-économiques : « Après un an de mandat, le président Joe Biden a la plus mauvaise cote de popularité de presque tous les présidents élus, à l’exception de l’ancien président Donald Trump » (CNN politics, 06.02.22) et, en conséquence, « son parti s’achemine, en novembre prochain, vers une défaite aux élections de mi-mandat » (La Presse, Montréal, 23 janvier 2022). Bref, si les États-Unis sont à l’offensive, la marge de manœuvre de leur président est néanmoins réduite à cause de son impopularité intérieure mais aussi par le fait qu’il ne peut être question, après les expériences irakiennes et afghanes, d’engager aujourd’hui massivement une force militaire sur le terrain du conflit. La présence de troupes américaines aux frontières de l’Ukraine reste donc plutôt symbolique.
Depuis une dizaine d’années, nous avons mis en évidence que la Russie joue un rôle de « fauteur de troubles » dans le monde – alors qu’elle est un nain économique – grâce à la puissance de ses forces armées et de ses armes, héritage de la période où elle était à la tête de tout un bloc impérialiste. Cela ne signifie toutefois pas qu’elle soit aujourd’hui globalement à l’offensive. Au contraire, elle se retrouve dans une situation générale où elle subit de plus en plus de pressions tout le long de ses frontières.
– En Asie centrale, avec les Talibans au pouvoir à Kaboul, la menace musulmane pèse sur ses alliés asiatiques des « stans » (Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan) ; ensuite, entre la mer Noire et la Caspienne, elle est en guerre larvée avec la Géorgie après l’occupation de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie en 2008, et tente de maintenir le statu quo entre l’Arménie-Azerbaïdjan après la guerre dans le Haut-Karabakh de 2020, ce dernier pays étant largement courtisé par la Turquie. Enfin, la déstabilisation récente du Kazakhstan constitue un cauchemar pour la Russie car ce pays occupe une place centrale dans la défense de son glacis oriental.
– Sur le versant européen, l’Ukraine et la Biélorussie, qui sont des territoires essentiels de son glacis occidental (la frontière ukrainienne n’est qu’à 450 km de Moscou), sont soumis à de fortes pressions ces dernières années. La Russie y comptait bien conserver des régimes qui lui seraient favorables, mais la « révolution orange » à Kiev en 2014 a vu basculer le pays vers l’Europe, et la même chose a failli se passer au Belarus en 2020.
À travers l’occupation de la Crimée en 2014 et le soutien aux sécessionnistes russophones dans l’est de l’Ukraine (Donetsk et Lougansk), Poutine espérait garder le contrôle sur l’ensemble de l’Ukraine : « En effet, il comptait sur les accords de Minsk, signés en septembre 2014, pour obtenir un droit de regard sur la politique ukrainienne par l’intermédiaire des républiques du Donbass [structure fédérale du pays avec une grande autonomie des régions]. C’est tout l’inverse qui s’est produit : non seulement leur application est au point mort, mais le président Volodymyr Zelensky, dont l’élection en avril 2019 avait donné l’espoir au Kremlin de renouer avec Kiev, a amplifié la politique de rupture avec le « monde russe » engagée par son prédécesseur. Pis, la coopération militaro-technique entre l’Ukraine et l’OTAN ne cesse de s’intensifier, tandis que la Turquie, elle-même membre de l’Alliance, a livré des drones de combat qui font craindre au Kremlin que Kiev ne soit tenté par une reconquête militaire du Donbass. Il s’agirait donc, pour Moscou, de reprendre l’initiative, quand il en est encore temps » (Le Monde diplomatique, février 2022).
Voyant la tendance des États-Unis à se polariser de plus en plus sur la Chine, Poutine a estimé le moment favorable pour accroître la pression sur l’Ukraine et par là aussi « négocier sa place sur la scène impérialiste » ; il a engagé une politique de « guerre hybride » impliquant des pressions multiples, basées sur des tensions militaires, des cyberattaques des menaces économiques (gaz russe) et politiques (reconnaissance des républiques en sécession). Cependant, l’offensive politique et médiatique américaine le prend au piège : à force d’annoncer à grands renforts de tambours une opération militaire d’occupation de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis font que toute action plus réduite de la part de la Russie sera appréhendée comme un recul et tentent donc en quelque sorte de la pousser à s’engager dans une opération militaire hasardeuse et probablement d’assez longue haleine, alors que la population russe, elle non plus, n’est pas prête à aller à la guerre et à voir revenir des « body bags » en nombre. La bourgeoisie russe le sait parfaitement ; ainsi le politologue russe, expert en politique internationale de la Russie, Fyodor Lukyanov souligne que « Franchir la ligne entre la démonstration de force et l’utilisation (de celle-ci) est une transition vers un autre niveau de risques et de conséquences. Les sociétés modernes n’y sont pas prêtes et leurs dirigeants le savent » (cité dans De Morgen, 11.02.22).
Dès à présent, les événements en Ukraine ont un impact très important sur la situation en Europe, et ceci sur un double plan :
Tout d’abord, l’exacerbation des confrontations impérialistes, la pression américaine et l’accentuation du « chacun pour soi » exercent une pression extrêmement forte sur le positionnement des divers États européens. Les déclarations intransigeantes de Biden les obligent à prendre position et les fissures s’accentuent entre eux, ce qui entraînera des conséquences profondes, tant pour l’OTAN que pour l’Union Européenne. D’un côté, la Grande-Bretagne, débarrassée des contraintes du consensus au sein de l’UE, se positionne comme le lieutenant fidèle parmi les fidèles des États-Unis : son ministre des affaires étrangères qualifie même de « second Munich » les tentatives franco-allemandes de trouver un compromis. Différents pays est-européens comme la Roumanie, la Pologne ou les États baltes appellent à la fermeté de la part de l’OTAN et se placent résolument sous la protection des États-Unis. Face à cela, la France ou l’Allemagne sont nettement plus hésitantes et tentent de développer leurs propres orientations par rapport au conflit, comme le soulignent les négociations intenses de Macron et Scholz avec Poutine. Le conflit met en évidence que des intérêts particuliers de type économique mais aussi impérialiste poussent ces pays à avoir leur propre politique envers la Russie, et c’est précisément ce qui est la cible des pressions des États-Unis.
À un niveau plus général, avec la confrontation en Ukraine, les bruits de guerre et la tendance à la militarisation de l’économie vont marquer à nouveau le continent européen, et ceci à un niveau beaucoup plus profond que que nous avions pu voir lors de la guerre en ex-Yougoslavie dans les années 1990 ou même lors de l’occupation de la Crimée par la Russie en 2014, vu l’approfondissement des contradictions dans un contexte de chaos et de chacun pour soi. Le positionnement des divers pays (en particulier de l’Allemagne et de la France) en défense de leurs intérêts impérialistes ne peut qu’accentuer les tensions au sein de l’Europe, aggraver encore le chaos lié au développement du chacun pour soi et accroître l’imprédictibilité de la situation à court et à moyen terme.
Sans doute, aucun des protagonistes ne cherche à déclencher une guerre générale car, d’une part, à cause de l’intensification du chacun pour soi, les alliances ne sont pas fiables et d’autre part et surtout, dans aucun des pays concernés, la bourgeoisie n’a les mains libres : les États-Unis restent centrés sur leur ennemi principal, la Chine et le président Biden, comme Trump d’ailleurs avant lui, évite à tout prix l’intervention de troupes sur place (cf. le désengagement des troupes en Irak et en Afghanistan et la délégation de plus en plus fréquente de tâches à des prestataires de services privés) ; la Russie craint une guerre longue et massive qui saperait son économie et sa force militaire (le syndrome d’Afghanistan) et évite également d’engager trop fortement ses unités régulières, faisant faire le « sale boulot » par des firmes privées (comme le groupe Wagner). De plus, comme le montre la difficulté persistante à accroître le taux de vaccination, la population russe se méfie profondément de l’État. Pour l’Europe enfin, cela constituerait un suicide économique et la population y est fondamentalement hostile.
Le non-déclenchement d’une guerre totale et massive ne signifie toutefois en aucun cas que des actions guerrières n’éclateront pas ; elles se déroulent d’ailleurs déjà pour le moment en Ukraine à travers la guerre « de basse intensité » (sic) avec les milices sécessionnistes de Kharkov et Lougansk. Les ambitions impérialistes des divers impérialismes, conjuguées à l’accroissement du chacun pour soi et de l’irrationalité liés à la décomposition impliquent irrémédiablement une perspective de multiplication de conflits en Europe même, qui risquent de prendre une forme de plus en plus chaotique et sanglante : multiplication de conflits « hybrides » (combinant des pressions militaires, économiques, politiques), de nouvelles vagues de réfugiés déferlant vers l’Europe de l’Ouest, tout comme des tensions au sein des bourgeoisies, aux États-Unis (cf. la « bienveillance » de Trump envers Poutine) comme en Europe (en Allemagne par exemple), et une perte de contrôle croissante de celles-ci sur leur appareil politique (vagues populistes).
Contre le battage haineux du nationalisme, la Gauche communiste dénonce les mensonges impérialistes de quelque camp que ce soit qui ne peuvent que servir les intérêts des différentes bourgeoisies, russe, américaine, allemande, française… ou ukrainienne et entraîner les ouvriers dans des conflits barbares. La classe ouvrière n’a pas de patrie, la lutte ouvrière contre l’exploitation capitaliste est internationale et rejette toute division sur la base du sexe, de la race ou sur une base nationale. Les ouvriers doivent prendre conscience que s’ils ne contrent pas par leurs luttes l’exacerbation des confrontations entre requins impérialistes, ces confrontations se multiplieront à tous les niveaux dans un contexte d’accentuation du chacun pour soi, de la militarisation et de l’irrationnel. Dans cette optique, le développement des luttes ouvrières en particulier au cœur même des pays centraux du capitalisme constitue aussi une arme essentielle pour s’opposer à l’extension de la barbarie guerrière.
R. Havanais, 18 février 2022
Le conflit en Ukraine, qui implique l’une des plus importantes puissances impérialistes de la planète, est un rappel dramatique de la véritable nature du capitalisme, un système dont les contradictions conduisent inévitablement à des affrontements militaires et à des massacres de populations.
Afin de comprendre pleinement la signification historique de cette guerre, il est essentiel de la placer dans un cadre d'analyse cohérent. C’est pourquoi nous invitons les camarades à lire ou relire :
– « Militarisme et décomposition [53] », texte que nous avions publié en 1991, après la dislocation de l’URSS.
Ce texte, publié pour la première fois dans la Revue internationale n° 64, a été écrit en 1990 comme une contribution à la compréhension de la signification d’une autre guerre : la guerre du Golfe menée par les Américains suite à l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Il est donc paru après la désintégration du bloc de l’Est mais avant l’éclatement définitif de l’URSS. Nous sommes convaincus qu’il reste un guide indispensable pour comprendre la nature de plus en plus irrationnelle et chaotique des guerres impérialistes aujourd’hui. Face à la propagande de la bourgeoisie selon laquelle le monde était à l’aube d’un « Nouvel Ordre Mondial » de paix et de prospérité, le texte insistait sur le fait que « dans la nouvelle période historique dans laquelle nous sommes entrés, et que les événements du Golfe ont confirmée, le monde apparaît comme une vaste foire d’empoigne, où la tendance au “chacun pour soi” fonctionnera à plein régime, et où les alliances entre États seront loin d’avoir la stabilité qui caractérisait les blocs impérialistes, mais seront dominées par les besoins immédiats du pouvoir. Un monde de chaos sanglant, où le gendarme américain tentera de maintenir un minimum d’ordre par l’usage de plus en plus massif et brutal de la force militaire ».
Ce scénario a été amplement confirmé par les événements des trois dernières décennies. Cela ne signifie pas que le texte soit une clé aux données invariables pour prédire l’avenir. Le texte lui-même commence par souligner que si un cadre solide est essentiel pour comprendre l’évolution des événements, il doit être constamment testé et adapté à la lumière de cette évolution, afin de voir quels aspects restent valables et lesquels doivent être révisés. Ainsi, par exemple, si le texte est parfaitement correct lorsqu’il montre l’incapacité de l’Allemagne à constituer la tête d’un nouveau bloc contre les États-Unis, il ne prévoit pas la renaissance de l’impérialisme russe ou la montée fulgurante de la Chine en tant que puissance mondiale. Mais comme nous l’affirmons ailleurs, ces développements sont devenus possibles précisément en raison de la tendance dominante au “chacun pour soi” qui marque les relations impérialistes dans la phase de décomposition.
Sur le contexte mondial permettant de comprendre la montée de la Chine, voir notamment les points 10 à 12 de la « Résolution sur la situation internationale (2019) : Conflits impérialistes ; vie de la bourgeoisie, crise économique [1]», Revue internationale n° 164.
Si vous tentez de fuir avec votre famille des zones de guerre en Ukraine, comme des centaines de milliers d’autres personnes, vous serez séparés de force de votre femme, de vos enfants et de vos parents si vous êtes un homme entre 18 et 60 ans : vous êtes maintenant conscrits pour combattre l’avancée de l’armée russe. Si vous restez dans les villes, vous serez soumis aux bombardements et aux missiles, censés viser des cibles militaires, mais causant toujours les mêmes « dommages collatéraux » dont l’Occident a entendu parler pour la première fois lors de la glorieuse guerre du Golfe de 1991 : des immeubles d’habitation, des écoles et des hôpitaux sont détruits et des centaines de civils sont tués. Si vous êtes un soldat russe, on vous a peut-être dit que le peuple ukrainien vous accueillerait comme un libérateur, mais vous paierez de votre sang pour avoir cru à ce mensonge. Telle est la réalité de la guerre impérialiste d’aujourd’hui, et plus elle se poursuit, plus le nombre de morts et les destructions s’accroissent. Les forces armées russes ont montré qu’elles étaient capables de raser des villes entières, comme elles l’ont fait en Tchétchénie et en Syrie. Les armes occidentales qui arrivent en Ukraine vont amplifier davantage la dévastation.
Dans l’un de ses récents articles sur la guerre en Ukraine, le journal britannique conservateur The Daily Telegraph titrait : « Le monde glisse vers un nouvel âge des ténèbres fait de pauvreté, d’irrationalité et de guerre [55] ». En d’autres termes, il est de plus en plus difficile de dissimuler le fait que nous vivons dans un système mondial qui s’enfonce dans sa propre décomposition. Qu’il s’agisse de l’impact de la pandémie mondiale de Covid, des dernières prévisions alarmantes sur le désastre écologique auquel la planète est confrontée, de la pauvreté croissante résultant de la crise économique, de la menace tout à fait évidente que représente l’aiguisement des conflits impérialistes, ou la montée de forces politiques et religieuses alimentées par des légendes apocalyptiques et des théories du complot autrefois marginales, le titre du Telegraph n’est ni plus ni moins qu’une description de la réalité, même si ses éditorialistes ne cherchent guère les racines de tout cela dans les contradictions du capitalisme.
Depuis l’effondrement du bloc de l’Est et de l’URSS en 1989-91, nous avons défendu que ce système social mondial déjà obsolète depuis le début du XXe siècle entrait dans une nouvelle et dernière phase de son déclin. Face à la promesse que la fin de la guerre froide entraînerait un « nouvel ordre mondial de paix et de prospérité », nous avons insisté sur le fait que cette nouvelle phase serait marquée par un désordre croissant et une escalade du militarisme. Les guerres dans les Balkans au début des années 1990, la guerre du Golfe de 1991, l’invasion de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Libye, la pulvérisation de la Syrie, les innombrables guerres sur le continent africain, l’essor de la Chine en tant que puissance mondiale et le renouveau de l’impérialisme russe ont tous confirmé ce pronostic. L’invasion russe de l’Ukraine marque une nouvelle étape dans ce processus, dans lequel la fin de l’ancien système de blocs a donné lieu à une lutte frénétique de chacun contre tous, où des puissances autrefois subordonnées ou affaiblies revendiquent désormais une nouvelle position dans la hiérarchie impérialiste.
L’importance de ce nouveau cycle de guerre ouverte sur le continent européen ne peut être minimisée. La guerre des Balkans a déjà marqué la tendance de chaos impérialiste à revenir des régions les plus périphériques vers les cœurs du système, mais il s’agissait d’une guerre « à l’intérieur » d’un État en désintégration, dans laquelle le niveau de confrontation entre les grandes puissances impérialistes était beaucoup moins direct. Aujourd’hui, nous assistons à une guerre européenne entre États, et à une confrontation beaucoup plus ouverte entre la Russie et ses rivaux occidentaux. Si la pandémie de Covid a marqué une accélération de la décomposition capitaliste à plusieurs niveaux (social, sanitaire, écologique, etc.), le conflit en Ukraine rappelle brutalement que la guerre est devenue le mode de vie du capitalisme dans sa période de décadence, et que les tensions et conflits militaires s’étendent et s’intensifient à l’échelle mondiale.
La rapidité de l’offensive russe en Ukraine a pris par surprise de nombreux experts bien informés, et nous-mêmes n’étions pas certains qu’elle se produirait si rapidement et si massivement. (1) Nous ne pensons pas que cela soit dû à une quelconque faille dans notre cadre d’analyse de base. Au contraire, cela découlait d’une hésitation à appliquer pleinement ce cadre, qui avait déjà été élaboré au début des années 1990 dans certains textes de référence (2) où nous soutenions que cette nouvelle phase de décadence serait marquée par des conflits militaires de plus en plus chaotiques, brutaux et irrationnels. Irrationnels, c’est-à-dire même du point de vue du capitalisme lui-même (3) : alors que dans sa phase ascendante, les guerres, surtout celles qui ouvraient la voie à l’expansion coloniale, apportaient des bénéfices économiques évidents aux vainqueurs, dans la période de décadence, la guerre a pris une dynamique de plus en plus destructrice et le développement d’une économie de guerre plus ou moins permanente a constitué une énorme ponction sur la productivité et les profits du capital. Cependant, même jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il y avait toujours des « vainqueurs » à la fin du conflit, en particulier les États-Unis et l’URSS. Mais dans la phase actuelle, les guerres lancées même par les nations les plus puissantes du monde se sont révélées être des fiascos tant sur le plan militaire qu’économique. Le retrait humiliant des États-Unis d’Irak et d’Afghanistan en est une preuve évidente.
Dans notre article précédent, nous avons souligné qu’une invasion ou une occupation de l’Ukraine était susceptible de plonger la Russie dans une nouvelle version du bourbier qu’elle a rencontré en Afghanistan dans les années 1980, et qui a été un puissant facteur dans la chute de l’URSS elle-même. Certains signes indiquent déjà que c’est la perspective à laquelle est confrontée l’invasion de l’Ukraine, qui s’est heurtée à une résistance armée considérable, et se trouve être impopulaire dans de larges couches de la société russe, y compris dans certaines parties de la classe dirigeante elle-même. Ce conflit a, par ailleurs, provoqué toute une série de sanctions et de représailles de la part des principaux rivaux de la Russie, qui ne manqueront pas d’aggraver la misère de la majorité de la population russe. Dans le même temps, les puissances occidentales attisent le soutien aux forces armées ukrainiennes, tant sur le plan idéologique que par la fourniture d’armes et de conseils militaires.
Malgré les conséquences prévisibles, les pressions exercées sur l’impérialisme russe avant l’invasion réduisaient chaque jour un peu plus la possibilité que la mobilisation de troupes autour de l’Ukraine se limite à une simple démonstration de force. En particulier, le refus d’exclure l’Ukraine d’une éventuelle adhésion à l’OTAN ne pouvait être toléré par le régime de Poutine, et son invasion a aujourd’hui pour objectif clair de détruire une grande partie de l’infrastructure militaire ukrainienne et d’installer un gouvernement pro-russe. L’irrationalité de l’ensemble du projet, lié à une vision quasi messianique de la restauration de l’ancien empire russe, la forte possibilité qu’il débouche tôt ou tard sur un nouveau fiasco, ne pouvaient nullement dissuader Poutine et son entourage de tenter le pari.
À première vue, la Russie est maintenant confrontée à un « front uni » des démocraties occidentales et à une OTAN de nouveau vigoureuse, dans laquelle les États-Unis jouent clairement un rôle de premier plan. Les États-Unis seront les principaux bénéficiaires de la situation si la Russie s’enlise dans une guerre ingagnable en Ukraine, et de la cohésion accrue de l’OTAN face à la menace commune de l’expansionnisme russe. Cette cohésion est toutefois fragile : jusqu’à l’invasion, la France et l’Allemagne ont tenté de jouer leur propre carte, en insistant sur la nécessité d’une solution diplomatique et en menant des entretiens séparés avec Poutine. L’ouverture des hostilités les a obligés à reculer, en s’accordant sur la mise en œuvre de sanctions, même si celles-ci nuisent beaucoup plus directement à leurs économies qu’à celle des États-Unis (Par exemple, l’Allemagne doit renoncer aux approvisionnements énergétiques russes dont elle a cruellement besoin). Mais l’Union européenne tend également à développer ses propres forces armées, et la décision de l’Allemagne d’augmenter considérablement son budget d’armement doit également être considérée de ce point de vue. Il est également nécessaire de rappeler que la bourgeoisie américaine est elle-même confrontée à d’importantes divisions quant à son attitude à l’égard de la puissance russe : Biden et les démocrates ont tendance à maintenir l’approche traditionnellement hostile à l’égard de la Russie, mais une grande partie du Parti républicain a une attitude très différente. Trump, en particulier, n’a pas pu cacher son admiration pour le « génie » de Poutine lorsque l’invasion a commencé…
Si nous sommes loin de la formation d’un nouveau bloc américain, l’aventure russe n’a pas non plus marqué un pas vers la constitution d’un bloc sino-russe. Bien qu’elles se soient récemment engagée dans des exercices militaires conjoints, et malgré les précédentes manifestations de soutien de la Chine à la Russie sur des questions comme la Syrie, la Chine a, à cette occasion, pris ses distances avec la Russie, s’abstenant sur le vote condamnant la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU et se présentant comme un « honnête intermédiaire » appelant à la cessation des hostilités. Et l’on sait que malgré des intérêts communs face aux États-Unis, la Russie et la Chine ont leurs propres divergences, notamment sur la question du projet chinois de « nouvelle route de la soie ». Derrière ces différences se cache la crainte de la Russie d’être subordonnée aux ambitions expansionnistes de la Chine.
D’autres facteurs d’instabilité jouent également dans cette situation, notamment le rôle joué par la Turquie, qui a, dans une certaine mesure, courtisé la Russie dans ses efforts pour améliorer son statut mondial, mais qui, dans le même temps, est entrée en conflit avec la Russie dans la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et la guerre civile en Libye. La Turquie a maintenant menacé de bloquer l’accès des navires de guerre russes à la mer Noire via le détroit des Dardanelles. Mais là encore, cette action sera entièrement calculée sur la base des intérêts nationaux turcs.
Comme nous l’avons écrit dans notre Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI [1], le fait que les relations impérialistes internationales soient encore marquées par des tendances centrifuges « ne signifie pas que nous vivons dans une ère de plus grande sécurité qu’à l’époque de la guerre froide, hantée par la menace d’un Armageddon nucléaire. Au contraire, si la phase de décomposition est marquée par une perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie, cela s’applique également aux vastes moyens de destruction (nucléaires, conventionnels, biologiques et chimiques) qui ont été accumulés par la classe dirigeante, et qui sont maintenant plus largement distribués à travers un nombre bien plus important d’États-nations que dans la période précédente. Bien que nous n’assistions pas à une marche contrôlée vers la guerre menée par des blocs militaires disciplinés, nous ne pouvons pas exclure le danger de flambées militaires unilatérales ou même d’accidents épouvantables qui marqueraient une nouvelle accélération du glissement vers la barbarie ».
Face à l’assourdissante campagne internationale d’isolement de la Russie et aux mesures concrètes visant à bloquer sa stratégie en Ukraine, Poutine a mis ses défenses nucléaires en état d’alerte. Il ne s’agit peut-être pour l’instant que d’une menace à peine voilée, mais les exploités du monde entier ne peuvent se permettre de faire confiance à la seule raison d’une partie de la classe dirigeante.
Pour mobiliser la population, et surtout la classe ouvrière, en faveur de la guerre, la classe dirigeante doit lancer une attaque idéologique parallèlement à ses bombes et ses obus d’artillerie. En Russie, il semble que Poutine se soit principalement appuyé sur des mensonges grossiers concernant « les nazis et les drogués » qui dirigent l’Ukraine, et qu’il n’ait pas beaucoup investi dans l’élaboration d’un consensus national autour de la guerre. Cela pourrait s’avérer être un mauvais calcul, car il y a des grondements de dissidence au sein de ses propres cercles dirigeants, parmi les intellectuels et dans des couches plus larges de la société. Il y a eu un certain nombre de manifestations de rue et environ 6 000 personnes ont été arrêtées pour avoir protesté contre la guerre. Des rapports font également état de la démoralisation d’une partie des troupes envoyées en Ukraine. Mais jusqu’à présent, il y a peu de signes de mouvement contre la guerre sur le terrain de la classe ouvrière en Russie, qui a été coupée de ses traditions révolutionnaires par des décennies de stalinisme. En Ukraine même, la situation à laquelle est confrontée la classe ouvrière est encore plus sombre : face à l’horreur de l’invasion russe, la classe dirigeante a réussi dans une large mesure à mobiliser la population pour la « défense de la patrie », avec des centaines de milliers de volontaires pour résister aux envahisseurs avec n’importe quelle arme à leur portée. Il ne faut pas oublier que des centaines de milliers de personnes ont également choisi de fuir les zones de combat, mais l’appel à se battre pour les idéaux bourgeois de la démocratie et de la nation a certainement été entendu par des parties entières du prolétariat qui se sont ainsi dissoutes dans le « peuple » ukrainien où la réalité de la division de classe est oubliée. La majorité des anarchistes ukrainiens semblent fournir l’aile d’extrême gauche de ce front populaire.
La capacité des classes dirigeantes russe et ukrainienne à entraîner « leurs » travailleurs dans la guerre montre que la classe ouvrière internationale n’est pas homogène. La situation est différente dans les principaux pays occidentaux, où, depuis plusieurs décennies, la bourgeoisie est confrontée à la réticence de la classe ouvrière (malgré toutes ses difficultés et ses revers) à se sacrifier sur l’autel de la guerre impérialiste. Face à l’attitude de plus en plus belliqueuse de la Russie, la classe dirigeante occidentale a soigneusement évité d’envoyer des « hommes sur le terrain » et de répondre à l’aventure du Kremlin directement par la force militaire. Mais cela ne signifie pas que nos gouvernants acceptent passivement la situation. Au contraire, nous assistons à la campagne idéologique pro-guerre la plus coordonnée depuis des décennies : la campagne de « solidarité avec l’Ukraine contre l’agression russe ». La presse, de droite comme de gauche, fait connaître et soutient les manifestations pro-Ukraine, en faisant de la « résistance ukrainienne » le porte-drapeau des idéaux démocratiques de l’Occident, aujourd’hui menacés par le « fou du Kremlin ». Et ils ne cachent pas qu’il faudra faire des sacrifices, non seulement parce que les sanctions contre les approvisionnements en énergie de la Russie aggraveront les pressions inflationnistes qui rendent déjà difficile de chauffer les habitations, mais aussi parce que, nous dit-on, si nous voulons défendre la « démocratie », il faut augmenter les dépenses de « défense ».
Comme l’a dit cette semaine le commentateur politique en chef du libéral Observer, Andrew Rawnsley : « Depuis la chute du mur de Berlin et le désarmement qui a suivi, le Royaume-Uni et ses voisins ont principalement dépensé les “dividendes de la paix” pour offrir aux populations vieillissantes de meilleurs soins de santé et de meilleures pensions qu’elles n’auraient pu en bénéficier autrement. La réticence à dépenser davantage pour la Défense s’est maintenue, même si la Chine et la Russie sont devenues de plus en plus belliqueuses. Seul un tiers des trente membres de l’OTAN respecte actuellement l’engagement de consacrer 2 % du PIB à leurs forces armées. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne sont très loin de cet objectif.
Les démocraties libérales doivent retrouver de toute urgence la détermination à défendre leurs valeurs contre la tyrannie dont elles ont fait preuve pendant la guerre froide. Les autocrates de Moscou et de Pékin pensent que l’Occident est divisé, décadent et en déclin. Il faut leur prouver qu’ils ont tort. Sinon, toute la rhétorique sur la liberté n’est que du bruit avant la défaite ». (4) On ne saurait être plus explicite : comme l’a dit Hitler, on peut avoir des armes ou du beurre, mais on ne peut pas avoir les deux.
Au moment où, dans un certain nombre de pays, la classe ouvrière montrait les signes d’une nouvelle volonté de défendre ses conditions de vie et de travail, (5) cette offensive idéologique massive de la classe dirigeante, cet appel au sacrifice pour la défense de la démocratie, sera un coup dur contre le potentiel développement de la conscience de classe. Mais les preuves croissantes que le capitalisme vit de la guerre peuvent aussi, à long terme, représenter un facteur favorable à la conscience que tout ce système, à l’Est comme à l’Ouest, est effectivement « décadent et en déclin », que les relations sociales capitalistes doivent être détruites.
Face à l’assaut idéologique actuel, qui transforme l’indignation réelle que suscite l’horreur dont nous sommes témoins en Ukraine en un soutien à la guerre impérialiste, la tâche des minorités internationalistes de la classe ouvrière ne sera pas facile. Elle commence par répondre à tous les mensonges de la classe dirigeante et insister sur le fait que, loin de se sacrifier pour la défense du capitalisme et de ses valeurs, la classe ouvrière doit se battre bec et ongles pour défendre ses propres conditions de travail et de vie. C’est à travers le développement de ces luttes défensives, comme à travers la réflexion la plus large possible sur l’expérience des combats du prolétariat, que la classe ouvrière pourra renouer avec les luttes révolutionnaires du passé, surtout les luttes de 1917-18 qui ont forcé la bourgeoisie à mettre fin à la Première Guerre mondiale. C’est la seule façon de lutter contre les guerres impérialistes et de préparer la voie pour débarrasser l’humanité de leur source : l’ordre capitaliste mondial !
Amos, 1er mars 2022.
1 Cf. « Tensions en Ukraine : exacerbation des tensions guerrières en Europe de l’Est [56] » et « Crise à la frontière russo-ukrainienne : La guerre est le mode de vie du capitalisme ».
2 En particulier : « Militarisme et décomposition [53] », Revue internationale n° 64 (1er trimestre 1991).
3 Cette irrationalité fondamentale d’un système social sans avenir s’accompagne bien sûr d’une irrationalité croissante au niveau idéologique et psychologique. L’hystérie actuelle sur l’état mental de Poutine est basée sur une demi-vérité, car Poutine n’est qu’un exemple du type de leader que la décomposition du capitalisme et la croissance du populisme ont sécrété. Les médias ont-ils déjà oublié le cas de Donald Trump ?
4 « Liberal democracies must defend their values and show Putin that the west isn’t weak [57] », The Guardian (27 février 2022).
5 « Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat ! [58] », Révolution internationale n° 491 (novembre décembre 2021).
L’Europe est entrée dans la guerre. Ce n’est pas la première fois depuis la Deuxième boucherie mondiale de 1939-45. Au début des années 1990, la guerre avait ravagé l’ex-Yougoslavie, provoquant 140 000 morts avec des massacres de masse de civils, au nom du « nettoyage ethnique » comme à Srebrenica, en juillet 1995, où 8 000 hommes et adolescents furent assassinés de sang froid. La guerre qui vient d’éclater avec l’offensive des armées de Russie contre l’Ukraine n’est, pour le moment, pas aussi meurtrière. Mais nul ne sait encore combien de victimes elle fera au final. Dès à présent, elle a une envergure bien plus vaste que celle de l’ex-Yougoslavie. Aujourd’hui, ce ne sont pas des milices ni des petits États qui s’affrontent. La guerre actuelle met aux prises les deux États les plus étendus d’Europe, peuplés respectivement de 150 et 45 millions d’habitants, et dotés d’armées imposantes : 700 000 militaires pour la Russie et plus de 250 000 pour l’Ukraine.
Quelle est la signification de cette guerre ?
Qui en est responsable ?
Quel impact peut-elle avoir sur la classe ouvrière à l’échelle internationale ?
Comment mettre fin au chaos guerrier ?
Nous vous invitons à venir débattre de ces différentes questions en participant à nos réunions publiques qui se tiendront en ligne le vendredi 25 mars à 20h00.
Ces réunions publiques sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.
Les lecteurs qui souhaitent participer peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [11]) ou dans la rubrique “nous contacter” de notre site interne.
Les modalités techniques pour se connecter à la réunion publique seront communiquées ultérieurement.
Nous publions ci-dessous un large extrait du courrier d’une camarade qui, suite à notre permanence du 15 janvier, revient sur une question qui a été posée aussi par d’autres participants. Dans la mesure où son courrier aborde, dans une première partie non publiée ici, une analyse sur la lutte de classe que nous partageons globalement, nous avons fait le choix de ne répondre qu’à une des questions de son courrier qui traite de la « pénurie de main-d’œuvre ». Cette question a non seulement fait l’objet d’une polarisation dans le débat, mais nécessite, de notre point de vue, une clarification afin de mieux armer la classe ouvrière.
[…] Quelques idées plus en marge de la discussion générale ont été abordées comme comment comprendre toute cette partie de la classe ouvrière qui refuse le salariat et trouve des voies plus ou moins confortables pour subvenir à ses besoins immédiats, au risque d’un déclassement social. Peut-on affirmer qu’il s’agit uniquement de démarches de débrouilles individuelles qui les éloignent du réel combat politique ? Nous vivons une période inédite du fait de l’aggravation de la décomposition et de la pandémie qui depuis deux ans semble avoir chamboulé les schémas traditionnels de l’organisation de la société capitaliste. Certes, les travailleurs précaires, voire très précaires, sont une constituante permanente du capitalisme, mais il me semble qu’on assiste à un vrai bouleversement sociétal, à savoir que la classe ouvrière ne va pas se retrouver systématiquement dans le « salariat pur et dur tel que décrit par les premiers marxistes ». Sur cette question, je reprends le courrier des lecteurs de RI de janvier sur le débat : ce n’est pas la question « qui est le prolétariat ? » qui est importante mais « qu’est-ce que le prolétariat ? » Ce n’est pas une classification socio-professionnelle qui peut nous permettre de comprendre les changements actuels de la composition de la classe ouvrière. Revenons à ceux qui refusent l’usine, les cadences insoutenables et la détresse sociale qui va avec. Est-ce pour autant qu’ils adhèrent à l’idéologie bourgeoise ? Ce n’est pas si simple. Beaucoup de jeunes (jusqu’à 40 ans) se détournent des boulots de bêtes de somme et préfèrent vivoter chichement que de s’épuiser au boulot comme l’ont fait leurs aînés. Ce ne sont pas spécialement des anti-système nigauds ni des illuminés, mais ils ont compris que le capitalisme ne pouvait rien leur apporter et sont sans illusion quant à leur avenir professionnel. En quoi, est-ce que cette compréhension en ferait des gens « perdus » pour la cause ouvrière ? Je précise ces éléments car il me semble avoir relevé à plusieurs reprises l’insistance du CCI sur cette question d’identité et de conscience de la classe ouvrière. Pour conclure, j’observe que nous vivons une période inédite avec la pandémie qui a exacerbé les effets de la décomposition notamment au niveau économique. Des millions de travailleurs américains ne sont pas revenus à leurs postes dans les services marchands notamment. Cela pose question : 1. De quoi vivent-ils ? On sait que les aides sociales ne sont pas folichonnes aux États-Unis et les aides de Biden ont pris fin. Il y a un manque de main d’œuvre flagrant dans beaucoup de secteurs dans la plupart des pays : en Roumanie, ils embauchent des travailleurs asiatiques. En France, le CHU de Rouen propose des offres d’emplois aux infirmières de Beyrouth… Ces exemples ne viennent pas contrecarrer le schéma global de l’organisation sociale du capitalisme, mais ils illustrent la période actuelle. Est-ce une tendance qui va se développer ? Dernier point : tous ces travailleurs qui ont fui le système de production « traditionnel » ont compris un certain nombre de choses sur l’exploitation mais le problème est : cette compréhension leur permettra-t-elle de rejoindre les mouvements de lutte qui seuls sont susceptibles d’inverser la perspective de « Socialisme ou Barbarie » ? La prise de conscience ne peut-elle se trouver que dans les grandes concentrations ouvrières ? Je pense notamment aux camps de concentration des usines en Chine et dans les exploitations minières d’Afrique ou d’Amérique du Sud qui ont réduit à l’esclavage des millions de travailleurs. Sont-ils en état et dans les meilleures conditions objectives et subjectives pour cette indispensable prise de conscience ?
Ce ne sont que des réflexions à chaud après cette permanence qui comme toutes les autres organisées par le CCI depuis la pandémie nous permettent de débattre et d’approfondir notre compréhension de la situation internationale. Ce sont des moments d’échange très importants et j’en remercie le CCI.
Amitiés communistes.
Rosalie
Nous devons d’abord mettre en évidence la réalité du phénomène évoqué par la camarade Rosalie et le problème posé dans l’extrait de son courrier : comment analyser, du point de vue de la lutte, la « partie de la classe ouvrière qui veut fuir le travail salarié » ? Comment interpréter le fait que de nombreux salariés préfèrent désormais abandonner leur emploi pour ne plus subir une exploitation féroce et des salaires de misère ? En d’autres termes, ce phénomène que nous pouvons observer dans bon nombre de secteurs dans les pays développés, où les salariés désertent des postes de travail précaires et/ou difficiles, est-il un atout ou un handicap du point de vue de la conscience ouvrière ?
Ces phénomènes de désertions, se concentrent en France dans les emplois saisonniers surtout : comme la viticulture et la restauration ou l’hôtellerie, par exemple. D’autres secteurs sont touchés comme dans les hôpitaux saturés avec un manque criant d’aides-soignants, dans le secteur des agents d’entretien, des travailleurs dans le bâtiment, ceux de l’aide à la personne, etc. Selon le ministère du travail, entre février 2020 et février 2021, l’hôtellerie-restauration aurait perdu 237 000 salariés. Entre 2018 et 2021, plus d’un millier d’étudiants infirmiers ont démissionné avant la fin de leurs études. Selon le ministre Olivier Véran, une hausse d’ 1/3 des postes vacants dans le paramédical a été enregistrée.
En Grande-Bretagne, la fédération des transports (RHA) souligne un besoin de 100 000 routiers supplémentaires pour faire face à la pénurie. Aux États-Unis, « il manque toujours 4,2 millions d’emplois pour retrouver le niveau d’avant crise » (1) et 10 millions de postes seraient à pourvoir. En six mois, 20 millions de personnes auraient quitté leur emploi ! En Allemagne, « 43 % des entreprises estiment que le manque de main-d’œuvre menace leur activité, contre 28,6 % avant la pandémie de Covid ». (2) Bon nombre de salariés qui ont quitté leur emploi cherchent ainsi une reconversion, vivotent ou se déclarent auto-entrepreneurs. C’est ce qui explique, par exemple, le nombre important de création d’auto-entreprises en France, dont se vante le gouvernement, mais qui recouvre en réalité une explosion de situations très précaires et autant de faillites programmées. Le courrier de la camarade donne des éléments de réponse valables sur les causes de ce phénomène, notamment le fait de la crise économique et la décomposition du capitalisme. Si la bourgeoisie souligne que cette « grande démission » est liée aux conséquences de la pandémie, elle n’est pas une nouveauté. En réalité, elle a surtout commencé à se développer après 2008 et n’a cessé de s’accentuer pour atteindre des chiffres record depuis le début de la pandémie. Une des raisons majeure de l’accélération de ce phénomène est effectivement lié à la gravité de la crise économique. La bourgeoisie a généralisé le travail précaire, multipliant les petits boulots, les bullshit jobs, afin notamment de masquer la catastrophe du chômage de masse. Elle a ensuite été amenée, du fait de la concurrence exacerbée, à attaquer les chômeurs en les affamant pour les forcer à accepter un travail pour un salaire de misère et des conditions indignes, intensifiant les cadences, multipliant les burn-out, recrutant à bas prix ; bref, contraignant les prolétaires à des conditions d’exploitation drastiques. Une situation, donc, devenue de moins en moins supportable. Et l’accélération de la décomposition a été un puissant facteur additionnel. La pandémie et le chacun pour soi n’ont fait qu’accentuer ce sentiment de rejet, de ras le bol et d’épuisement au travail. Lors de notre permanence du 15 janvier, une de nos interventions mettait en évidence que si la crise avait accentué ce phénomène de pénurie, la fuite des emplois précaires était marquée par « un sauve qui peut », un « chacun pour soi » avec la volonté très souvent illusoire de trouver un sort meilleur ailleurs, pensant que, dans d’autres lieux, « l’herbe est plus verte » ; ou qu’il est possible de « s’en sortir » individuellement en créant sa propre entreprise. Or, pour une bonne part, les illusions de vivre un meilleur sort que d’autres, relèvent d’une mystification et souvent d’un refus petit-bourgeois de l’exploitation salariale, amenant à occulter la nécessité de combattre collectivement le système. Alors que la propagande bourgeoise valorise en permanence « l’initiative privée ».
Cela, dans un contexte de difficultés pour la classe ouvrière à affirmer ses luttes, et où domine le souci de sa propre « survie individuelle », phénomène qu’accentue justement la décomposition de la société poussant à se replier sur soi. en essayant de trouver une réponse individuelle à un problème touchant l’ensemble de la société.
Ces salariés qui quittent leur travail, plus atomisés et mystifiés, sont donc dans l’impossibilité de pouvoir réagir par la lutte, excepté dans de très rares cas isolés comme aux États-Unis autour du secteur de la restauration rapide.
Selon le courrier de la camarade, ces désertions de salariés (souvent jeunes et inexpérimentés) sembleraient correspondre à une certaine prise de conscience de l’exploitation capitaliste. La camarade, dans son courrier, se demande : « En quoi, est-ce que cette compréhension en ferait des gens “perdus” pour la cause ouvrière ? ». Et elle ajoute : « tous ces travailleurs qui ont fui le système de production “traditionnel” ont compris un certain nombre de choses sur l’exploitation mais le problème est : cette compréhension leur permettra-t-elle de rejoindre les mouvements de lutte qui seuls sont susceptibles d’inverser la perspective de “Socialisme ou Barbarie” ? ».
La démarche même du questionnement semble pencher implicitement dans le sens de penser que ceux qui ont déserté les emplois précaires auraient une certaine conscience, seraient capables de « comprendre un certain nombre de choses sur l’exploitation », au moins au même titre que ceux des « grandes concentrations ouvrières ». Ce qui est vu par la camarade comme une prise de conscience par ceux qui refusent le travail salarié, en vient du coup à l’amener à relativiser par la même la force du prolétariat traditionnel, celui qui constitue le cœur des grands bastions de la production capitaliste. La camarade dit même ceci, exprimant clairement ses doutes : « la classe ouvrière ne va pas se retrouver systématiquement dans le salariat pur et dur tel que décrit par les premiers marxistes ».
Ces doutes formulés de manière interrogative par la camarade nous semblent préjudiciables dans le contexte actuel où la classe ouvrière est justement fragilisée et n’a pas encore conscience de son être, alors qu’il est nécessaire au contraire de mettre en exergue son potentiel, sa propre existence comme force historique. Même si le prolétariat semble redresser la tête par ses luttes au niveau international, il reste fragilisé. Il n’a pas encore retrouvé son identité de classe et se trouve menacé justement par le poids des influences petites bourgeoises qui risquent de le diluer dans des mouvements interclassistes. Une menace qui risque de lui faire quitter son terrain de classe dans un contexte où le poids croissant de la décomposition favorise la pénétration en son sein des idéologies étrangères à son combat.
Pour autant, contrairement à ce que pense la camarade, nous ne disons pas que les salariés qui fuient le travail précaire sont « définitivement perdus » pour la cause ouvrière. Nous voulons seulement souligner que ceux qui ont quitté leur job sont particulièrement mystifiés et touchés par l’accélération de la décomposition, qu’ils sont souvent très marqués par l’individualisme ou le désespoir et donc se situent très en marge, voire plutôt en dehors des luttes ouvrières aujourd’hui. De ce fait, nous pensons que la camarade, focalisée sur ces phénomènes immédiats, semble surévaluer la signification du « rejet du travail salarié » par les individus quittant leur job. Elle en vient à inverser la réalité de la situation sur le plan de la conscience de classe.
Alors que, malgré ses faiblesses, la classe ouvrière traditionnelle, celle « pure et dure des premiers marxistes », toujours sur son lieu de travail, présente dans les grandes concentrations industrielles, renoue avec son combat, exprime par ses grèves et manifestations au niveau international un frémissement prometteur, la camarade semble au contraire douter en tentant de valoriser plutôt les apparences trompeuses où des éléments pour le moins atomisés et mystifiés, en proie aux miasmes de la décomposition, seraient animés d’une sorte de prise de conscience alors qu’en réalité ils se coupent davantage du lien par le travail qui unit les exploités. Nous ne pouvons pas mettre sur le même plan les jeunes précarisés, non intégrés à la production, les éléments usés qui fuient leur travail avec leurs illusions et ceux qui sont amenés, du fait des attaques présentes et à venir, à développer leur combat de résistance au cœur des grandes métropoles et concentrations ouvrières. L’expérience vivante montre que ce sont bien de ces bastions industriels les plus concentrés et expérimentés au monde, là ou les ouvriers travaillent de manière réellement associée, collective et solidaire, que les luttes se développent déjà et que les luttes futures les plus conscientes se développeront encore. Face aux attaques inévitables liées à la crise du système capitaliste, ces bastions seront en mesure de montrer le chemin à suivre pour les prolétaires isolés et toutes les autres couches non exploiteuses de la société, de développer le combat pour renverser le capitalisme.
WH, 29 janvier 2022
1 « Aux États-Unis : 531.000 emplois créés en octobre mais la pénurie de main d’œuvre persiste », La Tribune (5 novembre 2021).
2 Selon le baromètre de l’emploi de la banque publique KfW et de l’Ifo, cité dans Les Échos (25 novembre 2021).
Le CCI a publié un article sur les signes récents d’un renouveau de la combativité ouvrière dans plusieurs pays : « Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat ! [58] »Les luttes aux États-Unis sont particulièrement importantes, et cette contribution d’un proche sympathisant de ce pays vise à les examiner plus en détail.
Stimulée par les conditions imposées par la pandémie, la détérioration permanente des conditions de vie de la classe ouvrière aux États-Unis s’est transformée au cours des deux dernières années en une attaque en règle de la bourgeoisie. Qu’ils aient été jetés en pâture au système d’assurance-chômage dysfonctionnel de l’Amérique ou qu’ils aient été contraints de poursuivre le travail au péril de leur santé et de celle de leur famille, parce qu’il était jugé nécessaire ou « essentiel » de le faire, les ouvriers ont été confrontés à un assaut constant depuis le début de la pandémie de coronavirus. Tout cela pendant que les capitalistes tentent de forcer les ouvriers à marcher au rythme de leurs tambours : certaines factions se rallient aux théories du complot vantées par la droite populiste et se transforment en milices marginales et en pseudo-communautés virtuelles basées sur des mensonges illusoires qui se répandent si rapidement via les réseaux sociaux ; d’autres profitent du besoin de sécurité et de prudence afin de renforcer l’État sécuritaire déjà hypertrophié. La seule perspective que la bourgeoisie puisse mettre en avant, en cette période de crise, est une perspective teintée d’une impuissance qui ne peut être que le reflet de l’impuissance du système capitaliste secoué de convulsions, alors qu’il se tord dans l’agonie de sa crise de sénilité, la crise de la décomposition : « Vous, les ouvriers essentiels, allez maintenir notre société à flot ! » Dans sa tentative de revigorer une classe ouvrière déjà surchargée et sous-payée avec une « éthique du travail », c’est-à-dire en mobilisant ces secteurs essentiels de l’économie pour produire sans arrêt afin de maintenir la tête des capitalistes hors de l’eau, la bourgeoisie ne peut pas cacher une vérité fondamentale sur la société qu’elle a construite : la force collective de la classe ouvrière reste la puissance qui fait tourner la roue, le carburant qui alimente le feu. Cependant, à la grande surprise de la bourgeoisie, la classe ouvrière a pris cela à cœur et montre précisément ce que signifie être au centre de l’économie.
« Striketober », ainsi nommé pour les explosions massives de grèves qui ont eu lieu en octobre, a fait place à un mois de novembre tout aussi combatif, alors que les ouvriers de tout le pays passent à l’action et refusent des travailler dans des conditions dégradantes pour un salaire déshumanisant. Avant même le mois d’octobre, la seconde moitié de l’année a vu se développer des grèves dans tout le pays, notamment dans les usines de Frito Lay et Nabisco, tandis qu’en septembre, une grève des charpentiers à Washington a ouvert la voie aux luttes en cours, que nous suivons de près, car elles continuent à se développer dans tous les secteurs de l’économie. Les charpentiers de Washington ont été attaqués sur deux fronts, comme c’est souvent le cas pour de nombreux ouvriers – ils ont été attaqués à la fois par les patrons et par les syndicats. Alors que l’United Brotherhood of Carpenters (UBC) présentait aux ouvriers des contrats contenant concession sur concession, remplissant chaque page des désirs de la General Contractor Association (GCA). Mais il y avait un mécontentement généralisé au sein de la main-d’œuvre et lorsque les charpentiers se sont vus présenter un accord de principe dans lequel les demandes des membres du syndicat n’étaient pas satisfaites, une majorité écrasante des travailleurs de l’UBC a voté contre l’accord et s’est mise en grève jusqu’à ce qu’un accord qui serait approuvé puisse être proposé. À la grande consternation des employeurs et de la direction du syndicat, les travailleurs ont tenu bon et ont rejeté cinq accords de principe avant que la direction internationale de l’UBC ne s’en mêle : invoquant la fraude et l’ingérence, la direction nationale du syndicat a pris le contrôle total de la section locale qui était la source de tant de problèmes, et la grève a finalement pris fin lorsque l’accord final présenté aux travailleurs a été approuvé de justesse.
Cela ne signifie pas que les travailleurs se sont échappés de la prison syndicale. Une grande partie de leur militantisme était canalisée par une formation syndicale de base, le Peter J. McGuire Group, du nom du fondateur socialiste de l’UBC. Le groupe s’est entièrement engagé à travailler à l’intérieur du cadre syndical : selon son président, le Peter J. McGuire Group a « promu le bon type de direction pour le Carpenters Union ». Il convient également de noter que le groupe a banni de sa page Facebook les auteurs du World Socialist Website – un groupe de gauche qui, de manière quelque peu inhabituelle, se spécialise dans les critiques radicales des syndicats.
A bien des égards, le décor était planté pour l’expérience de « Striketober » et sa continuation jusqu’à maintenant. Bien que les charpentiers de Washington aient repris le travail, les leçons tirées de leur lutte offrent une perspective importante pour les luttes qui se déroulent actuellement. Les charpentiers de l’UBC ont fait face à l’opposition non seulement des représentants des capitalistes, mais aussi de leurs propres « représentants » supposés dans le syndicat ! Bien que la Gauche Communiste connaisse depuis longtemps le danger que représentent les syndicats, les leçons qui ont formé et continuent de confirmer l’analyse selon laquelle les syndicats sont des organes d’État qui servent à restreindre les ouvriers doivent être généralisées et soulignées afin de comprendre les difficultés auxquelles sont confrontées les luttes des « Striketober » aujourd’hui. C’est l’un des aspects les plus importants de la lutte en cours. A titre d’exemple, et pour examiner le deuxième aspect qui fait écho à de nombreuses luttes actuelles, nous devons nous pencher sur les luttes des ouvriers de l’équipement agricole de John Deere dans le Midwest.
Les ouvriers de John Deere sont « représentés » par le syndicat United Auto Workers (UAW), que certains connaissent peut-être depuis le début de la pandémie, puisqu’il a manœuvré avec les patrons des usines automobiles du Michigan pour maintenir les ouvriers dans les usines avec, au mieux, une protection minimale. Aujourd’hui, l’UAW et John Deere travaillent de concert pour étendre le système de salaires et d’avantages sociaux à plusieurs vitesses qui a été établi en 1997. C’est cette année-là que les ouvriers de John Deere ont été divisés en fonction de leur année d’embauche : les ouvriers embauchés après 1997 constituaient une deuxième classe, ce qui impliquait un salaire réduit par rapport aux plus anciens et la suppression de nombreux avantages dont bénéficiaient les ouvriers embauchés avant 1997, dont les soins de santé après le départ en retraite. Cette année, l’UAW a présenté à ses membres un contrat de travail qui créerait un troisième statut d’ouvriers, avec des salaires encore plus bas pour ces derniers et une nouvelle diminution des avantages, notamment des pensions. Cette proposition a été rapidement rejetée par les membres du syndicat, et les ouvriers de John Deere, qui travaillent dans environ onze usines et trois centres de distribution, de l’Iowa à la Géorgie, de l’Illinois au Colorado, sont en grève depuis lors ; refusant que les conditions de vie de leurs futurs collègues soient dégradées, ils ont voté contre plusieurs accords de principe proposés par Deere et l’UAW au cours de leur grève. Ici encore, nous voyons les ouvriers de John Deere lutter contre une offensive conjointe de leur patron et de leur propre syndicat ! Les ouvriers de la base sont obligés de se débrouiller tout seuls – mais le fait d’être seuls n’indique pas un isolement ou un affaiblissement de la lutte. Le fait que les ouvriers soient prêts à rejeter les conseils du syndicat et à insister pour maintenir leurs propres revendications est au contraire une évolution positive. Il s’agit d’une tendance dans de nombreuses batailles menées par la classe ouvrière, dans lesquelles les syndicats sont à la traîne derrière une classe de plus en plus combative qui réveille le militantisme ouvrier à travers le pays (et le monde, d’ailleurs). En fait, les ouvriers de l’usine de Détroit, Michigan, qui sont également membres de l’UAW, ont exprimé leur solidarité avec les ouvriers de John Deere en grève(1). Il est clair que les ouvriers de John Deere ne sont seuls ni dans la lutte contre les manœuvres du syndicat, ni dans la lutte contre le système de salaires à plusieurs vitesses qui leur est imposé par les patrons et les syndicats.
La lutte contre le système de salaires et d’avantages sociaux à plusieurs vitesses est également présente dans la grève des ouvriers de Kellogg’s, car leur syndicat, le Bakery, Confectionary, Tobacco Workers and Grain Millers International Union (BCTGM), permet l’expansion d’un système à deux vitesses qui a été approuvé lors de la dernière convention collective des céréaliers – il faut noter que c’est le même syndicat BCTGM qui « représente » les ouvriers de Nabisco et de Frito Lay qui ont fait grève au début de l’année, invoquant des semaines de travail interminables (parfois jusqu’à 70 heures), sans paiement d’heures supplémentaires. L’échelon inférieur des salaires, négocié dans le dernier contrat, devait être concerner 30 % de la main d’œuvre, un frein dérisoire à cette politique de division, mais un frein tout de même. Kellogg’s cherche à relever ce plafond et à embaucher un plus grand nombre d’ouvriers dans cette tranche inférieure. Les ouvriers y voient une attaque claire, non seulement contre leurs futurs collègues, mais aussi contre leurs collègues actuels. Permettre à Kellogg’s de relever ce plafond pourrait très bien ouvrir la voie à une disqualification accrue de la main d’œuvre actuelle et à une baisse du niveau de vie des ouvriers. A cela s’ajoute un autre problème : les ouvriers ne cessent de vieillir. A mesure que les ouvriers de l’échelon supérieur partiront à la retraite, ou chercheront un autre emploi, lentement mais sûrement, c’est l’échelon inférieur qui dominera et finira par constituer l’ensemble de la main d’œuvre. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un système qui, non seulement divise les ouvriers, mais qui les maintient dans un état de précarité toujours plus grand. Cela se voit dans les luttes de Striketober, dans lesquelles les ouvriers identifient activement cette situation comme une attaque contre leur existence et y opposent une lutte sérieuse, mais aussi dans les réglementations du travail qui ont façonné la division du travail aux États-Unis dans la phase du capital décadent pendant des décennies – le système du travail à plusieurs vitesses créé par l’automatisation et le New Deal.
Il ne faut pas oublier que l’absence de protections juridiques et de réglementations dans le secteur des services signifiait que, dans l’ensemble, les ouvriers de ce secteur étaient moins bien payés et recevaient bien moins d’avantages sociaux en moyenne, que leurs homologues du secteur manufacturier. D’où la création d’un système à deux vitesses dans l’économie générale du travail dans son ensemble, et pas seulement dans les contrats syndicaux contre lesquels les ouvriers luttent aujourd’hui. Cette division de la classe a opportunément séparé les ouvriers en fonction de la race et du sexe : héritage idéologique de la période de l’esclavage, l’image raciste de l’ouvrier noir « soumis » a été confirmée par son entrée dans le secteur des services, tandis que l’image patriarcale de la femme « soumise » a été également été confirmée par son emploi. En tant que tel, le capital avait divisé la classe ouvrière de telle sorte que les préjugés antérieurs semblaient confirmés par la réalité tant qu’aucun ouvrier n’osait regarder au-delà des apparences. Les ouvriers du secteur manufacturier, majoritairement blancs et masculins, pouvaient être facilement séparés de leurs homologues noirs et féminins, tandis que les mouvements en faveur de l’égalité raciale et de l’égalité des sexes séparaient les ouvriers de la lutte des classes et les entraînaient dans des luttes identitaires sans issue qui ne peuvent trouver de réponse émancipatrice aux questions de race et de sexe dans la société capitaliste. Pendant ce temps, les ouvriers du secteur manufacturier, dont le nombre d’emplois diminue depuis des décennies, se retrouvent en situation de mobilité descendante, ce qui s’exprime également par une autre version de l’impasse des luttes identitaires : plutôt que de chercher la solidarité avec les ouvriers des secteurs des services, qui deviennent de plus en plus la seule possibilité d’emploi dans de nombreux endroits du pays, ils se replient sur leur identité blanche et pensent devoir défendre leur statut social contre les minorités, les migrants, les Noirs, les féministes, l’« élite » (qui, dans la plupart des cas, ne désigne que les riches démocrates). Cela alimente la flamme du populisme, qui a balayé les États-Unis depuis le cycle électoral de 2016, et continue aujourd’hui de façonner les positions du Parti Républicain.
Cette scission n’est cependant pas un fossé infranchissable – en fait, c’est dans les luttes d’aujourd’hui que l’on peut trouver une réponse à ces divisions : les ouvriers ne se battent pas seulement dans le secteur manufacturier mais aussi dans le secteur des services. A l’instar des grèves décrites ci-dessus, les ouvriers de la santé des établissements de Kaiser Permanente, le long de la côte Ouest, étaient prêts à faire grève contre un accord à deux vitesses ; les syndicats sont intervenus à la dernière minute avec un accord qui ne répondait toujours pas aux nombreuses demandes des ouvriers pour éviter la grève. Les infirmières ont été déboutées(4), mais aussi les pharmaciens de Kaiser(5), qui devaient faire grève à partir du 15 novembre. Une autre grève a été empêchée par les représentants syndicaux : celle des membres des équipes de production de cinéma et de télévision de l’International Alliance of Theatrical Stage Employees (IATSE), qui devaient faire grève jusqu’à ce qu’un accord de principe soit proposé et ratifié malgré le rejet majoritaire du contrat(6). Cela montre qu’en dehors du paysage industriel traditionnel, il existe une indignation et une demande croissantes de meilleures conditions de vie et de travail, de la part des ouvriers eux-mêmes, tandis que les syndicats courent pour rattraper leur retard et les tirer vers le bas Les ouvriers qui n’étaient pas syndiqués jusqu’à présent ont également été contraints d’agir – à l’instar des chauffeurs de bus scolaires du comté de Cumberland, en Caroline du Nord, qui se sont mis en « arrêt maladie » pour protester contre leurs salaires dérisoires(7) ; les ouvriers des cafeterias du comté voisin de Wake ont utilisé la même tactique(8) pour à peu près les mêmes motifs.
Tout cela montre que la combativité des ouvriers à travers le pays fait boule de neige : les grèves stimulent les ouvriers qui sont confrontés à des conditions similaires et engendrent d’autres grèves. Cependant, la classe ouvrière est encore confrontée à de nombreux obstacles qui accompagnent la pandémie, et plus généralement la période de décadence du capitalisme et sa phase de décomposition. L’un d’entre eux, comme mentionné brièvement ci-dessus, est la question des syndicats, qui servent l’État capitaliste dans la période de décadence. Alors qu’ils s’efforcent de contenir de nombreuses luttes en cours, il sont aussi intervenus pour empêcher des actions de grève dans beaucoup d’autres cas. Il convient de noter que les syndicats ne constituent pas seulement une menace directe, mais aussi indirecte : l’UAW est actuellement prête à voter des mesures qui « démocratiseraient » le syndicat, en passant aux élections directes, en opposition au système actuel de délégués. Si la mise en œuvre de cette mesure peut sembler être une victoire pour la base, elle met également en avant une illusion qui peut servir à faire dérailler les luttes futures : l’identification de la base avec le syndicat lui-même, l’illusion que le syndicat appartient aux ouvriers. Le CCI a déjà écrit sur le rôle des syndicats dans le capitalisme décadent(9), je ne m’étendrai donc pas sur ce sujet.
