Durant plusieurs semaines, la Pologne a connu un important mouvement de contestation suite à la décision du tribunal constitutionnel de Varsovie (saisi par le parti au pouvoir, “Droit et justice”) de quasiment interdire l’avortement pour les femmes enceintes de fœtus souffrant de malformations même graves et irréversibles. Les seuls cas d’IVG légaux seraient désormais justifiés en cas de viol, d’inceste ou de mise en danger de la vie de la mère. Cet arrêté ne concerne pourtant que 2 % des IVG réalisées l’an passé, alors qu’environ 200 000 femmes doivent déjà aller à l’étranger pour se faire avorter. Cette décision prise en pleine pandémie de Covid semble avoir été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et fait descendre dans les rues des grandes et petites villes des milliers de manifestants.
Les slogans expriment crûment le degré de révolte légitime de ces derniers : “Je ne veux pas qu’on m’oblige à accoucher d’un fœtus mort” ; “Ils te forcent à mener la grossesse à terme et à accoucher pour pouvoir administrer le baptême à l’enfant mort-né avant de l’enterrer” ; “Vous êtes des criminels, halte à la barbarie”.
Rappelons que la Pologne applique déjà une des législations les plus strictes en matière d’IVG et que cette dernière attaque du pouvoir s’inscrit dans une politique populiste visant à satisfaire les intérêts d’un de ses appuis : l’Église catholique polonaise. C’est dans ce sens que la Pologne s’est retirée de la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, sur “la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique”.
Ce n’est pas la première fois que la bourgeoisie s’appuie sur la religion pour empêcher toute prise de conscience du prolétariat face à la crise. Sous le stalinisme et son athéisme d’État, l’Église représentait déjà une “opposition démocratique” initiée par le “syndicalisme chrétien” et reprise, par la suite, par le syndicat Solidarnosc et son mentor Lech Walesa, avec leurs fameuses “messes dominicales pour les travailleurs”. Rappelons que ce même syndicaliste devenu président a, par deux fois, imposé son veto à un assouplissement de la loi sur l’avortement initié par la gauche qui voulait réintroduire la notion de “conditions sociales difficiles pour la mère” (ancienne formule stalinienne adoptée en 1953 et abrogée en 1993). (1)
Pourquoi l’État polonais, alors qu’il est fortement critiqué pour son “improvisation” dans la gestion de la deuxième vague du Covid-19, a-t-il relancé un débat suranné sur l’avortement ? Il faut chercher les raisons de cette décision dans la putréfaction du pouvoir polonais qui se débat depuis plusieurs années entre populisme et obscurantisme et ne se maintient au pouvoir que par toujours plus de complaisance à l’égard des différentes cliques associées à l’administration de la société. En l’occurrence, la situation est devenue si explosive que le gouvernement a dû momentanément calmer le jeu. Pour l’instant, il a décidé de ne pas publier la décision du tribunal constitutionnel au journal officiel. Il n’en fallait pas plus pour que l’opposition et les associations féministes hostiles au gouvernement très conservateur parlent de “révolution des femmes”, idée d’ailleurs reprise par le journal français Libération qui titrait, le 9 novembre : “Pologne : vers la première révolution féministe ?”, relayant ainsi les propos de Bozena Przyluska, (2) l’une des organisatrices de la Manifestation nationale des femmes qui affirmait le 30 octobre : “ce n’est pas une protestation qui va s’épuiser. C’est une révolution. Le gouvernement ne semble pas le comprendre”.
Dès lors, ces manifestations sont à la fois l’expression de l’indignation face au sort ignoble réservé aux femmes en Pologne et partout ailleurs dans le monde, mais également l’illustration de l’impasse dans laquelle débouche ce type de mobilisations, impasse entretenant l’illusion que l’État capitaliste aurait le pouvoir d’améliorer les conditions d’existence des femmes si les “citoyennes” faisaient pression sur lui dans la rue et, surtout, dans l’isoloir.
L’oppression des femmes fait partie intégrante de l’exploitation et de l’oppression du prolétariat. C’est ce qu’Engels affirmait déjà en 1884 : “De nos jours, l’homme, dans la grande majorité des cas, doit être le soutien de la famille et doit la nourrir, au moins dans les classes possédantes ; et ceci lui donne une autorité souveraine qu’aucun privilège juridique n’a besoin d’appuyer. Dans la famille, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat”. (3) Depuis les origines des sociétés de classes, l’oppression des femmes a pris des formes multiples : “matrices reproductrices”, butin de guerre, garante de la sauvegarde du patrimoine familial et national, esclaves domestiques ou sexuelles via les mariages arrangés, les viols, la prostitution, etc.
À partir du XVIe siècle en Europe, le besoin irrépressible de main-d’œuvre éprouvé par le capitalisme naissant accentua considérablement l’oppression des femmes. L’Église catholique et les pouvoirs temporels persécutèrent les femmes et tout particulièrement les sages-femmes suspectées de pratiquer l’avortement. Ces “sorcières”, accusées de s’acoquiner avec Satan, furent soumises aux pires supplices et finirent sur les bûchers. La femme devint alors une simple machine à produire de futurs travailleurs.
Ainsi, contrairement à ce que cherche à nous faire croire le mouvement féministe, (4) la source de l’oppression féminine ne réside pas dans la volonté “naturelle” de domination du sexe masculin mais, comme l’a montré Engels, dans la dissolution du communisme primitif, et le développement de la propriété privée et de la société divisée en classes sociales antagoniques.
Depuis, la dépossession et l’exploitation du corps féminin se sont perpétuées. Les viols, les agressions sexuelles, les violences conjugales, le sexisme et la misogynie endémiques. Autrement dit, toutes les formes de violences physiques et psychologiques rythmant la société actuelle sont l’héritage de plusieurs millénaires de soumission et d’oppression exerceés à l’encontre des femmes. Le “droit à l’avortement” et à la contraception ne représentent, à ce titre, aucune “victoire des femmes enfin libres de disposer de leur corps”. Contrairement au droit à l’avortement obtenu dans la Russie révolutionnaire de 1920, il ne s’agit pour la bourgeoisie que de réguler les naissances, de rationaliser la reproduction de la force de travail dans une société capitaliste en crise.
Il est donc illusoire de croire que l’émancipation de la femme pourrait être le résultat d’une lutte à part entière au sein même de la société capitaliste. Ce credo féministe ne fait qu’entretenir l’illusion que la société capitaliste pourrait être plus juste.
Seule la lutte contre la société reproduisant inlassablement les conditions de l’oppression féminine, seule la lutte contenant la destruction de toutes les formes d’exploitation et d’oppression pourra ouvrir la voie à l’émancipation des femmes. La lutte du prolétariat contre la société capitaliste (la dernière société de classe de l’histoire), en unifiant les hommes et les femmes d’une même classe exploitée dans un seul et même combat, en œuvrant à l’émancipation de l’humanité tout entière, transformera le rapport entre les sexes. Comme l’affirmait Bebel dans La Femme et le socialisme : “Quelle place doit prendre la femme dans notre organisme social afin de devenir dans la société humaine un membre complet, ayant les droits de tous, pouvant donner l’entière mesure de son activité, ayant la faculté de développer pleinement et dans toutes les directions ses forces et ses aptitudes ? C’est là une question qui se confond avec celle de savoir quelle forme, quelle organisation essentielle devra recevoir la société humaine pour substituer à l’oppression, à l’exploitation, au besoin et à la misère sous leurs milliers de formes, une humanité libre, une société en pleine santé tant au point de vue physique qu’au point de vue social. Ce que l’on nomme la question des femmes ne constitue donc qu’un côté de la question sociale générale. Celle-ci agite en ce moment toutes les têtes et tous les esprits ; mais la première ne peut trouver sa solution définitive qu’avec la seconde”.
Adjish, 17 novembre 2020
1) Cf. “La religion au service de l’exploitation”, Révolution internationale n° 79 (novembre 1980).
2) Bozena Przyluska est une militante laïque polonaise qui a cofondé le Congrès de la laïcité. Elle devient membre fondatrice du Conseil consultatif créé le 1er novembre 2020 dans le cadre des manifestations polonaises d’octobre 2020.
3) Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884).
4) Cf. “Le mouvement ouvrier et la question de l’oppression de la femme”, Révolution internationale n° 327 (octobre 2002).
L’année qui vient de s’écouler a été marquée, une nouvelle fois, par une série de catastrophes, dont une pandémie mondiale ayant fait à ce jour plus de 2 millions de morts et ayant provoqué un à-coup significatif de la crise du capitalisme, plongeant des millions de personnes dans la misère et la précarité. L’année 2021 vient à peine de commencer, qu’elle est aussitôt marquée par un nouvel événement de portée historique : l’assaut du Capitole par les hordes trumpistes fanatisées. Ces deux événements ne sont pas séparés l’un de l’autre. Au contraire, selon le CCI, ils révèlent tous les deux une intensification de la décomposition sociale, la phase ultime de la décadence du capitalisme. Cette réunion publique sera donc l’occasion d’exposer ce cadre d’analyse, d’en cerner la pertinence mais également de le questionner au prisme des faits et de l’évolution historique de la société capitaliste.
Afin de préparer cette réunion, les participants peuvent d’ores et déjà se référer au texte suivant :
“La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [2]” (Revue internationale n° 107, 4e semestre 2001).
La réunion publique se tiendra en ligne le Samedi 30 janvier 2020 à 14H00.
Pour participer, veuillez bien envoyer un message sur notre adresse électronique ([email protected] [3]) ou dans la rubrique “contact” de notre site internet.
Le mouvement de lutte contre la réforme des retraites en France, durant l’hiver 2019-2020, a été le dernier combat de classe significatif avant la crise brutale du Covid-19. Il est donc nécessaire d’en tirer les leçons. Les organisations du prolétariat issues de la Gauche communiste ont eu, au cours de cette lutte, des approches différentes et n’en ont pas tiré les mêmes enseignements. Les conditions de la lutte de classe, au regard de leur complexité, doivent selon nous être débattues et exposées pour conduire à la clarté au sein du milieu politique prolétarien. Nous proposons donc, dans cette optique militante, d’analyser de manière critique l’intervention du PCI (qui publie en France Le Prolétaire) lors de ce mouvement.
Contrairement aux organisations gauchistes et aux syndicats, défenseurs de l’État et chiens de garde du capitalisme, les organisations de la Gauche communiste ont véritablement combattu et dénoncé l’attaque inique contre le régime des retraites qui allait frapper de plein fouet le prolétariat. Leur objectif commun n’était pas limité à dénoncer uniquement la réforme, mais à combattre le capitalisme et ses défenseurs.
Dès le début du mouvement contre la réforme des retraites, Le Prolétaire a donc ainsi dénoncé le rôle politique des gauchistes et des syndicats, sa critique et son combat se portant sur le sabotage et des manœuvres dilatoires : “Lorsque la mobilisation est massive comme lors de la grève à la RATP, les syndicats brandissent la perspective d’une grève illimitée pour dans… 3 mois !” (1) Les camarades soulignent aussi le travail de sape de ces mêmes syndicats qui “ont saucissonné la mobilisation en multipliant les ‘journées d’action’ catégorie par catégorie”. (2) Lors du mouvement de grève spontanée au début à la SNCF, dans le technicentre de Châtillon, le PCI dénonçait les plus radicaux, comme le syndicat SUD-Rail : “Le syndicat SUD-Rail, réputé le plus combatif, qui avait reconnu avoir été surpris par la grève de Châtillon, s’est positionné en flèche dans la suite du mouvement – mais pour saboter l’extension de la lutte ! Il a agité la menace d’un appel à la grève illimitée sur ces centres “dés jeudi soir ou lundi”. Mais après avoir joué les fier-à-bras en posant une sorte d’ultimatum à la direction (“On a donné à la direction jusqu’à 18 heures pour répondre à nos revendications”), SUD a appelé à la reprise du travail : “On joue le jeu (du dialogue social). En attendant, le travail reprend, les rames vont sortir”. La direction a repris la balle au bond en programmant une réunion avec les syndicats, et SUD a cessé d’évoquer la possibilité d’une grève”. (3)
Juste après la manifestation du 17 décembre, Le Prolétaire mettait encore en évidence les manœuvres d’enfermement des syndicats qui laissaient pourrir la situation face au besoin d’unité et d’élargissement du mouvement : “l’intersyndicale réunie le soir même décida de… ne rien décider. Les travailleurs furent priés de se rabattre sur des initiatives locales – qui, inévitablement ont été peu suivies ; au moment où les prolétaires ont un besoin pressant de centraliser et d’unifier leur combat”. (4) Il n’a pas non plus échappé aux révolutionnaires, comme à la plupart des ouvriers d’ailleurs, que “l’annonce spectaculaire par le premier ministre du retrait (“provisoire” !) de l’âge pivot n’est qu’une manœuvre pour arrêter la lutte avec le concours de la CFDT de l’UNSA et de la CFTC, le gouvernement se réservant le droit de le réintroduire par ordonnance”. (5)
Parmi d’autres passages qui résument le mieux les conclusions du PCI sur la politique syndicale, on peut citer les formules qui rappellent que les “appareils syndicaux sont des défenseurs de l’ordre établi” et qu’ils sont “complètement intégrés dans le réseau bourgeois de maintien de l’ordre social”. (6)
En dépit de ces caractérisations justes, de formules soulignant que les syndicats sont bien les “défenseurs de l’ordre établi”, on trouve malheureusement en parallèle un ensemble de propos contradictoires et totalement opposés à cette idée. La portée de l’intervention politique du PCI se trouve en effet pétrie de contradictions qui révèlent une démarche clairement opportuniste. (7) Ainsi, selon le PCI, l’ensemble du mouvement contre la réforme des retraites n’a été finalement qu’un “échec” qui proviendrait exclusivement de “l’orientation de la lutte décidée par l’intersyndicale”. (8) Il y a une part de vérité indéniable dans le fait que l’intersyndicale a apporté sa forte contribution pour saboter la lutte. Mais cette façon de poser le problème, selon nous, vient grandement affaiblir la dénonciation des syndicats. En ne voyant que l’action exclusive et quasi unilatérale d’une “décision” de “l’intersyndicale” alors que, de par leur fonction, les syndicats dans toute leur globalité ne pouvaient faire autre chose que de saboter et entraver la lutte de classe, le PCI ne peut aller plus loin que de s’enliser dans la contradiction en voyant simplement le jeu d’un “compromis” de la part des “directions” liées à une simple “collaboration” avec l’État. Pour le PCI, les syndicats, qu’il qualifie d’un côté de “défenseur de l’ordre établi”, sont en même temps jugés de manière contradictoire “collaborationnistes”. Par exemple, il est dit que : “La politique défaitiste des appareils syndicaux dans les luttes ouvrières est la conséquence inévitable de leur pratique de collaboration de classe”. (9) Cela signifie que le PCI défend une position, encore une fois, totalement contradictoire sur la nature de classe de ces organes qui devraient, finalement, si on suit sa logique jusqu’au bout, “cesser de collaborer” ou “cesser d’être défaitistes”. Mais pourquoi le leur demander s’ils sont “défenseurs de l’ordre établi” ? Autant demander directement à un loup affamé de protéger des agneaux !
Du fait de sa démarche opportuniste, le PCI ne peut voir ses contradictions, ses incohérences et comprendre que ces organes sont en réalité des ennemis de classe, qu’ils sont eux-mêmes devenus des organes bourgeois, totalement intégrés à l’appareil d’État et parfaitement institutionnalisés dans le droit du travail. En polarisant ainsi exclusivement sur les “directions syndicales”, bien qu’elles aient effectivement joué le rôle anti-ouvrier le plus visible, le PCI estime possible de voir émerger en “opposition” une sorte de réaction “à la base”, avec également la possibilité, finalement, d’une sorte de “syndicalisme rouge”. (10) Tout cela le conduit, certes de façon critique, à soutenir in fine l’activité syndicale la plus radicale, “à la base”, sans percevoir la logique politique qui recouvre toutes les formes du syndicalisme devenues réactionnaires. Cet aveuglement occulte le rôle essentiel du syndicalisme et sa nature bourgeoise depuis la Première Guerre mondiale, de même que ses acteurs de premier plan, notamment les gauchistes, qui au plus près du terrain ne cessent de magouiller et d’étouffer, de stériliser et enfermer d’emblée toute expression ou étincelle de vie prolétarienne. C’est notamment le cas de LO, que le PCI juge “centriste” et non pas bourgeois, dont l’entrisme pousse bon nombre de militants à être très actifs au sein même de la CGT.
Le PCI se retrouve malheureusement de facto à la remorque des gauchistes quand il proclame avec les loups que : “L’apparition de comités de grève, d’AG interpro et de coordinations pendant le mouvement actuel constitue un premier pas pour que les travailleurs prennent leur lutte en main et surmontent leurs divisions”. (11) Pour le CCI au contraire, très loin d’être “un premier pas” positif, les “AG-interpro” du mouvement contre la réforme des retraites n’avaient rien de spontané. Ce n’étaient que des coquilles vides, artificiellement proclamées, suscitées et verrouillées par les syndicats. Les comités de grève étaient en effet dès le départ aux mains de syndicalistes ou de gauchistes professionnels particulièrement expérimentés dans l’action du sabotage de la lutte. On peut aussi évoquer les simulacres d’extensions (avec l’envoi de délégations gauchistes ou syndicales par-ci et par là, acquises à la même logique que les grandes centrales syndicales dont elles faisaient en réalité la promotion). Cela, il était de la responsabilité d’une organisation ouvrière de le dénoncer.
La démarche la plus juste n’était donc pas de suivre les expressions radicales du syndicalisme, mais de mettre en exergue les conditions de la lutte de classe, de montrer, comme a cherché à le faire le CCI, la réalité d’une réflexion souterraine s’exprimant par un besoin de solidarité, que justement les syndicats et toute la bourgeoisie cherchaient à dénaturer. Il était nécessaire de replacer la lutte dans son contexte d’émergence d’une reprise de la combativité et répondre politiquement au besoin de réflexion au sein de la classe.
Que devons nous conclure de la démarche du PCI ? Comme nous le disons depuis déjà longtemps : “ce que le PCI met en évidence, c’est son manque de clarté et de fermeté sur la nature du syndicalisme. Ce n’est pas ce dernier qu’il dénonce comme arme de la classe bourgeoise, mais tout simplement les “appareils syndicaux”. Ce faisant, il ne réussit pas, malgré ses dires, à se démarquer et à se distinguer de la vision trotskiste : on peut maintenant trouver dans la presse d’un groupe comme Lutte Ouvrière le même type d’affirmations. Ce que Le Prolétaire, se croyant fidèle à la tradition de la Gauche communiste italienne, refuse d’admettre, c’est que toute forme syndicale, qu’elle soit petite ou grande, légale et bien introduite dans les hautes sphères de l’État capitaliste ou bien illégale (c’était le cas de Solidarnosc pendant plusieurs années en Pologne, des Commissions Ouvrières en Espagne sous le régime franquiste) ne peut être autre chose qu’un organe de défense du capitalisme […] C’est justement la leçon que le bordiguisme n’a jamais voulu tirer après des décennies de”trahison” de tous les syndicats, quelle que soit leur forme, leurs objectifs initiaux, les positions politiques de leurs fondateurs, qu’ils se disent “réformistes” ou bien “de lutte de classe”, voire “révolutionnaires””. (12)
Les contradictions du PCI ne sont pas nouvelles et l’empêchent encore aujourd’hui de tirer les véritables leçons des luttes. Alors que tout un combat a été mené par la classe ouvrière contre l’encadrement syndical, notamment au cours des trois grandes vagues de luttes dans les années 1980 et contre ses expressions ou sous-marins radicaux que furent les coordinations, constituant des expériences politiques riches et très importantes comme pièges sophistiqués de la bourgeoisie, le PCI n’a vu que de simples tentatives de nature ouvrières, alors que les coordinations et les syndicats menaient de concert un sabotage en règle contre la lutte. Face au discrédit croissant des syndicats à la fin des années 1980, les coordinations exprimaient, comme celles qui ressurgissent aujourd’hui sous une même appellation, une adaptation des forces bourgeoises d’encadrement contre la lutte ouvrière. Les camarades du PCI voyaient naïvement à l’époque ces structures comme une simple tentative “d’organisation indépendante” des ouvriers. Dans une ancienne polémique (13) avec le CCI sur le sujet, les camarades affirmaient ainsi à propos des coordinations que “la conclusion n’est pas qu’il faut tourner le dos à ces organisations, mais que l’action en leur sein des révolutionnaires est indispensable pour qu’elles ne “manquent pas leur but”, pour qu’elles servent de “levier” à la lutte d’émancipation, de “courroie de transmission” du parti de classe”. Or, loin d’avoir été “un levier à la lutte”, toutes les coordinations (comme à l’époque également les “Cobas” en Italie) n’ont été en réalité que des instruments radicaux aux mains de la réaction pour saboter les expressions ouvrières en les étouffant dans la logique syndicale de l’enfermement et du corporatisme. Le CCI a toujours été dans le sens de le mettre en évidence et de les dénoncer pour permettre que puisse se développer une lutte consciente et une prise en main réelle du combat par les ouvriers à l’époque. La cécité du PCI sur le problème a pour racine son approche de la question syndicale, avec l’illusion que les syndicats, autant que tout autre type de structures “intermédiaires” et “permanentes” pourraient être “indépendantes”, pourraient échapper à la logique de l’intégration et de l’institutionnalisation propres au capitalisme d’État dans la phase de décadence du capitalisme. Le PCI se retrouve de ce fait en deçà de certaines avancées de la Troisième internationale (IC), puisqu’il nie la réalité de la décadence du capitalisme alors que dans son Premier congrès, l’IC, même si de manière encore insuffisamment fondée, intégrait en substance cette notion politique : “une nouvelle époque est née. Époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Époque de la Révolution communiste du prolétariat”. (14) Le fait pour l’IC que les “contradictions du système mondial” se soient exprimées en “une formidable explosion” soulignait que le capitalisme était désormais entré dans “l’ère des guerres et des révolutions”. Cela se retrouvait dans l’idée que “l’État national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l’expansion des forces productives”. (15) Pour les camarades du PCI, qui ignorent cette phase de déclin capitaliste, aucune implication ne pouvait donc logiquement être déduite puisque pour eux le capitalisme ne perdure qu’au rythme de simples “crises cycliques”. De ce fait, il est impossible pour le PCI de comprendre que malgré le fait que la question syndicale n’était par encore réellement tranchée, l’IC ne pouvant être en mesure de tirer toutes les implications de la décadence, ses expressions les plus claires liées à l’expérience de la Gauche allemande pouvaient souligner déjà que les syndicats étaient devenus des organes périmés et contre la classe ouvrière. Bien que la question était en débat, elle était un acquis pour les révolutionnaires les plus conscients. Malgré tout un effort de clarification qui perdurera après la guerre, repris par Bilan et la Gauche communiste en France, puis par le CCI, ces leçons ne seront pas prises en compte par le PCI qui, finalement, sur cette question comme pour bien d’autres, se retrouvera embourbé dans les ornières de l’opportunisme, à l’image de l’IC par la suite, notamment lors de son IVe congrès, dont le PCI se revendique également, et qui marquait à l’époque une très forte régression politique, comme on peut le constater dans ces lignes que ne saurait renier le PCI “les communistes doivent, à l’intérieur des syndicats de toutes tendances, s’efforcer de coordonner leur action dans la lutte pratique contre le réformisme…” (16) Tout cela, en lien avec l’optique d’une Internationale Syndicale Rouge. Le PCI restera de manière acritique prisonnier de cette logique régressive de l’IC. Pour le PCI : “Le parti […] affirme la nécessité qu’existe entre lui et la classe des organisations de lutte immédiate comprenant en leur sein un réseau émanant du parti, non seulement dans la période révolutionnaire mais dans toutes les phases qui voient un accroissement de son influence sur la classe”. (17) De même, le PCI pense que “dans les périodes défavorables le parti a la tâche de prévoir et d’encourager la formation de ces organisations de lutte immédiate, qui pourront à l’avenir revêtir les formes les plus variées et les plus nouvelles”. Pour le CCI, à l’inverse, voir la nécessité et la possibilité d’un combat dans les syndicats empêche le prolétariat de développer son combat et de pouvoir mesurer les pas en avant que ce dernier, malgré un recul de ses luttes suite à l’effondrement du bloc de l’est, à pu effectuer depuis mai 1968 (et même depuis la vague révolutionnaire les années 1920) et tout dernièrement. Bien sûr, les camarades du PCI rappellent la nécessité de défendre un ensemble de principes, des méthodes de luttes propres à la classe, dont celle liée à défendre “l’autonomie de classe du prolétariat”. Mais c’est justement à ce niveau que les failles du PCI et ses inconséquences sur la question syndicale sont les plus préjudiciables et finissent en fin de compte par entretenir de très graves confusions dans la mesure où le clivage entre syndicats et classe n’est pas clairement établi. De même, si les méthodes de lutte invoquées peuvent en soi être validées à première vue, le PCI ne perçoit pas la réalité concrète de l’action des gauchistes et des syndicalistes “radicaux” et finit par tout mettre sur le même plan sans pouvoir clairement s’en démarquer de manière tranchante. Il ne peut pas voir par exemple que la question de poser les conditions politiques pour faire émerger dans le futur de véritables AG souveraines est central et déterminant pour une véritable prise en main de la lutte, qu’il s’agit d’un élément fondamental pour des décisions permettant l’extension mais aussi la prise de conscience dans un mouvement qui doit s’opérer face aux ennemis que sont les syndicats. Une démarche aux antipodes des pratiques des AG-interpro de cet hiver où FO, la CGT et consorts, les gauchistes de tous poils nageaient comme des poissons dans l’eau du fait d’une absence de vie politique dans ces assemblées. Pour le CCI, il est nécessaire d’en tirer les leçons et de voir comment procède la réalité de la lutte de classe, en particulier sur le plan de sa conscience et de son autonomie dans la lutte.
Dans un prochain article, nous reviendrons sur la question de la lutte de classe et sur la façon justement de défendre “l’autonomie de classe”, ce que cela peut signifier pour tenter d’aller davantage aux racines de nos divergences sur le sujet.
WH, 20 octobre 2020
1Le Prolétaire n° 534 (septembre – octobre 2019).
2Tract du PCI (30 novembre 2019).
3Le Prolétaire, n° 535, (décembre 2019 – janvier 2020).
4Idem.
5Tract du PCI (14 janvier 2020).
6Le Prolétaire, n° 535, (décembre 2019 – janvier 2020).
7“L’opportunisme est une sorte de “maladie” qui existe dans le camp prolétarien révolutionnaire et qui peut s’avérer mortelle. En tant que manifestation de la pénétration de l’idéologie bourgeoise dans les organisations prolétariennes, l’opportunisme s’exprime notamment par :
– un rejet ou une occultation des principes révolutionnaires et du cadre général des analyses marxistes ;
– un manque de fermeté dans la défense de ces principes ;
– du centrisme en tant que forme particulière de l’opportunisme caractérisée par :
. une phobie à l’égard des positions franches, tranchantes, intransigeantes, allant jusqu’au bout de leurs implications ;
. l’adoption systématique de positions médianes entre les positions antagoniques ;
. un goût de la conciliation entre ces positions ;
. la recherche d’un rôle d’arbitre entre celles-ci ;
. la recherche de l’unité de l’organisation à tout prix y compris celui de la confusion, des concessions sur les principes, du manque de rigueur, de cohérence et de continuité dans les analyses”. (“L’opportunisme et le centrisme dans la période de décadence”, Revue internationale n° 44 – 1er trimestre 1986).
8Le Prolétaire, n° 536 (février – mars – avril 2020).
9Tract du PCI (5 janvier 2020).
10Selon la conception du PCI, il s’agit de syndicats “communistes”, “révolutionnaires”, perçus comme des “courroies de transmission” du Parti.
11Le Prolétaire n° 536 (février – mars – avril 2020).
12Voir “L’opportunisme du PCI sur la question syndicale conduit à sous-estimer l’ennemi de classe”, Revue internationale n° 86 (1996).
13Le Prolétaire n° 401 (mai – juin 1989).
14Plate-forme de l’IC (Premier congrès)
15Manifeste de l’IC aux prolétaires du monde entier (Premier congrès)
16Thèses sur l’action communiste dans le mouvement syndical au point 19 (quatrième congrès).
17Cf. “Ce qui nous distingue” (pcint.org)
En dépit des difficultés liées à la pandémie, de la situation profondément dégradée par la crise du capitalisme qui vient obscurcir le futur, il existe une alternative, une issue vers une autre société, sans exploitation, ni misère sociale : la société communiste. Contrairement aux mensonges de la bourgeoisie qui depuis des décennies a voulu nous faire croire que la classe ouvrière s’était évaporée suite à l’effondrement du bloc de l’Est.
Le prolétariat, comme l’a révélé la crise sanitaire, n’a nullement disparu ! C’est ce qu’est obligé de reconnaître la bourgeoisie face aux exploités qu’elle expose sans scrupule au virus pour assurer la continuité de la production : les infirmiers, médecins ou personnels d’entretien dans les hôpitaux, les ouvriers d’usine comme les employés du commerce ou de bureau, toutes les “petites mains” sont sur le “front”, sacrifiés sur l’autel de l’économie nationale et donc du profit, quand elles ne sont pas jetées dans les queues des demandeurs d’emplois. Face à toute la propagande bourgeoisie et à l’impasse dans laquelle elle nous entraîne, nous devons nous appuyer sur l’expérience du mouvement ouvrier et de nouveau regarder vers le futur, sortir de la prison de l’immédiat. Non seulement, il est indispensable de tirer les leçons des combats du passé pour préparer ceux de l’avenir, mais ces expériences démontrent aussi que la classe ouvrière est bien la seule classe en mesure de renverser le capitalisme, qu’elle porte en elle un futur pour l’humanité.
Dans ce cadre, l’extrait de l’ouvrage de David Mandel, Les Soviets de Petrograd, que nous publions ci-dessous, fait apparaître clairement deux choses essentielles que nous voulons souligner ici :
En publiant les extraits ci-dessous émaillés de résolutions, nous souhaitons porter l’attention sur l’expérience extraordinaire que fut la vague révolutionnaire mondiale du siècle dernier, notamment au sein du foyer ardent que fut “Pétrograd la Rouge”. Cette expérience reste pour tous les révolutionnaires et le prolétariat une expérience majeure donnant tout son sens à son combat de classe.
“À l’inverse de l’intelligentsia, la majorité des ouvriers de Petrograd ont accueilli l’insurrection avec enthousiasme. Des résolutions d’appui ont été adoptées par les usines de tous les types et dans toutes les couches ouvrières, des métallurgistes de l’arrondissement de Vyborg aux ouvriers du textile de l’arrondissement Nevski, et par presque tous les ouvriers de l’imprimerie. La résolution suivante, adoptée à l’unanimité, est typique de la position des métallurgistes :
“Nous, les ouvriers de l’usine Rozenkrantz au nombre de 4 000, envoyons nos salutations au Comité militaire révolutionnaire du soviet des députés et des soldats de Petrograd et au Congrès pan-russe des Soviets, qui a pris le chemin de la lutte, et non de l’accommodement, avec la bourgeoisie – ces ennemis des ouvriers, des soldats et des paysans les plus pauvres –, et pour cela nous déclarons : camarades, continuez sur ce chemin, aussi dur que cela puisse être. Sur cette voie, nous mourrons ensemble avec vous ou nous sortirons vainqueurs”.
Plus intéressant, toutefois, des résolutions semblables ont été adoptées par les ouvriers des entreprises d’État qui avaient longtemps été des fiefs défensistes. À l’usine de tuyaux Promet, dont la main-d’œuvre était essentiellement féminine, les élections du 17 octobre au soviet de Petrograd avaient apporté 963 voix aux bolcheviks, 309 aux mencheviks et 326 aux SR [socialistes révolutionnaires]. Mais le 27 octobre, l’assemblée générale de l’équipe de jour de la même usine adopta la résolution suivante à l’unanimité (avec 18 abstentions) :
“Nous, ouvriers de l’usine Promet […] comptant 1230 personnes, après avoir entendu le rapport du camarade Krolikov sur le second congrès pan-russe (des Soviets) des députés des ouvriers et des soldats et sur la formation d’un nouveau gouvernement socialiste du peuple, adressons à celui-ci nos salutations, lui exprimons notre confiance pleine et entière, et l’assurons de notre soutien sans faille dans sa difficile mission pour accomplir le mandat du congrès.
Nous protestons contre la formation des SD-mencheviques et les SR défensistes du comité national de salut (le considérant) comme un obstacle à la mise en place des mesures que les larges masses d’ouvriers, de soldats et de paysans attendent avec une impatience croissante”.
Les ouvriers de chemin de fer eux aussi des partisans de longue date des SR, ont répondu de façon semblable, de même que les ouvriers (principalement des femmes) des fabriques textiles, de l’alimentation et des usines de caoutchouc.
Encore plus parlant, chez les ouvriers de l’imprimerie, la base s’opposait aux positions de l’exécutif du syndicat. La résolution d’une assemblée commune des imprimeries Orbit et Rabotchaïa Pechat du 28 octobre déclarait :
“Nous, ouvriers de ces imprimeries, ayant entendu le rapport du camarade Venediktov sur la réunion des délégués du 27 octobre au cours de laquelle, a-t-il dit, l’exécutif avait mal informé les imprimeurs participant à la réunion (des délégués) qui s’est tenue et où, en raison de la représentation incomplète, une résolution vile, proposée par un certain Rubin, a été adoptée de façon erronée, (et) qui blâmait le Comité révolutionnaire pour avoir prétendument interdit la presse socialiste”.
Après discussion sur le rapport, la résolution suivante a été adoptée :
“Nous, les ouvriers des imprimeries indiquées, protestons contre les actions de l’exécutif de notre syndicat qui a mal infirmé les ouvriers et la réunion des délégués à venir, et pour cette raison, nous certains établissements d’imprimerie de l’arrondissement Petrogradski, n’étant pas au fait de la réunion, n’avons pas pu y participer, et par conséquent, nous n’assumons pas de responsabilité pour la décision du conseil des délégués. De plus, ayant entendu la résolution adoptée à la réunion des délégués et (qui a été) imprimée dans le journal Delo naroda du 28 octobre, nous déclarons qu’elle nous met profondément en colère et nous la considérons comme indigne d’ouvriers-imprimeurs et nous protestons contre elle dans les termes les plus véhéments. Nous déclarons que le genre de conseil de délégués qui adopte de telles résolutions ne peut pas exprimer notre volonté, mais seulement la volonté des assassins bourgeois du peuple. Par conséquent, nous exprimons notre complet manque de confiance envers l’exécutif du syndicat, qui a délibérément mal annoncé la réunion, de même qu’envers les délégués du conseil pour cette résolution, et, nous adressant aux prolétaires de Petrograd, nous déclarons que nous marchons avec eux et non avec ceux du genre de cet exécutif et de ce conseil de délégués.
Vive le soviet des députés des ouvriers et des soldats !
Vive le peuple révolutionnaire !
À bas les traîtres à la classe ouvrière, comme les Rubin et consorts !”
Un incident révélateur s’est produit dans l’entreprise où le journal menchevique-internationaliste Novaïa Zhizn était imprimé. L’édition du 29 octobre du journal publia une plainte des rédacteurs contre les typographes, car ces derniers avaient refusé d’imprimer un certain nombre de documents, parmi lesquels les ordres de Kerenski, l’appel du général Krasnov aux cosaques et un rapport de la Douma municipale. Les mencheviks-internationalistes avaient adopté une position de neutralité dans la guerre civile naissante, mais les rédacteurs du journal étaient absents quand les typographes, avec l’appui du commissaire de l’arrondissement qu’ils avaient convoqué, s’étaient opposés aux techniciens, qui pour leur part exigeaient l’impression des documents. Le lendemain, les ouvriers se réunirent en assemblée générale et décidèrent de condamner la majorité de l’exécutif du syndicat des imprimeurs, qu’ils accusaient d’avoir propagé parmi les imprimeurs de la ville de fausses informations sur les activités du Comité militaire révolutionnaire, et d’appeler à saboter la décision du”gouvernement révolutionnaire des ouvriers et des paysans portant sur l’interdiction d’imprimer des appels de type pogrom, et de diffuser de fausses informations qui provoquent la panique et, par conséquent, des effusions de sang.
“Nous jugeons scandaleuse cette activité criminelle d’une partie de notre “exécutif”, qui entraîne la division dans nos rangs prolétariens et ne servira qu’à nos ennemis de classe. Nous déclarons haut et fort que nous soutiendrons de toutes nos forces le gouvernement révolutionnaire des ouvriers et paysans qui nous guidera vers la paix et l’Assemblée constituante.
En un temps où le peuple détruit les racines pourries du système capitaliste et donne le pouvoir à ses véritables représentants, nous, imprimeurs, nous ne pouvons pas voir notre labeur servir à imprimer les ordres de Kerenski, qui a été renversé par le peuple, et, par conséquent, nous estimons justifiées les actions de nos camarades typographes. Et, si à l’avenir, notre aide est requise par le Comité militaire révolutionnaire, nous serons toujours prêts à la lui accorder”.
Une seule personne vota contre la résolution et cinq s’abstinrent. Le mécontentement envers la majorité défensiste de l’exécutif syndical conduisit rapidement à une majorité menchevique-internationaliste dans cet exécutif, puis, pour une courte période, à la majorité bolchevique.
Après la révolution d’Octobre, les mencheviks et les SR, et ensuite de nombreux historiens occidentaux, ont souligné qu’en octobre, contrairement à février, les masses n’étaient pas dans les rues. Cela fut cité comme preuve que la révolution n’était pas une révolution populaire mais un coup d’État militaire et sans légitimité populaire. “Regardez dans les rues” écrivait le journal menchevique-defensiste Rabotchaia gazeta. “Dans les arrondissements ouvriers elles sont vides. On ne voit pas les marches triomphales, pas de drapeaux rouges se portant à la rencontre des vainqueurs… les bolcheviks tiendront à peine une semaine”. (1) Le socialiste-populaire Melgounov, historien et populiste de droite, fait de même observer que les usines ont continué à travailler le 25 octobre […].
Mais la comparaison avec la révolution de Février ignore délibérément les circonstances très différentes des événements d’Octobre. La révolution de Février était un mouvement spontané, qui a vu des masses d’ouvriers désarmés se jeter contre le régime, lequel avait d’importantes forces de répression à sa disposition. Les grèves et les manifestations des ouvriers y ont joué un rôle décisif, mais celui d’une force morale qui a permis aux ouvriers de faire basculer les soldats de leur côté. Les grèves de masse et les manifestations de rues ont créé un climat qui a permis aux soldats de comprendre que leur participation au mouvement pouvait aboutir au renversement du régime et non pas s’achever devant un tribunal militaire et par leur exécution. Les batailles de rue auxquelles les ouvriers ont participé ont eu lieu pour la plupart pendant les deux derniers jours de la révolution et leur principal objectif était de désarmer la police. En octobre, au contraire, les principales forces armées avaient été gagnées avant l’insurrection ; la tâche des insurgés était d’occuper les immeubles stratégiques et de désarmer les derniers soutiens de l’ancien régime. Des actions de masse n’étaient donc pas nécessaires.
Mais plus spécifiquement, après huit mois de déceptions et de frustrations, et gardant à l’esprit la catastrophe économique toujours plus rapprochée et la menace militaire qui pesait, doit-on s’étonner que les ouvriers ne forment pas de processions triomphales dans les rues ? Ils étaient bien conscients que les chances de réussir n’étaient pas élevées. La révolution d’octobre a bel et bien soulevé les espoirs des ouvriers ; sinon ils ne l’auraient pas appuyée. Mais en même temps, il s’agissait d’un acte désespéré pour sauver la révolution de février et de la menace d’une contre-révolution. (2)
Enfin, ceux qui insistent sur l’absence de participation de masse à la révolution d’Octobre, dans le but de lui dénier toute légitimité populaire, négligent le fait que les dirigeants de l’insurrection ne voulaient pas que les masses descendent dans la rue. Trotsky a écrit qu’après l’exprience traumatisante de juillet, les dirigeants craignaient toute effusion de sang inutile, qui aurait pu démoraliser les ouvriers. Et en réalité, les bolcheviks ont déployé beaucoup d’efforts pour persuader les ouvriers de rester au travail pendant l’insurrection. Un appel aux ouvriers signé conjointement par le Soviet de Petrograd, le Conseil des syndicats de Petrograd et le Soviet central des comités d’usine fut publié en caractères gras à la Une de la Pravda du 27 octobre :
“Les grèves et les manifestations des masses ouvrières dans Petrograd ne font que porter préjudice. Nous vous demandons de mettre immédiatement un terme à toutes les grèves économiques et politiques. Tout le monde devrait être au travail et produire en bon ordre. Le nouveau gouvernement des soviets a besoin du travail des usines et de toutes les entreprises, car toute interruption du travail crée de nouvelles difficultés, et nous en avons déjà assez comme ça. Tout le monde à son poste ! En ces jours, la meilleure façon de soutenir le nouveau gouvernement des soviets est de faire son travail. Vive la ferme retenue du prolétariat !”
[…] Certains auteurs soulignent l’absence de férocité et la présence même d’une certaine douceur ou d’amabilité de la part des Gardes rouges ouvriers vis-à-vis de leurs adversaires. Cela, disent-ils, indique que le soutien au soulèvement, même parmi les participants les plus actifs, était timoré. Cette modération était en réalité une caractéristique plutôt remarquable des ouvriers qui ont pris part à l’insurrection. Un officier de l’armée, qui participa à la défense du Palais d’Hiver, a laissé ce compte rendu de la “prise d’assaut” :
“Des petits groupes de Gardes rouges ont commencé à pénétrer dans le Palais d’Hiver (pour faire de la propagande parmi ses défenseurs). Tant que les groupes de Gardes rouges n’étaient pas nombreux, nous les désarmions et cela se faisait de façon amicale sans aucun heurt. Cependant, les Gardes rouges étaient de plus en plus nombreux. Les marins et les soldats du régiment Pavlov ont fait leur apparition. Le désarmement a commencé en sens inverse. – celui des junkers, et de nouveau cela se passa plutôt de façon pacifique. (Quand le véritable assaut a commencé) des masses de Gardes rouges, de marins, de Pavolvtsky, etc. ont pénétré dans le Palais d’Hiver. Ils ne voulaient pas d’effusion de sang. Nous étions forcés de nous rendre”.
Skorinko, le jeune Garde rouge de l’usine Poutilov, se souvient du traitement clément que les Gardes rouges réservaient aux prisonniers blancs qu’ils avaient capturés durant les combats qui avaient eu lieu à l’extérieur de Petrograd à la fin du mois d’octobre : “Les exécutions nous étaient une chose étrangère. Nous considérions avec dégoût les soldats qui en réclamaient. Plus tard, les ouvriers et les paysans allaient en payer le prix de leur sang. Le général Krasnov, qui avait été relâché après avoir donné sa parole d’honneur, s’enfuit rejoindre le Don et récompensa notre noblesse de la manière qui convient à un général : il organisa une armée blanche”.
[…] Dans leurs discours du 25 octobre, Lénine et Trotsky ont tous les deux souligné qu’il n’y avait “pas eu la moindre effusion de sang” pendant l’insurrection. I.P. Flerovski, un marin bolchevique du navire de guerre Aurora, se souvient comment, le jour fatidique du 25 octobre, l’équipage”décida d’attendre encore un quart d’heure avant de faire feu sur le Palais d’Hiver, sentant par instinct la possibilité d’un changement de circonstances”. Trotsky commenta ce fait : “par “instinct”, on doit entendre l’espoir obstiné que l’affaire puisse être réglée uniquement par des moyens démonstratifs”. […]
La sauvagerie et la terreur de la guerre civile restaient encore à venir. Malgré la profonde polarisation sociale, l’attitude des ouvriers au niveau personnel était souvent étonnamment tolérante…”
(Extraits du livre de David Mandel, Les Soviets de Petrograd, éd. Syllepse)
1Rabotchaia Gazeta du 27 octobre 1917.
2En fait, contrairement à l’auteur, nous pensons qu’il ne s’agissait nullement “d’un acte désespéré”, mais bien le produit d’une maturation de la conscience au sein du prolétariat et de l’évolution des conditions objectives de la révolution depuis février qui rendaient possibles la prise du pouvoir de la classe ouvrière (note de la rédaction).
Nous publions ci-dessous de larges extraits du courrier d’un de nos lecteurs, suivi de notre réponse. Ce courrier critique notre “Rapport sur la question du cours historique”, adopté au 23e Congrès du CCI et publié dans la Revue internationale n° 164. Le camarade aborde également une autre question : celle de la perspective, toujours possible, d’une guerre nucléaire généralisée. Nous répondrons sur ce dernier aspect ultérieurement, dans une deuxième partie.
“Mes lectures multiples du rapport sur le cours historique paru dans la Revue Internationale numéro 164 me laissent très perplexe et dubitatif. J’ai beaucoup de mal à me faire une opinion précise et définitive sur ce texte. Plutôt que prendre position je préfère vous faire part de remarques un peu décousues et disparates. J’espère que ces remarques permettront de faire avancer le débat éventuellement dans un courrier des lecteurs du journal.
La première remarque consiste en un certain étonnement quant à l’apparition maintenant de cette remise en cause. En effet, le CCI même s’il se défend de toute invariance à la “bordiguiste”, ne pratique jamais un changement à 180° de cette façon. Je n’ai pas d’autre exemple de la remise en cause d’une position “pilier” de cette importance depuis 45 ans (date de la création du CCI). Éclairez-moi s’il y a eu un ou des précédents ? […]
La deuxième porte sur le moment où apparaît cette “révolution” historique, c’est-à-dire 30 ans après l’effondrement de l’URSS et de son bloc impérialiste. Quel événement interne ou externe au CCI a provoqué ces derniers mois cette remise en cause d’un de ses piliers programmatique ? 30 ans après 1989. Le seul événement “interne” était la nécessité de faire le bilan des 40 ans CCI et de revoir une analyse qui n’était plus adaptée Je me souviens de multiples discussions dans des réunions publiques ces 30 dernières années où cette affirmation du cours historique contre des questionnements de sympathisants sur l’état de la classe ouvrière était un argument décisif dans l’argumentation.
Troisième remarque : le distinguo entre cours historique et rapport de force entre les classes m’apparaît difficile à saisir et ne me convainc pas. Une première compréhension de ma part de ce texte est le caractère évolutif dans un seul sens contenu dans l’expression cours historique opposé à une perception du rapport de force entre les classes comme une situation bloquée, indécise et finalement aléatoire quant à son évolution.
pour illustrer ma position, je reprendrai l’expression d’Albert Einstein dans ses critiques des postulats de la mécanique quantique : “Dieu ne joue pas aux dés”. Finalement la notion de cours historique est plus pertinente pour moi car dans le rapport de force entre les classes “mesuré” à un moment, il y a une tendance de fond, un mouvement (qui peut s’inverser) qui est continuellement à l’œuvre et qui ira jusqu’à son aboutissement. Pour conclure cette remarque, j’ai l’impression d’une évolution “pessimiste” de l’appréciation du cours historique par le CCI tout au long de ces 50 dernières années. On est passé d’un cours à la “révolution” dans les années 70 et 80, puis par un cours “aux affrontements de classe” des années 90 et 2000 pour finir par une perception actuelle d’un cours vers une défaite annoncée du prolétariat.
Dernière remarque que je vais développer davantage car mes idées sont plus claires et cela concerne un argument avancé par le CCI pour justifier son abandon d’un cours historique à l’œuvre. Cet argument c’est l’inexistence actuelle de blocs militaires et l’absence de mouvement de rapprochement de différents pays en vue de la constitution de tels blocs. Contrairement aux alliances précédent la Première Guerre mondiale entre la France, le Royaume-Uni, et la Russie d’un côté, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, et la Turquie de l’autre ou bien aux alliances précédent la Seconde entre la France, le Royaume-Uni et la Pologne cette fois et l’Allemagne, l’Italie et l’URSS (pacte Molotov-Ribbentrop !) en face ; il n’y a pas eu depuis l’effondrement de l’URSS des alliances de ce type. Outre la question des armements nucléaires à longue portée, il y a en ce moment un pays qui n’a pas besoin d’avoir constitué un bloc uni et parfaitement tenu et soutenu pour se lancer dans une guerre qui, si elle n’est pas mondiale, ne sera pas cantonné à un théâtre d’opération limité dans le temps et dans l’espace (comme par exemple les deux guerres contre Saddam Hussein). Ce pays c’est bien sûr les États-Unis qui ont la puissance économique, la suprématie militaire et les bases néanmoins pour une intervention partout dans le monde. Pour qu’une guerre avec des batailles dans différents endroits de la planète, qui se produisent simultanément et qui s’étalent sur une période assez longue (plusieurs années) se produise il suffit qu’une autre puissance qui elle constitue des états vassalisés par le commerce extérieur et les investissements économiques, se dote de bases militaires à l’étranger dans ces états vassaux, commence à construire des porte-avions et généralement une marine de guerre efficace et nombreuse pour qu’à un certain moment le risque de conflit généralisé devienne une probabilité non négligeable. Ce pays existe déjà, c’est la Chine qui risque grâce à l’épidémie de Covid-19 de bientôt dépasser les États-Unis au niveau économique mondial. La possibilité d’un “dérapage” dans les années à venir sur la question de Taïwan, dégénérant en un affrontement généralisé entre ces deux pays dans différents endroits obligeant d’autres états à se positionner et donc prendre parti pour l’un ou l’autre (par exemple France, Royaume-Uni et Allemagne pour les États-Unis dans le cadre de l’OTAN et Russie pour la Chine) est une possibilité qui n’est pas du tout farfelue. Des batailles dans les pays de l’Est, des bombardements dans l’Europe de l’Ouest pourraient découler de cette situation. Je pense que la question de la guerre n’est pas du tout évacuée par la théorie de la décomposition qui remplace la théorie du cours historique.
Pour conclure sur cette dernière remarque, le hasard a fait que j’ai lu récemment deux articles dans la presse qui apportent de l’eau à mon moulin. Dans l’Obs, dans un petit article sur l’évolution de l’économie mondiale il est remarqué que la puissance qui a été à l’origine de cette pandémie est la seule paradoxalement qui verra une croissance positive en 2020. L’article se termine ainsi : “Quand la crise sera terminée, il faudra faire un nouvel état des lieux des forces en présence. Mais d’ores et déjà, on peut annoncer que la Chine se rapproche dangereusement des États-Unis.” Dans le Canard Enchaîné sont rapportés les propos du responsable des armes nucléaires des États-Unis Charles Richard : “il est temps que les États-Unis révisent et mettent à jour leur doctrine nucléaire, car la nation n’a pas pris au assez sérieux, jusqu’à présent, la possibilité qu’elle puisse être engagée à l’occasion d’une compétition armée direct face à des adversaires dotés de l’armement nucléaire. Durant 30 ans le Pentagone a considéré qu’il n’existait pas de menaces. Ce discours post-guerre froide est terminé. Nous devons assumer la perspective qu’une guerre nucléaire puisse un jour avoir lieu. Nos adversaires ont profité de cette période pour dissimuler leur comportement agressif, accroître leur potentiel militaire et reconsidérer leurs tactiques et stratégies. Nous ne pouvons plu attendre de nos adversaires qu’ils respectent les contraintes que chacun s’imposait jusqu’à maintenant selon que la guerre pourrait être conventionnelle ou nucléaire qui ont désormais une conception de la dissuasion différente de la nôtre”
J’espère que ces quelques remarques pourront être utiles dans le développement de la discussion sur la question essentielle de l’abandon de la notion de cours historique par le CCI.
D.
Tout d’abord, nous tenons à vivement saluer l’effort du camarade D. et la réflexion qu’il a menée sur la notion de “cours historique”, permettant d’alimenter et enrichir le débat.
Le camarade se pose, en premier lieu, la question suivante : comment se fait-il que le concept de “cours historique” qui a toujours été un des “piliers” de l’analyse du CCI depuis sa fondation soit aujourd’hui remis en cause et abandonné dans le “Rapport que la question du cours historique” de notre 23e Congrès ? Le camarade nous demande également : le CCI a-t-il abandonné ou rectifié d’autres positions ?
À la première question, nous devons renvoyer le camarade à ce qu’affirme très explicitement l’article de la Revue internationale : “En effectuant le changement nécessaire de notre analyse, nous avons repris la méthode de Marx et du mouvement marxiste, depuis sa création, consistant à changer de position, d’analyse, et même de programme complet, dès lors qu’ils ne correspondaient plus à la marche de l’histoire, et cela pour être fidèles au but même du marxisme comme théorie révolutionnaire. Un exemple célèbre est celui des modifications importantes que Marx et Engels ont apportées successivement au Manifeste communiste lui-même, résumées dans les préfaces ultérieures qu’ils ont ajoutées à cette œuvre fondamentale, à la lumière des changements historiques intervenus. Les générations suivantes de marxistes révolutionnaires ont adopté la même méthode critique : “Le marxisme est une vision révolutionnaire du monde qui doit appeler à lutter sans cesse pour acquérir des connaissances nouvelles, qui n’abhorre rien tant que les formes figées et définitives et qui éprouve sa force vivante dans le cliquetis d’armes de l’autocritique et sous les coups de tonnerre de l’histoire” (“Critique des critiques”, 1916, Rosa Luxemburg).
L’insistance de Rosa, à cette époque, sur la nécessité de reconsidérer les analyses antérieures afin d’être fidèle à la nature et à la méthode du marxisme, en tant que théorie révolutionnaire, était directement liée à la signification changeante de la Première Guerre mondiale. La guerre de 1914-1918 a marqué le tournant du capitalisme en tant que mode de production, de sa période d’ascension ou de progrès à une période de décadence et d’effondrement, laquelle a fondamentalement changé les conditions et le programme du mouvement ouvrier. Mais seule la gauche de la 2e Internationale commença à reconnaître que la période précédente était définitivement révolue et que le prolétariat entrait dans l’“époque des guerres et des révolutions”.
C’est donc en adoptant la même démarche que celle du mouvement ouvrier du passé que nous avons été amenés à remettre en question le concept de “cours historique”. Un concept que nous estimons dépassé depuis l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, ouvrant une nouvelle phase au sein de la période historique de la décadence du capitalisme, sa phase ultime : celle de la décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme. De même que l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence avaient rendu obsolètes les luttes de libération nationale, défendues par les marxistes au XIXe siècle, l’analyse du “cours historique” permettant de comprendre dans quel sens évolue la société, est devenue caduque. L’alternative historique n’est plus aujourd’hui “Guerre mondiale ou révolution prolétarienne” (comme c’était le cas dans le passé) mais “Destruction de l’humanité dans un chaos généralisé ou révolution prolétarienne”.
Notre article de la Revue internationale n° 164 explique de façon très approfondie la différence entre le concept de “cours historique” et celui de “rapport de force entre les classes”. Nous avions commis l’erreur d’identifier dans le passé ces deux notions alors qu’il s’agit de deux concepts distincts. Au XIXe siècle, dans la période ascendante du capitalisme, le concept de “cours historique” n’avait pas été utilisé par les révolutionnaires car nous n’étions pas encore entrés dans “l’ère des guerres et des révolutions” (comme le disait l’Internationale communiste en 1919). Ni l’échec de la révolution de 1848, ni l’écrasement de la Commune de Paris en 1871, n’avaient débouché sur une guerre impérialiste, bien que le rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat ait été inversé en faveur de la classe dominante.
Avec l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, la question du “cours historique” est adoptée par les révolutionnaires pour comprendre dans quelle direction générale va la société. En 1914, la défaite idéologique du prolétariat (avec le vote des crédits de guerre par la social-démocratie et la trahison des partis ouvriers) avait permis l’embrigadement de dizaines de millions de prolétaires dans la Première Guerre mondiale. Le rapport de force entre les deux classes fondamentales de la société était en faveur de la bourgeoisie qui avait réussi à envoyer le prolétariat sur les champs de bataille la fleur au fusil. Pour la première fois dans l’Histoire, était posée l’alternative : “socialisme ou barbarie”, “révolution prolétarienne ou destruction de l’humanité dans la Guerre mondiale”. Puis en 1917, avec le triomphe de la Révolution russe et son impact dans d’autres pays (notamment en Allemagne), le rapport de force entre les classes est inversé au profit du prolétariat mettant fin à la Guerre mondiale. Le “cours historique” est pour la première fois, un cours vers la Révolution prolétarienne mondiale, posant la question du renversement du capitalisme, ce qui s’est manifesté par une véritable vague révolutionnaire qui s’est développée à travers le monde entre 1917 et 1923, et encore en 1927 en Chine. Mais avec l’écrasement sanglant de la Révolution en Allemagne et de la contre-révolution stalinienne sous couvert du “socialisme dans un seul pays”, la bourgeoisie a pu reprendre le dessus. Cette défaite physique du prolétariat a été suivie par une profonde défaite idéologique qui avait permis son embrigadement derrière les drapeaux de l’antifascisme et de la défense de la “patrie socialiste”. Le rapport de force entre les classes ayant été inversé en faveur de la bourgeoisie, un nouveau cours historique s’est affirmé dans les années 1930 : la société s’acheminait inexorablement vers une Deuxième Guerre mondiale. La classe dominante avait pu soumettre la classe ouvrière à la chape de plomb d’une longue période de contre-révolution en se donnant tous les moyens pour empêcher le prolétariat de renouveler l’expérience révolutionnaire de 1917-18. Cette période de contre-révolution victorieuse n’avait donc pas permis au prolétariat d’inverser le cours historique en affirmant de nouveau sa perspective révolutionnaire. Une telle situation ne pouvait donc que laisser les mains libres à la bourgeoise pour imposer sa propre réponse à la crise historique de son système : la Guerre mondiale.
C’est seulement après un demi-siècle de contre-révolution que le prolétariat, en reconstituant progressivement ses forces, a pu de nouveau relever la tête : à la fin des années 1960, avec le resurgissement de la crise économique et l’épuisement du “boom” économique des “Trente Glorieuses”, le prolétariat réapparaît de nouveau sur la scène de l’Histoire. La vague de luttes ouvrières qui a secoué le monde, notamment en mai 1968 en France et lors de “l’automne chaud” en Italie en 1969, a révélé que le prolétariat n’était pas disposé à accepter la détérioration de ses conditions de vie. Comme nous l’avons toujours affirmé, un prolétariat qui n’accepte pas les sacrifices imposés par la crise économique n’est pas prêt à accepter le sacrifice ultime de sa vie sur les champs de bataille. Avec l’usure des mystifications bourgeoises qui avaient permis son embrigadement dans la Deuxième Guerre mondiale (celle de l’antifascisme et du stalinisme), la classe ouvrière a repris le dessus à la fin des années 1960. En faisant obstacle au déchaînement d’une nouvelle Guerre mondiale, la reprise internationale des combats de classe avait mis fin à la période de contre-révolution et ouvert un nouveau cours historique : un cours vers des affrontements de classe généralisés remettant à l’ordre du jour la perspective de la révolution prolétarienne.
L’histoire du XXe siècle a donc montré la dynamique du capitalisme et l’évolution de la société en fonction du rapport de force entre les classes. C’est ce rapport de force qui détermine le “cours historique”, c’est-à-dire dans quelle direction se dirige la société face à la crise permanente du capitalisme : soit vers la guerre mondiale, soit vers la révolution prolétarienne.
Bien que le “cours historique” soit tributaire, en dernière instance, du rapport de force entre les classes, ces deux notions ne sont pas identiques. Pour les marxistes, le “cours historique” n’est pas figé. Il est fondamentalement déterminé par la réponse que la bourgeoisie et le prolétariat apportent, à un moment donné, à la crise de l’économie capitaliste. “Nous avons eu tendance, sur la base de ce que la classe ouvrière a connu au cours du XXe siècle, à identifier la notion d’évolution du rapport de force entre les classes entre la bourgeoisie et le prolétariat à la notion de “cours historique”, alors que ce dernier indique un résultat alternatif fondamental, la guerre ou révolution mondiale, une sanction du rapport de force entre les classes. D’une certaine manière, la situation historique actuelle est similaire à celle du XIXe siècle : le rapport de force entre les classes peut évoluer dans une direction ou dans une autre sans affecter de manière décisive la vie de la société”. (1)
L’incompréhension de cette notion de “cours historique” avait d’ailleurs conduit certains révolutionnaires du passé à se fourvoyer dangereusement. Ce fut le cas notamment de Trotsky qui, dans les années 1930 et alors que le prolétariat des pays centraux était embrigadé derrière les drapeaux bourgeois de l’antifascisme et de la défense des “acquis ouvriers” en URSS, n’avait pas compris que la société s’acheminait de façon irrémédiable vers la Guerre mondiale. Trotsky n’avait pas compris que la guerre d’Espagne était le laboratoire de la Deuxième Guerre mondiale. En voyant dans le soulèvement du prolétariat espagnol contre le franquisme une “révolution” se situant dans la continuité de celle d’Octobre 1917 en Russie, Trotsky avait fini par pousser prématurément à la fondation d’une Quatrième Internationale, alors que les conditions historiques étaient marquées par la défaite et que la “tâche de l’heure” était, pour les révolutionnaires, de tirer le bilan et les leçons de l’échec de la révolution russe et de la première vague révolutionnaire.
Notre lecteur nous fait la critique suivante : il exprime “un certain étonnement quant à l’apparition maintenant de cette remise en cause. Quel événement interne ou externe au CCI a provoqué ces derniers mois cette remise en cause d’un de ses piliers programmatique, 30 ans après 1989 ? […] Seul événement “interne” était la nécessité de faire le bilan des 40 ans du CCI et de revoir une analyse qui n’était plus adaptée. Je me souviens de multiples discussions dans des réunions publiques ces 30 dernières années où cette affirmation du cours historique contre des questionnements de sympathisants sur l’état de la classe ouvrière était un argument décisif dans l’argumentation”.
La première question à laquelle nous voulons répondre au camarade D. est la suivante : l’effondrement du bloc de l’Est en 1989 est-il un événement d’une portée historique telle qu’il justifie que nous examinions dans quel sens se dirige la société ? Comme nous l’avons mis en évidence dans notre presse, l’effondrement des pays staliniens a mis définitivement un terme au mythe de la “patrie du socialisme”. C’est tout un pan du monde capitalisme qui s’est effondré, non pas grâce à l’action révolutionnaire du prolétariat, mais sous les coups de boutoir de la crise économique mondiale. La disparition du bloc de l’Est avait donc mis fin à la Guerre froide et à l’alternative de la bourgeoise d’une Troisième Guerre mondiale comme seule réponse que la classe dominante puisse apporter à la crise de son système. De ce fait, le bloc de l’Ouest a fini par se disloquer, puisque la menace de l’“Empire du mal” avait disparu. La perspective d’une Troisième Guerre mondiale opposant l’URSS et les États-Unis avait donc elle-même disparue, sans pour autant céder la place à l’alternative de la Révolution prolétarienne. Comment avons-nous expliqué ce “vide” laissé dans le cours de l’Histoire ? Notre analyse était la suivante : ni le prolétariat, ni la bourgeoisie n’ayant été en mesure d’affirmer leur propre réponse à la crise économique à la fin des années 1980, l’alternative historique “Guerre ou Révolution prolétarienne mondiale” a été “bloquée”. Si le capitalisme est entré dans sa phase de décomposition, c’est parce que la classe ouvrière n’a pas été en mesure de passer à l’offensive, de politiser ses combats pour les hisser à la hauteur de la gravité des enjeux de la situation historique. La dynamique de la lutte de classe ne peut plus être analysée dans le cadre du “cours historique”. Cette analyse du “cours historique” devait donc être réexaminé puisque la perspective d’une nouvelle Guerre mondiale s’était éloignée, de même que celle de la révolution prolétarienne.
L’évolution de la situation historique nous imposait de faire un examen critique des 40 ans du CCI afin de vérifier la validité de nos analyses. C’est ce que nous avions commencé à faire lors de notre 21e Congrès dont les travaux ont été exclusivement consacrés à ce bilan critique. C’est donc à partir de ce Congrès que nous avons mené une réflexion sur le cours historique et avons actualisé notre analyse à la lumière de la nouvelle situation mondiale ouverte avec l’effondrement du bloc de l’Est. Cet événement majeur, le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale, avait provoqué un recul de la conscience et de la combativité du prolétariat du fait de l’impact qu’a eu la gigantesque campagne de la bourgeoisie prétendant que l’effondrement des régimes staliniens signifiait la “faillite du communisme”. La bourgeoisie avait pu ainsi retourner cette manifestation majeure de la décomposition de son système contre la conscience de la classe ouvrière, obstruant ainsi sa perspective révolutionnaire et rendant plus difficile, plus lente et plus heurtée sa marche en avant vers des affrontements de classe généralisés.
Par ailleurs, au cours de ce Congrès, nous avions affirmé que la reconstitution de nouveaux blocs impérialistes (qui est une condition objective indispensable pour une Troisième Guerre mondiale) n’était pas à l’ordre du jour. Avec la fin de la discipline de bloc, la dynamique de l’impérialisme était désormais caractérisée par la tendance croissante au “chacun pour soi”, une tendance qui n’exclue d’ailleurs pas que des alliances entre États puissent se constituer. Mais ces alliances sont marquées par une certaine instabilité. Le “chacun pour soi” dans la vie de la bourgeoisie ne peut qu’aggraver le chaos mondial, notamment dans des guerres localisées toujours plus meurtrières. Le “chacun pour soi” est également une manifestation de la décomposition du capitalisme. Il se vérifie encore aujourd’hui à travers la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19 par chaque bourgeoisie nationale comme en ont témoigné la “guerre des masques” et la course concurrentielle aux vaccins.
C’est donc en s’appuyant sur la méthode marxiste d’analyse de l’évolution historique que le CCI a estimé que le concept de “cours historique” est devenu obsolète. La dynamique de la lutte de classe et du rapport de force entre les classes ne peut plus se poser aujourd’hui dans les mêmes termes que par le passé. Face à une situation historique nouvelle (et inédite depuis le début de la décadence du capitalisme), il nous appartenait de revoir une analyse qui avait été pendant 40 ans, comme le dit le camarade D. un de nos “piliers programmatiques”. Ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait juste : l’analyse du “cours historique” n’est pas une position faisant partie intégrante de notre plateforme programmatique (comme l’analyse de la décadence du capitalisme et ses implications sur les luttes de libération nationale, la participation aux élections ou encore la nature des syndicats et de l’ex-URSS).
La “théorie de la décomposition” ne remplace donc pas “la théorie du cours historique”, comme l’affirme le camarade D. Il ne s’agit pas du même paradigme. Une nouvelle Guerre mondiale n’est pas aujourd’hui une condition nécessaire pour la destruction de l’humanité. Comme nous l’avons mis en évidence dans nos “Thèses sur la décomposition”, la décomposition du capitalisme peut avoir les mêmes effets que la guerre : elle peut conduire, à terme, à la destruction de l’humanité et de la planète si le prolétariat ne parvient pas à renverser le capitalisme.
Pour conclure, il nous faut répondre brièvement, à cette autre question posée par le courrier du camarade D., toujours à propos de notre remise en cause du concept de “cours historique” : : “Je n’ai pas d’autre exemple de la remise en cause d’une position “pilier” de cette importance depuis 45 ans (date de la création du CCI). Éclairez-moi s’il y a eu un ou des précédents”.
Il y a eu en effet quelques “précédents”. Le premier est signalé par le camarade lui-même : nous avions remis en cause la notion de “cours à la révolution” pour la remplacer par celle de “cours aux affrontements de classe”, dans les années 1980. En effet, la notion de “cours à la révolution” était fortement marquée par un certain immédiatisme de notre part. La reprise historique de la lutte de classe à la fin des années 1960 ne signifiait pas qu’une nouvelle vague révolutionnaire allait surgir rapidement. C’est l’analyse du rythme lent de la crise économique dans les années 1970 qui nous avait permis de comprendre que cette reprise de la lutte de classe ne pouvait pas encore déboucher immédiatement sur un soulèvement révolutionnaire du prolétariat comme c’était le cas face à la barbarie de la Première Guerre mondiale.
On peut citer comme autre exemple de rectification nécessaire de nos analyses, la question de l’émergence de la Chine comme seconde puissance mondiale. Par le passé, nous avions en effet défendu l’idée que, dans la période de décadence du capitalisme, il n’y avait aucune possibilité pour les pays du “Tiers monde” (dont la Chine) de sortir du sous-développement. C’est à la lumière des conséquences de l’effondrement du bloc de l’Est avec l’ouverture des pays du glacis soviétique et leur intégration dans l’“économie de marché” que nous avions été amenés à revoir cette analyse devenue obsolète. Néanmoins, cette nouvelle analyse ne remettait nullement en cause le cadre historique de la décadence du capitalisme.
Tout comme les révolutionnaires du passé, le CCI n’a jamais eu peur ni de reconnaître et rectifier ses erreurs, ni d’adapter ses analyses aux nouvelles données de la situation mondiale. Si nous n’étions pas capables de critiquer nos propres erreurs, nous ne serions pas une organisation fidèle à la méthode du marxisme. Comme l’affirmait encore Rosa Luxemburg en septembre 1899, “Il n’existe sans doute pas d’autre parti pour lequel la critique libre et inlassable de ses propres défauts soit, autant que pour la social-démocratie, une condition d’existence. Comme nous devons progresser au fur et à mesure de l’évolution sociale, la modification continuelle de nos méthodes de lutte et, par, conséquent, la critique incessante de notre patrimoine théorique, sont les conditions de notre croissance. Il va cependant de soi que l’autocritique dans notre Parti n’atteint son but de servir le progrès, et nous ne saurions trop nous en féliciter, que si elle se meut dans la direction de notre lutte. Toute critique contribuant à rendre plus vigoureuse et consciente notre lutte de classe pour la réalisation de notre but final mérite notre gratitude” (“Liberté de critique et de la science”)
C’est en ce sens que nous devons également saluer le courrier du camarade D. et ses remarques critiques. Sa contribution participe à alimenter le débat public que nous ne pouvons qu’encourager. En ouvrant les colonnes de notre presse, comme nous l’avons toujours fait, à tout lecteur désireux de critiquer nos analyses et positions, notre objectif vise à développer la culture du débat au sein de la classe ouvrière et du milieu politique prolétarien.
(À suivre)
Sofiane
1“Rapport sur la question du cours historique”, Revue internationale n° 164 (premier semestre 2020).
Le 28 novembre 1820, naissait Friedrich Engels dans l’ancienne ville de Barmen en Rhénanie. Pour l’occasion, les lecteurs pourront trouver ci-dessous un article paru dans la presse du CCI à l’occasion du centième anniversaire de sa mort.
FRIEDRICH ENGELS : il y a cent ans disparaissait un « grand forgeron du socialisme » [7]
Nous publions ci-dessous la résolution sur la situation en France adoptée lors du 24e congrès de la section en France du CCI. La première partie traite de l’analyse de la vie politique de la bourgeoisie française et des enjeux auxquels elle est confrontée, tout particulièrement depuis le surgissement de la pandémie de Covid-19.
La deuxième partie aborde le rapport de force entre les classes à travers notamment l’analyse du mouvement interclassiste des Gilets jaunes et de la lutte contre la réforme des retraites survenue entre la fin de l’année 2019 et le début de l’année 2020.
La pandémie actuelle marque une accélération de la décomposition sociale. Covid-19 a pu se répandre, provoquer une hécatombe et paralyser l’économie mondiale parce que la bourgeoisie a été incapable d’anticiper, de prendre des mesures adaptées et d’accorder ses décisions à l’échelle internationale. La concurrence exacerbée entre les États, l’anarchie, l’irrationalité et l’incurie ont fait flamber l’épidémie. La seule politique mise en place pour tenter d’y faire face, celle du confinement, tout droit sortie du Moyen Âge, révèle à elle-seule la nature obsolète et la faillite du capitalisme.
L’incapacité de la bourgeoisie à faire face à Covid-19 est en train d’aggraver la récession mondiale amorcée en 2019 et de lui donner une ampleur dévastatrice. En 2008, lors de “la crise des subprimes”, la bourgeoisie avait su réagir de façon coordonnée à l’échelle internationale. Les fameux G7, G8,… G20 (qui faisaient “la Une” de l’actualité) symbolisaient cette capacité des États à s’entendre a minima pour tenter de répondre à la “crise de la dette”. 12 ans plus tard, la division, la “guerre des masques” puis la “guerre des vaccins”, la cacophonie régnant dans les décisions de fermetures des frontières contre la propagation de Covid-19, l’absence de concertation à l’échelle internationale (hormis l’Europe qui tente difficilement de se protéger contre ses concurrents) pour limiter l’effondrement économique, signent l’avancée du chacun pour soi et la plongée des plus hautes sphères politiques du capitalisme dans une gestion de plus en plus irrationnelle du système.
