La France Insoumise, encore et toujours au service du capitalisme

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Suite au premier tour de l’élection présidentielle, Mélenchon est arrivé en troisième position, à quelques centaines de milliers de voix de la qualification au second tour. Il doit son relatif succès à la mobilisation de l’électorat populaire et ouvrier des anciens « bastions rouges » de la banlieue parisienne et des concentrations ouvrières de la plupart des grandes villes françaises. Sa candidature a pris également chez beaucoup de jeunes pourtant plus méfiants envers tous les discours convenus des bonimenteurs patentés du cirque électoral. Alors que les partis historiques de la gauche, PS et PCF en tête, ont fait naufrage, décrédibilisés, incapables de représenter le moindre espoir aux yeux d’électeurs désabusés, La France insoumise (LFI), avec son leader charismatique Mélenchon, se présente désormais comme la « force de gauche » par qui peut venir l’espérance d’un avenir meilleur. Elle se donne à la fois l’image du recours face au « libéralisme » bourgeois, au « pouvoir de l’argent » et des « riches », face aux attaques du pouvoir macronien comme au danger « fasciste » du Rassemblement national de Marine Le Pen…

À travers son slogan « un autre monde est possible », LFI se présente même comme une force alternative en opposition à la société capitaliste. Et ce alors que de larges parties de la classe ouvrière et de la nouvelle génération constatent la putréfaction du monde capitaliste sous les coups de butoir de la crise et de la guerre et la nécessité de « changer la société ». Il n’est dont pas surprenant qu’après son échec pour accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle, Mélenchon s’est empressé d’appeler à la mobilisation massivement dans les urnes lors des élections législatives afin, selon lui, de « contraindre » Macron à le nommer premier ministre et assurer une prétendue « opposition ».

Depuis l’élection de Mitterrand et du PS au début des années 1980 et la participation du PC aux gouvernements de la gauche, la classe ouvrière sait à quoi s’en tenir avec la gauche et ce genre de palabres. Derrière les grands discours « émancipateurs » se cache la poursuite de l’exploitation la plus effrénée, les attaques à n’en plus finir des conditions de vie, et la répression des luttes sociales et des grèves. Le discrédit de ces partis est justement le fonds de commerce d’un Mélenchon qui pousse à penser qu’une « vraie » gauche pourrait réellement « changer la vie ». Il n’en est clairement rien !

Car ce projet porté par Mélenchon n’est en rien novateur. C’est une copie modernisée des fausses alternatives véhiculées par toutes les fractions social-démocrates radicales, écologistes et citoyennes. (1) Avec ces habits neufs, la bourgeoisie tente donc de redynamiser l’idéologie portée par la gauche du capital et de remplacer un stalinisme clairement moribond en réactivant le programme, tout autant anti-ouvrier, de la vieille social-démocratie. En appelant à « l’union populaire » pour « un autre monde possible », Mélenchon et sa clique, veulent nous faire croire qu’ils constituent, par un recyclage d’idéologies pourtant périmées, une alternative au capitalisme. Dans la réalité, ils en sont toujours de fervents défenseurs !

Un programme mystificateur et va-t-en-guerre

Pour faire face à la crise, le « Programme de l’Union populaire » propose « de grands chantiers pour relever le défi écologique… Engager un plan global de rénovation de nos infrastructures pour les adapter au changement climatique ». Est-ce une nouveauté susceptible de « créer plusieurs centaines de milliers d’emplois et réduire massivement le chômage » ? Depuis quelques années, la campagne idéologique en faveur d’un « New Deal vert » prétend résoudre tout à la fois le problème du changement climatique, du chômage et des inégalités. Le « New Deal vert » propose, nation par nation, des plans mirifiques pour une nouvelle croissance basée sur des énergies, une production et des infrastructures écologiques, promettant un soutien à l’économie en s’appuyant sur l’augmentation des dépenses. En fait, le « New Deal vert » trouve sa très pâle inspiration dans la politique capitaliste d’État menée dans les années 1930 aux États-Unis afin de relancer la croissance, suite à la grande dépression de 1929. Le New deal de Roosevelt n’a finalement été qu’une politique de grands travaux basée sur le recours massif et inédit à l’endettement étatique, permettant de construire navires et avions de guerre, bases militaires et terrains d’aviation. Ce n’était d’ailleurs pas différent des politiques en vigueur à cette époque en Allemagne, quand de nombreuses autoroutes étaient construites en préparation de la guerre à venir. Voilà la logique concrète contenue dans une telle proposition radicale !