Une autre menace pèse sur la classe ouvrière : les luttes interclassistes et les luttes identitaires partielles qui ont fait leur apparition ces dernières années. En particulier aux États-Unis, l’été dernier, les manifestations autour de Black Lives Matter (BLM), qui avaient leur base dans l’indignation bien réelle et les problèmes spécifiques des personnes noires en Amérique, se sont ancrées sur un terrain bourgeois avec le slogan « défendons la police ». Les démocrates ont voulu donner l’impression d’agir vaguement en faveur de la création d’une police « humaine », pour faire marche arrière tout de suite après ; même réduite à de tels slogans et à la promotion de la politique démocrate, cette simple demande libérale qui a résonné dans les défilés de BLM voit son écho amoindri. Si les luttes de classe actuelles se développent davantage, alors que les ouvriers en lutte s’unissent au-delà des frontières de l’usine, de l’entreprise et de l’industrie, l’inégalité matérielle très réelle des ouvriers noirs sera une question à laquelle la classe ouvrière devra répondre sur son propre terrain, sans concession à un quelconque mouvement bourgeois. Un dernier obstacle est constitué par les actions isolées qui ont lieu, sous forme de démissions massives. Le marché du travail reste tendu, alors que de plus en plus d’ouvriers quittent leur emploi, partageant souvent leurs derniers textes écrits à leurs supérieurs sur les réseaux sociaux, en signe de solidarité avec tous ceux qui envisagent de faire de même. Bien que cela puisse mettre les capitalistes dans une situation délicate, cette solution individualiste isole les ouvriers les uns des autres, nuit à l’auto-organisation, et les expériences partagées des ouvriers ne peuvent pas être exprimées aussi clairement à travers les médias sociaux, quelle que soit la portée des textes partagés en solidarité.
En dépit de ces obstacles, la classe ouvrière d’aujourd’hui semble néanmoins avancer timidement. Les défaites mineures qu’elle a connues ne semblent pas freiner son élan, et de plus en plus d’ouvriers n’ont d’autre choix que de faire grève pour une vie meilleure. Nous ne pouvons qu’exprimer notre grande satisfaction devant ce refus des ouvriers de se laisser abattre par la dégradation de leur vie, et nous devons clairement insister sur le fait que ce n’est qu’en s’unissant que ces luttes peuvent être menées de plus en plus loin, pour en arriver peut-être à un point où elles poseront des questions politiques très importantes. L’action unie dans de nombreuses usines, comme chez John Deere, démontre clairement que c’est par une extension de la lutte que l’on peut maintenir l’élan. Une telle extension requiert l’intervention de militants communistes afin de fournir une perspective politique, d’autant plus que la lutte peut se développer pour traverser les frontières, à l’intérieur et à l’extérieur des États-Unis – la classe ouvrière mondiale, malgré les énormes difficultés auxquelles elle est confrontée a montré qu’elle n’est pas vaincue, qu’elle a toujours un potentiel pour riposter et faire avancer ses luttes. Si nous pouvons observer ce phénomène avec beaucoup d’enthousiasme, il est également impératif pour nous de participer à ces luttes, afin d’aider la classe ouvrière à prendre conscience de sa force et de sa tâche historique : l’abolition de la société de classe.
Noah L, 16 novembre 2021
1 World Socialist Website, November 11, 2021
2 Jason E. Smith, Smart Machines and Service Work, pp. 8, 2020, Reaktion Books.
3 Ibid. pp. 30.
4 World Socialist Website November 14, 2021.
5 Yahoo News, November 14, 2021.
6 World Socialist Website, November 16, 2021
7 CBS Local Cumberland Country News : School Bus Drivers out for living wage – indisponible en Europe/GB).
8 ABC Channel 11 Eyewitness News, November 16, 2021.
9 ICC Pamphlet : Unions Against The Working Class – Les syndicats dans le capitalisme décadent
Depuis la fin du mois de janvier, le Canada connaît un mouvement de protestation, appelé « convoi de la liberté ». Les protestataires étant contre l’obligation du pass vaccinal imposé par le gouvernement à toutes les personnes franchissant les frontières terrestres du pays. Les camionneurs canadiens, premiers impactés par cette décision, ont été à l’initiative de ce mouvement qui s’est propagé rapidement sur l’ensemble du territoire pour essaimer par la suite en Europe (France, Belgique) et en Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande).
Quelles étaient donc les motivations de ces chauffeurs routiers venus des quatre coins du pays pour converger, le 29 janvier, devant la colline du parlement à Ottawa ? Tout simplement le rejet de l’obligation vaccinale et plus généralement la demande de la levée de toutes les mesures obligatoires de précautions sanitaires. Tout cela au nom de la liberté propre à chacun de choisir sa propre destinée. Mais ce qui a surtout mis le feu aux poudres, c’est que l’obligation vaccinale à l’encontre des entrepreneurs du transport routier porte un sérieux coup à l’activité des 15 % d’entre eux, non encore vaccinés, lésés par l’interdiction de pouvoir effectuer les liaisons entre le Canada et les États-Unis. Ce fameux convoi s’est donc mis en branle au nom de la liberté individuelle et de la liberté d’entreprendre. Autrement dit, deux crédos de l’idéologie bourgeoise que reprennent en permanence à l’unisson les petits commerçants, les petits entrepreneurs, les artisans… En bref, la petite bourgeoisie, incapable de voir plus loin que le bout de son nez et de sa bourse !
La protestation a trouvé un écho de l’autre côté de l’Atlantique, puisqu’un nouveau convoi s’est constitué en France, le 9 février, afin de converger sur Paris pour le 11 du même mois. Ce convoi informe et hétéroclite composé d’individus de tous bords (gilets jaunes, restaurateurs, opposants farouches au pass vaccinal, camionneurs, etc.) a repris à son compte les revendications des transporteurs canadiens en y ajoutant pêle-mêle : la suppression des directives européennes, la suppression de toutes les mesures sanitaires, la démission des députés, sénateurs, du président de la République, l’augmentation des salaires nets, la détaxation du carburant et l’instauration d’un référendum d’initiative populaire, revendication mise en avant auparavant par les gilets jaunes. Dans les médias, nous avons pu voir les participants brandir des drapeaux français aux fenêtres de leur véhicule, affirmant agir au nom du peuple français pour la défense de la liberté et de la démocratie prétendument en danger. La Belgique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande (et désormais les États-Unis) ont vu également se mettre en route les mêmes convois de mécontents.
Mais en fait, d’Ottawa à Paris en passant par Bruxelles et Camberra, cette protestation contre l’obligation du pass vaccinal procède de la même logique individualiste, avec une absence de souci collectif face à la poursuite de la pandémie, à ses ravages encore actuels et ceux à venir. Surtout, le cocktail des préoccupations (liberté individuelle, patrie-nation, démocratie) ne remet absolument pas en cause l’ordre social capitaliste. Pire ! Il ne fait qu’en prendre la défense. Car, en réalité, ce slogan pour la défense des libertés individuelles ou de la démocratie est le cache-sexe le plus grossier de la défense de l’État bourgeois et de la dictature du capital. (1)
Au Canada et ailleurs, la protestation s’est exprimée par des rassemblements et des blocages routiers mais également par des manifestations de rue et l’occupation de lieux emblématiques tels que la colline du Parlement à Ottawa ou les Champs-Elysées à Paris. Ceci a donné lieu à des affrontements avec la police, à travers lesquels cette dernière a su utiliser toutes ses méthodes répressives : contrôles routiers et verbalisations, gaz lacrymogènes, matraquage, arrestations. En France, près de 7 000 gendarmes et policiers ont été déployés pour faire respecter l’interdiction de manifester avec des menaces de lourdes amendes et de peines de prison pour les récalcitrants. Au Canada, l’état d’urgence à Ottawa fut déclaré le 6 février face à la « menace de sûreté et de sécurité ». Après trois semaines de coups de matraques et d’aspersions de sprays au poivre, la « police à repris le contrôle d’Ottawa », pouvions-nous lire dans les médias avec un bilan de 200 arrestations et l’application d’une loi d’exception donnant à l’État canadien toute « légitimité » pour exercer la terreur de façon totalement débridée. S’il est clair que les gouvernements souhaitent éviter tout blocage et désordre, la bourgeoisie n’oublie jamais de tirer profit de telles situations.
En accolant l’étiquette de « mouvement social » à ce type de protestation stérile, la classe dominante fourbit ses armes, renforce son État policier et crée des précédents visant à légitimer la répression violente des luttes de la classe ouvrière au nom de la « défense de l’ordre public ». Car elle seule est en mesure d’engendrer un mouvement pouvant réellement mettre en péril ce que la bourgeoisie appelle « l’ordre public », en réalité l’ordre social capitaliste.
« Le désir de liberté », la capacité de forger sa propre destinée et d’être honnête avec soi-même est un des plus vieux besoins humains. L’interaction entre les désirs les plus profonds de l’individu et les besoins des autres a toujours été un aspect fondamental de l’existence humaine.
Pendant une grande partie de l’histoire humaine pré-capitaliste, dominée par les sociétés de classes et l’exploitation de l’homme par l’homme, le besoin spirituel de l’individu, de liberté personnelle et de contrôle sur son destin a été largement retourné contre lui par le spectre d’un pouvoir divin au-dessus des hommes et par les représentants auto-désignés de ce dernier sur terre qui, nullement par hasard, se trouvaient appartenir à la classe des propriétaires d’esclaves. La masse de la population qui produisait était enchaînée sur terre par la classe dominante et dans les cieux imaginaires par un tyran céleste.
La laïcisation et donc la politisation de la liberté personnelle et de la destinée, dans les révolutions bourgeoises (en particulier dans la révolution bourgeoise française de 1789-1793) a été une étape fondamentale dans le progrès vers des solutions dans le monde réel de la liberté humaine. Mais c’est aussi parce qu’elle a ouvert la voie à la classe ouvrière pour s’imposer sur l’arène politique et se définir politiquement comme classe révolutionnaire.
Cependant, dans la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, la bourgeoisie présentait frauduleusement sa liberté nouvellement gagnée pour son commerce comme une réalisation universelle qui profitait à tous. Cette tromperie résultait en partie de ses propres illusions et en partie des besoins de la bourgeoisie d’enrôler toute la population derrière ses drapeaux et son idéologie nationaliste. Le concept de liberté reste une forme abstraite, mystifiée, qui cache le fait que, dans la société capitaliste, les producteurs, tout en étant légalement libres et égaux à leurs maîtres, seraient enchaînés par une nouvelle forme d’exploitation, le salariat, et une nouvelle dictature, celle des « lois » du capital. La bourgeoisie victorieuse a apporté avec elle la généralisation de la production de marchandises qui a accentué la division du travail, arrachant l’individu à la communauté. Paradoxalement, de cette atomisation et de cet isolement, a surgi la mystique de la liberté individuelle dans la société capitaliste. En réalité, seul le capitalisme est libre.
Le développement vivant, historiquement concret de la liberté individuelle dépend donc de la solidarité de la lutte prolétarienne pour l’abolition des classes et de l’exploitation. La liberté réelle n’est possible que dans une société où le travail est libre, ce qui sera le mode de production communiste, où l’abolition de la division du travail permettra le développement et l’épanouissement complet de l’individu.
Tous les « convois de la liberté », outre qu’ils sont l’expression de l’impuissance et des frustrations de la petite bourgeoisie, contribuent à un enfoncement dans l’impasse du capitalisme et ne sont qu’une manifestation des miasmes de la décomposition et de l’atomisation sociale. Ils ne sont qu’un piège totalement étranger et fondamentalement opposé au développement de la lutte prolétarienne, seule force capable d’émanciper l’ensemble de la société du joug du capitalisme.
Vincent, 24 février 2022.
1 « La démocratie bourgeoise, c’est la dictature du capital » [63], Revue internationale n° 100, (1er trimestre 2000).
Dix ans après, quelles leçons pouvons-nous tirer du mouvement des Indignés ? Comprendre à travers une analyse critique les luttes passées, tout en ayant le regard tourné vers l’avenir est source de force et d’encouragement pour le prolétariat dans une situation historique qui se détériore par moments sur tous les plans : pandémie, crise économique, barbarie guerrière, destruction de l’environnement, effondrement moral…
La force du prolétariat réside en sa capacité de tirer des leçons d’une lutte qui a plus de trois siècles d’expérience historique. Grâce à elle, il peut développer sa conscience de classe afin de lutter pour la libération de l’humanité du joug du capitalisme.
Le prolétariat a besoin de revenir constamment sur ses luttes passées, non pas pour tomber dans la nostalgie, bien au contraire, mais pour examiner de façon implacable ses faiblesses, ses limites, ses erreurs, ses points faibles, etc. afin d’en extirper un trésor de leçons qui lui servent à aborder sa lutte révolutionnaire.
Revenir sur le mouvement des Indignés de 2011 est nécessaire pour réaffirmer sa nature prolétarienne mais également pour comprendre ses énormes limites et faiblesses. C’est seulement de cette façon que nous pourrons tirer parti de ses leçons pour la période à venir.
Tout mouvement prolétarien doit être analysé dans son contexte historique et mondial. Le mouvement du 15 Mai s’est produit en 2011 au sein d’un cycle de luttes qui s’est développé sur la période 2003-2011.
En 1989-91, l’effondrement de l’URSS et de ses régimes satellites a permis à la bourgeoisie mondiale de lancer une accablante campagne anticommuniste qui martelait sans répit ces trois slogans : « Fin du communisme », « Faillite du marxisme » et « Disparition politique de la classe ouvrière ». Cela a provoqué un fort repli dans la combativité et la conscience des ouvriers[1].
Depuis lors, la majorité des ouvriers ne se reconnaissent plus comme tels mais ils se voient pour certains comme une minorité plus chanceuse, la « classe moyenne » et pour les autres comme « ceux d’en bas », « les précaires », « les perdants dans la vie », etc. Face à la notion de classe, scientifique, unificatrice, universelle et avec une perspective de futur, la bourgeoisie propage à sa grande joie la vision réactionnaire, divisionniste de « catégories sociales » à travers son armée de serviteurs (partis, syndicats, idéologues, “influenceurs”) qui ne cessent de crier sur tous les toits – depuis Internet jusqu’aux universités en passant par le parlement et les moyens de “communication” – que la classe ouvrière n’existe pas, que c’est un concept « dépassé » qu’il n’y a que des « citoyens » de la « communauté nationale ».
Le repli s’est également exprimé à travers le retour en force des idéologies démocratiques, syndicalistes, humanistes, réformistes qui proclament la « fin de l’histoire ». Il n’y aurait pas d’autre monde possible que le capitalisme et le mieux qu’on puisse faire serait de « l’améliorer » pour que chacun puisse trouver sa « place » en son sein.
Toute tentative de changer le capitalisme conduirait à des situations bien pires, ce qui serait accrédité par ce qu’il s’est passé en URSS ou ce que l’on voit en Corée du Nord, à Cuba, au Venezuela, au Nicaragua, etc. et qui démontrerait que le dilemme historique formulé par Engels à la fin du XIXe siècle, Communisme ou Barbarie, serait faux parce que « le communisme, c’est aussi la barbarie ».
Malgré cet énorme fardeau, depuis 2003, il y a un renouveau des luttes ouvrières. Il y a eu des grèves significatives comme celle du métro de New York (2005), la grève de Vigo (2006), les grèves dans le nord de l' Égypte (2007), les protestations de jeunes ouvriers en Grèce (2008) mais les deux mouvements les plus importants furent la lutte contre le CPE[2] en France (2006) et le mouvement des Indignés en Espagne (2011)[3].
« Ces deux mouvements massifs de la jeunesse prolétarienne ont retrouvé spontanément les méthodes de luttes de la classe ouvrière, notamment la culture du débat dans les assemblées générales massives ouvertes à tous. Ces mouvements ont également été caractérisés par la solidarité entre les générations (alors que le mouvement des étudiants de la fin des années 1960, très fortement marqué par le poids de la petite bourgeoisie, s’était développé contre la génération qui avait été embrigadée dans la guerre).
Si, dans le mouvement contre le CPE, la grande majorité des étudiants en lutte contre la perspective du chômage et de la précarité, s’est reconnue comme faisant partie de la classe ouvrière, les Indignés en Espagne (bien que leur mouvement se soit étendu à l’échelle internationale grâce aux réseaux sociaux) n’avaient pas une claire conscience d’appartenir à la classe exploitée.
Alors que le mouvement massif contre le CPE était une riposte prolétarienne à une attaque économique (qui a obligé la bourgeoisie à reculer en retirant le CPE), celui des Indignés était marqué essentiellement par une réflexion globale sur la faillite du capitalisme et la nécessite d’une autre société » (Résolution sur le rapport de force entre les classes du 23e Congrès du CCI (2019))[4].
Malgré ces contributions, ces mouvements n’ont pas réussi à dépasser le repli de la conscience et de la combativité de 1989 et furent très marqués par ses effets mais aussi par les dérivés du processus de décomposition sociale et idéologique qui touche le capitalisme depuis les années 1980[5].
Leurs limites les plus importantes furent qu’ils ne réussirent pas à mobiliser l’ensemble de la classe ouvrière et se produisirent dans un nombre limité de pays. Ils se réduisirent aux nouvelles générations ouvrières. « Les travailleurs des grands centres industriels restaient passifs et leurs luttes demeuraient sporadiques (la peur du chômage étant un élément central d’une telle inhibition). Il n’y eut pas de mobilisation unifiée et massive de la classe ouvrière, mais seulement d’une partie d’entre elle, la plus jeune »[6].
Les jeunes ouvriers entrèrent en grève (beaucoup d’entre eux étaient encore étudiants), la majeure partie affectée par la précarité, le chômage, le travail totalement individualisé et isolé, reliés à de petites entreprises, la plupart d’entre elles n’ayant pas de siège social. Dans de telles conditions, au poids asphyxiant du recul historique expliqué précédemment, s’est ajouté l’inexpérience, l’absence totale de vie collective préalable, la terrible dispersion sociale.
La lutte des Indignés s’est retrouvée face à un mur qu’elle n’a pas pu franchir : la perte de l’identité de classe qui perdure depuis 1989.
Cette perte d’identité a fait que la grande majorité des participants au mouvement ne se reconnaissait pas comme faisant partie de la classe ouvrière.
Beaucoup étaient encore étudiants ou avaient fait des études supérieures[7]. Ceux qui étudiaient encore travaillaient sporadiquement pour payer leurs études et beaucoup de ceux qui occupaient des emplois précaires et mal payés pensaient que cette situation était transitoire, espérant obtenir un poste en accord avec leur niveau d’études. Pour résumer, beaucoup de participants croyaient que leur appartenance à la classe ouvrière était circonstancielle, une sorte de purgatoire avant d’arriver finalement au « paradis » de la « classe moyenne ».
Un autre facteur qui empêchait qu’ils se reconnaissent comme membres de la classe ouvrière est qu’ils changeaient constamment d’entreprise ou de poste de travail, la majorité travaillant dans de petites entreprises ou des entreprises de sous-traitance qui opèrent dans des usines ou des centres de distribution, de commerce ou de service[8].
Nombre d’entre eux travaillent seuls, fréquentant à peine leurs collègues, enfermés chez eux avec le télétravail ou participant à ce qu’on appelle « l’ubérisation du travail », « en passant par l’intermédiaire d’une plateforme internet pour trouver un emploi, l’ubérisation déguise la vente de la force de travail à un patron en une forme d'"auto-entreprise » tout en renforçant la paupérisation et la précarité des « auto-entrepreneurs ». L’ubérisation du travail individuel renforce l’atomisation, la difficulté de faire grève, du fait que l’auto-exploitation de ces travailleurs entrave considérablement leur capacité à lutter de façon collective et à développer la solidarité face à l’exploitation capitaliste » (op.cit. note 4).
Bien qu’elle exprimât de la sympathie pour la classe ouvrière, la majorité n’avait pas le sentiment d’appartenir à cette dernière. Elle se voyait comme une somme d’individus atomisés, frustrés et indignés par une situation toujours plus angoissante de misère, d’instabilité et d’absence de futur.
Le contexte du chômage accompagne tel une ombre angoissante les jeunes générations ouvrières. Ils vivent piégés dans un engrenage d’emplois précaires qui alternent avec des phases de chômage plus ou moins prolongées, beaucoup d’entre eux tombant dans une situation de chômage de longue durée. Ceci a pour effet ce que nous annoncions il y a 30 ans dans nos Thèses sur la décomposition : « Une proportion importante des jeunes générations ouvrières subit de plein fouet le fléau du chômage avant même qu’elle n’ait eu l’occasion, sur les lieux de production, en compagnie des camarades de travail et de lutte, de faire l’expérience d’une vie collective de classe. En fait le chômage, qui résulte directement de la crise économique, s’il n’est pas en soi une manifestation de la décomposition, débouche, dans cette phase particulière de la décadence, sur des conséquences qui font de lui un élément singulier de cette décomposition. S’il peut en général contribuer à démasquer l’incapacité du capitalisme à assurer un futur aux prolétaires, il constitue également, aujourd’hui, un puissant facteur de “lumpénisation” de certains secteurs de la classe, notamment parmi les jeunes ouvriers, ce qui affaiblit d’autant les capacités politiques présentes et futures de celle-ci. » (voir note 4)
ILS FONT PARTIE DE LA CLASSE OUVRIERE mais subjectivement ils ne se reconnaissent pas en elle. Cela a eu pour effet que le mouvement de 2011 n’a pas coupé le cordon ombilical de la sournoise « communauté nationale »[9]. Par exemple le slogan « nous sommes les 99%, ils sont le 1%", si populaire dans le mouvement Occupy aux États-Unis, n’exprime pas une vision de la société divisée en classes mais plutôt la vision typiquement démocratique que répète si souvent le gauchisme, du “peuple”, des « citoyens de base » face au 1% de “ploutocrates” et d'“oligarques” qui “trahiraient” la nation. Dans cette optique, les classes n’existent pas mais il existerait plutôt une somme d’individus répartie entre une majorité de “perdants” face à une élite de “gagnants”. Ainsi les participants au mouvement avaient d’énormes difficultés pour comprendre que « la société est divisée en classes, une classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien et une classe exploitée, le prolétariat, qui produit tout et possède de moins en moins. Le moteur de l’évolution sociale n’est pas le jeu démocratique de « la décision d’une majorité de “citoyens” (ce jeu est plutôt le masque qui couvre et légitime la dictature de la classe dominante) mais la lutte de classe. » (se reporter à la note 2).
Dépossédés de la force et la perspective que procure le fait de se reconnaître comme membres d’une classe historique qui représente l’unique futur pour l’humanité, les jeunes Indignés étaient terriblement vulnérables à l’illusion d’un « renouveau du jeu démocratique ».
Partout dans le monde, l’État démocratique est un leurre qui recouvre la dictature du Capital. Cependant, vu que domine l’idéologie selon laquelle « le communisme a échoué » ou « le communisme est le cauchemar que nous voyons à Cuba, au Venezuela ou en Corée du Nord », les participants au mouvement du 15 mai se sont accrochés à la chimère de « rénover la démocratie » suivant cette vieille mystification que répètent tant les politiciens : « la démocratie est le moindre mal de tous les régimes ».
Avec ce slogan, ils veulent nous embrigader dans la « lutte pour une véritable démocratie ». Ainsi le groupe bourgeois qui a accompagné et contrôlé le mouvement en Espagne s’appelait Democracia Real Ya (DRY)[10]. Ils nous disent « D’accord, la démocratie n’est pas parfaite, elle traîne le lourd fardeau des politiciens, de la corruption, de la complaisance envers les pouvoirs financiers et les entreprises », par conséquent la question n’est pas de lutter pour des utopies qui débouchent sur la barbarie sinistre de la Corée du Nord, de Cuba ou du Venezuela mais plutôt d'« épurer la démocratie » pour créer une « démocratie au service de tous ».
C’est cela la véritable utopie réactionnaire car la démocratie est ce qu’elle est et elle ne peut ni « se réformer » ni « s’améliorer ». Nouvelles constitutions, référendums, fin du bipartisme, démocratie participative, etc. sont les rapiéçages qui ne changent absolument rien à rien et dont l’unique finalité est de nous livrer pieds et poings liés à la dictature du capital sous son costume démocratique.
Le slogan le plus étendu dans les Assemblées du 15 Mai était « Ils appellent cela démocratie, mais ce n’est pas le cas ». C’était un piège, une mystification très dangereuse qui a sapé de l’intérieur le mouvement et l’a empêché de s’étendre. Les États bourgeois sont cela : de la démocratie. Ils l’appellent démocratie et C’EN EST UNE, c’est cela la démocratie, autrement dit, le déguisement démocratique de l’État totalitaire de la décadence capitaliste.
Comme l’ont dénoncé les « Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne », adoptées par le 1er Congrès de l’Internationale Communiste en 1919, il n’existe et n’existera jamais une démocratie qui soit bonne, pure, participative, humaine, au « service de tous », « la plus démocratique des républiques bourgeoises ne saurait être autre chose qu’une machine à opprimer la classe ouvrière mettre la masse des travailleurs à la merci de la bourgeoisie et d’une poignée de capitalistes »[11].
Nous ne vivons pas dans une société de « citoyens libres et égaux », nous vivons dans une société DIVISÉE EN CLASSES… Et par conséquent, l’État n’est pas un organe neutre au service des citoyens mais il représente la DICTATURE de la classe dominante, du capital, qui oriente la société non vers la satisfaction des besoins des “citoyens” mais vers l’ACCUMULATION DU CAPITAL, le profit des entreprises et l’intérêt national.
Le Capital domine la société au nom de l’intérêt de la Nation qui serait une supposée « communauté de citoyens libres et égaux » et se barricade dans l’État qui, pour garder l’apparence de « représentant de la majorité », organise un rituel d’élections, de droits, de consultations, d’oppositions, d'« équilibres des pouvoirs », d'« alternance », etc.
Une critique encore timide du piège démocratique surgit dans de petites minorités au sein des assemblées. Il y en eut qui « complétèrent » la consigne « ils l’appellent démocratie, mais ce n’est pas le cas » avec une autre consigne « C’est une dictature mais ça ne se voit pas ». Il existait ici un début de prise de conscience. Ils l’appellent démocratie MAIS c’est une dictature, la dictature du Capital.
La dictature qui, au lieu d’un parti unique ou d’une autocratie militaire, présente une constellation de partis et de syndicats qui s’expriment différemment mais tendent tous vers le même but : la défense du capital national. La dictature qui ne compte pas de grand dictateur inamovible mais qui change de dictateur tous les 4 ans par le jeu des élections, jeu que l’État organise et contrôle pour faire en sorte que le résultat soit l’option majoritaire de la défense du capital national[12].
La dictature qui, au lieu des menaces et du despotisme flagrant des régimes autoritaires, se cache vertueusement et hypocritement derrière les belles paroles sur la solidarité, l’intérêt de tous, la volonté de la majorité, etc.
La dictature qui, au lieu de voler ouvertement pour le bénéfice de la minorité prend le déguisement de la « justice sociale », du « prendre soin des plus démunis », « personne ne reste à la traîne », et autres balivernes.
La dictature qui au lieu de réprimer sans vergogne ou de nier tout type de droit ou d’organisation, nous enferme dans les « droits » qui nous privent de tout et dans des « organisations » qui nous divisent et nous désorganisent comme classe.
Ce début de compréhension (« c’est une dictature mais ça ne se voit pas ») fut très minoritaire, ce qui domina dans les assemblées fut l’illusion d’un « renouveau démocratique »[13].
Dix ans après, en quoi consiste le « renouveau démocratique » qu’espéraient beaucoup de jeunes dans les assemblées ? Eh bien, nous le voyons bien. Les deux grands partis (PP et PSOE) sont désormais accompagnés par de nouveaux requins : Vox, Ciudadanos et Podemos. Ces « rénovateurs » ont amplement démontré qu’ils sont IDENTIQUES aux autres. Les mêmes tromperies, le même service inconditionnel au capital espagnol, la même soif insatiable de pouvoir, le même clientélisme[14]… La démocratie ne s’est pas renouvelée, elle a renforcé la machine d’État contre les travailleurs et contre toute la population.
Le virus démocratique entraina une inefficacité de la lutte face aux opérations de répression policière, car « malgré quelques réponses solidaires basées sur l’action massive contre la violence policière, c’est la “lutte” conçue comme pression pacifique et citoyenne sur les institutions capitalistes qui amena le mouvement très facilement vers l’impasse » (se reporter à la note 2).
Avec le mensonge démocratique, la bourgeoisie espagnole a réussi à faire en sorte que le mouvement du 15 Mai ne s’articule pas « autour de la lutte de la principale classe exploitée qui produit collectivement l’essentiel des richesses et assure le fonctionnement de la vie sociale : les usines, les hôpitaux, les écoles, les universités, les ports, les travaux, la poste… » (op.cit. note 2) mais qu’elle soit diluée dans une indignation interclassiste totalement impuissante. Malgré quelques timides tentatives d’extension aux centres de travail, cela échoua et le mouvement est demeuré toujours plus cantonné aux places publiques. Le regroupement et l’action commune des minorités qui exprimaient une « frange prolétarienne » face à la confusion dominante dans les assemblées n’a pas abouti. Pour cela, le mouvement, malgré les sympathies qu’il a suscitées, perdit en force jusqu’à se réduire à une minorité toujours plus désespérément activiste.
Le slogan du mouvement fut « l’indignation ». L’indignation se distingue de la vengeance, de la haine, de la revanche, du dédommagement et autres manifestations morales propres à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie. En cela, l’indignation concorde plus avec la morale prolétarienne qu’avec ces sentiments profondément réactionnaires et destructeurs. Cependant l’indignation, aussi légitime qu’elle soit, exprimait plus une impuissance qu’une force, plus une perplexité qu’une certitude. L’indignation est un sentiment très primaire dans la lutte de classe du prolétariat et comme tel, il ne possède pas la capacité pour affirmer, même à un niveau élémentaire, la force, l’identité et la conscience de notre classe.
Les ouvriers s’indignent à cause du renvoi d’un camarade de travail, à cause des manœuvres des syndicats, à cause de l’arrogance et du sentiment de supériorité des patrons et des contremaîtres, à cause des accidents du travail qui fauchent subitement une vie humaine ou condamnent un camarade à l’invalidité… Cependant, l’indignation en elle-même ne définit nullement le terrain de classe du prolétariat si elle ne se place pas du point de vue de son autonomie politique de classe, du point de vue de ses revendications et de sa recherche d’une perspective propre, l’indignation apparaît comme un sentiment « humain » indifférencié que n’importe quel individu de n’importe quelle classe peut sentir et qui peut faire partie de n’importe quelle lutte bourgeoise ou petite-bourgeoise. Lorsque l’indignation s’élève comme catégorie indépendante et absolue, le terrain de classe prolétarien disparaît.[15]
Le fait que les prolétaires mobilisés en Espagne aient adopté le nom même « d’Indignés » comme signe de reconnaissance soulignait la difficulté manifeste qu’ils avaient pour trouver le chemin de classe prolétarien auquel ils appartenaient. C’était l’expression de leur impuissance et elle contenait le danger de se laisser dévier sur un terrain bourgeois, démocratique, de « protestation populaire », totalement interclassiste. L’indignation est par nature passive et purement morale. Elle peut correspondre à une étape embryonnaire de la prise de conscience qui doit être nécessairement dépassée par l’affirmation d’un terrain de classe, posant l’alternative pour le communisme. Si elle demeure le slogan du mouvement, la porte reste ouverte à son extinction ou si elle tente l’affrontement, le résultat est nécessairement son encadrement et sa récupération sur un terrain bourgeois, une défaite prolétarienne sans palliatifs.
Ce danger, nous l’avons clairement observé pendant les mobilisations aux États-Unis contre l’assassinat de Georges Floyd par la police. L’indignation fut canalisée vers une revendication pour une police « plus humaine » qui agisse « démocratiquement », c’est-à-dire un terrain radicalement bourgeois de défense de l’État démocratique et de ses appareils répressifs.
Les jeunes ouvriers qui occupaient les places et célébraient les assemblées massives quotidiennes avaient besoin de mettre de côté cette conception initiale de « l’indignation ». Le fait de ne pas y arriver et de ne pas réussir à allumer la mèche de la lutte dans les centres de travail, a perdu le mouvement.
Si le mouvement des Indignés fut une réponse à la grave crise capitaliste de 2008, les participants se sont obstinés à voir les effondrements financiers qui se succédaient, les violentes coupes budgétaires que les gouvernements mettaient en œuvre, l’austérité brutale qu’ils promouvaient non comme une crise mais plutôt comme une “arnaque”. Les coupes budgétaires, la misère, la précarité étaient perçues comme résultat de la corruption (« il n’y a pas assez d’argent pour tous ces voleurs » fut l’une des phrases les plus répétées dans les assemblées) et non comme un résultat des convulsions et de l’impasse historique du capitalisme.
« Avec la faillite de la banque Lehman Brothers et la crise financière de 2008, la bourgeoisie a pu enfoncer encore un coin dans la conscience du prolétariat en développant une nouvelle campagne idéologique à l’échelle mondiale destinée à instiller l’idée (mise en avant par les partis de gauche) que ce sont " les banquiers véreux » qui sont responsables de cette crise, tout en faisant croire que le capitalisme est personnifié par les traders et le pouvoir de l’argent. La classe dominante a pu ainsi masquer les racines de la faillite de son système. Elle a cherché d’une part, à amener la classe ouvrière sur le terrain de la défense de l’État “protecteur”, les mesures de sauvetage des banques étant censées protéger les petits épargnants. Mais au-delà de ces mystifications, l’impact de cette campagne sur la classe ouvrière a consisté à renforcer son impuissance face à un système économique impersonnel dont les lois générales s’apparentent à des lois naturelles qui ne peuvent être contrôlées ou modifiées ». (se reporter à la note 4).
La majorité des participants voyaient comme responsables de leurs souffrances « une poignée de “méchants” (des financiers sans scrupules, des dictateurs sans pitié) alors que [Le capital] est un réseau complexe de rapports sociaux qui doit être attaqué dans sa totalité et non pas se disperser en poursuivant ses expressions multiples et variées (la finance, la spéculation, la corruption des pouvoirs politico-économiques). (se reporter à la note 2).
Cette terrible faiblesse donnait à la bourgeoisie une énorme marge de manœuvre pour embrouiller le mouvement dans toutes sortes de mystifications, toutes plus démobilisatrices et démoralisantes les unes que les autres.
En premier lieu, il n’y a pas de reconnaissance de l’obsolescence historique du capitalisme et de la nécessité impérieuse de le détruire mais il est considéré plutôt comme un système qui pourrait être « réformé et amélioré ».
En second lieu, le capitalisme n’est pas considéré comme un rapport social mais plutôt comme une somme d’individus, d’entreprises ou de secteurs (financiers, industriels, etc.). Ce raisonnement laisse la porte ouverte à l’idée qu’il y aurait des fractions du capital « meilleures et progressistes » alors que d’autres seraient « pires et réactionnaires ». Les maux du capitalisme ne sont pas identifiés à la nature même d’un système composé d’un ensemble de nations qui luttent à mort pour le profit et la domination impérialiste mais plutôt à des individus « mauvais », à la « finance », aux « spéculateurs », etc. C’est-à-dire que la voie est libre pour le Frontisme : se regrouper derrière telle ou telle fraction de la bourgeoisie considérée « moins mauvaise » contre une autre fraction estampillée comme étant « la pire ». La voie est libre pour tous les pièges avec lesquels la bourgeoisie a embrigadé le prolétariat dans la barbarie guerrière et au sacrifice de ses conditions de vie : choisir entre démocratie et fascisme, entre dictature et démocratie, entre le moindre mal et le plus grand mal[16].
Enfin la « lutte contre la corruption » cache la réalité qui est que le VOL est dans la plus-value que le capital extrait aux ouvriers de façon légale et consentie à travers un « contrat de travail » qui serait d'« égal à égal ». La corruption est à la base de la production de la plus-value qui est extorquée légalement et structurellement aux ouvriers et, dès lors, le problème n’est pas la corruption mais la plus-value. Le slogan « il n’y a pas assez d’argent pour tous ces voleurs » a caché l’exploitation capitaliste, l’exploitation du prolétariat par l’ensemble du capital.
Ainsi donc, cette fausse vision de la crise, cette campagne contre « les méchantes finances » et la « corruption », attaquait l’autonomie politique du prolétariat, niait l’exploitation capitaliste et l’existence de classes et liait les prolétaires à l’idée du frontisme ainsi qu’au fait de choisir son plat dans le menu empoisonné des options capitalistes.
Les assemblées se remplirent de petits-bourgeois radicalisés par les effets de la crise et, face à ceux-ci, le manque de confiance des jeunes ouvriers en leurs propres forces fit qu’ils se laissèrent embobiner par les belles paroles de ces secteurs dominés par le verbiage, les incohérences, le crétinisme, les oscillations constantes, l’empirisme et l’immédiatisme.
Tous les mouvements authentiques du prolétariat se sont vus accompagnés des couches de la petite bourgeoisie, de couches sociales non exploiteuses. La Révolution russe de 1917 sut gagner à sa cause des paysans et des soldats. Il est nécessaire de comprendre la nature du prolétariat et la nature de la petite bourgeoisie et des autres couches non exploiteuses
« De toutes les classes qui, à l’heure présente, s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie ; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique » dit le Manifeste Communiste.
« Les classes moyennes, petits fabriquants, détaillants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu’elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires : Elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. »
Cela veut-il dire que le prolétariat doit considérer la petite bourgeoisie comme son ennemie ? Non. Ce qu’il doit faire est de lutter de toutes ses forces contre l’influence néfaste et destructrice de la petite bourgeoisie, spécialement de l’idéologie petite-bourgeoise. Cependant, il doit imposer son propre terrain de classe, son autonomie politique comme classe, ses revendications et partant de cette position de force, gagner à sa cause au moins une partie de la petite bourgeoisie, vu que :
1/ « Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité ».
2/ La petite bourgeoisie et les couches non exploiteuses « si elles sont révolutionnaires, c’est en considération de leur passage imminent au prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels ; elles abandonnent leur point de vue pour se rallier à celui du prolétariat ».
La grave faiblesse du mouvement du 15 Mai ne fut pas la présence des couches de la petite bourgeoisie radicalisée. Le problème fut que les jeunes ouvriers, les minorités résolument prolétariennes, ne furent pas capables de défendre et de faire assumer aux Assemblées les positions, leurs revendications et perspectives de classe. A la place, ce qui domina furent les approches individualistes, citoyennes, les « solutions » comme les coopératives, les jardins urbains, etc. c’est-à-dire qu’après les premiers efforts de réflexion et d’intuitions sur un terrain de classe, c’est le glissement vers les illusions petites-bourgeoises qui finit par prédominer de sorte que la partie était gagnée pour la bourgeoisie.
Cette critique impitoyable des faiblesses et déviations dont a souffert le mouvement des Indignés n’invalide en rien son caractère de classe prolétarien et ses apports pour les luttes futures. Le prolétariat est une classe exploitée et révolutionnaire à la fois. Sa principale force n’est pas une succession de victoires mais la capacité de tirer des leçons de ses défaites.
Dans son dernier écrit, Rosa Luxemburg, la veille de son assassinat par les sbires de la social-démocratie, « L’Ordre règne à Berlin » précise : « Que nous enseigne toute l’histoire des révolutions modernes et du socialisme ? La première flambée de la lutte de classe en France s’est achevée par une défaite. Le soulèvement des canuts de Lyon, en 1831, s’est soldé par un lourd échec. Défaite aussi pour le mouvement chartiste en Angleterre. Défaite écrasante pour la levée du prolétariat parisien au cours des journées de juin 1848. La Commune de Paris enfin s’est terminée par une terrible défaite. La route du socialisme – à considérer les luttes révolutionnaires – est pavée de défaites. Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces “défaites”, où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l’idéalisme qui nous animent ? De chacune, nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité »[17].
Les terribles leçons que nous venons d’exposer font partie des orientations que les luttes futures devront suivre. Cependant, la lutte de 2011 nous apporte une série d’éléments positifs très importants.
L’article que nous avons cité précédemment, Le mouvement du 15 Mai cinq ans après, résume ces acquis (voir note 5). Nous soulignerons quelques-unes d’entre-elles.
L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou ne sera pas, affirmait la Première Internationale. Les assemblées générales massives, ouvertes à l’ensemble des ouvriers, sont la réponse concrète à cette nécessité. Dans les assemblées générales, les ouvriers discutent, pensent, décident et mettent en œuvre les accords ENSEMBLE. Une participante au mouvement du 15 Mai s’exclamait : « Cest merveilleux que 10.000 inconnus aient pu se réunir !".
Les assemblées sont le cœur et le cerveau des luttes ouvrières.
Le cœur : elles sont un mélange de solidarité, de camaraderie, d’unité, de fraternité. Le cerveau : parce qu’elles doivent être l’organe collectif et unitaire de direction du mouvement, analysant les obstacles et les dangers qui le menacent et proposant la marche à suivre.
Mais les assemblées générales furent également une réponse concrète au problème que nous analysions au début : la majeure partie des jeunes ouvriers se retrouvent atomisés et dispersés par le télétravail, les emplois « uberisés », les petites entreprises, les situations de chômage, etc. En s’unissant dans les assemblées, en occupant les places, (le slogan du mouvement était « Occupe les places publiques »), ils réussirent à créer un lieu de regroupement, de construction d’unité, d’organisation de la lutte.
Il ne s’agit pas de glorifier les assemblées, nous avons vu comment en leur sein, les confusions qui tenaillaient les participants, l’affluence de la petite bourgeoisie et SURTOUT le travail de sape de la bourgeoisie et concrètement de DRY, finirent par leur ôter toute force. En filant la métaphore d’une légende tirée de la Bible, on pourrait dire que ces Salomé ont réussi à raser le crane du Sanson prolétaire. Face à cela, les futures assemblées « devront se renforcer avec un bilan critique des faiblesses apparues :
La société capitaliste sécrète par tous ses pores « la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité », c’est-à-dire « l’anéantissement de tout principe de vie collective au sein d’une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective ».
Face à tout cela, le mouvement du 15 Mai a semé une première graine : « il y a eu des manifestations à Madrid pour exiger la libération des détenus ou empêcher que la police arrête des migrants ; des actions massives contre les expulsions de domicile en Espagne, en Grèce ou aux États-Unis ; à Oakland, « l’assemblée des grévistes a décidé l’envoi de piquets de grève ou l’occupation de n’importe quelle entreprise ou école qui sanctionne des employés ou des élèves d’une quelconque manière parce qu’ils auraient participé à la grève générale du 2 novembre. »
Le mouvement a également fait preuve d’une recherche de la solidarité entre les différentes générations de la classe ouvrière, par exemple, les jeunes ouvriers accueillirent avec enthousiasme la présence des retraités qui apportaient leurs propres revendications.
Cependant, ce fut un premier pas, encore timide, miné par la perte de l’identité de classe, et situé encore plus sur un terrain de « la solidarité en général » que sur le terrain universel et libérateur de la SOLIDARITE DE CLASSE PROLETARIENNE. Pour cela, la vague populiste qui a secoué les pays centraux (le Brexit, Trump…) a éclipsé ces tentatives, imposant la xénophobie et la haine des migrants. Le prolétariat doit retrouver le terrain de sa solidarité de classe. Les Assemblées Générales doivent se concevoir comme un instrument de l’ensemble de la classe, ouverte aux ouvriers de toutes les entreprises, précaires, travailleurs “uberisés”, chômeurs, retraités… ».
La lutte doit s’étendre en brisant les barrières de l’entreprise, de la région, de la nationalité, de la catégorie, de la race, le prolétariat s’affirmant comme la classe formant un creuset dans lequel se révèle la véritable humanité unifiée dans le communisme. Toute lutte doit se concevoir comme partie de la lutte de TOUTE LA CLASSE OUVRIÈRE, se donnant comme première priorité L’EXTENSION ET L’UNIFICATION DES LUTTES.
Avec l’arme de la solidarité de classe, il faut combattre à mort la FAUSSE SOLIDARITE que propage la bourgeoisie, ses syndicats, ses partis : la « solidarité citoyenne », la « solidarité nationale », les collectes caritatives qui humilient les ouvriers en les convertissant en mendiants.
La société actuelle nous condamne à l’inertie du travail, à la consommation, à la reproduction de modèles à succès qui provoquent des millions d’échecs, à la répétition de stéréotypes aliénants qui ne font rien sinon amplifier ce que répète l’idéologie dominante. Face à tout cela, et comme fausses réponses qui entraînent toujours plus dans la putréfaction sociale et morale, apparaît « la profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite, y inclus de la part de certains milieux “scientifiques” et qui prend dans les médias une place prépondérante, notamment dans des publicités abrutissantes, des émissions décervelantes ; l’envahissement de ces mêmes médias par le spectacle de la violence, de l’horreur, du sang, des massacres, y compris dans les émissions et magazines destinés aux enfants ; la nullité et la vénalité de toutes les productions “artistiques”, de la littérature, de la musique, de la peinture de l’architecture qui ne savent exprimer que l’angoisse, le désespoir, l’éclatement de la pensée, le néant. » (se reporter à la note 5).
Face à cela, durant les premières semaines du mouvement en Espagne, un débat vivant, massif s’est développé, abordant une multitude de sujets qui reflétaient la préoccupation, non seulement pour la situation actuelle mais aussi pour le futur ; pas seulement les problèmes économiques, sociaux ou politiques mais également des questions morales et culturelles. L’importance de cet effort, même timide et accablé par des faiblesses démocratiques et des approximations petites-bourgeoises est évidente. Tout mouvement révolutionnaire du prolétariat surgit toujours à partir d’un gigantesque débat de masse. Par exemple la colonne vertébrale de la Révolution en Russie de 1917 résidait dans le débat et la culture de masse. John Reed rappelle que « la soif d’instruction, si longtemps réprimée, avec la révolution prit la forme d’un véritable délire. Du seul Institut Smolny pendant les six premiers mois, sortaient chaque jour des trains et des voitures chargés de littérature pour saturer le pays. La Russie, insatiable, absorbait toute matière imprimée comme le sable chaud absorbe de l’eau. Et ce n’était point des fables, de l’histoire falsifiée, de la religion diluée et des romans corrupteurs à bon marché-mais les théories sociales et économiques, de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol et Gorki[18]. ».
Ce développement de la culture du débat est une arme porteuse d’avenir, car cela permet à l’ensemble des prolétaires de forger sa conviction, son enthousiasme, sa capacité de lutte, comme le dit l’Idéologie allemande, l’ouvrage de Marx et Engels : « la révolution est nécessaire non seulement parce qu’il n’est pas d’autre moyen pour renverser la classe dominante, mais encore parce que c’est seulement dans une révolution que la classe du renversement réussira à se débarrasser de toute l’ancienne fange et à devenir ainsi capable de donner à la société de nouveaux fondements[19] ». De façon concrète, la culture du débat permet au prolétariat de faire face à trois nécessités fondamentales :
C. Mir 27-12-21
[1] Ce que nous avons mis en évidence en janvier 1990 voir Effondrement du bloc de l’Est : des difficultés accrues pour le prolétariat
[2] CPE : Contrat Première Embauche, une mesure du gouvernement français qui légalisait la précarité sous prétexte de donner « des opportunités d’emploi » aux jeunes.
[3] Pour une analyse de ces luttes voir :
Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : une avancée dans la lutte prolétarienne [68]
Les révoltes de la jeunesse en Grèce confirment le développement de la lutte de classe [69]
Luttes en Egypte : une expression de la solidarité et de la combativité ouvrières [70]
Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France [71]
2011 : De l’indignation à l’espoir [72]
[4] Résolution sur le rapport de forces entre les classes (2019)
[5] Voir nos Thèses sur la décomposition [73]
[7] Le capitalisme, depuis les années 1960, s’est vu obligé, pour les besoins de sa reproduction, de généraliser l’éducation universitaire à une majorité de la population. Cela non pas par charité, mais avec l’objectif d’augmenter la productivité du travail…
[8] Aux différents étages des grandes entreprises, par exemple, dans les usines d’automobiles, travaillent non seulement les employés directs de l’entreprise mais aussi une myriade de sous-traitants ou d’entreprises auxiliaires qui appartiennent à un autre groupe ou dépendent d’une autre convention collective, ont d’autres conditions de travail, d’autres salaires, d’autres horaires, mangent à part, etc.
[9] Le nationalisme a pesé comme une chape de plomb sur le mouvement des Indignés en Grèce où sont apparus des drapeaux nationaux durant les concentrations et les marches. En Espagne s’il n’y eut pas de drapeaux espagnols dans les manifestations, beaucoup de jeunes qui ont participé aux assemblées de Barcelone se sont laissés entraîner dans la répugnante mobilisation pour l' « indépendance de la Catalogne » depuis 2012.
Voir L’Espagne et la Catalogne : deux patries pour imposer la même misère [75]
[10] Pour une dénonciation de cette racaille voir Le mouvement citoyen « Democracia Real Ya !": une dictature sur les assemblées massives [76].
Il importe de signaler que beaucoup des cadres qui ont milité dans DRY se sont unis a posteriori à cette entreprise de duperie et d’hypocrisie capitaliste qu’est Podemos.
[11] La démocratie bourgeoise, c’est la dictature du capital [63](Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne (mars 1919)
[12] Avec le développement de la décomposition politique et idéologique du capitalisme, la bourgeoisie des pays centraux tend à perdre le contrôle du jeu électoral. De cela découle l’émergence de fractions populistes qui sont des défenseurs acharnés du capital national mais qui agissent de façon indisciplinée, chaotique, défendant des options impérialistes, économiques, etc. qui ne sont pas en adéquation avec l’intérêt global de l’État capitaliste.
[13] Malgré la résistance à la volonté de DRY d’imposer un « décalogue démocratique »
[14] Voir Vox (Espagne) : Une “voix” clairement capitaliste [77] et, en espagnol : Podemos : un poder del Estado capitalista [78]
[15] Pour une analyse du sens et des limites de l’indignation voir le chapitre sur ce thème de notre Rapport sur la lutte de classe internationale au 24e Congrès du CCI [79].
Voir également la dénonciation de l’essai de Stéphane Hessel sur l’indignation : S’indigner, oui ! contre l’exploitation capitaliste ! (à propos des livres de Stéphane Hessel « Indignez-vous ! » et « Engagez vous !") [80]
[16] Voir le point IX de notre Plateforme : « Le frontisme, stratégie de dévoiement du prolétariat » [81]
[17] « L’ordre règne à Berlin »
[18] Dix Jours qui Ébranlèrent le Monde
[19] L’Idéologie allemande, Chapitre : Feuerbach, Conception matérialiste contre conception idéaliste, Résultats, Ed. La Pléiade, p. 1123.
Nous publions une déclaration sur la guerre en Ukraine du KRAS, un groupe anarcho-syndicaliste lié à l’Association internationale des travailleurs (AIT). Nous savons qu’en Russie, toute protestation contre la guerre fait l’objet d’une répression féroce de la part de l’État. Nous saluons donc le courage et la conviction des camarades du KRAS qui ont publié cette déclaration clairement internationaliste, dénonçant les deux camps impérialistes et appelant à la lutte de la classe ouvrière contre la guerre.
Notre solidarité avec les camarades du KRAS n’implique pas que nous soyons d’accord avec tout le contenu de leur déclaration, comme la demande d’une « cessation immédiate des hostilités » qui nous semble être une concession à l’idée que les deux camps bourgeois peuvent faire la paix. Même si la Russie se retirait d’Ukraine et cessait les bombardements, nous ne doutons pas que les hostilités se poursuivront sous d’autres formes, comme c’est le cas depuis 8 ans. À cet égard, la déclaration de la fédération serbe de l’AIT, d’obédience elle-aussi anarcho-syndicaliste, est plus claire dans sa dénonciation des illusions pacifistes répandues par une partie de la bourgeoisie : « Face aux horreurs de la guerre, il est très facile de se tromper et de lancer un appel impuissant à la paix. Mais la paix capitaliste n’est pas la paix. Une telle “paix” est en fait une guerre avec une étiquette différente contre la classe ouvrière. Dans cette situation, une position antimilitariste cohérente implique de faire des efforts directs pour arrêter la guerre capitaliste, mais en même temps de prendre le contrôle de la situation dans le pays, et de changer radicalement le système socio-économique – c’est-à-dire qu’une guerre de classe organisée est nécessaire ». (1)
Nous devons également souligner que ces deux groupes font partie d’un réseau anarchiste international qui n’est pas du tout homogène dans sa réaction contre la guerre. En allant, par exemple, sur la page web de la section britannique, la Solidarity Federation, on ne trouve, au moment où nous écrivons ces lignes, rien du tout sur la guerre, seulement des comptes rendus de conflits locaux et d’activités de la fédération. La déclaration sur la guerre de la section française de la CNT s’oppose à l’inhumanité de la guerre mais ne mentionne pas du tout la nécessité d’une réponse sur le terrain de la classe ouvrière. (2 )
Le KRAS, en revanche, a toujours défendu une position prolétarienne et internationaliste contre les actes immondes de sa « propre » classe dirigeante, et nous avons publié un certain nombre de leurs déclarations dans le passé. (3)
CCI, 18 mars 2022
NON A LA GUERRE ! (Déclaration de la section de l’AIT en Russie)
La guerre a commencé.
Ce dont les gens avaient peur, ce contre quoi ils avaient mis en garde, ce à quoi ils ne voulaient pas croire, mais qui était inévitable, est arrivé. Les élites dirigeantes de Russie et d’Ukraine, incitées et provoquées par le capital mondial, avides de pouvoir et gonflées de milliards volés au peuple travailleur, se sont réunies dans une bataille mortelle. Leur soif de profit et de domination est maintenant payée par le sang de gens ordinaires – comme nous.
Le premier coup de feu a été tiré par le plus fort, le plus prédateur et le plus arrogant des bandits : le Kremlin. Mais, comme toujours dans les conflits impérialistes, derrière la cause immédiate se cache tout un enchevêtrement de raisons puantes et dégoûtantes : il s’agit de la lutte internationale pour les marchés du gaz, et du désir des autorités de tous les pays de détourner l’attention de la population de la tyrannie des dictatures « sanitaires », et de la lutte des classes dirigeantes des pays de l’ex-Union soviétique pour le partage et la redistribution de l'« espace post-soviétique », et des contradictions à plus grande échelle et à l’échelle mondiale, et de la lutte pour la domination mondiale entre l’OTAN, dirigée par les États-Unis d’une part et la Chine d’autre part, qui défie l’ancienne hégémonie américaine et attache son « petit frère » du Kremlin à son char. Aujourd’hui, ces contradictions donnent lieu à des guerres locales. Demain, elles menacent de se transformer en une troisième guerre impérialiste mondiale.
Quelle que soit la rhétorique « humaniste », nationaliste, militariste, historique ou autre qui justifie le conflit actuel, il n’y a derrière que les intérêts de ceux qui ont le pouvoir politique, économique et militaire. Pour nous, travailleurs, retraités, étudiants, il n’apporte que souffrance, sang et mort. Le pilonnage, le bombardement de villes pacifiques, le meurtre de personnes n’ont absolument aucune justification.
Nous exigeons la cessation immédiate des hostilités et le retrait de toutes les troupes aux frontières et aux lignes qui existaient avant le début de la guerre.
Nous demandons aux soldats envoyés au combat de ne pas se tirer dessus, et encore plus de ne pas ouvrir le feu sur la population civile.
Nous les exhortons à refuser en masse d’exécuter les ordres criminels de leurs commandants.
ARRÊTEZ CETTE GUERRE !
ARMES AU PIED !
Nous appelons la population à l’arrière des deux côtés du front, tous les travailleurs de Russie et d’Ukraine, à ne pas soutenir cette guerre, à ne pas l’aider – mais au contraire, à y résister de toutes leurs forces !
N’allez pas à la guerre !
Pas un seul rouble, pas une seule hryvnia(4) ne doit sortir de nos poches pour la guerre !
Frappez contre cette guerre si vous le pouvez !
Un jour – quand ils auront assez de force – les travailleurs de Russie et d’Ukraine exigeront des comptes sur la responsabilité de tous les politiciens présomptueux et des oligarques qui nous montent les uns contre les autres.
Souvenons-nous en : PAS DE GUERRE ENTRE LES TRAVAILLEURS DE RUSSIE ET D’UKRAINE !
PAS DE PAIX ENTRE LES CLASSES !
PAIX dans les chaumières – GUERRE dans les palais !
Section de l’Association internationale des travailleurs de la région russe, (26 février 2022)
1 En anglais : Let's turn capitalist wars into a workers' revolution !, International Workers Association. [83]
2 « Paix aux chaumières, guerre aux Palais ! » [84], déclaration sur le site de la CNT-AIT.
4 Monnaie ukrainienne.
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Venez aux réunions publiques organisées le 7 mai 2022 par le CCI pour discuter des questions soulevées par la guerre en Ukraine et des tâches des révolutionnaires. Vous trouverez ci-dessous les horaires et les lieux de ces réunions publiques :
- Bruxelles : 14H00, Pianofabriek, rue du Fort 35, 1060 Bruxelles.
- Marseille : 15H00, local de Mille Babords, 61 Rue Consolât, Métro « Réformés », 13001 Marseille.
- Paris : 15H00 au CICP (21ter Rue Voltaire, 75011 Paris), Métro « Rue des Boulets ».
- Toulouse : 14H00, La Chapelle, 36 rue Danielle Casanova – 31000 TOULOUSE, Métro (ligne B) station « Canal du Midi / Compans-Caffarelli».
- Lille : 15H00, Café "Les Sarrazins", 52-54 rue des Sarrazins, Lille (Wazemmes).
Face à la guerre en Ukraine, le CCI s'appuie sur les contributions historiques de la Gauche communiste pour défendre une position internationaliste. En pratique, cela signifie :
- Aucun soutien à un quelconque camp dans les conflits impérialistes.
- Opposition au pacifisme
- Seule la classe ouvrière est une force de transformation sociale, qui aboutit au renversement révolutionnaire du capitalisme.
- Dans les luttes et les réflexions de la classe ouvrière, les organisations révolutionnaires ont un rôle essentiel à jouer dans le développement de la conscience de classe.
- La lutte contre la guerre impérialiste exige la coopération et la solidarité des authentiques internationalistes.
Campagnes idéologiques: Une propagande impérialiste, barbare et criminelle! [91] (new)
Déclaration du KRAS-AIT: Contre les attaques nationalistes, solidarité internationaliste! [92] (new)
Les anarchistes et la guerre: Entre internationalisme et “défense de la nation” [93] (new)
La guerre en Ukraine, un pas de géant dans la barbarie et le chaos généralisés [94]
Sommet de l'OTAN à Madrid: un sommet de guerre pour la guerre [95]
Un bilan des réunions publiques sur la Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste [96]
Le trotskisme, grand rabatteur de l’impérialisme, recruteur de chair à canon [97]
Campagne idéologique: La propagande “humanitaire” au service de la guerre [99]
Réunions publiques du CCI: Qui peut arrêter les guerres et la barbarie capitaliste? [100]
Conférence de Zimmerwald: Une référence indispensable pour la défense de l’internationalisme [101]
Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukraine [102]
Éditorial: Face à la guerre impérialiste, opposons la lutte de classe! [103]
Face à la guerre comme face à la crise, la classe ouvrière ne doit accepter aucun sacrifice [104]
États-Unis, Russie, Union européenne, Ukraine… Tous les États sont responsables de la guerre! [105]
Conflit impérialiste en Ukraine: La classe dominante exige des sacrifices sur l’autel de la guerre! [107]
Alors que les deux candidats désignés au premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, entrent à nouveau en lice pour le second tour, la bourgeoisie et ses médias continuent de propager un mensonge mille fois répété : l’avenir se jouerait dans les urnes. Enjeux pour la bourgeoisie, certes, mais pas pour les ouvriers ! L’expérience d’innombrables mandats, de droite, de gauche et du centre, comme celles des « fronts républicains » depuis 20 ans, ont clairement démontré que cette mascarade ne peut en rien empêcher la plongée constante de la société capitaliste dans la crise, le chaos et la dégradation inexorable des conditions de vie. Au-delà des apparences, de la variété de discours, pour la plupart sans couleur ni panache, tous les candidats ont défendu un même programme de fond : celui du capital national, qu’il s’agit, pour la classe dominante, de défendre dans l’arène mondiale face à une concurrence exacerbée, sur fond de crise économique, de guerre et de chaos croissant. La bourgeoisie n’a qu’une seule méthode pour mettre en œuvre son programme : accroître encore et encore l’exploitation de la force de travail pour en extraire un profit maximal et écarter les concurrents !
Que valent donc les discours lénifiant des candidats face à l’aggravation spectaculaire du réchauffement climatique, des catastrophes en série, de la misère croissante, de la famine et du chaos guerrier sur tous les continents et jusqu’aux portes d’un des principaux centre du capitalisme mondial ? Que peuvent sérieusement proposer ces tristes candidats face à la crise économique mondiale, aux dettes abyssales, à l’inflation incontrôlable ? Dans ce contexte, que valent les promesses démagogiques et le slogan « Nous tous » de Macron, lui qui n’a cessé de mentir et de jouer sur les divisions en accentuant la précarité, la pauvreté ou le démantèlement des services de santé ? Celles de Marine Le Pen valent-elles mieux, elle qui prétend ouvertement rejeter les problèmes économiques et sociaux sur le dos des immigrés et sauver le « pouvoir d’achat des Français » et propose presque de « raser gratis », comme le faisait autrefois la gauche ? (1)
Voter, ce n’est pas seulement choisir entre Macron et Le Pen, entre « la peste et le choléra » ou entre « régime démocratique et régime autoritaire », c’est, en réalité, bien pire que cela ! C’est à nouveau plébisciter le capitalisme et son mode de domination destructeur.
