Soumis par Révolution Inte... le
Le seul courant qui, tout en défendant la révolution
d'Octobre, ait rejeté et condamné la répression
de la forteresse de Kronstadt était le courant anarchiste, au
sein duquel il convient d'ailleurs de distinguer les différentes
composantes. Certains anarchistes, notamment les anarchistes immigrés
tels Emma Goldman et Alexandre Berkman étaient très
proches du parti bolchévik (et leur avaient apporté
leur plein soutien en octobre 17 contrairement à d'autres
anarchistes appartenant à l'intelligentsia ou aux éléments
déclassés et dont l'anti-bolchévisme exprimaient
clairement les conceptions de la petite-bourgeoisie
réactionnaire).
Il ne fait aucun doute que de nombreux
anarchistes avaient raison dans leurs critiques envers la Tcheka (le
police politique du parti) et l'écrasement de Kronstadt. Le
problème, c'est que l'anarchisme n'offre aucun cadre pour
comprendre la signification historique de tels événements,
comme en témoigne l'analyse de Voline :
"Kronstadt
est un phare lumineux qui éclaire la bonne route (?) Une fois
l'entière liberté de discussion, d'organisation et
d'action définitivement acquise par les masses laborieuses
elles-mêmes, une fois le vrai chemin de l'activité
populaire indépendante entrepris, le reste viendra s'enchaîner
automatiquement." (Voline, La Révolution
inconnue.)
Ainsi, selon Voline, il suffisait que la révolte
de Kronstadt ait été victorieuse pour que le reste
vienne "s'enchaîner automatiquement". Or, même
si la révolte s'était étendue à toute le
Russie, même si Kronstadt avait gagné, cela n'aurait en
rien résolu le problème crucial de l'époque :
celui de l'isolement international du bastion soviétique (mais
il est vrai que dans la logique des anarchistes, comme on a pu le
voir par la suite dans leur analyse de la "révolution
prolétarienne" en Espagne en 1936, l'analyse marxiste
suivant laquelle le communisme ne peut s'établir qu'à
l'échelle internationale est tout à fait secondaire).
Une telle sous-estimation des difficultés et de la nécessité
de l'extension rapide du processus révolutionnaire est un
véritable poison pour la conscience du prolétariat qui
lui masque le premier des enseignements de Kronstadt, à savoir
que toute révolution qui reste isolée dans un seul pays
est irrémédiablement vouée à l'échec.
La révolution prolétarienne est internationale ou n'est rien
La révolution prolétarienne peut seulement
réussir à l'échelle mondiale. Il est impossible
d'abolir le capitalisme ou de "construire le socialisme"
dans un seul pays, mais seulement par l'extension du pouvoir
politique prolétarien sur toute la planète. Sans cette
extension, la dégénérescence de la révolution
est inévitable, quels que soient les changements apportés
dans l'économie. C'est justement ce que Lénine avait
clairement mis en avant lorsqu'il affirmait dès 1918 que le
prolétariat russe attend avec impatience l'extension de la
révolution en Europe, car si le prolétariat d'Europe
occidentale ne venait pas rapidement au secours de la Russie des
soviets (qui commençait à être asphyxiée
par le blocus économique de toute la bourgeoise mondiale),
celle-ci était condamnée.
Pour les anarchistes, les
bolcheviks ont fini par écraser les ouvriers et les marins
parce qu'ils étaient, selon les termes de Voline, "marxistes,
autoritaires et étatistes". En réalité, ce
que Voline et tout le courant anarchiste n'ont jamais compris, c'est
que la disparition de la démocratie ouvrière qui a vidé
les soviets de toute vie prolétarienne est la conséquence
directe de l'impasse tragique dans laquelle se trouvait la révolution
russe. Et c'est à partir de cette incompréhension du
mouvement réel et de la dynamique générale du
prolétariat mondial que les anarchistes ont pu réécrire
et interpréter l'histoire à leur façon avec
comme seul "cadre théorique" la vieille thèse
libertaire anti-marxiste, anti-parti et "anti-autoritaire".
