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Le Groupe Communiste Anarchiste rejette les politiques identitaires mais “accepte” un État d’Israël démocratique et laïque
Depuis que nous avons écrit sur les éléments qui allaient fonder le Groupe Communiste Anarchiste (ACG) en février 20181, cette organisation est passée par un processus de définition de son parcours et de détermination de son programme. Son principal objectif était de se détourner de la domination de la politique identitaire, telle qu’elle s’était développée dans la Fédération anarchiste et dans le milieu anarchiste en général, et de revenir à la lutte de classe comme base fondamentale de ses activités.
Après sa fondation, ce groupe a fait quelques pas, comme il l’a dit, « pour rompre avec le marais de l’anarchisme traditionnel"2 et dans la direction des positions de classe.
En juin 2018, il a pris l’initiative de lancer une campagne derrière le slogan « Pas de guerre, mais la guerre de classe » (NWBCW).
D’autres participants à cette initiative étaient également le Guildford Solidarity Group et une organisation de la Gauche Communiste : la CWO. Lors de l’inauguration de cette campagne, ces trois groupes ont organisé une réunion commune à Londres. L’année suivante, l’ACG a organisé différentes réunions publiques sur le sujet, dont certaines ont été organisées avec le CWO, comme en janvier et avril 2019.3
En différentes occasions, il a défendu la lutte de classe comme seule solution pour la libération de tous ceux qui sont soumis à l’oppression par le capitalisme, comme ce fut le cas lorsqu’un membre de l’ACG a fait une présentation dans une réunion du Rebel City Collective à l’Anti-University à Londres en juin 2018 : « Bien que la lutte contre les oppressions puisse être prioritaire pour les opprimés à différents moments, en fin de compte, elle ne parviendra à une libération totale des femmes de la classe ouvrière ou des personnes de couleur que lorsque les classes seront abolies"4.
Ceci dit, nous devons également établir que les tentatives du groupe de quitter le marais anarchiste n’ont pas vraiment réussi, car il y a trop de points sur lesquels il n’a pas pu faire de progrès significatifs vers des positions communistes. Un des exemples frappants est la façon dont il veut résoudre le problème de l’antisionisme dans l’article « Politique identitaire et antisémitisme à gauche"5.
La gauche et l’antisionisme
Depuis de nombreuses années, une campagne intense est menée en Grande-Bretagne contre les groupes et les individus gauchistes qui défendent une position antisioniste. La campagne a été dirigée en particulier contre l’aile gauche du parti travailliste qui a été ouvertement accusée d’antisémitisme. En réponse à cette campagne, certains anarchistes ont décidé de prendre le parti du parti travailliste.
En 2016, « Winter Oak », un groupe anarchiste particulièrement soucieux de l’écologie, n’a pas encore pris ouvertement parti pour le parti travailliste, mais a mis en garde contre « une nouvelle arme idéologique toxique [qui] a été déclenchée par le système capitaliste (…) : l’accusation d’ “antisémitisme” dans le cadre de la chasse aux sorcières. Ce phénomène a atteint son paroxysme au Royaume-Uni ces dernières semaines avec des accusations fébriles d'“antisémitisme” au sein du parti travailliste de Jeremy Corbyn, qui semble être considéré comme dangereusement radical ».6
David Graeber a cependant ouvertement défendu le parti travailliste contre cette campagne de diffamation. En décembre 2019, il a posté plusieurs messages sur Twitter, ciblant le reportage du Guardian sur l’antisémitisme institutionnalisé au sein du parti travailliste. « Si vous additionnez ce qui est faux et trompeur, 90 % de nouveaux articles du Guardian sur la controverse de l’IHRA7 ont été conçus pour tromper le lecteur en lui faisant croire à tort que le Labour était institutionnellement antisémite. C’était un crime historique contre la vérité. Qui étaient les rédacteurs ? Il faut leur faire honte pour cela"8.
Bien qu’il s’agisse d’une véritable campagne idéologique menée par diverses fractions bourgeoises, cela ne signifie pas que l’antisémitisme n’existe pas au sein du Parti travailliste. Corbyn et les trotskystes ont en effet fait et font encore cause commune avec les bandes islamistes les plus extrêmes comme le Hamas et le Hezbollah, et ce faisant, ils agissent comme « un véhicule non seulement d’un antisémitisme plus honteux, mais aussi de ses manifestations les plus ouvertes"9. L’ACG est capable de faire face à cette réalité lorsqu’il écrit que « beaucoup de ceux qui soutiennent la cause palestinienne (…) semblent véritablement incapables de faire la distinction entre critiquer Israël et semer la haine contre un peuple » et que « les idées de l’aile gauche sur l’antisionisme sont de plus en plus colonisées par des formes d’antisémitisme"10.
