Vox (Espagne): Une “voix” clairement capitaliste

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Sur les réseaux sociaux, dans les partis de gauche et d’extrême-gauche, dans les médias, on cherche à nous effrayer en criant au loup fasciste ! Il est évident que le fascisme est l’une des expressions les plus brutales de la barbarie capitaliste, (1) il est clair également que Vox est un parti répugnant, qui affiche une attitude provocatrice et agressive, qui alimente la xénophobie contre les immigrés et défend le nationalisme espagnol le plus rance.

Vox représente-t-il une menace plus grande que les autres partis ?

Cependant, ce serait tomber dans un piège très dangereux pour le prolétariat que de céder à la propagande qui présente Vox comme le Mal Absolu face à ses rivaux bourgeois de gauche (PSOE et Podemos) ou de droite (PP, Ciudadanos) qui représenteraient un moindre mal auquel il faudrait s’agripper coûte que coûte. L’histoire nous a montré que le piège qui consiste à choisir dans le menu empoisonné des fractions capitalistes a provoqué de terribles bains de sang : la boucherie de la Seconde Guerre mondiale (choisir entre le camp nazi et le camp démocratique), la Guerre d’Espagne de 1936 (choisir entre Franco et la République) ou le coup d’État de Pinochet (choisir entre l’ “Unité Populaire” d’Allende et les militaires).

Le prolétariat doit combattre le capitalisme et son État comme un tout et non de deux maux choisir le soi-disant moindre. Sous la domination du capitalisme, le prolétariat a seulement de faux amis et des ennemis déclarés. Entre les partis capitalistes, il n’y a pas de “meilleurs” ou de “pires” : tous représentent la pire alternative. Comme le disait Blanqui, un révolutionnaire du XIXe siècle, “pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de Liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin, de la mitraille, de la misère toujours”.

La défense du capitalisme va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche

Dans l’appareil politique du Capital il y a toute une mosaïque qui va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, passant par tous types de nationalismes, régionalismes jusqu’à des candidatures citoyennes du style Teruel Existe, un parti défendant les “intérêts” de la province de Teruel en Aragon (dans l’actuelle législature parlementaire espagnole, il y a 19 groupes différents !). Il y a entre eux des divergences, des nuances et surtout des intérêts opposés de fraction, de clique ou purement régionalistes ou localistes. Cependant, au-delà de leurs conflits d’intérêts et des querelles interminables auxquelles ils se livrent, ils sont tous unis pour :

– la défense du capital comme mode de production basé sur l’exploitation du prolétariat ;

– la défense de la nation (que celle-ci soit espagnole ou catalane) ;

– la défense de l’État ;

– la volonté de contrôler, diviser et écraser le prolétariat.

Ceci constitue une réalité qui s’applique à tous les pays du monde et qui, pour se limiter au cas de l’Espagne, peut se vérifier si nous analysons l’histoire de la Seconde République (1931-39) et de la restauration de la démocratie (depuis 1975).

Sous la Seconde République

Le premier gouvernement de la Seconde République (produit de la coalition entre républicains et socialistes de 1931 à 1933) assassina 1500 ouvriers lors de la brutale répression des grèves et des protestations des ouvriers agricoles. Il faut particulièrement souligner le massacre de Casas Viejas durant lequel le démocrate Azaña donna l’ordre de “tirer au ventre !”

Le gouvernement suivant, présidé par la droite (la CEDA), massacra l’insurrection ouvrière des Asturies (1934) qui fut suivie par l’emprisonnement de dizaines de milliers d’ouvriers et les tortures les plus sadiques. La répression se fit avec la collaboration de Esquerra Republicana de Cataluña (ERC ou Gauche républicaine de Catalogne, au pouvoir en Catalogne avec le parti indépendantiste de Puigdemont) et son corps d’Escamots qui se chargeaient de torturer les ouvriers combatifs, particulièrement les membres de la CNT.

En 1937, le parti “communiste” fut le principal artisan de la répression sauvage de l’insurrection ouvrière de Barcelone, avec, à nouveau, sa montagne de cadavres et son cortège de tortures et d’emprisonnements. (2)

Franco, avec son régime de terreur (1939-1975), acheva la besogne commencée par ses acolytes de gauche et de droite.