Ce faisant, l'idéologie des anarchistes apporte aujourd'hui
encore de l'eau au moulin des campagnes anti-communistes de la
bourgeoisie, lesquelles ont pour objectif de perpétuer l'idée
mensongère consistant à faire croire aux prolétaires
qu'il existerait une prétendue "continuité
théorique, pratique et historique" entre Lénine et
Staline, entre la révolution d'Octobre 1917 et la
contre-révolution stalinienne.
Parce que le marxisme défend
la formation d'un parti politique prolétarien, appelle à
la centralisation des forces du prolétariat et reconnaît
l'inévitabilité de l'Etat de la période de
transition vers le communisme, il est condamné, selon les
anarchistes, à finir comme exécuteur des masses. De
telles "vérités éternelles" n'ont
aucune utilité pour la compréhension des processus
historiques réels et pour en tirer des leçons sur
lesquelles devra s'appuyer le futur mouvement
révolutionnaire.
Quelles sont les véritables leçons
de la tragédie de Kronstadt que la Gauche communiste a su
tirer ? 1
Pas de rapport de violence au sein de la classe ouvrière
La
violence révolutionnaire est une arme que le prolétariat
est forcé d'utiliser dans son combat contre la classe
capitaliste. A l'intérieur même du prolétariat,
elle ne doit avoir aucune place car elle ne peut alors que détruire
son unité, sa solidarité, sa cohésion et
engendrer la démoralisation, le désespoir.
Sous
aucun prétexte la violence ne saurait servir de critère
ni d'instrument au sein de la classe ouvrière parce qu'elle
n'est pas un moyen de sa prise de conscience. Cette prise de
conscience, le prolétariat ne peut l'acquérir que par
sa propre expérience et l'examen critique constant de cette
expérience. C'est pourquoi la violence au sein de la classe
ouvrière, quelle que soit sa motivation immédiate, ne
peut qu'empêcher l'activité propre des masses et
finalement être la plus grande entrave à sa prise de
conscience qui est la condition indispensable au triomphe du
communisme.
En ce sens, même si des fractions de la classe
ouvrière ont manifestement tort, la "ligne juste" ne
peut pas leur être imposée par la force des armes par
une autre fraction, qu'elle soit majoritaire ou non. Le soulèvement
de Kronstadt a constitué un affaiblissement du bastion
prolétarien, sur le plan de sa cohésion. Sa répression
a constitué un affaiblissement encore plus important en hâtant
la dégénérescence de la révolution.
La dictature du prolétariat n'est pas celle d'un parti
La
tragédie de la révolution russe, et en particulier le
massacre de Kronstadt, a été que l'ensemble du
mouvement ouvrier de l'époque n'était pas clair sur le
rôle du parti dans l'exercice du pouvoir prolétarien. En
effet, au sein du mouvement ouvrier existait encore l'idée
que, comme dans la révolution bourgeoise, c'est le parti qui
devait exercer la dictature du prolétariat au nom de la classe
ouvrière. Contrairement aux autres révolutions dans
l'histoire, la révolution prolétarienne exige la
participation active et constante de toute la classe ouvrière.
Ce qui signifie qu'à aucun moment, elle ne doit tolérer,
sous peine d'ouvrir immédiatement un cours de dégénérescence,
ni la "délégation" du pouvoir à un
parti, ni la substitution d'un corps spécialisé ou
d'une fraction de la classe ouvrière, aussi révolutionnaires
soient-ils, à l'ensemble du prolétariat. C'est
également pour cette raison que, quand l'Etat se dresse contre
la classe ouvrière, comme ce fut le cas à Kronstadt, le
rôle du parti, en tant qu'émanation et avant-garde du
prolétariat, n'est pas de défendre l'Etat contre la
classe ouvrière, mais de mener le combat aux côtés
de celle-ci contre l'Etat.