En revenant sur les deux dernières années de “macronie”, la résolution ci-dessous examine la politique de la bourgeoisie française pour essayer d’évaluer ses forces et ses faiblesses face à cette dynamique mondiale.
1. Avec déjà plus de 80 000 morts, la France est l’un des pays les plus touchés par la pandémie. Pourtant, la France avait la réputation de posséder l’un des systèmes de soin les plus performants et développés au monde. La réalité des 40 dernières années de réduction continue des budgets et des effectifs dans les hôpitaux, sous les gouvernements de droite comme de gauche, vient d’éclater au grand jour : partout il manque des médecins, des infirmiers, des lits, des respirateurs et même des blouses, des gants, des masques… au point que la seule solution contre l’épidémie a été le confinement. La bourgeoisie a montré son vrai visage cynique, en présentant comme inévitable, la nécessité de faire des choix parmi les malades (ceux de Covid, et les autres), donc de laisser mourir des personnes pour en sauver d’autres.
En Italie du Nord, en mars, l’embolie des hôpitaux a entraîné une politique du tri : refuser un malade de 60 ans pour pouvoir prendre en charge un de 40. Le personnel de santé a été laminé physiquement et psychologiquement. Toutes les bourgeoisies d’Europe ont constaté ces dégâts et ont craint qu’en se généralisant, une telle situation entraîne une explosion de colère dans la population et le chaos social. Qui plus est, avec une épidémie si massive et incontrôlée, les salariés auraient été trop nombreux à ne plus pouvoir travailler. Partout en Europe, y compris en France, le confinement généralisé a donc été décrété à la fin de l’hiver 2020, provoquant une récession de plus de 10 % en quelques semaines.
Aujourd’hui, face simultanément à une récession inconnue depuis l’après-guerre et une deuxième vague de la pandémie qui s’annonce plus haute et meurtrière encore, la bourgeoisie française veut éviter à tout prix un second arrêt de l’activité sur les lieux de production : il s’agit donc pour elle d’éviter la saturation des hôpitaux en limitant la vie sociale et familiale et en sacrifiant l’activité économique des couches intermédiaires (petits commerces, artisanat…).
2. Lorsque la bourgeoisie se préoccupe de la santé des travailleurs, c’est toujours pour pouvoir mieux exploiter une main d’œuvre en “état de marche”. En rognant, décennie après décennie, les capacités de soins, l’État français scie donc la branche sur laquelle il est assis. Les coupes claires dans le système hospitalier au nom des “exigences d’équilibre budgétaire” témoignent d’une politique de plus en plus à courte vue de la part de la bourgeoisie française. Le poids immédiat de la crise économique exige des mesures amputant toujours plus la viabilité du système à long terme.
3. Cet état calamiteux des hôpitaux n’est pas une exception : dans les écoles, les professeurs absents ne sont que rarement remplacés ; dans les transports, le manque de trains et de métros impose aux voyageurs de s’entasser, et les infrastructures ne sont plus suffisamment entretenues, provoquant pannes et accidents ; dans les usines, les cadences sont infernales et la “flexibilité” la règle.
4. La fraction de la bourgeoisie au pouvoir, Macron et son gouvernement, sont pris dans des contradictions insolubles :
Conscients que la division au sein de l’Union Européenne favorise la propagation du virus et aggrave la crise économique, Macron s’est positionné en faveur d’une entente européenne. Mais si le “plan de relance” consenti par l’Allemagne, est une victoire au regard de l’absence de concertation partout ailleurs sur la planète, il n’est pas possible d’en prévoir encore les effets par rapport à la gravité de la récession actuelle et à venir. Pire, la France a participé elle aussi activement à la cacophonie généralisée et au développement du chacun pour soi : fermeture de ses frontières le plus tardivement possible face à la première vague afin de profiter de l’arrêt de l’activité économique de ses voisins et réouverture prématurée ; aux avant-postes de la “guerre des masques” ; au front de la “guerre des vaccins”.
Conscients que l’état de délabrement du système de soins est une entrave au bon fonctionnement de l’économie nationale, et afin de calmer la colère des agents hospitaliers, Macron a lancé son “plan Ségur”. Mais derrière les promesses d’augmentation de salaire et des embauches se cache un plan de “modernisation des hôpitaux” : augmentation de la productivité, plus grande charge de travail et de responsabilités pour les médecins libéraux… Cette nouvelle dégradation à venir du système de soins montre l’impasse du capitalisme sous le poids de sa crise économique historique et insoluble.
Conscients de l’arrivée de l’épidémie depuis la Chine, Macron et son gouvernement n’ont rien fait pour préparer les services de soins : aucune anticipation des achats de masques par exemple, contrairement ce qu’avait fait la bourgeoisie française craignant la grippe A en 2009 (achats de masques et vaccins par millions). Ce qui montre une nette détérioration des capacités de gestion et d’anticipation de l’État français en une décennie.
5. En 2017, la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle représentait une certaine réussite pour la bourgeoisie française. Alors que les bourgeoisies américaines et anglaise n’étaient pas parvenues à endiguer la montée du populisme jusqu’au plus haut sommet de l’État (Trump aux États-Unis, Brexit en Grande-Bretagne…), la bourgeoisie française avait contourné le rejet de la droite et de la gauche “classiques”, et contré la poussée du Rassemblement National, par la création d’un nouveau parti “ni de droite ni de gauche” et la mise en avant d’un “homme hors système”. Macron portait même une vision plus adaptée que ses prédécesseurs aux besoins de l’économie française et des restructurations nécessaires : défense des secteurs de haute technologie et de la recherche, refonte profonde de l’État par des réformes systémiques (retraites, chômage), développement de la “flexibilité” à outrance (“l’ubérisation” de la société)… L’aura du président Macron, surnommé alors “Jupiter”, poussait la bourgeoisie française à aspirer de nouveau à un certain leadership européen et à prétendre rééquilibrer son “couple” avec l’Allemagne.
Seulement, “l’homme neuf” manquait aussi d’expérience, ou plus exactement de “sens politique”, sur la question sociale. Face à la colère des Gilets Jaunes, la féroce répression de ce mouvement interclassiste, à coups de flash-ball et d’œil crevé, n’a fait qu’exaspérer et radicaliser les plus déterminés, témoignant ainsi de la difficulté croissante du gouvernement à maintenir l’ordre dans une société dont le tissus social tend à se disloquer. Fin 2018, Macron était le président le plus haï de l’histoire de la Ve République. En proclamant dans la foulée que “sa” réforme des retraites toucherait tout le monde, Macron a aussi facilité le sentiment d’unité de la classe ouvrière, au moment même où tous les syndicats soulignaient une poussée de la combativité ouvrière.
Mais cette fraction de la bourgeoisie française sait aussi tirer les leçons de ses erreurs. Dès le début de l’épidémie, Macron a annoncé le report de la réforme des retraites sine die. Puis ce fut le tour de la réforme du chômage d’être repoussée. Le but est clair : apaiser le climat social, éviter d’attiser la colère qui gronde partout. Avec cette épidémie, l’État et sa police jouent aussi un rôle très différent : en veillant au port du masque dans les rues et au respect des règles du confinement, ils se présentent maintenant comme soucieux de la santé de la population, comme des agents protecteurs du peuple. D’ailleurs, avec la recrudescence des attentats terroristes, la bourgeoisie présente l’État et ses flics comme les seuls remparts contre la barbarie. Néanmoins, le gouvernement profite de ce contexte pour renforcer considérablement l’appareil policier et judiciaire de l’État à travers notamment le vote de “la loi de sécurité globale”. Si la bourgeoisie ne manque jamais une occasion pour renforcer ses outils de coercition dans la perspective des luttes futures du prolétariat, elle est également confrontée à une exacerbation de la violence sociale et à la tendance au chaos qu’elle tente de limiter.
6. Le but principal de l’arrivée de la fraction Macron au pouvoir est la lutte de la bourgeoisie française contre l’influence du populisme incarné par le Rassemblement National de Marine Le Pen. Après la victoire de LREM aux présidentielles, les élections européennes sont venues confirmer cette capacité.
Traditionnellement, les élections européennes sanctionnent le pouvoir en place au niveau national, c’est souvent une sorte de “référendum anti-gouvernement”. Pour éviter un résultat-sanction, le parti présidentiel En marche a transformé ces élections en duel Macron-LePen, agitant l’épouvantail de la “menace fasciste” et jouant de la nécessité de “faire barrage” à l’extrême – droite. Si le Rassemblement National est tout de même arrivé en tête (23,34 %), son score a baissé par rapport aux élections européennes précédentes (-1,52 points) avec En marche juste sur ses talons (22,42 %). Les élections municipales ont encore confirmé cette stagnation du Rassemblement National. De façon plus générale, le duel Macron/Le Pen permet de renforcer les illusions démocratiques : les divergences de ses deux fractions font croire à un enjeu pour la classe ouvrière ; le discours du “chaque vote compte” prend donc plus de poids.
Mais avec les ravages de la Covid-19, la perte de confiance en la science (décuplée par l’instrumentalisation politique des scientifiques) et la peur grandissante de l’avenir, l’irrationnel, l’obscurantisme et la haine ne peuvent que croître, ce qui constitue le terreau le plus fertile aux idées populistes. Toute la bourgeoisie française est donc préoccupée par les prochaines présidentielles en 2022.
Afin de ne pas laisser au Rassemblement National le monopole de leur exploitation politique au plan électoral, Macron est contraint d’adopter et de s’approprier certains thèmes propres au populisme. C’est en particulier le cas concernant la défense des “valeurs qui fondent l’identité nationale de la France Républicaine, de la Laïcité” à travers l’adoption de la Loi sur le Séparatisme pour lutter contre l’islamisme… que le RN a dû lui-même soutenir “comme un premier pas”.
C’est pourquoi Macron tient d’ores et déjà un discours des plus rassembleurs. Face à la décapitation de Samuel Paty en pleine rue par un jeune djihadiste pour avoir, en tant que professeur, présenté en classe avec ses élèves des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, Macron a déclaré “Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent”. Ainsi, le Président français ratisse large : à droite par son intransigeance face à l’islamisme, quitte à se mettre à dos le président de la Turquie Erdogan et nombre de pays “musulmans” ; à gauche par sa défense des “professeurs de la République” et de la laïcité.
Cependant, si Macron a pour le moment freiné la montée en puissance du Rassemblement National, il n’a pas réussi à empêcher le développement des idées populistes de se diffuser dans des parties de la population, notamment dans les couches petites-bourgeoises, le contraignant à adopter des mesures de type populiste.
7. Mais pour l’heure, si Macron garde sa place et sa stature présidentielle, d’autres ambitions à l’affût peuvent l’affaiblir face aux échéances de 2022, ce qui inquiète la bourgeoisie qui cherche à freiner la montée du populisme :
La droite fait face à un double problème : son usure suite à des décennies au pouvoir (en alternance avec la gauche) et la politique déjà très “droitière” et “gaulliste” de Macron. De plus, soumise à des luttes de cliques très violentes, qui la rend incapable pour le moment, de dégager une personnalité capable de s’imposer dans son camp et de rivaliser avec Macron. La marge de manœuvre de ce camp politique pour faire émerger un candidat crédible s’avère donc d’autant plus délicate et difficile.
La gauche, elle aussi, est usée par ses successives gouvernances. Le PS, discrédité depuis des décennies aux yeux de la classe ouvrière, du fait de sa participation au gouvernement avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir en 1981, tente de s’appuyer sur les écologistes qui, s’ils ont le vent en poupe pour se présenter sous un nouveau jour, semblent de nouveau en proie à des ambitions personnelles non réglées. Mélenchon peine à incarner l’homme de l’unité (il a d’ailleurs décidé de faire cavalier seul pour les présidentielles). Son positionnement “très à gauche” est en plus très précieux à la bourgeoisie dans son rôle d’opposition afin d’encadrer idéologiquement la classe ouvrière, tout particulièrement auprès de la jeunesse, comme l’a montré l’investissement très important de la France Insoumise lors du mouvement contre la réforme des retraites, aux côtés des syndicats “radicaux”.
D’ailleurs, syndicats et extrême-gauche, conscients de la montée de la combativité ouvrière, mettent de plus en plus en avant le “combat de classe”, afin de mieux happer vers eux les prolétaires en recherche d’une perspective et coller aux préoccupations de la classe ouvrière.
La seule autre force politique qui semble pouvoir potentiellement contrebalancer le binôme RN/En Marche, ce sont Les Verts, dont les discours radicaux séduisent une grande partie de la jeunesse. Ce courant politique, pur produit de la décomposition du capitalisme, divisé et traversé d’antagonismes importants, précisément en ce qui concerne son positionnement envers le pouvoir gouvernemental en place, offre de ce fait différentes options possibles pouvant être mises à profit par la bourgeoisie. Celle-ci a notamment compris l’intérêt de promouvoir l’idéologie écologiste afin d’enfermer la réflexion ouvrière dans le carcan du réformisme et l’illusion d’un possible capitalisme peint en vert. L’exhibition de la jeune Greta Thunberg sur tous les plateaux de télé et à l’Assemblée Nationale, plébiscite “la marche du siècle” pour le climat au printemps 2018. Présentée comme “radicale”, l’association Extinction Rebellion a “sauvé” Nicolas Hulot d’un trop fort discrédit par sa bruyante démission… Ce faisant, elle a donné un nouvel élan à la démocratie et offre un levier permettant à la bourgeoisie de mobiliser la population sur le terrain électoral et ainsi lutter contre l’abstention : la participation aux élections européennes (50,1 %) a été la plus forte depuis 1994, avec une poussée des partis écologistes (en troisième position des résultats avec 13,48 %) et de l’intérêt des jeunes électeurs.
8. Au moment où la “seconde vague” de la pandémie frappe l’Europe, que des centaines de milliers de morts sont encore annoncées, la crise économique connaît elle aussi une nouvelle brutale accélération.
La prévision d’une récession de -13,8 % (selon l’OCDE) pour l’année 2020, fait du capital français l’un des plus touchés du vieux continent. Le fait que d’importants piliers sur lesquels se fonde sa puissance économique (le tourisme, la construction aéronautique, l’automobile et les transports) comptent parmi les secteurs ayant partout le plus souffert de la crise sanitaire explique ce repli, bien supérieur à la moyenne européenne et de la zone euro (-7 %).
La politique du “quoiqu’il en coûte” d’aides et de soutien massifs apportés par l’État aux entreprises, contraint de parer au plus pressé en vue de préserver l’appareil de production du capital français, a poussé l’endettement de l’État à un niveau colossal, historiquement inégalé (près de 120 % du PIB), sans qu’il soit encore possible de juger de son efficacité au plan de la relance de l’activité économique et de la défense de son rang de 6éme puissance économique mondiale.
9. Les deux années à venir vont être marquées par une brutale dégradation des conditions de vie et de travail de toute la classe ouvrière.
Ainsi, si les réformes des retraites et de l’assurance-chômage sont repoussées et que le gouvernement réfléchit à la façon la plus prudente de les faire passer avec le moins de remous possibles, les attaques économiques contre la classe ouvrière ne vont pas en être moins violentes pour autant. En particulier, le gouvernement et les entreprises vont orchestrer ensemble les inexorables plans de licenciement à venir, en divisant un maximum la classe ouvrière, paquet par paquet, secteur par secteur. Évidemment, les syndicats seront aux avant-postes de ce saucissonnage en règle. Le chômage de masse va donc s’accroître encore. Nous ne pouvons pas encore prévoir quand, ni comment la classe ouvrière en France va de nouveau faire exploser sa colère et sa combativité, compte tenu du coup de massue qu’elle a pris sur la tête avec la pandémie. Mais ce qui est certain, c’est que la bourgeoisie ne va pas la ménager pour lui faire payer les effets de l’accélération de la crise économique. Reste à savoir comment la classe dominante va pouvoir naviguer et gouverner pour faire avaler à la classe exploitée la dégradation de toutes ses conditions de vie à court et moyen terme. D’autant que la pilule de la réforme des retraites (à laquelle la bourgeoisie n’a pas renoncé) ne passera pas aussi facilement.
Ce qui est également certain, c’est que la clique bourgeoise au pouvoir va s’atteler à contenir le populisme du Rassemblement National et empêcher Marine Le Pen de gagner les élections de 2022. Malgré la tendance à la perte de maîtrise de son jeu politique avec l’aggravation de la décomposition du capitalisme, la classe dominante en France va tout mettre en œuvre pour sauver les meubles d’ici les échéances présidentielles de 2022. Bien qu’il soit impossible de faire des pronostics dès à présent sur la façon dont la bourgeoisie française va disposer ses cartes dans la perspective des prochaines présidentielles, ce qui est tout aussi certain, c’est qu’avec l’aggravation de la crise économique, quelle que soit l’équipe au pouvoir, c’est encore plus de misère, de chômage, d’austérité, d’exploitation accrue qui attendent la classe ouvrière, en France comme dans tous les pays.
1. L’arrivée et l’expansion de la pandémie mondiale de Covid-19 a eu un impact considérable sur tous les aspects de la vie de la société et sur tous les plans : économique, politique et social. La crise sanitaire, comme manifestation majeure et inédite de l’accélération de la décomposition du capitalisme, va nécessairement avoir des conséquences sur la dynamique des combats de classe dans les deux années à venir. Le prolétariat en France, comme dans tous les pays, a subi de plein fouet le choc de cette pandémie. Cette catastrophe sanitaire a provoqué, de façon immédiate, un sentiment d’effroi, de sidération générale rendant très improbable, à court terme, toute mobilisation de la classe ouvrière, sur son propre terrain, contre les effets dévastateurs de la crise économique. Aujourd’hui, c’est tout le prolétariat mondial, comme l’ensemble de la société, qui est ébranlé par la gravité et les conséquences de cette pandémie. Cependant, il existe une grande hétérogénéité au sein de la classe ouvrière. Il est donc très difficile pour les révolutionnaires de dégager, dès à présent, une tendance générale valable pour tous les pays. La classe ouvrière en France n’a pas la même histoire, ni la même expérience que celle des États-Unis, par exemple. Elle n’est pas touchée par la même arriération politique que le prolétariat de la première puissance mondiale, fortement imprégnée par la montée du populisme.
Pour évaluer le rapport de force entre les classes, et poser un cadre politique permettant de comprendre l’évolution de ce rapport de force, il convient de revenir sur deux mouvements sociaux qui ont marqué la situation en France ces deux dernières années : le mouvement des Gilets Jaunes et celui contre la réforme des retraites. Ceci afin d’en tirer les principaux enseignements dans le contexte historique actuel d’accélération de la décomposition sociale et de la crise économique.
2. Le mouvement des Gilets Jaunes était une explosion de mécontentement contre une nouvelle baisse du pouvoir d’achat avec la hausse des taxes sur le carburant. Cette mesure du gouvernement Macron a frappé particulièrement les petits patrons et les ouvriers des zones rurales, contraints de prendre leur voiture pour se déplacer ou aller travailler. Les franges les plus misérables du prolétariat, très dispersées et inexpérimentées, ont été particulièrement vulnérables aux influences de la petite-bourgeoisie. Ce mouvement social s’est ainsi développé sur un terrain interclassiste, un terrain où les revendications ouvrières étaient mêlées et pouvaient se confondre avec celles des petits patrons et artisans. Il n’était donc pas une émanation de la lutte du prolétariat, mais un produit de la décomposition sociale résultant de la paupérisation croissante des couches intermédiaires. Ce mouvement se concevait comme une lutte des “pauvres” contre les “riches” et non pas comme celle d’une classe exploitée – le prolétariat – contre une classe exploiteuse – la bourgeoisie. C’est pour cela que la colère des Gilets Jaunes s’était focalisée contre la personne de Macron. Ils voulaient faire tomber le “Président des riches” qui avait supprimé l’impôt sur la fortune.
Le fait que le gouvernement Macron ait lâché du lest en débloquant plus de 10 milliards d’euros n’était pas un recul face à la force pseudo-“révolutionnaire” des Gilets Jaunes. Cette concession avait deux objectifs. D’une part, il s’agissait pour le gouvernement de limiter le chaos social provoqué par les violences urbaines et les saccages, notamment dans les “beaux quartiers” de la capitale. Par ailleurs, l’autre objectif, plus idéologique, visait à faire croire que les Gilets Jaunes auraient trouvé une forme de lutte plus “moderne”, plus “originale” et “efficace” face au caractère “dépassé” et “stérile” des vieilles méthodes de la classe ouvrière. Il s’agissait pour la bourgeoisie et ses medias d’instiller l’idée que seul ce type de mouvement interclassiste, du “peuple citoyen”, peut constituer une menace pour la classe dominante.
Malgré sa très grande sympathie envers les travailleurs les plus pauvres et précaires, la classe ouvrière ne s’est pas mobilisée dans le mouvement des Gilets Jaunes. Elle ne se reconnaissait ni dans leurs méthodes de lutte, ni dans un mouvement qui avait été soutenu par les partis bourgeois et notamment la droite et l’extrême-droite. Elle ne se reconnaissait pas dans une protestation sociale fortement imprégnée par l’idéologie nationaliste (avec aussi quelques relents minoritaires et nauséabonds de populisme, notamment de xénophobie) où de nombreux Gilets Jaunes brandissaient le drapeau tricolore et chantaient la Marseillaise à tue-tête dans leurs manifestations.
3. Le mouvement contre la réforme des retraites, qui a surgi un an après celui des Gilets Jaunes, a dévoilé au grand jour que la lutte de classe était toujours d’actualité. Ce mouvement a démontré la capacité du prolétariat en France à se mobiliser sur son propre terrain en s’affirmant comme classe autonome antagonique au capital. La reprise de sa combativité a été illustrée par les manifestations hebdomadaires regroupant dans la rue, semaine après semaine, un nombre croissant de travailleurs en colère. C’est cette combativité montante qui avait obligé les syndicats à prendre les devants pour encadrer la classe ouvrière, quadriller tout le terrain de sa mobilisation en collant aux besoins de la lutte. Ses besoins se sont clairement exprimés par la recherche de l’unité et de la solidarité entre tous les secteurs et toutes les générations.
Le retour de la lutte de classe en France a mis en évidence que, durant la dernière décennie de calme social, une maturation souterraine s’est opérée au sein du prolétariat. Cette maturation était à la fois la conséquence de l’aggravation de la crise économique, de l’accumulation des attaques de la bourgeoisie, et du discrédit croissant des partis politiques de la classe dominante. En mettant en avant ses propres revendications, son besoin d’unité et de solidarité dans la lutte, le prolétariat en France a montré également sa capacité à retrouver son identité de classe, même si cette dynamique était encore très embryonnaire.
4. Après deux mois d’effervescence, le mouvement contre la réforme des retraites devait nécessairement atteindre ses propres limites qui ont fait apparaître les difficultés de la classe ouvrière à développer et unifier sa lutte. Les travailleurs du secteur privé, du fait de la crainte des licenciements, notamment chez les ouvriers précaires et en Contrats à durée déterminée, ne se sont pas mobilisés dans ce mouvement. Par ailleurs, seuls les ouvriers du secteur des transports (SNCF et RATP) sont entrés en grève pendant près de deux mois. Malgré la volonté générale d’en découdre avec le gouvernement, la grande majorité des travailleurs ont délégué la lutte et l’ont remise entre les mains des seuls cheminots, présentés comme l’avant-garde “héroïque” du mouvement. La “grève par procuration” a ainsi révélé une hésitation de la classe ouvrière à engager massivement le combat. Cette difficulté a permis aux syndicats de dévoyer son besoin de solidarité à travers la mise en place de “caisses de solidarité” financières, destinées à permettre aux cheminots de “tenir”, c’est-à-dire de rester isolés dans une grève longue, coûteuse et épuisante.
La principale faiblesse du mouvement a été l’incapacité du prolétariat à étendre la lutte immédiatement dès le début en mettant en place des Assemblées Générales massives ouvertes à tous les travailleurs, actifs, retraités, chômeurs ou étudiants. La nécessaire extension géographique de la lutte, les moyens de la mettre en œuvre, ne pouvait être discutée et décidée que dans des AG souveraines, véritable poumon de tous les combats de la classe ouvrière. L’absence de tels organes unitaires a permis aux syndicats de tenir le haut du pavé, d’organiser ce mouvement de A à Z et d’en garder la totale maîtrise. Ils ont pu faire leur sale travail de sabotage grâce à une radicalisation de leurs discours, à un partage des tâches en leur sein en jouant la carte de la division syndicale. Il revenait ainsi à la CFDT (qui avait accepté la retraite à points) de jouer le rôle de syndicat “réformiste” et “collaborationniste”, tandis que FO et surtout la CGT (appuyé par SUD et les gauchistes) ont joué le rôle de syndicats radicaux, de “combat”, “jusqu’au boutistes”. En même temps que leurs discours “radicaux” exigeaient le retrait de l’ensemble de la réforme des retraites, ils ont enfermé les travailleurs de la SNCF et de la RATP dans une grève longue et isolée. Ils n’ont appelé à l’extension de la lutte (en réalité à l’extension de la défaite !) qu’à la fin du mouvement, lorsque les cheminots ont commencé à voter la reprise du travail, après avoir perdu près de deux mois de salaire. C’est à partir de cette reprise du travail dans le secteur des transports que le mouvement a commencé à refluer. Avant même l’arrivée de la pandémie de Covid-19, ce combat contre la réforme des retraites s’était donc déjà essoufflé.
L’extinction de ce mouvement n’a pas débouché, cependant, sur un sentiment général d’impuissance, d’amertume et de démoralisation. D’une part, parce que cette mobilisation n’était qu’un premier combat dans lequel toute la classe ouvrière n’était pas engagée derrière les manifestations appelées, programmées et encadrées par les syndicats. D’autre part, la défaite a été atténuée par le fait que le principal “gain” de cette lutte était la lutte elle-même. Une lutte marquée par la joie et l’enthousiasme de se retrouver enfin tous ensemble, solidaires et unis après une décennie d’immobilisation et d’atomisation. Ce mouvement s’est terminé, non pas sur le sentiment que lutter ne sert à rien, mais sur une question clairement exprimée dans les manifestations : comment continuer le combat et construire un rapport de force pour obliger le gouvernement à retirer cette réforme des retraites ?
5. C’est dans ce contexte qu’est survenue la pandémie de Covid-19, mettant un coup d’arrêt momentané à la dynamique de reprise de la lutte de classe en France. Malgré l’énorme colère suscitée par l’incurie du gouvernement face à la crise sanitaire (de même que par la remise au travail de nombreux prolétaires, sans aucune protection efficace contre le risque de contamination), la bourgeoisie a tenté dès le début de retourner cette manifestation de la décomposition de son système contre la classe ouvrière. Ainsi, Emmanuel Macron, dans son discours martial (“Nous sommes en guerre”) annonçant le premier confinement à la fin de l’hiver 2020, n’a cessé de mettre en avant la nécessité de l’union nationale contre l’ “ennemi intérieur” : la Covid-19. La bourgeoisie et ses médias aux ordres n’ont cessé de promouvoir l’idéologie du “civisme”, de la “citoyenneté”, et la “solidarité” avec les soignants, présentés comme des héros et de bons “soldats” prêts à tous les sacrifices dans l’intérêt de la nation, toutes classes confondues. Par la suite, la multiplication des attentats terroristes en octobre 2020, comme autre manifestation de la décomposition du capitalisme, a donné lieu également à un renforcement de l’appel à l’union sacrée, et des discours bellicistes du gouvernement contre un autre “ennemi intérieur” invisible, pouvant frapper n’importe quel citoyen à tout moment et n’importe où. La classe ouvrière est ainsi appelée aujourd’hui à s’en remettre à l’État et son gouvernement comme uniques et seuls “protecteurs” du “peuple français” et de ses “valeurs républicaines”.
L’emprise de l’État sur l’ensemble de la société civile a été renforcée par la mobilisation martiale du personnel soignant dans les hôpitaux, de même que par le déploiement des forces de répression dans la rue et tous les lieux publics, par les couvre – feux et autres mesures de contrôle policiers censées protéger la population contre la circulation du virus (avec lequel chacun devrait “apprendre à vivre”). Cette restriction de la vie sociale, aggravée par les mesures moyenâgeuses de confinement, ne pouvait que provoquer une nouvelle situation de paralysie momentanée de la classe ouvrière.
6. En France, comme dans tous les pays, la pandémie de Covid-19 a eu comme conséquence une explosion du chômage avec des faillites en chaîne, obligeant de nombreuses entreprises à jeter sur le pavé un nombre croissant de prolétaires. Dans la période actuelle, cette explosion du chômage n’est pas un élément favorisant l’unification des luttes de la classe ouvrière mais, au contraire, un facteur de leur division et dispersion. Les grèves contre les licenciements peuvent prendre la forme de “combats du désespoir”, du fait également de l’absence de perspective pour les chômeurs de retrouver un emploi stable et durable. En attaquant la classe ouvrière aujourd’hui paquets par paquets, la bourgeoisie, son gouvernement et son patronat laissent le terrain libre aux syndicats pour enfermer les prolétaires dans le corporatisme, la défense de “leur” entreprise, “leur” secteur, comme on a pu le constater dans l’aéronautique, les transports aériens, certaines usines automobiles, les PME, etc. Ce regain de l’enfermement corporatiste s’est également révélé dans les manifestations récentes des travailleurs des hôpitaux, bien encadrés par les syndicats et les gauchistes.
7. Dans cette situation extrêmement difficile, encore dominée par la peur, l’atomisation et l’angoisse face à un avenir incertain, le prolétariat va devoir surmonter de nombreux obstacles, se dégager de cette chape de plomb pour développer ses combats et les maintenir sur son propre terrain de classe. Du fait que la pandémie menace toutes les couches de la société, cette catastrophe sanitaire est un terrain particulièrement favorable à l’émergence de mouvements interclassistes véhiculés par certaines franges de la petite-bourgeoisie. Comme nous l’avions mis en avant dans nos “Thèses sur la décomposition”, “Seul le prolétariat porte en lui une perspective pour l’humanité et, en ce sens, c’est dans ses rangs qu’il existe les plus grandes capacités de résistance à cette décomposition. Cependant, lui-même n’est pas épargné, notamment du fait que la petite-bourgeoisie qu’il côtoie en est justement le principal véhicule”.
L’accélération de la décomposition du capitalisme risque de faire surgir également des mouvements sociaux qui peuvent exploser sur un terrain bourgeois. En ont témoigné, en pleine crise sanitaire, les manifestations aux États-Unis contre les violences policières frappant particulièrement les Noirs et dont la principale revendication était celle d’une police moins raciste, d’une plus grande “justice” et “égalité” dans le cadre de la démocratie bourgeoise. Ainsi, le mouvement Black Live Matters, hypermédiatisé à l’échelle internationale, a pu trouver un écho et un prolongement en France avec les manifestations et rassemblements contre le meurtre d’Adama Traoré par les forces de répression.
Ce type de mouvement populaire, appelé par toutes sortes d’associations “citoyennes”, sont un piège pour la classe ouvrière, en particulier pour ses jeunes générations révoltées par la barbarie du capitalisme et spontanément attirées par “tout ce qui bouge”. Une telle barbarie ne peut que provoquer une indignation légitime contre le racisme et les violences policières. Mais c’est uniquement en luttant sur son propre terrain de classe, et en tant que classe, que le prolétariat pourra affirmer ses propres valeurs morales dans son combat contre un système économique décadent à l’origine de tous les fléaux de la société.
8. Malgré toutes les difficultés que le prolétariat rencontre aujourd’hui, la situation reste toujours ouverte. Sa colère et sa combativité ne se sont pas étiolées. Au contraire, son mécontentement n’a fait que se renforcer face à l’incurie de la bourgeoisie et sa gestion calamiteuse de la crise sanitaire, dont la “guerre des masques”, l’absence de coopération internationale et même la concurrence effrénée entre les États dans la recherche d’un vaccin, ont constitué le point d’orgue. C’est justement parce que la combativité du prolétariat en France n’a pas été étouffée que le gouvernement Macron a décidé de suspendre sa réforme des retraites et de l’assurance-chômage. Contrairement au mouvement spectaculaire des Gilets Jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites n’était pas un petit feu de paille déjà éteint par l’ouragan de la pandémie de Covid-19.
Par ailleurs, il existe dans la classe ouvrière une mémoire collective qui ne peut que favoriser la recherche d’une perspective face à la menace de destruction de l’humanité et de la planète. Le prolétariat en France a une longue histoire, une longue tradition de luttes. Depuis la révolution bourgeoise de 1789, c’est “le prolétariat des barricades” et des manifestations de rue. Sa mémoire historique est toujours marquée par l’expérience de la Commune de Paris de 1871 et plus récemment celle de Mai 68. Ce n’est pas un hasard si, dans le mouvement des jeunes générations contre le Contrat Première Embauche en 2006, la référence à la Commune de Paris ait été présente dans certaines universités et dans de nombreuses AG. Ce n’est pas un hasard non plus si, dans le dernier mouvement contre la réforme des retraites, de nombreux manifestants avaient clairement affirmé : “c’est une grève générale et un nouveau Mai 68 qu’il nous faut !”. De même, dans les cortèges et sur les trottoirs de la capitale, on a pu entendre de nombreux manifestants chanter L’Internationale, couvrant ainsi la voix de quelques petits groupes de Gilets Jaunes qui entonnaient encore La Marseillaise ! Du fait de sa longue expérience et de son énorme potentiel de combativité, le prolétariat en France pourra continuer à apporter dans le futur, comme il l’avait fait à plusieurs reprises dans le passé, une contribution très importante aux combats de ses frères de classe dans les autres pays du monde.
Dans la mesure où la classe ouvrière n’a pas subi de défaite décisive, la crise économique reste aujourd’hui encore sa “meilleure alliée”. Elle contient aussi, en germe, un antidote à la décomposition du capitalisme.
En France, comme dans tous les pays, le chemin vers des luttes massives ouvrant une perspective révolutionnaire est encore long et parsemé d’embuches, mais il n’y en a pas d’autre.
La gravité des enjeux de la situation historique actuelle, exige des minorités les plus conscientes de la classe ouvrière qu’elles ne cèdent ni au scepticisme, ni à l’impatience. Face à l’atmosphère sociale du “no future” alourdie encore plus par la pandémie de Covid-19, la confiance des révolutionnaires dans l’avenir et dans les potentialités de la classe porteuse du communisme, sont au cœur de leurs convictions et de leur activité sur le long terme.
Dans la première partie de la réponse à ce courrier de lecteur, nous avons répondu aux critiques émises par le camarade D. au “Rapport sur la question du cours historique”, adopté au 23e Congrès du CCI et publié dans la Revue internationale n° 164. Dans cette deuxième partie, nous souhaitons traiter une autre question abordée par le camarade dans son courrier : celle de la perspective éventuelle d’une guerre nucléaire généralisée.
Le camarade D. affirme dans son courrier que “la question de la guerre n’est pas du tout évacuée par la théorie de la décomposition qui remplace la théorie du cours historique”.
Outre le fait que la classe dominante n’a pas été en mesure depuis 1989 de reconstituer de nouveaux blocs impérialistes, le camarade oublie que la deuxième condition pour le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale est la capacité de la bourgeoise à embrigader le prolétariat derrière les drapeaux nationaux, en particulier dans les pays centraux du capitalisme. Ce qui n’est nullement le cas aujourd’hui. Comme nous l’avions toujours affirmé, un prolétariat qui n’est pas disposé à accepter les sacrifices imposés par l’aggravation de la crise économique n’est pas prêt à accepter de faire le sacrifice ultime de sa vie sur les champs de batailles. Après la longue période contre-révolutionnaire qui avait notamment permis aux États d’envoyer à la mort des millions de prolétaires sous les drapeaux du fascisme et de l’anti-fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale, la classe ouvrière est revenue sur la scène de l’histoire à la fin des années 1960 (Mai 68 en France, l’automne chaud en Italie, etc.). La bourgeoisie avait été empêchée de déclencher une troisième boucherie planétaire durant la Guerre froide parce qu’elle n’était pas en mesure d’embrigader un prolétariat qui, bien qu’il n’ait pas su développer ses luttes sur un terrain révolutionnaire, était à la fois très combatif et absolument pas disposé à se faire tuer ou à massacrer ses frères de classes. Malgré toutes les difficultés que rencontre la classe ouvrière depuis 1989 pour développer massivement ses luttes, la situation historique est toujours ouverte. Le prolétariat n’ayant pas subi de défaite décisive et définitive, l’aggravation de la crise économique ne peut que le pousser à se battre pied à pied pour défendre ses conditions d’existence, comme nous l’avons vu encore récemment avec le mouvement contre la réforme des retraites en France au cours de l’hiver 2019-2020. Et dans sa capacité de résistance aux attaques du capital, nous avons pu voir également une tendance à la recherche de la solidarité dans la lutte entre tous les secteurs et toutes les générations. Bien évidemment, cela ne signifie nullement que la bourgeoisie ne puisse plus jamais infliger à la classe ouvrière une défaite historique et décisive. Mais, comme nous l’avons affirmé dans nos “Thèses sur la décomposition” (Revue internationale numéro n° 107), la décomposition sociale peut détruire toute capacité de la classe ouvrière à renverser le capitalisme et conduire à la destruction de l’humanité et de la planète.
Pour étayer son analyse des potentialités actuelles d’un conflit militaire de grande ampleur, le camarade D. indique : “Outre la question des armements nucléaires à longue portée, il y a en ce moment un pays qui n’a pas besoin d’avoir constitué un bloc uni et parfaitement tenu et soutenu pour se lancer dans une guerre qui, si elle n’est pas mondiale, ne sera pas cantonné à un théâtre d’opération limité dans le temps et dans l’espace (comme par exemple les deux guerres contre Saddam Hussein). Ce pays, c’est bien sûr les États-Unis qui ont la puissance économique, la suprématie militaire et les bases néanmoins pour une intervention partout dans le monde. Pour qu’une guerre avec des batailles dans différents endroits de la planète, qui se produisent simultanément et qui s’étalent sur une période assez longue (plusieurs années) se produise, il suffit qu’une autre puissance qui elle constitue des États vassalisés par le commerce extérieur et les investissements économiques, se dote de bases militaires à l’étranger dans ces états vassaux, commence à construire des porte-avions et généralement une marine de guerre efficace et nombreuse pour qu’à un certain moment le risque de conflit généralisé devienne une probabilité non négligeable. Ce pays existe déjà, c’est la Chine qui risque, grâce à l’épidémie de Covid-19, de bientôt dépasser les États-Unis au niveau économique mondial”.
Il est vrai que c’est autour de l’opposition entre ces deux superpuissances que se concentre la bataille stratégique pour un “nouvel ordre mondial”. La Chine, avec son vaste programme de “route de la soie” a pour objectif de s’ériger en puissance économique de premier plan à l’horizon 2030-50 et de se doter d’ici 2050 d’une “armée de classe mondiale capable de remporter la victoire dans toute guerre moderne”. De telles ambitions provoquent une déstabilisation générale des relations entre puissances et poussent les États-Unis à tenter depuis 2013 de contenir et de briser l’ascension de la puissance chinoise qui la menace. La riposte américaine, débutée avec Obama (reprise et amplifiée par Trump), représente un tournant dans la politique américaine. La défense de leurs intérêts en tant qu’État national épouse désormais celle du chacun pour soi qui domine les rapports impérialistes : les États-Unis passent du rôle de gendarme de l’ordre mondial à celui de principal agent propagateur du chacun pour soi et du chaos et de remise en cause de l’ordre mondial établi depuis 1945 sous leur égide. D’autre part, l’idée induite par ce que dit le camarade, c’est qu’il existe une tendance à la bipolarisation, puisque d’un côté les pays européens, dans le cadre de l’OTAN, prendraient le parti des États-Unis, tandis que la Chine, non seulement pourrait s’appuyer sur ses États vassaux mais aurait un allié de taille, la Russie.
Or, l’émergence de la Chine elle-même est un produit de la phase de décomposition, au sein de laquelle la tendance à la bipolarisation est battue en brèche par le chacun pour soi régnant entre chaque puissance impérialiste. De même, il existe une grande différence entre le développement de cette tendance et un processus concret menant à la formation de nouveaux blocs. Les attitudes de plus en plus agressives des deux pôles majeurs tendent à saper ce processus plutôt qu’à le renforcer. La Chine fait l’objet d’une profonde méfiance de la part de tous ses voisins, notamment de la Russie qui souvent ne s’aligne sur la Chine que pour défendre ses intérêts immédiats (comme elle le fait en Syrie), mais est terrifiée à l’idée de se retrouver subordonnée à la Chine en raison de la puissance économique de cette dernière, et reste l’un des plus féroces opposants au projet de Pékin de “route de la soie”. L’Amérique entre-temps s’est activement employée à démanteler pratiquement toutes les structures de l’ancien bloc qu’elle avait auparavant utilisées pour préserver son “nouvel ordre mondial” et qui permettaient de résister aux glissements des relations internationales vers le “chacun pour soi”. Elle traite de plus en plus ses alliés de l’OTAN en ennemis, et en général, elle est devenue l’un des acteurs principaux d’aggravation du caractère chaotique des relations impérialistes actuelles.
En définitive, en évacuant une des conditions essentielles pour le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale (la nécessité de l’embrigadement idéologique du prolétariat), le camarade D. avance une autre hypothèse. Il se réfère à des articles de la presse bourgeoise (L’Obs et Le Canard enchaîné) pour affirmer qu’une guerre nucléaire est tout à fait possible, notamment entre les États-Unis et la Chine (devenue une puissance industrielle et impérialiste faisant face à la première puissance mondiale).
Comme nous l’avons toujours affirmé, l’impérialisme à sa propre dynamique et fait partie intégrante du mode de vie du capitalisme dans sa période de décadence. Et comme le disait Jaurès, “le capitalisme porte avec lui la guerre comme la nuée porte l’orage”. Aucune puissance économique ne peut rivaliser avec les autres, et s’affirmer comme telle sur la scène mondiale, sans développer des armes toujours plus sophistiquées. La guerre commerciale entre les États est donc toujours accompagnée d’une exacerbation des tensions impérialistes. S’il est vrai que l’armement nucléaire ne constitue plus seulement un moyen de “dissuasion” comme c’était le cas durant la “Guerre froide”, aujourd’hui, cette course aux armements est un moyen de chantage et de marchandage entre les États détenant l’arme nucléaire. L’exacerbation des tensions impérialistes ne débouche pas toujours sur une conflagration directe, comme on a pu le voir, par exemple, en 2017 avec les tensions militaires entre les États-Unis et la Corée du Nord (qui avaient d’ailleurs donné lieu à des discours alarmistes dans la presse bourgeoise). Après plusieurs mois de tractations, ce conflit s’est terminé (au moins momentanément) par de chaleureuses embrassades entre Trump (président des États-Unis) et Kim Jong-un (président de la Corée du Nord).
Plus la bourgeoisie est acculée face à la faillite de son système et à l’accélération de la guerre commerciale, plus chaque puissance cherche à avancer ses pions dans l’arène impérialiste mondiale pour le contrôle de positions stratégiques face à ses adversaires. Avec l’enfoncement du capitalisme dans la décomposition sociale, la bourgeoisie apparaît de plus en plus comme une classe suicidaire. Des dérapages incontrôlés sur le plan impérialiste ne sont pas à exclure dans le futur, si le prolétariat ne relève pas le défi posé par la gravité de la situation historique. Mais pour le moment, la perspective d’une conflagration nucléaire entre la Chine et les États-Unis n’est pas à l’ordre du jour. De plus, quel intérêt ces deux puissances auraient-elles à gagner à larguer massivement des bombes nucléaires sur le sol de leur rival ? Les destructions seraient telles qu’aucune troupe d’occupation du pays vaincu ne pourrait être envoyée sur ces champs de ruines. Nous avons toujours rejeté la vision de la guerre “presse bouton” où la bourgeoise pourrait déclencher un cataclysme nucléaire mondial en appuyant simplement sur un bouton, sans aucune nécessité d’un embrigadement du prolétariat. La classe dominante n’est pas complètement stupide, même si des chefs d’États irresponsables et complètement fous peuvent accéder au pouvoir de façon ponctuelle. Il ne s’agit pas de sous-estimer la dangerosité des tensions impérialistes entre les grandes puissances nucléaires comme la Chine et les États-Unis, ni d’écarter totalement la perspective d’une conflagration entre ces deux puissances dans l’avenir, mais d’en mesurer les répercussions catastrophiques au niveau mondial : aucune des puissances belligérantes ne pourraient en tirer profit. Contrairement aux discours alarmistes de certains médias et aux prévisions des géopoliticiens, nous devons nous garder de jouer les Nostradamus. Si la dynamique de l’impérialisme (dont nous ne pouvons prévoir l’issue aujourd’hui) conduit à une telle situation, l’origine se trouvera dans la perte de contrôle total de la classe dominante sur son système en pleine décomposition. Nous n’en sommes pas encore là et devons nous garder de crier trop vite “Au loup !”
Les révolutionnaires ne doivent pas céder à l’atmosphère sociale du “no future”. Ils doivent au contraire garder confiance dans l’avenir, dans la capacité du prolétariat et de ses jeunes générations à renverser le capitalisme avant qu’il ne détruise la planète et l’humanité. En abandonnant aujourd’hui notre analyse passée du “cours historique”, nous n’avons pas, comme le pense le camarade D., une vision “pessimiste” de l’avenir. Nous misons toujours sur la possibilité d’affrontements de classe généralisés permettant au prolétariat de retrouver et d’affirmer sa perspective révolutionnaire. Nous n’avons jamais évoqué, dans aucun de nos articles, une quelconque “défaite annoncée” du prolétariat, comme l’affirme le courrier de notre lecteur.
Sofiane
Nous publions ci-dessous l’exposé introductif réalisé pour les dernières réunions publiques tenues par les différentes sections du CCI.
Depuis un an, le monde a été secoué par deux événements inédits et d’une extrême importance dans la vie du capitalisme : la pandémie du Covid-19 et, tout récemment, l’assaut contre le Capitole à Washington après les élections américaines qui ont sanctionné la défaite de Donald Trump. Ces deux événements ne sont ni anodins ni séparés l’un de l’autre. Ils ne peuvent être compris que dans un cadre historique que nous allons exposer dans cette présentation.
La crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui est l’événement le plus grave depuis l’effondrement du bloc de l’Est.
Cette pandémie s’est répandue à toute vitesse, comme une trainée de poudre, à partir d’un foyer de contamination en Chine l’hiver dernier. Le virus a traversé toutes les frontières et tous les continents. Il a fait aujourd’hui déjà plus de 2 millions de victimes. Partout, dans tous les pays, c’est l’état d’urgence sanitaire, la course contre la montre pour vacciner la population afin d’éviter une hécatombe planétaire.
Quelle est l’origine de cette pandémie ? Ce virus redoutable nous aurait été transmis, semble-t-il, par des espèces animales introduites dans l’environnement humain (le pangolin et la chauve-souris). Contrairement aux épidémies d’origine animale du passé (comme la peste introduite au Moyen Âge par les rats) aujourd’hui, cette pandémie est due essentiellement à l’état de délabrement de la planète. Le réchauffement climatique, la déforestation, la destruction des territoires naturels des animaux sauvages, de même que la prolifération des bidonvilles dans les pays sous-développés, ont favorisé le développement de toutes sorte de nouveaux virus et maladies contagieuses.
La pandémie de Covid-19 n’est donc pas une catastrophe imprévisible qui répondrait aux lois obscures du hasard et de la nature ! Le responsable de cette catastrophe planétaire, de ces millions de morts, c’est le capitalisme lui-même. Un système basé non pas sur la satisfaction des besoins humains, mais sur la recherche du profit, de la rentabilité par l’exploitation féroce de la classe ouvrière. Un système basé sur la concurrence effrénée entre les entreprises et entre les États. Une concurrence qui empêche toute coordination et coopération internationale pour éradiquer cette pandémie. C’est ce qu’on voit aujourd’hui avec la « guerre des vaccins », après la « guerre des masques » au début de la pandémie.
Jusqu’à présent, c’étaient les pays les plus pauvres et sous-développés qui étaient régulièrement frappés par des épidémies. Maintenant, ce sont les pays les plus développés qui sont ébranlés par la pandémie de Covid-19. C’est le cœur même du système capitaliste qui est attaqué et plus particulièrement la première puissance mondiale.
Aux États-Unis, on compte aujourd’hui au moins 25 millions de contaminés, et plus de 410 000 morts. Il y a eu plus de morts du Covid que de soldats américains tués lors de la Seconde Guerre mondiale ! Au mois d’avril dernier, le nombre de morts avait déjà dépassé celui des morts pendant la guerre du Vietnam !
La propagation de la pandémie s’est encore aggravée avec la mutation du virus. Dans la grande métropole de Los Angeles, un habitant sur 10 est contaminé ! En Californie, les hôpitaux sont pleins à craquer. Au début de la crise sanitaire, toute la population américaine a été frappée par les immenses tranchées où on a entassé des morts « non réclamés » dans l’État de New-York, sur Hart Island.
Avec la politique irresponsable de Trump, la gestion calamiteuse de cette pandémie a été encore pire que dans les autres pays. L’ancien Président avait misé sur l’immunité collective, sans port du masque, sans gestes barrière. Trump est même allé jusqu’à évoquer l’idée, complètement délirante, de s’injecter du gel hydroalcoolique dans les veines pour tuer le virus.
Dans le pays le plus développé du Monde, à l’avant-garde de la science, toutes sortes de théories complotistes ont fleuri. Alors que la pandémie avait déjà commencé à déferler sur le continent américain, une grande partie de la population aux États-Unis s’imaginait que le Covid-19 n’existait pas et que c’était un complot pour torpiller la réélection de Trump !
Aujourd’hui, avec 2 vaccins disponibles, chaque État américain fait sa propre cuisine dans la désorganisation et la pagaille la plus totale. En Europe, face à la remontée de l’épidémie et les variants du virus, c’est l’hécatombe en Grande-Bretagne. Partout la classe dominante vaccine à toute allure et doit gérer maintenant la pénurie, en attendant que les laboratoires accélèrent la production des vaccins.
L’explosion de cette pandémie mondiale a révélé :
1)- une perte de contrôle de la classe dominante sur son propre système.
2)-une aggravation sans précédent du « chacun pour soi » avec une concurrence effrénée entre les laboratoires pour être le premier à trouver un vaccin et le vendre sur le marché mondial. Dans cette course aux vaccins, le Spoutnik russe a été dépassé par ceux des États-Unis qui sont arrivés en tête avec le Pzifer-BionTech et le Moderna. Et si l’État d’Israël a pu obtenir autant de doses pour pouvoir vacciner toute sa population, c’est parce qu’il a acheté le vaccin Pfizer 43 % plus cher que le prix négocié par l’Union Européenne.
Il est clair que la principale préoccupation de la bourgeoisie de tous les pays, c’est de sauver avant tout le capital national face aux concurrents.
Si tous les États se démènent autant pour produire des vaccins, ce n’est certainement pas par souci pour la vie humaine. La seule chose qui intéresse la classe dominante c’est de préserver la force de travail de ceux qu’elle exploite pour prolonger encore l’agonie du système capitaliste.
Cette pandémie et l’incapacité de la classe dominante à l’endiguer, est d’abord la manifestation la plus évidente de la faillite totale du capitalisme. Face à l’aggravation de la crise économique, dans tous les pays, les gouvernements de droite comme de gauche, n’ont cessé depuis des décennies de réduire les budgets sociaux, les budgets de la santé et de la recherche. Le système de santé n’étant pas rentable, ils ont supprimé des lits, fermé des services hospitaliers, supprimé des postes de médecins, aggravé les conditions de travail des soignants. En France, le laboratoire Sanofi (lié à l’Institut Pasteur) a supprimé 500 postes de chercheurs depuis 2007. Toutes les recherches scientifiques et technologiques de pointe aux États-Unis ont été consacrées essentiellement au secteur militaire, avec y compris la recherche d’armes bactériologiques. De son côté, la Chine vend ses propres vaccins, aux pays du Maghreb et d’Afrique orientale. Le marché des vaccins chinois suit donc la Route de la soie. Une hypothèse est même émise aujourd’hui : le Covid-19 serait peut-être un virus échappé d’un laboratoire ! L’OMS a donc constitué une équipe pour mener une enquête en Chine afin de trouver quelle est l’origine de ce virus.
Cette pandémie mondiale incontrôlable confirme que le capitalisme est devenu, depuis le cataclysme de la Première Guerre mondiale, un système décadent qui met en jeu la survie de l’humanité.
Après un siècle d’enfoncement dans la décadence, ce système est entré dans la phase ultime de cette décadence : celle de la décomposition.
Nous allons maintenant expliquer brièvement pourquoi le capitalisme est entré dans sa phase de décomposition et quelles en sont les principales manifestations.
En 1989, après vingt ans de crise économique mondiale, un événement majeur, le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale, avait ébranlé le monde : l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes staliniens. C’était la manifestation la plus spectaculaire de la décomposition du capitalisme. Cette situation a provoqué aussi une dislocation du bloc occidental avec une tendance au développement du chacun pour soi.
Cette décomposition du capitalisme était due au fait qu’aucune des deux classes fondamentales de la société, ni la bourgeoisie ni le prolétariat, n’a pu apporter sa propre réponse à la crise économique : soit une nouvelle guerre mondiale (comme c’était le cas avec la crise des années 1930), soit la révolution prolétarienne. La bourgeoisie n’a pas réussi à embrigader le prolétariat derrière les drapeaux nationaux pour l’envoyer se faire massacrer sur les champs de bataille. Mais le prolétariat, de son côté, n’a pas pu développer des luttes révolutionnaires pour renverser le capitalisme. C’est cette absence de perspective qui a provoqué le pourrissement sur pied de la société capitaliste depuis la fin des années 1980.
Depuis 30 ans, cette décomposition s’est manifestée par toutes sortes de calamités meurtrières : la multiplication des massacres y compris en Europe avec la guerre dans l’ex Yougoslavie, le développement des attentats terroristes aussi en Europe, les vagues de réfugiés (hommes, femmes et enfants) qui cherchent désespérément un asile dans les pays de l’espace Schengen, les catastrophes dites naturelles à répétition, les catastrophes nucléaires comme celles de Tchernobyl en 1986 en Russie et celle de Fukushima en 2011 au Japon. Et plus récemment, la catastrophe qui a complètement détruit le port de Beyrouth au Liban, le 4 août 2020. Et la liste est longue.
Maintenant, nous avons une catastrophe sanitaire mondiale qui n’épargne plus aucun pays, aucun continent avec une hécatombe effarante. Face à la saturation des morgues pendant la première vague de la pandémie, certains États d’Europe, comme l’Espagne, ont même dû entasser des cadavres dans les patinoires !
La bourgeoisie doit imposer partout des mesures moyenâgeuses avec les confinements, les couvre-feux, la distanciation sociale. Tous les visages humains doivent être masqués avec des contrôles policiers à chaque coin de rue. Les frontières sont verrouillées, tous les lieux publics et culturels sont fermés dans la plupart des pays d’Europe. Jamais l’humanité, depuis la Seconde Guerre mondiale, n’avait vécu une telle épreuve. La pandémie de Covid-19 est donc bien aujourd’hui la principale manifestation de l’accélération de la décomposition du capitalisme.
C’est encore cette décomposition qui explique la montée des idéologies les plus irrationnelles, réactionnaires et obscurantistes. La montée du fanatisme religieux a provoqué la création de l’État islamiste avec de plus en plus de jeunes kamikazes embrigadés dans la “Guerre sainte” au nom d’Allah. La barbarie des attentats terroristes frappe régulièrement les populations en Europe, et notamment en France.
Toutes ces idéologies réactionnaires ont été aussi le fumier qui a permis le développement de la xénophobie et du populisme dans les pays centraux et surtout aux États-Unis.
L’arrivée de Trump au pouvoir, puis le refus d’admettre sa défaite électorale aux dernières présidentielles, a provoqué une explosion effarante du populisme. À Washington, ses troupes de choc avec leurs commandos, leurs milices armées complètement fanatisées, ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier dernier, sans que les forces de sécurité, censées protéger ce bâtiment, n’aient pu les en empêcher. Cette attaque ahurissante contre le temple de la démocratie américaine a donné au monde entier une image désastreuse de la première puissance mondiale. Le pays de la Démocratie et de Liberté est apparu comme une vulgaire république bananière du Tiers-Monde (comme le reconnaissait l’ex-président George Bush lui-même) avec le risque d’affrontements armés dans la population civile.
La montée de la violence sociale, de la criminalité, la fragmentation de la société américaine, les violences racistes contre les noirs, tout cela montre que les États-Unis sont devenus un concentré et le miroir du pourrissement de la société bourgeoise.
Même si le nouveau Président, Joe Biden, va essayer de contenir autant que possible la gangrène du populisme (avec l’ambition de “réconcilier le peuple américain”, comme il dit), il ne pourra pas stopper la dynamique générale de la décomposition. Il va faire tout ce qu’il peut pour réparer les dégâts considérables provoqués par Trump dans la gestion de la crise sanitaire. Mais le chaos est tel que la pandémie va continuer à faire encore des ravages et de nombreuses victimes. Et cela malgré la découverte des vaccins qui ne permettent pas aujourd’hui, et pour de nombreux mois encore, d’immuniser toute la population. L’OMS a d’ailleurs annoncé qu’il n’y aura pas d’immunité collective en 2021.
L’accumulation de toutes ces manifestations de la décomposition, à l’échelle mondiale et sur tous les plans de la société, montre que le capitalisme est bien entré, depuis trente ans, dans une nouvelle période historique : la phase ultime de sa décadence, celle de la décomposition. Toute la société tend à se disloquer dans un déchaînement de violence inouïe. Le système capitaliste devient complètement fou. Partout il sème la mort et la désolation. Entraîné dans une spirale infernale, il exhale une atmosphère sociale de plus en plus irrespirable et nauséabonde.
Cette situation de chaos généralisé donne une vision apocalyptique du monde.
Mais l’avenir est-il complètement bouché ? Notre réponse est : NON !
Au fond du gouffre de la décomposition, il existe une force sociale capable de renverser le capitalisme pour construire un monde nouveau, une véritable société humaine unifiée. Cette force sociale, c’est la classe ouvrière. C’est elle qui produit l’essentiel des richesses du monde. Mais c’est elle aussi qui est la principale victime de toutes les catastrophes engendrées par le capitalisme. C’est elle qui va encore faire les frais de l’aggravation de la crise économique mondiale.
La crise sanitaire ne peut qu’aggraver encore plus la crise économique. Et on le voit déjà avec les faillites d’entreprises, les charrettes de licenciements depuis le début de cette pandémie.
Face à l’aggravation de la misère, à la dégradation de toutes ses conditions de vie dans tous les pays, la classe ouvrière n’aura pas d’autre choix que de lutter contre les attaques de la bourgeoisie. Même si, aujourd’hui, elle subit le choc de cette pandémie, même si la décomposition sociale rend beaucoup plus difficile le développement de ses luttes, elle n’aura pas d’autre choix que de se battre pour survivre. Avec l’explosion du chômage dans les pays les plus développés, lutter ou crever, voilà la seule alternative qui va se poser aux masses croissantes de prolétaires et aux jeunes générations !
C’est dans ses combats futurs, sur son propre terrain de classe et au milieu des miasmes de la décomposition sociale, que le prolétariat va devoir se frayer un chemin, pour retrouver et affirmer sa perspective révolutionnaire.
Malgré toutes les souffrances qu’elle engendre, la crise économique reste, aujourd’hui encore, la meilleure alliée du prolétariat. Il ne faut donc pas voir dans la misère que la misère, mais aussi les conditions du dépassement de cette misère. L’avenir de l’humanité appartient toujours à la classe exploitée.
CCI, 29 janvier 2021
Il y a plus de cent millions de cas de Covid-19 de par le monde, avec un nombre de décès d’au moins deux millions, qui continue d’augmenter. C’est l’impact de la pandémie au niveau humain, avec des hôpitaux débordés, des vies en suspens pendant le confinement, des personnes isolées et une plus grande pauvreté, une situation incertaine avec l’imprévisibilité et l’incompétence des politiques de nombreux gouvernements et malgré l’arrivée des vaccins.
Pour le capitalisme, l’effet de la crise sanitaire est fortement ressenti au niveau économique. Le FMI a estimé que l’économie mondiale s’est contractée de 4,4 % en 2020, et que ce déclin était le pire depuis la Grande Dépression des années 1930. Bien que ce soit un coup dur pour le capitalisme au niveau international, il a eu également un effet massif sur la classe ouvrière. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) estime que les travailleurs du monde entier ont perdu jusqu’à 2700 milliards de livres sterling de revenus.
Si tous les grands pays ont été touchés, la crise n’a pas eu un impact uniforme. Le Royaume-Uni, par exemple, avec plus de 100 000 décès, a l’un des taux de mortalité par le coronavirus, les plus élevés du monde. En outre, tout au long de l’année 2020, l’ombre du Brexit a plané sur l’économie, les négociations se poursuivant pendant des mois jusqu’à ce que la bourgeoisie brise enfin les “chaînes” de l’UE au début de l’année 2021. La combinaison de la pandémie et du Brexit frappe un pays qui a déjà connu l’une des plus faibles reprises après la crise financière de 2008.
Mesurée par les fluctuations du PIB, l’économie britannique est probablement déjà entrée en récession, la première fois depuis les années 1970. Au deuxième trimestre de l’exercice en cours, le PIB a chuté de 19 %, la plus forte chute de son histoire. Même après quelques mois de croissance, on estime actuellement que l’économie est toujours inférieure de 8,5 %, à son niveau d’avant la pandémie. Le FMI estime à 10 % la contraction de l’économie britannique pour l’année dernière, soit la plus forte baisse de tous les pays du G7. Quels que soient es chiffres, l’économie n’a d’ores et déjà jamais connu une telle situation depuis le Grand Hiver de 1709, quand le PIB britannique avait chuté de 13 % (et il avait mis plus de 10 ans à se redresser).
Quant à la dette publique, les chiffres de l’Office des Statistiques Nationales (ONS) montrent que les emprunts du gouvernement britannique ont été les plus élevés jamais enregistrés en décembre, les dépenses ayant augmenté en raison du coronavirus et de la baisse des recettes fiscales. “Les emprunts ont atteint 34,1 milliards de livres sterling le mois dernier, soit environ 28 milliards de plus que le même mois de l’année précédente. Cette augmentation a porté le déficit budgétaire du gouvernement…à près de 271 milliards de livres pour les premiers mois de l’exercice financier, soit une hausse de plus de 212 milliards de livres par rapport à la même période l’année dernière. L’Office for Budget Responsibility… a estimé que les emprunts atteindraient 394 milliards de livres sterling d’ici la fin de l’exercice financier en mars, ce qui constituerait le déficit le plus élevé de l’Histoire en temps de paix… L’emprunt de décembre a fait passer la dette nationale – la somme totale de tous les déficits – à 2,1x1018 £ à la fin du mois de décembre, soit environ 99,4 %du PIB, le taux d’endettement le plus élevé depuis 1962”. (The Guardian 22/01 /21).
En 2019, le FMI avait déjà souligné que le niveau d’endettement des entreprises au Royaume Uni était si élevé que près de 40 % d’entre elles ne seraient pas en mesure de survivre en cas de récession deux fois moins profonde que celle de 2007-2008. Au cours de cette crise du Covid-19, l’hôtellerie a été particulièrement touchée et des avertissements ont été lancés sur le risque que des dizaines de milliers de pubs, restaurants, bars et hôtels disparaissent. En plus des autorisations d’ouverture, le gouvernement a adopté différentes mesures et mis en œuvre des solutions pour maintenir les entreprises à flot. Comme pour toute autre mesure capitaliste d’État (généralement soutenue par la gauche et les gauchistes), tôt ou tard, quelqu’un devra payer, c’est-à-dire la classe ouvrière en premier lieu. Si, par exemple, les plans de sauvetage Covid-19 sont liquidés, cela pourrait signifier que quelque 1,8 million d’entreprises au Royaume-Uni risquent de devenir insolvables, dont 336 000 risquent de faire faillite. Chaque fois que la permission d’ouvrir est supprimée, rien ne dit quelles industries seront capables de renaître.
Avant que le gouvernement ne fasse volte-face en décembre pour prolonger les vacances d’emplois, il y a eu un nombre record de licenciements, avec 370 000 personnes licenciées rien que pour la période août-octobre 2020. Les prévisions de centaines de milliers d’emplois menacés à la fin des vacances sont monnaie courante.
Depuis novembre 2020, le nombre de vacances d’emplois a doublé pour atteindre environ 5 millions. Ces 5 millions de personnes ne sont actuellement pas employées. Les prévisions pour la période suivant la fin du régime de chômage dû à la situation sanitaire sont que le chômage atteindra un pic de 7,5 % soit 2,6 millions de personnes. En février 2020, avant l’arrivée de la pandémie, le chiffre officiel du chômage était de 4 %. Selon ces chiffres officiels, la taux de chômage est passé à 5 % dans les trois mois précédant la fin novembre 2020, ce qui représente plus de 1,7 million de personnes – le plus haut niveau depuis août 2016. Mais les chiffres réels du chômage sont bien plus élevés que les chiffres officiels. On estime qu’au moins 300 000 personnes n’apparaissent pas dans les chiffres du chômage (leur existence étant attestée par d’autres indicateurs) et beaucoup ont renoncé à se déclarer au chômage par découragement. Parmi ceux qui ne bénéficient pas du régime de congé dû à la pandémie, des millions ont du mal à joindre les deux bouts, même avec les aides du Crédit Universel. Ainsi, lorsqu’on lit que le chômage a atteint son niveau le plus haut depuis plus de quatre ans au Royaume-Uni, on sait que le chiffre réel est beaucoup plus élevé.
Avant même que l’accord final ne soit conclu entre la Grande-Bretagne et l’UE en décembre 2020, les milliers de camions bloqués dans le Kent donnaient un avant-goût éloquent du fait que le Brexit ne serait pas synonyme d’échanges faciles. Au début de l’année 2021, les entreprises signalaient des retards dans les livraisons et les clients se plaignaient de droits de douane supplémentaires, de la TVA et d’autres frais supplémentaires sur les articles achetés dans l’UE. Il aurait pu y avoir un accord de non tarification avec l’UE, mais il existe des obstacles non tarifaires importants au commerce avec l’UE. Le chef des libéraux-démocrates a déclaré : “c’est le seul accord commercial de l’histoire qui érige des barrières commerciales au lieu de les supprimer ; il laisse à la Grande-Bretagne une frontière commerciale à la fois dans la Mer du Nord, la Manche et la Mer d’Irlande ; il signifie la fin des échanges commerciaux sans heurts avec l’UE et nécessite beaucoup de paperasse et de bureaucratie ainsi que de nombreuses commissions mixtes pour superviser son fonctionnement”. Lorsque l’accord a été conclu, il n’y avait pratiquement pas de mesures convenues pour simplifier les vérifications et contrôles douaniers.
En outre, l’accord ne couvre pas les services, qui représentent 80 % de l’économie britannique, dont 12 % sont destinés à l’UE. Tout ce que nous savons, c’est que les négociations vont se poursuivre. Cela montre que la célébration par le gouvernement d’un “grand” accord est une illusion : aucun des problèmes en suspens ne sera géré facilement et résolu à court terme.
Selon l’agence Moody (l’agence de notation du crédit), l’accord passé à la veille de Noël est biaisé en faveur de l’UE.
Selon les estimations du gouvernement britannique, grâce à l’accord conclu entre l’UE et le Royaume-Uni, la production ne sera inférieure que de 5 % dans 15 ans. Les économistes de Citigroup pensent cependant que l’économie britannique produira 2 à 2,5 % de moins en 2021 que si elle était restée dans l’UE et si elle avait renforcé ses liens avec celle-ci. Globalement, ils s’attendent à ce que le Royaume-Uni soit au moins en meilleure position qu’il ne l’aurait été en cas de Brexit “dur”, dans lequel le Royaume-Uni et l’UE auraient utilisé les règles de l’OMC pour le commerce. L’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) a, quant à elle, présenté des perspectives plus pessimistes. Elle prévoit que l’économie britannique connaîtra une croissance de 3,5 % inférieure à ce qu’elle aurait connu si elle était restée dans l’UE.
Les plus optimistes sont d’accord sur un point : l’économie britannique commencera à se redresser quand les vaccins seront disponibles en abondance. Mais avec un commerce qui coûte plus cher et qui est noyé par la “paperasserie” et une immigration en baisse, l’impact du Brexit aura des effets profonds et prolongés, et révélera toute la faiblesse du capitalisme britannique. Nicolas Bloom, un économiste de Stanford, a déclaré : “le Brexit c’est comme être tué par mille coups de couteau”. En comparaison, “le Covid, c’est comme être frappé trois fois par une batte de base-ball. Si on raisonne à long terme, le Brexit est bien pire que le Covid”.
Les conséquences économiques de la pandémie sont considérables, mais les effets négatifs du Brexit se poursuivront encore plus longtemps. Ensemble, ils posent d’énormes problèmes à la bourgeoisie et à la classe ouvrière. Les deux sont le produit de la période de décomposition, ce qui n’est un facteur positif pour aucune des deux classes. Pour l’avenir, nous pouvons nous attendre à ce que la classe dominante s’attaque davantage aux conditions de vie de la classe exploitée. La seule perspective pour la classe ouvrière est : répondre par une lutte unifiée, consciente, basée sur des exigences défensives immédiates, mais ouvrant une perspective au-delà de celles-ci.
Car, 28 janvier 2021
Cet article a comme objectif de faire connaître les positions de la Gauche communiste sur la récente grève des travailleurs agricoles, qui, selon nous, se situe sur le terrain de classe du prolétariat alors qu’elle se produit dans le contexte des manifestations citoyennes médiatisées par la bourgeoisie en défense de la démocratie bourgeoise et de l’ordre constitutionnel.1 Les travailleurs, de leur côté, se sont mobilisés pour la défense de leurs conditions de vie, contre les bas salaires et les conditions de travail précaires qu’ils subissent.
Suite à la réforme agraire mise en œuvre par le gouvernement militaire à la fin des années 19602, nous assistons depuis le milieu des années 1990 à un processus de reconcentration des terres en une série de groupes industriels bourgeois, au commerce lucratif, de l’agro-alimentaire (exportation de fruits et légumes vers les marchés nord-américains et européens. Les principales entreprises sont localisées au nord (La Libertad, Lambayeque, Ancash) et au sud de Lima (Ica). Actuellement, ces capitalistes agraires sont propriétaires de quasi un demi-million d’hectares et des ressources en eau de ces régions, profitant de surcroît de subventions et d’allégements fiscaux octroyés par les différents gouvernements qui se sont succédés. L’agro-industrie péruvienne est devenue « l’enfant gâté » au sein de cette “vitrine” de l’économie nationale (rôle traditionnellement tenu par l’industrie minière) et c’est celui qui aujourd’hui, génère les plus importants profits et jouit d’abondantes subventions financières et de juteux allègements fiscaux de la part de lÉtat.
Les ouvriers qui travaillent dans ces fabriques et sur ces terres proviennent de l’immigration et des villages qui entourent les propriétés et, à mesure que le secteur prospérait, le recrutement de « main d’œuvre » a augmenté. Il y a eu tellement d’ouvriers recrutés que la bourgeoisie parlait d’Ica comme d’une « région modèle de plein emploi », une sorte de paradis économique, digne d’être imité dans le reste du pays. Cependant, la propagande d’État et les capitalistes agro-industriels cachaient les conditions scandaleuses d’exploitation des ouvriers agraires. Salaires misérables de 39 soles (un peu moins de 9 euros), voire moins, par jour ; pas de CTS3 ni de gratifications ; pression et chantage pour augmenter la productivité et les quotas de production. Les longues journées commencent à 3 heures du matin jusqu’à la tombée de la nuit sous un soleil brûlant, les tâches et les postures sont néfastes pour la santé et il faut de plus supporter les cris et les mauvais traitements des contremaîtres qui obligent les ouvriers à travailler en silence, leur interdisant toute forme d’aide ou de solidarité entre eux. Le besoin de main d’œuvre a même amené les capitalistes à recruter des enfants pour la récolte. Bien évidemment, tout cela accompagné de la menace permanente de licenciement ou le non paiement de la journée de travail à la moindre réclamation contre ces misérables conditions de travail.