Sous la démocratie (depuis 1975)

Le baptême du feu fut la répression de la grève de Vitoria (mars 1976, cinq morts). (3) L’UCD (1977-1981) imposa avec l’accord de tous les partis (depuis la droite de Alianza Popular jusqu’à la gauche du PCE), le Pacte de la Moncloa qui marqua les premiers pas dans la chute des conditions de vie des travailleurs. Le gouvernement du PSOE (1982-1996) détruisit un million d’emplois et entacha ses mains du sang des trois ouvriers tués pendant la répression des grèves (Gijón, Bilbao et Reinosa). Le gouvernement du PP (1996-2004) entreprit des attaques de grande envergure qui ont généralisé la précarité et ont rendu impossible l’accès au logement. Le gouvernement du PSOE (2004-2011) ouvrit la voie à des coupes brutales dans les prestations sociales, la santé, etc., que généralisera ensuite le gouvernement du PP (2011-2018) avec la complicité du gouvernement régional d’Artur Mas qui fera des travailleurs catalans, les cobayes d’un plan de coupes budgétaires qui s’étendra à toute l’Espagne.

Vox n’a pas eu l’occasion d’exercer le pouvoir (à peine a-t-il fait quelques timides premiers pas dans des coalitions pour des gouvernements autonomes) mais dans la pratique comme sur le fond, il coïncide pleinement avec ses rivaux du duo PP-PSOE. Vox est un autre ennemi des travailleurs

Avec l’avancée de la décomposition, le monstre franquiste ressort du chapeau du PP

Pour comprendre pourquoi surgit Vox, nous devons partir de deux faits. Le premier, de nature espagnole, réside dans la dénommée “transition démocratique” des années 1970. Le second est lié à ce que nous appelons : la phase de décomposition capitaliste, de dimension mondiale et historique.

Un des accords les plus importants de la transition espagnole fut celui de charger l’ancien ministre de Franco, Manuel Fraga, et son parti, d’abord appelé Alianza Popular et rebaptisé ensuite Partido Popular, d’intégrer en son sein l’important secteur franquiste de la bourgeoisie. Ce dispositif fit du PP “le grand parti de la droite” qui englobait des tendances politiques allant de l’extrême-droite jusqu’aux factions libérales, voire avec certaines ayant des accents sociaux-démocrates. Avec cet assemblage, ils purent neutraliser durant quatre décennies des secteurs issus de l’ancien régime qui étaient devenus inadaptés pour affronter les nouvelles nécessités du capital espagnol, particulièrement face à la classe ouvrière qui, d’abord avec les grandes grèves des Asturies en 1962, puis avec les luttes importantes de la période 1971-1976 s’inscrivaient pleinement dans la réémergence générale du prolétariat mondial débutée avec Mai 68.

Cependant, le processus de décomposition capitaliste, un phénomène mondial que nous avons identifié, vint bouleverser ce dispositif bien huilé. Dans les “Thèses sur la décomposition” (Thèse 9), nous signalions : “Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. À la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l’infrastructure de la société. L’impasse historique dans laquelle se trouve enfermé le mode de production capitaliste, les échecs successifs des différentes politiques menées par la bourgeoisie, la fuite en avant permanente dans l’endettement généralisé au moyen de laquelle se survit l’économie mondiale, tous ces éléments ne peuvent que se répercuter sur un appareil politique incapable, pour sa part, d’imposer à la société, et particulièrement à la classe ouvrière, la “discipline” et l’adhésion requises pour mobiliser toutes les forces et les énergies vers la guerre mondiale, seule “réponse” historique que la bourgeoisie puisse offrir. L’absence d’une perspective (exceptée celle de “sauver les meubles” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut”.

Cette tendance à l’indiscipline des différents secteurs de la bourgeoisie qui ne veulent pas être “les premiers à se sacrifier”, ni ne souhaitent être les derniers à “partager la part de gâteau” du pouvoir, et mettent en avant toutes sortes d’intérêts particuliers, localistes, régionaux, etc., amenant le secteur franquiste, qui durant des années était resté silencieux, à sortir à nouveau du bois.