En raison de l’intensité de cette campagne, en Grande-Bretagne (et ailleurs), il est en effet devenu de plus en plus difficile de critiquer l’État d’Israël sans être accusé d’antisémitisme. Et tout élément ou groupe qui se considère comme faisant partie de la gauche en général – contrairement à la Gauche communiste révolutionnaire – est confronté à ce dilemme. Afin de contourner ce dilemme, l’ACG a donc décidé de ne plus parler d’antisionisme. Au lieu de cela, il affirme « qu’il est beaucoup plus sûr d’utiliser des expressions plus précises et sans ambiguïté comme s’opposer à l’État israélien, à ses polices ou à ses actions"11.
Selon l’ACG, « un problème se pose lorsque nous voyons les identités avant de voir les relations"12, en d’autres termes : avant de voir les classes. Si les classes étaient placées en premier et les identités en second, on serait, semble-t-il, libéré du problème de l’identification de l’antisionisme avec l’antisémitisme. Le problème de l’identification des deux a-t-il vraiment été résolu par cela ? Nous ne le pensons pas. La politique identitaire, qui est un piège pour la lutte de la classe ouvrière, comme l’AGC le reconnait à juste titre, est persistante et plus difficile à combattre que ne le pense l’ACG.
C’est ce que montre très clairement l’article de l’ACG dans lequel il lance un appel pour aider « le mouvement antiraciste dans ce pays et dans le monde » avec l’argument suivant : « le racisme, les autres préjugés et les systèmes d’oppression sont si étroitement liés qu’en luttant contre l’un d’entre eux, nous luttons aussi contre les autres"13. Ici, l’ACG fait à nouveau passer la race avant les classes puisqu’il part du principe que combattre le racisme signifie automatiquement combattre le capitalisme.
« Le racisme divise la classe ouvrière contre elle-même"14, écrit l’ACG, et c’est bien sûr vrai, mais il oublie que son soutien à l’antiracisme divise tout autant la classe ouvrière. Et la photo de l’article, avec sa publicité pour Black Lives Matter, une campagne qui place la race au-dessus de la classe, ne fait que le souligner.
Mais revenons à la question de l’antisionisme. Dans sa tentative d’éviter l’utilisation de ce mot, un autre problème est apparu : celui de l’acceptation de l’État d’Israël seulement s’il était « un État laïque, non discriminatoire et démocratique », puisque « les États existent, et nous devons travailler dans le cadre de la réalité que nous avons devant nous"15. Quel est le sens de cette déclaration, qui est indissociable des programmes de la gauche antisioniste ? Les anarchistes n’ont-ils pas toujours essayé de rejeter et de combattre l’État bourgeois en tant qu’organe répressif au service de la classe dominante ?
Dans les écrits plus généraux de l’ACG, il ne semble pas y avoir de confusion sur ce point. « L’État est le moyen par lequel la classe dirigeante conserve et renforce son pouvoir"16. « Tout système économique basé sur le travail salarié et la propriété privée nécessitera un appareil d’État coercitif pour faire respecter les droits de propriété et pour maintenir les relations économiques inégales qui en découleront inévitablement"17. Mais, si c’est vraiment la conception que l’ACG se fait de l’État, il doit au moins expliquer comment il concilie sa position anti-étatique avec la phrase selon laquelle, dans le cas d’Israël, « un État laïque, non discriminatoire et démocratique » est “acceptable” ?
La question de la politique identitaire ne peut être résolue en la rejetant par la porte pour la laisser entrer par la fenêtre. Même au-dessus de l’article, dans lequel l’ACG dit qu’il préfère ne plus utiliser le mot “sionisme”, il y a une image affichant le slogan : « Confrontez le sionisme, boycottez Israël », signé par le Réseau international juif antisioniste. Toute cette astuce avec le mot “sionisme” ne rapproche pas le groupe de la position internationaliste qu’il prétend défendre. Au contraire, il est toujours submergé dans la campagne internationale qui oblige chacun à soutenir ou à rejeter la “légitimité” de l’État sioniste.