Depuis la vacance du pouvoir occasionnée par le départ de Pedro Pablo Kuczynski à la fin de 2017 jusqu’à aujourd’hui, 4 présidents ont été nommés par le Congrès. L’avant-dernier est seulement resté une semaine au pouvoir. De plus, l’actuel « gouvernement de transition » qui ne compte même pas un mois d’exercice a déjà vu passer trois ministres de l’Intérieur. Les faits de corruption qui ne font que croître, tout comme un cancer qui ronge les institutions bourgeoises, et que “dénoncent” tant les médias, ne sont rien de plus qu’une des expressions signifiatives de la phase historique de décomposition du système capitaliste4 [3]. Alors que tout cela se produit, les profits des grands capitaux péruviens augmentent, atteignant des niveaux qui font que leurs potentats ne se plaignent en rien de la pandémie.
La prolongation de cette situation dans le temps, à laquelle s’ajoutent l’impact économique et social de la pandémie, l’incapacité de développer une stratégie sanitaire capable de freiner la vague de contaminations et finalement, les manœuvres des factions bourgeoises qui s’affrontent au Congrès et se sont achevées avec le départ de l’ex-président Martin Vizcarra ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. L’explosion de l’indignation sociale a conduit aux événements du 14 janvier avec la mort de deux jeunes, ce qui a augmenté la pression sur la direction gouvernementale qui n’aurait pas hésité à poursuivre les assassinats, si cela avait été nécessaire. Dans cette ambiance de protestation et de revendications, s’ajoute le poids du chômage dans l’agricuture. Tout porte à croire que ce moment fut mis à profit pour soulever les problèmes qui probablement couvaient dans ce secteur de la production. De plus, il faut noter que, malgré le fait que le système capitaliste est en train de sombrer dans la crise économique et que la bourgeoisie péruvienne n’échappe pas à ses effets, celle-ci a pu, pour le moment, maintenir un certain contrôle sur la situation sociale. Il est certain que l’une des tendances dominantes du capitalisme en décomposition est que la bourgeoisie perd le contrôle sur ses forces politiques, comme nous l’avons expliqué au début de ce paragraphe ; néanmoins, la bourgeoisie péruvienne] a compris rapidement que la situation pourrait prendre une autre tournure que celle observée dans d’autres pays comme le Chili5 par exemple. L’attitude obstinée, prédominante jusqu’au bref gouvernement de Merino, a fait place à une position plus “conciliante”, plus « à l’écoute des demandes du peuple ». Au lieu d’envisager le projet d’une nouvelle Constitution ou sa réforme comme palliatif immédiat, se profile l’idée qu’il faudra attendre pour mener le « gouvernement de transition » jusqu’au terme des élections de l’année prochaine. Pour le moment, le gouvernement actuel véhicule le mensonge que les revendications des travailleurs seront écoutées, que les injustices commises les plus flagrantes seront corrigées. Il est évoqué l’éventuelle abrogation de la Loi de Promotion Agraire pour éviter, de surcroît, que les conflits sociaux soient menés par les travailleurs eux-mêmes, l’approbation par le parlement de la restitution de l’argent à ceux qui côtisent au système de pensions (ONP), le vote de la loi d’officialisation des taxis colllectifs tout comme celui de l’abrogation de l’immunité parlementaire, option politique bourgeoise qui a surgi bien avant l’arrivée de la pandémie. A cela s’ajoutent d’autres faits comme la réforme de la police nationale et la retraite opérée par le haut commandement de la police. Cela semble indiquer que la fraction bourgeoise qui est actuellement à la tête de l’État et quelques partis au parlement, font front commun dans une stratégie aux relents populistes, de manière à assurer une stabilisation de la situation et à récupérer des sièges dans les élections de l’année prochaine. Pour résumer, cela indique que les factions bourgeoises sont capables de mettre momentanément de côté leurs différends et d’agir de manière coordonnée lorsque les travailleurs entrent en scène et lorsque ses avantages et ses profits se voient menacés. Cela montre également que l’arsenal idéologique et les tromperies ne sont pas épuisés et que les ouvriers ne doivent pas tomber dans leurs pièges ni croire en leurs promesses. Bien que la bourgeoisie ait réussi à suivre le sens du vent, nous devons êtres conscients qu’au final, elle ne sera pas capable de répondre aux graves problèmes sociaux et elle ne renoncera pas non plus à exploiter le prolétariat. Elle ne sera pas non plus en mesure d’éviter les confrontations en son sein, chaque faction continuera de défendre bec et ongles sa part de pouvoir. Seule une action prolétarienne unie et organisée, mettant en pratique les méthodes de lutte inhérentes au mouvement ouvrier, permettra de mettre un terme au cauchemar du capitalisme en décomposition.
Nous affirmons que, à la différence des mobilisations citoyennes à Lima, cette grève des ouvriers des entreprises agro-industrielles a affiché un net caractère de classe. Le prolétariat a démontré sa force et sa capacité lorsqu’il assume directement sa lutte contre l’exploitation. Les ouvrières et ouvriers d’Ica ont commencé à protester contre leurs très pénibles et insupportables conditions de travail et tout en cessant l’activité, ils allaient bloquer l’autoroute Panamércaine pour se faire entendre.
Les forces du mouvement :
– La grève est la principale arme de lutte des travailleurs. C’est ce qu’ont compris les ouvriers des diverses entreprises du secteur qui ont à la fois paralysé la production en se mobilisant massivement et sont sortis de l’enfermement dans leur entreprise pour manifester dans les rues.
Les ouvriers et ouvrières ont également dirigé directement et sans intermédiaires la lutte, celle-ci prenant des formes diverses d’auto-organisation comme organiser des piquets de grève ou des soupes populaires. A Ica, l’inexistence de syndicats a empêché tout type de manœuvre ou de subordination des grévistes au sabotage et au boycott de la lutte, propres au syndicalisme.
– Une claire identité de classe s’est manifestée ainsi que des appels à ce que d’autres travailleurs se solidarisent et se joignent à la lutte. On a pu entendre des phrases comme : “Nous autres, les ouvriers, produisons les richesses pour qu’ils en profitent”; ou “à bas l’exploitation”, “augmentation des salaires”, etc. Tout cela marque une nette différence, par exemple, avec les mobilisations citoyennes à Lima, deux semaines auparavant. Toutes les revendications et pancartes des travailleurs agitaient des consignes dirigées CONTRE L’EXPLOITATION CAPITALISTE. Aucun appel propre à la litanie démocratique comme réclamer une “Nouvelle constitution”, invoquer les “droits du peuple” ou la “défense de la patrie” ne s’est fait entendre durant les cinq jours de cette lutte ouvrière.
Et malgré la brièveté de la grève, les ouvriers d’Ica ont été soutenus par la solidarité de leurs frères de classe des vallées de Moche et Viru au Nord, lesquels, à leur tour ont déclenché une grève dans leur région qui s’est soldée par l’assassinat d’un ouvrier par les hordes policières.
Les faiblesses du mouvement :
– Malgré le fort instinct de classe qui a marqué la grève, les faiblesses dont souffre actuellement le prolétariat mondial se sont manifestées également dans cette lutte. Par exemple, l’illusion légaliste et démocratique de croire que l’abrogation de la Loi de Promotion Agraire constituerait une “victoire” quand en réalité, un changement de loi ne changera jamais la situation objective de l’exploitation dont la racine est la division en classes, l’exploitation salariée, l’État bourgeois, le capitalisme. Rien de cela n’a été perçu. La grève n’a pas réussi à dépasser un stade revendicatif, nécessaire certes, mais pas suffisant pour avancer vers la solution des graves problèmes qui affectent l’ensemble du prolétariat mondial et toute l’humanité opprimée.
– Il y a eu quelques manifestations du poids du nationalisme comme l’apparition de quelques drapeaux péruviens sur les barricades mais cela était peu de choses en comparaison de l’orgie patriotique exhibée par les manifestants des marches citoyennes à Lima. En résumé, bien que ces manifestations du secteur agraire partagent un contexte politique et social marqué par les conflits entre factions bourgeoises ainsi que l’impact économique et social de la pandémie, elles se différencient de celles qui ont eu lieu autour du 14 novembre. En ce sens, elles n’ont rien à voir avec la protestation stérile et impuissante du mouvement citoyen, avec le ressentiment des secteurs de la petite-bourgeoisie qui se sentent frustrés et menacés par la crise, qui se voient s’approcher toujours plus de la pauvreté qui frappe les autres couches exploitées et qui placent leurs espoirs sur une impossible “régénération morale” de l’élite politique pourrie. La lutte du prolétariat ne ressemble en rien aux pleurnicheries de toute cette bande de journalistes, intellectuels et politiciens demandant des institutions “fortes” pour “qu’elles remettent de l’ordre” et qu’elles répriment toute manifestation de protestation ou d’indignation de la population dans le feu et le sang. Elle ne ressemble pas non plus aux actions désespérées et stériles du terrorisme ou du putschisme, fruits de prédilection du volontarisme fanatique des idéologies petite-bourgeoises qui souhaitent également imposer leurs propres intérêts et assumer le pouvoir d’État afin de perpétuer l’exploitation des travailleurs. Au fond, l’objectif final du prolétariat est de détruire le système capitaliste avec toutes ses institutions et non de remplacer un bourreau par un autre, une gestion par une autre, ce qui laisserait intacte la machine qui perpétue la misère sociale et qui menace la survie même de l’humanité.
Au moment où nous terminons cet article, les travailleurs agraires sont revenus à la charge, cette fois-ci pour réclamer le rejet par le parlement d’un texte qui légifère un nouveau Code du travail. De nouvelles actions visant à bloquer l’autoroute Panaméricaine sud durant la journée se sont développées, car ce qui avait été demandé n’a pas été satisfait, c’est-à-dire une rémunération basée sur une augmentation de 45 % du salaire mensuel, ce qui signifie 73 soles par journée de travail hors gratifications et CTS. Ce piège de la mobilisation sur le terrain de la défense de la légalité est mis en avant par la bourgeoisie, qui permet d’écarter le danger en enfermant la lutte dans un labyrinthe bureaucratique jusqu’à l’épuiser, de démoraliser les travailleurs et de leur ôter toute initiative, est une manœuvre bien connue, avec le concours et la participation active des syndicats.
S’il y a bien eu une expression d’auto-organisation, il y a eu des faiblesses. On note une grande détermination à lutter mais il n’y a pas eu d’assemblées générales et/ou de comité de grève qui centralise la lutte. La négociation a été confiée à des “dirigeants” et les ouvriers en ont passivement attendu 15 jours le “résultat”.
Lorsqu’ils ont vu que le parlement n’approuvait pas leur demande d’augmentation des salaires, les ouvriers ont immédiatement affirmé qu’on était en train de les duper et ils ont repris la grève.
Désormais, les travailleurs demandent également la destitution de l’actuel président et l’affrontement a laissé jusque maintenant 26 policiers blessés ; de plus, le Ministère de l’Intérieur a demandé aux manifestants de cesser le blocage de l’autoroute et des voix s’élèvent pour demander une plus grande fermeté. Dans un acte de provocation, des infiltrés dans la manifestation ont brûlé une ambulance, ce qui fait partie de la stratégie appuyée par les médias, de faire naître au sein de la population une réaction qui condamne le mouvement. Finalement, le gouvernement de Sagasti a déchaîné une brutale répression contre les travailleurs, asphyxiant avec des gaz lacrymogène les communautés voisines de la manifestation, causant des blessés, utilisant des hélicoptères et des chars de combat pour appuyer un énorme contingent de forces policières et militaires qui n’ont pas hésité à déchaîner leur furie contre une population sans défense, affirmant que les manifestations ont été fomentées et orchestrées par des “vandales” qui veulent s’en prendre aux véhicules et en même temps aux propriétés des grands entrepreneurs. Les entreprises agricoles ont suspendu leurs opérations, demandant le “rétablissement de l’ordre public, la sécurité et la libre-circulation” dans La Libertad et à Ica, signalant que l’arrêt de la production se maintiendra “jusqu’à ce que soit rétabli l’État de droit”. Ces actions sont destinées, en premier lieu, à créer une image de la protestation qui soit chaotique, désastreuse et dénuée de sens, de façon à la diaboliser et en plus à diviser les ouvriers entre eux en utilisant le chantage que la paralysie des activités signifiera une perte de revenus et d’emplois pour environ 100 000 travailleurs. Sans pour autant s’arrêter là, les grandes entreprises tentent de détourner tout le ressentiment qu’éprouvent les ouvriers vis-à-vis de leur exploitation vers des entreprises de taille plus modeste en disant que “beaucoup de travailleurs agricoles ont vu leurs droits violés durant de nombreuses années à cause de chefs d’entreprises malhonnêtes”6, tentant de dissimuler leur responsabilité directe dans la précarisation des conditions salariales et d’existence des ouvriers ; cela en plus de leur hypocrisie manifeste, vu qu’ils passent sous silence la réduction des coûts de production à travers le recours à ces petites entreprises intermédiaires.
Il faut souligner que l’un des aspects centraux de la stratégie de la bourgeoisie est de maintenir les travailleurs empêtrés dans le fétichisme démocratique7, dans la vision erronée qui considère l’État non pas comme l’appareil de domination des capitalistes sur la classe laborieuse mais comme une sorte d’arbitre, de pouvoir neutre au-dessus des classes qui pourrait, en faisant pression sur lui, intervenir en leur faveur en promulguant des lois qui reconnaitraient le bien-fondé des améliorations des conditions de travail et des augmentations salariales. Cette vision est bien entendue alimentée par toutes les organisations de la gauche du capital comme les Fédérations et syndicats agraires, les ONG comme CONVEAGRO, la CGTP, les députés de gauche et quelques dirigeants des ouvriers en lutte qui, en véritables pompiers, négocient avec les patrons et le Ministère du Travail ; négociations dans lesquelles tous sont d’accord pour épargner au maximum les profits de la bourgeoisie agro-industrielle, limitant le salaire à 54 soles, ce qui a eu pour conséquence que les ouvriers indignés sortent de nouveau de leur usine pour reprendre la lutte comme à Ica et dans les vallées du nord. Les ouvriers ont compris que, dans la négociation avec les hautes sphères, on mijote de nouvelles escroqueries à leur encontre, qu’on est en train de les berner, sans comprendre que ces groupuscules qui négocient en leur nom font aussi partie de la classe exploiteuse.
Bien que les travailleurs ne puissent renoncer aux luttes revendicatives, moments qui peuvent être mis à profit pour débattre et tirer des leçons, ils doivent comprendre que rester sur ce terrain est un piège qui mènera toujours à une impasse s’ils ne sortent pas du domaine légal et du respect de la Constitution. La véritable libération des travailleurs viendra lorsqu’ils feront voler en éclats l’ordre bourgeois avec ses lois, ses constitutions et ses syndicats, projetant ainsi une véritable transformation qui libère également l’humanité de ce système social en putréfaction.
Internacionalismo, section au Pérou du Courant Communiste International, 24/12/2020
1Voir sur notre site en Espagne : “Peru : frente a la crisis politica de la burgusia, autonomia et internacionalismo proletario” [12], ICCOnline, noviembre 2020.
2Gouvernement du général Velasco Alvarado (1968-75) qui s’est présenté comme un « gouvernement du peuple » avec une forte démagogie nationaliste et populiste.
3CTS : la Compensation pour Temps de Service, est une indemnisation pour licenciement ou fin de contrat de travail. Le montant est misérable.
4“Ainsi la phase décomposition de la société capitaliste ne se présente pas seulement comme celle faisant suite aux phases caractérisées par le capitalisme d’Etat et la crise permanente
Dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent, et même s’approfondissent, la phase de décomposition apparaît comme celle résultant de l’accumulation de toutes ces caractéristiques d’un système moribond, celle-ci parachève et chapeaute trois quarts de siècle d’agonie d’un mode de production condamné par l’histoire […] Les manifestations de l’absence totale de perspectives de la société actuelle sont encore plus évidentes sur le plan politique et idéologique. Ainsi : l’incroyable corruption qui croît et prospère dans l’appareil politique, le déferlement de scandales dans la plupart des pays tels le Japon (où il devient de plus en plus difficile de distinguer l’appareil gouvernemental du milieu des gangsters […]”. “Thèses sur la décomposition”, Revue internationale n°107 [2].
5Voir la série d’articles sur les événements au Chili : “El dilema no es dictadura – democracia sino barbarie capitalista o lucha de clases proletaria” [13]
6“Firmas agrícolas suspenden operaciones para evitar violencia contra sus instalaciones” [14], site du journal El commercio, (23 décembre 2020).
7“Cette vision idyllique et naïve de la “démocratie” est un mythe. La « démocratie est le paravent idéologique qui sert à masquer la dictature du Capital dans ses pôles les plus développpés. Il n’y a pas de différence fondamentale de nature entre les divers modèles que la propagande capitaliste oppose les uns aux autres pour les besoins de ses campagnes idéologiques de mystification. Tous les systèmes soi-disant différents par leur nature, qui ont servi de faire-valoir à la propagande démocratique depuis le début du siècle sont des expressions de la dictature de la bourgeoisie, du capitalisme. La forme, l’apparence peuvent varier, pas le fond. […]Dans sa forme la plus sophistiquée de la dictature du capital qu’est la “démocratie”, le capitalisme d’État doit parvenir à la gageure de faire croire que règne la plus grande liberté. Pour cela, à la coercition brutale, à la répression féroce doit le plus souvent, lorsque c’est possible, se substituer la manipulation en douceur qui permet d’aboutir au même résultat sans que la victime s’en aperçoive ». “Comment est organisée la bourgeoisie ? Le mensonge de l’Etat “démocratique” [15], Revue internationale n°76.
Après avoir exposé nos critiques sur le contenu de l’intervention du PCI (qui publie le journal Le Prolétaire en France) suite au mouvement de lutte contre la réforme des retraites, nous proposons dans ce second article de poursuivre la polémique en revenant sur le cœur de ce qui fait nos divergences sur le sujet.
Dans notre précédent article (1), nous avons souligné et critiqué une approche que nous avions jugée opportuniste de la part du PCI lors de son intervention dans le mouvement contre la réforme des retraites. Le PCI, en effet, même s’il se situe dans le camp prolétarien, n’a pas été en mesure de défendre l’autonomie du combat de la classe ouvrière. Selon nous, il est nécessaire de revenir sur ses approches, sur les fondements théoriques de notions essentielles (notamment l’analyse du rapport de force entre les classes et la question de la conscience de classe) pour clarifier la méthode avec laquelle nous devons défendre l’autonomie de la lutte du prolétariat.
La perception qu’a le PCI de la dynamique de la lutte de classe aujourd’hui, peut être exposée à l’aune de ce qu’il a écrit ces dernières décennies. Selon les camarades, le fait qu’il n’y a pas eu de vague révolutionnaire après la Seconde Guerre mondiale fait que la classe ouvrière aurait été entièrement “dominée par le réformisme”. Ainsi, pour le PCI “la situation du prolétariat aujourd’hui, en particulier dans les pays capitalistes les plus développés, reste encore une situation de paralysie de ses grandes masses, encore sous l’emprise du réformisme et du collaborationnisme interclassiste”. (2) Si les camarades reconnaissent que des grèves et des luttes assez dures ont pu exister, comme en Mai 68, rien sur le fond ne permet à leurs yeux de souligner une différence fondamentale ou qualitative par rapport à la période qui a suivi la terrible défaite du prolétariat après la vague révolutionnaire des années 1920. (3) Autrement dit, et contrairement à l’analyse du CCI, Mai 68 ne marquerait nullement une modification dans le rapport de force entre les classes. A fortiori, les luttes du mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver dernier en France, pas davantage. Rien n’aurait donc changé de manière significative à partir de 1968.
Or, les luttes de Mai 68 en France et celles qui ont immédiatement suivi de part le monde (Italie et Argentine en 1969, Pologne en 1970…), ont non seulement marqué le réveil international de la lutte d’un prolétariat qui n’était pas prêt à accepter l’austérité, mais également une forte dynamique de résistance face à la perspective, bien réelle durant la guerre froide, d’une nouvelle boucherie mondiale entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, et d’un cataclysme nucléaire. Les camarades du PCI, évinçant le prolétariat en tant que sujet conscient de la scène durant toute cette période, n’y voient qu’une masse “réformiste”, sous le joug d’une sorte de “condominium russo-américain sur le monde”. (4)
La négation de l’expérience issue de tout un processus de luttes après 1968 ne pouvait qu’empêcher les camarades de saisir la dimension politique des vagues de luttes des années 1980. Durant cette période, le combat s’est accompagné d’une maturation de la conscience de la classe ouvrière, notamment par la confrontation croissante aux syndicats, aux forces de l’État cherchant par la propagande à encadrer et à soumettre idéologiquement les ouvriers.
Inversement, alors qu’avec l’effondrement du bloc de l’Est toute une offensive médiatique, un véritable bourrage de crâne sur la “victoire de la démocratie”, la “disparition de la classe ouvrière” et la prétendue “faillite du communisme” allait avoir un impact négatif puissant, provoquant un recul dans les luttes à l’aube des années 1990, le PCI notait que l’effondrement de l’URSS avait “retiré un obstacle de grande ampleur à la reconstitution du mouvement de classe prolétarien”. (5) Le CCI soulignait, au contraire (et les faits nous ont donné raison), que le prolétariat allait être exposé aux campagnes idéologiques les plus mensongères et les plus dangereuses, aux miasmes exhalés par l’entrée du capitalisme dans sa phase historique ultime de décomposition. Nous avions à cette époque défendu que le prolétariat allait subir un recul significatif de ses luttes. Les camarades du PCI ne signalaient par contre rien de nouveau, mis à part le caractère prétendument “positif” de l’effondrement de l’URSS !
Il n’est donc pas surprenant aujourd’hui de constater que les camarades ne perçoivent pas la signification politique du mouvement de la lutte, l’hiver dernier, contre la réforme des retraites en France. Après quasiment une décennie d’atonie au sein du prolétariat, les camarades notaient certes une lente reprise de la combativité, mais sans être en mesure de prendre en compte la signification du changement opéré, de même que ce qui s’était développé également entre temps depuis le mouvement de 2003 : une maturation souterraine de la conscience de classe qui, malgré un reflux de la lutte lié à la brusque irruption du Covid-19, n’en constitue pas moins une réelle expérience, une aspiration non brisée à plus de solidarité et, en ce sens, un jalon pour faire émerger les prémices d’une reconquête de l’identité de classe.
En fin de compte, si le PCI n’est pas en mesure de percevoir les évolutions plus ou moins en dents de scie du rapport de force entre les classes, ses facteurs subjectifs, c’est que pour lui : “on ne peut parler de lutte de classe au sens marxiste du terme, que quand existe le parti de classe, que lorsqu’il dirige effectivement la lutte d’une fraction au moins du prolétariat”. (6) Bien entendu, vu sous cet angle, toute évolution ne peut s’avérer qu’insignifiante et sans objet tant que n’existe pas le parti du prolétariat !
Cela est d’autant plus évident que le PCI ne place la conscience ouvrière qu’exclusivement dans le Parti, totalement séparée de la classe elle-même : “Le parti de classe […] est l’incarnation de la conscience de classe du prolétariat : lui seul possède la théorie révolutionnaire, le programme communiste, c’est-à-dire la perspective de la lutte prolétarienne poussée jusqu’à son objectif final qui est la société communiste”. (7) La maturation de la conscience du prolétariat ne pourrait se réaliser autrement que par l’unique vecteur du Parti, elle ne “s’incarnerait” que dans la perspective d’adhésion au Parti détenteur d’une vérité programmatique immuable qui est ainsi transformé en une sorte de Messie porté par ses Saintes Écritures et ses Tables de la Loi. Pour le PCI, la classe ouvrière possèderait, en définitive, un simple “instinct” de classe lui permettant de lutter uniquement pour la défense de ses conditions de travail et d’existence mais elle serait incapable de dépasser par elle-même une vision purement trade-unioniste. Si tel était le cas, comment pourrait-elle à un moment donné reconnaître le rôle fondamental du “parti” ou plus généralement des organisations révolutionnaires pour la victoire de son combat révolutionnaire ? Par la parole révélée du parti frappant de plein fouet l’esprit de la classe peut-être ?… En réalité, toute réflexion réelle se développant au sein de la classe échappe à l’attention des camarades, soit parce qu’ils l’ignorent par principe, soit parce qu’ils en négligent la portée.
Le PCI affirme pourtant qu’une des tâches majeures des révolutionnaires consiste à “œuvrer en toutes circonstances pour l’indépendance de classe du prolétariat”. (8) Bien que nous partagions totalement cet objectif, nous pensons qu’il est nécessaire, pour le défendre, de partir de la dynamique réelle du combat de la classe ouvrière, en tenant compte justement du développement de sa conscience, de ses initiatives et des conditions historiques dans lesquelles elles s’expriment. Mais ce processus, comme nous l’avons vu, le PCI le nie au sein de la classe et ne le voit que dans le seul Parti !
Or, ce qu’a montré l’histoire du mouvement ouvrier, c’est que la classe ouvrière, comme le disait Trotsky, est capable de prendre en main elle-même “sa destinée” de manière consciente, tout comme Marx disait lui-même que le communisme ne peut être que “l’œuvre des travailleurs eux-mêmes”. Le prolétariat n’est pas un simple poids mort, à la remorque d’un Parti qui lui serait “extérieur” et qui serait “omniscient”, voire infaillible. L’histoire de la révolution russe, au moment même où le capitalisme entrait sa phase de déclin, a bien montré comment, par toute une maturation politique, le prolétariat pouvait se hisser lui-même à des sommets, en faisant surgir par son propre combat et sa réflexion politique les soviets (conseils ouvriers), la “forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat”, comme l’écrivait Lénine. Cette “découverte”, peu avant et dans le contexte de l’effervescence d’une vague de luttes révolutionnaires mondiale, d’une véritable ébullition politique, témoignait justement de la capacité d’organisation et d’inventivité des masses elles-mêmes, leur moyen d’exprimer une authentique autonomie face aux autres classes ou couches sociales de la société, alors que le Parti mondial n’était par encore constitué et que les bolcheviks n’avaient au départ que très peu d’influence. On peut dire que c’est cette dynamique même de réflexion autonome dans la classe qui posait les conditions devant permettre à l’avant-garde du prolétariat de se hisser à la hauteur des nécessités politiques en s’armant théoriquement elle-même pour prendre le pouvoir et tenter d’étendre la révolution. Le PCI néglige donc le fait que le prolétariat est capable de développer sa propre conscience pour accéder à la connaissance théorique de ses buts, de ses moyens et de ses principes : “la théorie peut s’emparer des masses”, comme le disait Marx. Cela conduit les camarades du PCI à retarder, et finalement à se couper de tout processus conscient qui existe au sein de la classe ouvrière.
Cette question de la conscience était pourtant bien défendue au sein du mouvement ouvrier dès l’époque de l’Internationale communiste (IC), pour qui il était important de combattre pour “l’action de masse du prolétariat” et pour “conquérir à l’intérieur des soviets une majorité sûre et consciente”. (9) Une telle politique était conforme avec la conception en devenir selon laquelle les révolutionnaires n’ont pas à “organiser la classe” mais à œuvrer pour favoriser sa prise de conscience politique. Si la révolution ne peut être assurée sans le rôle indispensable d’orientation du Parti, elle ne saurait vaincre sans une prise de conscience politique en profondeur au sein des masses ouvrières elles-mêmes, qui ne peuvent suivre de manière aveugle le Parti (loin d’être infaillible comme l’a montrée l’histoire). Dans ce cadre, il est bien évident que si les ouvriers peuvent naturellement s’organiser, ce n’est pas dans une structure “permanente”, comme le pense le PCI, mais par un effort conscient, certes distinct, mais profondément lié à celui du Parti qui pourra surgir, dans un rapport unitaire et lié aux conseils ouvriers. Cela, contre toutes les influences des autres couches ou classes réactionnaires de la société.
Dans la période actuelle de décadence de capitalisme, en dehors de toute phase révolutionnaire, l’organisation des prolétaires est nécessairement éphémère et liée au rythme de la lutte elle-même. Elle “est constituée par les assemblées générales des ouvriers en lutte, des comités de grève désignés par ces assemblées et révocables par elles, des comités centraux de grève composés de délégués des différents comités de grève. Par nature, ces organisations existent par et pour la lutte et sont destinées à disparaître une fois que la lutte est achevée. Leur principale différence avec les syndicats, c’est justement qu’elles ne sont pas permanentes et qu’elles n’ont pas l’occasion, de ce fait, d’être absorbées par l’État capitaliste”. (10) Telles sont les principes et méthodes de lutte éprouvées dans les années 1980, notamment lors du combat des ouvriers en Pologne, lorsqu’ils ont pu en 48 heures seulement, étendre leur mouvement à tous les grands centres industriels du pays en basant leur réflexion et leur activité solidaire à partir des MKS (assemblées générales massives) pour décider eux-mêmes au plan politique des modalités de la lutte. Ce sont ces organes politiques qui ont été des creusets de conscience et d’organisation pour la classe ouvrière, même s’ils ont été immédiatement dans le collimateur de l’État qui les a torpillés, particulièrement au moyen du syndicat “libre” Solidarnosc qui en avait pris rapidement le contrôle pour mener la lutte à la défaite et la livrer à la répression.
Ce sont ces mêmes méthodes de luttes, bien qu’à moindre échelle, qui ont été mises en œuvre par les assemblées générales souveraines lors de la lutte de 2006 contre le CPE en France et qui ont obtenu le retrait de cette attaque, chose inédite depuis de longues années. Ces assemblées commençaient à élargir le combat des étudiants, majoritairement filles et fils de prolétaires, à l’ensemble des salariés, des jeunes précaires, des chômeurs et des retraités. Ces assemblées autonomes et souveraines avaient été capables de prendre en main le combat en opposition aux syndicats, du moins au début, avec un débat franc et ouvert à tous les exploités, pour réfléchir à la façon de mener la lutte. Une démarche que craignaient la bourgeoisie et le gouvernement Villepin de l’époque, obligés et forcés de reculer.
Nous avons retrouvé, quelques années plus tard, ces mêmes approches prolétariennes lors des assemblées générales ouvertes à tous du mouvement Occupy et celui des Indignados, en dépit de faiblesses et fragilités importantes.
Si la prise en main de véritables assemblée souveraines n’a pas été possible lors du mouvement contre la réforme des retraites l’hiver dernier (contrairement à ce que pense le PCI qui vante les mérites des AG syndicales interprofessionnelles) ce mouvement était plutôt guidé par une aspiration de solidarité et une volonté de combattre. Cela s’est vérifié par la mobilisation et l’état d’esprit dans les manifestations, même si ces dernières restaient sous emprise syndicale.
Cette volonté de se battre s’exprimait également dans un contexte ou des minorités tendent à se rapprocher, même avec de grandes difficultés et confusions, des positions de la Gauche communiste. Ce processus, fragile, certes moléculaire, témoigne du fait que la réflexion politique existe bien dans les tréfonds du prolétariat. Les organisations du milieu politique prolétarien doivent le reconnaître et stimuler cette dynamique pour conduire à davantage de clarté et de conviction révolutionnaire : “Ainsi, de la même manière que la conscience de classe n’est pas une conscience sur quelque chose d’extérieur au prolétariat mais la conscience que le prolétariat a de lui-même en tant que classe révolutionnaire, les révolutionnaires n’entrent pas en relation avec le prolétariat sur base d’une origine différente. Les révolutionnaires vivent comme une partie de la conscience du prolétariat et servent à homogénéiser celle-ci. Rien de plus normal, dans cette mesure, de les voir entrer dans la même lutte que l’ensemble de leur classe, participer à la même pratique globale, élaborer et enrichir le même programme. Les communistes ne possèdent pas de théorie qui soit leur trésor personnel, le fruit de leurs brillants cerveaux. Concevoir le programme communiste comme une table des dix commandements est donc une idiotie. Le programme révolutionnaire ne possède aucune origine mystique et il n’est pas un code invariant. Il est au contraire une œuvre concrète de la classe elle-même ; une arme de sa lutte. Il n’est pas seulement un énoncé abstrait des buts finaux de la société et de la lutte ouvrière, mais aussi une analyse minutieuse et concrète du développement réel précédent, de la situation économique, sociale et politique, avec toutes ses particularités bien matérielles”. (11) Cette analyse “minutieuse” nécessaire, lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, a échappé en grande partie au PCI du fait de son opportunisme.
La profondeur de la pandémie planétaire de Covid-19, l’inquiétude sociale, les attaques présentes et à venir, dans la réalité de la phase actuelle de décomposition du capitalisme, générant toutes sortes de miasmes et de catastrophes, vont probablement avoir un impact négatif et jouer un rôle paralysant durant tout un temps, en pourrissant les consciences. Mais il n’empêche que ce mouvement contre la réforme des retraites en France aura laissé des traces durables et une expérience positive pour le futur. Il est indispensable pour les révolutionnaires de prendre cela en compte pour mener le combat, d’autant plus que la défense de l’autonomie de classe constitue aujourd’hui un enjeu vital face au danger de luttes sur un terrain interclassiste comme on l’a vu avec le mouvement des “gilets jaunes” en France ou face au mécontentement général lié aux mesures contre la pandémie, voire sur le terrain carrément bourgeois au nom de l’antiracisme comme Black Lives Matter aux États-Unis.
WH, 17 octobre 2020
1Voir sur notre site : “Les graves faiblesses du PCI dans le mouvement contre la réforme des retraites (Partie 1)” [17]
2“Ce qui nous distingue [18]” sur le site : pcint.org.
3La révolution d’Octobre 1917 en Russie marque le début d’une vague révolutionnaire internationale, que l’échec, en particulier lors de la révolution en Allemagne en 1919-23, a condamné à une rapide dégénérescence. L’arrivée au pouvoir de la clique bourgeoise stalinienne fut le coup de grâce porté à cette vague révolutionnaire et marqua le début de la contre-révolution triomphante dans le monde entier, à la fois sur le plan physique (arrestations, exécutions, massacres…) et idéologique. Cette dernière devait durer près de 50 ans.
4“Sur la période historique actuelle et les tâches des révolutionnaires”, Programme communiste n° 103 (janvier 2016).
5Idem.
6“Ce qui nous distingue [18]” sur le site : pcint.org.
7Idem.
8“Sur la période historique actuelle et les tâches des révolutionnaires”, Programme communiste n° 103 (janvier 2016).
9“Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat” rédigées par Lénine pour le premier congrès de l’IC.
10“L’opportunisme du PCI sur la question syndicale le conduit à sous-estimer l’ennemi de classe”.
11Voir notre brochure : Organisation communiste et conscience de classe.
Après la révolution russe en 1917, la révolution en Allemagne en 1918, la création de l’Internationale communiste en 1919, le CCI revient aujourd’hui sur le centième anniversaire du tragique écrasement de la révolte des marins, soldats et ouvriers de Kronstadt en mars 1921 avec la republication d’un document Les leçons de Kronstadt [19] paru dans la Revue internationale n° 3 afin de tirer les leçons essentielles de cet événement pour les luttes futures.
Au mois de mars 1921, l’État soviétique, dirigé par le parti bolchevik, met fin par la force militaire au soulèvement des marins et des soldats de la garnison de Kronstadt, sur l’île de Kotline dans le golfe de Finlande, à 30 km de Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Les 15 000 soldats et marins insurgés sont assaillis par 50 000 soldats de l’Armée rouge, dès le 7 mars au soir. Après dix jours de combats acharnés, le soulèvement de Kronstadt est écrasé. Un chiffre fiable du nombre de victimes n’est pas disponible, mais on estime à plus de 3 000 le nombre de morts et exécutés du côté des insurgés et à plus de 10 000 morts du côté de l’Armée rouge. Selon un communiqué de la Commission extraordinaire datant du 1er mai 1921, 6 528 rebelles ont été arrêtés, 2 168 exécutés (un tiers), 1 955 condamnés au travail obligatoire (dont 1 486 pour cinq années), et 1 272 libérés. Les familles des rebelles ont été déportées en Sibérie. Et 8 000 marins, soldats et civils réussissent à s’échapper vers la Finlande.
Moins de 4 ans après la prise de pouvoir par la classe ouvrière en Russie en octobre 1917, ces événements expriment de façon tragique le processus de dégénérescence d’une révolution isolée et à bout de souffle. En effet, cette révolte ouvrière est celle de partisans du régime des Soviets, de ceux qui en 1905 et en 1917 étaient à l’avant-garde du mouvement et qui pendant la révolution d’Octobre étaient considérés comme “l’honneur et la gloire de la révolution”. En 1921, les révoltés de Kronstadt exigent la satisfaction de revendications rejoignant celles des ouvriers de Petrograd en grève depuis le mois de février : libération de tous les socialistes emprisonnés, fin de l’état de siège, liberté d’expression, de la presse et de réunion pour tous ceux qui travaillent, une ration égale pour tous les ouvriers… Mais ce qui souligne l’importance de ce mouvement et exprime son profond caractère prolétarien, c’est non seulement la réaction face aux mesures de restriction mais surtout la réaction face à la dépossession et à la perte du pouvoir politique des conseils ouvriers au profit du Parti et de l’État, qui se substituent à eux et sont censés dès lors représenter l’orientation et les intérêts du prolétariat. Ceci est exprimé dès le premier point de leur résolution : “Étant donné que les soviets actuels n’expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans, d’organiser immédiatement des réélections aux soviets au vote secret en ayant soin d’organiser une libre propagande électorale”.
La bourgeoisie, en se référant à la répression des révoltés par l’Armée rouge, a toujours essayé de prouver aux prolétaires qu’il y a un fil ininterrompu reliant Marx et Lénine à Staline et au goulag. L’objectif de la bourgeoisie est de faire en sorte que les prolétaires se détournent de l’histoire de leur classe et ne se réapproprient pas ses propres expériences. Les thèses des anarchistes en arrivent aux mêmes conclusions en s’appuyant sur la prétendue nature autoritaire et contre-révolutionnaire du marxisme et des partis agissant en son nom. Les anarchistes portent en fait un regard abstraitement “moral” sur les événements. Partant du postulat de l’autoritarisme inhérent du parti bolchevik, ils sont incapables d’expliquer le processus de dégénérescence de la révolution en général et de l’épisode de Kronstadt, en particulier : une révolution qui s’épuise après sept années de guerre mondiale et de guerre civile, avec une infrastructure industrielle en ruines, une classe ouvrière décimée, affamée, confrontée à des insurrections paysannes dans les provinces. Une révolution dramatiquement isolée, pour qui la perspective de l’extension internationale est de moins en moins probable après l’échec de la révolution en Allemagne, sur tous ces problèmes auxquels furent confrontés la classe ouvrière et le parti bolchevik, les anarchistes ferment les yeux.
La principale leçon historique, fondamentale pour la perspective d’une révolution prolétarienne mondiale, de la répression de la révolte de Kronstadt concerne la violence de classe. Si la violence révolutionnaire est une arme du prolétariat pour abattre le capitalisme face à ses ennemis de classe, sous aucun prétexte, elle ne peut être utilisée et s’exercer au sein même de la classe ouvrière, contre d’autres prolétaires. Ce n’est pas par la force et la violence qu’on impose le communisme au prolétariat parce que ces moyens s’opposent catégoriquement au développement du caractère conscient de sa révolution qu’il ne peut acquérir que par sa propre expérience et l’examen critique constant de cette expérience. La décision par le parti bolchevik de réprimer Kronstadt ne peut se comprendre que dans le contexte de l’isolement international de la révolution russe et de la terrible guerre civile qui frappait alors la région. Une telle décision n’en demeure pas moins une erreur tragique en s’exerçant contre des ouvriers qui s’étaient dressés pour défendre leur principale arme de transformation politique consciente de la société et le véritable organe vital de la dictature de prolétariat : le pouvoir des Soviets.
Voir aussi sur le même sujet dans la Revue Internationale et dans notre journal Révolution Internationale :
– “ [19]Les leçons de Kronstadt”, Revue internationale n° 3 (4e Trimestre 1975). [19]
– “ [20]Le communisme n’est pas un bel idéal, il est à l’ordre du jour de l’histoire [8° partie]”, [20]Revue internationale n° 100 (1er semestre 2020). [20]
– “ [21]1921 comprendre Kronstadt”, [21]Revue internationale n° 104, (1er trimestre 2006). [21]
– “ [22]Le soulèvement de Kronstadt”, [22]Révolution internationale n° 84 (avril 1981). [22]
– “ [23]Kronstadt : contre les thèses anarchistes, les leçons tirées par la Gauche communiste”, [23]Révolution internationale n° 310 (mars 2001). [23]
Marc Chirik nous a quittés il y a 30 ans, en décembre 1990. En hommage aux précieuses contributions de notre camarade, de ce grand révolutionnaire dans la lignée de Marx, Engels, Lénine et Rosa Luxemburg, nous republions ci-dessous la série de deux articles parus dans la Revue internationale n° 65 et 66, juste après sa mort. Ces deux articles retracent les grandes lignes de sa vie et rappellent ses apports inestimables à la cause du mouvement ouvrier et à la défense de la méthode marxiste.
Dans cette courte présentation de ces textes, nous voudrions seulement souligner trois aspects essentiels qui ont caractérisé sa vie et son activité révolutionnaire.
D’abord, au cours d’une vie militante active de plus de 70 ans, il a été, de sa jeunesse jusqu’à son dernier souffle, un lutteur acharné, un combattant inlassable pour la cause révolutionnaire du prolétariat et du communisme. Il consacra toute son énergie à la défense intransigeante et ferme des principes internationalistes prolétariens et du marxisme. Il n’a jamais cessé d’être à la pointe du combat en mettant à profit toute son expérience politique, théorique et organisationnelle. Le militantisme révolutionnaire a été une boussole constante dans sa vie. Même au cours de la terrible période de contre-révolution, Marc n’a jamais cessé d’œuvrer à l’élaboration et la clarification des positions de la Gauche communiste avec patience et détermination. Dans ces années terribles, il a inlassablement combattu contre les trahisons du camp prolétarien mais il a aussi lutté au sein de toutes les organisations dans lesquelles il a milité, contre les manœuœuvres et dérives opportunistes, contre les attitudes centristes, en combattant fermement les conceptions et les dérives académistes comme activistes. Il a su garder le même cap et poursuivre le même combat avec la même détermination en prenant activement part au ressurgissement du prolétariat sur la scène historique en Mai 1968 avec un enthousiasme débordant, en s’impliquant totalement dans le regroupement des forces révolutionnaires qui ont donné naissance à l’actuel CCI. Il a apporté toute son énergie militante, sa conviction et son expérience dans l’orientation et la contruction de cette organisation comme ensuite dans les tentatives de regroupement et de clarification des positions des organisations du milieu politique prolétarien dans les années 1980.
Un autre trait fondamental de son tempérament fut sa capacité à maintenir vivant les acquis théoriques du mouvement révolutionnaire en particulier ceux produits par la fraction de gauche du Parti communiste d’Italie. Il put ainsi s’orienter de façon critique et lucide dans l’analyse de l’évolution de la situation mondiale. Ce “flair” politique, fondé sur l’analyse globale du rapport de forces entre les classes, lui permit de remettre en cause certains “dogmes” du mouvement ouvrier, sans pour autant s’écarter de la démarche et la méthode marxiste du matérialisme historique mais en l’ancrant au contraire dans la dynamique de l’évolution de la réalité historique concrète. A la fin de sa vie, il apporta une dernière contribution théorique en étant un des premiers dans le CCI à déceler que le capitalisme était entré dans la phase terminale de sa période de décadence, celle de sa décomposition. Il mit ainsi en avant que le prolétariat ne pouvait nullement utiliser à son profit ce pourrissement sur pied du système capitaliste mais que cette situation impliquait de nouveaux enjeux décisifs pour le prolétariat et pour la survie de l’humanité.
Le dernier élément que que nous voulons mettre en exergue est sa détermination à transmettre les leçons du mouvement ouvrier et l’expérience organisationnelle des révolutionnaires à de nouvelles générations afin de former de nouveaux militants et de permettre au CCI d’assurer la continuité politique dans les futurs combats de classe. Il était convaincu au plus haut point du besoin indispensable de l’organisation révolutionnaire pour le prolétariat, comme du besoin d’un pont reliant le passé, le présent et le futur de la lutte de classe comme de la nécessité vitale de la préservation d’une continuité organique vivante des organisations révolutionnaires. Il était conscient de représenter lui-même ce fil ténu qui reliait la continuité organique et historique de l’expérience de la classe et la mémoire vivante du mouvement ouvrier. Tout en mettant constamment en avant que “le prolétariat sécrète des organisations révolutionnaires et non pas des individus révolutionnaires”, il insistait aussi beaucoup sur les responsabilités individuelles de chaque militant et sur le sentiment de solidarité et de respect entre eux.
Rien ne saurait mieux exprimer la vie de Marc que ce que Rosa Luxemburg synthétisait en une simple phrase : “J’étais, je suis, je serai”.
– “MARC : De la révolution d'octobre 1917 à la deuxième guerre mondiale [26]”
– “MARC : II - De la deuxième guerre mondiale à la période actuelle [27]”
Il y a 150 ans, le 18 mars 1871, débutait le premier assaut révolutionnaire du prolétariat, donnant naissance à la Commune de Paris. Face à la guerre totale que lui déclara la bourgeoisie, la Commune résista pendant 72 jours, jusqu’au 28 mai 1871 : sa répression impitoyable coûta la vie à 20 000 prolétaires. Depuis, pour la classe ouvrière, de génération en génération, la Commune de Paris est un exemple, une référence, un patrimoine appartenant aux exploités du monde entier ; sûrement pas à son bourreau, la bourgeoisie, qui multiplie aujourd’hui les commémorations indécentes pour falsifier son histoire et jeter aux oubliettes les précieuses leçons que le mouvement ouvrier a su en tirer.
Durant plusieurs semaines, les journaux, les chaînes de télévisions et de radio verront défiler historiens, journalistes, hommes politiques, écrivains qui, tous, s’attacheront à faire leur sale travail de propagande au service de leur classe. De la droite à la gauche, en passant par l’extrême gauche, toute la bourgeoisie ira de ses mensonges des plus flagrants aux plus subtils.
Si la droite s’est indignée de la timidité avec laquelle l’État prévoyait de “commémorer” le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, elle a bien sûr montré toute sa morgue à propos des communards, (1) ces “assassins”, ces “fauteurs de trouble”, ces “agents du désordre” qui n’auraient qu’à rester là où ils sont, c’est-à-dire six pieds sous terre. Il faut remonter à 2016 pour voir Le Figaro, journal français de droite bien connu, avancer crûment ce que le “parti de l’ordre” a toujours pensé sur le fond, et ce sans équivoque : “Les communards ont détruit Paris, massacrés les gens honnêtes et même affamé Paris en détruisant les immenses magasins du grenier de l’abondance, grenier des réserves de céréales qui approvisionnait les boulangers de Paris”. La crapulerie et l’ignominie sont ici sans limites. C’est ainsi que les insurgés, déjà traités à l’époque comme de la vermine, devenaient responsables de leur propre famine et par la même occasion les affameurs des “honnêtes gens”. Autrement dit, si la classe ouvrière à Paris fut réduite à manger des rats, ce fut de sa faute ! Comme à son habitude, et notamment depuis les lendemains de l’événement, la droite, qui a toujours été terrorisée par les “classes dangereuses”, répète à l’envi son discours haineux assimilant les communards à des sauvages sanguinaires.
Mais cette campagne d’accusations grossières, menée avec de trop gros sabots, manquant cruellement de finesse, connaît très vite ses limites aux yeux de la classe ouvrière. Il revient donc aux forces de gauche du capital de mener l’essentiel et le véritable travail de falsification la signification de la Commune de Paris.
À partir du 18 mars prochain et durant 72 jours, la mairie de Paris va organiser pas moins de cinquante événements pour prétendument célébrer les 150 ans de la Commune. Le ton sera donné dès le 18 mars dans le square Louise Michel (18e arrondissement de Paris), en présence d’Anne Hidalgo, la maire “socialiste” de la capitale.
Ce lieu n’est pas choisi au hasard. Louise Michel a été l’une des combattantes les plus connues et héroïque de la Commune qui, lors de son jugement, refusa même la pitié des bourreaux de la Commune en leur lançant au visage : “Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’ait droit qu’a un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi”. Alors qui sont ces gens qui, aujourd’hui, veulent mettre en scène d’une façon totalement tronquée la mémoire de la Commune ? Qui sont Madame Hidalgo et tout son conseil municipal “socialiste” ? Rien de moins que les descendants des traîtres social-démocrates qui passèrent irrémédiablement dans le camp de la bourgeoisie au cours de la Première Guerre mondiale.
Depuis ce temps, dans l’opposition ou au gouvernement, les “socialistes” ont toujours agi contre les intérêts de la classe ouvrière. C’est donc en toute hypocrisie et à des fins de récupération politique que le premier adjoint d’Anne Hidalgo lors des vœux de 2021 pouvait cyniquement instrumentaliser la mémoire de Louise Michel en la citant : “Chacun cherche sa route, nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour ou le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé le genre humain sera heureux”. Pour les communards, ces mots signifiaient la fin de l’esclavage salarié, la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, la destruction de l’État bourgeois. Voilà quel était pour eux le sens des mots “liberté” et “égalité”. Voilà pourquoi à la place du drapeau tricolore des Versaillais qui flotte aujourd’hui sur le toit de l’Hôtel de Ville de Paris, les communards y avaient dressé le drapeau rouge, symbole du combat des ouvriers du monde entier ! Mais pour cette classe d’exploiteurs et de massacreurs, le “règne de la liberté” n’est rien de plus que le règne du commerce, de la domination et de l’exploitation des prolétaires dans les bagnes industriels.
Le Parti socialiste peut bien multiplier les spectacles à la gloire de la démocratie bourgeoise aux quatre coins de la capitale, les intellectuels, écrivains, cinéastes de gauche peuvent bien sortir films et ouvrages à profusion pour diluer le caractère révolutionnaire de la Commune, la presse peut bien, à l’image du Guardian, (2) la faire passer pour une “lutte du peuple” et la comparer au mouvement interclassiste des “gilets jaunes” afin d’en nier le caractère indubitablement prolétarien, la Commune de Paris ne fut ni un combat pour la mise en œuvre des valeurs et de la démocratie bourgeoise, cette forme la plus sophistiquée de la domination de classe et du capital, ni un combat du “peuple de Paris”, voire de la “petite-bourgeoisie artisanale”. Elle incarnait au contraire une lutte à mort pour abattre le pouvoir de la classe bourgeoise dont le parti socialiste et tous les notables de “gauche” sont aujourd’hui les dignes représentants.
Les gauchistes ne sont pas en reste quand il s’agit d’apporter leur petite pierre à l’édifice de la falsification des expériences du mouvement ouvrier. Il s’agit d’ailleurs le plus souvent des déformations les plus insidieuses.
Ainsi, les trotskistes du NPA enfourche le cheval de la “démocratie directe” pour dénaturer la signification de la Commune. Ces gauchistes reconnaissent bien que les communards se sont attaqués à l’État, mais pour en déduire de fausses leçons, pour tirer des conclusions inoffensives pour le capital qu’ils défendent avec zèle. Le NPA du Loiret, par exemple, dans un bulletin publié le 13 mars dernier, ouvre ses colonnes à l’historien Roger Martelli (3) dont la prose est un véritable plaidoyer pour la démocratie bourgeoise : “Sans doctrines figées, sans même un programme achevé, la Commune a fait en quelques semaines ce que la République va mettre bien du temps à décider. Elle a ouvert la voie à une conception du “vivre ensemble”, fondé sur l’égalité et la solidarité. Elle a enfin esquissé la possibilité d’une demande moins étroitement représentative, plus directement citoyenne. En bref elle a voulu mettre concrètement en œuvre ce “gouvernement du peuple par le peuple” dont le président Lincoln avait annoncé l’avènement des années plus tôt”. Quelle honte ! Martelli crache sans aucun scrupule sur la tombe des communards ! Le NPA, de manière totalement ouverte et “décomplexée”, fait passer la Commune pour une simple réforme démocratique radicale habillée de participation populaire. En fin de compte, l’avenir que préfigurait la Commune est ramené à l’idéal bourgeois démocratique !
Jean Jaurès, malgré ses préjugés réformistes, avait au moins l’honnêteté intellectuelle, contrairement aux falsificateurs du NPA, de dire que : “la Commune fut dans son essence, elle fut dans son fond la première grande bataille rangée du travail contre le capital. Et c’est même parce qu’elle fut cela avant tout qu’elle fut vaincue, qu’elle fut égorgée”. (4)
De son côté, Lutte ouvrière (LO), l’autre principal parti trotskiste français, contribue avec son langage faussement radical à cette campagne de falsification en feignant d’opposer la démocratie parlementaire (à laquelle LO participe sans rechigner depuis des décennies) à la dictature du prolétariat, c’est-à-dire, à ses yeux, une forme plus radicale de démocratie bourgeoise. C’est ce que ce parti électoraliste expliquait en 2001 : “Dans un programme qu’ils n’eurent pas le temps de développer, les communards proposaient que toutes les communes des grandes villes aux plus petits hameaux de campagne s’organisent selon le modèle de la Commune de Paris et qu’elles constituent la structure de base d’une nouvelle forme d’État vraiment démocratique”. (5) C’est la raison pour laquelle, LO s’empresse de préciser : “Cela ne signifie pas que les communistes révolutionnaires sont indifférents aux libertés dites démocratiques, bien au contraire, ne serait-ce que parce qu’elles permettent aux militants de défendre plus ouvertement leurs idées”. (6)
Les organisations de la gauche du capital jouent sans conteste le rôle le plus perfide, consistant à présenter la Commune comme une expérience de démocratie “radicale”, qui n’aurait pas eu d’autres horizons que d’améliorer le fonctionnement de l’État. Rien de plus ! 150 ans après, la Commune de Paris a de nouveau à faire à la Sainte alliance de toutes les forces réactionnaires bourgeoises, comme elle a eu à faire en son temps à la Sainte alliance de l’État prussien et de la République française. Ce sont les trésors politiques légués par la Commune que la classe bourgeoise cherche à cacher et enterrer.
En réalité, comme l’ont affirmé haut et fort Marx et Engels au lendemain de l’événement, la Commune de Paris s’est lancée dans le premier assaut révolutionnaire du prolétariat en voulant détruire l’État bourgeois. La Commune chercha immédiatement à asseoir son pouvoir en supprimant l’armée permanente et les administrations d’État, en instaurant la révocabilité permanente des membres de la Commune, responsables devant l’ensemble de ceux qui les avaient élus. Bien avant les révolutions de 1905 et 1917 en Russie, alors que les conditions historiques n’étaient pas mûres, les communards se sont engagés sur le chemin de la formation des conseils ouvriers, “la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat” comme le disait Lénine. Ce n’est donc pas la construction d’un État “réellement démocratique” auquel s’attelaient ainsi les communards, mais à la remise en cause de la domination de la classe bourgeoise. La Commune de Paris a démontré que la “classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte”. (7) C’est une des leçons essentielles que Marx et le mouvement ouvrier ont tiré de cette expérience tragique.
Si la Commune de Paris était un assaut prématuré qui s’est conclu par le massacre de la fine fleur du prolétariat mondial, il ne demeure pas moins qu’elle fut un combat héroïque du prolétariat parisien, une contribution inestimable à la lutte historique des exploités. Pour cette raison, il reste fondamental que la classe ouvrière du XXIe siècle soit en mesure de s’approprier et de faire vivre l’expérience de la Commune et les leçons inestimables que les révolutionnaires en ont tiré.
Paul, 18 mars 2020.
Pour approfondir les leçons de la Commune de Paris, nous conseillons la lecture des articles suivant :
– “La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat [29]”.
– “1871 : la première révolution prolétarienne : le communisme, une société sans État [30]”, huitième partie de notre série : “Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle”.
– “Glorification du Sacré-Cœur : un nouveau crime contre la Commune de Paris [31]”.
1 Au Conseil de Paris, les élus de droite se sont opposés à la célébration des 150 ans de la Commune, menant une campagne assourdissante sur la légitimité et même le devoir national de célébrer la mort de Napoléon Bonaparte.
2 “Vive la Commune? The working-class insurrection that shook the world”, The Guardian (7 mars 2021).
3Lié au courant rénovateur du parti stalinien en France, le PCF, désormais proche du parti de gauche, La France insoumise, au discours nationaliste très musclé.
4Jean Jaurès, Histoire Socialiste.
5“Démocratie, démocratie parlementaire, démocratie communale”. Cercle Léon Trotski intitulé n° 89 (26 janvier 2001). Dans cet article qui en dit très long sur l’idéologie démocratise de LO, le parti trotskiste ajoute d’ailleurs sans sourciller : “Parmi toutes les institutions bourgeoises, les municipalités [c’est-à-dire les rouages de la démocratie bourgeoise où LO a le plus de chance d’obtenir des élus] restent encore aujourd’hui, potentiellement, les plus démocratiques, parce qu’elles sont les plus proches de la population, les plus soumises à son contrôle”. Sans commentaire…
6“La Commune de Paris et ses enseignements pour aujourd’hui”, Lutte de classe n° 214 (mars 2021).
7 Marx et Engels, Préface du Manifeste du Parti communiste (24 juin 1872).
En décembre dernier, le CCI a écrit à la TCI pour lui demander de publier un correctif portant sur de sérieuses falsifications concernant notre organisation, publiées sur le site de la TCI dans un article intitulé « Sur le quarante-cinquième anniversaire de la fondation de la CWO[1] ».
Le CCI ne demanderait pas semblables rectifications d’un groupe bourgeois. Nous n’attendons que mensonges de ce côté-là, et nous dénonçons simplement de telles diffamations qui sont la marque de fabrique de la classe ennemie.
Si nous demandons à la TCI de corriger d’importantes diffamations concernant le CCI, c’est parce que nous considérons que la TCI, malgré nos divergences politiques avec cette tendance, fait partie du camp prolétarien internationaliste, et nous avons un intérêt commun à rectifier d’importantes déviations de la vérité sur l’histoire de la Gauche communiste[2].
Nous espérions que la TCI reconnaîtrait ces importantes inexactitudes et en même temps accepterait de les rectifier, ou nous apporterait des preuves permettant de réfuter nos corrections.
Malheureusement, la TCI a répondu avec colère à notre demande, refusant de publier quelque correctif que ce soit, et suggérant que notre demande serait une « provocation » ou un « jeu politicien ». Elle a déclaré dans sa réponse que c’était son dernier mot sur le sujet et que cette correspondance était maintenant close[3].
Néanmoins, malgré cette rebuffade, le CCI a de nouveau écrit en espérant produire un changement d’état d’esprit, expliquant que notre demande de rectification n’était pas une provocation ou un jeu, ni une polémique sur l’interprétation par la CWO de sa propre histoire ou une tentative d’essayer d’imposer notre propre interprétation de celle-ci, mais une volonté de rétablir des faits importants. Et nous avons noté dans notre seconde lettre que, malgré le furieux refus de la TCI de publier notre correctif, sa réponse ne réfutait pas les faits en question, qui étaient bien tels que nous les décrivions. Mais la TCI a été conséquente sur un point : elle s’en est tenue à son unilatérale fin de non-recevoir, et trois mois après n’avait toujours pas répondu à notre seconde lettre.
Si nous publions aujourd’hui cette correspondance avec la TCI, c’est parce qu’il est visiblement impossible de parvenir à un accord négocié de concert avec elle, et du fait que nous considérons les falsifications comme suffisamment sérieuses pour nécessiter un correctif public. Du fait du refus de la TCI de discuter en privé d’un rectificatif public mutuellement acceptable, ce que nous aurions préféré, nous sommes contraints de rendre nous-mêmes les faits publics.
Notre première lettre :
Le CCI à la TCI
08/12/2020
Chers camarades,
Nous vous demandons de publier le présent correctif sur votre site web :
« Nous avons constaté qu’un article sur votre site web, « Sur le quarante-cinquième anniversaire de la fondation de la CWO », contient un certain nombre de mensonges qui diffament notre organisation. Trois sont particulièrement saillants et doivent être corrigés :
Premièrement, l’article déclare que le CCI a « calomnié » Battaglia Comunista en ce qui concerne ses origines au sein du Parti Communiste Internationaliste en 1943 : « Nous avons également découvert que les calomnies du CCI selon lesquelles il [le PCInt] aurait travaillé « au sein des Partisans » étaient fausses, le fait étant que le PCInt a travaillé partout où la classe ouvrière était présente ».
Une lettre de Battaglia Comunista au CCI reprise dans l’article « Les ambiguïtés sur les «partisans» dans la constitution du Parti Communiste Internationaliste en Italie », publié dans le numéro 8 de la Revue Internationale en 1977, disait :
« Les camarades qui l'ont constitué [le Parti Communiste Internationaliste] provenaient de cette Gauche qui avait la première dénoncé, aussi bien en Italie qu'à l'étranger, la politique contre révolutionnaire du bloc démocratique (comprenant les partis staliniens et trotskistes) et avait été la première et la seule à agir au sein des luttes ouvrières dans les rangs mêmes des Partisans, appelant le prolétariat contre le capitalisme quel que soit le régime dont il se recouvre.
Les camarades, que RI voudrait faire passer pour des "résistants", étaient ces militants révolutionnaires qui faisaient un travail de pénétration dans les rangs des Partisans pour y diffuser les principes et la tactique du mouvement révolutionnaire et qui, pour cet engagement, sont même allés jusqu'à payer de leur vie. ».
Le Parti Communiste Internationaliste dont Battaglia Comunista est issu a agi et pénétré les rangs des Partisans, d’après son propre témoignage. Ainsi, l’affirmation et la critique de ce fait par le CCI ne sont aucunement des calomnies.
Deuxièmement, l’article dit :
« en 1980, la troisième Conférence de la Gauche Communiste Internationale (à Paris) a mené à l’abandon des conférences par le CCI et d’autres petits groupes ».
Affirmer que le CCI a abandonné les conférences est une pure falsification de la réalité, une falsification qui est en fait contredite par ce qui est écrit auparavant dans votre article :
« Lors de la réunion [de la Troisième Conférence], la CWO et le GCI belge ont annoncé séparément qu’ils ne participeraient pas à la conférence suivante. La CWO n’a pas consulté le PCInt [c’est-à-dire Battaglia Comunista] avant cela, mais le PCInt, en tant qu’initiateur des conférences, a cherché à en sauver quelque chose en proposant un nouveau critère pour la conférence suivante qui satisferait (du moins le pensait-il) certains éléments comme la CWO et le GCI, et qui forcerait le CCI à prendre une position plus claire. Ça ne s’est pas passé comme le CCI l’avance, à savoir que la résolution n’avait pour but que de l’exclure. Il a tenté d’obtenir du PCInt une modification des termes du critère afin de continuer à entretenir le flou sur la question du Parti. Le PCInt en est resté à la formulation originelle et la délégation de la CWO a décidé de le soutenir. »
Ainsi ce n’est pas le CCI mais la CWO qui voulait abandonner les Conférences. Le PCInt, afin de « sauver quelque chose », a introduit un nouveau critère (qu’il a refusé de modifier, mais que la CWO a soutenu) pour la participation à la conférence, critère que le CCI ne pouvait pas accepter. Le débat sur la nature du parti entre les groupes présents aux Conférences a été artificiellement clos. Le CCI a de fait été exclu par les deux groupes, il n’a pas abandonné les Conférences.
Troisièmement, l’article dit ceci :
« Lorsque le CCI a commencé à s’introduire par effraction dans des logements privés (soi-disant pour récupérer ce qui lui appartenait), y compris chez JM qui était parti en même temps que les scissionnistes, Aberdeen l’a menacé d’appeler la police ».
L’affirmation que le CCI « aurait commencé à s’introduire par effraction dans des logements privés » est un mensonge malveillant répété à satiété par des parasites comme le défunt « Communist » Bulletin Group d’Aberdeen, lui permettant de justifier le vol de matériel du CCI, et pour excuser ses menaces d’appeler la police contre le CCI. L’insinuation de l’article, qui utilise l’adverbe « soi-disant », sous-entendant par là que la récupération de son matériel par le CCI n’était qu’un prétexte visant l’intimidation, est un autre mensonge mis en avant par les parasites pour excuser leurs propres vilenies.
L’un des principes qui a permis de différencier la tradition de la Gauche Communiste du stalinisme et du trotskisme, c’est de dire la vérité et de démasquer les mensonges de la contre-révolution, en particulier la falsification des faits historiques par cette dernière. Ce principe d’être factuellement précis est particulièrement important dans l’histoire de la Gauche Communiste. Les falsifications de l’article doivent être corrigées afin de donner une image véridique de cette histoire pour les nouvelles générations de militants communistes.
L’article est présent depuis déjà un certain temps sur votre site web, et il peut avoir été vu par de nombreux lecteurs, c’est pourquoi nous demandons que le correctif ci-dessus paraisse dans les deux semaines avec le texte en bonne place sur votre site.
Salutations communistes,
Le CCI »
Notre seconde lettre
Même si elle a refusé de publier cette lettre, la TCI a effectivement corroboré nos rectifications, comme nous l’avons mis en avant dans notre seconde lettre :
Les faits en question, ceux que nous rectifions dans notre première lettre et confirmons dans la seconde, et que la TCI ne conteste pas mais refuse de rectifier publiquement, ne sont clairement pas des broutilles, mais concernent directement des aspects majeurs de l’intégrité des positions du CCI. L’article de la CWO suggère que les différences de comportement entre le PCInt vis-à-vis des Partisans en Italie au cours de la Seconde Guerre mondiale – qui permettent de comprendre la trajectoire différente des ancêtres du CCI, la Gauche Communiste de France, et de ceux du PCInt au cours des années 1940 – est construite sur une « calomnie ».
Ensuite l’article dit que nous avons abandonné les Conférences Internationales de la Gauche Communiste des années 1970 alors même que nous les avons défendues bec et ongles. L'impact négatif de l'échec de ces conférences se fait encore sentir aujourd'hui. Et finalement, l’article prétend que le CCI, qui a toujours défendu l’organisation révolutionnaire et son comportement honnête, aurait utilisé le même type de comportement de voyou que ceux qui ont tenté de le détruire par le vol, la calomnie et la menace d’appeler la police. En un mot, de façon totalement contraire aux faits, c’est nous qui dans l’article passons pour des calomniateurs, des voyous et des déserteurs.
Il n’est pas question ici d’exagération polémique, mais d’affabulations qui nous diffament.
Il est évident que le CCI est contraint de se défendre publiquement contre de tels dénigrements.
La CWO a voulu que son histoire permette aux nouveaux membres et contacts de connaître le « fondement de notre conscience et de nos perspectives politiques actuelles ». Et en tant que telle son histoire ne pouvait qu'avoir un côté polémique puisque son passé recoupe en de nombreux points celui du CCI. Mais c’est une raison de plus pour en rester aux faits afin de permettre aux nouveaux militants de connaître l’histoire réelle de ses divergences avec d’autres tendances. La profonde conviction des nouveaux militants dans les positions de la TCI, ou de toute autre tendance de la Gauche Communiste, ne peut se fonder sur la base de dénigrements et falsifications des autres tendances. Au contraire, la formation de nouveaux militants de la Gauche Communiste demande une connaissance des faits.
Malheureusement, comme le montre le sort de la demande du CCI à la TCI, la détermination collective à défendre la vérité au sein de l’ensemble de la Gauche Communiste – une partie de sa tradition historique – malgré ses désaccords politiques mutuels est de plus en plus oubliée, et la tentative de rectifier des falsifications est considérée par la TCI comme une tentative de « jouer un jeu ». Par exemple, la demande par le CCI d’être factuellement honnête est elle-même considérée comme étant malhonnête. Et donc refusée.
Ce misérable mépris de rétablir les faits est cependant une déviation assez récente de la tradition de la gauche marxiste et de la Gauche Communiste en particulier.
La nature révolutionnaire de la vérité a un sens général pour le marxisme en ce sens que la séquence des changements historiques d’un mode de production à un autre au cours de l’histoire de l’humanité ne peut qu’être scientifiquement et donc fidèlement comprise que comme le résultat de la lutte des classes. Et elle a une signification particulière pour la lutte de la classe ouvrière, laquelle cherche à démasquer les mensonges que la classe capitaliste utilise pour justifier son règne d’impitoyable exploitation, de crise économique et de misère, de guerre sans fin et de catastrophes. Du fait que la perspective communiste du prolétariat révolutionnaire n’est pas de justifier une nouvelle forme d’exploitation, mais d’abolir les classes et de créer une société de libre association des producteurs, la recherche de la vérité est l’arme politique et théorique principale de la classe ouvrière et de ses minorités communistes, à la fois contre la bourgeoisie et pour renforcer ses propres rangs.
Le développement théorique, politique et organisationnel de la tradition marxiste a été mené principalement par le biais de polémiques factuellement exactes. On se souvient des polémiques fameuses menées par Marx et Engels contre les Hégéliens de gauche (La Sainte famille, L’Idéologie allemande), contre Proudhon (Misère de la philosophie), l’Anti-Dühring, la Critique du programme de Gotha, la polémique de Rosa Luxemburg contre Eduard Bernstein (Réforme sociale ou révolution ?), celle de Lénine contre les Populistes russes dans Ce que sont les « Amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates, etc. Elles sont toutes basées sur des citations étendues d’écrits et de compte-rendus précis et probants des actions de ceux qui sont critiqués, et n’en sont de ce fait que plus fortes et véhémentes. À l’inverse, la tradition marxiste a été déterminée à répondre publiquement aux allégations sur sa politique, et plus particulièrement à mettre au jour les calomnies et manœuvres servant le camp ennemi, comme le livre de Marx sur l’espion policier Herr Vogt, ou le rapport de la Première Internationale sur la conspiration de Bakounine.
Ces principes de précision et d’honnêteté ont commencé à s’affaiblir dans le camp marxiste avec la dégénérescence opportuniste de la Seconde Internationale. Après l’effondrement de cette dernière en 1914 et le soutien de la plupart des partis sociaux-démocrates à la guerre impérialiste, puis la haine active contre la vague révolutionnaire qui a émergé en 1917, les calomnies contre la gauche marxiste internationale se sont intensifiées et ont été le prélude à la tentative d’exterminer ses militants. Les dénigrements contre Rosa Luxemburg dans la presse sociale-démocrate, par exemple, ont créé le climat permettant son assassinat en 1919. Lénine et Trotsky ont échappé au même sort au cours de l’été 1917 après avoir été traités d’agents allemands par les mencheviks et d’autres.
La longue contre-révolution stalinienne qui a suivi la vague révolutionnaire de 1917-23 a intensifié cette attaque contre les principes et l’honneur de l’avant-garde révolutionnaire, au nom du marxisme et de la classe ouvrière, une hypocrisie sans précédent dans l’histoire. Les attaques staliniennes, présentées sous couvert de « polémiques marxistes », avaient pour but la destruction de ceux qui conservaient le cœur internationaliste du programme marxiste face à la dégénérescence de la Révolution d’Octobre et de l’Internationale Communiste, c'est-à-dire l'Opposition de Gauche de Trotsky mais surtout les Gauches Communistes d'Allemagne et d'Italie. Les falsifications de l’histoire, les mensonges et dénigrements ont constitué le terreau des expulsions, emprisonnements, tortures, procès-spectacles et assassinats.
Trotsky a tenté de maintenir la véritable tradition marxiste avec la Commission Dewey qui, en 1936, a révélé les machinations des procès de Moscou à l’aide de preuves systématiques et circonstanciées.
Mais le trotskisme a rejoint le camp bourgeois lors de la Seconde Guerre mondiale en abandonnant l’internationalisme, et dans ce processus ses méthodes sont devenues peu ou prou celles de la contre-révolution stalinienne et sociale-démocrate. Mentir et calomnier sont devenus des comportements normaux au sein de la gauche et de l’extrême-gauche de la contre-révolution bourgeoise. Seule la Gauche Communiste est restée aux côtés du prolétariat et de la défense de la vérité au cours de la boucherie impérialiste de 1939-45. Et aujourd’hui encore, la Gauche Communiste doit faire face et se démarquer nettement des méthodes ignobles de la gauche contre-révolutionnaire.