Vox, porte-parole de l’ultra-nationalisme espagnol et de la décomposition idéologique du capitalisme

Fondé en 2013, Vox fut durant les premières années un parti d’appoint. Cependant, le contentieux catalan lui a donné une forte impulsion. Le défi irrationnel et suicidaire de la fraction indépendantiste catalane a donné des ailes au nationalisme espagnol le plus extrémiste. Pour des raisons historiques, le capitalisme espagnol n’a jamais pu s’appuyer sur un nationalisme “démocratique”, capable d’unir toutes ses fractions et particulièrement les partis régionalistes. Au contraire, “la nation espagnole dût s’affirmer, depuis le XVIe siècle, à partir de la prédominance brutale de la féodalité avec ses prétentions impériales, son extrémisme catholique et sa pureté de sang, acquise à travers les expulsions massives de Maures et de Juifs ainsi que le sadisme de la “Sainte Inquisition”. Au XIXe siècle, durant l’apogée du capitalisme, le capital espagnol fut soumis à une succession interminable de convulsions (la perte des colonies, les guerres carlistes, l’instabilité gouvernementale chronique) qui l’obligèrent à s’affirmer comme Nation, pieds et poings liés à ses secteurs les plus réactionnaires. Le développement déséquilibré de l’industrie (principalement en Catalogne) et la mauvaise soudure du marché national, donna un pouvoir disproportionné aux militaires castillans qui, avec leurs violentes actions contre les luttes ouvrières, assuraient aux bourgeois catalans la “loi et l’ordre” et maintenaient d’une main de fer la cohésion nationale. Le résultat fut un nationalisme arrogant, excluant, répugnant pour les classes “populaires” et qui connut son apogée avec le régime franquiste. La transition démocratique de 1975 fut obligée de mettre de côté toute référence au nationalisme espagnol, cédant du terrain aux “Autonomies” et aux illusions d’une “Espagne pour tous”, chose que l’expérience de ces quarante dernières années a radicalement démentie. Désormais, face au défi de ses rivaux catalanistes, le capital espagnol se trouve privé d’un nationalisme “présentable” et doit recourir à “l’espagnolisme”, le nationalisme espagnol de toujours qui donne des ailes à un parti comme Vox”. (4)

Mais Vox possède une seconde composante, non moins importante que la première et qui le rapproche des partis populistes qui prolifèrent aujourd’hui dans les pays centraux (avec les Trump, Salvini, Le Pen ou Orban). Son fond de commerce émane également de la décomposition et spécifiquement de la décomposition idéologique du capitalisme.

La thèse 8 des “Thèses sur la décomposition” mentionnées précédemment, rappelle que les “manifestations de la putréfaction sociale qui aujourd’hui, à une échelle inconnue dans l’histoire, envahissent tous les pores de la société humaine, ne savent exprimer qu’une chose : non seulement la dislocation de la société bourgeoise, mais encore l’anéantissement de tout principe de vie collective au sein d’une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective, même à court terme, même la plus illusoire”. Cela provoque des tendances destructrices : “l’accroissement permanent de la criminalité, de l’insécurité, de la violence urbaine (…), le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir (…), de la haine et de la xénophobie (…) ; La profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite, du spectacle de la violence, de l’horreur, du sang, des massacres qui prend dans les médias une place prépondérante (…) ; le “chacun pour soi”, la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité et son remplacement par la pornographie, le sport commercialisé et médiatisé”.

De ces matériaux pourris, Vox fait surgir ses mantras. Parmi ces derniers, il y a la nostalgie irrationnelle d’un “passé glorieux” qui, en réalité, n’a jamais existé ; comme le disait un présentateur de journal télévisé : “La nostalgie franquiste de Vox n’éloigne pas pour autant ce parti du radicalisme anti-européen britannique : les deux mouvements expriment la nostalgie d’un paysage humain sans immigrés, uniforme (et hiérarchisé). Le regret d’un temps passé durant lequel leurs pays respectifs régnaient de manière effective (pour l’empire britannique) ou fantasmée (“l’unité de destin dans l’universel” de l’Espagne franquiste)”.

Si cette obstination peut sembler ridicule, il y a d’autres “thèmes” sinistres qui sèment la division dans les rangs ouvriers. L’un d’entre eux est la haine de Vox envers les immigrés, qu’il rend responsables de la pauvreté, des services de santé désastreux, du chômage, faisant d’eux des boucs émissaires que l’on accuse de tous les maux imaginables. Dans la même veine, se trouve son négationnisme réactionnaire du machisme envers les femmes, du désastre climatique, etc.

