Les maltraitances dans les maisons de retraite sont un produit de la barbarie du capitalisme

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La publication de l’enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, a remis sur le devant de la scène médiatique le traitement barbare auquel sont soumises d’innombrables personnes âgées dans les maisons de retraite. Bien sûr, la bourgeoisie, gouvernement en tête, a feint la stupéfaction : Comment ? On maltraite les vieux dans les EHPAD ? C’est une « révélation » fracassante ! Alors, branle-bas de combat ! Convocation du directeur chez la ministre de l’Autonomie ! Indignation gouvernementale ! Enquêtes administratives !…

Un secret de Polichinelle enfin révélé ?

Quel cynisme ! Quelle ignominie de la part de tous ces faux indignés ! Ce n’est pourtant pas la première fois que de tels scandales éclatent. Si ces récentes publications ont le mérite de remettre sur le tapis des pratiques choquantes à grande échelle, elles n’ont de « révélations » que le nom. Il suffisait d’écouter, parmi tant d’autres, le cri de détresse du personnel de la maison de retraite des Opalines à Foucherans dans le Jura, en grève pendant cent jours, en 2017 ! Ou la colère des aides-soignants lors de la grève nationale de 2018 ! Ou les alertes répétées des familles restées lettres mortes pendant des années ! Il suffit de prêter l’oreille à l’angoisse des anciens redoutant l’heure fatidique où, faute de solutions, il faudra bien quitter la maison et rejoindre un EHPAD. La stupéfaction indignée de la bourgeoisie n’est qu’une triste farce car tout le monde sait pertinemment comment sont traitées les personnes âgées dans la plupart des établissements !

Partout, dans le privé comme dans le public, la politique des directions est, dans le fond, similaire : réduction drastique des coûts, y compris pour la bureaucratie d’État dans les établissements publics, obsédée par les chiffres de ses tableurs Excel, rentabilité et profits coût que coût dans les établissements privés. Partout, des contrats précaires pour ajuster le personnel en fonction du taux d’occupation des chambres, le manque chronique de matériel basique (gants, papier toilette…), bas salaires et formations insuffisantes. Tout cela ne peut que générer de la souffrance au travail pour les employés et de la maltraitance pour les « résidents ». Les salariés subissent non seulement une exploitation féroce et une course à la rentabilité les contraignant à traiter les personnes agées comme de la marchandise (sous peine de perdre leur boulot), mais ils sont aussi régulièrement culpabilisés par des directions qui, pour se dédouaner à l’annonce du moindre scandale, n’hésitent pas à pointer les « besoins en formation » (en langage clair : l’incompétence du personnel !). Devoir traiter de façon si indigne des personnes vulnérables qu’on côtoie au quotidien et avec qui on noue, forcément, des liens affectifs, c’est aussi une immense souffrance psychique : « On sait bien qu’on n’habille pas bien, qu’on ne lave pas bien. Faire face aux familles sachant ça, c’est dur », disait déjà une aide-soignante lors de la grève de 2018. (1)

Quant à la « clientèle » (parce qu’il ne s’agit, finalement, que de cela !), les conditions d’existence sont tout bonnement révoltantes. Les sous-effectifs se traduisent par des toilettes bâclées et irrégulières parce que le temps dont dispose le personnel pour des personnes dépendantes est souvent de moins de dix minutes, par des petits vieux dormant parfois dans leurs urines parce que les deux aides-soignantes de nuit sont débordées et que les « résidents » n’osent pas déranger, ou par des assistances au moment des repas de cinq à six personnes en même temps, voire plus… La maltraitance est parfois cauchemardesque : les cas de malnutrition ou de déshydratation, voire de brutalisation physique, sont nombreux. Des témoignages ont même rapporté que des personnes âgées tombées au sol n’étaient pas relevées pendant des heures et que d’autres, en pleine crise de démence, étaient enfermées dans leur chambre, comme en prison. Les 390 pages du livre de Victor Castanet sont pleines de scènes plus ignobles les unes que les autres.

Public ou privé : le responsable, c’est le capitalisme

Pour le capitalisme, les vieux, comme les handicapés, les marginaux ou les clochards, ne sont que des bouches inutiles à nourrir, des improductifs aux yeux de l’État et des patrons, des « assistés », tout juste bons à se faire « plumer » par des rapaces comme ceux du groupe Orpea. Dans les sociétés du passé, les anciens étaient respectés parce que leur expérience était un trésor à transmettre aux générations futures. Dans le monde sans lendemain de la bourgeoisie, la « personne dépendante », si elle veut survivre, doit être solvable, parce que les maisons de retraite, au même titre que n’importe quelle entreprise, doivent faire l’objet d’un « retour sur investissement ». Pour ce faire, tous les moyens sont bons pour rogner sur les coûts et employer un minimum de personnel.

Mais toute la campagne médiatique et la fausse indignation du gouvernement contre le « cynisme pur » de ce « groupe privé » n’est qu’une tartuferie ! D’abord parce que l’État finance grassement ce juteux business et qu’il est censé assurer un contrôle, via les Agences régionales de santé notamment, d’une inefficacité criante : il faut dire que les effectifs d’inspecteurs n’ont cessé de fondre d’année en année.

Mais, surtout, dans les maisons de retraite publiques, la situation n’est pas meilleure ! Partout, les mêmes coupes budgétaires et les mêmes suppressions de poste ont engendré la même maltraitance et la même souffrance au travail. Contrairement aux balivernes des gauchistes, défenseurs zélés de l’État « social », ce dernier n’échappe pas à la logique capitaliste de la rentabilité. Face à la concurrence sans limite entre nations, il doit aussi assurer la rentabilité maximum dans ses services, minimiser les coûts et maximiser l’exploitation. Pour l’État, le bien être des vieux, surtout ceux de la classe ouvrière, ne sont pas un investissement profitable mais une charge insoutenable. Dans un contexte de décomposition des rapports sociaux qui fondent toute vie en société, même le plus simple vernis « morale » n’a plus prise : si l’État accepte de « prendre en charge la dépendance », c’est parce que s’occuper à plein temps de personnes âgées est un frein à l’exploitation de leurs enfants qui doivent, par contre, assurer l’énorme charge financière. Le soi-disant « État providence », « garant » de la « solidarité », n’est qu’un mythe ! Dans la réalité, c’est le plus féroce et le plus cynique de tous les patrons !

En polarisant à nouveau la responsabilité des violences dont sont victimes les personnes âgées sur tel ou tel « groupe privé », sur tel ou tel directeur crapuleux, sur tel ou tel « manquement dans les contrôles », la bourgeoisie et ses médias cherchent, encore une fois, à détourner l’indignation du prolétariat du terrain de la réflexion sur les racines de cette barbarie. La violence dans les rapports sociaux et la maltraitance dans les maisons de retraite sont non seulement à l’image de la barbarie du capitalisme, mais elles en sont également le produit direct.

EG, 5 février 2022

 

1« Chez Orpea, la fin de vie se paye au prix fort », Mediapart (29 janvier 2018). Signalons que l’article date de 2018 et concernait déjà le groupe Orpea aujourd’hui mis sur le banc des accusés.

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