Bien entendu, le bon sens commun du petit bourgeois répondra : « Malgré tout, il faut voter pour préserver ce droit acquis de haute lutte » ! Et les voix des gauchistes du même acabit ajouteront : « le mouvement ouvrier, les révolutionnaires ne participaient-ils pas traditionnellement aux élections et au travail au sein du parlement ? Le prolétariat ne s’est-il pas battu pour ce droit ? ». Toutes ces niaiseries n’expliquent nullement un curieux paradoxe historique : au moment de la conquête du suffrage universel par la classe ouvrière, au XIXe siècle, la bourgeoisie s’y opposait avec la dernière des brutalités, réprimant tous ceux qui se battaient pour ce qui était perçu alors comme un droit et un progrès. Or, aujourd’hui, tout au contraire, la bourgeoisie défend mordicus les urnes, vante ses institutions « démocratiques » à grands coups de slogans publicitaires, stigmatise les abstentionnistes « égoïstes » et envisage même, comme c’est déjà le cas en Belgique, d’infliger des sanctions à ceux qui refusent d’accomplir leur « devoir civique » !
En réalité, dès ses origines, le mouvement ouvrier et le courant marxiste (en dehors de ses courants opportunistes) ont toujours considéré que la démocratie bourgeoise et le prétendu « pouvoir du peuple » n’étaient que mystifications au service de la bourgeoisie et de l’exploitation capitaliste. Dans une société divisée en classes antagoniques, nulle « égalité » civique n’est possible, même dans la République bourgeoise la plus démocratique. Cependant, au XIXe siècle, dans cette période de phase ascendante du capitalisme, le prolétariat devait se constituer et s’affirmer comme classe, il lui était encore possible de s’appuyer sur des fractions bourgeoises progressistes face aux vieilles couches sociales réactionnaires. Il était aussi encore possible de lutter pour des réformes réelles et durables. En permettant de pousser la législation en leur faveur, en limitant, par exemple, le temps de travail quotidien, en améliorant les salaires, en défendant et arrachant, non sans luttes, de meilleures conditions de vie et de travail, les élections participaient à l’éveil des consciences et au renforcement de l’unité et de l’influence des ouvriers dans la société. Bien entendu, la fraction parlementaire socialiste était entièrement subordonnée au principe de la lutte de classe et conçue comme un moyen relié au but qui était de renverser, à terme, le capitalisme. (2)
En revanche, lorsque le capitalisme est entré dans sa phase de déclin historique, au moment de la Première Guerre mondiale, l’impossibilité d’octroyer des réformes durables et le développement du capitalisme d’État rendaient impossible toute participation fructueuse aux élections sans en payer les conséquences néfastes. Avec l’exacerbation des confrontations entre nations, induites par la décadence, s’est développé un des phénomènes caractéristiques de cette période : le capitalisme d’État, qui répond à la nécessité pour chaque pays, d’obtenir le maximum de discipline en son sein de la part des différents secteurs de la société, de réduire au maximum les affrontements entre classes mais aussi entre fractions rivales de la classe dominante afin, notamment, de rendre son économie la plus compétitive possible. L’octroi de réformes réelles en faveur de la classe ouvrière devient tout bonnement impossible, sous peine de reculer dans la compétition mondiale. Toutes les fractions bourgeoises sont ainsi devenues réactionnaires. Aujourd’hui, elles le sont toujours, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite. Comme le proclamait l’Internationale communiste, « le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement et définitivement sorti du parlement ».
Notre rejet catégorique du parlementarisme et des élections ne repose donc nullement sur un dogme moral ou des idées abstraites, mais sur l’analyse des conditions historiques de la lutte de classe et la tradition du combat révolutionnaire.
Prétendre, comme Mélenchon, qu’« un autre monde est possible » grâce au bulletin de vote est une imposture ! Aujourd’hui, rabattre les ouvriers vers les urnes, comme le font depuis des décennies les gauchistes, comme Poutou ou Nathalie Arthaud, en prétendant transformer les élections en « tribune révolutionnaire » en faveur de « l’urgence anticapitaliste » ou au nom du « camp des travailleurs », n’a fait qu’entretenir les pires illusions (3) sur des institutions bourgeoises de plus en plus boudées et désertées, exposées à la légitime méfiance des exploités. Alors que les ouvriers doivent défendre leur unité, les élections les atomisent au contraire dans les isoloirs, les divisent et les exposent aux pressions idéologiques nauséabondes du capital en attaquant leur conscience et les désarment en les berçant d’espérances illusoires.
Mais si le prolétariat doit effectivement rejeter les urnes, ce n’est pas en se repliant sur lui-même ou en boudant simplement l’élection, comme on le voit pour une partie de la population marquée par le désenchantement, la colère et le désespoir, mais en luttant fermement sur son terrain de classe contre les effets de la crise et les attaques du capital. Face au coût de la vie exorbitant, face à la dégradation de la situation et à la barbarie croissante, il n’y a pas d’autre choix que de se battre contre le système capitaliste lui-même, sa crise, sa logique de guerre et de concurrence généralisée. Pour cela, la classe ouvrière devra miser sur sa solidarité, sur ses propres méthodes de luttes pour affirmer son autonomie de classe en résistant aux attaques à venir. Elle en a la force et tout le potentiel, elle doit prendre confiance en elle-même, reconnaître qu’elle peut se mobiliser et résister collectivement, comme elle a commencé à le faire au moment de la lutte contre la réforme des retraites durant l’hiver 2019/2020. Elle devra baser sa réflexion, déjà présente dans de petites minorités, sur l’expérience des luttes du passé et l’histoire du mouvement ouvrier, s’engager dans un combat collectif et conscient pour en tirer les leçons, discuter et comprendre la situation dans des assemblées générales souveraines, s’organiser elle-même pour poser les conditions de la lutte afin de l’étendre le plus largement possible à tous les ouvriers.
Dans ce combat, les révolutionnaires auront un rôle primordial à jouer pour stimuler l’action du prolétariat qui permettra, à terme, de développer les conditions d’un combat ouvrier international, combat qui exprimera une politisation capable d’offrir une réelle perspective, celle de la destruction du capitalisme pour un projet authentiquement communiste.
WH, 15 avril 2022
1 Il faut se souvenir de tous les slogans bidons déversés jusqu’à plus soif d’élection en élection : « Changer la vie » (Mitterrand), « Sortir du tunnel », « Contre la fracture sociale » (Chirac), « Ensemble tout devient possible » (Sarkozy), « Le changement, c’est maintenant » (Hollande)… Comme l’ont dit cyniquement certains politicards : « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ».
2 Cette lutte pour des réformes ne doit pas être confondue avec le réformisme, une dérive opportunisme qui conduisait à séparer justement le but et les moyens, à s’accommoder au capitalisme pour in fine mieux capituler. Le cas le plus connu est celui de Bernstein pour qui le « mouvement est tout le but n’est rien ». Marx dénonçait d’ailleurs déjà à son époque le « crétinisme parlementaire ».
3 En 1981, Lutte ouvrière se servait de sa « tribune révolutionnaire » pour appeler à voter Mitterrand. Ce parti devait récidiver en 2007 en faveur de la candidate du Parti socialiste Ségolène Royal.
La qualification de Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, au deuxième tour de l’élection présidentielle donne l’occasion à la classe dominante d’asséner une nouvelle campagne de « diabolisation » de l’extrême droite en poussant les exploités à « défendre la démocratie » en votant pour Emmanuel Macron, sensé représenter le camp du « bien ». « Démocratie ou dictature » tel est le faux dilemme que tente d’imposer la classe dominante dans la droite ligne des campagnes antifascistes au cours des années 1930. La très faible affluence lors des marches contre l’extrême droite organisées le 16 avril, ainsi que le fort taux d’abstention pronostiqué par les sondages pour le deuxième tour, semblent montrer que le « front républicain » fait de moins en moins recette.
Si le poids grandissant des partis populistes est une marque des difficultés des fractions les plus rationnelles de la classe dominante à garder la maîtrise de l’appareil politique, cela ne concerne en rien les intérêts des exploités. Populistes ou pas, tous les partis présents aux élections sont les défenseurs du système et de l’exploitation du travail salarié. En jouant sur la peur du « danger fasciste », la bourgeoisie tente d’atténuer le discrédit de plus en plus fort pesant sur les élections et les « partis démocratiques ».
Les lecteurs pourront trouver ci-dessous un article paru dans la presse du CCI en 2005 montrant la différence entre les pouvoirs fascistes des années 1930 et la percée des partis populistes actuellement. Si plusieurs aspects factuels sont aujourd’hui dépassés, l’analyse générale reste pleinement valable selon nous.
– Montée de l’extrême-droite en Europe : Existe-t-il un danger fasciste aujourd’hui ? [113]
À peine quelques semaines et, déjà, le scandale des maltraitances dans les EHPAD du groupe ORPEA est relégué au fin fond de l’actualité soumise à une autre expression dramatique de la décomposition capitaliste, la guerre.
Dans un précédent article, nous avions clairement affirmé combien toute cette campagne médiatique et la fausse indignation du gouvernement sur la situation dans les EHPAD étaient d’une hypocrisie sans nom. (1) La main sur le cœur, des trémolos dans la voix, la ministre à l’autonomie, Brigitte Bourguignon, comme d’autres, osait affirmer de manière éhontée « qu’on ne fait pas n’importe quoi dans ce pays, dans une activité qui est lucrative mais qui ne doit pas l’être au détriment de la bientraitance ». Lucrative donc, c’est-à-dire source de profits, mais activité au plus haut point désintéressée et solidaire… De qui se moque-t-on ? Dernier exemple en date où la logique capitaliste et sa pourriture morale se sont confirmées, l’ancien directeur général d’ORPEA, censé garantir cette « bientraitance institutionnelle », a été limogé fin janvier suite au scandale mais aussi parce qu’il est soupçonné de délit d’initiés ; averti de la sortie du livre « Les Fossoyeurs », il aurait revendu « à l’insu de son plein gré » quelque 7 500 titres ORPEA lui ayant rapporté plus de 800 000 euros. Chassez le naturel… Au-delà du sentiment de dégoût, on ne peut que constater, une fois de plus, que la « bientraitance » sous le capitalisme n’est jamais que celle du profit extorqué à l’humanité comme marchandise qu’il faut rentabiliser jusqu’au bout dans des établissements mouroirs.
La question « des vieux » dans le capitalisme est devenue une véritable caricature de la barbarie ordinaire. La population mondiale vieillit. D’après les projections de l’ONU, 16 % des êtres humains auront 65 ans ou plus en 2050, contre seulement 9 % aujourd’hui. Même si avec l’épidémie de Covid, l’espérance de vie mondiale a connu en 2020 sa plus forte baisse depuis la Seconde Guerre mondiale (France Inter, septembre 2021), il n’en reste pas moins que ce vieillissement historique de la population mondiale inquiète économistes, gouvernements et États qui parlent d’un « tsunami gris » où la population active ne parviendra plus à subvenir aux besoins des plus âgés.
En 1973, sortait le film de science-fiction Soleil vert, librement inspiré du roman de Harry Harrison, Soylent green (1966), où dans une société totalitaire du futur (situé… en 2022 !), la pollution, le chômage massif, la surpopulation et le manque de nourriture amènent le pouvoir à créer des aliments artificiels et industriels, soi-disant issus de plancton mais, en réalité, fabriqué à partir des cadavres de vieux, de chômeurs suicidés ou euthanasiés. Cette vision de l’industrialisation et du « cannibalisme » social dans ce film avait fait grand bruit à l’époque. C’étaient les premières expressions écologistes petite-bourgeoises réagissant au retour de la crise et appelant à réduire la consommation dans un monde aux ressources gaspillées, vantant la perspective prétendument radicale et « révolutionnaire » de la « décroissance » avant l’heure.
Aujourd’hui, la réalité vient concrétiser sur bien des aspects cette œuvre d’imagination apocalyptique. L’ « anthropophagie » du Moloch capitaliste transforme tous les jours l’être humain en une pure marchandise à rentabiliser jusqu’au dernier souffle de vie. Alors que dans les sociétés du passé, les anciens étaient respectés parce que leur expérience était un trésor à transmettre aux générations futures, le vieillissement est considéré par le capitalisme comme une calamité, une charge insupportable et inutile pour le mode de vie de la société bourgeoise. Les retraités sont donc vus comme des « improductifs » et des « inutiles » à l’égard desquels l’État bourgeois exprime la plus profonde indifférence. C’est pourquoi la retraite, dans tous les pays et sous tous les gouvernements, est peu à peu repoussée à des âges canoniques et donne lieu à des pensions de plus en plus maigres. Tant pis si ces ouvriers sexagénaires ne peuvent plus assumer leur tâche. Et surtout, tant pis s’ils sont malades et épuisés, ou plutôt, tant mieux. Car c’est bien là le calcul de la classe dominante : que les ouvriers qui n’ont pas été licenciés en cours de route soient contraints de laisser tomber leur emploi, résignés et au bout du rouleau, sans avoir obtenu leur nombre de trimestres nécessaire pour une pension déjà à minima. Qu’ils crèvent à la tâche ou qu’ils partent avec leur pension de misère ! Et lorsqu’ils ne pourront plus vivre tout seuls, c’est le racket institutionnalisé dans les maisons de retraite. L’État en profitera pour récupérer les pensions des anciens et attaquer les salaires des autres membres de la famille obligés de prendre en charge ou de compléter le prix du « séjour ».
La paupérisation des vieux, particulièrement ceux de la classe ouvrière, est déjà spectaculaire dans les pays sous-développés, déjà choquante depuis longtemps, comme en Inde, par exemple, où il n’existe quasiment pas de prise en charge des personnes âgées. C’est aussi le cas dans les pays développés :
– En Corée du Sud, actuellement, près de la moitié des plus de 66 ans vit sous le seuil de pauvreté, conduisant les « Bacchus Ladies », ces dames âgées aux pensions ridicules, (la plupart ont entre 60 et 80 ans) qui se prostituent en plein Séoul pour pouvoir se nourrir !
– Au Japon, des retraités ne pouvant plus payer leur loyer choisissent même de commettre des délits pour s’offrir le luxe d’avoir un toit… en prison !
« Pour le capitalisme, les vieux, comme les handicapés, les marginaux ou les clochards, ne sont que des bouches inutiles à nourrir, des improductifs, aux yeux de l’État et des patrons, des “assistés”, tout juste bons à se faire “plumer” par des rapaces comme ceux du groupe ORPEA ». (2) Effectivement, l’exclusion ne concerne pas seulement les personnes âgées même s’ils en sont significativement les premières victimes, mais tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ne correspondent pas aux exigences de productivité de la société capitaliste marchande, tous les laissés pour compte : les chômeurs, les retraités, les SDF ou sans-abris, tous les « accidentés de la vie », tous les malades, psychiatriques ou physiques, tous ceux qui, au-delà même de ne plus être rentables, représentent un « poids social », un « coût économique » affaiblissant d’autant le profit global de la nation capitaliste. Cela ne date pas d’hier, mais de toutes les sociétés d’exploitation, la société capitaliste reste le nec plus ultra de l’exclusion généralisée pour garantir l’exploitation et le profit maximal.
Bien sûr, la classe dominante cherche par tous les moyens à masquer ou détourner cet instinct naturel du capitalisme à grands coups de « campagnes de communication ». Les discours et la propagande sur le handicap en sont un parfait exemple. Ainsi, la vitrine des jeux paralympiques ou du handisport vient « valoriser », de manière hypocrite, le handicap, source d’exclusion, dans une prétendue perspective « d’intégration et d’égalité ». Il s’agit, en réalité, d’un bourrage de crâne basé sur le culte de la réussite individuelle et la propagande du « si on veut, on peut ! », qui cache mal les réalités de l’exclusion sociale de l’immense majorité des handicapés. La fonction du sport, comme pour les « valides », n’est fondamentalement ici qu’un conditionnement pour adhérer à la culture et à l’exaltation de la compétition, du nationalisme et de la concurrence entre nations qui sont les « valeurs » mêmes sur lesquelles s’appuie le capitalisme !(3) L’exclusion du handicap reste toujours la règle dans un monde capitaliste qui se doit d’être efficace, rapide, rentable pour suivre les lois économiques et la logique de l’exploitation.
Hannah Arendt écrivait en 1961 : « Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire ». Le « chômage de masse » auquel fait référence Arendt forme la plus grande marmite à exclusion et à atomisation que le capitalisme à l’agonie peut fournir.
Si l’État, dans certains pays occidentaux comme la France, a permis après la Seconde Guerre mondiale un relatif « soutien » et le maintien d’un salaire social nécessaire pour entretenir une « armée de réserve » efficace pour l’intensification de la production et une exploitation forcenée, c’était à des fins de « reconstruction » et de compétitivité de l’économie nationale. Cet « État-Providence », devenu désormais trop coûteux, a été largement démantelé et tend à disparaître partout, avec les coups de boutoir croissants de l’aggravation de la crise économique, précarisant, jetant à la rue et marginalisant totalement ceux qui sont devenus « inutiles » ou « inaptes à la production ». C’est cette sordide réalité que tente de masquer l’hypocrisie bourgeoise et sa fausse solidarité, développée sous toutes ses formes, en vantant les « efforts » d’aide sociale des États aux plus faibles ou démunis, en faisant appel au portefeuille de la « solidarité citoyenne », en multipliant la mise en sous-traitance du marché des « aides sociales » par des entreprises elles aussi uniquement motivées par le profit maximum à retirer de ce créneau, qui va des mouroirs déshumanisés que sont les EHPAD à la gestion hospitalière, des « foyers » ou « centres spécialisés » pour « encadrer » les jeunes en difficulté aux « aides aux handicapés » et autres « association d’aides à domicile », etc.
La solidarité que prône et dont se gargarise la bourgeoisie ne peut être qu’une fausse solidarité reposant sur le mensonge et la poursuite de conflits d’intérêts mercantiles, totalement sous l’emprise du « chacun pour soi » et de la concurrence capitaliste : « L’idée que l’État serait l’incarnation de la solidarité, telle que l’ont cultivée en particulier la social-démocratie et le stalinisme, est l’un des plus grands mensonges de l’histoire. La solidarité ne peut jamais être imposée contre la volonté. Elle n’est possible que si ceux qui expriment la solidarité et ceux qui la reçoivent partagent la conviction de sa nécessité. La solidarité est le ciment qui tient ensemble un groupe social, qui transforme un groupe d’individus en une seule force unie ». (4)
L’accélération de la crise économique partout dans le monde pousse des millions d’exploités non seulement au chômage, mais également à ses conséquences les plus sordides que sont la vie « dans la rue », la drogue, la délinquance… Cette logique infernale de désocialisation touche aujourd’hui des masses toujours plus nombreuses de l’humanité. Là encore, la bourgeoisie n’hésite pas à instrumentaliser la situation de ces populations en les présentant comme des « incapables », des « poids morts », des « assistés » ne pouvant s’en prendre qu’à eux-mêmes. En d’autres termes, il s’agit de culpabiliser ces « individus hors norme » pour mieux cacher l’abjecte indifférence de la société capitaliste.
Les sans-abris, toxicomanes et drogués que l’on trouve dans toutes les concentrations urbaines sont ainsi présentés comme marginaux par « accident » ou « incompétence », « manque de volonté », incapables de « s’intégrer », de travailler, des « déchets » sociaux sources de toutes les vilenies. Souvent, ils ne sont pourtant et de plus en plus que des jeunes en souffrance, éjectés du rouleau compresseur de l’école, éjectés de pays en guerre, traumatisés, délaissés par des familles impuissantes, rejetés par le système productif ou tout simplement délaissés par les services de santé des États ! Seule l’économie parallèle du trafic de stupéfiants, les mafias de la came, trouvent avantage à l’exploitation jusqu’à la mort d’une partie de ces exclus.
La solidarité est une expression concrète de la nature sociale de l’humanité, une tendance vers une activité pratique de soutien mutuel entre les êtres humains dans la lutte pour l’existence, aujourd’hui pervertie par la société capitaliste. Elle n’est pas un idéal utopique à atteindre, mais au contraire une force matérielle active caractérisée par la conscience, la volonté et par l’initiative. La solidarité est donc le dépassement de l’individualisme et du particularisme dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté aussi vieille que l’humanité elle-même. Bien que dans l’histoire de l’humanité, la solidarité entre les membres de la société ait été avant tout un réflexe instinctif de préservation, plus la société humaine devient complexe et conflictuelle, depuis l’apparition des sociétés de classes, plus haut est le niveau de conscience nécessaire à son développement. En ce sens, la solidarité de classe du prolétariat constitue la forme la plus haute de la solidarité humaine jusqu’ici.
Or, là où règnent en permanence les rapports marchands, la réduction des hommes eux-mêmes à des marchandises et le principe bourgeois du calcul d’intérêt, des avantages et des inconvénients de ce que l’on offre à l’autre, la tendance consécutive inexorable à la désagrégation des rapports sociaux qui culminent dans le capitalisme décadent, il n’y a pas de solidarité possible autre que dans le combat de classe. La bourgeoisie ne peut ainsi que prolonger et accentuer toujours plus les souffrances de l’humanité en défendant bec et ongles son système de domination.
La classe ouvrière est la seule force sociale, à travers le développement de ses luttes sur son terrain de résistance et de lutte contre l’exploitation capitaliste et de sa perspective révolutionnaire, capable d’exprimer sa solidarité à tous les exclus du système, à tous les exploités parce qu’à l’opposé de la bourgeoisie, le prolétariat est amené à développer dans sa lutte contre le capitalisme une solidarité de classe, expression de son unité et qui correspond en même temps à sa tache historique de libérer l’ensemble de l’humanité du fléau et des chaînes de l’exploitation.
Sa solidarité est celle d’une classe internationale qui, en luttant au-delà de toutes les particularités nationales, raciales, physiques, pourra bannir l’exploitation en mettant fin au travail salarié par la révolution communiste en instaurant une société dont les rapports sociaux seront non plus établis sur la base d’un rapport entre exploités et exploiteurs mais selon le principe suivant : « De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins », lequel reposera l’ossature de la société communiste.
Stopio, 19 mars 2022
1 « Les maltraitances dans les maisons de retraite sont un produit de la barbarie du capitalisme [114] », disponible sur notre site internet (5 février 2022).
3 Voir notre série sur le sport, et notamment : « Le sport, le nationalisme et l’impérialisme [115] (Histoire du sport dans le capitalisme, partie III) ». Sans compter que le handisport et les JO paralympiques sont aussi un vecteur important de la concurrence féroce entre entreprises ou entre nations et que « la guerre des prothèses » n’a rien à envier à la « guerre des masques » ou celle des vaccins que nous avons largement dénoncées dans nos articles sur la pandémie.
4 « La confiance et la solidarité) dans la lutte du prolétariat [116] ». (2001)
Depuis plusieurs années, la question de la réduction du temps de travail est un serpent de mer que les partis de gauche comme les syndicats tentent de vendre aux exploités comme la « solution miracle » : après « l’expérimentation » des 32 heures en Espagne et en Islande, sa mise au sein d’un nombre croissant d’entreprises de part le monde, ce fût au tour de Mélenchon et son programme « L’avenir en commun » de défendre les vertus de la réduction du temps de travail lors de la campagne présidentielle. (1)
À en croire ses promoteurs, qu’ils soient patrons, économistes, syndicalistes ou politiciens de gauche, une telle réduction du temps de travail aurait de multiples vertus : baisse du chômage, de la consommation d’énergie, de la pollution, de l’absentéisme, des maladies et soins liés au stress et à l’épuisement, amélioration du bien-être et de la santé mentale des salariés… et, surtout, hausse de la productivité ! Au Japon, lors d’une expérimentation des 32 heures de travail hebdomadaires sur 4 jours ouvrés sans baisse de salaire nominal durant le mois d’août 2019, la société Microsoft a tiré des résultats plus que concluants : augmentation de 40 % de la productivité tout en réalisant d’importantes économies d’énergie et de papier). En France, inspirée par ces résultats, l’entreprise LDLC a adopté depuis 2021 le même dispositif de réduction de temps de travail : « Le PDG Laurent de la Clergerie était sûr de lui, malgré quelques réticences : “Les manageurs ont mis deux mois pour se faire à l’idée, ils avaient peur que leurs équipes ne fassent rien en leur jour d’absence. Mais justement ces heures je ne leur ai pas données, je leur ai simplement évité de faire du présentéisme” non-productif ». (2) D’ailleurs, « sans avoir “besoin de recruter ni de faire des changements majeurs”, l’entreprise a en réalité… quadruplé son bénéfice net. “Aujourd’hui, finalement, les gens sont heureux, le bien-être est là, et l’entreprise gagne plus d’argent qu’avant, se réjouit-il. En fait, j’ai fait jackpot, je l’avais pas prévu… C’est presque une formule magique”. » (3)
La hausse de la productivité est en effet le principal aspect de la réduction du temps de travail qui intéresse les capitalistes. Lorsqu’en 1926, Henry Ford instaura dans ses usines la semaine de 40 heures de travail sur 5 jours ouvrés sans baisse de salaire nominal, c’était en premier lieu pour la raison que cette formule était la plus à même de favoriser l’exploitation maximale de ses ouvriers, qui devaient se reposer plus longtemps afin de pouvoir reconstituer leur force de travail en raison du travail à la chaîne et des cadences infernales imposées par l’organisation fordiste de l’exploitation capitaliste. C’est aussi l’augmentation de la productivité, notamment dans le secteur de l’armement, et l’embrigader idéologique les prolétaires pour la guerre, que la gauche française avait en vue lorsqu’elle mit en place, en 1936, sous le gouvernement de Front populaire, les lois sur la semaine de 40 heures de travail et les 2 semaines de congés payés, comme le reconnaîtra plus tard Léon Blum en personne : « Le rendement horaire, de quoi est-il fonction ? […] Il dépend de la bonne coordination et de la bonne adaptation des mouvements de l’ouvrier à sa machine ; il dépend aussi de la condition morale et physique de l’ouvrier.
Il y a toute une école en Amérique, l’école Taylor, l’école des ingénieurs Bedeau, que vous voyez se promener dans des inspections, qui ont poussé très loin l’étude des méthodes d’organisation matérielle conduisant au maximum de rendement horaire de la machine, ce qui est précisément leur objectif. Mais il y a aussi l’école Gilbreth qui a étudié et recherché les données les plus favorables dans les conditions physiques de l’ouvrier pour que ce rendement soit obtenu. La donnée essentielle c’est que la fatigue de l’ouvrier soit limitée…
Ne croyez-vous pas que cette condition morale et physique de l’ouvrier, toute notre législation sociale était de nature à l’améliorer : la journée plus courte, les loisirs, les congés payés, le sentiment d’une dignité, d’une égalité conquise, tout cela était, devait être, un des éléments qui peuvent porter au maximum le rendement horaire tiré de la machine par l’ouvrier ». (4)
C’est encore et toujours l’augmentation de la productivité, le prolétaire restant une bête de somme à exploiter, qui était l’objectif du gouvernement de la « gauche plurielle » de Lionel Jospin lorsque ont été mises en place à partir de 2000 les lois sur les 35 heures de travail. (5)
D’ailleurs, tout comme ce fut le cas pour les 40 heures en 1936, les 35 heures actuelles ne constituent qu’une moyenne théorique du temps de travail hebdomadaire et la flexibilité accrue des horaires de travail introduite avec ces lois aboutit à une durée réelle supérieure à celle affichée (39,1 heures hebdomadaires en moyenne pour les travailleurs salariés en 2018… soit plus que les 39 heures hebdomadaires en vigueur avant la mise en place des « 35 heures » !
En outre, le maintien annoncé du niveau des salaires ne relève que d’un effet d’annonce particulièrement mensonger. Ainsi, les lois Aubry ont permis de sortir du décompte du temps de travail des moments comme les pauses ou les temps de déplacement ou d’habillage jusque-là comptabilisés. De plus, elles ont permis non seulement la baisse du salaire indirect en réduisant les cotisations sociales versées par les entreprises passant aux 35 heures, mais aussi un blocage du salaire direct durant un an et demi en moyenne, ce qui signifie, en tenant compte de l’inflation, une baisse du salaire réel. Au final, quand la gauche annonce une réduction du temps de travail, c’est bien une hausse de la productivité du travail qu’elle fournit aux capitalistes et une forte intensification de son exploitation.
Sans surprise, les entreprises qui sont déjà allées au-delà en passant aux 32 heures de travail hebdomadaires l’ont fait pour des raisons similaires. Ce fut par exemple le cas de Bosch Rexroth à Vénissieux, comme le reconnaît, en cherchant à nous enfumer avec le mythe du « gagnant/gagnant », un responsable local de la CGT : « On a profité de la loi Aubry I et de cette possibilité de négociation pour passer à trente-deux heures payées trente-neuf. En contrepartie, il n’y a pas eu d’augmentation de salaire pendant trois ans. Cela a permis une quarantaine d’embauches, principalement dans la production, sur six cents salariés environ. Sur les services supports (logistique, qualité, etc.), où il n’y a pas eu de création de postes, ça a un peu intensifié la charge de travail. En échange, les cadres et les techniciens en forfait jours ont pu obtenir jusqu’à vingt-trois jours de RTT. Grâce aux trente-deux heures, nous sommes parvenus à un certain confort pour les salariés. Le patron y a retrouvé ses petits ; il a dit que c’était rentable pour lui ». (6)
Une telle mesure peut également servir à réduire le nombre de chômeurs en répartissant le temps chômé dans toute la classe ouvrière, ce qui permet de baisser les coûts liés à l’assurance-chômage et donc d’optimiser encore l’exploitation de la force de travail. Ainsi, selon un rapport parlementaire de 2014, « les lois Aubry ont coûté, par an, 2 milliards d’euros aux entreprises et 2,5 milliards d’euros aux administrations publiques, soit un peu plus de 12 800 euros par emploi créé, à comparer avec l’indemnisation nette moyenne d’un chômeur, qui s’élèverait à 12 744 euros par an en 2011. C’est la politique en faveur de l’emploi la plus efficace et la moins coûteuse qui ait été conduite depuis les années 1970 ». (7)
Et qu’en est-il de ce motif de plus en plus évoqué, à savoir qu’une telle mesure contribuerait à la protection de l’environnement ? « Il faut d’une part réduire le temps de travail pour en améliorer le partage et d’autre part modérer la croissance, voire annuler l’augmentation de la production en transférant les gains de productivité, non pas sous forme de revenus, mais sous forme de temps libre. Et tout cela est acceptable si on met bien l’accent sur ce qu’on gagne (du temps) par rapport à ce qu’on perd : une consommation qui n’est pas tant que cela synonyme de plaisir et de bonheur ». (8) Ce ne serait donc pas le capitalisme qui détruit la planète dans sa soif inextinguible de profit, mais les travailleurs salariés qui, mus non par la nécessité mais par une quête hédoniste de davantage de « loisirs », produiraient et consommeraient trop sans vraiment se soucier des conséquences de leurs actes pour la planète !
La pilule pouvant se révéler difficile à avaler pour ces mêmes travailleurs dont les conditions de vie ne cessent de se dégrader, il s’agirait donc de savoir bien leur présenter les choses : « Réduire le temps de travail représente un premier pas qui permet de rendre acceptable la limitation de la consommation et de la production. Cela pourrait servir de levier pour un changement de mentalité et de société, en accompagnant la transition énergétique tout en aidant à partager le travail. […] L’impératif de réduction des émissions de gaz à effet de serre repose de manière plus urgente encore une vraie question de société : sommes-nous prêts à travailler, à produire et à consommer moins pour vivre plus équitablement ensemble ? » (9) En voilà un vibrant appel à se serrer la ceinture… « pour le bien de la planète » ! Et c’est ainsi que la paupérisation est repeinte en vert. Il faut donc nous attendre à ce qu’on nous serve ce genre de propagande écologiste pour justifier les baisses de salaire ou l’augmentation des prix, comme c’est déjà le cas pour le prix des carburants, du gaz ou de l’alimentation afin d’« inciter les consommateurs à renoncer au pétrole » et au « gaspillage d’énergies ». Un vrai bourrage de crâne basé sur la culpabilisation des exploités !
On le voit, les mesures de « réduction du temps de travail », qu’elles soient effectives ou non, ne constituent en rien un cadeau du patron bienveillant ou un acte généreux de la part d’un gouvernement de gauche. Aujourd’hui comme hier, derrière les justifications sociales ou environnementales, elles accentuent la précarité et ont en réalité pour seul objectif d’optimiser l’exploitation capitaliste en l’adaptant aux conditions de la crise économique. Le prolétariat ne devra pas s’illusionner si la bourgeoisie tente de lui faire accepter ce type de « lendemains qui chantent ». Il s’agit au contraire de résister à ces nouvelles attaques en préparation, à ce surcroît d’exploitation que tente de déguiser en « cadeau » (empoisonné) la bourgeoisie.
DM, 26 avril 2022
1 Voir : « La France Insoumise encore et toujours au service du capitalisme [117] » sur le site internet du CCI.
2 « La semaine de quatre jours, positive pour les salariés… et pour l’employeur [118] », Le Monde (26 janvier 2022).
3 « Salariés “contents de venir au travail”, bénéfices quadruplés pour cette entreprise… la semaine de quatre jours serait-elle la formule magique ? [119] », France Info (20 janvier 2022).
4 Cité dans notre article « 1936 : Fronts populaires en France et en Espagne : comment la bourgeoisie a mobilisé la classe ouvrière pour la guerre [120] », Revue internationale n° 126 (3e trimestre 2006).
5 Voir à ce sujet notre article « 35 heures : une loi qui sert les intérêts de la bourgeoisie [121] », Révolution internationale n° 327 (octobre 2002).
6 « Ressentiment tenace contre les lois Aubry [122] », Le Monde diplomatique (juin 2021).
7 Ibid.
8 « Travailler moins pour polluer moins [123] », Le Monde diplomatique (juin 2021).
9 ibid.
Suite au premier tour de l’élection présidentielle, Mélenchon est arrivé en troisième position, à quelques centaines de milliers de voix de la qualification au second tour. Il doit son relatif succès à la mobilisation de l’électorat populaire et ouvrier des anciens « bastions rouges » de la banlieue parisienne et des concentrations ouvrières de la plupart des grandes villes françaises. Sa candidature a pris également chez beaucoup de jeunes pourtant plus méfiants envers tous les discours convenus des bonimenteurs patentés du cirque électoral. Alors que les partis historiques de la gauche, PS et PCF en tête, ont fait naufrage, décrédibilisés, incapables de représenter le moindre espoir aux yeux d’électeurs désabusés, La France insoumise (LFI), avec son leader charismatique Mélenchon, se présente désormais comme la « force de gauche » par qui peut venir l’espérance d’un avenir meilleur. Elle se donne à la fois l’image du recours face au « libéralisme » bourgeois, au « pouvoir de l’argent » et des « riches », face aux attaques du pouvoir macronien comme au danger « fasciste » du Rassemblement national de Marine Le Pen…
À travers son slogan « un autre monde est possible », LFI se présente même comme une force alternative en opposition à la société capitaliste. Et ce alors que de larges parties de la classe ouvrière et de la nouvelle génération constatent la putréfaction du monde capitaliste sous les coups de butoir de la crise et de la guerre et la nécessité de « changer la société ». Il n’est dont pas surprenant qu’après son échec pour accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle, Mélenchon s’est empressé d’appeler à la mobilisation massivement dans les urnes lors des élections législatives afin, selon lui, de « contraindre » Macron à le nommer premier ministre et assurer une prétendue « opposition ».
Depuis l’élection de Mitterrand et du PS au début des années 1980 et la participation du PC aux gouvernements de la gauche, la classe ouvrière sait à quoi s’en tenir avec la gauche et ce genre de palabres. Derrière les grands discours « émancipateurs » se cache la poursuite de l’exploitation la plus effrénée, les attaques à n’en plus finir des conditions de vie, et la répression des luttes sociales et des grèves. Le discrédit de ces partis est justement le fonds de commerce d’un Mélenchon qui pousse à penser qu’une « vraie » gauche pourrait réellement « changer la vie ». Il n’en est clairement rien !
Car ce projet porté par Mélenchon n’est en rien novateur. C’est une copie modernisée des fausses alternatives véhiculées par toutes les fractions social-démocrates radicales, écologistes et citoyennes. (1) Avec ces habits neufs, la bourgeoisie tente donc de redynamiser l’idéologie portée par la gauche du capital et de remplacer un stalinisme clairement moribond en réactivant le programme, tout autant anti-ouvrier, de la vieille social-démocratie. En appelant à « l’union populaire » pour « un autre monde possible », Mélenchon et sa clique, veulent nous faire croire qu’ils constituent, par un recyclage d’idéologies pourtant périmées, une alternative au capitalisme. Dans la réalité, ils en sont toujours de fervents défenseurs !
Pour faire face à la crise, le « Programme de l’Union populaire » propose « de grands chantiers pour relever le défi écologique… Engager un plan global de rénovation de nos infrastructures pour les adapter au changement climatique ». Est-ce une nouveauté susceptible de « créer plusieurs centaines de milliers d’emplois et réduire massivement le chômage » ? Depuis quelques années, la campagne idéologique en faveur d’un « New Deal vert » prétend résoudre tout à la fois le problème du changement climatique, du chômage et des inégalités. Le « New Deal vert » propose, nation par nation, des plans mirifiques pour une nouvelle croissance basée sur des énergies, une production et des infrastructures écologiques, promettant un soutien à l’économie en s’appuyant sur l’augmentation des dépenses. En fait, le « New Deal vert » trouve sa très pâle inspiration dans la politique capitaliste d’État menée dans les années 1930 aux États-Unis afin de relancer la croissance, suite à la grande dépression de 1929. Le New deal de Roosevelt n’a finalement été qu’une politique de grands travaux basée sur le recours massif et inédit à l’endettement étatique, permettant de construire navires et avions de guerre, bases militaires et terrains d’aviation. Ce n’était d’ailleurs pas différent des politiques en vigueur à cette époque en Allemagne, quand de nombreuses autoroutes étaient construites en préparation de la guerre à venir. Voilà la logique concrète contenue dans une telle proposition radicale !
Des propositions du même acabit ont également éclos sur la « garantie d’emploi, réduire le temps de travail, en finir avec la flexibilité ». (2) Là encore, des propositions mirifiques qui font « rêver » ! La réalité, c’est que chaque soi-disant avancée sociale, notamment portée par la gauche au pouvoir (semaine de congés payés supplémentaire en 1982 ou 35 heures. en 2000) s’est systématiquement traduite par l’aggravation de l’exploitation avec l’augmentation des cadences, le gel des salaires et la précarisation accrue de l’emploi, tout cela amenant pression, souffrance au travail, suicides parfois, précarité et « mobilité » pour tous les exploités.
Penser qu’il pourrait en être autrement, par enchantement, dans un contexte de crise et concurrence capitaliste accrue et acharnée (que revendique d’ailleurs totalement le candidat Mélenchon) est une pure illusion. En effet, la « relocalisation des productions essentielles, engager un plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France dans les domaines stratégiques (semi-conducteurs, médicaments, etc.) et pour soutenir la bifurcation écologique », outre l’endettement massif, ne pourrait se faire qu’au prix d’une réduction drastique des coûts de production et d’une attaque cinglante de nos conditions de vie. Ce sont là les lois inexorables du système capitaliste !
Quant à la promesse de gauche éculée du « partage plus juste des richesses » et de « faire payer les riches », c’est encore de la poudre aux yeux : Mélenchon et sa clique n’ont rien de plus à proposer qu’un énième saupoudrage de « nouvelles » recettes fiscales, notamment un rétablissement de l’impôt sur les grosses fortunes supprimé par Macron et une taxation plus forte de l’État sur les propriétés immobilières.
Autre proposition altermondialiste prétendant en finir avec le chaos et la barbarie guerrière dans le monde, d’autant plus importante dans ce contexte d’accélération guerrière comme aujourd’hui en Ukraine : « Pour promouvoir la paix et la coopération », « retrouver une voix indépendante, assumer l’indépendance de la France dans le monde, est une nécessité ». Derrière un tel discours récurrent se cache le chauvinisme le plus crasse promettant les horreurs guerrières de demain : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Au nom de ce principe de va-t-en-guerre guerre, concrétisé à l’extrême dans toute l’histoire du capitalisme, des millions d’exploités y ont laissé leur vie, dans la défense d’intérêts nationaux bourgeois qui n’ont jamais été les leurs, en toute « indépendance ».
Mélenchon en remet une couche qui ne se pare même pas d’oripeaux pacifistes : « La France peut et doit se défendre elle-même, en dehors de toute alliance militaire permanente quelle qu’elle soit. Pour cela, la défense doit être l’affaire de la Nation tout entière ». Pour ce faire, les propositions sont multiples et très expressives d’un avenir soi-disant « radieux » de coopération et d’entente mutuelle : « Stopper les privatisations des industries d’armement et des missions de défense nationale, puis les réintroduire dans le secteur public. Prioriser l’acquisition de matériel militaire français dans l’armée. Ouvrir la possibilité d’un service militaire comme composante optionnelle du service citoyen obligatoire. Mobiliser l’espace numérique et la réalité spatiale pour installer des systèmes défensifs et non létaux contre les agressions et pour la paix. Adapter le matériel militaire et l’équipement de nos soldats à la nouvelle donne climatique. Lancer un plan d’adaptation des infrastructures militaires vulnérables ». N’en jetez plus, la cour est pleine ! Si d’aucuns pouvaient s’illusionner sur la vision du futur un tantinet « révolutionnaire », « solidaire » et « radical » de Mélenchon, ils ont la démonstration sans fard d’une perspective chauvine et va-t-en-guerre décomplexée.
Nous pourrions multiplier à l’envi toutes les propositions supplémentaires pour une « défense nationale » du renseignement, de l’anti-terrorisme, d’une police de proximité plus efficace, de techniques de répression plus « républicaines » au service de l’État !
Il existe donc aujourd’hui dans les rangs ouvriers et dans la jeune génération beaucoup d’illusions sur la nature de LFI du fait notamment de la perte de repère que subit la classe ouvrière sur sa conscience d’elle-même et sa capacité à entrevoir la société communiste dont elle est porteuse. Mais si ces difficultés existent bel et bien, elles ne signifient pas une incapacité irréversible de recouvrer son identité de classe et la conscience du but à atteindre. Et cela, la bourgeoisie le sait et veille à éviter qu’une telle « catastrophe » se produise au travers des mystifications véhiculées par les partis de gauche.
LFI est désormais la principale force de la gauche capable d’assumer ce rôle d’encadrement idéologique du prolétariat. À la fois :
– En stérilisant le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière par sa dilution dans l’amas informe du « peuple français », des « couches populaires » et « citoyennes ».
– En dévoyant le but d’une société sans classe sociale, sans exploitation et sans État par un prétendu égalitarisme garanti par l’État républicain.
– Enfin, en torpillant les luttes passées et à venir, en sapant la recherche de l’unité et de la solidarité au sein de la classe ouvrière. Pour s’en faire une idée, il est nécessaire de revenir sur la tentative idéologique ignoble de LFI de division générationnelle que l’on a vu déjà à l’œuvre pendant la pandémie et qui s’est réactivée avant ce premier tour et juste après : en clair, les vieux seraient la génération par qui le mal arrive, celle qui, pour beaucoup, ne s’est pas protégée et a entraîné le confinement de tous et le sacrifice des jeunes. Aujourd’hui, LFI et ses relais médiatiques stigmatisent le vote des ex-babyboomers pour Macron et Le Pen. Le conservatisme réactionnaire des vieux empêcherait les « forces vives » de la jeunesse (votant davantage pour Mélenchon) de se donner une perspective. Insinuer ouvertement ou par la bande que les retraités ont leur « carrière derrière eux », ont égoïstement profité du plein emploi, du consumérisme et de la retraite à 60 ans est une ignominie à vomir dont Mélenchon se sert pour caresser dans le sens du poil de jeunes électeurs, en majorité diplômés, face à un avenir plus qu’incertain, et pour diviser les ouvriers.
Outre l’aspect grossier de cette campagne, l’idéologie dominante tente en fait d’entraver toute potentialité d’une véritable unité et solidarité pour les luttes à venir, décrédibilisant toute l’expérience accumulée par les générations ouvrières précédentes, si nécessaires pour renforcer les luttes à venir. Voilà encore l’expression concrète de la « coopération » et de la « morale » prônées par le sieur Mélenchon. Au bout du compte, derrière les affirmations qu’« un autre monde est possible », il faut clairement lire « un même État national est possible ».
Il est donc nécessaire de rappeler une vérité toute simple : pour les prolétaires, l’État est le fer de lance de l’exploitation capitaliste ! Qui mène sans cesse des attaques générales contre les conditions de vie de la classe ouvrière ? Qui réprime la moindre expression de révolte contre l’ordre établi ? C’est l’État bourgeois ! Hier, aujourd’hui et demain, tous ses défenseurs, ses « réformateurs » affichés, par les urnes, par les discours ou les programmes, aussi radicaux soient-ils, n’en sont que des rouages directs et indirects. Mélenchon et LFI sont des ennemis de la classe ouvrière, de ses luttes et de ses efforts pour renforcer la conscience prolétarienne d’une alternative révolutionnaire nécessaire et possible.
Stopio, 23 avril 2022
1 Comme celles du Parti Socialiste Unifié en son temps. Celui-ci avait été présenté comme la tentative de construire une démarche de « réformisme révolutionnaire », très marqué par la logique du « grand soir ». Ses contributions aux pièges et aux impasses autogestionnaires, comme lors des luttes de Lip, avaient contribué, comme tant d’autres, à dévoyer toute la réflexion prolétarienne suite à Mai 68.
2 Voir : « 32 heures : La face cachée de la réduction du temps de travail [126] » sur le site internet du CCI.
Alain Krivine est décédé le 12 mars 2022. La plupart des médias bourgeois ont salué la mémoire de « Krivine la cravate », ancien candidat aux élections présidentielles françaises de 1969 et 1974 : du Figaro à Libération, en passant par Le Monde et Marianne, toute la presse bourgeoise s’est fendue de son petit hommage à cette « figure de l’extrême-gauche » et surtout à celui qui « s’était présenté au suffrage des électeurs tout en dénonçant la “duperie” des élections » et a donc bien rendu service à la bourgeoisie française en cautionnant, de façon « critique » bien sûr, le cirque électoral. En cette période de campagne électorale, un tel rappel vaut bien un hommage à une personnalité qui n’a jamais menacé de quelque façon que ce soit l’ordre capitaliste dominant.
La liste des hommages rendus par les partis politiques démocratiques est d’ailleurs fort longue : de Nathalie Artaud à Jean-Luc Mélenchon, de Fabien Roussel à Pierre Moscovici, toute la Gauche y est allée de sa larme pour le « militant révolutionnaire » qui « n’a jamais renié ses convictions anticapitalistes et révolutionnaires » (N. Artaud). Et c’est bien là le problème.
Ces convictions qu’Alain Krivine n’aurait jamais reniées, quelles sont-elles ? La Jeunesse Communiste Révolutionnaire qui est devenue en 1969 la Ligue Communiste, puis en 1974 la Ligue Communiste Révolutionnaire, dont il a été le fondateur, le candidat à la présidence (deux fois !) et le porte-parole, est à l’origine une scission des Jeunesses Communistes et de l’Union des Étudiants Communistes, deux organisations du PCF ; cette scission du PCF ne s’est pas faite sur des critères programmatiques, mais sur le refus de soutenir la candidature de Mitterrand à la présidentielle de 1965 ainsi que l’indépendance de l’Algérie. Et Krivine n’est pas parti de ces organisations du fait de ses désaccords : réclamant « le droit de tendance » dans la JC, il en a été exclu.
Liée à la IVe Internationale et au courant trotskyste de Pierre Frank (Parti communiste internationaliste), la JCR débute son activité par un soutien aux manifestations contre la guerre du Vietnam et, dans les faits, par un soutien pur et simple à « l’Oncle Hô » Chi-Minh et à la guerre sous drapeau stalinien ; Krivine et son organisation n’ont dans les faits jamais dévié d’une ligne : soutenir le Bloc de l’Est et le stalinisme contre le bloc occidental ; en pratique, la LCR a soutenu le castrisme et le guévarisme, les sandinistes nicaraguayens, l’invasion russe de l’Afghanistan en 1979 (même si la « base » de l’organisation a sur ce sujet désavoué son « Bureau politique » !), le nationalisme palestinien, l’Irak de Saddam Hussein contre les « troupes impérialistes occidentales ». La logique de cette politique est claire : « dans la logique bourgeoise des trotskystes (pour lesquels il n’y a jamais eu depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un seul bloc impérialiste, celui dominé par les États-Unis), « l’adversaire principal, le seul véritable, de tous les peuples et des travailleurs occidentaux, c’est l’impérialisme, qu’il soit américain, britannique ou français ». (1) Toujours, partout, Krivine et son organisation ont défendu le nationalisme, les États, les luttes entre cliques bourgeoises, la guerre, du moment qu’il s’agit de combattre les États-Unis et leurs alliés, et exclusivement eux. Ils ont constamment défendu, comme leur ancêtre stalinien le PCF, la nature soi-disant « socialiste » de l’URSS et de ses satellites. Partout, toujours, la LCR a poussé les prolétaires à choisir un camp dans les combats impérialistes, le camp soi-disant « socialiste » défendant les prétendues « conquêtes de 1917 ». On peut ajouter que dans l’actuelle guerre en Ukraine, l’héritier de la LCR, le NPA, appelle à la « solidarité avec le peuple ukrainien », ce qui marque en creux le soutien de cette organisation à l’État capitaliste ukrainien, comme tout va-t-en-guerre, contre l’internationalisme prolétarien défendu par Trotsky pendant la Première boucherie mondiale !
Dans les luttes ouvrières, la LCR a toujours mis son action bourgeoise au service du sabotage par les syndicats, de l’isolement des prolétaires en lutte et des ouvriers combatifs : il n’est que de se souvenir de son engagement dans la grève de Mai 68, où elle a purement et simplement suppléé l’incapacité du PCF à encadrer le mouvement en soutenant l’action des syndicats, UNEF en tête, de son action dans l’enfermement de la lutte des ouvriers de Lip dans le piège de l’autogestion en 1973, dans la grève des cheminots de décembre 1986, lorsque la LCR a monté les « coordinations » pour faire le même travail contre-révolutionnaire que les syndicats décrédibilisés, isoler les roulants dans le corporatisme et empêcher les « éléments extérieurs » de participer aux AG cheminotes, (2) ou dans la lutte des infirmières en 1988 où la LCR a combattu la méfiance des grévistes envers les syndicats officiels en la détournant vers de nouvelles « coordinations » (c’est-à-dire vers le piège d’une pratique radicale du syndicalisme « de base »). (3) On se rappellera aussi des magouilles et du sabotage permanent des décisions des AG dans les comités chargés de les mettre en œuvre au cours de la lutte anti-CPE de 2006, alors même que les militants du CCI étaient calomniés en sous-main ou empêchés d’entrer dans les AG étudiantes pourtant ouvertes à tous, comme à Toulouse-Rangueil, (4) ou du soutien systématique à l’isolement et au dévoiement de la colère ouvrière dans toutes les actions stériles menée par les syndicats, que ce soit SUD ou la CGT, par exemple dans la lutte des enseignants parisiens en 2003, dans celle contre la réforme des retraites en 2010 ou dans la lutte menée contre la « pwofitasyon » en Guadeloupe la même année.
Aujourd’hui, l’héritier de la LCR, le NPA, toujours sous la houlette de Krivine, continue de présenter des candidats à toutes les élections, toujours avec le même argumentaire mensonger. Quand l’actuel candidat, Philippe Poutou, nous répète, comme avant lui Olivier Besancenot : « Une victoire électorale ne suffira pas, car les capitalistes, qui détiennent le pouvoir économique et les rênes de l’État, ne se laisseront pas faire. Il nous faudra imposer le changement par une mobilisation d’ensemble sur les lieux de vie et de travail pour constituer une force capable de révolutionner la société », cela ne peut que faire écho à ce que disait le candidat Krivine à la présidentielle de 1969 : « Les élections sont une telle duperie que même des travailleurs s’apprêtent aujourd’hui à apporter leurs suffrages au candidat Poher ! Ce faisant, ils croient transformer le non au référendum en une victoire ouvrière. Ils croient pouvoir troquer la trique gaulliste pour un régime joufflu, bonasse et apaisant. Mais quel est le véritable visage du pouvoir ? Se trouve-t-il au Parlement ? Se trouve-t-il au Sénat ? » (5) Autrement dit : ça ne sert à rien de voter mais il faut continuer à se servir de la « tribune électorale » qu’ « offrirait » la bourgeoisie, donc… allez vous défouler dans l’isoloir ! Et que vive la démocratie bourgeoise avec l’aide pleine et entière des trotskystes, ajouterons-nous !
Alors, oui, la bourgeoisie française peut remercier Krivine pour ses bons et loyaux services ! En tout cas, ça valait bien un petit hommage ! Mais la classe ouvrière retiendra surtout que la LCR/NPA et son porte-parole n’ont jamais été autre chose qu’une forme de stalinisme, plus « jeune », « sympathique » et « moins dogmatique » que leurs cousins de Lutte Ouvrière, et surtout moins déconsidérée que leurs mentors, le PCF et la CGT !
HG, 1er avril 2022
1 « PCF, CGT, Trotskystes, des va-t-en-guerre comme les autres [128] », Révolution Internationale n° 94 (octobre 1990).
2 Décembre 1986 : les ouvriers peuvent se battre sans les syndicats [129] », Révolution Internationale 264 (janvier 1997).
3 « Le rôle actif des Trotskystes dans la stratégie de la bourgeoisie », Révolution Internationale 174 (décembre 1988).
4 « L’intervention du CCI dans le mouvement contre le CPE [130] », Révolution Internationale 369 (juin 2006).
5 « Alain Krivine contribua à écrire les plus grandes heures du trotskisme français », Marianne (17 mars 2022).
Après le deuxième tour de l’élection présidentielle, marquant la victoire sans grande surprise d’Emmanuel Macron face à sa concurrente Marine Le Pen, les bourgeoisies française et européenne ont pu pousser un véritable « ouf » de soulagement. Le nouveau président et la nation française resteront bel et bien ancrés dans la vie politique de l’UE. Une fois encore, le courant populiste du Rassemblement national (RN) aura été écarté du pouvoir malgré son inexorable progression. (1)
Dans un contexte de turbulences de plus en plus fortes avec la guerre en Ukraine couplée aux effets de la pandémie et d’une crise économique marquée par l’inflation, il était impératif pour la bourgeoisie française, comme en 2017, d’écarter la fraction du RN de Marine Le Pen dont les ambiguïtés, l’inconsistance et les flous politiques vis-à-vis de l’UE risquaient d’affaiblir considérablement la France face à ses rivaux, notamment les États-Unis. Le danger était également de distendre fortement, voir de remettre en cause le difficile équilibre entretenu depuis des décennies pour maintenir à flots les liens fragiles du « couple franco-allemand ». Cela, sans compter le séisme, les incertitudes et le désordre politique intérieur qu’une telle victoire aurait pu générer au sein de l’Hexagone.
La victoire de Macron par 58,5 % des voix, alors qu’il n’est pas parvenu à construire un véritable parti depuis 2017, est donc, en ce sens, une réussite de la bourgeoisie française. Cette dernière a ainsi mis à la tête de l’État une fraction lucide pour la gestion du capital national et elle a réussi, une fois encore, à faire « barrage » au populisme, évitant en même temps l’inconvénient d’une « cohabitation », c’est-à-dire le risque d’une confrontation et d’une dilution du pouvoir exécutif dans son expression politique bicéphale.
Il n’empêche que la réussite électorale laisse à la bourgeoisie un arrière-goût amer, tant les difficultés, les problèmes de fond et les fragilités politiques persistent. En effet, si on comptabilise le nombre de voix du président Macron par rapport aux 47 millions d’inscrits, ce dernier n’obtient que 38 % de ce total et Marine Le Pen 27 %, c’est-à-dire moins, pour cette dernière, que le total des abstentions, des votes blancs ou nuls ! L’abstention à 28 % est la plus importante de toutes les élections présidentielles, depuis 1969, alors boycottée par un PCF qui réunissait plus de 21 % des suffrages. En comptant les non-inscrits sur les listes électorales, l’abstention représente en réalité 35 % de la population en âge de voter. Malgré son « succès » et sa « légitimité », Emmanuel Macron est cette fois le Président « le plus mal élu » de la Ve République. La grande colère qui persiste dans la population fait de lui une personnalité largement détestée, particulièrement dans les milieux ouvriers.
De plus, il hérite d’une situation difficile et très instable qu’il a lui-même favorisé dès son premier mandat, siphonnant et pulvérisant les grands partis de gouvernement traditionnels, à droite comme à gauche (Les Républicains et le Parti socialiste), laminés bien avant le premier tour, désormais menacés de disparition. Ces derniers sont incapables de se relever au moins pour les cinq années à venir. De plus, le parti écologiste, Europe-Écologie-Les-Verts (EELV), qui avait vocation, par ses thématiques, d’attirer une partie de la jeunesse et de tenter de prendre le relais de la social-démocratie moribonde, a été sanctionné lui-même par un fiasco. Le parti de Macron, LREM, reste quant à lui sans assise solide, notamment du fait de son incapacité à s’implanter réellement dans au niveau local et de la consistance en son sein de fractions rivales issues des partis traditionnels. Si bon nombre de personnalités politiques s’y sont ralliées progressivement en « allant à la soupe », les courants, groupes ou partis très divers qui le composent sont truffés d’opportunistes dont l’ex « socialiste » Manuel Valls est un des représentants les plus caricaturaux. Dans cette structure minée par des ambitions contraires, chacun cherche à gagner en influence et à placer un nombre conséquent de députés pour les prochaines législatives. Macron a d’ailleurs échoué pour l’instant à fusionner l’ensemble de ces formations qui le soutiennent et se heurte déjà en plus de cela à la formation Horizons de son ancien premier ministre, Édouard Philippe, devenu un rival. Ainsi, même si ces groupes tireront probablement leur épingle du jeu lors des prochaines élections législatives de juin du fait de la dynamique présidentielle, rien ne sera facile tant les divisions sont présentes, au risque d’imposer la nécessité d’une coalition forcée et fragilisée. Cela, d’autant plus que les difficultés liées au contexte international, à la crise économique, à la situation sociale et aux attaques que devra prendre le nouveau gouvernement ne feront qu’exacerber les forces centrifuges tout au long du mandat qui débute.
Aujourd’hui, la victoire de Macron se fait malgré une montée en puissance de l’instabilité sociale et du chaos. Le président n’a pas hésité à exploiter les thèmes idéologiques de l’extrême-droite, par pur opportunisme et utilitarisme, comme ce fut le cas, par exemple, lors des discours sécuritaires de certains de ses ministres, de Castaner à Darmanin, jouant ensuite avec le feu en se réjouissant un peu trop hâtivement de la montée en puissance d’un Zemmour propulsé par les médias. (2) Tous les discours les plus réactionnaires et nauséabonds de la « macronie » se sont accompagnés d’une politique qui n’a cessée de diviser, accentuant fortement la fameuse « fracture sociale » et la pauvreté.
Dans ce cadre, l’autre victoire de la bourgeoisie au premier tour reste le score de l’Union Populaire de Mélenchon, une formation de gauche présentée comme une nouvelle alternative au pouvoir de centre-droit de Macron, en mesure d’encadrer idéologiquement la classe ouvrière. Même si ce parti politique n’a, pour l’instant, pas vocation à assurer une « alternance gouvernementale » comme ses prédécesseurs du passé, il n’en reste pas moins une force de mystification efficace au service de la bourgeoisie, comme le montre son appel à la remobilisation massive de l’électorat de gauche aux législatives en mettant en avant l’expression d’un sentiment de « frustration ».Cela, même si la logique annoncée de son « troisième tour social » et sa volonté de « revanche » compliqueront probablement la donne de la future majorité élue au parlement. (3)
Face au désintérêt croissant vis-à-vis des élections, notamment du fait de la méfiance et de la colère accumulées depuis des décennies, celle d’avoir eu de nouveau à choisir « entre la peste et le choléra », une nouvelle offensive idéologique tente de mobiliser encore le plus massivement possible les électeurs pour les prochaines législatives, en particulier ceux de la classe ouvrière qu’on cherche à rabattre à tout prix vers les urnes. Cela, pour les isoler et attaquer davantage leur conscience afin de les désarmer. (4) Tous les camps politiques de la bourgeoisie s’animent donc avec frénésie, d’autant que pour bon nombre la question de leur survie politique se pose très nettement. Les premiers bains de foules et les voyages de Macron, qui « mouille la chemise » dans les quartiers populaires pour « convaincre », montrent que le nouveau président ne lâchera rien de son offensive jusqu’au mois de juin. Les Républicains, en miette, toujours sous l’effet d’une panique liée à la défaite et aux menaces de nouvelles désertions, tentent désespérément de mobiliser à la faveur de leur « ancrage local », jouant d’un pâle marketing politique de « proximité », relançant les thèmes en vogue, ceux du « pouvoir d’achat », de la « sécurité », etc., tout en restant tétanisés par leur manque d’inspiration et la fuite des cadres. Le RN, quant à lui, fort de ses 41 %, laisse entendre mensongèrement qu’il peut « limiter la casse sociale » de Macron en cherchant à devenir la « première opposition » au futur gouvernement tout en s’attachant à vouloir « dégonfler » le phénomène Zemmour.