Lors du resurgissement de la tradition de la Gauche Communiste après 1968, malgré le poids du sectarisme au sein des différents groupes et la difficulté pour de nouveaux militants à rompre avec les mœurs du gauchisme, la nécessité d’un effort commun pour rétablir la vérité a été mutuellement reconnue par les différents groupes. Comme la lettre du CCI à la CWO le montre, le CCI a publié en 1977 dans sa Revue Internationale la demande de Battaglia Comunista (c’est-à-dire le PCInt/TCI) d’une correction de l’article sur les Partisans et les origines du PCInt. Et à ce moment-là la demande du PCInt se réfère au principe révolutionnaire de vérité historique, un épisode que nous rappelons dans notre seconde lettre à la TCI :
« En 1976, le camarade Onorato Damen, au nom de l’Exécutif du Partito Comunista Internazionalista, a adressé une lettre à notre section en France en demandant que soient rectifiées certaines affirmations contenues dans une polémique avec le PCI bordiguiste publiée dans le n°29 de notre journal Révolution Internationale. Il a protesté, en particulier, contre ce que nous avions écrit sur la politique du Partito à propos de la question des Partisans. Et il concluait sa lettre par les lignes suivantes :
« nous souhaitons que tous les révolutionnaires sachent mener un sérieux examen critique des positions sur les principaux problèmes politiques de la classe ouvrière aujourd’hui, en se documentant avec le sérieux propre précisément aux révolutionnaires, lorsqu’il s'agit de revenir (et c'est là quelque chose qui est toujours nécessaire) sur les erreurs du passé. ». Nous avons publié la totalité de la lettre dans la Revue Internationale n°8, avec, bien sûr, notre propre réponse.
La question que nous vous posons est celle-ci : pensez-vous que le camarade Damen et l’Exécutif du PCInt s’étaient engagés dans une quelconque provocation, un « jeu politique », en nous demandant de publier un rectificatif ?
Bien sûr, il peut y avoir polémique sur la réalité des faits. Dans la Revue Internationale n°87 par exemple, nous avons publié une lettre de la CWO (une « provocation » ou un « jeu politique » ?) qui affirmait qu’il y avait des falsifications dans une ancienne polémique avec le CCI. Nous avons soutenu qu’en fait les éléments en question étaient vrais. »
Plus récemment, au cours de la dernière décennie, cette tradition révolutionnaire rappelée par Onorato Damen a été oubliée, en partie du fait de la faillite des Conférences de la Gauche Communiste dont nous avons parlé plus haut, et à cause de l’émergence d’une mentalité, pourtant combattue de toutes ses forces par le CCI, de « chacun-contre-tous », dans laquelle le principe d’honnêteté au sein de la Gauche communiste a été de plus en plus oublié. Le principe de discussion mutuelle et d’action commune établis par Marx dans la Première Internationale, tout comme l’éthique de toutes les tendances au sein du mouvement prolétarien, ont été de plus en plus ignorés. Concomitamment à cette faillite, et l’exacerbant, il y a eu une prolifération de groupes, souvent rien d’autre que des blogueurs mécontents qui se réclament verbalement de la Gauche Communiste, mais dont la fonction réelle n’a été que dénigrer et calomnier cette tradition organisée du Communisme de Gauche. Cependant, ce dernier dans son ensemble n'a pas réussi jusqu'à présent à serrer les rangs contre ce phénomène malin qui affaiblit encore plus le principe d'honnêteté au sein de la Gauche Communiste[4]
La contamination par les pratiques malhonnêtes du gauchisme, dont les symptômes apparaissent avec les falsifications de la CWO dans son dernier article sur son histoire, est une réminiscence d’un épisode précédent du même type, l’infâme scandale de « l’affaire du Circulo », lorsque la TCI (qui s’appelait encore Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, BIPR) avait republié sur son site web, sans l’ombre d’une critique, une litanie de calomnies contre le CCI, dont l’origine était un groupe imaginaire d’Amérique Latine appelé « Circulo de Comunistas Internacionalistas ».
Au début des années 2000, le CCI a commencé à discuter avec un groupe en Argentine, sur les positions et principes organisationnels de la Gauche Communiste, et sur l’analyse du mouvement des piqueteros dans ce pays en décembre 2001. En conséquence, ce groupe, le Nucleo Comunista Internacionalista, a lancé un appel international aux groupes de la Gauche Communiste pour organiser des discussions, appel auquel malheureusement seul le CCI a répondu positivement. Le NCI a également écrit une prise de position condamnant les actions d’un groupe parasitaire contre le CCI[5].
Cependant les difficultés que les nouveaux groupes approchant la Gauche Communiste doivent affronter ont été mises au jour par un épisode étrange et destructeur.
Un individu ambitieux au sein du NCI (que nous allons nommer le Citoyen B) a développé un comportement clairement aventuriste au sein du groupe, prenant des allures de gourou, et a demandé péremptoirement une intégration immédiate dans le CCI. Lorsque les conditions de cette demande ont été rejetées, il s’est vengé en prétendant que le NCI s’était transformé lui-même en un groupe politique imaginaire, le « Circulo de Comunistas Internacionalistas »! Cette scandaleuse usurpation a été menée sans que les autres membres du NCI en aient la moindre connaissance.
Au nom de ce groupe fantôme qu’était le « Circulo », le Citoyen B a commencé à publier des prises de position sur Internet et sur son propre compte personnel, renversant ainsi les précédentes positions du NCI contre le parasitisme, et a ainsi soutenu les attaques de ce dernier contre le CCI.
La première de ces prises de position, distribuée sous forme papier lors d’une réunion publique de la TCI à Paris par le groupe parasitaire GIGC[6], déclarait :
Et on n’a pas seulement Staline, mais aussi Goebbels :
Toutes ces ordures calomniatrices contre le CCI, qui viennent des prises de position de ce « Circulo » bidon, sans la moindre preuve pour les étayer, ont été publiées sans commentaire et sans la moindre tentative de les vérifier, en plusieurs langues, sur le site web de la TCI. L’inexistant Circulo a même été salué comme un véritable apport dans les rangs des révolutionnaires.
Le CCI, alarmé par le fait que de pareilles calomnies soient publiées sur le site web d’un groupe de la Gauche Communiste contre une autre tendance de la Gauche Communiste, a immédiatement écrit à la TCI en lui fournissant des preuves que le Circulo n’était que la grotesque invention d’un aventurier, et a demandé que son texte de rectification contre ces scandaleuses calomnies soit publié par la TCI. Il a fallu trois lettres du CCI et trois semaines avant que cela soit fait. Mais le problème ne s’arrête pas là.
Le CCI a contacté les autres membres du NCI pour corroborer les faits et a constaté que les camarades étaient abasourdis d’apprendre l’usurpation et les calomnies du Citoyen B et de son Circulo, et ont décidé d’écrire eux-mêmes une prise de position dénonçant cette imposture et soutenant les faits tels que présentés par le CCI[7].
Tirant la leçon de ce contact, le Citoyen B a redoublé les calomnies de son premier texte, et a produit une seconde tirade.
L’actuelle politique du CCI provoque le doute et une atmosphère interne de mutuelle méfiance. Elle utilise la tactique stalinienne de la « terre brûlée », c’est-à-dire non seulement la destruction de notre petit et modeste groupe, mais également une opposition active à toute tentative de regroupement révolutionnaire qui ne serait pas mené par le CCI à travers sa politique sectaire et opportuniste. Et pour cela, il n’a pas hésité à user de toute une série de manœuvres répugnantes dont l’objectif principal était de démoraliser ses opposants, et en ce sens, éliminer tout « ennemi potentiel ».
Le Citoyen B s'est tellement laissé entraîner dans ses manœuvres et ses calomnies qu’il s’est retrouvé à accuser le CCI de détruire un groupe qu’il avait lui-même cherché à remplacer par un autre groupe complètement fictif sorti de son imagination ! Mais quand cette seconde déclaration calomnieuse du « Circulo » est apparue sur le site web de la TCI, cette dernière a refusé de publier la déclaration du NCI qui exposait complètement d’une part la fraude du « Circulo », et d’autre part permettait de clarifier et vérifier tout l’épisode de façon indépendante. La TCI ne l’a pas fait non plus avant que les faits ne deviennent évidents et que le Circulo et le Citoyen B ne disparaissent sans laisser de trace, elle n’a publié aucune rétractation ou mise au point expliquant pourquoi ces calomnies sont apparues sur son site web, ni reconnu les dommages qu’elles ont pu faire sur la réputation non seulement du CCI, mais aussi de toute la Gauche Communiste. La déclaration mensongère du Circulo est même restée plusieurs semaines sur le site web de la TCI avant d’être finalement retirée, comme si rien ne s’était passé.
Le CCI a par la suite écrit une lettre ouverte aux militants de la TCI sur l’extrême gravité qu’il y a à faciliter l’infiltration de méthodes pourries du gauchisme dans le comportement de la Gauche Communiste. Nous avons promis dans cette lettre ouverte que toute action du même type que le scandale du Circulo serait exposée au grand jour, particulièrement si la TCI essayait à nouveau de se sortir du scandale en traitant nos lettres par le silence[8]. Le présent article est la concrétisation de cette promesse.
Plutôt que de tirer les leçons de cette expérience et de reconnaître les attaques du Circulo pour ce qu’elles étaient, ainsi que leur propre grave erreur consistant à les republier, la TCI a répondu à l’époque en ajoutant l’insulte au préjudice subi par le CCI. Au lieu de dénoncer la fraude du Circulo, elle a dénoncé le CCI comme une organisation paranoïaque en plein processus de désintégration, et au lieu de ça s’est présentée en victime des attaques « vulgaires et violentes » du CCI.
Le crime de ce fiasco du Circulo, cependant, d’après ce scénario, n’était pas que la TCI ait facilité une attaque malsaine contre un autre groupe de la Gauche Communiste, mais le fait que le CCI a réagi à ce scandale et dénoncé cette fraude pour ce qu’elle était.
L’impudence ne s’est pas arrêtée là. Après avoir joué un rôle important en étant à l’origine du gâchis du Circulo, la TCI a prétendu être alors trop occupée pour aider à le régler et pour répondre aux critiques du CCI. Cela voulait dire que son important travail vis-à-vis de la lutte de classe signifiait qu’elle n’avait pas de temps à accorder aux disputes entre petits groupes, comme si la tentative de traîner un groupe de la Gauche Communiste dans la boue était une préoccupation mineure.
Si nous rappelons cette histoire du Circulo dans cet article, c’est pour montrer les leçons qui n’ont pas été apprises et les mêmes erreurs dommageables qui sont toujours commises. D’une façon similaire à l’épisode du Circulo, les récentes affabulations diffamatoires concernant le CCI contenues dans l’article sur l’histoire de la CWO sont toujours présentes sur son site web. Non seulement la TCI a refusé de publier la réfutation du CCI, mais elle a aussi refusé toute discussion sur la question avec le CCI, quand bien même en privé elle ne réfute pas les faits en question.
Dans sa lettre la TCI en effet répond à notre demande de rétablir les faits par des insultes similaires à celles qu’elle nous avait lancées en 2004. A l’écouter, le problème ne serait pas les falsifications dans l’article, mais le CCI qui sème le trouble en demandant qu’elles soient publiquement corrigées. La CWO prétend que le CCI joue un jeu politique pour la discréditer. Et elle fait semblant d’être trop occupée pour poursuivre sur cette question, ciao !
En réalité, le « jeu politique » se trouve dans cette tentative de masquer les falsifications contenues dans l’article en les aggravant encore. Le principal discrédit se trouve là. La rectification publique des falsifications originales aurait en fait été portée au crédit de la CWO.
La Gauche Communiste : des positions révolutionnaires + un comportement révolutionnaire
L’implication des réponses de la TCI à notre critique est que le CCI n’est pas lui-même concerné par la lutte de classe, mais seulement par les conflits entre groupes révolutionnaires. Un coup d’œil au travail du CCI sur son site depuis 45 ans révèle immédiatement que ce n’est pas vrai.
Il ne sert à rien de prétendre, pour cacher ses propres manquements à cet égard, que la question d’un comportement honnête des organisations révolutionnaires entre-elles est secondaire, ou sans intérêt par rapport aux buts politiques généraux, aux analyses et interventions de la Gauche Communiste. L’honnêteté organisationnelle de cette dernière dans la classe ouvrière est indispensable à son succès final. Inversement, adopter, ou excuser, des comportements qui sont voisins du gauchisme ne peut que risquer de démoraliser ceux qui rompent avec la gauche contre-révolutionnaire pour s’approcher des positions internationalistes.
Si le Citoyen B et son Circulo ont échoué à faire disparaître immédiatement le NCI en 2004 comme il le souhaitait, le NCI n’a malgré tout pas survécu à cet épisode entièrement frauduleux qui était, comme nous l’avons expliqué, plus proche du gauchisme dont il venait de s’échapper que du milieu de la Gauche Communiste qu’il croyait avoir rejoint. L’expérience a eu sur ses membres des effets démoralisateurs à long terme.
Aujourd’hui, sans un comportement révolutionnaire des groupes de la Gauche Communiste, il existe un réel danger de détruire le potentiel de nouveaux militants qui s’approchent des positions de classe.
Sans un comportement révolutionnaire, les nouveaux militants révolutionnaires auront du mal à distinguer non seulement la Gauche Communiste de toutes les strates du gauchisme, mais la véritable Gauche Communiste de la fausse. Les innombrables micro-groupes, aventuriers, individus pleins de rancœur, qui aujourd’hui prétendent faire partie de la tradition de la Gauche Communiste alors qu’ils se consacrent à la discréditer, comme cet infâme Circulo, sont la preuve que la plate-forme internationaliste est davantage qu’un document, c’est un mode de vie, d’intégrité organisationnelle.
Cependant, si les différents groupes respectaient un commun standard de comportement, cela renforcerait la présence du milieu Communiste de Gauche au sein de la classe ouvrière toute entière.
Le programme politique de la Gauche Communiste, c’est-à-dire l’élaboration dans la classe ouvrière de la vérité révolutionnaire de la lutte prolétarienne, dépend d’un comportement organisationnel cohérent avec ces idées politiques. Le combat pour l’unité internationale du prolétariat contre les mensonges de l’impérialisme et de tous ses thuriféraires, par exemple, ne peut être mis en œuvre avec les mêmes valeurs morales que ces derniers et leur mépris de la vérité.
Ce n’est pas un appel à une idée morale éternelle, mais la reconnaissance que la fin et les moyens d’une organisation révolutionnaire, le but et le mouvement, sont inséparables et en constante interaction.
Le CCI, en mettant en lumière les falsifications de l’article sur l’histoire de la CWO, ne joue pas un « jeu ». Il est très sérieux et continuera à faire de la question de l’honnêteté révolutionnaire et de la précision un aspect central de l’intervention communiste.
[1] Communist Workers Organisation, groupe affilié à la TCI en Grande-Bretagne, « On the Forty-Fifth Anniversary of the Founding of the CWO [33] », sur leftcom.org.
[2] Au côté de la CWO, la principale organisation de la TCI est le Parti Communiste Internationaliste (Partito Comunista Internazionalista / Battaglia Comunista) en Italie. Tout comme le CCI, elles sont les héritières de la tradition de la Gauche communiste, surtout connue pour ses positions internationalistes pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre 1984, lorsque le regroupement formel de la CWO et du PCInt s’est amorcé, et 2009, la TCI s’est appelée BIPR (Bureau International pour le Parti Révolutionnaire).
[3] La réponse de la TCI a été envoyée par « le Comité Exécutif de la CWO ».
[4] Cela ne veut pas dire que le PCInt/TCI a été incapable de réagir à de telles calomnies contre lui-même. En 2015, une prise de position est parue sur le site web de la TCI, « Réponse à une vile calomnie », dénonçant les mensonges d’anciens militants contre des membres de la TCI :« Leurs accusations ne nous auront rien épargné : peur, couardise, trahison, opportunisme individuel, jusqu’aux accusations de liens avec les services de l’État bourgeois. Ils n’ont jamais produit l’ombre d’une preuve. Mais vu que ceux qui profèrent des accusations ont la charge de la preuve, l’absence totale de telles preuves concrètes est aussi la preuve de la malhonnêteté de ces individus et de leurs manœuvres…
Dans l’histoire de notre Parti, nous n’avons vu pareille chose, sous une forme plus sérieuse, que pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque des militants internationalistes ont été ciblés par les malfrats de Togliatti, qui ont justifié leurs campagnes de persécution allant jusqu’à l’assassinat par l’accusation d’être « au service de la Gestapo ». »
Cependant la TCI a refusé de généraliser cette expérience et d’en tirer les évidents parallèles qui existent dans les attaques similaires contre le CCI. Elle a été de ce fait incapable de défendre le milieu de la Gauche Communiste dans son ensemble contre un milieu hostile de calomniateurs et de dénigreurs. Pire, la TCI a fait la grosse erreur de tenter de recruter de nouveaux membres et sections au sein de tels cloaques, et elle a inévitablement été infectée par ce dernier, au détriment de la Gauche communiste comme un tout.
Le CCI pour sa part a toujours tenté de défendre les autres groupes de la Gauche Communiste contre la calomnie, même si la solidarité du CCI n’a jamais été réciproque. Il soutient ainsi la TCI dans sa « Réponse à une vile calomnie » : Communiqué de solidarité avec la TCI [34]. Le CCI a fait de même lorsque le groupe Los Angeles Worker’s Voice a lancé une campagne visant à dénigrer la TCI (voir Révolution internationale n° 325 : Milieu politique prolétarien - Une attaque parasitaire contre le BIPR [35]).
[5] Voir Le Núcleo Comunista Internacional : Un effort de prise de conscience du prolétariat en Argentine [36] pour un historique de ce groupe.
[6] GIGC, groupe appelé auparavant FICCI. Pour une histoire de ce groupe, voir L'aventurier Gaizka a les défenseurs qu'il mérite : les voyous du GIGC [37]
[7] Les camarades du NCI ont également essayé de rencontrer face à face le Citoyen B à Buenos Aires, pour le confronter aux faits. Mais il est resté injoignable.
Nous republions une lettre que nous avions adressée au BIPR en décembre 2004 suite à l'apparition sur son site d'une déclaration émanant d'un mystérieux "Cercle des Communistes Internationalistes", comportant une série d'accusations extrêmement graves contre le CCI. Malgré les protestations de notre organisation dont il n'avait pas tenu compte, le BIPR n'avait alors pas entrepris la moindre vérification de la réalité du groupe ni du contenu des accusations en question. Il avait alors fallu que la réalité de l'imposture devienne tellement évidente pour que le BIPR (maintenant TCI) commence à retirer progressivement de son site, et en catimini, les accusations mensongères et calomnieuses à l'encontre de notre organisation qu'il avait complaisamment relayées.
Les raisons de la présente republication de ce document sont liées au fait que de nouveau nous sommes confrontés à un problème de comportement politique de la part de la TCI.[1]
Paris, le 7 décembre 2004
***
Camarades,
Depuis le 2 décembre, on a assisté à de discrètes modifications sur le site Internet du BIPR. Tour à tour la version anglaise puis la version espagnole de la « Déclaration du Cercle des Communistes Internationalistes contre la méthodologie nauséabonde du CCI » du 12 octobre qui s’y trouvaient depuis plus d’un mois et demi ont disparu (très curieusement, la version française de cette déclaration est encore présente au moment où nous vous envoyons cette lettre : le BIPR aurait-il une politique différente suivant les pays et suivant les langues ? ([2]). Par ailleurs, sur les pages en Italien de votre site, le chapeau précédant la « Prise de position du Cercle des Communistes Internationalistes sur les faits de Caleta Olivia » a été réduit des trois quarts en perdant le passage suivant : « Récemment, le Noyau Communiste Internationaliste d’Argentine a rompu avec le Courant communiste international, que, depuis longtemps, nous considérons comme une survivance désormais inutile d’une vieille politique indiscutablement non adaptée pour contribuer à la formation du Parti international. L’organisation argentine a également changé de nom en prenant celui de Cercle des Communistes Internationalistes. » (“Recentemente il Nucleo Comunista Internazionalista di Argentina ha rotto con la Corrente Comunista Internazionale, che da tempo indichiamo come ormai inutile sopravvivenza di una vecchia politica sicuramente non adeguata a contribuire alla formazione del Partito internazionale. L'organizzazione argentina ha anche cambiato nome assumendo quello di Circolo di Comunisti Internazionalisti.”).
Ces modifications démontrent que le BIPR commence (peut-être ?) à prendre conscience du guêpier dans lequel il s’est fourré en prenant pour argent comptant et en publiant sans la moindre précaution ce que le prétendu « Circulo » a raconté dans ses différentes « déclarations », notamment à propos du comportement du CCI. En d’autres termes, le BIPR n’est plus en mesure de se cacher à lui-même, ni surtout de cacher aux lecteurs de son site Internet, ce que le CCI a affirmé depuis près de deux mois : les accusations portées contre notre organisation sont de purs mensonges inventés par un élément trouble, un imposteur mythomane et sans scrupule. Cela dit, l’effacement discret et progressif de ces « déclarations » n’efface ni ne répare en aucune façon la faute politique considérable, pour ne pas dire le comportement inqualifiable, dont s’est rendue responsable votre organisation. Bien au contraire.
C’est pour cela que cette lettre se veut un appel solennel aux militants du BIPR face à un comportement de leur organisation absolument scandaleux et incompatible avec tout ce qui fonde une démarche de classe prolétarienne.
Un bref rappel des faits :
Vers la mi-octobre, le BIPR publie en plusieurs langues sur son site Internet cette fameuse « Déclaration contre la méthodologie nauséabonde du CCI » du soi-disant « Circulo de Comunistas Internacionalistas » qui se présente comme le successeur du « Nucleo Comunista Internacional » avec qui le CCI a entretenu des discussions depuis plusieurs mois (avec notamment deux rencontres en Argentine même entre le NCI et des délégations du CCI).
Que contient en substance cette « Déclaration » ? Il s'agit d'une série d'accusations extrêmement graves contre notre organisation :
N'importe quel lecteur averti des questions concernant les groupes de la Gauche communiste (ou qui s'en réclament) aura reconnu le style de calomnies que la FICCI déverse depuis plusieurs années sur notre organisation. Mais l'analogie ne s'arrête pas là. On la retrouve aussi dans l'aplomb avec lequel les mensonges les plus gros sont assénés :
La réalité est très différente, comme nous l'avons rapporté déjà dans d'autres textes et comme c'est dit dans la déclaration du NCI datée du 27 octobre : Effectivement, nous avons appelé un camarade du NCI mais ce n'était nullement pour tenter de « détruire [le NCI] ou ses militants de manière individuelle ».
Le but de notre premier appel était d’essayer de comprendre comment s’est constitué ce « Circulo de Comunistas Internacionalistas » et pourquoi des camarades qui avaient témoigné quelques semaines auparavant une attitude extrêmement fraternelle à notre délégation et qui n’avaient manifesté aucun désaccord avec le CCI (notamment à propos des comportements de la FICCI), adoptaient maintenant, le 2 octobre, une « Déclaration » particulièrement hostile à notre organisation et tournant le dos à tout ce qu’ils avaient défendu jusqu’à présent. Dès ce moment-là, nous nous doutions que l’ensemble des camarades du NCI n’étaient pas associés à cette « Déclaration » (malgré ce qui y était affirmé sur « l’unanimité » de cette démarche parmi les membres du NCI). Les discussions que nous avons eues par téléphone avec les camarades du NCI nous ont permis de les informer de ce qui était en train de se passer : l’apparition d’un « Circulo » qui se présentait comme le continuateur du NCI et qui déchaînait des attaques contre le CCI. Nous avons pu également vérifier que ces camarades n’avaient aucune connaissance de cette nouvelle politique menée par le citoyen B. (le seul à pouvoir accéder à l’Internet) dans leur dos et en leur nom. Quand nous avons demandé au camarade que nous avions pu joindre en premier s’il souhaitait qu’on le rappelle, il a répondu par l’affirmative en insistant pour que ces appels soient les plus fréquents possibles et il a suggéré que nous le rappelions au moment où il se trouverait en compagnie des autres camarades pour que nous puissions leur parler également. Voilà ce qu’il en est « de la demande unanime des camarades que le CCI a appelés » : ils n’ont nullement « proposé à l’ensemble des membres du ‘Cercle’ le rejet total de la méthode politique du CCI » mais l’ont chaleureusement approuvée. Et la méthode « qu’ils considèrent comme typiquement stalinienne » est celle de Monsieur B.
Cet intéressant personnage, au début de sa déclaration du 12 octobre nous avertit : ce qu’il affirme sur la « méthodologie du CCI » peut « sembler un mensonge ». Effectivement, les « déclarations » de Monsieur B. peuvent « sembler un mensonge ». Et il y a une bonne raison à cela : c’est réellement un mensonge, un pur mensonge. Évidemment, la FICCI a immédiatement cru ce mensonge qui ressemblait à un mensonge. Tout ce qui peut lui permettre de jeter de la boue sur notre organisation est pain béni pour elle et peu lui importe si l’accusation « peut sembler un mensonge ». Après tout, le mensonge est sa seconde nature, sa marque de fabrique (à côté du chantage, du vol et du mouchardage). Mais ce qui est en revanche absolument invraisemblable, qui « semble un mensonge », c’est qu’une organisation de la Gauche communiste, le BIPR ait pris le même chemin que la FICCI en publiant sur son site Internet, sans le moindre commentaire, donc en les cautionnant totalement, les élucubrations infâmes de Monsieur B.
Le BIPR aime bien faire la leçon aux autres, par exemple en donnant sa propre interprétation des crises du CCI en croyant sur parole les mensonges de la FICCI et sans même se donner la peine d’examiner sérieusement l’analyse qu’en fait le CCI lui-même (voir par exemple « Éléments de réflexion sur les crises du CCI » sur le site Internet du BIPR). En revanche, il n’apprécie pas qu’on lui fasse des suggestions sur sa façon de se comporter : « nous rejetons comme ridicule les ‘mises en garde’ de la part [du CCI] », « Ce n’est pas au CCI, ni à aucun autre que nous devons rendre compte de notre façon d’agir politique et la prétention du CCI à relancer de présumées traditions de la gauche communiste semble seulement pathétique » (voir Réponse aux accusations stupides d’une organisation en voie de désintégration, sur le site Internet du BIPR). Malgré cela, nous nous permettons de lui dire comment aurait agi le CCI s’il avait reçu une déclaration comme celles du « Circulo » mettant gravement en cause le BIPR.
La première chose que nous aurions faite, aurait été de contacter le BIPR et de lui demander son avis sur de telles accusations. Nous aurions également vérifié la crédibilité et l’honnêteté de l’auteur de ce type d’accusation. S’il s’était avéré que l’accusation était mensongère, nous aurions immédiatement dénoncé ce comportement en apportant notre solidarité au BIPR. Si l’accusation avait été fondée, et que nous avions estimé nécessaire de la faire connaître par nos moyens de presse, nous aurions demandé au BIPR sa propre position afin de la publier à côté du document l’accusant.
Vous pouvez peut être estimer que ce sont là des paroles platoniques et que dans la réalité nous aurions fait tout autre chose. Les lecteurs de notre presse en tout cas savent que c’est là la façon d’agir du CCI que nous avons d’ailleurs déjà mise en pratique lorsque la ‘LA Workers Voice’ s’est lancée dans une campagne de dénigrement du BIPR (voir Internationalism n° 122).
Comment a agi le BIPR quand il a reçu la « Déclaration du ‘Circulo’ » ? Non seulement il s’est contenté de la cautionner en la publiant en plusieurs langues sur son site sans la moindre vérification de son authenticité, mais il a refusé pendant plus d’une dizaine de jours de publier le démenti que nous lui avions demandé à plusieurs reprises (voir nos lettres des 22, 26 et 30 octobre) d’adjoindre à la déclaration du « Circulo ».
La publication de notre démenti était le minimum que pouvait faire le BIPR (et que n’importe quel journal bourgeois accepte en général) et il a fallu cependant trois lettres pour qu’il y parvienne, trois lettres et un certain nombre de faits qui commençaient à démontrer le caractère mensonger de la « déclaration ». L’insertion de notre démenti était le minimum mais c’était encore nettement insuffisant puisque, en ne prenant pas position sur la déclaration du « Circulo » le BIPR continuait à cautionner ses mensonges. C’est pour cela que dans nos lettres du 17 et du 21 novembre nous vous avons demandé « de publier immédiatement (c'est-à-dire dès réception de ce courrier) sur votre site Internet la Déclaration du NCI du 27 octobre qui se trouve sur notre propre site dans toutes les langues correspondantes », une déclaration n’émanant pas du CCI, dont on pouvait toujours laisser entendre qu’il racontait n’importe quoi, mais des principaux témoins de l’imposture et des mensonges calomnieux de Monsieur B. A ce jour, vous n’avez toujours pas publié cette déclaration du NCI (qui vous l’a adressée de Buenos Aires par courrier postal) dont vous savez pertinemment qu’elle est véridique puisque vous avez entrepris de retirer progressivement et discrètement de votre site la déclaration du « Circulo ».
Pendant des semaines, vous avez « fait le mort » devant les demandes du CCI afin que soit rétablie la vérité. Maintenant que celle-ci éclate de plus en plus (et ce n’est pas grâce à vous), vous choisissez la méthode la plus hypocrite possible pour tenter d’éviter qu’elle ne vous éclabousse : vous retirez un document qui pendant près de deux mois a déversé sur notre organisation des tombereaux de boue avec le même silence qui avait accompagné sa mise en circulation par vous.
Camarades, êtes-vous conscients de la gravité de vos comportements ? Êtes-vous conscients que cette attitude n’est pas digne d’un groupe qui se réclame de la Gauche communiste mais appartient aux méthodes du trotskisme dégénéré, voire du stalinisme. Vous rendez-vous compte que vous faites la même chose que Monsieur B. (dont les tractations récentes avec le site « Argentina Roja » font la preuve qu’il revient à ses anciennes amour staliniennes) qui a passé son temps à faire apparaître et disparaître des documents sur son site Internet afin d’essayer de masquer ses coups tordus ?
En tout cas, puisque vous avez mis vos moyens de communication au service de la calomnie contre le CCI, il ne suffit pas d’escamoter discrètement cette calomnie comme si rien ne s’était passé. Vous avez commis une faute politique d’une extrême gravité et il faut maintenant la réparer. Le seul moyen digne d’une organisation du prolétariat est de déclarer sur votre site Internet que le document qui s’y est trouvé pendant près de deux mois est une collection de mensonges et de dénoncer les agissements de Monsieur B.
Nous comprenons l’amère déception que vous avez dû ressentir en découvrant la vérité : le NCI n’a pas rompu avec le CCI et le « Circulo » sur qui vous fondiez les plus grands espoirs (voir votre article dans Battaglia Comunista d’octobre « Anche in Argentina qualcosa si muove ») n’est pas autre chose qu’une imposture sortie de l’imagination de Monsieur B. Néanmoins, ce n’est pas une raison pour esquiver toute prise de position sur les méthodes de cet imposteur. C’est aussi une question de solidarité élémentaire avec les militants du NCI qui ont été les premières victimes des manipulations infâmes de cet élément qui a usurpé leur nom.
De même, nous comprenons qu’il vous soit pénible de reconnaître publiquement, une nouvelle fois (après votre communiqué du 9 septembre 2003 sur les « Communistes radicaux d’Ukraine »), que vous avez été victimes d’une imposture. Lorsque cette mésaventure vous est arrivée, le CCI n’a pas fait le moindre commentaire. Plutôt que de remuer le couteau dans la plaie, nous avons pensé qu’il vous appartenait, puisque vous êtes une « force dirigeante responsable » (suivant vos propres termes), de tirer les leçons de cette expérience. Pourtant celle-ci ne nous a pas surpris après les déboires que vous aviez rencontrés, notamment avec le SUCM et le LAWV, malgré nos mises en garde que vous aviez « rejetées comme ridicules ». Mais aujourd’hui, le problème va bien plus loin que le ridicule d’avoir été le dindon de la farce. Derrière la touchante naïveté avec laquelle vous avez cru sur parole un escroc mythomane, il y a la duplicité avec laquelle vous avez accueilli sur votre site les infamies de cet individu. C’est un comportement absolument indigne d’une organisation qui se réclame de la Gauche communiste.
Le BIPR affirme que le CCI a « perdu toute capacité/possibilité de contribuer positivement au procès de formation de l'indispensable parti communiste international » (« avendo cioè perso ogni capacità/possibilità di contribuire positivamente al processo di formazione dell'indispensabile partito comunista internazionale », Battaglia comunista d’octobre 2004, « Anche in Argentina qualcosa si muove »). Contrairement au BIPR (et aux différentes petites chapelles du courant bordiguiste), le CCI n’a jamais considéré qu’il était la seule organisation capable de contribuer positivement à la formation du futur parti révolutionnaire mondial, même si, évidemment, il estime que sa propre contribution à cette tâche sera la plus décisive. C’est pour cela que, depuis qu’il est réapparu en 1964 (donc bien avant la fondation du CCI proprement dite), notre courant a repris l’orientation qui était celle de la Gauche communiste de France et a toujours défendu la nécessité du débat fraternel et de la coopération (évidemment dans la clarté) entre les forces de la Gauche communiste. Avant même que Battaglia Comunista en fasse la proposition en 1976, nous avions déjà, à plusieurs reprises, mais en vain, proposé à cette organisation d’organiser des conférences internationales des groupes de la Gauche communiste. C’est pour cela que nous avons répondu avec enthousiasme à l’initiative de Battaglia et que nous nous sommes impliqués avec sérieux et détermination dans cet effort. C’est pour cela également que nous avons regretté et condamné la décision de Battaglia et de la CWO de mettre fin à cet effort à la fin de la 3e conférence en 1980.
Effectivement nous considérons que certaines des positions du BIPR sont confuses, erronées ou incohérentes et qu’elles peuvent créer ou entretenir des confusions au sein de la classe. C’est pour cela que nous publions régulièrement dans notre presse des polémiques critiquant ces positions. Cependant, nous pensons que le BIPR, par ses principes fondamentaux, est une organisation du prolétariat et qu’il apporte une contribution positive au sein de celui-ci face aux mystifications bourgeoises (notamment quand il défend l’internationalisme face à la guerre impérialiste). C’est pour cela que nous avons toujours considéré jusqu’à présent qu’il était de l’intérêt de la classe ouvrière de préserver une organisation comme le BIPR. Ce n’est pas votre analyse concernant notre propre organisation puisque après avoir affirmé dans votre réunion avec la FICCI de mars 2002 que « si nous sommes amenés à conclure que le CCI est devenu une organisation 'non valable', alors notre but sera de tout faire pour pousser à sa disparition » (Bulletin de la FICCI n° 9) vous avez maintenant entrepris effectivement de tout faire pour atteindre ce but.
Le fait que vous estimiez que le CCI constitue un obstacle à la prise de conscience de la classe ouvrière et qu’il est préférable pour le combat de celle-ci qu’il disparaisse ne nous pose pas en soi de problème. Après tout, c’est la position qu’ont toujours défendue les différentes chapelles du courant bordiguiste. De même, cela ne nous pose pas de problème que vous vous donniez les moyens de parvenir à cet objectif. La question est : quels moyens ? La bourgeoisie également est intéressée à la disparition du CCI, comme à la disparition des autres groupes de la Gauche communiste. C’est pour cela, notamment, qu’elle a déchaîné des campagnes répugnantes contre ce courant en l’assimilant au courant « révisionniste » complice de l’extrême droite. Pour la classe dominante TOUS les moyens sont bons, y compris et surtout, le mensonge et la calomnie. Mais tel n’est pas le cas pour une organisation qui prétend lutter pour la révolution prolétarienne. Au même titre que les autres organisations révolutionnaires du mouvement ouvrier qui l’ont précédée, la Gauche communiste ne se distingue pas seulement par des positions programmatiques, tel l’internationalisme. Dans son combat contre la dégénérescence de l’IC et contre la dérive opportuniste du trotskisme qui l’a conduit dans le camp bourgeois, la Gauche a toujours revendiqué une méthode basée sur la clarté, et donc la vérité, notamment contre toutes les falsifications dont le stalinisme s’est fait le pourvoyeur. Marx disait « la vérité est révolutionnaire ». En d’autres termes, le mensonge, et encore plus la calomnie, ne sont pas des armes du prolétariat mais de la classe ennemie. Et l’organisation qui en fait un de ses instruments de combat, quelle que soit la validité des positions inscrites dans son programme, prend le chemin de la trahison ou, en tout cas, devient un obstacle décisif à la prise de conscience de la classe ouvrière. Dans un tel cas, effectivement, et bien plus qu’au motif de la présence d’erreurs dans son programme, il est préférable, du point de vue des intérêts du prolétariat, qu’une telle organisation disparaisse.
Camarades,
Nous vous le disons franchement : si le BIPR persiste dans la politique du mensonge, de la calomnie et, pire encore du « laisser dire » et du silence complice devant les agissements des groupuscules dont c’est la marque de fabrique et la raison d’exister, tels le « Circulo » et la FICCI, alors il fera la preuve qu’il est devenu lui aussi un obstacle à la prise de conscience du prolétariat. Ce sera un obstacle non pas tant pour le discrédit qu’il pourra apporter à notre organisation (les derniers événements ont montré que nous étions capables de nous défendre, même si vous estimez que « le CCI est en voie de désagrégation »), mais par le discrédit et le déshonneur que ce type de comportements inflige à la mémoire de la Gauche communiste d’Italie, et donc à sa contribution irremplaçable. Dans ce cas, effectivement, il sera préférable que le BIPR disparaisse et « notre but sera de tout faire pour pousser à sa disparition » comme vous le dites si bien. Il est clair, évidemment, que pour atteindre ce but nous emploierons exclusivement des armes appartenant à la classe ouvrière en nous interdisant, cela va de soi, le mensonge et la calomnie.
Un dernier point :
La déclaration du 12 octobre du « Circulo », de même que l’article de la FICCI dans son Bulletin 28, évoque nos prétendues « tentatives de sabotage » lors de votre réunion publique du 2 octobre à Paris. Vous-mêmes n’êtes pas étrangers à ce type d’accusations puisque dans la première version de votre prise de position sur cette réunion publique parue uniquement en italien (et non en français – encore un mystère du BIPR !) vous évoquiez « le avanguardie rivoluzionarie anche laddove scarseggiano, ostacolate nel loro emergere dai miasmi prodotti da una organizzazione in via di disfacimento, come la Cci a Parigi. E' per questo che il Bipr continuerà il suo lavoro anche su Parigi, prendendo tutte le misure necessarie a prevenire ed evitare sabotaggi, da qualunque parte essi vengano. »(les avant-gardes révolutionnaires même si elle sont réduites, et entravées dans leur émergence par les miasmes produits par une organisation en voie de désagrégation, comme le CCI à Paris. C’est pour cela que le BIPR poursuivra son travail même sur Paris, en prenant toutes les mesures nécessaires pour prévenir et éviter des sabotages, d’où qu’ils viennent. »). Par la suite, vous avez retiré la fin de ce passage (preuve que vous n’étiez pas très sûrs de vous), et notamment la référence à nos « sabotages ». Cela dit, un certain nombre de visiteurs de votre site et les contacts abonnés à vos communiqués par Email ont pu prendre connaissance de ces accusations. De même, la FICCI et le « Circulo » continuent de les afficher sur leur propre site sans que vous les démentiez.
Camarades, si vous estimez que nous avons essayé de saboter votre réunion publique à Paris, alors dites-le franchement, en expliquant pourquoi. Nous pourrons alors en discuter avec des arguments au lieu d’être confrontés à une rumeur sournoise.
Une toute dernière chose. La présente lettre est centrée autour d’une seule question : la publication sur votre site Internet d’une « Déclaration » infâme calomniant le CCI. Cela dit, l’usage (de façon active ou passive) du mensonge et de la calomnie comme moyen de « combat » contre le CCI ne s’arrête pas là. Nous vous rappelons que nous vous avons écrit deux lettres dans lesquelles nous vous demandons entre autres une prise de position sur une question de la plus haute importance (à moins que les mots n’aient pas de sens) : « Pensez-vous, comme n'a cessé de le répéter la FICCI, que le CCI serait sous la coupe d'agents de l'État capitaliste (appartenant à sa police ou à une secte franc-maçonne) ? »
Nous vous rappelons également qu’à ce jour, même si vous justifiez le vol par la FICCI de notre fichier des abonnés, vous n’avez pas fourni d’explication au fait que ces derniers ont reçu par la poste une invitation à votre réunion publique, même lorsqu’ils ne vous avaient pas communiqué leur adresse. La seule « explication » que nous ayons eue est celle d’un membre du présidium de votre réunion publique du 2 octobre à Paris qui a dit : « nous n’étions pas au courant de l’envoi de ces invitations et nous ne sommes pas d’accord ».
Si vous n’avez pas envie de fournir ces explications au CCI, nous vous demandons d’avoir au moins la correction de les fournir à nos abonnés, lesquels ne sont pas nécessairement des sympathisants du CCI.
Voici donc un ensemble de questions qui pour nous ne sont pas closes. Et nous les remettrons sur le tapis chaque fois que nécessaire si vous décidez d’appliquer votre politique traditionnelle du silence face à nos courriers.
Recevez, camarades, nos salutations communistes.
Le CCI
[1] Lire notre article "La vérité est révolutionnaire - Pour une histoire véridique de la Gauche communiste (Correspondance avec la TCI) [41]".
[2] C’est une question qui ne se pose pas seulement à propos de la date du retrait de la « Déclaration » du 12 octobre mais également à propos de son insertion dans le site du BIPR. En effet, cette déclaration n’est jamais parue en italien alors que dans cette langue ont été publiés deux autres textes du Circulo « Presa di posizione del Circolo di Comunisti Internazionalisti sui fatti di Caleta Olivia » (« Prise de position du Cercle des Communistes Internationalistes sur les faits de Caleta Olivia ») et « Prospettive della classe operaia in Argentina e nei paesi periferici » (« Perspective du prolétariat Argentin et dans les nations périphériques ») lesquels, paradoxalement, n’ont pas été publiés dans d’autres langues par le BIPR. Comprenne qui pourra. Nous espérons au moins que les militants du BIPR connaissent les raisons de ces choix surprenants.
Nous publions ci-dessous le courrier d’un camarade à propos de notre traitement du mouvement des “gilets jaunes”, suivi de notre réponse. Dans l’esprit de débat fraternel qui a toujours animé le CCI, nous invitons nos lecteurs à suivre l’exemple du camarade et à nous envoyer questions ou divergences. Nous ne pouvons naturellement publier l’ensemble des courriers, mais nous nous efforçons de répondre aux principales préoccupations et aux questions centrales pour le développement de la conscience de classe.
“La lecture du journal est toujours intéressante et enrichissante mais ce courrier est destiné à donner mon sentiment sur un article particulier de ce numéro : “Hordes trumpiste et gilets jaunes, un amalgame pour criminaliser toute révolte contre la misère”.(1)
En effet, je trouve que le ton général de cet article resitue bien le mouvement des gilets jaunes dans le contexte de son apparition : “un mouvement de révolte contre la misère et la pauvreté” comme il est dit dans le dernier paragraphe de l’article.
Dans les articles du journal parus “à chaud” pendant le mouvement, fin 2018 à mi-2020, le ton était beaucoup plus agressif vis-à-vis des participants. Comme il est rappelé dans le n° 486, c’était “les secteurs les plus pauvres du prolétariat (les zones rurales et péri-urbaines”. En plus de cette localisation géographique, on peut ajouter la surreprésentation des retraités, des femmes élevant seules leurs enfants, des chômeurs, des précaires. J’ai eu l’impression à cette époque qu’il n’y avait aucune empathie de la part des camarades qui écrivent les articles pour ces secteurs peut-être faibles du prolétariat, mais en en faisant partie quand même. J’ai ressenti à ce moment un ton du journal dénué de compassion, sur un ton professoral, condescendant, donneur de leçons. Ce ton m’avait gêné à l’époque même si je ne vous en avais pas fait part
Dans l’article du n° 486, les faiblesses de ce mouvement sont redites, mais pas de la même façon. Il est réaffirmé deux fois qu’il y avait une composante ouvrière dans les gilets jaunes qui est sortie du piège de l’interclassisme en “faisant valoir ses propres revendications”.
J’espère que l’article du n° 486 marque une évolution dans l’évaluation du mouvement des gilets jaunes qui me convient beaucoup mieux. Les articles précédents me laissant un goût amer. En étant excessif, je dirais qu’ils me rappelaient la réflexion du personnage d’artiste joué par Jean Gabin dans le film La traversée de Paris : “salauds de pauvres !”.
Amitiés.
D.”
Tout d’abord, nous voulons saluer le courrier que nous adresse le camarade. En effet, il est toujours très important d’exprimer ses doutes et désaccords afin d’avancer dans la clarification des questions politiques qui sont posées à la classe ouvrière. Nous saluons d’ailleurs la confiance du camarade envers le CCI pour l’expression de ses questionnements et de ses critiques face à une situation complexe qui touche aux difficultés actuelles de la classe ouvrière.
Dans ce courrier, deux questions sont posées à notre avis :
– Le CCI aurait modifié sa position concernant le mouvement des “gilets jaunes” ou, tout du moins, aurait modifié son analyse concernant la participation d’ouvriers dans ce mouvement.
– Le CCI aurait fait preuve, précédemment, d’un certain “mépris” à l’égard des prolétaires ayant participé au mouvement.
Sur la première question, la position du CCI a toujours été la même dans le fond comme dans la forme : le mouvement des “gilets jaunes” était un mouvement interclassiste et non prolétarien, même s’il a entraîné dans son sillage un certain nombre d’ouvriers excédés par les augmentations de taxes sur les carburants, réagissant à toute la pression étatique et se sentant “délaissés” par un pouvoir, pour le coup, méprisant.
Sur le fond, ce mouvement a largement été initié par des petits patrons, auto-entrepreneurs et petits-bourgeois réclamant plus de considération de la part de l’État, réclamant une plus grande justice fiscale favorable à leur petite entreprise, une meilleure gestion du système économique capitaliste, un fonctionnement plus démocratique de l’État, avec des revendications économiques et politiques, relevant pour beaucoup d’une vision nationaliste petite-bourgeoise, souvent chauvine et même xénophobe par moments ! Cela au point que même la droite et l’extrême-droite on pu exprimer sans sourciller leur soutien au mouvement.
Un certain nombre d’ouvriers particulièrement issus des zones péri-urbaines, provinciales, excédés certes, mais très peu politisés et sans véritables expériences de luttes collectives et massives sur un terrain prolétarien, se sont effectivement agrégés à ce mouvement en y ajoutant des revendications salariales noyées dans toutes les autres revendications et, à aucun moment, reprises sérieusement à leur compte par l’ensemble du mouvement. Rapidement, ces revendications sont d’ailleurs entrées en contradictions avec les intérêts des petits patrons qui ne voulaient surtout pas entendre parler d’augmentation du salaire minimum.
La présence d’ouvriers n’a donc jamais donné un caractère prolétarien au mouvement des “gilets jaunes”, n’a jamais “transformé” de manière prolétarienne ni le terrain de lutte ni les moyens de lutte qui sont restés typiquement petit-bourgeois, l’expression même de l’impuissance de la petite bourgeoisie à avoir une perspective historique et une vision collective et associée de sa lutte…
Sur ce plan, notre position n’a jamais changé. Jamais nous n’avons laissé entendre que la présence de prolétaires était porteuse de “potentialités” de transformation du mouvement lui-même. Ce mouvement était, au contraire, comme nous l’avons toujours mis en avant dans notre intervention, une impasse pour tous les ouvriers qui s’y sont impliqués. À aucun moment, il ne pouvait y avoir l’espoir d’une transformation du mouvement en quelque chose de plus “prometteur”, la transformation d’une révolte, d’une “confusion”, en un mouvement plus conscient et plus clair.
Nous en venons ainsi à la deuxième question : est-ce à dire que le CCI aurait été méprisant ou manquait d’empathie à l’égard des ouvriers illusionnés par la combativité spectaculaire du mouvement des “gilets jaunes”, galvanisés par la confrontation souvent violente à l’État, mais totalement impuissants à faire valoir une véritable perspective prolétarienne ? Le camarade D. semble exprimer une idée sous-jacente : nous aurions “enfin” entendu en quoi le mouvement des “gilets jaunes” était “un mouvement de révolte contre la misère et la pauvreté”. Pourtant, dès novembre 2018, nous écrivions que “malgré la colère légitime des “gilets jaunes”, parmi lesquels de nombreux prolétaires qui n’arrivent pas à “joindre les deux bouts”, ce mouvement n’est pas un mouvement de la classe ouvrière”.
Nous avons clairement fait le constat de la profondeur des attaques qui touchent les prolétaires en “gilet jaune”, nous l’avons comprise. À aucun moment, nous n’avons pris de haut et méprisé les ouvriers ayant participé à ce mouvement. Au contraire, c’est avec une profonde confiance dans le rôle historique de la classe ouvrière, la conscience de ce qui est de sa responsabilité pour l’avenir de l’humanité, que nous avons largement insisté sur les dangers que représente un tel mouvement interclassiste (et ceux à venir !) pour l’autonomie de la classe ouvrière. Depuis novembre 2018, nous avons défendu qu’un tel “mouvement interclassiste où les revendications ouvrières se sont mêlées à celle de la petite bourgeoisie ne pouvait conduire qu’à diluer les secteurs les plus fragiles et marginalisés du prolétariat dans “le peuple”, sans aucune distinction de classe. C’est pour cela que le mouvement des “gilets jaunes” a été immanquablement marqué par l’idéologie et les méthodes de la petite bourgeoisie victime de déclassement, de la paupérisation liée aux ravages de la crise économique et portée par le sentiment de frustration et de revanche sociale” (mars 2021). “Malgré la colère légitime de nombreux prolétaires”, le mouvement des “gilets jaunes” n’avait aucune perspective et ne pouvait pas faire réellement reculer les attaques du gouvernement et du patronat.
La solidarité et surtout la responsabilité des révolutionnaires envers la classe ouvrière s’expriment inlassablement dans la mise en lumière des pièges qui jalonnent tout son combat et qui, hélas, vont le jalonner encore longtemps. Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” n’est, en effet, pas un évènement ponctuel ou exceptionnel. Avec l’approfondissement de la crise et la plongée dans la décomposition généralisée de l’ensemble de la société, de nombreuses couches sociales, non exploiteuses certes mais non révolutionnaires, vont être amenées à réagir, à se révolter, sans avoir la capacité à offrir une perspective politique à la société. Sur le terrain de ces révoltes multiformes, radicales peut-être mais stériles, le prolétariat ne peut être que perdant. Seule, la défense de son autonomie de classe exploitée et révolutionnaire est porteuse d’une véritable confrontation à la classe dominante et à son État, peut lui permettre d’élargir toujours plus sa lutte et d’agréger, à terme, d’autres couches à son propre combat contre le capitalisme. Cette intransigeance dans la défense de cette autonomie n’est en aucun cas un “mépris” ou une vision “élitiste” du combat de notre classe : elle est la seule capable de contribuer à une véritable maturation de la conscience ouvrière, la seule capable de contribuer à construire un rapport de forces pour l’éclosion de la révolution prolétarienne.
SJ, 4 avril 2021
1“Hordes trumpistes et “gilets jaunes”: Un amalgame pour criminaliser toute révolte contre la misère ! [44]” Révolution internationale n° 486 (janvier février 2021). NdR
– Pour le 65e anniversaire de la Commune de Paris, Bilan n°29 (mars-avril 1936) [47]
– La Semaine sanglante de mai 1871: La sauvagerie de la répression bourgeoise [48]
– Bas les pattes sur la Commune ! [49]
– Le marxisme, défenseur de la Commune [50]
– 1871 : la première révolution prolétarienne [30] (8e partie de la série : Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessite matérielle)
Permanence en ligne, le samedi 15 mai 2021 de 14 h à 18 h.
Lors de la dernière réunion publique du CCI, un certain nombre de participants ont souhaité que soit discuté la question : “qu’est-ce que la classe ouvrière ?”, nous proposons que cette question soit abordée lors de cette permanence.
Conseils de lecture :
Ce n’est pas la première fois que le Hamas ou d’autres groupes djihadistes font pleuvoir les roquettes sur les civils des villes israéliennes, tuant sans discrimination. Parmi les premières victimes figuraient un père arabe et sa fille, habitants de la ville israélienne de Lod, pulvérisés dans leur voiture. Ce n’est pas non plus la première fois que les forces armées israéliennes ont répondu par des raids aériens et des tirs d’artillerie dévastateurs, ciblant les dirigeants et les stocks d’armes du Hamas, mais semant aussi la mort parmi les civils des immeubles et des rues bondées de Gaza, avec un nombre de victimes des dizaines de fois supérieur aux “dommages” des roquettes du Hamas. Ce n’est pas non plus la première fois qu’Israël est sur le point d’envahir militairement la bande de Gaza, ce qui ne manquera pas d’entraîner de nouveaux décès, des sans-abri et des traumatismes pour les familles palestiniennes. Nous avons déjà vu les mêmes scènes en 2009 et en 2014.
Mais c’est la première fois qu’un effort militaire aussi important s’accompagne dans plusieurs villes israéliennes d’une vague d’affrontements violents entre Juifs et Arabes israéliens. Il s’agit essentiellement de pogroms : des bandes d’extrême droite brandissant l’étoile de David et criant “Mort aux Arabes”, faisant la chasse aux Arabes pour les tabasser et les assassiner. Dans le même temps, les attaques se sont multipliées contre des Juifs et des synagogues incendiées par des foules “inspirées” par l’islamisme et le nationalisme palestinien. Tout cela évoque les souvenirs sinistres des Cent-Noirs de la Russie tsariste ou de la Nuit de cristal dans l’Allemagne de 1938 !
Le gouvernement israélien de Netanyahou a, dans une large mesure, semé les graines de cette dynamique néfaste : par le biais de nouvelles lois renforçant la définition d’Israël en tant qu’État juif, et par la politique d’annexion de l’ensemble de Jérusalem comme capitale. Cette dernière est une claire déclaration selon laquelle la “solution à deux États” est morte et enterrée, et que l’occupation militaire de la Cisjordanie est désormais une réalité permanente. L’étincelle immédiate des émeutes d’Arabes palestiniens à Jérusalem (la menace d’expulser les résidents arabes de Jérusalem-Est et de les remplacer par des colons juifs) découle de cette stratégie d’occupation militaire et de nettoyage ethnique.
Les “démocraties” d’Europe et des États-Unis déversent leurs habituelles larmes de crocodile devant l’escalade du conflit militaire et du désordre civil (même Netanyahou a appelé à la fin de la violence de rues entre Juifs et des Arabes). Mais les États-Unis sous la présidence de Trump avaient déjà approuvé les politiques ouvertement annexionnistes d’Israël qui font partie d’un projet impérialiste plus large visant à rassembler Israël, l’Arabie saoudite et d’autres États arabes dans une alliance contre l’Iran (ainsi que contre de grandes puissances comme la Russie et la Chine). Si Biden a, par exemple, pris une certaine distance par rapport au soutien sans critique de Trump au régime saoudien, sa première préoccupation dans la crise actuelle a été d’insister sur le fait qu’ “Israël a le droit de se défendre”, car l’État sioniste, malgré toutes ses aspirations à jouer son propre jeu au Moyen-Orient, reste un élément clé de la stratégie américaine dans la région.
Mais l’État israélien n’est pas le seul à agir de façon provocatrice. Le Hamas a répondu à la répression des émeutes de Jérusalem en lançant une salve ininterrompue de roquettes contre les civils en Israël, sachant pertinemment que cela amènerait un torrent de fer et de feu sur la population non protégée de Gaza. Il a également fait tout son possible pour encourager les violences ethniques en Israël. C’est une caractéristique de la guerre, à l’époque de la décadence du capitalisme, que les premières victimes sont les populations civiles, surtout la classe ouvrière et les opprimés. Tant Israël que le Hamas agissent dans la logique barbare de la guerre impérialiste. Face à la guerre impérialiste, les révolutionnaires ont toujours appelé à la solidarité internationale des exploités contre tous les États et proto-États capitalistes. La solidarité est le seul rempart possible face à l’enfoncement de la société dans la guerre et la barbarie.
Mais les classes dirigeantes du Moyen-Orient ont, avec leurs plus puissants soutiens impérialistes, longtemps attisé les flammes de la division et de la haine. Il y a eu des pogroms contre des colons juifs en Palestine en 1936, attisés par une direction politique palestinienne qui cherchait à s’allier avec l’Allemagne nazie contre la puissance dominante de la région, la Grande-Bretagne. Mais ces événements ont été éclipsés par le nettoyage ethnique massif de la population arabe qui a accompagné la “guerre d’indépendance” de 1948, créant l’insoluble problème des réfugiés palestiniens qui a été systématiquement instrumentalisé par les régimes arabes. Une succession de guerres entre Israël et les États arabes environnants, les incursions israéliennes contre le Hamas et le Hezbollah, la transformation de Gaza en une vaste prison… Tout cela a approfondi la haine entre Arabes et Juifs au point de n’apparaître que comme du “bon sens” des deux côtés du fossé. Dans ce contexte, les exemples de solidarité entre les travailleurs arabes et juifs en lutte sont extrêmement rares, tandis que les expressions politiques organisées de l’internationalisme y ont été quasiment inexistantes.
Les actions provocatrices de l’État israélien sont également le produit d’autres éléments contingents. Netanyahou, le Premier ministre par intérim, n’a pas été en mesure de former un gouvernement après une série d’élections générales peu concluantes, et fait toujours face à un certain nombre d’accusations de corruption. Il pourrait certainement tirer profit de son rôle d’homme fort dans cette nouvelle crise nationale. Mais des tendances plus profondes sont à l’œuvre et pourraient échapper au contrôle de ceux qui tentent de tirer profit de la situation actuelle.
Les grandes guerres israélo-arabes des années 1960 et 1970 ont été menées dans le contexte de la domination de la planète par deux blocs impérialistes : Israël soutenu par les États-Unis, les États arabes soutenus par l’URSS. Mais depuis l’éclatement du système des blocs à la fin des années 1980, la tendance innée à la guerre impérialiste dans le capitalisme décadent a pris une forme beaucoup plus chaotique et potentiellement incontrôlée. Le Moyen-Orient, en particulier, est devenu le terrain de jeu d’un certain nombre de puissances régionales dont les intérêts ne coïncident pas nécessairement avec les projets des grandes puissances mondiales : Israël, la Turquie, l’Iran, l’Arabie saoudite… Ces puissances sont déjà fortement impliquées dans les conflits sanglants qui ravagent la région : l’Iran utilise son pion, le Hezbollah, dans le conflit multiforme en Syrie, et l’Arabie saoudite est profondément impliquée dans la guerre au Yémen contre les alliés houthis de l’Iran. La Turquie a étendu sa guerre contre les peshmergas kurdes à la Syrie et à l’Irak (tout en maintenant une intervention militaire dans une Libye déchirée par la guerre). En plus de réduire des pays entiers à la ruine et à la famine, ces guerres comportent un risque réel de devenir incontrôlables et de propager la destruction à travers tout le Moyen-Orient.
Ce chaos croissant au niveau militaire est une expression de la décomposition globale du système capitaliste. Ainsi, un autre élément, étroitement lié, se joue au niveau social et politique, à travers l’intensification des affrontements entre factions politiques bourgeoises, des tensions entre groupes ethniques et religieux, des pogroms contre les minorités. Il s’agit d’une tendance mondiale, caractérisée, par exemple, par le génocide au Rwanda en 1994, la persécution des musulmans au Myanmar et en Chine, l’accentuation du clivage racial aux États-Unis. Comme nous l’avons vu, les divisions ethniques en Israël et en Palestine ont une longue histoire, mais elles sont aggravées par l’atmosphère de désespoir et d’impuissance générée par le “problème palestinien” apparemment insoluble. Et si les pogroms sont souvent déclenchés en tant qu’instruments de la politique de l’État, dans les conditions actuelles, ils peuvent s’intensifier au-delà des objectifs des organismes d’État et accélérer un glissement général vers l’effondrement social. Le fait que cela commence à se produire dans un État hautement militarisé comme Israël est un signe que les tentatives du capitalisme d’État totalitaire de freiner le processus de désintégration sociale peuvent finir par l’aggraver encore plus.
Les guerres et les pogroms sont l’avenir que le capitalisme nous réserve partout si la classe ouvrière internationale ne retrouve pas ses propres intérêts et sa propre perspective : la révolution communiste. Si les prolétaires du Moyen-Orient sont, pour l’instant, trop dépassés par les massacres et les divisions ethniques, il appartient aux fractions centrales du prolétariat mondial de reprendre le chemin de la lutte, seul chemin qui mène hors du cauchemar de cet ordre social putréfié.
Amos, 14 mai 2021
Nous publions ci-dessous un article de la Gauche communiste, du groupe Bilan, célébrant les 65 ans de la Commune de Paris. L’intérêt de cet article, en pleine période de contre-révolution et de marche vers la Seconde Guerre mondiale, est de mettre en évidence la continuité historique entre la Commune de 1871 et la révolution d’Octobre 1917. L’article illustre à la fois le caractère prolétarien de ces deux expériences révolutionnaires, leur portée internationale et la tragédie de leur défaite. Il met surtout en exergue, face aux faux amis et à la politique chauvine des “fronts populaires”, que le prolétariat doit apprendre de ses expériences en sachant, comme le soulignait déjà en son temps Rosa Luxemburg, que c’est de “défaites en défaites” que progresse la lutte du prolétariat pour affirmer et développer sa conscience révolutionnaire.
Entre le Paris de la glorieuse Commune de 1871 et le Paris du Front Populaire existe un abîme qu’aucune phraséologie ne peut dissimuler. L’un s’est annexé les travailleurs du monde entier, l’autre a vu traîner dans la boue de la trahison le prolétariat français. Nous voulons, pour reprendre les profondes expressions de Marx, que “le Paris des ouvriers en 1871, le Paris de la Commune” soit “célébré comme l’avant-coureur d’une société nouvelle” et non comme un simple épisode “national”, un moment de défense de la patrie, de la lutte contre le “Prussien” ainsi que voudront inévitablement le présenter les valets du Front populaire.
Certes, les circonstances historiques dans lesquelles elle surgit pourraient permettre pareilles spéculations. Marx lui-même n’avait-il pas écrit : “Tenter de renverser le nouveau gouvernement en la présente crise, lorsque l’ennemi est presque aux portes de Paris, serait un acte de pure folie. Les ouvriers doivent remplir leur devoir civique”. Mais lorsqu’en mars 1871 apparut la Commune, c’est Marx le premier qui en dégagea le profond caractère internationaliste en écrivant : “Si la Commune représentait vraiment tous les éléments sains de la société française, si elle était par conséquent le véritable gouvernement national, elle était en même temps un gouvernement ouvrier et, à ce titre, en sa qualité d’audacieux champion du travail et de son émancipation, elle avait un caractère bien marqué d’internationalisme”.
La grandeur de la Commune réside dans le fait qu’elle sut surmonter les préjugés de l’époque, inévitables dans la phase de la formation des États capitalistes, pour s’affirmer, non comme le représentant de la “Nation” ou celui de la République démocratique (“on croit, dit Engels dans sa préface à la “Commune” de Marx, avoir déjà fait un progrès tout à fait hardi si l’on s’est affranchi de la croyance en la monarchie héréditaire pour jurer en la République démocratique. Mais, en réalité, l’État n’est pas autre chose qu’une machine d’oppression d’une classe par une autre, et cela tout autant dans une république démocratique que dans une monarchie”), mais celui du prolétariat mondial. Marx écrit d’ailleurs très justement : “le secret de la Commune le voici : elle était, par-dessus tout, un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte entre la classe qui produit et la classe qui s’approprie le produit de celle-ci ; la forme politique, enfin trouvée, sous laquelle il était possible de réaliser l’émancipation du travail”.
C’est cette signification historique, dégagée génialement par Marx au feu des événements mêmes, qui est restée de l’insurrection des travailleurs parisiens et qui lui donna l’importance colossale qu’elle eut pour le développement du mouvement ouvrier. Il s’agissait de l’apparition de “la forme politique, enfin trouvée, sous laquelle il était possible de réaliser l’émancipation du travail”. Quoi d’étonnant si, jusqu’en 1914, le mouvement international vécu sur le souvenir héroïque de la Commune, s’y nourrit, mais dut aussi, avec le triomphe de l’opportunisme, en estomper la signification réelle.
La bourgeoisie française aidée par Bismarck devait écraser par le fer et par le feu la Commune, laquelle dans les conditions de développement économiques et sociales de l’époque, ne pouvait avoir de perspectives. Ce n’est qu’après de longues années que la bourgeoisie, aidée par l’opportunisme réussit à brouiller parmi les travailleurs la portée immense de cet événement. Mais là où la violence échoua, devait réussir la corruption. En 1917, il apparut que seuls les bolcheviks russes avaient appris à l’école de la Commune, qu’eux seuls en avaient maintenu la signification et au travers de sa critique s’étaient habilités aux problèmes insurrectionnels. Sans la Commune, la révolution d’octobre 1917 n’aurait pas été possible. Ici, il s’agissait d’un de ces moments historiques où “la lutte désespérée des masses, même pour une cause perdue, est nécessaire à l’éducation ultérieure de ces masses et à leur préparation aux luttes futures” (Lénine), d’un premier fruit
d’une expérience sanglante, d’un pas concrètement posé vers la révolution mondiale. La Commune fut grande et le restera parce que les ouvriers parisiens se laissèrent ensevelir sous ses décombres plutôt que de capituler. Aucune menace de Thiers, aucune violence ne vient à bout de leur héroïsme. Il fallut les massacres de Mai 1871, ceux du Père-Lachaise pour rétablir l’ordre et le triomphe de la bourgeoisie. Et même les opportunistes de la IIe Internationale qui écartèrent délibérément les enseignements de la Commune, durent s’incliner devant son héroïsme. Avant la guerre, les partis socialistes durent glorifier la Commune pour mieux en écarter les leçons historiques. Mais cette attitude comportait une contradiction fondamentale en ce qu’elle faisait des insurgés parisiens un foyer permanent de la lutte révolutionnaire internationale où d’authentiques marxistes vinrent apprendre.
La Commune russe de 1917 n’aura pas connu ce sort glorieux. Sa transformation en un foyer de contre-révolution, sa désagrégation sous l’action de la corruption du capitalisme mondial en a fait un élément de répulsion d’où l’on retire avec peine des enseignements. Soviet pour l’ouvrier ne signifie plus un pas en avant par rapport à la Commune, mais un pas en arrière. Au lieu de périr sous ses propres décombres, face à la bourgeoisie, le Soviet a écrasé le prolétariat. Son drapeau est aujourd’hui celui de la guerre impérialiste. Mais autant et dans la même mesure où il n’y aurait pas eu d’Octobre 1917 sans la Commune de 1871, il n’y aurait pas de possibilité de révolution triomphante sans la fin lamentablement tragique de la révolution russe.
Qu’importe après tout si la Commune sert aux battages chauvins du Front populaire, si la Russie est devenue un instrument puissant pour la préparation de la guerre impérialiste : c’est le destin des grands événements de l’Histoire d’être asservis aux intérêts de la conservation capitaliste, dès qu’ils ont cessé d’être une menace pour sa domination. La seule chose que personne au monde ne peut effacer de la Commune, c’est son caractère de pionnier de la libération des travailleurs. La seule chose qui reste des Soviets russes, c’est l’expérience gigantesque de la gestion d’un État prolétarien (1) au nom et pour le compte du prolétariat mondial.
Là résident les fondements de ces événements que le renouveau des batailles révolutionnaires doit faire ressurgir sur l’arène politique. Les formes historiques importent peu : Commune ou Soviet (plutôt Commune que Soviet), le prolétariat mondial ne pourra répéter les erreurs historiques de l’une ou de l’autre, car, comme le dit si bien Marx, il n’a pas à “réaliser un idéal, mais à dégager les éléments de la nouvelle société que la vieille société bourgeoise elle-même porte en ses flancs”. Nous n’avons pas à opposer un idéal utopique et abstrait à ces deux expériences historiques, à nous égarer dans un enthousiasme vide ou une répulsion sentimentale, mais à dégager de la phase historique où a sombré la révolution russe “les éléments de la nouvelle société”, ainsi que le fit Lénine au sujet de la Commune. Comme le prouve lumineusement la Commune hongroise de 1919, en dehors de ce travail, l’on assiste inévitablement à la répétition d’erreurs, d’échecs, qui, parce qu’existe une expérience antérieure, compromettent pour de longues années la lutte du prolétariat.
Les ouvriers ne peuvent pas “répéter” au cours de leur lutte émancipatrice, mais doivent innover, précisément parce qu’ils représentent la classe révolutionnaire de la société actuelle. Les inévitables défaites qui surviennent dans ce chemin ne sont alors que des stimulants, de précieuses expériences qui déterminent, par la suite, l’essor victorieux de la lutte. Par contre, si nous répétions demain une seule des erreurs de la révolution russe, nous compromettrions pour longtemps le destin du prolétariat qui se pénétrerait de la conviction qu’il n’a plus rien à tenter.
Laissons donc, pendant que le prolétariat est battu dans tous les pays, les traîtres falsifier la portée de la Commune. Laissons la Russie suivre son cours. Mais veillons à préserver les enseignements de ces deux expériences, à préparer les armes nouvelles pour la révolution de demain, à résoudre ce devant quoi la révolution russe a échoué, car si “le grand acte socialiste de la Commune, ce fut son existence même et son propre fonctionnement” (Marx), le mérite de la révolution russe fut d’avoir abordé les problèmes de la gestion d’une économie prolétarienne en liaison avec le mouvement ouvrier de tous les pays et sur le front de la révolution mondiale. Le “grand acte” de la Commune s’est terminé dans des massacres, la gestion de l’État russe a fini avec “le socialisme dans un seul pays”. Nous savons aujourd’hui qu’il vaut mieux que les prochaines révolutions finissent comme la Commune parisienne plutôt que dans la honte de la trahison. Mais nous travaillons, non avec une perspective de défaite, mais avec la volonté de préparer les conditions de la victoire.
Deux Communes ont vécu. Vive les Communes du prolétariat mondial.
Bilan n° 29 (mars-avril 1936)
1 Cette notion “d’État prolétarien” témoigne du fait que toutes les leçons de l’échec de la Révolution russe et de la dégénérescence de la IIIe internationale n’avaient pu être tirés à l’époque. Aujourd’hui encore, certains groupes du milieu politique prolétarien conservent une telle confusion sur la nature de l’État. En réalité, il ne peut y avoir d’État prolétarien dans la mesure où cet appareil, qui s’impose comme expression de la société divisée en classes, s’oppose radicalement à la nécessaire autonomie du prolétariat et à son projet qui est justement de le faire dépérir jusqu’à la disparition complète des classes elles-mêmes. (Note de la rédaction)
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La prochaine permanence du CCI se tiendra le samedi 12 juin de 14h à 18h. Outre les questions que chaque participant pourra bien sûr aborder, nous proposons de discuter des deux thèmes suivants :
1- poursuite du débat commencé à la dernière permanence sur la question de l’uberisation du travail autour de la question : qu’est-ce que la classe ouvrière en lien avec la question du travail associé ;
2- le récent conflit israélo palestinien : thème que nous n’avons pas eu le temps d’aborder lors de notre dernière permanence. Nous souhaiterions que soit discutée la position du CCI face aux manifestations en soutien au “peuple palestinien”, et nos divergences avec les autres groupes de la Gauche communiste, notamment le PCI qui publie le journal Le Prolétaire.
Les lecteurs qui souhaitent participer à cette permanance peuvent nous écrire à l'adresse suivante : [email protected] [57] ou dans la rubrique "contact [58]".
Sur la question du conflit israélo palestinien voir :
- Notre article : “Conflit israélo-palestinien: les guerres et les pogroms sont l’avenir que nous réserve le capitalisme” [59]
- L’article de la Tendance communiste internationaliste : “Ni Israël, ni la Palestine : Pas de guerre mais guerre de classe [60]”
- Le tract du PCI-Le Prolétaire en pdf ci-dessus.