Les conséquences de l’irruption de Vox sur l’échiquier politique

Dans un premier temps, le PSOE a gonflé Vox avec deux objectifs : d’un côté, diviser le vote de droite et, de l’autre, susciter un vote aveugle pour le “moindre mal” afin de “barrer la route au fascisme”. Cette ruse lui a plutôt souri lors des élections d’avril. Pour celles de novembre, il a voulu user du même stratagème, ce qui déboucha sur la mascarade du transfert des restes de Franco afin de mendier à nouveau des voix à gauche et d’alimenter autant que possible la “peur de Vox”.

Mais, cette fois-ci, la manœuvre n’a pas fonctionné. Les violents incidents de Barcelone, fomentés en coulisses par des fractions tant catalanistes qu’espagnolistes, ont propulsé Vox de façon spectaculaire sur le devant de la scène politique. D’un autre côté, les deux partis de la droite “civilisée”, le PP et Ciudadanos, ont payé cher leur stratégie de battre Vox dans la surenchère à l’espagnolisme et à la “loi et l’ordre”. Le résultat a été le naufrage de Ciudadanos.

Globalement, les deux partis fondamentaux de l’État espagnol (PP et PSOE) en sont sortis très affaiblis. Le PSOE a perdu des électeurs par rapport à avril et les gains du PP ont été faibles. La présence importante de Vox, que tous se sont chargés d’alimenter, a profondément altéré le jeu politique, le rendant très difficile à gérer. Le PP ne peut pas cautionner le PSOE en le rejoignant dans un gouvernement de “grande coalition” ou simplement s’abstenir comme le fit le PSOE en octobre 2016. Cela risquerait de renforcer encore plus Vox. Et le PSOE a besoin de “regarder à gauche” s’il ne veut pas ruiner une des armes idéologiques les plus importantes de la bourgeoisie espagnole contre la classe ouvrière : l’antifascisme.

Aussi bien l’ascension de Vox que l’irresponsabilité et les contradictions des “grands partis”, mettent clairement en évidence ce que nous disions au début de l’article : la perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie de son jeu politique et particulièrement de son mécanisme électoral avec lequel elle dissimule sous les traits de la “volonté populaire” ses options politiques de gouvernement. Vox représente un facteur d’aggravation de cette crise, pas tant par l’ “intelligence tactique” de ses “leaders politiques”, mais essentiellement du fait de la déstabilisation et des contradictions croissantes de l’appareil politique dans les pays centraux.

Aucun camp à défendre dans la barbarie capitaliste, mais défendre l’autonomie de classe du prolétariat

Comme nous l’avons vu plus haut, la bourgeoisie a infligé au prolétariat les pires défaites et a entraîné l’humanité dans la guerre impérialiste, la faisant choisir entre fractions de la bourgeoisie, le fascisme ou l’antifascisme, la démocratie ou la dictature, etc. À travers cela, le prolétariat a perdu son identité de classe et son autonomie politique, se convertissant en chair à canon pour les intérêts du Capital, de ses plans de misères, de chômage et de guerre.

Guidé par cette expérience historique, le prolétariat doit rejeter les deux pôles qui, à travers une apparente opposition, renforcent et consolident la domination capitaliste :

– l’antifascisme de la gauche face au fascisme de Vox et la connivence du duo PP/Ciudadanos ;

– les politiques “civilisées et démocratiques” des PP, PSOE, Podemos, face à l’autoritarisme arrogant de Vox ;

– le paternalisme cynique et hypocrite du PSOE et de Podemos avec les immigrés, face à la xénophobie et le racisme de Vox ;

– la supposée “politique sociale” et le féminisme du couple PSOE/Podemos face au machisme et au traditionalisme aberrant de Vox ;

– l’étatisme et l’augmentation des impôts “pour les riches” du couple PSOE-Podemos face aux mesures “libérales” de réduction des impôts du trio de la droite (Vox, PP et Ciudadanos).

Face à ces élections qui le livrent pieds et poings liés à l’enfoncement inéluctable du capitalisme dans la misère, la destruction, la guerre et la barbarie, le prolétariat doit défendre :

– autochtone ou immigrée : une même classe ouvrière ;

– la réponse massive, unie et auto-organisée contre les mesures de licenciements, les baisses de salaires, la précarité, etc., que tous les gouvernements pratiquent ;

– la perspective de son unité internationale et la lutte pour une société sans exploitation, sans frontières, sans États, sans divisions en classes, la communauté humaine mondiale, le communisme.

S, 16 décembre 2019

2Voir notre article en espagnol : “Franco y la República masacran al proletariado”.

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Rubrique: 

Vie de la bourgeoisie