Naturellement, les plus dangereux bonimenteurs restent sans conteste les forces de gauche, cette fois autour de La France Insoumise et son Union Populaire, même si en marge les gauchistes ne sont pas en reste. Quelles que soient les tractations politiciennes en coulisses, entre EELV, le PS, le Parti communiste, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et LFI en position de force, il faut bien distinguer l’illusoire « contrepoids » qu’une telle formation politique offrirait face à Macron. Il s’agit en réalité de faire croire qu’ « un autre monde est possible » sous le règne du capitalisme et de désarmer le prolétariat vers le piège mystificateur des urnes et de la démocratie bourgeoise. LFI après avoir conspué un PS « traître à la gauche », vient d’ailleurs subitement de constater que ce parti, à l’origine des pires attaques contre la classe ouvrière, avait « changé ».
Bien entendu, pour ceux qui ne se contentent pas d’emblée de cette supercherie, il est nécessaire d’adopter, en complémentarité, un ton plus radical. C’est, par exemple, le cas de Lutte ouvrière (LO) qui n’a pas donné de consigne de vote entre les deux tours, mais qui, par la voix de sa candidate Nathalie Arthaud, appelle les ouvriers à « ne pas se démobiliser en vue des élections législatives ». Dans une lettre adressée au NPA datée du 28 avril, voici ce que cette organisation répond au sujet des discussions menées avec l’Union Populaire : « En ce qui nous concerne, nous restons sur notre ligne politique et plutôt que de cautionner une opération de rafistolage du réformisme, nous annoncerons, dans les prochains jours, notre présence aux législatives dans toutes les circonscriptions de la métropole, pour défendre le “camp des travailleurs” ». Un comble ! Une défense, comme toujours, qui consiste à rabattre sans relâche vers les urnes et à canaliser la colère vers les institutions bourgeoises. Toute cette triste tambouille bourgeoise, au-delà des pseudo-débats mystificateurs, ne sert en réalité qu’à berner les ouvriers et à leur cacher qu’en réalité les tractations en cours ne recouvrent que de sordides intérêts de cliques, masquent les véritables rapports de forces faits d’une concurrence propre à la classe bourgeoise, dont seuls les intérêts comptent sur l’échiquier politique. Tous ces politicards n’ont de conviction que celle qui sert la défense de leur propre place et de leurs intérêts, de leur propre influence quand ce n’est pas purement et simplement leur sinistre trajectoire carriériste. Les transfuges de dernières minutes, les ralliements ou les oppositions n’obéissent qu’à des logiques totalement étrangères à la classe ouvrière.
L’élection présidentielle a été une nouvelle fois l’occasion pour la bourgeoisie d’attaquer la conscience du prolétariat en utilisant les résultats pour accentuer encore plus les divisions. Ainsi, toute une campagne idéologique jette la méfiance sur la classe ouvrière dont certaines parties (comme notamment dans les anciens centres industriels aujourd’hui en proie au chômage) sont accusées d’être gagnées par l’idéologie d’extrême droite. Le saucissonnage des résultats des votes par catégories sociologiques : celle des employés, des ouvriers, des professions intermédiaires, les vieux, les jeunes, ou ceux dont les revenus par mois sont corrélés à telle ou telle manière de voter, permet est également une tentative volontaire de semer l’opposition et la division au sein de la classe ouvrière, diffusant par là le poison de la méfiance en son propre sein. Bien entendu, si ces « analyses » comportent factuellement une part de vérité, l’optique reste toujours de discréditer à l’avance toute possibilité d’unité et de riposte ouvrière.
Ce faisant, cette offensive prolongée par la bataille des législatives a pour objet d’entraver au maximum toute forme de réflexion, de diluer, d’isoler les prolétaires afin de les rendre impuissants face aux réformes envisagées dont l’objet est de poursuivre les attaques après l’intermède en trompe l’œil du « quoi qu’il en coûte ».
Il n’y a pas d’illusions à se faire, les élections ne sont pas un terrain pour l’expression des revendications ou de la lutte de la classe ouvrière. Face aux mystifications électoralistes, aux attaques qui se profilent de nouveau contre nos retraites, contre l’école, contre la santé… face à la paupérisation présente et à venir, le prolétariat se doit de rester sourd aux appels à voter de la bourgeoisie pour les législatives, en particulier de la part de ses faux amis que sont les partis de gauche et gauchistes, ceux qui cherchent à l’arrimer aux institutions d’un système barbare, d’un capitalisme aux abois qui sème toujours plus la destruction et la mort. Mais la classe ouvrière ne pourra se contenter de simplement bouder les urnes. Elle devra prendre confiance en ses propres forces et devra reprendre le chemin difficile de la lutte. La lutte de classe représente un avenir ; elle seule doit pouvoir guider à nouveau notre futur.
WH, 29 avril 2022
1 Le Pen avait obtenu 17,9 % des voix en 2012 sans accéder au second tour ; 34,3 % en 2017 ; 41,5 % en 2022.
2 Lire notre article : « Phénomène Zemmour, Une sinistre marionnette au service du jeu électoral [133] », Révolution internationale n° 491 (novembre décembre 2021).
3 Lire notre article : « La France Insoumise, encore et toujours au service du capitalisme [117] », disponible sur le site internet du CCI.
4 Lire notre article : « Non au bulletin de vote, oui à la lutte de classe [134] », disponible sur le site internet du CCI.
Il ne se passe plus une semaine sans qu’un scandale alimentaire éclate dans le monde ! Le phénomène n’est malheureusement pas nouveau : la crise de la « vache folle » dans les années 1990, le scandale du lait frelaté en 2008 (en Chine), la crise du concombre en 2011 (en Europe), la fraude à la viande de cheval de 2013 (en Europe), les œufs contaminés en 2017 (en Europe et en Asie), la contamination du lait infantile dans une usine Lactalis en 2017 (en France)… Cette liste est loin d’être exhaustive et ne rend compte que de quelques affaires médiatisées. Il suffit de se promener dans les rayons d’un supermarché pour constater que les « rappels de produits » sont presque quotidiens. Mais c’est désormais au tour des pizzas Buitoni et des œufs Kinder de faire la Une de l’actualité. Comme après chaque scandale, la bourgeoisie pointe du doigt les patrons véreux de l’industrie agroalimentaire, dénonce l’hygiène déplorable sur les lignes de production et promet davantage de contrôles. Et comme après chaque scandale, il ne faudra pas plus de quelques semaines avant qu’une nouvelle affaire éclate ! Car la vérité, c’est que les États censés « protéger les consommateurs » n’ont cessés, dans leur course frénétique aux coupes budgétaires, de réduire à peau de chagrin les effectifs d’inspection ; les industriels, quant à eux, n’ont cessé de rogner sur les procédures de contrôle pour préserver leurs marges face la concurrence. C’est donc toute la logique du capitalisme qui se trouve à l’origine de ces scandales et des victimes qu’ils occasionnent, bien souvent des ouvriers et leurs enfants. Parce que le capitalisme n’a plus aucune perspective à offrir qu’un enfoncement sans fin dans la crise et dans la concurrence chaque jour plus acharnée et meurtrière, les scandales alimentaires ne vont cesser de s’accroître, à l’image des catastrophes industrielles ou environnementales.
C’est la raison pour laquelle nous invitons nos lecteurs à lire deux « classiques » du mouvement ouvrier qui identifiaient très clairement les froids rouages du capitalisme derrière des scandales liés, en apparence, à la « fatalité » :
– Un extrait de La situation de la classe laborieuse en Angleterre [138], de Friedrich Engels (1845).
– Un article de Rosa Luxemburg du 1er janvier 1912 : Dans l’asile de nuit [139].
Face à la guerre en Ukraine, le CCI s'appuie sur les contributions historiques de la gauche communiste pour défendre une position internationaliste. En pratique, cela signifie :
- Aucun soutien à un quelconque camp dans les conflits impérialistes.
- Opposition au pacifisme
- Seule la classe ouvrière est une force de transformation sociale, qui aboutit au renversement révolutionnaire du capitalisme.
- dans les luttes et les réflexions de la classe ouvrière, les organisations révolutionnaires ont un rôle essentiel à jouer dans le développement de la conscience de classe
- la lutte contre la guerre impérialiste exige la coopération et la solidarité des authentiques internationalistes.
Venez à la réunion publique en ligne organisée le vendredi 20 mai 2022 à 21h00 par la section du CCI en France pour discuter des questions soulevées par la guerre en Ukraine et des tâches des révolutionnaires.
Tout ceux qui souhaitent participer à cette réunion publique en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [11]) ou dans la rubrique “contact” de notre site internet.
Six jours après l’attentat raciste de Buffalo, l’horreur s’est à nouveau abattue aux États-Unis, cette fois sur une école primaire, celle d’Uvalde au Texas, lors d’une tuerie qui a emporté la vie de 19 enfants et deux de leurs enseignants. Ce massacre sans mobile visant des petits gamins sans défense ne peut que glacer le sang. On n’ose imaginer la dévastation des familles et les traumatismes que devront porter, toute leur vie durant, les survivants.
Salvador Ramos, l’auteur de la tuerie, était un jeune de 18 ans, timide et issu d’une famille pauvre, souvent moqué parce qu’il était « différent » et un peu « étrange ». Comme beaucoup d’adolescents mal dans leur peau, il a commencé à s’entailler les bras et le visage, puis s’est peu à peu isolé en multipliant les longues périodes d’absence à l’école. Salvador Ramos avait certainement une fragilité particulière qui l’a conduit à développer un goût morbide pour les armes à feu avant de commettre cet acte effroyable, mais il a le parcours typique d’une masse croissante de jeunes sans perspective qui se sent tellement écrasée, rejetée et incomprise qu’elle se jette de plus en plus nombreuse dans un processus mortifère d’auto-destruction. Face à la souffrance que représente pour eux l’existence, face à l’absence totale d’espoir d’une vie meilleure, nombreux sont les jeunes à se donner la mort. Salvador Ramos, lui, a sombré, comme d’autres jeunes gens ivres d’une vengeance nihiliste, dans ce que la société capitaliste a de plus barbare : il a voulu quitter ce monde en emportant avec lui des gosses de 10 ans, l’incarnation du futur de l’humanité qui ne pouvait plus exister à ses yeux.
Ce nouveau massacre n’est pas seulement le fait d’un « monstre » qu’il suffirait d’éradiquer pour combattre le « mal dans notre société » (dixit Trump). En réalité, le « mal dans notre société », c’est le système capitaliste tout entier, un système sans avenir qui se décompose en entraînant l’humanité dans son sillage meurtrier. Les tueries de masse et les attaques terroristes s’enchaînent depuis des années aux États-Unis et ailleurs dans le monde à un rythme toujours plus effrayant. Le mois dernier, une fusillade éclatait dans une école maternelle de la région d’Oulianovsk, en Russie (trois morts). Quelques jours plus tard, un attentat visant une école de filles à Kaboul emportait une cinquantaine d’étudiantes. En janvier, un tireur abattait une personne et causait trois blessés à l’université d’Heidelberg, en Allemagne, avant de se donner lui-même la mort…
Ces trente dernières années, les tueries dans les établissements scolaires se sont multipliées. Mais plus qu’ailleurs, les États-Unis, où plus de 4 000 enfants ont succombé sous les coups d’une arme à feu pendant la seule année 2020 (!), sont particulièrement touchés par ce phénomène. Il y a, bien sûr, au cœur de ce cauchemar, la prolifération délirante des armes à feu. Comment ne pas être consterné de voir un jeune de 18 ans, souffrant de graves troubles psychiques, être tranquillement en mesure de s’acheter deux fusils d’assaut ? Il existe dans ce pays une gigantesque industrie de l’armement qui fait aussi son beurre en écoulant des millions de flingues dans la population sans se préoccuper de la vie des centaines de milliers de victimes !
Ce lucratif business surfe allègrement sur des idéologies parfaitement irrationnelles qui s’épanouissent sur le terreau fertile de la décomposition généralisée du capitalisme [73]. (1) L’accélération récente de ce processus (2) s’est en partie caractérisée par l’explosion des « théories du complot » et une forte paranoïa sociale. Pendant la pandémie de Covid-19 les ventes d’armes ont ainsi explosé, tantôt au nom de « la protection des citoyens face à l’ingérence de l’État », tantôt pour « protéger l’Amérique du grand remplacement ». C’est dans ce contexte que Salvador Ramos est passé à l’acte et qu’un suprémaciste blanc a pu tirer sur la foule d’un magasin de Buffalo.
Bien sûr, face à l’horreur, les huiles du Parti républicain ont encore fait l’étalage d’un cynisme sans limite et d’une bêtise crasse qui ne semble même plus s’embarrasser de la logique la plus élémentaire. Il est donc revenu aux politiciens démocrates la lourde tâche de dissimuler la responsabilité du capitalisme pourrissant dans ce massacre : « Quand pour l’amour de Dieu allons-nous affronter le lobby des armes ? » s’est écrié le président Biden. Messieurs Clinton, Obama et Biden, cette bande d’hypocrites sans scrupule qui n’a jamais hésité à débloquer des milliards de dollars pour exporter des armes ou armer jusqu’aux dents ses forces de répression, avaient pourtant tout loisir « d’affronter le lobby des armes » pendant leurs nombreux mandats. Qu’ont-ils fait à part verser une larme faussement compatissante à chaque nouvelle fusillade ? Rien ! Ils ont gesticulé parce que la fabrication d’armes est un secteur stratégique extraordinairement prospère en Amérique ! Mais surtout, derrière la prétendue solution miracle du contrôle des armes à feu, (3) la bourgeoisie cherche à dissimuler les origines du « mal dans notre société ».
Salvador Ramos est mort, le corps criblé de balles, mais les causes de sa trajectoire de meurtrier ne sont pas prêtes de disparaître. Avec l’aggravation de la crise du capitalisme, avec la croissance inéluctable de la misère, de la précarité, de la violence sociale et de l’exclusion, le désespoir et la haine ont encore de beaux jours devant eux. Le seul contrepoison à cette dérive barbare réside dans le développement massif et conscient des luttes du prolétariat qui offrira aux jeunes une véritable identité, l’identité de classe, et une véritable solidarité, celle qui se forge dans la lutte contre l’exploitation. C’est dans ces luttes que les exploités de tous les pays pourront peu à peu comprendre et défendre la seule perspective qui puisse sauver l’humanité de la barbarie : le renversement du capitalisme par la révolution mondiale !
EG, 29 mai 2022
1 Cf. « La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [73] », Revue internationale n° 107 (4e trimestre 2001). Alors que le prolétariat n’a pas encore trouvé la force de renverser le capitalisme en affirmant ouvertement sa perspective révolutionnaire, la bourgeoisie est aujourd’hui incapable de mobiliser les différentes composantes de la société autour de la seule « réponse » qu’elle puisse apporter à la crise historique de son système : la guerre mondiale. La société est ainsi plongée dans une impasse momentanée, une sorte de « blocage » depuis la fin des années 1980, marqué par l’absence de toute perspective immédiate.
Cette phase de décomposition se caractérise par un pourrissement de l’ensemble des rapports sociaux à tous les niveaux, encore plus évident sur le plan idéologique avec le développement sans précédent du terrorisme, de la criminalité, le raz-de-marée de la drogue, de la violence décomplexée, la profusion de sectes, le regain de l’esprit religieux et d’idéologies totalement irrationnelles, de la violence et du désespoir… Il n’est, à ce titre, pas du tout hasardeux que le nombre de fusillades dans les établissements scolaires ait explosé ces trente dernières années.
2 Accélération que le CCI a identifié dès le surgissement de la pandémie mondiale de Covid-19 et qui s’est largement confirmée et aggravée avec la guerre en Ukraine.
3 En Asie, où les armes sont plus strictement contrôlées, les attaques se font le plus souvent au couteau. En Chine, par exemple, le jour même du massacre de Newtown, en 2013, un homme a blessé avec un couteau 22 enfants dans une école.
La guerre en Ukraine, qui manifeste et aiguise la propagation du chaos aux portes de l'Europe, est une étape importante dans l'accélération de la barbarie à laquelle nous conduit le système capitaliste. En effet, nous assistons à la convergence explosive des contradictions du capitalisme sous forme de désastre écologique, de résurgence des pandémies, d'inflation imparable, de guerres de plus en plus irrationnelles, d'exodes migratoires, de chacun pour soi, de déstabilisation et d'alliances de plus en plus circonstancielles, de dislocation et de fragmentation sociales, etc. où chaque tentative capitaliste de maintenir l'ordre est un pas vers le désordre. Ainsi, l'autodestruction du capitalisme est le contraire de sa destruction révolutionnaire par le prolétariat.
Pour orienter la manière dont nous devons préparer dès à présent la réponse que la classe sera en mesure de développer, et lui donner une perspective, nous devons faire l'effort de comprendre la situation. Il y a deux questions que nous devons résoudre :
- Le prolétariat peut-il apporter une réponse immédiate à la guerre ? La guerre impérialiste est-elle le terrain favorable à la maturation du combat du prolétariat ? Le slogan de la transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe est-il valable aujourd'hui ?
- Le prolétariat de tous les pays est-il dans la même position pour initier, soutenir ou supporter le poids fondamental de cette réponse ?
Pour connaître les lieux et horaires de ces réunions publiques voir la rubrique "Agenda [143]".
Quand, en ce 28 mai, les familles de supporteurs madrilènes et liverpuldiens se préparaient à passer 90 minutes de « parenthèses enchantées », elles pouvaient peut-être s’attendre à rencontrer quelques hooligans. Elles étaient pourtant loin d’imaginer que les véritables brutes auxquelles elles feraient face allaient être ces « hommes en bleu » supposément chargés de la protection de l’événement. Ce fut, en effet, une journée de terreur pour les victimes de l’État bourgeois. Les mensonges impudiques du premier flic de France, Gérald Darmanin, et de son sous-fifre Didier Lallement, tristement célèbre pour la politique ultra-répressive instituée lors du mouvement des « gilets jaunes », et régulièrement utilisée contre le prolétariat à chaque manifestation, ne peuvent dissimuler la vérité des faits. Les témoignages abondent de cette violence aveugle des forces de répression bourgeoises, avec matraquages et gazages de personnes innocentes, parfois de jeunes enfants, accompagnés pour les moins chanceux, de croche-pattes et de tabassage à terre. Et, comme par hasard, toutes les vidéos à proximité du stade ont été prématurément effacées ! Oui, il est probable que ces supporteurs se souviendront de cette journée mémorable où, pour parfois 690 euros, ils purent bénéficier d’un passage à tabac en règle de la part de l’État français.
Tout le monde, en France et à l’étranger a pu constater l’incapacité de l’État français, septième puissance mondiale, à organiser un simple événement sportif. Cette incurie ne s’explique pas seulement par une simple sous-estimation des organisateurs, elle découle avant tout d’une véritable déstructuration des services. Très vite, les enquêtes ont révélé qu’une des principales raisons du chaos était le trop faible nombre de stadiers par rapport au nombre de supporteurs attendus. (1) Le mensonge, vite levé, des « trente à quarante milles faux billets » utilisé par Darmanin visait justement à masquer cette réalité. A savoir que face au manque de moyens et au désordre que cela peut provoquer, l’État n’a plus qu’une seule solution à sa disposition : la violence brutale et aveugle.
Cet exemple, loin d’être exceptionnel, illustre bien l’impasse dans laquelle le capitalisme s’enfonce. Cela fait plus d’un siècle qu’il a perdu tout caractère progressiste, comme l’affirmait le Manifeste de l’Internationale communiste à son congrès fondateur de 1919. Pire encore, il est entré depuis ces dernières décennies dans sa phase ultime de décomposition. (2) Le fait qu’une des principales puissances du capitalisme comme la France, avec tous les moyens potentiels à sa disposition, soit incapable d’organiser un événement sportif, devenant ainsi la risée de la presse mondiale, illustre à la perfection une certaine perte de contrôle de la bourgeoisie sur son appareil étatique.
Les arguments de Darmanin sur la fraude ou la gestion des hooligans servent en réalité à la bourgeoisie française, un peu dépassée par l’événement, de justification de la violence de l’État face aux « menaces à l’ordre public ». Derrière cette appellation volontairement floue se dissimule la préparation du terrain pour la répression de la classe ouvrière. Ce que souhaitent le gouvernement et la préfecture de police, de manière moins fébrile, c’est à la fois envoyer un message clair à tous les opposants potentiels à la politique de la bourgeoisie et en même temps préparer la police et ses méthodes de répression en prévision de la reprise de la lutte de classe face à la crise économique.
Dans le théâtre de la politique française, le rôle du « bon flic » est déjà joué par la gauche du capital, au premier rang desquels la gauche radicale de Mélenchon et du PCF, et sur son flanc gauche, par les trotskistes, les anarchistes officiels et les syndicats. Pour les premiers, c’est l’argument de la « police de proximité », supposée, par la magie même du changement de nom, être au « service des citoyens », censée ne réprimer seulement que la « délinquance ». Ce qu’ils omettent volontairement de préciser, c’est que les ouvriers qui refuseront l’ordre établi en luttant contre le capitalisme, parce qu’ils sont déjà criminalisés pour cela, seront traités comme des « délinquants », voire des « terroristes » ! L’histoire des luttes ouvrières abonde d’exemples en ce sens.
Quant aux seconds, alors que les trotskystes « purs » de LO plagient le programme mélenchonniste, ceux du NPA proposent par exemple de « désarmer la police ». Les prolétaires peuvent désormais être rassurés par la niaiserie de cet angélisme trompeur, ils pourront continuer d’être déférés devant les tribunaux, tabassés par la police et parqués dans les prisons surpeuplées, mais ils pourront, soi-disant, échapper à l’éborgnement et aux mains arrachées ! C’est sur une question comme la nature de la police que l’appartenance de la gauche et l’extrême gauche du capital à la bourgeoisie est des plus évidente.
Dans un État de droit, comme l’est la France, les « violences policières » sont présentées comme une « exception », un « dérapage » commis par quelques moutons noirs. En réalité, la violence d’État est au cœur de toutes sociétés de classes. Elle contribue à empêcher ce système décadent de s’écrouler en maintenant par la force les conditions d’une exploitation forcenée. Pour le prolétariat, l’opposition démocratie/dictature perd toute raison d’être : la démocratie aussi est totalitaire dans la mesure où elle réagit avec les moyens les plus perfectionnés de la violence d’État pour empêcher toute remise en question de ce système et toute alternative. Cet incident apparaît bien dans les médias bourgeois comme un simple dérapage, une anomalie. La répression violente est en réalité la réponse normale de l’État démocratique.
Pache, 15 juin 2022
1« Incidents au Stade de France : le déni des pouvoirs publics malgré une organisation défaillante », Le Monde (30 mai 2022).
2Sur la décomposition, voir, « Thèses sur la décomposition », Revue internationale n°107 (4e trimestre 2001).
"L'Europe se militarise et annonce le plus grand déploiement de troupes depuis la guerre froide", "La guerre de la Russie contre l'Ukraine a brisé la paix et sérieusement altéré notre environnement de sécurité", tels sont les titres menaçants du sommet de Madrid. La Russie, mais aussi la Chine, sont ouvertement désignées comme des "ennemis de la démocratie". Le sommet de Madrid a été un exercice clairement belliciste. Et les mots sont assortis de décisions. Ils parlent de dépenser 200 milliards d'euros en armement, de déployer jusqu'à 300 000 soldats dans les pays d'Europe de l'Est, dans l'arc allant de la Baltique à la mer Noire. Ils menacent la Chine. Ils défient Poutine. C'est un sommet par et pour la guerre.
En 1949, dans le cadre de la confrontation impérialiste entre les États-Unis et le bloc russe, les États-Unis ont fondé l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord) comme un outil clé contre le bloc ennemi. Il s'agissait d'une alliance militaire et politique qui permettait aux États-Unis de contrôler leurs alliés dont les armées, les services secrets, les cellules de renseignement et les armements dépendaient de plus en plus des dispositifs, brevets, fournitures et protocoles américains. Toutes les bases militaires d'un pays allié peuvent être utilisées par l'OTAN, c'est-à-dire par les États-Unis.
Avec l'effondrement du bloc russe en 1989, les pays anciennement sous tutelle américaine ont tenté de se libérer de leur contrôle. Le bloc américain s'est désintégré et aujourd'hui il n'y a plus de blocs impérialistes. Toutefois, cela n'a pas débouché sur un "nouvel ordre mondial" de paix, de démocratie et de prospérité, comme l'avait promis le président américain de l'époque, Bush père. Au contraire, ce que nous avons vu ces 30 dernières années, c'est une multiplication de guerres de plus en plus chaotiques et sanglantes (Irak, Afghanistan, ex-Yougoslavie, Syrie, Libye, Yémen, etc.) qui, parmi de nombreux autres ravages, ont conduit au plus grand exode de réfugiés de l'histoire : 26 millions en 2017, 86 millions en 2020 et en mai 2022, la barre des 100 millions a été dépassée.[1]
Actuellement, la guerre en Ukraine et 52 autres conflits inondent la planète de sang. Comme nous le disions dans Militarisme et décomposition, écrit en 1990, "Dans la nouvelle période historique dans laquelle nous sommes entrés, et que les événements du Golfe ont confirmée, le monde apparaît comme un immense jeu de dupes dans lequel les alliances entre Etats n'auront pas la stabilité des blocs, mais seront dictées par les besoins du moment. Un monde de désordre meurtrier, dans lequel le "gendarme" américain va tenter de ramener un minimum d'ordre par l'utilisation de plus en plus massive de son potentiel militaire".[2]
Les États-Unis n'ont pas dissous l'OTAN, mais ont continué à l'utiliser comme un moyen de contrôler leurs anciens alliés. L'Allemagne, par exemple, compte 20 bases militaires américaines sur son territoire et son armée est étroitement dépendante des dispositifs et des équipements informatiques de l'OTAN.
En février 1990, James Baker, alors secrétaire d'État américain, a promis au président russe Gorbatchev que "si les États-Unis maintiennent leur présence en Allemagne dans le cadre de l'OTAN, pas un pouce de la juridiction militaire actuelle de l'OTAN ne sera étendu vers l'est".[3]
Entre capitalistes, et plus encore entre États, les accords les plus sacrés restent lettre morte au bout de quelques minutes. Les États-Unis ont fait le contraire de ce qu'ils avaient promis. À partir du milieu des années 1990, elle a étendu l'OTAN aux pays de l'ancienne orbite russe : Pologne, États baltes, République tchèque, Roumanie, Hongrie, etc.
Cet élargissement présentait un intérêt mutuel pour les deux parties. En intégrant les anciens "satellites" russes, les États-Unis creusent un fossé entre l'Allemagne et la Russie, les maintenant toutes deux sous pression politique et militaire. De leur côté, les anciens pays soviétiques ont gagné un puissant sponsor pour se défendre contre les ambitions impérialistes de leurs deux grands voisins et, protégés par le parapluie de l'OTAN, pour assouvir leurs propres appétits impérialistes.
Cette stratégie d'"élargissement vers l'Est" s'est heurtée aux intérêts de la Russie qui, après s'être remise fragilement de l'énorme débâcle de 1989, tente, grâce à la main de fer de Poutine, de jouer un rôle mondial sur l'échiquier impérialiste, en s'impliquant dans la guerre en Syrie et dans diverses guerres en Afrique, et en établissant des alliances avec le Venezuela, l'Iran, le Nicaragua, etc.
Dans cette politique de recherche de la gloire impérialiste perdue, elle s'est heurtée au rideau de fer imposé par les Etats-Unis sur son flanc ouest. En particulier, les tentatives d'intégrer l'Ukraine et la Géorgie à l'OTAN ont constitué une ligne rouge que la Russie ne pouvait tolérer et a répondu par des opérations militaires "spéciales" brutales.
En 2008, la Russie a tendu un piège à la Géorgie en l'entraînant dans une guerre et en imposant deux républiques "indépendantes" qui constituent un coin russe dans le territoire géorgien : l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie.
En 2014, elle a réitéré l'opération vis-à-vis de l'Ukraine en occupant la Crimée et en proclamant deux républiques "populaires" dans le Donbass qui agissent comme un sous-traitant militaire du parrain russe.
L'explosion actuelle de la guerre barbare en Ukraine trouve ses racines dans cette lutte impérialiste entre la Russie et les États-Unis, même si, comme nous l'avons expliqué, ces derniers ont tendu un piège au Kremlin : pendant des mois, ils ont annoncé l'invasion de l'Ukraine tout en affirmant que les États-Unis n'interviendraient pas. Il s'agit d'une répétition du même piège que les États-Unis ont tendu à l'Irak en 1990 lorsqu'ils ont laissé entendre qu'ils avaient le feu vert pour envahir le Koweït. Poutine a mordu à l'hameçon et s'est jeté sur l'Ukraine.
Les États-Unis ont utilisé la guerre en Ukraine pour resserrer l'étau de l'OTAN sur ses anciens alliés. Ceux-ci, en particulier l'Allemagne et la France, veulent se débarrasser de cette alliance gênante qui les empêche de déployer leurs propres ambitions impérialistes. Macron a parlé d'une OTAN "en état de mort cérébrale". Il a dû ravaler ses paroles, du moins pour un temps, les États-Unis ont rétabli la force de l'OTAN et Biden a proclamé à Madrid que "Vladimir Poutine cherchait à finlandiser l'Europe". Ce qu'il va obtenir, c'est une "OTANisation de l'Europe".
Au sommet de Madrid, les États-Unis utiliseront pleinement le "soutien à l'Ukraine", la "défense du David ukrainien écrasé par le Goliath russe", pour ligoter les "alliés européens". Dans une nouvelle intervention sur Internet, Zelensky reproche une nouvelle fois à l'Allemagne et à la France leur prétexte de "ne pas humilier la Russie" pour échanger "la paix contre des territoires". Le sommet de l'OTAN réaffirme la politique américaine consistant à entraîner la Russie dans le bourbier sanglant d'une longue guerre qui s'enlise actuellement dans le Donbass avec un coût humain et productif énorme : selon Zelensky, entre 60 et 100 soldats ukrainiens meurent chaque jour, il ne dit rien des morts civils, tandis que la Russie perd 150 soldats chaque jour. L'une des conséquences les plus graves de cette guerre est qu'elle a paralysé le transport des céréales vers les pays d'Afrique et d'Asie, provoquant des famines qui, selon l'ONU, touchent 197 millions de personnes.
L'un des objectifs du sommet est que le contingent de troupes atlantistes déployé dans l'arc frontalier avec l'ours russe, de la mer Noire à la Baltique, passe de 40 000 soldats à 300 000 hommes ! Les États-Unis vont stationner 100 000 soldats, l'Allemagne a promis d'en déployer 20 000, la France en a installé 1 000 en Roumanie. Dans la même veine, l'OTAN ouvre une gigantesque base militaire en Pologne, les États-Unis envoient deux destroyers en Espagne et établissent un bouclier antimissile sur la base de Rota.
Si nous comparons le sommet de Madrid aux précédents sommets de l'OTAN, nous constatons une nette escalade du bellicisme : "La réponse des alliés à ce nouveau contexte sera de mobiliser plus de troupes, plus d'armes, plus de munitions sur leur flanc oriental, pour montrer leurs muscles contre Moscou". Le langage hypocrite de la paix a été laissé dans le tiroir pour les seuls chants de guerre. Renforçant l'atmosphère générale, l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN, pays historiquement déguisés en "neutres", jette encore plus d'huile sur le feu guerrier. Il ne fait aucun doute que toutes ces décisions, tant publiques que secrètes, s'inscrivent dans une dynamique de confrontation belliciste et contribueront à de nouvelles tensions impérialistes qui sont les germes de nouvelles guerres.
Profitant de la forte dynamique de la militarisation de l'Europe de l'Est, la Pologne et les pays baltes demandent constamment plus d'armes, plus de troupes, affichant sans vergogne leurs propres ambitions. "Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a annoncé lundi la construction de centaines de stands de tir publics à travers le pays et une nouvelle loi sur l'accès aux armes à feu pour "former la société" à la défense nationale. Il a déclaré que "si la Russie pense un jour à attaquer la Pologne, qu'elle sache que 40 millions de Polonais sont prêts à la défendre les armes à la main".[4]
Un autre point abordé par le sommet est la "modernisation technologique" des armes, des systèmes de défense, des moyens de cyber-guerre, etc. Cela implique des investissements énormes qui seront payés par les Etats membres et, surtout, augmentera la dépendance technologique vis-à-vis des Etats-Unis.
Dans ce contexte, le renouvellement du "concept stratégique" de l'OTAN renforce encore l'atmosphère belliciste qui a été imposée à Madrid et qui s'est traduite symboliquement par l'occupation policière de la ville par plus de 10 000 agents en uniforme. Pour la première fois dans l'histoire de l'OTAN, la Chine est directement pointée du doigt : le concept stratégique " annonce une nouvelle ère dans la sécurité transatlantique, marquée par les actions d'" acteurs autoritaires qui défient les intérêts, les valeurs et le mode de vie démocratiques ", ce qui conduit à la conclusion que la Chine " cherche à subvertir l'ordre international fondé sur des règles, y compris dans les domaines spatial, cybernétique et maritime ". Passant des paroles aux actes, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud, les rivaux de la Chine dans le Pacifique, ont été invités à Madrid. Le message ne pourrait être plus clair.
La principale menace pour le leadership impérialiste américain dans le monde vient de la Chine. Le géant asiatique a déployé une stratégie économico-impérialiste, la Route de la soie[5], pour défier la domination américaine. Le piège que les États-Unis ont tendu à la Russie vise en fin de compte la Chine. Pris dans une longue et pénible guerre en Ukraine, la Russie est devenue plus un fardeau qu'un atout pour la Chine. La Chine a été très réticente à soutenir son allié russe. D'autre part, la guerre ukrainienne déstabilise la route de la soie de la Chine, tant sur le plan économique que militaire.
La mise à l'index de la Chine dans le concept stratégique de l'OTAN constitue une nouvelle étape dans l'escalade des tensions guerrières dans le monde. Avec ce mouvement stratégique, les États-Unis développent une politique d'"encerclement de la Chine" : d'une part, dans le Pacifique, les États-Unis ont formé une alliance avec les rivaux de la Chine (Australie, Japon, Corée du Sud, Philippines, Vietnam) ; d'autre part, ils affaiblissent fortement l'allié russe de la Chine ; enfin, les projets d'expansion de la route de la soie sont déstabilisés par la guerre en Ukraine.
Mais tout aussi significative dans l'escalade impérialiste est l'inclusion du "flanc sud", c'est-à-dire l'Afrique, dans le "concept stratégique" de l'OTAN. Ici, l'Espagne mise gros car cela touche ses propres intérêts (Sahara, Maroc, défense des enclaves de Ceuta et Melilla, protection contre les vagues migratoires, etc.) Cependant, l'objectif ultime est avant tout de bloquer l'expansion russe et chinoise en Afrique. La Russie emploie ses mercenaires Wagner dans les différents conflits africains, tandis que la Chine tisse un réseau d'accords militaires et commerciaux. Elle a par exemple établi une base militaire à Djibouti.
Nous constatons que le sommet donne un coup de fouet à la confrontation guerrière qui saisit aujourd'hui le monde. Et dans cette confrontation, le rôle prépondérant des États-Unis et la force de leur bras politico-militaire, l'OTAN, sont renforcés.
Toutefois, ce succès est temporaire. Depuis l'effondrement du bloc russe, nous avons constaté que la capacité des États-Unis à imposer leur "ordre mondial" se détériore. Dans un monde où chaque État-nation "fait son chemin" sans respecter aucune discipline, où prolifèrent des conflits locaux de plus en plus destructeurs, où les ambitions impérialistes de tous les États se déchaînent en force, le gendarme américain n'a pour seul moyen d'arrêter le chaos que le militarisme, la guerre, la prolifération des armements. Cependant, ces démonstrations de force n'arrêtent pas le chaos, mais ne font que l'exacerber. "Dès que les États-Unis se vantent de leur supériorité militaire, tous leurs rivaux reculent, mais le recul est tactique et momentané. Plus les États-Unis s'efforcent d'affirmer leur domination impérialiste, en rappelant brutalement qui est le plus fort, plus les contestataires de l'ordre américain sont déterminés à le contester, car pour eux, leur capacité à conserver leur rang dans l'arène impérialiste est une question de vie ou de mort". [6]
Cette analyse est cruciale pour démonter le piège tendu par les groupes d'extrême gauche du capital et même les ministres du gouvernement liés à Podemos ou aux restes d'Izquierda Unida, qui imputent la tension guerrière à l'OTAN et se permettent même une position "neutre" : ni Poutine ni l'OTAN.
L'OTAN est un instrument de la confrontation impérialiste, mais elle n'est ni la cause des guerres ni de cette confrontation. Son renforcement et ses fanfaronnades militaristes n'apporteront pas la paix et la démocratie, comme le promettent les dirigeants atlantistes avec de moins en moins de conviction, mais ils ne sont pas non plus la seule cause de la guerre barbare qui ensanglante le monde. Tous les États, qu'ils soient pro-OTAN ou anti-OTAN, sont des agents de guerre, tous participent au glissement de la planète dans une spirale de conflits chaotiques.
Quand ils parlent de "pas d'OTAN, bases dehors", ces groupes de gauche servent la guerre et l'impérialisme. Ils veulent que nous fassions la guerre au nom de la défense nationale, en rejetant le "multinationalisme" de l'OTAN. En France, Mélenchon s'oppose à l'OTAN en proposant que la France "s'arme jusqu'aux dents comme une force de maintien de la paix". Dans cette conception ultra-militariste, il va jusqu'à proposer le rétablissement du service militaire !
Le prolétariat doit rejeter la guerre et le militarisme, qu'ils soient menés "à l'intérieur de l'OTAN" ou déployés "à l'extérieur de l'OTAN". Ces bellicistes d'extrême gauche qui "s'opposent à l'OTAN" injectent le poison de la défense de la patrie, poison avec lequel ils veulent que nous tuions et assassinions pour défendre l'Espagne et que nous acceptions l'inflation, les licenciements, les coups portés à nos conditions de vie pour "pouvoir envoyer des armes en Ukraine". Un groupe trotskyste appelant au "désarmement de l'OTAN" propose que "les travailleurs européens fassent preuve de la plus large solidarité internationaliste, en envoyant des fournitures et des milices ouvrières internationales, comme dans les années 30 lors de la guerre civile espagnole"[7]. Avec des arguments "anti-OTAN", ces serviteurs du capital proposent ce que les États-Unis et l'OTAN veulent : que les travailleurs s'impliquent dans le massacre impérialiste en Ukraine, que nous nous sacrifions sur le front économique et devenions de la chair à canon sur le front militaire.
Opero et Smolny 30-06-22
[7] ¡Fuera el pacto entre la OTAN y su gendarme Putin para repartirse Ucrania! (Democracia Obrera)
De la Slovénie en passant par la République tchèque, la Turquie, le Portugal, la Grèce, l’Italie, la France, l’Espagne, l'Allemagne, les Canaries, des centaines de milliers d’hectares de forêts et d’habitations sont aujourd’hui réduits en cendres avec toutes les conséquences écologiques et humaines que l’on peut imaginer. Même le Royaume-Uni a vu le feu ravager des milliers d’hectares dans la région de Londres. Dernièrement, la Californie s’est embrasée. Le parc du Yosemite et ses séquoias légendaires sont menacés par un incendie géant ayant cramé plus de 7 000 hectares. Au Maghreb, au Tchad, les incendies se multiplient aussi… Bref, le monde est en feu ! Si 350 millions d’hectares partent chaque année en fumée dans le monde, si déjà la forêt amazonienne, une grande part de l’Australie et de la Sibérie ont connu le ravage des flammes, nous atteignons de nouveaux records aujourd’hui !
Très clairement, ces incendies sont la conséquence directe du dérèglement climatique sur la totalité de la planète : les épisodes caniculaires de plus en plus fréquents et intensifs à l’image des pics de chaleurs historiques que connaît l’Europe cet été. En Inde et au Pakistan, les températures ont avoisiné ces dernières semaines les 50° C ! Un niveau de chaleur insoutenable pour la survie même de millions d’êtres humains qui tend d’ailleurs à devenir la norme, de l’avis d’une grande partie du monde scientifique. Dans le même temps, des inondations meurtrières frappent en Iran. La spirale infernale longtemps annoncée devient donc une réalité.
Si la bourgeoisie cherche à dissimuler la responsabilité du mode de production capitaliste face au dérèglement climatique en braquant l’attention sur les pyromanes, sur le comportement déplorable de tel ou tel milliardaire avec ses jets privés, des touristes, ou de telle ou telle entreprise, cette instrumentalisation est aussi le moyen de cacher son incurie et son incapacité totale à endiguer le phénomène tant elle est happée par la fuite en avant destructrice. À ce titre, les pseudos « accords historiques » des multiples conférences pour le climat ne sont ni plus ni moins que de la pure hypocrisie, de belles paroles n’accouchant que de « mesurettes » absolument pas à la hauteur des enjeux globaux pour la planète.
L’incapacité et les carences croissantes de tous les gouvernements et structures internationales pour faire face aux catastrophes et les prévenir, sont patentes : les services de secours, les stratégies d’anticipation sous le poids de décennies de coupes budgétaires, sont de plus en plus défaillantes et impuissantes. Les capacités technologiques, satellitaires de détection des foyers potentiels, de prévisions météorologiques, restent sans relais, faute de budgets et de moyens financiers. Les flottes d’avions bombardiers d’eau (quelques dizaines d’avions et hélicoptères seulement en France, par exemple), susceptibles de réagir au plus vite et contrer efficacement ces feux dévastateurs sont renforcées au compte-gouttes, faute de moyens. Elles sont bien évidemment loin d’égaler les flottes aériennes militaires de toutes les armées qui, elles, se dotent tous les jours davantage de chasseurs et autres bombardiers capables de faire pleuvoir le feu sur l’ « ennemi » potentiel, le concurrent impérialiste.
Face aux incendies, les pompiers sont présentés aujourd’hui comme les héros de cette « guerre du feu », les combattants prêts à « sacrifier leur vie », tout comme les soignants étaient applaudis précédemment comme des « héros de la nation » en luttant contre la pandémie. Pourtant, tous font les frais, partout dans le monde, d’attaques et de la détérioration de leurs conditions de travail et de vie : « de plus en plus de missions, avec de moins en moins de moyens ». Beaucoup y ont déjà perdu la vie.
Mais la défense de la nature, de l’espèce humaine, de la vie, ne pèsent pas lourd (et la nature comme l’homme en subissent les meurtrissures) face aux exigences de la loi du profit et de la concurrence capitaliste entre les États. Car voilà la véritable préoccupation de la bourgeoisie : la défense de ses intérêts et non ceux de l’humanité et de sa relation avec le « monde naturel ».
Ces incendies d’aujourd’hui ne sont donc pas des épiphénomènes exceptionnels. Ils sont devenus le quotidien du monde capitaliste où la dévastation atteint des sommets. Avec la propagation des monocultures intensives, une déforestation volontaire à outrance, un aménagement du territoire de plus en plus anarchique guidé par la rentabilité immédiate, les écosystèmes, les espèces animales et la biodiversité sont détruites jour après jour. L’accélération du dérèglement climatique et les catastrophes environnementales qui l’accompagnent sont les produits de la logique de fonctionnement d’un système capitaliste criminel et mortifère qui en est réduit à mettre en œuvre au sens propre une politique de « la terre brûlée » qui ne réserve à l’humanité que toujours plus de destruction et de misère, menaçant ouvertement sa survie. Pour obéir aux lois du profit et aux nécessités de la guerre, les gouvernements de nombreux pays jettent encore de l’huile sur le feu en prolongeant les centrales à charbon connus pour leurs effets destructeurs. Cela, au nom de l’indépendance nationale vis-à-vis du gaz russe. En Afrique ou au Moyen-Orient, les États consomment désormais du gaz encore plus massivement alors que cette énergie fossile est également désastreuse pour l’environnement. Le capitalisme sacrifie la planète pour la guerre !
Le monde est aujourd’hui à feu et à sang et ce n’est pas une simple image. En juillet 1914, juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale Jean Jaurès déclarait : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ! ». C’est encore le cas à l’heure actuelle : les ravages de la guerre en Ukraine en témoignent, mais s’y cumulent ceux liés au réchauffement planétaire et au dérèglement climatique, démontrant que le capitalisme porte en lui la dévastation, la destruction généralisée et la sécrète par tous les pores de sa peau.
Cette putréfaction devient de plus en plus violente, barbare, incontrôlable et donne au quotidien la preuve flagrante que le capitalisme n’est plus signe de progrès pour l’humanité, mais au contraire est synonyme de mort et de destruction. Le monde capitaliste devient concrètement de plus en plus invivable. Il n’y a que le prolétariat qui puisse y mettre un terme par le développement de son combat révolutionnaire, de sa conscience de classe en défense de ses conditions de vie et l’instauration d’une société sans exploitation. Le sort de l’humanité est entre ses mains.
Stopio, 24 juillet 2022
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"Enough is enough", "trop c'est trop". Voilà le cri qui s’est propagé d’écho en écho, de grève en grève, ces dernières semaines au Royaume-Uni. Ce mouvement massif baptisé "L’été de la colère", en référence à "L’hiver de la colère" de 1979, implique chaque jour des travailleurs dans plus en plus de secteurs : les trains, puis le métro de Londres, British Telecom, La Poste, les dockers de Felixstowe (un port vital en Grande-Bretagne), les éboueurs et les chauffeurs de bus dans différentes parties du pays, Amazon, etc. Aujourd’hui les travailleurs des transports, demain ceux de la santé et les enseignants.
Tous les journalistes et commentateurs constatent qu’il s’agit du mouvement le plus important de la classe ouvrière dans ce pays depuis des décennies ; il faut remonter aux immenses grèves de 1979 pour trouver un mouvement plus important et massif. Un mouvement d'une telle ampleur dans un pays aussi important que le Royaume-Uni n'est pas un événement "local". C'est un événement de portée internationale, un message aux exploités de tous les pays.
Décennie après décennie, comme et encore plus que dans les autres pays développés, les gouvernements britanniques successifs ont attaqué sans relâche les conditions de vie et de travail avec un seul leitmotiv : précariser et flexibiliser au nom de la compétitivité nationale et du profit. Les attaques ont atteint un tel niveau ces dernières années que la mortalité infantile connait dans ce pays "une augmentation sans précédent" depuis 2014 (selon la revue médicale BJM Open).
C’est pourquoi l’explosion actuelle de l’inflation représente un tel tsunami. Avec 10,1% d’augmentation des prix en juillet sur un an, 13% prévu en octobre, 18% en janvier, les ravages sont dévastateurs. "Beaucoup de gens pourraient être contraints de choisir entre sauter des repas pour chauffer leur logement, ou vivre dans le froid et l’humidité", a ainsi prévenu le NHS, le Service National de la Santé. Avec une augmentation du prix du gaz et de l’électricité de 54 % au 1er avril et de 78 % au 1er octobre, la situation est effectivement intenable.
Le niveau de mobilisation des travailleurs britanniques est donc enfin à la hauteur des attaques qu'ils subissent, alors que ces dernières décennies ils n'avaient pas trouvé la force pour y répondre, encore KO debout depuis les années Thatcher.
Dans le passé, les ouvriers anglais étaient parmi les plus combatifs du monde. Si on se base sur le nombre de jours de grève, "l'hiver de la colère" de 1979 constitue le mouvement le plus massif de tous les pays après celui de Mai 1968 en France, avant même "l'automne chaud" de 1969 en Italie. C'est cette énorme combativité que le gouvernement de Margareth Thatcher avait réussi à étouffer de façon durable en infligeant toute une série de défaites cuisantes aux ouvriers et particulièrement lors de la grève des mineurs en 1985. Cette défaite a marqué un tournant, celui du reflux prolongé de la combativité ouvrière au Royaume-Uni ; elle annonçait même le reflux général de la combativité ouvrière dans le monde. Cinq ans après, en 1990, l’effondrement de l’URSS, présentée frauduleusement comme un régime "socialiste", l’annonce non moins mensongère de la "mort du communisme" et du "triomphe définitif du capitalisme" ont fini d’assommer les travailleurs du monde entier. Depuis, privés de perspective, atteints dans leur confiance et leur identité de classe, ils ont subi de plus en plus, au Royaume-Uni encore plus qu'ailleurs, les attaques de tous les gouvernements sans être capables de réellement riposter. Les manifestations massives en France faisant souvent figures d’exception ces dernières années.
Mais la colère s'est accumulée et aujourd’hui, face aux attaques de la bourgeoisie, la classe ouvrière au Royaume-Uni montre qu’elle est de nouveau prête à lutter pour sa dignité, à refuser les sacrifices imposés sans cesse par le capital. Et une nouvelle fois, elle est le reflet le plus significatif de la dynamique internationale : l’hiver dernier, des grèves avaient commencé à éclater en Espagne et aux Etats-Unis ; cet été, l’Allemagne et la Belgique ont elles-aussi connu des débrayages ; pour les mois à venir, tous les commentateurs annoncent "une situation sociale explosive" en France et en Italie. Il est impossible de prévoir où et quand la combativité ouvrière va de nouveau se manifester massivement dans l’avenir proche, mais une chose est certaine, l'ampleur de la mobilisation ouvrière actuelle au Royaume-Uni constitue un fait historique majeur : c'en est fini de la passivité, de la soumission. Les nouvelles générations ouvrières relèvent la tête.
L'importance de ce mouvement ne se limite pas au fait qu'il met fin à une longue période de passivité. Ces luttes se développent à un moment où le monde est confronté à une guerre impérialiste de grande ampleur, une guerre qui oppose, sur le terrain, la Russie à l'Ukraine mais qui a une portée mondiale avec, en particulier, une mobilisation des pays membres de l'OTAN. Une mobilisation en armes mais aussi économique, diplomatique et idéologique. Dans les pays occidentaux, le discours des gouvernements appelle aux sacrifices pour "défendre la liberté et la démocratie". Concrètement, cela veut dire qu'il faut que les prolétaires de ces pays doivent se serrer encore plus la ceinture pour "témoigner leur solidarité avec l'Ukraine", en fait avec la bourgeoisie ukrainienne et celle des pays occidentaux.
Les gouvernements justifient sans aucune honte leurs attaques en instrumentalisant à la fois la catastrophe du réchauffement climatique et les risques de pénuries énergétiques et alimentaires ("la pire crise alimentaire jamais connue" selon le Secrétaire général de l'ONU). Ils en appellent à la "sobriété" et annoncent la fin de "l’abondance" (pour reprendre les mots iniques du Président français Macron). Mais, en même temps, ils renforcent leur économie de guerre : les dépenses militaires mondiales ont atteint 2.113 milliards de dollars en 2021 ! Si le Royaume-Uni fait partie des cinq plus grands États en matière de dépenses militaires, depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, tous les pays du monde ont accéléré leur course aux armements, y compris l’Allemagne, une première depuis 1945 !
Les gouvernements en appellent aux "sacrifices pour lutter contre l'inflation". C'est une farce sinistre alors qu'ils ne font que l'aggraver en faisant exploser les dépenses de guerre. Voilà l’avenir que promettent le capitalisme et ses bourgeoisies nationales en compétition : plus de guerres, plus d’exploitation, plus de destructions, plus de misère.
Voilà aussi ce que les grèves du prolétariat au Royaume-Uni portent en germe, même si les travailleurs n’en ont pas toujours pleinement conscience : le refus de se sacrifier encore et toujours plus pour les intérêts de la classe dominante, le refus des sacrifices pour l’économie nationale et pour l’effort de guerre, le refus d’accepter la logique de ce système qui mène l’humanité vers la catastrophe et, finalement, à sa destruction.
Voilà la seule alternative : socialisme ou destruction de l’humanité.
Cette capacité à redresser la tête est d’autant plus marquante que la classe ouvrière au Royaume-Uni a subi ces dernières années le matraquage de l’idéologie populiste, qui dresse les exploités les uns contre les autres, les divise en "locaux" et "étrangers", en blancs et noirs, en hommes et femmes, jusqu’à faire croire que le repli insulaire du Brexit pouvait être la solution.
Mais il y a d’autres pièges bien plus pernicieux et dangereux tendus par la bourgeoisie sur le chemin des luttes du prolétariat.
La grande majorité des grèves actuelles ont été appelées par les syndicats qui se présentent ainsi comme l'organisation indispensable pour organiser la lutte et défendre les exploités. Les syndicats sont indispensables, oui, mais pour défendre la bourgeoisie et organiser la défaite de la classe ouvrière.
Il suffit de se rappeler à quel point la victoire de Thatcher a été permise grâce au travail de sape des syndicats. En mars 1984, quand 20.000 suppressions d’emplois sont brutalement annoncées dans le secteur des charbonnages, la réaction des mineurs est fulgurante : dès le premier jour de grève, 100 puits sur 184 sont fermés. Un corset de fer syndical entoure alors immédiatement les grévistes. Les syndicats de cheminots et de marins soutiennent platoniquement le mouvement. Le puissant syndicat des dockers se contente de deux appels à la grève tardifs. Le TUC (la centrale syndicale nationale) refuse de soutenir la grève. Les syndicats des électriciens et des sidérurgistes s’y opposent. Bref, les syndicats sabotent activement toute possibilité de lutte commune. Mais surtout, le syndicat des mineurs, le NUM (National Union of Mineworkers), parachève ce sale boulot en cantonnant les mineurs dans de vaines batailles rangées avec la police pour tenter d'empêcher la sortie du charbon des cokeries (plus d’un an !). Grâce à ce sabotage syndical, à ces occupations stériles et interminables, la répression policière peut s’abattre avec d’autant plus de violence. Cette défaite sera la défaite de toute la classe ouvrière.
Si aujourd’hui, au Royaume-Uni, ces mêmes syndicats ont un langage radical et font mine de prôner la solidarité entre les secteurs, brandissant même la menace de la grève générale, c’est parce qu’ils collent aux préoccupations de la classe ouvrière, ils tentent de capter ce qui anime les travailleurs, leur colère, leur combativité et leur sentiment qu’il faut se battre ensemble, pour mieux stériliser, détourner cette dynamique. En réalité, sur le terrain, ils orchestrent des grèves séparées ; derrière le mot d’ordre unitaire de hausse des salaires pour tous, ils enferment et divisent dans les négociations corporatistes ; surtout ils prennent grand soin d’éviter toutes réelles discussions entre les travailleurs des différents secteurs. Nulle part de réelles assemblées générales interprofessionnelles. C’est pourquoi il ne faut pas se laisser duper quand Lizz Truss, la favorite pour remplacer Boris Johnson, déclare qu'elle "ne laissera pas" le Royaume-Uni "être rançonné par des syndicalistes militants" si elle devient Première ministre. Elle ne fait là que s’inscrire dans les pas de son modèle, Margareth Thatcher ; elle crédibilise les syndicats comme les représentants les plus combatifs des travailleurs pour mieux, ensemble, mener la classe ouvrière à la défaite.
En France, en 2019, face à la montée de la combativité et l’élan de solidarité entre les générations, les syndicats avaient déjà usé du même stratagème en prônant la "convergence des luttes", un ersatz de mouvement unitaire, où les manifestants qui défilaient dans la rue étaient parqués par secteur et par entreprise.
Au Royaume-Uni comme partout ailleurs, pour construire un rapport de forces nous permettant de résister aux attaques incessantes contre nos conditions de vie et de travail, et qui demain vont s’aggraver encore avec violence, nous devons, partout où nous le pouvons, nous rassembler pour débattre et mettre en avant les méthodes de lutte qui ont fait la force de la classe ouvrière et lui ont permis, à certains moments de son histoire, de faire vaciller la bourgeoisie et son système :
Si le retour des grèves massives au Royaume-Uni marque le retour de la combativité du prolétariat mondial, il est aussi vital que les faiblesses qui avaient signé sa défaite en 1985 soient dépassées : le corporatisme et l’illusion syndicale. L’autonomie de la lutte, l’unité et la solidarité sont les jalons indispensables à la préparation des luttes de demain !
Et pour cela, il faut se reconnaître comme membre d’une même classe, une classe unie par la solidarité dans la lutte : le prolétariat. Les luttes d'aujourd'hui sont indispensables pas seulement pour se défendre pied à pied contre les attaques mais aussi pour reconquérir cette identité de classe à l'échelle mondiale, pour préparer le renversement de ce système synonyme de misère et de catastrophes de toutes sortes.
Dans le capitalisme, il n'y a pas de solution : ni à la destruction de la planète, ni aux guerres, ni au chômage, ni à la précarité, ni à la misère. Seule la lutte du prolétariat mondial soutenue par tous les opprimés et exploités du monde peut ouvrir la voie à une alternative.
Les grèves massives au Royaume-Uni sont un appel au combat pour les prolétaires de tous les pays
Courant Communiste International, 27 août 2022
Malgré la pandémie de Covid, malgré la guerre en Ukraine, malgré les divisions toxiques attisées par le Brexit, la classe ouvrière, en Grande-Bretagne et dans d’autres régions du monde, se prépare à lutter pour défendre ses conditions de vie. Et, à long terme, c’est la seule issue qui permette de s’écarter de la voie qui mène le capitalisme à l’auto-destruction.
La « crise du coût de la vie » est devenue un facteur actif de la résistance de la classe ouvrière. La crise économique mondiale n’est pas apparue avec la Covid ou avec la guerre en Ukraine ; elle s’est développée pendant des décennies auparavant (rappelons-nous la « crise du pétrole » pendant les années 70 ou le « crash financier » de 2008). Mais les récentes expressions du glissement du capitalisme vers la barbarie ont certainement aggravé le déclin économique mondial et au sein de celui-ci le déclin économique spécifique de la Grande-Bretagne. Et elles n’ont que partiellement caché l’impact grandissant et désastreux du Brexit à ce niveau. La flambée de l’inflation qui s’élève maintenant à 9,1% - et devrait atteindre 11 % à la fin de l’année - a un impact direct sur les familles de travailleurs ordinaires (c’est-à-dire la classe ouvrière) pour chauffer leurs maisons, se rendre au travail et apporter la nourriture au foyer.
Pour de nombreux travailleurs, la spirale des prix et les offres salariales bien inférieures au taux de l’inflation ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, après des années d’attaques contre les salaires, l’emploi et les prestations sociales. 40 000 travailleurs du rail : aiguilleurs, personnel de maintenance des voies et des trains - appartenant au RMT (Rail, Maritime and Transport Union) - ont fait grève en juin et prévoient d’autre grèves, le 27 juillet, le 18 et le 20 août, première grève nationale en Grande-Bretagne depuis environ 25 ans. 5500 conducteurs de trains, appartenant à un autre syndicat, l’ASLEF (Associated society of locomotive engineers and firemen) feront également grève le 30 juillet, dans huit compagnies ferroviaires. Avant cela, il y aura des grèves de moindre ampleur, dans d’autres compagnies. Dans le nord-ouest de l’Angleterre, les conducteurs de bus ont été en grève pour un conflit salarial avec Arriva. Des grèves sont également prévues dans le secteur des communications. 40 000 travailleurs de British Telecom feront grève le 29 juillet et le 1er août. Les travailleurs de Royal Mail feront grève entre le 20 et le 22 juillet. Ces grèves pourraient concerner 115 000 travailleurs. Suite au rejet par les syndicats des propositions d’augmentation de salaires par les employeurs, dans les compagnies aériennes, cet été pourrait voir des arrêts de travail généralisés dans les aéroports, tant en Grande-Bretagne que dans d’autres pays d’Europe.
Dans le secteur de l’éducation, il y a eu un certain nombre de grèves dans les universités et les collèges d’enseignement professionnel. Le syndicat national de l’éducation et le syndicat national des professeurs appellent à des « actions massives » à l’automne, si les négociations échouent. Dans le secteur de la santé, suite à l’offre du gouvernement d’une augmentation de 5 % (ou moins) pour les travailleurs de la santé et de l’éducation et d’autres secteurs publics, les syndicats ont dénoncé avec colère les seules augmentations dans le secteur de la santé comme une « trahison », un « coup de pied dans la mâchoire » et ont averti que des arrêts de travail pourraient se profiler à l’horizon ([1]).
Ces conflits s’inscrivent dans le cadre d’une montée générale de la combativité des travailleurs. Le syndicat GMB, qui est très présent dans les unions locales parmi les travailleurs manuels, a indiqué que le nombre de conflits pour la période de octobre 2019 à mars 2020 était sept fois supérieur à celui de la même période pour 2019-2020 ; le syndicat Unite, très implanté dans le secteur public, a revendiqué une multiplication par quatre des conflits.
Ces luttes ne sont pas une réponse directe de la classe ouvrière à la guerre capitaliste en Ukraine. Mais, après s’être entendus dire que « nous sommes tous ensemble » dans la lutte contre la Covid et que nous devons tous être prêts à faire des sacrifices pour défendre l’Ukraine et l’Occident contre l’agression russe, il n’est pas anodin de constater que la classe ouvrière n’est pas prête à abandonner la lutte pour la défense de ses intérêts de classe au nom de l’unité nationale. Et, si nous regardons les autres pays d’Europe, nous constatons que la classe ouvrière « tire sur la laisse » dans de nombreux pays. En 2019, juste avant le début de la crise du Covid, il y a eu de nombreux mouvements de grève en France et même pendant les confinements - surtout au début - les ouvriers de nombreux secteurs, y compris les « héros » du secteur de la santé, ont mené des actions collectives contre le fait d’être obligés de travailler sans réel moyen de protection contre le virus. A la fin des confinements, de nombreux mouvements se sont multipliés aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Turquie, ce qui nous a amenés à publier un article intitulé « Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée : ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité de la classe ouvrière » ([2]). Si nous comparons ces mouvements contre l’intensification de l’exploitation de la classe ouvrière à la situation de la classe ouvrière en Ukraine, qui a été presque entièrement soumise à l’effort national, nous pouvons y voir la preuve que, si les travailleurs connaissent une véritable défaite en Ukraine, cela ne s’applique pas à la classe ouvrière dans son ensemble et en particulier pour ses fractions les plus expérimentées, qui ne sont pas prêtes à sacrifier la défense de leurs intérêts matériels de classe au nom de l’intérêt national et encore moins à être enrôlées dans la guerre au bénéfice de la classe capitaliste.