Quatorze personnes sont mortes à Stresa en Italie, dimanche 23 mai, après la chute de leur cabine de téléphérique. Comme d’habitude après de telles catastrophes, les larmes de crocodiles ont coulé à flot et l’État, responsables politiques en tête, s’est offusqué qu’un tel drame puisse exister. Puis les boucs émissaires ont rapidement été désignés : “Il y avait un dysfonctionnement sur le téléphérique, l’équipe de manutention n’a pas résolu le problème, ou seulement en partie. Pour éviter l’interruption de la liaison, ils ont choisi de laisser en place la fourchette qui empêche l’entrée en fonction du frein d’urgence”, a expliqué sur Radiotre un responsable des carabiniers. Selon la procureure chargée de l’enquête, Olimpia Bossi, citée par plusieurs médias italiens, ces trois responsables savaient que la cabine du téléphérique circulait sans frein d’urgence depuis le 26 avril, jour de la réouverture de l’installation. L’analyse des débris trouvés sur place, a ainsi permis de démontrer que “le système de freinage d’urgence de la cabine tombée dans le vide avait été trafiqué”. Selon les enquêteurs, il s’agit d’un acte “matériel fait de manière consciente”, pour “éviter des interruptions et l’arrêt du téléphérique”, alors que “l’installation présentait des anomalies qui auraient requis une intervention plus radicale avec un arrêt conséquent” de l’installation.
Pourquoi cette “intervention plus radicale” n’a-t-elle pas été effectuée ? Bien évidemment, les trois propriétaires ont une lourde part de responsabilité. Il n’y a aucun doute sur leur faute ignoble. Mais comment des professionnels de la sécurité peuvent-ils être amenés à désactiver un système de freinage sur une telle infrastructure ? Tout simplement pour la faire fonctionner à plein régime durant la période estivale avec une unique préoccupation : assurer le maximum de rentabilité ! Après pratiquement deux saisons à l’arrêt en raison des restrictions sanitaires dues au Covid-19, cette station de ski alpin était en grande difficulté financière (perte de plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires) et s’est empressée de rouvrir ses infrastructures au mépris des règles élémentaires de sécurité…
Ce téléphérique est un atout de poids dans cette région. Sa fermeture était très mal vécue par les autorités locales et la société d’exploitation qui ont poussé à la roue pour le faire fonctionner “coûte que coûte” en ignorant volontairement les principes de base de sécurité. Si les trois “coupables” désignés ont agi de la sorte, c’est fortement incités par les contingences économiques, en l’occurrence de l’industrie touristique.
Maintenant, les exploiteurs, particulièrement la bourgeoisie italienne, ont le beau rôle en se déchargeant de toute responsabilité dans cette tragédie. Ils ont trois “coupables” sur mesure à donner en pâture aux médias et à la justice. Mais au-delà des apparences, le vrai coupable, c’est le capitalisme qui, dans sa logique de rentabilité pour générer toujours plus de profit, n’hésite pas à bafouer toutes les règles basiques de sécurité ou à contraindre ses exécutants à les enfreindre. Cette tragédie de téléphérique n’est malheureusement pas la première : plusieurs “accidents” meurtriers de téléphériques, télécabines et funiculaires ont eu lieu depuis cinquante ans en Europe. Ce sont les mêmes responsables, gestionnaires, financeurs, instances locales et nationales qui, lorsque les tragédies “prévisibles” se produisent, viennent se répandre en condoléances et versent des larmes de crocodile devant les médias en feignant la surprise et l’incompréhension !
Adjish, le 29 mai 2021
Nous publions ci-dessous deux courriers de sympathisants du CCI visant à prolonger la réflexion ayant surgi dans notre dernière permanence du 15 mai 2020 sur le sujet de la nature et la composition de la classe ouvrière. Au cours de cette discussion, des participants se sont interrogés sur le rôle de l’ubérisation du travail sur la composition de la classe ouvrière. Autrement dit, les “travailleurs ubérisés” appartiennent-ils à la classe ouvrière ? Nous saluons l'effort de réflexion des camarades et leur souci de vouloir confronter leurs arguments. Les courriers des camarades forment donc deux contributions à ce débat qui se poursuivra lors de la prochaine permanence du CCI qui se déroulera le samedi 12 juin à partir de 14 H. A l’issue de la permanence, le CCI s’engage à développer sa position sur ce sujet à travers un article qui sera publié dans notre presse.
D’une manière générale, les conditions de production de la richesse n’ont pas changé depuis le XIX°siècle, moment de l’apparition du capitalisme dans les pays occidentaux (au XVIII° siècle pour la Grande Bretagne). La classe ouvrière est donc toujours la classe qui produit toutes les richesses et elle existe toujours, tant qu’il y a production de plus-value. La définition de Marx précise que la classe ouvrière ne possède pas les moyens de production, elle n’a que sa force de travail pour produire de la plus-value, contre un salaire, de manière associée. Cependant, au XIX°siècle, le prolétariat était surtout concentré dans les secteurs primaire (collecte et exploitation des ressources naturelles) et secondaire (transformation en marchandises des matériaux de base). Les ouvriers travaillaient côte à côte, ils pouvaient échanger et s’organiser facilement.
La composition du prolétariat a changé depuis l’ascendance du capitalisme, liée au développement d’autres secteurs. Le secteur tertiaire, qui comprenait les fonctionnaires chargés d’administrer et d’organiser la vie de la société selon les intérêts du système capitaliste, comprend aujourd’hui beaucoup plus d’ouvriers, qui participent à la valorisation des marchandises, sont payés le moins possible et n’ont plus l’espoir de monter facilement dans la hiérarchie sociale ; il en est ainsi du secteur de la Poste (qui comprend de moins en moins d’ouvriers avec le statut de fonctionnaires), l’Enseignement, la Santé, les Transports Publics (où le statut de fonctionnaire disparaît également).
La bourgeoisie cherche toujours comment pressurer davantage la classe ouvrière, « sans que cela se voie » : ainsi, en Grande-Bretagne, se développe la politique du « fire and rehire » (griller et réembaucher), qui permet de supprimer les contrats de travail précédents et de les remplacer par des contrats beaucoup moins « avantageux » pour les ouvriers. Un article de ICC online (the working class bears the brunt of the pandemic) évoque ce nouveau tour de passe-passe, utilisé par Tesco, British Telecom, British Gas et des compagnies de bus. C’est en Grande Bretagne également que se sont développées en premier le statut de « travailleur » indépendant, travaillant pour Uber, Deliveroo, autres entreprises de livraison de courrier, colis, etc.
Lors de la dernière permanence, il était tout à fait juste de défendre l’appartenance à la classe ouvrière de ces travailleurs « indépendants ». Même s’ils ne travaillent pas de manière associée, ils participent à la valorisation de la marchandise force de travail, en livrant des repas à des ouvriers, transportant des colis, nettoyant les bureaux, etc.
Des luttes ont eu lieu, également en Grande Bretagne, dans différents secteurs, dont les ouvriers intérimaires. « En mars 2021, 150 porteurs, nettoyeurs, standardistes et personnels de restauration employés à l’hôpital du comté de Cumberland par la société d’équipement Mitie, ont mené une première journée d’action avec Unison [un syndicat] en raison d’un défaut de paiement des heures supplémentaires... »
Aujourd’hui, il y a de moins en moins d’ouvriers d’industrie, machinisme aidant, cependant les techniciens qui font marcher et entretiennent les machines sont des ouvriers, puisqu’ils participent aussi à la production de valeur.
Comme le capitalisme s’est étendu à toute la planète, les petites exploitations agricoles existent de moins en moins, il y a une concentration des anciennes petites exploitations en grands groupes agricoles qui sont gérés d’une manière industrielle ; les ouvriers agricoles font partie de la classe ouvrière.
La classe ouvrière a toujours été hétérogène, les ouvriers des pays périphériques n’ont pas l’expérience historique des ouvriers des pays centraux et sont plus susceptibles d’écouter les sirènes démocratiques de se battre pour avoir un syndicat ou des élections.
Les luttes des ouvriers des pays centraux seront déterminantes pour entraîner les ouvriers du monde entier vers le développement d’une situation pré-révolutionnaire.
Des individus issus des autres classes peuvent rejoindre le combat de la classe ouvrière en se rapprochant des groupes révolutionnaires et être convaincus que seule la révolution communiste peut apporter un futur viable à l’humanité.
L’expérience a montré que l’idée d’occuper les usines n’était plus un bon moyen de lutte et que l’enfermement dans l’usine n’est pas une force. Au contraire, l’extension de la lutte, la communication vers d’autres secteurs donne de la force à la lutte.
Le dernier mouvement contre la réforme des retraites en France, par exemple, a vu converger dans la rue des secteurs très divers, public, privé, intérimaires, CDD, avocats, chômeurs, etc.
Même si certains ouvriers ne travaillent pas de manière associée dans de grandes entreprises, l’attaque contre le système de retraites était (et sera) un puissant facteur de rassemblement.
En conclusion, aujourd’hui, époque de la décomposition du capitalisme, font partie de la classe ouvrière tous les travailleurs traditionnellement producteurs associés de plus-value, dans les usines, mais aussi, les travailleurs intérimaires, les ouvriers de l’enseignement primaire et secondaire, les agents administratifs de base, les ouvriers précaires : auto-entrepreneurs qui travaillent de façon isolée mais peuvent être entraînés dans des grands mouvements, tous ceux qui participent de la valorisation de la marchandise à un degré ou à un autre. La bourgeoisie fait tout ce qu’elle peut pour empêcher les ouvriers d’être « ensemble », elle essaie de les séparer, mais l’intérêt commun des ouvriers, la lutte pour défendre les salaires, le droit à la retraite, les indemnités de maladie, le temps de travail, les vacances, pour refuser les licenciements, bref empêcher l’augmentation de l’exploitation, les rassemble inexorablement.
L, 19/05/2021
A l'occasion de la dernière permanence du CCI (samedi 15 mai), des camarades se sont interrogés sur la question de la nature de la classe ouvrière dans une société qui voit l'émergence depuis environ une décennie d'un phénomène qualifié d'ubérisation (du nom de l'entreprise Uber qui fut pionnière dans ce secteur) ou de gig economy (économie de partage). Il importe de se demander si ces nouveaux travailleurs appartiennent au prolétariat ou s'ils sont l'émanation de classes étrangères à ce dernier, appartenant à la petite bourgeoisie, car de la réponse à cette question découle un grand nombre de considérations notamment politiques. Il s'agit ainsi de savoir si lorsque l'on choisit de défendre ces travailleurs, nous nous situons sur le terrain de la classe ouvrière ou sur un terrain qui lui est étranger.
Selon le CCI, dans sa Résolution sur le rapport de force entre les classes (2019), « L’aggravation du chômage et de la précarité a également fait apparaître le phénomène d’"uberisation" du travail. En passant par l’intermédiaire d’une plateforme Internet pour trouver un emploi, l’ubérisation déguise la vente de la force de travail à un patron en une forme "d’auto-entreprise", tout en renforçant la paupérisation et la précarité des "auto-entrepreneurs". L’ubérisation du travail individuel renforce l’atomisation, la difficulté de faire grève, du fait que l’auto-exploitation de ces travailleurs entrave considérablement leur capacité à lutter de façon collective et à développer la solidarité face à l’exploitation capitaliste »
Plusieurs points sont importants dans cette résolution. Tout d'abord, il y est écrit que l'ubérisation « déguise la vente de la force de travail à un patron ». Selon le CCI, cette forme d'auto-entreprenariat n'est qu'un artifice juridique. D'ailleurs, en Grande-Bretagne, la Cour suprême a décidé de requalifier les chauffeurs Uber en tant que salariés, montrant ainsi que même les organes juridiques de l'État bourgeois ne sont pas dupes d'une telle mascarade. Si les travailleurs uber ne sont pas considérés comme des auto-entrepreneurs et que par ailleurs, ils vendent leur force de travail à un patron, ne peut-on pas les considérer comme appartenant à la classe ouvrière ? La suite de la résolution est moins claire sur cette question.
Elle affirme que « l'ubérisation du travail individuel renforce l'atomisation, la difficulté de faire grève » et « entrave considérablement la capacité à lutter de façon collective » contre l'exploitation capitaliste. Il est indéniable que la nature de la tâche à accomplir, variable selon les plate-formes mais dont les principales résident dans la livraison de repas ou dans le fait de travailler comme chauffeur, ainsi que la croyance mystifiée selon laquelle les travailleurs Uber sont leurs propres patrons et n'ont de compte à rendre à personne d'autre qu'à eux-mêmes, joue un rôle d'atomisation de la classe et brise la nécessaire solidarité entre les travailleurs. Rappelons que pour Marx le capitalisme, par la concentration et la centralisation du capital, aboutit au travail associé ce qui, in fine, renforce la conscience de classe des travailleurs qui sont confrontés collectivement à la même réalité de l'exploitation sauvage. C'est fondamentalement ce qui distingue le prolétariat de la petite paysannerie, également exploitée, mais dispersée sur le territoire, l'empêchant de nouer des liens de solidarité.
Mais si les travailleurs Uber sont atomisés et dispersés, s'il leur est extrêmement difficile de nouer des liens de solidarité et de mener des luttes collectives ou des grèves, ne font-ils pas néanmoins partie de la classe ouvrière, du prolétariat ? Le fait d'être à l'arrière-garde de la classe ouvrière du fait des conditions de travail et de la précarité ne permet pourtant pas de dénier à ces travailleurs leur qualité de prolétaires exploités, séparés des moyens de production et condamnés à vendre leur force de travail pour subsister, ce qui est la définition du prolétaire selon Marx. Les modalités de leur exploitation pourraient d'ailleurs être rapprochées de celle du salaire aux pièces analysé par Marx dans le livre 1 du Capital (au chapitre 21), la rentabilité de leur tâche se calculant non en heures de travail mais en nombre de tâches réalisées, renforçant d'autant plus la concurrence entre travailleurs, chacun cherchant à accomplir le plus de tâches possibles dans la journée.
Avant de conclure, il s'agit de s'intéresser à la combativité réelle ou non des travailleurs uberisés. Nous l'avons dit, leur atomisation, la mise en concurrence dans la forme moderne du salaire aux pièces, mine constamment la solidarité entre ces travailleurs. Pourtant, en plusieurs endroits du globe, nous avons vu surgir des formes de lutte spontanées, sans la constitution ou la participation de syndicats, appareils de collaboration avec l'État bourgeois et de défense du mode de production capitaliste. A Los Angeles, des travailleurs Uber se sont mis spontanément en grève pour lutter contre leurs conditions de travail. C'est également le cas dans d'autres pays et avec d'autres entreprises, en Italie, au Royaume-Uni, etc. Certes, il arrive à ces travailleurs de constituer des syndicats ou de demander l'appui de centrales déjà existantes. Ce sont des impasses qui doivent être rejetées par les communistes, qui insistent au contraire sur les outils spécifiques de la lutte des classes, notamment la grève sauvage, sans médiation syndicale. Mais ces erreurs ne doivent pas suffire à rejeter les travailleurs ubérisés en-dehors du prolétariat, et à les assigner à la petite-bourgeoisie.
Depuis les dernières années, la précarité s'est aggravée. La classe ouvrière a été victime de ce processus, et l'uberisation des travailleurs en a été l'un des produits. Considérer que les travailleurs ubérisés, du fait de leur atomisation, de leurs difficultés à se placer sur le terrain de la classe ouvrière, n'appartiennent pas au prolétariat mérite une profonde et sérieuse discussion, basée sur les analyses marxistes. Car ce n'est que par la confrontation polémique mais fraternelle que la classe ouvrière sera en mesure de déjouer les pièges tendus par la bourgeoisie et ses idéologues et contribuer à la lutte pour le renversement du capitalisme et l'émancipation du prolétariat.
Salutations fraternelles,
Patche
Dans de récents articles1, nous avons démontré que le mouvement Black Lives Matter (BLM) se situe sur un terrain complètement bourgeois, concrétisé dans de vagues revendications comme “l’égalité des droits”, “un traitement équitable” ou certaines plus spécifiques comme “définancer la police”. En aucun cas ce mouvement de protestation ne fut capable, même de manière la plus minime qui soit de remettre en question les rapports capitalistes de production qui établissent la subordination et l’oppression de la classe ouvrière comme l’un des piliers de la domination capitaliste.
Mais cela signifie-t-il que la classe ouvrière ne puisse offrir aucune alternative aux autres couches non exploiteuses ou minorités discriminées de la société capitaliste qui sont sujettes à des formes particulièrement violentes d’oppression ? Au contraire, tout au long de son histoire, la classe ouvrière, aux États-Unis tout comme dans d’autres parties du monde, a démontré sa capacité à prendre des mesures significatives pour dépasser les barrières de la division ethnique, à condition qu’elle lutte sur son propre terrain de classe et avec ses propres perspectives prolétariennes.
L’une des premières manifestations de véritable solidarité ouvrière avec une minorité ethnique s’est produite en 1892 à la Nouvelle-Orléans lorsque trois syndicats ont réclamé de meilleures conditions de travail. Le “Bureau du Commerce de la Nouvelle-Orléans” tenta de diviser les travailleurs sur la base de critères raciaux en invitant à négocier les deux syndicats à majorité blanche, tout en rejetant le syndicat à majorité noire. En réponse à cette manœuvre du Bureau, les trois syndicats lancèrent un appel à la grève commune qui fut suivi unanimement.
Un autre moment important fut la défense organisée de la classe ouvrière en Russie contre les progroms antisémites en octobre 1905, durant l’année de la première révolution en Russie. Durant ce mois, les dénommés Cent-Noirs, des gangs organisés soutenus par la police secrète du tsar, tuèrent des milliers de personnes et mutilèrent des dizaines de milliers d’autres dans une centaine de ville du pays. En réponse à ces massacres, le Soviet de Petrograd lança un appel aux ouvriers du pays tout entier afin qu’ils prennent les armes pour défendre les districts ouvriers contre de futurs pogroms.
Un autre exemple héroïque de la solidarité prolétarienne se produisit en février 1941 aux Pays-Bas, il y a 80 ans de cela. La cause immédiate fut l’enlèvement de 425 hommes juifs à Amsterdam et leur déportation dans un camp de concentration en Allemagne. Ce premier raid aux Pays-Bas sur une frange de la population persécutée et terrorisée provoqua une forte indignation parmi les ouvriers d’Amsterdam et des villes environnantes. L’attaque sur les Juifs fut vécue comme une attaque contre l’ensemble de la population prolétarienne d’Amsterdam. L’indignation surpassa la peur.
La réponse fut : “Mettons-nous en grève !”
Aux Pays-Bas les Juifs n’étaient pas vus comme des étrangers. En particulier à Amsterdam, où l’immense majorité de la population juive vivait, ils étaient considérés comme partie intégrante de la population. De plus, Amsterdam possédait le plus important prolétariat juif d’Europe occidentale, comparable seulement à celui de Londres après les pogroms russes. L’orientation d’une partie significative de ce prolétariat juif allait vers le mouvement ouvrier et au tournant du siècle, beaucoup d’entre eux embrassèrent le socialisme. Dans la première moitié du XXe siècle, plusieurs de ces prolétaires jouèrent un rôle important dans les organisations ouvrières hollandaises.
Comme nous le montrons dans le livre La Gauche hollandaise2, dans les semaines qui précédèrent la grève, un groupe internationaliste, le Front Marx-Lénine-Luxemburg (Front MLL) avait déjà clairement exprimé ses positions au regard des atrocités perpétrées par les gangs fascistes et appelé les ouvriers à se défendre eux-mêmes. “Dans tous les districts ouvriers, des milices d’auto-défense devront être constituées. La défense contre la brutalité des bandits nationaux-socialistes doit être organisée. Mais les ouvriers devront également utiliser leur arme sur le terrain de l’économie. Il faut répondre aux actes scandaleux des fascistes par des grèves de masse.” (Spartacus no 2, mi-Février 1941 ; cité par Max Perthus, Henk Sneevliet)
La grève qui éclata le mardi 25 février fut une démonstration unique de solidarité avec les Juifs persécutés. Elle était sous le contrôle complet des travailleurs et la bourgeoisie n’avait aucune chance de l’utiliser pour ses objectifs guerriers, comme elle le fit avec la grève des chemins de fer en 1944. La grève n’était pas dirigée vers la libération des Pays-Bas de l’occupation allemande. La position du Front MLL n’était pas que la grève soit orientée vers le sabotage de la machine de guerre allemande ou l’alignement avec la Résistance nationale. Elle était censée être une déclaration de la classe ouvrière, une démonstration de sa force et de ce fait elle fut limitée dans le temps. Après deux jours, les ouvriers ont décidé unanimement de mettre fin à la grève.
Au milieu de la barbarie de la Seconde Guerre mondiale et dans un contexte de défaite historique de la classe ouvrière, la grève ne pouvait mener à une mobilisation générale de la classe ouvrière en Hollande ou à des réactions prolétariennes dans le reste de l’Europe, mais elle eut pourtant une signification politique internationale, dépassant de loin les frontières des Pays-Bas. La résistance des ouvriers en février 1941 contre la déportation de Juifs dans des camps de concentration, nous montre que le prolétariat n’est en rien impuissant ou condamné à l’inaction quand des groupes ethniques particuliers sont pris comme boucs émissaires et deviennent en conséquence victimes de pogroms, voire de génocides.
Le Front MLL a très bien compris cela. Par conséquent, il salua chaleureusement la grève comme une expression d’authentique indignation prolétarienne contre la persécution des Juifs, hommes, femmes et enfants. Pour le Front MLL, la grève contre la brutalité anti-juive était inconditionnellement liée au combat général contre le système capitaliste tout entier. La grève hollandaise de février 1941 a montré que, afin de défendre des groupes ethniques persécutés, la classe ouvrière doit rester sur son propre terrain et ne peut pas se permettre d’être entraînée sur le terrain bourgeois, comme cela est arrivé avec le mouvement BLM par exemple. Le terrain de la classe ouvrière est celui où la solidarité n’est pas restreinte par les divisions que le capitalisme a imposées à la société et où elle devient vraiment universelle. La solidarité prolétarienne est par définition l’expression de la classe dont la lutte autonome est destinée à développer une alternative fondamentale au capitalisme.
Dans la mesure où elle annonce la nature de la société pour laquelle elle lutte, elle est à même d’embrasser et d’intégrer la solidarité de l’humanité toute entière. C’est ce qui fait que la solidarité prolétarienne et la grève de février 1941 aux Pays-Bas revêtent une telle importance pour nous aujourd’hui.
CCI, avril 2021
1Voir : « Les groupes de la Gauche Communiste face au mouvement Black Lives Matter : une incapacité à identifier le terrain de la classe ouvrière » [62].
2La Gauche hollandaise, “chapitre X : Disparition et renaissance du communisme de conseil – Du “Marx-Lenin-Luxemburg Front” au “Communistenbond Spartacus” (1939-1942)”, pages 246-249. Cette brochure ne figure pas en intégralité sur notre site web. Il est possible de l’acheter en écrivant à l’adresse suivante : [email protected] [63]
“Reconstruire mais en mieux !”: voilà le dernier slogan qui sonne creux de la bourgeoisie britannique, destiné à faire croire, comme le slogan précédent “Redressons-nous !”, qu’une société équitable et juste sera nécessaire et possible après la pandémie. Ce que ces deux expressions reconnaissent quasi implicitement, c’est que la société continue d’être divisée en classes sociales et que “nous” ne sommes certainement pas “tous dans le même bateau”. Qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou des revenus, les statistiques de la classe dirigeante confirment que la classe ouvrière, qui a déjà subi des décennies d’austérité, a été la plus durement touchée au cours des douze derniers mois d’épidémie. Dans cette perspective, il faut voir que la crise économique et les privations sociales accélérées par le Covid-19 ont des racines profondes dans la décadence et la déchéance du capitalisme en général et le déclin de la Grande-Bretagne en particulier. Nous verrons également que des sections du prolétariat, dans les conditions les plus difficiles, ont néanmoins tenté de défendre les intérêts fondamentaux de la classe.
La pauvreté a un impact négatif absolu sur la santé de la population. Prenons par exemple la question de l’espérance de vie, telle qu’elle avait déjà été rapportée par Sir Michael Marmot avant le début de la pandémie : “L’espérance de vie a stagné pour la première fois en plus de cent ans et s’est même inversée pour les femmes les plus démunies de la société, (…) ce qui montre que le fossé des inégalités de santé est encore plus béant qu’il y a dix ans, en grande partie à cause de l’impact des coupes liées aux politiques d’austérité du gouvernement.”
L’étude de Sir Michael Marmot, dix ans après avoir averti que les inégalités croissantes dans la société entraîneraient une détérioration de la santé, révèle une image choquante de l’Angleterre qui, selon lui, n’est pas différente de celle du reste du Royaume-Uni et aurait pu être évitée… “Les réductions réelles des revenus des gens nuisent à la santé de la nation à long terme. Non seulement l’espérance de vie diminue, mais les gens vivent plus longtemps en mauvaise santé… Ces dégâts sur la santé de la nation n’auraient pas dû se produire. C’est choquant”, a déclaré M. Marmot, directeur de l’Institute of Health Equity de l’UCL (University College London).1
La nouvelle étude de Marmot, publiée en février 20202, prévoyait “une différence de 15 à 20 ans dans l’espérance de vie en bonne santé entre les régions les plus riches et les plus pauvres du Royaume-Uni”3. Pour les hommes vivant dans les zones les plus pauvres, “vous pouvez vous attendre à vivre neuf ans de moins qu’une personne vivant dans l’une des zones les plus riches”4
Ainsi, lorsque le Covid-19 puis le confinement ont frappé en février-mars 2020, ils ont surtout touché “ceux qui vivent dans les régions les plus pauvres de Grand-Bretagne, [qui] ont plus de chance de souffrir de maladies cardiaques et pulmonaires, et leurs enfants ont deux fois plus de chances d’être obèses que ceux des régions riches. Les personnes condamnées à vivre dans des logements insalubres sont plus susceptibles de souffrir de maladies telles que l’asthme, et la santé mentale étant endommagées de manière disproportionnée par le stress de la pauvreté, les hommes les plus pauvres sont jusqu’à dix fois plus exposés au risque de suicide que les plus riches.”5
Les mauvaises conditions de logement, de santé et d’alimentation – qui sont le lot d’une grande partie du prolétariat britannique – sont devenues des terrains propices à la propagation du Covid et ont favorisé les répercussions les plus pernicieuses.
“Dans certaines des zones les plus défavorisées d’Angleterre, janvier 2021 a été le mois le plus meurtrier depuis le début de la pandémie. En janvier, le taux de mortalité lié au Covid à Burnley (Lancashire) était deux fois supérieur à la moyenne anglaise et les décès, toutes causes confondues, étaient 60 % plus élevés que la moyenne anglaise” 6.
Et pas seulement dans le nord de l’Angleterre : la capitale, Londres, a accueilli ce qu’on appelle le “triangle du Covid”, composé des trois arrondissements :“Barking & Dagenham, Redbridge et Newham se disputaient le taux d’infection le plus élevé de tout le pays. Dans Barking & Dagenham, une personne sur 16 serait infectée… Dans cette zone, la main-d’œuvre est principalement constituée de personnel essentiel qui ne peut rester à la maison… ou en situation de travail précaire… Alors que le virus mutant, plus contagieux, a fait monter en flèche le taux de mortalité au niveau local, il a également mis en évidence un réseau complexe de problèmes plus profonds, qui se sont accumulés pendant de nombreuses années. En particulier, l’exposition accrue au virus s’est ajoutée aux problèmes rencontrés par une population déjà vulnérable, dont beaucoup de membres souffraient de comorbidités et d’une mauvaise santé.”
Les niveaux élevés de privations et précarité du travail, les grandes inégalités de revenus, la discrimination en matière de logement et les disparités médicales ont depuis longtemps un impact sévère sur l’enchevêtrement de communautés et de minorités ethniques qui vivent dans ces arrondissements. Mais, lorsqu’ils sont combinés à la nécessité de se déplacer pour travailler, de prendre les transports en commun et de partager l’espace dans des logements trop petits, ils constituent également le terrain idéal pour un virus mortel. L’effet domino allait s’avérer catastrophique.7
La description ci-dessus, tirée du “journal des patrons”, le Financial Times, explique très clairement qu’il ne s’agit pas simplement d’une minorité “ethnique” ou d’une autre minorité qui souffre, mais que sa souffrance fait partie intégrante de la détérioration généralisée des conditions de vie de la classe ouvrière.
Les indemnisations légales des arrêts-maladie des travailleurs britanniques – auxquelles les plus bas salaires n’ont même pas droit – sont parmi les plus basses d’Europe. Par nécessité, de nombreux travailleurs n’ont pas passé le test de dépistage du Covid – un facteur qui a contribué à rendre inefficace le système de test et de dépistage “mondialement reconnu”. Une étude menée conjointement par le King’s College de Londres et le ministère de la Santé publique d’Angleterre a révélé que, parmi les personnes ayant signalé qu’elles avaient les symptômes du Covid, seules 18 % s’étaient auto-isolées. “Notre étude a indiqué […] que les contraintes financières et les responsabilités liées aux soins sont des obstacles courants à l’adhésion à cette mesure”.8
La destruction historique par la bourgeoisie du salaire social – les paiements destinés à soutenir les individus dans le besoin et à garder opérationnels les hôpitaux et les centres de soins – est donc un facteur primordial dans le fait que le taux d’infection par le Covid en Grande-Bretagne “ait battu un record du monde”.
Pour les travailleurs mis au chômage, renvoyés chez eux avec des salaires réduits ou obligés de se rétablir de la maladie à domicile, la vie peut être pénible. Les écoles étant fermées à tous, sauf aux enfants des “travailleurs indispensables”, les parents, dont beaucoup travaillent chez eux pendant de longues heures, sont obligés de devenir des enseignants, coupés par le confinement des réseaux de soins familiaux ou de voisinage (non rémunérés). Le prolétariat dans son ensemble a souffert d’une façon disproportionnée. Le terme “pauvreté numérique” a été inventé pour expliquer pourquoi de nombreux enfants de la classe ouvrière n’avaient pas d’ordinateur portable pour l’enseignement à distance, ni même de connexion internet à la maison.
“A la fin de l’année 2020, 23 % de la population du Royaume-Uni vivait dans la pauvreté. Parmi les 700 0000 personnes plongées dans la précarité à cause de la pandémie, on compte 120 000 enfants. L’augmentation du niveau de pauvreté est due à plusieurs facteurs. Les personnes qui restent à la maison ont fait grimper le coût de la vie, les ménages payant davantage pour le gaz et l’électricité et dépensant plus pour la nourriture des enfants, qui auraient eu en temps normal des repas gratuits à l’école. A cela s’ajoute la montée en flèche du chômage, les fermetures ayant rendu difficile le fonctionnement de secteurs comme l’hôtellerie et la vente au détail. Le taux de chômage au Royaume-Uni a atteint 5,1 % fin 2020, ce qui signifie que 1,74 million de personnes étaient sans emploi. Les chiffres du Bureau de Statistiques Nationales ont relevé une augmentation de 454 000 personnes depuis un an, ce sont les chiffres les plus élevés depuis 2016.”9
Ce rapport du magazine Big Issue a également indiqué que les trois quarts des enfants vivant dans la pauvreté provenaient de ménages dont l’un des parents travaille ou cherche un emploi. A Noël 2020, l’organisation caritative UNICEF a lancé une intervention d’urgence nationale au Royaume-Uni pour la première fois en 70 ans d’histoire, afin d’aider les enfants touchés par la crise du Covid-19 !
Le British Medical Journal (BMJ) a mis en garde contre les conséquences probables de la pandémie : “il s’agit notamment de la dépression, du syndrome de stress post-traumatique, du désespoir, des sentiments d’enfermement et de pénibilité, de la toxicomanie, de la solitude, de la violence domestique, de la négligence ou de la maltraitance des enfants, du chômage et d’autres formes d’insécurité financière. Des services appropriés doivent être mis à la disposition des personnes en crise et de celles qui ont des problèmes de santé mentale nouveaux ou déjà présents. L’effet des dommages économiques causés par la pandémie est particulièrement préoccupant. Une étude a rapporté qu’après la crise économique de 2008, les taux de suicide ont augmenté dans deux tiers des 54 pays étudiés, en particulier chez les hommes et dans les pays où les pertes d’emploi sont les plus élevées.”10 Comme nous l’avons vu, loin de fournir les “services appropriés” réclamés par le BMJ, l’État britannique les a rognés au cours des 30 dernières années.
Face à une paupérisation croissante, près de neuf millions de personnes ont emprunté plus d’argent l’an dernier, en raison de l’impact du coronavirus. “Depuis juin 2020, la proportion de travailleurs empruntant 1000 £ ou plus est passée de 35 % à 45 %, a indiqué l’Office national de statistiques. Les travailleurs indépendants étaient plus susceptibles d’emprunter de l’argent que les salariés. On a également constaté une forte augmentation de la proportion de personnes handicapées empruntant des sommes similaires.”11 L’image de centaines de personnes faisant la queue dans la neige devant une soupe populaire à Glasgow est devenue virale, alors que la demande pour des banques alimentaires a explosé au cours de l’hiver.
Certains n’ont même pas eu un toit au-dessus de la tête pendant la première année de la pandémie. Malgré les tentatives de l’État pour “nettoyer les rues” en ouvrant certains foyers et hôtels aux sans-abri, “près de 1000 décès de sans-abri ont eu lieu l’an dernier au Royaume Uni…”. Le Museum of Homelessness (musée communautaire de justice sociale) a déclaré que ce chiffre avait augmenté de plus d’un tiers par rapport à l’année précédente et a demandé que davantage de mesures soient prises pour mettre un terme à ces “terribles pertes de vies”.12
Nous avons vu comment, pour de nombreux travailleurs mis au chômage ou en congé maladie à salaire réduit, la vie “à la maison” ou dans la rue était et reste pleine de dangers. Pour beaucoup, cette option n’existait pas et n’existe toujours pas : malades ou en danger, la nécessité de gagner un salaire les obligeait à travailler. Il n’est donc pas étonnant de découvrir que le Covid ait fait des ravages dans les zones traditionnellement occupées par la classe ouvrière.
Compte tenu des pénuries concernant les EPI (Equipements de Protection Individuelle), de la difficulté à respecter la distanciation sociale et de l’évacuation sans ménagement des personnes âgées non testées, des hôpitaux vers des maisons de retraite mal équipées13, ce sont les infirmières, le personnel soignant et les autres employés en “première ligne” qui ont été les plus touchés. Les chiffres de l’Office national de statistiques montrent que les travailleurs des maisons de retraite et les infirmières figurent parmi les professions les plus susceptibles de mourir d’un coronavirus, aux côtés des réparateurs ou chargés d’entretien des machines, des aides à domicile, des chefs cuisiniers, des restaurateurs et des chauffeurs de bus.
Comme la maladie, l’épuisement rend les travailleurs vulnérables aux infections virales et, au début de la pandémie, le NHS (service sanitaire national) comptait quelque 100 000 postes vacants, dont 20 000 dans le secteur des soins infirmiers. A mesure que la surpopulation et les maladies du personnel faisaient des ravages, de moins en moins de personnel médical et de soutien s’occupait de patients de plus en plus nombreux, ce qui augmentait leur propre risque d’infection. Les hôpitaux eux-mêmes sont devenus des bouillons de culture pour le virus. En janvier 2021, “52000 employés du NHS sont en arrêt maladie à cause du Covid. Plus de 850 travailleurs de la santé britannique seraient morts du Covid entre mars et décembre 2020”14. Une personne sur quatre ayant été hospitalisée aurait été contaminée à l’hôpital !
Les usines de transformation alimentaire britanniques – y compris les abattoirs – étaient également des lieux à haut risque viral, tandis que les chauffeurs de bus se sont révélés particulièrement exposés, notamment en raison du retard pris dans l’installation d’écrans de protection pour les chauffeurs. Les effets à long terme des traitements hospitaliers annulés, associés à des services défaillants pour les personnes vulnérables, handicapées ou souffrant de maladies mentales, n’ont pas encore été calculés, bien que près de cinq millions de patients du NHS aient été, début avril 2021, en attente d’un traitement annulé ou retardé “à cause du Covid”. La classe ouvrière en général n’a pas les moyens de se procurer des traitements “alternatifs” ou “privés”.
La bourgeoisie britannique a jugé prudent, face à sa pire crise économique depuis les années 1930, d’ “investir” environ 400 milliards de livres sterling dans diverses formes de plans de “sauvetage”, y compris des indemnités de licenciement et une extension temporaire du crédit universel. Ce déboursement par la dette de la valeur précédemment créée par la classe ouvrière, ou fondé sur son exploitation future, n’a pas été fait par altruisme mais pour préserver des industries et des entreprises entières de la faillite, pour maintenir une main-d’œuvre minimale et pour assurer un minimum de cohésion sociale. En ce sens, la situation actuelle – qui se reflète dans la plupart des grands pays industriels – présente certaines similitudes avec l’ancien Empire Romain qui, à son époque décadente, était obligé de nourrir ses esclaves, plutôt que d’être nourri par eux.
Cependant, déterminé à montrer qu’en dépit des mesures d’ “allègement”, l’État n’est pas un “tendre”, le gouvernement de Boris Johnson – celui qui a inventé “reconstruire en mieux” et “redressons-nous” – a insisté pour que les “héros” d’hier, le personnel du NHS, y compris les infirmières, “bénéficient” d’une augmentation de salaire limitée à 1 %, soit environ 60 pence par jour après déduction d’impôts. Cette mesure était froidement calculée pour envoyer un signal à la classe ouvrière dans son ensemble : “si les infirmières méritantes n’ont pas une belle augmentation, vous non plus n’y aurez pas droit”
Cette idée a été renforcée par un arrêt très médiatisé de la Cour Suprême en mars 2021, selon lequel le personnel soignant du Royaume-Uni, qui dort sur son lieu de travail au cas où on aurait besoin de lui, n’a pas droit à une augmentation de salaire minimum pour l’ensemble de son service.
Et, au cas où le message ne serait pas assez clair, des dizaines de milliers d’autres travailleurs risquent de voir leurs contrats de travail actuels annulés et remplacés par un régime d’exploitation beaucoup plus dur – la politique de généralisation des contrats d’intérim, portail vers l’extension du travail précaire, les contrats à zéro heure et la gig economy (économie des petits boulots). Tesco, British Telecom, British Gas et diverses compagnies de bus font partie des entreprises qui emploient cette “tactique”. Un travailleur sur dix serait concerné par ces plans d’emplois intérimaires. Tout cela au nom d’une plus grande “productivité” et d’une plus grande “efficacité”. C’est la classe ouvrière qui se voit présenter une facture de 400 milliards de livres.
Tout cela est soutenu par la menace de l’État d’une plus grande répression, inscrite dans le projet de loi sur la police, la criminalité, les peines et les tribunaux, qui a déjà suscité des manifestations dans tout le pays15. Sabotant la lutte de l’intérieur, les syndicats se préparent à se poser en défenseurs “naturels” de la classe ouvrière, face à ces nouvelles attaques – la menace de grève du Royal College of Nurses (RCN) et la revendication d’un salaire de 12 % pour contrer l’offre de 1 % du gouvernement n’étant que l’exemple le plus évident.
Les traditions et les leçons tirées des grandes luttes de la classe ouvrière (comme celles de 1972 et 1984 en Grande-Bretagne), ont été largement enterrées au cours des 30 dernières années et les récents confinements nécessités par la pandémie imposent de nouvelles restrictions à la capacité des travailleurs de défendre leurs intérêts. Cependant, il y a eu des expressions de la colère de la classe ouvrière et des tentatives d’auto-organisation, y compris les manifestations de l’été dernier par les travailleurs de la santé à travers la Grande-Bretagne16, les récentes grèves des loyers des étudiants en Grande-Bretagne et les manifestations d’étudiants en France17.
Dans le secteur de la santé, comme nous l’avons mentionné plus haut, le syndicat des infirmières RCN et le syndicat Unison “représentant” les autres employés du NHS ont été obligés de parler de l’organisation d’une grève ou d’une action de protestation face à la colère croissante suscitée par les bas salaires et les conditions de vie dangereuses dans les services et les théâtres. Au moins une manfestation (à Manchester le 7 mars 2021) pour une augmentation plus importante des salaires a connu des ordres de dispersion et des arrestations “pour avoir enfreint les règles de distanciation sociale”. Pour l’instant, ces actions syndicales semblent avoir contribué à retarder toute initiative spontanée et à désamorcer la mobilisation, sans parvenir à apaiser les ressentiments et la colère des infirmières et des autres membres du personnel NHS.
D’autres incidents de lutte dans ce secteur ont été signalés par le blog AngryWorkersWorld Blog du 5 mars, notamment : “En janvier 2021, les portiers ont démarré une grève de 11 jours organisée par Unison contre la politique de recours aux emplois d’intérim par le NHS du trust Heartlands à Birmingham. En mars 2021, plus de 150 brancardiers, d’employés des services de nettoyage, de standardistes et le personnel de restauration employés au centre de soins de Cumberland par la société d’équipement Mitie, ont mené une première journée d’action avec Unison, en raison d’un défaut de paiement des heures supplémentaires. Les ouvriers de Mitie ont également engagé une action avec le syndicat GMB contre l’hôpital Epsom & St Helier Trust pour des salaires impayés. Ces conflits touchent principalement la frange externalisée (les entreprises sous-traitantes du sytème de santé)”18.
Le 6 avril, environ 1 400 travailleurs des bureaux d’immatriculation des véhicules du gouvernement (DVLA) à Swansea, ont entamé une grève de quatre jours pour protester contre les dispositions de sécurité inadéquates contre le Covid, qui étaient responsables de plus de 500 cas d’infection dans deux sites. Dans le même temps, une grève “a durée illimitée”de près de 500 travailleurs des bus de la compagnie Go North West à Manchester, est entrée dans sa sixième semaine, face au projet de l’entreprise d’imposer un contrat intérimaire impliquant des pertes de salaires allant jusqu’à 2500 £ par an et des réductions massives au niveau des indemnités-maladie. Dans la capitale, plus de 2000 chauffeurs de bus des compagnies London United, London Sovereign et Quality Line ont entamé une grève “reconductible” depuis la fin du mois de février, pour s’opposer au programme de remplacer les emplois fixes par des contrats intérimaires. Environ un tiers des chauffeurs auraient rejeté l’accord proposé par le syndicat Unite avec les patrons et des piquets de grève ont été dressés dans les dépôts de bus.
Au début du mois de mars, des milliers de techniciens de terrain de British Gas ont organisé une grève de quatre jours – la dernière d’une série d’actions en opposition aux propositions de la direction de généraliser les contrats d’intérim. Le 1er avril, l’entreprise a envoyé des lettres de licenciement à près de 1000 travailleurs refusant de signer le nouvel accord. Le 5 avril, des centaines de chauffeurs Deliveroo – dont certains gagnent à peine 2 £ de l’heure et dont les conditions de service précaires incarnent la gig economy – se sont mis en grève et ont organisé une manifestation devant le siège de l’entreprise à Londres. La colère de près de 50 000 techniciens et employés d’entretien de British Telecom face aux fermetures de sites, aux 1000 suppressions d’emplois proposés et aux signatures de nouveaux contrats intitutionnalisant la précariation de l’emploi a jusqu’à présent été contenue par une double attaque : celle de l’entreprise, qui propose des incitations financières en espèces entre 1000 et 1500 £ (à condition d’accepter le nouveau contrat), et celle du syndicat des Communications, qui s’est engagé dans une série de scrutins et de pourparlers avec la direction afin de calmer la situation.
Les actions ci-dessus – qui ne constituent en aucun cas un compte-rendu exhaustif – montrent que les ouvriers n’ont pas été intimidés par la pandémie, ni par la propagande du gouvernement, mais aussi que, en général, leur résistance a été jusqu’à présent relativement bien encadrée et désamorcée par les syndicats et qu’ils ont été largement incapables de résister à l’austérité proposée ou imposée. Les attaques contre les conditions et le niveau de vie des travailleurs ne peuvent que s’intensifier dans la période à venir, quel que soit le stade atteint par la pandémie. La résistance de la classe ouvrière à ces attaques sera plus nécessaire que jamais.
Robert Frank, 17/04/2021
1Austerity blamed for life expectancy stalling for first time in century” [65], The Guardian, (25 février 2020). En outre, le British Medical Journal “a rapporté, début 2019 que les coupes dans les budgets de la santé et des soins sociaux entre 2010 et 2017 ont conduit à environ 120 000 décès précoces au Royaume-Uni, “un constat assez choquant”, selon l’auteur Bill Bryson dans son livre “The body…” publié par les éditions Doubleday en 2019.
2Health Equity in England : The Marmot Review 10 Years On” [66], The Health foudation, (février 2020).
3The Guardian, 25 février 2020.
4“The combination of Covid and class has been devastating for Britain's poorest” [67], The Guardian, (26 janvier 2021).
5The Guardian, 26 janvier 2021
6“Il y a des gens ‘trop pauvres pour mourir” [68], BBC News, (6 mars 2021).
7“Inside The Covid Triangle”, The Financial Times, (5 mars 2021).
8“Effective test, trace and isolate needs better communication and support” [69], Centre d’information du King’s College de Londres, (25 septembre 2020).
9“UK poverty : The facts, figures and effects”, (3 mars 2021).
10“Trends in Suicide During the Cocid-19 Pandemic”, BMJ, (12 novembre 2020).
11“Covid : Nine million people forced to borrow more to cope”, BBC News, (21 janvier 2021).
12“Terrible loss of life’ as almost 1,000 UK homeless deaths recorded in 2020”, The London Economic, (22 février 2021).
13Voir notre article : “The British government's « Herd Immunity » policy is not science but the abandonment of the most sick and vulnerable” [70], ICConline, (may 2020).
14“Ministers under fresh pressure over PPE for NHS heroes on coronavirus frontline”, Daily Mirror, (20 janvier 2021).
15Voir notre article : “Workers have no interest in defending capitalism’s “democratic rights”” [71], ICConline, (april 2021).
En vérité, l’État démocratique’ n’a pas besoin d’une nouvelle législation pour persécuter et attaquer pénalement la véritable lutte de classe : les révélations d’une conspiration infâme entre la police, les médias, les patrons, les syndicats, le système judiciaire et les gouvernement contre les ‘piquets volants’ (c’est-à-dire les ouvriers qui cherchent à étendre la lutte vers d’autres ouvriers) lors de la grève des mineurs britanniques, et les condamnations de 24 ouvriers (‘les 24 de Shrewsbury’) qui en ont découlé, n’ont été annulées qu’en mars de cette année… un demi-siècle après les événements ! Ainsi, tout en marquant une réelle extension des pouvoirs de la police, le nouveau projet de loi présenté au Parlement sert également d’avertissement spécifique à la population et aux travailleurs pour qu’ils “restent dans les clous”.
16Voir notre article : “Manifestations dans le secteur de la santé en Grande-Bretagne : remettre en cause “l’unité nationale” [72], ICConline, (novembre 2020).
17Voir l’introduction de : “Mobilisation des étudiants : Confrontée à la misère, la jeunesse ne se résigne pas !” [73], Révolution internationale n°487, (mars-avril 2021).
18“1 %? Up yours ! We need health workers' and patients' power !” [74], Libcom.org, (mars 2021) Voir aussi : “A Sign of Things to Come”, sur le site de la Tendance Communiste Internationaliste Leftcom.
Deux lectrices ont réagi à la publication d’un document (disponible sur notre site internet [75]) sur l’évolution de la situation sanitaire dans la Russie des soviets en 1919. Il s’agit d’un rapport du Commissariat de l’hygiène publique qui rend compte de son travail un an après sa mise sur pied. Nous remercions les camarades pour leurs remarques critiques. Celles-ci sont indispensables pour nous permettre de corriger des erreurs ou d’améliorer notre façon d’exposer nos positions, elles permettent aussi de poursuivre des discussions commencées dans le cadre des permanences ou des réunions publiques.
Comme nous l’indiquons dans l’introduction, il ne s’agit pas de se faire des illusions sur la situation sanitaire en Russie, alors que les difficultés économiques, scientifiques, militaires et politiques assaillent le jeune bastion prolétarien. Notre but était de montrer le contraste entre deux méthodes mises en œuvre : celle de la dictature du prolétariat d’une part, celle de la dictature de la bourgeoisie dans le cadre de la pandémie actuelle où l’incurie domine, du fait de la concurrence et des priorités accordées uniquement à la production dans les secteurs les plus rentables. Comme l’écrit la camarade R., il faut bien constater la supériorité de la méthode inspirée par les intérêts du prolétariat, malgré des moyens limités : « Ce qui saute aux yeux, c’est l’avancée de la réflexion médicale en termes de prévention, de suivi des épidémies, de campagnes de vaccination, etc. Le texte nous fournit la liste des épidémies sévissant à l’époque : choléra, grippe espagnole, typhus, dysenterie, maladies infantiles, etc., et fait le constat suivant : “Les épidémies, de tout temps et en tout lieu, exercent surtout leurs ravages parmi les pauvres, parmi les classes laborieuses”. Comment ne pas faire le parallèle avec la situation sanitaire due au Covid-19 où les prolétaires les plus précaires sont touchés en grand nombre et, faute de soins adéquats, vont grossir les décomptes funèbres quotidiens : sur ce point il faudra attendre plusieurs mois de pandémie pour que quelques scientifiques alertent sur la forte mortalité parmi les populations précaires !!! »
Cependant, on ne peut manquer de ressentir un certain scepticisme chez nos deux camarades qui semblent se poser des questions sur la valeur d’un tel document dont certaines formulations leur rappellent les déclarations euphoriques de la propagande stalinienne. La camarade R. écrit : « De prime abord, on est un peu surpris par l’enthousiasme de ce rapport rédigé en juillet 1919 ». La camarade L. conclut son message ainsi : « Il me semble qu’on ne peut pas évoquer les plans rationnels qui avaient été construits afin de soulager la population et l’aider à tenir bon sans parler des forces contraires qui sapaient le travail des bolcheviks, ni les forces négatives qui se développaient déjà au sein du parti bolchevik ». Il est vrai que l’isolement de la Russie révolutionnaire (le blocus économique et plus encore l’isolement politique après l’échec de la révolution en Allemagne et en Hongrie) va conduire très vite vers un processus de dégénérescence de la révolution. Pris à la gorge, les bolcheviks vont aggraver le problème en fusionnant le parti communiste et l’État de la société transitoire. Au moment où le document paraît, les Conseils ouvriers avaient perdu pratiquement tout leur pouvoir et une bureaucratie d’État se développait avec son lot habituel de corruption. Mais les camarades seront probablement d’accord avec nous pour faire la différence entre la phase de dégénérescence de la révolution où l’opportunisme mène la bataille pour s’imposer et la période de contre-révolution qui s’installe à partir de 1924, lorsque Staline a pris le contrôle du parti, de l’État et de l’Internationale communiste, et qu’il impose la théorie (bourgeoise par nature) du « socialisme dans un seul pays ». Dans une telle période de dégénérescence, la vie révolutionnaire et l’enthousiasme prolétarien s’expriment encore malgré les difficultés. Certaines ambiguïtés du document reflètent ces difficultés, comme celle-ci : « Seule une génération saine de corps et d’esprit peut préserver les conquêtes de la Grande Révolution socialiste de Russie et amener le pays à une complète réalisation du régime communiste » (1)
Il est très important de faire cette distinction, car des leçons positives peuvent être tirées de l’expérience d’une révolution prolétarienne, y compris dans sa phase de dégénérescence, alors que plus rien ne concerne l’expérience révolutionnaire du prolétariat dans une période de contre-révolution. C’est la raison pour laquelle nous avons toujours défendu que la répression du soulèvement de Kronstadt en 1921 ne signait pas la fin de la révolution. Bien qu’entraînés dans les impasses du centrisme (qui se situait entre la droite de Boukharine et la Gauche communiste), Lénine et Trotsky ne franchissent pas la frontière de classe malgré la catastrophe qu’a représenté l’écrasement de Kronstadt pour le prolétariat mondial. C’est pourquoi la Gauche communiste d’Italie a pu en tirer une leçon fondamentale pour le futur : le rejet de toute violence au sein de la classe ouvrière pendant la phase de la dictature du prolétariat.
Pour appuyer son argumentation, la camarade L. écrit : « Emma Goldman est allée en Russie dans années 1919-1920 et a été choquée par la situation sanitaire, les enfants abandonnés dans les rues, les difficultés à organiser la prise en charge des soins, la pénurie de médicaments, le poids de la bureaucratie, la difficulté à obtenir les autorisations pour se déplacer ; la classe ouvrière avait pris le pouvoir, mais déjà la bureaucratie gênait la mise en œuvre des mesures nécessaires, les forces de l’Entente bouclaient la Russie et empêchaient les livraisons de produits de première nécessité ». La camarade a tendance ici à perdre de vue la réalité du pouvoir prolétarien en 1919 et ne voit plus que les contre-tendances (démoralisantes mais bien réelles) qui vont dans le sens de la dégénérescence. D’ailleurs, si Emma Goldman a fini par rejeter en entier la révolution russe d’Octobre 1917 du fait de ses positions anarchistes, elle était très ouverte dans les premières années après son arrivée en Russie et a continué à soutenir les bolcheviks. Elle savait faire la différence entre tendances et contre-tendances : « C’est vrai que les bolcheviks ont tenté là le maximum en ce qui concerne l’enfant et l’éducation. C’est aussi vrai que, s’ils n’ont pas réussi à parer aux besoins des enfants de Russie, la faute en incombe beaucoup plus aux ennemis de la révolution russe qu’à eux. L’intervention et le blocus ont pesé plus lourdement sur les frêles épaules d’enfants innocents et de malades ». (2) C’est ainsi qu’elle a gardé son enthousiasme révolutionnaire devant les efforts titanesques du prolétariat, avant que celui-ci ne s’incline devant l’acharnement de la bourgeoisie stalinienne et mondiale.
Cette expérience irremplaçable et toutes les leçons qu’on doit en tirer pour l’avenir, on peut le ressentir dans le document que nous avons publié, par exemple cette conception prolétarienne de la justice : « Pour la première fois dans le monde entier et uniquement dans la Russie soviétiste, il fut décrété, dès le début de 1918, que les enfants âgés de moins de 18 ans ayant transgressé la loi ne peuvent être reconnus criminels, bien que pouvant être socialement dangereux et même nuisibles à la société. Ces enfants sont les tristes victimes des conditions anormales d’autrefois, de la société bourgeoise et n’ont besoin que d’une rééducation ». La Commune de Paris n’a duré que quelques semaines et pourtant le marxisme révolutionnaire en a tiré des leçons décisives quant au but et aux moyens de la révolution prolétarienne. Que dire alors de la Révolution russe de 1917-1923 ? C’est un trésor que le prolétariat devra encore et toujours étudier pour être en mesure de vaincre demain.
La camarade R. pose une question importante : « Le rapport décrit tout le protocole de mise en place de la prévention, des soins, de l’éducation sanitaire, etc., grâce au moyen d’un système de santé centralisé : question ? Comment interpréter cette centralisation ? Était-ce une partie du “centralisme” dédiée à la santé ? Était-ce un plan de centralisation des compétences médicales pour tenter de faire face à la détresse sanitaire et à la mortalité dans les rangs populaires ? Cette question en entraîne une autre : en elle-même, la centralisation n’est pas la garantie d’un réel pouvoir des masses sur la gestion d’un service ou plus encore des affaires de l’État ? » Il est bien vrai que si on prend « la centralisation » en soi, de façon abstraite, on n’arrivera à rien. On y verra déjà beaucoup plus clair en examinant le rapport dialectique entre centralisation et unité. La petite bourgeoisie et les couches sociales intermédiaires, effrayées par le prolétariat qui lui rappelle la menace du déclassement, irritées par la bourgeoisie dont l’État central les accule à la faillite, n’ont jamais pu s’unir pour se défendre, encore moins pour porter un projet révolutionnaire, elles ont toujours rejeté la centralisation au profit de l’autonomie locale et du fédéralisme.
Il en va tout autrement des classes historiques. La bourgeoisie révolutionnaire s’est appuyée sur un État centralisé et sur l’unité nationale pour se lancer à la conquête du marché mondial. Sans ces atouts, un pays comme l’Allemagne a pris un retard considérable par rapport à la France qui s’était débarrassée violemment du féodalisme en 1789. La bourgeoisie est effectivement capable de s’unir et de centraliser son action sur les champs de bataille militaires ou économiques, et tout particulièrement face à son ennemi de classe. Mais elle est minée par la concurrence économique, les rivalités impérialistes et les rivalités de cliques. Seul l’État est en mesure d’assurer la centralisation, un État toujours monolithique et totalitaire enveloppé dans les limbes de l’idéologie et de la religion. La situation est toute différente pour le prolétariat qui n’a pas d’intérêts économiques divergents, qui est par excellence une classe internationale. Certes, les ouvriers se font concurrence sur le marché du travail et ne connaissent pas la même situation selon les secteurs économiques et selon les pays. Certes, ils subissent de plein fouet la domination idéologique de la bourgeoisie, et c’est bien pourquoi ils doivent lutter à la fois contre l’ennemi de classe et pour conquérir leur unité, et cela n’est possible que dans une révolution. Tout ce qui les divise est un héritage de leur appartenance à la classe exploitée, cependant ils portent en eux une autre société qui se caractérise par la solidarité et, pour la première fois dans l’histoire, l’unité de l’espèce humaine. Cette société ne peut émerger que sur la base de la socialisation internationale de la production mise en œuvre par la bourgeoisie mais les contradictions de son système d’exploitation basé sur la concurrence freine cette socialisation. Seule la classe ouvrière pourra la mener plus loin. En se débarrassant des classes et de l’État, la société communiste aura résolu la contradiction entre l’individu et la communauté. Ainsi, le prolétariat comme classe révolutionnaire est capable de mener un combat acharné et violent contre la bourgeoisie, tout en unissant et centralisant ses forces au sein des Conseils ouvriers où toute forme de contrainte violente a disparu. Cette supériorité de la centralisation prolétarienne s’exprime également dans l’organisation révolutionnaire et le Parti. Sinon l’organisation d’avant-garde ne serait qu’un cercle de bavards et son action serait réduite à l’impuissance.
Les camarades de la Gauche communiste d’Italie rappelaient dans les années 1930 comment la question a été clarifiée par le marxisme : « En s’inspirant des travaux de Marx sur la Commune de Paris et développés par Lénine, les marxistes ont réussi à faire la nette démarcation entre le centralisme exprimant la forme nécessaire et progressive de l’évolution sociale et ce centralisme oppressif cristallisé dans l’État bourgeois. Tout en s’appuyant sur le premier, ils luttèrent pour la destruction du second. C’est sur cette position matérialiste indestructible qu’ils ont vaincu scientifiquement l’idéologie anarchiste ». (3)
La centralisation mise en œuvre par le Commissariat de l’hygiène publique représentait effectivement un atout qui a porté ses fruits, même dans le contexte limité que l’on connaît, car elle portait la marque d’un pouvoir authentiquement prolétarien.
RI, 1er juillet 2021
1 Conclusion du rapport du Commissariat de l’hygiène publique, sur notre site
2 Citée dans « Emma Goldman et la Révolution russe : Réponse tardive à une anarchiste révolutionnaire », Revue internationale n° 160.
3 « Problèmes de la période de transition (5). Quelques données pour une gestion prolétarienne », Bilan n° 37, (novembre-décembre 1936). L’article a été republié dans la Revue internationale n° 132, (1er trimestre 2008).
À nouveau, le spectre de l’accident nucléaire vient frapper les esprits. Après la catastrophe de Tchernobyl et celle de Fukushima, les nombreux incidents nucléaires répertoriés ou passés sous silence, ce qui s’est produit mi-juin dans le sud de la Chine dans un réacteur de nouvelle génération EPR de la centrale de Taishan vient nous rappeler qu’au-delà de l’omerta et des discours rassurants sur la fiabilité des réacteurs de type EPR, un des “fleurons” de la technologie française, le danger des catastrophes reste devant nous. Quand bien même l’incident, présenté par les autorités comme une “fuite de gaz radioactif dans le circuit primaire”. serait, nous dit-on, sans réelle conséquence, cela n’a rien de rassurant pour autant.
En effet, depuis les années 1990, nous ne pouvons que constater l’incurie de plus en plus évidente des “autorités” et l’accroissement des catastrophes en tout genre, de plus en plus graves et fréquentes : catastrophes dites “naturelles”, comme les inondations à répétition, les cyclones, les sécheresses, les incendies, ou “technologiques”, comme l’explosion à Beyrouth du 4 août 2020 et celle de Lubrizol en France, se multiplient.
Tout cela témoigne du fait que les dangers face auxquels les hommes semblent chaque jour plus démunis alors que les technologies ne cessent de progresser et que tous les moyens existent pour s’en protéger, prennent désormais une allure systémique et dévastatrice. À l’instar d’une pandémie comme celle que nous traversons, une catastrophe nucléaire sérieuse aurait nécessairement une dimension planétaire aux répercussions dramatiques, comme ce fut le cas en partie pour Tchernobyl en 1986, mais qui pourrait passer pour une bagatelle face aux dangers qui menacent avec le vieillissement d’une majorité des centrales dans le monde. Bien que passées largement sous silence, les conséquences de Tchernobyl ou de Fukushima continuent de frapper, notamment par l’augmentation des cancers de la thyroïde, sans compter les régions et les millions de mètres cube d’eau contaminés. Mais là encore, malgré la gravité, le pire n’a pas encore eu lieu tant la menace est grande.
Tous ces phénomènes n’ont rien de fortuit, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire. Leur augmentation et leur accélération ne fait que traduire l’impasse historique du système capitaliste en décomposition. Après plus d’un siècle de déclin historique et d’obsolescence, le système capitaliste agonisant, miné par ses contradictions et par sa recherche effrénée du profit coûte que coûte, poursuit sa quête de manière accélérée par sa politique de terre brûlée et menace désormais l’humanité de destruction à petit feu. Seul un combat acharné et conscient du prolétariat international pour défendre ses conditions de vie face à la paupérisation et aux menaces que fait peser ce système pourra libérer le monde de l’impasse capitaliste et de ses dangers mortels.
WH, 19 juin 2021
Nous publions ci-dessous des extraits d’un article publié sur notre site en espagnol.
Afin de fermer l’accès à la Méditerranée, l’Union Européenne déploie une force navale nommée Frontex qui, en 10 ans, a refoulé de manière expéditive plus de 60 000 migrants et a été dénoncée pour effectuer des renvois directs dans des îles grecques en crise.
De plus, à côté de la répression propre des États membres l’UE confie “la sale besogne” de traque, de répression et de retour au pays d’origine à la Turquie à l’est, à la Libye au centre et au Maroc à l’ouest. […]
Le capital marocain se charge à la perfection de cette “sous-traitance” puisque ses forces de répression ont une réputation bien méritée de brutalité et d’absence de scrupules en matière de “droits humains”. Depuis 2005, la police marocaine enferme, assassine, viole, bat, renvoie les migrants et réalise même quelque chose d’encore plus atroce en les faisant monter dans les autobus pour les abandonner en plein désert. 1 […]
Cependant en assumant ces fonctions généreusement rétribuées par l’UE, le Maroc, tout comme son homologue turc, dispose d’une formidable arme de pression et de chantage sur l’Europe et plus particulièrement sur l’Espagne, porte sud de la Méditerranée.
Le capital marocain utilise dans son intérêt le drame de l’émigration. Il se fait rémunérer sous forme de subventions, d’investissements, d’accords commerciaux, d’avantages impérialistes, etc. Lorsque le Maroc souhaite obtenir quelque avantage impérialiste (particulièrement au sujet du Sahara occidental) ou économique (par exemple avec la pêche) ou simplement recevoir plus de subventions. Mais quand il désire exercer une pression plus forte, il n’hésite pas à ouvrir sa frontière avec l’Espagne. C’est le jeu sinistre du chat et de la souris. Sa manœuvre habituelle est de laisser passer les migrants à travers les “points chauds” espagnols : Canaries, Melilla et Ceuta.
C’est le cas de la récente crise à Ceuta durant laquelle en deux jours, 10 000 personnes sont entrées dans la ville avec les encouragements des autorités marocaines. Après avoir laissé les portes ouvertes le lundi et le mardi, le mercredi 19 mai le Maroc a fermé de nouveau les frontières et les matraques, les tabassages et les détentions sont réapparus.
Plus de 1500 enfants et des familles entières sont entrés en nageant ou en passant par des trous dans les clôtures frontalières.
Au Maroc, la jeunesse est désespérée par le chômage, les atroces conditions de travail et la répression du régime : “La pandémie de Covid-19 a contracté l’économie de 7,1 % et a fait s’envoler le chômage des jeunes à près de 40 %. La pauvreté dans les villes a été multipliée par 7 durant la dernière année. En février, au moins 24 personnes, pour la plupart des femmes, sont mortes noyées à cause d’une inondation dans une cave de Tanger qui fonctionnait comme fabrique textile illégale”2. […]
Dans le même temps au nord du Maroc, se concentrent des milliers de migrants qui fuient en débandade la situation qui règne dans la grande majorité des pays africains.
Pour l’UNHCR (agence dec l’ONU sur la question des réfugiés), […] “la majeure partie des migrants est victime ou témoin d’exactions brutales aux mains des trafiquants, des contrebandiers, des milices ou des autorités étatiques qui les soumettent à des tortures impensables comme des brûlures à l’huile, au métal brûlant, ou au plastique fondu ; des décharges électriques et des immobilisations dans des postures douloureuses en plus de les battre et de les obliger à réaliser des travaux forcés, voire de les assassiner”.
Selon ce même rapport, “dans 47 % des cas les victimes ont déclaré que ces violences émanaient des autorités policières, ce qui écarte l’idée que les responsables sont toujours des contrebandiers ou des trafiquants”. “Au moins 1750 personnes sont mortes en 2018 et en 2019 après avoir migré de nations d’Afrique occidentale ou orientale”.
Cela a débouché sur les incidents de Castillejos, une ville marocaine voisine de Ceuta, où des centaines de jeunes se sont défendus contre la gendarmerie à coups de pierres. C’est une manipulation sanglante qui montre le capital tel qu’il est : un système assassin commandé par des assassins patentés.
Le capital espagnol, un impérialisme de second plan, aime exhiber ses muscles chaque fois qu’il a un contentieux avec son voisin du Sud. En 2002, le gouvernement de droite d’Aznar avait déployé une opération militaire disproportionée afin de déloger une demi-douzaine de soldats marocains qui avaient fait une incursion sur Perjil, en face des côtes de Ceuta. En 2005 le gouvernement “socialiste” de Zapatero a déployé ses troupes de légionnaires et la garde civile afin de repousser brutalement une ruée de migrants que le Maroc avait laissé passer par Melilla. Cinq migrants sont morts. Désormais, c’est le gouvernement de la “gauche progressiste” de Sanchez (dont fait partie “l’ami des migrants” Podemos), qui lance les tanks sur la plage du Tarajal et déploie l’armée et la garde civile. Les migrants ont souffert de ce déploiement puisque se sont produites “des agressions sur mineurs de la part des membres de l’armée, le non-respect du devoir de protection à l’enfance, des renvois immédiats sans un minimum de garanties, la criminalisation des personnes migrantes. Au moins un homme est décédé. Le gouvernement espagnol a refoulé plus de 4000 personnes”.3 […]
Le capital espagnol joue un double jeu avec les pays du Maghreb en tentant d’arbitrer et de tirer profit des tensions entre deux ennemis irréconciliables : le Maroc et l’Algérie. Cette dernière supporte le Polisario, “mouvement de libération du Sahara occidental” occupé par le Maroc ainsi l’hospitalisation en Espagne du leader de ce groupe atteint du Covid a provoqué les représailles marocaines. Cependant, la réponse armée du capital espagnol a pris les migrants comme cibles. C’est la réalité de toutes les guerres : les capitaux nationaux s’affrontent en utilisant les masses humaines comme chair à canon.
L’État espagnol qui prétend être “démocratique”, “humanitaire” et “avancé” a tenté de dissimuler la barbarie de sa réponse avec la répétition en boucle d’images humanitaires : un garde civil qui sauve un bébé, des soldats prenant un migrant par l’épaule ou les équipes du personnel sanitaire s’occupant de femmes et d’enfants transis de froid.
Le cache-sexe hypocrite du gouvernement “le plus progressiste de l’histoire espagnole” occulte le désespoir de centaines de migrants qui déambulent dans Ceuta, se cachant de la police et de l’armée pour ne pas être renvoyés ou internés : selon la presse locale, “Les enfants, les jeunes qui arrivent sur le territoire de Ceuta sont refoulés sans que personne ait parlé avec eux, dorment dans la rue et sont victimes de tirs de carabine de plomb dans les rues”. À Ceuta, des femmes d’origine marocaine, aidées par des familles espagnoles et de Gibraltar, ont organisé de leur propre initiative, devant la totale inaction des organismes officiels, des services de douches, de distribution de nourriture et de vêtements aux migrants noirs ou arabes. D’après leurs témoignages, ils sont quelques milliers à venir chaque jour, apeurés, “refusant d’aller à l’hôpital universitaire de Ceuta car ils ont peur que la police ne les embarque et les renvoie au Maroc”. […] Les CIES (centres d’internement pour étrangers) sont des prisons dans lesquelles les migrants peuvent être enfermés plus de 60 jours sans avoir commis le moindre délit, théoriquement en attente d’être déportés. Il y en a huit en Espagne dans lesquels on a entassé jusqu’à 14 000 migrants alors que la capacité officielle est de 1472 personnes ! En mai 2020 ils ont été vidés à cause des révoltes et des protestations car ils ne recevaient aucune attention face au danger de contamination par le Covid. Cependant ils ont été réouverts en septembre 2020 et plus de 1000 personnes se retrouvent ainsi enfermées dans des conditions sanitaires, alimentaires et de traitement inhumaines.
S’y ajoutent les campements dans trois îles des Canaries (Fuerteventura, Gran Canaria et Tenerife) dans lesquels, en pleine pandémie, le gouvernement a entassé plus de 9000 migrants venant des côtes africaines dans des conditions de logement infâmes, avec de la nourriture de mauvaise qualité et en petite quantité et en leur faisant subir des traitements dégradants.
Ceux qui “jouissent de liberté” se voient forcés à dormir à la merci des intempéries sur des terrains, dans des maisons abandonnées ou dans le meilleur des cas, dans des appartements de fortune dans lesquels ils s’entassent jusqu’à 14 dans des logements de 3 pièces.
Avec des emplois informels, travaillant comme vigiles dans les parkings, laveurs de vitres aux feux rouges, vendeurs à la sauvette toujours prêts à ramasser les marchandises et à courir avant l’arrivée de la police.
De fait, derrière l’attaque scandaleuse des migrants par le capital espagnol se cache la poursuite de l’attaque frontale des conditions de vie de tous les travailleurs, natifs ou étrangers car les conditions des travailleurs “autochtones” s’apparentent toujours plus à celles de leurs frères de classe migrants. Le salaire moyen en Espagne a connu en 2020 une chute de 3,1 %, la plus importante depuis un demi-siècle. […] La précarité de l’emploi connaît une escalade irréversible affectant tout particulièrement les jeunes générations alors même que sévit une nouvelle vague énorme de licenciements.
Il faut repousser autant les loups (Vox, PP) qui disent défendre les travailleurs espagnols face aux immigrés que les loups déguisés en agneaux (Podemos, PSOE) qui prétendent défendre tout le monde sans discrimination.
Les uns un comme les autres n’ont qu’un seul but : renforcer l’exploitation capitaliste en accroissant l’enfoncement dans la misère de tous les prolétaires par tous les moyens.
Marjane/Omar, 31 mai 2021
1Voir l’article « Ceuta, Mellila : l’hypocrisie criminelle de la bourgeoisie démocratique » [77], Révolution internationaleI n° 362, (novembre 2005).
2“El regreso al pasado del rey de Marruecos”, article du quotidien bourgeois La Vanguardia du 20/05/2021.
3Selon Kaosenlared du 21 mai 2021 (site sur les réseaux sociaux se réclamant de la « gauche anticapitaliste »).
Une sympathisante du CCI nous a fait part dans son courrier de préoccupations concernant directement l’avenir de la lutte de classe. Comme nous ne pouvons ici répondre à tous les aspects abordés par la camarade, nous souhaitons limiter notre réponse à une idée qui nous paraît important d’approfondir et clarifier.