Le chemin difficile de l’internationalisme
Il y a dix ans, nous avons écrit sur l’anarchisme internationaliste. Et nous avons défendu les tendances internationalistes au sein de l’anarchisme comme une expression de l’internationalisme prolétarien. Aujourd’hui, nous pensons qu’un groupe comme l’ACG défend globalement les positions internationalistes. Mais cette position n’est pas clairement et solidement établie et ne repose pas sur une approche de classe : sur le prolétariat en tant que classe qui ne peut s’émanciper lui-même qu’en émancipant l’ensemble de la population mondiale non exploitante du fléau de l’exploitation et de la répression au moyen d’une révolution mondiale.
C’est pourquoi nous avons également souligné que « Le mouvement anarchiste (…) reste un milieu très hétérogène. Tout au long de son histoire, une partie de ce milieu a sincèrement aspiré à la révolution et au socialisme, exprimant une réelle volonté d’en finir avec le capitalisme et l’exploitation. Ces militants se sont effectivement placés sur le terrain de la classe ouvrière lorsqu’ils ont affirmé leur internationalisme et se sont consacrés eux-mêmes à rejoindre son combat révolutionnaire ». Mais « privés de la boussole de la lutte de classe du prolétariat et de l’oxygène de la discussion et du débat avec les minorités révolutionnaires qui en émanent, des éléments qui tentent de défendre les principes de classe se sont souvent trouvés piégés dans les contradictions intrinsèques de l’anarchisme"18.
Et c’est exactement ce que nous voyons aujourd’hui avec l’ACG. Il n’est pas capable de défendre une position internationaliste consistante. Nous pouvons le voir avec leur position “acceptant” un Israël laïque et démocratique. Mais on le voit aussi, par exemple, dans sa déclaration concernant l’invasion de l’armée turque et la situation autour de l’Afrique : « Une position internationaliste ».
La déclaration commence par une dénonciation claire des différentes fractions bourgeoises dans le conflit impérialiste. « En tant que communistes anarchistes, nous ne soutenons aucune fraction dans une guerre inter-impérialiste (…). Nous ne soutenons pas non plus les partis politiques nationalistes qui ont pour but d’établir de nouveaux États, quelle que soit la rhétorique libertaire. Il peut y avoir des exemples d’auto-organisation dans les régions de Rojava mais (…) il ne s’agit pas d’un mouvement vers une véritable auto-organisation si vous êtes capable de le faire parce que le grand leader a dit que c’est ce que vous devriez faire"19.
Jusqu’à présent, tout va bien, mais l’ACG sort un lapin de son chapeau en terminant cette déclaration par ces mots : « la situation est très compliquée et (…) nous ne soutenons pas sans réserve les partis nationalistes tels que le YPD, qui ont pris la tête de la résistance"20, ce qui semble au moins impliquer qu’il apporte son soutien “critique” aux partis nationalistes tels que le YPD ; bien qu’il caractérise également ce parti dans le même article comme « l’un des partis politiques hautement disciplinaires et autoritaires"21.
Le soutien au « moindre mal » conduit à l’abandon de l’internationalisme
Pour l’ACG, il n’existe soi-disant pas de « moindre mal" : « Aucune fraction de la classe capitaliste ne mérite d’être soutenue et aucune n’est « un moindre mal »!22. Mais, d’après notre expérience, nous savons que l’anarchisme finit très souvent par choisir le « moindre mal ». Si les Kurdes sont attaqués par Saddam, il y a des anarchistes qui considèrent la cause des Kurdes comme un moindre mal et qui les soutiennent – surtout s’ils font la publicité d’une idéologie de « confédéralisme démocratique » et parlent d’une « révolution de Rojava ». Si les Catalans se soulèvent contre le régime autoritaire de Madrid en 2017, il y a des anarchistes qui considèrent la cause des Catalans comme un moindre mal et qui ont tendance à les soutenir.
Un exemple clair de cette politique du « moindre mal » est donné par l’article, récemment publié par un groupe aux Philippines sur le site web de l’ACG sans aucune critique, intitulé « Philippines : appel à la solidarité internationale ». Cet article se termine par un slogan qui dit : « Luttez pour la justice sociale ! Combattez le fascisme et le terrorisme d’État !"23. De plus, au-dessus de l’article, il y a une photo sur laquelle on peut lire « Détruisez le fascisme ». L’ACG prétend défendre la lutte du prolétariat sur son propre terrain de classe, mais ce slogan n’a rien à voir avec la lutte de la classe ouvrière et ne fait que détourner les travailleurs de leur terrain de classe. Les slogans appellent à la lutte pour la démocratie en général qui, en fin de compte, ne signifie rien d’autre que la démocratie bourgeoise. C’est un piège pour l’anarchisme qui remonte à sa politique des années 1930.