On peut objecter que les luttes du prolétariat se cantonnent au domaine économique et ne peuvent pas déboucher, à court terme du moins, sur une alternative politique à l’impasse historique dans laquelle se trouve la société capitaliste. Or, pour des raisons que nous avons déjà analysées par ailleurs ([3]), la classe ouvrière a perdu la conscience de son identité, a perdu tout sens d’elle-même en tant que force sociale distincte ; mais les luttes en réponse à la crise économique et aux attaques qui l’accompagnent lui fournissent un point de départ indispensable à la reconstruction de son identité de classe, surtout quand un grand nombre de travailleurs de différents secteurs sont en lutte pour des revendications économiques sensiblement identiques. Et la récupération de l’identité de classe contient nécessairement une dimension politique vitale ([4]), car elle tend à mettre en avant le scénario avancé par le Manifeste de 1848 : « La société dans son ensemble se divise de plus en plus en deux deux grands camps hostiles, deux classes qui se font directement face : la bourgeoisie et le prolétariat ».
La formation de la classe ouvrière en une force unifiée face à la bourgeoisie est, bien sûr, un long chemin à parcourir, et nous n’avons pas l’intention de minimiser les immenses obstacles qui vont se dresser devant elle - avant tout parce que la décomposition accélérée de la société bourgeoise elle-même menace d’entraîner la classe ouvrière dans son sillage, d’infliger au corps du prolétariat les sentiments de haine et les divisions (nationales, sexuelles, raciales, religieuses, etc…) propres à ce système moribond. Dans le même temps, même si la bourgeoisie elle-même est de plus en plus divisée, perdant de plus en plus le contrôle de son propre système et de son appareil politique en particulier, elle est toujours capable de développer des stratégies et des manœuvres pour empêcher l’unification de son ennemi mortel : le prolétariat. En réponse aux grèves en Grande-Bretagne, le gouvernement de B. Johnson cultivant son populisme, qui a prétendu être « le vrai parti des travailleurs » (sic !), ne lance pas pour l’instant une attaque frontale contre les grèves mais adopte principalement une position plus conciliante, même si le ministre des transports, Grant Schapps a déclaré que les demandes des travailleurs du rail étaient déraisonnables. Il admet qu’il y a « une crise du coût de la vie », qu’il présente comme « temporaire » et déclare qu’il est nécessaire de faire des choix difficiles afin de surmonter les difficultés. Il offre également, aux travailleurs les plus pauvres, une aide symbolique en juillet et à l’automne. Plus récemment, il a proposé de porter de 2 à 5 % l’augmentation des salaires dans le secteur public, c’est-à-dire qu’il propose une réduction des salaires d’environ 5 % au lieu de 8 %. Les médias bourgeois les plus sérieux, notamment du Guardian et de l’Observer, mais aussi de la BBC, ont beaucoup parlé de « la vague de grèves », l’exagérant même et prédisant un « été chaud », un retour à la lutte de classes des années 70. De nombreux articles ont été publiés pour démontrer la légitimité des revendications des travailleurs du rail, et notamment pour féliciter Mick Lynch, dirigeant du syndicat RMT, pour sa défense intelligente et structurée des revendications face aux questions des médias plus hostiles([5]) . Un certain nombre d’enquêtes ont aussi été publiées, montrant que les grèves ferroviaires avaient bénéficié d’un soutien considérable du public. Cela contraste fortement avec les grèves précédentes dans les transports, où les médias se sont largement concentrés sur la misère des banlieusards [qui passent beaucoup de temps dans les trains] qui pâtissent des « exigences égoïstes » des syndicats. Il est vrai qu’un tabloïd comme le Sun peut encore proclamer que : « les grèves ferroviaires de cette semaine sont ce qui arrive lorsque des voyous marxistes nourris de fantasmes de ‘guerre des classes’ essaient d’utiliser les malheurs économiques du public pour faire tomber un gouvernement élu qu’ils méprisent. » (20/06/2022), mais une telle rhétorique incendiaire sert aussi à recrédibiliser l’image des syndicats.
Dans le passé, la bourgeoisie a toujours fait en sorte de passer sous silence les nouvelles de la montée des mouvements de grèves sauvages, a contrario cette (soudaine) publicité permanente et souvent favorable aux grèves indique une tentative de la classe dirigeante d’anticiper et donc de dissiper un développement plus dangereux du mouvement de classe. Les syndicats ont bien joué leur partition dans cette division des tâches, ils font leur travail pour garder la lutte de la classe ouvrière sous leur contrôle : ainsi, l’appel lancé par le TUC en direction de la classe ouvrière à participer à une grande manifestation nationale qu’il a organisé le 18 juin contre l’augmentation du coût de la vie afin de prendre les devants et préserver ce contrôle.
De plus :
- les syndicats ont veillé à ce que les grèves respectent les restrictions légales très sévères en vigueur aujourd’hui.
- La liste des grèves ci-dessus montre que, en dépit du fait que des secteurs importants de la classe ouvrière sont en lutte aujourd’hui, seule une partie d’entre eux sont actuellement grévistes.
- Les grèves sont fractionnées et réparties sur plusieurs jours.
- Il apparaît que l’on ait veillé à ce que les grèves de différents secteurs n’aient pas lieu le même jour.
- Les grèves, selon les syndicats, sont dirigées contre le gouvernement conservateur et non contre la classe dirigeante dans son ensemble. L’objectif final est d'orienter vers l’élection d’un gouvernement travailliste.
- Cette mystification « anti-tories » est renforcée par des groupes d’extrême-gauche, comme le Socialist Worker's Party. Alors que les gauchistes critiquent Keir Starmer (le chef du parti travailliste) pour ne pas avoir soutenu les grèves et pour avoir dénoncé les députés s’étant rendus sur les piquets de grève, leur propagande vise constamment la nécessité de « chasser les tories » pour les remplacer par un gouvernement travailliste avec une direction plus radicale (dans le genre de Corbyn par exemple). Et s’ils appellent à l’unification des grèves, celle-ci doit se faire par le biais des syndicats agissant ensemble. En somme, le travail des gauchistes consiste à empêcher la classe ouvrière de sortir de l’emprise des travaillistes et des syndicats.
Ce que nous voyons aujourd’hui n’est qu’un aperçu de ce que la classe ouvrière doit faire si elle veut se forger une puissance unifiée et consciente capable d’affronter et de renverser le pouvoir du capital. Cela nous rappelle également le cynisme et la ruse d’un appareil dirigeant qui ne se limite pas au parti conservateur mais inclut l’ensemble du « mouvement travailliste » - de Starmer aux syndicats et à l’extrême-gauche. Aussi, l’identification des obstacles à la lutte de classe, l’exposition de ses véritables ennemis, participe nécessairement de la libération de l’immense potentiel de la classe exploitée, révélé par ses luttes immédiates.
Amos (1er juillet)
[1] « Menaces de grève, alors que les employés du secteur public reçoivent un salaire inférieur à l’inflation » [160], The Guardian.
[2] « Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat! », Révolution internationale n°491, (novembre-décembre 2021). [58]
[3] Voir par exemple le « rapport sur la lutte des classes pour le 23e congrès internationale du CCI : formation, perte et reconquête de l’identité de classes », Revue internationale n°164. [161]
[4] Ce que nous écrivions dans notre brochure Les syndicats contre la classe ouvrière dans les années 70 reste vrai tout au long de la période de décadence du capitalisme : « Ce que le prolétariat doit abandonner, ce n’est pas la nature économique de sa lutte (une impossibilité de toutes façons s’il veut lutter en tant que classe), mais toutes se illusions sur les possibilités futures de défendre ses intérêts, même les plus immédiats, sans sortir du cadre purement économique, et sans adopter consciemment une compréhension politique, globale et révolutionnaire de sa lutte. Face à l’inévitable échec immédiat de ses luttes revendicatives dans le capitalisme décadent, ce que la classe ouvrière doit conclure, ce n’est pas que ces luttes soient inutiles, mais que le seul moyen de les rendre utiles pour la cause prolétarienne, c’est de les concevoir et les transformer consciemment en moments d’apprentissage et de préparation de combats plus généralisés, plus organisés et plus conscients de l’inévitabilité de l’affrontement final avec le système d’exploitation. » (pages 45-46)
[5] Voir par exemple l’article publié dans The Guardian : « Des « ennemis de l’intérieur » ? Peu crédible ...la plupart de gens comprennent pourquoi nous avons besoin de syndicats prêts à faire grève. » [162]
Le CCI tiendra, le samedi 17 septembre, des réunions publiques pour discuter de l'accélération de la barbarie capitaliste, démontrée par la guerre en Ukraine ainsi que par l'approfondissement de la crise économique mondiale et l'aggravation des effets du changement climatique. En considérant la réponse de la classe ouvrière internationale, nous accorderons une attention particulière aux importantes luttes ouvrières qui se déroulent actuellement en Grande-Bretagne.
Ces réunions se dérouleront dans les villes suivantes :
Lille : Café "Les Sarrazins", 54 rue des Sarrazins 59000, à 15H00.
Marseille : Association Mille Bâbords, 61 Rue Consolât 13001, à 15H00.
Paris : CICP, 21 ter rue Voltaire (métro "rue des boulets") 75011, à 15H00.
Toulouse : Restaurant On’ador, 5 Rue de Université du Mirail, métro "Mirail Université", 31000, à 15H00.
Au moment où se préparent les élections générales au Brésil, la bourgeoisie intensifie sa propagande, renforce la mystification démocratique à travers ses "alternatives", en mettant en scène le duel opposant d'un côté Lula, représentant le visage démocratique de la gauche, et de l'autre l'actuel président Bolsonaro, expression caricaturale du populisme et de l'extrême droite (une sorte de Trumpist sud-américain).
Les arguments présentés par les formations politiques ou les candidats dans la course pour convaincre les électeurs de leur accorder leur vote se résument généralement à ceci, au Brésil comme dans tout autre pays : les élections constituent un moment où les "citoyens" sont confrontés à un choix dont dépendrait l'évolution de la société et, par conséquent, leurs futures conditions de vie. Grâce à la démocratie, chaque citoyen aurait la possibilité de participer aux grands choix de société. Selon eux, le vote serait l'instrument de transformation politique et sociale qui définirait l'avenir du pays.
Mais la réalité n'est pas celle-là puisque la société est divisée en classes sociales aux intérêts parfaitement antagonistes ! L'une d'entre elles, la bourgeoisie, exerce sa domination sur l'ensemble de la société par la possession des richesses et, grâce à son État, sur toute l'institution démocratique, les médias, le système électoral, etc. Elle peut ainsi imposer en permanence son ordre, ses idées et sa propagande aux exploités en général, et à la classe ouvrière en particulier. Cette dernière, en revanche, est la seule classe qui, par ses luttes, est capable de contester l'hégémonie de la bourgeoisie et faire table rase de son système d'exploitation.
Le capitalisme, le système de production qui domine la planète et tous ses pays, est en train de sombrer dans un état de décomposition avancée. Après un siècle de déclin, il atteint sa phase finale, menaçant la survie de l'humanité par une spirale de guerres insensées, de dépression économique, de catastrophes écologiques et de pandémies dévastatrices.
Tous les États-nations de la planète s'engagent à maintenir ce système moribond. Tout gouvernement, qu'il soit démocratique ou dictatorial, ouvertement pro-capitaliste ou faussement "socialiste", existe pour défendre les véritables objectifs du capital : l'accroissement du profit aux dépens du seul avenir possible pour notre espèce, une communauté mondiale où la production n'a qu'un seul but - la satisfaction des besoins humains.
Mais, nous dit-on, cette fois au Brésil les enjeux sont différents. Réélire Bolsonaro -ou participer à sa réélection en ne votant pas- reviendrait à approuver toutes les politiques qu'il a menées pendant ses quatre années de mandat.
Il est vrai que Bolsonaro, comme ce fut le cas pour Trump, est un défenseur acharné du système capitaliste: intensification de l'exploitation, dans la mise en œuvre des "réformes" du travail et des retraites, dans la poursuite des mesures d'austérité qui ont élargi les coupes dans les domaines de l'éducation, de la santé, etc. Mais il n'est pas seulement un défenseur classique du capitalisme, il s'est révélé être un défenseur de tout ce qu'il y a de plus pourri dans le capitalisme, une caricature de populisme : son déni de la réalité du Covid-19 et du changement climatique, son encouragement à la brutalité policière au nom de la loi et de l'ordre, ses appels au racisme et à l'extrême droite, son comportement personnel répugnant de nature homophobe et misogyne, ... Mais le fait qu'il soit un escroc et un raciste n'a pas empêché d'importantes factions de la classe capitaliste de le soutenir parce que ses politiques de restriction des contrôles environnementaux et sanitaires servent à augmenter leurs profits.
Si, comme c'est plus probable, Lula est élu, ce ne sera pas pour améliorer la situation de la classe ouvrière, mais pour être plus efficace que ne l'a été Bolsonaro au service de la défense du capital national, laquelle se fait toujours au détriment des intérêts de la classe ouvrière.
Pour la gauche du capital, l'élection de Lula constitue une tâche primordiale, d'abord pour faire sortir Bolsonaro du "Planalto" (palais présidentiel), ensuite pour défendre la démocratie. À cet égard, le PT (Parti du Travail, l'appareil politique au service de Lula) a réussi à articuler un large front de gauche, ainsi qu'à faire des coalitions avec des partis de centre-droit.
La plus grande clarté sur ce que représentent Lula et Bolsonaro est d'autant plus nécessaire que les menaces de Bolsonaro de ne pas respecter le verdict des urnes -comme ce fut le cas avec Trump- pourraient conduire, si elles étaient mises à exécution, à des affrontements violents entre fractions de la bourgeoisie, voire à une tentative de coup d'État. Si cela devait se produire, il est de la plus haute importance pour l'avenir de la lutte des classes au Brésil qu'aucune fraction du prolétariat ne se laisse embarquer dans la défense de l'un ou l'autre des deux camps opposés. Les deux sont des ennemis du prolétariat mais Lula, soutenu par les partis de gauche de la bourgeoisie, est plus capable de tromper la classe ouvrière. C'est là une raison supplémentaire pour s'en méfier particulièrement.
Revolução Internacional (27 09 2022)
Dans la continuité de la discussion des documents publiés à la suite du 23e Congrès du CCI(1), nous publions de nouvelles contributions exprimant des divergences avec la Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès(2). Comme avec la précédente contribution du camarade Steinklopfer, le désaccord porte sur la compréhension de notre concept de la décomposition, sur les tensions inter-impérialistes et la menace de guerre, et sur le rapport de force entre le prolétariat et la bourgeoisie. Afin d’éviter tout retard supplémentaire lié à la pression des événements récents, nous publions de nouvelles contributions des camarades Ferdinand et Steinklopfer sans la réponse défendant la position majoritaire dans le CCI, mais nous répondrons évidemment à ce texte en temps voulu. Nous devons signaler que ces contributions ont été écrites avant la guerre en Ukraine.
Au cours du 24e Congrès international, j’ai présenté un certain nombre d’amendements à la résolution sur la situation internationale. Leur orientation générale est un approfondissement des divergences que j’ai présentées, sous la forme d’amendements, au Congrès précédent. Certains ont été acceptés par le Congrès, d’autres ont été rejetés parce que le Congrès a estimé nécessaire de prendre le temps de les discuter plus profondément avant de les voter. En reproduisant certains de ces derniers amendements, cet article va se concentrer principalement sur ceux qui ont été rejetés parce que le Congrès était en désaccord avec leur contenu. Ces divergences concernent avant tout deux des dimensions essentielles de notre analyse sur la situation mondiale : les tensions impérialistes et le rapport de force de classes global entre la bourgeoisie et le prolétariat. Mais il y a un fil rouge qui relie entre eux ces désaccords, qui tourne autour de la question de la décomposition. Bien que l’ensemble de l’organisation partage notre analyse de la décomposition comme phase ultime du capitalisme, lorsque nous voulons appliquer ce cadre à la situation actuelle, des différences d’interprétation apparaissent. Ce sur quoi nous sommes tous d’accord est que cette phase terminale, non seulement a été ouverte par l’incapacité de l’une ou l’autre des principales classes de la société d’offrir une perspective à l’humanité toute entière, unir de grandes parties de la société soit derrière la lutte pour la révolution mondiale (le prolétariat), soit derrière la mobilisation pour la guerre généralisée (la bourgeoisie), mais qu’elle y a ses plus profondes racines. Mais, pour l’organisation, il y aurait une seconde force motrice à cette phase terminale, qui serait la tendance au chacun-pour-soi : entre les États, au sein de la classe dominante de chaque État national, dans la société bourgeoise au sens large. Sur cette base, en ce qui concerne les tensions impérialistes, le CCI tend à sous-estimer la tendance à la bipolarisation entre grands États dominants, la tendance vers la formation d’alliances militaires entre États, tout comme il sous-estime le danger grandissant de confrontation militaire directe entre grandes puissances, qui contient une dynamique potentielle vers ce qui ressemble à une Troisième Guerre mondiale, laquelle pourrait potentiellement détruire l’humanité entière. Sur la même base, le CCI aujourd’hui, en ce qui concerne le rapport de force entre les classes, tend à sous-estimer le sérieux de l’actuelle perte de perspective révolutionnaire de parties du prolétariat, ce qui mène l’organisation à assurer que la classe ouvrière peut retrouver son identité de classe et sa perspective communiste essentiellement à travers les luttes ouvrières défensives.
Pour ma part, bien que je sois d’accord avec l’idée que le chacun-pour-soi bourgeois est une très importante caractéristique de la décomposition, qui a joué un très grand rôle dans l’ouverture de la phase de décomposition avec la désintégration de l’ordre impérialiste mondial de l’après-Seconde Guerre mondiale, je ne crois pas que c’en soit une des principales causes. Il est bien plus vrai que le chacun-pour-soi bourgeois est une tendance permanente et fondamentale du capitalisme depuis sa naissance (allant même dans certaines circonstances jusqu’à la fragmentation et la désintégration de l’État bourgeois lui-même), tout comme la contre-tendance au rapprochement de forces nationales bourgeoises - dont l’État de classe est le principal outil -est fondamentale et permanente, allant jusqu'à la tendance au totalitarisme capitaliste d'État à l'époque du capitalisme décadent. Pour moi, l’incapacité à la fois du prolétariat et de la bourgeoisie d’imposer une solution à la crise qui menace l’existence de notre espèce est le facteur essentiel de la phase de décomposition, depuis 1989 jusqu’à aujourd’hui, et pas la tendance vers le chacun-contre-tous.
Au contraire, je dirais que la brutalité grandissante des deux tendances vers la fragmentation et la désunion, et vers l’imposition d’un minimum d’unité nationale à travers le capitalisme d’État, y compris l’affrontement toujours plus dur entre ces deux tendances opposées, sont ce qui caractérise, à ce niveau, cette phase terminale. Pour moi, le CCI s’éloigne de sa position originelle sur la décomposition en assignant au chacun-contre-tous un rôle de cause fondamentale et décisive qu’il n’a jamais eu aussi unilatéralement. Comme je le comprends, l’organisation a migré vers la position que, avec la décomposition, le chacun-contre-tous a acquis une qualité nouvelle par rapport à la précédente phase du capitalisme décadent, représentée par une sorte de domination absolue de la tendance à la fragmentation. Pour moi, par contre, il n'y a pas de tendance majeure dans la phase de décomposition qui n'existait pas déjà auparavant, en particulier dans la période de la décadence capitaliste ouverte par la Première Guerre mondiale. C’est pourquoi j’ai proposé un amendement à la fin du point trois de la résolution sur la situation internationale (qui a été rejeté par le Congrès) qui disait : « en tant que telle, la présente phase de décomposition n’est pas une période qualitativement nouvelle au sein -ou au-delà - de la décadence du capitalisme, mais est caractérisée -en tant que phase terminale du capitalisme - par la pire aggravation de toutes les contradictions du capitalisme en déclin ». La qualité nouvelle de la phase de décomposition consiste, à ce niveau, dans le fait que toutes les contradictions déjà existantes d’un mode de production en déclin sont exacerbées au plus haut point. Il en va de même avec la tendance au chacun-contre-tous qui est, elle aussi, exacerbée par la décomposition. Mais la tendance à la guerre entre puissances dominantes, et ainsi vers la guerre mondiale, est également exacerbée, comme le sont toutes les tensions générées par les mouvements vers la formation de nouveaux blocs impérialistes et par les tendances visant à les contrecarrer. L’incapacité à comprendre ceci nous amène aujourd’hui à gravement sous-estimer le danger de guerre, en particulier les conflits qui vont sortir des tentatives des États-Unis d’utiliser leur actuelle supériorité militaire contre la Chine, afin de stopper le développement de cette dernière, tout comme nous sous-estimons sérieusement le danger de conflits militaires entre l’OTAN et la Russie (ce dernier conflit étant, au moins à court terme, potentiellement encore plus dangereux que le conflit sino-américain du fait qu’il comporte un risque encore plus grand de déboucher sur une guerre thermonucléaire). Considérant que le CCI cherche à se rassurer sur l’improbabilité d’une guerre nucléaire du fait de l’inexistence de blocs impérialistes, le très important danger à l’heure actuelle est celui de guerres majeures entre les grandes puissances, autour des tentatives de rapprochement de ces blocs d’une part et des tentatives de l’empêcher d’autre part. C’est par souci de cette inquiétante trajectoire de l’analyse de l’organisation que j’ai proposé l’ajout suivant à la fin du point 8 : « Tout au long du capitalisme décadent jusqu’à aujourd’hui, des deux principales expressions du chaos généré par le déclin de la société bourgeoise, - conflits impérialistes entre État et perte de contrôle au sein de chaque capital national - au sein des régions centrales du capitalisme lui-même, la précédente tendance a prévalu sur la dernière. En supposant, comme nous le faisons, que cela continuera à être le cas dans le contexte de la décomposition, cela signifie que seul le prolétariat peut constituer un obstacle aux guerres entre grandes puissances, mais pas les divisions au sein de la classe dominante de ces pays. Si dans certaines circonstances ces divisions peuvent retarder le déclenchement de la guerre impérialiste, elle peuvent aussi les catalyser. » Cet amendement a été également rejeté par le Congrès. La Commission d’Amendements du Congrès a écrit que cet amendement « revient en fin de compte à mettre en question le cadre de la décomposition ; il pourrait donc apparaître de nouvelles zones de prospérité ». Pourtant le but de cet amendement n’était pas de mettre en avant la perspective de nouvelles zones de prospérité, mais de mettre en garde contre l’illusion que les divisions au sein des différentes classes dominantes nationales constitueraient nécessairement un obstacle aux guerres entre États nationaux. Loin d’être exclus par notre théorie de la décomposition, les conflits entre puissances dominantes confirment de façon frappante la validité de cette analyse. La décomposition est une accélération, l’exacerbation de toutes les contradictions du capitalisme décadent. Ce que le CCI pensait au départ mais risque maintenant d’oublier, c’est que le chacun-contre-tous impérialiste n’est qu’un pôle de la contradiction, l’autre étant la bipolarisation impérialiste à travers l’émergence d’un concurrent dominant toutes les autres puissances dominantes (une tendance qui contient en soi le germe de la formation de blocs impérialistes opposés, sans lui être identique). A ce niveau, nous souffrons d’un manque d’assimilation (ou d’une perte d’assimilation) de notre propre position. En partant de l’idée que le chacun-pour-soi est fondamental et constitutif de la phase de décomposition, la véritable idée que le pôle opposé à la bipolarisation peut se renforcer lui-même et pourrait même éventuellement finir par prendre le dessus doit apparaître comme mettant notre analyse en question. Il est vrai qu’autour de 1989, avec l’effondrement du bloc de l’Est (rendant le bloc occidental superflu), lors de la phase d’ouverture de la décomposition, c’est peut-être la plus importante explosion de chacun-pour-soi de l’histoire moderne qui s’est ouverte. Mais ce chacun-pour-soi a plus été le résultat que la cause de cette chaîne historique d’événements. La cause première était cependant l’absence de perspective, le « no future » qui prévalait et caractérise cette phase terminale. En ce qui concerne la classe dominante, ce « no future » est lié à sa tendance grandissante, dans le capitalisme décadent, à agir de façon « irrationnelle », en d’autres termes d’une façon préjudiciable à ses propres intérêts de classe. Ainsi, tous les principaux protagonistes de la Première Guerre mondiale en sont sortis affaiblis, et dans le Second conflit mondial, les deux principales puissances impérialistes à l’offensive (l’Allemagne et le Japon) ont toutes les deux été défaites. Mais cette tendance était loin d’être totalement dominante comme l’a montré l’exemple des États-Unis qui ont bénéficié à la fois militairement et économiquement de leur participation aux deux conflits mondiaux, et qui, grâce à leur supériorité économique écrasante sur l’Union soviétique, ont été à même, en un sens, de gagner la Guerre froide sans avoir à se lancer dans une nouvelle guerre mondiale. En revanche, il est difficile de voir comment, sur le long terme, la rivalité actuelle entre les États-Unis et la Chine peut ne pas conduire à une guerre entre eux, ou comment l’un et l’autre pourraient tirer profit d’une telle issue. Contrairement à l’URSS, la Chine est un concurrent sérieux pour la domination des États-Unis, pas seulement militairement mais aussi (et pour le moment, surtout) économiquement, de sorte qu'il est peu probable que son défi puisse être efficacement relevé sans des affrontements militaires directs de quelque nature que ce soit. C’est précisément pourquoi l’actuelle rivalité sino-américaine est l’une des expressions les plus dramatiques du « no future » généralisé de la phase terminale du capitalisme. Le défi chinois aux États-Unis a manifestement le potentiel pour amener notre espèce au bord de l’abîme. Dans l’analyse actuelle de l’organisation, cependant, la Chine n’est pas et ne sera jamais un concurrent sérieux des États-Unis, parce que son développement économique et technologique est considéré comme « un produit de la décomposition ». Si l’on suit cette interprétation, la Chine ne peut être et ne sera jamais plus qu’un pays semi-développé incapable de rivaliser avec les vieux centres du capitalisme d’Amérique du Nord, d’Europe ou du Japon. Cette interprétation n’implique-t-elle pas que l'idée, sinon d'un arrêt du développement des forces productives - que nous avons toujours, à juste titre, exclu comme caractéristique du capitalisme décadent - du moins de quelque chose qui n'en est pas loin, est maintenant postulée par l'organisation dans la phase finale de la décadence ? Comme un lecteur attentif l’aura noté, le 24e Congrès a condamné non seulement l’idée d’un défi global de l’impérialisme chinois comme remettant en cause la question de l’analyse théorique de la décomposition -l’idée même que la Chine a renforcé sa compétitivité au détriment de ses rivaux est rejetée comme une expression de mes prétendues illusions sur la bonne santé du capitalisme chinois. De façon similaire, mon idée que la Chine, au moins jusqu’à maintenant, s’en est beaucoup mieux sortie dans sa gestion de la pandémie de Covid que son rival américain est considérée comme une démonstration de mon rejet du caractère global de la décomposition. En lien avec la pandémie, j’ai proposé l’amendement suivant au point cinq de la résolution (rejeté par le Congrès) : « Dans une analyse marxiste, il est important de prendre ces différences en compte, en particulier dans la mesure où elles révèlent des tendances majeures qui existaient déjà avant la pandémie et ont été renforcées par elle. Ces trois tendances ont une particulière signification. Premièrement, l’établissement d’un troisième centre majeur du capitalisme mondial en Extrême-Orient (aux côtés de l’Europe et de l’Amérique du Nord), qui dans certains domaines surpasse même les autres au niveau de la modernité et de l’efficience capitaliste. Deuxièmement, l’émergence de la Chine aux dépens des États-Unis. Troisièmement, le fiasco de la forme « néo-libérale » du capitalisme d’État face à la pandémie (dont le modèle d’« État sobre », sans stocks -production « juste à temps » et livraison - a été le plus radicalement appliqué dans les vieux pays capitalistes) ». J’ai l’impression que, pour l’organisation aujourd’hui, les lois immuables du capitalisme ne s’appliquent plus dans la phase de décomposition. N’y a-t-il plus de gagnants ni de perdants dans la lutte de la concurrence capitaliste ? De même, jusqu'à présent, nous n'avons jamais nié qu'il puisse y avoir différents degrés de développement de la décomposition selon les différents pays et situations. Pour moi, la question de savoir pourquoi ce ne serait plus le cas est un mystère. Qu’il s’agisse de la pandémie ou de la situation en général, notre application du cadre de la décomposition risque de favoriser une tendance à une superficialité théorique et à la paresse. Notre compréhension de la décomposition donne le cadre de l’analyse de la pandémie, tout comme elle le fait pour cette phase en général, tout comme le fait notre compréhension de la décadence ou du capitalisme dans son ensemble. Ce cadre, absolument essentiel, n’est pas encore notre analyse en tant que telle. Nous risquons cependant de confondre les deux, de penser que nous avons déjà fait l’analyse lorsque nous donnons le cadre. Et que signifie dire que « le développement de la Chine est le produit de la décomposition » ? Est-ce que la prolétarisation de 600 millions de paysans (une part significative de toute éventuelle future révolution prolétarienne mondiale) est le produit de la décomposition ? Ne serait-il pas plus correct de dire que cet aspect du développement en Chine a lieu MALGRÉ la décomposition ?
Quant à la question vitale du danger d’affrontements militaires entre des puissances de premier plan comme les États-Unis et la Chine, elle ne relève pas du pronostic, personne ne sait véritablement de quoi le futur sera fait. Ce que l’organisation sous-estime gravement, c’est ce qui se passe sous ses yeux ici et maintenant. Ainsi que les représentants les plus éminents de la bourgeoisie américaine l’ont eux-mêmes récemment rendu public, le gouvernement chinois s’attendait à une attaque militaire américaine d’un certain type avant la fin du premier mandat de Donald Trump. Ce qui pouvait aboutir à cette conclusion était non seulement la rhétorique belliciste de la Maison Blanche, mais aussi la grande hâte avec laquelle Washington a retiré ses troupes du Proche-Orient (de Syrie) et les a redéployées en Extrême-Orient. C’est de toute façon une hypothèse plausible de dire que l’un des moyens utilisés par la classe dominante chinoise pour répondre à cette menace a été, au début de la pandémie, de permettre à ce nouveau virus de contaminer le reste du monde, dans le but de saboter les plans de son rival américain. Compte tenu des critiques formulées par le Parti démocrate américain à l’encontre de la politique étrangère de Trump au cours de cette période, on peut supposer qu’après que Joe Biden ait remplacé Trump dans le Bureau ovale, Pékin a adopté une politique attentiste, mais en fin de compte le retrait encore plus précipité de Biden d’Afghanistan suivi par la formation de l’alliance militaire AUKUS auront convaincu les Chinois que Biden suit la même logique d’affrontement que Trump. Considérant que, selon le célèbre journaliste d'investigation américain Bob Woodward, Trump envisageait d'utiliser des armes atomiques contre la Chine, ce qui est en ce moment en discussion au sein de la « communauté de sécurité » américaine, c’est avant tout la déstabilisation politique du régime chinois actuel, en particulier à travers la construction d’une politique systématique de provocation au sujet de la question taïwanaise. L’hypothèse sous-jacente est que, si Xi Jinping ne réagit pas militairement face aux mouvement en faveur de l’indépendance de Taïwan, si la Chine réagit militairement mais sans succès, cela peut aboutir à une telle « perte de face » qu’elle pourrait contribuer à marquer le début de la fin du règne du stalinisme en Chine (le chaos qui s’ensuivrait dans le pays le plus peuplé du monde serait accepté comme un moindre mal par Washington comparé à l’actuelle menace constituée par la poursuite de l’émergence de son rival chinois). Au nom de ce qui est censé être une défense du concept de décomposition, l’organisation a en réalité commencé à saper la clarté et la cohérence de l’analyse de la décadence du CCI. Auparavant, nous comprenions la période de déclin du capitalisme non seulement comme une époque de guerres et de révolutions, mais de guerres et de révolutions mondiales. L’actuelle sous-estimation de la tendance propre, innée du capitalisme décadent vers la guerre mondiale est vraiment alarmante.
Si nous nous tournons maintenant vers la seconde divergence fondamentale qui concerne le rapport de force entre les classes, j’ai proposé, à côté d’autres amendements sur la lutte de classe, le passage suivant concernant le point 32, soulignant la gravité de la retraite prolétarienne à travers les trois défaites politiques principales qu’il a subies. Cet ajout, rejeté par le Congrès, est le suivant : « Depuis le retour d’une génération non défaite sur la scène de la lutte de classe en 1968, le prolétariat a subi trois défaites politiques consécutives d’importance, chacune accroissant les difficultés de la classe. La première défaite a été son incapacité initiale à se politiser. Le gauchisme et la politique de la « gauche au gouvernement » (qui a augmenté les aides sociales) ont été, dans les années 70, les fers de lance de ce retour en arrière, suivi dans les années 80 par la gauche dans l’opposition mobilisée sur le terrain contre la très réelle combativité ouvrière, et le revirement vers une politique économique et gouvernementale « néo-libérale ». L’un des buts de cette dernière était de ralentir l’inflation, mais pas uniquement, parce qu’en érodant le pouvoir d’achat de tous les ouvriers, celle-ci tendait à favoriser les luttes pour les salaires et la possibilité de leur unification. Ainsi affaiblie, la classe ouvrière au cours des années 80 s’est révélée incapable d’aller dans le sens imposé par la situation économique (crise internationale, « mondialisation ») et objectivement préparée par les gigantesques luttes de 1968 en France et de 1980 en Pologne : que les mouvements de masse débordent les frontières nationales. La seconde défaite, en 1989 (de loin la plus importante), qui a conduit à la phase de décomposition, a été marquée par le fait que le stalinisme a été mis à terre par sa propre décomposition, et pas par les luttes ouvrières. La troisième défaite, celle de ces cinq dernières années, résulte de l’incapacité de la classe de répondre de façon adéquate à la crise « de la finance » et « de l’Euro », laissant un vide qui a été comblé, parmi d’autres choses, par l’identitarisme et le populisme. Alors que le centre de gravité du recul mondial se trouvait en Europe de l’Est, pour le moment ce centre de gravité se trouve aux États-Unis (par exemple avec le phénomène du Trumpisme) et en Grande-Bretagne (Brexit). La défaite de 1989 et la plus récente portent les caractéristiques d’une défaite politique dans le contexte de la décomposition. Aussi sérieuses qu’elles soient, ce ne sont pas des défaites de même nature que celles subies pendant la contre-révolution. Ce sont des défaites dont le prolétariat peut se remettre (idée que nous avons développée au cours de notre dernier Congrès international). Bien qu’il ne soit pas possible aujourd’hui de mesurer combien de temps elles pourraient peser, nous ne pouvons plus exclure (plus de trois décennies après le début du recul général du combat prolétarien en 1989) que ce recul de l’après 1989 pourrait peser aussi longtemps que la contre-révolution qui a duré pratiquement quatre décennies (depuis le milieu des années 20 jusqu’au milieu des années 60). Cependant, d’un autre côté, le potentiel pour le dépasser plus rapidement est réel, du fait que sa cause profonde se trouve avant tout à un niveau subjectif, dans le dramatique sophisme qu’il n’y a aucune alternative au capitalisme. »
Il est déjà frappant dans la résolution du 23e Congrès que le problème de la faiblesse, bientôt de l’absence de perspective révolutionnaire prolétarienne, n’est pas considéré comme central pour expliquer les problèmes des luttes ouvrières au cours des années 80. Dans l’actuelle résolution, l’accent est mis une nouvelle fois sur l’impact négatif du « chacun pour soi », et sur le machiavélisme de la bourgeoisie qui met en avant cette mentalité. Mais parce que les résolutions des 23e et 24e Congrès continuent d’avancer que la lutte de classe, après la défaite de la grève de masse en Pologne, a continué d’avancer durant les années 80, elles sont incapables d’expliquer en profondeur pourquoi ce chacun-pour-soi et cette stratégie de la bourgeoisie ont obtenu un succès aussi indubitable. Cette incapacité, cet attachement à l’analyse de l’avancée de la lutte prolétarienne au cours des années 80 (une analyse qui était déjà erronée, mais d’une certaine manière compréhensible à l’époque vu le nombre significatif de luttes ouvrières, mais qui l’est bien moins aujourd’hui), est d’autant plus frappante, vu que cette décennie est entrée dans l’histoire comme celle du « no future ». Comme nous l’avons déjà constaté en ce qui concerne l’impérialisme, nous avons eu tendance à analyser les luttes des années 80 d’abord et avant tout du point de vue du chacun-pour-soi, ce qui nous a conduit à être incapables de reconnaître le caractère central de la perte de confiance croissante du prolétariat dans sa perspective révolutionnaire au-delà du capitalisme. Les luttes ouvrières de la fin des années 60 et du début des années 70 ont mis fin à ce que nous avons très justement appelé la plus longue contre-révolution de l’histoire, pas seulement du fait de leur caractère massif, spontané et auto-organisé, mais aussi parce qu’ils commençaient à se dégager de la camisole de la Guerre froide, dans laquelle le seul choix apparent était soit le « communisme » (c’est-à-dire le bloc de l’Est, ou l’alternative chinoise) soit la « démocratie » (c’est-à-dire le bloc occidental). Dans ce renouveau du combat prolétarien, il apparaissait l’idée, vague et confuse, mais très importante, de la lutte à la fois contre l’Est et l’Ouest, un rejet des deux, avec une mise en cause du cadre politique construit par le capitalisme pour une Troisième Guerre mondiale. C’était central pour ce que à l’époque nous décrivions (de façon tout à fait correcte) comme un changement du cours historique, d’un cours vers la guerre généralisée en un cours vers des affrontements de classe de plus en plus importants. Cette politisation initiale, bien que centrée à l’Ouest, a quand même rejoint l’Est, devenant ainsi un obstacle à la conduite vers la guerre du Pacte de Varsovie : l’idée de défier et éventuellement de renverser non seulement le capitalisme occidental (où se trouve le cœur du système mondial), mais également le stalinisme à l’Est, au moyen de l’auto-organisation et éventuellement des conseils ouvriers qui marcheraient vers l’établissement du véritable communisme. Cette première politisation a été combattue avec succès par la classe dominante au cours des années 70, et le résultat a été qu’après la défaite de la grève de masse de 1980 en Pologne, de plus en plus d’ouvriers ont commencé à se tourner vers le modèle économique de type occidental, alors que dans les pays centraux d’Occident, les luttes des années 80 ont été de plus en plus caractérisées par une attitude fataliste de « rejeter la politique », ou de se positionner démonstrativement soi-même sur un strict terrain économique. Face à cette dépolitisation, l’espoir qu’avait le CCI dans les années 80 -celui que ces luttes économiques, en particulier la confrontation avec les syndicats, pourrait devenir le creuset d’une repolitisation, peut-être même à un niveau supérieur - ne s’est pas réalisé. La réalité de cette faillite de la repolitisation a été reconnue (à partir de la fin des années 80) par notre analyse de la décomposition, laquelle définit la nouvelle phase comme étant sans perspective. Si l’on en croit la résolution, le combat prolétarien, malgré tous les problèmes qu’il affronte, s’est au départ développé correctement avant d’être stoppé dans son élan par un événement historique mondial qui apparaît lui être extérieur : l’effondrement du bloc de l’Est. Vu comme ça, le CCI aujourd’hui affirme que les effets les plus accablants de cet événement sont voués à disparaître avec le temps, permettant à la classe en quelque sorte de poursuivre son parcours antérieur, une saine politisation liée à ses luttes défensives. L’organisation affirme qu’en comparaison avec les années 80, le processus de politisation sera poussé en avant par l’approfondissement de la crise économique, qui dans un premier temps contraint les ouvriers à lutter et leur fait perdre leurs illusions, leur ouvrant les yeux sur la réalité du capitalisme.
Au contraire, à mon avis, la principale faiblesse, déjà présente dans les années 80, n’était pas le niveau des luttes économiques, mais les niveaux politique et théorique. Ce que l’organisation semble avoir oublié, c’est qu’un accroissement du militantisme ouvrier n’est pas nécessairement accompagné d’un développement en étendue et en profondeur de la conscience au sein du prolétariat. Le fait que c’est même le contraire qui pourrait être le cas est clairement illustré par l’évolution de la situation sociale avant la Seconde Guerre mondiale. Dans de nombreux pays d’Europe occidentale (comme la France, la Belgique, les Pays-Bas et surtout en Espagne), mais aussi par exemple en Pologne et (encore plus important) aux États-Unis, la combativité ouvrière était bien plus développée au cours des années 30 qu’au cours de la décennie précédente : les dix ans qui ont suivi la première vague de la révolution mondiale étaient centrés sur la Russie et l’Europe centrale. L’une des principales explications de ce développement paradoxal est simple. Elle se trouve dans la brutalité de la crise économique, de la Grande Dépression, laquelle après 1929 a contraint les ouvriers à se défendre. Et malgré cette activité militante, le cours historique tendait vers une Seconde Guerre mondiale, et pas vers une intensification de la lutte de classe. Face à la contre-révolution en URSS et à l’échec de la révolution en Allemagne et ailleurs en Europe centrale, la combativité des ouvriers a reculé à un niveau mondial. Loin de bloquer le cours à la guerre mondiale, il a même été possible pour la classe dominante d’utiliser cette activité militante à ses propres fins, en particulier à travers l’« anti-fascisme » (« arrêter Hitler ») et pour défendre la soi-disant patrie du socialisme en URSS. Même les grèves extrêmement importantes et massives en Italie au cours de la Seconde Guerre mondiale n’ont pas été capables de se sortir de ce piège politico-idéologique. En Irlande du Nord, par exemple, il y a eu de très grandes grèves au cours de la Seconde Guerre mondiale, souvent centrées précisément sur l’industrie d’armements, les ouvriers reconnaissant là le renforcement de ce que les syndicats appelaient leur « pouvoir de négociation » précisément grâce à la guerre, mais malheureusement sans affaiblir de quelque façon que ce soit l’ambiance patriotique belliqueuse qui a également submergé ces travailleurs. En ce sens, même si c’est un facteur indispensable, le militantisme ouvrier seul est insuffisant que ce soit pour développer la politisation ou pour juger si le combat prolétarien avance ou pas. Tout ceci est illustré non seulement par l’expérience des années 30 et 80, mais aussi par l’actuelle situation. Bien entendu, nous avons vu ces dernières années se dérouler d’importantes luttes ouvrières de résistance. Bien entendu, nous en verrons d’autres dans la période à venir. Bien entendu, il y a même de bonnes chances que cette activité militante s’accroisse, vu la dégradation des conditions de vie et de travail du prolétariat qui, dans beaucoup de secteurs, prend une tournure dramatique (les effets de la crise économique), vu également les meilleures conditions de « négociation » dans d’autres secteurs en raison d’un dramatique manque de travailleurs suffisamment qualifiés (les effets de l’anarchie capitaliste). Et, oui, il y a de nombreux exemples, qui plus est qualitativement très convaincants dans l’histoire démontrant que les ouvriers peuvent répondre aux attaques, non seulement par une grande combativité, mais par un développement correspondant de conscience de classe (de 1848 à 1989, et la vague révolutionnaire qui a débuté au cours de la Première Guerre mondiale fut dans une importante mesure une réaction à la misère économique et sociale). Mais qu’en est-il des perspectives à plus court terme de la politisation prolétarienne dans la situation concrète actuelle ? Que les années 60 et le début des années 70 aient vu à la fois une effervescence de combativité et de conscience de classe ne prouve pas que la même chose se produit aujourd’hui, l’exemple des années 30 ou celui des années 80 prouvant le contraire. Aujourd’hui, le CCI se rassure lui-même en disant que le prolétariat mondial n’est pas prêt à marcher vers une Troisième Guerre mondiale - ce qui est vrai. Mais à ce niveau, la situation ne fait que ressembler à celle de l’après-1968, lorsqu’une nouvelle génération de prolétaires est devenue l’obstacle majeur à une telle guerre. À ce moment, deux blocs impérialistes rivaux s’étaient préparés, étaient prêts et capables de déchaîner une Troisième Guerre mondiale. Il n’y a aujourd’hui aucune préparation de ce type de la part de la classe dominante. Non seulement parce que le prolétariat ne veut pas aller vers une telle guerre, mais parce que la bourgeoisie elle-même n’a pas l’intention de faire marcher qui que ce soit vers une nouvelle guerre mondiale. Le but de la bourgeoisie chinoise, par exemple, est comment surpasser les États-Unis en évitant une guerre mondiale, du fait que ces derniers disposent d’une énorme supériorité militaire et qu’ils la conserveront probablement pour quelque temps encore. Le but de la bourgeoisie américaine, par exemple, dans sa tentative d’arrêter l’émergence de la Chine, est de l’empêcher de former un bloc militaire (en particulier avec la Russie), lequel augmenterait la probabilité qu'elle ose finalement déclencher une Troisième Guerre mondiale. Ainsi nous voyons que, à la différence de la situation au cours de la Guerre froide, aujourd’hui personne ne planifie de guerre mondiale. Au contraire, les différents capitaux nationaux, pour la plus grande partie, développent différentes stratégies dont les buts sont tous d’accroître leur propre influence et position, tout en évitant une Troisième Guerre mondiale. Mais l’une des questions que les révolutionnaires doivent se poser est de savoir si tout cela rend une Troisième Guerre mondiale moins probable qu’elle ne l’était durant la Guerre froide. La réponse du CCI est aujourd’hui affirmative : nous sommes mêmes allés jusqu’à parler de l’improbabilité d’une telle catastrophe. Je ne partage pas du tout cette idée. Je considère même qu’elle est très dangereuse - avant tout pour l’organisation elle-même. Comme je le vois, le danger d’une Troisième Guerre mondiale est aujourd’hui aussi grand, si ce n’est plus grand, que pendant les deux dernières décennies de la Guerre froide. Ainsi, le principal danger est précisément que les différentes manœuvres stratégiques et tactiques militaires censées éviter une conflagration mondiale vont y conduire. Sous cet éclairage, la question pour le prolétariat d’être prêt à marcher vers la Guerre mondiale ne peut plus être posée comme lors de la Guerre froide (c’est pourquoi le 23e Congrès du CCI avait raison de conclure que le concept que nous appelons cours historique n’est plus valable dans la situation actuelle). On peut être d’accord, par exemple, pour dire que le prolétariat des États-Unis n’est pas aujourd’hui prêt à envahir la Chine. Mais ne serait-il pas possible pour la bourgeoisie des États-Unis dans la situation présente, de gagner le soutien de la population à des « actions militaires dures » contre la Chine, apparemment et ostensiblement sous le seuil de la guerre mondiale. Il est je pense bien plus difficile de répondre à cette question, et la situation est plus difficile aussi pour un prolétariat politique plus vulnérable. Mais c’est la question que nous pose la situation historique, et pas celle, abstraite, d’être hypothétiquement prêt à aller vers la guerre mondiale. Cette dernière peut avoir lieu même si aucun des principaux acteurs n’en a l’intention : la tendance vers la guerre est enracinée bien plus profondément dans l’essence du capitalisme que le niveau des impulsions conscientes ou inconscientes de la classe dominante, cette dernière n’étant qu’un des facteurs les plus importants, et très loin d’être le seul. Il est de la plus haute importance politique de dépasser toute approche schématique, unilatérale de faire de l’existence de blocs impérialistes une précondition des affrontements militaires entre grandes puissances dans la situation actuelle. Pas seulement parce que le noyau d’une alliance militaire de plus long terme contre la Chine a déjà été créé par les États-Unis et l’Australie, dont la partie intérieure est actuellement leur accord « AUKUS » avec la Grande-Bretagne, et la partie extérieure leur coopération appelée « QUAD » avec le Japon et l’Inde. Mais avant tout parce que cela mène à d’autres facteurs d’importance similaire ou plus grande, dont un est que les principaux rivaux impérialistes sont gonflés à la fois de ressentiment et de soif de revanche. Dans le cas de la Chine, c’est l’orgueil blessé d’une grande puissance qui se sent humiliée par ses anciens maîtres coloniaux, qu’elle considère comme l’Occident barbare ou le Japon. On voit à quel point ces facteurs sont importants grâce à la situation après la Première Guerre mondiale, par exemple, lorsque de nombreux marxistes, après la défaite subie par l’impérialisme allemand, pensaient que la prochaine guerre mondiale aurait lieu entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, du fait qu’ils étaient les deux plus importantes des grandes puissances restantes. A l’opposé, au cours de la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg avait déjà justement prédit que la constellation pour une Seconde Guerre mondiale se trouverait plutôt dans une sorte de continuation de la première, vu le degré de haine et l’envie de vengeance suscités par la première. Dans cette optique, il est hautement significatif que, ces dernières années, un ressentiment sorti des entrailles de la société bourgeoise soit en train d’engloutir les États-Unis, présentant une certaine ressemblance avec la haine instillée en Allemagne en conséquence de sa défaite au cours de la Première Guerre mondiale, et ce qui était ressenti comme « l’humiliation de Versailles » qui l’a suivie. L’exemple le plus frappant de ce phénomène aux États-Unis aujourd’hui est que, alors que l’Amérique, surtout depuis 1989, supporte le fardeau militaire et financier de la surveillance du globe, le reste du monde a saisi l’opportunité de poignarder son bienfaiteur dans le dos, en particulier au niveau économique, afin de supprimer des millions de « jobs américains ». Sur cette base a émergé une très vigoureuse « opinion publique » du rejet de « perdre des vies et des dollars américains » sous n’importe quel prétexte (que ce soit « aide humanitaire », « croisade démocratique » ou « construction d’une nation »). Derrière ce qui semble être une forte réaction anti-guerre, il y a malheureusement d’abord et avant tout bien sûr un virulent nationalisme américain, qui permet d’expliquer, non les retraits militaires d’abord de Syrie (sous Trump) puis d’Afghanistan (sous Biden) en soi, mais le caractère chaotique, de fuite en avant de ces évacuations : qui est capable de ramener au plus vite « nos gars et nos filles » de tels pays est devenu un important facteur de la furieuse lutte de pouvoir qui se développe au sein de la bourgeoisie américaine. Ce nationalisme représente un danger politique important pour le prolétariat des États-Unis du fait qu’il est capable de générer une importante force de gravité autour de belligérants aussi longtemps qu’il sera vu comme étant lui-même dirigé contre le « véritable » ennemi (non les Talibans, mais la Chine : celle qui est présentée comme la responsable de la destruction de l’industrie américaine). Rien de tout ceci ne signifie que le déchaînement des formes les plus destructrices de l’état de guerre capitaliste soit inévitable. Mais la tendance dans cette direction est inévitable, tant que le capitalisme poursuit son règne.
En ce qui concerne le rapport de force entre les classes, l’organisation a avancé que ma position est proche de celle du « modernisme ». Par modernisme, on entend, dans ce contexte, le souhait de remplacer la lutte des ouvriers par celle d’autres catégories (comme on l’a déjà postulé dans le passé, par exemple celle entre riches et pauvres, ou entre les donneurs d’ordre et les preneurs d’ordre) comme élément central dans la société bourgeoise moderne. Le terme « moderniste » a été utilisé par différents courants politiques de l’après-guerre pour se différencier de ce qu’ils considéraient être une conception révolue de la lutte ouvrière. D’un autre côté, il faut aussi noter que le rejet ou la sous-estimation des luttes ouvrières défensives est bien plus ancienne que le courant moderniste. Au XIXe siècle, les soutiens de Lassalle en Allemagne, par exemple, se prononçaient contre les grèves sur la base de la théorie lassallienne de la « loi d’airain des salaires », d’après laquelle aucune amélioration, même temporaire, de la condition ouvrière n’était possible par le biais des luttes salariales. Dans les années 1920, la Tendance d’Essen du groupe communiste de gauche KAPD, également en Allemagne, a commencé à rejeter la nécessité de la lutte ouvrière quotidienne avec l’argument que seule la révolution elle-même permet de défendre les intérêts de classe. On peut trouver beaucoup d’arguments différents, et même de tendances politiques qui remettent en question l’importance de la lutte ouvrière quotidienne, pas seulement le modernisme. Ce qu’elles ont toutes en commun, c’est la sous-estimation erronée et fatale du rôle de la lutte ouvrière quotidienne. Pour ma part, je ne partage ni les conceptions modernistes, ni celle de Lassalle ou de la Tendance d’Essen. Au contraire, je suis d’accord avec le reste du CCI sur l’importance de la dimension défensive de la lutte ouvrière. La divergence dans le CCI n’est pas de savoir si ces luttes sont importantes. Elle est de savoir quel rôle elles peuvent et doivent jouer dans une situation historique donnée. Nécessairement, une telle discussion doit se confronter, non seulement avec le potentiel de ces luttes, mais aussi avec leurs possibles limitations. La situation historique actuelle est caractérisée par le fait que le prolétariat mondial a perdu confiance dans sa boussole révolutionnaire et dans son identité de classe. Trouver une issue à ce dilemme est clairement la tâche centrale du prolétariat révolutionnaire aujourd’hui. Face à cette situation, le CCI se pose la question : quelles forces matérielles peuvent de façon réaliste montrer le chemin ? La réponse de l’organisation donnée aujourd’hui par l’organisation est que, avant tout, la lutte de classe quotidienne garde tout son potentiel. Cette réponse contient une part importante de vérité. Même si le monde entier en venait à partager l’idée que la lutte de classe prolétarienne est une chose du passé, non seulement elle est encore très vivante, mais elle est même indestructible tant que le capitalisme existe. Le CCI, néanmoins, a absolument raison de garder sa confiance dans la dynamique des antagonismes de classe, en contradiction avec le mode de production bourgeois, dans la souffrance du prolétariat causée par la crise capitaliste, dans la résilience de la réponse prolétarienne, tout ceci venant démontrer que nous vivons toujours dans une société de classes, dont les contradictions ne peuvent être résolues que par le dépassement du capitalisme par le prolétariat. Pour ma part, je ne critique pas du tout cette position. Ce que je critique est son caractère unilatéral, la sous-estimation de la dimension théorique de la lutte ouvrière. Sans la lutte de classe quotidienne, il n’y aura ni perspective communiste, ni identité de classe prolétarienne. Ceci étant dit, ni la perspective communiste, ni l’identité de classe ne sont le produit DIRECT de la lutte ouvrière immédiate. Ils en sont le produit indirect, en particulier si l’on prend en compte leur dimension théorique. La lutte de classe prolétarienne n’est pas une révolte plus ou moins aveugle, pas plus qu’elle ne réagit de façon simplement mécanique à la dégradation de sa situation, comme les chiens du professeur Pavlov. L’abstraction des relations capitalistes contraint le prolétariat à suivre le chemin indirect de la théorie afin d’être capable de comprendre et de dépasser la domination de classe. Non seulement la perspective du communisme, mais aussi l’identité de classe prolétarienne ont une dimension théorique essentielle que même les plus importants mouvements économiques et politiques, jusqu’à et y compris la grève de masse, peuvent accroître, mais ne pourront jamais remplacer. Forger à la fois une perspective révolutionnaire et une identité de classe adéquate est impossible sans l’arme du marxisme. C’était moins le cas au tout début du mouvement ouvrier parce que le capitalisme et la classe bourgeoise n’étaient pas encore complètement développés, la révolution prolétarienne n’était pas encore « à l’agenda de l’histoire ». Dans de telles conditions immatures, des versions du socialisme plus ou moins utopiques et/ou sectaires aidaient quand même la classe ouvrière à développer sa conscience révolutionnaire et une identité de classe propre. Dans les conditions du capitalisme d’État totalitaire décadent, ce n’est plus possible : les différentes versions non-marxistes de « l’anti-capitalisme » sont incapables de mettre le capitalisme en question, piégées qu’elles sont par leur propre logique. Mon insistance sur le caractère indispensable de cette dimension théorique a été mal comprise par l’organisation, comme une manifestation de dédain envers la lutte ouvrière quotidienne. La critique portée à mon encontre que je défendrais une conception « substitutionniste » de la lutte de classe est peut-être encore plus significative. Par « substitution », il est signifié que je défendrais soi-disant l’idée que le travail théorique de quelques centaines de Communistes de gauche (dans un monde occupé par plus de sept milliards d’habitants) peut, en lui-même, être une contribution essentielle pour retourner la tendance en faveur du prolétariat. Je pense en effet que le travail théorique est essentiel pour retourner la tendance. Mais ce travail doit être accompli, pas uniquement par quelques centaines de militants communistes seuls, mais par des millions de prolétaires. Le travail théorique est la tâche, non des révolutionnaires seuls, mais de la classe ouvrière comme un tout. Étant donné que le processus de développement du prolétariat est inégal, il est de la responsabilité particulière des couches les plus politisées du prolétariat de l’assumer ; des minorités, donc, oui, mais cela comprend potentiellement des millions d’ouvriers qui, loin de se substituer eux-mêmes à l’ensemble, pousseront pour impulser et stimuler plus avant les autres. Pour leur part, les révolutionnaires ont la tâche spécifique d’orienter et d’enrichir cette réflexion qui doit être accomplie par des millions. Cette responsabilité des révolutionnaires est au pire au moins aussi importante que celle d’intervenir dans des mouvements de grève, par exemple. Cependant, l’organisation a peut-être oublié que les masses prolétariennes sont capables de participer à ce travail de réflexion théorique. Cet oubli, il me semble, exprime une perte de confiance dans la capacité du prolétariat de trouver une voie de sortie de l’impasse où le capitalisme a piégé l’humanité. Cette perte de confiance s’exprime elle-même dans le rejet de toute idée que le prolétariat a subi des défaites politiques importantes au cours des décennies qui ont suivi 1968. Faute de cette confiance, nous finissons par minimiser l’importance de ces très graves revers politiques, en nous consolant avec les luttes défensives quotidiennes, vues comme le principal creuset de la voie à suivre, ce qui est à mes yeux une concession significative à une approche « économiciste » de la lutte de classe déjà critiquée par Lénine et Rosa Luxemburg au début du XXe siècle. La compréhension que le « prolétariat n’est pas vaincu », qui donnait une vision correcte et très importante dans les années 70 et 80, est devenue un article de foi, un dogme creux, qui empêche toute analyse sérieuse, scientifique du rapport de force. Dans un amendement au point 35, concernant le retour à la conscience en relation avec la question de la guerre, j’ai proposé l’ajout suivant (rejeté par le Congrès) : « Récemment, cependant, la situation a commencé à changer. Depuis que la rivalité États-Unis/Chine est devenue le principal antagonisme de l’impérialisme mondial, la possibilité s’ouvre que, à un moment dans le futur, le prolétariat commence à comprendre le caractère inexorable de l’impérialisme dans le capitalisme. Si la crise économique et la guerre ensemble peuvent, dans des circonstances favorables, contribuer à une politisation révolutionnaire, il est raisonnable de supposer que la combinaison des deux facteurs peut être plus efficace même que chacun d’entre eux seul. » La Commission d’Amendement du Congrès a écrit, pour s’expliquer, que « L’idée doit être rejetée, elle ne prend pas en compte que la bourgeoisie ne peut pas déclencher la guerre. »
Steinklopfer
Le 1er mai dernier, le journal Le Monde a publié sur son site internet, dans la rubrique « Direct », la photographie reproduite ci-dessus, qui a été prise lors de la manifestation de Nantes, où des manifestants aident à dresser une banderole représentant différents personnages : un manifestant antiraciste de Black Lives Matter, un combattant kurde armé d’une kalachnikov, et des membres de black blocs anarchistes. Ces personnages sont censés personnifier la « Révolution internationale » !
La publication d’un slogan similaire au nom de la section du CCI en France, Révolution Internationale, n’a rien d’anodin. Cet amalgame permet à la presse bourgeoise d’assimiler la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière, et donc ses organisations révolutionnaires, à des éléments gauchistes et petits bourgeois, notamment les « casseurs » et les black blocs, dont les méthodes de violence aveugle et nihiliste n’ont absolument rien à voir avec la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière. Nous le disons très clairement : ce n’est pas notre bannière !
Ce type d’amalgame ou d’assimilation, par lequel les organisations de la classe ouvrière sont frauduleusement assimilées à des groupes qui pratiquent le banditisme, la lutte armée ou le terrorisme, vise purement et simplement à criminaliser les organisations de la classe ouvrière comme le CCI, afin de mieux préparer et justifier la répression que l’État bourgeois leur infligera au moment qu’il choisira.
CCI
Nous publions ci-après un échange de courriers principalement entre les groupes de la Gauche communiste, depuis la première proposition d’écrire, de finaliser et de publier une Déclaration commune.
La correspondance au sein du mouvement marxiste a toujours été un aspect important de son développement et de son intervention dans la classe ouvrière. La Gauche communiste a poursuivi cette tradition. La correspondance ci-dessous est particulièrement significative parce qu’elle montre le processus de contact et de discussion entre les groupes constituant la Gauche communiste au sujet des principes et procédures permettant la mise en place d’une action commune comme la Déclaration commune sur la guerre en Ukraine.