La camarade avance l’idée suivante : « Quand on lutte pour davantage de justice ou d’égalité, ou contre la violence, on peut finir par comprendre que l’origine des inégalités, des injustices et des violences c’est le capitalisme ». La camarade poursuit en posant cette question : « Pourquoi, quand on lutte contre les injustices, contre les violences et pour l’égalité, est-ce un terrain bourgeois ? » (1)
La décomposition sociale, phase ultime de la décadence du capitalisme, marquée par l’incapacité des deux classes fondamentales de la société a donné une perspective à la société, a accru considérablement les injustices, les inégalités et les violences de toutes sortes, mais aussi et inéluctablement les guerres, la destruction de la planète, la misère et barbarie. Cette société entraîne le monde dans l’abîme. Telle est la réalité et le constat que nous devons faire et qui semble irrémédiable. De plus, cette période historique marquée par l’atomisation des individus et la fragmentation sociale débouche sur le repli vers « sa » communauté. Tous ces éléments pèsent donc sur la capacité de la classe ouvrière à recouvrer son identité (c’est-à-dire prendre conscience de son existence en tant que classe exploitée) et à développer ses luttes sur son propre terrain alors que les luttes parcellaires et interclassistes, souvent basées sur un idéal de justice et d’équité justement, tendent à se multiplier et mieux semer le trouble au sein de la classe ouvrière. Par conséquent, sur quelle base la classe ouvrière peut-elle lutter pour la transformation de ce monde ? Ce combat se fonde-t-il sur un idéal de justice ?
Les sociétés de classes ont toujours connues l’inégalité, l’injustice et la violence. Malgré les révoltes des classes exploitées qui se sont succédées tout au long de l’histoire, comme celle de Spartacus contre la domination romaine, ou celle des paysans allemands et la secte chrétienne anabaptiste contre l’ordre féodal au XVIe siècle. Mais aucun des maux de l’exploitation n’a jamais disparu et ne pouvait disparaître. Aucune des classes exploitées du passé n’était réellement en mesure d’abattre l’exploitation de la société dans laquelle elle évoluait.
Contrairement aux modes de production l’ayant précédé, le capitalisme a pu développer les forces productives à un niveau suffisant pour dépasser la pénurie qui caractérisait les sociétés du passé. Le capitalisme ne produit pas pour satisfaire les besoins humains (c’est-à-dire des « valeurs d’usage ») mais pour créer des marchandises (ou « valeur d’échange »), à tel point qu’il est aujourd’hui empêtré dans une crise de surproduction généralisée et inéluctable.
Pourquoi ? Pour produire ses marchandises, le capitaliste achète aux travailleurs leur force de travail, la seule marchandise que les prolétaires peuvent vendre. Mais pour tirer un bénéfice suffisant lui permettant d’« accumuler du capital » (c’est-à-dire de nouvelles machines, plus nombreuses et plus performantes, lui permettant de produire de façons moins coûteuses et de rester compétitif face à la concurrence), il rétribue les prolétaires moins que la valeur réelle des marchandises produites. Or, comment acheter la totalité des marchandises produites si les salaires des prolétaires (et éventuellement la rémunération personnelle du capitaliste) lui sont inférieurs ? C’est ainsi que le capitalisme s’est répandu, tant dans les campagnes des premiers centres de productions capitalistes (en Europe occidentale) qu’aux quatre coins de la planète, à la recherche de nouveaux marchés en mesure d’acheter les marchandises. Ce faisant, il a peu à peu intégré ces marchés et leur population dans le processus de production de marchandises, aggravant davantage ses besoins en débouchés qui, du fait des limites objectives de la planète, sont devenus de moins en moins nombreux. C’est la raison pour laquelle les soubresauts de l’économie mondiale tendent à devenir toujours plus catastrophiques.
Comme le capitalisme a poussé à son terme le développement des forces productives en vue de produire des valeurs d’échange, la réponse à ses contradictions ne peut en aucun cas être le dépassement du capitalisme par une nouvelle société d’exploitation accroissant davantage la masse de marchandises. Le seul moyen de surmonter les contradictions du capitalisme réside donc dans l’abolition de ce qui constitue le cœur de celles-ci : la marchandise elle-même, en particulier, celle à partir de laquelle toutes les autres marchandises sont produites : la force de travail, c’est-à-dire le salariat. Dans la mesure où l’abolition de l’exploitation se confond, pour l’essentiel, avec l’abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d’exploitation, c’est-à-dire le prolétariat, est en mesure de porter un projet révolutionnaire. (2)
Étant à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire, le but historique du prolétariat consiste donc à l’émancipation de l’humanité toute entière par la remise en cause du capitalisme comme un tout.
La lutte pour la « justice sociale », (comme faire payer davantage d’impôts aux « plus riches ») ou pour plus d’égalité (3) entre les individus dans tel ou tel domaine, quelle que soit leur classe sociale (comme le droit de vote pour tous par exemple), consiste seulement à « faire pression » sur le gouvernement bourgeois pour qu’il améliore la société capitaliste. Elles ne visent donc qu’à vouloir « refonder » ou « améliorer » une société par essence « inégalitaire », « injuste » et en pleine faillite.
Par conséquent, ces revendications ne peuvent pas former un facteur actif à l’identification du capitalisme comme cause de toutes les formes d’oppressions, d’aliénations et de ségrégations au sein de la société.
C’est déjà la critique portée par Marx et Engels dans le Manifeste communiste à l’égard des illusions idéalistes drainées par le courant socialiste utopique : « Certes les inventeurs de ces systèmes aperçoivent l’antagonisme des classes, ainsi que l’action des éléments dissolvants dans la société dominante elle-même. Toutefois, ils n’aperçoivent du côté du prolétariat aucune initiative historique, aucun mouvement politique qui lui soit propre. La forme rudimentaire de la lutte de classes tout comme leur propre situation dans la vie les portent cependant à se croire au-dessus des oppositions de classes. Ils voudraient améliorer l’existence de tous les membres de la société, même des plus privilégiés. C’est pourquoi ils lancent sans cesse leur appel à l’ensemble de la société sans distinction, et même de préférence à la classe dominante. […] C’est pourquoi ils rejettent toute action politique, et surtout toute action révolutionnaire. Ils veulent atteindre leur but par des moyens pacifiques, et ils essaient de frayer un chemin au nouvel évangile social par la force de l’exemple, par des expériences limitées, qui, naturellement, se terminent par un échec. […] Et pour donner corps à tous ces châteaux en Espagne, ils sont forcés de faire appel à la charité des cœurs et des bourses de la bourgeoisie ». (4)
Aujourd’hui, comme au milieu du XIXe siècle, le problème sur cette question se pose peu ou prou dans les mêmes termes :
– Les luttes contre les injustices et pour davantage d’égalité, en entretenant l’illusion que la société capitaliste, par essence inégalitaire, pourrait être améliorée, ne visent pas à mettre en cause le capitalisme comme un tout.
– Ce faisant, en appelant à réformer le système plutôt que de le transformer de fond en comble, ces revendications sèment les illusions et se placent résolument sur les terrains bourgeois ou petit-bourgeois.
Depuis que le capitalisme l’a fait surgir, le prolétariat se bat (par la grève, les assemblées, etc.), pour réduire les effets de l’exploitation et se défendre face aux souffrances engendrées par l’esclavage salarié. Par conséquent, la classe ouvrière rentre en lutte, avant toute chose, par nécessité matérielle.
La plupart des luttes révolutionnaires du prolétariat ont ainsi commencé par la défense de besoins vitaux et un refus d’accepter passivement le développement de la misère et de la souffrance, de la guerre ou encore de la répression brutale exercée par la police ou l’armée. Tel fut le cas lors de la Commune de Paris, les révolutions de 1905 et 1917 en Russie et toute la vague révolutionnaire internationale après 1917-1918. Tel fut encore le cas lors de la plus grande grève ouvrière de l’histoire en 1968 en France. Tous ces épisodes de l’histoire du mouvement ouvrier montrent que le prolétariat ne déploie pas sa force révolutionnaire sur la base d’un idéal de justice ou d’égalité mais sur la base de son exploitation et des souffrances que le capitalisme lui fait subir.
Mais, dans le contexte de la décadence du capitalisme et de la concurrence toujours plus acharnée que se livre chaque capital pour écouler ses marchandises, la bourgeoisie est incapable d’accorder la moindre réforme durablement positive à la classe ouvrière. A part faire reculer ponctuellement telle ou telle attaques de la bourgeoisie, le prolétariat ne peut plus rien obtenir de la classe dominante. C’est ainsi que dans ses luttes « défensives », le prolétariat se heurte aussi aux limites objectives de la société capitaliste. Fertilisée par l’intervention de la minorité révolutionnaire, ces luttes « défensives » sont donc le terreau sur lequel le prolétariat est amené à développer sa conscience politique et sa lutte pour la destruction des causes mêmes de l’exploitation. Comme l’affirmait Lénine, la nature par essence révolutionnaire de la lutte du prolétariat implique que « derrière toute grève se dresse l’hydre de la révolution ».
Boris, 1er juillet 2021
1Nous bornerons notre réponse à la question des luttes contre les injustices et contre les inégalités.
2Pour davantage de précisions à ce sujet voir : « Perspective du communisme (III) : Pourquoi la classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire », Révolution internationale n° 342.
3Rappelons d’ailleurs que le principe d’égalité ne fait pas partie des bases de la société communiste qui ne vise pas à mettre tous les individus au même niveau mais de s’établir en fonction des capacités et des besoins de chacun. Marx a d’ailleurs critiqué les errements de Babeuf et du courant babouviste durant la Révolution française à ce sujet. Voir notamment : « Du communisme primitif au socialisme utopique », Revue internationale n° 68.
4K. Marx, F. Engels, Le Manifeste communiste, « III. Littérature socialiste et communiste », 1848.
En à peine quelques semaines, partout sur la planète, les catastrophes climatiques se sont enchaînées à un rythme effroyable. Aux États-Unis, au Pakistan, en Espagne ou au Canada, les températures ont avoisiné les 50°C. Dans le Nord de l’Inde, les fortes chaleurs ont causé plusieurs milliers de décès. 800 000 hectares de forêts sibériennes, l’une des régions les plus froides du monde, sont déjà partis en fumée. En Amérique du Nord, la désormais traditionnelle saison des incendies de forêts géants a déjà commencé : plus de 150 000 hectares ont déjà brûlé pour la seule Colombie britannique ! Dans le sud de Madagascar, une sécheresse sans précédent a plongé 1,5 million de personnes dans la famine. Des centaines de milliers de gamins crèvent, parce qu’ils n’ont plus rien à manger, ni rien à boire, dans une indifférence presque unanime ! Le Kenya et plusieurs autres pays africains connaissent la même situation dramatique.
Mais tandis qu’une partie du monde suffoque, des pluies diluviennes se sont abattues sur le Japon, la Chine et l’Europe provoquant des inondations sans précédents et des glissements de terrain meurtriers. En Europe de l'Ouest, en Allemagne et en Belgique particulièrement, les inondations, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ont causé la mort de plus de 200 personnes et des milliers de blessés. Des milliers de maisons, des villages entiers, des agglomérations, des rues ont été emportés par les eaux. Dans l’ouest de l’Allemagne, le réseau routier, les lignes électriques, les conduites de gaz, les réseaux de télécommunication et les chemins de fers sont dévastés. De nombreux ponts ferroviaires et routiers se sont effondrés. Jamais cette région n’avait été frappée par des inondations d’une telle ampleur.
En Chine, dans la ville de Zhengzhou, capitale de la province centrale de Henan et peuplée de 10 millions d’habitants, il est tombé en trois jours l’équivalent d’un an de précipitations ! Des rues se sont transformées en torrents déchaînés, avec des scènes hallucinantes de dévastation et de chaos : routes effondrées, bitume fracassé, véhicules emportés par les eaux… Des milliers d’usagers du métro se sont retrouvés coincés dans les stations, les rames ou les tunnels, avec souvent de l’eau jusqu’au cou. Il est fait état d’au moins 33 morts et de nombreux blessés. 200 000 personnes ont été évacuées. L’approvisionnement en eau, en électricité, en nourriture ont été brutalement interrompus. Personne n’avait été prévenu. Les dommages agricoles se chiffrent en millions. Au sud du Henan, le barrage du réservoir d’eau de Guojiaju a cédé et deux autres menacent également de s’effondrer à tout moment.
Les conclusions effroyables du pré-rapport du GIEC qui a « fuité » dans la presse ont de quoi nous glacer le sang : « La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas ». Depuis des décennies, les scientifiques alertent sur les dangers du dérèglement climatique. Nous y sommes ! Il ne s’agit plus seulement de la disparition d’espèces ou de catastrophes localisées ; les cataclysmes sont désormais permanents… et le pire est à venir !
Depuis de nombreuses années, les canicules, les incendies, les ouragans et les images de destruction se multiplient. Mais si les carences et l’incompétence des États les plus pauvres dans la gestion des catastrophes ne surprennent malheureusement plus personne, l’incapacité croissante des grandes puissances à faire face est particulièrement significative du niveau de crise dans laquelle s’enfonce le capitalisme. Non seulement, les phénomènes climatiques sont de plus en plus dévastateurs, nombreux et incontrôlables, mais les États et les services de secours, sous le poids de décennies de coupes budgétaires, sont de plus en plus désorganisés et défaillants.
La situation en Allemagne est une expression manifeste de cette tendance. Si le système européen d’alerte pour les inondations (EFAS), mis en place après les inondations de 2002, a bien anticipé les crues des 14 et 15 juillet, comme l’a déclaré l’hydrologue Hannah Cloke : « les avertissements n’ont pas été pris au sérieux et les préparatifs ont été insuffisants ». (1) L’État central s’est, en effet, débarrassé des systèmes d’alerte en les confiant aux États fédéraux, voire aux municipalités, sans procédures standardisées, ni moyens conséquents. Résultat : alors que les réseaux électriques et de téléphonie s’étaient effondrés, empêchant d’alerter la population et de procéder à des évacuations, la protection civile n’a pu faire hurler les sirènes… que là où elles fonctionnent encore ! Avant la réunification, l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est comptait environs 80 000 sirènes ; il n’en reste désormais que 15 000 en état de fonctionnement. (2) Faute de moyens de communication et de coordination, les opérations des forces de secours se sont également déroulées dans le plus grand désordre. En d’autres termes, l’austérité et l’incompétence bureaucratique ont largement contribué à ce fiasco !
Mais la responsabilité de la bourgeoisie ne s’arrête pas aux défaillances des systèmes de sécurité. Dans ces régions urbanisées et densément peuplées, la perméabilité des sols est fortement réduite, accroissant les risques d’inondations. Pendant des décennies, pour mieux concentrer la main d’œuvre par souci de rentabilité, les autorités n’ont jamais hésité à autoriser la construction de nombreuses habitations en zones inondables !
Une grande partie de la bourgeoisie ne pouvait évidemment qu’admettre le lien entre le réchauffement climatique et la multiplication des catastrophes. Au milieu des décombres, la chancelière allemande déclarait solennellement : « Nous devons nous dépêcher. Nous devons aller plus vite dans la lutte contre le changement climatique ». (3) De la pure tartufferie ! Depuis les années 1970, les sommets internationaux et autres conférences s’enchaînent presque chaque année avec leur lot de promesses, d’objectifs, d’engagements. À chaque fois, les « accords historiques » se révèlent n’être que des vœux pieux, tandis que les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter d’année en année.
Par le passé, la bourgeoisie a pu se mobiliser sur des enjeux ponctuels du point de vue de son économie, comme la diminution drastique des gaz fluorés responsables du « trou » dans la couche d’ozone. Ces gaz étaient notamment utilisés dans les climatiseurs, les réfrigérateurs ou les bombes aérosols. Un effort, certes important face aux risques que fait encore peser la dégradation de la couche d’ozone, mais qui n’a jamais nécessité un bouleversement drastique de l’appareil de production capitaliste. Les émissions de CO2 représentent un enjeu autrement plus considérable sur ce plan !
Les gaz à effet de serre, ce sont les véhicules qui transportent travailleurs et marchandises, c’est l’énergie qui fait tourner les usines, c’est aussi la production de méthane et la destruction des forêts induites par l’agriculture intensive. Bref, les émissions de CO2 touchent au cœur de la production capitaliste : la concentration de la main d’œuvre dans d’immense métropole, l’anarchie de la production, l’échange de marchandises à l’échelle planétaire, l’industrie lourde… C’est la raison pour laquelle la bourgeoisie est incapable de trouver de véritables solutions à la crise climatique. La recherche de profit, la surproduction massive de marchandises, comme le pillage des ressources naturelles, ne sont pas une « option » pour le capitalisme : c’est la condition sine qua non de son existence. La bourgeoisie ne peut que promouvoir l’accroissement de la production en vue de l’accumulation élargie de son capital, sans quoi elle met en péril ses propres intérêts et ses profits face à une concurrence mondialisée exacerbée. Le fond inavouable de cette logique est la suivante : « après moi le déluge » ! Les phénomènes climatiques extrêmes ne se contentent plus d’impacter les populations des pays les plus pauvres, ils perturbent désormais directement le fonctionnement de l’appareil de production industriel et agricole dans les pays centraux. La bourgeoisie est ainsi prise dans l’étau de contradictions insolubles !
Aucun État n’est en mesure de transformer radicalement son appareil de production sans subir un recul brutal face à la concurrence des autres pays. La chancelière Merkel peut bien clamer qu’il faut « aller plus vite », il n’en demeure pas moins que le gouvernement allemand n’a jamais voulu entendre parler de réglementations environnementales trop strictes pour protéger des secteurs stratégiques comme ceux de l’acier, de la chimie ou de la voiture. Merkel a aussi réussi à repousser pendant des années l’abandon (pourtant très progressif) du charbon : l’exploitation à ciel ouvert du charbon de Rhénanie et d’Allemagne de l’Est demeure pourtant l’un des plus gros pollueurs d’Europe. En d’autres termes, le prix de la forte compétitivité de l’économie allemande, c’est la destruction sans vergogne de l’environnement ! La même logique implacable s’applique aux quatre coins de la planète : renoncer à émettre du CO2 dans l’atmosphère ou à détruire les forets, ce serait, pour « l’atelier du monde » qu’est la Chine comme pour l’ensemble des pays industrialisés, se tirer une balle dans le pied.
Face à cette expression criante de l’impasse du capitalisme, la bourgeoisie instrumentalise les catastrophes pour mieux défendre son système. En Allemagne, où la campagne pour les élections fédérales de septembre bat son plein, les candidats rivalisent de propositions pour lutter contre le dérèglement climatique. Mais tout cela n’est que de la poudre aux yeux ! La « green economy », censée créer des emplois par millions et favoriser une prétendue « croissance verte », ne représente en rien une issue pour le capital, ni sur le plan économique, ni sur le plan écologique. Aux yeux de la bourgeoisie, la « green economy » a surtout une valeur idéologique destinée à feindre la possibilité de réformer le capitalisme. Si de nouveaux secteurs à coloration écologique émergent, comme la production de panneaux photovoltaïques, de bio carburants ou de véhicules électriques, non seulement ils ne pourront jamais servir de véritable locomotive à l’ensemble de l’économie compte tenu des limites des marchés solvables, mais leur impact catastrophique sur l’environnement n’est plus à démontrer : destruction massive des forêts pour en extraire des terres rares, recyclage plus que déplorable des batteries, agriculture intensive du colza, etc.
La « green economy » est aussi une arme de choix contre la classe ouvrière, justifiant les fermetures d’usines et les licenciements, comme en témoigne les propos de Baerbock, la candidate écologiste aux élections allemandes : « Nous ne pourrons éliminer progressivement les combustibles fossiles [et les travailleurs qui vont avec] que si nous disposons de cent pour cent d’énergies renouvelables » (4) Il faut dire qu’en matière de licenciements et d’exploitation de la main d’œuvre, les Verts en connaissent un rayon, eux qui, pendant sept ans, ont contribué activement aux ignobles réformes du gouvernement Schröder !
L’impuissance de la bourgeoisie face aux effets de plus en plus dévastateurs, sur le plan humain, social et économique du dérèglement climatique, n’est cependant pas une fatalité. Certes, parce qu’elle est prise dans l’étau des contradictions de son propre système, la bourgeoisie ne peut conduire l’humanité qu’au désastre. Mais la classe ouvrière, à travers sa lutte contre l’exploitation en vue du renversement du capitalisme, est la réponse à cette évidente contradiction entre, d’un côté, l’obsolescence des méthodes de production capitaliste, sa complète anarchie, la surproduction généralisée, le pillage insensé des ressources naturelles, et, de l’autre, le besoin impérieux de rationaliser la production et la logistique en vue de répondre à des besoins humains urgents et non à ceux du marché. En débarrassant l’humanité du profit et de l’exploitation capitaliste, le prolétariat aura, en effet, la possibilité matérielle de mener un programme radical de protection de l’environnement. Si le chemin est encore long, le communisme est plus que jamais nécessaire pour la survie de l'humanité !
EG, 23 juillet 2021
1 « Allemagne : après les inondations, premières tentatives d’explications [79] », Libération.fr (17 juillet 2021).
2 « Warum warnten nicht überall Sirenen vor der Flut ? [80] », N-TV.de (19 juillet 2021).
3 « Choquée par les dégâts “surréalistes”, Angela Merkel promet de reconstruire [81] », LeMonde.fr (18 juillet 2021).
4 « Klimaschutz fällt nicht vom Himmel, er muss auch gemacht werden [82] », Welt.de (22 juillet 2021).
Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le samedi 21 août 2021 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [3]) ou dans la rubrique “contact [58]” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats. Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées par retour de courriel.
Après quinze mois durant lesquels les pays du G7 ont essayé de se renvoyer mutuellement ainsi que vers leurs rivaux les plus faibles, la responsabilité de la pandémie, après des millions de morts liés au coronavirus, après un chaos politique sans précédent aux États-Unis dont le point culminant fut l’invasion du Capitole, tout cela conjugué avec l’accélération de la crise climatique, l’aggravation des tensions internationales, les nouvelles embardées de l’économie mondiale, le sommet du G7 qui a eu lieu à Cornwall en juin, a donné une façade d’unité et de détermination entre les rivaux impérialistes. Derrière cette mascarade, le G7 est toujours un repaire de brigands. Le fait que la Chine, la seconde puissance économique mondiale n’était pas invitée au sommet en dit long sur la profondeur des tensions entre les puissances rivales. Les pays du G7 sont enfermés dans une lutte à mort pour dépecer et ravager la planète, ce afin de tenter désespérément de trouver et de contrôler les matières premières vitales pour « l’économie verte ». La seule chose qui a changé pour le G7 est que le remplacement de Trump par Biden signifie que les États-Unis ont rejoint la campagne unie de préoccupation hypocrite pour la nature et l’humanité et dans le but de jeter de la poudre aux yeux des travailleurs.
Un des éléments qui ont miné cette prétendue unité est la guerre que le gouvernement britannique mène avec l’Union européenne au sujet des saucisses, nuggets et autres viandes surgelées qui traversent la mer d’Irlande vers l’Irlande du Nord. La dispute au sujet de l’accord du Brexit a menacé de faire imploser la coquille vide du G7 et de son unité de façade. Boris Johnson a choisi d’ignorer les avertissements explicites que Biden a émis avant le meeting à cause de la tentative du Royaume-Uni d’utiliser le sommet afin de menacer de rompre le protocole d’accord sur l’Irlande du Nord si le gouvernement britannique ne pouvait pas agir à sa guise. Cette similitude avec les bouffonneries de Trump n’était pas un hasard. La Grande-Bretagne est devenue l’œil du cyclone populiste parmi les grandes puissances.
Aux États-Unis, les plus lucides factions de la bourgeoisie ont pour le moment réussi à écarter Trump du pouvoir. En Grande-Bretagne, des fractions similaires n’ont pas été capables de prendre de telles mesures afin de mieux contrôler leur appareil politique. Au lieu d’endiguer la marée populiste, le référendum de 2016 a ouvert les vannes. L’appareil politique tout entier a été paralysé dans la lutte sur le Brexit. La crise a donné naissance au gouvernement Johnson, dirigé par un politicien haï par beaucoup au sein de son propre parti pour ses mensonges, son irresponsabilité et son inclination prononcée pour la trahison. Le Parti travailliste, sous la direction de Keir Starmer, est entré dans une spirale de défaites électorales et de guerres intestines, laissant la classe dominante sans réelle alternative à ce stade pour remplacer ou agir comme modérateur face à Johnson.
Le prix à payer pour le maintien de ce gouvernement était clairement visible avec sa réponse initiale face au Covid. À un niveau beaucoup plus profond, la perte de contrôle de la bourgeoisie britannique sur son propre jeu politique menace d’accélérer les tensions, mettant en péril l’intégrité même de l’État britannique. Cela se remarque à travers le poids grandissant du Parti National écossais et ses appels à l’indépendance ainsi que les menaces grandissantes venant d’Irlande du Nord de rompre avec la Grande-Bretagne ou d’être jetée dans une violente tourmente à cause du Brexit.
Avant les élections locales de mai, l’un des principaux porte-paroles des factions anti-populistes de la bourgeoisie, The Economist, a lancé ce sinistre avertissement :
« Briser l’union d’un pays ne devrait jamais être fait à la légère car c’est un processus douloureux politiquement, économiquement et émotionnellement. Demandez aux Indiens, aux Pakistanais, aux Bangladais, aux Serbes ou aux anciens citoyens de Yougoslavie. Très peu de séparations se produisent aussi pacifiquement et avec autant de facilité que celle qu’ont connu les Tchèques et les Slovaques. Bien qu’il semble inconcevable que les citoyens du Royaume-Uni d’aujourd’hui commencent à s’entre-tuer, c’est exactement ce qu’ils ont fait durant les troubles en Irlande du Nord qui se sont terminés il y a moins d’un quart de siècle ».
La guerre civile n’est pas à l’ordre du jour mais la dynamique de fragmentation est bien réelle. Cela est particulièrement clair en Écosse où l’effort désastreux de contenir le populisme avec le référendum sur le Brexit n’a pas seulement ouvert les portes au populisme en lui permettant d’infecter le parti conservateur mais a donné une immense impulsion au nationalisme écossais. Le feu nationaliste a été alimenté, par ailleurs, par les déclarations provocantes du gouvernement Johnson s’opposant à l’indépendance et par sa gestion de la pandémie. La perspective de ne pas avoir de changement imminent dans l’équipe dirigeante à Londres fournit plus de munitions au parti national indépendantiste. Johnson est si toxique en Écosse que son propre parti lui a interdit de faire campagne là-bas car sa présence aurait augmenté le potentiel électoral du parti national.
Le Brexit a également mis à nu un profond problème pour l’État britannique en relation avec l’Irlande du Nord : son manque de contrôle total sur l’une de ses propres régions. L’accord du Vendredi Saint en 1998 imposé à l’impérialisme britannique par l’impérialisme américain, était basé sur l’hypothèse que le Royaume-Uni continuerait à faire partie de l’Union européenne. Il a donné aux rivaux du capitalisme britannique en Europe une influence au sein de son propre territoire : ils ont fourni de l’argent et furent les arbitres en fin de compte dans les disputes entre l’État britannique et les différentes forces du nationalisme irlandais. Parmi eux, le Sinn Fein et surtout sa branche armée, l’IRA, ont bien accueilli l’accord parce qu’il leur donnait une part de pouvoir politique dans le Nord et laissait intact son contrôle des zones nationalistes. La bourgeoisie unioniste (et ses forces paramilitaires) fut forcée de partager le pouvoir et l’État britannique dut faire face à ses rivaux, les États-Unis, l’Allemagne, la France et la République irlandaise, empiétant sur le contrôle d’une partie de son propre territoire.
Le Brexit a réouvert cette blessure du côté de l’État britannique, le laissant encore plus exposé aux ingérences de ses rivaux. La bourgeoisie britannique a été mise dos au mur par l’Union européenne dès le début des négociations sur le Brexit. Bien que les deux parties se soient mises d’accord sur le fait que l’Irlande du Nord reste dans l’union douanière jusqu’à un accord commercial définitif, une frontière physique serait rétablie, ce qui menacerait de raviver les troubles. C’est ce qui était au cœur du fameux filet de sécurité irlandais de Teresa May. Johnson et la ligne dure des Brexiters ont torpillé cela mais ils ont été confrontés au même problème et furent forcés de signer un accord encore pire.
En cela, Johnson a imprudemment trahi le Parti unioniste démocrate (DUP) et le reste des forces unionistes en Irlande du Nord. Lorsque le DUP a appuyé sa candidature à la tête du parti en 2018, il leur a dit qu’aucun Premier ministre ne pourrait signer un accord qui érigerait une frontière maritime entre l’Irlande du Nord et le reste du royaume. Ainsi lorsque Johnson a signé le Protocole, il a saboté l’influence politique du DUP et a affaibli sa crédibilité envers les factions loyalistes, forces paramilitaires incluses, et a fait croître les tensions au sein du DUP. Cela a conduit à l’éviction d’Arlene Foster comme Première ministre, au court intérim d’Edwin Poots et à son remplacement par Jeffery Donaldson.
Cette sensation d’être menés en bateau par l’État britannique a déjà provoqué des émeutes chez les loyalistes et les marches orangistes durant l’été pourraient créer une poudrière susceptible de générer encore plus de violence. Les paramilitaires loyalistes ont déjà averti qu’ils pourraient attaquer le commerce entre le Sud et le Nord car ils voient dans l’augmentation des échanges cette année entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord un pas vers l’unification qu’ils refusent.
En mai, le ministre chargé du Brexit et le secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord ont pris contact avec les paramilitaires loyalistes et il se pourrait qu’ils aient encouragé leurs menaces de violences contre des agents des douanes de l’UE dans les ports d’Irlande du Nord. Mais ils jouent avec le feu. Les paramilitaires ne font pas confiance au gouvernement et se sentent de plus en plus isolés.
La bourgeoisie nationaliste irlandaise a été encouragée par l’évidente faiblesse de l’État britannique et par l’affaiblissement des partis unionistes. L’accord du Vendredi Saint contient la possibilité d’un référendum sur l’unification avec le Sud. L’intégration d’une population de paramilitaires loyalistes armés et furieux au sein même de son territoire, placerait l’État irlandais dans une situation identique à celle de l’État britannique. Cependant, l’irrationalité et le chaos grandissants dans la société pourraient amener les nationalistes dans le Nord à demander un référendum, ouvrant ainsi une nouvelle boîte de Pandore.
La posture ridicule du gouvernement Johnson au sujet de l’exportation de viande surgelée depuis la Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord résume juste à quel point la classe dominante britannique a été affaiblie et humiliée par le Brexit. Elle a été réduite à menacer de rompre un traité international, juste pour être autorisée par des rivaux à transporter des saucisses sur son propre territoire. Johnson n’a réussi qu’à se couvrir de ridicule dans sa tentative de rivaliser avec Biden sur ce sujet durant le sommet du G7 mais peu importe la faction au pouvoir, elle serait confrontée au même dilemme : ou risquer de remettre le feu aux poudres en Irlande du Nord en rompant le Protocole ou accepter l’interférence de rivaux impérialistes au sein de son propre territoire.
Les contradictions insurmontables de cette situation vont générer des tensions massives. Au vu de l’irresponsabilité politique et de la vision à court terme qui caractérisent les mesures du gouvernement Johnson, la possibilité que la situation devienne hors de contrôle est bien réelle. Cela pourrait mener à l’unification de l’Irlande et entraîner un nouveau cycle de terreur sectaire et de guérilla en Irlande du Nord qui pourrait s’étendre en Grande-Bretagne.
Le prolétariat en Grande-Bretagne est dans une situation difficile. L’accélération des forces centrifuges qui expriment la profondeur de la crise économique et la perte de contrôle grandissante de la bourgeoisie sur sa vie politique offrent aux travailleurs une perspective déroutante. De toutes les grandes nations, seul le prolétariat en Espagne est confronté à des pressions similaires conduisant à un danger de fragmentation et à une division concurrentielle en son sein derrière des factions bourgeoises. La capacité de la classe ouvrière à résister à ces pressions dépend du fait de mettre en avant ses intérêts de classe comme une classe antagoniste au capital : la solidarité de classe parmi toutes ses composantes contre les attaques grandissantes du capitalisme, la compréhension que l’ennemi est le système capitaliste et non les travailleurs des autres nationalités, la reconnaissance du besoin d’étendre les luttes, au-delà des frontières, des secteurs d’activité ou des régions, sont les seuls moyens de dépasser ces pressions grandissantes. C’est seulement en comprenant qu’il est une force sociale autonome qui contient l’unique alternative révolutionnaire au capitalisme, que le prolétariat pourra finalement renverser le système en rejetant toutes ces divisions.
Phil, 30 juin 2021
(traduction d'un article paru dans World Revolution, organe de presse du CCI au Royaume-Uni)
Pour les populistes britanniques et partisans du Brexit, les rêves nostalgiques d’un Empire qui couvrait un quart de la surface du globe terrestre et où le soleil ne se couchait jamais, se transforment en cauchemars. Et la campagne sur la « Global Britain » ne pourra pas l’empêcher.
En 2021, le paysage géopolitique a fondamentalement changé pour le Royaume-Uni. La Grande-Bretagne a perdu en grande partie son statut de puissance mondiale. Ses relations avec le continent, sa position au sein de l’OTAN et ses liens avec le Commonwealth sont tous remis en question. La relation particulière avec les États-Unis donnait au moins au Royaume-Uni un rôle influent en tant qu’intermédiaire entre Washington et Bruxelles. En se coupant de l’Europe, le Royaume-Uni s’est tiré une balle dans le pied : « Nous ne sommes plus un pont irremplaçable entre l’Europe et l’Amérique. Nous sommes désormais moins pertinents pour l’un comme pour l’autre » (John Major). Lors des négociations relatives au Brexit, le Royaume-Uni a agi en partant du principe qu’il occupait une place équivalente aux autres puissances internationales sur la scène mondiale. Mais le Brexit a confirmé que la bourgeoisie britannique se berçait d’illusions. Depuis la conclusion des négociations, elle évolue désormais dans un monde dominé par les États-Unis, la Chine et l’Union européenne (UE), un monde où elle se trouve à présent isolée.
Dans les conditions géopolitiques actuelles, le Royaume-Uni devra rétablir ses relations politiques avec les principaux pays du monde. Il devra se frayer un chemin jusqu’à la table diplomatique, surtout depuis que l’administration américaine commence à redynamiser ses relations avec l’OTAN, l’ONU et d’autres organisations multilatérales.
En mars, le gouvernement britannique a lancé sa stratégie pour une « Global Britain in a competitive age ». (1) Ce projet expose les nouvelles ambitions britanniques en matière d’opportunités commerciales et de voies d’influence mondiale. Mais cette version remise à neuf de la « Revue intégrée de sécurité, de défense, d’aide au développement et de politique étrangère » de 2015 ne va pas résoudre les problèmes fondamentaux du Royaume-Uni après sa sortie de l’UE.
Le déclin de sa position sur la scène internationale a également alimenté des conflits croissants au sein même du Royaume-Uni, notamment avec les gouvernements régionaux d’Écosse et d’Irlande du Nord.
Le référendum sur le Brexit de 2016 « a donné une énorme impulsion au nationalisme écossais ». (2) Depuis, les appels à l’indépendance écossaise se renforcent d’année en année. Au début de l’année 2021, 54 % des Écossais étaient favorables à une Écosse indépendante, soit 8 % de plus qu’en 2014. De récents sondages d’opinion dans les principaux États membres de l’UE montrent que le soutien à une Écosse indépendante et membre de l’UE augmente.
Au cours de la dernière décennie, les forces en Irlande du Nord qui cherchent à se détacher du Royaume-Uni se sont renforcées. Le protocole nord-irlandais (3) n’a fait que jeter de l’huile sur le feu, en isolant davantage l’Irlande du Nord du reste du Royaume-Uni. Les tensions croissantes dans les six comtés (4) « menacent l’intégrité de l’État britannique lui-même ». (5) La fragmentation nationale pourrait devenir une réalité. Entre-temps, l’administration américaine a averti Johnson de ne pas violer le protocole nord-irlandais et de respecter l’accord du Vendredi saint (6) : la frontière ouverte entre le Nord et le Sud doit être protégée.
Au sein de l’establishment politique londonien, la tension monte également, au point que des ministres en concurrence, des conseillers politiques sont engagés dans une sordide guerre d’influence. Au cours des deux derniers mois, dans une atmosphère de doute, de jalousie et de suspicion, les accusations entre Johnson, Hancock et Cummings (7) ont volé dans tous les sens. La dernière expression de ces conflits a été le pilonnage du gouvernement par Dominic Cummings dans « une campagne massive sur les réseaux sociaux ». (8)
Ces tensions et ces fractures croissantes au sein du Royaume-Uni et les luttes qui en découlent entre factions bourgeoises présentent de grands dangers pour la classe ouvrière. Elles mettent les travailleurs face à « une perspective de désorientation ». (9) Mais ils doivent résister à la pression de soutenir l’une ou l’autre des cliques bourgeoises. La capacité des travailleurs à résister à de telles pressions ne peut être réalisée que lorsqu’ils luttent « en tant que classe antagoniste au capital ». (10) La seule perspective est de lutter sur un terrain de classe.
Au cours des derniers mois, les ouvriers du Royaume-Uni et d’ailleurs ont démontré qu’ils possèdent encore cette capacité, comme l’a montré une récente grève sauvage de 30 à 40 ouvriers sur le chantier de l’entrepôt Amazon de Gateshead. Les travailleurs y ont protesté pendant deux jours contre leur licenciement brutal. La persévérance et la solidarité de la classe ouvrière ont porté leurs fruits, puisque tous les travailleurs licenciés ont été réintégrés le troisième jour de la grève.
La même capacité a été démontrée le 3 juillet lorsque des dizaines de marches ont eu lieu à travers la Grande-Bretagne pour protester contre la proposition du gouvernement de n’augmenter que de 1 % les salaires des travailleurs du NHS (11), ce qui a été largement décrié par les travailleurs de la santé.
Ces luttes de petite envergure ne sont peut-être pas spectaculaires, mais elles sont les graines de l’autonomie future de la classe ouvrière contre le capital.
WR, section du CCI au Royaume-Uni 4 juillet 2021
1 « La Grande-Bretagne globale dans une ère de compétition [89] » est le titre du rapport remis par le gouvernement britannique en mars 2021, censé présenter la nouvelle doctrine impérialiste du Royaume-Uni (Note du traducteur).
2 Cf. « Royaume-Uni : Le populisme accélère le chacun pour soi et les divisions au sein de la société [90] », World revolution n° 389 (Été 2021).
3 Difficilement négocié avec l’UE et censé officiellement empêcher le retour d’une frontière physique entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord (Note du traducteur).
4 Il existe 32 comtés traditionnels en Irlande : 26 comtés appartiennent à la République d’Irlande et les six autres, qui n’ont aujourd’hui plus de réalité administrative, forment l’Irlande du Nord (Note du traducteur).
5 Ibid.
6 Cet accord a été signé en 1998 mettant fin à trois décennies de conflits entre nationalistes et unionistes d’Irlande du Nord (Note du traducteur).
7 Matt Hancock, ministre de la santé, a dû récemment présenter sa démission après une affaire de mœurs et de conflit d’intérêt. Dominic Cummings est un ancien conseiller politique que Johnson a limogé en novembre 2020 dans le cadre de lutte d’influence au sein du gouvernement. Depuis, Cummings est entré en conflit avec Johnson et multiplie les accusations.(Note du traducteur).
8 Cf. « Cummings “revelations”: Bourgeois vendettas and the distortion of science [91] », World revolution n° 389 (Été 2021).
9 Cf. « Royaume-Uni : Le populisme accélère le chacun pour soi et les divisions au sein de la société [90] », World revolution n° 389 (Été 2021).
10 Ibid.
11 Le National Health Service est le système de la santé publique du Royaume-Uni. (Note du traducteur).
Les 11 et 12 juillet de cette année, les plus grandes manifestations de rue à Cuba depuis 62 ans ont eu lieu, que le gouvernement cubain et tout l'appareil de gauche de la bourgeoisie tentent d'expliquer comme étant le résultat du prétendu "blocus économique" et de la manipulation du gouvernement américain contre le "communisme". D'autre part, les médias idéologiques de droite le présentent comme un soulèvement du peuple contre le "communisme". Les deux positions ont pour fondement le même présupposé selon lequel Cuba serait un pays socialiste ou communiste. C'est un mensonge ! Cuba n'est rien d'autre qu'un résidu des régimes staliniens, qui sont une forme extrême de la domination universelle du capitalisme d'État, exprimant la décadence de ce système moribond et mortel pour l'humanité. La gauche et la droite cachent dans leurs arguments que Cuba est un pays dont l'économie est régie par des lois capitalistes, dans lequel il y a des classes sociales opposées et une exploitation féroce des travailleurs, de sorte que, comme dans tout autre pays, il y a des expressions de mécontentement de la part des exploités, rejetant la vie misérable qu’offre ce système.(1) Cependant, la reconnaissance de l'existence à Cuba de classes sociales aux intérêts opposés et dans un rapport de forces permanent (bourgeoisie et prolétariat), ne signifie nullement que toute manifestation de mécontentement ou de colère dans la population soit le signe d’une réponse consciente du prolétariat, même si initialement elle montre les besoins réels des exploités, car le processus de prise de conscience et d'autonomie de la lutte du prolétariat n'est ni immédiat ni mécanique, surtout parce que les travailleurs doivent continuellement se confronter au poids de l'idéologie dominante et à l'atmosphère de confusion qu’approfondit encore le capitalisme en pleine putréfaction.
Les mobilisations au Chili et en Équateur en 2019, où l'interclassisme a empêché l'avancée de la combativité et l'action consciente des travailleurs, en sont un exemple.(2) En mai 2020, aux États-Unis, des manifestations ont également eu lieu pour protester contre l'assassinat de George Floyd, mais la classe ouvrière y apparaît diluée et contrôlée par la même bourgeoisie. Il y avait sans aucun doute un mécontentement à l'égard de l'action criminelle de la police ; de nombreux travailleurs individuels ont rejoint les manifestations et, cependant, la bourgeoisie, à partir du mouvement "Black Lives Matter", a réussi à focaliser la rage sur la question du "racisme" et à la stériliser en la poussant dans l’illusion démocratique, en exigeant une meilleure police et un système judiciaire plus démocratique, ce qui l'a même conduit à l'utiliser dans son cirque électoral.(3)
En Afrique du Sud, les premiers jours de juillet ont également été marqués par des émeutes au cours desquelles la répression de la police a fait plus de 200 morts et a donné lieu à des centaines d'arrestations. Les manifestations étaient sans aucun doute animées par des exploités laissés pour compte et ce sont ces mêmes personnes qui ont donné leur vie, mais les raisons pour lesquelles ils étaient dans les rues n'avaient aucun rapport avec la défense de leurs intérêts. La lutte au sein du parti au pouvoir, le Congrès national africain, qui a conduit à l'emprisonnement de l'ancien président Jacob Zuma (accusé de corruption), a été l'occasion pour une faction de la bourgeoisie de lancer une campagne de propagande (via les réseaux sociaux), enflammant l'animosité chauvine et raciale de la population zouloue, jeter les masses appauvries et désespérées dans une impasse sans perspectives, en profitant du mécontentement permanent qui existe et qui, dans le cadre de la pandémie, est marqué par l'impuissance et l'incertitude.
Pour comprendre les révoltes qui ont eu lieu à Cuba, il est nécessaire d'analyser leurs motifs, leurs effets et, surtout de savoir si le prolétariat y a pris part de manière active ou non, en tenant compte du fait que ces mouvements de protestation se sont déroulés à un moment où le système marque une accélération dans sa décomposition, ce qui a provoqué un nouvel effondrement dans la paupérisation, aggravant les conditions de vie des prolétaires, en raison de la pénurie de produits de première nécessité, mais aussi de la négligence des soins médicaux nécessaires pour combattre la pandémie.(4)
Comme dans le reste du monde, à Cuba, la crise économique a aggravé la détérioration des conditions de vie des travailleurs, mais lorsqu'elle se mêle à la pandémie, la traînée de mort et de misère qu'elle laisse dans son sillage augmente de façon spectaculaire. La propagation du virus Covid-19 a révélé le grand mensonge répandu par le gouvernement cubain et repris en choeur par toutes les canailles de la gauche et l'extrême gauche du capital, sur l'existence d’un système de santé cubain exemplaire, qu'ils fondent sur le fait qu'il y aurait plus de 95 mille médecins, ce qui signifie qu'il y aurait pratiquement près de 9 médecins pour 1 000 habitants. Pourtant se reproduisent les mêmes cas de négligence et de pénurie que l'on retrouve dans le mode entier et qui prennent ici un tour encore plus dramatique, comme le confirme le fait que la grande majorité de la population n'est pas vaccinée (le taux de vaccination n'est que de 22%), et aussi du fait que les médecins ne disposent pas non plus de médicaments, d'oxygène, d'antigènes, de gel ou de seringues, etc.
La crise de 2008 avait laissé des séquelles latentes que la pandémie a ravivées et relancées avec plus d'ampleur. La difficulté à réactiver les investissements est un problème présent dans tous les pays et bien que la fermeture d'une grande partie de la production l'ait aggravé, la vérité est qu'il était déjà apparent avant même la propagation du virus Covid-19, et dans le cas de Cuba, en raison de son instabilité chronique, les conflits sont encore plus grands lorsque les activités touristiques (dont l'État tire ses principaux bénéfices) sont fermées, réduisant ainsi son PIB de 11% en 2020 et diminuant ses importations de 80%.
Depuis les années 1960, dans le cadre de la "guerre froide", l'île de Cuba était intégrée dans la sphère de domination du bloc impérialiste dirigé par l'URSS. Ainsi, répondant aux intérêts impérialistes, l'État cubain a été intégré dans la confrontation avec le bloc d'opposition dirigé par les États-Unis, qui, dans le cadre de cette confrontation, ont imposé certaines restrictions commerciales (décrites par la propagande de Castro comme un "blocus économique" complet, alors que le gouvernement américain le définit comme un simple "embargo"(5), Néanmoins, l'URSS a soutenu l'île sur le plan économique et politique, dans la mesure où elle était le principal acheteur de ses rares produits exportés, couvrait 70 % de ses importations, l'équipait militairement, mais lui transférait également une grande quantité de capitaux. Ainsi, lorsque le bloc stalinien s'est effondré à la fin des années 1980, Cuba s'est retrouvé sans sponsor et son économie s'est effondrée.
Entre 1990 et 1993, le PIB de Cuba a chuté de 36 %, ce qui l'a fait entrer dans ce que l'on a appelé une "période spéciale", qui s'est traduite par une détérioration brutale des conditions de vie de la population et, si elle a réussi à survivre, c'est grâce à son rapprochement avec des capitaux d'origine européenne (principalement espagnols) qui ont investi dans le tourisme et des projets financiers, et plus tard, avec le soutien qu'elle a obtenu de l'État vénézuélien, elle avait réussi à endiguer l'effondrement. Le gouvernement Chávez, profitant des hauts revenus perçus du pétrole, dans un cadre de collaboration impérialiste, a réalisé des projets politiques et commerciaux avec l'État cubain ; cependant, les flux monétaires obtenus du pétrole vénézuélien se sont arrêtés en 2015, mettant en faillite l'économie cubaine en même temps que l'économie vénézuélienne, les deux économies atteignant des niveaux d'insolvabilité.
L'une des mesures mises en œuvre par le gouvernement de Castro en 1994, dans le cadre de la "période spéciale", a été l'utilisation d'une double monnaie : le peso cubain (CUP), dans lequel les travailleurs recevaient leurs salaires, et le peso convertible (CUC), utilisé pour le commerce touristique. De cette manière, l'État contrôlait la gestion de toutes les devises étrangères entrantes, qu'il s'agisse de touristes ou de transferts de fonds.
Il est pertinent de mentionner ce projet car en décembre 2020, le gouvernement de Díaz Canel, successeur de la famille Castro, a décrété l'unification monétaire, accompagnant le décret de la formation de magasins avec paiement exclusif en devises, appelés MLC (Moneda Libremente Convertible), qui concentrent les quelques biens de subsistance et rendent obligatoire le paiement en devises, rendant ainsi plus difficile l'acquisition de ces biens par les travailleurs. Mais en plus, cet "ajustement monétaire" a mis à jour des niveaux d'inflation si graves que les salaires ont dû être augmentés de 450% et les pensions de 500%, ce qui n'a pas amélioré pour autant les conditions de vie des travailleurs, puisque les prix des produits alimentaires de base comme ceux de l'électricité et des transports publics(6), ont augmenté immédiatement dans les mêmes proportions. La paralysie de l'économie et la rareté de l'activité productive (qui ne suffit pas à couvrir la demande interne) ont entraîné une pénurie chronique de nourriture et de médicaments, obligeant ceux qui peuvent encore payer à faire la queue en moyenne 6 heures par jour. Les pénuries de carburant ont entraîné un manque de transports publics mais ont également provoqué des coupures de courant quotidiennes pouvant atteindre 12 heures.
Dans ce climat, qui est devenu encore plus explosif à mesure que le nombre de cas de Covid-19 augmentait(7), le désespoir et l'exaspération ont grandi et encouragé les protestations, qui sont apparues initialement dans la ville de San Antonio de los Baños. Quelques centaines de personnes sont descendues dans la rue en criant "Liberté et nourriture !" et "A bas le MLC !"... pendant près d'une heure, ces manifestations ont été retransmises sur les réseaux sociaux, jusqu'à ce que le gouvernement bloque l’accès à internet et aux réseaux sociaux et lance la police dans la répression, mais à ce moment-là, les manifestations s’étaient propagées dans 40 villes et villages et même à La Havane. Dans tous les endroits où les manifestations ont eu lieu, les gaz lacrymogènes ont été la première arme des attaques de la police, puis sont venues les balles de la police et de l'armée, qui ont fait un mort (un habitant d'un des quartiers les plus pauvres de La Havane), des dizaines de blessés et, pour couronner le tout, les arrestations massives. Le premier jour de la manifestation, 150 personnes ont été arrêtées, les jours suivants leur nombre a augmenté et pour entretenir le climat de peur et d’intimidation, les détenus ont été mis à l’isolement et maintenus dans la condition de "disparus".
L'un des grands mythes entretenus par la bourgeoisie par rapport à Cuba est la prétendue existence du socialisme. Avec cet argument, elle a pu non seulement confondre et soumettre les exploités à l'intérieur de Cuba, mais même au niveau mondial, l'appareil de gauche de la bourgeoisie l'a largement exploité pour brouiller la conscience du prolétariat, en identifiant le stalinisme au communisme, alors qu'en réalité le stalinisme représente une frauduleuse et totale falsification idéologique du marxisme et du communisme. Mais tous les États et leurs médias utilisent également ce grand mensonge, en faisant passer les politiques répétées pendant des années à Cuba, comme le rationnement et les actions tyranniques de l'État, pour la base sur laquelle se construit le projet communiste. Ces visions largement diffusées, comme nous l'avons dit au début, empêchent de comprendre ce qui se passe avec le prolétariat à Cuba.
D'après les informations récupérées, le mécontentement de la grande majorité de la population cubaine est dû au manque de nourriture et de médicaments, aux prix élevés des produits, aux pannes d'électricité constantes(8) et, sans aucun doute, à la lassitude existante à l'égard de la tyrannie stalinienne. Il n'est pas du tout surprenant que, dans plusieurs villes, les manifestations se soient concentrées devant les locaux du parti "communiste" cubain. Cependant, il est également très clair que, dans toute cette révolte, le prolétariat est politiquement dilué, confus et dominé par le nationalisme et l'espoir de la démocratie.
Dans toutes les manifestations, nous avons vu des drapeaux nationaux brandis et des discours nationalistes dominants, utilisés par les porte-parole de l'État cubain pour justifier la répression, mais aussi par la bourgeoisie et la petite bourgeoisie impliquées dans les groupes d'opposition "anti-Castro" (qui ont immédiatement pris possession de l'espace de protestation), invoquent le nationalisme pour appeler à la démocratisation, et même les groupes associés à des fractions de la bourgeoisie américaine (opérant principalement depuis Miami), pour "sauver" la nation, appellent à l'invasion militaire de l’île... Dans ce chaos social, le prolétariat cubain se trouve désorienté, incapable de reconnaître sa nature et son identité de classe et donc incapable d'agir de manière autonome, ce qui permet à son mécontentement d'être exploité par des factions bourgeoises et petites-bourgeoises(9).
Une caractéristique de Cuba a été l'absence d'une tradition de lutte de la part de la classe ouvrière, nous pouvons nous rappeler que même lorsque des conditions d'exploitation sauvages ont été établies depuis le XIXe siècle, la classe ouvrière a eu un rapprochement politique très étroit avec le mouvement libéral bourgeois (dirigé par Martí) qui, bien qu'il puisse être politiquement explicable dans cette phase de développement capitaliste, plus tard, au cours du XXe siècle, avec le caractère décadent du système capitaliste déjà défini, la classe ouvrière a continué à espérer dans la recherche de la "libération nationale" promise par tous les partis bourgeois.(10) Ensuite, ces difficultés pour le prolétariat sont aggravées par l'impossibilité de récupérer les expériences et l'élan de la vague révolutionnaire qui avait pour centre les révolutions en Russie (1917) et en Allemagne (1919), ce qui est confirmé par le fait que la formation du Parti communiste (PC) a lieu jusqu'en 1925, à un moment où la vague révolutionnaire mondiale est en déclin et où la IIIe Internationale et avec elle les PC, entrent dans un processus de dégénérescence, abandonnant les principes internationalistes.
Et pour couronner le tout, le fait que le prolétariat cubain vive sous une tyrannie stalinienne qui se présente comme communiste, crée un environnement de confusion très compliqué pour le développement de sa conscience. Pendant plus de 60 ans du régime de Castro, les travailleurs ont vécu dans l'isolement, la tromperie, la répression et la faim, ce qui n'est pas un environnement qui leur permet de récupérer les expériences des luttes de leurs frères et sœurs de classe dans d'autres régions et de pouvoir exposer leur force en tant que classe. Pour cette raison, la situation politique des travailleurs cubains dans chaque révolte est souvent similaire.
Dans la révolte de 1994, connue sous le nom de "Maleconazo", le déclencheur était également la pénurie de nourriture, de médicaments et d'électricité, et de la même manière, les travailleurs ont été capturés dans l'illusion de la démocratie interne ou de la "liberté" attendue à Miami. Ni en 1994, ni aujourd'hui, il n'y a de possibilité de réflexion de masse des prolétaires dans les assemblées générales. Ce manque de réflexion en fait une proie facile pour les positions bourgeoises dominantes, dirigées depuis le gouvernement et le parti officiel ou depuis les différents "groupes d'opposition" intégrés à Cuba et aux États-Unis, qui ont rapidement conduit les expressions de mécontentement sur le terrain trompeur de la démocratie ou encore plus sur celui des disputes impérialistes, plaçant cette masse mécontente comme chair à canon pour les intérêts bourgeois.
Lorsque nous insistons sur la vulnérabilité des travailleurs de Cuba aux poisons nationalistes et démocratiques, ce n'est pas pour minimiser leurs protestations ou pour décourager leur lutte pour leurs revendications ; au contraire, la dénonciation de ces poisons est indispensable pour armer la lutte prolétarienne à Cuba et dans le monde.
Il est vrai qu'une grave erreur de l'Internationale communiste, qui a pesé lourdement sur les luttes de la classe ouvrière au siècle dernier jusqu'à aujourd'hui, en particulier en Amérique latine, était la "théorie du maillon faible", qui place la plus grande possibilité de révolution prolétarienne dans les pays où le capitalisme est le plus faible. Notre article, "Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe" critique sans concession cette dangereuse vision erronée, en soulignant que "les révolutions sociales n'ont pas lieu là où l'ancienne classe dominante est la plus faible ou là où sa structure est la moins développée, mais au contraire, là où sa structure a atteint la plus grande maturité compatible avec les forces productives, et où la classe porteuse des nouveaux rapports sociaux et appelée à détruire les anciens, est la plus forte"(11). Alors que Lénine cherchait et insistait sur le point de plus grande faiblesse de la bourgeoisie, Marx et Engels cherchaient et insistaient sur les points où le prolétariat est le plus fort, le plus concentré et le plus capable d'apporter une transformation sociale.
Les travailleurs cubains sont confrontés à un État brutal, sans mécanismes syndicaux et démocratiques de mystification sociale, ne recourant qu'à une terreur permanente et grotesque, dans les pays du soi-disant "socialisme" (aujourd'hui réduits à la Chine, à Cuba, au Vietnam, à la Corée du Nord et au Venezuela), le poids de la contre-révolution sous la forme d'un régime politique totalitaire, sans doute rigide et fragile, pèse encore lourdement, mais précisément à cause de cela, le prolétariat a beaucoup plus de mal à surmonter les mystifications démocratiques, syndicales, nationalistes et même religieuses. Dans ces pays, des explosions ouvrières violentes se développeront, comme cela a été le cas jusqu'à présent, accompagnées chaque fois que nécessaire par l'émergence de forces destinées à les désorienter, comme cela a été le cas avec Solidarnosc(12), mais elles ne peuvent être le théâtre du développement de la conscience ouvrière la plus avancée. Ce sera la lutte de leurs frères et sœurs dans les pays centraux du capitalisme qui leur montrera que la démocratie, les syndicats "libres", etc. sont une vile tromperie qui renforce et rend l'exploitation plus oppressive. Ce sera la lutte de ces sections cruciales du prolétariat qui montrera que le problème de l'humanité n'est pas les magasins vides ou les files d'attente pour un kilo de riz - expressions caricaturales de la barbarie globale du capitalisme décadent - mais la SURPRODUCTION GÉNÉRALISÉE qui provoque la faim et la misère avec des supermarchés débordant de nourriture et des centres commerciaux saturés de marchandises invendables. C'est cette lutte qui donnera un sens et une direction aux efforts de résistance à l'exploitation, aux tentatives de conscientisation qui auront lieu dans ces pays. Comme nous l’affirmons dans l'article de la Revue internationale déjà citée(13) : "Cela ne signifie pas que la lutte des classes ou l'activité des révolutionnaires est dénuée de sens dans d'autres régions du monde. La classe ouvrière est une. La lutte des classes existe partout où prolétaires et capital s'affrontent. Les leçons des différentes manifestations de cette lutte, où qu'elles se produisent, sont valables pour l'ensemble de la classe. En particulier, l'expérience des luttes dans les pays de la périphérie influencera la lutte dans les pays centraux. La révolution sera également mondiale et touchera tous les pays. Les courants révolutionnaires de la classe seront précieux partout où le prolétariat affronte la bourgeoisie, c'est-à-dire dans le monde entier."
Revolucion Mundial, organe de presse du CCI au Mexique / 28 juillet 2021
[1] Quelques articles de référence qui développent nos arguments sur le caractère bourgeois du gouvernement cubain et la non-existence d'une révolution communiste ou socialiste à Cuba :
En français :
- "Bilan de 70 ans de luttes de "libération nationale" Partie II : Au 20e siècle, la "libération nationale", un maillon fort de la chaîne impérialiste" [92] , Revue internationale n°68, (1er trimestre 1992).
- "Che Guevara : mythe et réalité (à propos d'une correspondance)" [93], Révolution internationale n°384, (novembre 2007).
-"Mort de Fidel Castro: en 2017 la bourgeoisie perdait l’un des siens", Révolution internationale n°462, (janvier-février 2017).
En espagnol :
- "Comme dans tous les pays capitalistes, à Cuba, les travailleurs paient la crise" [94], Revolucion mundial n°120, (janvier-février 2011).
- Fidel Castro prend sa retraite... l'exploitation et la misère des travailleurs cubains continuent" [95], Revolucion mundial n°103, (mars-avril 2008).
[2] Lire notre article : "Face à l'aggravation de la crise économique mondiale et de la misère, les "révoltes populaires" représentent une impasse" [96], Revue internationale n°163, (2e trimestre 2019) :
[3] Voir notre article, "La réponse au racisme n’est pas l’antiracisme bourgeois, mais la lutte de classe internationale" [97], Révolution internationale n°483, (juillet-août 2020).
[4]Cuba a récemment commencé la production hâtive de deux vaccins "nationaux" (Abdala et Soberana 2), tout en rejetant le programme Covax. Non conformes aux normes internationales de vérification, leur efficacité ne peut être connue, d'autant plus que Cuba manque notairement de moyens de réfrigération pour les conserver et de seringues pour les injecter, bien que le gouvernement cubain ne cesse d'en faire un argument de propagande. Après les manifestations, l'ancien parrain russe a envoyé deux avions chargés de plus de 88 tonnes de nourriture, de matériel de protection médicale et d'un million de masques.
[5] Nous ne nous étendrons pas sur cette question pour le moment, mais signalons que, bien qu'il existe des mécanismes d'intimidation de la part du gouvernement étasunien pour empêcher les opérations commerciales avec le gouvernement cubain, il n’empêche que 6,6 % des importations totales de Cuba proviennent bien des États-Unis.
[6] Non seulement ces transports publics sont rares, mais ils ont augmenté de 500 %.
[7] Cette situation montre que la bourgeoisie du monde entier (y compris Cuba) applique partout une politique de recherche du profit, en démantelant les parties de son activité qui ne sont pas rentables, comme les services de santé. C'est pourquoi elle aggrave considérablement l'impuissance des États face à des problèmes comme ceux que l'on connaît actuellement avec la pandémie.
[8] Il faut savoir que Porto Rico, pays "associé" aux États-Unis, souffre également de coupures d'électricité systématiques pendant plusieurs heures, bien qu'il ait récemment privatisé cette activité, de même que dans de nombreuses régions du Mexique, par exemple. Ce qui montre sans aucun doute que l'inaptitude du système à couvrir les besoins de la population est un problème général du capitalisme. Cependant, le cas de Cuba se distingue car il est devenu un phénomène quotidien et ce durant une période prolongée.
[9] Il n’a été rapporté nulle part, à notre connaissance, l’existence d’assemblées ou d’autres formes de mobilisations ouvrières dans ces événements.
[10] Fidel Castro lui-même s'est présenté comme un continuateur de la pensée libérale de Martí et Chivás. Une fois Castro et sa clique installés dans la Sierra Maestra, il donne une interview au journaliste américain Robert Taber, qui lui demande : "Êtes-vous un communiste ou un marxiste ?" et la réponse est : "Il n'y a pas de communisme ou de marxisme dans nos idées. Notre philosophie politique est celle d’une démocratie représentative d’une justice sociale dans le cadre d'une économie planifiée...". (avril 1957). Il a répété la même réponse à plusieurs reprises lors de sa visite aux États-Unis en avril 1959. Ce n'est qu'en décembre 1961, sous la pression de l'invasion ratée promue par le gouvernement américain, que le régime de Cuba s’est autoproclamé "communiste", pour justifier un rapprochement de ses intérêts impérialistes avec le bloc opposé aux États-Unis.
[11] Lire "Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe" [98], Revue internationale n°31, 1er trimestre 1982
[12] Concernant la grève de masse des travailleurs en Pologne en 1980 et le sabotage effectué par le syndicat Solidarnosc, lire notamment les articles :
_ "Pologne (août 1980) : Il y a 40 ans, le prolétariat mondial refaisait l’expérience de la grève de masse" [99], Révolution internationale n°483, (juillet-août 2020).
_ "La grève de masse en Pologne 1980 : des leçons pour l'avenir" [100], ICCOnline, (juillet 2020).
[13] Cf. note 11.
Le déclenchement d'une guerre impérialiste a toujours été un test pour ceux qui prétendent être du côté de la classe ouvrière mondiale contre le capitalisme. En 1914, il a clairement séparé ces "socialistes" et "anarchistes" qui se sont ralliés à la défense de leur propre classe dominante de ceux qui, même au prix de l'isolement et de la répression, ont maintenu fermement le principe selon lequel les ouvriers n'ont pas de patrie.
En même temps, si ces lignes de démarcation étaient très claires, il y avait aussi un "centre", un "marais" composé d'éléments qui, pour des raisons diverses, étaient incapables de prendre une position sans ambiguité pour ou contre la guerre, soit parce qu'ils utilisaient des phrases creuses sur la paix et la justice pour cacher leur propre dérive vers un accommodement avec le capitalisme, soit parce qu'ils faisaient des efforts sincères mais confus pour se diriger dans la direction opposée, c'est-à-dire vers le camp prolétarien.
Dans les réactions au conflit actuel en Israël/Palestine, nous pouvons observer des schémas similaires. Dans les principales villes d'Europe et des États-Unis, nous avons vu de nombreuses manifestations nous appelant à choisir un camp contre l'autre : principalement ceux brandissant des drapeaux palestiniens et soutenus par un ensemble de libéraux, de sociaux-démocrates, de trotskistes, d'islamistes et autres. Ces marches avaient pour fonction de canaliser l'indignation réelle provoquée par l'assaut brutal d'Israël contre Gaza au service d'un conflit impérialiste plus large. Les slogans "Palestine libre" et "Nous sommes tous le Hamas" non seulement déclarent leur soutien aux bandes nationalistes visant à établir un nouvel État capitaliste, mais coïncident également avec les objectifs impérialistes de l'Iran, du Qatar, de la Russie et de la Chine. En face d'eux se trouvaient des groupes plus restreints de sionistes purs et durs pour qui Israël ne peut rien faire de mal et qui, s'ils critiquent la politique américaine au Moyen-Orient, ne font qu'exiger un soutien américain encore plus flagrant à l'expansion impérialiste d'Israël. Dans les deux cas, il s'agit de mobilisations pro-guerre.
Mais il y a aussi ceux qui rejettent ces rassemblements au nom de l'internationalisme de la classe ouvrière. Par exemple, le site libcom.org offre un espace à ceux - principalement, mais pas seulement, des groupes ou des individus qui se qualifient d'"anarchistes de lutte de classe" - qui s'opposent au soutien aux luttes de libération nationale ou à la création de nouveaux États bourgeois.
Un examen du fil de discussion "Jérusalem et Gaza"(1) fournit un échantillon de l'éventail de groupes et d'opinions qui disent ne s'identifier à aucun des deux camps dans le conflit. Ou plutôt, il révèle que parmi ceux qui se réclament de la position internationaliste sur cette guerre et d'autres semblables, il y a de nouveau un "centre", un terrain marécageux dans lequel des positions prolétariennes se mêlent à des concessions à l'idéologie dominante, et donc à des justifications de la guerre impérialiste.
Aujourd'hui, la plupart des courants politiques qui composaient ce "centre" pendant la Première Guerre mondiale ont soit disparu, soit fait une paix définitive avec la bourgeoisie, beaucoup d'entre eux retournant dans les partis sociaux-démocrates qui, au début des années 1920, étaient clairement devenus des auxiliaires de l'État capitaliste. Dans les conditions actuelles, les divers groupes et tendances anarchistes sont les composants que l’on retouve les plus fréquemment dans la mouvance de ce marais : à une extrémité, ils fusionnent ouvertement avec l'aile gauche du capital, à l'autre, ils défendent des positions internationalistes bien définies. Cela a été clairement démontré dans la réaction des anarchistes à la guerre en Israël/Palestine.
D'une part, nous avons des organisations anarchistes qui ne se distinguent quasiment pas des trotskistes. L'article de notre section en France identifie l'Organisation Communiste Libertaire comme un exemple de ce type d'anarcho-gauchisme : « " Face au déchaînement de violence orchestré par un régime israélien en pleine crise politique, porté par un Netanyahou à bout de souffle et prêt à sacrifier les Palestiniens pour assurer sa pérennité au pouvoir, les condamnations timorées (ou pire, les déclarations renvoyant Israéliens et Palestiniens dos à dos) ne suffisent pas. Le droit international doit être appliqué". On ne saurait être plus clair ! »(2). Un exemple édifiant d'anarchistes faisant appel à la fiction bourgeoise du "droit international" !
Sur le fil de discussion de libcom, la déclaration d'un certain nombre de "groupes anarchistes communistes" d'Océanie adopte une position similaire. Tout en prétendant dénoncer le nationalisme, elle nous appelle à prendre parti pour une "résistance palestinienne" qui lui est en quelque sorte extérieure. "L'occupation israélienne est une forme nue d'oppression coloniale, et ses victimes palestiniennes ont tout à fait le droit d'y résister par tous les moyens qui sont en accord avec le but final de la libération. (...) Il n'y a pas de zone grise, il n'y a pas deux camps égaux en guerre. Les masses palestiniennes résistent à l'oppression."(3) À la fin du tract, un appel est lancé pour que les gens participent à une série de manifestations "Palestine libre" organisées dans toute l'Australie.
Aux États-Unis, la Workers Solidarity Alliance manie également un double langage. D'une part : "Nous soutenons une vision d’ouvriers, de paysans et d'opprimés juifs et palestiniens qui remettent en question et finissent par rompre avec les imaginaires et les idéologies suprématistes, nationalistes et militaristes, et qui s'unissent dans une lutte commune pour venir à bout du pouvoir, des privilèges et de la haine en établissant une entraide, une solidarité intercommunautaire et une autogestion collective". Et dans la phrase suivante, il est dit : "à l'extérieur, nous saluons les ouvriers américains qui soutiennent boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël, et qui protestent publiquement contre la violence en cours en Palestine occupée". Les campagnes de boycott de tel ou tel État suivent la même logique que les "sanctions" imposées par un État à un autre pour avoir bafoué le "droit international" ou les "droits de l'homme".
Les choix effectués par les promoteurs de ces campagnes sont significatifs en soi. Par exemple, le régime syrien d'Assad, soutenu par la Russie, est directement responsable du plus horrible massacre de la population syrienne, mais vous ne trouverez jamais de gauchistes organisant des marches pour dénoncer ce carnage - certains groupes trotskistes considèrent même Assad comme une force anti-impérialiste. Israël, en revanche, est régulièrement défini par l'aile gauche du capital comme un État qui n'a pas le droit d'exister - comme si, du point de vue de la classe ouvrière, tout État capitaliste avait le droit "légitime" d'imposer son exploitation et son oppression.
En revanche, le fil de discussion contient également des déclarations de la CNT-FAI (avec celles de son affiliée britannique, la Solidarity Federation) et de son affiliée russe, le KRAS, qui évitent cet appel à prendre parti dans le conflit et défendent les bases d'une réponse internationaliste. Le KRAS (dont nous avions déjà publié les déclarations contre la guerre dans le Caucase) affirme que les problèmes en Israël/Palestine "sont générés par les intérêts des dirigeants et des capitalistes de tous bords pour le pouvoir et la propriété ; ces problèmes ne peuvent être éliminés qu’en éliminant les responsables – éliminés par une lutte commune et, finalement, par la révolution sociale conjointe des travailleurs juifs et arabes, des Palestiniens et des Israéliens ordinaires.
Le chemin vers cette décision est difficile et long. Trop de désespoir, trop fraîche l’odeur du sang versé, l’esprit des gens ordinaires est trop empoisonné par les nationalismes israélien (sioniste) et arabe, les émotions font trop rage aujourd’hui. Mais il n’existe pas d’autre voie vers la paix dans cette région qui souffre depuis longtemps, et il ne peut y en avoir. […]
NON A LA GUERRE !
NON AU NATIONALISME, AU MILITARISME ET AU FANATISME RELIGIEUX DE TOUS LES CÔTÉS !
NI ISRAËL, NI PALESTINE, MAIS UNE LUTTE DE CLASSE COMMUNE DES TRAVAILLEURS DANS LA RÉGION !"
La déclaration de l’Anarchist Communist Group au Royaume-Uni est également relativement claire sur le rejet des solutions nationales :
"Parce qu'une solution au conflit ne peut finalement être qu'une société commune, sans classe et sans État, dans laquelle des personnes de différentes origines religieuses (et non religieuses) et ethniques peuvent coexister pacifiquement. Et le moyen d'y parvenir ne peut être que la lutte de classe, avec les ouvriers s'unissant des deux côtés pour améliorer leur situation et surmonter ainsi de vieux ressentiments. C'est la tâche du mouvement anarchiste et communiste libertaire de faire pression en ce sens"(4).