L’ACG ne considère pas les ministres de la CNT-FAI en 1936-1937 comme de véritables anarchistes et écrit que leur politique antifasciste « a ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale ».24. Mais comment l’ACG explique-t-il alors ce qui s’est passé après le 6 octobre 1934, lorsque Luís Companys avait déclaré un État catalan libre dans une République fédérale espagnole ? Car après la suppression de cette proclamation par l’armée espagnole et l’arrestation du gouvernement catalan, la CNT a publié un Manifeste dans lequel elle se présente elle-même « comme le meilleur rempart contre le fascisme et insiste sur son droit de contribuer à la lutte antifasciste. Contre toute la tradition de la CNT et contre la volonté de nombreux militants anarchistes, elle a abandonné le terrain de la solidarité ouvrière pour embrasser le terrain de l’antifascisme et du soutien “critique” au nationalisme catalan ».25
Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce même antifascisme a attiré les anarchistes dans l’orbite des pays alliés. Les anarchistes ont formé des groupes de combat antifascistes dans toute l’Italie pour défendre le « moindre mal » contre le régime de Mussolini, même en hommage à Malatesta qui n’avait, lui, jamais trahi l’internationalisme : « À Gênes, les groupes de combat anarchistes opéraient sous les noms de la brigade “Pisacane”, de la formation “Malatesta”, de la SAP-FCL, de la Sestri Ponente SAP-FCL et des Escadrons d’action anarchiste d’Arenzano. (…) Les anarchistes ont fondé les brigades “Malatesta” et “Bruzzi”, qui comptaient 1300 partisans : elles opéraient sous l’égide de la formation “Matteotti” et ont joué un rôle de premier plan dans la libération de Milan"26.
Les exemples ci-dessus montrent clairement que, dans la pratique de la lutte quotidienne, il n’est pas si facile pour une organisation anarchiste de maintenir sa position internationaliste. Et la raison principale de cet échec est que l’anarchisme, et même le communisme anarchiste, n’ont pas une compréhension claire de ce qu’est le prolétariat ni une méthode historique pour clarifier ses tâches à des époques particulières. Sans une telle méthode, il est impossible d’élaborer un programme politique solide, universel et cohérent, tel qu’il a été élaboré notamment par les organisations de la Gauche communiste. Nous y reviendrons dans un autre article.
Dennis, juillet 2020
3Le groupe NWBCW semble avoir cessé d’exister. L’année dernière, il n’y a pas eu d’activité commune, en dehors de l’article de la Tendance Communiste internationale.
4« La classe est-elle toujours pertinente ? Une perspective communiste anarchiste »; ACG, 24 juin 2018.
6« Chasse aux sorcières : la diffamation de l’antisémitisme est une guerre idéologique" ; Winter Oak ; avril 2016.
7Cette controverse portait sur le fait que le parti travailliste avait initialement refusé d’accepter la définition de l’antisémitisme élaborée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.
11Ibid.
12Ibid.
14Ibid.
16« La classe est-elle toujours pertinente ? Une perspective anarchiste communiste" ; ACG, 24 juin 2018.
17Le communisme anarchiste – une introduction ; ACG, 13 novembre 2017.
18« Les anarchistes et la guerre » (partie 2) : la participation anarchiste à la Seconde Guerre mondiale »; Révolution Internationale n° 326.
20Ibid.
21Ibid.
24« La dernière tentative de réaffirmer les intérêts des masses ouvrières a eu lieu pendant les journées de mai de 1937. La CNT et la FAI, avec ses ministres “anarchistes” en tête, ont mis fin à l’escalade de la guerre de classes et la révolution espagnole est morte. Les militants dissidents de la CNT-FAI, les Amis de Durutti, ont résumé la situation en disant que « c’est la démocratie qui a vaincu le peuple espagnol, pas le fascisme ». L’Espagne antifasciste avait détruit la révolution espagnole et ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale ». (in « La tradition : d’où vient notre politique ? » ; ACG, 14 novembre 2017)
25« L’échec de l’anarchisme pour empêcher l’intégration de la CNT à l’Etat bourgeois (1931-34)"; Revue internationale n° 132 – 1er trimestre 2008.
26« Les anarchistes et la guerre » (partie 2) : la participation anarchiste à la Seconde Guerre mondiale »; Révolution Internationale n° 326.