Le fait que beaucoup de cette correspondance concerne le CCI et la Tendance Communiste Internationaliste (TCI) au sujet du refus de cette dernière de participer et de signer la Déclaration commune devrait aider les lecteurs à comprendre les arguments contradictoires concernant la motivation de cette Déclaration, les critères d’inclusion de groupes dans la Déclaration, la question de savoir comment aborder les différentes analyses de la situation impérialiste dans la Déclaration, et d’autres questions. Bien que la TCI ait mis fin à cet aspect de la correspondance, les questions vitales contenues dedans restent à clarifier et à débattre. (1)
Nous avons également inclus à la fin la correspondance avec deux groupes n’appartenant pas à la tradition de la Gauche communiste : le KRAS, un groupe anarcho-syndicaliste russe, et Perspective Communiste Internationaliste, un groupe coréen. Nous leurs avons demandé de soutenir la Déclaration commune du fait de leur rejet internationaliste de la guerre en Ukraine.
Par ailleurs, la correspondance est présentée dans l’ordre chronologique.
Le CCI à :
– La TCI,
– Parti Communiste International (Programma Comunista)
– Parti Communiste International (Il Comunista)
– Istituto Onorato Damen
– Internationalist Voice
– Fil Rouge
Camarades,
La guerre impérialiste frappe à nouveau l’Europe à une échelle massive. Une fois de plus la guerre en Ukraine nous rappelle dramatiquement la véritable nature du capitalisme, un système dont les contradictions mènent inévitablement à des confrontations militaires et des massacres de populations, particulièrement des exploités. Depuis le début du XXe siècle, les organisations politiques du prolétariat ont, au-delà de leurs divergences, uni leurs forces pour dénoncer la guerre impérialiste et appeler le prolétariat de tous les pays à s’engager dans la bataille pour dépasser le système qui la génère, le capitalisme. Les Congrès de Stuttgart en 1907, de Bâle en 1912, les conférences de Zimmerwald en 1915 et Kienthal en 1916 ont ouvert la voie menant à la révolution communiste d’octobre 1917 en Russie et à la fin du carnage impérialiste.
Au cours des années 30 et du second carnage impérialiste mondial, c’est tout à l’honneur de la Gauche communiste d’avoir fermement brandi la bannière de l’internationalisme prolétarien face à ceux qui appelaient les prolétaires à se battre entre eux au nom de l’« anti-fascisme », la « défense de la démocratie » ou la « défense de la patrie du socialisme ». Aujourd’hui, il est de la responsabilité de ces groupes qui proclament appartenir à cette Gauche communiste de défendre fermement l’internationalisme prolétarien, et en particulier :
– de dénoncer les mensonges de tous les secteurs nationalistes de la classe dominante afin d’enrôler les prolétaires dans la guerre impérialiste, ou de les associer dans leurs politiques impérialistes en les appelant à prendre parti pour un camp impérialiste ou l’autre ;
– d’appeler les prolétaires du monde entier à refuser tous les sacrifices que la classe dominante et ses États veulent lui imposer, de mener la lutte de classe contre ce système qui les exploite férocement et voudrait en faire de la chair à canon ;
– de rappeler l’importance et l’actualité des vieux slogans du mouvement ouvrier : « les prolétaires n’ont pas de patrie ! » « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
Nous sommes convaincus que votre organisation, comme nous, ne faillira pas à assumer sa responsabilité internationaliste face à l’actuelle guerre. Cependant, le CCI pense que l’affirmation de l’internationalisme aurait un impact plus important si les positions prises par chacun s’adossaient à une prise de position commune à nos organisations, basée sur les positions fondamentales que nous partageons tous. Nous vous appelons donc à accepter notre proposition et, si vous y êtes favorables, à contacter notre organisation aussi rapidement que possible afin de préparer cette prise de position commune.
Recevez, camarades, nos saluts communistes et internationalistes.
Chers amis,
Il n’est pas aujourd’hui temps de discuter, mais de mettre en pratique les directives inchangées et immuables de la préparation révolutionnaire : le travail pour préparer le défaitisme révolutionnaire, pour détacher la classe prolétarienne de l’hégémonie bourgeoise et petite-bourgeoise et, en perspective, de transformer la guerre impérialiste en guerre civile.
Sincèrement vôtres,
Programme Communiste
Camarades,
Nous avons discuté votre proposition. Personne ne peut être en désaccord avec la volonté des organisations de la Gauche communiste de répondre au nouveau et toujours plus dangereux cours qu’a maintenant pris le monde impérialiste, et nous y avons déjà nous-mêmes répondu de diverses manières.
Nous ne sommes pas non plus en désaccord avec votre vision des positions prolétariennes de base.
« - de dénoncer les mensonges de tous les secteurs nationalistes de la classe dominante afin d’enrôler les prolétaires dans la guerre impérialiste, ou de les associer dans leurs politiques impérialistes en les appelant à prendre parti pour un camp impérialiste ou l’autre ;
– d’appeler les prolétaires du monde entier à refuser tous les sacrifices que la classe dominante et ses États veulent lui imposer, de mener la lutte de classe contre ce système qui les exploite férocement et voudrait en faire de la chair à canon ;
– de rappeler l’importance et l’actualité des vieux slogans du mouvement ouvrier : « les prolétaires n’ont pas de patrie ! » « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
Cependant, nous devons chercher à aller plus loin que ces points importants de propagande. Par le passé, nous avons toujours constaté que nos perspectives entièrement différentes rendaient impossible toute déclaration commune, et ce phénomène s’est accentué au fil du temps. Par conséquent, bien que nous ne soyons pas par principe opposés à une forme quelconque de prise de position commune, nous nous trouverons face au même vieux problème. La question est : où en êtes-vous aujourd’hui sur ces perspectives ? Est-ce qu’elles nous permettront de produire un document significatif pouvant constituer un guide pour l’action ? Notre seconde question est : à qui d’autre avez-vous proposé cette initiative conjointe ? Nous savons que tous les partis bordiguistes non seulement la refuseront, mais prendront plaisir à nous répéter qu’ils sont LE parti. Et cela peut vouloir dire qu’il est ainsi nécessaire de voir au-delà de la « Gauche communiste » (qui malgré notre récent accroissement reste malheureusement petite), mais vers ceux qui partagent notre perspective de classe, sinon notre politique précise. Le slogan de « No War But the Class War », non seulement pose cette question pour d’autres groupes politique, mais les tire en avant vers la perspective de la Gauche communiste. Plus important, c’est un appel au combat pour la classe ouvrière dans son ensemble, liant comme elle le fait la lutte contre les attaques quotidiennes du capitalisme avec l’épouvantable futur que le capitalisme nous prépare. Un futur qui semble maintenant plus proche que jamais.
Nous avons fait circuler l’annonce de réunion parmi tous les camarades.
Saluts internationalistes
Le Bureau International de la TCI
Chers camarades !
Nous saluons votre initiative de faire une déclaration commune sur la guerre et sommes d’accord avec vous qu’une déclaration commune aurait un impact plus important. Cependant, un point essentiel pour nous est de savoir qui a reçu cette lettre, et nous pouvons vous croire que seuls des révolutionnaires l’ont reçu.
Une déclaration a déjà été publiée ; voir en annexe, et la version anglaise sera bientôt disponible.
Saluts internationalistes,
Internationalist Voice
Camarades,
Nous saluons votre proposition.
Nous pensons, comme vous, que les communistes internationalistes du monde entier ont la responsabilité de clarifier les causes de la guerre impérialiste et de prendre position sur la guerre.
Notre organisation croit que la perspective politique communiste, basée sur l’internationalisme prolétarien, le défaitisme révolutionnaire et le rejet de tous les camps impérialistes, représente de plus en plus la seule réponse possible de la classe ouvrière au carnage impérialiste et à la barbarie capitaliste. C’est la seule possibilité de futur pour l’humanité, dans une société qui sera finalement humaine : la société communiste.
Nous saluons l’idée que les révolutionnaires, au-delà des divergences entre organisations, doivent être unis pour dénoncer la guerre impérialiste et soutenir le prolétariat mondial dans la perspective d’une révolution communiste internationale.
Notre organisation est ainsi d’accord pour préparer une déclaration commune, soutenue par différents groupes communistes révolutionnaires internationalistes, en plus des prises de positions et analyse que chaque organisation publiera indépendamment.
Cela devrait représenter une voix internationaliste plus forte ; nous pensons également que cela pourrait représenter un pas en avant sur la route de la confrontation franche et fraternelle entre communistes, dans la perspective de construire le futur Parti communiste mondial, sur la base de la clarté programmatique.
En ce qui concerne comment préparer cette déclaration commune, nous suggérons que le CCI prépare une proposition sur la façon de travailler ensemble.
Avec nos saluts communistes fraternels,
IOD
Le CCI à :
Tendance Communiste Internationaliste
PCI (Programma Comunista)
PCI (Il Comunista)
PCI (Il Partito Comunista)
Institut Onorato Damen
Internationalist Voice
PCI (Le Prolétaire)
Chers camarades,
Nous écrivons suite à notre lettre du 25 février 2022 proposant une prise de position publique commune sur les principes internationalistes fondamentaux contre la guerre en Ukraine partagés par la tradition de la Gauche communiste dans son ensemble. Nous avons reçu un soutien positif à notre proposition de la part de l’Institut Onorato Damen et d’Internationalist Voice. La Tendance Communiste Internationaliste a également répondu positivement aux principes généraux que nous avions proposé pour la déclaration, mais a quelques questions concernant l’analyse de la situation, les groupes invités et la possibilité de mener d’autres initiatives communes. Le PCI (Programma) a fait une courte réponse rejetant notre proposition, en disant que « c’est le temps d’agir, pas de parler ». Les autres groupes invités n’ont pour l’instant pas répondu.
La principale tâche de la Gauche communiste aujourd’hui est de parler d’une voix unitaire des principes internationalistes fondamentaux de notre tradition en ce qui concerne la nature impérialiste de la guerre, la dénonciation des illusions pacifistes et la perspective alternative de la lutte de la classe ouvrière menant au dépassement du capitalisme. Nous devons défendre la seule tradition politique qui a maintenu ces principes à l’épreuve du feu dans le passé.
À notre avis, la fonction de cette prise de position n’est par conséquent pas d’aller en profondeur dans l’analyse de la situation, sur laquelle il y a sans doute des divergences d’appréciations entre les organisations se réclamant de la Gauche communiste ; nous ne pensons pas non plus que la déclaration soit le lieu pour aborder la question d’autres initiatives communes. Une prise de position commune par les groupes de la Gauche communiste ne serait en aucun cas un obstacle pour discuter des divergences et approches alternatives dans d’autres contextes.
Les camarades d’IOD ont suggéré que le CCI rédige la déclaration commune. Afin d’accélérer le processus, nous avons accepté cette suggestion et le projet d’appel est mis en lien avec cette lettre. Nous avons essayé de présenter les principes internationalistes d’une façon que tous les signataires peuvent accepter. Cependant, toute proposition des camarades de formulation alternative à celles du texte est bienvenue afin de réaliser l’objectif commun de la déclaration. Mais nous espérons que les camarades, considérant que le temps est compté, se limiteront d’eux-mêmes aux modifications qu’ils considèreront essentielles pour remplir l’objectif commun, pour qu’une version définitive soit rapidement produite.
Nous sommes confiants que la déclaration commune de la Gauche communiste permettra aujourd’hui de faire connaître plus largement ces principes et cette tradition au sein de la classe ouvrière.
Nous attendons une réponse rapide de votre part.
Saluts communistes,
Le CCI
Sur la proposition de déclaration commune sur la guerre en Ukraine
Camarades,
Merci de l’envoi du projet d’appel et de nous avoir informés qui en serait signataire. De façon regrettable, nous devons vous dire que nous ne pouvons être d’accord.
Le projet proposé contient plusieurs lacunes (ainsi que des erreurs factuelles que nous laisserons de côté pour l’instant) et n’est pas adéquat en tant que guide politique pour montrer à la classe ouvrière comment lutter contre la guerre. En premier lieu il ne s’intéresse pas à la signification réelle de cette guerre en ce moment particulier. Il lui manque également une analyse cohérente de ce qui se passe actuellement. En tant que tel, il ne propose aucune perspective. C’est une pure déclaration de papier et nous avons besoin d’offrir plus que cela. Comme Lénine l’a dit il y a longtemps, « sans théorie révolutionnaire, pas de pratique révolutionnaire ».
Un exemple de cette faiblesse est le fait que ce projet de déclaration fait référence au fait que « la classe ouvrière mondiale ne peut que développer sa lutte contre la dégradation des salaires et des conditions de vie », mais ne dit pas comment, alors que depuis des décennies c’est le contraire, la lutte de classe doit maintenant revivre. Ce qui lie l’actuelle guerre et les attaques continues sur les conditions de vie des ouvriers, c’est la crise économique capitaliste qui après 50 ans reste insoluble. Cette guerre est une nouvelle et claire indication que les options strictement économiques s’épuisent pour le capitalisme, et le monde est bien plutôt engagé sur la route inter-impérialiste de l’ultime « solution ». Il n’est pas question dans le projet d’un nouveau et dangereux départ dans l’histoire du capitalisme (confirmé, par exemple, par l’absence de toute référence à la Chine et au fait que la guerre en Ukraine a permis de définir un alignement impérialiste plus clair à un niveau général).
Cette intemporalité abstraite face à une réalité qui émerge est renforcée par de longs passages sur l’histoire de la Gauche communiste. Aussi inattaquables que soient les détails, nous ne vivons pas dans le même monde que nos prédécesseurs, et ce document transpire le sentiment d’avoir été écrit pour « le milieu » comme vous l’appelez. La Gauche communiste peut avoir une histoire fondée sur des principes d’opposition à la guerre dont nous pouvons être fiers, mais comme la déclaration l’admet à la fin, nous n’avons que peu d’influence sur la classe aujourd’hui. Dans notre situation actuelle d’obscurité politique, pensez-vous qu’annoncer que : « aujourd’hui, face à l’accélération du conflit impérialiste en Europe, les organisations de la Gauche communiste ont le devoir de lever la bannière de l’internationalisme prolétarien conséquent, et de fournir un point de référence pour tous ceux qui cherchent les principes de la classe ouvrière » soit à même d’étendre notre influence ? Nous ne vivons plus à l’époque de la Seconde ou de la Troisième Internationale lorsqu’il y avait une masse qui suivait, ce qui s’est terminé par des ouvriers trahis et a mené à la guerre impérialiste. Notre tâche n’est pas de réagir aux trahisons historiques des Internationales supposément ouvrières, mais de continuer à poser les bases d’une nouvelle Internationale. Nous avons la tâche bien plus difficile de reconstruire de zéro.
Ce qui nous amène à votre liste de potentiels signataires. Elle est vraiment courte, et même plus courte encore qu’elle le paraît, du fait que nous savons tous que chaque parti « bordiguiste » se considère lui-même comme le seul parti international possible. Vous ne développez pas pourquoi cette sélection est aussi étroite parmi les groupes de la Gauche communiste, mais sur votre site Internet nous pouvons le trouver.
« Controverses, GIGC, Perspective Internationaliste, Matériaux Critiques et quelques autres appartiennent au milieu parasite et n’ont rien à voir avec l’internationalisme prolétarien, même s’ils écrivent dessus et même s’ils mettent exactement la même position en avant. Leur activité est caractérisée par le sabotage des activités communistes et se trouve sur le chemin de toute possibilité d’action unitaire de l’authentique Gauche communiste. Les groupes qui appartiennent à la Gauche communiste sont Il Partito Comunista, Il Programma Comunista, l’Institut Onorato Damen, Programme Communiste, la Tendance Communiste Internationaliste et Internationalist Voice. » Donc ce que vous nous demandez est de signer votre propre définition de qui est ou n’est pas dans la Gauche communiste, et en plus, votre idée ancienne que toute organisation formée par ceux qui ont quitté le CCI doivent être coupable de « parasitisme ». Nous avons depuis longtemps critiqué cette étiquette destructrice. Nous avons également critiqué ces groupes à l’occasion, mais toujours dans des termes politiques dans un but de clarification, pas avec une étiquette visant à détruire leur droit à l’existence.
Dans tous les cas, votre proposition est trop étroite. Même si nous étions d’accord sur qui fait partie de la Gauche communiste, nous n’avons pas le monopole de la vérité sur le sujet. L’influence des idées internationalistes (souvent comme résultat de tous nos efforts passés pour promouvoir l’internationalisme) a pénétré des organisations politiques venant de différentes traditions. Dans cette situation, nous devrions tenter de les tirer vers un mouvement plus vaste contre la guerre.
D’une certaine façon le débat est une répétition de celui que le CCI a mené en Grande-Bretagne avec la CWO sur la promotion de No War But the Class War en tant que corps organisé de résistance de classe à la guerre. En effet, à l’époque nous étions tout aussi critiques de votre approche étroite que nous le sommes maintenant. La CWO écrivait alors que nous reconnaissions : « l’absolue faiblesse des forces communistes dans le monde et notamment en Grande-Bretagne. À l’inverse du CCI, nous ne nous gonflons pas nous-mêmes par des auto-descriptions d’un mouvement international qui a survécu plus longtemps qu’aucune des trois Internationales dans l’histoire du mouvement ouvrier. Nous reconnaissons notre tâche centrale de sauvegarder et de développer la théorie et la pratique communistes mais c’est une tâche impossible si nous restons isolés et introvertis.
Les communistes ne peuvent se défendre et enrichir leur programme et leur organisation qu’en interagissant avec la réalité sociale. Nous devons reconnaître l’actualité du développement des forces, et développer la théorie et la pratique en fonction de ce développement. Cela s’applique à la fois aux développements sous-jacents dans l’économie mondiale et ces éléments qui sont pris dans toutes sortes de mouvements sociaux et sont réceptifs au programme communiste ». (voir https://www.leftcom.org/en/articles/2002-12-01/communism-against-the-war… [169]
Aujourd’hui, la TCI voit la promotion de cette forme d’organisation à un niveau international comme le meilleur moyen de contribuer à un véritable mouvement de classe contre les guerres que ce système produit inévitablement. Et comme nous l’avons dit auparavant, il n’est pas suffisant de faire des déclarations de papier (même si elles sont un début nécessaire), nous devons trouver des moyens de toucher l’ensemble de la classe ouvrière, et certainement de nous engager avec ses éléments les plus concernés. Il ne reste pas beaucoup de temps et, vu les quatre décennies de recul de la classe, il y a d’énormes défis à affronter. Une nouvelle génération vient vers la Gauche communiste au fur et à mesure que la crise monte et nous devons lui donner quelque chose qu’elle peut utiliser pour construire un véritable mouvement. Cela signifie que nous avons besoin de quelque chose de plus clair et concret que la proposition que vous mettez aujourd’hui en avant.
Saluts internationalistes
Le Bureau International de la Tendance Communiste Internationaliste
Chers camarades,
Le CCI est d’accord avec les principes internationalistes fondamentaux contenus dans l’appel de No War but the Class War sur la guerre en Ukraine. Puisqu’il est demandé à ceux qui sont globalement d’accord de répondre à l’appel, nous voudrions souligner notre soutien avec les principes de la Gauche communiste qu’il contient :
– la guerre en Ukraine est de nature entièrement impérialiste et aucunement une guerre de défense nationale. La classe ouvrière ne doit pas soutenir quelque camp que ce soit dans ce carnage dont elle est la principale victime ;
– la présente période de guerres impérialistes du capitalisme, matérialisée par la guerre en Ukraine, nous rapproche de l’extinction de l’humanité ;
– seul le dépassement du capitalisme peut mettre fin aux guerres impérialistes. Les illusions pacifistes en un capitalisme paisible masquent que la perspective révolutionnaire de la classe ouvrière est la seule solution face à l’impérialisme ;
– la route vers la révolution prolétarienne ne peut être basée que sur la lutte de la classe ouvrière pour défendre ses conditions de vie (et contre les syndicats comme vous le soulignez), et l’engagement dans le processus qui mène à la formation du parti politique international de la classe ouvrière. Ce processus exclut nécessairement les traditions contre-révolutionnaires sociale-démocrate, stalinienne et trotskyste.
Après avoir affirmé notre accord fondamental sur ces questions, il y a un problème lié à l’appel de la TCI qu’il est important de clarifier : vu l’accord étroit sur la question des principes internationalistes exprimé dans l’appel de la TCI, il était parfaitement possible pour elle de signer la Déclaration commune des groupes de la Gauche communiste (publiée sur les sites des signataires), qui était basée sur ces véritables principes et laisser de côté les désaccords secondaires entre les groupes. La Déclaration commune, du point de vue des principes internationalistes, pourrait être signée par la TCI, même si votre organisation trouve qu’elle est en elle-même insuffisante pour la lutte contre la guerre impérialiste (nous reviendrons en détail sur les raisons que vous mentionnez dans votre lettre de refuser de signer cette Déclaration).
Peut-être pensez-vous qu’il n’est pas approprié de se référer dans un tel appel à l’expérience et à la tradition du mouvement ouvrier depuis la Conférence de Zimmerwald, et en particulier à la tradition de la Gauche communiste. Si tel est le cas, pourriez-vous nous dire pourquoi ? Si, au contraire, vous considérez valide cette préoccupation d’y inscrire la position des internationalistes sur la guerre en Ukraine en continuité avec celle de nos prédécesseurs, nous ne voyons pas, sur la base des positions internationalistes claires que nous partageons, pourquoi vous ne pourriez pas soutenir la Déclaration commune des groupes de la Gauche communiste.
Peut-être la proposition originelle d’une Déclaration conjointe que nous vous avons envoyée était-elle insuffisamment claire sur le point qu’elle ne cherche pas à être une initiative exclusive contre la guerre impérialiste. Comme les comités NWCW que vous proposez dans votre appel par exemple, les signataires peuvent avoir d’autres activités avec lesquelles les autres signataires ne sont pas d’accord, ou dont les modalités et objectifs ne leur sont pas clairs.
Les signataires pouvaient également être en désaccord sur leur analyse de la situation mondiale, mais ils étaient néanmoins d’accord sur le fait que le capitalisme n’a d’autre alternative que de sombrer dans la barbarie.
Mais un important besoin dans la situation est de faire une Déclaration commune et donc d’affirmer plus fortement l’internationalisme de la Gauche communiste. Bien entendu, ces principes communs pourraient être reformulés ou renforcés par rapport au projet proposé (comme ils ont été discutés avec IOD), et les critères pour les groupes signant la Déclaration pourraient être discutés.
Nous vous demandons donc de reconsidérer votre refus de signer la Déclaration Commune.
En ce moment, l’appel rendu public de la TCI apparaît comme une mise en concurrence avec la Déclaration commune, et ceux qui s’approchent des positions internationalistes de classe de la Gauche communiste seront confrontés à deux « unités » d’appels face à la guerre, séparées et rivales.
Pouvons-nous être d’accord au moins sur un point : que cette situation ambiguë est une faiblesse de tout le camp internationaliste ?
Nous allons examiner vos suggestions pour essayer de résoudre ce problème.
Saluts communistes,
Le CCI
Camarades,
Si vous êtes réellement sérieux dans votre tentative de nous persuader de signer votre déclaration, vous n’êtes pas sur la bonne voie.
En premier lieu, vous n’abordez pas le point principal de notre décision de refuser de signer le document qui est que nous n’acceptons pas votre définition étroite de qui peut le faire et qui ne le peut pas au sein du « milieu ». Nous n’avons jamais été d’accord avec votre idée de « parasitisme » et nous ne souhaitons pas même implicitement l’approuver.
Nous notons également que vous acceptez les principes de l’appel de NWCW, mais le but de NWCW n’est pas simplement de s’adresser à la Gauche communiste, mais de rassembler de façon pratique tous ceux et toutes les organisations réellement internationalistes et contre la guerre impérialiste. Nous approchons d’un point critique dans l’histoire mondiale où le système capitaliste a pris un tournant décisif vers des conflits nouveaux et plus larges. Prendre position en se basant sur les positions internationalistes est un point de départ nécessaire, mais le but est d’aller plus loin que la simple affirmation des principes. Nous avons besoin de créer un mouvement au sein de la classe ouvrière la plus large qui prépare la voie pour une réponse politique aux horreurs que le système impose déjà à certains ouvriers et qu’il imposera finalement à tous. Nous notons que la version de la déclaration que vous nous avez demandé de signer n’est pas la version actuellement sur votre site Internet. Nous avons mis en ligne cette version avec les signatures des autres organisations le 6 avril. Aujourd’hui la version sur votre site a été modifiée. Sans la phrase que nous avions critiquée dans notre précédente réponse qui stipulait que : « seules les organisations de la Gauche communiste ont le droit de lever la bannière de l’internationalisme prolétarien conséquent. »
La phrase qui stipulait que : « le combat continu, conscient de la classe ouvrière contre l’austérité qui s’accroît du fait de la guerre impérialiste est donc aujourd’hui le seule obstacle sérieux à l’accélération du militarisme » a également été supprimée.
Il n’y a eu aucune confirmation de cela, et nous ne savons pas si les groupes qui ont signé la déclaration le 6 avril ont été consultés sur ces modifications. Il est difficile d’avoir un dialogue sérieux si les conditions du débat ne cessent de changer.
Dans tous les cas, notre position sur la signature de la « déclaration commune » reste la même.
Saluts internationalistes,
La TCI
Chers camarades,
Merci pour votre réponse du 24 avril. Nous regrettons que vous refusiez toujours de signer la Déclaration commune de la Gauche communiste sur la guerre en Ukraine.
Vous remarquez que la version finale de la Déclaration commune de la Gauche communiste n’est pas tout-à-fait la même que le projet que nous vous avons envoyé le 13 mars à vous et à d’autres groupes pour approbation. Dans cette dernière correspondance, nous avons demandé aux groupes de la Gauche communiste des commentaires et des formulations alternatives au projet, il est donc tout à fait normal et logique que ces discussions aient amené des modifications du projet avec les co-signataires, afin d’être d’accord sur une version finale de la Déclaration. Évidemment, les co-signataires ont été consultés et la version finale modifiée est le résultat d’une discussion commune. Vous auriez pu participer à ce processus d’amendements communs mais vous vous êtes prononcés contre l’idée d’une déclaration conjointe dans la lettre que vous nous avez envoyée le 21 mars (au passage, nous notons que le premier appel de No War but the Class War daté du 6 avril sur le site web de la TCI comportait douze points d’accord, tandis que le second du 23 avril n’en a plus que cinq. Qu’est-il arrivé aux sept autres ?).
Évidemment, nous n’avons pas cherché à publier le projet initial de Déclaration commune de la Gauche communiste ; tout l’enjeu pour une Déclaration commune, c’est que les co-signataires soient d’accord sur une version finale avant sa publication, en tant qu’expression de leur action commune. Il n’existe donc pas de « changement » comme vous le prétendez dans les termes du débat. Les termes sont restés les mêmes depuis la première lettre proposant une Déclaration commune jusqu’à sa réalisation finale. En tous les cas, vous admettez que vous n’auriez de toute façon pas signé la Déclaration commune, aussi ces modifications entre le projet et la version finale ne sont pas la raison de votre refus de la signer.
Mais quelles sont donc les raisons de votre refus de signer la Déclaration Commune ? Votre lettre reste assez obscure sur ce point fondamental.
Votre lettre évoque la motivation de la TCI derrière l’appel de No War but the Class War. Quels que soient les mérites qu’ait cet appel – nous sommes d’accord avec les principes internationalistes sur lesquels il se base – ou ses faiblesses, il était et reste parfaitement possible pour la TCI de signer aussi la Déclaration Commune, qui contient les mêmes principes internationalistes. Le groupe coréen Perspective Communiste Internationaliste a montré en pratique le recours à cette option. Mais votre lettre ne répond pas à cette possibilité que posait votre lettre précédente. Pas plus qu’elle ne répond au problème posé par l’existence de deux appels internationalistes qui peuvent apparaître comme une compétition entre eux. Le besoin fondamental du camp révolutionnaire n’est pas pour les groupes de la Gauche communiste de juste produire des prises de position internationalistes séparément, mais d’unir leurs forces dans l’esprit de Zimmerwald et de l’unité prolétarienne en action. Pourquoi rejetez-vous résolument ces principes fondamentaux ?
La conception du milieu de la Gauche communiste derrière la Déclaration Commune est trop étroite pour vous. Était-ce réellement pour laisser de côté de faux groupes de la Gauche communiste et des bloggeurs qui préfèrent attaquer ce milieu plutôt que d’attaquer la bourgeoisie impérialiste, que vous avez refusé de signer la Déclaration Commune ? Bien que n’étant pas d’accord avec la qualification de « parasite » de cette fausse Gauche communiste, vous avez néanmoins reconnu son rôle négatif dans une récente correspondance avec le CCI. Donc, le rejet du terme « parasite » n’est pas une raison suffisante pour éluder l’importante responsabilité d’aider à unifier la véritable Gauche communiste contre la guerre impérialiste.
Finalement, vous dites que nous prenons la « mauvaise voie » pour vous persuader de signer la Déclaration Commune. Dites-nous s’il vous plaît quelle serait la « bonne voie » pour vous en persuader.
Saluts communistes,
Le CCI
Camarades,
Nous avons clairement expliqué dans notre précédente correspondance que, malgré le fait que nous soutenons toute déclaration internationaliste contre la guerre, votre Appel est défini par l’étroitesse de son but. Non seulement vous excluez tous les groupes que vous considérez « parasites », mais le document initial disait que « seules les organisations de la Gauche communiste ont le droit de lever haut la bannière de l’internationalisme prolétarien conséquent », et c’est la version que vous avez publiée le 6 avril. Maintenant vous prétendez que votre Appel vient de la « Gauche communiste », ce qui vous place au même niveau que les bordiguistes.
Nous ne pensons pas que vous partagez notre préoccupation concernant la gravité de la présente situation. Nous notons qu’il y a un article sur votre site qui avance qu’il n’y aura pas de guerre impérialiste généralisée tant « que les blocs n’auront pas été formés » (voir https://en.internationalism.org/content/17151/ruling-class-demands-sacrifices-altar-war [170]). Le monde a pris un tournant décisif vers la guerre impérialiste, ce que la Gauche communiste savait être l’issue de cette longue crise du cycle d’accumulation du capital. Même si elle fait la paix avec l’Ukraine (ce qui semble de moins en moins probable), il ne s’agira que d’une trêve. Les contradictions croissantes du système dictent maintenant le cours que le capitalisme impérialiste nous fait prendre. Ça a pris plus longtemps que nous le pensions tous, mais ce n’est pas la seule question d’importance. Comme nous l’avons dit dans notre Appel à l’action, la classe ouvrière subit un recul depuis des décennies, et, comme nous l’avions prévu, aucun mouvement de masse pour l’instant ne pourrait mener à une convergence théorique de vues pouvant produire une nouvelle internationale viable. Notre idée autour de NWCW est d’essayer de donner aux internationalistes de toutes tendances la capacité de résister d’une façon pratique à la fois à la guerre impérialiste et à toutes les fausses réponses de la gauche capitaliste (y compris le pacifisme), tout autant que d’étendre le plus largement au sein de la classe ouvrière la critique internationaliste du capitalisme comme initiateur des guerres impérialistes. En bref, tandis que votre appel regarde vers l’intérieur, nous cherchons à regarder à l’extérieur.
Nous ne souhaitons pas être associés de quelque façon que ce soit à votre vision de longue date que certains autres groupes seraient des « parasites », et il est malhonnête de votre part de même sous-entendre que nous partagerions votre vision sur ce point. Nous avons émis des critiques envers d’autres groupes du camp prolétarien, mais sur des questions précises (comme l’idée que la classe ouvrière empêcherait la guerre, par exemple), mais nous ne leur dénions pas le droit à l’existence politique ou ne croyons pas, comme vous le dites dans votre lettre, qu’il seraient « faux ». De la même façon, nous ne jugeons pas les autres groupes comme vous le faites. L’ICP coréen peut prendre ses propres décisions sur ce qu’il veut faire et nous avons accepté l’explication qu’il nous a donnée pour signer votre Appel. L’élément important est qu’il a ainsi pu voir la véritable valeur de tenter de développer une opposition à la guerre et au capitalisme de la façon la plus large possible. A cet égard, nous ne nous attendons pas à ce que tout le monde soit d’accord avec l’ensemble des douze points de notre « Appel à l’action », étant donné qu’il s’agit notamment de la raison pour laquelle la TCI a demandé la création du comité NWCW. Cependant, comme en 2002 avec les groupes NWCW de la CWO contre la guerre en Irak, nous avons toujours eu un ensemble opérant de critères internationalistes qui devaient permettre à d’autres de nous rejoindre. Bien sûr, si nous insistions pour que tous soient exactement d’accord avec la façon dont la TCI voit le monde, nous répéterions votre erreur.
C’est notre dernier mot sur le sujet. Tant que vous ne voudrez considérer qu’un petit nombre de personnes dignes d’être reconnues, il n’y aura pour nous rien à ajouter. Par contraste, nous avons mis en place un Appel à l’action qui donne à tout internationaliste la possibilité de répondre. En ce sens, nous pouvons en fait faire un petit pas en avant au mouvement internationaliste de classe réel contre le Capital avant qu’il ne soit trop tard pour l’humanité.
Saluts internationalistes,
La TCI
Camarades,
Malheureusement, votre toute dernière lettre (du 30 avril) ne permet à nouveau pas d’expliquer correctement pourquoi la TCI refuse toujours de signer la Déclaration Commune des groupes de la Gauche communiste sur la guerre en Ukraine, même si votre organisation, en tant que partie de la Gauche communiste, appuie les principes prolétariens internationalistes de la Déclaration.
Nous comprenons que la TCI veuille un « Appel à l’action » contre la guerre impérialiste, mais nous ne comprenons pas pourquoi, en ce qui concerne une position commune du camp de la Gauche communiste, la TCI reste inactive.
Votre organisation veut un « large » appel opposé à « l’étroitesse » de la Déclaration Commune. Mais en refusant de signer la Déclaration Commune, vous avez réduit l’impact d’une prise de position commune de la Gauche communiste.
Pire, parce que la TCI refuse de signer la Déclaration Commune, l’appel de No War But the Class War de la TCI paraît mettre en œuvre une compétition au sein de la Gauche communiste. Nous vous avons demandé votre réponse à ce problème dans nos précédentes lettres, mais pour l’instant aucune réponse sur ce point ne nous est parvenue.
L’« Appel à l’action » de la TCI, si on en juge par votre dernière lettre, semble gagner en flexibilité : ceux qui sont d’accord avec lui n’ont pas besoin de l’être avec tous les douze points, ce qui offre à la TCI un « ensemble fonctionnel de critères internationalistes ». Mais envers les groupes de la Gauche communiste, la TCI est implacablement rigide dans son refus d’une prise de position commune.
Vous prétendez à nouveau avoir été trompés sur le contenu de la Déclaration Commune. La réalité, c’est que vous avez refusé le processus de révision du projet de prise de position qui vous était proposé quand il vous a été envoyé pour des formulations alternatives. Le véritable problème pour vous n’était pas telle ou telle formulation, mais la volonté d’avoir une Déclaration commune, le véritable principe d’un effort commun, que vous avez décliné.
A nouveau, les différences de la TCI sur l’analyse de la situation mondiale nous sont présentées comme la justification de votre refus. Mais les différences d’interprétation des événements récents ne sont pas un obstacle pour faire une prise de position commune que la Gauche communiste partage concernant la banqueroute du capitalisme mondial et le caractère inévitable de l’extension et de l’intensification de la guerre impérialiste. La Déclaration commune qui défend les axes communs fondamentaux de l’analyse de l’impérialisme mondial par la Gauche communiste n’exclut pas un débat ultérieur sur les différences d’interprétation de ces axes. Au contraire, la Déclaration commune est la base d’un tel débat, une précondition vitale.
Si l’on vous suit, la définition de la Gauche communiste dans le projet de la Déclaration commune était trop restrictive et par conséquent impossible à signer parce qu’elle exclut les blogueurs parasites et les prétendus groupes politiques qui se réclament mensongèrement de cette tradition. Mais la TCI met en question l’inclusion dans la proposition originelle de la Déclaration commune des Partis bordiguistes, qui sont un élément important de la véritable tradition de la Gauche communiste, avec lesquels vous partagez une origine commune. L’exclusion des groupes bordiguistes de l’invitation de l’appel aurait créé une base encore plus étroite, et évidemment encore plus inadéquate pour la participation. Bien sûr, le critère de qui doit être inclus dans la Déclaration Commune de la Gauche communiste est une discussion importante. Cependant, cette question de critère ne saurait être en elle-même utilisée comme justification pour abandonner la tentative de forger une prise de position commune de la Gauche communiste. Être d’accord sur ce critère est une partie d’un processus de discussion qui mène à une position commune. Ce qui est essentiel est la volonté d’y parvenir, laquelle a été totalement absente dans l’attitude de la TCI vis-à-vis de la Déclaration commune.
Dans une situation analogue, le CCI, en répondant positivement à l’appel de Battaglia Comunista en 1976 à rejoindre des conférences de discussions conjointes entre groupes de la Gauche communiste, a montré sa volonté de faire l’effort mais a regretté que l’initiative de Battaglia ne contienne aucun critère pour décider quels groupes pourraient participer à ces conférences. Ce regret n’a pas empêché le CCI de poursuivre le travail conjoint et de participer à la première Conférence. Comme nous l’avions écrit à l’époque à Battaglia :
« À cet égard, nous ne pouvons que regretter que vous ne considériez pas utile de communiquer les noms des groupes invités à cette réunion, ni la base sur laquelle les critères de choix de ces groupes ont été faits. Cependant, ce manque d’information ne nous empêche pas de participer à cette réunion avec notre meilleure volonté révolutionnaire. Par ailleurs, nous aurions aimé, comme nous l’avons déjà dit, qu’un bulletin contenant les lettres de réponses et les autres textes des différents groupes invités soit préparé et distribué aux participants avant la réunion. » (1er mars 1977)
Par bonheur pour la seconde Conférence de la Gauche communiste, une liste de critères proposés par le CCI a été acceptée, et les partis bordiguistes furent invités. Les leçons de cet épisode pour l’effort vers un travail conjoint de cette nature sont que toutes ses conditions ne sont pas nécessairement remplies d’avance, et que les désaccords qui émergent ne doivent pas constituer une excuse pour se retirer du projet. Ce qui est vital, et l’une des principales leçons de la faillite finale des Conférences Internationales au cours des années 70, c’est que la conviction dans le principe d’un effort commun et la volonté de maintenir un forum de discussion des divergences dans la Gauche communiste a manqué. Effectivement, la troisième Conférence a échoué à produire une prise de position internationaliste commune, proposée par le CCI, contre l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS à ce moment-là.
Dans votre lettre du 24 avril 2022, vous avez écrit que le CCI vous demandait de reconsidérer votre refus de signer la Déclaration commune qui était « la mauvaise voie ». Nous vous avions donc demandé dans notre réponse quelle devrait être la « bonne voie ». Votre dernier courrier ne répond pas à cette question. Au cours de la dernière réunion publique du CCI à Londres, le samedi 7 avril, la TCI s’est retrouvée face à la même question : que devrait faire le CCI pour vous convaincre de signer la Déclaration commune de la Gauche communiste contre la guerre impérialiste ? Le camarade de la TCI présent à cette réunion a admis qu’il n’avait pas non plus de réponse à cette question.
Est-ce parce que vous ne répondez pas à cette question que vous déclarez aussi péremptoirement que votre dernière lettre était votre « dernier mot » sur le sujet ?
Pour notre part, le CCI reste ouvert à la discussion avec vous sur nos divergences sur le refus de la TCI de signer la Déclaration commune des groupes de la Gauche communiste contre la guerre en Ukraine.
Saluts communistes,
Le CCI
Chers camarades,
Nous avons lu sur votre site l’annonce d’une conférence publique que vous organisez à Gênes le vendredi 22 avril au sujet de la guerre en Ukraine. Nous avons également lu les cinq thèmes que vous suggérez pour la discussion, avec lesquels nous sommes entièrement d’accord dans leur approche basique. Ainsi que vous le dites justement, la guerre est constante dans le capitalisme, et d’autant plus dans cette phase de déclin historique. Nous considérons également que le choix de votre organisation de tenir une Conférence Publique sur ce sujet est un choix important et responsable pour se confronter à la campagne bourgeoise qui tend à nous demander de soutenir l’un des deux camps dans la guerre, dans ce cas particulier l’Ukraine, comme un pays agressé et donc qu’il faut aider en envoyant… des armes. La propagande bourgeoise, à travers un pacifisme culpabilisant, tente de nous entraîner dans l’horreur de la guerre actuelle. Tout cela doit être dénoncé avec force et nous sommes sûrs que vous le ferez au cours de votre Conférence. Malheureusement, nous n’avons appris que tardivement la tenue de votre réunion, nous regrettons d’être dans l’impossibilité d’y participer physiquement, et nous n’avons pas vu qu’il soit possible d’y participer par Internet. Toutefois, permettez-nous de vous envoyer le texte de la Déclaration commune des groupes de la Gauche communiste sur la guerre en Ukraine, une Déclaration, déclaration que nous avons proposée à d’autres expressions de la Gauche communiste et dont nous pensons important de la présenter au prolétariat aujourd’hui comme expression de ce qui unit les organisations révolutionnaires face aux différentes mystifications bourgeoises. Ainsi que nous vous l’avons écrit dans notre précédent courrier, nous vous demandons de signer cette déclaration, pas pour faire nombre mais pour ouvrir, en partant de la reconnaissance mutuelle que nous appartenons au même camp révolutionnaire, un processus de discussion capable de produire avec le temps une décantation des positions et une clarification politique face à la classe. Nous aimerions saisir cette opportunité d’annoncer la tenue de nos prochaines réunions publiques sur un thème similaire, qui pourront se tenir via Internet, et seront donc facilement accessible, pour l’instant en italien le 4 mai et en anglais le 8 mai. L’annonce de ces réunions paraîtra aussi rapidement que possible sur notre site web – celle en italien dès demain. Nous vous invitons par la présente officiellement à ces réunions, qui peuvent offrir une précieuse opportunité de confrontation entre des organisations réellement révolutionnaires.
Nous attendons impatiemment de recevoir votre réponse et vous adressons nos saluts fraternels.
Courant Communiste International
Chers camarades,
Nous vous envoyons des liens vers notre prise de position commune sur la guerre impérialiste en Ukraine (en anglais et russe) signée par trois groupes de la Gauche communiste et un autre groupe proche de cette tradition politique. Nous comprenons que vous venez d’une tradition politique différente, mais nous avons toujours reconnu que vous défendez courageusement et de façon constante – particulièrement dans les conditions actuelles en Russie – les positions internationalistes contre les guerres du capitalisme, et nous avons ainsi récemment publié en plusieurs langues sur notre site web votre prise de position sur la guerre en Ukraine (voir « Une prise de position internationaliste de Russie, https://fr.internationalism.org/content/10731/declaration-internationaliste-russie [106])
Nous vous demandons d’apporter votre soutien à notre prise de position, ou en la signant directement, ou en annonçant que vous êtes globalement d’accord avec elle en dépit de nos divergences, et en la publiant sur votre propre site web ou autre moyens de communications qui vous sont accessibles.
Tous vos commentaires et critiques sont les bienvenus en ce qui concerne la prise de position.
En solidarité,
Le CCI
Salut camarades.
Merci d’avoir diffusé notre prise de position sur la guerre. Nous ne pouvons nous joindre à celle que vous avez publiée conjointement avec d’autres organisations communistes de gauche, non parce que nous ne serions pas d’accord avec son orientation internationaliste, mais du fait de désaccords théoriques, par exemple la mention de « dictature du prolétariat », un concept que nous ne partageons pas.
Néanmoins, nous avons traduit et publié votre texte sur notre site web (avec une préface et la mention de nos désaccords), « Contre la guerre impérialiste, lutte de classe », dont nous partageons fondamentalement les analyses et l’approche internationaliste : https://aitrus.info/node/5949 [171]
En solidarité,
KRAS-IWA
Chers camarades,
Nous vous envoyons l’introduction de notre prise de position commune :
« Les organisations de la Gauche communiste doivent défendre ensemble leur héritage commun d’adhésion aux principes de l’internationalisme prolétarien, en particulier à une époque de grand danger pour la classe ouvrière mondiale. Le retour du carnage impérialiste en Europe dans la guerre en Ukraine est un tel moment. C’est pourquoi nous publions ci-dessous, avec d’autres signataires de la tradition de la Gauche communiste (et un groupe ayant une trajectoire différente mais soutenant pleinement la Déclaration), une Déclaration commune sur les perspectives fondamentales pour la classe ouvrière face à la guerre impérialiste. »
Nous allons publier cela comme nous l’avons écrit hier mercredi à 06 h 04,
2) nous proposons de mettre les groupes signataires suivants :
Courant Communiste International
Institut Onorato Damen
Internationalist Voice
Internationalist Communist Perspective (Corée) soutiennent complètement cette déclaration commune.
Est-ce que cela vous va ?
1 Certains groupes de la tradition du PCI bordiguiste, invités à participer, comme Il Partito et Le Prolétaire/Il Comunista, n’ont pas répondu aux lettres d’invitation, il n’y a donc pas de courrier de leur part. Il Programma a seulement envoyé un court refus qui est inclus dans cette correspondance. Le groupe Fil Rouge n’a pas répondu non plus. Par erreur, le nom de Il Partito a été omis de la liste des destinataires dans la lettre originale de proposition, mais la proposition leur a cependant bien été envoyée. Son nom a été inclus dans les destinataires des lettres postérieures. Une autre lettre a été envoyée à Il Partito, qui est incluse vers la fin, et contient une demande de signer la prise de position, et au cours d’une réunion en ligne d’Il Partito le 22 mai, le CCI a demandé pourquoi il n’avait pas répondu à l’invitation de l’appel sur la guerre en Ukraine. Nous n’avons pas non plus reçu de réponse à ces questions.
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 22 octobre 2022 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [11]) ou dans la rubrique “nous contacter” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
L’article ([1]) d’Anton Pannekoek (1873-1960) publié en 1909 offre un cinglant démenti aux allégations (qui s’inspirent des mensonges véhiculés par le Stalinisme frauduleusement assimilé au Communisme) que le marxisme n’aurait aucune préoccupation de la question écologique et la nature ; que – comme le capitalisme qu’il prétend combattre – il serait porteur du même "productivisme" destructeur de la nature. C’est tout le contraire qui est vrai !
Dans cet article Pannekoek développe de façon condensée et extrêmement accessible la même approche qu’avant lui, Marx a exposée dans le Capital. Il réaffirme que seul l’instauration du Communisme offre une alternative réaliste à la destruction de la nature.
Aujourd’hui, c’est sciemment que les campagnes idéologiques martèlent la responsabilité de "l’Homme" dans le désastre écologique pour mieux occulter que, comme partie intégrante de la nature, le genre humain interagit avec celle-ci par l’intermédiaire de différentes formes d’organisations sociales qui se sont succédé dans l’histoire. Toutes, depuis la fin de la société communiste primitive de la préhistoire, ont été des systèmes d’exploitation basés sur une division de la société en classes sociales. Ce n’est pas l’Homme, mais le système capitaliste, uniquement animé par l’extraction maximale de profit, qui vampirise et soumet la nature dans son ensemble, tout comme la force de travail du prolétariat – les sources de sa richesse – à une exploitation féroce jusqu’à l’épuisement et l’anéantissement. C’est pourquoi le capitalisme n’a pas de solution à la question écologique et que sa résolution va de pair avec celle de la question sociale.
En 1909 Pannekoek souligne déjà que les ravages de la déforestation représentent une question vitale pour l’humanité. Après plus d’un siècle de décadence du capitalisme, où la dévastation de la nature, au cours de cette période, s’est emballée et se poursuit dans de telles proportions, que ses effets (le réchauffement climatique et ses conséquences, l’effondrement des écosystèmes surexploités, la déforestation causant l’émergence de zoonoses…) combinés à ceux de la crise économique et des guerres impérialistes rend tangible le péril de destruction de l’humanité. Cet enjeu exige que le prolétariat mondial se hisse à la hauteur de sa responsabilité historique de fossoyeur du capitalisme, car seul le projet de société dont il est le porteur, celui de l’abolition de la loi de la marchandise et des rapports sociaux d’exploitation, de la création d’une société sans classes orientée vers la satisfaction des besoins humains, permettra en même temps d’instaurer un réel équilibre entre la nature et le genre humain.
Le CCI
De nombreux écrits scientifiques se plaignent avec émotion de la destruction croissante des forêts. Or ce n’est pas seulement la joie que chaque amoureux de la nature éprouve à l'égard de la forêt qui importe ici. D’importants intérêts matériels, et même des intérêts vitaux pour l’humanité entrent en ligne de compte.
Avec la disparition de leurs riches massifs forestiers, des territoires qui, dans l'Antiquité, étaient réputés pour être des régions fertiles et densément peuplées, des greniers à blé pour les grandes villes, sont devenus des déserts. La pluie n'y tombe que rarement, mais alors en déluges dévastateurs qui emportent les minces couches d'humus au lieu de les fertiliser. Là où la forêt des montagnes a été éradiquée, les torrents alimentés par les pluies d'été font dévaler d'énormes masses de pierres et de sable qui dévastent les riantes vallées alpines, rasent les forêts et détruisent les villages dont les habitants sont innocents du fait que « l'intérêt privé et la déraison ont détruit la forêt dans les régions des hautes vallées et des sources ».
« Intérêt privé et déraison » : les auteurs qui décrivent avec éloquence ce désastre ne vont pas plus loin dans l'analyse de ses causes. Ils croient sans doute qu'il suffit d'en souligner les conséquences pour remplacer la déraison par une meilleure compréhension et en annuler les effets. Ils ne voient pas qu'il ne s'agit là que d'un phénomène partiel, que de l’un des nombreux effets semblables produits par le capitalisme, ce mode de production qui incarne la forme suprême de la chasse au profit.
Comment la France est-elle devenue un pays pauvre en forêts, au point d’importer chaque année des centaines de millions de francs de bois de l’étranger et de dépenser beaucoup plus pour atténuer par le reboisement les conséquences désastreuses de la déforestation des Alpes? Sous l’Ancien Régime, il y avait là de nombreuses forêts domaniales. Mais la bourgeoisie, arrivée au pouvoir lors de la Révolution française, ne voyait dans ces forêts domaniales qu’un instrument d’enrichissement privé. Les spéculateurs ont rasé trois millions d’hectares pour transformer le bois en or. L’avenir était le cadet de leurs soucis, seul comptait le profit immédiat.
Pour le capitalisme, toutes les ressources naturelles ne sont que de l'or. Plus il les exploite rapidement, plus le flux d’or s’accélère. L'économie marchande fait que chacun cherche à faire le plus de profit possible, sans même penser un seul instant à l'intérêt de l'ensemble, celui de l'humanité. C'est pourquoi tout animal sauvage représentant une valeur monétaire, toute plante sauvage générant un profit, est immédiatement l'objet d'une course à l'extermination. Les éléphants d’Afrique ont presque disparu victimes d’une chasse systématique pour leur ivoire. Il en va de même pour les hévéas, victimes d'une économie de prédation où tout le monde ne fait que détruire les arbres sans en replanter de nouveaux. En Sibérie, on rapporte que les animaux à fourrure se raréfient de plus en plus en raison de la chasse intensive et que les espèces les plus précieuses pourraient bientôt disparaître. Au Canada, d'immenses forêts primaires sont réduites en cendres, non seulement par des colons qui veulent cultiver le sol, mais aussi par les "prospecteurs" à la recherche des gisements de minerai qui transforment les versants montagneux en roches dénudées pour avoir une meilleure vue d’ensemble du terrain. En Nouvelle-Guinée, on s’est livré à un massacre des oiseaux de paradis afin de satisfaire la soif de faste d'une milliardaire américaine. Les folies de la mode, comme forme de gaspillage de la plus-value, font partie du capitalisme, ont déjà conduit à l'extermination d’espèces rares ; les oiseaux marins de la côte est-américaine n'ont été préservés de ce destin que grâce à une intervention stricte de l'Etat. De tels exemples pourraient être multipliés à l’infini.
Mais les plantes et les animaux ne sont-ils pas là pour être utilisés par l'homme à ses propres fins ? Ici, nous faisons complètement abstraction de la question de la conservation de la nature telle qu’elle se poserait sans l’intervention humaine. Nous savons que les humains sont les maîtres de la terre et qu’ils transforment complètement la nature à leurs fins. Pour vivre, nous sommes complètement dépendants des forces de la nature et des richesses naturelles; nous devons les utiliser et les consommer. Ce n’est pas de cela dont il est question ici, mais uniquement de la façon dont le capitalisme en fait usage.
Un ordre social rationnel devra utiliser les trésors de la nature à sa disposition de telle sorte que ce qui est consommé soit en même temps remplacé, de sorte que la société ne s’appauvrisse pas mais s’enrichisse. Une économie fermée qui consomme la partie des céréales destinées au réensemencement s'appauvrit toujours plus et doit finalement et inévitablement faire faillite. C'est pourtant ainsi que fonctionne le capitalisme. Il ne pense pas à l'avenir, mais ne vit que dans l'instant présent. Dans l'ordre économique actuel, la nature n'est pas au service de l'humanité mais du capital ; ce n'est pas le besoin de l'humanité en vêtements, en nourriture et en culture qui domine la production, mais le besoin du capital en profit, en or.
Les ressources naturelles sont exploitées comme si les réserves étaient infinies et inépuisables. Avec les conséquences néfastes de la déforestation pour l’agriculture, avec l’extermination des animaux et des plantes utiles, le caractère fini des réserves disponibles manifeste au grand jour la faillite de ce type d’économie. On doit considérer comme une confirmation de cette faillite le fait que Roosevelt veuille convoquer une conférence internationale pour faire l'inventaire des ressources naturelles encore disponibles et prendre des mesures contre leur gaspillage ultérieur.
Bien sûr, ce plan n'est lui-même qu'une fumisterie. L’État peut certes faire beaucoup pour empêcher l’impitoyable extermination d’espèces rares. Mais l'État capitaliste n'est après tout qu'un triste représentant de la collectivité humaine. Il doit s'arrêter devant les intérêts essentiels du Capital.
Le capitalisme est une économie sans tête, qui ne peut pas réguler ses actes par la conscience de leurs conséquences. Mais son caractère dévastateur ne découle pas de ce seul fait. Au cours des siècles passés, les êtres humains ont aussi exploité la nature de manière insensée sans penser à l’avenir de l’humanité tout entière. Mais leur pouvoir était réduit ; la nature était si vaste et si puissante qu’avec leurs faibles moyens techniques, ils ne pouvaient lui faire subir que d’exceptionnels dommages. Le capitalisme, en revanche, a remplacé le besoin local par le besoin mondial, créé de puissants moyens techniques pour exploiter la nature. Il s’agit alors d’énormes masses de matière qui subissent des moyens de destruction colossaux et sont déplacées par de puissants moyens de transport. La société sous le capitalisme peut être comparée à la force gigantesque d’un corps dépourvu de raison. Alors que le capitalisme développe une puissance sans limite, il dévaste simultanément l’environnement dont il vit de façon insensée. Seul le socialisme, qui peut donner à ce corps puissant conscience et action réfléchie, remplacera simultanément la dévastation de la nature par une économie rationnelle.
Anton Pannekoek, Zeitungskorrespondenz Nr. 75, 10 Juli 1909, S. 1-2
[1] Zeitungskorrespondenz, n° 75, (juillet 1909).
En juillet 2021, à grands renforts de publicité dans les différents médias, de l’Humanité à Mediapart en passant par Le Monde diplomatique, sortait un livre de deux universitaires, Sophie Béroud et Martin Thibault : En luttes ! Les possibles d’un syndicalisme de contestation.
L’objectif d’une telle entreprise est d’orienter le syndicat Solidaires sur une ligne visant à l’impliquer dans des luttes posant des questions sociétales, comme le mouvement des gilets jaunes, à partir du constat selon lequel l’enfermement dans un travail d’entreprise décourage les jeunes n’ayant pas de culture politique et abandonnant, après quelques années de militantisme, le travail syndical. Les auteurs de ce texte sont allés enquêter sur le terrain à la rencontre de ces jeunes qui ne veulent plus s’investir dans Solidaires mais qui, pour certains, ont retrouvé sur les ronds-points une ambiance qui n’existait pas dans le syndicat.
Ce travail des deux auteurs universitaires faisait suite à une demande des instances dirigeantes de Solidaires qui avaient du mal à rajeunir son personnel syndical. Sur la base d’une enquête et d’une analyse de l’évolution de SUD/Solidaires, en lien avec les autres organisations syndicales, les auteurs proposent toute une réflexion pour que Solidaires évolue dans une démarche qui se veut être une défense des travailleurs en lien avec la transformation de la société. Pour les auteurs, il s’agit de renouer avec un syndicalisme de contestation (autogestionnaire, démocratique, fédéraliste) à l’image de ce que fût la CFDT après 68 où des militants d’extrême gauche, anarchistes, maoïstes, trotskistes, sont entrés en force, et qui par la suite, en 1988, ont été poussés vers la sortie par une direction qui était plus dans la ligne d’un syndicat de « concertation ». Suite au soutien de Nicole Notat, alors secrétaire générale de la CFDT, au plan Juppé qui, en 1995, avait fait descendre dans la rue des millions de travailleurs, des vagues de militants démissionnent pour rejoindre Solidaires et créer de nouvelles sections syndicales. Se positionnant sur un terrain plus radical, beaucoup de jeunes travailleurs combatifs vont y adhérer pensant trouver là un syndicat qui répondrait à leur attente, à leur envie de lutter. Mais, pour nos deux universitaires, Solidaires prend le tournant d’un syndicat de négociations en 2008, s’institutionnalisant à la faveur de la loi sur la représentativité syndicale. À partir de ce moment-là, le syndicat va connaître une lente érosion, les jeunes ouvriers s’en détournant de plus en plus, d’autres démissionnant ou rejoignant le mouvement des gilets jaunes.
Les syndicats sont un rempart contre toute tentative du prolétariat de s’unifier en tant que classe. La bourgeoisie a très bien compris le rôle qu’ils peuvent jouer pour saboter toute capacité de la classe ouvrière à développer son combat contre le capitalisme. C’est en ce sens que l’État bourgeois a besoin d’avoir des syndicats plus ou moins radicaux pour diviser et répondre à toute tentative d’auto-organisation, à prendre ses luttes en main et à prendre conscience qu’elle est une classe en recouvrant son identité. C’est pourquoi les syndicats se partagent le travail : certains se disant « réformistes » alors que d’autres se présentent comme plus « radicaux », voire « contestataires », « révolutionnaires », comme Solidaires. C’est pour répondre à ce besoin que Solidaires a été créé au moment du « tournant réformiste » de la CFDT à la fin des années 1980. Pour l’extrême gauche, maoïstes, trotskistes, libertaires, la CGT stalinienne leur interdisait de mener leurs actions « autogestionnaires », « démocratiques », « fédéralistes ». C’est en ce sens que l’extrême gauche allait trouver dans la CFDT les structures lui permettant d’agir. La grève autogestionnaire de LIP fut d’ailleurs leur haut fait d’arme, cette « expérience » se terminant par une démoralisation et un désarroi chez les ouvriers illusionnés par le fait de reprendre l’usine à leur compte, et ainsi n’aboutir à rien d’autres qu’une auto-exploitation.
Les années qui suivirent la création de Solidaires sont marquées par la caution et sa participation à l’ensemble du travail de sabotage de tous les autres syndicats, chacun jouant sa partition afin d’assurer pleinement leur rôle d’encadrement de la classe ouvrière, couvrant ainsi toutes les expressions de combativité ouvrière, en particulier pour Solidaires en ciblant les jeunes générations.
Leur impact plus grand dans les années 2000, en grande partie dans la fonction publique, et plus particulièrement à la SNCF, secteur très combatif, concurrençant la CGT dans un de ses fiefs, montre que Solidaires a su attirer vers lui ces jeunes ouvriers de plus en plus réticents à suivre un syndicat qui ne leur laissait aucune initiative, où tout était décidé au sein de la direction. Solidaires apparaissait ainsi plus démocratique, moins bureaucratique, plus combatif, laissant plus de champ d’action. Or, c’était un piège qui a démoralisé tous ces jeunes prolétaires qui croyaient qu’en militant au sein de ce syndicat ils pourraient faire avancer les choses. Ils se sont heurtés aux mêmes pratiques syndicales.