Des propositions du même acabit ont également éclos sur la « garantie d’emploi, réduire le temps de travail, en finir avec la flexibilité ». (2) Là encore, des propositions mirifiques qui font « rêver » ! La réalité, c’est que chaque soi-disant avancée sociale, notamment portée par la gauche au pouvoir (semaine de congés payés supplémentaire en 1982 ou 35 heures. en 2000) s’est systématiquement traduite par l’aggravation de l’exploitation avec l’augmentation des cadences, le gel des salaires et la précarisation accrue de l’emploi, tout cela amenant pression, souffrance au travail, suicides parfois, précarité et « mobilité » pour tous les exploités.

Penser qu’il pourrait en être autrement, par enchantement, dans un contexte de crise et concurrence capitaliste accrue et acharnée (que revendique d’ailleurs totalement le candidat Mélenchon) est une pure illusion. En effet, la « relocalisation des productions essentielles, engager un plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France dans les domaines stratégiques (semi-conducteurs, médicaments, etc.) et pour soutenir la bifurcation écologique », outre l’endettement massif, ne pourrait se faire qu’au prix d’une réduction drastique des coûts de production et d’une attaque cinglante de nos conditions de vie. Ce sont là les lois inexorables du système capitaliste !

Quant à la promesse de gauche éculée du « partage plus juste des richesses » et de « faire payer les riches », c’est encore de la poudre aux yeux : Mélenchon et sa clique n’ont rien de plus à proposer qu’un énième saupoudrage de « nouvelles » recettes fiscales, notamment un rétablissement de l’impôt sur les grosses fortunes supprimé par Macron et une taxation plus forte de l’État sur les propriétés immobilières.

Autre proposition altermondialiste prétendant en finir avec le chaos et la barbarie guerrière dans le monde, d’autant plus importante dans ce contexte d’accélération guerrière comme aujourd’hui en Ukraine : « Pour promouvoir la paix et la coopération », « retrouver une voix indépendante, assumer l’indépendance de la France dans le monde, est une nécessité ». Derrière un tel discours récurrent se cache le chauvinisme le plus crasse promettant les horreurs guerrières de demain : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Au nom de ce principe de va-t-en-guerre guerre, concrétisé à l’extrême dans toute l’histoire du capitalisme, des millions d’exploités y ont laissé leur vie, dans la défense d’intérêts nationaux bourgeois qui n’ont jamais été les leurs, en toute « indépendance ».

Mélenchon en remet une couche qui ne se pare même pas d’oripeaux pacifistes : « La France peut et doit se défendre elle-même, en dehors de toute alliance militaire permanente quelle qu’elle soit. Pour cela, la défense doit être l’affaire de la Nation tout entière ». Pour ce faire, les propositions sont multiples et très expressives d’un avenir soi-disant « radieux » de coopération et d’entente mutuelle : « Stopper les privatisations des industries d’armement et des missions de défense nationale, puis les réintroduire dans le secteur public. Prioriser l’acquisition de matériel militaire français dans l’armée. Ouvrir la possibilité d’un service militaire comme composante optionnelle du service citoyen obligatoire. Mobiliser l’espace numérique et la réalité spatiale pour installer des systèmes défensifs et non létaux contre les agressions et pour la paix. Adapter le matériel militaire et l’équipement de nos soldats à la nouvelle donne climatique. Lancer un plan d’adaptation des infrastructures militaires vulnérables ». N’en jetez plus, la cour est pleine ! Si d’aucuns pouvaient s’illusionner sur la vision du futur un tantinet « révolutionnaire », « solidaire » et « radical » de Mélenchon, ils ont la démonstration sans fard d’une perspective chauvine et va-t-en-guerre décomplexée.

Nous pourrions multiplier à l’envi toutes les propositions supplémentaires pour une « défense nationale » du renseignement, de l’anti-terrorisme, d’une police de proximité plus efficace, de techniques de répression plus « républicaines » au service de l’État !