Il se trouve que le fil de discussion libcom n'a pas été lancé par un anarchiste, mais par un membre du Socialist Party of Great Britain (SPGB). Ce groupe, un survivant semi-fossilisé de l'époque où la Deuxième Internationale était une organisation prolétarienne, maintient ses profondes illusions dans une "voie parlementaire" vers le socialisme, mais il n'a jamais soutenu les guerres capitalistes ou les luttes nationalistes. L'auteur du message originel, ajjohnstone, renvoie au blog officiel du SPGB qui fait une critique éloquente non seulement du sionisme mais aussi du nationalisme palestinien : "Il est facile de voir pourquoi les pauvres dans les camps de réfugiés palestiniens pourraient considérer la promesse d'un gouvernement autonome palestinien comme une réponse. Malheureusement, comme les sionistes, les Palestiniens ont succombé à un dangereux mythe du passé ; dans leur cas, le mythe selon lequel la Palestine leur appartenait. Ce n'était pas le cas : la plupart des Palestiniens se débattaient sur de minuscules parcelles de terre, sous le poids de dettes massives, exploités par une classe de propriétaires terriens. La Palestine n'appartenait pas aux Palestiniens, pas plus que l'Israël moderne n'appartient aux Israéliens de la classe ouvrière. En 1930, la famille rurale moyenne en Palestine était endettée à hauteur de 27 livres sterling, ce qui représentait approximativement le revenu annuel de cette famille. Selon les chiffres de 1936, un cinquième d’un pour cent de la population (soit 0,2%) possédait un quart des terres ! Il est clair que la Palestine préisraélienne n'appartenait pas aux paysans palestiniens : en 1948, ils ont été chassés de terres qui n'étaient pas les leurs.
Ils ne le réalisent pas encore, mais les ouvriers de la région - indépendamment des frontières nationales où ils vivent aujourd'hui - ont une identité d'intérêt. Espérons qu'ils parviendront à reconnaître leurs intérêts communs et à rejeter le nationalisme et le fanatisme religieux qui engendrent de fausses divisions, la violence et la haine raciale. En ce qui concerne la ferveur nationaliste et religieuse, il n'y a rien à quoi nous puissions nous identifier en tant que socialistes, car les deux sont des abstractions qui ont imprégné les ouvriers de la région d'une fausse conscience qui les empêche d'identifier leurs véritables intérêts de classe"(5).
En même temps, les messages de ce camarade sur le fil de discussion de libcom, après avoir chassé le nationalisme palestinien par la porte, semblent le laisser revenir par la fenêtre à travers l'idée que les manifestations et les émeutes des Palestiniens à l'intérieur d'Israël pendant le conflit constituent un mouvement de "résistance" qui offre un signe d'espoir pour l'avenir. Le camarade parle de "l'évolution significative des Palestiniens-Israéliens qui participent désormais plus pleinement à la résistance. Après tout, ce sont les lois de type apartheid appliquées à Cheikh Jarrah et les attaques contre la mosquée principale qui ont déclenché l'agitation actuelle... Si ce mouvement palestino-israélien contre la discrimination se développe et commence à exercer un pouvoir politique en dehors de la Knesset, je ne peux que le considérer comme une tournure positive des événements pour saper l'influence de l'idéologie sioniste dominante"(6). Il est vrai que de nombreux jeunes Palestiniens sont descendus dans la rue en réaction aux tentatives d'expulsion de familles arabes à Jérusalem-Est, ou aux pogroms de l'extrême droite sioniste, mais étant donné l'absence totale de réponse prolétarienne à la guerre en Israël/Palestine, étant donné la longue histoire des divisions nationalistes attisées par une guerre presque continue, ces mobilisations n'ont fait que renforcer les affrontements ethniques et l'atmosphère de pogrom en Israël, et se sont ouvertement alignées sur la réponse militaire du Hamas depuis la bande de Gaza. Elles n'offrent en aucun cas la base d'une future unification des ouvriers arabes et juifs contre leurs exploiteurs.
Cette fenêtre dangereuse a également été ouverte par un groupe comme l'ACG (Anarchist Communist Group), dont nous avons critiqué les confusions sur la "légitimité" de l'État sioniste dans un article précédent(7). Dans ce cas, l'ACG voit quelque chose de positif dans le fait que les manifestations et la "grève générale" palestiniennes ont été organisées par des comités de base dans les quartiers plutôt que par les organisations palestiniennes traditionnelles : "Les masses palestiniennes doivent être auto-organisées et échapper au contrôle du Hamas ou des factions de l'OLP - dans une certaine mesure, c'est déjà le cas..." L'ACG cite ensuite le + 972 Magazine : "Une caractéristique extraordinaire des manifestations est qu'elles sont principalement organisées non pas par des partis ou des personnalités politiques, mais par de jeunes activistes palestiniens, des comités de quartier et des collectifs de base."
Cela ravive les souvenirs de la réaction anarchiste dominante pendant la guerre d’Espagne dans les années 1930, lorsque les anarchistes ont considéré que, parce que les industries et les exploitations agricoles étaient "autogérées" par les ouvriers, il y avait bien là une révolution en cours, alors que la réalité était que ces structures étaient entièrement intégrées dans l'effort de guerre "antifasciste" - un conflit impérialiste des deux côtés qui a préparé le terrain pour la guerre de 1939-45.
Contrairement à ces attitudes ambiguës, les positions des groupes de la Gauche communiste vers lesquelles pointent des liens dans le fil de discussion - le CCI(8) et la TCI(9) - sont sans équivoque. Alors que peu de groupes anarchistes ont une vision claire de la notion d'impérialisme, les deux organisations de la Gauche communiste dénoncent les manœuvres impérialistes dans la région ainsi que les machines de guerre d'Israël et du Hamas, qui ne peuvent que servir leurs propres objectifs impérialistes ou ceux d’autres. La déclaration de la TCI commence par le slogan "ni Israël, ni Palestine" et reconnaît, comme l'article du CCI, que l'atmosphère de pogrom existe des deux côtés, dans chaque camp : "La solution du gouvernement israélien consiste à laisser des groupes fascistes comme "La Familia" se déchaîner dans les quartiers arabes de villes comme Lod en criant "Mort aux Arabes". […] La jeunesse arabe a riposté et attaqué des cibles juives. Ils reprennent l'appel des fascistes en criant "Mort aux Juifs", un appel qui a valu à la presse israélienne d'utiliser l'accusation chargée d'émotion de "pogrom". Mais il y a maintenant des pogroms des deux côtés de la "violence communautaire"."
Il y a aussi une déclaration des Angry Workers of the World (AWW), un groupe "ouvriériste" ou "autonomiste" qui est assez clair dans sa position internationaliste et qui réfute lucidement toute illusion sur les mobilisations dans les quartiers palestiniens, et la grève générale en particulier :
"La grève générale du 18 mai… a été encensée par les gauchistes du monde entier qui n'avaient pas examiné son contenu réel. La simple expression "grève générale" suffisait, pour eux, à démontrer qu'une véritable action de la classe ouvrière avait eu lieu. Mais la grève elle-même était appelée "d'en haut" et interclassiste jusqu'à la moelle. Bien que des masses d’ouvriers aient fait grève (seuls 150 des 65 000 travailleurs de la construction se sont présentés, 5 000 travailleurs du nettoyage et 10 % des chauffeurs de bus étaient absents, etc.) elle a aussi été largement embrassée par les représentants de la classe moyenne. Elle a d'abord été appelée par le Higher Monitoring Committee, le représentant de facto de la classe moyenne arabe en Israël, et a été reprise avec enthousiasme par le Fatah et le Hamas, qui ont ordonné à leurs propres travailleurs du secteur public de s'y joindre. Ces partis n'étaient pas intéressés par la construction du pouvoir de la classe ouvrière, en fait ils s'y sont toujours activement opposés. Le grand succès de la grève, de l'avis de tous ses dirigeants et de tous les journalistes, a été la démonstration de l'unité du "peuple palestinien", mais elle avait aussi pour objectif plus profond de lier plus étroitement la classe ouvrière aux institutions bourgeoises qui la dirigent"(10).
Il est noté sur le fil de discussion que les déclarations de la TCI et des AWW semblent avoir suscité beaucoup d’injures et de haine en ligne. Mais les internationalistes ne dénoncent pas les guerres capitalistes pour être populaires. Tant en 1914-18 qu'en 1939-45, la minorité internationaliste qui est restée ferme sur ses principes a dû faire face à la répression de l'État et à la persécution des voyous nationalistes. La défense de l'internationalisme ne se juge pas d’après ses résultats immédiats mais par sa capacité à fournir une orientation qui puisse être reprise à l'avenir par des mouvements qui constituent réellement une résistance prolétarienne à la guerre capitaliste. Ainsi, ceux qui se sont opposés à la sombre vague de chauvinisme en 1914, comme les bolcheviks et les spartakistes, ont préparé le terrain pour les soulèvements révolutionnaires de la classe ouvrière de 1917-18.
Amos, 30 juin 2021
[2] “Contre le poison nationaliste, solidarité internationale de tous les travailleurs ! [104] ” , Révolution internationale n° 489, juillet - août 2021.
[3] "Freedom for Palestine!" Statement from Anarchist-Communist Groups in Oceania – Red and Black Notes (redblacknotes.com)
[6] Posts 4 et 7 sur le fil de discussion de libcom.
[7] L'ACG rejette les politiques identitaires mais “accepte” un État d’Israël démocratique et laïque [107], ICConline, octobre 2020.
[8] Conflit israélo-palestinien : les guerres et les pogroms sont l’avenir que nous réserve le capitalisme [59], ICConline, mai 2021.
Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le samedi 18 septembre à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [3]) ou dans la rubrique “contact [58]” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats. Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées par retour de courriel.
L’administration Biden maintient non seulement les mesures agressives économiques contre la Chine, mises en œuvre par Trump, mais elle a surtout accentué la pression sur le plan politique (défense des droits des Ouïghours et de Hong Kong, rapprochement avec Taïwan avec qui elle négocie pour le moment un accord commercial, accusations de piratage informatique) et également au niveau militaire en mer de Chine, et ceci de façon assez spectaculaire depuis début avril :
La Chine pour sa part a réagi furieusement à ces pressions politiques et militaires, particulièrement celles qui concernent Taïwan :
Fin août, le rapport annuel du ministère taïwanais de la Défense alertait que la Chine "peut maintenant combiner des opérations numériques de son armée qui auraient pour conséquences, dans un premier temps, de paralyser nos défenses aériennes, les centres de commandement en mer et nos capacités de contre-attaquer, ce qui constitue une menace gigantesque pour nous" (P.-A. Donnet, La Chine en mesure de paralyser la défense taïwanaise, selon Taipei, Asialyst, 02.09.21).
Mises en garde, menaces et intimidations se sont donc succédé ces derniers mois en mer de Chine. Elles soulignent la pression croissante exercée par les USA sur la Chine. Dans ce contexte, les États-Unis font tout pour entraîner derrière eux d’autres pays asiatiques, inquiets des velléités expansionnistes de Pékin ("L’exercice ARC21 est un moyen de dissuasion face au comportement de plus en plus agressif de la Chine dans la région", juge Takashi Kawakami, directeur de l’Institut d’études internationales de l’université Takushoku (Japon), cité le 14 mai par le quotidien Les Echos). Les USA tentent ainsi de créer une sorte d’ OTAN asiatique, le QUAD, réunissant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. D’autre part et dans le même sens, Biden veut raviver l’OTAN dans le but d’entraîner les pays européens dans sa politique de pression contre la Chine.
Pour compléter le tableau, les tensions entre l’OTAN et la Russie ne doivent pas être négligées non plus : après l’incident du vol Ryanair détourné et intercepté par le Belarus pour arrêter un dissident, réfugié en Lituanie, il y a eu en juin les manœuvres de l’OTAN en Mer Noire au large de l’Ukraine, où un accrochage s’est produit entre une frégate anglaise et des navires russes, et, en septembre, des manœuvres conjointes entre armées russe et biélorusse aux frontières de la Pologne et des Pays Baltes.
Ces événements confirment que la montée des tensions impérialistes génère une certaine polarisation entre les USA et la Chine d’un côté et entre l’OTAN et la Russie de l’autre, ce qui pousse par contrecoup la Chine et la Russie à renforcer leurs liens réciproques afin de faire face aux USA et l’OTAN.
En Chine, où le gouvernement mise sur l’immunité collective avant d’ouvrir le pays, la situation sanitaire préoccupante demande une attention constante. D’une part, en attendant d’atteindre celle-ci, la Chine impose des lock-down stricts chaque fois que des infections sont identifiées, ce qui entrave lourdement les activités commerciales. Ainsi, en mai dernier, après l’infection de quelques dockers du port de Yantian, le troisième port de conteneurs du Monde avait été totalement isolé pendant une semaine, les travailleurs étant forcés de passer la quarantaine sur place. Aujourd’hui à nouveau, des régions entières sont confinées à cause de l’expansion du variant delta, l’éruption la plus forte depuis Wuhan en décembre 2019. Ensuite, cette recherche de l’immunité collective a poussé un certain nombre de provinces et de villes chinoises à imposer de lourdes sanctions aux récalcitrants. Ces initiatives ont soulevé de nombreuses critiques sur les réseaux sociaux chinois de sorte qu’elles ont été stoppées par le gouvernement, car elles tendaient à "mettre en péril la cohésion nationale". Enfin, le problème le plus grave est sans doute les données de plus en plus convergentes sur l’efficacité limitée des vaccins chinois.
Dans un tel contexte, la montée des tensions guerrières est inéluctable. D’un côté, elle indique une certaine polarisation, surtout entre les USA et la Chine, soulignée par une agressivité croissante des USA, qui savent que, malgré les investissements énormes de la Chine pour la modernisation de ses forces armées, ces dernières ne peuvent encore rivaliser avec la puissance militaire des États-Unis, en particulier dans les airs, les mers et au niveau de l’arsenal nucléaire.
Cependant, le chaos et le chacun pour soi exacerbé rendent constamment toute alliance instable, stimulent les appétits impérialistes tous azimuts et poussent plutôt les puissances majeures à éviter une confrontation directe entre leurs armées, avec engagement massif de militaires sur le terrain ("boots on the ground"), comme l’illustre le retrait des soldats US d’Afghanistan. Elles ont plutôt recours à des sociétés militaires privées (organisation Wagner par les Russes, Blackwater/Academi par les USA, …) ou encore à des milices locales pour mener des actions sur le terrain : utilisation des milices sunnites syriennes par la Turquie en Lybie et en Azerbaïdjan, des milices kurdes par les USA en Syrie et Irak, du Hezbollah ou de milices chiites irakiennes par l’Iran en Syrie, de milices soudanaises par l’Arabie Saoudite au Yémen, ….
Dès lors, la forme que prend l’expansion de ces tensions annonce une multiplication de confrontations guerrières toujours plus sanglantes et barbares dans un environnement marqué par instabilité et le chaos.
18.09.21/ R. Havanais
[1] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210917-australie-apr%C3%A8s-la-rupture-du-contrat-du-si%C3%A8cle-avec-la-france-la-question-du-co%C3%BBt-de-ce-revirement [112]
[2] Nous analyserons la signification et les implications de ce nouveau pacte dans un prochain article.
À l'occasion du 20e « anniversaire » des attentats du 11 septembre à New York, nous attirons l'attention de nos lecteurs sur notre article principal de la Revue internationale n° 107 : « A New York comme ailleurs: le capitalisme sème la mort ». L'article dénonce le massacre de milliers de civils, en majorité des prolétaires, comme un acte de guerre impérialiste, mais expose en même temps les larmes hypocrites versées par la classe dirigeante. Comme le dit l'article, « l'attaque de New York n'était pas une “attaque contre la civilisation”, elle était l'expression de la “civilisation” bourgeoise ». Les terroristes qui ont détruit les tours jumelles sont de petits assassins insignifiants si l'on compare leur action au nombre gigantesque de morts que tous les États légalement reconnus ont infligé à la planète depuis une centaine d'années, au cours de deux Guerres mondiales et d'innombrables conflits locaux et régionaux depuis 1945.
En ce sens, le 11 septembre était dans la continuité des bombardements de Guernica, Coventry, Dresde, Hiroshima et Nagasaki dans les années 1930 et 1940, du Vietnam et du Cambodge dans les années 1960 et 1970. Mais c'était aussi un signe clair que le capitalisme décadent était entré dans une nouvelle phase terminale, la véritable « dislocation intérieure » prédite par l'Internationale communiste en 1919. L'ouverture de cette nouvelle phase a été marquée par l'effondrement du bloc impérialiste russe en 1989 et la fragmentation du bloc américain qui en a résulté, et a vu l'inévitable tendance du capitalisme à la guerre prendre des formes nouvelles et chaotiques. Le fait que l'attaque ait été menée par Al-Qaida, une faction islamiste qui avait été amplement soutenue par les États-Unis dans leurs efforts pour mettre fin à l'occupation russe de l'Afghanistan, mais qui s'est retournée pour mordre la main qui l'a nourrie, en est un symbole particulier (même l'implication d'Al-Qaida était plus sujette à caution au moment où l'article a été écrit). Le « nouvel ordre mondial » proclamé par George Bush père, après la chute de l'URSS, s'est rapidement révélé être un monde de plus en plus désordonné, où les anciens alliés et subordonnés des États-Unis, des États développés d'Europe aux puissances de second et troisième rangs comme l'Iran et la Turquie, en passant par les petits seigneurs de la guerre comme Ben Laden, étaient de plus en plus déterminés à poursuivre leurs propres objectifs impérialistes.
L'article montre ainsi comment les États-Unis ont pu instrumentaliser les attentats, non seulement pour attiser le nationalisme à l'intérieur du pays (accompagné, comme il est vite devenu évident, d'un renforcement brutal de la surveillance et de la répression étatiques, incarnées par le Patriot Act adopté dès le 26 octobre 2001), mais aussi pour lancer leur attaque contre l'Afghanistan, dont les premiers pas étaient déjà constatés au moment de la rédaction de cet article (3 octobre 2001). Bien entendu, l'Afghanistan occupe depuis longtemps une place stratégique sur l'échiquier impérialiste mondial, et les États-Unis avaient des raisons spécifiques de vouloir renverser le régime des talibans, qui entretenait des liens étroits avec Al-Qaïda. Mais l'objectif global de l'invasion américaine (suivie deux ans plus tard par l'invasion de l'Irak et le renversement de Saddam Hussein) était de se diriger vers ce que les « néo-conservateurs » du gouvernement de Bush Junior appelaient la « Full Spectrum Dominance ». En d'autres termes, il s'agissait de s'assurer que les États-Unis restent la seule « superpuissance » en mettant un terme au chaos croissant dans les relations impérialistes et en empêchant l'émergence de tout concurrent sérieux au niveau mondial. La « guerre contre le terrorisme » devait être le prétexte idéologique de cette offensive.
20 ans plus tard, nous pouvons constater que le plan n'a pas très bien fonctionné. Les dernières troupes américaines ont dû quitter l'Afghanistan et sont en passe de quitter l'Irak. Les talibans sont de nouveau au pouvoir. Loin d'endiguer la marée du chaos impérialiste, les invasions américaines en sont devenues un facteur d'accélération. En Afghanistan, la victoire précoce contre les talibans a tourné court, car les islamistes se sont regroupés et, avec l'aide d'autres États impérialistes, ont fait en sorte que l'Afghanistan reste dans un état permanent de guerre civile, caractérisé par des atrocités sanglantes des deux côtés. En Irak, le démantèlement du régime de Saddam a conduit à la fois à la montée de l'État islamique et au renforcement des ambitions iraniennes dans la région, alimentant les guerres apparemment sans fin en Syrie et au Yémen. L'avancée de la décomposition à l’échelle planétaire a été le terreau du retour en force de l'impérialisme russe, et surtout de la montée en puissance de la Chine comme principal rival impérialiste des États-Unis. Les différentes stratégies visant à « rendre à nouveau sa grandeur à l'Amérique » (« Make America great again »), des « néo-cons » de Bush au populisme de Trump, n'ont pas été en mesure d'inverser le déclin inexorable de la puissance américaine, et Biden, bien qu'il ait affirmé que « l'Amérique est de retour », a maintenant dû présider à la plus grande humiliation de l'Amérique depuis le 11 septembre.
En analysant la manière dont les États-Unis ont cherché à « tirer profit du crime » du 11 septembre, l'article montre les similitudes entre le 11 septembre et le bombardement japonais de Pearl Harbour, qui a également été utilisé par l'État américain pour mobiliser la population, y compris les sections réticentes de la classe dirigeante, en faveur de l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. Il cite des preuves bien documentées que l'État américain a « permis » à l'armée japonaise de lancer l'attaque, et avance provisoirement l'hypothèse que l'État américain, à un certain niveau, a eu la même politique de « laissez-faire » dans la période qui a précédé l'action d'Al-Qaida, même s'il n'était peut-être pas pleinement conscient de l'ampleur de la destruction que cela entraînerait. Cette comparaison est développée dans l'article publié dans la Revue internationale n° 108 : « Pearl Harbour 1941, Twin Towers 2001 : le machiavélisme de la bourgeoisie américaine ». Nous reviendrons sur cette question dans un autre article, où nous discuterons de la différence entre la reconnaissance marxiste de la bourgeoisie comme la classe la plus machiavélique de l'histoire (naturellement rejetée par la bourgeoisie elle-même comme une forme de « théorie du complot ») et la pléthore actuelle de « théories du complot » populistes qui prennent souvent comme article de foi l'idée que le 11 septembre était un « travail de l'intérieur ».
WR, section du CCI au Royaume-Uni (11 septembre 2021)
– « À New York comme ailleurs: le capitalisme sème la mort [113] », Revue internationale n° 107 (4e trimestre 2001).
– « Pearl Harbor 1941, Twin Towers 2001 : Le machiavélisme de la bourgeoisie [114] », Revue internationale n° 108 (1er trimestre 2002).
Depuis plusieurs mois, les catastrophes climatiques s’enchaînent à un rythme effréné aux quatre coins de la planète : sécheresses, gigantesques incendies, pluies diluviennes, coulées de boue, inondations… Alors que les victimes de la crise environnementale se comptent en millions chaque année et que même les États les plus puissants s’avèrent toujours plus incapables de faire face aux catastrophes, le dernier rapport du GIEC est venu confirmer que le dérèglement climatique atteindra dans la prochaine décennie des proportions hors de contrôle.
Dans notre presse, nous avons régulièrement mis en avant que les racines du réchauffement climatique sont à chercher dans le fonctionnement même du capitalisme. Non seulement, les catastrophes climatiques sont de plus en plus dévastatrices, nombreuses et incontrôlables, mais les États, sous le poids de décennies de coupes budgétaires, sont de plus en plus désorganisés et défaillants dans la protection des populations, comme nous avons pu le voir récemment en par exemple en Allemagne, aux États-Unis ou en Chine. La bourgeoisie ne peut plus nier l’ampleur de la catastrophe, mais elle ne cesse, particulièrement à travers ses partis écologistes, d’expliquer que les gouvernements devraient enfin prendre des mesures vigoureuses en faveur de l’environnement. Toutes les factions de la bourgeoisie ont leur petite solution : green economy, décroissance, production locale, etc. Toutes ces prétendues solutions ont un point commun : le capitalisme pourrait être « réformé ». Mais la course au profit, le pillage des ressources naturelles, la surproduction délirante de marchandises ne sont pas des « options » pour le capitalisme, ce sont les conditions sine qua non de son existence !
Face à la catastrophe annoncée, l’indignation et l’inquiétude sont immenses, comme l’ont démontré les « marches pour le climat » de 2019 rassemblant des millions de jeunes de nombreux pays. À l’époque, nous mettions toutefois en avant que ces marches se déroulaient sur un terrain totalement bourgeois : les « citoyens » étaient, en effet, appelés à faire « pression » sur l’État bourgeois, cette machine monstrueuse dont la raison d’être est la défendre des intérêts capitalistes à l’origine de la détérioration sans précédent de l’environnement. En réalité, le problème du climat ne peut se résoudre qu’à l’échelle mondiale et le capitalisme, où s’affrontent impitoyablement les nations, est incapable d’apporter une réponse à la hauteur des enjeux : les grandes conférences environnementales, où chaque État cherchent cyniquement à protéger ses sordides intérêts sous couvert de défense de l’environnement en sont des illustrations criantes. La seule classe qui puisse affirmer un véritable internationalisme et mettre fin à l’anarchie de la production, c’est la classe ouvrière et la société contenue dans ses propres entrailles : le communisme !
Après un été 2021 annonciateur de futures catastrophes, les partis écologistes et de la gauche du capital (trotskistes, stalinien, anarchistes, sociaux démocrates, etc) vont tenter de remettre les marches pour le climat sur le devant de la scène. Il s’agit d’une nouvelle tentative de la bourgeoisie pour canaliser la colère vers les mêmes impasses politiques : la dilution de la classe ouvrière dans le « peuple », les illusions sur la capacité de l’État « démocratique » à « changer les choses ». C’est pourquoi nous invitons nos lecteurs à lire ou à relire le tract international que nous avions distribué lors des premières marches de 2019 et qui conserve aujourd’hui toute sa validité.
À l’occasion du 20e anniversaire de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, nous invitons nos lecteurs à lire ou à relire l’article que nous avions publié à l’époque. Depuis cette catastrophe, les « accidents » industriels n’ont cessé de se multiplier, signes parmi d’autres du délitement accéléré du capitalisme et de l’incapacité croissante de la bourgeoisie à assurer la direction de la société. Les catastrophes de Fukushima (2011) ou de Beyrouth (2020) ont suffisamment démontré la validité de notre analyse : « La catastrophe de Toulouse est un pas de plus dans l’horreur d’un capitalisme de plus en plus décadent et destructeur ».
– Explosion de l’usine AZF à Toulouse : L’État bourgeois est responsable de la catastrophe [118]
Cet été, alors que le gouvernement mettait la pression sur la population pour accélérer la campagne vaccinale, Macron annonçait, avec un ton martial, l’obligation vaccinale pour les personnels hospitaliers et des maisons de retraite, sous peine de licenciement. Des contraintes identiques ont été imposées dans d’autres pays, comme en Grèce ou en Italie. Ces mesures, stigmatisant une partie de la population que la bourgeoisie faisait pourtant applaudir en « héros » un an plus tôt, n’ont pas manqué de faire réagir alors que l’épuisement et la colère sont immenses face aux coupes budgétaires et aux suppressions de lits qui se poursuivent. (1)
Profitant des manifestations anti-vax et anti-pass, les syndicats, CGT et Sud-Santé en tête, ont sauté sur l’occasion pour semer davantage la confusion sur le terrain pourri de la « liberté de choix ». Les syndicats ont ainsi lancé des grèves « massives et illimitées » (c’est-à-dire divisées par établissement, voire par service !) dans un secteur fragilisé et un contexte de relatif déboussolement.
En réalité, les syndicats savaient parfaitement que leurs mots d’ordre louvoyants « contre les modalités d’obligation inscrites dans la loi » (CGT) avaient pour seul effet de semer la division dans les rangs des travailleurs, entre ceux qui sont vaccinés et ceux qui ne le sont pas : « Le secrétaire général de la section cadres de santé à la CGT, Laurent Laporte s’inquiète des conséquences sur le climat de travail dans les cliniques et hôpitaux. “On parle d’un sujet très clivant qui va diviser les travailleurs, même si ça n’est pas 50 % pour et 50 % contre”, craint-il ». (2) Les mobilisations, en plus d’être enfermées dans le seul secteur de la santé, étaient logiquement minoritaires et ont, en effet, générées de nombreuses tensions.
Ces faux choix et « débats », où chaque citoyen est prié de se positionner sur les orientations politiques de la bourgeoisie, sont du pain béni pour les syndicats et leur basse œuvre de sabotage des luttes ouvrières ! De fait, avec leurs discours hypocrites contre l’obligation vaccinale, les syndicats ont poussé une partie de la classe ouvrière à rejoindre des mouvements réactionnaires de colère pour la défense des « libertés démocratiques », terrain où se côtoient tous les individus ulcérés par la politique du gouvernement : des ouvriers isolés et déboussolés aux militants d’extrême droite et autres anti-vax ! Finalement, la classe ouvrière a laissé le terrain social à des protestations pourries. Et les syndicats n’ont cessé de nourrir les « manifestations du samedi » en prenant d’hypocrites distances pour ne pas trop se décrédibiliser en grenouillant ouvertement avec des complotistes souvent liés à des groupuscules d’extrême droite.
Dans les hôpitaux, comme dans tous les secteurs, la lutte est en effet indispensable… mais seulement sur le terrain de la classe ouvrière ! Le prolétariat doit donc se mobiliser face aux conditions de travail qui se dégradent, aux licenciements et suppressions de postes qui touchent tous les secteurs, comme face aux nouveaux désastres annoncés par la poursuite du démantèlement du système de santé. Ce n’est pas isolé, secteur par secteur, entreprise par entreprise, que le prolétariat pourra faire reculer la bourgeoisie et son État. C’est, au contraire, en développant son unité et ses méthodes de lutte : les assemblées souveraines où tous les ouvriers de tous les secteurs, au chômage, à la retraite, peuvent se réunir, prendre en main la direction des luttes et réfléchir à la nature de leur exploitation comme aux perspectives pour le futur.
EG, 2 octobre 2021
1 Voir : « Et pendant la pandémie… l’État détruit toujours les hôpitaux ! [120] » disponible sur le site Internet du CCI.
2 « Passe sanitaire et obligation vaccinale : grève chez les soignants ce lundi » [121], Le Figaro (8 août 2021).
Il y a un an, lors de la première vague de Covid-19, toute la bourgeoisie française, son gouvernement, ses partis, ses médias, appelaient à applaudir aux fenêtres les soignants, « héros de la nation » en « première ligne » exposée à un virus meurtrier. Et de leur promettre, la main sur le cœur, considération, moyens et augmentation.
Cette campagne de fausse solidarité n’avait pour but que de masquer la réelle responsabilité de la catastrophe sanitaire : la fermeture des lits, la réduction des effectifs et des moyens, décennie après décennie, de gouvernements de droite en gouvernements de gauche. Avec quel résultat ? Un système de soin exsangue, incapable de faire face à l’épidémie. Chambres, infirmiers, médecins, gants et blouses, matériel respiratoire, tout manquait en février 2020. La seule solution pour éviter une saturation des hôpitaux avec des milliers de malades mourant chez eux (comme cela fut le cas en Italie au tout début de l’épidémie) a été de tout bloquer, tout arrêter, d’enfermer la population et de demander aux soignants de travailler jusqu’à épuisement. L’explosion de dépressions et de maladies mentales qui suivi est la conséquence d’une telle mesure moyenâgeuse et inhumaine qu’a été le confinement.
Mais alors, ces promesses ? Les leçons ont-elles été tirées ? Les moyens ont-ils afflué vers les hôpitaux ?
D’abords, les soignants ont reçu une médaille. Même pas en chocolat. Et ensuite ? Plus de 5700 lits d’hospitalisation ont été fermés en 2020. La France compte désormais moins de 3000 hôpitaux et cliniques. 25 établissements publics et privés ont donc été fermés l’an dernier ! Non seulement la bourgeoisie française poursuit le démantèlement du système de soin, mais elle profite même de cette sombre période pour l’accélérer !
Le capitalisme est décadent. Système obsolète, il n’a plus rien à offrir à l’humanité, et peu importe quelle fraction de la bourgeoisie est aux affaires pour gérer le pays. De l’extrême-droite à l’extrême-gauche, ils ne peuvent qu’attaquer inlassablement les conditions de vie et de travail pour tenter de maintenir désespérément la compétitivité nationale et les profits. Dans tous les secteurs, les hôpitaux, les écoles, les administrations, les usines, partout, les mots de « réforme », de « restructuration », de « réorganisation » riment avec de nouvelles dégradations des conditions de travail, de nouvelles réductions des effectifs, fermetures, augmentations des cadences… Le traitement infligé au secteur hospitalier n’est que le reflet de l’impasse dans laquelle s’enfonce le capitalisme tout entier, un système d’exploitation à abolir.
Pawel, le 1er octobre 2021.
Il y a 20 ans, en 2001, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat mettait en exergue un document du Groupe du scénario global, réuni par l’Institut de l’environnement de Stockholm, décrivant trois scénarios possibles pour l’avenir de l’humanité résultant de la crise climatique :
« Le cadre du GSG comprend trois grandes catégories de scénarios pour analyser l’avenir : « Mondes conventionnels », « Barbarisation » et « Grande transition », avec des variantes au sein de chaque catégorie. Tous sont compatibles avec les modèles et les tendances actuels, mais ont des implications très différentes pour la société et l’environnement au XXIe siècle… Dans les scénarios « Mondes conventionnels », la société mondiale se développe progressivement à partir des modèles actuels et des tendances dominantes, le développement étant principalement tiré par des marchés en croissance rapide, les pays en développement convergeant vers le modèle de développement des pays industriels avancés (« développés »). Dans les scénarios de « barbarisation », les tensions environnementales et sociales engendrées par le développement conventionnel ne sont pas résolues, les normes humanitaires s’affaiblissent et le monde devient plus autoritaire ou plus anarchique. Les « Grandes Transitions » explorent des solutions visionnaires au défi de la durabilité, qui décrivent l’ascension de nouvelles valeurs, de nouveaux modes de vie et de nouvelles institutions ». (1)
En 2021, après ou accompagné de vagues de chaleur sans précédent du Canada à la Sibérie, d’inondations en Europe du Nord et en Chine, de sécheresses et de feux de forêt en Californie, de nouveaux signes de fonte des glaces de l’Arctique, la première partie du rapport du GIEC, celle qui se concentre sur l’analyse scientifique des tendances climatiques, a clairement indiqué que la poursuite « conventionnelle » de l’accumulation capitaliste nous conduit vers la « barbarie ». En vue de la conférence sur le climat COP26 qui se tiendra à Glasgow en octobre-novembre, le rapport affirme avec force que, sans une action mondiale drastique et concertée pour réduire les émissions au cours des prochaines décennies, il ne sera pas possible de limiter la hausse des températures à 1,5 degré au-dessus des niveaux préindustriels, seuil considéré comme nécessaire pour éviter les pires conséquences du changement climatique. Et ce n’est pas tout : le rapport fait référence à une série de « frontières planétaires » ou de points de basculement qui pourraient entraîner une accélération incontrôlable du réchauffement planétaire, rendant de grandes parties de la Terre incapables d’accueillir la vie humaine. Selon de nombreux experts cités dans le rapport, quatre de ces limites ont déjà été franchies, notamment au niveau du changement climatique, de la perte de biodiversité et des méthodes agricoles non durables, et plusieurs autres, comme l’acidification des océans, la pollution plastique et l’appauvrissement de la couche d’ozone, menacent d’entraîner des spirales de renforcement mutuel avec les autres facteurs. (2)
Le rapport précise également que ces dangers découlent avant tout de l' « intervention humaine » (qui, en substance, signifie la production et l’extension du capital) et non de processus naturels tels que l’activité solaire ou les éruptions volcaniques, explications qui sont souvent le dernier recours des négationnistes du changement climatique, de plus en plus discrédités.
La partie du rapport traitant des moyens possibles de sortir de la crise n’a pas encore été publiée, mais tous les rapports précédents nous ont appris que, même s’il parle de « transitions » vers un nouveau modèle économique qui cessera de rejeter des gaz à effet de serre à des niveaux totalement insoutenables, le « Groupe d’experts intergouvernemental » n’a d’autre réponse que d’appeler les gouvernements, c’est-à-dire les États capitalistes, à revenir à la raison, à travailler ensemble et à convenir de changements radicaux dans le fonctionnement de leurs économies. En d’autres termes, le mode de production capitaliste, dont l’implacable course au profit est au cœur de la crise, doit devenir ce qu’il ne pourra jamais être : une communauté unifiée où l’activité productive est régulée non pas par les exigences du marché mais par ce dont les êtres humains ont besoin pour vivre.
Cela ne veut pas dire que les institutions capitalistes sont totalement inconscientes des dangers posés par le changement climatique. La prolifération des conférences internationales sur le climat et l’existence même du GIEC en témoignent. Les catastrophes qui en résultent étant de plus en plus fréquentes, il est évident qu’elles auront des coûts énormes : économiques, bien sûr, par la destruction des habitations, de l’agriculture et des infrastructures, mais aussi sociaux : appauvrissement généralisé, nombre croissant de réfugiés fuyant les régions dévastées, etc. Et tous les politiciens et bureaucrates, à l’exception des plus illusoires, comprennent que cela va peser lourdement sur les caisses de l’État, comme l’a clairement montré la pandémie de Covid (qui est également liée à la crise environnementale). Les entreprises capitalistes individuelles réagissent également : pratiquement toutes les entreprises affichent désormais leurs références écologiques et leur engagement en faveur de nouveaux modèles durables. L’industrie automobile en est un bon exemple : conscients que le moteur à combustion interne (et l’industrie pétrolière) est une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, presque tous les grands constructeurs automobiles passeront aux voitures électriques au cours de la prochaine décennie. Mais ils ne peuvent pas cesser de se faire concurrence pour vendre le plus grand nombre possible de leurs « voitures vertes », même si la production de voitures électriques a ses propres conséquences écologiques importantes – notamment en raison de l’extraction des matières premières, comme le lithium, nécessaires à la production des batteries des voitures, qui repose sur des projets miniers massifs et sur le développement des réseaux de transport mondiaux. Il en va de même au niveau des économies nationales. La conférence COP prévoit déjà qu’il sera très difficile de persuader les économies « en développement » comme la Russie, la Chine et l’Inde de réduire leur dépendance aux combustibles fossiles afin de réduire les émissions. Et elles résistent à ces pressions pour des raisons capitalistes parfaitement logiques : parce que cela réduirait considérablement leur avantage concurrentiel dans un monde déjà surchargé de matières premières.
Depuis l’époque du Manifeste Communiste, les marxistes ont insisté sur le fait que le capitalisme est poussé par ses crises de surproduction et la recherche de nouveaux marchés à « conquérir la terre », à devenir un système mondial, et que cette « tendance universalisante » crée la possibilité d’une nouvelle société dans laquelle le besoin humain, le plein développement de l’individu, devient le but de toute activité sociale. Mais en même temps, cette même tendance contient aussi les germes de la dissolution, de l’autodestruction du capital, et donc la nécessité impérieuse d’une transition vers une nouvelle communauté humaine, vers le communisme. (3) Et à l’époque de la Première Guerre mondiale, des marxistes tels que Boukharine et Luxemburg ont montré plus concrètement comment cette menace d’autodestruction se concrétiserait : plus le capitalisme deviendrait global, plus il se consumerait dans une compétition militaire mortelle entre des nations impérialistes déterminées à se tailler de nouvelles sources de matières premières, une main-d’œuvre moins chère et de nouveaux débouchés pour leur production.
Mais si Marx, Engels et d’autres ont pu constater très tôt que le système capitaliste empoisonnait l’air et épuisait le sol, ils n’ont pas pu voir toutes les conséquences écologiques d’un monde dans lequel le capital avait pénétré dans presque toutes les régions dans les quatre directions, subordonnant la Terre entière à son urbanisation galopante et à ses méthodes toxiques de production et de distribution. L’expansion capitaliste, motivée par les contradictions économiques contenues dans la relation entre le capital et le travail salarié, a poussé à l’extrême l’aliénation de l’humanité par rapport à la nature. De même qu’il existe une limite à la capacité du capitalisme à réaliser la plus-value qu’il extrait des travailleurs, la spoliation des ressources naturelles de la Terre par le profit crée un nouvel obstacle à la capacité du capitalisme à nourrir ses esclaves et à perpétuer son règne. Le monde n’est plus assez grand pour le capitalisme. Et loin de faire entendre raison aux États capitalistes et de les faire travailler ensemble pour le bien de la planète, l’épuisement des ressources et les conséquences du changement climatique auront tendance à exacerber encore plus les rivalités militaires dans un monde où chaque État cherche à se sauver face à la catastrophe. L’État capitaliste, qu’il soit ouvertement despotique ou recouvert du vernis de la démocratie, ne peut qu’appliquer les lois du capital qui sont à l’origine des menaces profondes qui pèsent sur l’avenir de l’humanité.
Le capitalisme, si on le laisse perdurer, ne peut que plonger le monde dans une « barbarisation » accélérée. La seule « transition » qui peut empêcher cela est la transition vers le communisme, qui, à son tour, ne peut être le produit d’appels aux gouvernements, de votes pour des partis « verts » ou de protestations de « citoyens concernés ». Cette transition ne peut être prise en main que par la lutte commune et internationale de la classe exploitée, le prolétariat, qui sera le plus souvent la première victime de la crise climatique comme c’est déjà le cas pour la crise économique. La lutte des travailleurs face aux attaques contre leurs conditions de vie contient à elle seule les germes d’un mouvement révolutionnaire généralisé qui demandera des comptes au capitalisme pour toutes les misères qu’il inflige à l’espèce humaine et à la planète qui la fait vivre.
Amos
1 Extrait de la page 140 du rapport 2001 du groupe de travail 3 du GIEC sur l’atténuation.
3 Voir la citation des Grundrisse de Marx dans notre récent article Growth as déclin | Courant Communiste International (internationalism.org) [124]
L’hommage « spontané » des supporters de l’OM au « boss », Bernard Tapie, aura donc été le point d’orgue des surréalistes commémorations de la bourgeoisie à l’un des siens. Tous ont encensé « l’homme aux mille vies » et sa « capacité hors norme à rebondir après chaque défaite ». « Nanard » s’était en effet régulièrement recyclé en homme d’affaire, acteur, pilote de course, chanteur, politicien, présentateur de télévision, patron de presse, dirigeant de club de football, écrivain… Mais derrière ses mille et un masques de carnaval, le « boss » aura conservé sa vie durant le même visage, celui d’une sorte d’escroc opportuniste et sans scrupule, écrasant tout sur son passage. Avant même que son destin ne l’appelle, le jeune Bernard Tapie avait déjà mené une longue carrière de bonimenteur et de spéculateur véreux. Ses prédispositions ne le quitteront jamais.
Comme on ne dit pas du mal des morts (sauf quand ils menacent l’ordre établi), la presse française a donc multiplié les contorsions et les euphémismes pour ne pas prononcer les mots qui fâchent, parlant plutôt de la « part sombre » du personnage ou de son côté « filou ». Mais, après plusieurs décennies de péripéties juridico-politiques, les innombrables magouilles de Tapie ont tout de même refait surfaces : les châteaux de Bokassa en 1981, l’affaire OM-VA en 1995, l’affaire Testut en 1996, celles du Phocéa en 1997, les comptes de l’OM en 1998, l’interminable affaire Tapie-Crédit Lyonnais… pour ne citer que les plus emblématiques.
Il y a cependant un aspect central de la carrière du « boss » que la presse a quasiment passé sous silence (probablement pour ne pas gâcher l’émouvant adieu du « peuple phocéen reconnaissant ») : la spécialité de l’affairiste marseillais, l’appropriation d’entreprises en dépôt de bilan. Car derrière le « redresseur » de boites en difficulté, se cachait bien difficilement le négrier spécialiste du « dégraissage » et de l’exploitation sauvage des ouvriers.
Après quelques années de tambouille et d’investissements de gagne-petit, le premier « gros coup » de Tapie fut la tentative de rachat de l’entreprise de vente par correspondance, Manufrance, en 1980. Les promesses de relance et de « sauvegarde de l’emploi » font rapidement place à la dure réalité : après un plan de restructuration et le démantèlement de la société, Manufrance est liquidé en 1985. La même année, Tapie achète pour une bouchée de pain les 250 boutiques de l’enseigne bio, La Vie Claire. Après la fermeture de la moitié des magasins et le licenciement du personnel qui va avec, « Nanard » revend finalement à bon prix une société au bord de la faillite. En 1981, c’est au tour de Terraillon, fabriquant de pèse-personne, de faire les frais de sa « capacité hors norme à rebondir » : cinq fois moins de salariés plus tard, il revend les usines avec un bénéfice de 33 millions de francs. En 1983, le « boss » rachète Look Cycle pour 1 franc symbolique et lui administre le même traitement de choc : il revend la société pour 260 millions. Rebelote en 1984 avec les piles Wonder : il ferme sans ciller quatre usines et licencie 600 salariés pour empocher 470 millions de francs. Bon appétit, Monsieur Tapie !
Mais c’est en 1990 que « Nanard » espère réaliser « l’affaire de sa vie » avec l’achat du fabriquant de vêtements de sport, Adidas, au bord du gouffre. Il restructure l’entreprise à la sulfateuse et envoie une partie de la production en Asie pour « comprimer les coûts de fabrication ». En clair : les gamins asiatiques, ça coûte beaucoup moins cher !
L'affaire tourne court : Adidas et Tapie s’endettent avec une perte, en 1992, de 500 millions de francs. Surtout, le Parti socialiste au pouvoir a décidé de lancer le « golden boy français » en politique. Pressenti au ministère de la Ville, Tapie ne peut pas s’encombrer d’un tel fardeau. Il revend donc Adidas au Crédit Lyonnais (alors banque publique) dans des conditions plus que troubles : sans avoir investi un seul centime, il revend pour 2 milliards de francs une entreprise en déroute à la banque qui lui avait prêté, sans jamais être remboursée, 1,6 milliards de franc pour son achat. L’opération étant bien entendu réalisée sous l’autorité de François Mitterrand, protecteur de Bernard Tapie et chef de l’État qui contrôlait le Crédit Lyonnais.
En 1987, Mitterrand est en campagne. Il cherche à se faire réélire pour un second septennat. L’heure est à « l’ouverture à la société civile » et l’homme d’affaire médiatique, propriétaire de l’OM, est parfait pour le rôle. D’autant que le PS, discrédité par cinq années d’attaques économiques infligées au prolétariat, cherche à faire gonfler les scores du FN pour, non seulement, affaiblir le parti de droite, mais aussi se présenter en « rempart de la démocratie » face au « péril fasciste ». Dans cette mise en scène électorale, Mitterrand fera jouer à Tapie un de ses plus cyniques numéros.
Côté pile, « Nanard » va jouer les durs face à l’extrême droite pour mieux la crédibiliser, sermonnant les militants du FN à Orange ou affrontant Le Pen-père dans deux shows télévisés dans lesquels le « Menhir » a, une fois n’est pas coutume, asséné une vérité indiscutable à propos de son adversaire, l’accusant de n’être qu’un « matamore, un tartarin, un bluffeur ».
Car, en effet, côté face, Tapie se révèle aussi être une pièce d’importance dans la connivence entretenue entre le PS et le FN. Les témoignages venus de la coulisse sont accablants, en particulier celui d’un proche collaborateur de Le Pen, Lorrain de Saint Affrique. (1) En 1989, il affirme qu’il y a « entre les dirigeants de la fédération départementale des Bouches-du-Rhône du Front et l’entourage de Bernard Tapie des contacts permanents pour examiner ensemble tel ou tel cas, se coordonner, s’épauler. Avec la bénédiction de Le Pen ». À l’occasion de l’élection de Tapie aux législatives de 1993, il affirme également que « Le Pen, en bureau politique, va s’abriter derrière la consigne générale : maintenir partout les candidats qui ont atteint la barre des 12,5 % requise par le code électoral pour être présent au second tour. Tapie est élu [grâce à une triangulaire qui a affaibli le candidat de droite]. Au Front, où Tapie figure parmi les têtes de Turc […], les militants vivent très mal ce maintien et les conditions dans lesquelles Le Pen a pris sa décision. Ils flairent quelque chose. […] On parle d’un accord, d’un volet financier, d’une rencontre sur le Phocéa, le yacht de Tapie ». L’ancien attaché parlementaire de Tapie, Marc Fratani, confirmera également l’existence de telles rencontres sous la protection du « milieu » corso-marseillais, et au moins un rendez-vous entre les deux hommes au domicile de Le Pen pour mettre au point des arrangements électoraux. (2)
Tapie a également servi de pion à Mitterrand pour contrecarrer les prétentions de Michel Rocard, son principal rival au sein du PS. N’appartenant pas au sérail socialiste, n’ayant pas pris la peine de franchir tous les échelons de la nomenklatura, Tapie a tout de même été catapulté ministre. À la mort de son protecteur Mitterrand, la lutte de succession au sein du PS s’engage. Alors que les barons socialistes cherchent à lui faire payer très cher sa réussite de parfait parvenu, il leur coupe l’herbe sous le pied en abdiquant toute forme de prétention politique nationale. L’affaire OM-VA (dans laquelle il est convaincu de corruption lors d’un match de foot truqué) achèvera de couper court à ses ambitions politiques.
Mais celui qui se demandait, à la fin des années 1980, s’il valait mieux être de gauche ou de droite pour conquérir la mairie de Marseille, ne cessera de manger à tous les râteliers : se plaçant sous la protection de Sarkozy en 2007, il a bénéficié d’un arbitrage totalement frauduleux dans l’affaire Adidas, empochant au passage 400 millions d’euros. En 2012, il se tourne à nouveau vers ses « amis socialistes » pour que Claude Bartolone (l’ex-président de l’Assemblée nationale) et François Hollande interviennent en sa faveur dans le rachat du journal La Provence… journal qui eut donc l’insigne honneur de subir en 2020, les ultimes licenciements du « boss ». On ne se refait pas !
EG, 9 octobre 2021
1 Dans l’ombre de Le Pen (1998).
2 « “J’ai accompagné Tapie chez Le Pen”, Marc Fratani raconte la rencontre de 1993 » [126], Le Monde (2 mars 2019).
Jets de projectiles envers des joueurs à Montpellier, bagarres entre supporters et joueurs à Nice, jets de briques sur la pelouse après une décision arbitrale à Ajaccio, siège arraché et jeté sur un enfant de 11 ans à Paris, pelouse envahie par des supporters à Lens, guet-apens tendu à l’encontre de supporters à Montpellier, bagarres entre supporters à Angers… Le retour du public dans les stades de football en ce début de saison de Ligue 1 en France est marqué par une accumulation de heurts.
La violence dans les stades est congénitale au sport moderne. Celle-ci avait d’ailleurs trouvé son paroxysme dans les années 1980 et 1990 dans plusieurs pays d’Europe à travers le hooliganisme, ces hordes d’individus pour qui les rencontres sportives étaient une occasion de se défouler brutalement et semer la terreur dans et autour des stades. Le spectacle d’horreur du Heysel le 29 mai 1985 puis celui d’Hillsborough en 1989 obligèrent les États et les instances sportives, principaux responsables de ces « massacres », (1) à prendre des mesures afin de canaliser ce phénomène de violence aveugle et nihiliste, sans pour autant éradiquer sa racine évidemment. Celle-ci résidant dans la dégradation matérielle et la dépravation morale engendrées par la crise économique du capitalisme et la spirale mortifère dans laquelle celui-ci entraîne la civilisation. (2)
Ainsi, les violences entre supporters sont restées une constante au cours des dernières années avec des moments paroxystiques, comme durant le Mondial 98 et l’Euro 2016 en France ou encore dans les travées du Parc des Princes dans les années 2000 où les « ultras » parisiens ont souvent fait régner la terreur. Le regain de violences de ces dernières semaines n’est donc pas fortuit. C’est la conséquence du pourrissement de la société capitaliste que la pandémie de Covid-19 (et ses dégâts sociaux et psychologiques) n’a fait qu’amplifier drastiquement.
Une société au sein de laquelle des individus toujours plus atomisés, écrasés, broyés, humiliés trouvent dans l’appartenance à ces bandes, et les rixes auxquelles elles s’adonnent, un moyen de se défouler, d’avoir le sentiment « d’exister », « d’être quelqu’un » en crachant leurs pulsions de haine et d’agressivité.
La « condamnation » par les médias de ces individus montre toute l’hypocrisie de la bourgeoisie quand on sait que la presse sportive, les dirigeants, les États et les gouvernements sont les premiers à galvaniser ces hordes d’individus en faisant du sport-spectacle l’arène de la rivalité, de la concurrence, du chauvinisme, du nationalisme, de la victoire à tout prix !
Comme l’exprimait l’écrivain George Orwell : « pratiqué avec sérieux, le sport n’a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence ; en d’autres mots, c’est la guerre, les fusils en moins ».
« Il faut être ferme. Ce sont des gens qui abîment l’image du sport, qui renversent ce que le sport doit être, c’est-à-dire la fraternité entre les citoyens » (Blanquer),
« Moi je suis un supporter de football, je ne veux pas que quelques-uns emmerdent la grande majorité des supporters ». (Darmanin).
Voici un condensé de toute la campagne menée par la classe dominante : répression face à la démocratie en danger ! D’où les sempiternelles propositions de mesures que les responsables politiques ou représentants des institutions sportives ont dégainé par la suite : « Matchs à huis clos », « perte de points pour les clubs », « interdictions de stade ou de déplacements de supporters », « identification et fichage des individus », « renforcement de la vidéo-surveillance », « sanctions pénale », etc.
Elles visent toutes à braquer les projecteurs sur l’insuffisance (réelle) des dispositifs de sécurité mis en place par les clubs et sur la culpabilité des hooligans. Tout cela pour mieux cacher que ce regain de violence, dans les stades comme ailleurs, est le produit de la société capitaliste en pleine agonie !
Surtout, cette campagne permet une nouvelle fois de justifier le renforcement des forces de répression et le durcissement de l’appareil judiciaire dans l’ensemble de la vie sociale. Elle contient également, en creux, l’amalgame implicite entre les hooligans et les black-blocs ayant comme mode d’expression la même violence aveugle et nihiliste.
Ce qui ne peut que contribuer à intimider tous ceux qui voudraient participer à des mobilisations ou des manifestations ouvrières.
Voilà dans le fond, le sens de ce type de campagne : déboussoler, terroriser et prévenir toute expression collective de colère ouvrière.
Vincent, 2 octobre 2021
2 Voir « Les Thèses sur la décomposition », Revue internationale n°107.
Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le samedi 23 octobre 2021 à 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [3]) ou dans la rubrique “contact [58]” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats. Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées par retour de courriel.
Nous publions ci-dessous un extrait du courrier adressé par notre camarade D au sujet de l’analyse du mouvement des « gilets jaunes » et de notre réponse à son premier courrier [132].
Chers camarades
[…] En relisant la réponse de SJ du 4 avril à ma précédente lettre, je suis tout à fait d’accord avec la réaffirmation du caractère inter-classiste de ce mouvement et de l’impossibilité de son évolution en tant que mouvement vers des positions franches de la classe ouvrière. Néanmoins, comme je suis d’accord avec l’impossibilité d’évolution d’un groupe trotskyste en tant que tel (BPA, LO, lambertistes) vers une transformation en groupe ou parti utile à la classe ouvrière dans une période prérévolutionnaire, je suis également d’accord avec une position “historique” du CCI : c’est-à-dire la possibilité de sécrétion d’un petit groupe issu de ces partis bourgeois qui émergerait sur des positions de classes. [...] Il reste dans la mouvance des gilets jaunes des personnes susceptibles d’évoluer de façon positive et s’il n’est pas question de brosser ces personnes dans le sens du poil, il ne faut pas commettre d’erreurs d’expressions littérales péjoratives qui seraient des freins à la poursuite de cette évolution positive. Je vous encourage à bien faire attention aux mots utilisés si des personnes de cette mouvance surgissaient en se posant des questions intéressantes et à bien différencier le fond (la fermeté sur l’interclassisme) et la forme (un ton positif). Je vous envoie en annexe un article du journal local qui s’intéresse à ceux qui se réclament encore de ce mouvement. Si les illusions démocratiques sont majoritaires, à part un travailleur indépendant les autres intervenants sont des salariés ou à la retraite. Cela indique que c’est cette composante d’ouvriers qui reste fidèle à ce mouvement de contestation. […]
Bon courage, amitiés
D.
Comme nous pouvons le constater, il y a un accord avec le camarade D sur la nature interclassiste de ce mouvement, mais le camarade n’a, semble-t-il, pas été convaincu par nos arguments sur une partie de notre intervention qui n’aurait pas été suffisamment « positive » et pourrait même être un « frein » pour « l’évolution positive » (nous comprenons sur des positions de classes) d’éléments ayant participé à ce mouvement. Encore une fois, il ne nous semble pas avoir fait preuve d’un « ton agressif » ou de condescendance vis-à-vis des éléments de la classe ouvrière prisonniers de ce mouvement, aussi stérile et nocif qu’il ait été pour le développement de la conscience de classe. D’autre part, notre intervention s’adressait non pas à tel ou tel élément participant ou non aux « gilets jaunes » mais à l’ensemble de la classe ouvrière, en la mettant en garde contre le danger que font peser les luttes interclassistes. Si le CCI a été amené à utiliser un certain nombre de termes (tels que « zones périurbaines » ou encore « secteurs les plus pauvres ») pour dessiner les contours de la composante ouvrière participant à ce mouvement, c’était uniquement pour mettre en évidence qu’il s’agissait essentiellement des franges les plus précaires et écrasées du prolétariat, des parties extrêmement vulnérables à l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise et donc plus enclines à se faire embarquer dans des mobilisations qui ne font pas partie du combat du prolétariat. Comme l’indiquait la Gauche communiste de France dans un article paru dans la revue Internationalisme en 1947, (1) « dans de telles luttes [celles qui renforcent le capitalisme] les révolutionnaires n’ont pas à pousser des “hourra !” ni à se frotter les mains d’aise en clamant “dans le monde entier les ouvriers entrent en lutte”, mais à expliquer sans cesse aux ouvriers le rôle de dupes et de victimes qu’ils jouent réellement. Seules les luttes dont les objectifs sont la défense des intérêts immédiats et historiques des ouvriers présentent un caractère de lutte de classe du prolétariat et peuvent être prises pour mesure de l’intensité de la lutte et seules de telles luttes engendrent les conditions pour la constitution du Parti de classe ».
Si les échanges d’arguments entre le camarade D et le CCI sur cet aspect ne sont, pour le moment, pas parvenus à une pleine clarification, cela ne signifie pas pour autant que le débat soit clôt. Nous invitons donc nos lecteurs à prendre part à cette discussion en apportant leur contribution par courriers.
CCI
1 « Problèmes actuels du mouvement ouvrier : les conditions historiques de la formation du parti », Internationalisme n°19 (1947).
Nous publions, ci-dessous, le courrier d’une lectrice après la visite de Macron à Kigali et la reconnaissance des « fautes » de la France lors du génocide des Tustsis au Rwanda en 1994. Dans son courrier, la camarade dénonce très justement l’hypocrisie et le cynisme de l’impérialisme français et de son représentant, Macron, face à un massacre abominable dans lequel la France a joué un rôle actif et déterminant. Elle revient également sur les racines profondes du massacre : « c’est toujours le même système barbare qui est aux manettes sous différentes étiquettes, selon les périodes, le contexte géopolitique et les enjeux à court et moyen termes ».
Nous invitons nos lecteurs à relire notre article paru en juin 1994 [133] suite à plusieurs massacres abominables perpétrées par la bourgeoisie, et republié récemment dans le cadre de l’anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda [134].
Suite à la republication de l’article paru en juin 1994 sur le « génocide rwandais », je mesure que déjà à l’époque des faits, d’ailleurs que partiellement connus, le CCI avait analysé la situation avec beaucoup de perspicacité alors que l’ensemble des médias bourgeois se contentaient de rester dans la sidération voire pis dans le déni comme si c’était un massacre ethnique en dehors des velléités impérialistes que se livraient notamment la France et les États-unis. L’actualité remet cet épisode sur le devant de la scène avec le déplacement de Macron à Kigali et comme le précise l’introduction à l’article, il s’agit pour Macron de « solder un secret de polichinelle ». En effet de nombreux livres, rapports, témoignages attestent de la réalité de la complicité de la France, il n’est plus possible de nier l’évidence alors il lui faut être le chef d’orchestre de la reconnaissance de la responsabilité de la France. C’est le prix à payer pour assurer le retour économique et stratégique de la France dans ce pays. Et cerise sur le gâteau : ces révélations accablantes sur la participation active de la France à la réalisation de ce génocide permet à Macron de tordre le coup à la gauche mitterrandienne en se posant comme démocrate humaniste…
RWANDA : 27 mai 2021 « La France a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda », elle est restée « de fait aux côtés d’un régime génocidaire » mais « n’a pas été complice », voilà ce qu’a déclaré le président français au Mémorial de Kigali, vingt-sept ans après le génocide de 1994.
Dans son discours très attendu au Mémorial du génocide de Kigali, où reposent les restes de 250 000 des plus de 800 000 victimes de l’un des drames les plus meurtriers du XXe siècle, le président français, Emmanuel Macron, est venu « reconnaître [les] responsabilités » de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda. La France « n’a pas été complice », mais elle a fait « trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité », a-t-il déclaré, en ajoutant que « seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner ». Tout ce charabia en langage soutenu pour permettre aux gouvernants Rwandais, d’une part, d’être satisfait d’un tel discours « qui vaut plus que des excuses », et Français, d’autre part, d’apparaître comme l’homme humaniste de la société du XXIe siècle loin de la France-Afrique et des vestiges de la colonisation. Gagnant-Gagnant, en fait.
Qu’on ne se méprenne pas : Macron ne s’est pas déplacé à Kigali dans le but de faire avancer l’Histoire dans ce qui a été le plus grand génocide des dernières décennies. Non, Macron n’a pas rendez-vous avec l’histoire au Rwanda en ce jour de souvenir mais est venu après quatre longues années de rapprochement économique entériner une série d’accords économiques (pas moins de dix hommes et femmes d’affaires l’accompagnent). Ceci dit, il ne pouvait pas se dispenser de quelques reconnaissances de responsabilités, mais il était illusoire de penser qu’il pouvait présenter les excuses de la France. D’ailleurs, à quoi s’apparenteraient de telles excuses ? Reconnaître que la France a formé les troupes Hutu au combat (L’ « opération insecticide ». Pas étonnant que les Hutus appelaient les Tutsis « cancrelats », « cafards », « vermines ») dans la perspective d’imposer leur domination pour finir par leur projet d’extermination. Reconnaître que c’est dans l’ambassade de France que s’est constitué le gouvernement Hutu au lendemain de l’attentat de l’avion du président ? Reconnaître que les ordres étaient donnés depuis Paris via la cellule de l’Élysée uniquement dirigée par Mitterrand et son comité privé. Ordres verbaux donc sans trace… Les courriers entre Mitterrand et son fils Jean-Christophe : Monsieur Afrique de l’époque, ont disparu et n’ont pas pu être examinés par les différentes commissions d’enquête… Reconnaître que l’armée française (exceptés quelques militaires effarés par l’ampleur des massacres et leur « complicité ») a été aux côtés des génocidaires en leur permettant de continuer leur besogne meurtrière avec les armes et machettes achetées et livrées sur le tarmac de l’aéroport de Kigali, le lendemain de l’assassinat du président rwandais… Reconnaître que Mitterrand et Habyarimana entretenaient une relation fraternelle : Mitterrand appréciait le côté cultivé du Président rwandais qui connaissait tous les grands classiques francophones… Comme quoi l’érudition n’est pas une garantie d’humanité ! Cette amitié entre le président français et le président rwandais a facilité la mise en place du système génocidaire en gestation depuis les années 90. À quoi il faut ajouter la rivalité impérialiste qui se jouait entre la France et les États-Unis qui eux avaient fait le choix d’armer les rebelles Tutsi réfugiés au Burundi et en RDC. Après le discours de la Baule en 1990, il est clair que la volonté suprématiste Hutue est lancée et que la France va y contribuer activement. Mitterrand veut faire du Rwanda un laboratoire africain et toute sa clique est à l’ouvrage : Pour n’en citer que deux : Jean-Christophe Mitterrand, son fils, conseiller Afrique était en liaison permanente et occupait une position déterminante à l’EMP (État-Major Particulier) cellule « privée » de l’Élysée en charge du dossier rwandais. Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée à partir d’octobre 1990 est lui aussi un très proche de Mitterrand et est à la tâche ! Les premières commissions d’enquête n’avaient pas abouti à démontrer leurs responsabilités et pour cause les documents étaient classés secret-défense. Aujourd’hui, une partie est communiquée mais à quoi bon puisqu’on sait pertinemment que l’essentiel des ordres et instructions étaient à l’oral via un système de communication cryptée. Les assassins peuvent continuer à dormir tranquilles…
Sur la connaissance médiatique du déroulement du génocide, comment peut-on encore soutenir qu’on ne savait pas alors que rien n’était dissimulé, voire pis, puisque les consignes des massacres étaient données chaque matin via la radio « Les mille collines » partout dans le pays ? Les tueurs étaient encouragés à la radio et avaient pour tâche quotidienne de couper du matin au soir le plus de Tutsis possible. Le soir, les « vaillants » coupeurs avaient le loisir de s’abreuver jusqu’à plus soif après avoir affûté leur machette de travail pour le lendemain. On apprendra que ce travail a été très « efficace » et aboutira à l’extermination de près d’un million de personnes en cent jours. Je ne sais pas si on peut s’imaginer la mort par machette. Sans tomber dans la description glauque tout le monde comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une mort immédiate et que des centaines de milliers de personnes démembrées, éventrées, tailladées ne sont mortes qu’après de longues agonies. Passer le stade de la sidération, c’est l’analyse politique des faits qui peut nous permettre de comprendre comment un tel génocide « artisanal » (j’emploie cet adjectif car pour cette extermination pas de matériel sophistiqué, pas d’arme chimique, non de simples machettes ou marteaux cloutés) a pu se produire ? La question qui m’a longtemps hantée n’est pas celle du rôle de la France dans ce génocide (aucune illusion sur le fait qu’elle ait été à l’origine de cette extermination par sa politique impérialiste sur le terrain depuis des décennies de colonisation et par sa complicité à permettre cette chasse à l’homme.) Non ma perplexité, que je ne considère pas naïve, porte sur cette déshumanisation qu’il a fallu secréter dans la moitié de la population rwandaise pour qu’elle accepte aux heures de bureau d’aller taillader l’autre moitié. Cet ignoble besogne n’a pas pu se décider comme ça un beau matin d’avril 94, non il a fallu de longues années de préparation mentale s’infiltrant dans l’administration, la police et toutes les structures de la société civile pour parvenir à l’ancrer dans la tête des tueurs parce que leur tâche était d’épurer le Rwanda de ces vermines… On rejoint ici la démarche de tous les génocides : déshumaniser l’autre pour rendre possible voire indispensable de l’exterminer… Les textes forts d’Hannah Arendt, notamment son concept de la banalité du mal résonne fort et nous rappelle qu’il faut une préparation à la déshumanisation pour parvenir à ces cruautés massives. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la responsabilité de la France.
Et l’histoire ne s’arrêtera pas là, car on passe presque sous silence l’exode des rescapés, mais aussi la fuite des tueurs en RDC puis leur retour et l’incroyable phase de réconciliation qui va contraindre les rescapés à cohabiter avec leurs bourreaux souvent même en leur ayant abandonné leur logement. Alors effectivement que Macron présente ou non des excuses, demande au rwandais de faire le don du pardon… relève uniquement du cynisme politique et de la diplomatie.
Cette tragédie nous impose me semble-t-il de bien considérer que le capitalisme ne règne qu’en répandant la barbarie et cette attaque commence par l’anéantissement cérébral. Souvent on reprend ce slogan : Socialisme ou Barbarie. Le génocide rwandais nous en donne une triste illustration. Ce ne sont pas que des concepts mais la perspective à grande échelle si la classe ouvrière n’est pas en mesure de se positionner sur le terrain politique. Le capitalisme, c’est la barbarie.
Pour conclure sur ce déplacement de Macron, si on se place au niveau de la bourgeoisie, le président français a réalisé un bon oral en se positionnant sur le terrain de la reconnaissance des fautes de Mitterrand. C’est bien joué : il fait porter la responsabilité sur la gauche de l’époque (c’est toujours intéressant de trouver un coupable en dehors de son parti) et se positionne dans la modernité d’un monde à construire sur de nouvelles bases de coopération économique. La France et le Rwanda y travaillent depuis plusieurs années et des projets importants (dans le numérique, l’industrie cinématographique, etc.) sont en cours de réalisation : le « laboratoire africain » dont avait rêvé Mitterrand de façon coloniale et sanguinaire est en train de se profiler sous l’aire Macron sous une forme plus policée sur les cadavres du génocide. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est toujours le même système barbare qui est aux manettes sous différentes étiquettes, selon les périodes, le contexte géopolitique et les enjeux à court et moyen termes.
Aïcha, 31 mai 2021
Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le samedi 18 décembre 2021 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [3]) ou dans la rubrique “nous contacter” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats.
Enfin pour la facilité du débat et si tu souhaites y participer indique nous sous quel nom ou pseudonyme tu te connecteras lors de cette permanence.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Récemment paru, le livre d’entretiens entre le sociologue Bernard Friot (1) et la syndicaliste enseignante (encartée à SUD-Éducation), également présentatrice d’émissions de télévision, Judith Bernard, s’intitule : Un désir de communisme. Ce livre et ses auteurs entendent poser la question du communisme sous un jour particulier, celui du « salaire à la qualification personnelle », indépendant de l’ancienneté et de la loi du marché, et garanti à vie. Ce salaire serait payé par des cotisations sur le principe de la Sécurité sociale : il s’agirait de reprendre le principe « révolutionnaire », selon Friot, de la Sécurité sociale et de l’étendre en versant à tous un salaire sur la base des qualifications que chacun possède individuellement, validées par un « jury » composé de syndicalistes, sur le modèle des négociateurs des conventions collectives. Le principe de cette rémunération serait indépendant même de la réalité d’un travail, il existerait de droit. Les salaires seraient versés par une « caisse de salaires », et l’investissement serait réalisé par des « caisses d’investissement », également financées par des cotisations, « instances où de la monnaie est disponible pour financer les investissements dans les entreprises » en les subventionnant, sans crédit.
Tout au long de l’ouvrage, les auteurs n’envisagent de développer leur programme « communiste » qu’à l’échelle de la France, sous l’angle strictement national. L’internationalisme prolétarien n’est pourtant pas une option pour les communistes : il est, au-delà des divisions nationales que lui impose la bourgeoisie, l’affirmation du caractère unitaire du prolétariat, la base de ce qui constitue la grande force de la classe ouvrière : son unité. Dans ses Principes du communisme (1847), à la question : « Cette révolution se fera-t-elle dans un seul pays ? », Engels répondait : « Non. […] Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel ». Ce que Friot et Bernard nous proposent n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec le communisme. C’en est une falsification pure et simple et une négation : les frontières nationales sont un héritage politique, économique et social de la bourgeoisie, les nations sont nées quand la bourgeoisie est devenue la classe dominante, le rôle de la révolution prolétarienne est donc de les détruire !
On peut constater ainsi qu’ils s’opposent complètement à la vision développée par le mouvement ouvrier de la société communiste, et dans ce cadre, ce qu’ils appellent « communisme » n’est rien d’autre qu’une actualisation de la mystification et du verbiage staliniens, qui proclamait « la construction du socialisme dans un seul pays ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on est, dans cet ouvrage, très loin de ce qu’est le communisme : une société sans classe où l’économie et la loi de la valeur laissent la place à la « libre administration des choses » (Marx). Friot et Bernard se disent, d’ailleurs, résolument opposés à une société future sans classes, qualifiée « d’illusion magique », de la même façon qu’ils s’affirment contre une société « sans valeur économique, sans monnaie, dans laquelle il y aurait une transparence des valeurs d’usage ».
Le système que Friot nous décrit est un système salarial à visée égalitaire, même si c’est en fonction des « qualifications personnelles » ; des « jurys » détermineraient le niveau de qualification des salariés, leur offrant un revenu à vie en fonction de ce qu’ils savent faire pour se rendre utiles à la société, y compris en cas de non-activité. Nous sommes au regret d’apprendre à M. Friot que le Capital fait très bien la même chose : les DRH sont là pour ça !
Mais attention !, nous dit M. Friot : la logique n’est pas celle du profit que l’on peut tirer d’un salarié, mais de son utilité pour le bien commun. Ce que cela change n’est d’aucun intérêt pour la classe ouvrière : que la logique de l’exploitation salariale soit une « qualification » pour le bien de la société toute entière ou pour le plus grand profit de l’économie nationale, l’exploitation par le salariat est ce qui définit le caractère de classe exploitée du prolétariat ! Lorsque les exploits de Stakhanov étaient mis en scène par le capital national « soviétique », c’était aussi soi-disant « pour le bien commun » du « paradis des travailleurs » ; mais dans la réalité, ça n’a jamais, à aucun moment, amélioré la condition du prolétariat russe. Au contraire ! La seule qui a profité de cette mise en scène de la surexploitation ouvrière, c’est la bourgeoisie « soviétique », qui a utilisé Stakhanov pour augmenter drastiquement les normes de productivité en URSS !