Dans une situation de grande difficulté de la classe ouvrière, dont l’expression la plus significative est la perte de son identité, les syndicats ont été l’arme la plus efficace de la bourgeoisie pour éviter que la classe puisse reprendre confiance en elle afin de s’approprier les armes qui lui sont propres : les assemblées générales unissant l’ensemble des prolétaires et prenant les décisions nécessaires au développement de son combat, comme celles des étudiants prolétaires lors du mouvement contre le CPE en 2006. Solidaires avec les autres syndicats, la CGT en tête, organisent sans cesse des simulacres d’assemblées générales où les pontes de ces organisations prennent successivement la parole, empêchant toute prise de parole sérieuse et de décision de la part des ouvriers. C’est ce qu’on a vu lors du grand mouvement contre la réforme des retraites fin 2019/début 2020, où les syndicats ont tout fait pour encadrer et saboter une reprise de la combativité ouvrière après 10 ans d’atonie, à l’image du sabotage de Solidaires lors de la grève dans les technicentres de la SNCF en octobre 2019. Solidaires ayant été surpris par la grève de Châtillon, s’est positionné en « fer de lance » de la lutte dans la suite du mouvement, mais pour mieux l’isoler. Après avoir joué les fiers-à-bras en posant une sorte d’ultimatum à la direction (« On a donné à la direction jusqu’à 18 heures pour répondre à nos revendications »), Solidaires a appelé à la reprise du travail : « On joue le jeu [du dialogue social]. En attendant, le travail reprend, les rames vont sortir » (information AFP du 31 octobre 2019). La direction a repris la balle au bond en programmant une réunion avec les syndicats, et Solidaires a cessé d’évoquer la possibilité d’une grève… pour « jouer le jeu du dialogue social ». Et comme le rapporte le journal Libération du 31 octobre 2019 : « On ne pourra pas dire que l’on ne donne pas de porte de sortie de conflit à la direction ».
Alors que la crise du capitalisme connaît une nouvelle aggravation, alors que l’inflation dégrade les conditions de vie de la classe ouvrière, et ce dans un contexte de guerre impérialiste aux portes des plus grandes concentrations ouvrières d’Europe, la bourgeoisie sait très bien qu’elle doit se préparer à faire face aux tensions sociales de plus en plus fortes, comme nous le montre « l’été de la colère » au Royaume-Uni. Toute la stratégie de la bourgeoisie est de préparer le terrain pour éviter que son ennemi de classe ne retrouve son identité, ouvrant la voie à la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société. Les syndicats peuvent s’appuyer, maintenant, sur une force politique, la NUPES, rassemblement de forces de gauche allant du PS à la France insoumise en passant par le PC, pour entraîner le prolétariat dans la défense « d’un État démocratique au service des travailleurs ».
Ayant été rédigé avant l’éclatement de la guerre en Ukraine et l’aggravation de la crise, c’est dans ce cadre que le livre est une réponse de la bourgeoisie à ce futur qui se prépare. Pour ses auteurs, Solidaires doit apporter sa petite contribution en se présentant comme un outil voulant, par rapport aux autres organisations syndicales, donner une touche plus combative, plus contestataire, avec un projet « anti-capitaliste », voire « révolutionnaire » face au projet « réformiste » de la NUPES. Et quel est ce projet ? Celui que l’on connaît : un capitalisme à la sauce stalinienne tel que le proposent ATTAC et le NPA ou le capitalisme autogestionnaire des libertaires. Un projet au sein duquel la défense de la démocratie est élevée comme un étendard contre les « hordes fascistes », avec le sempiternel mot d’ordre du PC en 1936 « faire payer les riches » relooké aujourd’hui par taxer les profits des grandes entreprises qui font des (super) bénéfices. Finalement un projet qui n’a rien de fondamentalement différent de ce que la NUPES et les autres syndicats proposent, si ce n’est que tout cela est ficelé avec un langage plus radical, resservi à chaque élection présidentielle par un « candidat ouvrier » issu du NPA. La cible ce sont, en particulier, les jeunes prolétaires. D’ailleurs nos auteurs s’insurgent lorsqu’un de ceux-ci refuse de participer à la farce électorale.
Leur sale boulot ne s’arrête pas à faire la promotion des mots d’ordre classiques de la gauche et de l’extrême gauche, à diviser la classe ouvrière derrière les différentes sections syndicales (SUD-Rail, SUD-santé et autres), comme le font d’ailleurs les autres syndicats, mais, comme le proposent les auteurs de ce livre, à s’investir dans des mouvements qui sont en fait étrangers aux luttes du prolétariat dirigées contre les effets de l’exploitation. Car il s’agit de dissoudre la classe dans des luttes parcellaires, le féminisme, l’écologisme ou autres luttes antiracistes, jusqu’à promouvoir le mouvement interclassiste des gilets jaunes où la spontanéité, le caractère démocratique, populaire et collectif seraient une source d’inspiration, ce qui colle très bien à la campagne médiatique de la bourgeoisie présentant ce mouvement comme une nouvelle forme de la lutte de classe.
Pour couronner le tout, Solidaires fait la promotion de son internationalisme frauduleux en envoyant un convoi « solidaire » pour soutenir les syndicats ukrainiens qui combattent l’armée de Poutine, une propagande nationaliste de sergents recruteurs comme l’avaient fait leurs ancêtres appelant les ouvriers à s’entre-tuer sur les champs de bataille lors de la Première Guerre mondiale au nom de l’union sacrée, ou lors de la Deuxième Guerre mondiale au nom de la défense de la démocratie face au fascisme.
André, 29 septembre 2022
Récemment s’est tenu le 25e congrès de Révolution internationale, section du Courant communiste international en France. Les travaux de ce congrès ont notamment abouti à l’adoption de la résolution sur la situation en France que nous publions ci-dessous.
Guerre, récession, pandémie, destruction de l’environnement… le capitalisme est en train de plonger l’humanité dans l’abîme. Ces différentes crises, qui aujourd’hui s’aggravent de concert et se nourrissent les unes les autres, sont toutes le fruit de ce système décadent. À terme, l’enjeu est la survie de l’espèce humaine. Il n’y a qu’une seule alternative : socialisme ou destruction de l’humanité. La responsabilité de la classe ouvrière et de ses minorités révolutionnaires est donc immense.
1. L’éclatement de la guerre en Ukraine marque le retour de la barbarie impérialiste en Europe. Dans ce conflit s’affrontent directement et indirectement les principales puissances militaires de la planète. Cet événement majeur et inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale a déjà provoqué des milliers de victimes, dévasté des villes entières et poussé des millions de femmes et d’enfants à fuir sur les routes. Les hommes, eux, sont obligés de rester, comme chair à canon.
Loin d’exprimer une quelconque « logique » économique, ce conflit est l’expression de la dynamique toujours plus irrationnelle dans laquelle le capitalisme, ce système obsolète, s’enfonce. À la différence de la pandémie de Covid et des catastrophes liées au dérèglement climatique, la guerre est le produit d’une action voulue et délibérée des différentes bourgeoisies nationales en concurrence. Comme le proclamait déjà le manifeste de la conférence de Zimmerwald en septembre 1915 : « La guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l’impérialisme. Elle est issue de la volonté des classes capitalistes de chaque nation ».
2. Depuis des décennies, les États-Unis ont poussé la Russie dans ses retranchements en intégrant dans l’organisation qu’ils dirigent, l’OTAN, toute une série de pays anciennement membres du Pacte de Varsovie. Les dirigeants de cette puissance savaient pertinemment que le processus d’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, et donc l’établissement d’une présence militaire américaine à la frontière russe, serait intolérable pour la Russie, comme l’installation de missiles « soviétiques » à Cuba en 1962, à 144 km de ses côtes, avait été inacceptable à la bourgeoisie américaine au point de menacer la planète d’une apocalypse nucléaire.
Les États-Unis ont donc délibérément provoqué la Russie afin de l’entraîner dans une guerre d’occupation longue et épuisante dans le but d’affaiblir le principal allié militaire potentiel de la Chine et aussi de resserrer les rangs des pays occidentaux autour de leur puissance. Face au piège tendu par les États-Unis, la Russie s’est lancée dans une aventure désespérée, déchaînant un déluge de feu jusqu’aux portes de Kiev. Pour défendre sa position dominante face à une Chine qui se présente en challenger de l’Amérique, la première puissance mondiale n’a ainsi pas hésité à déstabiliser non seulement l’Europe, mais également le monde : ce conflit va étendre la barbarie, désorganiser la production et le commerce mondial, aggraver considérablement la récession, pousser encore plus le processus inflationniste et abattre la famine sur une partie de la planète.
3. Cette guerre rappelle à quel point le capitalisme menace directement l’humanité. Cet événement, marqué du sceau de l’irrationalité, représente un pas supplémentaire dans la dynamique de chaos et du chacun pour soi, donnant à l’évolution de la situation un caractère toujours plus imprévisible. L’impasse dans laquelle s’enfonce la Russie rend dorénavant envisageable l’utilisation de bombes nucléaires « tactiques » en Ukraine (« mini-bombes » dont la puissance peut dépasser tout de même celle lancée sur Hiroshima en 1945 !). Les tensions impérialistes qui continuent de monter en Asie, autour de Taïwan, sont elles aussi lourdes de menaces pour l’avenir.
Ces ravages et l’orientation de toutes les nations renforçant l’économie de guerre révèlent une nouvelle fois que le capitalisme n’a d’autre chemin à offrir que la destruction de la planète. Alors que le GIEC, dans son dernier rapport, alerte sur l’urgence et les immenses dangers du dérèglement climatique, le développement considérable de l’économie de guerre et l’aggravation de la crise économique vont pousser toutes les bourgeoisies, dans tous les pays, à renforcer l’exploitation des hommes et de la nature, « quoi qu’il en coûte »… à l’espèce humaine, quand ce ne sont pas directement les bombes qui détruisent et qui tuent.
Ce faisant, les conditions seront encore plus favorables à l’irruption de nouveaux virus et donc à de nouvelles pandémies, alors même que les dégâts causés par le Covid-19 sont loin d’être terminés.
Tous les discours écologistes prônant la possibilité d’un capitalisme plus vert apparaissent ici pour ce qu’ils sont : des mensonges, de la propagande. Car la réalité c’est que, s’il n’est pas renversé à l’échelle internationale, le capitalisme entraînera toute l’humanité dans la plus effroyable des barbaries et ravagera la planète. Il est d’ailleurs hautement symbolique et révélateur de leur hypocrisie que, dans tous les pays, les partis écologistes soient souvent les plus va-t-en-guerre.
4. Évidemment, la France participe, comme toutes les nations, petites ou grandes, à cette dynamique mortifère, en jouant sa propre carte au nom de ses intérêts impérialistes particuliers.
Avec la constitution des blocs russe et américain, la France a cherché, dès les années 1950, à défendre son indépendance au sein du bloc occidental afin de conserver une influence mondiale à travers son statut de « puissance d’équilibre ». C’est une des raisons pour laquelle l’État français s’est très tôt donné les moyens de développer son propre arsenal nucléaire pour ne pas dépendre du parapluie américain et a pris ses distances avec l’OTAN dominée par les États-Unis.
Après la fin de la guerre froide et la disparition du bloc « soviétique », la bourgeoisie française avait encore moins de raison de respecter « la discipline de bloc », elle a donc accentué ses velléités de « non-alignement » en allant jusqu’à refuser, en 2003, de participer à l’invasion de l’Irak, aux côtés de l’Allemagne et de la Russie.
Mais l’impérialisme français a surtout rapidement été empêtré dans une situation de perte d’influence continue en se trouvant peu à peu relégué dans la hiérarchie des puissances mondiales. Dans cette nouvelle situation historique, l’impossibilité pour tout impérialisme de préserver ses zones d’influence de l’extension du chaos en raison du développement général du chacun pour soi et de l’instabilité, conjuguée à ses fragilités structurelles, notamment économiques, l’ont ainsi conduit à une relative perte d’influence dans son ancien pré-carré africain où elle fait désormais étalage d’une certaine impuissance, comme on a pu le voir avec l’échec de l’opération Barkhane. Au Moyen-Orient, elle perd aussi de son influence, notamment au Liban où elle a soutenu Hariri, corrompu et haï par la population, mais elle parvient néanmoins à y maintenir une certaine présence, notamment à travers la vente d’armes à l’Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis et à l’Égypte (en 10 ans, ses ventes d’armes y ont augmenté de 44 % !). À l’avenir, ces liens vont probablement encore se renforcer avec ces États du Golfe récalcitrants à soutenir la stratégie américaine dans le conflit ukrainien. Même la capacité de la France à intervenir militairement dans le monde est largement dépendante de la logistique et du renseignement des États-Unis. Avant même le déclenchement des hostilités en Ukraine, la stratégie américaine d’endiguement de la Chine avait déjà considérablement affaibli sa position ces derniers mois : en 2021, la mise en place de l’alliance AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, excluant la France d’un énorme marché de sous-marins australiens, l’avait fortement marginalisée dans la région de l’Indo-Pacifique.
C’est dans ce cadre que la France a été particulièrement déstabilisée par l’invasion de l’Ukraine. La bourgeoisie américaine a, momentanément, pu resserrer étroitement ses alliées autour d’une Alliance atlantique renforcée par la crainte d’un affrontement direct avec la Russie. Le parapluie américain demeure aux yeux de la plupart des pays européens, particulièrement à l’Est, la meilleure sinon la seule protection face à Moscou, les armées d’Europe de l’Ouest, au premier rang desquelles se trouve la France, n’ayant pas la capacité d’assurer leur défense. Le gouvernement Biden peut ainsi exercer une énorme pression sur ses alliés européens, les obligeant à s’impliquer bon gré mal gré dans la défense de l’Ukraine et la politique de sanctions, en contradiction avec leurs propres intérêts. La France et l’Allemagne ont ainsi subi une défaite diplomatique de premier ordre qui impactera durablement leur politique étrangère et nécessitera d’autant plus une réaction de leur part pour résister au rouleau compresseur américain.
5. Si la France n’est clairement pas en mesure de s’opposer ouvertement aux États-Unis, elle a une nouvelle fois cherché à s’émanciper de la politique américaine et à défendre ses propres intérêts impérialistes. Avant même le déclenchement de la guerre, les chancelleries allemande et française se sont démenées pour empêcher Poutine de tomber dans le piège tendu par les États-Unis, conscientes des répercussions considérables que cette invasion aurait sur leur économie et leur influence. On a ainsi vu Macron se déplacer jusqu’à Moscou pour tenter de « sauver la paix » et toute une partie de l’intelligentsia européenne se convaincre que l’offensive russe était trop irrationnelle pour que Moscou s’y lance vraiment. Depuis le déclenchement des hostilités, la France comme l’Allemagne, en dépit des déclarations de bonne volonté, traînent des pieds dans la mise en place des sanctions à l’égard de la Russie qui impactent en retour négativement leur économie. Macron s’est même fendu de déclarations polémiques sur la nécessité de ne pas « humilier la Russie », laissant clairement la porte ouverte à des négociations et à une sortie du conflit acceptable pour Moscou.
Dans le même temps, preuve des contradictions qui traversent la situation de la bourgeoisie française, la France livre des armes de très haute technologie à l’Ukraine (par exemple, ses camions-canons Caesar). En fait, la bourgeoisie française est coincée : elle n’a aucun intérêt à entretenir le conflit dans l’Est européen, en même temps elle ne peut pas en être absente, au risque de perdre tout rôle et toute crédibilité militaire dans la région et bien au-delà.
Il est ainsi trop tôt pour déterminer avec certitude l’orientation que prendra la bourgeoisie française pour tenter de défendre son rang dans l’arène mondiale mais, comme en témoigne son retour dans le commandement intégré de l’OTAN en 2008, elle a compris que l’isolement qu’elle avait cultivé jusque-là lui était désormais néfaste, la France ne pouvant plus en assumer seule les conséquences économiques. Il semble, à ce titre, que sa principale perspective réside dans le renforcement du couple franco-allemand.
6. Le retour de la guerre « de haute intensité » en Europe et les menaces qu’elle fait peser sur le continent vont cependant obliger l’État français, comme l’ensemble des États européens, à fournir un effort militaire beaucoup plus considérable. L’éclatement de la guerre en Ukraine signifie que l’affrontement impérialiste majeur entre les États-Unis et la Chine va avoir tendance à se situer de plus en plus sur le terrain militaire ; les puissances d’Europe de l’Ouest, si elles veulent pouvoir défendre leurs propres intérêts, vont donc devoir se donner les moyens d’exister militairement. Nul doute que la bourgeoisie française cherchera à valoriser son « savoir-faire » en matière d’armes de pointe. Elle est cependant consciente de son incapacité à accroître seule son arsenal du fait de ses faiblesses économiques, particulièrement en termes industriels et financiers.
Face au revers diplomatique infligé par les États-Unis, les bourgeoisies française et allemande sont, à ce titre, condamnées à coopérer. En dépit d’intérêts parfois très divergents et d’oppositions fortes, comme pendant les guerres de Yougoslavie dans les années 1990, les relations entre la France et l’Allemagne ont conservé une certaine stabilité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La pression américaine pourrait avoir ainsi pour résultat involontaire de pousser ces deux pays à renforcer leur alliance : le couple franco-allemand montre une certaine réticence face à la stratégie américaine vis-à-vis de l’Ukraine, et il n’est absolument pas disposé à se laisser embarquer dans une aventure contre la Chine dont l’Europe dépend fortement sur le plan économique.
Mais les tendances au « chacun pour soi » pourraient aussi entraver ce mariage de raison. En effet, même si la situation pousse actuellement les deux principales puissances européennes à renforcer leur alliance, ça ne les empêchera pas, par ailleurs, de se concurrencer sur d’autres terrains et dans d’autres régions. Depuis le Brexit, la France est la principale puissance militaire de l’Union européenne (UE), dotée d’une industrie de pointe et de capacités de production importantes ; elle espérait ainsi imposer une « défense européenne » sous son autorité, financée par l’ensemble de l’UE, en particulier l’Allemagne, et concurrente d’une OTAN décrétée prématurément en « mort cérébrale » par Macron. Mais les « partenaires européens » de la France ont plus que traîné des pieds comme l’illustre l’échec de la diplomatie française pour impliquer davantage l’UE dans l’opération Barkhane et celui des projets de construction en commun d’avions, d’hélicoptères ou de blindés. Pour l’Allemagne, il est hors de question de financer une armée qui défendrait avant tout les intérêts français et dont les armes seraient de facto technologiquement sous le contrôle de la France (c’est pour cela que l’Allemagne pose comme condition à une plus grande coopération militaire le partage des brevets français). D’ailleurs, l’Allemagne cherche d’ores et déjà à renforcer son arsenal militaire qui pourrait, à terme, rivaliser avec celui de la France et déstabiliser l’équilibre traditionnel entre les deux pays : à la France la puissance militaire, à l’Allemagne la puissance économique. Depuis plusieurs années, le budget que Berlin alloue à l’armement a dépassé celui de la France, et la guerre en Ukraine a été l’occasion d’une accélération considérable de cette politique. Récemment encore, l’Allemagne, sous la pression des États-Unis, a commandé des avions américains au détriment des Rafales français.
Il convient donc de rester vigilant sur l’orientation que prendront les alliances entre les bourgeoisies européennes. L’instabilité des alliances selon les lieux et les moments est encore aujourd’hui l’hypothèse la plus probable.
7. Dès 2020, la pandémie de Covid avait déjà fortement accéléré la crise dans laquelle commençait à s’enfoncer l’économie capitaliste. La récession, le chômage et la désorganisation de la production mondiale frappaient de nombreux pays mais la bourgeoisie ne cessait de répéter que la « sortie du tunnel » était proche et que la croissance repartirait de plus belle. La production a ainsi semblé connaître une certaine reprise après les périodes de confinement, mais la croissance de l’économie s’est aussi accompagnée d’une hausse de l’inflation, tandis que les circuits de production continuaient de se désorganiser. Avec la guerre en Ukraine en guise de « sortie de tunnel », c’est aujourd’hui toute l’économie mondiale qui accélère son plongeon.
La guerre est une donnée fondamentale et permanente de la décadence du capitalisme qui structure et oriente l’ensemble de la société (l’immense majorité des avancées technologiques des dernières décennies est directement issue du monde militaire ou développée pour lui : GPS, Internet, micro-ondes, satellites et fusées, énergie solaire, plastique…). Elle aspire surtout comme un trou noir des pans entiers de la production : toutes les dépenses liées à la guerre (production d’armes en vue d’être utilisées ou stockées, emploi d’une armée de militaires, de techniciens et d’administratifs), ne dégagent pas de profit, elles sont une perte sèche pour le capital, financée par l’exploitation accrue de la classe ouvrière. Avec la guerre en Ukraine et tout le développement de l’économie de guerre qui va en découler dans tous les pays, le poids mort du militarisme va donc peser plus lourd encore sur les épaules de la société dans les années à venir.
8. La situation économique est d’ailleurs déjà en train de se dégrader à grande vitesse, particulièrement pour les pays européens : en plus de renforcer la fragmentation de la production mondiale en coupant les voies de transport de marchandises de la mer Baltique jusqu’à la mer Noire, il faut noter qu’une part significative des ressources énergétiques consommées en Europe provient de la Russie qui représente également un marché important pour ses exportations. La France étant le premier employeur privé étranger en Russie, la fracture actuelle est donc extrêmement préjudiciable au capital français. L’Ukraine aussi est un producteur majeur de matières premières alimentaires, ce qui exerce non seulement une forte pression sur les prix, mais fait peser un risque accru de famine dans plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique.
La fragmentation plus profonde de la production mondiale induite par l’accélération de la décomposition du capitalisme sous la pandémie et accentuée par la guerre pousse d’ores et déjà la France, comme de nombreux autres États, à relocaliser une partie de ses industries stratégiques pour sécuriser sa production. La bourgeoisie présente ces relocalisations comme une « chance » pour les ouvriers en France. Mais l’OMC a déjà alerté sur les dangers d’un tel processus : la course à l’accumulation de matières premières dans chaque nation, loin de réduire l’insécurité de l’économie, risque au contraire de perturber davantage les chaînes d’approvisionnement et de ralentir significativement la production mondiale du fait du chacun pour soi. Il suffit de se souvenir des actes de piraterie auxquels se sont livrées les États pendant la « guerre des masques » pour s’en convaincre. De la même façon, les États vont devoir sécuriser l’approvisionnement de matières premières, comme l’uranium pour les centrales nucléaires françaises, ce qui va inéluctablement accroître les tensions impérialistes et, donc, le poids de l’économie de guerre.
9. Pour affronter les chocs à venir, la bourgeoisie française part avec de nombreux handicaps, en particulier la dégradation continue pendant plusieurs décennies de son appareil de production vieillissant et de sa recherche, comme en témoigne l’affaiblissement de l’industrie automobile dans laquelle la France ne peut plus rivaliser avec l’Allemagne. Cette rétrogradation s’est même muée en humiliation quand il s’est avéré que la France a été la seule « puissance pharmaceutique » à être incapable de produire un vaccin contre le Covid-19, alors même qu’il s’agissait jusque-là de l’un de ses fleurons.
Mais c’est surtout sur le plan de la décomposition que la bourgeoisie trouve les obstacles les plus importants à la modernisation de son appareil de production. Les coupes budgétaires successives depuis 40 ans ont, en effet, abouti à une forte dégradation des services de l’État au premier rang desquels la recherche, l’éducation et la santé :
– Les « cerveaux », ingénieurs et scientifiques, sont nombreux à partir à l’étranger pour y trouver des conditions de travail plus convenables.
– L’institution scolaire doit faire face à d’énormes difficultés pour la formation de nouvelles forces de travail à exploiter. Une masse croissante d’élèves se trouve de moins en moins qualifiée pour occuper des emplois techniques, voire pour occuper un emploi tout court, même très faiblement qualifié.
– Une partie de plus en plus large de la population, mal ou pas soignée, est dans un état de santé physique et/ou psychique tellement dégradé qu’elle ne peut plus affronter les conditions elles aussi de plus en plus intenables du monde salarié. Selon l’OMS, une personne sur huit au sein de la population mondiale est atteinte de troubles mentaux, et ce chiffre est en très forte augmentation chaque année. En France, le secteur du soin psychiatrique et psychologique a été frappé de coupes claires ces dernières années, au point de transformer les hôpitaux psychiatriques en zone d’errance et de maltraitance.
La main d’œuvre en capacité de travailler vient ainsi à manquer. La bourgeoisie française est consciente de ce problème et, pourtant, si la fraction Macron semble faire un effort pour la recherche et la technologie de pointe, elle continue de rogner encore et encore le système de soins et le secteur de l’éducation au nom des « économies nécessaires », ce qui témoigne de l’irrationalité de plus en plus grande de ce système.
Par ailleurs, du fait notamment de la combativité historique de la classe ouvrière en France, la bourgeoisie de ce pays a eu le plus grand mal à mener aussi loin que ses voisines les attaques contre les conditions de vie des travailleurs.
10. Cela dit, la bourgeoisie française peut aussi s’appuyer sur des points forts qu’elle ne manquera pas de chercher à valoriser. La fraction Macron a prouvé depuis 2014 (Macron est alors nommé Ministre de l’Économie sous la présidence du « socialiste » Hollande) sa capacité à réformer et à orienter les efforts vers les secteurs de haute technologie. Ainsi, toute une série de « réformes » importantes ont pu être menées à bien, en particulier la Loi travail (qui a très fortement précarisé le marché du travail en décuplant la « flexibilité ») et la récente Loi sur l’assurance chômage (qui permet de réduire significativement le montant des allocations versées et de rayer des listes des allocataires de nombreux chômeurs).
Si la désindustrialisation est bien réelle et si son retard technologique est de plus en plus perceptible (dans l’informatique ou l’intelligence artificielle, par exemple), elle conserve néanmoins un savoir-faire dans plusieurs secteurs, comme le luxe, le tourisme, l’aéronautique ou l’armement. Bien que ce dernier secteur soit une perte nette pour le capital global, la nation qui vend des armes peut néanmoins en tirer profit, en termes économiques mais surtout en termes d’influence. Nul doute que la France cherchera à vendre ses engins de mort partout où ses intérêts impérialistes le lui dicteront, en particulier en Europe, au Moyen-Orient (l’Arabie Saoudite est déjà l’un des meilleurs clients de la filière française d’armement) ou en Inde.
11. À l’instar des autres pays, la France va connaître la récession avec son cortège d’attaques contre la classe ouvrière et devra faire face à des difficultés qui menacent directement son rang dans l’arène internationale. C’est pourquoi, avec les dernières élections présidentielles et législatives, elle a cherché à s’armer le mieux possible pour affronter les crises à venir.
Si le Rassemblement national a encore accru ses scores électoraux, signifiant le renforcement de l’idéologie populiste dans la société, Macron, bien que détesté par une partie de la population, a pu se maintenir au pouvoir en prouvant sa stature d’homme d’État. Face à l’accélération du militarisme et de la crise économique, la bourgeoisie française a su maintenir à la tête de l’Exécutif sa fraction la plus adaptée aux besoins et à la défense des intérêts globaux du capital français, en écartant le principal parti populiste. La bourgeoisie française a toujours été divisée au sujet de ses relations avec Moscou, comptant dans ses rangs des fractions pro-russes historiquement issues du PCF, et qui gravitent aujourd’hui autour de La France Insoumise, ou de la droite « souverainiste ». Macron et sa coalition de partis (Renaissance, Modem et Horizons) représentent, à ce titre, la fraction la plus à même de défendre les intérêts de l’impérialisme et du capital français, dans les traces de la tradition gaullienne au cours de la guerre froide : dans le camp américain mais autonome. Aujourd’hui, dans un contexte où les blocs n’existent plus, il s’agit plutôt d’être l’alliée des États-Unis tout en voulant garder son indépendance.
En 2017, la bourgeoisie avait pu placer Macron au pouvoir en « siphonnant » les électeurs et une partie de l’appareil du PS, ce qui avait abouti à l’amenuisement des forces de gauche à l’Assemblée nationale. L’absence d’une opposition de gauche crédible représentait un handicap dans la capacité de la bourgeoisie à mener ses réformes, pour encadrer idéologiquement la classe ouvrière et entretenir la mystification électorale. Avec le score de Mélenchon à la présidentielle et la constitution, derrière lui, de la coalition des forces de gauche, la NUPES, la bourgeoisie dispose désormais d’une force d’opposition plus à même de leurrer la classe et la conduire vers des impasses. Elle représente même aujourd’hui un parti de gouvernement plausible puisque son programme n’a rien de très radical, moins à « gauche » que ne l’étaient les programmes de Mitterrand en 1981 et de Jospin en 1997, cela dans le but de diriger le mécontentent vers les urnes et l’illusion d’une autre gouvernance possible. Dès les résultats du premier tour de l’élection présidentielle connus, la fraction autour de Mélenchon s’est d’ailleurs employée à mener une campagne de division extrêmement cynique, présentant les vieux comme une génération ayant profité à fond de l’État-providence et votant désormais « pour la retraite à 65 ans » au détriment des jeunes. Ce travail de division répond directement aux embryons de solidarité intergénérationnelle que nous avions pu observer lors du mouvement contre la réforme des retraites, peu avant la pandémie de Covid-19.
Quant à la partie de la classe ouvrière qui ne se laisserait pas berner par ces douces sirènes de la social-démocratie new-look, les partis d’extrême-gauche, trotskistes en têtes, ont su se placer lors de la campagne présidentielle en tenant un discours très orienté sur la nécessité de renverser le capitalisme. Il ne faut ici pas se tromper sur le sens de la faiblesse de leurs scores électoraux : ces partis ne cherchaient pas à briller en termes de pourcentage mais bien à préparer l’encadrement idéologique des minorités les plus radicales et en réflexion du prolétariat qui sont en train d’émerger.
12. Cependant, avec l’aggravation de la décomposition, la bourgeoisie française va devoir faire face à des pressions centrifuges accrues en son sein. En 2017, la majorité de bric et de broc comprenait le risque, sous la pression des tendances au chacun pour soi, de fortes tensions, voire d’un éclatement. Cette réalité n’a fait que s’amplifier depuis avec, notamment, la création du parti de l’ancien premier ministre Édouard Philippe (Horizons), directement concurrent de la tendance Bayrou (le Modem) et visant à terme à contester la place de leader à Macron. Les difficultés de Macron à constituer un gouvernement après l’élection présidentielle témoignent ainsi des subtils équilibres qu’il a fallu mettre en œuvre au sein de la majorité.
Mais c’est le résultat des élections législatives qui exprime le plus clairement cette instabilité. Macron n’a pas réussi à obtenir une majorité suffisante et devra désormais composer avec une Assemblée nationale instable, ce qui pourrait déboucher sur des crises politiques régulières, voire une grave crise institutionnelle, pouvant ralentir la capacité de la bourgeoisie à mettre en œuvre ses attaques. Il est cependant clair que la bourgeoisie ne manquera pas de retourner cette situation contre la classe ouvrière en réanimant l’idéologie démocratiste à travers l’idée que le Parlement, « la maison du Peuple », jouera « enfin » un véritable rôle dans l’appareil étatique. Dès les résultats annoncés, toute la presse et tous les partis n’ont pas manqué de souligner que le Parlement ne serait plus une simple chambre d’enregistrement, mais un « acteur central de la vie démocratique » avec lequel Macron devra désormais « composer ».
Le résultat de ces élections législatives confirme aussi la progression du Rassemblement national, qui s’installe comme un candidat de plus en plus crédible au pouvoir. La bourgeoisie française va devoir faire face au développement de la pensée irrationnelle au sein même de l’État, dans une grande partie de la population et donc à la montée du populisme. Contrairement aux promesses de Macron d’éradiquer le populisme, le Rassemblement national s’est durablement installé comme une force politique incontournable, tandis que les théories du complot ont explosé à l’occasion de la pandémie. Macron et son gouvernement ne sont clairement pas en mesure de faire reculer ces expressions caricaturales de la décomposition sociale et du no future, d’autant plus que le parti présidentiel a régulièrement joué lui-même avec le feu des thématiques populistes pour se maintenir au pouvoir, et n’a pas hésité à propager de grossières fake news, pendant la crise du Covid, pour dissimuler la responsabilité de l’État, suscitant à son tour la recrudescence des théories complotistes anti-vaccins.
13. Dans les circonstances actuelles, la période à venir va s’avérer extrêmement compliquée pour la bourgeoisie. Avec le développement de l’économie de guerre et l’aggravation de la crise économique, la bourgeoisie va devoir imposer d’énormes sacrifices à la classe ouvrière, en particulier à travers l’inflation et la mise en œuvre de la réforme des retraites que l’État avait été contraint de reporter à cause de la pandémie et du risque de chaos social. La bourgeoisie est consciente qu’elle va donc devoir s’affronter à une colère grandissante.
Le mouvement interclassiste des « gilets jaunes », qui a longuement occupé le terrain social et attiré parmi les franges les plus fragiles et inexpérimentées du prolétariat, était le produit de l’érosion continue de l’identité de classe. Le prolétariat ne parvenait pas à jouer son rôle de classe organisée en lutte et a laissé, par conséquent, le terrain de la contestation aux expressions de colère de la petite bourgeoisie.
Mais le mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-2020 a démontré la capacité du prolétariat en France à se mobiliser sur son propre terrain comme classe antagonique au capital et à développer sa solidarité et son unité, bien que de façon très embryonnaire. Après 9 ans de calme social, le retour de la lutte de classe a mis en évidence un processus de maturation souterraine au sein du prolétariat face à l’aggravation de la crise économique, aux attaques et au discrédit des principaux partis politiques de la bourgeoisie.
La pandémie de Covid-19 a marqué un coup d’arrêt momentané à la dynamique de reprise de la lutte de classe en France. Le sentiment de sidération généralisé et les mesures de télétravail, résultant des confinements, ont fortement renforcé l’atomisation et le sentiment d’impuissance.
Mais la colère a continué de s’accumuler et la combativité n’a pas disparu, comme le prouvent les nombreuses grèves isolées sur tout le territoire depuis des mois. De même, si les théories complotistes ont pu facilement se répandre au sein de la population en général, l’impact de cette pourriture idéologique sur la classe ouvrière en France est resté relativement limité, comme on a pu le voir avec le « convoi de la liberté » et les manifestations anti-pass et anti-vax qui sont demeurées ultra-minoritaires.
Face à ce potentiel intact de lutte du prolétariat de tous les pays centraux, comme on l’a vu récemment en Grande-Bretagne lors de la grève des cheminots, aux États-Unis avec la « striktober » ou encore en Allemagne dans le secteur de la sidérurgie, etc. ces bourgeoisies, à la différence des mensonges grossiers de la propagande russe, ont dû déployer une propagande extrêmement sophistiquée pour présenter le conflit en Ukraine comme une « guerre défensive ». Elles sont loin de pouvoir embrigader la classe ouvrière dans une guerre directe. Le rapport de forces entre les classes dans les pays où le prolétariat est le plus expérimenté, interdit même à ces États d’avoir trop de victimes dans les rangs de l’armée professionnelle.
14. La guerre a, toutefois, déjà un impact négatif sur la classe ouvrière d’Europe de l’Ouest. La barbarie effroyable et les risques, y compris nucléaires, que ce conflit fait peser sur l’humanité a renforcé la peur de l’avenir et le sentiment d’impuissance. Privée de son identité de classe, de sa confiance en elle-même et de toute perspective révolutionnaire, la classe ouvrière est condamnée à subir la guerre comme un événement catastrophique hors de son influence. Sur le plan subjectif, cet événement tragique ne peut, actuellement, que renforcer le no future.
Mais au sein des minorités en recherche de positions de classe, cette guerre peut aussi pousser au développement de la conscience, comme un témoin de la maturation souterraine de la classe dans son ensemble. Pour mieux dévoyer la réflexion, on a ainsi vu des syndicats, notamment quelques sections de la CGT en France, et les partis « radicaux » de la bourgeoisie (anarchistes officiels, trotskistes…) se fendre de communiqués prétendument internationalistes.
Bien que la classe ne puisse pas actuellement se mobiliser sur son terrain directement contre la barbarie de la guerre impérialiste, l’aggravation de la crise qu’elle va induire peut jouer en faveur de sa combativité et de sa conscience. Dans les années à venir, la bourgeoisie devra soutenir un effort de guerre durable et exiger des prolétaires des « sacrifices » pour financer ses impératifs impérialistes, ce qui constitue un terreau fertile pour le développement de luttes. De même, l’inflation, parce qu’elle touche l’ensemble de la classe, peut constituer un terrain favorable au développement de luttes unitaires et solidaires, en même temps qu’elle contient le risque de luttes interclassistes, une partie de la petite-bourgeoisie étant elle-même impactée par ce phénomène. La crise économique reste donc encore la « meilleure alliée » de la classe ouvrière, un puissant stimulant de la lutte et de la prise de conscience.
Malgré toutes ses difficultés, le prolétariat n’est pas vaincu et la situation demeure ouverte. Sa colère et sa combativité ne se sont pas étiolées, au contraire elles vont grandissantes. La bourgeoisie sait qu’elle va devoir affronter une situation explosive et doit donc marcher sur des œufs en multipliant les primes à tel ou tel secteur, les mesures anti-inflation et les concessions sur une réforme des retraites à haut risque. C’est la raison pour laquelle elle prépare le terrain des futures attaques avec beaucoup de soin, non seulement sur le plan politique avec la NUPES, mais aussi au plan syndical, en lançant de grandes manœuvres pour faire monter les cliques les plus radicales dans l’appareil de la CGT. Le positionnement actuel de la CFDT, favorable en 2018 à la réforme des retraites et aujourd’hui vent debout contre, témoigne de l’affichage de radicalité de tous les syndicats qui ont senti l’immense mécontentement dans la classe et la nécessité de se préparer à encadrer les probables mouvements sociaux à venir.
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 12 novembre 2022 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [11]) ou dans la rubrique “nous contacter” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
La démission de Liz Truss après 44 jours comme Première ministre n’est que le dernier volet d’une séquence d’événements chaotiques sans précédents dans la politique britannique depuis le référendum sur le Brexit en 2016 et rien n’indique que les choses vont se stabiliser miraculeusement dans une sorte de retour à la normalité constitutionnelle. Au moment où nous écrivons, une nouvelle bataille pour la direction est en cours : Rishi Sunik semble être le favori mais le retour de Boris Johnson est également une possibilité, ce qui est la claire expression d’un parti à court d’option et qui pourrait être au bord d’une division historique.
Mais la crise du parti tory est en réalité l’expression d’une crise politique bien plus profonde au sein de l’ensemble de la classe dominante et d’un système en décomposition dans lequel la bourgeoisie, de manière générale, perd de plus en plus le contrôle sur sa propre vie politique.
Truss est devenue Première ministre le 6 septembre et a écarté des postes ministériels toutes les personnes qui s’étaient opposées à elle dans l’élection pour la direction du parti contre Rishi Sunik. Le 23 septembre, Kwasi Kwarteng avait annoncé une série de baisse d’impôts qui n’avait pas été chiffrée ou mandatée par le Bureau pour la Responsabilité budgétaire. Cela a eu immédiatement un impact considérable sur la valeur de la livre, comme sur les taux d’intérêts, les fonds de pension, les obligations d’État et sur la disponibilité des prêts hypothécaires. À la conférence du parti tory début octobre, Truss a étiqueté tous les opposants à sa politique économique comme membres d’une coalition anti-croissance, comme s’il y avait des factions de la classe dominante qui n’avaient pas d’intérêt à l’accumulation du capital et au renforcement de l’économie nationale, alors qu’il n’y a que des désaccords au sein de la bourgeoisie sur les moyens d’y parvenir.
Le 14 octobre, Kwarteng avait dû quitter une réunion du FMI aux États-Unis afin d’être limogé (pour avoir exécuté ce qui avait été décidé avec Truss) et était remplacé par Jeremy Hunt comme Chancelier de l’Échiquier. Le 17 octobre, Hunt a annoncé l’abandon de presque toutes les mesures du mini-budget de Truss. Un plan de 45 milliards de livres de baisse d’impôts non financé a subi une amputation de 32 milliards et, au nom de la stabilité et de l’équilibrage des comptes, il y aura une réduction drastique des dépenses. Le plafonnement des prix de l’énergie prévu initialement sur deux ans durera seulement jusqu’à avril prochain et il n’a été trouvé seulement que la moitié des 70 milliards pour combler le trou noir fiscal.
Il est certain que le gouvernement Truss a démontré une incompétence particulière dans le fait de ne pas comprendre quels seraient les effets de sa politique. Mais les racines historiques et le contexte global qui président à la crise économique et politique qui secoue le capitalisme britannique, vont au-delà de l’inaptitude d’une administration particulière.
Historiquement, la bourgeoisie britannique a toujours été capable de faire les ajustements appropriés dans son appareil politique pour faire face à toutes les situations, que ce soit au niveau économique, impérialiste ou dans son rapport à la lutte de classe. Les trois dernières décennies de décomposition sociale ont montré à quel point la bourgeoisie a progressivement perdu le contrôle de son appareil politique, notamment en raison de l’influence grandissante du populisme dans l’une de ses principales composantes. Cela est devenu évident en 2016 avec la maladresse de Cameron consistant en la tenue d’un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne, dans une tentative avortée de contrecarrer l’influence du populisme, notamment celle du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) au sein du parti conservateur.
Depuis la décision du Brexit, nous avons eu droit à May et les négociations sur le départ de l’Union européenne puis à Johnson et son « Getting Brexit done », lequel signifiait accepter un accord dont il devint rapidement évident qu’il serait contesté. Le départ de Johnson fut précipité car sous-entendant qu’il avait été victime d’un coup de poignard dans le dos ; il y a pourtant de nombreux membres du parti tory qui sont toujours ouvertement en faveur d’un retour de Boris Johnson au pouvoir.
Le choix de Liz Truss, émergeant d’un nombre limité de candidats tous entachés par leur implication dans le gouvernement Johnson, aurait pu signifier une rupture avec la surenchère populiste. Mais il a été marqué par l’adoption de fantasmes hérités des principes libéraux thatcheriens qui ont ensuite terni l’image des tories comme gestionnaires responsables de l’économie britannique. L’un des seuls points sur lequel il y a eu continuité entre Johnson et Truss a été leur capacité à changer complètement de position sans aucun scrupule.
Truss et avant elle Johnson, ont rendu l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février responsable de la hausse de l’inflation, et plus particulièrement de l’augmentation des coûts énergétiques. Pourtant, les entreprises du secteur de l’énergie faisaient déjà faillite à la fin de l’année 2021, et l’inflation au Royaume-Uni (dont la hausse est actuellement plus rapide que celle de n’importe quel pays du G7) décollait déjà au cours de la même année et avait atteint 5,4 % à la fin du mois de décembre avant de passer ensuite à une inflation à deux chiffres (la hausse de la plupart des produits alimentaires étant nettement plus élevée). Il s’agit du taux le plus élevé depuis 1982, et cette augmentation devrait se poursuivre selon toutes les prévisions. En ce qui concerne plus particulièrement les coûts de l’énergie, les prix de l’électricité ont augmenté de 54 % et ceux du gaz de 95,7 % de janvier à septembre.
Mais la crise économique du capitalisme britannique n’est pas seulement le produit de la guerre, de la pandémie ou du Brexit. En réalité, la suprématie économique de la Grande-Bretagne dans le monde était déjà remise en question par des puissances montantes comme les États-Unis et l’Allemagne à la fin du XIXe siècle, et les décennies qui ont suivi la Première Guerre mondiale ont été l’histoire de la descente continue de la Grande-Bretagne vers le statut de puissance de troisième ordre. Cette longue descente s’est accélérée dans la phase finale de la décadence du capitalisme : la montée du populisme et le fiasco du Brexit sont un produit évident de cette phase, et s’ils sont certainement un facteur accélérateur dans la tourmente économique et politique du Royaume-Uni, ils n’en sont pas la cause sous-jacente, qui ne peut être recherchée que dans les contradictions insolubles du capitalisme en tant que système mondial.
Il est important de comprendre cela, car il s’agit d’un avertissement pour la classe ouvrière : un changement d’équipe au pouvoir n’éliminera pas la menace croissante de paupérisation. Les choix faits par les différentes équipes au pouvoir ne représentent aucune alternative de moindre mal. Comme le dit la résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI : « [les] changements de politique ne peuvent empêcher l’économie mondiale d’osciller entre le double danger de l’inflation et de la déflation, de nouvelles crises du crédit et des crises monétaires ouvrant toutes sur des récessions brutales ».
Alors que Truss voulait initialement s’attaquer à « l’orthodoxie de la politique du budget public », ce qui a conduit à des paniques sur les marchés financiers, à des augmentations massives de la dette, à une pression sur l’inflation et à des attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière, l’adhésion de Hunt à cette même orthodoxie, dans la dernière des nombreuses volte-faces du gouvernement, signifie la réaffirmation d’un régime d’austérité, sans la prétention d’un « ruissellement » de la richesse. Cela impliquera des réductions des dépenses publiques et des augmentations d’impôts. En bref, de nouvelles attaques contre les conditions de vie des prolétaires.
En l’état actuel des choses, la politique budgétaire signifie une réduction des dépenses publiques, tandis que la Banque d’Angleterre, après avoir essayé de faire face à l’incurie du gouvernement, tentera encore de limiter l’inflation, ce que les commentateurs désignent comme la voie vers une récession plus profonde et plus prolongée.
Un autre domaine dans lequel il y a eu une continuité est celui qui a consisté à renforcer le SNP (Parti National Écossais) en le présentant ainsi que son projet d’indépendance de l’Écosse comme des possibilités viables. En effet, contrairement aux gouvernements Johnson et Truss, le SNP en Écosse s’est comporté dans les limites normales de la respectabilité bourgeoise, toujours prêt à blâmer Londres pour sa gestion des problèmes économiques ou son incurie face à la pandémie. L’éclatement du Royaume-Uni semblait autrefois un doux rêve de nationalistes excentriques, mais le SNP est désormais en mesure de présenter l’indépendance (et le retour dans l’Union européenne) comme une alternative séduisante à la domination des populistes et des extrémistes anglais.
Dans le même temps, la question du statut de l’Irlande du Nord n’est pas résolue, l’accord final du Brexit laissant la bourgeoisie britannique coincée entre le Protocole sur l’Irlande du Nord et l’accord du Vendredi Saint. (1) Le Parti unioniste démocrate (DUP) s’est retranché obstinément derrière le Protocole sur l’Irlande du Nord, mais le gouvernement britannique n’aura pas d’autre choix que de convoquer de nouvelles élections si le DUP ne revient pas à un partage du pouvoir avant le 28 octobre. Le DUP ayant été devancé par le Sinn Fein lors des dernières élections législatives en mai en tant que premier parti régional, il pourrait être réticent à répéter l’expérience. Entre-temps, l’Union européenne et les États-Unis font pression sur la Grande-Bretagne pour qu’elle ne fasse rien qui puisse perturber la situation fragile actuelle en Irlande du Nord.
Avec la guerre en Ukraine, l’impérialisme britannique demeure le plus grand soutien de Zelensky en Europe, tant sur le plan de la fourniture d’armes que sur celui de la rhétorique. Cela représente une charge pour les finances britanniques, et l’engagement précédent de Truss d’augmenter de manière significative le budget de la défense ne sera pas nécessairement maintenu, bien qu’il faille toujours se rappeler que le militarisme est au cœur de la survie du capital national, et que la guerre n’est plus un facteur rationnel en termes de gains économiques ou même stratégiques.
Sur un autre front, la bourgeoisie britannique doit faire face aux luttes de la classe ouvrière. Les luttes de l’été ne se sont pas éteintes avec l’arrivée de l’automne et si, pour l’instant, le contrôle des syndicats en limite l’ampleur, celles-ci représentent déjà une rupture avec des années de passivité et pourraient bien se développer. En réponse, le gouvernement a parlé de renforcer la législation contre les grèves et les manifestations. Toutes les factions bourgeoises utiliseront la répression sous une forme ou une autre, mais la tentative de faire passer des mesures politiques et économiques provocatrices à un moment où la lutte des classes se développe est une autre expression de l’incompétence particulière du gouvernement Truss. D’autre part, malgré cette perte de contrôle croissante de l’appareil politique par la bourgeoisie, il ne faudrait pas sous-estimer la capacité des différentes factions à répondre aux développements de la lutte de classe, notamment par une division du travail entre un gouvernement « dur » et des syndicats aux accents de plus en plus radicaux. Dans le même temps, les partis d’opposition, menés par les travaillistes, redoublent leurs appels à des élections générales, ce qui est un autre moyen éprouvé de saboter la lutte de classe.
Cependant, les conditions objectives de l’aggravation du conflit de classe mûrissent chaque jour. Le capitalisme ne peut éviter de s’attaquer aux conditions de vie et de travail de la classe exploitée, que ce soit sous la forme de l’inflation et de la hausse amplifiée du coût de la vie, ou de la réduction des dépenses publiques, ce qui, dans la pratique, signifie des attaques contre les allocations, les retraites et les services de tout organisme financé par l’État, des services de santé à l’éducation en passant par le logement et les transports publics. La bourgeoisie n’a rien d’autre à offrir que l’austérité et aucun parti d’opposition ne peut représenter une alternative à cela malgré les promesses des travaillistes et du Parti nationaliste écossais.
Dans la défense de ses conditions de vie contre les attaques grandissantes, la classe ouvrière n’a rien à gagner dans les divisions croissantes qui touchent son ennemi de classe : à ce niveau du conflit de classe, il est plus probable que ces dernières soient utilisées pour renforcer les divisions au sein-même de la classe ouvrière (la lutte entre supporters et opposants au Brexit, les soi-disant « guerres de cultures » ont précisément cet impact négatif sur la conscience que les ouvriers ont d’eux-mêmes en tant que classe avec des intérêts communs). Le développement de la lutte de classe dépendra de la capacité des prolétaires de commencer à comprendre qu’il n’y a plus rien dans le capitalisme qui puisse être sauvé et que leur résistance doit se développer dans la perspective de renverser ce système à l’agonie.
Car, 22 octobre 2022
1 Signé en 1998, l’accord du Vendredi Saint a mis fin aux trente années de violences qui firent des milliers de morts en Irlande du Nord (NdT).
La vitesse avec laquelle la Suède et la Finlande ont rejoint l’OTAN est un signe clair du développement rapide de la militarisation en Europe du Nord après l’invasion de l’Ukraine en février dernier. Ce processus, initié par la Finlande, a conduit le gouvernement suédois à un changement de cap historique, abandonnant une politique de non-alignement vieille de plus de 200 ans qui datait de la fin des guerres napoléoniennes. Cette politique, de même que la « neutralité » officielle de la Suède, n’a en effet jamais été qu’un écran de fumée destiné à dissimuler son affiliation de longue date au bloc occidental depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le déroulement rapide des événements après l’invasion de l’Ukraine par la Russie a conduit à une grave intensification de la propagande militariste dans les deux pays, inédite dans leur histoire contemporaine. Le mythe des pays nordiques « pacifiques » est clairement percé à jour, et l’OTAN en profitera pour renforcer son flanc nord, ce qui aura pour effet d’étendre l’encerclement de la Russie et ne pourra que conduire à une nouvelle aggravation des conflits impérialistes en Europe.
La Finlande, qui partage une large frontière avec la Russie (à peu près la même distance qu’entre Lübeck et Monaco), a une toute autre expérience de la « neutralité » que la Suède. Après que la Suède ait perdu la Finlande au profit de la Russie, la Finlande est devenue un grand-duché et faisait partie de la Russie tsariste en 1809, et ce jusqu’en 1917. Les luttes révolutionnaires en Finlande en 1917-1918, qui ont pris la forme d’une guerre civile entre le camp révolutionnaire et les Blancs, ont été écrasées avec l’aide de l’armée allemande. En raison de l’invasion par la Russie en 1939 et de la « guerre d’Hiver » de 1939-40, mais aussi de la guerre contre la Russie aux côtés de l’Allemagne jusqu’à la défaite en 1944, la Finlande a dû se soumettre à de lourdes réparations de guerre à partir de cette même période Cela signifie que la Finlande a été contrainte, après la Seconde Guerre mondiale, d’entretenir une « relation particulière » avec la Russie soviétique et de pratiquer une politique de « neutralité » forcée qui a duré près de cinquante ans, jusqu’à la chute de l’ancien bloc de l’Est. La Finlande était un pays où l’URSS exerçait un important contrôle sans avoir recours à la puissance militaire, comme c’était le cas dans les pays baltes. La politique de « finlandisation » permettait à l’URSS d’avoir le dernier mot lors de l’élection des gouvernements et des présidents, bien que la Finlande ait officiellement une démocratie à l’occidentale.
La perte de la Finlande au profit de la Russie en 1809 (considérée comme « la moitié est du Royaume de Suède » depuis le début du Moyen Âge) a porté le coup final aux ambitions de la Suède qui souhaitait maintenir son ancien statut de grande puissance locale. Durant le XVIIIe siècle, la Suède a peu à peu perdu ses anciennes possessions autour de la mer Baltique, et le nouveau roi en place, le général français Jean-Baptiste Bernadotte, a déclaré en 1818 que la Suède, afin de maintenir la paix avec la Russie, devrait rester « neutre » et éviter de contracter des alliances avec d’autres puissances Européennes.
Cette politique de « neutralité » a été rigoureusement appliquée au cours des deux guerres mondiales, même si la majeure partie de la bourgeoisie avait clairement sa préférence pour le camp allemand. Cela a permis le transport de troupes allemandes au travers du pays jusqu’au nord de la Norvège et jusqu’au nord de la Finlande durant les premières années de la Deuxième Guerre mondiale. Lorsque la guerre éclata en Finlande, la Suède soutint son voisin en lui envoyant de la nourriture, des munitions, des armes et des médicaments. Ce n’est que vers le milieu de la guerre, après Stalingrad, que la bourgeoisie suédoise a effectué un virage « opportuniste » et a commencé à soutenir le camp des Alliés.
Alors que les secteurs traditionnels de la bourgeoisie suédoise entretenaient des rapports étroits avec l’Allemagne, les sociaux démocrates, de plus en plus influents grâce à leur hégémonie au pouvoir entre 1933 et 1976, développèrent de forts liens avec les États-Unis et la Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. La politique de « neutralité » signifiait désormais que la Suède (sans le reconnaître officiellement) aidait l’OTAN et le bloc de l’Ouest dans leurs opérations de renseignement à l’encontre de l’Union Soviétique au cours des années 1950 et 1960. Ce n’est qu’au début des années 2000 que ce « secret d’État » a été révélé, bien après la chute du bloc de l’Est.
Le rôle de la Suède dans les années 1960 et 1970, au plus fort de la guerre froide, peut être illustré par le rôle qu’a joué Olof Palme et son éloquente critique de la politique américaine au Vietnam. Le fait d’être un « allié essentiel » des États-Unis était un atout important pour le bloc de l’Ouest, puisque la prétendue neutralité de la Suède pouvait être utilisée afin d’influencer d’anciennes colonies qui risquaient de basculer dans la sphère du bloc de l’Est.
Après la chute du bloc de l’Est, la Suède a réorganisé ses forces militaires et aboli le service militaire obligatoire pendant plus de deux décennies, seulement pour le réinstaurer en 2017. Avec la menace croissante de la Russie au cours de la dernière décennie, la Suède et la Finlande ont développé une affiliation militaire avec les pays de l’OTAN appelée « Partenariat pour la paix », et des discussions ont eu lieu sur une éventuelle collaboration militaire entre la Finlande et la Suède, mais la question de l’adhésion directe à l’OTAN n’était pas inscrite politiquement à l’ordre du jour des deux pays jusqu’à l’invasion de l’Ukraine.
En moins de deux mois, les sociaux-démocrates suédois ont abandonné la politique de « neutralité » et de non-alignement en dépit des fortes critiques au sein même du parti. Alors que la question de l’alignement avec l’OTAN ne figurait pas à l’ordre du jour politique et n’était défendue ouvertement que par une minorité des partis au Parlement, à savoir le Parti libéral, après l’invasion de l’Ukraine, une forte majorité du Parlement suédois a proclamé son soutien au « processus de l’OTAN ». La question de l’OTAN n’a même pas été abordée lors des campagnes électorales suédoises de cette année. Après les élections, la situation n’a pas changé. Les sociaux-démocrates ont été remplacés par une coalition de droite, dans laquelle les démocrates suédois d’extrême-droite joueront un rôle non négligeable. Mais bien que ce parti ait un passé de prises de position et de connexions pro-russes, il a modifié sa position sur l’OTAN au cours du printemps. Le seul parti ouvertement opposé à l’adhésion à l’OTAN est le parti de gauche, l’ancien parti communiste.
De même, lorsque la Première ministre finlandaise Sanna Marin a déclaré que la Finlande devait adhérer à l’OTAN, cela constituait également une rupture totale avec la politique de « neutralité » et avec l’ancienne soumission à son voisin russe pendant la guerre froide.
Aujourd’hui, le renforcement de l’OTAN sur son flanc nord contient le risque d’une escalade d’un conflit militaire en Europe du nord. Il s’agit d’un autre exemple de la politique à long terme des États-Unis visant à imposer son ordre mondial en encerclant ses principaux rivaux impérialistes, une stratégie qui crée, en réalité, un chaos plus grand, comme l’ont montré les guerres en Afghanistan, en Irak et en Ukraine. Le principal argument en faveur de l’alignement avec l’OTAN a été de « maintenir la paix et la sécurité » et d’attiser ainsi une peur séculaire de la Russie, l’ennemi juré historique des pays scandinaves.
La déclaration de la ministre suédoise des affaires étrangères, Ann Linde, selon laquelle l’adhésion à l’OTAN serait une manière « d’éviter les conflits » et permettrait d’instaurer une situation plus paisible et plus sereine en Europe, est manifestement fausse. Le renforcement de l’OTAN sur son flanc nord signifiera avant tout un renforcement des États-Unis par la mise en place d’un gigantesque bouclier contre la Russie dans les États nordiques et baltes. L’alignement avec l’OTAN et son augmentation obligatoire des budgets militaires à 2 % du PIB (ce qui signifie un renforcement de l’industrie militaire suédoise, Bofors et SAAB) entraînera une instabilité et une insécurité accrues pour la classe ouvrière ainsi que pour l’ensemble de la population. Avec sa tactique hypocrite consistant à apparaître comme « défenseur de la paix » tout en attisant les flammes de la guerre et du chaos, ce revirement stratégique des classes dirigeantes suédoises et finlandaises est un signe clair de l’escalade de la situation en quelques mois seulement.
La militarisation accrue de la société dans les pays Scandinaves (illustrée ce printemps par l’ancienne Première ministre suédoise Magdalena Andersson posant avec un casque dans un char d’assaut lors d’une opération conjointe dirigée par l’OTAN dans le nord) ne conduira qu’à davantage de déstabilisation et de destruction.
Edvin, 19 octobre 2022
« On doit tous se bouger » ! « Il va falloir transformer durablement nos habitudes et nos comportements », « résister », « accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs », accepter « la fin de l’abondance ». Voilà ce que clame Macron depuis près de deux mois pour justifier d’éventuelles pénuries causées par « l’absence de gaz russe ». Mais rassurons-nous, pour « résister », le gouvernement a tout prévu : il suffit de baisser le chauffage, de couper la wifi, d’éteindre les lumières quand on est absent (d’après le sage conseil d’Olivier Veran, porte-parole du gouvernement…), de porter des pulls à col roulé (selon Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances) ou encore de mettre un couvercle pour faire bouillir plus vite l’eau des pâtes… Et pour mieux nous montrer la voie, le château de Versailles, la pyramide du Louvre et la tour Eiffel s’éteindront plus tôt le soir. Ouf, nous voilà sauvés !
On croirait le début d’un sketch humoristique, mais non : il s’agit bien du discours proféré sur toutes les chaînes de télévision et de radio par les principaux représentants de l’État. La société s’auto-détruit, les catastrophes écologiques s’enchaînent, le chaos guerrier s’amplifie, la pauvreté ne cesse d’augmenter, les prix de s’envoler… mais en participant activement au plan de sobriété énergétique de l’État, en faisant chacun de « petits efforts » tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.
La réalité de toute cette propagande ridicule, c’est une attaque idéologique bien plus sournoise, menée aussi bien par le gouvernement que par tous les partis bourgeois de gauche et écologistes. L’État profite, en effet, de l’atomisation des prolétaires pour développer tout un catéchisme citoyen afin d’accompagner idéologiquement et faire accepter les effets de la crise économique, préparer les esprits à des attaques à venir encore plus brutales, comme la loi sur l’assurance chômage ou celle sur les retraites qui ne visent ni plus ni moins qu’à diminuer le montant des pensions et augmenter le temps de travail. Dans un contexte où la colère reste toujours forte, où la lutte du prolétariat au Royaume-Uni peut trouver des résonances dans d’autres pays comme en France, la bourgeoisie reste sur ses gardes. Par exemple, à travers le fameux « bouclier énergétique » permettant de plafonner le prix de l’énergie, l’État français se présente comme le bon samaritain soucieux du sort des plus démunis au nom de la « solidarité nationale » face à la guerre et d’une prétendue préservation de l’environnement ! Il faut « être au rendez-vous de la solidarité et de la sobriété », martèle le président. Le discours est d’autant plus efficace qu’il joue sur les craintes légitimes : celle de la pénurie, de l’accélération de la crise écologique, des coupures d’électricité, de la crise économique et de la guerre. Au fond, il s’agit d’inculquer aux ouvriers qu’ils doivent soutenir l’État démocratique dans sa prétendue quête de justice, de paix et de préservation de l’environnement, y compris au travers de sacrifices pour la guerre et l’économie de guerre. Cela a d’ailleurs toujours été la logique de la bourgeoisie. Churchill en 1940 n’avait rien d’autre à offrir à la classe ouvrière britannique que « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ». Macron, lui, n’a à offrir que la « fin de l’abondance » et des sacrifices afin de venir, prétendument, en aide « aux plus fragiles » dont le nombre ne cesse d’augmenter.
Ces flots de mensonges déversés par l’ensemble de la bourgeoisie (partis politiques, médias aux ordres, patronat, syndicats…) ne visent qu’à faire croire que l’État est l’instrument de « l’intérêt commun », un organisme au-dessus des classes et de leurs petits intérêts particuliers. Autrement dit, un « État providentiel » ! En réalité, cet organe apparu en relation avec le développement des sociétés de classes, est toujours au service de la classe dominante ! Comme l’affirmait Engels dans l’Anti-Dühring : « l’État moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble ». C’est bien l’État capitaliste, qu’il soit patron ou non, qui a contribué à la dégradation de nos salaires et de nos conditions de vie, qui a renforcé l’exploitation des ouvriers depuis des décennies !