La dictature du prolétariat n'est pas l'Etat
Au moment de la révolution russe, il
existait une confusion générale dans le mouvement
ouvrier, qui identifiait la dictature du prolétariat à
l'Etat apparu après le renversement du régime tsariste,
c'est-à-dire le congrès des délégués
de toutes les Russies des Soviets, des travailleurs, soldats et
paysans. Le pouvoir prolétarien, au lieu de se manifester par
le canal des organes spécifiques de la classe ouvrière
(assemblées d'usines et conseils ouvriers), a été
identifié à l'appareil d'Etat (soviets territoriaux,
émanation de toutes les couches non exploiteuses).
Or,
comme l'a clairement mis en avant la Gauche communiste d'Italie à
la fin des années 30 et la Gauche communiste de France par la
suite, tirant les leçons de la dégénérescence
de la révolution russe, l'autonomie du prolétariat
signifie que, sous aucun prétexte, les organisations unitaires
et politiques de la classe ouvrière ne doivent se subordonner
aux institutions étatiques, car cela reviendrait à
dissoudre ces organismes du prolétariat et amènerait
celui-ci à abdiquer de son programme communiste dont lui seul
est l'unique sujet. Compte tenu des conceptions qui existaient à
l'époque dans le mouvement ouvrier (l'idée d'un Etat
"prolétarien"), toute résistance à
l'Etat de la part des travailleurs ne pouvait être considéré
que comme contre-révolutionnaire. A aucun moment, la vigilance
du prolétariat vis-à-vis de l'appareil d'Etat ne peut
se relâcher, parce que l'expérience russe et les
événements de Kronstadt en particulier, ont montré
que la contre-révolution peut très bien se manifester
par le canal de l'Etat post-insurrectionnel et pas seulement à
travers une agression bourgeoise "extérieure".
Pour
tragiques qu'aient été les erreurs commises par les
bolcheviks, ce ne sont pas elles mais bien l'isolement de la
révolution russe qui est à la base de sa
dégénérescence. Si la révolution s'était
étendue, en particulier à travers une insurrection
victorieuse en Allemagne, il est fort probable que ces erreurs
auraient pu être corrigées au cours-même du
processus révolutionnaire en développement, comme en
témoigne les positions défendues par Lénine dans
le débat en 1920-1921 qui l'avait opposé à
Trotsky sur la question des syndicats (débat qui s'est
également mené au 10e congrès du parti qui s'est
tenu au moment-même où se déroulaient les
événements de Kronstadt). Ainsi, alors que Trotsky
défendait l'idée que les syndicats devaient constituer
un appareil d'encadrement par l'Etat "prolétarien"
de la classe ouvrière, Lénine, en désaccord avec
cette analyse, avait mis en avant que les ouvriers doivent se
défendre eux-mêmes contre "leur" Etat,
particulièrement dans la mesure où le régime des
soviets était, selon lui, non plus un Etat prolétarien
mais un "Etat des ouvriers et des payans" avec de
"profondes déformations bureaucratiques".
Par
ailleurs, en 1922, dans un rapport présenté au comité
central du parti, c'est en ces termes que Lénine commence à
percevoir que la contre-révolution s'est installée en
Russie-même et que l'appareil du parti bureaucratisé ne
va pas dans le sens des intérêts du prolétariat :
"La machine est en train d'échapper des mains de ceux
qui la conduisent : en fait, on dirait qu'il y a quelqu'un aux
commandes qui dirige cette machine, mais celle-ci suit une autre
direction que celle qui est voulue, conduite par une main cachée
(...) Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à
un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou aux
deux à la fois. Le fait est que la machine ne va pas dans la
direction voulue par ceux qui sont censés la conduire et,
quelquefois, elle prend tout à fait la direction opposée."
B et C