Du reste, Friot n’est aucunement opposé aux « gains de productivité », qu’il considère comme « [n’ayant] pas d’effet négatif sur la qualification et le salaire des personnes », puisque le salaire qu’il envisage serait garanti à vie. Ce que cette affirmation contient n’est rien d’autre qu’une falsification de ce qu’est le salaire, puisque la bourgeoisie peut tout à fait, elle aussi, augmenter la productivité sans baisser les salaires : l’augmentation de la charge de travail, le chronométrage, les heures supplémentaires obligatoires et l’accélération des cadences sont des moyens que la bourgeoisie utilise constamment pour augmenter la productivité de la classe ouvrière sans toucher formellement aux salaires. Là encore, l’exemple de Stakhanov et son utilisation par la bourgeoisie russe pour intensifier la productivité du prolétariat en URSS et ailleurs montre qu’il est totalement mensonger d’affirmer que c’est sans « effet négatif » sur les conditions de vie et de travail des prolétaires !
Tout le système relooké par Friot évoque irrésistiblement ce qui existait en URSS et dans les Pays de l’Est jusqu’à l’effondrement de ce capitalisme d’État caricatural : salaire à vie, dont le montant était basé sur des critères étrangers au marché (ce qui aboutissait au fait qu’un ouvrier était mieux payé qu’un ingénieur), prise en charge de tous les aspects sociaux de la vie par les instances étatiques en grande partie gérées par les syndicats, les salariés ayant la propriété théorique du capital (comme dans les kolkhozes et les coopératives « soviétiques »). La seule différence est que Friot nous affirme qu’il est pour la disparition de l’État ; mais vu qu’il nous assène à côté de ça, « qu’il n’y a, effectivement, aucune possibilité de faire une société sans une violence concernant ce qui vaut », et qu’« il y a forcément des conflits aussi entre l’entreprise et les caisses d’investissement, entre l’entreprise et les caisses de salaire, il y aura tout une série de conflits » dans sa société « communiste », nous pouvons être sûrs d’une chose, c’est que dans le capitalisme stalino-syndical que nous vante Friot, il y aura nécessairement un État ! Qu’il nous affirme en même temps et de façon totalement contradictoire qu’ « il faut qu’une puissance publique impose qu’on ne fasse pas telle ou telle chose, ou au contraire promeuve telle ou telle chose » (sans nous dire qu’il s’agit d’une définition de l’État) et « je suis pour le dépérissement de l’État », n’est qu’une démonstration de plus du maquillage et de la falsification qu’il nous propose !
Se revendiquant du « Programme du Conseil National de la Résistance » porté notamment par le PCF, Friot considère que la Sécurité sociale est l’outil d’émancipation de la classe ouvrière. (2) Pour les révolutionnaires, la création de la Sécurité sociale n’a jamais rien eu de prolétarien, et 1945 est une année noire, de défaite idéologique totale, pour la classe ouvrière mondiale, et pas seulement française : le prolétariat est alors partout embrigadé dans la défense nationale, derrière l’État capitaliste et la bannière de l’antifascisme. La création de la Sécurité sociale a permis de réaliser un vieux rêve de la bourgeoisie française, contre lequel la classe ouvrière s’est longtemps battue, comme lors des grandes grèves du Creusot en janvier et mars 1870 : la mainmise de la bourgeoisie sur les caisses de secours ouvrier, la récupération par le Capital de la solidarité ouvrière à ses propres fins d’exploitation. (3)
C’est de cette période noire pour les exploités que Bernard Friot et Judith Bernard sont en fait nostalgiques, lorsque la classe ouvrière devait « retrousser ses manches », sous le talon de fer de la bourgeoisie et notamment du tandem PCF/CGT, trimait sans fin pour reconstruire l’économie nationale, pour le plus grand profit de la bourgeoisie toute entière et de l’impérialisme français, lequel allait donner sa mesure en Indochine, en Algérie et ailleurs(4). Tout leur livre n’est qu’une apologie du stalinisme, du totalitarisme étatique contre la classe ouvrière, une défense d’un capitalisme prétendu « social » contre la lutte de la classe ouvrière pour son émancipation de l’esclavage salarié et de la tutelle de l’État.
Toute l’histoire du mouvement ouvrier est une lutte constante pour une société sans classes ni exploitation, pour la disparition de l’économie de pénurie, de la loi de la valeur et pour la satisfaction des besoins humains. Ce que les auteurs nous proposent, c’est de remettre au goût du jour l’économie capitaliste étatisée telle que le stalinisme nous l’a toujours vantée. C’est non seulement la nostalgie de la pire période de la contre-révolution, mais aussi une falsification éhontée de ce qu’est le communisme : l’émancipation de la classe exploitée, la fin des frontières, des nations, des États, de l’économie de marché, de la loi de la valeur et du travail salarié, sous toutes leurs formes.
HD, 22 novembre 2021
1 Bernard Friot est membre du PCF et de la CGT se revendiquant également chrétien.
2 Sur la nature du Conseil National de la Résistance, lire : « Quelle est la véritable nature du conseil national de la résistance », Révolution internationale n°431, (avril 2012) [137].
3 Voir notre article « La bourgeoisie « fête » 60 ans de sécurité sociale en Belgique Belgique Belgique », Internationalisme n°319 [138].
4 Sur la politique menée par le tandem PCF/CGT à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lire dans notre brochure Comment le PCF est passé au service du Capital : « Le PCF au gouvernement défend le capital national contre la classe ouvrière (1944-1947) » [139].
Une pandémie globale qui a tué des millions de personnes et qui est loin d’être terminée, une spirale de catastrophes climatiques (incendies, sécheresses, inondations) avec le dernier rapport du GIEC prédisant que le monde fait face à la véritable menace d’une accélération exponentielle du réchauffement climatique, des guerres depuis l’Afghanistan jusqu’à l’Afrique impliquant trois, quatre, voire cinq camps adverses et une aggravation des tensions impérialistes entre les deux plus grandes puissances impérialistes, les États-Unis et la Chine, une économie mondiale qui était déjà plongée dans une crise quasi permanente depuis la fin des années 1960 et qui subit désormais des convulsions encore plus sévères à cause de la pandémie et du confinement, entraînant l’augmentation de l’inflation ainsi qu’une combinaison apparemment paradoxale de chômage et de pénurie de main-d’œuvre. Rien d’étonnant à ce que les visions apocalyptiques se développent toujours plus, qu’elles s’expriment ouvertement dans des termes religieux à travers la montée des fondamentalismes : islamiques, chrétiens ou autres ; ou bien à travers un panel de visions dystopiques de science-fiction sur le futur de la Terre. À un certain niveau, de telles visions font partie de la montée en puissance du nihilisme et du désespoir ou bien expriment la vaine espérance de surmonter le découragement en retournant à un passé qui n’a jamais existé ou en s’échappant vers « un nouveau Ciel et une nouvelle Terre » (Révélation 21 :1), donnés aux croyants par des puissances extérieures à eux et à la nature. Mais ces idéologies sont également un miroir déformant reflétant ce qui est réellement en train de se passer dans la civilisation actuelle.
Dans le passé, les prophéties sur la « fin des temps » se répandaient avant tout dans les périodes de déclin d’un mode de production dans son ensemble comme durant la décadence de Rome ou le déclin du féodalisme au Moyen Âge. Le Livre de la Révélation, le dernier livre du Nouveau Testament, avec sa symbolique des quatre cavaliers de l’Apocalypse pointe en effet les caractéristiques essentielles d’une société en phase terminale : dirigés par la Mort, les trois autres cavaliers sont la Guerre, la Pestilence et la Famine (cette dernière portant une balance indiquant que le prix du pain est devenu prohibitif pour les pauvres). Durant leur longue agonie, la société antique esclavagiste et le féodalisme étaient en effet dévastés par d’incessantes guerres entre fractions de la classe dominante, par des épidémies comme la Peste Noire, la famine et (même si ces sociétés n’étaient pas marchandisées comme le capitalisme) par l’inflation et la dévaluation des monnaies . (1)
Il n’est pas difficile de voir que les quatre Cavaliers sont de retour en combinant leurs effets destructeurs. La guerre donne naissance à la famine comme au Yémen et en Éthiopie. La destruction de la nature fait surgir de nouvelles maladies comme la Covid et fait planer la menace de famine terribles et de guerres à cause de la raréfaction des ressources. Tous ces spectres sont une conséquence des contradictions sous-jacentes de l’accumulation capitaliste, intensifiant la crise économique globale jusqu’à un degré jamais atteint depuis les années 1930.
La « fin des temps » prévue dans les apocalypses antiques et médiévales signalaient véritablement la fin d’un mode de production particulier qui devait être remplacé par un nouveau mode de production, une nouvelle forme de domination de classe. Mais le capitalisme est la dernière société de classe et sa plongée tête baissée vers des abysses met l’humanité face à une seule alternative : révolution communiste ou destruction de l’humanité. Le capitalisme est le système le plus dynamique, le plus productif mais aussi le plus destructeur de l’histoire et avec son terrifiant arsenal nucléaire et son incapacité à enrayer la dévastation de l’environnement, il peut véritablement entraîner la fin du monde, de l’espèce humaine et peut-être même de la vie sur Terre.
Certaines parties de la classe dominante se retranchent dans le déni : la Covid est juste une petite grippe (Bolsonaro), le changement climatique est un canular chinois (Trump). Les fractions les plus intelligentes de la bourgeoisie voient cependant le danger : d’où les énormes sommes sacrifiées dans les confinements et injectées dans la course aux vaccins ; d’où les nombreuses conférences internationales sur le changement climatique comme la COP 26 qui doit se dérouler à Glasgow en novembre et durant laquelle peu de participants contesteront ouvertement les funestes scénarios qui leurs seront présentés par le rapport du GIEC.
Au sein de la population en général, il y a une préoccupation croissante pour ces problèmes même si, pour le moment, le danger posé par la guerre et le militarisme a été éclipsé par la menace du Covid et du changement climatique. Mais les protestations effectuées par des organisations comme Extinction Rebellion, Insulate Britain et Youth for Climate sont une impasse, car elles ne vont jamais plus loin que demander aux gouvernements du monde de commencer à agir raisonnablement, de mettre de côté leurs différents et de présenter un plan global sérieux.
Or, les gouvernements, les États et la classe dominante sont eux-mêmes des expressions du système capitaliste et ils ne peuvent pas abolir les lois qui mènent à la guerre et à la destruction écologique. Comme à l’époque des Empereurs romains et des monarchies absolues, la décadence du capitalisme est également marquée par une grotesque hypertrophie de la machine d’État, dont le but est de soumettre les lois de la concurrence capitaliste à un certain niveau de contrôle (et aussi à réprimer tous ceux qui remettent en question sa domination). Finalement le capital ne peut être contrôlé. Par définition c’est un pouvoir qui, bien que créé par des mains humaines, se tient au-dessus des besoins humains et va à leur encontre. Par définition, c’est une relation sociale essentiellement anarchique qui ne peut s’épanouir qu’à travers la concurrence pour le plus haut profit. Les machines d’État que certains voient comme détenant la réponse aux problèmes du monde ont gonflé jusqu’à atteindre leur taille présente avant tout par le besoin de lutter contre les autres États sur le marché mondial, au niveau économique et militaire. Le capitalisme ne pourra jamais devenir une « communauté internationale » et dans la phase terminale de son déclin, la tendance vers la désintégration, le chacun pour soi et le chaos ne peuvent que se renforcer.
En 1919, la plateforme de l’Internationale communiste insistait sur le fait que la Guerre mondiale impérialiste de 1914-18 annonçait l’entrée du capitalisme dans « l’époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Époque de la révolution communiste du prolétariat ». Mais elle a également insisté sur le fait que « l’ancien “ordre” capitaliste n’est plus. Il ne peut plus exister. Le résultat final des procédés capitalistes de production est le chaos. Et ce chaos ne peut être vaincu que par la plus grande classe productrice, la classe ouvrière. C’est elle qui doit instituer l’ordre véritable, l’ordre communiste ».
L’apocalypse capitaliste n’est pas inévitable. La société bourgeoise a libéré les forces productives qui pourraient être transformées et mises au service de la réalisation du vieux rêve de l’humanité, celui d’une véritable communauté humaine et d’une nouvelle réconciliation avec la nature. Alors que les précédentes sociétés de classe sombraient dans des crises de sous-production, le capitalisme souffre d’une crise de surproduction, une absurdité qui met en évidence la possibilité de dépasser la pénurie et par conséquent d’éliminer une fois pour toutes l’exploitation d’une classe par une autre. En créant le prolétariat, il a créé la « force productive » qui a un intérêt matériel à la création d’une société sans classes.
Il existe un fossé immense entre l’état présent de la classe ouvrière qui a largement oublié sa propre existence comme force antagonique au capital et le mouvement de classe révolutionnaire qui a donné naissance à la révolution d’Octobre en 1917 et à l’Internationale communiste, l’expression politique la plus avancée de la vague révolutionnaire de 1917-23. L’unique façon de franchir ce fossé réside dans la capacité de la classe ouvrière de lutter pour la défense de ses propres intérêts matériels. En ce sens, de tous les cavaliers de la ruine capitaliste, c’est la crise économique et les attaques résultantes sur les conditions de vie et de travail des travailleurs qui contient la possibilité d’obliger le prolétariat de s’unir en défense de ses propres revendications de classe et de développer la perspective d’abattre son ennemi.
Amos, 9 octobre 2021
1 Voir la brochure La Décadence du Capitalisme [141], en particulier le chapitre II : « Crise et Décadence » [142].
Des milliers de migrants coincés depuis plusieurs semaines à la frontière polonaise, abandonnés à leur sort dans des forêts humides et gelées, sans eau ni nourriture. Des familles errant au milieu de nulle part, contraintes de boire l’eau des marécages alentours, de dormir à même le sol par des températures négatives. Des exilés épuisés, souvent malades, tabassés par les troufions de l’armée bélarusse qui les ont conduits sciemment aux frontières de l’Union européenne (UE). Des autorités polonaises hystériques qui n’hésitent pas à renvoyer femmes, enfants, handicapés et vieillards dans les bois et à cogner ceux qui cherchent à traverser clandestinement les murs de barbelés déployés tout au long de la frontière. Ce triste spectacle en rappelle malheureusement bien d’autres, tout aussi révoltants. Mais l’instrumentalisation des migrants à des fins ouvertement impérialistes ajoute à cet affligeant tableau, la couleur du cynisme le plus ignoble.
La présence soudaine de migrants dans cette région hostile, route rarement empruntée par les réfugiés, n’a rien de fortuite : le dictateur bélarusse, Alexandre Loukachenko, en conflit ouvert avec l’UE depuis sa réélection contestée d’août 2020, a favorisé, voire organisé l’acheminement de migrants en leur faisant miroiter une illusoire porte de sortie vers l’Europe, et les a jetés sur la frontière polonaise. Des charters seraient même affrétés par Minsk pour transporter les candidats à l’exil.
Pour Loukachenko et sa clique, les migrants ne sont qu’une monnaie d’échange contre les sanctions et les pressions occidentales. D’ailleurs, les négociations à peine débutées avec l’UE et la Russie, le gouvernement bélarusse renvoyait, en guise de « bonne foi », quelques centaines de migrants à la case départ, sur la base du « volontariat » (quel euphémisme !). Tant pis pour les morts ! Tant pis pour les traumatismes ! Tant pis pour les espoirs déçus !
L’utilisation des réfugiés dans le cadre des rivalités impérialistes se développe de façon spectaculaire ces dernières années, profitant d’un contexte où les États les plus riches se sont transformés en véritables forteresses et se vautrent chaque jour davantage dans les discours les plus xénophobes. On a ainsi pu récemment voir la Turquie menacer d’ouvrir les vannes de l’émigration à la frontière grecque, ou encore le Maroc à la frontière espagnole, jouant à chaque fois le « chantage migratoire » au nom de la défense de leurs sordides intérêts nationaux. Même la France, dans le cadre des tensions post-Brexit, suggère, plus ou moins subtilement, qu’elle pourrait laisser le Royaume-Uni se débrouiller seul avec les migrants calaisiens. Il est aussi probable que derrière les réfugiés bélarusse, la Russie de Poutine avance ses pions.
« Les Polonais rendent un service très important à l’ensemble de l’Europe », affirmait Horst Seehofer, le ministre allemand de l’Intérieur. Et quel service ! La Pologne et son gouvernement populiste n’ont pas hésité à déployer des milliers de soldats à la frontière et à menacer explicitement les réfugiés : « Si vous traversez cette frontière, nous emploierons la force. Nous n’hésiterons pas ».(1) Au moins, le message est clair et les intimidations ont été administrées avec zèle : jets de gaz lacrymogène sur des personnes affamées et exténuées, passages à tabac réguliers, aucun soin apporté aux malades…
L’UE, qui se prétend si intransigeante avec le « respect de la dignité humaine », a également fermé les yeux quand la Pologne s’est arrogée, le 14 octobre, au mépris des « conventions internationales », le « droit » de refouler systématiquement les migrants vers la Biélorussie sans vérifier si les demandes d’asile étaient valables, même selon les règles étroites de la légalité bourgeoise. La bourgeoisie s’est ainsi dotée d’un arsenal réglementaire et juridique totalement défavorable aux migrants et elle n’hésite pas à tricher avec ses propres règles quand le besoin s’en fait sentir !
Il en va de même pour les murs dressés contre les migrants. Quand le Royaume-Uni voulait rétablir une frontière en Irlande du Nord, la bourgeoisie s’est offusquée d’une telle hardiesse « menaçant la paix » et « rappelant les pires heures de la guerre froide ». Quand la Lituanie et la Pologne décident de dresser des murs de barbelés sur des milliers de kilomètres, cela s’appelle « protéger les frontières européennes » et « rendre un service très important »…
Le gouvernement populiste de Pologne, après avoir été copieusement conspué pour ses mesures anti-avortement et ses déclarations eurosceptiques, se trouve tout à coup porté aux nues. Cette crise est une véritable aubaine pour redorer le blason polonais auprès de ses « partenaires européens ». En clair, si l’État polonais rend un si grand « service », c’est parce qu’il fait, sans rechigner, le sale boulot des autres États de l’UE.
Rappelons que les « grandes démocraties » européennes, quand elles ne parquent pas elles-mêmes les demandeurs d’asile dans des camps de concentration abjects, comme celui de Moria en Grèce, sous-traitent la « gestion des flux migratoires » à des régimes bien connus pour leur « respect de la dignité humaine » : la Turquie, le Liban, le Maroc ou la Libye, où sévissent encore les négriers de la pire espèce sous l’œil bienveillant (et le porte-monnaie) de l’Union européenne ! Outre-Atlantique, le Président Biden, qui devait prétendument rompre avec l’immonde politique migratoire de son prédécesseur, se révèle tout aussi brutal : son administration « évacue » depuis le mois de septembre des milliers de migrants vers l’enfer haïtien, près de 14 000 selon les médias américains.
Les États « démocratiques » pourront toujours se présenter comme les garants de la « dignité humaine », la réalité montre bien qu’ils n’attachent pas plus d’importance à cette dernière que les régimes plus « autoritaires ». Pour les uns comme pour les autres, seuls comptent leurs froids intérêts dans l’arène impérialiste.
Il revient aux partis de la gauche du capital, des écologistes aux trotskistes, de brandir tout aussi hypocritement un semblant d’indignation. On a ainsi pu voir en Pologne et dans d’autres pays européens de petites manifestations, encadrées par les gauchistes, réclamer l’application du « droit international » et l’accueil des réfugiés au nom du « droit d’asile ».
Pourtant, le droit bourgeois, avec ses conventions internationales et ses « droits de l’homme », s’accommode très bien des barrières physiques et réglementaires inhumaines dressées contre les migrants : le « droit d’asile » est appliqué au compte-goutte selon des critères ultra-sélectifs et face aux exactions de la Pologne, en effet incompatibles avec la convention de Genève, il suffit aux États européens de détourner pudiquement le regard.
En « luttant pour l’application des droits des réfugiés », les ONG et les associations gauchistes abandonnent, de fait, les migrants aux fourches caudines de l’administration, les exposent au flicage permanent et au mur tout aussi infranchissable de la bureaucratie. Il n’y a rien à espérer du droit bourgeois qui n’exprime que les sinistres intérêts de la classe dominante et sa barbarie. Les « centres de tri », les gardes-côtes repoussants les fragiles embarcations des migrants (comme le fait Frontex), les innombrables murs, les subventions à des pays tortionnaires, tout cela existe dans le strict respect du « droit ».
La seule réponse à apporter aux crimes de la bourgeoisie envers les migrants, c’est la solidarité internationale des prolétaires. C’est la méthode qu’a toujours défendue le mouvement ouvrier : quand l’Association internationale des travailleurs fut fondée en 1864, elle devait déjà s’opposer aux discours accusant les immigrés de faire baisser les salaires. Face à ce réflexe nationaliste, elle affirmait au contraire « que l’émancipation du travail, n’étant un problème ni local ni national, mais social, embrasse tous les pays dans lesquels existe la société moderne ». Hier comme aujourd’hui, ce ne sont pas les migrants qui portent les attaques contre nos conditions de vie, mais bien le capital.
EG, 21 novembre 2021
1« Faute de politique d’accueil commune, l’Europe déstabilisée par la Biélorussie », Mediapart (11 novembre 2021).
Mercredi 24 novembre, 27 réfugiés perdaient la vie dans un naufrage au large de Calais. Cette tragédie qui révulse une fois encore le monde n’est malheureusement pas une nouveauté puisque depuis le début des années 2000, plus de 700 personnes ont trouvé la mort rien que dans la Manche !
Partout dans le monde, des populations fuient la pauvreté, la misère, le chaos guerrier, la violence des gangs, le désastre climatique. Des zones entières du globe tendent à devenir totalement exsangues, réduisant l’existence à un véritable calvaire. Si ce phénomène avait connu un pic sans précédent en 2015, il retrouve aujourd’hui une nouvelle ampleur avec la pandémie et ses conséquences économiques et sociale désastreuses. Et ce malgré le blindage renforcé des frontières et la répression farouche à laquelle les migrants doivent faire face, à l’image des réfugiés massés comme des misérables et persécutés à la frontière polonaise depuis plusieurs semaines. Mais ces hécatombes ont lieu partout, sur terre comme sur mer. Après les accords du Touquet, entrés en vigueur le premier février 2004 entre la Grande-Bretagne et la France, les mesures coercitives, avec leur lot de maltraitance, sont devenues de plus en plus brutales et systématiques. Tout le monde à encore en mémoire la sauvagerie dont avait fait preuve la police française lors du démantèlement de la « jungle » à Calais dans la nuit du 24 au 25 octobre 2016. Partout, les seuls « moyens » des États bourgeois pour « régler la question migratoire » se résument aux violences policières, à une répression terrible, et une surveillance orwellienne menant les réfugiés à prendre de plus en plus de risques, voyageant à tombeaux ouverts. À l’indécence de la joute politicienne entre Boris Johnson et Emmanuel Macron suite à l’annonce du tragique naufrage, est venu s’ajouter le cynisme avec des déclarations comme celle du ministre Darmanin qui d’emblée dédouane à bon compte les États de l’UE et sa propre politique répressive visant à militariser les côtes et les frontières. Tout cela, en faisant porter la responsabilité sur le seul dos des passeurs : « les premiers responsables de cette ignoble situation sont les passeurs » nous dit Darmanin. Nous avons eu des mots similaires de la part de Johnson qui a parlé des gangs « qui s'en sortent littéralement avec un meurtre ».
Quel cynisme ! Si les passeurs sont effectivement des crapules sans foi ni loi qui exploitent la misère humaine, les politiciens des grandes démocraties n’en sont pas moins les principaux criminels. Ce sont eux et leurs politiques ignobles qui justement font émerger et prospérer les passeurs du fait des difficultés accrues pour tous les migrants criminalisés. En réalité, la bourgeoisie cherche à trouver des boucs-émissaires pour tenter de dédouaner sa politique inhumaine et barbare. Elle se sert ainsi des passeurs comme « cache-sexe » pour dédouaner le vrai responsable : le système capitaliste ! Alors qu’il y a peu, les feux des médias étaient braqués sur l’ineffable président Biélorusse Lukatchenko (comme s’il était le seul à instrumentaliser et à martyriser les réfugiés !), cette fois ce sont les passeurs qui servent d’alibis bien commodes !
Ce que ne peuvent dire tous les politiciens et leur système capitaliste nécrophage, c’est que leur pratique est dictée par la défense de la propriété privée et les seuls intérêts des exploiteurs, de la nation qu’ils gouvernent pour le compte du capital national. Parmi tous les crèves-la-faim, seule une main d’œuvre rentable, qualifiée et corvéable est acceptable pour le capital. Tous les autres doivent être refoulés par la dissuasion, les barrières administratives ou physiques, et, de plus en plus, par la brutale force des armes. Une implacable loi du capital qui ne peut exercer ses « ouvertures aux frontières » qu’en fonction d’un seul critère : l’exploitation et le profit ! Les cadavres sur les plages sont, à leurs yeux, le simple prix à payer…
WH, 29 novembre 2021
Comme l’a écrit le quotidien Libération, c’est à un véritable scénario digne d’un film de science-fiction auquel nous avons assisté : sans aucun avertissement, la Russie a envoyé un missile détruire l’un de ses propres satellites hors d’usage à 400 km d’altitude. En générant un nuage de milliers de débris (dont quatorze très gros), elle a provoqué un début de panique dans la station spatiale internationale, qui a failli se transformer en « dommage collatéral » : située sur la même orbite basse, elle aurait pu être touchée par un débris, et il aurait alors fallu l’évacuer d’urgence, ce à quoi l’équipage s’est immédiatement préparé.
Il a fallu deux jours pour que l’État russe reconnaisse être l’auteur du tir ; comme lors de la guerre froide, on s’est alors retrouvé dans l’ambiance mortifère des « expériences » secrètes, reconnues du bout des lèvres par leurs auteurs pour cause de « secret d’État ». (1) Il faut dire que la destruction d’un satellite en vol, fût-il hors d’usage, fait entrer la Russie dans le club fermé des États capables d’atteindre directement les satellites de leurs ennemis : Chine, Inde, États-Unis. L’Europe et notamment la France n’ont pas encore démontré leur « capacité » à faire de même. Cela fait donc plusieurs fois que des satellites sont transformés en confettis mortels sur des orbites où ils sont dangereux, ce qui constitue une démonstration de plus de l’irresponsabilité totale de la bourgeoisie dès lors qu’il s’agit de défendre bec et ongles ses intérêts impérialistes nationaux. La reconnaissance de cette « expérience » par la Russie a aussitôt été suivie d’une hypocrite dénonciation par les autres « puissances spatiales », conspuant son mépris total des conséquences, notamment vis-à-vis de la station spatiale internationale où, pourtant, se trouvaient deux Russes… La bourgeoisie a, d’ailleurs, transformé l’espace en véritable poubelle dans lequel les débris orbitent par millions autour de la Terre, mettant également en péril les astronautes.
Comme nous l’avons déjà écrit, cela fait longtemps que l’espace fait partie intégrante du champs de bataille impérialiste entre grandes puissances ou aspirant à le devenir, depuis longtemps. Il est même indispensable pour tout pays voulant protéger ses intérêts d’être capable de défendre ses intérêts spatiaux. Comme l’écrit le journal Le Monde, « le tir antisatellite russe démontre que l’espace est en train de devenir un champ de conflictualité comme un autre ». (2) Car ce n’est pas une première : la Chine, l’Inde, les États-Unis ont déjà affirmé leur capacité à défendre leurs intérêts militaires jusque dans l’espace en détruisant un satellite (à chaque fois un des leurs hors d’usage), et soyons confiants dans la volonté des autres bourgeoisies nationales de faire de même dès qu’elles en auront les moyens techniques et financiers. Derrière la présentation des « héros » spatiaux, comme Thomas Pesquet en France, et l’objectif affiché par les Etats-Unis d’envoyer des hommes sur la Lune, voire sur Mars, se cachent, comme pendant la guerre froide, les féroces appétits de tous ces gangsters impérialistes. La militarisation de l’espace a déjà une longue histoire, et on ne peut que sourire devant les cris d’orfraie des officiels américains, du général James Dickinson, chef de l’US Space Command, qui nous dit que « la Russie a fait preuve d’un mépris délibéré pour la sécurité, la sûreté, la stabilité et la durabilité à long terme du domaine spatial pour toutes les nations », (3) au porte-parole du Département d’État américain, qui a qualifié cet essai de « dangereux et irresponsable », alors même que les États-Unis ont par deux fois déjà procédé à la même expérience ! Quant à la ministre française de la Défense, Florence Parly, qui a publié un message sur Twitter nous affirmant que « l’Espace est un bien commun […]. Les saccageurs de l’Espace ont une responsabilité accablante en générant des débris qui polluent et mettent nos astronautes et satellites en danger » (4) elle n’a évidemment pas mentionné que, le même jour, par coïncidence, la France lançait depuis Kourou trois satellites-espion baptisés Ceres, capables de faire du « renseignement d’origine électromagnétique » et d’affranchir l’armée française d’une pesante tutelle américaine en matière d’espionnage électronique.
Le fait d’envisager d’ores et déjà de s’emparer de portions de la Lune ou de Mars, ou d’astéroïdes géologiquement riches, au-delà de la possibilité (et de la rentabilité !) de le faire réellement, montre le rêve de tous ces capitalistes endurcis : mettre la main sur de plus en plus de ressources, de territoires, de moyens de peser sur leurs rivaux, voire de les menacer ouvertement !
Il ne suffit pas à ces bourgeois rapaces d’avoir transformé le monde en champs clos de la concurrence, du chacun contre tous : pour paraphraser un célèbre film d’espionnage, le monde ne suffit plus ! La barbarie rejoint et rejoindra le moindre espace sur Terre, mais aussi dans l’espace, partout où le système capitaliste décadent impose les lois barbares de la concurrence et du profit !
HD, 29 novembre 2021
1 En complément, nous invitons nos lecteurs à lire ou relire : « Nouvelle course à l’espace: un champ de bataille impérialiste pour le capitalisme [146] », disponible sur notre site internet.
2 « Le tir antisatellite russe démontre que l’espace est en train de devenir un champ de conflictualité comme un autre », Le Monde (17 novembre 2021).
3 « En détruisant l’un de ses satellites, la Russie ajoute de la tension dans l’espace », Le Monde (16 novembre 2021).
4 « L’ISS prise dans un nuage de débris : Moscou reconnaît sa responsabilité », Libération (16 novembre 2021).
Le CCI anime avec les sympathisants et les lecteurs intéressés, des réunions publiques des permanences et des réunions d’approfondissement de caractère international en anglais, français et espagnol. Il s’agit de lieux de débat qui ont pour objectif de clarifier des questions d’intérêt pour la lutte immédiate et historique du prolétariat.
Les réunions publiques partent d’une prise de position du CCI sur la situation historique et sur des problèmes généraux du mouvement ouvrier.
En revanche, les permanences abordent des thèmes proposés par nos sympathisants et nos contacts.
Plusieurs lecteurs avaient demandé à discuter des luttes parcellaires. Notre plateforme considère comme « luttes parcellaires », celles centrées « sur des problèmes parcellaires tels le racisme, la condition féminine, la pollution, la sexualité et autres aspects de la vie quotidienne ».
Ce type de luttes tant en vogue aujourd’hui ne sert pas la lutte révolutionnaire du prolétariat, bien au contraire, comme le dénonce notre plateforme : « loin de renforcer la nécessaire autonomie de la classe ouvrière, [elles] tendent au contraire à la diluer dans la confusion de catégories particulières ou invertébrées (races, sexes, jeunes, etc.) totalement impuissantes devant l’histoire. En cela, elles constituent un instrument de la contre-révolution que les gouvernements bourgeois ont appris à utiliser efficacement pour préserver l’ordre social ».
Afin de ne pas se disperser dans des thématiques multiples, la permanence propose d’aborder une de ces luttes parcellaires, le féminisme qui, dans de nombreux pays, s’est converti en une idéologie d’État. Partant d’une présentation (voir la pièce jointe) il y eut un débat vivant durant lequel les participants ont fait un effort pour se répondre mutuellement en donnant des éléments d’approfondissement de la thématique et en partant du point de vue de la solidarité prolétarienne.
Cependant, il y eut peu de références aux expériences de lutte du mouvement ouvrier pour la condition de la femme ouvrière et sa dénonciation historique du féminisme qui fut dès le début une idéologie bourgeoise.
Bien avant que les féministes ne fassent « leur critique » du machisme, le mouvement ouvrier avait dénoncé dès ses débuts ce dernier et les conditions de l’oppression de la femme ouvrière.
Engels dans son livre L’Origine de la Propriété Privée de la Famille et l’État explique comment la fin du communisme primitif, le développement de la propriété privée et des modes de production basés sur l’exploitation entraîne inévitablement l’oppression de la femme, sa soumission à l’homme pour garantir la continuité de la propriété privée et de la lignée familiale. Engels parle de la « première défaite historique de la femme ».
Les premiers pas du capitalisme, l’accumulation primitive, qui s’étend depuis le XVe siècle, s’est vu accompagnée d’une brutale campagne idéologique contre la femme, accusée de sorcellerie et d’être, par la tentation de la chair qu’elle génère « porteuse du démon ». Une enveloppe religieuse qui s’applique tant au catholicisme qu’au protestantisme, pour faire des femmes de simples machines reproductrices qui fourniront les réserves de force de travail pour le développement capitaliste.
La perspective du mouvement ouvrier fût de voir le problème de la femme, non comme une oppression partielle et spécifique, mais plutôt comme un composant inséparable de la lutte contre l’exploitation avec comme fin ultime l’abolition de l’exploitation et de toutes les oppressions qui émanent de la société de classe et que le capitalisme a poussées à l’extrême. Dans le mouvement ouvrier, l’approche et la lutte commune des ouvriers, femmes et des hommes.
En revanche, la perspective féministe a été depuis le début orientée vers la lutte de revendiquer une position spécifique de la femme au sein de la société capitaliste, pour l’obtention de privilèges dont l’homme jouit dans les entreprises ou dans les institutions étatiques.
Le féminisme ne demande aucune libération, même pas de la femme sinon qu’il plaide en faveur d’une démocratisation de l’ascension pour les pouvoirs économiques et politiques, son orientation étant la concurrence entre hommes et femmes, une « lutte des sexes ».
Ainsi, alors que la perspective du mouvement ouvrier est révolutionnaire, émancipatrice et unitaire, la conception du féminisme est réactionnaire, reproductrice de l’oppression et créatrice de divisions et de concurrence.
Le féminisme remplace la lutte des classes par la « lutte des sexes » ; à l’unité et à la perspective de libération universelle, elle oppose la division homme/femme et l’enfermement dans la catégorie « femme ».
Durant la réunion s’est exprimée une nécessité d’approfondir le thème de la condition historique et actuelle des femmes ouvrières (c’est-à-dire de discuter sur les apports du marxisme et au-delà de Friedrich Engels, les œuvres et les luttes d’August Bebel, Eleonora Marx, Clara Zetkin, Alexandra Kollontaï et Sylvia Pankhurst ainsi que des expériences des luttes de l’après-guerre en Europe et aux États-Unis, que les luttes féministes nient ou déforment. La “lutte” féministe n’a rien à voir avec la lutte revendicative.
Ne pouvant assister à la réunion, un camarade a envoyé la contribution suivante qui s’est inscrite dans le débat : « la vie sociale comporte des luttes sur divers aspects : le travail, l’habitat, la sexualité, l’écologie, l’identité, etc. Ces luttes doivent s’intégrer dans le projet global socialiste sous peine d’être récupérées par la bourgeoisie dans un contexte interclassiste.
Fréquemment, on envisage la difficile situation de participer à un mouvement revendicatif mais sans s’y intégrer totalement puisque le faire suppose une approche interclassiste qui est négative pour la marche vers le socialisme.
Pour cela, nous devons être particulièrement critiques envers tous les appels à des « fronts unis » et nous devons assumer la tâche de démontrer que la lutte partielle mène à la lutte globale de formation d’une société, d’une nouvelle société dans une démocratie prolétarienne, Salutations ».
Bien que le camarade ait raison de dénoncer l’interclassisme des luttes parcellaires et de condamner l’idéologie de « Front Uni »(1), il y a deux points de son intervention qu’il faut éclaircir :
– Il parle de récupération par la bourgeoisie. le problème est que ces luttes sont bourgeoises de bout en bout, car elles nient fondamentalement la division en classes de la société, parce qu’elles atomisent les exploités en catégories sociales qui reproduisent depuis la racine la société capitaliste et son idéologie castratrice, parce qu’elles ont comme objectif de diviser le prolétariat et de semer la zizanie de la concurrence et de l’affrontement.
– Les luttes parcellaires n’ont rien à voir avec la lutte revendicative du prolétariat. Cette dernière fait partie de sa lutte historique globale. Bien que les syndicats et les gauchistes s’efforcent de la rendre stérile en la réduisant à une vision économiste, la lutte revendicative contre l’exploitation est inséparable de la lutte historique pour abolir l’exploitation.
Un autre camarade a beaucoup animé la discussion, disant qu’il avait rompu avec l’idéologie et le milieu politique des luttes parcellaires de genre. A différents niveaux, il a été d’accord avec la position générale du CCI quant au fait que l’unique solution au machisme et autres héritages de la société de classe est la révolution prolétarienne. Sa question était la suivante : « comment répondre à des situations concrètes d’oppression de la femme dans certains pays » ? Par exemple, il se demandait : « comment convaincre une femme ouvrière d’un pays musulman que seule la lutte ouvrière pourra la libérer si, dans d’autres pays capitalistes, il y a bien des avancées sur ce sujet (aujourd’hui en Europe le sexe avant le mariage est largement accepté) ? »
Le prolétariat est une classe révolutionnaire et exploitée à la fois. Il ne peut développer aucune forme de libération parcellaire au sein de la société capitaliste. Sa révolution est tout d’abord politique et consiste en la destruction de l’État capitaliste dans tous les pays et le développement du pouvoir mondial des conseils ouvriers, ouvrant ainsi la période de transition du capitalisme vers le communisme. Durant cette période, il extirpera pas à pas les racines de l’exploitation capitaliste et, de cette manière, éliminera l’interminable montagne d’oppressions que le capitalisme traîne avec lui et depuis plusieurs millénaires les sociétés de classes.
Est-ce que cela veut dire que jusqu’à cette période historique, on devrait rester indifférents aux souffrances brutales que le capitalisme en décomposition cause à toute la population mondiale et dans toutes les sphères de la vie sociale ? Que pourrait faire le prolétariat contre la sauvagerie et la cruauté avec laquelle les régimes islamiques traitent les femmes ?
Nous ne nous faisons pas d’illusions, nous savons que, dans le rapport de forces actuel entre les classes qui existe à l’échelle mondiale, le prolétariat ne possède pas la force suffisante pour contrer directement cette barbarie. Mais cela ne signifie pas pour autant que, comme classe historique, il reste les bras croisés.
En premier lieu, « La lutte contre les fondements économiques du système contient la lutte contre les aspects superstructurels (forme de vie, coutumes, idéologie…) » (Point 12 de notre Plateforme) et « les attaques économiques (baisse du salaire réel, licenciements, augmentation des cadences, etc.) résultant directement de la crise affectent de façon spécifique le prolétariat (c’est-à-dire la classe produisant la plus-value et s’affrontant au capital sur ce terrain) ; la crise économique, contrairement à la décomposition sociale qui concerne essentiellement les superstructures, est un phénomène qui affecte directement l’infrastructure de la société sur laquelle reposent ces superstructures ; en ce sens, elle met à nu les causes ultimes de l’ensemble de la barbarie qui s’abat sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement de système, et non de tenter d’en améliorer certains aspects. »(2)
En second lieu, lorsque le prolétariat réussit à affirmer son propre terrain de classe indépendant, son autonomie de classe et à développer la confiance en sa lutte comme classe, il détient la capacité, en rompant avec toute vision interclassiste et de front uni, d’exprimer sa solidarité avec les luttes des secteurs exploités et opprimés et de donner du sens et de la force à la lutte contre les barbaries comme la guerre impérialiste qui affecte toutes les couches de la société. Sur ce terrain et dans ce genre de conditions, il peut donner les moyens pour impulser la rébellion active contre toutes les barbaries de cette société de classe : contre l’oppression des femmes, contre la discrimination des minorités, etc.
Enfin, et ce n’est pas le point le moins important, la lutte idéologique du prolétariat exprimée fondamentalement par ses organisations communistes dénonce de manière implacable toutes les formes d’oppression et de barbarie capitaliste en leur opposant la réponse historique du prolétariat contre la réponse partielle et trompeuse des féminismes, écologismes, « anti-racismes » et autres « -ismes » réactionnaires.
D’autre part, la discussion de la permanence a mis en évidence que, même dans les pays dits démocratiques (Espagne, Brésil, États-Unis, etc), il n’existe pas réellement d’égalité entre hommes et femmes. Elle existe juste dans les champs légaux formels car, dans la pratique, ce qui se produit est la violence, l’inégalité avec des taux élevés de féminicides et d’inégalités salariales. Par conséquent, même dans ces pays capitalistes, cette « égalité » proclamée n’existe pas et pire encore, l’égalité que propose le féminisme est « l’égalité » pour la concurrence, la guerre de tous contre tous, l’affrontement et la destruction mutuelle. C’est donc une égalité dans la reproduction de la barbarie croissante du capitalisme.
Comme l’a expliqué un participant, « la libération de la femme » sous le capitalisme n’est rien de plus qu’une liberté formelle pour monter les échelons dans l’entreprise (quelle libération pour l’humanité si l’oppression qu’exerce un président de la République ou au sein d’une entreprise est prise en charge par une femme ?), pour tuer des gens en occupant des postes dans les hautes hiérarchies des armées, pour être des contremaîtres ou des petites cheffes dans les entreprises, etc. L’exploitation ne disparaît pas mais s’aggrave si elle est multicolore ou multisexuelle.
Même s’il est vrai que le prolétariat féminin supporte une double charge d’exploitation dans le travail et l’oppression machiste, comme l’a expliqué une camarade, cela ne se résout pas dans la lutte des sexes ou en culpabilisant le mari ou le compagnon.
Le mouvement ouvrier inscrit sur son drapeau le combat contre le machisme. Par exemple, la Gauche communiste a comme principe le rejet et le combat contre toute forme d’oppression et de violence contre les femmes et les autres camarades qui ont une orientation sexuelle différente. Tout cela n’a rien à voir avec l’hypocrite idéologie démocratique et s’inscrit dans la nature révolutionnaire émancipatrice des principes prolétariens.
CCI, 24 novembre 2021
Textes publiés par le CCI sur l’oppression des femmes :
La transformación de las relaciones sociales según los revolucionarios de finales del siglo XIX [148]
Huelga feminista : contra las mujeres y contra la clase obrera [151]
El feminismo al servicio del capitalismo [152]
La condition de la femme au XXIe siècle. [153]
L’été dernier, la bourgeoisie a propagé une énorme campagne de propagande autour du thème : « nous n’avons plus besoin de nous inquiéter, nous avons les vaccins ». Le président américain, Joe Biden, a ainsi déclaré qu’il ne craignait pas que le variant Delta provoque une nouvelle épidémie majeure de Covid-19 à l’échelle nationale (2 juillet 2021). Le directeur exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Mike Ryan, a déclaré que le pire de la crise du Covid était passé (12 juillet 2021). Ils ont été soutenus par Boris Johnson, Premier ministre du Royaume-Uni, qui a déclaré : « presque tous les scientifiques sont d’accord sur ce point : le pire de la pandémie est derrière nous » (15 juillet 2021). (1)
Toutes les données sur le nombre de décès et de nouveaux cas quotidiens au cours des derniers mois ont contredit ces déclarations et confirmé que la pandémie n’est pas du tout derrière nous. Les mesures et les recommandations quotidiennes de la bourgeoisie montrent que la pandémie a toujours un impact énorme sur la société et l’économie : secteurs de santé inondés de nouveaux patients, mesures coercitives contre ceux qui refusent de se faire vacciner, nouveaux confinement avec la fermeture d’activités commerciales, d’écoles et de lieux de divertissement.
Pour la majorité de la population mondiale, la crise sanitaire est loin d’être terminée. Elle est encore gravement menacée par les effets du virus à tous les niveaux, en particulier pour ceux qui n’ont reçu qu’une seule dose du vaccin, voire aucune, comme on peut le voir au Japon ou en Australie. Dans certains des principaux pays asiatiques, en particulier, les politiques relativement efficaces d’endiguement du coronavirus en 2020 ont créé l’illusion que le virus était plus ou moins sous contrôle, si bien que le taux de vaccination y est resté plutôt faible.
Les scientifiques s’accordent à dire que la vaccination est le principal rempart contre la propagation du virus. Mais la bourgeoisie est incapable de développer une politique unifiée pour vacciner la population mondiale et contrôler globalement la pandémie. Il n’y a pas de concertation au niveau international qui permettrait l’augmentation nécessaire de la production du vaccin. Au lieu de cela, tous les pays se sont lancés dans une course aux vaccins, les pays les plus riches accumulant des stocks dans le but d’être les premiers à obtenir une immunité de groupe.
Les données de l’OMS de novembre ont révélé que les pays du G20 ont reçu plus de 80 % des vaccins contre le Covid-19, tandis que les pays à faible revenu n’en ont reçu que 0,6 %.(2) Face à cette tendance, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déjà lancé un avertissement contre « le nationalisme et l’accumulation des vaccins [qui] nous mettent tous en danger. Cela signifie plus de décès. Plus de systèmes de santé anéantis. Plus de misère économique ».(3) Chaque État adopte sa propre stratégie et seuls les États les plus puissants ont les moyens de faire face à la pandémie. En cherchant à garantir la vaccination de leurs populations respectives, certains d’entre eux ont privilégié la signature d’accords avec des entreprises pharmaceutiques, voire ont déboursé de l’argent pour précommander des candidats vaccins prometteurs. Cette politique a entraîné d’énormes disparités dans la distribution des vaccins, même au sein de l’Union européenne (UE). Certains pays de l’UE ont même dû s’orienter vers le vaccin russe Sputnik V (Hongrie, Slovaquie), moins efficace, ou le vaccin chinois Sinopharm (Hongrie).
La plupart des nations riches sont coupables d’une accumulation sans scrupules de vaccins. Airfinity, une société d’analyse basée à Londres, prévoit que d’ici la fin de l’année, l’excédent de vaccins aura atteint 1,2 milliard de doses. Si 600 millions de ces doses excédentaires doivent être données à d’autres pays, il reste 600 millions de doses inutilisées dans les stocks, dont près de la moitié aux États-Unis et le reste dans les autres pays riches. (4) Cette politique d’accumulation a déjà entraîné le gaspillage de millions de vaccins.
L’accumulation de vaccins est l’une des raisons des disparités dans la distribution, mais un autre problème important est le coût énorme des vaccins pour les pays pauvres. Les producteurs pharmaceutiques ne pratiquent pas de prix standard mais varient leurs prix en fonction de la quantité achetée. Ils pratiquent des prix plus élevés lorsque la quantité est plus faible. Par exemple, alors que les États-Unis ont payé 15 millions de dollars pour 1 million de doses du vaccin Moderna, le Botswana a dû payer près de deux fois plus, presque 29 millions de dollars.
La distribution inégale des vaccins et le retard qui en résulte dans la vaccination au niveau mondial, compromet chaque stratégie nationale de vaccination. Une politique qui favorise les vaccinations dans les pays riches, et n’empêche pas la propagation de la pandémie dans les pays pauvres, court le risque d’un retour du virus dans les pays les plus puissants, avec également la possibilité de voir émerger des variants résistantes au vaccin. Le « chacun pour soi » au niveau mondial est un puissant accélérateur de la propagation des variants Delta et Omicron et de tous les nouveaux variants à venir.
Dans sa lutte contre le Covid-19, chaque bourgeoisie est constamment contrainte de donner la priorité à l’économie tout en maintenant un minimum de cohésion sociale, prenant délibérément le risque que les travailleurs tombent malades plus longtemps ou même meurent à cause du virus. Cette situation conduit à un patchwork de recommandations et de mesures incohérentes et contradictoires à travers le monde, et même entre les régions d’un même pays. Quelques exemples :
– Pas de consensus entre les organismes de santé. Le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) des États-Unis a annoncé le 13 mai 2021 que les personnes entièrement vaccinées, qui se trouvent à deux semaines de leur dernière injection, peuvent désormais se déplacer sans masque à l’extérieur et dans la plupart des environnements intérieurs. Mais l’OMS a publié des directives différentes, exhortant tous les Américains, même ceux qui sont vaccinés, à continuer de porter des masques en raison de la menace que représente le variant Delta, hautement transmissible, qui a été détecté dans les cinquante États américains.
– Aucune coordination entre régions voisines. Vendredi 17 septembre, le comité de concertation en Belgique a suggéré que le port du masque ne soit plus obligatoire dans les commerces et la restauration à partir du 1er octobre 2021. Mais la Flandre a dit oui, Bruxelles a dit non et la Wallonie décidera plus tard… Chaque région voulait décider en fonction de la situation. Les différents gouvernements régionaux ont pris le pouvoir de décision, chacun dans son pré carré, comme si le virus s’arrêtait aux frontières régionales ou linguistiques.
– Les directives émises un mois sont abrogées le mois suivant. En juillet, le gouvernement britannique a annoncé que toutes les règles de distanciation sociale seraient supprimées et que l’obligation du port du masque serait abrogée à partir du 19 juillet. Mais les supermarchés ont immédiatement annoncé le maintien des masques, tandis que les maires des grandes métropoles ont rendu obligatoire le port du masque dans les services de transport public. Finalement, le gouvernement britannique a cédé et annoncé le port obligatoire des masques dans les magasins et les transports publics à partir du lundi 29 novembre.
– Une « réouverture » suivie d’encore plus de quarantaines. Avec la hausse des vaccinations et la baisse des cas fin juin 2021, le gouvernement néerlandais a fait pression pour une “réouverture”. Les masques faciaux ont été abandonnés presque partout et les jeunes ont été encouragés à sortir à nouveau. Mais lorsque les enfants ont terminé leur première semaine d’école après les vacances d’été, à Utrecht, 10 à 15 classes ont été renvoyées chez elles chaque jour en raison de tests positifs, tandis qu’à La Haye et dans les environs, 34 classes d’école primaire ont été mises en quarantaine et renvoyées chez elles au cours de cette première semaine.
– Un méli-mélo de restrictions sur les déplacements. En Europe, les voyageurs sont confrontés aux mesures particulières de chaque État. Chaque pays a ses propres mesures de sécurité et de quarantaine pour les voyageurs. Dans certains pays, le certificat de vaccination européen suffit pour entrer dans le pays, tandis que d’autres appliquent des restrictions supplémentaires, comme des quarantaines ou des tests PCR. En outre, seules les personnes entrant dans le pays par avion ou par train sont strictement contrôlées.
Depuis le déclenchement de la pandémie de Covid, nous avons assisté à une augmentation de la méfiance à l’égard des gouvernements, des vaccins, accompagnée d’une recrudescence de la désinformation et des théories du complot :
– une méfiance à l’égard des gouvernements en Russie, en Bulgarie, mais aussi dans différents pays de l’UE comme la Pologne, les Pays-Bas, la Grèce qui, à son tour, a été renforcée par des affirmations irrationnelles et des mensonges flagrants des gouvernements pour couvrir leur négligence et leur impuissance.
– La méfiance et la peur généralisées des vaccins sont alimentées par des campagnes populistes et conspirationnistes, (5) avec un impact particulièrement fort aux États-Unis, conduisant à une polarisation extrême entre les « pro » et les anti-vax.
La Bulgarie est l’un des pays où l’ampleur de la désinformation et de la méfiance à l’égard des vaccins a un réel impact sur le taux de vaccination, qui n’atteint que 20 %. Fin octobre 2021, le pays approchait d’un nouveau pic d’infections, avec plus de 5 000 cas de Covid-19 et 100 décès par jour ; 95 % des personnes décédées n’avaient pas été vaccinées. Alors que le nombre de décès s’accumulait, le système de soins de santé était surchargé et les unités de soins intensifs saturées. Mais la plupart des Bulgares refusent toujours les vaccins contre le Covid-19.
On peut en dire autant de la Russie. Depuis plus d’un an, les agences de propagande russes et les trolls sur internet se sont engagés dans une campagne de désinformation systématique et agressive, visant à entretenir les doutes et les réticences à l’égard des vaccins. Cette campagne de désinformation a fortement alimenté le scepticisme à l’égard des vaccins qui, avec la méfiance envers le gouvernement, est responsable du niveau élevé d’hésitation à l’égard des vaccins chez les Russes. Avec moins de 45 % de la population entièrement vaccinée, le virus s’est propagé à son rythme le plus rapide au cours des derniers mois.
Cette polarisation, notamment aux États-Unis, a provoqué une réaction en chaîne d’une irrationalité totale, qui s’est étendue aux pays européens, à l’Australie et à l’Afrique du Sud. En s’informant sur des sites web douteux qui diffusent des rapports plus ou moins mensongers, les véritables préoccupations concernant le virus ou le vaccin sont très facilement confondues avec des théories farfelues et une méfiance totalement irrationnelle envers la science. L’une des principales théories du complot concerne l’origine-même de la pandémie comme celle selon laquelle l’émergence du virus est due à la technologie 5G qui aurait été conçue pour contrôler à distance les esprits et qui affirme que l’OMS fait partie du complot.
Le Covid-19 a créé un environnement sanitaire propice aux agressions et à la violence. (6) Au cours des six premiers mois de la pandémie, 611 agressions physiques ou verbales, menaces ou discrimination liés au Covid-19 ont été dirigés contre des travailleurs de la santé, des patients et des installations médicales dans plus de quarante pays, selon la Croix-Rouge (CICR). Les partisans des théories du complot se sont rendus coupables d’agressions verbales et même physiques à l’encontre de travailleurs de la santé dans des pays tels que la Slovaquie et les États-Unis. En outre, nous avons également assisté à plusieurs attaques contre les travailleurs des médias grand public.
Les politiciens ne cessent de répéter : « plus jamais ça », « nous devons tirer les leçons de l’histoire », mais loin de faire entendre raison aux États capitalistes et de les faire travailler ensemble, la classe dirigeante, de par sa nature même, est incapable de changer les règles du capitalisme en déclin, dans lequel la concurrence féroce pour les marchés est la règle et toute forme de coopération plus que jamais l’exception. Au cours des cent dernières années, dans le capitalisme décadent, le monde est devenu non seulement une arène de compétition entre les entreprises capitalistes, mais surtout un champ de bataille entre les États capitalistes.
La concurrence est le moteur qui fait tourner le capitalisme, mais elle est aussi la source de la plupart de ses problèmes. La pandémie l’a clairement mis en évidence : pendant des années, les gouvernements ont réduit les budgets de santé afin d’accroître leur compétitivité, avec pour résultat que de nombreux systèmes de santé ont été submergés par les hospitalisations liées au Covid. Bien sûr, tout le monde s’accorde à dire que prévenir les zoonoses (transmission de maladies de l’animal à l’homme) en freinant la destruction massive et chaotique de l’environnement coûtera beaucoup moins cher que d’en payer les conséquences… mais de préférence de manière à ce qu’un autre État agisse le premier ou en supporte lui-même les conséquences. En raison de la concurrence internationale, aucun des États concernés n’est prêt à limiter la destruction des forêts et autres zones sauvages au détriment de sa propre économie nationale. Aucune pensée rationnelle n’est assez forte pour modifier la situation.
Le cadre national est la plus haute expression de l’unité que peut atteindre la société bourgeoise. Face à la pandémie, qui exige une approche globale unifiée, elle n’est pas en mesure de dépasser ce cadre. Lors des crises sanitaires précédentes, comme l’épidémie d’Ebola, par exemple, la bourgeoisie a réussi au moins à sauver les apparences en mettant en place une certaine (et souvent cynique) coordination internationale (avec l’OMS notamment, sur le plan médical) pour défendre les intérêts généraux du capitalisme même dans le contexte de la décadence du système. Mais dans cette phase de décomposition, la tendance au chacun pour soi a pris une telle ampleur que la classe dirigeante n’est même plus capable de réaliser la coopération minimale pour défendre les intérêts généraux de son propre système. Au contraire, chaque État cherche à se sauver lui-même face à la catastrophe en cours.
La pandémie de Covid n’a fait qu’intensifier la course impérialiste à l’influence et aux marchés. La distribution des vaccins est elle-même instrumentalisée à des fins impérialistes. Les États-Unis et l’Europe, mais aussi la Russie, la Chine ou l’Inde, utilisent la distribution de vaccins dans le cadre de stratégie d’impérialisme « doux » (dit « soft power ») pour renforcer leurs positions impérialistes dans le monde :
– Le soutien apporté par la Chine au programme Covax de l’OMS et à la « Route de la soie de la santé » fait partie de son « offensive diplomatique » visant à promouvoir un leadership mondial en matière de santé. Entre-temps, la Chine a livré des vaccins à près de cent pays dans le monde.
– Le Kremlin a lancé son « offensive diplomatique » autour du Sputnik V qui est actuellement enregistré et certifié dans 71 pays. Son offensive met également l’unité de l’UE à l’épreuve. Certains États membres ont commencé à utiliser le vaccin, tandis que l’Italie a accepté de fabriquer le Sputnik V russe non homologué.
– L’Inde est le plus grand exportateur de vaccins du monde. Sous le slogan « les voisins d’abord » (« neighbourhood first »), elle a conclu des accords avec 94 pays pour l’exportation de 66 millions de doses. Le vaccin indien, le Covaxin de Bharat Biotech, fera partie du programme d’exportation en 2022.
Incapables de protéger leur propre population, ces États utilisent donc les vaccins à des fins impérialistes. L’Inde, où seulement 35 % de la population est entièrement vaccinée, a exporté trois fois plus de doses qu’elle n’en a administrées à sa propre population.
La crise mondiale et meurtrière du Covid entraîne également des divisions croissantes, une intensification des tensions entre les factions des bourgeoisies nationales, ce qui accroît encore la perte de contrôle de la bourgeoisie sur l’évolution de la pandémie. D’importantes factions politiques de la bourgeoisie en Europe, comme le Freiheits Partei Österreich, Alternative Für Deutschland, le Rassemblement National en France, mais aussi le Parti Républicain aux États-Unis, etc. attisent avec véhémence le mécontentement de la société à propos des vaccinations obligatoires, du passeport santé et des confinements. Ils participent de plus en plus à des manifestations pour la « liberté » qui se soldent souvent par des affrontements violents avec les forces de répression.
La pandémie s’est étendue au monde entier et l’a radicalement transformé en quelques mois. Cela en fait le phénomène le plus important depuis l’entrée du capitalisme dans la phase de décomposition et confirme notre thèse selon laquelle « L’ampleur de l’impact de la crise du Covid-19 s’explique non seulement par cette accumulation mais aussi par l’interaction des expressions écologiques, sanitaires, sociales, politiques, économiques et idéologiques de la décomposition dans une sorte de spirale jamais observé jusqu’alors, qui a débouché sur une tendance à la perte de contrôle de plus en plus d’aspects de la société ». (7) Il montre clairement la décomposition de la superstructure de la société capitaliste et ses effets sur les fondements économiques qui lui ont donné naissance.
En même temps, ce n’est pas seulement la pandémie qui illustre l’aggravation significative des effets de la décomposition. C’est aussi la multiplication des catastrophes « naturelles » comme les incendies de forêt, les inondations et les tornades, toutes sortes de violences structurelles, des conflits militaires de plus en plus irrationnels et la migration qui en résulte de millions de personnes à la recherche d’un endroit où survivre. L’interaction de tous ces aspects est l’expression de la putréfaction accélérée des fondements mêmes du mode de production capitaliste. C’est une manifestation terrible du contraste entre l’énorme potentiel des forces productives et l’atroce misère qui se répand dans le monde.
Le capitalisme a fait son temps : c’est un homme mort qui marche encore et qui ne peut plus offrir de perspective à l’humanité. Mais dans son agonie, il est encore capable d’amener le monde entier au bord de l’abîme. La classe ouvrière a la capacité et la responsabilité d’empêcher l’anéantissement de l’humanité. Par conséquent, elle doit développer sa lutte sur son propre terrain contre les effets de la crise économique, tels que l’inflation, le chômage, la précarité. Les luttes ouvrières actuelles, (8) aussi timides soient-elles, portent les germes du dépassement de cette barbarie quotidienne, et de la création d’une société débarrassée des nombreux fléaux qui sévissent dans le capitalisme du XXIe siècle.
Dennis, 18 décembre 2021
1 « “Highly probable” that worst of Covid pandemic is behind us, says Johnson », Evening Standard (15 juillet 2021).
2 « EU mulls mandatory vaccination, while urging booster for all », EU-Observer (2 décember 2021).
3 Message vidéo au Sommet mondial de la santé de Berlin, les 24 au 26 octobre 2021.
4 « Why low income countries are so short on Covid vaccines. Hint : It's not boosters », National Public Radio (10 novembre 2021).
5 « Théories du complot : un poison contre la conscience de la classe ouvrière [156] », Révolution internationale n° 484 (septembre octobre 2020).
6 « Navigating Attacks Against Health Care Workers in the Covid-19 Era [157] », JAMA Network (21 April 2021).
7 « Rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition [158] », Revue internationale n° 167 (2e semestre 2021).
8 « Luttes aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat ! [159] », Révolution internationale n° 491 (novembre décembre 2021).
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/5/48/pologne
[2] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[3] mailto:[email protected]
[4] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[5] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/syndicalisme
[6] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[7] https://fr.internationalism.org/rinte83/engels.htm
[8] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[9] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne
[10] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/coronavirus
[11] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/covid-19
[12] https://es.internationalism.org/content/4622/peru-frente-la-crisis-politica-de-la-burguesia-autonomia-e-internacionalismo-proletario
[13] https://es.internationalism.org/content/4615/chile-el-dilema-no-es-dictadura-democracia-sino-barbarie-capitalista-o-lucha-de-clases
[14] https://elcomercio.pe/economia/peru/firmas-agricolas-anuncian-suspension-de-operaciones-para-evitar-violencia-contra-sus-instalaciones-nndc-noticia/
[15] https://fr.internationalism.org/rinte76/mensonge.htm
[16] https://fr.internationalism.org/tag/5/242/perou
[17] https://fr.internationalism.org/content/10392/graves-faiblesses-du-pci-mouvement-contre-reforme-des-retraites-partie-1
[18] https://www.pcint.org/20_Cqnd_Prg_Qsn_Site/Cqnd_Fr.htm
[19] https://fr.internationalism.org/rinte3/kronstadt.htm
[20] https://fr.internationalism.org/french/rint/100_communisme_ideal
[21] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm
[22] https://fr.internationalism.org/content/10159/soulevement-kronstadt
[23] https://fr.internationalism.org/ri310/anars.html
[24] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/troisieme-internationale
[25] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/kronstadt
[26] https://fr.internationalism.org/rinte65/marc.htm
[27] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm
[28] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/marc-chirik
[29] https://fr.internationalism.org/isme351/la_commune_de_paris_premier_assaut_revolutionnaire_du_proletariat.html
[30] https://fr.internationalism.org/rinte77/communisme.htm
[31] https://fr.internationalism.org/content/9995/glorification-du-sacre-coeur-nouveau-crime-contre-commune-paris
[32] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/commune-paris-1871
[33] https://www.leftcom.org/en/articles/2020-09-24/on-the-forty-fifth-anniversary-of-the-founding-of-the-cwo
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[37] https://fr.internationalism.org/content/10408/laventurier-gaizka-a-defenseurs-quil-merite-voyous-du-gigc
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[39] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/polemique
[40] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/tci-bipr
[41] https://fr.internationalism.org/content/10436/verite-revolutionnaire-histoire-veridique-gauche-communiste-correspondance-tci
[42] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/defense-lorganisation
[43] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/correspondance-dautres-groupes
[44] https://fr.internationalism.org/content/10382/hordes-trumpistes-et-gilets-jaunes-amalgame-criminaliser-toute-revolte-contre-misere
[45] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[46] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/gilets-jaunes
[47] https://fr.internationalism.org/content/10466/65e-anniversaire-commune-paris-bilan-ndeg29-mars-avril-1936
[48] https://fr.internationalism.org/content/10458/semaine-sanglante-mai-1871-sauvagerie-repression-bourgeoise
[49] https://fr.internationalism.org/content/10430/bas-pattes-commune
[50] https://fr.internationalism.org/content/10440/marxisme-defenseur-commune
[51] https://fr.internationalism.org/rinte73/proletariat.htm
[52] https://fr.internationalism.org/rinte74/proletariat
[53] https://fr.internationalism.org/tag/5/57/israel
[54] https://fr.internationalism.org/tag/5/58/palestine
[55] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/conflit-israelo-palestinien
[56] https://fr.internationalism.org/files/fr/solidarite_de_classe_masses_opprimees_palestiniennes.pdf
[57] https://fr.internationalism.org/
[58] https://fr.internationalism.org/contact
[59] https://fr.internationalism.org/content/10463/conflit-israelo-palestinien-guerres-et-pogroms-sont-lavenir-nous-reserve-capitalisme
[60] https://www.leftcom.org/fr/articles/2021-05-20/ni-isra%C3%ABl-ni-la-palestine-pas-de-guerre-mais-guerre-de-classe
[61] https://fr.internationalism.org/tag/5/42/italie
[62] https://fr.internationalism.org/content/10213/groupes-gauche-communiste-face-au-mouvement-black-lives-matter-incapacite-a-identifier
[63] mailto:[email protected]
[64] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/greve-fevrier-1941-aux-pays-bas
[65] https://www.theguardian.com/society/2020/feb/24/austerity-blamed-for-life-expectancy-stalling-for-first-time-in-century
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[70] https://en.internationalism.org/content/16848/british-governments-herd-immunity-policy-not-science-abandonment-most-sick-and
[71] https://en.internationalism.org/content/16998/workers-have-no-interest-defending-capitalisms-democratic-rights
[72] https://fr.internationalism.org/content/10262/manifestations-secteur-sante-grande-bretagne-remettre-cause-lunite-nationale
[73] https://fr.internationalism.org/content/10418/mobilisation-des-etudiants-confrontee-a-misere-jeunesse-ne-se-resigne-pas
[74] https://libcom.org/article/1-yours-we-need-health-workers-and-patients-power
[75] https://fr.internationalism.org/content/10409/prise-charge-sante-russie-des-soviets
[76] https://fr.internationalism.org/tag/5/62/chine
[77] https://fr.internationalism.org/ri362/immigration_ceuta_mellila.htm
[78] https://fr.internationalism.org/tag/5/443/maroc
[79] https://www.liberation.fr/international/europe/inondations-le-nombre-de-morts-atteint-133-en-allemagne-153-en-europe-20210717_AAKJJWRYWZEGNJIQ3KKNNKBDQY/
[80] https://www.n-tv.de/politik/Warum-warnten-nicht-ueberall-Sirenen-vor-der-Flut-article22692234.html
[81] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/07/18/inondations-la-situation-se-degrade-dans-le-sud-de-l-allemagne_6088635_3244.html
[82] https://www.welt.de/politik/deutschland/article232656933/Annalena-Baerbock-Klimaschutz-faellt-nicht-vom-Himmel.html
[83] https://fr.internationalism.org/tag/5/38/allemagne
[84] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/environnement
[85] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/ecologie
[86] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/permanences
[87] https://fr.internationalism.org/tag/30/485/boris-johnson
[88] https://fr.internationalism.org/tag/7/536/populisme
[89] https://www.gov.uk/government/publications/global-britain-in-a-competitive-age-the-integrated-review-of-security-defence-development-and-foreign-policy
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[92] https://fr.internationalism.org/rinte68/nation.htm
[93] https://fr.internationalism.org/content/courriers-dun-lecteur-che-guevara-mythe-et-realite
[94] https://es.internationalism.org/revolucion-mundial/201012/3022/america-latina-como-en-todo-pais-capitalista-en-cuba-los-trabajadores
[95] https://es.internationalism.org/revolucion-mundial/200803/2204/se-retira-fidel-castro-la-explotacion-y-miseria-de-los-trabajadores-c
[96] https://fr.internationalism.org/content/9992/face-a-plongee-crise-economique-mondiale-et-misere-revoltes-populaires-constituent
[97] https://fr.internationalism.org/content/10163/reponse-au-racisme-nest-pas-lantiracisme-bourgeois-lutte-classe-internationale
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[99] https://fr.internationalism.org/content/10196/pologne-aout-1980-il-y-a-40-ans-proletariat-mondial-refaisait-lexperience-greve-masse
[100] https://fr.internationalism.org/content/10200/greve-masse-pologne-1980-des-lecons-lavenir
[101] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/cuba
[102] https://fr.internationalism.org/tag/4/459/democratie
[103] https://libcom.org/forums/news/jerusalem-gaza-14052021
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[106] https://socialismoryourmoneyback.blogspot.com/2021/05/war-without-end.html
[107] https://fr.internationalism.org/content/10256/lacg-rejette-politiques-identitaires-accepte-etat-disrael-democratique-et-laique
[108] https://www.leftcom.org/fr/articles/2021-05-20/ni-isra%c3%abl-ni-la-palestine-pas-de-guerre-mais-guerre-de-classe
[109] https://www.angryworkers.org/2021/05/25/editorial-3-palestine-israel/
[110] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/internationalisme
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[112] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210917-australie-apr%C3%A8s-la-rupture-du-contrat-du-si%C3%A8cle-avec-la-france-la-question-du-co%C3%BBt-de-ce-revirement
[113] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_new_york.html
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[115] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/11-septembre-2001
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[117] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/marche-climat
[118] https://fr.internationalism.org/ri316/catastrophe_AZF.htm
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[121] https://www.lefigaro.fr/economie/passe-sanitaire-et-obligation-vaccinale-greve-chez-les-soignants-ce-lundi-20210808
[122] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
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[125] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/giec
[126] https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/03/02/bernard-tapie-aurait-bien-rencontre-le-pen-selon-fratanie_5430607_823448.html
[127] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[128] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/bernard-tapie
[129] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/mitterrand
[130] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_134_i.pdf
[131] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/sport
[132] https://fr.internationalism.org/content/10437/cci-a-t-il-modifie-son-analyse-a-legard-des-gilets-jaunes-partie-1
[133] https://fr.internationalism.org/rinte78/edito.htm
[134] https://fr.internationalism.org/content/10457/genocide-des-tutsis-au-rwanda-bourgeoisie-francaise-solde-hypocritement-sa
[135] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/afrique
[136] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[137] https://fr.internationalism.org/ri431/quelle_est_la_veritable_nature_du_conseil_national_de_la_resistance.html
[138] https://fr.internationalism.org/isme/319_secusoc
[139] https://fr.internationalism.org/brochures/pcf-gouv44
[140] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/stalinisme
[141] https://fr.internationalism.org/brochures/decadence
[142] https://fr.internationalism.org/brochures/decadence/part_3
[143] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/migrants
[144] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/immigration
[145] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-migratoire
[146] https://fr.internationalism.org/content/10074/nouvelle-course-a-lespace-champ-bataille-imperialiste-capitalisme
[147] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/course-a-lespace
[148] https://es.internationalism.org/revista-internacional/199607/1775/xiii-la-transformacion-de-las-relaciones-sociales-segun-los-revolu
[149] https://fr.internationalism.org/content/5473/a-propos-du-livre-communisme-primitif-nest-plus-ce-quil-etait-i-communisme-primitif-et
[150] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201304/6967/a-propos-du-livre-communisme-primitif-nest-plus-ce-quil-etait-ii-co#sdfootnote26anc
[151] https://es.internationalism.org/accion-proletaria/201804/4291/huelga-feminista-contra-las-mujeres-y-contra-la-clase-obrera
[152] https://es.internationalism.org/content/4403/el-feminismo-al-servicio-del-capitalismo
[153] https://fr.internationalism.org/ri434/la_condition_de_la_femme_au_xxi_siecle.html
[154] https://fr.internationalism.org/plateforme
[155] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/feminisme
[156] https://fr.internationalism.org/content/10230/theories-du-complot-poison-contre-conscience-classe-ouvriere
[157] https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2779310
[158] https://fr.internationalism.org/content/10505/rapport-pandemie-et-developpement-decomposition
[159] https://fr.internationalism.org/content/10582/luttes-aux-etats-unis-iran-italie-coree-ni-pandemie-ni-crise-economique-nont-brise