De plus, par des slogans tels que « chacun a son rôle à jouer », « la solution est dans notre main », le gouvernement rend chaque ouvrier responsable de la « sur-consommation » énergétique et de la destruction de la planète. Il appelle à se sacrifier et faire de son mieux pour l’effort national en nourrissant un sentiment de culpabilité. La bourgeoisie ne se privera d’ailleurs pas d’expliquer, lorsque les attaques deviendront plus insupportables encore, que tout est de la faute des « égoïstes » qui n’ont pas « joué le jeu ». Alors qu’en réalité la prédation et l’accaparement frénétique des ressources sont essentiellement à mettre sur le compte d’un complexe industriel de l’industrie lourde au service de la machine de guerre, de l’agriculture intensive, du pillage des terres rares et des forêts, de l’anarchie de la production, etc., c’est-à-dire un système qui ne peut exister sans la recherche constante du profit et de l’accumulation.
La fameuse « sobriété » est, en effet, uniquement au service des besoins et des intérêts de la classe dominante, elle n’est rien d’autre que l’une des conséquences du développement de l’économie de guerre et prend la forme d’une véritable insulte pour tous les exploités connaissant les situations de précarité les plus extrêmes et vivant au quotidien, dans leur chair, la « sobriété » des conditions d’existence imposée par l’exploitation de la force de travail par le capitalisme à la surface du monde.
Car tandis que le budget de la Défense explose (en augmentation de 3 milliards d’euros par an entre 2022 et 2025) manifestant par là les velléités toujours plus guerrières de tous les États qui alimentent une concurrence sauvage, les ouvriers doivent se serrer encore plus la ceinture et en subir les conséquences : inflation galopante, pénuries à venir, système de soins à l’agonie, système éducatif à bout de souffle, précarisation des contrats de travail, réforme des retraites à venir, etc. Quelle indécence que d’exiger de « baisser la température dans les foyers » quand une partie toujours plus croissante de la population vie dans des logements mal isolés, quand le prix de l’énergie est tel que des millions de personnes peuvent déjà difficilement se chauffer, alors que des millions d’autres sombrent chaque jour un peu plus dans la « précarité énergétique » à mesure qu’augmentent les prix du gaz et de l’électricité !
Dans le capitalisme, ce système qui ne peut survivre qu’en détruisant la planète, il n’y a pas de solution : ni au réchauffement climatique, ni aux guerres, ni au chômage, ni à la précarité, ni à la misère. Seule la lutte du prolétariat mondial soutenue par tous les opprimés et exploités du monde peut ouvrir la voie à une alternative.
Jeanne, 9 octobre 2022
Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 10 décembre 2022 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [11]) ou dans la rubrique “nous contacter [21]” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Les vastes manifestations en Iran ont été déclenchées par le meurtre en détention d’une jeune femme arrêtée pour « port incorrect du hijab » par la police des mœurs du régime, mais elles témoignent d’un mécontentement beaucoup plus profond au sein de la population iranienne, des centaines de milliers de personnes ayant afflué dans les rues et affronté la police. Au-delà d’un écœurement généralisé face à l’oppression ouverte et légale des femmes par la République islamique, elles sont une réaction à l’inflation galopante et aux pénuries exacerbées par les sanctions imposées par l’Occident à l’encontre de l’Iran et fortement aggravées par le lourd et ancien poids d’une économie de guerre gonflée par la poursuite incessante des ambitions impérialistes de l’Iran. Elles sont également une réaction à la corruption sordide de l’élite dirigeante qui ne peut se maintenir que par une répression brutale de toutes les formes de protestation, y compris la résistance de la classe ouvrière à la stagnation des salaires et aux conditions de travail misérables. Le parlement iranien vient d’adopter de nouvelles lois sanctionnant les exécutions pour des crimes « politiques », et des centaines, voire des milliers de manifestants ont été tués ou blessés par la police de l’État et les grotesquement mal nommés « gardiens de la révolution ».
Ce recours à la répression directe est un signe de la faiblesse du régime des Mollahs, et non de sa force. Il est vrai que le résultat désastreux des interventions américaines au Moyen-Orient depuis 2001 a créé une brèche qui a permis à l’impérialisme iranien d’avancer ses pions en Irak, au Liban, au Yémen et en Syrie, mais les États-Unis et leurs alliés les plus fiables (la Grande-Bretagne en particulier) ont répondu en alimentant l’armée saoudienne dans la guerre du Yémen et en imposant des sanctions paralysantes à l’Iran sous prétexte de s’opposer à sa politique de développement des armes nucléaires. Le régime se retrouve de plus en plus isolé, et le fait qu’il fournisse des drones à la Russie pour attaquer les infrastructures et les civils en Ukraine ne fera que renforcer les voix occidentales qui demandent que l’Iran soit traité, aux côtés de la Russie, comme un État paria. Les relations de l’Iran avec la Chine sont une autre raison pour laquelle les puissances occidentales veulent le voir affaibli encore plus qu’il ne l’est déjà. Parallèlement, nous assistons à un effort concerté des gouvernements des États-Unis et d’Europe occidentale pour instrumentaliser les manifestations, notamment en s’emparant du slogan le plus connu des protestations, « Femmes, Vie, Liberté » :
« Le 25 septembre 2022, le journal français Libération ornait sa première page du slogan “Femmes, Vie, Liberté” en perse et en français accompagné d’une photo de la manifestation. Lors d’un discours sur la répression des manifestants en Iran, une membre du Parlement de l’Union Européenne a coupé ses cheveux en prononçant les mots “Femmes, Vie, Liberté” dans l’enceinte même du Parlement de l’Union Européenne ». (1) De nombreux autres exemples pourraient être énoncés.
Compte tenu de la faiblesse du régime, on parle beaucoup d’une nouvelle « révolution » en Iran, notamment de la part des gauchistes et des anarchistes de tous bords, ces derniers parlant d’une « insurrection féministe », tandis que les factions bourgeoises les plus traditionnelles évoquent un renversement « démocratique », avec l’installation d’un nouveau régime qui abandonnerait son hostilité envers les États-Unis et leurs alliés. Mais comme nous l’avions écrit en réponse à la mystification sur la « révolution » de 1978-1979 : « les événements en Iran font apparaître que la seule révolution qui soit à l’ordre du jour, dans les pays arriérés, comme partout ailleurs dans le monde aujourd’hui, est la révolution prolétarienne ». (2)
Contrairement à la révolution de 1917 en Russie, qui se voulait un élément de la révolution mondiale, les protestations actuelles en Iran ne sont pas menées par une classe ouvrière autonome, organisée par ses propres organes unitaires et capable d’offrir une perspective à toutes les couches et catégories opprimées de la société. Il est vrai qu’en 1978-1979, nous avons eu des aperçus du potentiel de la classe ouvrière à offrir une telle perspective : « Venant à la suite des luttes ouvrières dans divers pays d’Amérique Latine, en Tunisie, en Égypte, etc., les grèves des ouvriers iraniens ont constitué l’élément politique majeur qui a conduit au renversement du régime du Shah. Alors que le mouvement “populaire” regroupant la presque totalité des couches de la société iranienne tendait, malgré ses mobilisations de masse, à s’épuiser, l’entrée dans la lutte du prolétariat d’Iran à partir d’octobre 1978, notamment dans le secteur pétrolier, non seulement relançait l’agitation mais allait poser au capital national de ce pays un problème pratiquement insoluble ». (3)
Pourtant, nous savons que même à cette époque, la classe ouvrière n’était pas assez forte politiquement pour empêcher le détournement du mécontentement de masse par les Mollahs, soutenus par une foule de gauchistes « anti-impérialistes ». La lutte de classe internationale, bien qu’entrant dans une deuxième vague de mouvements ouvriers depuis Mai 68 en France, n’était pas à même de poser la perspective d’une révolution prolétarienne à l’échelle mondiale, et les ouvriers en Iran (comme ceux de Pologne un an plus tard) n’étaient pas en mesure de poser l’alternative révolutionnaire par eux-mêmes. Ainsi, la question de savoir comment entrer en relation avec les autres couches opprimées est restée sans réponse. Comme le disait encore notre déclaration : « La place décisive occupée par le prolétariat dans les événements en Iran pose un problème essentiel que celui-ci devra résoudre pour mener à bien la révolution communiste : celui de ses rapports avec l’ensemble des autres couches non-exploiteuses de la société et notamment les sans-travail. Ce que démontrent ces événements, c’est que :
– ces couches, par elles-mêmes, et malgré leur nombre, ne constituent pas une force réelle dans la société ;
– bien plus que le prolétariat, elles sont perméables aux différentes formes de mystification et d’encadrement capitalistes, y compris les plus archaïques comme la religion ;
– en même temps, dans la mesure, où la crise les frappe avec autant ou plus de violence qu’elle frappe la classe ouvrière, elles constituent une force d’appoint dans la lutte contre le capitalisme dont la classe ouvrière peut et doit prendre la tête.
Face à toutes les tentatives de la bourgeoisie de défouler leur mécontentement dans des impasses, l’objectif du prolétariat est de mettre en évidence qu’aucune des “solutions” proposées par le capitalisme ne peut leur apporter une quelconque amélioration, et que c’est uniquement dans le sillage de la classe révolutionnaire qu’elles peuvent obtenir satisfaction pour leurs aspirations, non comme couches particulières, historiquement condamnées, mais comme membres de la société. Une telle politique suppose de la part du prolétariat son autonomie organisationnelle et politique, c’est-à-dire, en particulier, le rejet de toute politique “d’alliance” avec ces couches ».
Aujourd’hui, les mystifications qui mènent le mouvement populaire dans une impasse ne sont pas tant les mystifications religieuses, ce qui est compréhensible lorsque les masses peuvent facilement voir le visage nu et corrompu d’un État théocratique, que les idéologies bourgeoises plus « modernes » comme le féminisme, la liberté et la démocratie.
Mais le danger est encore plus grand de voir la classe ouvrière se dissoudre en tant que masse d’individus dans un mouvement inter-classiste qui n’a pas la capacité de résister aux plans de récupération des factions bourgeoises rivales. Ceci est souligné par le contexte international de la lutte des classes, où la classe ouvrière commence à peine à se réveiller après une longue période de repli au cours de laquelle la décomposition progressive de la société capitaliste a de plus en plus rongé la conscience que le prolétariat avait de lui-même en tant que classe.
Il ne s’agit pas de nier le fait que le prolétariat a, en Iran, une longue tradition de lutte militante. Les événements de 1978-1979 sont là pour le prouver ; en 2018-2019, il y a eu des luttes très étendues impliquant les ouvriers de la canne à sucre de Haft Tappeh, les camionneurs, les enseignants et d’autres ; en 2020-2021, les travailleurs du pétrole ont entamé une série de grèves militantes à l’échelle nationale. À leur apogée, ces mouvements ont donné des signes clairs de solidarité entre divers secteurs confrontés à la répression de l’État et à de puissantes pressions pour que les travailleurs reprennent le travail. En outre, face à la nature ouvertement pro-régime des syndicats officiels, il y a également eu des signes importants d’auto-organisation des travailleurs dans beaucoup de ces luttes, comme nous l’avons vu avec les comités de grève en 1978-1979, les assemblées et les comités de grève à Haft Tappeh et plus récemment dans les zones pétrolières. Il ne fait également aucun doute que les ouvriers discutent de ce qu’il convient de faire face aux manifestations actuelles et que des appels à la grève ont été lancés pour protester contre la répression de l’État. Et nous avons vu, par exemple en Mai 68, que l’indignation contre la répression de l’État, même si elle n’est pas initialement dirigée contre les travailleurs, peut être une sorte de catalyseur pour que ces derniers entrent sur la scène sociale, à condition qu’ils le fassent sur leur propre terrain de classe et en utilisant leurs propres méthodes de lutte. Mais pour le moment, ces réflexions de classe, cette colère contre la brutalité du régime, semblent être sous le contrôle des organes syndicaux de base et des gauchistes, qui tentent de créer un faux lien entre la classe ouvrière et les protestations populaires, en ajoutant des revendications « révolutionnaires » aux slogans de ces dernières.
Comme l’écrit Internationalist Voice : « La phrase “femme, vie, liberté” est enracinée dans le mouvement national et n’a pas de connotation de classe. C’est pourquoi ce slogan est brandi de l’extrême droite à l’extrême gauche, et ses échos se font entendre dans les parlements bourgeois. Ses composantes ne sont pas des concepts abstraits, mais une caractéristique des relations de production capitalistes. Un tel slogan fait des femmes qui travaillent l’armée noire du mouvement démocratique. Cette question devient un problème pour la gauche du capital, qui emploie le terme radical de “révolution”, et suggère donc que ce slogan soit “conservé” en y ajoutant des extensions. Ils ont fait les suggestions suivantes :
– Femme, vie, liberté, administration municipale (trotskistes) ;
– Femme, vie, liberté, socialisme ;
– Femme, vie, liberté, gouvernement ouvrier ».(4)
Cet appel au conseil ou au pouvoir des soviets circule en Iran au moins depuis 2018. Même s’il trouve son origine dans les efforts réels mais embryonnaires d’auto-organisation à Haft Tappeh et ailleurs, il est toujours dangereux de confondre l’embryon avec sa forme achevée. Comme Bordiga l’a expliqué dans sa polémique avec Gramsci lors des occupations d’usines en Italie en 1920, les conseils ouvriers ou soviets représentent une étape importante, au-delà des organes défensifs comme les comités de grève ou les conseils d’usine, car ils sont l’expression d’un mouvement vers une lutte unifiée, politique et offensive de la classe ouvrière. Les gauchistes qui prétendent que c’est aujourd’hui à l’ordre du jour trompent les travailleurs, avec pour objectif de mobiliser leurs forces dans une lutte pour une forme « de gauche » de gouvernement bourgeois, ornée « d’en bas » par de faux conseils ouvriers.
Internationalist Voice poursuit ainsi : « Contrairement à ceux de la gauche du capital, la tâche des communistes et des révolutionnaires n’est pas de sauver les slogans anti-dictature, mais d’assurer la transparence quant à leur origine et leur contenu. Encore une fois, en opposition aux démagogues de la gauche du capital, se distancer de tels slogans et élever les revendications de classe du prolétariat est un pas dans la direction de la clarification de la lutte de classe ».
Cela est vrai même si cela signifie que les révolutionnaires doivent nager à contre-courant pendant les moments d’euphorie « populaire ». Malheureusement, tous les groupes de la gauche communiste ne semblent pas être à l’abri de certaines des tromperies les plus radicales injectées dans les manifestations. Nous pouvons ici identifier deux exemples inquiétants dans la presse de la Tendance communiste internationaliste (TCI). Ainsi, dans l’article « Voix ouvrières et révoltes en Iran », (5) la TCI publie des déclarations sur les protestations par le Syndicat des Travailleurs de la Canne à Sucre Haft Tappeh, du Conseil pour l’organisation des protestations des travailleurs contractuels du pétrole et du Conseil de coordination des organisations syndicales des enseignants iraniens. Sans doute ces déclarations sont-elles une réponse à une authentique discussion sur les lieux de travail quant à la manière de réagir aux mouvements de protestation, mais le premier et le troisième de ces organismes ne se cachent pas d’être des syndicats (même s’ils peuvent tirer leurs origines d’authentiques organes de classe, en devenant des structures permanentes, ils ne peuvent qu’avoir assumé une fonction syndicale) et ne peuvent donc pas jouer un rôle indépendant de la gauche du capital qui, comme nous l’avons dit, ne défend pas l’autonomie réelle de la classe mais cherche à utiliser le potentiel des ouvriers comme outil de « changement de régime ».
Parallèlement à cela, la TCI ne parvient pas non plus à se distinguer de la rhétorique gauchiste sur le pouvoir des soviets en Iran. Ainsi, l’article « Iran : Imperialist Rivalries and the Protest Movement of “Woman, Life, Freedom” », (6) tout en fournissant des éléments importants concernant les tentatives de récupération des manifestations par les puissances impérialistes extérieures à l’Iran, annonce : « Dans notre prochain article, nous plaiderons pour une autre alternative : du pain, des emplois, la liberté, le pouvoir aux Soviets. Nous traiterons de la lutte des travailleurs et des tâches des communistes, et à la lumière de cela, nous exposerons la perspective internationaliste ».
Mais nous ne sommes pas à Petrograd en 1917, et appeler au pouvoir des soviets alors que la classe ouvrière est confrontée à la nécessité de défendre ses intérêts les plus fondamentaux face au danger de se dissoudre dans les manifestations de masse, de défendre toute forme naissante d’auto-organisation contre leur récupération par les gauchistes et les syndicalistes de base, c’est au mieux se tromper gravement sur le niveau actuel de la lutte de classe et au pire attirer les ouvriers dans des mobilisations sur le terrain de la gauche du capital. La gauche communiste ne développera pas sa capacité à élaborer une véritable intervention dans la classe en se laissant prendre au piège de l’immédiatisme au détriment des principes fondamentaux et d’une analyse claire du rapport de force entre les classes.
Un article récent dans Internationalist Voice souligne qu’il y a actuellement un certain nombre de grèves ouvrières qui ont lieu en Iran en même temps que les manifestations dans les rues : « Ces derniers jours, nous avons assisté à des manifestations et à des grèves de travailleurs, dont la caractéristique commune était la protestation contre le faible niveau de leurs salaires et la défense de leur niveau de vie. Le slogan des ouvriers grévistes de l’entreprise sidérurgique d’Ispahan, “assez de promesses, notre table est vide”, reflète les conditions de vie difficiles de l’ensemble de la classe ouvrière. Voici quelques exemples de grèves ouvrières de ces derniers jours qui avaient ou ont la même revendication : Grève des travailleurs de la compagnie sidérurgique d’Ispahan ; grève de la faim des employés officiels des sociétés de raffinage et de distribution de pétrole, de gaz et de produits pétrochimiques ; grève des travailleurs du complexe du centre-ville d’Ispahan ; grève des travailleurs de la cimenterie d’Abadeh dans la province d’Ispahan ; grève des travailleurs de l’eau minérale de Damash dans la province de Gilan ; grève des travailleurs de la compagnie Pars Mino ; grève des travailleurs de la compagnie industrielle Cruise ; protestation des travailleurs du groupe sidérurgique national ». (7)
Il semble que ces mouvements soient encore relativement dispersés et si les démocrates et les gauchistes multiplient les appels à la « grève générale », ce qu’ils entendent par là n’a rien à voir avec une réelle dynamique vers la grève de masse, mais serait une mobilisation contrôlée d’en haut par l’opposition bourgeoise et mélangée aux grèves des petits commerçants et d’autres couches non prolétariennes. Cela ne fait que souligner la nécessité pour les ouvriers de rester sur leur propre terrain et de développer leur unité de classe comme base minimale pour bloquer la répression meurtrière du régime islamique.
Amos, novembre 2022
1 « The continuation of the protests, labour strikes and general strike [181] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).
2 « Iran : leçons des événements », Révolution internationale n° 59 [182] (17 février 1979).
3 Ibid.
4 « The continuation of the protests, labour strikes and general strike [181] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).
5 « Voix ouvrières et révoltes en Iran [183] » sur le site de la TCI (1er novembre 2022).
6 « Iran : Imperialist Rivalries and the Protest Movement of 'Woman, Life, Freedom [184]'" sur le site de la TCI (2 novembre 022).
7 « The continuation of the protests, labour strikes and general strike [181] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).
Nous publions ci-dessous un extrait du courrier que nous a adressé un lecteur à propos de notre tract international [109] sur la guerre en Ukraine, suivi de la réponse du CCI.
Réception du tract international sur la guerre en Ukraine
Les réactions ont été glanées ici et là et en aucune sorte elles ne sauraient avoir un caractère général sur la perception de cette guerre par la classe ouvrière ou par la population en général. Pour cela, l’étude doit bien évidemment être plus longue et la méthode plus scientifique. Aussi, seule une « enquête ouvrière » pourrait revêtir un aspect objectif.
La guerre en Europe n’est pas une nouveauté, ainsi certains ont du mal à comprendre le caractère spécial de cette guerre si ce n’est la propagande officielle faisant de l’impérialisme russe le « mauvais ». (…) Le tract souligne l’importance pour la classe ouvrière et donc pour les minorités communistes de ne pas prendre parti entre les différents impérialismes dans les luttes que ceux-ci se mènent. Des décennies de propagande stalinienne et/ou tiers-mondiste rendent complexe les prises de positions pour aucun des deux protagonistes étatiques.
Ainsi, il m’a été donné d’entendre des prises de positions fortement « pro-russes » en réalité pour des raisons « d’anti-américanisme ». Il est parfois également difficile d’admettre pour certains la nature impérialiste de l’État russe. « L’impérialisme » ou « les impérialistes » sont utilisés pour parler des puissances de l’Otan et de l’Europe de l’Ouest.
(Le CCI revient sur l’historique des guerres passées depuis la Deuxième Guerre mondiale ce qui est apprécié en raison de la clarté que cela apporte mais a posé des questions par rapport à l’équivalence des différents conflits évoqués.)
La guerre aux périphéries de la Russie n’est également pas nouvelle. Les dernières guerres en Tchétchénie, en Géorgie, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et surtout la guerre larvée entre les deux factions Ukrainiennes, l’une à Kiev et l’autre à Donetsk.
La nouveauté et la surprise résident dans l’intervention directe de l’État russe et dans l’ampleur de cette intervention. Cependant, tandis que le militarisme russe était présenté comme une puissance titanesque, la lenteur de l’avancée militaire russe me fait craindre une surestimation de la puissance militaire russe. Je ne sais pas si les analogies avec la Guerre d’Hiver sont appropriées, ni si elles ont été déjà trop faites mais dans ce cadre elle me semble adéquate.
L’embrigadement de la classe ouvrière derrière la défense de la « patrie » ou de la « démocratie » n’est en revanche pas encore là. Bien qu’il soit évident que dans le cadre électoral la bourgeoisie tente à travers cela d’embrigader une partie de la population derrière elle mais cela semble avoir du mal à prendre. J’admets n’avoir entendu qu’une seule fois la phrase « le dilemme aujourd’hui, c’est qui mettre face à Poutine ». En revanche les positions internationalistes demeurent faibles. Le désintéressement semble être important surtout chez les jeunes.
La guerre quitte les périphéries pour se rapprocher des centres du capitalisme. En se rapprochant des centres elle se met face au danger que représente le prolétariat des pays avancés. La réaction de la classe ouvrière face à l’embrigadement pour la défense de la démocratie semble confirmer le cadre de la décomposition, à savoir que le prolétariat serait trop faible pour s’affirmer de manière offensive, mais pas encore vaincu au point de marcher directement derrière l’État. En ce sens, j’attends avec impatience les articles de polémiques prévues car ils reviendront certainement sur la décomposition et cela me permettra d’approfondir encore un peu.
La guerre nécessite l’intervention des communistes assumant la direction de la propagande contre la guerre, cependant, quelles perspectives de politisation de la classe ouvrière sont ouvertes sur ce thème ? Promouvoir les positions et les intérêts internationalistes du prolétariat est nécessaire mais le tract ne revient que de manière trop large et trop abstraite sur les conséquences économiques en termes de hausse des prix à venir. Or c’est sur ces points qu’il faut insister. Il faudrait peut-être traiter du salaire réel.
Je ne connais pas le calendrier qui a été adopté par l’organisation et si éventuellement d’autres interventions sont prévues sur des points plus spécifiques comme la pression économique qui va s’exercer sur les travailleurs du fait de l’inflation et contre l’embrigadement derrière le Macron chef de guerre démocrate ou les autres candidats développant un point de vue sur un terrain « pacifiste » ou « multipolaire », etc.
Je ne sais pas si tous les problèmes posés par cette guerre peuvent être traités comme un tout et sur un seul front. Je suis trop peu expérimenté pour répondre à la question.
La question des moyens utilisés pour politiser, et du processus de politisation renvoient au rapport de force entre les classes et la « mesure » de la conscience de classe.
Empiriquement, il peut y avoir quelques méthodes ou techniques pour prendre la température mais c’est l’attention portée par la classe aux révolutionnaires et leur propagande qui est déterminante. Ainsi, sur la forme du tract je ne comprends pas pourquoi il ne fait pas émerger des mots d’ordre clairs qui pourront être utilisés. Il ne s’agit en aucun cas d’activisme mais de clarté. Un mot d’ordre pour chaque question soulevée par le conflit c’est-à-dire :
1. L’impérialisme et la réponse internationaliste.
2. Les conséquences à venir pour les ouvriers de tous les pays en matière de baisse du pouvoir d’achat.
3. Lutter contre l’embrigadement derrière l’idéologie démocratique ou derrière le pacifisme.
En fait le CCI évoque toutes ces questions donc ce n’est vraiment qu’une question de forme sur le tract, sur la clarté des mots d’ordres transmis.
Albert, mars 2022
Nous saluons fortement la démarche du camarade consistant à prendre position sur notre tract international (1) et nous rapporter les discussions qu’il a pu avoir à son sujet. Le CCI a besoin de telles initiatives qui stimulent son intervention en la soutenant, la questionnant ou la critiquant. C’est quelque chose d’indispensable pour rendre plus convaincante notre argumentation. Il ne s’agit pas ici d’une « lubie » du CCI, mais de la méthode du mouvement ouvrier. Ainsi l’Iskra (2) dédiait une page de chacun de ses numéros à la publication de correspondances. La Revue Bilan (3), malgré le contexte très défavorable de la contre-révolution, ne perdait pas une occasion de publier des correspondances. En retour, le CCI doit avoir à cœur de répondre le plus clairement possible aux courriers qu’il reçoit.
Pour le camarade Albert, notre tract serait trop abstrait, pas assez en phase avec les réflexions actuelles dans la classe et ses besoins immédiats face à la situation. Le camarade avance notamment la nécessité d’insister davantage sur les conséquences de la guerre sur le plan économique et sur la pression qui va en résulter sur la classe ouvrière. Selon lui, un tel axe d’intervention serait plus à même d’orienter concrètement la classe ouvrière. Avant d’aller plus loin dans la réponse aux critiques du camarade, nous voulons particulièrement soutenir la préoccupation portée par ce courrier à l’intervention des révolutionnaires tout particulièrement dans des moments « brûlants » nécessitant de défendre des principes fondamentaux tels que l’internationalisme prolétarien.
Si notre tract, publié le 27 février, n’intervient pas d’emblée sur les conséquences économiques de la guerre sur la classe ouvrière, c’est parce que, à ce moment-là, cela n’était pas la priorité. En effet, face à un événement d’une telle importance pour le futur, la priorité ne pouvait que s’articuler, selon nous, autour des axes suivants :
Ne pas s’en tenir à cette priorité dans une intervention par tract, à ce moment-là, aurait constitué de notre part une grave erreur politique.
Tout comme notre lecteur, nous sommes convaincus que la clé du problème se trouve dans la mobilisation de la classe ouvrière pour la défense intransigeante de ses conditions de vie face aux attaques croissantes du capitalisme en crise. En effet, pour survivre, celui-ci est contraint d’attaquer toujours plus les conditions de vie du prolétariat et ce dernier, pour survivre, sera également contraint de se défendre de façon toujours plus massive, consciente et unie… jusqu’au renversement du capitalisme ou sa propre défaite.
C’est la raison pour laquelle, très rapidement, la question du nécessaire développement de la lutte de classe a occupé une place plus importante dans notre intervention et ce sera de plus en plus le cas (4). Mais pas de façon abstraite ou à travers des mots d’ordre ne correspondant pas aux possibilités immédiates de la classe ouvrière qui, lorsque qu’éclata la guerre en Ukraine, n’avait pas encore totalement dépassé une certaine paralysie résultant de la pandémie. De plus, la guerre, le déchaînement de la barbarie et aussi en partie les campagnes démocratiques ont plongé, dans un premier temps, la classe ouvrière dans un état de sidération.
Les grèves en Grande-Bretagne ces derniers mois ont révélé un changement significatif de la situation comme nous l’avons affirmé dans un nouveau tract diffusé à l’échelle internationale et dans lequel nous avons particulièrement mis en évidence la nécessité de lutter tous ensemble, en recherchant la solidarité entre les différents secteurs alors que les syndicats n’ont de cesse d’isoler et de diviser les luttes.
Cependant, l’intervention d’une organisation révolutionnaire ne peut se résumer à des tracts, ou à des articles traitant de la lutte de classe, même s’ils sont indispensables.
En effet, si de par sa forme, une intervention par tract permet une diffusion plus large, elle ne permet cependant pas de développer une analyse politique et historique en profondeur de la situation. Or, une telle analyse est absolument indispensable et prioritaire face à des événements, comme l’éclatement de la guerre en Ukraine, de portée mondiale et impactant fortement le futur.
Si le CCI, armé de ses propres analyses, n’intervient pas à ce niveau-là, personne ne viendra défendre à sa place ses propres positions. Cet aspect de notre intervention a été dominant depuis le début du conflit. C’était indispensable afin de nous porter à la hauteur de notre responsabilité consistant à contribuer activement au développement de la conscience au sein de la classe ouvrière. Nous ne pouvions pas faire l’impasse sur les questions suivantes :
En fait, le camarade a conscience que l’intervention d’une organisation révolutionnaire concerne différentes questions : « Je ne sais pas si tous les problèmes posés par cette guerre peuvent être traités comme un tout et sur un seul front. ». À ce propos, nous voulons insister sur ce fait que l’intervention d’une organisation révolutionnaire nécessite un cadre d’analyse qui lui-même doit être vérifié et enrichi par les situations qui se présentent afin de pouvoir faire face aux défis de la période historique. Ce cadre d’analyse doit non seulement sous-tendre notre intervention mais également être présenté au lecteur de façon adaptée.
Enfin, il est une dimension essentielle de note intervention qui doit également être pris en compte : l’appel lancé aux groupes de la Gauche communiste pour défendre conjointement l’internationalisme prolétarien face à l’éclatement du chaos guerrier en Europe. Cette initiative, ayant par la suite donné lieu à une Déclaration commune de plusieurs groupes de la Gauche communiste, se plaçait résolument dans l’héritage du mouvement révolutionnaire et tout particulièrement dans le sillage de la conférence de Zimmerwald. Celle-ci fut un événement majeur pour la défense de l’internationalisme en pleine boucherie mondiale et fièvre nationaliste. Mais elle fut aussi, sous l’impulsion des bolcheviks, un moment charnière permettant de poser les bases politiques pour le regroupement des forces révolutionnaires en vue de la fondation du nouveau parti, après la faillite de la IIe Internationale.
L’intervention par voie de presse est une tâche essentielle et permanente des organisations révolutionnaires. C’est notamment par ce biais que les révolutionnaires peuvent pleinement jouer leur rôle au sein de la classe. Mais pour que celui-ci soit le plus efficient possible il demeure indispensable que leurs prises de position répondent aux besoins concrets de la classe mais toujours avec la boussole pointée dans la même direction : la défense de la perspective révolutionnaire et la nécessité du communisme.
CCI, octobre 2022
2 Organe du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR). Il fut publié à partir de 1900, sous la direction de Lénine, Martov et Plekhanov.
3 Organe théorique de la fraction de Gauche du Parti communiste d’Italie.
4 Nous avons déjà commencé en publiant :
Nous publions ci-dessous une contribution de la camarade Rosalie qui prolonge un aspect abordé lors de la réunion publique tenue à Paris le 17 septembre dernier. Nous partageons globalement les réflexions de la camarade et voulons saluer l’effort théorique produit sur un sujet aussi essentiel pour la perspective révolutionnaire.
Nous voulons cependant faire quelques remarques. Premièrement, la camarade écrit : « À l’origine du capitalisme, les choses étaient simples : on était ouvrier, paysan ou bourgeois et pour ce qui concernait les ouvriers, les revendications étaient sur le terrain des améliorations de salaire ». En fait, les oppressions raciale, féminine ou encore homosexuelle existaient. Seule la dégradation de l’environnement n’en était pas au point de mettre en péril la survie même de la civilisation. Surtout, dans la période de décadence du capitalisme, le prolétariat ne peut plus obtenir d’amélioration significative des conditions d’existence. La bourgeoisie utilise donc tous les moyens pour détourner la classe de son propre terrain de lutte, les luttes parcellaires faisant évidemment partie de ces moyens.
Nous voulons particulièrement insister sur le fait que derrière le développement des multiples « luttes identitaires » évoqués par la camarade, se cache le danger des luttes parcellaires susceptibles de happer des parties de la classe ouvrière sur des terrains de luttes totalement stériles et néfastes à l’affirmation de l’identité de la classe ouvrière, classe exploitée à l’échelle internationale. Aussi, ce n’est qu’en s’efforçant de développer ses luttes de façon autonome que la classe ouvrière sera peu à peu en mesure de recouvrer son identité.
Si dans ce processus long et sinueux, il s’agira d’être attentif aux réactions de la classe ouvrière dans des pays tels que la Chine ou l’Inde comme le souligne la camarade, il faut être clair et lever toute ambiguïté sur le fait que la clé demeure entre les mains du prolétariat des pays centraux du capitalisme, le plus expérimenté et donc le plus capable de déjouer les pièges de la bourgeoisie. C’est à lui qu’incombe la plus grande responsabilité dans la capacité du prolétariat mondial à ouvrir une nouvelle période révolutionnaire. D’autant, que c’est dans ces mêmes pays que figurent les principaux groupes historiques du milieu politique prolétarien.
Malgré son importance sur le plan quantitatif, le prolétariat des pays périphériques reste marqué par des faiblesses beaucoup plus importantes liées à son manque d’expérience. C’est la raison pour laquelle le CCI rejette la théorie du « maillon le plus faible », point de vue de Lénine et développé par l’Internationale communiste. (1)
Enfin, nous voulons fortement souligner la conclusion dressée par la camarade qui pose de façon particulièrement claire l’enjeu contenu dans les luttes présentes et à venir, dans la capacité de la classe ouvrière à recouvrer son identité et développer sa conscience de classe.
Par contre, le prolétariat n’est pas révolutionnaire du simple fait qu’il soit une classe de « dépossédé et d’exploité » comme le souligne la camarade mais aussi par le fait que, pour se libérer de cette exploitation, il doit mettre fin à toute forme de société de classes. La classe ouvrière étant la seule classe sociale permettant de dépasser la société capitaliste.
RI
Samedi 17 septembre, j’ai participé à la réunion publique organisée à Paris avec pour ordre du jour : la suite de l’analyse de la guerre en Ukraine et les grèves en Grande-Bretagne notamment leurs implications au niveau international. Je partage totalement l’exposé reprenant les textes du CCI et voudrais revenir sur la notion d’identité de classe, notion qui nous occupe depuis plusieurs mois dans les réunions publiques et permanences ainsi que dans la presse ; l’ordre du jour de la réunion publique d’aujourd’hui nous rappelle que la compréhension de cette question d’identité est essentielle pour appréhender la période, à savoir : est-ce que la guerre en Ukraine peut être un déclencheur de la lutte de classe autrement dit une forte opposition à la guerre et à l’engagement du prolétariat à la défense du capitalisme ? Ces deux points sont en effet essentiels car ils nous conduisent au cœur de l’alternative : socialisme ou barbarie. J’ai refait un peu d’histoire. À l’origine du capitalisme, les choses étaient simples : on était ouvrier, paysan ou bourgeois et pour ce qui concernait les ouvriers, les revendications étaient sur le terrain des améliorations de salaire, de conditions de travail, etc. Les premières associations ouvrières avaient pour mot d’ordre le fameux « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ». Au fil du déroulement du mouvement ouvrier, la société capitaliste a évolué et fait apparaître d’autres classifications sociales. Aujourd’hui qu’observons-nous ? La société capitaliste, dans sa phase de décomposition, a donné naissance à différentes « crises d’identité » correspondant à autant de groupes d’opprimés. Ces groupes souffrant d’oppressions réelles sont encouragés à se mobiliser dans des luttes identitaires en tant que minorités ethniques, féministes, LGBT, minorités de défense de la nature, du local, antispécistes, alimentation BIO, respect de la vie animale, etc. Tous ces mouvements étant plutôt sur le terrain de la gauche, la droite s’occupe d’autres crises identitaires que ce soit la reconquête de l’homme blanc, de l’homme viril, de la religion comme base de l’organisation sociale, etc.
On le voit, les choses sont nettement plus confuses qu’avant et l’identité de classe qui devrait être revendiquée par le prolétariat devient une notion parmi d’autres, voire moins pertinente que d’autres plus modernes du fait que la bourgeoisie nous explique sans cesse que la classe ouvrière n’existe plus. La situation est d’autant plus complexe que les raisons d’oppressions existent bel et bien. Les agressions dans nos vies ne manquent pas et la vie quotidienne devient de plus en plus difficile pour les plus précaires d’entre nous. La dégradation écologique fait envisager le pis pour les années à venir. C’est dans cette fausse thématique que certains prolétaires se laissent embarquer dans ces mouvements identitaires. C’est pourquoi, il nous faut rappeler quelques vérités historiques : toutes ces manifestations sont étrangères à l’identité de classe et sont le produit de la perte de la seule identité de classe qui peut sauver l’humanité à savoir l’identité de classe du prolétariat avec comme perspective le communisme. On a des outils, me semble-t-il, et on peut s’appuyer sur quelques acquis de la théorie marxiste et le premier d’entre eux : l’exploitation de la classe ouvrière est la pierre angulaire de tout l’édifice capitaliste et c’est pour cette raison que le prolétariat de par sa position de dépossédé et d’exploité est révolutionnaire par nature et que sa lutte contient le renversement du capitalisme. Une fois qu’on a dit cela, une question demeure : Où en est le prolétariat et comment va-t-il agir en fonction de ce qu’il va être obligé historiquement de faire pour éviter la destruction de l’humanité ? Le mouvement ouvrier est né de la reconnaissance d’un intérêt commun de classe qui a été à la base de son identité de classe initiale puis son développement vers sa conscience de classe avec la création de ses organisations révolutionnaires. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le prolétariat reste la classe de la dépossession et sa fonction dans la société capitaliste n’a pas changé. Ce qui ne signifie pas que « mécaniquement » chaque prolétaire aux différents moments de l’histoire ait été ou soit en mesure de se considérer et de se positionner comme détenteur de cette identité. Ceci étant rappelé, on peut se demander pourquoi depuis les années 1980, la bourgeoisie a été capable de mettre en œuvre toute une série de campagnes idéologiques efficaces jusqu’à proclamer la fin de la lutte de classes présentée comme un épouvantail de temps révolus où la société était divisée en classes sociales… ce qui bien sûr serait totalement dépassé et ne correspondrait plus à la période. Ce qu’il convient de faire d’après la bourgeoisie, c’est se battre pour de grands thèmes sociétaux dans lesquels chaque prolétaire est dilué et devient une femme, un jeune, un vieux, une personne discriminée en raison de son origine, de son handicap, de son orientation sexuelle, de ses préférences alimentaires, de son implantation géographique le désignant comme citoyens ou immigrés avec toutes les sous-classifications possibles : politiques, économiques, climatiques, etc. On le voit très clairement, dans cette panoplie de luttes identitaires, le prolétariat a de quoi y perdre sa boussole et partir dans des luttes sans perspective et très éloignées de sa lutte politique. Un autre point à prendre en compte : il faut bien voir que plus cette situation délétère continue plus la décomposition compromet la perspective d’une autre société humaine.
Comment la situation peut-elle évoluer ? La bourgeoisie, même en phase de déclin final, continue à mettre en place quelques mesures pour tenter d’enrayer la machine (2) que ce soit la mondialisation de la production qui a comme conséquence de nouvelles grandes concentrations ouvrières comme en Chine, en Asie du Sud-Est. Ce qui, entre parenthèses, illustre que le capitalisme sans le prolétariat est une vue de l’esprit. Cette mondialisation n’est pas sans poser de problèmes : on l’a vu au moment de la pandémie COVID et de la guerre en Ukraine avec les difficultés d’approvisionnement et de transport et surtout parce que cette nécessité économique se heurte à l’actuelle tendance au protectionnisme nationaliste.
On le voit bien : tous ces éléments objectifs ne sont pas suffisants pour « réveiller » l’identité de classe au sein du prolétariat et il faut la combinaison de plusieurs facteurs subjectifs comme : quel est le niveau politique des nouvelles générations d’ouvriers en Asie ? en Inde ? Et comment vont réagir toutes ces fractions du prolétariat à l’aggravation de la crise qui comme partout dans le monde, vont les mettre par pans entiers dans la plus grande précarité ? Si l’étincelle de la lutte de classe est attendue dans les pays occidentaux industrialisés de longue date et ayant grâce aux organisations révolutionnaires pu sauvegarder les acquis prolétariens, cette nouvelle répartition de l’exploitation ouvrière doit être prise en compte.
Pour conclure, c’est dans cette perspective que les prochaines luttes vont être déterminantes : en effet, soit elles vont permettre au prolétariat d’affirmer son identité de classe et jouer son rôle historique, soit ces luttes vont rester sur le terrain bourgeois auquel cas le prolétariat restera atomisé à la bourgeoisie faute d’engagement politique sur son terrain.
R., 17 septembre 2022
1 Pour de plus larges développements sur ce sujet voir :
– « Débat : à propos de la critique de la théorie du « maillon le plus faible" », [185]Revue internationale n° 37, (2e trimestre 1984). [185]
– « La théorie du “maillon faible” et la responsabilité du prolétariat des “pays centraux” », [186]Révolution internationale n° 491, (novembre-décembre 2021). [186]t
2 Le texte de la camarade semble, ici, contenir une erreur de formulation. Cette phrase nous paraît contradictoire. La camarade ne voulait-elle pas plutôt dire que les « quelques mesures » prises par la bourgeoisie visent à tenter de contenir la plongée du capitalisme dans le marasme ? Donc à essayer de « huiler » la machine plutôt que de « l’enrayer » ? (NdR)
Depuis cet été, la situation sociale a évolué de manière significative en Europe. L’aggravation considérable de la crise économique avec, en particulier, la flambée spectaculaire des prix et ses conséquences dramatiques sur les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière ont poussé le prolétariat à réagir : en Grande-Bretagne d’abord, et dans d’autres pays européens ensuite comme en France, en Allemagne, en Italie ou en Grèce. Des grèves ont été organisées par les syndicats sous la pression du mécontentement qui règne dans la classe ouvrière. Cette situation s’est concrétisée en France par trois journées de grèves et de manifestations (les 29 septembre, 18 octobre et 10 novembre), relativement bien suivie pour la première, un peu moins pour les suivantes. Quoiqu’il en soit, ces événements ont démontré la réalité de la combativité des prolétaires, mais qui, pour le moment, reste parfaitement encadrée par les chiens de garde de l’ordre social que sont les syndicats et les partis d’extrême-gauche.
Certains groupes politiques trotskystes comme Révolution Permanente (RP) et Lutte Ouvrière (LO) se sont fortement mobilisés dans ces grèves avec un discours anti-prolétarien bien rodé. LO s’était déjà exprimée sur les luttes en Grande-Bretagne, avec un discours faussement radical comme à son habitude, en affirmant que « les travailleurs n’ont aucun contrôle sur leurs grèves, entièrement dirigées et décidées par des directions syndicales, qui pourraient y mettre fin sur la base de compromis insatisfaisants », (1) ce qui est exact, même si les « compromis insatisfaisants » montreraient par trop la collusion des syndicats avec l’État-patron, et que « pour que la grève se généralise, pour qu’elle soit commune à l’ensemble du monde du travail, il faudrait que les travailleurs débordent les organisations syndicales des différents secteurs ». Cette officine de l’État bourgeois va même plus loin en proclamant qu’il est impératif de « déborder les organisations syndicales » regrettant que « la plupart des mobilisations sont restées sectorielles » et que « la dynamique des grèves […] est émiettée par cette dispersion et par l’absence de plan d’ensemble ». On retrouve le même discours à propos des récentes grèves et journées de manifestations en France puisque dans le « Bulletin d’entreprise » du 10 octobre dernier, (2) signé par Nathalie Arthaud, LO nous dit que « la lutte est difficile. C’est pourquoi il faut la préparer. Souvent l’initiative des débrayages ou de la grève est prise par les syndicats. […] L’essentiel est que la lutte soit dirigée démocratiquement par les travailleurs qui veulent se battre. » Évidemment, LO ne donne absolument pas la clé permettant à la classe ouvrière de s’approprier sa lutte. Sous des accents de radicalité, LO ne fait ici que propager la mystification classique de l’extrême-gauche selon laquelle c’est à la « base » et non pas « aux directions syndicales » de prendre en charge la lutte, discours dont elle s’est déjà faite le porte-voix zélé pour saboter les luttes de l’intérieur même de syndicats pourtant discrédités. En effet, systématiquement, ses militants appuient de manière directe ou indirecte la sale besogne des syndicalistes.(3) Le seul et unique objectif de cette propagande consiste à épouser verbalement le sentiment de méfiance pouvant régner au sein de la classe à l’égard des « directions » pour mieux enchaîner les ouvriers à l’emprise du syndicalisme à travers l’appel « au syndicalisme de base » ou des « coordinations ». Face à toutes ces mystifications propices à la désorientation des luttes, la seule ligne prolétarienne demeure l’auto-organisation des luttes contre les syndicats (et pas uniquement leurs directions) et le contrôle du mouvement par des assemblées générales unitaires ouvertes à tous les ouvriers.
Le groupe Révolution Permanente, (4) très présent dans les manifestations, est quant à lui sur une approche bien moins subtile : non seulement il laisse entendre que la grève dans les raffineries est « légitime » du fait des profits extravagants des entreprises pétrolières, comme si la lutte pouvait être justifiée, non par les sacrifices que le capital impose à la classe ouvrière, mais par les profits qu’il en tire (et donc que, si le capital perdait de l’argent, la lutte serait bien moins justifiée !), mais ce groupe pousse ouvertement à l’isolement des ouvriers dans leur secteur d’activité, les raffineries, en l’occurrence : « Faire tenir la grève, en alimentant les caisses de grèves des deux entreprises, […] mais aussi par un élan de solidarité, qui peut s’exprimer par des visites de soutien, des communiqués ou motions syndicales de soutien à la grève, et plus globalement par une dénonciation acharnée des profits des groupes pétroliers, de leur politique de destruction de la planète et de leurs profits faramineux : voilà notre tâche actuelle. ». (5) En plus d’appuyer totalement la campagne syndicale de « blocage de l’économie », RP met surtout en scène l’impuissance des ouvriers à soutenir le mouvement dans les raffineries, en transformant les autres secteurs ouvriers en purs spectateurs de cette grève.
La classe ouvrière a déjà depuis longtemps fait l’expérience de ce genre de stratégie qui ne mène qu’à épuiser les ouvriers en grève en les isolant les uns des autres : les secteurs « stratégiques » dans l’économie ne manquant pas, on peut répéter ce genre de stratégie stérile dans autant de secteurs que l’on veut ! La triste expérience des mineurs anglais et de leur année de grève en 1983/84, qui eux aussi cherchaient à « bloquer » une économie alors encore très dépendante du charbon, doit nous rappeler toute l’inanité de ces mots d’ordre. En appuyant le mouvement des raffineries, totalement encadré par les syndicats, isolé malgré la sympathie que lui témoignent la plupart des autres ouvriers, RP ne cherche qu’à étouffer davantage le mouvement et à créer la confusion dans la tête des ouvriers les plus combatifs. RP cherche, en effet, à réduire le combat de la classe ouvrière à des conflits par procuration, une lutte contre un patronat avide et non contre le capitalisme. Du reste, lorsque la situation a commencé à se détériorer, l’État a mis en place la réquisition des quelques ouvriers nécessaires à la remise en marche de la distribution du carburant, et a rouvert les vannes des pompes à essence !
Il existe aujourd’hui non seulement une nécessité de lutter contre les sacrifices que la crise du capitalisme et la décomposition de la société imposent au prolétariat, mais aussi un mécontentement de plus en plus fort menant à une volonté de plus en plus marquée de se battre et d’en découdre. Il existe au sein de la classe ouvrière mondiale une conscience que la situation ne peut qu’empirer, et cette préoccupation devient centrale dans le rapport de force entre la bourgeoisie et classe ouvrière. La bourgeoisie le sait parfaitement, et elle veut absolument éviter que ce mécontentement ne mène à une généralisation des luttes, ce qui permettrait à la classe ouvrière d’éprouver sa force et de retrouver une partie de son identité, de la conscience de son rôle pour la transformation de la société. Pour éviter cela, la classe dominante cherche à encadrer la lutte des exploités au moyen de ses syndicats et à les désorienter en pourrissant leur conscience avec une idéologie faussement prolétarienne.
Depuis Mai 68 et la reprise internationale de la lutte de classe, le gauchisme occupe en France une place importante dans le dispositif bourgeois d’encadrement du prolétariat, notamment du fait de la place très importante qu’y occupait le Parti communiste français stalinien et de la nécessité de lui adjoindre une opposition « critique » de gauche(6). L’effondrement mondial du stalinisme ne peut que renforcer l’importance de la place qu’occupe le trotskysme dans l’organigramme bourgeois et étatique des saboteurs de luttes : leur caution « radicale » (dont on peut voir qu’elle va très loin dans le cas de LO) est fondamentale pour crédibiliser, d’une part, la gauche « de gouvernement », en appelant à « faire pression sur elle » (comme lorsque LO appelait à voter pour le « socialiste » Mitterrand en 1981 ou pour Royal en 2007), et les syndicats, qui sont toujours présentés comme des organes de lutte, mais menés par des « directions syndicales qui jouent le jeu du dialogue social avec le gouvernement et le patronat ». Nulle part, jamais ces officines gauchistes n’expliqueront que les prolétaires, dès lors qu’ils luttent contre la dégradation de leurs conditions de vie et de travail, s’affrontent en fait à l’État capitaliste, et donc que leur lutte est à la fois économique et politique, alors que les syndicats, de par leur nature même, ne peuvent que se cantonner à les encadrer et enfermer sur un terrain strictement économique et limité en désarmant totalement la classe ouvrière face à son principal ennemi, l’État.
Dans les luttes, lorsque les ouvriers parviennent à desserrer le carcan syndical en s’auto-organisant, en menant des assemblées générales avec une réelle prise en main pour discuter des perspectives et des moyens de la lutte, les trotskystes ont toujours joué les chiens de garde empêchant les ouvriers combatifs et les révolutionnaires de participer aux assemblées générales, comme lors de la lutte des cheminots de décembre 1986 ou celle des infirmières en 1988, en sabotant les décisions de ces assemblées générales comme le faisaient les militants du NPA lors de la lutte contre le CPE en 2006, en poussant les ouvriers dans des luttes stériles et isolées dont ils ne peuvent sortir que vaincus, amers et désabusés, comme lors de la lutte des raffineries du mois dernier.
LO et RP cherchent toutes deux à briser la prise de conscience des ouvriers sur la nature et la fonction des syndicats, la première en déviant la réflexion sur une fausse opposition entre base et direction syndicale, la seconde en martelant la validité de la stratégie syndicale sur l’isolement dans la corporation et l’entreprise. Cela signifie, clairement, que la lutte de la classe ouvrière est aussi une lutte contre le gauchisme et contre des organisations comme LO et Révolution Permanente.
Pour la Gauche communiste, il est vital que les ouvriers étendent leur lutte le plus rapidement possible, sortent de l’usine ou de l’administration pour obliger la bourgeoisie à céder le plus rapidement possible sur les revendications. Nous savons combien les grèves longues sont un piège pour le prolétariat. Nous savons aussi que les syndicats seront présents et dangereux jusqu’à la révolution, aussi les communistes doivent-ils dès à présent se battre dans chaque lutte, même la plus petite, pour donner une direction politique très claire sur la nécessité de l’extension géographique de la lutte et la nécessité des assemblées générales. Cette direction politique ne signifie pas que les révolutionnaires puissent organiser la classe ou décider à sa place, mais qu’ils doivent montrer concrètement la validité de cette orientation politique et contrer toutes les tentatives de maintenir la lutte dans l’isolement.
HG, 9 novembre 2022
1 « ne vague de grèves inédite en Grande-Bretagne », Lutte de classe n° 226 (septembre-octobre 2022).
2 « Après le 18 octobre : préparer une lutte d’ensemble », Lutte ouvrière n°2830, (28 octobre 2022).
3 Cf. notre brochure : Bilan de la lutte des infirmières (octobre 1988). Par le biais de « l’entrisme », des militants de LO sont eux-mêmes syndiqués et jouent un rôle non négligeable avec les syndicalistes (au sein de la CGT par exemple).
4 Ce groupe est le produit d’une scission au sein du NPA.
5 « Contre Total et les groupes énergétiques : pourquoi soutenir la grève des raffineurs pour des augmentations de salaire ? », site de Révolution permanente (3 octobre 2022).
6 Le trotskysme cessa d’être un courant du mouvement ouvrier quand il passa définitivement dans le camp de la bourgeoisie au cours de la Deuxième Guerre mondiale en abandonnant l’internationalisme prolétarien au profit de la défense d’un camp impérialiste contre l’autre, en particulier au nom de l’antifascisme ou de la défense de la « patrie socialiste ». Voir la Brochure du CCI : Le trotskysme contre la classe ouvrière [187].
L’accentuation considérable du chaos guerrier provoquée par la guerre en Ukraine, la pandémie de Covid 19 et ses millions de victimes, les catastrophes climatiques s’abattant avec une violence redoublée aux quatre coins de la planète, la crise économique, sans doute l’une des pires de l’histoire du capitalisme, faisant sombrer des pans entiers du prolétariat dans la précarité et la misère... Toutes ces manifestations de barbarie, de chaos et de misères démontrent l’impasse irrémédiable face à laquelle se trouve le capitalisme.
Dès lors, les années 2020 vont marquer, dans toutes les régions du monde et sur tous les continents, une aggravation sans précédent des convulsions, des catastrophes et des pires souffrances. C’est l’existence-même de la civilisation humaine qui est ouvertement menacée ! Comment expliquer cette accumulation et agrégation de tant de catastrophes ?
Pour autant, les luttes ouvrières qui se développent en Grande Bretagne depuis cet été, montrent que la classe ouvrière, certes avec beaucoup de difficultés, commence à réagir et refuse de subir les attaques portées par la bourgeoisie sur ses conditions de travail et d’existence. C’est en développant les luttes sur ce terrain là que la classe ouvrière se donnera les moyens de retrouver son identité de classe et sera en mesure de dégager une alternative face la spirale mortifère dans laquelle le capitalisme plonge l’humanité.
Nous vous invitons à venir débattre de ces sujets en participant aux réunions publiques du CCI qui se tiendront à :
Marseille : le 28 janvier à partir de 15H00, local de Mille Bâbords, 61 Rue Consolât, 13001.
Paris : le 28 janvier à partir de 15H00, CICP, 21 ter rue Voltaire (Métro « rue des boulets »).
Toulouse : le 14 janvier à partir de 14H00, Mairie annexe de Saint Cyprien (Métro « Saint Cyprien »).
Lille : le 14 janvier à partir de 15H00, bistrot « Les Sarrazins », 52 rue des Sarrazins (Métro « Wazemmes »).
L’édition de la coupe du monde du football 2022, aussi « festive » soit-elle, exprime au plus haut point l’irrationalité et la pourriture du monde capitaliste. La bourgeoisie est bien consciente que, cette fois-ci, la compétition pue ouvertement la corruption, comme le révèle le « scandale » du « Qatargate » impliquant un vaste réseau de corruption au sein de l’honorable institution du Parlement européen, subventionné par le Qatar et le Maroc (dont une des vice-présidentes, « socialiste » de surcroît, a été écrouée après la découverte de 600 000 € en liquide chez elle) ou encore le fort soupçon pesant sur le président de l’Union des associations européennes de foot, Michel Platini, d’avoir perçu de substantiels dessous-de-table pour avoir soutenu la candidature du Qatar comme pays organisateur de cette Coupe, et où flotte encore l’odeur des cadavres de milliers d’ouvriers morts sur les chantiers ! Mais elle préfère vite oublier et s’extasier plutôt sur la « bonne organisation de ce Mondial ». Une expression, probablement, de sa cynique « positive attitude » en plein marasme économique ! La bourgeoisie ne pourra jamais se priver d’une occasion pour attiser le chauvinisme et le nationalisme, même si c’est au prix de se rouler dans la fange !
Les conditions de travail terribles des ouvriers qui ont construit les stades, les métros, les logements et la ville nouvelle de Lusail sont connus depuis longtemps : travail forcé, interdiction de boire ou de manger sur le chantier, confiscation des documents d’identités, salaires versés au compte-goutte (voire, pas du tout), logements pourris et surpeuplés, emprisonnement dans les stades ou autres lieux de travail, interdiction de quitter le pays ou de changer d’emploi…
Il est impossible de savoir le nombre exact d’accidents de travail graves et mortels, car le Qatar fait tout pour dissimuler les chiffres. Mais des enquêtes du Guardian, de la BBC et d’Amnesty International indiquent clairement que des milliers d’ouvriers venant du Bangladesh, de l’Inde, du Kenya, du Népal, des Philippines, du Sri Lanka ou du Soudan sont morts dans ces véritables camps de travail. Le comble, quelques semaines avant le Mondial, les survivants ont été expulsés en masses de leur logement pour faire de la place aux supporters et pour « nettoyer » les quartiers de la réalité barbare du sport et de l’exploitation capitaliste.
Cette compétition est aussi une catastrophe environnementale ahurissante. Alors que la planète se réchauffe dramatiquement, que les ressources en eau se raréfient, menaçant des régions entières de désastre écologique, la bourgeoisie n’a pas trouvé mieux que de construire huit stades climatisés consommant chacun 10 000 litres d’eau par jour pour une déplorable compétition sportive !
Face à l’indignation suscitée par la barbarie de la bourgeoisie qatarie, une partie de la presse occidentale et des partis de gauche ont été contraints de dénoncer l’horreur de la situation, comme le caractère rétrograde du régime en place. Comme d’habitude, on nous explique que seuls le Qatar et les instances dirigeantes corrompues du football (c’est-à-dire une partie de la bourgeoisie) seraient responsables de ce désastre. Mais le véritable responsable, c’est le capitalisme !
Les pays « démocratiques » ont mis aussi les deux pieds dans la barbarie ! Car les entreprises de construction, les sociétés de logistique ou de transports sont des firmes françaises, allemandes, chinoises, néerlandaises, belges… Le président de la FIFA, Gianni Infantino, a d’ailleurs répondu cyniquement aux critiques et accusations venant des pays européens : « Combien de ces entreprises européennes qui gagnent des millions et des millions au Qatar ou dans d’autres pays de la région (des milliards chaque année), combien d’entre elles se sont penchées sur les droits des travailleurs migrants ? J’ai la réponse : aucune, car si elles changent la législation, cela signifie moins de profits ». Pour une fois, on ne pourra pas lui reprocher de mentir ! Les pays « démocratiques » participent ainsi sans broncher à la coupe du monde, et pas seulement sur le plan sportif. L’homophobie, l’archaïsme du régime, l’esclavage et les morts ne comptent pas. Les juteux bénéfices valent bien quelques milliers de vie ouvrières. Si l’Émir du Qatar et sa clique de mafieux abjects n’inspirent que le dégoût, loin d’être une aberration, ils ne sont qu’une expression de la réalité sordide de l’exploitation capitaliste !
L’organisation de la coupe du monde au Qatar a été décidée en 2010 par les pays démocratiques, avec le soutien appuyé de la France et des autres puissances occidentales, le tout dans une ambiance de corruption éhontée. Car ces événements sportifs n’ont rien à voir avec la « fraternité entre les peuples » tant vantée par la bourgeoisie. La France, par exemple, a soutenu le Qatar et sa volonté d’apparaître comme une puissance régionale respectable, car elle y a des intérêts importants.
Mais, immédiatement après le vote, les accusations de corruption se sont multipliées, révélant les enjeux et tensions impérialistes derrière la « fête » du football. Ce sont les médias anglais qui ont accusé la FIFA de corruption. C’est la justice américaine qui a enquêté et condamné des responsables dans les diverses organisations internationales de football. Le président américain, Barack Obama, a même ouvertement critiqué le choix du Qatar, parce que les États-Unis voulaient eux-mêmes devenir le pays hôte pour 2022 et en récolter les revenus et le prestige !
Maintenant que la crise de l’énergie fait rage en Europe suite à la guerre en Ukraine, il est encore plus important de maintenir de bonnes relations avec le Qatar, qui est un producteur majeur de gaz naturels liquéfiés. Ce n’est pas un hasard si l’Allemagne et la Chine viennent de conclure des accords pour l’importation du gaz qatari.
Il y a en revanche une chose que les différentes bourgeoisies ne bouderont pas : c’est la propagande nationaliste forcenée que chacune de ces compétitions suscite ! Avec ses drapeaux, ses hymnes nationaux, ses supporters beuglant leur haine de l’adversaire, le Mondial est une nouvelle occasion de déchaîner une énorme campagne pour faire croire aux ouvriers que l’union derrière le drapeau national, celui des intérêts de la bourgeoisie, est une « fête » !
LC, 20 décembre 2022
Liens
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[5] https://fr.internationalism.org/content/10663/caracteristiques-historiques-lutte-des-classes-france-partie-3
[6] https://fr.internationalism.org/content/10757/caracteristiques-historiques-lutte-des-classes-france-partie-4
[7] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/1848
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