La France Insoumise, fer de lance de la division au sein de la classe ouvrière

Il existe donc aujourd’hui dans les rangs ouvriers et dans la jeune génération beaucoup d’illusions sur la nature de LFI du fait notamment de la perte de repère que subit la classe ouvrière sur sa conscience d’elle-même et sa capacité à entrevoir la société communiste dont elle est porteuse. Mais si ces difficultés existent bel et bien, elles ne signifient pas une incapacité irréversible de recouvrer son identité de classe et la conscience du but à atteindre. Et cela, la bourgeoisie le sait et veille à éviter qu’une telle « catastrophe » se produise au travers des mystifications véhiculées par les partis de gauche.

LFI est désormais la principale force de la gauche capable d’assumer ce rôle d’encadrement idéologique du prolétariat. À la fois :

– En stérilisant le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière par sa dilution dans l’amas informe du « peuple français », des « couches populaires » et « citoyennes ».

– En dévoyant le but d’une société sans classe sociale, sans exploitation et sans État par un prétendu égalitarisme garanti par l’État républicain.

– Enfin, en torpillant les luttes passées et à venir, en sapant la recherche de l’unité et de la solidarité au sein de la classe ouvrière. Pour s’en faire une idée, il est nécessaire de revenir sur la tentative idéologique ignoble de LFI de division générationnelle que l’on a vu déjà à l’œuvre pendant la pandémie et qui s’est réactivée avant ce premier tour et juste après : en clair, les vieux seraient la génération par qui le mal arrive, celle qui, pour beaucoup, ne s’est pas protégée et a entraîné le confinement de tous et le sacrifice des jeunes. Aujourd’hui, LFI et ses relais médiatiques stigmatisent le vote des ex-babyboomers pour Macron et Le Pen. Le conservatisme réactionnaire des vieux empêcherait les « forces vives » de la jeunesse (votant davantage pour Mélenchon) de se donner une perspective. Insinuer ouvertement ou par la bande que les retraités ont leur « carrière derrière eux », ont égoïstement profité du plein emploi, du consumérisme et de la retraite à 60 ans est une ignominie à vomir dont Mélenchon se sert pour caresser dans le sens du poil de jeunes électeurs, en majorité diplômés, face à un avenir plus qu’incertain, et pour diviser les ouvriers.

Outre l’aspect grossier de cette campagne, l’idéologie dominante tente en fait d’entraver toute potentialité d’une véritable unité et solidarité pour les luttes à venir, décrédibilisant toute l’expérience accumulée par les générations ouvrières précédentes, si nécessaires pour renforcer les luttes à venir. Voilà encore l’expression concrète de la « coopération » et de la « morale » prônées par le sieur Mélenchon. Au bout du compte, derrière les affirmations qu’« un autre monde est possible », il faut clairement lire « un même État national est possible ».

Il est donc nécessaire de rappeler une vérité toute simple : pour les prolétaires, l’État est le fer de lance de l’exploitation capitaliste ! Qui mène sans cesse des attaques générales contre les conditions de vie de la classe ouvrière ? Qui réprime la moindre expression de révolte contre l’ordre établi ? C’est l’État bourgeois ! Hier, aujourd’hui et demain, tous ses défenseurs, ses « réformateurs » affichés, par les urnes, par les discours ou les programmes, aussi radicaux soient-ils, n’en sont que des rouages directs et indirects. Mélenchon et LFI sont des ennemis de la classe ouvrière, de ses luttes et de ses efforts pour renforcer la conscience prolétarienne d’une alternative révolutionnaire nécessaire et possible.

Stopio, 23 avril 2022

 

1 Comme celles du Parti Socialiste Unifié en son temps. Celui-ci avait été présenté comme la tentative de construire une démarche de « réformisme révolutionnaire », très marqué par la logique du « grand soir ». Ses contributions aux pièges et aux impasses autogestionnaires, comme lors des luttes de Lip, avaient contribué, comme tant d’autres, à dévoyer toute la réflexion prolétarienne suite à Mai 68.

2 Voir : « 32 heures : La face cachée de la réduction du temps de travail » sur le site internet du CCI.

Situations territoriales: 

Personnages: 

Récent et en cours: 

Courants politiques: 

Rubrique: 

Élection présidentielle en France